Art. 70. Mais alors se présente un intérêt général et économique dont on trouvera d'autres applications; c'est qu'il vaut mieux ne pas démolir les édifices, ni arracher les plantations: il faut éviter la perte d'une double main-d'œuvre (construction et destruction) et la dépréciation inévitable des matériaux.
Il est désirable que le propriétaire conserve les ouvrages faits: son intérêt à les conserver est d'ailleurs tout-à-fait légitime, puisqu'ils sont sur son sol et que la destruction y causerait toujours des dégradations, au moins temporaires. Au contraire, l'usufruitier semble n'avoir guère qu'un simple intérêt pécuniaire à l'enlèvement de matériaux et de plantations, et s'il en est indemnisé équitablement, il sera désintéressé. L'indemnité sera équitable, lorsqu'elle équivaudra à la plus-value résultant actuellement pour le fonds des constructions et plantations conservées, quel que soit d'ailleurs le prix qu'elles auront coûté. La loi n'autorise pas cette recherche qui serait une complication presque toujours inutile; car, généralement, les dépenses originaires des constructions, autres que celles faites par spéculation, excèdent la plus-value qu'elles donnent au sol.
Il y a donc là pour le propriétaire un droit légal de préemption, c'est-à-dire de préference à tout autre pour acheter. C'est, en même temps, le cas de citer un exemple de limite légale à la plénitude du droit de disposer de la chose dont on est propriétaire, car l'usufruitier est plein propriétaire de ses constructions et plantations (v. art. 30).
La loi ne pouvait accorder au propriétaire du sol un droit de cette importance sans en régler l'exercice. Tel est l'objet des trois derniers alinéas.
Le propriétaire peut ignorer le moment, souvent imprévu, où finit l'usufruit; il ne peut donc être exposé à être déchu de son droit par la seule échéance d'un délai préfix après l'extinction de l'usufruit. L'usufruitier ou son héritier aura donc à le prévenir que l'usufruit est éteint et à le sommer, en forme extrajudiciaire, d'avoir à déclarer s'il entend user de son droit.
Quoique la loi ne distingue pas expressément si la cause qui met fin à l'usufruit est connue d'avance du nu-propriétaire, il est dans son esprit de n'exiger cette sommation que si la cause est légalement inconnue de celui-ci. Ainsi, si l'usufruit avait été limité à une durée fixée, la sommation ne serait pas nécessaire. A plus forte raison, si l'usufruit cessait pour abus de jouissance, sur la poursuite du nu-propriétaire, conformément à l'article 104.
La sommation est, au contraire, nécessaire dans le cas de cessation de l'usufruit par la mort de l'usufruitier ou par l'accomplissement d'une condition résolutoire à laquelle le nu-propriétaire serait étranger.
Le propriétaire n'a que dix jours pour se décider sur l'exercice du droit de préemption, sans même qu'il soit nécessaire que ce délai soit rappelé dans la sommation. Le propriétaire doit connaître le délai que la loi lui accorde.
Il y a toujours quelque chose d'arbitraire dans les délais légaux: la loi ne pouvait le donner plus long sans créer des embarras à l'usufruitier ou à son héritier. Le propriétaire d'ailleurs ne doit pas ignorer qu'il y a des constructions et plantations faites sur son fonds par l'usufruitier et il a dû penser d'avance au parti qu'il prendrait à la fin de l'usufruit.
S'il est absent au moment où l'usufruit finit, il a dû laisser un mandataire, avec des pouvoirs suffisants pour répondre à la sommation.
Après dix jours de silence, il est déchu de plein droit de la faculté de préemption.
Pour que l'usufruitier ou son héritier perde définitivement son droit aux constructions et plantations, il faut encore que le nu-propriétaire en ait payé le prix, faute de quoi son acquisition est soumise à la résolution. Si ce prix n'est pas fixé à l'amiable, il doit être fixé par le tribunal après expertise. La décision du tribunal peut être l'objet de recours légaux. Une fois qu'elle est devenue définitive, le nu-propriétaire a un mois pour payer le prix fixé, faute de quoi, il encourt la déchéance.
Mais il ne faut pas voir là, comme pour le délai de dix jours, une déchéance de plein droit dont le propriétaire puisse se prévaloir lui-même: il est contraire aux principes généraux du droit que quelqu'un puisse se faire un titre de sa faute. L'usufruitier aura donc la faculté ou de faire prononcer la déchéance, ou de contraindre le propriétaire au payement, comme tout autre débiteur.
Si l'usufruitier ou son héritier demande la déchéance, il peut encore obtenir des dommages-intérêts, car il peut avoir, dans l'intervalle des délais légaux, manqué l'occasion de vendre avantageusement ses contructions.
La loi devait enfin pourvoir à la garantie de l'usufruitier ou de son héritier contre les dégradations et autres abus, s'ils livraient les bâtiments avant le payement du prix: ils peuvent donc rester en possession jusqu'au payement. Ce droit, qui aura de nombreuses applications dans la loi, se nomme droit de rétention: il figure dans l'article 2 au nombre des sûretés réelles.
On remarquera enfin que, s'il n'y avait que des plantations, les intéressés ne pourraient retenir la possession du sol: la loi ne l'accorde que pour les bâtiments.