旧民法・法例(明治23年)

Code civil de l'Empire du Japon. Accompagne d'un exposé des motifs

参考原資料

LIVRE DES BIENS.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
DE LA DIVISION DES BIENS ET DES CHOSES.
Le 1er Livre du présent Code sera consacré aux PERSONNES qui sont les sujets actifs ou passifs des droits, c'est-à-dire ceux auxquels les droits peuvent appartenir ou contre lesquels ils peuvent être exercés.
Le présent Livre est consacré aux Biens, qui sont les droits eux-mêmes, et aux Choses, qui sont les objets des droits, c'est-à-dire sur lesquelles portent les droits ou que les droits tendent à faire acquérir.
Mais il y a des choses qui ne sont pas encore l'objet de droits; tels sont les animaux sauvages, les oiseaux, les poissons, avant que quelqu'un s'en soit emparé par la chasse ou la pêche; d'autres choses même ne pourront jamais devenir l'objet de droits, au moins dans leur ensemble; tels sont l'air, l'eau des fleuves et rivières, la haute mer. La loi doit cependant mentionner les unes et les autres, en les caractérisant, pour l'intelligence des dispositions ultérieures qui les concernent, surtout des dispositions prohibitives. C'est pour ce motif que les Dispositions générales présentent, tout à la fois, la “Division des Biens et des Choses.”
C'est même surtout la nature, soit matérielle, soit juridique, des choses qui forme l'objet de ces Dispositions générales: ce n'est que par voie de conséquence des principes ici posés qu'on verra, dans la suite, comment ces choses se comportent par rapport au patrimoine des particuliers ou des personnes morales, c'est-à-dire si et jusqu'à quel point elles deviennent l'objet de droits.
Art. 1er. Bien que le rôle du législateur ne soit pas, en général, de donner des définitions, mais plutôt de disposer, c'est-à-dire d'ordonner, de permettre ou de défendre, bien qu'il doive, autant que possible, s'abstenir d'énoncer des propositions dogmatiques ou de pure doctrine, il est cependant quelquefois utile qu'il le fasse pour assurer une saine interprétation de la loi: il y a là une question de mesure et d'opportunité dont il est juge.
Ainsi, il a paru utile de proclamer, tout d'abord, que les Biens ne sont autre chose que les Droits: tant qu'une chose n'est pas encore entrée dans notre patrimoine, par un des modes reconnus par la loi, il n'y a pas encore pour nous un bien, c'est-à-dire un droit, il n'y a qu'une chose.
Incidemment, l'article 1er dit que les biens peuvent appartenir à des particuliers où à des personnes purement morales comme l'Etat, les fu ou ken, les shi, tcho ou son, les etablissements publics, les corporations ou sociétés. Cette expression de “personnes morales” est déjà consacrée par les lois administratives. En général, ces personnes exercent, comme les simples individus, les droits qui leur appartiennent: les cas où il en est autrement sont réglés par la loi.
Enfin, l'article 1er annonce que "les droits sont de deux sortes: les droits réels et les droits personnels," lesquels forment l'objet des articles 2 et 3.
Art. 2 et 3. L'ancien droit japonais n'avait pas aussi nettement reconnu la différence de nature des droits qualifiés ici réels et personnels. Cette différence cependant existait autrefois comme aujourd'hui, parce qu'elle est dans la nature des choses: on n'a jamais confondu un propriétaire avec un créancier, ni une chose déjà acquise avec une chose seulement due. Mais la loi nouvelle, en séparant nettement les deux sortes de droits, rendra plus facile aux tribunaux de déduire les conséquences de la différence des deux droits.
C'est également pour la facilité de l'interprétation judiciaire, et aussi pour rendre l'intelligence de la loi accessible à tous, que chacun des deux droits est incidemment, caractérisé dans sa nature et son principal effet.
Ainsi, par sa nature, le droit réel est exercé directement sur une chose, par celui auquel il appartient, sans que celui-ci ait besoin de s'adresser à une autre personne pour en jouir; au contraire, le droit personnel ou de créance s'exerce d'abord contre une personne déterminée (le débiteur); il permet au créancier d'exiger de celle-ci des faits ou des abstentions, suivant qu'elle est obligée à faire ou à ne pas faire quelque chose; ce n'est qu'indirectement et après coup, par l'exécution de l'obligation, que le droit personnel peut mener le créancier à l'acquisition d'un droit.
Par son effet principal, le droit réel diffère du droit personnel, en ce qu'il est opposable à tous, c'est-à-dire à quiconque y fait obstacle ou en trouble l'exercice, par une entreprise ou une prétention sur la chose qui en est l'objet; le droit personnel, au contraire, ne peut se faire valoir que contre la personne qui est spécialement obligée, soit par contrat, soit par une autre cause légalement reconnue.
Une autre différence entre les deux droits, tenant à la fois à leur nature et à leur effet, est que le droit réel est généralement exclusif de tout droit semblable sur la même chose en faveur d'une autre personne; tandis que le droit personnel d'une personne contre une autre n'empêche pas que d'autres personnes, d'autres créanciers, aient des droits de même nature contre le même débiteur. La conséquence est importante au cas où celui contre lequel le droit est exercé se trouve insolvable: s'il s'agit d'un droit réel, l'insolvabilité de celui qui aurait usurpé la chose d'autrui n'empêcherait pas que la chose fût restituée en entier à l'ayant-droit; si, au contraire, il s'agit d'un-droit personnel exercé contre un insolvable par plusieurs créanciers, tous concourront pour la distribution de ses biens, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes de préférence, comme un gage ou une hypothèque, lesquels sont précisément des droits réels.
L'objet principal et direct de l'article 2, sa disposition, n'est pas de définir les droits réels, mais d'en donner l'énumération, en les divisant en deux classes: droits principaux et droits accessoires. Les premiers peuvent exister seuls et sont l'objet de la Ire Partie du présent Livre. Les autres, n'étant que la garantie ou sûreté des créances, ne peuvent être utilement placés qu'après les droits personnels: ils forment l'objet d'un Livre spécial.
Mais il existe des droits réels accessoires qui ne sont pas des garanties; ce sont les servitudes réelles ou foncières: elles prennent place dans la Ire Partie du présent Livre, après les droits réels principaux.
Les lois étrangères ne prennent pas toujours le soin d'énumérer et de régler les droits réels principaux. Ainsi, il en est qui laissent du doute sur le point de savoir si le droit qui résulte du bail est réel ou personnel; d'autres, ne se prononçant pas sur les droits d'emphytéose et de superficie, laissent douter que ces droits soient admis et reconnus par elles.
Au Japon, on ne pouvait négliger de régler avec soin ces deux derniers droits qui y ont été reconnus de temps immémorial. Quant au bail, la loi a affirmé son caractère réel: on expliquera, en sa place, comment cette déclaration est favorable à l'agriculture pour le bail des terres et à l'intérêt général et économique pour le bail des maisons et même des meubles.
On ne trouve pas et on ne pouvait pas trouver dans l'article 3 une énumération des droits personnels, quoiqu'il y en ait aussi de principaux et d'accessoires; le motif est que les droits personnels ne différent les uns des autres que par leurs causes ou leurs sources, mais non par leur nature, par leurs effets, ni par leur extinction: entre la créance ou l'obligation née d'un contrat et celle née d'un dommage causé injustement, il peut y avoir quelque différence quant à la manière de prouver l'obligation et d'en apprécier l'étendue, mais les voies d'exécution forcée et les modes d'extinction seront les mêmes; aussi un créancier a-t-il suffisamment désigné son droit personnel, lorsqu'il a nommé son débiteur et indiqué l'objet ou le montant de l'obligation.
Quant au pouvoir des particuliers pour créer le droit personnel, il est plus considérable que pour créer le droit réel, parce que le droit personnel et l'obligation qui y est corrélative n'ont d'effet qu'entre les parties et ne peuvent être opposés aux tiers.
Les parties ne peuvent, il est vrai, créer d'autres causes d'obligations que celles que la loi détermine; mais elles peuvent tirer des causes reconnues, au moins de la convention qui est leur œuvre, un nombre pour ainsi dire indéfini d'obligations: celui qui ne peut aliéner qu'une fois sa propriété peut s'obliger successivement à donner, à faire ou à ne pas faire des choses semblables ou différentes, soit envers le même créancier, soit envers des créanciers différents. Quant aux effets des créances ou obligations, les parties peuvent, à leur gré, les modifier, les étendre ou les restreindre, suivant leur intérêt respectif et leurs convenances personnelles; il leur serait seulement interdit de stipuler des effets contraires à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
Art. 4. Les droits mentionné, aux articles 2 et 3 sont communs à tous les hommes; il n'est personne, si pauvre qu'il soit, qui ne possède en propriété quelques objets au moins, et auquel il ne soit dû quelque chose; au contraire, les droits dont fait mention le présent article ne se rencontrent que dans quelques patrimoines: tout le monde n'est pas écrivain, artiste ou inventeur de procédés industriels.
Ce n'est pas cependant là la cause qui fait renvoyer à des "lois spéciales" le règlement des droits des écrivains, des artistes et des inventeurs: c'est d'abord parce qu'une loi spéciale est déjà en vigueur sur la matière; c'est aussi parce que la législation en cette matière ne pourrait encore être définitive au Japon. En Europe même, où depuis plus d'un siècle des lois spéciales sont intervenues sur les droits des écrivains et ceux de leur famille, il n'y a pas un pays qui n'ait fait de fréquentes modifications à ces lois et qui se considère comme arrivé à une législation définitive à cet égard.
Il faut donc, au Japon, laisser cette matière en dehors du Code civil destiné à une plus grande fixité. Il pourra y avoir des lois différentes pour les écrivains, les artistes et les inventeurs, pour ces derniers surtout. Ces mêmes lois tiendront, d'un côté, au droit civil et au droit commercial pour les intérêts privés; de l'autre, elle toucheront au droit administratif pour les intérêts généraux; elles se rattacher ont aussi au droit pénal, car elles auront à édicter des peines contre les contrefacteurs.
L'article 6 et l'article 13 reviendront sur le droit des écrivains au sujet de la classification des choses.
Art. 5. Le présent article, quoique semblant doctrinal, puisqu'il ne dispose pas, répond à une nécessité de méthode: les nombreuses distinctions des choses, présentées par les articles suivants, ne sembleraient pas avoir leur raison d'être dans la loi, si celle-ci ne nous disait qu'elles ont de l'influence sur les droits, qu'elles les modifient ou même les excluent.
La plupart des législations de l'Europe se bornent à indiquer, comme principale, une seule division des choses ou des biens, la division en meubles et immeubles; les autres divisions ne s'y rencontrent qu'incidemment et lorsque l'application s'en présente dans les diverses parties du droit, ce qui empêche de saisir la physionomie générale de la loi quant aux Choses auxquelles elle s'applique.
Le Code japonais suit une méthode plus rationnelle, en donnant, tout d'abord et d'ensemble, la nomenclature des principales divisions des choses, au point de vue juridique.
Il arrive ainsi aux douze divisions suivantes:
1° Choses corporelles ou incorporelles (art. 6);
2° Choses mobilières ou immobilières (art. 7 à 14);
3° Choses principales ou accessoires (art. 15);
4° Choses individuelles ou corps certains, choses de genre ou de quantité, choses collectives, universalités (art. 16);
5° Choses qui se consomment ou non par le premier usage (art. 17);
6° Choses fongibles ou non fongibles (art. 18);
7° Choses divisibles ou indivisibles (art. 19);
8° Choses appropriées ou non (art. 20 à 25);
9° Choses dans le commerce ou hors du commerce (art. 26);
10° Choses aliénables ou inaliénables (art. 27);
11° Choses prescriptibles ou imprescriptibles (art 28);
12° Choses saisissables ou insaisissables (art. 29).
Il va sans dire que ces divisions se combinent les unes avec les autres et ne s'excluent pas: toutes les choses, ou presque toutes, peuvent figurer dans chacune d'elles, en ce sens qu'elles ont toutes l'un des deux caractères opposés que présente chaque division.
Ainsi, une chose est mobilière ou immobilière, ce qui n'empêche pas qu'elle soit, en même temps, principale ou accessoire, aliénable ou inaliénable: chaque division est faite à un point de vue particulier; ce qui n'exclut pas les autres points de vue. Il en est des Choses comme des Personnes: celles-ci se divisent, notamment, au point de vue du sexe, de l'âge, de la nationalité, et quand la loi règle la condition d'une personne d'après son sexe, cela n'empêche pas qu'elle tienne compte encore de la circonstance qu'elle est majeure ou mineure, nationale ou étrangère.
La loi nous indique dans le présent article que ces distinctions des choses ont trois causes: leur nature même, la volonté ou intention de l'homme et la disposition ou détermination de la loi.
Mais ce n'est pas à dire que ces causes se rencontrent toutes trois et toujours au même degré de force dans chacune de ces divisions.
Assurément, on les trouve réunies dans celles ci:
Choses mobilières ou immobilières; chose principales ou accessoires; corps certains, choses de genre, choses collectives et universalités; choses fongibles ou non fongibles; choses divisibles ou indivisibles.
Au contraire, tout parait l'œuvre de la loi dans la division en: choses dans le commerce ou hors du commerce, choses prescriptibles ou imprescriptible.
On trouve la disposition de la loi et la volonté de l'homme, dans la division en: choses appropriées ou non appropriées, choses aliénables ou inaliénables, choses saisissables ou insaisissables.
Mais on ne trouve plus qu'une cause naturelle dans la division en: choses corporelles ou incorporelles et choses qui se consomment, ou non, par le premier usage.
Au surplus, si l'on remonte à la cause première, on arrive à reconnaître que toutes ces conditions des choses ont pour cause leur nature même: la volonté de l'homme et celle de la loi ne peut que la reconnaître et la déclarer. En effet, ce n'est pas arbitrairement que la loi ou les particuliers donnent aux choses certains caractères, c'est en considération de leur nature et de leur aptitude plus ou moins complète à procurer les avantages qu'on y cherche. La loi et l'homme ont seulement la puissance d'étendre juridiquement les effets naturels des choses, comme, en sens inverse, ils peuvent les restreindre.
Art. 6. La loi donne le premier rang à la division des choses en corporelles et incorporelles, non parce qu'elle est la plus importante dans l'application, mais parce qu'elle est la plus large: elle l'est plus même que celle en meubles et immeubles, laquelle, rigoureusement, ne devrait comprendre que des choses corporelles; celle-ci comprend les droits, tant réels que personnels, qui ne sont, par leur nature, ni meubles ni immeubles, et, s'ils sont traités comme tels, ce n'est que par l'effet d'une fiction qui leur donne la même nature qu'aux objets matériels sur lesquels ils portent ou qu'ils tendent à acquérir.
Cette première division des choses a une grande importance en matière de possession et, par suite, de prescription, car la possession d'une chose corporelle suppose la détention matérielle de cette chose, tandis que la possession d'une chose incorporelle, c'est-à-dire d'un droit, consiste dans des actes, incorporels eux-mêmes, qui sont l'exercice de ce droit d'une façon régulière et continue.
Cette distinction influe aussi sur la cession desdites choses.
Ces différences seront relevées en temps et lieu.
Les exemples que donne la loi de choses corporelles et incorporelles sont purement énonciatifs et non limitatifs, comme pour les autres divisions des choses et comme l'indiquent d'ailleurs les mots “tels sont.”
Pour les choses corporelles, il est clair que le nombre en est infini. Pour les choses incorporelles, bien moins nombreuses, on peut ajouter aux exemples que donne la loi: des faits à accomplir, des abstentions ou renonciations, et, comme cas d'universalité de biens, un droit dans une société dissoute.
Il est clair que les fluides pondérables, comme l'air et les gaz, sont des choses corporelles. A l'égard des fluides impondérables, comme l'électricité, qui est aujourd'hui l'objet de fréquentes conventions, il faudrait les considérer comme choses corporelles, parce que, d'après la définition même de la loi, c'est “une chose qui tombe sous les sens physiques de l'homme.”
Quant aux sociétés et aux communautés de biens, la loles suppose dissoutes ou en liquidation, pour que l'ensemble de leurs biens soit considéré comme une universalité de biens ayant une existence propre: autrement, et si la société ou la communauté existe encore, elle a, en général, le caractère de personne morale, c'est à elle que les biens appartiennent, et la loi n'a pas à les considérer abstraction faite de la société ou de la communauté. Si celles-ci n'avaient pas de personnalité pendant leur existence, il n'y aurait pas lieu davantage de considérer leurs biens comme constituant une universalité, une sorte d'unité fictive: ce ne serait que des cas particuliers de copropriété indivise.
On retrouve ici, comme choses incorporelles, les droits des écrivains, des artistes et des inventeurs: ils rentreraient, à la rigueur, dans le n° 1°, mais la loi les mentionne séparément, parce que, précisément, elle ne s'en occupe pas ici.
Enfin, sur le n° 1°, on remarquera que les droits, tant réels que personnels, occupent le premier rang parmi les choses incorporelles; or, comme l'article 3 a annoncé que “toutes les divisions des choses modifient les droits réels et personnels,” il en résulterait, au premier abord, cette singularité que les droits se modifieraient les uns les autres. Pour écarter la difficulté, il suffit de considérer que les droits sont principaux et accessoires; or, les droits principaux modifient les droits accessoires, et quelquefois même les droits accessoires modifient les droits principaux, comme on le verra en son lieu.
Art. 7. La division des choses en meubles et immeubles est certainement celle qui a le plus d'importance pratique dans les législations étrangères, et c'est elle aussi qui en aura le plus au Japon: elle y est déjà consacrée par l'usage.
Au premier abord, on peut s'étonner qu'un caractère aussi matériel des choses exerce une influence aussi notable sur le droit dont elles sont l'objet; mais cela se justifie assez facilement.
On ne s'étonnerait pas, en effet, si le droit variait avec la valeur des choses: notamment, si l'administration, l'aliénation ou la transmission des choses était entourée de plus de garanties ou de précautions, quand elles ont une grande valeur que quand elles en ont une faible, Or, c'est là, au fond, l'idée que les lois ont voulu réaliser, quand elles ont, pour la première fois, établi la division des choses en mobilières ou immobilières: autrefois, on considérait les choses mobilières comme étant de peu de valeur; tout l'intérêt se portait sur les immeubles.
Plus tard, avec le développement du luxe, les objets de métal précieux, les pierreries, les objets d'art, quoique meubles, ont acquis de l'importance dans les sociétés; mais les immeubles aussi ont augmenté d'importance par les progrès de l'agriculture, par le luxe des constructions et par l'accroissement de la population, de sorte que la valeur relative des choses est restée en faveur des immeubles. Sans doute, il y a souvent de bien petits bâtiments, des terrains bien limités et de très peu de valeur; mais la même observation peut se faire pour les meubles qui peuvent descendre à une valeur infime à laquelle ne descendra jamais le moindre des immeubles.
Plusieurs autres considérations, qui sont de tous les temps et de tous les pays, ont fait maintenir une différence profonde entre les meubles et les immeubles, au point de vue juridique. Les premiers sont, naturellement, l'objet de fréquentes aliénations; ces aliénations ne doivent donc pas être entravées par des formalités légales, tandis que l'aliénation des immeubles, étant plus rare, peut être entourée de formes qui sont des garanties pour les intéressés et d'une certaine publicité qui est une garantie pour les tiers contre les surprises.
En outre, ceux qui aliènent des meubles ne peuvent guère justifier de leur droit de propriété que par le fait même de leur possession, et généralement, la tradition ou délivrance en est faite immédiatement à l'acquéreur; pour les immeubles, au contraire, la tradition est souvent ajournée à une époque assez éloignée de l'aliénation; il est donc nécessaire que celui qui aliène justifie de l'existence de son droit par des actes antérieurs, publics ou sous seing privé, pour que son engagement soit sérieux.
Les choses mobilières changeant souvent de mains et de lieu, leur identité est difficile à distinguer des choses de même nature; tandis que les immeubles ont une assiette fixe et ne peuvent jamais être confondus avec d'autres immeubles, si l'on prend soin, en contractant, d'en désigner les tenants et aboutissants.
Ces considérations, et d'autres que les dispositions de la loi donneront occasion de signaler, justifient suffisamment qu'il y ait une distinction législative entre les meubles et les immeubles.
Les différences se rencontreront dans toutes les parties du droit: notamment, dans l'administration des tutelles, dans les moyens d'acquérir la propriété, dans la matière de l'usufruit et du louage, dans celle du nantissement, des priviléges et des hypothèques, dans l'application de la prescription, dans la compétence des juridictions et dans la saisie des biens.
L'article 7 indique les trois causes déjà connues qui donnent aux choses le caractère de meubles ou d'immeubles; chacune de ces causes est reprise dans un article séparé, d'abord pour les immeubles, ensuite pour les meubles.
C'est avec intention que le texte fait ici à la détermination de la loi une place à part, au lieu de la comprendre dans une triple énumération comme elle se trouve à l'article 5. En effet, on peut bien dire que c'est par la nature de la chose au par la destination du propriétaire qu'une chose est ou non susceptible de déplacement; mais quand le caractère meuble ou immeuble est attribué à une chose par la loi, ce n'est plus une idée de déplacement réel, possible ou non, qu'il faut envisager, mais une assimilation légale à une chose mobilière ou immobilière d'une chose incorporelle laquelle, par sa nature serait tout à fait étrangère à cette distinction.
Art. 8. Bien que l'énumération de cet article ne procède pas aussi formellement par voie d'exemples que l'article 6 et la plupart de ceux qui vont suivre, il n'en faut pas conclure que cette énumération soit limitative. Comme il s'agit de la condition naturelle des choses, de leur possibilité ou impossibilité de changer de place, par elles-mêmes ou par une force étrangère, il suffit que la loi ne modifie pas cette nature, par voie d'autorité ou par interprétation de la volonté de l'homme, pour que le caractère de ces choses leur soit reconnu tel que la nature le fait.
Le sol est le principal immeuble par nature; on pourrait presque dire qu'il est le seul, les autres choses ne devenant immeuble que par une attache plus ou moins intime au sol.
Le sol semble pourtant mobile, en ce sens qu'il peut être indéfiniment désagrégé, divisé et déplacé par partier; mais ce qui constitue le véritable immeuble, c'est moins la substance extérieure du sol que l'assise, le fond du sol, le tréfonds et l'espace qu'il occupe; en sorte qu'une cavité profonde qui ne pourrait servir, comme telle, à un usage lucratif direct, aurait encore une valeur comme espace, comme surface, puisqu'on pourrait toujours soit y amener les eaux, soit la combler ou la couvrir, pour y construire ou y cultiver.
Lors même que le sol est exhaussé par le travail de l'homme, en terrasses, digues ou chaussées, il est toujours immeuble par nature (n° 3°), comme le sont les bâtiments dont parle le n° 8°.
En sens inverse, le sol creusé en canaux, fossés, étangs, est toujours immeuble, par la raison donnée plus haut (n° 2°).
Les forêts, bois, arbres, bambous et plantes, quelque minime que soit l'importance de celles-ci, les fruits et récoltes, sont immeubles, tant qu'ils tiennent au sol (nos 5° et 6°). On y verra seulement une exception à l'article 12.
Les mines, minières, carrières, marnières et tourbières, malgré les différences de leur substance et les règles différentes de leur exploitation, sont évidemment des variétés du sol. Mais s'il en a été extrait des matériaux, comme du charbon, du minerai, des pierres, etc., ces matériaux sont meubles par leur nature (n° 7°). On pourrait décider de même, dans l'esprit de la loi, de la terre provenant d'une excavation faite pour les fondations d'un bâtiment, pour un puits, pour pratiquer un chemin, si cette terre n'avait pas été utilisée sur le fonds ou destinée à l'être; dans ce second cas d'ailleurs, les terres amoncelées ne seraient plus immeubles par nature, mais par destination du propriétaire, conformément à l'article suivant.
Les bâtiments bien que composés, dans le principe, de choses mobilières, deviennent immeubles par leur attache au sol, si légère qu'elle soit et quand même ils ne seraient que posés sur des assises de pierre (n° 8°). Il n'est pas rare, cependant, qu'une maison soit démolie avec soin pour être réédifiée sur un autre sol, avec les mêmes matériaux; quelquefois même une maison est déplacée en entier, avancée, reculée ou relevée, sur le même sol; mais ce sont là des particularités dont la loi n'a pas à tenir compte; car les maisons ne sont pas destinées à être ainsi déplacées: un arbre, un arbuste, une plante, sont encore bien plus faciles à déplacer et, cependant, une fois fixés au sol, ils sont considérés comme devant y rester et participent de sa nature. Il en est de même des maisons.
La loi ne distingue pas, par qui le bâtiment a été construit, pour lui reconnaître le caractère d'immeuble; il n'est pas nécessaire que ce soit par le propriétaire du sol: ce peut être par un usufruitier, par un locataire ou un fermier du sol, par un superficiaire ou par toute autre personne dont le droit sur le sol est temporaire; la construction pourrait même avoir été faite par un simple possesseur, même de mauvaise foi: le bâtiment n'en serait pas moins immeuble; sauf, dans ces divers cas, le règlement des rapports d'indemnité entre le constructeur et le propriétaire du sol, comme on le verra en son lieu.
Il y a cependant un cas où des bâtiments, quoiqu'encore attachés au sol, sont considérés comme meubles; mais alors c'est par la destination du propriétaire et non plus par leur nature: on les trouvera à l'article 12, déjà réservé pour certaines plantations.
Les bâtiments ont souvent des fermetures ou accessoires tout à fait mobiles, qui y sont placés seulement le soir ou même accidentellement, par exemple, en cas de typhons; il ne faut pas hésiter à les considérer comme immeubles, non par destination, mais par nature: ils complètent la maison d'une façon plus ou moins nécessaire.
La question d'ailleurs de savoir si une chose est immeuble par nature ou par destination n'est pas indifférente, car dans le premier cas, il n'importe pas de savoir par qui lesdits accessoires ont été attachés aux bâtiments, tandis que, dans le second cas, il faut une double condition, à savoir que les matériaux aient appartenu à celui qui les a employés et qu'ils aient été employés par le propriétaire du bâtiment (v. art. 9, 1er al.)
Les murs de clôture, les haies et palissades (n° 9°) sont immeubles comme les bâtiments et aux même conditions.
Les divers accessoires dont parlent les nos 10° et 11° ne demandent pas d'observation; ce sont toujours des compléments jugés nécessaires au sol ou aux bâtiments et les complétant aussi matériellement que s'ils en faisaient partie intégrante.
Le dernier alinéa généralise cette idée.
Personne n'hésitera à dire que les clefs des portes extérieures ou intérieures des bâtiments, quoiqu'étant ce qu'il y a de plus mobile, sont immeubles par nature.
Les tribunaux auront, en cas de contestation, à examiner si les accessoires, objets du litige, sont des accessoires essentiels des bâtiments.
Il faudra appliquer aussi cet alinéa aux accessoires du sol, comme le fait déjà le n° 11°, quoique le texte ne parle plus ici que des bâtiments: c'est une simple inadvertance de rédaction. Ainsi les appareils des puits, tels que poulies, seaux et cordes, sont des accessoires nécessaires à l'usage des puits. On devrait encore décider de même des tuyaux mobiles, de métal ou de bois, qui ne seraient placés que temporairement sur le sol pour conduire les eaux d'un point à un autre de la propriété.
Art. 9. Il s'agit ici de la seconde classe d'immeubles, non plus de ceux qui sont tels par leur nature ou leur caractère essentiel d'accessoire de tels immeubles, mais d'objets naturellement meubles que la destination du propriétaire a attachés accessoirement à un immeuble pour y rester perpétuellement ou, au moins, sans limite préfixe de temps. Plusieurs différences séparent ces objets de ceux dont parlaient les derniers alinéas de l'article précédent:
1° Il n'est plus nécessaire que ces accessoires soient essentiels: ils peuvent avoir pour but, l'exploitation, l'utilité ou le simple agrément du fonds;
2° Il faut que ces objets aient été placés sur le fonds par celui auquel ils appartiennent: ainsi un dépositaire, un emprunteur à usage ne pourrait ainsi immobiliser les objets à lui déposés ou prêtés;
3° Il faut que celui qui les a attachés au sol ou aux bâtiments soit propriétaire de ceux-ci;
4° Enfin, quoique la loi n'ait pas cru nécessaire de l'exprimer, l'immobilisation, même faite par le plein propriétaire, ne dure qu'autant que lesdits objets demeurent sur le fonds, et avec la même destination: œuvre de la volonté du propriétaire, elle ne dure qu'autant que cette même volonté.
La loi procède, ici encore, par voie d'exemples et sans être limitative. Elle nous dit aussi qu'il n'y a ici que des présomptions légales, admettant toujours la preuve contraire, ce qu'on appellera dans la loi présomption simples.
Les nos 1° à 7° se rapportent surtout à des établissements agricoles ou industriels, les nos 8° à 10° plutôt à des propriétés urbaines. Aucun de ces numéros ne semble demander de justification; on se bornera seulement à simples remarques, sur quelques-uns.
N° 6°. Pour que les machines et ustensiles des établissements industriels soient immeubles par destination, il faut, en général, que les bâtiments soient destinés spécialement à ce genre d'industrie. Ainsi les métiers d'une filature, les chaudières et séchoirs d'une papeterie, les moules d'une fonderie de métaux, doivent être considérés comme immeubles, parce que les bâtiments sont spécialement disposés pour ces industries compliquées et les appareils eux-mêmes ne pourraient, le plus souvent, être utilisés pour la même industrie, dans d'autres bâtiments, sans être modifiés dans leur formes ou leurs dimensions. Au contraire, les presses, formes et caractères d'une imprimerie restent meubles, parce que ces objets pourraient être employés sans changement dans une autre imprimerie; de même que les bâtiments d'une imprimerie pourraient être employés à une industrie différente sans être modifiés, ou, du moins, s'ils devaient l'être, ce serait à cause de celle-ci et non à cause de la première.
Quant aux matières premières destinées à être manufacturées et se trouvant déjà dans les filatures, les fonderies ou autres établissements analogues, elles restent meubles et elles le seront encore quand elles auront été transformées en objets nouveaux.
N° 9°. De ce que la loi suppose que les ornements dont il est question “ne pourraient être détachés sans détérioration,” il ne faut pas conclure que ces objets soient immeubles par nature; la circonstance de leur attache matérielle aux bâtiments n'est exigée que comme présomption de la destination du propriétaire: autrement, ces objets ne seraient plus que des meubles ordinaires d'agrément.
N° 10°. Les matériaux préparés pour la construction, même rendus sur les lieux et en état d'être employés, ne seraient pas immeubles par destination: ils ne deviendraient immeubles qu'au fur et à mesure de leur emploi et alors ils seraient immeubles par nature. S'il en est autrement des matériaux détachés d'un bâtiment et destinés à être replacés, c'est que ce déplacement momentané et qui peut être très-court ne doit pas changer la condition de la propriété.
La loi ne mentionne pas comme immeubles par destination les poissons des étangs, les abeilles des ruches à miel, les pigeons des colombiers, comme le font plusieurs Codes étrangers; mais son silence n'est pas une solution contraire: quoiqu'il n'y ait plus présomption légale, il sera toujours possible aux tribunaux de décider la question dans le sens de l'immobilisation, s'ils en trouvent des présomptions de fait dans la cause.
Il n'est pas hors de propos de signaler ici l'utilité de cet article: elle se rencontrera surtout, lorsqu'il y aura eu aliénation d'un immeuble et que les parties auront négligé de s'expliquer sur le point de savoir si ces objets sont compris ou non dans la vente. Grâce aux désignations que fait la loi, on devra décider que tous ces objets sont considérés comme accessoires de l'immeuble et compris dans l'aliénation, sans augmentation du prix, s'il n'y a convention contraire.
Il y a encore intérêt pour la saisie des biens: tous les objets compris dans cet article ne pourraient être saisis comme meubles; ils ne pourraient l'être qu'avec l'immeuble. De même, ils ne pourraient être hypothéqués séparément de l'immeuble.
Au contraire, le propriétaire pourrait les vendre séparément ou les donner en gage, comme il pourrait vendre séparément les matériaux de sa maison, les arbres de son jardin, ses récoltes.
Art. 10. Il s'agit ici de choses qui ne sont ni meubles ni immeubles, par leur nature, étant incorporelles, et que la loi ne permet pas aux particuliers d'immobiliser par leur seule volonté; mais le caractère immobilier leur est attribué par la loi, au moyen d'une fiction qui ne nuit à aucun intérêt et qui, au contraire, répond à un besoin de simplicité dans la classification des choses.
Comme ces dispositions générales présentent les divisions des droits ou biens autant et plus encore que des choses, il fallait faire rentrer les droits dans les biens mobiliers ou immobiliers.
Le procédé le plus simple était de s'attacher à la nature physique de l'objet sur lequel le droit s'exerce directement (droit réel) ou à l'acquisition duquel il tend (droit personnel ou de créance).
Le n° 3° suppose qu'un propriétaire ou possesseur de sol a stipulé qu'il lui serait construit un bâtiment et il déclare que la créance est immobilière, “si les matériaux doivent être fournis par le constructeur;” dans ce cas, le constructeur est vraiment débiteur d'un immeuble qu'il prestera par trois opérations successives: la fourniture des matériaux, la main d'œuvre qui les met en état d'être employés et la construction même ou édification.
Mais si les matériaux qui sont l'élément principal du bâtiment doivent être fournis par le stipulant, la créance n'est que mobilière, parce que le constructeur n'a plus qu'une double obligation de faire: préparer les matériaux et édifier; et quand il aura exécuté ces deux obligations, il n'aura pas mis un immeuble dans le patrimoine du créancier: il n'aura toujours fait qu'une transformation des matériaux.
Le n° 4° présente une intervention encore plus puissante de la loi, en ce sens que les objets auxquels tend le droit sont meubles, et cependant le droit est immobilier.
L'application de cet alinéa n'a pas lieu dans le présent Code et ne pourra résulter que de Lois spéciales,
Ce que la loi fait ici, pour ne pas entraver l'avenir. c'est seulement d'admettre le principe de l'immobilisation possible de créances mobilières.
Mais il ne faudrait pas y voir une immobilisation par la volonté de l'homme, quoique cette volonté soit nécessaire: comme cette volonté ne suffit pas, comme elle doit être limitée aux cas prévus par la loi et soumise aux conditions qu'elle édictera, il faut rapporter cette immobilisation à la “disposition ou détermination de la loi.”
Pour laisser toute liberté à la loi future, le texte ne détermine pas ici quelles créances pourront être ainsi immobilisées.
Art. 11. Cet article ne présente aucune difficulté: il est la contre-partie de l'article 8 qui a déterminé les immeubles par nature.
Il est clair que les choses qui peuvent se déplacer elles-mêmes ne sont que les animaux, et que ceux qui ne se déplacent que par l'effet d'une force étrangère sont les objets inanimés.
Les exceptions que la loi rappelle ici sont connues: certains objets, considérés en eux-mêmes, sont meubles par nature; mais quand ils sont les accessoires essentiels d'un immeuble ou quand la volonté du propriétaire les y a attachés, pour augmenter les avantages d'un immeuble, ils sont considérés comme immeubles (v. art. 8 et 9).
Art. 12. Il est naturel que, de même que la volonté de l'homme donne à certains meubles le caractère immobilier par leur attache permanente et définitive à un immeuble, de même cette volonté puisse maintenir le caractère de meubles à des objets qui semblent devenus immeubles par leur attache ou incorporation au sol; c'est, précisément, parce que cette attache est temporaire et en quelque sorte provisoire.
Le présent article recevra son application, quand un propriétaire vendra une construction commencée ou achevée, dont les échafaudages et hangars n'auront pas été retirés et à l'égard desquels il n'aura été fait aucune convention particulière; d'ailleurs, le plus souvent, ces objets n'appartiendront pas au vendeur, mais au constructeur.
Il en sera de même, si un propriétaire a construit sur son terrain un amphithéatre ou une salle provisoire, pour une fête ou un divertissement, ou bien encore un baraquement pour abriter des incendiés; puis, il a vendu son terrain avant la démolition de ces ouvrages, sans avoir eu soin de les excepter de la vente comme meubles.
Le présent article sera encore applicable au cas où un propriétaire dont le métier est d'élever des arbres, arbustes ou fleurs, a vendu un terrain exploité en pépinière, par conséquent planté en végétaux qui sembleraient immeubles d'après l'article 8, n° 5°; mais la destination de ces arbres et arbustes était de ne rester que temporairement attachés au même sol: comme ils étaient destinés à être vendus, ils n'étaient pas immeubles d'après l'intention du propriétaire.
La décision ne devrait pas être la même, s'il ne s'agissait pas d'un pépiniériste, mais d'un grand propriétaire qui aurait affecté une petite portion de son domaine à élever les arbres, arbustes ou plantes nécessaires à l'entretien et au renouvellement de ses plantations ou à l'ornement de sa propriété; en pareil cas, les jeunes plants, ne devant changer que de place et non de domaine, resteraient immeubles par nature et se trouveraient vendus avec le domaine.
Le n° 4° forme la contre-partie du n° 10° de l'article 9: les bâtiments aliénés pour être démolis et les arbres vendus pour être enlevés sont encore immeubles par nature, mais ils sont déjà meubles par l'intention du propriétaire.
Art. 13. Cet article correspond à l'article 10, en ce sens qu'il reconnaît aussi des meubles par la détermination de la loi. Il s'agit encore de droits qui tirent leur nature mobilière de leur objet.
Chacun des alinéas ne demande que peu d'explications.
1° Le droit de propriété, l'usufruit, l'usage ou le droit de bail d'un meuble corporel, sont des droits mobiliers, comme la propriété, l'usufruit, l'usage d'un immeuble sont des droits immobiliers.
2° Les créances ayant pour objet de l'argent, des denrées ou marchandises, tendant à procurer au créancier des choses mobilières, ont la même nature que leur objet. La loi ajoute que le droit ne serait pas moins mobilier, quoiqu'il fut garanti par un droit immobilier, comme une hypothèque; c'est qu'en effet, le droit de créance tire sa nature de son objet principal et non de son objet accessoire.
3° Ici, l'objet direct du droit de créance n'est plus une chose mobilière ou immobilière, c'est un fait ou une abstention; or, un fait, positif ou négatif, n'est ni meuble, ni immeuble, même par fiction ou analogie. Mais on peut toujours supposer que le débiteur manquera à exécuter son obligation; dans ce cas, l'obligation se résoudra en dommages-intérêts, lesquels seront fixés en argent; la créance d'un fait ou d'une abstention est donc considérée comme meuble d'après son objet subsidiaire.
4° On a déjà eu occasion de distinguer les sociétés en cours d'existence et les sociétés dissoutes ou en liquidation (art. 6) et l'on a dit que, le plus souvent, les sociétés en cours d'existence sont des personnes morales. Lorsque, dans ce cas, la société, civile ou commerciale, possède des meubles et des immeubles, c'est à elle, et non aux associés individuellement, qu'appartient le droit de propriété, et l'on dira d'elle, comme d'un particulier, qu'elle a des meubles et des immeubles des diverses qualités.
Cependant, les associés eux-mêmes ont un droit: ce droit tend à obtenir une partie des bénéfices de la société, en proportion de la mise ou des apports de chacun; mais ces bénéfices, une fois réalisés, donneront à chacun une somme d'argent; le droit est donc mobilier par son objet.
Si, au contraire, la société n'a pas été constituée à l'état de personne morale, le droit des associés est, même pendant sa durée, mobilier ou immobilier, ou l'un et l'autre à la fois, suivant que l'actif social se compose de meubles ou d'immeubles, ou des deux sortes de biens réunis; les associés sont alors copropriétaires indivis, comme dans les autres cas de communauté de biens.
5° Les droits des écrivains, des artistes et des inventeurs tendent finalement à obtenir des sommes d'argent; ces droits sont donc mobiliers par leur objet, direct ou subsidiaire.
Art. 14. Quand la société, personne morale, est dissoute par une des causes que la loi détermine, chaque associé succède pour une part à l'être moral et le droit de chacun devient un droit de copropriété indivise dans l'ancien actif social, comme si la société n'avait pas eu de personnalité. Il en est de même du droit de chacun des membres d'une communauté en liquidation.
Mais l'indivision est une situation gênante pour les copropriétaires et elle est destinée à cesser plus ou moins tôt par un partage. Le partage, fait à l'amiable ou en justice, donnera à chacun un lot déterminé, soit des meubles, soit un immeuble ou une portion d'immeuble.
Alors se présente une question de doctrine et de pratique, tout à la fois, sur laquelle a dû se prononcer le nouveau Code civil et pour lequel il s'est inspiré des lois de l'Occident, ne trouvant pas dans les anciens usages joponais une solution précise et satisfaisante.
Si la loi laissait fonctionner ici les principes généraux ou les règles du droit naturel, sans y intervenir, voici ce qui se produirait: chacun des copropriétaires indivis, au moment du partage, acquierrait des autres leur part antérieure dans les objets à lui échus et la joindrait à la part qu'il avait déjà dans les mêmes objets; réciproquement, et en compensation, chacun des autres recevrait la part de celui-ci dans les objets à eux échus en partage; on dirait alors que le partage est translatif ou attributif de propriété.
Mais il y a là des inconvénients: pendant que durerait l'indivision, jusqu'au partage, chacun des copropriétaires ne pourrait aliéner aucun objet que pour la part indivise qu'il y a lui-même, ce qui détournerait les tiers de pareilles acquisitions et serait une entrave à la circulation des biens, car l'indivision, déjà gênante entre les anciens associés, le serait bien davantage entre gens qui n'auraient aucun lien antérieur.
Si même un tiers avait acquis cette part indivise, il y aurait un autre inconvénient: celui-ci devrait figurer au partage, pour la sauvegarde de ses droits; or, l'admission d'un étranger à une opération qui est déjà délicate entre les parties, la rendrait plus difficile et pourrait susciter des contestations.
Enfin, le mal serait plus grand encore, si l'un des copropriétaires avait hypothéqué sa part indivise dans un immeuble: les autres se trouveraient plus tard exposés à payer la dette hypothécaire ou à subir l'éviction par l'effet de l'action du créancier, car l'hypothèque est considérée comme indivisible et affectant toutes les parties de l'immeuble hypothéqué (v. art. 19); ils auraient, il est vrai, un recours contre le débiteur, mais ce recours pourrait être souvent inefficace.
Ces divers inconvénients avaient été acceptés par la législation romaine et par les législations occidentales qui s'en sont inspirées; mais plusieurs législations modernes ont admis que le droit des copropriétaires reste indéterminé quant aux objets, jusqu'au partage et qu'une fois le lotissement effectué, chacun est censé avoir succédé seul aux objets compris dans son lot et n'avoir eu aucun droit sur les objets échus aux autres.
Par conséquent, les droits qui auraient pu être concédés à des tiers sont subordonnés à l'effet du partage: ils sont valables, si les objets cédés ou hypothéqués sont échus à celui qui en a disposé, et nuls, s'ils sont échus à un autre. Seulement, pour éviter que le partage ne soit fait de manière à frauder le tiers de ses droits, on doit l'admettre à assister au partage.
D'après cette théorie, le partage n'est plus translatif de propriété, il en est déclaratif: l'acquisition remonte au jour où l'indivision a commencé et elle a pour cause le fait qui a donné naissance à cette indivision.
Donc, pour revenir à la division des biens en meubles ou immeubles, le droit d'un copropriétaire dans une universalité indivise sera mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui lui seront échus par le partage.
Le 2e alinéa donne la même solution pour un cas assez différent.
Ordinairement, une obligation a un objet immédiatement déterminé, dès la convention, lors même que l'exécution en est ajournée à un temps plus ou moins éloigné. Mais il a pu entrer dans les convenances des parties de laisser le choix de l'objet à l'une d'elles, soit au créancier, soit au débiteur. Les obligations de ce genre se nomment “alternatives” (v. art. 428 et s.).
Quand les objets parmi lesquels le choix pourra s'exercer sont de même nature, soit meubles, soit immeubles, la créance a le même caractère et ne présente rien de particulier au point de vue de la présente division des biens. Mais si l'un des objets dûs alternativement est meuble et l'autre immeuble, la créance n'a pas les deux caractères à la fois: il n'y a qu'un seul des deux objets dûs qui puisse donner à la créance sa nature mobilière ou immobilière. Mais quel est cet objet? On ne le saura que lorsque le créancier exercera son choix par la demande, si le choix lui appartenait, ou le débiteur, par le payement, dans le cas inverse.
Il en serait autrement si l'obligation était facultative. En effet, dans l'obligation facultative, il n'y a qu'une chose vraiment due; le débiteur, il est vrai, a la faculté de se libérer en en donnant une autre en payement; mais c'est la chose due principalement qui détermine si la créance est mobilière ou immobière et non celle qui est due facultativement. Cette solution est la seule qui puisse être donnée par les tribunaux, en présence de l'article 436 qui donne la théorie fondamentale de cette nature d'obligation.
Ici se termine l'importante division des choses en meubles et immeubles.
La loi passe aux autres divisions qui, ainsi qu'on l'a remarqué, comprennent, toujours et nécessairement, les mêmes objets, mais envisagés sous d'autres points de vue.
Art. 15. Il y a, dans toutes les parties du droit, des occasions de rechercher si une chose est accessoire d'une autre, laquelle est considérée comme principale. Cette distinction présentera, notamment, une grande utilité au sujet d'un moyen d'acquérir la propriété, appelé justement accession, parce qu'on y suit la règle que “l'accessoire suit le principal.”
La loi se borne ici à donner le caractère distinctif de chacune de ces deux choses, avec quelques exemples.
Les articles 2 et 3 ont déjà distingué les droits en principaux et accessoires: la conséquence principale est que la nullité du droit principal entraîne la nullité du droit accessoire; la réciproque n'est pas vraie.
On retrouvera cette conséquence au sujet du cautionnement et de l'hypothèque qui ne peuvent, en principe, exister que s'ils se rattachent à un droit de créance valable.
On verra aussi à l'article 41 que l'aliénation de la chose principale entraîne l'aliénation des choses accessoires.
Art. 16. Cette division des choses en quatre groupes a une grande importance et des applications variées. La plus intéressante est en matière de transmission de la propriété.
Lorsqu'une vente, un échange ou un autre contrat d'aliénation a pour objet une chose individuellement déterminée, meuble ou immeuble, un corps certain, la propriété s'en trouve immédiatement transférée par le seul effet du consentement des parties. Lorsqu'au contraire la convention a pour objet une quantité, en poids, nombre ou mesure, de choses qui ne sont déterminées que quant au genre ou à l'espèce, comme de l'argent, du riz, de la soie, même avec indication de la qualité ou de la provenance, la propriété n'en peut être transférée que lorsque les choses auront été déterminées individuellement, c'est-à-dire pesées, comptées ou mesurées, sous le contrôle de chaque partie; il ne sera pas nécessaire qu'elles soient livrées, qu'il y en ait eu tradition; mais il faudra qu'elles soient devenues corps certains par une détermination contradictoire entre les parties (v. art. 332).
La transmission de la propriété par le seul effet du consentement, sans nécessité de la tradition, à l'égard d'un corps certain, est un progrès des temps modernes; elle est raisonnable, simple et utile: le droit de propriété est, au fond, un rapport purement intellectuel et abstrait entre un individu et une chose déterminée; il est donc logique que ce rapport puisse être transféré à un autre individu par la seul effet de la volonté des deux parties. Au contraire, le nature des choses s'oppose à ce que la propriété d'une quantité soit transférée avant qu'il y ait eu tradition ou, tout au moins, détermination des choses à l'état d'individualité.
On retrouvera cette distinction des choses à l'occasion de l'Effet des conventions en général (v. art. 331 et 332).
Les choses collectives sont, en réalité, des corps certains, réunis en nombre plus ou moins déterminé, mais assez pour n'être pas confondus avec d'autres. Les exemples que donne la loi suffisent pour faire comprendre ce dont il s'agit.
L'utilité de cette distinction des choses se retrouvera à propos de l'usufruit, pour un troupeau, à propos des legs ou testaments, pour les livres d'une bibliothèque et encore pour le troupeau.
Il suffit d'indiquer ici son principal intérêt en matière de legs. Supposons que quelqu'un a légué sa bibliothèque pour l'époque des on décès, sans énoncer chaque ouvrage la composant; pendant sa vie, il a acquis de nouveaux livres; il peut aussi en avoir donné ou cédé: à sa mort, le légataire aura la bibliothèque telle qu'elle se trouvera alors composée. Si le legs eût été soit d'un ou plusieurs ouvrages déterminés (corps certain), soit d'un certain nombres de volumes (quantité), il aurait encore pu se trouver diminué par des aliénations, mais il ne se serait pas augmenté des acquisitions nouvelles. L'effet serait le même pour le legs d'un troupeau ou de marchandises formant le fonds d'un magasin.
Enfin, les choses constituant une universalité de biens ont le caractère des collectivités qui précèdent, mais à un plus haut degré, puisqu'elles constituent tout ou une partie aliquote d'un patrimoine (v. art. 6 et 46); comme telles, elles sont susceptibles d'augmentation ou de diminutions continuelles et presque journalières. Ce qui demande qu'elles obtiennent une place spéciale, c'est qu'elles se trouvent toujours accompagnées de charges ou dettes (le passif) qui en diminuent virtuellement l'émolument (l'actif).
Art. 17. La distinction portée par cet article n'est pas très fréquemment appliquée dans la loi. On la rencontrera au moins en matière d'usufruit et de prêt de consommation. Il faut d'ailleurs se garder de la confondre avec la division suivante avec laquelle d'ailleurs elle a de l'analogie.
Art. 18. Les choses fongibles sont celles qui ont, dans la nature, des équivalents parfaits, qui peuvent se remplacer par des choses pareilles, qui font fonction l'une de l'autre.
Cette assimilation des choses les unes aux autres n'est pas, comme la précédente, un effet de la nature seule des choses: il faut encore que les parties l'aient admise expressément ou tacitement, ou que la loi l'ait établie, sinon impérativement, au moins par présomption de l'intention des parties.
Il est naturel que les choses qui se consomment par le premier usage soient considérées comme fongibles entre elles, d'après l'intention des parties; ainsi, celui auquel il a été prêté de l'argent, du riz ou de l'huile se trouvera valablement libéré en rendant, non le même argent, le même riz ou la même huile, mais pareille somme, ou du riz ou de l'huile en pareilles quantité et qualité.
Réciproquement, il peut arriver que des choses qui se consomment par le premier usage aient été considérées par les parties comme non fongibles et doivent être rendues identiquement.
La fongibilité résultant de la disposition de la loi peut aller plus loin et être établie entre choses de nature différente. Ainsi, si celui qui doit de l'argent est en même temps créancier d'une certaine quantité de riz, d'huile ou d'autres produits côtés au marché public local, il peut demander la compensation de sa dette avec sa créance estimée en argent d'après le cours commercial de la denrée (v. art. 522).
Art. 19. Le plus grand nombre des choses est divisible; l'indivisibilité est l'exception. D'abord les choses corporelles sont essentiellement divisibles matériellement, aussi bien les meubles que les immeubles. Les choses incorporelles, comme les droits, sont également divisibles, mais alors intellectuellement ou par parties aliquotes, comme une moitié, un tiers, un quart. Ainsi le droit de propriété peuvent appartenir à deux ou plusieurs personnes, chacune d'elles aura la moitié, le tiers, le quart du droit de propriété totale. C'est le cas de la copropriété indivise dont on a déjà parlé sous l'article 14: le droit de chacun porte sur la chose entière et sur chacune de ses parties;
Il ne faut pas confondre l'indivision avec l'indivisibilité: dans le cas de l'indivision, la chose objet du droit n'est pas encore divisée, mais elle pourra l'être; dans l'indivisibilité, la division est impossible. C'est par exception, avons-nous dit, que certaines choses sont indivisibles: l'indivisibilité a trois causes: la nature même des choses, l'intention des parties, et la disposition de la loi.
L'indivisibilité naturelle ne s'applique qu'à des choses incorporelles, à des droits. Ainsi, la plupart des servitudes foncières sont indivisibles; par exemple, la servitude de passage ou de vue sur le fonds d'autrui, la servitude de ne pas bâtir; il n'y a même pas ici de divisibilité intellectuelle: on ne comprendrait pas la moitié d'un droit de passage.
C'est sous l'article 268 que l'on indiquera les conséquences pratiques de l'indivisibilité des servitudes et les cas de servitudes divisibles, au moins quant à l'émolument qu'elles procurent.
Sont encore indivisibles par leur nature, ou par la nature de leur objet, les obligations de ne pas faire (v. sous l'art. 441).
Le plus souvent, l'indivisibilité provient de l'intention expresse ou tacite des parties: elle a lieu chaque fois que le résultat que celles ci se proposent ne pourrait être atteint utilement par fractions. Ainsi, celui qui a promis de construire une maison n'aurait pas rempli la moitié de son obligation, s'il avait construit la moitié de la maison, et il ne se libérerait pas en indemnisant le créancier pour la moitié non construite: tant qu'il n'a pas construit la maison en entier, il n'a rien fait d'utile pour sa libération, Si, dans le même cas, il y avait deux constructeurs engagés, l'un d'eux ne serait pas libéré, s'il avait construit la moitié de la maison: il devrait la construire en entier, à défaut de l'autre.
L'indivisibilité résultant de l'intention des parties peut même s'appliquer à une dette d'argent, quoique l'argent soit la chose la plus naturellement divisible. Ainsi, si deux personnes ont promis à une autre une somme d'argent nécessaire à l'acquisition d'un immeuble, chacune devra fournir la somme entière, en cas d'empêchement de l'autre, sans quoi le but du créancier ne serait pas atteint, lors même qu'obtenant la moitié de la somme, il obtiendrait qu'on lui vendît la moitié de l'immeuble. De même, s'il y avait deux créanciers de cette somme, avec le même but, chacun pourrait, à défaut de l'autre, exiger la somme entière.
Les cas où l'indivisibilité résulte de la disposition de la loi sont peu nombreux: on peut citer d'abord le nantissement, mobilier ou immobilier, le privilége et l'hypothèque et encore dans ce cas, la loi présume plutôt l'intention des parties qu'elle ne dispose impérativement (v. Liv. des Garanties, art. 105, 123, 132 et 199). Des cas d'indivisibilité légale impérative pourront résulter de lois spéciales.
Comme on l'a dit, en commençant, toutes ces divisions des choses sont placées ici comme Dispositions générales ou préliminaires: ce n'est que sous les articles qui en donnent des conséquences directes qu'on donnera à celles-ci les développements nécessaires.
Art. 20. En remontant à l'origine probable des sociétés, on comprend que les choses ont commencé par n'avoir pas de maîtres avant d'être appropriées. Cependant, dans l'énoncé de cette division des choses, la loi place en première ligne les choses appropriées, parce qu'elles forment aujourd'hui, de beaucoup, le plus grand nombre et que les choses non appropriées ne sont plus que des exceptions.
Dans la reprise des subdivisions, on suivra l'ordre de la loi, en remarquant que la loi ne s'arrête pas aux choses qui font partie d'un patrimoine privé, justement parce que le présent Code les aura pour objet principal de ses dispositions; au contraire, il ne s'occupera qu'incidemment des choses qui n'appartiennent pas à des particuliers; c'est pourquoi il faut s'y arrêter ici.
Art. 21. La distinction entre le domaine public et le domaine privé de l'Etat a des conséquences pratiques considérables: principalement, au point de vue de l'aliénation, de l'administration et de la prescription de ces biens.
Les biens du domaine public sont, en principe, inaliénables et imprescriptibles: pour qu'ils pussent être aliénés et qu'ils devinssent susceptibles de prescription, il faudrait qu'ils eussent d'abord été déclassés, dépouillés de leur caractère public, ce qui ne se fait que par un changement régulier de destination.
Quant à l'administration des mêmes biens, elle appartient, en général, au chef de l'établissement auquel est consacré l'édifice public et s'il s'agit de biens du domaine privé de l'Etat, l'administration en est confiée aux Préfets ou gouverneurs dans la circonscription desquels ils se trouvent.
La règlementation de cette matière appartient aux lois administratives.
Art. 22. Le caractère propre des biens du domaine public est leur affectation à un usage ou service national. La loi en donne seulement des exemples; mais le principe étant posé tout d'abord, il sera facile de se prononcer sur le caractère des objets non mentionnés ici.
L'expression de mer territoriale est l'opposé de la haute mer (v. art. 25): elle est considérée comme une dépendance du territoire national. D'après le droit des gens, on considère comme mer territoriale, l'espace de mer auquel peut atteindre une portée de canon, et l'on peut dire que la mer territoriale de chaque pays s'étend avec le progrès moderne de la portée des canons.
Du côté du rivage, la mer s'étend jusqu'à son maximum d'élévation aux deux équinoxes de l'année: c'était déjà la règle romaine et elle est aussi raisonnable aujourd'hui qu'autrefois.
La loi ne mentionne pas ici les temples, les hopitaux, les écoles, les musées et bibliothèques, parce qu'il y a de ces établissements qui sont privés. C'est donc dans chaque cas particulier que la question devra être décidée.
Les établissements pénitentiaires sont, au contraire, du domaine public.
Le domaine public se divise aussi en domaine de l'Etat, des fu et ken, des goun et des shi, tcho et son. Les exemples donnés par cet article s'appliquent au domaine public général ou de l'Etat. Mais les fu et ken etc. ont aussi des routes et canaux de navigation, des édifices consacrés à un usage public local; ces biens suivent les règles du domaine public général, quant à l'aliénation, la prescription et l'administration.
Art. 23. Le caractère des biens du domaine privé de l'Etat, des fu, ken, etc., est indiqué au texte: ces biens “sont possédés au même titre que les biens privés et sont destinés à donner des revenus en argent ou appréciables en argent.”
Art. 24. Les choses sans maître peuvent arriver à en avoir un par l'occupation, c'est-à-dire par le fait de celui qui en prend possession le premier et dont on parlera aux articles 2 et suivants du Livre de l'Acquisition des biens.
Lorsque les choses abandonnées sont des immeubles (ce qui est rare), la propriété en est acquise immédiatement à l'Etat; il en est de même des successions en déshérence ou de ceux qui meurent sans héritier (v. art. 23, 2e al.).
Art. 25. Les choses communes diffèrent à la fois des choses sans maître et des choses appropriées.
Elles diffèrent des choses sans maître en ce que chacun en a l'usage, à son gré; elles diffèrent des choses appropriées, en ce qu'elles ne peuvent jamais devenir la propriété exclusive de personne: chacun n'en acquiert que de minimes parties, par l'usage qu'il en fait, comme de l'eau qu'il puise à la rivière et de l'air qu'il respire.
Art. 26. Cette division des choses recevra son application à l'occasion de la validité des conventions; une convention ayant pour objet une chose se trouvant hors du commerce est nulle; en conséquence, elle ne transférera aucun droit sur cette chose et ne créera même aucune obligation à des dommages-intérêts pour inexécution, à moins qu'il n'y ait eu fraude.
Ce sont surtout les lois administratives et les lois pénales qui indiquent les choses mises hors du commerce. Cependant, il y a des choses qui ont ce caractère par elles-mêmes et sans qu'il soit besoin d'un texte pour le dire.
Toutes les choses qui ne sont pas spécialement hors du commerce sont dans le commerce ou à la disposition des particuliers: c'est toujours là la règle, sauf exceptions.
Art. 27. On serait porté à croire que les choses inaliénables sont les mêmes que celles qui sont hors du commerce; mais ces deux caractères ne sont pas identiques: il y a des choses inaliénables qui pourtant sont dans le commerce. La loi en donne des exemples.
Ainsi, un droit d'usage ou d'habitation est dans le commerce, car il peut être constitué par convention (vente, échange ou donation); une fois constitué, il est encore susceptible d'une convention qui le restituerait au propriétaire de la chose; mais il est inaliénable au profit d'un tiers, de la part de celui au profit duquel il a été constitué.
Il en est de même des servitudes foncières: elles peuvent être constituées par convention entre deux propriétaires voisins; mais celui auquel elles ont été consenties ne pourrait pas les céder sans le fonds dominant à un autre qu'au propriétaire même du fonds servant.
Du reste, l'aliénabilité est toujours la règle et l'inaliénabilité l'exception. Cette exception pourra venir, soit de dispositions directes de la loi, soit de dispositions de l'homme, c'est-à-dire de conventions ou de testaments; mais ces dispositions ne seront pas libres: il faudra toujours qu'elles soient faites dans les cas où la loi le permet.
Art. 28. Ce n'est pas encore ici le lieu d'indiquer les caractères de la prescription. Au surplus, on dira plus loin (sous l'art. 43) et on établira tout à fait au Livre des Preuves (IIe Partie) qu'elle est plutôt une présomption légale d'acquisition ou de libération qu'un moyen propre et direct de produire ces effets.
Quoi qu'il en soit, il est certain que la longue possession ne produit pas toujours le bénéfice de la prescription: souvent l'obstacle qu'elle rencontre vient de la nature de la chose ou d'une disposition de la loi; tels sont les biens du domaine public et certaines servitudes (v. art. 278); de là on arrive à reconnaître qu'il y a des choses imprescriptibles; mais l'imprescriptibilité, comme l'inaliénabilité, est toujours l'exception: la règle est la prescriptibilité des choses.
Art. 29. Généralement, tous les biens d'un débiteur sont le gage de ses créanciers: s'il ne remplit pas ses obligations, ceux-ci peuvent, sous certaines conditions et distinctions, saisir et faire vendre ses biens pour être payés sur le prix (v. Liv. des Garanties, art. 1er).
Par exception, certains biens échappent à cette action des créanciers. On y retrouve nécessairement les choses hors du commerce et les choses inaliénables, puisque la saisie mènerait à l'aliénation et que celle-ci est interdite. Mais il y a des choses qui sont dans le commerce, dont l'aliénation volontaire est permise, et dont cependant l'aliénation forcée sur saisie est interdite.
On trouvera au Code de Commerce des limites au droit de saisie des créanciers, au sujet des lettres de change (C. de comm. art. 764), et au Code de Procédure civile, au sujet de certains meubles nécessaires à l'usage et au travail du débiteur insolvable (C. de Pr. civ., art. 570).
La loi s'arrête ici dans la nomenclature des divisions des choses qui influent sur les dispositions de la loi. Ce ne sont pas cependant les seules; mais celles qu'on a négligées ici ont une influence moins considérable sur le droit.
On se bornera à en indiquer quatre:
1° Choses perdues ou volées: elles ne sont pas susceptibles de la prescription instantanée qui est, en général, le bénéfice du possesseur de bonne foi d'un meuble: la prescription en exige une possession de deux ans (v. Liv. des Preuves, art. 145).
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette dérogation au droit commun: il faudrait d'abord pour cela justifier la règle elle-même, ce qui sortirait du cadre de ces Dispositions générales.
Parmi les choses perdues, on doit compter les épaves maritimes, fluviales ou terrestres dont l'acquisition est régie par des lois spéciales (v. Liv. de l'Acq. d. biens, art. 3).
2° Choses liquides et certaines: ce sont des valeurs, généralement dues, dont on connaît exactement la nature et le montant, ainsi que le lieu où elles doivent être fournies. Le principal intérêt de cette distinction est au sujet de la compensation (v. art. 520 et 523); de même, les exécutions forcées ne peuvent avoir lieu que pour des choses liquides et certaines.
3° Choses excédant, ou non, une valeur déterminée: la loi n'est pas favorable à la preuve testimoniale, non par défiance de la sincérité des témoins, comme on le croit trop généralement, mais par le désir de prévenir les procès téméraires; les demandeurs et les défendeurs, toujours portés à s'exagérer la bonté de leur cause, compteraient sur des témoignages favorables qui, devant le juge, manqueraient souvent de la précision nécessaire pour donner la conviction à celui-ci; on aurait ainsi fait un procès nuisible aussi bien aux parties elles-mêmes qu'à l'intérêt général.
La loi veut donc qu'on prouve par écrit tout intérêt litigieux dont le montant excède 50 yens: au-dessous de ce chiffre, l'écrit n'est plus exigé, à cause de la célérité que demandent les petites affaires, plus multipliées d'ailleurs que les grandes.
L'importance des sommes ou valeurs a encore une grande influence sur la compétence des tribunaux, en 1re instance et en appel (v. Loi de l'organisation des cours et tribunaux).
4° Choses susceptibles, ou non, de dépérissement, ce qu'il faut entendre d'un prompt dépérissement (car tout dépérit par le seul effet du temps); telles sont la plupart des denrées alimentaires. On verra l'application de cette distinction en matière d'usufruit (v. Liv. des biens, art. 55,) et de prêt de consommation (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 178); il en sera de même au cas de tutelle, et généralement, de gestion des affaires d'autrui.
Il faut assimiler, juridiquement, aux choses susceptibles de prompt dépérissement, celles qui sont susceptibles de perdre promptement une partie de leur valeur commerciale.
PREMIÈRE PARTIE.
DES DROITS RÉELS.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA PROPRIÉTÉ.
Ce Livre étant consacré aux deux sortes de droits privés, aux droits réels et aux droits personnels, est naturellement divisé en deux Parties.
Un Chapitre spécial est consacré à chacun des droits réels.
On sait, au surplus, par l'article 2, qu'il ne s'agit ici que des droits réels principaux et d'une seule sorte de droits réels accessoires, des servitudes foncières. Quant aux droits réels qui sont l'accessoire et la garantie des créances ou droits personnels, ils sont l'objet de la IIe Partie du Livre des Garanties.
Art. 30. Il ne rentre pas dans la nature de cet Exposé des Motifs de jeter un coup d'œil sur l'état de la propriété foncière dans l'ancien droit japonais.
Le système féodal a exercé en cette matière une influence assez considérable, avec des variétés qui ont déjà disparu depuis la Restauration. Le Code civil consacre ce nouvel état de choses plutôt qu'il ne le crée.
Le droit de propriété, par cela même qu'il est libre, entier et presque absolu, est de tous les droits réels celui qui demande le moins d'explications.
Le propriétaire peut librement user de sa chose, c'est-à-dire en tirer tous les services que sa nature comporte.
Il peut en jouir, c'est-à-dire en tirer tous les produits périodiques, soit naturels, soit civils. On reviendra sur cette distinction, au sujet de l'usufruitier.
Enfin, le propriétaire peut disposer, ce qui comprend l'aliénation, la transformation et même la destruction de la chose.
Mais si considérable, si libre et si étendu que soit le droit de propriété, il n'est pas tout à fait absolu: il reçoit certaines limites de la loi, des conventions et du testament.
Les limites légales sont les plus nombreuses: elles sont fondées, en général, sur l'intérêt public ou sur celui des voisins; car il ne faut pas que l'exercice du droit d'un propriétaire empêche les autres d'exercer le leur ou nuise à l'état social.
Les limites apportées au droit de propriété par convention ou testament consistent le plus souvent dans des aliénations partielles, dans des démembrements de la propriété au profit d'autrui, comme la constitution d'un usufruit, d'une servitude, d'une hypothèque.
Le pouvoir de la convention ou du testament n'est pas lui-même illimité, quand il s'agit de restreindre le droit de propriété. Ainsi un donateur ou un testateur ne pourrait imposer au donataire ou au légataire la prohibition d'aliéner: ce serait contraire à l'intérêt général qui demande la circulation des biens.
Art. 31. Voici une première restriction à la plénitude du droit de propriété.
Il semblerait que le droit de conserver sa chose est celui des droits du propriétaire le plus assuré. Cependant, on a reconnu, de tout temps et en tout pays, qu'il y a des cas où l'intérêt privé doit céder à l'intérêt général. Les routes, les canaux, les travaux de défense du territoire, demandent souvent de grands espaces et il ne serait pas admissible que de pareils travaux fussent rendus impossibles par le mauvais vouloir de quelques propriétaires.
D'ailleurs, l'Etat, les fu ou ken et les shi, tcho ou son ne demandent ici aux particuliers qu'un sacrifice de leurs convenances, non de leur intérêt pécuniaire, puisqu'une indemnité leur est payée, suivant l'importance de ce dont ils sont expropriés.
L'expropriation pour cause d'utilité publique a déjà reçu une large application dans ces dernières années, pour la construction des chemins de fer de l'Etat et des Compagnies. Le principe est maintenant proclamé dans la constitution (art. 27).
La loi fait ici une distinction entre les immeubles et les meubles, et l'on pourrait être étonné, au premier abord, qu'il faille une loi spéciale pour une expropriation mobilière, tandis que, dans le cas d'immeuble, il suffit d'une série d'actes administratifs. Le motif est d'empêcher une expropriation trop facile pour les meubles, précisément parce que leur moindre importance pourrait porter l'administration à en abuser,
Il y a d'ailleurs exception à la nécessité d'une loi pour les réquisitions de denrées et autres objets nécessaires, en cas de guerre et de calamité publique.
Art. 32. L'occupation temporaire des propriétés pour les travaux d'utilité publique n'est pas une expropriation: les mesures administratives pour y arriver seront plus simples et l'indemnité moindre.
Art. 33. La prise de matériaux sur les propriétés sera réglée par les lois administratives, complétées s'il y a lieu. Il est dans l'esprit de la loi que ces matériaux ne soient pris que pour des travaux publics s'exécutant dans la localité: c'est un moyen d'épargner des frais de transport plus ou moins considérables et c'est toujours l'intérêt général qui en profite.
Comme ces matériaux sont des meubles, il y a là une nouvelle exception à l'article 31: une loi spéciale pour chaque cas n'est pas nécessaire.
Art. 34. Les deux premiers alinéas de cet article consacrent certains droits du propriétaire et les deux derniers y apportent des limites, les unes dans l'intérêt général, les autres dans l'intérêt privé des voisins. Il n'y a pas lieu de s'y arrêter ici.
Art. 35. Cet article se réfère à une loi spéciale sur des limites au droit du propriétaire du sol au sujet des mines.
En effet, l'exploitation des mines importe à la richesse et à la sûreté de l'Etat et elle appartient au droit administratif plus encore qu'au droit civil.
Art. 36. La garantie du droit de propriété consiste dans le droit d'exercer en justice les actions qui permettent au propriétaire de recouvrer sa chose, si elle était possédée par un tiers, même de bonne foi.
La principale de ces actions est dite pétitoire ou en revendication: pour y triompher, le demandeur doit fournir la preuve de son droit de propriété.
Mais comme cette preuve est quelquefois difficile, le propriétaire peut intenter seulement une action possessoire dans laquelle il n'aura qu'à justifier de sa possession antérieure à celle du défendeur.
Seulement, comme cette action met en présence deux possesseurs, il ne faut pas que celui qui a possédé le premier ait laissé s'écouler plus d'un an avant d'agir.
La loi renvoie au Chapitre de la Possession, pour les diverses conditions des actions possessoires. Elle réserve aussi le cas de la prescription des meubles qui est instantanée et met ainsi obstacle à la revendication et à l'action possessoire.
Art. 37. Cet article et les deux suivants règlent un état particulier de la propriété auquel il a déjà été fait allusion dans les dispositions générales: la propriété appartenant à plusieurs par indivis, c'est-à-dire sans qu'il en ait été fait de partage entre eux.
Les parts peuvent être égales ou inégales.
Le caractère de la propriété indivise est que le droit de chacun, si minime qu'il soit, porte sur toute la chose, comme s'il en était seul propriétaire; mais comme le droit des autres porte de même sur toute la chose, il en résulte que les droits sont limités les uns par les autres. Aussi est-il rare que les copropriétaires usent directement de la chose: ils préfèreront la louer et en partager les loyers (fruits civils); s'il s'agit d'un fonds en culture, ils pourront le cultiver en commun et en partager les fruits naturels.
Comme les actes d'administration ont surtout pour but la conservation de la chose, il est naturel que chacun puisse les faire seul; mais il vaudra toujours mieux se concerter.
Art. 38. Il en est autrement du droit de disposer de la chose; s'il s'agit d'en modifier la condition matérielle, le consentement de tous est nécessaire: l'opposition d'un seul obligerait de laisser la chose dans le même état, car on ne peut la modifier pour une part indivise. Au contraire, s'il s'agit de l'aliénation ou de l'hypothèque et qu'il n'y ait pas accord de tous, chacun peut aliéner ou hypothéquer sa part indivise.
Au cas d'aliénation, le 2e alinéa règle la situation de l'acquéreur. Au cas d'hypothèque, le résultat arrivera à être le même: si le débiteur laisse exercer l'action hypothécaire, le fonds sera vendu pour la part indivise hypothéquée.
S'il s'agit du bail de la chose, une distinction est à faire: si le bail conserve par sa durée la caractère d'acte d'administration, il peut être fait valablement par un seul des copropriétaires, en vertu de l'article précédent.
A l'égard du droit de grever le fonds d'une servitude, il faudra absolument le consentement de tous les copropriétaires, car la servitude étant au nombre des choses indivisibles, même intellectuellement, on n'en comprendrait pas la constitution pour une part indivise, pour une moitié, un tiers, un quart.
Art. 39. Les effets de l'indivision indiqués aux deux articles précédents ne sont pas sans de grands inconvénients: il peut se rencontrer souvent des occasions de conflit entre les copropriétaires; en outre, les biens indivis se trouvent longtemps retirés de la circulation, car les copropriétaires auront de la peine à se mettre d'accord pour les conditions d'une vente totale, et, si un ou plusieurs d'entre eux veulent vendre leur part indivise, ils trouveront peu de personnes disposées à accepter une situation qui les met dans une sorte de société avec des inconnus.
Pour remédier à ces inconvénients, la loi permet à tout copropriétaire d'exiger le partage des biens indivis.
Une convention qui aurait pour but de soumettre les copropriétaires à l'indivision perpétuelle, ou pendant leur vie, ou même pendant plus de cinq ans, serait nulle, comme contraire à l'ordre public: toutefois, elle vaudrait pour cinq ans, parce que l'intention des parties peut recevoir valablement cet effet.
Le droit laissé aux copropriétaires de se soumettre à l'indivision pendant cinq ans est aisé à justifier. Il est souvent difficile de diviser les biens, en nature: on est alors obligé de les vendre, pour en partager le prix; or, il pourrait être nuisible de vendre, dans certaines circonstances où les biens sont dépréciés; les parties feront donc sagement de s'interdire, respectivement, pendant cinq ans, ou moins, un partage qui pourrait nuire aux unes et aux autres; sauf à renouveler la convention.
L'interdiction de partager ne pourrait être imposée pendant cinq ans par un testateur, dans le testament où il lèguerait son bien à plusieurs personnes. Une convention directe entre les intéréssés est le seul cas où l'on puisse espérer que l'intérêt des copropriétaires, mûrement considéré par eux-mêmes, leur fera apporter tous les ménagements possibles pour vivre, pendant cinq ans, sans contestations et sans procès.
La loi excepte de la règle que “nul n'est tenu de rester dans l'indivision” les cas de mitoyenneté: il est clair que les biens mitoyens, servant à l'usage ou à la clôture de propriétés distinctes, ne pourraient être partagés sans perdre toute leur utilité.
Il sera longuement parlé de la mitoyenneté au Chapitre des Servitudes.
Art. 40. Cette situation de plusieurs personnes ayant des portions distinctes, divises, d'une maison, est encore rare au Japon; mais elle paraît destinée à être plus fréquente, à mesure que les constructions en pierre ou briques, plus hautes et plus côuteuses se multiplieront.
La loi fait sagement de régler les rapports des propriétaires dans cette situation particulière qui n'est ni la copropriété indivise, ni la propriété entièrement divise.
Il n'est pas besoin d'ailleurs de développer les divers alinéas de cet article: ils se justifient à la simple lecture.
Il va sans dire que si les parties ont réglé autrement leurs charges respectives, la loi cesse de s'appliquer.
Art. 41. Les divers Chapitres consacrés plus loin aux droits réels secondaires ne se borneront pas à indiquer leur nature, leurs effets et leur extinction; ils indiqueront aussi les causes qui leur donnent naissance, au moins celles qui sont propres à chacun d'eux. Au contraire, dans le présent chapitre de la Propriété, la loi n'indique pas ses causes, c'est-à-dire les moyens de l'acquérir, ni les conditions de publicité requises pour que les ayant-droit puissent s'en prévaloir vis-à-vis des tiers. La matière est assez étendue pour être l'objet de nombreuses dispositions de la 2e partie de ce Livre et du Livre de l'Acquisition des Biens auxquelles la loi renvoie.
Art. 42. La loi énumère ici les causes qui mettent fin à la propriété, quoiqu'elle n'ait pas encore énuméré les causes qui la créent. En effet, le plus grand nombre de ces causes d'extinction sont en même temps des causes d'aquisition et, à ce titre, elles se retrouveront dans la suite, car, sauf le cas de perte totale de la chose et celui d'un objet mobilier abandonné, lorsque la propriété sort d'un patrimoine, elle entre dans un autre; or, ce cas de perte ne suffit pas à former une division.
Cela est évident pour les cinq premiers cas:
1° Au cas d'aliénation; car l'aliénation n'est autre chose qu'un acte qui fait qu'une chose qui était nôtre devient chose d'autrui. Il n'y a pas à distinguer si l'aliénation est volontaire, comme la vente et la donation, ou forcée, comme l'expropriation pour cause d'utilité publique ou sur saisie.
2° Au cas d'accession, la chose change de maître, sans la volonté de son ancien propriétaire et quelquefois même sans la volonté du nouveau.
3° Au cas de confiscation, la chose passe dans le domaine de l'Etat, sauf à être détruite quand elle est dangereuse pour l'ordre public.
4° La résolution, la rescision et la révocation d'une acquisition ont des applications très-variées dans le présent Code et on les retrouvera dans les matières où elles s'exercent par voie d'actions en justice portant les mêmes noms. Ce n'est pas ici le lieu de s'arrêter longuement à ces actions: on indiquera seulement, avec quelques exemples, l'application de chacune d'elles.
La résolution suppose l'accomplissement d'une condition, d'un événement auquel les parties ou la loi avaient attaché, éventuellement et par prévision, la destruction d'un acte translatif de propriété, comme le défaut d'exécution par l'une des parties, dans un contrat synallagmatique ou bilatéral. La rescision suppose une aliénation entachée d'un vice de consentement ou d'une incapacité. Enfin, la révocation est comme la peine civile des acquéreurs coupables de certaines fautes prévues par la loi, par exemple de ceux qui ont participé à des aliénations par le débiteur en fraude de ses créanciers.
Dans les trois cas de résolution, de rescision et de révocation, l'acquisition est détruite rétroactivement et la chose retourne à l'ancien propriétaire, ce qui permettrait, à la rigueur, de dire qu'ici le droit de propriété ne se perd pas, n'ayant jamais existé pour le prétendu acquéreur; mais, il y a là une subtilité de doctrine que la loi peut et même doit négliger, quand elle ne s'occupe que de la nomenclature et de la méthode. Il est donc permis de dire que la propriété, dans les trois cas qui nous occupent, n'est pas détruite, qu'elle est seulement déplacée, qu'elle change de mains ou de patrimoine.
5° Au cas d'abandon volontaire de la chose par le propriétaire, il y aura encore, le plus souvent, changement de patrimoine: s'il s'agit d'un meuble, il sera bien rare qu'il reste sans maître et ne rencontre pas presque aussitôt un acquéreur par occupation; cependant, il y a toujours un temps plus ou moins long pendant lequel la chose est sans maître; s'il s'agit d'un immeuble, lequel sera d'ailleurs bien rarement abandonné, la propriété en est aussitôt acquise de droit à l'Etat; dans les deux cas, s'il s'agissait d'une chose qui appartînt en propriété à plusieurs, il faudrait décider qu'il n'y aurait lieu ni à l'occupation d'un tiers, pour un meuble, ni à l'acquisition de l'Etat pour un immeuble: le droit du propriétaire renonçant accroîtrait à la part des autres.
Il ne reste donc qu'un cas, le 6e, où l'on puisse dire que la propriété cesse pour le propriétaire sans être acquise à un autre, c'est celui où la chose est entièrement détruite, sans qu'il en reste quelque résidu utile: le droit cesse alors d'une façon absolue.
La perte de la chose peut donner lieu à une question de responsabilité et de dommages-intérêts de la part de celui à la faute duquel la perte serait imputable: on y reviendra en plusieurs occasions, notamment, aux articles 370 et suivants; car cette faute devient elle-même la cause, la source d'une obligation et, par contre, d'un droit personnel pour le propriétaire.
Art. 43. L'influence du temps sur les droits, sous le nom de prescription, est considérable.
On a quelquefois discuté sa légitimité, jamais son utilité, on pourrait dire sa nécessité. Mais elle n'est pas moins juste que nécessaire.
Elle a deux applications distinctes.
On dit quelquefois, pour abréger, que la prescription fait acquérir les droits réels et qu'elle fait perdre les droits personnels ou libère les débiteurs. Mais il est plus exact, en doctrine, et plus honorable pour ceux qui invoquent la prescription, de dire qu'elle constitue une présomption légale d'acquisition ou de libération légitime dispensant celui qui l'invoque d'en fournir d'autre preuve que celle du temps écoulé et des autres conditions imposées par la loi. Pour l'acquisition des droits réels, la principale de ces conditions est la possession de la chose; pour la libération des droits personnels, c'est l'inaction du créancier.
La prescription, étant une présomption, appartient au Livre des Preuves et c'est là qu'il en sera traité au long.
CHAPITRE II.
DE L'USUFRUIT, DE L'USAGE ET DE L'HABITATION.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'USUFRUIT.
Art. 44. A la différence de la Propriété, l'Usufruit ne donne que le droit d'user et celui de jouir de la chose, mais non le droit d'en disposer. L'usufruitier n'a que les services et les produits. Mais cela n'exclut pas pour lui la faculté de disposer de son droit: ce dont il ne peut disposer, c'est de la chose elle-même.
Le droit d'usufruit est toujours temporaire, soit qu'il lui ait été assigné une durée fixe, soit qu'en l'absence de durée préfixe, il doive durer toute la vie de l'usufruitier. C'est là d'ailleurs le maximum possible de sa durée; il ne se transmet pas à la mort: autrement, le droit de propriété, privé des produits de la chose n'aurait plus guère d'intérêt.
L'usufruit est donc une partie de la propriété: il en constitue un démembrement.
Lorsque la propriété est ainsi dépouillée de son principal attribut, la jouissance, elle est appelée “nue propriété;” si on en a détaché seulement l'usage on l'habitation, elle est dite “démembrée;” elle est appelée “pleine propriété ", quand elle n'a subi aucun démembrement. L'article 2 fait allusion à ces diverses situations, quand il place au 1er rang des droits réels la propriété “pleine ou démembrée.”
La constitution de l'usufruit par convention répond à un besoin de ceux qui, n'ayant pas une fortune suffisante pour vivre avec leurs revenus, aliénent leurs capitaux contre un usufruit qui peut être d'autant plus considérable qu'ils sont plus avancés en âge; car l'usufruit est de sa nature un droit viager.
La constitution d'usufruit par testament est aussi un moyen facile pour un mourant d'assurer l'existence de son conjoint, de parents ou de serviteurs âgés, sans priver l'héritier légitime d'une partie des capitaux de la succession.
Enfin, quand un père fait, de son vivant, la démission de ses biens en faveur de son héritier, le droit réel d'usufruit par lui réservé le met à l'abri des aliénations faites par l'héritier.
§ 1er. DE L'ÉTABLISSEMENT DE L'USUFRUIT.
Art. 45. On ne trouvera pas dans le présent Code de cas où un usufruit proprement dit résulte des seules dispositions de la loi au profit de certaines personnes: le droit établi en faveur du mari sur les biens de sa femme pendant le mariage, est plutôt analogue qu'identique à l'usufruit (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 427), mais le Code réserve les cas qui pourront être établis par des lois spéciales.
Les cas de constitution d'usufruit par la volonté de l'homme sont les mêmes que ceux de transmission de la propriété et se ramènent toujours à la convention et au testament. Il y a cependant un cas de constitution d'usufruit qui lui est propre, c'est la rétention de l'usufruit faite dans une aliénation de la chose, au profit de l'aliénateur lui-même.
La prescription recevra aussi une application en matière d'usufruit: quelqu'un a acheté un droit d'usufruit, en traitant avec une personne qu'il croyait propriétaire et qui ne l'était pas: l'acheteur a possédé l'usufruit, c'est-à-dire l'a exercé sans trouble pendant le temps fixé pour la prescription: le droit d'usufruit lui reste désormais acquis jusqu'à sa mort. Mais comme la prescription n'est pas un moyen direct d'acquérir les droits réels, on dira que l'usufruit est présumé constitué par la volonté de l'homme: le vrai propriétaire est supposé avoir consenti à la cession par un acte dont l'usufruitier est dispensé de rapporter la preuve.
Art. 46. Bien que la loi s'attache à indiquer la variété des biens sur lesquels peut porter l'usufruit, elle ne prétend pas dire que les effets en seront toujours les mêmes; au contraire, ils varieront assez notablement avec la nature des objets sur lesquels portera le droit: ainsi qu'on le verra aux deux §§ suivants.
Le présent article s'appliquerait d'ailleurs aussi bien à l'usufruit qui serait établi par la loi qu'à celui établi par la volonté de l'homme.
Art. 47. Il s'agit ici des modalités sous lesquelles l'usufruit peut être constitué, c'est-à-dire des circonstances qui peuvent modifier son existence ou sa durée, la condition, le terme, ou l'absence de l'une et de l'autre, ce qui permet de dire que l'usufruit est alors pur et simple.
La loi prend soin de dire d'abord que l'usufruit peut être constitué à terme (terme initial et terme final), parce que le droit de propriété ne comporte pas cette modalité qui serait incompatible avec le droit de disposer. Or, comme c'est précisément le droit de disposer qui manque à l'usufruitier, il est naturel que son droit puisse commencer et finir au gré des parties.
Quant à la condition, soit suspensive, soit résolutoire, opposée à un usufruit, elle aurait le même effet qu'en matière de propriété: dans le premier cas, le droit ne naîtrait qu'à l'accomplissement de la condition; dans le second cas, le droit cesserait avec l'arrivée de la condition. Mais dans les deux cas, à la différence de ce qui a lieu dans le terme, la naissance du droit et sa cessation auraient lieu rétroactivement au jour de la convention ou de l'ouverture du droit testamentaire; de sorte qu'au cas de condition suspensive, le droit serait censé avoir toujours existé et, au cas de condition résolutoire, n'avoir jamais existé. Il en résultera un compte de fruits entre le nu-propriétaire et l'usufruitier.
Une autre conséquence de l'effet rétroactif de la condition se produira au sujet des hypothèques consenties par l'usufruitier avant l'accomplissement de la condition suspensive ou résolutoire: ce droit sera valable dans le premier cas et nul dans le second.
A l'égard des baux faits pour une durée excédant les limites de l'administration, ils seront valables, pour toute leur durée, si la condition accomplie était suspensive; ils cesseront, si ces limites sont déjà excédées lors de l'accomplissement de la condition résolutoire (art. 119. et s.)
D'après le 3e alinéa, la condition ou le terme assigné à l'usufruit n'empêche pas l'extinction du droit par la mort de l'usufruitier; celle-ci en peut donc être avancée, mais non retardée.
Art. 48. La loi laisse ici une certaine latitude aux conventions particulières; mais elle ne permet pas que l'usufruit soit constitué en faveur d'une personne qui n'est pas encore née ou moins au conçue: autrement, l'usufruit serait trop longtemps séparé de la propriété; mais, on pourrait donner ou léguer l'usufruit, soit à deux époux, soit à deux ou plusieurs frères, à deux ou plusieurs amis, tous actuellement vivants, ou même à un père et à ses enfants déjà nés. On pourrait, dans ces cas, les appeler à l'usufruit simultanément et indivisément (par indivis) ou successivement, en réglant l'ordre dans lequel ils arriveront à l'usufruit. De toute façon, la propriété ne sera jamais grevée d'usufruit au-delà d'une existence d'homme, si longue qu'elle soit (v. art. 103).
La loi considère ici l'enfant simplement conçu comme déjà né; c'est un principe généralement admis dans les lois civiles et que l'on rencontrera dans d'autres parties du droit: notamment, en matière de successions. Il ne faut pas s'arrêter à l'objection que la conception est un fait mystérieux, dont l'époque est difficile à déterminer: la loi arrive, par voie de présomption, à fixer l'époque à laquelle un enfant a été conçu, en remontant d'un certain nombre de jours au delà de sa naissance.
§ II. DES DROITS DE L'USUFRUITIER.
Art. 49. Cet article fixe le moment auquel l'usufruitier peut “entrer en possession;” mais il se borne à faire une simple allusion à “l'ouverture du droit;” il s'y réfère, sans la déterminer; les principes y suffisent: si le droit n'est affecté d'aucune condition, le droit est ouvert, dans le cas de convention, dès qu'elle est formée par l'échange des consentements, et, dans le cas de testament, par le décès du testateur; s'il y a une condition suspensive, le droit n'est ouvert que par l'arrivée de la condition.
Le terme diffère de la condition en ce sens qu'il ne suspend pas la naissance du droit, mais seulement son exercice, tandis que la condition en suspend même la naissance; l'usufruit à terme est donc ouvert avant l'échéance du terme; mais comme le but du terme est justement de retarder l'entrée en jouissance de l'usufruitier, la loi ajoute “que le terme doit être échu.”
Il ne suffit pas, pour que l'usufruitier puisse entrer en possession des choses usufructuaires, que son droit soit ouvert et le terme échu, il faut encore qu'il ait satisfait à la triple obligation que lui impose la loi pour la sauvegarde des intérêts du nu-propriétaire, à savoir: faire un inventaire des meubles, un état des immeubles et donner caution ou autre garantie.
Ces trois obligations seront reprises par les articles 71 et suivants.
La loi prend soin de déclarer que l'usufruitier n'a droit à aucune réparation, ni mise en bon état des choses, pour accentuer davantage une différence notable, qu'on trouvera en son lieu, entre le droit de l'usufruitier et le droit du preneur à bail.
Bien entendu, si les parties avaient fait une convention différente, elle serait respectée: c'est un principe général de droit, qui sera souvent appliqué, que “les conventions font loi entre les parties” (art. 348).
Mais, il est juste que le nu-propriétaire cesse d'être dispensé des réparations, lorsqu'elles sont devenues nécessaires par sa faute.
A ce sujet, la loi fait une distinction qu'il faut justifier.
Si les détériorations ont eu lieu depuis que le droit est ouvert, même avant l'échéance du terme, il suffit que le nu-propriétaire ait manqué de soins dans la garde de la chose pour que sa responsabilité soit engagée; si, au contraire, la chose a été détériorée avant l'ouverture du droit, le nu-propriétaire n'est responsable que si les actes nuisibles ont été accomplis volontairement et dans le dessein de nuire à l'usufruitier, en prévision de son droit futur.
Art. 50. Le droit aux fruits est pour l'usufruitier la conséquence la plus importante de l'ouverture de son droit, lorsque, d'ailleurs, le terme est échu; et ce n'est pas parce qu'il aurait négligé d'exercer son droit que le nu-propriétaire en devrait profiter.
Bien que l'usufruitier n'ait pas perçu lui-même les fruits et produits, il n'en a pas moins la propriété, dès qu'ils sont séparés du sol (voy. art. 52), et c'est au moyen de l'action en revendication qu'il se les ferait rendre par le nu-propriétaire, s'ils se retrouvaient encore en nature dans la possession de celui-ci.
Le droit ne serait plus qu'un droit de créance ou droit personnel, si les fruits avaient été consommés ou vendus et livrés à un acheteur de bonne foi.
Du reste, si le nu-propriétaire avait perçu les fruits, de bonne foi, dans l'ignorance du droit de l'usufruitier, il ne serait tenu de les restituer en nature ou en valeur que dans la mesure du profit qui lui en resterait; tel serait le cas de l'héritier qui aurait ignoré le testament de son auteur contenant un legs d'usufruit.
On retrouvera ces conséquences de la bonne foi chez le possesseur au Chapitre de la Possession (art. 194).
Naturellement, soit que l'usufruitier agisse par action réelle ou par action personnelle, il doit tenir compte au nu-propriétaire des dépenses utiles que celui-ci a faites pour la récolte et la conservation des fruits: autrement, l'usufruitier, à son tour, s'enrichirait au détriment du nu-propriétaire.
Une fois l'usufruitier entré en possession du fonds, il a droit de faire lui-même la récolte et la perception des produits, aussi bien de ceux qui ont été ensemencés et cultivés par le nu-propriétaire que de ceux qui sont le résultat de ses propres travaux.
La loi le dispense même, dans ce cas, d'indemniser le nu-propriétaire de ses frais de culture, pour éviter des calculs souvent difficiles et qui seraient une source de contestations; mais, par compensation, elle laissera au nu-propriétaire, sans charges, les fruits pendants par branches et racines au moment où l'usufruit prendra fin (voy. art. 69 et 109).
Art. 51, 52 et 53. L'usufruitier est assimilé au propriétaire pour l'acquisition des fruits, en ce sens qu'il les acquiert tous, sans exception, pendant la durée de son droit.
La seule différence, c'est que, tandis que le propriétaire pourrait prendre les fruits avant leur maturité, les aliéner avant la récolte, les détruire même, l'usufruitier ne les acquiert que par leur séparation du sol, après leur maturité.
La loi fait aussi pour l'usufruitier une distinction entre les fruits naturels et les fruits civiles, laquelle n'a pas besoin d'être faite pour le propriétaire Mais il n'y a pas lieu de distinguer entre les fruits purement naturels et les fruits industriels, obtenus par la culture ou autre travail de l'homme: tous s'acquièrent au moment où ils sont détachés du sol, où ils deviennent meubles. Il fallait choisir un moment précis pour le changement de maître de ces fruits, en vue du cas où l'usufruit viendrait à cesser. Il était impossible de s'attacher à l'époque seule de la maturité, parce que, variant avec le temps, les lieux et les climats, elle n'a pas assez de fixité et de précision, et aussi parce que non seulement les diverses espèces de fruits, mais encore les fruits de même espèce, ne mûrissent pas tous simultanément.
Le texte tranche ici une question qui aurait pu faire doute, au sujet du vol des fruits ou de leur séparation par accident.
Le 2e alinéa a prévu le cas où la séparation des fruits a eu lieu avant leur maturité, par quelque cause que ce soit. Si l'usufruit durait au-delà de la maturité, il n'y aurait pas à s'occuper de cette circonstance; mais si l'usufruit vient à cesser avant l'époque de la maturité, l'usufruitier se trouve avoir fait un gain illégitime et il doit le restituer au nu-propriétaire, sur l'action personnelle de celui-ci.
Art. 54. Le principe est le même pour les produits des animaux que pour les fruits du sol: tant que les petits et la laine des animaux n'en sont pas détachés, ils font corps avec eux et, n'ayant pas encore le caractère de produits, ils appartiennent au nu-propriétaire.
L'expression de fruits civils est consacrée comme faisant opposition aux fruits naturels: ce sont des fruits de pure création de la loi et du droit; ils ont la périodicité des fruits naturels, celle-ci est même plus régulière, et ils les remplacent pour le propriétaire ou pour l'usufruitier. Ils proviennent d'obligations contractées par des tiers en compensation de la jouissance en nature qui leur est accordée. Le 2e alinéa fait l'énumération des principaux fruits civils.
La loi ne pouvait faire dépendre l'acquisition des fruits civils par l'usufruitier du moment même où les tiers débiteurs en feraient la prestation ou le payement: c'eût été exposer l'usufruitier à perdre les sommes qui n'auraient été payées qu'après la fin de l'usufruit, souvent par la faute de celui qui les devait.
Au contraire, elle aurait pu admettre que les fruits civils s'acquerraient pour l'usufruitier au jour où le payement en serait échu ou exigible, de sorte qu'il aurait la prestation tout entière, si elle venait à échoir pendant que son usufruit dure, et qu'en sens inverse, il n'en aurait rien, si l'usufruit s'était éteint auparavant. Mais la loi, avec raison, n'est pas favorable aux solutions qui font dépendre du hasard les profits et les pertes; elle ne s'y résigne que lorsque c'est le seul moyen d'éviter des complications et des contestations; c'est ce qu'elle a dû faire pour l'acquisition des fruits naturels que l'usufruitier gagnera ou perdra, quelquefois, par un pur effet du hasard, suivant que son droit durera quelques jours de plus ou quelques jours de moins.
Mais pour les prestations en argent qui constituent les fruits civils, il est évident que, théoriquement, celui qui les doit pourrait et devrait, à la rigueur, les payer chaque jour et presque à chaque moment. Pratiquement, ce serait impossible; on a donc dû admettre des payements périodiques, des échéances plus ou moins éloignées. Mais, lorsqu'il s'agit de savoir quelle part en reviendra à l'usufruitier et au nu-propriétaire, quand l'usufruit commence et quand il finit, on ne peut pas trouver de solution plus équitable que celle qui divise ces prestations jour par jour et les fait acquérir à chacun en proportion du temps qu'a duré son droit.
Il faut reconnaître aussi que les prestations en argent se prêtent très aisément à cette division exacte, tandis que les fruits naturels ne le pourraient pas; c'est pourquoi la règle des fruits civils ne s'applique pas, si les prestations dues par des tiers doivent se faire en produits agricoles, comme dans le “bail à part de fruits ou colonage” (v. art. 109).
Art. 55. Si le droit de l'usufruitier n'était pas modifié à l'égard des choses qui se consomment par le premier usage, il serait sans utilité réelle; ces choses ne donnent pas de fruits ou produits périodiques, l'usage même ne s'en comprend pas distinct du droit de disposer; le droit de l'usufruitier serait donc nul, s'il ne devenait un droit de disposer; l'argent même qui donne des fruits civils n'a cet effet que s'il est aliéné par un prêt ou par une opération analogue.
Il a donc fallu permettre à l'usufruitier de disposer des choses dites “de consommation” (v. art. 17). Mais, nécessairement, il doit, à la fin de l'usufruit, rendre pareilles quantité et qualité en nature, ou pareille valeur en argent.
La loi ne laisse pas à l'usufruitier le choix du mode de restitution; elle ne l'accorde pas non plus au nu-propriétaire: elle le subordonne à la circonstance qu'il a été fait, ou non, une estimation des choses usufructuaires.
Le bénéfice pour l'usufruitier est toujours le même que lorsqu'il s'agit d'un corps certain: il a eu le profit de l'intérêt de l'argent pendant la durée de l'usufruit: cela est évident, si l'usufruit portait directement sur une somme d'argent; s'il portait sur des denrées, il n'a à en payer la valeur ou le prix d'achat qu'à la fin de l'usufruit; jusque-là, il profite de son propre argent.
Les marchandises composant un fonds de commerce ne sont pas toujours de nature à se consommer par le premier usage; ce sera même le cas le moins fréquent: par exemple, des étoffes, des vêtements, des ustensiles de maison; mais ces marchandises sont destinées à être vendues par l'usufruitier du fonds de commerce. S'il ne pouvait les vendre, l'usufruit serait inutile pour lui. Dès lors, il rendra pareille quantité et qualité de marchandises ou, si elles ont été estimées (ce qui sera le plus fréquent), il en rendra l'estimation.
Art. 56. Cet article ne présente pas de difficultés. Il est naturel que l'usufruitier use des choses dont il s'agit ici; son droit se réduit même à un simple usage, car ces choses ne donnent pas de produits. Toutefois, il ne faudrait pas confondre cet usufruit avec l'Usage dont il sera parlé dans la Section II: l'usager ne pourrait se servir de ces choses que dans la mesure de ses besoins et de ceux de sa famille; l'usufruitier pourra en user au-delà, par conséquent, les prêter.
A l'égard du droit, pour l'usufruitier, de louer ces objets usufructuaires, la loi le consacre dans le seul but d'y apporter une restriction; car, sans cela, il pourrait être considéré comme allant de soi. Il y a des choses qu'il serait inconvenant de louer, comme des portraits de la famille ou des amis du nu-propriétaire, toutes choses que, certainement, il ne louerait pas lui-même. On pourrait même refuser à l'usufruitier le droit de louer la bibliothèque du nu-propriétaire, surtout, si elle était de belle condition et sujette à être détériorée par l'usage d'un tiers moins soucieux de sa conservation.
Art. 57. La rente viagère est le droit d'exiger de quelqu'un, pendant la vie du titulaire ou même pendant la vie d'un tiers désigné, des prestations périodiques appelées arrérages.
Généralement, le droit de rente est personnel: c'est une créance de somme d'argent ou de denrées; elle a pu être constituée à titre gratuit, par donation ou testament, ou à titre onéreux, comme prix d'une aliénation d'immeuble, de meubles ou même d'argent.
Il pourrait arriver que celui auquel appartient le droit personnel de rente en cédât l'usufruit à un autre, ce qui permettrait à ce dernier d'en profiter pendant sa vie, si d'ailleurs elle n'excède pas la vie du véritable titulaire; car la durée de la rente ne pourrait pas être augmentée sans la volonté du débiteur.
On aurait pu douter, dans ce cas, de l'étendue du droit de l'usufruitier, si la loi ne s'en était expliquée.
L'usufruitier ne devant pas perdre ni altérer la substance de la chose, mais seulement en prendre les produits, il semblerait qu'en recueillant les arrérages qui ne se renouvelleront pas indéfiniment, il consomme, en même temps, une partie du capital.
Mais la rente viagère n'a pas de capital: les arrérages sont produits par le droit de rente, et quand la rente prend fin par la mort du titulaire, c'est l'échéance de ce terme incertain qui y met fin et non l'épuisement d'un capital par les perceptions successives, car elles peuvent avoir été de très-courte durée.
La règle est la même pour l'usufruit dont serait grevé un premier usufruit. Le sous-usufruitier percevra les fruits et produits de la chose usufructuaire comme l'usufruitier titulaire; seulement, le sous-usufruit aura deux causes d'extinction au lieu d'une: la mort du sous-usufruitier et celle du titulaire.
Art. 58. Un troupeau est une de ces choses collectives dont a parlé l'article 16: il constitue une sorte d'unité idéale, bien que se composant de plusieurs choses individuelles. Il résulte de ce caractère mixte du troupeau que tant qu'il reste une tête du troupeau, l'usufruit continue, et de même l'obligation de le reconstituer avec le croît; mais aussi, si le troupeau périt, en tout ou en partie, sans la faute de l'usufruitier, celui-ci ne doit pas plus la valeur périe que s'il était débiteur d'un corps certain.
L'usufruitier, devant jouir en bon administrateur, ne pourrait vendre tous les petits des animaux, avant de pourvoir au remplacement des animaux morts; il ne pourrait non plus être réduit au seul profit que donnerait l'excédant du croît sur la mortalité: il doit pouvoir aliéner chaque année les animaux arrivés à leur entier développement et dont la conservation serait coûteuse et sans profit; il agit comme ferait un propriétaire diligent.
C'est par ce même principe que doit se résoudre la question de savoir si l'usufruitier a valablement aliéné l'excédant du croît, lorsqu'il s'est ensuite produit dans le troupeau, par maladie ou accident, des vides qui ne sont pas encore comblés au moment où l'usufruit prend fin. Un bon administrateur qui voudrait entretenir un troupeau de cent têtes, par exemple (et, pour l'usufruitier c'est une obligation de ne pas laisser se réduire le troupeau au dessous de ce qu'il était lorsqu'il l'a reçu), un bon administrateur, disons-nous, ne se bornerait pas, au moment de vendre le croît, à remplacer les têtes qui manquent: il en garderait encore un petit nombre, en excédant, pour suppléer les pertes qui pourraient arriver pendant l'année, en calculant d'après la moyenne ordinaire de la mortalité.
Art. 59. Les bois et forêts présentent en tous pays des diversités de nature qui influent sur la manière d'en recueillir les produits. Le mode d'exploitation de cette classe de biens s'appelle aménagement.
Quand les bois sont de nature à repousser de la souche après avoir été coupés, on adopte, en général, les coupes périodiques: tous les 20 ans, par exemple.
Les produits donnent de menu bois pour l'industrie, pour brûler, pour faire le charbon et des fagots. Les bois ainsi mis “en coupe réglée” se nomment bois taillis (bois à tailler). Quand les bois sont étendus, on les divise en lots, au nombre de 20 ou de 10, si l'on veut avoir des revenus annuels ou biennaux; on peut aussi ne faire de coupe que tous les 4 ans, par cinquième, ou tous les cinq ans, par quart. Cette distribution des coupes, une fois établie, se conserve ordinairement; elle constitue, à proprement parler, l'aménagement.
Mais, au moment de faire les coupes, l'usage des bons administrateurs est de conserver, de distance en distance, les plus beaux arbres, ceux qui s'annoncent comme devant se développer le mieux: ils ne gêneront pas la repousse des autres et ils deviendront un jour de grands arbres de prix, car on les conservera successivement, lors des autres coupes.
Ces distinctions n'ont pas d'importance pour le propriétaire exploitant lui-même; pour l'usufruitier, dès qu'un arbre a le caractère de baliveau, il ne peut plus être coupé comme bois taillis, on doit le laisser se développer: c'est un capital, comme il résulte de l'article suivant.
Les bois de l'Etat, des fu ou ken, des goun, des shi, tcho ou son devront être de bons modèles d'exploitation à imiter. Toutefois, la loi ne leur donne pas la priorité sur les bois des particuliers; c'est plutôt l'inverse qui résulte de son texte.
L'obligation de prévenir un mois avant la coupe a pour but de permettre au nu-propriétaire de discuter le mode des coupes et de les surveiller.
Art. 60. Si, au moment où l'usufruitier fait une coupe réglementaire, il y a déjà des baliveaux anciens ou modernes réservés par le nu-propriétaire, il ne peut les abattre, à moins que l'usage des précédents propriétaires n'ait été d'en abattre un certain nombre périodiquement, pour éclaircir et aérer le bois.
La règle serait la même pour les plantations d'arbres résineux qui, ne repoussant pas de la souche, ne sont pas, par leur nature, des bois taillis et sont tous considérés au moins comme baliveaux; mais l'usage est nécessairement d'en abattre ou d'en arracher périodiquement un certain nombre pour faciliter la croissance des autres, et l'usufruitier profiterait de cet usage.
Lorsque l'usufruitier n'a pas le droit de couper les baliveaux ou les arbres de futaie, il en prend, au moins, les produits périodiques, ce qui se réduit aux feuilles, à quelques fruits ou graines, au bois mort et aux menues branches qu'il est souvent nécessaire d'élaguer.
La loi lui permet aussi d'employer aux réparations des bâtiments soumis à l'usufruit les arbres morts ou abattus par le vent; il peut même en faire “arracher” pour cet usage; c'est autant dans l'intérêt du nu-propriétaire que dans celui de l'usufruitier. Au contraire, l'usufruitier ne pourrait utiliser les mêmes arbres pour la réparation de ses propres bâtiments.
Une question que la loi n'a pas tranchée, mais que les principes de la matière permettent de résoudre facilement, est celle-ci: lorsque la première coupe de bois taillis est faite par l'usufruitier, est-il tenu de réserver les arbres les mieux venus pour en faire des baliveaux Il est clair que son intérêt serait de ne pas laisser de baliveaux, puisqu'il ne pourra jamais les couper.
Mais l'usufruitier doit jouir “en bon administrateur;” il doit aussi se conformer à l'usage des propriétaires voisins; or, il n'est pas douteux qu'un bon administrateur et que les autres propriétaires laissent toujours des baliveaux. Il n'y aurait que la proportion numérique à établir entre les arbres coupés et les arbres réservés: si les parties ne peuvent se mettre d'accord, la chose sera décidée par le tribunal, après expertise.
Art. 61. Ce droit de l'usufruitier, assez minime d'ailleurs, est la conséquence de son assimilation constante au propriétaire, pour ce qui est du mode et de l'étendue de sa jouissance: il est certain qu'un propriétaire intelligent n'achètera pas les menus bois nécessaires à la culture, lorsqu'il peut les prendre sur son fonds, sans le détériorer.
Art. 62. Il arrive souvent que les grands propriétaires adjoignent des pépinières à leur fonds pour renouveler les arbres morts, pour refaire les haies ou étendre les bois.
L'usufruitier pourrait de même user de la pépinière et ce serait presque un devoir pour lui, comme devant être bon administrateur.
La loi lui permet même de vendre des produits de la pépinière, s'ils excèdent les besoins du fonds; enfin, s'il s'agissait de l'usufruit d'une pépinière distincte d'un fonds et objet principal de l'usufruit, ce droit de l'usufruitier serait tout à fait normal et non plus une exception.
Mais une pépinière s'épuiserait elle-même, si elle n'était entretenue par de nouveaux plants ou semis, suivant la nature des arbres qui y sont élevés: l'usufruitier a donc l'obligation de l'entretenir.
Art. 63. Ce n'est pas arbitrairement que la loi, pour fixer les droits de l'usufruitier, distingue si, les carrières étaient déjà en exploitation ou non, au moment où l'usufruit a commencé: elle fait ainsi dépendre les droits de l'usufruitier de l'intention probable du constituant, lequel n'est pas présumé avoir voulu priver l'usufruitier d'un profit périodique qu'il avait lui-même jusque-là, et, en sens inverse, n'a vraisemblablement pas voulu lui permettre d'amoindrir la valeur du fonds, en y ouvrant des carrières qui n'étaient pas encore exploitées. C'est le même principe qui a déjà été consacré au sujet de l'exploitation des arbres qui ne sont pas mis en coupe réglée. Mais, de même encore qu'il peut le faire pour ces arbres, l'usufruitier peut prendre des pierres et autres matériaux pour la réparation du fonds usufructuaire et même pour l'entretien.
Au contraire, il ne pourrait prendre ni bois, ni pierres, pour l'amélioration du fonds, parce que l'amélioration peut prendre des développements infinis et qui souvent ne répondent pas aux espérances de celui qui l'entreprend.
L'usufruitier ne pourra de même user de la tourbe pour ses besoins personnels que si la tourbière est déjà en exploitation, car la tourbe, comme combutisble, ne peut pas être utilisée dans l'intérêt du fonds; la marne, au contraire, peut toujours servir à amender les terres et si la manière est en exploitation, l'usufruitier pourra en vendre les produits, car ils ont pour le propriétaire le caractère de fruits.
Art. 64. Le trésor n'est évidemment pas un produit du fonds: c'est une chose entièrement distincte de celle qui le contient; l'usufruitier n'y pourrait prétendre que comme à une accession acquise pour moitié au propriétaire de la chose; mais cette accession est tellement en dehors des prévisions, d'après la définition même du trésor (il doit avoir été découvert par hasard), que l'usufruitier n'y pourrait raisonnablement prétendre; enfin ce n'est pas la compensation d'un risque. Il faut excepter, bien entendu, le cas où l'usufruitier aurait lui-même trouvé le trésor: il aurait alors les droits ordinaires de l'inventeur (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 5).
Art. 65. La chasse et la pêche sont des moyens d'acquérir la propriété de choses sans maître; il en sera reparlé sous le nom d'occupation, parmi les moyens d'acquérir la propriété (v. Liv. de l'Abq. des biens, art. 3). Il est naturel que l'usufruitier exerce ces deux droits, comme le propriétaire, car les produits de la chasse et de la pêche se renouvellent périodiquement et même d'une façon presque continue.
Art. 66. Il sera consacré plus loin un Chapitre aux servitudes foncières. Il suffit d'indiquer ici qu'elles sont des droits qui permettent au propriétaire d'un fonds de tirer d'un autre fonds appartenant à un autre propriétaire, des avantages, des services qui en augmentent la valeur, comme un passage, une prise d'eau, un droit de vue sur la propriété voisine.
Comme les servitudes appartiennent à tout propriétaire du fonds, en cette qualité et abstraction faite de sa personnalité, on dit, par une sorte de figure, qu'elles “appartiennent au fonds lui-même;” ce qui les fait aussi appeler foncières ou réelles, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qui, bien que droits réelles par leur nature et droits mobiliers ou immobiliers par l'objet sur lequel ils portent, sont souvent appelés servitudes personnelles, parce qu'ils appartiennent à une personne déterminée et s'éteignent avec elle.
Si le fonds soumis à l'usufruit avait de pareils droits sur un fonds voisin, l'usufruitier pourrait valablement les exercer; ce serait en même temps son devoir, car sa négligence amènerait la perte de la servitude par non-usage, lequel est en quelque sorte une prescription libératoire du fonds servant, dont il sera parlé en son lieu (art. 290 et 291).
Art. 67. Les actions en justice portent, en général une qualification qui correspond à leur objet, c'est-à-dire au droit qu'elles tendent à faire reconnaître et à faire valoir. C'est ainsi qu'il y a des actions réelles et des actions personnelles correspondant aux droits réels et aux droits personnels.
Toutes les actions que le présent article reconnaît à l'usufruitier sont des actions réelles, puisque son droit est réel: elles lui permettent de faire valoir son droit non seulement contre le nu-propriétaire, mais encore contre tout autre qui y mettrait obstacle; cela n'exclut pas d'ailleurs une action personnelle qui compèterait à l'usufruitier, contre le nu-propriétaire exclusivement, en vertu du contrat ou du testament qui aurait constitué l'usufruit.
Les actions réelles reconnues ici comme appartenant à l'usufruitier ont les mêmes noms et le même objet que celles qui appartiennent au propriétaire d'après l'article 36, avec les seules différences qui résultent de la nature du droit. Ainsi, l'action pétitoire tend toujours à faire juger le fond du droit (ici, que le demandeur a vraiment le droit d'usufruit); les action possessoires tendent seulement à faire juger que le demandeur, en fait, possède ou a possédé récemment le droit d'usufruit, c'est-à-dire, l'exerce ou l'a exercé comme lui appartenant et doit y être maintenu ou rétabli: s'il le possède encore et est troublé par un tiers, c'est le cas de l'action en complainte; s'il a été dépossédé, soit par ruse, soit par violence, c'est le cas de l'action en réintégrande. Ces action se retrouveront dans leur application général au Chapitre de la Possession (art. 199 et suiv.).
Nous ne mentionnons pas ici deux autres actions possessoires qui ne sont que des variétés de celles-ci, pour des cas spéciaux: la dénonciation de nouvel œuvre et la dénonciation de dommage imminent (v. art. 201 et 202, 214 et s.). Le texte les accorde implicitement à l'usufruitier, en lui donnant “les actions possessoires,” sans distinction.
Indépendamment des actions réelles relatives à son droit d'usufruit, l'usufruitier a aussi des actions relatives aux servitudes. Elles sont de deux espèces: l'une qui affirme, soutient, que le fonds voisin est grevé d'une servitude active au profit du fonds usufructuaire: c'est l'action confessoire; l'autre, qui conteste, qui nie, que ledit fonds usufructuaire soit grevé d'une servitude passive au profit du fonds voisin: c'est l'action négatoire.
Le deux actions ainsi données à l'usufruitier au sujet des servitudes, étant réelles toutes deux, peuvent être considérées aussi comme pétitoires ou possessoires, suivant que l'usufruitier y soulève la question DE DROIT ou du fond, ou la question DE FAIT ou de possession.
Ces dernières peuvent être aussi en complainte ou en réintégrande.
Ainsi, si l'usufruitier a déjà exercé une servitude sur le fonds voisin et se trouve menacé ou troublé dans la possession de la servitude, il exercera seulement l'action POSSESSOIRE en complainte; s'il a été dépossédé de la servitude depuis moins d'un an, il exercera l'action POSSESSOIRE en réintégrande.
Si le temps dans lequel devait être exercé la réintégrande est passé, il exercera l'action PÉTITOIRE ou en revendication de la servitude active.
Ces trois actions sont toutes CONFESSOIRES, car l'usufruitier y affirme son droit.
Si, au contraire, c'est le voisin qui exerce à tort une servitude sur le fonds usufructuaire, l'action NÉGATOIRE de l'usufruitier pourra être pétitoire, s'il veut faire juger le fond de son droit contre le voisin, ou possessoire, s'il ne veut faire juger que le fait de sa possession; et, dans ce dernier cas, elle aura le caractère de complainte, si le voisin n'a encore fait que le troubler par des entreprises sur le fonds; elle aura le caractère de réintégrande, si déjà le voisin est en pleine possession de sa prétendue servitude, mais depuis moins d'un an.
On pourrait, enfin, supposer toutes les mêmes actions dirigées contre l'usufruitier, alors défendeur, par un tiers qui réclamerait l'usufruit (action confessoire) ou contesterait une servitude (action négatoire), soit au fond et comme droit, soit en fait et comme possession. L'objet, les noms et les caractères en seraient les mêmes; les rôles seuls des parties y seraient changés. Si la loi n'en dit rien, c'est qu'elle ne traite ici que des droits de l'usufruitier; elle aura occasion d'y revenir au sujet de ses obligations.
Remarquons, avec le 3e alinéa, que lorsqu'il s'agit des servitudes, actives ou passives, relatives au fond usufructuaire, bien que l'usufruitier ait qualité pour plaider à ce sujet, comme demandeur ou défendeur, il fera sagement d'appeler en cause le nu-propriétaire qui pourra le mieux défendre qu'il ne le pourrait seul.
Art. 68. Bien que le droit de l'usufruitier soit viager et ainsi établi en considération de la personne, quant à la durée, il n'est cependant pas inséparable de la personne au point de ne pouvoir être cédé. Or, si l'usufruitier, peut céder son droit, l'aliéner pour le tout, à plus forte raison, peut-il le grever de droits moindres, comme le louer ou l'hypothéquer.
On remarquera seulement que l'hypothèque ne pouvant être établie que sur les immeubles, il faut que l'usufruit, pour être hypothéqué, soit lui-même immobilier, par l'objet auquel il s'applique.
On aurait pu croire qu'il était défendu à l'usufruitier de céder son droit ou de le donner à bail, quand il porte sur des objets qui se détériorent plus ou moins promptement par l'usage; mais la loi ne l'a pas défendu: elle y a seulement apporté quelque tempérament (voy. art. 56); le nu-propriétaire trouvera d'ailleurs de garanties contre l'abus de jouissance du cessionnaire ou du preneur à bail, dans le cautionnement qui sera fourni au début de l'usufruit.
Mais, comme il ne saurait dépendre de l'usufruitier de prolonger son droit indéfiniment, la loi prend soin d'exprimer que les droits qu'il a consentis sont soumis aux mêmes limites et conditions que le sien propre, notamment, quant à la durée, auf en ce qui concerne les baux ayant le caractère d'actes d'administration.
Art. 69. Les deux premières dispositions de cet article, étant la négation d'un droit pour l'usufruitier, ne sembleraient pas devoir figurer dans ce §; elles ne lui imposent pas non plus des obligations qui appartiendraient au § suivant; elles pourraient donc prendre place dans le § IVe, au sujet de l'extinction de l'usufruit; mais il n'est pas hors de propos, en traitant des droits de l'usufruitier, d'indiquer aussi ceux qui pourraient sembler lui appartenir et que la loi lui dénie.
D'ailleurs, le dernier alinéa reconnaît à l'usufruitier un droit assez considérable pour motiver la place de cet article.
Ces trois dispositions sont d'ailleurs assez faciles à justifier.
La première est la conséquence et la contre-partie, déjà annoncée, de l'article 50, 2e alinéa: l'usufruitier ayant pu trouver, au moment de son entrée en jouissance, une récolte plus ou moins près de la maturité et la prenant sans payer les frais de culture, doit, aux mêmes conditions, laisser la récolte pendante au moment où l'usufruit finit.
Assurément, la justice rigoureuse pourrait demander la solution inverse, dans les deux cas; mais il est admis depuis les Romains, par raison d'utilité pratique et de simplicité, que, pour éviter deux comptes détaillés, difficiles et souvent sujets à contestation, on laissera ici le hasard jouer le rôle d'arbitre. En effet, la nature viagère du droit d'usufruit lui donne déjà un caractère aléatoire très prononcé qu'on peut augmenter encore sans grand inconvénient: il peut finir aussi bien après la récolte qu'avant; souvent même, à son début, il est soumis également à des chances bonnes ou mauvaises; c'est ce qui arrive, quand il est constitué par testament: le testateur peut mourir peu de temps avant la récolte ou peu de temps après qu'elle a été faite.
Au surplus, les parties peuvent toujours, par convention, modifier cette disposition de la loi, et il serait même très naturel qu'au cas de constitution de l'usufruit par une vente, le vendeur fît entrer en ligne de compte, dans la fixation du prix, la récolte pendante dont il aurait fait les frais, et qu'en sens inverse, l'acheteur stipulât qu'au cas de cessation de l'usufruit avant la récolte, une fraction déterminée en serait laissée à son héritier.
La disposition du second alinéa refuse à l'usufruitier le droit de se faire indemniser des améliorations qu'il aurait faites à la chose, parce qu'il est présumé les avoir faites pour lui-même et en avoir joui plus ou moins longtemps. Il y aurait d'ailleurs, là encore, des sujets de contestations que la loi veut éviter.
Cette disposition s'appliquera aux embellissements et aux améliorations des habitations, à l'amendement des terres, aux défrichements et terrassements, qui sont incorporés, en quelque sorte, aux choses usufructuaires.
Mais pour les améliorations qui sont plutôt ajoutées qu incorporées aux choses et qui pourraient en être séparées sans détérioration, il n'y avait pas même motif d'en faire profiter le propriétaire: la loi permet à l'usufruitier d'enlever ces additions, notamment les constructions, à charge de remettre les lieux dans l'état primitif.
Art. 70. Mais alors se présente un intérêt général et économique dont on trouvera d'autres applications; c'est qu'il vaut mieux ne pas démolir les édifices, ni arracher les plantations: il faut éviter la perte d'une double main-d'œuvre (construction et destruction) et la dépréciation inévitable des matériaux.
Il est désirable que le propriétaire conserve les ouvrages faits: son intérêt à les conserver est d'ailleurs tout-à-fait légitime, puisqu'ils sont sur son sol et que la destruction y causerait toujours des dégradations, au moins temporaires. Au contraire, l'usufruitier semble n'avoir guère qu'un simple intérêt pécuniaire à l'enlèvement de matériaux et de plantations, et s'il en est indemnisé équitablement, il sera désintéressé. L'indemnité sera équitable, lorsqu'elle équivaudra à la plus-value résultant actuellement pour le fonds des constructions et plantations conservées, quel que soit d'ailleurs le prix qu'elles auront coûté. La loi n'autorise pas cette recherche qui serait une complication presque toujours inutile; car, généralement, les dépenses originaires des constructions, autres que celles faites par spéculation, excèdent la plus-value qu'elles donnent au sol.
Il y a donc là pour le propriétaire un droit légal de préemption, c'est-à-dire de préference à tout autre pour acheter. C'est, en même temps, le cas de citer un exemple de limite légale à la plénitude du droit de disposer de la chose dont on est propriétaire, car l'usufruitier est plein propriétaire de ses constructions et plantations (v. art. 30).
La loi ne pouvait accorder au propriétaire du sol un droit de cette importance sans en régler l'exercice. Tel est l'objet des trois derniers alinéas.
Le propriétaire peut ignorer le moment, souvent imprévu, où finit l'usufruit; il ne peut donc être exposé à être déchu de son droit par la seule échéance d'un délai préfix après l'extinction de l'usufruit. L'usufruitier ou son héritier aura donc à le prévenir que l'usufruit est éteint et à le sommer, en forme extrajudiciaire, d'avoir à déclarer s'il entend user de son droit.
Quoique la loi ne distingue pas expressément si la cause qui met fin à l'usufruit est connue d'avance du nu-propriétaire, il est dans son esprit de n'exiger cette sommation que si la cause est légalement inconnue de celui-ci. Ainsi, si l'usufruit avait été limité à une durée fixée, la sommation ne serait pas nécessaire. A plus forte raison, si l'usufruit cessait pour abus de jouissance, sur la poursuite du nu-propriétaire, conformément à l'article 104.
La sommation est, au contraire, nécessaire dans le cas de cessation de l'usufruit par la mort de l'usufruitier ou par l'accomplissement d'une condition résolutoire à laquelle le nu-propriétaire serait étranger.
Le propriétaire n'a que dix jours pour se décider sur l'exercice du droit de préemption, sans même qu'il soit nécessaire que ce délai soit rappelé dans la sommation. Le propriétaire doit connaître le délai que la loi lui accorde.
Il y a toujours quelque chose d'arbitraire dans les délais légaux: la loi ne pouvait le donner plus long sans créer des embarras à l'usufruitier ou à son héritier. Le propriétaire d'ailleurs ne doit pas ignorer qu'il y a des constructions et plantations faites sur son fonds par l'usufruitier et il a dû penser d'avance au parti qu'il prendrait à la fin de l'usufruit.
S'il est absent au moment où l'usufruit finit, il a dû laisser un mandataire, avec des pouvoirs suffisants pour répondre à la sommation.
Après dix jours de silence, il est déchu de plein droit de la faculté de préemption.
Pour que l'usufruitier ou son héritier perde définitivement son droit aux constructions et plantations, il faut encore que le nu-propriétaire en ait payé le prix, faute de quoi son acquisition est soumise à la résolution. Si ce prix n'est pas fixé à l'amiable, il doit être fixé par le tribunal après expertise. La décision du tribunal peut être l'objet de recours légaux. Une fois qu'elle est devenue définitive, le nu-propriétaire a un mois pour payer le prix fixé, faute de quoi, il encourt la déchéance.
Mais il ne faut pas voir là, comme pour le délai de dix jours, une déchéance de plein droit dont le propriétaire puisse se prévaloir lui-même: il est contraire aux principes généraux du droit que quelqu'un puisse se faire un titre de sa faute. L'usufruitier aura donc la faculté ou de faire prononcer la déchéance, ou de contraindre le propriétaire au payement, comme tout autre débiteur.
Si l'usufruitier ou son héritier demande la déchéance, il peut encore obtenir des dommages-intérêts, car il peut avoir, dans l'intervalle des délais légaux, manqué l'occasion de vendre avantageusement ses contructions.
La loi devait enfin pourvoir à la garantie de l'usufruitier ou de son héritier contre les dégradations et autres abus, s'ils livraient les bâtiments avant le payement du prix: ils peuvent donc rester en possession jusqu'au payement. Ce droit, qui aura de nombreuses applications dans la loi, se nomme droit de rétention: il figure dans l'article 2 au nombre des sûretés réelles.
On remarquera enfin que, s'il n'y avait que des plantations, les intéressés ne pourraient retenir la possession du sol: la loi ne l'accorde que pour les bâtiments.
§ III. DES OBLIGATIONS DE L'USUFRUITIER.
Art. 71. L'inventaire des meubles et l'état des immeubles sont des garanties nécessaires pour le nu-propriétaire; ils sont utiles aussi à l'usufruitier, en le mettant à l'abri de réclamations abusives.
Comme l'usufruitier possèdera seul les biens soumis à son usufruit, il lui serait facile de les détériorer, peut-être de mauvaise foi, souvent par négligence; en outre, pour les meubles, il serait difficile, à l'époque de la restitution, d'en connaître le nombre et la qualité; ce serait une occasion de contestations et de procès.
L'inventaire n'est autre chose qu'une énumération, avec description sommaire, des objets mobiliers qu'il s'agit de déterminer; on y ajoute aussi leur valeur, pour le cas où ils ne seraient pas représentés.
L'état des immeubles est une constatation de leur condition matérielle: on y mentionne s'ils sont fraîchement réparés ou, au contraire, dégradés, et dans quelle partie comme dans quelle mesure.
Pour que ces deux actes, inventaire et état, soient opposables au nu-propriétaire, il faut nécessairement qu'il y ait été présent ou, au moins, qu'il y ait été appelé par une sommation en bonne forme.
Art. 72. Si les parties intéressées sont présentes et capables, rien ne s'oppose à ce qu'elles fassent un inventaire sous seing privé, qui sera opposable, plus tard, à leurs héritiers ou ayant-cause autant qu'à elles-mêmes. Mais, si l'une des parties n'est pas présente ou est incapable, il faudra naturellement que les actes soient faits par un notaire.
Le mineur serait valablement représenté par son tuteur, la femme par son mari, pourvu que les intérêts du représentant et ceux du représenté ne fussent pas en opposition, ce qui arriverait si l'un des deux était le nu-propriétaire et l'autre, l'usufruitier.
Art. 73. On sait, par l'article 18 des Dispositions préliminaires, que les choses fongibles sont celles qui peuvent se remplacer par des équivalents parfaits; ce sont des choses de quantité, qui sont désignées par leur espèce, avec indication de leur poids, de leur nombre ou de leur mesure. Les choses qui se consomment par le premier usage ont généralement ce caractère, mais elles ne sont pas les seules, comme on l'a expliqué sous les articles 17 et 18.
Déjà aussi, l'article 55 nous a dit que le droit de l'usufruitier se confond, dans ce cas, avec un droit de propriété, sous l'obligation de rendre l'équivalent.
Lorsque l'usufruit porte sur des objets envisagés comme corps certains, il faut, mais il suffit, que l'inventaire en donne une description qui en constate la nature, l'état et les caractères propres; on peut aussi y apposer des signes, marques ou cachets qui empêcheraient d'y substituer des objets similaires: l'estimation, dans ce cas, n'est pas nécessaire; elle serait seulement utile pour le cas où les objets ne seraient pas représentés ou pourraient avoir été détériorés; aussi sera-t-elle presque toujours faite.
Mais, pour les choses fongibles, l'estimation sera bien plus utile et presque nécessaire; ce sera la manière la plus simple et la plus sûre de déterminer la qualité des choses.
Quand l'estimation aura été faite, elle jouera le rôle d'une vente de ces objets à l'usufruitier: le prix d'estimation sera dû par lui, comme s'il était acheteur; seulement, ce n'est qu'à la fin de l'usufruit qu'il sera exigible.
Il est toutefois permis aux parties de ne pas laisser à l'estimation ce caractère de vente et, réciproquement, elles peuvent le lui donner à l'égard de choses non fongibles de leur nature: par exemple, pour des vêtements, du linge et autres choses qui se détériorent facilement par l'usage. Dans le premier cas, l'usufruitier devra rendre, non les objets eux-mêmes (on n'en a pas constaté l'identité), mais des objets semblables en quantité, qualité et valeur; dans le second cas, au contraire, ce ne sont plus des objets semblables qui seront rendus, mais leur estimation qui vaut vente.
Comme l'inventaire et l'estimation sont utiles aux deux parties, en les préservant respectivement de contestations mal fondées, la loi pourrait les mettre à la charge de toutes deux, par égales portions. Mais elle distingue avec plus de raison, si l'usufruit a été constitué à titre gratuit ou à titre onéreux et c'est dans ce dernier cas seulement qu'elle divise les frais; dans le premier cas, il est juste que l'usufruitier les supporte en entier. A l'égard de l'état des immeubles, les frais en sont toujours supportés par l'usufruitier seul, car cet état est dans son intérêt, puisque, sans cela, il serait présumé avoir reçu les immeubles en bon état.
Art. 74. Il n'eût pas été admissible que le constituant de l'usufruit, par une confiance, exagérée peut-être, dans la loyauté de l'usufruitier et dans sa bonne administration, pût compromettre les droits du nu-propriétaire, bien que celui-ci soit souvent son héritier; il fallait donc permettre à ce dernier de faire procéder à l'inventaire des meubles et à l'état des immeubles, dans son propre intérêt, nonobstant toute dispense du constituant, mais alors à ses frais.
Le même droit est reconnu à l'usufruitier, aux mêmes conditions.
On pouvait hésiter, dans ce cas, à donner à l'estimation le caractère de vente, pour les choses fongibles; mais comme l'usufruitier est toujours appelé à contrôler et à contester l'estimation, on ne voit pas de raison sérieuse de supprimer cet effet de l'estimation: il est demandé par la nature de ces choses.
Les renvois faits par le 2e alinéa n'ont pas besoin d'autre justification.
Art. 75. Lorsque l'usufruitier commet la faute prévue au présent article, d'entrer en jouissance sans avoir fait l'état et l'inventaire prescrits, il est naturel qu'il en subisse les conséquences.
Pour les immeubles, comme l'habitude des propriétaires est de les tenir en bon état, tant pour les conserver que pour en tirer profit, la présomption légale est en ce sens: c'est donc à l'usufruitier de prouver qu'ils étaient en mauvais état au moment où il est entré en possession. Cette preuve pourra ss faire par les moyens ordinaires: notamment, par témoins connaissant les dégradations comme étant antérieures à l'entrée en jouissance ou par experts déclarant de même qu'elles remontent à une époque antérieure.
Pour les meubles, leur prompte dépérition par l'usage ne permettrait pas de présumer qu'ils étaient en bon état; ce qui importe avant tout, c'est de savoir quels ils étaient, de quelle nature, en quelles quantité et qualité.
L'usufruitier sera, néanmoins, exposé à souffrir de sa faute, parce que le nu-propriétaire aura une grande facilité à faire preuve contre lui de la consistance et de la valeur du mobilier: il aura non-seulement les témoignages, les présomptions de fait tirées des circonstances (notamment, de la qualité du constituant, de sa fortune, de son rang), mais encore il aura la commune renommée, c'est-à-dire, le bruit public, l'opinion générale des personnes du voisinage (v. Liv. des Preuves, art. 37).
La grande différence entre les témoignages et la commune renommée, c'est que, dans le témoignage, le témoin ne peut déclarer que ce qu'il sait par lui-même, tandis que, dans la commune renommée, le témoin déclare ce qu'il a entendu dire à d'autres sur les faits dont il s'agit.
Art. 76 et 77. Une caution est une personne qui répond des obligations d'une autre, en prenant vis-à-vis du créancier un engagement particulier, au moyen d'un contrat spécial appelé cautionnement.
L'engagement de la caution est, de sa part, un bon office, un office d'amitié, vis-à-vis du débiteur principal; sauf son recours, si elle est, un jour, obligée de payer pour lui.
Il sera traité en détail du cautionnement au Livre des Garanties des obligations (v. art. 3 et suiv.).
Les autres garanties que peut fournir l'usufruitier sont assez variées.
Il peut présenter une personne qui s'engagera solidairement avec lui aux restitutions et indemnités dont il s'agit: ce serait même une garantie plus forte que le cautionnement.
Si l'usufruitier présentait soit une caution, soit un codébiteur d'une solvabilité douteuse, ou si le nu-propriétaire ne voulait pas accepter un garant solvable, le tribunal devrait intervenir, sur la demande de la partie la plus diligente.
Si le garant présenté par l'usufruitier est solvable, le nu-propriétaire devra s'en contenter; dans le cas contraire, un cautionnement réel sera fourni comme la loi l'indique.
Ces autres garanties sont dites réelles, parce qu'elles consistent, non plus dans l'intervention d'une personne, mais dans l'affectation d'une chose: dépôt de somme d'argent, soit à la caisse publique à ce destinée, soit dans les mains d'un tiers agréé par les deux parties, enfin, nantissement ou hypothèque.
Art. 78. On a déjà, vu à l'article 73, quand l'estimation des meubles “vaut vente;” dans ce cas, l'usufruitier devant une somme fixe à la fin de l'usufruit, c'est pour cette somme tout entière que la garantie est due. A plus forte raison en est-il ainsi, lorsque l'usufruit porte directement sur une somme d'argent. Dans ces divers cas, on peut, sans porter atteinte à sa considération, craindre qu'il ne se trouve plus tard dans l'impossibilité de payer.
Mais, quand l'estimation ne vaut pas vente, il est naturel que le cautionnement ne garantisse pas toute la valeur estimative, car il serait injurieux pour l'usufruitier de supposer qu'il aura détourné les objets ou qu'il les aura laissé périr en totalité; mais on peut, sans lui faire injure, craindre quelques négligences. La loi fixe donc la garantie à la moitié de la valeur estimative, ce qui paraît répondre suffisamment aux probabilités de perte partielle ou de dépréciation.
Mais si l'usufruitier, usant de la faculté qui lui appartient, cède ou loue son droit sur ces meubles, le propriétaire ne peut être porté à la même confiance envers le tiers qui désormais possèdera les meubles; la garantie sera donc due pour le tout.
Ici se présente une question que la loi n'a pas tranchée, mais qui peut se résoudre par les principes: cette extension de garantie aura-t-elle lieu de plein droit, ou faudra-t-il un nouvel engagement, soit de la caution, soit de l'usufruitier?
Et d'abord, quant à la caution ou au codébiteur solidaire, rien ne peut être exigé d'eux au-delà de la moitié de la valeur estimative, car leur engagement a été limité à cette somme; si l'usufruitier avait détourné, dissipé ou détruit les choses usufructuaires, le garant, dans le cas qui nous occupe, n'en payerait toujours que la moitié; il ne peut donc être tenu davantage, parce que l'usufruitier aura cédé son droit.
Quant à l'usufruitier, il en est autrement: c'est par son fait que l'obligation de garantie se trouve étendue; s'il a fourni un cautionnement réel, par dépôt de valeurs lui appartenant, s'il a donné un gage ou une hypothèque et que ces valeurs suffisent au supplément de garantie, l'extension aura lieu de plein droit.
Pour le gage, la situation est toute simple: il n'y a pas ici une nouvelle dette de l'usufruitier, mais une extension de la première et aucun autre créancier n'ayant acquis le même gage, il n'y a de surprise pour personne.
Pour l'hypothèque, il y a une différence à noter: le nu-propriétaire n'aurait pas le même rang pour les deux fractions de sa créance: si d'autres créanciers avaient acquis une hypothèque sur les mêmes biens, ils ne seraient primés que par la première fraction de la dette, telle qu'elle est révélée par l'inscription, parce qu'ils ne peuvent voir leur position s'empirer par un fait auquel ils sont étrangers; il faudrait de plus que l'augmentation de la créance hypothécaire fût révélée par une inscription supplémentaire pour être opposée aux créanciers postérieurs.
Si ces valeurs ne suffisent pas pour garantir toute la dette, l'usufruitier devra fournir un supplément de garantie réelle ou personnelle.
A l'égard des immeubles, soit que l'usufruitier exerce lui-même son droit, soit qu'il les loue, la garantie ne sera jamais totale, parce qu'il n'est pas probable, même pour les bâtiments, que la perte totale ait lieu par la faute de l'usufruitier ou de son cessionnaire, et, s'il s'agit de fonds de terre, la détérioration ne peut, en général, être que minime; la loi fait donc sagement de laisser au tribunal le soin d'arbitrer le montant de la garantie exigible.
Art. 79. Le cautionnement et les autres garanties qui sont indiquées par les articles précédents n'étant que les accessoires d'une obligation principale, il faut que celle-ci soit déterminée en forme expresse; autrement, il serait difficile, au cas où la responsabilité de l'usufruitier serait encourue, de donner une base certaine à la condamnation.
Art. 80. La loi s'est efforcée de concilier les intérêts du propriétaire avec les droits de l'usufruitier qui ne peut fournir les garanties requises: il n'eût pas été juste de le déclarer déchu de son droit pour refus ou impossibilité de satisfaire à cette obligation.
Les moyens que la loi indique pour cette conciliation sont assez détaillés au texte pour n'avoir pas besoin d'être développés.
On remarquera seulement deux dispositions qu'il est facile de justifier:
1° Le dépôt des sommes à la caisse publique des dépôts et consignations ou leur emploi en créances sur l'Etat, est fait “sous les noms réunis des deux ayant-droit:” le motif est qu'il ne faut pas que l'un puisse, sans le consentement de l'autre, retirer les sommes déposées ou aliéner les créances.
2° Quand les fonds sont loués, l'usufruitier ne perçoit les loyers ou fermages que “sous la déduction des frais d'entretien et des autres charges annuelles:” on verra, tout à l'heure, que l'usufruitier qui jouit par lui-même supporte ces charges; or, il ne fallait pas que lorsque la jouissance a dû être attribuée au propriétaire ou à un tiers, à défaut de cautionnement, l'usufruitier bénéficiât de ces charges en ne les acquittant pas. Toutefois, il faudrait excepter le cas où ces charges seraient imposées au preneur: dans ce cas, le prix des loyers ou fermages, fixé en conséquence, serait déjà moins élevé.
Art. 81. Il eût été inadmissible que, faute de fournir une garantie totale, l'usufruitier fût traité avec la même rigueur que s'il n'en pouvait fournir aucune. Il est juste aussi que le choix lui appartienne, quant aux objets auxquels s'appliquera la garantie partiellement fournie.
La loi n'a pas cru nécessaire de régler le cas où l'usufruitier se trouverait, plus tard, en mesure de fournir le cautionnement total. Il faut décider, évidemment qu'il pourrait rentrer dans l'exercice de son droit; sauf qu'il devrait respecter la durée des baux consentis, soit à des tiers, soit au nu-propriétaire, en vertu de l'article précédent.
Art. 82. Lorsque le constituant ou le nu-propriétaire a dispensé l'usufruitier du cautionnement, ce n'est pas parce qu'il a voulu s'exposer son héritier à la perte des choses usufructuaires, c'est parce qu'il a compté, tout à la fois, sur l'honnêteté de l'usufruitier, sur sa bonne administration et surtout sur sa solvabilité future. Il est donc naturel que, l'insolvabilité survenant, l'usufruitier perde un bénéfice qui ne répond plus à l'intention présumée du constituant.
La dispense de cautionnement accordée au donateur qui s'est réservé l'usufruit de la chose donnée est facile à comprendre: on ne doit pas se défier de la jouissance de celui qui s'est montré généreux par la donation du capital.
Mais s'il devenait insolvable, le cautionnement devrait être fourni, par analogie du cas prévu à l'article précédent.
Art. 84. La loi, en disant que l'usufruitier doit jouir en bon administrateur, a pour but de faire savoir qu'il ne lui suffirait pas d'apporter aux choses usufructuaires les mêmes soins que ceux qu'il apporte à ses propres affaires.
Il n'est pas douteux que l'usufruitier sera responsable, s'il a laissé la chose se détériorer par le défaut des travaux d'entretien qui lui incombent ou par des actes qui tendent à exagérer la production et épuisent le sol ou les animaux; dans le premier cas, il y a négligence ou omission (acte négatif), dans le second, il y a faute par commission (acte positif); il en serait de même, s'il a négligé d'avertir le propriétaire de la nécessité de grosses réparations qui dépendent surtout de celui-ci: notamment, si cette nécessité est survenue brusquement, à la suite d'une tempête ou d'une inondation et si le propriétaire n'habite pas au même lieu.
Art. 85. La loi établit ici contre l'usufruitier une présomption de faute fondée sur l'expérience. Les incendies proviennent le plus souvent de la négligence des habitants des maisons.
La cause première en reste souvent inconnue, parce que l'incendie détruit presque toujours les lieux où il a commencé et l'enquête, dès lors, ne peut donner de résultats utiles; en outre, les habitants, craignant quelque responsabilité, sont portés à nier tout ce qui pourrait leur être imputé à faute.
Cette présomption de négligence est surtout fondée en raison, quand celui qui habite les bâtiments n'en est pas propriétaire; alors il n'est plus autant porté par son intérêt à la vigilance.
Au reste, la sévérité de la loi est moindre qu'on ne serait porté à le croire au premier abord, car l'usufruitier a toujours le droit de prouver par tous les moyens possibles qu'il n'est pas en faute. Chaque fois que le feu aura été communiqué par les bâtiments voisins ou par la foudre, la preuve ne sera pas difficile à fournir. Dans les autres cas, les juges pourront admettre toutes les présomptions de fait comme combattant la présomption légale; tel serait le cas où la maison serait restée pendant un certain temps close et entièrement inhabitée.
Dans le cas où il y aurait plusieurs usufruitiers des bâtiments incendiés et où il serait impossible de connaître lequel est en faute, chacun serait responsable pour le tout, d'après le principe posé à l'article 378: ce ne serait une obligation ni solidaire ni indivisible, mais ce serait une obligation intégrale, un peu moins rigoureuse, comme on le verra en son lieu.
Art. 86. La distinction entre les grosses réparations et celles d'entretien est facile d'après notre article (3e et 4e al.) qui énumère les grosses réparations et laisse aux autres, au moins en général, le caractère de réparations d'entretien.
Il y a deux motifs de mettre à la charge de l'usufruitier les réparations d'entretien: 1° un bon administrateur les fait toujours par un prélèvement sur ses revenus; or, l'usufruitier a les revenus, il en doit donc supporter les charges normales; 2° les réparations d'entretien sont rendues nécessaires, en grande partie, par l'usage journalier de la chose; or, c'est l'usufruitier qui a cet usage.
Les cas exceptionnels où l'usufruitier serait tenu des grosses réparations (2e al.) se justifient d'eux-mêmes, soit qu'il y ait eu faute directe de sa part, par exemple, s'il avait compromis la solidité d'un bâtiment en supprimant des séparations intérieures, dans le but d'agrandir les pièces, soit qu'il ait négligé de réparer les toits ou les conduites d'eau et qu'il en fût résulté des dégradations sérieuses.
La loi détermine ici les grosses réparations d'une façon qui paraît assez complète, mais qu'il ne faut pas cependant considérer comme absolument limitative. Il y aurait de grands inconvénients à procéder limitativement: il y a une telle variété dans les constructions que certaines réparations non prévues par la loi pourraient se trouver nécessaires et devraient être considérées comme d'entretien: par conséquent, elles se trouveraient obligatoires pour l'usufruitier; cependant, elles peuvent être d'une telle importance que la raison répugne à y voir une charge des revenus; telle serait, par exemple, la reconstruction totale d'un escalier. D'un autre côté, il y a des escaliers de très peu d'importance, qui ne desservent que des dépendances. Il vaut donc mieux laisser aux tribunaux un certain pouvoir d'appréciation pour les cas non prévus par la loi.
Ainsi, s'il s'agit d'un aqueduc rompu, il serait difficile de décider, tout d'abord et d'avance, si la réparation est grosse ou d'entretien; il faudra considérer la nature de l'aqueduc, son importance, les matériaux avec lesquels il est construit, etc.
Le principe qui devra servir de guide aux tribunaux sera celui-ci: si les travaux sont assez peu coûteux pour qu'un bon administrateur dût les faire avec ses revenus, ils seront à la charge de l'usufruitier; s'ils sont de nature à ne pouvoir être faits qu'avec les capitaux, ils seront de grosses réparations.
Art. 87 et 88. Hors les deux cas prévus à l'article 86, 2e alinéa, l'usufruitier n'est pas tenu des grosses réparations; doit-on en conclure qu'il soit en droit de se faire rembourser les grosses réparations qu'il aurait faites volontairement? Il est vrai que si ces dépenses avaient été faites par un étranger, celui-ci pourrait se les faire rembourser d'après les principes de la gestion d'affaires; mais l'usufruitier ne paraît pas ici avoir agi dans l'intérêt du nu-propriétaire; il a plutôt agi dans le sien propre, pour avoir une jouissance plus complète, ou plus longue, en évitant la perte de la chose.
Dans l'intérêt général ou économique, il faut encourager aussi bien l'usufruitier que le nu-propriétaire à faire les grosses réparations.
L'usufruitier peut y avoir intérêt, assurément: sans cela, son droit pourrait cesser par la perte de la chose: mais comme l'usufruit est viager et aléatoire, il ne serait pas juste que s'il venait à s'éteindre, peu après que l'usufruitier aurait fait des dépenses plus ou moins considérables, le propriétaire en bénéficiât purement et simplement: en présence d'un pareil risque, l'usufruitier laisserait le plus souvent périr tout-à-fait les bâtiments.
Le nu-propriétaire, de son coté, ne serait pas disposé à faire une dépense dont il ne pourrait peut-être profiter qu'après un temps considérable: il préférerait laisser les bâtiments périr pour voir finir l'usufruit par anticipation. S'il a la sagesse de faire les réparations, il n'est pas juste que l'usufruitier en profite, longtemps peut-être, sans y contribuer.
La loi adopte donc un mode de contribution qui va bientôt avoir d'autres applications: l'usufruitier rembourse chaque année au propriétaire l'intérêt de la dépense; si, au contraire, c'est lui qui fait l'avance des frais de réparation, il n'en est remboursé qu'à la fin de l'usufruit, et seulement dans la mesure où subsiste encore la valeur de ces réparations.
De cette façon, chacun a intérêt à faire les grosses réparations et les immeubles ne périront pas.
La constatation contradictoire de la nécessité des dépenses, dans les deux cas, n'a pas besoin d'être justifiée. On remarquera seulement une différence entre eux: dans le cas où c'est l'usufruitier qui veut faire procéder aux réparations, il doit en faire constater la nécessité et s'assurer du refus du propriétaire d'y faire procéder; dans le cas où c'est le propriétaire qui veut faire la dépense, il doit en faire constater non seulement la nécessité, mais encore le montant, pour que l'usufruitier lui en paye l'intérêt annuel.
Si les bâtiments ont péri en entier, par vétusté ou par accident, il n'est pas moins conforme à l'intérêt économique de les rebâtir qu'il n'eût été utile de prévenir leur chûte par de grosses réparations. Mais la double solution qui précède ne s'applique que si cette perte n'est pas de nature à entraîner l'extinction totale de l'usufruitier: d'abord, le propriétaire se gardera bien de faire la réédification; quant à l'usufruitier, il n'en aurait pas le droit, ne pouvant faire renaître un usufruit éteint.
Art. 89. Les contributions annuelles ordinaires sont une charge naturelle des fruits: on ne les paye pas avec les capitaux; elles sont donc supportées par l'usufruitier.
Il en est autrement des charges extraordinaires: elles ne sont pas continues et elles sont souvent trop élevées pour être payées avec les revenus. Elles ne peuvent donc être imposées à l'usufruitier, à cause de la nature de son droit, limité dans sa durée autant que dans son étendue: il en supportera seulement l'intérêt annuel, puisqu'elles diminuent le capital dont il jouit.
La loi détermine deux cas qui seront toujours considérés comme charges extraordinaires; mais elle n'est pas plus limitative ici que dans la plupart des autres énumérations.
L'histoire de l'ancien régime offre des exemples d'emprunts forcés; mais le Gouvernement impérial s'en est entièrement abstenu depuis la Restauration et, vraisemblablement, il n'y recourra jamais; on a même déjà pratiqué un emprunt, mais par voie de souscription nationale, pour le développement de la marine. Toutefois, il convient, à tout événement, de reconnaître aux emprunts forcés le caractère de charge extraordinaire.
Les impôts extraordinaires diffèrent des emprunts forcés en ce que ceux-ci sont, en principe, remboursables et peuvent porter intérêt jusqu'au remboursement, tandis que les impôts, moins élevés, sans doute, sont un sacrifice complet et irrévocable demandé aux sujets.
Le Code ne peut prévenir tous les doutes sur le point de savoir quand un impôt sera extraordinaire dans l'avenir; d'abord, cette matière appartient surtout au droit administratif; ensuite, les impôts extraordinaires sont presque toujours la conséquence d'événements politiques graves, et le législateur ne peut songer, en pareil cas, que les nouvelles charges qu'il crée pourront susciter des conflits entre les nu-propriétaires et les usufruitiers. Mais la disposition du présent article invite en quelque sorte le législateur futur à donner lui-même aux impôts extraordinaires qu'il pourra créer une qualification qui prévienne les difficultés.
Ce qui est certain, dès à présent, c'est que pour qu'un impôt ait le caractère “extraordinaire,” il ne suffira pas qu'il soit nouveau, c'est-à-dire créé après la constitution de l'usufruit; il n'en serait pas moins, dans la plupart des cas, une charge des revenus: c'est une tendance constante des lois de finances, dans tous les pays, d'augmenter les impôts, soit dans leur nature, soit dans leur taux, parce que les dépenses des Etats augmentent constamment; mais aussi, les revenus des immeubles tendent toujours à augmenter. Il ne suffirait pas non plus qu'un impôt fût temporaire, pour avoir le caractère extraordinaire. Ainsi, un impôt qui, à l'origine, aurait été créé sans indication de limite de temps, mais qui aurait été supprimé ensuite et se trouverait ainsi avoir été temporaire, resterait à la charge de l'usufruitier. Mais, au contraire, un impôt nouveau ou l'augmentation d'un impôt ancien, motivés par des circonstances exceptionnelles, comme par une guerre étrangère ou civile, ou par une disette ou autre grande calamité publique, pourraient être considérés comme extraordinaires, lors même que la loi qui les aurait créés ne leur aurait pas donné la qualification de “temporaires ou extraordinaires.”
C'est pour lever tous les doutes sur cette interprétation que le nouveau texte porte “ou résulte clairement des circonstances.”
Art. 90. La loi s'est préoccupée du cas où les impôts ne seraient pas payés par l'usufruitier ou par le nu-propriétaire, et elle a voulu que le droit du Trésor public fût nettement établi.
La solution était toute naturelle. D'abord, si les revenus du fonds suffisent au payement, il est clair que l'Etat, en vertu de son privilége sur les fruits, les saisira et les fera vendre: la loi n'a pas besoin de l'exprimer. Mais s'il n'y a pas de fruits ou revenus, ou s'ils sont insuffisants, et si le nu-propriétaire n'y supplée pas lui-même, l'Etat fera vendre la pleine propriété, en tout ou en partie: il se payera de l'arriéré des impôts, et l'excédant du prix appartiendra au nu-propriétaire pour le capital et à l'usufruitier pour la jouissance.
La loi veut que le fonds soit vendu en pleine propriété et non en usufruit seulement: d'abord, parce que l'usufruit, seul, pourrait se vendre difficilement; ensuite, parce que le nu-propriétaire est lui-même en faute de ne pas payer l'impôt.
Art. 91. Dans le contrat d'assurance, l'assuré paye une somme annuelle, proportionnelle à la valeur de la chose qu'il veut assurer; l'assureur s'engage à payer une somme unique, dans le cas où le sinistre prévu arriverait. La somme que paye l'assuré se nomme prime; la somme que doit l'assureur se nomme indemnité.
Les trois alinéas du présent article sont faciles à justifier.
Il ne prévoit d'ailleurs que l'assurance faite par le nu-propriétaire; c'est l'article suivant qui règle celle faite par l'usufruitier.
La loi distingue ici si l'assurance fait par le propriétaire a précédé ou suivi la constitution de l'usufruit.
Au premier cas, l'usufruitier est obligé de contribuer à l'assurance, comme à une charge annuelle du fonds, en supportant l'intérêt annuel de chaque prime; mais comme compensation éventuelle, il jouira de toute l'indemnité en cas de sinistre. Il ne faut pas s'étonner que son obligation s'augmente ainsi chaque année avec l'accumulation des primes payées: le propriétaire aussi voit chaque année s'accumuler le capital des primes payées par lui.
Au second cas, l'usufruitier ne peut se voir imposer l'assurance dont la charge serait certaine et le profit éventuel. D'un autre côté, le propriétaire, ayant assuré l'usufruit en même temps que la propriété, ne peut jouir de toute l'indemnité, car il a assuré le droit d'autrui avec le sien, comme gérant d'affaires; on ne fera cependant pas une estimation proportionnelle de l'usufruit et de la nue-propriété pour diviser l'indemnité dans la même proportion: les estimations d'usufruit sont toujours difficiles, à cause du caractère viager du droit; la loi adopte un autre règlement: le nu-propriétaire se remboursera d'abord sur l'indemnité de toutes les primes par lui payées et s'il reste un excédant, ce qui est très probable, l'usufruitier en jouira.
Le 3e alinéa assimile avec raison l'assurance des navires et bateaux à celle des bâtiments.
Art. 92. Si le propriétaire n'a pas fait l'assurance, l'usufruitier peut la faire pour la pleine propriété, non seulement en vertu d'un mandat, mais même en qualité de gérant d'affaires; alors, comme l'indique le 1er alinéa, si le sinistre a lieu, il prélèvra sur l'indemnité toutes les primes qu'il a payées; il se trouvera encore en avoir supporté l'intérêt; s'il n'y a pas de sinistre, il n'est pas remboursé, suivant les principes de la gestion d'affaires, car il se trouve, d'après l'événement, que sa gestion n'a pas été utile au propriétaire ou, au moins, ne lui a pas procuré un avantage appréciable en argent.
Le cas prévu par le 2e alinéa sera plus fréquent que celui du 1er: l'usufruitier ne fera guère, sans mandat, une assurance de la valeur de la pleine propriété, il préfèrera n'assurer la chose que pour la valeur de son droit d'usufruit. Il est naturel, dans ce cas, qu'il acquitte la prime en entier et que l'indemnité payée en cas de sinistre lui soit acquise en toute propriété.
Les assurances agricoles, applicables aux récoltes spécialement, contre les accidents météorologiques, s'établiront sans doute au Japon, avec les autres institutions de prévoyance: elles ne profiteront pas plus au propriétaire que celles de l'usufruit seul.
Art. 93. Une succession est une universalité de biens, comme il a été expliqué à l'article 16 des Dispositions générales. Elle est toujours chargée de quelques dettes que le défunt n'avait pas acquittées de son vivant ou qui même n'ont commencé d'exister qu'à sa mort, comme les frais funéraires, les legs ou charges testamentaires.
Ceux qui recueillent la succession en totalité ou pour une quote part sont dits successeurs généraux, représentants du défunt et, en cette qualité, sont tenus de ses dettes.
L'usufruitier est dit universel, quand il a droit à la jouissance de toute la succession; il est dit à titre universel, quand il ne peut jouir que d'une quote part de ladite succession, telle qu'une moitié, un tiers, un quart.
Ce cas particulier d'usufruit entraîne des charges spéciales, indépendamment de celles qui sont énoncées aux articles précédents.
C'est un principe que les biens d'une succession ne consistent que dans ce qui en excède les dettes et charges.
L'usufruitier ne peut donc jouir des biens qu'après le payement des dettes ou à la charge d'y contribuer “en proportion de son émolument,” c'est-à-dire, qu'il les payera en tout ou en partie, suivant que son usufruit portera sur tout ou partie de la succession.
Mais il ne faut pas perdre de vue que l'usufruitier n'a que la jouissance ou les revenus de la succession et qu'à côté de lui, il y a l'héritier qui en recueille le capital en nue propriété. La contribution de l'usufruitier doit donc être analogue à son droit, quant à sa nature et à sa durée: il ne payera que les intérêts annuels des dettes et tant que durera son droit.
Cette décision est conforme au principe, constamment appliqué, que l'usufruitier supporte les charges qui se payent ordinairement avec les revenus. Or, un bon administrateur ne paye pas les intérêts de ses dettes avec ses capitaux, mais avec ses revenus.
On trouvera à l'article 95 les divers modes de payement par lesquels l'usufruitier peut s'acquitter de son obligation.
A l'égard des arrérages des rentes viagères ou pensions dues par la succession, comme ils ont déjà, par eux-mêmes, le caractère d'intérêts, bien qu'ils ne soient pas le produit d'un capital dû, l'usufruitier n'en paye pas seulement les intérêts: il acquitte en tout ou en partie lesdits arrérages, suivant la quotité de son droit. C'est la contre-partie de la disposition de l'article 57 qui lui donne en entier les arrérages des rentes viagères, objet de son usufruit.
Art. 94. L'usufruitier d'un bien particulier ou déterminé, à la différence de l'usufruitier d'une succession, ne représente pas le constituant; il ne peut donc être tenu d'aucune des dettes de celui-ci. Le fait que le bien usufructuaire a été hypothéqué par le constituant produit bien cependant un effet contre l'usufruitier mais ce n'est pas une véritable obligation. Quiconque acquiert un droit réel sur une chose déjà grevée d'un autre droit réel, doit respecter le droit antérieur au sien: ce n'est pas, à proprement parler, une obligation de ne pas faire, c'est un de ces devoirs généraux par lequel nous devons nous abstenir de tout ce qui peut nuire à autrui. Or, celui qui a une hypothèque peut suivre la chose dans toutes les mains où elle passe, pour exiger du détenteur le délaissement de la chose ou le payement de la dette hypothécaire: à défaut de l'une ou de l'autre de ces satisfactions, le créancier fait saisir et vendre la chose, pour être payé sur le prix, par préférence aux autres créanciers.
Si l'on suppose que la chose hypothéquée a été ensuite grevée d'un usufruit, l'usufruitier devra, comme tiers détenteur, payer la dette ou subir l'éviction.
S'il paye la dette, en gardant l'immeuble, il a droit à être remboursé de la somme payée, parce qu'étant successeur particulier du constituant, il ne contribue pas au payement des dettes de celui-ci. Il pourrait même se faire que la dette hypothécaire ne provînt pas du constituant, mais d'un propriétaire antérieur; dans ce cas l'usufruitier pourrait recourir directement contre celui-ci, comme étant le débiteur personnel de la dette, par application des principes de la garantie qui est due à celui qui paye la dette d'autrui; il pourrait même jouir des autres sûretés qu'avait le créancier, en vertu de la subrogation dont il sera parlé plus longuement au sujet du payement des obligations.
Si enfin l'usufruitier a subi l'éviction de la chose, par l'effet de l'hypothèque, il peut aussi se faire indemniser par le constituant de tout le préjudice qui en résulte pour lui. Il a pour cela l'action en garantie d'éviction (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 396 et 56).
Art. 95. Les cas où une charge se divise, comme il est prévu ici, entre le nu-propriétaire et l'usufruitier sont nombreux et suffisamment indiqués aux article 87 et suivants; on en trouvera encore un, à l'article 97.
Les trois moyens de satisfaire à la loi sont faciles à saisir.
Le 1er mène directement au but désiré; on remarquera seulement que si la dette, celle d'une succession, par exemple, n'était pas encore exigible par le créancier, mais qu'elle fût productive d'intérêts, en attendant le terme, c'est à ce créancier que l'usufruitier servirait les intérêts.
Le 2e moyen atteint le but par une autre voie: pendant toute la durée de l'usufruit, l'usufruitier est privé de l'intérêt annuel du capital qu'il a déboursé.
Le 3e moyen, en privant simultanément le nu-propriétaire et l'usufruitier d'une portion de biens égale à la dette, fait évidemment supporter le capital à l'un et les intérêts à l'autre.
Art. 96. L'article 67 reconnaît à l'usufruitier le droit d'exercer contre les tiers les actions réelles qui garantissent son droit contre les usurpations, mais, il pourrait arriver que, par négligence ou complaisance, celui-ci ne réclamât pas, lorsqu'il y aurait lieu. Or, les usurpations des tiers, portant sur la chose même, seraient, le plus souvent, nuisibles et opposables au nu-propriétaire autant qu'à l'usufruitier; il est donc juste que l'usufruitier en soit responsable envers le nu-propriétaire, car il n'aurait pas agi en bon administrateur, en laissant s'établir sur la chose une possession illégitime, lors même qu'elle n'aurait pas encore suffi à fonder la prescription. En effet, on a déjà compris, par ce qui a été dit sous les articles 36 et 67, et on verra plus au long, au Chapitre de la Possession, que celui qui possède une chose depuis un certain temps et dans certaines conditions, a déjà divers avantages, notamment celui d'être présumé titulaire du droit qu'il possède et, comme tel, joue le rôle favorable de défendeur à la revendication.
La loi n'oblige pas l'usufruitier à plaider lui-même contre l'usurpateur, il lui serait difficile de faire valoir des droits qui ne sont pas les siens: ce qu'il doit, c'est dénoncer l'usurpation au nu-propriétaire.
Art. 97. L'usufruitier, ayant un droit réel, un droit sur la chose, ne peut voir ce droit compromis par un procès auquel il n'aurait pas été partie, aussi doit-il être mis en cause dans les procès que soutient le propriétaire, comme demandeur ou défendeur, au sujet de la chose, objet de l'usufruit.
Si le procès concerne la pleine propriété, l'usufruitier y est intéressé pour la jouissance; il est donc naturel que, si le procès est perdu, il en supporte une part correspondante à la nature de son droit; or, on a déjà vu plusieurs fois que la correspondance la plus simple et la plus exacte est qu'il supporte les intérêts annuels des déboursés, tant que dure l'usufruit; il en est de même, si, le procès étant gagné, les avances faites pour les frais n'ont pu être recouvrées contre la partie perdante.
Mais, au cas de perte du procès, il peut arriver que, le procès ayant porté sur toute la chose usufructuaire, l'usufruit se trouve éteint ou même considéré comme n'ayant jamais existé. Dans ce cas, la rigueur des principes conduirait à faire supporter les intérêts à l'usufruitier sa vie durant, et c'est le parti auquel celui-ci pourra toujours se tenir; mais il faudrait aussi l'admettre à faire liquider immédiatement sa part contributoire; pour cela, il faudra faire une estimation de l'usufruit, dans laquelle on appréciera la durée probable de la vie de l'usufruitier.
Les deux autres dispositions du présent article ne présentent pas de difficulté: si le procès ne concerne que la jouissance, l'usufruitier paye naturellement tous les frais; s'il ne concerne que la nue propriété, il n'en supporte aucune portion.
Au surplus, toutes les fois que l'usufruit aura été constitué à titre onéreux et que la garantie d'éviction n'aura pas été formellement exclue, l'usufruitier sera exempt de toute contribution aux frais de procès, par l'effet même de son droit à la garantie. Il en sera de même, si l'usufruit a été constitué à titre gratuit, avec promesse expresse de garantie.
Art. 98. C'est un principe fondamental de droit que les jugements ne peuvent ni nuire ni profiter aux tiers. Si donc le nu-propriétaire a plaidé sur la pleine propriété ou sur l'usufruit, sans appeler en cause l'usufruitier, et a perdu le procès, le droit de l'usufruitier reste entier; réciproquement, si l'usufruitier a plaidé seul sur la pleine ou la nue propriété et a perdu, le nu-propriétaire n'en souffre pas.
Chacun des intéressés peut, d'ailleurs, faute d'être appelé en cause, intervenir spontanément dans le procès, pour la défense de ses droits et intérêts.
Mais, si l'un ou l'autre, ayant plaidé seul, a gagné le procès, le principe fléchit en faveur de celui qui n'a pas été appelé: il profite du jugement, parce que, grâce au lien de droit qui existe entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, la loi permet de voir une gestion d'affaires de l'un dans l'intérêt de l'autre, lorsqu'un seul a entrepris le procès comme demandeur ou défendeur. Or, un des caractères de la gestion d'affaires, celui qui la sépare le plus du mandat, c'est que le gérant d'affaires représente celui dont les affaires sont gérées, seulement pour tout ce qu'il a fait d'utile et de favorable, non pour l'effet contraire.
Un cas assez intéressant pourrait se présenter: l'usufruitier, actionné en revendication pour l'usufruit, a perdu le procès, sans avoir appelé le nu-propriétaire en cause, la perte du procès ne peut atteindre ce dernier et elle doit produire tout son effet contre l'usufruitier. La conséquence est que le gagnant jouira de la chose au lieu et place du perdant et que, tant qu'il ne surviendra pas de cause d'extinction du précédent usufruit, le nu-propriétaire ne pourra pas mettre obstacle à cette jouissance, si d'ailleurs ses intérêts ne se trouvent pas compromis.
§ IV. DE L'EXTINCTION DE L'USUFRUIT.
Art. 99. La loi indique, d'abord comme causes d'extinction de l'usufruit, celles qui mettent fin à la propriété et qui sont énumérées à l'article 42.
Quelques mots suffiront sur chacun de ces cas.
1° L'usufruit est cessible; mais, il est clair que la cession ou aliénation de l'usufruit n'y met fin que pour le titulaire: c'est toujours sa vie ou le terme primitivement fixé qui déterminera la durée de l'usufruit.
2° L'accession, ayant déjà été réservée pour le Livre de l'Acquisition des biens au sujet de la propriété, ne peut nous occuper au sujet de l'usufruit.
3° La confiscation n'éteindra l'usufruit que si l'usufruitier est auteur de l'infraction qui donne lieu à cette peine, ou s'il y a participé comme co-auteur ou complice; autrement, si le propriétaire seul est coupable, la confiscation n'atteindra pas l'usufruitier: dans le premier cas, l'Etat exercerait l'usufruit comme s'il lui était cédé; dans le second cas, l'usufruitier jouirait du bien acquis à l'Etat. Si la confiscation était seulement fondée sur ce que la possession de la chose est défendue, l'usufruit cesserait également.
4° Les trois actions en résolution, en rescision ou en révocation, mettront fin à l'usufruit dans deux cas:
a. Quand ce sera la constitution même du droit qui aura été affectée d'une des trois causes de ces actions; par exemple, l'usufruit a été constitué par vente et l'acheteur n'en paye pas le prix (cas de résolution); ou bien, le constituant était incapable ou son consentement a été vicié par erreur ou violence (cas de rescision); enfin, la constitution a été faite en fraude des créanciers du constituant (cas de révocation);
b. Quand le droit de propriété même du constituant sera sujet à résolution, à rescision ou à révocation; alors, par application du principe général que “personne ne peut transférer ou conférer plus de droit qu'il n'en a lui-même,” le droit d'usufruit tombera avec celui du constituant.
5° L'abandon de l'usufruit devient une cause propre d'extinction de ce droit et se trouve réglé par le n° 3 de notre article; l'abandon que ferait le propriétaire seul ne mettrait pas fin à l'usufruit.
6° La perte de la chose usufructuaire est l'objet des articles 106 à 108, en ce qui concerne l'usufruit; sous ce rapport encore, ce n'est pas l'article 42-6° qu'il faut appliquer.
Quant aux cinq causes d'extinction énumérées au présent article, la loi va les reprendre avec quelques développements.
On remarquera que le Code ne mentionne pas, comme mode d'extinction de l'usufruit, la consolidation, c'està-dire la réunion de la propriété et du droit d'usufruit.
Cette réunion peut s'opérer en la personne du nu-propriétaire, en celle de l'usufruitier ou en celle d'un tiers.
Au premier cas, l'usufruit s'est éteint par l'une des causes déjà citées: ou l'usufruitier a rétrocédé son droit au nu-propriétaire, alors c'est une renonciation; ou bien il y a eu résolution, rescision ou révocation au profit du constituant; il n'y a donc pas ici de cause particulière d'extinction de l'usufruit.
Au deuxième cas, l'usufruitier est devenu nu-propriétaire, par achat, par succession ou autrement: il réunit bien les deux droits sur sa tête; mais est-il vrai qu'il y ait extinction de l'usufruit? Sans doute, désormais, il jouira sans contrôle: ce qu'il ne pourrait faire comme usufruitier, il pourra le faire comme propriétaire; sans doute encore, les cautions sont libérées et les gages ou hypothèques fournis en garantie sont éteints, parce qu'il ne peut être créancier et débiteur de la même dette: il ne peut se devoir à lui-même, se garantir lui-même. Mais supposons qu'il ait cédé, loué ou hypothéqué son droit d'usufruit, personne n'imaginera de dire qu'en acquérant la nue propriété, il a mis fin à l'usufruit et détruit le droit du tiers: l'usufruit subsiste donc en principe, mais il n'y a intérêt à le remarquer que s'il a été l'objet d'une convention en faveur d'un tiers.
Au troisième cas, celui où un tiers a acquis simultanément les deux droits, de propriété et d'usufruit, l'usufruitier est considéré comme renonçant à son droit en faveur de l'acquéreur de la propriété et l'on se retrouve en réalité dans le premier cas.
Art. 100. L'extinction de l'usufruit par la mort de l'usufruitier est le cas le plus fréquent et le plus normal, car l'usufruit est un droit essentiellement viager.
On a vu cependant (art. 48) que l'usufruit peut être constitué sur plusieurs têtes, pourvu que tous les usufruitiers soient déjà nés ou conçus au moment de la constitution du droit.
Le présent article suppose que les divers usufruitiers étaient appelés à jouir de la chose, non pas successivement, mais simultanément et par indivis, c'est-à-dire sans assignation de lots déterminés dans la chose. Il se présentait alors une question que la loi a dû trancher, à savoir: quel sera l'effet des premiers décès parmi les usufruitiers?
La solution la plus naturelle, au premier abord, serait de dire que la part de chaque usufruitier qui décède retourne au nu-propriétaire. Mais on admet généralement, en jurisprudence étrangère, une solution différente, empruntée au droit romain. C'est cette solution que donne le texte ici; elle est conforme à l'intention probable du constituant.
On raisonne ainsi: soit un testateur qui a légué l'usufruit à deux personnes, à deux époux, par exemple, ou à deux frères. Si, du vivant du testateur, l'un des légataires de l'usufruit était décédé, la part du prédécédé, sans aucun doute, dans toutes les opinions et d'après les principes du droit testamentaire, aurait augmenté celle du survivant, par voie d'accroissement. Or, ce résultat qui a dû entrer dans les prévisions du testateur, au moins pour une hypothèse, peut raisonnablement être présumé prévu aussi et accepté par lui pour l'autre hypothèse.
Ce système, outre l'avantage de ne donner qu'une seule solution pour deux cas analogues, a encore celui de ne pas produire une extinction partielle du droit d'usufruit, avec retour au nu-propriétaire du droit fractionné, ce qui ne manquerait guère de produire des contestations et des procès.
Art. 101. On a déjà eu occasion, au sujet des Dispositions générales, d'expliquer ce qu'on entend par personnes morales. Ainsi, une société, un shi, tcho ou son, sont des personnes morales auxquelles un usufruit pourrait valablement être constitué. Or, ces personnes ne cessent d'exister que par des causes exceptionnelles ou qui peuvent, au moins, être très éloignées. Si la loi n'assignait à cet usufruit une durée déterminée, il pourrait durer pendant le temps de plusieurs existences d'homme, au cas de société, et indéfiniment, au cas d'un shi, tcho ou son, ce qui réduirait considérablement ou même supprimerait tout-à-fait la valeur de la nue propriété.
Le délai de 30 ans a paru convenable; il correspond d'ailleurs à la durée moyenne de la vie humaine.
Art. 102. L'article 99-3°, en énonçant la renonciation comme une cause d'extinction de l'usufruit, exige qu'elle soit expresse, c'est-à-dire formelle: la loi ne veut pas qu'il puisse y avoir de doute à cet égard: les tribunaux ne devront pas arriver à reconnaître une renonciation sur des simples présomptions de fait.
Le présent article, dans ses deux dispositions, revient à une seule idée: la renonciation de l'usufruitier ne doit nuire à personne. Elle ne doit pas nuire au propriétaire, en laissant à sa charge l'acquittement d'obligations antérieures à la renonciation: celles-ci correspondent à une jouissance obtenue, elles sont la charge des fruits acquis; elles doivent donc rester au compte de l'usufruitier, même renonçant. La renonciation ne doit pas, non plus, nuire aux tiers qui auraient traité sur la chose avec l'usufruitier et reçu de lui des droits réels, comme un droit de bail ou d'hypothèque.
On pourrait croire qu'il faut ajouter une classe de personnes auxquelles la renonciation ne devrait pas nuire, ce sont les créanciers de l'usufruitier, même non hypothécaires ou chirographaires et qui perdraient par la renonciation la chance d'être payés.
Il y a toutefois une notable différence entre les créanciers simplement chirographaires ou n'ayant qu'un droit personnel et ceux qui ont un droit réel d'hypothèque, c'est que, pour les derniers, la renonciation serait, de plein droit, sans effet, lors même qu'elle serait faite de bonne foi, tandis que, pour les premiers, elle ne serait sujette qu'à révocation et seulement si elle était faite en fraude de leurs droits; le motif de cette différence est que celui qui n'a que des créanciers ordinaires ou chirographaires conserve la libre disposition de son patrimoine: ses créanciers suivent les fluctuations de sa fortune, ils profitent ou souffrent de ses actes, pourvu que ces actes ne soient pas faits avec une fraude intentionnelle à leur égard.
Le texte, en ne réservant que les droits réels acquis avant la renonciation, laisse évidemment les créanciers ordinaires sous l'empire du droit commun.
On trouvera dans la IIe Partie (art. 340 et suiv.) toute la théorie de l'action révocatoire des créanciers fraudés.
Art. 103. Le non-usage est, comme le nom l'indique, l'omission par l'usufruitier d'exercer son droit. Lorsque cette omission a duré 30 ans, la loi déclare l'usufruit éteint, et cette extinction a lieu dans tous les cas, sans qu'il y ait même à distinguer si l'usufruitier a connu ou non le droit qu'il a laissé s'éteindre, ni s'il a été ou non empêché d'user, par des circonstances indépendantes de sa volonté. La loi ne veut pas qu'un droit qui déprécie considérablement la valeur de la propriété subsiste, lorsqu'il est devenu inutile.
Le non-usage a beaucoup d'analogie avec la prescription, surtout avec celle qu'on appelle libératoire: il a la même durée, il n'exige que l'abstention de l'ayant-droit, sans la nécessité de la possession par celui qui en doit profiter (ici le nu-propriétaire); l'extinction par le non-usage n'a pas lieu de plein droit: elle doit être invoquée contre l'usufruitier; enfin, et c'est là l'objet du présent article, il n'est pas opposable à ceux contre lesquels la prescription ne peut être invoquée, c'est-à-dire à ceux en faveur desquels la prescription est suspendue, tels sont les mineurs.
Comme autre conséquence de cette assimilation, on décidera que le non-usage s'interrompt par une demande en justice de l'usufruitier, faite avant l'expiration des trente ans, soit contre le nu-propriétaire, soit contre un tiers qui aurait usurpé la jouissance; enfin, les questions relatives au calcul du temps se résoudront pour le non-usage comme pour la prescription.
Mais il y restera toujours quelques différences entre le non-usage et la prescription libératoire des obligations; ainsi le nu-propriétaire pourrait invoquer avec succès le non-usage contre l'usufruitier, tout en reconnaissant qu'il n'y a eu de la part de celui-ci ni renonciation ni cession de son droit (v. Liv. des Preuves, art. 96).
Art. 104. La révocation de l'usufruit pour abus de jouissance n'est pas aussi particulière à l'usufruit qu'elle paraîtrait l'être, au premier abord: elle n'est que l'application du principe de la résolution des droits pour inobservation des conditions auxquelles ils sont soumis; on en retrouvera l'application dans le louage qui a de l'analogie avec l'usufruit.
La mise en séquestre autorisée dans le même cas est aussi une mesure d'une application assez fréquente; mais, tandis qu'elle ne s'applique, en général, qu'à une chose dont la propriété est en litige, et pour durer seulement autant que le procès, ici le séquestre peut durer jusqu'à la fin de l'usufruit.
Les deux mesures que peut ordonner le tribunal, la mise en séquestre et la révocation du droit d'usufruit, sont subordonnées à la gravité des faits.
La loi indique deux sortes de fautes de l'usufruitier peuvent motiver l'une de ces mesures, et comme il s'agit ici d'une peine civile à prononcer, on doit considérer la loi comme limitative.
Le premier cas consiste dans des dégradations plus ou moins instantanées, mais de nature grave et à peu près irréparables, comme serait le fait d'avoir coupé des arbres de futaie; le second cas suppose une faute continue ou répétée et pouvant amener la perte de la chose, et, dans la détermination de la loi, cette faute peut être de deux sortes: le défaut d'entretien, c'est-à-dire le défaut des réparations qui incombent à l'usufruitier, et l'abus de jouissance, de nature plus variée, comme seraient l'extension exagérée donnée à l'exploitation des mines ou carrières et la reproduction exagérée obtenue des animaux sujets à l'usufruit.
Il ne faudrait pas assimiler à ces cas une culture intensire et exagérée du sol: elle pourrait, il est vrai, l'appauvrir momentanément, mais sans en compromettre la conservation ni la fécondité ultérieure.
Lorsque le tribunal prononce la révocation de l'usufruit, il ne dépouille pas entièrement l'usufruitier: il ne serait pas juste que la mesure dépassât la garantie due au nu-propriétaire et qu'elle devînt pour lui la source d'un gain illégitime.
Le tribunal détermine donc la portion de produits ou revenus annuels qui sera payée par le nu-propriétaire à l'usufruitier.
Bien que l'usufruit soit légalement éteint dans le cas où le tribunal en prononce la révocation, il se trouve plutôt, en réalité, réduit et transformé en cette créance annuelle de fruits ou produits; il faut donc lui assigner la même durée qu'à l'ancien usufruit: ainsi, elle cessera à la mort de l'usufruitier ou à l'accomplissement du terme; elle cessera aussi par la perte de la chose, arrivée dans les mains du propriétaire et sans sa faute; elle cesserait, cela va sans dire, par la renonciation de l'usufruitier; mais il ne pourrait plus être question d'abus de jouissance; quant au non-usage, il se trouverait remplacé par une véritable prescription libératoire, laquelle serait plus courte et seulement de 5 ans, comme pour toutes les créances d'annuités. Mais l'extinction n'aura lieu que pour les annuités échues, non pour les autres.
Les deux derniers alinéas ne demandent chacun qu'une seule observation.
Dans la fixation de la part de fruits et revenus due à l'usufruitier pour l'année courante, le tribunal devra prendre en considération les frais de culture déjà faits par l'usufruitier et les probabilités de la prochaine récolte; tandis que, pour les années ultérieures, on supposera des années moyennes et on tiendra compte de ce que les frais de culture seront faits par le propriétaire.
Remarquons d'abord, sur le 3e alinéa, qu'il faut l'entendre, malgré ses termes, dans le sens du premier alinéa, c'est-à-dire qu'il s'applique aux deux cas prévus pour la fixation de la redevance, laquelle consistera soit en argent, soit en fruits en nature.
Quant au moment où l'usufruitier acquiert cette portion de revenus, la loi y applique la règle des fruits civils: l'acquisition a lieu jour par jour, c'est-à-dire à proportion du temps écoulé, sauf à retarder la délivrance à l'époque de la récolte effective.
On aurait pu maintenir la règle de l'article 52, d'après laquelle les fruits naturels sont acquis à l'usufruitier par leur séparation du sol; mais il a paru bon, puisque la situation de l'usufruitier était changée si profondément, de ne pas lui laisser les risques ni les profits éventuels que produit cette disposition. Au surplus, ce n'est que pour la dernière année, et après la dernière récolte faite, que la part proportionnelle revenant à l'usufruitier ou à son héritier donnera lieu à un calcul, car pour toutes les années entières écoulées pendant l'usufruit, la part a été fixée uniformément par le tribunal.
Un exemple est nécessaire pour bien faire comprendre ce triple droit de l'usufruitier.
Supposons qu'un usufruit a été révoqué pour abus de jouissance au cours d'une année, qu'il a duré ensuite trois années entières et les deux tiers de la dernière année.
L'usufruitier aura: 1° la part de fruits de l'année de la révocation que le tribunal lui aura assignée dans toutes les récoltes de ladite année, en tenant compte des frais déjà faits par l'usufruitier et de l'époque plus ou moins avancée de l'année; 2° trois années entières de la fraction de fruits que le tribunal aura obligé le propriétaire à verser à l'usufruitier après chaque récolte; 3° deux tiers de cette même fraction pour l'année où finit l'usufruit.
Art. 105. La révocation de l'usufruit est surtout une garantie pour l'avenir en faveur du nu-propriétaire; mais elle ne saurait tenir lieu de l'indemnité qui lui est due pour les dommages causés. Ainsi, s'il y a eu des arbres de futaies abattus, le retour du sol, dépouillé de sa valeur principale, ne l'indemnise pas; il en est de même, s'il y a révocation d'un usufruit portant sur des animaux reproducteurs épuisés ou sur des bêtes de somme ou de trait mises hors de service. Il y aura donc lieu pour le tribunal, sur les justifications qui lui seront fournies, de fixer l'indemnité due, de ce chef, au nu-propriétaire.
Art. 106. La loi fait ici l'application de la distinction des choses en principales et accessoires présentée par l'article 15. Quand l'édifice est la chose principale, sa destruction met fin à tout l'usufruit; si, au contraire, l'édifice est l'accessoire, l'usufruit subsiste, non-seulement sur les autres parties du domaine, mais encore sur le sol que couvrait l'édifice, et même sur les matériaux qui le composaient.
Art. 107. Au cas d'expropriation, l'indemnité représente la chose expropriée; il est donc naturel que l'usufruitier n'ait ni plus ni moins que la jouissance de l'indemnité pendant sa vie.
Observons que la perte de la chose autrefois soumise à l'usufruit, survenue après l'expropriation, ne mettrait plus fin à l'usufruit, car cette chose n'y est plus soumise: l'usufruit ne pourrait s'éteindre que par l'expiration du terme, la renonciation de l'usufruitier ou sa mort
Lors même que l'usufruitier aurait été dispensé de donner caution pour la jouissance d'un immeuble, ce ne serait pas une raison pour qu'il en fût dispensé, dès que sa jouissance porte sur une somme d'argent, toujours facile à dissiper ou exposé à être perdue par des placements imprudents.
Par le même motif, si le cautionnement avait été fourni pour la jouissance de l'immeuble, il y aurait lieu de le fixer, à nouveau, pour le montant de l'indemnité.
La loi nous dit, à cette occasion, que dans les deux cas déjà rencontrés aux articles 90 et 91, celui de vente du fonds usufructuaire pour le payement des impôts et celui d'incendie de bâtiments assurés, l'usufruitier, jouissant désormais d'une indemnité, donne caution pour les sommes qu'il doit un jour restituer.
Art. 108. La loi assimile à la perte de la chose son changement de nature, lorsqu'il n'est pas passager, mais définitif.
C'est une conséquence du principe que l'usufruitier doit jouir de la chose “suivant sa destination.”
Les exemples de changements que donne la loi ne doivent pas être considérés comme limitatifs; ainsi, on devrait décider que l'usufruit d'une forêt ou d'un bois est éteint, si le bois a été brûlé entièrement. Et on devrait considérer comme brûlé entièrement un bois dont il ne resterait que quelques arbres échappés au feu, sur les limites.
Mais si un sol arable n'avait été envahi que par une eau peu profonde qui permît de le cultiver en rizière, les tribunaux pourraient décider que l'usufruit n'est pas éteint, car la culture du riz peut facilement succéder à celle des autres céréales.
Art. 109. Cet article est la contre-partie de l'article 50 du même Chapitre, lequel donne à l'usufruitier les fruits attachés au sol au moment où l'usufruit commence, sans indemnité pour le nu-propriétaire, à raison de ses frais de culture.
Déjà, sous l'article 69, on a été amené à parler des fruits pendants ou attachés au sol au moment où finit l'usufruit, soit que la maturité n'en fût pas encore complète, soit que l'usufruitier fût en retard de les percevoir, et l'on a eu ainsi l'occasion de donner le motif de cette double solution qui n'est pas conforme à la justice absolue: la loi veut éviter des comptes difficiles qui se reproduiraient deux fois et seraient une source de procès: il y aura quelque chose d'aléatoire dans le gain et dans la perte, pour chaque partie; mais, outre que les chances se trouvent égales pour les deux parties, il n'y a là qu'une suite du caractère aléatoire de l'usufruit lui-même qui dépend de la vie de l'homme.
La loi fait une réserve pour “les droits qui pourraient être acquis à un fermier.”
Quelques observations sont ici nécessaires. Le louage, a un caractère “d'administration,” quand la durée du droit ne doit pas être trop longue (voy. art. 119 et s.); les droits de bail consentis par l'usufruitier dans les limites légales doivent donc subsister jusqu'à leur expiration, nonobstant la fin de l'usufruit.
Le présent article n'a pas pour objet d'appliquer ce principe qui sera posé d'un manière générale au Chapitre suivant; mais il règle une question de fruits qui aurait pu faire quelque doute.
Le bail des immeubles peut, en effet, avoir lieu sous deux conditions différentes pour le preneur: ou bien celui-ci paye une somme d'argent par année, ou bien il donne au propriétaire une part des fruits du fonds.
Quand le prix de bail se paye en argent, l'usufruitier l'acquiert jour par jour (art. 54) et à la fin de l'usufruit tout ce qui reste à échoir est acquis au propriétaire.
On aurait pu croire que quand le bail serait à part de fruits, l'usufruitier, ayant une sorte d'association avec le colon partiaire, obtiendrait sa part de fruits, même après la fin de l'usufruit; mais la loi ne l'admet pas: c'est avec le nu-propriétaire seul que le colon fera le partage des fruits.
SECTION II.
DE L'USAGE ET DE L'HABITATION.
Art. 110. Il y a tant d'analogie entre l'Usage et l'Usufruit qu'on peut l'appeler “un usufruit restreint,”
Le Code consacre cette idée, et même l'expression, en indiquant quelle est la mesure de cette restriction.
L'usufruitier a l'usage et la jouissance, et ces deux droits n'ont pour lui d'autres limites que la nature de la chose et sa destination.
Pour l'usager, la limite est celle de ses besoins et de ceux de sa famille.
Les articles suivants déduiront quelques conséquences de cette limite.
Le droit d'habitation s'applique naturellement à des bâtiments; c'est l'usage des bâtiments; par conséquent, il est limité également aux besoins de l'habitant et de sa famille.
Au surplus, il ne faudrait pas induire de cette mesure des besoins de l'usager que le droit d'usage ne puisse appartenir qu'à des personnes se trouvant dans la gêne et que, s'il avait été donné ou légué à un parent ou à un ami se trouvant alors dans le besoin, il s'éteindrait par la circonstance que cette personne serait arrivée à meilleure fortune. Au contraire, on pourrait presque dire que, plus serait riche la personne à laquelle serait donné ou légué un droit d'usage ou d'habitation, plus grande serait la portion de fruits ou de bâtiments qui devrait lui être assignée, par application des principes de ce droit et d'après l'intention probable du constituant. Les droits d'usage et d'habitation peuvent quelquefois tenir lieu de pension alimentaire; mais ce n'est pas là leur caractère propre ni leur but essentiel.
On devrait même admettre qu'une personne ayant déjà un droit d'usage suffisant à ses besoins pût en obtenir un autre semblable sur un autre bien. Dans ce cas, c'est sur chaque bien que le droit s'exercerait dans la mesure des besoins, comme si ce bien était le seul de l'usager.
Art. 111. Le nom de famille étant susceptible d'une grande extension, la loi a dû en poser ici les limites, afin de ne pas laisser prendre au droit d'usage une extension qui aurait pu facilement devenir abusive, comme contraire aux prévisions du constituant.
Il va sans dire que si l'usager se mariait ou avait des enfants après la constitution de son droit, son nouveau conjoint et ses enfants bénéficieraient de l'usage.
La loi exige que les personnes dont il s'agit habitent avec l'usager; cette condition se justifie par la considération que si elles habitaient ailleurs, il pourrait être difficile de constater leur existence et surtout la mesure de leurs besoins.
Pour les serviteurs, la condition d'être attachés à la personne exclut naturellement les commis des marchands, les garçons d'écurie ou de ferme. Du reste, les tribunaux devront tenir compte, même pour ces personnes, du circonstances du fait.
Art. 112. Il serait nuisible au nu-propriétaire et souvent à l'intérêt général que l'usager qui, peut-être, n'a droit qu'à une partie des fruits d'un fonds, en fût seul possesseur et le cultivât en entier à son gré: il serait à craindre qu'il ne s'occupât que de lui faire produire ce dont il a besoin et qu'il le laissât improductif pour le reste; de même, pour une maison d'habitation, il n'en occuperait que des parties détachées, laissant le reste sans utilité et sans soins.
Quand le titre constitutif aura négligé de déterminer la portion de bâtiments affectée à l'usager et le mode d'exploitation des fonds de terre pour satisfaire à son droit, les parties pourront y pourvoir par convention.
Si elles ne se mettent pas d'accord, le tribunal y pourvoira, d'après la nature des biens soumis à l'usage et en tenant compte de l'intention probable du constituant.
Lorsqu'il s'agira de terres, le tribunal en assignera à l'usager un lot qu'il cultivera à son gré.
Il ne serait pas d'ailleurs admissible que l'usager prétendît mettre toutes les terres en culture à son profit, pour leur faire produire toutes sortes de choses qui pourraient lui être utiles, alors que les terres n'y étaient pas antérieurement consacrées; par exemple, planter des cotons pour se faire des vêtements, des bois pour avoir du charbon et le chauffage: de pareilles prétentions seraient contraires à l'intention probable du constituant.
Art. 113. La prohibition de céder et louer est une des conséquences annoncées des limites du droit d'usage.
Si le droit d'usage pouvait être cédé ou loué, les besoins du cessionnaire ou du locataire seraient vraisemblablement différents et seraient souvent plus considérables que ceux du titulaire. Si même, on admettait que le cessionnaire ou locataire exerçât le droit dans la mesure des besoins du titulaire, le contrôle serait une source de contestations journalières et inextricables.
Art. 114. Cet article confirme le caractère d'usufruit restreint, reconnu à l'usage et à l'habitation.
L'usager et l'habitant ayant la possession effective de tout ou partie de la chose soumise à leur droit, pourraient perdre ou détourner les meubles et dégrader les immeubles; de là, la nécessité de l'inventaire, de l'état des lieux et de la garantie.
Au surplus, on ne devrait pas admettre que le droit d'usage portât sur des denrées ou sur des sommes d'argent, s'il n'y en avait une disposition formelle dans l'acte de constitution; les règles sur l'estimation valant vente ne s'appliqueront donc guère à l'usager.
La loi n'a pas ici de disposition relative à l'expropriation: si elle avait lieu, il ne serait pas possible de donner à l'usager la jouissance de toute l'indemnité: il y aura donc lieu de fixer entre lui et le propriétaire la fixation de l'indemnité dont l'usage jouira au lieu et place de l'usage direct qui lui est enlevé.
CHAPITRE III.
DU BAIL, DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
SECTION PREMIÈRE.
DU BAIL.
Art. 115. La loi commence ce Chapitre comme les précédents, par une définition du Droit dont il va être traité.
Le fait seul, par le Code japonais, d'avoir placé le droit résultant du bail dans cette 1re Partie du présent Livre, prouve qu'il le classe parmi les droits réels; mais l'article 2 l'a déjà annoncé comme tel.
Le preneur a un droit très-voisin du droit d'usufruit: il peut, de même que l'usufruitier, user et jouir de la chose d'autrui, et son droit a, sauf quelques particularités, la même étendue et les mêmes limites que l'usufruit; aussi, doit-on compléter les dispositions du présent Chapitre par celles du précédent. La loi, elle-même, s'y réfère plus d'une fois (v. art. 126, 142 et 144) sans être en ce la limitative.
Plusieurs différences cependant séparent le droit du preneur de celui de l'usufruitier. D'abord, quant à la durée: le droit de l'usufruitier a, en général, pour durée, la vie de l'usufruitier; le droit du preneur n'a pas ce caractère aléatoire: il est ordinairement établi pour une durée fixée.
Le droit de l'usufruitier est généralement établi à titre gratuit (par donation ou par testament); le droit du preneur est toujours établi à titre onéreux, c'est-à-dire moyennant un sacrifice de sa part.
Lors même que l'usufruit est établi à titre onéreux, il y a encore une différence: l'usufruit établi à titre onéreux, le sera moyennant un prix de vente une fois payé, ou moyennant une chose fournie en échange; le droit du preneur sera acquis et conservé moyennant une prestation périodique, en argent ou en produits.
Il y a une autre différence entre les deux droits, quant à la manière même dont ils s'établissent. L'usufruit est quelquefois établi par la loi; le droit de louage ne l'est jamais que par contrat.
Enfin la prescription peut être invoquée comme présomption d'acquisition légitime d'un usufruit; elle ne recevra pas cette application en matière de bail.
Voici enfin la différence la plus considérable entre les deux droits: le constituant d'un usufruit n'est, en général, tenu d'aucune obligation personnelle envers l'usufruitier; ce n'est guère qu'au cas, assez rare, de vente de l'usufruit, qu'il aurait l'obligation de tout vendeur, de garantir l'acheteur contre l'éviction. Au contraire, le bailleur est toujours obligé envers le preneur, à le garantir, non seulement de l'éviction, mais encore de tout autre trouble, provenant même d'un cas fortuit ou d'une force majeure. En d'autres termes, il doit lui garantir une jouissance continue, laquelle est considéréé comme la cause de l'obligation du preneur de payer une redevance périodique.
Sans doute, les parties peuvent, par la convention, restreindre ou supprimer cette garantie; mais, à défaut de convention, elle est due au preneur; c'est pourquoi on dit qu'elle n'est pas essentielle, mais naturelle au contrat.
Dans la constitution d'usufruit à titre gratuit, la garantie de la jouissance contre les cas fortuits ou la force majeure n'aurait lieu que si elle avait été stipulée: on dirait alors qu'elle est accidentelle à l'usufruit.
Nous signalerons encore quelques différences: ce qui a été dit de la jouissance de l'usufruitier à l'égard de l'indemnité d'expropriation ou d'incendie, ne s'appliquerait pas au preneur; au cas d'expropriation, le preneur recevra une indemnité spéciale; l'assurance ne profitera au preneur que s'il a lui-même assuré son droit de bail; il en est de même des obligations de l'usufruitier relatives aux réparations d'entretien, aux impôts, aux procès: elles n'incombent pas au preneur.
Art. 116. Dans tous les pays, il y a des règles particulières pour la location et la vente des biens de l'Etat et des administrations publiques; sans parler des biens dits du domaine public, qui, en principe, ne peuvent être vendus ni loués.
Ce sont les lois administratives qui posent les règles dont parle cet article.
Ce n'est pas à dire que le présent Code n'y sera d'aucune application; au contraire, il sera toujours la loi fondamentale des ventes et des baux.
La similitude des droits de bail et d'usufruit fait adopter ici la même division du Bail en quatre §: 1° Etablissement du bail; 2° Droits du preneur; 3° Obligations du preneur; 4° cessation du bail.
§ 1er. DE L'ÉTABLISSEMENT DU BAIL.
Art. 117. Cette disposition de la loi, n'indique qu'un mode de constitution ou d'établissement du droit de bail: d'ailleurs c'est le seul mode raisonnable d'établir ce droit. En fait, on n'en comprendrait guère d'autre que le contrat auquel le droit donne son nom: le contrat de bail ou de louage.
C'est une des différences signalées plus haut entre le droit de bail et le droit d'usufruit, lequel peut s'établir par les mêmes modes que ceux qui transfèrent la propriété, à l'exception de l'hérédité.
Il ne faudrait pas croire, en effet, que, parce que le droit de bail est réel et peut être considéré comme un démembrement de la propriété, il s'établisse nécessairement comme celle-ci.
Un droit de bail pourrait à la rigueur, être constitué directement par testament. Mais le Code a cru devoir indiquer un autre procédé, si quelqu'un, en mourant, avait légué un droit de bail à un parent ou à un ami. Dans ce cas, l'héritier sera obligé par le testament à “passer un contrat de louage.” Jusque là, il n'est pas encore bailleur, et il n'a aucun des droits du bailleur; quand il aura passé le contrat, “aux clauses et conditions portées au testament,” il aura les obligations assez étendues qu'on verra au § suivant; il aura aussi les droits déterminés au § IIIe.
Si le testament ne portait pas les conditions du bail, notamment le prix à payer périodiquement par le preneur, il serait impossible de donner effet au testament, car l'héritier pourrait toujours exiger et le preneur offrir un prix auquel l'autre partie ne pourrait consentir et la loi ne permet pas de le faire fixer par experts: ce serait leur donner le pouvoir de faire le contrat lui-même en en fixant l'un des éléments essentiels.
La loi généralise ensuite cette disposition, en l'appliquant à toute promesse de bail. Cette promesse serait obligatoire, si elle contenait, en même temps, l'indication du prix de bail. Une fois que le stipulant aurait déclaré l'accepter, il aurait le droit d'exiger un contrat de louage en bonne forme.
On pourrait se demander, enfin, si le droit de bail peut s'acquérir par prescription, comme le droit de propriété et le droit d'usufruit.
Il ne faut pas hésiter à répondre négativement. Il n'est pas dans la nature de la prescription de faire naître les obligations respectives du bailleur et du preneur.
Mais la prescription, qui serait impuissante à créer un droit de bail, pourrait faire acquérir à une personne un bail déjà créé pour une autre.
Supposons, par exemple, que le propriétaire ayant loué sa chose, un tiers achète ce droit de bail d'un autre que du véritable preneur; alors il y aura acquisition du droit de bail, comme droit réel, par la prescription ordinaire des droits réels immobiliers, et celui qui aura ainsi prescrit, en même temps qu'il aura le droit de jouir de la chose louée, aura les obligations du preneur vis-à-vis du propriétaire.
Art. 118. La loi rencontre ici, pour la première fois, un contrat dont le double caractère onéreux et synallagmatique a une grande importance juridique.
Elle n'a pas à en présenter ici les effets généraux: ils seront exposés au commencement de la IIe Partie de ce Livre. Ce que la loi doit faire ici, c'est présenter les règles particulières au contrat de bail; en cela même, elle dépasse déjà les limites du sujet; car elle ne se borne pas à exposer les particularités du droit réel de bail, elle présente aussi et doit présenter les droits personnels qui l'accompagnent et l'étendent.
Les lois sont souvent obligées de s'écarter ainsi d'une méthode rigoureuse, pour éviter de morceller, de diviser des théories qui se trouvent plus claires quand elles sont présentées dans leur ensemble: autrement, il faudrait renvoyer à la IIe Partie ce qui concerne le droit personnel du bailleur, ce que personne ne proposerait.
On expliquera seulement ici le sens des deux expressions à titre onéreux et synallagmatique
Un contrat est à titre onéreux, lorsque chaque partie y fait un sacrifice en faveur de l'autre: c'est l'opposé d'un contrat à titre gratuit ou à titre lucratif, où l'une des parties reçoit un avantage, sans fournir aucun équivalent.
Le contrat est synallagmatique ou bilatéral, lorsque les deux parties s'engagent, l'une envers l'autre, à donner ou à faire quelque chose. Il en résulte que le contrat synallagmatique est en même temps onéreux; mais, comme un contrat à titre onéreux n'est pas toujours synallagmatique et peut être unilatéral, ainsi qu'on le verra en son lieu, l'usage a consacré les deux mots et leur emploi tantôt réuni, tantôt séparé, pourvu qu'on ait soin d'employer d'abord le mot le plus large (à titre onéreux) et le mot synallagmatique en dernier lieu.
Le contrat de louage est donc à titre onéreux puisque chaque partie y fait un sacrifice: le bailleur en se privant de la jouissance de sa chose, le preneur en payant des sommes périodiques; il est synallagmatique, car les deux parties contractent des obligations: le bailleur celle de garantir une jouissance continue, le preneur celle de payer les loyers ou fermages périodiques.
Art. 119. On doit poser en règle que le propriétaire seul peut grever sa chose d'un droit réel au profit d'autrui. Mais, ceux qui ont reçu de la loi ou de la justice le pouvoir d'administrer des biens qui ne leur appartiennent pas, peuvent consentir des baux sur ces biens.
Ce n'est pas, à proprement parler, une exception; car les administrateurs sont assimilés à des mandataires conventionnels et ils sont présumés agir selon l'intention du propriétaire, au nom duquel, d'ailleurs, ils font le contrat. En outre, le contrat de louage est justement considéré comme étant de sa nature un acte d'administration, c'est-à-dire un acte qui améliore la fortune du propriétaire sans l'exposer à des risques.
Comme exemples d'administrateurs légaux, on peut citer le père ou le tuteur d'un mineur, le tuteur ou le curateur d'un interdit, et le mari, à l'égard des biens de sa femme; il faut y ajouter les fonctionnaires publics, administrateurs des biens de l'Etat, des fou, ken, des shi, tcho ou son et des établissements publics; sauf à n'appliquer à ceux-ci les présentes règles que si les lois administratives ne statuent pas autrement.
Comme exemples d'administrateurs judiciaires, on aura les curateurs aux successions vacantes, les syndics de faillite, les séquestres de biens litigieux.
Pour que ces personnes puissent être considérées comme agissant selon l'intention présumée du propriétaire, il est naturel qu'elles n'engagent pas trop l'avenir. De là, les limites apportées par la loi à la durée des baux par elles consentis.
Il était naturel aussi que le temps fût plus court pour les meubles que pour les immeubles et que, parmi ces derniers, il fût plus court pour les bâtiments que pour le sol, lequel demande toujours de plus longs et de plus coûteux travaux préparatoires pour donner des revenus sérieux et durables.
Art. 120. Sans les précautions de la loi, il serait facile d'éluder l'article précédent. L'administrateur, après avoir passé un bail de 5 ans, par exemple, le renouvellerait au bout d'un an, pour 5 autres années, ce qui serait abusif à l'excès.
Si, au contraire, le renouvellement se fait quelque temps avant l'expiration du bail, il y a, pour les deux parties, un avantage véritable; il y a une sécurité contre le risque, pour le propriétaire, que le bien soit quelque temps sans preneur et, pour le preneur, que ses bras ou ses capitaux soient pendant un certain temps inoccupés.
Quand la relocation est régulière, le temps du nouveau bail s'ajoute à ce qui restait à courir du temps antérieur.
Une question pouvait se présenter et cet article la tranche. Si l'administrateur avait renouvelé le bail avant le temps permis, n'aurait-on pas pu soutenir que le renouvellement serait valable dans la mesure du temps où le bail primitif avait pu être fait, c'est-à-dire, en ne comptant le renouvellement que pour le temps qui, joint à ce qui restait à courir du premier bail, donnerait 1, 3, 5 ou 10 ans? Par exemple le bail aurait été fait d'abord pour 5 ans; l'administrateur l'aurait renouvelé après 2 ans, il resterait encore 3 ans, à courir; aurait-on pu dire que le reste de l'ancien bail se confondrait avec le nouveau et qu'il y aurait encore 5 ans de bail?
Il fallait répondre négativement, car l'administrateur pourrait ainsi, par complaisance pour le preneur, immobiliser le bail, le soustraire à l'effet du temps qui doit l'abréger chaque jour et préparer pour un avenir plus ou moins rapproché la liberté du fonds; lors qu'au contraire le bail approche de sa fin, il est utile d'en assurer la continuation, dans l'intérêt du propriétaire.
La loi admit que si le bail a été renouvelé prématurément, mais que la nouvelle période fût commencée quand finirait le pouvoir de l'administrateur, cette période pourra être achevée.
Art. 121. Lorsque le propriétaire fait lui-même la location, il peut, bien entendu, consentir à recevoir toute autre prestation annuelle que de l'argent; mais un administrateur ne peut raisonnablement admettre des prestations en produits d'une nature et d'une provenance quelconques dont la vente et même la conservation pourraient être souvent difficiles.
La loi lui permet seulement de faire un bail à part de fruits ou de stipuler une quantité déterminée et invariable de fruits, mais toujours sous la condition qu'ils proviennent du fonds loué. De cette dernière façon, le contrat sera moins aléatoire que si la prestation de fruits variait avec la récolte et il ne sera pas nécessaire à l'administrateur de surveiller la culture et d'en contrôler les produits.
Art. 122. La loi aurait pu, sans doute, réunir tous les mandataires dans une même disposition, en ajoutant, dans l'article 119, les mandataires conventionnels; mais c'eût été en compliquer la rédaction. D'ailleurs, l'extension ou la restriction des pouvoirs, que la loi suppose ici, ne se pratiquera guère dans le cas de mandat légal ou judiciaire.
Art. 123. D'après le Livre des Personnes, les personnes dont il s'agit ici n'ont qu'une capacité limitée: elles ont l'administration de leurs biens; mais elles n'en ont pas la disposition.
S'il leur était permis de faire des baux à long terme, elles pourraient, contre le but de la loi, engager l'avenir pour un temps trop long et à des conditions peu avantageuses.
Art. 124. C'est un principe qui sera posé à l'occasion des incapacités, en général, et dont la loi fait ici l'application anticipée, que ceux qui ont traité avec les incapables ne peuvent se prévaloir d'une nullité qui n'est pas établie en leur faveur, mais contre eux.
Or, lorsqu'un administrateur a excédé ses pouvoirs, quant à la durée du bail, il ressemble à celui qui, dans l'administration de sa propre chose, a excédé les bornes de sa capacité, et le propriétaire en faveur duquel les pouvoirs de l'administrateur sont limités n'est pas tenu par les actes illégaux; mais, celui qui a traité avec l'administrateur, il ne peut se soustraire à son propre engagement, si d'ailleurs le propriétaire, ayant repris l'administration de ses droits, veut le ratifier ou l'approuver.
Quant à l'administrateur, il ne pourrait pas demander la nullité du bail qu'il a fait indûment, parce que ce bail peut devenir valable par la prolongation des pouvoirs de l'administrateur jusqu'au temps qu'il a eu le tort de dépasser.
D'un autre côté, il ne serait pas juste que le propriétaire pût laisser l'autre partie dans une incertitude indéfinie: celle-ci peut donc le sommer d'avoir à se prononcer dans un délai déterminé, faute de quoi, elle pourra considérer le contrat comme maintenu. Elle ne pourrait, bien entendu, le considérer comme non avenu.
Pour que le preneur ne puisse fixer au propriétaire un délai d'une brièveté dérisoire qui obligerait, plus tard, à renouveler la sommation, avec un délai fixé par le tribunal, la loi fixe elle-même le délai; ce délai serait augmenté du délai des distances entre les domiciles respectifs des parties, d'après les règles générales relatives à ces sortes d'actes.
Tout ce qu'on vient de dire d'un propriétaire dont l'administrateur ou le mandataire aurait excédé ses pouvoirs s'applique à un incapable ou à une personne d'une capacité limitée qui aurait excédé les bornes de sa capacité. Mais, bien entendu, il faut supposer qu'au moment où cette personne est sommée d'avoir à se prononcer sur le bail, elle est devenue pleinement capable, de même qu'on doit supposer et que le propriétaire a recouvré l'administration de ses biens.
Si les pouvoirs de l'administrateur, légal, judiciaire ou conventionnel, n'avaient pas cessé, le preneur, en cas de bail d'une durée illégale, pourrait faire pareille sommation audit administrateur, lorsque l'on serait arrivé à l'époque où le bail pourrait être valablement renouvelé.
Art. 125. La loi ne peut guère limiter les droits d'un propriétaire capable, quant à la durée et aux conditions des baux qu'il consent lui-même.
Toutefois, elle peut toujours assigner à ces baux un caractère et des effets particuliers, lorsqu'ils ont une durée considérable.
On verra à la Section II, les règles particulières aux baux emphytéotiques: on y verra aussi que l'Emphytéose elle-même a des limites dans sa durée, pour ne pas se confondre avec le droit de propriété.
§ II. DES DROITS DU PRENEUR.
Art. 126. La définition de droit de bail donnée par l'article 115 disait déjà que le preneur a le droit d'user et de jouir de la chose d'autrui; mais l'usage et la jouissance peuvent être exercés avec plus ou moins d'étendue.
La loi a évité des redites, en posant en principe que les droits du preneur sont semblables à ceux d'un usufruitier. C'est ainsi qu'il n'est pas nécessaire de dire au texte que le preneur a sur les animaux compris dans le louage d'un fonds rural les droits accordés à l'usufruitier, qu'il jouit des bois loués, des carrières, marnières et tourbières, qu'il a le droit de chasse et de pêche.
Ce n'est pas à dire pourtant que tous les droits d'un usufruitier qui ne sont pas refusés au preneur lui appartiennent par cela seul: il est des choses qui, par leur nature, ne peuvent être prétendues par le preneur, parce qu'elles ne peuvent être raisonnablement l'objet d'un louage; telles sont: les choses fongibles ou de quantité, un rente viagère.
Ces deux droits, d'usufruit et de bail, pour être analogues, ne sont donc pas identiques: celui du preneur est même quelquefois plus étendu, car le preneur peut exiger que le bailleur lui procure la jouissance par tous les moyens qui sont en son pouvoir, tandis que le nu propriétaire n'a aucune semblable obligation envers l'usufruitier.
Le contrat contiendra souvent des clauses particulières qui étendront ou restreindront les effets légaux du bail.
Il n'est évidemment question ici que de ces effets légaux. A l'égard des effets conventionnels, ils seront observés suivant la teneur du contrat, lequel, lorsqu'il est valablement formé, tient lieu de loi entre les parties.
Art. 127. La dispense d'inventaire des meubles et d'état des immeubles est une différence favorable au preneur comparé à l'usufruitier: elle est fondée sur ce que, le droit du preneur étant acquis à titre onéreux, il n'est pas juste de lui imposer exclusivement la charge d'une série de mesures qui profiteraient surtout au bailleur.
Mais, si le contrat avait imposé ces obligations au preneur, elles seraient naturellement exigibles.
Dans tous les cas, chacune des parties pourra toujours faire procéder à l'inventaire ou à l'état des biens, à ses frais, en appelant l'autre partie à y être présente (voy. art. 137).
Le plus souvent, les parties conviendront de faire, à frais communs, un état des lieux, pour se mettre à l'abri de contestations ultérieures, et elle n'y manqueront certainement pas, s'il s'agit d'une maison meublée en tout ou en partie.
Quant au cautionnement, la dispense est moins importante, car il est remplacé par un privilége légal du bailleur d'immeubles sur les objets mobiliers appartenant au preneur et garnissant les lieux loués (voy. Liv. des Garant. art. 147 et s.); c'est seulement pour les locations de meubles ou de locaux meublés que la loi ne donne au bailleur aucune sûreté à fournir, ni personnelle, ni réelle: c'est à lui à en exiger ou à se faire payer en avance.
Art. 128. Ce §, par cela même qu'il est consacré aux droits du preneur, correspond aux obligations du bailleur, comme le § suivant, consacré aux obligations du preneur, correspond aux droits du bailleur; ce double objet de chaque § est la conséquence de ce que le contrat de louage est synallagmatique.
On a vu que l'usufruitier, au moment de son entrée en jouissance, prend les choses dans l'état où elles sont, sans pouvoir exiger aucune réparation.
Il en est autrement du preneur qui peut exiger, au début, que la chose soit mise “en bon état de réparations,” même de celles qu'il aura à supporter, lorsqu'elles deviendront nécessaires pendant sa jouissance.
C'est une conséquence de l'obligation du bailleur de procurer et garantir au preneur la jouissance de la chose louée.
Par application du même principe, le bailleur doit évidemment faire toutes les réparations, grosses et d'entretien, mais les réparations rendues nécessaires par la faute ou négligence du preneur ou de ses serviteurs sont évidemment à sa charge.
Si, au moment où finit le bail, les objets dont parle le 3e alinéa sont usés, salis ou gâtés, le bailleur ne pourra pas en demander au preneur la réparation lorsque l'altération ou la dégradation provient du seul fait de leur service, eu égard à sa durée.
A l'égard de l'entretien des objets mentionnés aux 3e et 4e alinéas de l'article, il ne faut pas conclure de ce que le bailleur en est dispensé que le preneur en soit tenu: c'est pour lui une dépense facultative.
La loi se réfère d'ailleurs a la coutume locale: elle devrait être observée, au cas où elle serait contraire.
Art. 129. D'après l'article précédent, le preneur a le droit d'exiger les réparations nécessaires à sa jouissance; mais il pourrait se rencontrer des cas où le preneur, approchant de la fin de son bail, voudrait s'épargner les embarras d'un travail souvent long et incommode.
D'un autre côté, si certaines réparations ne sont pas faites, les bâtiments, murs, digues, peuvent se dégrader gravement ou même se détruire. La loi impose donc au preneur l'obligation de subir les réparations devenues nécessaires.
Mais il ne fallait pas complétement abandonner le principe qu'il a droit à la garantie de sa jouissance; la loi veut donc:
1° Qu'il soit indemnisé, par réduction du prix du bail, si les travaux ont duré plus d'un mois et lui ont causé un dommage appréciable;
2° Qu'il puisse faire résoudre ou résilier le bail, s'il doit être privé par les travaux, même pendant un jour, de toute la partie habitable de la maison, ce qui l'obligerait à aller habiter au dehors, ou de la partie des bâtiments qui lui est nécessaire pour sa profession commerciale ou industrielle, ce qui pourrait lui causer des pertes sérieuses.
On n'a pas à craindre que le preneur abuse de ce droit de résiliation, quand la privation des bâtiments nécessaires devra être très courte, car la résiliation elle-même lui causerait les embarras d'un déplacement; en outre, le bailleur, s'il craint la résiliation, pourra, ou demander au preneur un plein consentement aux travaux, ou les ajourner à la fin du bail, si le danger n'est pas imminent.
Cet article pourrait sembler appartenir au § suivant, aux obligations du preneur, mais outre qu'on y trouve aussi, pour lui, un double droit, il a paru convenable de ne pas diviser ce qui concerne les réparations de la chose louée.
Art. 130. Le preneur, ayant un droit réel, pourra défendre lui-même son droit en justice.
Mais il fera sagement de ne pas prendre sur lui la responsabilité du procès: il pourrait s'imputer de l'avoir perdu, faute des preuves que le bailleur, au contraire, aurait pu fournir contre le tiers. Il rentre d'ailleurs dans l'obligation générale de garantie du bailleur de défendre le preneur contre les troubles de droit.
La loi exige que le trouble apporté par un tiers ait une cause de droit, une cause prétendue légitime, comme serait un droit de propriété, d'usufruit ou de bail; mais, si le tiers commettait des dégradations ou des prises de fruits, sans alléguer un droit sur la chose, le preneur ne pourrait pas appeler le bailleur en garantie: il devrait se défendre lui-même contre ces troubles de fait.
Il ne pourrait non plus se faire indemniser du trouble, s'il provenait d'une cause à lui imputable, comme d'une cession ou sous-location qu'un tiers prétendrait lui avoir été faite par le preneur.
Art. 131. Bien que le bailleur soit garant, d'une manière générale, de la jouissance du preneur, la loi a dû apporter quelque tempérament à la règle, quand la privation de jouissance provient d'une force majeure extraordinaire et grave, telle que les faits déterminés par cet article.
La loi a pris une sorte de moyen terme entre deux solutions extrêmes dont l'une aurait mis la perte exclusivement à la charge du preneur et l'autre à la charge du bailleur.
Si la perte est inférieure à un tiers des profits annuels (ce qui comprend le bénéfice de l'habitation autant que les produits du sol), elle restera à la charge du preneur.
Si elle est d'un tiers ou davantage, elle retombera sur le bailleur qui subira une diminution du prix du bail, proportionnellement à cette perte.
Cette indemnité, au profit du preneur, n'aurait pas lieu, si le prix du bail consistait en une quote-part des fruits du fonds, parce que la perte, si minime qu'elle fût, retomberait sur le bailleur, en proportion de ses droits. Dans le même cas, la perte des fruits survenue après qu'ils sont séparés du sol est à la charge du preneur, à moins que le bailleur ne fût en demeure de recevoir sa part.
La loi prévoit ensuite que le trouble apporté ainsi à la jouissance, par une force majeure, a duré trois années consécutives: alors le preneur, bien qu'il ait été indemnisé chaque année au moyen d'une diminution du prix de bail, se trouvant privé d'une partie des bénéfices ou avantages espérés, peut faire résilier le bail pour l'avenir.
On pourrait s'étonner qu'il ait le droit de résiliation, quand il a été indemnisé pour trois pertes successives d'un tiers, et qu'il n'ait pas le même droit, quand il n'a pas eu d'indemnité, à raison de ce que les pertes étaient inférieures à un tiers. Mais, du moment que la perte est assez minime pour ne pas donner lieu à indemnité (et aux yeux de la loi, un tiers est une perte minime), la conséquence nécessaire est qu'il y a encore moins lieu à résiliation.
La loi, en accordant une indemnité au preneur pour la perte de récolte, si elle provient d'un des événements graves et exceptionnels qu'elles détermine, procède par voie d'exemple et d'énonciation et n'est pas limitative.
Enfin, la loi suppose que des bâtiments ont été incendiés ou détruits par force majeure et que ces bâtiments représentaient le tiers de la jouissance annuelle; alors, il n'est pas nécessaire que la privation de jouissance ait duré trois ans; comme il dépend du bailleur de les relever plus ou moins promptement, la loi permet la résiliation au profit du preneur, si la reconstruction n'a pas eu lieu dans l'année.
Cette disposition est faite pour une destruction “partielle” des bâtiments, car, s'il y avait destruction totale de la chose louée, le bail cesserait de plein droit.
Art. 132. Il arrive souvent que les parties ne font pas procéder au mesurage des terrains ou des bâtiments avant de traiter: le preneur s'en rapporte à la déclaration du bailleur; mais celui-ci peut se tromper, et cette erreur peut être quelquefois assez grave pour constituer une perte considérable pour le preneur. En sens inverse, il pourrait y avoir une contenance supérieure à celle annoncée au contrat et il ne faudrait pas que le preneur y trouvât un profit trop considérable, ni qu'il fût obligé de payer un supplément de prix qui pourrait le gêner. La loi n'entre ici dans aucune des distinctions que comporte cette question; elle renvoie au Chapitre de la Vente où la même difficulté se présentera et où les distinctions nécessaires seront établies.
Art. 133. Bien que le preneur n'ait qu'un droit temporaire sur le fonds, il ne peut lui être interdit d'y faire des constructions ou des plantations, du moment qu'il respecte celles qui existent ou qu'il obtient du bailleur l'autorisation de les modifier.
Il doit de même pouvoir enlever lesdtes constructions ou plantations, en remettant les choses dans l'état primitif, à la fin du bail.
Mais si, avec le consentement du bailleur, d'anciennes constructions ou plantations ont été supprimées pour faire place aux nouvelles, on peut se demander si le preneur conserve le même droit, quoiqu'il ne puisse évidemment rétablir les anciens ouvrages.
Il faudra, en général, maintenir son droit, car, si le bailleur n'a pas fait à ce sujet de réserves à son profit, c'est qu'il a reconnu que ses anciennes constructions ne dureraient pas au-delà du bail.
Le droit du bailleur à la préemption est exposé au sujet des obligations du preneur (v. art. 144).
Art. 134. Les droits, réels ou personnels, sont, en général, cessibles: ce sont des biens composant le patrimoine (art. 1er): ils sont, sauf exception, à la libre disposition de celui auquel ils appartiennent. Parmi les droits réels, il n'y a guère que ceux d'usage et d'habitation qui soient exclusivement attachés à la personne et comme tels incessibles.
Il n'y avait pas de raison pour la loi, d'interdire, au moins en général, la cession du bail ou la sous-location. Mais le bailleur peut avoir, par le contrat, interdit cette faculté au preneur; c'est ce qui pourra arriver dans le cas où il craint des dégradations pour une chose de luxe ou délicate. La loi réserve aussi le cas où l'usage local serait contraire à la cession.
La loi prend soin d'indiquer la différence essentielle entre la cession de bail et la sous-location.
La cession du bail est une aliénation complète du droit pour toute sa durée: elle peut être gratuite, c'est alors une donation; elle peut être à titre onéreux, ce sera alors presque toujours une vente, pour un prix unique; cependant, rien n'empêcherait que ce fût un échange ou un apport en société.
La sous-location est un nouveau louage de la chose, lequel pourra avoir une durée moindre que le bail principal: la sous-location est toujours à titre onéreux. Les obligations du cédant et celles du sous-locateur ne sont pas les mêmes, au point de vue de la garantie: le cédant n'est garant que de l'éviction, le sous-locateur est garant de la jouissance continue.
Il est naturel que le preneur ne puisse, par la cession ou la sous-location, se soustraire à ses obligations envers le bailleur: le nouveau preneur peut être embarrassé dans ses affaires; le bailleur n'en doit pas souffrir, à moins qu'il n'ait consenti à l'accepter pour débiteur, au lieu et place de l'ancien preneur; c'est ce que la loi appelle “faire novation,”
La théorie de la novation appartient à la matière des Obligations et elle y sera développée.
Lorsque le bailleur a droit à une quote part de fruits, comme prix de bail, le contrat a quelque chose de la société: il est fait en considération de la personne du preneur, de son intelligence et de sa probité; dès lors, la cession ou sous-location est interdite en principe; elle ne peut avoir lieu que si le bailleur y consent.
La loi permet indirectement de céder le bail, lorsque la part de fruits est convertible en argent; il faut l'entendre du cas où la conversion aurait été réglée à une somme fixe; dans ce cas, le bailleur sera satisfait, si cette somme lui est payée.
Remarquons, à ce sujet, que la cession du bail serait permise dans le cas où le preneur doit, non plus une quote part, mais une quantité fixe des produits du fonds: dans ce cas, il n'y a plus le même intérêt à ce que l'exploitation reste dans les mains du preneur originaire.
Observons enfin que si le bail n'avait pas de durée fixe, le preneur ne pourrait le céder pour une durée fixe obligatoire pour le bailleur, car celui-ci ne doit pas perdre le droit de donner congé, à son gré.
Art. 135. L'hypothèque étant un droit réel sur les immeubles et servant à la garantie d'une créance, il n'y a pas de raison d'interdire au preneur la faculté d'hypothéquer son droit réel de bail.
Si le preneur n'acquitte pas la dette pour laquelle il a hypothéqué son bail, le droit de bail sera vendu à la requête du créancier hypothécaire, ce qui ne causera pas plus de dommage au bailleur qu'une cession directe par le preneur.
Mais dans les cas où la cession du bail est interdite, soit en vertu du contrat, soit par la loi, l'hypothèque se trouve par cela même interdite.
Art. 136. Déjà on a eu occasion de dire, sous l'article 130, que le preneur peut plaider, en son nom, contre les tiers. La loi en pose ici le principe général, à cause de l'importance de la règle.
La loi donne au preneur les actions réelles non-seulement contre les tiers, mais aussi contre son bailleur, conjointement avec l'action personnelle corrélative aux obligations de celui-ci.
§ III. DES OBLIGATIONS DU PRENEUR.
Art. 137. Déjà, sous l'article 127, on a eu occassion de dire que le preneur, à la différence de l'usufruitier, n'est pas tenu de faire un inventaire des meubles et un état des immeubles.
Mais il a au moins l'obligation de laisser le bailleur procéder à cette formalité qui est une garantie pour lui; par conséquent, il doit donner au bailleur un libre accès aux choses et aux lieux loués, et cela, aussi bien au cours du bail qu'à son début. La preneur n'aura pas, en général, à être convoqué, en forme, à une opération qui se fait chez lui: il y assistera, s'il le veut; mais l'opération ne sera considérée comme contradictoire à son égard et, par conséquent, ne lui sera opposable que si l'acte est signé de lui ou a été fait par un officier public en sa présence, ou lui dûment appelé et s'il n'a pas fait de protestations ou réserves dûment constatées.
En sens inverse, si le bailleur ne fait pas d'inventaire ou d'état des lieux, le preneur peut y faire procéder; mais alors, il doit convoquer le bailleur, en forme, pour que l'acte lui soit opposable.
Les frais de l'acte restent à la charge de la partie qui en a pris l'initiative, s'il n'a été convenu qu'il y serait procédé dans l'intérêt commun.
Si l'état des lieux et l'inventaire des meubles n'a pas été fait, le preneur est exposé à se voir déclaré responsable des réparations, parce que les choses “sont réputées lui avoir été remises en bon état” et, en cela, la loi est plus sévère pour le preneur que pour l'usufruitier qui n'est réputé avoir reçu en bon état que les immeubles seulement (art. 75): si la loi décide de même ici pour les meubles, c'est parce que le preneur avait le droit d'exiger la mise des choses louées en bon état de réparation, droit que n'a pas l'usufruitier; or, le preneur, en ne faisant pas constater l'état des meubles, est présumé avoir reconnu qu'ils étaient en bon état ou avoir obtenu qu'ils y fussent mis.
Au contraire, s'il y a défaut d'inventaire, c'est le bailleur qui en souffre et le preneur est mieux traité qu'un usufruitier, lequel avait l'obligation légale de faire inventaire et doit être traité avec défiance, quand il y a contrevenu. C'est le bailleur qui a le plus d'intérêt à l'inventaire des meubles, pour en obtenir la restitution à la fin du bail; à défaut de cette précaution, il n'aurait pas de titre pour réclamer les objets manquant tout-à-fait ou qui auraient été remplacés par d'autres de moindre valeur; il ne pourrait suppléer au titre que par la preuve testimoniale directe et non par la commune renommée (comp. art. 75).
Art. 138. Le payement du prix de bail est la principale obligation du preneur; c'est l'équivalent périodique de sa jouissance continue.
Généralement, on conviendra de l'époque de chaque payement. La loi, en prescrivant des payements mensuels, consacre un usage assez général au Japon. Elle se réfère d'ailleurs aux usages locaux, lesquels peuvent varier avec les contrées.
Mais lorsque le preneur doit donner une part de fruits, il est clair qu'il ne peut la donner avant la récolte; mais alors, par cela même que le bailleur a attendu une partie de l'année, cette part lui est donnée toute à la fois.
La même disposition s'appliquerait évidemment, si le preneur devait fournir non une quote part, mais une quantité fixe des produits du fonds.
Art. 139. Le défaut de payement par le preneur, au temps fixé, est très-fréquent en tout pays.
Il peut arriver aussi que le preneur, à raison du commerce ou de l'industrie qu'il se proposait d'exercer dans les lieux loués, se soit soumis dans l'intérêt de la conservation des choses louées, à quelques obligations particulières de faire ou de ne pas faire, et qu'il manque à les remplir.
Dans ces divers cas, le bailleur aurait le choix entre deux voies: soit une action tendant à obtenir l'exécution des faits promis ou à empêcher les actes interdits, soit une action en résolution du bail.
Ces deux voies sont l'application du droit commun: la première, pour tous les contrats, en général, portant obligation de faire ou de ne pas faire, la seconde, pour les contrats synallagmatiques ou bilatéraux en particulier (art. 421).
L'exercice du droit de résolution du bailleur ne le prive pas de demander des dommages-intérêts pour le préjudice éprouvé (par exemple, s'il y a des dégradations à la chose louée) et pour celui résultant de la résolution elle-même, lorsqu'elle peut entraîner une perte de revenus pendant le temps où le fonds resterait vacant.
Art. 140. Il y a, ici encore, une différence notable avec les obligations de l'usufruitier. Celui-ci paye les impôts ordinaires et contribue, dans une certaine mesure, au payement des impôts extraordinaires. Le motif en est qu'il a tout le profit annuel de la chose et que le nu-propriétaire n'en reçoit pas de compensation.
Au contraire, la bailleur tire de la chose louée un profit annuel qui consiste dans le prix de bail. Il est donc juste qu'il supporte les impôts, comme s'il exploitait directement la chose.
Mais il pourra arriver que les lois de finances qui ne sont pas toujours conçues dans le même esprit que les lois civiles et qui s'en écartent quelquefois, pour assurer la facilité du recouvrement des impôts, mettent certaines taxes à la charge du preneur.
Ainsi, par exemple, la contribution foncière est garantie à l'Etat par un privilége sur les récoltes. Or, la récolte appartenant au preneur, il se trouvera tenu de subir l'action de l'Etat pour le payement de la contribution foncière, si le bailleur ne la paye pas auparavant et dès qu'elle sera exigible.
En pareil cas, le preneur aura recours contre le bailleur, par voie de déduction sur son prix de bail.
Tout ce qui précède n'a lieu que sauf convention contraire des parties.
Mais il était naturel que la loi mît à la charge du preneur les impôts sur les bâtiments qu'il a élevés lui-même; comme il ne paye pas de loyer pour ces bâtiments, le motif donné plus haut ne se présente plus.
Il en est de même pour les impôts frappant son industrie ou son commerce; tel est l'impôt des patentes, et tels sont les impôts indirects sur la fabrication des saké, shôyou, tabacs, etc.
Art. 141. Le mode de jouissance que comporte le bail est plutôt encore une ressemblance qu'une différence avec l'usufruit. La loi s'en explique, à cause de l'importance pratique et de la grande variéte des baux.
Art. 142. Le 1er alinéa établit encore une assimilation entre le droit de bail et l'usufruit, quant à l'obligation pour le preneur de conserver avec soin les choses louées.
Bien que le preneur ait le droit de plaider, lui-même et en son propre nom, contre les tiers, auteurs de troubles ou d'usurpations, il manquerait à son devoir et nuirait à ses propres intérêts, s'il n'avertissait pas le bailleur (v. art. 130).
Sans doute, les jugements intervenus entre le preneur et les tiers ne pourraient être opposés au bailleur pour lui faire respecter des droits qu'il n'aurait pas été appelé à contredire (v. art. 98); mais si, à la suite de ces jugements, le tiers avait sur la chose des changements devenus irréparables, ou s'il était parvenu à quelque prescription de tout ou partie du fonds, le preneur aurait été ainsi, par son silence, la cause d'un préjudice grave pour le bailleur et il en serait responsable. En outre, son propre intérêt est d'appeler le bailleur; car celui-ci doit lui procurer la jouissance entière, paisible et continue de la chose; or, il peut avoir des titres ou autres moyens de repousser les prétentions du tiers et il serait bien téméraire au preneur de se priver de ces secours.
Art. 143. Bien que le droit du preneur soit déclaré réel par la loi, aussi bien pour les meubles que pour les immeubles, la propriété ne cesse pas d'en appartenir au bailleur: elle peut être considérée comme démembrée tant que dure le bail; mais quand le droit du preneur a pris fin, celui du bailleur se retrouve plein et entier.
Il peut donc agir en revendication, c'est-à-dire par action réelle, pour recouvrer sa chose.
Mais il peut aussi agir par action personnelle; car le preneur est obligé, par le contrat, à conserver la chose et à la rendre.
Deux considérations différentes pourront déterminer le choix du bailleur par rapport à l'action à intenter.
1° Si le preneur est insolvable, l'action réelle aura 'avantage de faire recouvrer au bailleur la chose, en nature et en entier, par préférence aux autres créanciers, tandis que l'action personnelle l'obligerait à concourir avec eux et seulement sur sa valeur.
2° Si le preneur est solvable et que le bailleur ait quelque difficulté à établir son droit de propriété, tandis qu'il lui est facile de prouver le contrat de bail, il intentera l'action personnelle.
Quelquefois il ne restera au bailleur que l'action réelle: supposons que trente ans se soient écoulés depuis la fin du bail, le preneur pourrait opposer au bailleur la prescription dite “libératoire;” mais jamais il ne pourrait lui opposer la prescription dite “acquisitive,” parce qu'il possède précairement et que les possesseurs précaires ne peuvent invoquer cette prescription.
Art. 144. C'est un principe d'économie politique, déjà signalé, qu'il faut, autant que possible, éviter de détruire les constructions et les plantations: autrement, il y a deux valeurs perdues, deux mains-d'œuvre inutiles, celle de la construction et celle de la démolition; de plus, les matériaux perdent considérablement de leur prix par la démolition.
Si le bailleur consent à payer au preneur, non ce que ses plantations et constructions lui ont coûté, mais ce qu'elles valent à la fin du bail, le preneur n'a pas d'intérêt légitime à s'y opposer.
§ IV. DE LA CESSATION DU BAIL.
Art. 145. On ne retrouve pas ici toutes les causes d'extinction de l'usufruit; cela tient, comme la plupart des autres différences déjà signalées, non à la différence de nature des deux droits, lesquels sont, au contraire, très voisins l'un de l'autre, mais à la différence de la cause des droits: le bail est constitué pour une cause onéreuse, c'est-à-dire à raison du sacrifice que fait le preneur, à raison de la prestation périodique qu'il s'engage à fournir, ce qui exclut, ordinairement, toute considération de sa personne; l'usufruit, au contraire, est constitué, le plus souvent, à titre gratuit et, dans tous les cas, en considération d'une personne déterminée.
De là, la conséquence que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier.
Sans doute, dans le louage, les parties pourraient convenir que le droit du preneur finira par sa mort; mais il faudrait, à cet égard, une stipulation expresse; il ne suffirait pas que les circonstances permissent de croire que le droit a été établi en considération de la personne.
Le non-usage pendant 30 ans n'est pas non plus une cause d'extinction du bail: il n'y a, d'ailleurs, aucune vraisemblance que le cas se présente jamais; car la prestation périodique que le preneur aura à payer, et qui certainement lui sera demandée, le préservera de l'oubli ou de l'ignorance de son droit.
La renonciation du preneur à son droit ne mettrait pas non plus fin au bail, car il ne peut, par sa seule volonté, s'affranchir des obligations qui y sont corrélatives. Ce qui serait possible, à cet égard, serait une résiliation volontaire des deux côtés; mais alors ce ne serait plus une cessation de plein droit.
Quant à l'abus de jouissance; il rente dans la généralité du dernier alinéa du présent article, dans la résolution prononcée en justice pour inexécution des obligations du preneur.
On reprend maintenant, pour quelques développements sommaires, les cinq cas d'extinction du bail, s'opérant de plein droit et sans qu'il soit besoin de la faire prononcer en justice, si les faits ne sont pas contestés.
On remarquera d'abord que l'extinction dont il s'agit ne s'applique pas seulement au droit du preneur, mais, en même temps, à celui du bailleur et, par conséquent, au contrat tout entier.
1° La perte de la chose louée est ici supposée totale. Si elle n'était que partielle, elle pourrait donner lieu, soit à diminution du prix de bail, soit même à résiliation (art. 138 et 158); mais ce ne serait que par l'effet d'une décision judiciaire ou d'une convention amiable: ce ne serait plus de plein droit.
Si la perte de la chose était le résultat de la faute de l'une des parties, du preneur vraisemblablement, le bail n'en prendrait pas moins fin; mais il y aurait lieu à une indemnité contre la partie qui serait en faute.
2° L'expropriation totale a de l'analogie avec la perte de la chose louée: dans ce cas, la jouissance du preneur devient impossible légalement, au lieu de le devenir naturellement.
3° L'éviction du bailleur est le cas où il est jugé que la propriété de la chose ne lui appartenait pas au moment du contrat; l'annulation de son droit de propriété a lieu dans le cas où il tenait ce droit d'un acte entaché, soit d'un vice de consentement, soit d'une incapacité, de la part du cédant.
Dans le troisième cas, il faut qu'une décision judiciaire intervienne contre le bailleur, pour que, par voie de conséquence, le bail finisse de plein droit.
Enfin, il faut que la cause d'éviction soit antérieure au bail: autrement, elle ne serait pas opposable au preneur qui ne doit pas souffrir des actes du bailleur. Et, lors même que la cause alléguée serait antérieure au bail, il faudrait encore que le preneur eût été mis en cause, de manière à y pouvoir contredire, pour que le jugement lui fût opposable.
4° Il est conforme aux principes généraux qu'un droit qui n'a été établi que pour un temps déterminé s'éteigne par l'arrivée du terme fixé. Le temps peut être fixé expressément ou sous-entendu, c'est-à-dire fixé tacitement. La fixation expresse n'implique pas nécessairement un nombre d'années, de mois ou de jours déterminés, bien que ce soit ce qui aura lieu le plus souvent: ce pourrait être l'indication d'un événement précis dont l'arrivée est sujette à être plus ou moins hâtive ou tardive. Par exemple, le preneur a loué une maison, pour tout le temps où il exercerait une fonction publique dans la ville: si ses fonctions cessent ou s'il change de circonscription, le bail cesse.
De même le preneur a loué une maison, pour le temps pendant lequel il construirait sa propre maison: quoique l'époque à laquelle la maison sera terminée soit variable, ce n'en est pas moins un terme expressément stipulé.
Au contraire, le bail a été fait avec une destination particulière des lieux loués et le bailleur a connu cette destination; il est tacitement entendu qu'une fois la destination remplie, le bail cessera. Par exemple, un entrepreneur de travaux publics, chargé de la construction d'un édifice, a loué un terrain voisin des travaux, pour la taille des matériaux et l'assemblage provisoire des charpentes; le bailleur a connu la destination spéciale des lieux loués; il est, dès lors, présumé avoir consenti à ce que le bail prît fin, de plein droit, avec l'achèvement des travaux, mais non auparavant, comme aussi s'être réservé le droit de reprendre les lieux loués à la même époque.
Dans l'article 148 ci-après, la loi donne elle-même un exemple, par présomption, de terme tacitement fixé.
La loi met, sur la même ligne que le terme, un événement ayant le caractère d'une condition, c'est-à-dire un événement futur et incertain, dont l'accomplissement doit résoudre le bail: par exemple, il avait été convenu que le bail cesserait, si le preneur obtenait une fonction ou un emploi public dans une autre ville.
5° S'il n'y a point de terme assigné au bail par les parties, à l'origine, la loi permet à chacune d'elles d'y mettre fin par un avertissement, en forme, donné un certain temps avant la sortie et qu'on nomme congé.
Ce n'est pas le congé qui met fin au bail; ce ne serait pas alors une extinction de plein droit, mais par le fait de l'homme: le congé fait seulement commencer un délai à l'expiration duquel le bail finit de plein droit.
Le congé est l'objet de trois articles ultérieurs (art. 149, 150, 151,
Le dernier alinéa ne présente plus de cessation de plein droit, mais une cessation par voie d'action, soit en résolution pour inexécution des obligations par l'une des parties, soit en rescision pour incapacité ou vice de consentement, il a déjà été sommairement parlé de ces actions et il en sera encore question plus loin.
Art. 146. La disposition de cet article se trouve déjà annoncée par ce qui a été dit au sujet du 1er alinéa de l'article précédent.
Quoique la perte de la chose louée soit fortuite ou résulte d'une force majeure, elle ne doit pas nécessairement retomber sur le preneur, sous prétexte qu'il a un droit réel; car le bailleur est obligé de lui faire avoir une jouissance continue. Il ne faudrait pas non plus que la moindre perte lui donnât le droit de faire résilier le bail, ni même l'autorisât toujours à obtenir une diminution du prix de bail. A cet égard, la loi se réfère aux distinctions portées ci-dessus, à l'article 131.
Si la perte de la chose entraîne une perte de jouissance de moins d'un tiers, le preneur n'obtiendra ni la résiliation, ni une diminution du prix. Si celle-ci est d'un tiers ou au delà, le preneur obtiendra une diminution d'un tiers du prix, et si cette perte partielle de la chose doit entraîner nécessairement pour toujours la perte proportionnelle de la jouissance, le preneur pourra demander la résiliation, sans attendre le laps de trois ans prescrit par l'article 131.
Quant à l'expropriation partielle, elle présente deux particularités.
1° Le preneur obtiendra toujours une diminution du prix de bail, quelle que soit la partie expropriée, parce que cette expropriation procure au baileur une indemnité du trésor public;
2° Le preneur pourra recevoir lui-même une indemnité du trésor, à cause du trouble que l'expropriation lui cause.
Le preneur obtiendra également une diminution du prix de bail, au cas d'éviction, quelle que soit la portion dont il perd la jouissance, parce qu'il y eu faute du bailleur à louer ce qui ne lui appartenait pas en entier.
Quant au droit de résiliation, il sera toujours subordonné à la perte du tiers de la jouissance première.
Art. 147. Le bail est renouvelé tacitement, par le consentement présumé des parties, après l'expiration du temps qui lui avait été d'abord assigné. Quant aux effets du nouveau contrat entre les parties, ils seront les mêmes que ceux du contrat primitif, sauf la durée qui, d'après le dernier alinéa de l'article, est désormais indéterminée et cesse par un congé ou avertissement donné par une partie à l'autre, un certain temps avant la sortie.
Mais ce nouveau contrat ne peut être opposé aux tiers. Ainsi, ceux qui s'étaient portés garants ou cautions de l'exécution du premier bail ne sont pas garants du second: ils ont considéré, sans doute, la durée de leur engagement éventuel et n'ont pas entendu se trouver engagés par un nouveau contrat, sans leur consentement.
Par la même raison, et par une autre aussi, les hypothèques données pour le premier bail sont inapplicables au second: d'abord, s'il y a des créanciers hypothécaires postérieurs au bail, ils ont pu considérer que leur hypothèque s'améliorerait, quant au rang, par l'extinction de celle qui les précédait, et cette attente légitime ne doit pas être trompée par une prolongation ou extension de l'hypothèque qui prime la leur.
Ensuite, lors même qu'il n'y aurait pas d'autres créanciers hypothécaires postérieurs, l'hypothèque, une fois éteinte ou limitée par la fin du premier bail, ne peut renaître ou s'étendre à une nouvelle créance, au préjudice des créanciers chirographaires, sans que les parties remplissent les formalités requises pour la constitution de l'hypothèque ou pour son extension.
La solution serait la même pour un droit de gage, parce que les autres créanciers pourraient souffrir d'une garantie dont ils n'ont pas prévu la prorogation. Et il ne faudrait pas voir là une contradiction avec ce qui a été dit au sujet de l'usufruit (sous l'art. 78), lorsque la garantie par lui fournie reçoit une application plus étendue par sa faute: dans ce cas, c'est la cause première qui subsiste, avec un effet plus considérable, tandis qu'ici il y a un nouveau bail, c'est-à-dire une nouvelle dette.
Le nouveau bail tacite, n'ayant pas de durée fixée, ne peut finir de plein droit, mais seulement par un congé.
Art. 148. La loi donne ici une interprétation de la volonté probable des parties; c'est une présomption légale de leur intention, quant à la durée, lorsqu'elles n'en ont pas exprimé une autre.
Cette fixation de la durée du bail, par présomption légale, n'a lieu que pour les locaux meublés ou garnis: le bail durera alors pendant la période pour laquelle le prix a été fixé. A l'expiration de cette période, il pourra se former un nouveau bail, par tacite réconduction, mais alors sans durée fixée et finissant par un congé.
La raison pour laquelle la loi interprète elle-même ici l'intention des parties est celle-ci: généralement, la location des maisons ou appartements meublés se fait pour un temps assez court; les personnes qui n'ont pas de meubles à elles appartenant sont des résidents accidentels dans une ville, des voyageurs, des malades; lorsqu'ils conviennent d'un prix par période, c'est qu'ils se proposent de rester au moins pendant cette période. Bien entendu, les parties peuvent toujours exprimer le contraire.
On ne peut pas faire la même supposition pour les lieux non meublés, où le séjour est, en général, assez long et semblerait pouvoir se prolonger indéfiniment; dès lors, l'indication du prix pour une période de mois ou pour une année, n'est plus qu'une manière de fixer le prix courant; tout au plus, pourrait on y voir l'indication des échéances ou époques de payement; mais même, s'il n'y a pas de fixation précise des échéances, la loi les fixe à chaque mois, comme on l'a vu à l'article 138.
La loi ne prévoit pas un cas qui pourrait se rencontrer assez fréquemment, mais qui serait facile à résoudre par l'interprétation raisonnable de la volonté des parties: le prix de bail d'un appartement meublé pourrait avoir été fixé, tout à la fois, par jour, par semaine et par mois, par trimestre, par semestre et par année, probablement avec une diminution à raison de la plus grande durée. En ce cas, il est clair que le choix de la durée a été laissé au preneur et qu'il pourrait quitter à la fin de chaque période, mais qu'une fois entré dans la période suivante, il devrait l'achever et ainsi des autres: la tacite réconduction n'aurait lieu qu'à l'expiration de la dernière période, et le nouveau bail, n'ayant plus de durée limitée, ne finirait que par un congé.
La location de meubles particuliers est assimilée par la loi à celle des appartements meublés, quant à la durée, qui est considérée comme tacitement fixée par la période de temps pour laquelle le prix est établi; l'utilité de cette disposition se rencontrera principalement dans la location de chevaux, voitures, machines industrielles, ustensiles de ménage, vêtements, etc.
Art. 149. Lorsque le bail n'a pas de durée fixée par le contrat, soit expresse, soit tacite, comme il sera expliqué plus loin, il ne finit que par un congé.
Il faut bien remarquer que, jusqu'à ce que le congé soit donné, c'est le même bail qui dure et qu'il n'y a pas une succession de tacites réconductions; par conséquent, les sûretés fournies pour l'exécution du bail restent les mêmes, tant que les parties ne les modifient pas. Au contraire, au cas de tacite réconduction, il y a un nouveau bail: les sûretés doivent être renouvelées.
Le présent article s'applique aux locations de bâtiments non meublés.
Le congé peut être donné “à toute époque de l'année” . La loi s'en explique, parce que dans beaucoup de pays étrangers, le congé ne peut être donné qu'à certaines époques de l'année, ordinairement quatre fois par an, au commencement de chaque saison, pour sortir à la saison suivante. Il en résulte un inconvénient assez grave, c'est que si l'une des parties oublie de donner congé au temps voulu, elle est obligée d'attendre la saison suivante; il peut arriver aussi que le besoin de mettre fin au bail ne survienne pour elle que peu de jours après ladite époque et elle est encore obligée d'attendre la prochaine saison.
On pourrait objecter d'ailleurs que le congé donné par le propriétaire à toute époque peut obliger le preneur à sortir à une époque très gênante; par exemple, à la fin de l'année, alors que les commerçants font leurs comptes généraux et leurs recouvrements. Mais le preneur, étant ainsi prévenu à l'avance par le congé, pourrait demander au tribunal un délai de 8 ou 15 jours qui ne lui serait pas refusé, au moins, s'il n'y avait pas encore un nouveau preneur: les conventions, en effet, doivent “s'exécuter de bonne foi.” Le preneur aura toujours eu aussi la faculté d'exclure, par le contrat originaire, certaines époques qui le gêneraient pour la sortie: les négociants doivent être prévoyants; c'est un des devoirs et un des besoins de leur profession.
Mais ce qui importe le plus à la loi, c'est qu'il s'écoule entre le congé signifié et la sortie un intervalle assez long pour que le preneur ait le temps de trouver une nouvelle habitation et le bailleur un nouveau preneur.
Il est naturel aussi que l'intervalle soit d'autant plus long que la location a plus d'importance: il est toujours plus difficile de trouver à prendre ou donner à loyer une grande habitation qu'une moyenne ou une petite.
Il fallait aussi que la loi trouvât une mesure pour déterminer ce qui serait une grande, une moyenne ou une petite habitation. On ne pouvait pas songer à s'attacher au prix du bail, parce que ce prix varie avec les localités et avec l'état des bâtiments; il a paru préférable de considérer l'étendue des bâtiments, non par leur surface en tsoubos, mais par leur nature.
Une maison entière est considérée comme une grande habitation. Il est vrai qu'il y a souvent de bien petites maisons; mais, par cela seul qu'elles sont entières, ce qui aussi implique presque toujours des dépendances, elles sont plus difficiles à trouver pour le preneur qui, quittant une maison de ce genre, en cherchera sans doute une autre de même genre; elles sont aussi plus difficiles à relouer, pour le bailleur, parce que, leur prix étant toujours plus élevé, relativement à leur étendue, il en trouvera moins facilement un preneur.
La 2e classe d'habitations est une partie de bâtiments, un appartement ou un étage.
L'intervalle entre le congé et la sortie a été réduit, autant que possible: il est de 2 mois et 1 mois.
La loi augmente d'un mois ces deux délais, quand le preneur a mis des zôsaku, parce que, dans ce cas, il a droit à plus de ménagements, à cause de ses dépenses.
Bien entendu, les parties pourraient convenir d'un intervalle plus long ou plus court. Dans toutes ces règles de pur intérêt privé, la loi ne statue qu'à défaut de conventions ou d'usage local différent (v. art. 152).
Art. 150. Lorsqu'il s'agit d'une maison entière ou d'un appartement meublé, la cessation du bail dépend d'abord d'une distinction qui est déjà indiquée sous l'article 148: si le bail a été fait pour un temps déterminé, le bail finit de plein droit avec la période indiquée, sans qu'il soit nécessaire de donner congé; il en est de même, si la durée n'a été fixée que tacitement, par la détermination du prix par période de temps (v. art. 148). Mais s'il y a eu tacite réconduction, à l'expiration de ce temps, alors le bail ne finit que par un congé: l'intervalle entre le congé et la sortie varie, non plus suivant l'importance des locaux, mais suivant la durée de la période primitive.
D'un autre côté, comme les périodes peuvent être très variées, la loi ne peut multiplier les délais dont il s'agit: elle se borne à en fixer trois, correspondant aux locations faites, soit pour trois mois ou davantage, soit pour moins de trois mois, soit pour un jour: dans le premier cas, l'intervalle entre le congé et la sortie est uniformément d'un mois: dans le second, il est du tiers de la période primitive; dans le troisième cas, l'intervalle sera de 24 heures.
On comprend que cet intervalle soit court, parce que les locataires ne comptent pas faire un long séjour au même lieu et le bailleur ne compte pas non plus les conserver longtemps; en outre, le preneur qui reçoit le congé trouve aisément à se loger dans une autre maison meublée; réciproquement, le bailleur trouve aussi aisément un autre locataire de passage.
Le présent article s'applique aussi aux objets mobiliers: d'abord au cas où, le bail ayant été fait pour un temps expressément fixé (un certain nombre de jours ou de mois), il y aura eu tacite réconduction; ensuite pour le cas où le prix de location est fixé par périodes.
Dans des divers cas, le congé sera donné, soit un mois à l'avance, soit un nombre de jours à l'avance formant le tiers du temps que le premier bail avait duré, soit 24 heures.
Mais lorsque les meubles font partie d'un appartement meublé, ils en sont l'accessoire et la durée des deux locations est la même: on leur applique alors l'article 148 et les trois premiers numéros du présent article.
Il en est de même des objets mobiliers qui sont immeubles par destination et placés sur le fonds loué.
Art. 151. Il y a, pour les baux de biens ruraux, une double dérogation aux règles qui précèdent:
1° Un intervalle beaucoup plus long entre le congé et la sortie;
2° Une époque précise à laquelle le congé doit être donné.
Il est facile de justifier ces dispositions particulières par les considérations suivantes:
L'intention des parties est, naturellement, que le preneur puisse faire la récolte pour laquelle il a fait les semences, labours et cultures, au moins quand il s'agit d'une récolte annuelle.
Le preneur ne doit pas être obligé de quitter les lieux loués avant d'avoir eu le temps de trouver un autre fonds de nature plus ou moins semblable au précédent. Réciproquement, le bailleur ne doit pas être exposé à se trouver sans un autre preneur, pendant une partie de l'année.
Le premier de ces motifs explique que la sortie ne devra pas précéder la récolte principale de l'année; les deux autres motifs expliquent que l'intervalle entre le congé et la sortie soit de six mois au moins.
S'il s'agit d'un sol non cultivé annuellement, tel qu'une prairie, une lande, un bois, un terrain à bâtir, le congé pourra être donné à toute époque, un an avant la sortie.
Art. 152. La matière des baux étant une des plus importantes dans la pratique, au moins par sa fréquente application, la loi n'a pas craint d'entrer dans des détails un peu minutieux, pour prévenir les procès.
Mais elle n'a pas cru qu'il fût nécessaire ici d'arriver à une uniformité complète dans tout le pays; c'est pourquoi elle réserve l'application des usages locaux. Il va sans dire que les conventions particulières seront toujours valables en cette matière, soit pour augmenter, soit pour réduire les délais.
Art. 153. Quand le bail de biens ruraux a une durée fixée, la fin du bail peut arriver avant que la récolte soit enlevée, soit parce que la saison a été tardive, soit parce que les parties avaient mal calculé le temps. En pareil cas, il serait inique que le bailleur ou un nouveau preneur mît obstacle à l'enlèvement de la récolte par le preneur.
Il serait tout aussi injuste que, si la récolte a été hâtive, le preneur dont le bail est sur le point d'expirer s'opposât aux travaux préliminaires de l'année suivante, soit de la part du bailleur, soit de la part d'un nouveau preneur.
La loi réserve le cas où le preneur en éprouverait un préjudice pour les autres récoltes pendantes.
Il y a une autre réciprocité de droits respectifs dont la loi ne parle pas, parce qu'elle va de soi et parce que, d'ailleurs, elle concerne plutôt le commencement du bail que sa fin.
Si, au moment de l'entrée en jouissance du preneur, la récolte pour laquelle le bailleur a fait les travaux n'est pas encore enlevée, le preneur ne doit pas mettre obstacle à l'enlèvement.
Réciproquement, si la récolte du bailleur a été hâtive, il ne doit pas s'opposer à ce que le preneur, même avant l'époque de son entrée en jouissance, fasse les premiers travaux de labour ou autres analogues.
C'est l'application d'un principe déjà proclamé tout à l'heure et qui sera développé plus tard, à savoir, que “les conventions doivent être exécutées de bonne foi” (v. art. 330).
Ces dispositions relatives aux fruits qui se trouvent pendants au moment où commence le bail et où il finit constituent une nouvelle et considérable différence entre le preneur à bail et l'usufruitier. On a vu, en effet, aux articles 50, 69 et 109, que l'usufruitier a droit aux fruits pendants au moment où s'ouvre l'usufruit et qu'il n'a aucun droit à ceux qu'il n'a pas perçus au moment où l'usufruit finit, ce qui rentre dans les effets aléatoires de l'usufruit.
Il n'en pouvait être de même pour le bail qui n'a rien d'aléatoire et où chaque partie cherche un profit égal à celui qu'elle procure à l'autre. Mais on voit qu'il n'en résulte pas de complications, parce que celui qui a droit à une récolte préparée par ses soins l'enlève en nature et ne réclame aucune indemnité pour les frais de culture.
Art. 154. Rien n'empêche les parties de convenir qu'au cas de vente, le preneur pourra être expulsé même si le bail a une durée fixée; c'est une réserve que fera souvent le bailleur, quand il fera un bail à prix réduit et pour une longue durée, circonstances qui pourraient détourner un acheteur.
Le bailleur pourrait aussi se réserver la faculté de résilier le bail pour occuper les lieux par lui-même ou pour tout autre cas déterminé.
Le preneur peut aussi faire de pareilles stipulations, dans son intérêt ou dans celui de son héritier.
Ainsi, le preneur a une fonction qui l'oblige à résider au lieu où il l'exerce; il peut stipuler qu'en cas de changement de fonction ou de résidence, le bail sera résilié, pour éviter les embarras et les difficultés d'une sous-location.
De même, il prévoit le cas où il viendrait à mourir avant la fin du bail: sa mort, en principe, ne dissoudrait pas le bail, mais comme la location pourrait être inutile et, par suite, gênante pour son héritier, il stipule la résiliation en leur faveur.
Dans tous ces cas et autres semblables, il faudra, au moins, que la partie qui veut mettre fin au bail en vertu de la clause, prévienne l'autre partie par un congé, en observant les délais ci-dessus établis suivant la distinction des choses louées.
Ces cas ne sont pas tout-à-fait les mêmes que ceux prévus à l'article 145-4°, où l'on a supposé une condition résolutoire expresse, opérant d'elle-même, par le seul fait de l'arrivée de l'événement prévu: la loi suppose ici que les parties n'ont pas stipulé une résolution expresse, mais seulement une faculté de résolution.
Il va sans dire, sans que la loi l'exprime, que si le temps restant à courir du bail est plus court que l'intervalle à observer entre le congé et la sortie, le congé est inutile; le bail alors prendra fin par la convention originaire et non par l'exercice de la faculté de résiliation. Un congé même, envoyé ou reçu par erreur, ne prolongerait pas le temps restant à courir.
SECTION II.
DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
§ I. DE L'EMPHYTÉOSE.
Art. 155. La loi ne permet pas, pour l'avenir, que les emphytéoses aient une durée plus longue que 50 années.
Les nouvelles emphytéoses seront surtout utiles pour mettre en culture les terres en friches ou incultes.
Il est clair qu'en pareil cas, les fermiers ont besoin d'être encouragés par la perspective d'un bail à longue durée: autrement, ils n'auraient pas la récompense de leurs peines et de leurs frais de défrichement.
D'un autre côté, le bail ne doit pas avoir une durée indéfinie, parce qu'il priverait le propriétaire ou son héritier de la libre disposition de la chose, au préjudice de l'intérêt général qui demande la facile circulation des biens; en outre, la redevance, ne pouvant être augmentée pendant la durée du bail, deviendrait presque toujours inférieure au prix normal des baux à ferme; le preneur ou son héritier eux-mêmes pourrait souffrir d'une trop longue durée du bail.
Le délai de 30 ans est assez long pour permettre au preneur de tirer un profit sérieux des terres qu'il aura défrichées; le délai de 50 ans est un maximum que la loi ne permet de dépasser qu'au moyen d'un renouvellement, lequel, fait en connaissance de cause par les parties, et à de nouvelles conditions, s'il y a lieu, n'a plus les inconvénients d'un engagement pris trop longtemps à l'avance; d'ailleurs, à quelque époque que le bail soit renouvelé, il ne durera jamais plus de 50 ans depuis le renouvellement.
Si les parties ont stipulé un plus long délai, le contrat ou le renouvellement ne sera pas nul, mais seulement réduit au terme permis par la loi. Il était nécessaire de le dire, car dans les contrats onéreux, les clauses prohibées ont souvent pour effet de vicier le contrat (v. art. 413). Ici cela eût été d'une rigueur exagérée.
On verra plus loin (art. 157) que l'emphytéose suit les règles du bail ordinaire, lorsqu'il n'y est point dérogé spécialement.
Une de ces règles est relative à la tacite réconduction, lorsque, la durée du bail étant expirée, le preneur est resté et a été laissé en possession de la chose louée (art. 151). Cette règle s'appliquera à l'emphytéose, laquelle continuera aux mêmes conditions que les précédentes, sauf la durée qui cessera par un congé; et comme la loi n'augmente pas l'intervalle entre le congé et la sortie, on appliquera ledit article 151.
Les droits des tiers seront d'ailleurs respectés conformément à l'art. 147.
A l'égard des contrats antérieurs à la mise à exécution de la présente disposition et ayant le caractère de baux perpétuels, la loi fait une distinction qui permettra de tempérer le principe de la non-rétroactivité des lois en faveur de l'intérêt public qui se trouve engagé ici.
1° Pour les baux de terres en friches ou incultes, auxquels les parties n'auront pas assigné de durée déterminée ou qu'elles auront qualifié “Eigosaku” , la loi réserve au législateur le droit de prendre dans l'avenir, pour les réduire, telle mesure qui lui paraîtra commandée par les circonstances: il est bon d'y préparer les exprits, car ce sera une nécessité très probable;
2° Les baux, au contraire, auxquels les parties avaient assigné une durée déterminée, même supérieure à 50 années, seront respectés et il est à croire qu'ils ne seront jamais atteints pour une loi future, à cause de leur moindre inconvénient.
La loi annonce ainsi à l'avance que le principe général de la non-rétroactivité des lois pourra ici recevoir une atteinte. Mais il est reconnu que ce principe n'est pas constitutionnel et qu'il peut toujours recevoir une atteinte par la loi, dans des cas exceptionnels et graves. Or, ici, l'exception sera très nécessaire et légitime. La règle de la non-rétroactivité est fondée sur le respect des droits acquis sour l'empire d'une ancienne loi. La loi nouvelle les respecte absolument, lorsque l'emphytéose établie avait dès l'origine une durée fixée: les parties en ont fait la loi de leur convention. Mais quand l'emphytéose a été stipulée perpétuelle, les parties ne peuvent avoir absolument compté sur la perpétuité qui est si peu dans l'ordre des choses humaines. Si la loi future ne permet de mettre fin aux emphytéoses stipulées perpétuelles qu'après un temps très long, 50 ans, par exemple, elle aura satisfait à la justice et à la raison.
Du moment que l'emphytéose est une sorte particulière de bail, il se présentera, peut-être fréquemment, une question dans la pratique, à savoir: à quel signe reconnaîtra-t-on que les parties ont entendu faire un contrat d'emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire?
D'abord, si les parties ont donné au contrat son nom légal, il n'y aura pas de difficulté. Mais, si elles ont négligé cette précaution, les tribunaux ne pourront décider la question que par les circonstances.
La durée du bail sera une indication importante: si le bail est fait pour plus de 30 années, il y aura présomption que les parties ont voulu établir une emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire, puisque le bail ordinaire ne peut excéder cette durée; s'il s'agit de terres en friches ou incultes, la présomption sera encore fortifiée Mais si, dans le contrat, se trouvent certaines clauses qui ne se rencontrent que dans le bail ordinaire, par exemple, sur la garantie de jouissance, on devra décider que les parties ont voulu faire un bail ordinaire et la durée en sera réduite à 30 ans. Dans le doute, on devra encore décider que les parties ont fait un bail ordinaire; car l'emphytéose restera toujours une exception et les exceptions ne se présument pas: elles doivent être prouvées par la partie intéressée.
Art. 156. Les observations faites sous l'article 117, au sujet de l'impossibilité d'établir un droit de bail autrement que par contrat, s'appliquent au bail emphytéotique.
Art. 157. L'objet de ce paragraphe est de déterminer les règles particulières à certains baux; dès lors, tous les points sur lesquels il n'est pas introduit ici de dérogations expresses ou tacites au droit commun continuent à y être soumis.
Mais il va de soi que le bail emphytéotique, à cause de sa longue durée, n'est pas permis aux administrateurs de la chose d'autrui, ni à ceux qui n'ont que l'administration et non la disposition de leurs biens (v. art. 119 à 122): les baux à long terme ne sont pas des actes d'administration.
Art. 158, 159 et 160. Le but principal de l'emphytéose étant de favoriser la mise en culture de terrains jusque-là en friches, il est naturel que le preneur ait un pouvoir plus étendu sur la chose louée que dans le louage ordinaire.
La loi indique ici une première limite à la liberté du preneur; mais cette limite n'est ni étroite ni gênante: il suffit que le preneur ne diminue pas la valeur du fonds d'une manière “permanente,” ce qui veut dire que, lors même que les premières transformations du fonds en diminueraient temporairement la valeur ou le produit, ce qui sera généralement inévitable, le preneur ne serait pas inquiété, du moment que des améliorations en devraient être la conséquence ultérieure.
Ainsi, si le preneur défriche des buissons de peu de valeur, pour les remplacer par des cultures de riz ou autres produits alimentaires ou industriels, il y aura un moment où le fonds ne donnera même plus le minime revenu antérieur et ne donnera pas encore de nouveaux produits: mais cet état transitoire est une nécessité pour laquelle le preneur ne peut être critiqué.
Il en est de même, s'il dessèche un marais; le terrain sera d'abord bouleversé par les terrassements et il ne produira même plus de roseaux; mais, plus tard, il pourra devenir très fertile.
Le dessèchement des marais ne doit pas rencontrer d'obstacles, parce que les eaux stagnantes sont toujours inutiles et souvent nuisibles.
Au contraire, la suppression de grands arbres ou de bâtiments pourrait être considérée comme une détérioration permanente; elle serait même irréparable pour les arbres: les articles 159 et 160 y mettent obstacle.
A l'égard des cours d'eau, l'emphytéote peut les modifier, chaque fois que ce sera pour le bien de la propriété, et il est à présumer qu'autrement, il ne fera pas cette dépense. Il ne pourrait les supprimer, par exemple, en les détournant sur les voisins, même avec leur consentement: un cours d'eau, à la différence d'un marais, a toujours une grande utilité pour l'irrigation ou l'industrie.
La loi ne parle que des cours d'eau traversant le fonds; car, pour ceux qui ne font que le border, les limites au droit du preneur tiennent surtout au droit de l'autre riverain. Il en sera parlé au Chapitre des Servitudes.
Les bois taillis, dont il a déjà été question au Chapitre de l'Usufruit, sont des bois qui se coupent périodiquement au ras (au niveau) du sol et qui repoussent continuellement. L'emphytéote en jouira comme un preneur ordinaire, lequel en jouit lui-même comme un usufruitier. Mais il ne pourra pas défricher de tels bois, sans le consentement du propriétaire.
A l'égard des arbres dits “à haute tige,” la loi fait une distinction facile à justifier: s'ils n'ont pas 20 ans et ne sont pas de nature à être coupés périodiquement, comme, par exemple, les arbres résineux, le preneur pourra les couper; s'ils ont plus de 20 ans, il ne le pourra pas; à moins encore qu'ils ne soient déjà assez âgés pour que leur croissance doive cesser avant la fin du bail, auquel cas, il peut les couper, mais seulement quand le propriétaire n'a plus d'intérêt à leur conservation, c'est-à-dire quand leur croissance est finie.
Du reste, on ne considèrerait pas comme devant être respectés par le preneur, quelques bouquets d'arbres disséminés sur le fonds: ce pourrait être une entrave à la transformation et à la mise en culture du sol; il y a là une question de fait, qui, en cas de contestation, serait tranchée par les tribunaux.
La disposition de l'article 160 a de l'analogie avec celle concernant les arbres.
Le preneur ne peut jamais supprimer les bâtiments principaux, à moins qu'il ne fasse reconnaître et accepter par le propriétaire l'avantage de leur suppression ou de leur remplacement.
A l'égard des bâtiments accessoires qui n'ont pas la même importance et qui varient nécessairement avec le genre d'exploitation du fonds, le preneur doit avoir une plus grande facilité de les changer. Il suffit, pour qu'il ait ce droit, que leur durée ne puisse dépasser celle du bail; alors, comme le propriétaire n'aurait pas pu compter les retrouver un jour en état de servir, il lui importe peu qu'ils soient détruits plus tôt.
Dans le cas contraire, son consentement est nécessaire pour leur suppression.
Art. 161. L'obligation pour le preneur de laisser au propriétaire les arbres arrachés et les matériaux des bâtiments supprimés, outre qu'elle est conforme au principe du droit de propriété, a encore l'avantage d'ôter au preneur tout intérêt à détruire sans nécessité, même quand il en a le droit, les constructions ou plantations établies déjà sur le fonds.
Art. 162. A la différence de l'usufruitier et par assimilation au preneur ordinaire, l'emphytéote n'a aucun droit aux produits, ni aux redevances des mines, même de celles qui se trouvent en exploitation au moment où son droit s'est ouvert. Les mines s'exploitant par galerie, sont tout-à-fait indépendantes de la surface arable, objet de l'exploitation de l'emphytéote.
L'exception portée à la fin de l'article se justifie, au contraire, par le but de l'emphytéose.
Art. 163. Le droit de l'emphytéote sur les carrières ne diffère de celui d'un usufruitier et d'un preneur ordinaire que lorsque ces carrières ne sont pas encore en exploitation: dans ce cas, l'emphytéote peut les ouvrir pour y prendre les matériaux nécessaires non-seulement à l'entretien et à la réparation des digues, murs ou bâtiments, mais encore pour l'amélioration du fonds; toujours, parce que l'emphytéose a pour but principal l'amélioration et la mise en valeur de sols jusque-là incultes.
Art. 164 et 165. Ces articles présentent une des grandes différences entre l'emphytéose et le bail ordinaire.
La destination de ce bail à long terme, qui est surtout de mettre en culture des terres jusque-là incultes, est incompatible avec l'obligation pour le bailleur de procurer et garantir une jouissance normale et régulière de la chose. On a dit aussi, sous l'article 155, que ce serait engager pour un temps trop long la responsabilité du bailleur et de son héritier.
Le bas prix du bail et la fécondité naturelle des terres nouvellement défrichées seront, ordinairement, pour le preneur, une compensation suffisante des accidents ou obstacles à la jouissance qu'il pourrait rencontrer.
Mais l'absence de garantie de jouissance n'exclut pas la garantie de l'existence même du droit que le bailleur a prétendu conférer par le contrat d'emphytéose. Si donc l'emphytéote était évincé par un tiers établissant que le bailleur n'était pas propriétaire, ce dernier serait de droit garant de l'éviction envers le preneur.
Art. 166. La disposition de cet article sépare encore l'emphytéote du preneur ordinaire, lequel ne paye aucun des impôts fonciers; elle le rapproche de l'usufruitier, mais avec une aggravation, car ce dernier ne fait que contribuer aux impôts extraordinaires, sans les supporter en entier.
La raison de cette double différence est encore le bas prix probable du bail et, en outre, la considération suivante: les terres données à emphytéose, prenant avec le temps une plus grande valeur, seront taxées à un chiffre progressivement plus élevé qu'à l'origine; or, le bailleur ne voyant pas s'élever progressivement la redevance annuelle, il serait injuste qu'il acquittât les impôts.
Si les lois de finances autorisent le Trésor à recouvrer l'impôt sur le propriétaire, il aura un recours contre l'emphytéote.
Art. 167. La solidarité et l'indivisibilité entre les emphytéotes sont encore propres à l'emphytéose et se fondent sur la longue durée du bail, en même temps que sur la probabilité qu'il y aura souvent plusieurs preneurs associés.
Si l'obligation de payer la redevance n'était pas solidaire et indivisible, le bailleur serait exposé à de grands embarras pour recouvrer ladite redevance: il arriverait souvent que des décès substitueraient plusieurs successeurs à leur auteur; la redevance se morcellerait à l'infini et, en cas d'insolvabilité d'un ou plusieurs d'entre eux, la résolution du contrat ne pourrait être obtenue que partiellement, ce qui serait un grand inconvénient pour le bailleur, ou si l'on admet, ce qui est naturel, que la résolution soit indivisible, il est plus simple que l'obligation du payement le soit d'abord elle-même.
Tous ces inconvénients disparaissent au moyen de la solidarité et de l'indivisibilité réunies dont il sera traité au Livre des Garanties; les effets généraux en sont réglés aussi à la partie des créances (art. 441 et s.): il suffira qu'un seul des preneurs originaires ou un seul de leurs successeurs soit solvable, pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à la résolution, et si tous sont insolvables, la résolution aura lieu en entier.
La loi ne réserve pas le cas de convention contraire; mais c'est un principe général que les conventions privées peuvent toujours diminuer les effets légaux d'un contrat, comme elles peuvent les étendre, lorsqu'il n'y a rien dans la convention de contraire à l'ordre public.
C'est ainsi que la disposition du présent article, qui n'existe pas dans le bail ordinaire, pourrait y être suppléée par convention expresse.
Art. 168. Il y a ici une nouvelle différence entre les baux emphytéotiques et les baux ordinaires: dans le bail ordinaire, il suffit que le preneur manque à payer l'un des termes exigibles pour que le bailleur puisse faire résoudre le contrat; ici, la loi est moins rigoureuse pour l'emphytéote à cause des difficultés souvent imprévues de l'entreprise.
En outre, comme les pertes de récoltes et autres privations de jouissance n'autorisent pas le preneur à demander une diminution du prix de bail, il est juste de lui accorder quelques délais, en cas d'embarras dans ses affaires.
Mais si le preneur a d'autres créanciers qui le mettent en faillite et poursuivent la vente de ses biens, alors il est impossible de refuser au bailleur le moyen de sauvegarder ses droits. Pour ce qui concerne le remboursement des impôts payés par le propriétaire, le défaut d'un seul payement suffirait pour faire prononcer la résolution contre l'emphytéote: le propriétaire pourrait souffrir beaucoup de cette avance de fonds non remboursée.
Art. 169. Cette disposition avait été réservée par l'article 165 comme un correctif du manque de garantie de la jouissance par le bailleur.
La loi prévoit deux cas où le preneur peut lui-même faire résilier le contrat.
On peut supposer, pour le premier cas, une guerre ou une inondation qui aurait tellement dévasté le fonds qu'il ne donnerait aucun revenu pendant trois années.
Dans le second cas, la perte des revenus n'est pas totale, mais elle est telle que, désormais, les profits ne pourront dépasser la redevance à payer: ce serait la ruine du preneur à courte échéance.
On peut supposer, pour l'application de ce second cas, la destruction de plantations, de travaux d'irrigation ou de desséchement qui ont coûté des sommes plus ou moins considérables et que le preneur ne peut ou ne veut recommencer: s'il en résulte que les profits soient diminués au point de ne pas lui laisser d'excédant après avoir payé la redevance, il peut faire résilier le bail.
Art. 170. Le principal but de l'emphytéose étant, comme on l'a dit plusieurs fois, l'amélioration des terres, et le prix du bail étant ordinairement faible, il est naturel que l'amélioration du fonds profite au bailleur, lorsque le contrat a pris fin et que le preneur a pu en tirer un profit légitime.
D'ailleurs, à part l'enlèvement des arbres, que la loi refuse, parce qu'ils ont peu coûté au moment de la plantation, les autres améliorations, étant plus ou moins incorporées au sol, seraient difficiles à évaluer et deviendraient une source de contestations: il est donc naturel qu'elles restent au bailleur sans indemnité.
Au contraire, les constructions peuvent avoir coûté beaucoup à établir et sont faciles à distinguer du sol: il serait dur pour le preneur de les laisser sans indemnité. Il pourra donc les enlever, à moins que le bailleur ne préfère les acquérir, en lui en payant la valeur, suivant les règles établies aux articles 70 et 144.
§ II. DE LA SUPERFICIE.
Art. 171. Dans les pays où le prix du sol est relativement élevé, il s'est établi une modification du droit de propriété dont le présent article donne le caractère principal: le sol même, le tréfonds, appartient à une personne et les édifices ou superficies appartiennent à une autre.
On pourrait s'étonner que, le droit de superficie étant, comme le dit notre article, un droit particulier de propriété, il n'en ait pas été traité au Chapitre même de la Propriété. Mais le superficiaire n'a pas la propriété du tréfonds; il n'a pas même celle de la surface du sol sur laquelle portent ses constructions ou plantations; enfin, il paye une redevance annuelle comme un preneur, et même comme un preneur à emphytéose; il est donc naturel de réunir l'emphytéose et la superficie, comme il est d'usage d'ailleurs dans les pays qui admettent ces deux droits.
Art. 172. Le but du présent article est de faire remarquer la grande différence qu'il y a entre la superficie et le bail, soit ordinaire, soit emphytéotique: tandis que ces deux sortes de baux ne peuvent s'établir que par un contrat spécial, le droit de superficie, étant surtout un droit de propriété immobilière, quoique limité, comporte les mêmes modes d'établissement que la propriété ordinaire réunissant le sol et les bâtiments ou plantations.
Il se transmet aussi de la même manière: notamment, par succession; sous ce rapport, il ressemble au bail, mais cela le sépare de l'usufruit.
Au surplus, la loi réunit dans cet article deux hypothèses qui ne sont pas tout-à-fait identiques:
1° Des constructions et plantations existent déjà au moment de l'établissement du droit de superficie: alors il y a aliénation principale de celles-ci, le bail du sol n'étant que l'accessoire:
2° Le sol a été spécialement loué “pour bâtir ou pour planter” : alors le droit de superficie ne naîtra qu'avec les constructions mêmes ou les plantations, sans nouvel acte entre les parties; on peut dire, dans ce cas, que le droit de superficie résultera de l'accomplissement de la condition du bail qui peut, dès lors, excéder 50 ans, comme on le verra plus loin, pourvu que les bâtiments ou plantations soient établies avant 30 ans.
Dans le premier cas, il est évident que le superficiaire devient un acquéreur d'immeubles, soit par vente ou échange, soit par donation; dès lors, on applique à la constitution du droit de superficie les règles des cessions d'immeubles, tant pour la capacité d'aliéner que pour les formes à observer dans l'acte et pour les conditions de publicité à remplir dans l'intérêt des tiers, telles qu'elles sont établie dans la IIe Partie du présent Livre. Dans le second cas, l'acte sera soumis à la publicité comme bail; il exigera aussi la capacité d'aliéner, puisqu'il excède les pouvoirs d'un simple administrateur.
Art. 173. Le cas où le superficiaire payera une redevance annuelle sera, sans doute, le plus fréquent, parce que, lors même qu'il y aura des constructions ou plantations, elles ne lui auront été cédées, généralement, que pour leur valeur actuelle et intrinsèque: la redevance compensera alors la jouissance temporaire du sol.
Incontestablement, il y aura toujours une redevance à payer, lorsque, en l'absence de constructions actuelles, le superficiaire aura acheté seulement “le droit de bâtir.”
Il est naturel, en pareil cas, d'appliquer les règles du bail emphytéotique, spécialement, en ce qui concerne la solidarité et l'indivisibilité (art. 167) et le défaut de payement de la redevance (art. 168).
Art. 174. Il arrivera, le plus souvent, sans doute, que les parties détermineront l'étendue du terrain accessoire des bâtiments cédés au superficiaire; mais la loi doit toujours suppléer à l'imprévoyance des parties, en s'attachant à leur intention probable. Or, il est évident que l'acheteur de la superficie n'a pas entendu n'avoir que les bâtiments, sans aucun terrain alentour: autrement, l'usage lui en serait presque impossible.
La loi fait une chose juste et raisonnable, en accordant au superficiaire une portion de terrain égale à la surface totale de l'assise des bâtiments.
Sans doute, dans les grandes villes, où le terrain a une grande valeur, ce pourrait être un trop lourd sacrifice du propriétaire; mais, c'est à lui de limiter ce terrain accessoire dans le contrat même.
La détermination de cet espace environnant les constructions sera faite par experts, quand elle ne le sera pas d'un commun accord par les parties.
Si le terrain manquait, d'un ou plusieurs côtés, le superficiaire ne pourrait prétendre à une compensation des autres côtés, parce qu'il n'a pu compter sur un espace que la nature des lieux ne présentait pas; c'est pourquoi la loi dit qu'on tiendra compte de la configuration du sol; on tiendra compte aussi de la destination des diverses parties du bâtiment: on distinguera ce qui est destiné au service domestique de ce qui a rapport à l'habitation du maître; de même, s'il s'agit d'une maison destinée au commerce ou à l'industrie, le sol environnant sera réparti autrement que s'il s'agit d'une maison d'agrément.
Pour ce qui concerne l'espace environnant les arbres, il fallait aussi que la loi suppléât au silence des parties, car il est clair qu'elles n'ont pas entendu que le superficiaire n'eût que l'espace occupé par le tronc des arbres.
Il était impossible de s'attacher à l'espace occupé par les racines; car, outre que cet espace est variable et progressif, la vérification en est difficile et nuisible aux arbres. La loi a adopté la solution la plus favorable au superficiaire. Si le cédant la trouve excessive, il la réduira par le contrat.
Lorsque le terrain a été loué “pour bâtir,” le superficiaire est présumé avoir tenu compte des dimensions de terrain nécessaires pour le service de ses constructions et il ne pourrait en demander plus tard un supplément.
Art. 175. Il a paru bon d'exprimer que le superficiaire, bien qu'il plante ou construise en vertu d'un droit qui lui a été cédé par celui dont il va se trouver voisin, doit observer les distances prescrites par la loi pour les constructions et plantations: la situation n'est pas différente pour le superficiaire de celle d'un acheteur de sol qui se trouverait voisin de son vendeur. Le voisin de son côté sera soumis aux mêmes obligations vis-à-vis du superficiaire.
Art. 176. La loi ne pouvait soumettre le droit de superficie à la même durée que l'emphytéose: cette durée aurait pu être excessive dans certains cas et insuffisante dans d'autres.
Elle distingue si le titre constitutif a assigné ou non une durée déterminée au droit de superficie.
Au premier cas, la convention sera observée. Au second cas, il eût pu paraître raisonnable de s'attacher à la nature des constructions (pierres, briques ou bois) et de faire durer le droit en raison directe de la solidité probable des édifices, répondant d'ailleurs au coût probable de leur établissement; mais, dans chacun de ces genres de constructions, il y a bien des variétés possibles; en outre, si les bâtiments existaient déjà au moment où la superficie avait été cédée, il était possible qu'ils eussent déjà une plus ou moins grande ancienneté. Le système auquel la loi s'est arrêtée répond à l'intention probable des parties: le droit durera autant que les bâtiments.
Mais le superficiaire pourrait abuser de sa position, en remettant les bâtiments à neuf, périodiquement et à mesure qu'ils seraient menacées de tomber de vétusté.
La loi prévient cette fraude, qui éterniserait presque le droit de superficie, en défendant les grosses réparations ou réconfortations. Le superficiaire ne pourra faire ces travaux que si le propriétaire l'y autorise et il est clair que celui-ci pourra mettre à cette autorisation les conditions qu'il jugera à propos; dans tous les cas, les droits des tiers seront respectés.
Pour ce qui concerne les plantations, le système de la loi est également facile à justifier: quand les arbres ont atteint leur plus grand développement utile, c'est-à-dire, quand ils ne gagneraient pas à être conservés, le droit doit cesser: le superficiaire les arrachera et son droit prendra fin, faute d'objet. Il en serait évidemment de même, si les arbres étaient détruits par accident.
Dans ce même cas où le droit de superficie n'a pas de durée fixée par le titre constitutif (ou par un acte postérieur toujours possible), le superficiaire peut y mettre fin par un congé; mais la loi refuse ce droit au propriétaire.
Le motif de cette différence entre la superficie et le bail, tant ordinaire qu'emphytéotique, où le droit de donner congé d'un bail d'une durée indéterminée est réciproque, est que la superficie est un droit de propriété de bâtiments et plantations, bien plus qu'un bail du sol; or, il ne doit pas être permis au propriétaire du sol de mettre fin à un droit de propriété d'autrui. Au contraire, le superficiaire peut ne pas trouver un profit suffisant de ses bâtiments ou plantations, ou il peut désirer les transporter ailleurs; il est donc juste qu'il puisse abandonner son droit: il lui suffit pour cela de prévenir le propriétaire un an à l'avance ou de perdre une annuité.
La loi ne s'arrête pas au cas, plus rare, où il aurait été assigné au droit de superficie une durée déterminée: il faut, naturellement, que, dans ce cas, le droit cesse de plein droit à l'arrivée du temps fixé, et qu'il n'y aura pas lieu à tacite réconduction.
Le motif de cette dérogation au droit commun du bail, tant ordinaire qu'emphytéotique est qu'au cas de tacite réconduction, il faudrait encore un congé pour y mettre fin; or dans ce cas, il serait impossible de ne pas accorder aux deux parties un droit égal de le signifier. Mieux vaut donc refuser ce droit à l'une et à l'autre et observer les conditions premières du contrat; le superficiaire d'ailleurs n'en éprouvera pas un dommage imprévu, car il a dû songer d'avance à se retirer et à disposer de ses bâtiments ou plantations. Mais, bien entendu, il pourra toujours y avoir une réconduction expresse: la loi ne présume plus la volonté des parties, mais elle ne prétend pas défendre de l'exprimer.
Art. 177. Dans certains pays d'Europe, où le droit de superficie est toujours établi pour un délai préfix, les constructions et plantations sont, à l'expiration du délai, acquises au propriétaire du fonds, sans indemnité. On ne peut pas dire que ce soit injuste, le superficiaire ayant accepté d'avance cette condition rigoureuse, portée dans la loi ou dans la convention.
Dans d'autres pays, le propriétaire du sol ne reprend les bâtiments acquis par le superficiaire, à l'origine, ou édifiés par lui, qu'à charge de les payer: c'est un droit légal de préemption.
C'est ce dernier système qu'on a préféré pour le Japon et qu'on avait adopté déjà pour l'usufruitier, pour le preneur ordinaire et pour l'emphytéote.
Art. 178. La loi a dû se préoccuper ici, comme au sujet de l'emphytéose, de l'influence de ces nouvelles dispositions sur les droits de superficie qui se trouveront déjà établis au moment de la mise à exécution du présent Code.
Conformément aux principes de la non-rétroactivité des lois, elle respecte les droits acquis.
De là deux dispositions distinctes:
1° Pour les droits auxquels les parties ont assigné une durée déterminée, il y a pour chacune d'elles, un droit acquis, en vertu de la convention, à jouir, pendant tout le temps fixé, soit de la superficie, soit de la redevance: la loi le respecte absolument. Il faudra cependant distinguer le cas où il serait prouvé que le terme a été fixé dans l'intérêt du superficiaire seul, ce qui sera le plus fréquent: dans ce cas, il pourra se retirer, en observant les règles et conditions antérieurement reçues;
2° Pour les droits qui n'avaient pas de durée fixée, le droit durera autant que les bâtiments, si le superficiaire ne le fait cesser auparavant par un congé.
A l'égard du droit de préemption qui n'existe pas aujourd'hui dans les coutumes japonaises, et que la loi nouvelle admet, il est déclaré applicable aux anciens droits de superficie.
CHAPITRE IV.
DE LA POSSESSION.
§ 1er. DES DIVERSES ESPÈCES DE POSSESSION ET DES CHOSES QUI EN SONT SUSCEPTIBLES.
Art. 179 et 180. Dans le sens le plus simple et, en même temps, le plus usité du mot, la possession est “le fait d'avoir une chose à la libre et entière disposition.” Mais comme la possession s'applique aux droits plus encore qu'aux choses corporelles, il vaut mieux la définir “l'exercice d'un droit, réel ou personnel,” que l'on a ou que l'on prétend avoir ".
La possession consiste dans des faits plus ou moins répétés, tels que les accomplit ordinairement celui auquel appartient réellement le droit dont il s'agit.
Quand ce fait est réuni au droit, ce qui est le cas normal et le plus fréquent, la loi n'a guère à s'en occuper: les garanties qu'elle accorde au droit lui-même s'appliquent en même temps au fait de la possession.
Mais quand celui qui possède n'a pas en réalité le droit qu'il prétend avoir ou quand, l'ayant, il n'est pas en mesure de le prouver, alors la loi ne cesse pas de lui accorder encore certains avantages, à commnecer par la garantie de sa possession elle-même, laquelle lui sera maintenue ou rendue par des actions spéciales dites possessoires, s'il est troublé ou dépossédé par un tiers moins intéressant que lui.
Or, une situation ainsi reconnue par la loi et garantie par des actions en justice n'est pas seulement un fait: elle a bien tous les caractères d'un droit et on peut l'appeler “droit de possession” ; aussi l'article 2 fait-il figurer la possession dans l'énumération des droits réels.
La définition qui précède ne s'applique qu'à la possession civile. L'article 179 en reconnaît deux autres: la possession naturelle et la possession précaire; à l'une et à l'autre, il manque un caractère essentiel, celui de l'intention, chez le possesseur, d'avoir à soi la chose ou le droit possédé; dès lors, ces deux possessions ne procurent pas les mêmes avantages et ne sont pas garanties par les mêmes actions en justice, comme cela résulte des dispositions ultérieures.
Ce n'est que dans la Section IIIe qu'on verra quels sont les avantages attachés à la possession civile. Pour le moment et afin de donner intérêt à ce que la loi dit ici des diverses espèces de possession, il suffit d'annoncer que la possession civile peut procurer au possesseur trois avantages: 1° elle établit en sa faveur une présomption légale que le droit qu'il exerce comme sien lui appartient en réalité, sauf la preuve contraire; 2° elle peut lui faire acquérir les fruits et produits de la chose possédée; 3° elle peut le mener au bénéfice de la prescription dite “acquisitive” .
Mais ces avantages sont plus ou moins complets, suivant certaines distinctions: la possession peut être fondée sur une juste cause ou non, être de bonne foi ou de mauvaise foi, enfin être vicieuse ou exempte de vices. Ces distinctions sont l'objet des articles suivants.
Art. 181. La loi définit le juste titre ou la juste cause. Les actes juridiques qui ont ce caractère peuvent être onéreux, comme la vente, l'échange, la société, ou gratuite, comme la donation ou le legs.
Il ne faudrait pas voir l'opposé du juste titre dans le louage, le prêt, le mandat; celui qui possèderait en vertu de pareils titres ne pourrait avoir l'intention d'avoir à soi, laquelle est le caractère distinctif de la possession civile: il n'aurait que la possession précaire, objet de l'article 185, ci-après.
L'opposé du juste titre, c'est l'absence de titre, c'est-à-dire l'usurpation; la possession est dite alors injuste ou sans cause.
Art. 182. La possession civile caractérisée par “l'intention d'avoir à soi” n'implique pas nécessairement la bonne foi, c'est-à-dire la croyance chez le possesseur que le droit lui appartient: il peut être de bonne ou de mauvaise foi, avec des effets différents.
La bonne foi suppose un juste titre, tel qu'il est défini à l'article précédent, c'est-à-dire un titre d'une apparence légitime, mais manquant d'une condition essentielle: la qualité, chez le cédant, nécessaire à lui permettre de conférer le droit dont il s'agit. Si le possesseur ignore ce défaut de qualité, ce vice de son titre, il est de bonne foi; dans le cas où il n'a pas cette ignorance, il est de mauvaise foi.
Mais pour que l'ignorance du possesseur le constitue de bonne foi, il faut qu'elle provienne d'une erreur de fait et non d'une erreur de droit. Ainsi le possesseur croit avoir traité avec le véritable propriétaire et il y a eu erreur sur la personne, ou avec son mandataire et le mandat était révoqué; il est de bonne foi, dans le sens de la loi. Mais s'il a cru traiter valablement avec un mineur, ou s'il a ignoré que certaines formalités étaient nécessaires pour la validité de l'acte sur lequel il prétend fonder son droit, il pourra être honnête, mais il ne sera pas de bonne foi.
Cette honnêteté pourtant ne lui sera pas inutile, comme on le verra à l'article 194 auquel renvoie notre article.
C'est au moment où l'acte a été fait que la loi requiert la bonne foi, pour que la possession ait tous ses avantages. Si le possesseur découvre plus tard le vice de son titre, il ne perd pas rétroactivement le bénéfice de sa bonne foi: ainsi, il continuera à jouir d'une prescription plus courte que s'il avait été de mauvaise foi à l'origine; mais il ne gagnera plus les fruits et produits de la chose perçus postérieurement à sa découverte.
Art. 183. L'existence des deux vices de la possession ici prévus n'exclut pas nécessairement le juste titre et la bonne foi.
Sans doute, une possession obtenue par la violence sera rarement fondée sur un juste titre; cependant, si quelqu'un avait été contraint à vendre un bien qu'il possédait, le nouveau possesseur aurait dans la vente un juste titre et, s'il avait cru aux droits de son cédant, il serait de bonne foi, mais sa possession serait vicieuse; de même, si, ayant acheté sans violence d'un autre que le vrai propriétaire, le possesseur ne s'était maintenu en possession que par des menaces contre le vrai propriétaire désirant recouvrer sa chose. Dans ce dernier cas, il pourrait aussi y avoir bonne foi; car on peut mettre d'autant plus d'âpreté à défendre sa possession qu'on la croit plus légitime.
La clandestinité est encore mieux compatible avec le juste cause et avec la bonne foi. Ainsi, quelqu'un ayant acheté une chose qu'il croyait appartenir à son cédant, a, depuis lors, découvert son erreur; craignant alors la revendication du vrai propriétaire, il a dissimulé sa possession, de manière à ne pas attirer l'attention de celui-ci: sa possession, qui est toujours considérée comme de bonne foi, à l'origine, est devenue vicieuse, après avoir été régulière et utile.
Lors même que, dans beaucoup de cas, le vice de violence ou celui de clandestinité se rencontrerait avec le défaut de titre ou avec la mauvaise foi, il ne serait pas moins très important de séparer ces qualités défavorables de la possession; en effet, le défaut de titre ou de juste cause et la mauvaise foi retardent le bénéfice de la prescription, mais ne le suppriment pas; il en est autrement de la violence et de la clandestinité.
On vera plus loin l'influence de la violence et de la clandestinité sur l'acquisition des fruits.
La loi indique clairement comment le vice de la possession peut cesser. Il va sans dire que le changement de qualité de la possession n'est que pour l'avenir et sans rétroactivité, comme cela a lieu pour la bonne ou la mauvaise foi, d'après l'article précédent.
Remarquons, en terminant, que les deux vices de la possession dont il s'agit sont relatifs et non absolus.
Ainsi, la possession acquise ou conservée par des menaces contre une personne n'empêcherait pas de prescrire ou d'acquérir les fruits contre une autre personne qui se trouverait être le vrai propriétaire et à l'égard de laquelle on n'aurait usé d'aucune menace.
Il en est de même d'une possession qui aurait été clandestine ou dissimulée à l'égard d'une personne que le possesseur croyait par erreur le vrai propriétaire, et qui aurait été, au contraire, connue de celui-ci, parce que le possesseur ne se croyait aucun intérêt à la lui dissimuler.
En sens inverse, le défaut de juste titre et la mauvaise foi sont des qualités défavorables de la possession qui peuvent être opposées au possesseur par tout intéressé: leur effet nuisible est absolu et non pas relatif.
Art. 184. La possession naturelle est un pur fait, tout physique et matériel, sans rien de juridique. La loi peut le constater, le tolérer, mais elle ne le protège pas: elle ne lui accorde aucune des garanties et ne lui reconnaît aucun des effets avantageux qui caractériseront la possession civile et en font un droit.
Les cas de possession naturelle ne sont pas rares: il arrive souvent qu'à la faveur du voisinage, de la parenté ou de l'amitié, on se sert du bien d'autrui, d'un meuble ou d'un immeuble, sans autorisation du vrai propriétaire, quelquefois à son insu, mais sans intention de se l'approprier, ni sans prétendre avoir aucun droit sur cette chose. C'est une possession naturelle.
Si l'on faisait usage de la chose d'autrui avec la permission du propriétaire, comme en vertu d'un prêt à usage, ou si on la détenait en vertu d'un dépôt, la possession serait toujours naturelle; mais elle prendrait spécialement le nom de précaire, comme il est dit à l'article suivant.
Le présent article, en nous disant que les biens du domaine public ne sont susceptibles que de possession naturelle, de la part des particuliers, consacre ce qui a été dit sous l'article 26, à savoir que ces biens ne peuvent appartenir à des personnes privées, ni être pour elles l'objet d'un droit. Il en résulte que, lors même qu'un particulier détiendrait une portion du domaine public, en s'en prétendant propriétaire, sa position ne serait pas meilleure que s'il n'avait aucune prétention de ce genre.
Il ne faudrait pas en conclure la réciproque. Ainsi, l'Etat pourrait très bien posséder civilement, comme faisant partie du domaine public, des biens appartenant à des particuliers, justement, parce que la nature de ces biens ne s'oppose pas à leur facile changement de destination: un bien privé peut passer dans le domaine public sans aucune formalité particulière, dès qu'il est régulièrement affecté à un service national; tandis qu'un bien du domaine public ne peut devenir bien privé qu'après avoir été déclassé.
On remarquera que la loi n'étend pas à toutes les choses qui sont hors du commerce, d'après l'article 26, la disposition prohibitive qui concerne les choses du domaine public.
Art. 185. La possession précaire peut être considérée comme une variété de la possession naturelle, puisque le possesseur ne prétend pas avoir pour lui la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce et que de plus, il détient la chose ou exerce le droit pour une autre personne, soit en vertu d'un mandat ou d'une gestion d'affaires spontanée, soit en vertu d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'un autre contrat l'obligeant à conserver la chose avec soin et à la restituer à l'autre contractant.
D'un autre côté, cette personne pour laquelle possède le possesseur précaire se trouve avoir elle-même par celui-ci la possession civile, si elle a l'intention d'avoir à soi la chose ou le droit possédé: c'est elle qui aura les trois avantages de la possession et les actions qui la garantissent.
Il faut considérer également comme possesseurs précaires ceux qui détiennent à titre de gage, d'antichrèse, d'usufruit, de servitude ou de louage.
Cependant ces personnes ont un droit réel qu'elles exercent en leur nom, pour leur compte, et non pour le compte et dans l'intérêt d'autrui. Quand on dit que ce sont des possesseurs précaires; c'est par rapport au droit de propriété qu'on l'entend. En effet, quoique ces possesseurs détiennent la chose et puissent abusivement faire des actes de propriétaire, ces actes ne les conduiront pas à la prescription acquisitive de la propriété; mais, pour ce qui est du droit même que leur confère leur titre, ils ne sont pas possesseurs précaires, ils possèdent pour eux-mêmes; bien plus, ils seront, le plus souvent, titulaires légitimes du droit qu'ils possèdent; car, dans ce cas, il n'y a pas de raison particulière de supposer qu'ils ont traité avec quelqu'un qui n'avait pas qualité pour céder le droit dont il s'agit.
Pour trouver des possesseurs précaires à l'égard de l'usufruit et des autres droits réels formant des démembrements de la propriété, il faudrait supposer des possesseurs exerçant ces droits au nom et pour le compte d'autrui, comme un tuteur, un mari, un administrateur.
La précarité pourrait être qualifiée de vice de la possession et mise, comme telle, sur la même ligne que la violence et la clandestinité. Cette assimilation serait fondée sur ce que la précarité met obstacle à la prescription et même un obstacle plus considérable, car elle est, généralement, une qualité absolue et non pas relative comme les deux autres. Mais il vaut mieux éviter de dire que la précarité est un vice de la possession, puisqu'elle ne contient en elle-même ni faute, ni dissimulation.
Puisque la précarité, à la différence de la violence et de la clandestinité, est une qualité absolue et non pas relative de la possession, le possesseur précaire ne pourra se prévaloir de sa possession, non-seulement à l'encontre de celui au nom et pour le compte duquel il possède, mais même à l'encontre d'aucune autre personne.
La précarité cesse, en principe, comme les vices de la possession, par la survenance de la qualité qui manquait à la possession: par exemple, quand le possesseur, par changement d'intention, commence à posséder pour lui-même.
Mais le principe reçoit exception et devient d'une application plus difficile, lorsque le possesseur précaire détenait la chose en vertu d'un titre qui constituait formellement sa précarité, comme un dépôt, un prêt, un louage. En pareil cas, il ne peut pas dépendre de la volonté ou de la seule intention du possesseur de transformer sa possession, au mépris d'un titre auquel le titulaire légitime du droit a participé et sur lequel il a fondé sa sécurité: il faut alors l'un ou l'autre des deux actes formels prévus par notre article, pour que la possession, de précaire qu'elle était, devienne civile.
Ces deux actes ne demandent que peu d'explications.
1° Si le possesseur précaire prétend exercer à l'avenir, en son nom et pour son compte, le droit dont il s'agit, il signifiera à celui pour le compte duquel il possédait en vertu d'un titre, que, désormais, il se considère comme titulaire du droit. La signification sera dite judiciaire, quand elle aura le caractère d'une demande en justice, et extrajudiciaire, quand elle ne constituera pas une demande en justice, mais, au moins, sera faite en bonne et due forme, par un officier public, suivant les règles de la procédure extrajudiciaire.
Dans cette signification, le possesseur donnera naturellement ses motifs; s'il ne les donne pas ou s'ils ne sont pas trouvés suffisants par son adversaire, ce dernier les contestera et le procès s'engagera; de toute manière, la précarité cesse, au moins jusqu'à la décision finale, et elle cesse vis-à-vis de tout le monde.
Toutefois, si la signification dont il s'agit avait dû être faite à plusieurs intéressés et n'avait été faite qu'à un seul, la précarité ne cesserait qu'à l'égard de celui-là; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que le vice dont il s'agit n'est absolu qu'en général: voilà un cas où il est relatif.
2° Le possesseur précaire commence à posséder civilement et pour lui-même, quand son titre est interverti, changé en un autre titre qui l'autorise à posséder désormais pour lui-même.
Ce nouveau titre peut émaner soit de celui pour lequel avait lieu la possession, soit d'un tiers.
Ainsi, quelqu'un détenait, comme dépositaire ou emprunteur, une chose qui lui avait été confiée par un autre que le propriétaire: il n'aurait pu la prescrire, ni contre le déposant, ni contre le vrai propriétaire; mais, plus tard, il fait avec le déposant ou le préteur un contrat d'achat ou d'échange qui l'autorise à posséder désormais la chose comme sienne: il la prescrira.
Le cas où le possesseur traite avec un tiers donnerait le même résultat; il sera peut-être de bonne foi, peut-être de mauvaise foi; cela influera sur le temps requis pour la prescription, mais la mauvaise foi n'empêchera pas celle-ci.
La loi n'a pas à prévoir une interversion du titre provenant du véritable propriétaire, parce qu'alors le possesseur deviendrait lui-même propriétaire et il ne serait plus question de la simple possession.
Art. 186, 187 et 188. Ces trois articles se rapportent à la preuve des qualités de la possession.
C'est un principe général que celui qui invoque un droit doit prouver que ce droit lui appartient, et, si le droit est soumis à des conditions particulières, l'existence de ces conditions doit elle-même être prouvée.
Mais quelquefois, la preuve directe serait difficile, et si, en même temps, il existe des vraisemblances, des probabilités, fondées sur les faits ordinaires de la vie, alors la loi présume, suppose, l'existence de tout ou partie des conditions dont la preuve se trouve ainsi fournie; mais la preuve contraire est permise, en général, et elle peut se faire par tous les moyens ordinaires de preuve.
Ainsi, la condition essentielle de la possession civile ou légale est que le possesseur exerce pour lui-même le droit dont il s'agit; or, comme il est bien plus fréquent qu'une personne possède pour elle-même que pour autrui, la loi présume cette condition remplie par le possesseur.
Mais le contraire aussi est possible; c'est donc à celui qui conteste la possession civile à prouver directement que la possession est précaire. Cette preuve se fera, soit par le titre même en vertu duquel la possession a été prise, par exemple, si c'est un dépôt, un prêt, un louage, soit par les circonstances du fait desquelles il résulte que le possesseur a reconnu le droit d'autrui; ces circonstances elles-mêmes se prouveront par témoins ou par des écrits publics ou privés.
Rappelons que la preuve de la précarité résultant du titre serait détruite, si le possesseur se trouvait dans l'un des deux cas prévus à l'article précédent.
L'article 187 contient deux dispositions différentes, au sujet de deux qualités très importantes de la possession civile.
D'après la première disposition, qui n'est qu'implicite, le juste titre ne se présume pas: il doit être prouvé. On pourrait dire, cependant, qu'ici encore la généralité des cas paraîtrait motiver une présomption légale favorable au possesseur; en effet, l'usurpation, la prise de possession sans titre, sont rares; mais, d'un autre côté, le juste titre, s'il existe, doit être si facile à prouver par les moyens ordinaires que la faveur d'une présomption n'a plus la même raison d'être.
Au contraire, une fois le juste titre prouvé directement, la bonne foi est présumée par la loi, et cela devait être, non-seulement parce que l'honnêteté est plus fréquente que la fraude, mais encore parce que la bonne foi serait difficile à prouver directement: elle consiste, en effet, dans l'ignorance des droits du véritable titulaire; elle a un caractère plutôt négatif que positif, et la preuve d'une négation est toujours difficile: tandis que, si la possession est de mauvaise foi, l'adversaire du possesseur le pourra facilement prouver.
Voici encore deux solutions différentes pour deux autres qualités de la possession.
La loi ne pouvait évidemment présumer la violence qui est un délit; en outre, il serait difficile au possesseur de prouver qu'il n'a pas commis de violence à l'origine, et qu'il ne s'est pas maintenu en possession par une violence continue: ce sont encore là des négations fort difficiles à prouver. En même temps, il sera très facile à l'adversaire du possesseur de prouver directement, par témoins, que celui-ci a commis des actes de violence.
Au contraire, la publicité est un fait positif et continu, dont la preuve directe par le possesseur est d'autant plus facile qu'il a dû avoir pour témoins tout le monde, au moins toutes les personnes de la localité; il n'y a donc aucune raison de présumer la publicité.
La durée de la possession n'en change pas la nature; mais elle en augmente les effets, en général. Il est vrai que le premier avantage de la possession, à savoir, la présomption d'existence du droit exercé est indépendant de la durée de la possession; mais la prescription des immeubles est subordonnée à une longue possession; l'acquisition des fruits civils qui a lieu jour par jour, sans acte de perception (art. 194), augmente avec la durée de la possession; enfin, l'exercice de deux actions possessoires est subordonné à une possession annale (art. 203); il y a donc pour le possesseur un grand intérêt à établir la durée de sa possession, et par contre, chez le vrai propriétaire, un grand intérêt à la contester.
La loi, ici encore, établit une présomption légale en faveur du possesseur: s'il prouve qu'il a possédé à deux époques différentes, plus ou moins éloignées, il est présumé avoir possédé dans l'intervalle, sauf toujours la preuve contraire, par tous les moyens possibles.
Généralement, l'une de ces époques est celle du procès entre le possesseur et le vrai propriétaire (action en revendication ou action possessoire), l'autre époque est celle qui, par son éloignement, suffirait pour assurer au possesseur le bénéfice de la prescription ou au moins de l'action possessoire. Quand le possesseur a prouvé directement sa possession à ces deux époques extrêmes, il est dispensé de prouver qu'il a possédé dans l'intervalle: outre qu'il lui serait bien difficile de prouver directement qu'il a possédé sans discontinuité, la vraisemblance de fait en ce sens est pour lui; la loi statue pour ce qui arrive le plus souvent.
SECTION II.
DE L'ACQUISITION DE LA POSSESSION.
Art. 189 et 190. L'article 189 consacre une règle déjà impliquée dans la définition donnée par l'article 180, à savoir que la possession civile a deux éléments essentiels: l'un de fait et, pour ainsi dire matériel ou corporel, l'autre d'intention et purement intellectuel. Il n'y a pas besoin d'y insister davantage: la loi devait présenter cette double condition comme nécessaire à l'acquisition de la possession.
La différence établie par l'article 190 entre le fait et l'intention se justifie aisément.
Les éléments de fait qui constituent la possession ne pourraient raisonnablement être exigés de celui même qui doit bénéficier de la possession: les moyens d'action d'un seul individu sont forcément très limités; chacun a besoin de confier à autrui une partie de ses intérêts, pour la surveillance, la conservation et même l'amélioration de ses biens.
Mais, il y a un élément de la possession qu'il est inutile et on pourrait dire défendu de déléguer, c'est l'intention, la volonté d'avoir le droit; car cette volonté, cette intention, n'est pas plus difficile à avoir pour une chose que pour une autre; elle peut embrasser un nombre indéfini d'objets; il est donc inutile de la déléguer à autrui, du moment d'ailleurs que la loi n'exige pas qu'elle se manifeste d'une manière déterminée.
L'exception à cette deuxième règle ne commence qu'avec la nécessité, et, cette nécessité, la loi ne la voit que dans deux cas: celui des personnes incapables et celui des personnes dites “morales,” lesquelles ne peuvent avoir de volonté que par l'organe de leurs représentants légaux.
Il ne faut pourtant pas exagérer le sens restrictif de la seconde règle, à savoir que l'intention de posséder ne peut se déléguer et doit toujours se trouver chez le bénéficiaire. Ainsi, on peut valablement donner mandat à un serviteur, à un préposé ou à un ami de se rendre acquéreur et de prendre possession d'une ou plusieurs choses incomplètement déterminées, à l'égard desquelles on lui laisse une plus ou moins grande liberté de choix; mais on ne doit pas hésiter à dire qu'en pareil cas l'intention de posséder se trouve suffisamment chez le mandant: il a voulu d'avance posséder ce qui serait choisi et acheté par son mandataire. Il n'est pas nécessaire non plus que le mandant connaisse le moment précis auquel son mandat a été exécuté: son intention existe, dès que le mandat est donné; l'effet seul en est retardé. Il en serait autrement, si la possession avait été prise pour autrui, sans mandat, mais par le bon office spontané d'un gérant d'affaires; dans ce cas, celui dont les affaires ont été gérées n'acquerrait la possession que lorsqu'il aurait connu et ratifié la prise de possession.
Art. 191. Le texte consacre ici une double règle qui remonte au droit romain et qui est admise encore aujourd'hui en Europe. Dans les deux cas prévus au texte, la possession matérielle ne change pas de mains, en fait, et elle est considérée comme en ayant changé en droit.
Les deux cas sont l'inverse l'un de l'autre. Au premier cas, un dépositaire, un emprunteur à usage, un locataire, par exemple, n'avait qu'une possession précaire, il détenait la chose pour le compte du propriétaire, ou, tout au moins, pour le compte de celui qui lui en avait fait le dépôt, le prêt ou le bail; ensuite, désirant acquérir la propriété de cette même chose, il passe une contrat d'achat avec celui qui la lui avait remise.
Dans une législation formaliste, il serait nécessaire que le dépositaire ou le locataire, devenu acheteur, restituât d'abord la chose à celui de qui il l'avait précédemment reçue à titre précaire, puis la reçût du même contractant, au nouveau titre de vente; mais on doit admettre, par un besoin naturel de célérité et de simplicité, que cette double tradition est censée faite par un changement d'intention: le possesseur précaire devient possesseur civil par une tradition abrégée; de là l'expression de “tradition de brève main.”
Au second cas, les faits sont inverses: un propriétaire vend sa chose, ou un possesseur vend la chose qu'il détient comme sienne; s'il en fait la tradition immédiate à l'acheteur, celui-ci aura la possession matérielle jointe à l'intention; mais si, pour une raison de convenance personnelle, le vendeur désire conserver l'usage temporaire de la chose, il peut l'obtenir: mais en reconnaissant que, désormais, il possède précairement, au nom et pour le compte de l'acheteur. Celui-ci possède par le fait d'autrui: il est censé avoir reçu d'abord la possession de la chose en vertu du contrat de vente et l'avoir aussitôt restituée à titre de prêt ou de louage.
Le dernier alinéa applique la même théorie à la prise de possession d'un droit par le changement d'intention chez celui qui l'exerçait pour lui-même et est autorisé à l'exercer pour son cessionnaire. Dans ce cas, il n'y a même pas besoin de recourir à la fiction d'une double tradition: le changement de volonté suffit à expliquer le changement du droit.
Quant à l'expression de “constitut possessoire,” elle est consacrée par un long usage pour indiquer cette opération purement intentionnelle: on aurait pu en trouver une plus explicite; mais, elle a, elle-même, pour ainsi dire, la possession de l'usage, il est bon de l'y maintenir, jusque dans la loi japonaise.
Art. 192. Dans le cas du 1er alinéa de cet article, il y a continuation de la possession, et jonction dans le second.
L'héritier ou tout autre successeur universel est le continuateur légal de son auteur: il succède à ses droits et avantages comme à ses charges et obligations; s'il y a des exceptions à cette règle, elles ne concernent pas la possession, au moins pour les choses et les droits composant le patrimoine. Il y a donc, légalement parlant, identité et continuation de possession entre l'auteur et son héritier.
En conséquence, si la possession de l'auteur était précaire, elle restera telle chez l'héritier, tant qu'il n'en aura pas changé la cause et la nature, conformément à l'article 185, et comme aurait pu d'ailleurs le faire son auteur lui-même.
Si la possession de l'auteur était civile, mais sans titre, elle restera sans titre pour l'héritier: le fait de succéder à titre d'héritier n'est une juste cause d'acquérir que pour les choses et les droits qui déjà appartenaient réellement à l'auteur.
Les vices de violence et de clandestinité ne continueraient pas nécessairement chez l'héritier, mais ce n'est pas parce qu'il y a changement de personne: c'est par la même raison que pour la précarité, à savoir, parce que chez l'auteur même, ces vices pouvaient cesser. Si donc l'héritier n'a pas eu à prolonger la violence pour continuer de posséder, de même s'il a donné une publicité suffisante à sa possession, il en a purgé le vice, comme son auteur aurait pu le faire conformément à l'article 183.
Si la possession de l'auteur avait pour fondement un juste titre, elle pouvait être accompagnée de bonne foi ou de mauvaise foi: elle aura pour l'héritier la même qualité bonne ou mauvaise. Cependant, en fait, l'héritier pourrait avoir reconnu que son auteur n'avait pas vraiment le droit qu'il possédait de bonne foi. Réciproquement, il pourrait croire à la réalité du droit de son auteur, alors que celui-ci n'y croyait pas lui-même; mais ces différences d'opinions et de croyances entre l'héritier et l'auteur n'auraient pas d'autre effet que si elles s'étaient rencontrées chez l'auteur lui-même. Or, si l'auteur était primitivement de bonne foi et découvrait plus tard les vices de son titre, sa mauvaise foi, survenue après coup, ne lui enlèverait pas le droit à une prescription abrégée, parce que, pour cette prescription, on n'exige la bonne foi qu'au moment où est intervenu le titre; mais il perdrait le bénéfice des fruits perçus depuis la survenance de la mauvaise foi, parce que la bonne foi est exigée au moment de chaque acquisition des fruits.
Pour ce qui est du cas inverse, c'est-à-dire de la bonne foi succédant à la mauvaise foi, il serait difficile à concevoir, en fait, chez l'auteur même, mais très facile chez l'héritier qui, souvent, croira que son auteur avait la plénitude du droit, quand il n'en avait que la possession. Cette bonne foi ne lui donnera pas le bénéfice de la prescription abrégée, mais celui des fruits perçus avant la prescription ordinaire ou avant la revendication exercée par le véritable titulaire.
Voyons, maintenant, comment les choses se passent pour le cessionnaire à titre particulier.
Comme il ne continue pas la personne de son cédant (laquelle, existant encore sauf le cas de testament, n'a pas à être continuée), il n'en continue pas non plus la possession: il commence une nouvelle possession, en son propre nom. On pourrait s'étonner qu'une possession nouvelle naisse en la personne de l'acheteur ou du donataire d'un bien particulier, tandis que le droit de propriété même, s'il appartient au cédant, se transmet et se continue identiquement en la personne de son cessionnaire. La raison de cette différence est celle-ci: la possession consiste dans deux éléments, l'un matériel, la détention corporelle de la chose ou les actes extérieurs d'exercice du droit; l'autre intellectuel, l'intention d'agir en maître; or, celui qui aliène une chose qu'il possédait, cesse, tout à la fois, de la détenir et d'avoir l'intention de l'avoir à soi; on peut donc dire que sa possession prend fin: l'acheteur ou le donataire qui commence à détenir avec l'intention d'avoir la chose à soi se crée une nouvelle possession, laquelle aura ses qualités ou ses vices propres.
D'abord, elle pourra être civile, quoique celle du cédant fût peut-être précaire. Ainsi, un dépositaire ou un locataire vend et livre la chose à lui déposée ou louée, la possession précaire du cédant cesse, elle ne se transmet pas au cessionnaire: celui-ci commence une nouvelle possession; elle est civile, car il a l'intention d'avoir la chose à lui; elle est à juste titre, car l'achat est un juste titre ou une juste cause de posséder; en outre, elle peut être de bonne foi, si le cessionnaire a ignoré le défaut de droit chez son cédant.
On ne s'arrêtera pas au cas inverse, à celui où le possesseur primitif, ayant juste cause, donnerait la chose en dépôt ou en louage à un autre; dans ce cas, le dépositaire ou le locataire n'aurait assurément qu'une possession précaire, mais la possession civile restrait au déposant ou au bailleur; il n'y aurait ni cessation ni translation de la possession.
Supposons maintenant que le cédant, au lieu d'une possession précaire, avait une possession civile, mais qui était sans titre; le cessionnaire, certainement, commencera une nouvelle possession qui sera à juste titre.
La possession du cédant était elle-même à juste titre, mais elle était de mauvaise foi; celle du cessionnaire sera de bonne foi, s'il ignorait le défaut de droit chez son cédant.
En sens inverse, la possession était de bonne foi chez le cédant; elle pourra être de mauvaise foi chez le cessionnaire.
On conçoit donc que la position du cessionnaire ou successeur à titre particulier soit, lorsqu'on s'attache à sa propre possession, tantôt moins bonne, tantôt meilleure que celle du successeur à titre universel.
Mais on a admis, depuis les Romains, qu'il pût se prévaloir de la possession de son auteur, quand il y a intérêt. On a considéré que la possession civile n'est pas seulement un fait, mais un droit, par les avantages qui y sont attachés et par les actions qui la garantissent; or, ce droit, faisant partie du patrimoine d'un particulier, est dans le commerce: il est cessible comme les autres droits, en général. Celui donc qui achète une chose ou un droit dont le cédant n'avait que la possession a, au moins, acquis cette possession, et il est naturel qu'il s'en prévale, qu'il en tire avantage, dans la mesure de son intérêt, en joignant l'ancienne possession de son auteur à la sienne propre.
Ainsi, le cédant avait juste cause et bonne foi et le cessionnaire a une possession de cette même nature doublement fovorable: il pourra joindre les deux possessions, ce qui le mènera à la prescription abrégée, laquelle est un bénéfice de la bonne foi.
Ainsi encore, le cédant possédait sans titre, ou avec juste titre, mais de mauvaise foi, et la possession avait déjà duré plus de 20 ans, en sorte qu'il aurait fallu moins de 10 ans pour que la prescription acquisitive s'accomplît; dans ce cas, le cessionnaire, de bonne ou de mauvaise foi, joindra à sa possession celle de son cédant, car il l'a acquise comme étant la seule chose que le cédant pût lui transférer. Cela ne cause aucun préjudice au légitime propriétaire, puisque, si le reste du temps s'était écoulé même sans cession et avant qu'il eût revendiqué, son droit eût été également perdu.
Enfin, on peut encore admettre la jonction de possession d'un cédant de bonne foi à un cessionnaire de mauvaise foi: ainsi, le cédant avait déjà possédé 14 ans, et un an de plus l'aurait conduit à la prescription abrégée; il cède à un acheteur de mauvaise foi: celui-ci ne prescrira pas assurément au bout d'une année, puisqu'il ne continue pas la même possession; mais il lui suffira de 16 ans de possession de mauvaise foi qui, joints aux 14 ans de possession de bonne foi de son auteur, feront les 30 ans exigés.
Cette dernière solution ne doit pas être contestée, car elle est tout-à-fait conforme aux principes et elle ne nuit pas au véritable propriétaire, par la même raison que la précédente.
SECTION III.
DES EFFETS DE LA POSSESSION.
Art. 193. La loi détermine dans cette Section les trois avantages attachés à la possession et règle les actions qui en sont la garantie.
Le premier est la présomption d'existence légale du droit au fond, en faveur de celui qui l'exerce, en fait. Cet avantage est limité à la possession civile. Il est clair que celui qui ne possède que naturellement, c'est-à-dire, n'a pas la prétention au droit, ne peut être présumé avoir ce droit.
Cela est encore plus évident pour le possesseur précaire, puisqu'il possède au nom et pour le compte d'un autre, et puisque c'est en faveur de ce dernier qu'il y aura présomption du droit.
La loi aurait pu laisser à l'interprétation le soin de tirer la conséquence naturelle et nécessaire de la présomption légale; mais, pour que la disposition ait un caractère moins dogmatique ou plus pratique, elle a formulé elle-même cette conséquence.
Quant à l'avantage, pour le possesseur, d'être défendeur aux actions qui tendraient à l'évincer, il est considérable: le défendeur a moins à prouver son droit, au fond, qu'à contester et combattre les preuves fournies par le demandeur, et si ni l'un ni l'autre des plaideurs n'est en mesure de prouver son droit, le possesseur triomphera par le rejet de la demande.
Le texte ne parle que des actions pétitoires ou en revendication, comme étant celles auxquelles le possesseur sera défendeur; quant aux actions possessoires, on verra plus loin que le possesseur y est, tantôt demandeur, tantôt défendeur, suivant les circonstances.
Remarquons enfin, avec le texte, que la présomption légale établie au profit du possesseur n'est pas absolue et invincible: c'est une présomption simple, contre laquelle toute preuve contraire est admise, soit par titre, soit par témoins ou autrement C'est, d'ailleurs, à raison de cette faculté de preuve contraire que le procès est possible: autrement, le possesseur serait inattaquable, ce qui serait contraire à toute raison et à toute justice.
Art. 194. Ce bénéfice du possesseur de bonne foi remonte au droit romain; mais alors on n'en donnait pas une raison suffisante.
Certains jurisconsultes disaient que le gain des fruits était une “indemnité de la culture et des soins donnés à la chose;” mais cette raison était doublement mauvaise: 1° il y a des fruits qui naissent sans culture et sans soins, comme les coupes de bois, les foins et herbes des prairies, ce sont ceux qu'ils appelaient fruits naturels, par opposition aux fruits industriels qui sont surtout le resultat des efforts et du travail de l'homme; or, on n'a pas tardé à admettre que le possesseur de bonne foi acquerrait les deux sortes de fruits, même ceux qui ne lui avaient demandé aucune culture; 2° si l'acquisition des fruits était la récompense des soins et de la culture, il n'y aurait pas de raison de la refuser au possesseur de mauvaise foi, car il a pu donner les mêmes soins à la chose et faire les mêmes travaux agricoles qu'un possesseur de bonne foi.
D'autres jurisconsultes disaient que “le possesseur de bonne foi est, quant aux fruits, presque comme un propriétaire.” Cette raison ne justifiait rien, parce qu'elle avait elle-même besoin d'une justification; elle donnait pour preuve du droit du possesseur son assimilation au propriétaire, laquelle était justement en question.
La véritable raison pour laquelle la décision du droit romain était bonne et doit être encore admise aujourd'hui, même au Japon, c'est que le possesseur de bonne foi, ayant cru à la réalité de son droit, a, le plus souvent, disposé des fruits perçus, ou, s'il les a conservés, il a pu contracter des engagements auxquels il compte faire face avec ces fruits; “il a vécu plus largement” , disaient aussi les jurisconsultes romains, dans des circonstances analogues, et la restitution de ces fruits serait souvent sa ruine. Or, s'il a commis quelque négligence, au moment où il a acquis la possession, le titulaire légitime du droit, en ne se faisant pas connaître, a commis une négligence plus grave encore, car elle est continue.
Cette raison n'est pas sujette aux objections précédentes: elle autorise à ne pas distinguer les fruits naturels des fruits industriels, elle ne s'applique pas au possesseur de mauvaise foi, et elle ne résout pas la question par l'affirmation même de ce qui est en question.
Le présent article ne fait pas acquérir les fruits naturels au possesseur par le seul fait qu'ils sont séparés du sol, comme pour l'usufruitier: il veut que ces fruits aient été perçus par le possesseur lui-même, ou par un tiers en son nom. Le motif de cette différence est que l'usufruitier acquiert les fruits en vertu d'un titre parfait, en vertu d'un droit proprement dit; il suffit que les fruits aient une existence distincte du fonds ou de la chose usufructuaire pour que son droit commence; il n'y a pas de raison sérieuse d'exiger de sa part un acte d'appréhension.
Au contraire, le possesseur de bonne foi, n'ayant pas traité avec celui qui pouvait lui conférer le droit même, n'a pas un titre légal aux fruits, par son contrat: il ne peut les obtenir que par un bienfait de la loi, laquellé agit raisonnablement en subordonnant ce bienfait à une prise de possession qui rend le possesseur plus digne d'intérêt, puisque c'est alors aussi que le danger de ruine commencerait pour lui, s'il lui fallait restituer.
Cependant, en ce qui concerne les fruits civils, la loi assimile le possesseur de bonne foi à l'usufruitier: il acquiert ces fruits jour par jour, par conséquent, avant la perception.
Si le possesseur de bonne foi n'acquérait les fruits civils que par la perception, son droit ne dépendrait ni des lois de la nature, ni de sa propre diligence, mais de l'exactitude ou de l'honnêteté d'un tiers: il suffirait que le débiteur des fruits civils refusât ou tardât de les payer pour empêcher ou retarder l'acquisition du possesseur de bonne foi; des poursuites, même un jugement obtenu, ne suffiraient pas à assurer son droit, si la revendication du légitime propriétaire survenait avant le payement. Cette solution est évidemment inadmissible, en raison et en équité. On la repousse ici, à l'égard du possesseur de bonne foi, pour les mêmes raisons que l'on fait écarter pour l'usufruitier.
Le 3e alinéa donne une solution nouvelle, déjà annoncée sous l'article 182, pour une situation du possesseur qu'on peut considérer comme intermédiaire entre la bonne foi accompagnée d'un juste titre et la mauvaise foi avec ou sans juste titre.
Lorsque le possesseur se croit propriétaire ou croit avoir tout autre droit qu'il exerce, sans qu'il soit cependant intervenu en sa faveur, de la part d'un tiers, un acte juridique de nature à lui conférer ce droit, on ne peut dire assurément qu'il soit de mauvaise foi: son honnêteté est certaine et mérite quelque considération; mais on ne peut non plus le traiter aussi favorablement que le possesseur de bonne foi qui a un juste titre.
Rappelons d'abord les hypothèses vraisemblables où le possesseur peut être de bonne foi sans avoir un juste titre. Le cas le plus fréquent sera celui où quelqu'un, se croyant héritier légitime, se sera mis en possession des biens d'une succession, alors qu'un héritier plus proche le prime ou qu'un testament qu'il ignore le dépouille. Citons encore le cas où un véritable héritier a considéré comme bien de la succession un immeuble qui n'en faisait pas partie. Ce sont là des erreurs de fait. Ajoutons le cas d'une erreur de droit qui a fait croire au possesseur qu'un titre originairement précaire avait été interverti et transformé en juste titre, en dehors des deux cas prévus à l'article 185.
Il semble naturel de faire à ce possesseur une situation intermédiaire quant à ses avantages, comme elle l'est quant à la nature de sa possession.
Pour la prescription abrégée, il n'y a pas à hésiter à lui en refuser bénéfice: il n'a pas juste titre et son erreur ne peut lui en tenir lieu.
Pour les fruits, rappelons que la loi et la raison naturelle ne les donnent au possesseur de bonne foi qui a juste titre que parce que celui-ci paraît plus digne d'intérêt que le propriétaire, comme ayant une moindre imprudence à s'imputer; mais, on ne peut plus dire de même du possesseur dont l'erreur n'est pas fondée sur un juste titre: quand, par exemple, il s'est cru héritier sans l'être, ou quand il a cru héréditaire un bien qui ne faisait pas partie de la succession, il est contraire à toute justice et à toute raison qu'il trouve dans sa croyance, plus ou moins téméraire, le principe d'une acquisition des fruits au préjudice du propriétaire.
Si, au moment où la revendication du bien a lieu contre lui, il a encore tout ou partie des fruits en réserve, n'est-il pas choquant qu'il les conserve, en alléguant une erreur.
En pareil cas, il s'enrichirait évidemment du bien d'autrui sans cause légitime. Même objection, s'il a consommé les fruits d'une manière qui l'a enrichi, par exemple, s'il les a vendus et si le prix en est encore dû ou même payé et non dépensé, ou s'il les a employés à nourrir ou chauffer lui et les siens, quand ce sont des objets de consommation indispensables, comme du riz ou du bois: dans ce cas, “il est enrichi de ce dont il a épargné son propre argent” .
Mais voici la part que l'équité exige qu'on fasse à son honnêteté, pour ne pas dire à sa bonne foi proprement dite: il ne faut pas non plus que la négligence du propriétaire, qui a plus ou moins favorisé ou prolongé l'erreur du possesseur, entraîne la ruine de celui-ci et l'expose à restituer des fruits qu'il n'a plus, ni en nature, ni en valeur équivalente. De là, la solution du texte: le possesseur sera dispensé de restituer “ce qu'il n'a plus et dont il n'est pas enrichi.”
En même temps, la loi tranche la question du fardeau de la preuve: ce ne sera pas au propriétaire revendiquant à prouver combien le possesseur est enrichi des fruits: il lui suffira de prouver ce que le possesseur a perçu de fruits, et même il y aura présomption de fait que le possesseur a perçu les fruits ordinaires du fonds; ce sera ensuite au possesseur à prouver, soit qu'en fait il a perçu moins de fruits, soit que, les ayant perçus, il en a perdu, donné ou consommé tout ou partie, sans profit appréciable.
Ainsi se trouvent conciliés les deux intérêts opposés et les principes généraux du droit et de la justice.
Le dernier alinéa du présent article suppose que la bonne foi a cessé, par une cause quelconque, au cours de la possession, c'est-à-dire que le possesseur a reconnu que le droit ne lui appartenait pas.
Le bénéfice de la bonne foi cesse pour l'avenir, c'est-à-dire quant aux fruits futurs; mais les fruits antérieurs restent acquis au possesseur, sous les distinctions qui précèdent, quand même la revendication du légitime propriétaire ne serait exercée que depuis la cessation de la bonne foi.
La loi a dû s'exprimer nettement à cet égard, pour bien fixer la différence entre la bonne foi requise pour l'acquisition des fruits et celle requise pour la prescription acquisitive du droit: pour cette dernière, la mauvaise foi survenue au cours de possession ne nuit pas au possesseur, comme on le justifiera au sujet de la prescription.
On dit généralement que la demande en justice faite contre le possesseur a pour effet de le constituer de mauvaise foi; cette formule n'est pas bonne et le texte a soin de l'éviter. En effet, souvent le possesseur de bonne foi est tellement convaincu de l'existence de son droit que la demande ne change pas l'opinion qu'il en a; cependant, il ne serait pas juste que, malgré la demande et la diligence du vrai propriétaire ou autre titulaire légitime du droit, le possesseur continuât à gagner les fruits perçus pendant le procès, lequel peut durer longtemps. La loi satisfait à ces deux idées en privant le possesseur des avantages de la bonne foi, sans lui donner la qualification de possesseur de mauvaise foi, et encore, elle y ajoute la condition (qui, de toute façon, aurait été sous-entendue), que la demande ait été définitivement admise: car si la demande est finalement rejetée, la bonne foi du possesseur recouvre toute sa force, même pour le temps où le procès a été pendant.
Art. 195. Le possesseur de mauvaise foi aurait dû, en stricte équité, rendre spontanément la chose qu'il savait ne pas lui appartenir; mais, s'il ne l'a pas fait, soit par incertitude sur la personne du véritable propriétaire, soit par malhonnêteté, au moins ne doit-il pas s'enrichir au préjudice de celui-ci; il doit aussi réparer tout le tort qu'il lui a causé. On ne peut dire, en sa faveur, comme en faveur du possesseur de bonne foi, que la restitution des fruits le ruinerait, car il n'a pas dû consommer ou aliéner des fruits et produits qu'il savait devoir restituer un jour; à défaut d'enrichissement, il est en faute, s'il a vécu plus largement: il est également responsable, s'il a négligé de percevoir tout ou partie des fruits et produits, ou si, les ayant perçus, il les a laissés périr.
Mais il ne faut pas non plus que le légitime propriétaire s'enrichisse au préjudice du possesseur de mauvaise foi, en recouvrant les fruits sans subir les charges qui s'y rapportent et que le possesseur de mauvaise foi a supportées, tels que frais de culture et de récolte, frais de conservation, impôts et autres charges ordinaires des revenus.
C'est ce qu'exprime le 2e alinéa de notre article.
Il restait à savoir comment on devait traiter, quant aux fruits, la possession viciée par violence ou clandestinité. On sait déjà qu'elle ne mène pas à la prescription, lors même qu'elle serait accompagnée d'un juste titre; on sait aussi qu'elle n'est pas incompatible avec la bonne foi.
Il va de soi que le possesseur de mauvaise foi qui s'est établi ou maintenu en possession par violence, ou qui dissimule sa possession, n'aura aucun droit aux fruits, puisque la mauvaise foi seule suffit à l'en priver. Mais, que devait-on décider pour celui qui, ayant juste titre et bonne foi, recourrait à la menace pour garder sa possession ou la dissimulerait aux tiers et spécialement au vrai propriétaire? La question mérite d'être soulevée et elle est tranchée ici, par la loi, contre le possesseur, par la considération suivante: le possesseur violent, ou celui qui cache sa possession, n'est pas plus intéressant que le possesseur de mauvaise foi; il l'est même moins, car il élève des obstacles plus sérieux contre la revendication du vrai propriétaire; il doit donc être privé de toute acquisition des fruits et soumis à toutes les restitutions imposées au possesseur de mauvaise foi, même quant aux fruits qu'il a perdus sans en profiter ou qu'il a négligé de percevoir.
Il ne restera à celui dont la possession est violente ou clandestine que la présomption de propriété et le rôle de défendeur, non-seulement à l'action possessoire en réintégrande, mais encore à l'action pétitoire (v. art. 205).
Art. 196. Cette disposition, comme la seconde de l'article précédent, consacre le principe fondamental de droit naturel que “nul ne doit s'enrichir, sans droit, au détriment d'autrui.” La différence est qu'ici les dépenses ne sont plus supposées avoir été faites pour les fruits: elles l'ont été pour la chose même.
Les dépenses que quelqu'un peut avoir faites pour la chose d'autrui sont de trois sortes: nécessaires, utiles ou voluptuaires. La loi n'accorde pas le remboursement des dernières au possesseur, parce que, comme le nom l'indique, elles sont de pur agrément et ne procurent aucun profit au revendiquant.
Au contraire, les dépenses utiles ont donné une plus-value à la chose et le revendiquant en recueille le bénéfice; les dépenses nécessaires, si elles n'ont pas augmenté la valeur de la chose, l'ont conservée, ce qui est au moins aussi avantageux.
Cette triple distinction des dépenses remonte au droit romain et sa conformité évidente avec la raison et l'équité l'a fait admettre dans toutes les législations modernes.
On la rencontrera souvent aussi dans le présent Code.
Art. 197. Le droit de rétention a été mentionné à l'article 2, comme un des droits réels servant de garantie aux droits personnels; il a de l'analogie avec le nantissement, sans se confondre avec lui: il permet au créancier de retenir en sa possession la chose soumise au droit de rétention, jusqu'au payement des sommes dues à raison de cette chose.
Cette rétention même est sa ressemblance avec le nantissement; mais elle ne donne pas, comme celui-ci, le droit de faire vendre la chose pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers: elle donne seulement le droit d'imputer, par privilége, les fruits et produits de la chose sur les intérêts et le capital de la créance: le droit de rétention ne mènera donc au payement que par cette longue imputation de fruits ou par l'avantage que le légitime propriétaire ou ses créanciers auront à recouvrer la libre disposition de la chose; cet avantage les conduira, tôt ou tard, à désintéresser le rétenteur.
La possession du rétenteur n'a donc plus le caractère de son ancienne possession: la première était civile, celle-ci n'est plus que naturelle et précaire.
C'est au Livre des Garanties des créances que le droit de rétention sera expliqué dans son ensemble.
La loi présente encore ici une différence qui ne demande pas de justification entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi: bien que ce dernier ait droit au remboursement des dépenses utiles comme à celui des dépenses nécessaires, ce n'est que pour ces dernières que le bénéfice de la rétention lui est accordé.
Art. 198. Il a pu arriver que le possesseur ait détruit des bâtiments, coupé des bois qui n'étaient pas aménagés en coupe réglée, ouvert des carrières qui n'étaient pas en exploitation auparavant et dont, par conséquent, les produits n'avaient pas le caractère de fruits; il est juste que le propriétaire en soit indemnisé; mais, ici, on voit une nouvelle différence entre la bonne et la mauvaise foi du possesseur.
Le possesseur de mauvaise foi a, ici encore, une obligation résultant de sa faute, de son délit civil, peut-être même de son délit pénal; le possesseur de bonne foi n'est toujours tenu qu'en vertu de son enrichissement indû; de là, l'étendue différente de l'une et de l'autre obligation, comme la détermine le texte: il ne peut être question d'imputer à faute au possesseur de bonne foi ses négligences, ni même ses abus de jouissance: “il a cru user ou abuser de sa chose.”
Ici, il n'y a pas à distinguer si la bonne foi est ou non accompagnée d'un juste titre: c'est une simple distinction entre l'honnêteté et la malhonnêteté.
On a déjà annoncé, que la prescription ou la présomption absolue de l'acquisition de la propriété est le principal effet de la possession, sinon par sa fréquence, au moins par son importance. Mais c'est au Livre des Preuves qu'il en sera traité comme un des moyens légaux de preuve.
Art. 199. Les effets attachés à la possession ont suffisamment démontré qu'elle n'est pas seulement un fait, comme on l'a quelquefois soutenu, mais qu'elle est aussi, et surtout, un droit, un droit sur une chose, un droit réel; la preuve en est complétée par l'existence d'actions judiciaires accordées et organisées en faveur du possesseur.
Le Code japonais admet les actions possessoires du droit romain généralement reçues en Europe. Le présent article a pour but de les énoncer et d'indiquer leur double but: conserver ou retenir la possession troublée, recouvrer celle qui a été perdue.
Les diverses actions possessoires ont quelques règles communes; mais elles ont aussi d'assez grandes différences. Les articles suivants feront ressortir ces ressemblances et ces différences.
Art. 200. Ce que la loi appelle trouble de fait est facile à concevoir: ce sont des actes matériels exercés par un tiers sur la chose possédée par un autre et tendant à gêner, à diminuer, peut-être même à supprimer sa possession: comme serait l'occupation de tout ou partie d'un terrain ou d'une maison, un passage répété à travers un terrain ou une cour, le fait de puiser de l'eau à un puits ou à un réservoir, d'appuyer un bâtiment ou de faire sur le fonds possédé quelque entreprise qui ne pourrait se faire qu'en vertu d'une servitude ou d'un autre droit réel.
Le trouble de droit consisterait dans des réclamations judiciaires ou extrajudiciaires contre les locataires du fonds qui on traité avec le possesseur ou dans le fait de renouveler leur bail, ce qui implique une prétention contraire à la possession du premier bailleur; il consisterait aussi dans des réclamations contre le possesseur lui-même et tendant à lui faire abandonner tout ou partie de la chose qu'il détient ou du droit qu'il exerce; dans ce cas, si l'auteur du trouble ne va pas jusqu'à une demande en justice, le possesseur troublé peut intenter l'action possessoire pour le faire cesser. S'il est lui-même actionné, il y aura bien évidemment trouble de droit, mais alors le possesseur s'en défendra plutôt par voie d'exception ou de défense que par voie d'action. On verra cependant à l'article 210 que le possesseur peut se défendre par une action possessoire dite reconventionnelle à l'action soit pétitoire, soit possessoire intentée contre lui.
La loi veut que le trouble implique, de la part de celui qui le cause, une prétention contraire à celle du possesseur, par conséquent, une prétention, soit à la propriété même ou au fond du droit, soit à la possession: autrement, le trouble ne serait plus apporté à la possession même, mais à la tranquillité privée; il pourrait constituer un délit civil ou même pénal; tel serait le fait, par le voisin, de détruire des arbres qui masquent sa vue ou des animaux incommodes: il y aurait alors lieu à une action personnelle en dommages-intérêts, mais non à une action réelle, comme est l'action possessoire en complainte.
Ce caractère réel de l'action en complainte demande qu'on s'y arrête un instant et qu'on y apporte quelques distinctions. Le 2e alinéa de notre article nous y amène d'ailleurs tout naturellement.
L'action en complainte a deux objets; faire cesser le trouble et en obtenir la réparation, c'est-à-dire l'indemnité.
Or, l'action est bien réelle pour le premier objet, car elle tend à faire maintenir la chose dans un certain état, même à l'y faire rétablir, si cet état avait déjà été modifié; mais, pour ce qui est de l'indemnité à obtenir à raison du dommage déjà éprouvé par le possesseur, l'action ne peut être que personnelle, car elle fait valoir un droit de créance né de la faute de celui qui a causé le trouble.
On doit donc reconnaître que l'action est mixte, ce qui veut dire, suivant le sens consacré, qu'elle a, tout à la fois, le caractère réel et le caractère personnel. La question n'est pas sans intérêt; car si l'auteur du trouble changeait, si, par exemple, le trouble avait été causé par le propriétaire d'un fonds voisin et qu'il cédât son fonds, après le trouble causé par quelque entreprise exécutée sur le fonds du possesseur, l'action possessoire en complainte pourrait bien être exercée contre le nouveau propriétaire, pour faire cesser le trouble et détruire ce qui aurait été fait; mais l'indemnité de la faute commise ne pourrait pas lui être demandée: elle ne pourrait être demandée qu'au précédent propriétaire, et par une action purement personnelle; l'action en complainte serait ainsi réduite à son caractère réel, et ce qu'elle a de personnel deviendrait l'objet d'une autre action née du délit civil.
On verra plus loin que l'action en dénonciation de nouvel œuvre est purement réelle; on devra décider de même pour la dénonciation de dommage imminent; quant à l'action en réintégrande, étant toujours fondée sur un fait illicite, elle est, par cela même, toujours personnelle.
Le 1er alinéa de notre article nous dit quelles choses possédées peuvent donner lieu à l'action possessoire en complainte.
D'abord, pour ce qui est des immeubles, il n'y a pas de doute que la possession en soit garantie par l'action en complainte, et, par immeubles, il faut entendre les droits immobiliers que quelqu'un possèderait, c'est-à-dire exercerait comme siens: droits de propriété, d'usufruit, de servitude, d'emphytéose, de nantissement.
Le doute ne pourrait exister que pour les meubles, à l'égard desquels on prétendrait établir une différence entre les universalités et les meubles particuliers. Pour les universalités de meubles, l'action possessoire est généralement admise en Europe; par exemple, au profit d'un possesseur de tout ou partie d'une succession mobilière qui serait troublé par les actes d'un tiers se prétendant lui-même héritier ou légataire.
On adopte ce système au Japon. Il devient d'ailleurs nécessaire, à cause de la solution proposée pour les meubles particuliers.
C'est à ce sujet qu'il y a la plus grande difficulté; elle vient de la célèbre maxime: “En fait de meubles, la possession vaut titre,” d'après laquelle le possesseur d'un meuble en devient aussitôt propriétaire, par une sorte de prescription instantanée. D'où il résulterait deux obstacles à l'action possessoire au sujet d'un meuble: 1° le possesseur troublé, si courte qu'ait été sa possession, n'aurait pas seulement une action possessoire, mais bien une action pétitoire ou en revendication; 2° l'auteur du trouble étant, le plus souvent, devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, pourrait aussi invoquer cette prescription, sinon pour se défendre au possessoire, au moins pour triompher au pétitoire, ce qui ôterait tout intérêt à l'action possessoire.
Cependant, cette double objection ne paraît pas suffisante pour refuser l'action possessoire à celui qui est troublé dans la possession d'un meuble.
D'abord, c'est un principe de raison que “celui qui peut le plus peut aussi le moins;” or, le vrai propriétaire d'une chose ou le titulaire légitime d'un droit, qui, en même temps, a la possession de la chose ou l'exercice du droit, peut s'abstenir de soulever la question du fond du droit et ne se prévaloir que de sa possession.
En outre, il n'est pas exact de dire que le possesseur d'un meuble en soit toujours, et par cela même, propriétaire en vertu de la prescription dite, “instantanée;” non-seulement, en effet, il faut que la possession soit civile et non précaire, mais il faut encore qu'elle soit de bonne foi et il est raisonnable d'exiger, en outre, qu'elle soit fondée sur un juste titre; or, ces deux dernières conditions ne sont pas exigées pour l'action possessoire en complainte; voilà donc déjà deux cas où le possesseur, même civil, d'un meuble, n'aurait pas l'action pétitoire et où l'action possessoire lui serait utile.
Supposons, d'un autre côté, que l'auteur du trouble soit devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, il peut ne le posséder que naturellement ou précairement, ce qui est un obstacle absolu à ce qu'il puisse invoquer la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre;” si même il avait la possession civile, il pourrait n'avoir pas juste titre ou n'être pas de bonne foi: il ne pourrait triompher au pétitoire; il est donc juste qu'il soit soumis à l'action possessoire.
Dans les développements qui précèdent, on a supposé plusieurs fois, notamment au sujet des meubles, que celui qui exerce la complainte est non-seulement troublé, inquiété, mais même dépossédé en entier. En effet, il ne faut pas croire que la différence entre la complainte et la réintégrande soit surtout dans l'étendue du dommage à réparer; elle est bien plutôt dans la nature du fait qui cause ce dommage et donne lieu à l'action: on a déjà annoncé plus haut que l'action en complainte tend à combattre une prétention à la possession et à en faire cesser les effets ou à les réparer, tandis que la réintégrande tend à faire réparer un acte illicite qui dépasse les limites d'une prétention, comme, du reste, on le verra à l'article 204.
Art. 201. La deuxième action possessoire, la dénonciation de nouvel œuvre, est d'une application beaucoup plus limitée que la précédente.
D'abord, elle n'appartient qu'au possesseur d'un immeuble ou à celui qui exerce comme lui appartenant, un droit réel sur une chose immobilière.
En effet, on ne comprendrait guère que des travaux commencés, ou même achevés sur un fonds, pussent nuire à la possession d'un meuble.
En outre, il faut supposer que les travaux ne sont que commencés et que c'est seulement leur achèvement ou leur avancement progressif qui nuira au demandeur: autrement, celui-ci éprouverait un trouble actuel par ces travaux et ce serait le cas de l'action en complainte. Il en résulte que l'action possessoire est donnée ici avant le trouble et, par conséquent, en vue seulement de prévenir un trouble “éventuel.” C'est un avantage pour les deux parties, car il vaut mieux prévenir le mal qu'avoir à le réparer.
La loi suppose que les travaux contestés sont faits sur un fonds voisin; cette circonstance du voisinage n'est pas une condition rigoureusement nécessaire; mais la nature des choses ne laisserait guère concevoir que quelqu'un craignît un trouble à provenir de travaux entrepris sur un fonds éloigné.
Il va sans dire que cette action appartient tout aussi bien à un vrai propriétaire qu'à un simple possesseur; mais, quand le propriétaire en use, ce n'est pas comme tel, c'est comme possesseur. Remarquons même, à ce sujet, que la dénonciation de nouvel œuvre est exercée plus souvent par un propriétaire véritable que par un simple possesseur: ce dernier, incertain de la durée de son droit, y a moins d'intérêt. Si elle est considérée comme action possessoire, c'est parce que le demandeur n'a pas besoin, pour y triompher, de justifier qu'il est propriétaire du fonds auquel les travaux commencés pourraient nuire: il lui suffit de prouver qu'il en est possesseur civil.
On retrouvera la dénonciation de nouvel œuvre au Chapitre des Servitudes, comme moyen de préserver un fonds, prétendu libre, d'une servitude que le voisin tenterait d'établir sans droit.
Art. 202. Dans la dénonciation de dommage imminent, le dommage est à craindre du mauvais état, de la vétusté d'ouvrages ou d'objets immobiliers et il menace un immeuble possédé par un autre propriétaire ou par un autre possesseur. L'action a encore deux applications particulièrement importante au Japon où les inondations et les incendies causent de fréquents ravages: le texte les indique suffisamment.
Dans cette action, le demandeur demandera au juge d'ordonner les mesures préventives du dommage ou une caution pour la réparation. Si le danger est tout-à-fait menaçant, c'est la démolition ou la réparation immédiate des ouvrages qui sera naturellement ordonnée; si, au contraire, le danger est encore éloigné ou si le voisin annonce l'intention de réparer lui-même, le cautionnement sera suffisant et préférable.
La dénonciation de dommage imminent reçoit une application spéciale en matière de servitudes relatives à l'usage des eaux.
Art. 203. La loi indique ici les qualités ou conditions que doit réunir la possession pour donner les deux premières actions possessoires. Les trois premières conditions exigées ici de la possession sont déjà connues. Il résulte de ces conditions que celui qui possède naturellement ou précairement n'a pas les actions en complainte et en dénonciation de nouvel œuvre; il en est de même de celui dont la possession serait fondée sur la violence ou serait restée clandestine.
Quant à la dernière condition, l'annalité de la possession, elle apparaît ici pour la première fois. La loi ne l'a pas exigée pour les deux premiers avantages de la possession, à savoir, la présomption simple de propriété et l'acquisition des fruits.
Elle ne suffirait pas pour la prescription acquisitive d'un immeuble; elle serait excessive pour celle d'un meuble; elle serait trop rigoureuse aussi pour l'acquisition des fruits; mais la loi la déclare ici, tout à la fois, nécessaire et suffisante pour l'exercice des actions en complainte et en dénonciation de nouvel œuvre relatives au trouble dont se plaint un possesseur d'immeuble.
Ce délai d'un an est raisonnable; on pourrait, sans inconvénient, le réduire ou l'augmenter, mais il faut toujours exiger un certain temps de possession: autrement, il pourrait arriver que le défendeur à l'action possessoire invoquet lui-même une possession de la même chose ou du même droit, et l'on serait alors obligé de rechercher, avec beaucoup de difficultés, lequel des deux a la possession la plus ancienne ou la plus longue.
Ce n'est que pour les actions possessoires relatives aux immeubles ou à une universalité de meubles que la loi exige une possession annale. A l'égard des meubles, la loi n'exige pas une durée déterminée de possession, parce que, si la prescription des meubles elle-même ne doit être soumise à aucun délai, il est encore plus impossible d'y soumettre l'exercice de l'action possessoire.
Art. 204. Ce qui caractérise le cas où il y a lieu à la réintégrande, ce n'est pas seulement la dépossession totale ou partielle, car, en pareil cas, la dépossession étant un trouble, et le plus considérable possible, l'action en complainte serait également recevable: c'est le moyen employé pour la dépossession, à savoir, la violence, la menace ou la ruse; le caractère délictueux de ces faits motive une action possessoire particulière et ces particularités sont mises en relief par le présent article et le suivant.
Le 1er alinéa nous dit que l'action en réintégrande suppose une dépossession, totale ou partielle, opérée au moyen des trois faits délictueux déjà signalés. Il nous dit encore que l'action appartient au possesseur des trois sortes de biens déjà énoncées à l'article 200: immeubles, universalité de meubles, meubles particuliers.
Au sujet de ces derniers objets, il y a encore moins à hésiter que pour l'action en complainte; l'objection tirée de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre” , par laquelle on prétendrait rendre l'action possessoire inutile, est encore moins admissible, puisque la réintégrande est donnée au possesseur précaire (v. art. suiv.), lequel ne peut jamais invoquer cette maxime.
Enfin, le 1er alinéa exige que le demandeur en réintégrande n'ait pas lui-même obtenu la possession par un des moyens qu'il impute au défendeur; autrement, il n'y aurait pas de raison pour qu'il lui fût préféré. C'est le cas d'appliquer un axiome célèbre: “dans deux situations semblables, on préfère celle du possesseur actuel.” Mais pour que les faits délictueux du demandeur le privent de l'action en réintégrande, il faut qu'ils aient été commis contre le défendeur; autrement, celui-ci n'aurait pas le droit de les opposer au demandeur: ce sont des vices relatifs, non absolus, comme on l'a déjà vu sous l'article 183.
Le 2e alinéa établit encore une différence profonde entre l'action en réintégrande et les trois premières actions possessoires. On a vu, plus haut, que ces trois actions sont vraiment réelles, en ce sens qu'elles se donnent contre tout possesseur, lors même qu'il ne serait pas l'auteur du trouble ou des travaux contestés: il suffit qu'il ait succédé à la possession et qu'il n'ait pas fait cesser le trouble ou les travaux; la réparation seule, l'indemnité du dommage, est demandée à l'auteur direct du trouble. Dans la réintégrande, au contraire, l'action tout entière, aussi bien pour la restitution que pour l'indemnité, a un caractère personnel; comme telle, elle peut bien être exercée contre les successeurs universels, parce qu'ils continuent la personne de leur auteur et succèdent à ses obligations civiles, même à celles nées de faits délictueux; mais, elle ne s'exercerait pas contre un successeur à titre particulier, (un acheteur, un donataire), en cette qualité, puisqu'il ne succède pas à la personne; toutefois, s'il était lui-même complice des actes d'usurpation, il serait sujet à l'action pour ses faits personnels.
Art. 205. Ici on trouve encore deux différences de nature entre l'action en réintégrande et les deux premières actions possessoires.
1° L'action en réintégrande appartient au possesseur précaire, aussi bien qu'au possesseur civil: le motif qui lui fait accorder l'action en réintégrande est double: d'abord il a le plus souvent la responsabilité de la garde de la chose; or, ne pouvant la revendiquer comme sienne, il faut au moins qu'il en puisse recouvrer la possession; ensuite, il peut et souvent il doit agir au nom et pour le compte de celui pour lequel il détient;
2° Elle n'exige pas, même pour les immeubles, une possession annale; c'est encore l'application d'un axiome d'une évidente équité: “le spolié doit être, avant tout, rétabli dans sa situation première;” il recouvrera ainsi le rôle de défendeur qui a tant d'avantages contre les demandes téméraires.
Quoique la dénonciation de dommage imminent ne soit pas fondée, comme la réintégrande, sur un fait délictueux, il est naturel que, tendant à prévenir un mal pour les personnes ou pour les biens, elle soit donnée aussi au possesseur précaire et sans que la possession soit annale.
Aucune de ces actions n'est donnée à celui qui n'a qu'une possession naturelle, parce qu'il n'a aucun droit et ne joint d'aucune présomption de droit.
Art. 206. Le défendeur aux actions possessoires, pouvant être lui-même, le plus souvent, considéré comme possesseur, le délai de l'exercice des actions possessoires devait, dès lors, être calculé de façon à donner la préférence au plus ancien possesseur. Or, le demandeur en complainte doit avoir possédé un an, au moins, avant le trouble; il devra donc agir aussi dans l'année du trouble; autrement, le défendeur lui serait préférable par la durée de sa possession.
Pour l'action en réintégrande, le principe n'est pas tout-à-fait observé: il faut toujours, il est vrai, que l'action soit intentée dans l'année; mais, comme il n'est pas nécessaire que la possession du spolié ait duré un an, ce n'est pas toujours le plus ancien possesseur qui aura la priorité. Ainsi, le spolié n'avait possédé que pendant trois mois et il exerce son action lorsque le spoliateur a déjà possédé onze mois, il triomphera: cette exception s'explique par la défaveur qui s'attache à l'auteur de la spoliation.
A l'égard de la dénonciation de nouvel œuvre, le principe est suffisamment observé: le demandeur doit avoir la possession annale et si l'action peut être intentée même après un an depuis les travaux commencés, c'est à la condition qu'ils n'ont causé de trouble que depuis moins d'un an; en outre, elle devient non recevable, même avant l'année écoulée, si les travaux sont terminés auparavant; mais alors elle laisse subsister l'action en complainte pendant le reste de l'année du trouble.
Pour ce qui concerne la dénonciation de dommage imminent, il est clair que, tant que le danger subsiste, la cause de l'action renaît, pour ainsi dire, chaque jour: celle-ci ne peut donc cesser qu'avec la réparation des ouvrages ou leur suppression. Si le dommage est une fois consommé par la chûte de l'édifice, l'action possessoire est éteinte, faute d'objet; elle est remplacée par une action personnelle en indemnité.
Art. 207. Il semble, au premier abord, que rien ne serait plus naturel, pour le juge, que de chercher, dans les titres et autres preuves du fond du droit des parties, la solution demandée sur la préférence respectivement prétendue par elles au sujet de la possession; mais la loi le lui défend, avec raison et pour deux motifs principaux:
1° Dans les deux premières actions possessoires, il n'est pas question de savoir si, du côté du demandeur, la possession est juste et légitime, mais si elle existe avec les caractères et la durée requis; ni, du côté du défendeur, si le trouble qu'il a causé ou l'usurpation qu'il a commise sont fondés ou non sur un droit, mais seulement s'il y a eu véritablement trouble ou dépossession. Dans le cas de travaux contestés, il suffit de vérifier s'ils peuvent éventuellement causer un trouble et dans les cas de dommage imminent, s'il a les causes et les caractères prévus par la loi. Ce serait donc, de la part du juge, “statuer sur choses non demandées,” commettre un excès de pouvoir, que d'examiner le fond du droit respectif des parties et d'y puiser les éléments de sa décision;
2° La compétence, en matière d'actions possessoires, tant à cause de la simplicité de la question qu'à raison de la célérité qu'en réclame la solution, est donnée à un juge inférieur et très rapproché des parties: c'est le juge local de la situation de l'immeuble dont la possession est litigieuse, quand l'action est réelle, et celui du domicile du défendeur, quand elle est personnelle; il ne serait donc pas admissible que le juge pût excéder sa compétence, en se livrant à l'examen du fond, sinon pour le juger, au moins pour le préjuger.
Le défense faite au juge, par le 3e alinéa, se justifie autrement: si le juge pour sortir d'embarras, prononçait un sursis et renvoyait les parties se pourvoir au pétitoire, il commettrait un déni de justice, ce que la loi réprouve plus encore qu'un mauvais jugement, parce qu'un mauvais jugement peut être réformé.
Ajoutons qu'après le jugement du pétitoire, il n'y aurait plus rien à juger au possessoire (art. 209), ce qui bouleverserait toute la théorie.
Art. 208. Cet article est la contre-partie du 3e alinéa de l'article précédent: celui-là défendait le sursis au possessoire, celui-ci ordonne le sursis au pétitoire. Mais le motif n'est plus le même; car, tandis que le juge ne peut statuer sur choses non demandées, les parties peuvent, en général, à leurs risques, demander ce qu'elles croient leur appartenir et, en fait, il y a deux demandes pendantes.
La principale raison pour laquelle la loi veut qu'il soit sursis à statuer sur le pétitoire, jusqu'après le jugement définitif sur le possessoire, c'est que le possessoire a toujours un caractère d'urgence: il arrive souvent, en effet, que les contestations sur la possession amènent des injures, des violences ou des rixes; c'est une des matières où les particuliers ont une fâcheuse disposition à se faire justice à eux mêmes; en outre, les preuves, tant de la possession que des atteintes qu'elle peut recevoir, sont de nature à disparaître avec le temps, plus facilement et plus promptement que celles du fond du droit; il y a donc urgence à examiner et juger le possessoire.
Ajoutons que celui qui triomphera au possessoire sera défendeur à l'action pétitoire; il est donc juste de laisser à chaque partie le moyen d'obtenir son véritable rôle dans la procédure du pétitoire.
La loi suppose que les deux actions peuvent être portées devant le même tribunal; il semble, d'après ce qui a été dit plus haut, que l'un d'eux devrait toujours être incompétent; mais cela n'est pas constant: d'abord si l'action possessoire est déjà portée en appel au tribunal de district, au moment où l'action pétitoire est portée en 1re instance à ce même tribunal, il n'y a aucune incompétence; il en est de même, s'il s'agit de meubles et que l'action pétitoire soit portée devant le juge local du domicile du défendeur, dans les limites de sa compétence, alors que l'action possessoire y est déjà pendante; enfin, lors même que le cumul des deux actions devant le même tribunal constituerait un cas d'incompétence, ce n'est pas l'exception d'incompétence qui devrait être opposée la première, mais celle tirée de notre article et tendant au sursis; elle est, en effet, beaucoup plus facile à juger qu'une question de compétence: il suffit de constater que les deux demandes sont pendantes et d'ajourner l'action pétitoire.
Le 2e alinéa autorise le défendeur au pétitoire à se porter demandeur au possessoire. Cela est très-juste; il ne fallait pas que l'auteur du trouble ou de la spoliation pût en intentant l'action pétitoire, se soustraire à une prompte réparation et priver le possesseur de l'action possessoire.
Art. 209. La disposition de cet article paraît un peu sévère; le motif en est que celui qui, prétendant pouvoir agir au possessoire, à raison d'un trouble ou d'une spoliation, ne l'a pas fait avant d'agir au pétitoire, a reconnu que sa possession n'avait pas les qualités voulues ou que les faits n'étaient pas assez graves pour l'autoriser à agir au possessoire et qu'il a ainsi renoncé tacitement à cette voie judiciaire.
Mais il ne fallait pas aller jusqu'à décider que la renonciation tacite s'appliquerait même à une action possessoire déjà intentée par la même partie. Le texte permet formellement à cette partie de continuer à procéder, “de suivre,” autant comme demandeur que comme défendeur, sur une action possessoire déjà intentée, et cette disposition concorde parfaitement avec celle de l'article précédent qui veut qu'au cas où les deux actions sont simultanément pendantes, il soit seulement sursis au jugement du pétitoire.
Bien entendu, la demande au pétitoire ne ferait pas perdre le droit d'agir au possessoire pour des faits de trouble ou de spoliation commis contre le demandeur après sa demande: le texte et la raison ne font présumer la renonciation qu'à l'égard de faits antérieurs.
Si l'action pétitoire a été seule intentée d'abord, celui qui y a succombé, soit comme demandeur, soit comme défendeur, ne peut plus agir au possessoire.
Cette décision du 2e alinéa de notre article est facile à comprendre; les droits et actions accordés au possesseur sont fondés sur une présomption de propriété ou de droit au fond, laquelle est démentie pour celui qui a succombé dans le jugement sur l'action pétitoire.
Observons seulement que cette déchéance du droit d'agir au possessoire n'a lieu que contre celui qui a succombé “définitivement;” par conséquent, un jugement sur le pétitoire, encore susceptible d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation, ne ferait pas obstacle à l'exercice d'une action possessoire.
Art. 210. Il est fréquent que les plaideurs aient à se reprocher, respectivement, les mêmes torts ou des torts semblables, et il est naturel, en pareil cas, que chacun puisse prendre le rôle de demandeur pour en obtenir la réparation. Lorsque celui qui a été actionné le premier se porte à son tour demandeur, sa demande est dite reconventionnelle.
C'est surtout en matière de possession qu'il est facile de concevoir que les deux adversaires s'imputent réciproquement des torts, des troubles ou des voies de fait. Si notre article proclame le droit pour le défendeur au pétitoire de former une demande reconventionnelle au possessoire, c'est pour compléter le jeu assez compliqué de ces diverses actions, et aussi de peur qu'on n'exagère la règle que " le pétitoire et le possessoire ne peuvent être cumulés: cette règle n'empêche pas, comme on l'a déjà vu (art. 208) que les deux actions soient pendantes simultanément; c'est le jugement simultané ou cumulé qui est défendu; à plus forte raison, peut-il y avoir deux actions possessoires pendantes simultanément et de plus, dans ce cas, un seul et même jugement pourra les décider.
Art. 211. Cet article ne présente pas de difficulté: il consacre ce qui a déjà été annoncé comme étant l'objet des diverses actions possessoires.
On rappelle seulement ici que, dans l'action en réintégrande, la restitution de la chose usurpée ne peut être exigée que de l'auteur même de la spoliation ou de ses successcurs, parce qu'elle a pour cause une faute; il en est de même dans les autres actions, pour les dommages-intérêts: sur ces deux chefs, les actions possessoires ont le caractère d'actions personnelles.
Enfin, on remarquera une double particularité sur la dénonciation de dommage imminent: 1° les mesures préventives du dommage, qui peuvent être des travaux de réconfortation ou une démolition totale ou partielle d'édifices; 2° la caution ou garantie de l'indemnité éventuelle.
Art. 212. Le demandeur peut avoir succombé au possessoire, soit parce qu'il n'a pu justifier des faits par lui allégués, soit parce que sa demande a été tardive, soit enfin parce qu'elle ne remplissait pas les conditions requises par la loi. Il est clair que cet insuccès n'empêche pas qu'il puisse avoir la propriété ou tout autre droit qu'il exerçait déjà comme lui appartenant. Il n'a pu se prévaloir, dans l'action possessoire, des titres et autres moyens de prouver son droit au fond, lequel reste encore à juger, s'il le requiert. Et, son procès ne pouvant être présumé téméraire, puisqu'il n'a rien à restituer, il n'est même pas obligé d'acquitter préalablement les frais du premier procès auxquels il a pu être condamné.
Cet alinéa repose sur le même principe que le 1er, avec une différence toutefois: la question de propriété, ou du fond du droit, n'a pas été soulevée, elle est entière; il a été jugé que le demandeur était possesseur avec les qualités requises pour agir au possessoire et qu'il avait été troublé ou spolié; le défendeur n'a pas été admis à se justifier par des moyens tirés du fond, parce que “le possessoire et le pétitoire ne peuvent être cumulés;” mais il peut maintenant introduire l'action pétitoire: il y sera demandeur, avec toute la charge de la preuve, et, s'il triomphe, son adversaire sera obligé de lui rendre la possession et les fruits perçus depuis la demande; enfin, le débat ne pourra plus être soulevé entre les mêmes parties: il y aura définitivement chose jugée au fond.
Mais, il y avait à craindre que celui qui a succombé comme défendeur au possessoire ne cherchât à se soustraire, pendant un certain temps, à l'effet des condamnations portées contre lui, surtout à la nécessité de restituer la possession, et qu'il n'intentât, témérairement ou de mauvaise foi, une action pétitoire. La loi prévient ce danger, en exigeant que l'exécution des condamnations ait lieu préalablement, ou qu'il soit donné à cet égard des garanties suffisantes.
La loi organique des Cours et Tribunaux donne la compétence aux juges local pour le jugement des actions possessoires et le Code de Procédure civile en règle la procédure.
SECTION IV.
DE LA PERTE DE LA POSSESSION.
Art. 213. Il semblerait qu'on dût retrouver ici tout ou la plus grande partie des causes qui font perdre le droit de propriété (voy. art. 42). Cependant, il n'y a guère que les 2e et 4e cas qui soient communs aux deux droits (voy. art. 42, 5e et 6e al.); cela tient à la grande influence, dans la possession, du fait de la détention, lequel est indifférent dans la propriété qui est un pur droit.
On reprendra séparément chacune des causes qui font perdre la possession; mais elles ne présentent guère de difficultés, après les développements qui précèdent.
L'intention de posséder étant un des deux éléments du droit de possession, il est naturel que le droit cesse avec cette intention.
Comme il y a deux sortes de possessions caractérisées par l'intention, l'une civile, l'autre précaire; comme la différence entre elles tient à ce que, dans la première, on possède pour soi, et, dans l'autre, pour autrui; dès lors, le texte, pour embrasser les deux sortes de possessions, suppose que, dans chacun de ces deux cas, le possesseur a cessé d'avoir l'intention qui constituait et caractérisait sa possession.
Ainsi, celui qui possédait pour lui-même et avait la possession civile a commencé à posséder pour autrui: il a perdu la possession civile et n'a plus qu'une possession précaire; ainsi encore, celui qui possédait pour autrui et avait la possession précaire a cessé d'avoir l'intention de posséder pour aucune personne: il n'a plus la possession précaire; il conserve une possession purement naturelle; car il ne se rencontre plus en sa personne qu'un pur fait matériel, la détention de la chose.
On n'a pas à revenir ici sur le cas inverse du premier, celui où le possesseur précaire aurait désormais l'intention de posséder pour lui-même: en pareil cas, son changement d'intention serait rarement valable; il resterait légalement possesseur précaire, et si, par exception, le changement d'intention était admis, il y aurait moins perte de la possession précaire qu'acquisition de la possession civile (voy. art. 185).
Si le possesseur, sans cesser d'avoir l'intention de posséder, cesse de détenir la chose ou d'exercer le droit, c'est le deuxième élément de la possession, l'élément de fait, qui lui manque; son intention est insuffisante pour lui faire retenir la possession.
Toutefois, la loi exige, pour cela, que la cessation du fait soit volontaire, ou, si elle est forcée, qu'elle le soit légalement; comme serait l'exécution d'un jugement rendu au possessoire, sur une action en réintégrande, ou au pétitoire, sur une action en revendication ou en résolution de contrat; telle serait encore l'exécution d'un jugement de confiscation.
Ces cas correspondent à quelques-uns de ceux où, d'après l'article 42, la propriété elle-même se perd; mais il y a cette différence que la propriété, étant un pur droit, se perd par le jugement même qui prononce la résolution ou la confiscation; tandis que la possession, à cause de son élément de fait, ne se perd que par l'exécution effective du jugement.
Si la cessation de la détention n'était ni volontaire, ni légalement forcée, mais résultait d'une force majeure, comme d'une inondation prolongée, la possession ne serait pas perdue; il en serait de même s'il s'agissait de terrains inaccessibles pendant une partie de l'année; on peut encore ajouter le cas où un objet mobilier est égaré dans une maison et où l'on ne peut pas dire qu'il soit encore possédé en fait, sans qu'on puisse dire non plus que la possession en soit perdue.
Dans tous ces cas, on dit que “la possession se conserve par la seule intention.”
Le texte du précédent alinéa, en exigeant que la cessation forcée de la détention soit légale, a pour but d'exclure le cas de dépossession illégale, par violence ou par surprise, cas auquel le spolié a la réintégrande et n'a pas perdu la possession, tant qu'il n'a pas perdu cette action par le laps d'un an. C'est à cette occasion que s'est introduit l'axiome de droit que “celui qui a une” action pour recouvrer une chose est considéré comme “ayant encore la chose elle-même.”
Ici la dépossession peut être illégale, mais elle a duré plus d'une année et c'est cette circonstance qui dépouille le possesseur.
Dans le cas où le possesseur spolié ou privé de la possession par le fait d'un tiers, même de bonne foi, néglige d'intenter, dans l'année, l'action en réintégrande ou l'action en complainte, on pourrait dire que, le plus souvent, il y a abandon volontaire de la possession; mais il est préférable de séparer ce cas du précédent; en effet, lors même que l'inaction du possesseur dépouillé tiendrait à son absence ou à son ignorance de la dépossession, il n'en perdrait pas moins son droit, comme il arrive d'ailleurs dans les autres cas où les droits se perdent par prescription.
Il va de soi que la possession ne peut survivre, ni comme fait, ni comme droit, à la destruction totale de la chose: l'intention de la posséder n'aurait plus d'objet.
La loi prévoit aussi la perte de la chose ou du droit qui ne se confond pas toujours avec sa destruction: ainsi, si une chose privée passe dans le domaine public, le droit est perdu pour le possesseur, mais la chose subsiste; la possession cesse, au moins la possession civile (art. 184); ainsi encore, si un animal sauvage s'échappe et n'a pu être ressaisi, avant d'être occupé par un tiers de bonne foi, la chose n'est pas détruite, mais elle n'est plus soumise au droit du précédent possesseur: la possession est perdue.
CHAPITRE V.
DES SERVITUDES FONCIÈRES.
DISPOSITION GÉNÉRALE.
Art. 214. Le nom de servitudes, employé pour désigner certains démembrements de la propriété, exprime l'idée qu'une chose est affectée, d'une façon dépendante, à l'usage et au service d'un autre que le propriétaire de cette chose. Le droit de propriété lui-même assujettit pleinement la chose au propriétaire; mais le nom même de propriété l'indiquant suffisamment, le nom de servitude ne s'emploie pour aucun des services que le propriétaire tire de sa propre chose.
Les servitudes dont il va être parlé sont appelées foncières et, souvent, réelles, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qu'on appelle quelquefois servitudes personnelles.
Ces noms demandent quelque attention, car ils pourraient causer de la confusion.
La qualification de réelles n'a pas ici pour but de dire que les servitudes sont des droits réels; car l'usufruit, l'usage et l'habitation sont aussi des droits réels. La qualification de foncières n'est pas employée pour exprimer que ces servitudes portent toujours sur des fonds; car l'habitation porte toujours sur un bâtiment, et si l'usufruit et l'usage ne portent pas toujours sur un fonds, ils peuvent aussi porter et, en fait, ils portent, le plus souvent, sur cette nature de biens.
Ici, les qualifications de réelles ou foncières, appliquées aux servitudes, expriment l'idée qu'elles appartiennent à une chose, à un fonds, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qui appartiennent toujours à une personne déterminée et s'éteignent avec elle, sans se transmettre à son héritier, même au plus proche.
Il y a, au premier abord, quelque chose de bizarre à dire qu'un droit “appartient à une chose:” les choses sont les objets du droit et n'en peuvent être les sujets; elles subissent un droit, mais ne peuvent l'exercer; leur rôle est toujours passif, jamais actif, et, en réalité, les servitudes foncières appartiennent au propriétaire du fonds en faveur duquel la servitude est établie; mais, comme ce propriétaire peut changer, par cession ou par héritage, et comme le droit de servitude n'en subit aucune atteinte et passe intact au nouveau propriétaire, en cette qualité, on est amené à dire, par figure de langage, que le droit de servitude appartient plutôt au fonds qu'à la personne du propriétaire. En outre, si l'on considère que les servitudes ont pour but l'amélioration des fonds, leur utilité, leur plus-value, et non le seul agrément des personnes, il n'y a rien d'exagéré à dire que les servitudes foncières “appartiennent aux fonds,” et même, en suivant jusqu'au bout la figure de langage, on appelle fonds dominant celui en faveur duquel la servitude est établie, et fonds servant celui qui la subit, celui sur lequel elle s'exerce.
Ces observations préliminaires servent d'explication au 1er alinéa de notre article 14 qui donne la définition des servitudes foncières.
Il suffit maintenant d'en faire ressortir les deux caractères distinctifs.
1° La servitude doit avoir pour but de donner plus d'utilité au fonds dominant. Par utilité, on doit entendre tout ce qui en favorise l'usage, en facilite l'exploitation et, d'une manière générale, en augmente la valeur; ce qui comprend même certains agréments, lorsqu'étant, de nature à convenir à toute personne et non au seul propriétaire actuel, ils donneront plus de valeur au fonds.
On aura à revenir, plus loin, avec l'article 266, sur les distinctions à faire au sujet des agréments purement personnels qui ne pourraient être établis à titre des servitudes foncièrs.
Le présent article exige que la servitude procure de l'utilité au fonds dominant; c'est le principe essentiel.
L'établissement des servitudes a un grand avantage économique. Généralement, le profit qu'elles procurent au fonds dominant est bien supérieur au préjudice qu'elles causent au fonds servant; cependant, s'il en était autrement, la servitude n'en serait pas moins valable, car les propriétaires auraient usé de leur liberté respective.
2° Il est nécessaire que les deux fonds, servant et dominant, appartiennent à différents propriétaires; si le propriétaire de deux fonds tirait de l'un des avantages dans l'intérêt de l'autre, ce serait l'exercice normal du droit de propriété, il n'y aurait pas servitude; cet état de chose dépendrait uniquement de la volonté du propriétaire, quant à son étendue et quant à sa durée; la loi n'aurait pas à s'en occuper. Ce principe a des conséquences variées que l'on rencontrera ultérieurement.
Généralement, les servitudes sont établies entre fonds contigus ou, tout au moins, voisins: mais, cette condition n'étant pas absolument nécessaire, en raison, la loi ne l'exige pas; ainsi, rien n'empêcherait qu'un droit de passage ou une prise d'eau fussent établis à la charge d'un fonds, au profit d'un fonds éloigné, lorsque la communication entre les deux fonds pourrait se faire par la voie publique, par un cours d'eau, ou par des fonds intermédiaires.
La loi n'exige pas non plus que les servitudes aient un caractère perpétuel, pour les fonds de terre, ni même, s'il s'agit de bâtiments, qu'elles soient aussi durables que ceux-ci.
Le 2e alinéa de notre premier article indique les causes d'établissement des servitudes; il n'en reconnaît que deux: la loi et le fait ou la volonté de l'homme; il ne reconnaît de servitudes naturelles ou résultant de la situation des lieux.
Si l'on veut examiner les choses de haut, on reconnaîtra que tous les droits sont naturels avant d'être consacrés par la loi, surtout dans les pays où la loi se arde d'être arbitraire; toutes les servitudes dites légales seraient donc, avant tout, naturelles; il est préférable de nommer légales toutes celles que la loi consacre, sans l'intervention des particuliers. D'ailleurs, même dans les servitudes que la nature semble imposer davantage au législateur, il y a toujours lieu de régler l'exercice du droit, d'en déterminer l'étendue et les limites; or, si les intéressés n'y pourvoient pas eux-mêmes, la loi seule le peut, et elle le doit, si elle ne veut pas laisser aux tribunaux un trop grand pouvoir, lorsque les contestations se présenteront.
Ce n'est pas, cependant, sans avoir beaucoup hésité que l'on s'est décidé à reconnaître au Japon des servitudes légales, bien qu'on trouve cette idée dans la plupart des législations modernes.
Depuis longtemps, il est admis en doctrine que les dispositions classées sous le nom de servitudes légales ne sont pas de véritables servitudes, qu'elles constituent plutôt le droit commun de la propriété, tandis que les servitudes proprement dites ne peuvent être que des charges exceptionnelles.
En effet, parmi les servitudes dites légales, on trouve des limites à l'exercice du droit de propriété qui n'est pas et ne peut être absolu, des restrictions à la liberté du propriétaire, établies dans le but de l'empêcher de nuire à ses voisins; comme la défense d'envoyer ses eaux ménagères ou industrielles sur le fonds voisin, ou même d'y faire tomber l'égoût de ses toits; comme aussi celle de faire certains actes abusifs à l'égard du mur ou du fossé mitoyen. Or, il est difficile de considérer ces défenses comme des “charges établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre fonds;” on ne peut non plus, dans ces cas, parler de fonds dominant, ni de fonds servant; car, chacun des fonds a, tout à la fois, les deux qualités vis-à-vis de l'autre, puisque les deux propriétaires peuvent se prévaloir des mêmes droits respectivement.
D'autres dispositions légales ont davantage le caractère de charges, comme celle de fournir au voisin enclavé un passage qui lui donne accès à la voie publique; comme aussi l'obligation, pour les voisins, de contribuer également aux frais du bornage de leurs propriétés contiguës et même de la clôture, en certains cas.
Mais, on peut dire que la première seule de ces charges est établie pour l'utilité de l'un des fonds, car, les deux dernières le sont dans l'intérêt réciproque des voisins.
Ces considérations, si sérieuses qu'elle soient, n'ont cependant pas suffi pour déterminer les Rédacteurs du Code à rejeter la classification ordinaire.
Plusieurs motifs s'y opposaient.
D'abord, il est toujours gênant de s'écarter des traditions universellement reçues; car, on prive la jurisprudence du bénéfice des travaux antérieurs.
Ensuite, il y a, entre voisins, des obligations légales qu'il est bien difficile de ne pas qualifier de servitudes; telle est celle de fournir le passage des personnes en cas d'enclave, celle de subir le passage des eaux pour l'irrigation, ou leur écoulement pour le drainage, et plusieurs autres relatives aux eaux: sans compter les nombreuses charges imposées aux propriétaires, dans l'intérêt général, par les lois administratives.
Enfin, si l'on voulait suivre une classification théorique rigoureusement exacte, on serait amené à répartir, dans trois ou quatre différentes places, des matières que l'on cherchera naturellement sous la rubrique des Servitudes.
Il faut souvent, en matière de législation, sacrifier la théorie pure à l'utilité pratique. Il y a longtemps qu'un législateur romain, l'empereur Justinien, a proclamé que “la simplicité est amie des lois.” C'est une vérité encore aujourd'hui et au Japon comme partout ailleurs.
On aura donc, dans cette matière, deux Sections: l'une, pour les diverses modifications de la propriété nommées, improprement quelquefois, servitudes légales, l'autre, pour les véritables servitudes, pour celles qui, créées par la volonté de l'homme, constituent un asservissement exceptionnel d'un fonds à un autre.
Les deux Sections ne pourront être subdivisées de la même manière; tandis que la seconde présentera nos subdivisions habituelles (1° les diverses espèces du même droit, 2° les causes ou moyens d'établissement du droit, 3° les effets du droit, 4° les causes d'extinction du droit), la première ne présentera d'autre subdivision que celle tirée des cas particuliers constituant les diverses espèces de servitudes dites “légales.” En effet, il ne peut être question de tirer une subdivision des causes, puisque ces servitudes ont toutes la même cause, à savoir, la loi; quant aux effets et à l'extinction de chacune de ces servitudes, ils varient, plus ou moins, avec chaque espèce de servitude et ils constituent précisément la matière principale de chaque paragraphe.
SECTION PREMIÈRE.
DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LA LOI.
§ Ier. DES DROITS D'ACCÈS ET DE PASSAGE SUR LE FONDS VOISIN.
Art. 215. C'est assurément un des droits les plus certains du propriétaire que celui de refuser à autrui l'accès ou l'entrée chez lui; cependant, ce droit même doit céder devant un autre droit plus respectable encore: celui qui demande l'entrée chez son voisin pour des travaux de construction ou de réparation, à faire sur la limite ou à proximité de la limite des fonds, est mû par un intérêt pécuniaire légitime et souvent considérable; celui qui la refuse ne cherche souvent qu'une satisfaction de pure convenance personnelle, si même il ne cède pas à un mauvais vouloir.
Il ne faudrait même pas croire qu'il n'y a ici que deux intérêts privés en présence. Si cela était, il ne serait pas facile de faire prévaloir l'intérêt de l'un sur les convenances de l'autre. Mais, il faut voir ici un intérêt général, un intérêt économique.
Si la loi n'autorisait pas l'accès sur la propriété d'autrui pour la réparation des bâtiments, chaque propriétaire serait obligé de construire ses bâtiments et même ses murs en-deçà de la ligne séparative, ce qui produirait une perte de terrain.
Au Japon, un usage ancien, que le Code consacre dans certains cas (v. art. 257), est aussi de ménager entre les bâtiments un espace convenable pour les réparations. Mais comme les bâtiments qui se trouvent indûment sur la limite des propriétés ne doivent pas être démolis pour ce seul fait, le droit d'accès sera toujours éventuellement utile.
Art. 216. Bien qu'il s'agisse ici d'un double intérêt économique, l'épargne des terrains et la conservation des bâtiments, il ne faudrait pas non plus sacrifier un autre intérêt économique, la conservation des récoltes. La loi pose donc, en principe, que les travaux ne pourront se faire à l'époque où les récoltes, déjà plus ou moins proches de la maturité, pourraient en être compromises. Mais, la prohibition fléchit devant l'urgence ou la nécessité absolue, justement parce que l'intérêt des bâtiments est, en général, plus grand que celui des récoltes: les bâtiments réparés en temps utile peuvent durer longtemps; leur perte, au contraire, est irrémédiable et peut être considérable; tandis qu'une récolte perdue ne l'est que pour une année et souvent pour une portion minime.
La loi interdit encore les travaux (sauf toujours le cas de nécessité), lorsque le propriétaire voisin ou le possesseur est absent. Il est juste qu'une atteinte à ses immunités, même autorisée par la loi, n'ait lieu que sous son contrôle et sous sa surveillance: les parents ou les serviteurs pourraient être mauvais gardiens de ses intérêts. Mais encore faut-il, pour retarder les travaux, que le voisin ne soit que “momentanément” absent; car si son absence était déjà ancienne ou devait durer encore longtemps, le propriétaire n'en devrait pas souffrir indéfiniment; d'ailleurs, l'absent a pu et presque dû laisser un mandataire pour surveiller sa propriété.
La loi revient, dans le 2e alinéa, au respect des convenances du voisin, en interdisant que les travaux puissent motiver l'accès ou l'entrée dans les bâtiments consacrés à l'habitation, ce qui doit s'entendre même de l'habitation de la famille et des serviteurs, et des accessoires immédiats et nécessaires desdits bâtiments.
Il ne paraît pas nécessaire de justifier cette sage disposition.
Si les travaux ne demandaient l'accès qu'à des bâtiments consacrés à l'industrie ou au commerce, ou à des magasins, la prohibition cesserait.
Art. 127. Bien que l'obligation de fournir l'accès soit imposée au voisin par la loi et soit tout-à-fait conforme au droit naturel, ce n'est pas une raison pour lui refuser une indemnité: il n'en est pas moins vrai qu'il éprouve un dommage du fait d'autrui, en même temps que ce fait est avantageux à celui qui l'accomplit.
Lorsque le dommage n'aura été qu'un trouble dans les convenances personnelles, résultant des allées et venues des ouvriers et de la nécessité d'une certaine surveillance, l'indemnité sera naturellement légère et le plus souvent, elle ne sera même pas demandée, par l'effet des bons rapports de voisinage; il en serait autrement, s'il y a eu dégradation des jardins ou des champs ou si les travaux ont été très longs, comme ceux de la construction d'un koura.
Du reste, le payement d'une indemnité ne dispenserait pas l'auteur des travaux d'enlever les débris de matériaux et d'approprier les lieux, en les rétablissant, autant que possible, dans l'état où ils étaient auparavant.
Art. 218. Cette servitude connue sous le nom de “droit de passage en cas d'enclave” , est, plus encore que la précédente, fondée sur un grand intérêt économique.
Si un fonds n'avait pas d'accès à la voie publique, il ne pourrait être, ni habité par les personnes, ni exploité en culture ou autrement; ce serait une propriété perdue pour tout le monde. Il faut donc faire fléchir l'intérêt des voisins devant l'intérêt général, en même temps que devant l'intérêt supérieur du propriétaire enclavé.
Il ne faudrait pas, cependant, considérer cette servitude comme “dérivant de la situation naturelle des lieux;” car, si elle est devenue nécessaire, ce n'est que par l'imprévoyance des propriétaires antérieurs, dans des opérations de partage ou de cession. Aussi, les législations qui admettent des servitudes naturelles, n'y font-elles pas rentrer celle qui va nous occuper: elle figure, comme ici, parmi les servitudes légales; la loi, en effet, intervient pour corriger la faute de l'homme.
Par cela même que la cause de la servitude n'est pas purement naturelle, le passage ne pourra être obtenu que moyennant une indemnité, sur laquelle revient l'article 220 et sauf une exception portée par l'article 223.
La loi tranche, au 2e alinéa, une question qui pouvait faire difficulté, à savoir, si un fonds peut être considéré comme enclavé quand il n'a de communication qu'avec un cours d'eau, même public; sans doute, dans le langage du droit, un fleuve, une rivière, un canal public, sont des voies publiques et ces voies communiquent, de distances en distances, à des voies terrestres; mais, on ne peut méconnaître qu'elles sont d'un accès souvent difficile et même quelquefois dangereux; un fonds de quelque importance qui n'aurait pas d'autre communication avec le dehors, serait, presque toujours, difficile à exploiter et d'une habitation très incommode. Cela est encore plus évident, si le fonds ne communique qu'avec la mer qui n'est pas accessible à toute heure, par le mouvement du flux et du reflux, et qui souvent est bouleversée pendant plusieurs jours.
Toutefois, il peut y avoir tant de variétés dans les dispositions locales que la loi a laissé un pouvoir d'appréciation aux tribunaux: ils “pourront,” sans encourir la cassation, déclarer, suivant les circonstances, qu'un fonds contigu à un cours d'eau est enclavé ou ne l'est pas.
La solution est la même et devait encore plus être laissée à l'appréciation des tribunaux, lorsque le fonds prétendu enclavé est supérieur ou inférieur à la voie publique: il est clair que, dans bien des cas, une communication qui n'aurait lieu que par de hauts escaliers serait bien défavorable à l'exploitation d'un fonds; mais il ne faudra considérer l'inégalité des niveaux comme constituant une enclave que si elle est “notable” et en outre, il faudra tenir compte de la nature et du mode d'exploitation des propriétés: une maison d'habitation ne serait pas considérée comme enclavée par la même différence de niveaux qu'une manufacture ou un fonds mis en culture.
Au surplus, comme le passage sur les fonds voisins sera toujours plus ou moins onéreux pour celui qui le requiert, il n'y a guère à craindre qu'il le réclame sans nécessité, lorsqu'il a déjà une communication avec un cours d'eau, avec la mer ou avec une voie publique se trouvant en contre-bas ou en contre-haut de sa propriété.
La loi n'a pas cru devoir s'occuper du cas où les communications directes d'un fonds avec la voie publique se trouveraient momentanément interrompues par quelque accident, comme un éboulement, une inondation ou des travaux publics. En pareil cas, si les communications ne pouvaient se faire qu'à travers des fonds voisins, les propriétaires de ces fonds devraient s'y prêter, et sans indemnité. C'est à la police locale qu'il appartiendrait de résoudre les difficultés nées de ces circonstances.
Il peut enfin se produire une enclave véritable et permanente par la suppression d'une voie publique, ou par son déplacement, au moyen d'un redressement ou autre opération de voirie. Dans ce cas, si l'administration n'a pu fournir aux fonds précédemment riverains de la voie publique une communication avec la nouvelle voie, celle-ci sera demandée aux fonds voisins; généralement, ce sera l'administration qui fera la demande et fera reconnaître et exécuter la servitude légale.
Art. 219. Le but de la loi ne serait pas complètement atteint et même ne le serait que très imparfaitement, si le passage n'était accordé qu'aux personnes. Lors même que le fonds enclavé ne serait qu'une maison d'habitation, il faudrait, presque toujours, accorder le passage des véhicules, soit pour les personnes, soit pour les provisions. Il en est ainsi, à plus forte raison, pour un fonds qui serait l'objet d'une exploitation agricole, industrielle ou commerciale.
Il n'y aurait même pas à distinguer entre le cas où, soit les bâtiments d'habitation, soit l'exploitation, seraient antérieurs à l'enclave et celui où ils y seraient postérieurs: il y a toujours le même intérêt économique.
Si le fonds enclavé n'a pas d'habitation et que les travaux d'exploitation n'aient lieu qu'à certaines époques de l'année, comme la plupart des travaux des champs, ou comme ceux relatifs à un bois, le passage ne devrait, en règle, être exercé qu'à ces époques; toutefois, le droit de surveillance appartenant au propriétaire du fonds enclavé devrait être respecté, pourvu qu'il n'y eût pas, de sa part, abus et vexation.
Il arrivera le plus souvent, sans doute, que les parties se mettront d'accord sur la fixation de la ligne du passage et sur le montant de l'indemnité: leur intérêt bien compris sera toujours d'éviter les lenteurs et les frais d'une expertise judiciaire. Mais, la loi a dû prévoir le cas de désaccord. Elle indique alors au tribunal le double but qu'il doit poursuivre: la plus grande commodité possible pour le fonds enclavé et le moindre dommage pour le fonds traversé.
La loi ne dit pas que le passage sera pris par la ligne la plus directe, c'est-à-dire la plus courte, car, elle pourrait être aussi la plus incommode, par l'effet d'une pente trop rapide, ou par un terrain inondé ou encombré de roches; la ligne la plus courte pourrait aussi être la plus dommageable au fonds servant, car, il pourrait être nécessaire de supprimer des plantations ou de détruire des cultures importantes.
Il faudra chercher la meilleure conciliation des deux intérêts, et si les parties n'ont pu tomber d'accord, ce sera, le plus souvent, par l'effet du mauvais vouloir du propriétaire du fonds servant. Il sera facile au tribunal, au moyen d'une visite des lieux, ou par la nomination d'un expert, de répondre au vœu de la loi.
Art. 220. Quoique le passage ne soit accordé que contre une indemnité à payer par le propriétaire qui se prévaut de la servitude, cela ne dispense pas celui-ci de faire les frais de premier établissement du passage, tels que nivellement, terrassement, empierrement, et, plus tard, de supporter les frais d'entretien. Le propriétaire du fonds enclavé fera d'ailleurs autant ou aussi peu de travaux qu'il jugera à propos; de cette façon, on évite des contestations qui pourraient gâter tout-à-fait les rapports de bon voisinage.
Le propriétaire peut être admis à prétendre à une première indemnité, une fois payée, pour les dommages qui seraient causés aux constructions ou plantations d'arbres, par l'établissement du passage. La loi ne parle que “d'arbres;” si le dommage était causé seulement à des plantes ou arbustes, l'indemnité s'en confondrait avec la suivante.
Les servitudes sont perpétuelles en principe, comme les fonds auxquels elles sont attachées activement et passivement. Cependant, cette perpétuité n'est pas de leur essence, c'est-à-dire, n'en est pas inséparable: elle n'est que de leur nature, c'est-à-dire qu'elle a lieu de droit, s'il n'y est pas dérogé, soit par la loi, soit par le fait de l'homme. On a déjà fait remarquer, sous l'article 314, que la perpétuité ne figure pas dans la définition des servitudes.
L'enclave qui est la cause de la servitude légale de passage ne se présentera pas ordinairement comme devant avoir une durée indéfinie; car elle peut cesser par des causes diverses, notamment, par la création d'une nouvelle voie publique avec laquelle communiquerait le fonds enclavé; elle peut cesser aussi, si le propriétaire du fonds enclavé acquiert un des fonds voisins communiquant avec la voie publique, autre que celui sur lequel il exerçait la servitude; on peut supposer enfin que le fonds servant se trouve réuni au fonds dominant dans les mêmes mains, ce qui est le cas d'extinction de la servitude par confusion.
C'est à raison de la probabilité de la cessation ultérieure de l'enclave que la loi n'accorde qu'une indemnité “annuelle” au propriétaire du fonds servant: cette indemnité a une double base: 1° la diminution de l'usage ou de la jouissance, résultant du terrain occupé par le passage, 2° la dépréciation de la valeur vénale du fonds.
Art. 221. Puisque l'indemnité est annuelle, elle doit cesser d'être due dès que le passage est devenu inutile par la cessation de l'enclave. Si cependant aucune des parties ne se prévaut de cet événement, la situation restera la même jusqu'à ce qu'il convienne à l'une d'elles d'y mettre fin; or, il pourrait arriver que l'ancien passage fût plus court ou plus commode au fonds dominant que le nouveau et que le propriétaire du fonds servant ne fût pas fâché de recevoir toujours l'indemnité annuelle.
Mais il est vraisemblable que le débiteur s'affranchira un jour ou l'autre d'une charge annuelle toujours pénible, surtout quand elle n'est plus inévitable. Dans ce cas, il ne payera l'indemnité que proportionnellement au temps où il aura usé du passage pendant la dernière année: le 1er alinéa commande cette solution.
Le cas prévu par le 2e alinéa est différent. Il faut supposer que l'enclave n'a pas cessé par un fait nouveau, par un de ceux qui ont été prévus plus haut, mais que cependant le propriétaire enclavé veut renoncer au passage: cela ne peut se concevoir raisonnablement que si l'on se place dans les cas où le fonds communique à une rivière ou à la mer ou se trouve entre contrehaut ou en contrebas de la voie publique, ce qui n'avait pas empêché de le considérer comme enclavé; ou bien le propriétaire enclavé a renoncé à un mode d'exploitation qui lui avait permis d'obtenir un passage avec voitures, dont il n'a plus besoin.
Dans ces cas, il peut encore renoncer à son droit, pour s'affranchir du payement de l'indemnité annuelle, et c'est alors que la renonciation étant purement volontaire l'astreint au payement de six mois de l'annuité.
Art. 222. La loi suppose ici que les parties ont fait un règlement en capital de l'indemnité du dommage permanent: ce que le tribunal ne peut faire est évidemment permis aux parties intéressées. Il fallait alors régler le sort de ce capital, pour le cas où l'enclave viendrait à cesser.
La loi devait aussi se prononcer sur la faculté de rachat de l'annuité, quand il n'y a pas été dérogé.
Il est toujours gênant d'avoir à payer des annuités, pour quelque cause que ce soit; c'est aussi une cause fréquente de procès. Lorsque ces annuités n'ont pas de durée fixe et peuvent se prolonger indéfiniment, la loi doit en favoriser l'extinction par le payement d'un capital.
Le Code ne permet cependant ce rachat que s'il a été autorisé et réglé en capital par la convention des parties (1er al.).
Si l'enclave vient à cesser, le capital est toujours restitué en entier, sauf convention contraire (2e al.). Cette restitution aura deux applications: 1° si l'indemnité a été réglée à l'origine en capital et s'il a été effectivement payé; 2° si le rachat de l'indemnité annuelle a été effectué en capital.
Il ne faut pas s'étonner que, dans ces divers cas, l'indemnité soit restituée en entier, même lorsque le passage a été exercé plus ou moins longtemps: le propriétaire du fonds servant a eu la jouissance du capital, en compensation du trouble que lui a causé le passage.
Quoique la loi ne l'exprime pas, il faut exclure de la restitution du capital un des cas qui feraient cesser l'enclave, à savoir, la réunion du fonds servant et du fonds dominant dans les mêmes mains, ou confusion: l'indemnité qui aurait été fixée en capital ou transformée en capital par le rachat de l'indemnité annuelle ne sera pas restituée par le propriétaire du fonds servant, vendeur de sa propriété. On ne peut pas dire, en effet, qu'il est affranchi du passage, puisqu'il n'a plus de fonds. D'ailleurs, le règlement du prix de vente entre les parties met fin à tous leurs rapports pécuniaires au sujet des fonds; enfin et surtout il y a présomption que le fonds servant a été vendu moins cher à cause de la servitude, tout comme s'il avait été vendu à un autre qu'au propriétaire enclavé.
Art. 223. Dans le cas particulier prévu par cet article, la négligence qui a donné naissance à l'enclave est imputable autant au propriétaire qui a cédé la parcelle enclavée qu'à celui qui l'a acquise, il est donc juste que le premier n'ait pas droit à une indemnité pour le passage qu'il est tenu de livrer; d'ailleurs, quand on cède un droit à autrui, on est toujours obligé de lui garantir les moyens d'user du droit cédé.
Cette disposition pourrait, dans le silence de la loi, y être suppléée en vertu du principe de la garantie de la vente et du partage; mais on n'a eu aucun scrupule à l'insérer dans le Code. Elle pourra recevoir une application au cas de cession d'un droit de superficie.
Il est naturel aussi qu'en pareil cas, la servitude cesse de plein droit avec l'enclave, et sans aucune restitution, puisqu'aucune indemnité n'a été payée. Mais, la loi n'admet cette cessation que s'il y a création d'une nouvelle voie publique, ce qui est un avantage gratuit et commun; si donc l'enclave cessait, parce que le propriétaire enclavé aurait acquis un fonds voisin ou obtenu par convention un autre droit de passage, le premier passage subsisterait, parce qu'il est dû par l'effet d'une autre convention.
§ II. DE L'ÉCOULEMENT, DE L'USAGE ET DE LA CONDUITE DES EAUX.
Le Code réunit ici toutes les charges relatives aux eaux, moins, bien entendu, celles établies par le fait de l'homme.
Ainsi, d'abord, on y trouve celle relative à l'écoulement naturel des eaux par le seul effet de la déclivité des terrains (art. 244 et 226). Vient ensuite l'obligation pour chaque propriétaire de préserver ses voisins de l'égoût de ses toits (art. 226). Puis, les limites au droit d'usage des eaux de source ou des eaux courantes (art. 227 à 232). Enfin, le droit d'aqueduc, permettant aux propriétaires d'obtenir un passage à travers le fonds voisin, pour faire venir les eaux nécessaires à l'irrigation ou pour faire sortir celles provenant du drainage ou d'autres opérations de desséchement (art. 233 à 237).
Art. 224. C'est cette première servitude que l'on dit quelquefois dériver “de la situation des lieux,” et que, pour cela, on nomme servitude naturelle; étant observé d'ailleurs qu'il ne s'agit que des eaux pluviales ou des eaux de sources, et non des eaux ménagères ou industrielles.
On a déjà justifié la qualification de légale qui est donnée ici à la servitude.
L'eau suit si impérieusement la déclivité des terrains qu'il n'y a pas de force humaine qui puisse la retenir: le plus faible ruisseau, s'il est contenu plus ou moins longtemps, devient un torrent dévastateur.
La loi respecte et consacre la puissance de la nature et ce serait en vain qu'elle prétendrait dispenser les fonds inférieurs de l'obligation de recevoir les eaux naturelles des fonds plus élevés: la loi ne peut décréter que les rivières remonteront à leur source. Mais, l'obligation légale n'existe plus, si la déclivité a été produite par des travaux exécutés sur le fonds supérieur.
Toutefois, le Code considère qu'il est souvent très difficile de savoir si la disposition respective des lieux a toujours été la même dans les villes et autres localités où la population est agglomérée, les terrains ont presque toujours subi des modifications plus ou moins considérables: les terrains bas ont été comblés et relevés, les pentes ont été modifiées; mais le souvenir en est perdu, ou l'origine en est difficile à prouver. Si les propriétaires des fonds inférieurs étaient admis à refuser de recevoir les eaux après un temps immémorial, en prouvant qu'il y a eu des travaux de main d'homme, il en résulterait un dommage énorme pour les fonds supérieurs, et même, le plus souvent, il serait impossible de rétablir le cours des eaux dans leur état primitif.
La loi va plus loin, elle assimile les travaux remontant à plus de 30 ans à ceux qui ont une ancienneté inconnue.
Au surplus, on a cru inutile d'insérer ici deux dispositions qui se trouvent dans quelques Codes étrangers, à savoir, que “le propriétaire du fonds inférieur ne peut point élever de digue qui empêche l'écoulement,” et que, réciproquement, “le propriétaire du fonds supérieur ne peut rien faire qui aggrave cet écoulement.”
Ces dispositions sont évidemment surabondantes; si le propriétaire inférieur pouvait élever une digue contre les eaux, c'est qu'il ne serait pas tenu de les recevoir; si le propriétaire supérieur pouvait aggraver l'écoulement, on ne pourrait plus dire que celui-ci est naturel, qu'il a lieu “sans que la main de l'homme y ait contribué.”
Ainsi, le propriétaire supérieur ne pourrait pas réunir ses eaux en un ou plusieurs ruisseaux qui, en faisant une irruption plus ou moins violente chez le voisin, pourraient lui causer dommage. Assurément, il pourrait diriger les eaux à son gré dans l'intérieur de son fonds; mais, il devrait, pour la sortie, leur rendre l'écoulement naturel déterminé par le terrain.
Un cas plus délicat est celui de savoir si le fonds inférieur serait tenu de recevoir les eaux d'un puits jaillissant creusé par le propriétaire supérieur, ou d'une source qui aurait été amenée par lui à la surface du sol. Il y aurait là, évidemment, un travail de l'homme, lequel semblerait exclure l'idée de servitude légale; d'un autre côté, l'eau étant amenée à la surface du sol, la pente peut la conduire naturellement chez le voisin. Faudrait-il obliger le propriétaire supérieur à supprimer le puits jaillissant ou la source? Il y a des cas où ce serait impossible et où il n'y aurait d'autre remède que celui d'une indemnité au propriétaire inférieur. On pourrait dire qu'il y a là des eaux enclavées requérant un passage, comme les personnes, dans le cas de l'article 218.
Même question pour les eaux de source amenées d'une propriété voisine et que le cédant ne voudrait pas reprendre.
La question devra, le plus souvent, être résolue par les tribunaux, au moyen d'une indemnité: on assimilera les eaux jaillissantes ou provenant de travaux de l'homme aux eaux amenées pour l'irrigation et qui se trouveraient excéder les besoins du fonds qui les a obtenues. On verra plus loin (art 234), que l'excédant des eaux d'irrigation peut être évacué sur les fonds inférieurs, moyennant indemnité.
Le propriétaire inférieur peut, de son côté, recueillir les eaux à l'entrée de son fonds, soit pour les diriger au lieu où elles sont le moins dommageables, soit pour s'en servir.
La loi n'a pas cru devoir exprimer que le propriétaire inférieur doit recevoir avec les eaux, les terres, sables ou pierres qui seraient entraînées par les eaux: mais, l'obligation est la même, si c'est toujours l'œuvre de la nature. Dans les pays de montagnes, les eaux entraînent souvent des masses énormes de terres et de graviers: les fonds inférieurs se trouvent ensablés et dévastés, les récoltes sont perdues, et il faut souvent plusieurs années pour reconstituer les cultures: c'est aux propriétaires des fonds inférieurs à faire chez eux des ouvrages qui retiennent les terres en laissant passer les eaux.
Une question inverse pourrait se présenter, à savoir: si le propriétaire supérieur aurait le droit de reprendre les terres, sables ou pierres que les eaux ont entraînés.
Il paraît difficile de lui refuser ce droit pourvu qu'il ne cause pas de nouveaux dégâts et qu'il n'ait pas attendu que le propriétaire inférieur ait rétabli ses cultures sur les terres descendues chez lui: autrement, il pourrait être déclaré non recevable par l'effet d'un abandon volontaire desdits matériaux.
Art. 225. Bien que les modifications des cours d'eaux, ici prévues, ne proviennent pas de faits de l'homme, mais d'accidents naturels, elles ne doivent pas aggraver la situation respective des fonds: les propriétaires pourront toujours rétablir le cours normal des eaux.
Le cas le plus saillant est celui où un cours d'eau traversait un fonds supérieur dans une direction plus ou moins horizontale et ne laissait écouler aucune partie de ses eaux sur un des fonds inférieurs; mais par la rupture d'une digue, l'eau s'échappe latéralement et inonde ce fonds. Il est juste, en pareil cas, que le propriétaire inondé puisse faire rétablir le cours naturel de l'eau.
Mais aux frais de quel propriétaire?
Le cas ne pouvait faire doute dans notre Code qui accorde formellement une action possessoire pour danger de rupture de digues ou aqueducs. Il y a là des ouvrages de main d'homme dont l'entretien doit être à la charge de celui sur le fonds duquel ils se trouvent.
Il en serait autrement, si les berges rompues ou menaçant de se rompre étaient naturelles: dans ce cas, la réparation ne pourrait être imposée au propriétaire du fonds supérieur, il devrait seulement la laisser exécuter.
Le 2e alinéa met encore les frais de dégagement des canaux ou aqueducs à la charge du propriétaire supérieur, parce que le fonds servant n'a pas la charge d'entretenir l'écoulement des eaux: il suffit qu'il n'y mette pas obstacle. En effet, on verra plus loin, sous l'article 236 et à la Section suivante, que les servitudes n'obligent pas à faire, mais seulement à souffrir.
La servitude relative à l'écoulement des eaux pourrait être modifiée dans son exercice par des conventions particulières; mais, il est impossible d'admettre qu'elle puisse être entièrement supprimée par convention, parce qu'il est d'ordre public et économique que les fonds supérieurs ne soient pas rendus improductifs par la surabondance des eaux.
Par la même raison, le propriétaire inférieur ne pourrait se dire affranchi de l'obligation de recevoir les eaux, sous le prétexte que le propriétaire supérieur les aurait retenues et absorbées pendant 30 ans, temps ordinaire du non-usage extinctif des servitudes.
C'est une des différences que présentent, avec les servitudes établies par le fait de l'homme, celles des servitudes légales qui sont fondées sur un intérêt d'ordre public essentiel (v. ci-après, art. 290).
Il est d'autant moins possible de soutenir que la servitude qui nous occupe pourrait être éteinte par une convention particulière que le propriétaire supérieur peut même exiger le passage des eaux provenant de drainage ou d'irrigation et cependant, ce ne sont pas là des eaux purement naturelles.
La seule conséquence qu'il faille attacher à une convention qui exclurait la servitude d'écoulement des eaux naturelles, c'est que dans certains cas elle pourrait être rétablie que moyennant indemnité, comme cela a lieu pour les eaux de drainage ou d'irrigation: par exemple, l'indemnité serait très juste si le propriétaire supérieur qui aurait consenti antérieurement à conserver ses eaux naturelles ait lui-même reçu une indemnité ou autre compensation pour ce sacrifice de son droit; il ne devrait donc pas le recouvrer gratuitement.
Art. 226. La loi ne permet pas de faire tomber l'égoût des toits, directement sur la propriété voisine, parce que la hauteur de la chûte creuserait plus ou moins le sol, parce qu'aussi l'espace où l'eau tomberait, serait, en général, plus étendu que l'écoulement naturel venant du sol voisin, enfin, parce qu'aucune partie de l'eau pluviale ne se trouverait absorbée par ce même sol; il faut donc, si les bâtiments sont élevés sur la limite même, que la pente des toits soit dirigée vers le terrain où se trouvent les bâtiments, ou, si la disposition des toits est inverse, que les eaux soient ramenées par des gouttières sur ledit terrain, d'où ensuite elles suivront leur pente naturelle.
Si un propriétaire, en construisant ou en réparant son bâtiment prenait des dispositions contraires à la loi, le voisin pourrait l'arrêter par la dénonciation de nouvel œuvre.
Art. 227. L'écoulement naturel des eaux de source est une charge pour le propriétaire inférieur; mais, il n'est pas un droit pour lui: le propriétaire auquel appartient la source peut donc, en principe, détourner les eaux ou en disposer au profit d'un tiers.
Mais une première exception se trouve dans l'article suivant; on verra aussi dans la Section suivante (art. 276), que parmi les servitudes établies par le fait de l'homme se trouve la prescription acquisitive des eaux, laquelle reçoit une application dans le cas présent.
A plus forte raison, le propriétaire de la source ne pourrait-il priver le voisin de l'écoulement, s'il lui avait concédé les eaux par titre.
Le texte réserve ces deux exceptions pour que la disposition ne paraisse pas, au premier abord, plus absolue qu'elle n'est en réalité. Il réserve aussi la restriction à la liberté des propriétaires au sujet des eaux minérales qui existent sur leurs fonds: la santé publique motive bien un pareil sacrifice.
Art. 228. La présente disposition repose sur le principe que l'intérêt général ou collectif doit primer, dans certains cas, l'intérêt individuel.
L'usage de l'eau est une des besoins les plus impérieux de l'homme, et il est passé en axiome de morale que ce que l'on peut le moins refuser à son semblable c'est l'eau nécessaire à éteindre sa soif. La loi apporte ici, d'ailleurs, un grand soin à concilier les intérêts opposés.
D'abord, pour que le propriétaire de la source soit privé de la plénitude de son droit, il faut que les réclamants constituent une agglomération d'habitants, reconnue par l'administration, un hameau, au moins; il ne suffirait pas d'une réunion de quelques maisons particulières n'ayant aucun lien entre elles, ni de quelque grande manufacture, même employant beaucoup d'ouvriers: il faut que l'agglomération représente un intérêt général, si limité qu'il soit.
De même, le texte veut que l'eau de la source soit nécessaire aux habitants: il ne suffirait pas qu'elle leur fût simplement utile, et il précise le genre de nécessité: ce n'est pas la nécessité agricole ou industrielle, laquelle pourtant se comprendrait, mais n'a pas paru aussi impérieuse que les nécessités domestiques, c'est-à-dire ce qui est nécessaire à l'usage direct de l'homme et des animaux, même des bestiaux logés dans le bâtiment.
Le propriétaire devra laisser écouler l'excédant d'eau qui ne lui est pas utile; son droit n'est pas, comme celui des habitants voisins, limité à la nécessité: il va jusqu'à l'utilité; mais, l'utilité ne comprend pas l'agrément. Le propriétaire pourra faire des irrigations, il ne pourra pas faire un étang: le plaisir d'une personne ne doit pas être respecté au prix de la vie ou de la santé des autres hommes.
Le texte permet à la commune ou aux habitants du hameau de faire exécuter des travaux sur le fonds où naît la source, pour recueillir les eaux et pour en favoriser la sortie. La seule limite que la loi mette à ce droit, c'est que le dommage ne doit pas être permanent, mais seulement temporaire, et, de ce chef, il y aura lieu à une indemnité, si le propriétaire l'exige.
Il y aura lieu à une autre indemnité, pour la privation que le propriétaire éprouve par la perte d'une partie des avantages de la source. Mais, cette indemnité serait prescrite, elle cesserait d'être due, par l'effet de la prescription libératoire, si la commune avait joui de la source pendant trente ans sans rien payer.
On remarquera seulement qu'en pareil cas, il ne faut pas dire que la servitude est acquise par prescription; elle est acquise par la loi et indépendamment d'aucun délai, et même avant que l'usage en ait commencé: la prescription n'est ici qu'extinctive de l'obligation d'indemniser le propriétaire.
Art. 229. Ainsi que le dit le texte, il ne s'agit pas ici des eaux faisant partie du domaine public; or, les eaux qui ont ce caractère sont les fleuves, les rivières navigables ou flottables et les canaux de navigation, avec leur lit (v. art. 22).
En France et ailleurs, il a régné jusqu'ici une grande incertitude sur le point de savoir à qui appartiennent les cours d'eau qui ne font pas partie du domaine public. Les uns les attribuent au domaine privé de l'Etat; les autres, aux riverains; d'autres disent qu'ils n'ont pas de maître et n'en peuvent avoir, c'est-à-dire qu'ils sont choses communes; d'autres distinguent entre le lit et l'eau courante, et c'est l'opinion qui semble la plus raisonnable: le lit serait la propriété des riverains et l'eau courante serait commune. C'est cette solution qu'on a adoptée dans le Code.
Tel est le caractère des cours d'eau auxquels s'appliquent le présent article et le suivant: les riverains ont la propriété du lit et ils ont seulement l'usage privilégié de l'eau courante.
Il n'est pas inutile de justifier un peu plus au long cette distinction entre le lit du cours d'eau et l'eau courante elle-même.
Que le lit appartienne aux riverains ou à ceux dont le cours d'eau traverse la propriété, il y a là une chose toute naturelle; il serait déraisonnable et inadmissible en pratique que le domaine public ou le domaine privé de l'Etat fût ainsi interposé entre les propriétés privées: ce serait une source de difficultés continuelles; l'objection serait la même si l'on voulait reconnaître la même nature de bien à l'eau courante.
Théoriquement, on comprendrait que l'eau courante appartînt au propriétaire dans le fonds duquel elle prend sa source; ce pourrait être l'Etat, un fu ou ken, shi, tcho ou son ou un particulier; mais un cours d'eau, dans son chemin, ne tarde pas à en rencontrer d'autres qui le grossissent et, bientôt, il y aurait cumul de plusieurs droits de propriété sur une eau courante, ce qui serait une source de difficultés inextricables. Il est bien plus naturel et tout aussi juste que la propriété de l'eau courante soit perdue pour le propriétaire de la source originaire, dès que l'eau est sortie de son domaine: elle ne devient pourtant pas sans maître, afin qu'il ne soit pas permis au premier occupant de s'en emparer, même au riverain ou à celui dont l'eau traverse l'héritage: la loi, d'accord avec la raison et l'intérêt public, la déclare commune, c'est-à-dire que personne n'en a et n'en peut acquérir la propriété et que tout le monde en a l'usage: en première ligne, se trouvent les riverains ou les propriétaires à travers le fonds desquels passe le cours d'eau, et ceux-ci ont une sorte de privilége que nos articles déterminent; ils peuvent même empêcher la prise d'eau chez eux, par les tiers; par conséquent, celui qui, en fait, aurait puisé de cette eau pourrait avoir commis une faute en entrant sur le fonds d'autrui; mais il n'aurait pas commis une “soustraction de la chose d'autrui,” c'est-à-dire un vol.
La distinction une fois faite entre les eaux qui font partie du domaine public et celles qui n'y rentrent pas, il n'y a plus à tenir compte, parmi ces dernières, de leur importance ou de leur exiguité: le plus petit filet d'eau séparant deux propriétés ou traversant un fonds doit être respecté, sinon dans son intégrité, au moins dans son existence; il est en effet, très important pour les propriétaires inférieurs de recueillir le bénéfice de l'eau, dans la mesure de ce qui en reste après l'usage normal des propriétaires supérieurs. Sans doute, il pourra arriver qu'un petit ruisseau soit épuisé sur son parcours; mais encore ce ne sera souvent que pendant certaines saisons, et les propriétaires inférieurs pourront exiger que le passage de l'eau ne soit pas supprimé, de manière à ce qu'elle puisse toujours y reprendre son cours.
La théorie qui placerait dans le domaine privé de l'Etat les eaux qui ne sont pas du domaine public aurait, outre le tort grave d'être arbitraire, l'inconvénient énorme d'autoriser l'Etat à dépouiller les particuliers de leur usage, sans indemnité.
Le 1er alinéa de l'article 229 défend à chaque riverain de modifier “le cours ou la largeur” de l'eau: si l'un d'eux modifiait le cours de l'eau, en la faisant passer tout entière chez lui, l'autre cesserait d'être riverain; s'il en modifiait la largeur, en élargissant le lit chez lui, l'eau n'aurait plus la même force; s'il rétrécissait le lit, c'est le contraire qui aurait lieu.
Le 2e alinéa donne au propriétaire dont le fonds est traversé par un cours d'eau un droit bien plus considérable qu'au riverain dont l'eau borde le fonds: le premier peut faire circuler l'eau dans son fonds, ce qui pourra, par l'absorption du sol et l'évaporation, en diminuer beaucoup le volume à la sortie. Ce droit est la conséquence de ce que le lit lui appartient; or, il doit pouvoir changer ce lit. Mais pour qu'un tel usage de l'eau n'aille pas jusqu'à sa suppression, la loi veut que ces changements soient toujours motivés sur les usages domestiques agricoles ou industriels; le propriétaire ne pourrait donc pas utiliser l'eau pour en faire un lac ou un étang dont le trop plein seul serait rendu aux propriétaires inférieurs: de telles eaux ne seraient plus aussi pures et pourraient être considérablement réduites, peut-être même absorbées par le fonds supérieur.
Les tribunaux préserveront les intéressés de pareils abus.
Quoique notre article 229 fût fait surtout pour les eaux courantes, il est naturel de l'étendre aux eaux agglomérées (lacs ou étangs) qui se trouveraient contiguës à plusieurs propriétés distinctes. Il pourrait même arriver qu'un lac ou un étang se trouvât dans l'intérieur d'une propriété et que le propriétaire du fonds n'eût pas la propriété de l'eau, parce qu'elle aurait une entrée et une sortie sur son fonds: ces deux communications avec le dehors la feraient assimiler à une eau courante ou commune.
Notre article, sans cette distinction, donne la même solution pour les eaux courantes et les lacs ou étangs.
L'endiguement qui serait exécuté d'un seul côté du cours d'eau aurait pour effet, le plus souvent, de rejeter les eaux du côté opposé; surtout, s'il s'agissait d'un lieu où le cours d'eau forme un coude ou angle plus ou moins court. Il est donc désirable qu'un pareil travail soit précédé d'un accord des intéressés.
Art. 230. La loi indique ici aux tribunaux les principes qui devront les diriger pour le règlement des contestations souvent fréquentes relatives à l'usage des eaux. Il n'y a pas à s'y arrêter.
Art. 231. Bien que les eaux dont il s'agit ici ne fassent pas partie du domaine public ou privé de l'Etat des fu ou ken, des shi, tcho ou son, c'est cependant à l'autorité administrative qu'il appartient d'en assurer la police, tant parce que leur conservation présente un grand intérêt général et économique que parce que l'usage des riverains est souvent une occasion de contestations. Ce sera naturellement dans les attributions du préfet: d'un côté, il n'est pas nécessaire, à cause du peu d'importance de chacun de ces cours d'eau, de recourir à l'autorité centrale ou supérieure, si ce n'est en cas de réclamation contre le règlement même du préfet; de l'autre, il ne serait pas possible de donner cette attribution à un agent inférieur, plus local et, comme tel, plus accessible aux influences des propriétaires comme le maire qui pourrait même être un des intéressés; en outre, il pourrait y avoir dans un même département des règlements plus ou moins différents, ce qui aurait de sérieux inconvénients.
On appelle “police des eaux” ce pouvoir réglementaire: on lui donne ici deux objets principaux qui sont l'opposé l'un de l'autre: le libre écoulement des eaux, pour préserver tant les fonds supérieurs des inondations que les fonds inférieurs de la sécheresse, et la conservation, contre les déperditions inutiles des eaux qui pourraient s'échapper latéralement et s'absorber dans des sables arides ou dans des excavations du sol; dans ce cas, des endiguements pourront même être ordonnés.
Le préfet règlementera aussi la pêche, tant pour les époques où elle sera permise que pour les instruments qui pourront être employés.
Art. 232. En matière de police des eaux du domaine public ou privé de l'Etat, des fu, ken, des shi, tcho ou son, la loi civile est inapplicable: l'intérêt général prédomine: c'est donc, sans aucun doute, la sphère du droit administratif.
Art. 233. Cette disposition et les suivantes présentent de nouveaux sacrifices imposés aux propriétaires fonciers dans l'intérêt général et économique: la loi considère toujours que les sacrifices imposés aux uns sont moindres que les avantages procurés autres, en sorte que la production ou la valeur totale des fonds se trouve augmentée, pour le plus grand bien du pays.
Le passage des eaux à travers les fonds d'autrui ne peut être refusé quand il est requis pour l'usage industriel, agricole ou domestique: les tribunaux n'auront à intervenir que pour le règlement de l'indemnité.
Il y a d'ailleurs une garantie contre les demandes abusives de tels passages pour les eaux, c'est que le requérant est tenu 1° d'une indemnité envers le propriétaire du fonds servant, 2° des frais d'établissement et d'entretien des ouvrages nécessaires à la conduite de ses eaux. Or, il n'y a guère à craindre qui celui qui n'aurait pas un besoin réel d'amener des eaux ou qui aurait la facilité de les amener par ses propres fonds, en réclame le passage par les fonds d'autrui.
L'indemnité due aux propriétaires des fonds traversés sera réglée par les tribunaux, en tenant compte tant du préjudice temporaire causé par les travaux préalables, que du dommage permanent provenant du passage des eaux.
La loi ne se prononce pas formellement sur la possibilité de fixer, à cet égard, une double indemnité, comme pour le passage des personnes en cas d'enclave (v. art. 220); mais il y a là une similitude de situation qui autorisera les tribunaux à recourir au même procédé.
Art. 234. La sortie des eaux est encore plus nécessaire peut-être que leur entrée sur un fonds; car leur surabondance peut causer plus de dommages que leur insuffisance.
La disposition du présent article doit être rapprochée des articles 224 et 225, auxquels elle apporte une grande extension, sans le contredire.
Dans ces articles, il s'agit de l'obligation, pour les propriétaires des fonds inférieurs, de recevoir les eaux qui découlent naturellement des fonds supérieurs, et cette servitude doit être subie sans indemnité.
Ici, il y aura travail de l'homme pour les évacuer; peut-être même y aura-t-il eu un premier travail sur des fonds supérieurs pour les amener; enfin, il y aura eu usage de l'eau et un usage qui les aura le plus souvent altérées, même quand il n'y aura eu qu'usage agricole, lequel corrompt ordinairement les eaux, notamment, par l'effet de la stagnation dans les rizières.
Ici, le législateur se retrouve, comme dans les cas qui précèdent, en face du problème qui consiste à concilier le respect dû à la propriété et à son indépendance avec l'intérêt économique qui demande l'évacuation des eaux nuisibles à la production et encore plus de celles qui pourraient compromettre la santé publique. Le droit d'aqueduc peut donc être exigé à travers les fonds inférieurs, pour conduire à la voie publique, ou à toute autre issue publique, les eaux qui, même après avoir été amenées pour l'utilité, deviendraient un embarras ou un danger.
Enfin, ce qui sépare profondément cette nouvelle servitude de celle relative aux eaux naturelles, c'est l'indemnité due aux propriétaires des fonds servants: c'est là le respect du droit de propriété.
Art. 235. La disposition de cet article, dans son 1er alinéa, rappelle celle de l'article 219, au cas d'enclave: il y a identité de motifs.
Le 2e alinéa n'a pas besoin de justification: l'habitation demande plus de respect que le sol arable.
Art. 236. Voilà encore une disposition dont l'équité est trop évidente pour avoir besoin d'être justifiée; il s'en trouve déjà une semblable dans l'article 220, 1er al.
Les Romains ont formulé, en matière de servitudes, une maxime générale dont l'application se présente ici et se retrouvera à la Section suivante, c'est que “la nature des servitudes n'oblige pas celui qui les subit à faire quelque chose, mais seulement à souffrir, à tolérer, à endurer.” C'est là un principe de droit positif qui, une fois admis, circule comme une monnaie courante, et ne se discute plus; mais encore faut-il le faire dériver d'un autre principe, plus élevé, parce qu'il est d'équité et de raison, à savoir, que la loi peut bien diminuer quelque chose des avantages qu'un propriétaire peut tirer de sa chose, pour augmenter beaucoup les avantages d'une autre propriété et, de cette façon, accroître la richesse générale du pays; mais, elle manquerait le but, en le dépassant, si elle imposait au propriétaire du fonds servant des sacrifices à prendre sur ses autres biens, comme ici le prix des travaux; dans ce cas, la richesse générale ne serait pas toujours augmentée; les sacrifices de l'un seraient souvent égaux aux bénéfices de l'autre; l'on n'y trouverait guère qu'un déplacement injuste des valeurs.
Dans le cas des servitudes qui nous occupent, il serait d'autant moins possible de faire supporter les frais des travaux au propriétaire du fonds servant qu'il a déjà droit à une indemnité pour le trouble et la diminution de jouissance que lui cause le passage des eaux. Si la loi mettait les travaux à sa charge, il faudrait, de toute nécessité, augmenter, en proportion, l'indemnité qui lui est due, ce qui reviendrait au même résultat que de le dispenser de ces travaux.
Art. 237. Les deux premières dispositions de cet article rentrent dans le système économique qui gouverne toute cette matière.
C'est un principe économique qu'il faut chercher à obtenir le plus d'avantages possibles avec le moins de travaux, c'est-à-dire avec les moindres dépenses
Or, lorsqu'il s'agit d'amener des eaux pour l'irrigation ou l'industrie, ou d'évacuer des eaux surabondantes, si l'on peut utiliser les mêmes canaux en faveur de plusieurs fonds, c'est un bien général en même temps que particulier. Dût-on même faire les canaux plus larges ou plus profonds, ce serait encore moins coûteux que de faire deux ou plusieurs canaux.
On remarquera que la réunion, dans un même canal, des eaux de deux propriétaires ne demande pas les mêmes précautions pour la sortie que pour l'entrée: pour la sortie, il importe peu que les eaux soient aussi pures les unes que les autres, puisque leur emploi est terminé; il en est autrement pour l'entrée: il ne faut pas que les unes gâtent les autres.
On pourrait enfin se demander si cette sorte d'association des eaux et des intérêts des propriétaires modifie, en plus ou en moins, l'indemnité due au fonds servant. Il faut reconnaître que l'indemnité ne reste pas la même, si le propriétaire du fonds servant prête ses canaux au fonds dominant; car, dans ce cas, le fonds servant n'est déprécié que par une perte partielle de la liberté du propriétaire; mais il n'y a pas occupation d'une partie utile du terrain. Dans le cas, au contraire, où le fonds servant emprunte le canal déjà fait par le fonds dominant, si l'indemnité a déjà été réglée tant pour la diminution de liberté que pour l'occupation de terrain, elle ne sera pas modifiée par l'emprunt du canal. Le seul effet de cette communication des eaux dans un même canal est que chacun supportera une part proportionnelle des dépenses dudit canal, et que chacun aussi en aura le bénéfice à moins de frais. Mais si, au moment où le fonds dominant réclame le passage, le fonds servant demandait que le canal pût recevoir ses eaux, le tribunal pourrait toujours tenir compte de cet avantage pour fixer une indemnité moindre.
Art. 238. Cet article paraîtrait au premier abord, devoir être placé après l'article 229, car, il se rattache, comme lui, aux eaux courantes; mais, il a dû être placé ici, à cause de son 2e alinéa qui repose sur le même principe que l'article précédent et demande la même justification.
L'usage des eaux courantes, par les riverains, nécessite presque toujours que les eaux soient élevées, car, elles se trouvent le plus souvent en contre-bas du sol riverain; pour que le contraire ait lieu, il faut supposer que les eaux coulent entre des digues ou chaussées, ce qui est assez fréquent; sans quoi les eaux devront être élevées par un barrage, qui sera nécessairement appuyé aux deux rives.
Le préjudice causé au riverain sur le fonds duquel le barrage est appuyé n'est jamais bien considérablet parce que les piles de bois ou de pierre s'enfoncen, assez peu dans la rive; néanmoins, il y a comme dans tout droit exercé sur le fonds d'autrui, une diminution de liberté; par conséquent, il y aura indemnité.
Le droit accordé au même riverain d'utiliser ledit barrage à son profit se justifie, comme celui d'user des canaux, en vertu du précédent article, et c'est une suffisante raison de ne pas reporter celui-ci après l'article 229; autrement, il faudrait y transporter aussi la justification économique de l'article précédent et elle y serait moins motivée.
§ III. DU BORNAGE.
Art. 239. Le but du Bornage est de prévenir les difficultés et contestations qui naîtraient infailliblement du voisinage, si la contenance et les limites de chaque propriété n'étaient pas exactement déterminées par des signes visibles et durables; l'intérêt général et l'intérêt même des propriétaires y trouvent donc satisfaction.
Le bornage est une de ces charges légales que l'on a signalées au commencement de ce chapitre comme étant improprement qualifiées du nom de servitudes. La réciprocité même de cette charge fait qu'il est difcile d'y voir un fonds servant et un fonds dominant, puisque chacun des deux fonds a cette double qualité et que le bornage est établi pour l'avantage des deux propriétaires.
Mais on a vu aussi qu'il n'y a guère d'intérêt à s'arrêter à cette difficulté purement théorique et que la loi y perdrait en simplicité.
Il est certain que le bornage est une des charges légales de la propriété foncière dont il forme le droit commun; sous ce rapport, le Code a suffisamment proclamé le principe, en écrivant le 4e alinéa de l'article 34.
Mais, il faut reconnaître: 1° que c'est improprement aussi que la charge du Bornage serait appelée obligation entre voisins: elle ne correspond pas à une créance ou droit personnel, mais à un droit réel, attribut de la propriété, 2° que la circonstance que le droit est réciproque et que les deux fonds se trouvent en même temps servants et dominants n'est pas une objection sérieuse à la dénomination de servitude, lors même qu'on la déclarerait double; il y a là un effet résultant de la nature des choses; car, depuis les Romains, il est d'usage de dire que l'action en bornage a une nature mixte ou double, en ce sens que chacun des voisins est tout à la fois demandeur et défendeur.
Le présent article pose le principe du droit de demander le bornage; les deux articles qui le suivent y apportent des exceptions et des limites.
La loi ne détermine pas d'une façon rigoureuse la nature des signes qui serviront à reconnaître les bornes: les parties pourront, soit y inscrire leurs noms, soit y mettre l'indication de la contenance; mais toujours de façon à ce que les pierres ou poteaux révèlent au premier aspect leur caractère, car, il y a dans le Code pénal (art. 420) une punition pour ceux qui déplacent les limites des propriétés et il faut chercher à prévenir le délit avant de le réprimer.
La loi ne limite pas la nature des matériaux à employer pour le signe des limites: les pierres, arbres ou poteaux sont les plus naturels et les plus durables; elle se réfère d'ailleurs à l'usage des lieux.
Art. 240. La loi affranchit ici du bornage trois sortes de fonds sans être limitative:
1° Les bâtiments: il se présentent, en effet, dans des conditions de fixité qui rendent le bornage inutile. Si donc un des propriétaires prétendait que l'autre a construit sur le terrain qui ne lui appartient pas, il ne pourrait qu'agir en réintégrande ou en revendication de la portion de sol qu'il prétend usurpée. Il se présenterait ensuite une question d'accession et d'indemnité à régler; car, les constructions suivent le sol, même celles faites par un autre que le propriéffaire (v. Livre de l'Acq. des Biens art. 8.). Si les bâtiments étaient séparés par un terrain libre, non clos, dont chacun des voisins eût une partie, il y aurait lieu à en demander le bornage.
2° Les terrains enclos de quelque manière que ce soit ne sont pas non plus sujets au bornage.
3° Les terrains séparés par un chemin public ou par un cours d'eau également public ne présentent pas non plus l'incertitude de limites qui motive l'action en bornage. Bien entendu, le bornage reste exigible, si la séparation est un chemin ou un cours d'eau privé.
Art. 241. Bien que tous les droits réels se perdent, en général, par la prescription, c'est-à-dire quand celui auquel ils appartiennent a laissé s'écouler un certain temps sans les exercer, et qu'ils ont été exercés par un autre comme siens, il en est cependant que le temps n'éteint pas et celui qui nous occupe est du nombre.
On en peut donner une première raison, qui est la plus frappante et la plus simple, c'est que la prescription n'a pas lieu pour les droits qui sont d'intérêt public autant ou plus que d'intérêt privé, et l'on a dit plus haut que le but du bornage est de prévenir les contestations et les procès.
On peut encore donner cette raison que lorsqu'un droit est accessoire d'un autre il ne se prescrit qu'avec le droit principal; or, le droit au bornage est l'accessoire du droit de propriété; donc, tant que la propriété n'est pas perdue elle-même par la prescription, le droit au bornage subsiste.
On peut dire enfin que le droit au bornage naît du défaut de limites et qu'il renaît pour ainsi dire chaque jour, tant que les fonds contigus ne sont pas délimités. C'est exactement la même théorie que pour la demande en partage entre copropriétaires indivis (v. art. 39): elle est imprescriptible tant que dure l'indivision.
Mais, l'action en bornage ne serait plus recevable, si l'un des voisins invoquait la prescription acquisitive de tout ou partie du fonds de son adversaire, ou seulement une possession civile ayant déjà un an de durée, soit pour tout le fonds, soit pour une portion déterminée.
Si, dans ce cas, le bornage était demandé d'après les titres de propriété, le possesseur serait privé du bénéfice de sa possession; or, il ne peut l'être que par une action possessoire, s'il est prouvé que sa possession n'avait pas encore un an de durée et, dans le cas contraire, par l'action en revendication, si la prescription acquisitive n'était pas accomplie. C'est donc par l'une ou l'autre de ces deux actions que le demandeur en bornage devra procéder préalablement: s'il y triomphe, le bornage sera exécuté d'après les contenances et les limites établies tant par les titres que par les autres preuves reconnues et déclarées par le jugement; s'il y succombe, les bornes seront placées de façon à consacrer la possession ou la prescription du défendeur.
Art. 242. Lorsque les limites ne résultent pas de la prescription acquisitive ou de la possession annale, on doit les rechercher dans les titres de propriété, et s'ils sont perdus ou détruits, on les supplée par témoins ou par les autres preuves admises en droit civil ordinaire.
Mais, ici, comme dans le cas de prescription prévu à l'article précédent, il peut y avoir contestation sur les contenances déclarées aux titres ou sur la validité des titres eux-mêmes; le débat ne portera plus alors sur les limites seulement, mais, sur le droit même de propriété, et comme, vraisemblablement, le juge du bornage sera un juge local, il ne lui appartiendra pas de statuer incidemment sur le droit de propriété; Il devra donc surseoir à statuer sur le bornage, jusqu'à ce que le droit de propriété ait été reconnu et déclaré par le tribunal civil. C'est une solution différente et même inverse de celle du concours de l'action possessoire avec l'action pétitoire (v. art. 208); mais ce n'est pas une exception à cette disposition, car l'action en bornage n'est pas une action possessoire, mais pétitoire.
Art. 243. Il est toujours désirable que les parties s'accordent pour le bornage; la loi leur laisse alors le soin de rédiger l'acte qui constatera l'opération: leur intérêt est de le faire clairement.
S'il faut recourir à la justice, le bornage sera déterminé par un jugement, précédé ordinairement d'un arpentage et d'un rapport par un géomètre-expert. La loi exige aussi qu'il soit annexé au jugement un plan figuratif des parcelles, présentant l'indication de bornes qui seront nécessairement placées à tous les angles.
Pour dispenser de faire le plan à une échelle de réduction géométriquement exacte, il suffira que les distances entre les bornes soient notées, lors même que la proportion exacte de ces distances ne serait pas observée sur le plan; on notera aussi la distance des principales bornes par rapport à quelque point local fixe qu'il ne dépend pas des parties de déplacer; de cette façon, en cas de contestation ultérieure ou de déplacement des bornes, il sera facile de retrouver leur place véritable, sans nouvel arpentage
Art. 244. Il est naturel que la dépense des bornes, assez minime d'ailleurs, soit supportée également par les deux voisins auxquels elles servent de limites, parce que chacun y trouve le même avantage, quelle que soit l'étendue de son fonds. Mais, il est évident que l'arpentage d'un domaine plus ou moins considérable coûtera beaucoup plus que celui d'un champ exigu, et la charge doit en être proportionnelle à l'étendue et même aux difficultés du terrain. En fait, le géomètre-expert se fera payer directement, par chaque propriétaire, le travail qu'il a fait pour lui, et, s'il a été commis par le juge, il présentera un compte séparé pour chaque fonds; ce sera le moyen le plus simple d'observer la proportionnalité des frais d'arpentage.
Pour les autres frais, notamment, ceux d'actes et de procédure, la loi admet l'égalité parce qu'ils sont, en général, indépendants de l'étendue des domaines.
L'exception portée par le 1er alinéa in fine recevra son application dans plusieurs cas qui sont supposés plus haut: un des voisins a contesté le sens ou la portée d'un titre de propriété, ou bien il s'est prétendu possesseur annal d'une portion du terrain à borner, ou, enfin, il a élevé une prétention à la propriété ou contesté celle de son voisin; celui qui aura succombé dans l'un ou l'autre de ces cas, supportera seul les frais de cette partie de la procédure. C'est l'application du droit commun des procès.
§ IV. DE LA CLÔTURE.
Art. 245. La faculté de se clore est, pour le propriétaire, une conséquence naturelle du droit de propriété. Si la loi s'en explique, c'est surtout à cause de l'exception portée à la fin de l'article.
Il est clair que celui qui a obtenu un passage sur le fonds d'autrui, bien qu'il ne soit pas enclavé, ou qui a le droit d'y aller puiser de l'eau, d'y prendre du sable ou d'autres objets utiles, a nécessairement le droit d'accès sur le fonds servant; s'il y a une porte, il devra en avoir une clef ou en obtenir l'ouverture à première demande, au moins pendant le jour, et sans troubler le propriétaire du fonds servant.
Une autre raison justifie encore ici la proclamation du droit de clôture: on aurait pu douter que le voisin pût, par des clôtures très élevées, gêner la vue du propriétaire voisin; dans certains lieu, la vue à distance peut avoir un grand charme et même donner une plus-value à une habitation, comme la vue de la mer, du Fusiyama ou même de la voie publique, et il pourrait arriver que l'un des voisins, par malice ou vengeance, élevât une clôture pour masquer la vue de l'autre. Assurément, il y aurait là un mauvais sentiment; mais, comme la clôture peut avoir un autre motif, par exemple, celui d'arrêter des regards indiscrets, la loi préfère proclamer le droit absolu à la clôture, sans qu'il y ait lieu d'en rechercher les motifs.
Art. 246. La clôture des héritages contigus, est, comme le bornage et plus encore, un moyen de prévenir les contestations entre voisins.
Si les terrains ne sont pas clos, il naît souvent des querelles entre les voisins, par suite des troubles ou dommages causés par les enfants, par les domestiques ou par les animaux; ces querelles s'enveniment en se répétant et il n'est pas rare que des violences en soient la conséquence. La loi fait sagement d'autoriser le plus sage ou le plus défiant des voisins à demander la clôture.
La clôture peut être exigée, par les voisins respectivement, en tout lieu. On aurait pu distinguer entre les villes ayant une population plus ou moins considérable et les autres villes, communes ou hameaux moins peuplés. Dans le premier cas, il y a en général, plus d'aisance, et les terrains ont plus de valeur avec moins d'étendue, la charge serait donc proportionnellement moins lourde que dans le second cas
Mais on a pensé qu'il fallait moins se préoccuper de la dépense que de l'utilité de la clôture, et dans les campagnes, autant que dans les grandes villes, le contact des voisins, des ouvriers agricoles, des domestiques et des animaux peut aisément amener des conflits qu'il est toujours bon d'éviter.
La loi ne demande pas la clôture de tout terrain; du moment qu'elle ne distingue pas les localités, elle doit chercher la distinction dans la nature et la situation de ces terrains: elle ne soumet à la clôture que les terrains qui séparent “les habitations, magasins et bâtiments d'exploitation agricole ou industrielle,” c'est-à-dire les lieux qui motivent constamment la présence des hommes et qui en même temps contiennent des objets d'une plus ou moins grande valeur.
Lorsque la clôture sera en planches, les poteaux de soutien ou arcs-boutants devront être placés alternativement sur chaque fonds, car ils sont une gêne pour les propriétaires.
La loi a dû fixer la hauteur de la clôture: une hauteur de six pieds a paru suffisante.
Art. 247. Il est naturel que la clôture, objet d'une obligation semblable de la part des deux voisins et leur procurant à chacun le même avantage soit à la charge de chacun par égale portion, quant à son établissement, son entretien et sa réparation. Il n'y a même pas à faire d'exception pour le cas où la clôture est placée sur le fonds supérieur formant terrasse: quoiqu'elle ne soit pas alors placée sur la ligne séparative même, elle est cependant utile au propriétaire inférieur et on peut la supposer réclamée par lui.
La loi, du reste, en n'exigeant qu'une clôture simple et peu coûteuse, pour ne pas trop charger la propriété foncière, ne pouvait pas défendre à un propriétaire de faire une clôture plus forte, plus élégante ou plus haute. Mais, il est naturel aussi qu'il n'en résulte, dans ce cas, aucune charge supplémentaire pour le voisin plus modeste dans ses goûts ou plus limité dans ses moyens; l'entretien même et la réparation seront exclusivement à la charge de celui qui a fait la clôture de luxe. Il serait impossible d'ailleurs de savoir si une clôture en planches ou en bambous qui n'existe pas aurait besoin de réparations, lorsque le mur en aura besoin.
La seule difficulté pourrait naître de l'épaisseur d'un mur toujours bien plus considérable que celle d'une clôture en bois. Dans ce cas, l'excédent de largeur devra être pris sur le fonds du constructeur, et si, à cause de la différence de niveau des terrains, il fallait la prendre sur le fonds inférieur, il y aurait lieu à indemnité ou à faire la construction sur le sol supérieur, au moyen de fondations aussi profondes que le sol inférieur.
Art. 248. Lorsque la clôture a été faite par l'un des voisins, à ses frais exclusivement, le vœu de la loi est satisfait, le danger de conflits est conjuré: il n'y a plus lieu d'exiger la participation de l'autre à la dépense, lors même que ladite clôture serait en planches ou en bambous. Mais cette déchéance du constructeur le plus diligent n'aurait plus lieu elle-même, s'il avait mis le voisin “en demeure” de contribuer à la clôture: " cela constituerait pour lui une réserve suffisante de son droit, et il ne serait pas tenu d'attendre la solution du litige pour procéder à la clôture.
Dans tous les cas, si le voisin est libéré de la participation à la construction, “aux frais de premier établissement,” il ne l'est pas de la contribution à l'entretien et à la réparation de la clôture, lorsqu'elle a été faite comme le prescrit la loi: cette obligation naît au fur à mesure que la clôture vieillit.
§ V. DE LA MITOYENNETÉ.
Art. 249. La véritable base de la mitoyenneté est la participation réelle de chacun des voisins à la construction, c'est-à-dire, à la fourniture du sol sur lequel la clôture ou séparation est assise, à l'achat des matériaux et au payement de la main-d'œuvre. Le présent article s'en explique clairement, et il a soin de généraliser la disposition, en y faisant rentrer la clôture forcée, avec ses conditions légales, et la clôture volontaire, avec ses variétés infinies
La présent texte nous apprend encore que la mitoyenneté est une copropriété indivise; ce qui empêchera de soutenir au Japon, comme on l'a essayé ailleurs que le mur mitoyen appartient aux voisins par moitiés, divises, c'est-à-dire à chacun, de son côté, jusqu'au centre du mur. Enfin, le texte ne néglige pas de dire que le sol appartient indivisément aux deux voisins comme le mur lui-même.
L'indivision que nous rencontrons ici a une nature propre déjà annoncée à l'article 39: nul ne peut la faire cesser par un partage; on ne peut s'y soustraire qu'en renonçant au droit lui-même, ce qui alors donne la propriété entière au voisin.
Art. 250. Le présent texte a soin d'expliquer, qu'il y a présomption que chacun des voisins a fait les sacrifices de sol et de travaux qui sont la véritable base du droit de copropriété.
La présomption ici établie n'est pas invincible et ne devait pas l'être, parce qu'il est possible et fréquent même que la séparation ait été construite par un seul des voisins.
Le texte indique ici quatre moyens de combattre la présomption légale.
Quant à la possession annale, elle ne suffirait pas ici à démentir la présomption de la loi, parce que la possession annale n'est elle-même qu'une présomption. Or, lorsqu'il s'agit de combattre une présomption simple par une autre présomption n'ayant pas un caractère différent, il faut que la loi s'en explique avec soin, ce dont elle s'est gardée ici. La présomption résultant d'une possession annale n'est pas suffisante pour détruire la présomption de mitoyenneté, parce que la nature de la chose se prête si facilement à des actes de possession plus ou moins légitimes qu'il y aurait toujours une grande incertitude sur l'existence ou le caractère de ces actes Il y aurait danger aussi à donner à ces actes une importance sérieuse: ce serait obliger les voisins à une surveillance, à une défiance continuelles, qui dégénèreraient facilement en querelles, en rixes ou en procès, suivant le caractère des personnes.
Art. 251. La loi n'a pas besoins de reprendre l'idée que la preuve directe et la prescription trentenaire peuvent combattre la présomption de mitoyenneté: les titres sont la preuve normale du droit de propriété exclusive, la preuve testimoniale n'est admise que par exception et la prescription trentenaire, quoique constituant elle-même une présomption de droit, est une présomption absolue et invincible.
Les autres présomptions que la loi admet ici comme preuves contraires de la présomption de mitoyenneté ont, à la différence de la possession annale, un caractère précis, indiscutable et permanent.
Il n'est pas nécessaire de reprendre ici en détail, chacun des quatre cas réglés par la loi. Il suffira d'une observation sur chacun.
1° Nul ne pouvant envoyer les eaux pluviales de ses bâtiments sur le fonds voisin, la circonstance que les eaux du mur tombent sur un seul fonds prouve suffisamment que le mur appartient exclusivement à celui sur le fonds duquel tombent les eaux. De même, on verra plus loin que si le mur est mitoyen, aucun des voisins n'y peut pratiquer d'ouverture ou d'enfoncement; si donc de pareilles dispositions existent dans un mur de séparation, c'est qu'il n'est pas mitoyen.
2° Les poteaux de soutien étant une gêne que le propriétaire n'a pas le droit de rejeter sur le voisin, il est clair que s'ils se trouvent d'un seul côté, c'est que de ce côté seul aussi est le droit de propriété.
3° Nul ne pouvant, en vertu du principe élémentaire de la propriéte, empiéter, usurper sur le fonds voisin, de quelque façon que ce soit, si ce n'est en vertu d'un droit de servitude, il est naturel d'en conclure que si la terre tirée du fossé est tout entière déposée sur un seul fonds, c'est que le fossé a été pris exclusivement sur ce fonds.
4° Quant aux haies, il était difficile d'y chercher un signe matériel qui indiquât par qui et sur quel terrain elles ont été plantées. La loi en trouve, non plus dans la haie même, mais la circonstance qu'un des fonds est seul enclos de tous côtés: il n'est pas vraisemblable que le propriétaire qui n'est pas clos de tous côtés ait consenti à faire d'un seul côté le sacrifice d'une portion de son sol et la dépense de la haie.
Le dernier alinéa de l'article tire la conséquence de la présomption, en désignant quel est celui des voisins qui est présumé propriétaire exclusif. Il se trouve expliqué par les quatre observations ci-dessus.
Art. 252. Le fondement de la présomption de mitoyenneté établie par l'article 251 est l'utilité que chacun des voisins tire de la séparation du fonds, laquelle autorise à supposer que chacun a contribué à son établissement. Mais, dans le cas prévu ici, lorsqu'il n'y a qu'un bâtiment, ou même lorsqu'il y en a deux et que l'un excède l'autre en hauteur, il n'y a aucune raison de croire que le mur ait été fait à frais communs, soit pour un seul bâtiment, soit pour cet excédent; on pourrait même ajouter que ce mur n'est plus une séparation, puisque, d'un côté, il n'est contigu qu'au vide.
Mais, s'il n'y a plus ici de preuve de la mitoyenneté par présomption, il y a toujours droit de la prouver par titre. Le titre jouera donc un rôle inverse de celui qu'il jouait précédemment: au lieu de servir à démentir une présomption, il la suppléera; au lieu d'établir la propriété exclusive d'un seul, il établira la copropriété indivise.
Il n'est pas question ici de la preuve par prescription de 30 ans: on ne concevrait guère, en fait, la possession, par le voisin, d'un mur ou d'une partie de mur qui ne soutiendrait pas un bâtiment à lui appartenant.
Art. 253. On se retrouve ici dans un cas qui est assez fréquent en matière litigieuse: à savoir, lorsqu'il est fourni des preuves de deux droits opposés; ce qui est fréquent pour les preuves testimoniales n'est pas rare pour les présomptions de fait. Ici, les présomptions sont légales, il est vrai, mais, elles reposent sur des faits matériels assez variés pour n'être pas toujours concordants.
Le juge fera donc ici comme dans les autres cas de preuves contradictoires, il appréciera, dans sa raison, de quel côté paraît être la vérité.
Art. 254. Du moment que les voisins sont copropriétaires de la séparation, il est naturel que la réparation et l'entretien en soient à la charge commune (1er al.).
Le 2e alinéa fait l'application d'un principe fondamental des servitudes, déjà énoncé, à savoir, que “les servitudes n'obligent pas à faire, mais à souffrir.” ilc, l'obligation d'entretien est corrélative, moins au profit que le fonds tire de la clôture ou de la séparation qu'à la propriété même des matériaux qui la composent et du sol qui la supporte; il est donc naturel que le voisin s'affranchisse de l'entretien en abandonnant la propriété du sol et des matériaux.
En renonçant à la copropriété, l'un des voisins conservera souvent le bénéfice de la séparation, car, elle ne sera pas, sans doute, supprimée par l'autre voisin; mais il perdra le droit d'appui, s'il s'agit d'un mur, et les autres avantages énumérés sous l'article suivant; enfin, il perdra la propriété du sol indivis qui porte la clôture; tout cela préviendra les renonciations abusives.
Cette faculté d'abandon cesse dans les cas où la clôture est obligatoire. Cela est d'une nécessité évidente; car, en abandonnant la clôture, le voisin n'aurait pas moins un fonds contigu à l'autre, et, dans les cas où la clôture est obligatoire, on pourrait toujours la lui demander.
Quant aux deux autres conditions de cette faculté d'abandon, elles se justifient à la simple lecture du texte.
Art. 255. La loi pose, au premier alinéa, un principe qu'elle applique dans les alinéas suivants.
On pourrait contester l'utilité de ces déductions légales d'un principe posé: c'est, en général, une tâche laissée à la jurisprudence; mais, on peut remarquer que les quatre alinéas qui développent notre article n'ont pas seulement le caractère de conséquences du principe, ils contiennent aussi des dispositions que les tribunaux n'auraient pas qualité pour suppléer; elles doivent être formellement écrites.
Au surplus, les quatre alinéas dont il s'agit sont assez précis dans leurs détails pour n'avoir besoin d'aucun développement.
Art. 256. La loi applique encore ici un principe économique déjà rencontré plusieurs fois, à savoir, qu'il vaut mieux diminuer dans une certaine mesure l'indépendance des propriétaires que de faire des constructions inutiles.
Le propriétaire qui a construit seul un mur ou qui l'a acquis avec le fonds, lorsqu'il est de construction antérieure à son acquisition, n'éprouvera aucun préjudice sérieux en se trouvant obligé d'en céder la copropriété au voisin. Le seul inconvénient qui pourra en résulter pour lui, c'est qu'il n'aura plus sur ce mur des droits aussi étendus que s'il en était propriétaire exclusif; notamment, il ne pourra plus le changer ou le détruire; mais, ce sont là des droits dont on use peu à l'égard des séparations en pierre ou briques. Le propriétaire sera d'ailleurs équitablement indemnisé. Au contraire, l'avantage sera très considérable pour le voisin et, par suite, pour la propriété foncière qui sera ainsi allégée d'une dépense inutile
La loi ne permet de requérir la mitoyenneté que si le mur (le bâtiment) n'est pas en retraite de plus d'un pied. S'il y a plus d'un pied de distance, celui qui bâtira le second, devra placer lui-même son bâtiment en deçà de la ligne séparative.
On remarquera, dans le texte, trois autres limites apportées à ce droit d'exiger la cession de la mitoyenneté:
1° Il n'a lieu que pour les murs en pierre ou en briques (1er al.): il n'a donc pas lieu pour les séparations en charpente ou en maçonnerie, même pour celles qui forment les parois d'une maison. Pour les charpentes, on a craint que les maisons ne fussent exposées à un plus grand danger d'incendie par leur réunion trop intime au moyen d'un mur commun; les propriétaires répugneraient à une connexion forcée; il suffit qu'ils aient la faculté de l'établir d'un commun accord, ce que la loi ne veut et ne doit pas empêcher (v. 4e al.). Pour les murs en maçonnerie qui ne seraient que de tuiles et terre, ils ne présentent pas assez de solidité pour motiver une cession forcée.
2° Quoique la portion de sol qui se trouve entre le mur et la ligne séparative ne puisse excéder un pied pour qu'il soit possible de requérir la mitoyenneté du mur, la loi n'a pas cru devoir permettre que celui qui requiert la mitoyenneté acquît ainsi un pied de la terre du voisin, même en le payant à sa valeur: la loi déclare qu'il n'est que “superficiaire” et qu'il n'a l'usage du sol que tant que dure son bâtiment, en payant pour ce sol une redevance annuelle (2e al.)
3° La cession forcée n'a pas lieu pour les clôtures en maçonnerie ou en bois, pour les fossés, ni pour les haies (4e al.); il n'y a pas là d'utilité pour diminuer la liberté des propriétaires; d'ailleurs, ces séparations sont toujours plus ou moins provisoires: si elles devenaient forcément mitoyennes, aucun des propriétaires ne pourrait plus les remplacer à son gré en en changeant la nature.
La mitoyenneté de ces sortes de clôtures aura pourtant deux causes que la loi croit devoir indiquer (pour être comprise quand elle parle de clôtures, haies et fossés mitoyens): c'est la construction originaire à frais communs et la cession volontaire.
Enfin, la loi s'exprime formellement sur le droit de fermer les ouvertures pratiquées dans le mur avant qu'il fût devenu mitoyen: ce droit existe, en principe; mais il cesse, si les ouvertures sont établies avec le caractère de “servitudes du fait de l'homme,” comme on le verra plus loin (3e al.).
A l'égard de l'indemnité due au cédant, le texte n'exige pas le payement de ce qu'a coûté le mur, lors de la construction, mais seulement de la moitié de ce qu'il vaut lors de la demande (1er al.); le prix du sol peut être augmenté, tandis que la construction elle-même a toujours perdu de sa valeur avec le temps.
Art. 257. La disposition du 1er alinéa de ce nouvel article est déjà à peu près expliquée par ce qui a été dit plus haut, au sujet de la 2e limitation au droit de requérir la cession de la mitoyenneté; cependant elle nous paraît exiger quelques développements, à cause du 3e alinéa qui en est la sanction.
Remarquons d'abord que la distance qui doit être laissée entre le bâtiment et la ligne séparative n'est pas fixée par la loi générale, mais laissée à l'usage local.
Supposons maintenant que le premier constructeur ait placé son bâtiment à la distance voulue de la ligne séparative des deux terrains: il est à l'abri de toute réclamation.
Mais, si, au contraire, le premier constructeur n'a pas observé la distance obligatoire, le voisin devra se reculer d'autant, pour la facilité de ses travaux et comme ce sacrifice de terrain est rendu nécessaire par sa faute du premier constructeur, il est juste que celui-ci en doive une indemnité au voisin. Tel est l'objet du 3e alinéa.
Comme il vaut toujours mieux prévenir un dommage que le réparer, la loi permet au voisin de faire la dénonciation de nouvel œuvre au cours des travaux du premier bâtiment; cela n'empêchera pas nécessairement la continuation des travaux.
§ VI. DES VUES ET DES JOURS DE TOLÉRANCE SUR LA PROPRIÉTÉ D'AUTRUI.
Art. 258. Il y a ici une nouvelle restriction à la liberté des propriétaires, toujours dans l'intérêt des bons rapports entre voisins et pour éviter les vexations et les troubles. Le propriétaire peut construire sur la limite de son fonds et, par conséquent, son bâtiment peut être en contact immédiat avec le fonds voisin; celui-ci ne pourrait pas se plaindre de perdre ainsi la vue à distance, les rayons du soleil et l'air libre; mais, le propriétaire ne peut avoir sur la limite des vues droites ou fenêtres d'aspect qui pourraient favoriser une curiosité indiscrète et seraient un moyen de jeter des corps durs ou de répandre des liquides sur le fonds voisin. La loi veut, pour que de pareilles ouvertures soient permises, que la distance soit de trois pieds; cette distance n'exclut pas tout danger de ce genre, mais elle n'aurait pu être augmentée sans devenir une cause, soit de perte de terrain, surtout dans les villes, soit de dépréciation des bâtiments; car, souvent, le côté où il s'agit d'ouvrir ces vues sera le plus favorable pour le soleil.
Au Japon, où cette restriction aux droits du propriéaire n'est pas encore formellement établie, même part l'usage, bien qu'elle soit souvent observée par un accord tacite des voisins, on a cru devoir adopter une distance moindre qu'en Europe: trois pieds.
Art. 259. Le cas prévu au premier alinéa de cet article se présentera, soit lorsque l'exiguïté des terrains ne permettra pas d'observer les distances prescrites, soit lorsque le bâtiment aura été construit et les ouvertures pratiquées avant la publication de la présente loi, ce qui ne sera pas un obstacle à son application auxdits bâtiments, car les propriétaires ne pourront arguer d'un droit acquis à l'ancien état de choses, s'il est reconnu contraire à l'intérêt général: le principe de la non-rétroactivité des lois ne fait aucun obstacle à ce que les droits de propriété déjà existants soient restreints ou modifiés pour l'avenir.
Quand les fenêtres seront masquées par un auvent, elles ne pourront plus être qualifiées fenêtres d'aspect puisque la vue est obstruée; cependant, ce ne sont pas non plus des jours de tolérance ou de souffrance, puisque le voisin n'y met aucune complaisance et n'en éprouve aucun trouble.
Les jours, sont, au contraire, de tolérance, dans le cas du second alinéa, puisqu'ils ne sont pas masqués ou obstrués. La loi prend encore dans ce cas, deux précautions dans l'intérêt du voisin: 1e la hauteur des ouvertures, par rapport au plancher, afin qu'il ne soit pas possible de voir chez le voisin, sans quelque gêne, 2° l'application d'un châssis grillagé, dont les mailles, en fil de fer ou en bois, seront assez rapprochées pour empêcher que les enfants ou les domestiques puissent jeter des objets nuisibles chez le voisin.
Le Code japonais n'exige pas une troisième condition qui se trouve dans plusieurs Codes étrangers: à savoir, que le châssis soit à verre dormant, ce qui veut dire qu'il y ait un vitrage non susceptible de s'ouvrir. Cette condition a paru exagérée avec celle d'un grillage, et la circulation de l'air est trop nécessaire à l'hygiène pour que la loi puisse en priver les habitants des maisons.
La dernière disposition est également sage: comme c'est par respect pour les droits du voisin que la loi ne permet pas de placer les auvents en saillie sur la ligne séparative, celui-ci doit pouvoir renoncer à son droit, s'il préfère supporter l'avance de l'auvent plutôt que le danger des regards indiscrets à travers le grillage; mais, il ne fallait pas non plus qu'il exigeât un auvent très peu large et obstruant trop la lumière; de là, le minimum d'un pied d'écartement.
Art. 260. La loi croit devoir ajouter un cas où la distance des vues cesse d'être exigible, à savoir, celui où le fonds voisin est une construction sans ouvertures: dans ce cas, il ne peut souffrir des ouvertures pratiquées dans la seconde construction. Mais si le fonds bâti le premier se trouvant lui-même à plus de trois pieds de la ligne séparative, venait à être muni à son tour d'ouvertures, les premières devraient être bouchées.
§ VII. DES DISTANCES REQUISES POUR CERTAINS OUVRAGES.
Art. 261. Il s'agit encore, dans ce § d'une de ces charges réciproques entre voisins qui, tout en restreignant un peu leur liberté comme propriétaires, les préservent de dommages mutuels qui diminueraient davantage la valeur des fonds et troubleraient les rapports de bon voisinage.
La première disposition concerne les puits et citernes.
Le danger que présentent les puits n'est pas celui des infiltrations, car l'eau qui existait déjà en nappes se trouvera plutôt diminuée: c'est le danger des éboulements qui pourraient faire fléchir le sol voisin; généralement, les puits sont revêtus d'un tube en bois, à moins qu'ils ne soient creusés dans un sol très dur; c'est pourquoi la loi n'exige qu'une distance relativement faible de la ligne séparative (6 pieds).
Les citernes destinées à recueillir les eaux pluviales ou de source dans les lieux où les nappes d'eau souterraine manquent ou bien sont à une trop grande profondeur, présentent plus de danger d'infitration que les puits, à cause de la hauteur de l'eau qui peut monter jusqu'au niveau du sol, et aussi plus de danger d'éboulement, à cause de leurs grandes dimensions: la loi, cependant, n'exige pas une plus grande distance, parce que l'étendue des terrains ne pourrait pas toujours la permettre; mais on y suppléera par la solidité du revêtement.
La deuxième disposition du 1er alinéa concerne des cavités destinées à recevoir des matières impures, soit pour qu'elles s'absorbent lentement, comme les eaux ménagères que la disposition des lieux ne permettrait pas de conduire à la voie publique, soit pour les employer ultérieurement à l'engraissement des terres comme le fumier animal ou l'engrais humain. Ici, les infiltrations seraient plus nuisibles au voisin; mais il y sera paré au moyen d'un revêtement convenablement enduit de son côté.
Pour les caves sèches (2e al.), la distance est réduite de moitié, puisqu'il n'y a pas à craindre d'infiltrations, mais seulement des éboulements.
Le 3e alinéa concerne de menues excavations, à ciel ouvert, dont la profondeur peut varier à l'infini; la loi pare au danger de l'infiltration, par la distance qui est proportionnelle à la profondeur (la moitié), et au danger de l'éboulement, par le talus ou le revêtement.
S'il y avait contestation sur l'inclinaison du talus, les tribunaux pourraient exiger qu'il ne formât pas un angle inférieur à 45 degrés, ce qui est la pente naturelle des terres rejetées d'un fossé.
Bien entendu, la distance doit se calculer à partir du bord supérieur du fossé.
Art. 262. La trop grande proximité des arbres cause aux voisins une autre nature de dommage que les excavations: c'est la privation d'air et de lumière, laquelle nuit aux habitations autant qu'à la culture. La loi, ici encore, peut, sans scrupules, restreindre la liberté des propriétaires; car, dans les villes, les arbres sont plutôt pour l'agrément que pour l'utilité et, dans les campagnes, l'espace permet d'observer aisément les distances prescrites.
Il est naturel que la distance légale soit déterminée d'après la hauteur des arbres. Bien entendu, il s'agit ici de la hauteur effectivement obtenue par les arbres et non de celle à laquelle ils peuvent atteindre d'après leur nature; seulement, les propriétaires qui n'auront pas eu la prudence de tenir compte de cet accroissement, pourront être tenus, quand il sera atteint, soit de supprimer leurs arbres, soit de les étêter à la hauteur voulue.
Le Code japonais est un peu plus libéral pour les propriétaires des arbres, que la plupart des Codes étrangers en leur accordant, soit une distance moindre, soit une plus grande hauteur pour une même distance.
Le dernier alinéa ne présente pas de difficulté: la circonstance que chacun des voisins est copropriétaire de la séparation (mur, clôture ou haie) ne justifierait pas le défaut des précautions prescrites ci-dessus, car le copropriétaire ne doit pas, par son fait, compromettre la sécurité de la chose commune; en outre, lorsqu'il y a danger d'infiltrations ou d'éboulement, le dommage pourrait dépasser la séparation mitoyenne.
Il va sans dire que, sur ce point des distances à observer, on pourra toujours y déroger au moyen de conventions particulières, lesquelles constitueront alors des servitudes du fait de l'homme, opérant en sens inverse des servitudes légales, ainsi qu'on va les rencontrer à la Section suivante.
Cette faculté de modifier par convention les rapports des voisins aura d'autres applications, mais elle ne doit pas non plus être considérée comme absolue.
Art. 263. La loi, désirant seulement pourvoir à la sécurité et aux bons rapports des voisins, se contente ici des usages qui y auront pourvu autrement: ces usages, en effet, nés des besoins locaux, sont généralement sages, modérés et suffisants dans leurs exigences.
Art. 264. Les progrès de l'industrie, tout en améliorant les conditions de la vie sociale, entraînent aussi des dangers pour la vie ou la santé des hommes, non seulement des personnes directement employées à ces industries, mais encore de celles qui se trouvent dans le voisinage des établissements industriels.
Dans les pays où l'industrie est très développée, les règlements sur les manufactures et ateliers dangereux, insalubres ou seulement incommodes sont très nombreux et augmentent chaque jour avec les nouvelles découvertes. Ce n'est pas à la loi civile qu'il appartient de faire ces règlements, parce que l'intérêt général y est bien plus en jeu que l'intérêt privé. D'ailleurs, la loi civile doit avoir, de sa nature, une certaine fixité qui serait tout à fait mauvaise en une matière aussi variable et aussi progressive que l'industrie et ses procédés. Il en doit être de même au Japon.
DISPOSITIONS COMMUNES.
AUX PARAGRAPHES PRÉCÉDENTS.
Art. 265. On a vu, aux articles 21, 22 et 23, que le domaine de l'Etat, des fu ou ken et des shi, tcho ou son se divise en domaine public et domaine privé.
Pour leur domaine privé, ces “personnes morales” sont et doivent être traitées par la loi comme des particuliers et soumises aux mêmes obligations, comme aussi être appelées aux mêmes droits et avantages; c'est ce que le texte qualifie “d'application active et passive de la présente Section.”
Mais, pour ce qui concerne les biens du domaine public, l'intérêt général doit quelquefois primer l'intérêt privé.
Ainsi, les établissements publics ne seront pas soumis à la cession forcée de la mitoyenneté des murs; on ne pourra non plus exercer le droit d'aqueduc à travers les fonds du domaine public. Mais ils seront soumis aux droits d'accès pour les réparations de bâtiments voisins et de passage en cas d'enclave; ils devront recevoir l'écoulement naturel des eaux pluviales et de source, subir la clôture et le bornage, enfin observer les distances légales pour les vues, plantations et ouvrages.
Activement, ces fonds auront tous les bénéfices de la loi: l'administration pourra requérir le passages des eaux, le bornage, la clôture, la cession de la mitoyenneté, l'observation des distances, etc. Il n'y a pas d'ailleurs, à craindre de sa part les abus et vexations qui peuvent se rencontrer entre voisins particuliers.
Il va sans dire que chaque fois que l'administration requerra pour un bien du domaine public l'exercice d'une servitude active, elle en subira les charges et conditions passives: sous ce rapport, les effets de la loi sont indivisibles.
SECTION II.
DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LE FAIT DE L'HOMME.
§ Ier DE LA NATURE DES SERVITUDES ET DE LEURS DIVERSES ESPÈCES.
Art. 266. La loi arrive ici aux Servitudes proprement dites, à celles qui, à la différence des servitudes dites légales, ne sont plus le droit commun de la propriété, mais sont établies, exceptionnellement, par l'accord exprès ou tacite des propriétaires, pour l'amélioration économique d'un fonds.
On a déjà expliqué, sous l'article 214, que leur nom de foncières ne vient pas de ce qu'elles portent sur des fonds, mais de ce qu'elles appartiennent, figurativement, à des fonds dont elles deviennent des accessoires et, en quelque sorte, des qualités actives.
De même, lorsqu'on les qualifie de servitudes réelles, ce n'est pas pour dire qu'elles sont des droits réels; ce qui est incontestable d'ailleurs, c'est pour exprimer que le droit appartient à une chose et qu'on ne peut avoir un droit de servitude sans avoir d'abord sur un fonds la propriété ou un de ses démembrements.
La loi pose en principe la pleine liberté des propriétaires voisins pour établir entre leurs fonds ces rapports qui, vraisemblablement, apporteront plus d'avantages au fonds dominant qu'ils n'en enlèveront au fonds servant; d'ailleurs, leur intérêt est leur meilleur guide et si le fonds servant devait souffrir plus que le fonds dominant profiter, il est naturel de croire que les conditions plus onéreuses de l'arrangement en détourneraient l'un ou l'autre des voisins.
Parmi les servitudes du fait de l'homme, il y en a qui sont la contre-partie des servitudes légales et qui ont justement pour but de lever des entraves que la loi a cru devoir mettre à la liberté des voisins, mais que ceux-ci peuvent, d'un commun accord, juger inutiles, ou même nuisibles à leurs intérêts particuliers.
Ainsi, on peut, par convention:
1° Donner à l'un des voisins le droit d'envoyer chez l'autre, en dehors des conditions imposées par la loi, des eaux pluviales ou de source, ou même des eaux ménagères ou industrielles;
2° Affranchir un des voisins de la nécessité de payer une indemnité pour le passage d'un aqueduc, dans les cas où la loi ne l'autorise à user de cette servitude qu'à charge d'indemnité;
3° Affranchir un des voisins des distances légales à observer pour les puits, citernes ou caniveaux, pour les vues et pour les plantations d'arbres;
4° Supprimer, pour l'un des voisins ou pour tous deux, l'obligation de contribuer aux frais du bornage ou de la clôture, dans les cas où la loi permet d'exiger celle-ci, ou même l'obligation de céder la mitoyenneté.
Mais il ne faudrait pas croire que les voisins pussent, par convention, s'affranchir de toutes les servitudes légales: le principe de la liberté des conventions reçoit ici une exception générale qui est de n'établir aucune servitude “contraire à l'ordre public.” Or, quand la servitude légale est fondée sur un principe d'ordre public et sur un intérêt général de premier ordre (car il y a toujours un intérêt général dans la cause des servitudes légales), les parties ne peuvent s'en affranchir par une convention dont l'imprévoyance pourrait, plus tard, causer des troubles sérieux.
Ainsi on ne pourrait, par convention:
1° Supprimer le droit d'accès sur la propriété voisine pour la réparation des bâtiments, ni le droit de passage en cas d'enclave; car, dans le premier cas, on aurait ôté presque toute valeur au bâtiment qui viendrait à avoir besoin de réparations, et, dans le second, sa valeur tout entière au fonds enclave;
2° Affranchir le voisin inférieur de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du fonds supérieur.
3° Affranchir le voisin supérieur ou inférieur de l'obligation de livrer passage, par aqueduc, aux eaux ménagères, industrielles ou agricoles, dans les cas où la loi l'y soumet;
4° Affranchir les voisins de l'obligation de subir respectivement le bornage ou la clôture.
Toutefois, comme les conventions doivent recevoir tout l'effet possible, en tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public, on pourrait leur donner ici quelque effet quant à l'indemnité, au moins dans les trois derniers cas: ainsi, au 2e cas, celui qui aurait stipulé son affranchissement des eaux naturelles devrait recevoir une indemnité, si le propriétaire supérieur, pour échapper à l'inondation, était forcé de se prévaloir de la servitude légale; de même, au 3e cas, une indemnité spéciale et supplémentaire serait due par le voisin qui requerrait le passage d'un aqueduc après y avoir renoncé; au 4e cas, le bornage et la clôture, toujours possibles, seraient aux frais exclusifs de la partie qui les requerrait, après avoir pris un engagement contraire. On pourrait même, au 1er cas, mais par exception, donner effet à la convention qui tendrait à affranchir un fonds du droit d'accès du voisin, c'est lorsque la convention serait intervenue avant la construction en faveur de laquelle le droit d'accès est plus tard réclamé: cette convention, en effet, tendait indirectement à obliger le voisin à réserver entre son bâtiment et la ligne séparative un espace suffisant pour les réparations. Le constructeur, pour n'avoir pas tenu compte de cette indication, pourrait être tenu d'une indemnité plus forte que si elle était fixée par la seule application de l'article 217; il pourrait même, au cours de sa construction, être arrêté par la dénonciation de nouvel œuvre.
On a, plus haut, présenté comme valable la convention par laquelle un voisin renoncerait à user du droit que lui donne la loi d'acquérir la mitoyenneté d'un mur. La question n'est pas sans difficulté et peut-être quelques personnes hésiteraient-elles à admettre notre solution, à cause de l'intérêt économique qu'il y a à ne pas faire deux murs entre deux bâtiments; mais nous ne voyons pas là cet intérêt public “de premier ordre” qui nous semble la raison de prohiber certaines conventions contraires aux servitudes légales: une pareille convention sera trop peu fréquente et la propriété qui sera privée du droit de mitoyenneté ne sera pas assez notablement dépréciée pour qu'il y ait lieu de déroger au principe général et essentiel de la liberté des conventions. Ce qui doit lever tous les doutes c'est que le propriétaire pourrait toujours se soustraire à l'obligation de céder la mitoyenneté en bâtissant en retraite de plus d'un pied de la ligne séparative (v. art. 257).
La loi a laissé à l'interprétation judiciaire la solution de quelques questions qui pourraient s'élever sur la validité des conventions en matière de servitudes.
Ainsi, l'ordre public ne s'oppose nullement à ce que deux voisins conviennent que l'un d'eux fera certains travaux sur le fonds de l'autre, soit par lui-même, soit par des hommes de journée payés par lui: par exemple, qu'il plantera le riz et le récoltera, qu'il réparera les bâtiments, qu'il durera les étangs, le tout avec ou sans rétribution, suivant les accords. Mais cette convention ne vaudrait que comme promesse de services gratuits ou onéreux: elle donnerait une créance ou un droit personnel et ne constituerait pas une servitude.
La conséquence en est fort importante: les services ne seraient pas dus par tout propriétaire qui succèderait sur le fonds au promettant, ils ne seraient dus que par le promettant lui-même, qu'il ait ou non gardé le fonds; ils ne seraient même pas dus par ses héritiers, car la promesse de service est personnelle, dans le sens le plus étroit du mot, elle ne passe même pas aux héritiers passivement; de même, l'obligation serait éteinte par la mort du stipulant et ne profiterait pas à ses héritiers; car les conventions de services, même faites à titre onéreux, sont généralement faites en considération des personnes, respectivement.
Si le fonds sur lequel les travaux devaient être faits, venait à être aliéné, le changement de propriétaire devrait être, en principe et par le même motif, considéré comme mettant fin au contrat, à moins que le cédant n'ait expressément transféré sa créance de services en même temps que le fonds ce qui est permis.
En sens inverse, si l'on suppose une stipulation donnant à un propriétaire le droit de se promener sur le fonds voisin, d'y chasser, d'y pêcher, de s'y baigner, il n'y aura là aucune charge pour la personne du propriétaire voisin; mais on n'y trouvera pas non plus un avantage pour tout propriétaire du fonds prétendu dominant, par conséquent, point de plus-value donnée au fonds lui-même; en effet, tous les propriétaires ne sont pas chasseurs ou pêcheurs: l'âge, la santé, les occupations, pourraient rendre inutiles les facultés dont il s'agit; on ne se trouve donc pas dans les conditions qui font le mérite économique des servitudes: il n'y aura pas servitude foncière.
Mais une pareille stipulation n'a rien de contraire à l'ordre public et elle ne sera pas nulle; elle donnera même un droit réel, c'est-à-dire un droit affectant la propriété de la chose et la démembrant: ce sera suivant qu'il sera établi à titre gratuit ou à titre onéreux et d'après les autres circonstances du fait, soit un droit d'usage spécial, soit un droit de bail, avec un objet plus limité que d'ordinaire; ce pourrait être aussi le droit personnel né d'un prêt à usage.
Il ne faudrait pas cependant contester le caractère de servitude foncière à toute charge établie entre voisins, par cela seul qu'elle imposerait à l'un d'eux quelque prestation de travail, personnel ou procuré, ou qu'elle aurait pour résultat un avantage au profit de la personne de l'autre ou des personnes de sa famille ou de sa maison.
Ainsi, dans le cas d'un droit de passage accordé à l'un des voisins sur le fonds de l'autre, on peut convenir que le chemin sera entretenu pas ce dernier et, dans le cas d'un droit d'aqueduc, que le propriétaire du fonds servant entretiendra la construction et fera le curage, soit périodiquement, soit quand il sera nécessaire; dans ces deux cas et autres analogues, on ne devrait pas hésiter à reconnaître une servitude foncière: les travaux à exécuter par le propriétaire du fonds servant ne sont qu'une charge accessoire qui ne peut changer la nature de la charge principale; il ne restera plus qu'à la concilier avec le principe déjà énoncé que “la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir” : on donnera la conciliation en son lieu (voy. art. 285).
Ainsi encore, et en sens inverse, il est très fréquent que les mêmes servitudes de passage et d'aqueduc procurent au propriétaire ou aux siens des avantages personnels, comme la facilité ou la brièveté de la communication avec la voie publique, ou comme l'usage d'une eau plus abondante ou plus salubre pour les usages personnels et domestiques. Mais, ce qu'il y a de profit personnel est encore secondaire et accessoire; l'effet principal du droit de passage ou du droit d'aqueduc est toujours l'amélioration économique du fonds dominant; car tout propriétaire du fonds sera sensible à l'abréviation des distances ou à la qualité et à la quantité de l'eau.
On a dit plus haut que la perpétuité n'est pas de l'essence des servitudes foncières, cependant elle est de leur nature, et quand une servitude aura été établie pour un temps un peu court, il sera nécessaire d'examiner si, dans l'intention des parties, elle n'a pas été établie en faveur du propriétaire actuel, comme il est expliqué plus haut, plutôt qu'en faveur de son fonds; la question dépendra de l'ensemble des circonstances: spécialement, de la nature du service à tirer de la chose et des relations de parenté ou d'amitié des parties.
Art. 267. Le 1er alinéa de cet article consacre le principe développé à l'article précédent, à savoir, que le droit de servitude foncière est doublement réel en ce sens que, non seulement il porte sur une chose et reste opposable à tous ceux qui la détiendront, mais encore qu'il appartient à une chose et, par là, profite à tous ceux auxquels cette chose appartiendra successivement.
La loi leur reconnaît, en même temps, le caractère de droit accessoire déjà annoncé à l'article 2.
Du reste, quand la loi nous dit (2e al.) que les servitudes ne peuvent être cédées, louées ni hypothéquées séparément du fonds et peuvent l'être seulement avec lui, ce n'est pas seulement à raison de ce caractère accessoire; en effet, il y a d'autres accessoires des fonds qui pourraient en être détachés et cédés ou loués séparément comme les objets mobiliers attachés aux fonds pour leur exploitation ou leur agrément, lesquels pourraient aussi être, sinon hypothéqués, au moins donnés en gage et livrés au créancier, comme meubles.
La raison de cette prohibition n'est pas non plus que le droit de servitude a pu être constitué en vue de la personne du voisin et que la cession du droit en changerait indûment le titulaire; on a vu, en effet, que la servitude, comme telle, doit être établie en faveur du fonds et non en faveur du propriétaire, et d'ailleurs, le constituant est toujours exposé à un changement de titulaire avec le changement de propriétaire du fonds dominant lui-même.
La véritable raison de la présente prohibition, c'est que la servitude foncière, outre les limites qui peuvent avoir été mises à son exercice par l'acte constitutif, en reçoit encore d'autres dans les besoins mêmes du fonds dominant: celui qui aurait le droit de prendre sur le fonds d'autrui de l'eau, du sable, des pierres, des bois, en une quantité déterminée, pour les besoins agricoles, industriels ou domestiques de son fonds, n'épuisera pas toujours son droit, car la quantité stipulée peut, à certaines époques, excéder les besoins du fonds. Si donc, il était permis de céder, soit le droit même, tout entier, aux matières stipulées, soit ce qui en excède les besoins du fonds dominant, la condition du fonds servant se trouverait aggravée. Cette raison s'applique autant à l'hypothèque qu'au bail ou à la cession, car l'hypothèque mène généralement à la vente du bien pour satisfaire le créancier.
La seconde disposition est encore commandée par le même principe; ainsi le propriétaire d'un fonds auquel appartient un droit de passage sur le fonds voisin ne pourrait en permettre l'usage à un autre voisin, même en s'abstenant d'en user personnellement.
On a vu, cependant, à l'article 57, que l'usufruit, qui est une servitude personnelle, peut être grevé d'un autre usufruit. Cela s'explique par la cessibilité du droit lui-même d'usufruit; car il est susceptible d'être cédé, loué et hypothéqué (art. 68), et cette faculté, reconnue à l'usufruitier, de changer le bénéficiaire de son droit, se justifie elle-même par la considération qu'il a tout l'usage et tous les fruits de la chose, ce qui ôte au nu-propriétaire tout intérêt à s'opposer à une cession. Par la raison inverse, l'usager, dont les droits sont limités à ses besoins personnels, ne peut céder son droit (art. 113). Toutes ces dispositions sont donc en complète harmonie.
Art. 268. La loi reconnaît, en principe, aux servitudes le caractèrité d'indivisibilité déjà signalé par l'article 19; mais elle y apporte des exceptions qui, en fait, se rencontreront peut-être plus souvent que la règle.
Il est certain, comme l'explique le 1er alinéa, que s'il y a plusieurs propriétaires de l'un des fonds, du fonds dominant, par exemple, et que ces copropriétaires soient en état d'indivision, l'un d'entre eux ne peut, sans le concours des autres, renoncer à la servitude active et en priver le fonds dominant: il ne peut le faire pour le tout, parce qu'il n'a pas qualité pour diminuer le droit de ses copropriétaires; il ne le peut, non plus, pour sa part indivise, pour une moitié, un tiers ou un quart, parce que la nature des avantages que procure une servitude foncière ne permet pas d'en concevoir des fractions: la vue, le passage des personnes ou des eaux, la prohibition de bâtir ou de planter sur des points déterminés, ne comportent pas de parties.
Réciproquement, si l'indivision existe entre copropriétaires du fonds servant, la convention que ferait l'un d'eux avec le propriétaire du fonds dominant pour l'extinction de la servitude ne profiterait pas aux autres, s'il n'était pas autorisé à stipuler pour eux, et elle ne lui profiterait pas à lui-même pour sa part indivise du fonds, car la servitude ne pourra toujours être exercée qu'intégralement ou indivisiblement, pour le motif donné plus haut.
On retrouvera l'indivisibilité des servitudes, au sujet de leur extinction (v. art. 291). Elle présente aussi de l'intérêt et même quelque difficulté au sujet de l'autorité de la chose jugée, lorsque tous les intéressés n'ont pas été en cause comme demandeurs ou défendeurs; mais comme cet ordre d'idées se retrouvera mieux à sa place à l'occasion des autres droits réels ou personnels indivisibles, la loi ne s'y arrête pas ici.
Le 2e alinéa nous dit que l'indivisibilité des servitudes pourra même persister après le partage du fonds dominant ou du fonds servant. Par exemple, le fonds A, appartenant à plusieurs, avait, sur le fonds B, le droit de passage ou d'aqueduc ou le droit d'empêcher certaines constructions ou plantations; s'il est partagé entre les copropriétaires, chacun aura, pour le lot de terrain qui lui est échu, le droit intégral de vue, de passage, d'aqueduc, etc. Même solution, si, au lieu d'un partage du fonds dominant, il en était cédé une partie à un tiers: celui-ci jouirait intégralement de la servitude, sans qu'elle cessât d'appartenir en entier au cédant pour la partie conservée par lui. Réciproquement si le fonds servant était partagé ou cédé partiellement, chaque lot se trouverait soumis à la servitude, au moins, en principe, et en tant que ce résultat serait nécessaire à la plénitude du droit du fonds dominant.
Mais c'est ici que se rencontrent, le plus souvent, les exceptions réservées par le 2e alinéa et auxquelles il faut s'arrêter un instant. Elles se rencontreront aussi, quoique peut-être plus rarement, dans le cas de division du fonds dominant.
Soit un fonds servant grevé d'un droit de passage ou d'aqueduc dans une direction déterminée. Bien qu'on puisse dire que le fonds tout entier est grevé, en ce sens qu'il s'en trouve amoindri dans sa valeur totale, par la diminution de liberté du propriétaire, cependant, en fait, le passage des personnes ou des eaux ne s'exerce pas sur toutes les parties du fonds, lequel est traversé dans un sens ou dans un autre, peut-être sur une faible étendue. Si, dans la division du fonds, la partie consacrée au passage se trouve contenue tout entière dans un lot, les autres se trouveront à l'avenir, affranchis de la servitude.
De même, s'il existe une servitude défendant de construire ou de planter, ce ne sera généralement que sur une partie du fonds faisant face aux bâtiments du voisin auxquels on a voulu conserver la vue de la mer, de la campagne ou du Fusiyama; lorsque, le fonds servant sera divisé, cette portion de terrain qui doit rester libre de bâtiments ou de plantations ne se trouvera pas dans tous les lots: il y en aura toujours quelques-uns qui seront affranchis de la servitude.
Si nous supposons le fonds dominant divisé en plusieurs lots, le même résultat pourra se produire; moins souvent, peut-être, pour le passage ou l'aqueduc, lesquels pourront quelquefois rester nécessaires à tous les lots, mais presque toujours pour la défense de planter ou de bâtir, qui ne profitera plus qu'au lot où se trouvent les bâtiments dont on a voulu conserver le prospect, la vue à distance.
Art. 269. Le caractère particulier des servitudes qui motive la prohibition de les aliéner séparément du fonds dominant ne commande pas une prohibition analogue pour l'exercice des actions judiciaires par lesquelles on les réclame ou on les conteste: chacun des deux propriétaires pourra donc plaider pour ou contre la servitude, sans être tenu de prouver son droit de propriété ni même son droit de possession, lorsqu'il ne sera pas en question. Il serait, en effet, bien inutile toujours, et dangereux souvent, de réunir dans le procès deux questions qui ne sont pas nécessairement connexes. Telle est au moins la règle.
Mais, si la propriété ou la possession du fonds même était contestée au demandeur ou au défendeur, le droit d'invoquer la servitude ou de la dénier serait contesté aussi, par cela même, et les deux questions devraient être réunies, avec la priorité donnée à celle de propriété ou de possession du fonds, comme question préalable ou préjudicielle.
Hors ce cas, qui sera rare sans doute, la question de la servitude se présentera seule et sera jugée de même, soit au pétitoire soit au possessoire.
Le 2e alinéa nous dit que le propriétaire peut exercer l'action négatoire pour contester que son fonds soit assujetti à un autre par une servitude.
Les noms d'action confessoire opposée à l'action négatoire, avec subdivision, pour chacune, en action possessoire et action pétitoire, ont déjà été rencontrés plus haut et expliqués assez longuement, au sujet de la propriété et de l'usufruit (art. 36 et 67), et surtout au sujet de la possession (art. 199 et s.). On se bornera donc à en rappeler brièvement les caractères en tant qu'ils peuvent être appliqués aux servitudes.
Dans l'action confessoire, le demandeur soutient, affirme son droit de servitude sur le fonds d'autrui; dans l'action négatoire, le demandeur conteste, nie que son fonds doive une servitude au fonds d'autrui. Il faut bien avoir soin, d'ailleurs, d'éviter ici une confusion à laquelle on est exposé par la nature du sujet et par les habitudes du langage. Ainsi on a déjà dit qu'il y a des servitudes qui assujétissent le fonds servant à ne pas planter, à ne pas bâtir dans un lieu déterminé. Or, lorsque le propriétaire du fonds dominant soutient que celui du fonds servant ne peut bâtir, il n'intente pas une action négatoire, mais une action confessoire; c'est, en réalité, comme s'il soutenait qu'il a le droit d'empêcher le voisin de bâtir; c'est bien “affirmer son propre droit sur le fonds d'autrui,” conformément à la définition donnée plus haut.
En sens inverse, si le demandeur soutient qu'il a le droit de faire boucher chez le voisin des fenêtres d'aspect ouvertes à moins de trois pieds de la ligne séparative, en vertu d'une prétendue servitude qu'il conteste, son action est négatoire, parce que la négation ne doit pas être cherchée dans les mots, mais dans la prétention; en effet, le demandeur “nie que le voisin ait sur son fonds un droit de vue ou de prospect,” ce qui est bien conforme aussi à la définition de l'action négatoire.
Du reste, la question de savoir si une action relative aux servitudes est confessoire ou négatoire n'a pas seulement un intérêt de théorie et de doctrine, elle a aussi un intérêt pratique sur lequel on reviendra au sujet des preuves; dans l'action confessoire le demandeur a, comme tel et d'après le droit commun, toute la charge de la preuve de ce qu'il affirme; dans l'action négatoire, le demandeur ne pouvant, par la nature des choses, prouver pleinement une négation indéfinie, sommera le défendeur d'alléguer la cause directe et positive de son prétendu droit de servitude et c'est seulement cette cause déterminée dont il aura à démontrer l'inexistence, ce qui sera encore fort difficile.
Rappelons maintenant ce qui distingue, dans chacune de ces deux actions, le caractère possessoire et le caractère pétitoire.
Quand le demandeur se trouve, en fait, dans la situation qu'il prétend avoir aussi en droit, il peut se borner à demander le maintien du fait, de l'état actuel, sans soulever la question du droit, la question du fond.
Ainsi celui qui prétend avoir un droit de passage ou de vue, était en possession de ce droit, c'est-à-dire l'exerçait, en fait, depuis un certain temps, lorsque le voisin fait brusquement fermer le passage ou obstruer la vue; dans ce cas, le prétendant à la servitude pourra agir en complainte pour faire rétablir le passage et même en réintégrande, si la fermeture a été faite par surprise ou avec menaces (v. art. 204). Enfin, il agira en dénonciation de nouvel œuvre, si le voisin commence des travaux qui peuvent bientôt constituer un trouble ou une dépossession. L'avantage d'agir ainsi au possessoire plutôt qu'au pétitoire, c'est que le demandeur, pour triompher, n'aura qu'à prouver l'exercice actuel de la servitude par lui prétendue, tandis que, s'il agissait au pétitoire, il lui faudrait prouver son droit au fond, c'est-à-dire produire un acte constitutif de la servitude.
Lorsqu'il aura triomphé, le voisin pourra, il est vrai, intenter, à son tour, une action négatoire; mais les rôles y seront renversés et le premier y sera défendeur, avec tous les avantages attachés à cette qualité; en outre, cette action négatoire ne pourra pas être possessoire, par exemple, en réintégrande, car la possession a déjà été jugée en faveur du premier demandeur, l'action négatoire sera alors pétitoire, c'est-à-dire tendra à faire juger, au fond, que le voisin n'a pas de servitude de vue ou de passage. C'est ainsi qu'on a vu (art. 212) que lorsqu'il s'agit, non plus d'une servitude, mais du droit de propriété tout entier, celui qui a succombé au possessoire peut encore utilement agir au pétitoire, tandis que la réciproque n'est pas permise.
Ceci implique que l'action négatoire pourrait avoir elle-même le caractère possessoire, lorsque c'est elle qui est intentée la première. Ainsi, un propriétaire voit son voisin construire un bâtiment sur la ligne séparative, avec des ouvertures d'aspect, il peut faire la dénonciation de nouvel œuvre; si le bâtiment est terminé, il intentera l'action en réintégrande pour faire supprimer les ouvertures; s'il s'agit d'un passage déjà exercé par intervalles, il intentera l'action en complainte: comme son voisin ne possédait pas encore la servitude, il possédait lui-même la liberté de son fonds: il conserve ou recouvre la possession de cette liberté, un instant troublée ou usurpée. Toutes ces actions possessoires sont en même temps négatoires, car elles nient le droit du voisin. Si le demandeur y triomphe, il sera désormais défendeur à l'action du voisin qui se croirait le droit d'agir au fond; cette action du voisin sera confessoire, puisqu'elle affirmera son droit et, en même temps, pétitoire, puisqu'elle tendra à faire juger non plus la possession, mais le fond du droit.
Art. 270. Cet article consacre d'une façon formelle le caractère de servitudes dont le nom est déjà attribué par la Section précédente aux charges, limites et conditions restrictives auxquelles le droit de propriété est soumis par la loi.
Art. 271. Les dispositions précédentes correspondent à la première partie de l'intitulé du présent paragraphe, à la nature des servitudes; la loi arrive maintenant à leurs diverses espèces. En réalité, on pourrait dire que les précédents articles se rapportent à leur nature commune, et ceux qui vont suivre, à la nature particulière de chacune. En effet, par cela même que la liberté des parties est très grande, presque absolue, pour l'établissement des servitudes, comme aussi les avantages que chacune d'elles peut procurer sont très variés, il faut s'attendre à ne pas leur trouver à toutes les mêmes caractères particuliers; les différences qu'elles vont présenter exerceront même une grande influence sur leur établissement, sur le mode de leur exercice et sur leur extinction, ainsi qu'on le verra aux paragraphes suivants.
Les trois divisions des servitudes ici présentées peuvent être considérées comme résultant de la nature des choses; aussi les trouve-t-on, plus ou moins explicitement, dans toutes les législations modernes et ne doit-on pas hésiter à les reconnaître au Japon; on ne pourrait varier que sur les conséquences légales à attacher à leurs différences.
La loi se borne ici à présenter les trois divisions, elle n'ajoute pas ce qu'on verra suffisamment plus loin, que chacune des divisions peut se combiner avec les deux autres; ainsi, une servitude continue est, nécessairement, soit apparente, soit non apparente; elle est, en même temps, soit positive, soit négative; il en est de même de la servitude discontinue: elle a, en même temps, l'un des caractères de chacune des deux autres divisions. Par cela même, encore, les deux autres divisions se combinent entre elles et avec la première. On en verra la preuve dans les exemples donnés sous les articles suivants.
Art. 272. La division des servitudes en continues et discontinues est d'une importance considérable.
Les principales servitudes continues sont: les vues sur la propriété d'autrui, à une distance moindre que celle qui constitue la servitude légale; les plantations et excavations, également plus rapprochées que ne le permet le droit commun; l'égoût des toits au-delà de la ligne séparative; l'aqueduc à travers le fonds d'autrui, pour amener de l'eau ou pour en évacuer, en dehors des conditions de la servitude légale du même nom. Sont encore continues, les prohibitions de bâtir ou de planter, contrairement à la liberté légale des propriétaires.
Dans ces divers cas, il est évident qu'une fois les lieux disposés pour la servitude, celle-ci s'exerce d'elle-même, activement et passivement, sans le fait actuel de l'homme, c'est-à-dire, non-seulement sans que le propriétaire du fonds servant ait à accomplir quelque acte, puisque “la servitude n'oblige pas à faire, mais à souffrir,” mais même sans que le propriétaire du fonds dominant, ou quelqu'un pour lui, ait besoin d'accomplir un fait actif d'usage.
Quelques personnes ont pourtant hésité à admettre comme continues les servitudes d'égoût des toits ou d'aqueduc, sous le prétexte que la pluie et les eaux naturelles ou artificielles présentent des intermittences; mais c'est un doute mal fondé: l'avantage du fonds dominant et l'assujettissement du fonds servant sont permanents, dès que, par la disposition des lieux, l'égoût de la pluie ou l'écoulement des eaux peuvent se produire aussi souvent que la nature le permettra.
Au contraire, il y a discontinuité de la servitude lorsque la disposition des lieux, une fois appropriée, ne suffit pas à son exercice, mais qu'il faut encore un fait actif du propriétaire du fonds dominant, comme dans la servitude de passage sur le fonds d'autrui, dans celle qui permet d'y puiser ou d'y faire puiser de l'eau portative (non conduite), d'y faire paître des animaux, d'y prendre ou d'y faire prendre des matériaux, tels que bois, pierres, sables etc.; or, l'homme, d'après sa nature, ne peut accomplir, d'une façon continue, aucun acte volontaire.
On ne doit pas classer parmi les servitudes continues, les prises d'eau, au moyen d'un canal ou orifice, lorsque l'écoulement ne serait permis que par intervalles fixes ou par tours de jours ou d'heure. Il faut nécessairement un fait de l'homme pour ouvrir ou fermer l'orifice ou la bouche d'eau; la servitude n'est donc pas continue de sa nature; c'est à peine si on pourrait lui reconnaître ce caractère dans le cas, sans doute sans exemple, où l'ouverture et la fermeture de l'orifice se feraient automatiquement, à intervalles réguliers, par le moyen d'une machine; car il faudrait, au moins, qu'elle fût chauffée, si elle était à vapeur, ou remontée, si elle était purement mécanique. Il y aurait toujours là, pour l'exercice de la servitude, “un fait de l'homme” avant le mouvement automatique.
On pourrait éprouver ici, à l'égard du pacage un doute pareil au précédent: si la servitude permettait de laisser les animaux placés sur le fonds dominant, passer et paître en liberté sur le fonds servant, non clos d'ailleurs, il semblerait qu'aucun fait de l'homme n'étant ici nécessaire, la servitude serait continue; mais ce serait encore une illusion: il y aurait toujours le fait, par le propriétaire du fonds dominant, d'avoir et d'entretenir des animaux sur son fonds, fait qui n'est pas permanent de sa nature, qui peut cesser, puis recommencer, qui peut donc être et sera souvent intermittent.
Art. 273. On a réuni ici deux caractères distinctifs de la servitude apparente; ils ne sont pas d'ailleurs identiques: un ouvrage est un travail de l'homme destiné à faciliter l'exercice de la servitude; un signe visible n'est pas toujours un ouvrage: si par exemple, pour le passage des personnes, on a laissé, depuis la limite du fonds dominant, un espace libre de plantation et de cultures, alors qu'il en existe de chaque côté, il n'y a là aucun ouvrage de l'homme, mais il y a un signe visible du droit de passage, surtout si le chemin, étant fréquenté, est battu et n'est pas envahi par les herbes; de même, si des eaux, sortant d'un fonds ou y entrant, se sont creusé un lit naturel.
Comme exemples des servitudes apparentes, on peut citer encore: une fenêtre d'aspect ou des plantations plus rapprochées que la distance prescrite par la loi, des toits avançant au-delà de la ligne séparative, un aqueduc non souterrain.
Comme servitudes non apparentes, il y a: l'acqueduc souterrain, les droits de puisage, de pacage, de prise de matériaux sur le fonds d'autrui et toutes les servitudes négatives, objet de l'article suivant, consistant dans des prohibitions ou restrictions à la liberté légale des propriétaires.
Art. 274. Une servitude est positive ou affirmative, quand son effet immédiat et direct est d'étendre pour le propriétaire du fonds dominant le droit d'agir que la loi lui donne normalement, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds voisin. Elle est négative ou prohibitive, lorsqu'elle donne au propriétaire du fonds dominant le droit de défendre au voisin des actes que le droit commun permet à chacun d'accomplir, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds contigu.
Comme exemples de servitudes positives, on peut citer, dans l'ordre du texte:
1° Sur le fonds servant: l'aqueduc, l'égoût des toits, le passage, le puisage, le pacage, la prise de matériaux;
2° Sur le fonds dominant lui-même: les fenêtres d'aspect, les plantations ou excavations à des distances moindres que la loi le prescrit.
Comme servitudes négatives, on trouve:
1° Sur le fonds servant: les prohibitions de bâtir, de planter, d'ouvrir des excavations, soit d'une manière absolue, soit à moins d'observer une distance plus grande ou des conditions plus onéreuses que celles prescrites par le droit commun;
2° Sur le fonds dominant: l'affranchissement de la contribution au bornage ou à la clôture, ou celui de l'obligation même de céder la mitoyenneté.
On a dit plus haut que ces divisions des servitudes, tirées de leur nature envisagée à des points de vue différents, peuvent se combiner ensemble.
Ainsi, une servitude peut être continue et apparente, comme la servitude de vue et d'aqueduc avec un canal extérieur; elle peut être continue et non apparente, comme celle d'aqueduc avec canal souterrain, et comme toutes les servitudes négatives ou prohibitives.
La servitude peut être discontinue et apparente, comme le droit de passage avec une porte et un chemin frayé sur le fonds servant; elle peut être discontinue et non apparente, comme le droit de prendre sur le fonds voisin de l'eau ou des matériaux.
Il est évident aussi que les servitudes positives sont les unes apparentes, comme l'égoût des toits, et les autres non apparentes, comme l'aqueduc souterrain, et qu'elles peuvent être continues, comme tout aqueduc, ou discontinues, comme le passage; tandis que les servitudes négatives sont toutes non apparentes et continues.
§ II. DE L'ETABLISSEMENT DES SERVITUDES.
Art. 275. La convention et le testament sont deux modes d'établissement communs à toutes les servitudes, continues et discontinues, apparentes et non apparentes, positives et négatives, et lors même que la raison en concevrait un plus grand nombre d'espèces, on comprendrait aussi que toutes s'établissent encore par ces deux natures de titres, car il s'agit ici des servitudes “établies par le fait de l'homme;” or, le titre n'est autre chose que la volonté de l'homme, dans sa manifestation la plus directe.
La loi n'a d'ailleurs, à entrer ici dans aucun détail sur la forme et les conditions de validité des conventions et du testament, lesquelles n'ont pas lieu d'être modifiées par cet objet particulier: les servitudes sont des droits réels, des démembrements de la propriété; elles se constitueront donc par convention ou par testament, comme les autres droits réels et comme se transfère la propriété; mais elles sont des droits immobiliers: la capacité du constituant y est plus limitée que s'il s'agissait de droits mobiliers; enfin, certains mesures de publicité sont requises pour mettre les tiers à l'abri de surprises, s'ils acquéraient le fonds servant sans savoir qu'il est grevé de servitudes.
C'est dans la IIe Partie du présent Livre que l'on trouvera les règles qui concernent la capacité des contractants et les moyens de publicité prescrits dans l'intérêt des tiers, pour les aliénations d'immeubles.
Art. 276. La prescription dite acquisitive est toujours un “fait de l'homme,” mais elle ne constitue pas un titre; on peut dire seulement qu'elle en fait présumer l'existence antérieure, c'est-à-dire qu'elle en constitue la preuve par présomption légale.
Il est naturel que la prescription soit admise en matière de servitudes, comme en matière d'usufruit et de propriété; mais la loi ne l'admet que pour les servitudes qui présentent le double caractère de continuité et d'apparence. En effet, la prescription a pour base et pour justification la possession, c'est-à-dire l'exercice prolongé du droit prétendu, comme s'il appartenait au possesseur; or, la loi exige, pour la prescription de la propriété, que la possession soit, entre autres qualités, continue et publique: elle ne fait ici qu'appuyer davantage sur ces deux conditions. Sans doute, quand il s'agit de la possession de la propriété ou de l'usufruit, la continuité est compatible avec des intermittences dans les actes: celui qui possède comme un propriétaire ou un usufruitier ne peut, à tout moment, labourer, semer, planter, récolter, ni même se promener sur le fonds ou occuper les bâtiments; il suffira que l'ensemble de ses actes présente la régularité de ceux d'un véritable propriétaire ou d'un véritable usufruitier; quant à la publicité, elle sera suffisante quand les actes pourront être vus ou connus au dehors, de sorte que celui contre lequel court la prescription puisse en être informé et y mettre obstacle, s'il le juge à propos.
En matière de servitudes, la loi est plus exigeante: la continuité doit être absolue, l'exercice doit être de tous les instants, et comme, ainsi qu'on l'a déjà observé, l'homme ne peut accomplir aucun acte sans repos ni intermittences, il n'y a que les servitudes “s'exerçant sans le fait de l'homme” qui aient une continuité suffisante pour s'acquérir par prescription; dans les autres cas, s'il s'agissait d'un passage, par exemple, il pourrait n'avoir lieu qu'à des intervalles plus ou moins éloignés et le propriétaire du fonds prétendu servant ne manquerait pas d'alléguer qu'il n'a laissé exercer le passage qu'à titre précaire ou de simple tolérance.
De même, la loi aggrave la condition de publicité, en exigeant que l'exercice continu de la servitude se révèle par des “ouvrages ou signes extérieurs” (art. 273) qui, parlant constamment aux yeux du propriétaire dont le fonds est grevé, le provoqueront à mettre obstacle à la servitude, si elle est illégalement exercée, ou feront présumer son acquiescement, s'il garde le silence pendant le temps de la prescription.
La loi se réfère ici, implicitement, aux conditions générales requises pour que la possession conduise à la prescription acquisitive; il va donc sans dire qu'elle ne doit être ni précaire, ni violente; il faut aussi tenir compte de l'influence du juste titre ou de l'absence de titre, de la bonne foi ou de la mauvaise foi (voy. art. 181 et 182) qui modifient la durée de la prescription.
Le 2e alinéa résout une question réservée par l'article 227: à savoir, comment s'accomplit la prescription qui prive un propriétaire du droit de disposer librement de l'eau qui prend naissance sur son fonds et la fait acquérir au voisin.
Le texte se contente d'ouvrages faits sur le fonds inférieur, pourvu qu'ils soient apparents, c'est-à-dire visibles pour celui qu'ils tendent à dépouiller. Si l'on objecte qu'il est injuste d'attacher la prescription à des travaux que le propriétaire supérieur ne peut empêcher et que ce système ne lui laisse d'autre moyen d'empêcher la prescription que de détourner ses eaux, nous répondons qu'il a toujours le moyen bien simple d'une protestation faite en justice et, en la renouvelant tous les 30 ans, il échappera à la prescription.
Art. 277. La continuité et l'apparence sont requises pour que la servitude soit tacitement établie par la destination du propriétaire.
Un exemple fera bien comprendre la situation. Un propriétaire a bâti sur un terrain lui appartenant; il a mis les ouvertures à son gré, parce que le terrain lui appartenait tout autour, à une distance suffisante pour n'être pas sujet aux réclamations des voisins; à ce moment, on ne peut pas dire qu'il jouisse d'une servitude de vue; car “on ne peut avoir un droit de servitude sur sa propre chose.” Plus tard, il vend, soit le bâtiment, soit le terrain contigu au bâtiment, et les ouvertures ne sont pas supprimées au moment du contrat, et rien non plus n'y est stipulé pour la suppression ultérieure des vues. Dans ce cas, l'origine de la disposition des lieux rapprochée de l'inaction et du silence des parties, prouve leur intention évidente, quoique tacite, de maintenir l'état de choses préexistant, lequel devient une servitude véritable pour l'avenir. Il serait donc exact de dire qu'ici la servitude est “établie par une convention tacite.”
Dans l'exemple ci-dessus, on a supposé que le fonds sur lequel ont été faits les travaux était unique et a été ensuite divisé; on pourrait supposer aussi que, primitivement, il y avait deux fonds distincts, un terrain nu et un bâtiment appartenant à différents propriétaires, qu'ils ont été ensuite réunis dans les mêmes mains et que les ouvertures ont été alors pratiquées dans le bâtiment; on peut supposer encore que les ouvertures étaient déjà pratiquées dans le bâtiment avant la réunion des fonds et qu'elles auraient pu être supprimées comme illégalement pratiquées, mais que le propriétaire, désormais unique, des deux fonds, n'ayant plus d'intérêt à leur suppression, les a laissées subsister; c'est comme s'il les avait établies lui-même. Enfin, on pourrait supposer qu'avant la réunion des deux fonds dans les mêmes mains, la vue sur la propriété voisine était valablement établie comme servitude; la réunion des fonds a opéré l'extinction de la servitude par confusion (comme on le verra au § IV); plus tard, quand les fonds ont été de nouveau séparés. la servitude a repris naissance par la double circonstance que la disposition des lieux n'a pas été changée et que le contrat n'a pas déclaré qu'elle serait supprimée.
On a supposé aussi, dans l'exemple précité, que le propriétaire des deux fonds a aliéné l'un et gardé l'autre, sans distinguer d'ailleurs, s'il a vendu celui qui va se trouver le fonds dominant, ou celui qui sera le fonds servant; on peut supposer aussi qu'il les aliène tous deux à des acquéreurs différents. Toutes ces hypothèses rentrent dans “la destination du propriétaire.”
Art. 278. La prescription et la destination du propriétaire ayant été limitées aux servitudes continues et apparentes, il ne reste plus que le titre, c'est-à-dire la convention ou le testament qui soit applicable à celles qui ne réunissent pas ces deux caractères.
Art. 279. Il ne s'agit plus ici de la constitution directe d'une servitude, mais de la reconnaissance écrite d'une constitution antérieure, ce qu'on nomme un titre récognitif. Il n'y a pas à distinguer si la servitude a été, en fait, établie par un titre (ce qui peut être le cas de toutes les servitudes, ni si, en droit, elle ne pouvait l'être que par ce seul moyen; dans tous les cas, il est permis de remplacer la preuve directe d'une constitution de la servitude par un titre récognitif. Le seul cas où le titre récognitif serait sans valeur, est celui où il reconnaîtrait un mode antérieur de constitution inapplicable au genre de servitude dont il s'agirait: par exemple, s'il reconnaissait qu'il y a eu prescription, pour une servitude qui ne serait pas continue et apparente, ou même destination du propriétaire, pour une servitude qui n'aurait pas ces deux mêmes caractères.
L'utilité de l'acte récognitif est facile à saisir dans chacun des trois cas de constitution de la servitude.
Dans le cas d'un titre primordial, il peut être obscur et les parties veulent prévenir un procès entre leurs héritiers respectivement, en le rédigeant mieux; ou il a été perdu et elles veulent le remplacer.
Dans le cas de la prescription, elles veulent constater, sans recourir à un jugement, qu'elle a été régulièrement acquise.
Enfin, dans le cas de la destination du propriétaire, elles veulent constater que les circonstances particulières qui la constituent ont réellement existé.
Lorsqu'on sera arrivé aux Livre des Preuves, on retrouvera le titre récognitif dans ses autres applications.
§ III. DE L'EFFET DES SERVITUDES.
Art. 280. La distinction des droits principaux et des droits accessoires est déjà connue par les articles 2 et 15, et l'on a vu, plus haut, à plusieurs reprises, que les servitudes sont des droits accessoires de la propriété du fonds dominant: mais elles présentent cette singularité que si elles sont accessoires, d'un côté, elles sont, d'uu autre côté, des droits principaux et qu'elles ont, à leur tour, comme corollaires, des droits accessoires qui n'existent et ne subsistent que par elles et pour elles. Ainsi, le droit de puiser de l'eau chez autrui entraîne virtuellement le droit de passage pour prendre l'eau; il en est de même des autres servitudes qui permettent de prendre des matériaux sur le fonds d'autrui. Mais, bien entendu, le passage sera limité, quant au temps et quant au lieu, à ce qui est nécessaire pour l'exercice de la servitude. Ainsi encore, le droit de faire des charrois de matériaux ou de récoltes à travers le fond d'autrui emporte celui de faire accompagner les chevaux et voitures par un conducteur et celui de ramener les voitures vides. Mais les personnes ne pourraient passer seules, si ce n'est au retour d'un charroi effectué.
Dans la pratique, il pourra y avoir une certaine tolérance, sortout si les voisins sont en bonne relations mais la loi statue toujours pour le cas où il n'y a pas accord des parties.
Indépendamment des droits et facultés accessoirement attachés aux servitudes, il pourra se présenter des difficultés sur l'étendue que doit avoir la servitude. La loi se borne à poser les règles générales qui devront guider les tribunaux. Le texte suppose deux modes d'établissement des servitudes et se réfère à la présomption d'acquisition résultant de la prescription.
1° Au cas de constitution par titre, c'est-à-dire par convention ou par testament, on appliquera les règles ordinaires d'interprétation en ces matières: elles se trouveront dans ce Code à leur place naturelle. Il suffit de dire ici que les tribunaux doivent, dans l'interprétation des conventions, rechercher la commune intention des parties, plutôt que de s'attacher au sens littéral des termes employés; dans l'interprétation des testaments, ils doivent rechercher l'intention probable du testateur et s'attacher encore moins aux termes mêmes du testament, puisqu'ils n'ont pas été adoptés après discussion ou contradiction du légataire.
S'il reste des doutes aux juges, ils doivent adopter le sens le moins défavorable au fonds servant, car la liberté respective des fonds est le droit commun et l'assujettissement de l'un vis-à-vis de l'autre est l'exception.
2° Au cas de destination du propriétaire, c'est dans l'intention probable du propriétaire qui a établi ou maintenu la situation des lieux que l'on recherchera l'étendue que doit avoir la servitude après la séparation. Or, cette intention se verra dans l'exercice même que l'ancien propriétaire a pratiqué, en fait, pendant que les deux fonds étaient réunis dans ses mains; elle se verra aussi dans le but qu'il paraissait vouloir atteindre et dans les circonstances où il se trouvait. Ainsi, le propriétaire a établi un aqueduc conduisant l'eau d'une partie de son fonds sur l'autre, pour les usages domestiques ou pour l'irrigation; après la séparation des fonds, le propriétaire du fonds dominant ne pourrait employer l'eau pour une industrie.
Au cas de la prescription, l'étendue de la servitude sera, dit le texte, “mesurée sur la possession effective.”
La loi consacre par ces mots un principe traditionnel en matière de prescription, à savoir que “autant il y a eu possession, autant il y a prescription.” Ainsi, celui qui a possédé, pendant le temps voulu pour prescrire, une ou deux ouvertures donnant des vues droites à une distance moindre que la distance légale, ne pourra, plus tard, une fois son droit acquis à une ou deux fenêtres d'aspect, en ouvrir une troisième, parce qu'il n'en a pas possédé trois; de même, si les fenêtres d'aspect ont été possédées à deux pieds de la ligne séparative, elles ne pourront, en cas de reconstruction du bâtiment, être placées à une distance plus rapprochée; enfin, tout en gardant le même nombre d'ouvertures et la même distance, leur position correspondant au front du fonds voisin ne pourrait être changée, par exemple, portée plus à gauche ou plus à droite: dans ces divers cas, la prescription n'a donné que les avantages même qui ont été possédés, que les droits qui ont d'abord été exercés en fait.
Art. 281. L'imprévoyance des parties contractantes, et encore plus celle des testateurs, laissera bien souvent des points à régler pour l'exercice de la servitude. On aura, par exemple, établi une servitude de passage, sans dire s'il s'appliquerait seulement aux personnes ou s'il s'étendrait même aux chevaux, aux voitures et aux matériaux: le tribunal prendra en considération la nature des deux fonds, principalement celle du fonds dominant, et l'étendue de la servitude, son mode d'exercice, seront plus larges pour un fonds exploité en culture ou en manufacture que pour une habitation d'agrément.
Pour le puisage discontinu, la quantité d'eau à prendre sera plus ou moins considérable, suivant les mêmes distinctions; quant au temps, il sera presque toujours limité au jour, sauf les cas urgents et imprévus où l'eau pourrait être nécessaire la nuit: notamment, s'il y avait danger d'incendie.
S'il s'agit de pacage, et que le propriétaire du fonds dominant n'ait eu qu'une ou deux vaches, une chèvre ou deux, pour le lait nécessaire à sa famille, ou un ou deux bœufs pour le labourage ou le transport, le tribunal pourra autoriser le pacage de quelques bêtes de plus, surtout si elles sont nées des premières, mais il ne permettra pas de faire paître un troupeau, si le voisin était devenu éleveur de bétail.
Pour la prise de matériaux (argile, sable, pierres, bois), la question de quantité sera la plus importante; il faudra également la régler d'après la condition du fonds dominant, au moment de la constitution de la servitude. Ainsi, le fonds dominant était, à cette époque, la résidence d'un haut personnage: la prise de matériaux avait été évidemment stipulée pour les services du fonds, avec cette destination; ce qui pouvait donner droit à du sable pour les allées du parc, à des pierres pour la réparation ou la réfection des murs et à du bois pour le soutien des arbres, tout au plus pour le chauffage des personnes, et vraisemblablement non pour la réfection des bâtiments; si le fonds est vendu et passe dans les mains d'un potier ou d'un fabricant de briques, celui-ci ne pourra prendre l'argile et le sable pour son industrie, ni le bois pour ses fours.
Au contraire, le fonds servant pourrait profiter du changement de destination du fonds dominant: si ce fonds passait des mains d'un potier ou d'un briquetier dans celle d'un rentier ou d'un fonctionnaire: celui-ci ne pourrait continuer à prendre la même quantité de matériaux; car, ce ne pourrait être que pour les vendre et la servitude ne donne pas ce droit.
Le dernier alinéa complète ces idées, qui sont encore des règles d'interprétation, en disant: 1° que le tribunal tiendra compte des besoins respectifs des deux fonds; ce qui veut dire surtout, après ce qui précède, que lors même que les droits et besoins du fonds dominant seraient considérables, il ne faudrait pas refuser au fonds servant le droit de subvenir aux siens propres; 2° que l'exercice de la servitude avant le règlement aura pu révéler des abus auxquels il faut mettre fin, ou, au contraire, aura donné aux parties une satisfaction convenable qu'il y a lieu de consacrer ou de ne modifier que légèrement.
Art. 282. Si la prise d'eau était accordée à un voisin par l'effet d'un louage, le manque d'eau, même indépendant du fait du bailleur, engagerait sa responsabilité, en ce sens qu'ayant contracté personnellement l'obligation d'en fournir la jouissance, il n'aurait pas droit au prix de location pendant le temps où l'eau manquerait; mais le droit de servitude n'est pas identique au droit résultant du bail, et lors même que la servitude aurait été constituée par vente, c'est-à-dire par un contrat qui oblige à la garantie de l'existence de la chose vendue, au moment où la vente a eu lieu, il n'en résulterait pas une garantie de sa durée indéfinie. Enfin, même si le vendeur s'était engagé à garantir la durée de l'eau pendant un temps plus ou moins long, le droit à la garantie pourrait bien passer, activement, à tout cessionnaire du fonds dominant, mais il ne passerait pas, passivement, à la charge du cessionnaire du fonds servant: l'obligation de garantie serait personnelle au vendeur et à ses héritiers.
Au contraire, quand la prise d'eau étant constituée à l'état de servitude, la privation de l'eau résulte de travaux faits par le propriétaire du fonds servant, celui-ci est toujours responsable, sans distinguer s'il est, ou non, vendeur de la prise d'eau ou héritier du vendeur: sa responsabilité résulte de son fait personnel.
Un cas pourrait faire doute: l'eau sur laquelle la servitude a été concédée n'était pas une eau naturelle, mais elle résultait elle-même d'une concession faite au fonds servant, moyennant une somme à payer annuellement, comme sont, par exemple, les concessions d'eau faites par les municipalités sur leurs réservoirs; le propriétaire du fonds servant a cessé de payer l'annuité et l'eau lui a été retirée; par suite, le fonds dominant en a été privé également. Dans ce cas, la responsabilité du manque d'eau est-elle encourue par le propriétaire du fonds servant? Il faut décider négativement, en principe, car “les servitudes n'obligent pas à faire, mais seulement à souffrir;” pour qu'il en fût autrement, il faudrait que le constituant de la servitude se fût engagé à continuer le payement de l'annuité et ce serait là une obligation personnelle n'obligeant que lui et ses successeurs et non une charge réelle imposée à tout propriétaire du fonds servant. On pourrait seulement admettre, par interprétation du contrat, que cet engagement a été pris tacitement, au moins quand l'origine de l'eau a été déclarée.
Les deux derniers alinéas prévoient le cas où l'eau, sans manquer entièrement, serait insuffisante pour le fonds dominant et le fonds servant réunis; la loi prévoit même le cas de deux fonds dominants.
Dans le cas où débat n'intéresse que le fonds dominant et le fonds servant, on ne pouvait songer à donner la préférence à un fonds sur l'autre: il serait bien difficile, en raison, de justifier une pareille solution. Il a paru plus juste de distinguer entre les usages auxquels l'eau est nécessaire. En première ligne, la loi place les usages personnels et domestiques; on a déjà fait remarquer, au sujet de l'article 228, que l'eau étant, dans une certaine mesure, nécessaire à la vie et à la santé de l'homme, la loi doit lui en assurer l'usage, quand elle le peut. Les usages agricoles viennent ensuite, parce qu'ils favorisent la production des denrées alimentaires ou autres de première nécessité; les usages industriels viennent en dernier lieu, parce que, lors même que les usines ou manufactures cesseraient de fonctionner pendant un certain temps, le dommage général qui en résulterait serait moindre que la privation de récoltes faute d'irrigation.
L'hypothèse la plus fréquente où il y a plusieurs fonds dominants est évidemment celle où un fonds dominant, d'abord unique, aura été ensuite divisé par un partage entre co-propriétaires ou co-héritiers; dans ce cas, ils n'auront droit, en totalité, qu'à la même quantité d'eau que celle qui était due primitivement au fonds unique; mais, le partage ayant la même date pour tous, ce ne sera donc pas le cas où la préférence appartiendra au fonds dont le titre est antérieur en date. Il faut supposer des ventes partielles et successives du fonds unique, ou une concession d'eau faite successivement à divers fonds voisins du fonds servant.
L'ordre des droits à l'usage de l'eau sera alors le suivant: d'abord, un droit égal ou proportionnel à l'eau nécessaire aux usages domestiques, sans distinction de la date des titres; ensuite, le droit exclusif et successif à l'usage agricole, suivant les dates; enfin, s'il y a lieu, le droit à l'usage industriel, suivant les mêmes dates.
Art. 283. En général, les conventions particulières ne peuvent être changées que de l'accord commun des parties; de même, les décisions des tribunaux forment pour ceux entre lesquels elles sont intervenues un lien qu'on assimile, avec quelque raison, à une convention. La loi permet cependant ici que la volonté d'une des parties change quelque chose à la situation établie, pourvu que l'autre partie n'en éprouve aucun préjudice. Le motif de cette dérogation au droit commun est toujours le désir, de la part de la loi, d'éviter les animosités entre voisins; or, il est probable que si l'un des voisins pouvait, par simple mauvais vouloir et sans intérêt légitime, s'opposer à la modification demandée à l'exercice de la servitude, il en résulterait des rancunes, peut-être des haines qu'il est nécessaire de prévenir.
Au surplus, comme le dit la loi, il ne s'agit que de modifier “le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude,” non son étendue; ainsi, l'une des parties ne pourrait obtenir, par sa seule volonté, l'augmentation ou la diminution de la quantité d'eau ou d'autres substances à prendre sur le fonds servant, ni du nombre de fenêtres d'aspect acquises sur ce fonds; en pareil cas, d'ailleurs, lors même que la faculté de demander le changement serait ouverte, ce serait sans utilité réelle, parce qu'il serait toujours facile celui qui résisterait au changement d'établir qu'il en éprouverait un préjudice.
Art. 284. Il est naturel que les travaux nécessaires à l'établissement de la servitude soient à la charge de celui qui profite de celle-ci; la loi a déjà appliqué ce principe aux servitudes légales relatives au droit d'aqueduc. Les parties peuvent, du reste, y déroger par des conventions particulières et mettre ces travaux à la charge du propriétaire du fonds servant; mais il faut remarquer que celui-ci n'en serait pas tenu en cette qualité et à titre de servitude, à la différence de la convention prévue à l'article suivant, au sujet des travaux d'entretien: il serait tenu personnellement, comme constituant, et sans qu'on ait à voir ici une dérogation à la règle que “les servitudes obligent à souffrir et non à faire.” Il s'agit ici, en effet, de travaux à exécuter une seule fois; ils pourraient être accomplis par le constituant après les premiers accords au sujet de la servitude et avant la convention définitive, cas auquel on n'hésiterait pas à dire que le propriétaire du fonds servant ne les a pas accomplis en cette qualité; or, ces travaux ne changent pas de nature par le moment auquel ils sont exécutés.
Au contraire, pour les travaux d'entretien qui ont un caractère périodique ou continu, il est clair qu'ils ne pourraient être accomplis avant la constitution de la servitude et que, s'ils ont été imposés au constituant, c'est en sa qualité de propriétaire du fonds servant; aussi va-t-on rencontrer ci-après un tempérament à cette charge réelle, contraire au principe qui veut que “la servitude n'oblige pas à faire.”
Art. 285. Le 1er alinéa se justifie comme la disposition de l'article précédent: c'est le propriétaire du fonds dominant qui a le bénéfice de la servitude, il use d'un droit qui lui appartient; il est donc naturel que les frais résultant de l'exercice de son droit soient à sa charge; il n'est pas moins naturel que si certaines réparations sont nécessitées par la faute du propriétaire du fonds servant, celui-ci les supporte.
Le 2e alinéa permet de déroger au principe, souvent cité et rappelé plus haut, que “la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir.” L'exception se justifie déjà par la considération que cette charge est un simple accessoire de la servitude. De plus, et par respect pour le principe, la loi permet au propriétaire de s'affranchir de cette charge en abandonnant son droit de propriété sur la portion du fonds grevée de la servitude.
Deux remarques sont à faire sur cet abandon.
En premier lieu, ce n'est pas un abandon pur et simple qui devra être fait, lequel permettrait à l'Etat de s'emparer de la partie abandonnée, comme immeuble vacant et sans maître: l'abandon devra être fait “au propriétaire du fonds dominant;” ce sera, en réalité, une cession et elle sera plutôt onéreuse que gratuite, puisqu'elle aura pour compensation l'affranchissement d'une charge.
En second lieu, l'abandon ne devra pas nécessairement porter sur tout le fonds assujetti, mais seulement sur “la portion du fonds sur laquelle porte la servitude.” Ainsi, s'il s'agissait d'un droit de passage et que l'entretien du chemin eût été imposé au fonds servant, il suffirait d'abandonner le chemin, de même s'il s'agissait d'un aqueduc: en pareil cas, il serait trop dur et sans raison d'exiger l'abandon du fonds tout entier. C'est d'ailleurs la solution déjà admise plus haut (art. 254) pour l'affranchissement de l'entretien du mur mitoyen, où il suffit d'abandonner la mitoyenneté.
On objectera peut-être que cet abandon qui, d'une part, décharge le propriétaire du fonds servant de l'obligation d'entretenir le chemin ou d'aqueduc, ne lui cause, d'autre part, aucun préjudice, car l'emplacement du chemin ou de l'aqueduc ne lui procurait déjà plus aucune utilité; en même temps, on dira qu'il ne procure au fonds dominant aucune compensation sérieuse; mais c'est une double erreur: le fonds dominant n'aura plus le chemin ou l'aqueduc à titre de servitude, mais à titre de propriété; le chemin pourra être transformé en aqueduc ou l'aqueduc en chemin; le terrain pourra même être affecté à un autre usage, autant que sa largeur le permettra; le droit de passage, pour les personnes ou pour l'eau, ne sera plus soumis aux conditions plus ou moins gênantes de la servitude; enfin, il ne sera plus exposé à être perdu par le non-usage dont il sera question plus loin et c'est là le côté défavorable au propriétaire du fonds servant qui perd toute chance de recouvrer la plénitude de son droit. Il y a donc compensation suffisante, pour les deux parties, entre les avantages gagnés et ceux qui sont perdus.
Au surplus, il y aura quelquefois lieu à l'abandon entier du fonds assujetti, c'est lorsque l'assujettissement frappera lui-même le fonds tout entier. On ne peut guère citer le cas du droit de vue, ou de prospect qui pourtant assujettit le fond servant en entier, ou, tout au moins, pour la partie commandée par la vue, parce que, dans ce cas, il ne peut être raisonnablement question de la stipulation d'entretien du bâtiment dominant à la charge du fonds servant; mais on citerait le cas de la charge d'entretenir une digue destinée à préserver le fonds inférieur du débordement des eaux supérieures, ou celui de la charge d'entretenir le mur de soutènement d'une haute terrasse du fonds supérieur. Dans le premier cas, l'abandon de la digue elle-même placée sur le fonds assujetti n'aurait aucune utilité pour le fonds dominant, et dans le second cas, le mur à entretenir appartenant, en général, au fonds dominant et supérieur, l'abandon ne pourrait lui en être fait; il faudrait bien abandonner le fonds assujetti tout entier; seulement le remède ne serait jamais raisonnablement employé.
Art. 286. La disposition du 1er alinéa est un principe très important dont l'application peut être infiniment variée. Il suffit d'en donner quelques exemples.
Ainsi, le propriétaire dont le fonds est assujetti à un droit de passage, n'est pas moins en droit de se clore et même d'exiger la contribution du fonds dominant à la clôture commune, pourvu qu'il laisse une porte de communication convenable entre les deux fonds.
De même, celui qui est soumis au droit de puisage ou de pacage ne perd pas pour lui-même le droit de se servir de son eau ou de faire paître ses animaux sur son fonds, pourvu qu'il n'épuise pas ou ne réduise pas abusivement l'eau ou les pâturages.
De même encore, celui qui est assujetti à un droit de vue ne perd pas le droit de planter des arbres à haute tige de six pieds, quoique la vue doive par là être bornée, car le droit de vue n'est pas le prospect ou le droit de voir à distance et librement sur le fonds d'autrui, c'est seulement celui d'avoir l'air et la lumière plus libres que ne le permettent les jours de tolérance.
Au contraire, le droit de vue interdirait au fonds servant d'établir une construction, même sans ouvertures, sur la ligne séparative; car, si le bâtiment du fonds dominant était lui-même sur cette ligne, il y aurait obstruction complète de la vue, et s'il était moins éloigné que de trois pieds de la ligne séparative, le bâtiment du fonds servant, placé sur cette ligne même, diminuerait considérablement le bénéfice de la servitude. Dans le premier cas, le bâtiment du fonds servant ne devrait être placé qu'à trois pieds de la ligne séparative et, dans le second, à trois pieds du bâtiment du fond dominant.
Le 2e alinéa rappelle une disposition analogue établie pour les servitudes légales (voy. art. 237 et 238); il y a même motif d'utiliser pour les deux fonds les dépenses primitivement faites pour un seul; la conséquence en sera une économie pour les deux propriétaires, résultat que la loi doit toujours favoriser.
§ IV. DE L'EXTINCTION DES SERVITUDES.
Art. 287. Des six modes directs d'extinction des servitudes ici énumérés, les trois derniers étant l'objet de développements dans les articles ci-après, les trois premiers seuls réclament ici quelques explications.
Ier mode. On a déjà fait remarquer que la perpétuité n'est pas essentielle aux servitudes; sans doute, quand aucune limite de temps ne leur est assignée et quand elles n'ont pas une destination particulière que le temps ou les circonstances peuvent rendre inutile, elles seront perpétuelles dans l'intention des parties; mais le contraire peut arriver, la servitude est alors à terme; les servitudes résultant du fait de l'homme en peuvent donner beaucoup d'exemples.
IIe mode. C'est au sujet des droits personnels, et des moyens tant de les acquérir que de les perdre, que la loi déterminera le caractère spécial de chacun des trois modes d'extinction des droits réels et personnels, connus sous les noms de révocation, résolution et rescision. Il suffit de donner ici, comme exemples: de la révocation, le cas d'un acte fait en fraude des créanciers; de la résolution, le cas d'exécution des obligations mises à la charge d'une des parties; de la rescision, le cas d'incapacité de contracter. Leur caractère commun est la destruction ou annulation de ce qui a été fait; elle est ordinairement prononcée en justice, sauf quelques cas où elle a lieu de plein droit; elle rétroagit, de sorte que l'acte détruit est censé n'avoir jamais existé.
L'annulation peut porter ici, soit sur le titre constitutif même de la servitude, soit sur les droits que celui qui l'a constituée prétendait avoir sur le fonds servant; or, il est de principe qu'on ne peut conférer sur une chose plus de droits qu'on n'en a soi-même.
IIIe mode. L'article 265 nous a déjà dit que les servitudes légales ne peuvent, en général, grever les biens du domaine public; il en est de même, et à plus forte raison, des servitudes du fait de l'homme: il serait contraire à la nature et à la destination de ces biens d'être soumis à un droit exclusif, même minime, de la part d'un particulier. C'est par application de ce principe que si un fonds servant est exproprié pour cause d'utilité publique ou générale, il se trouve par cela même affranchi de la servitude.
taire du fonds dominant recevra une indemnité, comme toute autre personne ayant un droit réel sur la chose expropriee (voy. art. 32).
Par respect pour le principe déjà signalé, que la prescription n'est pas un moyen direct d'acquérir les droits réels mais plutôt une présomption légale d'acquisition légitime, la loi consacre, en dehors de l'énumération, un alinéa spécial au bénéfice de la possession de la liberté du fonds faisant présumer qu'il est affranchi de la servitude.
Le cas de la prescription diffère de celui du non-usage, dont il va être parlé, en ce que, dans le non-usage, le fonds servant est resté dans les mains du propriétaire qui a constitué la servitude ou dans celles de son héritier; tandis que la prescription suppose que, en même temps qu'il y a eu non-usage de la part du propriétaire du fonds dominant, il y a eu, par un tiers, acquéreur à titre particulier, possession du fonds servant comme libre de la servitude qu'il ne connaissait pas.
Il n'est pas nécessaire, pour l'application du présent article, que le tiers-acquéreur ait acquis le fonds lui-même par prescription, il suffit, et il arrivera le plus sou, vent, sans doute, qu'il ait acquis le fonds servant par un titre régulier émané du vrai propriétaire. Mais il faut supposer qu'il n'a pas acheté la liberté du fonds, en traitant avec le titulaire de la servitude: autrement; la servitude serait éteinte par renonciation expresse; il a reçu comme libre le fonds vendu et, s'il a ignoré l'existence de la servitude (ce qui ne sera admissible que si elle est non apparente), il s'en trouvera affranchi après quinze ans de possession de cette liberté, c'est-à-dire si pendant ce temps elle n'a pas été exercée.
On peut encore, pour l'application de cette disposition, supposer que le propriétaire du fonds servant a acheté la renonciation à la servitude, en traitant de bonne foi avec un autre que le propriétaire du fonds dominant, et toujours celui-ci n'ayant pas exercé son droit pendant 15 ans.
Si le possesseur du fonds servant n'était pas de bonne foi, dans ces deux hypothèses, la servitude ne s'éteindrait que par 30 ans et alors ce serait par le non-usage.
Art. 288. Quoique la loi soit plus favorable à l'extinction des servitudes qu'à leur établissement elle ne veut pas cependant que le titulaire d'une servitude régulièrement établie soit facilement considéré comme y ayant renoncé: ici, comme pour l'usufruit, la loi n'admet, en principe, que la renonciation expresse et formelle, celle qui ne peut pas laisser de doutes sur l'intention du renonçant.
Le cas particulier prévu ensuite est moins une exception qu'une application de la règle, par une présomption légale de volonté chez le renonçant: s'il n'a pas expressément renoncé au droit de servitude, il a renoncé expressément aux ouvrages qui constituaient par eux-mêmes l'exercice de la servitude, puisque la loi a suppose continue et, comme telle, n'exigeant pas les fait actuel de l'homme.
Quant à la capacité requise pour la validité de la renonciation, il est clair qu'elle doit être celle d'aliéner des droits immobiliers, puisque les servitudes foncières ont ce caractère.
Art. 289. L'extinction de la servitude par confusion est la conséquence naturelle du principe déjà mentionné, “qu'une personne ne peut avoir une servitude sur sa propre chose.”
Le 2° alinéa confirme cette règle, quoiqu'il paraisse y déroger: on a vu que la servitude continue et apparente peut être établie par le fait d'un seul propriétaire, lorsqu'ayant disposé diverses parties de son fonds de manière à améliorer l'une par l'autre, il sépare ensuite ces diverses parties par une aliénation; or, lorsque deux fonds sur lesquels une servitude continue et apparente était antérieurement établie se trouvent réunis dans la même main, si les ouvrages établis ne sont pas détruits, les fonds restent dans une situation où la servitude de cette nature pourrait commencer; l'extinction n'est donc pas définitive et elle se résout par la nouvelle séparation des fonds.
Il en sera de même dans les cas prévus à la fin du 1er alinéa, où l'acquisition qui a opéré la confusion est révoqué, résolue ou rescindée: il est clair qu'alors les choses sont remises dans l'état qui a précédé l'acquisition, et ici, sans distinguer si la servitude est continue ou discontinue, ni si les ouvrages ont été détruits ou non.
Art. 290. Si les servitudes méritent quelque protection de la part de la loi, c'est, comme on l'a dit au début de ce Chapitre et répété plusieurs fois, chemin faisant, parce qu'elles procurent ordinairement plus d'avantages au fonds dominant qu'elles ne causent de préjudice au fonds servant; mais du moment que cette utilité a cessé, du moment qu'elles ne sont plus exercées, il n'y a pas de raison suffisante de laisser subsister l'assujettissement d'un fonds envers l'autre: la liberté respective des fonds doit être rétablie; c'est ce que fait la loi, lorsqu'il y a trente ans de non-usage.
On a déjà rencontré une semblable disposition au sujet de l'usufruit.
La loi ne permet pas de distinguer si l'usage a été volontairement négligé ou s'il a été empêché par des circonstances majeures ou fortuites; le délai de trente ans est assez long pour que, dans ce dernier cas même, le titulaire de la servitude ait pu faire remettre les choses dans un état qui permette d'exercer la servitude. On peut donc, sans exagération, voir dans le non-usage une renonciation tacite à la servitude, ce qui serait une exception à la règle posée par l'article 288; mais, du moment que ce mode d'extinction reçoit une autre qualification légale, il n'y a pas à insister sur son caractère de renonciation tacite.
Le 2e alinéa nous indique le point de départ du non-usage, suivant les diverses espèces de servitudes. Ainsi, s'il s'agit d'une servitude discontinue, comme celles de passage, de pacage ou de puisage, les trente ans commencent à courir depuis le dernier acte accompli en conformité à la servitude; s'il s'agit d'une servitude continue, comme elle s'exerce sans le fait de l'homme, il faut, pour concevoir le non-usage, “qu'il soit survenu un obstacle matériel au fonctionnement spontané de la servitude;” cet obstacle n'est pas toujours l'œuvre de l'homme, comme serait la suppression d'une fenêtre ou d'une conduite d'eau: il peut aussi provenir de quelque accident, comme le suppose le 3e alinéa; enfin, s'il s'agit d'une servitude négative, nécessairement continue, le non-usage commencera du moment où le propriétaire du fonds servant aura contrevenu à la prohibition, en faisant l'acte que la servitude lui interdisait.
Le 3e alinéa ne présente pas de difficulté: la distinction qu'il fait quant aux frais de rétablissement de l'ancien état de choses est d'une équité évidente.
Il est nécessaire d'examiner ici une question doctrinale qui présente un grand intérêt: à savoir, si les servitudes légales s'éteignent par le non-usage, comme celles du fait de l'homme; la question est la même pour la renonciation, car le non-usage n'est autre chose, comme on l'a dit plus haut, qu'une renonciation tacite.
L'article 270 a déclaré certaines règles communes aux deux sortes de servitudes, elles ne le sont donc pas toutes.
Pour résoudre la difficulté, il faut se reporter à ce qui a été dit plus haut de la faculté de déroger, par le fait de l'homme, aux servitudes légales; or, on a vu que cette faculté doit être reconnue dans certains cas et déniée dans d'autres.
Le principes seront les mêmes pour la renonciation, soit expresse, soit tacite par non-usage.
De même qu'on ne pourrait, par convention, affranchir son voisin de l'accès ou du passage en cas d'enclave, de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du sol supérieur, de l'obligation de subir le bornage ou la clôture dans certains cas, de même, on ne pourrait l'en affranchir par une renonciation expresse ou par le non-usage.
Au contraire, comme on pourrait, par convention, affranchir son voisin de l'obligation d'observer les distances légales pour les vues ou pour certains ouvrages susceptibles de causer dommage, on a perdu le droit de faire boucher les vues ou supprimer les ouvrages, lorsqu'on y a renoncé formellement ou lorsqu'on a laissé s'écouler le temps du non-usage sans exercer ce droit. On perdrait de même le droit légal d'aqueduc, si l'aqueduc étant une fois établi, on avait laissé s'écouler trente ans, sans qu'il fût en état de servir. On aurait bien encore le droit de demander un nouveau passage pour les eaux, mais ce serait à charge d'une nouvelle indemnité, comme s'il s'agissait d'un premier exercice du droit.
Mais celui qui serait resté trente ans sans demander l'accès, le bornage ou la clôture, le passage des eaux, la cession de la mitoyenneté, n'aurait pas plus perdu la faculté légale qui lui appartient que ne l'aurait perdue un propriétaire qui serait resté trente ans sans bâtir ou sans planter sur son terrain. Les actes de pure faculté ne se perdent pas par le non-usage (v. art. 95 des Preuves).
S'il en est autrement lorsqu'il s'agit de faire boucher, après trente ans, des vues irrégulières, ce qui était non plus une simple faculté, mais un droit proprement dit, c'est qu'il y avait, en même temps, possession d'ouvrages extérieurs et, par suite, prescription acquisitive du droit de vue, comme servitude du fait de l'homme.
Art. 291. L'indivisibilité des servitudes signalée par l'article 268 produit ici un effet très saillant: l'exercice de la servitude par un des copropriétaires indivis du fonds dominant préserve les autres de la perte par le non-usage. Il n'en serait plus de même, si le fonds dominant avait été partagé entre les copropriétaires: il y aurait alors plusieurs fonds dominants et l'un pourrait conserver son droit pendant que les autres perdraient le leur.
Le non-usage a plus d'analogie avec la prescription dite libératoire des obligations qu'avec la prescription dite acquisitive des droits réels. Ce qui le rapproche de la prescription libératoire, c'est qu'il n'est pas nécessaire que le propriétaire du fonds servant fasse aucun acte de possession contraire à la servitude, avec les caractères de la possession requise pour la prescription acquisitive; ce serait forcer les mots que de dire que pendant le non-usage, le propriétaire du fonds servant possède sa liberté: la possession exige l'intention d'avoir à soi la chose possédée et le fait de se comporter, par des actes d'usage, comme si l'on avait réellement le droit qu'on exerce; or, on ne rencontre pas nécessairement chez le propriétaire du fonds servant ces deux conditions de la possession utile pour prescrire: le fait et l'intention.
Le 2e alinéa établit donc, comme principe général, l'assimilation qui précède entre le non-usage et la prescription libératoire; il en laisse les conséquences à déduire à la sagacité des magistrats: notamment, le non-usage serait interrompu, comme la prescription, par l'acte récognitif dont parle l'article 279. Si donc, parmi les copropriétaires du fonds dominant, il se trouve une personne contre laquelle la prescription n'ait pu courir, il aura conservé le droit des autres, ce qui est encore un effet de l'indivisibilité des servitudes.
Art. 292. Il pourrait arriver que le propriétaire du fonds dominant, sans négliger entièrement l'usage de la servitude ne l'eût pas exercée dans toute sa plénitude: en pareil cas, il ne l'aurait ni perdue ni conservée tout entière, elle se trouverait diminuée dans ses avantages, quant au mode, quant au temps, quant au lieu.
Ainsi, quant au mode: celui qui avait le droit de passage à pied et avec voitures serait resté trente ans sans faire passer de voitures; ou bien, ayant le droit d'ouvrir deux ou plusieurs vues droites, à moins de trois pieds de la ligne séparative, il n'en aurait ouvert qu'une seule; ayant le droit d'empêcher toute construction ou plantation dans une direction déterminée, il y aurait laissé établir un bâtiment ou des plantations plus ou moins élevées.
Quant au temps: pouvant puiser de l'eau à toute heure du jour et de la nuit, on serait resté trente ans sans en puiser pendant la nuit; de même pour le passage.
Quant au lieu: pouvant envoyer des animaux paître dans toutes les parties du fonds voisin, on n'aurait usé du droit que pour une portion déterminée dudit fonds: par exemple, le fonds servant ayant été partagé en plusieurs lots, on aurait négligé d'exercer le pâturage sur l'un des lots.
Dans ces divers cas, qu'il s'agît du non-usage ou de la prescription, la perte serait la même, par application du principe déjà posé: autant on a possédé, autant on a prescrit; ici, on dirait: autant on a négligé de posséder, autant on a perdu.
La réciproque ne serait pas toujours vraie: si le propriétaire du fonds dominant avait changé le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude, il ne pourrait pas nécessairement se prévaloir du changement, s'il y trouvait avantage; il faudrait, pour cela, que la servitude fût continue et apparente, c'est-à-dire susceptible de prescription.
Parmi les modes d'extinction des servitudes, on n'a pas rencontré, comme pour l'usufruit, l'abus de jouissance. C'est qu'il n'y a pas identité de motifs: l'usufruitier, ayant la possession entière et exclusive de la chose soumise à son droit, se trouve, par cela même, en situation de la compromettre plus gravement que le titulaire d'une servitude; par la même raison, sa possession et ses actes n'ont pas le contrôle continu du nu-propriétaire, lequel, au contraire, peut être exercé facilement et à chaque instant par le propriétaire du fonds servant. Il suffit donc de soumettre le titulaire de la servitude au droit commun de la responsabilité de ses actes.
Au surplus, on pourrait, dans quelques cas, admettre la révocation pour abus de jouissance, d'après les principes généraux; ce serait dans le cas où, la servitude ayant été constituée à titre onéreux et synallagmatique, avec des charges et conditions protectrices des intérêts du fonds servant, le titulaire aurait manqué à remplir ces conditions; il y aurait lieu alors à la résolution pour inexécution des conditions; mais ce cas d'extinction rentre dans celui, plus général, qui a été prévu et expliqué à l'article 287-2° et que l'on retrouvera, avec les développements nécessaires, dans la matière des Obligations.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU LIVRE DES BIENS.
DEUXIÈME PARTIE.
DES DROITS PERSONNELS ET DES OBLIGATIONS.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 293. Les droits personnels forment, avec les droits réels, l'ensemble des Biens qui composent le patrimoine des Personnes.
Déjà, sous les articles 2 et 3, on a indiqué la nature différente de ces deux droits: on a dit que les premiers mettent une personne en rapport direct avec une chose, (droits sur une chose), permettent d'en tirer tout ou partie de l'utilité et des avantages qu'elle peut fournir et autorisent à revendiquer la possession de cette chose contre toute personne qui la détient injustement; tandis que le droit personnel n'établit pas de rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne qui la doit; de là, le nom même de droit personnel ou “droit contre une personne”
Cette distinction qui se présente, au premier abord, comme purement théorique, a déjà reçu d'intéressantes applications pratiques, en ce qui concerne les droits réels, dans les divers Chapitres qui forment la Première Partie de ce Livre; on la trouvera appliquée ici également, pour les droits personnels.
On rappelle aussi ce qui a déjà été dit au sujet de l'unité des droits personnels: quoiqu'on emploie habituellement la forme du pluriel, ce n'est pas à dire qu'il y ait des droits personnels de plusieurs sortes, comme il y a plusieurs droits réels profondément différents; tout au plus, trouvera-t-on des droits personnels sanctionnés avec plus ou moins d'énergie par la loi; mais au fond, leur nature est identique. Si l'on parle ainsi au pluriel, c'est parce que quelqu'un peut avoir plusieurs droits personnels contre la même personne: il suffit que deux droits soient nés à des époques différentes, ou qu'ils n'aient pas la même cause ou n'aient pas le même objet, pour être considérés comme des droits personnels distincts.
Le 1er alinéa donne au droit personnel un nom équivalent, le nom de créance, et il nous dit que la créance a pour corrélatif nécessaire une obligation.
La corrélation de l'obligation à la créance est si naturelle, si intime, que l'usage juridique et même législatif est de traiter des droits personnels sous le titre des Obligations. On suivra ici le même usage: les divisions principales de cette IIe Partie se rapporteront aux Obligations; c'est en déterminant leurs causes, leurs effets, leur extinction ou leur fin que le Code présentera la théorie des droits personnels ou de créance.
Enfin, la loi, au lieu de définir ici le droit personnel, ce qui a déjà été fait dans l'article 3, définit son corollaire, l'obligation. L'expression lien de droit est consacrée depuis le droit romain.
La définition nous dit encore que ce lien peut provenir du droit positif ou du droit naturel. On verra, sous l'article suivant, que la force coercitive de ces deux autorités n'est pas la même.
Vient ensuite l'effet de l'obligation qui se confond avec son objet: c'est une contrainte plus ou moins énergique “à donner, à faire, ou à ne pas faire.” Ce sont encore là des expressions consacrées.
Donner, c'est transférer la propriété ou un autre droit réel. Il ne faut pas confondre l'obligation de donner avec la dation effectuée: tant qu'il n'y a qu'obligation, il n'y a qu'un droit personnel; quand la dation est effectuée, l'obligation a cessé par l'exécution, le droit réel lui a succédé. On verra plus loin quand et comment la dation se trouve effectuée.
Faire, c'est accomplir un acte utile ou profitable à autrui, autre qu'une dation, comme un travail manuel ou intellectuel, comme un service personnel, une entremise, un voyage, une prestation ou livraison de chose pour un usage déterminé.
Ne pas faire, c'est s'abstenir d'un acte, licite d'ailleurs, que le débiteur pourrait, en principe, accomplir, soit sur ces biens, soit sur les biens d'autrui, mais qu'il s'engage à ne pas accomplir, pour le plus grand avantage du créancier. Tel serait le cas où celui qui aurait loué sa maison ou cédé son fonds de commerce, s'interdirait, dans l'intérêt de son locataire ou de son cessionnaire, d'exercer une industrie ou un commerce qui pourrait faire concurrence à ce dernier. La garantie que doit le bailleur ou le vendeur, d'après la loi, impose déjà cette obligation dans une certaine mesure et sans convention spéciale; mais on peut l'étendre ou la restreindre par convention; le preneur lui-même ou le cessionnaire pourrait aussi se soumettre à l'obligation de ne pas faire certains actes que le droit commun lui permettrait.
On peut supposer encore le cas où un propriétaire se serait interdit, dans l'intérêt de son voisin, quelques-uns des droits attachés à la propriété, sans, pour cela, qu'il y ait servitude foncière, comme de ne pas chasser chez lui, de ne pas couper des arbres qui préservent le fonds voisin des vents du nord. Enfin, on peut s'interdire d'exercer sur les biens d'autrui certains actes qui d'ailleurs eussent été permis, soit en vertu du droit commun, soit par une convention spéciale; tel serait le cas où un prêteur d'argent s'engagerait à ne pas saisir certains biens de son débiteur; par exemple, son traitement de fonctionnaire; celui où un propriétaire s'engagerait pour un certain temps, à ne pas couper les branches des arbres du fonds voisin qui avancent au-dessus de la ligne séparative, ou à ne pas user d'un droit de servitude qui lui appartient: cette renonciation temporaire à son droit ne pouvant être considérée comme une extinction de la servitude légale ou du fait de l'homme, il faut lui reconnaître le caractère d'obligation de ne pas faire, d'engagement personnel, lequel ne serait pas opposable au cessionnaire du fonds dominant, et ne profiterait au cessionnaire du fonds servant que s'il avait été informé de cette créance temporaire et en avait été investi expressément ou tacitement.
Art. 294. On a dit, plus haut, que l'unité qui caractérise les droits personnels ne va pas jusqu'à exclure des degrés dans la force d'exécution qu'ils comportent. Ces différences de sanction sont rattachées par la loi à deux sortes d'obligations corrélatives aux droits personnels: les plus énergiques sont munies d'une action qui permet au créancier d'obtenir en justice tous les moyens de contrainte que la loi autorise pour arriver à l'exécution forcée, à défaut d'exécution volontaire; on les appelle obligations civiles dans les lois européennes qui suivent ici encore les traditions et les expressions romaines; le présent article les qualifie de même et aussi “obligations de droit positif,” c'est-à-dire déterminées et sanctionnées par la loi du pays, pour mieux accentuer leur opposition avec les obligations naturelles ou “de droit naturel” qui n'ont qu'une sanction incomplète, qui ne comportent pas d'exécution forcée, mais seulement une exécution volontaire laissée à la conscience et à l'honnêteté du débiteur (v. art. 562).
La détermination des cas d'obligations naturelles est très difficile: les lois étrangères ont laissé ce soin à la doctrine et à la jurisprudence; il en est résulté des divergences assez sérieuses, tant parmi les auteurs que parmi les arrêts; les lois romaines n'ont pu être suivies ici qu'en partie, à cause de graves modifications produites avec le temps dans l'organisation de la société et de la famille. Notre Code, pour prévenir de pareilles difficultés, détermine les cas d'obligations naturelles; mais ces cas ne pouvant se comprendre que lorsque les obligations civiles seront réglées, c'est dans un Chapitre spécial qu'on les trouvera, à la fin de cette IIe Partie.
Le Code présente la théorie générale des Créances ou Obligations, dans le même ordre que pour les Droits réels; on verra donc: 1° leurs causes, ou comment elles s'établissent, 2° leurs effets, 3° leur extinction.
Une remarque importante est à faire, dès à présent: il ne s'agit ici que des obligations en général et non de celles qui ont des causes, des effets et des extinctions propres; ces dernières se trouveront énumérées au Livre suivant et au Livre des Garanties. Ainsi, la vente, le louage d'ouvrage, la société, le mandat, le prêt, sont des contrats spéciaux dont la nature et les effets diffèrent profondément, à beaucoup d'égards; ce qu'ils ont de particulier ne se trouvera pas ici; mais ils ont aussi de nombreux caractères communs avec tous les contrats, et les obligations qu'ils produisent trouveront ici leurs règles générales.
CHAPITRE PREMIER.
DES CAUSES DES OBLIGATIONS.
Art. 295. Toutes les obligations civiles, même celles qui seront l'objet de règles particulières, aux Livres suivants, ont l'une de ces quatre causes; les obligations naturelles, elles-mêmes, ont les mêmes causes, mais affaiblies, comme on le verra au Chapitre dernier, en exceptant seulement la quatrième qui est évidemment de droit positif.
La 2e et la 3e cause d'obligations apparaissent ici sous des noms moins usités que ceux que leur donnent les législations étrangères; mais on a cru devoir bannir de la loi un langage reconnu défectueux et qui n'avait en sa faveur qu'une longue tradition.
On pourrait s'étonner de ne pas trouver ici, comme dernière cause ou source d'obligations, les jugements. Il semble, en effet, que lorsqu'un jugement irrévocable est intervenu, condamnant une partie à payer ou à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose au profit de l'autre, il y ait dans cette décision judiciaire un principe nouveau d'obligation, quelle qu'ait pu être la cause première de la condamnation; le langage pratique favorise cette illusion, car l'exécution de l'obligation sera requise en vertu du jugement dûment signifié.
Mais ce n'est, disons nous, qu'une illusion; les jugements ne créent pas de droits nouveaux, ils déclarent des droits préexistants: lorsqu'une personne est condamnée, comme on vient de le supposer, c'est parce qu'elle était antérieurement obligée par l'une des quatre causes ci-dessus énoncées; le jugement n'y ajoute rien; la condamnation aux frais, elle-même, a une cause antérieure au jugement, c'est la faute commise par la partie qui succombe, faute consistant dans la témérité de sa demande ou de sa défense. Quant à la circonstance que l'exécution est requise en vertu du jugement, elle n'est pas une objection sérieuse: le jugement n'est qu'une preuve du droit, preuve invincible, d'ailleurs, rentrant dans la classe des présomptions légales, comme on le verra au Livre des Preuves; mais il n'est pas plus la cause ou la source du droit que l'écrit ou le témoignage sur la foi duquel le jugement peut avoir été rendu.
La loi va consacrer une Section particulière à chacune des quatre causes d'obligations.
SECTION PREMIÈRE.
DES CONVENTIONS.
Art. 296. Bien que les expressions de convention et de contrat, soient souvent employées l'une pour l'autre dans les lois, il est bon cependant de reconnaître le sens propre de chacune; elles ne sont pas synonymes: la convention est plus large que le contrat; elle est le genre, celui-ci est l'espèce. Le contrat est donc toujours une convention, mais la convention n'est pas toujours un contrat. La comparaison des deux alinéas fait bien ressortir la différence des deux actes juridiques.
Ainsi, soit une convention ayant pour but d'éteindre une obligation, par exemple, une remise de dette, il serait tout à fait impropre de dire qu'il y a contrat. De même, si l'on suppose une donation de meuble ou d'immeuble dont l'objet est déjà aux mains du donataire: comme alors le donateur, tout en se dépouillant du droit de propriété, ne contracte aucune obligation, pas même celle de livrer la chose, on ne doit pas dire qu'il y a contrat, mais qu'il y a convention. Si, au contraire, on suppose une vente ou un échange, bien que l'effet principal soit la transmission de la propriété, il y a aussi des obligations créées: l'acheteur doit payer un prix; pour lui, la convention est un contrat; pour le vendeur et le coéchangiste, il y a aussi, outre l'obligation de livrer, celle de garantir le cessionnaire de tout trouble ou éviction fondé sur un droit antérieur prétendu par un tiers; la convention est donc, de ce chef, un contrat, et c'est ce qui explique que l'on dira bien plus souvent “le contrat de vente ou d'échange” que la convention de vente, la convention d'échange.
Quelquefois, la convention ne crée, ni n'éteint entièrement une obligation: elle modifie, elle change quelque chose d'une obligation antérieurement formée; elle y ajoute, y substitue ou en retranche quelque chose; en pareil cas, on ne recherche guère s'il y a plus d'ajouté que de retranché, et l'on peut indistinctement employer l'expression générique de convention ou celle plus étroite de contrat: c'est ce que l'on fera ici, le plus souvent.
La loi va présenter successivement: 1e la classification des conventions; 2° leurs conditions d'existence et de validité: 3° leur force ou leurs effets, tant entre les parties qu'à l'égard des tiers; enfin, 4° les règles de leur interprétation.
§ I. DES DIVERSES ESPÈCES DE CONVENTIONS.
On doit faire remarquer, tout d'abord, que les sept divisions des conventions ici présentées ne constituent pas sept classes de conventions différentes et encore moins quatorze, quoique chaque division donne deux groupes ou deux branches: ce sont seulement des aspects différents des mêmes conventions. Sans doute, pour chaque division, la convention qui est dans une branche n'est pas dans l'autre; mais les conventions qui étaient dans la première division reparaissent dans la deuxième et dans toutes les autres. C'est ainsi que les divisions des Choses, objet des articles 1er à 29, nous ont présenté successivement les mêmes choses, sous des points de vue différents.
Chaque division des conventions a des conséquences importantes qu'on rencontrera, chemin faisant, mais qu'on indiquera déjà ici, sommairement.
Art. 297. Cette division mérite le premier rang par son importance pratique.
La vente, l'échange, le louage, la société, sont des conventions bilatérales ou synallagmatiques; le prêt dit de consommation, celui qui permet de consommer la chose prêtée, à la charge d'en rendre une semblable, avec ou sans intérêts, est unilatéral.
Voici maintenant l'intérêt principal de la division des conventions en synallagmatiques et unilatérales; il est double: toute convention synallagmatique est soumise à la condition tacite que si l'une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie pourra s'affranchir des siennes, en demandant en justice la résolution de la convention. Ce n'est, du reste, qu'une faculté, à laquelle elle peut toujours renoncer, en se bornant à faire exécuter la convention; mais la résolution sera souvent plus sûre et plus simple; elle peut, d'ailleurs, être accompagnée d'une condamnation à des dommages-intérêts.
Pour les conventions unilatérales, il ne peut être question d'une semblable cause de résolution: si la partie qui est seule obligée n'exécute pas volontairement la convention, l'autre n'éprouverait de la résolution qu'une perte sans compensation; elle est donc réduite à demander l'exécution forcée sur les biens du débiteur, par les voies ordinaires.
Cette première différence entre les deux espèces de conventions qui nous occupent résulte de la nature même des choses et elle ne pouvait manquer d'être admise au Japon (v. art. 421).
La seconde différence, tout aussi juste, est peut-être moins nécessaire, aussi ne la trouve-t-on pas dans tous les codes étrangers; mais il semble qu'il faille le regretter. Si la convention est synallagmatique et que l'acte qui la constate soit sous signature privée, il doit être rédigé en double et, s'il y a plus de deux parties, en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette disposition se trouve au Livre des Preuves. On se borne ici à la justifier sommairement, par cette considération qu'il est juste et utile que chacune des parties ait aux mains la preuve de son droit, pour le faire, au besoin, valoir en justice: autrement, si un seul acte était dressé et que la partie qui en serait détenteur regrettât la convention, il serait en son pouvoir de l'anéantir; elle arriverait ainsi, contre toute raison et toute justice, à une sorte de résolution de la convention qui, au lieu d'être, comme la précédente, la peine de sa faute, en serait la récompense.
Art. 298. Il faut avoir soin de ne pas confondre la convention onéreuse avec la convention synallagmatique. Sans doute, la convention synallagmatique est toujours onéreuse, puisque chaque partie y est obligée; mais la réciproque n'est pas vraie. Ainsi, la convention de prêt à intérêt est à titre onéreux et cependant il n'y a que l'emprunteur qui soit obligé: il doit rendre le capital et y ajouter les intérêts; le prêteur, il est vrai, supporte aussi une charge, il fait un sacrifice, car il se prive temporairement de son capital; mais ce n'est pas une obligation, puisqu'avant de prêter, il n'y était pas tenu et qu'après avoir livré les espèces, il n'a aucune obligation; c'est que cette convention ne se forme que par la remise de la chose prêtée, et, de ce chef, on va la retrouver dans la division suivante.
Outre le prêt à intérêts et les convention synallagmatiques, qui sont toutes onéreuses, on peut encore citer comme telles les conventions qui opèrent novation d'une obligation, en en changeant l'objet ou un autre élément: chaque partie y fera “un sacrifice:” le créancier, en abandonnant son droit antérieur, le débiteur en contractant une nouvelle dette (voy. art. 489 et s.).
La définition de la convention à titre gratuit ici donnée par la loi met bien en relief la gratuité de la convention qui consiste à “recevoir sans rien donner.”
La loi suppose que le sacrifice peut être fait “en faveur d'un tiers.” Les stipulations faites dans une convention en faveur de personnes qui n'y sont pas parties ne sont valables que sous certaines distinctions dont il serait prématuré de parler ici; on les trouvera ci-après (art. 323); mais celui qui reçoit à charge de donner à un tiers reçoit à titre onéreux.
Comme convention gratuites, on citera, en première ligne, la donation puis le prêt de consommation sans intérêts et le prêt à usage, qui constituent, pour l'emprunteur des services purement gratuits; le dépôt et le mandat, où le service est rendu par le dépositaire et le mandataire; le cautionnement où se présente cette singularité que la caution rend un service gratuit au débiteur, en s'obligeant avec elle et pour elle, tandis que le convention est onéreux entre elle et le créancier, si, au moins, il a déjà ce caractère entre le créancier et le débiteur principal.
La distinction des conventions en gratuites et onéreuses n'est pas moins importante que la précédente; mais dans d'autres ordres d'idées: ainsi d'abord, les conventions à titre gratuit exigent une capacité plus grande que les conventions onéreuses; par exemple, les personnes qui n'ont que le pouvoir d'administrer, soit les biens d'autrui, soit les leurs, peuvent faire des actes onéreux (et non pas tous encore), mais elles ne peuvent faire d'actes gratuits sur ces biens, parce que ce serait les diminuer sans compensation; ainsi encore, l'obligation de conserver la chose due avec soin est moins rigoureuse pour le donateur que pour un vendeur (art. 334), les créanciers d'une personne insolvable peuvent critiquer et faire révoquer ses actes gratuits plus facilement que ses actes onéreux (voy. art. 342); enfin, la donation, l'acte gratuit le plus important, est soumise à des formes qui tendent à protéger le donateur contre la captation des gens cupides et contre son propre entraînement (V. Liv. de l'Acq. des biens, art. 358).
Art. 299. Le consentement, dont il sera parlé longuement au § suivant, est de l'essence des conventions, c'est-à-dire qu'il est indispensable à leur formation et, en général, il y suffit, surtout dans les temps modernes, où la loi n'exige de formalités dans les actes juridiques que lorsqu'il y a pour cela quelque nécessité particulière.
La vente, l'échange, le louage, la société, le mandat, le cautionnement, sont des conventions purement consensuelles. On doit y ajouter la donation, bien qu'elle soit soumise justement à l'une de ces formalités, déjà mentionnée plus haut et qui lui donne la première place dans la division suivante; mais comme elle n'est pas une des conventions réelles dont on va parler et comme, cependant, elle rentre dans la présente division: elle est consensuelle au point de vue qui nous occupe.
La convention réelle est celle qui exige que la chose, objet de la convention soit remise ou livrée au moment de sa formation ou auparavant; tels sont: les deux sortes de prêts, le dépôt et le gage.
Cette condition de tradition n'est pas arbitraire: on la trouve dans toutes les législations, ou, tout au moins, la pratique l'y supplée, quand elle n'est pas écrite dans la loi, parce qu'elle est dans la nature des choses.
Ces quatre conventions, en effet, ont pour objet essentiel d'obliger quelqu'un à rendre une chose et même (le prêt de consommation excepté) à la conserver avec soin jusqu'à la restitution; or, on ne peut être tenu de conserver et de rendre que ce que l'on a préalablement reçu. Le gage se concevrait, à la rigueur, sans tradition: la raison ne s'opposerait pas à ce qu'une chose mobilière fût affectée à la garantie d'une dette, tout en restant en la possession du débiteur, comme y reste un immeuble hypothéqué; mais ce serait alors une hypothèque véritable, une hypothèque mobilière, telle que le droit romain la permettait; ses dangers l'ont fait, du rester abandonner dans les temps modernes le gage ne doit être valable “qu'autant que la chose a été remise et est restée aux mains du créancier” .
On a dit que la tradition, dans les quatre conventions réelles (le nombre est limitatif), doit précéder la convention ou l'accompagner: elle la précède, lorsque, la chose se trouvant déjà dans les mains du futur débiteur, à un autre titre, à titre de louage, par exemple, il est convenu qu'il la gardera en prêt à usage, en dépôt ou en gage; elle pourrait même être déjà dans ses mains en vertu d'une première convention réelle, par exemple, d'un dépôt, et on lui permettrait d'en user comme prêtée, ou d'un prêt à usage et on la lui laisserait en gage. Dans ces cas, le débiteur est censé avoir rendu la chose en vertu du titre précédent et l'avoir immédiatement reçue en vertu du nouveau titre; c'est ce qu'on appelle la “tradition de brève main:” au lieu de deux livraisons successives et contraires, on n'en fait aucune; on laisse la chose aux mains où elle est (v. art. 191).
Dans les autres cas, la chose est livrée au moment même de la convention.
L'utilité pratique de cette division des conventions se trouve expliquée par ce qui précède: elle revient à dire quand la convention existe et quand elle n'existe pas.
Au surplus, on pourrait concevoir que quelqu'un eût promis de prêter une chose (à usage ou à consommation) ou de la donner en gage, et n'eût pas encore fait la tradition; cette promesse ne serait pas encore un prêt, ni une convention de gage, mais elle serait obligatoire comme une des conventions innommées dont il sera parlé plus loin. Ce cas serait bien différent du prêt, puisque c'est le futur prêteur qui serait obligé et le futur emprunteur créancier. S'il y avait eu promesse de gage pour une dette déjà née, ce serait le débiteur qui serait tenu de cette novelle obligation, tandis que, s'il avait déjà fourni le gage, il serait créancier de la restitution. Enfin, si quelqu'un avait promis de recevoir un dépôt, il aurait bien une obligation de faire, mais il n'aurait pas celles d'un dépositaire qui sont de conserver et de rendre.
Art. 300. Dans les temps modernes, la solennité des conventions, devenue d'ailleurs exceptionnelle, ne consiste pas dans des formules, mais dans l'intervention d'un officier public que rédige l'acte conformément à ses règles propres, après avoir reçu les déclarations des parties, leur en donne lecture et signe avec elles, en mentionnant cette lecture faite ainsi que leur signature ou la cause qui les a empêchées de signer.
Il y a peu de conventions solennelles dans le Code japonais: convention matrimoniale et donation.
Il ne faut pas confondre d'ailleurs les cas où la solennité est exigée pour la formation de la convention avec ceux où elle est exigée pour sa preuve. Dans ces derniers cas, la preuve par l'aveu de l'adversaire supplée au défaut de preuve solennelle.
La distinction des conventions en solennelles et non solennelles a, comme la précédente, une importance qui se révèle dans la définition même; il n'y a donc pas à s'y arrêter davantage.
Art. 301. Cette division est celle que les Codes étrangers donnent souvent sous le nom de contrats commutatifs ou aléatoires. Le Code japonais remplace la dénomination de commutatif par celle de ferme.
Le mot ferme signifiant stable, solide, forme bien opposition à ce qui est fragile, incertain, soumis au hasard.
Dans cette division, on trouve des conventions qui, de leur nature, sont toujours aléatoires, les autres ne le sont que parce que les parties leur ont volontairement donné ce caractère.
Sont toujours aléatoires: 1° le jeu et pari; mais ces conventions ne sont que très-exceptionnellement permises par la loi; 2° la convention de rente viagère; 3° la constitution d'usufruit, toujours viagère; 4° le prêt maritime dit “prêt à la grosse aventure;” 5° la convention d'assurance contre les risques, soit maritimes, soit terrestres, avec les nombreuses applications qu'elle reçoit dans les temps modernes et qui tendront toujours à se multiplier.
Les autres conventions sont fermes, de leurs nature; mais les parties peuvent leur donner le caractère aléatoire, en les faisant dépendre du hasard, soit pour leur existence, soit pour tout ou partie de leurs effets. Ainsi, chaque fois qu'une convention ou les obligations qui en résultent sont soumises à une condition, soit suspensive, soit résolutoire, elle prend un caractère aléatoire, et cela, non seulement quand la condition est purement casuelle ou fortuite, mais même lorsqu'elle dépend de la volonté du créancier, laquelle est un véritable hasard pour le débiteur. Ainsi encore, les conventions qui sont accompagnées d'une dation d'arrhes, permettant à l'une des parties ou chacune d'elles de se départir de la convention, moyennant la perte des arrhes ou leur restitution au double, ont un caractère aléatoire. Il en est de même des ventes à l'essai ou des ventes de choses qu'il est dans l'usage de goûter avant de les agréer. Mais, habituellement, on ne donne guère le nom d'aléatoires qu'aux conventions qui sont telles par leur nature.
L'intérêt pratique de cette division des conventions n'est pas aussi considérable que celui des autres divisions; on n'en cite ordinairement qu'un: ces convetions ne sont pas sujettes à la rescision pour lésion, dans les cas où les conventions fermes le seraient; or, la rescision pour lésion n'ayant lieu qu'au cas de partage, sa suppression dans les conventions aléatoires n'aurait pas une grande importance.
On peut présenter une autre différence plus importante. Si une convention aléatoire de rente viagère est résolue pour inexécution des conditions par l'une des parties, les choses ne devront pas être remises dans l'état primitif, comme dans la résolution des convention fermes: puisque la partie envers laquelle les engagements n'ont pas été tenus a couru des chances défavorables, on doit lui laisser en compensation tous les arrérages qu'elle a reçus même pour la portion des arrérages payés qui excédait le taux légal ou ordinaire.
Art. 302. Cette division rappelle, dans une certaine mesure, celle de l'article 15 qui, de même, distingue les Choses en principales et accessoires.
Certaines conventions peuvent être soit principales, soit accessoires, tandis que d'autres ne peuvent être qu'accessoires; mais c'est le plus petit nombre: la plupart des conventions ont l'une ou l'autre de ces caractères, suivant l'intention des parties, laquelle peut, ou être formellement exprimée, ou s'induire des circonstances. Sont toujours accessoires, le cautionnement, le gage, l'hypothèque, qui sont des conventions de garantie (voy. art. 2).
Mais la vente, le louage, la société, le prêt, qui sont, le plus souvent, principaux, peuvent aussi être accessoires. Par exemple, on vend une maison, pour un prix déterminé, et l'on vend aussi pour un prix spécial, les meubles qui la garnissent; il est naturel de croire que cette vente des meubles est accessoire de l'autre, et la conséquence, indiquée par le texte, est que, si la vente de la maison n'était pas valable, à cause d'un vice de la convention, la vente des meubles, même correcte en elle-même, serait entraînée dans la même nullité. Un louage pourrait être aussi l'accessoire d'une vente, si, par exemple, on donnait à loyer un terrain contigu à une maison vendue, ou des instruments agricoles ou industriels dont l'acheteur aurait momentanément besoin. Le prêt de consommation pourrait aussi être l'accessoire d'un louage; si, par exemple, un fermier avait besoin d'une avance de capitaux pour commencer l'exploitation du fonds loué.
La question de savoir si une convention est principale ou accessoire d'une autre, est une question de fait que les tribunaux apprécieront d'après les circonstances. On verra au § IV quelques règles d'interprétation des conventions; mais pour ne pas revenir, à cette occasion, sur la présente division des conventions, on fera remarquer ici que si les deux conventions dont il s'agirait d'apprécier le caractère respectif ont la même date, la convention principale sera, naturellement, la plus importante par les valeurs mises en mouvement; si elles ont des dates différentes, la principale sera la première en date, car il n'est pas admissible qu'après sa formation définitive, on l'ait subordonnée au sort d'une convention postérieure; ce résultat ne pourrait être admis que s'il y avait une déclaration formelle des parties en ce sens, laquelle aurait le caractère d'une novation.
Le grand intérêt de la division des conventions en principales et accessoires est dans l'influence que peut avoir la nullité de l'une sur celle de l'autre. A cet égard, le texte pose deux règles dont chacune reçoit une exception.
La première règle est que la nullité de convention principale entraîne celle de la convention accessoire. L'exception s'applique aux conventions accessoires dites de garantie, qui peuvent avoir été consenties justement pour tenir lieu de la conventions principale, au cas où elle serait annulée. Ainsi, quelqu'un a cautionné un mineur; celui-ci, plus tard, fait annuler son engagement: la caution restera tenue. Un vendeur s'est formellement soumis à une obligation d'indemnité au cas où l'acheteur serait évincé c'est ce qu'on nomme la garantie de fait, par opposition à la garantie de droit qui est due en vertu de la loi et sans convention: l'acheteur est ensuite évincé, ce qui entraîne la nullité de la vente, car la vente de la chose d'autrui est nulle; mais l'obligation de garantie subsistera, car elle n'a pas eu d'autre but que de suppléer à la nullité de la vente.
Dans ces deux cas, on pourrait dire, en théorie pure, que la convention de garantie est moins une convention accessoire qu'une convention principale sous condition; mais la loi a préféré lui laisser le nom d'accessoire, qu'on lui donnera toujours en partique, et lui appliquer une règle exceptionnelle.
La seconde règle est que la nullité de la convention accessoire ne porte pas atteinte à la validité de la convention principale; le cas exceptionnel est celui où le lien des deux conventions est si intime qu'elles sont indivisibles dans l'intention des parties; par exemple, accessoirement à la vente d'un terrain, le vendeur a concédé sur un fonds contigu, une prise d'eau nécessaire à l'exploitation agricole ou industrielle que va entreprendre l'acheteur; si la constitution de la servitude ne peut produire d'effet, parce que le constituant n'est pas propriétaire de la source, la vente du terrain pourra être considérée elle-même comme nulle, parce que les deux conventions sont vraisemblablement indivisibles dans l'intention des parties. On pourrait peut-être, prétendre, en théorie, comme pour l'exception à la première règle, que, dans ce cas, les deux conventions sont principales, c'est-à-dire égales en importance, de sorte qu'il n'y ait réellement pas d'exception; mais, ici encore, la pratique considérera la vente de la servitude comme accessoire de la vente du fonds. D'ailleurs, ce qui importe, c'est la solution même, plutôt que de rechercher si elle vient de la règle ou d'une exception.
Art. 303. Presque toutes les conventions qui ont été prises pour exemples, au sujet des six divisions précédentes, sont des conventions nommées; aussi n'a-t-il pas été nécessaire d'en indiquer l'objet pour les faire connaître: quand on cite la vente, le louage, le prêt, etc., il n'est pas besoin, pour être compris, de les définir ni d'en rappeler le but.
Au contraire, quand nous avons pris pour exemple la novation, il a fallu en expliquer le but et le caractère; bien que la novation ait ce nom même et que la loi en pose les règles, il n'est pas d'usage de la considérer comme une convention nommée: elle est moins envisagée dans la loi comme source d'obligation nouvelle, comme convention, que comme cause d'extinction d'une obligation antérieure.
On ajoute ici quelques autres cas de conventions innommés: l'échange de services, les promesses de prêt, de gage ou d'hypothèque et celle de recevoir un dépôt, dont il a été parlé plus haut.
Le texte du présent article nous indique, pour chacune de ces classes de conventions, deux sources de règles à y appliquer: aux conventions nommées, leurs règles propres, chaque fois qu'il en existe dans la loi, et pour les points non spécialement réglés, le droit commun des conventions, les Dispositions générales qui forment cette IIe Partie; aux conventions innommées: en principe, les présentes règles générales, et, par exception, les règles spéciales à celle des conventions nommées avec laquelle elles ont le plus d'analogie.
Ce dernier point demande seul quelques observations. Il faut chercher l'analogie dans les choses et non dans les mots. Ainsi l'échange de services devra se régler par analogie avec le louage de services et non avec l'échange de propriété; la promesse de prêt, à usage ou de consommation, celle de gage, n'ont aucune analogie avec le prêt ou le gage effectué. On a déjà fait remarquer, sous l'article 299, que les rôles des parties y sont tout-à-fait inverses; de même, pour la promesse de recevoir un dépôt: il y a là des obligations de faire innommées et soumises uniquement aux présentes règles des conventions en général.
§ II. DES CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE VALIDITÉ DES CONVENTIONS.
Art. 304 et 305. Le rapprochement de ces deux premiers articles permet de saisir d'un seul coup d'œil les conditions d'existence et de validité des conventions et de distinguer immédiatement les conventions radicalement nulles de celles qui ne sont que viciées ou annulables.
Il y a plusieurs grandes différences entre une convention nulle et une convention annulable.
Lorsque la convention est nulle ou non existante, la nullité, étant radicale, a lieu de plein droit: elle n'a pas besoin d'être obtenue en justice; elle y serait seulement déclarée, comme préexistante, en cas de contestation; chacune des parties peut s'en prévaloir contre l'autre, soit pour se soustraire à l'exécution, soit pour la faire réparer, si elle a déjà été accomplie; ce qui fait dire que la nullité est absolue; enfin, ni le temps, ni la volonté des parties ne peuvent valider la convention nulle: elle devrait être refaite.
Au contraire, si la convention n'est qu'annulable, l'annulation doit être demandée et obtenue en justice; elle ne peut être demandée que par celle des parties dont le consentement a été vicié ou qui était en état d'incapacité; d'où son nom de nullité relative; enfin, le vice de la convention simplement annulable peut être réparé, couvert, par une ratification ou confirmation expresse, ou même tacite, par exemple, par l'exécution volontaire.
Il est superflu d'insister sur une dernière différence que le texte de l'article 305 fait suffisamment ressortir: les conditions d'existence des conventions sont nécessaires à leur validité et la réciproque n'est pas vraie, c'est-à-dire que les conditions de leur validité ne sont pas nécessaires à leur existence.
Bien que la loi doive reprendre successivement chacune des conditions d'existence et de validité des conventions, elles ont un tel lien les unes avec les autres qu'il est nécessaire de donner ici une esquisse rapide de chacune d'elles, en suivant l'ordre indiqué par les deux articles 304 et 305.
I. CONDITIONS D'EXISTENCE DES CONVENTIONS.
A. Consentement. Le consentement est l'accord des volontés; c'est un même sentiment des parties; il est tellement essentiel à l'existence de la convention que la définition de celle-ci est presque la même que celle du consentement. Le plus souvent, la convention a pour point de départ la proposition d'une des parties, une offre ou une demande, et quand l'autre partie adhère, acquiesce à la proposition, on dit qu'elle consent. Si les deux autres conditions sont remplies, la convention est formée.
Les articles suivants indiqueront comment l'accord des volontés peut être constaté.
B. Objet. Le second élément essentiel à l'existence de la convention, c'est un objet. La définition même que nous donne l'article 296, dit que cet objet ne peut être que la création ou la transmission, la modification ou l'extinction d'un droit, soit réel, soit personnel. Mais le droit à créer, comme objet de la convention, doit lui-même avoir un objet, ainsi qu'il a un sujet actif et un sujet passif; il en résulte que, le plus souvent, par abréviation, on dit de l'objet du droit qu'il est l'objet de la convention. C'est cet objet du droit qui doit d'après notre article 304, être certain ou déterminé et tel que les parties en aient la disposition.
Si, par exemple, il s'agit d'une obligation à créer (objet de la convention) et qu'il s'agisse de faire ou de donner quelque chose (objet de l'obligation ou de la créance), il faut que le fait à accomplir soit assez déterminé pour que le créancier ne puisse pas exiger plus que le débiteur n'a entendu promettre, et pour que celui-ci ne puisse pas réduire son obligation au-dessous de ce que le créancier a entendu obtenir. De même, s'il s'agit d'une chose à donner et que ce soit une chose individuelle, il faut qu'elle soit assez clairement désignée pour qu'elle ne puisse être confondue avec d'autres de plus ou moins grande valeur, et s'il s'agit d'une quantité, il faut qu'elle soit nettement déterminée en poids, nombre ou mesure.
Outre les choses individuellement désignées, dites corps certains, et les choses de quantité (v. art. 16), il y a les choses qui seraient désignées seulement par leur genre ou par leur espèce. Il ne suffirait pas de désigner par le genre la chose à donner, comme un animal, un arbre, une pierre: autrement, le créancier serait à la discrétion du débiteur ou celui-ci à la discrétion du créancier: tandis que le créancier pourrait exiger une chose d'une très-grande valeur, dans le genre indiqué, le débiteur ne manquerait pas d'en offrir une d'une valeur dérisoire. Il suffirait à peine de désigner la chose par son espèce, comme un cheval, un sapin, un pied cube de pierre ou de marbre; peut-être pourrait-on, quelquefois, d'après les circonstances et le but que se proposait le créancier, connaître avec plus de précision l'objet compris dans la convention; mais, le plus souvent, la convention serait sans effet, parce que l'objet ne serait pas assez certain, ou assez déterminé.
L'objet doit aussi être de ceux dont les parties “aient la disposition.” Cette expression répond à celle de “chose dans le commerce” usitée en Europe où on l'a tirée du droit romain. On l'a remplacée par une expression qui serait, au besoin, la définition des “choses dans le commerce.” Il y a d'ailleurs ici une plus grande exactitude que dans l'expression usitée: lorsqu'on parle de choses qui sont ou ne sont pas dans le commerce, on parle d'une manière absolue, abstraction faite des personnes; ainsi, on dit qu'une chose “n'est pas dans le commerce,” quand personne n'en peut disposer avec profit (v. art. 26); tels sont les objets dont la fabrication, la vente ou la possession sont prohibées, tels sont encore les actes illicites ou défendus, soit par les lois, soit par les bonnes mœurs. D'un autre côté, il y a des choses qui ne sont pas dans le commerce pour certaines personnes et qui y sont pour d'autres; l'obstacle à la convention, à l'égard de ces choses, n'est plus absolu, mais seulement relatif. Ainsi, les biens des particuliers sont, en général, dans le commerce, en ce sens que le propriétaire en peut disposer; mais ils sont hors du commerce pour tout autre que lui; c'est ce qui expliquera, le plus naturellement, en son lieu, que “la vente de la chose d'autrui est nulle:” une chose n'est pas dans le commerce pour un vendeur non propriétaire; on pourrait seulement promettre de se procurer la chose d'autrui et de la céder ensuite: on aurait alors promis son propre fait, on aurait contracté une obligation de faire.
L'expression ici adoptée tient compte du caractère relatif de la prohibition de disposer.
Il va sans dire, sans qu'il soit besoin de rien ajouter au texte, que la convention serait radicalement nulle, si la chose qu'il s'agirait de donner avait déjà péri au moment de la convention: car une chose périe “n'est ni dans le commerce ni à notre disposition.”
C. Cause. La cause de la convention est la raison déterminante qui a décidé les parties à y consentir; c'est le but qu'elles ont voulu atteindre: on ne fait pas une convention par caprice, mais par raison; on y cherche, en général, une satisfaction morale, pécuniaire ou de convenance, La satisfaction est purement morale dans la donation ou dans la réparation volontaire d'un tort; elle est pécuniaire dans tous les contrats à titre onéreux ou intéressés; elle est de simple convenance, quand on prend certains engagements qui n'ont pas le caractère de bienfaisance et qui ne procurent aucun profit, mais qu'on doit à sa position sociale ou à ses rapports avec certaines personnes; par exemple, quand on souscrit pour quelque dépense locale, pour l'érection d'un monument, pour une société scientifique ou littéraire. Il y a aussi des conventions ou engagements, et c'est peut-être le plus grand nombre, dont le mobile est la recherche d'un plaisir, d'une satisfaction de la vanité ou du luxe.
Voilà ce qu'on entend par la cause dans les conventions, et c'est cette cause qui doit être vraie et licite.
Il y a des conventions où il n'y a pas à rechercher si elles ont une cause, ni si elle est licite, parce qu'elle y est inhérente; tels sont toutes les conventions nommées qui, étant organisées par la loi, ont nécessairement une cause et une cause licite. Ainsi, dans la vente, la cause de la convention, chez le vendeur, n'est autre que le désir d'acquérir une somme d'argent, le prix ou la créance du prix, en compensation de l'aliénation; chez l'acheteur, la cause est le désir d'acquérir la propriété, en compensation du prix à fournir. Dans la société, la cause est, pour chaque partie, le désir de réaliser des profits qui devront être plus considérables, si elle met en commun ses biens et son travail que si elle les utilise séparément. Dans la donation, la cause est, chez le donateur, le désir d'être utile à autrui, plus encore que celui d'en obtenir de la reconnaissance; chez le donataire, la cause est le désir naturel d'acquérir gratuitement.
Au contraire, dans les conventions innommées, qui ne sont pas proposées et réglées par la loi, la cause doit être cherchée, car elle pourrait manquer, être erronée ou simulée, c'est-à-dire fausse, ou même être illicite. Ainsi, dans la novation, une partie n'a pu contracter une dette nouvelle que dans le but d'en éteindre une précédente; voilà la cause qu'on doit trouver. Mais si cette première dette n'avait jamais existé ou n'existait plus, la nouvelle dette serait sans cause; si les parties croyaient à une cause, il y aurait cause erronée; si elles savaient que la cause n'existait pas, il y aurait cause simulée et, dans ces deux cas, fausse cause.
La cause illicite est plus facile à concevoir et pourra se présenter plus souvent; on peut d'ailleurs la rencontrer dans les conventions nommées aussi bien que dans les conventions innommées. En voici les deux cas principaux: 1° l'une des parties s'est engagée à accomplir un acte illicite: cet acte ne peut, pour cette partie, être l'objet d'une obligation ni d'une convention, puisqu'elle “n'en a pas la disposition,” puisque cet acte “n'est pas dans le commerce;” en même temps, comme cet acte est, pour l'autre partie, le résultat cherché, le but poursuivi, il se trouve être, pour elle, une cause illicite de la convention; 2° toutes les fois que les parties ont subordonné tout ou partie des effets de la convention à une condition prohibée, la cause de la convention est illicite; car toute condition est une cause de la convention, une cause tantôt principale et tantôt accessoire, mais qui, dans les deux cas, doit, comme illicite, rendre la convention nulle; il n'y a aucune différence réelle entre promettre une somme d'argent à quelqu'un s'IL commet un délit, et la lui promettre PARCE QU'IL aura commis un délit.
Il ne faut pas confondre avec la cause les motifs de la convention. On en établira les profondes différences sous l'article 309.
D. Solennités. Il ne sera parlé des solennités requises pour l'existence de certaines conventions qu'à l'occasion de chacune d'elles en particulier. Elles ne sont mentionnées ici que pour mémoire, car elles n'appartiennent pas à la théorie des Conventions en général.
II. CONDITIONS DE VALIDIT DES CONVENTIONS.
A. Absence de vices dans le consentement. L'article 305 indique seulement deux vices du consentement: l'erreur et la violence; en cela, il s'écarte notablement de plusieurs Codes étrangers, lesquels comptent aussi le dol comme un vice du consentement. On démontrera, sous l'article 312, que le dol, suivant le degré d'erreur qu'il cause, ou se confond avec ce vice même, ou n'est plus qu'un fait simplement dommageable qui donne lieu à réparation: cette réparation, il est vrai, pourra être obtenue par l'annulation du contrat, mais avec un autre caractère et avec moins d'effets que lorsqu'il y a eu une erreur viciant le consentement à proprement parler.
B. Capacité des parties. Certaines personnes sont, par suite de conditions particulières où elles se trouvent, légalement présumées et déclarées incapables de faire certains actes concernant leur personne même et leurs biens. Elles sont déterminées au Livre des Personnes.
C. Lésion. On n'entrera, à présent, dans aucuns détails, au sujet de la lésion considérée comme cause tout exceptionnelle d'annulabilité des conventions. La lésion suppose que, dans un contrat à titre onéreux où chaque partie cherchait un avantage égal à celui qu'elle fournissait, l'une d'elles a trouvé un avantage beaucoup moindre. L'intérêt général qui demande que les, conventions soient maintenues autant que possible ne permet pas que cette cause d'annulation soit facilement admise. Aussi, dans les lois étrangères ne rencontre-t-on que deux contrats annulables pour lésion proprement dite entre personnes majeures: le partage de biens indivis et la vente d'immeuble où le vendeur est lésé.
Le Code japonais n'admet pas la rescision de la vente pour lésion et il ne admet que dans le partage; mais la lésion sera une cause de rescision, en faveur des mineurs contre toutes sortes de conventions, et ici, quelle que soit l'importance de la lésion, même la plus minime. Cette combinaison de la lésion avec l'incapacité peut donner lieu à d'assez sérieuses difficultés que le Code s'est efforcé de prévenir (voy. 548).
On terminera ce qui concerne ces diverses conditions d'existence et de validité des conventions par une observation importante.
Déjà, en plusieurs occasions, on a rencontré et appliqué le principe fondamental de la liberté des conventions; le § suivant va bientôt le proclamer, le justifier et en fixer les limites. Ce principe ne reçoit ici qu'une application très-restreinte: les parties pourraient ajouter aux conditions d'existence de la convention, en la subordonnant à un événement plus ou moins casuel, et à celles de validité en la subordonnant à l'absence de lésion, dans un cas où la loi n'admet pas la rescision pour lésion, ou en exigeant pour cette rescision une lésion moindre que celle que la loi exigerait; mais elles ne pourraient rien retrancher des conditions légales, soit d'existence, soit de validité de la convention: pour les premières, elles dépendent de la nature des choses, laquelle est ici la pure raison; pour les secondes, elles sont une protection pour les faibles, et le but de la loi qui est un but de justice ne serait pas atteint, si la partie intéressée pouvait se soustraire à cette protection, notamment au droit de faire rescinder son contrat pour incapacité ou vice de consentement.
Art. 306. Il n'y a plus à revenir sur les caractères du consentement, déjà suffisamment expliqués. On remarquera seulement que le texte prend soin d'exiger le consentement de toutes les parties intéressées, activement autant que passivement; mais il n'exige pas le consentement de toutes les personnes qui figurent dans l'acte à un autre titre, par exemple, comme témoins. De même, si une personne intervient à l'acte comme garant ou caution, elle doit assurément consentir à prendre cette qualité, mais elle n'a pas à consentir à l'acte principal auquel elle n'est pas directement intéressée.
Le cas prévu au 2e alinéa sera rare, parce que si une personne ne voulait pas consentir à une convention, elle n'y assisterait pas, surtout elle n'y laisserait pas figurer son nom, s'il y avait un acte dressé pour la preuve. Cependant, il pourrait arriver que, dans les préliminaires d'une vente ou d'un louage, plusieurs personnes fussent disposées à y figurer comme acheteurs ou locataires, et qu'au dernier moment, l'une d'elles n'acceptât pas les conditions définitives, alors que les autres les ont déjà acceptées. La loi pose en principe que si l'une des parties proposées ne consent pas, le contrat ne se forme pas, non seulement avec cette personne, mais même entre les autres: il y a présomption que le contrat devait être indivisible quant aux personnes. Mais la preuve d'une intention contraire sera permise et le contrat pourra être déclaré formé entre les divers adhérents. Le cas serait peut-être assez fréquent en matière de société projetée entre un grand nombre de personnes et à laquelle une ou plusieurs refuseraient ensuite d'adhérer.
Art. 307. Le consentement, en lui-même, est un fait purement interne, comme tout acte de la volonté; mais il ne peut avoir d'effet juridique qu'autant qu'il se manifeste; quand la loi veut, exceptionnellement, s'assurer que le consentement a été parfaitement libre et même éclairé, elle exige qu'il soit donné devant un officier public dont la présence et les conseils sont une précieuse garantie pour les parties; c'est le cas des contrats solennels; dans les autres cas, la loi admet toute manifestation de la volonté par les moyens dont l'homme dispose: l'écriture, la parole, même les signes.
Théoriquement, presque toutes les législations, depuis les Romains, admettent que le consentement puisse être donné par signe; mais, en fait, devant les tribunaux, on ne serait guère recevable à se prévaloir d'un consentement qu'on n'aurait obtenu que de cette façon, fût-ce d'un muet; encore faudrait-il qu'il ne sût pas écrire et qu'il y eût des témoins connaissant assez les signes du muet et son degré d'intelligence pour affirmer qu'il a donné à la convention une pleine adhésion. Aussi, le texte prend-il, comme on le voit, de sages précautions pour éviter les abus à ce sujet. On peut d'ailleurs supposer des cas où les signes seraient le seul moyen de manifester le consentement; par exemple, si un blessé, incapable de parler et d'écrire, a besoin de changer de lieu ou d'acheter des choses nécessaires à son état, ou de faire un emprunt ou un dépôt, ou tout autre contrat urgent: il faudra bien admettre que son consentement aux propositions qui lui seraient faites, en présence de parents, d'amis ou d'étrangers, puisse être donné par signe, et lors même qu'un officier public serait appelé pour plus de garanties de sa liberté, il faudrait toujours que son consentement au contrat fût donné en cette forme imparfaite.
Les signes d'adhésion ou de consentement à une proposition, comme ceux de dénégation ou de refus, sont à peu près les mêmes dans chaque pays. Il y a aussi des signes ou signaux conventionnels en matière de navigation maritime; par exemple, pour demander un pilote à l'approche d'un port ou pour demander des secours en cas de péril; ces signes d'appel, suivis du service ou du secours demandé, permettront de dire qu'il y a eu convention.
Il n'est pas d'usage d'appeler tacite, le consentement donné par signe, parce que les signes font alors l'office de langage; mais la loi admet aussi le consentement tout à fait tacite, se révélant, soit par des faits extérieurs, soit par le silence. Les faits extérieurs sont, par exemple, l'exécution totale ou partielle d'un travail ou d'une fourniture demandés, ou, en sens inverse, la demande de l'exécution d'une proposition reçue qui, par là, se trouve agréée. Le silence lui-même vaut consentement ou acceptation, quand, après des pourparlers dans le but de contracter, il a été entendu que si un refus n'était pas envoyé dans un délai fixe, le silence vaudrait consentement. Mais une partie ne pourrait imposer à l'autre la nécessité d'envoyer un refus dans un délai déterminé, faute de quoi celle-ci serait considérée comme acceptante: une pareille prétention serait évidemment absurde. Ce qui est permis, c'est l'inverse: on peut faire une offre ou proposition avec assignation d'un délai pour l'acceptation, passé lequel, l'offre devra être considérée comme non avenue (v. l'art. suivant).
Art. 308. Cet article s'applique aux conventions qui se font par correspondance ou par intermédiaires. Les ventes commerciales les plus importantes se font, presque toujours, par cette voie, à cause des distances entre les grands marchés. Quelquefois, c'est l'offre du vendeur qui commence: le contrat ne sera formé que quand l'acheteur l'aura acceptée; d'autres fois, l'acheteur demande la marchandise, en indiquant son prix: il faut alors l'acceptation du vendeur pour qu'il y ait vente.
Si la partie qui a écrit la première ne change pas d'intention, il n'y a pas d'intérêt, en général, à rechercher à quel moment l'acceptation de l'autre est intervenue pour former le contrat; tout au plus, cela serait-il à considérer, si le prix devait être déterminé par le cours public de la marchandise au jour de l'acceptation. Mais, si l'offre est rétractée ou si la demande est retirée, à une époque plus ou moins rapprochée de l'acceptation, il importe de savoir si celle-ci est utilement intervenue.
Le principe est d'abord qu'il faut qu'il y ait persistance de l'offre ou de la demande jusqu'au moment de l'acceptation, de sorte qu'elles aient existé en même temps, ce qui constitue le consentement; en effet, toute offre ou demande qui n'est pas retirée est censée soutenue, confirmée, à chaque moment, par la persistance d'une même volonté.
Quand l'offre est acceptée, elle ne peut plus être retirée, parce que le contrat est formé. Mais il ne peut suffire évidemment d'une acceptation purement intentionnelle.
Faut-il donc alors qu'elle soit parvenue à celui qui a fait l'offre? ce serait aller trop loin, car on serait entraîné à exiger encore que celui qui a adressé l'acceptation sût qu'elle est parvenue.
Le texte exige seulement pour la validité de l'acceptation, à l'effet d'empêcher la rétractation de l'offre, que ladite acceptation ait été “expédiée” avant “l'arrivée” de la rétractation (1er al.). Il en résulte, il est vrai que la situation est meilleure pour celui qui accepte que pour celui qui rétracte son offre: le premier est sûr de son droit dès qu'il a expédié son acceptation avant d'avoir reçu la rétractation, tandis que l'autre reste dans l'incertitude, tant qu'il n'a pas reçu l'acceptation ou le refus. Mais cette inégalité de situation respective est naturelle: c'est celui qui a pris l'initiative de l'affaire qui doit subir la plus longue incertitude.
Quant à la difficulté de la preuve relativement à la priorité respective des deux actes, elle se rencontrerait dans tous les systèmes: elle tient à la nature des affaires par correspondance.
Si un délai a été assigné pour l'acceptation, soit en même temps que l'offre, soit postérieurement (2e al.), il y a là un engagement tacite, de la part du proposant, de ne pas rétracter son offre pendant ce délai, à moins d'un refus formel avant son expiration.
On pourrait s'étonner de voir une partie s'obliger ainsi par sa seule volonté, sans que l'autre ait déclaré accepter son engagement; mais il faut tenir compte du principe que l'on ne peut impunément causer à autrui un dommage; or, celui à qui une pareille promesse a été faite a pu se disposer à l'accepter dans le délai fixé et, pendant ce temps là, s'abstenir d'une autre opération dont l'occasion plus tard se trouverait perdue.
Le 3e alinéa est la conséquence du second et ne demande pas de justification.
Le 4e alinéa suppose un changement de volonté de la part de l'acceptant. Le principe est que ce changement de volonté est valable, tant que l'autre partie n'a pas été en situation de compter sur l'avis qui lui en a été expédié; par conséquent, si la rétractation arrive en même temps que l'acceptation (elle pourrait même arriver auparavant, par une voie plus rapide) les deux avis se neutralisent.
Même solution, au cas du 1er alinéa, si la rétractation d'une offre arrivait en même temps que celle-ci.
Le 5e alinéa demande une explication.
Les contrats obligent, en général, les héritiers des parties, comme celles-ci elles-mêmes; ils n'éprouvent aucune atteinte de la mort ou de l'incapacité survenue à l'une d'elles ou à toutes deux; c'est un principe qui trouvera sa place bientôt; ce n'est que par exception que certains contrats sont résolus par la mort, l'interdiction ou l'insolvabilité déclarée de l'une des parties; tels sont le mandat, la société, le louage d'ouvrage et de services.
Mais ce qui est l'exception pour les contrats devient la règle pour les offres; comme elles ne forment pas encore un lien de droit, elles ne peuvent durer que par la persistance de la volonté; or, la volonté unilatérale ne produit d'effet au delà de la vie que dans le testament; la volonté d'un interdit n'a plus de valeur juridique; celle d'un failli est entravée par l'intérêt de ses créanciers; les offres faites tombent donc par la mort et l'incapacité survenues.
Toutefois, si les héritiers ou les représentants de la personne décédée ou devenue incapable ont négligé de prévenir l'autre partie de l'événement qui a fait tomber l'offre, l'acceptation envoyée dans cette ignorance est valable: autrement, celui qui aurait accepté inutilement éprouverait un dommage injuste.
On doit d'ailleurs suppléer dans la loi une distinction qui manque au texte: Si l'offre avait été accompagnée d'un délai pour l'acceptation, celle-ci, ayant lieu dans le délai devrait être valable, même étant faite avec connaissance du décès ou de l'incapacité, parce qu'il y a déjà une obligation unilatérale.
La loi n'a pas à prévoir le décès de celui auquel l'offre a été faite: s'il ne s'agit pas d'une offre faite en considération de sa personne, son héritier peut accepter à sa place. Au cas d'incapacité survenue, le représentant légal ou judiciaire de l'incapable pourra toujours accepter pour lui.
La décision du dernier alinéa comporterait aussi une distinction: s'il y a faute de l'expéditeur dans la direction de sa lettre ou dépêche, il est naturel qu'il en supporte les conséquences; mais s'il y a cas fortuit ou force majeure dans le retard ou le défaut d'arrivée, il convient que le risque soit pour le destinataire, car la lettre ou la dépêche appartient déjà à celui-ci.
Art. 309. La loi ne parle pas, comme allant de soi, du cas où il y aurait défaut complet de volonté ou de consentement par absence totale d'intelligence de l'acte juridique chez l'une des parties, comme chez un enfant en bas âge, chez un fou, hors d'un intervalle lucide, ou chez une personne atteinte d'une fièvre délirante: il est évident que le consentement de ces personnes n'est pas vicié, mais manque entièrement. C'est aux tribunaux qu'il appartiendra de le constater dans chaque affaire, les cas où se rencontrera ce défaut absolu de consentement.
Mais le présent article croit devoir déclarer que certaines erreurs sont exclusives d'un consentement véritable, quoiqu'il soit apparent en la forme; cela est d'autant plus nécessaire que d'autres erreurs dont il est parlé ensuite ne produisent qu'un vice du consentement, lequel rend le contrat simplement annulable, et que d'autres erreurs laissent même au consentement toute sa validité. En général, les lois abandonnent à la doctrine le soin de distinguer ces diverses sortes d'erreurs; mais ce système n'est pas sans danger; il ressemble d'ailleurs à une abdication du législateur, dans un ordre de difficultés qui n'est plus, comme le précédent, de fait, mais de droit.
On trouve ici quatre erreurs dont la nature et la gravité sont telles qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu consentement de la part de celui qui les a commises. La loi en indique une autre qui, au contraire, laisse au contrat toute sa validité.
A. Erreur sur la nature de la convention. Le contrat proposé par l'une des parties était une vente, l'autre partie a cru faire un échange; ou bien, l'une proposait un louage, l'autre a cru recevoir un prêt à usage (contrat gratuit); ainsi encore, l'une entendait avoir un débiteur solidaire, l'autre n'a voulu s'engager que comme caution. Sans doute, de pareilles erreurs ne seront pas fréquentes; mais elles ne sont pas invraisemblables, si l'on suppose que les pourparlers ont porté sur les deux conventions et que la réponse a été donnée par lettre, sans rédaction d'un acte en bonne forme. Dans tous les cas supposés, il est clair que chaque partie ayant eu en vue une convention différente, il n'y a pas eu même sentiment, consentement.
B. Erreur sur l'objet de la convention. Les pourparlers préalables à la convention, par exemple, à une vente, avaient porté sur plusieurs objets, successivement et disjonctivement; au dernier moment, l'acheteur a déclaré accepter, par correspondance toujours, et il entendait acheter un des objets proposés, quand le vendeur pensait qu'il s'agissait d'un autre; c'est là l'erreur dite “sur le corps même de la chose ", qu'il ne faut pas confondre avec l'erreur” sur les qualités de la chose " dont il sera parlé plus loin. Ici encore il n'y a pas accord des volontés.
C. Erreur sur la cause et sur le motif de la convention. On réunit ici deux erreurs très-différentes dans leur gravité, mais de natures très-voisines.
L'erreur sur la cause semble, au premier abord, difficile à supposer. On a déjà dit que les contrats nommés ont toujours une cause qui est de leur essence et qui, par cela même qu'elle est reconnue par la loi, doit être toujours vraie, comme elle est toujours licite. On peut cependant citer des ventes nulles pour fausse cause; ce sont les ventes faites par un autre que le propriétaire ou “ventes de la chose d'autrui:” on a déjà dit qu'elles sont nulles par un vice de l'objet qui “n'est pas dans le commerce du vendeur;” elles sont aussi nulles faute de cause ou pour fausse cause, parce que l'acheteur avait pour but, en contractant, d'acquérir la propriété et que ce but est impossible à atteindre, en traitant avec un non-propriétaire.
L'erreur sur la cause est plus fréquente dans les contrats innommés auxquels la cause est donnée par les parties; d'où elle peut être erronée ou simulée, comme elle peut être illicite, ainsi qu'on l'a déjà remarqué. Il ne s'agit ici que du cas où la cause est erronée, parce que c'est le seul cas où le consentement n'existe pas. Par exemple, dans la novation, l'une des parties, en contractant l'obligation nouvelle, entendu se libérer de l'une des obligations dont elle était tenue, alors que le créancier entendait la libérer d'une autre. Il y a bien une cause à la novation, il aurait même pu y en avoir plusieurs, puisque le débiteur avait plusieurs dettes à éteindre; mais il n'y a pas eu accord sur la même cause, donc pas de consentement.
La loi tranche, dans le présent article, un point de doctrine fort important, en déclarant que l'erreur sur le motif n'entraîne jamais la nullité de la convention; la raison en est que cette erreur n'exclut ni ne vicie le consentement, et lors même qu'elle serait l'effet d'un dol de l'autre partie, il ne serait pas encore exact de dire, dans la théorie nouvelle du Code, qu'il y a vice de consentement: il n'y aurait qu'un “dommage causé injustement,” donnant lieu à réparation, comme on l'expliquera plus loin, au sujet du dol commis dans les conventions.
Il est donc très-important de bien distinguer le motif d'avec la cause.
On a vu, plus haut, que la cause de la convention est la raison qui détermine, qui décide les parties à la faire; mais il faut l'entendre de la raison immédiatement et directement déterminante. Le motif est une raison médiate, indirecte, éloignée, qui nous porte à contracter.
Dans le langage ordinaire, les mots cause et motif, appliqués aux actions des hommes, sont synonymes; mais dans le langage du droit, on a dû les distinguer et, tout en leur donnant le nom commun de raison d'agir, on les différencie par leur relation avec l'acte, laquelle est immédiate ou médiate, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée. On doit aussi remarquer (et ce point est très-important) que, tandis qu'il n'y a, en général, qu'une seule-cause de la convention, il y a toujours plusieurs motifs que l'on trouve en remontant du plus proche au plus éloigné.
Cela étant admis, ou va prendre des exemples de motifs; on verra ensuite pourquoi l'erreur sur le motif n'est pas une cause de nullité comme l'erreur sur la cause.
Si, dans le contrat de vente d'immeuble, ou cherche la cause de la convention, on trouve, pour le vendeur, le désir d'acquérir un prix ou la créance du prix, et, pour l'acheteur, le désir de devenir propriétaire. Mais pourquoi le vendeur et l'acheteur veulent-ils ainsi, chacun, transformer une valeur de leur patrimoine en une autre? Ce sont des raisons toutes personnelles, de convenance ou d'intérêt dans lesquelles, ni la loi, ni même l'autre partie, n'ont à s'immiscer: le vendeur veut peut-être, avec ce prix, faire le commerce ou s'intéresser dans une industrie, ou seulement, par un emploi de son argent en prêt à intérêts, s'assurer un revenu plus fixe et plus facile à percevoir que celui d'un immeuble; l'acheteur, de son côté, veut peut-être, par l'emploi d'un capital en achat d'immeuble, éviter les risques de perte que présentent souvent les prêts, ou fonder un établissement industriel ou commercial dans les locaux achetés, ou simplement fixer sa demeure dans un lieu plus favorable. Ce sont les motifs.
Dans la donation, la cause, chez le donateur, est le désir de faire du bien au donataire, son parent ou son ami. Mais est-ce parce que celui-ci est pauvre? Est-ce parce que le donateur a reçu des services antérieurs de lui ou de son auteur? Voilà divers motifs possibles, et, au delà, il y en a d'autres, puis d'autres encore; chaque partie seule peut les connaître, pour ce qui la concerne.
Dans ces divers cas, si l'on suppose qu'il y a eu, de la part de l'une d'elles, erreur sur le motif, elle ne pourra se soustraire aux conséquences de la convention; autrement, ce serait faire souffrir l'autre partie d'une faute à laquelle elle n'a pas participé; on excepte seulement le cas où ce serait elle qui, par son dol, aurait fait croire le contractant à de faux motifs, et alors, la réparation du dommage pourrait aller jusqu'à l'annulation du contrat, comme on le verra bientôt (v. art. 312).
D. Erreur sur la personne. La considération de la personne avec laquelle on contracte joue un rôle plus ou moins considérable dans la convention. Quelquefois, elle en est la cause principale et déterminante, comme dans la donation, dans le prêt à usage, dans le dépôt, dans le mandat, dans le cautionnement, en un mot, dans les contrats gratuits. Dans ces cas, s'il y a erreur d'une partie sur l'identité de l'autre, la convention est nulle, autant faute de consentement que pour fausse cause.
La considération de la personne peut aussi être déterminante dans certains contrats onéreux, dans ceux où l'une des parties recherche surtout les qualités personnelles ou les talents professionnels de l'autre; par exemple, dans les contrats où il y a prestation de services, soit pour la personne du créancier, comme les services d'un domestique, soit pour l'exécution d'une œuvre artistique ou littéraire.
D'autres fois, la considération de la personne n'est qu'un des éléments de détermination de la volonté, se joignant à d'autres, comme dans la vente à terme, dans le louage, dans le prêt à intérêt, où la personnalité du débiteur est à considérer, à raison du danger d'insolvabilité, comme aussi dans le louage de services industriels, où les qualités et le talent individuels sont moins exclusivement recherchés par le stipulant.
Enfin, dans certains cas, la personne du contractant est indifférente, comme dans la vente au comptant, le prêt à intérêt, sur gage ou sur hypothèque, et, généralement, dans les contrats où le profit exclut toute idée de bienfaisance, en même temps qu'il n'y a aucun risque à courir.
Par la même raison, on ne tient pas compte non plus, dans les contrats à titre onéreux, au moins en général, de l'erreur du débiteur sur la personne du créancier, lequel ne peut, à raison de sa personnalité, exiger plus que son dû, quoique peut-être il puis e mettre plus ou moins de rigueur dans la poursuite.
Pour revenir à l'application du présent article, on peut remarquer que dans les cas où la considération de la personne a été déterminante de la convention, elle a joué le rôle de cause, de sorte que l'erreur sur la personne n'est alors qu'une variété de l'erreur sur la cause; c'est à ce titre qu'elle exclut le consentement.
Ainsi, en reprenant les exemples donnés plus haut, le donateur a entendu gratifier un de ses parents éloignés ou le fils d'un ami, ne les connaissant pas individuellement; par l'effet d'une erreur commune, peut-être par un dol, une autre personne a reçu la donation; la donation est nulle, faute de consentement du donateur et par fausse cause. La solution serait la même si l'erreur existait chez le donataire, à l'égard de la personne du donateur, duquel il ne consentirait pas à recevoir une donation, soit parce qu'il le croirait lui-même peu honorable, soit parce qu'il craindrait que ses biens n'eussent pas une source honnête.
Mêmes solutions pour le prêt à usage et par les mêmes raisons.
Dans le mandat et le dépôt, la considération de la personne est déterminante des deux côtés: le mandant ne chargerait pas de ses intérêts toute personne indistinctement; le mandataire n'accepterait pas la peine et la responsabilité du mandat pour une personne inconnue.
Dans le cautionnement, où trois personnes sont en jeu, le créancier, le débiteur principal et la caution, il faut distinguer qui s'est trompé et sur quelle personne l'erreur a porté. Si l'erreur est chez le créancier, soit qu'elle porte sur la personne du débiteur ou sur celle de la caution, il n'y a guère que l'intérêt de la solvabilité qui soit en jeu et cette erreur appartient à la seconde classe déjà indiquée plus haut et dont s'occupe la dernière disposition de notre article. Si l'erreur est chez le débiteur et porte sur la personne du créancier, elle est indifférente; c'est l'erreur de la troisième classe; si elle porte sur la caution qui intervient pour le débiteur, comme il peut désirer ne pas recevoir un service d'une personne qu'il ne connaît pas ou n'estime pas, il sera admis à présenter une autre caution et le créancier ne pourra la refuser, si elle est aussi solvable que la précédente. Mais le cas le plus sérieux est celui où l'erreur viendrait de la caution et où elle se serait trompée sur la personne du débiteur qu'elle a cautionné: en pareil cas, la considération de la personne est déterminante, comme dans tout contrat gratuit, et le cautionnement sera nul faute de consentement et pour fausse cause.
En somme, dans les contrats à titre onéreux, les cas où la considération de la personne du débiteur est déterminante sont plus rares que ceux où elle n'est que secondaire. On ne peut guère citer que les louages de services qui supposent, soit une science ou un art sérieux, comme la construction d'un navire, celle d'un palais ou la fabrication d'une machine compliquée, soit une probité absolue, comme un emploi de comptable. Dans tous ces cas, les tribunaux tiendront grand compte aussi des circonstances du fait, spécialement de la nature des services à rendre, pour reconnaître l'intention des parties.
Art. 310. Il ne s'agit plus ici de l'erreur “sur le corps même de la chose,” mais de l'erreur sur ses qualités, laquelle, en fait, sera plus fréquente que la première et rendra le contrat non plus nul, mais seulement annulable.
L'idée qui domine est celle-ci: pour que le consentement et, par suite, le contrat, soit vicié par l'erreur sur le chose, il faut que l'erreur ait porté sur une qualité de la chose qui a, dans une certaine mesure, joué le rôle de cause dans la convention: autrement, ce ne serait plus qu'une erreur sur le motif et il a été établi qu'elle doit être sans influence sur la validité de la convention. Mais il ne faut pas non plus supposer que cette qualité était la cause unique et seule déterminante de la convention: autrement, la convention serait radicalement nulle. Il faut donc supposer, avec le texte, que la qualité sur laquelle l'erreur a porté était d'une importance suffisante pour contribuer à déterminer la convention, mais sans la déterminer seule; c'est une des qualités principales que les parties recherchaient dans la convention, et, comme dit le texte, une des qualités substantielles.
A proprement parler, la substance d'une chose, c'est la matière qui la constitue; ainsi, c'est par la substance surtout que diffèrent profondément les métaux, les minéraux, les végétaux, et c'est par elle que, parmi eux, on sous-distingue les objets d'or, d'argent, de cuivre, de fer, de plomb; la pierre, le marbre; les divers bois, les diverses matières textiles, etc.
Assurément, l'erreur d'une des parties sur la substance de l'objet du contrat, peut être grave; mais c'est à la condition que cette substance a été prise en grande considération par la partie; or, le contraire peut souvent arriver et il serait mauvais qu'elle pût, par caprice et à la faveur d'une erreur de peu d'importance, se soustraire à la convention; en sens inverse, il y a d'autres qualités des choses, des qualités non-substantielles, qui peuvent avoir été considérées comme déterminantes dans le contrat et qu'il serait fâcheux de laisser sans remède.
Les tribunaux devront donc rechercher si les qualités sur lesquelles l'erreur d'une des parties a porté étaient, dans une certaine mesure, déterminantes de son consentement, et, le consentement se trouvant alors vicié, la convention est annulable; si ces qualités n'ont eu qu'une importance secondaire pour la partie induite en erreur, la convention sera maintenue; sauf indemnité, si l'erreur provenait du dol de l'autre partie.
La loi leur donne, à ce sujet, une indication importante: à l'égard des qualités physiquement substantielles, il y a présomption qu'elles ont été déterminantes pour la partie; pour celles qui ne sont pas substantielles, la présomption est inverse, sauf, dans les deux cas, la preuve contraire.
A l'égard des qualités abstraites elles sont assimilées aux qualités non substantielles: elles sont présumées secondaires et de peu d'importance pour les parties, sauf aussi la preuve contraire.
L'époque et le lieu de l'exécution de la convention peuvent avoir une importance considérable pour l'une des parties et si elle était tombé dans l'erreur à cet égard, elle devrait obtenir l'annulation de la convention (3e al.).
On terminera par une observation importante sur ces dispositions concernant l'erreur à ses divers degrés. Soit que l'erreur, suivant son objet et sa gravité, entraîne la nullité radicale du contrat ou le rende simplement annulable, elle peut être et elle sera souvent imputable à la négligence de celui qui l'a commise. On verra, dans l'article 312, le cas où elle est l'effet du dol de l'autre partie; mais, quand elle est spontanée et résulte, dans une certaine mesure, de la faute de celui qui s'est trompé, il est naturel et juste qu'il indemnise l'autre partie: celle-ci, en effet, se voit privée des avantages d'une convention qu'elle a pu considérer comme stable et certaine, et elle peut avoir ainsi perdu l'opportunité de faire une pareille convention avec une autre personne. La réciproque pourrait avoir lieu, il pourrait y avoir eu faute, même sans dol, de la partie contre laquelle la nullité pour erreur est demandée: notamment, si proposant un contrat par correspondance, elle n'a pas suffisamment désigné les qualités de l'objet proposé. Les tribunaux auront donc à rechercher si l'erreur est imputable à une faute ou à des circonstances toutes fortuites, et, s'il y a eu faute ou imprévoyance, de quel côté elle a eu lieu. Ils pourraient alors, si l'imprudence vient du demandeur en nullité, le soumettre à une indemnité pour le dommage causé à l'autre partie, et même, si la faute est très-lourde et que le dommage de la nullité doive être très-considérable, la refuser absolument; car il vaut mieux ne pas causer un dommage que d'avoir à le réparer.
Le dernier alinéa se borne à mentionner, avec renvoi, quelques erreurs de fait qu'on qualifie souvent d'erreurs matérielles, les erreurs de calcul ou de noms, de date ou du lieu de l'acte: elles ne motivent pas, l'annulation du contrat et ne donnent lieu qu'à redressement ou rectification: la loi s'en expliquera au sujet de la durée de l'action qu'elle déclare imprescriptible (art. 559).
Art. 311. Le Code tranche ici une question d'une grande importance, fort difficile de tout temps et en tout pays.
Il admet qu'il y aura tantôt nullité radicale, tantôt simple annulabilité pour vice du consentement, par l'effet de l'erreur de droit, et cela, suivant les distinctions déjà établies au sujet de l'erreur de fait.
En permettant d'attaquer les conventions pour erreur de droit, la loi montre qu'elle n'est pas arrêtée par un prétendu principe, trop souvent répété, en forme d'axiome, à savoir que “nul n'est censé ignorer la loi.” Ce principe sera examiné et réduit à sa juste application, sous le 3e alinéa, ci-après.
Le texte prévoit cinq sortes d'erreurs de droit: elles peuvent porter sur la nature de la convention, sur ses effets légaux, sur sa cause, sur les qualités légales de son objet ou sur celles de la personne du co-contractant. On va les reprendre avec des exemples.
A. On a déjà expliqué comment il peut y avoir erreur de fait sur la nature de la convention.
L'erreur sera de droit, quand une partie se sera trompée sur la qualification donnée au contrat; par exemple, elle aura confondu un prêt à usage avec un prêt de consommation ou avec un louage; un louage avec une emphytéose, un cautionnement avec un engagement solidaire. Il est évident que, dans le cas d'une telle erreur, le contractant n'a pas donné un véritable consentement: les volontés ne se sont pas rencontrées.
B. Si l'erreur a porté sur les effets légaux du contrat, le résultat est le même et par la même raison; la seule différence c'est que la partie a bien compris qu'elle faisait tel ou tel contrat nommé, comme une vente ou un louage; mais elle en ignorait certains effets, tels que si elle les avait connus, elle n'aurait pas contracté; par exemple, un vendeur ignorait qu'il était tenu, de droit ou par la force seule de la loi, à la garantie d'éviction ou à celle des défauts cachés de la chose, lors même qu'il ne connaissait pas lui-même ces défauts; ou bien, un bailleur ignorait qu'il était tenu de garantir la possession paisible et de fournir la jouissance continue de la chose louée; or, il lui serait possible de démontrer que, s'il avait connu les obligations que le contrat lui imposait, il n'aurait pas contracté ou aurait stipulé un prix plus considérable, ou aurait, en diminuant le prix, stipulé l'affranchissement de ces obligations.
On pourrait supposer une erreur de droit en sens inverse: le vendeur ou le bailleur se croyait des droits que la loi ne lui donne pas sans stipulation particulière; par exemple, il se croyait un privilége sur la chose vendue que la loi ne lui accorde pas ou qu'elle subordonne à des conditions qu'il ignorait et qu'il n'a pas remplies; on peut supposer la même erreur chez un bailleur, au sujet du privilége sur la récolte et autres produits de la chose louée. La partie qui s'est ainsi trompée sur le droit peut établir qu'elle n'aurait pas traité si elle avait su être privée de ces avantages.
C. L'erreur de droit sur la cause du contrat nous est encore fournie par la novation dont il a été déjà parlé et qui sera développée en son lieu. Une partie se croyait tenue légalement d'une obligation antérieure et, pour s'en affranchir, elle a consenti une autre obligation; plus tard, elle découvre que la première obligation n'était pas valable dès l'origine ou était éteinte par une compensation légale ou par la confusion; l'erreur ne portait pas sur les faits, mais sur les dispositions de la loi qui les régissent, c'est donc une erreur de droit et la nouvelle obligation est nulle pour fausse cause ou pour absence de cause.
D. Le texte fait encore mention de l'erreur de droit qui porterait sur les qualités principales et déterminantes de la chose objet du contrat. On conçoit moins aisément, à ce sujet, une erreur de droit qu'une erreur de fait. Le cas le plus naturel qui pourrait se présenter est celui où l'une des parties aurait cru que la chose était dans le commerce, tandis qu'elle était dans le domaine public, ou l'avait crue aliénable, lorsqu'elle ne l'était pas; de même elle aurait pu croire qu'un droit était mobilier, quand il était immeuble par la détermination de la loi. Une pareille erreur peut être tout aussi préjudiciable à la partie qu'une erreur de fait.
E. Il y a enfin l'erreur de droit sur les qualités de la personne ayant déterminé la convention; ainsi, lorsqu'on a fait un partage de succession avec un parent qu'on croyait héritier, alors que la loi ne l'appelait pas à la succession; ou bien, lorsqu'on a fait une transaction avec une personne qu'on croyait héritier légitime du créancier ou du débiteur et qu'il se trouve ensuite que cette personne, n'ayant pas la qualité d'héritier, ne pouvait valablement transiger au sujet de cette obligation. On pourrait encore citer le cas où l'acheteur a cru, par une fausse interprétation des titres à lui présentés, que le vendeur était propriétaire de la chose vendue, quand il ne l'était pas: il est clair que s'il avait connu la vérité, il n'aurait pas acheté, puisque “vente de la chose d'autrui est nulle.”
Dans ces divers cas, on revient toujours à reconnaître que l'erreur de droit est une erreur sur la cause du contrat. Quand cette cause était unique ou principale, le contrat sera entièrement nul; quand elle ne sera que secondaire, le contrat ne sera qu'annulable; c'est à cette distinction que la loi se réfère en disant que “l'erreur de droit exclut ou vicie le consentement.”
Il reste à concilier ces secours accordés par la loi à celui qui a commis une erreur de droit avec la prétendue règle que “nul n'est censé ignorer la loi,” et tel est l'objet des deux derniers alinéas du présent article.
On a déjà remarqué au sujet de l'erreur de fait, que celui qui a commis ce genre d'erreur sera plus ou moins facilement admis à être relevé contre son erreur, suivant que celle-ci sera plus ou moins excusable; la même règle s'applique à l'erreur de droit et l'excuse sera d'autant plus difficilement accordée qu'il était plus facile de connaître, soit l'existence d'une loi sur un objet déterminé, soit le sens et la portée de ses dispositions; si la partie avait des doutes à cet égard, elle pouvait, en général, s'éclairer près de personnes plus compétentes ou plus expérimentées. C'est pourquoi, le texte dit que “les tribunaux n'admettront la nullité de la convention que si l'erreur est excusable.”
Mais il faut reconnaître aussi que les recueils de loi ne sont pas facilement accessibles à tous; lors même que les lois civiles sont codifiées, elles ne sont pas écrites dans la langue du peuple et, quelque soin qui aît été apporté à leur rédaction, on ne peut espérer qu'il n'y aura pas de points douteux, même pour les légistes; dans tous les pays, les légistes et les magistrats sont arrêtés par des difficultés de droit et divisés sur leur solution; le Japon ne peut prétendre échapper à cet inconvénient. Il faudra donc, pour être juste, admettre la partie qui s'est trompée sur le droit à prouver, non seulement sa bonne foi, mais encore les difficultés qui l'ont empêchée de connaître la loi, son sens ou sa portée. Les tribunaux tiendront compte, à cet égard, du caractère exceptionnel ou vulgaire de la convention, de la condition sociale de la partie demanderesse, des moyens qu'elle avait ou non de s'éclairer, et enfin du degré de protection dû à l'autre partie.
Quant au principe célèbre que “nul n'est censé ignorer la loi,” le troisième alinéa en fait l'application aux matières pénales, aux déchéances et, généralement, aux matières d'ordre public.
Ces exceptions sont faciles à justifier.
Pour les pénalités, elles supposent des actes qui, par leur nature, doivent se présenter à l'esprit de chacun comme malhonnêtes et, par conséquent, interdits; dans le doute, il faut s'en abstenir.
Les déchéances de droits, résultant, soit du temps, soit de l'inobservation des formalités prescrites par la loi, sont établies dans un but de protection, soit pour l'autre partie contre laquelle un droit est prétendu, soit pour l'ordre public et la tranquillité générale; il est inadmissible que l'erreur d'une partie nuise à l'autre ou au bien de tous; tel est le cas de celui qui, par ignorance, aurait laissé son droit s'éteindre par prescription ou n'aurait pas suivi les formes de procédure établies pour la conservation de son droit.
La dernière formule de la loi est très-large et c'est aux tribunaux qu'il appartiendra d'apprécier si l'ordre public s'oppose à ce que les particuliers soient relevés contre une erreur de droit. Nous citerons, comme exemples hors de doute, les erreurs de droit commises sur la forme à observer dans les contrats solennels, sur la publicité à donner aux constitutions ou transmissions de droits réels immobiliers, sur le taux légal de l'intérêt de l'argent, etc.
Rappelons, en terminant, un autre cas déjà expliqué, où l'erreur de droit ne sera pas excusable: le possesseur de la chose d'autrui ne sera pas admis à invoquer son erreur de droit, comme base de sa bonne foi, soit pour profiter des fruits, soit pour acquérir par une prescription abrégée; le motif qu'on en a donné peut se résumer en un axiome qu'on retrouvera ailleurs, c'est que “celui” qui lutte pour acquérir le bien d'autrui est moins intéressant que celui qui lutte pour conserver le sien propre. " Ce point de vue devra même être pris en considération dans les autres cas, en vertu du 2e alinéa du présent article.
Art. 312. Le dol ne figure pas, en lui-même et comme tel, parmi les vices du consentement: il n'est qu'un fait dommageable donnant lieu à la réparation du préjudice causé; si l'annulation est prononcée exceptionnellement, ce ne sera qu'à ce titre de réparation et sans que les tiers de bonne foi puissent en souffrir.
Pour justifier cette disposition, il faut remarquer que le dol pratiqué par un tiers qui ne serait pas complice de la partie, ne donnerait lieu qu'à une indemnité de la part de ce tiers. Or, la raison se refuse à comprendre qu'un fait dolosif, un acte frauduleux, change de nature et de gravité avec la personne de son auteur, qu'il produise un vice de consentement quand il est accompli par la partie et laisse au consentement toute sa validité quand il est accompli par un tiers.
Quand il s'agit, au contraire, de l'erreur, soit sur la chose même, soit sur ses qualités principales, la loi ne distingue pas et elle ne pouvait distinguer quelle est l'origine ou la cause de l'erreur: si elle est spontanée, si elle provient de la faute de l'autre partie ou d'un tiers, le consentement est toujours vicié; de même (on le verra bientôt), s'il y a eu violence, contrainte, le consentement est toujours vicié, quel que soit l'auteur de la violence.
Reprenant la question de plus haut, il faut d'abord se demander qu'est-ce, au juste, que le dol? Les jurisconsultes romains, ici encore, nous fournissent des définitions satisfaisantes: l'un dit qu'il y a dol “lorsque” l'on simule une chose, en en faisant une autre; “un autre, plus précis, dit que les dol est” toute ruse, toute “supercherie, toute machination, employée pour induire” en erreur, circonvenir, tromper autrui. " Cependant, ils n'interdisent pas, ils ne condamnent pas toute adresse, toute habileté consistant, pour chaque contractant, à défendre ses intérêts et à tirer le meilleur profit possible de la convention: à cet égard, ils admettent un dol permis, par opposition au dol illicite, le seul dont le droit aît à s'occuper pour le combattre ou le réprimer.
Dans le langage moderne, le mot dol se prend toujours en mauvaise part et on y attache le sens de “manœuvres frauduleuses tendant à induire un contractant en erreur et ayant eu ce résultat.”
L'erreur est donc le mal immédiat qui résulte du dol, et avant de se prononcer sur le point de savoir si le dol est un vice de consentement, il faut examiner quelle nature, quelle gravité d'erreur il a produite.
Il est clair que si le dol a produit une des erreurs désignées à l'article 309, l'erreur sur la nature de la convention, sur l'objet même de la convention, sur sa cause ou sur la personne, quand celle-ci est la considération déterminante de la convention, alors, il n'y a pas de consentement, la convention est radicalement nulle; il est indifférent pour le résultat principal, pour la nullité, que l'erreur vienne du dol ou soit spontanée: la circonstance qu'il y a eu dol ne pourra guère avoir d'influence que pour les dommages-intérêts supplémentaires.
De même, si l'erreur produite par le dol a porté sur la personne, dans le cas prévu à l'article 309, 3e al., ou sur ce que l'article 310 appelle les qualités substantielles de la chose, le consentement est vicié, non par le dol, mais par l'erreur.
Quelles autres erreurs le dol peut-il avoir causées?
Il ne reste que l'erreur sur la personne, quand celle-ci était sans influence sur la formation de la convention, l'erreur sur les qualités non substantielles de la chose, et l'erreur sur le motif. Or, il a été établi que ces erreurs n'ont pas, en elles-mêmes, assez de gravité pour vicier le consentement et pour entraîner la nullité de la convention. Elles ne peuvent pas changer de nature, ni de gravité, parce qu'elles proviennent d'un dol, au lieu d'être spontanées. Seulement, elles proviennent d'un dol, il y a là un fait dommageable qui doit être réparé par son auteur: il y a une obligation née non plus d'un contrat, mais d'un délit civil.
Voyons comment cette réparation sera obtenue.
En général, dans ce cas, comme dans les autres, les dommages causés injustement se répareront en argent; ce mode de réparation est le seul qui puisse être demandé à l'auteur du dol, lorsqu'il n'est pas la partie contractante, et il en sera de même lorsque le dol émanant de celle-ci n'aura pas eu d'influence sur la formation même: de la convention, n'aura pas déterminé le consentement, mais aura seulement fait accepter des conditions moins avantageuses; tel serait la tromperie sur des qualités secondaires ou accessoires de la chose vendue; c'est le cas que les auteurs appellent dol incident, dol accessoire ou dol secondaire. Lorsqu'au contraire, le dol émanant de la partie contractante a été déterminant, cas où le dol est dit principal, comme serait le dol sur le motif, une indemnité en argent ne réparerait souvent que très-imparfaitement le dommage causé: il est bien plus simple, et plus juste aussi, de rendre à la partie sa situation première, de l'affranchir de la convention qui lui porte préjudice.
Il reste à établir que cette annulation de la convention, prononcée à titre de réparation, n'a pas tous les caractères de l'annulation prononcée pour vice de consentement. On peut signaler trois différences par lesquelles elle s'en sépare.
1° Si la convention déterminée par dol était une aliénation, et que, par l'effet d'une autre convention, la chose eût passé dans les mains d'un tiers exempt de toute fraude ou collusion, la première aliénation, même immobilière, ne pourrait être annulée au préjudice du sous-acquéreur, tandis que, s'il y avait eu vice du consentement proprement dit, l'annulation de la convention pourrait être poursuivie contre les sous-acquéreurs, ainsi qu'il sera dit plus loin. Cette première différence résulte formellement du dernier alinéa du présent article.
2° S'il y avait plusieurs co-contractants dont un seul fût coupable de dol, l'annulation ne pourrait être prononcée, parce qu'elle ne devrait pas nuire à ceux qui sont exempts de faute. Cette différence, toute de justice et de raison, résulte suffisamment aussi du texte du dernier alinéa qui, n'accordant l'annulation à titre de réparation que si l'auteur du dol est l'autre partie, doit s'entendre de toutes les autres parties, si elles sont plusieurs.
3° Enfin, l'action en réparation du dol est purement personnelle, elle est une simple créance d'indemnité, dont l'annulation du contrat n'est qu'un mode particulier; par conséquent, elle n'entraîne aucune préférence pour la partie trompée dans une aliénation; si donc l'auteur du dol est devenu insolvable, quand bien même la chose aliénée serait encore sa propriété, elle est devenue le gage de tous les créanciers et l'aliénateur trompé ne pourrait que venir en concours avec les autres créanciers, pour se faire indemniser proportionnellement à sa perte, sur la valeur de la chose qui serait vendue au profit commun. Si, au contraire, l'annulation avait lieu pour vice de consentement, elle aurait lieu à l'encontre des créanciers de l'acquéreur, parce que la partie demanderesse agirait en vertu d'un droit réel par elle conservé. Cette dernière différence résulte des principes généraux, elle n'a pas besoin d'être appuyée sur un texte.
Le 3e alinéa permet d'accorder à la partie lésée des dommages-intérêts, outre l'annulation; ceci est encore conforme aux principes; mais il est d'usage, dans les lois, de le rappeler souvent.
Art. 313. En général, la violence n'est considérée que comme un vice du consentement; c'est la théorie romaine, d'après laquelle “la volonté forcée est toujours une volonté;” dans le même sens, on dit aujourd'hui que celui qui cède à la violence ou à la menace préfère de deux maux le moindre, et, par conséquent, ayant délibéré, a consenti.
Mais on doit admettre qu'il y a des cas où la violence est telle que la résistance est impossible, qu'il n'y a plus délibération, par conséquent, pas de volonté ni de consentement. Ce ne sera guère que le cas de menaces de mort ou d'incendie et alors que le danger de la mise à exécution sera immédiat, par exemple, le cas où une partie serait sommée d'avoir à promettre ou à aliéner, alors qu'étant liée ou désarmée, on lui appliquerait sur la poitrine une arme meurtrière. On devrait admettre aussi le cas d'actes de barbarie ou de tortures physiques insupportables: l'assentiment purement extérieur, par la parole ou par les actes, n'impliquerait aucune volonté.
La loi met sur la même ligne un danger, un péril imminent, provenant d'un accident et contre lequel une personne implore un secours, en promettant ou en aliénant tout ou la plus grande partie de sa fortune. Le cas de pareils engagements, que le texte suppose “excessifs, ou déraisonnables,” s'est présenté de tous temps et en tous pays et il a souvent donné lieu à des difficultés sérieuses devant les tribunaux. Après le péril passé, ceux qui ont fait de telles promesses ou aliénations ne les veulent plus reconnaître, comme n'ayant pas été libres, ni même volontaires. Il n'est pas possible d'autoriser les tribunaux à les réduire, parce que ce serait, de leur part, estimer en argent des services, des dévouements qui ne comportent pas une pareille estimation; ils ne peuvent donc que maintenir la convention en entier, si elle n'est pas déraisonnable, ou la déclarer nulle en entier, pour défaut complet de consentement, à cause de son exagération même. C'est ce qu'autorise le texte du deuxième alinéa. Bien entendu, dans ce cas, les tribunaux pourraient allouer une indemnité à la personne qui a rendu le service demandé, en prenant pour base, le danger que cette personne a couru elle-même pour le sauvetage ou le dommage qu'elle a pu en éprouver, soit dans sa personne, soit dans ses biens; le reste doit être laissé à la reconnaissance de la personne sauvée et ne constitue pour elle qu'une obligation naturelle ou de conscience.
Le cas où la violence vicie seulement le consentement est réglé au 3e alinéa. Les deux premières hypothèses s'y retrouvent, les violences physiques ou voies de fait et le danger imminent, mais à un moindre degré; il s'y trouve aussi les menaces d'un mal assez considérable pour que la partie menacée ait préféré consentir à la convention qu'on lui demandait, plutôt que de subir ce mal; la loi suppose aussi que ce mal doit être “immédiat ou prochain,” parce que, s'il était éloigné, il serait difficile de croire que la partie l'a redouté plus encore que la convention et que sa crainte a été sérieuse. Mais ce qui, surtout, doit être présent c'est la crainte plutôt que le danger.
Le texte nous dit encore que le péril auquel la partie a cherché à se soustraire par la convention peut avoir été “soit pour sa personne, soit pour ses biens,” et qu'il peut avoir été aussi “pour la personne ou pour les biens d'autrui.” Cette double assimilation d'intérêts de nature ordinairement différente, n'est pas absolue: elle ne défend pas aux tribunaux de tenir plus grand compte du danger des personnes que du danger des biens, et du danger du contractant plus que du danger d'autrui: du moment que les tribunaux doivent apprécier la gravité du danger et l'influence que la crainte a exercée sur la volonté, toutes les circonstances du fait sont à considérer par eux.
Les articles suivants confieront encore d'autres points à leurexamen.
Il va sans dire, et la loi n'a pas cru devoir l'exprimer, que des menaces légitimes qui auraient déterminé quelqu'un à contracter ou à aliéner, pour se soustraire à un danger légal, ne seraient pas considérées comme viciant le consentement; par exemple, si quelqu'un, menacé d'une poursuite civile ou d'une plainte au criminel (dans un des cas où l'action publique est subordonnée à la plainte de la partie lésée), faisait une transaction pour y échapper, il ne pourrait se plaindre que s'il y avait eu exagération mensongère du danger qu'il pouvait courir et, dans ce cas, ce serait plutôt un dol qu'une violence; mais il pourrait, d'après la distinction exposée sous l'article 312, faire annuler ou réduire son engagement.
Art. 314. Lorsque la parenté ou l'alliance sont très-proches, l'affection naturelle est présumée assez forte pour que le danger couru par la tierce personne soit assimilé par la loi à celui qu'aurait couru la partie contractante elle-même. Mais là s'arrête la présomption légale: pour les autres ordres de parenté ou d'alliance, la question d'affection et, par suite, d'influence sur la liberté du contractant sera appréciée en fait par les tribunaux. Ceux-ci pourront aussi tenir compte des simples liens d'amitié et même des sentiments naturels d'humanité qui auraient pu porter une personne à contracter un engagement, sous l'influence d'une menace dont un étranger serait l'objet et dans le seul but de le sauver du danger.
Quoique le présent article ne parle que des violences commises par les personnes, il ne faudrait pas hésiter à l'appliquer aux périls accidentels prévus au 2e alinéa de l'article précédent: par exemple, si quelqu'un avait promis une somme déraisonnable, eu égard à ses facultés, pour le sauvetage d'un parent ou d'un ami.
Art. 315. Cet article montre ce qui constitue la profonde différence entre la violence et le dol; c'est elle qui a permis de dire que le dol n'est pas, en lui-même, un vice du consentement, puisque son influence sur la convention varie avec la personne qui l'a commis.
Il y a encore moins lieu de douter que la violence provenant d'un tiers vicie ou exclut le consentement, puisque la crainte d'un péril imminent provenant d'une force majeure ou d'un événement de la nature est assimilée à la crainte provenant de violences coupables.
L'idée de notre article s'exprimait, en droit romain, en disant que “la violence s'examine, en elle-même,” tandis que le dol s'examine eu égard à la personne qui “l'a commis.”
Art. 316. On verra, à l'article 319, que la partie dont le consentement a été vicié a seule le droit de demander l'annulation du contrat. Le présent article a pour but de nous dire que c'est là un secours extrême auquel elle n'est pas tenue de recourir: elle peut se contenter de dommages-intérêts. La même disposition se trouve déjà dans l'article 312 au sujet du dol; on peut dans une certaine mesure l'appliquer au cas d'erreur; mais il ne faudrait pas l'étendre au cas d'incapacité, parce que, dans ce cas, il n'y a pas faute de l'autre partie contractante.
Art. 317. La loi devait laisser ici aux tribunaux un assez large pouvoir d'appréciation, non seulement quant aux faits de violence en eux-mêmes, mais encore eu égard à la condition de la partie qui en a été l'objet. Ainsi sera protégée une personne qui, par faiblesse d'esprit ou par l'effet de la maladie, aurait été impressionnée d'une manière exagérée par des menaces peu graves: si cet état particulièrement faible où s'est trouvé le contractant a été connu de l'autre partie et surtout si c'est elle qui est l'auteur de la violence, il n'est pas juste qu'elle profite d'une convention qui n'a pas été pleinement libre.
La considération de l'âge s'appliquera plutôt à la vieillesse qu'à la trop grande jeunesse, puisque la minorité fournit déjà une autre protection.
Pour le sexe, il est clair qu'une femme sera plus facilement qu'un homme admise à alléguer la violence ou les menaces dont elle a été l'objet.
La condition respective des personnes concerne les rapports de maîtres ou patrons à serviteurs et ouvriers, de chefs à subordonnés, dans les services publics; enfin, les rapports de mari à femme et de parents à enfants.
Pour ces derniers, la loi met les tribunaux en garde contre un excès de protection pour les enfants: ils ne seraient pas recevables à dire qu'ils n'ont pu, par la raison de respect, résister à la convention qui leur était demandée.
Art. 318. Cette disposition accentue une différence, quant à la preuve, entre les conditions d'existence des conventions et les conditions de leur validité.
Les conditions d'existence des conventions ne se présument pas: c'est à celui qui prétend tirer avantage d'une convention à prouver qu'elle existe, c'est-à-dire, que toutes les conditions essentielles en sont remplies; au contraire, quand la convention existe, elle est présumée valable; c'est donc à celui qui la prétend viciée, par l'altération de son consentement ou par son incapacité, à prouver ces circonstances exceptionnelles.
Cette différence entre l'existence des conventions et leur validité, au sujet du fardeau de la preuve, n'est pas si évidente qu'on doive se dispenser de l'indiquer dans la loi et de la justifier ici. Elle repose sur deux principes généraux qui sont dans la nature des choses: le premier, c'est que le droit commun des hommes est l'absence d'obligation civile entre eux; l'existence d'une obligation d'une personne envers une autre est toujours une exception, une situation anormale; la preuve de l'existence d'une obligation est donc à la charge de celui s'en prévaut. Le second principe est que ce qui existe est valide, est viable; or, les cas où la convention est viciée ou annulable impliquent toujours quelque faute; tantôt, c'est une faute de la partie même qui se plaint de la convention, comme le défaut d'attention, dans l'erreur, l'imprudence dans l'incapacité; tantôt, c'est une faute de l'adversaire, comme dans la violence et le dol; ce sont donc encore là des cas exceptionnels et qui doivent être prouvés, car la raison, la prudence, l'honnêteté, se rencontrent le plus souvent dans les conventions.
La disposition du 2e alinéa vise surtout le cas où il y aurait dol réciproque ou incapacité des deux parties; car, il est plus difficile de supposer, soit des violences réciproques, soit une double erreur ou une double lésion. Mais, réduite à deux applications, la disposition a encore une grande importance.
Si l'on suppose un contrat entre deux incapables, celui des deux qui demandera la nullité n'y sera pas moins recevable parce que l'autre partie y devra perdre le bénéfice du contrat: il est naturel qu'entre deux personnes également dignes de protection par leur qualité, la loi donne la préférence à celle qui cherche à éviter une perte sur celle qui cherche à conserver un profit.
Le cas de dol réciproque est plus douteux. Le droit romain refusait formellement l'action de dol aux deux parties lorsqu'elles s'étaient trompées réciproquement: on disait que les deux dols “se compensaient.” Cette solution pourrait encore aujourd'hui être prétendue applicable, en l'absence d'un texte formel; mais elle est loin d'être satisfaisante: pour que les dols réciproques pussent être compensés, il faudrait les supposer d'égale gravité, ce qui sera bien rare et, en tout cas, très-difficile à apprécier, parce que les fraudes n'auront ni le même objet, ni le même caractère. Il paraît donc plus juste d'autoriser chaque partie à se plaindre de ce dont elle a souffert. Si les deux parties désirent seulement la nullité du contrat, elles s'abstiendront de plaider; mais, si l'une d'elles y résiste, en alléguant et en prouvant le dol réciproque du demandeur, le tribunal pourra, tout en prononçant la nullité du contrat, condamner le demandeur à des dommages-intérêts; enfin, si, de part et d'autre, on s'abstient de demander la nullité, pour s'en tenir à des dommages-intérêts, à raison du préjudice éprouvé dans le contrat, le tribunal arbitrera la gravité des fraudes réciproques et condamnera chaque partie à l'indemnité, et c'est seulement sur les sommes d'argent à payer qu'il y aura compensation jusqu'à concurrence de la plus faible.
Art. 319. Il ne paraît pas nécessire, après tout ce qui a été dit précédemment, de s'arrêter longtemps à justifier la disposition générale qui forme le 1er alinéa du présent article: l'action en nullité ne doit appartenir qu'à celui que la loi a voulu protéger en subordonnant la validité de la convention à la perfection du consentement comme à la capacité.
Personne ne pouvant se faire un titre de la faute qu'il a commise, il est clair que la nullité ne pourra jamais être invoquée par la partie coupable de dol ou de violence; elle ne pourra ainsi s'affranchir des charges ou obligations que la convention pouvait lui imposer, si elle était à titre onéreux. Lors même que la violence proviendrait d'un tiers dont le contractant n'aurait pas été complice, ce dernier ne pourrait non plus arguer de la violence dont l'autre partie aurait été victime. Mais, bien entendu, si l'annulation était obtenue par la partie violentée, l'autre partie, coupable ou non, serait déliée de ses propres engagements corrélatifs.
Si la violence ou l'erreur résultant du dol avaient été telle qu'elles exclussent tout consentement, comme alors le contrat serait radicalement nul, la nullité pourrait être invoquée par les deux parties, même par celle qui serait coupable; mais le cas sera rare, car l'auteur d'une telle violence ou d'un tel dol n'aurait probablement pas contracté d'engagement corrélatif, ou du moins, cet engagement serait trop peu onéreux pour qu'il eût intérêt à se prévaloir de la nullité, en renonçant aux avantages qu'il espérait du contrat
L'exception portée au 2e alinéa demande, au contraire, à être justifiée; elle tranche d'ailleurs une question qui n'est pas sans difficulté dans les Codes étrangers.
Ce n'est pas seulement à cause du principe précité que l'on peut hésiter à accorder l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, c'est aussi parce que ce n'est évidemment pas dans leur intérêt que l'interdiction légale a été établie; elle est établie, sinon comme une peine proprement dite, au moins comme un moyen d'assurer l'efficacité des peines criminelles, en ôtant au condamné les moyens de corrompre ses gardiens et, par là, de se soustraire aux rigueurs du régime pénitentiaire; même de se procurer la fuite.
En même temps qu'on est porté à refuser l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, on est tenté aussi de la lui refuser à lui-même, pour qu'il ne puisse pas tirer avantage d'une disposition édictée contre lui.
Mais il ne faut pas que cette mesure qui est plutôt sage que rigoureuse demeure inefficace et dépourvue de sanction: le meilleur moyen de lui assurer les effets préventifs que la loi en attend, c'est de donner l'action à tous ceux qui y ont intérêt: si le condamné peut s'affranchir de ses engagements envers les tiers, ou recouvrer les biens qu'il a aliénés, il est presque certain que personne ne consentira à traiter avec lui, pas même ses gardiens; si les tiers peuvent également se soustraire à leurs conventions, le condamné n'aura aucun intérêt sérieux à traiter avec eux. L'exception se trouve donc entièrement justifiée; mais elle est assez notable pour avoir besoin d'être exprimée dans la loi:
Art. 320. L'action en nullité reparaîtra dans la loi comme mode d'extinction des obligations; à ce titre, elle appartient au Chapitre III, et ce mode sera le 7e. On reparlera aussi, au même lieu, de cette action, comme moyen de recouvrer un droit réel aliéné.
On voit que l'annulation des conventions, appelée aussi rescision, a une grande importance. Le texte ne devait pas ici laisser croire qu'il n'en serait plus question et après avoir indiqué, dans l'article précédent, à qui l'action appartient, il se borne à annoncer, dès à présent, qu'elle doit être exercée dans un certain délai, passé lequel, la convention est présumée confirmée. Le délai de 5 ans a paru suffisant au Japon. (v. art. 544.)
Ce cas de confirmation tacite n'étant pas le seul et la confirmation pouvant aussi être expresse, loi l'annonce par un renvoi (voy. art. 554 et 555).
Art. 321. On pourrait s'étonner que la loi revienne à l'objet des conventions et, plus loin, à leur cause, Mais on remarquera que ce qui en a été dit jusqu'ici n'était relatif qu'aux principes, aux caractères généraux de l'objet et de la cause. Il restait à en faire l'application à des cas particuliers et à y apporter des exceptions.
On a vu, dans l'article 304-2° que la convention doit avoir un objet certain ou déterminé; la loi entendait, par là, prohiber une convention dont l'objet, imparfaitement désigné, pourrait être, abusivement, exagéré par le créancier ou réduit par le débiteur, mais la loi ne prétendait pas exiger que l'objet fût “certain dans son existence,” puisqu'elle autorise les contrats aléatoires. Le présent article permet donc contracter sur des choses futures, comme les fruits à naître d'un fonds, le produit d'une pêche prochaine, ou ceux d'une entreprise commerciale, industrielle ou agricole. En même temps que ces choses sont futures, leur existence, et surtout leur étendue ou leur consistance, sont incertaines; mais, du moment qu'il ne sera pas au gré des parties de les réduire ou de les exagérer abusivement, suivant leur intérêt, il n'y a pas de raison pour que la loi gêne leur liberté de contracter.
Souvent, la circonstance que l'objet du contrat est futur et incertain lui donnera le caractère aléatoire; c'est ce que l'on n'hésitera pas à dire pour les deux premiers exemples, des fruits à naître ou du produit d'une pêche; mais, quand on considère que les sociétés civiles ou commerciales ont toujours pour objet des bénéfices futurs et incertains, à réaliser en commun, on est obligé d'y négliger ce caractère aléatoire qui existe en réalité, mais qu'il n'est pas d'usage de relever, par cela même qu'il est inséparable d'une société.
Le texte a dû s'expliquer sur un point qui a une grande importance, sur l'obligation tacite du promettant, laquelle est de ne pas gêner la réalisation de l'objet futur et même de la favoriser. Ainsi, celui qui a vendu les fruits à naître de son fonds ne devrait pas abandonner la culture commencée; celui qui a vendu le produit futur de sa pêche en mer, ne devrait pas manquer à jeter ses filets.
S'il s'agit d'une société, les obligations des divers associés, tendant à la réalisation de la plus grande somme de profits à partager, sont déterminées par la convention et, à son défaut, par la loi.
Il ne faudrait pas que les contrats aléatoires ayant pour objet des choses encore inexistantes dégénérassent en paris, en jeux de hasard Ainsi, on devra, en général, considérer comme nuls les contrats portant sur des choses existantes mais inconnues des parties; par exemple, l'achat d'une récolte déjà faite dans une autre contrée et dont la valeur est inconnue, l'achat d'une cargaison portée par un navire encore en mer et dont le connaissement n'est pas parvenu aux parties: il y aurait là un véritable jeu de hasard que la loi ne doit pas favoriser. On peut dire qu'en pareil cas, il n'y a pas chances ou risques égaux pour les deux parties: les faits sont accomplis, ils resteront ce qu'ils sont; on peut affirmer qu'au moment du contrat l'une des parties a fait une bonne affaire, tandis que l'autre en a fait une mauvaise, qui peut être déplorable; la circonstance qu'elles ignorent ce qu'il en est peut éloigner tout soupçon de dol, mais ne saurait légitimer la perte de l'une et le gain de l'autre, lesquelles seraient sans cause.
C'est donc avec raison que la loi ne parle que des choses futures, lorsque leur existence est incertaine parce que, dans ce cas, les chances et les risques respectifs existent encore pour les parties.
Dans le même ordre d'idées, la loi ne reconnaîtra le caractère de condition casuelle qu'aux événement futurs et incertains, non à ceux qui sont actuellement arrivés, bien qu'inconnus des parties (voy. art. 408).
La loi introduit dans le 2e alinéa une exception considérable à la liberté de faire des conventions sur les choses futures.
Une succession non ouverte, la succession d'une personne encore vivante n'existe pas légalement; mais ce n'est pas pour cette raison qu'elle ne peut être l'objet d'une convention, puisqu'elle est au moins une chose future; mais c'est parce que les objets qui la composeront sont encore soumis à bien des éventualités qui pourraient décevoir les parties: ils ne sont pas assez déterminés; c'est aussi parce qu'une pareille convention impliquerait toujours, plus ou moins, un vœu de mort chez celui qui doit recueillir tout ou partie des biens du futur défunt. La loi ne permet même pas cette convention avec le consentement du de cujus; parce que celui-ci pourrait être capté ou circonvenu, et que d'ailleurs son autorisation ne diminuerait pas le danger signalé.
Ainsi seront nulles: les ventes et achats, les dons, les partages de tout ou partie de droits successoraux éventuels, et les renonciations anticipées à ces mêmes droits.
Du reste, la présente prohibition est limitée par le texte aux conventions qui aliènent des droits auxdites successions non ouvertes; ainsi, elle ne s'appliquera pas à un mandat que donnerait l'héritier présomptif à un tiers de le représenter dans la succession, lorsqu'elle sera ouverte; elle ne s'appliquera pas non plus à la convention qui prendrait comme échéance d'une obligation l'ouverture d'une succession à laquelle le débiteur serait éventuellement appelé; on devra même admettre que l'ouverture d'une succession au profit de l'héritier présomptif ou éventuel soit attachée comme condition suspensive à la formation d'une obligation ou, en sens inverse, que l'inadmission de cet héritier opère comme condition résolutoire d'une obligation contractée.
Dans ces divers cas, la succession non ouverte n'est pas l'objet même de la convention, aucun des contractants n'aliène de droits sur ladite succession, elle n'est qu'une considération plus ou moins importante dans une convention qui a un autre objet et le vœu de mort n'est pas à craindre.
Un cas pourrait faire hésiter, un instant, c'est celui où un héritier présomptif vendrait un bien appartenant à son auteur, sous la condition suspensive que ce bien lui appartiendra un jour par la succession. On pourrait croire que, ses droits légaux à la succession étant respectés par la convention, celle-ci est valable.
On remarquera cependant que, sans cette condition, la vente serait déjà nulle, comme portant sur la chose d'autrui. Mais cette condition “si la propriété arrive un jour au vendeur,” qui validerait la vente dans toute autre circonstance, suffit ici à l'annuler; car l'héritier se trouve ainsi disposer par anticipation, quoique conditionnellement, d'une partie de ses droits de succession: il aliène son droit éventuel, pour le cas même où il lui appartiendrait.
Art. 322. La loi commence ici par poser en principe que la promesse d'un acte illicite ou impossible est nulle et c'est évidemment une nullité radicale, car l'article 304-2° n'admet pas l'existence de la convention, si elle n'a pas pour objet une chose ou un fait qui soit, légalement, à la disposition du promettant.
Par application de ce principe, la loi prohibe “la promesse du fait d'un tiers,” parce qu'elle considère ce fait comme impossible au promettant. C'est la théorie romaine, d'après laquelle “on ne peut promettre qu'un fait de soi-même.”
On remarquera d'abord, que lorsque la promesse du fait d'autrui est déclarée nulle, ce n'est pas seulement à l'égard du tiers, mais aussi et surtout à l'égard du promettant lui-même: pour ce qui concerne le tiers, il n'est certainement pas tenu, mais c'est en vertu d'un autre principe qu'on posera bientôt, à savoir que “les conventions n'ont d'effet qu'à l'égard des parties contractantes et de leurs héritiers ou ayant-cause” (v. art. 345). C'est donc à l'égard du promettant lui-même que la promesse du fait d'autrui est ici déclarée nulle. Mais, pour rester dans l'hypothèse de l'impossibilité d'accomplir la promesse, la loi suppose que “le promettant n'a pas d'autorité sur le tiers dont le fait a été promis.”
La promesse serait donc valable si quelqu'un avait promis le fait de son fils mineur, de son serviteur, de son ouvrier ou employé, et en supposant, bien entendu, qu'il s'agît d'un fait que le promettant pourrait exiger pour lui-même de ce tiers; en réalité, c'est comme s'il avait promis de donner les ordres et le temps nécessaires à son fils, à son serviteur ou employé, pour l'accomplissement du fait en question, et si, après la promesse, le maître refusait ou négligeait de donner ce temps ou ces ordres, il serait tenu des dommages-intérêts; si c'était le tiers qui refusât absolument de faire le travail promis, l'obligation, qui n'aurait pas été nulle dès le principe, se trouverait éteinte par force majeure.
Après avoir déclaré nulle la promesse du fait d'autrui, la loi apporte moins une exception qu'un tempérament à la règle: elle dit que l'on peut garantir l'accomplissement du fait d'autrui. Cette garantie doit être expresse: elle prend alors le caractère d'un cautionnement; mais la loi n'entend pas être plus exigeante ici qu'elle ne l'est plus tard à l'égard de l'engagement ordinaire de la caution, pour lequel elle se contente qu'il “résulte clairement des circonstances” (Liv. des garanties art. 13 du).
On pourrait peut-être objecter qu'il n'y a pas de cautionnement sans une dette principale, et que c'est justement cette dette qui manque ici; mais la règle n'est pas si absolue, et l'on a vu, sous l'article 302, que le cautionnement peut précisément avoir pour but de suppléer à la nullité ou à l'absence de l'obligation principale.
C'est par la même raison que le 4e alinéa déclare efficace la promesse du fait ou de l'abstention d'autrui, sans garantie expresse, si elle est accompagnée d'une clause pénale à la charge du promettant, pour le cas d'inexécution: le promettant se trouve alors avoir promis son fait personnel, c'est-à-dire le payement d'une indemnité déterminée, sous la condition inverse de la première promesse: à savoir, si le tiers n'a pas fait ce qu'on a promis qu'il ferait, ou a fait ce dont on a promis qu'il s'abstiendrait. La clause pénale est une promesse accessoire qui, loin d'être nulle par l'effet de la nullité de la promesse principale, la corrige et la répare; c'est un exemple à ajouter pour l'explication de l'article 302.
On retrouvera la clause pénale, dans ses applications ordinaires, aux articles 388 à 390.
Le dernier alinéa règle enfin une situation qui se trouve intermédiaire entre la nullité entière de la promesse du fait d'autrui et le cautionnement; c'est la promesse de faire ratifier par un tiers l'engagement pris en son nom et pour son compte, sans mandat. Celui qui a promis de “faire ratifier” n'est pas garant de l'exécution, mais seulement de la ratification, laquelle, suivant un principe traditionnel, “équivaut à un mandat;” or, de même que le mandataire qui promet au nom de son mandant n'est pas personnellement responsable, ainsi celui qui a procuré la ratification est dégagé de son obligation. Il faut observer ici encore que les tribunaux pourront reconnaître au pareil engagement sans qu'il ait été exprès: les conventions doivent, autant que possible, s'interpréter de la façon qui leur donne un effet utile (v. art. 359).
Art. 323. Cet article pose d'abord en principe que l'intérêt est la cause nécessaire des conventions; il indique seulement que cet intérêt à la fois “légitime et appréciable.” S'il n'était pas légitime, la cause serait nulle, comme illicite; s'il n'était pas appréciable, il serait, pour les tribunaux, comme n'existant pas: il y aurait défaut de cause. Ce principe n'est pas discutable et il est passé en axiome: “pas d'intérêt, pas d'action;” les tribunaux doivent rejeter une prétention, soit principale, soit accessoire à une action, lorsque le demandeur ne justifie pas de son intérêt.
Le 2° alinéa rattache à ce principe du défaut de cause ou d'intérêt la nullité de la stipulation pour autrui, comme la nullité de la promesse du fait d'autrui a été rattachée à un défaut d'objet réalisable.
Lors donc que quelqu'un aura, par affection ou par un motif resté inconnu, stipulé un avantage pour autrui, l'exécution de la promesse ne pourra être poursuivi en justice, ni par le tiers, parce qu'il n'a pas figuré dans la convention et qu'elle ne peut lui donner d'action, ni par le stipulant parce qu'il ne peut justifier d'un intérêt pécuniairement appréciable.
Mais si le stipulant avait ajouté une clause pénale à la stipulation dont l'intérêt n'est pas autrement appréciable, la stipulation deviendrait valable, par cela seul que son intérêt serait déterminé par la convention; il n'y aurait pas à rechercher si la clause pénale excède ou non cet intérêt: la convention, ici comme toujours, “fait loi entre les parties” pourvu qu'il n'y ait pas eu dol ou surprise.
On objecterait vainement que si la convention principale est nulle, la clause pénale est entraînée dans la même nullité: on se trouve, ici encore et comme à l'article précédent, dans le cas de l'exception apportée au principe par l'article 302. On doit d'ailleurs admettre que la clause pénale n'est pas le seul moyen de reconnaître l'intérêt du stipulant, c'est une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux, d'après les circonstances.
Bien que la loi n'ait mentioné l'effet utile de la clause pénale qu'au sujet de la stipulation pour autrui, il ne faut pas hésiter à l'admettre dans tous les cas où c'est le défaut d'intérêt appréciable qui forme l'obstacle à la validité de stipulation; mais il ne faudrait pas admettre que la clause pénale pût légitimer l'intérêt d'ailleurs illégitime que vise aussi le 1er alinéa.
Le 3e alinéa apporte une double exception à la nullité de la stipulation pour autrui, même lorsqu'elle n'est pas accompagnée d'une clause pénale: elle est fondée, non seulement sur le caractère accessoire attribué à cette stipulation, mais aussi sur la présomption d'intérêt personnel du stipulant. Dans le premier cas, on peut supposer une vente ou un autre contrat intéressé, dans lequel le vendeur ou le créancier, outre ce qu'il s'est fait promettre pour lui-même, s'est fait promettre aussi quelque avantage pour autrui, comme une servitude pour son voisin sur le fonds vendu, ou un emploi pour un de ses anciens serviteurs. Dans le second cas, c'est un donateur qui, ne devant rien recevoir en retour de la donation, stipule pour autrui un avantage analogue au précédent ou tout autre, mais qui d'ailleurs n'est pas assez considérable pour détruire le caractère gratuit de la convention.
Dans ces deux cas, si la promesse dans l'intérêt d'autrui n'est pas exécutée, le stipulant n'aura pas à justifier, en fait, quel est le montant de son intérêt personnel à l'exécution: ce serait le plus souvent impossible; il demandera seulement la résolution de la convention; il rentrera dans le bien qu'il a aliéné, puisque la condition de l'aliénation n'est pas remplie. Mais s'il y avait attaché une clause pénale, il en demanderait le payement comme dommages-intérêts stipulés, et c'est à lui qu'elle serait payée, toujours parce que le tiers n'a pas figuré dans la convention et n'y peut puiser un droit d'action.
Art. 324. Les héritiers des parties ne sont pas des tiers, mais des ayant-cause, et, lorsqu'une partie stipule pour elle-même, le profit de la convention est éventuellement acquis à son héritier, sans même qu'elle ait besoin de s'en exprimer; de même, lorsqu'une partie promet, elle oblige aussi son héritier, pour le cas où la dette ne serait pas acquittée de son vivant.
La loi des successions n'admettant qu'un héritier légitime, cet article n'a pas pour but d'autoriser un contractant à attribuer sa créance à un de ses héritiers à l'exclusion des autres, ou de même un promettant à imposer une obligation à un seul de ses héritiers: son but est surtout de dire que la partie peut stipuler ou promettre pour son héritier seul, en restant individuellement étrangère à la créance ou à l'obligation, c'est bien une dérogation à la double prohibition des articles 322 et 323. Cependant, dans le cas où il y aurait un légataire à titre universel de moitié des biens, comme le permet la loi, l'article s'appliquerait en ce sens que le testateur pourrait assurer le profit ou imposer la charge de l'obligation exclusivement à l'un ou à l'autre de ses deux successeurs généraux, l'héritier légitime ou le légataire.
Art. 325. Cette disposition ne présente pas de difficulté. Une fois que le tiers a accepté le bénéfice de la stipulation, il est devenu partie à la convention et elle ne peut être modifiée à son préjudice, sans son consentement; mais, jusque-là, le stipulant peut en faire profiter une autre personne, ou en ramener à lui-même le bénéfice. On ne devrait excepter que le cas où le promettant établirait qu'il n'a lui-même fait la promesse qu'en considération de le personne du tiers bénéficiaire de la première stipulation.
Art. 326. C'ést naturellement au défendeur qu'incombe la charge de prouver que la cause alléguée est fausse ou qu'elle est illicite; mais comment prouvera-t-il, si aucune cause n'est exprimée, qu'il n'y en a pas eu en réalité? Comment prouvera-t-il une négation? Il est reconnu qu'une pareille preuve est bien difficile, pour ne pas dire impossible. Le défendeur ne peut s'attaquer successivement à toutes les causes valables d'obligations et prouver qu'aucune d'elles n'a existé entre lui et le demandeur.
C'est pour remédier à cette difficulté que le présent article consacre un moyen qui permet au défendeur de limiter le champ de la preuve négative par une sommation au demandeur, de sorte qu'il n'aura plus à contester que la cause alléguée par celui-ci.
On rappelle, à cette occasion, une observation qui a déjà trouvé sa place, à savoir que les difficultés sur la cause ne se présentent pas au sujet des contrats nommés dont la cause est toujours vraie et licite, mais seulement au sujet des contrats innommés.
On fait remarquer enfin que le présent article s'appliquera surtout aux billets, mandats de payement à faire, chèques, ou autres écritures portant promesses de somme d'argent, sans énonciation de la cause.
§ III. DE L'EFFET DES CONVENTIONS.
L'effet des conventions sera examiné sous deux rapports: 1° à l'ègard des parties elles-mêmes et de leurs ayant-cause, 2° à l'égard des tiers.
I. DE L'EFFET DES CONVENTIONS A L'ÉGARD DES PARTIES ET DE LEURS AYANT-CAUSE.
Art. 327. Le principe posé par cet article est un des plus considérables du droit privé. Il a déjà été fréquemment invoqué, et le sera encore, pour la justification d'un grand nombre des dispositions de la loi: il doit être justifié à son tour.
On sait que le droit civil ou privé est la partie du Droit qui ne concerne et n'intéresse que les particuliers: il règle la condition de leurs biens. C'est par suite d'une tradition romaine que, dans les lois et les Codes européens, on fait-rentrer le droit des personnes dans le droit civil ou privé comme le fait le Code japonais lui-même: mais cette matière est de droit public, dans presque toutes ses dispositions; aussi ne peut-elle être modifiée par des conventions particulières, sauf de très rares exceptions où, justement, l'intérêt public est moindre que l'intérêt privé.
Si donc l'objet du droit privé est étranger à l'intérêt public, comme étant surtout pécuniaire et relatif aux biens, il est juste et naturel que la loi laisse aux particuliers le soin de régler à leur gré leurs intérêts de cette nature. Ils peuvent, quand et comme il leur plaît aliéner ou acquérir, promettre ou stipuler, faire valoir leurs droits en justice ou y renoncer: leur volonté forme pour eux une véritable loi qui, pour être particulière et à eux limitée, n'en est pas moins impérative ou prohibitive. La loi générale n'intervient que pour faire respecter la loi particulière, et lorsqu'elle nous dit que “les conventions privées font loi entre les parties” , elle promet, par là, de leur donner la sanction obligatoire et juridique qui n'appartient qu'à elle seule.
Mais, pour que les conventions privées aient cet effet il faut qu'elles soient légalement formées, c'est-à-dire qu'elles ne soient pas contraires à la Loi générale, qu'elles en aient suivi les prescriptions et respecté les limites. Déjà, on a vu que les conventions sont quelquefois soumises à des formes solennelles, qu'elles exigent une certaine capacité, que le consentement doit être exempt de vices, qu'elles doivent avoir une cause vraie et licite et que l'objet doit avoir certaines qualités; ce n'est que si elles remplissent ces conditions que les conventions font loi. C'est encore dans cette condition d'être “légalement formées” qu'on pourrait faire rentrer la limite signalée plus haut en ce qui concerne les droits de famille; mais l'article suivant consacre plus explicitement cette restriction, en prohibant certaines conventions, au nom de l'intérêt général.
Lorsque l'on dit que les conventions “tiennent lieu de loi,” c'est pour exprimer simplement et brièvement leur degré de force; mais il ne faudrait pas pousser jusqu'à l'extrême cette assimilation de la convention à la Loi. Ainsi, l'interprétation des conventions (objet du § suivant) est faite souverainement par les juges d appel et un pourvoi en cassation ne pourrait être fondé sur une prétendue erreur d'interprétation de la convention, comme lorsqu'il s'agit de la Loi proprement dite. Ce que les parties ont dit et voulu dans leur convention n'est toujours qu'un fait et c'est aux juges du fait seuls qu'il appartient de le déclarer.
Si l'on se reporte au but du pourvoi en cassation, on reconnaît aisément qu'il n'a rien à faire ici: le pourvoi a été institué pour assurer une interprétation exacte et uniforme de la loi commune, parce qu'il serait choquant qu'elle fût interprétée et appliquée tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, suivant les differences de lieux et la diversité de composition des cours et tribunaux; mais cette uniformité d'interprétation n'est pas à rechercher quand il s'agit de conventions particulières, ne fut-ce que pour cette seule raison qu'il s'en rencontrera rarement deux ou plusieurs qui soient exactement semblables.
Le rôle de la cour de cassation reviendra, au contraire, quand les tribunaux, ayant reconnu et déclaré que les parties ont fait telle ou telle convention, auront refusé de sanctionner les effets que la Loi y attache, ou auront voulu leur faire produire des effets que la Loi n'y attache pas; de même, s'ils ont sanctionné une convention illégalement formée, ou réciproquement.
Le 2e alinéa applique le principe que les conventions font loi entre les parties, en exigeant leur consentement mutuel pour qu'elles puissent être révoquées; mais, immédiatement, il apporte une exception très large à cette seconde règle: il y a des cas où la révocation peut être valablement faite par une seule des parties,
L'exception a deux applications principales dont la première est déjà connue: chaque fois qu'une convention est viciée, soit par l'incapacité d'une des parties, soit par l'imperfection de son consentement, cette partie seule peut demander la révocation: la convention ne fait pas loi pour elle; son droit de révocation est cependant limité quant au temps et quant aux formes de l'action en nullité: elle ne pourrait non plus maintenir la convention pour ce qui lui est favorable et la faire annuler pour le reste: la révocation doit être indivisible.
La deuxième application de l'exception à la règle que la révocation ne peut avoir lieu que du consentement réciproque des parties se rencontre dans certains contrats qui, n'intéressant qu'une des parties, peuvent être révoqués par cette partie seule, sans condition. Tels sont: le dépôt, qui peut toujours être révoqué par le déposant et le prêt à usage, auquel l'emprunteur peut toujours renoncer. Dans ces deux contrats, l'inverse peut aussi avoir lieu: le dépositaire pourrait exiger la reprise du dépôt, s'il lui causait un embarras grave ou un danger imprévu; de même, le prêteur à usage pourrait redemander la chose prêtée, si la privation lui en était très-dommageable. Le gage peut cesser par la seule volonté du créancier gagiste. Le mandat est révocable au plein gré du mandat; il peut être révoqué aussi, sur la demande du mandataire, si celui-ci ne peut plus le remplir sans difficultés imprévues. La société peut aussi être dissoute par la volonté d'une des parties, soit pour des causes légitimes, si elle a une durée fixée, soit sans aucune autre condition que la bonne foi, si sa durée est illimitée.
Ces exceptions et d'autres se rencontreront sur les contrats nommés auxquels elles s'appliquent et elles y seront justifiées plus au long.
Quelquefois enfin, c'est en vertu d'une clause particulière de la convention que l'une des parties peut la révoquer sans le consentement de l'autre; on peut dire alors que c'est toujours par l'effet de la volonté des deux parties, puisque cette volonté a été exprimée à l'origine. Ainsi, le louage est souvent soumis à cette révocation, au gré du bailleur ou du preneur; la vente peut être révoquée par la volonté du vendeur, lorsqu'il a stipulé à l'origine la faculté de rachat, par celle de l'acheteur, lorsqu'il a acheté à l'essai et par la volonté de l'une ou de l'autre des parties, lorsqu'il y a eu des arrhes données comme moyen de dédit.
Lorsque la loi permet aux parties de révoquer leurs conventions par consentement mutuel, ou même à l'une d'elles, dans les cas particuliers où, une seule partie étant intéressée, celle-ci peut renoncer au bénéfice de la convention, cela doit s'entendre du cas où la convention n'est pas encore exécutée ou n'a pas encore produit ses effets de droit; dans le cas contraire, il faudrait une convention inverse de la précédente pour remettre les choses dans l'état primitif. Ainsi, s'il s'agit d'une convention destinée à transférer la propriété, comme une vente, et qu'elle ait pour objet des choses de quantité dont la propriété ne peut être transférée que par la tradition ou, au moins, par le mesurage, une fois la tradition effectuée, on ne pourrait plus faire une simple révocation de la convention; il faudrait une revente ou rétrocession, avec tradition inverse de la précédente; s'il s'agit d'un objet individuellement déterminé ou corps certain, la propriété ayant été transférée par le seul consentement, la révocation n'est plus possible: il faudra encore une revente et, si la transcription avait été faite, dans les cas qu'on va voir bientôt, pour que le droit fût opposable aux tiers, une transcription inverse devrait être effectuée. Enfin, si le prix avait été payé, il devrait être restitué.
La révocation proprement dite n'est donc possible que pour empêcher les effets futurs de la convention, ce qui laisse encore une large application au principe: notamment, dans la vente des choses de quantité, avant la translation de propriété, dans le louage, dans la société, le cautionnement, la transaction, etc.
Il va sans dire, quoique la loi ne le dise pas, que la révocation ne peut avoir lieu au préjudice des tiers: on rencontrera bientôt le principe d'après lequel “les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent nuire aux tiers;” or, si, à la suite d'une vente, l'acheteur avait consenti à un tiers des droits réels sur la chose vendue, la révocation consentie entre les deux premiers contractants ne pourrait nuire au second cessionnaire.
Art. 328. Cet article complète le précédent, en nous disant quand la convention est “légalement formée” et quand elle ne l'est pas.
On rencontrera dans le Code de nombreuses applications tant de la règle que de l'exception, bien que, à la rigueur, la loi puisse se fier à la sagacité des juges pour faire observer l'une et l'autre. Cependant, il y a des cas où la loi fait sagement de se prononcer sur ces questions: quelquefois, elle attache à la convention certains effets ou elle lui en refuse d'autres, mais elle réserve formellement aux parties le droit de décider l'inverse; si elle ne s'expliquait pas, on serait exposé à prendre comme absolue la disposition qui n'est écrite que pour le cas de silence des parties.
D'autres fois, la loi exclut formellement la possibilité de faire une convention dérogatoire, parce que l'on aurait pu douter qu'il y eût un intérêt public ou moral engagé dans la convention.
On ne croit pas nécessaire de donner ici des exemples de cas où la convention est libre, c'est la règle, et les applications en sont infinies; mais on donnera des exemples de ceux où la liberté est ôsée aux parties. De ces exemples, les uns se trouveront mentionnés ultérieurement dans la loi, les autres y devront être suppléés par application de notre article.
Ainsi, se trouvent prohibées, comme on l'a dit déjà, les conventions qui prétendraient modifier l'organisation de la famille, la puissance paternelle et maritale, la capacité et, généralement, ce qu'on nomme “l'état des personnes;” de même, les conventions qui tendraient à modifier les effets des droits réels, de manière à les rendre opposables aux tiers en dehors des conditions qui protègent ceux-ci contre les surprises et les revendications imprévues.
Seraient encore nulles les conventions qui porteraient atteinte à la liberté individuelle, comme celle par laquelle une personne engagerait ses services à une autre, pour toute la vie de celle-ci ou pour la sienne propre.
Dans un autre ordre d'intérêts, seraient nulles: les conventions qui auraient pour objet des coalitions ou grèves, soit entre patrons, pour faire baisser artificiellement les salaires, soit entre ouvriers pour les faire hausser; celles qui auraient pour objet la renonciation à la plainte d'une partie lésée par un crime on un délit, soit contre les personnes, soit contre les biens, en exceptant toutefois les cas, déterminés par le Code pénal, où la loi subordonne l'action publique à cette plainte, parce que, dans ces mêmes cas, la loi place au-dessus de l'intérêt public de la répression l'intérêt privé et les convenances personnelles de la partie lésée.
Serait nulle également la convention par laquelle le débiteur commerçant stipulerait qu'en cas d'insolvabilité, son créancier ne pourrait le faire déclarer en faillite.
Parmi les conventions qui seraient directement contraires à la morale, on peut citer celles qui contiendraient une renonciation anticipée à l'action en nullité pour erreur, dol ou violence, ou qui soumettraient le demandeur en nullité à des dommages-intérêts pour le cas où il triompherait dans cette action; il en serait autrement de la même stipulation pour le cas où le demandeur succomberait.
C'est encore comme contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs que sont prohibées les conventions relatives aux successions non ouvertes dont il a déjà été traité et celles qui constituent un jeu ou un pari.
Dans ces divers cas, on peut remarquer que la convention qui déroge aux lois d'ordre public et aux bonnes mœurs est toujours vicieuse par son objet ou par sa cause.
Ces théories ayant été déjà partiellement appliquées, il paraît inutile d'y insister davantage.
Art. 329. La principale force de la convention étant dans la volonté ou le consentement des parties, c'est à elle qu'il faut d'abord se référer pour en déterminer les effets: si cette volonté est exprimée, il faut s'y attacher, à condition toutefois qu'elle ne soit pas justement celle que la loi réprouve, et pourvu que les parties ne se soient pas méprises sur la portée des expressions dont elles se sont servies; car on verra bientôt que l'interprétation des conventions ne doit pas se faire d'après le sens littéral des termes employés, mais d'après la commune intention des parties. Si certains effets de la convention n'ont pas été exprimées, ils peuvent cependant être tellement naturels qu'il n'y ait pas à hésiter sur leur admission tacite par les parties; par exemple, dans une vente, l'obligation de payer le prix au moment de la délivrance de la chose, et, s'il s'agit de la délivrance d'un immeuble habité par le vendeur, le délai convenable pour lui permettre de quitter les lieux et de transporter ailleurs son mobilier; s'il s'agit d'un louage d'ouvrage ou de services, et que le preneur sache que l'entrepreneur ou l'ouvrier est momentanément empêché de commencer, par un autre travail urgent ou par une maladie, il sera considéré comme ayant tacitement donné un délai, au moins, jusqu'au moment où il se trouverait exposé lui-même à un dommage par un plus long retard.
Outre l'intention expresse ou tacite des parties, le texte indique encore “l'équité, l'usage ou la loi,” comme pouvant faire produire des effets à la convention. Mais, en réalité, on doit voir là encore des effets résultant de l'intention tacite des parties; ainsi, aucune d'elles ne serait recevable à dire qu'elle a entendu se soustraire aux règles de l'équité: par exemple, à la responsabilité du dol ou des fautes qu'elle pourrait commettre; tandis qu'après la faute ou le dol commis, une convention dérogatoire aux dommages-intérêts serait permise. De même, c'est par l'effet de l'intention tacite des parties que les usages locaux seront observés pour déterminer les conséquences de la convention.
Enfin, lorsque la convention produit des effets légaux qui auraient pu être modifiés par les parties, si elles n'y ont pas dérogé, c'est qu'elles les ont tacitement acceptés; ils ne resteraient purement légaux que si les parties avaient ignoré la loi, ce qui n'empêcherait pas, en général, ces effets de se produire, sauf ce qui a été dit au sujet de l'erreur de droit (art. 311).
Art. 330. Il a paru bon de consacrer dans la loi le principe que la bonne foi, la sincérité, doivent présider à toutes les conventions, non-seulement dans les clauses et stipulations qui les composent, mais encore dans l'exécution.
Ainsi, le bailleur qui doit livrer la chose louée en bon état de réparation ne doit pas se borner à faire les réparations qui ont rapport à la solidité des bâtiments, mais encore celles qui se rapportent à l'agrément et à la propreté, et s'il faisait un marché à prix fait avec un entrepreneur pour l'exécution de ces travaux, sans les spécifier en détail, mais en en indiquant le but, celui-ci devrait, de même, en raison de la bonne foi requise, faire toutes ces réparations. En sens inverse, s'il y avait exagération dans les prétentions du locataire vis-à-vis du bailleur ou dans celles du bailleur vis-à-vis de l'entrepreneur, elles seraient réduites par le tribunal à ce qu'exige la bonne foi.
De même, s'il y a eu vente de choses fongibles ou de choses de quantité, le vendeur n'a pas le droit de donner la qualité la plus mauvaise, ni l'acheteur d'exiger la qualité la meilleure: la bonne foi est satisfaite, s'il est fourni une qualité moyenne (v. art. 460).
Art. 331. Le Code japonais consacre ici un des progrès du droit les plus considérables dans les temps modernes. Dans toutes les législations primitives, on voit toujours que la propriété ne passe d'une personne à une autre que par un acte extérieur, plus ou moins matériel, destiné, non-seulement à bien démontrer la volonté des parties, mais aussi à frapper les yeux de tous et à donner ainsi une sorte de publicité au changement de propriétaire.
Il en était ainsi chez les Romains, notamment: la propriété ne se transférait que par la tradition ou délivrance de la chose à l'acquéreur; quelquefois même, par une véritable solennité, accomplie en présence de témoins, avec des paroles consacrées.
Tant que la tradition n'était pas effectuée, le vendeur ou le donateur restait propriétaire de la chose; en conséquence, ses créanciers pouvaient la saisir, comme ses autres biens; s'il la revendait et la livrait à un autre, celui-ci était propriétaire et le premier acheteur ou donataire n'avait qu'une action personnelle en indemnité.
L'ancien droit européen adopta le droit romain sur ce point. Le principe fut toujours que la tradition seule opérait la translation de la propriété; mais on se contentait le plus souvent d'une tradition fictive; l'usage même s'établit d'insérer dans les actes destinés à transférer la propriété une clause expresse par laquelle le vendeur ou le donateur déclarait se dessaisir de la possession et en saisir l'acquéreur; cette clause, dite de dessaisine-saisine, était devenue de style dans les actes notariés et on la trouvait, le plus souvent aussi, dans les actes sous seing privé.
Dans certaines coutumes du nord de l'Europe, on adopta pour le dessaisissement de la possession, appliqué aux immeubles, d'abord une sorte d'investiture ou nantissement, donnée par le seigneur ou par ses officiers; plus tard, on remplaça l'investiture par une déclaration devant un officier de justice, avec une mention sur des registres publics.
C'est dans ces coutumes que fut puisé, avec quelques modifications, le système moderne de la transmission de la propriété mobilière.
Le droit joponais, quoique s'étant formé en dehors de l'influence romaine et de ce qui l'a suivie en Europe, a suivi à peu près la même marche progressive en cette matière. Le nouveau Code ne fait guère que confirmer une pratique déjà ancienne, en l'améliorant toutefois dans les détails. Aujourd'hui, au Japon, comme en Europe, la propriété se transfère par le seul consentement, pour les immeubles comme pour les meubles; la raison ne fait aucun obstacle à ce qu'un droit réel soit constitué par la seule volonté, comme un droit personnel. Mais comme le droit réel est, de sa nature, opposable à toute personne, aux tiers comme aux contractants eux-mêmes, il est nécessaire de donner des garanties générales contre les surprises qui résulteraient de mutations secrètes ou difficiles à connaître. Ainsi, il ne faudrait pas que des créanciers d'un vendeur fussent exposés à le considérer comme étant encore propriétaire quand il a déjà aliéné, ni qu'un second acheteur fût exposé à donner un prix pour une chose qui est déjà aliénée à un autre. On remédie à ce danger, au moyen d'une publicité sérieuse donnée aux mutations de propriété et aux autres constitutions de droits réels sur les immeubles, par l'inscription sur des registres publics que les intéressés peuvent consulter et dont ils peuvent obtenir des extraits. Ce système de publicité, déjà ancien, a été complété par deux loi spéciales des 19e et 23e années de Meiji.
Aujourd'hui, on dit, généralement, que “la propriété” des immeubles se transfère entre les parties par le seul “consentement et à l'égard des tiers par la transcription;” cette formule n'est pas sans objection, mais elle est consacrée; on peut l'admettre provisoirement et pour simplifier cette théorie difficile; mais elle sera redressée, quand le moment sera venu de traiter de l'effet des conventions à l'égard des tiers.
Le présent article s'abstient donc de la formule précédente: il déclare, d'une façon absolue, que la propriété est transférée par le seul consentement, au moins quand il s'agit d'un corps certain; un peu plus loin, on trouvera les garanties données aux tiers, tant au sujet des meubles qu'au sujet des immeubles.
La loi réserve, en terminant, le cas où la convention serait affectée d'une condition suspensive; ce n'est pas pour dire que, dans ce cas, la tradition soit nécessaire à la translation de la propriété, mais pour faire comprendre que le seul consentement ne suffit pas et qu'il faut encore que la condition, que l'événement prévu soit accompli. Si la condition était résolutoire, la propriété serait transférée immédiatement, sauf à être résolue par l'événement. Ces deux conditions, déjà rencontrées chemin faisant, seront étudiées ultérieurement dans leur entier (v. art. 408 et s.).
La loi ne réserve pas le cas d'un terme fixé pour la translation de propriété, comme elle a réservé celui d'une condition suspensive. C'est qu'en effet, comme on l'a démontré sous l'article 30, il n'est pas compatible avec la nature du droit de propriété d'être affecté d'un terme ou délai, soit d'un terme à partir duquel la propriété commence à appartenir au cessionnaire, soit d'un terme à l'expiration duquel la propriété doive le quitter pour revenir au cédant.
Art. 332. L'article précédent a limité la translation de propriété par le seul consentement au cas où il s'agit d'un corps certain.
Il est évident, en effet, que si le contrat a pour objet la translation de propriété d'une chose qui n'est déterminée que par l'espèce et la quantité (au poids, au nombre ou à la mesure), la propriété n'en peut être transférée par le seul consentement: la nature des choses s'y oppose. Comment l'acheteur ou le donataire pourrait-il revendiquer, comme siennes, des choses qui sont en quantité indéfinie dans le monde et dont le vendeur ou le donateur possède peut-être lui-même une énorme quantité? Il est clair que le stipulant ne peut être que créancier: il a droit d'être rendu propriétaire, mais cet effet ne sera produit que quand la chose aura passé du genre ou de l'espèce à l'état individuel, ce qui pourra se faire, soit par la livraison même, soit par une détermination conventionnelle qui en fera un corps certain; par exemple, on marquera les sacs de riz ou les ballots de soie ou de papier; ce sera alors comme si, à l'origine, la convention avait porté sur des objets individuellement déterminés.
La loi veut que la détermination soit faite “contradictoirement,” c'est-à-dire que le choix ne soit pas laissé au gré unique de l'une des parties. C'est là qu'il faut observer la bonne foi, comme il a été dit plus haut, et que le promettant ne peut imposer les choses les plus inférieures, ni le stipulant exiger les meilleures.
Il y a encore une grande utilité à ce que la détermination des choses soit faite contradictoirement, c'est que, la propriété étant transférée à partir de ce moment, les choses sont aux risques du propriétaire, c'est-à-dire que, si elles périssent par cas fortuit ou force majeure, la perte est pour celui-ci, ainsi qu'il sera établi plus loin; or, il serait inadmissible que le débiteur, après une perte, survenue chez lui, de choses de la nature de celles qu'il a promises, fût admis à dire que “c'étaient justement celles-là qu'il avait choisies et destinées au créancier.”
Il va sans dire, mais l'article 455 l'exprimera, que pour que la propriété des choses fongibles soit transférée par la tradition ou la détermination, il faut que les choses livrées ou choisies et marquées appartiennent au promettant, comme lorsqu'il s'agit d'un corps certain; car on ne peut transférer un droit qu'on n'a pas. Du reste, cette condition sera facilement suppléée par la prescription instantanée, quand il s'agira d'objets mobiliers et que le possesseur sera de bonne foi.
Art. 333. Il est naturel que celui qui a transféré la propriété d'un corps certain, par le seul consentement, en fasse la délivrance ou livraison. Sans doute, à défaut de livraison, l'acquéreur pourrait toujours obtenir la chose par l'effet de la revendication; mais sa position serait plus difficile: dans cette action, il devrait faire la preuve, non-seulement de la convention intervenue entre lui et l'aliénateur, mais encore du droit de propriété appartenant à celui-ci; si, au contraire, il a le droit d'agir seulement en délivrance, ce n'est qu'une action personnelle où il prouvera seulement la convention, et, après sa mise en possession, il sera défendeur aux revendications que prétendraient exercer les tiers.
Le présent article nous dit que la délivrance est faite “par les soins et aux frais du promettant;” ce qui suppose, évidemment, qu'il y a quelques difficultés pour la faire.
La loi n'indique pas les divers modes de délivrance des choses mobilières, parce qu'ils sont nombreux et dépendent beaucoup des circonstances; si elle y fait figurer la tradition de brève main et le constitut possessoire, déjà mentionnés (art. 191), c'est à cause de leur caractère plus exceptionnel; comme exemple des frais de délivrance que supportera le promettant, on peut supposer que des marchandises vendues se trouvent d'un accès difficile, par la présence d'autres objets lourds ou volumineux: en pareil cas, le vendeur devrait certainement faire déplacer ces derniers et il ne serait pas abusif d'exiger qu'il sortît des bâtiments les objets vendus et même qu'il les portât jusqu'aux limites de sa propriété, au moins quand la sortie présenterait des risques exceptionnels. Sera encore à la charge du vendeur ou aliénateur le pesage ou le mesurage qui est quelquefois une opération difficile, longue et coûteuse. Au contraire, l'acquéreur, le stipulant, supporte les frais d'enlèvement, c'est-à-dire d'emballage, de chargement et de transport au lieu de destination.
Pour la livraison des immeubles, il ne suffirait pas de remettre à l'acquéreur les clefs d'un bâtiment; il faudrait encore l'évacuer, c'est-à-dire, enlever tous les objets non vendus qui s'y trouvent. Quant aux titres à remettre à l'acquéreur, l'usage, en Europe, est de lui remettre, non-seulement le titre nouveau portant translation de propriété, mais encore les titres des propriétaires antérieurs dont les plus anciens servent de base aux plus nouveaux, et en remontant le plus loin possible, au moins de trente ans, pour fonder, au profit de l'acquéreur, une prescription qui pourrait lui être nécessaire et pour laquelle il joindrait à sa possession celle de ses prédécesseurs.
Au Japon, l'usage est différent: jusque dans ces derniers temps, il était délivré à l'acquéreur, par l'administrateur local un nouveau titre qui remplaçait le précédent. Mais la matière a été réglée autrement par une loi de la 23e année de Meiji.
La loi, après avoir réglé les frais de la délivrance et ceux de l'enlèvement, règle ceux de l'acte, pour n'avoir pas à revenir sur la question des frais.
Si le contrat profite aux deux parties, s'il est intéressé des deux côtés, ou onéreux, les frais se diviseront également, ou dans la proportion de l'intérêt de chacun; s'il est gratuit, ils seront à la charge du bénéficiaire. Le texte a soin de ne poser cette règle que pour l'acte instrumentaire, pour celui qui sert de preuve; il ne s'appliquerait pas à l'inscription qui, étant faite surtout dans l'intérêt de l'acquéreur, doit être à sa charge. Les frais d'une quittance, pour un payement postérieur à l'acte, seraient de même à la charge de l'acquéreur, parce que la quittance ne sert qu'à lui seul, en prouvant sa libération.
La loi prévoit enfin le cas où, soit le temps, soit le lieu de la délivrance, n'aurait pas été fixé par la convention.
Au premier cas, l'obligation, n'étant pas affectée d'un terme ni d'une condition, est pure et simple; la délivrance est exigible immédiatement; toutefois, s'il s'agissait d'une vente et que l'acheteur n'eût pas non plus de terme pour le payement du prix, il ne pourrait exiger la délivrance avant d'avoir payé le prix: le vendeur garderait, en quelque sorte, la chose en gage, par droit de rétention (art. 2).
Au second cas, pour le lieu de la délivrance, la loi distingue: s'il s'agit d'un corps certain, il sera délivré au lieu où il se trouvait lors du contrat; cela s'observera même pour la délivrance du titre d'un immeuble, si les parties ne sont pas d'accord pour la remise au domicile de l'une d'elles; à l'égard d'un meuble, la même règle sera observée rigoureusement, s'il est pesant ou d'un déplacement dangereux; mais pour un objet portatif ou facilement mobile, comme une voiture, un cheval, on devra décider, en pratique, d'après l'intention des parties, qu'il pourrait être valablement délivré au domicile de l'aliénateur. S'il s'agit de choses de quantité, comme on ne peut pas dire qu'elles se trouvent dans un lieu déterminé au moment de la convention, il faut nécessairement se placer à une époque postérieure: à celle où elles ont été déterminées et où elles sont devenues corps certains.
Dans les cas non réglés par la convention, expressément ou tacitement, la délivrance se fait au domicile du débiteur: c'est une faveur naturelle à ajouter à d'autres qu'on a déjà rencontrées et qu'on rencontrera. Ainsi, lorsqu'il s'agira d'appeler le créancier à la détermination des choses fongibles, le débiteur pourra l'appeler à son domicile, si les objets s'y trouvent.
Comme les règles du droit civil s'appliquent aux conventions commerciales, chaque fois que les lois spéciales au commerce n'y dérogent pas, et comme ces dérogations doivent être le plus limitées qu'il est possible, on doit indiquer ici quand et comment s'effectue la délivrance de marchandises, lorsque le vendeur doit les expédier à l'acheteur et qu'il y a à effectuer un transport plus on moins long, par terre ou par eau.
Cette question peut se résoudre par les principes généraux. Le vendeur, s'il n'y a pas de terme fixé, fera la délivrance sans autre délai que celui qui est nécessaire pour l'emballage et le transport; la délivrance ne sera pas considérée comme faite par la remise à l'entrepreneur de transport, même quand c'est une entreprise publique, parce que cet entrepreneur est le mandataire du vendeur seul. Il en serait autrement, si l'entreprise avait le monopole de ce genre de transport, comme l'administration des postes, ou était le seul existant en fait, entre les deux localités, parce que, dans les deux cas, cette entreprise devrait être considérée comme le mandataire tacite et nécessaire des deux parties. Sauf ces cas, la délivrance ne sera considérée comme faite que par la remise réelle au destinataire ou à son représentant.
Art. 334. Observons d'abord avec le texte qu'il ne peut être question d'une obligation de soins ou de garde que s'il s'agit “d'un corps certain.”
Le 1er alinéa pose un principe général que le second alinéa immédiatement; la seule différence que paraissent demander la raison et l'équité, au moins lorsqu'il s'agit des contrats translatifs de propriété, c'est celle que fait ici la loi entre les contrats onéreux et les contrats gratuits: il est naturel que le donateur ne soit tenu, jusqu'à la livraison, d'apporter à la chose donnée que les soins qu'il apporte à ses propres biens, et c'est seulement dans le cas où il aurait manqué à cette obligation, déjà adoucie, qu'il serait tenu de dommages-intérêts.
Lorsque le Code traitera de certains contrats spéciaux qui, sans transférer la propriété, obligent à conserver la chose d'autrui ou une chose commune, on y verra encore entre eux quelques différences analogues à celle qui précède; ainsi, on demandera moins de soins au dépositaire qui rend un service qu'à l'emprunteur à usage qui en reçoit un, moins au mandataire qui rend un service gratuit qu'au mandataire salarié, enfin, moins à l'associé, qui gère la chose commune et souffre déjà de sa négligence, qu'au locataire dont la négligence, proverbiale, pour ainsi dire, en tous pays, nuit au propriétaire seul.
Art. 335. La loi présente ici ce qu'on nomme ordinairement la “Théorie des risques,” qui détermine sur quelle partie retombe la perte ou la détérioration de la chose objet du contrat.
La théorie des risques se trouve bien simplifiée aujourd'hui: du moment que la propriété est transférée par le seul effet du consentement, il est naturel que les pertes, comme les augmentations dont la chose peut être l'objet, soient au détriment comme au profit de celui à qui elle appartient. Beaucoup de personnes semblent même voir là une conséquence du seul droit de propriété et elles sont portées à croire que si le stipulant n'était resté que créancier, comme autrefois, s'il n'avait eu qu'un droit personnel, les risques seraient restés au promettant; mais c'est là une erreur certaine.
D'abord, en droit romain et dans l'ancien droit européen, où la propriété n'était transférée que par la tradition, les risques étaient à la charge du stipulant, resté simple créancier, tout comme ils sont aujourd'hui à la charge du stipulant devenu propriétaire.
En outre, la raison de droit et celle de justice voulaient qu'il en fût ainsi.
En droit, lorsque le contrat n'avait produit qu'une obligation, celle-ci n'en avait pas moins un objet déterminé qui avait sa destinée, bonne ou mauvaise, qui pouvait se détériorer ou s'améliorer, périr en entier ou doubler de valeur; le débiteur avait toujours rempli son obligation de faire la tradition, en livrant l'objet dans l'état où il était, lorsque d'ailleurs les détériorations n'étaient pas imputables à sa négligence; réciproquement, si la chose avait augmenté de valeur, il eût été insoutenable qu'il pût en retrancher une partie ou se faire tenir compte en argent du montant de la plus-value.
Il semblerait toutefois qu'il y eût plus de doute, quand la chose avait péri en entier; on concevait bien encore que le débiteur fût libéré par cette perte, dès qu'elle n'était point de son fait; mais, s'il avait droit à un avantage réciproque, parce que la convention était synallagmatique, on comprend moins facilement qu'il le conservât: par exemple, qu'un vendeur pût exiger le prix d'une chose qu'il n'avait pu livrer et dont il n'avait pu transférer la propriété; on est porté à dire qu'il recevait son prix sans cause. Mais il faut bien remarquer que le contrat une fois formé avait produit deux obligations distinctes quoique réciproques: l'une avait été la cause de l'autre, mais elles étaient désormais indépendantes; l'une pouvait se trouver éteinte par l'impossibilité de l'exécuter, l'autre pouvait subsister, si un pareil obstacle n'existait pas; or, un corps certain peut périr; l'argent dû, au contraire, comme chose de genre, ne périt pas (genera non pereunt). Voilà pour la raison de droit.
La raison de justice ou d'équité est encore plus évidente: si la chose avait doublé, triplé de valeur, dans l'intervalle de la convention à la livraison, ce qui n'est ni impossible ni sans exemple, le profit, assurément, en eût été pour le créancier; il était donc juste que, par compensation, le même créancier subît la perte fortuite.
Aujourd'hui, ces considérations ne sont plus nécessaires; il y a une raison plus simple et plus directe pour que les profits et les pertes soient pour le stipulant: il est propriétaire; c'est aujourd'hui seulement qu'on peut dire avec vérité ce qui était déjà un axiome autrefois, mais souvent mal appliqué: “la chose périt pour le propriétaire.”
Il est permis de mettre les risques et périls à la charge du promettant, ce qui donne à la convention un caractère aléatoire: le promettant est alors une sorte d'assureur contre les cas fortuits et la force majeure; en pareil cas, sans doute, ses avantages seront augmentés; l'utilité de cette clause de la convention est d'éviter les contestations sur la responsabilité qui pourrait être imputable au promettant.
La loi réserve, ici encore, le cas où la convention serait affectée d'une condition suspensive: en pareil cas, le droit du stipulant n'étant pas né par l'effet de la convention seule et ne devant naître qu'avec l'accomplissement de la condition, la chose ne peut périr pour lui. On reviendra sur ce point, en son lieu; on y examinera aussi une difficulté particulière du risque, au cas de simple détérioration ou de perte partielle (voy. art. 419 et 420).
Le deuxième alinéa apporte une exception à la règle qui met la chose aux risques du stipulant, c'est le cas où la chose a péri ou s'est détériorée, même par cas fortuit ou force majeure, après que le promettant a été en retard (en demeure) de faire la tradition; mais encore faut-il, pour que les risques retombent alors sur ce dernier, que son retard soit la cause de la perte, c'est-à-dire, qu'elle n'ait pas dû arriver si la chose avait été livrée. Ainsi, un meuble a été vendu, la livraison aurait dû être faite et l'objet a péri dans l'incendie de la maison du vendeur; comme, sans doute, la maison de l'acheteur n'a pas brûlé, il est clair que la faute du vendeur est indirectement cause de la perte de la chose; si, au contraire, on suppose la vente d'une maison et qu'elle ait brûlé par le feu du ciel ou par la communication inévitable d'un grand incendie, comme elle n'aurait pas moins brûlé si elle eût été livrée, les risques restent à la charge de l'acheteur.
Art. 336. De ce qu'un délai a été déterminé pour l'exécution d'une obligation, il n'en résulte pas que le débiteur soit constitué en demeure par la seule échéance de ce terme; il faut, en général, qu'un avertissement lui soit donné par le créancier: la loi tient compte de la déplorable facilité avec laquelle les hommes laissent passer le temps sans s'en apercevoir, et pour que le but de la loi soit atteint, il faut nécessairement que l'avertissement ne soit donné qu'après l'échéance du terme.
Les trois premiers moyens par lesquels le débiteur peut être mis en demeure viennent du créancier; s'il fait une demande en justice, le premier acte de procédure sera un avertissement suffisant; s'il a déjà un titre exécutoire, comme un jugement ou un acte authentique, il en fera notifier copie, avec injonction d'exécuter; enfin, si le créancier, n'ayant pas de titre exécutoire, veut sauvegarder ses droits, sans user de rigueur, il fera une sommation, dont la loi n'indique pas la forme, laissant ce soin à une loi spéciale. Ces deux derniers actes, bien que faits, en général, par le ministère d'un officier public, s'appellent “actes extrajudiciaires,” parce qu'ils sont faits en dehors d'un procès.
Un avertissement privé, mais exprès et formel et reconnu par le débiteur, pourrait être admis comme mise en demeure, la forme authentique n'étant nécessaire que pour la preuve. A plus forte raison, une reconnaissance spontanée de sa faute par le débiteur le mettrait-elle en demeure. Le loi n'a pas besoin d'exprimer ces cas: les principes généraux permettent de les suppléer.
Par exception, la seule échéance du terme peut constituer le débiteur en demeure; le texte en indique deux cas, suivis d'une hypothèse particulière qui pourrait être considérée comme formant un troisième cas:
1° Lorsque la loi, dans quelques cas particuliers, juge à propos de donner cette garantie au créancier;
2° Lorsque la convention porte expressément que le débiteur sera constitué en demeure par la seule échéance du terme: il ne sera pas nécessaire d'ajouter “et sans sommation,” quoique ce soit préférable, pour écarter tous les doutes;
3° La troisième hypothèse où le débiteur est en demeure, sans autre avertissement que l'expiration du temps fixé pour l'exécution, tient à des circonstances particulières que la loi n'a pu réunir que dans une formule très générale: on peut citer, comme exemple, le cas où il y a eu convention de fournir, soit en vente, soit en location, des objets nécessaires pour une cérémonie publique ou même particulière, comme un mariage ou des funérailles, dont l'époque est connue du promettant; il est clair que si le stipulant était, en pareil cas, obligé de faire une sommation avant la cérémonie, et au moment extrême où la fourniture devrait être faite, il serait déjà trop tard. En réalité, dans ce cas, c'est comme s'il y avait eu convention formelle entre les parties que le promettant sera en demeure par la seule échéance du terme.
On verra plus loin (art. 384) que dans l'obligation de ne pas faire le débiteur est considéré comme se constituant lui-même en demeure par la contravention.
Les règles de la mise en demeure pour faire courir les intérêts moratoires dans les obligations de sommes d'argent ne seront pas tout-à-fait les mêmes: on les trouvera plus loin (art. 393).
Art. 337. Les conventions de faire et de ne pas faire sont aussi fréquentes que celles de donner; il semblerait naturel que la loi en traitât ici; mais l'intérêt étant bien plus dans l'obligation créée que dans la convention qui la produit, la loi renvoie au Chapitre suivant consacré aux Effets des Obligations. On y redira quelque chose de l'obligation de donner et de livrer qui, à la rigueur, peut être rangée parmi les obligations de faire, car la livraison est un fait.
Art. 338. La règle posée ici a déjà été annoncée sous l'article 324, au sujet d'une modification qu'elle peut recevoir du fait des parties.
L'expression ayant-cause est consacrée et pourrait difficilement être remplacée par une autre qui fût aussi claire et aussi brève: elle désigne “les personnes qui ont les droits d'une autre,” qui tiennent leurs droits de celle-ci, laquelle est leur auteur. Il y a deux classes d'ayant-cause, les uns généraux, les autres particuliers. Les ayant-cause généraux ont tous les droits de leur auteur, sauf quelques exceptions relatives aux droits qui, par leur nature, ne peuvent se transmettre ou se communiquer; les ayant-cause particuliers n'ont les droits de leur auteur que sur un ou plusieurs objets déterminés.
La première classe d'ayant-cause comprend: les héritiers légitimes, les légataires et donataires universels ou à titre universel, enfin, les créanciers. La seconde classe comprend les acquéreurs ou cessionnaires, à titre onéreux ou gratuit, de choses déterminées.
La différence entre ces deux classes d'ayant-cause, qu'on appelle souvent aussi successeurs, soit à titre universel, soit à titre particulier, est considérable et elle va se rencontrer dans le rapprochement des articles suivants. Elle peut se résumer ainsi: les ayant-cause généraux sont exposés à voir leur situation empirée par les actes maladroits ou malheureux de leur auteur, comme la sienne propre s'empire par les mêmes actes; mais aussi, en sens inverse, leur situation s'améliore avec la sienne, par ses actes habiles ou heureux. Cela est évident pour les héritiers qui recueilleront une succession plus ou moins opulente, suivant que leur auteur aura réussi ou non dans ses entreprises; il en est de même pour les créanciers qui, ayant pour gage général (indépendamment de leurs sûretés exceptionnelles) tous les biens de leur débiteur, peuvent voir ce gage augmenter ou diminuer journellement.
Au contraire, les ayant-cause particuliers, les acheteurs, coéchangistes, donataires, ne sont exposés à aucune éventualité défavorable ni appelés à aucun avantage imprévu: ils prennent la situation de leur auteur ou cédant, telle qu'elle était au jour de la convention, par rapport à la chose ou au droit cédé; ils sont ayant-cause pour le passé, parce qu'ils ont consenti à l'être; mais ils ne le sont pas pour l'avenir: ils sont étrangers à tout ce qui pourrait être fait dans la suite par leur cédant, ils sont des tiers à cet égard. C'est en cette qualité de tiers qu'ils seront envisagés dans la seconde division de ce paragraphe.
Le présent article réserve d'une façon indéterminée les cas où les ayant-cause généraux n'auront pas les droits de leur auteur ou ne souffriront pas de ses actes. La transmission aux héritiers n'aura pas lieu en vertu de la convention, lorsque le droit aura été établi comme viager au profit du stipulant, par exemple une rente viagère. Les cas où la loi n'autorise pas la transmission des droits aux héritiers sont assez nombreux et se rencontreront, chemin faisant: on a déjà vu que l'usufruit, l'usage et l'habitation ne sont pas transmissibles aux héritiers; c'est encore ce qui arrive, pour les pensions civiles ou militaires; certains contrats ne profitent ni en nuisent aux héritiers: tel est le mandat qui s'éteint par la mort du mandant ou du mandataire; telles sont encore certaines sociétés qui se dissolvent par la mort de l'un des associés. Seulement, dans ces divers cas, les actes valablement faits avant la mort, en vertu du mandat ou de la société, profitent ou nuisent aux héritiers.
Art. 339. La théorie que présente cet article est une des plus importantes du droit civil. Il n'est lui-même que la conséquence d'un principe plus large encore, déjà invoqué, et qui trouvera sa place ailleurs, à savoir que “tous les biens d'un débiteur sont la garantie de ses dettes ou le gage de ses créanciers.”
Il peut arriver, il arrive même souvent, qu'un débiteur, embarrassé dans ses affaires, néglige de faire valoir ses droits contre ses propres débiteurs ou d'exercer les actions réelles qui pourraient lui appartenir pour recouvrer quelques-uns de ses biens, par le motif qu'ayant de nombreux créanciers, il ne lui en reviendrait aucun avantage. Cette inertie est blâmable et la loi doit donner aux créanciers le moyen de la combattre. Tel est l'objet de notre article.
Ce peu de mots suffit pour expliquer le 1er alinéa qui pose le principe du droit des créanciers; le 2e indique les principaux moyens par lesquels ils procédéront; le 3e présente quelques exceptions à la règle.
Les trois moyens qu'indique le présent article ne sont pas limitatifs, mais ils seront les plus fréquents.
1° Saisies. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les diverses sortes de saisies que peuvent exercer les créanciers: cette matière appartient au Code de Procédure civile; il ne s'agit pas d'ailleurs ici des saisies que les créanciers feraient sur les biens de leur débiteur, en vertu d'un jugement qu'ils auraient obtenu contre lui: dans ce cas, ils n'exerceraient pas les droits de leur débiteur contre des tiers, mais leur propre droit contre le premier; il s'agit de saisies que le débiteur pourrait faire pratiquer lui-même contre ses propres débiteurs et qu'il néglige de faire.
2° Intervention. Le débiteur pourrait négliger de soutenir ses droits, comme demandeur ou défendeur, dans les procès pendants entre lui et des tiers: ses créanciers peuvent se joindre à lui, pour l'aider, soit dans l'attaque soit dans la défense; cette participation se nomme, en procédure, “intervention.”
L'intervention aura un avantage particulier, c'est qu'elle empêchera que le débiteur, par collusion ou fraude concertée avec l'adversaire, ne se laisse débouter comme demandeur ou condamner comme défendeur, ce qui laisserait encore un recours aux créanciers, mais d'un usage plus difficile, (v. ci-après, art. 341). La simple intervention sera particulièrement utile si le débiteur, ayant formé une demande, néglige ensuite de la suivre et d'y produire les preuves de son droit, ou bien, si, ayant été assigné comme défendeur, il néglige de répondre, fait défaut et s'expose à une condamnation mal fondée.
3° Action indirecte. L'expression “d'action indirecte ou oblique” a été adopté pour indiquer que ce n'est pas une action à eux propre qu'exercent les créanciers, mais une action appartenant à leur débiteur, dont le profit ne leur parviendra qu'en passant, sinon dans les mains même de celui-ci, au moins dans son patrimoine. En effet, les créanciers, qui ont exercé l'action contre le tiers, pourront bien, après le succès, prendre des précautions pour éviter le détournement du profit de l'action, mais ils ne pourront s'opposer à ce que ce profit soit distribué à tous les créanciers indistinctement, sauf les causes ordinaires de préférence, parmi lesquelles ne figurera pas le fait d'avoir pris l'initiative de l'action.
A cette occasion, on remarquera qu'il n'est pas nécessaire que les créanciers se forment en syndicat ou en comité, ni agissent d'un commun accord, pour exercer les actions de leur débiteur: le droit appartient à un seul autant qu'à tous et il peut être exercé isolément, par le plus diligent, ou collectivement, après entente préalable.
Le texte tranche, au sujet de cette action indirecte, une question qui est très controversée en Europe et qu'il fallait résoudre au Japon: les créanciers qui voudront exercer l'action ne se borneront pas à faire à leur débiteur une sommation d'avoir à exercer lui-même son droit, pour, en cas de refus, l'exercer à sa place; ils devront présenter requête au tribunal, en exposant la situation qui leur est faite et le danger qu'ils courent, afin d'obtenir de la justice le droit de prendre le lieu et la place de leur débiteur dans l'action à intenter contre le tiers; le débiteur pourra toujours se joindre à eux, mais, une fois l'action intentée, il ne sera plus qu'un intervenant: il aura perdu, par sa résistance première, le rôle de partie principale.
Cette autorisation de justice, donnée aux créanciers, d'agir au lieu et place de leur débiteur et en son nom, est appelée ici “subrogation judiciaire:” c'est un nom qui lui est donné dans la pratique étrangère où elle est très usitée, sans être formellement exigée par la loi.
On pourrait soutenir, en effet, en l'absence de texte, que les créanciers peuvent agir d'emblée, de plein droit, au nom de leur débiteur, contre les tiers que celui-ci pourrait poursuivre lui-même, par conséquent, sans avoir besoin de son autorisation ni de celle de la justice: on pourrait considérer cette autorisation comme donnée par la loi. Mais cette solution présenterait de sérieux dangers, tant pour les créanciers que pour le tiers actionné: pour les premiers, en ce que le débiteur conserverait, pendant le procès, le droit de disposer de l'objet du litige, de transiger avec le tiers et d'anéantir ainsi leur droit; pour le tiers, il serait exposé, après avoir triomphé d'un des créanciers, à subir une nouvelle action d'autres créanciers ou du débiteur lui-même; car il serait difficile d'admettre que le premier créancier, en agissant seul, de son propre mouvement et sans un mandat spécial des autres créanciers et du débiteur, eût pu compromettre le droit de ceux-ci.
Le tiers, il est vrai, préviendrait ce danger, en ce qui le concerne, en exigeant la mise en cause du débiteur; mais cette mise en cause ne préviendrait pas le danger, pour le créancier poursuivant, d'une transaction ou d'un autre acte qui le dépouillerait et qu'il ne pourrait attaquer qu'en prouvant la fraude, ce qui est toujours difficile.
On remédie, tout à la fois, au double danger signalé, par la subrogation judiciaire du créancier, laquelle ne devra être accordée qu'après que le débiteur aura été sommé d'exercer son action et entraînera sa mise en cause, sans qu'il ait le droit de transiger ou de compromettre autrement ses droits devenus ceux des créanciers; en même temps, le créancier poursuivant devra être constitué représentant des autres, après qu'ils auront été dûment avertis. De cette façon, le jugement rendu en faveur du créancier demandeur, profitera aux autres créanciers et au débiteur, et le jugement rendu en faveur du tiers sera opposable aux mêmes personnes, (v. la loi sur la subrogation judiciaire de l'année 23e de Meiji, n° 93).
Le 3e alinéa introduit trois exceptions ou témpéraments à la règle que les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur.
1° Ils ne peuvent exercer les simples facultés légales de leur débiteur. Avant de proposer la formule caractéristique des simples facultés opposées aux droits, on en donnera d'abord quelques exemples incontestables et frappants.
Il est évident que les créanciers ne pourraient bâtir sur un terrain de leur débiteur, louer ses immeubles, exploiter ses terres ou modifier ses cultures; cependant, on pourrait dire que ce sont là des droits incontestables du débiteur, mais, en réalité, ce sont de simples facultés. On pourrait multiplier les exemples.
Au contraire, il n'est pas douteux que les créanciers puissent exercer une action en nullité ou rescision de convention, appartenant à leur débiteur, pour vice de consentement ou pour incapacité; de même, une action en résolution pour inexécution des conditions, une action en dommages-intérêts pour dommages causés aux biens et une foule d'autres.
Il faut pourtant trouver une formule, un signe caractéristique qui permette, dans tous les cas, de voir si l'on est en présence d'un droit ou d'une simple faculté.
La distinction est celle-ci; chaque fois qu'il s'agit d'un avantage que le débiteur ne peut négliger de faire valoir sans éprouver une perte certaine, cet avantage est un droit; chaque fois, au contraire, que, pour obtenir l'avantage, il y a à faire un sacrifice volontaire, il y a simple faculté. Et la différence relative au droit d'agir des créanciers est facile à justifier: du moment que le droit ne peut être négligé sans une perte certaine et directe, il est naturel que les créanciers conservent leur gage et se substituent au débiteur de mauvaise volonté; au contraire, quand il y a à délibérer si l'exercice de la faculté est avantageux ou non, les créanciers ne pourraient s'immiscer dans cette délibération et agir au lieu et place du débiteur, peut-être contre sa volonté: ce serait lui enlever l'administration de son patrimoine, ce qui dépasserait infiniment l'avantage que la loi a entendu leur accorder ici. D'ailleurs, s'il y a plusieurs créanciers ce qui sera le plus fréquent, il y a presque certitude qu'ils seront en désaccord sur l'exercice d'une faculté, tandis que, pour l'exercice d'un droit, l'accord est tout naturel. C'est seulement au cas de faillite que le droit des créanciers peut aller jusqu'à exercer les facultés du débiteur; mais alors c'est qu'il y a pour lui dessaisissement de ses biens, et justement alors, les créanciers sont organisés en assemblée, et délibèrent à une certaine majorité, pour le meilleur règlement de leurs intérêts.
2° La deuxième exception concerne des droits proprement dits du débiteur dont l'exercice est refusé aux créanciers. Ce sont des droits qui présentent plus d'intérêt moral que d'intérêt pécuniaire, c'est pourquoi ils sont considérés comme “exclusivement attachés ou réservés à la personne même du débiteur;” il en serait de même, et à plus forte raison, des droits dont l'intérêt est purement moral et que d'ailleurs les créanciers n'auraient eux-mêmes aucun intérêt à exercer. Cette formule aidera à faire distinguer ces droits d'avec les autres. Les exemples les plus fréquents et les plus saillants à citer sont: les droits relatifs à l'état des personnes, tels que la réclamation ou la contestation de légitimité, la demande en divorce ou en nullité de mariage ou d'adoption, le droit de demander la réparation d'une injure ou d'un autre délit contre la personne, celui de demander la révocation d'une donation pour ingratitude, etc.
Au contraire, on doit considérer comme rentrant dans le droit des créanciers, les actions qui tendent à faire recouvrer à leur débiteur tout ou partie d'une succession, lors même qu'un intérêt moral serait en jeu et pourrait faire hésiter le débiteur; par exemple, la pétition d'hérédité, même subordonnée à la contestation de légitimité d'un enfant, l'action en réduction de donations ou legs excessifs, en déclaration d'indignité contre un héritier. Dans ces divers cas, l'intérêt pécuniaire à agir paraît excéder l'intérêt moral à ne pas agir et le droit des créanciers ne pourrait être exclu que par une renonciation formelle du débiteur faite sans fraude.
3° Enfin, la loi qui a compté le droit de saisie au nombre des garanties des créanciers le leur refuse sur certains biens qui ne sont pas leur gage et qui, pour des raisons de convenance ou d'humanité, sont aussi exclusivement réservés au débiteur, d'où leur nom d'insaisissables (v. art. 29); ces biens sont énumérés au Code de Procédure civile, au sujet des saisies.
Art. 340. Le droit des créanciers exposé dans l'article précédent a ici sa contre-partie: leur qualité d'ayant-cause qui les fait profiter de tous les actes avantageux de leur débiteur, les fait souffrir aussi de ses actes nuisibles: s'il diminue son actif, par des donations ou même par des aliénations à titre onéreux peu avantageuses, ils voient leur gage diminuer; de même, s'il augmente son passif, s'il contracte de nouveaux engagements, ils doivent subir le concours des nouveaux créanciers et, par là encore, leur gage est diminué.
Mais, de même que le précédent article a reçu des exceptions, celui-ci en reçoit également: il y a des aliénations et des engagements que les créanciers ne seront pas tenus de respecter, comme ayant eu lieu “en fraude de leurs droits.” Dans ces cas, les créanciers ne sont plus des ayant-cause mais des tiers: le débiteur ne les a plus représentés, puisqu'il s'est fait leur adversaire.
Le présent article pose la règle avant l'exception et il définit la fraude.
Les articles suivants tranchent plusieurs questions encore débattues en Europe à cause de l'insuffisance des textes.
La loi prend ici le soin de définir la fraude, parce qu'il ne faut, ni la confondre avec le simple préjudice, ni l'en séparer tout-à-fait, ni en exagérer la différence. Le préjudice est le dommage qui résulte pour les créanciers de l'acte de leur débiteur; il peut être causé de bonne foi, c'est-à-dire sans intention de nuire aux créanciers. Si cette intention de nuire existait chez le débiteur, mais que le dommage ne fût pas produit, il n'y aurait pas lieu à la plainte des créanciers, parce qu'il n'y aurait pas d'intérêt pour eux et que l'intérêt est le mobile légitime des actions. Pour qu'il y ait fraude, dans le sens de notre article, et ouverture au droit des créanciers, il faut l'intention de nuire à ceux-ci et un préjudice réel, le fait et l'intention.
Cependant, comme il serait, le plus souvent, impossible aux créanciers de faire la preuve directe de l'intention de nuire que le débiteur aura toujours soin de dissimuler, la loi se contente de la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité actuelle ou savait qu'elle devait résulter de l'acte qu'il allait accomplir. Mais, si le débiteur était déjà insolvable à son insû, ou si, même le sachant, il croyait que son nouvel acte pouvait le relever, il n'y aurait pas fraude aux créanciers, quoique l'acte leur fût très préjudiciable.
La loi est trés générale dans cette disposition: elle permet d'attaquer, indistinctement, tous les actes qui diminuent le patrimoine du débiteur et, par suite, le gage des créanciers, soit directement, comme les aliénations ou les renonciations à des droits acquis, soit indirectement, comme les engagements nouveaux dont parle le 1er alinéa. Il n'y a pas même à distinguer, entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, au moins en ce qui concerne la double condition du préjudice et de l'intention frauduleuse. C'est à tort que l'on soutiendrait que, dans la donation, l'acquéreur cherchant à conserver un gain, est moins intéressant que les créanciers qui cherchent à éviter une perte; en effet, le fait, par le débiteur, d'avoir des créanciers ne doit pas lui enlever le droit de faire des libéralités, lorsqu'elles sont inspirées par la reconnaissance ou l'affection et non par l'animosité contre ses créanciers. Cette distinction entre les actes gratuits et les actes onéreux trouvera d'ailleurs sa place dans une autre question traitée à l'article suivant.
Ce qui pourrait donner lieu à une opinion défavorable aux donations, c'est que les legs ou donations testamentaires ne sont valables qu'autant que les dettes du défunt peuvent être payées sur les autres biens de la succession. Mais il est facile de répondre que si, au décès du débiteur, l'acquittement des legs n'était pas subordonné au payement préalable des dettes, les créanciers n'auraient plus aucune possibilité d'être payés; tandis que, du vivant de leur débiteur, le danger n'est plus le même.
Du reste, il restera toujours une différence défavorable aux donations, c'est que, si elles sont universelles, elles ne pourront avoir lieu qu'à charge du prélèvement des dettes, car; il est évident que le débiteur doit savoir qu'il se rend insolvable par ce genre de donation. Mais encore, ce n'est pas en invoquant la fraude que les créanciers demanderont leur payement, c'est en vertu du principe que la donation universelle est une sorte de succession.
Il faut, au contraire, distinguer au sujet de l'application de notre article, entre les cas où le débiteur aliène un droit acquis et celui où il manque à acquérir un droit qui lui est offert. Cette distinction, déjà faite en droit romain, est très sage et doit être encore admise aujourd'hui. En effet, si les créanciers peuvent s'opposer à ce que le débiteur diminue leur gage, c'est qu'ils y ont eux-mêmes un droit acquis; mais ils ne peuvent exiger qu'il l'augmente: lors même qu'on offrirait une donation à leur débiteur, ils ne peuvent prétendre qu'il l'accepte, ni l'accepter pour lui, parce qu'il est seul juge de la convenance qu'il y a pour lui à recevoir une donation d'une personne quelconque, même honorable. En tout cas, lors même que les créanciers prétendraient un pareil droit, ce ne serait pas en vertu de notre article, mais en vertu du précédent; or, il s'agit ici d'une de ces “simples facultés” dont l'exercice est exclusivement réservé au débiteur.
Malgré la généralité des termes de la loi, il va de soi que les créanciers ne pourraient faire annuler comme frauduleux un acte d'aliénation portant sur des choses insaisissables: dans ce cas, les créanciers ne pourraient alléguer qu'il y a préjudice pour eux, puisque ce bien, en admettant qu'il fût aliénable, ne pourrait servir à les payer que par la pure volonté du débiteur.
Art. 341. Cet article règle les voies et moyens par lesquels les créanciers obtiennent la réparation du préjudice à eux causé par les actes frauduleux du débiteur.
Le premier moyen, celui qu'on peut considérer comme général, est une action tendant à l'annulation de ce qui a été fait en fraude des créanciers. Pour distinguer cette action des autres actions en nullité, on l'appelle “action révocatoire.”
Le 1er alinéa du présent article nous dit que cette action est donnée contre ceux qui ont traité avec le débiteur et, subsidiairement, c'est-à-dire, en tant qu'il est besoin et possible, contre les sous-acquéreurs. Il est clair que cette action ne peut être exercée contre le débiteur, au moins contre le débiteur seul; et cela pour deux raisons: la première, c'est qu'il ne dépend plus de lui d'anéantir l'acte qu'il a fait avec un tiers, la seconde c'est qu'il est insolvable et que l'action contre lui n'aurait aucune utilité pour les créanciers. Il faut donc que l'action soit dirigée contre ceux qui ont traité avec le débiteur; sauf à mettre celui-ci en cause, comme l'exige le 3e alinéa, tant pour qu'il puisse soutenir la validité de l'acte que pour que le jugement lui soit opposable.
Quand il s'agit de faire annuler un engagement du débiteur envers un tiers, ou une renonciation du débiteur à une créance qu'il avait contre un tiers, c'est ce dernier seul qui peut être le défendeur: l'action est nécessairement personnelle contre lui; elle ne provient pas d'un contrat, car le tiers n'a pas contracté avec les créanciers, mais elle est née, soit de sa participation à la fraude, ce qui est un dommage injuste, soit de son enrichissement illégitime.
S'il s'agit de faire annuler une aliénation et que la chose aliénée soit encore la propriété de l'acquéreur, l'action est de même personnelle et elle s'explique de la même manière. Mais si l'acquéreur a lui-même cédé la chose, la loi permet et devait permettre la révocation contre le sous-acquéreur, au moins dans certains cas: autrement, la réparation du préjudice eût été le plus souvent impossible; mais il ne fallait pas non plus atteindre des tiers qui n'auraient eu aucune participation à la fraude; il a donc été nécessaire de faire des distinctions, indiquées aussitôt après: suivant ces distinctions, l'action révocatoire, même dirigée contre des sous-acquéreurs, est encore personnelle, car elle se trouve toujours fondée sur un dommage injuste.
Le 2e alinéa prévoit un acte frauduleux du débiteur, qui n'est pas un contrat, mais qui ne doit pas davantage échapper à la révocation. Le débiteur, avec intention frauduleuse contre ses créanciers, s'est laissé condamner dans une instance où il était défendeur, ou il a laissé rejeter une demande par lui faite, pour la forme seulement, mais dans laquelle il n'a pas soutenu son droit; les créanciers n'avaient pas usé du droit d'intervention que leur fournissait l'article 359, 2e al.: dans ces deux cas, la justice a été nécessairement trompée, et le respect dû à ses décisions ne sera nullement atteint parce que sa décision sera attaquée. Il y a, à cet égard, une voie de recours spéciale et extraordinaire, appelée révision (C. Pr. civ. art. 483).
La loi veut que, dans tous les cas, le débiteur soit appelé au procès: il y sera défendeur conjointement avec le tiers, car son rôle naturel est de défendre son acte et de soutenir celui avec lequel il a traité (v. C. proc. civ. art. 482).
Le dernier alinéa prévoit le cas où la révocation ne pourrait être obtenue effectivement, c'est-à-dire par annulation de l'acte frauduleux; dans ce cas, il sera pourvu à la réparation du préjudice des créanciers par une demande en dommages-intérêts. Voici les principaux de ces cas: l'aliénation frauduleuse a porté sur des objets mobiliers que l'acquéreur a détournés et qui ne peuvent être retrouvés; ou bien, ce sont des meubles ou même des immeubles que l'acquéreur a revendus à des tiers de bonne foi qui ne peuvent être atteints par l'action révocatoire, d'après l'article suivant.
Il faut admettre enfin que les créanciers fraudés pourrait toujours se borner à une action en dommages-intérêts, lorsque la chose aura passé dans les mains d'un sous-acquéreur, s'ils préfèrent ne pas s'engager dans une poursuite devenue plus difficile contre celui-ci.
Art. 342. La loi tranche ici trois questions que plusieurs Codes étrangers ont laissées incertaines et sur lesquelles les légistes n'ont pu arriver à un parfait accord.
La première solution a déjà été annoncée par les observations faites sur l'article 340. La loi ne se contente pas du simple préjudice pour permettre l'annulation des actes gratuits du débiteur: que l'acte soit gratuit ou onéreux, le fondement nécessaire de l'action révocatoire est l'intention frauduleuse jointe au préjudice réel, et, comme la fraude ne peut se présumer, les créanciers devront la prouver. On rappelle seulement que l'intention frauduleuse est suffisamment établie par la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité.
La deuxième solution présente la seule différence admise ici entre les actes gratuits et les actes onéreux; si l'acte est gratuit, le contractant ne sera pas à l'abri de la révocation, malgré sa bonne foi, tandis que celui qui a contracté à titre onéreux ne perdra le bénéfice de l'acte qu'autant qu'il aura colludé, c'est-à-dire participé à la fraude commise contre les créanciers, ce qui sera suffisamment établi par cela seul qu'il l'aura connue. Cette distinction entre les actes gratuits et onéreux a toujours été admise par les jurisconsultes, depuis les Romains: elle se fonde sur cette idée, très juste en elle-même, mais qu'on a quelquefois poussée trop loin, que “le donataire qui cherche à conserver un gain est moins” intéressant que les créanciers fraudés qui cherchent “à éviter une perte.” Au contraire, ceux qui ont traité à titre onéreux avec le débiteur cherchent aussi à éviter une perte, en contestant la révocation; or, lorsque le débat s'établit entre personnes également favorables, il est naturel de maintenir ce qui a été fait, de laisser à chacun sa position acquise, de sorte que “la préférence reste à celui qui possède.”
Lorsqu'il s'agit, non d'un contrat frauduleux, mais d'un procès que le débiteur a laissé décider contre lui, en fraude de ses créanciers, il faut faire la même distinction: si le procès est fondé sur un acte onéreux, la révision tendant à faire révoquer le jugement erroné ne peut être admise que si l'adversaire a colludé avec le débiteur; si le procès, au contraire, est fondé sur une donation dont l'exécution est litigieuse, il suffit, pour le succès de la révision, que le débiteur ait eu l'intention de frauder ses créanciers, sans collusion du donataire.
La troisième solution (2e alinéa) est différente, sur un point, de celle qu'on donne habituellement dans la jurisprudence étrangère. On a dit, plus haut, que l'action révocatoire n'atteindrait pas suffisamment son but, si elle ne pouvait être donnée que contre celui qui a traité avec le débiteur. Cependant, il est difficile de soutenir que les créanciers fraudés gardent un droit réel sur les choses aliénées en fraude de leur droit: on ne peut assimiler leur gage général au gage spécial dont ils seraient nantis ou à une hypothèque qui leur aurait été constituée; ils ne peuvent donc avoir un véritable droit de suite, lequel serait l'avantage distinctif du droit réel. Mais, si l'on trouve dans la situation des sous-acquéreurs les éléments d'une obligation, l'action peut être donnée contre eux, comme action personnelle.
Ainsi, tout le monde est d'accord pour donner l'action contre un sous-acquéreur de mauvaise foi, c'est-à-dire qui a connu la fraude originaire faite aux droits des créanciers: il y a alors l'enrichissement injuste déjà mentionné. Mais, si le sous-acquéreur a ignoré cette fraude, s'il a été de bonne foi en recevant la chose, alors on fait généralement une distinction: on met à l'abri de la révocation le sous-acquéreur à titre onéreux et on y soumet le sous-acquéreur à titre gratuit, toujours sous le prétexte “qu'il cherche à retenir un gain, en face de ceux qui cherchent à éviter une pert.” Là est l'exagération.
Le Code japonais se sépare ici de l'opinion commune: il protège également tous les sous-acquéreurs de bonne foi, quelle que soit la nature de leur titre d'acquisition. En effet, il n'est pas exact de dire qu'un sous-acquéreur par donation qui a ignoré la fraude faite aux créanciers “ne cherche qu'à conserver un gain,” il ne faut pas dire non plus qu'il est enrichi indûment du bien d'autrui, ce qui le soumettrait à l'obligation de rendre. Assurément, un donataire qui a pu considérer une libéralité comme valablement acquise et qu'on en dépouillerait ensuite, ne serait guère moins lésé qu'un acheteur: il a pu changer son mode d'existence, se marier, entreprendre un commerce ou une industrie et le dépouillement serait la ruine. Lorsqu'il s'agit d'un donataire direct du débiteur frauduleux, on peut lui imputer quelque imprudence, notamment, de ne pas s'être assuré de la situation du donateur: mais quand le donataire est un sous-acquéreur, il ne connaît pas nécessairement l'auteur de la première aliénation: aucune faute ne lui est imputable.
On n'hésite pas à se séparer ici de l'opinion commune.
Art. 343. La première des solutions de cet article est indiscutable. Il y a plus de difficulté sur la seconde.
Assurément, les créanciers qui n'ont traité avec le débiteur qu'après l'acte frauduleux ne peuvent dire qu'ils sont fraudés: ils ont dû connaître la position du débiteur, l'état actuel de son actif et de son passif, ils ne sont pas trompés; l'action révocatoire ne peut donc appartenir qu'aux créanciers antérieurs aux actes frauduleux.
Mais ce serait exagérer leur avantage que de soutenir, comme on l'a fait, que le profit de la révocation ne doit aussi appartenir qu'à eux seuls: ce serait faire deux catégories de créanciers et deux masses de biens à distribuer, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de la faillite et de la déconfiture.
L'effet de la révocation doit être de retablir les choses dans l'état où elles auraient été si l'acte frauduleux n'avait pas eu lieu. Ainsi, s'il y a eu engagement frauduleux envers un créancier, ce dernier sera seul écarté de la distribution des biens du débiteur et son exclusion devra profiter à tous les autres; s'il y a eu renonciation frauduleuse du débiteur à une créance, celui au profit duquel elle a été consentie devra payer sa dette et tous les créanciers en bénéficieront. Il n'en doit pas être autrement au cas d'aliénation révoquée, la chose rentrée dans les biens du débiteur sera vendue et le prix en sera distribué entre tous les créanciers. Toutefois, si celui contre lequel la révocation est prononcée avait lui-même fourni une contre-valeur, il figurerait avec les autres dans la distribution, pour la restitution qui lui est certainement due.
Le texte réserve, en terminant, le cas où il y aurait entre les créanciers des causes légitimes de préférence: c'est toujours l'application de l'idée que l'acte révoqué est censé non avenu. Ainsi, ceux des créanciers qui pouvaient avoir sur la chose un droit de gage ou d'hypothèque le conserveront comme droit réel; il pourra même arriver que la préférence soit née de la révocation elle-même: ainsi, le créancier qui a fait les poursuites sera remboursé par préférence aux autres, sur la valeur du bien recouvré, des avances et frais qu'il a faits pour le procès: c'est un cas de privilége fondé sur l'idée de service rendu à la masse, c'est-à-dire à tous les créanciers.
Art. 344. 167. Le délai de trente ans est admis ultérieurement comme étant la plus longue prescription des actions personnelles, ce qui est le cas de l'action révocatoire. Ce délai est considéré ici comme largement suffisant pour que les créanciers puissent connaître la fraude dont ils ont été victimes. Mais, si la fraude est une fois connue, le délai de deux ans pour agir est suffisant aussi. Si la fraude n'avait été découverte qu'après vingt neuf ans depuis l'acte frauduleux, il ne resterait plus pour agir que ce qui resterait à courir des trente ans.
II. DE L'EFFET DES CONVENTIONS A L'ÉGARD DES TIERS.
Art. 345. La disposition de cet article est encore une des plus importantes du droit privé; elle est un de ces principes constamment invoqués dans les discussions d'espèces et qu'on doit toujours avoir présents à l'esprit; il a déjà été cité ici plus d'une fois, à l'appui de certaines dispositions de la loi: “les conventions entre les parties ne peuvent nuire ni profiter à des tiers.”
Le principe est facile à justifier, surtout dans la première proposition qui met les tiers à l'abri des conséquences de conventions auxquelles ils n'ont pas participé: il est clair que nul ne peut voir diminuer ses droits, ni augmenter ses charges, par un fait auquel il est resté étranger; nul ne doit souffrir du fait d'autrui; quand un tel mal est produit par un fait d'autrui, il doit être réparé; mais il ne pourra pas être produit par un droit d'autrui: il suffit pour le prévenir que la loi s'y oppose.
La seconde proposition est moins commandée par la justice que par la raison: aucun intérêt ne serait lésé, si les conventions faites entre deux parties profitaient à un tiers qui n'y a pas participé; mais ce serait contraire à l'ordre naturel des choses: on a même vu plus haut (v. art. 323) que le stipulant lui-même ne pourrait, au moins en règle générale, se prévaloir d'une stipulation qu'il aurait faite au profit d'un tiers.
Mais les deux propositions peuvent recevoir des exceptions et c'est à la loi à les déterminer.
Déjà, on a vu que la stipulation pour autrui est valable dans deux cas indiqués par l'article 323; mais, c'est à peine si l'on peut dire que, dans ces deux cas, il y a exception au principe, car, avant que le tiers ait déclaré accepter la stipulation, le bénéfice ne lui en est pas acquis irrévocablement, ce n'est même pas à lui qu'appartient l'action, mais au stipulant, et, après son acceptation, il n'est plus étranger à l'acte, il y est participant (v. art. 325).
La loi admet aussi quelques exceptions à la règle inverse, qu'une convention ne peut être opposée qu'à ceux qui y ont pris part. Ainsi, notamment, on voit au Code de commerce (art. 1039), les créanciers du failli prenant, à une certaine majorité, des délibérations qui lient la minorité, quoiqu'elle n'y ait pas consenti et même y ait résisté.
Il faut, du reste, se garder de considérer comme exception au principe le cas où des associés prennent, à la majorité des voix, des décisions qui lient la minorité des associés: en pareil cas, si la force de la délibération est opposable à tous, c'est que les statuts de la société l'ont décidé et les statuts ont été préalablement votés à l'unanimité ou acceptés individuellement par chaque associé, au moment de son entrée dans la société.
Les articles suivants vont présenter d'autres dispositions qui, dans une certaine mesure, ont aussi le caractère d'exceptions à la première règle, ce qui explique leur place dans ce §: on y verra des conventions nuisant aux tiers et ces tiers ne seront autres que des personnes ayant été parties dans une autre convention antérieure; mais il y aura à cela une raison particulière, c'est qu'ils n'auront pas fait tout ce que la loi leur prescrivait pour conserver leur droit.
Ces dispositions sont au nombre de trois: les deux premières sont l'objet des deux articles suivants; la troisième, infiniment plus difficile dans son application et ses détails, occupe les articles 348 et suivants.
Art. 346. Il faut bien se garder de voir dans l'avantage attribué ici à la possession un retour à l'ancienne théorie d'après laquelle la tradition était nécessaire pour la translation de la propriété. Lorsqu'il y a eu deux aliénations successives d'un meuble, il n'est pas douteux que la propriété soit acquise au premier contractant, et, d'après le droit commun, le cédant n'a pu conférer une seconde fois le même droit; le second cessionnaire, n'étant que l'ayant-cause du cédant, ne devrait pas avoir plus de droit que celui-ci, et spécialement, il ne devrait pouvoir, en aucun cas, évincer le premier cessionnaire qui est un tiers par rapport à la seconde convention. Mais la loi considère que l'équité et l'intérêt général souffriraient également, si un nouveau contractant était exposé lui-même à une éviction qu'il n'a pas prévue ni pu prévoir. Ne pouvant organiser une publicité proprement dite des aliénations de meubles, comme elle en institue une pour les aliénations d'immeubles, la loi la considère comme utilement remplacée par la tradition réelle, c'est-à-dire par la mise en possession matérielle de l'acquéreur. Dès lors, celui qui achète ou reçoit en donation un meuble, déjà aliéné et qui n'est plus en possession du cédant, commet une imprudence dont il doit s'imputer les suites: il reste ayant-cause, avec les conséquences de cette qualité. Mais si, au contraire, le second acquéreur voit la chose dans les mains du cédant, ce n'est plus lui qui est en faute, mais le premier acquéreur qui n'a pas exigé la tradition. Les situations sont alors interverties par la loi, qui donne la qualité d'ayant-cause au premier acquéreur et celle de tiers au second: celui-ci n'est pas tenu de respecter une aliénation, même antérieure, qu'il n'a pu connaître; dès lors, la seconde convention nuit à une personne qui n'y a pas figuré et le présent article devient une nouvelle exception à la règle de l'article précédent.
La loi subordonne cette préférence donnée au possesseur réel à deux conditions qui complètent l'équité de la disposition:
1° Il faut que le possesseur soit de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ait ignoré la première cession. La loi a soin, à ce sujet, de se prononcer sur un point qui, sans cela, ferait difficulté: faut-il exiger la bonne foi, non-seulement au moment de la convention, mais encore au moment de la prise de possession? La loi ne l'exige qu'au moment de la convention; c'est là, en effet, que, les choses étant encore entières, le nouvel acquéreur doit s'abstenir de traiter, s'il connaît la première cession; mais, une fois ce moment passé, si la loi l'obligeait à s'abstenir de demander et de prendre la possession, parce qu'il a découvert une cession antérieure, elle lui imposerait le sacrifice d'un droit sur lquel il a raisonnablement compté.
2e Il faut encore que le nouveau cessionnaire n'ait pas eu, au moment du contrat, l'administration des biens du premier acquéreur: autrement, il aurait eu l'obligation de prendre la possession pour celui-ci et surtout de ne pas la prendre pour lui-même; tel serait le cas d'un tuteur ou d'un mari qui acquerrait un meuble déjà cédé à son pupille ou à sa femme.
Si, maintenant, l'on suppose qu'aucun des cessionnaires n'a été mis en possession réelle, on retrouvera l'application de la règle que la propriété a été transférée au premier par le seul consentement: c'est lui qui triomphera dans l'action en revendication qui serait intentée par l'un ou par l'autre; si le cédant est insolvable, le premier cessionnaire ne subira pas le concours avec les créanciers et il se fera délivrer la chose, à l'exclusion de ceux-ci; enfin, les créanciers du cédant ne pourraient jamais critiquer la seconde cession comme faite en fraude de leurs droits, par application de l'article 340, car le bien n'appartenait plus à leur débiteur au moment de cette seconde cession.
Le premier alinéa du présent article en restreint l'application aux meubles corporels, de manière à en exclure les créances ou droits personnels qui sont des choses incorporelles: ces choses, en effet, sont susceptibles de possession, mais cette possession ne se révèle pas par des actes extérieurs. Le 2e alinéa fait une exception en faveur des créances ou titres au porteur et y applique la disposition qui nous occupe. On sait, en effet, que les titres au porteur sont des actes constatant une obligation (généralement de l'Etat ou d'une grande corporation) au profit de quiconque possède ou détient le titre; il est donc naturel que la possession de ces titres produise le même avantage, pour un second cessionnaire au préjudice du premier, que s'il s'agissait d'une chose corporelle.
Art. 347. La cession de créance est d'une très-grande importance pratique. Il ne s'agit ici, du reste, comme on le voit, à la lecture de l'article, que de la manière de donner à la cession une sorte de publicité, ou, au moins, de la porter à la connaissance des intéressés.
Supposons un instant que la cession de créance ne fût soumise à aucune publicité; voici comment les choses se passeraient: le cessionaire opposerait son droit; 1° au débiteur lui-même, qui ne pourrait plus valablement payer au créancier cédant; 2° aux créanciers du cédant, lesquels ne pourraient plus faire de saisie-arrêt sur cette créance qui n'appartient plus à leur débiteur 3° aux cessionnaires postérieurs, qui ne pourraient plus valablement acquérir une créance déjà aliénée. Ces personnes auxquelles le droit du premier cessionnaire serait opposable se trouveraient évidemment ayant-cause du cédant et tenues de respecter ses actes antérieurs; le cessionnaire lui-même serait ayant-cause pour les actes antérieurs au sien (par exemple, pour un payement partiel ou une transaction qui diminuerait la créance); mais il serait tiers pour les actes postérieurs.
Cependant, cette situation serait très-défavorable à la confiance générale: elle exposerait les contractants à des surprises et à des déceptions qu'il ne dépendrait pas d'eux d'éviter. La loi, ne pouvant considérer ici la délivrance ou remise des titres comme une publicité suffisante, en a organisé une autre; mais, lorsqu'elle soumet la cession à une certaine publicité, elle ne fait autre chose que de subordonner le maintien de ces positions respectives à une condition facile à remplir par le cessionnaire et qui, justement, suffit à prévenir le danger signalé que courraient les ayant-cause.
Il faut maintenant expliquer comment les formalités prescrites tiennent lieu de publicité.
D'abord, il y en a deux: 1° la signification ou notification de la cession au cédé, laquelle peut être faite, soit par le cédant, soit par le cessionnaire, conjointement avec le cédant ou autorisé par lui, au moins quand la cession est sous seing privé; 2° l'acceptation du cédé, soit dans l'acte même de cession, auquel il consent à intervenir, soit dans un acte séparé; cette acceptation doit être faite par acte écrit, authentique ou sous seing privé.
L'avertissement ainsi donné au cédé suffira pour tous les intéressés: d'abord, il suffira pour le cédé lui-même, qui ne doit plus payer au cédant, ni faire avec lui aucune transaction ou convention libératoire qui nuirait au cessionnaire; il suffira aussi pour les créanciers du cédant qui voudraient faire saisie-arrêt sur la créance, et pour les personnes qui seraient disposées à acquérir la créance; car, avant de saisir ou de traiter, ces personnes ne manqueront pas de s'assurer, près du prétendu débiteur, s'il l'est réellement encore et quel est le montant de la dette; suivant la réponse qui leur sera faite (et dont ils feront bien de tirer une preuve écrite, en prévision d'une fraude ou d'une erreur), ils traiteront ou ne traiteront pas.
Le 2e alinéa indique une différence notable entre les deux formalités: la signification, étant un acte auquel le cédé ne participe pas, ne peut lui nuire (art. 345); en conséquence, elle lui laisse le droit d'opposer au cessionnaire tous les moyens de défense qu'il aurait pu avoir contre le cédant, tels que la nullité absolue de l'obligation pour défaut de consentement, de cause ou d'objet, l'annulabilité pour vice de consentement ou incapacité, ou toute cause extinctive de la dette, pour le tout ou pour partie; au contraire, l'acceptation, étant son œuvre, lui enlève ces moyens de défense, par une sorte de renonciation à ses droits ou de confirmation de la dette. Le seul cas douteux serait celui de la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par une ratification; mais l'obligation commencerait avec le nouveau consentement, si d'ailleurs elle avait une cause et un objet valables.
Le 3e alinéa suppose que le cessionnaire a tardé à faire la signification ou à obtenir l'acceptation et il en indique les conséquences: si le débiteur cédé paye ou se libère autrement vis-à-vis du cédant, si des créanciers de celui-ci font une saisie-arrêt entre les mains du cédé, si un autre cessionnaire signifie une nouvelle cession, ce sont ces personnes qui sont préférées, ce sont elles qui se trouvent tiers par rapport à la cession qu'elles ont ignorée et c'est le premier cessionnaire qui se trouve ayant-cause du cédant par rapport aux actes qu'il est tenu de respecter.
La loi ne se borne pas à déduire les conséquences du défaut de signification ou d'acceptation en temps utile: elle tranche une question fort grave et elle le fait dans un sens éminemment équitable. On décide généralement, en pays étranger, que si la signification de la cession n'a pas eu lieu, elle est présumée inconnue des intéressés et on voit là une présomption légale absolue, c'est-à-dire n'admettant aucune preuve contraire; on n'admet pas la recherche de la bonne ou mauvaise foi des tiers, c'est-à-dire de la connaissance qu'ils pourraient avoir eue autrement de la cession antérieure. Cette solution est évidemment contraire à la justice naturelle et elle ne se trouve pas suffisamment justifiée par la prétendue nécessité d'éviter des procès difficiles.
Le Code concilie ici la justice avec l'utilité générale, en admettant la preuve de la mauvaise foi, comme démenti à la présomption légale, mais en la limitant à l'aveu même de celui qui se prévaudrait du défaut de signification. Assurément, un débiteur qui avouerait qu'il connaissait la cession déjà faite, au moment où il a traité avec le cédant, ne serait pas digne de la protection de la loi, pas plus qu'un second cessionnaire qui avouerait avoir connu une cession antérieure non encore signifiée.
Lorsque l'on arrivera aux Preuves, on établira que l'aveu est une preuve toujours admissible, même contre les présomptions légales les plus fortes, chaque fois, du moins, que l'intérêt privé est seul en jeu, et cela, parce que, dans ces preuves, l'adversaire s'est fait juge dans sa propre cause, et, s'il se condamne lui-même, la certitude est absolue.
Ce que la loi ne permet pas, au moins en principe, ce serait de prouver la mauvaise foi par témoins ou par des présomptions de fait, et encore la prohibition cesse, lorsqu'il y a fraude concertée, collusion, entre le cédant et le nouveau cessionnaire, parce qu'alors il y a un délit civil caractérisé.
La même question et la même solution vont se représenter au sujet de la publicité à donner aux aliénations d'immeubles et, à cause de l'intérêt plus considérable de la matière, on s'y arrêtera davantage.
La loi ayant, dans l'article précédent, assimilé les créances aux porteurs aux choses corporelles, le présent article reste limité aux créances nominatives; mais quelques-unes encore sont régies par d'autres règles, ce sont les créances ou titres cessibles par voie d'endossement et connus généralement sous le nom d'effets de commerce. C'est au Code de commerce qu'il en est traité et l'on y verra que l'endossement, révélant, sur l'acte même, la cession de la créance, constitue pour les intéréssés une publicité suffisante.
Art. 348. On a reconnu, dans les temps modernes, la nécessité de donner une véritable publicité aux aliénations d'immeubles et aux cessions ou constitutions de tous autres droits réels formant démembrements de la propriété immobilière. Il serait tout-à-fait contraire à l'intérêt général que celui qui a cru acquérir un droit immobilier, en traitant avec celui qui paraissait investi du droit cédé, fût exposé à en être évincé par un cessionnaire antérieur dont il n'avait pu connaître les droits. Les observations présentées ci-dessus, au sujet des mesures prises par la loi, dans le but d'éviter ce danger, à l'égard des cessions de meubles corporels ou incorporels, dispensent d'insister sur ce point.
Le présent Code se borne à poser le principe de la publicité et sa sanction: on trouvera les détails d'application dans les lois des 19e et 23e années de Meiji.
C'est au tribunal local (ku saibansho) de la situation des biens, objets de la convention, qu'on a placé le registre destiné à recevoir les inscriptions: il se trouve ainsi facilement accessible aux intéressés.
Les registres d'inscriptions sont tenus d'après les propriétés et non d'après les noms des propriétaires; c'est-à-dire que chaque propriété parcellaire et chaque maison a pour ainsi dire un compte ouvert où figurent les actes dont elle est l'objet. C'est le mode de tenue des registres qui donne le plus de facilité pour les recherches et le plus de garanties aux intéressés.
L'article 348 indique quatre classes d'actes qui doivent être soumis à l'inscription.
Le 1er alinéa est très-large; il soumet à l'inscription tous les actes (entre-vifs ou testamentaires), qui confèrent à autrui, qui aliènent un droit réel immobilier qu'il s'agisse de la propriété pleine ou démembrée d'un de ses avantages, ou d'un de ces démembrements même, comme l'usufruit, l'usage, l'habitation, comme les droits de louage, d'emphytéose, de superficie ou d'hypothèque. Quelques-uns de ces droits sont pourtant incessibles; mais la publicité conserve une grande utilité pour ceux qui traiteraient avec le constituant: ils sauront qu'il n'a plus la disposition de ces mêmes droits et que la propriété est déjà démembrée entre ses mains.
Il n'y a pas à distinguer si l'acte est authentique ou privé, parce que le but de l'inscription est la publicité, laquelle n'est pas obtenue par la forme authentique. Il n'y pas à distinguer non plus si l'acte est à titre onéreux ou gratuit; les actes gratuits, il est vrai, paraissent nécessiter la publicité, plus encore que les actes à titre onéreux: sans doute, parce que souvent le donateur garde longtemps la possession de la chose donnée; mais, aujourd'hui qu'on ne considère pas la tradition comme une publicité sérieuse, si ce n'est en matière de meubles (voy. art, 346), son absence ou son retard ne motive pas de disposition exceptionnelle.
Les principaux contrats nommés et à titre onéreux qui se trouvent soumis à l'inscription, comme pouvant conférer des droits réels immobiliers, sont, outre la vente et l'échange, qui seront toujours les plus fréquents, la société, le contrat de mariage, la transaction; comme contrats innommés, on peut supposer une dation en payement (art. 461), une novation (art. 489-1°).
En ce qui concerne la prescription acquisitive d'un immeuble, il n'y a pas lieu de la soumettre à l'inscription.
D'abord, il arrivera le plus souvent que l'acte qui a motivé la prise de possession aura été inscrit comme juste titre, comme acte de nature à transférer la propriété; lorsque le vice de ce titre impuissant à transférer la propriété, parce qu'il émanait d'un autre que le propriétaire, a été couvert par la prescription, la publicité primitive du titre se trouve avoir eu la même utilité que si le titre avait été parfait à l'origine.
Cette raison ne s'applique plus au cas d'usurpation ou de prescription sans titre; mais il ne faut pas oublier que l'une des conditions essentielles de la prescription acquisitive est une possession continue et publique; or, cette publicité continue de la possession peut raisonnablement être considérée comme équivalente à l'inscription, si même elle ne lui est pas supérieure.
Le n° 2 de l'article 348 s'applique à des actes qui diffèrent plutôt par le nom que par le fond de ceux qui précèdent: si une convention modifie un droit précédemment acquis, elle y ajoute ou elle en retranche quelque chose; si elle ajoute au droit du cessionnaire, elle diminue ceux du cédant et, dès lors, ceux qui contracteront plus tard avec celui-ci ont intérêt à connaître la convention; si elle retranche quelque chose au droit du cessionnaire, ce sont ceux qui traiteront avec ce dernier qui ont intérêt à la publicité; il en est de même et à plus forte raison, au cas de renonciation totale à un droit réel établi sur la chose d'autrui.
Les démembrements de la propriété sont les seuls droits réels auxquels s'applique le n° 2, parce que ce sont aussi les seuls qui, par la simple renonciation, passent d'une personne à une autre, en retournant à la souche dont ils ont été détachés. Il est vrai que si quelqu'un renonçait à un droit de propriété immobilière, son droit passerait à l'Etat; mais, outre que le fait est bien rare, il serait difficile de voir là une transmission directe du particulier à l'Etat: le bien serait d'abord devenu sans maître, ensuite, l'Etat tiendrait son droit de la loi, et le présent article ne s'y appliquerait pas. Ce n'est pas à dire que, dans ce cas, l'inscription n'aurait aucun intérêt: elle tendrait, comme on l'a déjà fait remarquer, plus haut, à prévenir l'aliénation ultérieure du bien par celui qui l'avait abandonné; mais si l'hypothèse d'un abandon d'immeuble est déjà rare, celle d'une aliénation ultérieure le sera davantage encore, non seulement parce qu'elle serait un acte malhonnête, mais parce que cet abandon, suivi d'une prise de possession par l'Etat, aura été notoire, par sa singularité même.
Il ne faut pas, quant à la publicité, assimiler à la renonciation aux démembrements de propriété leurs causes naturelles d'extinction: ainsi l'extinction d'un bail par l'expiration du terme fixé ou d'un usufruit par la mort de l'usufruitier, n'est pas soumise à l'inscription: ceux qui traiteraient avec le locataire ou le fermier au sujet de son droit normalement éteint, seraient en faute, car l'inscription du bail leur en a révélé le terme; à plus forte raison, seraient en faute ceux qui, après la mort de l'usufruitier, traiteraient avec son mandataire, ignorant sa mort, ou avec son héritier ignorant que l'usufruit s'étient par la mort. Mais le jugement prononçant l'extinction d'un usufruit pour abus de jouissance devrait être publié, conformément à l'article 352, parce que ce n'est pas une cause naturelle d'extinction du droit d'usufruit.
La formule du n° 2 est générale, quant aux renonciations, pour plus de simplicité; mais il y en a qu'il sera inutile d'inscrire, faute d'utilité, ce sont les renonciations au droit d'usage ou d'habitation et à ceux des baux qui ne sont pas susceptibles d'être cédés ou hypothéqués (voy. art. 113, 134 et 135); en effet, personne ne pouvant devenir ayant-cause particulier du titulaire de ces droits en traitant avec lui, il n'y a à prévenir aucune des surprises ou erreurs auxquelles pare ordinairement la publicité; à l'égard de ceux qui voudraient traiter avec le plein propriétaire, au sujet des mêmes droits, celui-ci aura tout intérêt en même temps que toute facilité à établir, par la production de l'acte même de renonciation, que les droits antérieurement inscrits comme grevant son fonds ont cessé d'exister.
Le n° 3 soumet à l'inscription les adjudications d'immeubles sur saisie: ce sont des actes translatifs de propriété immobilière; si la loi en fait l'objet d'une disposition spéciale, c'est que ce ne sont pas des actes consentis entre les parties intéressées, puisque l'une d'elles, le débiteur saisi, est considérée comme résistant et contestant.
Bien que l'expropriation pour cause d'utilité publique doive être réglée par une loi spéciale, à la fois civile et administrative, il a paru bon de déclarer, dès à présent (n° 4), que ce genre d'acquisition est soumis à la publicité du droit commun; l'utilité est la même: c'est d'empêcher que des particuliers n'achètent de l'exproprié un bien qui désormais est du domaine public; la loi ne distingue pas, du reste, si l'expropriation a été consentie à l'amiable ou prononcée en justice.
La loi ne règle pas ici la publicité des droits réels de privilége et d'hypothèque. C'est au Livre des Garanties qu'il en est parlé.
Art. 349. Cet article laisse aux intéressés le soin de requérir l'inscription. Ils auront pour cela à justifier de leur qualité, de leur intérêt et de la sincérité du titre dont ils demandent l'inscription; cette justification se fera, soit par des moyens de droit commun, soit dans la forme qui sera fixée par les Règlements spéciaux de la matière. Il ne faudrait pas laisser les propriétaires exposés à ce que des inscriptions mal fondées fussent faites sur leurs immeubles et diminuassent ainsi leur crédit. Sans doute, une inscription indûment faite pourra toujours être annulée (art. 354), mais il vaut mieux prévenir les abus que les réprimer.
Avec ces précautions, il sera bon de donner au certificat d'inscription un caractère de titre constatant le droit; mais il y aura là une difficulté: si la convention n'a été rédigée que sous-seing privé, il ne sera pas possible que le certificat d'inscription ait une plus grande force probante que l'original: il n'y aura d'authentique que la déclaration de conformité.
Pour que la publicité résultant de l'inscription soit efficace, il faut que toute personne puisse requérir un extrait des inscriptions existant sur tel immeuble qu'elle désignera: le requérant pourra limiter sa demande aux mentions antérieures ou postérieures à une époque déterminée. Il y aura nécessairement à payer un droit, une taxe, suivant le nombre et l'étendue des extraits délivrés.
On pourrait, à la rigueur, autoriser les intéressés à examiner eux-mêmes les registres; mais ce procédé, s'il est moins dispendieux pour eux, présente des dangers d'altération des registres.
La loi n'exige pas qu'ici le requérant justifie de son intérêt, pour deux raisons: d'abord, aucun danger n'est à craindre pour le crédit légitime du propriétaire: il y perdrait, tout au plus, un crédit usurpé; ensuite, l'intérêt peut n'être pas encore né pour le requérant; par exemple, s'il s'informe avant de contracter.
Art. 350. Cet article présente les conséquences du système de publicité des mutations; elles sont, par ce qui précède, rendues faciles à comprendre et à justifier.
Si le premier acquéreur a fait inscrire son titre, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour empêcher que d'autres personnes, ignorant la cession, traitassent avec l'ancien propriétaire, pour acquérir de lui, soit la propriété même, soit des démembrements de la propriété, soit des sûretés réelles: celles-ci ne peuvent imputer qu'à elles-mêmes leur imprudence, si elles ont négligé de consulter les registres. On pourrait cependant supposer qu'elles ont demandé au conservateur du registre un état des inscriptions et que, par erreur, celui-ci a omis de mentionner une inscription que ces personnes avaient intérêt à connaître; le cas est prévu plus loin (art. 355): en pareil cas, la faute du conservateur ne peut retomber sur celui qui a inscrit son titre, elle retombe donc sur celui qui a requis le certificat sauf son recours contre le conservateur négligent.
Si, au contraire, le premier acquéreur n'a pas fait faire l'inscription, ceux qui ont, plus tard, traité avec le précédent propriétaire, étant fondés à lui croire encore cette qualité, conserveront leurs droits. Il en est de même de ceux qui ont traité avec un usufruitier ou un preneur à bail, au sujet de son droit déjà cédé, mais sans qu'il y ait eu inscription. Bien entendu, pour que les derniers contractants soient préférables au premier, il est nécessaire, comme le texte le dit, qu'ils aient eux-mêmes fait faire l'inscription de leur titre, à moins qu'ils ne soient dans un cas d'exception.
On remarque du reste, que la loi ne se place pas uniquement dans le cas où ce sont identiquement les mêmes droits qui ont été l'objet des conventions successives: il suffit qu'ils soient “incompatibles” : si le premier droit cédé était la nue-propriété et le second l'usufruit, ou réciproquement, il n'y aurait pas incompatibilité et les deux droits seraient maintenus, quel que fût l'ordre des inscriptions; mais, si le premier droit cédé était la pleine propriété, tous les autres droits cédés sur le même immeuble étant incompatibles avec elle, la priorité d'inscription serait essentielle à considérer.
La loi, ici, ne parle que de ceux qui ont traité avec le propriétaire ou titulaire apparent des droits cédés: mais il faut y ajouter ceux qui ont acquis des droits du chef de celui-ci, ce qui comprend des créanciers ayant acquis une hypothèque légale ou testamentaire et des créanciers, même chirographaires, ayant inscrit une saisie immobilière avant l'inscription d'une acquisition.
Un autre cas que la loi laisse ici sous l'empire des principes de la matière, comme suffisant à le régler, est celui où un acquéreur, n'ayant pas inscrit, a cédé des droits à des tiers qui ont inscrit leur titre et non celui de leur auteur; dans ce cas, si l'ancien propriétaire cède de nouveau sur l'immeuble des droits incompatibles avec le premier, ceux qui les ont publiés sont préférables aux sous-acquéreurs qui pourtant ont inscrit les premiers; c'est qu'en effet la première acquistion, n'ayant pas été publiée, n'a pas dessaisi l'ancien propriétaire de la faculté de faire de nouvelles cessions valables en faveur des tiers.
La disposition la plus notable de l'article 350 est celle qui limite le bénéfice de la loi aux ayant-cause “de bonne foi.” On trouve bien une pareille disposition dans la loi belge dont l'article 1er ne permet de se prévaloir du défaut de transcription d'une précédente acquisition qu'à ceux qui ont, postérieurement, “contracté sans fraude;” mais, les autres lois étrangères n'ont pas cette condition de bonne foi ou d'absence de fraude et il s'en faut de beaucoup qu'on soit d'accord pour l'y suppléer.
Sans doute, on admet, comme auxiome général de droit, que la fraude ne peut être protégée par aucune des règles du droit; mais on ne veut pas ici appliquer l'axiome: on craint qu'il ne s'élève constamment des procès sur le point de savoir si le nouvel acquéreur connaissait ou non le premier contrat, et l'on soutient que le but de la loi serait alors complétement manqué, car il a été de donner de la stabilité aux conventions. On prétend donc qu'il y a, en cette matière, deux présomptions légales, contre lesquelles aucune preuve contraire n'est admise.
Au premier cas, s'il y a eu inscription de la première acquisition, les ayant-cause qui ont traité postérieurement sont présumés avoir connu l'acte transcrit, ou s'il ne l'ont pas connu, ils sont présumés négligents. Assurément, en pareil cas, personne n'admettrait la preuve contraire de cette présomption alternative, pas même dans l'hypothèse déjà signalée, où, par la faute du conservateur, la transcription faite n'aurait pas été mentionnée dans le certificat requis par le second contractant.
Au second cas, s'il n'y a pas eu inscription, on dit que la présomption légal est l'ignorance des ayant-cause et qu'il ne doit pas être permis de prouver qu'ils ont eu connaissance de la première convention par une autre voie que celle de l'inscription. La présomption d'ignorance d'un acte non inscrit, serait donc aussi forte que la présomption connaissance d'un acte inscrit.
Mais il n'y a pas parité entre les deux cas. Nul ne doit ignorer ce qui est régulièrement publié, cela est indiscutable; mais, au contraire, quelqu'un peut savoir, en fait, ce qui était tenu secret. Le premier acquéreur qui a inscrit son titre a nécessairement le bénéfice de sa diligence; mais, s'il a été négligent, il peut aussi, par hasard, par un heureux concours de circonstances, avoir le même avantage: il n'y a, en cela, rien d'injuste ni d'illogique: tous les jours, les personnes négligent ce que la prudence exigerait qu'elles fissent pour la sauvegarde de leur corps ou de leurs biens et, cependant, elles ne sont pas toujours victimes de leur imprudence. La même chose se passe ici; dès que le nouvel acquéreur est informé de la première convention par hasard ou autrement, le vœu de la loi est satisfait.
Evidemment, la loi qui organise la publicité des mutations n'est pas nécessaires pour celui qui connaissait déjà la première convention et ce n'est pas à lui qu'elle doit permettre de se prévaloir du défaut de transcription.
Cependant il ne faut pas, quand la loi a pris la peine d'organiser un moyen facile de porter les acquisitions à la connaissance des intéressés, que ceux qui ont négligé ce moyen puissent faire un procès pour prouver par tous les moyens possibles, qu'en l'absence d'inscription la mutation a été connue du second acquéreur: la loi se réfère à l'article 347 qui, dans un cas analogue n'admet qu'un mode de preuve, l'aveu de l'adversaire, pour suppléer au défaut d'inscription.
En effet, l'aveu fait pleine foi contre celui qui le fait. Si donc celui qui veut se prévaloir du défaut d'inscription, avoue, soit verbalement dans la procédure, soit dans une correspondance non contestée, qu'il connaissait la première aliénation, quoique non inscrite, il devra succomber dans sa prétention à la priorité. Il faudra même assimiler à l'aveu écrit, les cas où il aurait figuré comme témoin dans la première aliénation et celui où le nouvel acte, signé de lui, contiendrait une mention formelle du premier acte non inscrit.
Ceux qui ont contesté ici l'application de l'aveu ont allégué que ces preuves ne doivent pas être admises quand il s'agit de faire tomber une présomption d'ordre public, ce qui est exact d'ailleurs; or, selon eux, tout ce qui concerne la publicité des mutations de propriété est d'ordre public.
Il y a là une méprise. Sans doute, lorsque la loi organise un système de publicité, elle se préoccupe de donner la sécurité aux contractants, en général; elle veut déjouer la mauvaise foi, protéger la bonne foi, fortifier le crédit; c'est dans le but général de la loi qu'il y a une idée d'ordre public ou d'intérêt général; mais, lorsqu'un conflit d'intérêts s'élève devant un tribunal, au sujet d'actes inscrits ou non inscrits, il n'y a plus en jeu que deux intérêts privés et le but de la loi sera d'autant mieux atteint qu'on ne la fera pas servir à protéger celui des deux adversaires qui est de mauvaise foi.
Une observation importante reste à faire sur le présent article: il ne faudrait pas croire que la mauvaise foi du second cessionnaire au sujet de l'inscription négligée ait dû entraîner le législateur à donner la même solution, lorsqu'il arriverait à la matière des priviléges et hypothèques et à l'inscription à laquelle sont soumises ces sûretés pour être opposables aux ayant-cause du débiteur; on devra alors décider que la priorité d'inscription donne la priorité pour le payement, même lorsque le premier créancier inscrit connaissait l'existence du privilége ou de l'hypothèque dont l'inscription avait été négligée.
En effet, entre la propriété et ses démembrements, d'une part, et les priviléges et hypothèques, d'autre part, il y a une profonde différence, au point de vue qui nous occupe: les premiers sont incompatibles les uns avec les autres, comme seraient deux droits de propriété sur la même chose; ou, tout au moins, les uns amoindrissent les autres, comme l'usufruit, le louage, le privilége et l'hypothèque amoindrissent la propriété: la priorité y a donc une importance essentielle; au contraire, les priviléges et hypothèques peuvent coexister, appartenir à des personnes différentes sur le même bien, sans s'exclure nécessairement, sans que l'un soit la destruction de l'autre; ainsi, un créancier, primé dans le rang d'hypothèque qu'il espérait, peut être payé avec d'autres biens du débiteur, ou par une caution; les biens hypothéqués même peuvent souvent suffire à payer plusieurs créanciers inscrits. Si donc on suppose que le second créancier hypothécaire connaît la première hypothèque, quoiqu'elle ne soit pas inscrite, la bonne foi ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter, elle ne lui défend pas de se hâter de prendre inscription, car il a pu croire que si le premier créancier était peu diligent, c'est qu'il avait d'autres garanties de payement.
Art. 351. Lorsqu'une première cession a été faite à un incapable dûment représenté ou autorisé, c'est au gardien de ses intérêts qu'incombe l'obligation de faire procéder à l'inscription ; le tuteur la fera faire pour le mineur ou l'interdit, le mari pour la femme ; s'il s'agit d'une personne morale ou juridique qui a acquis, comme l'Etat un, fu ou ken, un shi, tcho ou son, un établissement public, une corporation, c'est au fonctionnaire public ou à l'agent qui représente cet être moral à procéder à la mesure conservatoire qui doit préserver l'acquéreur de l'éviction résultant d'une nouvelle cession ; les administrateurs nommés par la justice, comme les syndics de faillite, ont le même devoir ; il en est de même, enfin, d'un mandataire conventionnel chargé d'acheter un immeuble : il n'aura rempli complètement son mandat que lorsqu'il aura fait faire l'inscription ; on devrait même appliquer cette disposition aux mandataires conventionnels généraux, qui auraient connaissance qu'une acquisition d'immeuble faite par leur mandant n'a pas encore été inscrite.
Si, avant que l'inscription ait été faite par les soins du mandataire légal, judiciaire ou conventionnel, une autre acquisition a été inscrite, la priorité appartient à celle-ci ; le seul droit qui appartienne à l'incapable ou au mandant est un recours en indemnité contre son représentant négligent.
Mais, si c'était le représentant légal, judiciaire ou conventionnel, qui lui-même eût acquis le bien déjà cédé et eût fait inscrire le nouveau titre, alors, ce ne serait plus d'une indemnité en argent qu'il serait tenu : comme il devrait la réparation aussi complète qu'il peut la donner, il serait privé du droit d'évincer lui-même celui qu'il devait préserver de l'éviction d'autrui.
Rien n'est plus juste que cette solation. Peut-être, cependant, ce représentant était-il de bonne foi au moment où il a acquis et inscrit, peut-être l'acquisition de l'incapable était-elle antérieure à son entrée en fonc tions ; mais, comme son devoir était de prendre une connaissance exacte des droits dont il avait la garde, sa faute si légère qu'on la supposerait, suffirait encore à justifier cette sévérité de la loi. Il y aurait encore bonne foi, si le tuteur étant mort avant de faire l'inscription pour le mineur, son héritier, ignorant la première cession, avait lui-même acheté le bien et fait inscrire le premier : sa qualité d'héritier le soumettant aux obligations de son auteur, lui enlèverait le droit d'évincer le mineur.
Pour le privilège, comme pour l'hypothèque, la décision sera différente, par la raison donnée à la fin de l'explication de l'article précédent : lorsqu'un tuteur ou un mandataire a négligé de prendre inscription d'une hypothèque pour son pupille ou pour son mandant, et a inscrit le premier sa propre hypothèque, on doit décider que la priorité de droit sera acquise à la priorité de date de l'inscription ; il y a d'ailleurs des formalités et des procédures, dites de purge et d'ordre, qui seraient troublées et entravées si l'ordre et la priorité des inscriptions pouvaient être contestés par des allégations de faute ou de mauvaise foi chez le tuteur ou le mandataire le premier inscrit. En pareil cas, la faute du tuteur sera réparée par les voies ordinaires ouvertes au pupille ; il serait même possible à celui-ci de se faire attribuer directement en justice le profit de la collocation du tuteur.
Art. 352. On a déjà rencontré les principales applications des trois actions qui tendent à détruire des conventions : on sait que la résolution est demandée par une partie pour l'inexécution des obligations de l'autre, que la rescision est demandée pour vice de consentement ou pour incapacité, enfin, que la révocation a pour but de détruire un acte fait en fraude des créanciers. D'autres causes de résolution, de rescision ou de révocation seront admises par la loi ; mais ces applications déjà connues suffiront à l'intelligence de deux présent article.
Le plus souvent la demande en nullité viendra de l'aliénateur; mais ce pourrait être aussi de la part de l'acquéreur ; dans les deux cas l'action tend à faire rentrer le bien aliéné dans le partrimoine du cédant.
L'article 352 présente une distinction capitale. Dans certains cas, les actions dont il s'agit ici ne sont pas tellement favorables qu'elles doivent être données contre des sous-acquéreurs, c'est-à-dire contre des ayant-cause qui ont acquis de bonne foi des droits réels du chef de celui dont l'acquisition doit être annulée. Dans d'autres cas, c'est le demandeur qui a droit à la préférence. Assurément, il est pénible pour le législateur de ne pouvoir toujours préserver de l'éviction un sous-acquéreur qui, voyant le titre de son auteur régulièrement inscrit en la forme et ignorant d'ailleurs la cause de nullité de ce titre, ne peut être accusé ni de mauvaise foi ni d'imprudence. Mais le législateur ne peut non plus sacrifier l'incapable ou celui dont le consentement a été vicié par violence ou erreur, ni celui à l'égard duquel les conditions d'un contrat synallagmatique n'ont pas été remplies. Il ne reste à la loi qu'un moyen de se rapprocher ici de la justice idéale qu'elle poursuit toujours, c'est de rechercher quel est celui des intéressés qui est le plus digne de protection.
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les différents cas où l'action atteindra ou n'atteindra pas les sous-acquéreurs : ils sont indiqués dans chaque matière : rappelons seulement qu'on a déjà vu que la rescision pour erreur et violence est opposable aux sous-acquéreurs et qu'il en est autrement de la rescision pour dol.
La loi commence par les cas dans lesquels l'action ne peut atteindre les sous-acquéreurs. Dans ces cas, il est de l'intérêt du demandeur d'avertir les tiers, au plus tôt, de son intention de faire tomber son aliénation inscrite et de recouvrer son immeuble ; il devra donc faire mentionner sa demande en marge ou à la suite de l'acte inscrit et les tiers qui ont traité avec l'acquéreur postérieurement à cet avertissement ne pourront imputer qu'à leur imprudence l'éviction à laquelle ils se sont exposés.
La sanction de la disposition de la loi est la préférence donné au plus diligent Si, au contraire, on est dans 1 un des cas où l'action est de nature à détruire le droit des sous-acquéreurs aussi bien que celui du contractant primitif, alors le demandeur n'a pas d'intérêt à les avertir de sa demande : peu lui importe que le nombre de ceux que son action dépouillera augmente jusqu'au jour où il rentrera dans son bien; mais, la loi pourvoit à l'intérêt des tiers, en obligeant le demandeur à mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit, et plus tard, quand le jugement sera rendu en sa faveur, il devra en faire une pareille mention.
Il fallait établir, ici encore, une sanction contre le demandeur négligent On ne pouvait songer à le déclarer déchu du droit d'évincer les sous-acquéreurs qui auraient traité depuis la demande formée et avant qu'elle fût publiée: il y aurait eu Ii une grave inconséquence de la loi, il eût été déraisonnable que les droits du demandeur fussent diminuéx par l'exercice même de son action, Il ne restait comme sanction qu'un moyen de procédure, à savoir, déclarer l'action non recevable tant que la mention prescrite ne serait pas opérée.
Enfin, il fallait une sanction à l'obligation de mentionner le jugement à la suite de la demande. Elle ne pouvait plus être trouvée dans la procédure, puisqu'elle est terminée; il ne restait plus guère qu'une amende, c'est la sanction adoptée par la loi.
Il fallait aussi fixer le délai dans lequel la publicité serait donnée au jugement: le délai d'un mois a paru suffisant, à partir du jour où le jugement est devenu inattaquable. Mais comme les jugements peuvent être déclarés exécutoires provisoirement, nonobstant opposition, appel ou pourvoi en cassation, il a paru juste d'en ordonner la publicité avant l'exécution, même provisoire, sous la sanction de la susdite amende.
En cas de rejet de la demande, la loi veut, pour simplifier la procédure, que le tribunal en ordonne d'office, sans qu'il soit besoin de conclusions spéciales à cet effet, la radiation sur le registre; seulement, cette radiation ne pouvant être définitive que quand le jugement qui a rejeté la demande ne sera plus attaquable, elle ne sera effectuée qu'après l'expiration des délais de recoure, ou la confirmation du jugement, s'il y a en des recours formés. Il en sera de même au cas de péremption de l'instance par l'effet de la discontinuité des poursuites.
Reste enfin le cas où le demandeur en nullité renonce à son action ; la loi ne l'oblige pas à faire radier la mention de sa demande : elle laisse ce soin à la partie intéressée ; ce peut être le demandeur lui-même, cédant ou cessionnaire, ce peut être un des sousacquéreurs.
Art. 353. Cet article prévoit un cas qui aurait pu être une occasion de fraude entre les parties contre les sousacquéreurs: elles auraient pu, sans le contrôle de la justice et par une convention amiable, ou par un acquiescement du défendeur sur les premières poursuites, opérer la destruction de la convention première, en la qualifiant de résolution, de rescision ou de révocation, sans pourtant se trouver dans l'un des cas où ces actions sont admises ; il en serait résulté pour les sous-acquéreurs la perte de droits valablement acquis. La loi prévient cette fraude, cette collusion, en considérant toute pareille convention comme une rêtrocession, comme une translation inverse de la propriété ou du droit réel précédemment cédé. La conséquence en est que les droits des sous acquéreurs seront maintenus (bien entendu, en les supposant publiés eux-mêmes), et cela, “dans tous les cas,” c'est-à-dire sans distinguer si la prétendue cause de résolution ou de rescision était de nature, ou non, à prévaloir contre les sous-acquéreurs. La sanction de cette disposition est suffisamment indiquée au texte, c'est celle de l'article 350 : tant que l'inscription n'est pas faite, les droits concédés par le premier acquéreur et dûment publiés sont opposables à celui qui a obtenu la rétrocession.
Art. 354. Quelques précautions que puisse prendre la loi pour éviter les erreurs ou les fraudes, il pourra toujours arriver qu'une inscription soit indûment faite sur les registres ou qu'une mention soit mal à propos mise ou maintenue en marge d'un acte inscrit. Dans le premier cas, l'inscription nuit à celui qui prétend avoir un droit incompatible avec le titre inscrit ; par exemple, au propriétaire qui nierait avoir vendu à celui qui a fait inscrire une vente ; dans le second cas, c'est à celui qui a fait l'inscription que la mention est nuisible ; par exemple, si quelqu'un a fait mentionner une demande en nullité ou rescision d'un acte inscrit et n'en porte pas la demande au tribunal, ce qui est l'inverse d'une demande qui serait portée au tribunal sans avoir été préalablement mentionnée sur le registre. Dans ces cas, il y a lieu à radiation.
Les inscriptions ou mentions pourraient aussi, sans être entièrement mal fondées, contenir des inexactitudes ou des omissions plus ou moins graves ; par exemple, il aurait été porté dans l'inscription d'une vente que le prix est encore dû, lorsqu'il est déjà payé en tout ou en partie, ce qui nuit au crédit de l'acheteur, tant par le privilège réservé au vendeur que par son droit de résolution; ou bien, il aurait été omis, à tort de mentionner que le prix est encore dû. ou que telle autre charge incombe à l'acheteur, ce qui nuit au vendeur, par la raison inverse, en l'exposant à se voir contester ses deux droits précités. C'est le cas de la rectification.
Il y aurait pour les intéressés un grave préjudice à laisser planer ainsi l'incertitude sur l'existence, la nature ou l'étendue de leurs droits : la loi leur donne une action en justice pour faire radier ou rectifier les inscriptions ou mentions indues ou inexactes (1er alinéa).
Mais, pour que les ayant-cause qui traitent avec les intéressés sur le vu des inscriptions ne soient pas exposés à des déceptions, la loi veut que les demandes et jugements soient eux-mêmes publiés (2e alinéa), et, pour ne pas reproduire les distinctions déjà faites au sujet des sanctions encourues par les contrevenants, elle se borne à renvoyer à l'article 352.
Ainsi, si la vente transcrite était nulle comme n'émanant pas du vrai propriétaire, celui-ci n'encourrait que l'amende, pour avoir négligé de faire mentionner sa demande en marge de l'inscription de cette vente : il serait impossible, en effet, de l'obliger à respecter les actes passés et inscrits par les ayant-cause du prétendu acquéreur. Au contraire, il aurait ce devoir si, la vente émanant bien de lui, l'inscription avait présenté les inexactitudes ou omissions citées plus haut et concernant le prix et les charges de la vente : les ayant-cause de l'acheteur seraient fondés à croire l'inscription exacte, tant que la demande en rectification no leur aurait pas été annoncée ; les inscriptions par eux faites dans l'intervalle seraient maintenues, avec leur effet et leur rang.
La loi n'avait pas ici les mêmes raisons de suspecter les conventions amiables que lorsqu'il s'est agi de la résolution ou de la rescision volontaire d'actes inscrits: elle permet donc (3e al.) les radiations ou rectifications volontaires consenties par les intéressés, s'ils sont capables de disposer du droit immobilier dont il s'agit. Le remède à la fraude se trouve d'ailleurs dans le dernier alinéa auquel nous arrivons.
L'autorité de la chose jugée est une présomption de vérité qui n'admet aucune preuve contraire, quand toutes les voies de recours ont été épuisées ; mais ce n'est pas une vérité absolue, reconnue envers et contre tous, c'est une vérité relative aux parties seulement qui ont figuré dans l'instance et à leurs ayant-cause. On aurait pu croire que lorsqu'un jugement a ordonné contre un acquéreur la radiation ou la rectification d'une inscription, il aurait effet également contre ceux de ses ayant-cause qui ont inscrit des droits qu'ils tiennent de lui ; mais la loi prévient cette erreur : ceux qui ont acquis des droits réels sur l'immeuble et les ont régulièrement publiés ne peuvent en être dépouillés par jugement sans avoir été appelés à les soutenir. Tel est l'objet du 4e alinéa. Il est d'ailleurs facile au demandeur de les mettre en cause, puisque l'inscription qu'ils ont effectuée les fait suffisamment connaître.
Le principe est identique pour les conventions amiables qui auraient le même objet : on sait, en effet, que les conventions ne peuvent nuire aux tiers. Il y a toutefois une différence grave entre les jugements et les conventions, c'est que, pour donner effet à ces dernières, il faut une adhésion entière des intéressés, tandis que, pour les jugements, il suffit que les intéressés aient été mis en cause et appelés à contredire à la demande, lors même qu'ils ne se seraient pas présentés.
On fait remarquer, en terminant, que les radiations et rectifications pourraient être elles-mêmes contestées après avoir été effectuées, aussi bien quand elles ont été ordonnées en justice que quand elles ont été consenties à l'amiable : la radiation ou rectification déjà effectuées sur le registre pourraient être elles-mêmes radiées ou rectifiées, par suite de la réformation ultérieure du jugement.
Il en serait de même d'une radiation ou rectification conventionnelle qui aurait été viciée par erreur, violence ou incapacité. Ce sont là, heureusement, des complications rares.
Mais, pour que les erreurs restent toujours réparables les radiations et rectifications ne consistent jamais dans une oblitération, dans une altération matérielle qui rendraient illisibles les inscriptions ou mentions : c'est toujours une autre mention faite à la suite ou en marge de la première, indiquant la modification apportée, la nature de l'acte (jugement ou convention) qui la justifie, la date, etc ; de cette façon, il est toujours possible de revenir à l'ancienne situation, s'il était établi qu'elle a été indûment modifiée.
Art. 355. Les intéressés qui requièrent une inscription ou une mention sur les registres fournissent au conservateur les pièces nécessaires et justificatives, mais ils n'assistent pas à l'opération de la copie, ils ne peuvent en vérifier l'exactitude ; ce n'est souvent que très-tardivement que celle-ci leur est révélée, à l'occasion d'un autre acte donnant lieu à la demande d'un certificat d'inscriptions. La faute du conservateur peut aussi avoir consisté dans la délivrance d'un certificat inexact ou incomplet do l'état des inscriptions ou mentions diverses portées sur les registres. Il est clair que, dans ces deux cas, la responsabilité du conservateur est encourue, car il a, par sa faute, causé un dommage qui peut être très-considérable.
Mais il faut ici déterminer avec soin envers qui le conservateur est responsable. Le texte se borne à indiquer, d'une façon générale, “les parties requérantes ou intéressées” comme ayant droit à la réparation du dommage ; quelques exemples d'applications sont nécessaires.
Un acheteur a remis au conservateur un acte de vente pour être inscrit et il en a tiré un récépissé ; l'inscription n'a pas été faite ou elle l'a été tardivement ; dans l'intervalle, une autre vente ou une constitution d'hypothèque émanée du même vendeur a été présentée à l'inscription et elle prime le premier acheteur ; s'il y a eu bonne foi de celui qui a obtenu la première inscription (voy. art. 350), le dommage retombe sur le premier acquéreur et c'est lui qui actionnera le conservateur; car il pouvait s'assurer si l'inscription avait été faite et le second acquéreur ne pouvait découvrir qu'elle ne l'avait pas été.
Si l'inscription a été faite, mais inexactement, et qu'il ait été omis d'y mentionner que tout ou partie du prix est encore dû, et que l'acheteur ait revendu ou hypothéqué à des ayant-cause qui ont, de bonne foi, fait faire l'inscription, alors c'est le vendeur qui en souffre, en ce sens que son privilège et son droit de résolution sont perdus ; car c'est lui qui est en faute, c'est donc envers lui que le conservateur est responsable.
Si une demande en résolution, en rescision ou en révocation a été formée contre un acte inscrit et que le conservateur, dûment requis, ne l'ait pas mentionnée en marge de l'acte inscrit, on doit se reporter à la distinction faite par l'article 352 pour savoir quelle est la partie qui souffrira de l'omission et recourra contre le conservateur : si la demande était nécessaire pour arrêter les inscriptions opposables au demandeur, c'est celui-ci qui souffrirait de la faute du conservateur, si, dans l'intervalle, entre sa réquisition et la découverte de la faute, de nouvelles inscriptions avaient eu lieu, car elles lui seraient opposables ; dans le cas inverse, où la demande serait opposable aux ayant-cause du défendeur, quoiqu'ils ne l'eussent pas connue, ce sont ceux-ci qui souffriraient de la faute du conservateur.
La loi suppose aussi que les omissions ou inexacti tudes du conservateur peuvent porter sur les certificats destinés à faire connaître les actes et mentions portés aux registres. Ici, le préjudice atteint toujours les requérants, car ceux qui ont une fois acquis le bénéfice des inscripitions ou mentions exactes effectivement portées sur les registres, ne peuvent le perdre par la négligence du conservateur ; ce sont donc les requérants qui auront action contre ce dernier.
§ IV. — DE l'iNTEEPRÉTATION DES CONVENTIONS.
Art. 356 à 360. On réunit ici tous les articles de cette contre Section, à raison même de la disposition de l'un d'eux (art. 358) qui veut que “toutes les clauses de la convention s'interprètent les unes par les autres.” Il en est de même de ces diverses dispositions de la loi : elles forment une série de conseils aux tribunaux, pour les aider à trouver l'intention des parties et le sens des conventions ; il est donc préférable de les embrasser dans leur ensemble.
La première disposition est la plus importante : elle forme un principe général dont les autres ne sont que l'application ; elle indique le but principal que les tribunaux doivent chercher à atteindre et les autres ne sont que les moyens d'y arriver.
Puisque, dans les conventions, c'est la volonté des parties qui fait loi, il est clair que c'est cette volonté qui, avant tout, doit être recherchée. Sans doute, c'est dans les expressions qu'elles ont employées qu'on trouvera, le plus souvent, cette volonté même ; mais, outre que toutes les langues ont leurs imperfections, il arrive souvent aussi que les contractants en connaissent mal les ressources et parlent ou écrivent la leur incorrectement ou négligemment. De là, cette première règle “qu'il ne faut pas s'attacher exclusivement au sens littéral des termes employés par les parties” (art. 356).
Au Japon, comme ailleurs, les mêmes mots n'ont pas toujours le même sens, en tous lieux : des habitudes locales différentes se forment sous l'influence de circonstances particulières et se conservent ensuite de génération en génération : le législateur peut bien établir, par voie d'autorité, l'uniformité des poids et mesures, des monnaies et de la législation même ; mais il sortirait de son domaine, s'il voulait réglementer la langue, et il y échouerait presque toujours. Ce qu'il peut seulement, c'est établir des présomptions du sens que les parties ont attaché aux mots et encore ce ne doivent être que des présomptions simples, susceptibles d'être combattues par des preuves contraires. Les dispositions des articles 356 à 359 ont ce caractère de présomptions simples.
Pour ce qui concerne les expressions locales, notre Code s'écarte des Codes étrangers qui ne s'attachent qu'à l'usage du lieu où le contrat a été passé : il semble, au contraire, que la raison veuille que l'on s'attache d'abord au lieu où les deux parties ont leur domicile ; car, si elles ont traité ailleurs, par exemple, en voyage, il est naturel de croire qu'elles ont parlé le langage qui leur est habituel et non celui d'une localité où elles ne se trouvent qu'accidentellement.
Mais la loi a dû prévoir le cas où les parties ne seraient pas domiciliées au même lieu ; dans ce cas, il n'eût pas été déraisonnable peut-être de donner la préférence au sens reçu dans le lieu où le débiteur est domicilié ; mais il y avait à craindre que le créancier ne fût privé de tout moyen de contrôle sur le sens de ce langage ; tandis qu'en adoptant ici le sens usité dans le lieu du contrat, la loi suppose que le créancier a pu se le faire expliquer et certifier.
Le 2e alinéa de l'article 357 veut encore que l'on cherche dans la nature et l'objet de la convention le sens d'une expression équivoque ; cette règle recevra fréquemment son application aux mots jouissance et usage qui diffèrent plus ou moins de portée ou d'étendue, suivant qu'il s'agit de droits d'usufruit, d'usage, de louage, d'emphytéose, de superficie ou de servitudes.
L'article 358 ne s'occupe plus seulement d'une expression, d'un terme de la convention, mais d'une clause, c'est-à-dire d'une des stipulations dont l'ensemble forme la convention Il ne serait pas raisonnable d'interpréter chaque clause séparément des autres ; le plus souvent, elles ne sont détachées que par des nécessités de rédaction ; mais, pour les parties, elles forment un ensemble indivisible, en raison et en équité ; il est bien rare que les unes soient compèltement indépendantes des autres dans l'intention des parties ; elles sont plutôt liées par le rapport de cause à effet; l'une n'existerait pas si l'autre n'avait pas été admise ; la portée et l'étendue de l'une a dû être mesurée sur la portée et l'étendue de l'autre, et il ne serait même pas raisonnable de considérer comme les plus importantes celles qui occupent la priorité dans l'ordre des énonciations.
Le 2e alinéa de l'article 358 paraît inutile, au premier abord, lorsqu'il dit qu'on doit interpréter une clause de la manière qui lui donne un effet, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun. Cependant, cette disposition se trouve dans toutes les législations qui ont réglé l'interprétation des conventions et elle reçoit souvent son application dans la pratique : par exemple, le débiteur alléguera qu'une clause n'est qu'une répétition d'une disposition de la loi et qu'elle a été insérée, soit par inadvertance, soit pour plus de clarté ; il cherche ainsi à se soustraire à l'une de ses obligations; mais les tribunaux ne devront pas admettre facilement que les parties aient voulu seulement répéter la disposition de la loi. On peut citer, en ce sens, le cas d'une vente de créance “avec garantie :” si on entendait ici que le vendeur ne serait garant que de l'existence de la créance et de sa qualité de créancier, la clause serait inutile, car cette garantie est déjà imposée par la loi, elle est de droit ; on devra donc présumer que le vendeur a entendu garantir en outre, la solvabilité du cédé, laquelle garantie “n'est due que si le vendeur s'y est engagé.”
Souvent, les parties, pour déterminer les effets de la convention ou les objets qu'elle embrasse, emploient des expressions très-larges, très-générales, qui, prises à la lettre, dépasseraient leur pensée ; la loi veut que la plus grande extension de ces expressions ne soit pas portée au-delà des objets que les parties ont entendu comprendre dans leur convention ou des effets qu'elles ont vraisemblablement voulu lui faire produire. Ainsi, dans la vente d'une maison “avec tous les meubles ou tous les objets mobiliers qui s'y trouvent,” le vendeur ne serait pas présumé avoir entendu comprendre : son argent comptant, ses titres de créances ou d'autres droits, ses vêtements, bijoux, manuscrits, documents, instruments professionnels, portraits de famille et, généralement, les objets d'utilité ou d'affection personnelle.
En sens inverse, il ne faudrait pas trop restreindre les effets de la convention, parce que les parties auraient prévu et réglé un ou plusieurs d'entre eux : l'énoncé d'un ou plusieurs effets peut avoir paru nécessaire pour plus de précision, ou pour quelque particularité qu'on a voulu y apporter ; niais ce n'est pas une raison suffisante de croire que les parties aient voulu supprimer ou exclure les antres effets légaux du contrat. Ainsi, dans le contrat de bail d'une maison, le bailleur a expressément promis de mettre les locaux loués en bon état de réparations “pour l'époque de l'entrée en jouissance cela ne le dispensera pas de faire les réparations d'entretien, au cours du bail ; de même, dans un louage ou dans une vente, on a prévu et réglé la résolution du contrat, faute de payement du prix par le preneur ou par l'acheteur; ce n'est pas une raison suffisante de croire que l'on ait entendu supprimer les autres causes de résolution, faute par la même partie de remplir ses autres obligations ou, faute par l'autre partie, de remplir les siennes.
Cette décision constitue une exception à l'article 358, 2e alinéa ; en effet, ici, on préfère l'interprétation qui ne donne aucun effet utile à une clause, plutôt que de lui donner un effet exagère.
La loi prévoit enfin (art. 360) que, malgré les indications qu'elle vient de donner et malgré la perspicacité des juges, ceux-ci pourraient conserver des doutes sur l'intention des parties. Ce doute peut d'ailleurs exister, soit au sujet d'un ou plusieurs points particuliers de la convention, soit sur sa nature propre, soit enfin sur son existence même ; dans ces deux derniers cas, ce n'est plus une question d'interprétation, mais une question de preuve ordinaire des droits. Au reste, la règle est la même dans tous les cas et elle doit être généralisée.
Le principe qui domine toute la matière des preuves à faire en justice est que “la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait pour en tirer avantage la conséquence en est que celui qui ne parvient pas à fournir une preuve complète de sa prétention doit succomber. En effet, les particuliers ne sont liés les uns envers les autres que par exception ; il faut donc que le prétendu créancier prouve qu'il est dans le cas exceptionnel ; les obligations, une fois prouvées quant à leur existence, sont encore présumées le moins étendues possible ; il faut donc encore que le créancier prouve jusqu'où va son droit.
Mais, l'existence et l'étendue de l'obligation une fois prouvées, c'est au débiteur à prouver sa libération et son entière libération, s'il l'allègue.
Le Code n'a pas encore à envisager la question de preuve d'une façon aussi générale : il ne s'agit ici que de la preuve du sens et de la portée de la convention, parce qu'il n'y a qu'une difficulté d'interprétation ; mais le principe général est déjà appliqué : le stipulant souffrira de n'avoir pu lever les doutes résultant de l'obscurité de la convention ; les effets de la convention seront bornés à ceux qui ont été pleinement prouvés contre le promettant.
Une difficulté pouvait s'élever au sujet des contrats synallagmatiques, où chaque partie est à la fois stipulant et promettant. Le texte la tranche, en faisant remarquer que la règle reçoit son application “dans chaque clause séparément” En effet, le contrat synallagmatique est une réunion de clause où chaque partie joue alternativement le rôle de créancière et de débitrice : il y a, en quelque sorte, deux contrats unilatéraux juxta-posés ; par exemple, le vendeur ou le bailleur confère un droit réel et s'engage à livrer et à garantir de tout trouble ou éviction ; de son côté, l'acheteur ou le preneur s'engage à payer un prix unique ou périodique. Si donc il y a obscurité sur les obligations contractées par le vendeur ou par le bailleur, l'interprétation se fera en leur faveur, contre l'acheteur ou le preneur ; s'il y a, au contraire, obscurité sur les obligations de l'acheteur ou du preneur, l'interprétation se fera contre le vendeur ou le bailleur, c'est-à-dire, dans tous les cas, contre le stipulant et en faveur du promettant.
Les règles ici posées pour l'interprétation des conventions seraient applicables à l'interprétation de la loi elle-même. La seule différence sera dans le cas de doute, lequel ne se résoudra pas nécessairement contre le demandeur, mais sera éclairci par les précédents historiques, par l'équité et la raison naturelle.
SECTION II.
DE L'ENRICHISSEMENT INDÛ OU DES QUASI-CONTRATS.
Art. 361. La loi arrive à la seconde cause ou source des obligations et des droits personnels ou de créance, annoncée dans l'article 295. On a adop é en Europe l'expression de quasi-contrats pour désigner cette cause d'obligations; sans la rejeter tout-à-fait, le Code japonais lui préfère celle d'enrichissement indû. Il serait d'ailleurs bien difficile de donner une bonne définition du quasi-contrat sans y faire entrer l'idée essentielle d'enrichissement indû ou sans cause, et c'est pour ne l'avoir pas fait que certains Codes étrangers n'ont donné du quasi-contrat aucune idée précise : l'un l'appelle “un fait purement volontaire de l'homme,” l'autre, “un fait volontaire et licite mais, tous les jours et à tout instant, l'homme accomplit des faits volontaires et licites qui ne sont ni des contrats, ni des quasi-contrats, et qui n'engendrent pas d'obligations ; il manque donc à cette définition un élément essentiel générateur de l'obligation ; or, c'est précisément l'enrichissement indû, et c'est uniquement à lui que s'attache le présent article pour caractériser cette seconde source d'obligations.
Il faut reconnaître d'ailleurs, et la suite le confirmera bientôt, que, très souvent, les diverses sources d'obligations se réunissent et se combinent dans des faits complexes : l'enrichissement indû avec le dommage injuste et l'un ou l'autre avec le contrat.
On remarquera, sur le premier alinéa, que la loi ne distingue pas si celui qui se trouve enrichi du bien d'autrui l'est devenu par un fait volontaire ou par un fait involontaire, ni s'il l'est devenu par erreur ou sciem ment ; sa bonne ou sa mauvaise foi pourra influer sur l'étendue de l'obligation, mais non sur le principe de son existence ; il suffit, pour consti tuer la présente source d'obligation, que le fait d'enrichissement, volontaire ou involontaire, n'ait pas le caractère d'un délit ou d'un quasi-délit, c'est-à-dire d'un dommage injuste tel qu'on le déterminera à la Section suivante.
L'obligation qui naît de l'enrichissement indû est de rendre le profit ainsi obtenu ; mais la loi la présente sous une forme un peu différente : l'obligation de satisfaire à la répétition, de ce dont il s'est enrichi Cette expression comprend non-seulement le profit direct, mais encore le profit indirect; par exemple, celui qui a reçu des denrées qui ne lui étaient pas dues les a consommées utilement et s'est ainsi épargné une dépense qu'il eût dû, sans cela, faire de ses propres derniers : “il est enrichi d'autant qu'il a moins dépensé ou bien, il les a vendues et il est enrichi du prix qu'il en a tiré ; réciproquement, si quelqu'un, ayant reçu de l'argent qui ne lui était pas dû, a employé cet argent en achat de choses qui lui restent ou qu'il a utilement consommées, il est enrichi d'autant.
Notons, en passant, que l'enrichissement indû, au lieu de fonder une action personnelle en répétition, pourrait fonder une action réelle en revendication ; c'est le cas où les choses indûment reçues se trouveraient encore en nature dans la possession de celui qui les a reçues : la propriété ne se transfère pas plus sans cause légitime que ne s'acquiert sans cause un droit de créance.
Le présent article ne se borne pas à poser le principe de cette seconde cause d'obligation, il en donne les applications principales,” ce qui prouve, en même temps, qu'ells ne sont qu'énonciatives et non limitatives. Il a paru nécessaire de donner ces applications ; d'abord, parce que les deux premières, la gestion d'affaires et la réception de choses indues, sont traitées dans toutes les législations avec certains développements et les demandent encore davantage au Japon, comme y étant moins connues; ensuite, parce que les législations étrangères n'ayant traité que de ces deux quasi-contrats, ont semblé méconnaître qu'il y en eût d'autres ; enfin, la loi devait annoncer d'avance les divers cas d'enrichis-sement, dès qu'elle se proposait de donner à quelques uns les développements nécessaires. Les cas prévus aux trois derniers alinéas appartenant à des matières spéciales s'y trouveront naturellement réglés ; il suffira d'en donner ici une idée sommaire.
Celui qui est appelé à recueillir une succession, soit légitime, soit testamentaire, n'a pas seulement le droit d'en recueillir les biens, il a aussi l'obligation d'en acquitter les charges. Parmi ces charges se trouveront les dettes personnelles du défunt et les legs particuliers qu'il a pu laisser à des tiers. L'héritier ou le légataire universel est tenu des dettes du défunt au même titre que son auteur : les créanciers, une fois la qualité d'héritier fixée sur sa tête, ne le poursuivront pas en vertu de son enrichissement considéré comme cause nouvelle d'obligation, mais en vertu des contrats du défunt ; l'enrichissement de l'héritier pourrait, tout au plus, indiquer la limite dans laquelle il serait poursuivi, s'il avait d'ailleurs eu soin de faire un inventaire fidèle et exact des biens de la succession ; on peut dire, enfin, que ‘‘ l'héritier ne reçoit les biens que déduction faite des dettes, lesquelles diminuent de plein droit l'hérédité”.
Mais pour les legs et autres charges mises par le testateur à la charge de celui qui reçoit l'universalité de ses biens, il n'est plus possible de dire que celui-ci les doit au même titre que le défunt, puisque le défunt ne les a jamais dus : le successeur universel les doit en vertu de son acception de la succession ; c'est bien ce “fait volontaire” dont les Codes étrangers se contentent, en général, pour qu'il y ait quasi-contrat. Mais il faut encore ici donner la prééminence à l'enrichissement, car le successeur n'est tenu des legs que dans la mesure de ce qui reste de biens héréditaires après le payement des dettes.
Il a déjà été fait mention, incidemment, de l'accession, moyen d'acquérir la propriété par la réunion d'une chose secondaire à une chose principale, lorsque la séparation est impossible en fait ou défendue par la loi ; ce n'est pas encore ici qu'il en doit être traité ; c'est au Livre suivant qu'on en trouvera les principales applications en même temps que la justification. Il suffit de noter ici que le propriétaire de la chose principale ne profite de l'adjonction de la chose d'autrui ou du travail d'autrui qui a transformé et augmenté la valeur de la chose principale qu'à la charge de payer la valeur dont il profite.
Lorsqu'un immeuble n'est pas en la possession du propriétaire, le possesseur actuel n'a pas toujours droit aux fruits et produits. Ainsi, le possesseur de mauvaise foi n'acquiert pas les fruits et produits périodiques ; le possesseur, même de bonne foi, cesse de les acquérir dès que la revendication est intentée ; en outre, certains produits n'ont pas le caractère de fruits et sont considérés comme des parties de la chose, tels que les arbres de futaie et les produits des mines et carrières non ouvertes. Dans tons ces cas, le possesseur est tenu de ren lre ce qu'il a perçu, lorsqu'il ne pouvait légalement l'acquérir : le principe de cette obligation est encore l'enrichissement indû ; toutefois, il pourra, dans le cas de possession de mauvaise foi, se combiner avec le principe qui oblige à réparer les dommages causés injustement; ainsi, le possesseur de mauvaise foi doit rendre non-seulement les fruits par lui pereus, mais encore ceux qu'il a négligé de percevoir (voy. art. 195.).
De son côté, le vrai propriétaire, ne devant pas s'enrichir au détriment du possesseur, devra rembourser, directement ou par déduction sur ce qui lui est dû, les frais de culture et de récolte et toutes les dépenses nécessaires ou utiles faites par le possesseur.
S'il s'agissait d'un meuble, il pourrait arriver que le possesseur de bonne foi l'eût vendu, et cela, dans un cas où il n'était pas devenu propriétaire par le seul fait de la possession: par exemple, si la chose était originairement volée ; dans ce cas, si la chose ne peut être retrouvée dans les mains du nouveau possesseur, celui qui l'a vendue est tenu jusqu'à concurrence du prix qu'il en a tiré, parce que c'est un enrichissement qu'il ne peut légitimement garder.
Art. 362 et 363. La gestion d'affaires a beaucoup d'analogie avec l'acceptation et l'accomplissement d'un mandat, tant dans son principe que dans ses effets : dans son principe, car elle est motivée, en général, par le désir d'être gratuitement utile à autrui ; c'est un bon office ; dans ses effets, car les obligations respectives quelle crée entre le gérant et le maître sont à peu près les mêmes que celles qui se forment entre le mandataire et le mandant. Cependant, il y a une grande différence entre les deux faits : le mandat est un contrat, parce qu'il y a accord de deux volontés dans un but déterminé ; la gestion d'affaires n'est l'effet que d'une seule volonté, elle est “spontanée,” comme dit le texte ; c'est un quasi-contrat, dans le langage reçu, et la plupart des obligations qui en résultent peuvent encore s'expliquer par l'idée d'enrichissement indû. Toutefois, un autre principe d'obligation vient s'y joindre, le plus souvent, au moins du côté du gérant (non du côté du maître), c'est la responsabilité des fautes. Il ne faut pas dire, à la vérité, comme une loi romaine: “c'est une faute que de s'immiscer aux affaires d'autrui sans mandat mais il y a faute, si, lorsqu'on s'y est immiscé par bon office, on abandonne la gestion prématurément ou si on la conduit mal.
Le texte de l'article 362 suppose que la gestion a été entreprise à cause de l'absence du maître ou par une nécessité analogue ; évidemment, ces circonstances n'ont rien de limitatif, la loi les indique pour donner à la gestion d'affaires ses causes les plus ordinaires et sa physionomie la plus naturelle; mais, une maladie du maître serait une cause de gestion non moins fréquente et peut-etre plus intéressante encore.
La loi n'exige pas, comme la loi romaine, que le mobile qui a fait agir le gérant soit nécessairement un bon office ; ainsi, celui qui gérerait les biens de son débiteur absent, pour assurer son payement, aurait non-seulement les devoirs d'un gérant d'affaires, mais il en aurait aussi les droits ; on peut encore traiter comme gérant d'affaires celui qui, étant copropriétaire avec un autre, a géré et administré la chose commune, plutôt dans son intérêt que dans celui de son copropriétaire. Il en est autrement d'un associé : c'est en vertu du contrat de société qu'il a le devoir de gérer la chose commune.
Par la même raison que l'intention de remplir un bon office n'est pas nécessaire, on doit admettre que celui qui, croyant gérer sa propre chose, a, par erreur, géré celle d'autrui, aurait droit aux indemnités dues au gérant ordinaire.
On hésite davantage à appliquer les règles de la gestion d'affaires au cas où la gestion a eu lieu malgré la défense du maître ; mais il est préférable de reconnaître que, dans ce cas même, il y a gestion d'affaires et qu'il n'est pas moins juste de faire rendre par le maître ce dont il est enrichi seulement ; dans ce cas, comme dans le précédent, l'enrichissement sera apprécié, non au moment de la gestion, mais au moment de l'action judiciaire in tentée par le gérant ; de sorte que s'il y a eu, dans l'intervalle, diminution du profit, la perte retombera sur le gérant qui, dans ce cas, est beaucoup moins digne d'intérêt.
Le texte n'exige pas que le maître ignore la gestion : il pourrait la connaître sans qu'il y eût mandat. Cependant, le mandat ne doit pas être nécessairement exprès : si un propriétaire sait que quelqu'un gère son bien, et, pouvant s'y opposer, ne le fait pas, si même il a déjà demandé des comptes de gestion, s'il a reçu des mains du gérant des loyers ou intérêts des biens et valeurs gérés, il est difficile de ne pas voir là un mandat tacite ; il semble donc plus sage de laisser aux tribunaux, en cas de contestation, le soin de décider s'il y a eu mandat tacite ou simple gestion d'affaires.
Dans le cas où un mandataire excéderait ses pouvoirs, on devrait le considérer comme gérant d'affaires pour tout ce qu'il aurait fait au delà de son mandat.
L'article 362 indique quatre obligations du gérant, dont deux sont dans le 1er alinéa.
1° Il doit restituer, à première demande, et même spontanément, dès qu'il le peut, les sommes, valeurs, fruits et autres avantages qu'il a perçus en vertu de sa gestion. S'il avait employé tout ou partie de ces sommes à ses propres affaires, il en devrait les intérêts, comme profit tiré des biens du maître. Si, sans profiter ainsi des sommes reçues, il avait tardé à les restituer, il pourrait être encore tenu des intérêts, à cause de sa négligence ; ce serait une rigueur particulière, car, en général, un débiteur de sommes d'argent ne doit les intérêts qu'à partir de la demande ; mais on peut dire que le gérant s'est mis virtuellement et de lui-même en demeure, par le fait de son immixtion dans les affaires d'autrui.
2° Le gérant a pu acquérir des droits et actions, en son propre nom, à l'occasion de ladite gestion; par exemple, ayant vendu des fruits et produits avec terme pour le payement, il s'est fait souscrire des billets ou obligations, et comme les acheteurs ne connaissaient pas le maître, c'est au profit du gérant, nominativement, que les billets ont été souscrits ; si les billets avaient été payés avant la reddition du compte de gestion, c'est la valeur, ce sont les sommes reçues qui seraient restituées au maître ; mais, si les obligations subsistent encore, le gérant fera des cessions de créance, comme elles sont prévues à l'article 347, et ce ne seront pas des cessions gratuites, bien que le cédant n'en reçoive pas directement la contre-valeur : il reçoit en retour sa libération, il ne fait donc pas une donation au maître.
3° Le gérant n'était pas tenu d'entreprendre la gestion, puisqu'il n'y avait aucun mandat ; il a pu agir par simple sentiment de bon office ; mais, une fois la gestion commencée, il doit la continue (2e al ) : autrement, il pourrait arriver qu'au lieu de rendre un service, il eût causé un dommage au maître ; par exemple, voulant faire réparer une maison, il a commencé par la faire découvrir: s'il ne fait pas poser une nouvelle toiture, la condition du bâtiment sera pire que précédemment ; il en serait de même pour la plupart des travaux matériels à exécuter sur les biens immeubles, à l'égard desquels il est généralement plus sage de ne pas commencer des réparations que de les commencer sans les achever.
Une raison encore pour laquelle le gérant doit continuer la gestion commencée, c'est que son intervention aura pu empêcher une autre personne, par exemple, un autre ami ou un voisin du maître, d'entreprendre ladite gestion et, à cet égard encore, mieux aurait valu ne pas commencer la gestion que de l'abandonner ensuite.
Il ne faudrait pourtant pas pousser trop loin la sévérité envers le gérant d'affaires ; si, par exemple les travaux qu'il a entrepris étaient urgents et qu'une cause légitime ou nécessaire l'empêchât de les continuer, il ne devrait pas être responsable plus qu'un mandataire qui, en ce cas serait excusable (v. Liv. de l'Acq. des Biens art. 256).
4° Enfin, le gérant doit gérer avec autant de soins qu'un mandataire conventionnel. Le droit romain lui demandait des soins encore plus exacts, par le motif que si le gérant n'avait pas entrepris la gestion, une autre personne plus diligente aurait pu l'entreprendre. Le présent article ne pose pas une règle aussi absolue : il laisse aux tribunaux le soin de déterminer s'il y a lieu à responsabilité, c'est-à-dire s'il y a faute ou négligence du gérant, en tenant compte des circonstances dans lesquelles il a entrepris la gestion (3e al.). Par exemple, s'il y avait urgence et si personne n'était disposé à gérer les biens de l'absent, on devra être moins exigeant pour le gérant que si la gestion pouvait attendre sans inconvénients ou être entreprise par un proche parent qui y était disposé ; de même encore, si la gestion a eu lieu à la suite d'un incendie, d'un typhon ou d'une inondation qui ont causé des dégradations demandant une réparation urgente, on devra être moins sévère pour le gérant que si l'on se trouvait dans un cas ordinaire, surtout si le gérant a eu à faire, en même temps, des réparations à ses propres biens.
L'article 363 impose au maître deux obligations qui sont uniquement fondées sur son enrichissement, car, de son côté, il ne peut être question de fautes commises.
1° Si le gérant a fait des dépenses nécessaires ou de conservation c'est-à-dire, sans lesquelles les biens gérés eussent péri ou perdu de leur valeur, il est juste que le maître les rembourse, car “il est enrichi de ce qu'il n'a pas perdu.” De même, si les dépenses ont été utiles ou d'amélioration le maître les doit rembourser, par le même motif, encore plus évident. Il ne devrait pas les dépenses dites voluptuaires ou de pur agrément, parce qu'elles ne constituent pas un enrichissement appréciable.
2° Il peut arriver que le gérant ait commandé des travaux ou des fournitures nécessaires ou utiles et pour lesquels il n'a pas encore effectué de payements, mais au sujet desquels les entrepreneurs ou les fournisseurs ont pu lui demander de s'engager personnellement et par écrit, justement, parce qu'il n'était pas le propriétaire des biens et n'avait pas de mandat ; si les travaux ont été exécutés ou sont en cours de l'être, il est juste que le maître décharge le gérant des engagements, en les prenant pour son compte et en son nom. Pour cela, il fera novation avec le créancier, c'est-à-dire que celui-ci déclarera qu'il décharge ou libère le gérant, en acceptant le maître pour unique débiteur ; mais comme le créancier ne pourrait être contraint à cette novation et s'y refusera quelquefois, le maître, dans ce cas, prendra l'engagement envers le gérant de le rembourser de ce qu'il aura payé, même de payer à sa place, à première réquisition du créancier ; c'est ce que le texte entend par “garantir le gérant de ses engagements personnels.”
Les règles de la gestion d'affaires étant applicables au mandataire qui aurait excédé son mandat, si, dans les dépenses qu'il a faites au delà de celles dont il était chargé, il s'en trouve de nécessaires ou d'utiles, il en sera remboursé.
On pourrait débattre la question de savoir si le maître doit les intérêts des sommes dépensées utilement pour lui ; la loi le dira formellement pour les sommes dues par le mandant au mandataire ; mais l'analogie des situations ne suffirait pas pour appliquer cet article entre le maître et le gérant. La question devra encore se résoudre ici par le principe de l'enrichissement indû : si le gérant a fait des dépenses nécessaires et n'a pas payé prématurément, il est juste que les intérêts lui soient remboursés, car le maître, s'il eût payé lui-même, y aurait perdu l'intérêt de son argent ; si le payement a été anticipé, il faudra voir encore si le gérant n'a pas obtenu à cause de cela une réduction, un escompte, comme cela se fait souvent en pareil cas : alors les intérêts lui seront alloués. Si les dépenses n'ont été qu'utiles, les intérêts ne seront dus que si, indépendamment de la plus-value donnée aux choses, en capital, il en est résulté un revenu pour le maître : par exemple, le gérant a fait agrandir des bâtiments et les a loués; dans ce cas, outre la plus-value du capital, il y a plus-value du revenu et le maître doit les intérêts des sommes payées.
Remarquons, à ce sujet, que le maître qui ne devra jamais plus que son enrichissement, quoique la dépense y ait été supérieure, ne devra jamais, non plus, au delà de ce que le gérant a dépensé, lors même que la plus-value y serait supérieure : dans le premier cas, il y a un excédant de perte qui doit retomber sur le gérant, parce qu'il a été plus ou moins imprudent ; dans le second cas, il y a un excédant de profit qui ne peut appartenir qu'au propriétaire, car la gestion d'affaires peut bien être une cause de perte, mais jamais une cause de profit pour le gérant.
Une dernière question restait à résoudre : à quel moment doit-on se placer pour apprécier l'enrichissement qui détermine l'obligation du maître ? Est-ce au moment où les actes de gestion ont eu lieu, ou au moment où l'action en justice est intentée ? La question a un grand intérêt, quand, dans l'intervalle de la gestion à l'action, il est survenu des circonstances fortuites qui ont diminué le profit déjà réalisé. Ou doit décider, en règle générale, qu'il faut se placer au moment des actes de gestion, s'ils sont suffisamment distincte les uns des autres, ou à la fin de la gestion, si elle est indivisible. La raison en est que le maître se trouvant, dès cette époque, débiteur d'une somme d'argent, chose de quantité, ne peut en être libéré par la perte de la chose due, comme s'il était débiteur d'un corps certain. La solution contraire n'est admissible que dans les cas d'une gestion d'affaires entreprise en dehors de toute idée de bon office : par exemple, quand on gère la chose d'autrui, la croyant sienne, ou quand on la gère sciemment malgré la défense du maître (2e al ) ; dans ces deux cas, on est d'accord, depuis les Romains, pour apprécier l'enrichissement au moment de l'action.
Art. 364 et 366. Un payement peut être indû de plusieurs façons, lesquelles peuvent se trouver réunies ou séparées :
I. La dette peut ne pas exister du tout, soit parce qu'elle n'a pas été légalement créée, soit parce qu'elle est déjà éteinte ; dans ce cas, Il n'y a ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; le payement est aussi nul que la dette prétendue, et il devient lui-même le principe, la. cause, d'une véritable dette née de la réception de l'indû ou de l'enrichissement de celui qui l'a reçu. L'article 364 s'applique à ce cas, en même temps qu'au cas suivant.
II. La dette existe, celui qui a payé est bien le débiteur, mais celui qui a reçu n'est pas le créancier ; c'est encore le cas de l'article 364 ; le payement est aussi nul que le précédent, car, si le débiteur avait une cause de payer, celui qui a reçu n'en avait pas de recevoir ; ce payement, d'ailleurs, n'a nullement libéré le débiteur envers son véritable créancier et, en même temps qu'il s'est dépouillé d'une somme ou valeur sans cause légitime, celui qui a reçu s'est indûment enrichi.
Dans ces deux premiers cas de payement indû, le texte a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer s'il y a eu erreur, ou non, de l'une ou de l'autre partie: il y a toujours lieu à répétition.
C'est à tort qu'on prétendrait que celui qui paye, sachant qu'il ne doit pas, entend, sans doute, faire une donation : d'abord, il pourrait arriver que l'intention de donner n'existât pas chez celui qui paye ; par exemple, dans un temps de trouble, voulant mettre son argent en sûreté et ne trouvant pas facilement un dépositaire, il fait remettre des valeurs, à titre de payement, à une personne honnête et assez puissante pour que les valeurs ne courrent aucun risque dans ses mains ; celle-ci qui, sans doute, n'aurait pas accepté un dépôt, reçoit le prétendu payement, sauf à vérifier plus tard ; il serait injuste de refuser la répétition dans ce cas, sous prétexte qu'il y a eu surprise. Il y a encore une autre objection à l'admission d'une donation : les donations sont soumises à des formes protectrices du donateur et il serait dangereux de lui permettre de s'en affranchir aussi facilement : les donations manuelles, les donations déguisées, peuvent n'être pas absolument interdites ; mais elles ne doivent pas être présumées.
La bonne foi de celui qui a reçu ce qui ne lui était pas dû ne le préserve pas non plus de la répétition ; mais elle atténue son obligation, comme on le verra ultérieurement, au sujet de la mauvaise foi, dans une disposition qui comprendra toutes les réceptions sans cause et les répétitions qui s'y rapportent (voy. art. 268).
III. Le payement a été fait au véritable créancier, mais par un autre que le débiteur et sans qu'il y ait mandat de celui-ci, ni sans que celui qui a payé ait entendu le faire en son nom ou pour son compte, ce qui serait une gestion d'affaires. Ce cas est réglé par l'article 365.
Ici, la position de celui qui reçoit est bien plus digne d'intérêt, car il est vraiment créancier. Deux faveurs lui sont accordées: il est à l'abri de la répétition dans deux cas.
1er cas. Si celui qui a payé savait qu'il ne devait pas : en d'autres termes, la loi ne lui accorde la répétition que s'il a payé “par erreur;” en effet, il est juste que lorsqu'il a payé à celui qu'il savait créancier, alors qu'il savait n'être pas lui-même le débiteur, lorsqu'il a donné au créancier la satisfaction de recevoir ce qui lui est vraiment dû, il ne puisse plus, sous le prétexte qu'il a eu une autre intention restée secrète, lui causer une déception pénible et souvent préjudiciable ; le créancier a d'ailleurs pu croire facilement à un mandat du débiteur, à une gestion d'affaires ou à un intérêt personnel que le tiers avait à payer cette dette, quoiqu'elle ne fût pas la sienne. Mais il ne faudrait pas ici, moins encore que dans le cas précédent, se fonder sur l'idée d'une donation que celui qui a payé aurait voulu faire à celui qui a reçu, puisque ce dernier, recevant son dû, ne profite en rien.
2e cas. Si celui qui a reçu a supprimé son titre et se trouve ainsi dans l'impossibilité de poursuivre le véritable débiteur : la loi exige la bonne foi du créancier au moment où il a détruit son titre ; par conséquent, il faut qu'il ait cru avoir reçu du débiteur ou au moins de quelqu'un qui payait en son nom et pour son compte ; autrement, et dans le doute, il aurait dû conserver son titre. En fait, le titre aura été le plus souvent remis au tiers qui a payé, comme il l'aurait été au débiteur lui-même.
Remarquons, au surplus, que lorsque le créancier a, de bonne foi, supprimé son titre, il n'y a plus à exiger, pour le refus de répétition, que le tiers ait payé sciemment; autrement, s'il fallait encore que le payement ait eu lieu sciemment, ce second cas ne serait plus une faveur pour le créancier : c'est justement quand celui qui a payé l'a fait par erreur que la suppression du titre met le créancier à l'abri du recours.
Il faut assimiler à la suppression du titre le cas où le créancier l'aurait laissé périmer par la prescription, toujours sur la foi du payement, et aussi le cas où il aurait donné quittance à une caution ou négligé de prendre ou de renouveler une inscription d'hypothèque ; la loi n'a évidemment prévu que le cas le plus simple et le plus fréquent.
L'action en répétition, dans les divers cas déjà indiqués, présente des questions de preuve assez délicates.
Le demandeur devra prouver : 1° qu'il a effectivement payé ou fait une prestation à titre de payement, 2° que celui qui a reçu n'était pas créancier ou que celui qui a payé n'était pas débiteur, 3° dans ce dernier cas, que le payement a été fait par erreur.
Le défendeur, dans le cas où il était vraiment créancier et où il s'oppose à la répétition de l'indû, devra prouver : 1° la destruction ou la péremption de son titre, 2° sa bonne foi.
La première preuve du demandeur se fera comme la preuve ordinaire d'un payement régulier, par écrit ou par témoins, suivant le droit commun.
La preuve que la dette n'existait pas sera plus difficile, parce que c'est la preuve d'un fait négatif ; aussi pourra-t-on admettre que si le défendeur à la répétition avait d'abord nié le fait de la-réception du payement, il serait, après cette preuve faite contre lui, présumé avoir reçu l'indû ; ce serait alors à lui de prouver que la dette existait.
La preuve de l'erreur de celui qui a payé, quand elle est requise, ne sera pas toujours facile ; mais c'est le cas de toutes les erreurs; on admettra d'ailleurs la preuve d'une erreur de droit autant que celle d'une erreur de fait (voy. art. 311).
La preuve de la destruction du titre se fera par tous les moyens, et elle sera difficile également, car ce n'est pas un acte qui se fasse, en général, devant témoins ; les tribunaux décideraient d'après les présomptions de fait. Celle de la prescription du titre sera plus facile à faire, puisqu'elle revient à une preuve du laps de temps écoulé et à l'exception opposée par le débiteur sur les poursuites faites contre lui.
Enfin, la preuve de la bonne foi du créancier sera la plus facile : on pourra appliquer ici le principe général, d'après lequel “la bonne foi est toujours présumée ;” mais la preuve contraire, celle de mauvaise foi, se fera par tous les moyens possibles.
La loi termine les dispositions de l'article 365 en réservant, dans les deux cas, le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur : il a pour ce recours deux voies dont l'une est déjà connue, la gestion d'affaires ; l'autre, la subrogation, sera expliquée ultérieurement : on verra que le payement “fait avec subrogation” permet au tiers qui a payé la dette d'autrui d'exercer les droits, actions, privilèges et hypothèques qui appartenaient au créancier désintéressé avec les deniers d'autrui (v. art. 463).
IV. Le payement a été fait par le véritable débiteur au véritable créancier ; c'est le cas prévu par l'article 366.
Il faut bien, ici encore, qu'il y ait eu quelque irrégularité ; autrement, il y aurait en extinction pure et simple de l'obligation et il ne serait pas question d'en chercher une nouvelle. Ce n'est pas le cas d'une obligation conditionnelle payée avant l'accomplissement de la condition, car, dans ce cas, il n'y aurait encore ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; mais on supposera, avec le texte du premier alinéa, le payement d'une chose d'une autre nature que celle qui est due ou d'une chose qui n'appartenait pas au débiteur, et toujours un payement fait par erreur.
Le droit de répétition accordé dans ce deuxième cas pourrait sembler contraire à une maxime qu'on citera encore, d'après laquelle celui qui doit la garantie d'éviction ne peut pas opérer lui-même cette éviction ; mais l'objection doit tomber devant cette considération que le débiteur, n'étant pas libéré par le payement de la chose d'autrui, se trouverait resté dans le lien de son obligation primitive, en même temps que sa responsabilité serait engagée envers le vrai propriétaire de la choses donnée en payement Du reste, ce n'est guère qu'au cas d'immeuble que cette répétition de la chose même pourrait être exercée ; car, s'il s'agissait de meuble, le créancier pourrait invoquer la prescription instantanée ou la maxime : “en fait de meubles, la possession vaut titre,” et le payement se trouverait ainsi validé.
Le seul tempérament que la loi apporte à la répétition, dans ce cas, c'est que le créancier puisse retenir la chose indûment reçue, jusqu'au payement de celle qui lui est due (voy. art. 455).
La loi refuse la répétition, au contraire, dans des cas où l'irrégularité est peu grave :
1° Un payement a été fait avant le terme : dans ce cas, la dette existe ; sans doute, le créancier ne pouvait exiger le payement avant l'échéance ; mais si le débiteur l'a offert, même par erreur, il serait trop dur de forcer le créancier à restituer des sommes ou valeurs qu'il a peut-être déjà employées et qui, un peu plus tard, seraient exigibles par lui ; seulement, il tiendra compte au débiteur des fruits ou intérêts intérimaires dont il profite.
2° Un payement a été fait dans un lieu autre que celui où le débiteur devait payer ; même solution et par le même motif : l'indemnité pourra consister dans le remboursement de frais de transport que le débiteur a épargnés au créancier, et peut-être même dans une différence de plus-value de la chose payée.
3° Le payement a été fait d'une chose de qualité, valeur ou bonté autre que celle qui était due : il suffira, dans ce cas, de tenir compte de la différence de valeur, en ayant soin, comme dit le texte, de ne pas faire rendre à celui qui a reçu plus qu'il n'a profité, ni plus que le débiteur n'a perdu. Quoique le texte mette sur la même ligne les qualités substantielles et non substantielles, il faut observer que si l'erreur sur la substance allait jusqu'à une erreur sur la nature de la chose due, la répétition serait permise en vertu du 1er alinéa.
Dans ces divers cas, on voit que si l'erreur n'est pas une cause de répétition, elle donne lieu à redressement de compte et, si l'erreur a eu lieu cbez le créancier, il ne sera pas moins secouru que le débiteur.
S'il n'y a eu erreur d'aucun côté, les parties seront considérées comme ayant volontairement modifié leurs rapports de droit respectifs.
Art. 367. Il n'y a pas de différence au fond, entre la répétition d'un payement indû et celle des prestations faites sans cause, pour fausse cause, pour cause illicite, ou pour une cause prévue qui ne s'est pas réalisée ou qui a cessé d'exister ; ce n'était pas une raison, cependant, pour ne pas les régler dans la loi ; il faut justement consacrer cette similitude dans les effets, laquelle, d'ailleurs, comportera une exception.
Le payement indû est, dans la réalité des choses, une prestation faite sans cause ; on pourrait dire aussi qu'il est fait pour une cause illicite, quand il est fait en exécution d'une convention prohibée ; de même, si le payement indû s'applique à une dette dont la condition est défaillie ou non accomplie ou dont la cause a cessé d'exister, on peut dire qu'il y a un “payement indû," chaque fois que la prestation a été faite à titre de payement, sous le nom de payement, et l'on réserve les autres expressions aux prestations faites à tout autre titre illégitime.
La loi ayant énuméré ces prestations au 2e alinéa de l'article 361, il a suffi dans le présent article, d'un simple rappel de cette disposition, et pour le règlement des effets, c'est l'article 364 que la loi applique, parce que c'est celui qui prévoit le payement le plus indû de tous. En conséquence, la nullité de la prestation sera aussi complète, aussi absolue que possible : il n'y aura à distinguer, ni chez celui qui a reçu, ni chez celui qui a donné, s'il y avait, ou non, connaissance de l'illégalité de la prestation ; dans un seul cas, la répétition est refusé, c'est lorsque la prestation a une cause illicite ou contraire, soit à l'ordre public, soit aux bonnes mœurs, et encore faut-il, pour cela, que l'immoralité se rencontre chez celui qui a fait la prestation autant que chez celui qui l'a reçue. Ainsi, une somme ou valeur a été donnée à une femme de mauvaise vie pour obtenir ses faveurs, à un homme hardi pour opérer un enlèvement, à un témoin pour faire une fausse déclaration : assurément, dans ces divers cas, et dans une foule d'autres cas analogues, celui qui a reçu n'a pas de cause légitime de garder la valeur qu'il a reçue ; mais il y aurait un scandale et une sorte d'offense à la justice, si celui qui a donné des sommes ou valeurs pour une telle cause venait au tribunal se faire un titre de sa malhonnêteté pour se les faire restituer ; il y a, à cet égard, un axiome célèbre et souvent appliqué par les tribunaux, en tous pays, “personne n'est écouté, alléguant sa turpitude.”
Au contraire, si la malhonnêteté, “la turpitude,” ne se rencontre que chez celui qui a reçu, alors la répétition est admise : par exemple, j'ai donné à quelqu'un une somme d'argent pour qu'il s'abstînt d'un crime, d'un délit ou d'une autre mauvaise action ; la prestation n'a une cause malhonnête que de son côté, car il ne doit pas accepter une récompense pour ne pas avoir commis une mauvaise action; pour ma part, j'ai fait un acte utile et honnête, en prévenant un mal ; c'est au point qu'il a semblé à certains auteurs que, dans un but d'utilité publique, il vaudrait peut-être mieux interdire la répétition des choses données pour empêcher une mauvaise action : on se bornerait à refuser action au stipulant, s'il n'y avait eu que promesse sans prestation actuelle. Mais il serait très-dangereux d'entrer dans cette voie, et on serait amené à refuser la répétition à celui qui aurait remis, à des brigands ou à des pirates, des sommes ou valeurs à titre de rançon ou de rachat d'un captif, ce qui est inadmissible.
On peut encore citer comme cas d'application de la répétition fondée sur une cause illégale du seul côté de celui qui a reçu : le cas d'intérêts usuraires, le cas d'un prix payé au-delà du tarif légal, pour les choses taxées par l'autorité, ou même d'un prix quelconque payé pour un service qui aurait dû être fourni gratuitement ; dans ces cas, il n'y pas immoralité de la part de celui qui a fait la prestation, parce qu'il est présumé avoir agi sous l'empire de nécessités qui l'ont contraint de subir les conditions injustes qu'on voulait lui faire.
Ce qui a été donné en vertu de jeu ou de pari ne peut être répété, pas plus que ce qui aurait été promis au même titre ne pourrait être exigé : la cause est injuste ou immorale des deux côtés.
Art. 368 et 369. Ces deux articles sont applicables, tout à la fois, aux diverses prestations dont il vient d'être parlé et aux divers payements indûs, tels qu'ils sont prévus par les articles 364 à 366.
On a dit précédemment que la bonne foi de celui qui a reçu n'était pas un obstacle à la répétition dirigée contre lui, mais qu'elle rendait sa position meilleure. La différence entre la bonne et la mauvaise foi est celle-ci : celui qui a reçu de bonne foi n'est tenu que de l'enrichissement qu'il a effectivement reçu et même qui a persisté jusqu'au jour de l'action en répétition; au contraire, celui qui a reçu de mauvaise foi, doit, outre cet enrichisscment, les diverses indemnités déterminées par l'article 368 : elles sont fondées sur la faute commise ; le principe de l'obligation n'est plus le même, c'est le délit civil.
Au surplus, ces cas ne demandent que peu d'explications.
1° Les intérêts des capitaux reçus sont dûs, de plein droit, du jour où ces capitaux ont été versés, et, en cela, il y a une rigueur particulière, car il n'y a pas besoin de demande en justice pour faire courir ces intérêts : le débiteur est constitué en demeure par sa seule mauvaise foi. Ce qui prouve, au surplus, que ce n'est plus en vertu de l'enrichissement que les intérêts sont dûs, c'est que, peut-être, le débiteur n'a pas tiré profit de ces capitaux et qu'il n'en doit pas moins les intérêts.
2° Les fruits et produits de la choses indûment livrée sont dûs, lors même qu'ils n'auraient pas été effectivement perçus ; c'est l'application d'un principe déjà rencontré à l'article 195.
3° Le débiteur des choses reçues, sachant qu'il devait les rendre, aurait dû apporter des soins suffisants pour leur conservation : sa faute originaire l'expose à des fautes consécutives ; tandis qu'un possesseur de bonne foi. ayant cru que la chose lui appartenait, ne serait pas responsable de sa négligence. Bien plus, si la chose a péri ou a été détériorée par cas fortuit ou force majeure, il peut encore être tenu d'en rendre la valeur originaire, c'est lorsque la chose n'aurait pas nécessairement péri, si elle était restée aux mains de celui qui l'a indûment livrée: on a déjà rencontré cette juste sévérité, au sujet de celui qui a manqué à restituer après sa mise en demeure (voy. art. 335) ; or, ici, la mauvaise foi équivaut à une mise en demeure.
L'article 369 suppose que la chose indûment reçue a été aliénée et il donne encore une différence entre la bonne et la mauvaise foi.
Observons d'abord que si la chose reçue est un corps certain, meuble ou immeuble, qui se retrouve dans les biens de celui qui l'a reçu, la restitution se fera en nature, avec indemnité, s'il y a lieu. Mais, si la chose a été aliénée par celui qui l'a reçue, on pourrait douter que la chose puisse être revendiquée contre les tiers-acquéreurs, surtout s'ils sont de bonne foi. Cependant, le droit de revendication est certain : l'aliénation, étant sans cause, est radicalement nulle et celui qui a reçu la prestation indue n'a pas pu transférer des droits qu'il n'avait pas ; lors même qu'il a inscrit son aete et le sous-acquéreur, le sien propre, ces deux inscriptions, appliquées à des actes nuis, sont nulles elles-mêmes, et c'est le cas d'application de l'article 352, 2e al.
Le présent article 369 tranche nettement la question à ce double point de vue, c'est-à-dire, tant à l'égard des tiers qu'à l'égard de celui qui a reçu : la partie qui a livré l'immeuble, aliéné ensuite, a le choix entre la revendication contre le sous-acquéreur et l'action personnelle contre celui qui a reçu. Elle pourra même, quoique la loi ne le dise pas, cumuler les deux actions dans une certaine mesure, s'il y a eu mauvaise foi de celui qui a reçu et si l'action réelle ne trouve plus l'immeuble que détérioré : l'indemnité de la détérioration ne pouvant être demandée an tiers-possesseur, s'il est de bonne foi, sera obtenue de celui qui a reçu et aliénté de mauvaise foi.
Si celui qui a livré préfère intenter l'action personnelle en répétition contre celui qui a reçu et aliéné, il obtiendra la valeur estimative intégrale de l'immeuble contre le vendeur de mauvaise foi; mais contre le vendeur de bonne foi, il n'obtiendra que le prix de cession, et si ce prix n'a pas encore été payé, il pourra seulement se faire céder l'action en payement et l'action en résolution qui appartiennent an cédant.
Si l'accipiens, de bonne foi au jour de la réception du payement, était devenu de mauvaise foi au jour de l'aliénation, la solution serait la même que s'il avait reçu de mauvaise foi à l'origine.
La loi ne parle ici que “d'immeuble”, parce qu'il s'agit de le revendiquer contre un tiers ; mais la même solution devrait être appliquée dans sa dernière partie, s'il s'agissait d'un meuble que l'accipiens aurait aliéné : il en devrait le prix reçu ou la valeur estimative suivant sa bonne ou mauvaise foi.
Une difficulté subsiste dans ce cas de cession faite de bonne foi à un sous-acquéreur : si la partie qui a livré l'immeuble exerce la revendication, l'acheteur évincé recourra en garantie contre son vendeur et celui-ci, malgré sa bonne foi, pourra être exposé à de lourdes indemnités, ce qui est incompatible avec la limite de responsabilité qui. lui est accordée quand il est actionne directement par celui qui a payé l'indû. Pour concilier les deux droits, on doit admettre que le vendeur mettra en cause le revendiquant et fera retomber sur lui l'indemnité de garantie, de façon à ne supporter définitivement que la restitution du prix reçu.
Si la chose, au lieu d'être vendue, avait été donnée de bonne foi, le donateur ne serait tenu, ni envers celui qui a livré la chose indûment, puisqu'il n'est pas enrichi, ni envers le donataire évincé, puisqu'un donateur n'est jamais garant de l'éviction.
SECTION III.
DES DOMMAGES INJUSTES OU DES DÉLITS ET DES QUASI-DÉLITS.
Art. 370. L'expression “dommages injustes” a semblé devoir être adoptée de préférence, dans le Code japonais, à celle, plus usitée, de “délits et quasidélit,” parce quelle exprime mieux l'idée dominante de cette troisième source des obligations : elle a d'ailleurs sa source dans le droit romain qui réglait avec soin la réparation des “dommages causés sans droit, à tort, injustement.”
De même que lorsqu'il s'agit de l'enrichissement à restituer, il faut qu'il ait été indû, de même, lorsqu'il s'agit de dommage à réparer, il est nécessaire qu'il ait été injuste, ou causé “par une faute ou une négligence,” ce qui exclut la réparation des dommages causés par l'exercice régulier d'un droit, par l'accomplissement d'un devoir ou même par l'effet d'un cas fortuit ou d'une force majeure. Ainsi, très-souvent, les actes d'un propriétaire d'immeuble, accomplis dans les limites de son droit, nuisent au voisin, et cependant aucune réparation n'est due pour cette sorte de dommage ; ainsi encore, les officiers publics, dans l'exercice régulier de leurs fonctions, causent souvent des dommages aux particuliers, dans la liberté de leur personne ou dans leurs biens, et, ni eux, ni l'Etat, n'en sont responsables ; enfin, quand, par exemple, un cavalier, dont le cheval est effrayé par une cause fortuite, renverse et blesse un passant, il n'est tenu d'aucune réparation, si d'ailleurs le cavalier était suffisamment habile pour monter ce cheval, eu égard à son caractère habituel.
Il faut donc, pour que la responsabilité soit encourue, pour que l'obligation de réparer se forme, qu'une faute ou une négligence soit imputable à l'auteur du dommage. Il importe peu, d'ailleurs, si le dommage est causé directement par la personne ou par ses biens seulement, ni s'il est causé à la personne d'autrui ou à ses biens : les exemples déjà donnés, même comme n'entraînant pas do responsabilité, prouvent que si le dommage était injuste, il serait réparable, sans distinguer s'il a été causé par une personne ou par ses biens, ni à une personne ou à ses biens.
Au surplus, si l'on s'occupe plus de la réalité des choses que de l'expression, on reconnaît que l'idée non-seulement la plus raisonnable, mais ainsi la seule aujourd'hui véritablement appliquée, est encore celle qui attache la responsabilité civile et pécuniaire aux dommages qui viennent d'une personne et en atteignent une autre dans ses biens. En effet, quand nous répondons des dommages causés par nos biens, comme par nos animaux ou par nos bâtiments, c'est toujours parce que notre personne a été en faute, a manqué de prévoyance ; de même, si nous sommes responsables des lésions corporelles causées à autrui, c'est parce qu'elles ont entraîné des frais de maladie et des pertes de profits légitimes, par suite de l'incapacité de travail. Si, en cas d'homicide par imprudence, nous devons une pension aux enfants, à la veuve ou aux ascendants de la victime, c'est parce que notre faute les a privés de leur soutien ; c'est donc toujours la réparation d'un tort causé au patrimoine. Bien plus, lorsque le dommage semble purement moral, par exemple, par suite d'une diffamation, on ne peut obtenir d'indemnité pécuniaire qu'autant que la diffamation paraît avoir entraîné, indirectement, quelque dommage de fortune pour la victime.
Il n'y a pas à distinguer, non plus, si la faute est un fait positif, c'est-à-dire un acte accompli illégalement, ou une omission, un manquement au devoir ou à la prudence; la seule différence qui pourrait résulter de cette nuance, c'est que les tribunaux pourraient être, toutes choses égales d'ailleurs (c'est-à-dire, dans deux cas de pareille gravité par leurs conséquences), plus indulgents pour une omission que pour un acte positif ; parce que l'omission est, pour ainsi dire, insensible et muette : elle ne porte pas en elle-même, comme l'acte positif, un avertissement qu'il y a une règle contraire à observer ; mais il n'y a là qu'une différence de fait et non de droit. Au contraire, il y a à distinguer, au point de vue légal, si le dommage résultant de la faute ou de l'omission a été volontaire ou involontaire : non-seulement le fait dommageable change alors de nom et de qualification légale (délit ou quasi-délit), mais aussi, et surtout, la manière d'apprécier la responsabilité change notablement.
Le Code japonais comble ici une lacune des Codes étrangers, en renvoyant sur ce point à la responsabilité des fautes ou des omissions commises dans l'exécution des conventions.
En Europe, peu d'auteurs ont cru pouvoir étendre aux délits et aux quasi-délits les dispositions légales qui règlent l'indemnité du dol et de la simple faute commises au sujet des contrats ; cependant, l'analogie est frappante, et comme il ne s'agit pas ici de peines, mais de réparation civile, on ne conçoit pas de pareils scrupules ; il en résulte que les tribunaux ne sont soumis à aucune règle, ont un pouvoir illimité pour apprécier la responsabilité des dommages, en cas de délits et de quasi-délits, tandis qu'ils n'ont pas la même liberté, lorsqu'il s'agit d'inexécution des conventions. Si la distinction que la loi a faite entre le dol et la simple faute est juste et raisonnable, quand il s'agit des conventions, on ne voit pas comment elle cesserait de l'être dans les autres cas, notamment, dans les quasi-contrats et dans les délits et quasi-délits. En tout cas, sans rechercher si l'assimilation de ces divers cas est suffisamment autorisée en droit étranger, en l'absence de texte formel, on peut, sans scrupules, la poser en règle dans le Code japonais.
Comme cette matière sera réglée plus loin, au sujet de l'effet des obligations contractuelles, on n'y insiste pas ici ; il suffit d'annoncer que lorsqu'il y a dol ou dommage volontaire, la réparation comprend non-seulement les dommages qui ont été prévus par son auteur ou qu'il lui était possible de prévoir, au moment de l'acte fautif, mais encore ceux qu'il ne pouvait prévoir ; tandis que lorsqu'il n'y a que simple faute, imprudence ou négligence, la réparation n'excède pas les prévisions réelles ou raisonnablement possibles (v. art. 385).
En appliquant donc cette distinctions aux dommages injustes, on dira que celui qui a, volontairement et dans l'intention de nuire, lancé des pierres dans une maison voisine qu'il croyait non habitée, sera responsable des blessures qu'il aura causées à une personne qui s'y trouvait à son insû, ou des dégâts causés à des objets précieux qui y étaient déposés ; tandis que celui qui, voulant, par exemple, chasser un corbeau d'un arbre à lui appartenant, aura, par maladresse, dépassé le but et atteint la maison voisine qu'il croyait aussi inhabitée et y aura causé les mêmes dommages que le délinquant qui précède, ne sera tenu que du bris de vitres qu'il a commis, parce que c'est le seul dommage qu'il ait pu raisonnablement prévoir ; ainsi encore, celui qui a commis volontairement un homicide est tenu de l'indemnité des dommages qui en résultent pour toutes les personnes, même nombreuses, qui avaient un intérêt légitime à la vie de la victime ; tandis que celui qui a causé un homicide par imprudence ne serait tenu que dans la limite des cas ordinaires ; enfin, si l'on suppose une diffamation calomnieuse ou simplement malicieuse, la réparation comprendra tous les dommages effectifs que la victime a pu en éprouver ; tandis que s'il n'y a eu qu'imprudence, légèreté, dans la divulgation de faits déshonorants, la responsabilité ne s'appliquera qu'au préjudice qu'il était possible de prévoir.
Au sujet de la réparation des dommages causés à tort, il y aura encore à distinguer s'ils sont une suite inévitable de la faute ou non; mais cette distinction, plus délicate que la précédente, demanderait des développements et des exemples qui seront mieux à leur place au Chapitre suivant, Section II, auxquels renvoie notre article (v. art. 385).
Au surplus, l'indemnité comprendra, comme en matière de contrats, la réparation du dommage éprouvé et la compensation du profit manqué ; ce double élément de l'indemnité est contenu dans l'expression de dommages-intérêts. Le plus souvent, l'indemnité sera fixée en argent ; mais il ne serait pas contraire à la loi que les tribunaux ordonnassent une réparation en nature, dans les cas où elle serait possible et utile.
Il faut remarquer, en terminant sur ce point, que les délits civils, malgré la volonté de nuire qui s'y rencontre, ne constituent pas toujours des délits correctionnels, et que, réciproquement, des quasi-délits peuvent constituer des délits correctionnels. Ainsi, celui qui, par ruse et méchanceté, déterminerait un propriétaire à aliéner son immeuble, en lui inspirant la crainte d'un danger imaginaire ou en lui donnant une espérance chimérique, ne commettrait pas une escroquerie, du moment qu'il ne serait ni l'acheteur ni le complice de l'acheteur: il ne se trouverait coupable d'aucun délit pénal, mais il aurait commis un délit civil. Il en serait de même de celui qui, méchamment, aurait donné un conseil qui a causé la perte d'un immeuble, d'un navire ou de marchandises : la loi ne punit que les conseils nuisibles aux personnes (C. pénal, art. 297 et 308) En sens inverse, celui qui, par imprudence ou inobservation des règlements, aurait causé un homicide ou des lésions corporelles à autrui, aurait commis un délit correctionnel, mais il ne serait, civilement, auteur que d'un quasi-délit. Le seul point où les deux qualifications de délit se rencontrent est qu'un délit correctionnel dont l'intention coupable sera un élément constitutif (et c'est, de beaucoup, le plus grand nombre) sera toujours, en même temps, un délit civil.
Art. 371. Le Code sait ici une division consacrée : l'usage est de dire que l'on répond toujours de ses propres faits et même dans certains cas, “du fait d'autrui.” Mais, si l'on va au fond des choses, on reconnaît facilement, comme on l'a déjà remarqué, que dans tous les cas, on n'est responsable que de son propre fait ou de sa propre négligence : il serait, en effet, contraire à toute justice que quelqu'un se trouvât obligé sans sa faute ou sans sa volonté ; il n'y a que dans les cas d'obligations imposées par la loi (et elles sont en très-petit nombre, comme on le voit à la Section suivante) qu'une personne se trouve obligée sans son fait personnel. Dans les cas qu'annonce le présent article et que les articles suivants vont déterminer, il y a toujours négligence, défaut de soins ou de surveillance, de la part de celui que la loi déclare responsable et c'est là la cause et le principe de sa responsabilité. C'est aussi ce qui explique que la responsabilité s'étende aux dégâts ou dommages causés par des animaux ou même par des choses inanimées : assurément, en pareil cas, on ne peut parler de “fait d'autrui ;” mais il y a toujours négligence de la part du propriétaire et comme il est rare qu'une négligence soit commise volontairement et avec intention de nuire à autrui, on ne trouve guère ici que des quasi-délits.
Art. 372. Pour qu'une personne soit dite responsable du fait d'une autre, il faut “qu'elle ait autorité” sur celle-ci, parce qu'elle pouvait empêcher le fait dommageable, et s'il s'agit de dommages causés par des choses, la responsabilité incombe à celui auquel elles appartiennent, parce qu'il pouvait également prévenir le fait.
Il restait à déterminer quelles personnes ont sur d'autres une autorité suffisante pour prévenir les délits ou quasi-délits de celles-ci.
En première ligne se trouvent les ascendants. Comme la matière de la puissance paternelle n'était pas encore réglée par le Code, au moment de la rédaction de cet article, la loi ne détermine pas ici quel est celui des ascendants qui est responsable des faits du descendant : elle se borne à indiquer, d'une façon indéterminée, “celui des ascendants qui exerce la puissance paternelle sur ses descendants mineurs.” Indépendamment de cette autorité de droit résultant de la puissance paternelle, la loi veut encore la possibilité que cette puissance s'exerce en fait, à savoir, “la communauté d'habitation autrement, il serait trop dur de rendre l'ascendant responsable des actes de l'enfant habitant séparément ; d'ailleurs, si l'acendant n'est pas responsable quand son descendant habite au dehors, il y aura presque toujours une autre personne responsable : par exemple, un instituteur ou un maître d'apprentissage, comme le prévoit le 4e alinéa du présent article.
Cependant, il ne faudrait pas prendre trop à la lettre la condition d'habitation commune : si, par exemple, l'enfant qui venait d'être, depuis peu de jours, placé comme élève interne dans une maison d'éducation y commettait quelque acte nuisible à autrui et qui ne fût pas dû au défaut de surveillance, comme un vol clandestin ou des violences contre ses condisciples, il serait impossible d'affranchir l'ascendant de la responsabilité et de la transporter sur l'instituteur : le premier a eu tort de mal élever son enfant et de le confier à un étranger sans l'avertir du danger, tandis que ce dernier ne peut être considéré comme fautif ; mais s'il s'est déjà écoulé un temps assez long depuis l'entrée de l'enfant dans l'établissement, on n'est plus aussi sûr que les fautes de l'enfant soient le résultat de son éducation première, elles peuvent provenir du défaut de surveillance ; en tout cas, l'instituteur, ayant pu connaître les mauvaises dispositions de l'enfant, doit s'imputer de ne pas l'avoir renvoyé à sa famille ; d'ailleurs, le dernier alinéa du présent article protégera encore l'instituteur, quand il n'aura pu empêcher le dommage.
Les Codes étrangers n'ont pas toujours déclaré le tuteur responsable des fautes de son pupille. On n'hésite guère, dans la pratique, à suppléer au silence de la loi, parce que le tuteur exerce à peu près les pouvoirs paternels à l'égard de l'éducation du pupille; mais on ne peut étendre l'analogie jusqu'au mari, qui n'a pas sur sa femme une autorité égale à celle du tuteur, ni les mêmes moyens de coercition que celui-ci à l'égard du pupille.
Le Code japonais comble cette lacune dans le sens de la responsabilité du tuteur; mais il ne va pas jusqu'à l'étendre au mari pour les faits de sa femme.
La loi exige la même condition d'habitation commune pour la responsabilité du tuteur : c'est, en effet, une condition essentielle pour la surveillance et l'influence continue. Il n'est rien dit de l'âge quant au pupille ; il doit nécessairement être mineur : la tutelle cesse avec la majorité.
La loi déclare aussi ceux qui ont la garde des aliénés responsables des dommages causés par ceux-ci, et, bien qu'elle n'exige pas qu'il y ait communauté d'habitation, le cas se rencontrera presque nécessairement, puisque la responsabilité est fondée sur la garde.
A l'égard des personnes désignées au 4e alinéa de notre article, la loi exige encore la minorité des délinquants pour qu'elles soient civilement responsables ; c'est à cette condition seulement que ces personnes peuvent être considérées comme ayant reçu une délégation de l'autorité du père ou du tuteur. La loi n'exige pas l'habitation commune, mais elle s'en rapproche, en limitant la responsabilité des instituteurs et patrons aux actes commis pendant que les élèves, les apprentis ou ouvriers, sont sous leur surveillance.”
La dernière disposition de l'article 312 est importante : elle atténue la responsabilité qui nous occupe, en la maintenant dans les limites de la raison et de l'équité. On a dit, en effet, que cette responsabilité est fondée sur une présomption de négligence des parents et des autres personnes ayant autorité sur les délinquants ; or, cette présomption ne peut être absolue : elle doit admettre la preuve contraire. Si, par exemple, l'enfant est d'un caractère insoumis et si, malgré la vigilance de ses parents, il sort de la maison paternelle et commet des larcins au dehors, ou s'il cause des dégâts. aux propriétés voisines, il serait trop sévère de maintenir la responsabilité des parents. Il appartient aux tribunaux d'apprécier si, en fait, les parents ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour prévenir les écarts de l'enfant, et ils doivent considérer, à cet égard, non-seulement la vigilance de ceux-ci dans le cas particulier dont il s'agit, mais les soins qu'ils ont donnés à l'éducation générale de l'enfant.
Art. 373. La responsabilité des personnes désignées au présent article est, comme pour les précédentes, fondée sur une présomption de négligence ; toutefois, elle présente avec la première des différences notables qui motivent cette disposition spéciale :
1° Les personnes ici désignées ne sont responsables que des actes dommageables commis à l'occasion ou par suite des fonctions qu'elles ont conférées ; c'est, en effet, dans cette seule mesure que ces personnes ont autorité sur le délinquant ; c'est dans cette mesure aussi qu'elles peuvent être blâmées d'avoir donné leur confiance à un homme incapable ou peu méritant.
2° Ces mêmes personnes ne sont pas reçues, comme les précédentes, à prouver qu'elles n'ont pu empêcher les dommages ; la raison en est que leur négligence s'apprécie moins au moment de l'acte qu'au moment où elles ont fait leur choix et pendant le temps qui a suivi ; or, elles pouvaient librement choisir et faire cesser les services d'un employé incapable ou malhonnête, ce qu'on ne peut pas dire pour les ascendants qui, sauf dans le cas d'adoption, ne choisissent pas leurs enfants et ne peuvent les renvoyer.
A l'égard des instituteurs et maîtres d'apprentissage, ils peuvent aussi choisir leurs élèves et surtout les renvoyer, ce qui semblerait devoir leur interdire de se disculper de leur négligence ; mais il est plus naturel de leur donner le même avantage qu'aux parents dont ils sont les délégués ; le système contraire aurait d'ailleurs l'inconvénient grave d'exposer les élèves ou apprentis turbulents et indisciplinés à être rejetés de toutes les écoles ou ateliers, par crainte de la responsabilité qu'ils feraient encourir et ils deviendraient alors incorrigibles.
Ces deux différences étant données et justifiées, entre la responsabilité des personnes désignées à l'article prédédent et celle des maîtres et commettants, par rapport aux actes de leurs serviteurs et préposés, il faut en présenter quelques applications et elles demandent de la précaution.
Un cocher ou conducteur renverse et blesse un passant, en conduisant imprudemment ou maladroitement la voiture de son maître ; le maître est civilement responsable, lors même qu'il n'est pas dans ladite voiture : il aurait dû prendre un cocher plus habile ou n'en pas garder un qui est incapable ; l'ivresse du cocher, même accidentelle, n'excuserait pas le maître, car il est toujours évident qu'il a fait un mauvais choix. Les tribunaux auraient, cependant, dans des cas tout-à-fait favorables au maître, la ressource équitable de déclarer que l'ivresse du cacher est, par rapport au maître, un cas fortuit.
Le serviteur envoyé dans une maison par son maître y commet un vol, le maître est responsable d'avoir envoyé chez autrui un individu peu sûr; mais le serviteur, en allant au bain, commet un vol dans l'établissement, le maître n'est pas responsable, car, dans ce cas, le serviteur ne remplit pas une fonction pour son maître. Il y a plus de difficulté, si, en allant faire une commission pour son maître, il vole un objet au-devant d'une boutique : il semble, dans ce cas, que le vol soit commis, sinon “dans l'exercice,” au moins “à l'occasion” de la fonction, ce que le texte met sur la même ligne ; mais il faut reconnaître que la fonction est ici tout-à-fait étrangère au vol, elle n'y a pas plus “donné occasion” que ne l'aurait fait une promenade du serviteur dans la même rue. Il en serait autrement, si le serviteur, allant dans divers magasins pour y chercher l'objet demandé par son maître, a commis un larcin dans l'un de ces magasins.
Les cas d'application de cette responsabilité des maîtres sont très-variés et souvent délicats.
Pour celle des entrepreneurs de travaux, les applications sont journalières aussi. Très-souvent, les ouvriers, dans les travaux qu'ils exécutent, commettent des négligences qui causent des dommages aux personnes ou aux propriétés ; quelquefois, des ouvriers du même patron sont blessés par l'imprudence d'un autre : le patron est toujours responsable, parce qu'il y a toujours imprudence de sa part ou défaut de surveillance.
Les compagnies de chemin de fer, de bateaux, de transports de toute sorte, ont la même responsabilité des accidents causés par leurs employés. Et ici, il faut bien remarquer que si les dommages étaient causés aux personnes mêmes ou aux choses que la compagnie s'est engagée à transporter, ce ne serait plus par un quasi-délit qu'elle serait tenue, mais par le contrat même qu'elle a fait, par le contrat de louage de services ou d'industrie.
Art. 374. La responsabilité établie par cet article et le suivant est la preuve, comme on l'a déjà annoncé, qu'en réalité ce qu'on nomme habituellement “responsabilité du fait d'autrui” est la responsabilité d'une négligence personnelle, que le défaut de soins et de vigilance s'applique aux personnes ou aux choses, et aux choses animées ou inanimées ; le principe est le même, la responsabilité est encourue.
Le texte ne distingue pas parmi les diverses espèces d'animaux ; ce seront, presque toujours, des animaux domestiques ou attachés à la maison, tels que chevaux, chiens, coqs ou poules ; mais la loi a dû se garder de mettre cette limite dans ses prévisions, car il peut arriver qu'une personne ait, par curiosité ou par métier, quelque animal de nature sauvage ou même féroce qui, mal apprivoisé ou mal enfermé, commettrait des dégâts aux biens ou des dommages aux personnes. Le Code pénal (art 426-8°) punit d'ailleurs ceux qui ont laissé vaguer des animaux dangereux.
Les seuls animaux à l'égard desquels il n'y aurait pas de responsabilité seraientt les animaux sauvages qui vivraient ordinairement en liberté dans une propriété vaste et boisée et qui, delà, feraient des incursions sur les propriétés voisines, comme des loups, des renards ou des lièvres. En pareil cas, le propriétaire du terrain ne pouvant être dit propriétaire de ces animaux n'aurait aucune responsabilité des dégâts : la seule obligation qu'il aurait serait de laisser faire des battues, des chasses, par les voisins, pour la destruction de ces animaux et, en cas de refus, il pourrait être déclaré responsable des dégâts ; le refus de laisser détruire ces animaux pourrait même être réprimé par la police locale, s'il y avait danger pour les personnes.
La loi impose la responsabilité à celui qui a l'usage de l'animal domestique au moment du dommage. Ce pourra être un usufruitier ou un usager, un emprunteur à usage, un fermier ; ce sont, en effet, ces personnes qui ont la garde de l'animal et le devoir de le surveiller.
La loi ne se prononce pas ici sur le droit que les personnes menacées pourraient avoir de tuer l'animal nuisible, lorsqu'il pénètre dans les propriétés d'autrui ou attaque un passant sur la voie publique : ce droit n'est pas douteux, s'il y a danger pour les personnes; mais pour les dommages aux biens, on ne peut guère l'admettre que pour les animaux sans grande valeur ; ce sera aux lois de police à y pourvoir et, à leur défaut, à la sagesse des tribunaux.
Art. 375. Le principe de cet article est le même que celui qui régit l'article précédent : la responsabilité du propriétaire n'a évidemment pas pour cause l'accident produit par sa maison, mais sa propre négligence à l'égard de ladite maison. Si la loi ne mentionne pas, comme à l'article précédent, la responsabilité de ceux qui ont l'usage de la maison ou des autres objets mentionnés au présent article, ce n'est pas parce que cette responsabilité est impossible, mais parce qu'elle sera plus rare ; ainsi, l'usufruitier et le locataire ne devant pas faire les grosses réparations, il n'y aura pas à leur imputer la chûte d'un bâtiment ; mais les locataires pourraient être responsables des chûtes d'arbres, d'enseignes, d'auvents, et les locataires de navires seraient responsables des dommages causés par le défaut d'amarres ou d'attaches.
On a vu plus haut (art. 202) que si un bâtiment ou une digue menace ruine ou rupture, les voisins peuvent intenter l'action possessoire de dommage imminent et demander les réparations nécessaires ou une caution pour la réparation du dommage éventuel. Le voisin menacé pourrait aussi provoquer une mesure de police pour faire soutenir les bâtiments, s'il y avait danger immédiat.
Comme les constructeurs de maisons sont, dans une certaine mesure, garants des vices de construction, en vertu du contrat de louage d'ouvrage, la loi réserve le recours contre eux. Ceux qui ont éprouvé le dommage pourraient même, en cas d'insolvabilité du propriétaire, exercer contre lesdits constructeurs l'action indirecte qui appartient aux créanciers en général, d'après l'article 339.
Art. 376. On a toujours admis qu'il n'est pas nécessaire d'avoir autant d'âge, de raison et d'expérience pour éviter de causer dommage à autrui que pour bien gérer et gouverner ses propres affaires civiles ; aussi la loi pénale rend-elle les mineurs responsables de leurs infractions, mais avec des excuses graduées depuis l'âge de 12 ans jusqu'à la majorité (voy. c. p. art.) Pour ce qui est de la responsabilité civile des délits, la loi ne fait pas les mêmes distinctions, sauf aux juges à mesurer l'étendue de la responsabilité au degré de raison et par suite de méchanceté ou d'imprévoyance du mineur ; c'est pourquoi le texte laisse aux tribunaux un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard, par le mot : “peuvent.” Ils pourraient même déclarer responsable d'un dommage causé à tort un mineur de moins de 12 ans, quoiqu'à cet âge il échappe à toute responsabilité pénale ; les Romains disaient, à ce sujet, et on répète encore aujourd'hui “la méchanceté supplée à l'âge,”
Il n'y a pas de raison non plus de les affranchir absolument de la responsabilité dn fait de leurs serviteurs ou préposés, ni des dommages causés par leurs animaux ou même par les choses inanimées qui leur appartiennent, comme par la rupture d'une digue, par la chute d'un arbre ou d'une maison, lorsqu'il y a eu imprudence dans le choix du serviteur, dans le défaut de surveillance des animaux ou d'entretien des bâtiments et digues. Seulement, comme ce n'est pas, généralement, le mineur qui choisit ses serviteurs ou surveille ses bâtiments, il pourra avoir recours contre son tuteur ou contre celui qui est chargé de ces soins. Il faut donc, pour appliquer cette responsabilité au mineur, supposer qu'il est près de sa majorité et qu'en fait, c'est lui qui a choisi le serviteur fautif, qui entretient des animaux nuisibles ou qui sert des bâtiments mal entretenus, etc.
Art. 377. Cette disposition ne se trouve généralement pas exprimée dans les Codes étrangers Si on la néglige ordinairement, c'est que, le plus souvent, les auteurs de dommage dont la minorité ou la dépendance entraîne la responsabilité d'autrui sont solvables que ceux qui ont autorité sur eux ; mais le principe doit être posé néanmoins. Le texte, toutefois, subordonne la condamnation de l'auteur du dommage à une condition essentielle, c'est “qu'il puisse être considéré comme responsable de ses actes," ce qui exclut de cette responsabilité les fous et les enfants n'ayant pas encore le discernement exact de leurs devoirs ; mais, les mineurs proches de la majorité et les serviteurs ou préposés, pour la plupart, seront condamnés comme débiteurs principaux. Les personnes civilement responsables seront assimilées à des cautions, et c'est à raison de cette similitude qu'elles ont, de droit, un recours contre le débiteur principal, lorsqu'elles ont payé pour lui ; l'auteur du dommage ne pourrait leur reprocher, comme le peut celui qui en a souffert, leur défaut de surveillance on leur imprudence dans le choix dont ils ont été l'objet.
Remarquons, au surplus, que l'acte directement dommageable peut être un délit, civil ou pénal, quand il est volontaire, tandis que la faute de la personne civilement responsable, n'étant ordinairement qu'une imprudence ou une omission involontaire, ne constitue qu'un quasi-délit. La conséquence est importante pour l'appréciation de la responsabilité de chacun. Quand l'auteur du dommage volontaire a assez d'âge et de raison pour que son acte lui soit imputable civilement, les tribunaux le condamneront à l'indemnité toute entière du dommage causé, même au delà de ce qu'il pouvait prévoir au moment de l'acte ; tandis qu'ils ne condamneront les personnes civilement responsables que dans les limites du dommage qu'elles auraient pu et dû prévoir (art. 370, 3e al).
Les amendes sont des peines qui, comme telles, sont personnelles et ne peuvent, en principe, être prononcées que contre les délinquants. Si les personnes qui ont autorité sur eux ou qui leur ont donné des fonctions étaient responsables des amendes, ce ne serait plus une responsabilité civile, mais une responsabilité pénale et il n'y aurait plus de raison pour ne pas les soumettre aussi à l'emprisonnement, au lieu et place du délinquant, s'il s'échappait.
La loi réserve cependant des cas exceptionnels où l'amende pourra être poursuivie contre ces personnes ; on les trouvera dans des lois spéciales : par exemple, en matière de douanes, d'impôts indirecte, de postes ; dans ces cas, certaines fraudes ou contraventions sont punies d'amendes qui ont un caractère de réparation civile autant et plus que de peine ; l'exception, comme on le voit, est plutôt dans les mots que dans la chose elle-même.
Art. 378. S'il était possible de connaître et de déterminer la part de faute, de négligence, de chacune des personnes que la loi présume en faute dans cette Section, il ne serait pas équitable d'établir contre elles une responsabilité entière ; mais cette constatation du degré de faute individuelle sera presque toujours impossible.
La distinction que fait la loi entre la responsabilité intégrale et la responsabilité solidaire sera mieux comprise quand expliquera au Livre des Garanties ces deux sortes d'obligations incombant à plusieurs débiteurs.
On pourrait hésiter dans le cas où le dommage a été causé par un animal ou par la chute d'un bâtiment appartenant à plusieurs personnes pour des parts déterminées, égales ou inégales : on pourrait croire que, dans ce cas, l'équité n'admet de responsabilité pour chacun que dans la mesure de son droit de propriété sur la chose qui a causé le dommage ; mais c'est une illusion : celui qui, par exemple, n'est co-propriétaire d'un bâtiment que pour moitié, ne devait pas l'entretenir et le réparer pour moitié seulement, mais pour le tout; à plus forte raison, pour un animal dangereux, il devrait le garder pour le tout : on ne comprendrait même pas qu'il pût n'être gardé que pour une partie. L'opinion contraire qui divise la responsabilité dans la proportion des droits respectifs des co-propriétaires subît, sans s'en rendre compte, l'influence d'une ancienne théorie romaine : il est clair que dans une législation qui permettait de se libérer de la responsabilité des dommages causés par une chose animée ou inanimée, en l'abandonnant à la victime du dommage, la responsabilité de chaque propriétaire ne pouvait excéder sa part de co-propriété : mais ce n'est plus le système moderne, infiniment plus rationnel et équitable, où la responsabilité est fondée uniquement sur la négligence du propriétaire ; or, la surveillance étant de sa nature indivisible, la responsabilité doit être intégrale.
Art. 379. On a déjà remarqué que les fautes dommageables, même volontaires, ne constituent pas toujours une infraction d'après la loi pénale, et que, en sens inverse, une faute involontaire, une imprudence, un quasi-délit, peut constituer un délit correctionnel ; elle constituera, plus souvent encore, une contravention.
La circonstance que la faute sera une infraction à la loi pénale n'influera pas sur l'étendue de la responsabilité civile ; mais elle modifiera la compétence, puisqu'il est de principe que les tribunaux de répression sont compétents pour statuer sur la réparation civile due à la partie lésée; elle influera aussi sur la prescription de l'action en indemnité qui sera généralement plus courte que la prescription civile ordinaire, étant mesurée sur la durée de la prescription de l'action publique.
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette double dérogation au droit commun des matières civiles.
SECTION IV.
DES DISPOSITIONS DE LA LOI.
Art. 380. Le 1er alinéa fait ressortir le caractère des obligations légales, en y signalant l'absence d'un “fait actuel de l'homme” ; on aurait pu croire, en effet, que tonte obligation reconnue, sanctionnée par la loi, pouvait être qualifiée “obligation légale” , mais, quand elle n'est pas directement l'œuvre de la loi, quand il y a un fait de l'homme, plus ou moins volontaire, comme une convention, un enrichissement indû ou une faute, il est plus logique et plus simple d'assigner ce fait comme cause directe et immédiate à l'obligation et de réserver le nom d'obligations légales à celles que la loi impose aux particuliers sans leur volonté et, en quelque sorte, sans leur participation.
On a cependant contesté ce point de vue : on a soutenue que dans les prétendues obligations légales, il y a toujours un fait de l'homme qui pourrait être considéré comme base de l'obligation. Ainsi l'obligation alimentaire aurait pour base le mariage et la parenté, faits volontaires dans leur principe; l'obligation de gérer une tutelle reposerait de même sur un lien de parenté provenant toujours du mariage : les obligations entre co-propriétaires ou entre voisins auraient pour base la propriété même qui est toujours acquise volontairement. Mais, ce sont là des subtilités abusives ; il faut toujours donner un nom à ces nouvelles obligations, car il est impossible de les déclarer conventionnelles, puisqu'on ne pourrait ni les supprimer, ni les restreindre par convention ; il est encore moins possible de les rattacher à un enrichissement indû ou à une faute ; il est bien plus simple et plus naturel de les rattacher à la Loi, qui, interprétant le droit naturel, les détermine et les consacre.
Les obligations légales ici énumérées le sont plutôt énonciativement que limitativement : il est possible que le développement du droit au Japon en fasse admettre d'autres que celles qui sont ici énoncées et qui sont les seules aussi qu'on trouve dans les principaux Codes étrangers. S'il s'agissait du droit administratif et non plus du droit privé, on en trouverait un très grand nombre, mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.
La loi ne donne ici aucun détail sur les obligations légales qu'elle mentionne : elle se borne à renvoyer aux matières auxquelles elles se rattachent, au moins, pour ce qu'elles ont de particulier ; car, à beaucoup d'égards, elles suivent les règles des obligations conventionnelles ; leurs effets, notamment, se trouveront traités ci-après.
L'obligation alimentaire sera expliquée au Chapitre de la Parenté et de l'Alliance ; celle de gérer une tutelle le sera au Chapitre de la Tutelle. Quant aux obligations entre ce-propriétaire, elles se trouvent déjà expliquées, au présent Livre (art. 31 et suiv.) ; enfin, celles entre voisin, en dehors des cas qui constituent des charges réelles ou servitudes foncières, se sont trouvées plus ou moins mêlées avec ces dernières, par la nécessité de ne pas séparer des règles très-voisines les unes des autres : ainsi la nécessité de contribuer au bornage et à la clôture des propriétés contiguës et celle de céder la mitoyenneté au voisin qui le requiert, sont plutôt des obligations personnelles que des charges réelles.
Ici se termine ce qui concerne les Causes ou Sources des Obligations. La loi passe maintenant à leurs Effets.
CHAPITRE II.
DES EFFETS DES OBLIGATIONS.
Art. 381. La définition de l'obligation, donnée par l'article 293, nous a déjà dit que “le débiteur est astreint, “envers le créancier, à donner, à faire ou à ne pas faire “quelque chose ;” mais, si c'est là l'effet immédiat de l'obligation, ce n'en est aussi qu'un effet purement moral et métaphysique ; il faut prévoir le cas où le débiteur manquerait à remplir son devoir juridique il faut que la loi détermine les effets ultérieurs de l'obligation, c'est-à-dire les conséquences, la sanction de l'inexécution. Elles consistent dans des moyens de contrainte du créancier, et comme aucun trouble ne doit être apporté à la liberté civile des personnes sans le contrôle de la justice, le droit du créancier prend la forme d'une action en justice. C'est d'ailleurs “l'action en justice pour l'exécution” qui caractérise l'obligation civile ; quant à l'obligation naturelle, elle ne donne pas d'action au créancier : l'exécution, en principe, doit être volontaire (v. art. 562 et 3.)
Le créancier, comme l'annonce le présent article, a deux actions, l'une tendant à l'exécution directe de l'obligation, c'est-à-dire à la réalisation en nature de ce qui est dû (chose, fait, ou abstention), l'autre tendant à obtenir une indemnité pour l'inexécution, soit que le débiteur ne veuille exécuter ou se trouve, par sa faute, dans l'impossibilité de le faire, soit qu'il ait seulement tardé à exécuter; les deux actions peuvent être intentées séparément ou conjointement ; la seconde peut, tantôt être subsidiaire à la première, tantôt en être un complément. Toutefois, pour plus de clarté, le Code consacre à chacune de ces actions une Section séparée.
Cet effet principal des obligations se trouve modifié, en plus ou en moins, suivant ce que les Codes étrangers appellent les “diverses espèces d'obligations” et ce que le présent article qualifie, plus juridiquement, leurs “diverses modalités” ou manière d'être; elles sont l'objet d'une quatrième Section. L'une de ces modalités, la plus importante peut-être, donnera même au créancier une autre nature d'action, l'action en résolution déjà mentionnée souvent et qui sera bientôt expliquée plus au long.
Comme on l'a déjà observé, avec l'article 380, au sujet des obligations nées de la loi, les effets des obligations sont, en principe, les mêmes, quelle que soit leur cause (convention, enrichissement indû, dommage injuste ou la loi) ; s'il y a quelque particularité tenant à la cause, elle sera signalée chemin faisant.
SECTION PREMIÈRE.
De l'action pour l'exécution DIRECTE.
Art. 382. Ce que la loi appelle “l'exécution directe” de l'obligation, et, en d'autre termes, “l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur,” c'est l'accomplissement en nature de ce qui a été promis, s'il s'agit d'une obligation conventionnelle, et de ce qui est imposé par la loi, s'il s'agit d'une obligation fondée sur une des autres causes légales traitées au Chapitre précédent.
Au premier abord, il semblerait que ce genre d'accomplissement de l'obligation pourrait toujours être exigé, mais le premier alinéa le subordonne à deux conditions dont la première va de soi, c'est que le créancier la requierre ; la seconde seule demande quelque justification.
Si l'exécution directe de l'obligation ne pouvait être obtenue que par des moyens de contrainte sur la personne du débiteur, il faudrait l'abandonner ; en effet, le débiteur, en s'engageant, même expressément et par contrat, à accomplir un acte licite, n'a pas eu l'intention ni même le droit d'aliéner tout ou partie de sa liberté individuelle ; il reste maître de sa personne, maître de faire ou de ne pas faire, sauf la responsabilité du dommage qui peut résulter pour le créancier du parti qu'il a pris.
Du reste, on comprendrait très-difficilement que la contrainte personnelle produisît un effet utile pour le créancier : la plupart des obligations de faire ne peuvent se réaliser que par un effet de la pleine volonté du débiteur, et son refus formel constituerait la force d'inertie plus difficile à vaincre que la force active.
Voici pourtant un cas très-pratique d'une obligation de faire qui ne pourra que se résoudre en dommages-intérêts, parce que l'exécution forcée, quoiqu'à peu près possible en fait, est défendue en droit : une personne a promis ses services à temps, pour un prix qui lui a été payé d'avance, en tout ou en partie ; elle est déjà entrée dans la maison où elle doit servir ; bientôt, elle veut se retirer, même sans cause légitime ; celui auquel elle a loué ses services ne peut la retenir, lors même qu'elle ne serait pas en état de restituer les sommes reçues. Le cas se présente souvent au Japon et l'on n'y a peut-être pas toujours observé le principe ed droit naturel qui défend qu'une personne aliène sa liberté. Il ne faut pas qu'une maison privée soit transformée en une prison ; le maître qui retiendrait ainsi une servante contre sa volonté, quoiqu'elle eût fait un contrat de louage de services personnels, serait coupable de séquestration, délit prévu par le Code pénal (art. 322).
La prohibition légale de toute contrainte sur la personne du débiteur s'applique surtout aux obligations de ne pas faire : justement, parce que c'est le cas où l