旧民法・法例(明治23年)

Code civil de l'Empire du Japon. Accompagne d'un exposé des motifs

参考原資料

LIVRE DES BIENS.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
DE LA DIVISION DES BIENS ET DES CHOSES.
Le 1er Livre du présent Code sera consacré aux PERSONNES qui sont les sujets actifs ou passifs des droits, c'est-à-dire ceux auxquels les droits peuvent appartenir ou contre lesquels ils peuvent être exercés.
Le présent Livre est consacré aux Biens, qui sont les droits eux-mêmes, et aux Choses, qui sont les objets des droits, c'est-à-dire sur lesquelles portent les droits ou que les droits tendent à faire acquérir.
Mais il y a des choses qui ne sont pas encore l'objet de droits; tels sont les animaux sauvages, les oiseaux, les poissons, avant que quelqu'un s'en soit emparé par la chasse ou la pêche; d'autres choses même ne pourront jamais devenir l'objet de droits, au moins dans leur ensemble; tels sont l'air, l'eau des fleuves et rivières, la haute mer. La loi doit cependant mentionner les unes et les autres, en les caractérisant, pour l'intelligence des dispositions ultérieures qui les concernent, surtout des dispositions prohibitives. C'est pour ce motif que les Dispositions générales présentent, tout à la fois, la “Division des Biens et des Choses.”
C'est même surtout la nature, soit matérielle, soit juridique, des choses qui forme l'objet de ces Dispositions générales: ce n'est que par voie de conséquence des principes ici posés qu'on verra, dans la suite, comment ces choses se comportent par rapport au patrimoine des particuliers ou des personnes morales, c'est-à-dire si et jusqu'à quel point elles deviennent l'objet de droits.
Art. 1er. Bien que le rôle du législateur ne soit pas, en général, de donner des définitions, mais plutôt de disposer, c'est-à-dire d'ordonner, de permettre ou de défendre, bien qu'il doive, autant que possible, s'abstenir d'énoncer des propositions dogmatiques ou de pure doctrine, il est cependant quelquefois utile qu'il le fasse pour assurer une saine interprétation de la loi: il y a là une question de mesure et d'opportunité dont il est juge.
Ainsi, il a paru utile de proclamer, tout d'abord, que les Biens ne sont autre chose que les Droits: tant qu'une chose n'est pas encore entrée dans notre patrimoine, par un des modes reconnus par la loi, il n'y a pas encore pour nous un bien, c'est-à-dire un droit, il n'y a qu'une chose.
Incidemment, l'article 1er dit que les biens peuvent appartenir à des particuliers où à des personnes purement morales comme l'Etat, les fu ou ken, les shi, tcho ou son, les etablissements publics, les corporations ou sociétés. Cette expression de “personnes morales” est déjà consacrée par les lois administratives. En général, ces personnes exercent, comme les simples individus, les droits qui leur appartiennent: les cas où il en est autrement sont réglés par la loi.
Enfin, l'article 1er annonce que "les droits sont de deux sortes: les droits réels et les droits personnels," lesquels forment l'objet des articles 2 et 3.
Art. 2 et 3. L'ancien droit japonais n'avait pas aussi nettement reconnu la différence de nature des droits qualifiés ici réels et personnels. Cette différence cependant existait autrefois comme aujourd'hui, parce qu'elle est dans la nature des choses: on n'a jamais confondu un propriétaire avec un créancier, ni une chose déjà acquise avec une chose seulement due. Mais la loi nouvelle, en séparant nettement les deux sortes de droits, rendra plus facile aux tribunaux de déduire les conséquences de la différence des deux droits.
C'est également pour la facilité de l'interprétation judiciaire, et aussi pour rendre l'intelligence de la loi accessible à tous, que chacun des deux droits est incidemment, caractérisé dans sa nature et son principal effet.
Ainsi, par sa nature, le droit réel est exercé directement sur une chose, par celui auquel il appartient, sans que celui-ci ait besoin de s'adresser à une autre personne pour en jouir; au contraire, le droit personnel ou de créance s'exerce d'abord contre une personne déterminée (le débiteur); il permet au créancier d'exiger de celle-ci des faits ou des abstentions, suivant qu'elle est obligée à faire ou à ne pas faire quelque chose; ce n'est qu'indirectement et après coup, par l'exécution de l'obligation, que le droit personnel peut mener le créancier à l'acquisition d'un droit.
Par son effet principal, le droit réel diffère du droit personnel, en ce qu'il est opposable à tous, c'est-à-dire à quiconque y fait obstacle ou en trouble l'exercice, par une entreprise ou une prétention sur la chose qui en est l'objet; le droit personnel, au contraire, ne peut se faire valoir que contre la personne qui est spécialement obligée, soit par contrat, soit par une autre cause légalement reconnue.
Une autre différence entre les deux droits, tenant à la fois à leur nature et à leur effet, est que le droit réel est généralement exclusif de tout droit semblable sur la même chose en faveur d'une autre personne; tandis que le droit personnel d'une personne contre une autre n'empêche pas que d'autres personnes, d'autres créanciers, aient des droits de même nature contre le même débiteur. La conséquence est importante au cas où celui contre lequel le droit est exercé se trouve insolvable: s'il s'agit d'un droit réel, l'insolvabilité de celui qui aurait usurpé la chose d'autrui n'empêcherait pas que la chose fût restituée en entier à l'ayant-droit; si, au contraire, il s'agit d'un-droit personnel exercé contre un insolvable par plusieurs créanciers, tous concourront pour la distribution de ses biens, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes de préférence, comme un gage ou une hypothèque, lesquels sont précisément des droits réels.
L'objet principal et direct de l'article 2, sa disposition, n'est pas de définir les droits réels, mais d'en donner l'énumération, en les divisant en deux classes: droits principaux et droits accessoires. Les premiers peuvent exister seuls et sont l'objet de la Ire Partie du présent Livre. Les autres, n'étant que la garantie ou sûreté des créances, ne peuvent être utilement placés qu'après les droits personnels: ils forment l'objet d'un Livre spécial.
Mais il existe des droits réels accessoires qui ne sont pas des garanties; ce sont les servitudes réelles ou foncières: elles prennent place dans la Ire Partie du présent Livre, après les droits réels principaux.
Les lois étrangères ne prennent pas toujours le soin d'énumérer et de régler les droits réels principaux. Ainsi, il en est qui laissent du doute sur le point de savoir si le droit qui résulte du bail est réel ou personnel; d'autres, ne se prononçant pas sur les droits d'emphytéose et de superficie, laissent douter que ces droits soient admis et reconnus par elles.
Au Japon, on ne pouvait négliger de régler avec soin ces deux derniers droits qui y ont été reconnus de temps immémorial. Quant au bail, la loi a affirmé son caractère réel: on expliquera, en sa place, comment cette déclaration est favorable à l'agriculture pour le bail des terres et à l'intérêt général et économique pour le bail des maisons et même des meubles.
On ne trouve pas et on ne pouvait pas trouver dans l'article 3 une énumération des droits personnels, quoiqu'il y en ait aussi de principaux et d'accessoires; le motif est que les droits personnels ne différent les uns des autres que par leurs causes ou leurs sources, mais non par leur nature, par leurs effets, ni par leur extinction: entre la créance ou l'obligation née d'un contrat et celle née d'un dommage causé injustement, il peut y avoir quelque différence quant à la manière de prouver l'obligation et d'en apprécier l'étendue, mais les voies d'exécution forcée et les modes d'extinction seront les mêmes; aussi un créancier a-t-il suffisamment désigné son droit personnel, lorsqu'il a nommé son débiteur et indiqué l'objet ou le montant de l'obligation.
Quant au pouvoir des particuliers pour créer le droit personnel, il est plus considérable que pour créer le droit réel, parce que le droit personnel et l'obligation qui y est corrélative n'ont d'effet qu'entre les parties et ne peuvent être opposés aux tiers.
Les parties ne peuvent, il est vrai, créer d'autres causes d'obligations que celles que la loi détermine; mais elles peuvent tirer des causes reconnues, au moins de la convention qui est leur œuvre, un nombre pour ainsi dire indéfini d'obligations: celui qui ne peut aliéner qu'une fois sa propriété peut s'obliger successivement à donner, à faire ou à ne pas faire des choses semblables ou différentes, soit envers le même créancier, soit envers des créanciers différents. Quant aux effets des créances ou obligations, les parties peuvent, à leur gré, les modifier, les étendre ou les restreindre, suivant leur intérêt respectif et leurs convenances personnelles; il leur serait seulement interdit de stipuler des effets contraires à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
Art. 4. Les droits mentionné, aux articles 2 et 3 sont communs à tous les hommes; il n'est personne, si pauvre qu'il soit, qui ne possède en propriété quelques objets au moins, et auquel il ne soit dû quelque chose; au contraire, les droits dont fait mention le présent article ne se rencontrent que dans quelques patrimoines: tout le monde n'est pas écrivain, artiste ou inventeur de procédés industriels.
Ce n'est pas cependant là la cause qui fait renvoyer à des "lois spéciales" le règlement des droits des écrivains, des artistes et des inventeurs: c'est d'abord parce qu'une loi spéciale est déjà en vigueur sur la matière; c'est aussi parce que la législation en cette matière ne pourrait encore être définitive au Japon. En Europe même, où depuis plus d'un siècle des lois spéciales sont intervenues sur les droits des écrivains et ceux de leur famille, il n'y a pas un pays qui n'ait fait de fréquentes modifications à ces lois et qui se considère comme arrivé à une législation définitive à cet égard.
Il faut donc, au Japon, laisser cette matière en dehors du Code civil destiné à une plus grande fixité. Il pourra y avoir des lois différentes pour les écrivains, les artistes et les inventeurs, pour ces derniers surtout. Ces mêmes lois tiendront, d'un côté, au droit civil et au droit commercial pour les intérêts privés; de l'autre, elle toucheront au droit administratif pour les intérêts généraux; elles se rattacher ont aussi au droit pénal, car elles auront à édicter des peines contre les contrefacteurs.
L'article 6 et l'article 13 reviendront sur le droit des écrivains au sujet de la classification des choses.
Art. 5. Le présent article, quoique semblant doctrinal, puisqu'il ne dispose pas, répond à une nécessité de méthode: les nombreuses distinctions des choses, présentées par les articles suivants, ne sembleraient pas avoir leur raison d'être dans la loi, si celle-ci ne nous disait qu'elles ont de l'influence sur les droits, qu'elles les modifient ou même les excluent.
La plupart des législations de l'Europe se bornent à indiquer, comme principale, une seule division des choses ou des biens, la division en meubles et immeubles; les autres divisions ne s'y rencontrent qu'incidemment et lorsque l'application s'en présente dans les diverses parties du droit, ce qui empêche de saisir la physionomie générale de la loi quant aux Choses auxquelles elle s'applique.
Le Code japonais suit une méthode plus rationnelle, en donnant, tout d'abord et d'ensemble, la nomenclature des principales divisions des choses, au point de vue juridique.
Il arrive ainsi aux douze divisions suivantes:
1° Choses corporelles ou incorporelles (art. 6);
2° Choses mobilières ou immobilières (art. 7 à 14);
3° Choses principales ou accessoires (art. 15);
4° Choses individuelles ou corps certains, choses de genre ou de quantité, choses collectives, universalités (art. 16);
5° Choses qui se consomment ou non par le premier usage (art. 17);
6° Choses fongibles ou non fongibles (art. 18);
7° Choses divisibles ou indivisibles (art. 19);
8° Choses appropriées ou non (art. 20 à 25);
9° Choses dans le commerce ou hors du commerce (art. 26);
10° Choses aliénables ou inaliénables (art. 27);
11° Choses prescriptibles ou imprescriptibles (art 28);
12° Choses saisissables ou insaisissables (art. 29).
Il va sans dire que ces divisions se combinent les unes avec les autres et ne s'excluent pas: toutes les choses, ou presque toutes, peuvent figurer dans chacune d'elles, en ce sens qu'elles ont toutes l'un des deux caractères opposés que présente chaque division.
Ainsi, une chose est mobilière ou immobilière, ce qui n'empêche pas qu'elle soit, en même temps, principale ou accessoire, aliénable ou inaliénable: chaque division est faite à un point de vue particulier; ce qui n'exclut pas les autres points de vue. Il en est des Choses comme des Personnes: celles-ci se divisent, notamment, au point de vue du sexe, de l'âge, de la nationalité, et quand la loi règle la condition d'une personne d'après son sexe, cela n'empêche pas qu'elle tienne compte encore de la circonstance qu'elle est majeure ou mineure, nationale ou étrangère.
La loi nous indique dans le présent article que ces distinctions des choses ont trois causes: leur nature même, la volonté ou intention de l'homme et la disposition ou détermination de la loi.
Mais ce n'est pas à dire que ces causes se rencontrent toutes trois et toujours au même degré de force dans chacune de ces divisions.
Assurément, on les trouve réunies dans celles ci:
Choses mobilières ou immobilières; chose principales ou accessoires; corps certains, choses de genre, choses collectives et universalités; choses fongibles ou non fongibles; choses divisibles ou indivisibles.
Au contraire, tout parait l'œuvre de la loi dans la division en: choses dans le commerce ou hors du commerce, choses prescriptibles ou imprescriptible.
On trouve la disposition de la loi et la volonté de l'homme, dans la division en: choses appropriées ou non appropriées, choses aliénables ou inaliénables, choses saisissables ou insaisissables.
Mais on ne trouve plus qu'une cause naturelle dans la division en: choses corporelles ou incorporelles et choses qui se consomment, ou non, par le premier usage.
Au surplus, si l'on remonte à la cause première, on arrive à reconnaître que toutes ces conditions des choses ont pour cause leur nature même: la volonté de l'homme et celle de la loi ne peut que la reconnaître et la déclarer. En effet, ce n'est pas arbitrairement que la loi ou les particuliers donnent aux choses certains caractères, c'est en considération de leur nature et de leur aptitude plus ou moins complète à procurer les avantages qu'on y cherche. La loi et l'homme ont seulement la puissance d'étendre juridiquement les effets naturels des choses, comme, en sens inverse, ils peuvent les restreindre.
Art. 6. La loi donne le premier rang à la division des choses en corporelles et incorporelles, non parce qu'elle est la plus importante dans l'application, mais parce qu'elle est la plus large: elle l'est plus même que celle en meubles et immeubles, laquelle, rigoureusement, ne devrait comprendre que des choses corporelles; celle-ci comprend les droits, tant réels que personnels, qui ne sont, par leur nature, ni meubles ni immeubles, et, s'ils sont traités comme tels, ce n'est que par l'effet d'une fiction qui leur donne la même nature qu'aux objets matériels sur lesquels ils portent ou qu'ils tendent à acquérir.
Cette première division des choses a une grande importance en matière de possession et, par suite, de prescription, car la possession d'une chose corporelle suppose la détention matérielle de cette chose, tandis que la possession d'une chose incorporelle, c'est-à-dire d'un droit, consiste dans des actes, incorporels eux-mêmes, qui sont l'exercice de ce droit d'une façon régulière et continue.
Cette distinction influe aussi sur la cession desdites choses.
Ces différences seront relevées en temps et lieu.
Les exemples que donne la loi de choses corporelles et incorporelles sont purement énonciatifs et non limitatifs, comme pour les autres divisions des choses et comme l'indiquent d'ailleurs les mots “tels sont.”
Pour les choses corporelles, il est clair que le nombre en est infini. Pour les choses incorporelles, bien moins nombreuses, on peut ajouter aux exemples que donne la loi: des faits à accomplir, des abstentions ou renonciations, et, comme cas d'universalité de biens, un droit dans une société dissoute.
Il est clair que les fluides pondérables, comme l'air et les gaz, sont des choses corporelles. A l'égard des fluides impondérables, comme l'électricité, qui est aujourd'hui l'objet de fréquentes conventions, il faudrait les considérer comme choses corporelles, parce que, d'après la définition même de la loi, c'est “une chose qui tombe sous les sens physiques de l'homme.”
Quant aux sociétés et aux communautés de biens, la loles suppose dissoutes ou en liquidation, pour que l'ensemble de leurs biens soit considéré comme une universalité de biens ayant une existence propre: autrement, et si la société ou la communauté existe encore, elle a, en général, le caractère de personne morale, c'est à elle que les biens appartiennent, et la loi n'a pas à les considérer abstraction faite de la société ou de la communauté. Si celles-ci n'avaient pas de personnalité pendant leur existence, il n'y aurait pas lieu davantage de considérer leurs biens comme constituant une universalité, une sorte d'unité fictive: ce ne serait que des cas particuliers de copropriété indivise.
On retrouve ici, comme choses incorporelles, les droits des écrivains, des artistes et des inventeurs: ils rentreraient, à la rigueur, dans le n° 1°, mais la loi les mentionne séparément, parce que, précisément, elle ne s'en occupe pas ici.
Enfin, sur le n° 1°, on remarquera que les droits, tant réels que personnels, occupent le premier rang parmi les choses incorporelles; or, comme l'article 3 a annoncé que “toutes les divisions des choses modifient les droits réels et personnels,” il en résulterait, au premier abord, cette singularité que les droits se modifieraient les uns les autres. Pour écarter la difficulté, il suffit de considérer que les droits sont principaux et accessoires; or, les droits principaux modifient les droits accessoires, et quelquefois même les droits accessoires modifient les droits principaux, comme on le verra en son lieu.
Art. 7. La division des choses en meubles et immeubles est certainement celle qui a le plus d'importance pratique dans les législations étrangères, et c'est elle aussi qui en aura le plus au Japon: elle y est déjà consacrée par l'usage.
Au premier abord, on peut s'étonner qu'un caractère aussi matériel des choses exerce une influence aussi notable sur le droit dont elles sont l'objet; mais cela se justifie assez facilement.
On ne s'étonnerait pas, en effet, si le droit variait avec la valeur des choses: notamment, si l'administration, l'aliénation ou la transmission des choses était entourée de plus de garanties ou de précautions, quand elles ont une grande valeur que quand elles en ont une faible, Or, c'est là, au fond, l'idée que les lois ont voulu réaliser, quand elles ont, pour la première fois, établi la division des choses en mobilières ou immobilières: autrefois, on considérait les choses mobilières comme étant de peu de valeur; tout l'intérêt se portait sur les immeubles.
Plus tard, avec le développement du luxe, les objets de métal précieux, les pierreries, les objets d'art, quoique meubles, ont acquis de l'importance dans les sociétés; mais les immeubles aussi ont augmenté d'importance par les progrès de l'agriculture, par le luxe des constructions et par l'accroissement de la population, de sorte que la valeur relative des choses est restée en faveur des immeubles. Sans doute, il y a souvent de bien petits bâtiments, des terrains bien limités et de très peu de valeur; mais la même observation peut se faire pour les meubles qui peuvent descendre à une valeur infime à laquelle ne descendra jamais le moindre des immeubles.
Plusieurs autres considérations, qui sont de tous les temps et de tous les pays, ont fait maintenir une différence profonde entre les meubles et les immeubles, au point de vue juridique. Les premiers sont, naturellement, l'objet de fréquentes aliénations; ces aliénations ne doivent donc pas être entravées par des formalités légales, tandis que l'aliénation des immeubles, étant plus rare, peut être entourée de formes qui sont des garanties pour les intéressés et d'une certaine publicité qui est une garantie pour les tiers contre les surprises.
En outre, ceux qui aliènent des meubles ne peuvent guère justifier de leur droit de propriété que par le fait même de leur possession, et généralement, la tradition ou délivrance en est faite immédiatement à l'acquéreur; pour les immeubles, au contraire, la tradition est souvent ajournée à une époque assez éloignée de l'aliénation; il est donc nécessaire que celui qui aliène justifie de l'existence de son droit par des actes antérieurs, publics ou sous seing privé, pour que son engagement soit sérieux.
Les choses mobilières changeant souvent de mains et de lieu, leur identité est difficile à distinguer des choses de même nature; tandis que les immeubles ont une assiette fixe et ne peuvent jamais être confondus avec d'autres immeubles, si l'on prend soin, en contractant, d'en désigner les tenants et aboutissants.
Ces considérations, et d'autres que les dispositions de la loi donneront occasion de signaler, justifient suffisamment qu'il y ait une distinction législative entre les meubles et les immeubles.
Les différences se rencontreront dans toutes les parties du droit: notamment, dans l'administration des tutelles, dans les moyens d'acquérir la propriété, dans la matière de l'usufruit et du louage, dans celle du nantissement, des priviléges et des hypothèques, dans l'application de la prescription, dans la compétence des juridictions et dans la saisie des biens.
L'article 7 indique les trois causes déjà connues qui donnent aux choses le caractère de meubles ou d'immeubles; chacune de ces causes est reprise dans un article séparé, d'abord pour les immeubles, ensuite pour les meubles.
C'est avec intention que le texte fait ici à la détermination de la loi une place à part, au lieu de la comprendre dans une triple énumération comme elle se trouve à l'article 5. En effet, on peut bien dire que c'est par la nature de la chose au par la destination du propriétaire qu'une chose est ou non susceptible de déplacement; mais quand le caractère meuble ou immeuble est attribué à une chose par la loi, ce n'est plus une idée de déplacement réel, possible ou non, qu'il faut envisager, mais une assimilation légale à une chose mobilière ou immobilière d'une chose incorporelle laquelle, par sa nature serait tout à fait étrangère à cette distinction.
Art. 8. Bien que l'énumération de cet article ne procède pas aussi formellement par voie d'exemples que l'article 6 et la plupart de ceux qui vont suivre, il n'en faut pas conclure que cette énumération soit limitative. Comme il s'agit de la condition naturelle des choses, de leur possibilité ou impossibilité de changer de place, par elles-mêmes ou par une force étrangère, il suffit que la loi ne modifie pas cette nature, par voie d'autorité ou par interprétation de la volonté de l'homme, pour que le caractère de ces choses leur soit reconnu tel que la nature le fait.
Le sol est le principal immeuble par nature; on pourrait presque dire qu'il est le seul, les autres choses ne devenant immeuble que par une attache plus ou moins intime au sol.
Le sol semble pourtant mobile, en ce sens qu'il peut être indéfiniment désagrégé, divisé et déplacé par partier; mais ce qui constitue le véritable immeuble, c'est moins la substance extérieure du sol que l'assise, le fond du sol, le tréfonds et l'espace qu'il occupe; en sorte qu'une cavité profonde qui ne pourrait servir, comme telle, à un usage lucratif direct, aurait encore une valeur comme espace, comme surface, puisqu'on pourrait toujours soit y amener les eaux, soit la combler ou la couvrir, pour y construire ou y cultiver.
Lors même que le sol est exhaussé par le travail de l'homme, en terrasses, digues ou chaussées, il est toujours immeuble par nature (n° 3°), comme le sont les bâtiments dont parle le n° 8°.
En sens inverse, le sol creusé en canaux, fossés, étangs, est toujours immeuble, par la raison donnée plus haut (n° 2°).
Les forêts, bois, arbres, bambous et plantes, quelque minime que soit l'importance de celles-ci, les fruits et récoltes, sont immeubles, tant qu'ils tiennent au sol (nos 5° et 6°). On y verra seulement une exception à l'article 12.
Les mines, minières, carrières, marnières et tourbières, malgré les différences de leur substance et les règles différentes de leur exploitation, sont évidemment des variétés du sol. Mais s'il en a été extrait des matériaux, comme du charbon, du minerai, des pierres, etc., ces matériaux sont meubles par leur nature (n° 7°). On pourrait décider de même, dans l'esprit de la loi, de la terre provenant d'une excavation faite pour les fondations d'un bâtiment, pour un puits, pour pratiquer un chemin, si cette terre n'avait pas été utilisée sur le fonds ou destinée à l'être; dans ce second cas d'ailleurs, les terres amoncelées ne seraient plus immeubles par nature, mais par destination du propriétaire, conformément à l'article suivant.
Les bâtiments bien que composés, dans le principe, de choses mobilières, deviennent immeubles par leur attache au sol, si légère qu'elle soit et quand même ils ne seraient que posés sur des assises de pierre (n° 8°). Il n'est pas rare, cependant, qu'une maison soit démolie avec soin pour être réédifiée sur un autre sol, avec les mêmes matériaux; quelquefois même une maison est déplacée en entier, avancée, reculée ou relevée, sur le même sol; mais ce sont là des particularités dont la loi n'a pas à tenir compte; car les maisons ne sont pas destinées à être ainsi déplacées: un arbre, un arbuste, une plante, sont encore bien plus faciles à déplacer et, cependant, une fois fixés au sol, ils sont considérés comme devant y rester et participent de sa nature. Il en est de même des maisons.
La loi ne distingue pas, par qui le bâtiment a été construit, pour lui reconnaître le caractère d'immeuble; il n'est pas nécessaire que ce soit par le propriétaire du sol: ce peut être par un usufruitier, par un locataire ou un fermier du sol, par un superficiaire ou par toute autre personne dont le droit sur le sol est temporaire; la construction pourrait même avoir été faite par un simple possesseur, même de mauvaise foi: le bâtiment n'en serait pas moins immeuble; sauf, dans ces divers cas, le règlement des rapports d'indemnité entre le constructeur et le propriétaire du sol, comme on le verra en son lieu.
Il y a cependant un cas où des bâtiments, quoiqu'encore attachés au sol, sont considérés comme meubles; mais alors c'est par la destination du propriétaire et non plus par leur nature: on les trouvera à l'article 12, déjà réservé pour certaines plantations.
Les bâtiments ont souvent des fermetures ou accessoires tout à fait mobiles, qui y sont placés seulement le soir ou même accidentellement, par exemple, en cas de typhons; il ne faut pas hésiter à les considérer comme immeubles, non par destination, mais par nature: ils complètent la maison d'une façon plus ou moins nécessaire.
La question d'ailleurs de savoir si une chose est immeuble par nature ou par destination n'est pas indifférente, car dans le premier cas, il n'importe pas de savoir par qui lesdits accessoires ont été attachés aux bâtiments, tandis que, dans le second cas, il faut une double condition, à savoir que les matériaux aient appartenu à celui qui les a employés et qu'ils aient été employés par le propriétaire du bâtiment (v. art. 9, 1er al.)
Les murs de clôture, les haies et palissades (n° 9°) sont immeubles comme les bâtiments et aux même conditions.
Les divers accessoires dont parlent les nos 10° et 11° ne demandent pas d'observation; ce sont toujours des compléments jugés nécessaires au sol ou aux bâtiments et les complétant aussi matériellement que s'ils en faisaient partie intégrante.
Le dernier alinéa généralise cette idée.
Personne n'hésitera à dire que les clefs des portes extérieures ou intérieures des bâtiments, quoiqu'étant ce qu'il y a de plus mobile, sont immeubles par nature.
Les tribunaux auront, en cas de contestation, à examiner si les accessoires, objets du litige, sont des accessoires essentiels des bâtiments.
Il faudra appliquer aussi cet alinéa aux accessoires du sol, comme le fait déjà le n° 11°, quoique le texte ne parle plus ici que des bâtiments: c'est une simple inadvertance de rédaction. Ainsi les appareils des puits, tels que poulies, seaux et cordes, sont des accessoires nécessaires à l'usage des puits. On devrait encore décider de même des tuyaux mobiles, de métal ou de bois, qui ne seraient placés que temporairement sur le sol pour conduire les eaux d'un point à un autre de la propriété.
Art. 9. Il s'agit ici de la seconde classe d'immeubles, non plus de ceux qui sont tels par leur nature ou leur caractère essentiel d'accessoire de tels immeubles, mais d'objets naturellement meubles que la destination du propriétaire a attachés accessoirement à un immeuble pour y rester perpétuellement ou, au moins, sans limite préfixe de temps. Plusieurs différences séparent ces objets de ceux dont parlaient les derniers alinéas de l'article précédent:
1° Il n'est plus nécessaire que ces accessoires soient essentiels: ils peuvent avoir pour but, l'exploitation, l'utilité ou le simple agrément du fonds;
2° Il faut que ces objets aient été placés sur le fonds par celui auquel ils appartiennent: ainsi un dépositaire, un emprunteur à usage ne pourrait ainsi immobiliser les objets à lui déposés ou prêtés;
3° Il faut que celui qui les a attachés au sol ou aux bâtiments soit propriétaire de ceux-ci;
4° Enfin, quoique la loi n'ait pas cru nécessaire de l'exprimer, l'immobilisation, même faite par le plein propriétaire, ne dure qu'autant que lesdits objets demeurent sur le fonds, et avec la même destination: œuvre de la volonté du propriétaire, elle ne dure qu'autant que cette même volonté.
La loi procède, ici encore, par voie d'exemples et sans être limitative. Elle nous dit aussi qu'il n'y a ici que des présomptions légales, admettant toujours la preuve contraire, ce qu'on appellera dans la loi présomption simples.
Les nos 1° à 7° se rapportent surtout à des établissements agricoles ou industriels, les nos 8° à 10° plutôt à des propriétés urbaines. Aucun de ces numéros ne semble demander de justification; on se bornera seulement à simples remarques, sur quelques-uns.
N° 6°. Pour que les machines et ustensiles des établissements industriels soient immeubles par destination, il faut, en général, que les bâtiments soient destinés spécialement à ce genre d'industrie. Ainsi les métiers d'une filature, les chaudières et séchoirs d'une papeterie, les moules d'une fonderie de métaux, doivent être considérés comme immeubles, parce que les bâtiments sont spécialement disposés pour ces industries compliquées et les appareils eux-mêmes ne pourraient, le plus souvent, être utilisés pour la même industrie, dans d'autres bâtiments, sans être modifiés dans leur formes ou leurs dimensions. Au contraire, les presses, formes et caractères d'une imprimerie restent meubles, parce que ces objets pourraient être employés sans changement dans une autre imprimerie; de même que les bâtiments d'une imprimerie pourraient être employés à une industrie différente sans être modifiés, ou, du moins, s'ils devaient l'être, ce serait à cause de celle-ci et non à cause de la première.
Quant aux matières premières destinées à être manufacturées et se trouvant déjà dans les filatures, les fonderies ou autres établissements analogues, elles restent meubles et elles le seront encore quand elles auront été transformées en objets nouveaux.
N° 9°. De ce que la loi suppose que les ornements dont il est question “ne pourraient être détachés sans détérioration,” il ne faut pas conclure que ces objets soient immeubles par nature; la circonstance de leur attache matérielle aux bâtiments n'est exigée que comme présomption de la destination du propriétaire: autrement, ces objets ne seraient plus que des meubles ordinaires d'agrément.
N° 10°. Les matériaux préparés pour la construction, même rendus sur les lieux et en état d'être employés, ne seraient pas immeubles par destination: ils ne deviendraient immeubles qu'au fur et à mesure de leur emploi et alors ils seraient immeubles par nature. S'il en est autrement des matériaux détachés d'un bâtiment et destinés à être replacés, c'est que ce déplacement momentané et qui peut être très-court ne doit pas changer la condition de la propriété.
La loi ne mentionne pas comme immeubles par destination les poissons des étangs, les abeilles des ruches à miel, les pigeons des colombiers, comme le font plusieurs Codes étrangers; mais son silence n'est pas une solution contraire: quoiqu'il n'y ait plus présomption légale, il sera toujours possible aux tribunaux de décider la question dans le sens de l'immobilisation, s'ils en trouvent des présomptions de fait dans la cause.
Il n'est pas hors de propos de signaler ici l'utilité de cet article: elle se rencontrera surtout, lorsqu'il y aura eu aliénation d'un immeuble et que les parties auront négligé de s'expliquer sur le point de savoir si ces objets sont compris ou non dans la vente. Grâce aux désignations que fait la loi, on devra décider que tous ces objets sont considérés comme accessoires de l'immeuble et compris dans l'aliénation, sans augmentation du prix, s'il n'y a convention contraire.
Il y a encore intérêt pour la saisie des biens: tous les objets compris dans cet article ne pourraient être saisis comme meubles; ils ne pourraient l'être qu'avec l'immeuble. De même, ils ne pourraient être hypothéqués séparément de l'immeuble.
Au contraire, le propriétaire pourrait les vendre séparément ou les donner en gage, comme il pourrait vendre séparément les matériaux de sa maison, les arbres de son jardin, ses récoltes.
Art. 10. Il s'agit ici de choses qui ne sont ni meubles ni immeubles, par leur nature, étant incorporelles, et que la loi ne permet pas aux particuliers d'immobiliser par leur seule volonté; mais le caractère immobilier leur est attribué par la loi, au moyen d'une fiction qui ne nuit à aucun intérêt et qui, au contraire, répond à un besoin de simplicité dans la classification des choses.
Comme ces dispositions générales présentent les divisions des droits ou biens autant et plus encore que des choses, il fallait faire rentrer les droits dans les biens mobiliers ou immobiliers.
Le procédé le plus simple était de s'attacher à la nature physique de l'objet sur lequel le droit s'exerce directement (droit réel) ou à l'acquisition duquel il tend (droit personnel ou de créance).
Le n° 3° suppose qu'un propriétaire ou possesseur de sol a stipulé qu'il lui serait construit un bâtiment et il déclare que la créance est immobilière, “si les matériaux doivent être fournis par le constructeur;” dans ce cas, le constructeur est vraiment débiteur d'un immeuble qu'il prestera par trois opérations successives: la fourniture des matériaux, la main d'œuvre qui les met en état d'être employés et la construction même ou édification.
Mais si les matériaux qui sont l'élément principal du bâtiment doivent être fournis par le stipulant, la créance n'est que mobilière, parce que le constructeur n'a plus qu'une double obligation de faire: préparer les matériaux et édifier; et quand il aura exécuté ces deux obligations, il n'aura pas mis un immeuble dans le patrimoine du créancier: il n'aura toujours fait qu'une transformation des matériaux.
Le n° 4° présente une intervention encore plus puissante de la loi, en ce sens que les objets auxquels tend le droit sont meubles, et cependant le droit est immobilier.
L'application de cet alinéa n'a pas lieu dans le présent Code et ne pourra résulter que de Lois spéciales,
Ce que la loi fait ici, pour ne pas entraver l'avenir. c'est seulement d'admettre le principe de l'immobilisation possible de créances mobilières.
Mais il ne faudrait pas y voir une immobilisation par la volonté de l'homme, quoique cette volonté soit nécessaire: comme cette volonté ne suffit pas, comme elle doit être limitée aux cas prévus par la loi et soumise aux conditions qu'elle édictera, il faut rapporter cette immobilisation à la “disposition ou détermination de la loi.”
Pour laisser toute liberté à la loi future, le texte ne détermine pas ici quelles créances pourront être ainsi immobilisées.
Art. 11. Cet article ne présente aucune difficulté: il est la contre-partie de l'article 8 qui a déterminé les immeubles par nature.
Il est clair que les choses qui peuvent se déplacer elles-mêmes ne sont que les animaux, et que ceux qui ne se déplacent que par l'effet d'une force étrangère sont les objets inanimés.
Les exceptions que la loi rappelle ici sont connues: certains objets, considérés en eux-mêmes, sont meubles par nature; mais quand ils sont les accessoires essentiels d'un immeuble ou quand la volonté du propriétaire les y a attachés, pour augmenter les avantages d'un immeuble, ils sont considérés comme immeubles (v. art. 8 et 9).
Art. 12. Il est naturel que, de même que la volonté de l'homme donne à certains meubles le caractère immobilier par leur attache permanente et définitive à un immeuble, de même cette volonté puisse maintenir le caractère de meubles à des objets qui semblent devenus immeubles par leur attache ou incorporation au sol; c'est, précisément, parce que cette attache est temporaire et en quelque sorte provisoire.
Le présent article recevra son application, quand un propriétaire vendra une construction commencée ou achevée, dont les échafaudages et hangars n'auront pas été retirés et à l'égard desquels il n'aura été fait aucune convention particulière; d'ailleurs, le plus souvent, ces objets n'appartiendront pas au vendeur, mais au constructeur.
Il en sera de même, si un propriétaire a construit sur son terrain un amphithéatre ou une salle provisoire, pour une fête ou un divertissement, ou bien encore un baraquement pour abriter des incendiés; puis, il a vendu son terrain avant la démolition de ces ouvrages, sans avoir eu soin de les excepter de la vente comme meubles.
Le présent article sera encore applicable au cas où un propriétaire dont le métier est d'élever des arbres, arbustes ou fleurs, a vendu un terrain exploité en pépinière, par conséquent planté en végétaux qui sembleraient immeubles d'après l'article 8, n° 5°; mais la destination de ces arbres et arbustes était de ne rester que temporairement attachés au même sol: comme ils étaient destinés à être vendus, ils n'étaient pas immeubles d'après l'intention du propriétaire.
La décision ne devrait pas être la même, s'il ne s'agissait pas d'un pépiniériste, mais d'un grand propriétaire qui aurait affecté une petite portion de son domaine à élever les arbres, arbustes ou plantes nécessaires à l'entretien et au renouvellement de ses plantations ou à l'ornement de sa propriété; en pareil cas, les jeunes plants, ne devant changer que de place et non de domaine, resteraient immeubles par nature et se trouveraient vendus avec le domaine.
Le n° 4° forme la contre-partie du n° 10° de l'article 9: les bâtiments aliénés pour être démolis et les arbres vendus pour être enlevés sont encore immeubles par nature, mais ils sont déjà meubles par l'intention du propriétaire.
Art. 13. Cet article correspond à l'article 10, en ce sens qu'il reconnaît aussi des meubles par la détermination de la loi. Il s'agit encore de droits qui tirent leur nature mobilière de leur objet.
Chacun des alinéas ne demande que peu d'explications.
1° Le droit de propriété, l'usufruit, l'usage ou le droit de bail d'un meuble corporel, sont des droits mobiliers, comme la propriété, l'usufruit, l'usage d'un immeuble sont des droits immobiliers.
2° Les créances ayant pour objet de l'argent, des denrées ou marchandises, tendant à procurer au créancier des choses mobilières, ont la même nature que leur objet. La loi ajoute que le droit ne serait pas moins mobilier, quoiqu'il fut garanti par un droit immobilier, comme une hypothèque; c'est qu'en effet, le droit de créance tire sa nature de son objet principal et non de son objet accessoire.
3° Ici, l'objet direct du droit de créance n'est plus une chose mobilière ou immobilière, c'est un fait ou une abstention; or, un fait, positif ou négatif, n'est ni meuble, ni immeuble, même par fiction ou analogie. Mais on peut toujours supposer que le débiteur manquera à exécuter son obligation; dans ce cas, l'obligation se résoudra en dommages-intérêts, lesquels seront fixés en argent; la créance d'un fait ou d'une abstention est donc considérée comme meuble d'après son objet subsidiaire.
4° On a déjà eu occasion de distinguer les sociétés en cours d'existence et les sociétés dissoutes ou en liquidation (art. 6) et l'on a dit que, le plus souvent, les sociétés en cours d'existence sont des personnes morales. Lorsque, dans ce cas, la société, civile ou commerciale, possède des meubles et des immeubles, c'est à elle, et non aux associés individuellement, qu'appartient le droit de propriété, et l'on dira d'elle, comme d'un particulier, qu'elle a des meubles et des immeubles des diverses qualités.
Cependant, les associés eux-mêmes ont un droit: ce droit tend à obtenir une partie des bénéfices de la société, en proportion de la mise ou des apports de chacun; mais ces bénéfices, une fois réalisés, donneront à chacun une somme d'argent; le droit est donc mobilier par son objet.
Si, au contraire, la société n'a pas été constituée à l'état de personne morale, le droit des associés est, même pendant sa durée, mobilier ou immobilier, ou l'un et l'autre à la fois, suivant que l'actif social se compose de meubles ou d'immeubles, ou des deux sortes de biens réunis; les associés sont alors copropriétaires indivis, comme dans les autres cas de communauté de biens.
5° Les droits des écrivains, des artistes et des inventeurs tendent finalement à obtenir des sommes d'argent; ces droits sont donc mobiliers par leur objet, direct ou subsidiaire.
Art. 14. Quand la société, personne morale, est dissoute par une des causes que la loi détermine, chaque associé succède pour une part à l'être moral et le droit de chacun devient un droit de copropriété indivise dans l'ancien actif social, comme si la société n'avait pas eu de personnalité. Il en est de même du droit de chacun des membres d'une communauté en liquidation.
Mais l'indivision est une situation gênante pour les copropriétaires et elle est destinée à cesser plus ou moins tôt par un partage. Le partage, fait à l'amiable ou en justice, donnera à chacun un lot déterminé, soit des meubles, soit un immeuble ou une portion d'immeuble.
Alors se présente une question de doctrine et de pratique, tout à la fois, sur laquelle a dû se prononcer le nouveau Code civil et pour lequel il s'est inspiré des lois de l'Occident, ne trouvant pas dans les anciens usages joponais une solution précise et satisfaisante.
Si la loi laissait fonctionner ici les principes généraux ou les règles du droit naturel, sans y intervenir, voici ce qui se produirait: chacun des copropriétaires indivis, au moment du partage, acquierrait des autres leur part antérieure dans les objets à lui échus et la joindrait à la part qu'il avait déjà dans les mêmes objets; réciproquement, et en compensation, chacun des autres recevrait la part de celui-ci dans les objets à eux échus en partage; on dirait alors que le partage est translatif ou attributif de propriété.
Mais il y a là des inconvénients: pendant que durerait l'indivision, jusqu'au partage, chacun des copropriétaires ne pourrait aliéner aucun objet que pour la part indivise qu'il y a lui-même, ce qui détournerait les tiers de pareilles acquisitions et serait une entrave à la circulation des biens, car l'indivision, déjà gênante entre les anciens associés, le serait bien davantage entre gens qui n'auraient aucun lien antérieur.
Si même un tiers avait acquis cette part indivise, il y aurait un autre inconvénient: celui-ci devrait figurer au partage, pour la sauvegarde de ses droits; or, l'admission d'un étranger à une opération qui est déjà délicate entre les parties, la rendrait plus difficile et pourrait susciter des contestations.
Enfin, le mal serait plus grand encore, si l'un des copropriétaires avait hypothéqué sa part indivise dans un immeuble: les autres se trouveraient plus tard exposés à payer la dette hypothécaire ou à subir l'éviction par l'effet de l'action du créancier, car l'hypothèque est considérée comme indivisible et affectant toutes les parties de l'immeuble hypothéqué (v. art. 19); ils auraient, il est vrai, un recours contre le débiteur, mais ce recours pourrait être souvent inefficace.
Ces divers inconvénients avaient été acceptés par la législation romaine et par les législations occidentales qui s'en sont inspirées; mais plusieurs législations modernes ont admis que le droit des copropriétaires reste indéterminé quant aux objets, jusqu'au partage et qu'une fois le lotissement effectué, chacun est censé avoir succédé seul aux objets compris dans son lot et n'avoir eu aucun droit sur les objets échus aux autres.
Par conséquent, les droits qui auraient pu être concédés à des tiers sont subordonnés à l'effet du partage: ils sont valables, si les objets cédés ou hypothéqués sont échus à celui qui en a disposé, et nuls, s'ils sont échus à un autre. Seulement, pour éviter que le partage ne soit fait de manière à frauder le tiers de ses droits, on doit l'admettre à assister au partage.
D'après cette théorie, le partage n'est plus translatif de propriété, il en est déclaratif: l'acquisition remonte au jour où l'indivision a commencé et elle a pour cause le fait qui a donné naissance à cette indivision.
Donc, pour revenir à la division des biens en meubles ou immeubles, le droit d'un copropriétaire dans une universalité indivise sera mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui lui seront échus par le partage.
Le 2e alinéa donne la même solution pour un cas assez différent.
Ordinairement, une obligation a un objet immédiatement déterminé, dès la convention, lors même que l'exécution en est ajournée à un temps plus ou moins éloigné. Mais il a pu entrer dans les convenances des parties de laisser le choix de l'objet à l'une d'elles, soit au créancier, soit au débiteur. Les obligations de ce genre se nomment “alternatives” (v. art. 428 et s.).
Quand les objets parmi lesquels le choix pourra s'exercer sont de même nature, soit meubles, soit immeubles, la créance a le même caractère et ne présente rien de particulier au point de vue de la présente division des biens. Mais si l'un des objets dûs alternativement est meuble et l'autre immeuble, la créance n'a pas les deux caractères à la fois: il n'y a qu'un seul des deux objets dûs qui puisse donner à la créance sa nature mobilière ou immobilière. Mais quel est cet objet? On ne le saura que lorsque le créancier exercera son choix par la demande, si le choix lui appartenait, ou le débiteur, par le payement, dans le cas inverse.
Il en serait autrement si l'obligation était facultative. En effet, dans l'obligation facultative, il n'y a qu'une chose vraiment due; le débiteur, il est vrai, a la faculté de se libérer en en donnant une autre en payement; mais c'est la chose due principalement qui détermine si la créance est mobilière ou immobière et non celle qui est due facultativement. Cette solution est la seule qui puisse être donnée par les tribunaux, en présence de l'article 436 qui donne la théorie fondamentale de cette nature d'obligation.
Ici se termine l'importante division des choses en meubles et immeubles.
La loi passe aux autres divisions qui, ainsi qu'on l'a remarqué, comprennent, toujours et nécessairement, les mêmes objets, mais envisagés sous d'autres points de vue.
Art. 15. Il y a, dans toutes les parties du droit, des occasions de rechercher si une chose est accessoire d'une autre, laquelle est considérée comme principale. Cette distinction présentera, notamment, une grande utilité au sujet d'un moyen d'acquérir la propriété, appelé justement accession, parce qu'on y suit la règle que “l'accessoire suit le principal.”
La loi se borne ici à donner le caractère distinctif de chacune de ces deux choses, avec quelques exemples.
Les articles 2 et 3 ont déjà distingué les droits en principaux et accessoires: la conséquence principale est que la nullité du droit principal entraîne la nullité du droit accessoire; la réciproque n'est pas vraie.
On retrouvera cette conséquence au sujet du cautionnement et de l'hypothèque qui ne peuvent, en principe, exister que s'ils se rattachent à un droit de créance valable.
On verra aussi à l'article 41 que l'aliénation de la chose principale entraîne l'aliénation des choses accessoires.
Art. 16. Cette division des choses en quatre groupes a une grande importance et des applications variées. La plus intéressante est en matière de transmission de la propriété.
Lorsqu'une vente, un échange ou un autre contrat d'aliénation a pour objet une chose individuellement déterminée, meuble ou immeuble, un corps certain, la propriété s'en trouve immédiatement transférée par le seul effet du consentement des parties. Lorsqu'au contraire la convention a pour objet une quantité, en poids, nombre ou mesure, de choses qui ne sont déterminées que quant au genre ou à l'espèce, comme de l'argent, du riz, de la soie, même avec indication de la qualité ou de la provenance, la propriété n'en peut être transférée que lorsque les choses auront été déterminées individuellement, c'est-à-dire pesées, comptées ou mesurées, sous le contrôle de chaque partie; il ne sera pas nécessaire qu'elles soient livrées, qu'il y en ait eu tradition; mais il faudra qu'elles soient devenues corps certains par une détermination contradictoire entre les parties (v. art. 332).
La transmission de la propriété par le seul effet du consentement, sans nécessité de la tradition, à l'égard d'un corps certain, est un progrès des temps modernes; elle est raisonnable, simple et utile: le droit de propriété est, au fond, un rapport purement intellectuel et abstrait entre un individu et une chose déterminée; il est donc logique que ce rapport puisse être transféré à un autre individu par la seul effet de la volonté des deux parties. Au contraire, le nature des choses s'oppose à ce que la propriété d'une quantité soit transférée avant qu'il y ait eu tradition ou, tout au moins, détermination des choses à l'état d'individualité.
On retrouvera cette distinction des choses à l'occasion de l'Effet des conventions en général (v. art. 331 et 332).
Les choses collectives sont, en réalité, des corps certains, réunis en nombre plus ou moins déterminé, mais assez pour n'être pas confondus avec d'autres. Les exemples que donne la loi suffisent pour faire comprendre ce dont il s'agit.
L'utilité de cette distinction des choses se retrouvera à propos de l'usufruit, pour un troupeau, à propos des legs ou testaments, pour les livres d'une bibliothèque et encore pour le troupeau.
Il suffit d'indiquer ici son principal intérêt en matière de legs. Supposons que quelqu'un a légué sa bibliothèque pour l'époque des on décès, sans énoncer chaque ouvrage la composant; pendant sa vie, il a acquis de nouveaux livres; il peut aussi en avoir donné ou cédé: à sa mort, le légataire aura la bibliothèque telle qu'elle se trouvera alors composée. Si le legs eût été soit d'un ou plusieurs ouvrages déterminés (corps certain), soit d'un certain nombres de volumes (quantité), il aurait encore pu se trouver diminué par des aliénations, mais il ne se serait pas augmenté des acquisitions nouvelles. L'effet serait le même pour le legs d'un troupeau ou de marchandises formant le fonds d'un magasin.
Enfin, les choses constituant une universalité de biens ont le caractère des collectivités qui précèdent, mais à un plus haut degré, puisqu'elles constituent tout ou une partie aliquote d'un patrimoine (v. art. 6 et 46); comme telles, elles sont susceptibles d'augmentation ou de diminutions continuelles et presque journalières. Ce qui demande qu'elles obtiennent une place spéciale, c'est qu'elles se trouvent toujours accompagnées de charges ou dettes (le passif) qui en diminuent virtuellement l'émolument (l'actif).
Art. 17. La distinction portée par cet article n'est pas très fréquemment appliquée dans la loi. On la rencontrera au moins en matière d'usufruit et de prêt de consommation. Il faut d'ailleurs se garder de la confondre avec la division suivante avec laquelle d'ailleurs elle a de l'analogie.
Art. 18. Les choses fongibles sont celles qui ont, dans la nature, des équivalents parfaits, qui peuvent se remplacer par des choses pareilles, qui font fonction l'une de l'autre.
Cette assimilation des choses les unes aux autres n'est pas, comme la précédente, un effet de la nature seule des choses: il faut encore que les parties l'aient admise expressément ou tacitement, ou que la loi l'ait établie, sinon impérativement, au moins par présomption de l'intention des parties.
Il est naturel que les choses qui se consomment par le premier usage soient considérées comme fongibles entre elles, d'après l'intention des parties; ainsi, celui auquel il a été prêté de l'argent, du riz ou de l'huile se trouvera valablement libéré en rendant, non le même argent, le même riz ou la même huile, mais pareille somme, ou du riz ou de l'huile en pareilles quantité et qualité.
Réciproquement, il peut arriver que des choses qui se consomment par le premier usage aient été considérées par les parties comme non fongibles et doivent être rendues identiquement.
La fongibilité résultant de la disposition de la loi peut aller plus loin et être établie entre choses de nature différente. Ainsi, si celui qui doit de l'argent est en même temps créancier d'une certaine quantité de riz, d'huile ou d'autres produits côtés au marché public local, il peut demander la compensation de sa dette avec sa créance estimée en argent d'après le cours commercial de la denrée (v. art. 522).
Art. 19. Le plus grand nombre des choses est divisible; l'indivisibilité est l'exception. D'abord les choses corporelles sont essentiellement divisibles matériellement, aussi bien les meubles que les immeubles. Les choses incorporelles, comme les droits, sont également divisibles, mais alors intellectuellement ou par parties aliquotes, comme une moitié, un tiers, un quart. Ainsi le droit de propriété peuvent appartenir à deux ou plusieurs personnes, chacune d'elles aura la moitié, le tiers, le quart du droit de propriété totale. C'est le cas de la copropriété indivise dont on a déjà parlé sous l'article 14: le droit de chacun porte sur la chose entière et sur chacune de ses parties;
Il ne faut pas confondre l'indivision avec l'indivisibilité: dans le cas de l'indivision, la chose objet du droit n'est pas encore divisée, mais elle pourra l'être; dans l'indivisibilité, la division est impossible. C'est par exception, avons-nous dit, que certaines choses sont indivisibles: l'indivisibilité a trois causes: la nature même des choses, l'intention des parties, et la disposition de la loi.
L'indivisibilité naturelle ne s'applique qu'à des choses incorporelles, à des droits. Ainsi, la plupart des servitudes foncières sont indivisibles; par exemple, la servitude de passage ou de vue sur le fonds d'autrui, la servitude de ne pas bâtir; il n'y a même pas ici de divisibilité intellectuelle: on ne comprendrait pas la moitié d'un droit de passage.
C'est sous l'article 268 que l'on indiquera les conséquences pratiques de l'indivisibilité des servitudes et les cas de servitudes divisibles, au moins quant à l'émolument qu'elles procurent.
Sont encore indivisibles par leur nature, ou par la nature de leur objet, les obligations de ne pas faire (v. sous l'art. 441).
Le plus souvent, l'indivisibilité provient de l'intention expresse ou tacite des parties: elle a lieu chaque fois que le résultat que celles ci se proposent ne pourrait être atteint utilement par fractions. Ainsi, celui qui a promis de construire une maison n'aurait pas rempli la moitié de son obligation, s'il avait construit la moitié de la maison, et il ne se libérerait pas en indemnisant le créancier pour la moitié non construite: tant qu'il n'a pas construit la maison en entier, il n'a rien fait d'utile pour sa libération, Si, dans le même cas, il y avait deux constructeurs engagés, l'un d'eux ne serait pas libéré, s'il avait construit la moitié de la maison: il devrait la construire en entier, à défaut de l'autre.
L'indivisibilité résultant de l'intention des parties peut même s'appliquer à une dette d'argent, quoique l'argent soit la chose la plus naturellement divisible. Ainsi, si deux personnes ont promis à une autre une somme d'argent nécessaire à l'acquisition d'un immeuble, chacune devra fournir la somme entière, en cas d'empêchement de l'autre, sans quoi le but du créancier ne serait pas atteint, lors même qu'obtenant la moitié de la somme, il obtiendrait qu'on lui vendît la moitié de l'immeuble. De même, s'il y avait deux créanciers de cette somme, avec le même but, chacun pourrait, à défaut de l'autre, exiger la somme entière.
Les cas où l'indivisibilité résulte de la disposition de la loi sont peu nombreux: on peut citer d'abord le nantissement, mobilier ou immobilier, le privilége et l'hypothèque et encore dans ce cas, la loi présume plutôt l'intention des parties qu'elle ne dispose impérativement (v. Liv. des Garanties, art. 105, 123, 132 et 199). Des cas d'indivisibilité légale impérative pourront résulter de lois spéciales.
Comme on l'a dit, en commençant, toutes ces divisions des choses sont placées ici comme Dispositions générales ou préliminaires: ce n'est que sous les articles qui en donnent des conséquences directes qu'on donnera à celles-ci les développements nécessaires.
Art. 20. En remontant à l'origine probable des sociétés, on comprend que les choses ont commencé par n'avoir pas de maîtres avant d'être appropriées. Cependant, dans l'énoncé de cette division des choses, la loi place en première ligne les choses appropriées, parce qu'elles forment aujourd'hui, de beaucoup, le plus grand nombre et que les choses non appropriées ne sont plus que des exceptions.
Dans la reprise des subdivisions, on suivra l'ordre de la loi, en remarquant que la loi ne s'arrête pas aux choses qui font partie d'un patrimoine privé, justement parce que le présent Code les aura pour objet principal de ses dispositions; au contraire, il ne s'occupera qu'incidemment des choses qui n'appartiennent pas à des particuliers; c'est pourquoi il faut s'y arrêter ici.
Art. 21. La distinction entre le domaine public et le domaine privé de l'Etat a des conséquences pratiques considérables: principalement, au point de vue de l'aliénation, de l'administration et de la prescription de ces biens.
Les biens du domaine public sont, en principe, inaliénables et imprescriptibles: pour qu'ils pussent être aliénés et qu'ils devinssent susceptibles de prescription, il faudrait qu'ils eussent d'abord été déclassés, dépouillés de leur caractère public, ce qui ne se fait que par un changement régulier de destination.
Quant à l'administration des mêmes biens, elle appartient, en général, au chef de l'établissement auquel est consacré l'édifice public et s'il s'agit de biens du domaine privé de l'Etat, l'administration en est confiée aux Préfets ou gouverneurs dans la circonscription desquels ils se trouvent.
La règlementation de cette matière appartient aux lois administratives.
Art. 22. Le caractère propre des biens du domaine public est leur affectation à un usage ou service national. La loi en donne seulement des exemples; mais le principe étant posé tout d'abord, il sera facile de se prononcer sur le caractère des objets non mentionnés ici.
L'expression de mer territoriale est l'opposé de la haute mer (v. art. 25): elle est considérée comme une dépendance du territoire national. D'après le droit des gens, on considère comme mer territoriale, l'espace de mer auquel peut atteindre une portée de canon, et l'on peut dire que la mer territoriale de chaque pays s'étend avec le progrès moderne de la portée des canons.
Du côté du rivage, la mer s'étend jusqu'à son maximum d'élévation aux deux équinoxes de l'année: c'était déjà la règle romaine et elle est aussi raisonnable aujourd'hui qu'autrefois.
La loi ne mentionne pas ici les temples, les hopitaux, les écoles, les musées et bibliothèques, parce qu'il y a de ces établissements qui sont privés. C'est donc dans chaque cas particulier que la question devra être décidée.
Les établissements pénitentiaires sont, au contraire, du domaine public.
Le domaine public se divise aussi en domaine de l'Etat, des fu et ken, des goun et des shi, tcho et son. Les exemples donnés par cet article s'appliquent au domaine public général ou de l'Etat. Mais les fu et ken etc. ont aussi des routes et canaux de navigation, des édifices consacrés à un usage public local; ces biens suivent les règles du domaine public général, quant à l'aliénation, la prescription et l'administration.
Art. 23. Le caractère des biens du domaine privé de l'Etat, des fu, ken, etc., est indiqué au texte: ces biens “sont possédés au même titre que les biens privés et sont destinés à donner des revenus en argent ou appréciables en argent.”
Art. 24. Les choses sans maître peuvent arriver à en avoir un par l'occupation, c'est-à-dire par le fait de celui qui en prend possession le premier et dont on parlera aux articles 2 et suivants du Livre de l'Acquisition des biens.
Lorsque les choses abandonnées sont des immeubles (ce qui est rare), la propriété en est acquise immédiatement à l'Etat; il en est de même des successions en déshérence ou de ceux qui meurent sans héritier (v. art. 23, 2e al.).
Art. 25. Les choses communes diffèrent à la fois des choses sans maître et des choses appropriées.
Elles diffèrent des choses sans maître en ce que chacun en a l'usage, à son gré; elles diffèrent des choses appropriées, en ce qu'elles ne peuvent jamais devenir la propriété exclusive de personne: chacun n'en acquiert que de minimes parties, par l'usage qu'il en fait, comme de l'eau qu'il puise à la rivière et de l'air qu'il respire.
Art. 26. Cette division des choses recevra son application à l'occasion de la validité des conventions; une convention ayant pour objet une chose se trouvant hors du commerce est nulle; en conséquence, elle ne transférera aucun droit sur cette chose et ne créera même aucune obligation à des dommages-intérêts pour inexécution, à moins qu'il n'y ait eu fraude.
Ce sont surtout les lois administratives et les lois pénales qui indiquent les choses mises hors du commerce. Cependant, il y a des choses qui ont ce caractère par elles-mêmes et sans qu'il soit besoin d'un texte pour le dire.
Toutes les choses qui ne sont pas spécialement hors du commerce sont dans le commerce ou à la disposition des particuliers: c'est toujours là la règle, sauf exceptions.
Art. 27. On serait porté à croire que les choses inaliénables sont les mêmes que celles qui sont hors du commerce; mais ces deux caractères ne sont pas identiques: il y a des choses inaliénables qui pourtant sont dans le commerce. La loi en donne des exemples.
Ainsi, un droit d'usage ou d'habitation est dans le commerce, car il peut être constitué par convention (vente, échange ou donation); une fois constitué, il est encore susceptible d'une convention qui le restituerait au propriétaire de la chose; mais il est inaliénable au profit d'un tiers, de la part de celui au profit duquel il a été constitué.
Il en est de même des servitudes foncières: elles peuvent être constituées par convention entre deux propriétaires voisins; mais celui auquel elles ont été consenties ne pourrait pas les céder sans le fonds dominant à un autre qu'au propriétaire même du fonds servant.
Du reste, l'aliénabilité est toujours la règle et l'inaliénabilité l'exception. Cette exception pourra venir, soit de dispositions directes de la loi, soit de dispositions de l'homme, c'est-à-dire de conventions ou de testaments; mais ces dispositions ne seront pas libres: il faudra toujours qu'elles soient faites dans les cas où la loi le permet.
Art. 28. Ce n'est pas encore ici le lieu d'indiquer les caractères de la prescription. Au surplus, on dira plus loin (sous l'art. 43) et on établira tout à fait au Livre des Preuves (IIe Partie) qu'elle est plutôt une présomption légale d'acquisition ou de libération qu'un moyen propre et direct de produire ces effets.
Quoi qu'il en soit, il est certain que la longue possession ne produit pas toujours le bénéfice de la prescription: souvent l'obstacle qu'elle rencontre vient de la nature de la chose ou d'une disposition de la loi; tels sont les biens du domaine public et certaines servitudes (v. art. 278); de là on arrive à reconnaître qu'il y a des choses imprescriptibles; mais l'imprescriptibilité, comme l'inaliénabilité, est toujours l'exception: la règle est la prescriptibilité des choses.
Art. 29. Généralement, tous les biens d'un débiteur sont le gage de ses créanciers: s'il ne remplit pas ses obligations, ceux-ci peuvent, sous certaines conditions et distinctions, saisir et faire vendre ses biens pour être payés sur le prix (v. Liv. des Garanties, art. 1er).
Par exception, certains biens échappent à cette action des créanciers. On y retrouve nécessairement les choses hors du commerce et les choses inaliénables, puisque la saisie mènerait à l'aliénation et que celle-ci est interdite. Mais il y a des choses qui sont dans le commerce, dont l'aliénation volontaire est permise, et dont cependant l'aliénation forcée sur saisie est interdite.
On trouvera au Code de Commerce des limites au droit de saisie des créanciers, au sujet des lettres de change (C. de comm. art. 764), et au Code de Procédure civile, au sujet de certains meubles nécessaires à l'usage et au travail du débiteur insolvable (C. de Pr. civ., art. 570).
La loi s'arrête ici dans la nomenclature des divisions des choses qui influent sur les dispositions de la loi. Ce ne sont pas cependant les seules; mais celles qu'on a négligées ici ont une influence moins considérable sur le droit.
On se bornera à en indiquer quatre:
1° Choses perdues ou volées: elles ne sont pas susceptibles de la prescription instantanée qui est, en général, le bénéfice du possesseur de bonne foi d'un meuble: la prescription en exige une possession de deux ans (v. Liv. des Preuves, art. 145).
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette dérogation au droit commun: il faudrait d'abord pour cela justifier la règle elle-même, ce qui sortirait du cadre de ces Dispositions générales.
Parmi les choses perdues, on doit compter les épaves maritimes, fluviales ou terrestres dont l'acquisition est régie par des lois spéciales (v. Liv. de l'Acq. d. biens, art. 3).
2° Choses liquides et certaines: ce sont des valeurs, généralement dues, dont on connaît exactement la nature et le montant, ainsi que le lieu où elles doivent être fournies. Le principal intérêt de cette distinction est au sujet de la compensation (v. art. 520 et 523); de même, les exécutions forcées ne peuvent avoir lieu que pour des choses liquides et certaines.
3° Choses excédant, ou non, une valeur déterminée: la loi n'est pas favorable à la preuve testimoniale, non par défiance de la sincérité des témoins, comme on le croit trop généralement, mais par le désir de prévenir les procès téméraires; les demandeurs et les défendeurs, toujours portés à s'exagérer la bonté de leur cause, compteraient sur des témoignages favorables qui, devant le juge, manqueraient souvent de la précision nécessaire pour donner la conviction à celui-ci; on aurait ainsi fait un procès nuisible aussi bien aux parties elles-mêmes qu'à l'intérêt général.
La loi veut donc qu'on prouve par écrit tout intérêt litigieux dont le montant excède 50 yens: au-dessous de ce chiffre, l'écrit n'est plus exigé, à cause de la célérité que demandent les petites affaires, plus multipliées d'ailleurs que les grandes.
L'importance des sommes ou valeurs a encore une grande influence sur la compétence des tribunaux, en 1re instance et en appel (v. Loi de l'organisation des cours et tribunaux).
4° Choses susceptibles, ou non, de dépérissement, ce qu'il faut entendre d'un prompt dépérissement (car tout dépérit par le seul effet du temps); telles sont la plupart des denrées alimentaires. On verra l'application de cette distinction en matière d'usufruit (v. Liv. des biens, art. 55,) et de prêt de consommation (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 178); il en sera de même au cas de tutelle, et généralement, de gestion des affaires d'autrui.
Il faut assimiler, juridiquement, aux choses susceptibles de prompt dépérissement, celles qui sont susceptibles de perdre promptement une partie de leur valeur commerciale.
PREMIÈRE PARTIE.
DES DROITS RÉELS.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA PROPRIÉTÉ.
Ce Livre étant consacré aux deux sortes de droits privés, aux droits réels et aux droits personnels, est naturellement divisé en deux Parties.
Un Chapitre spécial est consacré à chacun des droits réels.
On sait, au surplus, par l'article 2, qu'il ne s'agit ici que des droits réels principaux et d'une seule sorte de droits réels accessoires, des servitudes foncières. Quant aux droits réels qui sont l'accessoire et la garantie des créances ou droits personnels, ils sont l'objet de la IIe Partie du Livre des Garanties.
Art. 30. Il ne rentre pas dans la nature de cet Exposé des Motifs de jeter un coup d'œil sur l'état de la propriété foncière dans l'ancien droit japonais.
Le système féodal a exercé en cette matière une influence assez considérable, avec des variétés qui ont déjà disparu depuis la Restauration. Le Code civil consacre ce nouvel état de choses plutôt qu'il ne le crée.
Le droit de propriété, par cela même qu'il est libre, entier et presque absolu, est de tous les droits réels celui qui demande le moins d'explications.
Le propriétaire peut librement user de sa chose, c'est-à-dire en tirer tous les services que sa nature comporte.
Il peut en jouir, c'est-à-dire en tirer tous les produits périodiques, soit naturels, soit civils. On reviendra sur cette distinction, au sujet de l'usufruitier.
Enfin, le propriétaire peut disposer, ce qui comprend l'aliénation, la transformation et même la destruction de la chose.
Mais si considérable, si libre et si étendu que soit le droit de propriété, il n'est pas tout à fait absolu: il reçoit certaines limites de la loi, des conventions et du testament.
Les limites légales sont les plus nombreuses: elles sont fondées, en général, sur l'intérêt public ou sur celui des voisins; car il ne faut pas que l'exercice du droit d'un propriétaire empêche les autres d'exercer le leur ou nuise à l'état social.
Les limites apportées au droit de propriété par convention ou testament consistent le plus souvent dans des aliénations partielles, dans des démembrements de la propriété au profit d'autrui, comme la constitution d'un usufruit, d'une servitude, d'une hypothèque.
Le pouvoir de la convention ou du testament n'est pas lui-même illimité, quand il s'agit de restreindre le droit de propriété. Ainsi un donateur ou un testateur ne pourrait imposer au donataire ou au légataire la prohibition d'aliéner: ce serait contraire à l'intérêt général qui demande la circulation des biens.
Art. 31. Voici une première restriction à la plénitude du droit de propriété.
Il semblerait que le droit de conserver sa chose est celui des droits du propriétaire le plus assuré. Cependant, on a reconnu, de tout temps et en tout pays, qu'il y a des cas où l'intérêt privé doit céder à l'intérêt général. Les routes, les canaux, les travaux de défense du territoire, demandent souvent de grands espaces et il ne serait pas admissible que de pareils travaux fussent rendus impossibles par le mauvais vouloir de quelques propriétaires.
D'ailleurs, l'Etat, les fu ou ken et les shi, tcho ou son ne demandent ici aux particuliers qu'un sacrifice de leurs convenances, non de leur intérêt pécuniaire, puisqu'une indemnité leur est payée, suivant l'importance de ce dont ils sont expropriés.
L'expropriation pour cause d'utilité publique a déjà reçu une large application dans ces dernières années, pour la construction des chemins de fer de l'Etat et des Compagnies. Le principe est maintenant proclamé dans la constitution (art. 27).
La loi fait ici une distinction entre les immeubles et les meubles, et l'on pourrait être étonné, au premier abord, qu'il faille une loi spéciale pour une expropriation mobilière, tandis que, dans le cas d'immeuble, il suffit d'une série d'actes administratifs. Le motif est d'empêcher une expropriation trop facile pour les meubles, précisément parce que leur moindre importance pourrait porter l'administration à en abuser,
Il y a d'ailleurs exception à la nécessité d'une loi pour les réquisitions de denrées et autres objets nécessaires, en cas de guerre et de calamité publique.
Art. 32. L'occupation temporaire des propriétés pour les travaux d'utilité publique n'est pas une expropriation: les mesures administratives pour y arriver seront plus simples et l'indemnité moindre.
Art. 33. La prise de matériaux sur les propriétés sera réglée par les lois administratives, complétées s'il y a lieu. Il est dans l'esprit de la loi que ces matériaux ne soient pris que pour des travaux publics s'exécutant dans la localité: c'est un moyen d'épargner des frais de transport plus ou moins considérables et c'est toujours l'intérêt général qui en profite.
Comme ces matériaux sont des meubles, il y a là une nouvelle exception à l'article 31: une loi spéciale pour chaque cas n'est pas nécessaire.
Art. 34. Les deux premiers alinéas de cet article consacrent certains droits du propriétaire et les deux derniers y apportent des limites, les unes dans l'intérêt général, les autres dans l'intérêt privé des voisins. Il n'y a pas lieu de s'y arrêter ici.
Art. 35. Cet article se réfère à une loi spéciale sur des limites au droit du propriétaire du sol au sujet des mines.
En effet, l'exploitation des mines importe à la richesse et à la sûreté de l'Etat et elle appartient au droit administratif plus encore qu'au droit civil.
Art. 36. La garantie du droit de propriété consiste dans le droit d'exercer en justice les actions qui permettent au propriétaire de recouvrer sa chose, si elle était possédée par un tiers, même de bonne foi.
La principale de ces actions est dite pétitoire ou en revendication: pour y triompher, le demandeur doit fournir la preuve de son droit de propriété.
Mais comme cette preuve est quelquefois difficile, le propriétaire peut intenter seulement une action possessoire dans laquelle il n'aura qu'à justifier de sa possession antérieure à celle du défendeur.
Seulement, comme cette action met en présence deux possesseurs, il ne faut pas que celui qui a possédé le premier ait laissé s'écouler plus d'un an avant d'agir.
La loi renvoie au Chapitre de la Possession, pour les diverses conditions des actions possessoires. Elle réserve aussi le cas de la prescription des meubles qui est instantanée et met ainsi obstacle à la revendication et à l'action possessoire.
Art. 37. Cet article et les deux suivants règlent un état particulier de la propriété auquel il a déjà été fait allusion dans les dispositions générales: la propriété appartenant à plusieurs par indivis, c'est-à-dire sans qu'il en ait été fait de partage entre eux.
Les parts peuvent être égales ou inégales.
Le caractère de la propriété indivise est que le droit de chacun, si minime qu'il soit, porte sur toute la chose, comme s'il en était seul propriétaire; mais comme le droit des autres porte de même sur toute la chose, il en résulte que les droits sont limités les uns par les autres. Aussi est-il rare que les copropriétaires usent directement de la chose: ils préfèreront la louer et en partager les loyers (fruits civils); s'il s'agit d'un fonds en culture, ils pourront le cultiver en commun et en partager les fruits naturels.
Comme les actes d'administration ont surtout pour but la conservation de la chose, il est naturel que chacun puisse les faire seul; mais il vaudra toujours mieux se concerter.
Art. 38. Il en est autrement du droit de disposer de la chose; s'il s'agit d'en modifier la condition matérielle, le consentement de tous est nécessaire: l'opposition d'un seul obligerait de laisser la chose dans le même état, car on ne peut la modifier pour une part indivise. Au contraire, s'il s'agit de l'aliénation ou de l'hypothèque et qu'il n'y ait pas accord de tous, chacun peut aliéner ou hypothéquer sa part indivise.
Au cas d'aliénation, le 2e alinéa règle la situation de l'acquéreur. Au cas d'hypothèque, le résultat arrivera à être le même: si le débiteur laisse exercer l'action hypothécaire, le fonds sera vendu pour la part indivise hypothéquée.
S'il s'agit du bail de la chose, une distinction est à faire: si le bail conserve par sa durée la caractère d'acte d'administration, il peut être fait valablement par un seul des copropriétaires, en vertu de l'article précédent.
A l'égard du droit de grever le fonds d'une servitude, il faudra absolument le consentement de tous les copropriétaires, car la servitude étant au nombre des choses indivisibles, même intellectuellement, on n'en comprendrait pas la constitution pour une part indivise, pour une moitié, un tiers, un quart.
Art. 39. Les effets de l'indivision indiqués aux deux articles précédents ne sont pas sans de grands inconvénients: il peut se rencontrer souvent des occasions de conflit entre les copropriétaires; en outre, les biens indivis se trouvent longtemps retirés de la circulation, car les copropriétaires auront de la peine à se mettre d'accord pour les conditions d'une vente totale, et, si un ou plusieurs d'entre eux veulent vendre leur part indivise, ils trouveront peu de personnes disposées à accepter une situation qui les met dans une sorte de société avec des inconnus.
Pour remédier à ces inconvénients, la loi permet à tout copropriétaire d'exiger le partage des biens indivis.
Une convention qui aurait pour but de soumettre les copropriétaires à l'indivision perpétuelle, ou pendant leur vie, ou même pendant plus de cinq ans, serait nulle, comme contraire à l'ordre public: toutefois, elle vaudrait pour cinq ans, parce que l'intention des parties peut recevoir valablement cet effet.
Le droit laissé aux copropriétaires de se soumettre à l'indivision pendant cinq ans est aisé à justifier. Il est souvent difficile de diviser les biens, en nature: on est alors obligé de les vendre, pour en partager le prix; or, il pourrait être nuisible de vendre, dans certaines circonstances où les biens sont dépréciés; les parties feront donc sagement de s'interdire, respectivement, pendant cinq ans, ou moins, un partage qui pourrait nuire aux unes et aux autres; sauf à renouveler la convention.
L'interdiction de partager ne pourrait être imposée pendant cinq ans par un testateur, dans le testament où il lèguerait son bien à plusieurs personnes. Une convention directe entre les intéréssés est le seul cas où l'on puisse espérer que l'intérêt des copropriétaires, mûrement considéré par eux-mêmes, leur fera apporter tous les ménagements possibles pour vivre, pendant cinq ans, sans contestations et sans procès.
La loi excepte de la règle que “nul n'est tenu de rester dans l'indivision” les cas de mitoyenneté: il est clair que les biens mitoyens, servant à l'usage ou à la clôture de propriétés distinctes, ne pourraient être partagés sans perdre toute leur utilité.
Il sera longuement parlé de la mitoyenneté au Chapitre des Servitudes.
Art. 40. Cette situation de plusieurs personnes ayant des portions distinctes, divises, d'une maison, est encore rare au Japon; mais elle paraît destinée à être plus fréquente, à mesure que les constructions en pierre ou briques, plus hautes et plus côuteuses se multiplieront.
La loi fait sagement de régler les rapports des propriétaires dans cette situation particulière qui n'est ni la copropriété indivise, ni la propriété entièrement divise.
Il n'est pas besoin d'ailleurs de développer les divers alinéas de cet article: ils se justifient à la simple lecture.
Il va sans dire que si les parties ont réglé autrement leurs charges respectives, la loi cesse de s'appliquer.
Art. 41. Les divers Chapitres consacrés plus loin aux droits réels secondaires ne se borneront pas à indiquer leur nature, leurs effets et leur extinction; ils indiqueront aussi les causes qui leur donnent naissance, au moins celles qui sont propres à chacun d'eux. Au contraire, dans le présent chapitre de la Propriété, la loi n'indique pas ses causes, c'est-à-dire les moyens de l'acquérir, ni les conditions de publicité requises pour que les ayant-droit puissent s'en prévaloir vis-à-vis des tiers. La matière est assez étendue pour être l'objet de nombreuses dispositions de la 2e partie de ce Livre et du Livre de l'Acquisition des Biens auxquelles la loi renvoie.
Art. 42. La loi énumère ici les causes qui mettent fin à la propriété, quoiqu'elle n'ait pas encore énuméré les causes qui la créent. En effet, le plus grand nombre de ces causes d'extinction sont en même temps des causes d'aquisition et, à ce titre, elles se retrouveront dans la suite, car, sauf le cas de perte totale de la chose et celui d'un objet mobilier abandonné, lorsque la propriété sort d'un patrimoine, elle entre dans un autre; or, ce cas de perte ne suffit pas à former une division.
Cela est évident pour les cinq premiers cas:
1° Au cas d'aliénation; car l'aliénation n'est autre chose qu'un acte qui fait qu'une chose qui était nôtre devient chose d'autrui. Il n'y a pas à distinguer si l'aliénation est volontaire, comme la vente et la donation, ou forcée, comme l'expropriation pour cause d'utilité publique ou sur saisie.
2° Au cas d'accession, la chose change de maître, sans la volonté de son ancien propriétaire et quelquefois même sans la volonté du nouveau.
3° Au cas de confiscation, la chose passe dans le domaine de l'Etat, sauf à être détruite quand elle est dangereuse pour l'ordre public.
4° La résolution, la rescision et la révocation d'une acquisition ont des applications très-variées dans le présent Code et on les retrouvera dans les matières où elles s'exercent par voie d'actions en justice portant les mêmes noms. Ce n'est pas ici le lieu de s'arrêter longuement à ces actions: on indiquera seulement, avec quelques exemples, l'application de chacune d'elles.
La résolution suppose l'accomplissement d'une condition, d'un événement auquel les parties ou la loi avaient attaché, éventuellement et par prévision, la destruction d'un acte translatif de propriété, comme le défaut d'exécution par l'une des parties, dans un contrat synallagmatique ou bilatéral. La rescision suppose une aliénation entachée d'un vice de consentement ou d'une incapacité. Enfin, la révocation est comme la peine civile des acquéreurs coupables de certaines fautes prévues par la loi, par exemple de ceux qui ont participé à des aliénations par le débiteur en fraude de ses créanciers.
Dans les trois cas de résolution, de rescision et de révocation, l'acquisition est détruite rétroactivement et la chose retourne à l'ancien propriétaire, ce qui permettrait, à la rigueur, de dire qu'ici le droit de propriété ne se perd pas, n'ayant jamais existé pour le prétendu acquéreur; mais, il y a là une subtilité de doctrine que la loi peut et même doit négliger, quand elle ne s'occupe que de la nomenclature et de la méthode. Il est donc permis de dire que la propriété, dans les trois cas qui nous occupent, n'est pas détruite, qu'elle est seulement déplacée, qu'elle change de mains ou de patrimoine.
5° Au cas d'abandon volontaire de la chose par le propriétaire, il y aura encore, le plus souvent, changement de patrimoine: s'il s'agit d'un meuble, il sera bien rare qu'il reste sans maître et ne rencontre pas presque aussitôt un acquéreur par occupation; cependant, il y a toujours un temps plus ou moins long pendant lequel la chose est sans maître; s'il s'agit d'un immeuble, lequel sera d'ailleurs bien rarement abandonné, la propriété en est aussitôt acquise de droit à l'Etat; dans les deux cas, s'il s'agissait d'une chose qui appartînt en propriété à plusieurs, il faudrait décider qu'il n'y aurait lieu ni à l'occupation d'un tiers, pour un meuble, ni à l'acquisition de l'Etat pour un immeuble: le droit du propriétaire renonçant accroîtrait à la part des autres.
Il ne reste donc qu'un cas, le 6e, où l'on puisse dire que la propriété cesse pour le propriétaire sans être acquise à un autre, c'est celui où la chose est entièrement détruite, sans qu'il en reste quelque résidu utile: le droit cesse alors d'une façon absolue.
La perte de la chose peut donner lieu à une question de responsabilité et de dommages-intérêts de la part de celui à la faute duquel la perte serait imputable: on y reviendra en plusieurs occasions, notamment, aux articles 370 et suivants; car cette faute devient elle-même la cause, la source d'une obligation et, par contre, d'un droit personnel pour le propriétaire.
Art. 43. L'influence du temps sur les droits, sous le nom de prescription, est considérable.
On a quelquefois discuté sa légitimité, jamais son utilité, on pourrait dire sa nécessité. Mais elle n'est pas moins juste que nécessaire.
Elle a deux applications distinctes.
On dit quelquefois, pour abréger, que la prescription fait acquérir les droits réels et qu'elle fait perdre les droits personnels ou libère les débiteurs. Mais il est plus exact, en doctrine, et plus honorable pour ceux qui invoquent la prescription, de dire qu'elle constitue une présomption légale d'acquisition ou de libération légitime dispensant celui qui l'invoque d'en fournir d'autre preuve que celle du temps écoulé et des autres conditions imposées par la loi. Pour l'acquisition des droits réels, la principale de ces conditions est la possession de la chose; pour la libération des droits personnels, c'est l'inaction du créancier.
La prescription, étant une présomption, appartient au Livre des Preuves et c'est là qu'il en sera traité au long.
CHAPITRE II.
DE L'USUFRUIT, DE L'USAGE ET DE L'HABITATION.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'USUFRUIT.
Art. 44. A la différence de la Propriété, l'Usufruit ne donne que le droit d'user et celui de jouir de la chose, mais non le droit d'en disposer. L'usufruitier n'a que les services et les produits. Mais cela n'exclut pas pour lui la faculté de disposer de son droit: ce dont il ne peut disposer, c'est de la chose elle-même.
Le droit d'usufruit est toujours temporaire, soit qu'il lui ait été assigné une durée fixe, soit qu'en l'absence de durée préfixe, il doive durer toute la vie de l'usufruitier. C'est là d'ailleurs le maximum possible de sa durée; il ne se transmet pas à la mort: autrement, le droit de propriété, privé des produits de la chose n'aurait plus guère d'intérêt.
L'usufruit est donc une partie de la propriété: il en constitue un démembrement.
Lorsque la propriété est ainsi dépouillée de son principal attribut, la jouissance, elle est appelée “nue propriété;” si on en a détaché seulement l'usage on l'habitation, elle est dite “démembrée;” elle est appelée “pleine propriété ", quand elle n'a subi aucun démembrement. L'article 2 fait allusion à ces diverses situations, quand il place au 1er rang des droits réels la propriété “pleine ou démembrée.”
La constitution de l'usufruit par convention répond à un besoin de ceux qui, n'ayant pas une fortune suffisante pour vivre avec leurs revenus, aliénent leurs capitaux contre un usufruit qui peut être d'autant plus considérable qu'ils sont plus avancés en âge; car l'usufruit est de sa nature un droit viager.
La constitution d'usufruit par testament est aussi un moyen facile pour un mourant d'assurer l'existence de son conjoint, de parents ou de serviteurs âgés, sans priver l'héritier légitime d'une partie des capitaux de la succession.
Enfin, quand un père fait, de son vivant, la démission de ses biens en faveur de son héritier, le droit réel d'usufruit par lui réservé le met à l'abri des aliénations faites par l'héritier.
§ 1er. DE L'ÉTABLISSEMENT DE L'USUFRUIT.
Art. 45. On ne trouvera pas dans le présent Code de cas où un usufruit proprement dit résulte des seules dispositions de la loi au profit de certaines personnes: le droit établi en faveur du mari sur les biens de sa femme pendant le mariage, est plutôt analogue qu'identique à l'usufruit (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 427), mais le Code réserve les cas qui pourront être établis par des lois spéciales.
Les cas de constitution d'usufruit par la volonté de l'homme sont les mêmes que ceux de transmission de la propriété et se ramènent toujours à la convention et au testament. Il y a cependant un cas de constitution d'usufruit qui lui est propre, c'est la rétention de l'usufruit faite dans une aliénation de la chose, au profit de l'aliénateur lui-même.
La prescription recevra aussi une application en matière d'usufruit: quelqu'un a acheté un droit d'usufruit, en traitant avec une personne qu'il croyait propriétaire et qui ne l'était pas: l'acheteur a possédé l'usufruit, c'est-à-dire l'a exercé sans trouble pendant le temps fixé pour la prescription: le droit d'usufruit lui reste désormais acquis jusqu'à sa mort. Mais comme la prescription n'est pas un moyen direct d'acquérir les droits réels, on dira que l'usufruit est présumé constitué par la volonté de l'homme: le vrai propriétaire est supposé avoir consenti à la cession par un acte dont l'usufruitier est dispensé de rapporter la preuve.
Art. 46. Bien que la loi s'attache à indiquer la variété des biens sur lesquels peut porter l'usufruit, elle ne prétend pas dire que les effets en seront toujours les mêmes; au contraire, ils varieront assez notablement avec la nature des objets sur lesquels portera le droit: ainsi qu'on le verra aux deux §§ suivants.
Le présent article s'appliquerait d'ailleurs aussi bien à l'usufruit qui serait établi par la loi qu'à celui établi par la volonté de l'homme.
Art. 47. Il s'agit ici des modalités sous lesquelles l'usufruit peut être constitué, c'est-à-dire des circonstances qui peuvent modifier son existence ou sa durée, la condition, le terme, ou l'absence de l'une et de l'autre, ce qui permet de dire que l'usufruit est alors pur et simple.
La loi prend soin de dire d'abord que l'usufruit peut être constitué à terme (terme initial et terme final), parce que le droit de propriété ne comporte pas cette modalité qui serait incompatible avec le droit de disposer. Or, comme c'est précisément le droit de disposer qui manque à l'usufruitier, il est naturel que son droit puisse commencer et finir au gré des parties.
Quant à la condition, soit suspensive, soit résolutoire, opposée à un usufruit, elle aurait le même effet qu'en matière de propriété: dans le premier cas, le droit ne naîtrait qu'à l'accomplissement de la condition; dans le second cas, le droit cesserait avec l'arrivée de la condition. Mais dans les deux cas, à la différence de ce qui a lieu dans le terme, la naissance du droit et sa cessation auraient lieu rétroactivement au jour de la convention ou de l'ouverture du droit testamentaire; de sorte qu'au cas de condition suspensive, le droit serait censé avoir toujours existé et, au cas de condition résolutoire, n'avoir jamais existé. Il en résultera un compte de fruits entre le nu-propriétaire et l'usufruitier.
Une autre conséquence de l'effet rétroactif de la condition se produira au sujet des hypothèques consenties par l'usufruitier avant l'accomplissement de la condition suspensive ou résolutoire: ce droit sera valable dans le premier cas et nul dans le second.
A l'égard des baux faits pour une durée excédant les limites de l'administration, ils seront valables, pour toute leur durée, si la condition accomplie était suspensive; ils cesseront, si ces limites sont déjà excédées lors de l'accomplissement de la condition résolutoire (art. 119. et s.)
D'après le 3e alinéa, la condition ou le terme assigné à l'usufruit n'empêche pas l'extinction du droit par la mort de l'usufruitier; celle-ci en peut donc être avancée, mais non retardée.
Art. 48. La loi laisse ici une certaine latitude aux conventions particulières; mais elle ne permet pas que l'usufruit soit constitué en faveur d'une personne qui n'est pas encore née ou moins au conçue: autrement, l'usufruit serait trop longtemps séparé de la propriété; mais, on pourrait donner ou léguer l'usufruit, soit à deux époux, soit à deux ou plusieurs frères, à deux ou plusieurs amis, tous actuellement vivants, ou même à un père et à ses enfants déjà nés. On pourrait, dans ces cas, les appeler à l'usufruit simultanément et indivisément (par indivis) ou successivement, en réglant l'ordre dans lequel ils arriveront à l'usufruit. De toute façon, la propriété ne sera jamais grevée d'usufruit au-delà d'une existence d'homme, si longue qu'elle soit (v. art. 103).
La loi considère ici l'enfant simplement conçu comme déjà né; c'est un principe généralement admis dans les lois civiles et que l'on rencontrera dans d'autres parties du droit: notamment, en matière de successions. Il ne faut pas s'arrêter à l'objection que la conception est un fait mystérieux, dont l'époque est difficile à déterminer: la loi arrive, par voie de présomption, à fixer l'époque à laquelle un enfant a été conçu, en remontant d'un certain nombre de jours au delà de sa naissance.
§ II. DES DROITS DE L'USUFRUITIER.
Art. 49. Cet article fixe le moment auquel l'usufruitier peut “entrer en possession;” mais il se borne à faire une simple allusion à “l'ouverture du droit;” il s'y réfère, sans la déterminer; les principes y suffisent: si le droit n'est affecté d'aucune condition, le droit est ouvert, dans le cas de convention, dès qu'elle est formée par l'échange des consentements, et, dans le cas de testament, par le décès du testateur; s'il y a une condition suspensive, le droit n'est ouvert que par l'arrivée de la condition.
Le terme diffère de la condition en ce sens qu'il ne suspend pas la naissance du droit, mais seulement son exercice, tandis que la condition en suspend même la naissance; l'usufruit à terme est donc ouvert avant l'échéance du terme; mais comme le but du terme est justement de retarder l'entrée en jouissance de l'usufruitier, la loi ajoute “que le terme doit être échu.”
Il ne suffit pas, pour que l'usufruitier puisse entrer en possession des choses usufructuaires, que son droit soit ouvert et le terme échu, il faut encore qu'il ait satisfait à la triple obligation que lui impose la loi pour la sauvegarde des intérêts du nu-propriétaire, à savoir: faire un inventaire des meubles, un état des immeubles et donner caution ou autre garantie.
Ces trois obligations seront reprises par les articles 71 et suivants.
La loi prend soin de déclarer que l'usufruitier n'a droit à aucune réparation, ni mise en bon état des choses, pour accentuer davantage une différence notable, qu'on trouvera en son lieu, entre le droit de l'usufruitier et le droit du preneur à bail.
Bien entendu, si les parties avaient fait une convention différente, elle serait respectée: c'est un principe général de droit, qui sera souvent appliqué, que “les conventions font loi entre les parties” (art. 348).
Mais, il est juste que le nu-propriétaire cesse d'être dispensé des réparations, lorsqu'elles sont devenues nécessaires par sa faute.
A ce sujet, la loi fait une distinction qu'il faut justifier.
Si les détériorations ont eu lieu depuis que le droit est ouvert, même avant l'échéance du terme, il suffit que le nu-propriétaire ait manqué de soins dans la garde de la chose pour que sa responsabilité soit engagée; si, au contraire, la chose a été détériorée avant l'ouverture du droit, le nu-propriétaire n'est responsable que si les actes nuisibles ont été accomplis volontairement et dans le dessein de nuire à l'usufruitier, en prévision de son droit futur.
Art. 50. Le droit aux fruits est pour l'usufruitier la conséquence la plus importante de l'ouverture de son droit, lorsque, d'ailleurs, le terme est échu; et ce n'est pas parce qu'il aurait négligé d'exercer son droit que le nu-propriétaire en devrait profiter.
Bien que l'usufruitier n'ait pas perçu lui-même les fruits et produits, il n'en a pas moins la propriété, dès qu'ils sont séparés du sol (voy. art. 52), et c'est au moyen de l'action en revendication qu'il se les ferait rendre par le nu-propriétaire, s'ils se retrouvaient encore en nature dans la possession de celui-ci.
Le droit ne serait plus qu'un droit de créance ou droit personnel, si les fruits avaient été consommés ou vendus et livrés à un acheteur de bonne foi.
Du reste, si le nu-propriétaire avait perçu les fruits, de bonne foi, dans l'ignorance du droit de l'usufruitier, il ne serait tenu de les restituer en nature ou en valeur que dans la mesure du profit qui lui en resterait; tel serait le cas de l'héritier qui aurait ignoré le testament de son auteur contenant un legs d'usufruit.
On retrouvera ces conséquences de la bonne foi chez le possesseur au Chapitre de la Possession (art. 194).
Naturellement, soit que l'usufruitier agisse par action réelle ou par action personnelle, il doit tenir compte au nu-propriétaire des dépenses utiles que celui-ci a faites pour la récolte et la conservation des fruits: autrement, l'usufruitier, à son tour, s'enrichirait au détriment du nu-propriétaire.
Une fois l'usufruitier entré en possession du fonds, il a droit de faire lui-même la récolte et la perception des produits, aussi bien de ceux qui ont été ensemencés et cultivés par le nu-propriétaire que de ceux qui sont le résultat de ses propres travaux.
La loi le dispense même, dans ce cas, d'indemniser le nu-propriétaire de ses frais de culture, pour éviter des calculs souvent difficiles et qui seraient une source de contestations; mais, par compensation, elle laissera au nu-propriétaire, sans charges, les fruits pendants par branches et racines au moment où l'usufruit prendra fin (voy. art. 69 et 109).
Art. 51, 52 et 53. L'usufruitier est assimilé au propriétaire pour l'acquisition des fruits, en ce sens qu'il les acquiert tous, sans exception, pendant la durée de son droit.
La seule différence, c'est que, tandis que le propriétaire pourrait prendre les fruits avant leur maturité, les aliéner avant la récolte, les détruire même, l'usufruitier ne les acquiert que par leur séparation du sol, après leur maturité.
La loi fait aussi pour l'usufruitier une distinction entre les fruits naturels et les fruits civiles, laquelle n'a pas besoin d'être faite pour le propriétaire Mais il n'y a pas lieu de distinguer entre les fruits purement naturels et les fruits industriels, obtenus par la culture ou autre travail de l'homme: tous s'acquièrent au moment où ils sont détachés du sol, où ils deviennent meubles. Il fallait choisir un moment précis pour le changement de maître de ces fruits, en vue du cas où l'usufruit viendrait à cesser. Il était impossible de s'attacher à l'époque seule de la maturité, parce que, variant avec le temps, les lieux et les climats, elle n'a pas assez de fixité et de précision, et aussi parce que non seulement les diverses espèces de fruits, mais encore les fruits de même espèce, ne mûrissent pas tous simultanément.
Le texte tranche ici une question qui aurait pu faire doute, au sujet du vol des fruits ou de leur séparation par accident.
Le 2e alinéa a prévu le cas où la séparation des fruits a eu lieu avant leur maturité, par quelque cause que ce soit. Si l'usufruit durait au-delà de la maturité, il n'y aurait pas à s'occuper de cette circonstance; mais si l'usufruit vient à cesser avant l'époque de la maturité, l'usufruitier se trouve avoir fait un gain illégitime et il doit le restituer au nu-propriétaire, sur l'action personnelle de celui-ci.
Art. 54. Le principe est le même pour les produits des animaux que pour les fruits du sol: tant que les petits et la laine des animaux n'en sont pas détachés, ils font corps avec eux et, n'ayant pas encore le caractère de produits, ils appartiennent au nu-propriétaire.
L'expression de fruits civils est consacrée comme faisant opposition aux fruits naturels: ce sont des fruits de pure création de la loi et du droit; ils ont la périodicité des fruits naturels, celle-ci est même plus régulière, et ils les remplacent pour le propriétaire ou pour l'usufruitier. Ils proviennent d'obligations contractées par des tiers en compensation de la jouissance en nature qui leur est accordée. Le 2e alinéa fait l'énumération des principaux fruits civils.
La loi ne pouvait faire dépendre l'acquisition des fruits civils par l'usufruitier du moment même où les tiers débiteurs en feraient la prestation ou le payement: c'eût été exposer l'usufruitier à perdre les sommes qui n'auraient été payées qu'après la fin de l'usufruit, souvent par la faute de celui qui les devait.
Au contraire, elle aurait pu admettre que les fruits civils s'acquerraient pour l'usufruitier au jour où le payement en serait échu ou exigible, de sorte qu'il aurait la prestation tout entière, si elle venait à échoir pendant que son usufruit dure, et qu'en sens inverse, il n'en aurait rien, si l'usufruit s'était éteint auparavant. Mais la loi, avec raison, n'est pas favorable aux solutions qui font dépendre du hasard les profits et les pertes; elle ne s'y résigne que lorsque c'est le seul moyen d'éviter des complications et des contestations; c'est ce qu'elle a dû faire pour l'acquisition des fruits naturels que l'usufruitier gagnera ou perdra, quelquefois, par un pur effet du hasard, suivant que son droit durera quelques jours de plus ou quelques jours de moins.
Mais pour les prestations en argent qui constituent les fruits civils, il est évident que, théoriquement, celui qui les doit pourrait et devrait, à la rigueur, les payer chaque jour et presque à chaque moment. Pratiquement, ce serait impossible; on a donc dû admettre des payements périodiques, des échéances plus ou moins éloignées. Mais, lorsqu'il s'agit de savoir quelle part en reviendra à l'usufruitier et au nu-propriétaire, quand l'usufruit commence et quand il finit, on ne peut pas trouver de solution plus équitable que celle qui divise ces prestations jour par jour et les fait acquérir à chacun en proportion du temps qu'a duré son droit.
Il faut reconnaître aussi que les prestations en argent se prêtent très aisément à cette division exacte, tandis que les fruits naturels ne le pourraient pas; c'est pourquoi la règle des fruits civils ne s'applique pas, si les prestations dues par des tiers doivent se faire en produits agricoles, comme dans le “bail à part de fruits ou colonage” (v. art. 109).
Art. 55. Si le droit de l'usufruitier n'était pas modifié à l'égard des choses qui se consomment par le premier usage, il serait sans utilité réelle; ces choses ne donnent pas de fruits ou produits périodiques, l'usage même ne s'en comprend pas distinct du droit de disposer; le droit de l'usufruitier serait donc nul, s'il ne devenait un droit de disposer; l'argent même qui donne des fruits civils n'a cet effet que s'il est aliéné par un prêt ou par une opération analogue.
Il a donc fallu permettre à l'usufruitier de disposer des choses dites “de consommation” (v. art. 17). Mais, nécessairement, il doit, à la fin de l'usufruit, rendre pareilles quantité et qualité en nature, ou pareille valeur en argent.
La loi ne laisse pas à l'usufruitier le choix du mode de restitution; elle ne l'accorde pas non plus au nu-propriétaire: elle le subordonne à la circonstance qu'il a été fait, ou non, une estimation des choses usufructuaires.
Le bénéfice pour l'usufruitier est toujours le même que lorsqu'il s'agit d'un corps certain: il a eu le profit de l'intérêt de l'argent pendant la durée de l'usufruit: cela est évident, si l'usufruit portait directement sur une somme d'argent; s'il portait sur des denrées, il n'a à en payer la valeur ou le prix d'achat qu'à la fin de l'usufruit; jusque-là, il profite de son propre argent.
Les marchandises composant un fonds de commerce ne sont pas toujours de nature à se consommer par le premier usage; ce sera même le cas le moins fréquent: par exemple, des étoffes, des vêtements, des ustensiles de maison; mais ces marchandises sont destinées à être vendues par l'usufruitier du fonds de commerce. S'il ne pouvait les vendre, l'usufruit serait inutile pour lui. Dès lors, il rendra pareille quantité et qualité de marchandises ou, si elles ont été estimées (ce qui sera le plus fréquent), il en rendra l'estimation.
Art. 56. Cet article ne présente pas de difficultés. Il est naturel que l'usufruitier use des choses dont il s'agit ici; son droit se réduit même à un simple usage, car ces choses ne donnent pas de produits. Toutefois, il ne faudrait pas confondre cet usufruit avec l'Usage dont il sera parlé dans la Section II: l'usager ne pourrait se servir de ces choses que dans la mesure de ses besoins et de ceux de sa famille; l'usufruitier pourra en user au-delà, par conséquent, les prêter.
A l'égard du droit, pour l'usufruitier, de louer ces objets usufructuaires, la loi le consacre dans le seul but d'y apporter une restriction; car, sans cela, il pourrait être considéré comme allant de soi. Il y a des choses qu'il serait inconvenant de louer, comme des portraits de la famille ou des amis du nu-propriétaire, toutes choses que, certainement, il ne louerait pas lui-même. On pourrait même refuser à l'usufruitier le droit de louer la bibliothèque du nu-propriétaire, surtout, si elle était de belle condition et sujette à être détériorée par l'usage d'un tiers moins soucieux de sa conservation.
Art. 57. La rente viagère est le droit d'exiger de quelqu'un, pendant la vie du titulaire ou même pendant la vie d'un tiers désigné, des prestations périodiques appelées arrérages.
Généralement, le droit de rente est personnel: c'est une créance de somme d'argent ou de denrées; elle a pu être constituée à titre gratuit, par donation ou testament, ou à titre onéreux, comme prix d'une aliénation d'immeuble, de meubles ou même d'argent.
Il pourrait arriver que celui auquel appartient le droit personnel de rente en cédât l'usufruit à un autre, ce qui permettrait à ce dernier d'en profiter pendant sa vie, si d'ailleurs elle n'excède pas la vie du véritable titulaire; car la durée de la rente ne pourrait pas être augmentée sans la volonté du débiteur.
On aurait pu douter, dans ce cas, de l'étendue du droit de l'usufruitier, si la loi ne s'en était expliquée.
L'usufruitier ne devant pas perdre ni altérer la substance de la chose, mais seulement en prendre les produits, il semblerait qu'en recueillant les arrérages qui ne se renouvelleront pas indéfiniment, il consomme, en même temps, une partie du capital.
Mais la rente viagère n'a pas de capital: les arrérages sont produits par le droit de rente, et quand la rente prend fin par la mort du titulaire, c'est l'échéance de ce terme incertain qui y met fin et non l'épuisement d'un capital par les perceptions successives, car elles peuvent avoir été de très-courte durée.
La règle est la même pour l'usufruit dont serait grevé un premier usufruit. Le sous-usufruitier percevra les fruits et produits de la chose usufructuaire comme l'usufruitier titulaire; seulement, le sous-usufruit aura deux causes d'extinction au lieu d'une: la mort du sous-usufruitier et celle du titulaire.
Art. 58. Un troupeau est une de ces choses collectives dont a parlé l'article 16: il constitue une sorte d'unité idéale, bien que se composant de plusieurs choses individuelles. Il résulte de ce caractère mixte du troupeau que tant qu'il reste une tête du troupeau, l'usufruit continue, et de même l'obligation de le reconstituer avec le croît; mais aussi, si le troupeau périt, en tout ou en partie, sans la faute de l'usufruitier, celui-ci ne doit pas plus la valeur périe que s'il était débiteur d'un corps certain.
L'usufruitier, devant jouir en bon administrateur, ne pourrait vendre tous les petits des animaux, avant de pourvoir au remplacement des animaux morts; il ne pourrait non plus être réduit au seul profit que donnerait l'excédant du croît sur la mortalité: il doit pouvoir aliéner chaque année les animaux arrivés à leur entier développement et dont la conservation serait coûteuse et sans profit; il agit comme ferait un propriétaire diligent.
C'est par ce même principe que doit se résoudre la question de savoir si l'usufruitier a valablement aliéné l'excédant du croît, lorsqu'il s'est ensuite produit dans le troupeau, par maladie ou accident, des vides qui ne sont pas encore comblés au moment où l'usufruit prend fin. Un bon administrateur qui voudrait entretenir un troupeau de cent têtes, par exemple (et, pour l'usufruitier c'est une obligation de ne pas laisser se réduire le troupeau au dessous de ce qu'il était lorsqu'il l'a reçu), un bon administrateur, disons-nous, ne se bornerait pas, au moment de vendre le croît, à remplacer les têtes qui manquent: il en garderait encore un petit nombre, en excédant, pour suppléer les pertes qui pourraient arriver pendant l'année, en calculant d'après la moyenne ordinaire de la mortalité.
Art. 59. Les bois et forêts présentent en tous pays des diversités de nature qui influent sur la manière d'en recueillir les produits. Le mode d'exploitation de cette classe de biens s'appelle aménagement.
Quand les bois sont de nature à repousser de la souche après avoir été coupés, on adopte, en général, les coupes périodiques: tous les 20 ans, par exemple.
Les produits donnent de menu bois pour l'industrie, pour brûler, pour faire le charbon et des fagots. Les bois ainsi mis “en coupe réglée” se nomment bois taillis (bois à tailler). Quand les bois sont étendus, on les divise en lots, au nombre de 20 ou de 10, si l'on veut avoir des revenus annuels ou biennaux; on peut aussi ne faire de coupe que tous les 4 ans, par cinquième, ou tous les cinq ans, par quart. Cette distribution des coupes, une fois établie, se conserve ordinairement; elle constitue, à proprement parler, l'aménagement.
Mais, au moment de faire les coupes, l'usage des bons administrateurs est de conserver, de distance en distance, les plus beaux arbres, ceux qui s'annoncent comme devant se développer le mieux: ils ne gêneront pas la repousse des autres et ils deviendront un jour de grands arbres de prix, car on les conservera successivement, lors des autres coupes.
Ces distinctions n'ont pas d'importance pour le propriétaire exploitant lui-même; pour l'usufruitier, dès qu'un arbre a le caractère de baliveau, il ne peut plus être coupé comme bois taillis, on doit le laisser se développer: c'est un capital, comme il résulte de l'article suivant.
Les bois de l'Etat, des fu ou ken, des goun, des shi, tcho ou son devront être de bons modèles d'exploitation à imiter. Toutefois, la loi ne leur donne pas la priorité sur les bois des particuliers; c'est plutôt l'inverse qui résulte de son texte.
L'obligation de prévenir un mois avant la coupe a pour but de permettre au nu-propriétaire de discuter le mode des coupes et de les surveiller.
Art. 60. Si, au moment où l'usufruitier fait une coupe réglementaire, il y a déjà des baliveaux anciens ou modernes réservés par le nu-propriétaire, il ne peut les abattre, à moins que l'usage des précédents propriétaires n'ait été d'en abattre un certain nombre périodiquement, pour éclaircir et aérer le bois.
La règle serait la même pour les plantations d'arbres résineux qui, ne repoussant pas de la souche, ne sont pas, par leur nature, des bois taillis et sont tous considérés au moins comme baliveaux; mais l'usage est nécessairement d'en abattre ou d'en arracher périodiquement un certain nombre pour faciliter la croissance des autres, et l'usufruitier profiterait de cet usage.
Lorsque l'usufruitier n'a pas le droit de couper les baliveaux ou les arbres de futaie, il en prend, au moins, les produits périodiques, ce qui se réduit aux feuilles, à quelques fruits ou graines, au bois mort et aux menues branches qu'il est souvent nécessaire d'élaguer.
La loi lui permet aussi d'employer aux réparations des bâtiments soumis à l'usufruit les arbres morts ou abattus par le vent; il peut même en faire “arracher” pour cet usage; c'est autant dans l'intérêt du nu-propriétaire que dans celui de l'usufruitier. Au contraire, l'usufruitier ne pourrait utiliser les mêmes arbres pour la réparation de ses propres bâtiments.
Une question que la loi n'a pas tranchée, mais que les principes de la matière permettent de résoudre facilement, est celle-ci: lorsque la première coupe de bois taillis est faite par l'usufruitier, est-il tenu de réserver les arbres les mieux venus pour en faire des baliveaux Il est clair que son intérêt serait de ne pas laisser de baliveaux, puisqu'il ne pourra jamais les couper.
Mais l'usufruitier doit jouir “en bon administrateur;” il doit aussi se conformer à l'usage des propriétaires voisins; or, il n'est pas douteux qu'un bon administrateur et que les autres propriétaires laissent toujours des baliveaux. Il n'y aurait que la proportion numérique à établir entre les arbres coupés et les arbres réservés: si les parties ne peuvent se mettre d'accord, la chose sera décidée par le tribunal, après expertise.
Art. 61. Ce droit de l'usufruitier, assez minime d'ailleurs, est la conséquence de son assimilation constante au propriétaire, pour ce qui est du mode et de l'étendue de sa jouissance: il est certain qu'un propriétaire intelligent n'achètera pas les menus bois nécessaires à la culture, lorsqu'il peut les prendre sur son fonds, sans le détériorer.
Art. 62. Il arrive souvent que les grands propriétaires adjoignent des pépinières à leur fonds pour renouveler les arbres morts, pour refaire les haies ou étendre les bois.
L'usufruitier pourrait de même user de la pépinière et ce serait presque un devoir pour lui, comme devant être bon administrateur.
La loi lui permet même de vendre des produits de la pépinière, s'ils excèdent les besoins du fonds; enfin, s'il s'agissait de l'usufruit d'une pépinière distincte d'un fonds et objet principal de l'usufruit, ce droit de l'usufruitier serait tout à fait normal et non plus une exception.
Mais une pépinière s'épuiserait elle-même, si elle n'était entretenue par de nouveaux plants ou semis, suivant la nature des arbres qui y sont élevés: l'usufruitier a donc l'obligation de l'entretenir.
Art. 63. Ce n'est pas arbitrairement que la loi, pour fixer les droits de l'usufruitier, distingue si, les carrières étaient déjà en exploitation ou non, au moment où l'usufruit a commencé: elle fait ainsi dépendre les droits de l'usufruitier de l'intention probable du constituant, lequel n'est pas présumé avoir voulu priver l'usufruitier d'un profit périodique qu'il avait lui-même jusque-là, et, en sens inverse, n'a vraisemblablement pas voulu lui permettre d'amoindrir la valeur du fonds, en y ouvrant des carrières qui n'étaient pas encore exploitées. C'est le même principe qui a déjà été consacré au sujet de l'exploitation des arbres qui ne sont pas mis en coupe réglée. Mais, de même encore qu'il peut le faire pour ces arbres, l'usufruitier peut prendre des pierres et autres matériaux pour la réparation du fonds usufructuaire et même pour l'entretien.
Au contraire, il ne pourrait prendre ni bois, ni pierres, pour l'amélioration du fonds, parce que l'amélioration peut prendre des développements infinis et qui souvent ne répondent pas aux espérances de celui qui l'entreprend.
L'usufruitier ne pourra de même user de la tourbe pour ses besoins personnels que si la tourbière est déjà en exploitation, car la tourbe, comme combutisble, ne peut pas être utilisée dans l'intérêt du fonds; la marne, au contraire, peut toujours servir à amender les terres et si la manière est en exploitation, l'usufruitier pourra en vendre les produits, car ils ont pour le propriétaire le caractère de fruits.
Art. 64. Le trésor n'est évidemment pas un produit du fonds: c'est une chose entièrement distincte de celle qui le contient; l'usufruitier n'y pourrait prétendre que comme à une accession acquise pour moitié au propriétaire de la chose; mais cette accession est tellement en dehors des prévisions, d'après la définition même du trésor (il doit avoir été découvert par hasard), que l'usufruitier n'y pourrait raisonnablement prétendre; enfin ce n'est pas la compensation d'un risque. Il faut excepter, bien entendu, le cas où l'usufruitier aurait lui-même trouvé le trésor: il aurait alors les droits ordinaires de l'inventeur (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 5).
Art. 65. La chasse et la pêche sont des moyens d'acquérir la propriété de choses sans maître; il en sera reparlé sous le nom d'occupation, parmi les moyens d'acquérir la propriété (v. Liv. de l'Abq. des biens, art. 3). Il est naturel que l'usufruitier exerce ces deux droits, comme le propriétaire, car les produits de la chasse et de la pêche se renouvellent périodiquement et même d'une façon presque continue.
Art. 66. Il sera consacré plus loin un Chapitre aux servitudes foncières. Il suffit d'indiquer ici qu'elles sont des droits qui permettent au propriétaire d'un fonds de tirer d'un autre fonds appartenant à un autre propriétaire, des avantages, des services qui en augmentent la valeur, comme un passage, une prise d'eau, un droit de vue sur la propriété voisine.
Comme les servitudes appartiennent à tout propriétaire du fonds, en cette qualité et abstraction faite de sa personnalité, on dit, par une sorte de figure, qu'elles “appartiennent au fonds lui-même;” ce qui les fait aussi appeler foncières ou réelles, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qui, bien que droits réelles par leur nature et droits mobiliers ou immobiliers par l'objet sur lequel ils portent, sont souvent appelés servitudes personnelles, parce qu'ils appartiennent à une personne déterminée et s'éteignent avec elle.
Si le fonds soumis à l'usufruit avait de pareils droits sur un fonds voisin, l'usufruitier pourrait valablement les exercer; ce serait en même temps son devoir, car sa négligence amènerait la perte de la servitude par non-usage, lequel est en quelque sorte une prescription libératoire du fonds servant, dont il sera parlé en son lieu (art. 290 et 291).
Art. 67. Les actions en justice portent, en général une qualification qui correspond à leur objet, c'est-à-dire au droit qu'elles tendent à faire reconnaître et à faire valoir. C'est ainsi qu'il y a des actions réelles et des actions personnelles correspondant aux droits réels et aux droits personnels.
Toutes les actions que le présent article reconnaît à l'usufruitier sont des actions réelles, puisque son droit est réel: elles lui permettent de faire valoir son droit non seulement contre le nu-propriétaire, mais encore contre tout autre qui y mettrait obstacle; cela n'exclut pas d'ailleurs une action personnelle qui compèterait à l'usufruitier, contre le nu-propriétaire exclusivement, en vertu du contrat ou du testament qui aurait constitué l'usufruit.
Les actions réelles reconnues ici comme appartenant à l'usufruitier ont les mêmes noms et le même objet que celles qui appartiennent au propriétaire d'après l'article 36, avec les seules différences qui résultent de la nature du droit. Ainsi, l'action pétitoire tend toujours à faire juger le fond du droit (ici, que le demandeur a vraiment le droit d'usufruit); les action possessoires tendent seulement à faire juger que le demandeur, en fait, possède ou a possédé récemment le droit d'usufruit, c'est-à-dire, l'exerce ou l'a exercé comme lui appartenant et doit y être maintenu ou rétabli: s'il le possède encore et est troublé par un tiers, c'est le cas de l'action en complainte; s'il a été dépossédé, soit par ruse, soit par violence, c'est le cas de l'action en réintégrande. Ces action se retrouveront dans leur application général au Chapitre de la Possession (art. 199 et suiv.).
Nous ne mentionnons pas ici deux autres actions possessoires qui ne sont que des variétés de celles-ci, pour des cas spéciaux: la dénonciation de nouvel œuvre et la dénonciation de dommage imminent (v. art. 201 et 202, 214 et s.). Le texte les accorde implicitement à l'usufruitier, en lui donnant “les actions possessoires,” sans distinction.
Indépendamment des actions réelles relatives à son droit d'usufruit, l'usufruitier a aussi des actions relatives aux servitudes. Elles sont de deux espèces: l'une qui affirme, soutient, que le fonds voisin est grevé d'une servitude active au profit du fonds usufructuaire: c'est l'action confessoire; l'autre, qui conteste, qui nie, que ledit fonds usufructuaire soit grevé d'une servitude passive au profit du fonds voisin: c'est l'action négatoire.
Le deux actions ainsi données à l'usufruitier au sujet des servitudes, étant réelles toutes deux, peuvent être considérées aussi comme pétitoires ou possessoires, suivant que l'usufruitier y soulève la question DE DROIT ou du fond, ou la question DE FAIT ou de possession.
Ces dernières peuvent être aussi en complainte ou en réintégrande.
Ainsi, si l'usufruitier a déjà exercé une servitude sur le fonds voisin et se trouve menacé ou troublé dans la possession de la servitude, il exercera seulement l'action POSSESSOIRE en complainte; s'il a été dépossédé de la servitude depuis moins d'un an, il exercera l'action POSSESSOIRE en réintégrande.
Si le temps dans lequel devait être exercé la réintégrande est passé, il exercera l'action PÉTITOIRE ou en revendication de la servitude active.
Ces trois actions sont toutes CONFESSOIRES, car l'usufruitier y affirme son droit.
Si, au contraire, c'est le voisin qui exerce à tort une servitude sur le fonds usufructuaire, l'action NÉGATOIRE de l'usufruitier pourra être pétitoire, s'il veut faire juger le fond de son droit contre le voisin, ou possessoire, s'il ne veut faire juger que le fait de sa possession; et, dans ce dernier cas, elle aura le caractère de complainte, si le voisin n'a encore fait que le troubler par des entreprises sur le fonds; elle aura le caractère de réintégrande, si déjà le voisin est en pleine possession de sa prétendue servitude, mais depuis moins d'un an.
On pourrait, enfin, supposer toutes les mêmes actions dirigées contre l'usufruitier, alors défendeur, par un tiers qui réclamerait l'usufruit (action confessoire) ou contesterait une servitude (action négatoire), soit au fond et comme droit, soit en fait et comme possession. L'objet, les noms et les caractères en seraient les mêmes; les rôles seuls des parties y seraient changés. Si la loi n'en dit rien, c'est qu'elle ne traite ici que des droits de l'usufruitier; elle aura occasion d'y revenir au sujet de ses obligations.
Remarquons, avec le 3e alinéa, que lorsqu'il s'agit des servitudes, actives ou passives, relatives au fond usufructuaire, bien que l'usufruitier ait qualité pour plaider à ce sujet, comme demandeur ou défendeur, il fera sagement d'appeler en cause le nu-propriétaire qui pourra le mieux défendre qu'il ne le pourrait seul.
Art. 68. Bien que le droit de l'usufruitier soit viager et ainsi établi en considération de la personne, quant à la durée, il n'est cependant pas inséparable de la personne au point de ne pouvoir être cédé. Or, si l'usufruitier, peut céder son droit, l'aliéner pour le tout, à plus forte raison, peut-il le grever de droits moindres, comme le louer ou l'hypothéquer.
On remarquera seulement que l'hypothèque ne pouvant être établie que sur les immeubles, il faut que l'usufruit, pour être hypothéqué, soit lui-même immobilier, par l'objet auquel il s'applique.
On aurait pu croire qu'il était défendu à l'usufruitier de céder son droit ou de le donner à bail, quand il porte sur des objets qui se détériorent plus ou moins promptement par l'usage; mais la loi ne l'a pas défendu: elle y a seulement apporté quelque tempérament (voy. art. 56); le nu-propriétaire trouvera d'ailleurs de garanties contre l'abus de jouissance du cessionnaire ou du preneur à bail, dans le cautionnement qui sera fourni au début de l'usufruit.
Mais, comme il ne saurait dépendre de l'usufruitier de prolonger son droit indéfiniment, la loi prend soin d'exprimer que les droits qu'il a consentis sont soumis aux mêmes limites et conditions que le sien propre, notamment, quant à la durée, auf en ce qui concerne les baux ayant le caractère d'actes d'administration.
Art. 69. Les deux premières dispositions de cet article, étant la négation d'un droit pour l'usufruitier, ne sembleraient pas devoir figurer dans ce §; elles ne lui imposent pas non plus des obligations qui appartiendraient au § suivant; elles pourraient donc prendre place dans le § IVe, au sujet de l'extinction de l'usufruit; mais il n'est pas hors de propos, en traitant des droits de l'usufruitier, d'indiquer aussi ceux qui pourraient sembler lui appartenir et que la loi lui dénie.
D'ailleurs, le dernier alinéa reconnaît à l'usufruitier un droit assez considérable pour motiver la place de cet article.
Ces trois dispositions sont d'ailleurs assez faciles à justifier.
La première est la conséquence et la contre-partie, déjà annoncée, de l'article 50, 2e alinéa: l'usufruitier ayant pu trouver, au moment de son entrée en jouissance, une récolte plus ou moins près de la maturité et la prenant sans payer les frais de culture, doit, aux mêmes conditions, laisser la récolte pendante au moment où l'usufruit finit.
Assurément, la justice rigoureuse pourrait demander la solution inverse, dans les deux cas; mais il est admis depuis les Romains, par raison d'utilité pratique et de simplicité, que, pour éviter deux comptes détaillés, difficiles et souvent sujets à contestation, on laissera ici le hasard jouer le rôle d'arbitre. En effet, la nature viagère du droit d'usufruit lui donne déjà un caractère aléatoire très prononcé qu'on peut augmenter encore sans grand inconvénient: il peut finir aussi bien après la récolte qu'avant; souvent même, à son début, il est soumis également à des chances bonnes ou mauvaises; c'est ce qui arrive, quand il est constitué par testament: le testateur peut mourir peu de temps avant la récolte ou peu de temps après qu'elle a été faite.
Au surplus, les parties peuvent toujours, par convention, modifier cette disposition de la loi, et il serait même très naturel qu'au cas de constitution de l'usufruit par une vente, le vendeur fît entrer en ligne de compte, dans la fixation du prix, la récolte pendante dont il aurait fait les frais, et qu'en sens inverse, l'acheteur stipulât qu'au cas de cessation de l'usufruit avant la récolte, une fraction déterminée en serait laissée à son héritier.
La disposition du second alinéa refuse à l'usufruitier le droit de se faire indemniser des améliorations qu'il aurait faites à la chose, parce qu'il est présumé les avoir faites pour lui-même et en avoir joui plus ou moins longtemps. Il y aurait d'ailleurs, là encore, des sujets de contestations que la loi veut éviter.
Cette disposition s'appliquera aux embellissements et aux améliorations des habitations, à l'amendement des terres, aux défrichements et terrassements, qui sont incorporés, en quelque sorte, aux choses usufructuaires.
Mais pour les améliorations qui sont plutôt ajoutées qu incorporées aux choses et qui pourraient en être séparées sans détérioration, il n'y avait pas même motif d'en faire profiter le propriétaire: la loi permet à l'usufruitier d'enlever ces additions, notamment les constructions, à charge de remettre les lieux dans l'état primitif.
Art. 70. Mais alors se présente un intérêt général et économique dont on trouvera d'autres applications; c'est qu'il vaut mieux ne pas démolir les édifices, ni arracher les plantations: il faut éviter la perte d'une double main-d'œuvre (construction et destruction) et la dépréciation inévitable des matériaux.
Il est désirable que le propriétaire conserve les ouvrages faits: son intérêt à les conserver est d'ailleurs tout-à-fait légitime, puisqu'ils sont sur son sol et que la destruction y causerait toujours des dégradations, au moins temporaires. Au contraire, l'usufruitier semble n'avoir guère qu'un simple intérêt pécuniaire à l'enlèvement de matériaux et de plantations, et s'il en est indemnisé équitablement, il sera désintéressé. L'indemnité sera équitable, lorsqu'elle équivaudra à la plus-value résultant actuellement pour le fonds des constructions et plantations conservées, quel que soit d'ailleurs le prix qu'elles auront coûté. La loi n'autorise pas cette recherche qui serait une complication presque toujours inutile; car, généralement, les dépenses originaires des constructions, autres que celles faites par spéculation, excèdent la plus-value qu'elles donnent au sol.
Il y a donc là pour le propriétaire un droit légal de préemption, c'est-à-dire de préference à tout autre pour acheter. C'est, en même temps, le cas de citer un exemple de limite légale à la plénitude du droit de disposer de la chose dont on est propriétaire, car l'usufruitier est plein propriétaire de ses constructions et plantations (v. art. 30).
La loi ne pouvait accorder au propriétaire du sol un droit de cette importance sans en régler l'exercice. Tel est l'objet des trois derniers alinéas.
Le propriétaire peut ignorer le moment, souvent imprévu, où finit l'usufruit; il ne peut donc être exposé à être déchu de son droit par la seule échéance d'un délai préfix après l'extinction de l'usufruit. L'usufruitier ou son héritier aura donc à le prévenir que l'usufruit est éteint et à le sommer, en forme extrajudiciaire, d'avoir à déclarer s'il entend user de son droit.
Quoique la loi ne distingue pas expressément si la cause qui met fin à l'usufruit est connue d'avance du nu-propriétaire, il est dans son esprit de n'exiger cette sommation que si la cause est légalement inconnue de celui-ci. Ainsi, si l'usufruit avait été limité à une durée fixée, la sommation ne serait pas nécessaire. A plus forte raison, si l'usufruit cessait pour abus de jouissance, sur la poursuite du nu-propriétaire, conformément à l'article 104.
La sommation est, au contraire, nécessaire dans le cas de cessation de l'usufruit par la mort de l'usufruitier ou par l'accomplissement d'une condition résolutoire à laquelle le nu-propriétaire serait étranger.
Le propriétaire n'a que dix jours pour se décider sur l'exercice du droit de préemption, sans même qu'il soit nécessaire que ce délai soit rappelé dans la sommation. Le propriétaire doit connaître le délai que la loi lui accorde.
Il y a toujours quelque chose d'arbitraire dans les délais légaux: la loi ne pouvait le donner plus long sans créer des embarras à l'usufruitier ou à son héritier. Le propriétaire d'ailleurs ne doit pas ignorer qu'il y a des constructions et plantations faites sur son fonds par l'usufruitier et il a dû penser d'avance au parti qu'il prendrait à la fin de l'usufruit.
S'il est absent au moment où l'usufruit finit, il a dû laisser un mandataire, avec des pouvoirs suffisants pour répondre à la sommation.
Après dix jours de silence, il est déchu de plein droit de la faculté de préemption.
Pour que l'usufruitier ou son héritier perde définitivement son droit aux constructions et plantations, il faut encore que le nu-propriétaire en ait payé le prix, faute de quoi son acquisition est soumise à la résolution. Si ce prix n'est pas fixé à l'amiable, il doit être fixé par le tribunal après expertise. La décision du tribunal peut être l'objet de recours légaux. Une fois qu'elle est devenue définitive, le nu-propriétaire a un mois pour payer le prix fixé, faute de quoi, il encourt la déchéance.
Mais il ne faut pas voir là, comme pour le délai de dix jours, une déchéance de plein droit dont le propriétaire puisse se prévaloir lui-même: il est contraire aux principes généraux du droit que quelqu'un puisse se faire un titre de sa faute. L'usufruitier aura donc la faculté ou de faire prononcer la déchéance, ou de contraindre le propriétaire au payement, comme tout autre débiteur.
Si l'usufruitier ou son héritier demande la déchéance, il peut encore obtenir des dommages-intérêts, car il peut avoir, dans l'intervalle des délais légaux, manqué l'occasion de vendre avantageusement ses contructions.
La loi devait enfin pourvoir à la garantie de l'usufruitier ou de son héritier contre les dégradations et autres abus, s'ils livraient les bâtiments avant le payement du prix: ils peuvent donc rester en possession jusqu'au payement. Ce droit, qui aura de nombreuses applications dans la loi, se nomme droit de rétention: il figure dans l'article 2 au nombre des sûretés réelles.
On remarquera enfin que, s'il n'y avait que des plantations, les intéressés ne pourraient retenir la possession du sol: la loi ne l'accorde que pour les bâtiments.
§ III. DES OBLIGATIONS DE L'USUFRUITIER.
Art. 71. L'inventaire des meubles et l'état des immeubles sont des garanties nécessaires pour le nu-propriétaire; ils sont utiles aussi à l'usufruitier, en le mettant à l'abri de réclamations abusives.
Comme l'usufruitier possèdera seul les biens soumis à son usufruit, il lui serait facile de les détériorer, peut-être de mauvaise foi, souvent par négligence; en outre, pour les meubles, il serait difficile, à l'époque de la restitution, d'en connaître le nombre et la qualité; ce serait une occasion de contestations et de procès.
L'inventaire n'est autre chose qu'une énumération, avec description sommaire, des objets mobiliers qu'il s'agit de déterminer; on y ajoute aussi leur valeur, pour le cas où ils ne seraient pas représentés.
L'état des immeubles est une constatation de leur condition matérielle: on y mentionne s'ils sont fraîchement réparés ou, au contraire, dégradés, et dans quelle partie comme dans quelle mesure.
Pour que ces deux actes, inventaire et état, soient opposables au nu-propriétaire, il faut nécessairement qu'il y ait été présent ou, au moins, qu'il y ait été appelé par une sommation en bonne forme.
Art. 72. Si les parties intéressées sont présentes et capables, rien ne s'oppose à ce qu'elles fassent un inventaire sous seing privé, qui sera opposable, plus tard, à leurs héritiers ou ayant-cause autant qu'à elles-mêmes. Mais, si l'une des parties n'est pas présente ou est incapable, il faudra naturellement que les actes soient faits par un notaire.
Le mineur serait valablement représenté par son tuteur, la femme par son mari, pourvu que les intérêts du représentant et ceux du représenté ne fussent pas en opposition, ce qui arriverait si l'un des deux était le nu-propriétaire et l'autre, l'usufruitier.
Art. 73. On sait, par l'article 18 des Dispositions préliminaires, que les choses fongibles sont celles qui peuvent se remplacer par des équivalents parfaits; ce sont des choses de quantité, qui sont désignées par leur espèce, avec indication de leur poids, de leur nombre ou de leur mesure. Les choses qui se consomment par le premier usage ont généralement ce caractère, mais elles ne sont pas les seules, comme on l'a expliqué sous les articles 17 et 18.
Déjà aussi, l'article 55 nous a dit que le droit de l'usufruitier se confond, dans ce cas, avec un droit de propriété, sous l'obligation de rendre l'équivalent.
Lorsque l'usufruit porte sur des objets envisagés comme corps certains, il faut, mais il suffit, que l'inventaire en donne une description qui en constate la nature, l'état et les caractères propres; on peut aussi y apposer des signes, marques ou cachets qui empêcheraient d'y substituer des objets similaires: l'estimation, dans ce cas, n'est pas nécessaire; elle serait seulement utile pour le cas où les objets ne seraient pas représentés ou pourraient avoir été détériorés; aussi sera-t-elle presque toujours faite.
Mais, pour les choses fongibles, l'estimation sera bien plus utile et presque nécessaire; ce sera la manière la plus simple et la plus sûre de déterminer la qualité des choses.
Quand l'estimation aura été faite, elle jouera le rôle d'une vente de ces objets à l'usufruitier: le prix d'estimation sera dû par lui, comme s'il était acheteur; seulement, ce n'est qu'à la fin de l'usufruit qu'il sera exigible.
Il est toutefois permis aux parties de ne pas laisser à l'estimation ce caractère de vente et, réciproquement, elles peuvent le lui donner à l'égard de choses non fongibles de leur nature: par exemple, pour des vêtements, du linge et autres choses qui se détériorent facilement par l'usage. Dans le premier cas, l'usufruitier devra rendre, non les objets eux-mêmes (on n'en a pas constaté l'identité), mais des objets semblables en quantité, qualité et valeur; dans le second cas, au contraire, ce ne sont plus des objets semblables qui seront rendus, mais leur estimation qui vaut vente.
Comme l'inventaire et l'estimation sont utiles aux deux parties, en les préservant respectivement de contestations mal fondées, la loi pourrait les mettre à la charge de toutes deux, par égales portions. Mais elle distingue avec plus de raison, si l'usufruit a été constitué à titre gratuit ou à titre onéreux et c'est dans ce dernier cas seulement qu'elle divise les frais; dans le premier cas, il est juste que l'usufruitier les supporte en entier. A l'égard de l'état des immeubles, les frais en sont toujours supportés par l'usufruitier seul, car cet état est dans son intérêt, puisque, sans cela, il serait présumé avoir reçu les immeubles en bon état.
Art. 74. Il n'eût pas été admissible que le constituant de l'usufruit, par une confiance, exagérée peut-être, dans la loyauté de l'usufruitier et dans sa bonne administration, pût compromettre les droits du nu-propriétaire, bien que celui-ci soit souvent son héritier; il fallait donc permettre à ce dernier de faire procéder à l'inventaire des meubles et à l'état des immeubles, dans son propre intérêt, nonobstant toute dispense du constituant, mais alors à ses frais.
Le même droit est reconnu à l'usufruitier, aux mêmes conditions.
On pouvait hésiter, dans ce cas, à donner à l'estimation le caractère de vente, pour les choses fongibles; mais comme l'usufruitier est toujours appelé à contrôler et à contester l'estimation, on ne voit pas de raison sérieuse de supprimer cet effet de l'estimation: il est demandé par la nature de ces choses.
Les renvois faits par le 2e alinéa n'ont pas besoin d'autre justification.
Art. 75. Lorsque l'usufruitier commet la faute prévue au présent article, d'entrer en jouissance sans avoir fait l'état et l'inventaire prescrits, il est naturel qu'il en subisse les conséquences.
Pour les immeubles, comme l'habitude des propriétaires est de les tenir en bon état, tant pour les conserver que pour en tirer profit, la présomption légale est en ce sens: c'est donc à l'usufruitier de prouver qu'ils étaient en mauvais état au moment où il est entré en possession. Cette preuve pourra ss faire par les moyens ordinaires: notamment, par témoins connaissant les dégradations comme étant antérieures à l'entrée en jouissance ou par experts déclarant de même qu'elles remontent à une époque antérieure.
Pour les meubles, leur prompte dépérition par l'usage ne permettrait pas de présumer qu'ils étaient en bon état; ce qui importe avant tout, c'est de savoir quels ils étaient, de quelle nature, en quelles quantité et qualité.
L'usufruitier sera, néanmoins, exposé à souffrir de sa faute, parce que le nu-propriétaire aura une grande facilité à faire preuve contre lui de la consistance et de la valeur du mobilier: il aura non-seulement les témoignages, les présomptions de fait tirées des circonstances (notamment, de la qualité du constituant, de sa fortune, de son rang), mais encore il aura la commune renommée, c'est-à-dire, le bruit public, l'opinion générale des personnes du voisinage (v. Liv. des Preuves, art. 37).
La grande différence entre les témoignages et la commune renommée, c'est que, dans le témoignage, le témoin ne peut déclarer que ce qu'il sait par lui-même, tandis que, dans la commune renommée, le témoin déclare ce qu'il a entendu dire à d'autres sur les faits dont il s'agit.
Art. 76 et 77. Une caution est une personne qui répond des obligations d'une autre, en prenant vis-à-vis du créancier un engagement particulier, au moyen d'un contrat spécial appelé cautionnement.
L'engagement de la caution est, de sa part, un bon office, un office d'amitié, vis-à-vis du débiteur principal; sauf son recours, si elle est, un jour, obligée de payer pour lui.
Il sera traité en détail du cautionnement au Livre des Garanties des obligations (v. art. 3 et suiv.).
Les autres garanties que peut fournir l'usufruitier sont assez variées.
Il peut présenter une personne qui s'engagera solidairement avec lui aux restitutions et indemnités dont il s'agit: ce serait même une garantie plus forte que le cautionnement.
Si l'usufruitier présentait soit une caution, soit un codébiteur d'une solvabilité douteuse, ou si le nu-propriétaire ne voulait pas accepter un garant solvable, le tribunal devrait intervenir, sur la demande de la partie la plus diligente.
Si le garant présenté par l'usufruitier est solvable, le nu-propriétaire devra s'en contenter; dans le cas contraire, un cautionnement réel sera fourni comme la loi l'indique.
Ces autres garanties sont dites réelles, parce qu'elles consistent, non plus dans l'intervention d'une personne, mais dans l'affectation d'une chose: dépôt de somme d'argent, soit à la caisse publique à ce destinée, soit dans les mains d'un tiers agréé par les deux parties, enfin, nantissement ou hypothèque.
Art. 78. On a déjà, vu à l'article 73, quand l'estimation des meubles “vaut vente;” dans ce cas, l'usufruitier devant une somme fixe à la fin de l'usufruit, c'est pour cette somme tout entière que la garantie est due. A plus forte raison en est-il ainsi, lorsque l'usufruit porte directement sur une somme d'argent. Dans ces divers cas, on peut, sans porter atteinte à sa considération, craindre qu'il ne se trouve plus tard dans l'impossibilité de payer.
Mais, quand l'estimation ne vaut pas vente, il est naturel que le cautionnement ne garantisse pas toute la valeur estimative, car il serait injurieux pour l'usufruitier de supposer qu'il aura détourné les objets ou qu'il les aura laissé périr en totalité; mais on peut, sans lui faire injure, craindre quelques négligences. La loi fixe donc la garantie à la moitié de la valeur estimative, ce qui paraît répondre suffisamment aux probabilités de perte partielle ou de dépréciation.
Mais si l'usufruitier, usant de la faculté qui lui appartient, cède ou loue son droit sur ces meubles, le propriétaire ne peut être porté à la même confiance envers le tiers qui désormais possèdera les meubles; la garantie sera donc due pour le tout.
Ici se présente une question que la loi n'a pas tranchée, mais qui peut se résoudre par les principes: cette extension de garantie aura-t-elle lieu de plein droit, ou faudra-t-il un nouvel engagement, soit de la caution, soit de l'usufruitier?
Et d'abord, quant à la caution ou au codébiteur solidaire, rien ne peut être exigé d'eux au-delà de la moitié de la valeur estimative, car leur engagement a été limité à cette somme; si l'usufruitier avait détourné, dissipé ou détruit les choses usufructuaires, le garant, dans le cas qui nous occupe, n'en payerait toujours que la moitié; il ne peut donc être tenu davantage, parce que l'usufruitier aura cédé son droit.
Quant à l'usufruitier, il en est autrement: c'est par son fait que l'obligation de garantie se trouve étendue; s'il a fourni un cautionnement réel, par dépôt de valeurs lui appartenant, s'il a donné un gage ou une hypothèque et que ces valeurs suffisent au supplément de garantie, l'extension aura lieu de plein droit.
Pour le gage, la situation est toute simple: il n'y a pas ici une nouvelle dette de l'usufruitier, mais une extension de la première et aucun autre créancier n'ayant acquis le même gage, il n'y a de surprise pour personne.
Pour l'hypothèque, il y a une différence à noter: le nu-propriétaire n'aurait pas le même rang pour les deux fractions de sa créance: si d'autres créanciers avaient acquis une hypothèque sur les mêmes biens, ils ne seraient primés que par la première fraction de la dette, telle qu'elle est révélée par l'inscription, parce qu'ils ne peuvent voir leur position s'empirer par un fait auquel ils sont étrangers; il faudrait de plus que l'augmentation de la créance hypothécaire fût révélée par une inscription supplémentaire pour être opposée aux créanciers postérieurs.
Si ces valeurs ne suffisent pas pour garantir toute la dette, l'usufruitier devra fournir un supplément de garantie réelle ou personnelle.
A l'égard des immeubles, soit que l'usufruitier exerce lui-même son droit, soit qu'il les loue, la garantie ne sera jamais totale, parce qu'il n'est pas probable, même pour les bâtiments, que la perte totale ait lieu par la faute de l'usufruitier ou de son cessionnaire, et, s'il s'agit de fonds de terre, la détérioration ne peut, en général, être que minime; la loi fait donc sagement de laisser au tribunal le soin d'arbitrer le montant de la garantie exigible.
Art. 79. Le cautionnement et les autres garanties qui sont indiquées par les articles précédents n'étant que les accessoires d'une obligation principale, il faut que celle-ci soit déterminée en forme expresse; autrement, il serait difficile, au cas où la responsabilité de l'usufruitier serait encourue, de donner une base certaine à la condamnation.
Art. 80. La loi s'est efforcée de concilier les intérêts du propriétaire avec les droits de l'usufruitier qui ne peut fournir les garanties requises: il n'eût pas été juste de le déclarer déchu de son droit pour refus ou impossibilité de satisfaire à cette obligation.
Les moyens que la loi indique pour cette conciliation sont assez détaillés au texte pour n'avoir pas besoin d'être développés.
On remarquera seulement deux dispositions qu'il est facile de justifier:
1° Le dépôt des sommes à la caisse publique des dépôts et consignations ou leur emploi en créances sur l'Etat, est fait “sous les noms réunis des deux ayant-droit:” le motif est qu'il ne faut pas que l'un puisse, sans le consentement de l'autre, retirer les sommes déposées ou aliéner les créances.
2° Quand les fonds sont loués, l'usufruitier ne perçoit les loyers ou fermages que “sous la déduction des frais d'entretien et des autres charges annuelles:” on verra, tout à l'heure, que l'usufruitier qui jouit par lui-même supporte ces charges; or, il ne fallait pas que lorsque la jouissance a dû être attribuée au propriétaire ou à un tiers, à défaut de cautionnement, l'usufruitier bénéficiât de ces charges en ne les acquittant pas. Toutefois, il faudrait excepter le cas où ces charges seraient imposées au preneur: dans ce cas, le prix des loyers ou fermages, fixé en conséquence, serait déjà moins élevé.
Art. 81. Il eût été inadmissible que, faute de fournir une garantie totale, l'usufruitier fût traité avec la même rigueur que s'il n'en pouvait fournir aucune. Il est juste aussi que le choix lui appartienne, quant aux objets auxquels s'appliquera la garantie partiellement fournie.
La loi n'a pas cru nécessaire de régler le cas où l'usufruitier se trouverait, plus tard, en mesure de fournir le cautionnement total. Il faut décider, évidemment qu'il pourrait rentrer dans l'exercice de son droit; sauf qu'il devrait respecter la durée des baux consentis, soit à des tiers, soit au nu-propriétaire, en vertu de l'article précédent.
Art. 82. Lorsque le constituant ou le nu-propriétaire a dispensé l'usufruitier du cautionnement, ce n'est pas parce qu'il a voulu s'exposer son héritier à la perte des choses usufructuaires, c'est parce qu'il a compté, tout à la fois, sur l'honnêteté de l'usufruitier, sur sa bonne administration et surtout sur sa solvabilité future. Il est donc naturel que, l'insolvabilité survenant, l'usufruitier perde un bénéfice qui ne répond plus à l'intention présumée du constituant.
La dispense de cautionnement accordée au donateur qui s'est réservé l'usufruit de la chose donnée est facile à comprendre: on ne doit pas se défier de la jouissance de celui qui s'est montré généreux par la donation du capital.
Mais s'il devenait insolvable, le cautionnement devrait être fourni, par analogie du cas prévu à l'article précédent.
Art. 84. La loi, en disant que l'usufruitier doit jouir en bon administrateur, a pour but de faire savoir qu'il ne lui suffirait pas d'apporter aux choses usufructuaires les mêmes soins que ceux qu'il apporte à ses propres affaires.
Il n'est pas douteux que l'usufruitier sera responsable, s'il a laissé la chose se détériorer par le défaut des travaux d'entretien qui lui incombent ou par des actes qui tendent à exagérer la production et épuisent le sol ou les animaux; dans le premier cas, il y a négligence ou omission (acte négatif), dans le second, il y a faute par commission (acte positif); il en serait de même, s'il a négligé d'avertir le propriétaire de la nécessité de grosses réparations qui dépendent surtout de celui-ci: notamment, si cette nécessité est survenue brusquement, à la suite d'une tempête ou d'une inondation et si le propriétaire n'habite pas au même lieu.
Art. 85. La loi établit ici contre l'usufruitier une présomption de faute fondée sur l'expérience. Les incendies proviennent le plus souvent de la négligence des habitants des maisons.
La cause première en reste souvent inconnue, parce que l'incendie détruit presque toujours les lieux où il a commencé et l'enquête, dès lors, ne peut donner de résultats utiles; en outre, les habitants, craignant quelque responsabilité, sont portés à nier tout ce qui pourrait leur être imputé à faute.
Cette présomption de négligence est surtout fondée en raison, quand celui qui habite les bâtiments n'en est pas propriétaire; alors il n'est plus autant porté par son intérêt à la vigilance.
Au reste, la sévérité de la loi est moindre qu'on ne serait porté à le croire au premier abord, car l'usufruitier a toujours le droit de prouver par tous les moyens possibles qu'il n'est pas en faute. Chaque fois que le feu aura été communiqué par les bâtiments voisins ou par la foudre, la preuve ne sera pas difficile à fournir. Dans les autres cas, les juges pourront admettre toutes les présomptions de fait comme combattant la présomption légale; tel serait le cas où la maison serait restée pendant un certain temps close et entièrement inhabitée.
Dans le cas où il y aurait plusieurs usufruitiers des bâtiments incendiés et où il serait impossible de connaître lequel est en faute, chacun serait responsable pour le tout, d'après le principe posé à l'article 378: ce ne serait une obligation ni solidaire ni indivisible, mais ce serait une obligation intégrale, un peu moins rigoureuse, comme on le verra en son lieu.
Art. 86. La distinction entre les grosses réparations et celles d'entretien est facile d'après notre article (3e et 4e al.) qui énumère les grosses réparations et laisse aux autres, au moins en général, le caractère de réparations d'entretien.
Il y a deux motifs de mettre à la charge de l'usufruitier les réparations d'entretien: 1° un bon administrateur les fait toujours par un prélèvement sur ses revenus; or, l'usufruitier a les revenus, il en doit donc supporter les charges normales; 2° les réparations d'entretien sont rendues nécessaires, en grande partie, par l'usage journalier de la chose; or, c'est l'usufruitier qui a cet usage.
Les cas exceptionnels où l'usufruitier serait tenu des grosses réparations (2e al.) se justifient d'eux-mêmes, soit qu'il y ait eu faute directe de sa part, par exemple, s'il avait compromis la solidité d'un bâtiment en supprimant des séparations intérieures, dans le but d'agrandir les pièces, soit qu'il ait négligé de réparer les toits ou les conduites d'eau et qu'il en fût résulté des dégradations sérieuses.
La loi détermine ici les grosses réparations d'une façon qui paraît assez complète, mais qu'il ne faut pas cependant considérer comme absolument limitative. Il y aurait de grands inconvénients à procéder limitativement: il y a une telle variété dans les constructions que certaines réparations non prévues par la loi pourraient se trouver nécessaires et devraient être considérées comme d'entretien: par conséquent, elles se trouveraient obligatoires pour l'usufruitier; cependant, elles peuvent être d'une telle importance que la raison répugne à y voir une charge des revenus; telle serait, par exemple, la reconstruction totale d'un escalier. D'un autre côté, il y a des escaliers de très peu d'importance, qui ne desservent que des dépendances. Il vaut donc mieux laisser aux tribunaux un certain pouvoir d'appréciation pour les cas non prévus par la loi.
Ainsi, s'il s'agit d'un aqueduc rompu, il serait difficile de décider, tout d'abord et d'avance, si la réparation est grosse ou d'entretien; il faudra considérer la nature de l'aqueduc, son importance, les matériaux avec lesquels il est construit, etc.
Le principe qui devra servir de guide aux tribunaux sera celui-ci: si les travaux sont assez peu coûteux pour qu'un bon administrateur dût les faire avec ses revenus, ils seront à la charge de l'usufruitier; s'ils sont de nature à ne pouvoir être faits qu'avec les capitaux, ils seront de grosses réparations.
Art. 87 et 88. Hors les deux cas prévus à l'article 86, 2e alinéa, l'usufruitier n'est pas tenu des grosses réparations; doit-on en conclure qu'il soit en droit de se faire rembourser les grosses réparations qu'il aurait faites volontairement? Il est vrai que si ces dépenses avaient été faites par un étranger, celui-ci pourrait se les faire rembourser d'après les principes de la gestion d'affaires; mais l'usufruitier ne paraît pas ici avoir agi dans l'intérêt du nu-propriétaire; il a plutôt agi dans le sien propre, pour avoir une jouissance plus complète, ou plus longue, en évitant la perte de la chose.
Dans l'intérêt général ou économique, il faut encourager aussi bien l'usufruitier que le nu-propriétaire à faire les grosses réparations.
L'usufruitier peut y avoir intérêt, assurément: sans cela, son droit pourrait cesser par la perte de la chose: mais comme l'usufruit est viager et aléatoire, il ne serait pas juste que s'il venait à s'éteindre, peu après que l'usufruitier aurait fait des dépenses plus ou moins considérables, le propriétaire en bénéficiât purement et simplement: en présence d'un pareil risque, l'usufruitier laisserait le plus souvent périr tout-à-fait les bâtiments.
Le nu-propriétaire, de son coté, ne serait pas disposé à faire une dépense dont il ne pourrait peut-être profiter qu'après un temps considérable: il préférerait laisser les bâtiments périr pour voir finir l'usufruit par anticipation. S'il a la sagesse de faire les réparations, il n'est pas juste que l'usufruitier en profite, longtemps peut-être, sans y contribuer.
La loi adopte donc un mode de contribution qui va bientôt avoir d'autres applications: l'usufruitier rembourse chaque année au propriétaire l'intérêt de la dépense; si, au contraire, c'est lui qui fait l'avance des frais de réparation, il n'en est remboursé qu'à la fin de l'usufruit, et seulement dans la mesure où subsiste encore la valeur de ces réparations.
De cette façon, chacun a intérêt à faire les grosses réparations et les immeubles ne périront pas.
La constatation contradictoire de la nécessité des dépenses, dans les deux cas, n'a pas besoin d'être justifiée. On remarquera seulement une différence entre eux: dans le cas où c'est l'usufruitier qui veut faire procéder aux réparations, il doit en faire constater la nécessité et s'assurer du refus du propriétaire d'y faire procéder; dans le cas où c'est le propriétaire qui veut faire la dépense, il doit en faire constater non seulement la nécessité, mais encore le montant, pour que l'usufruitier lui en paye l'intérêt annuel.
Si les bâtiments ont péri en entier, par vétusté ou par accident, il n'est pas moins conforme à l'intérêt économique de les rebâtir qu'il n'eût été utile de prévenir leur chûte par de grosses réparations. Mais la double solution qui précède ne s'applique que si cette perte n'est pas de nature à entraîner l'extinction totale de l'usufruitier: d'abord, le propriétaire se gardera bien de faire la réédification; quant à l'usufruitier, il n'en aurait pas le droit, ne pouvant faire renaître un usufruit éteint.
Art. 89. Les contributions annuelles ordinaires sont une charge naturelle des fruits: on ne les paye pas avec les capitaux; elles sont donc supportées par l'usufruitier.
Il en est autrement des charges extraordinaires: elles ne sont pas continues et elles sont souvent trop élevées pour être payées avec les revenus. Elles ne peuvent donc être imposées à l'usufruitier, à cause de la nature de son droit, limité dans sa durée autant que dans son étendue: il en supportera seulement l'intérêt annuel, puisqu'elles diminuent le capital dont il jouit.
La loi détermine deux cas qui seront toujours considérés comme charges extraordinaires; mais elle n'est pas plus limitative ici que dans la plupart des autres énumérations.
L'histoire de l'ancien régime offre des exemples d'emprunts forcés; mais le Gouvernement impérial s'en est entièrement abstenu depuis la Restauration et, vraisemblablement, il n'y recourra jamais; on a même déjà pratiqué un emprunt, mais par voie de souscription nationale, pour le développement de la marine. Toutefois, il convient, à tout événement, de reconnaître aux emprunts forcés le caractère de charge extraordinaire.
Les impôts extraordinaires diffèrent des emprunts forcés en ce que ceux-ci sont, en principe, remboursables et peuvent porter intérêt jusqu'au remboursement, tandis que les impôts, moins élevés, sans doute, sont un sacrifice complet et irrévocable demandé aux sujets.
Le Code ne peut prévenir tous les doutes sur le point de savoir quand un impôt sera extraordinaire dans l'avenir; d'abord, cette matière appartient surtout au droit administratif; ensuite, les impôts extraordinaires sont presque toujours la conséquence d'événements politiques graves, et le législateur ne peut songer, en pareil cas, que les nouvelles charges qu'il crée pourront susciter des conflits entre les nu-propriétaires et les usufruitiers. Mais la disposition du présent article invite en quelque sorte le législateur futur à donner lui-même aux impôts extraordinaires qu'il pourra créer une qualification qui prévienne les difficultés.
Ce qui est certain, dès à présent, c'est que pour qu'un impôt ait le caractère “extraordinaire,” il ne suffira pas qu'il soit nouveau, c'est-à-dire créé après la constitution de l'usufruit; il n'en serait pas moins, dans la plupart des cas, une charge des revenus: c'est une tendance constante des lois de finances, dans tous les pays, d'augmenter les impôts, soit dans leur nature, soit dans leur taux, parce que les dépenses des Etats augmentent constamment; mais aussi, les revenus des immeubles tendent toujours à augmenter. Il ne suffirait pas non plus qu'un impôt fût temporaire, pour avoir le caractère extraordinaire. Ainsi, un impôt qui, à l'origine, aurait été créé sans indication de limite de temps, mais qui aurait été supprimé ensuite et se trouverait ainsi avoir été temporaire, resterait à la charge de l'usufruitier. Mais, au contraire, un impôt nouveau ou l'augmentation d'un impôt ancien, motivés par des circonstances exceptionnelles, comme par une guerre étrangère ou civile, ou par une disette ou autre grande calamité publique, pourraient être considérés comme extraordinaires, lors même que la loi qui les aurait créés ne leur aurait pas donné la qualification de “temporaires ou extraordinaires.”
C'est pour lever tous les doutes sur cette interprétation que le nouveau texte porte “ou résulte clairement des circonstances.”
Art. 90. La loi s'est préoccupée du cas où les impôts ne seraient pas payés par l'usufruitier ou par le nu-propriétaire, et elle a voulu que le droit du Trésor public fût nettement établi.
La solution était toute naturelle. D'abord, si les revenus du fonds suffisent au payement, il est clair que l'Etat, en vertu de son privilége sur les fruits, les saisira et les fera vendre: la loi n'a pas besoin de l'exprimer. Mais s'il n'y a pas de fruits ou revenus, ou s'ils sont insuffisants, et si le nu-propriétaire n'y supplée pas lui-même, l'Etat fera vendre la pleine propriété, en tout ou en partie: il se payera de l'arriéré des impôts, et l'excédant du prix appartiendra au nu-propriétaire pour le capital et à l'usufruitier pour la jouissance.
La loi veut que le fonds soit vendu en pleine propriété et non en usufruit seulement: d'abord, parce que l'usufruit, seul, pourrait se vendre difficilement; ensuite, parce que le nu-propriétaire est lui-même en faute de ne pas payer l'impôt.
Art. 91. Dans le contrat d'assurance, l'assuré paye une somme annuelle, proportionnelle à la valeur de la chose qu'il veut assurer; l'assureur s'engage à payer une somme unique, dans le cas où le sinistre prévu arriverait. La somme que paye l'assuré se nomme prime; la somme que doit l'assureur se nomme indemnité.
Les trois alinéas du présent article sont faciles à justifier.
Il ne prévoit d'ailleurs que l'assurance faite par le nu-propriétaire; c'est l'article suivant qui règle celle faite par l'usufruitier.
La loi distingue ici si l'assurance fait par le propriétaire a précédé ou suivi la constitution de l'usufruit.
Au premier cas, l'usufruitier est obligé de contribuer à l'assurance, comme à une charge annuelle du fonds, en supportant l'intérêt annuel de chaque prime; mais comme compensation éventuelle, il jouira de toute l'indemnité en cas de sinistre. Il ne faut pas s'étonner que son obligation s'augmente ainsi chaque année avec l'accumulation des primes payées: le propriétaire aussi voit chaque année s'accumuler le capital des primes payées par lui.
Au second cas, l'usufruitier ne peut se voir imposer l'assurance dont la charge serait certaine et le profit éventuel. D'un autre côté, le propriétaire, ayant assuré l'usufruit en même temps que la propriété, ne peut jouir de toute l'indemnité, car il a assuré le droit d'autrui avec le sien, comme gérant d'affaires; on ne fera cependant pas une estimation proportionnelle de l'usufruit et de la nue-propriété pour diviser l'indemnité dans la même proportion: les estimations d'usufruit sont toujours difficiles, à cause du caractère viager du droit; la loi adopte un autre règlement: le nu-propriétaire se remboursera d'abord sur l'indemnité de toutes les primes par lui payées et s'il reste un excédant, ce qui est très probable, l'usufruitier en jouira.
Le 3e alinéa assimile avec raison l'assurance des navires et bateaux à celle des bâtiments.
Art. 92. Si le propriétaire n'a pas fait l'assurance, l'usufruitier peut la faire pour la pleine propriété, non seulement en vertu d'un mandat, mais même en qualité de gérant d'affaires; alors, comme l'indique le 1er alinéa, si le sinistre a lieu, il prélèvra sur l'indemnité toutes les primes qu'il a payées; il se trouvera encore en avoir supporté l'intérêt; s'il n'y a pas de sinistre, il n'est pas remboursé, suivant les principes de la gestion d'affaires, car il se trouve, d'après l'événement, que sa gestion n'a pas été utile au propriétaire ou, au moins, ne lui a pas procuré un avantage appréciable en argent.
Le cas prévu par le 2e alinéa sera plus fréquent que celui du 1er: l'usufruitier ne fera guère, sans mandat, une assurance de la valeur de la pleine propriété, il préfèrera n'assurer la chose que pour la valeur de son droit d'usufruit. Il est naturel, dans ce cas, qu'il acquitte la prime en entier et que l'indemnité payée en cas de sinistre lui soit acquise en toute propriété.
Les assurances agricoles, applicables aux récoltes spécialement, contre les accidents météorologiques, s'établiront sans doute au Japon, avec les autres institutions de prévoyance: elles ne profiteront pas plus au propriétaire que celles de l'usufruit seul.
Art. 93. Une succession est une universalité de biens, comme il a été expliqué à l'article 16 des Dispositions générales. Elle est toujours chargée de quelques dettes que le défunt n'avait pas acquittées de son vivant ou qui même n'ont commencé d'exister qu'à sa mort, comme les frais funéraires, les legs ou charges testamentaires.
Ceux qui recueillent la succession en totalité ou pour une quote part sont dits successeurs généraux, représentants du défunt et, en cette qualité, sont tenus de ses dettes.
L'usufruitier est dit universel, quand il a droit à la jouissance de toute la succession; il est dit à titre universel, quand il ne peut jouir que d'une quote part de ladite succession, telle qu'une moitié, un tiers, un quart.
Ce cas particulier d'usufruit entraîne des charges spéciales, indépendamment de celles qui sont énoncées aux articles précédents.
C'est un principe que les biens d'une succession ne consistent que dans ce qui en excède les dettes et charges.
L'usufruitier ne peut donc jouir des biens qu'après le payement des dettes ou à la charge d'y contribuer “en proportion de son émolument,” c'est-à-dire, qu'il les payera en tout ou en partie, suivant que son usufruit portera sur tout ou partie de la succession.
Mais il ne faut pas perdre de vue que l'usufruitier n'a que la jouissance ou les revenus de la succession et qu'à côté de lui, il y a l'héritier qui en recueille le capital en nue propriété. La contribution de l'usufruitier doit donc être analogue à son droit, quant à sa nature et à sa durée: il ne payera que les intérêts annuels des dettes et tant que durera son droit.
Cette décision est conforme au principe, constamment appliqué, que l'usufruitier supporte les charges qui se payent ordinairement avec les revenus. Or, un bon administrateur ne paye pas les intérêts de ses dettes avec ses capitaux, mais avec ses revenus.
On trouvera à l'article 95 les divers modes de payement par lesquels l'usufruitier peut s'acquitter de son obligation.
A l'égard des arrérages des rentes viagères ou pensions dues par la succession, comme ils ont déjà, par eux-mêmes, le caractère d'intérêts, bien qu'ils ne soient pas le produit d'un capital dû, l'usufruitier n'en paye pas seulement les intérêts: il acquitte en tout ou en partie lesdits arrérages, suivant la quotité de son droit. C'est la contre-partie de la disposition de l'article 57 qui lui donne en entier les arrérages des rentes viagères, objet de son usufruit.
Art. 94. L'usufruitier d'un bien particulier ou déterminé, à la différence de l'usufruitier d'une succession, ne représente pas le constituant; il ne peut donc être tenu d'aucune des dettes de celui-ci. Le fait que le bien usufructuaire a été hypothéqué par le constituant produit bien cependant un effet contre l'usufruitier mais ce n'est pas une véritable obligation. Quiconque acquiert un droit réel sur une chose déjà grevée d'un autre droit réel, doit respecter le droit antérieur au sien: ce n'est pas, à proprement parler, une obligation de ne pas faire, c'est un de ces devoirs généraux par lequel nous devons nous abstenir de tout ce qui peut nuire à autrui. Or, celui qui a une hypothèque peut suivre la chose dans toutes les mains où elle passe, pour exiger du détenteur le délaissement de la chose ou le payement de la dette hypothécaire: à défaut de l'une ou de l'autre de ces satisfactions, le créancier fait saisir et vendre la chose, pour être payé sur le prix, par préférence aux autres créanciers.
Si l'on suppose que la chose hypothéquée a été ensuite grevée d'un usufruit, l'usufruitier devra, comme tiers détenteur, payer la dette ou subir l'éviction.
S'il paye la dette, en gardant l'immeuble, il a droit à être remboursé de la somme payée, parce qu'étant successeur particulier du constituant, il ne contribue pas au payement des dettes de celui-ci. Il pourrait même se faire que la dette hypothécaire ne provînt pas du constituant, mais d'un propriétaire antérieur; dans ce cas l'usufruitier pourrait recourir directement contre celui-ci, comme étant le débiteur personnel de la dette, par application des principes de la garantie qui est due à celui qui paye la dette d'autrui; il pourrait même jouir des autres sûretés qu'avait le créancier, en vertu de la subrogation dont il sera parlé plus longuement au sujet du payement des obligations.
Si enfin l'usufruitier a subi l'éviction de la chose, par l'effet de l'hypothèque, il peut aussi se faire indemniser par le constituant de tout le préjudice qui en résulte pour lui. Il a pour cela l'action en garantie d'éviction (v. Liv. de l'Acq. des biens, art. 396 et 56).
Art. 95. Les cas où une charge se divise, comme il est prévu ici, entre le nu-propriétaire et l'usufruitier sont nombreux et suffisamment indiqués aux article 87 et suivants; on en trouvera encore un, à l'article 97.
Les trois moyens de satisfaire à la loi sont faciles à saisir.
Le 1er mène directement au but désiré; on remarquera seulement que si la dette, celle d'une succession, par exemple, n'était pas encore exigible par le créancier, mais qu'elle fût productive d'intérêts, en attendant le terme, c'est à ce créancier que l'usufruitier servirait les intérêts.
Le 2e moyen atteint le but par une autre voie: pendant toute la durée de l'usufruit, l'usufruitier est privé de l'intérêt annuel du capital qu'il a déboursé.
Le 3e moyen, en privant simultanément le nu-propriétaire et l'usufruitier d'une portion de biens égale à la dette, fait évidemment supporter le capital à l'un et les intérêts à l'autre.
Art. 96. L'article 67 reconnaît à l'usufruitier le droit d'exercer contre les tiers les actions réelles qui garantissent son droit contre les usurpations, mais, il pourrait arriver que, par négligence ou complaisance, celui-ci ne réclamât pas, lorsqu'il y aurait lieu. Or, les usurpations des tiers, portant sur la chose même, seraient, le plus souvent, nuisibles et opposables au nu-propriétaire autant qu'à l'usufruitier; il est donc juste que l'usufruitier en soit responsable envers le nu-propriétaire, car il n'aurait pas agi en bon administrateur, en laissant s'établir sur la chose une possession illégitime, lors même qu'elle n'aurait pas encore suffi à fonder la prescription. En effet, on a déjà compris, par ce qui a été dit sous les articles 36 et 67, et on verra plus au long, au Chapitre de la Possession, que celui qui possède une chose depuis un certain temps et dans certaines conditions, a déjà divers avantages, notamment celui d'être présumé titulaire du droit qu'il possède et, comme tel, joue le rôle favorable de défendeur à la revendication.
La loi n'oblige pas l'usufruitier à plaider lui-même contre l'usurpateur, il lui serait difficile de faire valoir des droits qui ne sont pas les siens: ce qu'il doit, c'est dénoncer l'usurpation au nu-propriétaire.
Art. 97. L'usufruitier, ayant un droit réel, un droit sur la chose, ne peut voir ce droit compromis par un procès auquel il n'aurait pas été partie, aussi doit-il être mis en cause dans les procès que soutient le propriétaire, comme demandeur ou défendeur, au sujet de la chose, objet de l'usufruit.
Si le procès concerne la pleine propriété, l'usufruitier y est intéressé pour la jouissance; il est donc naturel que, si le procès est perdu, il en supporte une part correspondante à la nature de son droit; or, on a déjà vu plusieurs fois que la correspondance la plus simple et la plus exacte est qu'il supporte les intérêts annuels des déboursés, tant que dure l'usufruit; il en est de même, si, le procès étant gagné, les avances faites pour les frais n'ont pu être recouvrées contre la partie perdante.
Mais, au cas de perte du procès, il peut arriver que, le procès ayant porté sur toute la chose usufructuaire, l'usufruit se trouve éteint ou même considéré comme n'ayant jamais existé. Dans ce cas, la rigueur des principes conduirait à faire supporter les intérêts à l'usufruitier sa vie durant, et c'est le parti auquel celui-ci pourra toujours se tenir; mais il faudrait aussi l'admettre à faire liquider immédiatement sa part contributoire; pour cela, il faudra faire une estimation de l'usufruit, dans laquelle on appréciera la durée probable de la vie de l'usufruitier.
Les deux autres dispositions du présent article ne présentent pas de difficulté: si le procès ne concerne que la jouissance, l'usufruitier paye naturellement tous les frais; s'il ne concerne que la nue propriété, il n'en supporte aucune portion.
Au surplus, toutes les fois que l'usufruit aura été constitué à titre onéreux et que la garantie d'éviction n'aura pas été formellement exclue, l'usufruitier sera exempt de toute contribution aux frais de procès, par l'effet même de son droit à la garantie. Il en sera de même, si l'usufruit a été constitué à titre gratuit, avec promesse expresse de garantie.
Art. 98. C'est un principe fondamental de droit que les jugements ne peuvent ni nuire ni profiter aux tiers. Si donc le nu-propriétaire a plaidé sur la pleine propriété ou sur l'usufruit, sans appeler en cause l'usufruitier, et a perdu le procès, le droit de l'usufruitier reste entier; réciproquement, si l'usufruitier a plaidé seul sur la pleine ou la nue propriété et a perdu, le nu-propriétaire n'en souffre pas.
Chacun des intéressés peut, d'ailleurs, faute d'être appelé en cause, intervenir spontanément dans le procès, pour la défense de ses droits et intérêts.
Mais, si l'un ou l'autre, ayant plaidé seul, a gagné le procès, le principe fléchit en faveur de celui qui n'a pas été appelé: il profite du jugement, parce que, grâce au lien de droit qui existe entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, la loi permet de voir une gestion d'affaires de l'un dans l'intérêt de l'autre, lorsqu'un seul a entrepris le procès comme demandeur ou défendeur. Or, un des caractères de la gestion d'affaires, celui qui la sépare le plus du mandat, c'est que le gérant d'affaires représente celui dont les affaires sont gérées, seulement pour tout ce qu'il a fait d'utile et de favorable, non pour l'effet contraire.
Un cas assez intéressant pourrait se présenter: l'usufruitier, actionné en revendication pour l'usufruit, a perdu le procès, sans avoir appelé le nu-propriétaire en cause, la perte du procès ne peut atteindre ce dernier et elle doit produire tout son effet contre l'usufruitier. La conséquence est que le gagnant jouira de la chose au lieu et place du perdant et que, tant qu'il ne surviendra pas de cause d'extinction du précédent usufruit, le nu-propriétaire ne pourra pas mettre obstacle à cette jouissance, si d'ailleurs ses intérêts ne se trouvent pas compromis.
§ IV. DE L'EXTINCTION DE L'USUFRUIT.
Art. 99. La loi indique, d'abord comme causes d'extinction de l'usufruit, celles qui mettent fin à la propriété et qui sont énumérées à l'article 42.
Quelques mots suffiront sur chacun de ces cas.
1° L'usufruit est cessible; mais, il est clair que la cession ou aliénation de l'usufruit n'y met fin que pour le titulaire: c'est toujours sa vie ou le terme primitivement fixé qui déterminera la durée de l'usufruit.
2° L'accession, ayant déjà été réservée pour le Livre de l'Acquisition des biens au sujet de la propriété, ne peut nous occuper au sujet de l'usufruit.
3° La confiscation n'éteindra l'usufruit que si l'usufruitier est auteur de l'infraction qui donne lieu à cette peine, ou s'il y a participé comme co-auteur ou complice; autrement, si le propriétaire seul est coupable, la confiscation n'atteindra pas l'usufruitier: dans le premier cas, l'Etat exercerait l'usufruit comme s'il lui était cédé; dans le second cas, l'usufruitier jouirait du bien acquis à l'Etat. Si la confiscation était seulement fondée sur ce que la possession de la chose est défendue, l'usufruit cesserait également.
4° Les trois actions en résolution, en rescision ou en révocation, mettront fin à l'usufruit dans deux cas:
a. Quand ce sera la constitution même du droit qui aura été affectée d'une des trois causes de ces actions; par exemple, l'usufruit a été constitué par vente et l'acheteur n'en paye pas le prix (cas de résolution); ou bien, le constituant était incapable ou son consentement a été vicié par erreur ou violence (cas de rescision); enfin, la constitution a été faite en fraude des créanciers du constituant (cas de révocation);
b. Quand le droit de propriété même du constituant sera sujet à résolution, à rescision ou à révocation; alors, par application du principe général que “personne ne peut transférer ou conférer plus de droit qu'il n'en a lui-même,” le droit d'usufruit tombera avec celui du constituant.
5° L'abandon de l'usufruit devient une cause propre d'extinction de ce droit et se trouve réglé par le n° 3 de notre article; l'abandon que ferait le propriétaire seul ne mettrait pas fin à l'usufruit.
6° La perte de la chose usufructuaire est l'objet des articles 106 à 108, en ce qui concerne l'usufruit; sous ce rapport encore, ce n'est pas l'article 42-6° qu'il faut appliquer.
Quant aux cinq causes d'extinction énumérées au présent article, la loi va les reprendre avec quelques développements.
On remarquera que le Code ne mentionne pas, comme mode d'extinction de l'usufruit, la consolidation, c'està-dire la réunion de la propriété et du droit d'usufruit.
Cette réunion peut s'opérer en la personne du nu-propriétaire, en celle de l'usufruitier ou en celle d'un tiers.
Au premier cas, l'usufruit s'est éteint par l'une des causes déjà citées: ou l'usufruitier a rétrocédé son droit au nu-propriétaire, alors c'est une renonciation; ou bien il y a eu résolution, rescision ou révocation au profit du constituant; il n'y a donc pas ici de cause particulière d'extinction de l'usufruit.
Au deuxième cas, l'usufruitier est devenu nu-propriétaire, par achat, par succession ou autrement: il réunit bien les deux droits sur sa tête; mais est-il vrai qu'il y ait extinction de l'usufruit? Sans doute, désormais, il jouira sans contrôle: ce qu'il ne pourrait faire comme usufruitier, il pourra le faire comme propriétaire; sans doute encore, les cautions sont libérées et les gages ou hypothèques fournis en garantie sont éteints, parce qu'il ne peut être créancier et débiteur de la même dette: il ne peut se devoir à lui-même, se garantir lui-même. Mais supposons qu'il ait cédé, loué ou hypothéqué son droit d'usufruit, personne n'imaginera de dire qu'en acquérant la nue propriété, il a mis fin à l'usufruit et détruit le droit du tiers: l'usufruit subsiste donc en principe, mais il n'y a intérêt à le remarquer que s'il a été l'objet d'une convention en faveur d'un tiers.
Au troisième cas, celui où un tiers a acquis simultanément les deux droits, de propriété et d'usufruit, l'usufruitier est considéré comme renonçant à son droit en faveur de l'acquéreur de la propriété et l'on se retrouve en réalité dans le premier cas.
Art. 100. L'extinction de l'usufruit par la mort de l'usufruitier est le cas le plus fréquent et le plus normal, car l'usufruit est un droit essentiellement viager.
On a vu cependant (art. 48) que l'usufruit peut être constitué sur plusieurs têtes, pourvu que tous les usufruitiers soient déjà nés ou conçus au moment de la constitution du droit.
Le présent article suppose que les divers usufruitiers étaient appelés à jouir de la chose, non pas successivement, mais simultanément et par indivis, c'est-à-dire sans assignation de lots déterminés dans la chose. Il se présentait alors une question que la loi a dû trancher, à savoir: quel sera l'effet des premiers décès parmi les usufruitiers?
La solution la plus naturelle, au premier abord, serait de dire que la part de chaque usufruitier qui décède retourne au nu-propriétaire. Mais on admet généralement, en jurisprudence étrangère, une solution différente, empruntée au droit romain. C'est cette solution que donne le texte ici; elle est conforme à l'intention probable du constituant.
On raisonne ainsi: soit un testateur qui a légué l'usufruit à deux personnes, à deux époux, par exemple, ou à deux frères. Si, du vivant du testateur, l'un des légataires de l'usufruit était décédé, la part du prédécédé, sans aucun doute, dans toutes les opinions et d'après les principes du droit testamentaire, aurait augmenté celle du survivant, par voie d'accroissement. Or, ce résultat qui a dû entrer dans les prévisions du testateur, au moins pour une hypothèse, peut raisonnablement être présumé prévu aussi et accepté par lui pour l'autre hypothèse.
Ce système, outre l'avantage de ne donner qu'une seule solution pour deux cas analogues, a encore celui de ne pas produire une extinction partielle du droit d'usufruit, avec retour au nu-propriétaire du droit fractionné, ce qui ne manquerait guère de produire des contestations et des procès.
Art. 101. On a déjà eu occasion, au sujet des Dispositions générales, d'expliquer ce qu'on entend par personnes morales. Ainsi, une société, un shi, tcho ou son, sont des personnes morales auxquelles un usufruit pourrait valablement être constitué. Or, ces personnes ne cessent d'exister que par des causes exceptionnelles ou qui peuvent, au moins, être très éloignées. Si la loi n'assignait à cet usufruit une durée déterminée, il pourrait durer pendant le temps de plusieurs existences d'homme, au cas de société, et indéfiniment, au cas d'un shi, tcho ou son, ce qui réduirait considérablement ou même supprimerait tout-à-fait la valeur de la nue propriété.
Le délai de 30 ans a paru convenable; il correspond d'ailleurs à la durée moyenne de la vie humaine.
Art. 102. L'article 99-3°, en énonçant la renonciation comme une cause d'extinction de l'usufruit, exige qu'elle soit expresse, c'est-à-dire formelle: la loi ne veut pas qu'il puisse y avoir de doute à cet égard: les tribunaux ne devront pas arriver à reconnaître une renonciation sur des simples présomptions de fait.
Le présent article, dans ses deux dispositions, revient à une seule idée: la renonciation de l'usufruitier ne doit nuire à personne. Elle ne doit pas nuire au propriétaire, en laissant à sa charge l'acquittement d'obligations antérieures à la renonciation: celles-ci correspondent à une jouissance obtenue, elles sont la charge des fruits acquis; elles doivent donc rester au compte de l'usufruitier, même renonçant. La renonciation ne doit pas, non plus, nuire aux tiers qui auraient traité sur la chose avec l'usufruitier et reçu de lui des droits réels, comme un droit de bail ou d'hypothèque.
On pourrait croire qu'il faut ajouter une classe de personnes auxquelles la renonciation ne devrait pas nuire, ce sont les créanciers de l'usufruitier, même non hypothécaires ou chirographaires et qui perdraient par la renonciation la chance d'être payés.
Il y a toutefois une notable différence entre les créanciers simplement chirographaires ou n'ayant qu'un droit personnel et ceux qui ont un droit réel d'hypothèque, c'est que, pour les derniers, la renonciation serait, de plein droit, sans effet, lors même qu'elle serait faite de bonne foi, tandis que, pour les premiers, elle ne serait sujette qu'à révocation et seulement si elle était faite en fraude de leurs droits; le motif de cette différence est que celui qui n'a que des créanciers ordinaires ou chirographaires conserve la libre disposition de son patrimoine: ses créanciers suivent les fluctuations de sa fortune, ils profitent ou souffrent de ses actes, pourvu que ces actes ne soient pas faits avec une fraude intentionnelle à leur égard.
Le texte, en ne réservant que les droits réels acquis avant la renonciation, laisse évidemment les créanciers ordinaires sous l'empire du droit commun.
On trouvera dans la IIe Partie (art. 340 et suiv.) toute la théorie de l'action révocatoire des créanciers fraudés.
Art. 103. Le non-usage est, comme le nom l'indique, l'omission par l'usufruitier d'exercer son droit. Lorsque cette omission a duré 30 ans, la loi déclare l'usufruit éteint, et cette extinction a lieu dans tous les cas, sans qu'il y ait même à distinguer si l'usufruitier a connu ou non le droit qu'il a laissé s'éteindre, ni s'il a été ou non empêché d'user, par des circonstances indépendantes de sa volonté. La loi ne veut pas qu'un droit qui déprécie considérablement la valeur de la propriété subsiste, lorsqu'il est devenu inutile.
Le non-usage a beaucoup d'analogie avec la prescription, surtout avec celle qu'on appelle libératoire: il a la même durée, il n'exige que l'abstention de l'ayant-droit, sans la nécessité de la possession par celui qui en doit profiter (ici le nu-propriétaire); l'extinction par le non-usage n'a pas lieu de plein droit: elle doit être invoquée contre l'usufruitier; enfin, et c'est là l'objet du présent article, il n'est pas opposable à ceux contre lesquels la prescription ne peut être invoquée, c'est-à-dire à ceux en faveur desquels la prescription est suspendue, tels sont les mineurs.
Comme autre conséquence de cette assimilation, on décidera que le non-usage s'interrompt par une demande en justice de l'usufruitier, faite avant l'expiration des trente ans, soit contre le nu-propriétaire, soit contre un tiers qui aurait usurpé la jouissance; enfin, les questions relatives au calcul du temps se résoudront pour le non-usage comme pour la prescription.
Mais il y restera toujours quelques différences entre le non-usage et la prescription libératoire des obligations; ainsi le nu-propriétaire pourrait invoquer avec succès le non-usage contre l'usufruitier, tout en reconnaissant qu'il n'y a eu de la part de celui-ci ni renonciation ni cession de son droit (v. Liv. des Preuves, art. 96).
Art. 104. La révocation de l'usufruit pour abus de jouissance n'est pas aussi particulière à l'usufruit qu'elle paraîtrait l'être, au premier abord: elle n'est que l'application du principe de la résolution des droits pour inobservation des conditions auxquelles ils sont soumis; on en retrouvera l'application dans le louage qui a de l'analogie avec l'usufruit.
La mise en séquestre autorisée dans le même cas est aussi une mesure d'une application assez fréquente; mais, tandis qu'elle ne s'applique, en général, qu'à une chose dont la propriété est en litige, et pour durer seulement autant que le procès, ici le séquestre peut durer jusqu'à la fin de l'usufruit.
Les deux mesures que peut ordonner le tribunal, la mise en séquestre et la révocation du droit d'usufruit, sont subordonnées à la gravité des faits.
La loi indique deux sortes de fautes de l'usufruitier peuvent motiver l'une de ces mesures, et comme il s'agit ici d'une peine civile à prononcer, on doit considérer la loi comme limitative.
Le premier cas consiste dans des dégradations plus ou moins instantanées, mais de nature grave et à peu près irréparables, comme serait le fait d'avoir coupé des arbres de futaie; le second cas suppose une faute continue ou répétée et pouvant amener la perte de la chose, et, dans la détermination de la loi, cette faute peut être de deux sortes: le défaut d'entretien, c'est-à-dire le défaut des réparations qui incombent à l'usufruitier, et l'abus de jouissance, de nature plus variée, comme seraient l'extension exagérée donnée à l'exploitation des mines ou carrières et la reproduction exagérée obtenue des animaux sujets à l'usufruit.
Il ne faudrait pas assimiler à ces cas une culture intensire et exagérée du sol: elle pourrait, il est vrai, l'appauvrir momentanément, mais sans en compromettre la conservation ni la fécondité ultérieure.
Lorsque le tribunal prononce la révocation de l'usufruit, il ne dépouille pas entièrement l'usufruitier: il ne serait pas juste que la mesure dépassât la garantie due au nu-propriétaire et qu'elle devînt pour lui la source d'un gain illégitime.
Le tribunal détermine donc la portion de produits ou revenus annuels qui sera payée par le nu-propriétaire à l'usufruitier.
Bien que l'usufruit soit légalement éteint dans le cas où le tribunal en prononce la révocation, il se trouve plutôt, en réalité, réduit et transformé en cette créance annuelle de fruits ou produits; il faut donc lui assigner la même durée qu'à l'ancien usufruit: ainsi, elle cessera à la mort de l'usufruitier ou à l'accomplissement du terme; elle cessera aussi par la perte de la chose, arrivée dans les mains du propriétaire et sans sa faute; elle cesserait, cela va sans dire, par la renonciation de l'usufruitier; mais il ne pourrait plus être question d'abus de jouissance; quant au non-usage, il se trouverait remplacé par une véritable prescription libératoire, laquelle serait plus courte et seulement de 5 ans, comme pour toutes les créances d'annuités. Mais l'extinction n'aura lieu que pour les annuités échues, non pour les autres.
Les deux derniers alinéas ne demandent chacun qu'une seule observation.
Dans la fixation de la part de fruits et revenus due à l'usufruitier pour l'année courante, le tribunal devra prendre en considération les frais de culture déjà faits par l'usufruitier et les probabilités de la prochaine récolte; tandis que, pour les années ultérieures, on supposera des années moyennes et on tiendra compte de ce que les frais de culture seront faits par le propriétaire.
Remarquons d'abord, sur le 3e alinéa, qu'il faut l'entendre, malgré ses termes, dans le sens du premier alinéa, c'est-à-dire qu'il s'applique aux deux cas prévus pour la fixation de la redevance, laquelle consistera soit en argent, soit en fruits en nature.
Quant au moment où l'usufruitier acquiert cette portion de revenus, la loi y applique la règle des fruits civils: l'acquisition a lieu jour par jour, c'est-à-dire à proportion du temps écoulé, sauf à retarder la délivrance à l'époque de la récolte effective.
On aurait pu maintenir la règle de l'article 52, d'après laquelle les fruits naturels sont acquis à l'usufruitier par leur séparation du sol; mais il a paru bon, puisque la situation de l'usufruitier était changée si profondément, de ne pas lui laisser les risques ni les profits éventuels que produit cette disposition. Au surplus, ce n'est que pour la dernière année, et après la dernière récolte faite, que la part proportionnelle revenant à l'usufruitier ou à son héritier donnera lieu à un calcul, car pour toutes les années entières écoulées pendant l'usufruit, la part a été fixée uniformément par le tribunal.
Un exemple est nécessaire pour bien faire comprendre ce triple droit de l'usufruitier.
Supposons qu'un usufruit a été révoqué pour abus de jouissance au cours d'une année, qu'il a duré ensuite trois années entières et les deux tiers de la dernière année.
L'usufruitier aura: 1° la part de fruits de l'année de la révocation que le tribunal lui aura assignée dans toutes les récoltes de ladite année, en tenant compte des frais déjà faits par l'usufruitier et de l'époque plus ou moins avancée de l'année; 2° trois années entières de la fraction de fruits que le tribunal aura obligé le propriétaire à verser à l'usufruitier après chaque récolte; 3° deux tiers de cette même fraction pour l'année où finit l'usufruit.
Art. 105. La révocation de l'usufruit est surtout une garantie pour l'avenir en faveur du nu-propriétaire; mais elle ne saurait tenir lieu de l'indemnité qui lui est due pour les dommages causés. Ainsi, s'il y a eu des arbres de futaies abattus, le retour du sol, dépouillé de sa valeur principale, ne l'indemnise pas; il en est de même, s'il y a révocation d'un usufruit portant sur des animaux reproducteurs épuisés ou sur des bêtes de somme ou de trait mises hors de service. Il y aura donc lieu pour le tribunal, sur les justifications qui lui seront fournies, de fixer l'indemnité due, de ce chef, au nu-propriétaire.
Art. 106. La loi fait ici l'application de la distinction des choses en principales et accessoires présentée par l'article 15. Quand l'édifice est la chose principale, sa destruction met fin à tout l'usufruit; si, au contraire, l'édifice est l'accessoire, l'usufruit subsiste, non-seulement sur les autres parties du domaine, mais encore sur le sol que couvrait l'édifice, et même sur les matériaux qui le composaient.
Art. 107. Au cas d'expropriation, l'indemnité représente la chose expropriée; il est donc naturel que l'usufruitier n'ait ni plus ni moins que la jouissance de l'indemnité pendant sa vie.
Observons que la perte de la chose autrefois soumise à l'usufruit, survenue après l'expropriation, ne mettrait plus fin à l'usufruit, car cette chose n'y est plus soumise: l'usufruit ne pourrait s'éteindre que par l'expiration du terme, la renonciation de l'usufruitier ou sa mort
Lors même que l'usufruitier aurait été dispensé de donner caution pour la jouissance d'un immeuble, ce ne serait pas une raison pour qu'il en fût dispensé, dès que sa jouissance porte sur une somme d'argent, toujours facile à dissiper ou exposé à être perdue par des placements imprudents.
Par le même motif, si le cautionnement avait été fourni pour la jouissance de l'immeuble, il y aurait lieu de le fixer, à nouveau, pour le montant de l'indemnité.
La loi nous dit, à cette occasion, que dans les deux cas déjà rencontrés aux articles 90 et 91, celui de vente du fonds usufructuaire pour le payement des impôts et celui d'incendie de bâtiments assurés, l'usufruitier, jouissant désormais d'une indemnité, donne caution pour les sommes qu'il doit un jour restituer.
Art. 108. La loi assimile à la perte de la chose son changement de nature, lorsqu'il n'est pas passager, mais définitif.
C'est une conséquence du principe que l'usufruitier doit jouir de la chose “suivant sa destination.”
Les exemples de changements que donne la loi ne doivent pas être considérés comme limitatifs; ainsi, on devrait décider que l'usufruit d'une forêt ou d'un bois est éteint, si le bois a été brûlé entièrement. Et on devrait considérer comme brûlé entièrement un bois dont il ne resterait que quelques arbres échappés au feu, sur les limites.
Mais si un sol arable n'avait été envahi que par une eau peu profonde qui permît de le cultiver en rizière, les tribunaux pourraient décider que l'usufruit n'est pas éteint, car la culture du riz peut facilement succéder à celle des autres céréales.
Art. 109. Cet article est la contre-partie de l'article 50 du même Chapitre, lequel donne à l'usufruitier les fruits attachés au sol au moment où l'usufruit commence, sans indemnité pour le nu-propriétaire, à raison de ses frais de culture.
Déjà, sous l'article 69, on a été amené à parler des fruits pendants ou attachés au sol au moment où finit l'usufruit, soit que la maturité n'en fût pas encore complète, soit que l'usufruitier fût en retard de les percevoir, et l'on a eu ainsi l'occasion de donner le motif de cette double solution qui n'est pas conforme à la justice absolue: la loi veut éviter des comptes difficiles qui se reproduiraient deux fois et seraient une source de procès: il y aura quelque chose d'aléatoire dans le gain et dans la perte, pour chaque partie; mais, outre que les chances se trouvent égales pour les deux parties, il n'y a là qu'une suite du caractère aléatoire de l'usufruit lui-même qui dépend de la vie de l'homme.
La loi fait une réserve pour “les droits qui pourraient être acquis à un fermier.”
Quelques observations sont ici nécessaires. Le louage, a un caractère “d'administration,” quand la durée du droit ne doit pas être trop longue (voy. art. 119 et s.); les droits de bail consentis par l'usufruitier dans les limites légales doivent donc subsister jusqu'à leur expiration, nonobstant la fin de l'usufruit.
Le présent article n'a pas pour objet d'appliquer ce principe qui sera posé d'un manière générale au Chapitre suivant; mais il règle une question de fruits qui aurait pu faire quelque doute.
Le bail des immeubles peut, en effet, avoir lieu sous deux conditions différentes pour le preneur: ou bien celui-ci paye une somme d'argent par année, ou bien il donne au propriétaire une part des fruits du fonds.
Quand le prix de bail se paye en argent, l'usufruitier l'acquiert jour par jour (art. 54) et à la fin de l'usufruit tout ce qui reste à échoir est acquis au propriétaire.
On aurait pu croire que quand le bail serait à part de fruits, l'usufruitier, ayant une sorte d'association avec le colon partiaire, obtiendrait sa part de fruits, même après la fin de l'usufruit; mais la loi ne l'admet pas: c'est avec le nu-propriétaire seul que le colon fera le partage des fruits.
SECTION II.
DE L'USAGE ET DE L'HABITATION.
Art. 110. Il y a tant d'analogie entre l'Usage et l'Usufruit qu'on peut l'appeler “un usufruit restreint,”
Le Code consacre cette idée, et même l'expression, en indiquant quelle est la mesure de cette restriction.
L'usufruitier a l'usage et la jouissance, et ces deux droits n'ont pour lui d'autres limites que la nature de la chose et sa destination.
Pour l'usager, la limite est celle de ses besoins et de ceux de sa famille.
Les articles suivants déduiront quelques conséquences de cette limite.
Le droit d'habitation s'applique naturellement à des bâtiments; c'est l'usage des bâtiments; par conséquent, il est limité également aux besoins de l'habitant et de sa famille.
Au surplus, il ne faudrait pas induire de cette mesure des besoins de l'usager que le droit d'usage ne puisse appartenir qu'à des personnes se trouvant dans la gêne et que, s'il avait été donné ou légué à un parent ou à un ami se trouvant alors dans le besoin, il s'éteindrait par la circonstance que cette personne serait arrivée à meilleure fortune. Au contraire, on pourrait presque dire que, plus serait riche la personne à laquelle serait donné ou légué un droit d'usage ou d'habitation, plus grande serait la portion de fruits ou de bâtiments qui devrait lui être assignée, par application des principes de ce droit et d'après l'intention probable du constituant. Les droits d'usage et d'habitation peuvent quelquefois tenir lieu de pension alimentaire; mais ce n'est pas là leur caractère propre ni leur but essentiel.
On devrait même admettre qu'une personne ayant déjà un droit d'usage suffisant à ses besoins pût en obtenir un autre semblable sur un autre bien. Dans ce cas, c'est sur chaque bien que le droit s'exercerait dans la mesure des besoins, comme si ce bien était le seul de l'usager.
Art. 111. Le nom de famille étant susceptible d'une grande extension, la loi a dû en poser ici les limites, afin de ne pas laisser prendre au droit d'usage une extension qui aurait pu facilement devenir abusive, comme contraire aux prévisions du constituant.
Il va sans dire que si l'usager se mariait ou avait des enfants après la constitution de son droit, son nouveau conjoint et ses enfants bénéficieraient de l'usage.
La loi exige que les personnes dont il s'agit habitent avec l'usager; cette condition se justifie par la considération que si elles habitaient ailleurs, il pourrait être difficile de constater leur existence et surtout la mesure de leurs besoins.
Pour les serviteurs, la condition d'être attachés à la personne exclut naturellement les commis des marchands, les garçons d'écurie ou de ferme. Du reste, les tribunaux devront tenir compte, même pour ces personnes, du circonstances du fait.
Art. 112. Il serait nuisible au nu-propriétaire et souvent à l'intérêt général que l'usager qui, peut-être, n'a droit qu'à une partie des fruits d'un fonds, en fût seul possesseur et le cultivât en entier à son gré: il serait à craindre qu'il ne s'occupât que de lui faire produire ce dont il a besoin et qu'il le laissât improductif pour le reste; de même, pour une maison d'habitation, il n'en occuperait que des parties détachées, laissant le reste sans utilité et sans soins.
Quand le titre constitutif aura négligé de déterminer la portion de bâtiments affectée à l'usager et le mode d'exploitation des fonds de terre pour satisfaire à son droit, les parties pourront y pourvoir par convention.
Si elles ne se mettent pas d'accord, le tribunal y pourvoira, d'après la nature des biens soumis à l'usage et en tenant compte de l'intention probable du constituant.
Lorsqu'il s'agira de terres, le tribunal en assignera à l'usager un lot qu'il cultivera à son gré.
Il ne serait pas d'ailleurs admissible que l'usager prétendît mettre toutes les terres en culture à son profit, pour leur faire produire toutes sortes de choses qui pourraient lui être utiles, alors que les terres n'y étaient pas antérieurement consacrées; par exemple, planter des cotons pour se faire des vêtements, des bois pour avoir du charbon et le chauffage: de pareilles prétentions seraient contraires à l'intention probable du constituant.
Art. 113. La prohibition de céder et louer est une des conséquences annoncées des limites du droit d'usage.
Si le droit d'usage pouvait être cédé ou loué, les besoins du cessionnaire ou du locataire seraient vraisemblablement différents et seraient souvent plus considérables que ceux du titulaire. Si même, on admettait que le cessionnaire ou locataire exerçât le droit dans la mesure des besoins du titulaire, le contrôle serait une source de contestations journalières et inextricables.
Art. 114. Cet article confirme le caractère d'usufruit restreint, reconnu à l'usage et à l'habitation.
L'usager et l'habitant ayant la possession effective de tout ou partie de la chose soumise à leur droit, pourraient perdre ou détourner les meubles et dégrader les immeubles; de là, la nécessité de l'inventaire, de l'état des lieux et de la garantie.
Au surplus, on ne devrait pas admettre que le droit d'usage portât sur des denrées ou sur des sommes d'argent, s'il n'y en avait une disposition formelle dans l'acte de constitution; les règles sur l'estimation valant vente ne s'appliqueront donc guère à l'usager.
La loi n'a pas ici de disposition relative à l'expropriation: si elle avait lieu, il ne serait pas possible de donner à l'usager la jouissance de toute l'indemnité: il y aura donc lieu de fixer entre lui et le propriétaire la fixation de l'indemnité dont l'usage jouira au lieu et place de l'usage direct qui lui est enlevé.
CHAPITRE III.
DU BAIL, DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
SECTION PREMIÈRE.
DU BAIL.
Art. 115. La loi commence ce Chapitre comme les précédents, par une définition du Droit dont il va être traité.
Le fait seul, par le Code japonais, d'avoir placé le droit résultant du bail dans cette 1re Partie du présent Livre, prouve qu'il le classe parmi les droits réels; mais l'article 2 l'a déjà annoncé comme tel.
Le preneur a un droit très-voisin du droit d'usufruit: il peut, de même que l'usufruitier, user et jouir de la chose d'autrui, et son droit a, sauf quelques particularités, la même étendue et les mêmes limites que l'usufruit; aussi, doit-on compléter les dispositions du présent Chapitre par celles du précédent. La loi, elle-même, s'y réfère plus d'une fois (v. art. 126, 142 et 144) sans être en ce la limitative.
Plusieurs différences cependant séparent le droit du preneur de celui de l'usufruitier. D'abord, quant à la durée: le droit de l'usufruitier a, en général, pour durée, la vie de l'usufruitier; le droit du preneur n'a pas ce caractère aléatoire: il est ordinairement établi pour une durée fixée.
Le droit de l'usufruitier est généralement établi à titre gratuit (par donation ou par testament); le droit du preneur est toujours établi à titre onéreux, c'est-à-dire moyennant un sacrifice de sa part.
Lors même que l'usufruit est établi à titre onéreux, il y a encore une différence: l'usufruit établi à titre onéreux, le sera moyennant un prix de vente une fois payé, ou moyennant une chose fournie en échange; le droit du preneur sera acquis et conservé moyennant une prestation périodique, en argent ou en produits.
Il y a une autre différence entre les deux droits, quant à la manière même dont ils s'établissent. L'usufruit est quelquefois établi par la loi; le droit de louage ne l'est jamais que par contrat.
Enfin la prescription peut être invoquée comme présomption d'acquisition légitime d'un usufruit; elle ne recevra pas cette application en matière de bail.
Voici enfin la différence la plus considérable entre les deux droits: le constituant d'un usufruit n'est, en général, tenu d'aucune obligation personnelle envers l'usufruitier; ce n'est guère qu'au cas, assez rare, de vente de l'usufruit, qu'il aurait l'obligation de tout vendeur, de garantir l'acheteur contre l'éviction. Au contraire, le bailleur est toujours obligé envers le preneur, à le garantir, non seulement de l'éviction, mais encore de tout autre trouble, provenant même d'un cas fortuit ou d'une force majeure. En d'autres termes, il doit lui garantir une jouissance continue, laquelle est considéréé comme la cause de l'obligation du preneur de payer une redevance périodique.
Sans doute, les parties peuvent, par la convention, restreindre ou supprimer cette garantie; mais, à défaut de convention, elle est due au preneur; c'est pourquoi on dit qu'elle n'est pas essentielle, mais naturelle au contrat.
Dans la constitution d'usufruit à titre gratuit, la garantie de la jouissance contre les cas fortuits ou la force majeure n'aurait lieu que si elle avait été stipulée: on dirait alors qu'elle est accidentelle à l'usufruit.
Nous signalerons encore quelques différences: ce qui a été dit de la jouissance de l'usufruitier à l'égard de l'indemnité d'expropriation ou d'incendie, ne s'appliquerait pas au preneur; au cas d'expropriation, le preneur recevra une indemnité spéciale; l'assurance ne profitera au preneur que s'il a lui-même assuré son droit de bail; il en est de même des obligations de l'usufruitier relatives aux réparations d'entretien, aux impôts, aux procès: elles n'incombent pas au preneur.
Art. 116. Dans tous les pays, il y a des règles particulières pour la location et la vente des biens de l'Etat et des administrations publiques; sans parler des biens dits du domaine public, qui, en principe, ne peuvent être vendus ni loués.
Ce sont les lois administratives qui posent les règles dont parle cet article.
Ce n'est pas à dire que le présent Code n'y sera d'aucune application; au contraire, il sera toujours la loi fondamentale des ventes et des baux.
La similitude des droits de bail et d'usufruit fait adopter ici la même division du Bail en quatre §: 1° Etablissement du bail; 2° Droits du preneur; 3° Obligations du preneur; 4° cessation du bail.
§ 1er. DE L'ÉTABLISSEMENT DU BAIL.
Art. 117. Cette disposition de la loi, n'indique qu'un mode de constitution ou d'établissement du droit de bail: d'ailleurs c'est le seul mode raisonnable d'établir ce droit. En fait, on n'en comprendrait guère d'autre que le contrat auquel le droit donne son nom: le contrat de bail ou de louage.
C'est une des différences signalées plus haut entre le droit de bail et le droit d'usufruit, lequel peut s'établir par les mêmes modes que ceux qui transfèrent la propriété, à l'exception de l'hérédité.
Il ne faudrait pas croire, en effet, que, parce que le droit de bail est réel et peut être considéré comme un démembrement de la propriété, il s'établisse nécessairement comme celle-ci.
Un droit de bail pourrait à la rigueur, être constitué directement par testament. Mais le Code a cru devoir indiquer un autre procédé, si quelqu'un, en mourant, avait légué un droit de bail à un parent ou à un ami. Dans ce cas, l'héritier sera obligé par le testament à “passer un contrat de louage.” Jusque là, il n'est pas encore bailleur, et il n'a aucun des droits du bailleur; quand il aura passé le contrat, “aux clauses et conditions portées au testament,” il aura les obligations assez étendues qu'on verra au § suivant; il aura aussi les droits déterminés au § IIIe.
Si le testament ne portait pas les conditions du bail, notamment le prix à payer périodiquement par le preneur, il serait impossible de donner effet au testament, car l'héritier pourrait toujours exiger et le preneur offrir un prix auquel l'autre partie ne pourrait consentir et la loi ne permet pas de le faire fixer par experts: ce serait leur donner le pouvoir de faire le contrat lui-même en en fixant l'un des éléments essentiels.
La loi généralise ensuite cette disposition, en l'appliquant à toute promesse de bail. Cette promesse serait obligatoire, si elle contenait, en même temps, l'indication du prix de bail. Une fois que le stipulant aurait déclaré l'accepter, il aurait le droit d'exiger un contrat de louage en bonne forme.
On pourrait se demander, enfin, si le droit de bail peut s'acquérir par prescription, comme le droit de propriété et le droit d'usufruit.
Il ne faut pas hésiter à répondre négativement. Il n'est pas dans la nature de la prescription de faire naître les obligations respectives du bailleur et du preneur.
Mais la prescription, qui serait impuissante à créer un droit de bail, pourrait faire acquérir à une personne un bail déjà créé pour une autre.
Supposons, par exemple, que le propriétaire ayant loué sa chose, un tiers achète ce droit de bail d'un autre que du véritable preneur; alors il y aura acquisition du droit de bail, comme droit réel, par la prescription ordinaire des droits réels immobiliers, et celui qui aura ainsi prescrit, en même temps qu'il aura le droit de jouir de la chose louée, aura les obligations du preneur vis-à-vis du propriétaire.
Art. 118. La loi rencontre ici, pour la première fois, un contrat dont le double caractère onéreux et synallagmatique a une grande importance juridique.
Elle n'a pas à en présenter ici les effets généraux: ils seront exposés au commencement de la IIe Partie de ce Livre. Ce que la loi doit faire ici, c'est présenter les règles particulières au contrat de bail; en cela même, elle dépasse déjà les limites du sujet; car elle ne se borne pas à exposer les particularités du droit réel de bail, elle présente aussi et doit présenter les droits personnels qui l'accompagnent et l'étendent.
Les lois sont souvent obligées de s'écarter ainsi d'une méthode rigoureuse, pour éviter de morceller, de diviser des théories qui se trouvent plus claires quand elles sont présentées dans leur ensemble: autrement, il faudrait renvoyer à la IIe Partie ce qui concerne le droit personnel du bailleur, ce que personne ne proposerait.
On expliquera seulement ici le sens des deux expressions à titre onéreux et synallagmatique
Un contrat est à titre onéreux, lorsque chaque partie y fait un sacrifice en faveur de l'autre: c'est l'opposé d'un contrat à titre gratuit ou à titre lucratif, où l'une des parties reçoit un avantage, sans fournir aucun équivalent.
Le contrat est synallagmatique ou bilatéral, lorsque les deux parties s'engagent, l'une envers l'autre, à donner ou à faire quelque chose. Il en résulte que le contrat synallagmatique est en même temps onéreux; mais, comme un contrat à titre onéreux n'est pas toujours synallagmatique et peut être unilatéral, ainsi qu'on le verra en son lieu, l'usage a consacré les deux mots et leur emploi tantôt réuni, tantôt séparé, pourvu qu'on ait soin d'employer d'abord le mot le plus large (à titre onéreux) et le mot synallagmatique en dernier lieu.
Le contrat de louage est donc à titre onéreux puisque chaque partie y fait un sacrifice: le bailleur en se privant de la jouissance de sa chose, le preneur en payant des sommes périodiques; il est synallagmatique, car les deux parties contractent des obligations: le bailleur celle de garantir une jouissance continue, le preneur celle de payer les loyers ou fermages périodiques.
Art. 119. On doit poser en règle que le propriétaire seul peut grever sa chose d'un droit réel au profit d'autrui. Mais, ceux qui ont reçu de la loi ou de la justice le pouvoir d'administrer des biens qui ne leur appartiennent pas, peuvent consentir des baux sur ces biens.
Ce n'est pas, à proprement parler, une exception; car les administrateurs sont assimilés à des mandataires conventionnels et ils sont présumés agir selon l'intention du propriétaire, au nom duquel, d'ailleurs, ils font le contrat. En outre, le contrat de louage est justement considéré comme étant de sa nature un acte d'administration, c'est-à-dire un acte qui améliore la fortune du propriétaire sans l'exposer à des risques.
Comme exemples d'administrateurs légaux, on peut citer le père ou le tuteur d'un mineur, le tuteur ou le curateur d'un interdit, et le mari, à l'égard des biens de sa femme; il faut y ajouter les fonctionnaires publics, administrateurs des biens de l'Etat, des fou, ken, des shi, tcho ou son et des établissements publics; sauf à n'appliquer à ceux-ci les présentes règles que si les lois administratives ne statuent pas autrement.
Comme exemples d'administrateurs judiciaires, on aura les curateurs aux successions vacantes, les syndics de faillite, les séquestres de biens litigieux.
Pour que ces personnes puissent être considérées comme agissant selon l'intention présumée du propriétaire, il est naturel qu'elles n'engagent pas trop l'avenir. De là, les limites apportées par la loi à la durée des baux par elles consentis.
Il était naturel aussi que le temps fût plus court pour les meubles que pour les immeubles et que, parmi ces derniers, il fût plus court pour les bâtiments que pour le sol, lequel demande toujours de plus longs et de plus coûteux travaux préparatoires pour donner des revenus sérieux et durables.
Art. 120. Sans les précautions de la loi, il serait facile d'éluder l'article précédent. L'administrateur, après avoir passé un bail de 5 ans, par exemple, le renouvellerait au bout d'un an, pour 5 autres années, ce qui serait abusif à l'excès.
Si, au contraire, le renouvellement se fait quelque temps avant l'expiration du bail, il y a, pour les deux parties, un avantage véritable; il y a une sécurité contre le risque, pour le propriétaire, que le bien soit quelque temps sans preneur et, pour le preneur, que ses bras ou ses capitaux soient pendant un certain temps inoccupés.
Quand la relocation est régulière, le temps du nouveau bail s'ajoute à ce qui restait à courir du temps antérieur.
Une question pouvait se présenter et cet article la tranche. Si l'administrateur avait renouvelé le bail avant le temps permis, n'aurait-on pas pu soutenir que le renouvellement serait valable dans la mesure du temps où le bail primitif avait pu être fait, c'est-à-dire, en ne comptant le renouvellement que pour le temps qui, joint à ce qui restait à courir du premier bail, donnerait 1, 3, 5 ou 10 ans? Par exemple le bail aurait été fait d'abord pour 5 ans; l'administrateur l'aurait renouvelé après 2 ans, il resterait encore 3 ans, à courir; aurait-on pu dire que le reste de l'ancien bail se confondrait avec le nouveau et qu'il y aurait encore 5 ans de bail?
Il fallait répondre négativement, car l'administrateur pourrait ainsi, par complaisance pour le preneur, immobiliser le bail, le soustraire à l'effet du temps qui doit l'abréger chaque jour et préparer pour un avenir plus ou moins rapproché la liberté du fonds; lors qu'au contraire le bail approche de sa fin, il est utile d'en assurer la continuation, dans l'intérêt du propriétaire.
La loi admit que si le bail a été renouvelé prématurément, mais que la nouvelle période fût commencée quand finirait le pouvoir de l'administrateur, cette période pourra être achevée.
Art. 121. Lorsque le propriétaire fait lui-même la location, il peut, bien entendu, consentir à recevoir toute autre prestation annuelle que de l'argent; mais un administrateur ne peut raisonnablement admettre des prestations en produits d'une nature et d'une provenance quelconques dont la vente et même la conservation pourraient être souvent difficiles.
La loi lui permet seulement de faire un bail à part de fruits ou de stipuler une quantité déterminée et invariable de fruits, mais toujours sous la condition qu'ils proviennent du fonds loué. De cette dernière façon, le contrat sera moins aléatoire que si la prestation de fruits variait avec la récolte et il ne sera pas nécessaire à l'administrateur de surveiller la culture et d'en contrôler les produits.
Art. 122. La loi aurait pu, sans doute, réunir tous les mandataires dans une même disposition, en ajoutant, dans l'article 119, les mandataires conventionnels; mais c'eût été en compliquer la rédaction. D'ailleurs, l'extension ou la restriction des pouvoirs, que la loi suppose ici, ne se pratiquera guère dans le cas de mandat légal ou judiciaire.
Art. 123. D'après le Livre des Personnes, les personnes dont il s'agit ici n'ont qu'une capacité limitée: elles ont l'administration de leurs biens; mais elles n'en ont pas la disposition.
S'il leur était permis de faire des baux à long terme, elles pourraient, contre le but de la loi, engager l'avenir pour un temps trop long et à des conditions peu avantageuses.
Art. 124. C'est un principe qui sera posé à l'occasion des incapacités, en général, et dont la loi fait ici l'application anticipée, que ceux qui ont traité avec les incapables ne peuvent se prévaloir d'une nullité qui n'est pas établie en leur faveur, mais contre eux.
Or, lorsqu'un administrateur a excédé ses pouvoirs, quant à la durée du bail, il ressemble à celui qui, dans l'administration de sa propre chose, a excédé les bornes de sa capacité, et le propriétaire en faveur duquel les pouvoirs de l'administrateur sont limités n'est pas tenu par les actes illégaux; mais, celui qui a traité avec l'administrateur, il ne peut se soustraire à son propre engagement, si d'ailleurs le propriétaire, ayant repris l'administration de ses droits, veut le ratifier ou l'approuver.
Quant à l'administrateur, il ne pourrait pas demander la nullité du bail qu'il a fait indûment, parce que ce bail peut devenir valable par la prolongation des pouvoirs de l'administrateur jusqu'au temps qu'il a eu le tort de dépasser.
D'un autre côté, il ne serait pas juste que le propriétaire pût laisser l'autre partie dans une incertitude indéfinie: celle-ci peut donc le sommer d'avoir à se prononcer dans un délai déterminé, faute de quoi, elle pourra considérer le contrat comme maintenu. Elle ne pourrait, bien entendu, le considérer comme non avenu.
Pour que le preneur ne puisse fixer au propriétaire un délai d'une brièveté dérisoire qui obligerait, plus tard, à renouveler la sommation, avec un délai fixé par le tribunal, la loi fixe elle-même le délai; ce délai serait augmenté du délai des distances entre les domiciles respectifs des parties, d'après les règles générales relatives à ces sortes d'actes.
Tout ce qu'on vient de dire d'un propriétaire dont l'administrateur ou le mandataire aurait excédé ses pouvoirs s'applique à un incapable ou à une personne d'une capacité limitée qui aurait excédé les bornes de sa capacité. Mais, bien entendu, il faut supposer qu'au moment où cette personne est sommée d'avoir à se prononcer sur le bail, elle est devenue pleinement capable, de même qu'on doit supposer et que le propriétaire a recouvré l'administration de ses biens.
Si les pouvoirs de l'administrateur, légal, judiciaire ou conventionnel, n'avaient pas cessé, le preneur, en cas de bail d'une durée illégale, pourrait faire pareille sommation audit administrateur, lorsque l'on serait arrivé à l'époque où le bail pourrait être valablement renouvelé.
Art. 125. La loi ne peut guère limiter les droits d'un propriétaire capable, quant à la durée et aux conditions des baux qu'il consent lui-même.
Toutefois, elle peut toujours assigner à ces baux un caractère et des effets particuliers, lorsqu'ils ont une durée considérable.
On verra à la Section II, les règles particulières aux baux emphytéotiques: on y verra aussi que l'Emphytéose elle-même a des limites dans sa durée, pour ne pas se confondre avec le droit de propriété.
§ II. DES DROITS DU PRENEUR.
Art. 126. La définition de droit de bail donnée par l'article 115 disait déjà que le preneur a le droit d'user et de jouir de la chose d'autrui; mais l'usage et la jouissance peuvent être exercés avec plus ou moins d'étendue.
La loi a évité des redites, en posant en principe que les droits du preneur sont semblables à ceux d'un usufruitier. C'est ainsi qu'il n'est pas nécessaire de dire au texte que le preneur a sur les animaux compris dans le louage d'un fonds rural les droits accordés à l'usufruitier, qu'il jouit des bois loués, des carrières, marnières et tourbières, qu'il a le droit de chasse et de pêche.
Ce n'est pas à dire pourtant que tous les droits d'un usufruitier qui ne sont pas refusés au preneur lui appartiennent par cela seul: il est des choses qui, par leur nature, ne peuvent être prétendues par le preneur, parce qu'elles ne peuvent être raisonnablement l'objet d'un louage; telles sont: les choses fongibles ou de quantité, un rente viagère.
Ces deux droits, d'usufruit et de bail, pour être analogues, ne sont donc pas identiques: celui du preneur est même quelquefois plus étendu, car le preneur peut exiger que le bailleur lui procure la jouissance par tous les moyens qui sont en son pouvoir, tandis que le nu propriétaire n'a aucune semblable obligation envers l'usufruitier.
Le contrat contiendra souvent des clauses particulières qui étendront ou restreindront les effets légaux du bail.
Il n'est évidemment question ici que de ces effets légaux. A l'égard des effets conventionnels, ils seront observés suivant la teneur du contrat, lequel, lorsqu'il est valablement formé, tient lieu de loi entre les parties.
Art. 127. La dispense d'inventaire des meubles et d'état des immeubles est une différence favorable au preneur comparé à l'usufruitier: elle est fondée sur ce que, le droit du preneur étant acquis à titre onéreux, il n'est pas juste de lui imposer exclusivement la charge d'une série de mesures qui profiteraient surtout au bailleur.
Mais, si le contrat avait imposé ces obligations au preneur, elles seraient naturellement exigibles.
Dans tous les cas, chacune des parties pourra toujours faire procéder à l'inventaire ou à l'état des biens, à ses frais, en appelant l'autre partie à y être présente (voy. art. 137).
Le plus souvent, les parties conviendront de faire, à frais communs, un état des lieux, pour se mettre à l'abri de contestations ultérieures, et elle n'y manqueront certainement pas, s'il s'agit d'une maison meublée en tout ou en partie.
Quant au cautionnement, la dispense est moins importante, car il est remplacé par un privilége légal du bailleur d'immeubles sur les objets mobiliers appartenant au preneur et garnissant les lieux loués (voy. Liv. des Garant. art. 147 et s.); c'est seulement pour les locations de meubles ou de locaux meublés que la loi ne donne au bailleur aucune sûreté à fournir, ni personnelle, ni réelle: c'est à lui à en exiger ou à se faire payer en avance.
Art. 128. Ce §, par cela même qu'il est consacré aux droits du preneur, correspond aux obligations du bailleur, comme le § suivant, consacré aux obligations du preneur, correspond aux droits du bailleur; ce double objet de chaque § est la conséquence de ce que le contrat de louage est synallagmatique.
On a vu que l'usufruitier, au moment de son entrée en jouissance, prend les choses dans l'état où elles sont, sans pouvoir exiger aucune réparation.
Il en est autrement du preneur qui peut exiger, au début, que la chose soit mise “en bon état de réparations,” même de celles qu'il aura à supporter, lorsqu'elles deviendront nécessaires pendant sa jouissance.
C'est une conséquence de l'obligation du bailleur de procurer et garantir au preneur la jouissance de la chose louée.
Par application du même principe, le bailleur doit évidemment faire toutes les réparations, grosses et d'entretien, mais les réparations rendues nécessaires par la faute ou négligence du preneur ou de ses serviteurs sont évidemment à sa charge.
Si, au moment où finit le bail, les objets dont parle le 3e alinéa sont usés, salis ou gâtés, le bailleur ne pourra pas en demander au preneur la réparation lorsque l'altération ou la dégradation provient du seul fait de leur service, eu égard à sa durée.
A l'égard de l'entretien des objets mentionnés aux 3e et 4e alinéas de l'article, il ne faut pas conclure de ce que le bailleur en est dispensé que le preneur en soit tenu: c'est pour lui une dépense facultative.
La loi se réfère d'ailleurs a la coutume locale: elle devrait être observée, au cas où elle serait contraire.
Art. 129. D'après l'article précédent, le preneur a le droit d'exiger les réparations nécessaires à sa jouissance; mais il pourrait se rencontrer des cas où le preneur, approchant de la fin de son bail, voudrait s'épargner les embarras d'un travail souvent long et incommode.
D'un autre côté, si certaines réparations ne sont pas faites, les bâtiments, murs, digues, peuvent se dégrader gravement ou même se détruire. La loi impose donc au preneur l'obligation de subir les réparations devenues nécessaires.
Mais il ne fallait pas complétement abandonner le principe qu'il a droit à la garantie de sa jouissance; la loi veut donc:
1° Qu'il soit indemnisé, par réduction du prix du bail, si les travaux ont duré plus d'un mois et lui ont causé un dommage appréciable;
2° Qu'il puisse faire résoudre ou résilier le bail, s'il doit être privé par les travaux, même pendant un jour, de toute la partie habitable de la maison, ce qui l'obligerait à aller habiter au dehors, ou de la partie des bâtiments qui lui est nécessaire pour sa profession commerciale ou industrielle, ce qui pourrait lui causer des pertes sérieuses.
On n'a pas à craindre que le preneur abuse de ce droit de résiliation, quand la privation des bâtiments nécessaires devra être très courte, car la résiliation elle-même lui causerait les embarras d'un déplacement; en outre, le bailleur, s'il craint la résiliation, pourra, ou demander au preneur un plein consentement aux travaux, ou les ajourner à la fin du bail, si le danger n'est pas imminent.
Cet article pourrait sembler appartenir au § suivant, aux obligations du preneur, mais outre qu'on y trouve aussi, pour lui, un double droit, il a paru convenable de ne pas diviser ce qui concerne les réparations de la chose louée.
Art. 130. Le preneur, ayant un droit réel, pourra défendre lui-même son droit en justice.
Mais il fera sagement de ne pas prendre sur lui la responsabilité du procès: il pourrait s'imputer de l'avoir perdu, faute des preuves que le bailleur, au contraire, aurait pu fournir contre le tiers. Il rentre d'ailleurs dans l'obligation générale de garantie du bailleur de défendre le preneur contre les troubles de droit.
La loi exige que le trouble apporté par un tiers ait une cause de droit, une cause prétendue légitime, comme serait un droit de propriété, d'usufruit ou de bail; mais, si le tiers commettait des dégradations ou des prises de fruits, sans alléguer un droit sur la chose, le preneur ne pourrait pas appeler le bailleur en garantie: il devrait se défendre lui-même contre ces troubles de fait.
Il ne pourrait non plus se faire indemniser du trouble, s'il provenait d'une cause à lui imputable, comme d'une cession ou sous-location qu'un tiers prétendrait lui avoir été faite par le preneur.
Art. 131. Bien que le bailleur soit garant, d'une manière générale, de la jouissance du preneur, la loi a dû apporter quelque tempérament à la règle, quand la privation de jouissance provient d'une force majeure extraordinaire et grave, telle que les faits déterminés par cet article.
La loi a pris une sorte de moyen terme entre deux solutions extrêmes dont l'une aurait mis la perte exclusivement à la charge du preneur et l'autre à la charge du bailleur.
Si la perte est inférieure à un tiers des profits annuels (ce qui comprend le bénéfice de l'habitation autant que les produits du sol), elle restera à la charge du preneur.
Si elle est d'un tiers ou davantage, elle retombera sur le bailleur qui subira une diminution du prix du bail, proportionnellement à cette perte.
Cette indemnité, au profit du preneur, n'aurait pas lieu, si le prix du bail consistait en une quote-part des fruits du fonds, parce que la perte, si minime qu'elle fût, retomberait sur le bailleur, en proportion de ses droits. Dans le même cas, la perte des fruits survenue après qu'ils sont séparés du sol est à la charge du preneur, à moins que le bailleur ne fût en demeure de recevoir sa part.
La loi prévoit ensuite que le trouble apporté ainsi à la jouissance, par une force majeure, a duré trois années consécutives: alors le preneur, bien qu'il ait été indemnisé chaque année au moyen d'une diminution du prix de bail, se trouvant privé d'une partie des bénéfices ou avantages espérés, peut faire résilier le bail pour l'avenir.
On pourrait s'étonner qu'il ait le droit de résiliation, quand il a été indemnisé pour trois pertes successives d'un tiers, et qu'il n'ait pas le même droit, quand il n'a pas eu d'indemnité, à raison de ce que les pertes étaient inférieures à un tiers. Mais, du moment que la perte est assez minime pour ne pas donner lieu à indemnité (et aux yeux de la loi, un tiers est une perte minime), la conséquence nécessaire est qu'il y a encore moins lieu à résiliation.
La loi, en accordant une indemnité au preneur pour la perte de récolte, si elle provient d'un des événements graves et exceptionnels qu'elles détermine, procède par voie d'exemple et d'énonciation et n'est pas limitative.
Enfin, la loi suppose que des bâtiments ont été incendiés ou détruits par force majeure et que ces bâtiments représentaient le tiers de la jouissance annuelle; alors, il n'est pas nécessaire que la privation de jouissance ait duré trois ans; comme il dépend du bailleur de les relever plus ou moins promptement, la loi permet la résiliation au profit du preneur, si la reconstruction n'a pas eu lieu dans l'année.
Cette disposition est faite pour une destruction “partielle” des bâtiments, car, s'il y avait destruction totale de la chose louée, le bail cesserait de plein droit.
Art. 132. Il arrive souvent que les parties ne font pas procéder au mesurage des terrains ou des bâtiments avant de traiter: le preneur s'en rapporte à la déclaration du bailleur; mais celui-ci peut se tromper, et cette erreur peut être quelquefois assez grave pour constituer une perte considérable pour le preneur. En sens inverse, il pourrait y avoir une contenance supérieure à celle annoncée au contrat et il ne faudrait pas que le preneur y trouvât un profit trop considérable, ni qu'il fût obligé de payer un supplément de prix qui pourrait le gêner. La loi n'entre ici dans aucune des distinctions que comporte cette question; elle renvoie au Chapitre de la Vente où la même difficulté se présentera et où les distinctions nécessaires seront établies.
Art. 133. Bien que le preneur n'ait qu'un droit temporaire sur le fonds, il ne peut lui être interdit d'y faire des constructions ou des plantations, du moment qu'il respecte celles qui existent ou qu'il obtient du bailleur l'autorisation de les modifier.
Il doit de même pouvoir enlever lesdtes constructions ou plantations, en remettant les choses dans l'état primitif, à la fin du bail.
Mais si, avec le consentement du bailleur, d'anciennes constructions ou plantations ont été supprimées pour faire place aux nouvelles, on peut se demander si le preneur conserve le même droit, quoiqu'il ne puisse évidemment rétablir les anciens ouvrages.
Il faudra, en général, maintenir son droit, car, si le bailleur n'a pas fait à ce sujet de réserves à son profit, c'est qu'il a reconnu que ses anciennes constructions ne dureraient pas au-delà du bail.
Le droit du bailleur à la préemption est exposé au sujet des obligations du preneur (v. art. 144).
Art. 134. Les droits, réels ou personnels, sont, en général, cessibles: ce sont des biens composant le patrimoine (art. 1er): ils sont, sauf exception, à la libre disposition de celui auquel ils appartiennent. Parmi les droits réels, il n'y a guère que ceux d'usage et d'habitation qui soient exclusivement attachés à la personne et comme tels incessibles.
Il n'y avait pas de raison pour la loi, d'interdire, au moins en général, la cession du bail ou la sous-location. Mais le bailleur peut avoir, par le contrat, interdit cette faculté au preneur; c'est ce qui pourra arriver dans le cas où il craint des dégradations pour une chose de luxe ou délicate. La loi réserve aussi le cas où l'usage local serait contraire à la cession.
La loi prend soin d'indiquer la différence essentielle entre la cession de bail et la sous-location.
La cession du bail est une aliénation complète du droit pour toute sa durée: elle peut être gratuite, c'est alors une donation; elle peut être à titre onéreux, ce sera alors presque toujours une vente, pour un prix unique; cependant, rien n'empêcherait que ce fût un échange ou un apport en société.
La sous-location est un nouveau louage de la chose, lequel pourra avoir une durée moindre que le bail principal: la sous-location est toujours à titre onéreux. Les obligations du cédant et celles du sous-locateur ne sont pas les mêmes, au point de vue de la garantie: le cédant n'est garant que de l'éviction, le sous-locateur est garant de la jouissance continue.
Il est naturel que le preneur ne puisse, par la cession ou la sous-location, se soustraire à ses obligations envers le bailleur: le nouveau preneur peut être embarrassé dans ses affaires; le bailleur n'en doit pas souffrir, à moins qu'il n'ait consenti à l'accepter pour débiteur, au lieu et place de l'ancien preneur; c'est ce que la loi appelle “faire novation,”
La théorie de la novation appartient à la matière des Obligations et elle y sera développée.
Lorsque le bailleur a droit à une quote part de fruits, comme prix de bail, le contrat a quelque chose de la société: il est fait en considération de la personne du preneur, de son intelligence et de sa probité; dès lors, la cession ou sous-location est interdite en principe; elle ne peut avoir lieu que si le bailleur y consent.
La loi permet indirectement de céder le bail, lorsque la part de fruits est convertible en argent; il faut l'entendre du cas où la conversion aurait été réglée à une somme fixe; dans ce cas, le bailleur sera satisfait, si cette somme lui est payée.
Remarquons, à ce sujet, que la cession du bail serait permise dans le cas où le preneur doit, non plus une quote part, mais une quantité fixe des produits du fonds: dans ce cas, il n'y a plus le même intérêt à ce que l'exploitation reste dans les mains du preneur originaire.
Observons enfin que si le bail n'avait pas de durée fixe, le preneur ne pourrait le céder pour une durée fixe obligatoire pour le bailleur, car celui-ci ne doit pas perdre le droit de donner congé, à son gré.
Art. 135. L'hypothèque étant un droit réel sur les immeubles et servant à la garantie d'une créance, il n'y a pas de raison d'interdire au preneur la faculté d'hypothéquer son droit réel de bail.
Si le preneur n'acquitte pas la dette pour laquelle il a hypothéqué son bail, le droit de bail sera vendu à la requête du créancier hypothécaire, ce qui ne causera pas plus de dommage au bailleur qu'une cession directe par le preneur.
Mais dans les cas où la cession du bail est interdite, soit en vertu du contrat, soit par la loi, l'hypothèque se trouve par cela même interdite.
Art. 136. Déjà on a eu occasion de dire, sous l'article 130, que le preneur peut plaider, en son nom, contre les tiers. La loi en pose ici le principe général, à cause de l'importance de la règle.
La loi donne au preneur les actions réelles non-seulement contre les tiers, mais aussi contre son bailleur, conjointement avec l'action personnelle corrélative aux obligations de celui-ci.
§ III. DES OBLIGATIONS DU PRENEUR.
Art. 137. Déjà, sous l'article 127, on a eu occassion de dire que le preneur, à la différence de l'usufruitier, n'est pas tenu de faire un inventaire des meubles et un état des immeubles.
Mais il a au moins l'obligation de laisser le bailleur procéder à cette formalité qui est une garantie pour lui; par conséquent, il doit donner au bailleur un libre accès aux choses et aux lieux loués, et cela, aussi bien au cours du bail qu'à son début. La preneur n'aura pas, en général, à être convoqué, en forme, à une opération qui se fait chez lui: il y assistera, s'il le veut; mais l'opération ne sera considérée comme contradictoire à son égard et, par conséquent, ne lui sera opposable que si l'acte est signé de lui ou a été fait par un officier public en sa présence, ou lui dûment appelé et s'il n'a pas fait de protestations ou réserves dûment constatées.
En sens inverse, si le bailleur ne fait pas d'inventaire ou d'état des lieux, le preneur peut y faire procéder; mais alors, il doit convoquer le bailleur, en forme, pour que l'acte lui soit opposable.
Les frais de l'acte restent à la charge de la partie qui en a pris l'initiative, s'il n'a été convenu qu'il y serait procédé dans l'intérêt commun.
Si l'état des lieux et l'inventaire des meubles n'a pas été fait, le preneur est exposé à se voir déclaré responsable des réparations, parce que les choses “sont réputées lui avoir été remises en bon état” et, en cela, la loi est plus sévère pour le preneur que pour l'usufruitier qui n'est réputé avoir reçu en bon état que les immeubles seulement (art. 75): si la loi décide de même ici pour les meubles, c'est parce que le preneur avait le droit d'exiger la mise des choses louées en bon état de réparation, droit que n'a pas l'usufruitier; or, le preneur, en ne faisant pas constater l'état des meubles, est présumé avoir reconnu qu'ils étaient en bon état ou avoir obtenu qu'ils y fussent mis.
Au contraire, s'il y a défaut d'inventaire, c'est le bailleur qui en souffre et le preneur est mieux traité qu'un usufruitier, lequel avait l'obligation légale de faire inventaire et doit être traité avec défiance, quand il y a contrevenu. C'est le bailleur qui a le plus d'intérêt à l'inventaire des meubles, pour en obtenir la restitution à la fin du bail; à défaut de cette précaution, il n'aurait pas de titre pour réclamer les objets manquant tout-à-fait ou qui auraient été remplacés par d'autres de moindre valeur; il ne pourrait suppléer au titre que par la preuve testimoniale directe et non par la commune renommée (comp. art. 75).
Art. 138. Le payement du prix de bail est la principale obligation du preneur; c'est l'équivalent périodique de sa jouissance continue.
Généralement, on conviendra de l'époque de chaque payement. La loi, en prescrivant des payements mensuels, consacre un usage assez général au Japon. Elle se réfère d'ailleurs aux usages locaux, lesquels peuvent varier avec les contrées.
Mais lorsque le preneur doit donner une part de fruits, il est clair qu'il ne peut la donner avant la récolte; mais alors, par cela même que le bailleur a attendu une partie de l'année, cette part lui est donnée toute à la fois.
La même disposition s'appliquerait évidemment, si le preneur devait fournir non une quote part, mais une quantité fixe des produits du fonds.
Art. 139. Le défaut de payement par le preneur, au temps fixé, est très-fréquent en tout pays.
Il peut arriver aussi que le preneur, à raison du commerce ou de l'industrie qu'il se proposait d'exercer dans les lieux loués, se soit soumis dans l'intérêt de la conservation des choses louées, à quelques obligations particulières de faire ou de ne pas faire, et qu'il manque à les remplir.
Dans ces divers cas, le bailleur aurait le choix entre deux voies: soit une action tendant à obtenir l'exécution des faits promis ou à empêcher les actes interdits, soit une action en résolution du bail.
Ces deux voies sont l'application du droit commun: la première, pour tous les contrats, en général, portant obligation de faire ou de ne pas faire, la seconde, pour les contrats synallagmatiques ou bilatéraux en particulier (art. 421).
L'exercice du droit de résolution du bailleur ne le prive pas de demander des dommages-intérêts pour le préjudice éprouvé (par exemple, s'il y a des dégradations à la chose louée) et pour celui résultant de la résolution elle-même, lorsqu'elle peut entraîner une perte de revenus pendant le temps où le fonds resterait vacant.
Art. 140. Il y a, ici encore, une différence notable avec les obligations de l'usufruitier. Celui-ci paye les impôts ordinaires et contribue, dans une certaine mesure, au payement des impôts extraordinaires. Le motif en est qu'il a tout le profit annuel de la chose et que le nu-propriétaire n'en reçoit pas de compensation.
Au contraire, la bailleur tire de la chose louée un profit annuel qui consiste dans le prix de bail. Il est donc juste qu'il supporte les impôts, comme s'il exploitait directement la chose.
Mais il pourra arriver que les lois de finances qui ne sont pas toujours conçues dans le même esprit que les lois civiles et qui s'en écartent quelquefois, pour assurer la facilité du recouvrement des impôts, mettent certaines taxes à la charge du preneur.
Ainsi, par exemple, la contribution foncière est garantie à l'Etat par un privilége sur les récoltes. Or, la récolte appartenant au preneur, il se trouvera tenu de subir l'action de l'Etat pour le payement de la contribution foncière, si le bailleur ne la paye pas auparavant et dès qu'elle sera exigible.
En pareil cas, le preneur aura recours contre le bailleur, par voie de déduction sur son prix de bail.
Tout ce qui précède n'a lieu que sauf convention contraire des parties.
Mais il était naturel que la loi mît à la charge du preneur les impôts sur les bâtiments qu'il a élevés lui-même; comme il ne paye pas de loyer pour ces bâtiments, le motif donné plus haut ne se présente plus.
Il en est de même pour les impôts frappant son industrie ou son commerce; tel est l'impôt des patentes, et tels sont les impôts indirects sur la fabrication des saké, shôyou, tabacs, etc.
Art. 141. Le mode de jouissance que comporte le bail est plutôt encore une ressemblance qu'une différence avec l'usufruit. La loi s'en explique, à cause de l'importance pratique et de la grande variéte des baux.
Art. 142. Le 1er alinéa établit encore une assimilation entre le droit de bail et l'usufruit, quant à l'obligation pour le preneur de conserver avec soin les choses louées.
Bien que le preneur ait le droit de plaider, lui-même et en son propre nom, contre les tiers, auteurs de troubles ou d'usurpations, il manquerait à son devoir et nuirait à ses propres intérêts, s'il n'avertissait pas le bailleur (v. art. 130).
Sans doute, les jugements intervenus entre le preneur et les tiers ne pourraient être opposés au bailleur pour lui faire respecter des droits qu'il n'aurait pas été appelé à contredire (v. art. 98); mais si, à la suite de ces jugements, le tiers avait sur la chose des changements devenus irréparables, ou s'il était parvenu à quelque prescription de tout ou partie du fonds, le preneur aurait été ainsi, par son silence, la cause d'un préjudice grave pour le bailleur et il en serait responsable. En outre, son propre intérêt est d'appeler le bailleur; car celui-ci doit lui procurer la jouissance entière, paisible et continue de la chose; or, il peut avoir des titres ou autres moyens de repousser les prétentions du tiers et il serait bien téméraire au preneur de se priver de ces secours.
Art. 143. Bien que le droit du preneur soit déclaré réel par la loi, aussi bien pour les meubles que pour les immeubles, la propriété ne cesse pas d'en appartenir au bailleur: elle peut être considérée comme démembrée tant que dure le bail; mais quand le droit du preneur a pris fin, celui du bailleur se retrouve plein et entier.
Il peut donc agir en revendication, c'est-à-dire par action réelle, pour recouvrer sa chose.
Mais il peut aussi agir par action personnelle; car le preneur est obligé, par le contrat, à conserver la chose et à la rendre.
Deux considérations différentes pourront déterminer le choix du bailleur par rapport à l'action à intenter.
1° Si le preneur est insolvable, l'action réelle aura 'avantage de faire recouvrer au bailleur la chose, en nature et en entier, par préférence aux autres créanciers, tandis que l'action personnelle l'obligerait à concourir avec eux et seulement sur sa valeur.
2° Si le preneur est solvable et que le bailleur ait quelque difficulté à établir son droit de propriété, tandis qu'il lui est facile de prouver le contrat de bail, il intentera l'action personnelle.
Quelquefois il ne restera au bailleur que l'action réelle: supposons que trente ans se soient écoulés depuis la fin du bail, le preneur pourrait opposer au bailleur la prescription dite “libératoire;” mais jamais il ne pourrait lui opposer la prescription dite “acquisitive,” parce qu'il possède précairement et que les possesseurs précaires ne peuvent invoquer cette prescription.
Art. 144. C'est un principe d'économie politique, déjà signalé, qu'il faut, autant que possible, éviter de détruire les constructions et les plantations: autrement, il y a deux valeurs perdues, deux mains-d'œuvre inutiles, celle de la construction et celle de la démolition; de plus, les matériaux perdent considérablement de leur prix par la démolition.
Si le bailleur consent à payer au preneur, non ce que ses plantations et constructions lui ont coûté, mais ce qu'elles valent à la fin du bail, le preneur n'a pas d'intérêt légitime à s'y opposer.
§ IV. DE LA CESSATION DU BAIL.
Art. 145. On ne retrouve pas ici toutes les causes d'extinction de l'usufruit; cela tient, comme la plupart des autres différences déjà signalées, non à la différence de nature des deux droits, lesquels sont, au contraire, très voisins l'un de l'autre, mais à la différence de la cause des droits: le bail est constitué pour une cause onéreuse, c'est-à-dire à raison du sacrifice que fait le preneur, à raison de la prestation périodique qu'il s'engage à fournir, ce qui exclut, ordinairement, toute considération de sa personne; l'usufruit, au contraire, est constitué, le plus souvent, à titre gratuit et, dans tous les cas, en considération d'une personne déterminée.
De là, la conséquence que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier.
Sans doute, dans le louage, les parties pourraient convenir que le droit du preneur finira par sa mort; mais il faudrait, à cet égard, une stipulation expresse; il ne suffirait pas que les circonstances permissent de croire que le droit a été établi en considération de la personne.
Le non-usage pendant 30 ans n'est pas non plus une cause d'extinction du bail: il n'y a, d'ailleurs, aucune vraisemblance que le cas se présente jamais; car la prestation périodique que le preneur aura à payer, et qui certainement lui sera demandée, le préservera de l'oubli ou de l'ignorance de son droit.
La renonciation du preneur à son droit ne mettrait pas non plus fin au bail, car il ne peut, par sa seule volonté, s'affranchir des obligations qui y sont corrélatives. Ce qui serait possible, à cet égard, serait une résiliation volontaire des deux côtés; mais alors ce ne serait plus une cessation de plein droit.
Quant à l'abus de jouissance; il rente dans la généralité du dernier alinéa du présent article, dans la résolution prononcée en justice pour inexécution des obligations du preneur.
On reprend maintenant, pour quelques développements sommaires, les cinq cas d'extinction du bail, s'opérant de plein droit et sans qu'il soit besoin de la faire prononcer en justice, si les faits ne sont pas contestés.
On remarquera d'abord que l'extinction dont il s'agit ne s'applique pas seulement au droit du preneur, mais, en même temps, à celui du bailleur et, par conséquent, au contrat tout entier.
1° La perte de la chose louée est ici supposée totale. Si elle n'était que partielle, elle pourrait donner lieu, soit à diminution du prix de bail, soit même à résiliation (art. 138 et 158); mais ce ne serait que par l'effet d'une décision judiciaire ou d'une convention amiable: ce ne serait plus de plein droit.
Si la perte de la chose était le résultat de la faute de l'une des parties, du preneur vraisemblablement, le bail n'en prendrait pas moins fin; mais il y aurait lieu à une indemnité contre la partie qui serait en faute.
2° L'expropriation totale a de l'analogie avec la perte de la chose louée: dans ce cas, la jouissance du preneur devient impossible légalement, au lieu de le devenir naturellement.
3° L'éviction du bailleur est le cas où il est jugé que la propriété de la chose ne lui appartenait pas au moment du contrat; l'annulation de son droit de propriété a lieu dans le cas où il tenait ce droit d'un acte entaché, soit d'un vice de consentement, soit d'une incapacité, de la part du cédant.
Dans le troisième cas, il faut qu'une décision judiciaire intervienne contre le bailleur, pour que, par voie de conséquence, le bail finisse de plein droit.
Enfin, il faut que la cause d'éviction soit antérieure au bail: autrement, elle ne serait pas opposable au preneur qui ne doit pas souffrir des actes du bailleur. Et, lors même que la cause alléguée serait antérieure au bail, il faudrait encore que le preneur eût été mis en cause, de manière à y pouvoir contredire, pour que le jugement lui fût opposable.
4° Il est conforme aux principes généraux qu'un droit qui n'a été établi que pour un temps déterminé s'éteigne par l'arrivée du terme fixé. Le temps peut être fixé expressément ou sous-entendu, c'est-à-dire fixé tacitement. La fixation expresse n'implique pas nécessairement un nombre d'années, de mois ou de jours déterminés, bien que ce soit ce qui aura lieu le plus souvent: ce pourrait être l'indication d'un événement précis dont l'arrivée est sujette à être plus ou moins hâtive ou tardive. Par exemple, le preneur a loué une maison, pour tout le temps où il exercerait une fonction publique dans la ville: si ses fonctions cessent ou s'il change de circonscription, le bail cesse.
De même le preneur a loué une maison, pour le temps pendant lequel il construirait sa propre maison: quoique l'époque à laquelle la maison sera terminée soit variable, ce n'en est pas moins un terme expressément stipulé.
Au contraire, le bail a été fait avec une destination particulière des lieux loués et le bailleur a connu cette destination; il est tacitement entendu qu'une fois la destination remplie, le bail cessera. Par exemple, un entrepreneur de travaux publics, chargé de la construction d'un édifice, a loué un terrain voisin des travaux, pour la taille des matériaux et l'assemblage provisoire des charpentes; le bailleur a connu la destination spéciale des lieux loués; il est, dès lors, présumé avoir consenti à ce que le bail prît fin, de plein droit, avec l'achèvement des travaux, mais non auparavant, comme aussi s'être réservé le droit de reprendre les lieux loués à la même époque.
Dans l'article 148 ci-après, la loi donne elle-même un exemple, par présomption, de terme tacitement fixé.
La loi met, sur la même ligne que le terme, un événement ayant le caractère d'une condition, c'est-à-dire un événement futur et incertain, dont l'accomplissement doit résoudre le bail: par exemple, il avait été convenu que le bail cesserait, si le preneur obtenait une fonction ou un emploi public dans une autre ville.
5° S'il n'y a point de terme assigné au bail par les parties, à l'origine, la loi permet à chacune d'elles d'y mettre fin par un avertissement, en forme, donné un certain temps avant la sortie et qu'on nomme congé.
Ce n'est pas le congé qui met fin au bail; ce ne serait pas alors une extinction de plein droit, mais par le fait de l'homme: le congé fait seulement commencer un délai à l'expiration duquel le bail finit de plein droit.
Le congé est l'objet de trois articles ultérieurs (art. 149, 150, 151,
Le dernier alinéa ne présente plus de cessation de plein droit, mais une cessation par voie d'action, soit en résolution pour inexécution des obligations par l'une des parties, soit en rescision pour incapacité ou vice de consentement, il a déjà été sommairement parlé de ces actions et il en sera encore question plus loin.
Art. 146. La disposition de cet article se trouve déjà annoncée par ce qui a été dit au sujet du 1er alinéa de l'article précédent.
Quoique la perte de la chose louée soit fortuite ou résulte d'une force majeure, elle ne doit pas nécessairement retomber sur le preneur, sous prétexte qu'il a un droit réel; car le bailleur est obligé de lui faire avoir une jouissance continue. Il ne faudrait pas non plus que la moindre perte lui donnât le droit de faire résilier le bail, ni même l'autorisât toujours à obtenir une diminution du prix de bail. A cet égard, la loi se réfère aux distinctions portées ci-dessus, à l'article 131.
Si la perte de la chose entraîne une perte de jouissance de moins d'un tiers, le preneur n'obtiendra ni la résiliation, ni une diminution du prix. Si celle-ci est d'un tiers ou au delà, le preneur obtiendra une diminution d'un tiers du prix, et si cette perte partielle de la chose doit entraîner nécessairement pour toujours la perte proportionnelle de la jouissance, le preneur pourra demander la résiliation, sans attendre le laps de trois ans prescrit par l'article 131.
Quant à l'expropriation partielle, elle présente deux particularités.
1° Le preneur obtiendra toujours une diminution du prix de bail, quelle que soit la partie expropriée, parce que cette expropriation procure au baileur une indemnité du trésor public;
2° Le preneur pourra recevoir lui-même une indemnité du trésor, à cause du trouble que l'expropriation lui cause.
Le preneur obtiendra également une diminution du prix de bail, au cas d'éviction, quelle que soit la portion dont il perd la jouissance, parce qu'il y eu faute du bailleur à louer ce qui ne lui appartenait pas en entier.
Quant au droit de résiliation, il sera toujours subordonné à la perte du tiers de la jouissance première.
Art. 147. Le bail est renouvelé tacitement, par le consentement présumé des parties, après l'expiration du temps qui lui avait été d'abord assigné. Quant aux effets du nouveau contrat entre les parties, ils seront les mêmes que ceux du contrat primitif, sauf la durée qui, d'après le dernier alinéa de l'article, est désormais indéterminée et cesse par un congé ou avertissement donné par une partie à l'autre, un certain temps avant la sortie.
Mais ce nouveau contrat ne peut être opposé aux tiers. Ainsi, ceux qui s'étaient portés garants ou cautions de l'exécution du premier bail ne sont pas garants du second: ils ont considéré, sans doute, la durée de leur engagement éventuel et n'ont pas entendu se trouver engagés par un nouveau contrat, sans leur consentement.
Par la même raison, et par une autre aussi, les hypothèques données pour le premier bail sont inapplicables au second: d'abord, s'il y a des créanciers hypothécaires postérieurs au bail, ils ont pu considérer que leur hypothèque s'améliorerait, quant au rang, par l'extinction de celle qui les précédait, et cette attente légitime ne doit pas être trompée par une prolongation ou extension de l'hypothèque qui prime la leur.
Ensuite, lors même qu'il n'y aurait pas d'autres créanciers hypothécaires postérieurs, l'hypothèque, une fois éteinte ou limitée par la fin du premier bail, ne peut renaître ou s'étendre à une nouvelle créance, au préjudice des créanciers chirographaires, sans que les parties remplissent les formalités requises pour la constitution de l'hypothèque ou pour son extension.
La solution serait la même pour un droit de gage, parce que les autres créanciers pourraient souffrir d'une garantie dont ils n'ont pas prévu la prorogation. Et il ne faudrait pas voir là une contradiction avec ce qui a été dit au sujet de l'usufruit (sous l'art. 78), lorsque la garantie par lui fournie reçoit une application plus étendue par sa faute: dans ce cas, c'est la cause première qui subsiste, avec un effet plus considérable, tandis qu'ici il y a un nouveau bail, c'est-à-dire une nouvelle dette.
Le nouveau bail tacite, n'ayant pas de durée fixée, ne peut finir de plein droit, mais seulement par un congé.
Art. 148. La loi donne ici une interprétation de la volonté probable des parties; c'est une présomption légale de leur intention, quant à la durée, lorsqu'elles n'en ont pas exprimé une autre.
Cette fixation de la durée du bail, par présomption légale, n'a lieu que pour les locaux meublés ou garnis: le bail durera alors pendant la période pour laquelle le prix a été fixé. A l'expiration de cette période, il pourra se former un nouveau bail, par tacite réconduction, mais alors sans durée fixée et finissant par un congé.
La raison pour laquelle la loi interprète elle-même ici l'intention des parties est celle-ci: généralement, la location des maisons ou appartements meublés se fait pour un temps assez court; les personnes qui n'ont pas de meubles à elles appartenant sont des résidents accidentels dans une ville, des voyageurs, des malades; lorsqu'ils conviennent d'un prix par période, c'est qu'ils se proposent de rester au moins pendant cette période. Bien entendu, les parties peuvent toujours exprimer le contraire.
On ne peut pas faire la même supposition pour les lieux non meublés, où le séjour est, en général, assez long et semblerait pouvoir se prolonger indéfiniment; dès lors, l'indication du prix pour une période de mois ou pour une année, n'est plus qu'une manière de fixer le prix courant; tout au plus, pourrait on y voir l'indication des échéances ou époques de payement; mais même, s'il n'y a pas de fixation précise des échéances, la loi les fixe à chaque mois, comme on l'a vu à l'article 138.
La loi ne prévoit pas un cas qui pourrait se rencontrer assez fréquemment, mais qui serait facile à résoudre par l'interprétation raisonnable de la volonté des parties: le prix de bail d'un appartement meublé pourrait avoir été fixé, tout à la fois, par jour, par semaine et par mois, par trimestre, par semestre et par année, probablement avec une diminution à raison de la plus grande durée. En ce cas, il est clair que le choix de la durée a été laissé au preneur et qu'il pourrait quitter à la fin de chaque période, mais qu'une fois entré dans la période suivante, il devrait l'achever et ainsi des autres: la tacite réconduction n'aurait lieu qu'à l'expiration de la dernière période, et le nouveau bail, n'ayant plus de durée limitée, ne finirait que par un congé.
La location de meubles particuliers est assimilée par la loi à celle des appartements meublés, quant à la durée, qui est considérée comme tacitement fixée par la période de temps pour laquelle le prix est établi; l'utilité de cette disposition se rencontrera principalement dans la location de chevaux, voitures, machines industrielles, ustensiles de ménage, vêtements, etc.
Art. 149. Lorsque le bail n'a pas de durée fixée par le contrat, soit expresse, soit tacite, comme il sera expliqué plus loin, il ne finit que par un congé.
Il faut bien remarquer que, jusqu'à ce que le congé soit donné, c'est le même bail qui dure et qu'il n'y a pas une succession de tacites réconductions; par conséquent, les sûretés fournies pour l'exécution du bail restent les mêmes, tant que les parties ne les modifient pas. Au contraire, au cas de tacite réconduction, il y a un nouveau bail: les sûretés doivent être renouvelées.
Le présent article s'applique aux locations de bâtiments non meublés.
Le congé peut être donné “à toute époque de l'année” . La loi s'en explique, parce que dans beaucoup de pays étrangers, le congé ne peut être donné qu'à certaines époques de l'année, ordinairement quatre fois par an, au commencement de chaque saison, pour sortir à la saison suivante. Il en résulte un inconvénient assez grave, c'est que si l'une des parties oublie de donner congé au temps voulu, elle est obligée d'attendre la saison suivante; il peut arriver aussi que le besoin de mettre fin au bail ne survienne pour elle que peu de jours après ladite époque et elle est encore obligée d'attendre la prochaine saison.
On pourrait objecter d'ailleurs que le congé donné par le propriétaire à toute époque peut obliger le preneur à sortir à une époque très gênante; par exemple, à la fin de l'année, alors que les commerçants font leurs comptes généraux et leurs recouvrements. Mais le preneur, étant ainsi prévenu à l'avance par le congé, pourrait demander au tribunal un délai de 8 ou 15 jours qui ne lui serait pas refusé, au moins, s'il n'y avait pas encore un nouveau preneur: les conventions, en effet, doivent “s'exécuter de bonne foi.” Le preneur aura toujours eu aussi la faculté d'exclure, par le contrat originaire, certaines époques qui le gêneraient pour la sortie: les négociants doivent être prévoyants; c'est un des devoirs et un des besoins de leur profession.
Mais ce qui importe le plus à la loi, c'est qu'il s'écoule entre le congé signifié et la sortie un intervalle assez long pour que le preneur ait le temps de trouver une nouvelle habitation et le bailleur un nouveau preneur.
Il est naturel aussi que l'intervalle soit d'autant plus long que la location a plus d'importance: il est toujours plus difficile de trouver à prendre ou donner à loyer une grande habitation qu'une moyenne ou une petite.
Il fallait aussi que la loi trouvât une mesure pour déterminer ce qui serait une grande, une moyenne ou une petite habitation. On ne pouvait pas songer à s'attacher au prix du bail, parce que ce prix varie avec les localités et avec l'état des bâtiments; il a paru préférable de considérer l'étendue des bâtiments, non par leur surface en tsoubos, mais par leur nature.
Une maison entière est considérée comme une grande habitation. Il est vrai qu'il y a souvent de bien petites maisons; mais, par cela seul qu'elles sont entières, ce qui aussi implique presque toujours des dépendances, elles sont plus difficiles à trouver pour le preneur qui, quittant une maison de ce genre, en cherchera sans doute une autre de même genre; elles sont aussi plus difficiles à relouer, pour le bailleur, parce que, leur prix étant toujours plus élevé, relativement à leur étendue, il en trouvera moins facilement un preneur.
La 2e classe d'habitations est une partie de bâtiments, un appartement ou un étage.
L'intervalle entre le congé et la sortie a été réduit, autant que possible: il est de 2 mois et 1 mois.
La loi augmente d'un mois ces deux délais, quand le preneur a mis des zôsaku, parce que, dans ce cas, il a droit à plus de ménagements, à cause de ses dépenses.
Bien entendu, les parties pourraient convenir d'un intervalle plus long ou plus court. Dans toutes ces règles de pur intérêt privé, la loi ne statue qu'à défaut de conventions ou d'usage local différent (v. art. 152).
Art. 150. Lorsqu'il s'agit d'une maison entière ou d'un appartement meublé, la cessation du bail dépend d'abord d'une distinction qui est déjà indiquée sous l'article 148: si le bail a été fait pour un temps déterminé, le bail finit de plein droit avec la période indiquée, sans qu'il soit nécessaire de donner congé; il en est de même, si la durée n'a été fixée que tacitement, par la détermination du prix par période de temps (v. art. 148). Mais s'il y a eu tacite réconduction, à l'expiration de ce temps, alors le bail ne finit que par un congé: l'intervalle entre le congé et la sortie varie, non plus suivant l'importance des locaux, mais suivant la durée de la période primitive.
D'un autre côté, comme les périodes peuvent être très variées, la loi ne peut multiplier les délais dont il s'agit: elle se borne à en fixer trois, correspondant aux locations faites, soit pour trois mois ou davantage, soit pour moins de trois mois, soit pour un jour: dans le premier cas, l'intervalle entre le congé et la sortie est uniformément d'un mois: dans le second, il est du tiers de la période primitive; dans le troisième cas, l'intervalle sera de 24 heures.
On comprend que cet intervalle soit court, parce que les locataires ne comptent pas faire un long séjour au même lieu et le bailleur ne compte pas non plus les conserver longtemps; en outre, le preneur qui reçoit le congé trouve aisément à se loger dans une autre maison meublée; réciproquement, le bailleur trouve aussi aisément un autre locataire de passage.
Le présent article s'applique aussi aux objets mobiliers: d'abord au cas où, le bail ayant été fait pour un temps expressément fixé (un certain nombre de jours ou de mois), il y aura eu tacite réconduction; ensuite pour le cas où le prix de location est fixé par périodes.
Dans des divers cas, le congé sera donné, soit un mois à l'avance, soit un nombre de jours à l'avance formant le tiers du temps que le premier bail avait duré, soit 24 heures.
Mais lorsque les meubles font partie d'un appartement meublé, ils en sont l'accessoire et la durée des deux locations est la même: on leur applique alors l'article 148 et les trois premiers numéros du présent article.
Il en est de même des objets mobiliers qui sont immeubles par destination et placés sur le fonds loué.
Art. 151. Il y a, pour les baux de biens ruraux, une double dérogation aux règles qui précèdent:
1° Un intervalle beaucoup plus long entre le congé et la sortie;
2° Une époque précise à laquelle le congé doit être donné.
Il est facile de justifier ces dispositions particulières par les considérations suivantes:
L'intention des parties est, naturellement, que le preneur puisse faire la récolte pour laquelle il a fait les semences, labours et cultures, au moins quand il s'agit d'une récolte annuelle.
Le preneur ne doit pas être obligé de quitter les lieux loués avant d'avoir eu le temps de trouver un autre fonds de nature plus ou moins semblable au précédent. Réciproquement, le bailleur ne doit pas être exposé à se trouver sans un autre preneur, pendant une partie de l'année.
Le premier de ces motifs explique que la sortie ne devra pas précéder la récolte principale de l'année; les deux autres motifs expliquent que l'intervalle entre le congé et la sortie soit de six mois au moins.
S'il s'agit d'un sol non cultivé annuellement, tel qu'une prairie, une lande, un bois, un terrain à bâtir, le congé pourra être donné à toute époque, un an avant la sortie.
Art. 152. La matière des baux étant une des plus importantes dans la pratique, au moins par sa fréquente application, la loi n'a pas craint d'entrer dans des détails un peu minutieux, pour prévenir les procès.
Mais elle n'a pas cru qu'il fût nécessaire ici d'arriver à une uniformité complète dans tout le pays; c'est pourquoi elle réserve l'application des usages locaux. Il va sans dire que les conventions particulières seront toujours valables en cette matière, soit pour augmenter, soit pour réduire les délais.
Art. 153. Quand le bail de biens ruraux a une durée fixée, la fin du bail peut arriver avant que la récolte soit enlevée, soit parce que la saison a été tardive, soit parce que les parties avaient mal calculé le temps. En pareil cas, il serait inique que le bailleur ou un nouveau preneur mît obstacle à l'enlèvement de la récolte par le preneur.
Il serait tout aussi injuste que, si la récolte a été hâtive, le preneur dont le bail est sur le point d'expirer s'opposât aux travaux préliminaires de l'année suivante, soit de la part du bailleur, soit de la part d'un nouveau preneur.
La loi réserve le cas où le preneur en éprouverait un préjudice pour les autres récoltes pendantes.
Il y a une autre réciprocité de droits respectifs dont la loi ne parle pas, parce qu'elle va de soi et parce que, d'ailleurs, elle concerne plutôt le commencement du bail que sa fin.
Si, au moment de l'entrée en jouissance du preneur, la récolte pour laquelle le bailleur a fait les travaux n'est pas encore enlevée, le preneur ne doit pas mettre obstacle à l'enlèvement.
Réciproquement, si la récolte du bailleur a été hâtive, il ne doit pas s'opposer à ce que le preneur, même avant l'époque de son entrée en jouissance, fasse les premiers travaux de labour ou autres analogues.
C'est l'application d'un principe déjà proclamé tout à l'heure et qui sera développé plus tard, à savoir, que “les conventions doivent être exécutées de bonne foi” (v. art. 330).
Ces dispositions relatives aux fruits qui se trouvent pendants au moment où commence le bail et où il finit constituent une nouvelle et considérable différence entre le preneur à bail et l'usufruitier. On a vu, en effet, aux articles 50, 69 et 109, que l'usufruitier a droit aux fruits pendants au moment où s'ouvre l'usufruit et qu'il n'a aucun droit à ceux qu'il n'a pas perçus au moment où l'usufruit finit, ce qui rentre dans les effets aléatoires de l'usufruit.
Il n'en pouvait être de même pour le bail qui n'a rien d'aléatoire et où chaque partie cherche un profit égal à celui qu'elle procure à l'autre. Mais on voit qu'il n'en résulte pas de complications, parce que celui qui a droit à une récolte préparée par ses soins l'enlève en nature et ne réclame aucune indemnité pour les frais de culture.
Art. 154. Rien n'empêche les parties de convenir qu'au cas de vente, le preneur pourra être expulsé même si le bail a une durée fixée; c'est une réserve que fera souvent le bailleur, quand il fera un bail à prix réduit et pour une longue durée, circonstances qui pourraient détourner un acheteur.
Le bailleur pourrait aussi se réserver la faculté de résilier le bail pour occuper les lieux par lui-même ou pour tout autre cas déterminé.
Le preneur peut aussi faire de pareilles stipulations, dans son intérêt ou dans celui de son héritier.
Ainsi, le preneur a une fonction qui l'oblige à résider au lieu où il l'exerce; il peut stipuler qu'en cas de changement de fonction ou de résidence, le bail sera résilié, pour éviter les embarras et les difficultés d'une sous-location.
De même, il prévoit le cas où il viendrait à mourir avant la fin du bail: sa mort, en principe, ne dissoudrait pas le bail, mais comme la location pourrait être inutile et, par suite, gênante pour son héritier, il stipule la résiliation en leur faveur.
Dans tous ces cas et autres semblables, il faudra, au moins, que la partie qui veut mettre fin au bail en vertu de la clause, prévienne l'autre partie par un congé, en observant les délais ci-dessus établis suivant la distinction des choses louées.
Ces cas ne sont pas tout-à-fait les mêmes que ceux prévus à l'article 145-4°, où l'on a supposé une condition résolutoire expresse, opérant d'elle-même, par le seul fait de l'arrivée de l'événement prévu: la loi suppose ici que les parties n'ont pas stipulé une résolution expresse, mais seulement une faculté de résolution.
Il va sans dire, sans que la loi l'exprime, que si le temps restant à courir du bail est plus court que l'intervalle à observer entre le congé et la sortie, le congé est inutile; le bail alors prendra fin par la convention originaire et non par l'exercice de la faculté de résiliation. Un congé même, envoyé ou reçu par erreur, ne prolongerait pas le temps restant à courir.
SECTION II.
DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
§ I. DE L'EMPHYTÉOSE.
Art. 155. La loi ne permet pas, pour l'avenir, que les emphytéoses aient une durée plus longue que 50 années.
Les nouvelles emphytéoses seront surtout utiles pour mettre en culture les terres en friches ou incultes.
Il est clair qu'en pareil cas, les fermiers ont besoin d'être encouragés par la perspective d'un bail à longue durée: autrement, ils n'auraient pas la récompense de leurs peines et de leurs frais de défrichement.
D'un autre côté, le bail ne doit pas avoir une durée indéfinie, parce qu'il priverait le propriétaire ou son héritier de la libre disposition de la chose, au préjudice de l'intérêt général qui demande la facile circulation des biens; en outre, la redevance, ne pouvant être augmentée pendant la durée du bail, deviendrait presque toujours inférieure au prix normal des baux à ferme; le preneur ou son héritier eux-mêmes pourrait souffrir d'une trop longue durée du bail.
Le délai de 30 ans est assez long pour permettre au preneur de tirer un profit sérieux des terres qu'il aura défrichées; le délai de 50 ans est un maximum que la loi ne permet de dépasser qu'au moyen d'un renouvellement, lequel, fait en connaissance de cause par les parties, et à de nouvelles conditions, s'il y a lieu, n'a plus les inconvénients d'un engagement pris trop longtemps à l'avance; d'ailleurs, à quelque époque que le bail soit renouvelé, il ne durera jamais plus de 50 ans depuis le renouvellement.
Si les parties ont stipulé un plus long délai, le contrat ou le renouvellement ne sera pas nul, mais seulement réduit au terme permis par la loi. Il était nécessaire de le dire, car dans les contrats onéreux, les clauses prohibées ont souvent pour effet de vicier le contrat (v. art. 413). Ici cela eût été d'une rigueur exagérée.
On verra plus loin (art. 157) que l'emphytéose suit les règles du bail ordinaire, lorsqu'il n'y est point dérogé spécialement.
Une de ces règles est relative à la tacite réconduction, lorsque, la durée du bail étant expirée, le preneur est resté et a été laissé en possession de la chose louée (art. 151). Cette règle s'appliquera à l'emphytéose, laquelle continuera aux mêmes conditions que les précédentes, sauf la durée qui cessera par un congé; et comme la loi n'augmente pas l'intervalle entre le congé et la sortie, on appliquera ledit article 151.
Les droits des tiers seront d'ailleurs respectés conformément à l'art. 147.
A l'égard des contrats antérieurs à la mise à exécution de la présente disposition et ayant le caractère de baux perpétuels, la loi fait une distinction qui permettra de tempérer le principe de la non-rétroactivité des lois en faveur de l'intérêt public qui se trouve engagé ici.
1° Pour les baux de terres en friches ou incultes, auxquels les parties n'auront pas assigné de durée déterminée ou qu'elles auront qualifié “Eigosaku” , la loi réserve au législateur le droit de prendre dans l'avenir, pour les réduire, telle mesure qui lui paraîtra commandée par les circonstances: il est bon d'y préparer les exprits, car ce sera une nécessité très probable;
2° Les baux, au contraire, auxquels les parties avaient assigné une durée déterminée, même supérieure à 50 années, seront respectés et il est à croire qu'ils ne seront jamais atteints pour une loi future, à cause de leur moindre inconvénient.
La loi annonce ainsi à l'avance que le principe général de la non-rétroactivité des lois pourra ici recevoir une atteinte. Mais il est reconnu que ce principe n'est pas constitutionnel et qu'il peut toujours recevoir une atteinte par la loi, dans des cas exceptionnels et graves. Or, ici, l'exception sera très nécessaire et légitime. La règle de la non-rétroactivité est fondée sur le respect des droits acquis sour l'empire d'une ancienne loi. La loi nouvelle les respecte absolument, lorsque l'emphytéose établie avait dès l'origine une durée fixée: les parties en ont fait la loi de leur convention. Mais quand l'emphytéose a été stipulée perpétuelle, les parties ne peuvent avoir absolument compté sur la perpétuité qui est si peu dans l'ordre des choses humaines. Si la loi future ne permet de mettre fin aux emphytéoses stipulées perpétuelles qu'après un temps très long, 50 ans, par exemple, elle aura satisfait à la justice et à la raison.
Du moment que l'emphytéose est une sorte particulière de bail, il se présentera, peut-être fréquemment, une question dans la pratique, à savoir: à quel signe reconnaîtra-t-on que les parties ont entendu faire un contrat d'emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire?
D'abord, si les parties ont donné au contrat son nom légal, il n'y aura pas de difficulté. Mais, si elles ont négligé cette précaution, les tribunaux ne pourront décider la question que par les circonstances.
La durée du bail sera une indication importante: si le bail est fait pour plus de 30 années, il y aura présomption que les parties ont voulu établir une emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire, puisque le bail ordinaire ne peut excéder cette durée; s'il s'agit de terres en friches ou incultes, la présomption sera encore fortifiée Mais si, dans le contrat, se trouvent certaines clauses qui ne se rencontrent que dans le bail ordinaire, par exemple, sur la garantie de jouissance, on devra décider que les parties ont voulu faire un bail ordinaire et la durée en sera réduite à 30 ans. Dans le doute, on devra encore décider que les parties ont fait un bail ordinaire; car l'emphytéose restera toujours une exception et les exceptions ne se présument pas: elles doivent être prouvées par la partie intéressée.
Art. 156. Les observations faites sous l'article 117, au sujet de l'impossibilité d'établir un droit de bail autrement que par contrat, s'appliquent au bail emphytéotique.
Art. 157. L'objet de ce paragraphe est de déterminer les règles particulières à certains baux; dès lors, tous les points sur lesquels il n'est pas introduit ici de dérogations expresses ou tacites au droit commun continuent à y être soumis.
Mais il va de soi que le bail emphytéotique, à cause de sa longue durée, n'est pas permis aux administrateurs de la chose d'autrui, ni à ceux qui n'ont que l'administration et non la disposition de leurs biens (v. art. 119 à 122): les baux à long terme ne sont pas des actes d'administration.
Art. 158, 159 et 160. Le but principal de l'emphytéose étant de favoriser la mise en culture de terrains jusque-là en friches, il est naturel que le preneur ait un pouvoir plus étendu sur la chose louée que dans le louage ordinaire.
La loi indique ici une première limite à la liberté du preneur; mais cette limite n'est ni étroite ni gênante: il suffit que le preneur ne diminue pas la valeur du fonds d'une manière “permanente,” ce qui veut dire que, lors même que les premières transformations du fonds en diminueraient temporairement la valeur ou le produit, ce qui sera généralement inévitable, le preneur ne serait pas inquiété, du moment que des améliorations en devraient être la conséquence ultérieure.
Ainsi, si le preneur défriche des buissons de peu de valeur, pour les remplacer par des cultures de riz ou autres produits alimentaires ou industriels, il y aura un moment où le fonds ne donnera même plus le minime revenu antérieur et ne donnera pas encore de nouveaux produits: mais cet état transitoire est une nécessité pour laquelle le preneur ne peut être critiqué.
Il en est de même, s'il dessèche un marais; le terrain sera d'abord bouleversé par les terrassements et il ne produira même plus de roseaux; mais, plus tard, il pourra devenir très fertile.
Le dessèchement des marais ne doit pas rencontrer d'obstacles, parce que les eaux stagnantes sont toujours inutiles et souvent nuisibles.
Au contraire, la suppression de grands arbres ou de bâtiments pourrait être considérée comme une détérioration permanente; elle serait même irréparable pour les arbres: les articles 159 et 160 y mettent obstacle.
A l'égard des cours d'eau, l'emphytéote peut les modifier, chaque fois que ce sera pour le bien de la propriété, et il est à présumer qu'autrement, il ne fera pas cette dépense. Il ne pourrait les supprimer, par exemple, en les détournant sur les voisins, même avec leur consentement: un cours d'eau, à la différence d'un marais, a toujours une grande utilité pour l'irrigation ou l'industrie.
La loi ne parle que des cours d'eau traversant le fonds; car, pour ceux qui ne font que le border, les limites au droit du preneur tiennent surtout au droit de l'autre riverain. Il en sera parlé au Chapitre des Servitudes.
Les bois taillis, dont il a déjà été question au Chapitre de l'Usufruit, sont des bois qui se coupent périodiquement au ras (au niveau) du sol et qui repoussent continuellement. L'emphytéote en jouira comme un preneur ordinaire, lequel en jouit lui-même comme un usufruitier. Mais il ne pourra pas défricher de tels bois, sans le consentement du propriétaire.
A l'égard des arbres dits “à haute tige,” la loi fait une distinction facile à justifier: s'ils n'ont pas 20 ans et ne sont pas de nature à être coupés périodiquement, comme, par exemple, les arbres résineux, le preneur pourra les couper; s'ils ont plus de 20 ans, il ne le pourra pas; à moins encore qu'ils ne soient déjà assez âgés pour que leur croissance doive cesser avant la fin du bail, auquel cas, il peut les couper, mais seulement quand le propriétaire n'a plus d'intérêt à leur conservation, c'est-à-dire quand leur croissance est finie.
Du reste, on ne considèrerait pas comme devant être respectés par le preneur, quelques bouquets d'arbres disséminés sur le fonds: ce pourrait être une entrave à la transformation et à la mise en culture du sol; il y a là une question de fait, qui, en cas de contestation, serait tranchée par les tribunaux.
La disposition de l'article 160 a de l'analogie avec celle concernant les arbres.
Le preneur ne peut jamais supprimer les bâtiments principaux, à moins qu'il ne fasse reconnaître et accepter par le propriétaire l'avantage de leur suppression ou de leur remplacement.
A l'égard des bâtiments accessoires qui n'ont pas la même importance et qui varient nécessairement avec le genre d'exploitation du fonds, le preneur doit avoir une plus grande facilité de les changer. Il suffit, pour qu'il ait ce droit, que leur durée ne puisse dépasser celle du bail; alors, comme le propriétaire n'aurait pas pu compter les retrouver un jour en état de servir, il lui importe peu qu'ils soient détruits plus tôt.
Dans le cas contraire, son consentement est nécessaire pour leur suppression.
Art. 161. L'obligation pour le preneur de laisser au propriétaire les arbres arrachés et les matériaux des bâtiments supprimés, outre qu'elle est conforme au principe du droit de propriété, a encore l'avantage d'ôter au preneur tout intérêt à détruire sans nécessité, même quand il en a le droit, les constructions ou plantations établies déjà sur le fonds.
Art. 162. A la différence de l'usufruitier et par assimilation au preneur ordinaire, l'emphytéote n'a aucun droit aux produits, ni aux redevances des mines, même de celles qui se trouvent en exploitation au moment où son droit s'est ouvert. Les mines s'exploitant par galerie, sont tout-à-fait indépendantes de la surface arable, objet de l'exploitation de l'emphytéote.
L'exception portée à la fin de l'article se justifie, au contraire, par le but de l'emphytéose.
Art. 163. Le droit de l'emphytéote sur les carrières ne diffère de celui d'un usufruitier et d'un preneur ordinaire que lorsque ces carrières ne sont pas encore en exploitation: dans ce cas, l'emphytéote peut les ouvrir pour y prendre les matériaux nécessaires non-seulement à l'entretien et à la réparation des digues, murs ou bâtiments, mais encore pour l'amélioration du fonds; toujours, parce que l'emphytéose a pour but principal l'amélioration et la mise en valeur de sols jusque-là incultes.
Art. 164 et 165. Ces articles présentent une des grandes différences entre l'emphytéose et le bail ordinaire.
La destination de ce bail à long terme, qui est surtout de mettre en culture des terres jusque-là incultes, est incompatible avec l'obligation pour le bailleur de procurer et garantir une jouissance normale et régulière de la chose. On a dit aussi, sous l'article 155, que ce serait engager pour un temps trop long la responsabilité du bailleur et de son héritier.
Le bas prix du bail et la fécondité naturelle des terres nouvellement défrichées seront, ordinairement, pour le preneur, une compensation suffisante des accidents ou obstacles à la jouissance qu'il pourrait rencontrer.
Mais l'absence de garantie de jouissance n'exclut pas la garantie de l'existence même du droit que le bailleur a prétendu conférer par le contrat d'emphytéose. Si donc l'emphytéote était évincé par un tiers établissant que le bailleur n'était pas propriétaire, ce dernier serait de droit garant de l'éviction envers le preneur.
Art. 166. La disposition de cet article sépare encore l'emphytéote du preneur ordinaire, lequel ne paye aucun des impôts fonciers; elle le rapproche de l'usufruitier, mais avec une aggravation, car ce dernier ne fait que contribuer aux impôts extraordinaires, sans les supporter en entier.
La raison de cette double différence est encore le bas prix probable du bail et, en outre, la considération suivante: les terres données à emphytéose, prenant avec le temps une plus grande valeur, seront taxées à un chiffre progressivement plus élevé qu'à l'origine; or, le bailleur ne voyant pas s'élever progressivement la redevance annuelle, il serait injuste qu'il acquittât les impôts.
Si les lois de finances autorisent le Trésor à recouvrer l'impôt sur le propriétaire, il aura un recours contre l'emphytéote.
Art. 167. La solidarité et l'indivisibilité entre les emphytéotes sont encore propres à l'emphytéose et se fondent sur la longue durée du bail, en même temps que sur la probabilité qu'il y aura souvent plusieurs preneurs associés.
Si l'obligation de payer la redevance n'était pas solidaire et indivisible, le bailleur serait exposé à de grands embarras pour recouvrer ladite redevance: il arriverait souvent que des décès substitueraient plusieurs successeurs à leur auteur; la redevance se morcellerait à l'infini et, en cas d'insolvabilité d'un ou plusieurs d'entre eux, la résolution du contrat ne pourrait être obtenue que partiellement, ce qui serait un grand inconvénient pour le bailleur, ou si l'on admet, ce qui est naturel, que la résolution soit indivisible, il est plus simple que l'obligation du payement le soit d'abord elle-même.
Tous ces inconvénients disparaissent au moyen de la solidarité et de l'indivisibilité réunies dont il sera traité au Livre des Garanties; les effets généraux en sont réglés aussi à la partie des créances (art. 441 et s.): il suffira qu'un seul des preneurs originaires ou un seul de leurs successeurs soit solvable, pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à la résolution, et si tous sont insolvables, la résolution aura lieu en entier.
La loi ne réserve pas le cas de convention contraire; mais c'est un principe général que les conventions privées peuvent toujours diminuer les effets légaux d'un contrat, comme elles peuvent les étendre, lorsqu'il n'y a rien dans la convention de contraire à l'ordre public.
C'est ainsi que la disposition du présent article, qui n'existe pas dans le bail ordinaire, pourrait y être suppléée par convention expresse.
Art. 168. Il y a ici une nouvelle différence entre les baux emphytéotiques et les baux ordinaires: dans le bail ordinaire, il suffit que le preneur manque à payer l'un des termes exigibles pour que le bailleur puisse faire résoudre le contrat; ici, la loi est moins rigoureuse pour l'emphytéote à cause des difficultés souvent imprévues de l'entreprise.
En outre, comme les pertes de récoltes et autres privations de jouissance n'autorisent pas le preneur à demander une diminution du prix de bail, il est juste de lui accorder quelques délais, en cas d'embarras dans ses affaires.
Mais si le preneur a d'autres créanciers qui le mettent en faillite et poursuivent la vente de ses biens, alors il est impossible de refuser au bailleur le moyen de sauvegarder ses droits. Pour ce qui concerne le remboursement des impôts payés par le propriétaire, le défaut d'un seul payement suffirait pour faire prononcer la résolution contre l'emphytéote: le propriétaire pourrait souffrir beaucoup de cette avance de fonds non remboursée.
Art. 169. Cette disposition avait été réservée par l'article 165 comme un correctif du manque de garantie de la jouissance par le bailleur.
La loi prévoit deux cas où le preneur peut lui-même faire résilier le contrat.
On peut supposer, pour le premier cas, une guerre ou une inondation qui aurait tellement dévasté le fonds qu'il ne donnerait aucun revenu pendant trois années.
Dans le second cas, la perte des revenus n'est pas totale, mais elle est telle que, désormais, les profits ne pourront dépasser la redevance à payer: ce serait la ruine du preneur à courte échéance.
On peut supposer, pour l'application de ce second cas, la destruction de plantations, de travaux d'irrigation ou de desséchement qui ont coûté des sommes plus ou moins considérables et que le preneur ne peut ou ne veut recommencer: s'il en résulte que les profits soient diminués au point de ne pas lui laisser d'excédant après avoir payé la redevance, il peut faire résilier le bail.
Art. 170. Le principal but de l'emphytéose étant, comme on l'a dit plusieurs fois, l'amélioration des terres, et le prix du bail étant ordinairement faible, il est naturel que l'amélioration du fonds profite au bailleur, lorsque le contrat a pris fin et que le preneur a pu en tirer un profit légitime.
D'ailleurs, à part l'enlèvement des arbres, que la loi refuse, parce qu'ils ont peu coûté au moment de la plantation, les autres améliorations, étant plus ou moins incorporées au sol, seraient difficiles à évaluer et deviendraient une source de contestations: il est donc naturel qu'elles restent au bailleur sans indemnité.
Au contraire, les constructions peuvent avoir coûté beaucoup à établir et sont faciles à distinguer du sol: il serait dur pour le preneur de les laisser sans indemnité. Il pourra donc les enlever, à moins que le bailleur ne préfère les acquérir, en lui en payant la valeur, suivant les règles établies aux articles 70 et 144.
§ II. DE LA SUPERFICIE.
Art. 171. Dans les pays où le prix du sol est relativement élevé, il s'est établi une modification du droit de propriété dont le présent article donne le caractère principal: le sol même, le tréfonds, appartient à une personne et les édifices ou superficies appartiennent à une autre.
On pourrait s'étonner que, le droit de superficie étant, comme le dit notre article, un droit particulier de propriété, il n'en ait pas été traité au Chapitre même de la Propriété. Mais le superficiaire n'a pas la propriété du tréfonds; il n'a pas même celle de la surface du sol sur laquelle portent ses constructions ou plantations; enfin, il paye une redevance annuelle comme un preneur, et même comme un preneur à emphytéose; il est donc naturel de réunir l'emphytéose et la superficie, comme il est d'usage d'ailleurs dans les pays qui admettent ces deux droits.
Art. 172. Le but du présent article est de faire remarquer la grande différence qu'il y a entre la superficie et le bail, soit ordinaire, soit emphytéotique: tandis que ces deux sortes de baux ne peuvent s'établir que par un contrat spécial, le droit de superficie, étant surtout un droit de propriété immobilière, quoique limité, comporte les mêmes modes d'établissement que la propriété ordinaire réunissant le sol et les bâtiments ou plantations.
Il se transmet aussi de la même manière: notamment, par succession; sous ce rapport, il ressemble au bail, mais cela le sépare de l'usufruit.
Au surplus, la loi réunit dans cet article deux hypothèses qui ne sont pas tout-à-fait identiques:
1° Des constructions et plantations existent déjà au moment de l'établissement du droit de superficie: alors il y a aliénation principale de celles-ci, le bail du sol n'étant que l'accessoire:
2° Le sol a été spécialement loué “pour bâtir ou pour planter” : alors le droit de superficie ne naîtra qu'avec les constructions mêmes ou les plantations, sans nouvel acte entre les parties; on peut dire, dans ce cas, que le droit de superficie résultera de l'accomplissement de la condition du bail qui peut, dès lors, excéder 50 ans, comme on le verra plus loin, pourvu que les bâtiments ou plantations soient établies avant 30 ans.
Dans le premier cas, il est évident que le superficiaire devient un acquéreur d'immeubles, soit par vente ou échange, soit par donation; dès lors, on applique à la constitution du droit de superficie les règles des cessions d'immeubles, tant pour la capacité d'aliéner que pour les formes à observer dans l'acte et pour les conditions de publicité à remplir dans l'intérêt des tiers, telles qu'elles sont établie dans la IIe Partie du présent Livre. Dans le second cas, l'acte sera soumis à la publicité comme bail; il exigera aussi la capacité d'aliéner, puisqu'il excède les pouvoirs d'un simple administrateur.
Art. 173. Le cas où le superficiaire payera une redevance annuelle sera, sans doute, le plus fréquent, parce que, lors même qu'il y aura des constructions ou plantations, elles ne lui auront été cédées, généralement, que pour leur valeur actuelle et intrinsèque: la redevance compensera alors la jouissance temporaire du sol.
Incontestablement, il y aura toujours une redevance à payer, lorsque, en l'absence de constructions actuelles, le superficiaire aura acheté seulement “le droit de bâtir.”
Il est naturel, en pareil cas, d'appliquer les règles du bail emphytéotique, spécialement, en ce qui concerne la solidarité et l'indivisibilité (art. 167) et le défaut de payement de la redevance (art. 168).
Art. 174. Il arrivera, le plus souvent, sans doute, que les parties détermineront l'étendue du terrain accessoire des bâtiments cédés au superficiaire; mais la loi doit toujours suppléer à l'imprévoyance des parties, en s'attachant à leur intention probable. Or, il est évident que l'acheteur de la superficie n'a pas entendu n'avoir que les bâtiments, sans aucun terrain alentour: autrement, l'usage lui en serait presque impossible.
La loi fait une chose juste et raisonnable, en accordant au superficiaire une portion de terrain égale à la surface totale de l'assise des bâtiments.
Sans doute, dans les grandes villes, où le terrain a une grande valeur, ce pourrait être un trop lourd sacrifice du propriétaire; mais, c'est à lui de limiter ce terrain accessoire dans le contrat même.
La détermination de cet espace environnant les constructions sera faite par experts, quand elle ne le sera pas d'un commun accord par les parties.
Si le terrain manquait, d'un ou plusieurs côtés, le superficiaire ne pourrait prétendre à une compensation des autres côtés, parce qu'il n'a pu compter sur un espace que la nature des lieux ne présentait pas; c'est pourquoi la loi dit qu'on tiendra compte de la configuration du sol; on tiendra compte aussi de la destination des diverses parties du bâtiment: on distinguera ce qui est destiné au service domestique de ce qui a rapport à l'habitation du maître; de même, s'il s'agit d'une maison destinée au commerce ou à l'industrie, le sol environnant sera réparti autrement que s'il s'agit d'une maison d'agrément.
Pour ce qui concerne l'espace environnant les arbres, il fallait aussi que la loi suppléât au silence des parties, car il est clair qu'elles n'ont pas entendu que le superficiaire n'eût que l'espace occupé par le tronc des arbres.
Il était impossible de s'attacher à l'espace occupé par les racines; car, outre que cet espace est variable et progressif, la vérification en est difficile et nuisible aux arbres. La loi a adopté la solution la plus favorable au superficiaire. Si le cédant la trouve excessive, il la réduira par le contrat.
Lorsque le terrain a été loué “pour bâtir,” le superficiaire est présumé avoir tenu compte des dimensions de terrain nécessaires pour le service de ses constructions et il ne pourrait en demander plus tard un supplément.
Art. 175. Il a paru bon d'exprimer que le superficiaire, bien qu'il plante ou construise en vertu d'un droit qui lui a été cédé par celui dont il va se trouver voisin, doit observer les distances prescrites par la loi pour les constructions et plantations: la situation n'est pas différente pour le superficiaire de celle d'un acheteur de sol qui se trouverait voisin de son vendeur. Le voisin de son côté sera soumis aux mêmes obligations vis-à-vis du superficiaire.
Art. 176. La loi ne pouvait soumettre le droit de superficie à la même durée que l'emphytéose: cette durée aurait pu être excessive dans certains cas et insuffisante dans d'autres.
Elle distingue si le titre constitutif a assigné ou non une durée déterminée au droit de superficie.
Au premier cas, la convention sera observée. Au second cas, il eût pu paraître raisonnable de s'attacher à la nature des constructions (pierres, briques ou bois) et de faire durer le droit en raison directe de la solidité probable des édifices, répondant d'ailleurs au coût probable de leur établissement; mais, dans chacun de ces genres de constructions, il y a bien des variétés possibles; en outre, si les bâtiments existaient déjà au moment où la superficie avait été cédée, il était possible qu'ils eussent déjà une plus ou moins grande ancienneté. Le système auquel la loi s'est arrêtée répond à l'intention probable des parties: le droit durera autant que les bâtiments.
Mais le superficiaire pourrait abuser de sa position, en remettant les bâtiments à neuf, périodiquement et à mesure qu'ils seraient menacées de tomber de vétusté.
La loi prévient cette fraude, qui éterniserait presque le droit de superficie, en défendant les grosses réparations ou réconfortations. Le superficiaire ne pourra faire ces travaux que si le propriétaire l'y autorise et il est clair que celui-ci pourra mettre à cette autorisation les conditions qu'il jugera à propos; dans tous les cas, les droits des tiers seront respectés.
Pour ce qui concerne les plantations, le système de la loi est également facile à justifier: quand les arbres ont atteint leur plus grand développement utile, c'est-à-dire, quand ils ne gagneraient pas à être conservés, le droit doit cesser: le superficiaire les arrachera et son droit prendra fin, faute d'objet. Il en serait évidemment de même, si les arbres étaient détruits par accident.
Dans ce même cas où le droit de superficie n'a pas de durée fixée par le titre constitutif (ou par un acte postérieur toujours possible), le superficiaire peut y mettre fin par un congé; mais la loi refuse ce droit au propriétaire.
Le motif de cette différence entre la superficie et le bail, tant ordinaire qu'emphytéotique, où le droit de donner congé d'un bail d'une durée indéterminée est réciproque, est que la superficie est un droit de propriété de bâtiments et plantations, bien plus qu'un bail du sol; or, il ne doit pas être permis au propriétaire du sol de mettre fin à un droit de propriété d'autrui. Au contraire, le superficiaire peut ne pas trouver un profit suffisant de ses bâtiments ou plantations, ou il peut désirer les transporter ailleurs; il est donc juste qu'il puisse abandonner son droit: il lui suffit pour cela de prévenir le propriétaire un an à l'avance ou de perdre une annuité.
La loi ne s'arrête pas au cas, plus rare, où il aurait été assigné au droit de superficie une durée déterminée: il faut, naturellement, que, dans ce cas, le droit cesse de plein droit à l'arrivée du temps fixé, et qu'il n'y aura pas lieu à tacite réconduction.
Le motif de cette dérogation au droit commun du bail, tant ordinaire qu'emphytéotique est qu'au cas de tacite réconduction, il faudrait encore un congé pour y mettre fin; or dans ce cas, il serait impossible de ne pas accorder aux deux parties un droit égal de le signifier. Mieux vaut donc refuser ce droit à l'une et à l'autre et observer les conditions premières du contrat; le superficiaire d'ailleurs n'en éprouvera pas un dommage imprévu, car il a dû songer d'avance à se retirer et à disposer de ses bâtiments ou plantations. Mais, bien entendu, il pourra toujours y avoir une réconduction expresse: la loi ne présume plus la volonté des parties, mais elle ne prétend pas défendre de l'exprimer.
Art. 177. Dans certains pays d'Europe, où le droit de superficie est toujours établi pour un délai préfix, les constructions et plantations sont, à l'expiration du délai, acquises au propriétaire du fonds, sans indemnité. On ne peut pas dire que ce soit injuste, le superficiaire ayant accepté d'avance cette condition rigoureuse, portée dans la loi ou dans la convention.
Dans d'autres pays, le propriétaire du sol ne reprend les bâtiments acquis par le superficiaire, à l'origine, ou édifiés par lui, qu'à charge de les payer: c'est un droit légal de préemption.
C'est ce dernier système qu'on a préféré pour le Japon et qu'on avait adopté déjà pour l'usufruitier, pour le preneur ordinaire et pour l'emphytéote.
Art. 178. La loi a dû se préoccuper ici, comme au sujet de l'emphytéose, de l'influence de ces nouvelles dispositions sur les droits de superficie qui se trouveront déjà établis au moment de la mise à exécution du présent Code.
Conformément aux principes de la non-rétroactivité des lois, elle respecte les droits acquis.
De là deux dispositions distinctes:
1° Pour les droits auxquels les parties ont assigné une durée déterminée, il y a pour chacune d'elles, un droit acquis, en vertu de la convention, à jouir, pendant tout le temps fixé, soit de la superficie, soit de la redevance: la loi le respecte absolument. Il faudra cependant distinguer le cas où il serait prouvé que le terme a été fixé dans l'intérêt du superficiaire seul, ce qui sera le plus fréquent: dans ce cas, il pourra se retirer, en observant les règles et conditions antérieurement reçues;
2° Pour les droits qui n'avaient pas de durée fixée, le droit durera autant que les bâtiments, si le superficiaire ne le fait cesser auparavant par un congé.
A l'égard du droit de préemption qui n'existe pas aujourd'hui dans les coutumes japonaises, et que la loi nouvelle admet, il est déclaré applicable aux anciens droits de superficie.
CHAPITRE IV.
DE LA POSSESSION.
§ 1er. DES DIVERSES ESPÈCES DE POSSESSION ET DES CHOSES QUI EN SONT SUSCEPTIBLES.
Art. 179 et 180. Dans le sens le plus simple et, en même temps, le plus usité du mot, la possession est “le fait d'avoir une chose à la libre et entière disposition.” Mais comme la possession s'applique aux droits plus encore qu'aux choses corporelles, il vaut mieux la définir “l'exercice d'un droit, réel ou personnel,” que l'on a ou que l'on prétend avoir ".
La possession consiste dans des faits plus ou moins répétés, tels que les accomplit ordinairement celui auquel appartient réellement le droit dont il s'agit.
Quand ce fait est réuni au droit, ce qui est le cas normal et le plus fréquent, la loi n'a guère à s'en occuper: les garanties qu'elle accorde au droit lui-même s'appliquent en même temps au fait de la possession.
Mais quand celui qui possède n'a pas en réalité le droit qu'il prétend avoir ou quand, l'ayant, il n'est pas en mesure de le prouver, alors la loi ne cesse pas de lui accorder encore certains avantages, à commnecer par la garantie de sa possession elle-même, laquelle lui sera maintenue ou rendue par des actions spéciales dites possessoires, s'il est troublé ou dépossédé par un tiers moins intéressant que lui.
Or, une situation ainsi reconnue par la loi et garantie par des actions en justice n'est pas seulement un fait: elle a bien tous les caractères d'un droit et on peut l'appeler “droit de possession” ; aussi l'article 2 fait-il figurer la possession dans l'énumération des droits réels.
La définition qui précède ne s'applique qu'à la possession civile. L'article 179 en reconnaît deux autres: la possession naturelle et la possession précaire; à l'une et à l'autre, il manque un caractère essentiel, celui de l'intention, chez le possesseur, d'avoir à soi la chose ou le droit possédé; dès lors, ces deux possessions ne procurent pas les mêmes avantages et ne sont pas garanties par les mêmes actions en justice, comme cela résulte des dispositions ultérieures.
Ce n'est que dans la Section IIIe qu'on verra quels sont les avantages attachés à la possession civile. Pour le moment et afin de donner intérêt à ce que la loi dit ici des diverses espèces de possession, il suffit d'annoncer que la possession civile peut procurer au possesseur trois avantages: 1° elle établit en sa faveur une présomption légale que le droit qu'il exerce comme sien lui appartient en réalité, sauf la preuve contraire; 2° elle peut lui faire acquérir les fruits et produits de la chose possédée; 3° elle peut le mener au bénéfice de la prescription dite “acquisitive” .
Mais ces avantages sont plus ou moins complets, suivant certaines distinctions: la possession peut être fondée sur une juste cause ou non, être de bonne foi ou de mauvaise foi, enfin être vicieuse ou exempte de vices. Ces distinctions sont l'objet des articles suivants.
Art. 181. La loi définit le juste titre ou la juste cause. Les actes juridiques qui ont ce caractère peuvent être onéreux, comme la vente, l'échange, la société, ou gratuite, comme la donation ou le legs.
Il ne faudrait pas voir l'opposé du juste titre dans le louage, le prêt, le mandat; celui qui possèderait en vertu de pareils titres ne pourrait avoir l'intention d'avoir à soi, laquelle est le caractère distinctif de la possession civile: il n'aurait que la possession précaire, objet de l'article 185, ci-après.
L'opposé du juste titre, c'est l'absence de titre, c'est-à-dire l'usurpation; la possession est dite alors injuste ou sans cause.
Art. 182. La possession civile caractérisée par “l'intention d'avoir à soi” n'implique pas nécessairement la bonne foi, c'est-à-dire la croyance chez le possesseur que le droit lui appartient: il peut être de bonne ou de mauvaise foi, avec des effets différents.
La bonne foi suppose un juste titre, tel qu'il est défini à l'article précédent, c'est-à-dire un titre d'une apparence légitime, mais manquant d'une condition essentielle: la qualité, chez le cédant, nécessaire à lui permettre de conférer le droit dont il s'agit. Si le possesseur ignore ce défaut de qualité, ce vice de son titre, il est de bonne foi; dans le cas où il n'a pas cette ignorance, il est de mauvaise foi.
Mais pour que l'ignorance du possesseur le constitue de bonne foi, il faut qu'elle provienne d'une erreur de fait et non d'une erreur de droit. Ainsi le possesseur croit avoir traité avec le véritable propriétaire et il y a eu erreur sur la personne, ou avec son mandataire et le mandat était révoqué; il est de bonne foi, dans le sens de la loi. Mais s'il a cru traiter valablement avec un mineur, ou s'il a ignoré que certaines formalités étaient nécessaires pour la validité de l'acte sur lequel il prétend fonder son droit, il pourra être honnête, mais il ne sera pas de bonne foi.
Cette honnêteté pourtant ne lui sera pas inutile, comme on le verra à l'article 194 auquel renvoie notre article.
C'est au moment où l'acte a été fait que la loi requiert la bonne foi, pour que la possession ait tous ses avantages. Si le possesseur découvre plus tard le vice de son titre, il ne perd pas rétroactivement le bénéfice de sa bonne foi: ainsi, il continuera à jouir d'une prescription plus courte que s'il avait été de mauvaise foi à l'origine; mais il ne gagnera plus les fruits et produits de la chose perçus postérieurement à sa découverte.
Art. 183. L'existence des deux vices de la possession ici prévus n'exclut pas nécessairement le juste titre et la bonne foi.
Sans doute, une possession obtenue par la violence sera rarement fondée sur un juste titre; cependant, si quelqu'un avait été contraint à vendre un bien qu'il possédait, le nouveau possesseur aurait dans la vente un juste titre et, s'il avait cru aux droits de son cédant, il serait de bonne foi, mais sa possession serait vicieuse; de même, si, ayant acheté sans violence d'un autre que le vrai propriétaire, le possesseur ne s'était maintenu en possession que par des menaces contre le vrai propriétaire désirant recouvrer sa chose. Dans ce dernier cas, il pourrait aussi y avoir bonne foi; car on peut mettre d'autant plus d'âpreté à défendre sa possession qu'on la croit plus légitime.
La clandestinité est encore mieux compatible avec le juste cause et avec la bonne foi. Ainsi, quelqu'un ayant acheté une chose qu'il croyait appartenir à son cédant, a, depuis lors, découvert son erreur; craignant alors la revendication du vrai propriétaire, il a dissimulé sa possession, de manière à ne pas attirer l'attention de celui-ci: sa possession, qui est toujours considérée comme de bonne foi, à l'origine, est devenue vicieuse, après avoir été régulière et utile.
Lors même que, dans beaucoup de cas, le vice de violence ou celui de clandestinité se rencontrerait avec le défaut de titre ou avec la mauvaise foi, il ne serait pas moins très important de séparer ces qualités défavorables de la possession; en effet, le défaut de titre ou de juste cause et la mauvaise foi retardent le bénéfice de la prescription, mais ne le suppriment pas; il en est autrement de la violence et de la clandestinité.
On vera plus loin l'influence de la violence et de la clandestinité sur l'acquisition des fruits.
La loi indique clairement comment le vice de la possession peut cesser. Il va sans dire que le changement de qualité de la possession n'est que pour l'avenir et sans rétroactivité, comme cela a lieu pour la bonne ou la mauvaise foi, d'après l'article précédent.
Remarquons, en terminant, que les deux vices de la possession dont il s'agit sont relatifs et non absolus.
Ainsi, la possession acquise ou conservée par des menaces contre une personne n'empêcherait pas de prescrire ou d'acquérir les fruits contre une autre personne qui se trouverait être le vrai propriétaire et à l'égard de laquelle on n'aurait usé d'aucune menace.
Il en est de même d'une possession qui aurait été clandestine ou dissimulée à l'égard d'une personne que le possesseur croyait par erreur le vrai propriétaire, et qui aurait été, au contraire, connue de celui-ci, parce que le possesseur ne se croyait aucun intérêt à la lui dissimuler.
En sens inverse, le défaut de juste titre et la mauvaise foi sont des qualités défavorables de la possession qui peuvent être opposées au possesseur par tout intéressé: leur effet nuisible est absolu et non pas relatif.
Art. 184. La possession naturelle est un pur fait, tout physique et matériel, sans rien de juridique. La loi peut le constater, le tolérer, mais elle ne le protège pas: elle ne lui accorde aucune des garanties et ne lui reconnaît aucun des effets avantageux qui caractériseront la possession civile et en font un droit.
Les cas de possession naturelle ne sont pas rares: il arrive souvent qu'à la faveur du voisinage, de la parenté ou de l'amitié, on se sert du bien d'autrui, d'un meuble ou d'un immeuble, sans autorisation du vrai propriétaire, quelquefois à son insu, mais sans intention de se l'approprier, ni sans prétendre avoir aucun droit sur cette chose. C'est une possession naturelle.
Si l'on faisait usage de la chose d'autrui avec la permission du propriétaire, comme en vertu d'un prêt à usage, ou si on la détenait en vertu d'un dépôt, la possession serait toujours naturelle; mais elle prendrait spécialement le nom de précaire, comme il est dit à l'article suivant.
Le présent article, en nous disant que les biens du domaine public ne sont susceptibles que de possession naturelle, de la part des particuliers, consacre ce qui a été dit sous l'article 26, à savoir que ces biens ne peuvent appartenir à des personnes privées, ni être pour elles l'objet d'un droit. Il en résulte que, lors même qu'un particulier détiendrait une portion du domaine public, en s'en prétendant propriétaire, sa position ne serait pas meilleure que s'il n'avait aucune prétention de ce genre.
Il ne faudrait pas en conclure la réciproque. Ainsi, l'Etat pourrait très bien posséder civilement, comme faisant partie du domaine public, des biens appartenant à des particuliers, justement, parce que la nature de ces biens ne s'oppose pas à leur facile changement de destination: un bien privé peut passer dans le domaine public sans aucune formalité particulière, dès qu'il est régulièrement affecté à un service national; tandis qu'un bien du domaine public ne peut devenir bien privé qu'après avoir été déclassé.
On remarquera que la loi n'étend pas à toutes les choses qui sont hors du commerce, d'après l'article 26, la disposition prohibitive qui concerne les choses du domaine public.
Art. 185. La possession précaire peut être considérée comme une variété de la possession naturelle, puisque le possesseur ne prétend pas avoir pour lui la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce et que de plus, il détient la chose ou exerce le droit pour une autre personne, soit en vertu d'un mandat ou d'une gestion d'affaires spontanée, soit en vertu d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'un autre contrat l'obligeant à conserver la chose avec soin et à la restituer à l'autre contractant.
D'un autre côté, cette personne pour laquelle possède le possesseur précaire se trouve avoir elle-même par celui-ci la possession civile, si elle a l'intention d'avoir à soi la chose ou le droit possédé: c'est elle qui aura les trois avantages de la possession et les actions qui la garantissent.
Il faut considérer également comme possesseurs précaires ceux qui détiennent à titre de gage, d'antichrèse, d'usufruit, de servitude ou de louage.
Cependant ces personnes ont un droit réel qu'elles exercent en leur nom, pour leur compte, et non pour le compte et dans l'intérêt d'autrui. Quand on dit que ce sont des possesseurs précaires; c'est par rapport au droit de propriété qu'on l'entend. En effet, quoique ces possesseurs détiennent la chose et puissent abusivement faire des actes de propriétaire, ces actes ne les conduiront pas à la prescription acquisitive de la propriété; mais, pour ce qui est du droit même que leur confère leur titre, ils ne sont pas possesseurs précaires, ils possèdent pour eux-mêmes; bien plus, ils seront, le plus souvent, titulaires légitimes du droit qu'ils possèdent; car, dans ce cas, il n'y a pas de raison particulière de supposer qu'ils ont traité avec quelqu'un qui n'avait pas qualité pour céder le droit dont il s'agit.
Pour trouver des possesseurs précaires à l'égard de l'usufruit et des autres droits réels formant des démembrements de la propriété, il faudrait supposer des possesseurs exerçant ces droits au nom et pour le compte d'autrui, comme un tuteur, un mari, un administrateur.
La précarité pourrait être qualifiée de vice de la possession et mise, comme telle, sur la même ligne que la violence et la clandestinité. Cette assimilation serait fondée sur ce que la précarité met obstacle à la prescription et même un obstacle plus considérable, car elle est, généralement, une qualité absolue et non pas relative comme les deux autres. Mais il vaut mieux éviter de dire que la précarité est un vice de la possession, puisqu'elle ne contient en elle-même ni faute, ni dissimulation.
Puisque la précarité, à la différence de la violence et de la clandestinité, est une qualité absolue et non pas relative de la possession, le possesseur précaire ne pourra se prévaloir de sa possession, non-seulement à l'encontre de celui au nom et pour le compte duquel il possède, mais même à l'encontre d'aucune autre personne.
La précarité cesse, en principe, comme les vices de la possession, par la survenance de la qualité qui manquait à la possession: par exemple, quand le possesseur, par changement d'intention, commence à posséder pour lui-même.
Mais le principe reçoit exception et devient d'une application plus difficile, lorsque le possesseur précaire détenait la chose en vertu d'un titre qui constituait formellement sa précarité, comme un dépôt, un prêt, un louage. En pareil cas, il ne peut pas dépendre de la volonté ou de la seule intention du possesseur de transformer sa possession, au mépris d'un titre auquel le titulaire légitime du droit a participé et sur lequel il a fondé sa sécurité: il faut alors l'un ou l'autre des deux actes formels prévus par notre article, pour que la possession, de précaire qu'elle était, devienne civile.
Ces deux actes ne demandent que peu d'explications.
1° Si le possesseur précaire prétend exercer à l'avenir, en son nom et pour son compte, le droit dont il s'agit, il signifiera à celui pour le compte duquel il possédait en vertu d'un titre, que, désormais, il se considère comme titulaire du droit. La signification sera dite judiciaire, quand elle aura le caractère d'une demande en justice, et extrajudiciaire, quand elle ne constituera pas une demande en justice, mais, au moins, sera faite en bonne et due forme, par un officier public, suivant les règles de la procédure extrajudiciaire.
Dans cette signification, le possesseur donnera naturellement ses motifs; s'il ne les donne pas ou s'ils ne sont pas trouvés suffisants par son adversaire, ce dernier les contestera et le procès s'engagera; de toute manière, la précarité cesse, au moins jusqu'à la décision finale, et elle cesse vis-à-vis de tout le monde.
Toutefois, si la signification dont il s'agit avait dû être faite à plusieurs intéressés et n'avait été faite qu'à un seul, la précarité ne cesserait qu'à l'égard de celui-là; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que le vice dont il s'agit n'est absolu qu'en général: voilà un cas où il est relatif.
2° Le possesseur précaire commence à posséder civilement et pour lui-même, quand son titre est interverti, changé en un autre titre qui l'autorise à posséder désormais pour lui-même.
Ce nouveau titre peut émaner soit de celui pour lequel avait lieu la possession, soit d'un tiers.
Ainsi, quelqu'un détenait, comme dépositaire ou emprunteur, une chose qui lui avait été confiée par un autre que le propriétaire: il n'aurait pu la prescrire, ni contre le déposant, ni contre le vrai propriétaire; mais, plus tard, il fait avec le déposant ou le préteur un contrat d'achat ou d'échange qui l'autorise à posséder désormais la chose comme sienne: il la prescrira.
Le cas où le possesseur traite avec un tiers donnerait le même résultat; il sera peut-être de bonne foi, peut-être de mauvaise foi; cela influera sur le temps requis pour la prescription, mais la mauvaise foi n'empêchera pas celle-ci.
La loi n'a pas à prévoir une interversion du titre provenant du véritable propriétaire, parce qu'alors le possesseur deviendrait lui-même propriétaire et il ne serait plus question de la simple possession.
Art. 186, 187 et 188. Ces trois articles se rapportent à la preuve des qualités de la possession.
C'est un principe général que celui qui invoque un droit doit prouver que ce droit lui appartient, et, si le droit est soumis à des conditions particulières, l'existence de ces conditions doit elle-même être prouvée.
Mais quelquefois, la preuve directe serait difficile, et si, en même temps, il existe des vraisemblances, des probabilités, fondées sur les faits ordinaires de la vie, alors la loi présume, suppose, l'existence de tout ou partie des conditions dont la preuve se trouve ainsi fournie; mais la preuve contraire est permise, en général, et elle peut se faire par tous les moyens ordinaires de preuve.
Ainsi, la condition essentielle de la possession civile ou légale est que le possesseur exerce pour lui-même le droit dont il s'agit; or, comme il est bien plus fréquent qu'une personne possède pour elle-même que pour autrui, la loi présume cette condition remplie par le possesseur.
Mais le contraire aussi est possible; c'est donc à celui qui conteste la possession civile à prouver directement que la possession est précaire. Cette preuve se fera, soit par le titre même en vertu duquel la possession a été prise, par exemple, si c'est un dépôt, un prêt, un louage, soit par les circonstances du fait desquelles il résulte que le possesseur a reconnu le droit d'autrui; ces circonstances elles-mêmes se prouveront par témoins ou par des écrits publics ou privés.
Rappelons que la preuve de la précarité résultant du titre serait détruite, si le possesseur se trouvait dans l'un des deux cas prévus à l'article précédent.
L'article 187 contient deux dispositions différentes, au sujet de deux qualités très importantes de la possession civile.
D'après la première disposition, qui n'est qu'implicite, le juste titre ne se présume pas: il doit être prouvé. On pourrait dire, cependant, qu'ici encore la généralité des cas paraîtrait motiver une présomption légale favorable au possesseur; en effet, l'usurpation, la prise de possession sans titre, sont rares; mais, d'un autre côté, le juste titre, s'il existe, doit être si facile à prouver par les moyens ordinaires que la faveur d'une présomption n'a plus la même raison d'être.
Au contraire, une fois le juste titre prouvé directement, la bonne foi est présumée par la loi, et cela devait être, non-seulement parce que l'honnêteté est plus fréquente que la fraude, mais encore parce que la bonne foi serait difficile à prouver directement: elle consiste, en effet, dans l'ignorance des droits du véritable titulaire; elle a un caractère plutôt négatif que positif, et la preuve d'une négation est toujours difficile: tandis que, si la possession est de mauvaise foi, l'adversaire du possesseur le pourra facilement prouver.
Voici encore deux solutions différentes pour deux autres qualités de la possession.
La loi ne pouvait évidemment présumer la violence qui est un délit; en outre, il serait difficile au possesseur de prouver qu'il n'a pas commis de violence à l'origine, et qu'il ne s'est pas maintenu en possession par une violence continue: ce sont encore là des négations fort difficiles à prouver. En même temps, il sera très facile à l'adversaire du possesseur de prouver directement, par témoins, que celui-ci a commis des actes de violence.
Au contraire, la publicité est un fait positif et continu, dont la preuve directe par le possesseur est d'autant plus facile qu'il a dû avoir pour témoins tout le monde, au moins toutes les personnes de la localité; il n'y a donc aucune raison de présumer la publicité.
La durée de la possession n'en change pas la nature; mais elle en augmente les effets, en général. Il est vrai que le premier avantage de la possession, à savoir, la présomption d'existence du droit exercé est indépendant de la durée de la possession; mais la prescription des immeubles est subordonnée à une longue possession; l'acquisition des fruits civils qui a lieu jour par jour, sans acte de perception (art. 194), augmente avec la durée de la possession; enfin, l'exercice de deux actions possessoires est subordonné à une possession annale (art. 203); il y a donc pour le possesseur un grand intérêt à établir la durée de sa possession, et par contre, chez le vrai propriétaire, un grand intérêt à la contester.
La loi, ici encore, établit une présomption légale en faveur du possesseur: s'il prouve qu'il a possédé à deux époques différentes, plus ou moins éloignées, il est présumé avoir possédé dans l'intervalle, sauf toujours la preuve contraire, par tous les moyens possibles.
Généralement, l'une de ces époques est celle du procès entre le possesseur et le vrai propriétaire (action en revendication ou action possessoire), l'autre époque est celle qui, par son éloignement, suffirait pour assurer au possesseur le bénéfice de la prescription ou au moins de l'action possessoire. Quand le possesseur a prouvé directement sa possession à ces deux époques extrêmes, il est dispensé de prouver qu'il a possédé dans l'intervalle: outre qu'il lui serait bien difficile de prouver directement qu'il a possédé sans discontinuité, la vraisemblance de fait en ce sens est pour lui; la loi statue pour ce qui arrive le plus souvent.
SECTION II.
DE L'ACQUISITION DE LA POSSESSION.
Art. 189 et 190. L'article 189 consacre une règle déjà impliquée dans la définition donnée par l'article 180, à savoir que la possession civile a deux éléments essentiels: l'un de fait et, pour ainsi dire matériel ou corporel, l'autre d'intention et purement intellectuel. Il n'y a pas besoin d'y insister davantage: la loi devait présenter cette double condition comme nécessaire à l'acquisition de la possession.
La différence établie par l'article 190 entre le fait et l'intention se justifie aisément.
Les éléments de fait qui constituent la possession ne pourraient raisonnablement être exigés de celui même qui doit bénéficier de la possession: les moyens d'action d'un seul individu sont forcément très limités; chacun a besoin de confier à autrui une partie de ses intérêts, pour la surveillance, la conservation et même l'amélioration de ses biens.
Mais, il y a un élément de la possession qu'il est inutile et on pourrait dire défendu de déléguer, c'est l'intention, la volonté d'avoir le droit; car cette volonté, cette intention, n'est pas plus difficile à avoir pour une chose que pour une autre; elle peut embrasser un nombre indéfini d'objets; il est donc inutile de la déléguer à autrui, du moment d'ailleurs que la loi n'exige pas qu'elle se manifeste d'une manière déterminée.
L'exception à cette deuxième règle ne commence qu'avec la nécessité, et, cette nécessité, la loi ne la voit que dans deux cas: celui des personnes incapables et celui des personnes dites “morales,” lesquelles ne peuvent avoir de volonté que par l'organe de leurs représentants légaux.
Il ne faut pourtant pas exagérer le sens restrictif de la seconde règle, à savoir que l'intention de posséder ne peut se déléguer et doit toujours se trouver chez le bénéficiaire. Ainsi, on peut valablement donner mandat à un serviteur, à un préposé ou à un ami de se rendre acquéreur et de prendre possession d'une ou plusieurs choses incomplètement déterminées, à l'égard desquelles on lui laisse une plus ou moins grande liberté de choix; mais on ne doit pas hésiter à dire qu'en pareil cas l'intention de posséder se trouve suffisamment chez le mandant: il a voulu d'avance posséder ce qui serait choisi et acheté par son mandataire. Il n'est pas nécessaire non plus que le mandant connaisse le moment précis auquel son mandat a été exécuté: son intention existe, dès que le mandat est donné; l'effet seul en est retardé. Il en serait autrement, si la possession avait été prise pour autrui, sans mandat, mais par le bon office spontané d'un gérant d'affaires; dans ce cas, celui dont les affaires ont été gérées n'acquerrait la possession que lorsqu'il aurait connu et ratifié la prise de possession.
Art. 191. Le texte consacre ici une double règle qui remonte au droit romain et qui est admise encore aujourd'hui en Europe. Dans les deux cas prévus au texte, la possession matérielle ne change pas de mains, en fait, et elle est considérée comme en ayant changé en droit.
Les deux cas sont l'inverse l'un de l'autre. Au premier cas, un dépositaire, un emprunteur à usage, un locataire, par exemple, n'avait qu'une possession précaire, il détenait la chose pour le compte du propriétaire, ou, tout au moins, pour le compte de celui qui lui en avait fait le dépôt, le prêt ou le bail; ensuite, désirant acquérir la propriété de cette même chose, il passe une contrat d'achat avec celui qui la lui avait remise.
Dans une législation formaliste, il serait nécessaire que le dépositaire ou le locataire, devenu acheteur, restituât d'abord la chose à celui de qui il l'avait précédemment reçue à titre précaire, puis la reçût du même contractant, au nouveau titre de vente; mais on doit admettre, par un besoin naturel de célérité et de simplicité, que cette double tradition est censée faite par un changement d'intention: le possesseur précaire devient possesseur civil par une tradition abrégée; de là l'expression de “tradition de brève main.”
Au second cas, les faits sont inverses: un propriétaire vend sa chose, ou un possesseur vend la chose qu'il détient comme sienne; s'il en fait la tradition immédiate à l'acheteur, celui-ci aura la possession matérielle jointe à l'intention; mais si, pour une raison de convenance personnelle, le vendeur désire conserver l'usage temporaire de la chose, il peut l'obtenir: mais en reconnaissant que, désormais, il possède précairement, au nom et pour le compte de l'acheteur. Celui-ci possède par le fait d'autrui: il est censé avoir reçu d'abord la possession de la chose en vertu du contrat de vente et l'avoir aussitôt restituée à titre de prêt ou de louage.
Le dernier alinéa applique la même théorie à la prise de possession d'un droit par le changement d'intention chez celui qui l'exerçait pour lui-même et est autorisé à l'exercer pour son cessionnaire. Dans ce cas, il n'y a même pas besoin de recourir à la fiction d'une double tradition: le changement de volonté suffit à expliquer le changement du droit.
Quant à l'expression de “constitut possessoire,” elle est consacrée par un long usage pour indiquer cette opération purement intentionnelle: on aurait pu en trouver une plus explicite; mais, elle a, elle-même, pour ainsi dire, la possession de l'usage, il est bon de l'y maintenir, jusque dans la loi japonaise.
Art. 192. Dans le cas du 1er alinéa de cet article, il y a continuation de la possession, et jonction dans le second.
L'héritier ou tout autre successeur universel est le continuateur légal de son auteur: il succède à ses droits et avantages comme à ses charges et obligations; s'il y a des exceptions à cette règle, elles ne concernent pas la possession, au moins pour les choses et les droits composant le patrimoine. Il y a donc, légalement parlant, identité et continuation de possession entre l'auteur et son héritier.
En conséquence, si la possession de l'auteur était précaire, elle restera telle chez l'héritier, tant qu'il n'en aura pas changé la cause et la nature, conformément à l'article 185, et comme aurait pu d'ailleurs le faire son auteur lui-même.
Si la possession de l'auteur était civile, mais sans titre, elle restera sans titre pour l'héritier: le fait de succéder à titre d'héritier n'est une juste cause d'acquérir que pour les choses et les droits qui déjà appartenaient réellement à l'auteur.
Les vices de violence et de clandestinité ne continueraient pas nécessairement chez l'héritier, mais ce n'est pas parce qu'il y a changement de personne: c'est par la même raison que pour la précarité, à savoir, parce que chez l'auteur même, ces vices pouvaient cesser. Si donc l'héritier n'a pas eu à prolonger la violence pour continuer de posséder, de même s'il a donné une publicité suffisante à sa possession, il en a purgé le vice, comme son auteur aurait pu le faire conformément à l'article 183.
Si la possession de l'auteur avait pour fondement un juste titre, elle pouvait être accompagnée de bonne foi ou de mauvaise foi: elle aura pour l'héritier la même qualité bonne ou mauvaise. Cependant, en fait, l'héritier pourrait avoir reconnu que son auteur n'avait pas vraiment le droit qu'il possédait de bonne foi. Réciproquement, il pourrait croire à la réalité du droit de son auteur, alors que celui-ci n'y croyait pas lui-même; mais ces différences d'opinions et de croyances entre l'héritier et l'auteur n'auraient pas d'autre effet que si elles s'étaient rencontrées chez l'auteur lui-même. Or, si l'auteur était primitivement de bonne foi et découvrait plus tard les vices de son titre, sa mauvaise foi, survenue après coup, ne lui enlèverait pas le droit à une prescription abrégée, parce que, pour cette prescription, on n'exige la bonne foi qu'au moment où est intervenu le titre; mais il perdrait le bénéfice des fruits perçus depuis la survenance de la mauvaise foi, parce que la bonne foi est exigée au moment de chaque acquisition des fruits.
Pour ce qui est du cas inverse, c'est-à-dire de la bonne foi succédant à la mauvaise foi, il serait difficile à concevoir, en fait, chez l'auteur même, mais très facile chez l'héritier qui, souvent, croira que son auteur avait la plénitude du droit, quand il n'en avait que la possession. Cette bonne foi ne lui donnera pas le bénéfice de la prescription abrégée, mais celui des fruits perçus avant la prescription ordinaire ou avant la revendication exercée par le véritable titulaire.
Voyons, maintenant, comment les choses se passent pour le cessionnaire à titre particulier.
Comme il ne continue pas la personne de son cédant (laquelle, existant encore sauf le cas de testament, n'a pas à être continuée), il n'en continue pas non plus la possession: il commence une nouvelle possession, en son propre nom. On pourrait s'étonner qu'une possession nouvelle naisse en la personne de l'acheteur ou du donataire d'un bien particulier, tandis que le droit de propriété même, s'il appartient au cédant, se transmet et se continue identiquement en la personne de son cessionnaire. La raison de cette différence est celle-ci: la possession consiste dans deux éléments, l'un matériel, la détention corporelle de la chose ou les actes extérieurs d'exercice du droit; l'autre intellectuel, l'intention d'agir en maître; or, celui qui aliène une chose qu'il possédait, cesse, tout à la fois, de la détenir et d'avoir l'intention de l'avoir à soi; on peut donc dire que sa possession prend fin: l'acheteur ou le donataire qui commence à détenir avec l'intention d'avoir la chose à soi se crée une nouvelle possession, laquelle aura ses qualités ou ses vices propres.
D'abord, elle pourra être civile, quoique celle du cédant fût peut-être précaire. Ainsi, un dépositaire ou un locataire vend et livre la chose à lui déposée ou louée, la possession précaire du cédant cesse, elle ne se transmet pas au cessionnaire: celui-ci commence une nouvelle possession; elle est civile, car il a l'intention d'avoir la chose à lui; elle est à juste titre, car l'achat est un juste titre ou une juste cause de posséder; en outre, elle peut être de bonne foi, si le cessionnaire a ignoré le défaut de droit chez son cédant.
On ne s'arrêtera pas au cas inverse, à celui où le possesseur primitif, ayant juste cause, donnerait la chose en dépôt ou en louage à un autre; dans ce cas, le dépositaire ou le locataire n'aurait assurément qu'une possession précaire, mais la possession civile restrait au déposant ou au bailleur; il n'y aurait ni cessation ni translation de la possession.
Supposons maintenant que le cédant, au lieu d'une possession précaire, avait une possession civile, mais qui était sans titre; le cessionnaire, certainement, commencera une nouvelle possession qui sera à juste titre.
La possession du cédant était elle-même à juste titre, mais elle était de mauvaise foi; celle du cessionnaire sera de bonne foi, s'il ignorait le défaut de droit chez son cédant.
En sens inverse, la possession était de bonne foi chez le cédant; elle pourra être de mauvaise foi chez le cessionnaire.
On conçoit donc que la position du cessionnaire ou successeur à titre particulier soit, lorsqu'on s'attache à sa propre possession, tantôt moins bonne, tantôt meilleure que celle du successeur à titre universel.
Mais on a admis, depuis les Romains, qu'il pût se prévaloir de la possession de son auteur, quand il y a intérêt. On a considéré que la possession civile n'est pas seulement un fait, mais un droit, par les avantages qui y sont attachés et par les actions qui la garantissent; or, ce droit, faisant partie du patrimoine d'un particulier, est dans le commerce: il est cessible comme les autres droits, en général. Celui donc qui achète une chose ou un droit dont le cédant n'avait que la possession a, au moins, acquis cette possession, et il est naturel qu'il s'en prévale, qu'il en tire avantage, dans la mesure de son intérêt, en joignant l'ancienne possession de son auteur à la sienne propre.
Ainsi, le cédant avait juste cause et bonne foi et le cessionnaire a une possession de cette même nature doublement fovorable: il pourra joindre les deux possessions, ce qui le mènera à la prescription abrégée, laquelle est un bénéfice de la bonne foi.
Ainsi encore, le cédant possédait sans titre, ou avec juste titre, mais de mauvaise foi, et la possession avait déjà duré plus de 20 ans, en sorte qu'il aurait fallu moins de 10 ans pour que la prescription acquisitive s'accomplît; dans ce cas, le cessionnaire, de bonne ou de mauvaise foi, joindra à sa possession celle de son cédant, car il l'a acquise comme étant la seule chose que le cédant pût lui transférer. Cela ne cause aucun préjudice au légitime propriétaire, puisque, si le reste du temps s'était écoulé même sans cession et avant qu'il eût revendiqué, son droit eût été également perdu.
Enfin, on peut encore admettre la jonction de possession d'un cédant de bonne foi à un cessionnaire de mauvaise foi: ainsi, le cédant avait déjà possédé 14 ans, et un an de plus l'aurait conduit à la prescription abrégée; il cède à un acheteur de mauvaise foi: celui-ci ne prescrira pas assurément au bout d'une année, puisqu'il ne continue pas la même possession; mais il lui suffira de 16 ans de possession de mauvaise foi qui, joints aux 14 ans de possession de bonne foi de son auteur, feront les 30 ans exigés.
Cette dernière solution ne doit pas être contestée, car elle est tout-à-fait conforme aux principes et elle ne nuit pas au véritable propriétaire, par la même raison que la précédente.
SECTION III.
DES EFFETS DE LA POSSESSION.
Art. 193. La loi détermine dans cette Section les trois avantages attachés à la possession et règle les actions qui en sont la garantie.
Le premier est la présomption d'existence légale du droit au fond, en faveur de celui qui l'exerce, en fait. Cet avantage est limité à la possession civile. Il est clair que celui qui ne possède que naturellement, c'est-à-dire, n'a pas la prétention au droit, ne peut être présumé avoir ce droit.
Cela est encore plus évident pour le possesseur précaire, puisqu'il possède au nom et pour le compte d'un autre, et puisque c'est en faveur de ce dernier qu'il y aura présomption du droit.
La loi aurait pu laisser à l'interprétation le soin de tirer la conséquence naturelle et nécessaire de la présomption légale; mais, pour que la disposition ait un caractère moins dogmatique ou plus pratique, elle a formulé elle-même cette conséquence.
Quant à l'avantage, pour le possesseur, d'être défendeur aux actions qui tendraient à l'évincer, il est considérable: le défendeur a moins à prouver son droit, au fond, qu'à contester et combattre les preuves fournies par le demandeur, et si ni l'un ni l'autre des plaideurs n'est en mesure de prouver son droit, le possesseur triomphera par le rejet de la demande.
Le texte ne parle que des actions pétitoires ou en revendication, comme étant celles auxquelles le possesseur sera défendeur; quant aux actions possessoires, on verra plus loin que le possesseur y est, tantôt demandeur, tantôt défendeur, suivant les circonstances.
Remarquons enfin, avec le texte, que la présomption légale établie au profit du possesseur n'est pas absolue et invincible: c'est une présomption simple, contre laquelle toute preuve contraire est admise, soit par titre, soit par témoins ou autrement C'est, d'ailleurs, à raison de cette faculté de preuve contraire que le procès est possible: autrement, le possesseur serait inattaquable, ce qui serait contraire à toute raison et à toute justice.
Art. 194. Ce bénéfice du possesseur de bonne foi remonte au droit romain; mais alors on n'en donnait pas une raison suffisante.
Certains jurisconsultes disaient que le gain des fruits était une “indemnité de la culture et des soins donnés à la chose;” mais cette raison était doublement mauvaise: 1° il y a des fruits qui naissent sans culture et sans soins, comme les coupes de bois, les foins et herbes des prairies, ce sont ceux qu'ils appelaient fruits naturels, par opposition aux fruits industriels qui sont surtout le resultat des efforts et du travail de l'homme; or, on n'a pas tardé à admettre que le possesseur de bonne foi acquerrait les deux sortes de fruits, même ceux qui ne lui avaient demandé aucune culture; 2° si l'acquisition des fruits était la récompense des soins et de la culture, il n'y aurait pas de raison de la refuser au possesseur de mauvaise foi, car il a pu donner les mêmes soins à la chose et faire les mêmes travaux agricoles qu'un possesseur de bonne foi.
D'autres jurisconsultes disaient que “le possesseur de bonne foi est, quant aux fruits, presque comme un propriétaire.” Cette raison ne justifiait rien, parce qu'elle avait elle-même besoin d'une justification; elle donnait pour preuve du droit du possesseur son assimilation au propriétaire, laquelle était justement en question.
La véritable raison pour laquelle la décision du droit romain était bonne et doit être encore admise aujourd'hui, même au Japon, c'est que le possesseur de bonne foi, ayant cru à la réalité de son droit, a, le plus souvent, disposé des fruits perçus, ou, s'il les a conservés, il a pu contracter des engagements auxquels il compte faire face avec ces fruits; “il a vécu plus largement” , disaient aussi les jurisconsultes romains, dans des circonstances analogues, et la restitution de ces fruits serait souvent sa ruine. Or, s'il a commis quelque négligence, au moment où il a acquis la possession, le titulaire légitime du droit, en ne se faisant pas connaître, a commis une négligence plus grave encore, car elle est continue.
Cette raison n'est pas sujette aux objections précédentes: elle autorise à ne pas distinguer les fruits naturels des fruits industriels, elle ne s'applique pas au possesseur de mauvaise foi, et elle ne résout pas la question par l'affirmation même de ce qui est en question.
Le présent article ne fait pas acquérir les fruits naturels au possesseur par le seul fait qu'ils sont séparés du sol, comme pour l'usufruitier: il veut que ces fruits aient été perçus par le possesseur lui-même, ou par un tiers en son nom. Le motif de cette différence est que l'usufruitier acquiert les fruits en vertu d'un titre parfait, en vertu d'un droit proprement dit; il suffit que les fruits aient une existence distincte du fonds ou de la chose usufructuaire pour que son droit commence; il n'y a pas de raison sérieuse d'exiger de sa part un acte d'appréhension.
Au contraire, le possesseur de bonne foi, n'ayant pas traité avec celui qui pouvait lui conférer le droit même, n'a pas un titre légal aux fruits, par son contrat: il ne peut les obtenir que par un bienfait de la loi, laquellé agit raisonnablement en subordonnant ce bienfait à une prise de possession qui rend le possesseur plus digne d'intérêt, puisque c'est alors aussi que le danger de ruine commencerait pour lui, s'il lui fallait restituer.
Cependant, en ce qui concerne les fruits civils, la loi assimile le possesseur de bonne foi à l'usufruitier: il acquiert ces fruits jour par jour, par conséquent, avant la perception.
Si le possesseur de bonne foi n'acquérait les fruits civils que par la perception, son droit ne dépendrait ni des lois de la nature, ni de sa propre diligence, mais de l'exactitude ou de l'honnêteté d'un tiers: il suffirait que le débiteur des fruits civils refusât ou tardât de les payer pour empêcher ou retarder l'acquisition du possesseur de bonne foi; des poursuites, même un jugement obtenu, ne suffiraient pas à assurer son droit, si la revendication du légitime propriétaire survenait avant le payement. Cette solution est évidemment inadmissible, en raison et en équité. On la repousse ici, à l'égard du possesseur de bonne foi, pour les mêmes raisons que l'on fait écarter pour l'usufruitier.
Le 3e alinéa donne une solution nouvelle, déjà annoncée sous l'article 182, pour une situation du possesseur qu'on peut considérer comme intermédiaire entre la bonne foi accompagnée d'un juste titre et la mauvaise foi avec ou sans juste titre.
Lorsque le possesseur se croit propriétaire ou croit avoir tout autre droit qu'il exerce, sans qu'il soit cependant intervenu en sa faveur, de la part d'un tiers, un acte juridique de nature à lui conférer ce droit, on ne peut dire assurément qu'il soit de mauvaise foi: son honnêteté est certaine et mérite quelque considération; mais on ne peut non plus le traiter aussi favorablement que le possesseur de bonne foi qui a un juste titre.
Rappelons d'abord les hypothèses vraisemblables où le possesseur peut être de bonne foi sans avoir un juste titre. Le cas le plus fréquent sera celui où quelqu'un, se croyant héritier légitime, se sera mis en possession des biens d'une succession, alors qu'un héritier plus proche le prime ou qu'un testament qu'il ignore le dépouille. Citons encore le cas où un véritable héritier a considéré comme bien de la succession un immeuble qui n'en faisait pas partie. Ce sont là des erreurs de fait. Ajoutons le cas d'une erreur de droit qui a fait croire au possesseur qu'un titre originairement précaire avait été interverti et transformé en juste titre, en dehors des deux cas prévus à l'article 185.
Il semble naturel de faire à ce possesseur une situation intermédiaire quant à ses avantages, comme elle l'est quant à la nature de sa possession.
Pour la prescription abrégée, il n'y a pas à hésiter à lui en refuser bénéfice: il n'a pas juste titre et son erreur ne peut lui en tenir lieu.
Pour les fruits, rappelons que la loi et la raison naturelle ne les donnent au possesseur de bonne foi qui a juste titre que parce que celui-ci paraît plus digne d'intérêt que le propriétaire, comme ayant une moindre imprudence à s'imputer; mais, on ne peut plus dire de même du possesseur dont l'erreur n'est pas fondée sur un juste titre: quand, par exemple, il s'est cru héritier sans l'être, ou quand il a cru héréditaire un bien qui ne faisait pas partie de la succession, il est contraire à toute justice et à toute raison qu'il trouve dans sa croyance, plus ou moins téméraire, le principe d'une acquisition des fruits au préjudice du propriétaire.
Si, au moment où la revendication du bien a lieu contre lui, il a encore tout ou partie des fruits en réserve, n'est-il pas choquant qu'il les conserve, en alléguant une erreur.
En pareil cas, il s'enrichirait évidemment du bien d'autrui sans cause légitime. Même objection, s'il a consommé les fruits d'une manière qui l'a enrichi, par exemple, s'il les a vendus et si le prix en est encore dû ou même payé et non dépensé, ou s'il les a employés à nourrir ou chauffer lui et les siens, quand ce sont des objets de consommation indispensables, comme du riz ou du bois: dans ce cas, “il est enrichi de ce dont il a épargné son propre argent” .
Mais voici la part que l'équité exige qu'on fasse à son honnêteté, pour ne pas dire à sa bonne foi proprement dite: il ne faut pas non plus que la négligence du propriétaire, qui a plus ou moins favorisé ou prolongé l'erreur du possesseur, entraîne la ruine de celui-ci et l'expose à restituer des fruits qu'il n'a plus, ni en nature, ni en valeur équivalente. De là, la solution du texte: le possesseur sera dispensé de restituer “ce qu'il n'a plus et dont il n'est pas enrichi.”
En même temps, la loi tranche la question du fardeau de la preuve: ce ne sera pas au propriétaire revendiquant à prouver combien le possesseur est enrichi des fruits: il lui suffira de prouver ce que le possesseur a perçu de fruits, et même il y aura présomption de fait que le possesseur a perçu les fruits ordinaires du fonds; ce sera ensuite au possesseur à prouver, soit qu'en fait il a perçu moins de fruits, soit que, les ayant perçus, il en a perdu, donné ou consommé tout ou partie, sans profit appréciable.
Ainsi se trouvent conciliés les deux intérêts opposés et les principes généraux du droit et de la justice.
Le dernier alinéa du présent article suppose que la bonne foi a cessé, par une cause quelconque, au cours de la possession, c'est-à-dire que le possesseur a reconnu que le droit ne lui appartenait pas.
Le bénéfice de la bonne foi cesse pour l'avenir, c'est-à-dire quant aux fruits futurs; mais les fruits antérieurs restent acquis au possesseur, sous les distinctions qui précèdent, quand même la revendication du légitime propriétaire ne serait exercée que depuis la cessation de la bonne foi.
La loi a dû s'exprimer nettement à cet égard, pour bien fixer la différence entre la bonne foi requise pour l'acquisition des fruits et celle requise pour la prescription acquisitive du droit: pour cette dernière, la mauvaise foi survenue au cours de possession ne nuit pas au possesseur, comme on le justifiera au sujet de la prescription.
On dit généralement que la demande en justice faite contre le possesseur a pour effet de le constituer de mauvaise foi; cette formule n'est pas bonne et le texte a soin de l'éviter. En effet, souvent le possesseur de bonne foi est tellement convaincu de l'existence de son droit que la demande ne change pas l'opinion qu'il en a; cependant, il ne serait pas juste que, malgré la demande et la diligence du vrai propriétaire ou autre titulaire légitime du droit, le possesseur continuât à gagner les fruits perçus pendant le procès, lequel peut durer longtemps. La loi satisfait à ces deux idées en privant le possesseur des avantages de la bonne foi, sans lui donner la qualification de possesseur de mauvaise foi, et encore, elle y ajoute la condition (qui, de toute façon, aurait été sous-entendue), que la demande ait été définitivement admise: car si la demande est finalement rejetée, la bonne foi du possesseur recouvre toute sa force, même pour le temps où le procès a été pendant.
Art. 195. Le possesseur de mauvaise foi aurait dû, en stricte équité, rendre spontanément la chose qu'il savait ne pas lui appartenir; mais, s'il ne l'a pas fait, soit par incertitude sur la personne du véritable propriétaire, soit par malhonnêteté, au moins ne doit-il pas s'enrichir au préjudice de celui-ci; il doit aussi réparer tout le tort qu'il lui a causé. On ne peut dire, en sa faveur, comme en faveur du possesseur de bonne foi, que la restitution des fruits le ruinerait, car il n'a pas dû consommer ou aliéner des fruits et produits qu'il savait devoir restituer un jour; à défaut d'enrichissement, il est en faute, s'il a vécu plus largement: il est également responsable, s'il a négligé de percevoir tout ou partie des fruits et produits, ou si, les ayant perçus, il les a laissés périr.
Mais il ne faut pas non plus que le légitime propriétaire s'enrichisse au préjudice du possesseur de mauvaise foi, en recouvrant les fruits sans subir les charges qui s'y rapportent et que le possesseur de mauvaise foi a supportées, tels que frais de culture et de récolte, frais de conservation, impôts et autres charges ordinaires des revenus.
C'est ce qu'exprime le 2e alinéa de notre article.
Il restait à savoir comment on devait traiter, quant aux fruits, la possession viciée par violence ou clandestinité. On sait déjà qu'elle ne mène pas à la prescription, lors même qu'elle serait accompagnée d'un juste titre; on sait aussi qu'elle n'est pas incompatible avec la bonne foi.
Il va de soi que le possesseur de mauvaise foi qui s'est établi ou maintenu en possession par violence, ou qui dissimule sa possession, n'aura aucun droit aux fruits, puisque la mauvaise foi seule suffit à l'en priver. Mais, que devait-on décider pour celui qui, ayant juste titre et bonne foi, recourrait à la menace pour garder sa possession ou la dissimulerait aux tiers et spécialement au vrai propriétaire? La question mérite d'être soulevée et elle est tranchée ici, par la loi, contre le possesseur, par la considération suivante: le possesseur violent, ou celui qui cache sa possession, n'est pas plus intéressant que le possesseur de mauvaise foi; il l'est même moins, car il élève des obstacles plus sérieux contre la revendication du vrai propriétaire; il doit donc être privé de toute acquisition des fruits et soumis à toutes les restitutions imposées au possesseur de mauvaise foi, même quant aux fruits qu'il a perdus sans en profiter ou qu'il a négligé de percevoir.
Il ne restera à celui dont la possession est violente ou clandestine que la présomption de propriété et le rôle de défendeur, non-seulement à l'action possessoire en réintégrande, mais encore à l'action pétitoire (v. art. 205).
Art. 196. Cette disposition, comme la seconde de l'article précédent, consacre le principe fondamental de droit naturel que “nul ne doit s'enrichir, sans droit, au détriment d'autrui.” La différence est qu'ici les dépenses ne sont plus supposées avoir été faites pour les fruits: elles l'ont été pour la chose même.
Les dépenses que quelqu'un peut avoir faites pour la chose d'autrui sont de trois sortes: nécessaires, utiles ou voluptuaires. La loi n'accorde pas le remboursement des dernières au possesseur, parce que, comme le nom l'indique, elles sont de pur agrément et ne procurent aucun profit au revendiquant.
Au contraire, les dépenses utiles ont donné une plus-value à la chose et le revendiquant en recueille le bénéfice; les dépenses nécessaires, si elles n'ont pas augmenté la valeur de la chose, l'ont conservée, ce qui est au moins aussi avantageux.
Cette triple distinction des dépenses remonte au droit romain et sa conformité évidente avec la raison et l'équité l'a fait admettre dans toutes les législations modernes.
On la rencontrera souvent aussi dans le présent Code.
Art. 197. Le droit de rétention a été mentionné à l'article 2, comme un des droits réels servant de garantie aux droits personnels; il a de l'analogie avec le nantissement, sans se confondre avec lui: il permet au créancier de retenir en sa possession la chose soumise au droit de rétention, jusqu'au payement des sommes dues à raison de cette chose.
Cette rétention même est sa ressemblance avec le nantissement; mais elle ne donne pas, comme celui-ci, le droit de faire vendre la chose pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers: elle donne seulement le droit d'imputer, par privilége, les fruits et produits de la chose sur les intérêts et le capital de la créance: le droit de rétention ne mènera donc au payement que par cette longue imputation de fruits ou par l'avantage que le légitime propriétaire ou ses créanciers auront à recouvrer la libre disposition de la chose; cet avantage les conduira, tôt ou tard, à désintéresser le rétenteur.
La possession du rétenteur n'a donc plus le caractère de son ancienne possession: la première était civile, celle-ci n'est plus que naturelle et précaire.
C'est au Livre des Garanties des créances que le droit de rétention sera expliqué dans son ensemble.
La loi présente encore ici une différence qui ne demande pas de justification entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi: bien que ce dernier ait droit au remboursement des dépenses utiles comme à celui des dépenses nécessaires, ce n'est que pour ces dernières que le bénéfice de la rétention lui est accordé.
Art. 198. Il a pu arriver que le possesseur ait détruit des bâtiments, coupé des bois qui n'étaient pas aménagés en coupe réglée, ouvert des carrières qui n'étaient pas en exploitation auparavant et dont, par conséquent, les produits n'avaient pas le caractère de fruits; il est juste que le propriétaire en soit indemnisé; mais, ici, on voit une nouvelle différence entre la bonne et la mauvaise foi du possesseur.
Le possesseur de mauvaise foi a, ici encore, une obligation résultant de sa faute, de son délit civil, peut-être même de son délit pénal; le possesseur de bonne foi n'est toujours tenu qu'en vertu de son enrichissement indû; de là, l'étendue différente de l'une et de l'autre obligation, comme la détermine le texte: il ne peut être question d'imputer à faute au possesseur de bonne foi ses négligences, ni même ses abus de jouissance: “il a cru user ou abuser de sa chose.”
Ici, il n'y a pas à distinguer si la bonne foi est ou non accompagnée d'un juste titre: c'est une simple distinction entre l'honnêteté et la malhonnêteté.
On a déjà annoncé, que la prescription ou la présomption absolue de l'acquisition de la propriété est le principal effet de la possession, sinon par sa fréquence, au moins par son importance. Mais c'est au Livre des Preuves qu'il en sera traité comme un des moyens légaux de preuve.
Art. 199. Les effets attachés à la possession ont suffisamment démontré qu'elle n'est pas seulement un fait, comme on l'a quelquefois soutenu, mais qu'elle est aussi, et surtout, un droit, un droit sur une chose, un droit réel; la preuve en est complétée par l'existence d'actions judiciaires accordées et organisées en faveur du possesseur.
Le Code japonais admet les actions possessoires du droit romain généralement reçues en Europe. Le présent article a pour but de les énoncer et d'indiquer leur double but: conserver ou retenir la possession troublée, recouvrer celle qui a été perdue.
Les diverses actions possessoires ont quelques règles communes; mais elles ont aussi d'assez grandes différences. Les articles suivants feront ressortir ces ressemblances et ces différences.
Art. 200. Ce que la loi appelle trouble de fait est facile à concevoir: ce sont des actes matériels exercés par un tiers sur la chose possédée par un autre et tendant à gêner, à diminuer, peut-être même à supprimer sa possession: comme serait l'occupation de tout ou partie d'un terrain ou d'une maison, un passage répété à travers un terrain ou une cour, le fait de puiser de l'eau à un puits ou à un réservoir, d'appuyer un bâtiment ou de faire sur le fonds possédé quelque entreprise qui ne pourrait se faire qu'en vertu d'une servitude ou d'un autre droit réel.
Le trouble de droit consisterait dans des réclamations judiciaires ou extrajudiciaires contre les locataires du fonds qui on traité avec le possesseur ou dans le fait de renouveler leur bail, ce qui implique une prétention contraire à la possession du premier bailleur; il consisterait aussi dans des réclamations contre le possesseur lui-même et tendant à lui faire abandonner tout ou partie de la chose qu'il détient ou du droit qu'il exerce; dans ce cas, si l'auteur du trouble ne va pas jusqu'à une demande en justice, le possesseur troublé peut intenter l'action possessoire pour le faire cesser. S'il est lui-même actionné, il y aura bien évidemment trouble de droit, mais alors le possesseur s'en défendra plutôt par voie d'exception ou de défense que par voie d'action. On verra cependant à l'article 210 que le possesseur peut se défendre par une action possessoire dite reconventionnelle à l'action soit pétitoire, soit possessoire intentée contre lui.
La loi veut que le trouble implique, de la part de celui qui le cause, une prétention contraire à celle du possesseur, par conséquent, une prétention, soit à la propriété même ou au fond du droit, soit à la possession: autrement, le trouble ne serait plus apporté à la possession même, mais à la tranquillité privée; il pourrait constituer un délit civil ou même pénal; tel serait le fait, par le voisin, de détruire des arbres qui masquent sa vue ou des animaux incommodes: il y aurait alors lieu à une action personnelle en dommages-intérêts, mais non à une action réelle, comme est l'action possessoire en complainte.
Ce caractère réel de l'action en complainte demande qu'on s'y arrête un instant et qu'on y apporte quelques distinctions. Le 2e alinéa de notre article nous y amène d'ailleurs tout naturellement.
L'action en complainte a deux objets; faire cesser le trouble et en obtenir la réparation, c'est-à-dire l'indemnité.
Or, l'action est bien réelle pour le premier objet, car elle tend à faire maintenir la chose dans un certain état, même à l'y faire rétablir, si cet état avait déjà été modifié; mais, pour ce qui est de l'indemnité à obtenir à raison du dommage déjà éprouvé par le possesseur, l'action ne peut être que personnelle, car elle fait valoir un droit de créance né de la faute de celui qui a causé le trouble.
On doit donc reconnaître que l'action est mixte, ce qui veut dire, suivant le sens consacré, qu'elle a, tout à la fois, le caractère réel et le caractère personnel. La question n'est pas sans intérêt; car si l'auteur du trouble changeait, si, par exemple, le trouble avait été causé par le propriétaire d'un fonds voisin et qu'il cédât son fonds, après le trouble causé par quelque entreprise exécutée sur le fonds du possesseur, l'action possessoire en complainte pourrait bien être exercée contre le nouveau propriétaire, pour faire cesser le trouble et détruire ce qui aurait été fait; mais l'indemnité de la faute commise ne pourrait pas lui être demandée: elle ne pourrait être demandée qu'au précédent propriétaire, et par une action purement personnelle; l'action en complainte serait ainsi réduite à son caractère réel, et ce qu'elle a de personnel deviendrait l'objet d'une autre action née du délit civil.
On verra plus loin que l'action en dénonciation de nouvel œuvre est purement réelle; on devra décider de même pour la dénonciation de dommage imminent; quant à l'action en réintégrande, étant toujours fondée sur un fait illicite, elle est, par cela même, toujours personnelle.
Le 1er alinéa de notre article nous dit quelles choses possédées peuvent donner lieu à l'action possessoire en complainte.
D'abord, pour ce qui est des immeubles, il n'y a pas de doute que la possession en soit garantie par l'action en complainte, et, par immeubles, il faut entendre les droits immobiliers que quelqu'un possèderait, c'est-à-dire exercerait comme siens: droits de propriété, d'usufruit, de servitude, d'emphytéose, de nantissement.
Le doute ne pourrait exister que pour les meubles, à l'égard desquels on prétendrait établir une différence entre les universalités et les meubles particuliers. Pour les universalités de meubles, l'action possessoire est généralement admise en Europe; par exemple, au profit d'un possesseur de tout ou partie d'une succession mobilière qui serait troublé par les actes d'un tiers se prétendant lui-même héritier ou légataire.
On adopte ce système au Japon. Il devient d'ailleurs nécessaire, à cause de la solution proposée pour les meubles particuliers.
C'est à ce sujet qu'il y a la plus grande difficulté; elle vient de la célèbre maxime: “En fait de meubles, la possession vaut titre,” d'après laquelle le possesseur d'un meuble en devient aussitôt propriétaire, par une sorte de prescription instantanée. D'où il résulterait deux obstacles à l'action possessoire au sujet d'un meuble: 1° le possesseur troublé, si courte qu'ait été sa possession, n'aurait pas seulement une action possessoire, mais bien une action pétitoire ou en revendication; 2° l'auteur du trouble étant, le plus souvent, devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, pourrait aussi invoquer cette prescription, sinon pour se défendre au possessoire, au moins pour triompher au pétitoire, ce qui ôterait tout intérêt à l'action possessoire.
Cependant, cette double objection ne paraît pas suffisante pour refuser l'action possessoire à celui qui est troublé dans la possession d'un meuble.
D'abord, c'est un principe de raison que “celui qui peut le plus peut aussi le moins;” or, le vrai propriétaire d'une chose ou le titulaire légitime d'un droit, qui, en même temps, a la possession de la chose ou l'exercice du droit, peut s'abstenir de soulever la question du fond du droit et ne se prévaloir que de sa possession.
En outre, il n'est pas exact de dire que le possesseur d'un meuble en soit toujours, et par cela même, propriétaire en vertu de la prescription dite, “instantanée;” non-seulement, en effet, il faut que la possession soit civile et non précaire, mais il faut encore qu'elle soit de bonne foi et il est raisonnable d'exiger, en outre, qu'elle soit fondée sur un juste titre; or, ces deux dernières conditions ne sont pas exigées pour l'action possessoire en complainte; voilà donc déjà deux cas où le possesseur, même civil, d'un meuble, n'aurait pas l'action pétitoire et où l'action possessoire lui serait utile.
Supposons, d'un autre côté, que l'auteur du trouble soit devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, il peut ne le posséder que naturellement ou précairement, ce qui est un obstacle absolu à ce qu'il puisse invoquer la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre;” si même il avait la possession civile, il pourrait n'avoir pas juste titre ou n'être pas de bonne foi: il ne pourrait triompher au pétitoire; il est donc juste qu'il soit soumis à l'action possessoire.
Dans les développements qui précèdent, on a supposé plusieurs fois, notamment au sujet des meubles, que celui qui exerce la complainte est non-seulement troublé, inquiété, mais même dépossédé en entier. En effet, il ne faut pas croire que la différence entre la complainte et la réintégrande soit surtout dans l'étendue du dommage à réparer; elle est bien plutôt dans la nature du fait qui cause ce dommage et donne lieu à l'action: on a déjà annoncé plus haut que l'action en complainte tend à combattre une prétention à la possession et à en faire cesser les effets ou à les réparer, tandis que la réintégrande tend à faire réparer un acte illicite qui dépasse les limites d'une prétention, comme, du reste, on le verra à l'article 204.
Art. 201. La deuxième action possessoire, la dénonciation de nouvel œuvre, est d'une application beaucoup plus limitée que la précédente.
D'abord, elle n'appartient qu'au possesseur d'un immeuble ou à celui qui exerce comme lui appartenant, un droit réel sur une chose immobilière.
En effet, on ne comprendrait guère que des travaux commencés, ou même achevés sur un fonds, pussent nuire à la possession d'un meuble.
En outre, il faut supposer que les travaux ne sont que commencés et que c'est seulement leur achèvement ou leur avancement progressif qui nuira au demandeur: autrement, celui-ci éprouverait un trouble actuel par ces travaux et ce serait le cas de l'action en complainte. Il en résulte que l'action possessoire est donnée ici avant le trouble et, par conséquent, en vue seulement de prévenir un trouble “éventuel.” C'est un avantage pour les deux parties, car il vaut mieux prévenir le mal qu'avoir à le réparer.
La loi suppose que les travaux contestés sont faits sur un fonds voisin; cette circonstance du voisinage n'est pas une condition rigoureusement nécessaire; mais la nature des choses ne laisserait guère concevoir que quelqu'un craignît un trouble à provenir de travaux entrepris sur un fonds éloigné.
Il va sans dire que cette action appartient tout aussi bien à un vrai propriétaire qu'à un simple possesseur; mais, quand le propriétaire en use, ce n'est pas comme tel, c'est comme possesseur. Remarquons même, à ce sujet, que la dénonciation de nouvel œuvre est exercée plus souvent par un propriétaire véritable que par un simple possesseur: ce dernier, incertain de la durée de son droit, y a moins d'intérêt. Si elle est considérée comme action possessoire, c'est parce que le demandeur n'a pas besoin, pour y triompher, de justifier qu'il est propriétaire du fonds auquel les travaux commencés pourraient nuire: il lui suffit de prouver qu'il en est possesseur civil.
On retrouvera la dénonciation de nouvel œuvre au Chapitre des Servitudes, comme moyen de préserver un fonds, prétendu libre, d'une servitude que le voisin tenterait d'établir sans droit.
Art. 202. Dans la dénonciation de dommage imminent, le dommage est à craindre du mauvais état, de la vétusté d'ouvrages ou d'objets immobiliers et il menace un immeuble possédé par un autre propriétaire ou par un autre possesseur. L'action a encore deux applications particulièrement importante au Japon où les inondations et les incendies causent de fréquents ravages: le texte les indique suffisamment.
Dans cette action, le demandeur demandera au juge d'ordonner les mesures préventives du dommage ou une caution pour la réparation. Si le danger est tout-à-fait menaçant, c'est la démolition ou la réparation immédiate des ouvrages qui sera naturellement ordonnée; si, au contraire, le danger est encore éloigné ou si le voisin annonce l'intention de réparer lui-même, le cautionnement sera suffisant et préférable.
La dénonciation de dommage imminent reçoit une application spéciale en matière de servitudes relatives à l'usage des eaux.
Art. 203. La loi indique ici les qualités ou conditions que doit réunir la possession pour donner les deux premières actions possessoires. Les trois premières conditions exigées ici de la possession sont déjà connues. Il résulte de ces conditions que celui qui possède naturellement ou précairement n'a pas les actions en complainte et en dénonciation de nouvel œuvre; il en est de même de celui dont la possession serait fondée sur la violence ou serait restée clandestine.
Quant à la dernière condition, l'annalité de la possession, elle apparaît ici pour la première fois. La loi ne l'a pas exigée pour les deux premiers avantages de la possession, à savoir, la présomption simple de propriété et l'acquisition des fruits.
Elle ne suffirait pas pour la prescription acquisitive d'un immeuble; elle serait excessive pour celle d'un meuble; elle serait trop rigoureuse aussi pour l'acquisition des fruits; mais la loi la déclare ici, tout à la fois, nécessaire et suffisante pour l'exercice des actions en complainte et en dénonciation de nouvel œuvre relatives au trouble dont se plaint un possesseur d'immeuble.
Ce délai d'un an est raisonnable; on pourrait, sans inconvénient, le réduire ou l'augmenter, mais il faut toujours exiger un certain temps de possession: autrement, il pourrait arriver que le défendeur à l'action possessoire invoquet lui-même une possession de la même chose ou du même droit, et l'on serait alors obligé de rechercher, avec beaucoup de difficultés, lequel des deux a la possession la plus ancienne ou la plus longue.
Ce n'est que pour les actions possessoires relatives aux immeubles ou à une universalité de meubles que la loi exige une possession annale. A l'égard des meubles, la loi n'exige pas une durée déterminée de possession, parce que, si la prescription des meubles elle-même ne doit être soumise à aucun délai, il est encore plus impossible d'y soumettre l'exercice de l'action possessoire.
Art. 204. Ce qui caractérise le cas où il y a lieu à la réintégrande, ce n'est pas seulement la dépossession totale ou partielle, car, en pareil cas, la dépossession étant un trouble, et le plus considérable possible, l'action en complainte serait également recevable: c'est le moyen employé pour la dépossession, à savoir, la violence, la menace ou la ruse; le caractère délictueux de ces faits motive une action possessoire particulière et ces particularités sont mises en relief par le présent article et le suivant.
Le 1er alinéa nous dit que l'action en réintégrande suppose une dépossession, totale ou partielle, opérée au moyen des trois faits délictueux déjà signalés. Il nous dit encore que l'action appartient au possesseur des trois sortes de biens déjà énoncées à l'article 200: immeubles, universalité de meubles, meubles particuliers.
Au sujet de ces derniers objets, il y a encore moins à hésiter que pour l'action en complainte; l'objection tirée de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre” , par laquelle on prétendrait rendre l'action possessoire inutile, est encore moins admissible, puisque la réintégrande est donnée au possesseur précaire (v. art. suiv.), lequel ne peut jamais invoquer cette maxime.
Enfin, le 1er alinéa exige que le demandeur en réintégrande n'ait pas lui-même obtenu la possession par un des moyens qu'il impute au défendeur; autrement, il n'y aurait pas de raison pour qu'il lui fût préféré. C'est le cas d'appliquer un axiome célèbre: “dans deux situations semblables, on préfère celle du possesseur actuel.” Mais pour que les faits délictueux du demandeur le privent de l'action en réintégrande, il faut qu'ils aient été commis contre le défendeur; autrement, celui-ci n'aurait pas le droit de les opposer au demandeur: ce sont des vices relatifs, non absolus, comme on l'a déjà vu sous l'article 183.
Le 2e alinéa établit encore une différence profonde entre l'action en réintégrande et les trois premières actions possessoires. On a vu, plus haut, que ces trois actions sont vraiment réelles, en ce sens qu'elles se donnent contre tout possesseur, lors même qu'il ne serait pas l'auteur du trouble ou des travaux contestés: il suffit qu'il ait succédé à la possession et qu'il n'ait pas fait cesser le trouble ou les travaux; la réparation seule, l'indemnité du dommage, est demandée à l'auteur direct du trouble. Dans la réintégrande, au contraire, l'action tout entière, aussi bien pour la restitution que pour l'indemnité, a un caractère personnel; comme telle, elle peut bien être exercée contre les successeurs universels, parce qu'ils continuent la personne de leur auteur et succèdent à ses obligations civiles, même à celles nées de faits délictueux; mais, elle ne s'exercerait pas contre un successeur à titre particulier, (un acheteur, un donataire), en cette qualité, puisqu'il ne succède pas à la personne; toutefois, s'il était lui-même complice des actes d'usurpation, il serait sujet à l'action pour ses faits personnels.
Art. 205. Ici on trouve encore deux différences de nature entre l'action en réintégrande et les deux premières actions possessoires.
1° L'action en réintégrande appartient au possesseur précaire, aussi bien qu'au possesseur civil: le motif qui lui fait accorder l'action en réintégrande est double: d'abord il a le plus souvent la responsabilité de la garde de la chose; or, ne pouvant la revendiquer comme sienne, il faut au moins qu'il en puisse recouvrer la possession; ensuite, il peut et souvent il doit agir au nom et pour le compte de celui pour lequel il détient;
2° Elle n'exige pas, même pour les immeubles, une possession annale; c'est encore l'application d'un axiome d'une évidente équité: “le spolié doit être, avant tout, rétabli dans sa situation première;” il recouvrera ainsi le rôle de défendeur qui a tant d'avantages contre les demandes téméraires.
Quoique la dénonciation de dommage imminent ne soit pas fondée, comme la réintégrande, sur un fait délictueux, il est naturel que, tendant à prévenir un mal pour les personnes ou pour les biens, elle soit donnée aussi au possesseur précaire et sans que la possession soit annale.
Aucune de ces actions n'est donnée à celui qui n'a qu'une possession naturelle, parce qu'il n'a aucun droit et ne joint d'aucune présomption de droit.
Art. 206. Le défendeur aux actions possessoires, pouvant être lui-même, le plus souvent, considéré comme possesseur, le délai de l'exercice des actions possessoires devait, dès lors, être calculé de façon à donner la préférence au plus ancien possesseur. Or, le demandeur en complainte doit avoir possédé un an, au moins, avant le trouble; il devra donc agir aussi dans l'année du trouble; autrement, le défendeur lui serait préférable par la durée de sa possession.
Pour l'action en réintégrande, le principe n'est pas tout-à-fait observé: il faut toujours, il est vrai, que l'action soit intentée dans l'année; mais, comme il n'est pas nécessaire que la possession du spolié ait duré un an, ce n'est pas toujours le plus ancien possesseur qui aura la priorité. Ainsi, le spolié n'avait possédé que pendant trois mois et il exerce son action lorsque le spoliateur a déjà possédé onze mois, il triomphera: cette exception s'explique par la défaveur qui s'attache à l'auteur de la spoliation.
A l'égard de la dénonciation de nouvel œuvre, le principe est suffisamment observé: le demandeur doit avoir la possession annale et si l'action peut être intentée même après un an depuis les travaux commencés, c'est à la condition qu'ils n'ont causé de trouble que depuis moins d'un an; en outre, elle devient non recevable, même avant l'année écoulée, si les travaux sont terminés auparavant; mais alors elle laisse subsister l'action en complainte pendant le reste de l'année du trouble.
Pour ce qui concerne la dénonciation de dommage imminent, il est clair que, tant que le danger subsiste, la cause de l'action renaît, pour ainsi dire, chaque jour: celle-ci ne peut donc cesser qu'avec la réparation des ouvrages ou leur suppression. Si le dommage est une fois consommé par la chûte de l'édifice, l'action possessoire est éteinte, faute d'objet; elle est remplacée par une action personnelle en indemnité.
Art. 207. Il semble, au premier abord, que rien ne serait plus naturel, pour le juge, que de chercher, dans les titres et autres preuves du fond du droit des parties, la solution demandée sur la préférence respectivement prétendue par elles au sujet de la possession; mais la loi le lui défend, avec raison et pour deux motifs principaux:
1° Dans les deux premières actions possessoires, il n'est pas question de savoir si, du côté du demandeur, la possession est juste et légitime, mais si elle existe avec les caractères et la durée requis; ni, du côté du défendeur, si le trouble qu'il a causé ou l'usurpation qu'il a commise sont fondés ou non sur un droit, mais seulement s'il y a eu véritablement trouble ou dépossession. Dans le cas de travaux contestés, il suffit de vérifier s'ils peuvent éventuellement causer un trouble et dans les cas de dommage imminent, s'il a les causes et les caractères prévus par la loi. Ce serait donc, de la part du juge, “statuer sur choses non demandées,” commettre un excès de pouvoir, que d'examiner le fond du droit respectif des parties et d'y puiser les éléments de sa décision;
2° La compétence, en matière d'actions possessoires, tant à cause de la simplicité de la question qu'à raison de la célérité qu'en réclame la solution, est donnée à un juge inférieur et très rapproché des parties: c'est le juge local de la situation de l'immeuble dont la possession est litigieuse, quand l'action est réelle, et celui du domicile du défendeur, quand elle est personnelle; il ne serait donc pas admissible que le juge pût excéder sa compétence, en se livrant à l'examen du fond, sinon pour le juger, au moins pour le préjuger.
Le défense faite au juge, par le 3e alinéa, se justifie autrement: si le juge pour sortir d'embarras, prononçait un sursis et renvoyait les parties se pourvoir au pétitoire, il commettrait un déni de justice, ce que la loi réprouve plus encore qu'un mauvais jugement, parce qu'un mauvais jugement peut être réformé.
Ajoutons qu'après le jugement du pétitoire, il n'y aurait plus rien à juger au possessoire (art. 209), ce qui bouleverserait toute la théorie.
Art. 208. Cet article est la contre-partie du 3e alinéa de l'article précédent: celui-là défendait le sursis au possessoire, celui-ci ordonne le sursis au pétitoire. Mais le motif n'est plus le même; car, tandis que le juge ne peut statuer sur choses non demandées, les parties peuvent, en général, à leurs risques, demander ce qu'elles croient leur appartenir et, en fait, il y a deux demandes pendantes.
La principale raison pour laquelle la loi veut qu'il soit sursis à statuer sur le pétitoire, jusqu'après le jugement définitif sur le possessoire, c'est que le possessoire a toujours un caractère d'urgence: il arrive souvent, en effet, que les contestations sur la possession amènent des injures, des violences ou des rixes; c'est une des matières où les particuliers ont une fâcheuse disposition à se faire justice à eux mêmes; en outre, les preuves, tant de la possession que des atteintes qu'elle peut recevoir, sont de nature à disparaître avec le temps, plus facilement et plus promptement que celles du fond du droit; il y a donc urgence à examiner et juger le possessoire.
Ajoutons que celui qui triomphera au possessoire sera défendeur à l'action pétitoire; il est donc juste de laisser à chaque partie le moyen d'obtenir son véritable rôle dans la procédure du pétitoire.
La loi suppose que les deux actions peuvent être portées devant le même tribunal; il semble, d'après ce qui a été dit plus haut, que l'un d'eux devrait toujours être incompétent; mais cela n'est pas constant: d'abord si l'action possessoire est déjà portée en appel au tribunal de district, au moment où l'action pétitoire est portée en 1re instance à ce même tribunal, il n'y a aucune incompétence; il en est de même, s'il s'agit de meubles et que l'action pétitoire soit portée devant le juge local du domicile du défendeur, dans les limites de sa compétence, alors que l'action possessoire y est déjà pendante; enfin, lors même que le cumul des deux actions devant le même tribunal constituerait un cas d'incompétence, ce n'est pas l'exception d'incompétence qui devrait être opposée la première, mais celle tirée de notre article et tendant au sursis; elle est, en effet, beaucoup plus facile à juger qu'une question de compétence: il suffit de constater que les deux demandes sont pendantes et d'ajourner l'action pétitoire.
Le 2e alinéa autorise le défendeur au pétitoire à se porter demandeur au possessoire. Cela est très-juste; il ne fallait pas que l'auteur du trouble ou de la spoliation pût en intentant l'action pétitoire, se soustraire à une prompte réparation et priver le possesseur de l'action possessoire.
Art. 209. La disposition de cet article paraît un peu sévère; le motif en est que celui qui, prétendant pouvoir agir au possessoire, à raison d'un trouble ou d'une spoliation, ne l'a pas fait avant d'agir au pétitoire, a reconnu que sa possession n'avait pas les qualités voulues ou que les faits n'étaient pas assez graves pour l'autoriser à agir au possessoire et qu'il a ainsi renoncé tacitement à cette voie judiciaire.
Mais il ne fallait pas aller jusqu'à décider que la renonciation tacite s'appliquerait même à une action possessoire déjà intentée par la même partie. Le texte permet formellement à cette partie de continuer à procéder, “de suivre,” autant comme demandeur que comme défendeur, sur une action possessoire déjà intentée, et cette disposition concorde parfaitement avec celle de l'article précédent qui veut qu'au cas où les deux actions sont simultanément pendantes, il soit seulement sursis au jugement du pétitoire.
Bien entendu, la demande au pétitoire ne ferait pas perdre le droit d'agir au possessoire pour des faits de trouble ou de spoliation commis contre le demandeur après sa demande: le texte et la raison ne font présumer la renonciation qu'à l'égard de faits antérieurs.
Si l'action pétitoire a été seule intentée d'abord, celui qui y a succombé, soit comme demandeur, soit comme défendeur, ne peut plus agir au possessoire.
Cette décision du 2e alinéa de notre article est facile à comprendre; les droits et actions accordés au possesseur sont fondés sur une présomption de propriété ou de droit au fond, laquelle est démentie pour celui qui a succombé dans le jugement sur l'action pétitoire.
Observons seulement que cette déchéance du droit d'agir au possessoire n'a lieu que contre celui qui a succombé “définitivement;” par conséquent, un jugement sur le pétitoire, encore susceptible d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation, ne ferait pas obstacle à l'exercice d'une action possessoire.
Art. 210. Il est fréquent que les plaideurs aient à se reprocher, respectivement, les mêmes torts ou des torts semblables, et il est naturel, en pareil cas, que chacun puisse prendre le rôle de demandeur pour en obtenir la réparation. Lorsque celui qui a été actionné le premier se porte à son tour demandeur, sa demande est dite reconventionnelle.
C'est surtout en matière de possession qu'il est facile de concevoir que les deux adversaires s'imputent réciproquement des torts, des troubles ou des voies de fait. Si notre article proclame le droit pour le défendeur au pétitoire de former une demande reconventionnelle au possessoire, c'est pour compléter le jeu assez compliqué de ces diverses actions, et aussi de peur qu'on n'exagère la règle que " le pétitoire et le possessoire ne peuvent être cumulés: cette règle n'empêche pas, comme on l'a déjà vu (art. 208) que les deux actions soient pendantes simultanément; c'est le jugement simultané ou cumulé qui est défendu; à plus forte raison, peut-il y avoir deux actions possessoires pendantes simultanément et de plus, dans ce cas, un seul et même jugement pourra les décider.
Art. 211. Cet article ne présente pas de difficulté: il consacre ce qui a déjà été annoncé comme étant l'objet des diverses actions possessoires.
On rappelle seulement ici que, dans l'action en réintégrande, la restitution de la chose usurpée ne peut être exigée que de l'auteur même de la spoliation ou de ses successcurs, parce qu'elle a pour cause une faute; il en est de même dans les autres actions, pour les dommages-intérêts: sur ces deux chefs, les actions possessoires ont le caractère d'actions personnelles.
Enfin, on remarquera une double particularité sur la dénonciation de dommage imminent: 1° les mesures préventives du dommage, qui peuvent être des travaux de réconfortation ou une démolition totale ou partielle d'édifices; 2° la caution ou garantie de l'indemnité éventuelle.
Art. 212. Le demandeur peut avoir succombé au possessoire, soit parce qu'il n'a pu justifier des faits par lui allégués, soit parce que sa demande a été tardive, soit enfin parce qu'elle ne remplissait pas les conditions requises par la loi. Il est clair que cet insuccès n'empêche pas qu'il puisse avoir la propriété ou tout autre droit qu'il exerçait déjà comme lui appartenant. Il n'a pu se prévaloir, dans l'action possessoire, des titres et autres moyens de prouver son droit au fond, lequel reste encore à juger, s'il le requiert. Et, son procès ne pouvant être présumé téméraire, puisqu'il n'a rien à restituer, il n'est même pas obligé d'acquitter préalablement les frais du premier procès auxquels il a pu être condamné.
Cet alinéa repose sur le même principe que le 1er, avec une différence toutefois: la question de propriété, ou du fond du droit, n'a pas été soulevée, elle est entière; il a été jugé que le demandeur était possesseur avec les qualités requises pour agir au possessoire et qu'il avait été troublé ou spolié; le défendeur n'a pas été admis à se justifier par des moyens tirés du fond, parce que “le possessoire et le pétitoire ne peuvent être cumulés;” mais il peut maintenant introduire l'action pétitoire: il y sera demandeur, avec toute la charge de la preuve, et, s'il triomphe, son adversaire sera obligé de lui rendre la possession et les fruits perçus depuis la demande; enfin, le débat ne pourra plus être soulevé entre les mêmes parties: il y aura définitivement chose jugée au fond.
Mais, il y avait à craindre que celui qui a succombé comme défendeur au possessoire ne cherchât à se soustraire, pendant un certain temps, à l'effet des condamnations portées contre lui, surtout à la nécessité de restituer la possession, et qu'il n'intentât, témérairement ou de mauvaise foi, une action pétitoire. La loi prévient ce danger, en exigeant que l'exécution des condamnations ait lieu préalablement, ou qu'il soit donné à cet égard des garanties suffisantes.
La loi organique des Cours et Tribunaux donne la compétence aux juges local pour le jugement des actions possessoires et le Code de Procédure civile en règle la procédure.
SECTION IV.
DE LA PERTE DE LA POSSESSION.
Art. 213. Il semblerait qu'on dût retrouver ici tout ou la plus grande partie des causes qui font perdre le droit de propriété (voy. art. 42). Cependant, il n'y a guère que les 2e et 4e cas qui soient communs aux deux droits (voy. art. 42, 5e et 6e al.); cela tient à la grande influence, dans la possession, du fait de la détention, lequel est indifférent dans la propriété qui est un pur droit.
On reprendra séparément chacune des causes qui font perdre la possession; mais elles ne présentent guère de difficultés, après les développements qui précèdent.
L'intention de posséder étant un des deux éléments du droit de possession, il est naturel que le droit cesse avec cette intention.
Comme il y a deux sortes de possessions caractérisées par l'intention, l'une civile, l'autre précaire; comme la différence entre elles tient à ce que, dans la première, on possède pour soi, et, dans l'autre, pour autrui; dès lors, le texte, pour embrasser les deux sortes de possessions, suppose que, dans chacun de ces deux cas, le possesseur a cessé d'avoir l'intention qui constituait et caractérisait sa possession.
Ainsi, celui qui possédait pour lui-même et avait la possession civile a commencé à posséder pour autrui: il a perdu la possession civile et n'a plus qu'une possession précaire; ainsi encore, celui qui possédait pour autrui et avait la possession précaire a cessé d'avoir l'intention de posséder pour aucune personne: il n'a plus la possession précaire; il conserve une possession purement naturelle; car il ne se rencontre plus en sa personne qu'un pur fait matériel, la détention de la chose.
On n'a pas à revenir ici sur le cas inverse du premier, celui où le possesseur précaire aurait désormais l'intention de posséder pour lui-même: en pareil cas, son changement d'intention serait rarement valable; il resterait légalement possesseur précaire, et si, par exception, le changement d'intention était admis, il y aurait moins perte de la possession précaire qu'acquisition de la possession civile (voy. art. 185).
Si le possesseur, sans cesser d'avoir l'intention de posséder, cesse de détenir la chose ou d'exercer le droit, c'est le deuxième élément de la possession, l'élément de fait, qui lui manque; son intention est insuffisante pour lui faire retenir la possession.
Toutefois, la loi exige, pour cela, que la cessation du fait soit volontaire, ou, si elle est forcée, qu'elle le soit légalement; comme serait l'exécution d'un jugement rendu au possessoire, sur une action en réintégrande, ou au pétitoire, sur une action en revendication ou en résolution de contrat; telle serait encore l'exécution d'un jugement de confiscation.
Ces cas correspondent à quelques-uns de ceux où, d'après l'article 42, la propriété elle-même se perd; mais il y a cette différence que la propriété, étant un pur droit, se perd par le jugement même qui prononce la résolution ou la confiscation; tandis que la possession, à cause de son élément de fait, ne se perd que par l'exécution effective du jugement.
Si la cessation de la détention n'était ni volontaire, ni légalement forcée, mais résultait d'une force majeure, comme d'une inondation prolongée, la possession ne serait pas perdue; il en serait de même s'il s'agissait de terrains inaccessibles pendant une partie de l'année; on peut encore ajouter le cas où un objet mobilier est égaré dans une maison et où l'on ne peut pas dire qu'il soit encore possédé en fait, sans qu'on puisse dire non plus que la possession en soit perdue.
Dans tous ces cas, on dit que “la possession se conserve par la seule intention.”
Le texte du précédent alinéa, en exigeant que la cessation forcée de la détention soit légale, a pour but d'exclure le cas de dépossession illégale, par violence ou par surprise, cas auquel le spolié a la réintégrande et n'a pas perdu la possession, tant qu'il n'a pas perdu cette action par le laps d'un an. C'est à cette occasion que s'est introduit l'axiome de droit que “celui qui a une” action pour recouvrer une chose est considéré comme “ayant encore la chose elle-même.”
Ici la dépossession peut être illégale, mais elle a duré plus d'une année et c'est cette circonstance qui dépouille le possesseur.
Dans le cas où le possesseur spolié ou privé de la possession par le fait d'un tiers, même de bonne foi, néglige d'intenter, dans l'année, l'action en réintégrande ou l'action en complainte, on pourrait dire que, le plus souvent, il y a abandon volontaire de la possession; mais il est préférable de séparer ce cas du précédent; en effet, lors même que l'inaction du possesseur dépouillé tiendrait à son absence ou à son ignorance de la dépossession, il n'en perdrait pas moins son droit, comme il arrive d'ailleurs dans les autres cas où les droits se perdent par prescription.
Il va de soi que la possession ne peut survivre, ni comme fait, ni comme droit, à la destruction totale de la chose: l'intention de la posséder n'aurait plus d'objet.
La loi prévoit aussi la perte de la chose ou du droit qui ne se confond pas toujours avec sa destruction: ainsi, si une chose privée passe dans le domaine public, le droit est perdu pour le possesseur, mais la chose subsiste; la possession cesse, au moins la possession civile (art. 184); ainsi encore, si un animal sauvage s'échappe et n'a pu être ressaisi, avant d'être occupé par un tiers de bonne foi, la chose n'est pas détruite, mais elle n'est plus soumise au droit du précédent possesseur: la possession est perdue.
CHAPITRE V.
DES SERVITUDES FONCIÈRES.
DISPOSITION GÉNÉRALE.
Art. 214. Le nom de servitudes, employé pour désigner certains démembrements de la propriété, exprime l'idée qu'une chose est affectée, d'une façon dépendante, à l'usage et au service d'un autre que le propriétaire de cette chose. Le droit de propriété lui-même assujettit pleinement la chose au propriétaire; mais le nom même de propriété l'indiquant suffisamment, le nom de servitude ne s'emploie pour aucun des services que le propriétaire tire de sa propre chose.
Les servitudes dont il va être parlé sont appelées foncières et, souvent, réelles, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qu'on appelle quelquefois servitudes personnelles.
Ces noms demandent quelque attention, car ils pourraient causer de la confusion.
La qualification de réelles n'a pas ici pour but de dire que les servitudes sont des droits réels; car l'usufruit, l'usage et l'habitation sont aussi des droits réels. La qualification de foncières n'est pas employée pour exprimer que ces servitudes portent toujours sur des fonds; car l'habitation porte toujours sur un bâtiment, et si l'usufruit et l'usage ne portent pas toujours sur un fonds, ils peuvent aussi porter et, en fait, ils portent, le plus souvent, sur cette nature de biens.
Ici, les qualifications de réelles ou foncières, appliquées aux servitudes, expriment l'idée qu'elles appartiennent à une chose, à un fonds, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qui appartiennent toujours à une personne déterminée et s'éteignent avec elle, sans se transmettre à son héritier, même au plus proche.
Il y a, au premier abord, quelque chose de bizarre à dire qu'un droit “appartient à une chose:” les choses sont les objets du droit et n'en peuvent être les sujets; elles subissent un droit, mais ne peuvent l'exercer; leur rôle est toujours passif, jamais actif, et, en réalité, les servitudes foncières appartiennent au propriétaire du fonds en faveur duquel la servitude est établie; mais, comme ce propriétaire peut changer, par cession ou par héritage, et comme le droit de servitude n'en subit aucune atteinte et passe intact au nouveau propriétaire, en cette qualité, on est amené à dire, par figure de langage, que le droit de servitude appartient plutôt au fonds qu'à la personne du propriétaire. En outre, si l'on considère que les servitudes ont pour but l'amélioration des fonds, leur utilité, leur plus-value, et non le seul agrément des personnes, il n'y a rien d'exagéré à dire que les servitudes foncières “appartiennent aux fonds,” et même, en suivant jusqu'au bout la figure de langage, on appelle fonds dominant celui en faveur duquel la servitude est établie, et fonds servant celui qui la subit, celui sur lequel elle s'exerce.
Ces observations préliminaires servent d'explication au 1er alinéa de notre article 14 qui donne la définition des servitudes foncières.
Il suffit maintenant d'en faire ressortir les deux caractères distinctifs.
1° La servitude doit avoir pour but de donner plus d'utilité au fonds dominant. Par utilité, on doit entendre tout ce qui en favorise l'usage, en facilite l'exploitation et, d'une manière générale, en augmente la valeur; ce qui comprend même certains agréments, lorsqu'étant, de nature à convenir à toute personne et non au seul propriétaire actuel, ils donneront plus de valeur au fonds.
On aura à revenir, plus loin, avec l'article 266, sur les distinctions à faire au sujet des agréments purement personnels qui ne pourraient être établis à titre des servitudes foncièrs.
Le présent article exige que la servitude procure de l'utilité au fonds dominant; c'est le principe essentiel.
L'établissement des servitudes a un grand avantage économique. Généralement, le profit qu'elles procurent au fonds dominant est bien supérieur au préjudice qu'elles causent au fonds servant; cependant, s'il en était autrement, la servitude n'en serait pas moins valable, car les propriétaires auraient usé de leur liberté respective.
2° Il est nécessaire que les deux fonds, servant et dominant, appartiennent à différents propriétaires; si le propriétaire de deux fonds tirait de l'un des avantages dans l'intérêt de l'autre, ce serait l'exercice normal du droit de propriété, il n'y aurait pas servitude; cet état de chose dépendrait uniquement de la volonté du propriétaire, quant à son étendue et quant à sa durée; la loi n'aurait pas à s'en occuper. Ce principe a des conséquences variées que l'on rencontrera ultérieurement.
Généralement, les servitudes sont établies entre fonds contigus ou, tout au moins, voisins: mais, cette condition n'étant pas absolument nécessaire, en raison, la loi ne l'exige pas; ainsi, rien n'empêcherait qu'un droit de passage ou une prise d'eau fussent établis à la charge d'un fonds, au profit d'un fonds éloigné, lorsque la communication entre les deux fonds pourrait se faire par la voie publique, par un cours d'eau, ou par des fonds intermédiaires.
La loi n'exige pas non plus que les servitudes aient un caractère perpétuel, pour les fonds de terre, ni même, s'il s'agit de bâtiments, qu'elles soient aussi durables que ceux-ci.
Le 2e alinéa de notre premier article indique les causes d'établissement des servitudes; il n'en reconnaît que deux: la loi et le fait ou la volonté de l'homme; il ne reconnaît de servitudes naturelles ou résultant de la situation des lieux.
Si l'on veut examiner les choses de haut, on reconnaîtra que tous les droits sont naturels avant d'être consacrés par la loi, surtout dans les pays où la loi se arde d'être arbitraire; toutes les servitudes dites légales seraient donc, avant tout, naturelles; il est préférable de nommer légales toutes celles que la loi consacre, sans l'intervention des particuliers. D'ailleurs, même dans les servitudes que la nature semble imposer davantage au législateur, il y a toujours lieu de régler l'exercice du droit, d'en déterminer l'étendue et les limites; or, si les intéressés n'y pourvoient pas eux-mêmes, la loi seule le peut, et elle le doit, si elle ne veut pas laisser aux tribunaux un trop grand pouvoir, lorsque les contestations se présenteront.
Ce n'est pas, cependant, sans avoir beaucoup hésité que l'on s'est décidé à reconnaître au Japon des servitudes légales, bien qu'on trouve cette idée dans la plupart des législations modernes.
Depuis longtemps, il est admis en doctrine que les dispositions classées sous le nom de servitudes légales ne sont pas de véritables servitudes, qu'elles constituent plutôt le droit commun de la propriété, tandis que les servitudes proprement dites ne peuvent être que des charges exceptionnelles.
En effet, parmi les servitudes dites légales, on trouve des limites à l'exercice du droit de propriété qui n'est pas et ne peut être absolu, des restrictions à la liberté du propriétaire, établies dans le but de l'empêcher de nuire à ses voisins; comme la défense d'envoyer ses eaux ménagères ou industrielles sur le fonds voisin, ou même d'y faire tomber l'égoût de ses toits; comme aussi celle de faire certains actes abusifs à l'égard du mur ou du fossé mitoyen. Or, il est difficile de considérer ces défenses comme des “charges établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre fonds;” on ne peut non plus, dans ces cas, parler de fonds dominant, ni de fonds servant; car, chacun des fonds a, tout à la fois, les deux qualités vis-à-vis de l'autre, puisque les deux propriétaires peuvent se prévaloir des mêmes droits respectivement.
D'autres dispositions légales ont davantage le caractère de charges, comme celle de fournir au voisin enclavé un passage qui lui donne accès à la voie publique; comme aussi l'obligation, pour les voisins, de contribuer également aux frais du bornage de leurs propriétés contiguës et même de la clôture, en certains cas.
Mais, on peut dire que la première seule de ces charges est établie pour l'utilité de l'un des fonds, car, les deux dernières le sont dans l'intérêt réciproque des voisins.
Ces considérations, si sérieuses qu'elle soient, n'ont cependant pas suffi pour déterminer les Rédacteurs du Code à rejeter la classification ordinaire.
Plusieurs motifs s'y opposaient.
D'abord, il est toujours gênant de s'écarter des traditions universellement reçues; car, on prive la jurisprudence du bénéfice des travaux antérieurs.
Ensuite, il y a, entre voisins, des obligations légales qu'il est bien difficile de ne pas qualifier de servitudes; telle est celle de fournir le passage des personnes en cas d'enclave, celle de subir le passage des eaux pour l'irrigation, ou leur écoulement pour le drainage, et plusieurs autres relatives aux eaux: sans compter les nombreuses charges imposées aux propriétaires, dans l'intérêt général, par les lois administratives.
Enfin, si l'on voulait suivre une classification théorique rigoureusement exacte, on serait amené à répartir, dans trois ou quatre différentes places, des matières que l'on cherchera naturellement sous la rubrique des Servitudes.
Il faut souvent, en matière de législation, sacrifier la théorie pure à l'utilité pratique. Il y a longtemps qu'un législateur romain, l'empereur Justinien, a proclamé que “la simplicité est amie des lois.” C'est une vérité encore aujourd'hui et au Japon comme partout ailleurs.
On aura donc, dans cette matière, deux Sections: l'une, pour les diverses modifications de la propriété nommées, improprement quelquefois, servitudes légales, l'autre, pour les véritables servitudes, pour celles qui, créées par la volonté de l'homme, constituent un asservissement exceptionnel d'un fonds à un autre.
Les deux Sections ne pourront être subdivisées de la même manière; tandis que la seconde présentera nos subdivisions habituelles (1° les diverses espèces du même droit, 2° les causes ou moyens d'établissement du droit, 3° les effets du droit, 4° les causes d'extinction du droit), la première ne présentera d'autre subdivision que celle tirée des cas particuliers constituant les diverses espèces de servitudes dites “légales.” En effet, il ne peut être question de tirer une subdivision des causes, puisque ces servitudes ont toutes la même cause, à savoir, la loi; quant aux effets et à l'extinction de chacune de ces servitudes, ils varient, plus ou moins, avec chaque espèce de servitude et ils constituent précisément la matière principale de chaque paragraphe.
SECTION PREMIÈRE.
DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LA LOI.
§ Ier. DES DROITS D'ACCÈS ET DE PASSAGE SUR LE FONDS VOISIN.
Art. 215. C'est assurément un des droits les plus certains du propriétaire que celui de refuser à autrui l'accès ou l'entrée chez lui; cependant, ce droit même doit céder devant un autre droit plus respectable encore: celui qui demande l'entrée chez son voisin pour des travaux de construction ou de réparation, à faire sur la limite ou à proximité de la limite des fonds, est mû par un intérêt pécuniaire légitime et souvent considérable; celui qui la refuse ne cherche souvent qu'une satisfaction de pure convenance personnelle, si même il ne cède pas à un mauvais vouloir.
Il ne faudrait même pas croire qu'il n'y a ici que deux intérêts privés en présence. Si cela était, il ne serait pas facile de faire prévaloir l'intérêt de l'un sur les convenances de l'autre. Mais, il faut voir ici un intérêt général, un intérêt économique.
Si la loi n'autorisait pas l'accès sur la propriété d'autrui pour la réparation des bâtiments, chaque propriétaire serait obligé de construire ses bâtiments et même ses murs en-deçà de la ligne séparative, ce qui produirait une perte de terrain.
Au Japon, un usage ancien, que le Code consacre dans certains cas (v. art. 257), est aussi de ménager entre les bâtiments un espace convenable pour les réparations. Mais comme les bâtiments qui se trouvent indûment sur la limite des propriétés ne doivent pas être démolis pour ce seul fait, le droit d'accès sera toujours éventuellement utile.
Art. 216. Bien qu'il s'agisse ici d'un double intérêt économique, l'épargne des terrains et la conservation des bâtiments, il ne faudrait pas non plus sacrifier un autre intérêt économique, la conservation des récoltes. La loi pose donc, en principe, que les travaux ne pourront se faire à l'époque où les récoltes, déjà plus ou moins proches de la maturité, pourraient en être compromises. Mais, la prohibition fléchit devant l'urgence ou la nécessité absolue, justement parce que l'intérêt des bâtiments est, en général, plus grand que celui des récoltes: les bâtiments réparés en temps utile peuvent durer longtemps; leur perte, au contraire, est irrémédiable et peut être considérable; tandis qu'une récolte perdue ne l'est que pour une année et souvent pour une portion minime.
La loi interdit encore les travaux (sauf toujours le cas de nécessité), lorsque le propriétaire voisin ou le possesseur est absent. Il est juste qu'une atteinte à ses immunités, même autorisée par la loi, n'ait lieu que sous son contrôle et sous sa surveillance: les parents ou les serviteurs pourraient être mauvais gardiens de ses intérêts. Mais encore faut-il, pour retarder les travaux, que le voisin ne soit que “momentanément” absent; car si son absence était déjà ancienne ou devait durer encore longtemps, le propriétaire n'en devrait pas souffrir indéfiniment; d'ailleurs, l'absent a pu et presque dû laisser un mandataire pour surveiller sa propriété.
La loi revient, dans le 2e alinéa, au respect des convenances du voisin, en interdisant que les travaux puissent motiver l'accès ou l'entrée dans les bâtiments consacrés à l'habitation, ce qui doit s'entendre même de l'habitation de la famille et des serviteurs, et des accessoires immédiats et nécessaires desdits bâtiments.
Il ne paraît pas nécessaire de justifier cette sage disposition.
Si les travaux ne demandaient l'accès qu'à des bâtiments consacrés à l'industrie ou au commerce, ou à des magasins, la prohibition cesserait.
Art. 127. Bien que l'obligation de fournir l'accès soit imposée au voisin par la loi et soit tout-à-fait conforme au droit naturel, ce n'est pas une raison pour lui refuser une indemnité: il n'en est pas moins vrai qu'il éprouve un dommage du fait d'autrui, en même temps que ce fait est avantageux à celui qui l'accomplit.
Lorsque le dommage n'aura été qu'un trouble dans les convenances personnelles, résultant des allées et venues des ouvriers et de la nécessité d'une certaine surveillance, l'indemnité sera naturellement légère et le plus souvent, elle ne sera même pas demandée, par l'effet des bons rapports de voisinage; il en serait autrement, s'il y a eu dégradation des jardins ou des champs ou si les travaux ont été très longs, comme ceux de la construction d'un koura.
Du reste, le payement d'une indemnité ne dispenserait pas l'auteur des travaux d'enlever les débris de matériaux et d'approprier les lieux, en les rétablissant, autant que possible, dans l'état où ils étaient auparavant.
Art. 218. Cette servitude connue sous le nom de “droit de passage en cas d'enclave” , est, plus encore que la précédente, fondée sur un grand intérêt économique.
Si un fonds n'avait pas d'accès à la voie publique, il ne pourrait être, ni habité par les personnes, ni exploité en culture ou autrement; ce serait une propriété perdue pour tout le monde. Il faut donc faire fléchir l'intérêt des voisins devant l'intérêt général, en même temps que devant l'intérêt supérieur du propriétaire enclavé.
Il ne faudrait pas, cependant, considérer cette servitude comme “dérivant de la situation naturelle des lieux;” car, si elle est devenue nécessaire, ce n'est que par l'imprévoyance des propriétaires antérieurs, dans des opérations de partage ou de cession. Aussi, les législations qui admettent des servitudes naturelles, n'y font-elles pas rentrer celle qui va nous occuper: elle figure, comme ici, parmi les servitudes légales; la loi, en effet, intervient pour corriger la faute de l'homme.
Par cela même que la cause de la servitude n'est pas purement naturelle, le passage ne pourra être obtenu que moyennant une indemnité, sur laquelle revient l'article 220 et sauf une exception portée par l'article 223.
La loi tranche, au 2e alinéa, une question qui pouvait faire difficulté, à savoir, si un fonds peut être considéré comme enclavé quand il n'a de communication qu'avec un cours d'eau, même public; sans doute, dans le langage du droit, un fleuve, une rivière, un canal public, sont des voies publiques et ces voies communiquent, de distances en distances, à des voies terrestres; mais, on ne peut méconnaître qu'elles sont d'un accès souvent difficile et même quelquefois dangereux; un fonds de quelque importance qui n'aurait pas d'autre communication avec le dehors, serait, presque toujours, difficile à exploiter et d'une habitation très incommode. Cela est encore plus évident, si le fonds ne communique qu'avec la mer qui n'est pas accessible à toute heure, par le mouvement du flux et du reflux, et qui souvent est bouleversée pendant plusieurs jours.
Toutefois, il peut y avoir tant de variétés dans les dispositions locales que la loi a laissé un pouvoir d'appréciation aux tribunaux: ils “pourront,” sans encourir la cassation, déclarer, suivant les circonstances, qu'un fonds contigu à un cours d'eau est enclavé ou ne l'est pas.
La solution est la même et devait encore plus être laissée à l'appréciation des tribunaux, lorsque le fonds prétendu enclavé est supérieur ou inférieur à la voie publique: il est clair que, dans bien des cas, une communication qui n'aurait lieu que par de hauts escaliers serait bien défavorable à l'exploitation d'un fonds; mais il ne faudra considérer l'inégalité des niveaux comme constituant une enclave que si elle est “notable” et en outre, il faudra tenir compte de la nature et du mode d'exploitation des propriétés: une maison d'habitation ne serait pas considérée comme enclavée par la même différence de niveaux qu'une manufacture ou un fonds mis en culture.
Au surplus, comme le passage sur les fonds voisins sera toujours plus ou moins onéreux pour celui qui le requiert, il n'y a guère à craindre qu'il le réclame sans nécessité, lorsqu'il a déjà une communication avec un cours d'eau, avec la mer ou avec une voie publique se trouvant en contre-bas ou en contre-haut de sa propriété.
La loi n'a pas cru devoir s'occuper du cas où les communications directes d'un fonds avec la voie publique se trouveraient momentanément interrompues par quelque accident, comme un éboulement, une inondation ou des travaux publics. En pareil cas, si les communications ne pouvaient se faire qu'à travers des fonds voisins, les propriétaires de ces fonds devraient s'y prêter, et sans indemnité. C'est à la police locale qu'il appartiendrait de résoudre les difficultés nées de ces circonstances.
Il peut enfin se produire une enclave véritable et permanente par la suppression d'une voie publique, ou par son déplacement, au moyen d'un redressement ou autre opération de voirie. Dans ce cas, si l'administration n'a pu fournir aux fonds précédemment riverains de la voie publique une communication avec la nouvelle voie, celle-ci sera demandée aux fonds voisins; généralement, ce sera l'administration qui fera la demande et fera reconnaître et exécuter la servitude légale.
Art. 219. Le but de la loi ne serait pas complètement atteint et même ne le serait que très imparfaitement, si le passage n'était accordé qu'aux personnes. Lors même que le fonds enclavé ne serait qu'une maison d'habitation, il faudrait, presque toujours, accorder le passage des véhicules, soit pour les personnes, soit pour les provisions. Il en est ainsi, à plus forte raison, pour un fonds qui serait l'objet d'une exploitation agricole, industrielle ou commerciale.
Il n'y aurait même pas à distinguer entre le cas où, soit les bâtiments d'habitation, soit l'exploitation, seraient antérieurs à l'enclave et celui où ils y seraient postérieurs: il y a toujours le même intérêt économique.
Si le fonds enclavé n'a pas d'habitation et que les travaux d'exploitation n'aient lieu qu'à certaines époques de l'année, comme la plupart des travaux des champs, ou comme ceux relatifs à un bois, le passage ne devrait, en règle, être exercé qu'à ces époques; toutefois, le droit de surveillance appartenant au propriétaire du fonds enclavé devrait être respecté, pourvu qu'il n'y eût pas, de sa part, abus et vexation.
Il arrivera le plus souvent, sans doute, que les parties se mettront d'accord sur la fixation de la ligne du passage et sur le montant de l'indemnité: leur intérêt bien compris sera toujours d'éviter les lenteurs et les frais d'une expertise judiciaire. Mais, la loi a dû prévoir le cas de désaccord. Elle indique alors au tribunal le double but qu'il doit poursuivre: la plus grande commodité possible pour le fonds enclavé et le moindre dommage pour le fonds traversé.
La loi ne dit pas que le passage sera pris par la ligne la plus directe, c'est-à-dire la plus courte, car, elle pourrait être aussi la plus incommode, par l'effet d'une pente trop rapide, ou par un terrain inondé ou encombré de roches; la ligne la plus courte pourrait aussi être la plus dommageable au fonds servant, car, il pourrait être nécessaire de supprimer des plantations ou de détruire des cultures importantes.
Il faudra chercher la meilleure conciliation des deux intérêts, et si les parties n'ont pu tomber d'accord, ce sera, le plus souvent, par l'effet du mauvais vouloir du propriétaire du fonds servant. Il sera facile au tribunal, au moyen d'une visite des lieux, ou par la nomination d'un expert, de répondre au vœu de la loi.
Art. 220. Quoique le passage ne soit accordé que contre une indemnité à payer par le propriétaire qui se prévaut de la servitude, cela ne dispense pas celui-ci de faire les frais de premier établissement du passage, tels que nivellement, terrassement, empierrement, et, plus tard, de supporter les frais d'entretien. Le propriétaire du fonds enclavé fera d'ailleurs autant ou aussi peu de travaux qu'il jugera à propos; de cette façon, on évite des contestations qui pourraient gâter tout-à-fait les rapports de bon voisinage.
Le propriétaire peut être admis à prétendre à une première indemnité, une fois payée, pour les dommages qui seraient causés aux constructions ou plantations d'arbres, par l'établissement du passage. La loi ne parle que “d'arbres;” si le dommage était causé seulement à des plantes ou arbustes, l'indemnité s'en confondrait avec la suivante.
Les servitudes sont perpétuelles en principe, comme les fonds auxquels elles sont attachées activement et passivement. Cependant, cette perpétuité n'est pas de leur essence, c'est-à-dire, n'en est pas inséparable: elle n'est que de leur nature, c'est-à-dire qu'elle a lieu de droit, s'il n'y est pas dérogé, soit par la loi, soit par le fait de l'homme. On a déjà fait remarquer, sous l'article 314, que la perpétuité ne figure pas dans la définition des servitudes.
L'enclave qui est la cause de la servitude légale de passage ne se présentera pas ordinairement comme devant avoir une durée indéfinie; car elle peut cesser par des causes diverses, notamment, par la création d'une nouvelle voie publique avec laquelle communiquerait le fonds enclavé; elle peut cesser aussi, si le propriétaire du fonds enclavé acquiert un des fonds voisins communiquant avec la voie publique, autre que celui sur lequel il exerçait la servitude; on peut supposer enfin que le fonds servant se trouve réuni au fonds dominant dans les mêmes mains, ce qui est le cas d'extinction de la servitude par confusion.
C'est à raison de la probabilité de la cessation ultérieure de l'enclave que la loi n'accorde qu'une indemnité “annuelle” au propriétaire du fonds servant: cette indemnité a une double base: 1° la diminution de l'usage ou de la jouissance, résultant du terrain occupé par le passage, 2° la dépréciation de la valeur vénale du fonds.
Art. 221. Puisque l'indemnité est annuelle, elle doit cesser d'être due dès que le passage est devenu inutile par la cessation de l'enclave. Si cependant aucune des parties ne se prévaut de cet événement, la situation restera la même jusqu'à ce qu'il convienne à l'une d'elles d'y mettre fin; or, il pourrait arriver que l'ancien passage fût plus court ou plus commode au fonds dominant que le nouveau et que le propriétaire du fonds servant ne fût pas fâché de recevoir toujours l'indemnité annuelle.
Mais il est vraisemblable que le débiteur s'affranchira un jour ou l'autre d'une charge annuelle toujours pénible, surtout quand elle n'est plus inévitable. Dans ce cas, il ne payera l'indemnité que proportionnellement au temps où il aura usé du passage pendant la dernière année: le 1er alinéa commande cette solution.
Le cas prévu par le 2e alinéa est différent. Il faut supposer que l'enclave n'a pas cessé par un fait nouveau, par un de ceux qui ont été prévus plus haut, mais que cependant le propriétaire enclavé veut renoncer au passage: cela ne peut se concevoir raisonnablement que si l'on se place dans les cas où le fonds communique à une rivière ou à la mer ou se trouve entre contrehaut ou en contrebas de la voie publique, ce qui n'avait pas empêché de le considérer comme enclavé; ou bien le propriétaire enclavé a renoncé à un mode d'exploitation qui lui avait permis d'obtenir un passage avec voitures, dont il n'a plus besoin.
Dans ces cas, il peut encore renoncer à son droit, pour s'affranchir du payement de l'indemnité annuelle, et c'est alors que la renonciation étant purement volontaire l'astreint au payement de six mois de l'annuité.
Art. 222. La loi suppose ici que les parties ont fait un règlement en capital de l'indemnité du dommage permanent: ce que le tribunal ne peut faire est évidemment permis aux parties intéressées. Il fallait alors régler le sort de ce capital, pour le cas où l'enclave viendrait à cesser.
La loi devait aussi se prononcer sur la faculté de rachat de l'annuité, quand il n'y a pas été dérogé.
Il est toujours gênant d'avoir à payer des annuités, pour quelque cause que ce soit; c'est aussi une cause fréquente de procès. Lorsque ces annuités n'ont pas de durée fixe et peuvent se prolonger indéfiniment, la loi doit en favoriser l'extinction par le payement d'un capital.
Le Code ne permet cependant ce rachat que s'il a été autorisé et réglé en capital par la convention des parties (1er al.).
Si l'enclave vient à cesser, le capital est toujours restitué en entier, sauf convention contraire (2e al.). Cette restitution aura deux applications: 1° si l'indemnité a été réglée à l'origine en capital et s'il a été effectivement payé; 2° si le rachat de l'indemnité annuelle a été effectué en capital.
Il ne faut pas s'étonner que, dans ces divers cas, l'indemnité soit restituée en entier, même lorsque le passage a été exercé plus ou moins longtemps: le propriétaire du fonds servant a eu la jouissance du capital, en compensation du trouble que lui a causé le passage.
Quoique la loi ne l'exprime pas, il faut exclure de la restitution du capital un des cas qui feraient cesser l'enclave, à savoir, la réunion du fonds servant et du fonds dominant dans les mêmes mains, ou confusion: l'indemnité qui aurait été fixée en capital ou transformée en capital par le rachat de l'indemnité annuelle ne sera pas restituée par le propriétaire du fonds servant, vendeur de sa propriété. On ne peut pas dire, en effet, qu'il est affranchi du passage, puisqu'il n'a plus de fonds. D'ailleurs, le règlement du prix de vente entre les parties met fin à tous leurs rapports pécuniaires au sujet des fonds; enfin et surtout il y a présomption que le fonds servant a été vendu moins cher à cause de la servitude, tout comme s'il avait été vendu à un autre qu'au propriétaire enclavé.
Art. 223. Dans le cas particulier prévu par cet article, la négligence qui a donné naissance à l'enclave est imputable autant au propriétaire qui a cédé la parcelle enclavée qu'à celui qui l'a acquise, il est donc juste que le premier n'ait pas droit à une indemnité pour le passage qu'il est tenu de livrer; d'ailleurs, quand on cède un droit à autrui, on est toujours obligé de lui garantir les moyens d'user du droit cédé.
Cette disposition pourrait, dans le silence de la loi, y être suppléée en vertu du principe de la garantie de la vente et du partage; mais on n'a eu aucun scrupule à l'insérer dans le Code. Elle pourra recevoir une application au cas de cession d'un droit de superficie.
Il est naturel aussi qu'en pareil cas, la servitude cesse de plein droit avec l'enclave, et sans aucune restitution, puisqu'aucune indemnité n'a été payée. Mais, la loi n'admet cette cessation que s'il y a création d'une nouvelle voie publique, ce qui est un avantage gratuit et commun; si donc l'enclave cessait, parce que le propriétaire enclavé aurait acquis un fonds voisin ou obtenu par convention un autre droit de passage, le premier passage subsisterait, parce qu'il est dû par l'effet d'une autre convention.
§ II. DE L'ÉCOULEMENT, DE L'USAGE ET DE LA CONDUITE DES EAUX.
Le Code réunit ici toutes les charges relatives aux eaux, moins, bien entendu, celles établies par le fait de l'homme.
Ainsi, d'abord, on y trouve celle relative à l'écoulement naturel des eaux par le seul effet de la déclivité des terrains (art. 244 et 226). Vient ensuite l'obligation pour chaque propriétaire de préserver ses voisins de l'égoût de ses toits (art. 226). Puis, les limites au droit d'usage des eaux de source ou des eaux courantes (art. 227 à 232). Enfin, le droit d'aqueduc, permettant aux propriétaires d'obtenir un passage à travers le fonds voisin, pour faire venir les eaux nécessaires à l'irrigation ou pour faire sortir celles provenant du drainage ou d'autres opérations de desséchement (art. 233 à 237).
Art. 224. C'est cette première servitude que l'on dit quelquefois dériver “de la situation des lieux,” et que, pour cela, on nomme servitude naturelle; étant observé d'ailleurs qu'il ne s'agit que des eaux pluviales ou des eaux de sources, et non des eaux ménagères ou industrielles.
On a déjà justifié la qualification de légale qui est donnée ici à la servitude.
L'eau suit si impérieusement la déclivité des terrains qu'il n'y a pas de force humaine qui puisse la retenir: le plus faible ruisseau, s'il est contenu plus ou moins longtemps, devient un torrent dévastateur.
La loi respecte et consacre la puissance de la nature et ce serait en vain qu'elle prétendrait dispenser les fonds inférieurs de l'obligation de recevoir les eaux naturelles des fonds plus élevés: la loi ne peut décréter que les rivières remonteront à leur source. Mais, l'obligation légale n'existe plus, si la déclivité a été produite par des travaux exécutés sur le fonds supérieur.
Toutefois, le Code considère qu'il est souvent très difficile de savoir si la disposition respective des lieux a toujours été la même dans les villes et autres localités où la population est agglomérée, les terrains ont presque toujours subi des modifications plus ou moins considérables: les terrains bas ont été comblés et relevés, les pentes ont été modifiées; mais le souvenir en est perdu, ou l'origine en est difficile à prouver. Si les propriétaires des fonds inférieurs étaient admis à refuser de recevoir les eaux après un temps immémorial, en prouvant qu'il y a eu des travaux de main d'homme, il en résulterait un dommage énorme pour les fonds supérieurs, et même, le plus souvent, il serait impossible de rétablir le cours des eaux dans leur état primitif.
La loi va plus loin, elle assimile les travaux remontant à plus de 30 ans à ceux qui ont une ancienneté inconnue.
Au surplus, on a cru inutile d'insérer ici deux dispositions qui se trouvent dans quelques Codes étrangers, à savoir, que “le propriétaire du fonds inférieur ne peut point élever de digue qui empêche l'écoulement,” et que, réciproquement, “le propriétaire du fonds supérieur ne peut rien faire qui aggrave cet écoulement.”
Ces dispositions sont évidemment surabondantes; si le propriétaire inférieur pouvait élever une digue contre les eaux, c'est qu'il ne serait pas tenu de les recevoir; si le propriétaire supérieur pouvait aggraver l'écoulement, on ne pourrait plus dire que celui-ci est naturel, qu'il a lieu “sans que la main de l'homme y ait contribué.”
Ainsi, le propriétaire supérieur ne pourrait pas réunir ses eaux en un ou plusieurs ruisseaux qui, en faisant une irruption plus ou moins violente chez le voisin, pourraient lui causer dommage. Assurément, il pourrait diriger les eaux à son gré dans l'intérieur de son fonds; mais, il devrait, pour la sortie, leur rendre l'écoulement naturel déterminé par le terrain.
Un cas plus délicat est celui de savoir si le fonds inférieur serait tenu de recevoir les eaux d'un puits jaillissant creusé par le propriétaire supérieur, ou d'une source qui aurait été amenée par lui à la surface du sol. Il y aurait là, évidemment, un travail de l'homme, lequel semblerait exclure l'idée de servitude légale; d'un autre côté, l'eau étant amenée à la surface du sol, la pente peut la conduire naturellement chez le voisin. Faudrait-il obliger le propriétaire supérieur à supprimer le puits jaillissant ou la source? Il y a des cas où ce serait impossible et où il n'y aurait d'autre remède que celui d'une indemnité au propriétaire inférieur. On pourrait dire qu'il y a là des eaux enclavées requérant un passage, comme les personnes, dans le cas de l'article 218.
Même question pour les eaux de source amenées d'une propriété voisine et que le cédant ne voudrait pas reprendre.
La question devra, le plus souvent, être résolue par les tribunaux, au moyen d'une indemnité: on assimilera les eaux jaillissantes ou provenant de travaux de l'homme aux eaux amenées pour l'irrigation et qui se trouveraient excéder les besoins du fonds qui les a obtenues. On verra plus loin (art 234), que l'excédant des eaux d'irrigation peut être évacué sur les fonds inférieurs, moyennant indemnité.
Le propriétaire inférieur peut, de son côté, recueillir les eaux à l'entrée de son fonds, soit pour les diriger au lieu où elles sont le moins dommageables, soit pour s'en servir.
La loi n'a pas cru devoir exprimer que le propriétaire inférieur doit recevoir avec les eaux, les terres, sables ou pierres qui seraient entraînées par les eaux: mais, l'obligation est la même, si c'est toujours l'œuvre de la nature. Dans les pays de montagnes, les eaux entraînent souvent des masses énormes de terres et de graviers: les fonds inférieurs se trouvent ensablés et dévastés, les récoltes sont perdues, et il faut souvent plusieurs années pour reconstituer les cultures: c'est aux propriétaires des fonds inférieurs à faire chez eux des ouvrages qui retiennent les terres en laissant passer les eaux.
Une question inverse pourrait se présenter, à savoir: si le propriétaire supérieur aurait le droit de reprendre les terres, sables ou pierres que les eaux ont entraînés.
Il paraît difficile de lui refuser ce droit pourvu qu'il ne cause pas de nouveaux dégâts et qu'il n'ait pas attendu que le propriétaire inférieur ait rétabli ses cultures sur les terres descendues chez lui: autrement, il pourrait être déclaré non recevable par l'effet d'un abandon volontaire desdits matériaux.
Art. 225. Bien que les modifications des cours d'eaux, ici prévues, ne proviennent pas de faits de l'homme, mais d'accidents naturels, elles ne doivent pas aggraver la situation respective des fonds: les propriétaires pourront toujours rétablir le cours normal des eaux.
Le cas le plus saillant est celui où un cours d'eau traversait un fonds supérieur dans une direction plus ou moins horizontale et ne laissait écouler aucune partie de ses eaux sur un des fonds inférieurs; mais par la rupture d'une digue, l'eau s'échappe latéralement et inonde ce fonds. Il est juste, en pareil cas, que le propriétaire inondé puisse faire rétablir le cours naturel de l'eau.
Mais aux frais de quel propriétaire?
Le cas ne pouvait faire doute dans notre Code qui accorde formellement une action possessoire pour danger de rupture de digues ou aqueducs. Il y a là des ouvrages de main d'homme dont l'entretien doit être à la charge de celui sur le fonds duquel ils se trouvent.
Il en serait autrement, si les berges rompues ou menaçant de se rompre étaient naturelles: dans ce cas, la réparation ne pourrait être imposée au propriétaire du fonds supérieur, il devrait seulement la laisser exécuter.
Le 2e alinéa met encore les frais de dégagement des canaux ou aqueducs à la charge du propriétaire supérieur, parce que le fonds servant n'a pas la charge d'entretenir l'écoulement des eaux: il suffit qu'il n'y mette pas obstacle. En effet, on verra plus loin, sous l'article 236 et à la Section suivante, que les servitudes n'obligent pas à faire, mais seulement à souffrir.
La servitude relative à l'écoulement des eaux pourrait être modifiée dans son exercice par des conventions particulières; mais, il est impossible d'admettre qu'elle puisse être entièrement supprimée par convention, parce qu'il est d'ordre public et économique que les fonds supérieurs ne soient pas rendus improductifs par la surabondance des eaux.
Par la même raison, le propriétaire inférieur ne pourrait se dire affranchi de l'obligation de recevoir les eaux, sous le prétexte que le propriétaire supérieur les aurait retenues et absorbées pendant 30 ans, temps ordinaire du non-usage extinctif des servitudes.
C'est une des différences que présentent, avec les servitudes établies par le fait de l'homme, celles des servitudes légales qui sont fondées sur un intérêt d'ordre public essentiel (v. ci-après, art. 290).
Il est d'autant moins possible de soutenir que la servitude qui nous occupe pourrait être éteinte par une convention particulière que le propriétaire supérieur peut même exiger le passage des eaux provenant de drainage ou d'irrigation et cependant, ce ne sont pas là des eaux purement naturelles.
La seule conséquence qu'il faille attacher à une convention qui exclurait la servitude d'écoulement des eaux naturelles, c'est que dans certains cas elle pourrait être rétablie que moyennant indemnité, comme cela a lieu pour les eaux de drainage ou d'irrigation: par exemple, l'indemnité serait très juste si le propriétaire supérieur qui aurait consenti antérieurement à conserver ses eaux naturelles ait lui-même reçu une indemnité ou autre compensation pour ce sacrifice de son droit; il ne devrait donc pas le recouvrer gratuitement.
Art. 226. La loi ne permet pas de faire tomber l'égoût des toits, directement sur la propriété voisine, parce que la hauteur de la chûte creuserait plus ou moins le sol, parce qu'aussi l'espace où l'eau tomberait, serait, en général, plus étendu que l'écoulement naturel venant du sol voisin, enfin, parce qu'aucune partie de l'eau pluviale ne se trouverait absorbée par ce même sol; il faut donc, si les bâtiments sont élevés sur la limite même, que la pente des toits soit dirigée vers le terrain où se trouvent les bâtiments, ou, si la disposition des toits est inverse, que les eaux soient ramenées par des gouttières sur ledit terrain, d'où ensuite elles suivront leur pente naturelle.
Si un propriétaire, en construisant ou en réparant son bâtiment prenait des dispositions contraires à la loi, le voisin pourrait l'arrêter par la dénonciation de nouvel œuvre.
Art. 227. L'écoulement naturel des eaux de source est une charge pour le propriétaire inférieur; mais, il n'est pas un droit pour lui: le propriétaire auquel appartient la source peut donc, en principe, détourner les eaux ou en disposer au profit d'un tiers.
Mais une première exception se trouve dans l'article suivant; on verra aussi dans la Section suivante (art. 276), que parmi les servitudes établies par le fait de l'homme se trouve la prescription acquisitive des eaux, laquelle reçoit une application dans le cas présent.
A plus forte raison, le propriétaire de la source ne pourrait-il priver le voisin de l'écoulement, s'il lui avait concédé les eaux par titre.
Le texte réserve ces deux exceptions pour que la disposition ne paraisse pas, au premier abord, plus absolue qu'elle n'est en réalité. Il réserve aussi la restriction à la liberté des propriétaires au sujet des eaux minérales qui existent sur leurs fonds: la santé publique motive bien un pareil sacrifice.
Art. 228. La présente disposition repose sur le principe que l'intérêt général ou collectif doit primer, dans certains cas, l'intérêt individuel.
L'usage de l'eau est une des besoins les plus impérieux de l'homme, et il est passé en axiome de morale que ce que l'on peut le moins refuser à son semblable c'est l'eau nécessaire à éteindre sa soif. La loi apporte ici, d'ailleurs, un grand soin à concilier les intérêts opposés.
D'abord, pour que le propriétaire de la source soit privé de la plénitude de son droit, il faut que les réclamants constituent une agglomération d'habitants, reconnue par l'administration, un hameau, au moins; il ne suffirait pas d'une réunion de quelques maisons particulières n'ayant aucun lien entre elles, ni de quelque grande manufacture, même employant beaucoup d'ouvriers: il faut que l'agglomération représente un intérêt général, si limité qu'il soit.
De même, le texte veut que l'eau de la source soit nécessaire aux habitants: il ne suffirait pas qu'elle leur fût simplement utile, et il précise le genre de nécessité: ce n'est pas la nécessité agricole ou industrielle, laquelle pourtant se comprendrait, mais n'a pas paru aussi impérieuse que les nécessités domestiques, c'est-à-dire ce qui est nécessaire à l'usage direct de l'homme et des animaux, même des bestiaux logés dans le bâtiment.
Le propriétaire devra laisser écouler l'excédant d'eau qui ne lui est pas utile; son droit n'est pas, comme celui des habitants voisins, limité à la nécessité: il va jusqu'à l'utilité; mais, l'utilité ne comprend pas l'agrément. Le propriétaire pourra faire des irrigations, il ne pourra pas faire un étang: le plaisir d'une personne ne doit pas être respecté au prix de la vie ou de la santé des autres hommes.
Le texte permet à la commune ou aux habitants du hameau de faire exécuter des travaux sur le fonds où naît la source, pour recueillir les eaux et pour en favoriser la sortie. La seule limite que la loi mette à ce droit, c'est que le dommage ne doit pas être permanent, mais seulement temporaire, et, de ce chef, il y aura lieu à une indemnité, si le propriétaire l'exige.
Il y aura lieu à une autre indemnité, pour la privation que le propriétaire éprouve par la perte d'une partie des avantages de la source. Mais, cette indemnité serait prescrite, elle cesserait d'être due, par l'effet de la prescription libératoire, si la commune avait joui de la source pendant trente ans sans rien payer.
On remarquera seulement qu'en pareil cas, il ne faut pas dire que la servitude est acquise par prescription; elle est acquise par la loi et indépendamment d'aucun délai, et même avant que l'usage en ait commencé: la prescription n'est ici qu'extinctive de l'obligation d'indemniser le propriétaire.
Art. 229. Ainsi que le dit le texte, il ne s'agit pas ici des eaux faisant partie du domaine public; or, les eaux qui ont ce caractère sont les fleuves, les rivières navigables ou flottables et les canaux de navigation, avec leur lit (v. art. 22).
En France et ailleurs, il a régné jusqu'ici une grande incertitude sur le point de savoir à qui appartiennent les cours d'eau qui ne font pas partie du domaine public. Les uns les attribuent au domaine privé de l'Etat; les autres, aux riverains; d'autres disent qu'ils n'ont pas de maître et n'en peuvent avoir, c'est-à-dire qu'ils sont choses communes; d'autres distinguent entre le lit et l'eau courante, et c'est l'opinion qui semble la plus raisonnable: le lit serait la propriété des riverains et l'eau courante serait commune. C'est cette solution qu'on a adoptée dans le Code.
Tel est le caractère des cours d'eau auxquels s'appliquent le présent article et le suivant: les riverains ont la propriété du lit et ils ont seulement l'usage privilégié de l'eau courante.
Il n'est pas inutile de justifier un peu plus au long cette distinction entre le lit du cours d'eau et l'eau courante elle-même.
Que le lit appartienne aux riverains ou à ceux dont le cours d'eau traverse la propriété, il y a là une chose toute naturelle; il serait déraisonnable et inadmissible en pratique que le domaine public ou le domaine privé de l'Etat fût ainsi interposé entre les propriétés privées: ce serait une source de difficultés continuelles; l'objection serait la même si l'on voulait reconnaître la même nature de bien à l'eau courante.
Théoriquement, on comprendrait que l'eau courante appartînt au propriétaire dans le fonds duquel elle prend sa source; ce pourrait être l'Etat, un fu ou ken, shi, tcho ou son ou un particulier; mais un cours d'eau, dans son chemin, ne tarde pas à en rencontrer d'autres qui le grossissent et, bientôt, il y aurait cumul de plusieurs droits de propriété sur une eau courante, ce qui serait une source de difficultés inextricables. Il est bien plus naturel et tout aussi juste que la propriété de l'eau courante soit perdue pour le propriétaire de la source originaire, dès que l'eau est sortie de son domaine: elle ne devient pourtant pas sans maître, afin qu'il ne soit pas permis au premier occupant de s'en emparer, même au riverain ou à celui dont l'eau traverse l'héritage: la loi, d'accord avec la raison et l'intérêt public, la déclare commune, c'est-à-dire que personne n'en a et n'en peut acquérir la propriété et que tout le monde en a l'usage: en première ligne, se trouvent les riverains ou les propriétaires à travers le fonds desquels passe le cours d'eau, et ceux-ci ont une sorte de privilége que nos articles déterminent; ils peuvent même empêcher la prise d'eau chez eux, par les tiers; par conséquent, celui qui, en fait, aurait puisé de cette eau pourrait avoir commis une faute en entrant sur le fonds d'autrui; mais il n'aurait pas commis une “soustraction de la chose d'autrui,” c'est-à-dire un vol.
La distinction une fois faite entre les eaux qui font partie du domaine public et celles qui n'y rentrent pas, il n'y a plus à tenir compte, parmi ces dernières, de leur importance ou de leur exiguité: le plus petit filet d'eau séparant deux propriétés ou traversant un fonds doit être respecté, sinon dans son intégrité, au moins dans son existence; il est en effet, très important pour les propriétaires inférieurs de recueillir le bénéfice de l'eau, dans la mesure de ce qui en reste après l'usage normal des propriétaires supérieurs. Sans doute, il pourra arriver qu'un petit ruisseau soit épuisé sur son parcours; mais encore ce ne sera souvent que pendant certaines saisons, et les propriétaires inférieurs pourront exiger que le passage de l'eau ne soit pas supprimé, de manière à ce qu'elle puisse toujours y reprendre son cours.
La théorie qui placerait dans le domaine privé de l'Etat les eaux qui ne sont pas du domaine public aurait, outre le tort grave d'être arbitraire, l'inconvénient énorme d'autoriser l'Etat à dépouiller les particuliers de leur usage, sans indemnité.
Le 1er alinéa de l'article 229 défend à chaque riverain de modifier “le cours ou la largeur” de l'eau: si l'un d'eux modifiait le cours de l'eau, en la faisant passer tout entière chez lui, l'autre cesserait d'être riverain; s'il en modifiait la largeur, en élargissant le lit chez lui, l'eau n'aurait plus la même force; s'il rétrécissait le lit, c'est le contraire qui aurait lieu.
Le 2e alinéa donne au propriétaire dont le fonds est traversé par un cours d'eau un droit bien plus considérable qu'au riverain dont l'eau borde le fonds: le premier peut faire circuler l'eau dans son fonds, ce qui pourra, par l'absorption du sol et l'évaporation, en diminuer beaucoup le volume à la sortie. Ce droit est la conséquence de ce que le lit lui appartient; or, il doit pouvoir changer ce lit. Mais pour qu'un tel usage de l'eau n'aille pas jusqu'à sa suppression, la loi veut que ces changements soient toujours motivés sur les usages domestiques agricoles ou industriels; le propriétaire ne pourrait donc pas utiliser l'eau pour en faire un lac ou un étang dont le trop plein seul serait rendu aux propriétaires inférieurs: de telles eaux ne seraient plus aussi pures et pourraient être considérablement réduites, peut-être même absorbées par le fonds supérieur.
Les tribunaux préserveront les intéressés de pareils abus.
Quoique notre article 229 fût fait surtout pour les eaux courantes, il est naturel de l'étendre aux eaux agglomérées (lacs ou étangs) qui se trouveraient contiguës à plusieurs propriétés distinctes. Il pourrait même arriver qu'un lac ou un étang se trouvât dans l'intérieur d'une propriété et que le propriétaire du fonds n'eût pas la propriété de l'eau, parce qu'elle aurait une entrée et une sortie sur son fonds: ces deux communications avec le dehors la feraient assimiler à une eau courante ou commune.
Notre article, sans cette distinction, donne la même solution pour les eaux courantes et les lacs ou étangs.
L'endiguement qui serait exécuté d'un seul côté du cours d'eau aurait pour effet, le plus souvent, de rejeter les eaux du côté opposé; surtout, s'il s'agissait d'un lieu où le cours d'eau forme un coude ou angle plus ou moins court. Il est donc désirable qu'un pareil travail soit précédé d'un accord des intéressés.
Art. 230. La loi indique ici aux tribunaux les principes qui devront les diriger pour le règlement des contestations souvent fréquentes relatives à l'usage des eaux. Il n'y a pas à s'y arrêter.
Art. 231. Bien que les eaux dont il s'agit ici ne fassent pas partie du domaine public ou privé de l'Etat des fu ou ken, des shi, tcho ou son, c'est cependant à l'autorité administrative qu'il appartient d'en assurer la police, tant parce que leur conservation présente un grand intérêt général et économique que parce que l'usage des riverains est souvent une occasion de contestations. Ce sera naturellement dans les attributions du préfet: d'un côté, il n'est pas nécessaire, à cause du peu d'importance de chacun de ces cours d'eau, de recourir à l'autorité centrale ou supérieure, si ce n'est en cas de réclamation contre le règlement même du préfet; de l'autre, il ne serait pas possible de donner cette attribution à un agent inférieur, plus local et, comme tel, plus accessible aux influences des propriétaires comme le maire qui pourrait même être un des intéressés; en outre, il pourrait y avoir dans un même département des règlements plus ou moins différents, ce qui aurait de sérieux inconvénients.
On appelle “police des eaux” ce pouvoir réglementaire: on lui donne ici deux objets principaux qui sont l'opposé l'un de l'autre: le libre écoulement des eaux, pour préserver tant les fonds supérieurs des inondations que les fonds inférieurs de la sécheresse, et la conservation, contre les déperditions inutiles des eaux qui pourraient s'échapper latéralement et s'absorber dans des sables arides ou dans des excavations du sol; dans ce cas, des endiguements pourront même être ordonnés.
Le préfet règlementera aussi la pêche, tant pour les époques où elle sera permise que pour les instruments qui pourront être employés.
Art. 232. En matière de police des eaux du domaine public ou privé de l'Etat, des fu, ken, des shi, tcho ou son, la loi civile est inapplicable: l'intérêt général prédomine: c'est donc, sans aucun doute, la sphère du droit administratif.
Art. 233. Cette disposition et les suivantes présentent de nouveaux sacrifices imposés aux propriétaires fonciers dans l'intérêt général et économique: la loi considère toujours que les sacrifices imposés aux uns sont moindres que les avantages procurés autres, en sorte que la production ou la valeur totale des fonds se trouve augmentée, pour le plus grand bien du pays.
Le passage des eaux à travers les fonds d'autrui ne peut être refusé quand il est requis pour l'usage industriel, agricole ou domestique: les tribunaux n'auront à intervenir que pour le règlement de l'indemnité.
Il y a d'ailleurs une garantie contre les demandes abusives de tels passages pour les eaux, c'est que le requérant est tenu 1° d'une indemnité envers le propriétaire du fonds servant, 2° des frais d'établissement et d'entretien des ouvrages nécessaires à la conduite de ses eaux. Or, il n'y a guère à craindre qui celui qui n'aurait pas un besoin réel d'amener des eaux ou qui aurait la facilité de les amener par ses propres fonds, en réclame le passage par les fonds d'autrui.
L'indemnité due aux propriétaires des fonds traversés sera réglée par les tribunaux, en tenant compte tant du préjudice temporaire causé par les travaux préalables, que du dommage permanent provenant du passage des eaux.
La loi ne se prononce pas formellement sur la possibilité de fixer, à cet égard, une double indemnité, comme pour le passage des personnes en cas d'enclave (v. art. 220); mais il y a là une similitude de situation qui autorisera les tribunaux à recourir au même procédé.
Art. 234. La sortie des eaux est encore plus nécessaire peut-être que leur entrée sur un fonds; car leur surabondance peut causer plus de dommages que leur insuffisance.
La disposition du présent article doit être rapprochée des articles 224 et 225, auxquels elle apporte une grande extension, sans le contredire.
Dans ces articles, il s'agit de l'obligation, pour les propriétaires des fonds inférieurs, de recevoir les eaux qui découlent naturellement des fonds supérieurs, et cette servitude doit être subie sans indemnité.
Ici, il y aura travail de l'homme pour les évacuer; peut-être même y aura-t-il eu un premier travail sur des fonds supérieurs pour les amener; enfin, il y aura eu usage de l'eau et un usage qui les aura le plus souvent altérées, même quand il n'y aura eu qu'usage agricole, lequel corrompt ordinairement les eaux, notamment, par l'effet de la stagnation dans les rizières.
Ici, le législateur se retrouve, comme dans les cas qui précèdent, en face du problème qui consiste à concilier le respect dû à la propriété et à son indépendance avec l'intérêt économique qui demande l'évacuation des eaux nuisibles à la production et encore plus de celles qui pourraient compromettre la santé publique. Le droit d'aqueduc peut donc être exigé à travers les fonds inférieurs, pour conduire à la voie publique, ou à toute autre issue publique, les eaux qui, même après avoir été amenées pour l'utilité, deviendraient un embarras ou un danger.
Enfin, ce qui sépare profondément cette nouvelle servitude de celle relative aux eaux naturelles, c'est l'indemnité due aux propriétaires des fonds servants: c'est là le respect du droit de propriété.
Art. 235. La disposition de cet article, dans son 1er alinéa, rappelle celle de l'article 219, au cas d'enclave: il y a identité de motifs.
Le 2e alinéa n'a pas besoin de justification: l'habitation demande plus de respect que le sol arable.
Art. 236. Voilà encore une disposition dont l'équité est trop évidente pour avoir besoin d'être justifiée; il s'en trouve déjà une semblable dans l'article 220, 1er al.
Les Romains ont formulé, en matière de servitudes, une maxime générale dont l'application se présente ici et se retrouvera à la Section suivante, c'est que “la nature des servitudes n'oblige pas celui qui les subit à faire quelque chose, mais seulement à souffrir, à tolérer, à endurer.” C'est là un principe de droit positif qui, une fois admis, circule comme une monnaie courante, et ne se discute plus; mais encore faut-il le faire dériver d'un autre principe, plus élevé, parce qu'il est d'équité et de raison, à savoir, que la loi peut bien diminuer quelque chose des avantages qu'un propriétaire peut tirer de sa chose, pour augmenter beaucoup les avantages d'une autre propriété et, de cette façon, accroître la richesse générale du pays; mais, elle manquerait le but, en le dépassant, si elle imposait au propriétaire du fonds servant des sacrifices à prendre sur ses autres biens, comme ici le prix des travaux; dans ce cas, la richesse générale ne serait pas toujours augmentée; les sacrifices de l'un seraient souvent égaux aux bénéfices de l'autre; l'on n'y trouverait guère qu'un déplacement injuste des valeurs.
Dans le cas des servitudes qui nous occupent, il serait d'autant moins possible de faire supporter les frais des travaux au propriétaire du fonds servant qu'il a déjà droit à une indemnité pour le trouble et la diminution de jouissance que lui cause le passage des eaux. Si la loi mettait les travaux à sa charge, il faudrait, de toute nécessité, augmenter, en proportion, l'indemnité qui lui est due, ce qui reviendrait au même résultat que de le dispenser de ces travaux.
Art. 237. Les deux premières dispositions de cet article rentrent dans le système économique qui gouverne toute cette matière.
C'est un principe économique qu'il faut chercher à obtenir le plus d'avantages possibles avec le moins de travaux, c'est-à-dire avec les moindres dépenses
Or, lorsqu'il s'agit d'amener des eaux pour l'irrigation ou l'industrie, ou d'évacuer des eaux surabondantes, si l'on peut utiliser les mêmes canaux en faveur de plusieurs fonds, c'est un bien général en même temps que particulier. Dût-on même faire les canaux plus larges ou plus profonds, ce serait encore moins coûteux que de faire deux ou plusieurs canaux.
On remarquera que la réunion, dans un même canal, des eaux de deux propriétaires ne demande pas les mêmes précautions pour la sortie que pour l'entrée: pour la sortie, il importe peu que les eaux soient aussi pures les unes que les autres, puisque leur emploi est terminé; il en est autrement pour l'entrée: il ne faut pas que les unes gâtent les autres.
On pourrait enfin se demander si cette sorte d'association des eaux et des intérêts des propriétaires modifie, en plus ou en moins, l'indemnité due au fonds servant. Il faut reconnaître que l'indemnité ne reste pas la même, si le propriétaire du fonds servant prête ses canaux au fonds dominant; car, dans ce cas, le fonds servant n'est déprécié que par une perte partielle de la liberté du propriétaire; mais il n'y a pas occupation d'une partie utile du terrain. Dans le cas, au contraire, où le fonds servant emprunte le canal déjà fait par le fonds dominant, si l'indemnité a déjà été réglée tant pour la diminution de liberté que pour l'occupation de terrain, elle ne sera pas modifiée par l'emprunt du canal. Le seul effet de cette communication des eaux dans un même canal est que chacun supportera une part proportionnelle des dépenses dudit canal, et que chacun aussi en aura le bénéfice à moins de frais. Mais si, au moment où le fonds dominant réclame le passage, le fonds servant demandait que le canal pût recevoir ses eaux, le tribunal pourrait toujours tenir compte de cet avantage pour fixer une indemnité moindre.
Art. 238. Cet article paraîtrait au premier abord, devoir être placé après l'article 229, car, il se rattache, comme lui, aux eaux courantes; mais, il a dû être placé ici, à cause de son 2e alinéa qui repose sur le même principe que l'article précédent et demande la même justification.
L'usage des eaux courantes, par les riverains, nécessite presque toujours que les eaux soient élevées, car, elles se trouvent le plus souvent en contre-bas du sol riverain; pour que le contraire ait lieu, il faut supposer que les eaux coulent entre des digues ou chaussées, ce qui est assez fréquent; sans quoi les eaux devront être élevées par un barrage, qui sera nécessairement appuyé aux deux rives.
Le préjudice causé au riverain sur le fonds duquel le barrage est appuyé n'est jamais bien considérablet parce que les piles de bois ou de pierre s'enfoncen, assez peu dans la rive; néanmoins, il y a comme dans tout droit exercé sur le fonds d'autrui, une diminution de liberté; par conséquent, il y aura indemnité.
Le droit accordé au même riverain d'utiliser ledit barrage à son profit se justifie, comme celui d'user des canaux, en vertu du précédent article, et c'est une suffisante raison de ne pas reporter celui-ci après l'article 229; autrement, il faudrait y transporter aussi la justification économique de l'article précédent et elle y serait moins motivée.
§ III. DU BORNAGE.
Art. 239. Le but du Bornage est de prévenir les difficultés et contestations qui naîtraient infailliblement du voisinage, si la contenance et les limites de chaque propriété n'étaient pas exactement déterminées par des signes visibles et durables; l'intérêt général et l'intérêt même des propriétaires y trouvent donc satisfaction.
Le bornage est une de ces charges légales que l'on a signalées au commencement de ce chapitre comme étant improprement qualifiées du nom de servitudes. La réciprocité même de cette charge fait qu'il est difcile d'y voir un fonds servant et un fonds dominant, puisque chacun des deux fonds a cette double qualité et que le bornage est établi pour l'avantage des deux propriétaires.
Mais on a vu aussi qu'il n'y a guère d'intérêt à s'arrêter à cette difficulté purement théorique et que la loi y perdrait en simplicité.
Il est certain que le bornage est une des charges légales de la propriété foncière dont il forme le droit commun; sous ce rapport, le Code a suffisamment proclamé le principe, en écrivant le 4e alinéa de l'article 34.
Mais, il faut reconnaître: 1° que c'est improprement aussi que la charge du Bornage serait appelée obligation entre voisins: elle ne correspond pas à une créance ou droit personnel, mais à un droit réel, attribut de la propriété, 2° que la circonstance que le droit est réciproque et que les deux fonds se trouvent en même temps servants et dominants n'est pas une objection sérieuse à la dénomination de servitude, lors même qu'on la déclarerait double; il y a là un effet résultant de la nature des choses; car, depuis les Romains, il est d'usage de dire que l'action en bornage a une nature mixte ou double, en ce sens que chacun des voisins est tout à la fois demandeur et défendeur.
Le présent article pose le principe du droit de demander le bornage; les deux articles qui le suivent y apportent des exceptions et des limites.
La loi ne détermine pas d'une façon rigoureuse la nature des signes qui serviront à reconnaître les bornes: les parties pourront, soit y inscrire leurs noms, soit y mettre l'indication de la contenance; mais toujours de façon à ce que les pierres ou poteaux révèlent au premier aspect leur caractère, car, il y a dans le Code pénal (art. 420) une punition pour ceux qui déplacent les limites des propriétés et il faut chercher à prévenir le délit avant de le réprimer.
La loi ne limite pas la nature des matériaux à employer pour le signe des limites: les pierres, arbres ou poteaux sont les plus naturels et les plus durables; elle se réfère d'ailleurs à l'usage des lieux.
Art. 240. La loi affranchit ici du bornage trois sortes de fonds sans être limitative:
1° Les bâtiments: il se présentent, en effet, dans des conditions de fixité qui rendent le bornage inutile. Si donc un des propriétaires prétendait que l'autre a construit sur le terrain qui ne lui appartient pas, il ne pourrait qu'agir en réintégrande ou en revendication de la portion de sol qu'il prétend usurpée. Il se présenterait ensuite une question d'accession et d'indemnité à régler; car, les constructions suivent le sol, même celles faites par un autre que le propriéffaire (v. Livre de l'Acq. des Biens art. 8.). Si les bâtiments étaient séparés par un terrain libre, non clos, dont chacun des voisins eût une partie, il y aurait lieu à en demander le bornage.
2° Les terrains enclos de quelque manière que ce soit ne sont pas non plus sujets au bornage.
3° Les terrains séparés par un chemin public ou par un cours d'eau également public ne présentent pas non plus l'incertitude de limites qui motive l'action en bornage. Bien entendu, le bornage reste exigible, si la séparation est un chemin ou un cours d'eau privé.
Art. 241. Bien que tous les droits réels se perdent, en général, par la prescription, c'est-à-dire quand celui auquel ils appartiennent a laissé s'écouler un certain temps sans les exercer, et qu'ils ont été exercés par un autre comme siens, il en est cependant que le temps n'éteint pas et celui qui nous occupe est du nombre.
On en peut donner une première raison, qui est la plus frappante et la plus simple, c'est que la prescription n'a pas lieu pour les droits qui sont d'intérêt public autant ou plus que d'intérêt privé, et l'on a dit plus haut que le but du bornage est de prévenir les contestations et les procès.
On peut encore donner cette raison que lorsqu'un droit est accessoire d'un autre il ne se prescrit qu'avec le droit principal; or, le droit au bornage est l'accessoire du droit de propriété; donc, tant que la propriété n'est pas perdue elle-même par la prescription, le droit au bornage subsiste.
On peut dire enfin que le droit au bornage naît du défaut de limites et qu'il renaît pour ainsi dire chaque jour, tant que les fonds contigus ne sont pas délimités. C'est exactement la même théorie que pour la demande en partage entre copropriétaires indivis (v. art. 39): elle est imprescriptible tant que dure l'indivision.
Mais, l'action en bornage ne serait plus recevable, si l'un des voisins invoquait la prescription acquisitive de tout ou partie du fonds de son adversaire, ou seulement une possession civile ayant déjà un an de durée, soit pour tout le fonds, soit pour une portion déterminée.
Si, dans ce cas, le bornage était demandé d'après les titres de propriété, le possesseur serait privé du bénéfice de sa possession; or, il ne peut l'être que par une action possessoire, s'il est prouvé que sa possession n'avait pas encore un an de durée et, dans le cas contraire, par l'action en revendication, si la prescription acquisitive n'était pas accomplie. C'est donc par l'une ou l'autre de ces deux actions que le demandeur en bornage devra procéder préalablement: s'il y triomphe, le bornage sera exécuté d'après les contenances et les limites établies tant par les titres que par les autres preuves reconnues et déclarées par le jugement; s'il y succombe, les bornes seront placées de façon à consacrer la possession ou la prescription du défendeur.
Art. 242. Lorsque les limites ne résultent pas de la prescription acquisitive ou de la possession annale, on doit les rechercher dans les titres de propriété, et s'ils sont perdus ou détruits, on les supplée par témoins ou par les autres preuves admises en droit civil ordinaire.
Mais, ici, comme dans le cas de prescription prévu à l'article précédent, il peut y avoir contestation sur les contenances déclarées aux titres ou sur la validité des titres eux-mêmes; le débat ne portera plus alors sur les limites seulement, mais, sur le droit même de propriété, et comme, vraisemblablement, le juge du bornage sera un juge local, il ne lui appartiendra pas de statuer incidemment sur le droit de propriété; Il devra donc surseoir à statuer sur le bornage, jusqu'à ce que le droit de propriété ait été reconnu et déclaré par le tribunal civil. C'est une solution différente et même inverse de celle du concours de l'action possessoire avec l'action pétitoire (v. art. 208); mais ce n'est pas une exception à cette disposition, car l'action en bornage n'est pas une action possessoire, mais pétitoire.
Art. 243. Il est toujours désirable que les parties s'accordent pour le bornage; la loi leur laisse alors le soin de rédiger l'acte qui constatera l'opération: leur intérêt est de le faire clairement.
S'il faut recourir à la justice, le bornage sera déterminé par un jugement, précédé ordinairement d'un arpentage et d'un rapport par un géomètre-expert. La loi exige aussi qu'il soit annexé au jugement un plan figuratif des parcelles, présentant l'indication de bornes qui seront nécessairement placées à tous les angles.
Pour dispenser de faire le plan à une échelle de réduction géométriquement exacte, il suffira que les distances entre les bornes soient notées, lors même que la proportion exacte de ces distances ne serait pas observée sur le plan; on notera aussi la distance des principales bornes par rapport à quelque point local fixe qu'il ne dépend pas des parties de déplacer; de cette façon, en cas de contestation ultérieure ou de déplacement des bornes, il sera facile de retrouver leur place véritable, sans nouvel arpentage
Art. 244. Il est naturel que la dépense des bornes, assez minime d'ailleurs, soit supportée également par les deux voisins auxquels elles servent de limites, parce que chacun y trouve le même avantage, quelle que soit l'étendue de son fonds. Mais, il est évident que l'arpentage d'un domaine plus ou moins considérable coûtera beaucoup plus que celui d'un champ exigu, et la charge doit en être proportionnelle à l'étendue et même aux difficultés du terrain. En fait, le géomètre-expert se fera payer directement, par chaque propriétaire, le travail qu'il a fait pour lui, et, s'il a été commis par le juge, il présentera un compte séparé pour chaque fonds; ce sera le moyen le plus simple d'observer la proportionnalité des frais d'arpentage.
Pour les autres frais, notamment, ceux d'actes et de procédure, la loi admet l'égalité parce qu'ils sont, en général, indépendants de l'étendue des domaines.
L'exception portée par le 1er alinéa in fine recevra son application dans plusieurs cas qui sont supposés plus haut: un des voisins a contesté le sens ou la portée d'un titre de propriété, ou bien il s'est prétendu possesseur annal d'une portion du terrain à borner, ou, enfin, il a élevé une prétention à la propriété ou contesté celle de son voisin; celui qui aura succombé dans l'un ou l'autre de ces cas, supportera seul les frais de cette partie de la procédure. C'est l'application du droit commun des procès.
§ IV. DE LA CLÔTURE.
Art. 245. La faculté de se clore est, pour le propriétaire, une conséquence naturelle du droit de propriété. Si la loi s'en explique, c'est surtout à cause de l'exception portée à la fin de l'article.
Il est clair que celui qui a obtenu un passage sur le fonds d'autrui, bien qu'il ne soit pas enclavé, ou qui a le droit d'y aller puiser de l'eau, d'y prendre du sable ou d'autres objets utiles, a nécessairement le droit d'accès sur le fonds servant; s'il y a une porte, il devra en avoir une clef ou en obtenir l'ouverture à première demande, au moins pendant le jour, et sans troubler le propriétaire du fonds servant.
Une autre raison justifie encore ici la proclamation du droit de clôture: on aurait pu douter que le voisin pût, par des clôtures très élevées, gêner la vue du propriétaire voisin; dans certains lieu, la vue à distance peut avoir un grand charme et même donner une plus-value à une habitation, comme la vue de la mer, du Fusiyama ou même de la voie publique, et il pourrait arriver que l'un des voisins, par malice ou vengeance, élevât une clôture pour masquer la vue de l'autre. Assurément, il y aurait là un mauvais sentiment; mais, comme la clôture peut avoir un autre motif, par exemple, celui d'arrêter des regards indiscrets, la loi préfère proclamer le droit absolu à la clôture, sans qu'il y ait lieu d'en rechercher les motifs.
Art. 246. La clôture des héritages contigus, est, comme le bornage et plus encore, un moyen de prévenir les contestations entre voisins.
Si les terrains ne sont pas clos, il naît souvent des querelles entre les voisins, par suite des troubles ou dommages causés par les enfants, par les domestiques ou par les animaux; ces querelles s'enveniment en se répétant et il n'est pas rare que des violences en soient la conséquence. La loi fait sagement d'autoriser le plus sage ou le plus défiant des voisins à demander la clôture.
La clôture peut être exigée, par les voisins respectivement, en tout lieu. On aurait pu distinguer entre les villes ayant une population plus ou moins considérable et les autres villes, communes ou hameaux moins peuplés. Dans le premier cas, il y a en général, plus d'aisance, et les terrains ont plus de valeur avec moins d'étendue, la charge serait donc proportionnellement moins lourde que dans le second cas
Mais on a pensé qu'il fallait moins se préoccuper de la dépense que de l'utilité de la clôture, et dans les campagnes, autant que dans les grandes villes, le contact des voisins, des ouvriers agricoles, des domestiques et des animaux peut aisément amener des conflits qu'il est toujours bon d'éviter.
La loi ne demande pas la clôture de tout terrain; du moment qu'elle ne distingue pas les localités, elle doit chercher la distinction dans la nature et la situation de ces terrains: elle ne soumet à la clôture que les terrains qui séparent “les habitations, magasins et bâtiments d'exploitation agricole ou industrielle,” c'est-à-dire les lieux qui motivent constamment la présence des hommes et qui en même temps contiennent des objets d'une plus ou moins grande valeur.
Lorsque la clôture sera en planches, les poteaux de soutien ou arcs-boutants devront être placés alternativement sur chaque fonds, car ils sont une gêne pour les propriétaires.
La loi a dû fixer la hauteur de la clôture: une hauteur de six pieds a paru suffisante.
Art. 247. Il est naturel que la clôture, objet d'une obligation semblable de la part des deux voisins et leur procurant à chacun le même avantage soit à la charge de chacun par égale portion, quant à son établissement, son entretien et sa réparation. Il n'y a même pas à faire d'exception pour le cas où la clôture est placée sur le fonds supérieur formant terrasse: quoiqu'elle ne soit pas alors placée sur la ligne séparative même, elle est cependant utile au propriétaire inférieur et on peut la supposer réclamée par lui.
La loi, du reste, en n'exigeant qu'une clôture simple et peu coûteuse, pour ne pas trop charger la propriété foncière, ne pouvait pas défendre à un propriétaire de faire une clôture plus forte, plus élégante ou plus haute. Mais, il est naturel aussi qu'il n'en résulte, dans ce cas, aucune charge supplémentaire pour le voisin plus modeste dans ses goûts ou plus limité dans ses moyens; l'entretien même et la réparation seront exclusivement à la charge de celui qui a fait la clôture de luxe. Il serait impossible d'ailleurs de savoir si une clôture en planches ou en bambous qui n'existe pas aurait besoin de réparations, lorsque le mur en aura besoin.
La seule difficulté pourrait naître de l'épaisseur d'un mur toujours bien plus considérable que celle d'une clôture en bois. Dans ce cas, l'excédent de largeur devra être pris sur le fonds du constructeur, et si, à cause de la différence de niveau des terrains, il fallait la prendre sur le fonds inférieur, il y aurait lieu à indemnité ou à faire la construction sur le sol supérieur, au moyen de fondations aussi profondes que le sol inférieur.
Art. 248. Lorsque la clôture a été faite par l'un des voisins, à ses frais exclusivement, le vœu de la loi est satisfait, le danger de conflits est conjuré: il n'y a plus lieu d'exiger la participation de l'autre à la dépense, lors même que ladite clôture serait en planches ou en bambous. Mais cette déchéance du constructeur le plus diligent n'aurait plus lieu elle-même, s'il avait mis le voisin “en demeure” de contribuer à la clôture: " cela constituerait pour lui une réserve suffisante de son droit, et il ne serait pas tenu d'attendre la solution du litige pour procéder à la clôture.
Dans tous les cas, si le voisin est libéré de la participation à la construction, “aux frais de premier établissement,” il ne l'est pas de la contribution à l'entretien et à la réparation de la clôture, lorsqu'elle a été faite comme le prescrit la loi: cette obligation naît au fur à mesure que la clôture vieillit.
§ V. DE LA MITOYENNETÉ.
Art. 249. La véritable base de la mitoyenneté est la participation réelle de chacun des voisins à la construction, c'est-à-dire, à la fourniture du sol sur lequel la clôture ou séparation est assise, à l'achat des matériaux et au payement de la main-d'œuvre. Le présent article s'en explique clairement, et il a soin de généraliser la disposition, en y faisant rentrer la clôture forcée, avec ses conditions légales, et la clôture volontaire, avec ses variétés infinies
La présent texte nous apprend encore que la mitoyenneté est une copropriété indivise; ce qui empêchera de soutenir au Japon, comme on l'a essayé ailleurs que le mur mitoyen appartient aux voisins par moitiés, divises, c'est-à-dire à chacun, de son côté, jusqu'au centre du mur. Enfin, le texte ne néglige pas de dire que le sol appartient indivisément aux deux voisins comme le mur lui-même.
L'indivision que nous rencontrons ici a une nature propre déjà annoncée à l'article 39: nul ne peut la faire cesser par un partage; on ne peut s'y soustraire qu'en renonçant au droit lui-même, ce qui alors donne la propriété entière au voisin.
Art. 250. Le présent texte a soin d'expliquer, qu'il y a présomption que chacun des voisins a fait les sacrifices de sol et de travaux qui sont la véritable base du droit de copropriété.
La présomption ici établie n'est pas invincible et ne devait pas l'être, parce qu'il est possible et fréquent même que la séparation ait été construite par un seul des voisins.
Le texte indique ici quatre moyens de combattre la présomption légale.
Quant à la possession annale, elle ne suffirait pas ici à démentir la présomption de la loi, parce que la possession annale n'est elle-même qu'une présomption. Or, lorsqu'il s'agit de combattre une présomption simple par une autre présomption n'ayant pas un caractère différent, il faut que la loi s'en explique avec soin, ce dont elle s'est gardée ici. La présomption résultant d'une possession annale n'est pas suffisante pour détruire la présomption de mitoyenneté, parce que la nature de la chose se prête si facilement à des actes de possession plus ou moins légitimes qu'il y aurait toujours une grande incertitude sur l'existence ou le caractère de ces actes Il y aurait danger aussi à donner à ces actes une importance sérieuse: ce serait obliger les voisins à une surveillance, à une défiance continuelles, qui dégénèreraient facilement en querelles, en rixes ou en procès, suivant le caractère des personnes.
Art. 251. La loi n'a pas besoins de reprendre l'idée que la preuve directe et la prescription trentenaire peuvent combattre la présomption de mitoyenneté: les titres sont la preuve normale du droit de propriété exclusive, la preuve testimoniale n'est admise que par exception et la prescription trentenaire, quoique constituant elle-même une présomption de droit, est une présomption absolue et invincible.
Les autres présomptions que la loi admet ici comme preuves contraires de la présomption de mitoyenneté ont, à la différence de la possession annale, un caractère précis, indiscutable et permanent.
Il n'est pas nécessaire de reprendre ici en détail, chacun des quatre cas réglés par la loi. Il suffira d'une observation sur chacun.
1° Nul ne pouvant envoyer les eaux pluviales de ses bâtiments sur le fonds voisin, la circonstance que les eaux du mur tombent sur un seul fonds prouve suffisamment que le mur appartient exclusivement à celui sur le fonds duquel tombent les eaux. De même, on verra plus loin que si le mur est mitoyen, aucun des voisins n'y peut pratiquer d'ouverture ou d'enfoncement; si donc de pareilles dispositions existent dans un mur de séparation, c'est qu'il n'est pas mitoyen.
2° Les poteaux de soutien étant une gêne que le propriétaire n'a pas le droit de rejeter sur le voisin, il est clair que s'ils se trouvent d'un seul côté, c'est que de ce côté seul aussi est le droit de propriété.
3° Nul ne pouvant, en vertu du principe élémentaire de la propriéte, empiéter, usurper sur le fonds voisin, de quelque façon que ce soit, si ce n'est en vertu d'un droit de servitude, il est naturel d'en conclure que si la terre tirée du fossé est tout entière déposée sur un seul fonds, c'est que le fossé a été pris exclusivement sur ce fonds.
4° Quant aux haies, il était difficile d'y chercher un signe matériel qui indiquât par qui et sur quel terrain elles ont été plantées. La loi en trouve, non plus dans la haie même, mais la circonstance qu'un des fonds est seul enclos de tous côtés: il n'est pas vraisemblable que le propriétaire qui n'est pas clos de tous côtés ait consenti à faire d'un seul côté le sacrifice d'une portion de son sol et la dépense de la haie.
Le dernier alinéa de l'article tire la conséquence de la présomption, en désignant quel est celui des voisins qui est présumé propriétaire exclusif. Il se trouve expliqué par les quatre observations ci-dessus.
Art. 252. Le fondement de la présomption de mitoyenneté établie par l'article 251 est l'utilité que chacun des voisins tire de la séparation du fonds, laquelle autorise à supposer que chacun a contribué à son établissement. Mais, dans le cas prévu ici, lorsqu'il n'y a qu'un bâtiment, ou même lorsqu'il y en a deux et que l'un excède l'autre en hauteur, il n'y a aucune raison de croire que le mur ait été fait à frais communs, soit pour un seul bâtiment, soit pour cet excédent; on pourrait même ajouter que ce mur n'est plus une séparation, puisque, d'un côté, il n'est contigu qu'au vide.
Mais, s'il n'y a plus ici de preuve de la mitoyenneté par présomption, il y a toujours droit de la prouver par titre. Le titre jouera donc un rôle inverse de celui qu'il jouait précédemment: au lieu de servir à démentir une présomption, il la suppléera; au lieu d'établir la propriété exclusive d'un seul, il établira la copropriété indivise.
Il n'est pas question ici de la preuve par prescription de 30 ans: on ne concevrait guère, en fait, la possession, par le voisin, d'un mur ou d'une partie de mur qui ne soutiendrait pas un bâtiment à lui appartenant.
Art. 253. On se retrouve ici dans un cas qui est assez fréquent en matière litigieuse: à savoir, lorsqu'il est fourni des preuves de deux droits opposés; ce qui est fréquent pour les preuves testimoniales n'est pas rare pour les présomptions de fait. Ici, les présomptions sont légales, il est vrai, mais, elles reposent sur des faits matériels assez variés pour n'être pas toujours concordants.
Le juge fera donc ici comme dans les autres cas de preuves contradictoires, il appréciera, dans sa raison, de quel côté paraît être la vérité.
Art. 254. Du moment que les voisins sont copropriétaires de la séparation, il est naturel que la réparation et l'entretien en soient à la charge commune (1er al.).
Le 2e alinéa fait l'application d'un principe fondamental des servitudes, déjà énoncé, à savoir, que “les servitudes n'obligent pas à faire, mais à souffrir.” ilc, l'obligation d'entretien est corrélative, moins au profit que le fonds tire de la clôture ou de la séparation qu'à la propriété même des matériaux qui la composent et du sol qui la supporte; il est donc naturel que le voisin s'affranchisse de l'entretien en abandonnant la propriété du sol et des matériaux.
En renonçant à la copropriété, l'un des voisins conservera souvent le bénéfice de la séparation, car, elle ne sera pas, sans doute, supprimée par l'autre voisin; mais il perdra le droit d'appui, s'il s'agit d'un mur, et les autres avantages énumérés sous l'article suivant; enfin, il perdra la propriété du sol indivis qui porte la clôture; tout cela préviendra les renonciations abusives.
Cette faculté d'abandon cesse dans les cas où la clôture est obligatoire. Cela est d'une nécessité évidente; car, en abandonnant la clôture, le voisin n'aurait pas moins un fonds contigu à l'autre, et, dans les cas où la clôture est obligatoire, on pourrait toujours la lui demander.
Quant aux deux autres conditions de cette faculté d'abandon, elles se justifient à la simple lecture du texte.
Art. 255. La loi pose, au premier alinéa, un principe qu'elle applique dans les alinéas suivants.
On pourrait contester l'utilité de ces déductions légales d'un principe posé: c'est, en général, une tâche laissée à la jurisprudence; mais, on peut remarquer que les quatre alinéas qui développent notre article n'ont pas seulement le caractère de conséquences du principe, ils contiennent aussi des dispositions que les tribunaux n'auraient pas qualité pour suppléer; elles doivent être formellement écrites.
Au surplus, les quatre alinéas dont il s'agit sont assez précis dans leurs détails pour n'avoir besoin d'aucun développement.
Art. 256. La loi applique encore ici un principe économique déjà rencontré plusieurs fois, à savoir, qu'il vaut mieux diminuer dans une certaine mesure l'indépendance des propriétaires que de faire des constructions inutiles.
Le propriétaire qui a construit seul un mur ou qui l'a acquis avec le fonds, lorsqu'il est de construction antérieure à son acquisition, n'éprouvera aucun préjudice sérieux en se trouvant obligé d'en céder la copropriété au voisin. Le seul inconvénient qui pourra en résulter pour lui, c'est qu'il n'aura plus sur ce mur des droits aussi étendus que s'il en était propriétaire exclusif; notamment, il ne pourra plus le changer ou le détruire; mais, ce sont là des droits dont on use peu à l'égard des séparations en pierre ou briques. Le propriétaire sera d'ailleurs équitablement indemnisé. Au contraire, l'avantage sera très considérable pour le voisin et, par suite, pour la propriété foncière qui sera ainsi allégée d'une dépense inutile
La loi ne permet de requérir la mitoyenneté que si le mur (le bâtiment) n'est pas en retraite de plus d'un pied. S'il y a plus d'un pied de distance, celui qui bâtira le second, devra placer lui-même son bâtiment en deçà de la ligne séparative.
On remarquera, dans le texte, trois autres limites apportées à ce droit d'exiger la cession de la mitoyenneté:
1° Il n'a lieu que pour les murs en pierre ou en briques (1er al.): il n'a donc pas lieu pour les séparations en charpente ou en maçonnerie, même pour celles qui forment les parois d'une maison. Pour les charpentes, on a craint que les maisons ne fussent exposées à un plus grand danger d'incendie par leur réunion trop intime au moyen d'un mur commun; les propriétaires répugneraient à une connexion forcée; il suffit qu'ils aient la faculté de l'établir d'un commun accord, ce que la loi ne veut et ne doit pas empêcher (v. 4e al.). Pour les murs en maçonnerie qui ne seraient que de tuiles et terre, ils ne présentent pas assez de solidité pour motiver une cession forcée.
2° Quoique la portion de sol qui se trouve entre le mur et la ligne séparative ne puisse excéder un pied pour qu'il soit possible de requérir la mitoyenneté du mur, la loi n'a pas cru devoir permettre que celui qui requiert la mitoyenneté acquît ainsi un pied de la terre du voisin, même en le payant à sa valeur: la loi déclare qu'il n'est que “superficiaire” et qu'il n'a l'usage du sol que tant que dure son bâtiment, en payant pour ce sol une redevance annuelle (2e al.)
3° La cession forcée n'a pas lieu pour les clôtures en maçonnerie ou en bois, pour les fossés, ni pour les haies (4e al.); il n'y a pas là d'utilité pour diminuer la liberté des propriétaires; d'ailleurs, ces séparations sont toujours plus ou moins provisoires: si elles devenaient forcément mitoyennes, aucun des propriétaires ne pourrait plus les remplacer à son gré en en changeant la nature.
La mitoyenneté de ces sortes de clôtures aura pourtant deux causes que la loi croit devoir indiquer (pour être comprise quand elle parle de clôtures, haies et fossés mitoyens): c'est la construction originaire à frais communs et la cession volontaire.
Enfin, la loi s'exprime formellement sur le droit de fermer les ouvertures pratiquées dans le mur avant qu'il fût devenu mitoyen: ce droit existe, en principe; mais il cesse, si les ouvertures sont établies avec le caractère de “servitudes du fait de l'homme,” comme on le verra plus loin (3e al.).
A l'égard de l'indemnité due au cédant, le texte n'exige pas le payement de ce qu'a coûté le mur, lors de la construction, mais seulement de la moitié de ce qu'il vaut lors de la demande (1er al.); le prix du sol peut être augmenté, tandis que la construction elle-même a toujours perdu de sa valeur avec le temps.
Art. 257. La disposition du 1er alinéa de ce nouvel article est déjà à peu près expliquée par ce qui a été dit plus haut, au sujet de la 2e limitation au droit de requérir la cession de la mitoyenneté; cependant elle nous paraît exiger quelques développements, à cause du 3e alinéa qui en est la sanction.
Remarquons d'abord que la distance qui doit être laissée entre le bâtiment et la ligne séparative n'est pas fixée par la loi générale, mais laissée à l'usage local.
Supposons maintenant que le premier constructeur ait placé son bâtiment à la distance voulue de la ligne séparative des deux terrains: il est à l'abri de toute réclamation.
Mais, si, au contraire, le premier constructeur n'a pas observé la distance obligatoire, le voisin devra se reculer d'autant, pour la facilité de ses travaux et comme ce sacrifice de terrain est rendu nécessaire par sa faute du premier constructeur, il est juste que celui-ci en doive une indemnité au voisin. Tel est l'objet du 3e alinéa.
Comme il vaut toujours mieux prévenir un dommage que le réparer, la loi permet au voisin de faire la dénonciation de nouvel œuvre au cours des travaux du premier bâtiment; cela n'empêchera pas nécessairement la continuation des travaux.
§ VI. DES VUES ET DES JOURS DE TOLÉRANCE SUR LA PROPRIÉTÉ D'AUTRUI.
Art. 258. Il y a ici une nouvelle restriction à la liberté des propriétaires, toujours dans l'intérêt des bons rapports entre voisins et pour éviter les vexations et les troubles. Le propriétaire peut construire sur la limite de son fonds et, par conséquent, son bâtiment peut être en contact immédiat avec le fonds voisin; celui-ci ne pourrait pas se plaindre de perdre ainsi la vue à distance, les rayons du soleil et l'air libre; mais, le propriétaire ne peut avoir sur la limite des vues droites ou fenêtres d'aspect qui pourraient favoriser une curiosité indiscrète et seraient un moyen de jeter des corps durs ou de répandre des liquides sur le fonds voisin. La loi veut, pour que de pareilles ouvertures soient permises, que la distance soit de trois pieds; cette distance n'exclut pas tout danger de ce genre, mais elle n'aurait pu être augmentée sans devenir une cause, soit de perte de terrain, surtout dans les villes, soit de dépréciation des bâtiments; car, souvent, le côté où il s'agit d'ouvrir ces vues sera le plus favorable pour le soleil.
Au Japon, où cette restriction aux droits du propriéaire n'est pas encore formellement établie, même part l'usage, bien qu'elle soit souvent observée par un accord tacite des voisins, on a cru devoir adopter une distance moindre qu'en Europe: trois pieds.
Art. 259. Le cas prévu au premier alinéa de cet article se présentera, soit lorsque l'exiguïté des terrains ne permettra pas d'observer les distances prescrites, soit lorsque le bâtiment aura été construit et les ouvertures pratiquées avant la publication de la présente loi, ce qui ne sera pas un obstacle à son application auxdits bâtiments, car les propriétaires ne pourront arguer d'un droit acquis à l'ancien état de choses, s'il est reconnu contraire à l'intérêt général: le principe de la non-rétroactivité des lois ne fait aucun obstacle à ce que les droits de propriété déjà existants soient restreints ou modifiés pour l'avenir.
Quand les fenêtres seront masquées par un auvent, elles ne pourront plus être qualifiées fenêtres d'aspect puisque la vue est obstruée; cependant, ce ne sont pas non plus des jours de tolérance ou de souffrance, puisque le voisin n'y met aucune complaisance et n'en éprouve aucun trouble.
Les jours, sont, au contraire, de tolérance, dans le cas du second alinéa, puisqu'ils ne sont pas masqués ou obstrués. La loi prend encore dans ce cas, deux précautions dans l'intérêt du voisin: 1e la hauteur des ouvertures, par rapport au plancher, afin qu'il ne soit pas possible de voir chez le voisin, sans quelque gêne, 2° l'application d'un châssis grillagé, dont les mailles, en fil de fer ou en bois, seront assez rapprochées pour empêcher que les enfants ou les domestiques puissent jeter des objets nuisibles chez le voisin.
Le Code japonais n'exige pas une troisième condition qui se trouve dans plusieurs Codes étrangers: à savoir, que le châssis soit à verre dormant, ce qui veut dire qu'il y ait un vitrage non susceptible de s'ouvrir. Cette condition a paru exagérée avec celle d'un grillage, et la circulation de l'air est trop nécessaire à l'hygiène pour que la loi puisse en priver les habitants des maisons.
La dernière disposition est également sage: comme c'est par respect pour les droits du voisin que la loi ne permet pas de placer les auvents en saillie sur la ligne séparative, celui-ci doit pouvoir renoncer à son droit, s'il préfère supporter l'avance de l'auvent plutôt que le danger des regards indiscrets à travers le grillage; mais, il ne fallait pas non plus qu'il exigeât un auvent très peu large et obstruant trop la lumière; de là, le minimum d'un pied d'écartement.
Art. 260. La loi croit devoir ajouter un cas où la distance des vues cesse d'être exigible, à savoir, celui où le fonds voisin est une construction sans ouvertures: dans ce cas, il ne peut souffrir des ouvertures pratiquées dans la seconde construction. Mais si le fonds bâti le premier se trouvant lui-même à plus de trois pieds de la ligne séparative, venait à être muni à son tour d'ouvertures, les premières devraient être bouchées.
§ VII. DES DISTANCES REQUISES POUR CERTAINS OUVRAGES.
Art. 261. Il s'agit encore, dans ce § d'une de ces charges réciproques entre voisins qui, tout en restreignant un peu leur liberté comme propriétaires, les préservent de dommages mutuels qui diminueraient davantage la valeur des fonds et troubleraient les rapports de bon voisinage.
La première disposition concerne les puits et citernes.
Le danger que présentent les puits n'est pas celui des infiltrations, car l'eau qui existait déjà en nappes se trouvera plutôt diminuée: c'est le danger des éboulements qui pourraient faire fléchir le sol voisin; généralement, les puits sont revêtus d'un tube en bois, à moins qu'ils ne soient creusés dans un sol très dur; c'est pourquoi la loi n'exige qu'une distance relativement faible de la ligne séparative (6 pieds).
Les citernes destinées à recueillir les eaux pluviales ou de source dans les lieux où les nappes d'eau souterraine manquent ou bien sont à une trop grande profondeur, présentent plus de danger d'infitration que les puits, à cause de la hauteur de l'eau qui peut monter jusqu'au niveau du sol, et aussi plus de danger d'éboulement, à cause de leurs grandes dimensions: la loi, cependant, n'exige pas une plus grande distance, parce que l'étendue des terrains ne pourrait pas toujours la permettre; mais on y suppléera par la solidité du revêtement.
La deuxième disposition du 1er alinéa concerne des cavités destinées à recevoir des matières impures, soit pour qu'elles s'absorbent lentement, comme les eaux ménagères que la disposition des lieux ne permettrait pas de conduire à la voie publique, soit pour les employer ultérieurement à l'engraissement des terres comme le fumier animal ou l'engrais humain. Ici, les infiltrations seraient plus nuisibles au voisin; mais il y sera paré au moyen d'un revêtement convenablement enduit de son côté.
Pour les caves sèches (2e al.), la distance est réduite de moitié, puisqu'il n'y a pas à craindre d'infiltrations, mais seulement des éboulements.
Le 3e alinéa concerne de menues excavations, à ciel ouvert, dont la profondeur peut varier à l'infini; la loi pare au danger de l'infiltration, par la distance qui est proportionnelle à la profondeur (la moitié), et au danger de l'éboulement, par le talus ou le revêtement.
S'il y avait contestation sur l'inclinaison du talus, les tribunaux pourraient exiger qu'il ne formât pas un angle inférieur à 45 degrés, ce qui est la pente naturelle des terres rejetées d'un fossé.
Bien entendu, la distance doit se calculer à partir du bord supérieur du fossé.
Art. 262. La trop grande proximité des arbres cause aux voisins une autre nature de dommage que les excavations: c'est la privation d'air et de lumière, laquelle nuit aux habitations autant qu'à la culture. La loi, ici encore, peut, sans scrupules, restreindre la liberté des propriétaires; car, dans les villes, les arbres sont plutôt pour l'agrément que pour l'utilité et, dans les campagnes, l'espace permet d'observer aisément les distances prescrites.
Il est naturel que la distance légale soit déterminée d'après la hauteur des arbres. Bien entendu, il s'agit ici de la hauteur effectivement obtenue par les arbres et non de celle à laquelle ils peuvent atteindre d'après leur nature; seulement, les propriétaires qui n'auront pas eu la prudence de tenir compte de cet accroissement, pourront être tenus, quand il sera atteint, soit de supprimer leurs arbres, soit de les étêter à la hauteur voulue.
Le Code japonais est un peu plus libéral pour les propriétaires des arbres, que la plupart des Codes étrangers en leur accordant, soit une distance moindre, soit une plus grande hauteur pour une même distance.
Le dernier alinéa ne présente pas de difficulté: la circonstance que chacun des voisins est copropriétaire de la séparation (mur, clôture ou haie) ne justifierait pas le défaut des précautions prescrites ci-dessus, car le copropriétaire ne doit pas, par son fait, compromettre la sécurité de la chose commune; en outre, lorsqu'il y a danger d'infiltrations ou d'éboulement, le dommage pourrait dépasser la séparation mitoyenne.
Il va sans dire que, sur ce point des distances à observer, on pourra toujours y déroger au moyen de conventions particulières, lesquelles constitueront alors des servitudes du fait de l'homme, opérant en sens inverse des servitudes légales, ainsi qu'on va les rencontrer à la Section suivante.
Cette faculté de modifier par convention les rapports des voisins aura d'autres applications, mais elle ne doit pas non plus être considérée comme absolue.
Art. 263. La loi, désirant seulement pourvoir à la sécurité et aux bons rapports des voisins, se contente ici des usages qui y auront pourvu autrement: ces usages, en effet, nés des besoins locaux, sont généralement sages, modérés et suffisants dans leurs exigences.
Art. 264. Les progrès de l'industrie, tout en améliorant les conditions de la vie sociale, entraînent aussi des dangers pour la vie ou la santé des hommes, non seulement des personnes directement employées à ces industries, mais encore de celles qui se trouvent dans le voisinage des établissements industriels.
Dans les pays où l'industrie est très développée, les règlements sur les manufactures et ateliers dangereux, insalubres ou seulement incommodes sont très nombreux et augmentent chaque jour avec les nouvelles découvertes. Ce n'est pas à la loi civile qu'il appartient de faire ces règlements, parce que l'intérêt général y est bien plus en jeu que l'intérêt privé. D'ailleurs, la loi civile doit avoir, de sa nature, une certaine fixité qui serait tout à fait mauvaise en une matière aussi variable et aussi progressive que l'industrie et ses procédés. Il en doit être de même au Japon.
DISPOSITIONS COMMUNES.
AUX PARAGRAPHES PRÉCÉDENTS.
Art. 265. On a vu, aux articles 21, 22 et 23, que le domaine de l'Etat, des fu ou ken et des shi, tcho ou son se divise en domaine public et domaine privé.
Pour leur domaine privé, ces “personnes morales” sont et doivent être traitées par la loi comme des particuliers et soumises aux mêmes obligations, comme aussi être appelées aux mêmes droits et avantages; c'est ce que le texte qualifie “d'application active et passive de la présente Section.”
Mais, pour ce qui concerne les biens du domaine public, l'intérêt général doit quelquefois primer l'intérêt privé.
Ainsi, les établissements publics ne seront pas soumis à la cession forcée de la mitoyenneté des murs; on ne pourra non plus exercer le droit d'aqueduc à travers les fonds du domaine public. Mais ils seront soumis aux droits d'accès pour les réparations de bâtiments voisins et de passage en cas d'enclave; ils devront recevoir l'écoulement naturel des eaux pluviales et de source, subir la clôture et le bornage, enfin observer les distances légales pour les vues, plantations et ouvrages.
Activement, ces fonds auront tous les bénéfices de la loi: l'administration pourra requérir le passages des eaux, le bornage, la clôture, la cession de la mitoyenneté, l'observation des distances, etc. Il n'y a pas d'ailleurs, à craindre de sa part les abus et vexations qui peuvent se rencontrer entre voisins particuliers.
Il va sans dire que chaque fois que l'administration requerra pour un bien du domaine public l'exercice d'une servitude active, elle en subira les charges et conditions passives: sous ce rapport, les effets de la loi sont indivisibles.
SECTION II.
DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LE FAIT DE L'HOMME.
§ Ier DE LA NATURE DES SERVITUDES ET DE LEURS DIVERSES ESPÈCES.
Art. 266. La loi arrive ici aux Servitudes proprement dites, à celles qui, à la différence des servitudes dites légales, ne sont plus le droit commun de la propriété, mais sont établies, exceptionnellement, par l'accord exprès ou tacite des propriétaires, pour l'amélioration économique d'un fonds.
On a déjà expliqué, sous l'article 214, que leur nom de foncières ne vient pas de ce qu'elles portent sur des fonds, mais de ce qu'elles appartiennent, figurativement, à des fonds dont elles deviennent des accessoires et, en quelque sorte, des qualités actives.
De même, lorsqu'on les qualifie de servitudes réelles, ce n'est pas pour dire qu'elles sont des droits réels; ce qui est incontestable d'ailleurs, c'est pour exprimer que le droit appartient à une chose et qu'on ne peut avoir un droit de servitude sans avoir d'abord sur un fonds la propriété ou un de ses démembrements.
La loi pose en principe la pleine liberté des propriétaires voisins pour établir entre leurs fonds ces rapports qui, vraisemblablement, apporteront plus d'avantages au fonds dominant qu'ils n'en enlèveront au fonds servant; d'ailleurs, leur intérêt est leur meilleur guide et si le fonds servant devait souffrir plus que le fonds dominant profiter, il est naturel de croire que les conditions plus onéreuses de l'arrangement en détourneraient l'un ou l'autre des voisins.
Parmi les servitudes du fait de l'homme, il y en a qui sont la contre-partie des servitudes légales et qui ont justement pour but de lever des entraves que la loi a cru devoir mettre à la liberté des voisins, mais que ceux-ci peuvent, d'un commun accord, juger inutiles, ou même nuisibles à leurs intérêts particuliers.
Ainsi, on peut, par convention:
1° Donner à l'un des voisins le droit d'envoyer chez l'autre, en dehors des conditions imposées par la loi, des eaux pluviales ou de source, ou même des eaux ménagères ou industrielles;
2° Affranchir un des voisins de la nécessité de payer une indemnité pour le passage d'un aqueduc, dans les cas où la loi ne l'autorise à user de cette servitude qu'à charge d'indemnité;
3° Affranchir un des voisins des distances légales à observer pour les puits, citernes ou caniveaux, pour les vues et pour les plantations d'arbres;
4° Supprimer, pour l'un des voisins ou pour tous deux, l'obligation de contribuer aux frais du bornage ou de la clôture, dans les cas où la loi permet d'exiger celle-ci, ou même l'obligation de céder la mitoyenneté.
Mais il ne faudrait pas croire que les voisins pussent, par convention, s'affranchir de toutes les servitudes légales: le principe de la liberté des conventions reçoit ici une exception générale qui est de n'établir aucune servitude “contraire à l'ordre public.” Or, quand la servitude légale est fondée sur un principe d'ordre public et sur un intérêt général de premier ordre (car il y a toujours un intérêt général dans la cause des servitudes légales), les parties ne peuvent s'en affranchir par une convention dont l'imprévoyance pourrait, plus tard, causer des troubles sérieux.
Ainsi on ne pourrait, par convention:
1° Supprimer le droit d'accès sur la propriété voisine pour la réparation des bâtiments, ni le droit de passage en cas d'enclave; car, dans le premier cas, on aurait ôté presque toute valeur au bâtiment qui viendrait à avoir besoin de réparations, et, dans le second, sa valeur tout entière au fonds enclave;
2° Affranchir le voisin inférieur de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du fonds supérieur.
3° Affranchir le voisin supérieur ou inférieur de l'obligation de livrer passage, par aqueduc, aux eaux ménagères, industrielles ou agricoles, dans les cas où la loi l'y soumet;
4° Affranchir les voisins de l'obligation de subir respectivement le bornage ou la clôture.
Toutefois, comme les conventions doivent recevoir tout l'effet possible, en tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public, on pourrait leur donner ici quelque effet quant à l'indemnité, au moins dans les trois derniers cas: ainsi, au 2e cas, celui qui aurait stipulé son affranchissement des eaux naturelles devrait recevoir une indemnité, si le propriétaire supérieur, pour échapper à l'inondation, était forcé de se prévaloir de la servitude légale; de même, au 3e cas, une indemnité spéciale et supplémentaire serait due par le voisin qui requerrait le passage d'un aqueduc après y avoir renoncé; au 4e cas, le bornage et la clôture, toujours possibles, seraient aux frais exclusifs de la partie qui les requerrait, après avoir pris un engagement contraire. On pourrait même, au 1er cas, mais par exception, donner effet à la convention qui tendrait à affranchir un fonds du droit d'accès du voisin, c'est lorsque la convention serait intervenue avant la construction en faveur de laquelle le droit d'accès est plus tard réclamé: cette convention, en effet, tendait indirectement à obliger le voisin à réserver entre son bâtiment et la ligne séparative un espace suffisant pour les réparations. Le constructeur, pour n'avoir pas tenu compte de cette indication, pourrait être tenu d'une indemnité plus forte que si elle était fixée par la seule application de l'article 217; il pourrait même, au cours de sa construction, être arrêté par la dénonciation de nouvel œuvre.
On a, plus haut, présenté comme valable la convention par laquelle un voisin renoncerait à user du droit que lui donne la loi d'acquérir la mitoyenneté d'un mur. La question n'est pas sans difficulté et peut-être quelques personnes hésiteraient-elles à admettre notre solution, à cause de l'intérêt économique qu'il y a à ne pas faire deux murs entre deux bâtiments; mais nous ne voyons pas là cet intérêt public “de premier ordre” qui nous semble la raison de prohiber certaines conventions contraires aux servitudes légales: une pareille convention sera trop peu fréquente et la propriété qui sera privée du droit de mitoyenneté ne sera pas assez notablement dépréciée pour qu'il y ait lieu de déroger au principe général et essentiel de la liberté des conventions. Ce qui doit lever tous les doutes c'est que le propriétaire pourrait toujours se soustraire à l'obligation de céder la mitoyenneté en bâtissant en retraite de plus d'un pied de la ligne séparative (v. art. 257).
La loi a laissé à l'interprétation judiciaire la solution de quelques questions qui pourraient s'élever sur la validité des conventions en matière de servitudes.
Ainsi, l'ordre public ne s'oppose nullement à ce que deux voisins conviennent que l'un d'eux fera certains travaux sur le fonds de l'autre, soit par lui-même, soit par des hommes de journée payés par lui: par exemple, qu'il plantera le riz et le récoltera, qu'il réparera les bâtiments, qu'il durera les étangs, le tout avec ou sans rétribution, suivant les accords. Mais cette convention ne vaudrait que comme promesse de services gratuits ou onéreux: elle donnerait une créance ou un droit personnel et ne constituerait pas une servitude.
La conséquence en est fort importante: les services ne seraient pas dus par tout propriétaire qui succèderait sur le fonds au promettant, ils ne seraient dus que par le promettant lui-même, qu'il ait ou non gardé le fonds; ils ne seraient même pas dus par ses héritiers, car la promesse de service est personnelle, dans le sens le plus étroit du mot, elle ne passe même pas aux héritiers passivement; de même, l'obligation serait éteinte par la mort du stipulant et ne profiterait pas à ses héritiers; car les conventions de services, même faites à titre onéreux, sont généralement faites en considération des personnes, respectivement.
Si le fonds sur lequel les travaux devaient être faits, venait à être aliéné, le changement de propriétaire devrait être, en principe et par le même motif, considéré comme mettant fin au contrat, à moins que le cédant n'ait expressément transféré sa créance de services en même temps que le fonds ce qui est permis.
En sens inverse, si l'on suppose une stipulation donnant à un propriétaire le droit de se promener sur le fonds voisin, d'y chasser, d'y pêcher, de s'y baigner, il n'y aura là aucune charge pour la personne du propriétaire voisin; mais on n'y trouvera pas non plus un avantage pour tout propriétaire du fonds prétendu dominant, par conséquent, point de plus-value donnée au fonds lui-même; en effet, tous les propriétaires ne sont pas chasseurs ou pêcheurs: l'âge, la santé, les occupations, pourraient rendre inutiles les facultés dont il s'agit; on ne se trouve donc pas dans les conditions qui font le mérite économique des servitudes: il n'y aura pas servitude foncière.
Mais une pareille stipulation n'a rien de contraire à l'ordre public et elle ne sera pas nulle; elle donnera même un droit réel, c'est-à-dire un droit affectant la propriété de la chose et la démembrant: ce sera suivant qu'il sera établi à titre gratuit ou à titre onéreux et d'après les autres circonstances du fait, soit un droit d'usage spécial, soit un droit de bail, avec un objet plus limité que d'ordinaire; ce pourrait être aussi le droit personnel né d'un prêt à usage.
Il ne faudrait pas cependant contester le caractère de servitude foncière à toute charge établie entre voisins, par cela seul qu'elle imposerait à l'un d'eux quelque prestation de travail, personnel ou procuré, ou qu'elle aurait pour résultat un avantage au profit de la personne de l'autre ou des personnes de sa famille ou de sa maison.
Ainsi, dans le cas d'un droit de passage accordé à l'un des voisins sur le fonds de l'autre, on peut convenir que le chemin sera entretenu pas ce dernier et, dans le cas d'un droit d'aqueduc, que le propriétaire du fonds servant entretiendra la construction et fera le curage, soit périodiquement, soit quand il sera nécessaire; dans ces deux cas et autres analogues, on ne devrait pas hésiter à reconnaître une servitude foncière: les travaux à exécuter par le propriétaire du fonds servant ne sont qu'une charge accessoire qui ne peut changer la nature de la charge principale; il ne restera plus qu'à la concilier avec le principe déjà énoncé que “la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir” : on donnera la conciliation en son lieu (voy. art. 285).
Ainsi encore, et en sens inverse, il est très fréquent que les mêmes servitudes de passage et d'aqueduc procurent au propriétaire ou aux siens des avantages personnels, comme la facilité ou la brièveté de la communication avec la voie publique, ou comme l'usage d'une eau plus abondante ou plus salubre pour les usages personnels et domestiques. Mais, ce qu'il y a de profit personnel est encore secondaire et accessoire; l'effet principal du droit de passage ou du droit d'aqueduc est toujours l'amélioration économique du fonds dominant; car tout propriétaire du fonds sera sensible à l'abréviation des distances ou à la qualité et à la quantité de l'eau.
On a dit plus haut que la perpétuité n'est pas de l'essence des servitudes foncières, cependant elle est de leur nature, et quand une servitude aura été établie pour un temps un peu court, il sera nécessaire d'examiner si, dans l'intention des parties, elle n'a pas été établie en faveur du propriétaire actuel, comme il est expliqué plus haut, plutôt qu'en faveur de son fonds; la question dépendra de l'ensemble des circonstances: spécialement, de la nature du service à tirer de la chose et des relations de parenté ou d'amitié des parties.
Art. 267. Le 1er alinéa de cet article consacre le principe développé à l'article précédent, à savoir, que le droit de servitude foncière est doublement réel en ce sens que, non seulement il porte sur une chose et reste opposable à tous ceux qui la détiendront, mais encore qu'il appartient à une chose et, par là, profite à tous ceux auxquels cette chose appartiendra successivement.
La loi leur reconnaît, en même temps, le caractère de droit accessoire déjà annoncé à l'article 2.
Du reste, quand la loi nous dit (2e al.) que les servitudes ne peuvent être cédées, louées ni hypothéquées séparément du fonds et peuvent l'être seulement avec lui, ce n'est pas seulement à raison de ce caractère accessoire; en effet, il y a d'autres accessoires des fonds qui pourraient en être détachés et cédés ou loués séparément comme les objets mobiliers attachés aux fonds pour leur exploitation ou leur agrément, lesquels pourraient aussi être, sinon hypothéqués, au moins donnés en gage et livrés au créancier, comme meubles.
La raison de cette prohibition n'est pas non plus que le droit de servitude a pu être constitué en vue de la personne du voisin et que la cession du droit en changerait indûment le titulaire; on a vu, en effet, que la servitude, comme telle, doit être établie en faveur du fonds et non en faveur du propriétaire, et d'ailleurs, le constituant est toujours exposé à un changement de titulaire avec le changement de propriétaire du fonds dominant lui-même.
La véritable raison de la présente prohibition, c'est que la servitude foncière, outre les limites qui peuvent avoir été mises à son exercice par l'acte constitutif, en reçoit encore d'autres dans les besoins mêmes du fonds dominant: celui qui aurait le droit de prendre sur le fonds d'autrui de l'eau, du sable, des pierres, des bois, en une quantité déterminée, pour les besoins agricoles, industriels ou domestiques de son fonds, n'épuisera pas toujours son droit, car la quantité stipulée peut, à certaines époques, excéder les besoins du fonds. Si donc, il était permis de céder, soit le droit même, tout entier, aux matières stipulées, soit ce qui en excède les besoins du fonds dominant, la condition du fonds servant se trouverait aggravée. Cette raison s'applique autant à l'hypothèque qu'au bail ou à la cession, car l'hypothèque mène généralement à la vente du bien pour satisfaire le créancier.
La seconde disposition est encore commandée par le même principe; ainsi le propriétaire d'un fonds auquel appartient un droit de passage sur le fonds voisin ne pourrait en permettre l'usage à un autre voisin, même en s'abstenant d'en user personnellement.
On a vu, cependant, à l'article 57, que l'usufruit, qui est une servitude personnelle, peut être grevé d'un autre usufruit. Cela s'explique par la cessibilité du droit lui-même d'usufruit; car il est susceptible d'être cédé, loué et hypothéqué (art. 68), et cette faculté, reconnue à l'usufruitier, de changer le bénéficiaire de son droit, se justifie elle-même par la considération qu'il a tout l'usage et tous les fruits de la chose, ce qui ôte au nu-propriétaire tout intérêt à s'opposer à une cession. Par la raison inverse, l'usager, dont les droits sont limités à ses besoins personnels, ne peut céder son droit (art. 113). Toutes ces dispositions sont donc en complète harmonie.
Art. 268. La loi reconnaît, en principe, aux servitudes le caractèrité d'indivisibilité déjà signalé par l'article 19; mais elle y apporte des exceptions qui, en fait, se rencontreront peut-être plus souvent que la règle.
Il est certain, comme l'explique le 1er alinéa, que s'il y a plusieurs propriétaires de l'un des fonds, du fonds dominant, par exemple, et que ces copropriétaires soient en état d'indivision, l'un d'entre eux ne peut, sans le concours des autres, renoncer à la servitude active et en priver le fonds dominant: il ne peut le faire pour le tout, parce qu'il n'a pas qualité pour diminuer le droit de ses copropriétaires; il ne le peut, non plus, pour sa part indivise, pour une moitié, un tiers ou un quart, parce que la nature des avantages que procure une servitude foncière ne permet pas d'en concevoir des fractions: la vue, le passage des personnes ou des eaux, la prohibition de bâtir ou de planter sur des points déterminés, ne comportent pas de parties.
Réciproquement, si l'indivision existe entre copropriétaires du fonds servant, la convention que ferait l'un d'eux avec le propriétaire du fonds dominant pour l'extinction de la servitude ne profiterait pas aux autres, s'il n'était pas autorisé à stipuler pour eux, et elle ne lui profiterait pas à lui-même pour sa part indivise du fonds, car la servitude ne pourra toujours être exercée qu'intégralement ou indivisiblement, pour le motif donné plus haut.
On retrouvera l'indivisibilité des servitudes, au sujet de leur extinction (v. art. 291). Elle présente aussi de l'intérêt et même quelque difficulté au sujet de l'autorité de la chose jugée, lorsque tous les intéressés n'ont pas été en cause comme demandeurs ou défendeurs; mais comme cet ordre d'idées se retrouvera mieux à sa place à l'occasion des autres droits réels ou personnels indivisibles, la loi ne s'y arrête pas ici.
Le 2e alinéa nous dit que l'indivisibilité des servitudes pourra même persister après le partage du fonds dominant ou du fonds servant. Par exemple, le fonds A, appartenant à plusieurs, avait, sur le fonds B, le droit de passage ou d'aqueduc ou le droit d'empêcher certaines constructions ou plantations; s'il est partagé entre les copropriétaires, chacun aura, pour le lot de terrain qui lui est échu, le droit intégral de vue, de passage, d'aqueduc, etc. Même solution, si, au lieu d'un partage du fonds dominant, il en était cédé une partie à un tiers: celui-ci jouirait intégralement de la servitude, sans qu'elle cessât d'appartenir en entier au cédant pour la partie conservée par lui. Réciproquement si le fonds servant était partagé ou cédé partiellement, chaque lot se trouverait soumis à la servitude, au moins, en principe, et en tant que ce résultat serait nécessaire à la plénitude du droit du fonds dominant.
Mais c'est ici que se rencontrent, le plus souvent, les exceptions réservées par le 2e alinéa et auxquelles il faut s'arrêter un instant. Elles se rencontreront aussi, quoique peut-être plus rarement, dans le cas de division du fonds dominant.
Soit un fonds servant grevé d'un droit de passage ou d'aqueduc dans une direction déterminée. Bien qu'on puisse dire que le fonds tout entier est grevé, en ce sens qu'il s'en trouve amoindri dans sa valeur totale, par la diminution de liberté du propriétaire, cependant, en fait, le passage des personnes ou des eaux ne s'exerce pas sur toutes les parties du fonds, lequel est traversé dans un sens ou dans un autre, peut-être sur une faible étendue. Si, dans la division du fonds, la partie consacrée au passage se trouve contenue tout entière dans un lot, les autres se trouveront à l'avenir, affranchis de la servitude.
De même, s'il existe une servitude défendant de construire ou de planter, ce ne sera généralement que sur une partie du fonds faisant face aux bâtiments du voisin auxquels on a voulu conserver la vue de la mer, de la campagne ou du Fusiyama; lorsque, le fonds servant sera divisé, cette portion de terrain qui doit rester libre de bâtiments ou de plantations ne se trouvera pas dans tous les lots: il y en aura toujours quelques-uns qui seront affranchis de la servitude.
Si nous supposons le fonds dominant divisé en plusieurs lots, le même résultat pourra se produire; moins souvent, peut-être, pour le passage ou l'aqueduc, lesquels pourront quelquefois rester nécessaires à tous les lots, mais presque toujours pour la défense de planter ou de bâtir, qui ne profitera plus qu'au lot où se trouvent les bâtiments dont on a voulu conserver le prospect, la vue à distance.
Art. 269. Le caractère particulier des servitudes qui motive la prohibition de les aliéner séparément du fonds dominant ne commande pas une prohibition analogue pour l'exercice des actions judiciaires par lesquelles on les réclame ou on les conteste: chacun des deux propriétaires pourra donc plaider pour ou contre la servitude, sans être tenu de prouver son droit de propriété ni même son droit de possession, lorsqu'il ne sera pas en question. Il serait, en effet, bien inutile toujours, et dangereux souvent, de réunir dans le procès deux questions qui ne sont pas nécessairement connexes. Telle est au moins la règle.
Mais, si la propriété ou la possession du fonds même était contestée au demandeur ou au défendeur, le droit d'invoquer la servitude ou de la dénier serait contesté aussi, par cela même, et les deux questions devraient être réunies, avec la priorité donnée à celle de propriété ou de possession du fonds, comme question préalable ou préjudicielle.
Hors ce cas, qui sera rare sans doute, la question de la servitude se présentera seule et sera jugée de même, soit au pétitoire soit au possessoire.
Le 2e alinéa nous dit que le propriétaire peut exercer l'action négatoire pour contester que son fonds soit assujetti à un autre par une servitude.
Les noms d'action confessoire opposée à l'action négatoire, avec subdivision, pour chacune, en action possessoire et action pétitoire, ont déjà été rencontrés plus haut et expliqués assez longuement, au sujet de la propriété et de l'usufruit (art. 36 et 67), et surtout au sujet de la possession (art. 199 et s.). On se bornera donc à en rappeler brièvement les caractères en tant qu'ils peuvent être appliqués aux servitudes.
Dans l'action confessoire, le demandeur soutient, affirme son droit de servitude sur le fonds d'autrui; dans l'action négatoire, le demandeur conteste, nie que son fonds doive une servitude au fonds d'autrui. Il faut bien avoir soin, d'ailleurs, d'éviter ici une confusion à laquelle on est exposé par la nature du sujet et par les habitudes du langage. Ainsi on a déjà dit qu'il y a des servitudes qui assujétissent le fonds servant à ne pas planter, à ne pas bâtir dans un lieu déterminé. Or, lorsque le propriétaire du fonds dominant soutient que celui du fonds servant ne peut bâtir, il n'intente pas une action négatoire, mais une action confessoire; c'est, en réalité, comme s'il soutenait qu'il a le droit d'empêcher le voisin de bâtir; c'est bien “affirmer son propre droit sur le fonds d'autrui,” conformément à la définition donnée plus haut.
En sens inverse, si le demandeur soutient qu'il a le droit de faire boucher chez le voisin des fenêtres d'aspect ouvertes à moins de trois pieds de la ligne séparative, en vertu d'une prétendue servitude qu'il conteste, son action est négatoire, parce que la négation ne doit pas être cherchée dans les mots, mais dans la prétention; en effet, le demandeur “nie que le voisin ait sur son fonds un droit de vue ou de prospect,” ce qui est bien conforme aussi à la définition de l'action négatoire.
Du reste, la question de savoir si une action relative aux servitudes est confessoire ou négatoire n'a pas seulement un intérêt de théorie et de doctrine, elle a aussi un intérêt pratique sur lequel on reviendra au sujet des preuves; dans l'action confessoire le demandeur a, comme tel et d'après le droit commun, toute la charge de la preuve de ce qu'il affirme; dans l'action négatoire, le demandeur ne pouvant, par la nature des choses, prouver pleinement une négation indéfinie, sommera le défendeur d'alléguer la cause directe et positive de son prétendu droit de servitude et c'est seulement cette cause déterminée dont il aura à démontrer l'inexistence, ce qui sera encore fort difficile.
Rappelons maintenant ce qui distingue, dans chacune de ces deux actions, le caractère possessoire et le caractère pétitoire.
Quand le demandeur se trouve, en fait, dans la situation qu'il prétend avoir aussi en droit, il peut se borner à demander le maintien du fait, de l'état actuel, sans soulever la question du droit, la question du fond.
Ainsi celui qui prétend avoir un droit de passage ou de vue, était en possession de ce droit, c'est-à-dire l'exerçait, en fait, depuis un certain temps, lorsque le voisin fait brusquement fermer le passage ou obstruer la vue; dans ce cas, le prétendant à la servitude pourra agir en complainte pour faire rétablir le passage et même en réintégrande, si la fermeture a été faite par surprise ou avec menaces (v. art. 204). Enfin, il agira en dénonciation de nouvel œuvre, si le voisin commence des travaux qui peuvent bientôt constituer un trouble ou une dépossession. L'avantage d'agir ainsi au possessoire plutôt qu'au pétitoire, c'est que le demandeur, pour triompher, n'aura qu'à prouver l'exercice actuel de la servitude par lui prétendue, tandis que, s'il agissait au pétitoire, il lui faudrait prouver son droit au fond, c'est-à-dire produire un acte constitutif de la servitude.
Lorsqu'il aura triomphé, le voisin pourra, il est vrai, intenter, à son tour, une action négatoire; mais les rôles y seront renversés et le premier y sera défendeur, avec tous les avantages attachés à cette qualité; en outre, cette action négatoire ne pourra pas être possessoire, par exemple, en réintégrande, car la possession a déjà été jugée en faveur du premier demandeur, l'action négatoire sera alors pétitoire, c'est-à-dire tendra à faire juger, au fond, que le voisin n'a pas de servitude de vue ou de passage. C'est ainsi qu'on a vu (art. 212) que lorsqu'il s'agit, non plus d'une servitude, mais du droit de propriété tout entier, celui qui a succombé au possessoire peut encore utilement agir au pétitoire, tandis que la réciproque n'est pas permise.
Ceci implique que l'action négatoire pourrait avoir elle-même le caractère possessoire, lorsque c'est elle qui est intentée la première. Ainsi, un propriétaire voit son voisin construire un bâtiment sur la ligne séparative, avec des ouvertures d'aspect, il peut faire la dénonciation de nouvel œuvre; si le bâtiment est terminé, il intentera l'action en réintégrande pour faire supprimer les ouvertures; s'il s'agit d'un passage déjà exercé par intervalles, il intentera l'action en complainte: comme son voisin ne possédait pas encore la servitude, il possédait lui-même la liberté de son fonds: il conserve ou recouvre la possession de cette liberté, un instant troublée ou usurpée. Toutes ces actions possessoires sont en même temps négatoires, car elles nient le droit du voisin. Si le demandeur y triomphe, il sera désormais défendeur à l'action du voisin qui se croirait le droit d'agir au fond; cette action du voisin sera confessoire, puisqu'elle affirmera son droit et, en même temps, pétitoire, puisqu'elle tendra à faire juger non plus la possession, mais le fond du droit.
Art. 270. Cet article consacre d'une façon formelle le caractère de servitudes dont le nom est déjà attribué par la Section précédente aux charges, limites et conditions restrictives auxquelles le droit de propriété est soumis par la loi.
Art. 271. Les dispositions précédentes correspondent à la première partie de l'intitulé du présent paragraphe, à la nature des servitudes; la loi arrive maintenant à leurs diverses espèces. En réalité, on pourrait dire que les précédents articles se rapportent à leur nature commune, et ceux qui vont suivre, à la nature particulière de chacune. En effet, par cela même que la liberté des parties est très grande, presque absolue, pour l'établissement des servitudes, comme aussi les avantages que chacune d'elles peut procurer sont très variés, il faut s'attendre à ne pas leur trouver à toutes les mêmes caractères particuliers; les différences qu'elles vont présenter exerceront même une grande influence sur leur établissement, sur le mode de leur exercice et sur leur extinction, ainsi qu'on le verra aux paragraphes suivants.
Les trois divisions des servitudes ici présentées peuvent être considérées comme résultant de la nature des choses; aussi les trouve-t-on, plus ou moins explicitement, dans toutes les législations modernes et ne doit-on pas hésiter à les reconnaître au Japon; on ne pourrait varier que sur les conséquences légales à attacher à leurs différences.
La loi se borne ici à présenter les trois divisions, elle n'ajoute pas ce qu'on verra suffisamment plus loin, que chacune des divisions peut se combiner avec les deux autres; ainsi, une servitude continue est, nécessairement, soit apparente, soit non apparente; elle est, en même temps, soit positive, soit négative; il en est de même de la servitude discontinue: elle a, en même temps, l'un des caractères de chacune des deux autres divisions. Par cela même, encore, les deux autres divisions se combinent entre elles et avec la première. On en verra la preuve dans les exemples donnés sous les articles suivants.
Art. 272. La division des servitudes en continues et discontinues est d'une importance considérable.
Les principales servitudes continues sont: les vues sur la propriété d'autrui, à une distance moindre que celle qui constitue la servitude légale; les plantations et excavations, également plus rapprochées que ne le permet le droit commun; l'égoût des toits au-delà de la ligne séparative; l'aqueduc à travers le fonds d'autrui, pour amener de l'eau ou pour en évacuer, en dehors des conditions de la servitude légale du même nom. Sont encore continues, les prohibitions de bâtir ou de planter, contrairement à la liberté légale des propriétaires.
Dans ces divers cas, il est évident qu'une fois les lieux disposés pour la servitude, celle-ci s'exerce d'elle-même, activement et passivement, sans le fait actuel de l'homme, c'est-à-dire, non-seulement sans que le propriétaire du fonds servant ait à accomplir quelque acte, puisque “la servitude n'oblige pas à faire, mais à souffrir,” mais même sans que le propriétaire du fonds dominant, ou quelqu'un pour lui, ait besoin d'accomplir un fait actif d'usage.
Quelques personnes ont pourtant hésité à admettre comme continues les servitudes d'égoût des toits ou d'aqueduc, sous le prétexte que la pluie et les eaux naturelles ou artificielles présentent des intermittences; mais c'est un doute mal fondé: l'avantage du fonds dominant et l'assujettissement du fonds servant sont permanents, dès que, par la disposition des lieux, l'égoût de la pluie ou l'écoulement des eaux peuvent se produire aussi souvent que la nature le permettra.
Au contraire, il y a discontinuité de la servitude lorsque la disposition des lieux, une fois appropriée, ne suffit pas à son exercice, mais qu'il faut encore un fait actif du propriétaire du fonds dominant, comme dans la servitude de passage sur le fonds d'autrui, dans celle qui permet d'y puiser ou d'y faire puiser de l'eau portative (non conduite), d'y faire paître des animaux, d'y prendre ou d'y faire prendre des matériaux, tels que bois, pierres, sables etc.; or, l'homme, d'après sa nature, ne peut accomplir, d'une façon continue, aucun acte volontaire.
On ne doit pas classer parmi les servitudes continues, les prises d'eau, au moyen d'un canal ou orifice, lorsque l'écoulement ne serait permis que par intervalles fixes ou par tours de jours ou d'heure. Il faut nécessairement un fait de l'homme pour ouvrir ou fermer l'orifice ou la bouche d'eau; la servitude n'est donc pas continue de sa nature; c'est à peine si on pourrait lui reconnaître ce caractère dans le cas, sans doute sans exemple, où l'ouverture et la fermeture de l'orifice se feraient automatiquement, à intervalles réguliers, par le moyen d'une machine; car il faudrait, au moins, qu'elle fût chauffée, si elle était à vapeur, ou remontée, si elle était purement mécanique. Il y aurait toujours là, pour l'exercice de la servitude, “un fait de l'homme” avant le mouvement automatique.
On pourrait éprouver ici, à l'égard du pacage un doute pareil au précédent: si la servitude permettait de laisser les animaux placés sur le fonds dominant, passer et paître en liberté sur le fonds servant, non clos d'ailleurs, il semblerait qu'aucun fait de l'homme n'étant ici nécessaire, la servitude serait continue; mais ce serait encore une illusion: il y aurait toujours le fait, par le propriétaire du fonds dominant, d'avoir et d'entretenir des animaux sur son fonds, fait qui n'est pas permanent de sa nature, qui peut cesser, puis recommencer, qui peut donc être et sera souvent intermittent.
Art. 273. On a réuni ici deux caractères distinctifs de la servitude apparente; ils ne sont pas d'ailleurs identiques: un ouvrage est un travail de l'homme destiné à faciliter l'exercice de la servitude; un signe visible n'est pas toujours un ouvrage: si par exemple, pour le passage des personnes, on a laissé, depuis la limite du fonds dominant, un espace libre de plantation et de cultures, alors qu'il en existe de chaque côté, il n'y a là aucun ouvrage de l'homme, mais il y a un signe visible du droit de passage, surtout si le chemin, étant fréquenté, est battu et n'est pas envahi par les herbes; de même, si des eaux, sortant d'un fonds ou y entrant, se sont creusé un lit naturel.
Comme exemples des servitudes apparentes, on peut citer encore: une fenêtre d'aspect ou des plantations plus rapprochées que la distance prescrite par la loi, des toits avançant au-delà de la ligne séparative, un aqueduc non souterrain.
Comme servitudes non apparentes, il y a: l'acqueduc souterrain, les droits de puisage, de pacage, de prise de matériaux sur le fonds d'autrui et toutes les servitudes négatives, objet de l'article suivant, consistant dans des prohibitions ou restrictions à la liberté légale des propriétaires.
Art. 274. Une servitude est positive ou affirmative, quand son effet immédiat et direct est d'étendre pour le propriétaire du fonds dominant le droit d'agir que la loi lui donne normalement, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds voisin. Elle est négative ou prohibitive, lorsqu'elle donne au propriétaire du fonds dominant le droit de défendre au voisin des actes que le droit commun permet à chacun d'accomplir, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds contigu.
Comme exemples de servitudes positives, on peut citer, dans l'ordre du texte:
1° Sur le fonds servant: l'aqueduc, l'égoût des toits, le passage, le puisage, le pacage, la prise de matériaux;
2° Sur le fonds dominant lui-même: les fenêtres d'aspect, les plantations ou excavations à des distances moindres que la loi le prescrit.
Comme servitudes négatives, on trouve:
1° Sur le fonds servant: les prohibitions de bâtir, de planter, d'ouvrir des excavations, soit d'une manière absolue, soit à moins d'observer une distance plus grande ou des conditions plus onéreuses que celles prescrites par le droit commun;
2° Sur le fonds dominant: l'affranchissement de la contribution au bornage ou à la clôture, ou celui de l'obligation même de céder la mitoyenneté.
On a dit plus haut que ces divisions des servitudes, tirées de leur nature envisagée à des points de vue différents, peuvent se combiner ensemble.
Ainsi, une servitude peut être continue et apparente, comme la servitude de vue et d'aqueduc avec un canal extérieur; elle peut être continue et non apparente, comme celle d'aqueduc avec canal souterrain, et comme toutes les servitudes négatives ou prohibitives.
La servitude peut être discontinue et apparente, comme le droit de passage avec une porte et un chemin frayé sur le fonds servant; elle peut être discontinue et non apparente, comme le droit de prendre sur le fonds voisin de l'eau ou des matériaux.
Il est évident aussi que les servitudes positives sont les unes apparentes, comme l'égoût des toits, et les autres non apparentes, comme l'aqueduc souterrain, et qu'elles peuvent être continues, comme tout aqueduc, ou discontinues, comme le passage; tandis que les servitudes négatives sont toutes non apparentes et continues.
§ II. DE L'ETABLISSEMENT DES SERVITUDES.
Art. 275. La convention et le testament sont deux modes d'établissement communs à toutes les servitudes, continues et discontinues, apparentes et non apparentes, positives et négatives, et lors même que la raison en concevrait un plus grand nombre d'espèces, on comprendrait aussi que toutes s'établissent encore par ces deux natures de titres, car il s'agit ici des servitudes “établies par le fait de l'homme;” or, le titre n'est autre chose que la volonté de l'homme, dans sa manifestation la plus directe.
La loi n'a d'ailleurs, à entrer ici dans aucun détail sur la forme et les conditions de validité des conventions et du testament, lesquelles n'ont pas lieu d'être modifiées par cet objet particulier: les servitudes sont des droits réels, des démembrements de la propriété; elles se constitueront donc par convention ou par testament, comme les autres droits réels et comme se transfère la propriété; mais elles sont des droits immobiliers: la capacité du constituant y est plus limitée que s'il s'agissait de droits mobiliers; enfin, certains mesures de publicité sont requises pour mettre les tiers à l'abri de surprises, s'ils acquéraient le fonds servant sans savoir qu'il est grevé de servitudes.
C'est dans la IIe Partie du présent Livre que l'on trouvera les règles qui concernent la capacité des contractants et les moyens de publicité prescrits dans l'intérêt des tiers, pour les aliénations d'immeubles.
Art. 276. La prescription dite acquisitive est toujours un “fait de l'homme,” mais elle ne constitue pas un titre; on peut dire seulement qu'elle en fait présumer l'existence antérieure, c'est-à-dire qu'elle en constitue la preuve par présomption légale.
Il est naturel que la prescription soit admise en matière de servitudes, comme en matière d'usufruit et de propriété; mais la loi ne l'admet que pour les servitudes qui présentent le double caractère de continuité et d'apparence. En effet, la prescription a pour base et pour justification la possession, c'est-à-dire l'exercice prolongé du droit prétendu, comme s'il appartenait au possesseur; or, la loi exige, pour la prescription de la propriété, que la possession soit, entre autres qualités, continue et publique: elle ne fait ici qu'appuyer davantage sur ces deux conditions. Sans doute, quand il s'agit de la possession de la propriété ou de l'usufruit, la continuité est compatible avec des intermittences dans les actes: celui qui possède comme un propriétaire ou un usufruitier ne peut, à tout moment, labourer, semer, planter, récolter, ni même se promener sur le fonds ou occuper les bâtiments; il suffira que l'ensemble de ses actes présente la régularité de ceux d'un véritable propriétaire ou d'un véritable usufruitier; quant à la publicité, elle sera suffisante quand les actes pourront être vus ou connus au dehors, de sorte que celui contre lequel court la prescription puisse en être informé et y mettre obstacle, s'il le juge à propos.
En matière de servitudes, la loi est plus exigeante: la continuité doit être absolue, l'exercice doit être de tous les instants, et comme, ainsi qu'on l'a déjà observé, l'homme ne peut accomplir aucun acte sans repos ni intermittences, il n'y a que les servitudes “s'exerçant sans le fait de l'homme” qui aient une continuité suffisante pour s'acquérir par prescription; dans les autres cas, s'il s'agissait d'un passage, par exemple, il pourrait n'avoir lieu qu'à des intervalles plus ou moins éloignés et le propriétaire du fonds prétendu servant ne manquerait pas d'alléguer qu'il n'a laissé exercer le passage qu'à titre précaire ou de simple tolérance.
De même, la loi aggrave la condition de publicité, en exigeant que l'exercice continu de la servitude se révèle par des “ouvrages ou signes extérieurs” (art. 273) qui, parlant constamment aux yeux du propriétaire dont le fonds est grevé, le provoqueront à mettre obstacle à la servitude, si elle est illégalement exercée, ou feront présumer son acquiescement, s'il garde le silence pendant le temps de la prescription.
La loi se réfère ici, implicitement, aux conditions générales requises pour que la possession conduise à la prescription acquisitive; il va donc sans dire qu'elle ne doit être ni précaire, ni violente; il faut aussi tenir compte de l'influence du juste titre ou de l'absence de titre, de la bonne foi ou de la mauvaise foi (voy. art. 181 et 182) qui modifient la durée de la prescription.
Le 2e alinéa résout une question réservée par l'article 227: à savoir, comment s'accomplit la prescription qui prive un propriétaire du droit de disposer librement de l'eau qui prend naissance sur son fonds et la fait acquérir au voisin.
Le texte se contente d'ouvrages faits sur le fonds inférieur, pourvu qu'ils soient apparents, c'est-à-dire visibles pour celui qu'ils tendent à dépouiller. Si l'on objecte qu'il est injuste d'attacher la prescription à des travaux que le propriétaire supérieur ne peut empêcher et que ce système ne lui laisse d'autre moyen d'empêcher la prescription que de détourner ses eaux, nous répondons qu'il a toujours le moyen bien simple d'une protestation faite en justice et, en la renouvelant tous les 30 ans, il échappera à la prescription.
Art. 277. La continuité et l'apparence sont requises pour que la servitude soit tacitement établie par la destination du propriétaire.
Un exemple fera bien comprendre la situation. Un propriétaire a bâti sur un terrain lui appartenant; il a mis les ouvertures à son gré, parce que le terrain lui appartenait tout autour, à une distance suffisante pour n'être pas sujet aux réclamations des voisins; à ce moment, on ne peut pas dire qu'il jouisse d'une servitude de vue; car “on ne peut avoir un droit de servitude sur sa propre chose.” Plus tard, il vend, soit le bâtiment, soit le terrain contigu au bâtiment, et les ouvertures ne sont pas supprimées au moment du contrat, et rien non plus n'y est stipulé pour la suppression ultérieure des vues. Dans ce cas, l'origine de la disposition des lieux rapprochée de l'inaction et du silence des parties, prouve leur intention évidente, quoique tacite, de maintenir l'état de choses préexistant, lequel devient une servitude véritable pour l'avenir. Il serait donc exact de dire qu'ici la servitude est “établie par une convention tacite.”
Dans l'exemple ci-dessus, on a supposé que le fonds sur lequel ont été faits les travaux était unique et a été ensuite divisé; on pourrait supposer aussi que, primitivement, il y avait deux fonds distincts, un terrain nu et un bâtiment appartenant à différents propriétaires, qu'ils ont été ensuite réunis dans les mêmes mains et que les ouvertures ont été alors pratiquées dans le bâtiment; on peut supposer encore que les ouvertures étaient déjà pratiquées dans le bâtiment avant la réunion des fonds et qu'elles auraient pu être supprimées comme illégalement pratiquées, mais que le propriétaire, désormais unique, des deux fonds, n'ayant plus d'intérêt à leur suppression, les a laissées subsister; c'est comme s'il les avait établies lui-même. Enfin, on pourrait supposer qu'avant la réunion des deux fonds dans les mêmes mains, la vue sur la propriété voisine était valablement établie comme servitude; la réunion des fonds a opéré l'extinction de la servitude par confusion (comme on le verra au § IV); plus tard, quand les fonds ont été de nouveau séparés. la servitude a repris naissance par la double circonstance que la disposition des lieux n'a pas été changée et que le contrat n'a pas déclaré qu'elle serait supprimée.
On a supposé aussi, dans l'exemple précité, que le propriétaire des deux fonds a aliéné l'un et gardé l'autre, sans distinguer d'ailleurs, s'il a vendu celui qui va se trouver le fonds dominant, ou celui qui sera le fonds servant; on peut supposer aussi qu'il les aliène tous deux à des acquéreurs différents. Toutes ces hypothèses rentrent dans “la destination du propriétaire.”
Art. 278. La prescription et la destination du propriétaire ayant été limitées aux servitudes continues et apparentes, il ne reste plus que le titre, c'est-à-dire la convention ou le testament qui soit applicable à celles qui ne réunissent pas ces deux caractères.
Art. 279. Il ne s'agit plus ici de la constitution directe d'une servitude, mais de la reconnaissance écrite d'une constitution antérieure, ce qu'on nomme un titre récognitif. Il n'y a pas à distinguer si la servitude a été, en fait, établie par un titre (ce qui peut être le cas de toutes les servitudes, ni si, en droit, elle ne pouvait l'être que par ce seul moyen; dans tous les cas, il est permis de remplacer la preuve directe d'une constitution de la servitude par un titre récognitif. Le seul cas où le titre récognitif serait sans valeur, est celui où il reconnaîtrait un mode antérieur de constitution inapplicable au genre de servitude dont il s'agirait: par exemple, s'il reconnaissait qu'il y a eu prescription, pour une servitude qui ne serait pas continue et apparente, ou même destination du propriétaire, pour une servitude qui n'aurait pas ces deux mêmes caractères.
L'utilité de l'acte récognitif est facile à saisir dans chacun des trois cas de constitution de la servitude.
Dans le cas d'un titre primordial, il peut être obscur et les parties veulent prévenir un procès entre leurs héritiers respectivement, en le rédigeant mieux; ou il a été perdu et elles veulent le remplacer.
Dans le cas de la prescription, elles veulent constater, sans recourir à un jugement, qu'elle a été régulièrement acquise.
Enfin, dans le cas de la destination du propriétaire, elles veulent constater que les circonstances particulières qui la constituent ont réellement existé.
Lorsqu'on sera arrivé aux Livre des Preuves, on retrouvera le titre récognitif dans ses autres applications.
§ III. DE L'EFFET DES SERVITUDES.
Art. 280. La distinction des droits principaux et des droits accessoires est déjà connue par les articles 2 et 15, et l'on a vu, plus haut, à plusieurs reprises, que les servitudes sont des droits accessoires de la propriété du fonds dominant: mais elles présentent cette singularité que si elles sont accessoires, d'un côté, elles sont, d'uu autre côté, des droits principaux et qu'elles ont, à leur tour, comme corollaires, des droits accessoires qui n'existent et ne subsistent que par elles et pour elles. Ainsi, le droit de puiser de l'eau chez autrui entraîne virtuellement le droit de passage pour prendre l'eau; il en est de même des autres servitudes qui permettent de prendre des matériaux sur le fonds d'autrui. Mais, bien entendu, le passage sera limité, quant au temps et quant au lieu, à ce qui est nécessaire pour l'exercice de la servitude. Ainsi encore, le droit de faire des charrois de matériaux ou de récoltes à travers le fond d'autrui emporte celui de faire accompagner les chevaux et voitures par un conducteur et celui de ramener les voitures vides. Mais les personnes ne pourraient passer seules, si ce n'est au retour d'un charroi effectué.
Dans la pratique, il pourra y avoir une certaine tolérance, sortout si les voisins sont en bonne relations mais la loi statue toujours pour le cas où il n'y a pas accord des parties.
Indépendamment des droits et facultés accessoirement attachés aux servitudes, il pourra se présenter des difficultés sur l'étendue que doit avoir la servitude. La loi se borne à poser les règles générales qui devront guider les tribunaux. Le texte suppose deux modes d'établissement des servitudes et se réfère à la présomption d'acquisition résultant de la prescription.
1° Au cas de constitution par titre, c'est-à-dire par convention ou par testament, on appliquera les règles ordinaires d'interprétation en ces matières: elles se trouveront dans ce Code à leur place naturelle. Il suffit de dire ici que les tribunaux doivent, dans l'interprétation des conventions, rechercher la commune intention des parties, plutôt que de s'attacher au sens littéral des termes employés; dans l'interprétation des testaments, ils doivent rechercher l'intention probable du testateur et s'attacher encore moins aux termes mêmes du testament, puisqu'ils n'ont pas été adoptés après discussion ou contradiction du légataire.
S'il reste des doutes aux juges, ils doivent adopter le sens le moins défavorable au fonds servant, car la liberté respective des fonds est le droit commun et l'assujettissement de l'un vis-à-vis de l'autre est l'exception.
2° Au cas de destination du propriétaire, c'est dans l'intention probable du propriétaire qui a établi ou maintenu la situation des lieux que l'on recherchera l'étendue que doit avoir la servitude après la séparation. Or, cette intention se verra dans l'exercice même que l'ancien propriétaire a pratiqué, en fait, pendant que les deux fonds étaient réunis dans ses mains; elle se verra aussi dans le but qu'il paraissait vouloir atteindre et dans les circonstances où il se trouvait. Ainsi, le propriétaire a établi un aqueduc conduisant l'eau d'une partie de son fonds sur l'autre, pour les usages domestiques ou pour l'irrigation; après la séparation des fonds, le propriétaire du fonds dominant ne pourrait employer l'eau pour une industrie.
Au cas de la prescription, l'étendue de la servitude sera, dit le texte, “mesurée sur la possession effective.”
La loi consacre par ces mots un principe traditionnel en matière de prescription, à savoir que “autant il y a eu possession, autant il y a prescription.” Ainsi, celui qui a possédé, pendant le temps voulu pour prescrire, une ou deux ouvertures donnant des vues droites à une distance moindre que la distance légale, ne pourra, plus tard, une fois son droit acquis à une ou deux fenêtres d'aspect, en ouvrir une troisième, parce qu'il n'en a pas possédé trois; de même, si les fenêtres d'aspect ont été possédées à deux pieds de la ligne séparative, elles ne pourront, en cas de reconstruction du bâtiment, être placées à une distance plus rapprochée; enfin, tout en gardant le même nombre d'ouvertures et la même distance, leur position correspondant au front du fonds voisin ne pourrait être changée, par exemple, portée plus à gauche ou plus à droite: dans ces divers cas, la prescription n'a donné que les avantages même qui ont été possédés, que les droits qui ont d'abord été exercés en fait.
Art. 281. L'imprévoyance des parties contractantes, et encore plus celle des testateurs, laissera bien souvent des points à régler pour l'exercice de la servitude. On aura, par exemple, établi une servitude de passage, sans dire s'il s'appliquerait seulement aux personnes ou s'il s'étendrait même aux chevaux, aux voitures et aux matériaux: le tribunal prendra en considération la nature des deux fonds, principalement celle du fonds dominant, et l'étendue de la servitude, son mode d'exercice, seront plus larges pour un fonds exploité en culture ou en manufacture que pour une habitation d'agrément.
Pour le puisage discontinu, la quantité d'eau à prendre sera plus ou moins considérable, suivant les mêmes distinctions; quant au temps, il sera presque toujours limité au jour, sauf les cas urgents et imprévus où l'eau pourrait être nécessaire la nuit: notamment, s'il y avait danger d'incendie.
S'il s'agit de pacage, et que le propriétaire du fonds dominant n'ait eu qu'une ou deux vaches, une chèvre ou deux, pour le lait nécessaire à sa famille, ou un ou deux bœufs pour le labourage ou le transport, le tribunal pourra autoriser le pacage de quelques bêtes de plus, surtout si elles sont nées des premières, mais il ne permettra pas de faire paître un troupeau, si le voisin était devenu éleveur de bétail.
Pour la prise de matériaux (argile, sable, pierres, bois), la question de quantité sera la plus importante; il faudra également la régler d'après la condition du fonds dominant, au moment de la constitution de la servitude. Ainsi, le fonds dominant était, à cette époque, la résidence d'un haut personnage: la prise de matériaux avait été évidemment stipulée pour les services du fonds, avec cette destination; ce qui pouvait donner droit à du sable pour les allées du parc, à des pierres pour la réparation ou la réfection des murs et à du bois pour le soutien des arbres, tout au plus pour le chauffage des personnes, et vraisemblablement non pour la réfection des bâtiments; si le fonds est vendu et passe dans les mains d'un potier ou d'un fabricant de briques, celui-ci ne pourra prendre l'argile et le sable pour son industrie, ni le bois pour ses fours.
Au contraire, le fonds servant pourrait profiter du changement de destination du fonds dominant: si ce fonds passait des mains d'un potier ou d'un briquetier dans celle d'un rentier ou d'un fonctionnaire: celui-ci ne pourrait continuer à prendre la même quantité de matériaux; car, ce ne pourrait être que pour les vendre et la servitude ne donne pas ce droit.
Le dernier alinéa complète ces idées, qui sont encore des règles d'interprétation, en disant: 1° que le tribunal tiendra compte des besoins respectifs des deux fonds; ce qui veut dire surtout, après ce qui précède, que lors même que les droits et besoins du fonds dominant seraient considérables, il ne faudrait pas refuser au fonds servant le droit de subvenir aux siens propres; 2° que l'exercice de la servitude avant le règlement aura pu révéler des abus auxquels il faut mettre fin, ou, au contraire, aura donné aux parties une satisfaction convenable qu'il y a lieu de consacrer ou de ne modifier que légèrement.
Art. 282. Si la prise d'eau était accordée à un voisin par l'effet d'un louage, le manque d'eau, même indépendant du fait du bailleur, engagerait sa responsabilité, en ce sens qu'ayant contracté personnellement l'obligation d'en fournir la jouissance, il n'aurait pas droit au prix de location pendant le temps où l'eau manquerait; mais le droit de servitude n'est pas identique au droit résultant du bail, et lors même que la servitude aurait été constituée par vente, c'est-à-dire par un contrat qui oblige à la garantie de l'existence de la chose vendue, au moment où la vente a eu lieu, il n'en résulterait pas une garantie de sa durée indéfinie. Enfin, même si le vendeur s'était engagé à garantir la durée de l'eau pendant un temps plus ou moins long, le droit à la garantie pourrait bien passer, activement, à tout cessionnaire du fonds dominant, mais il ne passerait pas, passivement, à la charge du cessionnaire du fonds servant: l'obligation de garantie serait personnelle au vendeur et à ses héritiers.
Au contraire, quand la prise d'eau étant constituée à l'état de servitude, la privation de l'eau résulte de travaux faits par le propriétaire du fonds servant, celui-ci est toujours responsable, sans distinguer s'il est, ou non, vendeur de la prise d'eau ou héritier du vendeur: sa responsabilité résulte de son fait personnel.
Un cas pourrait faire doute: l'eau sur laquelle la servitude a été concédée n'était pas une eau naturelle, mais elle résultait elle-même d'une concession faite au fonds servant, moyennant une somme à payer annuellement, comme sont, par exemple, les concessions d'eau faites par les municipalités sur leurs réservoirs; le propriétaire du fonds servant a cessé de payer l'annuité et l'eau lui a été retirée; par suite, le fonds dominant en a été privé également. Dans ce cas, la responsabilité du manque d'eau est-elle encourue par le propriétaire du fonds servant? Il faut décider négativement, en principe, car “les servitudes n'obligent pas à faire, mais seulement à souffrir;” pour qu'il en fût autrement, il faudrait que le constituant de la servitude se fût engagé à continuer le payement de l'annuité et ce serait là une obligation personnelle n'obligeant que lui et ses successeurs et non une charge réelle imposée à tout propriétaire du fonds servant. On pourrait seulement admettre, par interprétation du contrat, que cet engagement a été pris tacitement, au moins quand l'origine de l'eau a été déclarée.
Les deux derniers alinéas prévoient le cas où l'eau, sans manquer entièrement, serait insuffisante pour le fonds dominant et le fonds servant réunis; la loi prévoit même le cas de deux fonds dominants.
Dans le cas où débat n'intéresse que le fonds dominant et le fonds servant, on ne pouvait songer à donner la préférence à un fonds sur l'autre: il serait bien difficile, en raison, de justifier une pareille solution. Il a paru plus juste de distinguer entre les usages auxquels l'eau est nécessaire. En première ligne, la loi place les usages personnels et domestiques; on a déjà fait remarquer, au sujet de l'article 228, que l'eau étant, dans une certaine mesure, nécessaire à la vie et à la santé de l'homme, la loi doit lui en assurer l'usage, quand elle le peut. Les usages agricoles viennent ensuite, parce qu'ils favorisent la production des denrées alimentaires ou autres de première nécessité; les usages industriels viennent en dernier lieu, parce que, lors même que les usines ou manufactures cesseraient de fonctionner pendant un certain temps, le dommage général qui en résulterait serait moindre que la privation de récoltes faute d'irrigation.
L'hypothèse la plus fréquente où il y a plusieurs fonds dominants est évidemment celle où un fonds dominant, d'abord unique, aura été ensuite divisé par un partage entre co-propriétaires ou co-héritiers; dans ce cas, ils n'auront droit, en totalité, qu'à la même quantité d'eau que celle qui était due primitivement au fonds unique; mais, le partage ayant la même date pour tous, ce ne sera donc pas le cas où la préférence appartiendra au fonds dont le titre est antérieur en date. Il faut supposer des ventes partielles et successives du fonds unique, ou une concession d'eau faite successivement à divers fonds voisins du fonds servant.
L'ordre des droits à l'usage de l'eau sera alors le suivant: d'abord, un droit égal ou proportionnel à l'eau nécessaire aux usages domestiques, sans distinction de la date des titres; ensuite, le droit exclusif et successif à l'usage agricole, suivant les dates; enfin, s'il y a lieu, le droit à l'usage industriel, suivant les mêmes dates.
Art. 283. En général, les conventions particulières ne peuvent être changées que de l'accord commun des parties; de même, les décisions des tribunaux forment pour ceux entre lesquels elles sont intervenues un lien qu'on assimile, avec quelque raison, à une convention. La loi permet cependant ici que la volonté d'une des parties change quelque chose à la situation établie, pourvu que l'autre partie n'en éprouve aucun préjudice. Le motif de cette dérogation au droit commun est toujours le désir, de la part de la loi, d'éviter les animosités entre voisins; or, il est probable que si l'un des voisins pouvait, par simple mauvais vouloir et sans intérêt légitime, s'opposer à la modification demandée à l'exercice de la servitude, il en résulterait des rancunes, peut-être des haines qu'il est nécessaire de prévenir.
Au surplus, comme le dit la loi, il ne s'agit que de modifier “le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude,” non son étendue; ainsi, l'une des parties ne pourrait obtenir, par sa seule volonté, l'augmentation ou la diminution de la quantité d'eau ou d'autres substances à prendre sur le fonds servant, ni du nombre de fenêtres d'aspect acquises sur ce fonds; en pareil cas, d'ailleurs, lors même que la faculté de demander le changement serait ouverte, ce serait sans utilité réelle, parce qu'il serait toujours facile celui qui résisterait au changement d'établir qu'il en éprouverait un préjudice.
Art. 284. Il est naturel que les travaux nécessaires à l'établissement de la servitude soient à la charge de celui qui profite de celle-ci; la loi a déjà appliqué ce principe aux servitudes légales relatives au droit d'aqueduc. Les parties peuvent, du reste, y déroger par des conventions particulières et mettre ces travaux à la charge du propriétaire du fonds servant; mais il faut remarquer que celui-ci n'en serait pas tenu en cette qualité et à titre de servitude, à la différence de la convention prévue à l'article suivant, au sujet des travaux d'entretien: il serait tenu personnellement, comme constituant, et sans qu'on ait à voir ici une dérogation à la règle que “les servitudes obligent à souffrir et non à faire.” Il s'agit ici, en effet, de travaux à exécuter une seule fois; ils pourraient être accomplis par le constituant après les premiers accords au sujet de la servitude et avant la convention définitive, cas auquel on n'hésiterait pas à dire que le propriétaire du fonds servant ne les a pas accomplis en cette qualité; or, ces travaux ne changent pas de nature par le moment auquel ils sont exécutés.
Au contraire, pour les travaux d'entretien qui ont un caractère périodique ou continu, il est clair qu'ils ne pourraient être accomplis avant la constitution de la servitude et que, s'ils ont été imposés au constituant, c'est en sa qualité de propriétaire du fonds servant; aussi va-t-on rencontrer ci-après un tempérament à cette charge réelle, contraire au principe qui veut que “la servitude n'oblige pas à faire.”
Art. 285. Le 1er alinéa se justifie comme la disposition de l'article précédent: c'est le propriétaire du fonds dominant qui a le bénéfice de la servitude, il use d'un droit qui lui appartient; il est donc naturel que les frais résultant de l'exercice de son droit soient à sa charge; il n'est pas moins naturel que si certaines réparations sont nécessitées par la faute du propriétaire du fonds servant, celui-ci les supporte.
Le 2e alinéa permet de déroger au principe, souvent cité et rappelé plus haut, que “la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir.” L'exception se justifie déjà par la considération que cette charge est un simple accessoire de la servitude. De plus, et par respect pour le principe, la loi permet au propriétaire de s'affranchir de cette charge en abandonnant son droit de propriété sur la portion du fonds grevée de la servitude.
Deux remarques sont à faire sur cet abandon.
En premier lieu, ce n'est pas un abandon pur et simple qui devra être fait, lequel permettrait à l'Etat de s'emparer de la partie abandonnée, comme immeuble vacant et sans maître: l'abandon devra être fait “au propriétaire du fonds dominant;” ce sera, en réalité, une cession et elle sera plutôt onéreuse que gratuite, puisqu'elle aura pour compensation l'affranchissement d'une charge.
En second lieu, l'abandon ne devra pas nécessairement porter sur tout le fonds assujetti, mais seulement sur “la portion du fonds sur laquelle porte la servitude.” Ainsi, s'il s'agissait d'un droit de passage et que l'entretien du chemin eût été imposé au fonds servant, il suffirait d'abandonner le chemin, de même s'il s'agissait d'un aqueduc: en pareil cas, il serait trop dur et sans raison d'exiger l'abandon du fonds tout entier. C'est d'ailleurs la solution déjà admise plus haut (art. 254) pour l'affranchissement de l'entretien du mur mitoyen, où il suffit d'abandonner la mitoyenneté.
On objectera peut-être que cet abandon qui, d'une part, décharge le propriétaire du fonds servant de l'obligation d'entretenir le chemin ou d'aqueduc, ne lui cause, d'autre part, aucun préjudice, car l'emplacement du chemin ou de l'aqueduc ne lui procurait déjà plus aucune utilité; en même temps, on dira qu'il ne procure au fonds dominant aucune compensation sérieuse; mais c'est une double erreur: le fonds dominant n'aura plus le chemin ou l'aqueduc à titre de servitude, mais à titre de propriété; le chemin pourra être transformé en aqueduc ou l'aqueduc en chemin; le terrain pourra même être affecté à un autre usage, autant que sa largeur le permettra; le droit de passage, pour les personnes ou pour l'eau, ne sera plus soumis aux conditions plus ou moins gênantes de la servitude; enfin, il ne sera plus exposé à être perdu par le non-usage dont il sera question plus loin et c'est là le côté défavorable au propriétaire du fonds servant qui perd toute chance de recouvrer la plénitude de son droit. Il y a donc compensation suffisante, pour les deux parties, entre les avantages gagnés et ceux qui sont perdus.
Au surplus, il y aura quelquefois lieu à l'abandon entier du fonds assujetti, c'est lorsque l'assujettissement frappera lui-même le fonds tout entier. On ne peut guère citer le cas du droit de vue, ou de prospect qui pourtant assujettit le fond servant en entier, ou, tout au moins, pour la partie commandée par la vue, parce que, dans ce cas, il ne peut être raisonnablement question de la stipulation d'entretien du bâtiment dominant à la charge du fonds servant; mais on citerait le cas de la charge d'entretenir une digue destinée à préserver le fonds inférieur du débordement des eaux supérieures, ou celui de la charge d'entretenir le mur de soutènement d'une haute terrasse du fonds supérieur. Dans le premier cas, l'abandon de la digue elle-même placée sur le fonds assujetti n'aurait aucune utilité pour le fonds dominant, et dans le second cas, le mur à entretenir appartenant, en général, au fonds dominant et supérieur, l'abandon ne pourrait lui en être fait; il faudrait bien abandonner le fonds assujetti tout entier; seulement le remède ne serait jamais raisonnablement employé.
Art. 286. La disposition du 1er alinéa est un principe très important dont l'application peut être infiniment variée. Il suffit d'en donner quelques exemples.
Ainsi, le propriétaire dont le fonds est assujetti à un droit de passage, n'est pas moins en droit de se clore et même d'exiger la contribution du fonds dominant à la clôture commune, pourvu qu'il laisse une porte de communication convenable entre les deux fonds.
De même, celui qui est soumis au droit de puisage ou de pacage ne perd pas pour lui-même le droit de se servir de son eau ou de faire paître ses animaux sur son fonds, pourvu qu'il n'épuise pas ou ne réduise pas abusivement l'eau ou les pâturages.
De même encore, celui qui est assujetti à un droit de vue ne perd pas le droit de planter des arbres à haute tige de six pieds, quoique la vue doive par là être bornée, car le droit de vue n'est pas le prospect ou le droit de voir à distance et librement sur le fonds d'autrui, c'est seulement celui d'avoir l'air et la lumière plus libres que ne le permettent les jours de tolérance.
Au contraire, le droit de vue interdirait au fonds servant d'établir une construction, même sans ouvertures, sur la ligne séparative; car, si le bâtiment du fonds dominant était lui-même sur cette ligne, il y aurait obstruction complète de la vue, et s'il était moins éloigné que de trois pieds de la ligne séparative, le bâtiment du fonds servant, placé sur cette ligne même, diminuerait considérablement le bénéfice de la servitude. Dans le premier cas, le bâtiment du fonds servant ne devrait être placé qu'à trois pieds de la ligne séparative et, dans le second, à trois pieds du bâtiment du fond dominant.
Le 2e alinéa rappelle une disposition analogue établie pour les servitudes légales (voy. art. 237 et 238); il y a même motif d'utiliser pour les deux fonds les dépenses primitivement faites pour un seul; la conséquence en sera une économie pour les deux propriétaires, résultat que la loi doit toujours favoriser.
§ IV. DE L'EXTINCTION DES SERVITUDES.
Art. 287. Des six modes directs d'extinction des servitudes ici énumérés, les trois derniers étant l'objet de développements dans les articles ci-après, les trois premiers seuls réclament ici quelques explications.
Ier mode. On a déjà fait remarquer que la perpétuité n'est pas essentielle aux servitudes; sans doute, quand aucune limite de temps ne leur est assignée et quand elles n'ont pas une destination particulière que le temps ou les circonstances peuvent rendre inutile, elles seront perpétuelles dans l'intention des parties; mais le contraire peut arriver, la servitude est alors à terme; les servitudes résultant du fait de l'homme en peuvent donner beaucoup d'exemples.
IIe mode. C'est au sujet des droits personnels, et des moyens tant de les acquérir que de les perdre, que la loi déterminera le caractère spécial de chacun des trois modes d'extinction des droits réels et personnels, connus sous les noms de révocation, résolution et rescision. Il suffit de donner ici, comme exemples: de la révocation, le cas d'un acte fait en fraude des créanciers; de la résolution, le cas d'exécution des obligations mises à la charge d'une des parties; de la rescision, le cas d'incapacité de contracter. Leur caractère commun est la destruction ou annulation de ce qui a été fait; elle est ordinairement prononcée en justice, sauf quelques cas où elle a lieu de plein droit; elle rétroagit, de sorte que l'acte détruit est censé n'avoir jamais existé.
L'annulation peut porter ici, soit sur le titre constitutif même de la servitude, soit sur les droits que celui qui l'a constituée prétendait avoir sur le fonds servant; or, il est de principe qu'on ne peut conférer sur une chose plus de droits qu'on n'en a soi-même.
IIIe mode. L'article 265 nous a déjà dit que les servitudes légales ne peuvent, en général, grever les biens du domaine public; il en est de même, et à plus forte raison, des servitudes du fait de l'homme: il serait contraire à la nature et à la destination de ces biens d'être soumis à un droit exclusif, même minime, de la part d'un particulier. C'est par application de ce principe que si un fonds servant est exproprié pour cause d'utilité publique ou générale, il se trouve par cela même affranchi de la servitude.
taire du fonds dominant recevra une indemnité, comme toute autre personne ayant un droit réel sur la chose expropriee (voy. art. 32).
Par respect pour le principe déjà signalé, que la prescription n'est pas un moyen direct d'acquérir les droits réels mais plutôt une présomption légale d'acquisition légitime, la loi consacre, en dehors de l'énumération, un alinéa spécial au bénéfice de la possession de la liberté du fonds faisant présumer qu'il est affranchi de la servitude.
Le cas de la prescription diffère de celui du non-usage, dont il va être parlé, en ce que, dans le non-usage, le fonds servant est resté dans les mains du propriétaire qui a constitué la servitude ou dans celles de son héritier; tandis que la prescription suppose que, en même temps qu'il y a eu non-usage de la part du propriétaire du fonds dominant, il y a eu, par un tiers, acquéreur à titre particulier, possession du fonds servant comme libre de la servitude qu'il ne connaissait pas.
Il n'est pas nécessaire, pour l'application du présent article, que le tiers-acquéreur ait acquis le fonds lui-même par prescription, il suffit, et il arrivera le plus sou, vent, sans doute, qu'il ait acquis le fonds servant par un titre régulier émané du vrai propriétaire. Mais il faut supposer qu'il n'a pas acheté la liberté du fonds, en traitant avec le titulaire de la servitude: autrement; la servitude serait éteinte par renonciation expresse; il a reçu comme libre le fonds vendu et, s'il a ignoré l'existence de la servitude (ce qui ne sera admissible que si elle est non apparente), il s'en trouvera affranchi après quinze ans de possession de cette liberté, c'est-à-dire si pendant ce temps elle n'a pas été exercée.
On peut encore, pour l'application de cette disposition, supposer que le propriétaire du fonds servant a acheté la renonciation à la servitude, en traitant de bonne foi avec un autre que le propriétaire du fonds dominant, et toujours celui-ci n'ayant pas exercé son droit pendant 15 ans.
Si le possesseur du fonds servant n'était pas de bonne foi, dans ces deux hypothèses, la servitude ne s'éteindrait que par 30 ans et alors ce serait par le non-usage.
Art. 288. Quoique la loi soit plus favorable à l'extinction des servitudes qu'à leur établissement elle ne veut pas cependant que le titulaire d'une servitude régulièrement établie soit facilement considéré comme y ayant renoncé: ici, comme pour l'usufruit, la loi n'admet, en principe, que la renonciation expresse et formelle, celle qui ne peut pas laisser de doutes sur l'intention du renonçant.
Le cas particulier prévu ensuite est moins une exception qu'une application de la règle, par une présomption légale de volonté chez le renonçant: s'il n'a pas expressément renoncé au droit de servitude, il a renoncé expressément aux ouvrages qui constituaient par eux-mêmes l'exercice de la servitude, puisque la loi a suppose continue et, comme telle, n'exigeant pas les fait actuel de l'homme.
Quant à la capacité requise pour la validité de la renonciation, il est clair qu'elle doit être celle d'aliéner des droits immobiliers, puisque les servitudes foncières ont ce caractère.
Art. 289. L'extinction de la servitude par confusion est la conséquence naturelle du principe déjà mentionné, “qu'une personne ne peut avoir une servitude sur sa propre chose.”
Le 2° alinéa confirme cette règle, quoiqu'il paraisse y déroger: on a vu que la servitude continue et apparente peut être établie par le fait d'un seul propriétaire, lorsqu'ayant disposé diverses parties de son fonds de manière à améliorer l'une par l'autre, il sépare ensuite ces diverses parties par une aliénation; or, lorsque deux fonds sur lesquels une servitude continue et apparente était antérieurement établie se trouvent réunis dans la même main, si les ouvrages établis ne sont pas détruits, les fonds restent dans une situation où la servitude de cette nature pourrait commencer; l'extinction n'est donc pas définitive et elle se résout par la nouvelle séparation des fonds.
Il en sera de même dans les cas prévus à la fin du 1er alinéa, où l'acquisition qui a opéré la confusion est révoqué, résolue ou rescindée: il est clair qu'alors les choses sont remises dans l'état qui a précédé l'acquisition, et ici, sans distinguer si la servitude est continue ou discontinue, ni si les ouvrages ont été détruits ou non.
Art. 290. Si les servitudes méritent quelque protection de la part de la loi, c'est, comme on l'a dit au début de ce Chapitre et répété plusieurs fois, chemin faisant, parce qu'elles procurent ordinairement plus d'avantages au fonds dominant qu'elles ne causent de préjudice au fonds servant; mais du moment que cette utilité a cessé, du moment qu'elles ne sont plus exercées, il n'y a pas de raison suffisante de laisser subsister l'assujettissement d'un fonds envers l'autre: la liberté respective des fonds doit être rétablie; c'est ce que fait la loi, lorsqu'il y a trente ans de non-usage.
On a déjà rencontré une semblable disposition au sujet de l'usufruit.
La loi ne permet pas de distinguer si l'usage a été volontairement négligé ou s'il a été empêché par des circonstances majeures ou fortuites; le délai de trente ans est assez long pour que, dans ce dernier cas même, le titulaire de la servitude ait pu faire remettre les choses dans un état qui permette d'exercer la servitude. On peut donc, sans exagération, voir dans le non-usage une renonciation tacite à la servitude, ce qui serait une exception à la règle posée par l'article 288; mais, du moment que ce mode d'extinction reçoit une autre qualification légale, il n'y a pas à insister sur son caractère de renonciation tacite.
Le 2e alinéa nous indique le point de départ du non-usage, suivant les diverses espèces de servitudes. Ainsi, s'il s'agit d'une servitude discontinue, comme celles de passage, de pacage ou de puisage, les trente ans commencent à courir depuis le dernier acte accompli en conformité à la servitude; s'il s'agit d'une servitude continue, comme elle s'exerce sans le fait de l'homme, il faut, pour concevoir le non-usage, “qu'il soit survenu un obstacle matériel au fonctionnement spontané de la servitude;” cet obstacle n'est pas toujours l'œuvre de l'homme, comme serait la suppression d'une fenêtre ou d'une conduite d'eau: il peut aussi provenir de quelque accident, comme le suppose le 3e alinéa; enfin, s'il s'agit d'une servitude négative, nécessairement continue, le non-usage commencera du moment où le propriétaire du fonds servant aura contrevenu à la prohibition, en faisant l'acte que la servitude lui interdisait.
Le 3e alinéa ne présente pas de difficulté: la distinction qu'il fait quant aux frais de rétablissement de l'ancien état de choses est d'une équité évidente.
Il est nécessaire d'examiner ici une question doctrinale qui présente un grand intérêt: à savoir, si les servitudes légales s'éteignent par le non-usage, comme celles du fait de l'homme; la question est la même pour la renonciation, car le non-usage n'est autre chose, comme on l'a dit plus haut, qu'une renonciation tacite.
L'article 270 a déclaré certaines règles communes aux deux sortes de servitudes, elles ne le sont donc pas toutes.
Pour résoudre la difficulté, il faut se reporter à ce qui a été dit plus haut de la faculté de déroger, par le fait de l'homme, aux servitudes légales; or, on a vu que cette faculté doit être reconnue dans certains cas et déniée dans d'autres.
Le principes seront les mêmes pour la renonciation, soit expresse, soit tacite par non-usage.
De même qu'on ne pourrait, par convention, affranchir son voisin de l'accès ou du passage en cas d'enclave, de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du sol supérieur, de l'obligation de subir le bornage ou la clôture dans certains cas, de même, on ne pourrait l'en affranchir par une renonciation expresse ou par le non-usage.
Au contraire, comme on pourrait, par convention, affranchir son voisin de l'obligation d'observer les distances légales pour les vues ou pour certains ouvrages susceptibles de causer dommage, on a perdu le droit de faire boucher les vues ou supprimer les ouvrages, lorsqu'on y a renoncé formellement ou lorsqu'on a laissé s'écouler le temps du non-usage sans exercer ce droit. On perdrait de même le droit légal d'aqueduc, si l'aqueduc étant une fois établi, on avait laissé s'écouler trente ans, sans qu'il fût en état de servir. On aurait bien encore le droit de demander un nouveau passage pour les eaux, mais ce serait à charge d'une nouvelle indemnité, comme s'il s'agissait d'un premier exercice du droit.
Mais celui qui serait resté trente ans sans demander l'accès, le bornage ou la clôture, le passage des eaux, la cession de la mitoyenneté, n'aurait pas plus perdu la faculté légale qui lui appartient que ne l'aurait perdue un propriétaire qui serait resté trente ans sans bâtir ou sans planter sur son terrain. Les actes de pure faculté ne se perdent pas par le non-usage (v. art. 95 des Preuves).
S'il en est autrement lorsqu'il s'agit de faire boucher, après trente ans, des vues irrégulières, ce qui était non plus une simple faculté, mais un droit proprement dit, c'est qu'il y avait, en même temps, possession d'ouvrages extérieurs et, par suite, prescription acquisitive du droit de vue, comme servitude du fait de l'homme.
Art. 291. L'indivisibilité des servitudes signalée par l'article 268 produit ici un effet très saillant: l'exercice de la servitude par un des copropriétaires indivis du fonds dominant préserve les autres de la perte par le non-usage. Il n'en serait plus de même, si le fonds dominant avait été partagé entre les copropriétaires: il y aurait alors plusieurs fonds dominants et l'un pourrait conserver son droit pendant que les autres perdraient le leur.
Le non-usage a plus d'analogie avec la prescription dite libératoire des obligations qu'avec la prescription dite acquisitive des droits réels. Ce qui le rapproche de la prescription libératoire, c'est qu'il n'est pas nécessaire que le propriétaire du fonds servant fasse aucun acte de possession contraire à la servitude, avec les caractères de la possession requise pour la prescription acquisitive; ce serait forcer les mots que de dire que pendant le non-usage, le propriétaire du fonds servant possède sa liberté: la possession exige l'intention d'avoir à soi la chose possédée et le fait de se comporter, par des actes d'usage, comme si l'on avait réellement le droit qu'on exerce; or, on ne rencontre pas nécessairement chez le propriétaire du fonds servant ces deux conditions de la possession utile pour prescrire: le fait et l'intention.
Le 2e alinéa établit donc, comme principe général, l'assimilation qui précède entre le non-usage et la prescription libératoire; il en laisse les conséquences à déduire à la sagacité des magistrats: notamment, le non-usage serait interrompu, comme la prescription, par l'acte récognitif dont parle l'article 279. Si donc, parmi les copropriétaires du fonds dominant, il se trouve une personne contre laquelle la prescription n'ait pu courir, il aura conservé le droit des autres, ce qui est encore un effet de l'indivisibilité des servitudes.
Art. 292. Il pourrait arriver que le propriétaire du fonds dominant, sans négliger entièrement l'usage de la servitude ne l'eût pas exercée dans toute sa plénitude: en pareil cas, il ne l'aurait ni perdue ni conservée tout entière, elle se trouverait diminuée dans ses avantages, quant au mode, quant au temps, quant au lieu.
Ainsi, quant au mode: celui qui avait le droit de passage à pied et avec voitures serait resté trente ans sans faire passer de voitures; ou bien, ayant le droit d'ouvrir deux ou plusieurs vues droites, à moins de trois pieds de la ligne séparative, il n'en aurait ouvert qu'une seule; ayant le droit d'empêcher toute construction ou plantation dans une direction déterminée, il y aurait laissé établir un bâtiment ou des plantations plus ou moins élevées.
Quant au temps: pouvant puiser de l'eau à toute heure du jour et de la nuit, on serait resté trente ans sans en puiser pendant la nuit; de même pour le passage.
Quant au lieu: pouvant envoyer des animaux paître dans toutes les parties du fonds voisin, on n'aurait usé du droit que pour une portion déterminée dudit fonds: par exemple, le fonds servant ayant été partagé en plusieurs lots, on aurait négligé d'exercer le pâturage sur l'un des lots.
Dans ces divers cas, qu'il s'agît du non-usage ou de la prescription, la perte serait la même, par application du principe déjà posé: autant on a possédé, autant on a prescrit; ici, on dirait: autant on a négligé de posséder, autant on a perdu.
La réciproque ne serait pas toujours vraie: si le propriétaire du fonds dominant avait changé le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude, il ne pourrait pas nécessairement se prévaloir du changement, s'il y trouvait avantage; il faudrait, pour cela, que la servitude fût continue et apparente, c'est-à-dire susceptible de prescription.
Parmi les modes d'extinction des servitudes, on n'a pas rencontré, comme pour l'usufruit, l'abus de jouissance. C'est qu'il n'y a pas identité de motifs: l'usufruitier, ayant la possession entière et exclusive de la chose soumise à son droit, se trouve, par cela même, en situation de la compromettre plus gravement que le titulaire d'une servitude; par la même raison, sa possession et ses actes n'ont pas le contrôle continu du nu-propriétaire, lequel, au contraire, peut être exercé facilement et à chaque instant par le propriétaire du fonds servant. Il suffit donc de soumettre le titulaire de la servitude au droit commun de la responsabilité de ses actes.
Au surplus, on pourrait, dans quelques cas, admettre la révocation pour abus de jouissance, d'après les principes généraux; ce serait dans le cas où, la servitude ayant été constituée à titre onéreux et synallagmatique, avec des charges et conditions protectrices des intérêts du fonds servant, le titulaire aurait manqué à remplir ces conditions; il y aurait lieu alors à la résolution pour inexécution des conditions; mais ce cas d'extinction rentre dans celui, plus général, qui a été prévu et expliqué à l'article 287-2° et que l'on retrouvera, avec les développements nécessaires, dans la matière des Obligations.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU LIVRE DES BIENS.
DEUXIÈME PARTIE.
DES DROITS PERSONNELS ET DES OBLIGATIONS.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 293. Les droits personnels forment, avec les droits réels, l'ensemble des Biens qui composent le patrimoine des Personnes.
Déjà, sous les articles 2 et 3, on a indiqué la nature différente de ces deux droits: on a dit que les premiers mettent une personne en rapport direct avec une chose, (droits sur une chose), permettent d'en tirer tout ou partie de l'utilité et des avantages qu'elle peut fournir et autorisent à revendiquer la possession de cette chose contre toute personne qui la détient injustement; tandis que le droit personnel n'établit pas de rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne qui la doit; de là, le nom même de droit personnel ou “droit contre une personne”
Cette distinction qui se présente, au premier abord, comme purement théorique, a déjà reçu d'intéressantes applications pratiques, en ce qui concerne les droits réels, dans les divers Chapitres qui forment la Première Partie de ce Livre; on la trouvera appliquée ici également, pour les droits personnels.
On rappelle aussi ce qui a déjà été dit au sujet de l'unité des droits personnels: quoiqu'on emploie habituellement la forme du pluriel, ce n'est pas à dire qu'il y ait des droits personnels de plusieurs sortes, comme il y a plusieurs droits réels profondément différents; tout au plus, trouvera-t-on des droits personnels sanctionnés avec plus ou moins d'énergie par la loi; mais au fond, leur nature est identique. Si l'on parle ainsi au pluriel, c'est parce que quelqu'un peut avoir plusieurs droits personnels contre la même personne: il suffit que deux droits soient nés à des époques différentes, ou qu'ils n'aient pas la même cause ou n'aient pas le même objet, pour être considérés comme des droits personnels distincts.
Le 1er alinéa donne au droit personnel un nom équivalent, le nom de créance, et il nous dit que la créance a pour corrélatif nécessaire une obligation.
La corrélation de l'obligation à la créance est si naturelle, si intime, que l'usage juridique et même législatif est de traiter des droits personnels sous le titre des Obligations. On suivra ici le même usage: les divisions principales de cette IIe Partie se rapporteront aux Obligations; c'est en déterminant leurs causes, leurs effets, leur extinction ou leur fin que le Code présentera la théorie des droits personnels ou de créance.
Enfin, la loi, au lieu de définir ici le droit personnel, ce qui a déjà été fait dans l'article 3, définit son corollaire, l'obligation. L'expression lien de droit est consacrée depuis le droit romain.
La définition nous dit encore que ce lien peut provenir du droit positif ou du droit naturel. On verra, sous l'article suivant, que la force coercitive de ces deux autorités n'est pas la même.
Vient ensuite l'effet de l'obligation qui se confond avec son objet: c'est une contrainte plus ou moins énergique “à donner, à faire, ou à ne pas faire.” Ce sont encore là des expressions consacrées.
Donner, c'est transférer la propriété ou un autre droit réel. Il ne faut pas confondre l'obligation de donner avec la dation effectuée: tant qu'il n'y a qu'obligation, il n'y a qu'un droit personnel; quand la dation est effectuée, l'obligation a cessé par l'exécution, le droit réel lui a succédé. On verra plus loin quand et comment la dation se trouve effectuée.
Faire, c'est accomplir un acte utile ou profitable à autrui, autre qu'une dation, comme un travail manuel ou intellectuel, comme un service personnel, une entremise, un voyage, une prestation ou livraison de chose pour un usage déterminé.
Ne pas faire, c'est s'abstenir d'un acte, licite d'ailleurs, que le débiteur pourrait, en principe, accomplir, soit sur ces biens, soit sur les biens d'autrui, mais qu'il s'engage à ne pas accomplir, pour le plus grand avantage du créancier. Tel serait le cas où celui qui aurait loué sa maison ou cédé son fonds de commerce, s'interdirait, dans l'intérêt de son locataire ou de son cessionnaire, d'exercer une industrie ou un commerce qui pourrait faire concurrence à ce dernier. La garantie que doit le bailleur ou le vendeur, d'après la loi, impose déjà cette obligation dans une certaine mesure et sans convention spéciale; mais on peut l'étendre ou la restreindre par convention; le preneur lui-même ou le cessionnaire pourrait aussi se soumettre à l'obligation de ne pas faire certains actes que le droit commun lui permettrait.
On peut supposer encore le cas où un propriétaire se serait interdit, dans l'intérêt de son voisin, quelques-uns des droits attachés à la propriété, sans, pour cela, qu'il y ait servitude foncière, comme de ne pas chasser chez lui, de ne pas couper des arbres qui préservent le fonds voisin des vents du nord. Enfin, on peut s'interdire d'exercer sur les biens d'autrui certains actes qui d'ailleurs eussent été permis, soit en vertu du droit commun, soit par une convention spéciale; tel serait le cas où un prêteur d'argent s'engagerait à ne pas saisir certains biens de son débiteur; par exemple, son traitement de fonctionnaire; celui où un propriétaire s'engagerait pour un certain temps, à ne pas couper les branches des arbres du fonds voisin qui avancent au-dessus de la ligne séparative, ou à ne pas user d'un droit de servitude qui lui appartient: cette renonciation temporaire à son droit ne pouvant être considérée comme une extinction de la servitude légale ou du fait de l'homme, il faut lui reconnaître le caractère d'obligation de ne pas faire, d'engagement personnel, lequel ne serait pas opposable au cessionnaire du fonds dominant, et ne profiterait au cessionnaire du fonds servant que s'il avait été informé de cette créance temporaire et en avait été investi expressément ou tacitement.
Art. 294. On a dit, plus haut, que l'unité qui caractérise les droits personnels ne va pas jusqu'à exclure des degrés dans la force d'exécution qu'ils comportent. Ces différences de sanction sont rattachées par la loi à deux sortes d'obligations corrélatives aux droits personnels: les plus énergiques sont munies d'une action qui permet au créancier d'obtenir en justice tous les moyens de contrainte que la loi autorise pour arriver à l'exécution forcée, à défaut d'exécution volontaire; on les appelle obligations civiles dans les lois européennes qui suivent ici encore les traditions et les expressions romaines; le présent article les qualifie de même et aussi “obligations de droit positif,” c'est-à-dire déterminées et sanctionnées par la loi du pays, pour mieux accentuer leur opposition avec les obligations naturelles ou “de droit naturel” qui n'ont qu'une sanction incomplète, qui ne comportent pas d'exécution forcée, mais seulement une exécution volontaire laissée à la conscience et à l'honnêteté du débiteur (v. art. 562).
La détermination des cas d'obligations naturelles est très difficile: les lois étrangères ont laissé ce soin à la doctrine et à la jurisprudence; il en est résulté des divergences assez sérieuses, tant parmi les auteurs que parmi les arrêts; les lois romaines n'ont pu être suivies ici qu'en partie, à cause de graves modifications produites avec le temps dans l'organisation de la société et de la famille. Notre Code, pour prévenir de pareilles difficultés, détermine les cas d'obligations naturelles; mais ces cas ne pouvant se comprendre que lorsque les obligations civiles seront réglées, c'est dans un Chapitre spécial qu'on les trouvera, à la fin de cette IIe Partie.
Le Code présente la théorie générale des Créances ou Obligations, dans le même ordre que pour les Droits réels; on verra donc: 1° leurs causes, ou comment elles s'établissent, 2° leurs effets, 3° leur extinction.
Une remarque importante est à faire, dès à présent: il ne s'agit ici que des obligations en général et non de celles qui ont des causes, des effets et des extinctions propres; ces dernières se trouveront énumérées au Livre suivant et au Livre des Garanties. Ainsi, la vente, le louage d'ouvrage, la société, le mandat, le prêt, sont des contrats spéciaux dont la nature et les effets diffèrent profondément, à beaucoup d'égards; ce qu'ils ont de particulier ne se trouvera pas ici; mais ils ont aussi de nombreux caractères communs avec tous les contrats, et les obligations qu'ils produisent trouveront ici leurs règles générales.
CHAPITRE PREMIER.
DES CAUSES DES OBLIGATIONS.
Art. 295. Toutes les obligations civiles, même celles qui seront l'objet de règles particulières, aux Livres suivants, ont l'une de ces quatre causes; les obligations naturelles, elles-mêmes, ont les mêmes causes, mais affaiblies, comme on le verra au Chapitre dernier, en exceptant seulement la quatrième qui est évidemment de droit positif.
La 2e et la 3e cause d'obligations apparaissent ici sous des noms moins usités que ceux que leur donnent les législations étrangères; mais on a cru devoir bannir de la loi un langage reconnu défectueux et qui n'avait en sa faveur qu'une longue tradition.
On pourrait s'étonner de ne pas trouver ici, comme dernière cause ou source d'obligations, les jugements. Il semble, en effet, que lorsqu'un jugement irrévocable est intervenu, condamnant une partie à payer ou à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose au profit de l'autre, il y ait dans cette décision judiciaire un principe nouveau d'obligation, quelle qu'ait pu être la cause première de la condamnation; le langage pratique favorise cette illusion, car l'exécution de l'obligation sera requise en vertu du jugement dûment signifié.
Mais ce n'est, disons nous, qu'une illusion; les jugements ne créent pas de droits nouveaux, ils déclarent des droits préexistants: lorsqu'une personne est condamnée, comme on vient de le supposer, c'est parce qu'elle était antérieurement obligée par l'une des quatre causes ci-dessus énoncées; le jugement n'y ajoute rien; la condamnation aux frais, elle-même, a une cause antérieure au jugement, c'est la faute commise par la partie qui succombe, faute consistant dans la témérité de sa demande ou de sa défense. Quant à la circonstance que l'exécution est requise en vertu du jugement, elle n'est pas une objection sérieuse: le jugement n'est qu'une preuve du droit, preuve invincible, d'ailleurs, rentrant dans la classe des présomptions légales, comme on le verra au Livre des Preuves; mais il n'est pas plus la cause ou la source du droit que l'écrit ou le témoignage sur la foi duquel le jugement peut avoir été rendu.
La loi va consacrer une Section particulière à chacune des quatre causes d'obligations.
SECTION PREMIÈRE.
DES CONVENTIONS.
Art. 296. Bien que les expressions de convention et de contrat, soient souvent employées l'une pour l'autre dans les lois, il est bon cependant de reconnaître le sens propre de chacune; elles ne sont pas synonymes: la convention est plus large que le contrat; elle est le genre, celui-ci est l'espèce. Le contrat est donc toujours une convention, mais la convention n'est pas toujours un contrat. La comparaison des deux alinéas fait bien ressortir la différence des deux actes juridiques.
Ainsi, soit une convention ayant pour but d'éteindre une obligation, par exemple, une remise de dette, il serait tout à fait impropre de dire qu'il y a contrat. De même, si l'on suppose une donation de meuble ou d'immeuble dont l'objet est déjà aux mains du donataire: comme alors le donateur, tout en se dépouillant du droit de propriété, ne contracte aucune obligation, pas même celle de livrer la chose, on ne doit pas dire qu'il y a contrat, mais qu'il y a convention. Si, au contraire, on suppose une vente ou un échange, bien que l'effet principal soit la transmission de la propriété, il y a aussi des obligations créées: l'acheteur doit payer un prix; pour lui, la convention est un contrat; pour le vendeur et le coéchangiste, il y a aussi, outre l'obligation de livrer, celle de garantir le cessionnaire de tout trouble ou éviction fondé sur un droit antérieur prétendu par un tiers; la convention est donc, de ce chef, un contrat, et c'est ce qui explique que l'on dira bien plus souvent “le contrat de vente ou d'échange” que la convention de vente, la convention d'échange.
Quelquefois, la convention ne crée, ni n'éteint entièrement une obligation: elle modifie, elle change quelque chose d'une obligation antérieurement formée; elle y ajoute, y substitue ou en retranche quelque chose; en pareil cas, on ne recherche guère s'il y a plus d'ajouté que de retranché, et l'on peut indistinctement employer l'expression générique de convention ou celle plus étroite de contrat: c'est ce que l'on fera ici, le plus souvent.
La loi va présenter successivement: 1e la classification des conventions; 2° leurs conditions d'existence et de validité: 3° leur force ou leurs effets, tant entre les parties qu'à l'égard des tiers; enfin, 4° les règles de leur interprétation.
§ I. DES DIVERSES ESPÈCES DE CONVENTIONS.
On doit faire remarquer, tout d'abord, que les sept divisions des conventions ici présentées ne constituent pas sept classes de conventions différentes et encore moins quatorze, quoique chaque division donne deux groupes ou deux branches: ce sont seulement des aspects différents des mêmes conventions. Sans doute, pour chaque division, la convention qui est dans une branche n'est pas dans l'autre; mais les conventions qui étaient dans la première division reparaissent dans la deuxième et dans toutes les autres. C'est ainsi que les divisions des Choses, objet des articles 1er à 29, nous ont présenté successivement les mêmes choses, sous des points de vue différents.
Chaque division des conventions a des conséquences importantes qu'on rencontrera, chemin faisant, mais qu'on indiquera déjà ici, sommairement.
Art. 297. Cette division mérite le premier rang par son importance pratique.
La vente, l'échange, le louage, la société, sont des conventions bilatérales ou synallagmatiques; le prêt dit de consommation, celui qui permet de consommer la chose prêtée, à la charge d'en rendre une semblable, avec ou sans intérêts, est unilatéral.
Voici maintenant l'intérêt principal de la division des conventions en synallagmatiques et unilatérales; il est double: toute convention synallagmatique est soumise à la condition tacite que si l'une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie pourra s'affranchir des siennes, en demandant en justice la résolution de la convention. Ce n'est, du reste, qu'une faculté, à laquelle elle peut toujours renoncer, en se bornant à faire exécuter la convention; mais la résolution sera souvent plus sûre et plus simple; elle peut, d'ailleurs, être accompagnée d'une condamnation à des dommages-intérêts.
Pour les conventions unilatérales, il ne peut être question d'une semblable cause de résolution: si la partie qui est seule obligée n'exécute pas volontairement la convention, l'autre n'éprouverait de la résolution qu'une perte sans compensation; elle est donc réduite à demander l'exécution forcée sur les biens du débiteur, par les voies ordinaires.
Cette première différence entre les deux espèces de conventions qui nous occupent résulte de la nature même des choses et elle ne pouvait manquer d'être admise au Japon (v. art. 421).
La seconde différence, tout aussi juste, est peut-être moins nécessaire, aussi ne la trouve-t-on pas dans tous les codes étrangers; mais il semble qu'il faille le regretter. Si la convention est synallagmatique et que l'acte qui la constate soit sous signature privée, il doit être rédigé en double et, s'il y a plus de deux parties, en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette disposition se trouve au Livre des Preuves. On se borne ici à la justifier sommairement, par cette considération qu'il est juste et utile que chacune des parties ait aux mains la preuve de son droit, pour le faire, au besoin, valoir en justice: autrement, si un seul acte était dressé et que la partie qui en serait détenteur regrettât la convention, il serait en son pouvoir de l'anéantir; elle arriverait ainsi, contre toute raison et toute justice, à une sorte de résolution de la convention qui, au lieu d'être, comme la précédente, la peine de sa faute, en serait la récompense.
Art. 298. Il faut avoir soin de ne pas confondre la convention onéreuse avec la convention synallagmatique. Sans doute, la convention synallagmatique est toujours onéreuse, puisque chaque partie y est obligée; mais la réciproque n'est pas vraie. Ainsi, la convention de prêt à intérêt est à titre onéreux et cependant il n'y a que l'emprunteur qui soit obligé: il doit rendre le capital et y ajouter les intérêts; le prêteur, il est vrai, supporte aussi une charge, il fait un sacrifice, car il se prive temporairement de son capital; mais ce n'est pas une obligation, puisqu'avant de prêter, il n'y était pas tenu et qu'après avoir livré les espèces, il n'a aucune obligation; c'est que cette convention ne se forme que par la remise de la chose prêtée, et, de ce chef, on va la retrouver dans la division suivante.
Outre le prêt à intérêts et les convention synallagmatiques, qui sont toutes onéreuses, on peut encore citer comme telles les conventions qui opèrent novation d'une obligation, en en changeant l'objet ou un autre élément: chaque partie y fera “un sacrifice:” le créancier, en abandonnant son droit antérieur, le débiteur en contractant une nouvelle dette (voy. art. 489 et s.).
La définition de la convention à titre gratuit ici donnée par la loi met bien en relief la gratuité de la convention qui consiste à “recevoir sans rien donner.”
La loi suppose que le sacrifice peut être fait “en faveur d'un tiers.” Les stipulations faites dans une convention en faveur de personnes qui n'y sont pas parties ne sont valables que sous certaines distinctions dont il serait prématuré de parler ici; on les trouvera ci-après (art. 323); mais celui qui reçoit à charge de donner à un tiers reçoit à titre onéreux.
Comme convention gratuites, on citera, en première ligne, la donation puis le prêt de consommation sans intérêts et le prêt à usage, qui constituent, pour l'emprunteur des services purement gratuits; le dépôt et le mandat, où le service est rendu par le dépositaire et le mandataire; le cautionnement où se présente cette singularité que la caution rend un service gratuit au débiteur, en s'obligeant avec elle et pour elle, tandis que le convention est onéreux entre elle et le créancier, si, au moins, il a déjà ce caractère entre le créancier et le débiteur principal.
La distinction des conventions en gratuites et onéreuses n'est pas moins importante que la précédente; mais dans d'autres ordres d'idées: ainsi d'abord, les conventions à titre gratuit exigent une capacité plus grande que les conventions onéreuses; par exemple, les personnes qui n'ont que le pouvoir d'administrer, soit les biens d'autrui, soit les leurs, peuvent faire des actes onéreux (et non pas tous encore), mais elles ne peuvent faire d'actes gratuits sur ces biens, parce que ce serait les diminuer sans compensation; ainsi encore, l'obligation de conserver la chose due avec soin est moins rigoureuse pour le donateur que pour un vendeur (art. 334), les créanciers d'une personne insolvable peuvent critiquer et faire révoquer ses actes gratuits plus facilement que ses actes onéreux (voy. art. 342); enfin, la donation, l'acte gratuit le plus important, est soumise à des formes qui tendent à protéger le donateur contre la captation des gens cupides et contre son propre entraînement (V. Liv. de l'Acq. des biens, art. 358).
Art. 299. Le consentement, dont il sera parlé longuement au § suivant, est de l'essence des conventions, c'est-à-dire qu'il est indispensable à leur formation et, en général, il y suffit, surtout dans les temps modernes, où la loi n'exige de formalités dans les actes juridiques que lorsqu'il y a pour cela quelque nécessité particulière.
La vente, l'échange, le louage, la société, le mandat, le cautionnement, sont des conventions purement consensuelles. On doit y ajouter la donation, bien qu'elle soit soumise justement à l'une de ces formalités, déjà mentionnée plus haut et qui lui donne la première place dans la division suivante; mais comme elle n'est pas une des conventions réelles dont on va parler et comme, cependant, elle rentre dans la présente division: elle est consensuelle au point de vue qui nous occupe.
La convention réelle est celle qui exige que la chose, objet de la convention soit remise ou livrée au moment de sa formation ou auparavant; tels sont: les deux sortes de prêts, le dépôt et le gage.
Cette condition de tradition n'est pas arbitraire: on la trouve dans toutes les législations, ou, tout au moins, la pratique l'y supplée, quand elle n'est pas écrite dans la loi, parce qu'elle est dans la nature des choses.
Ces quatre conventions, en effet, ont pour objet essentiel d'obliger quelqu'un à rendre une chose et même (le prêt de consommation excepté) à la conserver avec soin jusqu'à la restitution; or, on ne peut être tenu de conserver et de rendre que ce que l'on a préalablement reçu. Le gage se concevrait, à la rigueur, sans tradition: la raison ne s'opposerait pas à ce qu'une chose mobilière fût affectée à la garantie d'une dette, tout en restant en la possession du débiteur, comme y reste un immeuble hypothéqué; mais ce serait alors une hypothèque véritable, une hypothèque mobilière, telle que le droit romain la permettait; ses dangers l'ont fait, du rester abandonner dans les temps modernes le gage ne doit être valable “qu'autant que la chose a été remise et est restée aux mains du créancier” .
On a dit que la tradition, dans les quatre conventions réelles (le nombre est limitatif), doit précéder la convention ou l'accompagner: elle la précède, lorsque, la chose se trouvant déjà dans les mains du futur débiteur, à un autre titre, à titre de louage, par exemple, il est convenu qu'il la gardera en prêt à usage, en dépôt ou en gage; elle pourrait même être déjà dans ses mains en vertu d'une première convention réelle, par exemple, d'un dépôt, et on lui permettrait d'en user comme prêtée, ou d'un prêt à usage et on la lui laisserait en gage. Dans ces cas, le débiteur est censé avoir rendu la chose en vertu du titre précédent et l'avoir immédiatement reçue en vertu du nouveau titre; c'est ce qu'on appelle la “tradition de brève main:” au lieu de deux livraisons successives et contraires, on n'en fait aucune; on laisse la chose aux mains où elle est (v. art. 191).
Dans les autres cas, la chose est livrée au moment même de la convention.
L'utilité pratique de cette division des conventions se trouve expliquée par ce qui précède: elle revient à dire quand la convention existe et quand elle n'existe pas.
Au surplus, on pourrait concevoir que quelqu'un eût promis de prêter une chose (à usage ou à consommation) ou de la donner en gage, et n'eût pas encore fait la tradition; cette promesse ne serait pas encore un prêt, ni une convention de gage, mais elle serait obligatoire comme une des conventions innommées dont il sera parlé plus loin. Ce cas serait bien différent du prêt, puisque c'est le futur prêteur qui serait obligé et le futur emprunteur créancier. S'il y avait eu promesse de gage pour une dette déjà née, ce serait le débiteur qui serait tenu de cette novelle obligation, tandis que, s'il avait déjà fourni le gage, il serait créancier de la restitution. Enfin, si quelqu'un avait promis de recevoir un dépôt, il aurait bien une obligation de faire, mais il n'aurait pas celles d'un dépositaire qui sont de conserver et de rendre.
Art. 300. Dans les temps modernes, la solennité des conventions, devenue d'ailleurs exceptionnelle, ne consiste pas dans des formules, mais dans l'intervention d'un officier public que rédige l'acte conformément à ses règles propres, après avoir reçu les déclarations des parties, leur en donne lecture et signe avec elles, en mentionnant cette lecture faite ainsi que leur signature ou la cause qui les a empêchées de signer.
Il y a peu de conventions solennelles dans le Code japonais: convention matrimoniale et donation.
Il ne faut pas confondre d'ailleurs les cas où la solennité est exigée pour la formation de la convention avec ceux où elle est exigée pour sa preuve. Dans ces derniers cas, la preuve par l'aveu de l'adversaire supplée au défaut de preuve solennelle.
La distinction des conventions en solennelles et non solennelles a, comme la précédente, une importance qui se révèle dans la définition même; il n'y a donc pas à s'y arrêter davantage.
Art. 301. Cette division est celle que les Codes étrangers donnent souvent sous le nom de contrats commutatifs ou aléatoires. Le Code japonais remplace la dénomination de commutatif par celle de ferme.
Le mot ferme signifiant stable, solide, forme bien opposition à ce qui est fragile, incertain, soumis au hasard.
Dans cette division, on trouve des conventions qui, de leur nature, sont toujours aléatoires, les autres ne le sont que parce que les parties leur ont volontairement donné ce caractère.
Sont toujours aléatoires: 1° le jeu et pari; mais ces conventions ne sont que très-exceptionnellement permises par la loi; 2° la convention de rente viagère; 3° la constitution d'usufruit, toujours viagère; 4° le prêt maritime dit “prêt à la grosse aventure;” 5° la convention d'assurance contre les risques, soit maritimes, soit terrestres, avec les nombreuses applications qu'elle reçoit dans les temps modernes et qui tendront toujours à se multiplier.
Les autres conventions sont fermes, de leurs nature; mais les parties peuvent leur donner le caractère aléatoire, en les faisant dépendre du hasard, soit pour leur existence, soit pour tout ou partie de leurs effets. Ainsi, chaque fois qu'une convention ou les obligations qui en résultent sont soumises à une condition, soit suspensive, soit résolutoire, elle prend un caractère aléatoire, et cela, non seulement quand la condition est purement casuelle ou fortuite, mais même lorsqu'elle dépend de la volonté du créancier, laquelle est un véritable hasard pour le débiteur. Ainsi encore, les conventions qui sont accompagnées d'une dation d'arrhes, permettant à l'une des parties ou chacune d'elles de se départir de la convention, moyennant la perte des arrhes ou leur restitution au double, ont un caractère aléatoire. Il en est de même des ventes à l'essai ou des ventes de choses qu'il est dans l'usage de goûter avant de les agréer. Mais, habituellement, on ne donne guère le nom d'aléatoires qu'aux conventions qui sont telles par leur nature.
L'intérêt pratique de cette division des conventions n'est pas aussi considérable que celui des autres divisions; on n'en cite ordinairement qu'un: ces convetions ne sont pas sujettes à la rescision pour lésion, dans les cas où les conventions fermes le seraient; or, la rescision pour lésion n'ayant lieu qu'au cas de partage, sa suppression dans les conventions aléatoires n'aurait pas une grande importance.
On peut présenter une autre différence plus importante. Si une convention aléatoire de rente viagère est résolue pour inexécution des conditions par l'une des parties, les choses ne devront pas être remises dans l'état primitif, comme dans la résolution des convention fermes: puisque la partie envers laquelle les engagements n'ont pas été tenus a couru des chances défavorables, on doit lui laisser en compensation tous les arrérages qu'elle a reçus même pour la portion des arrérages payés qui excédait le taux légal ou ordinaire.
Art. 302. Cette division rappelle, dans une certaine mesure, celle de l'article 15 qui, de même, distingue les Choses en principales et accessoires.
Certaines conventions peuvent être soit principales, soit accessoires, tandis que d'autres ne peuvent être qu'accessoires; mais c'est le plus petit nombre: la plupart des conventions ont l'une ou l'autre de ces caractères, suivant l'intention des parties, laquelle peut, ou être formellement exprimée, ou s'induire des circonstances. Sont toujours accessoires, le cautionnement, le gage, l'hypothèque, qui sont des conventions de garantie (voy. art. 2).
Mais la vente, le louage, la société, le prêt, qui sont, le plus souvent, principaux, peuvent aussi être accessoires. Par exemple, on vend une maison, pour un prix déterminé, et l'on vend aussi pour un prix spécial, les meubles qui la garnissent; il est naturel de croire que cette vente des meubles est accessoire de l'autre, et la conséquence, indiquée par le texte, est que, si la vente de la maison n'était pas valable, à cause d'un vice de la convention, la vente des meubles, même correcte en elle-même, serait entraînée dans la même nullité. Un louage pourrait être aussi l'accessoire d'une vente, si, par exemple, on donnait à loyer un terrain contigu à une maison vendue, ou des instruments agricoles ou industriels dont l'acheteur aurait momentanément besoin. Le prêt de consommation pourrait aussi être l'accessoire d'un louage; si, par exemple, un fermier avait besoin d'une avance de capitaux pour commencer l'exploitation du fonds loué.
La question de savoir si une convention est principale ou accessoire d'une autre, est une question de fait que les tribunaux apprécieront d'après les circonstances. On verra au § IV quelques règles d'interprétation des conventions; mais pour ne pas revenir, à cette occasion, sur la présente division des conventions, on fera remarquer ici que si les deux conventions dont il s'agirait d'apprécier le caractère respectif ont la même date, la convention principale sera, naturellement, la plus importante par les valeurs mises en mouvement; si elles ont des dates différentes, la principale sera la première en date, car il n'est pas admissible qu'après sa formation définitive, on l'ait subordonnée au sort d'une convention postérieure; ce résultat ne pourrait être admis que s'il y avait une déclaration formelle des parties en ce sens, laquelle aurait le caractère d'une novation.
Le grand intérêt de la division des conventions en principales et accessoires est dans l'influence que peut avoir la nullité de l'une sur celle de l'autre. A cet égard, le texte pose deux règles dont chacune reçoit une exception.
La première règle est que la nullité de convention principale entraîne celle de la convention accessoire. L'exception s'applique aux conventions accessoires dites de garantie, qui peuvent avoir été consenties justement pour tenir lieu de la conventions principale, au cas où elle serait annulée. Ainsi, quelqu'un a cautionné un mineur; celui-ci, plus tard, fait annuler son engagement: la caution restera tenue. Un vendeur s'est formellement soumis à une obligation d'indemnité au cas où l'acheteur serait évincé c'est ce qu'on nomme la garantie de fait, par opposition à la garantie de droit qui est due en vertu de la loi et sans convention: l'acheteur est ensuite évincé, ce qui entraîne la nullité de la vente, car la vente de la chose d'autrui est nulle; mais l'obligation de garantie subsistera, car elle n'a pas eu d'autre but que de suppléer à la nullité de la vente.
Dans ces deux cas, on pourrait dire, en théorie pure, que la convention de garantie est moins une convention accessoire qu'une convention principale sous condition; mais la loi a préféré lui laisser le nom d'accessoire, qu'on lui donnera toujours en partique, et lui appliquer une règle exceptionnelle.
La seconde règle est que la nullité de la convention accessoire ne porte pas atteinte à la validité de la convention principale; le cas exceptionnel est celui où le lien des deux conventions est si intime qu'elles sont indivisibles dans l'intention des parties; par exemple, accessoirement à la vente d'un terrain, le vendeur a concédé sur un fonds contigu, une prise d'eau nécessaire à l'exploitation agricole ou industrielle que va entreprendre l'acheteur; si la constitution de la servitude ne peut produire d'effet, parce que le constituant n'est pas propriétaire de la source, la vente du terrain pourra être considérée elle-même comme nulle, parce que les deux conventions sont vraisemblablement indivisibles dans l'intention des parties. On pourrait peut-être, prétendre, en théorie, comme pour l'exception à la première règle, que, dans ce cas, les deux conventions sont principales, c'est-à-dire égales en importance, de sorte qu'il n'y ait réellement pas d'exception; mais, ici encore, la pratique considérera la vente de la servitude comme accessoire de la vente du fonds. D'ailleurs, ce qui importe, c'est la solution même, plutôt que de rechercher si elle vient de la règle ou d'une exception.
Art. 303. Presque toutes les conventions qui ont été prises pour exemples, au sujet des six divisions précédentes, sont des conventions nommées; aussi n'a-t-il pas été nécessaire d'en indiquer l'objet pour les faire connaître: quand on cite la vente, le louage, le prêt, etc., il n'est pas besoin, pour être compris, de les définir ni d'en rappeler le but.
Au contraire, quand nous avons pris pour exemple la novation, il a fallu en expliquer le but et le caractère; bien que la novation ait ce nom même et que la loi en pose les règles, il n'est pas d'usage de la considérer comme une convention nommée: elle est moins envisagée dans la loi comme source d'obligation nouvelle, comme convention, que comme cause d'extinction d'une obligation antérieure.
On ajoute ici quelques autres cas de conventions innommés: l'échange de services, les promesses de prêt, de gage ou d'hypothèque et celle de recevoir un dépôt, dont il a été parlé plus haut.
Le texte du présent article nous indique, pour chacune de ces classes de conventions, deux sources de règles à y appliquer: aux conventions nommées, leurs règles propres, chaque fois qu'il en existe dans la loi, et pour les points non spécialement réglés, le droit commun des conventions, les Dispositions générales qui forment cette IIe Partie; aux conventions innommées: en principe, les présentes règles générales, et, par exception, les règles spéciales à celle des conventions nommées avec laquelle elles ont le plus d'analogie.
Ce dernier point demande seul quelques observations. Il faut chercher l'analogie dans les choses et non dans les mots. Ainsi l'échange de services devra se régler par analogie avec le louage de services et non avec l'échange de propriété; la promesse de prêt, à usage ou de consommation, celle de gage, n'ont aucune analogie avec le prêt ou le gage effectué. On a déjà fait remarquer, sous l'article 299, que les rôles des parties y sont tout-à-fait inverses; de même, pour la promesse de recevoir un dépôt: il y a là des obligations de faire innommées et soumises uniquement aux présentes règles des conventions en général.
§ II. DES CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE VALIDITÉ DES CONVENTIONS.
Art. 304 et 305. Le rapprochement de ces deux premiers articles permet de saisir d'un seul coup d'œil les conditions d'existence et de validité des conventions et de distinguer immédiatement les conventions radicalement nulles de celles qui ne sont que viciées ou annulables.
Il y a plusieurs grandes différences entre une convention nulle et une convention annulable.
Lorsque la convention est nulle ou non existante, la nullité, étant radicale, a lieu de plein droit: elle n'a pas besoin d'être obtenue en justice; elle y serait seulement déclarée, comme préexistante, en cas de contestation; chacune des parties peut s'en prévaloir contre l'autre, soit pour se soustraire à l'exécution, soit pour la faire réparer, si elle a déjà été accomplie; ce qui fait dire que la nullité est absolue; enfin, ni le temps, ni la volonté des parties ne peuvent valider la convention nulle: elle devrait être refaite.
Au contraire, si la convention n'est qu'annulable, l'annulation doit être demandée et obtenue en justice; elle ne peut être demandée que par celle des parties dont le consentement a été vicié ou qui était en état d'incapacité; d'où son nom de nullité relative; enfin, le vice de la convention simplement annulable peut être réparé, couvert, par une ratification ou confirmation expresse, ou même tacite, par exemple, par l'exécution volontaire.
Il est superflu d'insister sur une dernière différence que le texte de l'article 305 fait suffisamment ressortir: les conditions d'existence des conventions sont nécessaires à leur validité et la réciproque n'est pas vraie, c'est-à-dire que les conditions de leur validité ne sont pas nécessaires à leur existence.
Bien que la loi doive reprendre successivement chacune des conditions d'existence et de validité des conventions, elles ont un tel lien les unes avec les autres qu'il est nécessaire de donner ici une esquisse rapide de chacune d'elles, en suivant l'ordre indiqué par les deux articles 304 et 305.
I. CONDITIONS D'EXISTENCE DES CONVENTIONS.
A. Consentement. Le consentement est l'accord des volontés; c'est un même sentiment des parties; il est tellement essentiel à l'existence de la convention que la définition de celle-ci est presque la même que celle du consentement. Le plus souvent, la convention a pour point de départ la proposition d'une des parties, une offre ou une demande, et quand l'autre partie adhère, acquiesce à la proposition, on dit qu'elle consent. Si les deux autres conditions sont remplies, la convention est formée.
Les articles suivants indiqueront comment l'accord des volontés peut être constaté.
B. Objet. Le second élément essentiel à l'existence de la convention, c'est un objet. La définition même que nous donne l'article 296, dit que cet objet ne peut être que la création ou la transmission, la modification ou l'extinction d'un droit, soit réel, soit personnel. Mais le droit à créer, comme objet de la convention, doit lui-même avoir un objet, ainsi qu'il a un sujet actif et un sujet passif; il en résulte que, le plus souvent, par abréviation, on dit de l'objet du droit qu'il est l'objet de la convention. C'est cet objet du droit qui doit d'après notre article 304, être certain ou déterminé et tel que les parties en aient la disposition.
Si, par exemple, il s'agit d'une obligation à créer (objet de la convention) et qu'il s'agisse de faire ou de donner quelque chose (objet de l'obligation ou de la créance), il faut que le fait à accomplir soit assez déterminé pour que le créancier ne puisse pas exiger plus que le débiteur n'a entendu promettre, et pour que celui-ci ne puisse pas réduire son obligation au-dessous de ce que le créancier a entendu obtenir. De même, s'il s'agit d'une chose à donner et que ce soit une chose individuelle, il faut qu'elle soit assez clairement désignée pour qu'elle ne puisse être confondue avec d'autres de plus ou moins grande valeur, et s'il s'agit d'une quantité, il faut qu'elle soit nettement déterminée en poids, nombre ou mesure.
Outre les choses individuellement désignées, dites corps certains, et les choses de quantité (v. art. 16), il y a les choses qui seraient désignées seulement par leur genre ou par leur espèce. Il ne suffirait pas de désigner par le genre la chose à donner, comme un animal, un arbre, une pierre: autrement, le créancier serait à la discrétion du débiteur ou celui-ci à la discrétion du créancier: tandis que le créancier pourrait exiger une chose d'une très-grande valeur, dans le genre indiqué, le débiteur ne manquerait pas d'en offrir une d'une valeur dérisoire. Il suffirait à peine de désigner la chose par son espèce, comme un cheval, un sapin, un pied cube de pierre ou de marbre; peut-être pourrait-on, quelquefois, d'après les circonstances et le but que se proposait le créancier, connaître avec plus de précision l'objet compris dans la convention; mais, le plus souvent, la convention serait sans effet, parce que l'objet ne serait pas assez certain, ou assez déterminé.
L'objet doit aussi être de ceux dont les parties “aient la disposition.” Cette expression répond à celle de “chose dans le commerce” usitée en Europe où on l'a tirée du droit romain. On l'a remplacée par une expression qui serait, au besoin, la définition des “choses dans le commerce.” Il y a d'ailleurs ici une plus grande exactitude que dans l'expression usitée: lorsqu'on parle de choses qui sont ou ne sont pas dans le commerce, on parle d'une manière absolue, abstraction faite des personnes; ainsi, on dit qu'une chose “n'est pas dans le commerce,” quand personne n'en peut disposer avec profit (v. art. 26); tels sont les objets dont la fabrication, la vente ou la possession sont prohibées, tels sont encore les actes illicites ou défendus, soit par les lois, soit par les bonnes mœurs. D'un autre côté, il y a des choses qui ne sont pas dans le commerce pour certaines personnes et qui y sont pour d'autres; l'obstacle à la convention, à l'égard de ces choses, n'est plus absolu, mais seulement relatif. Ainsi, les biens des particuliers sont, en général, dans le commerce, en ce sens que le propriétaire en peut disposer; mais ils sont hors du commerce pour tout autre que lui; c'est ce qui expliquera, le plus naturellement, en son lieu, que “la vente de la chose d'autrui est nulle:” une chose n'est pas dans le commerce pour un vendeur non propriétaire; on pourrait seulement promettre de se procurer la chose d'autrui et de la céder ensuite: on aurait alors promis son propre fait, on aurait contracté une obligation de faire.
L'expression ici adoptée tient compte du caractère relatif de la prohibition de disposer.
Il va sans dire, sans qu'il soit besoin de rien ajouter au texte, que la convention serait radicalement nulle, si la chose qu'il s'agirait de donner avait déjà péri au moment de la convention: car une chose périe “n'est ni dans le commerce ni à notre disposition.”
C. Cause. La cause de la convention est la raison déterminante qui a décidé les parties à y consentir; c'est le but qu'elles ont voulu atteindre: on ne fait pas une convention par caprice, mais par raison; on y cherche, en général, une satisfaction morale, pécuniaire ou de convenance, La satisfaction est purement morale dans la donation ou dans la réparation volontaire d'un tort; elle est pécuniaire dans tous les contrats à titre onéreux ou intéressés; elle est de simple convenance, quand on prend certains engagements qui n'ont pas le caractère de bienfaisance et qui ne procurent aucun profit, mais qu'on doit à sa position sociale ou à ses rapports avec certaines personnes; par exemple, quand on souscrit pour quelque dépense locale, pour l'érection d'un monument, pour une société scientifique ou littéraire. Il y a aussi des conventions ou engagements, et c'est peut-être le plus grand nombre, dont le mobile est la recherche d'un plaisir, d'une satisfaction de la vanité ou du luxe.
Voilà ce qu'on entend par la cause dans les conventions, et c'est cette cause qui doit être vraie et licite.
Il y a des conventions où il n'y a pas à rechercher si elles ont une cause, ni si elle est licite, parce qu'elle y est inhérente; tels sont toutes les conventions nommées qui, étant organisées par la loi, ont nécessairement une cause et une cause licite. Ainsi, dans la vente, la cause de la convention, chez le vendeur, n'est autre que le désir d'acquérir une somme d'argent, le prix ou la créance du prix, en compensation de l'aliénation; chez l'acheteur, la cause est le désir d'acquérir la propriété, en compensation du prix à fournir. Dans la société, la cause est, pour chaque partie, le désir de réaliser des profits qui devront être plus considérables, si elle met en commun ses biens et son travail que si elle les utilise séparément. Dans la donation, la cause est, chez le donateur, le désir d'être utile à autrui, plus encore que celui d'en obtenir de la reconnaissance; chez le donataire, la cause est le désir naturel d'acquérir gratuitement.
Au contraire, dans les conventions innommées, qui ne sont pas proposées et réglées par la loi, la cause doit être cherchée, car elle pourrait manquer, être erronée ou simulée, c'est-à-dire fausse, ou même être illicite. Ainsi, dans la novation, une partie n'a pu contracter une dette nouvelle que dans le but d'en éteindre une précédente; voilà la cause qu'on doit trouver. Mais si cette première dette n'avait jamais existé ou n'existait plus, la nouvelle dette serait sans cause; si les parties croyaient à une cause, il y aurait cause erronée; si elles savaient que la cause n'existait pas, il y aurait cause simulée et, dans ces deux cas, fausse cause.
La cause illicite est plus facile à concevoir et pourra se présenter plus souvent; on peut d'ailleurs la rencontrer dans les conventions nommées aussi bien que dans les conventions innommées. En voici les deux cas principaux: 1° l'une des parties s'est engagée à accomplir un acte illicite: cet acte ne peut, pour cette partie, être l'objet d'une obligation ni d'une convention, puisqu'elle “n'en a pas la disposition,” puisque cet acte “n'est pas dans le commerce;” en même temps, comme cet acte est, pour l'autre partie, le résultat cherché, le but poursuivi, il se trouve être, pour elle, une cause illicite de la convention; 2° toutes les fois que les parties ont subordonné tout ou partie des effets de la convention à une condition prohibée, la cause de la convention est illicite; car toute condition est une cause de la convention, une cause tantôt principale et tantôt accessoire, mais qui, dans les deux cas, doit, comme illicite, rendre la convention nulle; il n'y a aucune différence réelle entre promettre une somme d'argent à quelqu'un s'IL commet un délit, et la lui promettre PARCE QU'IL aura commis un délit.
Il ne faut pas confondre avec la cause les motifs de la convention. On en établira les profondes différences sous l'article 309.
D. Solennités. Il ne sera parlé des solennités requises pour l'existence de certaines conventions qu'à l'occasion de chacune d'elles en particulier. Elles ne sont mentionnées ici que pour mémoire, car elles n'appartiennent pas à la théorie des Conventions en général.
II. CONDITIONS DE VALIDIT DES CONVENTIONS.
A. Absence de vices dans le consentement. L'article 305 indique seulement deux vices du consentement: l'erreur et la violence; en cela, il s'écarte notablement de plusieurs Codes étrangers, lesquels comptent aussi le dol comme un vice du consentement. On démontrera, sous l'article 312, que le dol, suivant le degré d'erreur qu'il cause, ou se confond avec ce vice même, ou n'est plus qu'un fait simplement dommageable qui donne lieu à réparation: cette réparation, il est vrai, pourra être obtenue par l'annulation du contrat, mais avec un autre caractère et avec moins d'effets que lorsqu'il y a eu une erreur viciant le consentement à proprement parler.
B. Capacité des parties. Certaines personnes sont, par suite de conditions particulières où elles se trouvent, légalement présumées et déclarées incapables de faire certains actes concernant leur personne même et leurs biens. Elles sont déterminées au Livre des Personnes.
C. Lésion. On n'entrera, à présent, dans aucuns détails, au sujet de la lésion considérée comme cause tout exceptionnelle d'annulabilité des conventions. La lésion suppose que, dans un contrat à titre onéreux où chaque partie cherchait un avantage égal à celui qu'elle fournissait, l'une d'elles a trouvé un avantage beaucoup moindre. L'intérêt général qui demande que les, conventions soient maintenues autant que possible ne permet pas que cette cause d'annulation soit facilement admise. Aussi, dans les lois étrangères ne rencontre-t-on que deux contrats annulables pour lésion proprement dite entre personnes majeures: le partage de biens indivis et la vente d'immeuble où le vendeur est lésé.
Le Code japonais n'admet pas la rescision de la vente pour lésion et il ne admet que dans le partage; mais la lésion sera une cause de rescision, en faveur des mineurs contre toutes sortes de conventions, et ici, quelle que soit l'importance de la lésion, même la plus minime. Cette combinaison de la lésion avec l'incapacité peut donner lieu à d'assez sérieuses difficultés que le Code s'est efforcé de prévenir (voy. 548).
On terminera ce qui concerne ces diverses conditions d'existence et de validité des conventions par une observation importante.
Déjà, en plusieurs occasions, on a rencontré et appliqué le principe fondamental de la liberté des conventions; le § suivant va bientôt le proclamer, le justifier et en fixer les limites. Ce principe ne reçoit ici qu'une application très-restreinte: les parties pourraient ajouter aux conditions d'existence de la convention, en la subordonnant à un événement plus ou moins casuel, et à celles de validité en la subordonnant à l'absence de lésion, dans un cas où la loi n'admet pas la rescision pour lésion, ou en exigeant pour cette rescision une lésion moindre que celle que la loi exigerait; mais elles ne pourraient rien retrancher des conditions légales, soit d'existence, soit de validité de la convention: pour les premières, elles dépendent de la nature des choses, laquelle est ici la pure raison; pour les secondes, elles sont une protection pour les faibles, et le but de la loi qui est un but de justice ne serait pas atteint, si la partie intéressée pouvait se soustraire à cette protection, notamment au droit de faire rescinder son contrat pour incapacité ou vice de consentement.
Art. 306. Il n'y a plus à revenir sur les caractères du consentement, déjà suffisamment expliqués. On remarquera seulement que le texte prend soin d'exiger le consentement de toutes les parties intéressées, activement autant que passivement; mais il n'exige pas le consentement de toutes les personnes qui figurent dans l'acte à un autre titre, par exemple, comme témoins. De même, si une personne intervient à l'acte comme garant ou caution, elle doit assurément consentir à prendre cette qualité, mais elle n'a pas à consentir à l'acte principal auquel elle n'est pas directement intéressée.
Le cas prévu au 2e alinéa sera rare, parce que si une personne ne voulait pas consentir à une convention, elle n'y assisterait pas, surtout elle n'y laisserait pas figurer son nom, s'il y avait un acte dressé pour la preuve. Cependant, il pourrait arriver que, dans les préliminaires d'une vente ou d'un louage, plusieurs personnes fussent disposées à y figurer comme acheteurs ou locataires, et qu'au dernier moment, l'une d'elles n'acceptât pas les conditions définitives, alors que les autres les ont déjà acceptées. La loi pose en principe que si l'une des parties proposées ne consent pas, le contrat ne se forme pas, non seulement avec cette personne, mais même entre les autres: il y a présomption que le contrat devait être indivisible quant aux personnes. Mais la preuve d'une intention contraire sera permise et le contrat pourra être déclaré formé entre les divers adhérents. Le cas serait peut-être assez fréquent en matière de société projetée entre un grand nombre de personnes et à laquelle une ou plusieurs refuseraient ensuite d'adhérer.
Art. 307. Le consentement, en lui-même, est un fait purement interne, comme tout acte de la volonté; mais il ne peut avoir d'effet juridique qu'autant qu'il se manifeste; quand la loi veut, exceptionnellement, s'assurer que le consentement a été parfaitement libre et même éclairé, elle exige qu'il soit donné devant un officier public dont la présence et les conseils sont une précieuse garantie pour les parties; c'est le cas des contrats solennels; dans les autres cas, la loi admet toute manifestation de la volonté par les moyens dont l'homme dispose: l'écriture, la parole, même les signes.
Théoriquement, presque toutes les législations, depuis les Romains, admettent que le consentement puisse être donné par signe; mais, en fait, devant les tribunaux, on ne serait guère recevable à se prévaloir d'un consentement qu'on n'aurait obtenu que de cette façon, fût-ce d'un muet; encore faudrait-il qu'il ne sût pas écrire et qu'il y eût des témoins connaissant assez les signes du muet et son degré d'intelligence pour affirmer qu'il a donné à la convention une pleine adhésion. Aussi, le texte prend-il, comme on le voit, de sages précautions pour éviter les abus à ce sujet. On peut d'ailleurs supposer des cas où les signes seraient le seul moyen de manifester le consentement; par exemple, si un blessé, incapable de parler et d'écrire, a besoin de changer de lieu ou d'acheter des choses nécessaires à son état, ou de faire un emprunt ou un dépôt, ou tout autre contrat urgent: il faudra bien admettre que son consentement aux propositions qui lui seraient faites, en présence de parents, d'amis ou d'étrangers, puisse être donné par signe, et lors même qu'un officier public serait appelé pour plus de garanties de sa liberté, il faudrait toujours que son consentement au contrat fût donné en cette forme imparfaite.
Les signes d'adhésion ou de consentement à une proposition, comme ceux de dénégation ou de refus, sont à peu près les mêmes dans chaque pays. Il y a aussi des signes ou signaux conventionnels en matière de navigation maritime; par exemple, pour demander un pilote à l'approche d'un port ou pour demander des secours en cas de péril; ces signes d'appel, suivis du service ou du secours demandé, permettront de dire qu'il y a eu convention.
Il n'est pas d'usage d'appeler tacite, le consentement donné par signe, parce que les signes font alors l'office de langage; mais la loi admet aussi le consentement tout à fait tacite, se révélant, soit par des faits extérieurs, soit par le silence. Les faits extérieurs sont, par exemple, l'exécution totale ou partielle d'un travail ou d'une fourniture demandés, ou, en sens inverse, la demande de l'exécution d'une proposition reçue qui, par là, se trouve agréée. Le silence lui-même vaut consentement ou acceptation, quand, après des pourparlers dans le but de contracter, il a été entendu que si un refus n'était pas envoyé dans un délai fixe, le silence vaudrait consentement. Mais une partie ne pourrait imposer à l'autre la nécessité d'envoyer un refus dans un délai déterminé, faute de quoi celle-ci serait considérée comme acceptante: une pareille prétention serait évidemment absurde. Ce qui est permis, c'est l'inverse: on peut faire une offre ou proposition avec assignation d'un délai pour l'acceptation, passé lequel, l'offre devra être considérée comme non avenue (v. l'art. suivant).
Art. 308. Cet article s'applique aux conventions qui se font par correspondance ou par intermédiaires. Les ventes commerciales les plus importantes se font, presque toujours, par cette voie, à cause des distances entre les grands marchés. Quelquefois, c'est l'offre du vendeur qui commence: le contrat ne sera formé que quand l'acheteur l'aura acceptée; d'autres fois, l'acheteur demande la marchandise, en indiquant son prix: il faut alors l'acceptation du vendeur pour qu'il y ait vente.
Si la partie qui a écrit la première ne change pas d'intention, il n'y a pas d'intérêt, en général, à rechercher à quel moment l'acceptation de l'autre est intervenue pour former le contrat; tout au plus, cela serait-il à considérer, si le prix devait être déterminé par le cours public de la marchandise au jour de l'acceptation. Mais, si l'offre est rétractée ou si la demande est retirée, à une époque plus ou moins rapprochée de l'acceptation, il importe de savoir si celle-ci est utilement intervenue.
Le principe est d'abord qu'il faut qu'il y ait persistance de l'offre ou de la demande jusqu'au moment de l'acceptation, de sorte qu'elles aient existé en même temps, ce qui constitue le consentement; en effet, toute offre ou demande qui n'est pas retirée est censée soutenue, confirmée, à chaque moment, par la persistance d'une même volonté.
Quand l'offre est acceptée, elle ne peut plus être retirée, parce que le contrat est formé. Mais il ne peut suffire évidemment d'une acceptation purement intentionnelle.
Faut-il donc alors qu'elle soit parvenue à celui qui a fait l'offre? ce serait aller trop loin, car on serait entraîné à exiger encore que celui qui a adressé l'acceptation sût qu'elle est parvenue.
Le texte exige seulement pour la validité de l'acceptation, à l'effet d'empêcher la rétractation de l'offre, que ladite acceptation ait été “expédiée” avant “l'arrivée” de la rétractation (1er al.). Il en résulte, il est vrai que la situation est meilleure pour celui qui accepte que pour celui qui rétracte son offre: le premier est sûr de son droit dès qu'il a expédié son acceptation avant d'avoir reçu la rétractation, tandis que l'autre reste dans l'incertitude, tant qu'il n'a pas reçu l'acceptation ou le refus. Mais cette inégalité de situation respective est naturelle: c'est celui qui a pris l'initiative de l'affaire qui doit subir la plus longue incertitude.
Quant à la difficulté de la preuve relativement à la priorité respective des deux actes, elle se rencontrerait dans tous les systèmes: elle tient à la nature des affaires par correspondance.
Si un délai a été assigné pour l'acceptation, soit en même temps que l'offre, soit postérieurement (2e al.), il y a là un engagement tacite, de la part du proposant, de ne pas rétracter son offre pendant ce délai, à moins d'un refus formel avant son expiration.
On pourrait s'étonner de voir une partie s'obliger ainsi par sa seule volonté, sans que l'autre ait déclaré accepter son engagement; mais il faut tenir compte du principe que l'on ne peut impunément causer à autrui un dommage; or, celui à qui une pareille promesse a été faite a pu se disposer à l'accepter dans le délai fixé et, pendant ce temps là, s'abstenir d'une autre opération dont l'occasion plus tard se trouverait perdue.
Le 3e alinéa est la conséquence du second et ne demande pas de justification.
Le 4e alinéa suppose un changement de volonté de la part de l'acceptant. Le principe est que ce changement de volonté est valable, tant que l'autre partie n'a pas été en situation de compter sur l'avis qui lui en a été expédié; par conséquent, si la rétractation arrive en même temps que l'acceptation (elle pourrait même arriver auparavant, par une voie plus rapide) les deux avis se neutralisent.
Même solution, au cas du 1er alinéa, si la rétractation d'une offre arrivait en même temps que celle-ci.
Le 5e alinéa demande une explication.
Les contrats obligent, en général, les héritiers des parties, comme celles-ci elles-mêmes; ils n'éprouvent aucune atteinte de la mort ou de l'incapacité survenue à l'une d'elles ou à toutes deux; c'est un principe qui trouvera sa place bientôt; ce n'est que par exception que certains contrats sont résolus par la mort, l'interdiction ou l'insolvabilité déclarée de l'une des parties; tels sont le mandat, la société, le louage d'ouvrage et de services.
Mais ce qui est l'exception pour les contrats devient la règle pour les offres; comme elles ne forment pas encore un lien de droit, elles ne peuvent durer que par la persistance de la volonté; or, la volonté unilatérale ne produit d'effet au delà de la vie que dans le testament; la volonté d'un interdit n'a plus de valeur juridique; celle d'un failli est entravée par l'intérêt de ses créanciers; les offres faites tombent donc par la mort et l'incapacité survenues.
Toutefois, si les héritiers ou les représentants de la personne décédée ou devenue incapable ont négligé de prévenir l'autre partie de l'événement qui a fait tomber l'offre, l'acceptation envoyée dans cette ignorance est valable: autrement, celui qui aurait accepté inutilement éprouverait un dommage injuste.
On doit d'ailleurs suppléer dans la loi une distinction qui manque au texte: Si l'offre avait été accompagnée d'un délai pour l'acceptation, celle-ci, ayant lieu dans le délai devrait être valable, même étant faite avec connaissance du décès ou de l'incapacité, parce qu'il y a déjà une obligation unilatérale.
La loi n'a pas à prévoir le décès de celui auquel l'offre a été faite: s'il ne s'agit pas d'une offre faite en considération de sa personne, son héritier peut accepter à sa place. Au cas d'incapacité survenue, le représentant légal ou judiciaire de l'incapable pourra toujours accepter pour lui.
La décision du dernier alinéa comporterait aussi une distinction: s'il y a faute de l'expéditeur dans la direction de sa lettre ou dépêche, il est naturel qu'il en supporte les conséquences; mais s'il y a cas fortuit ou force majeure dans le retard ou le défaut d'arrivée, il convient que le risque soit pour le destinataire, car la lettre ou la dépêche appartient déjà à celui-ci.
Art. 309. La loi ne parle pas, comme allant de soi, du cas où il y aurait défaut complet de volonté ou de consentement par absence totale d'intelligence de l'acte juridique chez l'une des parties, comme chez un enfant en bas âge, chez un fou, hors d'un intervalle lucide, ou chez une personne atteinte d'une fièvre délirante: il est évident que le consentement de ces personnes n'est pas vicié, mais manque entièrement. C'est aux tribunaux qu'il appartiendra de le constater dans chaque affaire, les cas où se rencontrera ce défaut absolu de consentement.
Mais le présent article croit devoir déclarer que certaines erreurs sont exclusives d'un consentement véritable, quoiqu'il soit apparent en la forme; cela est d'autant plus nécessaire que d'autres erreurs dont il est parlé ensuite ne produisent qu'un vice du consentement, lequel rend le contrat simplement annulable, et que d'autres erreurs laissent même au consentement toute sa validité. En général, les lois abandonnent à la doctrine le soin de distinguer ces diverses sortes d'erreurs; mais ce système n'est pas sans danger; il ressemble d'ailleurs à une abdication du législateur, dans un ordre de difficultés qui n'est plus, comme le précédent, de fait, mais de droit.
On trouve ici quatre erreurs dont la nature et la gravité sont telles qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu consentement de la part de celui qui les a commises. La loi en indique une autre qui, au contraire, laisse au contrat toute sa validité.
A. Erreur sur la nature de la convention. Le contrat proposé par l'une des parties était une vente, l'autre partie a cru faire un échange; ou bien, l'une proposait un louage, l'autre a cru recevoir un prêt à usage (contrat gratuit); ainsi encore, l'une entendait avoir un débiteur solidaire, l'autre n'a voulu s'engager que comme caution. Sans doute, de pareilles erreurs ne seront pas fréquentes; mais elles ne sont pas invraisemblables, si l'on suppose que les pourparlers ont porté sur les deux conventions et que la réponse a été donnée par lettre, sans rédaction d'un acte en bonne forme. Dans tous les cas supposés, il est clair que chaque partie ayant eu en vue une convention différente, il n'y a pas eu même sentiment, consentement.
B. Erreur sur l'objet de la convention. Les pourparlers préalables à la convention, par exemple, à une vente, avaient porté sur plusieurs objets, successivement et disjonctivement; au dernier moment, l'acheteur a déclaré accepter, par correspondance toujours, et il entendait acheter un des objets proposés, quand le vendeur pensait qu'il s'agissait d'un autre; c'est là l'erreur dite “sur le corps même de la chose ", qu'il ne faut pas confondre avec l'erreur” sur les qualités de la chose " dont il sera parlé plus loin. Ici encore il n'y a pas accord des volontés.
C. Erreur sur la cause et sur le motif de la convention. On réunit ici deux erreurs très-différentes dans leur gravité, mais de natures très-voisines.
L'erreur sur la cause semble, au premier abord, difficile à supposer. On a déjà dit que les contrats nommés ont toujours une cause qui est de leur essence et qui, par cela même qu'elle est reconnue par la loi, doit être toujours vraie, comme elle est toujours licite. On peut cependant citer des ventes nulles pour fausse cause; ce sont les ventes faites par un autre que le propriétaire ou “ventes de la chose d'autrui:” on a déjà dit qu'elles sont nulles par un vice de l'objet qui “n'est pas dans le commerce du vendeur;” elles sont aussi nulles faute de cause ou pour fausse cause, parce que l'acheteur avait pour but, en contractant, d'acquérir la propriété et que ce but est impossible à atteindre, en traitant avec un non-propriétaire.
L'erreur sur la cause est plus fréquente dans les contrats innommés auxquels la cause est donnée par les parties; d'où elle peut être erronée ou simulée, comme elle peut être illicite, ainsi qu'on l'a déjà remarqué. Il ne s'agit ici que du cas où la cause est erronée, parce que c'est le seul cas où le consentement n'existe pas. Par exemple, dans la novation, l'une des parties, en contractant l'obligation nouvelle, entendu se libérer de l'une des obligations dont elle était tenue, alors que le créancier entendait la libérer d'une autre. Il y a bien une cause à la novation, il aurait même pu y en avoir plusieurs, puisque le débiteur avait plusieurs dettes à éteindre; mais il n'y a pas eu accord sur la même cause, donc pas de consentement.
La loi tranche, dans le présent article, un point de doctrine fort important, en déclarant que l'erreur sur le motif n'entraîne jamais la nullité de la convention; la raison en est que cette erreur n'exclut ni ne vicie le consentement, et lors même qu'elle serait l'effet d'un dol de l'autre partie, il ne serait pas encore exact de dire, dans la théorie nouvelle du Code, qu'il y a vice de consentement: il n'y aurait qu'un “dommage causé injustement,” donnant lieu à réparation, comme on l'expliquera plus loin, au sujet du dol commis dans les conventions.
Il est donc très-important de bien distinguer le motif d'avec la cause.
On a vu, plus haut, que la cause de la convention est la raison qui détermine, qui décide les parties à la faire; mais il faut l'entendre de la raison immédiatement et directement déterminante. Le motif est une raison médiate, indirecte, éloignée, qui nous porte à contracter.
Dans le langage ordinaire, les mots cause et motif, appliqués aux actions des hommes, sont synonymes; mais dans le langage du droit, on a dû les distinguer et, tout en leur donnant le nom commun de raison d'agir, on les différencie par leur relation avec l'acte, laquelle est immédiate ou médiate, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée. On doit aussi remarquer (et ce point est très-important) que, tandis qu'il n'y a, en général, qu'une seule-cause de la convention, il y a toujours plusieurs motifs que l'on trouve en remontant du plus proche au plus éloigné.
Cela étant admis, ou va prendre des exemples de motifs; on verra ensuite pourquoi l'erreur sur le motif n'est pas une cause de nullité comme l'erreur sur la cause.
Si, dans le contrat de vente d'immeuble, ou cherche la cause de la convention, on trouve, pour le vendeur, le désir d'acquérir un prix ou la créance du prix, et, pour l'acheteur, le désir de devenir propriétaire. Mais pourquoi le vendeur et l'acheteur veulent-ils ainsi, chacun, transformer une valeur de leur patrimoine en une autre? Ce sont des raisons toutes personnelles, de convenance ou d'intérêt dans lesquelles, ni la loi, ni même l'autre partie, n'ont à s'immiscer: le vendeur veut peut-être, avec ce prix, faire le commerce ou s'intéresser dans une industrie, ou seulement, par un emploi de son argent en prêt à intérêts, s'assurer un revenu plus fixe et plus facile à percevoir que celui d'un immeuble; l'acheteur, de son côté, veut peut-être, par l'emploi d'un capital en achat d'immeuble, éviter les risques de perte que présentent souvent les prêts, ou fonder un établissement industriel ou commercial dans les locaux achetés, ou simplement fixer sa demeure dans un lieu plus favorable. Ce sont les motifs.
Dans la donation, la cause, chez le donateur, est le désir de faire du bien au donataire, son parent ou son ami. Mais est-ce parce que celui-ci est pauvre? Est-ce parce que le donateur a reçu des services antérieurs de lui ou de son auteur? Voilà divers motifs possibles, et, au delà, il y en a d'autres, puis d'autres encore; chaque partie seule peut les connaître, pour ce qui la concerne.
Dans ces divers cas, si l'on suppose qu'il y a eu, de la part de l'une d'elles, erreur sur le motif, elle ne pourra se soustraire aux conséquences de la convention; autrement, ce serait faire souffrir l'autre partie d'une faute à laquelle elle n'a pas participé; on excepte seulement le cas où ce serait elle qui, par son dol, aurait fait croire le contractant à de faux motifs, et alors, la réparation du dommage pourrait aller jusqu'à l'annulation du contrat, comme on le verra bientôt (v. art. 312).
D. Erreur sur la personne. La considération de la personne avec laquelle on contracte joue un rôle plus ou moins considérable dans la convention. Quelquefois, elle en est la cause principale et déterminante, comme dans la donation, dans le prêt à usage, dans le dépôt, dans le mandat, dans le cautionnement, en un mot, dans les contrats gratuits. Dans ces cas, s'il y a erreur d'une partie sur l'identité de l'autre, la convention est nulle, autant faute de consentement que pour fausse cause.
La considération de la personne peut aussi être déterminante dans certains contrats onéreux, dans ceux où l'une des parties recherche surtout les qualités personnelles ou les talents professionnels de l'autre; par exemple, dans les contrats où il y a prestation de services, soit pour la personne du créancier, comme les services d'un domestique, soit pour l'exécution d'une œuvre artistique ou littéraire.
D'autres fois, la considération de la personne n'est qu'un des éléments de détermination de la volonté, se joignant à d'autres, comme dans la vente à terme, dans le louage, dans le prêt à intérêt, où la personnalité du débiteur est à considérer, à raison du danger d'insolvabilité, comme aussi dans le louage de services industriels, où les qualités et le talent individuels sont moins exclusivement recherchés par le stipulant.
Enfin, dans certains cas, la personne du contractant est indifférente, comme dans la vente au comptant, le prêt à intérêt, sur gage ou sur hypothèque, et, généralement, dans les contrats où le profit exclut toute idée de bienfaisance, en même temps qu'il n'y a aucun risque à courir.
Par la même raison, on ne tient pas compte non plus, dans les contrats à titre onéreux, au moins en général, de l'erreur du débiteur sur la personne du créancier, lequel ne peut, à raison de sa personnalité, exiger plus que son dû, quoique peut-être il puis e mettre plus ou moins de rigueur dans la poursuite.
Pour revenir à l'application du présent article, on peut remarquer que dans les cas où la considération de la personne a été déterminante de la convention, elle a joué le rôle de cause, de sorte que l'erreur sur la personne n'est alors qu'une variété de l'erreur sur la cause; c'est à ce titre qu'elle exclut le consentement.
Ainsi, en reprenant les exemples donnés plus haut, le donateur a entendu gratifier un de ses parents éloignés ou le fils d'un ami, ne les connaissant pas individuellement; par l'effet d'une erreur commune, peut-être par un dol, une autre personne a reçu la donation; la donation est nulle, faute de consentement du donateur et par fausse cause. La solution serait la même si l'erreur existait chez le donataire, à l'égard de la personne du donateur, duquel il ne consentirait pas à recevoir une donation, soit parce qu'il le croirait lui-même peu honorable, soit parce qu'il craindrait que ses biens n'eussent pas une source honnête.
Mêmes solutions pour le prêt à usage et par les mêmes raisons.
Dans le mandat et le dépôt, la considération de la personne est déterminante des deux côtés: le mandant ne chargerait pas de ses intérêts toute personne indistinctement; le mandataire n'accepterait pas la peine et la responsabilité du mandat pour une personne inconnue.
Dans le cautionnement, où trois personnes sont en jeu, le créancier, le débiteur principal et la caution, il faut distinguer qui s'est trompé et sur quelle personne l'erreur a porté. Si l'erreur est chez le créancier, soit qu'elle porte sur la personne du débiteur ou sur celle de la caution, il n'y a guère que l'intérêt de la solvabilité qui soit en jeu et cette erreur appartient à la seconde classe déjà indiquée plus haut et dont s'occupe la dernière disposition de notre article. Si l'erreur est chez le débiteur et porte sur la personne du créancier, elle est indifférente; c'est l'erreur de la troisième classe; si elle porte sur la caution qui intervient pour le débiteur, comme il peut désirer ne pas recevoir un service d'une personne qu'il ne connaît pas ou n'estime pas, il sera admis à présenter une autre caution et le créancier ne pourra la refuser, si elle est aussi solvable que la précédente. Mais le cas le plus sérieux est celui où l'erreur viendrait de la caution et où elle se serait trompée sur la personne du débiteur qu'elle a cautionné: en pareil cas, la considération de la personne est déterminante, comme dans tout contrat gratuit, et le cautionnement sera nul faute de consentement et pour fausse cause.
En somme, dans les contrats à titre onéreux, les cas où la considération de la personne du débiteur est déterminante sont plus rares que ceux où elle n'est que secondaire. On ne peut guère citer que les louages de services qui supposent, soit une science ou un art sérieux, comme la construction d'un navire, celle d'un palais ou la fabrication d'une machine compliquée, soit une probité absolue, comme un emploi de comptable. Dans tous ces cas, les tribunaux tiendront grand compte aussi des circonstances du fait, spécialement de la nature des services à rendre, pour reconnaître l'intention des parties.
Art. 310. Il ne s'agit plus ici de l'erreur “sur le corps même de la chose,” mais de l'erreur sur ses qualités, laquelle, en fait, sera plus fréquente que la première et rendra le contrat non plus nul, mais seulement annulable.
L'idée qui domine est celle-ci: pour que le consentement et, par suite, le contrat, soit vicié par l'erreur sur le chose, il faut que l'erreur ait porté sur une qualité de la chose qui a, dans une certaine mesure, joué le rôle de cause dans la convention: autrement, ce ne serait plus qu'une erreur sur le motif et il a été établi qu'elle doit être sans influence sur la validité de la convention. Mais il ne faut pas non plus supposer que cette qualité était la cause unique et seule déterminante de la convention: autrement, la convention serait radicalement nulle. Il faut donc supposer, avec le texte, que la qualité sur laquelle l'erreur a porté était d'une importance suffisante pour contribuer à déterminer la convention, mais sans la déterminer seule; c'est une des qualités principales que les parties recherchaient dans la convention, et, comme dit le texte, une des qualités substantielles.
A proprement parler, la substance d'une chose, c'est la matière qui la constitue; ainsi, c'est par la substance surtout que diffèrent profondément les métaux, les minéraux, les végétaux, et c'est par elle que, parmi eux, on sous-distingue les objets d'or, d'argent, de cuivre, de fer, de plomb; la pierre, le marbre; les divers bois, les diverses matières textiles, etc.
Assurément, l'erreur d'une des parties sur la substance de l'objet du contrat, peut être grave; mais c'est à la condition que cette substance a été prise en grande considération par la partie; or, le contraire peut souvent arriver et il serait mauvais qu'elle pût, par caprice et à la faveur d'une erreur de peu d'importance, se soustraire à la convention; en sens inverse, il y a d'autres qualités des choses, des qualités non-substantielles, qui peuvent avoir été considérées comme déterminantes dans le contrat et qu'il serait fâcheux de laisser sans remède.
Les tribunaux devront donc rechercher si les qualités sur lesquelles l'erreur d'une des parties a porté étaient, dans une certaine mesure, déterminantes de son consentement, et, le consentement se trouvant alors vicié, la convention est annulable; si ces qualités n'ont eu qu'une importance secondaire pour la partie induite en erreur, la convention sera maintenue; sauf indemnité, si l'erreur provenait du dol de l'autre partie.
La loi leur donne, à ce sujet, une indication importante: à l'égard des qualités physiquement substantielles, il y a présomption qu'elles ont été déterminantes pour la partie; pour celles qui ne sont pas substantielles, la présomption est inverse, sauf, dans les deux cas, la preuve contraire.
A l'égard des qualités abstraites elles sont assimilées aux qualités non substantielles: elles sont présumées secondaires et de peu d'importance pour les parties, sauf aussi la preuve contraire.
L'époque et le lieu de l'exécution de la convention peuvent avoir une importance considérable pour l'une des parties et si elle était tombé dans l'erreur à cet égard, elle devrait obtenir l'annulation de la convention (3e al.).
On terminera par une observation importante sur ces dispositions concernant l'erreur à ses divers degrés. Soit que l'erreur, suivant son objet et sa gravité, entraîne la nullité radicale du contrat ou le rende simplement annulable, elle peut être et elle sera souvent imputable à la négligence de celui qui l'a commise. On verra, dans l'article 312, le cas où elle est l'effet du dol de l'autre partie; mais, quand elle est spontanée et résulte, dans une certaine mesure, de la faute de celui qui s'est trompé, il est naturel et juste qu'il indemnise l'autre partie: celle-ci, en effet, se voit privée des avantages d'une convention qu'elle a pu considérer comme stable et certaine, et elle peut avoir ainsi perdu l'opportunité de faire une pareille convention avec une autre personne. La réciproque pourrait avoir lieu, il pourrait y avoir eu faute, même sans dol, de la partie contre laquelle la nullité pour erreur est demandée: notamment, si proposant un contrat par correspondance, elle n'a pas suffisamment désigné les qualités de l'objet proposé. Les tribunaux auront donc à rechercher si l'erreur est imputable à une faute ou à des circonstances toutes fortuites, et, s'il y a eu faute ou imprévoyance, de quel côté elle a eu lieu. Ils pourraient alors, si l'imprudence vient du demandeur en nullité, le soumettre à une indemnité pour le dommage causé à l'autre partie, et même, si la faute est très-lourde et que le dommage de la nullité doive être très-considérable, la refuser absolument; car il vaut mieux ne pas causer un dommage que d'avoir à le réparer.
Le dernier alinéa se borne à mentionner, avec renvoi, quelques erreurs de fait qu'on qualifie souvent d'erreurs matérielles, les erreurs de calcul ou de noms, de date ou du lieu de l'acte: elles ne motivent pas, l'annulation du contrat et ne donnent lieu qu'à redressement ou rectification: la loi s'en expliquera au sujet de la durée de l'action qu'elle déclare imprescriptible (art. 559).
Art. 311. Le Code tranche ici une question d'une grande importance, fort difficile de tout temps et en tout pays.
Il admet qu'il y aura tantôt nullité radicale, tantôt simple annulabilité pour vice du consentement, par l'effet de l'erreur de droit, et cela, suivant les distinctions déjà établies au sujet de l'erreur de fait.
En permettant d'attaquer les conventions pour erreur de droit, la loi montre qu'elle n'est pas arrêtée par un prétendu principe, trop souvent répété, en forme d'axiome, à savoir que “nul n'est censé ignorer la loi.” Ce principe sera examiné et réduit à sa juste application, sous le 3e alinéa, ci-après.
Le texte prévoit cinq sortes d'erreurs de droit: elles peuvent porter sur la nature de la convention, sur ses effets légaux, sur sa cause, sur les qualités légales de son objet ou sur celles de la personne du co-contractant. On va les reprendre avec des exemples.
A. On a déjà expliqué comment il peut y avoir erreur de fait sur la nature de la convention.
L'erreur sera de droit, quand une partie se sera trompée sur la qualification donnée au contrat; par exemple, elle aura confondu un prêt à usage avec un prêt de consommation ou avec un louage; un louage avec une emphytéose, un cautionnement avec un engagement solidaire. Il est évident que, dans le cas d'une telle erreur, le contractant n'a pas donné un véritable consentement: les volontés ne se sont pas rencontrées.
B. Si l'erreur a porté sur les effets légaux du contrat, le résultat est le même et par la même raison; la seule différence c'est que la partie a bien compris qu'elle faisait tel ou tel contrat nommé, comme une vente ou un louage; mais elle en ignorait certains effets, tels que si elle les avait connus, elle n'aurait pas contracté; par exemple, un vendeur ignorait qu'il était tenu, de droit ou par la force seule de la loi, à la garantie d'éviction ou à celle des défauts cachés de la chose, lors même qu'il ne connaissait pas lui-même ces défauts; ou bien, un bailleur ignorait qu'il était tenu de garantir la possession paisible et de fournir la jouissance continue de la chose louée; or, il lui serait possible de démontrer que, s'il avait connu les obligations que le contrat lui imposait, il n'aurait pas contracté ou aurait stipulé un prix plus considérable, ou aurait, en diminuant le prix, stipulé l'affranchissement de ces obligations.
On pourrait supposer une erreur de droit en sens inverse: le vendeur ou le bailleur se croyait des droits que la loi ne lui donne pas sans stipulation particulière; par exemple, il se croyait un privilége sur la chose vendue que la loi ne lui accorde pas ou qu'elle subordonne à des conditions qu'il ignorait et qu'il n'a pas remplies; on peut supposer la même erreur chez un bailleur, au sujet du privilége sur la récolte et autres produits de la chose louée. La partie qui s'est ainsi trompée sur le droit peut établir qu'elle n'aurait pas traité si elle avait su être privée de ces avantages.
C. L'erreur de droit sur la cause du contrat nous est encore fournie par la novation dont il a été déjà parlé et qui sera développée en son lieu. Une partie se croyait tenue légalement d'une obligation antérieure et, pour s'en affranchir, elle a consenti une autre obligation; plus tard, elle découvre que la première obligation n'était pas valable dès l'origine ou était éteinte par une compensation légale ou par la confusion; l'erreur ne portait pas sur les faits, mais sur les dispositions de la loi qui les régissent, c'est donc une erreur de droit et la nouvelle obligation est nulle pour fausse cause ou pour absence de cause.
D. Le texte fait encore mention de l'erreur de droit qui porterait sur les qualités principales et déterminantes de la chose objet du contrat. On conçoit moins aisément, à ce sujet, une erreur de droit qu'une erreur de fait. Le cas le plus naturel qui pourrait se présenter est celui où l'une des parties aurait cru que la chose était dans le commerce, tandis qu'elle était dans le domaine public, ou l'avait crue aliénable, lorsqu'elle ne l'était pas; de même elle aurait pu croire qu'un droit était mobilier, quand il était immeuble par la détermination de la loi. Une pareille erreur peut être tout aussi préjudiciable à la partie qu'une erreur de fait.
E. Il y a enfin l'erreur de droit sur les qualités de la personne ayant déterminé la convention; ainsi, lorsqu'on a fait un partage de succession avec un parent qu'on croyait héritier, alors que la loi ne l'appelait pas à la succession; ou bien, lorsqu'on a fait une transaction avec une personne qu'on croyait héritier légitime du créancier ou du débiteur et qu'il se trouve ensuite que cette personne, n'ayant pas la qualité d'héritier, ne pouvait valablement transiger au sujet de cette obligation. On pourrait encore citer le cas où l'acheteur a cru, par une fausse interprétation des titres à lui présentés, que le vendeur était propriétaire de la chose vendue, quand il ne l'était pas: il est clair que s'il avait connu la vérité, il n'aurait pas acheté, puisque “vente de la chose d'autrui est nulle.”
Dans ces divers cas, on revient toujours à reconnaître que l'erreur de droit est une erreur sur la cause du contrat. Quand cette cause était unique ou principale, le contrat sera entièrement nul; quand elle ne sera que secondaire, le contrat ne sera qu'annulable; c'est à cette distinction que la loi se réfère en disant que “l'erreur de droit exclut ou vicie le consentement.”
Il reste à concilier ces secours accordés par la loi à celui qui a commis une erreur de droit avec la prétendue règle que “nul n'est censé ignorer la loi,” et tel est l'objet des deux derniers alinéas du présent article.
On a déjà remarqué au sujet de l'erreur de fait, que celui qui a commis ce genre d'erreur sera plus ou moins facilement admis à être relevé contre son erreur, suivant que celle-ci sera plus ou moins excusable; la même règle s'applique à l'erreur de droit et l'excuse sera d'autant plus difficilement accordée qu'il était plus facile de connaître, soit l'existence d'une loi sur un objet déterminé, soit le sens et la portée de ses dispositions; si la partie avait des doutes à cet égard, elle pouvait, en général, s'éclairer près de personnes plus compétentes ou plus expérimentées. C'est pourquoi, le texte dit que “les tribunaux n'admettront la nullité de la convention que si l'erreur est excusable.”
Mais il faut reconnaître aussi que les recueils de loi ne sont pas facilement accessibles à tous; lors même que les lois civiles sont codifiées, elles ne sont pas écrites dans la langue du peuple et, quelque soin qui aît été apporté à leur rédaction, on ne peut espérer qu'il n'y aura pas de points douteux, même pour les légistes; dans tous les pays, les légistes et les magistrats sont arrêtés par des difficultés de droit et divisés sur leur solution; le Japon ne peut prétendre échapper à cet inconvénient. Il faudra donc, pour être juste, admettre la partie qui s'est trompée sur le droit à prouver, non seulement sa bonne foi, mais encore les difficultés qui l'ont empêchée de connaître la loi, son sens ou sa portée. Les tribunaux tiendront compte, à cet égard, du caractère exceptionnel ou vulgaire de la convention, de la condition sociale de la partie demanderesse, des moyens qu'elle avait ou non de s'éclairer, et enfin du degré de protection dû à l'autre partie.
Quant au principe célèbre que “nul n'est censé ignorer la loi,” le troisième alinéa en fait l'application aux matières pénales, aux déchéances et, généralement, aux matières d'ordre public.
Ces exceptions sont faciles à justifier.
Pour les pénalités, elles supposent des actes qui, par leur nature, doivent se présenter à l'esprit de chacun comme malhonnêtes et, par conséquent, interdits; dans le doute, il faut s'en abstenir.
Les déchéances de droits, résultant, soit du temps, soit de l'inobservation des formalités prescrites par la loi, sont établies dans un but de protection, soit pour l'autre partie contre laquelle un droit est prétendu, soit pour l'ordre public et la tranquillité générale; il est inadmissible que l'erreur d'une partie nuise à l'autre ou au bien de tous; tel est le cas de celui qui, par ignorance, aurait laissé son droit s'éteindre par prescription ou n'aurait pas suivi les formes de procédure établies pour la conservation de son droit.
La dernière formule de la loi est très-large et c'est aux tribunaux qu'il appartiendra d'apprécier si l'ordre public s'oppose à ce que les particuliers soient relevés contre une erreur de droit. Nous citerons, comme exemples hors de doute, les erreurs de droit commises sur la forme à observer dans les contrats solennels, sur la publicité à donner aux constitutions ou transmissions de droits réels immobiliers, sur le taux légal de l'intérêt de l'argent, etc.
Rappelons, en terminant, un autre cas déjà expliqué, où l'erreur de droit ne sera pas excusable: le possesseur de la chose d'autrui ne sera pas admis à invoquer son erreur de droit, comme base de sa bonne foi, soit pour profiter des fruits, soit pour acquérir par une prescription abrégée; le motif qu'on en a donné peut se résumer en un axiome qu'on retrouvera ailleurs, c'est que “celui” qui lutte pour acquérir le bien d'autrui est moins intéressant que celui qui lutte pour conserver le sien propre. " Ce point de vue devra même être pris en considération dans les autres cas, en vertu du 2e alinéa du présent article.
Art. 312. Le dol ne figure pas, en lui-même et comme tel, parmi les vices du consentement: il n'est qu'un fait dommageable donnant lieu à la réparation du préjudice causé; si l'annulation est prononcée exceptionnellement, ce ne sera qu'à ce titre de réparation et sans que les tiers de bonne foi puissent en souffrir.
Pour justifier cette disposition, il faut remarquer que le dol pratiqué par un tiers qui ne serait pas complice de la partie, ne donnerait lieu qu'à une indemnité de la part de ce tiers. Or, la raison se refuse à comprendre qu'un fait dolosif, un acte frauduleux, change de nature et de gravité avec la personne de son auteur, qu'il produise un vice de consentement quand il est accompli par la partie et laisse au consentement toute sa validité quand il est accompli par un tiers.
Quand il s'agit, au contraire, de l'erreur, soit sur la chose même, soit sur ses qualités principales, la loi ne distingue pas et elle ne pouvait distinguer quelle est l'origine ou la cause de l'erreur: si elle est spontanée, si elle provient de la faute de l'autre partie ou d'un tiers, le consentement est toujours vicié; de même (on le verra bientôt), s'il y a eu violence, contrainte, le consentement est toujours vicié, quel que soit l'auteur de la violence.
Reprenant la question de plus haut, il faut d'abord se demander qu'est-ce, au juste, que le dol? Les jurisconsultes romains, ici encore, nous fournissent des définitions satisfaisantes: l'un dit qu'il y a dol “lorsque” l'on simule une chose, en en faisant une autre; “un autre, plus précis, dit que les dol est” toute ruse, toute “supercherie, toute machination, employée pour induire” en erreur, circonvenir, tromper autrui. " Cependant, ils n'interdisent pas, ils ne condamnent pas toute adresse, toute habileté consistant, pour chaque contractant, à défendre ses intérêts et à tirer le meilleur profit possible de la convention: à cet égard, ils admettent un dol permis, par opposition au dol illicite, le seul dont le droit aît à s'occuper pour le combattre ou le réprimer.
Dans le langage moderne, le mot dol se prend toujours en mauvaise part et on y attache le sens de “manœuvres frauduleuses tendant à induire un contractant en erreur et ayant eu ce résultat.”
L'erreur est donc le mal immédiat qui résulte du dol, et avant de se prononcer sur le point de savoir si le dol est un vice de consentement, il faut examiner quelle nature, quelle gravité d'erreur il a produite.
Il est clair que si le dol a produit une des erreurs désignées à l'article 309, l'erreur sur la nature de la convention, sur l'objet même de la convention, sur sa cause ou sur la personne, quand celle-ci est la considération déterminante de la convention, alors, il n'y a pas de consentement, la convention est radicalement nulle; il est indifférent pour le résultat principal, pour la nullité, que l'erreur vienne du dol ou soit spontanée: la circonstance qu'il y a eu dol ne pourra guère avoir d'influence que pour les dommages-intérêts supplémentaires.
De même, si l'erreur produite par le dol a porté sur la personne, dans le cas prévu à l'article 309, 3e al., ou sur ce que l'article 310 appelle les qualités substantielles de la chose, le consentement est vicié, non par le dol, mais par l'erreur.
Quelles autres erreurs le dol peut-il avoir causées?
Il ne reste que l'erreur sur la personne, quand celle-ci était sans influence sur la formation de la convention, l'erreur sur les qualités non substantielles de la chose, et l'erreur sur le motif. Or, il a été établi que ces erreurs n'ont pas, en elles-mêmes, assez de gravité pour vicier le consentement et pour entraîner la nullité de la convention. Elles ne peuvent pas changer de nature, ni de gravité, parce qu'elles proviennent d'un dol, au lieu d'être spontanées. Seulement, elles proviennent d'un dol, il y a là un fait dommageable qui doit être réparé par son auteur: il y a une obligation née non plus d'un contrat, mais d'un délit civil.
Voyons comment cette réparation sera obtenue.
En général, dans ce cas, comme dans les autres, les dommages causés injustement se répareront en argent; ce mode de réparation est le seul qui puisse être demandé à l'auteur du dol, lorsqu'il n'est pas la partie contractante, et il en sera de même lorsque le dol émanant de celle-ci n'aura pas eu d'influence sur la formation même: de la convention, n'aura pas déterminé le consentement, mais aura seulement fait accepter des conditions moins avantageuses; tel serait la tromperie sur des qualités secondaires ou accessoires de la chose vendue; c'est le cas que les auteurs appellent dol incident, dol accessoire ou dol secondaire. Lorsqu'au contraire, le dol émanant de la partie contractante a été déterminant, cas où le dol est dit principal, comme serait le dol sur le motif, une indemnité en argent ne réparerait souvent que très-imparfaitement le dommage causé: il est bien plus simple, et plus juste aussi, de rendre à la partie sa situation première, de l'affranchir de la convention qui lui porte préjudice.
Il reste à établir que cette annulation de la convention, prononcée à titre de réparation, n'a pas tous les caractères de l'annulation prononcée pour vice de consentement. On peut signaler trois différences par lesquelles elle s'en sépare.
1° Si la convention déterminée par dol était une aliénation, et que, par l'effet d'une autre convention, la chose eût passé dans les mains d'un tiers exempt de toute fraude ou collusion, la première aliénation, même immobilière, ne pourrait être annulée au préjudice du sous-acquéreur, tandis que, s'il y avait eu vice du consentement proprement dit, l'annulation de la convention pourrait être poursuivie contre les sous-acquéreurs, ainsi qu'il sera dit plus loin. Cette première différence résulte formellement du dernier alinéa du présent article.
2° S'il y avait plusieurs co-contractants dont un seul fût coupable de dol, l'annulation ne pourrait être prononcée, parce qu'elle ne devrait pas nuire à ceux qui sont exempts de faute. Cette différence, toute de justice et de raison, résulte suffisamment aussi du texte du dernier alinéa qui, n'accordant l'annulation à titre de réparation que si l'auteur du dol est l'autre partie, doit s'entendre de toutes les autres parties, si elles sont plusieurs.
3° Enfin, l'action en réparation du dol est purement personnelle, elle est une simple créance d'indemnité, dont l'annulation du contrat n'est qu'un mode particulier; par conséquent, elle n'entraîne aucune préférence pour la partie trompée dans une aliénation; si donc l'auteur du dol est devenu insolvable, quand bien même la chose aliénée serait encore sa propriété, elle est devenue le gage de tous les créanciers et l'aliénateur trompé ne pourrait que venir en concours avec les autres créanciers, pour se faire indemniser proportionnellement à sa perte, sur la valeur de la chose qui serait vendue au profit commun. Si, au contraire, l'annulation avait lieu pour vice de consentement, elle aurait lieu à l'encontre des créanciers de l'acquéreur, parce que la partie demanderesse agirait en vertu d'un droit réel par elle conservé. Cette dernière différence résulte des principes généraux, elle n'a pas besoin d'être appuyée sur un texte.
Le 3e alinéa permet d'accorder à la partie lésée des dommages-intérêts, outre l'annulation; ceci est encore conforme aux principes; mais il est d'usage, dans les lois, de le rappeler souvent.
Art. 313. En général, la violence n'est considérée que comme un vice du consentement; c'est la théorie romaine, d'après laquelle “la volonté forcée est toujours une volonté;” dans le même sens, on dit aujourd'hui que celui qui cède à la violence ou à la menace préfère de deux maux le moindre, et, par conséquent, ayant délibéré, a consenti.
Mais on doit admettre qu'il y a des cas où la violence est telle que la résistance est impossible, qu'il n'y a plus délibération, par conséquent, pas de volonté ni de consentement. Ce ne sera guère que le cas de menaces de mort ou d'incendie et alors que le danger de la mise à exécution sera immédiat, par exemple, le cas où une partie serait sommée d'avoir à promettre ou à aliéner, alors qu'étant liée ou désarmée, on lui appliquerait sur la poitrine une arme meurtrière. On devrait admettre aussi le cas d'actes de barbarie ou de tortures physiques insupportables: l'assentiment purement extérieur, par la parole ou par les actes, n'impliquerait aucune volonté.
La loi met sur la même ligne un danger, un péril imminent, provenant d'un accident et contre lequel une personne implore un secours, en promettant ou en aliénant tout ou la plus grande partie de sa fortune. Le cas de pareils engagements, que le texte suppose “excessifs, ou déraisonnables,” s'est présenté de tous temps et en tous pays et il a souvent donné lieu à des difficultés sérieuses devant les tribunaux. Après le péril passé, ceux qui ont fait de telles promesses ou aliénations ne les veulent plus reconnaître, comme n'ayant pas été libres, ni même volontaires. Il n'est pas possible d'autoriser les tribunaux à les réduire, parce que ce serait, de leur part, estimer en argent des services, des dévouements qui ne comportent pas une pareille estimation; ils ne peuvent donc que maintenir la convention en entier, si elle n'est pas déraisonnable, ou la déclarer nulle en entier, pour défaut complet de consentement, à cause de son exagération même. C'est ce qu'autorise le texte du deuxième alinéa. Bien entendu, dans ce cas, les tribunaux pourraient allouer une indemnité à la personne qui a rendu le service demandé, en prenant pour base, le danger que cette personne a couru elle-même pour le sauvetage ou le dommage qu'elle a pu en éprouver, soit dans sa personne, soit dans ses biens; le reste doit être laissé à la reconnaissance de la personne sauvée et ne constitue pour elle qu'une obligation naturelle ou de conscience.
Le cas où la violence vicie seulement le consentement est réglé au 3e alinéa. Les deux premières hypothèses s'y retrouvent, les violences physiques ou voies de fait et le danger imminent, mais à un moindre degré; il s'y trouve aussi les menaces d'un mal assez considérable pour que la partie menacée ait préféré consentir à la convention qu'on lui demandait, plutôt que de subir ce mal; la loi suppose aussi que ce mal doit être “immédiat ou prochain,” parce que, s'il était éloigné, il serait difficile de croire que la partie l'a redouté plus encore que la convention et que sa crainte a été sérieuse. Mais ce qui, surtout, doit être présent c'est la crainte plutôt que le danger.
Le texte nous dit encore que le péril auquel la partie a cherché à se soustraire par la convention peut avoir été “soit pour sa personne, soit pour ses biens,” et qu'il peut avoir été aussi “pour la personne ou pour les biens d'autrui.” Cette double assimilation d'intérêts de nature ordinairement différente, n'est pas absolue: elle ne défend pas aux tribunaux de tenir plus grand compte du danger des personnes que du danger des biens, et du danger du contractant plus que du danger d'autrui: du moment que les tribunaux doivent apprécier la gravité du danger et l'influence que la crainte a exercée sur la volonté, toutes les circonstances du fait sont à considérer par eux.
Les articles suivants confieront encore d'autres points à leurexamen.
Il va sans dire, et la loi n'a pas cru devoir l'exprimer, que des menaces légitimes qui auraient déterminé quelqu'un à contracter ou à aliéner, pour se soustraire à un danger légal, ne seraient pas considérées comme viciant le consentement; par exemple, si quelqu'un, menacé d'une poursuite civile ou d'une plainte au criminel (dans un des cas où l'action publique est subordonnée à la plainte de la partie lésée), faisait une transaction pour y échapper, il ne pourrait se plaindre que s'il y avait eu exagération mensongère du danger qu'il pouvait courir et, dans ce cas, ce serait plutôt un dol qu'une violence; mais il pourrait, d'après la distinction exposée sous l'article 312, faire annuler ou réduire son engagement.
Art. 314. Lorsque la parenté ou l'alliance sont très-proches, l'affection naturelle est présumée assez forte pour que le danger couru par la tierce personne soit assimilé par la loi à celui qu'aurait couru la partie contractante elle-même. Mais là s'arrête la présomption légale: pour les autres ordres de parenté ou d'alliance, la question d'affection et, par suite, d'influence sur la liberté du contractant sera appréciée en fait par les tribunaux. Ceux-ci pourront aussi tenir compte des simples liens d'amitié et même des sentiments naturels d'humanité qui auraient pu porter une personne à contracter un engagement, sous l'influence d'une menace dont un étranger serait l'objet et dans le seul but de le sauver du danger.
Quoique le présent article ne parle que des violences commises par les personnes, il ne faudrait pas hésiter à l'appliquer aux périls accidentels prévus au 2e alinéa de l'article précédent: par exemple, si quelqu'un avait promis une somme déraisonnable, eu égard à ses facultés, pour le sauvetage d'un parent ou d'un ami.
Art. 315. Cet article montre ce qui constitue la profonde différence entre la violence et le dol; c'est elle qui a permis de dire que le dol n'est pas, en lui-même, un vice du consentement, puisque son influence sur la convention varie avec la personne qui l'a commis.
Il y a encore moins lieu de douter que la violence provenant d'un tiers vicie ou exclut le consentement, puisque la crainte d'un péril imminent provenant d'une force majeure ou d'un événement de la nature est assimilée à la crainte provenant de violences coupables.
L'idée de notre article s'exprimait, en droit romain, en disant que “la violence s'examine, en elle-même,” tandis que le dol s'examine eu égard à la personne qui “l'a commis.”
Art. 316. On verra, à l'article 319, que la partie dont le consentement a été vicié a seule le droit de demander l'annulation du contrat. Le présent article a pour but de nous dire que c'est là un secours extrême auquel elle n'est pas tenue de recourir: elle peut se contenter de dommages-intérêts. La même disposition se trouve déjà dans l'article 312 au sujet du dol; on peut dans une certaine mesure l'appliquer au cas d'erreur; mais il ne faudrait pas l'étendre au cas d'incapacité, parce que, dans ce cas, il n'y a pas faute de l'autre partie contractante.
Art. 317. La loi devait laisser ici aux tribunaux un assez large pouvoir d'appréciation, non seulement quant aux faits de violence en eux-mêmes, mais encore eu égard à la condition de la partie qui en a été l'objet. Ainsi sera protégée une personne qui, par faiblesse d'esprit ou par l'effet de la maladie, aurait été impressionnée d'une manière exagérée par des menaces peu graves: si cet état particulièrement faible où s'est trouvé le contractant a été connu de l'autre partie et surtout si c'est elle qui est l'auteur de la violence, il n'est pas juste qu'elle profite d'une convention qui n'a pas été pleinement libre.
La considération de l'âge s'appliquera plutôt à la vieillesse qu'à la trop grande jeunesse, puisque la minorité fournit déjà une autre protection.
Pour le sexe, il est clair qu'une femme sera plus facilement qu'un homme admise à alléguer la violence ou les menaces dont elle a été l'objet.
La condition respective des personnes concerne les rapports de maîtres ou patrons à serviteurs et ouvriers, de chefs à subordonnés, dans les services publics; enfin, les rapports de mari à femme et de parents à enfants.
Pour ces derniers, la loi met les tribunaux en garde contre un excès de protection pour les enfants: ils ne seraient pas recevables à dire qu'ils n'ont pu, par la raison de respect, résister à la convention qui leur était demandée.
Art. 318. Cette disposition accentue une différence, quant à la preuve, entre les conditions d'existence des conventions et les conditions de leur validité.
Les conditions d'existence des conventions ne se présument pas: c'est à celui qui prétend tirer avantage d'une convention à prouver qu'elle existe, c'est-à-dire, que toutes les conditions essentielles en sont remplies; au contraire, quand la convention existe, elle est présumée valable; c'est donc à celui qui la prétend viciée, par l'altération de son consentement ou par son incapacité, à prouver ces circonstances exceptionnelles.
Cette différence entre l'existence des conventions et leur validité, au sujet du fardeau de la preuve, n'est pas si évidente qu'on doive se dispenser de l'indiquer dans la loi et de la justifier ici. Elle repose sur deux principes généraux qui sont dans la nature des choses: le premier, c'est que le droit commun des hommes est l'absence d'obligation civile entre eux; l'existence d'une obligation d'une personne envers une autre est toujours une exception, une situation anormale; la preuve de l'existence d'une obligation est donc à la charge de celui s'en prévaut. Le second principe est que ce qui existe est valide, est viable; or, les cas où la convention est viciée ou annulable impliquent toujours quelque faute; tantôt, c'est une faute de la partie même qui se plaint de la convention, comme le défaut d'attention, dans l'erreur, l'imprudence dans l'incapacité; tantôt, c'est une faute de l'adversaire, comme dans la violence et le dol; ce sont donc encore là des cas exceptionnels et qui doivent être prouvés, car la raison, la prudence, l'honnêteté, se rencontrent le plus souvent dans les conventions.
La disposition du 2e alinéa vise surtout le cas où il y aurait dol réciproque ou incapacité des deux parties; car, il est plus difficile de supposer, soit des violences réciproques, soit une double erreur ou une double lésion. Mais, réduite à deux applications, la disposition a encore une grande importance.
Si l'on suppose un contrat entre deux incapables, celui des deux qui demandera la nullité n'y sera pas moins recevable parce que l'autre partie y devra perdre le bénéfice du contrat: il est naturel qu'entre deux personnes également dignes de protection par leur qualité, la loi donne la préférence à celle qui cherche à éviter une perte sur celle qui cherche à conserver un profit.
Le cas de dol réciproque est plus douteux. Le droit romain refusait formellement l'action de dol aux deux parties lorsqu'elles s'étaient trompées réciproquement: on disait que les deux dols “se compensaient.” Cette solution pourrait encore aujourd'hui être prétendue applicable, en l'absence d'un texte formel; mais elle est loin d'être satisfaisante: pour que les dols réciproques pussent être compensés, il faudrait les supposer d'égale gravité, ce qui sera bien rare et, en tout cas, très-difficile à apprécier, parce que les fraudes n'auront ni le même objet, ni le même caractère. Il paraît donc plus juste d'autoriser chaque partie à se plaindre de ce dont elle a souffert. Si les deux parties désirent seulement la nullité du contrat, elles s'abstiendront de plaider; mais, si l'une d'elles y résiste, en alléguant et en prouvant le dol réciproque du demandeur, le tribunal pourra, tout en prononçant la nullité du contrat, condamner le demandeur à des dommages-intérêts; enfin, si, de part et d'autre, on s'abstient de demander la nullité, pour s'en tenir à des dommages-intérêts, à raison du préjudice éprouvé dans le contrat, le tribunal arbitrera la gravité des fraudes réciproques et condamnera chaque partie à l'indemnité, et c'est seulement sur les sommes d'argent à payer qu'il y aura compensation jusqu'à concurrence de la plus faible.
Art. 319. Il ne paraît pas nécessire, après tout ce qui a été dit précédemment, de s'arrêter longtemps à justifier la disposition générale qui forme le 1er alinéa du présent article: l'action en nullité ne doit appartenir qu'à celui que la loi a voulu protéger en subordonnant la validité de la convention à la perfection du consentement comme à la capacité.
Personne ne pouvant se faire un titre de la faute qu'il a commise, il est clair que la nullité ne pourra jamais être invoquée par la partie coupable de dol ou de violence; elle ne pourra ainsi s'affranchir des charges ou obligations que la convention pouvait lui imposer, si elle était à titre onéreux. Lors même que la violence proviendrait d'un tiers dont le contractant n'aurait pas été complice, ce dernier ne pourrait non plus arguer de la violence dont l'autre partie aurait été victime. Mais, bien entendu, si l'annulation était obtenue par la partie violentée, l'autre partie, coupable ou non, serait déliée de ses propres engagements corrélatifs.
Si la violence ou l'erreur résultant du dol avaient été telle qu'elles exclussent tout consentement, comme alors le contrat serait radicalement nul, la nullité pourrait être invoquée par les deux parties, même par celle qui serait coupable; mais le cas sera rare, car l'auteur d'une telle violence ou d'un tel dol n'aurait probablement pas contracté d'engagement corrélatif, ou du moins, cet engagement serait trop peu onéreux pour qu'il eût intérêt à se prévaloir de la nullité, en renonçant aux avantages qu'il espérait du contrat
L'exception portée au 2e alinéa demande, au contraire, à être justifiée; elle tranche d'ailleurs une question qui n'est pas sans difficulté dans les Codes étrangers.
Ce n'est pas seulement à cause du principe précité que l'on peut hésiter à accorder l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, c'est aussi parce que ce n'est évidemment pas dans leur intérêt que l'interdiction légale a été établie; elle est établie, sinon comme une peine proprement dite, au moins comme un moyen d'assurer l'efficacité des peines criminelles, en ôtant au condamné les moyens de corrompre ses gardiens et, par là, de se soustraire aux rigueurs du régime pénitentiaire; même de se procurer la fuite.
En même temps qu'on est porté à refuser l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, on est tenté aussi de la lui refuser à lui-même, pour qu'il ne puisse pas tirer avantage d'une disposition édictée contre lui.
Mais il ne faut pas que cette mesure qui est plutôt sage que rigoureuse demeure inefficace et dépourvue de sanction: le meilleur moyen de lui assurer les effets préventifs que la loi en attend, c'est de donner l'action à tous ceux qui y ont intérêt: si le condamné peut s'affranchir de ses engagements envers les tiers, ou recouvrer les biens qu'il a aliénés, il est presque certain que personne ne consentira à traiter avec lui, pas même ses gardiens; si les tiers peuvent également se soustraire à leurs conventions, le condamné n'aura aucun intérêt sérieux à traiter avec eux. L'exception se trouve donc entièrement justifiée; mais elle est assez notable pour avoir besoin d'être exprimée dans la loi:
Art. 320. L'action en nullité reparaîtra dans la loi comme mode d'extinction des obligations; à ce titre, elle appartient au Chapitre III, et ce mode sera le 7e. On reparlera aussi, au même lieu, de cette action, comme moyen de recouvrer un droit réel aliéné.
On voit que l'annulation des conventions, appelée aussi rescision, a une grande importance. Le texte ne devait pas ici laisser croire qu'il n'en serait plus question et après avoir indiqué, dans l'article précédent, à qui l'action appartient, il se borne à annoncer, dès à présent, qu'elle doit être exercée dans un certain délai, passé lequel, la convention est présumée confirmée. Le délai de 5 ans a paru suffisant au Japon. (v. art. 544.)
Ce cas de confirmation tacite n'étant pas le seul et la confirmation pouvant aussi être expresse, loi l'annonce par un renvoi (voy. art. 554 et 555).
Art. 321. On pourrait s'étonner que la loi revienne à l'objet des conventions et, plus loin, à leur cause, Mais on remarquera que ce qui en a été dit jusqu'ici n'était relatif qu'aux principes, aux caractères généraux de l'objet et de la cause. Il restait à en faire l'application à des cas particuliers et à y apporter des exceptions.
On a vu, dans l'article 304-2° que la convention doit avoir un objet certain ou déterminé; la loi entendait, par là, prohiber une convention dont l'objet, imparfaitement désigné, pourrait être, abusivement, exagéré par le créancier ou réduit par le débiteur, mais la loi ne prétendait pas exiger que l'objet fût “certain dans son existence,” puisqu'elle autorise les contrats aléatoires. Le présent article permet donc contracter sur des choses futures, comme les fruits à naître d'un fonds, le produit d'une pêche prochaine, ou ceux d'une entreprise commerciale, industrielle ou agricole. En même temps que ces choses sont futures, leur existence, et surtout leur étendue ou leur consistance, sont incertaines; mais, du moment qu'il ne sera pas au gré des parties de les réduire ou de les exagérer abusivement, suivant leur intérêt, il n'y a pas de raison pour que la loi gêne leur liberté de contracter.
Souvent, la circonstance que l'objet du contrat est futur et incertain lui donnera le caractère aléatoire; c'est ce que l'on n'hésitera pas à dire pour les deux premiers exemples, des fruits à naître ou du produit d'une pêche; mais, quand on considère que les sociétés civiles ou commerciales ont toujours pour objet des bénéfices futurs et incertains, à réaliser en commun, on est obligé d'y négliger ce caractère aléatoire qui existe en réalité, mais qu'il n'est pas d'usage de relever, par cela même qu'il est inséparable d'une société.
Le texte a dû s'expliquer sur un point qui a une grande importance, sur l'obligation tacite du promettant, laquelle est de ne pas gêner la réalisation de l'objet futur et même de la favoriser. Ainsi, celui qui a vendu les fruits à naître de son fonds ne devrait pas abandonner la culture commencée; celui qui a vendu le produit futur de sa pêche en mer, ne devrait pas manquer à jeter ses filets.
S'il s'agit d'une société, les obligations des divers associés, tendant à la réalisation de la plus grande somme de profits à partager, sont déterminées par la convention et, à son défaut, par la loi.
Il ne faudrait pas que les contrats aléatoires ayant pour objet des choses encore inexistantes dégénérassent en paris, en jeux de hasard Ainsi, on devra, en général, considérer comme nuls les contrats portant sur des choses existantes mais inconnues des parties; par exemple, l'achat d'une récolte déjà faite dans une autre contrée et dont la valeur est inconnue, l'achat d'une cargaison portée par un navire encore en mer et dont le connaissement n'est pas parvenu aux parties: il y aurait là un véritable jeu de hasard que la loi ne doit pas favoriser. On peut dire qu'en pareil cas, il n'y a pas chances ou risques égaux pour les deux parties: les faits sont accomplis, ils resteront ce qu'ils sont; on peut affirmer qu'au moment du contrat l'une des parties a fait une bonne affaire, tandis que l'autre en a fait une mauvaise, qui peut être déplorable; la circonstance qu'elles ignorent ce qu'il en est peut éloigner tout soupçon de dol, mais ne saurait légitimer la perte de l'une et le gain de l'autre, lesquelles seraient sans cause.
C'est donc avec raison que la loi ne parle que des choses futures, lorsque leur existence est incertaine parce que, dans ce cas, les chances et les risques respectifs existent encore pour les parties.
Dans le même ordre d'idées, la loi ne reconnaîtra le caractère de condition casuelle qu'aux événement futurs et incertains, non à ceux qui sont actuellement arrivés, bien qu'inconnus des parties (voy. art. 408).
La loi introduit dans le 2e alinéa une exception considérable à la liberté de faire des conventions sur les choses futures.
Une succession non ouverte, la succession d'une personne encore vivante n'existe pas légalement; mais ce n'est pas pour cette raison qu'elle ne peut être l'objet d'une convention, puisqu'elle est au moins une chose future; mais c'est parce que les objets qui la composeront sont encore soumis à bien des éventualités qui pourraient décevoir les parties: ils ne sont pas assez déterminés; c'est aussi parce qu'une pareille convention impliquerait toujours, plus ou moins, un vœu de mort chez celui qui doit recueillir tout ou partie des biens du futur défunt. La loi ne permet même pas cette convention avec le consentement du de cujus; parce que celui-ci pourrait être capté ou circonvenu, et que d'ailleurs son autorisation ne diminuerait pas le danger signalé.
Ainsi seront nulles: les ventes et achats, les dons, les partages de tout ou partie de droits successoraux éventuels, et les renonciations anticipées à ces mêmes droits.
Du reste, la présente prohibition est limitée par le texte aux conventions qui aliènent des droits auxdites successions non ouvertes; ainsi, elle ne s'appliquera pas à un mandat que donnerait l'héritier présomptif à un tiers de le représenter dans la succession, lorsqu'elle sera ouverte; elle ne s'appliquera pas non plus à la convention qui prendrait comme échéance d'une obligation l'ouverture d'une succession à laquelle le débiteur serait éventuellement appelé; on devra même admettre que l'ouverture d'une succession au profit de l'héritier présomptif ou éventuel soit attachée comme condition suspensive à la formation d'une obligation ou, en sens inverse, que l'inadmission de cet héritier opère comme condition résolutoire d'une obligation contractée.
Dans ces divers cas, la succession non ouverte n'est pas l'objet même de la convention, aucun des contractants n'aliène de droits sur ladite succession, elle n'est qu'une considération plus ou moins importante dans une convention qui a un autre objet et le vœu de mort n'est pas à craindre.
Un cas pourrait faire hésiter, un instant, c'est celui où un héritier présomptif vendrait un bien appartenant à son auteur, sous la condition suspensive que ce bien lui appartiendra un jour par la succession. On pourrait croire que, ses droits légaux à la succession étant respectés par la convention, celle-ci est valable.
On remarquera cependant que, sans cette condition, la vente serait déjà nulle, comme portant sur la chose d'autrui. Mais cette condition “si la propriété arrive un jour au vendeur,” qui validerait la vente dans toute autre circonstance, suffit ici à l'annuler; car l'héritier se trouve ainsi disposer par anticipation, quoique conditionnellement, d'une partie de ses droits de succession: il aliène son droit éventuel, pour le cas même où il lui appartiendrait.
Art. 322. La loi commence ici par poser en principe que la promesse d'un acte illicite ou impossible est nulle et c'est évidemment une nullité radicale, car l'article 304-2° n'admet pas l'existence de la convention, si elle n'a pas pour objet une chose ou un fait qui soit, légalement, à la disposition du promettant.
Par application de ce principe, la loi prohibe “la promesse du fait d'un tiers,” parce qu'elle considère ce fait comme impossible au promettant. C'est la théorie romaine, d'après laquelle “on ne peut promettre qu'un fait de soi-même.”
On remarquera d'abord, que lorsque la promesse du fait d'autrui est déclarée nulle, ce n'est pas seulement à l'égard du tiers, mais aussi et surtout à l'égard du promettant lui-même: pour ce qui concerne le tiers, il n'est certainement pas tenu, mais c'est en vertu d'un autre principe qu'on posera bientôt, à savoir que “les conventions n'ont d'effet qu'à l'égard des parties contractantes et de leurs héritiers ou ayant-cause” (v. art. 345). C'est donc à l'égard du promettant lui-même que la promesse du fait d'autrui est ici déclarée nulle. Mais, pour rester dans l'hypothèse de l'impossibilité d'accomplir la promesse, la loi suppose que “le promettant n'a pas d'autorité sur le tiers dont le fait a été promis.”
La promesse serait donc valable si quelqu'un avait promis le fait de son fils mineur, de son serviteur, de son ouvrier ou employé, et en supposant, bien entendu, qu'il s'agît d'un fait que le promettant pourrait exiger pour lui-même de ce tiers; en réalité, c'est comme s'il avait promis de donner les ordres et le temps nécessaires à son fils, à son serviteur ou employé, pour l'accomplissement du fait en question, et si, après la promesse, le maître refusait ou négligeait de donner ce temps ou ces ordres, il serait tenu des dommages-intérêts; si c'était le tiers qui refusât absolument de faire le travail promis, l'obligation, qui n'aurait pas été nulle dès le principe, se trouverait éteinte par force majeure.
Après avoir déclaré nulle la promesse du fait d'autrui, la loi apporte moins une exception qu'un tempérament à la règle: elle dit que l'on peut garantir l'accomplissement du fait d'autrui. Cette garantie doit être expresse: elle prend alors le caractère d'un cautionnement; mais la loi n'entend pas être plus exigeante ici qu'elle ne l'est plus tard à l'égard de l'engagement ordinaire de la caution, pour lequel elle se contente qu'il “résulte clairement des circonstances” (Liv. des garanties art. 13 du).
On pourrait peut-être objecter qu'il n'y a pas de cautionnement sans une dette principale, et que c'est justement cette dette qui manque ici; mais la règle n'est pas si absolue, et l'on a vu, sous l'article 302, que le cautionnement peut précisément avoir pour but de suppléer à la nullité ou à l'absence de l'obligation principale.
C'est par la même raison que le 4e alinéa déclare efficace la promesse du fait ou de l'abstention d'autrui, sans garantie expresse, si elle est accompagnée d'une clause pénale à la charge du promettant, pour le cas d'inexécution: le promettant se trouve alors avoir promis son fait personnel, c'est-à-dire le payement d'une indemnité déterminée, sous la condition inverse de la première promesse: à savoir, si le tiers n'a pas fait ce qu'on a promis qu'il ferait, ou a fait ce dont on a promis qu'il s'abstiendrait. La clause pénale est une promesse accessoire qui, loin d'être nulle par l'effet de la nullité de la promesse principale, la corrige et la répare; c'est un exemple à ajouter pour l'explication de l'article 302.
On retrouvera la clause pénale, dans ses applications ordinaires, aux articles 388 à 390.
Le dernier alinéa règle enfin une situation qui se trouve intermédiaire entre la nullité entière de la promesse du fait d'autrui et le cautionnement; c'est la promesse de faire ratifier par un tiers l'engagement pris en son nom et pour son compte, sans mandat. Celui qui a promis de “faire ratifier” n'est pas garant de l'exécution, mais seulement de la ratification, laquelle, suivant un principe traditionnel, “équivaut à un mandat;” or, de même que le mandataire qui promet au nom de son mandant n'est pas personnellement responsable, ainsi celui qui a procuré la ratification est dégagé de son obligation. Il faut observer ici encore que les tribunaux pourront reconnaître au pareil engagement sans qu'il ait été exprès: les conventions doivent, autant que possible, s'interpréter de la façon qui leur donne un effet utile (v. art. 359).
Art. 323. Cet article pose d'abord en principe que l'intérêt est la cause nécessaire des conventions; il indique seulement que cet intérêt à la fois “légitime et appréciable.” S'il n'était pas légitime, la cause serait nulle, comme illicite; s'il n'était pas appréciable, il serait, pour les tribunaux, comme n'existant pas: il y aurait défaut de cause. Ce principe n'est pas discutable et il est passé en axiome: “pas d'intérêt, pas d'action;” les tribunaux doivent rejeter une prétention, soit principale, soit accessoire à une action, lorsque le demandeur ne justifie pas de son intérêt.
Le 2° alinéa rattache à ce principe du défaut de cause ou d'intérêt la nullité de la stipulation pour autrui, comme la nullité de la promesse du fait d'autrui a été rattachée à un défaut d'objet réalisable.
Lors donc que quelqu'un aura, par affection ou par un motif resté inconnu, stipulé un avantage pour autrui, l'exécution de la promesse ne pourra être poursuivi en justice, ni par le tiers, parce qu'il n'a pas figuré dans la convention et qu'elle ne peut lui donner d'action, ni par le stipulant parce qu'il ne peut justifier d'un intérêt pécuniairement appréciable.
Mais si le stipulant avait ajouté une clause pénale à la stipulation dont l'intérêt n'est pas autrement appréciable, la stipulation deviendrait valable, par cela seul que son intérêt serait déterminé par la convention; il n'y aurait pas à rechercher si la clause pénale excède ou non cet intérêt: la convention, ici comme toujours, “fait loi entre les parties” pourvu qu'il n'y ait pas eu dol ou surprise.
On objecterait vainement que si la convention principale est nulle, la clause pénale est entraînée dans la même nullité: on se trouve, ici encore et comme à l'article précédent, dans le cas de l'exception apportée au principe par l'article 302. On doit d'ailleurs admettre que la clause pénale n'est pas le seul moyen de reconnaître l'intérêt du stipulant, c'est une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux, d'après les circonstances.
Bien que la loi n'ait mentioné l'effet utile de la clause pénale qu'au sujet de la stipulation pour autrui, il ne faut pas hésiter à l'admettre dans tous les cas où c'est le défaut d'intérêt appréciable qui forme l'obstacle à la validité de stipulation; mais il ne faudrait pas admettre que la clause pénale pût légitimer l'intérêt d'ailleurs illégitime que vise aussi le 1er alinéa.
Le 3e alinéa apporte une double exception à la nullité de la stipulation pour autrui, même lorsqu'elle n'est pas accompagnée d'une clause pénale: elle est fondée, non seulement sur le caractère accessoire attribué à cette stipulation, mais aussi sur la présomption d'intérêt personnel du stipulant. Dans le premier cas, on peut supposer une vente ou un autre contrat intéressé, dans lequel le vendeur ou le créancier, outre ce qu'il s'est fait promettre pour lui-même, s'est fait promettre aussi quelque avantage pour autrui, comme une servitude pour son voisin sur le fonds vendu, ou un emploi pour un de ses anciens serviteurs. Dans le second cas, c'est un donateur qui, ne devant rien recevoir en retour de la donation, stipule pour autrui un avantage analogue au précédent ou tout autre, mais qui d'ailleurs n'est pas assez considérable pour détruire le caractère gratuit de la convention.
Dans ces deux cas, si la promesse dans l'intérêt d'autrui n'est pas exécutée, le stipulant n'aura pas à justifier, en fait, quel est le montant de son intérêt personnel à l'exécution: ce serait le plus souvent impossible; il demandera seulement la résolution de la convention; il rentrera dans le bien qu'il a aliéné, puisque la condition de l'aliénation n'est pas remplie. Mais s'il y avait attaché une clause pénale, il en demanderait le payement comme dommages-intérêts stipulés, et c'est à lui qu'elle serait payée, toujours parce que le tiers n'a pas figuré dans la convention et n'y peut puiser un droit d'action.
Art. 324. Les héritiers des parties ne sont pas des tiers, mais des ayant-cause, et, lorsqu'une partie stipule pour elle-même, le profit de la convention est éventuellement acquis à son héritier, sans même qu'elle ait besoin de s'en exprimer; de même, lorsqu'une partie promet, elle oblige aussi son héritier, pour le cas où la dette ne serait pas acquittée de son vivant.
La loi des successions n'admettant qu'un héritier légitime, cet article n'a pas pour but d'autoriser un contractant à attribuer sa créance à un de ses héritiers à l'exclusion des autres, ou de même un promettant à imposer une obligation à un seul de ses héritiers: son but est surtout de dire que la partie peut stipuler ou promettre pour son héritier seul, en restant individuellement étrangère à la créance ou à l'obligation, c'est bien une dérogation à la double prohibition des articles 322 et 323. Cependant, dans le cas où il y aurait un légataire à titre universel de moitié des biens, comme le permet la loi, l'article s'appliquerait en ce sens que le testateur pourrait assurer le profit ou imposer la charge de l'obligation exclusivement à l'un ou à l'autre de ses deux successeurs généraux, l'héritier légitime ou le légataire.
Art. 325. Cette disposition ne présente pas de difficulté. Une fois que le tiers a accepté le bénéfice de la stipulation, il est devenu partie à la convention et elle ne peut être modifiée à son préjudice, sans son consentement; mais, jusque-là, le stipulant peut en faire profiter une autre personne, ou en ramener à lui-même le bénéfice. On ne devrait excepter que le cas où le promettant établirait qu'il n'a lui-même fait la promesse qu'en considération de le personne du tiers bénéficiaire de la première stipulation.
Art. 326. C'ést naturellement au défendeur qu'incombe la charge de prouver que la cause alléguée est fausse ou qu'elle est illicite; mais comment prouvera-t-il, si aucune cause n'est exprimée, qu'il n'y en a pas eu en réalité? Comment prouvera-t-il une négation? Il est reconnu qu'une pareille preuve est bien difficile, pour ne pas dire impossible. Le défendeur ne peut s'attaquer successivement à toutes les causes valables d'obligations et prouver qu'aucune d'elles n'a existé entre lui et le demandeur.
C'est pour remédier à cette difficulté que le présent article consacre un moyen qui permet au défendeur de limiter le champ de la preuve négative par une sommation au demandeur, de sorte qu'il n'aura plus à contester que la cause alléguée par celui-ci.
On rappelle, à cette occasion, une observation qui a déjà trouvé sa place, à savoir que les difficultés sur la cause ne se présentent pas au sujet des contrats nommés dont la cause est toujours vraie et licite, mais seulement au sujet des contrats innommés.
On fait remarquer enfin que le présent article s'appliquera surtout aux billets, mandats de payement à faire, chèques, ou autres écritures portant promesses de somme d'argent, sans énonciation de la cause.
§ III. DE L'EFFET DES CONVENTIONS.
L'effet des conventions sera examiné sous deux rapports: 1° à l'ègard des parties elles-mêmes et de leurs ayant-cause, 2° à l'égard des tiers.
I. DE L'EFFET DES CONVENTIONS A L'ÉGARD DES PARTIES ET DE LEURS AYANT-CAUSE.
Art. 327. Le principe posé par cet article est un des plus considérables du droit privé. Il a déjà été fréquemment invoqué, et le sera encore, pour la justification d'un grand nombre des dispositions de la loi: il doit être justifié à son tour.
On sait que le droit civil ou privé est la partie du Droit qui ne concerne et n'intéresse que les particuliers: il règle la condition de leurs biens. C'est par suite d'une tradition romaine que, dans les lois et les Codes européens, on fait-rentrer le droit des personnes dans le droit civil ou privé comme le fait le Code japonais lui-même: mais cette matière est de droit public, dans presque toutes ses dispositions; aussi ne peut-elle être modifiée par des conventions particulières, sauf de très rares exceptions où, justement, l'intérêt public est moindre que l'intérêt privé.
Si donc l'objet du droit privé est étranger à l'intérêt public, comme étant surtout pécuniaire et relatif aux biens, il est juste et naturel que la loi laisse aux particuliers le soin de régler à leur gré leurs intérêts de cette nature. Ils peuvent, quand et comme il leur plaît aliéner ou acquérir, promettre ou stipuler, faire valoir leurs droits en justice ou y renoncer: leur volonté forme pour eux une véritable loi qui, pour être particulière et à eux limitée, n'en est pas moins impérative ou prohibitive. La loi générale n'intervient que pour faire respecter la loi particulière, et lorsqu'elle nous dit que “les conventions privées font loi entre les parties” , elle promet, par là, de leur donner la sanction obligatoire et juridique qui n'appartient qu'à elle seule.
Mais, pour que les conventions privées aient cet effet il faut qu'elles soient légalement formées, c'est-à-dire qu'elles ne soient pas contraires à la Loi générale, qu'elles en aient suivi les prescriptions et respecté les limites. Déjà, on a vu que les conventions sont quelquefois soumises à des formes solennelles, qu'elles exigent une certaine capacité, que le consentement doit être exempt de vices, qu'elles doivent avoir une cause vraie et licite et que l'objet doit avoir certaines qualités; ce n'est que si elles remplissent ces conditions que les conventions font loi. C'est encore dans cette condition d'être “légalement formées” qu'on pourrait faire rentrer la limite signalée plus haut en ce qui concerne les droits de famille; mais l'article suivant consacre plus explicitement cette restriction, en prohibant certaines conventions, au nom de l'intérêt général.
Lorsque l'on dit que les conventions “tiennent lieu de loi,” c'est pour exprimer simplement et brièvement leur degré de force; mais il ne faudrait pas pousser jusqu'à l'extrême cette assimilation de la convention à la Loi. Ainsi, l'interprétation des conventions (objet du § suivant) est faite souverainement par les juges d appel et un pourvoi en cassation ne pourrait être fondé sur une prétendue erreur d'interprétation de la convention, comme lorsqu'il s'agit de la Loi proprement dite. Ce que les parties ont dit et voulu dans leur convention n'est toujours qu'un fait et c'est aux juges du fait seuls qu'il appartient de le déclarer.
Si l'on se reporte au but du pourvoi en cassation, on reconnaît aisément qu'il n'a rien à faire ici: le pourvoi a été institué pour assurer une interprétation exacte et uniforme de la loi commune, parce qu'il serait choquant qu'elle fût interprétée et appliquée tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, suivant les differences de lieux et la diversité de composition des cours et tribunaux; mais cette uniformité d'interprétation n'est pas à rechercher quand il s'agit de conventions particulières, ne fut-ce que pour cette seule raison qu'il s'en rencontrera rarement deux ou plusieurs qui soient exactement semblables.
Le rôle de la cour de cassation reviendra, au contraire, quand les tribunaux, ayant reconnu et déclaré que les parties ont fait telle ou telle convention, auront refusé de sanctionner les effets que la Loi y attache, ou auront voulu leur faire produire des effets que la Loi n'y attache pas; de même, s'ils ont sanctionné une convention illégalement formée, ou réciproquement.
Le 2e alinéa applique le principe que les conventions font loi entre les parties, en exigeant leur consentement mutuel pour qu'elles puissent être révoquées; mais, immédiatement, il apporte une exception très large à cette seconde règle: il y a des cas où la révocation peut être valablement faite par une seule des parties,
L'exception a deux applications principales dont la première est déjà connue: chaque fois qu'une convention est viciée, soit par l'incapacité d'une des parties, soit par l'imperfection de son consentement, cette partie seule peut demander la révocation: la convention ne fait pas loi pour elle; son droit de révocation est cependant limité quant au temps et quant aux formes de l'action en nullité: elle ne pourrait non plus maintenir la convention pour ce qui lui est favorable et la faire annuler pour le reste: la révocation doit être indivisible.
La deuxième application de l'exception à la règle que la révocation ne peut avoir lieu que du consentement réciproque des parties se rencontre dans certains contrats qui, n'intéressant qu'une des parties, peuvent être révoqués par cette partie seule, sans condition. Tels sont: le dépôt, qui peut toujours être révoqué par le déposant et le prêt à usage, auquel l'emprunteur peut toujours renoncer. Dans ces deux contrats, l'inverse peut aussi avoir lieu: le dépositaire pourrait exiger la reprise du dépôt, s'il lui causait un embarras grave ou un danger imprévu; de même, le prêteur à usage pourrait redemander la chose prêtée, si la privation lui en était très-dommageable. Le gage peut cesser par la seule volonté du créancier gagiste. Le mandat est révocable au plein gré du mandat; il peut être révoqué aussi, sur la demande du mandataire, si celui-ci ne peut plus le remplir sans difficultés imprévues. La société peut aussi être dissoute par la volonté d'une des parties, soit pour des causes légitimes, si elle a une durée fixée, soit sans aucune autre condition que la bonne foi, si sa durée est illimitée.
Ces exceptions et d'autres se rencontreront sur les contrats nommés auxquels elles s'appliquent et elles y seront justifiées plus au long.
Quelquefois enfin, c'est en vertu d'une clause particulière de la convention que l'une des parties peut la révoquer sans le consentement de l'autre; on peut dire alors que c'est toujours par l'effet de la volonté des deux parties, puisque cette volonté a été exprimée à l'origine. Ainsi, le louage est souvent soumis à cette révocation, au gré du bailleur ou du preneur; la vente peut être révoquée par la volonté du vendeur, lorsqu'il a stipulé à l'origine la faculté de rachat, par celle de l'acheteur, lorsqu'il a acheté à l'essai et par la volonté de l'une ou de l'autre des parties, lorsqu'il y a eu des arrhes données comme moyen de dédit.
Lorsque la loi permet aux parties de révoquer leurs conventions par consentement mutuel, ou même à l'une d'elles, dans les cas particuliers où, une seule partie étant intéressée, celle-ci peut renoncer au bénéfice de la convention, cela doit s'entendre du cas où la convention n'est pas encore exécutée ou n'a pas encore produit ses effets de droit; dans le cas contraire, il faudrait une convention inverse de la précédente pour remettre les choses dans l'état primitif. Ainsi, s'il s'agit d'une convention destinée à transférer la propriété, comme une vente, et qu'elle ait pour objet des choses de quantité dont la propriété ne peut être transférée que par la tradition ou, au moins, par le mesurage, une fois la tradition effectuée, on ne pourrait plus faire une simple révocation de la convention; il faudrait une revente ou rétrocession, avec tradition inverse de la précédente; s'il s'agit d'un objet individuellement déterminé ou corps certain, la propriété ayant été transférée par le seul consentement, la révocation n'est plus possible: il faudra encore une revente et, si la transcription avait été faite, dans les cas qu'on va voir bientôt, pour que le droit fût opposable aux tiers, une transcription inverse devrait être effectuée. Enfin, si le prix avait été payé, il devrait être restitué.
La révocation proprement dite n'est donc possible que pour empêcher les effets futurs de la convention, ce qui laisse encore une large application au principe: notamment, dans la vente des choses de quantité, avant la translation de propriété, dans le louage, dans la société, le cautionnement, la transaction, etc.
Il va sans dire, quoique la loi ne le dise pas, que la révocation ne peut avoir lieu au préjudice des tiers: on rencontrera bientôt le principe d'après lequel “les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent nuire aux tiers;” or, si, à la suite d'une vente, l'acheteur avait consenti à un tiers des droits réels sur la chose vendue, la révocation consentie entre les deux premiers contractants ne pourrait nuire au second cessionnaire.
Art. 328. Cet article complète le précédent, en nous disant quand la convention est “légalement formée” et quand elle ne l'est pas.
On rencontrera dans le Code de nombreuses applications tant de la règle que de l'exception, bien que, à la rigueur, la loi puisse se fier à la sagacité des juges pour faire observer l'une et l'autre. Cependant, il y a des cas où la loi fait sagement de se prononcer sur ces questions: quelquefois, elle attache à la convention certains effets ou elle lui en refuse d'autres, mais elle réserve formellement aux parties le droit de décider l'inverse; si elle ne s'expliquait pas, on serait exposé à prendre comme absolue la disposition qui n'est écrite que pour le cas de silence des parties.
D'autres fois, la loi exclut formellement la possibilité de faire une convention dérogatoire, parce que l'on aurait pu douter qu'il y eût un intérêt public ou moral engagé dans la convention.
On ne croit pas nécessaire de donner ici des exemples de cas où la convention est libre, c'est la règle, et les applications en sont infinies; mais on donnera des exemples de ceux où la liberté est ôsée aux parties. De ces exemples, les uns se trouveront mentionnés ultérieurement dans la loi, les autres y devront être suppléés par application de notre article.
Ainsi, se trouvent prohibées, comme on l'a dit déjà, les conventions qui prétendraient modifier l'organisation de la famille, la puissance paternelle et maritale, la capacité et, généralement, ce qu'on nomme “l'état des personnes;” de même, les conventions qui tendraient à modifier les effets des droits réels, de manière à les rendre opposables aux tiers en dehors des conditions qui protègent ceux-ci contre les surprises et les revendications imprévues.
Seraient encore nulles les conventions qui porteraient atteinte à la liberté individuelle, comme celle par laquelle une personne engagerait ses services à une autre, pour toute la vie de celle-ci ou pour la sienne propre.
Dans un autre ordre d'intérêts, seraient nulles: les conventions qui auraient pour objet des coalitions ou grèves, soit entre patrons, pour faire baisser artificiellement les salaires, soit entre ouvriers pour les faire hausser; celles qui auraient pour objet la renonciation à la plainte d'une partie lésée par un crime on un délit, soit contre les personnes, soit contre les biens, en exceptant toutefois les cas, déterminés par le Code pénal, où la loi subordonne l'action publique à cette plainte, parce que, dans ces mêmes cas, la loi place au-dessus de l'intérêt public de la répression l'intérêt privé et les convenances personnelles de la partie lésée.
Serait nulle également la convention par laquelle le débiteur commerçant stipulerait qu'en cas d'insolvabilité, son créancier ne pourrait le faire déclarer en faillite.
Parmi les conventions qui seraient directement contraires à la morale, on peut citer celles qui contiendraient une renonciation anticipée à l'action en nullité pour erreur, dol ou violence, ou qui soumettraient le demandeur en nullité à des dommages-intérêts pour le cas où il triompherait dans cette action; il en serait autrement de la même stipulation pour le cas où le demandeur succomberait.
C'est encore comme contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs que sont prohibées les conventions relatives aux successions non ouvertes dont il a déjà été traité et celles qui constituent un jeu ou un pari.
Dans ces divers cas, on peut remarquer que la convention qui déroge aux lois d'ordre public et aux bonnes mœurs est toujours vicieuse par son objet ou par sa cause.
Ces théories ayant été déjà partiellement appliquées, il paraît inutile d'y insister davantage.
Art. 329. La principale force de la convention étant dans la volonté ou le consentement des parties, c'est à elle qu'il faut d'abord se référer pour en déterminer les effets: si cette volonté est exprimée, il faut s'y attacher, à condition toutefois qu'elle ne soit pas justement celle que la loi réprouve, et pourvu que les parties ne se soient pas méprises sur la portée des expressions dont elles se sont servies; car on verra bientôt que l'interprétation des conventions ne doit pas se faire d'après le sens littéral des termes employés, mais d'après la commune intention des parties. Si certains effets de la convention n'ont pas été exprimées, ils peuvent cependant être tellement naturels qu'il n'y ait pas à hésiter sur leur admission tacite par les parties; par exemple, dans une vente, l'obligation de payer le prix au moment de la délivrance de la chose, et, s'il s'agit de la délivrance d'un immeuble habité par le vendeur, le délai convenable pour lui permettre de quitter les lieux et de transporter ailleurs son mobilier; s'il s'agit d'un louage d'ouvrage ou de services, et que le preneur sache que l'entrepreneur ou l'ouvrier est momentanément empêché de commencer, par un autre travail urgent ou par une maladie, il sera considéré comme ayant tacitement donné un délai, au moins, jusqu'au moment où il se trouverait exposé lui-même à un dommage par un plus long retard.
Outre l'intention expresse ou tacite des parties, le texte indique encore “l'équité, l'usage ou la loi,” comme pouvant faire produire des effets à la convention. Mais, en réalité, on doit voir là encore des effets résultant de l'intention tacite des parties; ainsi, aucune d'elles ne serait recevable à dire qu'elle a entendu se soustraire aux règles de l'équité: par exemple, à la responsabilité du dol ou des fautes qu'elle pourrait commettre; tandis qu'après la faute ou le dol commis, une convention dérogatoire aux dommages-intérêts serait permise. De même, c'est par l'effet de l'intention tacite des parties que les usages locaux seront observés pour déterminer les conséquences de la convention.
Enfin, lorsque la convention produit des effets légaux qui auraient pu être modifiés par les parties, si elles n'y ont pas dérogé, c'est qu'elles les ont tacitement acceptés; ils ne resteraient purement légaux que si les parties avaient ignoré la loi, ce qui n'empêcherait pas, en général, ces effets de se produire, sauf ce qui a été dit au sujet de l'erreur de droit (art. 311).
Art. 330. Il a paru bon de consacrer dans la loi le principe que la bonne foi, la sincérité, doivent présider à toutes les conventions, non-seulement dans les clauses et stipulations qui les composent, mais encore dans l'exécution.
Ainsi, le bailleur qui doit livrer la chose louée en bon état de réparation ne doit pas se borner à faire les réparations qui ont rapport à la solidité des bâtiments, mais encore celles qui se rapportent à l'agrément et à la propreté, et s'il faisait un marché à prix fait avec un entrepreneur pour l'exécution de ces travaux, sans les spécifier en détail, mais en en indiquant le but, celui-ci devrait, de même, en raison de la bonne foi requise, faire toutes ces réparations. En sens inverse, s'il y avait exagération dans les prétentions du locataire vis-à-vis du bailleur ou dans celles du bailleur vis-à-vis de l'entrepreneur, elles seraient réduites par le tribunal à ce qu'exige la bonne foi.
De même, s'il y a eu vente de choses fongibles ou de choses de quantité, le vendeur n'a pas le droit de donner la qualité la plus mauvaise, ni l'acheteur d'exiger la qualité la meilleure: la bonne foi est satisfaite, s'il est fourni une qualité moyenne (v. art. 460).
Art. 331. Le Code japonais consacre ici un des progrès du droit les plus considérables dans les temps modernes. Dans toutes les législations primitives, on voit toujours que la propriété ne passe d'une personne à une autre que par un acte extérieur, plus ou moins matériel, destiné, non-seulement à bien démontrer la volonté des parties, mais aussi à frapper les yeux de tous et à donner ainsi une sorte de publicité au changement de propriétaire.
Il en était ainsi chez les Romains, notamment: la propriété ne se transférait que par la tradition ou délivrance de la chose à l'acquéreur; quelquefois même, par une véritable solennité, accomplie en présence de témoins, avec des paroles consacrées.
Tant que la tradition n'était pas effectuée, le vendeur ou le donateur restait propriétaire de la chose; en conséquence, ses créanciers pouvaient la saisir, comme ses autres biens; s'il la revendait et la livrait à un autre, celui-ci était propriétaire et le premier acheteur ou donataire n'avait qu'une action personnelle en indemnité.
L'ancien droit européen adopta le droit romain sur ce point. Le principe fut toujours que la tradition seule opérait la translation de la propriété; mais on se contentait le plus souvent d'une tradition fictive; l'usage même s'établit d'insérer dans les actes destinés à transférer la propriété une clause expresse par laquelle le vendeur ou le donateur déclarait se dessaisir de la possession et en saisir l'acquéreur; cette clause, dite de dessaisine-saisine, était devenue de style dans les actes notariés et on la trouvait, le plus souvent aussi, dans les actes sous seing privé.
Dans certaines coutumes du nord de l'Europe, on adopta pour le dessaisissement de la possession, appliqué aux immeubles, d'abord une sorte d'investiture ou nantissement, donnée par le seigneur ou par ses officiers; plus tard, on remplaça l'investiture par une déclaration devant un officier de justice, avec une mention sur des registres publics.
C'est dans ces coutumes que fut puisé, avec quelques modifications, le système moderne de la transmission de la propriété mobilière.
Le droit joponais, quoique s'étant formé en dehors de l'influence romaine et de ce qui l'a suivie en Europe, a suivi à peu près la même marche progressive en cette matière. Le nouveau Code ne fait guère que confirmer une pratique déjà ancienne, en l'améliorant toutefois dans les détails. Aujourd'hui, au Japon, comme en Europe, la propriété se transfère par le seul consentement, pour les immeubles comme pour les meubles; la raison ne fait aucun obstacle à ce qu'un droit réel soit constitué par la seule volonté, comme un droit personnel. Mais comme le droit réel est, de sa nature, opposable à toute personne, aux tiers comme aux contractants eux-mêmes, il est nécessaire de donner des garanties générales contre les surprises qui résulteraient de mutations secrètes ou difficiles à connaître. Ainsi, il ne faudrait pas que des créanciers d'un vendeur fussent exposés à le considérer comme étant encore propriétaire quand il a déjà aliéné, ni qu'un second acheteur fût exposé à donner un prix pour une chose qui est déjà aliénée à un autre. On remédie à ce danger, au moyen d'une publicité sérieuse donnée aux mutations de propriété et aux autres constitutions de droits réels sur les immeubles, par l'inscription sur des registres publics que les intéressés peuvent consulter et dont ils peuvent obtenir des extraits. Ce système de publicité, déjà ancien, a été complété par deux loi spéciales des 19e et 23e années de Meiji.
Aujourd'hui, on dit, généralement, que “la propriété” des immeubles se transfère entre les parties par le seul “consentement et à l'égard des tiers par la transcription;” cette formule n'est pas sans objection, mais elle est consacrée; on peut l'admettre provisoirement et pour simplifier cette théorie difficile; mais elle sera redressée, quand le moment sera venu de traiter de l'effet des conventions à l'égard des tiers.
Le présent article s'abstient donc de la formule précédente: il déclare, d'une façon absolue, que la propriété est transférée par le seul consentement, au moins quand il s'agit d'un corps certain; un peu plus loin, on trouvera les garanties données aux tiers, tant au sujet des meubles qu'au sujet des immeubles.
La loi réserve, en terminant, le cas où la convention serait affectée d'une condition suspensive; ce n'est pas pour dire que, dans ce cas, la tradition soit nécessaire à la translation de la propriété, mais pour faire comprendre que le seul consentement ne suffit pas et qu'il faut encore que la condition, que l'événement prévu soit accompli. Si la condition était résolutoire, la propriété serait transférée immédiatement, sauf à être résolue par l'événement. Ces deux conditions, déjà rencontrées chemin faisant, seront étudiées ultérieurement dans leur entier (v. art. 408 et s.).
La loi ne réserve pas le cas d'un terme fixé pour la translation de propriété, comme elle a réservé celui d'une condition suspensive. C'est qu'en effet, comme on l'a démontré sous l'article 30, il n'est pas compatible avec la nature du droit de propriété d'être affecté d'un terme ou délai, soit d'un terme à partir duquel la propriété commence à appartenir au cessionnaire, soit d'un terme à l'expiration duquel la propriété doive le quitter pour revenir au cédant.
Art. 332. L'article précédent a limité la translation de propriété par le seul consentement au cas où il s'agit d'un corps certain.
Il est évident, en effet, que si le contrat a pour objet la translation de propriété d'une chose qui n'est déterminée que par l'espèce et la quantité (au poids, au nombre ou à la mesure), la propriété n'en peut être transférée par le seul consentement: la nature des choses s'y oppose. Comment l'acheteur ou le donataire pourrait-il revendiquer, comme siennes, des choses qui sont en quantité indéfinie dans le monde et dont le vendeur ou le donateur possède peut-être lui-même une énorme quantité? Il est clair que le stipulant ne peut être que créancier: il a droit d'être rendu propriétaire, mais cet effet ne sera produit que quand la chose aura passé du genre ou de l'espèce à l'état individuel, ce qui pourra se faire, soit par la livraison même, soit par une détermination conventionnelle qui en fera un corps certain; par exemple, on marquera les sacs de riz ou les ballots de soie ou de papier; ce sera alors comme si, à l'origine, la convention avait porté sur des objets individuellement déterminés.
La loi veut que la détermination soit faite “contradictoirement,” c'est-à-dire que le choix ne soit pas laissé au gré unique de l'une des parties. C'est là qu'il faut observer la bonne foi, comme il a été dit plus haut, et que le promettant ne peut imposer les choses les plus inférieures, ni le stipulant exiger les meilleures.
Il y a encore une grande utilité à ce que la détermination des choses soit faite contradictoirement, c'est que, la propriété étant transférée à partir de ce moment, les choses sont aux risques du propriétaire, c'est-à-dire que, si elles périssent par cas fortuit ou force majeure, la perte est pour celui-ci, ainsi qu'il sera établi plus loin; or, il serait inadmissible que le débiteur, après une perte, survenue chez lui, de choses de la nature de celles qu'il a promises, fût admis à dire que “c'étaient justement celles-là qu'il avait choisies et destinées au créancier.”
Il va sans dire, mais l'article 455 l'exprimera, que pour que la propriété des choses fongibles soit transférée par la tradition ou la détermination, il faut que les choses livrées ou choisies et marquées appartiennent au promettant, comme lorsqu'il s'agit d'un corps certain; car on ne peut transférer un droit qu'on n'a pas. Du reste, cette condition sera facilement suppléée par la prescription instantanée, quand il s'agira d'objets mobiliers et que le possesseur sera de bonne foi.
Art. 333. Il est naturel que celui qui a transféré la propriété d'un corps certain, par le seul consentement, en fasse la délivrance ou livraison. Sans doute, à défaut de livraison, l'acquéreur pourrait toujours obtenir la chose par l'effet de la revendication; mais sa position serait plus difficile: dans cette action, il devrait faire la preuve, non-seulement de la convention intervenue entre lui et l'aliénateur, mais encore du droit de propriété appartenant à celui-ci; si, au contraire, il a le droit d'agir seulement en délivrance, ce n'est qu'une action personnelle où il prouvera seulement la convention, et, après sa mise en possession, il sera défendeur aux revendications que prétendraient exercer les tiers.
Le présent article nous dit que la délivrance est faite “par les soins et aux frais du promettant;” ce qui suppose, évidemment, qu'il y a quelques difficultés pour la faire.
La loi n'indique pas les divers modes de délivrance des choses mobilières, parce qu'ils sont nombreux et dépendent beaucoup des circonstances; si elle y fait figurer la tradition de brève main et le constitut possessoire, déjà mentionnés (art. 191), c'est à cause de leur caractère plus exceptionnel; comme exemple des frais de délivrance que supportera le promettant, on peut supposer que des marchandises vendues se trouvent d'un accès difficile, par la présence d'autres objets lourds ou volumineux: en pareil cas, le vendeur devrait certainement faire déplacer ces derniers et il ne serait pas abusif d'exiger qu'il sortît des bâtiments les objets vendus et même qu'il les portât jusqu'aux limites de sa propriété, au moins quand la sortie présenterait des risques exceptionnels. Sera encore à la charge du vendeur ou aliénateur le pesage ou le mesurage qui est quelquefois une opération difficile, longue et coûteuse. Au contraire, l'acquéreur, le stipulant, supporte les frais d'enlèvement, c'est-à-dire d'emballage, de chargement et de transport au lieu de destination.
Pour la livraison des immeubles, il ne suffirait pas de remettre à l'acquéreur les clefs d'un bâtiment; il faudrait encore l'évacuer, c'est-à-dire, enlever tous les objets non vendus qui s'y trouvent. Quant aux titres à remettre à l'acquéreur, l'usage, en Europe, est de lui remettre, non-seulement le titre nouveau portant translation de propriété, mais encore les titres des propriétaires antérieurs dont les plus anciens servent de base aux plus nouveaux, et en remontant le plus loin possible, au moins de trente ans, pour fonder, au profit de l'acquéreur, une prescription qui pourrait lui être nécessaire et pour laquelle il joindrait à sa possession celle de ses prédécesseurs.
Au Japon, l'usage est différent: jusque dans ces derniers temps, il était délivré à l'acquéreur, par l'administrateur local un nouveau titre qui remplaçait le précédent. Mais la matière a été réglée autrement par une loi de la 23e année de Meiji.
La loi, après avoir réglé les frais de la délivrance et ceux de l'enlèvement, règle ceux de l'acte, pour n'avoir pas à revenir sur la question des frais.
Si le contrat profite aux deux parties, s'il est intéressé des deux côtés, ou onéreux, les frais se diviseront également, ou dans la proportion de l'intérêt de chacun; s'il est gratuit, ils seront à la charge du bénéficiaire. Le texte a soin de ne poser cette règle que pour l'acte instrumentaire, pour celui qui sert de preuve; il ne s'appliquerait pas à l'inscription qui, étant faite surtout dans l'intérêt de l'acquéreur, doit être à sa charge. Les frais d'une quittance, pour un payement postérieur à l'acte, seraient de même à la charge de l'acquéreur, parce que la quittance ne sert qu'à lui seul, en prouvant sa libération.
La loi prévoit enfin le cas où, soit le temps, soit le lieu de la délivrance, n'aurait pas été fixé par la convention.
Au premier cas, l'obligation, n'étant pas affectée d'un terme ni d'une condition, est pure et simple; la délivrance est exigible immédiatement; toutefois, s'il s'agissait d'une vente et que l'acheteur n'eût pas non plus de terme pour le payement du prix, il ne pourrait exiger la délivrance avant d'avoir payé le prix: le vendeur garderait, en quelque sorte, la chose en gage, par droit de rétention (art. 2).
Au second cas, pour le lieu de la délivrance, la loi distingue: s'il s'agit d'un corps certain, il sera délivré au lieu où il se trouvait lors du contrat; cela s'observera même pour la délivrance du titre d'un immeuble, si les parties ne sont pas d'accord pour la remise au domicile de l'une d'elles; à l'égard d'un meuble, la même règle sera observée rigoureusement, s'il est pesant ou d'un déplacement dangereux; mais pour un objet portatif ou facilement mobile, comme une voiture, un cheval, on devra décider, en pratique, d'après l'intention des parties, qu'il pourrait être valablement délivré au domicile de l'aliénateur. S'il s'agit de choses de quantité, comme on ne peut pas dire qu'elles se trouvent dans un lieu déterminé au moment de la convention, il faut nécessairement se placer à une époque postérieure: à celle où elles ont été déterminées et où elles sont devenues corps certains.
Dans les cas non réglés par la convention, expressément ou tacitement, la délivrance se fait au domicile du débiteur: c'est une faveur naturelle à ajouter à d'autres qu'on a déjà rencontrées et qu'on rencontrera. Ainsi, lorsqu'il s'agira d'appeler le créancier à la détermination des choses fongibles, le débiteur pourra l'appeler à son domicile, si les objets s'y trouvent.
Comme les règles du droit civil s'appliquent aux conventions commerciales, chaque fois que les lois spéciales au commerce n'y dérogent pas, et comme ces dérogations doivent être le plus limitées qu'il est possible, on doit indiquer ici quand et comment s'effectue la délivrance de marchandises, lorsque le vendeur doit les expédier à l'acheteur et qu'il y a à effectuer un transport plus on moins long, par terre ou par eau.
Cette question peut se résoudre par les principes généraux. Le vendeur, s'il n'y a pas de terme fixé, fera la délivrance sans autre délai que celui qui est nécessaire pour l'emballage et le transport; la délivrance ne sera pas considérée comme faite par la remise à l'entrepreneur de transport, même quand c'est une entreprise publique, parce que cet entrepreneur est le mandataire du vendeur seul. Il en serait autrement, si l'entreprise avait le monopole de ce genre de transport, comme l'administration des postes, ou était le seul existant en fait, entre les deux localités, parce que, dans les deux cas, cette entreprise devrait être considérée comme le mandataire tacite et nécessaire des deux parties. Sauf ces cas, la délivrance ne sera considérée comme faite que par la remise réelle au destinataire ou à son représentant.
Art. 334. Observons d'abord avec le texte qu'il ne peut être question d'une obligation de soins ou de garde que s'il s'agit “d'un corps certain.”
Le 1er alinéa pose un principe général que le second alinéa immédiatement; la seule différence que paraissent demander la raison et l'équité, au moins lorsqu'il s'agit des contrats translatifs de propriété, c'est celle que fait ici la loi entre les contrats onéreux et les contrats gratuits: il est naturel que le donateur ne soit tenu, jusqu'à la livraison, d'apporter à la chose donnée que les soins qu'il apporte à ses propres biens, et c'est seulement dans le cas où il aurait manqué à cette obligation, déjà adoucie, qu'il serait tenu de dommages-intérêts.
Lorsque le Code traitera de certains contrats spéciaux qui, sans transférer la propriété, obligent à conserver la chose d'autrui ou une chose commune, on y verra encore entre eux quelques différences analogues à celle qui précède; ainsi, on demandera moins de soins au dépositaire qui rend un service qu'à l'emprunteur à usage qui en reçoit un, moins au mandataire qui rend un service gratuit qu'au mandataire salarié, enfin, moins à l'associé, qui gère la chose commune et souffre déjà de sa négligence, qu'au locataire dont la négligence, proverbiale, pour ainsi dire, en tous pays, nuit au propriétaire seul.
Art. 335. La loi présente ici ce qu'on nomme ordinairement la “Théorie des risques,” qui détermine sur quelle partie retombe la perte ou la détérioration de la chose objet du contrat.
La théorie des risques se trouve bien simplifiée aujourd'hui: du moment que la propriété est transférée par le seul effet du consentement, il est naturel que les pertes, comme les augmentations dont la chose peut être l'objet, soient au détriment comme au profit de celui à qui elle appartient. Beaucoup de personnes semblent même voir là une conséquence du seul droit de propriété et elles sont portées à croire que si le stipulant n'était resté que créancier, comme autrefois, s'il n'avait eu qu'un droit personnel, les risques seraient restés au promettant; mais c'est là une erreur certaine.
D'abord, en droit romain et dans l'ancien droit européen, où la propriété n'était transférée que par la tradition, les risques étaient à la charge du stipulant, resté simple créancier, tout comme ils sont aujourd'hui à la charge du stipulant devenu propriétaire.
En outre, la raison de droit et celle de justice voulaient qu'il en fût ainsi.
En droit, lorsque le contrat n'avait produit qu'une obligation, celle-ci n'en avait pas moins un objet déterminé qui avait sa destinée, bonne ou mauvaise, qui pouvait se détériorer ou s'améliorer, périr en entier ou doubler de valeur; le débiteur avait toujours rempli son obligation de faire la tradition, en livrant l'objet dans l'état où il était, lorsque d'ailleurs les détériorations n'étaient pas imputables à sa négligence; réciproquement, si la chose avait augmenté de valeur, il eût été insoutenable qu'il pût en retrancher une partie ou se faire tenir compte en argent du montant de la plus-value.
Il semblerait toutefois qu'il y eût plus de doute, quand la chose avait péri en entier; on concevait bien encore que le débiteur fût libéré par cette perte, dès qu'elle n'était point de son fait; mais, s'il avait droit à un avantage réciproque, parce que la convention était synallagmatique, on comprend moins facilement qu'il le conservât: par exemple, qu'un vendeur pût exiger le prix d'une chose qu'il n'avait pu livrer et dont il n'avait pu transférer la propriété; on est porté à dire qu'il recevait son prix sans cause. Mais il faut bien remarquer que le contrat une fois formé avait produit deux obligations distinctes quoique réciproques: l'une avait été la cause de l'autre, mais elles étaient désormais indépendantes; l'une pouvait se trouver éteinte par l'impossibilité de l'exécuter, l'autre pouvait subsister, si un pareil obstacle n'existait pas; or, un corps certain peut périr; l'argent dû, au contraire, comme chose de genre, ne périt pas (genera non pereunt). Voilà pour la raison de droit.
La raison de justice ou d'équité est encore plus évidente: si la chose avait doublé, triplé de valeur, dans l'intervalle de la convention à la livraison, ce qui n'est ni impossible ni sans exemple, le profit, assurément, en eût été pour le créancier; il était donc juste que, par compensation, le même créancier subît la perte fortuite.
Aujourd'hui, ces considérations ne sont plus nécessaires; il y a une raison plus simple et plus directe pour que les profits et les pertes soient pour le stipulant: il est propriétaire; c'est aujourd'hui seulement qu'on peut dire avec vérité ce qui était déjà un axiome autrefois, mais souvent mal appliqué: “la chose périt pour le propriétaire.”
Il est permis de mettre les risques et périls à la charge du promettant, ce qui donne à la convention un caractère aléatoire: le promettant est alors une sorte d'assureur contre les cas fortuits et la force majeure; en pareil cas, sans doute, ses avantages seront augmentés; l'utilité de cette clause de la convention est d'éviter les contestations sur la responsabilité qui pourrait être imputable au promettant.
La loi réserve, ici encore, le cas où la convention serait affectée d'une condition suspensive: en pareil cas, le droit du stipulant n'étant pas né par l'effet de la convention seule et ne devant naître qu'avec l'accomplissement de la condition, la chose ne peut périr pour lui. On reviendra sur ce point, en son lieu; on y examinera aussi une difficulté particulière du risque, au cas de simple détérioration ou de perte partielle (voy. art. 419 et 420).
Le deuxième alinéa apporte une exception à la règle qui met la chose aux risques du stipulant, c'est le cas où la chose a péri ou s'est détériorée, même par cas fortuit ou force majeure, après que le promettant a été en retard (en demeure) de faire la tradition; mais encore faut-il, pour que les risques retombent alors sur ce dernier, que son retard soit la cause de la perte, c'est-à-dire, qu'elle n'ait pas dû arriver si la chose avait été livrée. Ainsi, un meuble a été vendu, la livraison aurait dû être faite et l'objet a péri dans l'incendie de la maison du vendeur; comme, sans doute, la maison de l'acheteur n'a pas brûlé, il est clair que la faute du vendeur est indirectement cause de la perte de la chose; si, au contraire, on suppose la vente d'une maison et qu'elle ait brûlé par le feu du ciel ou par la communication inévitable d'un grand incendie, comme elle n'aurait pas moins brûlé si elle eût été livrée, les risques restent à la charge de l'acheteur.
Art. 336. De ce qu'un délai a été déterminé pour l'exécution d'une obligation, il n'en résulte pas que le débiteur soit constitué en demeure par la seule échéance de ce terme; il faut, en général, qu'un avertissement lui soit donné par le créancier: la loi tient compte de la déplorable facilité avec laquelle les hommes laissent passer le temps sans s'en apercevoir, et pour que le but de la loi soit atteint, il faut nécessairement que l'avertissement ne soit donné qu'après l'échéance du terme.
Les trois premiers moyens par lesquels le débiteur peut être mis en demeure viennent du créancier; s'il fait une demande en justice, le premier acte de procédure sera un avertissement suffisant; s'il a déjà un titre exécutoire, comme un jugement ou un acte authentique, il en fera notifier copie, avec injonction d'exécuter; enfin, si le créancier, n'ayant pas de titre exécutoire, veut sauvegarder ses droits, sans user de rigueur, il fera une sommation, dont la loi n'indique pas la forme, laissant ce soin à une loi spéciale. Ces deux derniers actes, bien que faits, en général, par le ministère d'un officier public, s'appellent “actes extrajudiciaires,” parce qu'ils sont faits en dehors d'un procès.
Un avertissement privé, mais exprès et formel et reconnu par le débiteur, pourrait être admis comme mise en demeure, la forme authentique n'étant nécessaire que pour la preuve. A plus forte raison, une reconnaissance spontanée de sa faute par le débiteur le mettrait-elle en demeure. Le loi n'a pas besoin d'exprimer ces cas: les principes généraux permettent de les suppléer.
Par exception, la seule échéance du terme peut constituer le débiteur en demeure; le texte en indique deux cas, suivis d'une hypothèse particulière qui pourrait être considérée comme formant un troisième cas:
1° Lorsque la loi, dans quelques cas particuliers, juge à propos de donner cette garantie au créancier;
2° Lorsque la convention porte expressément que le débiteur sera constitué en demeure par la seule échéance du terme: il ne sera pas nécessaire d'ajouter “et sans sommation,” quoique ce soit préférable, pour écarter tous les doutes;
3° La troisième hypothèse où le débiteur est en demeure, sans autre avertissement que l'expiration du temps fixé pour l'exécution, tient à des circonstances particulières que la loi n'a pu réunir que dans une formule très générale: on peut citer, comme exemple, le cas où il y a eu convention de fournir, soit en vente, soit en location, des objets nécessaires pour une cérémonie publique ou même particulière, comme un mariage ou des funérailles, dont l'époque est connue du promettant; il est clair que si le stipulant était, en pareil cas, obligé de faire une sommation avant la cérémonie, et au moment extrême où la fourniture devrait être faite, il serait déjà trop tard. En réalité, dans ce cas, c'est comme s'il y avait eu convention formelle entre les parties que le promettant sera en demeure par la seule échéance du terme.
On verra plus loin (art. 384) que dans l'obligation de ne pas faire le débiteur est considéré comme se constituant lui-même en demeure par la contravention.
Les règles de la mise en demeure pour faire courir les intérêts moratoires dans les obligations de sommes d'argent ne seront pas tout-à-fait les mêmes: on les trouvera plus loin (art. 393).
Art. 337. Les conventions de faire et de ne pas faire sont aussi fréquentes que celles de donner; il semblerait naturel que la loi en traitât ici; mais l'intérêt étant bien plus dans l'obligation créée que dans la convention qui la produit, la loi renvoie au Chapitre suivant consacré aux Effets des Obligations. On y redira quelque chose de l'obligation de donner et de livrer qui, à la rigueur, peut être rangée parmi les obligations de faire, car la livraison est un fait.
Art. 338. La règle posée ici a déjà été annoncée sous l'article 324, au sujet d'une modification qu'elle peut recevoir du fait des parties.
L'expression ayant-cause est consacrée et pourrait difficilement être remplacée par une autre qui fût aussi claire et aussi brève: elle désigne “les personnes qui ont les droits d'une autre,” qui tiennent leurs droits de celle-ci, laquelle est leur auteur. Il y a deux classes d'ayant-cause, les uns généraux, les autres particuliers. Les ayant-cause généraux ont tous les droits de leur auteur, sauf quelques exceptions relatives aux droits qui, par leur nature, ne peuvent se transmettre ou se communiquer; les ayant-cause particuliers n'ont les droits de leur auteur que sur un ou plusieurs objets déterminés.
La première classe d'ayant-cause comprend: les héritiers légitimes, les légataires et donataires universels ou à titre universel, enfin, les créanciers. La seconde classe comprend les acquéreurs ou cessionnaires, à titre onéreux ou gratuit, de choses déterminées.
La différence entre ces deux classes d'ayant-cause, qu'on appelle souvent aussi successeurs, soit à titre universel, soit à titre particulier, est considérable et elle va se rencontrer dans le rapprochement des articles suivants. Elle peut se résumer ainsi: les ayant-cause généraux sont exposés à voir leur situation empirée par les actes maladroits ou malheureux de leur auteur, comme la sienne propre s'empire par les mêmes actes; mais aussi, en sens inverse, leur situation s'améliore avec la sienne, par ses actes habiles ou heureux. Cela est évident pour les héritiers qui recueilleront une succession plus ou moins opulente, suivant que leur auteur aura réussi ou non dans ses entreprises; il en est de même pour les créanciers qui, ayant pour gage général (indépendamment de leurs sûretés exceptionnelles) tous les biens de leur débiteur, peuvent voir ce gage augmenter ou diminuer journellement.
Au contraire, les ayant-cause particuliers, les acheteurs, coéchangistes, donataires, ne sont exposés à aucune éventualité défavorable ni appelés à aucun avantage imprévu: ils prennent la situation de leur auteur ou cédant, telle qu'elle était au jour de la convention, par rapport à la chose ou au droit cédé; ils sont ayant-cause pour le passé, parce qu'ils ont consenti à l'être; mais ils ne le sont pas pour l'avenir: ils sont étrangers à tout ce qui pourrait être fait dans la suite par leur cédant, ils sont des tiers à cet égard. C'est en cette qualité de tiers qu'ils seront envisagés dans la seconde division de ce paragraphe.
Le présent article réserve d'une façon indéterminée les cas où les ayant-cause généraux n'auront pas les droits de leur auteur ou ne souffriront pas de ses actes. La transmission aux héritiers n'aura pas lieu en vertu de la convention, lorsque le droit aura été établi comme viager au profit du stipulant, par exemple une rente viagère. Les cas où la loi n'autorise pas la transmission des droits aux héritiers sont assez nombreux et se rencontreront, chemin faisant: on a déjà vu que l'usufruit, l'usage et l'habitation ne sont pas transmissibles aux héritiers; c'est encore ce qui arrive, pour les pensions civiles ou militaires; certains contrats ne profitent ni en nuisent aux héritiers: tel est le mandat qui s'éteint par la mort du mandant ou du mandataire; telles sont encore certaines sociétés qui se dissolvent par la mort de l'un des associés. Seulement, dans ces divers cas, les actes valablement faits avant la mort, en vertu du mandat ou de la société, profitent ou nuisent aux héritiers.
Art. 339. La théorie que présente cet article est une des plus importantes du droit civil. Il n'est lui-même que la conséquence d'un principe plus large encore, déjà invoqué, et qui trouvera sa place ailleurs, à savoir que “tous les biens d'un débiteur sont la garantie de ses dettes ou le gage de ses créanciers.”
Il peut arriver, il arrive même souvent, qu'un débiteur, embarrassé dans ses affaires, néglige de faire valoir ses droits contre ses propres débiteurs ou d'exercer les actions réelles qui pourraient lui appartenir pour recouvrer quelques-uns de ses biens, par le motif qu'ayant de nombreux créanciers, il ne lui en reviendrait aucun avantage. Cette inertie est blâmable et la loi doit donner aux créanciers le moyen de la combattre. Tel est l'objet de notre article.
Ce peu de mots suffit pour expliquer le 1er alinéa qui pose le principe du droit des créanciers; le 2e indique les principaux moyens par lesquels ils procédéront; le 3e présente quelques exceptions à la règle.
Les trois moyens qu'indique le présent article ne sont pas limitatifs, mais ils seront les plus fréquents.
1° Saisies. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les diverses sortes de saisies que peuvent exercer les créanciers: cette matière appartient au Code de Procédure civile; il ne s'agit pas d'ailleurs ici des saisies que les créanciers feraient sur les biens de leur débiteur, en vertu d'un jugement qu'ils auraient obtenu contre lui: dans ce cas, ils n'exerceraient pas les droits de leur débiteur contre des tiers, mais leur propre droit contre le premier; il s'agit de saisies que le débiteur pourrait faire pratiquer lui-même contre ses propres débiteurs et qu'il néglige de faire.
2° Intervention. Le débiteur pourrait négliger de soutenir ses droits, comme demandeur ou défendeur, dans les procès pendants entre lui et des tiers: ses créanciers peuvent se joindre à lui, pour l'aider, soit dans l'attaque soit dans la défense; cette participation se nomme, en procédure, “intervention.”
L'intervention aura un avantage particulier, c'est qu'elle empêchera que le débiteur, par collusion ou fraude concertée avec l'adversaire, ne se laisse débouter comme demandeur ou condamner comme défendeur, ce qui laisserait encore un recours aux créanciers, mais d'un usage plus difficile, (v. ci-après, art. 341). La simple intervention sera particulièrement utile si le débiteur, ayant formé une demande, néglige ensuite de la suivre et d'y produire les preuves de son droit, ou bien, si, ayant été assigné comme défendeur, il néglige de répondre, fait défaut et s'expose à une condamnation mal fondée.
3° Action indirecte. L'expression “d'action indirecte ou oblique” a été adopté pour indiquer que ce n'est pas une action à eux propre qu'exercent les créanciers, mais une action appartenant à leur débiteur, dont le profit ne leur parviendra qu'en passant, sinon dans les mains même de celui-ci, au moins dans son patrimoine. En effet, les créanciers, qui ont exercé l'action contre le tiers, pourront bien, après le succès, prendre des précautions pour éviter le détournement du profit de l'action, mais ils ne pourront s'opposer à ce que ce profit soit distribué à tous les créanciers indistinctement, sauf les causes ordinaires de préférence, parmi lesquelles ne figurera pas le fait d'avoir pris l'initiative de l'action.
A cette occasion, on remarquera qu'il n'est pas nécessaire que les créanciers se forment en syndicat ou en comité, ni agissent d'un commun accord, pour exercer les actions de leur débiteur: le droit appartient à un seul autant qu'à tous et il peut être exercé isolément, par le plus diligent, ou collectivement, après entente préalable.
Le texte tranche, au sujet de cette action indirecte, une question qui est très controversée en Europe et qu'il fallait résoudre au Japon: les créanciers qui voudront exercer l'action ne se borneront pas à faire à leur débiteur une sommation d'avoir à exercer lui-même son droit, pour, en cas de refus, l'exercer à sa place; ils devront présenter requête au tribunal, en exposant la situation qui leur est faite et le danger qu'ils courent, afin d'obtenir de la justice le droit de prendre le lieu et la place de leur débiteur dans l'action à intenter contre le tiers; le débiteur pourra toujours se joindre à eux, mais, une fois l'action intentée, il ne sera plus qu'un intervenant: il aura perdu, par sa résistance première, le rôle de partie principale.
Cette autorisation de justice, donnée aux créanciers, d'agir au lieu et place de leur débiteur et en son nom, est appelée ici “subrogation judiciaire:” c'est un nom qui lui est donné dans la pratique étrangère où elle est très usitée, sans être formellement exigée par la loi.
On pourrait soutenir, en effet, en l'absence de texte, que les créanciers peuvent agir d'emblée, de plein droit, au nom de leur débiteur, contre les tiers que celui-ci pourrait poursuivre lui-même, par conséquent, sans avoir besoin de son autorisation ni de celle de la justice: on pourrait considérer cette autorisation comme donnée par la loi. Mais cette solution présenterait de sérieux dangers, tant pour les créanciers que pour le tiers actionné: pour les premiers, en ce que le débiteur conserverait, pendant le procès, le droit de disposer de l'objet du litige, de transiger avec le tiers et d'anéantir ainsi leur droit; pour le tiers, il serait exposé, après avoir triomphé d'un des créanciers, à subir une nouvelle action d'autres créanciers ou du débiteur lui-même; car il serait difficile d'admettre que le premier créancier, en agissant seul, de son propre mouvement et sans un mandat spécial des autres créanciers et du débiteur, eût pu compromettre le droit de ceux-ci.
Le tiers, il est vrai, préviendrait ce danger, en ce qui le concerne, en exigeant la mise en cause du débiteur; mais cette mise en cause ne préviendrait pas le danger, pour le créancier poursuivant, d'une transaction ou d'un autre acte qui le dépouillerait et qu'il ne pourrait attaquer qu'en prouvant la fraude, ce qui est toujours difficile.
On remédie, tout à la fois, au double danger signalé, par la subrogation judiciaire du créancier, laquelle ne devra être accordée qu'après que le débiteur aura été sommé d'exercer son action et entraînera sa mise en cause, sans qu'il ait le droit de transiger ou de compromettre autrement ses droits devenus ceux des créanciers; en même temps, le créancier poursuivant devra être constitué représentant des autres, après qu'ils auront été dûment avertis. De cette façon, le jugement rendu en faveur du créancier demandeur, profitera aux autres créanciers et au débiteur, et le jugement rendu en faveur du tiers sera opposable aux mêmes personnes, (v. la loi sur la subrogation judiciaire de l'année 23e de Meiji, n° 93).
Le 3e alinéa introduit trois exceptions ou témpéraments à la règle que les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur.
1° Ils ne peuvent exercer les simples facultés légales de leur débiteur. Avant de proposer la formule caractéristique des simples facultés opposées aux droits, on en donnera d'abord quelques exemples incontestables et frappants.
Il est évident que les créanciers ne pourraient bâtir sur un terrain de leur débiteur, louer ses immeubles, exploiter ses terres ou modifier ses cultures; cependant, on pourrait dire que ce sont là des droits incontestables du débiteur, mais, en réalité, ce sont de simples facultés. On pourrait multiplier les exemples.
Au contraire, il n'est pas douteux que les créanciers puissent exercer une action en nullité ou rescision de convention, appartenant à leur débiteur, pour vice de consentement ou pour incapacité; de même, une action en résolution pour inexécution des conditions, une action en dommages-intérêts pour dommages causés aux biens et une foule d'autres.
Il faut pourtant trouver une formule, un signe caractéristique qui permette, dans tous les cas, de voir si l'on est en présence d'un droit ou d'une simple faculté.
La distinction est celle-ci; chaque fois qu'il s'agit d'un avantage que le débiteur ne peut négliger de faire valoir sans éprouver une perte certaine, cet avantage est un droit; chaque fois, au contraire, que, pour obtenir l'avantage, il y a à faire un sacrifice volontaire, il y a simple faculté. Et la différence relative au droit d'agir des créanciers est facile à justifier: du moment que le droit ne peut être négligé sans une perte certaine et directe, il est naturel que les créanciers conservent leur gage et se substituent au débiteur de mauvaise volonté; au contraire, quand il y a à délibérer si l'exercice de la faculté est avantageux ou non, les créanciers ne pourraient s'immiscer dans cette délibération et agir au lieu et place du débiteur, peut-être contre sa volonté: ce serait lui enlever l'administration de son patrimoine, ce qui dépasserait infiniment l'avantage que la loi a entendu leur accorder ici. D'ailleurs, s'il y a plusieurs créanciers ce qui sera le plus fréquent, il y a presque certitude qu'ils seront en désaccord sur l'exercice d'une faculté, tandis que, pour l'exercice d'un droit, l'accord est tout naturel. C'est seulement au cas de faillite que le droit des créanciers peut aller jusqu'à exercer les facultés du débiteur; mais alors c'est qu'il y a pour lui dessaisissement de ses biens, et justement alors, les créanciers sont organisés en assemblée, et délibèrent à une certaine majorité, pour le meilleur règlement de leurs intérêts.
2° La deuxième exception concerne des droits proprement dits du débiteur dont l'exercice est refusé aux créanciers. Ce sont des droits qui présentent plus d'intérêt moral que d'intérêt pécuniaire, c'est pourquoi ils sont considérés comme “exclusivement attachés ou réservés à la personne même du débiteur;” il en serait de même, et à plus forte raison, des droits dont l'intérêt est purement moral et que d'ailleurs les créanciers n'auraient eux-mêmes aucun intérêt à exercer. Cette formule aidera à faire distinguer ces droits d'avec les autres. Les exemples les plus fréquents et les plus saillants à citer sont: les droits relatifs à l'état des personnes, tels que la réclamation ou la contestation de légitimité, la demande en divorce ou en nullité de mariage ou d'adoption, le droit de demander la réparation d'une injure ou d'un autre délit contre la personne, celui de demander la révocation d'une donation pour ingratitude, etc.
Au contraire, on doit considérer comme rentrant dans le droit des créanciers, les actions qui tendent à faire recouvrer à leur débiteur tout ou partie d'une succession, lors même qu'un intérêt moral serait en jeu et pourrait faire hésiter le débiteur; par exemple, la pétition d'hérédité, même subordonnée à la contestation de légitimité d'un enfant, l'action en réduction de donations ou legs excessifs, en déclaration d'indignité contre un héritier. Dans ces divers cas, l'intérêt pécuniaire à agir paraît excéder l'intérêt moral à ne pas agir et le droit des créanciers ne pourrait être exclu que par une renonciation formelle du débiteur faite sans fraude.
3° Enfin, la loi qui a compté le droit de saisie au nombre des garanties des créanciers le leur refuse sur certains biens qui ne sont pas leur gage et qui, pour des raisons de convenance ou d'humanité, sont aussi exclusivement réservés au débiteur, d'où leur nom d'insaisissables (v. art. 29); ces biens sont énumérés au Code de Procédure civile, au sujet des saisies.
Art. 340. Le droit des créanciers exposé dans l'article précédent a ici sa contre-partie: leur qualité d'ayant-cause qui les fait profiter de tous les actes avantageux de leur débiteur, les fait souffrir aussi de ses actes nuisibles: s'il diminue son actif, par des donations ou même par des aliénations à titre onéreux peu avantageuses, ils voient leur gage diminuer; de même, s'il augmente son passif, s'il contracte de nouveaux engagements, ils doivent subir le concours des nouveaux créanciers et, par là encore, leur gage est diminué.
Mais, de même que le précédent article a reçu des exceptions, celui-ci en reçoit également: il y a des aliénations et des engagements que les créanciers ne seront pas tenus de respecter, comme ayant eu lieu “en fraude de leurs droits.” Dans ces cas, les créanciers ne sont plus des ayant-cause mais des tiers: le débiteur ne les a plus représentés, puisqu'il s'est fait leur adversaire.
Le présent article pose la règle avant l'exception et il définit la fraude.
Les articles suivants tranchent plusieurs questions encore débattues en Europe à cause de l'insuffisance des textes.
La loi prend ici le soin de définir la fraude, parce qu'il ne faut, ni la confondre avec le simple préjudice, ni l'en séparer tout-à-fait, ni en exagérer la différence. Le préjudice est le dommage qui résulte pour les créanciers de l'acte de leur débiteur; il peut être causé de bonne foi, c'est-à-dire sans intention de nuire aux créanciers. Si cette intention de nuire existait chez le débiteur, mais que le dommage ne fût pas produit, il n'y aurait pas lieu à la plainte des créanciers, parce qu'il n'y aurait pas d'intérêt pour eux et que l'intérêt est le mobile légitime des actions. Pour qu'il y ait fraude, dans le sens de notre article, et ouverture au droit des créanciers, il faut l'intention de nuire à ceux-ci et un préjudice réel, le fait et l'intention.
Cependant, comme il serait, le plus souvent, impossible aux créanciers de faire la preuve directe de l'intention de nuire que le débiteur aura toujours soin de dissimuler, la loi se contente de la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité actuelle ou savait qu'elle devait résulter de l'acte qu'il allait accomplir. Mais, si le débiteur était déjà insolvable à son insû, ou si, même le sachant, il croyait que son nouvel acte pouvait le relever, il n'y aurait pas fraude aux créanciers, quoique l'acte leur fût très préjudiciable.
La loi est trés générale dans cette disposition: elle permet d'attaquer, indistinctement, tous les actes qui diminuent le patrimoine du débiteur et, par suite, le gage des créanciers, soit directement, comme les aliénations ou les renonciations à des droits acquis, soit indirectement, comme les engagements nouveaux dont parle le 1er alinéa. Il n'y a pas même à distinguer, entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, au moins en ce qui concerne la double condition du préjudice et de l'intention frauduleuse. C'est à tort que l'on soutiendrait que, dans la donation, l'acquéreur cherchant à conserver un gain, est moins intéressant que les créanciers qui cherchent à éviter une perte; en effet, le fait, par le débiteur, d'avoir des créanciers ne doit pas lui enlever le droit de faire des libéralités, lorsqu'elles sont inspirées par la reconnaissance ou l'affection et non par l'animosité contre ses créanciers. Cette distinction entre les actes gratuits et les actes onéreux trouvera d'ailleurs sa place dans une autre question traitée à l'article suivant.
Ce qui pourrait donner lieu à une opinion défavorable aux donations, c'est que les legs ou donations testamentaires ne sont valables qu'autant que les dettes du défunt peuvent être payées sur les autres biens de la succession. Mais il est facile de répondre que si, au décès du débiteur, l'acquittement des legs n'était pas subordonné au payement préalable des dettes, les créanciers n'auraient plus aucune possibilité d'être payés; tandis que, du vivant de leur débiteur, le danger n'est plus le même.
Du reste, il restera toujours une différence défavorable aux donations, c'est que, si elles sont universelles, elles ne pourront avoir lieu qu'à charge du prélèvement des dettes, car; il est évident que le débiteur doit savoir qu'il se rend insolvable par ce genre de donation. Mais encore, ce n'est pas en invoquant la fraude que les créanciers demanderont leur payement, c'est en vertu du principe que la donation universelle est une sorte de succession.
Il faut, au contraire, distinguer au sujet de l'application de notre article, entre les cas où le débiteur aliène un droit acquis et celui où il manque à acquérir un droit qui lui est offert. Cette distinction, déjà faite en droit romain, est très sage et doit être encore admise aujourd'hui. En effet, si les créanciers peuvent s'opposer à ce que le débiteur diminue leur gage, c'est qu'ils y ont eux-mêmes un droit acquis; mais ils ne peuvent exiger qu'il l'augmente: lors même qu'on offrirait une donation à leur débiteur, ils ne peuvent prétendre qu'il l'accepte, ni l'accepter pour lui, parce qu'il est seul juge de la convenance qu'il y a pour lui à recevoir une donation d'une personne quelconque, même honorable. En tout cas, lors même que les créanciers prétendraient un pareil droit, ce ne serait pas en vertu de notre article, mais en vertu du précédent; or, il s'agit ici d'une de ces “simples facultés” dont l'exercice est exclusivement réservé au débiteur.
Malgré la généralité des termes de la loi, il va de soi que les créanciers ne pourraient faire annuler comme frauduleux un acte d'aliénation portant sur des choses insaisissables: dans ce cas, les créanciers ne pourraient alléguer qu'il y a préjudice pour eux, puisque ce bien, en admettant qu'il fût aliénable, ne pourrait servir à les payer que par la pure volonté du débiteur.
Art. 341. Cet article règle les voies et moyens par lesquels les créanciers obtiennent la réparation du préjudice à eux causé par les actes frauduleux du débiteur.
Le premier moyen, celui qu'on peut considérer comme général, est une action tendant à l'annulation de ce qui a été fait en fraude des créanciers. Pour distinguer cette action des autres actions en nullité, on l'appelle “action révocatoire.”
Le 1er alinéa du présent article nous dit que cette action est donnée contre ceux qui ont traité avec le débiteur et, subsidiairement, c'est-à-dire, en tant qu'il est besoin et possible, contre les sous-acquéreurs. Il est clair que cette action ne peut être exercée contre le débiteur, au moins contre le débiteur seul; et cela pour deux raisons: la première, c'est qu'il ne dépend plus de lui d'anéantir l'acte qu'il a fait avec un tiers, la seconde c'est qu'il est insolvable et que l'action contre lui n'aurait aucune utilité pour les créanciers. Il faut donc que l'action soit dirigée contre ceux qui ont traité avec le débiteur; sauf à mettre celui-ci en cause, comme l'exige le 3e alinéa, tant pour qu'il puisse soutenir la validité de l'acte que pour que le jugement lui soit opposable.
Quand il s'agit de faire annuler un engagement du débiteur envers un tiers, ou une renonciation du débiteur à une créance qu'il avait contre un tiers, c'est ce dernier seul qui peut être le défendeur: l'action est nécessairement personnelle contre lui; elle ne provient pas d'un contrat, car le tiers n'a pas contracté avec les créanciers, mais elle est née, soit de sa participation à la fraude, ce qui est un dommage injuste, soit de son enrichissement illégitime.
S'il s'agit de faire annuler une aliénation et que la chose aliénée soit encore la propriété de l'acquéreur, l'action est de même personnelle et elle s'explique de la même manière. Mais si l'acquéreur a lui-même cédé la chose, la loi permet et devait permettre la révocation contre le sous-acquéreur, au moins dans certains cas: autrement, la réparation du préjudice eût été le plus souvent impossible; mais il ne fallait pas non plus atteindre des tiers qui n'auraient eu aucune participation à la fraude; il a donc été nécessaire de faire des distinctions, indiquées aussitôt après: suivant ces distinctions, l'action révocatoire, même dirigée contre des sous-acquéreurs, est encore personnelle, car elle se trouve toujours fondée sur un dommage injuste.
Le 2e alinéa prévoit un acte frauduleux du débiteur, qui n'est pas un contrat, mais qui ne doit pas davantage échapper à la révocation. Le débiteur, avec intention frauduleuse contre ses créanciers, s'est laissé condamner dans une instance où il était défendeur, ou il a laissé rejeter une demande par lui faite, pour la forme seulement, mais dans laquelle il n'a pas soutenu son droit; les créanciers n'avaient pas usé du droit d'intervention que leur fournissait l'article 359, 2e al.: dans ces deux cas, la justice a été nécessairement trompée, et le respect dû à ses décisions ne sera nullement atteint parce que sa décision sera attaquée. Il y a, à cet égard, une voie de recours spéciale et extraordinaire, appelée révision (C. Pr. civ. art. 483).
La loi veut que, dans tous les cas, le débiteur soit appelé au procès: il y sera défendeur conjointement avec le tiers, car son rôle naturel est de défendre son acte et de soutenir celui avec lequel il a traité (v. C. proc. civ. art. 482).
Le dernier alinéa prévoit le cas où la révocation ne pourrait être obtenue effectivement, c'est-à-dire par annulation de l'acte frauduleux; dans ce cas, il sera pourvu à la réparation du préjudice des créanciers par une demande en dommages-intérêts. Voici les principaux de ces cas: l'aliénation frauduleuse a porté sur des objets mobiliers que l'acquéreur a détournés et qui ne peuvent être retrouvés; ou bien, ce sont des meubles ou même des immeubles que l'acquéreur a revendus à des tiers de bonne foi qui ne peuvent être atteints par l'action révocatoire, d'après l'article suivant.
Il faut admettre enfin que les créanciers fraudés pourrait toujours se borner à une action en dommages-intérêts, lorsque la chose aura passé dans les mains d'un sous-acquéreur, s'ils préfèrent ne pas s'engager dans une poursuite devenue plus difficile contre celui-ci.
Art. 342. La loi tranche ici trois questions que plusieurs Codes étrangers ont laissées incertaines et sur lesquelles les légistes n'ont pu arriver à un parfait accord.
La première solution a déjà été annoncée par les observations faites sur l'article 340. La loi ne se contente pas du simple préjudice pour permettre l'annulation des actes gratuits du débiteur: que l'acte soit gratuit ou onéreux, le fondement nécessaire de l'action révocatoire est l'intention frauduleuse jointe au préjudice réel, et, comme la fraude ne peut se présumer, les créanciers devront la prouver. On rappelle seulement que l'intention frauduleuse est suffisamment établie par la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité.
La deuxième solution présente la seule différence admise ici entre les actes gratuits et les actes onéreux; si l'acte est gratuit, le contractant ne sera pas à l'abri de la révocation, malgré sa bonne foi, tandis que celui qui a contracté à titre onéreux ne perdra le bénéfice de l'acte qu'autant qu'il aura colludé, c'est-à-dire participé à la fraude commise contre les créanciers, ce qui sera suffisamment établi par cela seul qu'il l'aura connue. Cette distinction entre les actes gratuits et onéreux a toujours été admise par les jurisconsultes, depuis les Romains: elle se fonde sur cette idée, très juste en elle-même, mais qu'on a quelquefois poussée trop loin, que “le donataire qui cherche à conserver un gain est moins” intéressant que les créanciers fraudés qui cherchent “à éviter une perte.” Au contraire, ceux qui ont traité à titre onéreux avec le débiteur cherchent aussi à éviter une perte, en contestant la révocation; or, lorsque le débat s'établit entre personnes également favorables, il est naturel de maintenir ce qui a été fait, de laisser à chacun sa position acquise, de sorte que “la préférence reste à celui qui possède.”
Lorsqu'il s'agit, non d'un contrat frauduleux, mais d'un procès que le débiteur a laissé décider contre lui, en fraude de ses créanciers, il faut faire la même distinction: si le procès est fondé sur un acte onéreux, la révision tendant à faire révoquer le jugement erroné ne peut être admise que si l'adversaire a colludé avec le débiteur; si le procès, au contraire, est fondé sur une donation dont l'exécution est litigieuse, il suffit, pour le succès de la révision, que le débiteur ait eu l'intention de frauder ses créanciers, sans collusion du donataire.
La troisième solution (2e alinéa) est différente, sur un point, de celle qu'on donne habituellement dans la jurisprudence étrangère. On a dit, plus haut, que l'action révocatoire n'atteindrait pas suffisamment son but, si elle ne pouvait être donnée que contre celui qui a traité avec le débiteur. Cependant, il est difficile de soutenir que les créanciers fraudés gardent un droit réel sur les choses aliénées en fraude de leur droit: on ne peut assimiler leur gage général au gage spécial dont ils seraient nantis ou à une hypothèque qui leur aurait été constituée; ils ne peuvent donc avoir un véritable droit de suite, lequel serait l'avantage distinctif du droit réel. Mais, si l'on trouve dans la situation des sous-acquéreurs les éléments d'une obligation, l'action peut être donnée contre eux, comme action personnelle.
Ainsi, tout le monde est d'accord pour donner l'action contre un sous-acquéreur de mauvaise foi, c'est-à-dire qui a connu la fraude originaire faite aux droits des créanciers: il y a alors l'enrichissement injuste déjà mentionné. Mais, si le sous-acquéreur a ignoré cette fraude, s'il a été de bonne foi en recevant la chose, alors on fait généralement une distinction: on met à l'abri de la révocation le sous-acquéreur à titre onéreux et on y soumet le sous-acquéreur à titre gratuit, toujours sous le prétexte “qu'il cherche à retenir un gain, en face de ceux qui cherchent à éviter une pert.” Là est l'exagération.
Le Code japonais se sépare ici de l'opinion commune: il protège également tous les sous-acquéreurs de bonne foi, quelle que soit la nature de leur titre d'acquisition. En effet, il n'est pas exact de dire qu'un sous-acquéreur par donation qui a ignoré la fraude faite aux créanciers “ne cherche qu'à conserver un gain,” il ne faut pas dire non plus qu'il est enrichi indûment du bien d'autrui, ce qui le soumettrait à l'obligation de rendre. Assurément, un donataire qui a pu considérer une libéralité comme valablement acquise et qu'on en dépouillerait ensuite, ne serait guère moins lésé qu'un acheteur: il a pu changer son mode d'existence, se marier, entreprendre un commerce ou une industrie et le dépouillement serait la ruine. Lorsqu'il s'agit d'un donataire direct du débiteur frauduleux, on peut lui imputer quelque imprudence, notamment, de ne pas s'être assuré de la situation du donateur: mais quand le donataire est un sous-acquéreur, il ne connaît pas nécessairement l'auteur de la première aliénation: aucune faute ne lui est imputable.
On n'hésite pas à se séparer ici de l'opinion commune.
Art. 343. La première des solutions de cet article est indiscutable. Il y a plus de difficulté sur la seconde.
Assurément, les créanciers qui n'ont traité avec le débiteur qu'après l'acte frauduleux ne peuvent dire qu'ils sont fraudés: ils ont dû connaître la position du débiteur, l'état actuel de son actif et de son passif, ils ne sont pas trompés; l'action révocatoire ne peut donc appartenir qu'aux créanciers antérieurs aux actes frauduleux.
Mais ce serait exagérer leur avantage que de soutenir, comme on l'a fait, que le profit de la révocation ne doit aussi appartenir qu'à eux seuls: ce serait faire deux catégories de créanciers et deux masses de biens à distribuer, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de la faillite et de la déconfiture.
L'effet de la révocation doit être de retablir les choses dans l'état où elles auraient été si l'acte frauduleux n'avait pas eu lieu. Ainsi, s'il y a eu engagement frauduleux envers un créancier, ce dernier sera seul écarté de la distribution des biens du débiteur et son exclusion devra profiter à tous les autres; s'il y a eu renonciation frauduleuse du débiteur à une créance, celui au profit duquel elle a été consentie devra payer sa dette et tous les créanciers en bénéficieront. Il n'en doit pas être autrement au cas d'aliénation révoquée, la chose rentrée dans les biens du débiteur sera vendue et le prix en sera distribué entre tous les créanciers. Toutefois, si celui contre lequel la révocation est prononcée avait lui-même fourni une contre-valeur, il figurerait avec les autres dans la distribution, pour la restitution qui lui est certainement due.
Le texte réserve, en terminant, le cas où il y aurait entre les créanciers des causes légitimes de préférence: c'est toujours l'application de l'idée que l'acte révoqué est censé non avenu. Ainsi, ceux des créanciers qui pouvaient avoir sur la chose un droit de gage ou d'hypothèque le conserveront comme droit réel; il pourra même arriver que la préférence soit née de la révocation elle-même: ainsi, le créancier qui a fait les poursuites sera remboursé par préférence aux autres, sur la valeur du bien recouvré, des avances et frais qu'il a faits pour le procès: c'est un cas de privilége fondé sur l'idée de service rendu à la masse, c'est-à-dire à tous les créanciers.
Art. 344. 167. Le délai de trente ans est admis ultérieurement comme étant la plus longue prescription des actions personnelles, ce qui est le cas de l'action révocatoire. Ce délai est considéré ici comme largement suffisant pour que les créanciers puissent connaître la fraude dont ils ont été victimes. Mais, si la fraude est une fois connue, le délai de deux ans pour agir est suffisant aussi. Si la fraude n'avait été découverte qu'après vingt neuf ans depuis l'acte frauduleux, il ne resterait plus pour agir que ce qui resterait à courir des trente ans.
II. DE L'EFFET DES CONVENTIONS A L'ÉGARD DES TIERS.
Art. 345. La disposition de cet article est encore une des plus importantes du droit privé; elle est un de ces principes constamment invoqués dans les discussions d'espèces et qu'on doit toujours avoir présents à l'esprit; il a déjà été cité ici plus d'une fois, à l'appui de certaines dispositions de la loi: “les conventions entre les parties ne peuvent nuire ni profiter à des tiers.”
Le principe est facile à justifier, surtout dans la première proposition qui met les tiers à l'abri des conséquences de conventions auxquelles ils n'ont pas participé: il est clair que nul ne peut voir diminuer ses droits, ni augmenter ses charges, par un fait auquel il est resté étranger; nul ne doit souffrir du fait d'autrui; quand un tel mal est produit par un fait d'autrui, il doit être réparé; mais il ne pourra pas être produit par un droit d'autrui: il suffit pour le prévenir que la loi s'y oppose.
La seconde proposition est moins commandée par la justice que par la raison: aucun intérêt ne serait lésé, si les conventions faites entre deux parties profitaient à un tiers qui n'y a pas participé; mais ce serait contraire à l'ordre naturel des choses: on a même vu plus haut (v. art. 323) que le stipulant lui-même ne pourrait, au moins en règle générale, se prévaloir d'une stipulation qu'il aurait faite au profit d'un tiers.
Mais les deux propositions peuvent recevoir des exceptions et c'est à la loi à les déterminer.
Déjà, on a vu que la stipulation pour autrui est valable dans deux cas indiqués par l'article 323; mais, c'est à peine si l'on peut dire que, dans ces deux cas, il y a exception au principe, car, avant que le tiers ait déclaré accepter la stipulation, le bénéfice ne lui en est pas acquis irrévocablement, ce n'est même pas à lui qu'appartient l'action, mais au stipulant, et, après son acceptation, il n'est plus étranger à l'acte, il y est participant (v. art. 325).
La loi admet aussi quelques exceptions à la règle inverse, qu'une convention ne peut être opposée qu'à ceux qui y ont pris part. Ainsi, notamment, on voit au Code de commerce (art. 1039), les créanciers du failli prenant, à une certaine majorité, des délibérations qui lient la minorité, quoiqu'elle n'y ait pas consenti et même y ait résisté.
Il faut, du reste, se garder de considérer comme exception au principe le cas où des associés prennent, à la majorité des voix, des décisions qui lient la minorité des associés: en pareil cas, si la force de la délibération est opposable à tous, c'est que les statuts de la société l'ont décidé et les statuts ont été préalablement votés à l'unanimité ou acceptés individuellement par chaque associé, au moment de son entrée dans la société.
Les articles suivants vont présenter d'autres dispositions qui, dans une certaine mesure, ont aussi le caractère d'exceptions à la première règle, ce qui explique leur place dans ce §: on y verra des conventions nuisant aux tiers et ces tiers ne seront autres que des personnes ayant été parties dans une autre convention antérieure; mais il y aura à cela une raison particulière, c'est qu'ils n'auront pas fait tout ce que la loi leur prescrivait pour conserver leur droit.
Ces dispositions sont au nombre de trois: les deux premières sont l'objet des deux articles suivants; la troisième, infiniment plus difficile dans son application et ses détails, occupe les articles 348 et suivants.
Art. 346. Il faut bien se garder de voir dans l'avantage attribué ici à la possession un retour à l'ancienne théorie d'après laquelle la tradition était nécessaire pour la translation de la propriété. Lorsqu'il y a eu deux aliénations successives d'un meuble, il n'est pas douteux que la propriété soit acquise au premier contractant, et, d'après le droit commun, le cédant n'a pu conférer une seconde fois le même droit; le second cessionnaire, n'étant que l'ayant-cause du cédant, ne devrait pas avoir plus de droit que celui-ci, et spécialement, il ne devrait pouvoir, en aucun cas, évincer le premier cessionnaire qui est un tiers par rapport à la seconde convention. Mais la loi considère que l'équité et l'intérêt général souffriraient également, si un nouveau contractant était exposé lui-même à une éviction qu'il n'a pas prévue ni pu prévoir. Ne pouvant organiser une publicité proprement dite des aliénations de meubles, comme elle en institue une pour les aliénations d'immeubles, la loi la considère comme utilement remplacée par la tradition réelle, c'est-à-dire par la mise en possession matérielle de l'acquéreur. Dès lors, celui qui achète ou reçoit en donation un meuble, déjà aliéné et qui n'est plus en possession du cédant, commet une imprudence dont il doit s'imputer les suites: il reste ayant-cause, avec les conséquences de cette qualité. Mais si, au contraire, le second acquéreur voit la chose dans les mains du cédant, ce n'est plus lui qui est en faute, mais le premier acquéreur qui n'a pas exigé la tradition. Les situations sont alors interverties par la loi, qui donne la qualité d'ayant-cause au premier acquéreur et celle de tiers au second: celui-ci n'est pas tenu de respecter une aliénation, même antérieure, qu'il n'a pu connaître; dès lors, la seconde convention nuit à une personne qui n'y a pas figuré et le présent article devient une nouvelle exception à la règle de l'article précédent.
La loi subordonne cette préférence donnée au possesseur réel à deux conditions qui complètent l'équité de la disposition:
1° Il faut que le possesseur soit de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ait ignoré la première cession. La loi a soin, à ce sujet, de se prononcer sur un point qui, sans cela, ferait difficulté: faut-il exiger la bonne foi, non-seulement au moment de la convention, mais encore au moment de la prise de possession? La loi ne l'exige qu'au moment de la convention; c'est là, en effet, que, les choses étant encore entières, le nouvel acquéreur doit s'abstenir de traiter, s'il connaît la première cession; mais, une fois ce moment passé, si la loi l'obligeait à s'abstenir de demander et de prendre la possession, parce qu'il a découvert une cession antérieure, elle lui imposerait le sacrifice d'un droit sur lquel il a raisonnablement compté.
2e Il faut encore que le nouveau cessionnaire n'ait pas eu, au moment du contrat, l'administration des biens du premier acquéreur: autrement, il aurait eu l'obligation de prendre la possession pour celui-ci et surtout de ne pas la prendre pour lui-même; tel serait le cas d'un tuteur ou d'un mari qui acquerrait un meuble déjà cédé à son pupille ou à sa femme.
Si, maintenant, l'on suppose qu'aucun des cessionnaires n'a été mis en possession réelle, on retrouvera l'application de la règle que la propriété a été transférée au premier par le seul consentement: c'est lui qui triomphera dans l'action en revendication qui serait intentée par l'un ou par l'autre; si le cédant est insolvable, le premier cessionnaire ne subira pas le concours avec les créanciers et il se fera délivrer la chose, à l'exclusion de ceux-ci; enfin, les créanciers du cédant ne pourraient jamais critiquer la seconde cession comme faite en fraude de leurs droits, par application de l'article 340, car le bien n'appartenait plus à leur débiteur au moment de cette seconde cession.
Le premier alinéa du présent article en restreint l'application aux meubles corporels, de manière à en exclure les créances ou droits personnels qui sont des choses incorporelles: ces choses, en effet, sont susceptibles de possession, mais cette possession ne se révèle pas par des actes extérieurs. Le 2e alinéa fait une exception en faveur des créances ou titres au porteur et y applique la disposition qui nous occupe. On sait, en effet, que les titres au porteur sont des actes constatant une obligation (généralement de l'Etat ou d'une grande corporation) au profit de quiconque possède ou détient le titre; il est donc naturel que la possession de ces titres produise le même avantage, pour un second cessionnaire au préjudice du premier, que s'il s'agissait d'une chose corporelle.
Art. 347. La cession de créance est d'une très-grande importance pratique. Il ne s'agit ici, du reste, comme on le voit, à la lecture de l'article, que de la manière de donner à la cession une sorte de publicité, ou, au moins, de la porter à la connaissance des intéressés.
Supposons un instant que la cession de créance ne fût soumise à aucune publicité; voici comment les choses se passeraient: le cessionaire opposerait son droit; 1° au débiteur lui-même, qui ne pourrait plus valablement payer au créancier cédant; 2° aux créanciers du cédant, lesquels ne pourraient plus faire de saisie-arrêt sur cette créance qui n'appartient plus à leur débiteur 3° aux cessionnaires postérieurs, qui ne pourraient plus valablement acquérir une créance déjà aliénée. Ces personnes auxquelles le droit du premier cessionnaire serait opposable se trouveraient évidemment ayant-cause du cédant et tenues de respecter ses actes antérieurs; le cessionnaire lui-même serait ayant-cause pour les actes antérieurs au sien (par exemple, pour un payement partiel ou une transaction qui diminuerait la créance); mais il serait tiers pour les actes postérieurs.
Cependant, cette situation serait très-défavorable à la confiance générale: elle exposerait les contractants à des surprises et à des déceptions qu'il ne dépendrait pas d'eux d'éviter. La loi, ne pouvant considérer ici la délivrance ou remise des titres comme une publicité suffisante, en a organisé une autre; mais, lorsqu'elle soumet la cession à une certaine publicité, elle ne fait autre chose que de subordonner le maintien de ces positions respectives à une condition facile à remplir par le cessionnaire et qui, justement, suffit à prévenir le danger signalé que courraient les ayant-cause.
Il faut maintenant expliquer comment les formalités prescrites tiennent lieu de publicité.
D'abord, il y en a deux: 1° la signification ou notification de la cession au cédé, laquelle peut être faite, soit par le cédant, soit par le cessionnaire, conjointement avec le cédant ou autorisé par lui, au moins quand la cession est sous seing privé; 2° l'acceptation du cédé, soit dans l'acte même de cession, auquel il consent à intervenir, soit dans un acte séparé; cette acceptation doit être faite par acte écrit, authentique ou sous seing privé.
L'avertissement ainsi donné au cédé suffira pour tous les intéressés: d'abord, il suffira pour le cédé lui-même, qui ne doit plus payer au cédant, ni faire avec lui aucune transaction ou convention libératoire qui nuirait au cessionnaire; il suffira aussi pour les créanciers du cédant qui voudraient faire saisie-arrêt sur la créance, et pour les personnes qui seraient disposées à acquérir la créance; car, avant de saisir ou de traiter, ces personnes ne manqueront pas de s'assurer, près du prétendu débiteur, s'il l'est réellement encore et quel est le montant de la dette; suivant la réponse qui leur sera faite (et dont ils feront bien de tirer une preuve écrite, en prévision d'une fraude ou d'une erreur), ils traiteront ou ne traiteront pas.
Le 2e alinéa indique une différence notable entre les deux formalités: la signification, étant un acte auquel le cédé ne participe pas, ne peut lui nuire (art. 345); en conséquence, elle lui laisse le droit d'opposer au cessionnaire tous les moyens de défense qu'il aurait pu avoir contre le cédant, tels que la nullité absolue de l'obligation pour défaut de consentement, de cause ou d'objet, l'annulabilité pour vice de consentement ou incapacité, ou toute cause extinctive de la dette, pour le tout ou pour partie; au contraire, l'acceptation, étant son œuvre, lui enlève ces moyens de défense, par une sorte de renonciation à ses droits ou de confirmation de la dette. Le seul cas douteux serait celui de la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par une ratification; mais l'obligation commencerait avec le nouveau consentement, si d'ailleurs elle avait une cause et un objet valables.
Le 3e alinéa suppose que le cessionnaire a tardé à faire la signification ou à obtenir l'acceptation et il en indique les conséquences: si le débiteur cédé paye ou se libère autrement vis-à-vis du cédant, si des créanciers de celui-ci font une saisie-arrêt entre les mains du cédé, si un autre cessionnaire signifie une nouvelle cession, ce sont ces personnes qui sont préférées, ce sont elles qui se trouvent tiers par rapport à la cession qu'elles ont ignorée et c'est le premier cessionnaire qui se trouve ayant-cause du cédant par rapport aux actes qu'il est tenu de respecter.
La loi ne se borne pas à déduire les conséquences du défaut de signification ou d'acceptation en temps utile: elle tranche une question fort grave et elle le fait dans un sens éminemment équitable. On décide généralement, en pays étranger, que si la signification de la cession n'a pas eu lieu, elle est présumée inconnue des intéressés et on voit là une présomption légale absolue, c'est-à-dire n'admettant aucune preuve contraire; on n'admet pas la recherche de la bonne ou mauvaise foi des tiers, c'est-à-dire de la connaissance qu'ils pourraient avoir eue autrement de la cession antérieure. Cette solution est évidemment contraire à la justice naturelle et elle ne se trouve pas suffisamment justifiée par la prétendue nécessité d'éviter des procès difficiles.
Le Code concilie ici la justice avec l'utilité générale, en admettant la preuve de la mauvaise foi, comme démenti à la présomption légale, mais en la limitant à l'aveu même de celui qui se prévaudrait du défaut de signification. Assurément, un débiteur qui avouerait qu'il connaissait la cession déjà faite, au moment où il a traité avec le cédant, ne serait pas digne de la protection de la loi, pas plus qu'un second cessionnaire qui avouerait avoir connu une cession antérieure non encore signifiée.
Lorsque l'on arrivera aux Preuves, on établira que l'aveu est une preuve toujours admissible, même contre les présomptions légales les plus fortes, chaque fois, du moins, que l'intérêt privé est seul en jeu, et cela, parce que, dans ces preuves, l'adversaire s'est fait juge dans sa propre cause, et, s'il se condamne lui-même, la certitude est absolue.
Ce que la loi ne permet pas, au moins en principe, ce serait de prouver la mauvaise foi par témoins ou par des présomptions de fait, et encore la prohibition cesse, lorsqu'il y a fraude concertée, collusion, entre le cédant et le nouveau cessionnaire, parce qu'alors il y a un délit civil caractérisé.
La même question et la même solution vont se représenter au sujet de la publicité à donner aux aliénations d'immeubles et, à cause de l'intérêt plus considérable de la matière, on s'y arrêtera davantage.
La loi ayant, dans l'article précédent, assimilé les créances aux porteurs aux choses corporelles, le présent article reste limité aux créances nominatives; mais quelques-unes encore sont régies par d'autres règles, ce sont les créances ou titres cessibles par voie d'endossement et connus généralement sous le nom d'effets de commerce. C'est au Code de commerce qu'il en est traité et l'on y verra que l'endossement, révélant, sur l'acte même, la cession de la créance, constitue pour les intéréssés une publicité suffisante.
Art. 348. On a reconnu, dans les temps modernes, la nécessité de donner une véritable publicité aux aliénations d'immeubles et aux cessions ou constitutions de tous autres droits réels formant démembrements de la propriété immobilière. Il serait tout-à-fait contraire à l'intérêt général que celui qui a cru acquérir un droit immobilier, en traitant avec celui qui paraissait investi du droit cédé, fût exposé à en être évincé par un cessionnaire antérieur dont il n'avait pu connaître les droits. Les observations présentées ci-dessus, au sujet des mesures prises par la loi, dans le but d'éviter ce danger, à l'égard des cessions de meubles corporels ou incorporels, dispensent d'insister sur ce point.
Le présent Code se borne à poser le principe de la publicité et sa sanction: on trouvera les détails d'application dans les lois des 19e et 23e années de Meiji.
C'est au tribunal local (ku saibansho) de la situation des biens, objets de la convention, qu'on a placé le registre destiné à recevoir les inscriptions: il se trouve ainsi facilement accessible aux intéressés.
Les registres d'inscriptions sont tenus d'après les propriétés et non d'après les noms des propriétaires; c'est-à-dire que chaque propriété parcellaire et chaque maison a pour ainsi dire un compte ouvert où figurent les actes dont elle est l'objet. C'est le mode de tenue des registres qui donne le plus de facilité pour les recherches et le plus de garanties aux intéressés.
L'article 348 indique quatre classes d'actes qui doivent être soumis à l'inscription.
Le 1er alinéa est très-large; il soumet à l'inscription tous les actes (entre-vifs ou testamentaires), qui confèrent à autrui, qui aliènent un droit réel immobilier qu'il s'agisse de la propriété pleine ou démembrée d'un de ses avantages, ou d'un de ces démembrements même, comme l'usufruit, l'usage, l'habitation, comme les droits de louage, d'emphytéose, de superficie ou d'hypothèque. Quelques-uns de ces droits sont pourtant incessibles; mais la publicité conserve une grande utilité pour ceux qui traiteraient avec le constituant: ils sauront qu'il n'a plus la disposition de ces mêmes droits et que la propriété est déjà démembrée entre ses mains.
Il n'y a pas à distinguer si l'acte est authentique ou privé, parce que le but de l'inscription est la publicité, laquelle n'est pas obtenue par la forme authentique. Il n'y pas à distinguer non plus si l'acte est à titre onéreux ou gratuit; les actes gratuits, il est vrai, paraissent nécessiter la publicité, plus encore que les actes à titre onéreux: sans doute, parce que souvent le donateur garde longtemps la possession de la chose donnée; mais, aujourd'hui qu'on ne considère pas la tradition comme une publicité sérieuse, si ce n'est en matière de meubles (voy. art, 346), son absence ou son retard ne motive pas de disposition exceptionnelle.
Les principaux contrats nommés et à titre onéreux qui se trouvent soumis à l'inscription, comme pouvant conférer des droits réels immobiliers, sont, outre la vente et l'échange, qui seront toujours les plus fréquents, la société, le contrat de mariage, la transaction; comme contrats innommés, on peut supposer une dation en payement (art. 461), une novation (art. 489-1°).
En ce qui concerne la prescription acquisitive d'un immeuble, il n'y a pas lieu de la soumettre à l'inscription.
D'abord, il arrivera le plus souvent que l'acte qui a motivé la prise de possession aura été inscrit comme juste titre, comme acte de nature à transférer la propriété; lorsque le vice de ce titre impuissant à transférer la propriété, parce qu'il émanait d'un autre que le propriétaire, a été couvert par la prescription, la publicité primitive du titre se trouve avoir eu la même utilité que si le titre avait été parfait à l'origine.
Cette raison ne s'applique plus au cas d'usurpation ou de prescription sans titre; mais il ne faut pas oublier que l'une des conditions essentielles de la prescription acquisitive est une possession continue et publique; or, cette publicité continue de la possession peut raisonnablement être considérée comme équivalente à l'inscription, si même elle ne lui est pas supérieure.
Le n° 2 de l'article 348 s'applique à des actes qui diffèrent plutôt par le nom que par le fond de ceux qui précèdent: si une convention modifie un droit précédemment acquis, elle y ajoute ou elle en retranche quelque chose; si elle ajoute au droit du cessionnaire, elle diminue ceux du cédant et, dès lors, ceux qui contracteront plus tard avec celui-ci ont intérêt à connaître la convention; si elle retranche quelque chose au droit du cessionnaire, ce sont ceux qui traiteront avec ce dernier qui ont intérêt à la publicité; il en est de même et à plus forte raison, au cas de renonciation totale à un droit réel établi sur la chose d'autrui.
Les démembrements de la propriété sont les seuls droits réels auxquels s'applique le n° 2, parce que ce sont aussi les seuls qui, par la simple renonciation, passent d'une personne à une autre, en retournant à la souche dont ils ont été détachés. Il est vrai que si quelqu'un renonçait à un droit de propriété immobilière, son droit passerait à l'Etat; mais, outre que le fait est bien rare, il serait difficile de voir là une transmission directe du particulier à l'Etat: le bien serait d'abord devenu sans maître, ensuite, l'Etat tiendrait son droit de la loi, et le présent article ne s'y appliquerait pas. Ce n'est pas à dire que, dans ce cas, l'inscription n'aurait aucun intérêt: elle tendrait, comme on l'a déjà fait remarquer, plus haut, à prévenir l'aliénation ultérieure du bien par celui qui l'avait abandonné; mais si l'hypothèse d'un abandon d'immeuble est déjà rare, celle d'une aliénation ultérieure le sera davantage encore, non seulement parce qu'elle serait un acte malhonnête, mais parce que cet abandon, suivi d'une prise de possession par l'Etat, aura été notoire, par sa singularité même.
Il ne faut pas, quant à la publicité, assimiler à la renonciation aux démembrements de propriété leurs causes naturelles d'extinction: ainsi l'extinction d'un bail par l'expiration du terme fixé ou d'un usufruit par la mort de l'usufruitier, n'est pas soumise à l'inscription: ceux qui traiteraient avec le locataire ou le fermier au sujet de son droit normalement éteint, seraient en faute, car l'inscription du bail leur en a révélé le terme; à plus forte raison, seraient en faute ceux qui, après la mort de l'usufruitier, traiteraient avec son mandataire, ignorant sa mort, ou avec son héritier ignorant que l'usufruit s'étient par la mort. Mais le jugement prononçant l'extinction d'un usufruit pour abus de jouissance devrait être publié, conformément à l'article 352, parce que ce n'est pas une cause naturelle d'extinction du droit d'usufruit.
La formule du n° 2 est générale, quant aux renonciations, pour plus de simplicité; mais il y en a qu'il sera inutile d'inscrire, faute d'utilité, ce sont les renonciations au droit d'usage ou d'habitation et à ceux des baux qui ne sont pas susceptibles d'être cédés ou hypothéqués (voy. art. 113, 134 et 135); en effet, personne ne pouvant devenir ayant-cause particulier du titulaire de ces droits en traitant avec lui, il n'y a à prévenir aucune des surprises ou erreurs auxquelles pare ordinairement la publicité; à l'égard de ceux qui voudraient traiter avec le plein propriétaire, au sujet des mêmes droits, celui-ci aura tout intérêt en même temps que toute facilité à établir, par la production de l'acte même de renonciation, que les droits antérieurement inscrits comme grevant son fonds ont cessé d'exister.
Le n° 3 soumet à l'inscription les adjudications d'immeubles sur saisie: ce sont des actes translatifs de propriété immobilière; si la loi en fait l'objet d'une disposition spéciale, c'est que ce ne sont pas des actes consentis entre les parties intéressées, puisque l'une d'elles, le débiteur saisi, est considérée comme résistant et contestant.
Bien que l'expropriation pour cause d'utilité publique doive être réglée par une loi spéciale, à la fois civile et administrative, il a paru bon de déclarer, dès à présent (n° 4), que ce genre d'acquisition est soumis à la publicité du droit commun; l'utilité est la même: c'est d'empêcher que des particuliers n'achètent de l'exproprié un bien qui désormais est du domaine public; la loi ne distingue pas, du reste, si l'expropriation a été consentie à l'amiable ou prononcée en justice.
La loi ne règle pas ici la publicité des droits réels de privilége et d'hypothèque. C'est au Livre des Garanties qu'il en est parlé.
Art. 349. Cet article laisse aux intéressés le soin de requérir l'inscription. Ils auront pour cela à justifier de leur qualité, de leur intérêt et de la sincérité du titre dont ils demandent l'inscription; cette justification se fera, soit par des moyens de droit commun, soit dans la forme qui sera fixée par les Règlements spéciaux de la matière. Il ne faudrait pas laisser les propriétaires exposés à ce que des inscriptions mal fondées fussent faites sur leurs immeubles et diminuassent ainsi leur crédit. Sans doute, une inscription indûment faite pourra toujours être annulée (art. 354), mais il vaut mieux prévenir les abus que les réprimer.
Avec ces précautions, il sera bon de donner au certificat d'inscription un caractère de titre constatant le droit; mais il y aura là une difficulté: si la convention n'a été rédigée que sous-seing privé, il ne sera pas possible que le certificat d'inscription ait une plus grande force probante que l'original: il n'y aura d'authentique que la déclaration de conformité.
Pour que la publicité résultant de l'inscription soit efficace, il faut que toute personne puisse requérir un extrait des inscriptions existant sur tel immeuble qu'elle désignera: le requérant pourra limiter sa demande aux mentions antérieures ou postérieures à une époque déterminée. Il y aura nécessairement à payer un droit, une taxe, suivant le nombre et l'étendue des extraits délivrés.
On pourrait, à la rigueur, autoriser les intéressés à examiner eux-mêmes les registres; mais ce procédé, s'il est moins dispendieux pour eux, présente des dangers d'altération des registres.
La loi n'exige pas qu'ici le requérant justifie de son intérêt, pour deux raisons: d'abord, aucun danger n'est à craindre pour le crédit légitime du propriétaire: il y perdrait, tout au plus, un crédit usurpé; ensuite, l'intérêt peut n'être pas encore né pour le requérant; par exemple, s'il s'informe avant de contracter.
Art. 350. Cet article présente les conséquences du système de publicité des mutations; elles sont, par ce qui précède, rendues faciles à comprendre et à justifier.
Si le premier acquéreur a fait inscrire son titre, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour empêcher que d'autres personnes, ignorant la cession, traitassent avec l'ancien propriétaire, pour acquérir de lui, soit la propriété même, soit des démembrements de la propriété, soit des sûretés réelles: celles-ci ne peuvent imputer qu'à elles-mêmes leur imprudence, si elles ont négligé de consulter les registres. On pourrait cependant supposer qu'elles ont demandé au conservateur du registre un état des inscriptions et que, par erreur, celui-ci a omis de mentionner une inscription que ces personnes avaient intérêt à connaître; le cas est prévu plus loin (art. 355): en pareil cas, la faute du conservateur ne peut retomber sur celui qui a inscrit son titre, elle retombe donc sur celui qui a requis le certificat sauf son recours contre le conservateur négligent.
Si, au contraire, le premier acquéreur n'a pas fait faire l'inscription, ceux qui ont, plus tard, traité avec le précédent propriétaire, étant fondés à lui croire encore cette qualité, conserveront leurs droits. Il en est de même de ceux qui ont traité avec un usufruitier ou un preneur à bail, au sujet de son droit déjà cédé, mais sans qu'il y ait eu inscription. Bien entendu, pour que les derniers contractants soient préférables au premier, il est nécessaire, comme le texte le dit, qu'ils aient eux-mêmes fait faire l'inscription de leur titre, à moins qu'ils ne soient dans un cas d'exception.
On remarque du reste, que la loi ne se place pas uniquement dans le cas où ce sont identiquement les mêmes droits qui ont été l'objet des conventions successives: il suffit qu'ils soient “incompatibles” : si le premier droit cédé était la nue-propriété et le second l'usufruit, ou réciproquement, il n'y aurait pas incompatibilité et les deux droits seraient maintenus, quel que fût l'ordre des inscriptions; mais, si le premier droit cédé était la pleine propriété, tous les autres droits cédés sur le même immeuble étant incompatibles avec elle, la priorité d'inscription serait essentielle à considérer.
La loi, ici, ne parle que de ceux qui ont traité avec le propriétaire ou titulaire apparent des droits cédés: mais il faut y ajouter ceux qui ont acquis des droits du chef de celui-ci, ce qui comprend des créanciers ayant acquis une hypothèque légale ou testamentaire et des créanciers, même chirographaires, ayant inscrit une saisie immobilière avant l'inscription d'une acquisition.
Un autre cas que la loi laisse ici sous l'empire des principes de la matière, comme suffisant à le régler, est celui où un acquéreur, n'ayant pas inscrit, a cédé des droits à des tiers qui ont inscrit leur titre et non celui de leur auteur; dans ce cas, si l'ancien propriétaire cède de nouveau sur l'immeuble des droits incompatibles avec le premier, ceux qui les ont publiés sont préférables aux sous-acquéreurs qui pourtant ont inscrit les premiers; c'est qu'en effet la première acquistion, n'ayant pas été publiée, n'a pas dessaisi l'ancien propriétaire de la faculté de faire de nouvelles cessions valables en faveur des tiers.
La disposition la plus notable de l'article 350 est celle qui limite le bénéfice de la loi aux ayant-cause “de bonne foi.” On trouve bien une pareille disposition dans la loi belge dont l'article 1er ne permet de se prévaloir du défaut de transcription d'une précédente acquisition qu'à ceux qui ont, postérieurement, “contracté sans fraude;” mais, les autres lois étrangères n'ont pas cette condition de bonne foi ou d'absence de fraude et il s'en faut de beaucoup qu'on soit d'accord pour l'y suppléer.
Sans doute, on admet, comme auxiome général de droit, que la fraude ne peut être protégée par aucune des règles du droit; mais on ne veut pas ici appliquer l'axiome: on craint qu'il ne s'élève constamment des procès sur le point de savoir si le nouvel acquéreur connaissait ou non le premier contrat, et l'on soutient que le but de la loi serait alors complétement manqué, car il a été de donner de la stabilité aux conventions. On prétend donc qu'il y a, en cette matière, deux présomptions légales, contre lesquelles aucune preuve contraire n'est admise.
Au premier cas, s'il y a eu inscription de la première acquisition, les ayant-cause qui ont traité postérieurement sont présumés avoir connu l'acte transcrit, ou s'il ne l'ont pas connu, ils sont présumés négligents. Assurément, en pareil cas, personne n'admettrait la preuve contraire de cette présomption alternative, pas même dans l'hypothèse déjà signalée, où, par la faute du conservateur, la transcription faite n'aurait pas été mentionnée dans le certificat requis par le second contractant.
Au second cas, s'il n'y a pas eu inscription, on dit que la présomption légal est l'ignorance des ayant-cause et qu'il ne doit pas être permis de prouver qu'ils ont eu connaissance de la première convention par une autre voie que celle de l'inscription. La présomption d'ignorance d'un acte non inscrit, serait donc aussi forte que la présomption connaissance d'un acte inscrit.
Mais il n'y a pas parité entre les deux cas. Nul ne doit ignorer ce qui est régulièrement publié, cela est indiscutable; mais, au contraire, quelqu'un peut savoir, en fait, ce qui était tenu secret. Le premier acquéreur qui a inscrit son titre a nécessairement le bénéfice de sa diligence; mais, s'il a été négligent, il peut aussi, par hasard, par un heureux concours de circonstances, avoir le même avantage: il n'y a, en cela, rien d'injuste ni d'illogique: tous les jours, les personnes négligent ce que la prudence exigerait qu'elles fissent pour la sauvegarde de leur corps ou de leurs biens et, cependant, elles ne sont pas toujours victimes de leur imprudence. La même chose se passe ici; dès que le nouvel acquéreur est informé de la première convention par hasard ou autrement, le vœu de la loi est satisfait.
Evidemment, la loi qui organise la publicité des mutations n'est pas nécessaires pour celui qui connaissait déjà la première convention et ce n'est pas à lui qu'elle doit permettre de se prévaloir du défaut de transcription.
Cependant il ne faut pas, quand la loi a pris la peine d'organiser un moyen facile de porter les acquisitions à la connaissance des intéressés, que ceux qui ont négligé ce moyen puissent faire un procès pour prouver par tous les moyens possibles, qu'en l'absence d'inscription la mutation a été connue du second acquéreur: la loi se réfère à l'article 347 qui, dans un cas analogue n'admet qu'un mode de preuve, l'aveu de l'adversaire, pour suppléer au défaut d'inscription.
En effet, l'aveu fait pleine foi contre celui qui le fait. Si donc celui qui veut se prévaloir du défaut d'inscription, avoue, soit verbalement dans la procédure, soit dans une correspondance non contestée, qu'il connaissait la première aliénation, quoique non inscrite, il devra succomber dans sa prétention à la priorité. Il faudra même assimiler à l'aveu écrit, les cas où il aurait figuré comme témoin dans la première aliénation et celui où le nouvel acte, signé de lui, contiendrait une mention formelle du premier acte non inscrit.
Ceux qui ont contesté ici l'application de l'aveu ont allégué que ces preuves ne doivent pas être admises quand il s'agit de faire tomber une présomption d'ordre public, ce qui est exact d'ailleurs; or, selon eux, tout ce qui concerne la publicité des mutations de propriété est d'ordre public.
Il y a là une méprise. Sans doute, lorsque la loi organise un système de publicité, elle se préoccupe de donner la sécurité aux contractants, en général; elle veut déjouer la mauvaise foi, protéger la bonne foi, fortifier le crédit; c'est dans le but général de la loi qu'il y a une idée d'ordre public ou d'intérêt général; mais, lorsqu'un conflit d'intérêts s'élève devant un tribunal, au sujet d'actes inscrits ou non inscrits, il n'y a plus en jeu que deux intérêts privés et le but de la loi sera d'autant mieux atteint qu'on ne la fera pas servir à protéger celui des deux adversaires qui est de mauvaise foi.
Une observation importante reste à faire sur le présent article: il ne faudrait pas croire que la mauvaise foi du second cessionnaire au sujet de l'inscription négligée ait dû entraîner le législateur à donner la même solution, lorsqu'il arriverait à la matière des priviléges et hypothèques et à l'inscription à laquelle sont soumises ces sûretés pour être opposables aux ayant-cause du débiteur; on devra alors décider que la priorité d'inscription donne la priorité pour le payement, même lorsque le premier créancier inscrit connaissait l'existence du privilége ou de l'hypothèque dont l'inscription avait été négligée.
En effet, entre la propriété et ses démembrements, d'une part, et les priviléges et hypothèques, d'autre part, il y a une profonde différence, au point de vue qui nous occupe: les premiers sont incompatibles les uns avec les autres, comme seraient deux droits de propriété sur la même chose; ou, tout au moins, les uns amoindrissent les autres, comme l'usufruit, le louage, le privilége et l'hypothèque amoindrissent la propriété: la priorité y a donc une importance essentielle; au contraire, les priviléges et hypothèques peuvent coexister, appartenir à des personnes différentes sur le même bien, sans s'exclure nécessairement, sans que l'un soit la destruction de l'autre; ainsi, un créancier, primé dans le rang d'hypothèque qu'il espérait, peut être payé avec d'autres biens du débiteur, ou par une caution; les biens hypothéqués même peuvent souvent suffire à payer plusieurs créanciers inscrits. Si donc on suppose que le second créancier hypothécaire connaît la première hypothèque, quoiqu'elle ne soit pas inscrite, la bonne foi ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter, elle ne lui défend pas de se hâter de prendre inscription, car il a pu croire que si le premier créancier était peu diligent, c'est qu'il avait d'autres garanties de payement.
Art. 351. Lorsqu'une première cession a été faite à un incapable dûment représenté ou autorisé, c'est au gardien de ses intérêts qu'incombe l'obligation de faire procéder à l'inscription ; le tuteur la fera faire pour le mineur ou l'interdit, le mari pour la femme ; s'il s'agit d'une personne morale ou juridique qui a acquis, comme l'Etat un, fu ou ken, un shi, tcho ou son, un établissement public, une corporation, c'est au fonctionnaire public ou à l'agent qui représente cet être moral à procéder à la mesure conservatoire qui doit préserver l'acquéreur de l'éviction résultant d'une nouvelle cession ; les administrateurs nommés par la justice, comme les syndics de faillite, ont le même devoir ; il en est de même, enfin, d'un mandataire conventionnel chargé d'acheter un immeuble : il n'aura rempli complètement son mandat que lorsqu'il aura fait faire l'inscription ; on devrait même appliquer cette disposition aux mandataires conventionnels généraux, qui auraient connaissance qu'une acquisition d'immeuble faite par leur mandant n'a pas encore été inscrite.
Si, avant que l'inscription ait été faite par les soins du mandataire légal, judiciaire ou conventionnel, une autre acquisition a été inscrite, la priorité appartient à celle-ci ; le seul droit qui appartienne à l'incapable ou au mandant est un recours en indemnité contre son représentant négligent.
Mais, si c'était le représentant légal, judiciaire ou conventionnel, qui lui-même eût acquis le bien déjà cédé et eût fait inscrire le nouveau titre, alors, ce ne serait plus d'une indemnité en argent qu'il serait tenu : comme il devrait la réparation aussi complète qu'il peut la donner, il serait privé du droit d'évincer lui-même celui qu'il devait préserver de l'éviction d'autrui.
Rien n'est plus juste que cette solation. Peut-être, cependant, ce représentant était-il de bonne foi au moment où il a acquis et inscrit, peut-être l'acquisition de l'incapable était-elle antérieure à son entrée en fonc tions ; mais, comme son devoir était de prendre une connaissance exacte des droits dont il avait la garde, sa faute si légère qu'on la supposerait, suffirait encore à justifier cette sévérité de la loi. Il y aurait encore bonne foi, si le tuteur étant mort avant de faire l'inscription pour le mineur, son héritier, ignorant la première cession, avait lui-même acheté le bien et fait inscrire le premier : sa qualité d'héritier le soumettant aux obligations de son auteur, lui enlèverait le droit d'évincer le mineur.
Pour le privilège, comme pour l'hypothèque, la décision sera différente, par la raison donnée à la fin de l'explication de l'article précédent : lorsqu'un tuteur ou un mandataire a négligé de prendre inscription d'une hypothèque pour son pupille ou pour son mandant, et a inscrit le premier sa propre hypothèque, on doit décider que la priorité de droit sera acquise à la priorité de date de l'inscription ; il y a d'ailleurs des formalités et des procédures, dites de purge et d'ordre, qui seraient troublées et entravées si l'ordre et la priorité des inscriptions pouvaient être contestés par des allégations de faute ou de mauvaise foi chez le tuteur ou le mandataire le premier inscrit. En pareil cas, la faute du tuteur sera réparée par les voies ordinaires ouvertes au pupille ; il serait même possible à celui-ci de se faire attribuer directement en justice le profit de la collocation du tuteur.
Art. 352. On a déjà rencontré les principales applications des trois actions qui tendent à détruire des conventions : on sait que la résolution est demandée par une partie pour l'inexécution des obligations de l'autre, que la rescision est demandée pour vice de consentement ou pour incapacité, enfin, que la révocation a pour but de détruire un acte fait en fraude des créanciers. D'autres causes de résolution, de rescision ou de révocation seront admises par la loi ; mais ces applications déjà connues suffiront à l'intelligence de deux présent article.
Le plus souvent la demande en nullité viendra de l'aliénateur; mais ce pourrait être aussi de la part de l'acquéreur ; dans les deux cas l'action tend à faire rentrer le bien aliéné dans le partrimoine du cédant.
L'article 352 présente une distinction capitale. Dans certains cas, les actions dont il s'agit ici ne sont pas tellement favorables qu'elles doivent être données contre des sous-acquéreurs, c'est-à-dire contre des ayant-cause qui ont acquis de bonne foi des droits réels du chef de celui dont l'acquisition doit être annulée. Dans d'autres cas, c'est le demandeur qui a droit à la préférence. Assurément, il est pénible pour le législateur de ne pouvoir toujours préserver de l'éviction un sous-acquéreur qui, voyant le titre de son auteur régulièrement inscrit en la forme et ignorant d'ailleurs la cause de nullité de ce titre, ne peut être accusé ni de mauvaise foi ni d'imprudence. Mais le législateur ne peut non plus sacrifier l'incapable ou celui dont le consentement a été vicié par violence ou erreur, ni celui à l'égard duquel les conditions d'un contrat synallagmatique n'ont pas été remplies. Il ne reste à la loi qu'un moyen de se rapprocher ici de la justice idéale qu'elle poursuit toujours, c'est de rechercher quel est celui des intéressés qui est le plus digne de protection.
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les différents cas où l'action atteindra ou n'atteindra pas les sous-acquéreurs : ils sont indiqués dans chaque matière : rappelons seulement qu'on a déjà vu que la rescision pour erreur et violence est opposable aux sous-acquéreurs et qu'il en est autrement de la rescision pour dol.
La loi commence par les cas dans lesquels l'action ne peut atteindre les sous-acquéreurs. Dans ces cas, il est de l'intérêt du demandeur d'avertir les tiers, au plus tôt, de son intention de faire tomber son aliénation inscrite et de recouvrer son immeuble ; il devra donc faire mentionner sa demande en marge ou à la suite de l'acte inscrit et les tiers qui ont traité avec l'acquéreur postérieurement à cet avertissement ne pourront imputer qu'à leur imprudence l'éviction à laquelle ils se sont exposés.
La sanction de la disposition de la loi est la préférence donné au plus diligent Si, au contraire, on est dans 1 un des cas où l'action est de nature à détruire le droit des sous-acquéreurs aussi bien que celui du contractant primitif, alors le demandeur n'a pas d'intérêt à les avertir de sa demande : peu lui importe que le nombre de ceux que son action dépouillera augmente jusqu'au jour où il rentrera dans son bien; mais, la loi pourvoit à l'intérêt des tiers, en obligeant le demandeur à mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit, et plus tard, quand le jugement sera rendu en sa faveur, il devra en faire une pareille mention.
Il fallait établir, ici encore, une sanction contre le demandeur négligent On ne pouvait songer à le déclarer déchu du droit d'évincer les sous-acquéreurs qui auraient traité depuis la demande formée et avant qu'elle fût publiée: il y aurait eu Ii une grave inconséquence de la loi, il eût été déraisonnable que les droits du demandeur fussent diminuéx par l'exercice même de son action, Il ne restait comme sanction qu'un moyen de procédure, à savoir, déclarer l'action non recevable tant que la mention prescrite ne serait pas opérée.
Enfin, il fallait une sanction à l'obligation de mentionner le jugement à la suite de la demande. Elle ne pouvait plus être trouvée dans la procédure, puisqu'elle est terminée; il ne restait plus guère qu'une amende, c'est la sanction adoptée par la loi.
Il fallait aussi fixer le délai dans lequel la publicité serait donnée au jugement: le délai d'un mois a paru suffisant, à partir du jour où le jugement est devenu inattaquable. Mais comme les jugements peuvent être déclarés exécutoires provisoirement, nonobstant opposition, appel ou pourvoi en cassation, il a paru juste d'en ordonner la publicité avant l'exécution, même provisoire, sous la sanction de la susdite amende.
En cas de rejet de la demande, la loi veut, pour simplifier la procédure, que le tribunal en ordonne d'office, sans qu'il soit besoin de conclusions spéciales à cet effet, la radiation sur le registre; seulement, cette radiation ne pouvant être définitive que quand le jugement qui a rejeté la demande ne sera plus attaquable, elle ne sera effectuée qu'après l'expiration des délais de recoure, ou la confirmation du jugement, s'il y a en des recours formés. Il en sera de même au cas de péremption de l'instance par l'effet de la discontinuité des poursuites.
Reste enfin le cas où le demandeur en nullité renonce à son action ; la loi ne l'oblige pas à faire radier la mention de sa demande : elle laisse ce soin à la partie intéressée ; ce peut être le demandeur lui-même, cédant ou cessionnaire, ce peut être un des sousacquéreurs.
Art. 353. Cet article prévoit un cas qui aurait pu être une occasion de fraude entre les parties contre les sousacquéreurs: elles auraient pu, sans le contrôle de la justice et par une convention amiable, ou par un acquiescement du défendeur sur les premières poursuites, opérer la destruction de la convention première, en la qualifiant de résolution, de rescision ou de révocation, sans pourtant se trouver dans l'un des cas où ces actions sont admises ; il en serait résulté pour les sous-acquéreurs la perte de droits valablement acquis. La loi prévient cette fraude, cette collusion, en considérant toute pareille convention comme une rêtrocession, comme une translation inverse de la propriété ou du droit réel précédemment cédé. La conséquence en est que les droits des sous acquéreurs seront maintenus (bien entendu, en les supposant publiés eux-mêmes), et cela, “dans tous les cas,” c'est-à-dire sans distinguer si la prétendue cause de résolution ou de rescision était de nature, ou non, à prévaloir contre les sous-acquéreurs. La sanction de cette disposition est suffisamment indiquée au texte, c'est celle de l'article 350 : tant que l'inscription n'est pas faite, les droits concédés par le premier acquéreur et dûment publiés sont opposables à celui qui a obtenu la rétrocession.
Art. 354. Quelques précautions que puisse prendre la loi pour éviter les erreurs ou les fraudes, il pourra toujours arriver qu'une inscription soit indûment faite sur les registres ou qu'une mention soit mal à propos mise ou maintenue en marge d'un acte inscrit. Dans le premier cas, l'inscription nuit à celui qui prétend avoir un droit incompatible avec le titre inscrit ; par exemple, au propriétaire qui nierait avoir vendu à celui qui a fait inscrire une vente ; dans le second cas, c'est à celui qui a fait l'inscription que la mention est nuisible ; par exemple, si quelqu'un a fait mentionner une demande en nullité ou rescision d'un acte inscrit et n'en porte pas la demande au tribunal, ce qui est l'inverse d'une demande qui serait portée au tribunal sans avoir été préalablement mentionnée sur le registre. Dans ces cas, il y a lieu à radiation.
Les inscriptions ou mentions pourraient aussi, sans être entièrement mal fondées, contenir des inexactitudes ou des omissions plus ou moins graves ; par exemple, il aurait été porté dans l'inscription d'une vente que le prix est encore dû, lorsqu'il est déjà payé en tout ou en partie, ce qui nuit au crédit de l'acheteur, tant par le privilège réservé au vendeur que par son droit de résolution; ou bien, il aurait été omis, à tort de mentionner que le prix est encore dû. ou que telle autre charge incombe à l'acheteur, ce qui nuit au vendeur, par la raison inverse, en l'exposant à se voir contester ses deux droits précités. C'est le cas de la rectification.
Il y aurait pour les intéressés un grave préjudice à laisser planer ainsi l'incertitude sur l'existence, la nature ou l'étendue de leurs droits : la loi leur donne une action en justice pour faire radier ou rectifier les inscriptions ou mentions indues ou inexactes (1er alinéa).
Mais, pour que les ayant-cause qui traitent avec les intéressés sur le vu des inscriptions ne soient pas exposés à des déceptions, la loi veut que les demandes et jugements soient eux-mêmes publiés (2e alinéa), et, pour ne pas reproduire les distinctions déjà faites au sujet des sanctions encourues par les contrevenants, elle se borne à renvoyer à l'article 352.
Ainsi, si la vente transcrite était nulle comme n'émanant pas du vrai propriétaire, celui-ci n'encourrait que l'amende, pour avoir négligé de faire mentionner sa demande en marge de l'inscription de cette vente : il serait impossible, en effet, de l'obliger à respecter les actes passés et inscrits par les ayant-cause du prétendu acquéreur. Au contraire, il aurait ce devoir si, la vente émanant bien de lui, l'inscription avait présenté les inexactitudes ou omissions citées plus haut et concernant le prix et les charges de la vente : les ayant-cause de l'acheteur seraient fondés à croire l'inscription exacte, tant que la demande en rectification no leur aurait pas été annoncée ; les inscriptions par eux faites dans l'intervalle seraient maintenues, avec leur effet et leur rang.
La loi n'avait pas ici les mêmes raisons de suspecter les conventions amiables que lorsqu'il s'est agi de la résolution ou de la rescision volontaire d'actes inscrits: elle permet donc (3e al.) les radiations ou rectifications volontaires consenties par les intéressés, s'ils sont capables de disposer du droit immobilier dont il s'agit. Le remède à la fraude se trouve d'ailleurs dans le dernier alinéa auquel nous arrivons.
L'autorité de la chose jugée est une présomption de vérité qui n'admet aucune preuve contraire, quand toutes les voies de recours ont été épuisées ; mais ce n'est pas une vérité absolue, reconnue envers et contre tous, c'est une vérité relative aux parties seulement qui ont figuré dans l'instance et à leurs ayant-cause. On aurait pu croire que lorsqu'un jugement a ordonné contre un acquéreur la radiation ou la rectification d'une inscription, il aurait effet également contre ceux de ses ayant-cause qui ont inscrit des droits qu'ils tiennent de lui ; mais la loi prévient cette erreur : ceux qui ont acquis des droits réels sur l'immeuble et les ont régulièrement publiés ne peuvent en être dépouillés par jugement sans avoir été appelés à les soutenir. Tel est l'objet du 4e alinéa. Il est d'ailleurs facile au demandeur de les mettre en cause, puisque l'inscription qu'ils ont effectuée les fait suffisamment connaître.
Le principe est identique pour les conventions amiables qui auraient le même objet : on sait, en effet, que les conventions ne peuvent nuire aux tiers. Il y a toutefois une différence grave entre les jugements et les conventions, c'est que, pour donner effet à ces dernières, il faut une adhésion entière des intéressés, tandis que, pour les jugements, il suffit que les intéressés aient été mis en cause et appelés à contredire à la demande, lors même qu'ils ne se seraient pas présentés.
On fait remarquer, en terminant, que les radiations et rectifications pourraient être elles-mêmes contestées après avoir été effectuées, aussi bien quand elles ont été ordonnées en justice que quand elles ont été consenties à l'amiable : la radiation ou rectification déjà effectuées sur le registre pourraient être elles-mêmes radiées ou rectifiées, par suite de la réformation ultérieure du jugement.
Il en serait de même d'une radiation ou rectification conventionnelle qui aurait été viciée par erreur, violence ou incapacité. Ce sont là, heureusement, des complications rares.
Mais, pour que les erreurs restent toujours réparables les radiations et rectifications ne consistent jamais dans une oblitération, dans une altération matérielle qui rendraient illisibles les inscriptions ou mentions : c'est toujours une autre mention faite à la suite ou en marge de la première, indiquant la modification apportée, la nature de l'acte (jugement ou convention) qui la justifie, la date, etc ; de cette façon, il est toujours possible de revenir à l'ancienne situation, s'il était établi qu'elle a été indûment modifiée.
Art. 355. Les intéressés qui requièrent une inscription ou une mention sur les registres fournissent au conservateur les pièces nécessaires et justificatives, mais ils n'assistent pas à l'opération de la copie, ils ne peuvent en vérifier l'exactitude ; ce n'est souvent que très-tardivement que celle-ci leur est révélée, à l'occasion d'un autre acte donnant lieu à la demande d'un certificat d'inscriptions. La faute du conservateur peut aussi avoir consisté dans la délivrance d'un certificat inexact ou incomplet do l'état des inscriptions ou mentions diverses portées sur les registres. Il est clair que, dans ces deux cas, la responsabilité du conservateur est encourue, car il a, par sa faute, causé un dommage qui peut être très-considérable.
Mais il faut ici déterminer avec soin envers qui le conservateur est responsable. Le texte se borne à indiquer, d'une façon générale, “les parties requérantes ou intéressées” comme ayant droit à la réparation du dommage ; quelques exemples d'applications sont nécessaires.
Un acheteur a remis au conservateur un acte de vente pour être inscrit et il en a tiré un récépissé ; l'inscription n'a pas été faite ou elle l'a été tardivement ; dans l'intervalle, une autre vente ou une constitution d'hypothèque émanée du même vendeur a été présentée à l'inscription et elle prime le premier acheteur ; s'il y a eu bonne foi de celui qui a obtenu la première inscription (voy. art. 350), le dommage retombe sur le premier acquéreur et c'est lui qui actionnera le conservateur; car il pouvait s'assurer si l'inscription avait été faite et le second acquéreur ne pouvait découvrir qu'elle ne l'avait pas été.
Si l'inscription a été faite, mais inexactement, et qu'il ait été omis d'y mentionner que tout ou partie du prix est encore dû, et que l'acheteur ait revendu ou hypothéqué à des ayant-cause qui ont, de bonne foi, fait faire l'inscription, alors c'est le vendeur qui en souffre, en ce sens que son privilège et son droit de résolution sont perdus ; car c'est lui qui est en faute, c'est donc envers lui que le conservateur est responsable.
Si une demande en résolution, en rescision ou en révocation a été formée contre un acte inscrit et que le conservateur, dûment requis, ne l'ait pas mentionnée en marge de l'acte inscrit, on doit se reporter à la distinction faite par l'article 352 pour savoir quelle est la partie qui souffrira de l'omission et recourra contre le conservateur : si la demande était nécessaire pour arrêter les inscriptions opposables au demandeur, c'est celui-ci qui souffrirait de la faute du conservateur, si, dans l'intervalle, entre sa réquisition et la découverte de la faute, de nouvelles inscriptions avaient eu lieu, car elles lui seraient opposables ; dans le cas inverse, où la demande serait opposable aux ayant-cause du défendeur, quoiqu'ils ne l'eussent pas connue, ce sont ceux-ci qui souffriraient de la faute du conservateur.
La loi suppose aussi que les omissions ou inexacti tudes du conservateur peuvent porter sur les certificats destinés à faire connaître les actes et mentions portés aux registres. Ici, le préjudice atteint toujours les requérants, car ceux qui ont une fois acquis le bénéfice des inscripitions ou mentions exactes effectivement portées sur les registres, ne peuvent le perdre par la négligence du conservateur ; ce sont donc les requérants qui auront action contre ce dernier.
§ IV. — DE l'iNTEEPRÉTATION DES CONVENTIONS.
Art. 356 à 360. On réunit ici tous les articles de cette contre Section, à raison même de la disposition de l'un d'eux (art. 358) qui veut que “toutes les clauses de la convention s'interprètent les unes par les autres.” Il en est de même de ces diverses dispositions de la loi : elles forment une série de conseils aux tribunaux, pour les aider à trouver l'intention des parties et le sens des conventions ; il est donc préférable de les embrasser dans leur ensemble.
La première disposition est la plus importante : elle forme un principe général dont les autres ne sont que l'application ; elle indique le but principal que les tribunaux doivent chercher à atteindre et les autres ne sont que les moyens d'y arriver.
Puisque, dans les conventions, c'est la volonté des parties qui fait loi, il est clair que c'est cette volonté qui, avant tout, doit être recherchée. Sans doute, c'est dans les expressions qu'elles ont employées qu'on trouvera, le plus souvent, cette volonté même ; mais, outre que toutes les langues ont leurs imperfections, il arrive souvent aussi que les contractants en connaissent mal les ressources et parlent ou écrivent la leur incorrectement ou négligemment. De là, cette première règle “qu'il ne faut pas s'attacher exclusivement au sens littéral des termes employés par les parties” (art. 356).
Au Japon, comme ailleurs, les mêmes mots n'ont pas toujours le même sens, en tous lieux : des habitudes locales différentes se forment sous l'influence de circonstances particulières et se conservent ensuite de génération en génération : le législateur peut bien établir, par voie d'autorité, l'uniformité des poids et mesures, des monnaies et de la législation même ; mais il sortirait de son domaine, s'il voulait réglementer la langue, et il y échouerait presque toujours. Ce qu'il peut seulement, c'est établir des présomptions du sens que les parties ont attaché aux mots et encore ce ne doivent être que des présomptions simples, susceptibles d'être combattues par des preuves contraires. Les dispositions des articles 356 à 359 ont ce caractère de présomptions simples.
Pour ce qui concerne les expressions locales, notre Code s'écarte des Codes étrangers qui ne s'attachent qu'à l'usage du lieu où le contrat a été passé : il semble, au contraire, que la raison veuille que l'on s'attache d'abord au lieu où les deux parties ont leur domicile ; car, si elles ont traité ailleurs, par exemple, en voyage, il est naturel de croire qu'elles ont parlé le langage qui leur est habituel et non celui d'une localité où elles ne se trouvent qu'accidentellement.
Mais la loi a dû prévoir le cas où les parties ne seraient pas domiciliées au même lieu ; dans ce cas, il n'eût pas été déraisonnable peut-être de donner la préférence au sens reçu dans le lieu où le débiteur est domicilié ; mais il y avait à craindre que le créancier ne fût privé de tout moyen de contrôle sur le sens de ce langage ; tandis qu'en adoptant ici le sens usité dans le lieu du contrat, la loi suppose que le créancier a pu se le faire expliquer et certifier.
Le 2e alinéa de l'article 357 veut encore que l'on cherche dans la nature et l'objet de la convention le sens d'une expression équivoque ; cette règle recevra fréquemment son application aux mots jouissance et usage qui diffèrent plus ou moins de portée ou d'étendue, suivant qu'il s'agit de droits d'usufruit, d'usage, de louage, d'emphytéose, de superficie ou de servitudes.
L'article 358 ne s'occupe plus seulement d'une expression, d'un terme de la convention, mais d'une clause, c'est-à-dire d'une des stipulations dont l'ensemble forme la convention Il ne serait pas raisonnable d'interpréter chaque clause séparément des autres ; le plus souvent, elles ne sont détachées que par des nécessités de rédaction ; mais, pour les parties, elles forment un ensemble indivisible, en raison et en équité ; il est bien rare que les unes soient compèltement indépendantes des autres dans l'intention des parties ; elles sont plutôt liées par le rapport de cause à effet; l'une n'existerait pas si l'autre n'avait pas été admise ; la portée et l'étendue de l'une a dû être mesurée sur la portée et l'étendue de l'autre, et il ne serait même pas raisonnable de considérer comme les plus importantes celles qui occupent la priorité dans l'ordre des énonciations.
Le 2e alinéa de l'article 358 paraît inutile, au premier abord, lorsqu'il dit qu'on doit interpréter une clause de la manière qui lui donne un effet, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun. Cependant, cette disposition se trouve dans toutes les législations qui ont réglé l'interprétation des conventions et elle reçoit souvent son application dans la pratique : par exemple, le débiteur alléguera qu'une clause n'est qu'une répétition d'une disposition de la loi et qu'elle a été insérée, soit par inadvertance, soit pour plus de clarté ; il cherche ainsi à se soustraire à l'une de ses obligations; mais les tribunaux ne devront pas admettre facilement que les parties aient voulu seulement répéter la disposition de la loi. On peut citer, en ce sens, le cas d'une vente de créance “avec garantie :” si on entendait ici que le vendeur ne serait garant que de l'existence de la créance et de sa qualité de créancier, la clause serait inutile, car cette garantie est déjà imposée par la loi, elle est de droit ; on devra donc présumer que le vendeur a entendu garantir en outre, la solvabilité du cédé, laquelle garantie “n'est due que si le vendeur s'y est engagé.”
Souvent, les parties, pour déterminer les effets de la convention ou les objets qu'elle embrasse, emploient des expressions très-larges, très-générales, qui, prises à la lettre, dépasseraient leur pensée ; la loi veut que la plus grande extension de ces expressions ne soit pas portée au-delà des objets que les parties ont entendu comprendre dans leur convention ou des effets qu'elles ont vraisemblablement voulu lui faire produire. Ainsi, dans la vente d'une maison “avec tous les meubles ou tous les objets mobiliers qui s'y trouvent,” le vendeur ne serait pas présumé avoir entendu comprendre : son argent comptant, ses titres de créances ou d'autres droits, ses vêtements, bijoux, manuscrits, documents, instruments professionnels, portraits de famille et, généralement, les objets d'utilité ou d'affection personnelle.
En sens inverse, il ne faudrait pas trop restreindre les effets de la convention, parce que les parties auraient prévu et réglé un ou plusieurs d'entre eux : l'énoncé d'un ou plusieurs effets peut avoir paru nécessaire pour plus de précision, ou pour quelque particularité qu'on a voulu y apporter ; niais ce n'est pas une raison suffisante de croire que les parties aient voulu supprimer ou exclure les antres effets légaux du contrat. Ainsi, dans le contrat de bail d'une maison, le bailleur a expressément promis de mettre les locaux loués en bon état de réparations “pour l'époque de l'entrée en jouissance cela ne le dispensera pas de faire les réparations d'entretien, au cours du bail ; de même, dans un louage ou dans une vente, on a prévu et réglé la résolution du contrat, faute de payement du prix par le preneur ou par l'acheteur; ce n'est pas une raison suffisante de croire que l'on ait entendu supprimer les autres causes de résolution, faute par la même partie de remplir ses autres obligations ou, faute par l'autre partie, de remplir les siennes.
Cette décision constitue une exception à l'article 358, 2e alinéa ; en effet, ici, on préfère l'interprétation qui ne donne aucun effet utile à une clause, plutôt que de lui donner un effet exagère.
La loi prévoit enfin (art. 360) que, malgré les indications qu'elle vient de donner et malgré la perspicacité des juges, ceux-ci pourraient conserver des doutes sur l'intention des parties. Ce doute peut d'ailleurs exister, soit au sujet d'un ou plusieurs points particuliers de la convention, soit sur sa nature propre, soit enfin sur son existence même ; dans ces deux derniers cas, ce n'est plus une question d'interprétation, mais une question de preuve ordinaire des droits. Au reste, la règle est la même dans tous les cas et elle doit être généralisée.
Le principe qui domine toute la matière des preuves à faire en justice est que “la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait pour en tirer avantage la conséquence en est que celui qui ne parvient pas à fournir une preuve complète de sa prétention doit succomber. En effet, les particuliers ne sont liés les uns envers les autres que par exception ; il faut donc que le prétendu créancier prouve qu'il est dans le cas exceptionnel ; les obligations, une fois prouvées quant à leur existence, sont encore présumées le moins étendues possible ; il faut donc encore que le créancier prouve jusqu'où va son droit.
Mais, l'existence et l'étendue de l'obligation une fois prouvées, c'est au débiteur à prouver sa libération et son entière libération, s'il l'allègue.
Le Code n'a pas encore à envisager la question de preuve d'une façon aussi générale : il ne s'agit ici que de la preuve du sens et de la portée de la convention, parce qu'il n'y a qu'une difficulté d'interprétation ; mais le principe général est déjà appliqué : le stipulant souffrira de n'avoir pu lever les doutes résultant de l'obscurité de la convention ; les effets de la convention seront bornés à ceux qui ont été pleinement prouvés contre le promettant.
Une difficulté pouvait s'élever au sujet des contrats synallagmatiques, où chaque partie est à la fois stipulant et promettant. Le texte la tranche, en faisant remarquer que la règle reçoit son application “dans chaque clause séparément” En effet, le contrat synallagmatique est une réunion de clause où chaque partie joue alternativement le rôle de créancière et de débitrice : il y a, en quelque sorte, deux contrats unilatéraux juxta-posés ; par exemple, le vendeur ou le bailleur confère un droit réel et s'engage à livrer et à garantir de tout trouble ou éviction ; de son côté, l'acheteur ou le preneur s'engage à payer un prix unique ou périodique. Si donc il y a obscurité sur les obligations contractées par le vendeur ou par le bailleur, l'interprétation se fera en leur faveur, contre l'acheteur ou le preneur ; s'il y a, au contraire, obscurité sur les obligations de l'acheteur ou du preneur, l'interprétation se fera contre le vendeur ou le bailleur, c'est-à-dire, dans tous les cas, contre le stipulant et en faveur du promettant.
Les règles ici posées pour l'interprétation des conventions seraient applicables à l'interprétation de la loi elle-même. La seule différence sera dans le cas de doute, lequel ne se résoudra pas nécessairement contre le demandeur, mais sera éclairci par les précédents historiques, par l'équité et la raison naturelle.
SECTION II.
DE L'ENRICHISSEMENT INDÛ OU DES QUASI-CONTRATS.
Art. 361. La loi arrive à la seconde cause ou source des obligations et des droits personnels ou de créance, annoncée dans l'article 295. On a adop é en Europe l'expression de quasi-contrats pour désigner cette cause d'obligations; sans la rejeter tout-à-fait, le Code japonais lui préfère celle d'enrichissement indû. Il serait d'ailleurs bien difficile de donner une bonne définition du quasi-contrat sans y faire entrer l'idée essentielle d'enrichissement indû ou sans cause, et c'est pour ne l'avoir pas fait que certains Codes étrangers n'ont donné du quasi-contrat aucune idée précise : l'un l'appelle “un fait purement volontaire de l'homme,” l'autre, “un fait volontaire et licite mais, tous les jours et à tout instant, l'homme accomplit des faits volontaires et licites qui ne sont ni des contrats, ni des quasi-contrats, et qui n'engendrent pas d'obligations ; il manque donc à cette définition un élément essentiel générateur de l'obligation ; or, c'est précisément l'enrichissement indû, et c'est uniquement à lui que s'attache le présent article pour caractériser cette seconde source d'obligations.
Il faut reconnaître d'ailleurs, et la suite le confirmera bientôt, que, très souvent, les diverses sources d'obligations se réunissent et se combinent dans des faits complexes : l'enrichissement indû avec le dommage injuste et l'un ou l'autre avec le contrat.
On remarquera, sur le premier alinéa, que la loi ne distingue pas si celui qui se trouve enrichi du bien d'autrui l'est devenu par un fait volontaire ou par un fait involontaire, ni s'il l'est devenu par erreur ou sciem ment ; sa bonne ou sa mauvaise foi pourra influer sur l'étendue de l'obligation, mais non sur le principe de son existence ; il suffit, pour consti tuer la présente source d'obligation, que le fait d'enrichissement, volontaire ou involontaire, n'ait pas le caractère d'un délit ou d'un quasi-délit, c'est-à-dire d'un dommage injuste tel qu'on le déterminera à la Section suivante.
L'obligation qui naît de l'enrichissement indû est de rendre le profit ainsi obtenu ; mais la loi la présente sous une forme un peu différente : l'obligation de satisfaire à la répétition, de ce dont il s'est enrichi Cette expression comprend non-seulement le profit direct, mais encore le profit indirect; par exemple, celui qui a reçu des denrées qui ne lui étaient pas dues les a consommées utilement et s'est ainsi épargné une dépense qu'il eût dû, sans cela, faire de ses propres derniers : “il est enrichi d'autant qu'il a moins dépensé ou bien, il les a vendues et il est enrichi du prix qu'il en a tiré ; réciproquement, si quelqu'un, ayant reçu de l'argent qui ne lui était pas dû, a employé cet argent en achat de choses qui lui restent ou qu'il a utilement consommées, il est enrichi d'autant.
Notons, en passant, que l'enrichissement indû, au lieu de fonder une action personnelle en répétition, pourrait fonder une action réelle en revendication ; c'est le cas où les choses indûment reçues se trouveraient encore en nature dans la possession de celui qui les a reçues : la propriété ne se transfère pas plus sans cause légitime que ne s'acquiert sans cause un droit de créance.
Le présent article ne se borne pas à poser le principe de cette seconde cause d'obligation, il en donne les applications principales,” ce qui prouve, en même temps, qu'ells ne sont qu'énonciatives et non limitatives. Il a paru nécessaire de donner ces applications ; d'abord, parce que les deux premières, la gestion d'affaires et la réception de choses indues, sont traitées dans toutes les législations avec certains développements et les demandent encore davantage au Japon, comme y étant moins connues; ensuite, parce que les législations étrangères n'ayant traité que de ces deux quasi-contrats, ont semblé méconnaître qu'il y en eût d'autres ; enfin, la loi devait annoncer d'avance les divers cas d'enrichis-sement, dès qu'elle se proposait de donner à quelques uns les développements nécessaires. Les cas prévus aux trois derniers alinéas appartenant à des matières spéciales s'y trouveront naturellement réglés ; il suffira d'en donner ici une idée sommaire.
Celui qui est appelé à recueillir une succession, soit légitime, soit testamentaire, n'a pas seulement le droit d'en recueillir les biens, il a aussi l'obligation d'en acquitter les charges. Parmi ces charges se trouveront les dettes personnelles du défunt et les legs particuliers qu'il a pu laisser à des tiers. L'héritier ou le légataire universel est tenu des dettes du défunt au même titre que son auteur : les créanciers, une fois la qualité d'héritier fixée sur sa tête, ne le poursuivront pas en vertu de son enrichissement considéré comme cause nouvelle d'obligation, mais en vertu des contrats du défunt ; l'enrichissement de l'héritier pourrait, tout au plus, indiquer la limite dans laquelle il serait poursuivi, s'il avait d'ailleurs eu soin de faire un inventaire fidèle et exact des biens de la succession ; on peut dire, enfin, que ‘‘ l'héritier ne reçoit les biens que déduction faite des dettes, lesquelles diminuent de plein droit l'hérédité”.
Mais pour les legs et autres charges mises par le testateur à la charge de celui qui reçoit l'universalité de ses biens, il n'est plus possible de dire que celui-ci les doit au même titre que le défunt, puisque le défunt ne les a jamais dus : le successeur universel les doit en vertu de son acception de la succession ; c'est bien ce “fait volontaire” dont les Codes étrangers se contentent, en général, pour qu'il y ait quasi-contrat. Mais il faut encore ici donner la prééminence à l'enrichissement, car le successeur n'est tenu des legs que dans la mesure de ce qui reste de biens héréditaires après le payement des dettes.
Il a déjà été fait mention, incidemment, de l'accession, moyen d'acquérir la propriété par la réunion d'une chose secondaire à une chose principale, lorsque la séparation est impossible en fait ou défendue par la loi ; ce n'est pas encore ici qu'il en doit être traité ; c'est au Livre suivant qu'on en trouvera les principales applications en même temps que la justification. Il suffit de noter ici que le propriétaire de la chose principale ne profite de l'adjonction de la chose d'autrui ou du travail d'autrui qui a transformé et augmenté la valeur de la chose principale qu'à la charge de payer la valeur dont il profite.
Lorsqu'un immeuble n'est pas en la possession du propriétaire, le possesseur actuel n'a pas toujours droit aux fruits et produits. Ainsi, le possesseur de mauvaise foi n'acquiert pas les fruits et produits périodiques ; le possesseur, même de bonne foi, cesse de les acquérir dès que la revendication est intentée ; en outre, certains produits n'ont pas le caractère de fruits et sont considérés comme des parties de la chose, tels que les arbres de futaie et les produits des mines et carrières non ouvertes. Dans tons ces cas, le possesseur est tenu de ren lre ce qu'il a perçu, lorsqu'il ne pouvait légalement l'acquérir : le principe de cette obligation est encore l'enrichissement indû ; toutefois, il pourra, dans le cas de possession de mauvaise foi, se combiner avec le principe qui oblige à réparer les dommages causés injustement; ainsi, le possesseur de mauvaise foi doit rendre non-seulement les fruits par lui pereus, mais encore ceux qu'il a négligé de percevoir (voy. art. 195.).
De son côté, le vrai propriétaire, ne devant pas s'enrichir au détriment du possesseur, devra rembourser, directement ou par déduction sur ce qui lui est dû, les frais de culture et de récolte et toutes les dépenses nécessaires ou utiles faites par le possesseur.
S'il s'agissait d'un meuble, il pourrait arriver que le possesseur de bonne foi l'eût vendu, et cela, dans un cas où il n'était pas devenu propriétaire par le seul fait de la possession: par exemple, si la chose était originairement volée ; dans ce cas, si la chose ne peut être retrouvée dans les mains du nouveau possesseur, celui qui l'a vendue est tenu jusqu'à concurrence du prix qu'il en a tiré, parce que c'est un enrichissement qu'il ne peut légitimement garder.
Art. 362 et 363. La gestion d'affaires a beaucoup d'analogie avec l'acceptation et l'accomplissement d'un mandat, tant dans son principe que dans ses effets : dans son principe, car elle est motivée, en général, par le désir d'être gratuitement utile à autrui ; c'est un bon office ; dans ses effets, car les obligations respectives quelle crée entre le gérant et le maître sont à peu près les mêmes que celles qui se forment entre le mandataire et le mandant. Cependant, il y a une grande différence entre les deux faits : le mandat est un contrat, parce qu'il y a accord de deux volontés dans un but déterminé ; la gestion d'affaires n'est l'effet que d'une seule volonté, elle est “spontanée,” comme dit le texte ; c'est un quasi-contrat, dans le langage reçu, et la plupart des obligations qui en résultent peuvent encore s'expliquer par l'idée d'enrichissement indû. Toutefois, un autre principe d'obligation vient s'y joindre, le plus souvent, au moins du côté du gérant (non du côté du maître), c'est la responsabilité des fautes. Il ne faut pas dire, à la vérité, comme une loi romaine: “c'est une faute que de s'immiscer aux affaires d'autrui sans mandat mais il y a faute, si, lorsqu'on s'y est immiscé par bon office, on abandonne la gestion prématurément ou si on la conduit mal.
Le texte de l'article 362 suppose que la gestion a été entreprise à cause de l'absence du maître ou par une nécessité analogue ; évidemment, ces circonstances n'ont rien de limitatif, la loi les indique pour donner à la gestion d'affaires ses causes les plus ordinaires et sa physionomie la plus naturelle; mais, une maladie du maître serait une cause de gestion non moins fréquente et peut-etre plus intéressante encore.
La loi n'exige pas, comme la loi romaine, que le mobile qui a fait agir le gérant soit nécessairement un bon office ; ainsi, celui qui gérerait les biens de son débiteur absent, pour assurer son payement, aurait non-seulement les devoirs d'un gérant d'affaires, mais il en aurait aussi les droits ; on peut encore traiter comme gérant d'affaires celui qui, étant copropriétaire avec un autre, a géré et administré la chose commune, plutôt dans son intérêt que dans celui de son copropriétaire. Il en est autrement d'un associé : c'est en vertu du contrat de société qu'il a le devoir de gérer la chose commune.
Par la même raison que l'intention de remplir un bon office n'est pas nécessaire, on doit admettre que celui qui, croyant gérer sa propre chose, a, par erreur, géré celle d'autrui, aurait droit aux indemnités dues au gérant ordinaire.
On hésite davantage à appliquer les règles de la gestion d'affaires au cas où la gestion a eu lieu malgré la défense du maître ; mais il est préférable de reconnaître que, dans ce cas même, il y a gestion d'affaires et qu'il n'est pas moins juste de faire rendre par le maître ce dont il est enrichi seulement ; dans ce cas, comme dans le précédent, l'enrichissement sera apprécié, non au moment de la gestion, mais au moment de l'action judiciaire in tentée par le gérant ; de sorte que s'il y a eu, dans l'intervalle, diminution du profit, la perte retombera sur le gérant qui, dans ce cas, est beaucoup moins digne d'intérêt.
Le texte n'exige pas que le maître ignore la gestion : il pourrait la connaître sans qu'il y eût mandat. Cependant, le mandat ne doit pas être nécessairement exprès : si un propriétaire sait que quelqu'un gère son bien, et, pouvant s'y opposer, ne le fait pas, si même il a déjà demandé des comptes de gestion, s'il a reçu des mains du gérant des loyers ou intérêts des biens et valeurs gérés, il est difficile de ne pas voir là un mandat tacite ; il semble donc plus sage de laisser aux tribunaux, en cas de contestation, le soin de décider s'il y a eu mandat tacite ou simple gestion d'affaires.
Dans le cas où un mandataire excéderait ses pouvoirs, on devrait le considérer comme gérant d'affaires pour tout ce qu'il aurait fait au delà de son mandat.
L'article 362 indique quatre obligations du gérant, dont deux sont dans le 1er alinéa.
1° Il doit restituer, à première demande, et même spontanément, dès qu'il le peut, les sommes, valeurs, fruits et autres avantages qu'il a perçus en vertu de sa gestion. S'il avait employé tout ou partie de ces sommes à ses propres affaires, il en devrait les intérêts, comme profit tiré des biens du maître. Si, sans profiter ainsi des sommes reçues, il avait tardé à les restituer, il pourrait être encore tenu des intérêts, à cause de sa négligence ; ce serait une rigueur particulière, car, en général, un débiteur de sommes d'argent ne doit les intérêts qu'à partir de la demande ; mais on peut dire que le gérant s'est mis virtuellement et de lui-même en demeure, par le fait de son immixtion dans les affaires d'autrui.
2° Le gérant a pu acquérir des droits et actions, en son propre nom, à l'occasion de ladite gestion; par exemple, ayant vendu des fruits et produits avec terme pour le payement, il s'est fait souscrire des billets ou obligations, et comme les acheteurs ne connaissaient pas le maître, c'est au profit du gérant, nominativement, que les billets ont été souscrits ; si les billets avaient été payés avant la reddition du compte de gestion, c'est la valeur, ce sont les sommes reçues qui seraient restituées au maître ; mais, si les obligations subsistent encore, le gérant fera des cessions de créance, comme elles sont prévues à l'article 347, et ce ne seront pas des cessions gratuites, bien que le cédant n'en reçoive pas directement la contre-valeur : il reçoit en retour sa libération, il ne fait donc pas une donation au maître.
3° Le gérant n'était pas tenu d'entreprendre la gestion, puisqu'il n'y avait aucun mandat ; il a pu agir par simple sentiment de bon office ; mais, une fois la gestion commencée, il doit la continue (2e al ) : autrement, il pourrait arriver qu'au lieu de rendre un service, il eût causé un dommage au maître ; par exemple, voulant faire réparer une maison, il a commencé par la faire découvrir: s'il ne fait pas poser une nouvelle toiture, la condition du bâtiment sera pire que précédemment ; il en serait de même pour la plupart des travaux matériels à exécuter sur les biens immeubles, à l'égard desquels il est généralement plus sage de ne pas commencer des réparations que de les commencer sans les achever.
Une raison encore pour laquelle le gérant doit continuer la gestion commencée, c'est que son intervention aura pu empêcher une autre personne, par exemple, un autre ami ou un voisin du maître, d'entreprendre ladite gestion et, à cet égard encore, mieux aurait valu ne pas commencer la gestion que de l'abandonner ensuite.
Il ne faudrait pourtant pas pousser trop loin la sévérité envers le gérant d'affaires ; si, par exemple les travaux qu'il a entrepris étaient urgents et qu'une cause légitime ou nécessaire l'empêchât de les continuer, il ne devrait pas être responsable plus qu'un mandataire qui, en ce cas serait excusable (v. Liv. de l'Acq. des Biens art. 256).
4° Enfin, le gérant doit gérer avec autant de soins qu'un mandataire conventionnel. Le droit romain lui demandait des soins encore plus exacts, par le motif que si le gérant n'avait pas entrepris la gestion, une autre personne plus diligente aurait pu l'entreprendre. Le présent article ne pose pas une règle aussi absolue : il laisse aux tribunaux le soin de déterminer s'il y a lieu à responsabilité, c'est-à-dire s'il y a faute ou négligence du gérant, en tenant compte des circonstances dans lesquelles il a entrepris la gestion (3e al.). Par exemple, s'il y avait urgence et si personne n'était disposé à gérer les biens de l'absent, on devra être moins exigeant pour le gérant que si la gestion pouvait attendre sans inconvénients ou être entreprise par un proche parent qui y était disposé ; de même encore, si la gestion a eu lieu à la suite d'un incendie, d'un typhon ou d'une inondation qui ont causé des dégradations demandant une réparation urgente, on devra être moins sévère pour le gérant que si l'on se trouvait dans un cas ordinaire, surtout si le gérant a eu à faire, en même temps, des réparations à ses propres biens.
L'article 363 impose au maître deux obligations qui sont uniquement fondées sur son enrichissement, car, de son côté, il ne peut être question de fautes commises.
1° Si le gérant a fait des dépenses nécessaires ou de conservation c'est-à-dire, sans lesquelles les biens gérés eussent péri ou perdu de leur valeur, il est juste que le maître les rembourse, car “il est enrichi de ce qu'il n'a pas perdu.” De même, si les dépenses ont été utiles ou d'amélioration le maître les doit rembourser, par le même motif, encore plus évident. Il ne devrait pas les dépenses dites voluptuaires ou de pur agrément, parce qu'elles ne constituent pas un enrichissement appréciable.
2° Il peut arriver que le gérant ait commandé des travaux ou des fournitures nécessaires ou utiles et pour lesquels il n'a pas encore effectué de payements, mais au sujet desquels les entrepreneurs ou les fournisseurs ont pu lui demander de s'engager personnellement et par écrit, justement, parce qu'il n'était pas le propriétaire des biens et n'avait pas de mandat ; si les travaux ont été exécutés ou sont en cours de l'être, il est juste que le maître décharge le gérant des engagements, en les prenant pour son compte et en son nom. Pour cela, il fera novation avec le créancier, c'est-à-dire que celui-ci déclarera qu'il décharge ou libère le gérant, en acceptant le maître pour unique débiteur ; mais comme le créancier ne pourrait être contraint à cette novation et s'y refusera quelquefois, le maître, dans ce cas, prendra l'engagement envers le gérant de le rembourser de ce qu'il aura payé, même de payer à sa place, à première réquisition du créancier ; c'est ce que le texte entend par “garantir le gérant de ses engagements personnels.”
Les règles de la gestion d'affaires étant applicables au mandataire qui aurait excédé son mandat, si, dans les dépenses qu'il a faites au delà de celles dont il était chargé, il s'en trouve de nécessaires ou d'utiles, il en sera remboursé.
On pourrait débattre la question de savoir si le maître doit les intérêts des sommes dépensées utilement pour lui ; la loi le dira formellement pour les sommes dues par le mandant au mandataire ; mais l'analogie des situations ne suffirait pas pour appliquer cet article entre le maître et le gérant. La question devra encore se résoudre ici par le principe de l'enrichissement indû : si le gérant a fait des dépenses nécessaires et n'a pas payé prématurément, il est juste que les intérêts lui soient remboursés, car le maître, s'il eût payé lui-même, y aurait perdu l'intérêt de son argent ; si le payement a été anticipé, il faudra voir encore si le gérant n'a pas obtenu à cause de cela une réduction, un escompte, comme cela se fait souvent en pareil cas : alors les intérêts lui seront alloués. Si les dépenses n'ont été qu'utiles, les intérêts ne seront dus que si, indépendamment de la plus-value donnée aux choses, en capital, il en est résulté un revenu pour le maître : par exemple, le gérant a fait agrandir des bâtiments et les a loués; dans ce cas, outre la plus-value du capital, il y a plus-value du revenu et le maître doit les intérêts des sommes payées.
Remarquons, à ce sujet, que le maître qui ne devra jamais plus que son enrichissement, quoique la dépense y ait été supérieure, ne devra jamais, non plus, au delà de ce que le gérant a dépensé, lors même que la plus-value y serait supérieure : dans le premier cas, il y a un excédant de perte qui doit retomber sur le gérant, parce qu'il a été plus ou moins imprudent ; dans le second cas, il y a un excédant de profit qui ne peut appartenir qu'au propriétaire, car la gestion d'affaires peut bien être une cause de perte, mais jamais une cause de profit pour le gérant.
Une dernière question restait à résoudre : à quel moment doit-on se placer pour apprécier l'enrichissement qui détermine l'obligation du maître ? Est-ce au moment où les actes de gestion ont eu lieu, ou au moment où l'action en justice est intentée ? La question a un grand intérêt, quand, dans l'intervalle de la gestion à l'action, il est survenu des circonstances fortuites qui ont diminué le profit déjà réalisé. Ou doit décider, en règle générale, qu'il faut se placer au moment des actes de gestion, s'ils sont suffisamment distincte les uns des autres, ou à la fin de la gestion, si elle est indivisible. La raison en est que le maître se trouvant, dès cette époque, débiteur d'une somme d'argent, chose de quantité, ne peut en être libéré par la perte de la chose due, comme s'il était débiteur d'un corps certain. La solution contraire n'est admissible que dans les cas d'une gestion d'affaires entreprise en dehors de toute idée de bon office : par exemple, quand on gère la chose d'autrui, la croyant sienne, ou quand on la gère sciemment malgré la défense du maître (2e al ) ; dans ces deux cas, on est d'accord, depuis les Romains, pour apprécier l'enrichissement au moment de l'action.
Art. 364 et 366. Un payement peut être indû de plusieurs façons, lesquelles peuvent se trouver réunies ou séparées :
I. La dette peut ne pas exister du tout, soit parce qu'elle n'a pas été légalement créée, soit parce qu'elle est déjà éteinte ; dans ce cas, Il n'y a ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; le payement est aussi nul que la dette prétendue, et il devient lui-même le principe, la. cause, d'une véritable dette née de la réception de l'indû ou de l'enrichissement de celui qui l'a reçu. L'article 364 s'applique à ce cas, en même temps qu'au cas suivant.
II. La dette existe, celui qui a payé est bien le débiteur, mais celui qui a reçu n'est pas le créancier ; c'est encore le cas de l'article 364 ; le payement est aussi nul que le précédent, car, si le débiteur avait une cause de payer, celui qui a reçu n'en avait pas de recevoir ; ce payement, d'ailleurs, n'a nullement libéré le débiteur envers son véritable créancier et, en même temps qu'il s'est dépouillé d'une somme ou valeur sans cause légitime, celui qui a reçu s'est indûment enrichi.
Dans ces deux premiers cas de payement indû, le texte a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer s'il y a eu erreur, ou non, de l'une ou de l'autre partie: il y a toujours lieu à répétition.
C'est à tort qu'on prétendrait que celui qui paye, sachant qu'il ne doit pas, entend, sans doute, faire une donation : d'abord, il pourrait arriver que l'intention de donner n'existât pas chez celui qui paye ; par exemple, dans un temps de trouble, voulant mettre son argent en sûreté et ne trouvant pas facilement un dépositaire, il fait remettre des valeurs, à titre de payement, à une personne honnête et assez puissante pour que les valeurs ne courrent aucun risque dans ses mains ; celle-ci qui, sans doute, n'aurait pas accepté un dépôt, reçoit le prétendu payement, sauf à vérifier plus tard ; il serait injuste de refuser la répétition dans ce cas, sous prétexte qu'il y a eu surprise. Il y a encore une autre objection à l'admission d'une donation : les donations sont soumises à des formes protectrices du donateur et il serait dangereux de lui permettre de s'en affranchir aussi facilement : les donations manuelles, les donations déguisées, peuvent n'être pas absolument interdites ; mais elles ne doivent pas être présumées.
La bonne foi de celui qui a reçu ce qui ne lui était pas dû ne le préserve pas non plus de la répétition ; mais elle atténue son obligation, comme on le verra ultérieurement, au sujet de la mauvaise foi, dans une disposition qui comprendra toutes les réceptions sans cause et les répétitions qui s'y rapportent (voy. art. 268).
III. Le payement a été fait au véritable créancier, mais par un autre que le débiteur et sans qu'il y ait mandat de celui-ci, ni sans que celui qui a payé ait entendu le faire en son nom ou pour son compte, ce qui serait une gestion d'affaires. Ce cas est réglé par l'article 365.
Ici, la position de celui qui reçoit est bien plus digne d'intérêt, car il est vraiment créancier. Deux faveurs lui sont accordées: il est à l'abri de la répétition dans deux cas.
1er cas. Si celui qui a payé savait qu'il ne devait pas : en d'autres termes, la loi ne lui accorde la répétition que s'il a payé “par erreur;” en effet, il est juste que lorsqu'il a payé à celui qu'il savait créancier, alors qu'il savait n'être pas lui-même le débiteur, lorsqu'il a donné au créancier la satisfaction de recevoir ce qui lui est vraiment dû, il ne puisse plus, sous le prétexte qu'il a eu une autre intention restée secrète, lui causer une déception pénible et souvent préjudiciable ; le créancier a d'ailleurs pu croire facilement à un mandat du débiteur, à une gestion d'affaires ou à un intérêt personnel que le tiers avait à payer cette dette, quoiqu'elle ne fût pas la sienne. Mais il ne faudrait pas ici, moins encore que dans le cas précédent, se fonder sur l'idée d'une donation que celui qui a payé aurait voulu faire à celui qui a reçu, puisque ce dernier, recevant son dû, ne profite en rien.
2e cas. Si celui qui a reçu a supprimé son titre et se trouve ainsi dans l'impossibilité de poursuivre le véritable débiteur : la loi exige la bonne foi du créancier au moment où il a détruit son titre ; par conséquent, il faut qu'il ait cru avoir reçu du débiteur ou au moins de quelqu'un qui payait en son nom et pour son compte ; autrement, et dans le doute, il aurait dû conserver son titre. En fait, le titre aura été le plus souvent remis au tiers qui a payé, comme il l'aurait été au débiteur lui-même.
Remarquons, au surplus, que lorsque le créancier a, de bonne foi, supprimé son titre, il n'y a plus à exiger, pour le refus de répétition, que le tiers ait payé sciemment; autrement, s'il fallait encore que le payement ait eu lieu sciemment, ce second cas ne serait plus une faveur pour le créancier : c'est justement quand celui qui a payé l'a fait par erreur que la suppression du titre met le créancier à l'abri du recours.
Il faut assimiler à la suppression du titre le cas où le créancier l'aurait laissé périmer par la prescription, toujours sur la foi du payement, et aussi le cas où il aurait donné quittance à une caution ou négligé de prendre ou de renouveler une inscription d'hypothèque ; la loi n'a évidemment prévu que le cas le plus simple et le plus fréquent.
L'action en répétition, dans les divers cas déjà indiqués, présente des questions de preuve assez délicates.
Le demandeur devra prouver : 1° qu'il a effectivement payé ou fait une prestation à titre de payement, 2° que celui qui a reçu n'était pas créancier ou que celui qui a payé n'était pas débiteur, 3° dans ce dernier cas, que le payement a été fait par erreur.
Le défendeur, dans le cas où il était vraiment créancier et où il s'oppose à la répétition de l'indû, devra prouver : 1° la destruction ou la péremption de son titre, 2° sa bonne foi.
La première preuve du demandeur se fera comme la preuve ordinaire d'un payement régulier, par écrit ou par témoins, suivant le droit commun.
La preuve que la dette n'existait pas sera plus difficile, parce que c'est la preuve d'un fait négatif ; aussi pourra-t-on admettre que si le défendeur à la répétition avait d'abord nié le fait de la-réception du payement, il serait, après cette preuve faite contre lui, présumé avoir reçu l'indû ; ce serait alors à lui de prouver que la dette existait.
La preuve de l'erreur de celui qui a payé, quand elle est requise, ne sera pas toujours facile ; mais c'est le cas de toutes les erreurs; on admettra d'ailleurs la preuve d'une erreur de droit autant que celle d'une erreur de fait (voy. art. 311).
La preuve de la destruction du titre se fera par tous les moyens, et elle sera difficile également, car ce n'est pas un acte qui se fasse, en général, devant témoins ; les tribunaux décideraient d'après les présomptions de fait. Celle de la prescription du titre sera plus facile à faire, puisqu'elle revient à une preuve du laps de temps écoulé et à l'exception opposée par le débiteur sur les poursuites faites contre lui.
Enfin, la preuve de la bonne foi du créancier sera la plus facile : on pourra appliquer ici le principe général, d'après lequel “la bonne foi est toujours présumée ;” mais la preuve contraire, celle de mauvaise foi, se fera par tous les moyens possibles.
La loi termine les dispositions de l'article 365 en réservant, dans les deux cas, le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur : il a pour ce recours deux voies dont l'une est déjà connue, la gestion d'affaires ; l'autre, la subrogation, sera expliquée ultérieurement : on verra que le payement “fait avec subrogation” permet au tiers qui a payé la dette d'autrui d'exercer les droits, actions, privilèges et hypothèques qui appartenaient au créancier désintéressé avec les deniers d'autrui (v. art. 463).
IV. Le payement a été fait par le véritable débiteur au véritable créancier ; c'est le cas prévu par l'article 366.
Il faut bien, ici encore, qu'il y ait eu quelque irrégularité ; autrement, il y aurait en extinction pure et simple de l'obligation et il ne serait pas question d'en chercher une nouvelle. Ce n'est pas le cas d'une obligation conditionnelle payée avant l'accomplissement de la condition, car, dans ce cas, il n'y aurait encore ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; mais on supposera, avec le texte du premier alinéa, le payement d'une chose d'une autre nature que celle qui est due ou d'une chose qui n'appartenait pas au débiteur, et toujours un payement fait par erreur.
Le droit de répétition accordé dans ce deuxième cas pourrait sembler contraire à une maxime qu'on citera encore, d'après laquelle celui qui doit la garantie d'éviction ne peut pas opérer lui-même cette éviction ; mais l'objection doit tomber devant cette considération que le débiteur, n'étant pas libéré par le payement de la chose d'autrui, se trouverait resté dans le lien de son obligation primitive, en même temps que sa responsabilité serait engagée envers le vrai propriétaire de la choses donnée en payement Du reste, ce n'est guère qu'au cas d'immeuble que cette répétition de la chose même pourrait être exercée ; car, s'il s'agissait de meuble, le créancier pourrait invoquer la prescription instantanée ou la maxime : “en fait de meubles, la possession vaut titre,” et le payement se trouverait ainsi validé.
Le seul tempérament que la loi apporte à la répétition, dans ce cas, c'est que le créancier puisse retenir la chose indûment reçue, jusqu'au payement de celle qui lui est due (voy. art. 455).
La loi refuse la répétition, au contraire, dans des cas où l'irrégularité est peu grave :
1° Un payement a été fait avant le terme : dans ce cas, la dette existe ; sans doute, le créancier ne pouvait exiger le payement avant l'échéance ; mais si le débiteur l'a offert, même par erreur, il serait trop dur de forcer le créancier à restituer des sommes ou valeurs qu'il a peut-être déjà employées et qui, un peu plus tard, seraient exigibles par lui ; seulement, il tiendra compte au débiteur des fruits ou intérêts intérimaires dont il profite.
2° Un payement a été fait dans un lieu autre que celui où le débiteur devait payer ; même solution et par le même motif : l'indemnité pourra consister dans le remboursement de frais de transport que le débiteur a épargnés au créancier, et peut-être même dans une différence de plus-value de la chose payée.
3° Le payement a été fait d'une chose de qualité, valeur ou bonté autre que celle qui était due : il suffira, dans ce cas, de tenir compte de la différence de valeur, en ayant soin, comme dit le texte, de ne pas faire rendre à celui qui a reçu plus qu'il n'a profité, ni plus que le débiteur n'a perdu. Quoique le texte mette sur la même ligne les qualités substantielles et non substantielles, il faut observer que si l'erreur sur la substance allait jusqu'à une erreur sur la nature de la chose due, la répétition serait permise en vertu du 1er alinéa.
Dans ces divers cas, on voit que si l'erreur n'est pas une cause de répétition, elle donne lieu à redressement de compte et, si l'erreur a eu lieu cbez le créancier, il ne sera pas moins secouru que le débiteur.
S'il n'y a eu erreur d'aucun côté, les parties seront considérées comme ayant volontairement modifié leurs rapports de droit respectifs.
Art. 367. Il n'y a pas de différence au fond, entre la répétition d'un payement indû et celle des prestations faites sans cause, pour fausse cause, pour cause illicite, ou pour une cause prévue qui ne s'est pas réalisée ou qui a cessé d'exister ; ce n'était pas une raison, cependant, pour ne pas les régler dans la loi ; il faut justement consacrer cette similitude dans les effets, laquelle, d'ailleurs, comportera une exception.
Le payement indû est, dans la réalité des choses, une prestation faite sans cause ; on pourrait dire aussi qu'il est fait pour une cause illicite, quand il est fait en exécution d'une convention prohibée ; de même, si le payement indû s'applique à une dette dont la condition est défaillie ou non accomplie ou dont la cause a cessé d'exister, on peut dire qu'il y a un “payement indû," chaque fois que la prestation a été faite à titre de payement, sous le nom de payement, et l'on réserve les autres expressions aux prestations faites à tout autre titre illégitime.
La loi ayant énuméré ces prestations au 2e alinéa de l'article 361, il a suffi dans le présent article, d'un simple rappel de cette disposition, et pour le règlement des effets, c'est l'article 364 que la loi applique, parce que c'est celui qui prévoit le payement le plus indû de tous. En conséquence, la nullité de la prestation sera aussi complète, aussi absolue que possible : il n'y aura à distinguer, ni chez celui qui a reçu, ni chez celui qui a donné, s'il y avait, ou non, connaissance de l'illégalité de la prestation ; dans un seul cas, la répétition est refusé, c'est lorsque la prestation a une cause illicite ou contraire, soit à l'ordre public, soit aux bonnes mœurs, et encore faut-il, pour cela, que l'immoralité se rencontre chez celui qui a fait la prestation autant que chez celui qui l'a reçue. Ainsi, une somme ou valeur a été donnée à une femme de mauvaise vie pour obtenir ses faveurs, à un homme hardi pour opérer un enlèvement, à un témoin pour faire une fausse déclaration : assurément, dans ces divers cas, et dans une foule d'autres cas analogues, celui qui a reçu n'a pas de cause légitime de garder la valeur qu'il a reçue ; mais il y aurait un scandale et une sorte d'offense à la justice, si celui qui a donné des sommes ou valeurs pour une telle cause venait au tribunal se faire un titre de sa malhonnêteté pour se les faire restituer ; il y a, à cet égard, un axiome célèbre et souvent appliqué par les tribunaux, en tous pays, “personne n'est écouté, alléguant sa turpitude.”
Au contraire, si la malhonnêteté, “la turpitude,” ne se rencontre que chez celui qui a reçu, alors la répétition est admise : par exemple, j'ai donné à quelqu'un une somme d'argent pour qu'il s'abstînt d'un crime, d'un délit ou d'une autre mauvaise action ; la prestation n'a une cause malhonnête que de son côté, car il ne doit pas accepter une récompense pour ne pas avoir commis une mauvaise action; pour ma part, j'ai fait un acte utile et honnête, en prévenant un mal ; c'est au point qu'il a semblé à certains auteurs que, dans un but d'utilité publique, il vaudrait peut-être mieux interdire la répétition des choses données pour empêcher une mauvaise action : on se bornerait à refuser action au stipulant, s'il n'y avait eu que promesse sans prestation actuelle. Mais il serait très-dangereux d'entrer dans cette voie, et on serait amené à refuser la répétition à celui qui aurait remis, à des brigands ou à des pirates, des sommes ou valeurs à titre de rançon ou de rachat d'un captif, ce qui est inadmissible.
On peut encore citer comme cas d'application de la répétition fondée sur une cause illégale du seul côté de celui qui a reçu : le cas d'intérêts usuraires, le cas d'un prix payé au-delà du tarif légal, pour les choses taxées par l'autorité, ou même d'un prix quelconque payé pour un service qui aurait dû être fourni gratuitement ; dans ces cas, il n'y pas immoralité de la part de celui qui a fait la prestation, parce qu'il est présumé avoir agi sous l'empire de nécessités qui l'ont contraint de subir les conditions injustes qu'on voulait lui faire.
Ce qui a été donné en vertu de jeu ou de pari ne peut être répété, pas plus que ce qui aurait été promis au même titre ne pourrait être exigé : la cause est injuste ou immorale des deux côtés.
Art. 368 et 369. Ces deux articles sont applicables, tout à la fois, aux diverses prestations dont il vient d'être parlé et aux divers payements indûs, tels qu'ils sont prévus par les articles 364 à 366.
On a dit précédemment que la bonne foi de celui qui a reçu n'était pas un obstacle à la répétition dirigée contre lui, mais qu'elle rendait sa position meilleure. La différence entre la bonne et la mauvaise foi est celle-ci : celui qui a reçu de bonne foi n'est tenu que de l'enrichissement qu'il a effectivement reçu et même qui a persisté jusqu'au jour de l'action en répétition; au contraire, celui qui a reçu de mauvaise foi, doit, outre cet enrichisscment, les diverses indemnités déterminées par l'article 368 : elles sont fondées sur la faute commise ; le principe de l'obligation n'est plus le même, c'est le délit civil.
Au surplus, ces cas ne demandent que peu d'explications.
1° Les intérêts des capitaux reçus sont dûs, de plein droit, du jour où ces capitaux ont été versés, et, en cela, il y a une rigueur particulière, car il n'y a pas besoin de demande en justice pour faire courir ces intérêts : le débiteur est constitué en demeure par sa seule mauvaise foi. Ce qui prouve, au surplus, que ce n'est plus en vertu de l'enrichissement que les intérêts sont dûs, c'est que, peut-être, le débiteur n'a pas tiré profit de ces capitaux et qu'il n'en doit pas moins les intérêts.
2° Les fruits et produits de la choses indûment livrée sont dûs, lors même qu'ils n'auraient pas été effectivement perçus ; c'est l'application d'un principe déjà rencontré à l'article 195.
3° Le débiteur des choses reçues, sachant qu'il devait les rendre, aurait dû apporter des soins suffisants pour leur conservation : sa faute originaire l'expose à des fautes consécutives ; tandis qu'un possesseur de bonne foi. ayant cru que la chose lui appartenait, ne serait pas responsable de sa négligence. Bien plus, si la chose a péri ou a été détériorée par cas fortuit ou force majeure, il peut encore être tenu d'en rendre la valeur originaire, c'est lorsque la chose n'aurait pas nécessairement péri, si elle était restée aux mains de celui qui l'a indûment livrée: on a déjà rencontré cette juste sévérité, au sujet de celui qui a manqué à restituer après sa mise en demeure (voy. art. 335) ; or, ici, la mauvaise foi équivaut à une mise en demeure.
L'article 369 suppose que la chose indûment reçue a été aliénée et il donne encore une différence entre la bonne et la mauvaise foi.
Observons d'abord que si la chose reçue est un corps certain, meuble ou immeuble, qui se retrouve dans les biens de celui qui l'a reçu, la restitution se fera en nature, avec indemnité, s'il y a lieu. Mais, si la chose a été aliénée par celui qui l'a reçue, on pourrait douter que la chose puisse être revendiquée contre les tiers-acquéreurs, surtout s'ils sont de bonne foi. Cependant, le droit de revendication est certain : l'aliénation, étant sans cause, est radicalement nulle et celui qui a reçu la prestation indue n'a pas pu transférer des droits qu'il n'avait pas ; lors même qu'il a inscrit son aete et le sous-acquéreur, le sien propre, ces deux inscriptions, appliquées à des actes nuis, sont nulles elles-mêmes, et c'est le cas d'application de l'article 352, 2e al.
Le présent article 369 tranche nettement la question à ce double point de vue, c'est-à-dire, tant à l'égard des tiers qu'à l'égard de celui qui a reçu : la partie qui a livré l'immeuble, aliéné ensuite, a le choix entre la revendication contre le sous-acquéreur et l'action personnelle contre celui qui a reçu. Elle pourra même, quoique la loi ne le dise pas, cumuler les deux actions dans une certaine mesure, s'il y a eu mauvaise foi de celui qui a reçu et si l'action réelle ne trouve plus l'immeuble que détérioré : l'indemnité de la détérioration ne pouvant être demandée an tiers-possesseur, s'il est de bonne foi, sera obtenue de celui qui a reçu et aliénté de mauvaise foi.
Si celui qui a livré préfère intenter l'action personnelle en répétition contre celui qui a reçu et aliéné, il obtiendra la valeur estimative intégrale de l'immeuble contre le vendeur de mauvaise foi; mais contre le vendeur de bonne foi, il n'obtiendra que le prix de cession, et si ce prix n'a pas encore été payé, il pourra seulement se faire céder l'action en payement et l'action en résolution qui appartiennent an cédant.
Si l'accipiens, de bonne foi au jour de la réception du payement, était devenu de mauvaise foi au jour de l'aliénation, la solution serait la même que s'il avait reçu de mauvaise foi à l'origine.
La loi ne parle ici que “d'immeuble”, parce qu'il s'agit de le revendiquer contre un tiers ; mais la même solution devrait être appliquée dans sa dernière partie, s'il s'agissait d'un meuble que l'accipiens aurait aliéné : il en devrait le prix reçu ou la valeur estimative suivant sa bonne ou mauvaise foi.
Une difficulté subsiste dans ce cas de cession faite de bonne foi à un sous-acquéreur : si la partie qui a livré l'immeuble exerce la revendication, l'acheteur évincé recourra en garantie contre son vendeur et celui-ci, malgré sa bonne foi, pourra être exposé à de lourdes indemnités, ce qui est incompatible avec la limite de responsabilité qui. lui est accordée quand il est actionne directement par celui qui a payé l'indû. Pour concilier les deux droits, on doit admettre que le vendeur mettra en cause le revendiquant et fera retomber sur lui l'indemnité de garantie, de façon à ne supporter définitivement que la restitution du prix reçu.
Si la chose, au lieu d'être vendue, avait été donnée de bonne foi, le donateur ne serait tenu, ni envers celui qui a livré la chose indûment, puisqu'il n'est pas enrichi, ni envers le donataire évincé, puisqu'un donateur n'est jamais garant de l'éviction.
SECTION III.
DES DOMMAGES INJUSTES OU DES DÉLITS ET DES QUASI-DÉLITS.
Art. 370. L'expression “dommages injustes” a semblé devoir être adoptée de préférence, dans le Code japonais, à celle, plus usitée, de “délits et quasidélit,” parce quelle exprime mieux l'idée dominante de cette troisième source des obligations : elle a d'ailleurs sa source dans le droit romain qui réglait avec soin la réparation des “dommages causés sans droit, à tort, injustement.”
De même que lorsqu'il s'agit de l'enrichissement à restituer, il faut qu'il ait été indû, de même, lorsqu'il s'agit de dommage à réparer, il est nécessaire qu'il ait été injuste, ou causé “par une faute ou une négligence,” ce qui exclut la réparation des dommages causés par l'exercice régulier d'un droit, par l'accomplissement d'un devoir ou même par l'effet d'un cas fortuit ou d'une force majeure. Ainsi, très-souvent, les actes d'un propriétaire d'immeuble, accomplis dans les limites de son droit, nuisent au voisin, et cependant aucune réparation n'est due pour cette sorte de dommage ; ainsi encore, les officiers publics, dans l'exercice régulier de leurs fonctions, causent souvent des dommages aux particuliers, dans la liberté de leur personne ou dans leurs biens, et, ni eux, ni l'Etat, n'en sont responsables ; enfin, quand, par exemple, un cavalier, dont le cheval est effrayé par une cause fortuite, renverse et blesse un passant, il n'est tenu d'aucune réparation, si d'ailleurs le cavalier était suffisamment habile pour monter ce cheval, eu égard à son caractère habituel.
Il faut donc, pour que la responsabilité soit encourue, pour que l'obligation de réparer se forme, qu'une faute ou une négligence soit imputable à l'auteur du dommage. Il importe peu, d'ailleurs, si le dommage est causé directement par la personne ou par ses biens seulement, ni s'il est causé à la personne d'autrui ou à ses biens : les exemples déjà donnés, même comme n'entraînant pas do responsabilité, prouvent que si le dommage était injuste, il serait réparable, sans distinguer s'il a été causé par une personne ou par ses biens, ni à une personne ou à ses biens.
Au surplus, si l'on s'occupe plus de la réalité des choses que de l'expression, on reconnaît que l'idée non-seulement la plus raisonnable, mais ainsi la seule aujourd'hui véritablement appliquée, est encore celle qui attache la responsabilité civile et pécuniaire aux dommages qui viennent d'une personne et en atteignent une autre dans ses biens. En effet, quand nous répondons des dommages causés par nos biens, comme par nos animaux ou par nos bâtiments, c'est toujours parce que notre personne a été en faute, a manqué de prévoyance ; de même, si nous sommes responsables des lésions corporelles causées à autrui, c'est parce qu'elles ont entraîné des frais de maladie et des pertes de profits légitimes, par suite de l'incapacité de travail. Si, en cas d'homicide par imprudence, nous devons une pension aux enfants, à la veuve ou aux ascendants de la victime, c'est parce que notre faute les a privés de leur soutien ; c'est donc toujours la réparation d'un tort causé au patrimoine. Bien plus, lorsque le dommage semble purement moral, par exemple, par suite d'une diffamation, on ne peut obtenir d'indemnité pécuniaire qu'autant que la diffamation paraît avoir entraîné, indirectement, quelque dommage de fortune pour la victime.
Il n'y a pas à distinguer, non plus, si la faute est un fait positif, c'est-à-dire un acte accompli illégalement, ou une omission, un manquement au devoir ou à la prudence; la seule différence qui pourrait résulter de cette nuance, c'est que les tribunaux pourraient être, toutes choses égales d'ailleurs (c'est-à-dire, dans deux cas de pareille gravité par leurs conséquences), plus indulgents pour une omission que pour un acte positif ; parce que l'omission est, pour ainsi dire, insensible et muette : elle ne porte pas en elle-même, comme l'acte positif, un avertissement qu'il y a une règle contraire à observer ; mais il n'y a là qu'une différence de fait et non de droit. Au contraire, il y a à distinguer, au point de vue légal, si le dommage résultant de la faute ou de l'omission a été volontaire ou involontaire : non-seulement le fait dommageable change alors de nom et de qualification légale (délit ou quasi-délit), mais aussi, et surtout, la manière d'apprécier la responsabilité change notablement.
Le Code japonais comble ici une lacune des Codes étrangers, en renvoyant sur ce point à la responsabilité des fautes ou des omissions commises dans l'exécution des conventions.
En Europe, peu d'auteurs ont cru pouvoir étendre aux délits et aux quasi-délits les dispositions légales qui règlent l'indemnité du dol et de la simple faute commises au sujet des contrats ; cependant, l'analogie est frappante, et comme il ne s'agit pas ici de peines, mais de réparation civile, on ne conçoit pas de pareils scrupules ; il en résulte que les tribunaux ne sont soumis à aucune règle, ont un pouvoir illimité pour apprécier la responsabilité des dommages, en cas de délits et de quasi-délits, tandis qu'ils n'ont pas la même liberté, lorsqu'il s'agit d'inexécution des conventions. Si la distinction que la loi a faite entre le dol et la simple faute est juste et raisonnable, quand il s'agit des conventions, on ne voit pas comment elle cesserait de l'être dans les autres cas, notamment, dans les quasi-contrats et dans les délits et quasi-délits. En tout cas, sans rechercher si l'assimilation de ces divers cas est suffisamment autorisée en droit étranger, en l'absence de texte formel, on peut, sans scrupules, la poser en règle dans le Code japonais.
Comme cette matière sera réglée plus loin, au sujet de l'effet des obligations contractuelles, on n'y insiste pas ici ; il suffit d'annoncer que lorsqu'il y a dol ou dommage volontaire, la réparation comprend non-seulement les dommages qui ont été prévus par son auteur ou qu'il lui était possible de prévoir, au moment de l'acte fautif, mais encore ceux qu'il ne pouvait prévoir ; tandis que lorsqu'il n'y a que simple faute, imprudence ou négligence, la réparation n'excède pas les prévisions réelles ou raisonnablement possibles (v. art. 385).
En appliquant donc cette distinctions aux dommages injustes, on dira que celui qui a, volontairement et dans l'intention de nuire, lancé des pierres dans une maison voisine qu'il croyait non habitée, sera responsable des blessures qu'il aura causées à une personne qui s'y trouvait à son insû, ou des dégâts causés à des objets précieux qui y étaient déposés ; tandis que celui qui, voulant, par exemple, chasser un corbeau d'un arbre à lui appartenant, aura, par maladresse, dépassé le but et atteint la maison voisine qu'il croyait aussi inhabitée et y aura causé les mêmes dommages que le délinquant qui précède, ne sera tenu que du bris de vitres qu'il a commis, parce que c'est le seul dommage qu'il ait pu raisonnablement prévoir ; ainsi encore, celui qui a commis volontairement un homicide est tenu de l'indemnité des dommages qui en résultent pour toutes les personnes, même nombreuses, qui avaient un intérêt légitime à la vie de la victime ; tandis que celui qui a causé un homicide par imprudence ne serait tenu que dans la limite des cas ordinaires ; enfin, si l'on suppose une diffamation calomnieuse ou simplement malicieuse, la réparation comprendra tous les dommages effectifs que la victime a pu en éprouver ; tandis que s'il n'y a eu qu'imprudence, légèreté, dans la divulgation de faits déshonorants, la responsabilité ne s'appliquera qu'au préjudice qu'il était possible de prévoir.
Au sujet de la réparation des dommages causés à tort, il y aura encore à distinguer s'ils sont une suite inévitable de la faute ou non; mais cette distinction, plus délicate que la précédente, demanderait des développements et des exemples qui seront mieux à leur place au Chapitre suivant, Section II, auxquels renvoie notre article (v. art. 385).
Au surplus, l'indemnité comprendra, comme en matière de contrats, la réparation du dommage éprouvé et la compensation du profit manqué ; ce double élément de l'indemnité est contenu dans l'expression de dommages-intérêts. Le plus souvent, l'indemnité sera fixée en argent ; mais il ne serait pas contraire à la loi que les tribunaux ordonnassent une réparation en nature, dans les cas où elle serait possible et utile.
Il faut remarquer, en terminant sur ce point, que les délits civils, malgré la volonté de nuire qui s'y rencontre, ne constituent pas toujours des délits correctionnels, et que, réciproquement, des quasi-délits peuvent constituer des délits correctionnels. Ainsi, celui qui, par ruse et méchanceté, déterminerait un propriétaire à aliéner son immeuble, en lui inspirant la crainte d'un danger imaginaire ou en lui donnant une espérance chimérique, ne commettrait pas une escroquerie, du moment qu'il ne serait ni l'acheteur ni le complice de l'acheteur: il ne se trouverait coupable d'aucun délit pénal, mais il aurait commis un délit civil. Il en serait de même de celui qui, méchamment, aurait donné un conseil qui a causé la perte d'un immeuble, d'un navire ou de marchandises : la loi ne punit que les conseils nuisibles aux personnes (C. pénal, art. 297 et 308) En sens inverse, celui qui, par imprudence ou inobservation des règlements, aurait causé un homicide ou des lésions corporelles à autrui, aurait commis un délit correctionnel, mais il ne serait, civilement, auteur que d'un quasi-délit. Le seul point où les deux qualifications de délit se rencontrent est qu'un délit correctionnel dont l'intention coupable sera un élément constitutif (et c'est, de beaucoup, le plus grand nombre) sera toujours, en même temps, un délit civil.
Art. 371. Le Code sait ici une division consacrée : l'usage est de dire que l'on répond toujours de ses propres faits et même dans certains cas, “du fait d'autrui.” Mais, si l'on va au fond des choses, on reconnaît facilement, comme on l'a déjà remarqué, que dans tous les cas, on n'est responsable que de son propre fait ou de sa propre négligence : il serait, en effet, contraire à toute justice que quelqu'un se trouvât obligé sans sa faute ou sans sa volonté ; il n'y a que dans les cas d'obligations imposées par la loi (et elles sont en très-petit nombre, comme on le voit à la Section suivante) qu'une personne se trouve obligée sans son fait personnel. Dans les cas qu'annonce le présent article et que les articles suivants vont déterminer, il y a toujours négligence, défaut de soins ou de surveillance, de la part de celui que la loi déclare responsable et c'est là la cause et le principe de sa responsabilité. C'est aussi ce qui explique que la responsabilité s'étende aux dégâts ou dommages causés par des animaux ou même par des choses inanimées : assurément, en pareil cas, on ne peut parler de “fait d'autrui ;” mais il y a toujours négligence de la part du propriétaire et comme il est rare qu'une négligence soit commise volontairement et avec intention de nuire à autrui, on ne trouve guère ici que des quasi-délits.
Art. 372. Pour qu'une personne soit dite responsable du fait d'une autre, il faut “qu'elle ait autorité” sur celle-ci, parce qu'elle pouvait empêcher le fait dommageable, et s'il s'agit de dommages causés par des choses, la responsabilité incombe à celui auquel elles appartiennent, parce qu'il pouvait également prévenir le fait.
Il restait à déterminer quelles personnes ont sur d'autres une autorité suffisante pour prévenir les délits ou quasi-délits de celles-ci.
En première ligne se trouvent les ascendants. Comme la matière de la puissance paternelle n'était pas encore réglée par le Code, au moment de la rédaction de cet article, la loi ne détermine pas ici quel est celui des ascendants qui est responsable des faits du descendant : elle se borne à indiquer, d'une façon indéterminée, “celui des ascendants qui exerce la puissance paternelle sur ses descendants mineurs.” Indépendamment de cette autorité de droit résultant de la puissance paternelle, la loi veut encore la possibilité que cette puissance s'exerce en fait, à savoir, “la communauté d'habitation autrement, il serait trop dur de rendre l'ascendant responsable des actes de l'enfant habitant séparément ; d'ailleurs, si l'acendant n'est pas responsable quand son descendant habite au dehors, il y aura presque toujours une autre personne responsable : par exemple, un instituteur ou un maître d'apprentissage, comme le prévoit le 4e alinéa du présent article.
Cependant, il ne faudrait pas prendre trop à la lettre la condition d'habitation commune : si, par exemple, l'enfant qui venait d'être, depuis peu de jours, placé comme élève interne dans une maison d'éducation y commettait quelque acte nuisible à autrui et qui ne fût pas dû au défaut de surveillance, comme un vol clandestin ou des violences contre ses condisciples, il serait impossible d'affranchir l'ascendant de la responsabilité et de la transporter sur l'instituteur : le premier a eu tort de mal élever son enfant et de le confier à un étranger sans l'avertir du danger, tandis que ce dernier ne peut être considéré comme fautif ; mais s'il s'est déjà écoulé un temps assez long depuis l'entrée de l'enfant dans l'établissement, on n'est plus aussi sûr que les fautes de l'enfant soient le résultat de son éducation première, elles peuvent provenir du défaut de surveillance ; en tout cas, l'instituteur, ayant pu connaître les mauvaises dispositions de l'enfant, doit s'imputer de ne pas l'avoir renvoyé à sa famille ; d'ailleurs, le dernier alinéa du présent article protégera encore l'instituteur, quand il n'aura pu empêcher le dommage.
Les Codes étrangers n'ont pas toujours déclaré le tuteur responsable des fautes de son pupille. On n'hésite guère, dans la pratique, à suppléer au silence de la loi, parce que le tuteur exerce à peu près les pouvoirs paternels à l'égard de l'éducation du pupille; mais on ne peut étendre l'analogie jusqu'au mari, qui n'a pas sur sa femme une autorité égale à celle du tuteur, ni les mêmes moyens de coercition que celui-ci à l'égard du pupille.
Le Code japonais comble cette lacune dans le sens de la responsabilité du tuteur; mais il ne va pas jusqu'à l'étendre au mari pour les faits de sa femme.
La loi exige la même condition d'habitation commune pour la responsabilité du tuteur : c'est, en effet, une condition essentielle pour la surveillance et l'influence continue. Il n'est rien dit de l'âge quant au pupille ; il doit nécessairement être mineur : la tutelle cesse avec la majorité.
La loi déclare aussi ceux qui ont la garde des aliénés responsables des dommages causés par ceux-ci, et, bien qu'elle n'exige pas qu'il y ait communauté d'habitation, le cas se rencontrera presque nécessairement, puisque la responsabilité est fondée sur la garde.
A l'égard des personnes désignées au 4e alinéa de notre article, la loi exige encore la minorité des délinquants pour qu'elles soient civilement responsables ; c'est à cette condition seulement que ces personnes peuvent être considérées comme ayant reçu une délégation de l'autorité du père ou du tuteur. La loi n'exige pas l'habitation commune, mais elle s'en rapproche, en limitant la responsabilité des instituteurs et patrons aux actes commis pendant que les élèves, les apprentis ou ouvriers, sont sous leur surveillance.”
La dernière disposition de l'article 312 est importante : elle atténue la responsabilité qui nous occupe, en la maintenant dans les limites de la raison et de l'équité. On a dit, en effet, que cette responsabilité est fondée sur une présomption de négligence des parents et des autres personnes ayant autorité sur les délinquants ; or, cette présomption ne peut être absolue : elle doit admettre la preuve contraire. Si, par exemple, l'enfant est d'un caractère insoumis et si, malgré la vigilance de ses parents, il sort de la maison paternelle et commet des larcins au dehors, ou s'il cause des dégâts. aux propriétés voisines, il serait trop sévère de maintenir la responsabilité des parents. Il appartient aux tribunaux d'apprécier si, en fait, les parents ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour prévenir les écarts de l'enfant, et ils doivent considérer, à cet égard, non-seulement la vigilance de ceux-ci dans le cas particulier dont il s'agit, mais les soins qu'ils ont donnés à l'éducation générale de l'enfant.
Art. 373. La responsabilité des personnes désignées au présent article est, comme pour les précédentes, fondée sur une présomption de négligence ; toutefois, elle présente avec la première des différences notables qui motivent cette disposition spéciale :
1° Les personnes ici désignées ne sont responsables que des actes dommageables commis à l'occasion ou par suite des fonctions qu'elles ont conférées ; c'est, en effet, dans cette seule mesure que ces personnes ont autorité sur le délinquant ; c'est dans cette mesure aussi qu'elles peuvent être blâmées d'avoir donné leur confiance à un homme incapable ou peu méritant.
2° Ces mêmes personnes ne sont pas reçues, comme les précédentes, à prouver qu'elles n'ont pu empêcher les dommages ; la raison en est que leur négligence s'apprécie moins au moment de l'acte qu'au moment où elles ont fait leur choix et pendant le temps qui a suivi ; or, elles pouvaient librement choisir et faire cesser les services d'un employé incapable ou malhonnête, ce qu'on ne peut pas dire pour les ascendants qui, sauf dans le cas d'adoption, ne choisissent pas leurs enfants et ne peuvent les renvoyer.
A l'égard des instituteurs et maîtres d'apprentissage, ils peuvent aussi choisir leurs élèves et surtout les renvoyer, ce qui semblerait devoir leur interdire de se disculper de leur négligence ; mais il est plus naturel de leur donner le même avantage qu'aux parents dont ils sont les délégués ; le système contraire aurait d'ailleurs l'inconvénient grave d'exposer les élèves ou apprentis turbulents et indisciplinés à être rejetés de toutes les écoles ou ateliers, par crainte de la responsabilité qu'ils feraient encourir et ils deviendraient alors incorrigibles.
Ces deux différences étant données et justifiées, entre la responsabilité des personnes désignées à l'article prédédent et celle des maîtres et commettants, par rapport aux actes de leurs serviteurs et préposés, il faut en présenter quelques applications et elles demandent de la précaution.
Un cocher ou conducteur renverse et blesse un passant, en conduisant imprudemment ou maladroitement la voiture de son maître ; le maître est civilement responsable, lors même qu'il n'est pas dans ladite voiture : il aurait dû prendre un cocher plus habile ou n'en pas garder un qui est incapable ; l'ivresse du cocher, même accidentelle, n'excuserait pas le maître, car il est toujours évident qu'il a fait un mauvais choix. Les tribunaux auraient, cependant, dans des cas tout-à-fait favorables au maître, la ressource équitable de déclarer que l'ivresse du cacher est, par rapport au maître, un cas fortuit.
Le serviteur envoyé dans une maison par son maître y commet un vol, le maître est responsable d'avoir envoyé chez autrui un individu peu sûr; mais le serviteur, en allant au bain, commet un vol dans l'établissement, le maître n'est pas responsable, car, dans ce cas, le serviteur ne remplit pas une fonction pour son maître. Il y a plus de difficulté, si, en allant faire une commission pour son maître, il vole un objet au-devant d'une boutique : il semble, dans ce cas, que le vol soit commis, sinon “dans l'exercice,” au moins “à l'occasion” de la fonction, ce que le texte met sur la même ligne ; mais il faut reconnaître que la fonction est ici tout-à-fait étrangère au vol, elle n'y a pas plus “donné occasion” que ne l'aurait fait une promenade du serviteur dans la même rue. Il en serait autrement, si le serviteur, allant dans divers magasins pour y chercher l'objet demandé par son maître, a commis un larcin dans l'un de ces magasins.
Les cas d'application de cette responsabilité des maîtres sont très-variés et souvent délicats.
Pour celle des entrepreneurs de travaux, les applications sont journalières aussi. Très-souvent, les ouvriers, dans les travaux qu'ils exécutent, commettent des négligences qui causent des dommages aux personnes ou aux propriétés ; quelquefois, des ouvriers du même patron sont blessés par l'imprudence d'un autre : le patron est toujours responsable, parce qu'il y a toujours imprudence de sa part ou défaut de surveillance.
Les compagnies de chemin de fer, de bateaux, de transports de toute sorte, ont la même responsabilité des accidents causés par leurs employés. Et ici, il faut bien remarquer que si les dommages étaient causés aux personnes mêmes ou aux choses que la compagnie s'est engagée à transporter, ce ne serait plus par un quasi-délit qu'elle serait tenue, mais par le contrat même qu'elle a fait, par le contrat de louage de services ou d'industrie.
Art. 374. La responsabilité établie par cet article et le suivant est la preuve, comme on l'a déjà annoncé, qu'en réalité ce qu'on nomme habituellement “responsabilité du fait d'autrui” est la responsabilité d'une négligence personnelle, que le défaut de soins et de vigilance s'applique aux personnes ou aux choses, et aux choses animées ou inanimées ; le principe est le même, la responsabilité est encourue.
Le texte ne distingue pas parmi les diverses espèces d'animaux ; ce seront, presque toujours, des animaux domestiques ou attachés à la maison, tels que chevaux, chiens, coqs ou poules ; mais la loi a dû se garder de mettre cette limite dans ses prévisions, car il peut arriver qu'une personne ait, par curiosité ou par métier, quelque animal de nature sauvage ou même féroce qui, mal apprivoisé ou mal enfermé, commettrait des dégâts aux biens ou des dommages aux personnes. Le Code pénal (art 426-8°) punit d'ailleurs ceux qui ont laissé vaguer des animaux dangereux.
Les seuls animaux à l'égard desquels il n'y aurait pas de responsabilité seraientt les animaux sauvages qui vivraient ordinairement en liberté dans une propriété vaste et boisée et qui, delà, feraient des incursions sur les propriétés voisines, comme des loups, des renards ou des lièvres. En pareil cas, le propriétaire du terrain ne pouvant être dit propriétaire de ces animaux n'aurait aucune responsabilité des dégâts : la seule obligation qu'il aurait serait de laisser faire des battues, des chasses, par les voisins, pour la destruction de ces animaux et, en cas de refus, il pourrait être déclaré responsable des dégâts ; le refus de laisser détruire ces animaux pourrait même être réprimé par la police locale, s'il y avait danger pour les personnes.
La loi impose la responsabilité à celui qui a l'usage de l'animal domestique au moment du dommage. Ce pourra être un usufruitier ou un usager, un emprunteur à usage, un fermier ; ce sont, en effet, ces personnes qui ont la garde de l'animal et le devoir de le surveiller.
La loi ne se prononce pas ici sur le droit que les personnes menacées pourraient avoir de tuer l'animal nuisible, lorsqu'il pénètre dans les propriétés d'autrui ou attaque un passant sur la voie publique : ce droit n'est pas douteux, s'il y a danger pour les personnes; mais pour les dommages aux biens, on ne peut guère l'admettre que pour les animaux sans grande valeur ; ce sera aux lois de police à y pourvoir et, à leur défaut, à la sagesse des tribunaux.
Art. 375. Le principe de cet article est le même que celui qui régit l'article précédent : la responsabilité du propriétaire n'a évidemment pas pour cause l'accident produit par sa maison, mais sa propre négligence à l'égard de ladite maison. Si la loi ne mentionne pas, comme à l'article précédent, la responsabilité de ceux qui ont l'usage de la maison ou des autres objets mentionnés au présent article, ce n'est pas parce que cette responsabilité est impossible, mais parce qu'elle sera plus rare ; ainsi, l'usufruitier et le locataire ne devant pas faire les grosses réparations, il n'y aura pas à leur imputer la chûte d'un bâtiment ; mais les locataires pourraient être responsables des chûtes d'arbres, d'enseignes, d'auvents, et les locataires de navires seraient responsables des dommages causés par le défaut d'amarres ou d'attaches.
On a vu plus haut (art. 202) que si un bâtiment ou une digue menace ruine ou rupture, les voisins peuvent intenter l'action possessoire de dommage imminent et demander les réparations nécessaires ou une caution pour la réparation du dommage éventuel. Le voisin menacé pourrait aussi provoquer une mesure de police pour faire soutenir les bâtiments, s'il y avait danger immédiat.
Comme les constructeurs de maisons sont, dans une certaine mesure, garants des vices de construction, en vertu du contrat de louage d'ouvrage, la loi réserve le recours contre eux. Ceux qui ont éprouvé le dommage pourraient même, en cas d'insolvabilité du propriétaire, exercer contre lesdits constructeurs l'action indirecte qui appartient aux créanciers en général, d'après l'article 339.
Art. 376. On a toujours admis qu'il n'est pas nécessaire d'avoir autant d'âge, de raison et d'expérience pour éviter de causer dommage à autrui que pour bien gérer et gouverner ses propres affaires civiles ; aussi la loi pénale rend-elle les mineurs responsables de leurs infractions, mais avec des excuses graduées depuis l'âge de 12 ans jusqu'à la majorité (voy. c. p. art.) Pour ce qui est de la responsabilité civile des délits, la loi ne fait pas les mêmes distinctions, sauf aux juges à mesurer l'étendue de la responsabilité au degré de raison et par suite de méchanceté ou d'imprévoyance du mineur ; c'est pourquoi le texte laisse aux tribunaux un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard, par le mot : “peuvent.” Ils pourraient même déclarer responsable d'un dommage causé à tort un mineur de moins de 12 ans, quoiqu'à cet âge il échappe à toute responsabilité pénale ; les Romains disaient, à ce sujet, et on répète encore aujourd'hui “la méchanceté supplée à l'âge,”
Il n'y a pas de raison non plus de les affranchir absolument de la responsabilité dn fait de leurs serviteurs ou préposés, ni des dommages causés par leurs animaux ou même par les choses inanimées qui leur appartiennent, comme par la rupture d'une digue, par la chute d'un arbre ou d'une maison, lorsqu'il y a eu imprudence dans le choix du serviteur, dans le défaut de surveillance des animaux ou d'entretien des bâtiments et digues. Seulement, comme ce n'est pas, généralement, le mineur qui choisit ses serviteurs ou surveille ses bâtiments, il pourra avoir recours contre son tuteur ou contre celui qui est chargé de ces soins. Il faut donc, pour appliquer cette responsabilité au mineur, supposer qu'il est près de sa majorité et qu'en fait, c'est lui qui a choisi le serviteur fautif, qui entretient des animaux nuisibles ou qui sert des bâtiments mal entretenus, etc.
Art. 377. Cette disposition ne se trouve généralement pas exprimée dans les Codes étrangers Si on la néglige ordinairement, c'est que, le plus souvent, les auteurs de dommage dont la minorité ou la dépendance entraîne la responsabilité d'autrui sont solvables que ceux qui ont autorité sur eux ; mais le principe doit être posé néanmoins. Le texte, toutefois, subordonne la condamnation de l'auteur du dommage à une condition essentielle, c'est “qu'il puisse être considéré comme responsable de ses actes," ce qui exclut de cette responsabilité les fous et les enfants n'ayant pas encore le discernement exact de leurs devoirs ; mais, les mineurs proches de la majorité et les serviteurs ou préposés, pour la plupart, seront condamnés comme débiteurs principaux. Les personnes civilement responsables seront assimilées à des cautions, et c'est à raison de cette similitude qu'elles ont, de droit, un recours contre le débiteur principal, lorsqu'elles ont payé pour lui ; l'auteur du dommage ne pourrait leur reprocher, comme le peut celui qui en a souffert, leur défaut de surveillance on leur imprudence dans le choix dont ils ont été l'objet.
Remarquons, au surplus, que l'acte directement dommageable peut être un délit, civil ou pénal, quand il est volontaire, tandis que la faute de la personne civilement responsable, n'étant ordinairement qu'une imprudence ou une omission involontaire, ne constitue qu'un quasi-délit. La conséquence est importante pour l'appréciation de la responsabilité de chacun. Quand l'auteur du dommage volontaire a assez d'âge et de raison pour que son acte lui soit imputable civilement, les tribunaux le condamneront à l'indemnité toute entière du dommage causé, même au delà de ce qu'il pouvait prévoir au moment de l'acte ; tandis qu'ils ne condamneront les personnes civilement responsables que dans les limites du dommage qu'elles auraient pu et dû prévoir (art. 370, 3e al).
Les amendes sont des peines qui, comme telles, sont personnelles et ne peuvent, en principe, être prononcées que contre les délinquants. Si les personnes qui ont autorité sur eux ou qui leur ont donné des fonctions étaient responsables des amendes, ce ne serait plus une responsabilité civile, mais une responsabilité pénale et il n'y aurait plus de raison pour ne pas les soumettre aussi à l'emprisonnement, au lieu et place du délinquant, s'il s'échappait.
La loi réserve cependant des cas exceptionnels où l'amende pourra être poursuivie contre ces personnes ; on les trouvera dans des lois spéciales : par exemple, en matière de douanes, d'impôts indirecte, de postes ; dans ces cas, certaines fraudes ou contraventions sont punies d'amendes qui ont un caractère de réparation civile autant et plus que de peine ; l'exception, comme on le voit, est plutôt dans les mots que dans la chose elle-même.
Art. 378. S'il était possible de connaître et de déterminer la part de faute, de négligence, de chacune des personnes que la loi présume en faute dans cette Section, il ne serait pas équitable d'établir contre elles une responsabilité entière ; mais cette constatation du degré de faute individuelle sera presque toujours impossible.
La distinction que fait la loi entre la responsabilité intégrale et la responsabilité solidaire sera mieux comprise quand expliquera au Livre des Garanties ces deux sortes d'obligations incombant à plusieurs débiteurs.
On pourrait hésiter dans le cas où le dommage a été causé par un animal ou par la chute d'un bâtiment appartenant à plusieurs personnes pour des parts déterminées, égales ou inégales : on pourrait croire que, dans ce cas, l'équité n'admet de responsabilité pour chacun que dans la mesure de son droit de propriété sur la chose qui a causé le dommage ; mais c'est une illusion : celui qui, par exemple, n'est co-propriétaire d'un bâtiment que pour moitié, ne devait pas l'entretenir et le réparer pour moitié seulement, mais pour le tout; à plus forte raison, pour un animal dangereux, il devrait le garder pour le tout : on ne comprendrait même pas qu'il pût n'être gardé que pour une partie. L'opinion contraire qui divise la responsabilité dans la proportion des droits respectifs des co-propriétaires subît, sans s'en rendre compte, l'influence d'une ancienne théorie romaine : il est clair que dans une législation qui permettait de se libérer de la responsabilité des dommages causés par une chose animée ou inanimée, en l'abandonnant à la victime du dommage, la responsabilité de chaque propriétaire ne pouvait excéder sa part de co-propriété : mais ce n'est plus le système moderne, infiniment plus rationnel et équitable, où la responsabilité est fondée uniquement sur la négligence du propriétaire ; or, la surveillance étant de sa nature indivisible, la responsabilité doit être intégrale.
Art. 379. On a déjà remarqué que les fautes dommageables, même volontaires, ne constituent pas toujours une infraction d'après la loi pénale, et que, en sens inverse, une faute involontaire, une imprudence, un quasi-délit, peut constituer un délit correctionnel ; elle constituera, plus souvent encore, une contravention.
La circonstance que la faute sera une infraction à la loi pénale n'influera pas sur l'étendue de la responsabilité civile ; mais elle modifiera la compétence, puisqu'il est de principe que les tribunaux de répression sont compétents pour statuer sur la réparation civile due à la partie lésée; elle influera aussi sur la prescription de l'action en indemnité qui sera généralement plus courte que la prescription civile ordinaire, étant mesurée sur la durée de la prescription de l'action publique.
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette double dérogation au droit commun des matières civiles.
SECTION IV.
DES DISPOSITIONS DE LA LOI.
Art. 380. Le 1er alinéa fait ressortir le caractère des obligations légales, en y signalant l'absence d'un “fait actuel de l'homme” ; on aurait pu croire, en effet, que tonte obligation reconnue, sanctionnée par la loi, pouvait être qualifiée “obligation légale” , mais, quand elle n'est pas directement l'œuvre de la loi, quand il y a un fait de l'homme, plus ou moins volontaire, comme une convention, un enrichissement indû ou une faute, il est plus logique et plus simple d'assigner ce fait comme cause directe et immédiate à l'obligation et de réserver le nom d'obligations légales à celles que la loi impose aux particuliers sans leur volonté et, en quelque sorte, sans leur participation.
On a cependant contesté ce point de vue : on a soutenue que dans les prétendues obligations légales, il y a toujours un fait de l'homme qui pourrait être considéré comme base de l'obligation. Ainsi l'obligation alimentaire aurait pour base le mariage et la parenté, faits volontaires dans leur principe; l'obligation de gérer une tutelle reposerait de même sur un lien de parenté provenant toujours du mariage : les obligations entre co-propriétaires ou entre voisins auraient pour base la propriété même qui est toujours acquise volontairement. Mais, ce sont là des subtilités abusives ; il faut toujours donner un nom à ces nouvelles obligations, car il est impossible de les déclarer conventionnelles, puisqu'on ne pourrait ni les supprimer, ni les restreindre par convention ; il est encore moins possible de les rattacher à un enrichissement indû ou à une faute ; il est bien plus simple et plus naturel de les rattacher à la Loi, qui, interprétant le droit naturel, les détermine et les consacre.
Les obligations légales ici énumérées le sont plutôt énonciativement que limitativement : il est possible que le développement du droit au Japon en fasse admettre d'autres que celles qui sont ici énoncées et qui sont les seules aussi qu'on trouve dans les principaux Codes étrangers. S'il s'agissait du droit administratif et non plus du droit privé, on en trouverait un très grand nombre, mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.
La loi ne donne ici aucun détail sur les obligations légales qu'elle mentionne : elle se borne à renvoyer aux matières auxquelles elles se rattachent, au moins, pour ce qu'elles ont de particulier ; car, à beaucoup d'égards, elles suivent les règles des obligations conventionnelles ; leurs effets, notamment, se trouveront traités ci-après.
L'obligation alimentaire sera expliquée au Chapitre de la Parenté et de l'Alliance ; celle de gérer une tutelle le sera au Chapitre de la Tutelle. Quant aux obligations entre ce-propriétaire, elles se trouvent déjà expliquées, au présent Livre (art. 31 et suiv.) ; enfin, celles entre voisin, en dehors des cas qui constituent des charges réelles ou servitudes foncières, se sont trouvées plus ou moins mêlées avec ces dernières, par la nécessité de ne pas séparer des règles très-voisines les unes des autres : ainsi la nécessité de contribuer au bornage et à la clôture des propriétés contiguës et celle de céder la mitoyenneté au voisin qui le requiert, sont plutôt des obligations personnelles que des charges réelles.
Ici se termine ce qui concerne les Causes ou Sources des Obligations. La loi passe maintenant à leurs Effets.
CHAPITRE II.
DES EFFETS DES OBLIGATIONS.
Art. 381. La définition de l'obligation, donnée par l'article 293, nous a déjà dit que “le débiteur est astreint, “envers le créancier, à donner, à faire ou à ne pas faire “quelque chose ;” mais, si c'est là l'effet immédiat de l'obligation, ce n'en est aussi qu'un effet purement moral et métaphysique ; il faut prévoir le cas où le débiteur manquerait à remplir son devoir juridique il faut que la loi détermine les effets ultérieurs de l'obligation, c'est-à-dire les conséquences, la sanction de l'inexécution. Elles consistent dans des moyens de contrainte du créancier, et comme aucun trouble ne doit être apporté à la liberté civile des personnes sans le contrôle de la justice, le droit du créancier prend la forme d'une action en justice. C'est d'ailleurs “l'action en justice pour l'exécution” qui caractérise l'obligation civile ; quant à l'obligation naturelle, elle ne donne pas d'action au créancier : l'exécution, en principe, doit être volontaire (v. art. 562 et 3.)
Le créancier, comme l'annonce le présent article, a deux actions, l'une tendant à l'exécution directe de l'obligation, c'est-à-dire à la réalisation en nature de ce qui est dû (chose, fait, ou abstention), l'autre tendant à obtenir une indemnité pour l'inexécution, soit que le débiteur ne veuille exécuter ou se trouve, par sa faute, dans l'impossibilité de le faire, soit qu'il ait seulement tardé à exécuter; les deux actions peuvent être intentées séparément ou conjointement ; la seconde peut, tantôt être subsidiaire à la première, tantôt en être un complément. Toutefois, pour plus de clarté, le Code consacre à chacune de ces actions une Section séparée.
Cet effet principal des obligations se trouve modifié, en plus ou en moins, suivant ce que les Codes étrangers appellent les “diverses espèces d'obligations” et ce que le présent article qualifie, plus juridiquement, leurs “diverses modalités” ou manière d'être; elles sont l'objet d'une quatrième Section. L'une de ces modalités, la plus importante peut-être, donnera même au créancier une autre nature d'action, l'action en résolution déjà mentionnée souvent et qui sera bientôt expliquée plus au long.
Comme on l'a déjà observé, avec l'article 380, au sujet des obligations nées de la loi, les effets des obligations sont, en principe, les mêmes, quelle que soit leur cause (convention, enrichissement indû, dommage injuste ou la loi) ; s'il y a quelque particularité tenant à la cause, elle sera signalée chemin faisant.
SECTION PREMIÈRE.
De l'action pour l'exécution DIRECTE.
Art. 382. Ce que la loi appelle “l'exécution directe” de l'obligation, et, en d'autre termes, “l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur,” c'est l'accomplissement en nature de ce qui a été promis, s'il s'agit d'une obligation conventionnelle, et de ce qui est imposé par la loi, s'il s'agit d'une obligation fondée sur une des autres causes légales traitées au Chapitre précédent.
Au premier abord, il semblerait que ce genre d'accomplissement de l'obligation pourrait toujours être exigé, mais le premier alinéa le subordonne à deux conditions dont la première va de soi, c'est que le créancier la requierre ; la seconde seule demande quelque justification.
Si l'exécution directe de l'obligation ne pouvait être obtenue que par des moyens de contrainte sur la personne du débiteur, il faudrait l'abandonner ; en effet, le débiteur, en s'engageant, même expressément et par contrat, à accomplir un acte licite, n'a pas eu l'intention ni même le droit d'aliéner tout ou partie de sa liberté individuelle ; il reste maître de sa personne, maître de faire ou de ne pas faire, sauf la responsabilité du dommage qui peut résulter pour le créancier du parti qu'il a pris.
Du reste, on comprendrait très-difficilement que la contrainte personnelle produisît un effet utile pour le créancier : la plupart des obligations de faire ne peuvent se réaliser que par un effet de la pleine volonté du débiteur, et son refus formel constituerait la force d'inertie plus difficile à vaincre que la force active.
Voici pourtant un cas très-pratique d'une obligation de faire qui ne pourra que se résoudre en dommages-intérêts, parce que l'exécution forcée, quoiqu'à peu près possible en fait, est défendue en droit : une personne a promis ses services à temps, pour un prix qui lui a été payé d'avance, en tout ou en partie ; elle est déjà entrée dans la maison où elle doit servir ; bientôt, elle veut se retirer, même sans cause légitime ; celui auquel elle a loué ses services ne peut la retenir, lors même qu'elle ne serait pas en état de restituer les sommes reçues. Le cas se présente souvent au Japon et l'on n'y a peut-être pas toujours observé le principe ed droit naturel qui défend qu'une personne aliène sa liberté. Il ne faut pas qu'une maison privée soit transformée en une prison ; le maître qui retiendrait ainsi une servante contre sa volonté, quoiqu'elle eût fait un contrat de louage de services personnels, serait coupable de séquestration, délit prévu par le Code pénal (art. 322).
La prohibition légale de toute contrainte sur la personne du débiteur s'applique surtout aux obligations de ne pas faire : justement, parce que c'est le cas où la contrainte serait possible en fait, et encore ne serait-ce que dans des circonstances très-spéciales.
Supposons qu'un acteur célèbre engagé avec un directeur de théâtre, ait promis de ne pas jouer sur un autre théâtre pendant la durée de son engagement; s'il contrevint à sa promesse le directeur ne peut obtenir que l'acteur soit enlevé de la scène rivale pendant la représentation.
Le présent article, après avoir posé le principe qu'on vient de justifier, indique des cas où le créancier obtiendra, avec le secours de la justice, une satisfaction égale ou presque égale à celle que lui donnerait une exécution volontaire.
Le premier cas recevra une très-large et très-fréquente application. Le débiteur est tenu de délivrer une chose corporelle, meuble ou immeuble, en vertu d'une vente, d'un échange, d'une société ; il manque à remplir son obligation : le créancier fera saisir la chose et se la fera délivrer par les officiers de justice chargés de l'exécution des jugements. Cette disposition s'appliquera, non seulement dans les cas où. s'agissant d'un corps certain, la propriété aura été transférée par la convention (dans ce cas, le créancier obtiendrait, au besoin, la possession, par l'action en revendication), mais encore, lorsqu'il s'agirait de choses de quantité vendues ou promises: si le débiteur possédait des choses de la nature et de la quantité promises, le créancier en ferait saisir et s'en ferait délivrer la quantité due. En effet tout cela peut se réaliser sans violence, sans co ntrainte sur la personne du débiteur. La violence légale ne serait employée que si le débiteur s'opposait lui-même' par la violence, à l'exécution du jugement ; mais alors il commettrait un délit qui pourrait toujours être réprimé par la force publique.
Cette disposition s'appliquera non seulement aux cas où la délivrance se rapportera à une translation de propriété ou de droit réel moins étendu, comme à un droit d'usufruit, de louage ou de gage, mais même au cas où il ne s'agirait que d'un droit personnel, comme dans le prêt à usage, si le promettant refusait d'opérer le prêt par la tradition.
Le deuxième cas est celui d'une obligation de faire. Ici, l'obstacle résultant de la mauvaise volonté du débiteur est le plus considérable, parce qu'il n'y a pas de saisie possible ; mais la loi indique un moyen qui, bien souvent, suffira pour donner satisfaction au créancier: il fera accomplir le fait par un tiers, aux frais du débiteur. On conçoit que lorsqu'il s'agit de travaux agricoles ou manufacturiers, il sera peu important pour le créancier qu'ils soient faits par le débiteur lui-même ou par un autre. Mais, s'il s'agit d'une œuvre d'art à exécuter, d'un mandat ou d une négociation à accomplir, le créancier aura pris en considération le talent, l'habileté du débiteur, et il ne trouverait pas toujours dans un tiers les mêmes garanties de succès. Il appartient donc au créancier, en pareil cas, de choisir entre l'exécution par un tiers et les dommages-intérêts pour inexécution ; quand le texte dit que le tribunal autorise l'exécution par un tiers, c'est bien entendu, en supposant, avec le premier alinéa, qu'elle est requise par le créancier.
Dans le troisième cas, l'obligation est de ne pas faire, l'inexécution de cette obligation est justement l'accomplissement du fait défendu ; on dit alors qu'il y a contravention, que le débiteur a contrevenu à l'obligation. L'exécution tout-à-fait directe ne pourrait être obtenue que par des meyens préventifs attentatoires à la liberté individuelle que la loi défend et qui d'ailleurs seraient presque aussi impossibles en fait qu'en droit, car le créancier ne pourrait exercer sur les actes de son débiteur une surveillance continuelle.
Le seul moyen d'assurer au créancier, autant que possible, le bénéfice de l'obligation, c'est de l'autoriser à faire détruire ce qui aura été fait en contravention à ladite obligation, et comme cette destruction sera elle-même un travail, elle sera accomplie aux frais du débiteur. Bien entendu, il faut supposer qu'il s'agit d'actes matériels susceptibles d'être détruits, comme des travaux, des constructions ou plantations nuisibles à un voisin, et encore faut-il supposer qu'ils ne sont pas faits en contravention à une servitude, car ce n'est pas alors en vertu d'une obligation de ne pas faire qu'ils seraient sujets à destruction, mais en vertu du droit réel de servitude.
Un cas pourrait faire doute, c'est celui où le débiteur, homme de lettres ou écrivain de profession, aurait promis de consacrer exclusivement ses travaux à un journal ou à une revue, et aurait contrevenu en donnant des articles à une feuille rivale. En pareil cas, le tribunal pourrait-il ordonner la destruction des travaux faits en contravention à l'obligation ? Il faut répondre négativement, parce que les œuvres de l'esprit ne peuvent être ainsi détruites que lorsqu'elles sont contraires à la morale ou à l'ordre public, ce qui n'est pas le cas. Il n'y aurait donc lieu qu'à des dommages-intérêts.
La loi autorise enfin des “mesures préventives pour l'avenir,” s'il y a lieu, c'est-à-dire, s'il est possible d'empêcher le retour de la contravention ; mais toujours, il faudrait se garder de porter atteinte à l'indépendance de la personne et même au droit de propriété. Ainsi, si un forgeron avait promis de ne pas battre le fer pendant la maladie de son voisin et continuerait cependant l'exercice de sa bruyante profession : le tribunal pour rait bien ordonner qu'il payera une forte somme d'argent, par chaque jour ou même chaque heure de contravention ; mais il ne pourrait ôter au débiteur le libre accès à son atelier, ni même autoriser la saisie des fers, marteaux, enclumes.
L'avant-dernier alinéa de notre article réserve le cumul des dommages-intérêts avec la satisfaction principale autorisée par les alinéas précédents. En effet, cette satisfaction peut n'être pas complète, et, en tout cas, elle sera souvent tardive et le retard seul est presque toujours préjudiciable. Pans le cas de l'exécution par un tiers, le créancier pourra n'avoir pas les mêmes avantages que si l'exécution était venue du débiteur ; enfin, dans le cas où il y a eu destruction de ce qui avait été fait en contravention à l'obligation, il sera rare que le préjudice soit complètement réparé par cette destruction. Mais il ne faudrait pas croire que la destruction de ce qui a été fait ne suffira jamais et sera toujours accompagnée de dommages-intérêts ; c'est pourquoi le texte ajoute : “s'il y a lieu.”
La loi n'aurait pas suffisamment pourvu à la garantie des droits du créancier, en lui donnant une action directe pour l'exécution et une action subsidiaire on même cumulative en dommages-intérêts, si elle ne lui assurait encore l'exécution des condamnations prononcées contre le débiteur: il faut arriver, comme dernière sanction, à la saisie et à la vente forcée des biens de celui-ci et, par la distribution du prix, le créancier pourra obtenir une satisfaction plus ou moins complète. Mais ces voies d'exécution forcée, qui sont le complément et l'issue finale des poursuites, appartiennent évidemment à la procédure civile à laquelle renvoie le dernier alinéa de notre article.
SECTION II.
DE l'action en dommages-intérêts.
Art. 383. La loi indique d'abord les cas où il y a lieu à la seconde action du créancier, à celle qui tend à l'obtention de dommages-intérêts : ces cas sont déjà pressentis par ce qui a été dit au sujet de l'action pour l'exécution directe :
1° Il y a refus plus ou moins explicite du débiteur ; peut-être garde-t-il le silence sur les réclamations formelles du créancier ; peut-être allègue-t-il que l'obligation est nulle ou éteinte ; dans ce premier cas, il peut y avoir encore lieu à l'exécution directe : le tribunal, rejetant les exceptions ou moyens de défense du débiteur, pourra ordonner les mesures prescrites à l'article précédent, en réservant la condamnation subsidiaire aux dommages-intérêts, sur lesquels il statuera ensuite.
2° Il y a impossibilité d'exécuter et elle est imputable au débiteur, soit que, par imprévoyance, il ait promis plus qu'il ne pouvait tenir, soit que, par la mauvaise gestion de ses affaires, il soit arrivé à ne pas pouvoir remplir ses engagements. Ce cas implique la solution inverse dans l'hypothèse où l'inexécution proviendrait d'un cas fortuit ou d'une force majeure ; par exemple, la chose due aurait péri par accident, ou elle serait retirée du commerce ; bien entendu, ce serait au débiteur à prouver le cas fortuit ou la force majeure. Au surplus, cette impossibilité d'exécution constituant un cas d'extinction de l'obligation, c'est au Chapitre III qu'il en sera reparlé avec quelques détails (art. 539 et s.).
S'il y a seulement retard à l'exécution, les deux action se réunissent : le créancier peut obtenir la satisfactions directe ou en nature qui lui est due ; mais, en vertu de l'axiome que ‘‘celui qui paye tard paye moins”, ledit créancier pourra obtenir une indemnité à raison de ce préjudice. La fixation des dommages-intérêts est faite par la loi elle-même dans le cas d'obligation d'une somme d'argent : on rencontrera bientôt cette disposition (art. 391) et elle sera justifiée ; les parties peuvent aussi les régler d'avance, par une stipulation spéciale de la convention, appelé clause pénale dont il est traité ci-après (art. 388). A défaut de fixation légale ou conventionnelle des dommages-intérêts, elle appartient aux tribunaux qui statueront, d'après les circonstances du fait, sur les justifications fournies par le créancier et après que le débiteur aura été appelé à y contredire.
Art. 384. On a déjà remarqué, sur l'article 356, que la loi, tenant compte de la facilité avec laquelle les hommes laissent s'écouler le temps sans s'apercevoir de sa rapidité, n'a pas admis, en principe, que la seule échéance du terme fixé pour l'exécution constituât le débiteur en demeure et le rendît responsable de l'inexécution.
Au cas désignés déjà par l'article 336 où le débiteur est constitué en. demeure, le présent article en ajoute un nouveau, c'est celui où l'obligation est “de ne pas faire,” celui où elle a pour objet l'abstention d'un acte même licite. Il est clair qu'il serait déraisonnable d'exiger, dans ce cas, une mise en demeure formelle émanant du créancier : s'il devait, pour sauvegarder son droit, avertir le débiteur d'avoir à ne pas faire ce dont il a promis de s'abstenir, il faudrait qu'il réitérât cet avertissement chaque jour et, pour ainsi dire, à chaque moment. On est donc amené à reconnaître que le débiteur est toujours en demeure : d'ailleurs, il ne court pas ici le risque d'être surpris par le temps, d'être en faute à son insû, comme dans le cas d'une obligation de faire quelque chose à terme fixe ; car sa faute n'est pas de manquer à faire ce qu'il a promis, mais de faire ce qu'il s'est interdit ; or, l'accomplissement d'un acte, si facile et si prompt qu'il soit, n'est pas de nature à avoir lieu sans que l'attention du débiteur y soit arrêtée et cela suffit pour engager sa responsabilité.
La loi indique ici un autre cas où le débiteur est en demeure de plein droit, sans qu'il soit besoin d'un acte du créancier. Il s'agit de l'obligation de restituer des objets appartenant à autrui et que le débiteur s'est appropriés par un vol ou par un abus de confiance, ou qu'il s'est fait livrer par un délit d'éscroquerie ; dans ces cas, il ne peut, comme un débiteur par contrat, se faire illusion sur l'intention plus ou moins bienveillante du créancier, il n'est pas nécessaire d'une interpellation formelle pourqu'il sache qu'il est on faute de ne pas rendre ; d'ailleurs, en même temps que le débiteur par suite d'un délit n'est pas digne d'intérêt comme le débiteur par contrat, le créancier est lui-même plus intéressant, car il peut, soit ignorer l'existence du délit dont il a été victime, soit en ignorer l'auteur, ce qui serait à un acte de sa part constituant la mise en demeure du un obstacle délinquant.
Au surplus, cette mise en demeure de plein droit n'a lieu que pour les corps certains : il ne faudrait pas l'étendre, notamment, aux sommes d'argent, pour lesquelles la mise en demeure faisant courir les intérêts moratoires ne peut résulter que d'une demande en justice (voy. art. 393).
La loi, cependant, ne met pas sur la même ligne que les délinquants dont il s'agit, le simple possesseur de mauvaise foi de la chose d'autrui : bien qu'il soit beaucoup moins digne d'égards que le vrai propriétaire dont il détient la chose, il ne faut pas perdre de vue qu'il peut n'avoir pas commis de délit pour prendre possession de cette chose : il peut l'avoir achetée d'un tiers ; son tort est seulement d'avoir consenti à la recevoir, sachant quelle n'appartenait pas au vendeur. Au contraire, si le possesseur d'un immeuble en avait expulsé le vrai propriétaire par violence ou menaces, on pourrait lui appliquer notre article, et si l'immeuble périssait dans ses mains par une cause même fortuite qui ne se serait pas produite avec la possession du vrai propriétaire, il devrait être déclaré responsable. Bien plus, ce délinquant resterait en demeure, lors même qu'il ne posséderait plus la chose, si c'était par dol qu'il eût cessé de la posséder : il y a, à ce sujet, un axiome de droit “celui qui, par dol, a cessé de posséder est considéré comme possédant encore”.
Art. 385. L'expression dommages-intérêts a un sens complexe : elle répond à la double idée de perte éprouvée et de gain manqué ; il est, en effet, aussi nuisible, en principe, au créancier, de perdre quelque chose des biens déjà acquis que de manquer à acquérir de nouveaux biens ; cela est vrai surtout si ces profits étaient dans les prévisions du créancier ; il y a toutefois cette différence entre les pertes éprouvées et les gains manquées que ceux-ci seront plus difficiles à prouver que celles-là, par la raison que les pertes sont un fait positif et les gains manqués un fait négatif ; or, on a déjà eu occasion de signaler la difficulté de prouver une négation. On a vu aussi que les créanciers qui peuvent attaquer, pour fraude à leurs droits, les actes par lesquels le débiteur diminue ses biens, ne pourraient le critiquer d'avoir manqué à acquérir, ni se substituer à lui pour acquérir à sa place.
Malgré la généralité du principe posé par le premier alinéa, il a fallu y apporter quelque tempérament : il est de la nature des dommages ou pertes de se développer progressivement : une perte en entraîne souvent une autre ; de même, un gain réalisé en amènerait d'autres successivement et la cause qui le fuit manquer fait aussi manquer les autres. La loi ne peut cepen dant suivre jusqu'au bout, ni même bien loin, cette succession de pertes éprouvées ou de gains manqués ; elle est seulement plus sévère pour le débiteur de mauvaise foi que pour celui auquel il n'y a à imputer que sa négligence. Le débiteur qui n'a manqué à exécuter son engagement que par imprévoyance ne répond des pertes du créancier ou des gains par lui manqués que dans le mesure de ce qui était prévu ou à prévoir par les parties, lors de la convention. Cette prévision effective ou possible est considérée comme une convention tacite, au sujet des dommages-intérêts.
Il y a plus de sévérité pour le débiteur qui n'a pas exécuté par mauvaise foi.
Il faut d'abord déterminer en quoi consiste ici la mauvaise foi : ce ne sera pas, comme dans le cas de l'article 312, un dol, un ensemble de manœuvres tendant à induire en erreur la partie contractante ; la mauvaise foi, ne consistera, au point de vue qui nous occupe, qu'à manquer volontairement à exécuter l'obligation, lorsqu'on en aurait la possibilité ; il n'est même pas nécessaire que le débiteur ait eu, en n'exécutant pas, le but et l'intention de nuire, il suffit que le débiteur ait su qu'il nuisait; ainsi, le débiteur a promis des marchandises ou des travaux pour une époque déterminée ; ensuite, il en trouve un meilleur prix près d'une autre personne et il lui donne la préférence : on dira, dans ce cas, que l'inexécution n'est pas seulement l'effet d'une faute, mais qu'elle provient de la mauvaise foi, quoique le mobile du débiteur n'ait pas été la méchanceté, mais seulement la recherche d'un gain illicite.
La conséquence sera que le débiteur répondra non seulement du préjudice qui a pu être prévu par lui, lors de la convention ou même lors de l'inexécution, mais encore du préjudice qu'il ne lui était pas possible de prévoir ; par exemple, le créancier avait, de son côté, pris des engagements auxquels il ne pouvait satisfaire que s'il avait obtenu lui-même ee qui lui était dû : le debiteur sera responsable des indemnités auxquelles le créancier pourra être condamné envers son propre créancier.
Mais, dans ce cas même, la loi craint l'exagération de la responsabilité du débiteur de mauvaise foi : c'est là surtout qu'elle défend de rechercher la génération des dommages les uns par les autres. Plusieurs Codes étrangers ne permettent au tribunal de tenir compte que de ce qui est “une suite immédiate et directe de l'inexécution.” Pour comprendre cette limite, on peut supposer que le débiteur qui avait promis des marchandises à livrer a manqué, de mauvaise foi, à l'exécution de sa promesse ; il ignorait que le créancier avait fait lui-même un marché à livrer des mêmes marchandises : le prix ayant haussé, le créancier a été obligé de se pourvoir des mêmes marchandises au cours du jour et il a souffert une perte ou manqué à gagner ; c'est là un dommage “imprévu” dont ne répondrait pas un débiteur simplement négligent et comme ce dommage est une “suite immédiate et directe” de l'inexécution, le débiteur de mauvaise foi en est tenu ; an contraire, le créancier ne serait pas recevable à demander l'indemnité de dommages “médiats et indirects :” par exemple, n'ayant pu remplir son engagement envers un tiers, il a été condamné, lui-même, à une forte indemnité : il ne pourra se la faire rembourser par sou débiteur de mauvaise foi, parce que ce dommage n'est pas la suite immédiate et directe de l'inexécution de la première obligation, mais de l'inexécution de la seconde ; il ne pourrait, non plus, en alléguant la plus-value des marchandises et les bénéfices qu'il en aurait pu réaliser, se faire tenir compte des bénéfices ultérieurs et successifs qui en auraient pu être la suite.
Cette limitation des dommage-intérêts, même au cas de mauvaise foi du débiteur, se justifie de deux manières : d'abord, lorsque les dommages ne résultent pas directement de l'inexécution, ils n'en sont pas la conséquence certaine : il est à craindre que le créancier, abusant de la situation peu intéressante du débiteur, n'attribue à l'inexécution des dommages ou des pertes de profits qui, en réalité, n'ont pas cette cause ; en second lieu, le créancier pouvait ou est présumé avoir pu éviter les dommages-intérêts, en se pourvoyant autrement pour remplir lui-même les engagements qu'il avait contractés.
C'est à raison de ce double motif de la limitation de la responsabilité du débiteur de mauvaise foi que le Code japonais a changé légèrement l'expression ordinaire : au lieu de rechercher ce qui est “une suite immédiate et directe de l'inexécution,” les tribunaux rechercheront ce qui en est “une suite inévitable.”
La différence n'est pas seulement dans les mots, mais elle est aussi dans les choses : la question de savoir si tel dommage ou telle privation de gain est une suite immédiate et directe de l'inexécution est une question de métaphysique, autant et plus que de droit ; certainement, elle n'est pas une question de fait ; elle peut donc créer de sérieux embarras pour les tribunaux, comme cela se voit en pays étranger ; au contraire, c'est une simple question de fait et de circonstances que de savoir si le créancier pouvait, par quelque mesure prévoyante ou habile, prévenir telle ou telle suite de l'inexécution de la promesse qui lui a été faite.
Une autre conséquence naturelle de ce changement de texte, et elle est grave, c'est que les tribunaux n'auront plus à rechercher si telle perte ou telle privation de gain est une suite immédiate ou médiate, directe ou indirecte, de l'inexécution : il leur suffira de rechercher si le créancier pouvait ou non l'éviter.
L'innovation du Code japonais aura encore une conséquence très-importante dans le règlement des dommages-intérêts, au cas de bonne foi ou de simple faute du débiteur. Dans le système qu'il rejette, on peut trouver des cas où. la position du débiteur de bonne foi paraîtra moins avantageuse que celle du débiteur de mauvaise foi : si l'on suppose que des dommages ou des privations de gains ont été prévues ou ont pu l'être, comme suite médiate ou indirecte de l'inexécution, le débiteur de bonne foi en serait tenu, comme les ayant prévus et en ayant éventuellement accepté la responsabilité ; tandis que le débiteur de mauvaise foi qui ne les aurait pas prévus n'en serait pas tenu. Avec la nouvelle formule, le débiteur de bonne foi ne devra réparer que les dommages “inévitables” qu'il a prévus, parce qu'il a toujours pu espérer aussi que le créancier ferait tout ce qui dépendrait de lui pour prévenir et limiter les dommages.
Art. 386. Le principe posé par le premier alinéa a pour but d'éviter que le tribunal n'ordonne des indemnités en nature dont la valeur pourrait être difficile à apprécier et pourrait, dans sa réalisation, se trouver inférieure ou supérieure an dommage réel du créancier.
Ainsi, si le débiteur a manqué à fournir un objet déterminé, le tribunal ne pourrait le condamner à en fournir un semblable : d'abord, la similitude parfaite pourrait être impossible à trouver ; elle serait, en tout cas, contestable et le procès renaîtrait à ce sujet; ensuite, il pourrait arriver que la difficulté du remplacement fut extrême et que le débiteur en éprouvât un préjudice bien supérieur à celui du créancier ; une condamnation immédiate à une somme d'argent, arbitrée par le tribunal, d'après les distinctions qui précèdent, satisfera les intérêts respectifs des parties et terminera la contestation.
Le tribunal peut toujours nommer des experts, pour s'éclairer sur la nature ou l'étendue des dommages et sur la valeur des éléments de réparation.
La règle qui précède ne s'applique plus aussi rigoureusement, lorsque les dommages-intérêts sont demandés, non par action principale, mais subsidiairement ou conjointement à une autre action, laquelle peut tendre, soit à l'exécution directe par le débiteur ou par un tiers à ses frais, soit à la résolution du contrat pour inexécution. Dans ce cas, la loi n'exige pas la liquidation immédiate des dommages-intérêts : il en pourrait résulter un retard préjudiciable au créancier. La loi indique alors la marche que devra suivre le tribunal : s'il n'a pas les éléments nécessaires à la fixation du montant des dommages-intérêts, il se borne à les allouer, en principe, et il en réserve la liquidation, à laquelle il devra procéder, lorsque le créancier aura fourni les justifications nécessaires, lesquelles pourront être contredites par le débiteur.
Le 3e alinéa indique un autre procédé que le tribunal pourra souvent employer utilement : quand l'exécution de l'obligation ne peut avoir lieu sans la pleine volonté du débiteur, sur laquelle aucune contrainte directe ne peut être exercée, le tribunal arrivera légalement à une contrainte indirecte, en ordonnant ladite exécution et en condamnant éventuellement ou conditionnellement le débiteur à une indemnité par chaque jour ou chaque mois de retard.
Généralement, ce délai ne commencera qu'à partir d'un certain temps également fixé par le tribunal, car il y a des cas où l'exécution, même volontaire, exige un certain temps. Mais, comme il ne faudrait pas que cette prestation, à raison du retard, se continuât indéfiniment et arrivât ainsi à excéder la réparation du dommage réel, même le plus rigoureusement estimé, le tribunal doit fixer un délai maximum après lequel il statuera définitivement ; il pourra alors allouer encore quelque somme complémentaire pour des dommages-intérêts non-appréciés dans le jugement, mais il ne pourrait pas restreindre celle qu'il a déjà fixée pour le retard ; ce serait contraire à l'autorité de la chose jugée : la condamnation prononcée en prévision du retard n'a pas été simplement comminatoire, ou en forme de menace, elle a été et a dû être effective.
La dernière disposition consacre au profit du débiteur un droit qui peut étonner, au premier abord, parce qu'il semble contraire aussi à l'autorité de la chose jugée; mais il faut remarquer que la condamnation prononcée en prévision du retard est éventuelle ou conditionnelle ; or, de même que le débiteur pourrait la faire tomber en exécutant, de même il le peut, en déclarant, immédiatement ou au cours du délai, qu'il se refuse à exécuter ; dès lors, il n'y a plus lieu de maintenir une mesure qui sera nécessairement sans résultat utile.
On n'a pas oublié d'ailleurs que, dans les cas où l'exécution de l'obligation dépend de la volonté du débiteur, cette volonté doit rester libre, sauf la sanction, la peine civile de l'inexécution. Lors donc que le débiteur déclare formellement qu'il se refuse à exécuter et demande le règlement immédiat des dommages-intérêts, il doit l'obtenir : il encourra la condamnation antérieure pour le temps déjà écoulé et la condamnation définitive sera anticipée. On peut remarquer, du reste, que son refus formel d'exécuter le constituera non plus seulement en faute, mais en état de mauvaise foi, ce qui étend sa responsabilité du dommage.
Art. 387. Il n'est pas rare que le créancier lui-même ait eu quelques torts qui ont eu une influence sur l'inexécution de l'obligation ou sur le retard qu'y a mis le débiteur ; par exemple, il a indûment contesté le mode d'exécution du débiteur ou il a refusé une livraison proposée, sous le prétexte exagéré d'un défaut de conformité à l'obligation ; évidemment, il est juste de tempérer la condamnation aux dommages-intérêts.
Cette prise en considération des torts réciproques sera d'une application plus fréquente encore, lorsqu'il s'agira de fixer les dommages-intérêts en matière de délits ou de quasi-délits ; ainsi, quant une personne est blessée par l'imprudence d'une autre, il n'est pas rare que la victime ait, elle-même, commis quelque imprudence en s'exposant au danger.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse d'inexécution d'obligation ou de dommage causé injustement, la réciprocité des torts aura souvent pour effet d'exclure tout soupçon de mauvaise intention chez le débiteur.
Art. 388 et 389. Il y a avantage pour les parties à régler à l'avance les dommages-intérêts : le créancier est alors dispensé d'établir non-seulement l'étendue du dommage qu'il éprouve, mais l'existence même de ce dommage ; le débiteur, de son côté, n'a pas à en craindre une évaluation judiciaire exagéreé ; c'est une sorte de forfait ou prix à l'avance.
La clause pénale n'aura pas, du reste, un effet aussi étendu que celui d'une transaction qui interviendrait entre les parties après le dommage causé : elle n'empêchera pas toujours le procès : certains points resteront à décider par le tribunal, si les parties n'ont pas poussé leurs prévisions jusqu'au bout.
Ainsi, la clause pénale a-t-elle été stipulée pour le cas d'inexécution ou pour celui de simple retard ? Ce sera une question à décider d'après les circonstances, et, principalement, d'après le montant même de la somme stipulée : si elle est relativement faible, il sera vraisemblable quelle n'a été établie que pour le retard et, dans ce cas, le créancier pourra demander, en même temps, l'exécution et la somme pénale.
Il pourra aussi y avoir procès sur le point de savoir si l'inexécution ou le retard est imputable au débiteur, ou s'il y a eu cas fortuit, force majeure, ou même négligence du créancier ; car, la clause pénale, représentant les dommages-intérêts, n'est due que dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que ceux-ci ; c'est ainsi encore qu'elle n'est due que si l'inexécution ou le retard ont eu lieu après la mise en demeure.
Au contraire, il n'y aura pas à distinguer si l'inexécution ou le retard provient de la mauvaise foi du débiteur ou seulement de sa négligence, ni, par suite, si les dommages éprouvés sont ou non “un effet inévitable” de l'inexécution ou du retard ; en effet, la stipulation pénale, qui ne modifie pas les cas dans lesquels les dommages-intérêt sont encourus, a justement pour but de prévenir les difficultés relatives à leur fixation.
Le pouvoir d'appréciation des tribunaux, même quant au montant des dommages-intérêts, conserve cependant encore une application importante prévue à l'article 389 : s'ils ne peuvent, en principe, augmenter ni diminuer la clause pénale, c'est parce que les parties ont entendu pourvoir elles-mêmes à leurs intérêts ; mais ils peuvent, par exception, la diminuer dans deux cas où des circonstances postérieures à la stipulation exigent que l'indemnité soit diminuée pour rester juste. Ces deux cas, indiqués au texte, n'ont pas besoin d'explication.
On remarquera seulement que ce n'est pas un devoir que la loi impose au tribunal, mais un pouvoir qu'elle lui accorde: dans chacun des deux cas, il y a à faire une appréciation pour laquelle une grande latitude doit être laissée au tribunal. Ainsi, l'exécution partielle peut n'avoir procuré au créancier aucun avantage réel, comme on le verra dans les obligations indivisibles, il ne devra donc pas toujours y avoir diminution de la clause pénale ; ainsi encore, la faute du débiteur peut avoir eu beaucoup plus d'influence sur l'inexécution ou le retard que le cas fortuit, la force majeure ou même la négligence du créancier.
Une autre sorte de contestation pourra s'élever sur la clause pénale, à savoir, sur sa validité même : l'une des parties pourra prétendre qu'elle n'a été amenée à y consentir que par erreur, violence ou dol ; le créancier se plaignant, à ce sujet, de son exiguïté, ou le débiteur, de son exagération. La loi n'a pas à réserver ce genre de contestation qui peut s'élever au sujet de toute convention.
Il y a plus de difficulté au sujet de la clause pénale ajoutée à une convention qui serait nulle par elle-même, soit par son objet, soit par sa cause.
En principe, la nullité de la convention principale entraînera celle de la clause pénale (art. 302) ; ainsi, s'il y a eu convention de donner une chose placée hors du commerce, ou promesse d'un fait illicite, la stipulation d'une peine sera nulle comme la stipulation principale. Il en serait autrement, si la stipulation principale n'était nulle que faute d'un intérêt appréciable pour le stipulant : dans ce cas, la clause pénale, en donnant un intérêt déterminé au stipulant, validerait la stipulation principale (voy. art. 322, 4e al.).
Il faut encore citer comme cas où la clause pénale serait nulle, étant contraire à la loi, celle où elle aurait pour but d'éluder les limites du taux de l'intérêt d'une somme d'argent. Quand le taux des intérêts compensatoires n'est pas laissé à la liberté des conventions celui des intérêts moratoires ne peut être libre non plus ; si donc le créancier avait stipulé, pour le cas de retard dans le payement d'une somme d'argent, une somme fixe qui se trouvât supérieure au taux légal, eu égard au temps du retard, elle serait réduite à ce taux. Quelques personnes pourraient soutenir que la clause pénale est nulle pour le tout et que les intérêts moratoires seront alors fixés par le tribunal, d'après les articles qui suivent, comme s'il n'y avait pas de clause pénale; mais il paraît plus exact de dire que la clause pénale n'est nulle que pour ce qui excède le taux légal ; et il n'est pas indifférent de le décider, parce que, si la clause était garantie par un cautionnement ou par une autre sûreté, cet avantage serait maintenu dans la mesure du taux légal, ce qui n'aurait pas lieu si la clause était annulée pour le tout.
Un cas assez fréquent où la validité de la clause pénale sera discutable est celui où elle aura été stipulée en vue de prévenir les procès sur la convention. Il faudrait la déclarer nulle, si elle avait pour but de priver l'une des parties du recours à la justice pour le redressement des torts qu'elle aurait subis, soit lors de la formation du contrat, soit lors de son exécution.
Ainsi, une partie ne pourrait valablement se soumettre à une clause pénale pour le cas où elle demanderait la nullité de la convention, pour erreur, violence, dol ou incapacité : elle ne peut renoncer ainsi, d'une façon déguisée, à la protection des tribunaux, pas plus qu'elle n'y pourrait renoncer expressément ; si donc, elle triomphait, sur une pareille demande, la clause pénale serait sans effet contre elle ; au contraire, si la partie succombait, comme, en pareil cas, le tribunal pourrait la comdamner aux dommages-intérêts, la clause pénale se trouverait encourue, comme fixant le montant des dommages-intérêts, sans préjudice des frais du procès.
Au contraire, la clause pénale serait valable, si elle avait pour but de prévenir un appel contre une première sentence rendue ou à rendre, parce que les parties peuvent toujours renoncer à l'appel, soit avant le jugement de première instance, soit après.
Art. 390. Cette question entièrement négligée dans les Codes étrangers est d'une grande importance et demande une solution législative.
On a annoncé déjà et l'on verra bientôt avec détails que tout contrat synallagmatique contient une condition résolutoire tacite au profit de chacune des parties, pour le cas où l'autre n'exécuterait pas ; la partie non satisfaite a ainsi le choix entre deux voies : ou faire exécuter l'obligation, autant que faire se pourra, avec dommages-intérêts complémentaires, s'il subsiste pour elle un préjudice, ou faire détruire, résoudre le contrat, en justice, c'est-à-dire, se faire délier elle-même de ses engagements et recouvrer ce qu'elle a déjà fourni en vertu du contrat, avec dommages-intérêts également, tant pour le retard éprouvé que pour le manque de gain légitime et quelquefois pour insuffisance de la restitution.
On verra aussi que les parties ou l'une d'ellee peuvent renoncer au droit de résolution, parce qu'il n'est pas l'ordre public (art. 422). Mais la stipulation d'une clause pénale pour le cas d'inexécution par l'une des parties ne suffit pas pour enlever au stipulant le droit commun de la résolution ; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la stipulation eût été accompagnée d'une renonciation expresse à la résolution ; seulement, le demandeur en résolution ne pourrait cumuler les deux avantages, pas plus qu'il ne pourrait cumuler l'exécution réelle, même tardive, avec la clause pénale stipulée pour inexécution. Lors donc que le créancier demandera la résolution, il ne pourra obtenir comme dommages-intérêts que ceux qu'il aurait pu obtenir, dans le même cas, s'il n'y avait pas eu stipulation : la clause pénale sera complètement écartée ; car le créancier qui obtient la résolution ne peut plus se plaindre de l'inexécution principale, laquelle est le résultat de sa volonté ; les dommages-intérêts complémentaires qui lui sont dûs pour les causes ci-dessus énoncées, seront donc fixés par le tribunal.
Mais, si l'on suppose, avec le second alinéa de notre article, que la clause pénale a été stipulée pour le cas de simple retard, elle se cumule avec l'exercice de la résolution, comme elle se cumulerait avec l'exécution réelle ou directe.
Art. 391, 392 et 393. La loi présente ici quelques dispositions particulières aux dettes de sommes d'argent, en ce qui concerne les dommages-intérêts pour inexécution. Il faut remarquer tout d'abord qu'ici l'inexécution se confond avec le simple retard, car, tant que la dette d'argent n'est pas acquittée, elle est exigible en nature : il n'y a à cela aucun obstacle de droit ni de fait ; la faute du débiteur consiste donc uniquement dans le retard.
Ces dispositions spéciales, qui ne sont pas toutes des faveurs pour le débiteur, sont au nombre de trois et forment l'objet d'autant d'articles distincts.
Avant de les justifier, il convient de les préciser avec soin.
I. Le montant des dommages-intérêts ou des intérêts moratoires n'est pas laissé à l'appréciation du tribunal, même avec les limites prévues à l'article 385 : il ne peut être ni supérieur, ni inférieur au taux que la loi fixe elle-même, lorsqu'elle alloue des intérêts compensatoires au créancier de sommes d'argent, à défuta de convention spéciale.
Ce taux, dit légal, se rencontre dans toutes les législations, même dans celles qui admettent la liberté de l'intérêt conventionnel : il a justement pour but de suppléer au défaut de convention à cet égard, dans les cas où le créancier a besoin de la protection de la loi ; on conçoit dès lors qu'il ait une détermination fixe et que le taux en soit modéré.
Même quand l'intérêt conventionnel est limité, les deux taux peuvent être inégaux ; c'est ce qui existe actuellement au Japon, où l'intérêt légal est de 6 pour 100, tandis que l'intérêt conventionnel n'est limité qu'à 20, 15 et 12 pour 100, suivant le montant de la dette.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter, au point de vue economique ni législatif, s'il ne vaut pas mieux que l'intérêt soit indépendant du montant des sommes dues, et même s'il ne doit pas être entièrement libre. La question trouvera sa place toute naturelle à l'occasion dn contrat de prêt de consommation.
De ce que les tribunaux ne peuvent allouer à titre d'intérêts moratoires que les intérêts dits légaux, il n'en faut pas conclure que ces intérêts moratoires deviennent eux-mêmes légaux : ce serait dire qu'ils sont dûs de plein droit, en vertu de la loi et sans demande de la partie intéressée, ce qui serait inexact, en présence de l'article 393 qui exige formellement une demande, comme point de départ des intérêts moratoires.
Si les parties veulent régler elles-mêmes les intérêts moratoires par une clause pénale, elles n'ont pas non plus, à cet égard, une liberté illimitée : elles doivent rester dans la limite du taux de l'intérêt conventionnel, s'il est limité par la loi ; mais elles peuvent toujours fixer un taux moindre, même inférieur à l'intérêt légal.
Au Japon, aujourd'hui, la clause pénale pourrait servir aussi à élever l'indemnité au-dessus du taux légal, tout en restant dans la limite du taux conventionnel maximum.
II. Le créancier, ne pouvant recevoir à titre de dommages-intérêts qu'une somme déterminée par la loi, pour tous les cas indistinctement, ne sera pas toujours indemnisé complètement du préjudice éprouvé ; il est naturel alors que par une sorte de compensation, il reçoive toujours la même somme, lors même qu'il n'établira avoir éprouvé aucun préjudice ; le règlement de la loi est un forfait, comme la clause pénale : le créancier peut y perdre, mais aussi il peut y gagner.
Comme on ne recherchera pas si c'est par la simple faute du débiteur ou par l'effet de sa mauvaise foi que la dette n'a pas été acquittée, il n'y a pas lieu non plus à la distinction entre les dommages prévus et les dommages imprévus, ni entre ceux qui sont une suite immédiate, directe et nécessaire du retard à payer et ceux qui n'en sont que la suite médiate, indirecte ou accidentelle. Mais, par contre, le débiteur ne sera pas reçu à se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure.
III. Tandis que la mise en demeure qui constitue le débiteur en faute peut résulter de moyens assez variés, lorsqu'il s'agit d'obligations autres que d'une somme d'argent (voy. art. 336 et 384), ici, la mise en demeure ne peut résulter que d'une demande en justice : la loi n'admet pas même une convention originaire, par laquelle il aurait été stipulé que le débiteur serait en demeure par la seule échéance du terme, sans demande et même sans sommation. Enfin, le Code tranche contre le créancier une question restée discutable en d'autres pays, à savoir, si la demande du capital suffit pour faire courir les intérêts moratoires ou si elle doit porter, en même temps ou séparément, sur les intérêts moratoires eux-mêmes : c'est cette dernière solution que le Code adopte comme plus favorable au débiteur.
La loi met sur la même ligne que la demande des intérêts moratoires la reconnaissance spéciale qu'en ferait le débiteur : il est clair que, de tous les modes de mise en demeure, c'est encore là celui qui donne le plus de garantie contre la surprise résultant de la rapidité du temps ; il n'est d'ailleurs qu'une application du principe que “la convention fait loi entre les parties.”
La loi réserve encore ici, d'une façon générale, des cas exceptionnels où les intérêts moratoires courent de plein droit, c'est-à-dire, par la force de la loi et sans injonction du créancier, et des cas où cette injonction, moins énergique qu'une demande en justice, consistera dans une simple sommation.
Il faut maintenant justifier ces trois faveurs accordées au débiteur d'une somme d'argent : les deux premières sont fondées sur une idée commune, la troisième sur une raison spéciale.
I. Si la loi avait permis au créancier de prouver toute espèce de préjudice résultant pour lui du défaut de payement de la somme due, il lui aurait été très-facile d'établir par des témoins complaisants ou abusés qu'il aurait fait de son argent tel ou tel emploi très-lucratif ; il aurait naturellement allégué les emplois qui, par l'événement, se seraient trouvés avantageux, tandis que, peut-être, s'il avait eu la disposition de la somme, il en aurait fait un emploi ruineux ; l'extrême variété des emplois possibles d'une somme d'argent, avec leurs résultats éventuels fort différents, aurait jeté les tribunaux dans un grand embarras, lequel ne se rencontre pas au contraire, lorsqu'il s'agit, soit de dettes de toutes autres choses à donner, soit d'obligation de faire ou de ne pas faire : dans ces cas, le but que se proposait le créancier est facile est à connaître et les conséquences de l'inexécution ou du retard sont également faciles à apprécier.
La loi, ne croyant pas possible pour les tribunaux d'arriver à la certitude sur la nature et l'étendue de la perte du créancier, supposé volontiers qu'il aurait fait de son argent un emploi raisonnable, plutôt sûr qu'aléatoire, par conséquent, modérément lucratif ; c'est par la même considération que, dans certains cas qu'on rencontre, chemin faisant, dans la loi, où elle accorde au créancier des intérêts compensatoires sans stipulation, ou des intérêts moratoires sans demande, elle les taxe à un taux uniforme et modéré qui devient ainsi le taux légal.
On agite quelquefois en d'autres pays la question de savoir si les tribunaux ne pourraient pas allouer des dommages-intérêts supérieurs à l'intérêt légal, lorsque le stipulant d'une somme d'argent en a annoncé au promettant un emploi déterminé et lorsqu'il est prouvé que, faute d'avoir eu la somme au temps convenu, le créancier a éprouvé un préjudice considérable et prévu ; par exemple, il avait stipulé une somme nécessaire pour exercer un rachat ou réméré, dans un délai déterminé, et, faute de la somme, il a été déchu de son droit. Mais il serait dangereux d'entrer dans cette voie ; ce serait s'exposer aux abus et aux contestations que la loi a voulu éviter, et si des exceptions devaient être admises, il faudrait qu'elles fussent limitativement déterminées par la loi, comme il en existe quelques cas dans les Codes étrangers.
II. Ce n'est point arbitrairement que la loi supprime à l'égard de l'inexécution des dettes d'argent, la distinction entre la simple faute du débiteur et sa mauvaise foi : c'est la conséquence de ce que l'indemnité du créancier est réglée par la loi, à forfait, avec des chances de gain comme avec des dangers de perte; c'est toujours la suite de la difficulté de prouver tant l'éten-pue du dommage que ses causes.
De même, quand la loi refuse au débiteur la faculté de se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure, il n'y faut pas voir une rigueur de la loi, surtout dans la matière même où elle prétend le plus protéger le débiteur : il faut considérer que la nature de la dette, qui est une chose de quantité, ne comporte pas d'extinction par la perte de la chose ou par l'impossibilité de se la procurer : à cet égard, il n'y a guère de différence entre les dettes d'argent et les autres dettes de choses fongibles ; si l'on en admettait une, elle serait encore contre le débiteur d'une somme d'argent ; car, si l'on comparait une dette de marchandises et une dette de somme d'argent, toutes deux portables, c'est-à-dire payables au domicile du créancier, et qu'on supposât les communications interrompues par force majeure (inondation, guerre, peste), le débiteur de marchandises serait exempt de dommages-intérêts pour le retard, tandis que le débiteur de somme d'argent devrait toujours les intérêts moratoires, puisqu'il aura pu profiter de son argent pendant tout le temps où il a été empêché de le payer. Encore bien moins le débiteur serait-il reçu à alléguer, comme empêchement majeur au payement. une faillite ou un vol dont il aurait été victime : ccs moyens de défense n'appartiennent qu'au débiteur d'un corps certain.
III. La dernière faveur accordée au débiteur d'une somme d'argent, celle relative au mode de. mise en demeure se justifie autrement. Lorsqu'il s'agit de toute autre sorte d'obligation, la loi est déjà très-favorable an débiteur, en exigeant qu'il reçoive un avertissement du créancier pour devenir responsable de l'inexécution ou du retard ; mais il suffit que cet avertissement soit donné d'une façon précise pour que le débiteur doive se tenir pour informé que le créancier attend l'exécution et, sans doute, a besoin qu'elle ait lieu : il n'est pas nécessaire que la mise ne demeure ait une forme menaçante. Au contraire, quand le débiteur doit une somme d'argent, il peut se faire illusion sur les besoins du créancier qu'il suppose peut-être moindre qu'ils ne sont ; il peut ne pas croire que la privation de son argent lui causera, quant à présent, un dommage réel ; il peut croire enfin que le créancier a d'autres moyens faciles, s'il en est besoin, de se procurer ailleurs une pareille somme d'argent. En fait, il est vrai qu'un créancier stipule souvent une somme comme règlement de compte et pour une époque fixe, sans, pour cela, avoir en vue un emploi déterminé de cette somme ; tandis que celui qui a stipulé des marchandises ou des travaux à faire a évidemment des besoins prochains à satisfaire. On conçoit donc que, dans le cas d'une somme d'argent, il faille plus d'énergie dans la réclamation du créancier pour révéler ses besoins et sa ferme intention d'arriver à l'exécution.
On peut ajouter une autre considération : le débiteur de marchandises ou de travaux n'a pris, en général, de pareils engagements que parce qu'il a, par sa profession ou par les circonstances, des facilités particulières pour l'exécution ; au contraire, la promesse d'une somme d'argent est une forme d'engagement que tout le monde peut prendre, mais dont l'accomplissement est souvent très-difficile : un marchand, un entrepreneur, déjà gêné dans ses affaires, pourra encore fournir des marchandises ou des travaux, mais sera souvent embarrassé de trouver une somme d'argent pour acquitter une dette ; il doit donc suffire de l'avertir par une simple sommation dans le premier cas, tandis qu'il est nécessaire, dans le second cas, de le menacer par une demande en justice.
Cette double considération servira encore à expliquer que la demande en justice du capital ne suffise pas pour faire courir les intérêts, et qu'elle doive porter spécialement sur lesdits intérêts ; autrement, le débiteur pourrait ne pas se rendre compte de l'augmentation de sa dette pendant la durée du procès, et comme, en matière civile, les procès ne sont jugés promptement que si les parties mettent ellles-mêmes de l'empressement à fournir aux juges les justifications nécessaires, le débiteur pourrait se trouver devoir plusieurs mois, d'intérêts, sans l'avoir prévu. Il doit donc en être averti formellement par la demande.
Art. 394. Voici une dernière protection accordée par la loi au débiteur contre les surprises qui résulteraient pour lui de la rapidité du temps et de l'accumula tion progressive des intérêts.
De tout temps et en tous pays, les législateurs se sont préoccupés du danger que courent les débiteurs d'être ruinés par l'accumulation des intérêts ; les limites apportées par un grand nombre de lois à la liberté du taux de l'intérêt n'ont pas d'autre cause. Chez les Romains, indépendamment d'un taux maximum qui était ordinairement d'un pour cent par mois ou 12 pour 100 par an, il était encore établi que le cours des intérêts, même compensatoires ou représentant la jouissance d'argent prêté, cessait lorsque le total des intérêts dus ou même payés doublait ce capital, c'est-à-dire atteignait une somme égale au prêt.
Dans l'ancien droit de presque toute l'Europe, sous l'iufluence d'un précepte religieux mal compris, en même temps que d'une fausse théorie économique, le prêt à intérêt fut absolument interdit ; il n'y avait donc pas d'intérêts compensatoires ; quant aux intérêts moratoires, ils étaient, par cela même, inadmissibles ; mais, comme les décisions judiciaires devaient être sanctionnées, il y était pourvu par des dommages-intérêts diversement motivés.
Les lois modernes ont, avec raison, permis le prêt à intérêt et ont considéré les dettes d'argent, en général, comme étant de nature à produire des intérêts, soit comme compensation de la jouissance du débiteur, soit comme indemnité de son retard à payer, ce profit ou cette faute coïncidant d'ailleurs, dans les deux cas, avec une perte de jouissance du créancier. Mais le législateur n'a pas abandonné toute idée de protection pour le débiteur, et c'est toujours en multipliant pour lui les avertissements, ce qui permet, en même temps, au créancier vigilant de garder ses droits.
Le présent article a, de même, pour but, non de défendre, mais de limiter, d'entraver la production d'intérêts par les intérêts eux-mêmes, appelée capitalisation des intérêts.
Dans les pays où l'intérêt, légal ou conventionnel, n'est que de 5 pour 100, on trouve que le capital est doublé en 14 ans par les intérêts, avec la capitalisation annuelle desdits intérêts : les intérêts primordiaux ou normaux, pendant 14 ans, font déjà 70 et les intérêts des intérêts, grossissant chaque année, forment 30, en sorte que le débiteur de 100 arrive, en quatorze ans, à devoir 200. Si l'intérêt est de 10 pour 100, comme cela est permis au Japon, c'est en 7 ans que le capital serait doublé Si la capitalisation, au lieu d'être annuelle, était faite par semestre, par trimestre ou par mois, la progression de la dette serait énorme et vraiment effrayante.
La première limite apportée ici par le Code japonais est que la capitalisation ne peut être faite que d'année en année.
En second lieu, elle ne peut avoir lieu que par l'effeq d'une convention spéciale entre les parties ou par une demande en justice du créancier : une sommation ne suffirait pas.
En troisième lieu, la convention, pas plus que la demande, ne peut avoir lieu avant l'échéance d'un an d'intérêt: si l'on admettait une convention originaire et unique, d'après laquelle les intérêts se capitaliseraient chaque année, à l'échéance, Le débiteur ne recevrait pas cet avertissement réitéré que la loi considère comme éminemment protecteur pour lui et comme préventif de sa négligence.
Si les intérêts sont déjà dus pour une année et une fraction de l'année courante, la capitalisation peut avoir lieu pour tout ce qui est échu ; mais elle ne pourra être renouvelée qu'après une autre année révolue en entier.
Le texte prend soin de dire que les intérêts primordiaux auxquels s'applique la présente règle sont aussi bien les intérêts compensatoires que les intérêts moratoires ; il y a, en effet, même motif de protéger le débiteur contre l'accumulation progressive des uns et des autres. Quant aux intérêts nouveaux, nés de la capitalisation, ils seront compensatoires, si la capitalisation est faite par convention, parce qu'alors il y a une sorte de prêt ; ils seront, au contraire, moratoires, si la capitalisation résulte d'une demande en justice. La question de nom et de caractère de ces intérêts n'est pas indifférente, quand le taux maximum des intérêts conventionnels peut être plus élevé que le taux des intérêts légaux, comme cela a lieu dans la loi japonaise actuelle.
Le premier alinéa du présent article limite formellement la règle qu'il édicte aux intérêts “des capitaux exigibles ; ” le second alinéa établit, à cet égard, une différence pour les revenus qui ne supposent pas de capital dû, comme les loyers et fermages, ou dont le capital est purement nominal et n'est jamais exigible, comme les arrérages des rentes.
Par cela même que le locataire ou le fermier ne doit que des prestations périodiques, pendant la durée du bail, et n'aura jamais de capital à payer, il n'y a pas grand inconvénient à permettre la capitalisation fréquente des loyers ou fermages arriérés, même pour une durée de moins d'un an. La raison est la même pour les arrérages d'une rente perpétuelle ou viagère dont le capital ne peut jamais être exigé. Même raison, enfin, pour les restitutions de fruits que doit faire un possesseur de bonne ou de mauvaise foi.
Bien entendu, il faut supposer que les fruits ont été évalués en argent par le jugement, car s'ils étaient dûs en nature, il ne serait plus question de déroger à la première disposition de notre article devenu inapplicable, ni même de rentrer dans l'application de l'article 411 qui est déjà une dérogation au droit commun, par rapport aux dettes d'argent: on se retrouverait en présence du droit commun lui-même des dommages-intérêts (art. 385).
Bans les divers cas de prestations périodiques qui viennent d'être énoncés, il ne faut pas exagérer la faveur particulière qui est accordée au créancier : il ne pourra toujours pas stipuler les intérêts avant l'échéance des prestations, pas plus qu'il n'en pourrait faire la demande en justice ; mais il pourrait faire la demande ou la stipulation à l'échéance de chaque période, bien qu'elle fût moindre d'une année.
Le dernier alinéa de notre article présente la même disposition, et elle se trouve, en réalité, constituer une plus grande faveur encore, car il s'agit bien, cette fois, “d'intérêts de capitaux;" mais, du moment qu'ils ont été payés par un tiers, au nom et en l'acquit du débiteur, ils sont considérés comme un capital pour ce tiers: le débiteur aura bien le double fardeau d'intérêts des intérêts, mais ce n'est pas le même créancier qui recevra les uns et les autres.
Observons que, dans le cas où un tiers paye ainsi des intérêts en l'acquit d'un débiteur, il jouit souvent d'une autre faveur, comme mandataire ou comme caution : les intérêts de ses déboursés courent de plein droit et sans demande ; la loi, pour ne pas surcharger la rédaction, n'a pas cru nécessaire de réserver cette disposition qui se retrouvera en son lieu.
SECTION III.
DE LA GARANTIE.
Le mot, “garantie” présente le sens large de préservation, prévention d'un dommage” ; cependant, la, largeur même de cette signification n'est pas sans quelque inconvénient, parce qu'elle donne lieu à l'emploi du même mot pour des droits assez différents les uns des autres. Ainsi, on dit que les privilèges et hypothèques, le nantissement, la solidarité et le cautionnement, sont des garanties, des sûretés des créances (voy. art. 2); ce sont, en effet, des moyens de préserver le créancier de l'insolvabilité du débiteur ; mais ce n'est pas dans ce sens limité que la garantie est entendue et présentée dans cette Section. En matière de cautionnement et de solidarité, l'emploi du mot “garantie” est particulièrement délicat et demande une plus grande attention, car il s'y rencontre dans les deux sens ce qui peut donner lieu à des confusions: la caution garantit le payement vis-à-vis du créancier, en ce sens qu'elle assure le payement : mais elle est garantie par le débiteur principal, contre les suites de son engagement, en ce sens qu'elle doit être préservée du danger des poursuites et, subsidiairement, en être indemnisée, Il en est de même des co-débiteurs solidaires: vis-à-vis du créancier, ils sont garants les uns des autres, comme sûretés personnelles, et vis-à-vis les uns des autres, ils sont respectivement garants et garantis, pour que chacun ne supporte définitivement que sa part de la dette.
C'est dans ce second sens que la garantie est considérée dans la présente Section.
Art. 395 et 396. L'article 396 pose le principe d'après lequel la garantie est due et il en indique l'objet.
Lorsque quelqu'un a conféré un droit de propriété ou un démembrement de propriété, ou un simple droit de créance (par exemple, en cédant une créance dont il est titulaire), il ne lui suffit pas d'avoir fait la tradition ou remise de la possession et la délivrance des titres, il doit encore assurer, favoriser, par tous les moyens légaux qui lui appartiennent, l'exercice et la jouissance du droit cédé (a). C'est là l'application normale de la garantie qui va nous occuper.
Il peut arriver aussi que le prétendu cédant n'ait, en réalité, rien cédé, ou ait cédé moins de droits qu'il n'en avait promis, parce qu'il n'avait pas ces droits ou ne les avait qu'incomplets. De là des trubles et des revendications de la part des tiers. Le texte prévoit les deux cas.
Mais le cédant n'est pas obligé de faire cesser des troubles de fait ou des actes d'usurpation qui seraient l'effet de la ruse ou de la violence : il faut que ces troubles soient fondés sur une prétention à un droit et que le droit allégué soit lui-même fondé sur une cause antérieure à la cession ou imputable au cédant. En effet, les troubles de fait ne relèvent que de la police locale et les troubles de droit fondes sur une cause postérieure à la cession et qui ne peut être imputée au cédant, sont, alors sans doute, imputables au cessionnaire lui-même.
Le 2e alinéa de l'article 395 assigne à la garantie deux objets ou deux applications qui sc succéderont souvent, le second suppléant à l'insuffisance du premier. D'abord, le garant devra défendre le cessionnaire contre les prétentions élevées par les tiers; cette défense consistera à l'assister en justice, lorsqu'il y sera demandeur, défendeur ou intervenant (b), et cette assistance consistera dans la production de titres, pièces ou témoignages, de nature à fortifier les prétentions du cessionnaire et à affaiblir celles du tiers, démontrant l'existence des droit cédés.
Mais, il pourrait arriver que le cédant ne vînt pas défendre le cessionnaire ou que sa défense fût sans résultat utile ; alors, il doit indemniser le cessionnaire du dommage qu'a éprouvé celui-ci : généralement, s'il y a éviction entière, l'indemnité comprendra la valeur de la chose ou du droit cédé, en la déterminant au jour de l'éviction, et le remboursement des frais de l'acte de cession et de ceux du procès, et encore la réparation du préjudice personnel que la privation de cette chose peut causer au cessionnaire, par le dérangement apporté à ses affaires, par la nécessité de pourvoir au remplacement de la chose, etc.
Lorsque la garantie se résoudra en dommages-intérêts, on leur appliquera les règles établies dans la Section précédente.
L'article 396 limite, dans une certaine mesure, ce qu'il y a d'un peu trop général dans l'article 395. L'intérêt de la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit a déjà été signalé sous l'article 298 ; il se représente ici dans une nouvelle application : la garantie est dite naturelle dans les contrats onéreux, parce qu'elle y a lieu, par l'effet du droit et de la loi, sans que les parties aient besoin de la stipuler, et elle n'y est pas essentielle, car les parties peuvent l'exclure par une convention expresse.; au contraire, dans les contrats gratuits, elle n'est qu'accidentelle, car les parties doivent en convenir pour qu'elle soit due.
Cette différence est facile à justifier : dans le contrat onéreux, le cédant cherche un profit, il doit donc fournir, au moins par équivalent, tout ce qu'il a promis ; tandis que, dans le contrat gratuit, le cédant se dépouille sans profit ; s'il n'a pas, en réalité, les droits qu'il a prétendu conférer, il serait injuste de lui demander d'en fournir l'équivalent sur d'autres biens, car il pourrait ainsi arriver que sa générosité tournât à sa ruine.
Ce n'est pas sans un mur examen et après discussion approfondie que l'on a admis dans le Code cette différence considérable.
Il ne pouvait suffire que ce fût, depuis le droit romain, une tradition constante dans les législations qui s'en sont inspirées.
On comprenait bien qu'il peut être très dur pour le donataire d'être privé de recours lorsque la chose donnée n'appartenait pas au donateur et a été revendiquée par le vrai propriétaire : si la chose donnée était encore aux mains du donataire, il pouvait avoir modifié son existence, s'être établi dans l'immeuble, avec un certain luxe, ou y avoir fondé un commerce ou une industrie avec ses capitaux ; s'il avait vendu l'immeuble, il pouvait en avoir perdu le prix, en tout ou en partie, et cependant être obligé de le rendre à son acheteur, avec les indemnités ordinaires.
Dans ces divers cas, la privation de recours en garantie contre le donateur pouvait lui causer de sérieux embarras qu'il n'aurait pas éprouvés sans la malencontreuse donation et auxquels il restrait exposé tant que le délai de la prescription ne le mettrait pas à l'abri de la revendication du vrai propriétaire.
Ces objections n'ont cependant pas prévalu.
D'abord, la garantie d'éviction en matière de donations eût été aussi contraire aux traditions japonaises qu'à celle des autres législations ; car, même en matière de vente, la garantie d'éviction, telle qu'elle est établie par le présent Code, sera une rigueur en grande partie nouvelle.
Ensuite, il a paru que le donateur (que l'on suppose toujours de bonne foi et ayant cru à ses droits) méritait les plus grands ménagements ; et on le reconnaissait si bien, même dans l'opinion qui lui était le moins favorable, que personne ne prétendait le soumettre à la même garantie qu'un vendeur : par exemple, si le donataire possédait encore l'immeuble au moment de l'éviction, on n'aurait pas entendu lui allouer autre chose qu'une indemnité pour ses dépenses d'établissement: assurément, on n'aurait pas voulu lui permettre d'exiger du donateur une valeur égale à l'immeuble revendiqué.
Il reste donc toujours vrai que “le donataire, luttant pour retenir un gain, est moins digne d'intérêt que le donateur luttant pour éviter une perte.”
Enfin, dans le cas où le donataire a vendu l'immeuble et est lui-même actionné en garantie, il peut s'imputer à faute de n'avoir pas fait la vente “sans garantie” : la prudence le lui commandait. Sans doute, il aurait vendu pour un prix moindre, mais ce prix constituait toujours pour lui un bénéfice pur et simple résultant de la donation.
En sens inverse, il avait pu stipuler la garantie du donateur, soit au moment où il recevait la donation, soit au moment où il voulait fonder un établissement dans l'immeuble donné, soit surtout au moment où il se disposait à vendre l'immeuble : le refus possible, probable même, du donateur, lui aurait été un avertissement d'être prudent dans l'usage ou dans la disposition de la chose donnée. Un danger contre lequel on peut toujours se protéger par une stipulation ne vient plus de la loi, mais de l'imprévoyance de l'homme.
Les seuls cas où le donateur serait garant de l'éviction de droit et sans stipulation, sont colui où il aurait, par dol et dans l'intention de nuire, donné une chose qu'il savait ne pas lui appartenir, et celui où l'éviction, du donataire serait l'effet d'une autre cession faite par le donateur, soit avant, soit après la donation. Il en serait de même, et à plus forte raison, dans un acte à titre onéreux. Cette garantie est tellement fondée en équité et en raison qu'elle ne pourrait être exclue par convention expresse et, dès lors, elle devient essentielle.
Il est nécessaire d'expliquer, par des exemples, comment l'éviction peut ainsi procéder d'un fait personnel an cédant, soit antérieur, soit postérieur à la cession.
Lorsque le cédant a fait l'acte gratuit ou onéreux (et, dans ce dernier cas, avec stipulation expresse de non garantie), il avait déjà cédé le même droit et le cessionnaire s'était conformé aux règles de publicité nécessaires à la conservation de son droit ; ce dernier évincera le second cessionnaire et celui-ci aura le recours en garantie contre son cédant, nonobstant la gratuité de l'acte, ou malgré la stipulation de non garantie, si l'acte est onéreux.
Il peut même arriver que l'acte qui produit l'éviction soit postérieur à la cession ; ainsi, le donataire ou l'acheteur d'un immeuble a négligé de faire immédiatement l'inscription; quelque temps après, le donateur ou le vendeur a cédé à une autre personne qui a inscrit son acte la première : c'est elle qui est préférable et qui obtiendra l'immeuble ; mais le premier cessionnaire évincé aura droit à la garantie, c'est-à-dire à l'indemnité totale. Il en serait de même, si, au lieu d'immeuble, on supposait un meuble d'abord donné ou vendu sans tradition, puis cédé à un tiers auquel la tradition est faite. Même solution encore, s'il s'agissait d'une cession de créance que le cessionnaire aurait tardé à notifier au débiteur cédé et qu'ensuite une nouvelle cession ait été faite et notifiée avant la première. On trouve là l'application dans les articles 346, 347 et 348, sur lesquels il a été donné d'amples développements.
Le 3e alinéa de l'article 396 consacre le principe que les héritiers, qui n'ont pas plus de droits que leur auteur, ont les mêmes obligations. Ainsi, si les héritiers, ignorant que leur auteur a, de son vivant on par testament cédé un de ses biens, faisaient eux-mêmes une cession du même bien, soit gratuitement, soit à titre onéreux et sans garantie, ils ne seraient pas affranchis de la garantie, nonobstant leur bonne foi, parce que l'éviction proviendrait “de leur fait personnel.”
Art. 397 et 398. L'article 397 a pour but de nous dire que l'on ne présente ici que les règles générales et pour ainsi dire communes de la garantie, mais qu'elle reçoit des applications particulières dans certains contrats : la vente, le louage et partage sont les cas où la garantie reçoit ordinairement quelques extensions.
Le Code ne reviendra sur la. garantie que pour les particularités qu'elle recevra dans ces contrats spéciaux.
L'article 398 présente une nouvelle application de la garantie qu'il serait difficile de faire rentrer dans les cas de l'article 395 et qui a une grande importance pratique.
Celui qui s'engage pour autrui, comme caution, ou avec autrui, comme codébiteur solidaire joue un double rôle juridique : il est, vis-à-vis du créancier, garant du débiteur principal ou de son codébiteur et garanti, à son tour, par le débiteur principal ou par son codébiteur.
Cette dernière garantie a deux objets, comme celle qui a lieu dans la cession de droits : le garant doit d'abord défendre le garanti contre la poursuite, c'est-à-dire contester la demande, s'il y a lieu, ou l'arrêter par un payement ; subsidiairement, et si les poursuites ont été poussées jusqu'au bout, le garant doit indemniser le garanti du préjudice par lui éprouvé et, spécialement, le rembourser de tout ce qu'il a payé, comme caution, ou de tout ce qu'il a payé au delà de sa part, s'il s'agit d'une dette solidaire.
La garantie reçoit une application analogue entre cocréanciers d'une obligation solidaire ou indivisible : le 2e alinéa de notre article l'indique assez clairement pour qu'il n'y ait pas à s'y arrêter. On remarquera seulement que la loi ne donne ici à la garantie que son second objet : l'indemnité, sous forme de partage du profit personnel d'un seul (c) ; en effet, les créanciers n'étant pas poursuivis, niais poursuivants, n'ont pas lieu, en général, de s'appeler en garantie pour une défense commune; mais si, par exception, un des créanciers était poursuivi en restitution du payement prétendu fait indûment, après qu'il l'aurait partagé avec les autres, il pourrait appeler ceux-ci en garantie pour la défense commune et subsidiairement obtenir leur part d'indemnité pour la restitution effectuée.
Art. 399 et 400. L'article 399 se rapporte au premier objet de la garantie qui est de défendre en justice celui auquel la garantie est due. Pour obtenir ce secours, le garanti doit appeler en cause le garant ; mais sans qu'il en résulte un retard de l'action principale. Le Code de procédure civile entre dans les détails nécessaires sur la manière dont la procédure sera suivie, à la fois, contre le garant et contre le garanti ; ce dernier pourra, sous certaines conditions, se faire mettre hors de cause, s'il le préfère (v. c. proc. civ., art. 58 et s ).
Dans le cas où le garanti appelle le garant en cause, là garantie est incidente dans le cas contraire, lorsqu'il a plaidé seul et succombé, son action en garantie est principale L'article 400 suppose que le garant n'a pas été appelé en cause et que celui qui a droit à la garantie a succombé ; il a alors, en principe, un recours en garantie principale, c'est-à-dire qu'il intente une nouvelle action dont l'objet est la réparation du préjudice qu'il a éprouvé ; c'est, en somme, une action en dommagesintérêts, à laquelle on applique, comme on l'a déjà dît, les règles de la Section précédente.
Mais, il sera généralement imprudent au garanti d'accepter le premier procès sans y appeler le garant, car celui-ci pourrait avoir des moyens de défense de nature à triompher de la demande et que le garanti ignorerait. Alors, le garant, en prouvant l'existence de ces moyens, fera rejeter la demande en garantie principale formée contre lui.
Il ne faudrait pas voir là une contradiction à la chose jugée : on a déjà posé et l'on justifiera, en temps et lieu, le principe d'après lequel ‘‘la chose jugée n'a d'effet qu'entre les parties qui ont figuré dans l'instance ;” d'un autre côté, les moyens du garant, si efficaces qu'ils soient pour le défendre, ne seront plus opposables au tiers qui a triomphé dans l'instance contre le garanti, si la chose jugée est devenue définitive entre ceux-ci.
SECTION IV.
DES DIVERSES MODALITES DES OBLIGATIONS.
Art. 401. Cette Section complète ce qui concerne les Effets des obligations, en s'attachant à des variétés qu'elles peuvent présenter et qui constituent ‘‘ leura diverses espèces ou modalités.”
Si l'on cherche en quoi consistent ces variétés on trouve quelles affectent les divers éléments constitutifs de l'obligation :
1° Son existence même, suivant que sa naissance ou son extinction est subordonnée ou non à un événement particulier, futur et incertain ; l'obligation est alors conditionnelle ou non-conditionnelle ;
2° Le sujet, actif ou passif, de l'obligation, lequel peut être simple ou multiple et, dans les cas où il est multiple, peut être seulement conjoint ou solidaire ; de là, la division en obligations solidaires et non solidaires, soit activement ou entre créanciers, soit passivement ou entre débiteurs ;
3° L objet de l'obligation, lequel peut être divisible ou indicible, simple ou multiple, simple ou alternatif et encore simple ou facultatif ;
4° Enfin, le temps de l'exécution, laquelle peut être exigible immédiatement ou à terme.
Si. l'on recherche les causes d'où résultant ces diverses modalités, on en trouve quatre également :
1° La volonté des parties : puisque la plupart des obligations ont pour cause la convention des parties, il est clair que celles-ci peuvent modifier, à leur gré, les divers éléments de l'obligation, sauf les exceptions fondées sur des raisons d'ordre public ;
2° La loi introduit, à son tour, certaines modalités de l'obligation, dans des circonstances déterminées qui elles-mêmes ont pu être créées par les parties ; ainsi, la loi sous-entend la condition résolutoire tacite pour le cas d'inexécution, dans les contrats synallagmatiques ; quelquefois, la loi fixe un terme pour l'exécution ; ainsi encore, la loi établit la solidarité entre codébiteurs d'une même dette, lorsqu'il y a contre chacun d'eux, présomption de faute égale ou de profit intégral ;
3° Quelquefois, la modalité vient d'une cause plus puissante encore que la loi et que la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la nature des choses ; c'est le cas de l'indivisibilité de la chose due ;
4° Enfin, il y a une modalité qui résulte de l'autorité judiciaire, c'est le délai on terme dit “de grâce,” opposé au terme “de droit.”
De ces deux classifications, l'une tirée des éléments modifiés de l'obligation, l'autre des sources ou causes des modifications, le Code va suivre la première, avec de légères corrections, parce qu'elle a l'avantage de réunir les effets qui ont des points communs et de rapprocher ceux qui ne sont que voisins ; tandis que la classification d'après les causes séparerait ce qui doit être rapproché et rapprocherait ce qui doit être séparé. Ainsi, la condition résolutoire établie ou au moins sous-entendue par a loi serait mal à propos séparée de celle qui est l'œuvre expresse et directe des parties ; ainsi encore, le terme de grâce se trouverait, à tort, séparé du terme de droit.
Pour se conformer à la méthode adoptée et à la logique, on détache de la présente Section la solidarité, tant légale que conventionnelle, et aussi l'indivisibilité antre que celle qui résulte de la nature de la chose due : ces deux modalités des obligations, soit qu'elles opèrent activement ou passivement, c'est-à-dire entre les créanciers ou entre les débiteurs, sont, dans tous les cas, des sûretés ou garanties des créances, lesquelles doivent être traitées, dans leur ensemble, au Livre des garanties. Mais, il en sera fait plusieurs fois mention pour l'intelligence des autres modalités et à titre de comparaison.
§ I. — DES OBLIGATIONS PURES ET SIMPLES,
A TERME OU CONDITIONNELLES, QUANT A LEUR EXISTENCE.
Art. 402. Cet article revient à dire que “l'obligation est pure et simple, lorsqu'elle n'est soumise à aucun terme, ni subordonnée à aucune condition mais on a préféré ne pas introduire ici deux expressions techniques qui vont tout-à-l'heure répondre aux modalités opposées.
L'obligation pure et simple est la plus favorable au créancier : 1° son droit est assuré.: il n'est subordonné à aucun événement ultérieur ; 2° son droit est exigible, c'est-à-dire que les effets peuvent en être immédiatement poursuivis en justice.
Cette situation est peut-être moins fréquente que le cas de l'obligation à terme : elle ne se rencontre pas, notamment, dans le prêt d'argent qui ne peut être utile que s'il est fait pour un certain temps, ni dans le louage qui oblige le locataire à des prestations périodiques ; mais elle se rencontre fréquemment dans la vente qui prend alors le nom de vente au comptant. L'obligation pure et simple ne présente aucune difficulté de droit, c'est pourquoi les lois civiles omettent généralement de la mentionner.
Du reste, il ne faudrait pas croire que l'obligation est nécessairement pure et simple et exigible immédiatement, par cela seul que la convention ne porterait pas de terme exprès : il peut y avoir un terme tacite résultant des circonstances, lesquelles sont laissées à l'appréciation du tribunal. Ainsi, la plupart des obligations de faire impliquent tacitement le délai nécessaire pour l'exécution : il en serait de même de l'obligation de donner des denrées ou marchandises dans un lieu qui ne serait pas le lieu de production et qui ne serait pas non plus un marché ou entrepôt habituel de ces objets : il faudrait reconnaître au débiteur un délai nécessaire pour les faire venir.
L'obligation pure et simple peut se transformer en obligation à terme, lorsque le tribunal, usant d'une faculté qui va lui être reconnue plus loin, accorde au débiteur le délai dit “de grâce” déjà annoncé.
En sens inverse, on dit quelquefois que l'obligation qui, à l'origine, était à terme ou conditionnelle “devient pure et simple,” lorsque le terme est échu ou la condition accomplie. Cette formule qui, dans bien des cas, n'a pas d'inconvénient réel, ne doit cependant être accueillie qu'avec précaution, en ce qui concerne la condition, parce que la chose due purement et simplement est aux risques du créancier, tandis que la chose due sous condition est aux risques du débiteur, ainsi qu'il en sera justifié plus loin. Sans doute, quand la condition s'accomplit, son effet rétroagit, comme si l'obligation avait été formée parfaitement dès l'origine ; mais, si la chose avait péri auparavant, la formation rétroactive de l'obligation n'aurait pas lieu, faute d'objet. Ce qui reste vrai, c'est que quand le terme est échu ou la condition accomplie, l'obstacle qui en résultait pour l'exercice des droits du créancier ayant cessé, il peut agir en justice, si d'ailleurs, il n'est pas survenu dans l'intervalle quelque événement qui modifie les rapports respectifs des parties ; enfin, il est encore vrai qu'une fois la condition accomplie les risques de la chose passent à la charge du créancier.
Art. 403. Le terme est différent de la condition en ce qu'il ne retarde pas, comme celle-ci, la formation de l'obligation, mais seulement son exigibilité. Il a paru suffisant d'indiquer ici que le terme retarde l'action du créancier, sauf à indiquer plus loin l'effet plus étendu de la condition qui est de suspendre la naissance même du droit.
Le terme est, le plus souvent, un simple laps de temps à attendre ; mais, il peut être aussi un événement déterminé et certain, c'est-à-dire qui ne peut manquer d'arriver ; car, s'il était incertain quant à son accomplissement, ce serait une condition ; au reste, il peut y avoir incertitude sur l'époque à laquelle l'événement arrivera ou sur l'époque à laquelle il sera connu des parties, on dit alors qu'il y a " terme incertain,” mais ce n'est toujours pas une condition.
Le texte n'exige pas que l'événement prévu soit futur, parce que ce serait une restriction arbitraire : sans doute, pratiquement, les parties ne se référeront pas, pour l'exécution de l'obligation, à un événement passé ; mais il pourrait arriver qu'elles crussent futur un événement déjà accompli à leur insû et cette erreur ne vicierait pas la convention : l'exécution serait exigible quand l'événement serait connu. La question se représentera bientôt, quand il s'agira de savoir si un événement actuellement arrivé, mais inconnu des parties est une condition, lorsque d'ailleurs, à la différence de l'événement qui nous occupe, il est casuel ou incertain.
On a déjà annoncé deux sortes de termes : le terme “de droit” et le terme “de grâce.” Les deux qualifications indiquent bien leur nature différente et, plus loin, on verra la différence de leurs effets.
Les cas où le terme est établi par la loi elle-même ne sont pas très-fréquents : on peut citer le cas de vente dont le prix ne peut être exigé avant la délivrance, ni la délivrance avant le payement du prix.
Il sera bien plus fréquent que le terme soit fixé par la convention des parties, enfin, le terme peut être fixé par un testament, lequel a autant de force que la convention, bien qu'il n'y ait qu'une seule volonté exprimée.
Le texte suppose ensuite que les parties ont laissé une latitude plus ou moins grande au débiteur pour acquitter sa dette. Comme ces formules : “quand le débiteur pourra,” ou “quand il voudra," sont assez fréquentes, la loi croit devoir en prévenir une fausse interprétation qui consisterait à les prendre à la lettre : rien ne serait plus contraire, ordinairement, à l'intention des parties et aux règles générales d'interprétation des conventions, telles qu'elles sont établies aux articles 356 à 360.
Il ne faudrait pas considérer le terme ainsi fixé par le tribunal comme étant un terme “de grâce :” le tribunal ne fait ici qu'interpréter l'intention des parties, tandis que le terme de grâce est vraiment son œuvre et souvent contraire à l'intention du créancier. On verra bientôt l'intérêt de la question, en comparant les deux termes,
Art. 404. Il est évident que le débiteur a, en général, intérêt à exécuter son obligation le plus tard possible : s'il s'agit d'une dette d'argent et qu'il ait la somme à sa disposition, il peut en tirer prolit ; s'il n'a pas la somme, il n'est pas tenu d'emprunter à intérêts plus ou moins lourds ; s'il s'agit de marchandises à fournir ou de travaux à exécuter, il a, sous une autre forme, les mêmes avantages à attendre. La loi est donc conforme à la réalité des choses, en présumant que le terme a été stipulé dans l'intérêt du débiteur ; mais c'est une présomption simple, pouvant céder à la preuve contraire résultant des clauses de la convention ou des circonstances du fait. La même présomption existe pour le terme accordé par la loi. Quant au terme de grâce, il sera expressément accordé au débiteur par le jugement, et si l'on admet, par exception, que le terme de grâce puisse être accordé dans l'intérêt du créancier, le jugement s'en expliquera encore plus formellement, à cause de la singularité du fait.
Mais, c'est un principe général que toute personne peut renoncer à un bénéfice établi en sa faveur. Le débiteur pourra donc payer avant le terme, chaque fois que la présomption dont il s'agit ne sera pas contredite à son égard. Il aura avantage à se libérer ainsi par anticipation, lorsque sa dette produit un intérêt plus élevé que le profit que lui procureraient ses propres fonds ou que les intérêts des fonds qu'il emprunterait à cet effet ; et, lors même que la dette ne porterait pas intérêt, s'il a des fonds sans emploi, il s'affranchit, en payant, des risques de porte ou de vol.
Le terme a pu être établi dans l'intérêt du créancier : s'il s'agît d'une dette d'argent, il a pu lui-même vouloir se préserver des risques de perte ou de vol, pendant un temps où il n'avait pas toutes facilités à cet égard ; ou bien, il a cherché à s'assurer un intérêt de son capital pendant le temps où il prévoyait n'en avoir pas d'autre emploi ; ou bien, il s'agissait de travaux à exécuter, qui, avant le temps fixé, devaient lui être inutiles ou gênants. En pareils cas, le créancier a le même droit que le débiteur, celui de renoncer au bénéfice du terme, en exigeant l'exécution ou le payement anticipé. Mais, il ne faudrait pas que cette faculté du créancier devînt trop gênante pour le débiteur qui n'aurait pas prévu cette dérogation à la convention, et le tribunal pourra accorder au débiteur un terme de grâce pour lui permettre de prendre ses dispositions.
La loi prévoit aussi que le terme aurait pu être établi dans l'intérêt simultané des deux parties ; dans ce cas, l'une ne pourrait y renoncer sans le consentement de l'autre.
Il va de soi que si la partie qui aurait une fois renoncé au bénéfice du terme établi dans son intérêt exclusif voulait ensuite revenir à la convention, pour retarder l'exécution, elle ne le pourrait pas, sans le consentement de l'autre ; car il y aurait eu une sorte de novation ou convention nouvelle qui constituerait un droit pour l'autre partie.
La loi rappelle, en terminant, sa décision déjà donnée (art. 366) au sujet du payement anticipé fait par erreur : cette erreur ne permt pas de dire qu'il y a eu renonciation au terme ; mais la répétition de ce qui aurait été ainsi donné par anticipation serait trop nuisible à celui qui a reçu pour être permise.
Art. 405. .L'obligation à terme, à la différence de l'obligation conditionnelle, existe actuellement et pleinement, dès la formation du contrat; l'exécution seule en est retardée ; mais le terme n'a été accordé par le créancier ou par la loi que parce qu'il ne semblait devoir en résulter aucun danger sérieux pour l'avenir. Si donc les prévisions sont démenties par les événements, il est juste que le bénéfice du terme soit enlevé au débiteur et que le créancier puisse réclamer l'exécution immédiate.
Les quatre cas de déchéance du terme sont naturellement limitatifs, puisqu'il s'agit d'une rigueur.
En premier lieu, se trouve la faillite du débiteur, ce qui suppose qu'il est commerçant. La faillite n'implique pas nécessairement l'insolvabilité ; mais elle sera fréquente et, de plus, la faillite entraîne la liquidation des biens du failli : si le créancier à terme n'était pas admis à la distribution des biens, il ne lui resterait a i-cune chance d'être payé plus tard. La loi met sur la même ligne que la faillite, l'insolvabilité du non commerçant, et, comme il est plus difficile de constater celle-ci que la faillite, la loi exige qu'elle soit “notoire,” c'est-à-dire généralement connue.
Le second cas où le débiteur perd le bénéfice du terme présente un danger analogue à celui de la faillite et de la déconfiture, car il expose aussi le créancier à n'être pas payé. Il a paru sage de protéger tout créancier à terme contre un tel danger, en exigeant toutefois que la saisie concerne “plus de la moitié des biens.”
Le troisième cas est d'une nécessité plus évidente encore : le débiteur a manqué à sa promesse ou il a cherché à en neutraliser l'effet : on suppose, ou qu'ayant promis, soit un gage, soit une hypothèque'il a refusé ensuite de les constituer, ou que, les ayant une fois constitués, il y a porté atteinte : par exemple, en coupant les bois ou en détruisant les bâtiments qui se trouvaient sur le fonds hypothéqué ou donné en nantissement. Le fait d'aliéner un fonds hypothéqué ne serait pas considéré comme une diminution des sûretés promises, parce que l'hypothèque est toujours opposable au tiers acquéreur.
Le quatrième cas où le débiteur perd le bénéfice du terme est celui où il ne remplit pas l'obligation corrélative à son avantage, celle de payer les intérêts dits compensatoires : c'est une sorte de résolution du contrat, faute d'exécution, quoiqu'il ne s'agisse pas toujours d'un contrat synallagmatique, mais peut-être d'un prêt à intérêts.
La loi n'a pas eu à s'occuper des intérêts moratoires, parce que, si le débiteur était en retard, c'esi que déjà le terme serait échu.
Art. 406 et 407. Le principe de l'article 406 est fondé sur une raison d'humanité.
Il a paru utile d'exprimer dans la loi : 1° que la circonstance qu'il y aurait déjà eu un terme de droit ne met pas obstacle à la concession d'un délai de grâce ; 2° que l'existence d'un titre exécititore ne paralyse pas non plus le pouvoir du tribunal : ce dernier point ne pouvait guère faire doute pour les actes notariés, mais on a urait pu douter pour les jugements déjà rendus et ne contenant pas la concession d'un délai, parce que le tribunal est désormais dessaisi de l'affaire ; cependant en législation, il n'y a pas de raison majeure de refuser à un tribunal le droit de retarder l'exécution d'un jugement émané, soit de lui-même, soit d'un autre tribunal: il peut être survenu des malheurs au débiteur, entre la prononciation du jugement et les poursuites à fins d'exécution. Dans ce cas, comme dans celui d'un titre notarié, la demande du délai de grâce sera introduite devant le tribunal, soit principalement, par voie de requête, soit incidemment, comme difficulté relative à l'exécution.
Dans le cas d'un engagement sous seing privé, objet d'une action en justice, le débiteur demandera le délai, en même temps qu'il répondra à la poursuite, et en supposant, bien entendu, qu'il ne la conteste pas au fond.
La loi veut aussi : que le délai concédé soit “modéré,” que le débiteur mérite cette faveur par son malheur et sa bonne foi et que le créancier n'en doive pas éprouver un préjudice trop considérable : il serait, en effet, déraisonnable et injuste de sacrifier les droits du créancier à la faveur du débiteur.
Le tribunal n'est pas seulement autorisé à retarder l'exigibilité du payement, il peut aussi en permettre la division, chaque fois encore qu'elle est possible sans nuire an créancier. Cette division du payement sera très-naturelle, quand il s'agira d'une somme d'argent : il sera plus facile au débiteur de s'en libérer par parties ; s'il justifie au tribunal qu'il a lui-même des sommes à recevoir successivement, il pourra être autorisé à les verser partiellement an créancier, évitant ainsi le danger de les dissiper et le risque de les perdre.
Le dernier alinéa de l'article 426 tranche une question fort importante et sur laquelle les tribunaux auraient pu être divisés. La disposition qui nous occupe doit être considérée comme " d'ordre public” et, par conséquents, le débiteur ne peut, pour convention, renoncer d'avance à la faculté de demander un délai de grâce. Si l'opinion contraire était admise, cette renonciation anticipée serait toujours exigée par le créancier ; le débiteur en empruntant ou en achetant à crédit, n'oserait pas refuser de s'y soumettre, de peur de faire manquer le contrat ; la clause deviendrait de style et le but humanitaire de la loi serait toujours éludé. On admettra cependant, plus loin que les parties peuvent convenir de la résolution expresse ou “de plein droit,” pour inexécution par l'une d'elles de ses obligations, ce qui, en dispensant du recours à la justice pour faire prononcer la résolution, ôte à celle-ci le droit d'accorder un délai de grâce. Mais, le créancier doit être plus facilement admis à rentrer dans ses droits antérieurs qu'à faire valoir ses nouveaux droits.
Voici une autre conséquence à tire du principe que le débiteur ne peut renoncer d'avance au délai de grâce, ni directement, ni indirectement : supposons qu'une clause pénale ait été convenue pour le cas de retard à l'exécution ; à l'échéance, le créancier réclame la clause pénale, le débiteur demande un délai de grâce, en justifiant qu'il est dans la situation requise pour cette faveur ; le tribunal pourra lui accorder le délai de grâce, avec beaucoup de modération, sans doute, et la clause pénale ne sera encourue qu'après l'expiration de ce délai sans exécution.
Remarquons, du reste, que le caractère d'ordre public reconnu à cette faculté du tribunal ne va pas jusqu'à lui permettre d'accorder un délai de grâce d'office et sans demande : il faut encore que le débiteur déclare s'en prévaloir, en allègue et jusqu'à un certain point en justifie la nécessité pour lui ; le tribunal commettrait un excès de pouvoir, s'il accordait un délai de grâce qui n'aurait pas été demandé.
Le délai de grâce a naturellement moins de force que le délai de droit, il est plus précaire et se perd plus facilement : l'article 407 nous le montre.
D'abord, il va de soi que les causes qui font perdre le délai de droit font perdre également celui de grâce. Il se perd, en outre, dans quatre autres cas.
Dans tous les cas où le débiteur est en fuite, il perd le bénéfice du terme de grâce, et la loi assimile à la fuite le cas où le débiteur " dissimule sa résidence en effet, il n'est plus de bonne foi, du moment qu'il cherche à se soustraire à la surveillance de ses créanciers.
La loi lui enlève encore le bénéfice du terme, s'il est condamné à un emprisonnement correctionnel d'un an ou plus ; ici, le motif est un peu différent : c'est moins à cause de la faute qui entraîne cette pénalité (elle ne regarde pas le créancier) qu'à cause de la gêne pécuniaire que l'emprisonnement doit causer au débiteur et de la diminution des chances qui resteront au créancier d'être payé à l'échéance.
Dans le troisième cas, il faut supposer que le tribunal a autorisé le fractionnement de la dette, ce qui implique des délais successifs ; le débiteur laisse passer une des époques fixées, sans payer la fraction de sa dette qui y est afférente ; dès lors, il n'y a plus lieu d'espérer qu'il puisse remplir ses autres obligations successives : la dette devient donc exigible pour le tout.
Le quatrième cas demande un peu plus d'explications. Parmi les modes d'extinction des obligations, on compte la compensation qui, dans l'hypothèse où les deux parties sont respectivement créancières et débitrices, opère la libération de chacune jusqu'à concurrence de la dette la plus faible, les deux dettes se faisant équilibre, se balançant, jusqu'au chiffre où elles se rencontrent. Mais, pour que la compensation opère ainsi, par elle-même et de plein droit, l'effet d'un payement réciproque, il faut que les deux dettes réunissent certains caractères communs, notamment, qu'elles soient toutes deux exigibles (voy. art. 520) : de même qu'avant le terme, le payement ne peut être demandé, de même la compensation ne peut s'opérer ; mais ici se rencontre la dernière différence entre le terme de droit et le terme de grâce : ce dernier ne fait pas obstacle à la compensation, et cela est très-naturel : le terme de grâce n'avait été accordé au débiteur qu' a raison de la difficulté où il était de se libérer ; or, quand il est lui-même créancier, dans les conditions qui permettent la compensation, il n'a plus aucun titre à conserver cette faveur. On pourrait même croire qu'une fois entrée dans cette voie, la loi devrait retirer le bénéfice du terme de grâce au débiteur, chaque fois que sa position pécuniaire s'est suffisamment améliorée pour qu'il lui soit possible de se libérer présentement ; mais ce serait donner ouverture à une foule de procès délicats et autoriser le créancier à se livrer à un examen continuel et à une discussion vexatoire des changements de fortune du débiteur. Ce danger n'existe pas dans le cas de la compensation, parce que les éléments en sont contradictoirement établis entre les parties.
La dernière disposition de l'article 407 peut se justifier de deux manières : d'abord, le débiteur ne mérite plus une nouvelle faveur, n'ayant pas su profiter de la première ; ensuite, le tribunal, ayant statué sur cette demande, a épuisé son pouvoir à cet égard.
Il va de soi que dans les cas où le débiteur est privé, soit du ternie de droit, soit du terme de grâce, conformément aux articles 405 et 407, il ne pourrait obtenir un ternie de grâce, s'il était déjà dans l'un des cas prévus par ces articles.
Il est inutile aussi de dire que, comme la concession du délai de grâce, de même la déchéance de l'un ou de l'autre terme, ne peut être prononcée par le tribunal sans qu'il y ait eu, à cet égard, demande de la partie intéressée : ce ne sont pas là des cas où le tribunal puisse statuer d'office : l'ordre public n'y est pas intéressé.
Art. 408 et 409. Ou voit, de suite, par la définition de la condition, qu'elle diffère profondément du terme : tandis que le terme n'empêche pas l'obligation de naître, de se former, et en retarde seulement l'exécution, la condition tient en suspens l'existence même de l'obligation, et ce n'est pas seulement un retard qu'elle apporte a la formation ou à la résolution de l'obligation, c'est l'incertitude, l'éventualité, qui peut se terminer favorablement ou défavorablement pour le créancier ou pour le débiteur ; chacun a des chances et court des risques : le contrat devient aléatoire par le fait même qu'il est affecté d'une condition.
On voit par le présent article que la condition est de deux sortes : suspensive ou résolutoire ; dans le premier cas, l'obligation affectée de la condition n'est pas formée par la seule convention, c'est la condition qui, en s'accomplissant, fera naître l'obligation ; dans le second cas, l'obligation est née immédiatement, par le seul effet du contrat ; mais les parties sont convenues que, si tel événement arrivait, l'obligation serait résolue, c'est-àdire éteinte rétroactivement, comme si elle n'avait jamais existé.
On dit quelquefois que la condition est “toujours suspensive” et que, dans le premier cas, elle suspend la naissance de l'obligation, tandis que, dans le second cas, elle en suspend la résolution ; cette formule est exacte et même elle a une origine romaine ; mais on conservera ici les expressions usitées et l'on appellera condition suspensive celle qui expose le droit du créancier à ne pas naître, et résolutoire, celle qui, le droit une fois né, l'expose à être détruit. La difficulté du langage va encore s'augmenter, si, au lieu d'une obligation conditionnelle, nous supposons qu'il s'agit d'un droit réel affecté d'une condition.
Le texte de l'article 408, en effet, après avoir supposé d'abord que c'est une obligation ou une créance qui est affectée de la condition, déclare que la même modalité pourrait affecter un droit réel : la propriété ou un de ses démembrements, ou une sûreté réelle fournie pour la garantie d'une créance.
Dans ce cas, la condition produira un effet double, très-digne d'attention : elle sera, tout à la fois, suspensive pour l'une des parties et résolutoire pour l'autre.
Supposons une aliénation d'immeuble subordonnée au départ du vendeur pour un pays éloigné ; dans ce cas, la condition sera qualifiée de “suspensive," parce que le droit de l'acheteur n'est pas encore né ; mais si la condition s'accomplit, en même temps qu'elle “fera naître” le droit de l'acheteur, “elle résoudra” celui du vendeur.
En sens inverse, si l'aliénation a été faite immédiatement, mais qu'il ait été convenu qu'au cas où le vendeur reviendrait se fixer dans le pays qu'il quitte, la vente serait résolue, on peut dire qu'en même temps que le droit de l'acheteur est “résoluble,” celui du vendeur est “suspendu:” l'événement prévu s'accomplis sant enlèvera le droit de propriété à l'acheteur, non-seulement pour l'avenir, mais pour le passé, et le reportera rétroactivement sur la tête du vendeur, comme s'il n'avait jamais cessé de lui appartenir.
Comme conséquence de ce double effet de la condition, les droits conférés sur la chose par celui qui n'avait qu'un droit résoluble s'évanouissent comme et avec le sien, et les droits conférés par celui dont le droit était en suspens se confirment comme le sien propre.
La raison de ce double effet de chaque condition, lorsqu'il s'agit de l'aliénation d'un droit réel, tient à la nature même de ce droit qui, une fois créé, doit nécessairement porter sur une tête, et ne peut en quitter une sans passer sur une autre, ni retourner au premier titulaire sans quitter le second. On ne rencontre pas ce double effet, lorsqu'il s'agit d'une obligation contrac ée avec une condition : elle ne préexistait pas à la convention, laquelle la fait naître et ne la transfère pas ; si elle est subordonnée à une condition suspensive et que celle-ci s'accomplisse, le droit naît pour le créancier, mais on ne peut pas dire qu'il quitte le débiteur ; si elle est subordonnée à une condition résolutoire, l'événement enlèvera le droit au créancier, mais il ne le reportera pas sur la tête du débiteur.
On doit donc reconnaître que si les droits personnels peuvent être affectés de l'une ou l'autre condition, c'est toujours séparément, disjointement ; tandis que les droits réels ne peuvent être affectés de l'une sans l'être en même temps et conjointement de l'autre.
Il y a toutefois un cas où le droit personnel sera affecté simultanément des deux conditions ; mais l'exception, loin d'être gênante, confirme la règle : un créancier cède, sous condition suspensive, la créance qu'il a contre un tiers ; si la condition s'accomplit, le droit cédé quitte le cédant pour passer sur la tête du cessionnaire ; si la cession a été faite sous condition réso lutoire, la résolution, en dépouillant le cessionnaire, reporte le droit sur le cédant. Si, dans ce cas, la condition produit deux effets simultanés, comme dans la cession d'un droit réel, c'est parce que droit personnel cédé préexistait à la convention.
Il est donc vrai et évident que toute condition mise à la translation d'un droit réel, ou d'un droit personnel préexistant, produit, tout à la fois, d'un côté, une suspension, et, de l'autre, une résolution. Il faut pourtant que les noms ne produisent pas d'équivoque. Le moyen de l'éviter, c'est de s'attacher à l'effet direct de la condition sur le droit conféré et non à son effet indirect sur le droit retenu par l'aliénateur. Ainsi, une vente sera dite “sous condition suspensive,” quand le droit conféré à l'acheteur sera suspendu : on négligera la résolution qui ne doit se produire qu'indirecte-ment sur le droit retenu par le vendeur ; au contraire, la vente sera dite “sous condition résolutoire” quand le droit, présentement conféré à l'acheteur, sera sujet à résolution : on négligera l'effet indirectement suspensif de cette condition sur le droit retenu, par le vendeur.
Mais, si l'effet indirect de chaque condition est à négliger quand il s'agit de la dénomination à donner à celle-ci, il est très-important, au contraire, à considérer pour le fond toute cette théorie : on le verra bientôt, notamment, quand il s'agira de savoir laquelle des deux parties supporte les risques de perte fortuite, dans l'une et l'autre condition (v. art. 419).
L'article 408 assigne deux caractères à l'événement qu'on appelle condition : il doit être “futur et incertain.” Il ne faudrait pas mettre sur la même ligne un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. Cependant, au premier aspect, la situation parait identique ; si, par exemple, les parties ont subordonné les effets de leur convention à l'issue favorable d'une expédition militaire ou maritime qui doit être actuellement accomplie, mais dont aucune d'elles n'a pu encore avoir de nouvelles, il semble que les choses se passeront comme si l'événement était futur : lorsque l'issue de l'expédition se trouvera avoir été favorable, la convention aura eu tous ses effets dès l'origine; lorsque l'issue aura été défavorable, la convention sera réputée non avenue. Mais, au fond, il reste une grande différence entre cette situation et celle d'une véritable condition : dans le cas d'un événement actuellement arrivé, l'obligation existe ou n'existe pas, dès le moment de la convention, quoique les parties l'ignorent ; si elle existe, rien n'empêchera ensuite qu'elle ait tous ses effets; si elle n'existe pas, rien, dans l'avenir, ne pourra lui donner effet ; il n'y a, pour les parties, ni chances, ni risques ; si l'événement était accompli suivant les prévisions des parties, ce n'est pas lui qui aurait fait naître l'obligation, ce serait la convention ; si l'événement était accompli en sens contraire, ou défailli, l'obligation ne serait pas née et ne pourrait jamais naître sans une nouvelle convention.
Voilà pour la différence théorique de la question ; en voici maintenant l'intérêt pratique : si l'obligation a été subordonnée à une véritable condition et que la chose due vienne à périr par cas fortuit avant l'événement, l'obligation ne se forme pas, faute d'objet, comme on l'a déjà dit plus haut et comme on en donnera bientôt la justification, en sorte que la perte retombe sur le débiteur qui n'a plus sa chose et n'aura pas les avantages que la convention pouvait lui destiner; tandis que, si l'obligation dépend d'un événement actuellement arrivé mais encore inconnu des parties, la chose due périt pour le créancier dont le droit est né quoiqu'il l'ignore: l'événement inconnu n'a été qu'un “terme incertain,” ce terme s'est trouve échu quand l'événement a été connu; or, le terme ne retardant pas la naissance du droit, mais seulement son exigibilité, met la chose aux risques de celui à qui elle est due.
Le présent article complète le caractère de la condition, soit suspensive, soit résolutoire, en donnant un effet rétroactif à son accomplissement, soit pour la formation, soit pour la résolution de l'obligation ou du droit réel conféré. Cette rétroactivité a dû être indiquée de suite, pour faire saisir la nature de la condition ; l'article suivant en va indiquer les conséquences.
Art. 410. Cet article consacre, tout à la fois, le principe de la rétroactivité de la condition et celui du double effet, déjà signalé, de chacune des deux conditions. On va l'appliquer successivement aux diverses hypothèses.
1° Une obligation, de somme d'argent ou autre, a été contractée sans condition suspensive ; tant que la condition est en suspens le créancier n'a qu'un droit éventuel ; mais il peut céder ce droit sous la modalité qui l'affecte : le cessionnaire exercera le droit de créance, si la condition s'accomplit, pourvu qu'il ait notifié au débiteur la cession qui lui a été faite ; si la condition fait défaut, son droit s'évanouira, Quant au point de savoir s'il aura droit à la restitution de son prix, par action en garantie, cela dépendra des clauses de la cession : en général, il n'y aura pas lieu à la restitution du prix, parce que la cession a un caractère aléatoire comme la créance cédée elle-même. Cependant, le cédant d'une créance est, de droit et sans stipulation, garant de l'existence de la créance ; mais une créance conditionnelle existe suffisamment pour n'être pas sujette à cette garantie : elle a l'existence éventuelle que le cessionnaire était en droit d'attendre, du moment que la condition lui a été révélée.
Dans cette hypothèse, le débiteur sous condition n'aura pas toujours à céder un droit corrélatif à son obligation ; mais cela pourrait être, si le contrat était synallagmatique ; alors seulement, il aura pu céder lui-même un droit conditionnel, avec les mêmes conséquences.
2° Une créance pure et simple ou à terme existait entre deux personnes et le créancier l'a cédée à un tiers, sous condition suspensive : il a canservé sa créance sous condition résolutoire, ainsi qu'on l'a fait remarquer sous l'article 403. Ici, chacune des parties figurant dans la cession un droit inverse de celui de l'autre et elle peut en disposer avec la condition dont il est affecté : le cessionnaire peut disposer par vente ou donation de sa créance éventuelle ou conditionnelle , le cédant peut disposer de même de sa créance actuelle mais résoluble. Si la condition de la première cession se réalise, la sous-cession faite par le cessionnaire produit ses effets et la seconde cession faite par le cédant se résout ; si, au contraire, la condition de la première cession fait défaut, c'est la sous-cession qui se résout et la seconde cession faite par le cédant qui se réalise.
Les rôles et les situations seraient inverses, si la première cession avait été faite sous condition résolutoire.
Quant au débiteur cédé, sa position ne change pas, il reste tenu purement et simplement ou à terme : il payera à celui des deux intéressés dont le droit sera définitivement confirmé, ou, tout au moins, dont le droit sera actuel, quoique résoluble, au moment où le payement sera exigé de lui.
3° Supposons enfin un droit de propriété cédé sous condition suspensive, ce qui laisse la propriété au cédant, mais sous condition résolutoire. Chacune des parties peut céder le droit qui lui appartient, sous la condition dont il est affecté : l'événement qui confirmera le droit du cessionnaire résoudra le droit du cédant et, du même coup, les secondes cessions qu'il a faites, en confirmant les sous-cessions. En sens inverse, si la première cession a été faite sous condition résolutoire, le cédant a gardé la propriété sous condition suspensive, et les nouvelles cessions faites par l'un ou l'autre se résoudront ou se confirmeront comme et avec le droit de chaque cédant.
La complication de ces hypothèses est plus apparente que véritable : le principe une fois posé, les conséquences sont logiques et faciles à déduire.
Le 2e alinéa de l'article 410 subordonne les effets qui précèdent, en tant qu'il s'agit de les opposer, respectivement, entre une partie ou ses ayant-cause et les ayant-cause de l'autre, à la publicité requise pour les cession de créance et pour le aliénations d'immeubles ou les constitutions de droit immobiliers.
Il est évident, par exemple, que si celui qui n'a qu'un droit conditionnel le cédait comme lui appartenant purement et simplement et que la condition ne s'accomplît pas en sa faveur, les cessionnaires ne pourraient être évincés que s'ils avaient été mis en mesure de connaître la condition dont leur droit était affecté ; or, pour les droits réels immobiliers, la condition, tant suspensive que résolutoire, a dû être révélée l'inscription du titre originaire du cédant. Pour les créances conditionnelles, si la condition est mentionnée au titre, cela suffit pour en avertir le cessionnaire ; si la condition y a été ajoutée par un acte séparé, le cessionnaire a pu en être informé au moment où il a fait au cédé la notification de la cession. Si ces avertissements n'ont pas été donnés au cessionnaire, la condition ne lui est pas opposable, car les droits sont toujours présuméspurs et simples : la condition est une anomalie, une exception au droit commun.
Art. 411. Cet article déroge à l'article précédent, en ce sens que les actes d'administration ne se trouvent pas affectés de la condition qui affecte le droit de celui qui les a faits. Ainsi, celui qui n'avait qu'un droit de propriété soumis à une condition résolutoire a loué l'objet à un tiers ; plus tard, la résolution s'accomplit, le bail subsistera. Le motif de la loi est qu'il est d'intérêt général que les biens soient loués ou utilement administrés et il serait difficile de trouver un locataire ou un fermier, si son droit devait s'évanouir par l'effet de conditions auxquelles il est étranger.
Mais pour que les actes d'administration soient ainsi respectés, il faut qu'ils soient faits “de bonne foi et en conformité à la loi.” Ils ne seraient pas faits “de bonne foi,” si le bailleur avait eu pour but de priver de la jouissance du bien, au moins pour un temps, celui auquel la propriété doit passer par l'accomplissement de la condition résolutoire ; la mauvaise foi serait certaine si la location avait été faite, lorsque déjà la condition était accomplie ou paraissait sur le point de l'être, et il serait difficile de considérer comme fait de bonne foi la location d'un meuble qu'il n'est pas d'usage à un propriétaire de louer. La loi n'exige pas la bonne foi des tiers qui ont contracté avec l'administrateur ; par conséquent, lors même qu'ils auraient connu la condition qui affectait le droit du bailleur, le contrat de bail ne serait pas moins valable à leur égard. C'est toujours la raison économique qui veut qu'on favorise les baux des maisons et des terres. Mais les tiers cesseraient de pouvoir invoquer les baux, s'ils les avaient souscrits après que la condition résolutoire était accomplie, même à leur insû : ils seraient dans la situation ordinaire de ceux qui traitent sur une chose avec un autre que le propriétaire.
Enfin, l'acte d'administration ne serait pas fait “en conformité à la loi,” si la location avait été faite pour un temps plus long ou sous d'autres conditions que la loi ne le permet aux administrateurs du bien d'autrui (voy. art. 119 et s.).
On pourrait croire que les jugements, ayant le caractère de preuves, par l'effet d'une présomption légale absolue de vérité attachée à la chose jugée, seraient opposables à tous les intéressés quand ils leur seraient contraires, de même qu'ils pourraient être invoqués par eux lorsqu'ils leur seraient favorables, Mais la raison et l'équité s'opposent à ce qu'une personne souffre d'un jugement qu'elle n'a pas demandé et qu'elle n'a pu combattre : l'autorité judiciaire, quelles que soient ses lumières et son impartialité, ne se prononce que sur les faits qui lui sont soumis et ne se détermine que par les preuves produites devant elle : aussi est-il universellement reconnu, que la chose jugée ne nuit ni ne profite qu'aux parties qui ont figuré dans le procès, comme demanderesses ou défenderesses, soit en personne, soit par représentation. Ce principe déjà signalé et qui sera développé et justifié plus amplement, lorsqu'on arrivera à la matière des preuves, est appliqué ici, par le 2e alinéa de notre article,mais sous une double exception ou réserve qui demande quelques explications :
1° Certaines personnes qui n'ont pas été parties en cause pourront invoquer le jugement, s'il leur est favorable, et le récuser s'il leur est contraire ;
2° Les jugements sur les actes d'administration seront opposables autant que profitables à ces mêmes personnes.
I. On remarquera d'abord que la loi suppose que c'est celle des parties dont le droit était résoluble qui a plaidé avec le tiers : c'est cette partie, en effet, qui a un droit actuel et c'est elle seule qui peut être attaquée par un tiers au sujet de la chose ; la loi n'en a pas moins deux applications: il peut y avoir eu aliénation sous condition résolutoire directe, c'est alors l'acheteur qui acquiert un droit résoluble ; il peut y avoir eu aliénation sous condition suspensive, c'est le vendeur qui retient un droit résoluble.
Pour l'application de notre article, il ne faudrait pas supposer que celui dont le droit est résoluble a plaidé avec des personnes qui prétendraient avoir acquis des droits de lui, postérieurement à la convention affectée de la condition : il est clair que ces personnes ne pourraient se prévaloir, contre la partie dont le droit est en suspens, du jugement qui reconnaîtrait leur droit, puisqu'elles ne pourraient non plus se prévaloir contre elle d'une convention non contestée qui leur aurait conféré ces mêmes droits. Il faut supposer que le procès a eu pour objet d'établir des droits antérieurs à la convention conditionnelle ; or, si ces droits existaient réellement, ils ont, suivant leur nature, mis un obstacle total ou partiel à la cession conditionnelle. Par exemple, une vente sous condition suspensive a eu lieu : le vendeur a conservé la propriété sous condition résolutoire ; avant que la condition fût accomplie, un tiers a prétendu qu'il avait lui-même, soit la propriété, soit un démembrement de la propriété sur cette même chose ; le jugement qui a reconnu son droit n'aura son effet que si la condition suspensive de la vente fait défaut et si la résolution ne s'opère pas contre le vendeur : dans ce cas, en effet, le vendeur ne peut méconnaître le jugement auquel il a figuré et l'acheteur n'ayant désormais aucun droit sur la chose, puisque la condition suspensive est défaillie, n'a pas intérêt à contester ce jugement ; si la condition s'accomplit, l'acheteur ne respectera pas le jugement, parce qu'il n'y a pas été partie et n'a pas été représenté par son vendeur qui n'avait pas qualité pour compromettre les droits de son acheteur par une défense maladroite ou complaisante. Au contraire, le tiers a succombé dans sa demande et la condition s'est accomplie, l'acheteur pourra se prévaloir du jugement contre le tiers, parce que le vendeur a eu qualité pour sauvegarder les droits de son acheteur : il a accompli son obligation de garantie contre tous troubles et évictions ; on peut aussi le considérer comme ayant été gérant d'affaires de l'acheteur ; or, un gérant d'affaires peut rendre service au “maître” et ne peut compromettre ses droits. La même règle a déjà été appliquée entre l'usufruitier et le nu-propriétaire (voy. art. 98).
Il va de soi, et notre 2e alinéa le fait remarquer, que, si l'acheteur a été mis en cause par le tiers, à raison de son droit éventuel, le jugement défavorable lui sera opposable.
II. Si le procès intervenu entre un tiers et la partie dont les droits sont résolubles avait concerné un acte d'administration, la solution serait différente; le jugement défavorable à celui dont les droits sont ensuite résolus serait opposable à celui qui acquiert le bien par l'effet de la condition ; car la partie qui a pu faire des actes d'administration opposables à l'autre partie a eu qualité pour plaider sur des actes de cette nature.
Art. 412. Cet article complète les effets de la résolution, en statuant sur les fruits et intérêts intérimaires.
La loi suit les conséquences naturelles de la résolution : si elle est directe et accomplie contre l'acquéreur du droit conféré, celui-ci, ayant pu, pendant un certain temps de possession, percevoir des fruits et produits de la chose, les restituera ; de son côté, celui qui a aliéné, pouvant avoir reçu le prix, en rendra les intérêts; si la résolution est opérée indirectement, par l'accomplissement de la condition suspensive, celui qui avait conféré le droit livrera la chose avec les fruits perçus, et l'acquéreur payera le prix avec les intérêts. Les choses sont ainsi ramenées, dans le premier cas, à l'état où elles auraient été, si la convention résoluble n'avait pas eu lieu ; dans le second, à l'état où elles auraient été, si la convention suspendue avait été pure et simple.
Notre article en donnant cette solution, admet qu'elle pourrait être modifiée par l'intention des parties ; en effet, il est possible que, dans un but de simplification, elles aient admis, expressément ou tacitement, que les fruits perçus par une partie, pendant que la condition était en suspens, se compenseraient avec les intérêts qu'elle devrait recevoir de l'autre partie. Cette compensation pourra être très-facilement admise par les tribunaux : notamment, quand il se sera écoulé un long intervalle entre la convention et l'issue de la condition ; mais, elle devra toujours être considérée comme une exception résultant des circonstances.
Art. 413. La condition tout en étant nécessairement suspensive ou résolutoire, peut avoir d'autres caractères qui influent plus ou moins sur la validité de la convention qui en dépend. C'est ainsi qu'on peut distinguer les conditions : 1° en casuelles, potestatives et mixtes, suivant qu'elles dépendent, ou du pur hasard, ou de la volonté d'une seule des parties, ou, tout à la fois, de la volonté d'une des parties et de celle d'un tiers ou du hasard ; 2° en licites et illicites ; 3° en possibles et impossibles ; 4° enfin, en positives et négatives, suivant qu'on a prévu qu'un événement arrivera ou n'arrivera pas.
Le présent Code ne mentionne ces caractères particuliers des conditions qu'en en réglant l'influence sur la convention, et il ne définit que la condition illicite, la seule où la définition était nécessaire.
Et d'abord, pour la condition impossible il n'y a pas de difficulté réelle. Si elle est en même temps positive ou affirmative, elle rend nulle la convention qui en dépend ; par exemple, on a vendu ou donné un fonds à quelqu'un, s'il faisait l'ascension du Fusiyama au mois de Janvier ; il est évident qu'une pareille convention n'est pas sérieuse et que les deux parties, si elles sont saines d'esprit, savent, dès l'abord, que la condition suspensive ne se réalisera pas et que, par conséquent, la convention ne peut produire d'effet. Il en serait de même, si le fait impossible était pris comme condition résolutoire ; par exemple : “je vous vends mon fonds présentement, mais la vente sera résolue, si je fais l'ascension....etc. ;” ici, ce n'est plus la vente qui est nulle, c'est la clause stipulant la résolution : il est clair que celui qui ne s'est réservé qu'une résolution impossible a fait une vente pure et simple.
Supposons maintenant que le même fait impossible, au lieu d'être envisagé positivement ou affirmativement, l'ait été négativement, la solution sera différente ; par exemple : “je vous vends ma maison, sous cette condition suspensive :” si vous ne faites pas l'ascension du Fusiyama, etc. ;” comme il est bien certain, dès aujourd'hui, que vous ne la ferez pas, vente est pure et simple ; ou bien encore, vous ayant vendu ma maison antérieurement, sans condition, j'ai stipulé, plus tard, que la vente serait résolue, si vous ne faisiez pas ladite ascension ; comme il est certain que vous ne la ferez pas, la vente est résolue immédiatement, purement et simplement. On a dû supposer ici que la vente était antérieure à la stipulation de résolution, car, si les deux clauses se trouvaient dans une même convention, la vente se trouvaient résolue en même temps qu'elle se formerait, ce qui serait dérisoire.
La convention ne sera illicite, au point de vue qui nous occupe, elle ne rendra la convention nulle, que si elle doit tendre à un résultat mauvais, moralement ou socialement ; or, ce résultat est à prévoir et à redouter dans deux cas que le texte du présent article détermine avec soin :
1° Si l'une des parties doit bénéficier, soit de l'accomplissement d'un acte que la loi ou la morale défend, soit de l'abstention d'un devoir que la loi ou la morale impose ;
2° Si l'une des parties doit souffrir, soit de s'être abstenue d'un acte défendu, soit d'avoir accompli un acte ordonné.
Dans le premier cas, les parties se seraient proposé de récompenser le mal et, dans le second cas, de punir le lien.
Il n'y a pas à distinguer, du reste, si le profit du mal ou la peine du bien doit être pour le stipulant ou pour le promettant, ni si la condition illicite est suspensivə ou résolutoire ; seulement, il est bien entendu que si la condition est suspensive, il n'y a pas de convention du tout, tandis que si la condition est résolutoire, c'est celle-ci qui est seule non avenue, la convention restant pure et simple.
Il est nécessaire de donner des exemples de ces diverses situations qui sont régies par le même principe.
1° Quelqu'un promet sa maison, si on lui procure des documents secrets du Gouvernement : " la condition illicite est suspensive ; elle est positive ; elle est dans l'intérêt du stipulant de la maison : la promsse est nulle.
2° “Quelqu'un promet sa maison, si on ne remet pas au Gouvernement les documents qu'on a reçus pour lui :” la condition illicite est encore suspensive et dans l'intérêt du stpulant ; elle est négative, en ce qu'elle a pour objet le non-accomplissement d'un devoir : la promesse est encore nulle.
3° Quelqu'un donne sa maison présentement, mais la donation sera résolue, s'il remet an donataire les documents secrets du Gouvernement, ou si le donataire ne lui remet pas ceux qui sont adressés au gouvernement :” dans les deux cas, la condition est dans l'intérêt de celui qui stipue la résolution ; au premier cas, la condition est positive et la faute serait récompensée ; au second cas, la condition est négative et le mérite du promettant serait puni : la condition résolutoire est nulle et la donation reste pure et simple.
Voici encore les cas qui se trouvent implicitement réglés par les limites précises que le Projet a mises à la nullité.
Les parties ont établi comme condition suspensive de la convention le cas où l'une d'elles s'abstiendrait de tel acte illicite ou accomplirait tel devoir dans des circonstances ou dans un temps déterminé ; ou, en sens inverse, elles sont convenues que la convention actuellement formée serait résolue, si la partie intéressée à son maintien commettait un acte illicite déterminé ou manquait à accomplir tel devoir. Il ne faudrait pas penser que la condition doit, ici encore, être considérée comme nulle et entraîner la nullité de la convention qui en dépend : sous prétexte qu'il serait immoral qu'une partie stipulât un avantage (l'acquisition ou la conservation d'un droit), comme prix de l'observation de la loi et de l'accomplissement d'un de ses devoirs. On doit admettre, au contraire, que tout moyen qui assure ce double résultat est utile à la société et doit être autorisé.
Toutefois, dans le cas de la condition suspensive, on pourra faire la distinction suivante : si le stipulant s'est fait promettre un avantage pour le cas où il ne comme -trait pas un acte punissable par la loi, ou accomplirait un devoir dont la violation a aussi une sanction pénale, la condition viciera la convention comme immorale ; il y a cause honteuse, et, par suite, refus d'action et droit de répétition contre le stipulant, s'il y avait eu exécution (voy. art. 367) ; d'ailleurs, il semblerait que la condition implique une menace, laquelle vicie également la convention. Mais, si la condition est de ne pas faire un acte que la morale seule réprouve et non la loi pénale, ou d'accomplir un devoir que la morale seule impose et non la loi, la convention qui en dépend devra être maintenue. Ainsi, une promesse a été faite à une fille de mauvaise vie, pour le cas où elle rentrerait dans sa famille et s'y conduirait honnêtement, ou à un homme vivant irrégulièrement avec une femme, pour le cas où il l'épouserait légalement ; dans ces cas, il n'y a pas immoralité à obtenir une pareille promesse et à la faire valoir, même en justice, si la condition est remplie.
Le rapprochement du 1er et du 3e alinéas de notre article 413 donne lieu à une observation importante. Tout ce qui a été dit de la condition illicite ou impossible, comme viciant et annulant la convention qui en dépend, ne s'applique qu'au cas où c'est l'effet principal de la convention qui aurait été rattaché à la condition : alors la condition joue le rôle de cause déterminante de la convention et, comme cause illicite ou fausse, elle empêche la convention de se former (voy. art. 304). Ainsi, dans une vente conditionnelle, si c'est la translation de propriété même qui a été subordonnée à la condition, la nullité de la condition entraînera celle de toute la convention ; mais, si la condition n'affecte qu'un accesoire, de la vente, un objet complémentaire aliéné, un terme pour la délivrance de la chose ou pour le payement du prix, alors, l'accessoire, le terme, seront seuls frappés de nullité.
Art. 414 et 415. Comme on l'a dit plus haut la condition casuelle est celle qui dépend seulement du hasard ou d'un événement sur lequel les parties ne peuvent exercer aucune influence ; si la condition dépend, en même temps, de la volonté d'une partie et du hasard ou de la volonté d'un tiers, la condition est appelée mixte ; enfin, elle est dite potestative, quand il dépend de la volonté de l'une des parties de la faire accomplir ou défaillir.
Il ne s'agit pas d'ailleurs d'une condition purement potestative pour l'accomplissement de laquelle le promettant ne ferait aucun sacrifice, qui dépendrait de son pur caprice ou de sa fantaisie, lorsqu'enlin il n'aurait enten lu s'obliger que si tel était son bon plaisir. Dans ce cas, la convention serait nulle d'après le principe général qu'il n'y a pas convention ou contrat sans volonté de s'obliger, sans consentement. Mais on ne pourrait prétendre qu'une vente fût nulle quand, par exemple, le vendeur l'aurait subordonnée à un voyage, ou à sa démission de fonctions publiques ou privées ; parce qu'on doit reconnaître qu'en pareil cas, comme dans une foule d'autres, ce n'est pas par caprice ou pure fantaisie qu'une partie fait un voyage ou donne sa démission : il y a toujours des intérêts en jeu, des sacrifices à faire, qui peuvent faire hésiter le contractant.
L'article 415 prend d'ailleurs une précaution qui éloigne tout danger. Il est clair que dans le cas où l'accomplissement de la condition dépend de la volonté d'une seule des parties, que ce soit du stipulant ou du promettant, la convention n'est pas pure et simple : il faut encore que cette volonté soit exprimée et notifiée ; jusques-là, le promettant ignore si et quand il devra exécuter, ou c'est le stipulant qui ignore si et quand il pourra demander l'exécution ; la partie qui n'a pas le choix peut donc souffrir plus ou moins d'une trop longue incertitude. La loi y pourvoit, en autorisant cette partie à demander au tribunal la fixation d'un délai, si d'ailleurs les parties n'en ont pas fixé un elles-mêmes. Passé ce délai, la condition sera réputée défaillie, si la partie n'a pas exercé sa faculté.
Il n'y a pas à distinguer, d'ailleurs, si la condition potestative était suspensive ou résolutoire, quant à son effet sur la convention, ni, si elle était positive ou négative, c'est-à-dire s'il s'agissait de l'accomplissement ou du non-accomplissement d'un fait déterminé.
L'article 414 a un autre objet : statuant sur une condition qui ne dépend pas la de volonté du promettant, mais de celle du stipulant ou du hasard, il punit le promettant de tout acte de sa part qui aurait pour effet d'empêcher l'accomplissement de la condition au profit du stipulant, et la punition est que la condition défaillie par son fait sera réputée accomplie contre lui. Ainsi, une vente avait été faite sous la condition suspensive que le vendeur aurait acquis telle autre propriété ; l'acheteur, regrettant le contrat et pour faire manquer la condition, achète lui-même le bien désiré par son vendeur : il en sera puni, si le vendeur invoque la loi, en se trouvant acheteur du premier bien, en même temps qu'il l'est du second, ce qui pourra être pour lui un sérieux embarras. En modifiant l'exemple, on l'appliquera à la condition résolutoire : il a été convenu que la vente serait résolue, dans l'intérêt de l'acheteur, s'il parvenait à acquérir un autre immeuble déterminé qui répond mieux à ses besoins ; le vendeur, pour empêcher la résolution de s'accomplir, s'est rendu lui-même acquéreur de ce bien : comme il a volontairement empêché la résolution, elle sera réputée accomplie ; il devra reprendre son immeuble et restituer le prix qu'il aura reçu.
Bien entendu, dans les deux cas, la résolution n'a pas lieu de plein droit : elle doit être prononcée en justice, à cause de son caractère de peine, et la demande ne peut en être faite que par la partie eu faveur de laquelle la condition avait été établie.
L'article 414 ne s'applique pas au cas où la condition dépendait de la volonté de celui qui en a fait manquer l'accomplissement : il est clair que dans ce cas, il n'est pas responsable, ayant exercé son droit ; ainsi dans notre dernier exemple, l'acheteur a pu refuser l'immeuble dont l'acquisition devait résoudre la première vente.
Art. 416. Les deux premières dispositions de cet article pourraient ne pas figurer dans la loi, parce qu'elles ne sont que des déductions logiques de la nature de la condition et de l'intention des contractants ; toutefois, ce qu'il a paru utile d'exprimer dans plusieurs Codes étrangers ne pouvait être jugé superflu au Japon où, cette modalité des obligations étant encore peu pratiquée, la théorie scientifique en est encore peu connue ; on y ajoute d'ailleurs une disposition nécessaire.
Le 1er alinéa prévoit une condition positive, c'est-à-dire, un événement dont l'arrivée doit faire naître ou résoudre un droit ; le 2e alinéa suppose une condition négative, c'est-à-dire que c'est le non-accomplissement d'un événement qui agira sur le droit, comme condition suspensive ou résolutoire. Dans le premier cas, la loi déclare quand la condition est défaillie : elle néglige de dire quand elle est accomplie ; au contraire, dans le second cas, la loi déclare quand la condition est accomplie et elle ne dit pas quand elle est défaillie ; c'est qu'en effet, les deux points négligés par la loi ne présentent aucune difficulté.
Ainsi, quelqu'un a acheté 100 kokous de riz, sous la condition qu'ils lui seraient livrés dans le délai d'un mois; la livraison a été faite dans le délai fixé: la condition est évidemment accomplie et la vente est parfaite ; ou bien la vente de riz, déjà parfaite, avait été stipulée résoluble si, dans le délai d'un mois, l'acheteur recevait d'autres riz qui lui avaient été promis par un tiers ; ces riz lui arrivent dans le délai fixé : la condition résolutoire de la vente est accomplie.
La loi n'a pas besoin de régler cet accomplissement normal de la condition.
Au contraire, supposons que, dans le cas de la vente sous condition suspensive, les riz ne soient pas livrés dans le délai d'un mois, et, dans le cas de la vente sous condition résolutoire, que l'acheteur ne reçoive pas les riz d'une autre origine qu'il espérait, alors, la loi croit utile d'exprimer que la condition est défaillie, c'est-à-dire qu'une livraison ou une arrivée tardive ne remplirait pas la condition stipulée.
Ce qui, d'ailleurs, complète l'utilité du texte, c'est le 3e alinéa qui déclare que les tribunaux ne peuvent proroger le délai fixé par les parties : ce serait, de leur part, exposer l'une d'elles à des pertes, car la fixation du délai a été naturellement basée sur des considérations d'intérêt ou de convenance personnels dans lesquels les tribunaux ne doivent pas s'immiscer. Il n'y a ici aucune analogie avec la concession d'un délai de grâce pour l'exécution (art. 406) : il ne s'agit pas d'exécuter une obligation déjà, née, mais d'en favoriser la naissance ou la résolution, ce qui ne peut être dans le pouvoir des tribunaux ; s'il a été permis aux tribunaux, par l'article 415, de fixer un délai quand les parties n'en avaient pas fixé, c'était par interprétation de la volonté tacite de celles-ci, et le délai, dans ce cas, n'est plus un terme de grâce, mais un terme de droit.
La loi croit encore devoir s'expliquer sur le cas où, avant l'arrivée du terme, il est devenu certain que l'événement positif prévu ne pourra plus arriver ; par exemple, les riz attendus ont péri, avant le mois, dans un incendie ou un naufrage : il est inutile de laisser s'écouler le mois pour reconnaître que la condition est défaillie.
Le raisonnement sera le même pour la condition négative, mais avec les modifications nécessaires de l'hypothèse. La vente du riz a eu lieu sous cette condition suspensive qu'elle serait parfaite seulement si l'acheteur ne recevait pas, dans le délai d'un mois, d'autres riz qui lui sont promis d'un autre côté ; ces riz sont arrivés dans le délai, la condition suspensive de la vente est défaillie et la vente est non avenue. Ou bien, la vente, née et actuelle, a été subordonnée à cette condition qu'elle serait résolue si le vendeur ne recevait pas, dans le délai d'un mois, d'autres riz qui devaient remplacer pour lui ceux qu'il vendait présentement ; ces riz sont arrivés dans le délai, la condition est défaillie et la vente est maintenue. Dans les deux cas, il est inutile d'attendre l'expiration du délai fixé pour reconnaître que la condition est défaillie.
La loi n'a pas à s'expliquer sur des résultats si simples. Mais elle croit devoir déclarer que la condition est tenue pour accomplie, même avant l'expiration du délai, dès qu'il est certain que l'événement ne pourra plus arriver ; par exemple encore, si les riz attendus ont péri. Elle déclare aussi que la condition négative est accomplie quand l'événement prévu n'est pas arrivé dans le délai fixé, parce qu'on aurait pu croire que le délai n'était pas “de rigueur” et pouvait être prorogé par le tribunal.
La loi ne défend ici aux tribunaux que la prorogation du délai fixé par les parties ; à l'égard du délai antérieurement fixé par le tribunal, dans le cas de l'article 415 la proprogation en est déjà défendue, et d'une façon plus générale, par l'article 407.
Art. 417. Cet article pose un principe qui ne peut faire de difficulté ; il y apporte une exception qui recevra une fréquente application ; car, s'il s'agit d'une obligation de faire un travail qui exige des connaissances ou un talent particuliers, la personne du promettant aura été le plus souvent prise eu considération et sa mort fera défaillir la condition, même avant le délai qui aurait pu être fixé. De même, s'il s'agit d'une obligation de ne pas faire, par exemple, si un acteur s'est soumis à condition de ne pas jouer sur un théâtre rival, la condition ne serait pas imposée à scs héritiers, desquels la même concurrence ne serait pas à craindre ; la condition négative se trouverait ainsi accomplie par la mort du promettant avant le délai fixé, par application de l'article précédent. En sens inverse, dans ce dernier exemple, la mort du stipulant ferait tenir la condition pour accomplie, si, par sa mort, l'entreprise théâtrale en faveur de laquelle il avait stipulé se trouvait dissoute.
Art. 418. Le présent article est surtout utile en ce qu'il vise le cas d'un accomplissement partiel de la condition qui, sans doute, ne pourra jamais être assimilé à l'accomplissement total, mais qui ne devra pas non plus être toujours considéré comme inutile et sans effet. Si l'accomplissement partiel de la condition permet au stipulant d'atteindre en partie le but qu'il se proposait, il est raisonnable et juste que les droits qui dépendaient de cette condition soient considérés comme formés respectivement.
Cette difficulté se trouvera éclaircie par ce qu'on dira bientôt, au sujet des obligations divisibles et indivisibles (§ IV).
Art. 419 et 420. Bien que la théorie des risques appartienne surtout à “l'extinction des obligations par la perte de la chose due” dont il sera traité au Chapitre III, elle présente, en matière de conditions, ainsi qu'on l'a déjà annoncé à l'article 335, des particularités qui sont mieux placées ici, au siége de la matière.
Lorsqu'une convention confère un droit, purement et simplement ou à terme, la chose due ou cédée est aux risques du stipulant ou du cessionnaire, ainsi qu'il est dît à l'article 336 et pour les raisons données à cette occasion ; si donc la chose périt en tout ou partie, ou se détériore plus ou moins gravement, sans la faute du débiteur ou du cédant, il sera libéré dans la même mesure, sans rien perdre des droits et avantages réciproques qui pouvaient lui être dus en vertu de la même convention.
Il en est tout autrement dans le cas de condition, au moins de condition suspensive. Tant que cette condition n'est pas accomplie, les droits qu'elle doit conférer ne sont pas nés, mais seulement espérés : c'est l'accomplissement de la condition qui les fera naître; le consentement donné à l'origine n'a pas besoin d'être renouvelé et n'a pu être rétracté ; la cause originaire subsiste et l'accomplissement de la condition jouera le rôle de cause complémentaire. Mais pour qu'ils naissent, il faut qu'ils puissent porter sur un objet et l'objet de la condition a pu périr. S'il a péri en entier, la convention, restée en suspens, ne peut naître faute d'objet : celui auquel la chose a été promise ou cédée ne la recevra pas, mais il n'aura pas non plus à fournir la contre-valeur qu'il avait pu promettre en compensation, en sorte qu'il est exact de dire que la perte é. t pour le promettant ou le cédant On doit décider de même au cas d'une donation sous condition suspensive, quoique le donateur n'ait pas à recevoir d'équivalent de la chose donnée ou promise ; en effet, quoiqu'il demeure privé de sa chose, il ne l'est pas par la donation, mais par la perte accidentelle : il n'a donc pas la satisfaction d'avoir donné ; les avantages moraux qu'il avait cherchés, la reconnaissance du donataire, le secours alimentaire même que la donation aurait pu lui faire acquérir, lui manquent également.
Cette solution, rigoureuse, mais découlant logiquement des principes, semble contraire à l'effet rétroactif de la condition ; car on doit supposer que la condition s'est accomplie après la perte, et, comme elle rétroagit au jour où la convention a eu lieu, comme, à cette époque, il y avait un objet dû ou cédé, il semble que la perte devrait retomber sur le créancier ou le cessionnaire.
La réponse est facile ; pour que la condition rétroa-gisse, il faut qu'elle puisse d'abord s'accomplir utilement; pour qu'elle fasse remonter les effets de la convention au jour où le consentement a été donné, il faut que ces effets même puissent se produire, il faut que la convention elle-même puisse naître ; or, elle ne peut naître, faute d'objet. On peut comparer la convention conditionnelle à un enfant simplement conçu, qui peut bien succéder avant de naître, mais pourvu qu'il naisse ensuite vivant et viable ; dans le eas contraire, le droit de succession qui était en expectative sur sa tête s'évanouit.
Le cas de perte partielle ou de simple détérioration présentait plus de difficulté et est résolu diversement par les Codes étrangers.
La solution du présent Code paraît aussi équitable que naturelle et simple : la perte est-elle de plus de moitié, elle est assimilée à la perte totale : elle retombe sur le promettant; est-elle de moitié, ou moins, il n'en est pas tenu compte : elle retombe donc sur le stipulant. C'est l'application d'un axiome assez connu : “la plus forte part entraîne la plus faible."
Remarquons, enfin, au sujet de la perte de plus de moitié, qu'il ne s'agit pas nécessairement de la moitié en quantité, c'est-à-dire en étendue, en poids, nombre ou mesure, mais de la moitié en valeur ; la question a beaucoup d'intérêt, lorsque la chose n'est pas identique dans toutes ses parties.
La loi prévoit aussi la perte ou la détérioration dans le cas de la condition résolutoire. La solution paraît inverse, parce que la condition agit en sens inverse sur la convention et que les rôles des parties semblent renversés ; mais, au fond, c'est le même principe. Soit une vente sous condition résolutoire et la chose vendue ayant péri en totalité, ou pour plus de moitié de sa valeur, avant l'accomplissement de la condition qui a eu lieu ensuite : on peut laisser à l'acheteur le nom de “stipulant,” parce qu il a stipulé la chose vendue ; ou peut encore mieux lui laisser le nom de cessionnaire, mais, en réalité, il devient promettant sous condition suspensive, puisque la résolution s'accomplissant fera renaître le droit du vendeur. Or, la loi, en mettant la chose à ses risques, lui applique évidemment le principe précédent : si ht chose vendue périt en entier ou pour plus de moitié de sa valeur, la condition ne s'accomplira pas utilement ; la chose n'existant plus, ou étant considérée comme telle, ne peut retourner au cédant; dès lors, celui-ci, ne recouvrant rien de ce qu'il a aliéné, ne rend rien non plus de ce qu'il a reçu ; la vente se trouve devenue irrévocable, malgré l'accomplissement de la condition prévue et la perte demeure à la charge du cessionnaire.
Le 3e alinéa de l'article 419 n'est écrit que pour l'harmonie des dispositions : il aurait pu être sous-entendu : si la perte ou détérioration n'est que de moitié de la valeur ou de moins, elle se compense avec les chances de plus-value ; elle est donc à la charge de celui dont le droit à la chose dépend de l'accomplissement de la condition : il la recevra diminuée, sans pouvoir exercer lui-même aucune diminution on retenue sur la contre-valeur qu'il doit fournir.
L'article 420 prévoit que la perte ou détérioration est imputable à l'une des parties : naturellement, à la partie qui avait la chose en sa possession tant que la condition était en suspens. Ici, sans distinguer si la perte est totale ou partielle, la loi la fait retomber nécessairement sur la partie qui est en faute. Si la perte est totale, l'autre partie est libérée de ce qu'elle pouvait devoir en contre-valeur et elle pourra même obtenir des dommages-intérêts ; si la perte est partielle, l'autre partie a un choix tout naturel entre le maintien de la convention et son abandon, avec dommages-intérêts dans les deux cas.
Si la partie lésée demande la résolution de la convention, le résultat définitif n'est pas le même, suivant que la condition était suspensive ou qu'elle était résolutoire : au premier cas, les parties sont dans la position où elles auraient été s'il n'y avait eu aucune convention entre elles; au second cas, c'est la condition résolutoire seule qui est annulée, elle est, pour ainsi dire, résolue ellemême, et la convention primitive devient pure et simple. Ainsi, une vente avait été faite sous condition résolutoire ; pendant que la condition était en suspens, l'acheteur a laissé la chose se détériorer plus ou moins gravement ; le vendeur ne désire pas la recouvrer, même avec dommages-intérêts, quand la condition viendra à s'accomplir : il fait résoudre la clause qui devait opérer la résolution et la vente devient pure et simple ou irrévocable, sans préjudice encore de quelque indemnité, parce que l'acheteur ne devait pas lui faire perdre l'avantage de recouvrer la chose.
Art. 421. La condition résolutoire tacite est un des effets particuliers aux contrats synallagmatiques ou bilatéraux et elle donne un grand intérêt à cette division des contrats, ainsi qu'on l'a déjà annoncé sous l'article 297.
C'est une très-grande faveur que cette résolution accordée par la loi à la partie qui se plaint de l'inexécution : si elle était réduite à son action ordinaire, elle pourrait souffrir de l'insolvabilité du débiteur, en subissant le concours avec les autres créanciers de celui-ci : elle devrait elle-même exécuter son obligation en entier et elle n'obtiendrait, à son tour, qu'une portion de ce qui lui est dû. Mais, au moyen de la résolution, elle peut recouvrer sa position première, comme si la convention n'avait pas eu lieu : si elle n'a pas encore exécuté elle-même ses obligations, elle en est déliée, en même temps qu'elle en délie son débiteur ; si elle a déjà exécuté, elle peut répéter ce qu'elle a donné, soit en nature, soit en équivalent. Par exemple, un vendeur d'immeuble, qui a déjà transféré la propriété par son seul consentement, a, en outre, livré l'immeuble, il a déjà mis l'acheteur en possession et lui a remis les titres ; l'acheteur ne paye pas le prix à l'échéance fixée ; le vendeur peut, par la résolution, recouvrer la propriété et se faire remettre en possession de la chose vendue ; ce droit a de l'analogie avec le privilège non moins précieux qu'il pourrait exercer, sans demander la résolution, en faisant saisir et revendre la chose vendue, pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers de l'acheteur ; mais, à cause de son avantage même, le droit de résolution est sommis à la même publicité que le privilège proprement dit, afin qu'il n'y ait pas de surprises à craindre pour les tiers qui contracteraient avec l'acheteur.
La position serait moins bonne pour un vendeur de meubles, de denrées ou marchandises, qui aurait livré les choses vendues : il ne pourrait, en général, recouvrer ces choses en nature, au préjudice des tiers acquéreurs ou même des autres créanciers ; la résolution ne lui donnerait toujours qu'un droit personnel ; seulement, au lieu de réclamer le prix de vente primitivement fixé, il pourrait réclamer la valeur actuelle des choses vendues, lesquelles peuvent avoir augmenté de valeur.
On pourvoira, du reste, d'une autre façon à la protection du vendeur, lorsque le moment sera venu de régler les privilèges sur les meubles.
La résolution n'appartiendrait pas moins à l'acheteur qu'au vendeur, si la chose ne lui était pas livrée en temps utile ou n'était pas dans l'état où elle lui a été promise. Mais s'il a déjà payé son prix, il n'aura pour le recouvrer, qu'une simple créance, sans aucun privilège, car le prix qu'il a payé se trouve confondu avec les autres valeurs du vendeur : il n'usera donc de la résolution que si le vendeur est solvable.
Il ne faut pas croire, du reste, que le vendeur ne puisse exercer son action résolutoire qu'après avoir lui-même rempli son obligation de livrer et l'acheteur après avoir rempli celle de payer le prix : ce serait, comme on vient de le voir exposer l'un ou l'autre à perdre, tout à la fois, la chose et le prix. D'un autre côté, il ne faudrait pas que l'une des parties pût trouver dans la résolution un moyen de se soustraire à ses obligations : le texte lève tous les doutes en exigeant que le demandeur en résolution, s'il n'a pas déjà exécuté, ‘‘offre an moins de le faire;” dans ce cas, la résolution ne tendra pas à lui faire recouvrer une valeur fournie mais à le libérer de la fournir. Pour qu'il n'y ait point de contestation sur le droit de la partie demanderesse, elle fera bien de faire des offres réelles, comme il est dit à l'article 474 ; mais elle n'aurait pas besoin de faire la consignation dont parle l'article 477.
Pour qu'il y ait lieu de demander la résolution, il n'est pas nécessaire que l'une des parties n'ait pas exécuté du tout ses obligations, il suffit qu'elle y ait manqué en quelque chose : si l'exécution n'a pas eu lieu en enfler la résolution pourra être demandée pour le tout, à charge, bien entendu, pour la partie qui fait résoudre, de restituer ce qu'elle a reçu : la résolution partielle ne répondrait pas au but du contractant ; ainsi, par exemple, un vendeur qui n'aurait reçu qu'une partie de son prix ne pourrait être forcé à une résolution partielle de l'aliénation, parce qu'elle ne lui laisserait pas des chances suffisamment favorable de faire une nouvelle aliénation de la portion recouvrée ; en outre, elle l'obligerait à se trouver co-propriétaire avec son acheteur. De même, un acheteur auquel il n'aurait été livré qu'une partie des choses vendues ne pourrait être contraint à garder cette portion qui peut lui être inutile. Il faut dire aussi que la résolution partielle ne peut être imposée au défendeur : il est en faute, assurément, mais il ne serait ni juste ni logique de lui imposer le contrat et de l'en priver, tout à la fois.
Le 2e alinéa de notre article nous dit que la résolution pour inexécution n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée en justice.” Il ne faudrait pas, pour expliquer cette nécessité du recours aux tribu naux, alléguer que souvent il y aura contestation sur le fait même de l'inexécution, que le débiteur pourrait soutenir que le terme n'était pas échu ou que lui-même attendait l'exécution de l'autre partie : si cette raison était fondée, elle conduirait à défendre la stipulation expresse d'une résolution de plein droit que l'article suivant, au contraire, va permettre. La véritable raison du recours aux tribunaux c'est que la loi a voulu qu'un délai de grâce pût être accordé au débiteur embarrassé et de bonne foi, comme le texte a soin de le proclamer.
Art. 422. 423 et 424, La condition résolutoire n'est attachée aux contrats synallagmatiques que par une interprétation faite par la loi de l'intention probable des parties ; celles-ci peuvent donc manifester une volonté contraire, car cette garantie d'exécution n'est pas d'ordre public ; mais elles doivent y renoncer expressément pour faire tomber la présomption légale. Cette renonciation peut, du reste, n'avoir lieu que d'un côté, et le fait par une partie de s'être privée de la résolution n'en prive pas l'autre par cela seul.
En sens inverse, les parties peuvent, au lieu de se contenter de la présomption légale, an lieu de s'en tenir à la condition résolutoire tacite, la stipuler expressément.
Entre la condition résolutoire tacite et la condition résolutoire expresse, il y a deux grandes différences qui ressortent clairement du rapprochement des articles 421 et 422 : 1° la résolution tacite doit être demandée en justice, tandis que la résolution expresse s'opère de plein droit ; 2° dans le premier cas, les tribunaux peuvent accorder un délai de grâce à la partie qui est en retard, ils ne le peuvent pas dans le second cas, et c'est peut-être là le but principal pour lequel la résolution expresse aura été stipulée. Mais alors, il semble qu'on rencontre ici une exception à la règle posée par l'article 306, d'après laquelle la renonciation anticipée an terme de grâce n'est pas admise, et l'exception est d'autant plus difficile à concevoir, au premier abord, que l'on a présenté le droit de demander un délai de grâce comme étant d'ordre public, tandis qu'au contraire, la résolution pour inexécution n'a pas ce caractère. Cependant, en réalité, et si l'on va au fond des choses, ou doit reconnaître qu'il n'y a pas ici une véritable exception à la prohibition de l'article 406: il ne s'agit plus ici de contraindre rigoureusement un débiteur à l'exécution de ses obligations, mais d'affranchir le créancier de remplir les siennes propres, ce qui, en même temps, libérera le débiteur. Bien plus, le principe protecteur de l'article 406 retrouvera une part d'application, car si le débiteur contre lequel la résolution a opéré de plein droit est tenu de faire quelque restitution de sommes on valeurs reçues en vertu du contrat, rien ne l'empêchera de demander et d'obtenir un délai pour l'exécution de cette obligation : la seule chose que le tribunal ne puis e pas c'est retarder la résolution, quand les parties ont voulu qu'elle s'opérât de plein droit.
La résolution expresse ne s'opère que lorsque la partie négligente a été constituée en demeure : il ne suffirait pas que le terme stipulé pour l'exécution fût accompli, à moins que la convention ne portât expressément que la seule échéance du terme vaudrait mise en demeure (voy. art. 336).
En regard des deux différences qui précèdent, on remarquera trois points de ressemblance entre la résolution tacite et la résolution expresse :
1° Ni l'une ni l'autre ne peut être invoquée par celle des parties qui est en faute : cela ne peut faire question pour la résolution tacite qui a besoin d'être demandée et obtenue en justice; car, personne ne peut se faire de sa propre faute un titre et un moyen n'action ; mais pour la résolution expresse qui opère de plein droit, on pourrait croire que le résultat, se produisant sans demande, profite aux deux parties ; la loi prend soin de repousser cette interprétation : pour que la résolution opérée de plein droit ait son effet, il faudra toujours que la partie lésée par l'inexécution préfère la résolution à l'action directe pour l'exécution ; son intention a été d'augmenter ses droits et non de les diminuer.
2° Si cette partie a, une première fois, exercé son option entre la résolution et l'action directe, elle ne peut plus revenir sur le choix qu'elle a fait (art. 423); or, l'option résulte (comme la loi prend soin de le dire), de la demande faite en justice, dans le cas de résolution tacite, et d'une déclaration quelconque, mais formelle, dans le cas de résolution expresse ou opérée de plein de droit. Il est cependant reçu qu'on peut, en général, se désister d'une action intentée ou renoncer à un avantage personnel ; mais cette faculté de désistement ou de renonciation no doit jamais devenir préjudiciable à l'autre partie ; or, c'est ce qui arriverait, si, après avoir manifesté la volonté de résoudre le contrat et lorsque le débiteur a commencé à prendre ses dispositions en conséquence, le créancier changeait d'avis et prétendait revenir à l'action directe pour l'exécution.
3° Bien que la résolution ait pour but de remettre les choses au point où elles étaient avant la convention, ce résultat ne sera pas toujours possible. Les choses restituées pourront avoir perdu de leur valeur par une cause imputable à celui qui les rend; la partie qui comptait sur l'exécution réelle avait pu prendre elle-même des engagements qu'elle ne pourra remplir ; il est donc juste qu'elle soit “indemnisée du préjudice qu'elle éprouve.” C'est ce que dit l'article 424, et il met sur la même ligne, à cet égard la résolution expresse et la résolution tacite. Mais, on remarquera que la loi n'accorde pas à la partie qui fait résoudre “la compensation des gains manqués;" aussi évite-t-elle l'expression ordinairement usitée de dommages-intérêts, laquelle comprend “la perte éprouvée et le gain manqué” (art. 385) Il serait, en effet, contraire à la raison et à l'équité que celui qui fait résoudre obtînt, en même temps, son affranchissement de la convention le les bénéfices qu'il en espérait ; ces bénéfices qu'il pourra trouver dans une nouvelle convention avec un tiers ne peuvent ainsi lui être acquis deux fois.
Art. 425. Cette disposition toute naturelle pour la cas de terme aurait pu faire doute pour la condition suspensive, à raison de ce que le droit n'est pas encore né et seulement espéré ; mais, en admettant qu'il n'y ait encore dans la condition qu'une espérance de droit," il ne doit pas être au pouvoir du débiteur d'en rendre la réalisation inutile, en détournant ses biens ou en les employant à payer d'autres créanciers dont les droits sont actuellement exigibles La loi n'a pas à énumérer ici toutes les mesures conservatoires que peuvent prendre les créanciers conditionnels ou à terme.
Le présent Code a déjà présenté en détail deux droits des créanciers qui ont un caractère conservatoire: 1° celui d'exercer les droits et actions qui appartiennent à leur débiteur et que celui-ci paraît disposé à négliger ; 2° celui de faire annuler les actes faits en fraude de leurs droits (art. 339, 340 et suivi; il sera parlé ailleurs du droit des créanciers de faire nommer un admi-. nis rateur des biens des absents et un tuteur aux aliénés ou aux mineurs, de faire apposer les scellés sur les biens de leurs débiteurs décédés ou faillis, de prendre inscription d'un privilège ou d'une hypothèque pour une créance conditionnelle, etc.
Le Code de procédure civile détermine celle des saisies qui ont un caractère conservatoire et la manière de sauvegarder les intérêts des créanciers conditionnels dans la distribution des biens du débiteur aux créanciers, suivant leur rang de préférence ou proportionnellement au montant de leurs créances.
Remarquons, en terminant, que la loi ne parle pas ici de la condition résolutoire. En effet, celui dont le droit est résoluble, ayant un droit né et actuel, le fait valoir dans toute sa plénitude et non pas seulement conserva-toirement ; c'est la partie adverse qui a un droit suspendu par une condition et c'est à elle qu'appartiennent les mesures conservatoires.
Art. 426. La vente, à raison de sa fréquence en tous pays et de son importance pratique, comporte des modifications, des variétés considérables dans ses effets; on pourrait, sans doute, les présenter ici comme étant applicables aux autres contrats, mais l'usage les limite plus ou moins à la vente, et c'est là qu'il convient d'en traiter, sauf à les appliquer aux autres contrats, quand leur nature le permettra et quand les parties l'auront ainsi stipulé.
On se bornera à indiquer ici les clauses les plus usitées dans la vente, qui lui donnent un caractère conditionnel et par suite aléatoire, comme il a été déjà annoncé sous l'article 301. Ces conditions sont tantôt suspensives et tantôt résolutoires, elles sont plus ou moins potestatives de la part de l'une ou de l'autre partie I Il y a des choses qu'il est d'usage de n'acheter qn'après les avoir goûtées ou essayées et agréées, telles que le vin, l'huile et, généralement, les denrées comestibles destinées à. la consommation personnelle de l'acheteur et non à être revendues ; la vente de ces denrées, si elle porte sur des quantités un peu considérables et si le vendeur en connaît la destination chez l'acheteur, est présumée faite sous la condition que l'acheteur les agréera.
La condition sera suspensive ou résolutoire, suivant la disposition plus ou moins expresse du contrat : par exemple, la vente a été faite, “si la chose convient,” c'est une condition suspensive, ou “à moins qu'elle ne convienne pas,” c'est une condition résolutoire.
Le caractère de la condition peut encore dépendre des circonstances du fait : par exemple, si les denrées n'ont pas été livrées ni le prix payé avant la dégustation, la vente sera considérée comme faite sous condition suspensive ; dans le cas contraire, la condition tacite sera résolutoire.
La question a un grand intérêt pour les risques, comme ou l'a vu précédemment.
Bien entendu, il ne serait pas permis à l'acheteur de refuser des denrées reconnues en parfait état et d'un goût normal : quoique la condition ait quelque chose de potestatif, elle ne doit pas favoriser le caprice ou la mauvaise foi de l'acheteur.
Il en est de même des choses qu'il est d'usage d'essayer, comme un cheval de selle ou une voiture de maître destinés à l'usage personnel de l'acheteur.
Pour les choses qu'il n'est pas d'usage de goûter ou d'essayer, il faudrait, pour que la condition existât, qu'elle eût été formellement stipulée.
II. La vente peut avoir été accompagnée d'une faculté de dédit, soit pour une seule dos parties, soit pour toutes deux. Cette faculté peut n'être établie que tacitement et résulter d'une “dation d'arrhes” (généralement en argent), qui joue, en quelque sorte, le rôle de gage et garantit que la partie s'oblige sérieusement et ne se départira pas du contrat par caprice. Les arrhes deviennent alors la peine ou l'indemnité du dédit, de la résolution potestative : la partie qui se dédit, ou perd la somme qu'elle a donnée à titre d'arrhes, ou rend celle quelle a reçue, en y ajoutant pareille somme. Quand les parties, en donnant ou recevant des arrhes, n'ont pas formellement réservé la faculté de dédit, c'est aux tribunaux à décider la question, suivant les circonstances : si les arrhes ont été données par l'acheteur, elles pourront n'être qu'un à compte sur le prix ; si elles ont été données par le vendeur, il est difficile de ne pas leur reconnaître le caractère de dédit.
III. On peut convenir que la vente sera résolue si le vendeur trouve, dans un certain délai, un prix plus élevé de la chose vendue ; on pourrait, en sens inverse, accorder la résolution à l'acheteur, pour le cas où il trouverait une chose semblable pour un prix moins élevé.
IV . La vente peut être faite avec faculté de rachat dans un certain délai ; cette clause, connue sous le nom de pacte de réméré” ou de retrait, est une condition résolutoire stipulée au profit du vendeur ; elle n'est pas purement potestative, car il faut que le vendeur qui use de la faculté de rachat restitue le prix qu'il a reçu et les frais du contrat, ce qu'il ne sera pas toujours en mesure de faire dans le délai convenu. Pour que la propriété ne soit pas trop longtemps incertaine, au préjudice des tiers qui pourraient l'acquérir, la loi ne permet pas de stipuler la faculté de rachat pour plus de cinq ans.
On a dit plus haut que ces conditions pourraient être attachées à d'autres contrats qu'à la vente : il est très-fréquent qu'on les attache au louage qui a d'ailleurs plus d'une ressemblance avec la vente ; rien n'empêcherait de les attacher aussi au contrat de société ; à plus forte raison, pourrait-on les attacher à l'échange.
La faculté de rachat seule paraît devoir être limitée à la vente ; ce n'est pas, bien entendu, à cause de son nom de rachat : il est clair que si l'on admettait la faculté de résoudre un échange par la restitution volontaire de la chose reçue, on changerait le nom de rachat en un autre ; on expliquera en son lieu pourquoi l'é-change ne comporte pas cette résolution protestative.
§ II. — DES OBLIGATIONS SIMPLES, ALTERNATIVES OU FACULTATIVES, QUANT A L'OBJET
Art. 427. Rigoureusement, il semble qu'on ne devrait appeler obligation "simple” que celle qui a un objet unique ou plusieurs objet réunis, et que ce serait aller aussi loin que le mot le permet que de considérer comme unité, les choses dites ‘‘de genre ou de quantité," les choses “collectives,” comme un troupeau, les livres composant une bibliothèque, les tableaux on objets d'art formant la collection d'un amateur, et, enfin, “les universalités,” comme les meubles ou les immeubles composant une succession: dans ces cas, bien qu'il y ait pluralité d'objets, considérés matériellement, il est certain que, considérés juridiquement, ils forment une unité.
Le 1er alinéa de notre article devait d'abord déclarer que telle est la première application de l'obligation simple.” On aurait pu y exprimer aussi l'idée que la nature de l'obligation simple est la même, s'il s'agit de choses “à faire” ou à “ne pas faire,” comme s'il s'agit de choses “à donner mais on comprend plus difficilement, en pratique, l'obligation de ne pas faire appliquée à des choses de genre ou à des universalités, et la loi ne petit et ne doit pas s'ingénier à trouver des formules qui comprennent toutes les hypothèses, même les plus extraordinaires.
Le 2e alinéa donne à l'obligation simple une plus grande extension que le mot ne le comporterait dans le sens ordinaire : dans les cas qui y sont prévus, la doctrine dit plutôt que l'obligation est “composée, conjointe ou conjonctive ; ' mais ces mots qui ne sont pas universellement admis jetteraient de l'obscurité dans la loi et, d'ailleurs, il est tout-à-fait inutile de donner un nom spécial à l'obligation qui a plusieurs objets distincts et conjoints, puisque les effets sont les mêmes que si l'objet était unique. On a donc assimilé à l'obligation simple proprement dite celle qui a plusieurs objets distincts à donner, à faire ou à ne pas faire, même lorsque les prestations ne donnent pas être simultanées, pourvu que l'unité d'obligation résulte au moins de l'unité de convention, et encore. la loi assimile-t-elle à une conventions unique le cas de plusieurs conventions dont l'une serait principale et les autres, accessoires, ou qui seraient liées l'une à l'autre, “connexes," dans l'intention des parties.
Comme exemple de plusieurs prestations successives dues en vertu d'un seul contrat, on peut citer celles du locataire, et, comme dues par divers contrats connexes, le cas de deux ventes portant, l'une sur une chose principale, l'autre sur des choses accessoires.
Le 3e alinéa tire la conséquence, le corollaire, de cette extension donnée au nom d'obligation “simple," et il en fournit, en même temps, la justification, en nous disant que la dette ne s'éteint que " par la prestation de toutes les choses dues," de même que dans l'obligation qui a un objet unique, il faudrait la prestation de toutes ses parties pour libérer le débiteur.
L'intérêt de cette disposition est surtout relatif à la résolution pour inexécution, laquelle pourra être demandée pour toute la convention et pour les conventions connexes, par cela seul que l'une des prestations manquera à être fournie.
La loi ne parle ici que de la “prestation" des choses, comme moyen de libération du débiteur ; elle n'entend pas exclure les autres modes d'extinction des obligations, comme, par exemple, la perte fortuite de la chose due ; mais ces modes d'extinction n'ont pas un caractère normal et ce n'est pas le cas d'y faire allusion ; du reste, il va de soi que le debiteur ne serait libéré que par la perte fortuite de toutes les choses dues, et que si quelques-unes subsistaient, il serait tenu de les délivrer, comme, dans le cas d'une chose unique qui aurait péri en partie, il devrait fournir ce qui en reste.
Art. 428. Ce qui caractérise l'obligation alternative, ce n'est pas la pluralité d'objets dus, ni leur diversité de nature, puisqu'on a vu que l'obligation peut êre simple, tout en ayant des objets nombreux et distincts : c'est la circonstance que la prestation d'une ou plusieurs des choses ducs libère le débiteur. La loi dit “une ou plusieurs,” parce qu'il est possible que les choses duos, au lieu de consister en deux unités, soient séparées par groupes de plusieurs ; par exemple, le débiteur a promis deux bœufs ou dix moutons, dix kokous de riz ou cinq tonneaux de saké.
La théorie do l'obligation alternative parait assez compliquée, au premier abord, à cause des nombreuses distinctions qu'elle nécessite ; mais il sera facile de reconnaître qu'elle ne présente rien d'arbitraire et qu'elle est régie par des principes généraux déjà connus ; à savoir : la liberté des conventions qui donne le choix à l une ou à l'autre partie, la préférence naturelle donnée au débiteur, quand la convention est muette sur ce point, la théorie des risques ou des pertes fortuites, la responsabilité des fautes, enfin, dans une certaine mesure, la théorie de la condition.
Les articles suivants règlent les conséquences de la perte de tout ou partie des choses dues, ce qui est le grand et presque le seul intérêt de cette matière. Mais, là, il faudra nécessairement distinguer à laquelle des deux parties appartenait le choix de la chose à fournir ; puis, si la perte est imputable à cette partie même ou à l'autre, ou si elle est fortuite; si elle atteint une des choses dues ou toutes deux ; enfin, dans ce dernier cas, si les pertes sont successives ou simultanées.
Pu moment que le débiteur ne doit qu'une chose ou une autre, un groupe de choses ou un autre groupe, il y a un choix à faire. Tl importe de savoir qui fera le choix. Si la convention s'en est expliquée (et ce sera le plus fréquent), on suivra la convention; si elle est muette, le choix appartiendra au débiteur, par application de la règle générale que, dans le doute, on doit décider en faveur du débiteur (voy. art. 360).
Du reste, pour que le choix appartienne au créancier, en vertu de la convention, il n'est pas nécessaire qu'il lui ait été réservé “expressément :” on ne voit pas pourquoi le droit du créancier à faire le choix ne s'induirait pas des circonstances, alors que lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue de l'obligation, quant aux objets qu'elle embrasse, les juges peuvent décider d'après les circonstances du fait.
La loi prend soin de dire, par surcroît de précautions, que le débiteur, lorsqu'il a le choix, ne pourrait donner une partie de chaque chose : il est évident qu'en pareil cas, il ne se conformerait pas à l'intention du créancier et que des prestations partielles seraient souvent sans utilité sérieuse pour lui. De même, le créancier, lorsqu'il a le choix, ne pourrait demander une partie de chaque chose ou de chaque groupe de choses, parce que ce serait contraire à l'intention et à l'intérêt du débiteur.
Art. 429. La loi suppose ici que la perte de l'une ou des deux choses dues est fortuite ou résulte d'une force majeure.
Si une seule chose périt, le debiteur n'est pas libéré de l'autre, même lorsque le choix lui appartenait : il ne serait pas recevable à faire porter son choix sur une chose qui n'existe plus, et pas même sur sa valeur, parce que tel n'est pas l'objet de la convention : il doit, donc purement et simplement l'autre chose (1er al.). Pour que le débiteur fût libéré, il faudrait que les deux choses eussent ainsi péri, par cas fortuit ou force majeure (2e al.), ce qui ne rendrait pas sa position moins mauvaise.
Il restait à régler un cas fort délicat, c'est celui de la perte partielle ou de la simple détérioration provenant d'un cas fortuit.
Quand le choix est au créancier, il n'y a pas à s'en occuper : il ne choisira vraisemblablement pas la chose détériorée ; en tout cas, il en a toujours le droit.
Mais si le choix est au débiteur, il serait porté à choisir la chose détériorée, et ce choix deviendrait abusif, surtout si la chose était devenue presque sans valeur ; il serait choquant que, tandis que la perte totale de l'une des choses retombe en entier sur lui, en le laissant débiteur de l'autre chose, la perte presque totale retombât sur le créancier. La loi applique ici le principe de l'obligation conditionnelle (l'obligation alternative a quelque chose de ce caractère, comme le déclare l'article 435) et elle met à la charge du débiteur la perte de plus de moitié de la valeur de l'une des choses, en sorte qu'il doit l'autre purement et simplement (3e al.).
La loi ne prévoit pas le cas où les deux choses subiraient ainsi une perte ou détérioration de plus de moitié : il est naturel, dans cette hypothèse, de laisser le choix à la partie qui l'avait, d'après la convention : le débiteur choisira, sans doute, la chose la plus dépréciée ; le créancier, au contraire, choisira celle qui l'est le moins ; mais ce droit n'est pas plus choquant que celui qu'aurait assurément l'un ou l'autre, si chacune des deux choses était dépréciée de moins de moitié.
La loi ne prévoit pas non plus le cas où l'une des choses ou toutes deux auraient augmenté de valeur; les choix restent encore libres ; si le choix est au débiteur, il donnera naturellement celle qui a le moins augmente; le choix du créancier s'exercera en sens inverse.
Enfin, la loi a négligé de prévoir un cas qui ne pouvait faire difficulté, à savoir, celui où l'une des deux choses promises ne peut être l'objet d'une obligation privée : il est clair qu'en pareil cas, l'obligation est simple dès l'origine et se réduit à l'autre objet.
Art. 430. Si la loi ne tranchait pas la question prévue par cet article, on pourrait soutenir, que le choix do l'une des parties peut être rétracté, tant qu'il n'a pas été accepté par l'autre ou tenu pour accepté par un jugement devenu inattaquable. Mais cette solution n'est pas admise par la loi : il y aurait trop à craindre la mauvaise foi ; si, en effet, avant que les offres réelles (voy. art. 474) du débiteur fussent acceptées, la chose offerte venait à augmenter de valeur ou la chose retenue à être détériorée ou à périr, le débiteur, par une option inverse, prendrait le profit de la plus-value ou rejetterait la perte sur le créancier ; la même fraude pourrait être pratiquée par le créancier qui aurait le choix, si, en sens inverse, après sa demande en justice et avant le jugement, la chose choisie par lui perdait de sa valeur ou si celle qu'il a négligée en acquérait.
L'option fondée sur la convention est un droit acquis qu'il ne dépend ni de l'autre partie, ni du tribunal d'entraver ; elle dépend de la pure volonté de la partie à laquelle elle appartient et, une fois cette volonté portée régulièrement à la connaissance de l'autre partie, elle fixe les droits respectifs et les risques de la chose, sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit agréée, puisqu'elle ne peut être contestée ; c'est pourquoi la loi, par la généralité de scs termes, permet de mettre sur la même ligne que la demande en justice une demande extrajudiciaire en bonne forme.
Art. 431. La loi passe maintenant au cas où la perte de l'une des choses ou de toutes deux est imputable à l'une des parties.
I. Voici d'abord l'hypothèse où le choix appartient an débiteur, et c'est lui-même qui est en faute.
La loi sous-distingue : 1° s'il reste une des choses dues ; 2° si toutes deux ont péri successivement ; 3° si elles ont péri simultanément
1. Au premier cas, l'obligation devient “simple,” elle n'a plus qu'un objet, celui qui reste : la loi refuse formellement au débiteur le droit de donner la valeur de celle qui a péri, parce que ce serait changer les termes de la convention, où l'on n'a pas eu en vue la valeur des choses dues, mais les choses elles-mêmes.
Par le même motif, le créancier ne pourrait exiger la valeur de la chose qui a péri ; en effet, le débiteur pourrait alléguer qu'en faisant périr ou en aliénant l'une des deux choses, il a indirectement exercé son choix sur l'autre, et, justement, c tte perte pourra n'être qu'une aliénation qui, étant tout-à-fait valable, l'a mis dans l'impossibilité légale de la fournir au créancier.
Lorsque l'obligation alternative est ainsi devenue simple, l'objet unique sur lequel elle porte désormais doit être aux risques du créancier, d'après les principes généraux, et s'il vient à périr par cas fortuit, le débiteur doit être libéré. Toutefois, il aura dû prévenir le créancier du choix qu'il avait ainsi fait indirectement, afin que celui-ci pût se faire délivrer la chose qui restait, ou mettre le débiteur en demeure de la livrer et ainsi transporter les risques sur celui ci.
2. Si le débiteur a aliéné on fait périr d'abord l'une des deux choses, il a exercé son choix : il doit l'autre, purement et simplement; ensuite, s'il la fair périt également ou l'aliène, il en doit la valeur.
3. Le troisième cas est plus délicat. Les deux choses ont péri simultanément et le débiteur est en faute, soit à l'égard de tontes deux, soit à l'égard d'une seule.
Il peut paraîtra singulier, au premier abord, que dans la perte simultanée de deux choses, le débiteur soit en faute pour l'une d'elles et non pour l'autre. On peut cependant supposer que, dans une inondation ou un incendie, le débiteur aurait pu sauver au moins une des deux choses et n'en a sauvé aucune, faute de prévoyance. Par exemple encore, ayant promis un cheval de trait ou un cheval de selle et ayant naturellement dû s'abstenir d'atteler le cheval de selle, il les a attelés tous deux et ils ont péri dans une rivière débordée : il a donné occasion à un cas fortuit que ne devait pas rencontrer le cheval de selle, il est en faute pour celui-là et non pour le cheval de trait.
laisser au débiteur le choix entre les deux valeurs eût été peut-être sans grand inconvénient, quoique celui-ci soit en faute, parce que, en général, les choses dues alternativement auront à peu près la même valeur. Mais la loi, voulant, à bon droit, que le débiteur soit puni de sa faute, transporte le choix au créancier : celui-ci obtiendra la valeur de l'une ou de l'autre chose ; ce n'est plus observer la convention, mais c'est le débiteur qui l'a méconnue le premier.
Art. 432. Cet article prévoit encore le cas où le choix appartenait au débiteur, mais il suppose la faute du créancier et elle a causé: 1° la perte de l'une des deux choses dues; 2° la perte de toutes deux ; 3° la perte d'une seule, mais l'autre ayant péri, en même temps, par cas fortuit.
Bien entendu, les choses dues sont supposées appartenir au débiteur.
L'idée qui domine ces trois cas et les régit, c'est que la faute du créancier ne doit pas nuire au débiteur.
Au premier cas, le débiteur peut invoquer sa libéra-icon ; c'est dire alors qu'il opte pour la chose qui a péri par la faute du créancier ; mais, comme il aurait pu avoir intérêt à donner celle qui reste et à garder celle qui a péri, il peut donner celle qui reste et réclamer la valeur de celle qu'il aurait pu conserver sans la faute du tréancier.
Au second cas, il est nécessairement libéré et il devient évidemment créancier d'une des deux valeurs ; comme il avait le choix de la chose à donner, la loi lui laisse le choix de la valeur à répéter. On prétendrait en vain que le créancier, étant devenu débiteur de la restitution, devrait avoir le choix, comme étant à son tour, tenu d'une dette alternative ; mais cette solution serait tout-à-fait erronée ; il ne peut dépendre du créancier de changer, par sa faute, la situation respective des parties quant au choix.
An troisième cas, le débiteur est nécessairement libéré comme au second, puisqu'il ne reste plus aucune chose due et qu'il n'est en faute à l'égard d'aucune ; mais il n'a pas la répétition d'une des deux valeurs, puisqu'il y a en un cas fortuit ; or, le propre de l'obligation alternative est de mettre les risques des deux choses à la charge du débiteur, tant que le choix n'est pas encore fait : si, en effet, la perte fortuite avait précédé ou suivi la perle imputable au créancier, le débiteur n'aurait pu s'en faire donner la valeur ; il ne peut donc avoir ce droit par la circonstance que les deux pertes sont simultanées.
Art. 433 et 434. II. La loi passe au cas où le choix appartient au créancier en vertu de la convention et elle y fait les mêmes distinctions et sous-distinctions que pour le cas précédent ; seulement, les solutions ne sont plus et ne peuvent plus être les mêmes.
1er Cas. — C'est le débiteur qui est en faute (art. 433).
1° Il n'est en faute qu'à l'égard de l'une des deux choses : le créancier garde son choix et peut l'exercer, soit sur la chose qui reste, soit sur la valeur de celle qui a péri.
2° Il est en faute à l'égard des deux choses : le créancier a le choix entre les deux valeurs, sans qu'il y ait à distinguer si les pertes sont successives ou simultanées.
3° Il n'est en faute qu'à l'égard d'une seule, l'autre a péri par cas fortuit, mais les deux pertes sont simultanées : comme la faute du débiteur ne peut enlever le choix au créancier, celui-ci l'exerce également entre les deux valeurs.
2e Cas. C'est le créancier qui est en faute (art. 434).
1° Une seule chose a péri : il est censé avoir exercé son choix sur cette chose et le débiteur est libéré de donner l'autre ; or, celle-ci n'étant plus due est considérée comme tout autre bien du débiteur : si elle périt par cas fortuit la perte est pour lui ; si elle périt parla faute du créancier, celui-ci en doit la valeur, comme toute autre personne la devrait en pareil cas.
2° Les deux choses sont péri simultanément : le débiteur est d'abord libéré et, de plus, il devient créancier de la restitution d'une des deux valeurs : la loi lui en transfère le choix pour punir le créancier, comme elle l'a fait contre le débiteur, dans l'article 431, quand il y a eu lieu de punir celui-ci.
3° Une seule chose a péri par la faute du créancier, l'autre a péri par cas fortuit, mais encore simultanément ; dans ce cas, tout est fini, sans répétition de part ni d'autre : le créancier a, évidemment, perdu son droit par sa faute, et le débiteur doit, nécessairement, souffrir de la perte fortuite d'une des deux choses ; car si, au lieu d'être concomitante à la perte imputable au créancier, elle l'avait précédée ou suivie, le résultat lui eût été également nuisible.
La loi ne dit rien ici de la perte partielle ou de la simple détérioration imputable à l'une des parties.
Les principes généraux de la responsabilité des fautes, combinés avec ceux de cette matière doivent faire décider : 1° que, si le choix, était au débiteur et la faute à lui imputable, il ne peut plus offrir la chose dé-ériorée ; 2° que, si le choix était au créancier et la faute imputable au débiteur, le créancier pourrait encore choisir la chose détériorée avec dommages-intérêts; 3° que si, dans le même cas, la faute était imputable au créancier, il pourrait choisir la chose non détériorée, en indemnisant le débiteur de la détérioration de celle qui lui est laissée.
Art. 435. En terminant, la loi tranche une grave question de principe : l'obligation alternative est déclarée “sous condition suspensive " et cette condition est potestative de la part de la partie qui a le choix ; la condition peut ici être indifféremment considérée comme positive ou comme négative : c'est comme si chacune des choses avait été promise sous cette condition : “si elle est, choisie ou si l'autre n'est pas choisie, par le débiteur ou par le créancier.”
Une des conséquences de ce caractère conditionnel de l'obligation alternative a déjà été présentée à l'article 429 : la perte fortuite, totale ou de plus de moitié, de l'une des choses dues, retombe sur le débiteur, conformément à l'article 419.
Une autre conséquence est indiquée ici : lorsque l'obligation arrivera à ne plus porter que sur un seul objet, soit par l'exercice du choix de la partie à laquelle il appartient, soit par la perte de l'autre objet, le créancier sera considéré comme ayant toujours eu droit à cet objet seul, et les actes de disposition qu'il en aurait faits dans l'intervalle seront validés, conformément à l'article 410 ; réciproquement, les droits conférés sur ce même objet par le débiteur se trouveront résolus, au moins s'il ne s'agit pas d'un meuble corporel, (auquel cas les droits des tiers-acquéreurs de bonne foi seraient inattaquables) et si le choix n'appartenait pas au débiteur, cas auquel les aliénations qu'il aurait faites constitueraient son choix, même s'il s'agissait d'un immeuble.
Art. 436. L'obligation facultative parait, au premier aspect, avoir beaucoup de ressemblance avec l'obligation alternative dans laquelle le choix serait laissé au débiteur ; mais la ressemblance est plus apparente que réelle : dans l'obligation alternative toutes les choses qui peuvent être données en payement sont dues ; elles ne le sont pas purement et simplement, il est vrai : elles ne le sont que l'une à défaut de l'autre et sous condi- * tion suspensive ; elles sont cependant l'une et l'autre les véritable objets de l'obligation. Dans l'obligation facultative, au contraire, une seule chose est vraiment due, l'autre est un moyen de payement laissé à la volonté du débiteur.
De cette différence qui paraît purement théorique, au premier abord, la loi tire des conséquences pratiques importantes, dont la première suit immédiatement la définition donnée au 1er alinéa, c'est le caractère conditionnel de la dette, lequel se trouve opposé à celui de la dette alternative : ici, la condition est résolutoire, c'est-à-dire qu'il y a déjà un objet actuellement dû ; mais il cesse de l'être et il sera censé n'avoir jamais été dû si le débiteur, usant de sa faculté, donne l'autre objet en payement (2e alin.). Par suite de ce caractère de condition résolutoire, la chose due principalement est aux risques du créancier, comme on le verra dans les alinéas suivants.
Le 3e alinéa prévoit la perte fortuite ou par force majeure de la chose due principalement, laquelle libère évidemment le débiteur; comme il n'y a, en réalité, que cette chose qui soit due, le débiteur ne peut être tenu de donner celle qui est due facultativement : il n'a pas à se libérer d'une dette déjà éteinte.
Le 4e alinéa prévoit encore la perte de la chose principale, mais par la faute du débiteur : ici, il ne peut être libéré ; mais il ne faut pas croire que la chose due facultativement devienne exigible par le créancier : celui-ci n'a droit qu'à la valeur de la chose due et aux dommages-intérêts, s'il y a lieu. On pourrait même croire, avec quelque apparence de raison, que le débiteur a perdu le droit de sc libérer en donnant la chose due facultativement ; car on n'est plus dans la situation prévue et réglée par la convention ; mais le débiteur peut soutenir que l'exercice de sa faculté de payement n'est pas plus nuisible au créancier après la perte de la chose principale que si elle existait encore : c'est la solution du Code.
La loi néglige, au sujet de la chose due facultativement, la perte fortuite et celle résultant de la faute du débiteur ; évidemment, dans aucun de ces deux cas, le débiteur n'est libéré : il a perdu, par hasard ou par sa faute, un moyen particulier de payement ; mais, la chose vraiment due subsistant encore, il doit la donner.
Au contraire, la loi (5e et 6e alinéas) suppose imputable au créancier la perte, soit de l'une, soit de l'autre chose due, soit de toutes deux.
Si c'est la chose due principalement qui a ainsi péri, le débiteur peut se prétendre libéré ; mais il peut aussi donner la chose due facultativement et se faire indemniser de celle due principalement.
Si, en sens inverse, c'est la chose due facultativement qui a péri, le débiteur peut donner celle due principalement et se faire indemniser de celle qu'il aurait préféré conserver.
Enfin, si toutes deux ont péri, toujours par la faute du créancier, le débiteur déclare laquelle il aurait donnée et se fait indemniser de la perte de l'autre.
Le principe unique qui régit ces trois dernières solutions est bien simple, c'est que le débiteur ne doit pas perdre, par la faute du créancier, l'un des modes de libération qui lui appartenaient d'après la convention.
Le cas prévu au 7° et dernier alinéa est délicat, comme tous ceux où la loi a déjà dû régler la perte simultanée des deux choses par des causes différentes ; il est même ici plus embarrassant, parce que la perte fortuite de la chose due principalement libérerait le débiteur, en lui donnant action pour obtenir la valeur de l'autre, perdue par la faute du créancier; tandis que la perte fortuite de la chose due facultativement, n'empêcherait pas le débiteur de devoir la première; il est vrai qu'il en serait libéré par la faute du créancier ; mais il perdrait toujours les deux choses au lieu d'une. Or, on ignore justement ce qu'il importerait le plus de savoir, c'est-à-dire, sur quelle chose porte le cas fortuit et sur laquelle porte la faute du créancier.
Par exemple, dans un incendie, le créancier possesseur des deux objets, aurait pu, avec un peu d'efforts, sauver l'une des deux choses, au moins, et il n'en a sauvé aucune, ayant préféré sauver des choses qui lui appartenaient. Le débiteur prétendra, sans doute, que la perte fortuite peut avoir porté sur la. chose duc principalement, ce qui l'a libéré, et qu'il reste créancier de la valeur de la chose due facultativement, perdue par la faute du créancier. Mais celui-ci soutiendra, avec non moins de vraisemblance, que la perte fortuite peut avoir porté sur la chose due facultativement, ce qui n'a pas libéré le débiteur et que sa faute, à l'égard de l'autre chose, n'a d'autre effet que de lui faire perdre sa créance.
En face de ces deux prétentions contradictoires, fondées chacune sur une simple conjecture, on ne peut sortir d'embarras que par l'application du principe général des preuves, d'après lequel c'est au demandeur à faire la preuve de ce qu'il avance, faute de quoi, il doit succomber.
Mais, ici encore, il faut bien observer le rôle de chacun dans le procès.
Sans doute, c'est le débiteur qui est demandeur en restitution d'une valeur (de celle de la chose due facultativement), et il semble que, ne pouvant prouver que c'est celle-là qui a péri par la faute du créancier, il doive succomber. Mais, il ne faut pas perdre de vue que, pour que le créancier ait été en faute à l'égard d'une des deux choses, sans qu'on sache de laquelle, il est nécessaire de supposer qu'il les détenait toutes deux, soit en vertu d'un prêt, d'un dépôt, d'un mandat, soit, ce qui serait plus grave encore, par l'effet d'un acte illicite ; or, le débiteur n'a qu'à prouver la cause, licite ou illicite, de la détention du créancier, et c'est à celui-ci qu'-ncombera la preuve du cas fortuit, en vertu de l'article 541 ; or ne prouvant pas que la chose due facultativement a péri par cas fortuit, il est présumé en faute à l'égard de cette chose et, dès lors, il en doit la valeur.
La loi ne dit rien du moment à partir duquel le débiteur qui a proposé d'user de sa faculté de payement ne pourra plus se rétracter: on appliquera, évidemment, par analogie de motifs, l'article 430 : il aura perdu le droit de se rétracter après des offres réelles valablement faites.
§ III. —DES OBLIGATIONS SIMPLES OU MULTIPLES, QUANT AUX CREANCIERS et aux DÉBITEURS.
Art. 437. Cette division des obligations en simples et multiples, quant au nombre des sujets actifs et passifs, est moins importante en elle-même que dans ses subdivisions en obligations conjointes, solidaires intégrales et indivisibles, lesquelles sont traitées plus loin ; aussi, pour ne pas anticiper sur celles-ci, la loi se borne-t-elle ici à une simple énonciation des caractères de l'une d'elles (obligation solidaire) et à des renvois pour les autres.
Le 1er alinéa du présent article indique suffisamment quand l'obligation est simple et quand elle est multiple.
L'obligation simple à son origine pourrait devenir multiple par la suite, si, avant l'exécution, le créancier ou le débiteur venait à mourir laissant plusieurs successeurs universels : si cette obligation n'a pas le caractère indivisible que l'on expliquera au § suivant, elle deviendra seulement conjointe, mais elle ne deviendra jamais solidaire entre les successeurs.
Art. 438. L'obligation conjointe étant divisible entre les créanciers et les débiteurs originaires, il y aurait à déterminer la part active et passive de chacun ; mais la loi ne pourrait pas le faire ici, sans anticiper sur la distinction qui va suivre : elle se borne donc à indiquer qu'il y a divisibilité.
Pour ce qui est de l'obligation solidaire, il a fallu la renvoyer au Livre des Garanties ; la loi se borne à en indiquer le caractère distinctif. Mais, par cela même que la théorie complète ne pourra être donnée que beaucoup plus tard et, à raison de ce qu'il y aura lieu de s'y référer souvent par anticipation, il est nécessaire de lu présenter ici sommairement.
L'obligation peut être solidaire entre les créanciers seulement, ou entre les débiteurs ; elle pourrait l'être tout à la fois, entre les uns et les autres, c'est-à-dire activement et passivement.
Cette sorte d'association entre les créanciers ou entre les débiteurs vient le plus souvent d'une convention expresse, elle peut venir aussi d'un testament ou de la loi. Elle a le caractère d'un mandat mutuel, surtout quand elle est conventionnelle : entre les créanciers, ce mandat autorise chacun à poursuivre le débiteur pour le tout, et le texte nous dit que celui qui poursuit ainsi l'exécution intégrale, alors qu'il n'a pour lui-même qu'un droit partiel, agit, en même temps, au nom et pour le compte des autres ; entre les débiteurs, le mandat a pour effet d'obliger chacun d'eux à payer pour les autres en même temps que pour lui. Dans les deux cas. le mandat est établi surtout en faveur du créancier unique ou des créanciers solidaires, car leurs chances de payement en sont augmentées -, mais c'est par l'effet d'autres principes, comme on le verra au sujet de la novation, de la remise de la dette et de la compensation. Le mandat entre les débiteurs leur profite cependant aussi quelquefois ; en effet, s'il y a solidarité entre créanciers, la vigilance d'un seul peut conserver le droir des autres; s'il y a solidarité entre débiteurs, la solvabilité d'un seul corrige l'insolvabilité des autres.
Cette association entre les créanciers ou entre les débiteurs a encore d'autres conséquences favorables aux créanciers : si un seul des créanciers solidaires poursuit le débiteur unique, il interrompt la prescription au profit des autres créanciers ; si le créancier unique poursuit l'un des débiteurs solidaires, la prescription est interrompue contre les autres. Généralement, chaque créancier solidaire peut faire des actes conservatoires du droit de ses co-créanciers en même temps que de son droit mais il ne peut le compromettre. Les débiteurs solidaires, de leur côté, ont mandat réciproque à l'effet de conserver ou de sauvegarder le droit du créancier, mais ils ne peuvent aggraver l'obligation commune.
La solidarité n'a pas seulement pour effet de modifier les rapports des créanciers avec les débiteurs, elle a encore celui de créer des rapports de droit entre les co-créanciers et entre les co-débiteurs eux-mêmes, rapports qui n'existent pas dans l'obligation simplement conjointe. Dans cette obligation, chaque créancier ne pouvant demander et recevoir que sa part et chaque débiteur n'étant, de même, tenu de payer que sa part, il ne peut être question d'aucun recours ultérieur des uns contre les autres : tout est terminé pour chacun par le payement qu'il fait. Il en est autrement dans le cas de solidarité : la poursuite et le payement, par suite du manque de confiance des créanciers contre les débiteurs, ont pu dépasser la mesure normale : il faut y revenir par un compte ou règlement particulier entre celui qui a reçu et ses co-créanciers ou entre celui qui a payé et ses co-débiteurs ; ce règlement, s'il est contesté, s'obtient par voie d'action en garantie, comme il est dit à l'article 398.
A l'égard de l'obligation simplement intégrale d'une application plus rare la loi se borne à un renvoi à l'article 73 du Livre des Garanties.
§ IV. DES OBLIGATIONS DIVISIBLES OU INDIVISIBLES,
QUANT A LEUR NATURE OU A LEUR EXÉCUTION.
Art. 439. On peut poser en principe que la divisibilité des obligations, activement et passivement, est la règle générale et que l'indivisibilité est l'exception. Mais la divisibilité suppose plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs ; en d'autres termes, elle suppose une obligation multiple quant aux personnes. Si donc il n'y a qu'un seul créancier et un seul débiteur, l'exécution doit être intégrale, c'est-à-dire qu'elle doit comprendre simultanément toute la chose ou toutes les chose dues, lors même qu'elles seraient divisibles, comme l'argent, les denrées, etc.
Il semble inutile, au premier abord, de proclamer cette indivisibilité : on pourrait dire que l'indivisibilité est déjà suffisamment assurée par la nécessité de payer à l'échéance, et que si le débiteur prétendait diviser le payement, il se trouverait en retard pour la portion ajournée. Mais la règle devient utile, si le débiteur prétendait payer une ou plusieurs portions avant l'échéance et le reste à l'échéance même ; de même, si le créancier en faveur duquel le terme aurait été établi voulait, en y renonçant partiellement, ne faire payer une portion par anticipation et le reste à l'échéance. Il est clair que chacune de ces prétentions pourrait être abusive et créer des embarras pour l'autre partie, en dehors de la convention.
La loi rappelle une exception déjà établie par l'article 406 : les tribunaux peuvent autoriser le débiteur à fractionner le payement, non par des payements anticipés par des payements tardifs, ce qui est, en même temps, une dérogation à la nécessité d'observer l'échéance : cette double faveur accordée au débiteur se fonde sur l'embarras où il peut se trouver pour l'exécution totale à l'échéance : elle ne se justifierait plus autant, si le débiteur prétendait payer par parties, avant l'échéance, pour éviter le risque de perdre des sommes qu'il a à sa disposition. De même, il n'y aurait pas de raison suffisante d'autoriser le créancier à renoncer partiellement au bénéfice du terme stipulé dans son intérêt, pour se faire payer des sommes partielles dont il aurait besoin, ce qui mettrait le débiteur dans des embarras successifs qu'il n'a pu prévoir.
Au surplus, la règle de l'indivisibilité de l'obligation simple ne doit pas être appliquée avec trop de rigueur : il est clair que s'il s'agit de denrées ou marchandises, de matériaux d'une quantité, d'un poids ou d'un volume considérable, la livraison n'en pourra pas toujours être faite intégralement, en un seul moment, pas même en un seul jour ; il faudra bien admettre, forcément, ou que le débiteur commencera la livraison quelque temps avant l'échéance on qu'il la complétera quelque temps après : “les conventions doivent être exécutées de bonne foi” (art. 330).
Art. 440. La divisibilité active et passive apparaît, au contraire, dans l'obligation conjointe.
La loi a dû indiquer le moyen de connaître la part de chaque débiteur. Les parts ne sont pas nécessairement égales : si, par exemple, deux co-p;opriétaires, dont les droits étaient inégaux, vendent la chose qui leur est commune, la part de chacun dans le prix de vente sera la même que dans la chose vendue ; de même, si deux personnes empruntent une somme d'argent pour une affaire commune, chacune sera débitrice d'une part semblable à celle pour laquelle elle est intéressée. Cette part, dite réelle ou véritable, sert de mesure à l'action de chaque créancier et à l'obligation de chaque débiteur, mais à la condition que les rapports de droit antérieurs qui la déterminent soient connus des parties adverses, respectivement : si la convention s'en explique, rien n'est mieux ; mais cette connaissance peut aussi provenir aux parties des circonstances du fait; par exemple, dans les deux hypothèses ci-dessus, la communauté d'intérêts des vendeurs ou des emprunteurs était déjà connue de l'acheteur ou du prêteur, par suite de conventions ou de rapports antérieurs.
Si la part réelle de chaque créancier ou de chaque débiteur n'est pas connue de l'autre partie, la part de chacun dans l'action et dans l'obligation sera virile ou calculée par têtes : de moitié, du tiers, du quart, suivant que les créanciers ou les débiteurs sont deux, trois, quatre, etc. Cette division donnera quelquefois à l'un plus et à l'autre moins que sa part réelle ; de là, la nécessité de recours respectifs en garantie, au moyen desquels, comme dit le texte, chacun est ramené à recueillir sa part réelle du profit ou à supporter sa part de la charge (voy. art. 398).
Art. 441, 442 et 443. Dans l'obligation indivisible : chaque créancier a droit à la totalité de la créance et chaque débiteur doit la totalité de l'obligation; si le lien est, à certains égards, moins fort que celui de la solidarité, il a plus d'étendue quant à son objet. Mais ce que cette matière gagne en simplicité de ce côté, elle le perd d'un autre; car la difficulté des obligations indivisibles est généralement reconnue.
Il y a deux points de vue différents auxquels on peut se placer pour le classement des cas d'indivisibilité : celui de leurs causes et celui de leurs effets ; chaque point de vue donne deux classes.
I. Si l'on considère les causes de l'indivisibilité des obligations on n'en trouve que deux : la nature de la chose due qui ne comporte pas de fractions, et la courention on intention des parties qui ont entendu exclure la division de la dette, quoiqu'elle fût possible naturellement.
On pourrait admettre aussi des cas d'indivisibilité légale, c'est-à-dire fondée sur la disposition seule de la loi, à savoir ceux du gage et de l'hypothèque, et on pourrait y ajouter, par une analogie évidente, celui du privilège sur les meubles et les immeubles ; mais il est plus vrai de dire que la loi ne déclare ces sûretés indivisibles que par interprétation de la volonté probable des parties ; aussi, ces dernières pourraient-elles déroger à la loi, tandis qu'elles ne pourraient pas déroger à la nature des choses. Seulement, il est toujours possible de prévoir, pour donner application à l'article 19 qu'il pourra y avoir des cas d'indivisibilité établis par des lois spéciales.
II. Si l'on considère les e f f e t s de l'indivisibilité, on en trouve deux également: l'un général ou absolu, affectant l'obligation activement et passivement, c'est-à-dire a l'égard des créanciers et des débiteurs ; l'autre limité et relatif, n'affectant l'obligation que passivement, c'est-à-dire à l'égard des débiteurs seulement. Il n'y a pas d'indivisibilité active seulement, parce que, sans l'indivisibilité passive, elle ne procurerait pas aux créanciers plus d'utilité qu'un mandat ordinaire.
L'indivisibilité naturelle quant à sa cause est nécessairement générale et absolue quant à ses effets : on no comprendrait pas plus la division active que la division passive, du moment que l'obstacle à la division vient de la nature de la chose due. Au contraire, l'indivisibilité dont la cause est la convention ou l'intention des parties peut être plus ou moins étendue, suivant leur volonté et d'après leur but et leur intérêt : elle peut donc être, soit générale et absolue, soit relative, ou limitée aux débiteurs.
Le Code, s'attachant moins aux causes de l'indivisibilité qu'à leurs effets, consacre un premier article à l'indivisibilité générale et absolue ou active et passive (art. 441) et ses deux causes sont seulement indiquées en deux alinéas. Puis vient l'indivisibilité relative, c'est-à-dire limitée, dans ses effets, aux débiteurs, on passive seulement ; ses causes sont les mêmes : la nature de la chose due et la convention ou le testament (le titre constitutif de l'obligation) ; la loi prévoit d'abord pour l'application de chaque cause que l'indivisibilité ne pèse que sur un seul des débiteurs à l'exclusion des autres, (art. 442, 1er et 2e al). Vient enfin (art. 443) le cas où l'indivisibilité, toujours passive seulement, a été formellement stipulée à la charge de tous les débiteurs indistinctement ; c'est là cette véritable sûreté, ou garantie de la créance dont on a déjà parlé, sûreté analogue à la solidarité, moins dure à quelques égards pour les débiteurs, mais à d'autres égards, plus dure: ce qui explique qu'elle soit souvent stipulée conjointement avec elle. Comme sûreté, elle est renvoyée au Livre des Garanties.
Il faut maintenant éclaircir par quelques exemples et développements les articles 441 et 442.
Les choses peuvent se diviser de deux manières : matériellement et intellectuellement ou juridiquement, comme dit l'article 441. La division matérielle ne peut s'appliquer qu'aux choses corporelles ; la division intellectuelle ou juridique s'applique tant aux choses corporelles qu'aux choses incorporelles.
Parmi les choses corporelles, il y en a qui se divisent matériellement d'une façon presque illimitée, sans changer de nature et sans perdre leur utilité, comme l'argent et les denrées qui se pèsent, se comptent ou se mesurent ; d'autres se trouvent plus ou moins détériorées par la division matérielle, comme les vêtements, les meubles des habitations, les objets d'art, les instruments des métiers ; on recherche alors si l'intention des parties n'a pas été d'en exclure cette sorte de division ; enfin, il y a des choses corporelles qu'on doit déclarer tout à fait indivisibles matériellement, parce quelles changeraient de nature et même seraient, pour ainsi dire, détruites par la division, tels sont les animaux vivants. Mais tous ces objets sont susceptibles de division intellectuelle ou juridique, en ce sens que le droit de propriété dont elles sont susceptibles peut être fractionné entre plusieurs personnes qui auront des droits de même nature, égaux ou inégaux. Si les copropriétaires d'un objet de cette nature s'en étaient constitués débiteur, chacun d'eux pourrait, en principe, se libérer en abandonnant, en cédant sa part au créancier. On comprend que cette division, toute juridique, ne change pas la nature de la chose et qu'elle s'appliquerait notamment à un animal vivant.
Les choses incorporelles ne sont évidemment susceptibles que d'une division juridique : ce sont des droits qui peuvent être transférés par partie à diverses personnes ou par un ou plusieurs de ceux auxquels ils appartiennent. Ainsi, si un usufruit est dû à plusieurs stipulants, le débiteur pourrait se libérer en cédant à chacun des créanciers la part d'usufruit qui lui est due, et si, par une cause quelconque, il ne pouvait remplir son obligation envers tous, ceux qui auraient reçu leur part ne pourraient se plaindre. Réciproquement, s'il y a plusieurs promettants d'un usufruit, chacun peut constituer l'usufruit pour la part qu'il doit, et, si un ou plusieurs d'entre eux manquent à exécuter l'obligation, le créancier ne pourra pas s'en prendre à ceux qui ont exécuté pour leur part.
Il en serait de même s'il s'agissait d'une créance dont la cession aurait été promise à plusieurs ou par plusieurs : l'exécution de la cession par portions indivises se comprendrait très-bien et ne serait pas dénuée d'utilité.
Ce qui vient d'être dit d'un usufruit qui peut être constitué pour partie, activement et passivement, pourrait, à la rigueur, se comprendre d'un droit de louage et même d'une hypothèque à constituer. Pour le louage, sans doute, une part indivise dans la jouissance d'un bien ne sera pas toujours conforme à l'intention des parties, mais il ne s'agit pas encore de l'indivisibilité intentionnelle; le louage est au moins divisible juridiquement.
Il semble qu'il y ait plus de doute pour l'hypothèque, puisque la loi la déclare indivisible: d'après l'intention probable des parties ; mais c'est seulement, une fois constituée, que l'hypothèque a ce caractère : alors, chaque partie de l'immeuble, soit matérielle, soit juridique, est affectée au payement de la dette entière, et chaque partie de la créance est garantie par l'immeuble tout entier (cela sera développé en son lieu) ; mais lorsqu'il s'agit d'une hypothèque promise, d'une hypothèque à constituer, soit par plusieurs, soit en faveur de plusieurs, on comprend très-bien qu'un seul des promettants remplisse sa promesse quand les autres y manquent, ou que le promettant unique exécute son obligation envers un seul de ses créanciers et y manque envers les autres ; on conçoit également que l'hypothèque constituée par un seul des co-propriétaires ne grève que sa part indivise de l'immeuble, quand les autres parts en sont exemptes, ce qui prouve bien que cette prétendue indivisibilité de l'hypothèque n'est pas “de sa nature.”
Mais il y a des droits réels et des droits personnels indivisibles, même juridiquement, d'après leur nature; tels sont : pour les premiers, droits de servitude dont la nature indivisible est proclamée par l'article 268 et déjà expliquée; pour les seconds, la plupart des obligations de ne pas faire et un grand nombre d'obligations de faire (voy. art. 19). Ainsi, quand plusieurs cointéressés ont promis de ne pas faire un procès, comme demandeurs ou défendeurs, au sujet d'une réclamation prévue, l'obligation est entière à la charge de chacun,et la moindre entreprise ou la moindre résistance litigieuse, par un seul d'entre eux, serait une violation entière de l'engagement ; de même, si, au cas de plusieurs créanciers, l'un d'eux avait été engagé dans le procès, le promettant aurait autant manqué à son engagement que s'il avait contesté judiciairement avec tous les créanciers; la conséquence serait, notamment, qu'il devrait des dommages-intérêts à tous et s'il y avait une clause pénale, elle serait encourue en entier.
Les obligations de faire sont moins généralement indivisibles : ainsi, l'obligation de construire un mur ou un chemin, de défricher un terrain, de fabriquer, en assez grand nombre, des objets de même nature ou même de nature diverse, se conçoit exécutée par partie, avec utilité ; on peut même dire que, là, il y a divisibilité matérielle, et si l'un des débiteurs avait exécuté pour sa part, ou si l'un des créanciers avait obtenu la sienne, il pourrait y avoir libération partielle ; pour décider autrement, il faudrait se placer dans l'hypothèse d'une indivisibilité conventionnelle ou intentionnelle.
Mais certaines obligations de faire sont indivisibles par leur nature ; si le débiteur n'a pas fait tout ce qu'il devait, il n'a rien fait d'utile : par exemple, il devait faire une négociation, un arbitrage, contracter et signer pour quelqu'un, faire un acte d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation ; s'il n'a pas exécuté son mandat en entier, c'est connue s'il n'avait pas même tenté de l'exécuter.
A raison donc de cette indivisibilité du mandat, si l'on suppose plusieurs mandants ou plusieurs mandataires, chaque mandant pourrait demander l'exécution entière du mandat et chaque mandataire pourrait être actionné pour l'accomplir en entier.
On peut encore citer, comme obligation de faire, indivisible par sa nature : celle de produire une pièce écrite, de rendre des comptes de gestion, de garantir un acheteur ou un preneur des troubles ou évictions dont il est menacé, en intervenant en justice avec lui ou en sa place : la garantie ne devient divisible que si elle se résout en dommages-intérêts pour inexécution (v. art. 395, 2e al).
Tels sont les principaux cas d'indivisibilité dite na-turelle, prévus au 1er alinéa de l'article 441.
L'indivisibilité intentionnelle (2e al.) résulte de la volonté des parties, laquelle peut être ou exprimée dans la convention, ou manifestée tacitement. La loi, pour ne pas gêner l'interprétation des tribunaux, leur permet de prendre en considération les diverses circonstances du fait, mais c'est généralement le but que se sont proposé les parties en contractant qui révélera cette intention.
Ainsi, plusieurs personnes ont stipule un terrain, pour construire une maison d'habitation ou une hôtellerie ou une manufacture ; ou bien il y a eu plusieurs promettants de ce terrain ; assurément, en pareil cas, la nature de la chose due permet une exécution partielle, mais le but que se proposaient les stipulants, but connu des promettants, ne pouvant être atteint que par la cession entière du terrain, chaque créancier a le droit de demander tout le terrain et chaque débiteur peut être actionné pour le fournir en entier.
Quelques-unes des obligations présentées plus haut comme divisibles par leur nature seront souvent rendues indivisibles par l'intention des contractants : ainsi l'obligation de fournir un objet d'art, un instrument de science ou d'industrie, un animal vivant, laquelle pourrait s'exécuter par parties, au moyen de la cession d'une part juridique de propriété, sera presque toujours indivisible par l'intention des contractants.
Généralement, c'est l'intention des stipulants qui devra. être prise en considération pour apprécier si l'obligation a un caractère indivisible, parce que ce sont surtout ces parties qui ont un but déterminé à atteindre, un avantage spécial à réaliser; mais on devra tenir compte aussi de l'intention des promettants qui, en répondant à la stipulation dont le but leur était connu, ont dû considérer qu'ils étaient tenus pour le tout et doivent avoir pris leurs dispositions en conséquence. L'article 449, ci-après, autorise les co-débiteurs à se prévaloir, de leur côté, du caractère indivisible de l'obligation.
On peut encore citer comme cas d'indivisibilité intentionnelle, et pouvant être autant invoquée par les débiteurs que par les créanciers, les actions qui tendent à la résolution, à la rescision ou à la révocation de conventions.
A la rigueur, et à ne considérer que la nature même de l'action, on comprendrait qu'un contrat fut annulé pour une part et maintenu pour l'autre : par exemple, un vendeur qui n'aurait pas touché la moitié de son prix de vente, pourrait ne rentrer dans la propriété que pour une moitié indivise de sa chose ; mais ce résultat, contraire, le plus souvent, à son intérêt, le serait aussi à son intention originaire ; de même, l'acheteur, quoiqu'il soit en faute, ne doit pas être tenu de garder la moitié de la chose, en co-propriété avec le vendeur. On est bien près de trouver ici une indivisibilité légale; cependant, quand il n'y a pas de disposition formelle de la loi à cet égard, il vaut mieux attribuer cette indivisibilité à l'intention présumée des parties (d). On devra aussi la limiter aux cas où la chose n'est pas susceptible d'une division naturelle qui laisse à toutes les parties une utilité proportionnelle à l'utilité du tout, comme une maison ou un terrain, dont les parties peuvent n'avoir qu'une utilité très-limitée ; mais si l'on suppose une vente de denrées ou de marchandises très-divisibles par leur nature et dont le prix a été fixé proportionnellement au poids, au nombre on à la mesure, et que l'acheteur ait manqué à payer la moitié ou les trois quarts du prix, le vendeur pourrait se contenter de faire résoudre la vente pour moitié ou pour trois quarts, et l'acheteur ne devrait pas être reçu à s'opposer à cette résolution partielle.
On voit donc que l'intention des parties peut se révéler autrement que par le but qu'elles se proposaient, mais encore par la nature même de la chose objet de la convention et par l'utilité qui subsisterait après sa division matérielle.
On a quelquefois prétendu que si, dans un contrat synallagmatique, l'obligation contractée par l'une des parties est indivisible, soit par sa nature, soit par l'intention des parties, l'obligation de l'autre doit être, par cela seul, considérée comme indivisible, au moins par l'intention. Mais c'est là une exagération : par exemple, deux personnes se sont fait promettre par deux autres, une servitude, chose indivisible par sa nature, ou un terrain pour une construction déterminée, un cheval, un tableau, choses indivisibles par l'intention des parties ; le prix qu'elles doivent est divisible par sa nature, et on ne voit pas de raison suffisante pour présumer que les parties ont entendu que le payement du prix serait indivisible ; pour que cela fût, il faudrait que le prix à payer eût lui-même une destination indivisible de la part de ceux auquel il est dû et que cette destination fût connue de ceux qui le doivent ; par exemple, il aurait été destiné à acheter une maison ou un navire.
L'article 441 nous a fait connaître les deux cas d'indivisibilité absolue, c'est-à-dire active et passive, tout à la fois. Dans l'article 442; il est traité de l'indivisibilité passive seulement ou relative aux débiteurs seuls. Le texte lui donne que deux applications.
1er Cas. — Il s'agit, non de la translation de propriété, mais de la délivrance, de la tradition d'un corps certain ; peut-être la translation de propriété a-t-elle déjà eu lieu, par le seul consentement, comme dans la vente on la donation ; peut-être s'agit-il d'un usufruit ou d'un droit de louage déjà conférés de même ; peut-être, enfin, ne s'agit-il que de la restitution d'un dépôt, d'un prêt à usage, d'un objet dont la location est expirée ; dans tous les cas, s'il y a plusieurs débiteurs de cette délivrance, elle sera requise en entier de celui qui détient physiquement la chose ; en effet, la poursuite contre les autres débiteurs ne pourrait conduire qu'à des dommages-intérêts pour inexécution et ce ne serait pas, pour le créancier, une satisfaction entière. Cette indivisibilité a pour cause la nature même de la délivrance, qui, à la différence de la cession du droit de propriété sur cette chose, est un pur fait matériel qu'on ne pourrait opérer par parties qu'en morcellant la chose, ce qui lui ôterait, le plus souvent, toute utilité ; mais elle n'a pas pour cause la nature même du corps certain à délivrer; autrement, elle devrait être considérée comme active et passive, tout à la fois ; or, le texte suppose formellement la chose “divisible par sa nature” et il n'attribue l'indivisibilité qu'à l'intention des parties. Ici, c'est spécialnment de l'intention des débiteurs qu'il s'agit ; car, par un partage ou autrement, ils ont consenti à mettre ou à laisser la chose due aux mains de l'un d'eux et ils ont entendu, par là, le charger seul de l'exécution ; le créancier y trouve, à son tour, l'avantage de ne pas être tenu d'intenter plusieurs actions qui ne pourraient lui faire obtenir que des dommages-intérêts contre ceux qui ne sont pas détenteurs de la chose due.
Mais il n'y a pas indivisibilité active ; si donc il y a plusieurs créanciers, chacun d'eux ne doit agir que pour sa part dans la créance: les autres n'ont vraisemblablement pas entendu s'exposer au risque de son insolvabilité. D'un autre côté, comme un corps certain, à la diffé rence d'une chose de quantité, ne peut être délivré par parties, sans détériorations, le débiteur poursuivi par un des créanciers es tadmis, pour dégager sa responsabilité, à requérir la mise en cause de tous les autres, afin de se libérer simultanément entre leurs mains.
2e Cas.— Ici, l'intention des contractants est expresse : le titre constitutif de l'obligation contractée par plusieurs a mis le payement à la charge d'un des débiteurs spécialement. Bien entendu, dans ce cas, le créancier pourrait négliger le droit qui lui a été conféré et intenter une action divisée contre chaque débiteur.
Cette indivisibilité est, comme la précédente, passive seulement; si donc, il y a plusieurs créanciers, chacun d'eux ne pourra agir que pour sa part contre le débiteur spécialement désigné pour le payement ; et, comme la division, tant matérielle que juridique, ne présentera pas ici les mêmes difficultés que dans l'obligation de délivrante, la loi ne donne pas au débiteur assigné la faculté de faire mettre en cause les divers créanciers : il exécutera envers chacun, au fur et à mesure qu'il se présentera.
L'article 443 prévoit un dernier cas d'indivisibilité active autant que passive qui n'a d'autre cause que l'intention des parties, avec cette différence qu'il faudra une stipulation formelle pour l'établir (v. art. 86, 2e al.) du Livre des Garanties. Ce n'est pas, toutefois, à raison de cette particularité que la loi lui consacre un article spécial, c'est parce que l'indivisibilité ainsi stipulée devient une sûreté personnelle dont les développements sont renvoyés au Livre des Garanties, où elle prendra place à côté de la solidarité entre les débiteurs.
Art. 444. La loi arrive à des effets secondaires de l'indivisibilité; mais ils sont encore fort importants. Quand elle ne distinguera pas entre l'indivisibilité active et passive ou seulement passive, ces effets pourront être considérés comme communs aux deux cas.
Lorsque la loi reconnaît à chaque créancier un droit intégral de poursuite, ce n'est que dans ses rapports avec les débiteurs ; mais il va sans dire que la cause qui a fait naître la créance au profit de plusieurs fait supposer entre eux des rapports particuliers qui donneront lieu à un compte à régler ; ce sont ou des copropriétaires, ou des associés ; leurs droits sur le profit de la créance se régleront donc d'après leurs rapports respectifs antérieurs, ou nés au moment môme de la convention, par un mandat mutuel. Il en est de même pour les co-débiteurs qui ne se trouvent engagés simultanément dans la même obligation que par suite de rap ports antérieurs ou, tout au moins, distincts de ceux de l'obligation indivisible, s'ils y sont concomitants.
S'il n'y a pas lieu à une action fondée sur des rapports de droit antérieurs, les recours des créanciers ou des débiteurs les uns contre les autres, pour partager, également on inégalement, le profit ou la charge de l'obligation, se font valoir par une action en garantie (voy. art. 390) : dans cette action, le créancier qui a seul reçu le montant de l'obligation sera défendeur vis-à-vis des autres, et, s'il s'agit d'un débiteur qui a payé toute la dette, celui-ci sera demandeur contre les autres.
Art. 445. Bien que, dans l'obligation indivisible, le droit existe entier en la personne de chaque créancier, il ne s'en suit pas que chacun puisse disposer du droit comme il était seul intéressé : la loi ne pouvait le permettre, même à charge du recours en garantie prévu à l'article précédent, et cela, par deux raisons : d'abord, ce recours pourrait être rendu inefficace par l'effet de l'insolvabilité de celui qui y est soumis; ensuite, lors même qu'il serait utile, il ne conduirait qu'à des dommages-intérêts en argent divisés et ne constituant qu'un équivalent imparfait du droit perdu.
Mais il y a un mode d'extinction de l'obligation par un des créanciers que la loi ne pouvait exclure, c'est celui auquel peuvent tendre légitimement les efforts do chacun, à savoir l'exécution réelle de l'obligation suivant sa teneur, ou le payement. La loi le réserve expressément. D'ailleurs, dans le cas de payement intégral fait à un seul des créanciers, les deux dangers signalés plus haut n'existent qu'à un moindre degré : ou bien une chose aura été transférée et la propriété en sera devenue commune aux divers créanciers, ou bien un fait aura été accompli relativement à une affaire commune et tous en auront profité ; ce n'est guère qu'au cas de payement d'argent ou de denrées que serait à craindre le danger d'insolvabilité du créancier qui a reçu le payement ; mais encore, dans ce cas, les autres créanciers peuvent prendre des mesures, pour que le payement ne se fasse qu'en présence et aux mains de tout réunis.
Dans tous les cas, pour que l'un des créanciers puisse recevoir seul le payement, il faut qu'il le reçoive tel qu'il est dû, ‘‘tel qu'il a été stipulé :” il ne pourrait recevoir une chose pour une autre, ce qu'on appelle “dation en payement” (voy. art. 461), et cela lors même qu'il recevrait plus qu'il n'est dû. A plus forte raison, lui est-il défendu de faire une remise gratuite de la dette, ou une novation qui en changerait un des éléments.
La loi suppose cependant que l'un de ces actes a été fait et elle lui donne tout l'effet qu'il peut avoir sans compromettre le droit des antres créanciers : leur droit sera exercé, en entier, contre le débiteur unique ou contre celui des co-débiteurs qu'ils voudront choisir, comme s'il n'y avait pas eu remise de dette, novation ou compensation, mais ils tiendront compte à celui-ci d'une valeur en argent égale à la part de profit qu'ils auraient eue à communiquer à leur co-créancier, s'il n'avait pas fait remise ou novation. De cette manière, la convention libératoire conservera son effet sans nuire aux autres créanciers. Comme cette matière comporte des distinctions très-délicates, au sujet de la novation, de la remise de dette et de la compensation, la loi renvoie aux dispositions spéciales qui concernent l'indivisibilité entre créanciers.
La loi, ne prévoit pas le cas où l'exécution de l'obligation indivisible deviendrait impossible par la faute d'un des créanciers ; ici, les principes généraux suffisent à indiquer la solution: tous les débiteurs sont libérés envers tous les créanciers, car cette perte est, pour eux, un cas fortuit ou une force majeure ; mais le créancier fautif est tenu envers chacun des autres de les indemniser de leur part dans le profit de l'ancienne créance et cette indemnité est divisible.
Art. 446. En sens inverse des dispositions qui précèdent, les créanciers, qui n'ont pas le pouvoir de se nuire respectivement, peuvent se rendre de bons offices au sujet de la créance commune : s'il n'y a pas mandat réciproque, comme dans la solidarité entre créanciers ; il y a au moins lieu de faire intervenir l'idée d'une gestion d'affaires ; enfin, les actes conservatoires faits par l'un des créanciers sont considérés comme profitant aux autres, à cause de la nature de la dette qui ne permet pas qu'elle soit conservée pour une part et perdue pour les autres ; or, l'équité ne permettrait pas qu'elle fût conservée pour le tout au profit d'un seul créancier et perdue pour les autres.
La loi a spécialement mentionné la mise en demeure du débiteur parmi les actes conservatoires qui, faits par un créancier, profitent aux autres. On sait que la mise en demeure produit plusieurs effets importants : elle rend le débiteur responsable de la perte, même fortuite, qui n'aurait pas eu lieu s'il avait exécuté l'obligation (art. 335 et 336), elle le soumet aux dommages-intérêts à raison du retard (art. 384), enfin, elle interrompt la prescription.
Le 2e alinéa donne spécialement pour la suspension de la prescription la même solution que fournit la mise en demeure pour l'interruption. Le motif est d'une part, l'impossibilité d'admettre une suspension limitée qui tendrait à une extinction partielle de la dette ; d'autre part, l'impossibilité de refuser tout effet à la suspension protectrice d'un des créanciers.
Art. 447 et 448. Ces deux articles forment la contre-partie des deux précédents : les co-débiteurs, dont les uns peuvent quelquefois profiter des actes des autres, ne peuvent, pas plus que les co-créanciers, se nuire les uns aux autres.
En ce qui concerne la mise en demeure, il semble qu'il y ait contradiction entre la disposition précédente qui permet aux créanciers de se provaloir de celle faite par un d'entre eux et la présente règle qui ne permet pas d'opposer à tous les débiteurs celle faite contre un seul. Mais la contradiction disparaît, si l'on suppose, dans le premier cas, qu'il n'y a qu'un seul débiteur et plusieurs créanciers et, dans le second cas, qu'un seul créancier et plusieurs débiteurs : le débiteur unique averti par un seul des co-créanciers, est censé avoir été averti par tous : il lui importe peu de payer à l'un plutôt qu'aux autres : au contraire, celui des co-débiteurs qui n'a pas été mis en demeure n'est pas averti par la mise en demeure des autres, car il peut l'ignorer.
Il en est autrement de l'interruption de prescription, effet principal de la mise en demeure : elle ne peut avoir lieu contre l'un des codébiteurs sans avoir lieu en même temps contre les autres lors mêmes qu'ils l'ignorent; autrement, les uns invoqueraient une présomption de payement, quand les autres resteraient débiteurs, ce qui est inconciliable avec la nature de l'obligation indivisible et avec l'effet du payement ; d'un autre côté, le créancier qui a poursuivi l'un des débiteurs ne peut se voir opposer la prescription par celui-ci : la solution est donc identique à la précédente et par identité de motifs.
C'est par le même motif que le créancier qui jouit du bénéfice de la suspension de la prescription vis-à-vis d'un des débiteurs (par exemple, si l'un des débiteurs est son conjoint) en jouit vis-à-vis des autres. L'obligation finale du créancier, de tenir compte au débiteur poursuivi de sa part dans la dette est l'application d'une idée analogue, quoiqu'inverse, à celle qui termine l'article 445.
L'article 448 applique aux débiteurs le principe que les fautes sont personnelles, en l'absence de mandat fondant une responsabilité collective, comme cela a lieu dans l'obligation solidaire. Si donc l'un des débiteurs a, par sa faute, empêché l'exécution normale de la dette, il est seul tenu des dommages-intérêts ou de la clause pénale. La loi n'a pas eu besoin de mettre sur la même ligne que la faute directe, le retard apporté à l'exécution ou même la perte fortuite, postérieurs à la mise en demeure : il résultait déjà suffisamment de l'article précédent que les débiteurs qui n'avaient pas été individuellement mis en demeure n'en devaient pas souffrir.
Art. 449. Déjà dans l'article 442, on a vu le débiteur actionné par l'un de plusieurs créanciers demander que tous les créanciers interviennent, pour qu'il puisse être libéré à leur égard; ici. c'est l'un de plusieurs débiteurs qui demande à n'être pas poursuivi seul et qui requiert que la condamnation soit prononcée simultanément contre tous, ce qui pourra induire le créancier à faire exécuter contre les autres autant que contre lui ; en même temps, ce débiteur obtiendra subsidiairement contre les autres une condamnation à la garantie qui lui sera due s'il paye pour tous.
Entre ces deux dispositions il y a, d'ailleurs, une différence qu'il ne faut pas négliger : dans l'article 442, c'est le créancier poursuivant qui doit, sur la réquisition du débiteur, prendre soin d'appeler en cause ses co-créanciers : dans le présent article, c'est le débiteur poursuivi qui doit appeler en cause ses co-débiteurs : la raison en est que le débiteur peut ne pas connaître tous ses créanciers, tandis qu'il doit connaître tous ses co-débiteurs.
Notons, enfin, que la faculté accordée au débiteur par notre article ne s'applique qu'aux cas d'indivisibilité active et passive, de là, le renvoi à l'article 4-41 ; dans les cas de l'indivisibilité passive seulement, prévus par l'article 442, le débiteur poursuivi est trop étroitement tenu de l'exécution intégrale pour pouvoir retarder et modifier la poursuite.
CHAPITRE III.
DE L'EXTINCTION DES OBLIGATIONS.
Art. 450. Chacun de ces modes d'extinction devant faire l'objet d'une Section particulière, il n'y a pas lieu d'en indiquer ici, même sommairement, le caractère distinctif. On fera seulement remarquer qu'au lieu de nommer la 6e cause d'extinction “perte de la chose due," comme font les Codes étrangers, le Code japonais prend une formule plus générale, “l'impossibilité d'exécuter :” elle a l'avantage de s'appliquer aux obligations de faire et de ne pas faire, en même temps qu'à celle de donner ; en outre, elle comprend des cas où il n'y a pas perte proprement dite de la chose due et où cependant le débiteur est libéré : par exemple, si la chose est retirée du commerce.
Indépendamment des causes d'extinction ici énumérées, on pourrait citer, pour quelques cas particuliers, la volonté de l'une des parties et sa mort ; mais ces deux causes d'extinction des obligations n'ont pas la généralité d'application qui seule forme l'objet de cette IIe Partie, consacrée aux Obligations en général. En effet, ce ne sont que certains contrats particuliers qui prennent fin par la volonté d'une des parties ou par sa mort ; par exemple, la société, le mandat, le dépôt, le le prêt à usage ; ce sont des contrats formés surtout en considération des personnes et dans lesquels le but poursuivi ne pourrait être utilement atteint sans un accord persistant des volontés ou avec un changement de personnes par décès.
On cite aussi quelquefois l'échéance du terme comme cause d'extinction de l'obligation. Ordinairement, l'échéance du terme, au lieu de mettre fin au droit du créancier, lui donne, au contraire, tout son effet, en le rendant exigible ; mais, si la convention porte qu'il sera fait au créancier un certain nombre de prestations annuelles, on dit alors, quand le nombre des années est écoulé, que le terme est extinctif. Il en est de même pour les prestations qui doivent être continuées seulement pendant la vie du créancier : sa mort, quoique incertaine dans son arrivée, est alors un terme extinctif.
Il n'y aurait pas grand inconvénient à ajouter cette cause d'extinction à celles qui précèdent ; mais on peut dire aussi qu'elle n'a peut-être pas un caractère de généralité suffisant pour l'énoncer ici ; on peut dire même quelle rentre dans le cas du payement, car la dette, ayant été acquittée pendant le temps convenu, se trouve payée, et si les prestations dues n'avaient pas été effectuées, certes, le temps échu n'en libérerait pas le débiteur.
Il n'est peut-être pas sans intérêt de rapprocher ici les causes d'extinction des droits réels de celles d'extinction des droits personnels ou des Obligations. Il y a, du reste, à peu près autant de différences que de ressemblance.
Sont communs aux deux sortes de droits, comme modes d'extinction : la remise ou renonciation, la perte de la chose objet du droit, la confusion ou consolidation, la rescision, la résolution, la révocation de la convention d'où provient le droit, le non-usage et la prescription ; mais oncore ces moyens d'extinction comportent des nuances dans leur application aux deux sortes de droits.
Restent propres aux obligations ou aux droits personnels : le payement, la novation, la compensation. Restent, de même, propres aux droits réels ; l'accession ou incorporation, la confiscation, l'expropriation pour cause d'utilité publique ; en outre, l'expiration du terme met fin aux droits réels qui ne sont pas perpétuels de leur nature, comme l'usufruit et le bail, et la mort du titulaire met fin à ceux qui sont concédés en faveur de la personne, comme l'usufruit, l'usage et l'habitation.
Il faut noter, enfin, que la loi, considérant toujours l'obligation d'une personne envers une autre comme une situation anormale, exceptionnelle, est favorable à son extinction qui rétablit l'indépendance respective des personnes ; au contraire, la loi n'a pas la même raison de favoriser l'extinction des droits réels, surtout du droit de propriété ; tout au plus, favoriserait-elle l'extinction de l'usufruit et des servitudes foncières qui ont aussi quelque chose d'anormal ; mais encore, il y a cette différence essentielle que l'obligation est toujours destinée à une extinction plus ou moins prompte : il n'y en a aucune qui soit absolument perpétuelle ; car la rente même, qui seule peut être stipulée perpétuelle, est essentiellement rachetable.
SECTION PREMIÈRE.
DU PAYEMENT.
Art. 451. Cet article a surtout pour but d'annoncer les divisions qui vont suivre.
Le payement simple opère une libération plus complète que le payement avec subrogation : on verra bientôt que le payement avec subrogation est fait par un tiers ou par l'un de plusieurs débiteurs et que celui qui a payé peut recourir contre celui qui a été libéré, en exerçant les actions qui appartenaient au créancier, ce qui permet de dire que l'obligation n'est pas entièrement éteinte. Le payement simple est donc celui qui n'est pas accompagné d'une pareille subrogation.
La plupart dos règles du payement simple s'appliquent aussi an payement avec subrogation.
C'est à l'occasion du payement simple que l'on verra successivement : 1° Qui peut payer (art. 452 à 455) ; 2° A qui le payement peut être fait (art. 456 à 459) ; 3° Quelle chose doit être payée (art. 460 à 467) ; 4° Où le payement doit être fait (art. 468) ; 5° Qui supporte les frais du payement (ibid.) ; 6° Quand le payement doit être fait (art. 469).
Le 2e alinéa de notre article 451 se borne à annoncer quand il y a lieu à imputation du payement ; on y reviendra an § 2e.
Le 3e alinéa prévoit le cas où le payement n'est pas volontairement reçu par le créancier : la loi pourvoit alors à la protection du débiteur qui doit pouvoir se libérer, afin de faire cesser le cours des intérêts et de se décharger des risques de la chose due (v. § 3e).
Quant à la cession de biens ou abandon à faire par le débiteur à ses créanciers (visée par le 4e alinéa), qui simplifie la liquidation des faillites et en diminue les frais et les lenteurs, il y a lieu, non seulement de l'admettre, pour les commerçants faillis, mais même de l'étendre aux débiteurs non commerçants devenus insolvables. De là le renvoi au Code de procédure civile.
§ I. DU PAYEMENT SIMPLE.
Art. 452. I. Cet article et les trois suivants sont consacrés à la première des questions annoncées : “Qui peut payer ?”
Le présent article dit, en quelque sorte, que toute personne peut payer : d'abord, le débiteur unique, ou l'un des co-débiteurs, en remarquant qu'il n'y a de véritables co-débiteurs que dans les dettes solidaire, intégrale et indivisible, car dans la dette simplement conjointe, il a autant de dettes distinctes que de débiteurs ; puis, viennent ceux que la loi appelle “débiteurs subsidiaires,” parce qu'ils sont tenus, non pour eux, mais pour d'autres : ce sont les cautions et ceux qui, ayant acquis un immeuble, après que le propriétaire l'avait hypothéqué à sa dette, sont exposés à être expropriés par le créancier, s'ils ne préfèrent acquitter la dette; enfin, peuvent payer, les tiers qui n'ont pas d'intérêt pécuniaire au payement et qui peuvent être mus par le désir de rendre uu bon office, soit au débiteur, soit même au créancier, tout en conservant un recours pour le remboursement. Quelquefois, à l'avenir, un tiers pourra payer la dette d'autrui, par l'entremise d'un notaire, sans connaître, ni le créancier, ni le débiteur, et uniquement pour employer scs capitaux, en se faisant suborger aux sûretés qu'avait le créancier ; dans ces cas, on dira encore que le payement est fait par un tiers” non intéressée,” parce qu'il n'a pas un intérêt né de l'obligation elle-même.
Lorsqu'un tiers non intéressé paye la dette d'autrui, il peut le faire au nom du débiteur ou en son propre nom; dans le premier cas, il est un véritable gérant d'affaires ; il pourrait même être un mandataire ; dans le second, il n'a pas cette qualité et la distinction a quelque influence sur l'étendue de son recours, comme on le verra ci-après, au sujet de l'article 454.
Art. 453. Cet article tranche une double question, à savoir, s'il faut le consentement du créancier et celui du débiteur pour le payement fait par un tiers.
D'abord, si le tiers est intéressé à payer, il est naturel que, ni le créancier, ni le débiteur principal, ne puissent s'opposer au payement, parce qu'un intérêt né d'une convention ou de rapports légaux est équivalent à un droit ; mais même, si le tiers n'est pas intéressé, le payement, en principe au moins, peut encore être imposé au créancier ou effectué malgré le débiteur. Le motif en est, comme on l'a dit plus haut, que toute obligation est une situation anormale, une cause éventuelle de procès ou de désaccords, et la loi doit en favoriser l'extinction. Cependant, une exception est admise dans chaque cas.
Le consentement du créancier sera nécessaire, si l'obligation était de telle nature qu'il eût intérêt à ce que l'exécution fût faire par le débiteur lui-même : la loi suppose, à cet égard, qu'il s'agit d'une obligation “de faire,” parce que, pour celle de donner, on ne comprendrait guère que le créancier eût intérêt à ce que la dation fût faite par le débiteur lui-même, de préférence à un tiers ; quant à l'obligation de ne pas faire, un tiers, intéressé ou non, ne sera jamais en situation de la remplir le débiteur lui-même : une abstention est do sa nature et nécessairement personnelle.
Le consentement du débiteur sera nécessaire pour la validité du payement, si le créancier a, de son côté, manifesté sa résistance an payement : à défaut de l'un ou de l'autre consentement, l'intervention d'un tiers ne serait plus aucunement justifiable, elle serait même clinquante. On remarquera seulement que cette opposition du débiteur au payement déjà refusé par le créancier n'est admise que si le tiers qui veut payer n'est pas intéressé. Au contraire, quand il s'agit du refus du créancier, permis par le premier alinéa de notre article, I'intérêt qu'aurait le tiers an payement ne l'autoriserait pas à le faire ; ainsi une caution qui aurait garanti l'exécution d une œuvre d'art ou d'un travail scientifique ou littéraire ne serait évidemment pas admise à l'exécuter elle-même malgré le créancier.
Art. 454. On verra au § suivant que le tiers intéressé qui a payé la dette d'autrui est subrogé “de plein droit ou par la loi” aux droits et aux sûretés du créancier, pour le remboursement de ce qu'il a payé en l'acquit du débiteur ; le tiers non intéressé peut aussi être subrogé aux mêmes droits, mais seulement par convention avec le créancier ou avec le débiteur. A défaut de l'une ou de l'autre subrogation, le tiers non intéressé qui a payé n'en a pas moins un recours contre le débiteur, comme mandataire ou gérant d'affaires, ou en son propre nom.
Supposons d'abord le payement fait par un mandataire général ou spécial du débiteur : on peut dire que le mandataire représentant le mandant, te payement n'est plus fait par un tiers, mais par le débiteur lui-même. Toutefois, à côté de la fiction qui identifie le mandant et le mandataire, il y a la réalité : si le payement n'a pas été effectué avec les valeurs du mandant, mais avec celles du mandataire, il est nécessaire que celui-ci ait un recours : il aura l'action née du contrat de mandat ; le montant en sera exactement ce qui aura été payé dans les termes et les limites du mandat, plus les intérêts des déboursés. Le mandataire pourrait d'ailleurs être subrogé aux droits du créancier, comme on l'expliquera sous le § 4.
Dans les deux autres cas, le profit ou avantage procuré au débiteur sera le fondement du recours ; mais, dans le premier cas, celui de gestion d'affaires, ce profit s'appréciera au moment où le payement a eu lieu et, dans le second, au moment où est intentée l'action en remboursement. Ainsi le tiers a payé 1000 yens pour le débiteur, à un moment où il y avait déjà matière à compensation pour 100 yens entre celui-ci et le créancier ; plus tard, il est survenu entre eux une nouvelle cause de compensation pour 100 yens : celui qui a payé au nom du débiteur réclamera de lui 900 yens, montant du profit procuré au créancier an jour du payement; celui qui a payé en son propre nom sera traité comme celui qui aurait payé malgré le débiteur : il ne réclamera que 800 yens montant du profit actuel. Mais, comme il ne serait pas juste que le créancier tirât de ces circonstances un profit illégitime, il devra rendre au tiers les sommes pour lesquelles la compensation aurait pu lui être opposée par le débiteur : dans cette mesure, il a reçu ce qni ne lui était pas dû et il est soumis à la répétition.
Art. 455. Le payement est, comme l'a défini l'article 451, “l'exécution de l'obligation, suivant sa forme et teneur.” Cette définition, d'après sa généralité même, s'applique à toutes les obligations : a celles de donner, de faire ou de ne pas faire. Le présent article contient une règle particulière pour l'obligation “de donner ou de transférer la propriété; " il en soumet le payement ou exécution à deux conditions de validité chez celui qui paye, à savoir: la qualité de propriétaire des choses données en payement et la capacité de les aliéner.
Il faut se souvenir ici que quand la convention a pour objet de transférer la propriété, son effet est très-différent, suivant que l'objet à transférer est individuellement déterminé, est un corps certain, ou n'est qu'une chose de quantité ou chose fongible : dans le premier cas, la propriété est transférée, immédiatement, par le seul effet de la convention, sans distinguer s'il s'agit d'un meuble ou d'un immeuble : il ne reste plus qu'à faire la tradition ou délivrance, au temps convenu ; s'il s'agit, au contraire, de choses déterminées seulement au poids, au nombre ou à la mesure, de choses de quantité. la propriété ne pourra être transférée que par la tradition ou par quelque autre moyen de détermination des objets (voy. art. 331 et 332).
Dans le premier cas, il est clair que la double condition de propriété et de capacité chez selui qui aliène ne peut être exigée qu'au moment de la convention : le droit de propriété, surtout, ne peut plus exister chez le promettant au moment où il fait la délivrance, puisque l'aliénation a été consommée par le seul consentement, On a suffisamment expliqué ailleurs (sous l'art. 309) comment la convention est radicalement nulle, faute de cause, si le promettant n'est pas propriétaire, et comment elle n'est qu'annulable s'il n'a pas la capacité d'aliéner (voy. art. 305). C'est seulement quand la propriété ne devra être tranférée que par le payement (voy. art. 332) que le débiteur devra, à ce moment même, être propriétaire et capable d'aliéner.
Le présent article 455 a soin de se placer spécialement dans l'hypothèse d'un payement qui doit opérer dation ou “translation de propriété:” s'il s'agissait d'un dépositaire, d'un emprunteur à usage, d'un locataire rendant la chose déposée, prêtée ou louée, ce serait bien encore un payement, mais ils ne pourraient être propriétaires.
Après avoir posée les deux conditions requises pour la validité du payement qui nous occupe, l'article 455 règle les conséquences de l'inaccomplissement de l'une ou de l'autre. Il ne s'occupe, du reste, que des rapports entre le créancier et le débiteur ; quant aux droits du véritable propriétaire contre celui qui a reçu en payement la chose d'autrui et contre celui l'a payée, il n'en est pas question ici ; les règles de la propriété sont connues et elles auront ici leur application naturelle : le propriétaire pourra revendiquer sa chose contre celui qui l'a reçue, tant que la prescription acquisitive ne lui sera pas opposable, sous les distinctions qui seront établies entre les meubles et les immeubles. Si la revendication est devenue impossible, soit par l'effet de la prescription, soit par l'effet de la perte fortuite de la chose ou de sa consommation de bonne foi, le propriétaire aura, le plus souvent, une action contre le débiteur qui a payé, soit en vertu d'un contrat qui avait constitué celui-ci détenteur et débiteur de cette chose, soit en vertu d'un délit par lequel il s'en serait indûment saisi, soit en vertu de l'enrichissement que ce payement lui aurait procuré à partir du moment où la libération se serait trouvée validée.
Pour ce qui est des rapports nés du payement irrégulier entre celui qui l'a fait et celui qui l'a reçu, la loi distingue le payement fait par un non-propriétaire et le payement fait par un propriétaire incapable d'aliéner.
Au premier cas, chaque partie peut demander la nullité du payement : cela ne peut faire difficulté du côté du créancier dont le droit n'est pas détruit par un payement qui n'a pas atteint son but Mais, on pourrait douter que le débiteur pût demander la nullité du payement- En effet, n'étant pas propriétaire, il ne peut revendiquer ; si même, il avait la possession civile avant le payement, il ne peut la recouvrer par une action possessoire, parce qu'il l'a librement abandonnée ou cédée ; il ne peut non plus exercer, à cet égard, une action née de la convention, car, lors même qu'elle serait synallagmatique, elle ne lui donnerait pas action pour revenir contre le payement qu'il a fait ; enfin, on pourrait encore opposer au débiteur la maxime déjà citée " qu'étant garant de l'éviction, il ne peut l'opérer lui-même." Mais il a répétition de l'indû ; car c'est un des cas de payement indû que celui où le débiteur a payé une chose qui ne lui appartenait pas (voy. art. 366). Son intérêt à répéter est d'ailleurs facile à concevoir et il est légitime : c'est de prévenir l'action en dommages-intérêts du véritable propriétaire.
Au second cas, la nullité fondée sur l'incapacité d'aliéner n'est plus absolue, mais seulement relative : l'incapable seul, le débiteur, pourra donc arguer le payement de nullité (comp. art. 319).
Mais, par esprit d'équité, la loi ne permet pas que le debiteur, soit dans le cas où il a donné ce qui ne lui appartenait pas, soit dans celui où il n'était pas capable d'aliéner, réclame contre le payement irrégulier sans offrir immédiatement un payement valable. Il devra donc, au premier cas, offrir une chose qui lui appartienne et, au second cas, se faire dûment assister ou représenter dans un nouveau payement ou attendre, pour faire un nouveau payement, que la cause d'inca-pacité ait cessé. Jusque-là, le créancier peut retenir la chose indûment payée.
Ce droit de rétention donné par la loi au créancier doit lever tous les doutes que ferait naître la maxime précitée ; car, du moment qu'il ne sera évincé par son débiteur qu'en recevant un payement valable, il n'a aucun sujet de se plaindre.
Il arrivera souvent que le créancier, ignorant la nullité du payement, aura consommé la chose reçue ou l'aura aliénée ; dans ces cas, la répétition cesse du côté du débiteur, parce qu'elle causerait au créancier un dommage considérable et disproportionné à sa faute. Bien entendu, le créancier lui-même, dans le cas où il aurait reçu la chose d'autrui, cesserait de pouvoir critiquer le payement, du moment qu'il en aurait tiré les avantages que lui aurait procurés un payement régulier. Mais si la chose avait péri par cas fortuit, cette circonstance qui enlèverait au débiteur l'action en répétition n'enlèverait pas au créancier son action en nullité.
Dans ce cas de payement indû, la loi n'ajoute pas, comme cause de refus de répétition, de la part du débiteur, la circonstance que le créancier, sur la foi du payement, aurait supprimé son titre de créance (voy. art. 365, 2e al.) ; c'est qu'en effet, cette suppression ne causerait pas le même préjudice au créancier que lorsque le payement a été fait par un autre que le débiteur : dans le cas qui nous occupe, le seul fait par le débiteur de répéter la chose comme indûment payée, faute de lui appartenir, implique suffisamment une reconnaissance de sa dette ; elle constitue pour le créancier un nouveau titre qui répare la suppression de l'ancien. Le seul cas qui pourrait faire doute est celui où le titre supprimé aurait porté l'engagement d'une caution ou un gage mobilier ; mais ces deux sûretés sont suffisamment compensées par le droit de rétention accordé ici an créancier.
Observons, en terminant, que les règles concernant le payement fait par un incapable ne s'appliquent pas au payement consistant à faire ou à ne pas faire quelque chose, ni au payement d'une obligation annulable elle-même pour incapacité ; mais l'exception opère en sens inverse dans chaque cas. S'il y a eu exécution, par un incapable, d'une obligation de faire ou de ne pas faire, valablement contractée à l'origine, le payement ne sera pas nul : il est considéré comme un des actes d'administration que les incapables peuvent faire, en général ; il serait d'ailleurs à peu près impossible d'annuler un fait ou une abstention consommés. En sens inverse, s'il y a eu exécution ou payement d'une obligation annulable pour incapacité, dès l'origine, non seulement le payement est annulable, mais la nullité n'est pas couverte par la consommation ou l'aliénation de la chose par le créancier de bonne foi : dans ce cas, on applique les règles de la nullité des obligations qui seront exposées à la Section VII.
Art. 456. II. Cet article et les trois suivants sont consacrés à la seconde question annoncée : A qui le payement peut-il être fait ?
Il est naturel que ceux qui peuvent recevoir le payement soient moins nombreux que ceux qui peuvent le faire : le créancier ne peut être exposé à perdre son droit sans son consentement. En principe donc, le payement ne peut être valablement fait qu'à lui-même ou à son représentant. Le texte ne dit pas ici que le représentant peut être conventionnel, légal ou judiciaire : cela va de soi et il n'y a pas de raison ici, plus qu'en toute autre matière, d'énoncer les diverses sortes de représentants.
Si ces personnes, après avoir reçu le payement, le dissipaient et n'en tenaient pas compte au créancier, le débiteur n'en serait pas moins libéré, car il aurait valablement payé ; il n'y aurait de difficulté que si le mandat ou la qualité de représentant avait cessé avant le payement et que le débiteur leur eût fait le payement, dans l'ignorance de cette circonstance II faudrait, pour apprécier la validité ou la nullité du payement, rechercher de quel côté il y a faute ou, au moins, faute plus considérable. Ainsi, dans le cas d'un mandat ayant déjà cessé par l'expiration du temps pour lequel il avait été donné, la faute serait au débiteur, car, ayant dû se faire justifier du mandat, il a dû aussi en connaître la durée ; il devrait donc payer de nouveau, sauf son recours contre le mandataire infidèle ; au contraire, dans le cas d'un mandat révoqué par la volonté du mandant, si celui-ci n'avait pas notifié la révocation au débiteur et si ce dernier n'en avait pas été autrement informé, la perte retomberait sur le créancier. Dans le cas d'une représentation légale qui aurait cessé, par exemple, par la majorité du créancier, le débiteur serait généralement en faute de n'avoir pas connu cette circonstance; de même, pour la cessation des pouvoirs d'un administrateur judiciaire ; mais la question devrait surtout être décidée d'après les circonstances du fait.
Si le payement avait été fait à un tiers agissant comme gérant d'affaires, le débiteur ne serait pas libéré, en principe, parce que le gérant d'affaires n'a pas qualité pour diminuer les droits et avantages du maître, mais seulement pour les augmenter ou les conserver. Mais, si le créancier ratifie plus tard ce payement, c'est comme s'il avait donné mandat à l'origine ; si, enfin, sans ratification, il se trouve avoir profité du payement fait sans son autorisation, il cesse d'être recevable a demander un nouveau payement, au moins dans la mesure du profit qu'il a tiré. Par exemple, le débiteur a paye à un créancier de son créancier, même sans que celui-ci eût procédé par voie de saisie-arrêt, comme il sera dit sous l'article 459 ; si la dette du créancier qui n'avait pas donné mandat de payer pour lui n'était susceptible, ni de contestation, ni de réduction, il sera considéré comme ayant profité du payement.
Dans ce dernier cas, il pourra se présenter des questions de preuves : Y avait-il mandat à l'origine ? A défaut de mandat, y a-t-il eu ratification ? Y a-t-il eu, au moins, profit pour le créancier ? Sur tous ces points, la preuve incombera au débiteur, car il est demandeur en validité du payement qu'il a fait ; c'est donc à lui de prouver que les conditions en sont remplies.
Art. 457. Le cas prévu par cet article est assez délicat. La difficulté est de savoir ce qu'il faut entendre par le “possesseur d'une créance : "assurément, ce n'est pas le véritable créancier ; ce n'est pas non plus le détenteur du titre servant de preuve à la créance, sauf dans le cas de titre au porteur (v. ci-après).
Déjà, lorsqu'on a traité de la possession, on a dit qu'elle s'appliquait non seulement aux choses corporelles, mais aussi aux choses incorporelles, aux droite, et, notamment, aux créances (voy. art. 180). Le possesseur d'une créance est celui qui, sans être le véritable créancier, se comporte comme tel et paraît avoir cette qualité aux yeux des tiers ; par exemple, en touchant les intérêts annuels, en faisant des poursuites, en accordant des délais.
Quand il s'agit d'une chose corporelle, il suffit, pour en avoir la possession civile, de la détenir physiquement, de l'avoir à sa disposition “avec l'intention de l'avoir à soi” (art 180); cette intention est d'ailleurs présumée (art 186); il n'est pas nécessaire de détenir la chose en vertu d'un titre ou acte juridique destiné à la transfére (juste titre). En matière de créance, la détention du titre instrumentaire ne saurait avoir le même effet; d'abord, il arrive très-fréquemment qu'on est détenteur d'un titre, par suite d'un mandat ou d'un dépôt : cette détention ne pourrait donc être présumée, au même degré, fondée sur un droit propre au détenteur; ensuite, elle ne se révèle pas par des faits extérieurs qui lui donnent une publicité suffisante pour fortifier la présomption de droit (comp. art. 183) ; enfin et surtout, le titre même, portant le nom du véritable créancier, contredit la prétention du simple détenteur. Pour que la détention du titre fasse présumer le droit de créance, il faut on qu'il s'agisse d'un titre au porteur, cas où le droit est attaché au titre même et non à une personne dénommée (voy. art. 346), ou, s'il s'agit d'un titre nominatif, que le possesseur ait fait, en son propre nom, des actes plus ou moins répétés de la nature de ceux qui appartiennent aux créanciers, fussent-ils de simples actes conservatoires ; la réception périodique des intérêts sera une possession continue de la créance.
Dans ces conditions, le payement fait de bonne foi par le débiteur est valable, c'est-à-dire le libère envers le véritable créancier qui n'est pas lui-même exempt de négligence ; c'est ce dernier qui aura recours contre le possesseur, pour la restitution des valeurs payées, avec le risque de son insolvabilité.
La loi, à cause de la difficulté de cette matière, a cru devoir donner des exemples de possesseurs de créance auxquels le payement pourra ainsi être fait valablement. Elle en donne trois qui sont peut-être les seuls que la pratique présentera ; mais la loi n'est pas limitative.
Le premier cas est celui de " l'héritier apparent,” expression consacrée pour indiquer celui qui passe, aux yeux des tiers, pour l'héritier légitime d'un défunt ; la loi lui assimile tout autre successeur universel, tel qu'un donataire ou un légataire. Il peut arriver que cet héritier soit primé par un parent plus proche dont l'existence était ignorée, que la donation ou le testament soit nul ou révoqué ; mais l'erreur commune commande de protéger le débiteur qui a payé de bonne foi.
Le deuxième cas est celui d'une cession de créance nominative, faite en bonne et due forme et notifiée au débiteur-cédé par le cessionnaire (voy. art. 347), mais qui n'a pas opéré un véritable transport, par le défaut de droit et de qualité chez le cédant. Dans ce cas, le cessionnaire a peut-être été imprudent, en ne se faisant pas justifier exactement les droits du cédant ; peut-être a-t-il été victime d'un faux qu'une plus grande vigilance aurait pu lui faire découvrir; mais ce n'est pas le cessionnaire que la loi protège, c'est le cédé qui, recevant notification de la cession, n'a pas eu à en vérifier la validité.
S'il s'agit d'un “effet de commerce " (lettre de change, billet à ordre, chèque) nominatif encore, mais cessible par simple endossement, la solution sera identique, lors même que l'endossement aurait été signé par un faussaire : le payement fait au cessionnaire apparent libérera le débiteur, pourvu qu'il n'ait pas été fait avant l'échéance.
Le troisième cas est celui d'un titre au porteur cessible par la simple tradition ; pour que la cession soit valable, il faut, il est vrai, que ht tradition du titre soit faite par le véritable créancier ; mais la facilité de fraude on d'erreur est encore ici plus considérable que dans les titres nominatifs, et le payement fait au porteur du titre doit libérer le débiteur, comme dans les cas précédents.
On remarquera que la loi n'exige pas, pour la validité du payement, qu'il ait été reçu de bonne foi par le possesseur de la créance; mais elle exige la bonne foi chez le débiteur, c'est-à-dire qu'il croye payer au véritable créancier.
La loi devait-elle encore subordonner la validité du payement à la condition qu'il ne fût pas fait avant l'échéance ? Cette condition est exigée pour certaines créances commerciales. En faveur de l'extension de cette disposition aux créances civiles, on pourrait dire que si le débiteur n'a pas attendu l'échéance pour payer, il a diminué les chances qui restaient au véritable créancier de se faire connaître en temps utile, d'évincer le possesseur et de se faire payer lui-même. Mais il faut reconnaître que la loi n'atteindrait pas son but, si elle n'admettait pas la validité du payement fait avant l'échéance: du moment que le débiteur est de bonne foi, la loi ne peut exiger qu'il attende l'échéance, ce serait admettre qu'il a eu des soupçons sur le droit du possesseur ; d'ailleurs, de deux choses l'une: ou le terme a été établi dans l'intérêt du débiteur (ce qui est le cas ordinaire) et il peut toujours y renoncer (art. 401): la dette devient alors échue par sa volonté et il n'a pas payé avant l'échéance du terme ; ou bien le terme est établi dans l'intérêt du créancier et celui-ci (ou du moins, le créancier apparent, le possesseur de la créance), en demandant le payement ou même en le recevant, a renoncé au bénéfice du terme et la dette se trouve encore n'avoir pas été payée avant l'échéance.
Il n'y a donc pas lieu de demander plus que la bonne foi du débiteur au moment du payement. S'il en est autrement pour les dettes commerciales, spécialement pour les lettres de change et billets à ordre, c'est que ces titres, négociables par endossement et souvent rédigés en double ou triple original, font presque l'office de monnaie ; dès lors, le débiteur s'il est prudent, doit toujours songer qu'il peut y avoir eu perte d'un des doubles déjà endossé et que le porteur légitime peut se présenter au dernier jour.
Art. 458. Il est plus fréquent de rencontrer chez le débiteur la capacité de payer que chez le créancier la capacité de recevoir le payement : le mineur émancipé peut payer valablement ses dettes, quand celles-ci n'ont pas pour objet des choses qu'il est incapable d'aliéner ; au contraire, il ne peut valablement recevoir des capitaux, surtout en argent, parce qu'il y a trop de facilité pour lui de les dissiper ou de les perdre. Ce n'est pas ici que la loi détermine qui est capable ou incapable de recevoir un payement ; elle suppose seulement que le créancier était incapable, et elle lui permet de faire annuler le payement, c'est-à-dire, en principe, d'en demander un nouveau, quand il sera devenu capable ou sera dûment représenté ou assisté. Mais l'équité la plus vulgaire ne permettrait pas que le créancier s'enrichît au détriment d'un débiteur imprudent : le payement sera donc maintenu, dans la mesure où il a profité au créancier.
Deux questions peuvent se présenter à ce sujet :
A. quel moment devra-t-on apprécier le profit du créancier ?
Le débiteur ne peut-il prendre quelque mesure pour éviter de payer une seconde fois ?
Sur la première question, il est clair que l'on ne peut se placer au moment où le payement a été effectué ; car, à ce moment, il y a toujours eu profit pour le créancier. Il ne faudrait pas non plus se placer, toujours et absolument, au moment où l'incapable demande la nullité du payement ; car il a pu, avec les valeurs reçues, acquérir des objets mobiliers ou immobiliers qui, plus tard, ont péri par cas fortuit, et il ne serait pas juste que cette perte retombât sur le débiteur. On devra donc distinguer si l'incapable a acquis, soit des choses nécessaires ou utiles, soit des choses de pur agrément : dans le premier cas, il y a eu profit, par le fait même de cette acquisition, et la perte ultérieure devra retomber sur le créancier ; dans le second cas, si le profit n'existe plus ou a diminué au jour de la demande en nullité du payement, la perte retombera sur le débiteur.
La seconde question est déjà éclaircie par la solution de la première : il serait injuste que le débiteur restât indéfiniment dans l'incertitude et à la discrétion du créancier : il pourra donc, aussitôt qu'il reconnaîtra la nullité de son payement, alors que les valeurs payées sont encore aux mains de l'incapable et, à plus forte raison, dès qu'il y aura profit réalisé par quelque acquisition, lui demander soit de ratifier le payement, en se faisant autoriser ou représenter à cet effet, soit d'invoquer immédiatement la nullité du payement, en déduisant ce dont il a profité.
La loi n'a pas, dans le présent article, mis sur la même ligne, comme validant le payement, la ratification et le profit, ainsi qu'elle l'a fait dans le cas de l'article 456 : il n'y. avait pas à douter pourtant que la ratification fût possible ; mais elle est soumise, pour les incapables, à des conditions qui ne seront exposées qu'à la Section VIIe (art. 554 et s.).
Art. 459. La saisie-arrêt crée à la validité du payement un obstacle qui ressemble à une double incapacité : celle de payer, chez le débiteur, et celle de recevoir, chez le créancier. Avant de se prononcer sur son caractère exact, à ce point de vue, il faut d'abord se rendre compte des circonstances dans lesquelles elle intervient, de son but et de la manière dont la loi en assure les effets.
Lorsqu'un créancier a lui-même des créanciers, ceuxci peuvent craindre que leur débiteur, après avoir reçu ce qui lui est dû des mains de son propre débiteur, n'en détourne ou n'en dissipe le montant à leur préjudice ; ils ont donc le droit de faire défense au débiteur de leur débiteur de payer entre les mains de celui-ci et de lui ordonner d'effectuer le payement entre les leurs. On nomme créanciers “saisissants" ceux qui ont ainsi fait opposition au payement, et “tiers-débiteur” le débiteur du débiteur qui ne peut plus payer à son propre créancier ce qu'il lui doit.
La procédure, un peu compliquée de la saisie-arrêt se trouve dans le Code de procédure, civile (art. 594 et s.)i On suppose ici qu'elle a été faite régulièrement et que le débiteur, n'en tenant pas compte, a effectué le payement aux mains de son créancier ; la conséquence naturelle est qu'il peut être contraint de payer de nouveau aux créanciers saisissants, et, comme il se trouvera avoir payé deux fois sa dette et que son créancier a profité du second payement autant que du premier, en se trouvant libéré de ses dettes, il n'est ni moins juste ni moins naturel que le débiteur ait une action en répétition contre son créancier, dans la mesure de ce qu'il a dû payer aux saisissants.
Il va sans dire qui si les sommes dues aux saisissants, si les “causes de la saisie” sont supérieures à la somme due par le tiers-débiteur, celui-ci n'en sera pas moins libéré en payant seulement ce qu'il doit. Observons encore que s'il y a plusieurs saisissants, la priorité de saisie, en date, ne donne aucune priorité de droit: la saisie n'a pas pour effet d'attribuer au saisissant les biens de son débiteur, elle les place seulement sous la main de la justice; tous les saisissants sont donc payés proportionnellement au montant de leur créance, s'il n'y a pas d'ailleurs entre eux d'autre cause de préférence.
Cette situation, assez simple, au premier abord, peut se trouver compliquée dans des cas particuliers. Supposons d'abord que la saisie ait été faite pour une somme ou valeur inférieure à la dette du tiers-débiteur, ce dernier a pu se croire en droit de payer l'excédant à son créancier ; mais, ce ne sera pas toujours impunément : d'autres saisies peuvent survenir, tant que la procédure de la, première n'est pas terminée ; assurément, elles ne frapperont que la somme conservée par le tiers-débiteur entre ses mains, et le dividende revenant aux derniers saisissants sera moindre que si la somme était restée entière ; mais, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes d'avoir fait une saisie tardive. D'un autre côté, le concours de nouveaux saisissants réduit la somme revenant au premier ; au lieu de se trouver payé intégralement, il ne recevra plus qu'un dividende, et, comme cette perte ne l'aurait pas atteint ou l'aurait atteint à un moindre degré, si le tiers-débiteur n'avait pas versé l'excédant dont il s'agit, ce dernier sera tenu de rembourser au premier saisissant ce dont il se trouve frustré, sauf son recours contre le saisi.
On a dit, en commençant, que la saisie-arrêt élève, à l'égard du payement, un obstacle qui paraît une incapacité, aussi bien de payer, pour le débiteur, que de recevoir, pour le créancier. Il faut se fixer sous ce rapport. La question n'est pas sans intérêt. D'abord, s'il y a incapacité de payer, la place de notre article 459 doit se trouver plus haut ; ensuite, et cela est plus important, s'il y a incapacité de payer, c'est le tiers-débiteur seul qui pourra critiquer le payement ; si, au contraire, l'incapacité est de recevoir, elle est du côté du débiteur.
Mais l'on peut dire qu'il n'y aura jamais, d'aucun côté, demande en nullité du payement, car le tiers-débiteur, n'étant pas celui que la loi a voulu protéger ici, n'aurait pas d'action pour se faire rendre ce qu'il a ainsi payé et le saisissant n'y aurait aucun intérêt, à moins de supposer que les choses payées eussent péri ; mais, certes, personne ne pourrait admettre que le débiteur pût, dans ce cas ni dans aucun autre, demander un second payement, puisque, lorsqu'il y aura lieu pour le tiers-débiteur de payer de nouveau aux saisissants, il aura son recours contre le débiteur qui ne doit pas profiter de deux payements.
La vérité est que la prohibition de payer a ici un caractère tout spécial : elle atteint les deux parties, mais dans un intérêt qui n'est pas le leur, dans l'intérêt des saisissants. Il faut reconnaitre qu'il y a là une défense de payer et de recevoir dont la sanction est le risque pour le tiers-débiteur de faire un nouveau payement ; or, les défenses ou prohibitions de la loi ne créent d'incapacité proprement dite que lorsqu'elles ont pour but de protéger celui auquel elles s'adressent.
L'incapacité même des condamnés a un caractère de protection, car elle est le corollaire nécessaire du dessaisissement de l'administration de leurs biens dont la loi les frap, e pour assurer l'exécution de la peine.
Il reste à voir si le tiers-débiteur qui aurait eu l'imprudence de payer son créancier pourrait, au cours de la procédure de saisie, se faire restituer par le débiteur les sommes qu'il a ainsi payées. Comme il ne pourrait alléguer avoir payé l'indû, il faut, en principe, lui refuser la répétition ; mais, il faudra la lui accorder dès qu'il aura consigné une nouvelle somme destinée à faire face aux saisies ; et même, s'il ne consigne pas et qu'il y ait contre lui une instance commencée par les saisissants, tendant à un nouveau payement, il pourra y appeler le débiteur en garantie, pour obtenir contre lui condamnation par le même jugement.
Art. 460 et 461. 1.11. — Ces deux articles et les six articles suivants se rapportent à l'objet du payement, ou à la 3e question : Quelle chose doit être payée ?
Comme, dans la plupart des obligations, ce n'est pas seulement la valeur vénale des choses dues qui est prise en considération par les parties, mais encore les convenances personnelles de celles-ci, ainsi, que la plus ou moins grande facilité qu'elles trouveront, l'une à se procurer, l'autre à utiliser les choses dues, il est naturel que Tune des parties ne puisse être tenue de subir un changement d'objet. Il faudrait pour cela que l'obligation fût alternative ou facultative, comme on l'a vu aux articles 428 et suivants ; mais, alors encore, la faculté d'option ne serait pas arbitraire : elle aurait été réservée par la convention.
Si l'objet de la dette est une chose de genre ou de quantité, une choses fongible, le débiteur la fournira de la nature et de l'espèce promises et des quantité et qualité convenues ; mais, comme il est assez difficile de déterminer clairement la qualité d'une chose de genre, le meilleur moyen est d'adopter un modèle ou échantillon. La loi, supposant que les parties n'ont pas pris cette précaution ou suffisamment déterminé la qualité, déclare que le débiteur n'est tenu de donner et le créancier tenu de recevoir que la qualité moyenne.
En somme, tout cet article est l'application spéciale du principe général que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi."
Mais ce que l'une des parties ne peut imposer à l'autre peut fort bien avoir lieu d'un commun accord. Il y alors, suivant l'expression consacrée, “dation en payement." La loi ne prend pas la peine de proclamer ce principe de la liberté des conventions qui ne peut faire doute : elle suppose que la convention a eu lieu et elle en règle les effets (art. 461).
Elle déclare d'abord que les parties, dans cette convention, sont considérées comme ayant tacitement nové leur premier engagement, c'est-à-dire que le débiteur s'est, avec le consentement du créancier, engagé à donner le nouvel objet dont il s'agit, puisqu'il a exécuté immédiatement sa nouvelle obligation. Cette idée de novation n'est pas superflue, car si la première obligation était garantie par une caution, celle-ci serait libérée de la première dette et ne serait pas tenue de la nouvelle : notamment, elle ne serait pas tenue de la garantie d'éviction, au cas où la chose serait enlevée au créancier par la revendication d'un tiers.
La loi ne se borne pas à reconnaître dans la dation en payement une novation tacite, elle détermine encore la nature de la nouvelle convention intervenue, au moins dans les cas qui seront le plus fréquents. Ainsi, si la dette primitive était d'une somme d'argent et que le débiteur s'en libérât en donnant la propriété d'un meuble ou d'un immeuble, il serait considéré comme vendant cet objet et comme recevant pour prix la somme dont il était primitivement débiteur ; réciproquement, s'il devait une chose déterminée individuellement, ou seulement quant à l'espèce et à la quantité, et qu'il fût admis à se libérer en donnant une somme d'argent, il serait considéré comme acheteur de la chose qu'il garderait. Ces deux cas de vente présenteront, du reste, une notable différence au cas d éviction : dans le premier cas, le créancier, devenu acheteur, aura l'action en garantie ; dans le second cas, le débiteur ne l'aura pas, puisque l'éviction proviendra de sa négligence à avoir promis primitivement, une chose qui ne lui appartenait pas.
Si aucune somme d'argent ne figurait dans l'opération, soit du chef de la première dette, soit du chef de la seconde, mais qu'un objet fût donné à la place d'un autre, il y aurait échange : en observant la même distinction entre le créancier et le débiteur, s'il y avait éviction de l'une des choses échangées.
Les cas de dation en payement ainsi prévus et réglés par la loi ne sont pas limitatifs : ainsi, s'il y avait prestation de jouissance par le débiteur, au lieu d'une somme d'argent dont il se trouverait libéré, il serait considéré comme bailleur ou. locateur ; mais la réciproque ne serait plus vraie : s'il fournissait une somme d'argent, au lieu de la prestation de jouissance d'une chose, il ne pourrait être considéré comme locataire ou preneur ; car, le bail étant nécessairement temporaire, cela entraînerait à dire qu'au bout d'un certain temps, il devrait restituer la chose dont il jouirait, ce qui n'est pas possible, cette chose lui appartenant sans doute en propriété : il y a aurait donc, dans ce cas, un contrat innommé (v. art. 303). Enfin, on peut supposer que la dation en payement consiste à accomplir un fait, au lieu de prester une somme d'argent : ce sera alors une sorte de louage d'ouvrage ; mais ce ne sera plus qu'un contrat innommé, s'il y a prestation d'argent au lieu d'un fait, ou prestation d'un fait pour un autre fait.
Art. 462. Cet article n'est guère que la consécration des principes posés aux articles 33 1 et 335, sur les soins que le débiteur d'un corps certain doit à la chose due et sur les risques des cas fortuits ou majeurs qui pèsent sur le créancier, en dehors de l'obligation conditionnelle que la loi a soin de réserver. Si le débiteur d'un corps certain, a dû faire des dépenses pour le conserver (dépenses nécessaires) ou s'il l'a amélioré sans exagération, (dépenses utiles), il est naturel et juste qu'il en soit remboursé, d'après les règles de la gestion d'affaires ; si, au contraire, il a laissé la chose se détériorer, faute de soins, à plus forte raison, si, par des actes directs, de lui ou des personnes dont il est responsable, la chose a été détériorée, il en. doit l'indemnité.
La disposition qui précède est formellement limitée au cas où la dette est d'un “corps certain ;” en effet, c'est dans ce cas seulement que le débiteur peut être tenu de soins, qu'il peut avoir commis des fautes ou fait des améliorations et que le créancier peut courir des risques. S'il doit une chose de genre ou de quantité, il ne peut voir son obligation ni modifiée par des dépenses nécessaires ou utiles, ou par des fautes ou négligences, ni diminuée ou éteinte par des détériorations ou des pertes fortuites :” les genres ne périssent pas " suivant un axiome connu.
Art. 463. La loi arrive au cas où l'objet de la dette est une somme d'argent.
Elle doit se prononcer sur ces deux questions :
1° En quelles espèces ou monnaies le payement peut-il être fait par le débiteur ou exigé par le créancier ?
2° Quelles conventions particulières les parties peuvent-elles faire d'avance à cet égard ?
Tel est l'objet des articles 463 à 466 qu'on va expliquer successivement.
Bien que le papier-monnaie soit aujourd'hui remboursable à vue et ait ainsi la même valeur que l'argent monnayé on a mentionné le papier-monnaie comme pouvant être éventuellement d'une valeur différente de l'argent, afin que la loi soit applicable à toutes les éventualités.
La valeur commerciale des deux métaux monétaires n'étant presque jamais conforme à leur valeur légale, il est clair que le créancier aurait intérêt à être payé dans la valeur qui jouit de la plus forte prime par rapport à l'autre ; réciproquement, le débiteur a intérêt à payer dans la valeur la plus dépréciée ; car, en même temps qu'elle lui est plus facile à obtenir, elle a en sa faveur la même force de libération.
A qui donc le choix de valeur doit-il appartenir ? Les lois européennes, suivant ici un principe général de droit civil, à savoir, que, dans une même situation, le débiteur doit être traité plus favorablement que le créancier, donnent le choix au débiteur.
Notre Code ne s'est pas écarté de ce principe qui est très-bon en soi. Le débiteur se libérera donc d'une dette de 100 yens, par exemple, en donnant, à son choix, ou 100 yens d'or ou 100 yens d'argent ou 100 yens en papier-monnaie. Telle est la disposition du 1er alinéa de l'article 463.
Le alinéa porte une disposition empruntée à plusieurs Codes étrangers, niais d'une application peu vraisemblable.
La loi prévoit : 1° que la valeur nominale des monnaies aurait pu être changée, entre le jour du contrat et celui de l'échéance, sans qu'il y ait eu modification de la matière même: par exemple, sans refondre les yens d'argent, le législateur leur donnerait force libératoire pour 1 yen 10 sen (augmentation de 1/10' de la valeur nominale) ; 2° qu'il y aurait eu augmentation ou diminution de la valeur intrinsèque : par exemple, en refondant les yens, sans en changer le poids ni la valeur nominale, le législateur y ferait ajouter 1/10e d'alliage (diminution de la valeur intrinsèque) Ces changements, si regrettables qu'ils fussent, étant l'œuvre de l'autorité souveraine, devraient être respectés dans tous leurs effets, et la loi est logiquement entraînée à défendre de les corriger ou de les éluder par des conventions particulières : le débiteur donnerait donc la valeur légalement nominale de la monnaie, telle qu'il l'a promise, abstraction faite de sa valeur intrinsèque au jour du payement.
Les altérations légales des monnaies étaient assez fréquentes autrefois, et elles y ont été souvent abusives, au Japon comme en Europe ; mais on y a renoncé et elles ne sont pas à craindre aujourd'hui.
Le 3e alinéa se prononce sur le point de savoir s'il pourrait être dérogé par les parties à ces deux dispositions, au moyen d'une convention originaire, et il se prononce formellement pour la négative.
On sait, on effet, que la liberté des conventions cesse lorsqu'elle tendrait à déroger aux lois d'ordre public (art. 328) ; or, il est évident que les lois qui établissent des monnaies, et qui leur donnent cours forcé, sont des lois d'ordre public, de celles que l'on appelle “lois de police et de sûreté." Si les parties pouvaient convenir, en contractant, que le créancier ne sera pas tenu de recevoir l'une ou l'autre de ces valeurs, il arriverait, presque toujours, qu'il exclurait l'une d'elles, peut-être deux sur trois : clause prohibitive deviendrait "de style " et le but économique ou financier du législateur serait éludé, tandis que, bon on mauvais, il doit être respecté.
Au surplus, la convention qui aurait pour objet de priver le débiteur du choix de la monnaie ne serait pas nulle pour Le tout: l'article 465, 2e alinéa, lui donne un effet qui concilie le respect de l'ordre public avec la liberté des conventions et l'intention des parties (v. ci-après).
Art. 464. Voici, au contraire, une large part faite par le Code à la liberté des conventions. On pourra, par une convention originaire ou au moins antérieure, soit à l'échéance, soit au payement, corriger les fluctuations commerciales du change, du cours respectif des deux métaux entre eux et de tous deux par rapport au papier-monnaie ; on pourra empêcher que le profit soit tout entier pour l'une des parties et la perte entière pour l'autre; on les compensera et on les répartira également on inégalement entre les parties.
Plusieurs moyens se concevraient pour arriver à ce résultat. Après les avoir étudiés et vérifiés, le Code s'est arrêté à celui qui présente le moins de difficultés de calcul. Les parties pourront en adopter d'autres: notamment, faire inégalement entre elles la répartition du profit et de la perte. Mais la loi ne devrait proposer que le système le plus simple qui est en même temps le plus équitable.
Ce moyen consiste à ramener les deux ou trois monnaies à une valeur moyenne que payera le débiteur, et, comme celui-ci doit conserver le choix de la monnaie qu'il payera, c'est dans la monnaie par lui choisie que sera cherchée cette valeur moyenne.
Assurément, si, dans un temps où il n'y a que les deux monnaies métalliques, les parties convenaient que le débiteur payera moitié en or et moitié en argent, en nature, elles feraient une chose manifestement équitable : le débiteur n'aurait pas seul le profit résultant du cours respectif des deux monnaies et le créancier n'en subirait pas seul la perte ; ce que l'un des métaux perdrait par rapport à l'autre serait compensé par ce que celui-ci gagnerait par rapport à celui-là. Si, dans le pays, il y avait en outre, une troisième monnaie, le papier d'Etat, la convention pourrait porter, aussi équitablement, que le débiteur payera un tiers en papier, un tiers en argent et un tiers en or.
Mais, si cette convention ne rencontre pas d'objection du côté de l'équité naturelle, elle rencontre un obstacle dans le principe d'ordre public qui défend aux parties de déroger au cours forcé des deux ou trois monnaies (art. 463, 3e al.) : le débiteur ne peut renoncer au droit de se libérer dans celle de ces trois monnaies qu'il lui convient de donner.
Heureusement, il est facile de concilier l'ordre public avec l'équité : on conviendra que les deux ou trois monnaies légales seront ramenées à une seule, celle dans laquelle le débiteur veut payer, d'après le cours du jour et du lieu du payement, et le total sera divisé par moitié ou par tiers suivant le cas; le débiteur, en ayant cette moitié ou ce tiers, aura payé la valeur moyenne, ce qui est équitable, et il aura conservé le choix de la monnaie, ce qui est de respect de l'ordre public.
On pourrait faire une autre objection à cet usage de la liberté des conventions : on dira peut-être que, le législateur ayant établi un rapport fixe de valeur entre les monnaies légales, l'ordre public s'oppose à ce que les parties reconnaissent, admettent entre elles, un autre rapport légal et, par conséquent, qu'il est aussi troublé par la convention, dans un cas que dans l'autre.
Mais l'objection a le tort d'assimiler deux choses profondément différentes : quand le législateur établit le cours forcé des monnaies, il fait acte d'autorité dans son domaine qui est d'ordonner ce qu'il croit utile et de défendre ce qu'il croit mauvais : il ordonne au créancier de recevoir la monnaie légale que le débiteur lai offre, ou il défend au créancier de la refuser ; ce qu'il ordonne encore, impérativement, c'est de respecter les changements qu'il pourra apporter aux dénominations numériques des monnaies, c'est-à-dire, à leur valeur nominale, sans changement de valeur intrinsèque, ou à leur composition intrinsèque, sans changement de valeur nominale. Voilà les deux dispositions auxquelles il est interdit de déroger par convention ; ainsi, pour ne plus parler que de la dernière, le débiteur ne pourrait renoncer an droit de se libérer au moyen des monnaies altérées, en défalquant l'augmentation légale de valeur qu'elles ont reçue. L'article 463, 3e alinéa, est formel en ce sens, et il ne reçoit même pas un tempérament analogue à celui qu'apporte à la première prohibition l'article 465, 1er alinéa.
En somme, ce sont là les deux seules dispositions de la loi, en cette matière, auxquelles il est défendu de déroger par convention.
Quant à cette autre disposition de la loi qui établit un rapport de valeur entre les deux métaux, il faut reconnaître quelle n'est plus dans le domaine souverain du législateur ; ici, il propose plutôt qu'il ne dispose : s'il entendait être obéi sur ce point comme sur les deux autres, ia logique l'obligerait à défendre et à punir le commerce des métaux précieux, surtout le change des monnaies et le change dit “de place,” avec perte ou profit pour le changeur ou le banquier; or, il n'a jamais songé à défendre de pareils commerces qui sont, au contraire, jugés utiles, et même nécessaires et dignes de protection.
Art. 465. La loi réunit ici trois conventions qui ont un but analogue à celui de la précédente : à savoir, corriger le droit exorbitant qu'a le débiteur de payer la plus dépréciée des valeurs monétaires ; on y va trouver aussi une part faite à la liberté des stipulations, en même temps que le respect du principe d'ordre public d'après lequel le débiteur peut payer en la monnaie qu'il lui plaît de choisir.
Ier Cas. Le créancier n'a pas consenti à partager le risque résultant de la variation du cours respectif des deux monnaies, il n'a voulu s'y exposer que pour l'une d'elles, comme aussi il a entendu s'en réserver exclusivement le profit possible : pour cela, il a stipulé que le payement serait fait, non pas en espèces d'or ou d'argent (ce qui ne peut être stipulé), mais d'une valeur de tant de yens d'or ou d'argent: par exemple, de 100 yens d'or ou 100 yens d'argent. La convention aura son effet, en ce sens que le débiteur ne payera pas, à son gré, 100 yens d'argent, ou 100 yens d'or, ni la moyenne des deux valeurs, comme dans la convention précédente: il payera la raleur que représentent 100 yens de la monnaie promise ; seulement, comme il conserve le choix de la monnaie à donner effectivement en payement, il ramènera à cette monnaie la valeur qu'il a promise.
IIe Cas. Le créancier a fait la stipulation défendue par la loi (art. 463, 3e al.) : celle du payement réel en espèces d'or ou d'argent. Il n'eût pas été déraisonnable de soutenir que la stipulation était nulle pour le tout ; mais c'eût été donner à la loi une interprétation trop rigoureuse : sans doute, le débiteur ne peut renoncer au droit de payer en telle monnaie qu'il lui plaît ; cette renonciation serait contraire à l'ordre public, puisqu'elle exposerait le débiteur à ne trouver la monnaie promise qu'au prix de sacrifices qu'on ferait peser d'autant plus lourdement sur lui qu'il n'aurait aucun moyen de se passer des espèces promises ; mais du moment qu'il pourrait se libérer en donnant, en une autre monnaie, l'équivalent des espèces promises, d'après le cours commercial commun et officiellement constaté, il n'y a aucun inconvénient à donner à la convention l'effet raisonnable qu'elle peut recevoir. Il serait d'ailleurs ridicule que la convention, qui peut être valable avec cet effet, lorsqu'elle a la forme permise au 1er alinéa, fût sans effet parce que les parties, par imprévoyance, lui auraient donné une autre forme.
Enfin, l'interprétation que la loi elle-même donne ici de la convention n'est que l'application de deux principes généraux dictés aux tribunaux pour l'interprétation des conventions : 1° il faut, avant tout, rechercher quelle a été la commune intention des parties ; 2° il faut interpréter la convention de la manière qui lui donne un effet utile, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun (art. 356 et 358) ; il faut pourtant que cet effet soit licite, mais le 1er alinéa prouve qu'il n'est pas illicite.
IIIe Cas. Le créancier a stipulé une somme payable en monnaie étrangère. Dans beaucoup de pays, on admet la pleine validité de cette stipulation.
Le Code japonais ne croit pas devoir suivre ce précédent.
D'abord, il paraît tout-à-fait illogique de permettre d'exiger le payement réel en monnaie étrangère, quand on ne permet pas de l'exiger en une monnaie nationale déterminée, à l'exclusion des autres ayant également cours légal forcé. Ensuite, au Japon, il pourrait être, le plus souvent, fort difficile de se procurer des monnaies de la plupart des pays étrangers ; le débiteur serait forcé d'en faire venir par les banques, avec beaucoup de frais et de lenteurs. La loi donnera un effet suffisant à la convention, en obligeant le débiteur à payer, en espèces ayant cours au Japon, l'équivalent des monnaies étrangères, d'après le cours commercial de celles-ci comparé à celui des monnaies japonaises. C'est le même mode de payement que dans le ler cas ci-dessus exposé.
Les trois conventions prévues par notre article 465 présentent une particularité très-notable, quant à la forme, si on les compare a celle que prévoit l'article précédent : dans le cas de l'article 463, la stipulation avait expressément divisé entre les parties les risques et le profit éventuel résultant du cours des monnaies ; dans les cas du présent article, la stipulation est bien moins formelle pour laisser, soit au créancier, soit au débiteur les bonnes et les mauvaises chances: il a suffi au créancier de stipuler une somme en or ou en argent, ou en monnaie étrangère, pour avoir droit à l'équivalent de cette somme au cours réel du commerce. La loi s'est faite l'interprète de la pensée commune des parties : il lui a paru, avec raison, que, quand le créancier désigne ainsi une monnaie spéciale, soit pour être effectivement payée (ce qui dépasse son pouvoir), soit, au moins, pour déterminer la valeur à payer, il entendait spécialement se soustraire aux fluctuations des diverses monnaies et n'accepter le risque que pour une seule, en s'en réservant aussi le cours favorable.
Il est d'ailleurs très-légitime qu'un créancier, stipulant une somme en yens, détermine la valeur monétaire qui lui paraît moins sujette aux variations du commerce. Par exemple, un vendeur à terme est parfaitement en droit d'estimer que la chose qu'il vend vaut 1000 yens d'or ou 1200 yens d'argent; il en est de même du louage et de tous les contrats onéreux où il y a échange de valeurs. Assurément, une pareille opération pourrait se faire très-valablement, au comptant, c'est-à-dire sans terme, avec payement immédiat exigé en monnaie réelle d'or ou d'argent ; avec le terme, le débiteur y trouve encore l'avantage de pouvoir payer l'équivalent en une autre monnaie. Si la loi ne permettait pas la convention dont il s'agit, elle mettrait obstacle à beaucoup d'affaires utiles que les parties ne pourraient faire au comptant et qu'elles trouveraient trop périlleux de faire à terme, avec le danger de variation des cours.
Art. 466. Jusqu'ici, il n'a été question que des deux métaux précieux comme monnaies métalliques ayant cours forcé.
Les monnaies de cuivre et les monnaies divisionnaires d'argent présentent une double particularité au point de vue du cours forcé : 1° elles n'ont cet avantage que pour une somme assez limitée déterminée par des lois spéciales (e) ; 2° on peut, par convention, restreindre ou étendre cette limite.
Ainsi, 1° en l'absence de convention, le créancier est tenu de recevoir jusqu'à 1 yen en monnaie de cuivre, mais il peut refuser d'en recevoir davantage ; 2° les parties peuvent convenir que le créancier en recevra davantage, ou en recevra moins, ou même n'en recevra pas.
Les deux mêmes particularités se rencontrent pour les monnaies d'argent de moins d'un yen, dites “monnaies divisionnaires,” avec cette seule différence que la somme à laquelle le cours forcé est limité est de 10 yens.
Chacune de ces particularités est facile à justifier.
La limite du cours forcé a deux raisons d'être pour le cuivre :
1° Les monnaies de cuivre sont très-loin d'avoir une valeur intrinsèque égale à celle qui y est inscrite ; la quantité de métal qui entre dans une pièce de deux sens, d'un sen, d'un demi-sen ou d'un rin est bien inférieure, en valeur commerciale, à la valeur légale de ces monnaies. On a dû se résigner à cette anomalie pour n'avoir pas des monnaies de cuivre trop lourdes ; on comprend, dès lors, que le créancier ne soit pas tenu de recevoir une somme élevée de cette monnaie, autrement, il éprouverait, une perte considérable sur le change.
2° Les monnaies de cuivre, même avec cette réduction de leur valeur intrinsèque, sont encore lourdes et volumineuses, et ce serait causer au créancier des embarras sérieux que de lui imposer un payement considérable en cette monnaie.
Le premier seul de ces motifs est applicable aux monnaies divisionnaires d'argent et il l'est à un moindre degré : d'abord, les petites monnaies d'argent ne sont plus lourdes que les grosses, proportionnellement à leur valeur: les pièces de 50, 20, 10, 5 sens ne pèsent pas plus la 1/2, le 1/5e le 1/0e et le 1 /20e du yen d'argent ; mais elles ne sont pas frappées au même degré de fin, lequel n'est que de 8/10" contre 2/10es d'alliage. C'est donc parce que la valeur intrinsèque de ces pièces n'est pas tout-à-fait leur valeur légale que le créancier n'est pas tenu d'en recevoir pour une valeur excédant 10 yens.
La liberté laissée aux parties, d'étendre ou de restreindre cette limite légale de 1 yen pour le cuivre et 10 yens pour l'argent se justifie par l'absence d'intérêt public contraire : le but de la loi étant seulement de ménager l'intérêt et les convenances du créancier, il est naturel qu'il puisse, d'accord avec le débiteur, y pourvoir au traînent et à son gré. Mais, s'il peut stipuler qu'il recevra moins que les sommes sus-indiquées ou promettre qu'il en recevra davantage, il ne peut, au contraire, stipuler que le débiteur lui donnera autant ou plus que ces sommes, en cuivre ou en argent : autrement, il enlèverait à celui-ci le choix des autres monnaies, ce que l'on a vu être rigoureusement interdit.
Art. 467. La loi nous dit que le prêt d'argent comporte certaines règles particulières qu'on trouvera écrites à propos de ce contrat. On indiquera sommairement ici la principale, celle qui constitue une dérogation aux règles précédentes : il sera plus facile de l'apprécier après ce qui vient d'être dit.
On sait, par ce qui a été exposé au sujet de l'article 299, que le prêt est un contrat réel, c'est-à-dire exigeant pour sa formation, outre le consentement, la livraison des choses prêtées : cette livraison est la cause principale de l'obligation de rendre, elle en est aussi la mesure ; le débiteur ne doit rendre que parce qu'il a reçu, et il ne doit rendre que ce qu'il a reçu ; la seule extension que puisse recevoir cette obligation consiste dans les intérêts stipulés, et beaucoup de législations mettent une limite à la liberté de la stipulation d'intérêts ; telle est aussi la loi actuellement en vigueur au Japon. On comprend dès lors qu'un créancier qui a prêté 1000 yens en argent ne puisse stipuler qu'il lui sera rendu 1000 yens en or, ou la valeur équivalente au cours du change : ce serait, en réalité, stipuler une somme numérique supérieure à la somme prêtée.
On objectera peut-être que l'observation de cette disposition légale n'a pas de garantie sérieuse ; car l'emprunteur, qui est toujours plus ou moins à la discrétion du prêteur, consentira souvent à souscrire une promesse de 1000 yens en or, même quand il n'aura reçu que 1000 yens en argent ; mais ce danger n'est pas spécial au cas qui nous occupe : il est toujours à craindre que le débiteur qui ne reçoit que 700 ou 800 yens, en prêt, s'engage à en rembourser 1000 ou davantage, après un an, ce qui constitue pour le créancier un profit bien supérieur au taux légal de l'intérêt. Une pareille fraude, possible partout et toujours, et malheureusement fréquente, ne peut guère être combattue que par l'aveu du créancier c'est dire que le débiteur y réussira rarement.
Vcilà donc la principale différence entre le prêt d'argent et les autres contrats portant promesse de somme d'argent.
Il est inutile de faire remarquer que les autres dispositions des articles 463 à 466 sont applicables au prêt d'argent comme aux autres contrats ; notamment : le choix de la monnaie à payer laissé au débiteur, la faculté de diviser les pertes et les profits du change entre les parties, par le payement de la valeur moyenne, et l'usage limité des monnaies de cuivre et des monnaies divisionnaires d'argent.
Art. 468. Cet article règle conjointement deux des dernières questions posées au sujet du payement : En quel lieu et aux frais de qui le payement doit-il être fait ?
Le lieu du payement a souvent une grande importance pour les parties. Si le payement se fait au domicile du créancier (cas où la dette est dite portable), celui-ci n'est obligé à aucun déplacement et n'a à supporter ni les frais, ni les risqués d'un transport. S il se fait au domicile du débiteur (dette quérable ou requérable), c'est pour celui-ci que sont les mêmes avantages. Pour le débiteur, le lieu du payement a encore une autre importance: s'il ne possède pas les choses dues, il doit se les procurer et souvent elles ont une valeur commerciale plus considérable dans un lieu que dans un autre.
Il arrivera donc souvent que les parties prendront soin de fixer le lieu du payement et cette convention est si manifestement valable que la loi ne prend pas la peine de l'exprimer : elle se place immédiatement dans l'hypothèse où il n'y a pas eu convention à cet égard. Au surplus, les parties peuvent fixer, comme lieu du payement, le domicile réel ou la résidence, soit de l'une d'elles, soit d'un tiers. Si l'on a employé le mot domicile, il faudra, en général, l'entendre du domicile réel et non de la résidence. S'il y a eu indication de deux lieux conjointement, et que la chose soit divisible, le payement devra avoir lieu par moitié dans chaque lieu: les parties auront ainsi dérogé à la règle de l'indivisibilité du payement. Si deux lieux ont été indiqués, disjonctivement, le débiteur aura le choix du lieu, d'après le droit commun (art. 360, 1er al.).
1.1 ne faut pas confondre la fixation d'un lieu pour le payement avec l'élection de domicile pour l'exécution de. la convention : cette clause de la convention a beaucoup plus d'effets que la précédente, car, non seulement elle fixe le lieu du payement, mais encore celui où les significations, demandes et poursuites en justice pourront être faites.
Si les parties n'ont fait aucune convention au sujet du lieu du payement, il est naturel de décider en faveur du domicile du débiteur, comme le fait ici la loi. Et on remarquera, à ce sujet, que, si le contrat est synallagmatique ou bilatéral, chaque partie jouit isolément du bénéfice de payer à son domicile (voy. art.360, 2e al.). Toutefois, si un débiteur commence l'exécution dans un autre lieu, il pourra être tenu de l'a chever dans le même lieu, comme ayant renoncé au bénéfice de la loi. Une décision analogue pourrait être donnée dans le cas où, un lieu ayant été fixé par convention, l'exécution aurait été volontairement commencée ailleurs, sur la demande du créancier ou, au moins, sans opposition de sa part.
La loi indique deux dérogations à la règle que le payement, en l'absence de convention, se fait au domicile du débiteur: l'une est un renvoi à certains contrats pour lesquels, par des raisons spéciales, notamment, par interprétation de l'intention des parties, la loi désignera autrement le lieu du payement. Les principaux de ces contrats sont la vente, la société, le prêt à usage et le dépôt. L'autre dérogation, déjà connue, est relative à la délivrance d'un corps certain : la loi a cru devoir la rappeler par un renvoi à l'article 333.
La loi, par surcroît de précaution, suppose que la partie au domicile de laquelle le payement devait se faire a changé de domicile. Comme ce changement n'a vraisemblablement pas été prévu par l'autre partie, celle-ci n'en doit pas souffrir ; de là, son droit à une indemnité à raison du surcroît de frais qui en pourra résulter pour elle ; parmi ces frais, il faut remarquer ceux de change, s'il s'agit d'un envoi d'argent : ces frais qui remplacent ceux du transport effectif de l'argent, auront une importance spéciale dans le cas des conventions prévues aux articles 464 et 465.
Cette disposition s'applique, aussi bien quand le domicile de l'une des parties, pour le payement, avait été fixé par convention, que lorsque, à défaut de convention, il s'agit du domicile du débiteur; enfin, elle s'applique aussi au cas où il s'agit du domicile d'un tiers.
La loi suppose que le changement de domicile a eu lieu “sans fraude; "si donc, il y avait preuve que le changement n'a eu lieu, par une partie, que pour nuire à l'autre, celle-ci pourrait toujours maintenir son droit de payer ou de recevoir au lieu précédemment fixé.
La loi termine par une disposition sur les autres frais du payement : elle les met à la charge du débiteur, parce que ces frais sont, plutôt dans son intérêt que dans celui du créancier, ils sont d'ailleurs un accessoire de la dette principale. On peut compter comme frais de payement, le timbre de la quittance et les frais de notaire, s'il y a lieu.
Pour les dettes d'argent, on paye quelquefois en présence et sous le contrôle d'un banquier qui perçoit un léger salaire ; en tout cas, s'il s'agit de meubles plus ou moins lourds ou volumineux, de denrées ou de marchandises, il y a toujours les frais de délivrance qui sont à la charge du débiteur, comme il est dit à l'article 333 précité.
Art. 469. Outre les cinq questions relatives au payement et maintenant résolues, il y en a une non moins importante, celle de savoir : Quand le payement doit être fait ? Mais cette question se rattache, en même temps, à l'une des modalités de l'obligation qui peut être pure et simple ou à terme ; or, les modalités ont été déjà traitées au sujet des effets des obligations (v. art. 403 à 407).
Rappelons seulement que le payement doit être fait au temps convenu, et, à défaut de convention expresse ou tacite, aussitôt que l'obligation est née ; de même, il doit être fait en entier et non par parties ; sauf le droit conféré aux tribunaux d'accorder des délais modérés et de permettre le fractionnement du payement, si cela paraît nécessaire au débiteur sans nuire au créancier (voy. art. 400).
La loi saisit cette occasion de faire ici une place utile à l'échéance, en accordant une nouvelle faveur au débiteur : quand l'échéance tombe un jour férié légal, le débiteur gagne un jour.
§ II — DE L'lMPUTATION DES PAYEMENTS.
Art. 470. La loi indique suffisamment, dans ce premier article, dans quel cas il y a lieu à imputation de payement.
L'imputation des payements est faite par le débiteur ou par le créancier ou par la loi.
Dans cet article, la loi a soin d'indiquer avec précision que, pour qu'il soit question d'imputation, il faut que le débiteur ait envers le même créancier plusieurs dettes de même nature, c'est-à-dire de même objet, et qu'il fasse, à titre de payement, un versement qui ne peut les éteindre toutes. C'est alors qu'il importe de savoir laquelle est éteinte ; car, bien qu'ayant des objets de même nature, elles peuvent peser sur le débiteur d'une façon plus ou moins lourde : les unes peuvent porter des intérêts et les autres non, les unes être garanties par une hypothèque et les autres être purement chirographaires, les unes être sanctionnées par une clause pénale ou par une menace de résolution ou de déchéance, les autres n'avoir pour sanction que le droit de poursuite ordinaire.
Sur la condition d'identité d'objet de diverses dettes avec la nature de la chose payée, il n'y a pas besoin d'insister: il est clair que si le débiteur doit, d'une part, des denrées ou marchandises et, d'autre part, de l'argent, et qu'il donne de l'argent en payement, il ne sera pas possible d'imputer ce payement sur la dette de denrées, et réciproquement. Du reste, en fait, c'est presque toujours entre diverses dettes d'argent que la question d'imputation du payement se présente ; il est rare que des dettes d'autres choses fongibles soient tellement semblables entre elles et avec la chose payée qu'il y ait incertitude sur le point de savoir à quelle dette s'appliquent les choses données en payement.
Lors donc que le débiteur paye une somme ou valeur qui pourrait, par sa nature, éteindre une dette ou une autre, la loi lui permet d'en faire l'imputation au moment du payement, par conséquent, de requérir du créancier qu'il la mentionne dans la quittance. Si celui-ci s'y refusait et que le débiteur persistât dans sa prétention, ou bien, il refuserait le payement et attendrait des poursuites, ou bien, il ferait les offres et la consigation dont il sera parlé ci-après et il y reproduirait l'imputation.
Il est naturel que le droit d'imputation appartienne au débiteur de préférence au créancier ; c'est une nouvelle application de la juste protection que la loi lui accorde en général.
Mais son droit d'imputation n'est pas illimité, ni tout-à-fait arbitraire : la loi lui impose trois limites.
1" Si l'une des dettes est à terme et que le terme soit dans l'intérêt du créancier, le débiteur ne peut, par son imputation, devancer l'échéance du terme ; au contraire, si le terme est dans son propre intérêt (et c'est le cas présumé), il peut, par son imputation, renoncer au bénéfice du terme.
2° Si une ou plusieurs des dettes portent intérêt ou ont occasionné des frais au créancier, le débiteur doit d'abord faire l'imputation sur frais, puis sur les intérêts, et c'est seulement l'excédant qu'il imputera, à son gré, sur le capital de l'une ou l'autre des dette : le motif est qu'il ne doit pas diminuer le capital productif d'intérêts avant d'avoir payé les frais et intérêts qui eux-mêmes n'en portent pas ou n'en portent qu'à des conditions spéciales (v. art. 394).
Un cas pourrait faire doute : le débiter doit des intérêts échus sur une dette encore non échue, il a de plus une autre dette non productive d'intérêts, ou dont les intérêts sont déjà payes : il fait un payement qu'il prétend imputer sur le capital de cette dernière dette, sans payer d'abord les intérêts échus de l'autre ; cette prétention ne sera pas admise avec les termes du présent article qui donne la priorité aux frais et intérêts sur tous "les capitaux.”
3° Si l'imputation peut se faire intégralement sur une ou plusieurs dettes, le débteur ne peut la faire sur d'autres, de façon à effectuer des payements partiels, ce qui lui est défendu par l'article 439 ; ainsi, s'il doit 2000 yens, d'une part. 1000 yens, d'une autre, et qu'il paye 1000 yens, il ne peut en faire l'imputation sur les deux dettes, mais seulement sur celle de 1000 yens, laquelle se trouvera éteinte en entier ; s'il doit 2000 yens, 1200 yens et 900 yens, et qu'il donne 1000 yens, il devra d'abord imputer sur la dette de 900 yens ; mais il reste libre d'imputer les 100 yens d'excédant sur celle des deux autres dettes qu'il préfère diminuer ; à moins que le créancier ne refuse de recevoir l'excédant de 100 yens, ce qui est son droit Du reste, les limites qui précèdent cessent, si le créancier consent à une imputation défendue au débiteur : elle devient alors conventionnelle.
Enfin, la liberté d'imputation par le débiteur n'est pas modifiée par la cause des dettes, ni par leur ancienneté en date ou en échéance.
Une dernière question reste à examiner ici. D'après les termes mêmes du 1er alinéa, l'imputation doit être faite par le debiteur, au moment où il paye ou, au plus tard, au moment où il demande et obtient la quittance ; c'est la conséquence naturelle de ce que l'imputation détermine l'effet extinctif du payement; si donc le débiteur n'a pas fait l'imputation à ce moment, le droit de la faire passer au créancier, comme le dit l'article suivant, et, si ce dernier manque également à la faire, elle est faite par la loi. La question est de savoir si après l'imputation du créancier on celle de la loi, les parties pourraient, d'un commun accord, revenir sur ce qui a été fait et faire une nouvelle imputation qui serait conventionnelle. La même question pourrait se poser s'il y avait eu une première imputation par le débiteur et que les parties fussent d'accord pour la changer.
Au premier abord, l'affirmative ne semble pas douteuse, puisque l'ordre public n'est intéressé dans l'imputation ; mais il ne faut admettre cette convention que si aucune tierce-personne n'est intéressée à maintenir la précédente imputation : autrement, elle ne doit pas perdre un droit acquis. Ainsi, la première imputation a porté sur une dette garantie par une caution, laquelle s'est trouvée libérée, même à son insu : celle-ci ne pourra, par l'accord des parties, être replacée dans les liens de son obligation. De même, la dette éteinte par l'imputation était hypothécaire : l'hypothèque s'étant trouvée éteinte en même temps, les créanciers hypothécaires subséquents et même les créanciers chirographaires en ont profité ; dès lors, il est impossible aux parties de faire revivre la dette hypothécaire au préjudice de ceux-ci, lors même qu'ils auraient ignoré l'extinction.
Art. 471. La loi suppose maintenant que le débiteur n'a pas fait l'imputation ou en a fait une qui n'est pas valable ; le créancier, dès lors, a pu user de son droit de la faire, et sa liberté est plus grande que celle du débiteur, car la loi déclare qu'il peut la faire “librement elle ne le soumet qu'à une seule condition, celle de faire l'imputation dans la quittance, comme lorsqu'elle est faite par le débiteur, et elle ne met à sa liberté qu'une limite, laquelle est particulière au cas de société. On est cependant habitué à voir la loi réserver ses faveurs au débiteur plutôt qu'au créancier. La raison de cette différence est double : d'abord, le débiteur, ayant pu faire l'imputation et ne l'ayant pas faite, est présumé en avoir donné le pouvoir au créancier ; ensuite, il peut toujours refuser une quittance qui contiendrait une imputation préjudiciable à ses droits : par exemple, si le créancier avait imputé sur une dette non échue, quand le terme était établi dans l'intérêt du débiteur, ou avait imputé sur une dette contestée ou contestable par le débiteur. Lors donc que le débiteur reçoit la quittance portant imputation par le créancier et ne fait pas, à cet égard, de "protestations ou réserves,” l'imputation vaut plutôt par son consentement que par la volonté du créancier.
La loi termine encore par une protection du débiteur : lors même qu'il aurait accepté la quittance sans réclamation, il pourrait encore la critiquer pour deux causes : erreur de sa part, surprise de la part du créancier.
Quant au cas de surprise de la part du créancier, les tribunaux ne devront pas l'admettre trop facilement; mais on peut supposer que le créancier, abusant de l'ignorance où était le débiteur qu'une des dettes était attaquable, a fait, à dessein, porter l'imputation sur cette dette, pour qu'elle fût considérée comme ratifiée par le payement.
L'erreur du débiteur, la surprise à son égard, ne sont pas invraisemblables, si l'on suppose que le débiteur actuel est l'héritier du débiteur originaire.
Il va de soi que l'imputation faite par le créancier et acceptée par le débiteur, expressément ou tacitement, ne pourrait plus être changée, même par un commun accord des parties, s'il y avait des tiers intéressés à son maintien.
Art. 472. On arrive à l'imputation faite par la loi, lorsque les parties ne l'ont pas faite ou ne l'ont pas faite valablement; et il faut, tout d'abord, remarquer, à ce sujet, que l'imputation non valable ne peut être désormais corrigée par la partie qui aurait eu le droit de la faire plus exactement : lorsque l'imputation est annulée par le tribunal, le payement subsiste, et, comme il doit avoir eu un effet immédiat d'extinction, du jour où il a été accompli, cet effet, n'étant pas réglé par les parties, se trouve l'avoir été par la loi.
Lorsque la loi fait l'imputation, elle se préoccupe moins de suppléer à l'intention probable des parties que de donner satisfaction à l'intérêt légitime de chacune, comme on va le voir en reprenant les cinq alinéas.
1° S'il y a des dettes échues et des dettes non échues, il n'y a d'imputation légale que sur celles qui sont réellement échues, et il n'y a pas à distinguer ici dans l'intérêt de quelle partie le terme avait été établi ; car la loi n'a pas qualité pour suppléer la volonté de cette partie dans le sens de la renonciation au terme.
2° Toutes les dettes étant échues, en capital et intérêts, on retrouve ici la règle que la dette des frais et intérêts doit être éteinte avant celle des capitaux : la loi qui a astreint le débiteur à cette imputation préalable ne pouvait manquer à la faire elle-même. On remarquera, à ce sujet, qu'il n'y a pas de distinction entre les intérêts moratoires et les intérêts compensatoire, et, d'un autre côté, qu'une dette de dommages-intêrêts, même liquidée, ne serait considéré, ni comme dette de f rais, ni comme dette d'intérêts : ce serait une dette ordinaire
3° Toutes les dettes étant échues, ou toutes étant non échues, et les frais et intérêts étant payés, l'extinction portera sur la dette que le débiteur a le plus d'intérêt ou d'avantage à acquitter, autrement dit, sur la plus onéreuse pour lui.
Il y a des cas où l'avantage du débiteur à être libéré d'une dette plutôt que d'une autre est manifeste; d'autres où l'appréciation, étant délicate et variant avec les circonstances du fait, devra être laissée aux tribunaux.
Ainsi, la dette qui porte intérêts est évidemment plus onéreuse que celle qui n'en porte pas ; celle dont l'inexécution doit entraîner une forte clause pénale, une déchéance ou une résolution, est plus onéreuse qu'une dette qui n'a que les sanctions civiles ordinaires ; celle qui est garantie par une hypothèque est plus onéreuse que la dette simplement chirographaire. Sont également plus onéreuses : celle dont le débiteur est tenu en son nom plutôt que celle dont il est tenu comme caution, celle dont il est tenu seul plutôt que celle dont il est tenu solidairement avec d'autres ; celle à l'égard de laquelle il y a titre exécutoire ou poursuites commencées plutôt que celles qui n'ont pas un caractère aussi menaçant.
Mais, il y a plus de difficulté si l'on compare une dette chirographaire portant intérêts avec une dette hypothécaire qui n'en porte pas, ou une dette dont le débiteur n'est tenu que comme caution et pour laquelle il a fourni hypothèque avec celle dont il est tenu en son nom, sans hypothèque : quand les charges respectives des dettes sont de natures différentes, la comparaison et, par suite, le résultat de l'imputation légale doivent être laissés à l'appréciation des tribunaux. On ne devra pas dire cependant qu'il a alors imputation judiciaire, elle sera toujours légale : les tribunaux ne l'auront pas faite en vertu de leur autorité, mais par interprétation et par application de la loi.
4° Si ce caractère plus onéreux ait débiteur ne se rencontre dans aucune des dettes, la loi trouve encore une cause préférable d'imputation dans l'échéance. Et ici, elle fait une différence radicale entre les dettes échues et les dettes non échues : si les dettes sont toutes échues, c'est celle qui est la plus ancienne en échéance qui recevra l'imputation ; si aucune n'est échue, c'est, au contraire, celle dont l'échéance est la plus prochaine. Cette différence est facile à justifier. La dette la plus anciennement échue est celle à l'égard de laquelle le débiteur est le plus en faute ; c'est aussi celle à l'égard de laquelle le créancier court le plus de risque de perdre son droit par la prescription ; il est donc juste que le débiteur soit présumé avoir entendu éteindre cette dette, de préférence, et, s'il n'a pas eu cette intention, que la loi y supplée. Si, au contraire, aucune dette n'est échue, Je débiteur n'a commis aucune faute, il n'a encore aucun devoir de payer ; mais, puisqu'il paye avant tous les termes, il est censé renoncer à celui qui est le plus court, le plus près d'échoir ; et, si les termes étaient dans l'intérêt du créancier, le fait par lui d'avoir reçu prématurément pourrait le priver du bénéfice de l'un des termes, lequel, raisonnablement, doit encore être le plus court, le plus proche.
5° La loi suppose enfin que “toutes choses sont égales," c'est-à-dire que les diverses dettes sont semblables en tous points ; dès lors, comme il n'y a plus aucune cause d'imputer sur l'une plutôt que sur l'autre, l'imputation est faite par la loi sur toutes en même temps, non par égales portions, mais proportionnellement à leur importance. On arrive alors à des payements partiels ; mais le créancier ne peut s'en prendre qu'à lui-même de n'avoir pas fait une imputation particulière.
Art. 473. Le compte courant est plus usité en matière commerciale qu'en matière civile, cependant rien n'empêche et il n'est pas rare qu'il existe entre personnes non commerçantes et pour affaires non commerciales.
Le compte courant n'est pas un contrat particulier, c'est une simple convention accessoire, créant un mode spécial de comptabilité, applicable à des contrats réciproques déjà faits et à d'autres contrats futurs; ces contrats, au lieu de conserver leur caractère propre, leur cause distincte, leurs effets indépendants, se fondent ensemble, se compensent, et finissent par se solder en une différence, à le charge de l'un et au profit de l'autre, ou par se balancer, s'équilibrer exactement, avec libération réciproque.
Le compte courant a lien surtout entre personnes appelées à se faire des fournitures réciproques de choses semblables: spécialement, d'argent ou de choses toujours estimées en argent. Chaque partie peut tenir le compte, c'est-à-dire le dresser, au fur et à mesure des opérations : chacune a son débit, ou la somme de ce qu'elle reçoit et, par conséquent, de ce qu'elle doit, et son crédit, ou la somme de ce qu'elle fournit, de ce dont elle est créancière. Toutes les opérations étant ramenées à une valeur en argent due par l'une des parties à l'autre, c'est comme s'il y avait une série de prêts successifs et mutuels. Le caractère distinctif du compte courant est donc l'unité, malgré la diversité de ses éléments.
Voici maintenant en quoi les précédentes règles de l'imputation sont inapplicables au compte courant :
1° Dans le compte courant, toutes les dettes formant le débit de chaque partie sont échues ; car la partie créancière peut toujours se faire verser le montant de son solde créditeur ; donc, les versements du débiteur s'imputent sur la masse de son débit ;
2° S'il y a des intérêts, toutes les dettes portent intérêt et le même intérêt ; il n'y a donc pas à dire que l'une d'elles est plus onéreuse que l'autre à cet égard ; même observation pour l'hypothèque : s'il y a eu constitution d'hypothèque, c'est pour la garantie de tout le compte ou, au moins, du solde débiteur, quels qu'en soient les éléments constitutifs. Il n'y a donc, en réalité, dans le compte courant, qu'une seule dette qui est flottante, susceptible d'augmenter ou de diminuer à chaque instant, et même de se déplacer d'une partie sur l'autre, par l'effet des versements faits de chaque côté.
Si l'une des règles de l'imputation est applicable au compte courant, c'est la dernière, en vertu de laquelle l'imputation se fait, à la fois, sur toutes les dettes, simultanément et proportionnellement. Ce résultat s'obtient sous une autre forme : les versements sont, comme dit le texte, “portés au crédit de celui qui les effectue ils sont, en même temps, portés au débit de celui qui les reçoit et contribuent ainsi, soit à élever le sol de créditeur, soit à le diminuer, soit à balancer ou équilibrer le compte.
§ III. DES OFFRES DE PAYEMENT ET DE LA CONSIGNATION.
Art. 474. Il n'y a rien d'invraisemblable à supposer qu'un créancier refuse de recevoir le pavement : le cas le plus simple et le plus fréquent est celui où le créancier prétend, de bonne foi, que le payement proposé par le débiteur ne comprend pas tout ce qui lui est dû ; il peut arriver aussi que le créancier préfère prolonger un placement sûr ou qui lui rapporte de gros intérêts, ou qu'il ne veuille pas momentanément courir les risques de la possession de la chose due ; ces dernières prétentions n'étant pas légitimes seront toujours déguisées sous le prétexte précédent.
Le débiteur, de son côté, par les raisons exactement inverses, tient à se libérer; quelquefois même il a l'intérêt, encore plus sérieux, d'éviter soit des déchéances de droits acquis, soit une résolution du contrat, une clause pénale ou des dommages-intérêts.
En présence de ce désaccord, il convient qu'aucune des parties ne soit à la discrétion de l'autre.
S'il fallait faire vider le différend par la justice dans les formes ordinaires, il y aurait des lenteurs préjudiciables aux deux parties, même à celle qui aurait définitivement gain de cause. La loi organise donc une procédure extrajudiciaire rapide et peu coûteuse sur laquelle la justice pourra avoir à statuer ultérieurement, si chaque partie persiste dans ses prétentions- Cette procédure se compose de deux actes bien distincts : les offres, la consignation. La loi indique avec soin l'effet séparé de chacun de ces actes ; trois articles sont consacrés aux offres et deux à la consignation.
La loi distingue ici quatre sortes d'obligations, quant à l'objet ou à la chose due, laquelle peut être : une somme d'argent, un corps certain (avec une distinction), une chose fongible ou de quantité, enfin, un fait à accomplir.
1er al. Lorsqu'il s'agit d'une dette d'argent, la loi ne se contente pas que le débiteur déclare qu'il est prêt à la payer, elle vent encore qu'il présente les espèces au créancier, c'est ce qui fait donner aux offres le nom de réelles, parce que la chose même est offerte. Et remarquons que, dans ce cas, il y a dérogation à la règle ordinaire d'après laquelle le payement peut se faire au domicile du débiteur quand il n'y a pas convention différente : si le débiteur tient à se libérer et que le créancier, dûment averti, ne se présente pas, le débiteur doi, prendre la peine de lui faire porter les espèces, à persont ne ou domicile ; sauf à se faire rembourser les frais qui en résultent. La loi exige la présentation des espèces, pour augmenter les chances d'acceptation du créancier ; car la loi désire toujours l'extinction des dettes, et elle n'ignore pas que le mauvais vouloir ou les exigences peut-être exagérées du créancier fléchiront souvent, quand il n'aura plus qu'une quittance à donner pour mettre fin au débat.
2e al. La chose due est un objet individuellement déterminé, un corps certain, et la livraison doit se faire au lieu où il se trouve actuellement, soit que ce fût le lieu de a convention, soit que ce fût un autre lieu où le débiteur avait déjà transporté l'objet, en vertu de ladite convention ; dans ce cas, les offres ne consisteront que dans la déclaration du débiteur qu'il est prêt à livrer audit lieu : il ne sera pas nécessaire qu'il fasse porter et présenter l'objet au domicile du créancier, ce serait trop aggraver la position du débiteur, en lui créant des embarras sérieux, lors même qu'il en devrait être indemnisé.
3e al. Il s'agit encore d'un corps certain, mais il est livrable au domicile du créancier ou dans un autre lieu où il n'est pas encore. En principe, le débiteur devrait le transporter purement et simplement audit lieu ; mais comme le débiteur sait déjà que le créancier ne veut pas recevoir (peut-être, parce qu'il soutient que l'objet a été détérioré par la faute du débiteur), il y aurait souvent un grand inconvénient à transporter la chose pour les offres, et à la rapporter ensuite, en cas de refus. La loi autorise donc encore le débiteur à faire ses offres par une simple déclaration portant qu'il est prêt à livrer au lieu convenu. Cette faveur n'est accordée au débiteur que si le transport est “coûteux, difficile ou dangereux or, c'est sous sa responsabilité que le débiteur appréciera s'il convient ou non d'effectuer ce transport préalable ; s'il ne l'a pas fait et qu'ensuite le créancier, refusant les offres, prouve que l'objet avait pu être transporté sans inconvénients sérieux, le débiteur supportera les frais des offres.
Les choses de quantité sont ici assimilées aux corps certains : elles ne devront être présentées que si le payement doit être fait au domicile du créancier ou dans un autre lieu que celui où elles se trouvent actuellement, et si le transport n'a pas d'inconvénients sérieux.
4e al. Pour l'obligation “de faire,” comme celle d'exécuter un travail : il est clair qu'il ne peut être question d'offres réelles. Une distinction est d'ailleurs nécessaire : si le travail n'exige pas le concours, la présence du créancier, le débiteur doit l'exécuter de son côté et il n'aurait à faire d'offre d'exécution au créancier que si celui-ci avait élevé des prétentions à la résiliation du contrat ou à une exécution différente de celle que veut faire le débiteur ; si, au contraire, l'exécution demande la présence, le concours du créancier, comme un portrait à faire, des vêtements à confectionner sur mesure ou des travaux à exécuter dans sa maison, sous sa direction, le débiteur, au cas de refus du créancier, le sommera de concourir à l'exécution, en déclarant qu'il est prêt de son côté à y procéder.
Il ne peut être ici question d'offres d'exécuter une obligation "de ne pas faire:" il suffira au débiteur de s'abstenir.
Art. 475. Les conditions et formalités des offres ne sont guère autres que celles requises pour la validité du payement, déjà exposées précédemment, et cela est naturel, puisque les offres suivies de la consignation libèrent le débiteur. Il paraît donc inutile de les reproduire ici et la loi se borne à exiger pour les offres les conditions requises pour le payement. Quant aux formalités extrinsèques des offres, elles appartiennent à la procédure extrajudiciaire. Le Code les renvoie toutes à une loi spéciale.
Art. 476. Cet article règle les effets des offres. On les suppose “valables,” au fond et en la forme et, de plus, “faites en temps utile,” ce qui n'est pas une condition de leur validité, mais rend leurs effets plus favorables au débiteur. Dans ce cas, elles préservent le débiteur des conséquences qu'aurait entraînées pour lui un retard dans l'exécution. Ainsi, un vendeur s'était réservé la faculté de rachat, par la restitution du prix dans un délai fixe, ou un locataire s'était réservé le droit de renouveler le bail, en prévenant un certain temps à l'avance et en payant un terme à échoir ; si l'un ou l'autre laisse écouler le temps fixé sans verser les sommes dues pour le rachat ou la relocation, il encourt une déchéance immédiate, de plein droit et sans sommation : les offres faites” en temps utile,” c'est-à-dire avant l'expiration du délai, le préserveront de cette déchéance. Il en est de même de la résolution pour inexécution des conditions, et, lois même que le débiteur se trouverait dans un des cas où la résolution n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée et prononcée en justice, il ne suffirait pas qu'il déclarât, au cours de la procédure, qu'il est prêt à exécuter : il devrait suivre la forme particulière des offres et présenter les espèces ou la chose due, suivant les distinctions précitées ; s'il l'a fait avant que le jugement ait prononcé la résolution, il en est préservé. Enfin, il échappe, par les offres faites entemps utile, à la clause pénale stipulée comme dommages-intérêts pour le retard.
Les offres valables ont encore pour effet d'empêcher que le créancier mette valablement le débiteur en demeure d'exécuter , s'il le fait néanmoins, l'acte sera sans effet contre le débiteur. Si même la mise en demeure avait eu lieu avant les offres, celles-ci en arrêteraient les effets et, "elles purgeraient la mise en demeure” La conséquence est que la chose due ne serait plus aux risques du débiteur et qu'il ne serait pas exposé à des dommages-intérêts, ni tenu de payer des intérêts moratoires.
Art. 477. La loi suppose que le créancier n'a pas accepté les offres ; le débiteur n'est pas encore libéré : il lui reste pour cela, à consigner la chose due, c'est-à-dire, à s'en dessaisir, dans des conditions où elle sera à la disposition du créancier.
Le mode de dessaisissement varie suivant la nature de la chose due.
S'il s'agit d'une dette d'argent, le débiteur doit verser les espèces dans une caisse publique spéciale à ce destinée ; c'est la “consignation” proprement dite. Si la dette produit des intérêts compensatoires, légaux ou conventionnels, tout ce qui en est échu, jusqu'au jour de la consignation, doit être joint au capital.
Si la dette est d'un corps certain ou d'une quantité d'objets fongibles, la consignation ne peut être faite comme pour les sommes d'argent, aucune administration publique n'étant spécialement organisée dans ce but ; mais le débiteur demande au tribunal de fixer un lieu où les choses dues seront déposées : le tribunal pourra désigner quelque administration publique ou privée, peu éloignée, ayant des locaux et des services qui rendent facile la garde et la conservation des objets; par exemple, la douane, dans les ports. Le tribunal pourra aussi autoriser le débiteur à conserver les objets dans ses propres locaux ou magasins On nomme “séquestre ou gardien judiciaire” la personne ains chargée par justice de conserver les objets au sujeti desquels il y a contestation. La consignation, ou la mesure qui en tient lieu, a aussi ses formes particulières comme les offres : le Code les réserve à une loi spéciale.
Art. 478. La loi n'a plus qu'à déterminer les effets de la consignation. Elle libère le débiteur et sa libération profite à ses codébiteurs et à ses cautions ; s'il avait donné un gage ou une hypothèque, ses biens en sont affranchis. La loi n'a pas cru nécessaire de tirer cas conséquences normales de toute libération ; mais elle en a indiqué une qui aurait pu faire doute : “la chose consignée est aux risques du créancier.” Il semble cependant que, cet effet étant déjà produit par les offres, la consignation n'y ajoute rien ; mais les offres n'affranchissent le débiteur que des risques résultant pour lui de la demeure, non de ceux auxquels il se serait soumis par convention en dehors de toute faute ou retard de sa part. La consignation l'affranchit même de ces derniers risques.
La libération qui résulte de la consignation, quoique complète, n'est pas irrévocable : tant que le créancier ne l'a pas acceptée, soit expressément, soit tacitement, en retirant les objets consignés, le débiteur peut revenir sur ce qu'il a fait et reprendre lui-même les choses déposées. Alors la libération est résolue et considérée comme n'ayant pas eu lieu : elle est “réputée non avenue,” comme dit le texte, et la conséquence est que l'obligation pèse de nouveau sur les codébiteurs et les cautions et que les gages et hypothèques renaissent au profit du créancier.
L'acceptation du créancier met obstacle à cette renaissance entière de la dette au gré du débiteur.
Le même obstacle résulte du jugement que le débiteur aura pu obtenir, déclarant bonnes et valables les offres et la consignation. En effet, le débiteur, s'il n'a pas l'intention de revenir sur la consignation et s'il veut être assuré que sa libération ne lui sera pas contestée plus tard, ne manquera pas d'assigner le créancier en justice, pour faire prononcer contradictoirement la validité de sa libération. Une fois ce jugement rendu au profit du débiteur et avant même qu'il soit devenu inattaquable, le débiteur est lié, puisqu'ayant triomphé, il ne peut le frapper d'opposition, d'appel, ni de pourvoi : le jugement a déjà “force de chose jugée” à son égard ; mais, si le créancier l'attaque par une des voies de recours, le débiteur n'est plus tenu de le respecter, de son côté, et il peut retirer la consignation. Cette faculté de lui est donc définitivement enlevée que par le consentement du créancier ou par l'irrévocabilité du jugement de validité.
Dans ce dernier cas encore, le débiteur peut retirer les choses consignées, si le créancier y consent; mais les effets du retrait seront bien différents ; la dette ne renaîtra qu'entre le créancier et le débiteur personnellement, elle ne renaîtra pas “au préjudice des tiers.” La loi aurait pu présenter l'idée en ces termes brefs ; mais, pour plus de clarté, elle exprime que les codébiteurs et les cautions restent désormais libérés et que les nantissements et hypothèques ne renaissent pas, en sorte que le créancier n'aura plus sur les autres créanciers le droit de préférence qui lui appartenait à l'origine; enfin, la loi suppose que des créanciers du créancier avaient pu pratique des saisies-arrêts sur les sommes ou valeurs consignées ou déposées, et elle décide que le retrait ne pourra avoir lieu par le débiteur au préjudice des saisissants.
§ IV. DU PAYEMENT AVEC SUBROGATION.
Art. 479. Le payement avec subrogation est l'opposé du payement “simple” auquel est consacré le § Ier, c'est un payement “complexe ou composé” produisant deux effets si différents qu'ils paraissent contradictoires. On verra cependant qu'ils sont conciliables.
La matière est difficile, parce qu'elle se combine avec plusieurs théories importantes : notamment, avec les hypothèques, le cautionnement et la solidarité ; elle présente aussi un danger de confusion avec d'autres théories : notamment, avec la cession de créance et avec la novation par changement de créancier.
Ce premier article, sans être tout-à-fait une définition du payement avec subrogation, en indique le double effet déjà annoncé : comme payement, il est et il ne peut pas manquer d'être extinctif de l'obligation ; mais puisqu'il n'est pas un payement pur et simple, son effet extinctif est incomplet : la dette est vraiment éteinte par rapport au créancier qui n'a plus aucun droit, elle subsiste par rapport au débiteur qui n'est nullement libéré. Aussi peut-on dire que la subrogation est une fiction de droit qui permet de considérer comme subsistant encore, au profit du tiers qui a payé, l'obligation qui a cessé d'exister au profit du créancier.
Mais de ce que le subrogé acquiert la créance primitive elle même il ne résulte pas qu'il soit privé de l'action spéciale qui lui appartient de son propre chef et qui est née de la gestion d'affaires ou du mandat : il peut suivant son intérêt, se prévaloir de l'une ou de l'autre ; il peut même les cumuler, en demandant par l'une ce qu'il ne pourrait obtenir par l'autre ; ainsi, si la dette primitive ne portail pas d'intérêts, le tiers qui l'a payée en vertu d'un mandat aurait droit aux intérêts légaux de ses déboursés, d'après les règles du mandat ; mais il ne pourrait alors invoquer, pour ces intérêts, la garantie d'une hypothèque ou d'un cautionnement attachés à la première dette. Dans un cas même, le tiers n'aura contre le mandant que l'action de mandat, c'est lorsque la dette qu'il a payée n'existait pas; dans ce cas, il n'y a, en réalité, aucune subrogation : le payement est sujet à répétition, comme indû ; mais si celui qui a reçu est insolvable ou s'il est difficile de faire contre lui la preuve que la dette n'existait pas, le mandataire peut toujours se retourner contre le mandant, responsable du mandat qu'il a donné. Dans le cas de gestion d'affaires, le gérant n'aurait que la répétition de l'indû contre celui qui a reçu.
L'article 479 annonce trois sortes de subrogations : à la rigueur, on pourrait n'en reconnaître que deux, l'une conventionnelle, l'autre légale ; mais il faudrait alors subdiviser la subrogation conventionnelle en deux cas, ce qui serait plus compliqué.
Il n'est pas question ici de subrogation judiciaire : on en a rencontré une application dans l'article 339 ; mais elle n'a aucun rapport avec le payement.
Art. 480. Le cas de subrogation par le créancier est le plus simple ; la loi ne le soumet qu'à deux conditions : que la subrogation soit "clairement mentionnée” et qu'elle soit faite dans la quittance, c'est-à-dire, au moment même où. le payement est régulièrement accepté.
Il y aura toujours une difficulté possible, c'est celle de savoir s'il y a eu payement avec subrogation ou transport-cession de créance ; en d'autres termes, si la somme ou valeur fournie par le tiers l'a été comme payement et pour acquitter la dette, ou comme prix de cession et pour acquérir la créance. Les deux opérations ont, comme on l'a annoncé, plus d'analogies que de différences : la plus considérable des différences se trouve mentionnée à l'article 484 sous lequel elle sera justifiée. Il faut laisser aux tribunaux le soin de décider ce que les parties ont entendu faire, d'après les expressions employées dans la convention, d'après la correspondance qui a pu être échangée à ce sujet, enfin, d'après le motif qui a pu faire agir le tiers, lequel peut être le désir de rendre un bon office au débiteur ou, au contraire, l'esprit de spéculation.
La seconde condition est encore plus simple ; si la subrogation n'est pas accordée “au moment du payement,” elle ne peut plus l'être ensuite, parce que la dette, se trouvant alors éteinte, absolument et sans réserve, ne peut renaître par aucun acte.
Il ne faudrait pas ajouter à la loi, en exigeant une quittance subrogative écrite ; sans doute, cela sera désirable et le plus fréquent ; mais l'écrit ne sera exigé ici qu'autant qu'il sera nécessaire d'après le droit commun des preuves : un payement effectué devant témoins, avec déclaration verbale de subrogation par le créancier, serait parfaitement valable devant les tribunaux, dans tous les cas où un payement simple pourrait se prouver par témoins. Si, au contraire, il n'y avait ni écrit, ni témoins, et que la subrogation résultât de l'aveu seul du créancier, les tribunaux pourraient ne pas accueillir la prétention du subrogé, parce qu'il pourrait y avoir collusion de celui-ci avec le créancier, pour faire revivre une dette éteinte, au préjudice du débiteur et des autres personnes intéressées à l'extinction : c'est l'aveu du débiteur qui ferait foi en pareil cas, plutôt que celui du créancier.
Au surplus, que le tiers soit intéressé ou non, qu'il paye en son propre nom ou au nom du débiteur, comme gérant d'affaires ou comme mandataire, il pourra toujours être valablement subrogé par le créancier.
Ce qui aurait pu faire doute seulement, c'est qu'un mandataire, payant au nom du débiteur, pût se faire subroger : il semblerait que, représentant le débiteur, il ne puisse conserver la créance à son profit et que le payement devrait être aussi complètement extinctif que s'il était fait par le débiteur lui-même ; mais la représentation du débiteur par le mandataire est elle-même “une fiction” et il n'y a pas de raison sérieuse de donner plus de puissance à cette fiction qu'à celle sur laquelle repose la subrogation. D'ailleurs, ou verra dans l'article suivant que le payement fait par le débiteur lui-même peut être accompagné de la subrogation, il n'est donc pas surprenant que le même résultat puisse, sous une autre forme, être attaché au payement fait par son représentant.
La loi n'a pas eu besoin de s'expliquer sur la capacité nécessaire au créancier pour conférer la subrogation : il est clair que s'il a capacité pour recevoir le payement qui éteint son droit, il a la capacité de subroger à ce même droit, puisque la subrogation ne doit pas lui préjudicier (comp. art. 485) ; la loi d'ailleurs termine cette matière en renvoyant aux règles générales du payement.
Le seul point qui pourrait faire quelque doute est celui de savoir si le mandataire du créancier, à l'effet de recevoir le payement, peut conférer la subrogation an tiers qui paye : on aurait pu prétendre qu'il faut distinguer entre les mandataires généraux, comme le tuteur et le mari, et le mandataire spécial qui n'est chargé que de recevoir, comme un caissier, un huissier ou un notaire ; mais il parait plus naturel et plus juste de ne pas faire cette distinction, toujours parce que, la subrogation ne nuisant pas au créancier, il n'y a pas lieu d'exiger un pouvoir exprès à cette égard ; on peut dire même que ces mandataires manqueraient à leur devoir et encourraient une responsabilité envers le créancier, s'ils refusaient le payement offert par un tiers, sous prétexte que celui-ci exige la subrogation. D'ailleurs, si le créancier avait des motifs sérieux de refuser la subrogation ainsi conférée par un mandataire spécial, il devrait refuser le payement lui-même : autrement, il serait censé avoir ratifié toute l'opération.
Art. 481. Il est plus surprenant de voir le débiteur autorisé à conférer lui-même la subrogation, car il dispose alors de droits qui ne lui appartiennent pas. Ce droit du débiteur a une origine romaine ; il a été consacré et généralisé dans les Codes étrangers.
Voici comment il se justifie. Il arrive souvent qu'un créancier qui a une créance productive d'intérêts élevés et garantie par de bonnes sûretés ne désire pas être remboursé. Si le débiteur avait des fonds disponibles et que l'échéance fût arrivée, il pourrait imposer le remboursement ; mais souvent, il n'a pas les fonds nécessaires, il lui faudrait les emprunter; il trouverait d'ailleurs à emprunter à des intérêts moins élevés ; mais, ses biens étant grevés d'hypothèque au profit du premier créancier et celui-ci refusant de recevoir un payement avec subrogation, la position du débiteur serait sans remède. On a donc imaginé d'autoriser le débiteur à emprunter pour payer sa dette et à subroger le prêteur aux droits du créancier qu'il s'agit de désintéresser avec les fonds ou valeurs prêtés, et, pour cette subrogation, il n'est pas besoin du consentement du créancier.
Telle est la disposition du 1er alinéa de notre article.
Viennent ensuite les conditions requises pour la validité de cette subrogation.
Il faut qu'il y ait entre l'emprunt et le payement un rapport de cause à effet, nettement établi : il faut que l'acte d'emprunt mentionne que les deniers ou valeurs sont destinés à payer la dette dont il s'agit et que la quittance du créancier désintéressé mentionne l'origine des valeurs reçues par l'emprunteur. La mention de la subrogation au profit du prêteur sera dans l'acte d'emprunt ; il n'est pas nécessaire que la quittance la reproduise du chef du créancier; mais, si elle s'y trouvait, il y aurait alors deux subrogations et la validité de l'une pourrait suppléer à la nullité de l'autre. La loi n'exige pas que cette subrogation soit expresse ou formelle ; niais il faut évidemment qu'elle soit "claire" ou exempte d'équivoque, comme dans le cas de subrogation par le créancier. Si le créancier refusait de mentionner dans la quittance l'origine des valeurs reçues, l'opération n'en serait pas pour cela empêchée, puisqu'elle peut se faire sans son consentement : le débiteur lui ferait, en bonne forme, des offres avec mention de la subrogation, suivies de la consignation.
Il ne. faudrait pas qu'il s'écoulât un temps trop long entre l'emprunt et la quittance : il n'y aurait plus une certitude suffisante que ce sont vraiment les deniers empruntés qui ont servi au payement ; mais comme il ne pouvait être question de fixer un délai maximum qui pourrait être trop long dans certains cas et trop court dans d'autres, eu égard à l'éloignement des parties, il a paru sage de laisser aux tribunaux le soin d'apprécier la sincérité de l'opération.
On rappelle ici ce qui a été dit plus haut, incidemment, que si la quittance du créancier reproduit la mention de la subrogation, les irrégularités de la présente subrogation par le débiteur se trouveraient corrigées puisque la subrogation par le créancier est affranchie des mêmes formalités.
Art. 482. Le Code admet trois cas de subrogation légale.
1er Cas. La loi qui est, en principe, favorable à la libération, devait, logiquement, encourager au payement celui qui y a déjà un intérêt légitime, l'intérêt d'éviter des poursuites ; or, c'est l'encourager à payer que d'assurer son remboursement au moyen de la subrogation. Dans le présent cas, comme dans les suivants, le tiers qui paye n'a à demander la subrogation, ni au créancier, ni au débiteur : il la tient de la loi.
Les expressions du texte “celui qui est tenu avec d'autres ou pour d'autres” demandent quelque attention : celui dont il s'agit peut être tenu personnellement par un contrat productif d'obligation, ou réellement, à cause d'une chose hypothéquée à la dette d'autrui et dont il est détenteur (tiers détenteur) ; la loi indique ces deux cas assez différents au fond. Le tiers détenteur est toujours tenu “pour d'autres” et non pour lui-même ; l'obligé personnellement est tenu “avec d'autres” dans le cas de solidarité ou d'indivisibilité ; il est tenu pour d'autres” dans le cas de cautionnement. Si la dette était simplement conjointe, aucun des debiteurs ne serait lié aux autres et n'aurait intérêt à payer leur dette, puisqu'il ne pourrait être poursuivi à ce sujet; il n'aurait done pas la subrogation légale, s'il payait les dettes conjointes.
IIe Cas: Le but que se propose ici celui qui paye pour le débiteur est d'éviter des poursuites, saisies et ventes, souvent inopportunes, toujours coûteuses et qui, en somme, feront obtenir aux créanciers un résultat moins favorable à leurs créances. S'il y a plusieurs hypothèques, l'intérêt d'un créancier à payer d'autres créanciers qui le priment est évident : ceux-ci ayant, eu égard à leur rang, toutes chances d'être payés, ne craindront pas de poursuivre la vente de l'immeuble hypothéqué, même dans un temps ou des circonstances peu favorables aux ventes d'immeubles ; tandis que, si la vente était ajournée à des temps plus favorables, le prix, plus élevé, pourrait arriver à désintéresser un plus grand nombre de créanciers, peut-être même les derniers en rang.
La subrogation légale appartient aussi à un créancier qui en désintéresse un autre de même rang ou même d'un rang inférieur; car il peut y avoir, dans les poursuites de ceux-ci, une confiance exagérée dans le succès de la vente, de la témérité, peut-être même de la méchanceté, notamment, s'ils ont d'autres sûretés qui pareront à l'insuffisance de leur hypothèque.
Ainsi, un créancier hypothécaire peut en désintéresser un autre qui n'a aucune priorité sur lui, un créancier chirographaire ou hypothécaire peut désintéresser un créancier simplement chirogiaphaire, tous peuvent désintéresser un créancier garanti par une action résolutoire. Une différence, toutefois, est à noter entre ces divers créanciers qu'il s'agit d'exclure par un payement avec subrogation légale : si ce créancier a un privilège ou une hypothèque, il n'est pas nécessaire qu'il ait commencé des poursuites pour que le payement à lui fait emporte subrogation : le payement “prévient” la poursuite ; si, au contraire, il s'agit d'un créancier chirographaire, comme la poursuite est moins à craindre, le danger moins menaçant, la loi n'accorde la subrogation au tiers qui le paye qu'autant que la saisie immobilière est déjà faite; enfin, s'il s'agit d'un créancier qui n'a comme sûreté que l'action résolutoire, le payement à lui fait ne produit subrogation légale que si la demande en résolution est déjà formée. Dans ces deux derniers cas, le payement ne prévient pas les poursuites, mais “il les arrête.”
IIIe Cas. L'héritier apparent et de bonne foi est celui qui, paraissant être héritier, légitime ou testamentaire, et croyant l'être, a pris possession de la succession et l'a administrée et liquidée en cette qualité : lorsqu'il aura à restituer les biens au véritable héritier, il prélèvera, avec les droits et actions des créanciers désintéressés, les sommes ou valeurs qu'il a déboursées de ses propres biens.
Art. 483. Cet article ne serait pas utile, après l'article 479, s'il n'apportait plusieurs exceptions ou modifications à la règle que "le subrogé exerce tous les droits et actions qui appartenaient au créancier désintéressé.”
Sur le principe même posé au début de l'article, on ne fera qu'une seule observation : le subrogé n'a pas, d'une façon absolue, tous les droits qui appartenaient au créancier à un titre quelconque, mais seulement, comme le texte a soin de le dire, ceux qui constituaient "des effets ou des garanties de sa créance.”
Comme effets de la créance (indépendamment du droit d'action directe et principale pour l'exécution) on comptera : le titre même servant de preuve, les actes de poursuite déjà faits, depuis et y compris la mise en demeure, les dommages-intérêts déjà dus, le droit à une clause pénale, s'il y a lieu, et l'action révocatoire des actes frauduleux ; comme " garanties ou sûretés : les privilèges et hypothèques, le cautionnement, la solidarité et l'indivisibilité conventionnelle, l'action indirecte ou oblique organisée par l'article 339, enfin l'action résolutoire du contrat.
Mais il ne faudrait pas reconnaître à celui qui serait subrogé à un vendeur la faculté de rachat stipulée par celui-ci : ce n'est là ni un effet ni une garantie de la créance du vendeur ; ce serait d'ailleurs un moyen indirect pour le subrogé de bénéficier du payement, contrairement à l'article suivant. La faculté de rachat continuera à appartenir au vendeur quand il a reçu son prix d'un tiers, comme quand il l'a reçu de l'acheteur même.
Voici maintenant les modifications que peut subir le principe général qui met le subrogé au lieu et place du créancier primitif.
Ier Cas. Comme l'ordre public n'est pas intéressé à ce que la subrogation ait tous ses effets, les parties peuvent toujours, au moment où le payement a lieu, y apporter les limites qui leur conviennent : par exemple, supprimer ou restreindre l'action hypothécaire ou décharger les cautions.
Parmi les “parties,” il faut toujours compter le subrogé, sans distinguer si la subrogation est légale ou conventionnelle ; mais la nécessité du consentement du débiteur ou du créancier varie suivant les cas : si la subrogation vient du créancier, il faut son consentement pour restreindre la subrogation, puisqu'elle est son œuvre, sauf au débiteur et au subrogé à consentir ensuite telles autres restrictions qui leur conviendront ; si la subrogation est légale, c'est encore avec le créancier que le subrogé pourra consentir à une diminution de ses droits, car le débiteur reste étranger au payement ; si, au contraire, la subrogation vient du débiteur, les restrictions seront convenues entre lui et le subrogé, sans participation du créancier.
Il ne pourrait pas y avoir augmentation des droits transmis au subrogé, au moins comme tel ; ce qui pourrait se faire en ce sens ne serait plus une subrogation mais une cession, un transport de créance ; ainsi, un vendeur pourrait bien, en recevant son payement, céder au tiers qui le paye l'action en réméré qu'on vient de refuser à celui-ci, mais puisque ce ne serait plus une subrogation : il faudrait observer les règles de la cession des droits et actions, et l'on verra sous l'article 484 que les règles ne sont pas tout-à-fait les mêmes que celles de la subrogation.
IIe et IIIe Cas. C'était une question assez délicate que celle de savoir si la caution qui paye une dette hypothécaire doit être subrogée contre le tiers détenteur, et si le tiers détenteur qui paye la même dette doit être subrogé contre la caution. En effet, chacun étant tenu pour un autre et ayant intérêt à acquitter la dette est appelé à la subrogation, par l'article 582. 1°.
La double solution du texte ne pourra être bien comprise que lorsqu'on arrivera à l'article 36 du Livre des Garanties auquel il renvoie.
IVe Cas. On suppose ici plusieurs tiers détenteurs de divers immeubles hypothéqués à la même dette : l'un d'eux a purgé son immeuble, c'est-à-dire l'a dégrevé des hypothèques, au moyen d'une avance de fonds qu'il a dû faire comme donataire, comme co-échangiste ou même comme acheteur ; les autres n'avaient pas purgé leur acquisition, autrement, ils ne pourraient plus être poursuivis, ni par le créancier originaire (subrogeant), ni par le subrogé. Celui donc qui, pour purger, a payé ce qu'il ne devait pas personnellement, doit avoir un recours contre les autres tiers détenteurs qui ont négligé la purge. Mais il ne peut exercer contre eux un recours pour tout ce qu'il a payé : autrement, à leur tour, ils auraient recours les uns contre les autres et contre lui, et on tournerait dans un circuit d'actions ; le recours devra donc se diviser. Le texte nous dit dans quelle mesure.
Il ne peut être ici question d'une division égale ou par portions viriles, comme entre codébiteurs conjointe, ou même entre codébiteurs d'une dette solidaire ou indivisible, dans leurs rapports respectifs : ils sont tenus à cause du bien qu'ils détiennent, il est donc naturel et juste qu'ils soient tenus entre eux dans la proportion de la valeur respective des divers immeubles; toutefois, les immeubles qui valent plus que le montant de la dette hypothécaire ne seront comptés que pour une valeur égale à cette dette ; car, évidemment, le tiers qui les détient ne peut être tenu pour plus que le montant de celle-ci : s'il était seul, il ne payerait que cette valeur, au maximum. Bien entendu, 'celui qui a payé concourra pour sa part ; plus, tous auront leur recours contre débiteur ; mais il est vraisemblablement insolvable.
Ve Cas. Cet alinéa s'applique à des personnes qui étaient obligées personnellement, soit comme co-débiteurs tenus solidairement ou indivisiblement, soit comme cautions. Comme elles sont subrogées les unes contre les autres, il faut toujours éviter le circuit d'actions; on recherchera donc la part contributoire de chacune: entre codébiteurs principaux, cette part n'est pas toujours virile, elle peut différer suivant l'intérêt que chacun a eu dans la convention originaire ; entre cautions, les parts seront viriles, s'il n'y a convention contraire. Celui donc qui a payé gardera à sa charge sa part contributoire et recourra divisement contre les autres pour la leur.
La loi ne parle pas de recours de ces personnes contre les tiers détenteurs ; il n'y avait pas, en effet, à s'en occuper : les codébiteurs principaux ne peuvent jamais recourir contre les tiers détenteurs, pas plus qu'ils ne pourraient recourir contre des cautions, puisqu'ils devraient toujours rembourser, à titre de garante, ce que ceux-ci auraient payé en leur acquit; quant aux cautions qui ont payé, elles recourront contre les tiers détenteurs dans le cas réservé au n° 2.
Art. 484. On a dis, en commençant cette matière, que la subrogation a une grande analogie avec la cession de créance et cela est évident, puisque le subrogé exerce les droits et actions de l'ancien créancier ; aussi pourra-t-il quelquefois y avoir à résoudre une question de fuit, à savoir, si les parties ont entendu faire une opération ou l'autre, et l'on a dit que la question se résoudra par les ternies employés dans les actes et par les circonstances du fait révélant l'intention. Au reste, ce doute n'est possible que dans le premier cas de subrogation, celui où elle est conférée par le créancier ; car, jamais un débiteur qui emprunte pour payer sa dette ne peut être considéré comme ayant cédé la créance dont il est débiteur ; quant à la subrogation légale, elle est trop précise dans le langage de la loi pour être confondue avec une cession.
Mais après la question de fait, vient la question de droit: En quoi la subrogation diffère-t-elle de la cession de créance ou du transport-cession proprement dit ?
Il ne convient pas que la loi fasse un parallèle entre deux institutions voisines, qu'elle signale leurs ressemblances et leurs différences : c'est la tâche des ouvrages de doctrine ou d'enseignement Ce que la loi peut faire, et elle le fait quelquefois, c'est d'indiquer une ou plusieurs de ces ressemblances ou de ces différences lorsqu'elles pourraient faire doute : elles prennent alrs le, caractère de dispositions législatives. Ici c'est, au fond, une différence que la loi proclame entre la subrogation et la cession ; mais, en la forme, la loi refuse au subrogé un droit qui appartiendrait à un cessionnaire et qui semblerait appartenir au subrogé, si l'on se référait uniquement à la définition que l'article 479 donne de la subrogation et aux effets que lui assigne l'article. 483.
Il arrive souvent que le tiers qui paye avec subrogation, ou qui fournit au débiteur les deniers pour payer, a fait un déboursé moindre que le montant de la dette ; si, au lieu d'un payement avec subrogation, il avait acheté la créance pour un prix inférieur à son montant il n'en aurait pas moins droit d'en exiger le payement intégral : il a agi dans un esprit de lucre ou de spéculation qui. s'il n'est pas à encourager, n'a, du moins, rien d'illicite; au contraire, le tiers qui paye avec subrogation a été mu par d'autres considérations : s'il est dans un cas de subrogation conventionnelle, son mobile a été le désir de rendre un service, soit au débiteur, soit au créancier, de remplir un bon office à leur égard ; s'il a payé dans un cas de subrogation légale, il peut l'avoir fait par intérêt personnel, mais ce n'était pas par esprit de spéculation, il voulait seulement éviter des poursuites fâcheuses. De là, la limite de son recours aux sommes par lui déboursées.
D'autres différences non moins certaines doivent être admises entre la subrogation et la cession de créance : on les signalera quand les textes en fourniront l'occasion.
Art. 485. La subrogation donnée par le créancier, par le débiteur ou par la loi “ne doit pas nuire au créancier primitif dans le premier cas, le créancier ne peut être présumé avoir voulu se nuire en recevant le payement, même partiel ; dans les deux autres cas, le débiteur, ni le tiers qui paye, n'ont pu avoir le droit de lui nuire et la loi doit s'en garder.
Notre article en posant le principe, en fait l'application par voie de conséquence : on suppose que le créancier a plusieurs créances contre le même débiteur et que le payement avec subrogation ne lui est offert que pour l'une d'elles ; mais si la subrogation ainsi acquise au tiers doit nuire aux autres créances, le créancier exigera le payement de toutes. Cette disposition, bien entendu, est faite pour la subrogation légale et pour celle conférée par le débiteur, car si elle était conférée par le créancier, il est clair qu'il y mettrait les conditions qu'il jugerait à propos et que la loi n'aurait pas à y intervenir dans son intérêt.
Art. 486. Le 1er alinéa donne au subrogé pour partie les mêmes droits qu'à un cessionnaire partiel de la créance. Mais il est possible que le créancier qui a reçu un payement partiel avec subrogation soit dans un cas où il pourrait exercer l'action résolutoire faute d'un payement intégral et que le concours avec le subrogé le prive justement de l'intégralité de son payement. Par exemple, c'est un vendeur non payé de tout le prix. Dans ce cas, devrait-on admettre le concours du subrogé avec le subrogeant pour l'exercice de l'action résolutoire ?
La loi n'admet pas ce concours : le résultat en serait de rendre le subrogeant et le subrogé co-propriétaires de l'immeuble vendu ; or, telle ne peut être l'intention du vendeur qui n'est payé que partiellement, même quand la subrogation émane de lui ; à plus forte raison, si elle vient du débiteur ou de la loi : l'action résolutoire est et doit être, de sa nature et par son but, une action indivisible.
Bien entendu, le créancier ne peut conserver le payement partiel, lors même qu'il aurait droit à des dommages-intérêts, et c'est au subrogé qu'il le restituera.
Cette solution est particulière à la subrogation partielle et ne devrait pas s'étendre à la cession partielle de la créance ; en pareil cas, le cédant et le cessionnaire exerceraient simultanément l'action résolutoire et deviendraient co-propriétaires. On retrouve donc là une différence entre la subrogation et la cession.
Art. 487. Si le payement avec subrogation a été intégral, le créancier, n'ayant plus aucun droit à faire valoir contre le débiteur, du chef de la créance payée, n'a plus aucune raison ne conserver les titres et le gage.
Il devra donc les remettre intégralement au subrogé, en y comprenant les actes exécutoires ou même les pièces des procédures commencées : il remettra aussi les engagements des cautions, s'il y en a.
Si le payement n'a été que partiel, il est clair que les titres et le gage, étant indivisibles, ne peuvent être remis au subrogé pour partie ; mais le créancier devra les tenir à la disposition du subrogé, en tant que de besoin, pour la conservation de ses droits : il lui communiquera les titres pour en prendre des copies ou pour faire des actes conservatoires ou de poursuite ; enfin, il lui permettra de surveiller le gage, de s'assurer de sa conservation et, au besoin, d'en requérir la vente, s'il y a danger de dépérissement ou si la dette est échue.
La loi ne dit rien de la prise et du renouvellement des inscriptions hypothécaires : il est certain que le plus diligent pourra y procéder.
Art. 488. Cet article ne demande aucune explication. Il est clair que si un tiers qui n'aurait pas la capacité de payer ses propres dettes offrait de payer, sans mandat, les dettes d'autrui, le créancier pourrait refuser de recevoir, même dans le cas de subrogation légale. Il en est de même, si le payement avec subrogation a été fait à une créancier incapable de recevoir : le subrogé, n'ayant pas libéré le débiteur, ne pourrait recourir contre lui et ne pourrait agir que contre le créancier, dans la mesure du profit qui lui serait resté du payement.
L'imputation, les offres et la consignation suivent aussi, en matière de payement avec subrogation, les mêmes règles que dans le payement simple.
Il faut donc, sur tous ces points, se référer aux §§ Ier, 2 et 3 ci-dessus.
SECTION II.
DE LA NOVATION.
Art. 489. Le mot “novation” indique, par lui-même, que l'obligation est “changée en une nouvelle;”le texte l'énonce incidemment.
La novation produit deux effets simultanés : elle éteint une première dette et elle en crée une nouvelle. A raison même de ce double effet, elle appartient à la classe des actes onéreux, car chacune des parties y fait un sacrifice: le créancier n'acquiert un droit qu'en en perdant un autre, le débiteur ne se soumet à une obligation qu'en s'affranchissant d'une autre ; ce caractère de la novation fournit un des rares exemples de convention unilatérale et à titre onéreux, en même temps.
La novation est toujours le résultat d'une convention: il n'y a pas de cas où elle soit l'œuvre de la loi; il n'existe pas non plus de novation judiciaire, comme on en trouve dans l'ancienne jurisprudence romaine, où l'on avait admis que le fait d'engager un procès constituait une première novation et même qu'il en résultait une deuxième de la prononciation du jugement.
Mais, de ce que la novation se trouve toujours résulter aujourd'hui d'une convention, elle n'en présente pas moins plusieurs variétés, à d'autres points de vue. Une obligation ayant plusieurs éléments constitutifs, comme on l'a vu en son lieu : notamment, un objet une cause et deux sujets (l'un actif, le créancier, l'autre passif, le débiteur), il s'en suit que si l'un de ces quatre éléments est changé, la dette est, par cela même, changée ou novée. Telle est la disposition de notre premier article.
Il va sans dire que plusieurs de ces éléments de l'obligation pourraient être changés en même temps : ce serait une complication dans les effets, sans modifier les règles d'une novation simple.
Remarquons enfin qu'il y a un des éléments de l'obligation, le plus essentiel peut-être, à savoir le consentement, dont il n'est pas question ici : l'article suivant dira que le renouvellement du consentement n'opère pas novation de la dette en et on donnera la raison.
On reprendra séparément les quatre cas de novation.
Ier Cas. Changement de l'objet dû : la dette avait pour objet des marchandises ou choses de quantité et les parties sont convenues que le débiteur devrait désormais une somme d'argent, ou réciproquement. Ce cas a de l'analogie avec une autre opération déjà expliquée, avec la “dation en payement” (voy. art. 461), où l'on peut voir une novation préalable, mais momentanée et d'un intérêt plutôt théorique que pratique ; mais il en diffère en ce que, dans la dation en payement, la dette étant éteinte par le payement, il ne subsiste plus, de ce chef, de rapports de droit entre les parties, tandis que, dans la novation, il y a toujours une obligation reliée à la première par le rapport de l'effet à la cause.
On a supposé dans l'exemple précédent que l'ancienne et la nouvelle convention avaient pour objet une chose de quantité (marchandises ou argent) et non un corps certain, c'est qu'en effet, si la première convention avait eu pour objet un corps certain, elle en aurait déjà, par elle-même, transféré la propriété, et la nouvelle convention aurait eu principalement pour objet de la retransférer, ce qui serait une autre théorie, ayant ses règles propres (voy. art. 353) ; si c'était la seconde convention qui eût pour objet un corps certain, elle en transférerait immédiatement la propriété, en éteignant la dette antérieure, ce serait donc la dation en payement dont il a été parlé à l'article 461 et non plus la novation proprement dite; la translation de propriété entraîne cependant l'obligation de livrer et celle de garantir de l'éviction, mais ce ne sont plus que des effets accessoires.
IIe Cas. Il n'y a ni changement de personnes ni changement d'objet, mais changement de cause : par exemple, le débiteur devait une somme d'argent, comme prix d'une vente ou d'un louage ; étant embarrassé pour la payer, il obtient de son créancier de la lui devoir à titre de prêt ; le créancie rpourrait, assurément, faire a son débiteur un prêt avec lequel celui-ci acquitterait sa dette précédente , il pourrait aussi, après avoir reçu son payement.cn prêter immédiatement le montant; mais il est plus simple de changer, par une simple convention, le titre ou la cause de l'obligation.
Il n'est pas sans intérêt que le débiteur soit tenu désormais à titre de prêt, au lieu de rester tenu à titre de louage : la dette de prêt est soumise à la prescription ordinaire, celle de louage se prescrit par un temps beaucoup plus court ; celle de prêt n'est garantie par aucun privilège, celle de louage est privilégiée dans la plupart des cas ; la novation se trouve ainsi favorable an créancier quant au délai pour agir et défavorable quant aux sûretés.
Il ne faudrait pas croire que la novation par changement de cause puisse se faire toujours du plein gré des parties et que toute cause puisse être par elles substituée à une autre ; ainsi, on ne porrait admettre la réciproque de l'exemple précédent : les parties ne pourraient convenir que ce qui est dû à titre de prêt sera dû, désormais, à titre de vente ou de louage, parce qu'il n'y a pas de prix sans une chose vraiment louée ou vendue, et même cette transformation que les parties prétendraient faire, d'une obligation de prêt en obligation de prix de vente, serait très-dangereuse pour le prêteur, car le débiteur prouverait aisément qu'il n'y a pas eu de chose vendue et il arriverait à refuser le payement faute de cause ; s'il est permis de feindre une cause de prêt, c'est qu'on pourrait, comme il a été dit plus haut, soit effectuer un prêt véritable en faveur du débiteur, au moyen des sommes reçues de lui, soit lui prêter les sommes nécessaires pour se libérer de la première : dette par la novation, au lieu de deux prestations réciproques de sommes d'argent, on n'en fait aucune ; mais toutes les causes d'obligations, toutes les conventions ne se prêtent pas à cette fiction de deux traditions.
Le prêt n'est pas, du reste, le seul moyen de changement de causes : il serait tout aussi facile de changer en dépôt une dette d'argent ou de marchandises ayant une cause quelconque ; on supposerait toujours que la chose due a été fournie par le débiteur et qu'elle lui a été immédiatement confiée à titre de dépôt ; un dépôt de corps certain pourrait aussi être changé en un prêt à usage et réciproquement ; on peut encore citer comme changement de titre ou de cause le cas d'une dette fondée sur une gestion d'affaires transformée en dette née d'un mandat par la ratification du maître.
IIIe Cas. Le changement de débiteur peut avoir lieu de deux manières: soit par l'intervention spontanée d'un tiers qui prend la place de l'ancien débiteur; on dit alors qu'il y a expromission ; soit par le mandat donné à un tiers par le débiteur, à l'effet de s'engager au lieu et place de celui-ci ; l'acte se nomme alors délégation. Ce 3e cas de novation et le suivant comportent des développements et des distinctions qu'on retrouvera aux articles 496 et suivants.
IVe Cas. Il se cumule, le plus souvent, avec le précèdent : lorsqu'un débiteur délègue à son créancier son propre débiteur, il y a pour le délégataire changement de débiteur et pour le délégué changement de créancier. Cependant, on peut concevoir un changement de créancier seulement: si un créancier délègue son débiteur à quelqu'un auquel il ne doit rien et auquel il veut faire une libéralité, il n'y a pas pour celui-ci changement de débiteur, puisqu'il n'avait pas de créance contre le délégant, mais il y a changement de créancier pour le délégué.
Art. 490. Cet article complète le précédent, en excluant l'idée de novation dans des cas qui pourraient faire doute.
Les changements ici prévus ne concernent plus les éléments constitutifs de l'obligation (sauf ce qui va être dit du consentement), mais ses modalités, ses garanties, son exécution, son étendue ou sa preuve : une obligation conserve son identité, quoique son exigibilité soit avancée ou retardée, quoiqu'elle soit affectée ou affranchie d'une condition qui en rend l'existence incertaine, quoiqu'elle soit munie ou démunie d'une hypothèque ou d'un cautionnement, quoiqu'elle doive s'exécuter dans un lieu ou dans un autre, ou qu'elle soit étendue ou restreinte dans son montant. Il en faut dire autant de la condamnation aux dommages-intérêts, en cas d'inexécution d'une obligation de faire ou de ne pas faire, et même de la stipulation, postérieure au contrat, d'une clause pénale, pour ledit cas d'inexécution : les dommages-intérêts, stipulés ou prononcés en justice sont une suite naturelle, quoique conditionnelle, de l'obligation primitive.
Enfin, la forme donnée aux actes ou titres qui doivent l'établir n'en change pas la nature, lors même qu'ils en rendraient la cession plus facile au créancier (par ex., le débiteur souscrirait une lettre de change ou un autre effet de commerce) ou qu'ils lui permettraient de la faire exécuter sans recourir aux tribunaux (par ex., le débiteur renouvellerait devant notaire une obligation sous seing privé). Il pent donc y avoir renouvellement du consentement sans novation de la dette : il y a alors une reconnaissance de la dette, un acte récognitif, dont l'effet principal est d'interrompre la prescription ; l'acte récognitif pourrait être, en même temps, confirmatif, s'il avait pour but de réparer les vices dont l'acte primordial était entaché (voy. ci-dessous, art. 555). On a déjà rencontré l'acte récognitif sous l'article 279 ; on le retrouvera au sujet des preuves.
La loi se prononce ici sur la question de savoir, si le règlement d'une dette en billets ou effets de commerce, négociables par endossement, opère novation de la dette qui a servi de cause aux billets. Assurément, si les billets mentionnaient seulement, comme cause de la dette, “valeur reçue,” suivant une formule trop générale, on pourrait croire à un prêt d'argent; d'un autre côté, comme il serait sans doute évident, par l'ensemble des circonstances du fait, et surtout par l'identité de la somme totale des billets avec le montant de la première dette, que le débiteur n'a pas deux dettes, on supposerait qu'il a d'abord payé sa première dette et a immédiatement emprunté la même somme ce qui se réduit à un changement de cause. Mais si, dans les billets, on a mentionné la première cause, comme une vente, il est juste qu'il n'y ait pas novation et que le vendeur, par exemple, n'ait pas perdu son privilège et son droit de résolution.
Art. 491. Le Code devait se prononcer sur la capacité nécessaire pour nover, chez le créancier et chez le débiteur.
A l'égard de ce dernier, il n'y a pas de difficulté : il lui faut naturellement la capacité de s'obliger, conformément au droit commun des conventions à titre onéreux, puisqu'il s'agit de contracter une nouvelle obligation; peu importe qu'il doive, en même temps se trouver libéré d'une autre obligation ; l'incapable n'est pas bon juge de l'utilité d'une novation.
Mais, au sujet du créancier, il aurait pu y avoir doute ; la capacité de recevoir le payement ne suffît pas pour pouvoir nover la créance : quand le créancier reçoit le payement, il perd sa créance, il est vrai, mais il reçoit effectivement ce qui lui est dû, il ne s'expose pas à un nouveau risque, l'obligation prend fin d'une façon normale et tellement légitime que, si le créancier ne voulait pas recevoir, le débiteur l'y contraindrait pas les offres et la consignation ; au contraire, quand le créancier fait novation avec le débiteur ou avec un tiers, il s'expose à un nouveau risque d'insolvabilité, peut-être de perte de la chose due; il fait au débiteur une concession que celui-ci n'aurait pu exiger ; enfin et surtout, il abandonne un droit et peut-être des sûretés qui pourront n'avoir qu'un équivalent imparfait dans la nouvelle créance.
C'est donc avec raison que le Code exige chez le créancier la capacité de renoncer à sa créance et aux sûretés qui y étaient attachées. En conséquence, un mineur émancipé, qui peut recevoir le payement ou l'exécution de certaines obligations, ne pourrait nover lesdites obligations, à moins de rattacher aux nouvelles créances toutes les sûretés qui garantissaient les précédentes.
La loi apportera bientôt au principe deux exceptions concernant les co-créanciers, qui peuvent recevoir le payement et ne peuvent faire novation, parce que ce serait nuire à leurs co-intéressées (voy. art. 501).
Enfin, elle refuse aux mandataires et administrateurs spéciaux, de toutes qualités, le droit de faire novation, quoiqu'ils puissent recevoir le payement. Ces personnes peuvent bien, comme on l'a dit, accorder une subrogation, en recevant le payement ; mais la subrogation, en recevant le payement ; mais la subrogation, à la différence de la novation, ne peut nuire à celui dont ils gèrent les intérêts (art. 485). Au contraire, les mandataires et administrateurs généraux, comme un tuteur, un mari, un gérant de société, ayant le pouvoir d'obliger ceux dont ils gèrent les biens, ont celui de faire novation.
Art. 492. Quand on dit que “la novation ne se présume pas," on considère qu'elle constitue, de la part du créancier, un abandon de son droit, et il est raisonnable de n'admettre ce résultat qu'avec certitude : on peut ne pas exiger que la novation soit expresse, mais on doit exiger qu'elle ne soit pas douteuse. Si donc une convention a eu lieu, portant une obligation certaine en elle-même, s'il n'est pas suffisamment démontré qu'elle en éteint une précédente, par l'effet d'une novation, on devra décider que les deux obligations existent cumulativement. Mais cette solution, raisonnable quand la seconde dette est contractée par un autre débiteur que le premier ou envers un autre créancier, ne l'est plus autant quand la seconde dette est contractée par le même débiteur envers le même créancier : maintenir la première dette, cumulativement avec la nouvelle, parce qu'il y a du doute sur l'intention de nover, serait abandonner le principe de l'article 360, d'après lequel “le doute doit s'interpréter contre celui qui a stipulé “et en faveur de celui qui a contracté l'obligation. C'est pourquoi la loi, supposant que la nouvelle dette est certaine, mais qu'il y a doute sur le maintien ou l'extinction de la précédente par novation, veut que le doute soit tranché en faveur du débiteur, de façon à ce qu'il ne soit tenu que d'une seule dette, de la seconde, la première étant considérée comme éteinte par la novation, quoique celle-ci soit douteuse ; mais cette solution est limitée à la novation " entre les même parties.”
Art. 493 et 494. Il ne faut pas confondre le cas prévu par l'article 493 avec celui de l'article 490 où l'on suppose qu'il y a eu simplement retranchement ou addition d'une condition à une obligation qui d'ailleurs reste la même. Ici, il y a une seconde obligation créée en vue d'en éteindre une précédente ; celle-ci était conditionnelle et la nouvelle est pure et simple ; mais la novation elle-même n'est pas pure et simple : elle reste influencée par la condition qui affectait la première obligation ; car si la condition suspensive ne s'accomplit pas, ou si la condition résolutoire se réalise, la première dette se trouve n'avoir jamais existé ; dès lors, la novation, n'ayant pas en à éteindre une première obligation, n'a pas eu de cause, comme convention, et la nouvelle obligation n'a pas pu naître non plus, faute de cause.
En sens inverse, la première dette était pure et simple et la nouvelle est conditionnelle : supposons que la condition soit suspensive et ne s'accomplisse pas, ou qu'elle soit résolutoire et qu'elle s'accomplisse, la nouvelle dette, ou ne naît pas, ou est détruite rétroactivement ; dès lors, il n'y a pas eu novation faute d'objet promis, et l'extinction de la première dette est réputée elle-même non avenue, toujours faute de cause.
Ce résultat est commandé comme une conséquence logique des principes. Mais, comme les parties peuvent avoir poursuivi un résultat moins logique et plus conforme à leurs intérêts, l'une ou l'autre pourra toujours soutenir et prouver qu'on a entendu, en contractant, faire une novation pure et simple, c'est-à-dire indépendante de l'accomplissement ou du non accomplissement de la condition qui affectait, soit la première, soit la seconde obligation. Ainsi, rien ne s'oppose à ce que les parties aient substitué, irrévocablement, une obligation certaine à une obligation incertaine, ou, réciproquement, une obligation conditionnelle, avec ses risques et ses chances, à une obligation pure et simple. Les tribunaux seront facilement amenés à reconnaître cette intention, quand la dette pure et simple sera moins lourde que la dette conditionnelle.
L'article 494 a de l'analogie avec l'article précédent, tant pour l'hypothèse qu'il prévoit que pour la solution qu'il lui donne ; seulement, dans le cas de l'article précédent, la première dette n'était qu'incertaine, éventuelle, dans son existence, au moment où a eu lieu la novation, et ce n'est que plus tard qu'elle a été rétroactivement considérée comme inexistante, par le non-accomplissement de la condition suspensive ou par l'accomplissement de la condition résolutoire ; tandis qu'ici elle est déjà entièrement nulle, soit par l'effet d'un obstacle originaire à sa formation, soit par suite du triomphe d'une action en nullité fondée sur un vice de la convention. De même, dans l'article précédent, on a supposé que la nouvelle dette était éventuelle par l'effet d'une condition dont l'issue l'a empêchée de naître ou l'a détruite ; tandis qu'ici elle est radicalement nulle ou annulable par un vice originaire. Mais, dans les deux cas du présent article, la solution est la même que la précédente : la novation ne s'est pas formée, au premier cas, faute de cause de promettre, au second cas, faute d'objet promis.
Ainsi, la première dette était nulle comme ayant pour objet une chose illicite ou hors du commerce, ou bien, elle avait été contractée par un incapable, ou avec un vice de consentement chez le débiteur, et celui-ci avait fait annuler son obligation en justice ; plus tard, l'héritier du débiteur, ignorant la nullité ou l'annulation de la dette de son auteur, contracte avec le créancier, ou avec l'héritier de celui-ci, une nouvelle obligation que les parties conviennent de substituer à la première ; mais, comme il n'y a pas de dette à éteindre, la novation est nulle, faute de cause de promettre.
En sens inverse, la première dette était pleinement valable, mais la seconde a un objet illicite, ou elle est contractée par un incapable qui la fait ensuite annuler en justice : la nouvelle dette, n'existant pas ou étant considérée comme n'ayant jamais existé, n'a pu éteindre la précédente par novation, faute d'objet promis.
Mais, ici encore, il faut, comme dans l'article précédent, s'attacher à l'intention des parties plus qu'aux règles de la pure logique. Dans la première hypothèse, si, au moment où les parties ont fait la novation, elles connaissaient la nullité de la première obligation et si la nouvelle dette est notablement moins lourde que la première, les tribunaux pourront reconnaître que les parties ont entendu régler à nouveau leur situation respective. Dans la seconde hypothèse, où la première dette était valable et où le créancier ne peut guère ignorer le vice de la seconde, il sera encore plus facile d'admettre qu'il a consenti à acquérir une nouvelle créance, même contestable, lorsqu'elle est, par son étendue, plus considérable que la première.
Il reste cependant une objection sérieuse, c'est que l'obligation nulle ou annulée se prête bien moins encore à une novation que l'obligation conditionnelle : celle-ci a déjà un élément d'existence, dans le cas de condition suspensive, ou même existe tout-à-fait, avec une modalité qui la rend seulement fragile, dans la condition résolutoire ; tandis que l'autre n'existe pas et n'existera jamais, et il est clair que le néant ne peut être l'un des deux éléments nécessaires à toute novation. Mais, il n'y a pas toujours néant absolu dans l'obligation civilement nulle ou annulée en justice : le plus souvent, il subsiste une obligation naturelle (voy. art. 214, 2e al.). Aussi, la loi, en réservant, dans le 3e alinéa de l'article 494, la recherche de l'intention des parties, ne suppose pas, comme dans l'article précédent, que les parties peuvent avoir voulu substituer le certain à l'incertain, ou réciproquement, mais qu'elles peuvent avoir voulu “substituer une obligation civile à une obligation naturelle, ou réciproquement.”
Il y a, du reste, entre les deux articles, moins de différence clans le fond que dans les termes : les obligations naturelles, dont il ne sera parlé en détail qu'à la fin de ce Livre, ne sont pas susceptibles d'une exécution forcée, mais seulement d'une exécution volontaire de la part du débiteur et, par conséquent, assez incertaine ; cependant, elles ont, aux yeux de la loi, et elles peuvent avoir même aux yeux des parties, une force actuelle suffisante pour servir d'élément à une novation : l'obligation naturelle en sera la cause, si c'est la première dette qui était civilement nulle, elle en sera l'objet si la nullité affectait la seconde dette. On conçoit donc très-bien que les parties, connaissant leur situation respective, aient pu préférer établir une obligation civile, même très-limitée, au lieu et place d'une obligation naturelle assez étendue, ou réciproquement. Cette intention pourrait encore être prouvée, si, dans les mêmes circonstances, la novation, au lieu d'un changement d'objet dû, présentait un changement de personnes, soit du créancier, soit du débiteur.
Art. 495. Ici, on ne suppose pas que la première obligation était nulle de droit ou déjà annulée en justice, au moment où la novation a eu lieu : elle était seule, ment annulable ou susceptible de quelque contestation, quant à son étendue ou quant à son objet ; le débiteur, connaissant ces exceptions ou fins de non recevoir, a fait une novation pure et simple, c'est-à-dire, sans réserver ses droits ; il est réputé y avoir renoncé, en faisant de l'extinction de la première dette la cause de son nouvel engagement : c'est une confirmation tacite, comme on en verra d'autres cas à la Section VII.
La loi ajoute (à la différence de la distinction portée à l'article 492) qu'il n'importe pas si le débiteur a fait ainsi novation avec le même créancier ou avec un nouveau créancier auquel il a été délégué par le premier : du moment qu'il consent à cette délégation, sans réserver ses droits à contester la première dette, il est présumé reconnaître'que la contestation en serait mal fondée, ou y renoncer.
On remarquera que la loi ne prévoit pas ici l'hypothèse réciproque, celle où, la première dette étant inattaquable, c'est la seconde qui serait susceptible d'exceptions ou fins de non-recevoir : il est clair, en effet, que si cette nouvelle dette s'est formée avec des vices, le débiteur n'a pu la confirmer au même moment, et s'il en obtient la nulité, la première dette sera considérée comme n'ayant jamais été éteinte.
S'il est seulement survenu depuis, entre lui et le créancier, quelque événement qui pouvait réduire ou modifier la dette, comme une compensation (voir Section IV), il conserve intégralement le droit de s'en prévaloir ; mais, ici, sans qu'il en résulte aucune atteinte à la novation opérée.
Art. 496, 497 et 498. La novation par changement de débiteur est d'une grande utilité pratique et elle comporte d'importantes distinctions qui sont l'objet de ces trois articles.
La première distinction est relative à l'intervention ou à la non-intervention du premier débiteur dans la nouvelle dette.
Le plus souvent, c'est lui qui présente à son créancier un nouveau débiteur, pour que le créancier stipule de celui-ci qui lui était dû précédemment ; l'opération se nomme délégation, mot qui exprime l'idée d'un mandat, d'une commission : on nomme délégant le premier débiteur, délégué le nouveau débiteur et délégataire le créancier. Généralement, le délégant est créancier du délégué ; il s'opère alors une double novation : le délégué change de créancier et le délégataire change de débiteur ; si en même temps, on changeait l'objet dû, il y aurait trois novations, à la fois.
La délégation est un mandat du délégant au délégué ; par conséquent, si le délégué n'était pas débiteur du délégant, il aurait recours, par l'action de mandat, pour ce qu'il aurait payé au délégataire ; il en serait de même si, étant débiteur du délégant, il avait promis et payé plus qu'il ne lui devait.
Entre le délégant et le délégataire, la délégation a aussi le caractère d'un mandat, car elle invite le délégataire a stipuler du délégué ; mais ce mandat ne sera pas en général, une source d'obligations entre ces deux parties, ainsi qu'on l'expliquera plus à propos sous l'article 498.
Quand le nouveau débiteur s'engage, comme expro-mettant, ou par expromission, au lieu et place de l'ancien, spontanément sans mandat de celui-ci, il agit comme gérant d'affaires et, quand il a payé la nouvelle dette, il a recours contre l'ancien débiteur pour toute l'utilité qu'il lui a procurée ; spécialement, s'il n'était pas tenu antérieurement envers lui : autrement, il se ferait compensation, en vertu d'une théorie à laquelle on arrivera bientôt.
Telle est la première distinction relative au changement de débiteur : il y a, soit délégation ou mandat, soit expromission spontanée ou gestion d'affaires.
Chacun de ces cas comporte une sous-distinction: la délégation est parfaite ou imparfaite ; la gestion d'affaires produit une expromission ou une adpromission.
La loi ne pouvait expliquer ces sous-distinctions dans le même article, sans le trop surcharger.
La délégation est parfaite, lorsque la libération est accordée au délégant par le délégataire : le nom de “parfaite,” donné alors à la délégation, est justifié, car elle est complète et a tout son effet possible : elle opère novation ; au contraire, quand le créancier, même ayant stipulé du délégué, s'est réservé son droit entier contre l'ancien débiteur, concurremment avec le nouveau, la délégation, étant alors incomplète, mérite bien d'être appelée “imparfaite:” il n'y a pas novation.
La même sous-distinction a lieu en cas d'engagement spontané d'un tiers : si le créancier l'accepte au lieu et place de l'ancien débiteur, il y a novation ; s'il entend conserver son droit antérieur, conjointement avec sa nouvelle créance, il y a accession d'un nouveau débiteur et non substitution de l'un à l'autre ; on dit qu'il y a expromission dans le premier cas et adpromission dans le second, pour faire sentir que, dans le premier cas, la nouvelle promesse exclut, dégage la première et prend sa place, tandis qu'elle s'y ajoute, s'y adjoint seulement, dans le second cas.
La loi n'exige pas, pour qu'il y ait, soit délégation parfaite, soit expromission, que le créancier ait expressément déchargé l'ancien débiteur : il suffit qu'il l'ait fait clairement, comme il est dit à l'article 492.
Le Code tranche aussi une question qui aurait pu s'élever, à savoir : quelle est la nature de l'engagement du nouveau débiteur, lorsque le premier n'est pas déchargé ? Le nouveau débiteur est-il simplement caution du premier ? Est-il tenu conjointement avec lui et pour moitié ? Est-il codébiteur solidaire, ou la dette est-elle indivisible passivement?
La loi distingue entre la délégation et l'intervention spontanée du tiers. Au premier cas, il y a solidarité ordinaire, solidarité parfaite, celle dont il a déjà été parlé par comparaison avec l'indivisibilité, mais qui ne sera traitée dans ses détails qu'au Livre des Garanties. Au second cas, il n'y a plus qu'une solidarité imparfaite, qu'on a déjà rencontrée sous le nom d'obligation intégrale.
On la retrouvera aussi au Livre des Garanties. Il suffit de noter ici que cette dette tient de la solidarité ordinaire son étendue : chaque débiteur peut être poursuivi pour le tout ; mais elle en diffère en ce que les deux débiteurs ne sont pas mandataires les uns des autres, pour tous leurs rapports avec le créancier: ce mandat, tout naturel et évident, quand il y a délégation, n'est plus admissible lorsqu'il n'y a qn'intervention spontanée d'un tiers : celui-ci n'est plus qu'un gérant d'affaires qui peut rendre service mais non pas nuire au débiteur; or, s'il était considéré comme codébiteur solidaire, les poursuites dirigées contre lui constitueraient l'ancien débiteur en demeure, mettraient chose due à ses risques, feraient courir contre lui les intérêts moratoires, interrompraient la prescription : ce seraient autant d'effets nuisibles résultant de son intervention et qu'on ne peut admettre.
L'article 498 déduit une conséquence de la novation sur laquelle il aurait pu y avoir doute et il y admet une exception.
Assurément, quand il y a délégation parfaite ou expromission, c'est-à-dire novation .complète par changement de débiteur, il paraît tout naturel que l'ancien débiteur, désormais libéré, ne puisse être recherché, même au cas d'insolvabilité du nouveau débiteur, surtout si cette insolvabilité est survenue postérieurement à la novation ; mais deux raisons pouvaient faire douter de cette solution, au moins au cas de délégation.
C'est, d'abord, le mandat contenu dans la délégation, lequel paraît adressé autant au délégataire qui stipule qu'au délégué qui promet ; mais, il faut prendre ce mandat tel qu'il est. c'est-à-dire avec ce qui l'accompagne ; or, ici, le délégataire a déchargé le délégant, c'est, de sa part, renoncer autant à tout recours en raison du mandat qu'à son ancienne action.
On pouvait encore attribuer un recours au créancier, en cas d'insolvabilité du nouveau débiteur, en invoquant en sa faveur la résolution tacite pour inexécution des conditions ; mais, sans prétendre que cette résolution ne soit admissible que dans les contrats synallagmatiques ou bilatéraux (or, la novation est unilatérale), elle paraît tout-à-fait inadmissible quand le créancier a déchargé l'ancien débiteur : une réserve tacite du droit de résolution serait destructive de la novation : on rentrerait dans la délégation imparfaite ou dans la simple adpro-mission.
La loi a donc dû se prononcer formellement pour lever tous les doutes.
Elle apporte ensuite une exception à la règle que l'ancien débiteur (le délégué ou l'expromettant) ne peut être recherché en cas d'insolvabilité du nouveau débiteur : c'est lorsqu'il était déjà insolvable, au moment où a eu lieu la délégation ou l'expromission, avec décharge, et que le créancier l'ignorait ; dans ce cas, en effet, le créancier n'aurait eu que des chances défavorables : ce ne serait pas un risque auquel il aurait été exposé, mais une perte certaine qu'il aurait encourue, et comme il a ignoré le fait de l'insolvabilité, il y a eu une erreur sur la cause de la novation,
La loi termine en réservant la liberté des conventions à ce sujet. Ainsi, les parties pourraient convenir que le recours du créancier aura lieu, même pour le cas d'une insolvabilité postérieure à la novation : il y aurait alors quelque chose d'intermédiaire entre la délégation parfaite et l'imparfaite on entre l'expromission et l'adpromission ; comme aussi on pourrait convenir que le créancier n'aura aucun recours pour une insolvabilité actuelle qu'il serait difficile de vérifier : il y aurait alors plus qu'une délégation parfaite ou plus qu'une expromission.
Dans le cas où le créancier a une recours contre l'ancien débiteur, soit en vertu de notre article 498, soit en vertu d'une convention spéciale, on peut se demander si c'est une action nouvelle ou si c'est l'ancienne action avec les avantages qui y sont attachés. Il est naturel, dans le cas prévu par la loi, que ce soit identiquement l'ancienne action ; mais, dans le second cas, il serait plus prudent au créancier de s'en expliquer, de stipuler la retenue conditionnelle de son ancienne action, et, spécialement, de réserver ses garanties, comme il lui est permis par les articles 500 et suivants ; à défaut de cette précaution, on pourrait décider qu'il a acquis l'action de mandat, si la novation a eu lieu par délégation, mais qu'il n'a que l'action ordinaire d'un contrat innommé, si la réserve de son recours a eu lieu dans une expromission.
Ainsi se trouve justifié ce qui avait été dit plus haut, que la délégation, quoique présentant le caractère d'un mandat, même entre délégant et le délégataire, donnera rarement lieu à l'action de mandat.
Au cas qui vient d'être cité, on pourrait en ajouter un autre, ce serait celui où le délégant aurait employé un dol, pour décider les délégataires à accepter un nouveau débiteur encore solvable, mais déjà engagé dans des affaires périlleuses qui devaient vraisemblablement le conduire à l'insolvabilité, et où ce résultat aurait effectivement eu lien.
Art. 499. Cette novation par changement de créancier est, comme on l'a annoncé, presque toujours accompagnée d'un changement de débiteur; c'est ce qui a lieu quand un débiteur délègue son propre débiteur à son créancier : le délégué change alors de créancier et le délégataire change de débiteur. Mais, il n'y aurait que changement de créancier, si le délégant n'était pas lui-même débiteur du délégataire et qu'il lui fît la délégation à titre gratuit. Dans tous les cas, il faut le concours des trois volontés : du délégant, qui ne peut perdre sa créance sans y consentir, du délégataire, qui ne peut devenir créancier sans sa volonté, même quand la délégation est gratuite, enfin, du délégué, qui ne peut changer de créancier malgré lui.
Cette nécessité du consentement du délégué le sépare du débiteur cédé qui ne peut, par son refus, empêcher la cession de la créance dont il est tenu. Le motif de cette différence est que, dans la cession de créance, la dette n'est pas éteinte, le débiteur ne contracte pas un nouvel engagement ; or, la créance est un droit cessible comme tous les droits en général ; il peut être utile, au lieu d'informer seulement le débiteur de la cession, d'obtenir son consentement (v. art. 347 et 530), mais ce consentement n'est pas nécessaire.
Art. 500. Ici, ce n'est plus une différence, c'est une ressemblance entre la novation et la cession de créance.
En effet, si on se reporte aux motifs qui ont fait soumettre la cession de créance à une sorte de publicité (voy. art. 347), on trouve qu'il y a ici identité de motifs pour exiger la même formalité, au moins dans les circonstances prévues au texte. Ainsi, un créancier avait une créance garantie par des sûretés réelles, il autorise son propre créancier, ou quelqu'un qu'il veut gratifier, à stipuler du même débiteur ce qui lui est dû, avec réserve desdites sûretés ; si l'on considérait le délégant comme dessaisi immédiatement de sa créance à l'égard des tiers et le droit comme transféré aussitôt au délégataire, il pourrait en résulter des surprises poulies propres créanciers du délégant qui, le croyant encore créancier, pourraient faire saisie-arrêt sur cette créance, ou des dommages pour d'autres personnes auxquelles le créancier ferait de nouvelles délégations ou une cession proprement dite de cette créance.
Pour prévenir ces dangers, la loi ne reconnaît à cette délégation son plein et entier effet que si le délégué a accepté la délégation dans un acte écrit ou si la délégation lui a été notifiée par un acte en bonne forme. Il y a, en effet, une grande analogie, au fond, entre la délégation et le transport-cession de créance. Sans doute, à la suite de la délégation, le débiteur délégué prendra un engagement formel vis-à-vis du délégataire, ce que ne fait pas le débiteur-cédé vis-à-vis du cessionnaire, et c'est ce qui fait qu'il y a novation ; mais, quand il y a retenue de tout ou partie des sûretés réelles de l'ancienne créance, il n'y a pas extinction complète de celle-ci : elle subsiste quant aux dites sûretés, lesquelles se trouvent réellement cédées ; il est donc juste que cette particularité de la délégation entraîne les formalités requises pour la cession. Faute de faire cette distinction, au sujet de la retenue des sûretés, on brouille et on confond trop souvent les deux théories de la novation et de la cession de créance.
On remarquera que la loi ne s'attache qu'à la retenue des sûretés réelles et non à celle des sûretés personnelles ; c'est qu'en effet les premières peuvent seules être retenues par la volonté des parties qui font novation ; s'il s'agissait de sûretés personnelles, il faudrait un nouvel engagement des personnes garantes, comme il est prévu à l'article suivant : ce ne serait plus la même obligation, ni la même sûreté.
Art. 501. Pour qu'il y ait novation entre le créancier et l'un des débiteurs désignés ici, il faut nécessairement supposer qu'il y a changement de l'objet dû ou de la cause de la dette, autrement, ce ne serait qu'une reconnaissance de la dette par ce débiteur, laquelle ne suffirait pas à libérer les autres, et, lois même que cette reconnaissance de la dette par l'un des débiteurs serait accompagnée d'une déclaration portant que les autres seraient libérés, il y aurait alors remise de la dette à leur égard et non novation. Mais, dès qu'il y a changement d'objet ou de cause, les autres debiteurs sont libérés par novation, ainsi que les cautions.
Les parties qui font ainsi novation ne peuvent convenir que les autres débiteurs et les cautions seront tenus de la nouvelle dette sans leur adhésion formelle ; ce qu'elles peuvent faire seulement c'est de subordonner l'existence de la novation à la condition suspensive de l'accession des codébiteurs et des cautions à la nouvelle dette ; en cas de refus de ceux-ci, il n'y a pas novation.
La loi prévoit ensuite la novation faite entre le débiteur et l'un des créanciers solidaires ou l'un des créanciers d'une obligation indivisible : cette novation doit rester sans effet à l'égard des autres créanciers, car, dans le cas où il y a ainsi plusieurs créanciers, ils peuvent bien améliorer leur condition commune, conserver mutuellement leur droit, mais non le compromettre ou le détruire (v. art. 445). Mais la novation n'aura pas moins entre les parties l'effet qu'elle peut recevoir sans nuire aux tiers, c'est-à-dire aux autres créanciers : si la créance n'est que solidaire, comme elle peut être éteinte partiellement, le créancier qui a fait la novation aura éteint l'obligation pour sa part, les autres conserveront les leurs, et solidairement ; si la créance est indivisible par sa nature, les autres conserveront le droit de demander l'éxécution entière, mais en comptant au débiteur la valeur de la part de celui qui a fait novation : c'est la théorie très-saillante posée audit article 445 et dont retrouvera encore plus d'une application.
Art. 501. Assurément, le créancier peut faire novation de la dette principale en traitant avec la caution : celle-ci devient alors un nouveau 'débiteur, comme pourrait l'être un tiers ; mais, s'il y a doute sur ce que les parties se sont proposé en noyant, il est naturel de croire et la loi présume qu'elles ont voulu seulement nover le cautionnement ; la caution cesse alors d'être tenu comme telle : sa nouvelle obligation peut lui être moins gênante que son cautionnement ; mais il n'en résulte de libération, ni pour le débiteur principal, ni pour les autres cautions ; aussi, celle qui a fait novation ne peut-elle exercer aucun recours en indemnité contre le débiteur principal, ni contre les autres cautions.
Art. 503. On conçoit que le créancier qui fait novation ne puisse rattacher à la nouvelle dette les codébiteurs solidaires ou les cautions de l'ancienne dette : les personnes ne peuvent se touver engagés dans un nouveau lien, sans leur consentement ; mais aucune raison ne s'opposait à ce que le créancier conservât tout ou partie de ses sûretés réelles ou portant sur les biens. C'est déjà un avantage pour les codébiteurs et les cautions de n'être plus tenus que sur leurs biens hypothéqués, au lieu de l'être sur tous leurs biens en général. Et, pour le tiers détenteur, tenu seulement à cause du bien hypothéqué qu'il possède, l'arrangement survenu entre le débiteur et le créancier lui importe. L'hypothèque, qui serait forcément éteinte s'il y avait payement, ne l'est pas par la novation : du moment qu'il a été mis comme condition à cette novation que l'hypothèque subsisterait jusqu'au payement effectif. Mais, bien entendu, comme le veut le 3e alinéa, il faut, pour cette rétention des sûretés réelles, le consentement du débiteur avec lequel la novation est faite, que ce soit l'ancien débiteur ou un nouveau ; en effet, il peut avoir eu pour but, en s'engageant, de dégrever les biens hypothéqués, autant que de décharger les personnes.
La loi termine en disant, ce qui, d'ailleurs, ne pouvait guère faire de doute, que si la nouvelle dette excède le montant de la première, les sûretés réelles ne s'étendront pas à cct excédant ; autrement, il en résulterait une aggravation de charge pour les détenteurs des biens, et, s'il s'agissait de biens restés aux mains du débiteur, il y aurait dommage pour ses autres créanciers hypothécaires ou pour ses créanciers chirographaires.
SECTION III.
DE LA REMISE CONVENTIONNELLE.
Art. 504. La remise de la dette est l'adandon de son droit par le créancier : elle appartient aux renonciations, en général. De même qu'on a vu que celui qui a un droit réel sur la chose d'autrui, comme un usufruit ou une servitude, y peut renoncer, de même celui qui a un droit personnel peut en faire remise ou abandon. Il y a toutefois entre les deux renonciations une profonde différence : la renonciation à un droit personnel, la remise de la dette, est toujours conventionnelle, comme l'annonce la présente rubrique ; au contraire, la renonciation à un droit réel sur la chose d'autrui produit tous ses effets par le fait de la seule volonté du titulaire du droit.
La raison de cette différence est facile à saisir. Le lien d'obligation est un rapport entre deux personnes ; or, les rapports des personnes ne peuvent être changés, en moins ou en plus, en mieux ou en pis, sans le concours de leurs volontés respectives ; quoique le créancier ait un droit et le débiteur nn devoir, il n'en résulte pas que le premier ait une autorité, une prééminence sur l'autre. Le droit réel, au contraire, est un rapport entre une personne et une chose : lorsque le droit n'est qu'un démembrement de la propriété d'autrui, celui auquel il appartient peut l'exercer sans la participation du propriétaire ; il doit donc pouvoir de même ne pas l'exercer, et cela est d'autant plus naturel et juste que ce droit peut arriver à devenir plus onéreux qu'utile.
La conséquence de cette différence est que si un débiteur ne veut pas accepter la remise de sa dette offerte par le créancier, il pourra lui faire des offres réelles suivies de consignation ; tandis qu'un nu-propriétaire qui ne consentirait pas à la renonciation de l'usufruitier ne serait pas admis à lui imposer d'occuper les bâtiments ou de cultiver le fonds ; il ne pourrait pas davantage lui imposer de recevoir les fruits et produits, même déduction faite des frais de production ; il en est de même, et encore plus évidemment, du propriétaire d'un fonds servant qui ne consentirait pas à l'abandon de la servitude : tons deux pourraient seulement, par un ridicule entêtement, laisser le fonds sans culture, les bâtiments inhabités ou le passage inutilement libre aux personnes ou aux eaux, suivant la nature de la servitude.
On rappelle seulement, à cette occasion, que les renonciations à des droits réels immobiliers, pour être opposées aux ayant-cause particuliers, dits improprement tiers, sont soumises à la publicité de l'inscription (art. 348, 2® al.). Si donc celui qui a renoncé à un usufruit l'aliénait ensuite, avant que le nu-propriétaire eût publié la renonciation, l'aliénation serait valable au profit du tiers (art. 350).
La remise de la dette, dit le texte, peut être onéreuse ou gratuite. Elle est onéreuse dans le cas où le débiteur fait, pour l'obtenir, un sacrifice considéré comme équivalent de celui du créancier.
Si le débiteur acquittait effectivement sa dette, " selon sa forme et teneur,” il ferait un payement proprement dit : il recevrait quittance ; cependant, on ne dirait pas que la remise ou décharge est “conventionnelle,” puisqu'il pouvait l'obtenir par un payement “forcé.” Mais, si le débiteur donne autre chose que ce qu'il doit et obtient ainsi sa décharge, celle-ci est alors conventionnelle, car il a fallu le consentement des deux parties ; cependant, l'usage alors est plutôt de dire qu'il y a “dation en payement” (voy. art. 461) ; si le débiteur a pris un nouvel engagement qui éteint le premier, la décharge conventionnelle constitue la “novation” (art. 489) ; enfin, si les parties, d'un commun accord, se font des concessions réciproques, pour prévenir une contestation ou pour mettre fin à un procès commencé, on dit qu'il y a “transaction :” la transaction a surtout le caractère de remise partielle à titre onéreux, si le créancier consent à réduire sa créance, certaine d'ailleurs, pour obtenir une sûreté réelle ou personnelle qu'elle n'avait pas encore.
Les remarques qui précèdent s'appliquent surtout au cas d'une obligation unilatérale. S'il y avait des obligations réciproques entre les parties, non seulement l'une d'elles ne pourrait pas faire remise à l'autre sans le consentement de celle-ci, mais, lors même que cette dernière accepterait la remise, en ce qui la concerne, il n'en résulterait pas nécessairement qu'elle accordât la remise réciproque de ce qui lui est dû par l'effet de la convention synallagmatique : la décision dépendrait des termes de la convention et des autres circonstances pouvant révéler l'intention des parties. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'en admettant l'extinction d'une seule des dettes par la remise, l'autre dette devrait se trouver nulle faute de cause : lorsque deux obligations sont une fois valablement créées, avec leur cause légale, l'une peut s'éteindre et l'autre subsister ; c'est ce qui arrive, notamment, dans la vente pure et simple ou à terme, quand la chose vendue périt par cas fortuit, avant la livraison et avant la mise en demeure du vendeur : celui-ci est libéré et l'acheteur reste tenu de payer le prix (voy. art. 335).
Lorsque, à la suite d'une remise faite par l'une des parties réciproquement tenues, le tribunal estimera que l'intention commune a été d'opérer une libération réciproque, la remise mutuelle prend le nom de " résolution volontaire du contrat (voy. art. 353).”
Lorsque le créancier fait la remise de la dette sans recevoir aucun équivalent, c'est une libéralité, un contrat de bienfaisance; on y applique naturellement les règles propres ce à genre de contrat : spécialement, pour la capacité de donner et de recevoir, qui n'est pas la même que pour les actes onéreux. Mais les solennités de forme auxquelles peuvent être soumises donations entrevifs ne sont pas imposées à la remise de la dette.
Tl en serait autrement d'une remise de la dette qui serait faite par testament : elle devrait être faite dans la forme prescrite pour ce genre de libéralité ; la raison en est que l'acte testamentaire, n'étant plus une convention, doit revêtir les formes qui lui sont propres ; ce n'est pas à dire qu'une libéralité testamentaire puisse être imposée à celui qui ne voudrait pas l'accepter : elle peut être refusée ; mais, jusqu'au refus, elle vaut par la seule volonté du défunt.
Au surplus, lorsque la remise de la dette est conventionnelle, elle est soumise à toutes les règles des conventions en général, tant pour son existence que pour sa validité : notamment, si la renonciation avait une cause ou une condition illicite ; de même, elle serait annulable si le créancier avait renoncé à son droit, par l'effet d'une erreur ou d'une violence.
La loi renvoie, pour le concordat, aux dispositions du Code de commerce.
En ce qui concerne le caractère de remise de dette faite par le concordat, il y a ici deux remarques à faire : 1° ce ne sera jamais, vraisemblablement, une remise totale, puisque le but du concordat est de permettre au failli de se libérer, en reprenant ses affaires ; 2° cette remise n'a pas le caractère d'une libéralité, mais d'une transaction, c'est-à-dire d'un acte onéreux.
On a cependant quelquefois exprimé des doutes à cet égard, en prétendant que le débiteur ne fait pas un véritable sacrifice, un sacrifice en faveur de ses créanciers; mais on s'est trompé: le failli, en consentant à reprendre le commerce, fait un sacrifice de peines et de soucis, d'autant plus réel que les affaires lui deviendront plus difficiles à cause de sa facillite ; en outre, il s'expose, en cas de non payement des sommes dont il est reliquataire après le concordat, à des rigueurs particulières. Il n'en faut pas davantage pour reconnaître que la remise partielle consentie au failli par le concordat n'est pas une libéralité : en outre, il n'y a pas de libéralité sans l'intention de donner et, assurément, les créanciers n'ont pas cette intention.
Art. 505. Les renonciations à des droits doivent quelquefois être expresses. Lorsque la loi l'exige, c'est pour protéger davantage le titulaire du droit contre un résultat qui ne serait pas dans ses prévisions et dans son intention ; c'est aussi pour le préserver d'une interprétation abusive des tribunaux dans le sens d'une renonciation qu'ils pourraient induire trop facilement des circonstances; ce sont, en général, des droits réels, à la jouissance desquels il y a moins de raison de renoncer qu'à celle des droits personnels (voy. art. 99-3° et 288). Mais il est naturel que la loi soit plus favorable à la renonciation aux droits personnels : d'abord, ces droits sont, de leur nature, temporaires et destinés à s'éteindre par des causes multipliées : ensuite, ils créent entre les personnes des sujets de procès et d'animosité qui font désirer toute cause qui rend aux parties leur liberté respective ; la loi peut donc, sans inconvénient, admettre des renonciations tacites résultant des circonstances et laissées à l'appréciation des tribunaux.
Mais il ne faudrait pas confondre une renonciation tacite avec une renonciation présumée. La renonciation n'est présumée que dans les cas où la loi le déclare, en raison de certaines circonstances qu'elle détermine elle-même. On en va trouver ci-après des exemples, au sujet de la solidarité.
Cette restriction aux pouvoirs du juge ne les empêche pas d'induire des circonstances du fait la preuve d'une renonciation tacite; mais, dans le doute, ils ne devraient pas décider en faveur du débiteur et d'une renonciation du créancier, comme le prescrit l'article 360 : cet article, facile à justifier, quand il s'agit de déterminer si un prétendu débiteur s'est obligé et dans quelle mesure il l'a fait, n'a plus la même raison d'être quand il s'agit de savoir si la dette, certaine d'ailleurs quant à sa formation, s'est éteinte, en tout ou en partie, par un fait postérieur. Il y a d'ailleurs, ici, une interversion complète des rôles : le débiteur n'est plus défendeur à l'action du créancier, mais demandeur dans son exception ou sa fin de non recevoir. On trouvera, au Livre des Preuves, un article portant que celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Art. 506 et 507. La loi règle maintenant l'effet de la remise lorsqu'il y a divers débiteurs, soit principaux, soit accessoires, et que la convention a été faite avec l'un d'eux, expressément ou même tacitement.
Il n'y a pas de difficulté sur le 1er alinéa de l'article 506 : il est clair que lorsque le débiteur principal est libéré, les cautions le sont également.
Si la convention de remise a été faite avec un seul des codébiteurs solidaires, il est encore naturel que les autres en profitent, quoique, dans ce cas, le créancier n'ait été mu, vraisemblablement, que par des considérations personnelles à celui auquel il a fait la remise ; mais autrement, si les autres restaient tenus, même déduction faite de la part du gratifié, et que l'un d'eux fût insolvable, le gratifié serait encore exposé à un recours en vertu de la garantie mutuelle que se doivent les codébiteurs solidaires et ce résultat doit être évité. liais la libération des autres débiteurs solidaires n'est pas d'une nécessité absolue : le créancier peut ne faire qu'une remise personnelle à celui qu'il veut gratifier, et, pour cela, il lui suffit de réserver ses droits contre les autres ; mais, dans ce cas encore, ceux-ci demeurent libérés de la part virile ou réelle que le gratifié devait définitivement supporter dans la dette, ainsi que de sa contribution éventuelle dans la part des insolvables.
Quoique l'indivisibilité présente de notables différences avec la solidarité, ainsi qu'on l'a vu en son lieu il y a ici une similitude qui dispense de développements : si la dette, par sa nature même ou par l'intention des parties, ne comportait pas de division entre les débiteurs et que le créancier ait fait avec l'un d'eux un pacte de remise, il est évident, et plus encore que dans la solidarité, qu'il ne peut plus rien demander aux autres ; mais, dans le cas où il aura fait contre eux la réserve de ses droits, il y aura une différence, moins au fond d'ailleurs qu'en la forme : quand la dette, par sa nature, ne comporte pas de division, le créancier, en vertu des réserves qu'il a faites, demandera le tout à celui des autres débiteurs qu'il jugera à propos, mais il lui tiendra compte, en argent, de la valeur de la part de celui qu'il a entendu libérer tant de ses poursuites que du recours des autres (comp. art. 445).
On pourrait douter, au sujet de l'effet de la remise de la dette faite à une caution : comme celle-ci n'est qu'un débiteur accessoire, il semble moins naturel que la remise qui lui est faite profite au débiteur principal. Mais ce qu'il faut voir c'est la volonté du créancier d'abandonner son droit, et la caution qui est toujours mandataire du débiteur, ou au moins son. gérant d'affaires, a bien, comme telle, qualité pour accepter un avantage offert à celui-ci.
Bien entendu, on suppose ici que la remise porte sur la dette même et non sur le cautionnement : ce dernier cas est prévu et réglé plus loin.
Quant aux autres cautions, sans nul doute, elles sont libérées, puisque le débiteur principal l'est lui-même.
Art. 508. Le Code tranche ici une autre question importante. On aurait pu croire que l'un des codébiteurs ou l'une des cautions, ayant procuré la libération des autres par une convention qui n'aurait probablement pas été faite avec ceux-ci, pourrait s'en faire un titre à recourir contre eux comme s'il avait effectivement payé. Mais la loi ne pouvait admettre une pareille prétention. Pour que ce recours soit admissible, il faudrait que le codébiteur ou la caution eût effectivement payé quelque chose ou fourni une valeur, pour obtenir la remise, et c'est dans la mesure seule de ce sacrifice que le recours serait admis. Si le créancier, en faisant la remise à l'un des débiteurs ou à l'une des cautions voulait autoriser ce recours, il devrait procéder autrement et faire un transport-cession de sa créance ; mais alors, on ne devrait plus parler de remise de la dette : ce serait une autre opération soumise à d'autres principes.
Art. 509. Il ne faut pas confondre la remise de la dette même avec celle de la solidarité ou de l'indivisibilité, c'est-à-dire de la modalité qui l'affecte. Quand le créancier remet seulement la solidarité à l'un de ses débiteurs, sa créance reste entière quant au montant et il ne perd même aucun de ses débiteurs ; seulement, il a rompu le lien qui unissait le débiteur gratifié aux autres : il ne peut lui demander la part de ceux-ci, ni à ceux-ci la sienne ; il n'a perdu qu'une partie de la garantie mutuelle d'insolvabilité ; le lien de solidarité subsiste d'ailleurs entre les autres débiteurs, pour leurs parts, respectivement.
S'il s'agit d'une dette indivisible par l'intention des parties, le créancier peut également affranchir un des débiteurs de la modalité de l'obligation ; les choses se passent alors comme dans la solidarité.
Mais si la dette est indivisible par sa nature, comme le créancier ne peut changer la nature des choses, il peut encore demander le tout à chacun des débiteurs, même à celui auquel il a fait la remise de l'indivisibilité, mais sous les modifications suivantes : s'il poursuit le gratifié, il devra lui tenir compte, en valeur, de la part des autres débiteurs avec recours contre eux pour le remboursement ; s'il poursuit l'un des autres, il lui tiendra compte seulement de la part du gratifié, avec recours contre ce dernier (voy. art. 445) ; on arrive ainsi au résultat nécessaire de la remise de la modalité ; le créan cier conserve son droit intégral au fond, mais il s'expose à l'insolvabilité d'un ou plusieurs des débiteurs, en assumant la charge d'une avance et le risque d'un recours.
Art. 510. La loi, sans limiter les pouvoirs des juges dans l'admission d'une, remise tacite de la solidarité, leur trace leur devoir à cet égard, dans trois cas particuliers où la remise tacite lui paraît suffisamment démontrée et elle en fait l'objet de présomptions légales, comme il a été prévu à l'article 505.
Ces présomptions sont étendues à la remise de l'indivisibilité, mais seulement lorsqu'elle est conventionnelle, parce que c'est dans ce cas seulement que l'on peut concevoir la demande ou le payement d'une, part sur lesquels seuls est basé le système de présomptions légales ici présenté.
1er Cas. Le créancier a reçu d'un des débiteurs de la dette solidaire ou indivisible une somme ou valeur égale à sa part ; de plus, il a été déclaré que c'était cette part ; enfin, le créancier n'a pas réservé le bénéfice de la modalité de la créance : il est naturel de croire qu'il a renoncé à l'un ou à l'autre garantie. On remarquera seulement ici que la loi n'exige pas que la déclaration soit faite, parle créancier lui-même et dans la quittance, que telle est la part du débiteur qui paye : sans doute, ce sera le plus naturel et le plus fréquent ; mais il serait raisonnable et juste de donner le même effet à une simple quittance de ladite somme ou valeur, si la déclaration avait été faite par le débiteur : notamment, dans une imputation de payement ou dans des offres, suivies ou non de consignation , et acceptées ensuite sans réserves.
IIe Cas. Le créancier a demandé en justice à l'un des débiteurs une somme ou valeur qu'il a, lui-même, cette fois, qualifiée de part de ce débiteur, et il n'a pas réservé ses droits ultérieurs ; puis, le débiteur a acquiescé à la demande, ce qui forme une convention spéciale à ce sujet ; ou bien, il est intervenu un jugement qui condamne le débiteur à payer cette part et le jugement est devenu inattaquable (il faut naturellement le supposer) : le créancier a, évidemment, entendu renoncer à la modalité qui servait de garantie à sa créance.
IIIe Cas. La dette n'était pas exigible en capital, mais elle portait des intérêts ou des arrérages annuels ; le créancier a reçu divisément d'un des débiteurs sa part dans lesdits intérêts ou arrérages : pour les intérêts échus et ainsi payés, il y a renonciation à la garantie pour la part des autres, en vertu des deux alinéas précédents ; mais, pour les intérêts futures et pour le capital, le droit du créancier reste entier, à moins que lesdits payement n'aient été continués pendant dix ans, sans réserves ; et il faut, de plus, que ces dix ans soient consécue tifs ; car sil dans l'intervalle, le créancier avait reçu du même débiteur la totalité des intérêts d'un an ou même d'un terme plus court, la présomption n'aurait plus de force.
On pourrait se demander si, dans ces trois cas, la présomption de remise est absolue ou si elle admet la preuve contraire. Les présomptions absolues sont rares, elles n'ont guère lieu que dans des cas où l'ordre public est intéressé, ce qui n'est pas ici le cas ; mais, en fait et pratiquement, on ne comprendrait guère ici que la preuve contraire à la présomption pût être fournie par le créancier ; il pourrait seulement soutenir qu'il a indirectement réservé ses droits et, en effet, la loi n'exige pas une réserve expresse : par exemple, le créancier pourrait établir, par la correspondance ou par témoins, qu'il n'a consenti à la division de la dette que parce que les autres débiteurs étaient notoirement solvables ou passaient pour l'être, au temps du payement partiel, ce qui implique raisonnablement qu'il n'entendait pas renoncer à ses garanties, si cette solvabilité venait à cesser ou n'existait pas réellement.
Art. 511 et 512. Dans ces deux articles, on suppose encore que le créancier n'a entendu renoncer qu'à une garantie et non à sa créance elle-même ; mais il y a à remarquer que cette renonciation à une garantie pourra s'étendre à une autre.
Dans l'article 511, une caution est libérée de son cautionnement pour le tout : les autres cautions en profitent, en ce qu'elles cessent elles-mêmes d'être tenues de la part de la caution gratifiée ; c'est une solution analogue à celle de l'article 506, 2e al., au sujet de la remise de la dette faite à l'un des débiteurs solidaires ; avec cette différence, toutefois, que dans le cas de remise de la dette solidaire, le créancier ne conserve ses droits contre les autres débiteurs que s'il a fait des réserves, parce qu'il n'y a, en réalité, qu'une seule dette principale ; tandis que, quand il y a plusieurs cautions, chacune est tenue par un contrat spécial et assez indépendant des autres pour que la remise à elle faite soit sans effets pour les autres ; toutefois, comme la remise ne doit pas leur nuire et comme, sans la remise faite à l'une des cautions, celle-ci pourrait Être appelée, comme les autres, à payer toute la dette, sauf son recours contre chacune et, comme, dans tous les cas, elle supporterait sa part dans la charge du payement, les autres sont nécessairement affranchies de l'obligation de faire pour la caution gratifiée une avance qui ne peut plus être exigée d'elle.
L'article 512 suppose la remise d'une sûreté réelle. Il semblerait qu'elle doive être sans influence sur les sûretés personnelles ; mais il y a une nouvelle raison pour qu'elle profite aussi aux cautions ; autrement, elle leur nuirait. On sait, en effet, que la caution qui paye la dette est subrogée aux droits du créancier : spécialement, aux privilèges et hypothèques qui garantissaient la créance, et elle est naturellement présumée avoir compté sur cette subrogation éventuelle au moment où elle s'est engagée ; or, si le créancier a fait remise d'un gage ou d'une hypothèque sur lesquels la caution a compté, il lui a nui, en rendant la subrogation impossible, à cet égard ; il doit donc perdre son droit contre la caution.
Toutefois, on remarquera que le texte ne déclare pa-la caution libérée de plein droit par cette remise, comme elle l'est dans les autres cas ; elle devra demander sa décharge en justice. Les mêmes dispositions sont appliquées aux codébiteurs solidaires.
Art. 513. Lorsque le créancier renonce au cautionnement, il court le risque de l'insolvabilité du débiteur, et la caution en est affranchie ; il est donc naturel et juste que le premier soit indemnisé de son risque par un sacrifice de la caution ; si le débiteur paye toute sa dette, le créancier aura trouvé un profit dans l'opération ; mais il peut perdre aussi : c'est une convention aléatoire dans laquelle la loi ne doit pas intervenir.
Comme l'opération faite entre la caution et le créancier ne diminue pas la dette ; la caution n'a pas de recours pour ce qu'elle a payé, puisque le débiteur n'en a pas profité. Il en est de même si le créancier reçoit quelque chose d'un des codébiteurs pour lui faire remise de la solidarité ou de l'indivisibilité.
Art. 514. Cette disposition mérite quelque attention.
Supposons un acheteur auquel la tradition ou délivrance de la chose vendue n'a pas encore été faite; il déclare faire remise au vendeur de son obligation de livrer : on pourrait croire qu'il renonce à tous scs droits résultant de la vente et que la propriété qui lui avait été acquise par le contrat de vente est par lui retransférée, rétrocédée au vendeur. Supposons encore un dépôt ou un prêt à usage qui obligent le dépositaire ou l'emprunteur à restituer les choses déposées ou prêtées, il semblerait que la dispense de cette restitution soit un abandon de la propriété par le déposant ou le prêteur.
Assurément, si la remise de l'obligation de livrer ou de restituer ne pouvait avoir d'autre effet, il faudrait le lui reconnaître en vertu du principe " qu'il vaut “mieux interpréter les conventions de la manière qui “leur fait produire un effet que de celle qui ne leur en “donne aucun” (voy. art. 358). Mais on n'est pas réduit à cette extrémité.
Le créancier, dans les cas qui nous occupent et autres analogues, avait deux droits, un droit de propriété et un droit de créance tendant à obtenir la livraison de sa chose ; il a fait remise de cette créance, mais il a gardé la propriété ; il conserve donc la revendication, et sa position est déjà notablement moins bonne : le vendeur, le dépositaire, l'emprunteur, n'ayant plus l'obligation de livrer, n'ont plus celle de conserver la chose avec autant ou plus de soins que leurs propres choses ; ils ne sont plus que de simples possesseurs de la chose d'autrui, auxquels on ne pourrait reprocher que les actes faits de mauvaise foi ou qui les auraient enrichis Pu reste, leur possession ne cesse pas d'être précaire, car ils ne se trouvent pas dans un des cas où la précarité originaire vient à cesser : il n'y a pas eu interversion de leur titre (voy. art. 185). Le créancier conservera donc l'action en revendication, sans craindre la prescription ; mais, là encore, sa position est moins bonne que s'il agissait par l'action personnelle née du contrat: il lui faudra prouver son droit de propriété, ce qui sera souvent plus difficile que de prouver qu'il y avait eu vente à lui faite, dépôt, ou prêt à usage fait par lui.
Observons, en terminant, que si un acheteur avait fait à son vendeur remise de l'obligation de livrer, cela n'entraînerait pas de sa part remise de la dette de garantie au cas d'éviction, ni de l'action en résolution, de même qu'il ne serait pas libéré lui-même de l'obligation de payer le prix.
Art. 515. Après avoir supposé plusieurs débiteurs principaux ou accessoires, la loi doit prévoir le cas de plusieurs créanciers, lesquels, soit dit en passant, sont toujours principaux : il n'y a pas de créanciers accessoires.
Les co-créanciers solidaires sont mandataires les uns des autres dans l'intérêt commun : ils peuvent, l'un pour l'autre, poursuivre le débiteur, le mettre en demeure, interrompre la prescription, recevoir le payement ; mais leur mandat ne va pas jusqu'à leur permettre de diminuer ou d'éteindre la créance au préjudice de leurs co-créanciers : notamment, de faire remise de la dette au débiteur ; une pareille remise ne serait pourtant pas sans quelque effet, mais elle ne vaudrait que jusqu'à concurrence de la part de celui qui aurait fait la remise, parce que c'est dans cette mesure qu'elle ne nuirait pas aux autres.
Dans le cas de l'obligation indivisible par sa nature, la remise par l'un des créanciers aura le même résultat final, mais c'est par une autre voie qu'on y arrivera : les autres créanciers ne pourront voir leur droit diminué par une remise à laquelle ils sont étrangers et, comme il s'agit d'un droit indivisible, ils conserveront leur action pour le tout ; mais ils compteront en argent au débiteur une somme égale à la valeur de la part dont il lui a été fait remise, et ce ne sera pas une perte pour eux, car, sans cela, ils auraient dû partager le profit de l'action avec l'autre créancier.
Le principe de cette solution a déjà été donnée par l'article 445 auquel le texte renvoie.
Si la dette est indivisible par l'intention des parties et consistait en argent, le droit de poursuite sera diminué de la part du créancier qui a fait la remise, car il ne serait pas raisonnable de demander la somme entière, pour en rendre aussitôt une partie.
Art. 516, 517 et 518. La loi termine par la solution de plusieurs questions de preuve assez délicates. Il s'agit de la tradition ou livraison du titre ou de ses altérations matérielles.
On trouve ici plusieurs présomptions légales.
Le cas le plus favorable au débiteur est celui où le créancier lui a délivré l'acte écrit, le titre original portant son engagement et sa signature et destiné à servir de preuve de son obligation. Le créancier, n'ayant plus d'autre preuve dans les mains, a vraisemblablement ou l'intention de ne rien réclamer à ce sujet.
A-t-il reçu le payement ou une valeur équivalente à son droit, ou a-t-il voulu faire une libéralité? C'est une autre question, réservée pour le dernier article; mais il est naturel de présumer qu'il n'a entendu retenir aucun droit.
Quelle force doit avoir cette présomption ? Elle n'est qu'une présomption simple : le créancier sera toujours admis à prouver l'intention qu'il a eue de conserver ses droits.
Du reste, si le créancier a mis sur le titre une mention libératoire ou, en sens inverse, une réserve quelconque de son droit, il n'y aura plus de difficulté de preuve.
La loi n'attache pas une présomption de remise de la dette à la tradition, par le créancier au débiteur, de la première expédition d'un acte authentique, revêtue de la formule exécutoire. La raison de cette différence est que le créancier n'a pas, en se dessaisissant de ce titre, perdu tout moyen de prouver son droit, puisqu'il existe une minute de l'acte à laquelle on peut toujours recourir : il peut n'avoir entendu faire qu'une simple communication.
La loi cependant ne défend pas aux tribunaux de prendre en considération la tradition de cette expédition et d'en induire la remise de la dette ; mais ce ne sera plus par une présomption légale, même simple, cc sera par une présomption de fait laissée à la prudence des juges qui tiendront compte des autres circonstances.
Sur tous ces points, il y avait une difficulté à résoudre : comment saura-t-on si la tradition du titre a été volontaire, surtout dans le cas du 1er alinéa de l'article 516, où elle a une grande importance ?
Comme on ne doit pas présumer qu'il y a eu, de la part du débiteur, extorsion du titre, ni dol ou surprise tendant à se le faire livrer, ni que le titre a été perdu par le créancier et trouvé par le débiteur, il est naturel que la loi présume que la simple possession ou détention du titre par le débiteur est la suite d'une tradition à lui faite volontairement par le créancier. Mais, bien entendu, ici encore, toute preuve contraire est admissible.
Il fallait prévoir aussi la destruction du titre, sa lacération ou sa cancellation par le créancier, sans d'ailleurs qu'il en ait été fait tradition au débiteur. De pareils actes ne semblent pas moins révéler que la tradition même du titre faite au débiteur l'intention chez le créancier d'abandonner son droit, en en détruisant la preuve; il en est de même si ces altérations, sans porter sur le titre entier, portent seulement sur la signature du débiteur, ou sur les dispositions essentielles de l'acte : par exemple, dans un titre de vente, sur la désignation du prix ou, dans un titre de prêt, sur l'énoncé de la somme due. La présomption de remise est donc placée ici par le Code sur la même ligne que celle résultant de la tradition du titre au débiteur, en tenant compte toujours de la différence entre les deux sortes de titres dont parle l'article précédent.
Il y aurait encore à prouver que lesdites altérations du titre ont été faites par le créancier ou de son consentement. La loi le présume, si le titre était en la posession du créancier au moment où elles ont été faites, et, naturellement encore, la présomption peut être démentie par la preuve contraire. Si les altérations avaient été faites à un moment où le créancier ne possédait pas le titre, ce serait au débiteur à fournir la preuve directe de l'ordre ou du consentement de celui-ci.
Il reste à prouver la coïncidence des altérations avec la possession du créancier: ici, il n'y a plus de présomption légale; en principe, ce sera au débiteur à la prouver directement ; mais, comme il est rare qu'un créancier ne possède pas son titre, si celui-ci, n'établit pas que le titre est sorti de ses mains à une certaine époque, les tribunaux pourront décider, par présomption de fait, qu'il a toujours eu son titre dans les mains et, dès lors, la coïncidence de l'altération s'en suivra, avec la présomption légale pour conséquence.
La dernière question est celle de savoir si la remise de la dette, dans les divers cas prévus à cette Section, sera considérée comme faite à titre gratuit ou à titre onéreux. Cette question, est, comme l'observe le texte, indépendante da la manière dont la remise de la dette est prouvée et de son caractère exprès ou tacite.
Si l'on s'attache à ce qui arrive le plus souvent on reconnaît qu'il est bien plus frequent que le créancier remette la dette contre un payement ou contre son équivalent que gratuitement et sans rien recevoir : Ensuite, les obligations ne se présument pas, or, si l'on présumait une remise gratuite, on arriverait souvent, par l'application des règles de la donation, à imposer à l'ancien débiteur des obligations de restituer tout ou partie des choses données, ce qui serait contraire au principe sus-énoneé.
Le Code fait donc sagement en introduisant ici une nouvelle présomption, une présomption légale, de payement ; sauf toujours la preuve contraire.
Mais cette présomption cesse, si le créancier et le débiteur se trouvaient dans des relations respectives où la loi ne permet pas à l'un de donner à l'autre ; dans ces cas, il serait dangereux de présumer que la remise a été onéreuse, justement parce qu'il est à craindre qu'elle n'ait été gratuite, contrairement à la loi et pour l'éluder : le débiteur devrait donc prouver directement qu'il a payé.
SECTION IV.
DE LA COMPENSATION.
Art. 519. Le mode d'extinction auquel nous arrivons est d'une grande utilité pratique : il simplifie les rapports et les comptes réciproques des créanciers et débiteurs. Si, deux personnes se doivent respectivement une somme d'argent, par exemple, il est inutile que l'une paye à l'autre, pour recevoir immédiatement, comme créancière, ce qu'elle a donné comme débitrice ; il serait même dangereux de payer, dans certains cas ; car, si celui auquel est fait le premier payement est de mauvaise foi ou insolvable, celui qui a payé court le risque de ne pas recevoir à son tour ce qui lui est dû.
La compensation peut être considérée comme un double payement, fictif ou abrégé.
Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait compensation, que les deux dettes soient égales : lorsqu'elles sont inégales, la compensation s'opère jusqu'à la somme ou valeur où elles se rencontrent ; en d'autres termes, comme dit notre article, " jusqu'à concurrence de la somme la plus faible ;” le débiteu rde la plus forte dette ne payera effectivement que le surplus.
C'est une dérogation plus apparente que réelle à la règle que “le débiteur ne pent contraindre son créancier à recevoir un payement partiel” (art. 439) ; en effet, si la dette la plus faible est née d'une convention, le créancier, en y consentant, est présumé avoir accepté d'avance la compensation partielle qui en devait résulter ; si la dette n'est pas conventionnelle, les avantages de la compensation sont suffisants pour que la loi l'ait préférée à l'indivisibilité du payement.
Si l'on examine les causes de la compensation, elle est de trois sortes : 1° elle vient de la loi. directement, sans la participation des parties ni celle des tribunaux ; 2° elle vient de la volonté d'une partie on de toutes deux, suivant les cas : elle est dite alors “facultative;” 3° enfin, elle est judiciaire, lorsque les tribunaux l'opèrent sans la volonté des parties, mais aussi sans arbitraire et toujours en vertu des règles du droit.
Chacune de ces causes sera reprise successivement.
C'est la compensation légale qui présente le plus d'intérêt et aussi le plus de difficultés.
Les règles communes aux trois sortes de compensation seront données en dernier lieu.
Art. 520. De ce que le recours à la justice n'est pas nécessaire pour que la compensation légale ait son effet, ce n'est pas à dire que ce recours ne puisse avoir lieu : les effets les plus virtuels de la loi peuvent toujours être contestés, sous le prétexte que leurs cas d'application ne se rencontrent pas ; mais, la justice, en statuant, ne fait que constater l'effet de la loi.
La compensation légale, s'opérant spontanément, virtuellement, a lieu “même à l'insu des parties ;” a plus forte raison, n'est-il pas nécessaire qu'elle soit invoquée par elles. Cependant, en fait, le tribunal ne peut guère connaître l'existence de la compensation, si elle ne lui est signalée et même prouvé ; mais, cette preuve une fois fournie, il doit rejeter la demande ou la réduire, comme éteinte on diminuée par la force de la loi, et arec rétroactivité au jour où les deux dettes ont coexisté ; en conséquence, les intérêts ont cessé d'être dus depuis le jour où la compensation s'est opérée.
On a douté que le juge pût déclarer la compensation d'office et sans qu'elle fût invoquée ou opposée : on a prétendu qu'il n'avait pas plus ce droit que celui de suppléer d'office le moyen tiré de la prescription ; mais les raisons qui ont fait refuser au juge le droit de déclarer d'office la prescription ne se rencontrent nullement pour la compensation ; la compensation doit se comparer au payement et non à la prescription : de même que si le juge découvrait, au cours du procès, dans les pièces produites, une quittance de payement dont le débiteur ne se serait pas prévalu, il aurait le droit et le devoir de déclarer le débiteur libéré, de même s'il découvre une cause de compensation légale, il doit déclarer opérée l'extinction totale su partielle de la dette.
Pour tpic la compensation légale s'opère, le présent Code exige cinq conditions. On va les reprendre sommairement sous cet article, et chacune reparaîtra ensuite séparément dans les articles suivants, pour quelques dispositions particulières.
1° Il faut d'abord que les deux dettes soient “principales." Il va de soi quelles doivent être en même temps personnelles, puisque la loi a commencé par supposer que “deux parties sont respectivement créancières et debitrices."
Ainsi, la compensation légale n'a pas lieu entre l'obligation “accessoire" d'une caution et ce qui lui est dû d'autre part par le créancier de la dette cautionnée. Il pourrait seulement y avoir lieu à compensation, au moment où la caution serait poursuivie (vov. art. suiv.); mais alors la compensation ne serait plus légale : elle serait seulement facultative.
2° Les dettes doivent être “fongibles ;” non-seulement fongibles en elles-mêmes, c'est-à-dire ayant des objets déterminés seulement quant au genre, à l'espèce, à la qualité et à la quantité, ce qui permet de donner indistinctement tous objets semblables (voy. art. 18), mais encore “fongibles entre elles,” de telle sorte que l'une puisse être donnée en payement pour l'autre ; ce qui autorisera chacune des parties à garder ce qu'elle doit, en payement de ce qui lui est dû. Ainsi, l'une des parties doit de l'argent, l'autre lui doit des bois ou des pierres ; chacun de ces objets est fongible en lui-même, puisque ce sont des choses de quantité et non des corps certains ; mais chaque partie devra payer effectivement ce qu'elle doit: autrement, le but du contrat ne serait pas atteint ; si au contraire tous deux se doivent de 1 argent, des bois ou des denrées, de même nature et qualité, ils n'ont plus d'intérêt au payement effectif : la compensation a lieu.
On verra plus loin une extension de la fongibilité.
3° Les deux dettes doivent être “liquides,” c'est-à-dire, d'un montant déterminé, comme il sera développé bientôt.
4° Elles doivent être “exigibles,” puisque la compensation opère comme un payement : la loi va apporter un tempérament à cette condition.
5° Enfin, il ne faut pas que l'on se trouve dans l'un des cas où la compensation légale est exclue par la loi elle-même ou par la convention des parties.
Les exceptions apportées par la loi seront énoncées et motivées plus loin (art. 526).
Quant à l'exclusion de la compensation par les parties, elle peut être expresse on tacite ; dans ce dernier cas, elle sera appréciée par les tribunaux, d'après les circonstances. C'est encore une différence entre la compensation et la prescription à laquelle le débiteur ne peut renoncer d'avance. Il n'est pas douteux non plus que la partie au profit de laquelle s'est accomplie une compensation légale puisse y renoncer, soit expressément, soit tacitement, en négligeant de l'invoquer.Il y aura là, toutefois, une difficulté à résoudre sous l'un des articles suivants (art 528).
Art. 521. Cet article reprend et applique la première condition requise pour la compensation légale, à savoir que les deux dettes soient “principales” en même temps quelles doivent être personnelles ; seulement, le lien qui résulte de la solidarité et de l'indivisibilité, entre les co-débitcurs, et les co-créanciers, donne à la personnalité des dettes une certaine extention ; de là, de nombreuses distinctions qui nécessitent un examen particulier de chacun de ces quatre alinéas.
1er al. Le créancier a un débiteur et une caution ; de son côté, il doit à la caution, mais non au débiteur principal, et c'est celui-ci qu'il poursuit ; ce débiteur ne peut se soustraire au payement, en opposant la compensation de ce que son créancier doit à la caution, et cela, par plusieurs raisons réunies : d'abord, la dette de la caution, étant une dette accessoire, n'a pu, avant les poursuites faites contre elle, se compenser de plein droit avec la dette du créancier envers elle ; ensuite, la créance de la caution n'est pas personnelle au débiteur principal ; d'ailleurs, si cette compensation était possible, il pourrait se présenter un cumul ou un conflit inadmissible de deux compensations, si, par hasard, le débiteur principal se trouvait, en même temps que la caution, créancier du créancier ; enfin, une raison qui, si elle était seule, suffirait déjà à exclure la compensation du chef de ce qui est dû à la caution, c'est qu'il n'est pas permis au débiteur de contraindre la caution à payer pour lui ; or, la compensation aurait cet effet : le créancier seul a ce droit et encore est-il soumis à certaines conditions et limites qu'on verra au Chapitre du Cautionnement.
En sens inverse, si le créancier poursuit la caution, alors qu'il doit au débiteur principal, celle-ci peut lui opposer la compensation du chef de ce débiteur, parce que tous les modes d'extinction de la dette peuvent être invoqués par la caution pour sa décharge; seulement, dans ce cas, la compensation n'est pas légale, mais simplement facultative. L'intérêt de la question n'est pas purement théorique : si la compensation était légale, elle aurait eu lieu de plein droit, depuis la coexistence des deux dettes et les intérêts des sommes, dûs respectivement ou d'un seul côté, auraient cessé de courir depuis cette époque ; si, au contraire, la compensation est facultative, les intérêts ne sont arrêtés que du jour où elle est opposée, sans rétroactivité (voy. art. 531).
Si le créancier doit à la caution elle-même, celle-ci peut lui opposer la compensation de son propre chef; mais avec cette différence que la compensation légale ne s'est pas opérée dès le moment où les deux dettes ont coexisté : la dette de la caution n'était qu'accessoire et elle n'était pas exigible purement et simplement : elle était toujours subordonnée à quelques préliminaires de poursuites contre le débiteur principal ; mais lorsque la caution est valablement poursuivie, c'est que la dette est devenue exigible contre elle, et son caractère accessoire a, en quelque sorte, disparu.
Bien entendu, quand la caution a ainsi compensé sa créance avec la dette principale, elle a recours contre le débiteur qu'elle a libéré à scs frais, c'est-à-dire en perdant sa créance.
2e al. La solidarité n'ayant jusqu'ici été rencontrée qu'incidemment, on n'a pas encore eu l'occasion d'en signaler le caractère mixte qui influe sur la présente situation. Un débiteur solidaire doit toute la dette, comme le mot l'indique ; mais il n'en doit qu'une partie en son propre nom : le reste, il le doit au nom et comme caution des autres. Ce n'est pas à dire qu'à tous les points de vue il soit traité comme la caution ordinaire : notamment, il ne jouirait pas des bénéfices de discussion et de division qu'on verra, plus tard, appartenir à la caution; mais, ce qui prouve que le débiteur solidaire n'est, pour les parts des autres, qu'une caution solidaire, c'est le recours qui lui appartient contre eux, lorsqu'il a payé.
Cette remarque rend facile l'explication du présent alinéa, lequel comprend d'ailleurs deux hypothèses.
1° Le créancier unique, devant à l'un de ses débiteurs solidaires, poursuit l'un des autres débiteurs avec lequel il n'a pas cause de compensation ; le défendeur ne pourra pas se soustraire entièrement aux poursuites, en alléguant que le compensation a eu lieu pour le tout entre le créancier et l'un des codébiteurs : d'abord, ce serait indirectement faire peser l'avance du payement sur ce codébiteur : or, le créancier seul a ce pouvoir, par le choix qu'il fait dans sa poursuite ; ensuite, le codebiteur non poursuivi jouant le rôle de caution pour toutes les parts autres que la sienne propre, la compensation ne peut être invoquée de son chef, en vertu du 1er alinéa ; mais elle pourra être invoquée pour la part même de ce codébiteur, car il doit cette part "personnellement et principalement.”
2° Le créancier poursuit celui-là même avec lequel il a cause de compensation totale ou partielle: le débiteur poursuivi invoquera alors la compensation, comme s'il était débiteur unique ; la qualité de caution qu'on vient de lui reconnaitre ne s'y oppose pas, puisque la caution ordinaire, quand elle est poursuivie, est alors traitée par le créancier comme devenue “débitrice personnelle et principale,” et elle oppose ainsi la compensation de ce qui lui est dû à elle-même, en vertu toujours du précédent alinéa, mais comme compensation facultative et ans rétroactivité.
Le débiteur solidaire qui a ainsi libéré les autres, en perdant sa créance, a recours contre chacun d'eux pour leur part et portion réelle dans l'obligation.
3e al. Il n'y a qu'un seul débiteur, mais plusieurs créanciers solidaires, dont l'un est obligé envers le débiteur commun. Que ce soit lui qui poursuive ou un autre des créanciers, le Code décide que, dans l'un et l'autre cas, le débiteur poursuivi opposera la compensation pour tout le montant de sa créance, c'est-à-dire, même au-delà de la part du créancier poursuivant.
On arrive à ce résultat, en considérant la nature du mandat mutel que se sont donné les co-créanciers solidaires: d'abord, chaque créancier peut recevoir un payement effectif intégral, sauf à en communiquer le profit aux autres ; ensuite, pour ce qui est de la compensation tirée de sa propre dette envers le débiteur, il n'est pas douteux que si ce créancier poursuit lui-même le débiteur, son action ne puisse être détruite par la compensation intégrale, ce qui oblige à reconnaître que son mandat lui permettait de créer une cause de compensation excédant sa part dans la créance, sauf à en indemniser ses co-créanciers; il n'y a donc pas de raison suffisante pour refuser d'admettre la même compensation du chef de ce qu'il doit, lorsque la poursuite émane d'un des autres créanciers ; sauf, bien entendu, l'indemnité due à ceux-ci pour leur part dans la créance ainsi perdue.
Cette étendue donnée au mandat mutuel des cocréanciers solidaires, par une sorte d'interprétation législative de leur volonté, ne paraîtra pas exagérée, si l'on considère qu'il y a, en général, une communauté d'intérêts entre eux bien plus étroite qu'entre codébiteurs solidaires : leur mandat, étant toujours volontaire, suppose une confiance mutuelle entière, tandis qu'entre codébiteurs la solidarité est quelquefois légale, et même quand elle est volontaire, elle est, le plus souvent, une, condition du contrat imposée par un créancier déliant, sous peine de ne pas traiter.
4e al. Lorsqu'il s'agit d'une dette indivisible, le fonctionnement de la compensation s'y trouve un peu plus simple que celui de la remise de la dette ou de la remise de la modalité, dans le même genre de dette : on n'a plus guère à se préoccuper que de l'indivisibilité volontaire, puisqu'il s'agit, avant tout, de dettes de choses fongibles entre elles. Il ne peut guère être question que de dettes d'argent dont l'une devait être exécutée indivisiblement, à cause du but que se proposait le créancier.
Supposons donc, tour à tour, que cette dette d'argent, indivisible par l'intention ou la convention, est due 1° par plusieurs débiteurs, 2° à plusieurs créanciers et qu'il y a matière à compensation.
7. Il y a plusieurs débiteurs dont l'un est devenu créancier du créancier commun.
Si le créancier poursuit le débiteur envers lequel il a une dette, il est évident que celui-ci lui opposera la compensation, pour tout le montant de sa propre créance : il serait bien inutile de conserver au créancier un droit de poursuite intégrale, à charge de précompter une valeur, conformément à l'article 445, puisque cette valeur serait de la même nature que celle qui est réclamée, à savoir, de l'argent.
Si le créancier poursuit l'un des autres débiteurs, avec lequel il n'a pas de cause directe de compensation, celui-ci lui opposera de même la compensation, du chef de son codébiteur; mais il ne pourra plus l'opposer que pour la part de son codébiteur, comme si la dette était solidaire, et par les deux motifs donnés ci-dessus, sur le 2e alinéa.
2. Il y a plusieurs créanciers de cette dette d'argent, indivisible par convention, et l'un d'eux est devenu débiteur, d'une somme d'argent aussi, envers le débiteur commun.
Si la poursuite est exercée par ce créancier, nul doute que le débiteur puisse lui opposer la compensation jusqu'à due concurrence, ce qui peut aller jusqu'à une compensation totale.
Si la poursuite est exercée par un des autres créanciers, il semblerait, an premier abord, que la compensation ne pût lui être opposée que pour la part de l'autre créancier; mais la loi admet la compensation intégrale, comme si la dette était solidaire entre créanciers : l'objection tirée de l'insuffisance apparente du mandat mutuel a été déjà réfutée au sujet de la remise de dette ; il y a même ici une raison de plus de décider en faveur de la compensation totale : chaque créancier peut recevoir 1e payement total et ainsi libérer le débiteur, sauf à communiquer le profit aux autres; or, lorsqu'un des créanciers est devenu, de son côté, débiteur personnel du débiteur commun, c'est qu'il en a reçu une valeur (et ici c'est une valeur de même nature que celle qui est due à tous, de l'argent); n'est-ce pas comme s'il avait reçu, par anticipation, le payement effectif de la dette?
La loi arrive donc, sans arbitraire, à assimiler ici à la dette solidaire active et passive la dette d'argent indivisible activement et passivement par l'intention des parties.
Art. 522. Cet article et les deux suivants reviennent sur les trois principales qualités que doivent présenter les dettes pour qu'il y ait compensation légale : la fongibilité, la liquidité et l'exigibilité. Quelques remarques suffiront à cet égard.
Les denrées ou marchandises qui ont un prix courant, constaté sur le marché public du lieu où le payement doit se faire, peuvent être considérées comme de l'argent, puisque l'on peut les convertir facilement en cette valeur : réciproquement, chacun peut, avec de l'argent, obtenir immédiatement la quantité de ces denrées qui lui est nécessaire.
Il ne faudrait pas, cependant, pousser à l'extrême cette assimilation des denrées à l'argent et de l'argent aux denrées. Ainsi, en dehors du cas qui va nous occuper, celui qui doit des denrées ne pourrait pas s'acquitter en donnant de l'argent et celui qui doit de l'argent ne pourrait, sans le consentement du créancier, se libérer en donnant des denrées : les conventions doivent, en effet, s'exécuter suivant leur teneur et la commune intention des parties. Ce n'est que dans un cas particulier que la loi, pour favoriser deux libérations simultanées, permet ou mieux opère elle-même la compensation entre les denrées cotées et l'argent : il faut que les denrées soient ducs à titre de prestations ou fournitures “périodiques;" par exemple, par un fer mier qui, outre son prix do bail fixé en argent, devrait encore certaines quantités de riz, de blé, de bois, d'huile, d'œufs, etc., ou même devrait uniquement au bailleur une portion des fruits récoltés sur le fonds; si ce fermier se trouvait, en même temps, créancier d'une somme d'argent liquide et exigible, il ne serait tenu de payer ou il n'aurait le droit d'exiger que l'excédant de la plus forte des deux valeurs.
Sans cette condition qu'il s'agisse de prestations périodiques, on arriverait à dire que, dans une vente de denrées, la chose vendue se compense avec le prix, ce qui est inadmissible. Il est clair, en effet, que si le contrat fait naître deux obligations, il ne peut les détruire aussitôt.
La difficulté disparaît, si la compensation entre les denrées et l'argent n'a lieu qu'au cas de prestations périodiques. Dans ce cas, le créancier desdites prestations n'a pas un intérêt sérieux à ce qu'elles lui soient payées en nature : elles avaient été stipulées sans doute comme une valeur d'un payement plus facile au débiteur qu'une somme d'argent.
Il n'est guère à supposer que deux personnes se doivent réciproquement des prestations périodiques de denrées, aussi la loi ne le prévoit-elle pas ; si, cependant, le cas se présentait, il serait naturel de décider que la compensation a lieu pour valeur en argent.
Art. 523. A vrai dire, une dette n'est absolument liquide, à un point do vue très-général, que lorsqu'on en connaît tous les éléments : les sujets actif et passif, la cause, l'objet, avec les circonstances de quantité et de qualité, la modalité, enfin le lieu d'exécution. Mais la loi n'exige pas une aussi parfaite liquidité pour qu'il y ait compensation ; d'ailleurs, il n'est pas douteux ici que le créancier et le débiteur soient certains ; on va voir que la question de terme est réglée ; la cause est ici indifférente, en principe, sauf quelques exceptions qui vont être signalées ; le lieu du payement n'exerce sur la compensation qu'une influence très-secondaire et qu'on verra bientôt ; il ne reste donc à exiger pour la liquidité de la dette, au point de vue de la compensation, que la certitude de son existence même, la nature de son objet et sa quotité, la qualité rentrant ici clans la nature de l'objet.
On remarquera que la loi n'exige pas que ces qualités soient connues, il suffit qu'elles soient "certaines,” et cela est naturel, puisque la compensation a lieu "même à l'insu des parties ;” enfin, la contestation dont l'une des dettes ou toutes deux seraient l'objet n'est pas un obstacle à la compensation, non seulement parce que cette contestation pourrait être faite de mauvaise foi, mais encore parce que, même faite de bonne foi, elle serait an moins l'effet d'une erreur qui ne doit pas nuire à l'autre partie.
Art. 524. Le terme de grâce accordé par le tribunal, n'ayant été concédé au débiteur que dans le cas où il lui était difficile de s'acquitter, n'a plus de raison d'être quand celui-ci arrive à pouvoir le faire sans aucun embarras. Il n'était pas possible cependant d'autoriser le créancier à demander contre le débiteur la déchéance du terme do grâce, pour tout changement favorable dans la situation de celui-ci. Mais, quand il peut se trouver libéré sans aucun déboursé, il est juste qu'il perde le bénéfice du terme : il serait choquant, notamment, qu'il poursuivît son créancier pour ce que lui doit ce dernier, alors qu'il n'a été lui-même dispensé de payer sa dette que par faveur. De là, la disposition première de cet article qui se trouve déjà, sous une autre forme, dans l'article 407-4°, mais qui reparaît utilement ici, afin que la théorie soit complète.
La loi met sur la même ligne que le délai de grâce accordé par le tribunal celui qui a etc accordé gratuite-men tpar le créancier : elle ajoute un caractère nécessaire pour reconnaître que le délai accordé par le créancier est bien délai de grâce : il ne suffit pas que la concession soit “gratuite,” il faut encore que le débiteur l'ait “demandée :” autrement, le débiteur pourrait prétendre que le créancier l'a désirée lui-même et que le nouveau terme est conventionnel et constitue un délai de droit.
La loi prévoit enfin que l'une des dettes est sous condition résolutoire. Elle n'a pas à statuer spécialement sur l'obligation sous condition Suspensive qui est évidemment inexigible. Quant à la condition résolutoire, comme elle n'empêche pas l'exigibilité immédiate, il est clair qu'elle n'empêche pas non plus la compensation ; mais, si la dette se trouve un jour résolue, détruite, par l'accomplissemennt de la condition, il s'en suit, nécessairement, que la compensation est résolue également et que le créancier de l'autre obligation rentre dans l'intégralité de ses droits de poursuite.
Art. 525. Il n'eût pas été sage à la loi d'empêcher la compensation par le seul motif que les deux dettes ne seraient pas payables, soit dans la même ville, dans la même province ou dans le même pays, soit dans la même monnaie. Cependant, une somme d'argent pont être plus difficile à obtenir dans un lieu que dans un autre ; sa rareté ou son abondance, comparée aux besoins momentanés du commerce local, peut constituer un profit pour celui qui doit recevoir et une perte pour celui qui doit payer, ou réciproquement; il y a lieu alors à un compte particulier, qu'on peut appeler "compte de change.”
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher quelles causes commerciales ou économiques peuvent produire la rareté ou l'abondance du numéraire dans un lieu et dans un temps donnés, ni ses conséquences sur la valeur comparative des marchandises avec l'argent, sur le taux de l'intérêt ou du loyer de l'argent, sur les moyens que fournissent les banques de faire des payements à distance et, généralement sur toutes les transactions entre différents lieux. J1 suffît de noter que si, dans une ville ou province, le numéraire est devenu rare et insuffisant pour les besoins locaux, comme d'ailleurs la monnaie légale a une valeur nominative que les particuliers ne peuvent changer, c'est alors le prix des autres marchandises qui s'abaisse et le loyer des capitaux qui s'élève ; réciproquement, si l'argent abonde, l'intérêt baisse et le prix des marchandises hausse. En attendant que l'équilibre se rétablisse (et il y tend sans cesse, par le libre mouvement du commerce, comme l'eau cherche toujours à reprendre son niveau), celui qui doit payer une somme d'argent dans une ville où l'argent est rare et cher ne ferait pas un acte juste et acceptable pour le créancier, s'il lui offrait le payement dans une ville où l'argent est abondant et déprécié. Ce que le débiteur ne peut faire valablement, la loi ne doit pas non plus le faire pour lui ; or, c'est ce qui arriverait, si les sommes ducs entre les parties dans deux villes différentes se compensaient purement et simplement, abstraction faite de la rareté ou de l'abondance comparative de l'argent dans ces deux villes.
La loi prévoit aussi le cas où les deux pavements ne devraient pas se faire dans la même monnaie ; notamment, l'une des dettes pourrait être payable en monnaie étrangère ; dans ce cas, la compensation n'aura lieu qu'en tenant compte à la partie intéressée du prix du change de la monnaie étrangère en monnaie japonaise, conformément à l'article 465.
Art. 526. Cet article répond à. la dernière condition requise par l'article 520 pour qu'il y ait compensation légale : il indique les cas où la compensation est défendue par la loi elle-même ou par les parties.
Bien entendu, il faut supposer remplies toutes les autres conditions de la compensation légale : autrement, il n'y aurait pas là d'exceptions à la règle ; ainsi, notamment, les dettes ont pour objet des choses fongibles entre elles.
Chacun de ces quatre alinéas demande quelques explications.
1e al. En principe, la cause de chacune des dettes n'influe pas sur la compensation : les dettes nées des divers contrats, onéreux ou gratuits, peuvent se compenser les unes avec les autres ; les dettes nées des délits ou quasi-délits se compensent avec celles nées des contrats ou de l'enrichissement indû ; les dettes même nées de la loi se compensent avec celles nées des causes qui précèdent.
Mais il ne faudrait pas que le désir de compenser portât l'une des parties à commettre un délit.
Assurémant, il y a des délits qu'un créancier menacé de n'être pas payé n'aurait aucun intérêt à commettre, notamment, les injures, menaces, voies de fait, qui, en le soumettant à des dommages-intérêts, détruiront sa créance, en tout ou en partie, sans aucun profit pour lui. Mais, au contraire, il aurait intérêt à commettre une soustraction, un vol sans violences, pour compenser la dette, née de ce délit avec la créance non payée. Souvent même, une personne qui serait incapable de commettre une soustraction du bien d'autrui, dans les circonstances ordinaires, n'aurait pas les mêmes scrupules de s'emparer d'une chose de son débiteur et de se payer ainsi de ses propres mains. En pareil cas, le premier devoir du délinquant sera de restituer la valeur qu'il s'est ainsi illégalement appropriée, lors même qu'elle consisterait en argent ou en une autre chose fongible avec sa créance, ou qu'ayant pris une chose non fongible, il l'aurait consommée ou aliénée, sans que le propriétaire pût la retrouver, ce qui le rendrait débiteur d'une somme d'argent.
Ce principe peut recevoir une large application ; notamment, à l'escroquerie et à l'abus de confiance. Ainsi, on doit considérer comme tombant sous l'application de cet alinéa, un dépositaire, un emprunteur à usage, un locataire qui aurait consommé ou aliéné de mauvaise foi les objets qui lui avaient été déposés, prêtés ou loués et dont il devrait la valeur à titre de dommages-intérêts, ne pouvant plus les restituer en nature. En effet, le danger signalé plus haut est le même que pour le vol proprement dit ; il est même plus à craindre encore, car le débiteur embarrassé de payer son créancier n'osera guère lui refuser un prêt à usage ou un louage, tandis qu'il pourrait se mettre à l'abri d'un vol.
2e al. Le dépôt est encore une cause d'obligation qui met obstacle à la compensation. La loi n'a pas besoin de dire qu'il s'agit de choses fongibles, car, si l'objet était non fongible, la compensation serait empêchée par cela seul que les corps certains ne sont pas compensables, soit entre eux, soit avec l'argent. Mais, si l'on suppose un dépôt d'argent que le dépositaire doit rendre en une pareille somme, l'obstacle n'est plus la naturede la chose due, mais dans la cause de la dette et, par suite, dans l'intention du déposant légalement présumée ; en effet, le dépôt fait supposer, chez le déposant, une confiance absolue dans la loyauté du dépositaire ; celui-ci manquerait à cette confiance, s'il entendait retenir le dépôt en payement de ce qui lui est dû, lors même qu'il n'aurait aucune chance d'être payé autrement.
Ce cas diffère du précédent, en ce que la possibilité de compensation ne viendrait pas d'un délit et, dès lors, il demandait une prohibition spéciale.
3e al. Ici, ce n'est plus tant la cause de la dette que son objet qui met obstacle à la compensation. On a vu, à l'article 29, qu'il y a des choses saisissables et d'autres qui sont insaisissables : les premières sont le gage des créanciers et, si celui auquel elles appartiennent ne remplit ses engagements, ses créanciers peuvent les saisir et les faire vendre pour se payer sur le prix à en provenir. Les choses saisissables sont de beaucoup les plus nombreuses. Certaines choses ou droits sont déclarés insaisissables par la loi, dans un but de protection pour les propriétaires ou les titulaires.
Ici, au point de vue de la compensation, comme il faut toujours supposer des choses fongibles, il ne peut guère être question que des pensions ou rentes alimentaires payables en argent ou en denrées ; si donc le débiteur de la pension se trouvait, de son côté, créancier du pensionnaire ou du rentier, il ne pourrait retenir la prestation échue, en payement de ce qui lui est dû ; le motif en est facile à comprendre : une pareille retenue équivaudrait à un payement forcé, à une saisie, ce que justement ne comporte pas cette sorte de droit.
4e al. Si utile que soit la compensation pour le règlement des rapports respectifs entre créanciers et débiteurs, on ne peut la considérer comme étant d'ordre public ; les parties peuvent donc y renoncer d'avance; on verra plus loin qu'elles peuvent même renoncer au bénéfice d'une compensation déjà acquise, ce qui est plus difficile à justifier.
La renonciation anticipée à la compensation peut être non seulement expresse, mais encore tacite, comme l'a annoncé l'article 520. La loi nous donne ici des indications utiles sur la renonciation tacite. Comme application, on peut citer le cas où une personne aurait reçu des fonds avec mandat d'en faire un emploi déterminé, par exemple, de faire un payement à un tiers ou de faire une acquisition ; si, ensuite, le mandataire devient créancier du mandat, il ne pourra, retenir en compensation les sommes qui lui ont été confiées avec une destination spéciale : ce serait refuser l'exécution du mandat. Cette prétention serait encore moins soutenable, si le mandataire était déjà créancier du mandant au jour où il a accepté le mandat : il est clair qu'en acceptant le mandat, il a renoncé à la compensation.
Art. 527. Cet article et les deux suivants ont un caractère commun qui est celui d'une renonciation tacite à la compensation légale ; les deux premiers présentent, en outre, une combinaison délicate de la compensation avec deux théories importantes déjà connues : la cession de créance et la saisie-arrêt ; enfin, l'article 530 posera, pour les trois cas, un principe assez rigoureux, mais tempéré par une exception.
Il faut rappeler ici que la cession de créance n'est opposable au débiteur-cédé que si elle a été acceptée par lui ou lui a été au moins signifiée (voy. art. 347).
On trouve ici une grande différence d'effet entre les deux formalités : l'acceptation du cédé lui enlève le droit d'opposer la compensation, même pour des causes antérieures à son acceptation ; la signification ne lui enlève ce bénéfice que pour les causes postérieures. Le motif de cette différence est facile à saisir : le cédé participe à la cession quand il l'accepte ; l'acceptation est son œuvre; elle constitue, de sa part, une reconnaissance de la créance cédée, un engagement personnel et nouveau d'y faire droit au profit du cessionnaire. Cependant, ce n'est pas une novation par changement de créancier, parce que le cessionnaire exercera la créanc e primitive elle-même, avec tous ses avantages ; c'est une simple reconnaissance de la dette, un nouveau titre, avec confirmation de la créance et renonciation du débiteur aux exceptions ou fins de non recevoir qui pouvaient lui appartenir, ainsi que l'exprime formellement l'article 347, 2e alinéa ; quant à l'intervention du cessionnaire, on ne peut pas la considérer comme étant l'effet d'un mandat du cédant à l'effet de recevoir, puisqu'il recevra le payement et, au besoin, le poursuivra en son propre nom : il faut dire résolument que s'il n'y a pas novation par changement de créancier, c'est parce qu'il n'y a point de novation sans intention de nover résultant clairement de l'acte (voy. art 492) et, ici, c'est l'intention contraire qui est évidente.
Le cessionnaire qui a obtenu l'acceptation ne pourrait donc être privé, plus tard, par l'effet de la compensation, d'un avantage sur lequel il a compté : la loi présume que le cédé qui pouvait renoncer expressément à la compensation acquise l'a fait tacitement ; il ne serait même pas reçu à se faire relever contre son acceptation, pour cause d'erreur, vis-à-vis du cessionnaire, par analogie d'un secours analogue que va lui accorder l'article 530 : le cédé, en pareil cas, est toujours moins digne de protection que le cessionnaire qui a dû compter sur l'engagement pris envers lui par le premier.
Si le cédé avait des doutes sur son droit à la compensation ou à toute autre cause de libération, et entendait n'y pas renoncer, il lui suffirait de n'accepter que " sous toutes réserves la loi lui indique cette précaution.
Mais le cédé qui perd le bénéfice de la compensation acquise, ne cesse pas, pour cela, d'être créancier du cédant et il exercera contre celui-ci les droits d'un créancier ordinaire, pour tout ce dont il a perdu la compensation envers le cessionnaire, et cela, même avant de l'avoir effectivement payé ; il pourra même, au cas prévu à l'article 530, exercer son action primitive, avec ses sûretés.
Au contraire, la signification est faite au cédé sans qu'il y participe autrement que pour la recevoir ; il ne peut l'empêcher, elle ne peut donc lui nuire : aussi lui laisse-t-elle le bénéfice de la compensation acquise ; la la loi applique là le principe général que les conventions entre deux personnes ne peuvent nuire à un tiers, ne peuvent lui enlever des droits acquis. Mais, la signification avertit au moins le cédé de ne pas se créer des causes ultérieures de compensation avec son ancien créancier : elles ne seraient pas opposables au cessionnaire ; si elles surviennent, elles ne pourront être exercées que comme créances ordinaires contre le cédant.
Art. 528. Il a déjà été parlé assez longuement de la saisie-arrêt qui d'ailleurs appartient plus à la procédure civile qu'au fond du droit. Elle a beaucoup d'analogie avec la cession de créance dans son but et dans ses moyens: dans son but, en ce qu'elle tend à transférer le profit de la créance à un autre qu'au créancier originaire ; dans ses moyens, en ce qu'elle exige une signification an débiteur ; enfin, ici elle exercera la même influence sur la compensation, soit antérieure, soit postérieure à ladite signification.
De même que la saisie-arrêt constitue pour le tiers-saisi un obstacle à la validité du payement fait à son créancier (débiteur-saisi), de même, elle l'avertit de ne pas se créer pour l'avenir des causes de compensation avec lui ; mais elle ne peut lui enlever le bénéfice d'une compensation déjà acquise. Ces deux dispositions sont toujours l'application du principe général que les actes ou conventions ne peuvent nuire aux tiers, ne peuvent leur enlever des droits acquis : dans le premier cas, le tiers est le saisissant, dans le second, le tiers est celui auquel la saisie est signifiée (le tiers-saisi).
Il pourrait même arriver que le tiers-saisi perdît le bénéfice d'une compensation déjà acquise, mais il ne devrait l'imputer qu'à sa négligence : la procédure de saisie-arrêt, à laquelle il est mêlé, l'oblige à déclarer, à un certain moment, s'il est réellement débiteur du saisi ou s'il a quelque exception, fin de non recevoir ou cause de libération vis-à-vis de celui-ci ; à défaut de cette déclaration, il est considéré comme débiteur pur et simple, d'après les causes alléguées dans la saisie.
Dans le cas qui nous occupe, si le tiers-saisi n'a pas, au moment où il est assigné en déclaration de sa dette, fait connaître la compensation légale déjà opérée, il ne peut pas plus l'opposer au saisissant que si les causes en étaient postérieures à la saisie.
Mais, dans ces deux cas où le bénéfice de la compensation cesse de lui appartenir, il est au moins créancier ordinaire et il pourra prendre, de son côté, dans la procédure, le rôle et la qualité de saisissant et se faire colloquer, se faire comprendre avec les autres, dans la distribution des sommes saisies entre ses mains ; c'est ce qu'exprime la fin de notre article.
Art. 529. Lorsqu'un débiteur qui pouvait opposer la compensation légale à son créancier, pour tout ou partie de sa dette, a effectivement payé à celui-ci, il a payé une dette éteinte ; c'est un des cas de répétition de l'indû. Si le payement a été fait en connaissance de cause, le débiteur est présumé avoir renoncé à la compensation ; s'il y a eu erreur de sa part, il l'imputera à sa négligence, sauf le tempérament apporté par l'article suivant.
Art. 530. Dans les trois cas prévus aux articles précédents, la créance ayant été éteinte par compensation, tous ses accessoires se sont trouvés éteints également : les cautions ont été libérées, les privilèges et les hypothèques ont pris fin ; la nouvelle créance est privée de toutes ses garanties. Telle est la conséquence rigoureuse du principe.
Voici maintenant le tempérament annoncé : il est possible que le débiteur qui avait déjà acquis le bénéfice de la compensation légale, au moment où a eu lieu l'acte qui, de sa part, faisait présumer une renonciation ou une négligence (acceptation de la cession, défaut de déclaration au saisissant, payement direct au créancier), l'ait ignorée et en ait été excusable. Par exemple, il se trouvait, à son insû héritier d'un créancier de son créancier ; assurément, lorsque quelqu'un ignore qu'il est héritier, il faut que les circonstances lui aient été très-défavorables, car c'est un fait généralement notoire pour l'héritier ; ou bien, son créancier est devenu l'héritier de son débiteur, ou bien le créancier a été chargé envers lui d'un legs, par un testament qui n'est connu que plus tard du légataire. Dans ces cas, la loi rend au débiteur non seulement les sûretés réelles et personnelles qui garantissaient l'ancienne créance et qui viendraient ainsi fortifier les diverses répétitions accordées au débiteur, mais elle lui rend l'ancienne créance elle-même avec ses autres caractères.
Il n'est pas sans intérêt de savoir si c'est la simple répétition de l'indû qui obtient les garanties de l'ancienne créance ou si c'est l'ancienne créance même qui est restituée ; car, la créance, outre les sûretés déjà énoncées, pouvait être solidaire du côté des débiteurs ou des créanciers, elle pouvait être indivisible, activement ou passivement, elle pouvait être accompagnée d'une clause pénale ou avoir une cause, commerciale ou autre, influant sur ses conséquences, sur sa preuve, sur la durée de la prescription etc. Du moment que la loi restitue le débiteur contre les conséquences de son erreur excusable, il n'y a pas de raison de le restituer contre les unes et non contre les autres.
Les seules suites du la perte du bénéfice de la compensation, même pour le débiteur excusable, sont celles signalées sous les articles 527 et 528: le débiteur ne peut l'opposer au cessionnaire ni aux créanciers saisissants, parce que, comme on l'a remarqué, il a fait avec eux, sinon un nouveau contrat, au moins un acte récognitif de la première obligation.
Art. 531. On a annoncé, à l'article 519, qu'il y a trois sortes de compensations. Jusqu'ici, il n'a guère été question que de la compensation légale, la compensation facultative, comme la compensation judiciaire, n'a lieu, évidemment, que lorsque la précédente n'est pas applicable. Un article est consacré à chacune.
Quelquefois, la compensation facultative est l'œuvre d'une seule partie; si elle est l'œuvre de toutes deux elle prend le nom de “conventionnelle.”
On a déjà reconnu que la compensation opposée par la caution du chef du débiteur principal est facultative. Voici les autres cas principaux de compensation par la volonté d'une seule partie : un débiteur se voit réclamer l'exécution d'une obligation, alors qu'il est lui-même créancier d'une dette non échue, mais dont le terme est dans son intérêt, il peut renoncer à ce terme, pour opposer la compensation ; dans le cas d'un dépôt de choses fongibles restituables en pareilles quantité et qualité, la compensation légale n'a pas lieu (art. 526-2°) ; mais, si le déposant, étant, de son côté, débiteur du dépositaire, veut renoncer au bénéfice de la loi et opposer la compensation pour se libérer, elle a lieu par sa volonté et au moment où il la propose, sans rétroactivité.
La compensation conventionnelle est susceptible d'applications encore plus variées : les parties peuvent, d'un commun accord, compenser : 1° des dettes qui ne sont pas personnelles et principales, les parties pouvant trouver dans cette compensation des moyens de régler leurs intérêts avec des tiers : par exemple, un créancier consent à la compensation de ce qu'il doit à la caution avec ce que lui doit le débiteur principal (dans ce cas le consentement de la caution est nécessaire) ; 2° des dettes non fongibles entre elles, chaque partie gardant ce qu'elle doit, en payement de ce qui lui est dû ; 3° des dettes non liquides, les parties pouvant toujours les apprécier et juger qu'elles sont équivalentes ; 4° des dettes dont aucune n'est échue, chacune renonçant alors au bénéfice du terme établi dans son intérêt.
La loi n'a pas cru devoir parler de la capacité requise pour faire la compensation facultative ou conventionnelle : il est naturel de décider qu'il suffit de la capacité de recevoir un payement ou une dation en payement.
La compensation facultative ou conventionnelle n'est évidemment pas permise quand le payement volontaire est défendu ; ainsi, outre les cas déjà cités de cession de créance et de saisie-arrêt, la compensation facultative ne pourrait être accordée par un failli à l'un de ses créanciers qui serait, en même temps, débiteur d'une dette non échue : ce serait un avantage accordé à ce créancier au préjudice des autres.
Art. 532. La conpensation judiciaire n'a lieu que pour suppléer à une des conditions de la compensation légale qui ne serait pas remplie, la liquidité, ce qui comprend non seulement le cas où le montant de la créance ne serait pas certain, mais aussi celui où la créance même serait contestable.
La demande "reconventionnelle," qui sert à obtenir la compensation judiciaire, a déjà été rencontrée ailleurs (voy. art. 210).
La compensation judiciaire n'est pas, comme la compensation légale, susceptible d'être prononcée d'office par le tribunal : il faut qu'elle lui soit demandée ; le tribunal n'est pas non plus obligé de l'opérer, lorsque l'examen de la demande reconventionnelle ou sa liquidation lui paraît devoir entraîner de trop longs délais ; alors il statue d'abord sur la demande principale, puis sur l'autre, dès qu'il est possible, de sorte que chaque obligation s'exécute effectivement, s'il y a lieu. Mais il peut aussi, comme l'indique le texte, surseoir à l'examen de la demande principale jusqu'au jugement de la demande incidente ou reconventionnelle et compenser les condamnations jusqu'à due concurrence.
Art. 533. Cette disposition consacre, une fois de plus, l'analogie déjà plusieurs fois signalée entre la compensation et le payement ; lorsque le débiteur de plusieurs dettes est, en même temps, créancier de son créancier, il importe de savoir laquelle ou lesquelles de ses dettes sont éteintes par la compensation. Il est naturel de faire la même imputation que si le débiteur payait effectivement.
Lorsqu'il s'agit de compensation légale, l'article renvoie aux règles de l'imputation légale du payement, puisque, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'un effet virtuel et spontané de la loi.
La compensation judiciaire suit les mêmes règles, puisqu'elle s'opère aussi sans le concours des parties.
Au cas de compensation facultative par l'une des parties, il y a lieu d'appliquer les règles de l'imputation volontaire du payement.
Mais ici une difficulté se présente : les articles 470 et 471 ne sont évidemment pas faits pour le cas où les deux parties sont respectivement créancière et débitrice, puisqu'ils autorisent l'imputation par le débiteur d'abord et, subsidiairement, par le créancier ; mais, on peut trouver une analogie suffisante des situations. Lorsque l'une des parties réclamera à l'autre, en justice ou extrajudiciairement, plusieurs sommes ou valeurs qui lui sont dues, alors qu'elle doit elle-même une somme ou valeur qui n'est pas sujette à compensation légale, par exemple, un dépôt irrégulier, celui auquel la réclamation est faite sera considéré comme le débiteur et, s'il déclare qu'il est prêt à compenser sa créance de dépôt avec ses dettes, il pourra, en même temps, indiquer l'ordre des compensations; mais s'il se borne à opposer la compensation facultative, sans exercer son droit de faire l'imputation, l'autre partie pourra la faire, en qualité de créancier. Il en sera de même si le défendeur à la première réclamation a, de son côté, une créance non échue, mais dont le terme est dans son intérêt : il pourra, en renonçant au bénéfice du terme, la compenser avec une ou plusieurs de ses dettes, en usant de son droit d'mputation ou en le laissant exercer par son créancier.
Quand la compensation sera conventionnelle, les parties régleront l'imputation d'un commun accord.
SECTION V.
DE LA CONFUSION.
Art. 534. La confusion offre, au premier abord, quelque analogie avec la compensation, parce qu'elle consiste, comme celle-ci, dans une réunion, en une même personne, des qualités opposées de créancier et de débiteur ; mais il y a cette grande différence que, dans la compensation, chaque partie est, à la fois, créancière et débitrice de l'autre, il y a donc deux dettes et deux créances ; tandis que, dans la confusion, il n'y a qu'une partie qui soit à la fois créancière et débitrice et la chose due est une également, en sorte que la partie serait créancière d'elle-même ou débitrice d'elle-même, ce qui ne peut avoir aucun effet ; aussi, tandis que la compensation éteint deux dettes, la confusion n'en éteint-elle qu'une seule.
Une autre différence, plus profonde encore, est que la confusion produit moins une extinction véritable de l'obligation qu'un obstacle à l'exercice de la créance et cet obstacle peut être plus ou moins complet et plus ou moins durable : les Romains disaient, avec une formule souvent citée, que “la confusion retire plutôt le débiteur du lien de l'obligation qu'elle ne détruit l'obligation elle-même.” On trouvera plus loin la confirmation de cette idée ; cependant, pour la commodité du langage, il est reçu de la qualifier de “cause d'extinction des obligations.”
On a déjà rencontré la confusion comme cause d'extinction des servitudes (art. 289) ; on pourrait la considérer aussi comme cause d'extinction de l'usufruit, sous le nom de consolidation, du droit de bail, de l'hypothèque et, généralement, des droits réels qui s'exercent sur la chose d'autrui : lorsque le titulaire de ces droits devient propriétaire de la chose, il est clair que les droits secondaires se confondent et s'absorbent dans le droit principal On va trouver encore ici une application des théories de la solidarité, de l'indivisibilité et du cautionnement ; mais les développements déjà donnés sur le caractère de ces modalités des obligations permettront d'être plus bref, à ce sujet.
Le 1er alinéa nous dit clairement quand il y a confusion : c'est lorsque le créancier et le débiteur, le sujet actif et le sujet passif de l'obligation, ne font plus qu'une même personne ; la loi indique la succession comme le fait le plus fréquent qui opère cette réunion des deux qualités personnelles ; mais ce n'est pas le seul : la loi en fait pressentir d'autres.
Et d'abord, la succession : un fils adoptif devait à son père avant l'adoption, il vient à lui succéder ; il est clair qu'il recueille tous les droits et créances qu'avait son père ; mais il ne peut se devoir à lui-même : sa dette et sa créance se neutralisent ; il en serait de même si c'était le père qui dût au fils et que fils succédât au père.
La succession n'est pas le seul fait qui opère confusion ou réunion des deux qualités de créancier et de débiteur ; on peut y ajouter le legs ou la donation d'une universalité de droits, comprenant une créance du disposant contre le légataire ou le donataire. On suppose un legs ou une donation " d'universalité,” car, si le déposant ne voulait donner ou léguer au débiteur que la seule créance qu'il a contre lui, il lui ferait plutôt la remise gratuite qu'une cession de l'obligation, au lieu de lui transférer son droit, il y renoncerait.
La confusion peut enfin avoir lieu par acquisition à titre particulier; c'est lorsque le débiteur qui ne pourrait obtenir de son créancier une remise gratuite ni même onéreuse de son obligation, achète, par un mandataire secret ou sous un nom supposé, la créance existant contre lui. Il faut supposer, disons-nous, l'intervention d'un mandataire secret ; car, si le débiteur proposait à son créancier d'acheter sa créance, celui-ci, voyant que son débiteur a des valeurs disponibles, demanderait qu'il y eût payement.
Il est clair que, dans tous les cas de confusion, la dette n'existe plus, parce que la créance ne peut s'exercer. Bien entendu, les accessoires de la dette, les sûretés personnelles ou réelles sont également éteintes.
Une des causes qui doivent encore faire séparer la confusion des autres modes d'extinction des obligations, c'est qu'elle est moins irrévocable. La qualtié d'héritier se perd, si l'héritier est judiciairement déclaré indigne de succéder pour les causes que la loi détermine ; s'il s'agit d'un legs, il peut se trouver annulé par un autre testament découvert plus tard ; une donation peut être résolue pour inexécution des charges imposées au donataire, ou rescindée pour incapacité du donateur, ou enfin révoquée pour fraude du donateur envers ses créanciers ; il en serait de même d'une vente de la créance. Dans ces divers cas, la confusion est réputée non DE L'EXTINCTION DES OBLIGATIONS, 783 avenue et l'obligation subsiste en principal et accessoires.
On remarquera que l'événement qui fait cesser la confusion, de manière à faire reparaître l'obligation, doit avoir une cause autorisée par la loi et antérieure au fait qui a opéré la confusion ; par conséquent, une résolution volontaire opérée entre les intéressés, ne ferait pas reparaître l'obligation, au moins au préjudice des droits acquis aux tiers qui auraient pu considérer la dette comme éteinte ; notamment, elle ne pourrait être exercée contre les cautions, ni contre les tiers détenteurs de biens hypothéqués.
Art. 535. On a expliqué, au sujet de la compensation, que chaque débiteur solidaire ne doit, de son propre chef, qu'une part virile de la dette, et qu'il n'est tenu des autres parts que du chef et comme mandataire ou caution des autres débiteurs ; lors donc que la confusion s'opère entre le créancier et l'un des débiteurs, l'extinction de la dette n'a lieu que pour la part de ce débiteur. Il serait d'ailleurs sans utilité de déclarer la dette éteinte pour le tout ; car, si le créancier avait perdu sa créance en entier, comme étant l'héritier du débiteur solidaire, il aurait immédiatement, en cette qualité, un recours contre ses codébiteurs, pour leur part, puisqu'il les aurait libérés à ses frais.
Le premier alinéa du présent article a supposé un créancier unique et plusieurs débiteurs solidaires ; le deuxième alinéa suppose un débiteur unique et plusieurs créanciers solidaires ; la solution est la même : la confusion n'opère extinction que pour la part de ce créancier, soit qu'il succède au débiteur, soit que le débiteur lui succède.
La loi n'a pas besoin de prévoir le cas plus rare de plusieurs créanciers et de plusieurs débiteurs, tous solidaires, dont l'un succéderait à un autre : il est clair qu'il en résultera un double fractionnement de la dette, chaque créancier n'ayant droit, en dernière analyse, qu'à une fraction de la part due par chaque débiteur.
Art. 536. Les solutions sont moins simples, dans les mêmes hypothèses, s'il s'agit d'une dette indivisible par la nature : comme il ne peut être question d'une extinction partielle par confusion, et qu'il est impossible que l'extinction soit totale, quand un seul des créanciers a succédé à l'un des débiteurs, ou réciproquement, il ne reste place qu'à la solution inverse : il n'y a aucune extinction de la dette ; si donc l'un des créanciers est mort et a eu pour héritier l'un des débiteurs, ou réciproquement, les autres créanciers ont gardé leur créance entière et les autres débiteurs sont restés tenus de l'obligation pour le tout.
Mais quelle sera la situation du créancier ou du débiteur en la personne duquel s'est opérée la confusion ? Ici, il faut se souvenir qu'entre les divers créanciers ou débiteurs d'une obligation indivisible, ainsi qu'entre les créanciers ou les débiteurs, solidaires, il y a toujours un certain lien, un rapport de droits et d'intérêts, soit antérieur, comme une société ou un mandat, soit né de la convention même qui a établi la créance ou la dette commune et donnant lieu à. une garantie mutuelle (art. 398 et 444) ; d'où il résulte, pour le créancier qui aurait exercé l'action intégrale, dans les circonstances ordinaires, l'obligation de partager le profit avec les autres, et, pour le débiteur qui aurait payé le tout, le droit de se faire indemniser par eux pour leur part dans l'obligation. Donc, dans le cas qui nous occupe, celui des créanciers qui a succédé à l'un des débiteurs ne pourra poursuivre les autres pour le tout qu'en leur fournissant l'indemnité que son auteur aurait dû leur fournir lui même, s'il avait vécu. De même, si les autres créanciers veulent poursuivre pour le tout celui d'entre eux qui a succédé au débiteur, il leur opposera son droit à une part du profit qu'ils obtiendraient et ils devront la lui. compter en argent.
Mêmes solutions, si c'est un des débiteurs qui succède à l'un des créanciers : s'il veut agir pour le tout, contre un des autres, du chef du créancier auquel il a succédé, sans offrir l'indemnité d'une part, il sera repoussé par l'exception de la garantie qu'il doit aux autres comme débiteur personnel ; s'il est poursuivi en cette dernière qualité, il opposera aux autres son droit à une part du profit, du chef du créancier dont la personnalité se confond avec la sienne. C'est toujours l'application du principe général posé dans l'article 445 auquel renvoie le présent article.
Art. 537. Jusqu'ici, la loi a supposé que la confusion réunissait deux qualités incompatibles, celles de créancier et de débiteur. Elle suppose maintenant la réunion de deux qualités semblables ou, au moins, compatibles, ce qui nous met encore en présence de la solidarité et de l'indivisibilité : par exemple, un des créanciers ou un des débiteurs succède à l'autre, ou un tiers succède aux deux créanciers ou aux deux débiteurs. Il est clair que, dans ce cas, il n'y aura pas deux créances ou deux dettes au lieu d'une, pas plus que, si un débiteur avait fait deux fois la même promesse à son créancier, il n'aurait envers lui deux obligations distinctes ; mais, si pourtant l'une des deux promesses contenait quelque chose de plus que l'autre, sans constituer une novation (voy. art. 490), alors le créancier se prévaudrait de l'une et de l'autre, suivant son intérêt ; par exemple, l'une des promesses fait porter intérêts à la somme due, l'autre y attache un gage ou une hypothèque : le créancier ne sera pas tenu de choisir entre ces deux avantages, il pourra les cumuler.
Il en sera de même, au cas qui nous occupe : si de deux débiteurs solidaires l'un avait promis des intérêts et si l'autre avait fourni une hypothèque et que l'un succédât à l'autre, le créancier ferait valoir simultanément ses deux avantages contre le survivant. En sens inverse, si le débiteur de deux créanciers solidaires avait promis des intérêts à l'un et donné une hypothèque à l'autre et que l'un des créanciers eût l'autre pour successeur, celui-ci obtiendrait l'un des avantages en agissant en son nom et de son chef, et l'autre, en agissant au nom et du chef de son auteur.
La solution est exactement la même au cas d'obligation indivisible, lorsque les qualités de deux des débiteurs ou de deux des créanciers se trouvent réunies en une même personne.
Art. 538. Cet article nous donne, au sujet du cautionnement, l'application des mêmes règles que pour les diverses qualités de débiteur principal : quand il y a incompatibilité des qualités réunies par la confusion, le cautionnement s'éteint ; quand les qualités sont conciliables ou compatibles entre elles, il y a cumul.
1er al. La caution succède au créancier ou le créancier à la caution ; il est clair que le créancier ne peut se garantir à lui même sa propre créance : le cautionnement s'éteint nécessairement, même s'il était garanti, de son côté, soit par des sous-cautions (certificateurs, sous-fidéjusseurs), soit par un gage ou une hypothèque fournis par des tiers ; en effet, si le créancier prétendait poursuivre les sous-fidéjusseurs ou les tiers détenteurs, ceux-ci, devant avoir contre lui un recours en garantie, comme ils l'auraient eu contre la caution avec laquelle il se confond, le repousseraient par l'exception de garantie.
S'il y avait plusieurs cautions de la même dette (co-fidéjusseurs), solidaires ou non, leurs obligations ne seraient plus considéres comme acéessoirées du caution nement, mais comme autant de cautionnements distincts et la confusion opérée en la personne d'une des cautions ne libérerait les autres que de la part de celle du chef de laquelle il y a eu confusion.
2e al. La caution succède au débiteur ou le débiteur à la caution ; il n'y aura d'éteint du cautionnement que ce qui serait inutile au créancier ; par exemple, l'action purement personnelle dont était tenue la caution et qui se confond absolument avec l'action personnelle dont reste tenu le débiteur principal. Mais, s'il y a des cofidéjusseurs, des sous-fidéjusseurs, des gages ou des hypothèques fournis par des tiers, le créancier conserve tous les droits qui en résultaient pour lui antérieurement : le cas est évidemment le même que quand deux de ses débiteurs principaux se succèdent l'un à l'autre.
SECTION VI.
DE L'IMPOSSIBILITÉ D' EXÉCUTER.
Art. 539. La présente cause d'extinction des obligations est généralement appelée “la perte de la chose due; "mais cette expression, applicable aux cas les plus fréquents, n'est pas assez large : notamment, lorsqu'il s'agit d'une obligation de faere.
La théorie des risques et celle de la mise en demeure ayant déjà été expliquées, sous les articles 335, 336 et 384, il ne sera pas nécessaire d'entrer ici dans de longs développements.
C'est une vérité de toute évidence que les choses de genre, les choses fongibles, ne périssent jamais en entier ; lorsqu'un débiteur doit de l'argent, du riz, des denrées quelconques, il ne peut se trouver libéré par l'impossibilité absolue d'exécuter, parce qu'il y aura toujours dans le monde, de l'argent, du riz, des denrées de la nature promise, et lors même que le débiteur aurait préparé une somme d'argent ou des sacs de riz pour être livrés au créancier, si celui-ci n'a pas participé à cette détermination et si les sommes ou marchandises n'ont pas été consignées à sa disposition, le débiteur n'est pas libéré par la perte fortuite ou résultant d'une force majeure.
Cette libération n'a lieu que s'il s'agit d'un corps certain, c'est-à-dire d'un objet individuellement déterminé, qui peut facilement périr ou disparaître.
On peut, toutefois, admettre un cas d'impossibilité d'exécuter une obligation de chose de genre : c'est lorsque le genre tout entier aurait été retiré du commerce, par mesure de sécurité publique ; le cas n'est pas rare pour certaines substances ou pour des instruments dangereux.
Il y a trois événements dont le débiteur n'est pas responsable, en principe ; ce sont : la destruction de la chose (elle a péri), sa disparition (elle est perdue) et sa mise hors du commerce, c'est-à-dire que, par l'effet d'une mesure de l'autorité publique, le débiteur n'en a plus la libre disposition ; dans le dernier cas, on dira toujours qu'il y a cause ou force majeure ; dans les deux premiers, il y a tantôt cas fortuit, tantôt force majeure, c'est pourquoi ces deux expressions sont toujours réunies.
La loi met sur la même ligne qu'un corps certain un objet non déterminé individuellement, mais à. prendre dans une quantité déterminée dans son ensemble ; cette quantité est alors un genre limité qui peut périr en entier et qui entraîne nécessairement l'impossibilité de donner l'objet promis. Ainsi, quelqu'un a promis dix kokous de riz à prendre dans un magasin où il s'en trouve cent ; si tout périt il est libéré ; mais, s'il en reste seulement dix, il doit les donner ; s'il n'en reste que cinq, il est libéré en les donnant.
Si, au lieu d'une obligation de livrer, on suppose une obligation de faire, l'impossibilité d'exécuter libérera également le débiteur. Le cas mérite d'ailleurs d'être noté particulièrement, car il n'est pas nécessaire que l'impossibilité d'exécuter soit absolve pour libérer le débiteur, elle peut n'être que relative, personnelle à lui seul ; ainsi ; s'il s'agit d'une œuvre d'art ou d'industrie, ou littéraire, pour laquelle le talent individuel du débiteur a été pris en considération principale, et que celui-ci soit devenu incapable de l'exécuter, par une maladie ou une infirmité incurable, il est libéré ; il ne sera, ni tenu, ni même admis, à faire exécuter par une autre personne.
La loi aurait pu ne pas prévoir ici l'obligation de ne pas faire ; il est moins facile de supposer que quelqu'un se trouve contraint, par un tiers ou par l'autorité, à faire ce qu'il a promis de ne pas faire ; cependant, à la rigueur, on le comprendrait. Ainsi quelqu'un qui jouit d'une servitude de passage sur le fonds d'autrui, a promis de ne pas l'exercer pendant un temps où il en surélterait une gêne pour le fonds servant : ce n'est pas une renonciation au droit réel de servitude, c'est une simple obligation personnelle ; pendant ce temps, une inondation ou autre cause majeure, comme des travaux de voirie, empêchent les communications du fonds dominant avec la voie publique ; le promettant est obligé de passer sur le fonds servant : il est affranchi par force majeure de son obligation de ne pas faire ; l'abstention est impossible et il n'est pas tenu de l'observer. Même solution si, ayant promis de s'abstenir temporairement d'une prise d'eau sur le fonds voisin, il était contraint par un incendie de prendre de l'eau.
Le principe de la libération du débiteur par impossibilité d'exécuter (ici, de s'abstenir) s'applique donc même à l'obligation "de ne pas faire.”
Pour que l'obligation soit éteinte comme il est dit au présent article, il faut: 1 ° que le débiteur n'ait pas commis quelque faute ou négligence qui ait donné occasion à la perte de la chose ou à l'impossibilité d'exécuter ; 2° qu'il ne soit pas en demeure de livrer ou d'exécuter au moment oh l'impossibilité en est survenue ; 3° qu'il n'ait pas contracté à ses risques et périls. Cette convention particulière est l'objet de l'article suivant ; la mise en demeure est reprise également ci-après ; quant à la faute, elle est facile à concevoir comme pouvant causer la perte matérielle de l'objet dû.
On donnera seulement un exemple, moins facile à rencontrer, de faute du débiteur entraînant la mise hors du commerce de l'objet dû.
Supposons que le propriétaire d'un journal ait vendu et ait promis de livrer, dans un certain délai, le nom, la clientèle et toute l'entreprise ; dans l'intervalle, le vendeur, par quelque article dépassant la limite de la critique loyale et permise d'un acte du Gouvernement encourt la suppression du journal ; la chose se trouve mise hors du commerce par sa faute : il n'est pas libéré, li reste responsable.
Art. 540. Le débiteur peut se charger des cas fortuits et de force majeure : il contracte alors “à ses risques et périls,” la convention prend un caractère aléatoire. On pourrait s'étonner que la loi, qui défend le contrat aléatoire appelé pari, permette ici au débiteur d'assumer la responsabilité d'événements casuels qu'il ne peut empêcher; mais il faut remarquer: d'abord, que la clause qui rend le débiteur responsable des cas fortuits ou qui, au moins, le prive de la libération qui en résulte, n'est qu'un accesoire d'une convention principale très licite ; en second lieu, que le débiteur joue, vis-à-vis du créancier, un rôle analogue à celui d'un assureur contre les risques fortuits ; or, on ne comprendrait pas que ce qui est permis à un tiers fût défendu à l'un des contractants ; enfin, tandis que, dans le pari, l'événement serait la seule cause de l'obligation, ici, il y a toujours une cause première et distincte, qui n'était ni fortuite, ni défendue.
Le seul fait, par le débiteur, d'être en retard pour l'exécution, en demeure, est une faute qui le prive, en principe, du droit de se prétendre libéré par la perte fortuite ou résultant d'une force majeure ; la raison en est que, vraisemblablement, s'il avait exécuté son obligation en temps utile, la chose n'aurait pas péri eu été perdue chez le créancier ; mais, s'il y a là une présomption défavorable au débiteur, elle ne doit pas être absolue : il est juste qu'il soit admis à prouver que, lors même qu'il aurait exécuté, le même fait défavorable au créancier se serait produit, et la loi lui accorde cette faculté ; ainsi, tandis que, dans le cas ordinaire, il lui suffira de prouver le cas fortuit ou la force majeure, ici, il lui faudra prouver, en outre, que la chose aurait également péri chez le créancier (voy. art. suivant).
Par exemple, le débiteur devait livrer un cheval vendu, lequel a péri après la mise en demeure ; si le cheval a péri par un incendie de l'écurie du vendeur, celui-ci n'est pas libéré, car il est facile de s'assurer que l'écurie de l'acheteur n'a pas brûlé elle-même ; et, d'ailleurs, eût-elle brûlé, rien ne prouve que le cheval n'aurait pas été sauvé ; mais, si le cheval est mort d'une maladie soudaine et irrémédiable, comme cela arrive souvent à cette sorte d'animal, le vendeur devra être déclaré exempt de responsabilité ; de même, si le vendeur d'une maison étant en demeure de la livrer, elle a été brûlée par l'imprudence d'un hôte ou d'un enfant, le vendeur est responsable à cause de sa mise en demeure, s'il ne l'est pas, dans ce cas, à cause d'un défaut de surveillance ; mais, si la maison périt par le feu du ciel ou par un incendie qui dévore tout le quartier, le vendeur est libéré, car sa mise en demeure n'a pas eu d'influence sur le sinistre.
Art. 541. La loi est bien souvent amenée à trancher, chemin faisant, des questions de preuve. Ici, on aurait pu croire, d'après le principe général que “les fautes ne se présument pas," que le créancier aurait dû prouver qu'il y avait eu faute du débiteur à n'avoir pas exécuté son obligation. Mais le principe rappelé n'est vrai que lorsqu'il s'agit de fautes productives d'obligations. Assurément, celui qui prétendrait avoir été victime d'une faute initiale, d'un délit civil ou d'un quasi-délit, et qui en demanderait la réparation, devrait prouver le fait et son caractère fautif (dommage injuste); mais, dans le cas qui nous occupe, le créancier n'a qu'à prouver le contrat originaire qui a donné naissance à son droit : si le débiteur allègue, à son tour, qu'un fait majeur ou fortuit l'a empêché d'exécuter, il doit le prouver, en vertu de deux autres principes : d'abord les cas fortuits et les obstacles de force majeure ne se présument pas, ils se présument encore moins que la négligence d'un débiteur; ensuite, “le défendeur devient "demandeur dans l'exception qu'il oppose."
Telle est la disposition du 1er alinéa de notre article. Quant à celle du second alinéa, elle se justifie de la même manière et elle a déjà été présentée sous l'article précédent.
Art. 542. Dans la théorie des risques, on doit toujours se préoccuper de la question de savoir si la contre-valeur qui pouvait avoir été promise en retour de la chose périe, reste due ou non.
Déjà, on a eu l'occasion de se prononcer sur ce point, au sujet des risques dans l'obligation pure et simple et conditionnelle de donner un corps certain; il fallait cependant un texte à cet égard et c'est ici qu'il trouve sa place la plus naturelle.
Quand il s'agit d'un corps certain à donner ou à livrer, le débiteur libéré par la perte fortuite conserve son droit à la contre-valeur promise, car la chose était aux risques du stipulant (sauf le cas de condition suspensive) : si la contre-valeur était perdue pour le promettant, c'est lui qui supporterait les risques.
Mais si, au lieu d'une promesse de corps certain, il s'agit d'une obligation de donner une chose de genre qui a été retirée du commerce, il n'est plus possible de laisser toujours au débiteur un droit à la contre-valeur, car il n'a peut-être fait encore aucun sacrifice pour se procurer les choses dues. De même, s'il s'agit d'un fait à accomplir, il ne serait pas juste que, n'ayant pas eu la charge de l'exécution, il eût le profit qui lui avait été promis.
Sans doute, son impuissance à exécuter ne lui est pas imputable, elle peut le libérer de son obligation, mais elle ne doit pas l'enrichir ; or, c'est ce qui arriverait, si, sans avoir exécuté le fait promis, il en recevait la rémunération ; au contraire, dans l'obligation de livrer un corps certain, la perte qui libère le débiteur ne l'enrichit pas ; car si le créancier ne reçoit rien, le débiteur, de son côté, ne garde rien, et s'il ne recevait pas la contre-valeur ce serait sur lui que retomberait la perte.
Mais la loi ne pouvait non plus refuser absolument toute contre-valeur au débiteur ; car, il se pourrait qu'au moment où l'obstacle à l'exécution est survenu, le débiteur eut déjà préparé celle-ci et fait pour cela des sacrifices qui ne doivent pas plus rester à sa charge que lorsqu'il s'agit de donner un corps certain lui appartenant : la loi lui a donc réservé le droit à la contre-valeur. “dans la mesure des sacrifices déjà faits en vue “de l'exécution." Par exemple, le débiteur avait promis des armes qui ont été, depuis lors, retirées du commerce, et il les avait déjà fait fabriquer ou il se les était déjà procurées ; comme il y a là un sacrifice déjà fait, il doit en être indemnisé pour ce dont il ne le sera pas par l'autorité. De même, il devait construire un tramway sur une voie publique de la ville, et l'administration a refusé ou retiré l'autorisation ; mais, il avait déjà préparé des bois et des fers : il devra en être indemnisé.
Art. 543. Il peut arriver que la chose due ne périsse qu'en partie et alors il n'est pas douteux que ce qui en reste ne soit dû au créancier; s'il s'agissait d'une obligation de faire et que l'impossibilité d'exécuter ne fût pas totale, le débiteur devrait exécuter ce qu'il peut et comme il peut.
Le texte prévoit encore le cas où l'impossibilité d'exécuter provient de la faute d'un tiers, en sorte que ce qui est un cas fortuit ou une force majeure pour le débiteur est un fait qui engage la responsabilité d'un antre. On aurait pu croire que l'action en réparation du dommage ne pouvait appartenir qu'au débiteur ou, tout au moins, qu'elle ne pouvait passer au créancier que par voie de cession de la créance. C'était, en effet, la théorie du droit romain et elle était alors très-logique, parce que, même dans le cas de dette d'un corps certain, la propriété restait au débiteur jusqu'à la livraison, il était, dès lors, seul lésé directement, si un tiers commettait quelque destruction ou dégradation de la chose. Aujourd'hui, c'est le créancier qui, étant en même temps propriétaire, éprouve le dommage et doit avoir l'action.
Un seul cas pourrait faire doute et semblerait ramener à la théorie romaine de la cession d'actions, c'est celui où il ne s'agirait plus d'une obligation de livrer un corps certain, mais d'une obligation de faire et où un tiers aurait, par sa faute, rendu l'exécution impossible. Mais, là encore, on doit décider que l'action en réparation Le texte du présent article rappelle indirectement appartient directement au créancier comme ayant seul éprouve un dommage du fait du tiers ; le débiteur, en effet, n'a pas d'action en réparation, puisqu'il ne souffre pas de ce fait, puisqu'il en résulte même pour lui sa libération envers le créancier ; c'est bien ce dernier qui en souffre et il a, de son propre chef, l'action en réparation.
Cette question, du reste, n'a pas seulement un intérêt théorique, elle a un intérêt pratique sérieux : si le débiteur est insolvable et que l'on décide que l'action en réparation du dommage causé par un tiers lui appartient, elle se trouve, comme tout son patrimoine, le gage de tous ses créanciers ; elle ne pourrait donc être cédée, par préférence et exclusivement, au créancier qui nous occupe : elle devrait être exercée au profit de tous. Avec la solution du Code, le créancier est seul lésé et aura seul l'action de son chef.
Il pourrait arriver, cependant, que le débiteur eût lui-même une action en indemnité contre le tiers auteur de l'obstacle à l'exécution, c'est lorsqu'il y aurait perdu son droit à une contre-valeur, d'après l'article précédent ; mais ce ne serait toujours pas un cas où il eût à céder son action : elle appartiendrait alors exclusivement à lui ou à ses créanciers.
SECTION VII.
DE LA RESCISION.
Art. 544. Cette Section complète et sanctionne les dispositions de la loi sur les conditions de validité des conventions (voy. art. 310 à 320). le cas où la convention n'est pas valable et où, par conséquent, elle est annulable ou rescindable ; on peut les ramener à deux causes : l'incapacité d'une partie, et les vices de consentement.
Les incapacités sont déterminées au Livre dee Personnes ; les incapables sont: 1° les mineurs, avec des nuances entre les émancipés et les non émancipés, 2° les femmes mariées, 3° les interdits judiciairement, pour démence, 4° les prodigues et les faibles d'esprit pourvus seulement d'un conseil judiciaire, pour les actes les plus 5° les fous, non interdits, dont la guérison plus ou graves; moins prochaine est espérée, mais placés dans une maison d'aliénés ou sous la garde de leur famille, 6° les condamnés à des peines criminelles, interdits par la loi.
Les vices de consentement ne sont, dans le présent Code, qu'au nombre de deux : l'erreur et la violence ; quant au dol, on l'a considéré seulement comme un fait dommageable et volontaire, comme un délit civil (art. 312); mais, la réparation la plus simple et la plus naturelle de ce dommage étant la rescision de l'obligation obtenue par fraude, l'action en rescision est assimilée ici à celle qui résulte des vices du consentement, sauf qu'elle ne peut nuire aux tiers (même art., 4e al.).
La lésion n'est admise dans le présent Code comme cause de rescision qu'au cas du partage des biens indivis (voy. Livre de l'Acq. des biens, art 420.)
La nécessité d'agir en justice pour obtenir la rescision, dans ses divers cas d'application, n'est pas absolue : rien ne s'opposerait à ce que les parties ,d'un commun accord, annulassent leur convention ; il ne serait même pas nécessaire pour cela que la convention eût un vice originaire dans sa formation ; quand la loi présente l'action en justice comme la voie à suivre, elle entend seulement dire que la nullité n'a pas lieu de plein droit' comme dans le cas où manquerait une des conditions d'existence de la convention. Mais une annulation volontaire n'aura pas autant d'effet que l'annulation judiciaire : elle ne sera pas opposable aux tiers intéressés qui n'y auront pas consenti (voy. art. 353) ; tandis que, si l'annulation est demandée en justice, il suffira de mettre en cause les tiers intéressés pour que le jugement leur soit opposable : il est nécessaire qu'ils puissent contredire à l'action, mais non qu'ils y adhèrent.
Il faut encore remarquer que la loi admet deux voie-judiciaires pour arriver à l'annulation de la convention : la demande directe ou l'action principale et l'exception ou fin de non recevoir opposée par le contractant auquel est demandée l'exécution ; cette exception a le caractère d'une demande incidente.
Le présent article, en soumettant au même délai l'action et l'exception, tranche, dans le sens le plus rigoureux, une question très-débattue en d'autres pays, où l'on soutient souvent que l'exception de nullité est perpétuelle.
Le système qui perpétue l'exception a un grand inconvénient partique, c'est de laisser, pendant un temps indéfini, la voie ouverte à des réclamations très-difficiles à juger, à des allégations de faits plus ou moins illégaux ou irréguliers dont la vérification devient souvent impossible après un long temps écoulé : cette difficulté de preuve est la cause principale qui fait limiter l'action à un délai plus court que celui des autres actions ; or, la difficulté ne sera pas moins sérieuse lorsque le moyen de nullité sera proposé par voie d'exception que lorsqu'il le sera par voie d'action.
Nous ajouterons une considération pratique : si l'exception était perpétuelle, il arriverait que celui qui aurait dû agir par voie d'action et aurait laissé expirer le délai, chercherait, par des artifices de procédure, à prendre le rôle de défendeur pour faire valoir tardive ment la nullité et il ne serait pas toujours facile aux tribunaux de déjouer cette fraude.
Le délai de l'action et de l'exception de nullité est fixé à cinq ans : ce délai est suffisant et se concilie avec la difficulté de la preuve des faits qui vicient le consentement. Le délai d'ailleurs est suspendu, dans la plupart des cas, conformément à l'article suivant.
Art. 545. La loi commence par qualifier de “prescription" le délai de l'action et de l'exception de nullité : elle tranche ainsi une question débattue aussi en d'autres pays où certains auteur prétendent qu'il s'agit ici d'un délai invariable, préfix, comme les délais de procédure. Dans cette opinion, le délai qui nous occupe se trouve, il est vrai, retardé dans son point de départ jusqu'au moment où l'intéressé peut exercer son droit; mais, une fois que le délai a commencé à courir, il ne serait plus soumis aux suspensions et interruptions ordinaires de la prescription. L'opinion opposée est dominante et la loi la consacre ici formellement, surtout à la fin du présent article.
C'est un principe général, en matière de prescription, que le délai qui doit entraîner ainsi la déchéance d'un droit ne court pas tant que l'ayant droit ne peut pas agir. Quand il s'agit d'obstacles de droit, il n'y a pas besoin d'un texte pour appliquer le principe ; ainsi, celui qui a une créance à terme ou sous condition ne peut perdre son droit par prescription, parce qu'il ne peut agir valablement avant l'échéance du ternie ou l'événement de la condition. Mais lorsqu'il n'y a à l'exercice de l'action qu'un obstacle de fait, il faut un texte de loi pour suspendre la prescription. Dans les cas qui nous occupent, il y a plutôt obstacle de fait qu'obstacle de droit à l'exercice de l'action en nullité ou rescision : les incapables ne peuvent pas valablement agir par eux-mêmes, il est vrai, mais leur représentant le peut ; ceux dont le consentement a été vicié ont certainement le droit d'agir dès que le contrat a été formé, au moins quand il y a eu violence et même quand elle n'a pas cessé, et, pour ceux qni ont été induits en erreur, l'obstacle à agir est évidemment de fait et non de droit. Mais la loi fait sagement de retarder le point de départ du délai jusqu'à ce que ces obstacles de fait aient disparu.
Si la série des incapacités générales eût déjà établie au moment de la publication de cette partie du Code, le texte eût indiqué pour chaque incapable, le point de départ de la prescription de son action; mais la loi a dû se borner à poser le principe, de sorte que la disposition fût toujours applicable sans modification, quel que fût le nombre des incapables admis ultérieurement.
On va ici parcourir rapidement les six cas d'incapacité, qui ont pris place au Livre des Personnes.
1° Pour les mineurs, émancipés ou non, dans les cas où ils ont l'action en nullité, le délai ne commence à courir qu'à leur majorité ; l'émancipation no permettant pas au mineur de plaider seul, il est naturel d'attendre sa mojarité pour faire courir le délai.
2e Les femmes mariées, lorsqu'elles ont contracté sans l'autorisation du mari, alors que cette autorisation était nécessaire, ne commencent à être exposées à la déchéance que lorsque la dissolution du mariage leur a rendu leur pleine liberté d'agir en justice. Dans le même cas, l'action en nullité appartient aussi au mari dont les droits ont été méconnus.
3° L'action en nullité des interdits judiciairement est imprescriptible, tant que l'interdiction n'est pas levée par le tribunal, après une procédure analogue à celle qui a amené l'interdiction ; mais à partir de ce moment la prescription court. Il pourrait cependant arriver que l'interdit n'eût conservé aucun souvenir de l'acte qu il a fait et ce serait peut-être le cas de lui donner au moins une exception perpétuelle ; mais ce serait encore une protection insuffisante, car, s'il a exécuté son acte pendant l'interdiction, il ne sera pas actionné et il n'aura plus l'occasion de se défendre par l'exception de nullité. La meilleure solution est de lui accorder le même secours qu'à celui dont il est question ci-après, au sujet de l'aliéné non interdit, et c'est ce que fait le texte (2e al.).
4° Quand une personne est tombée en démence, soudainement et par une cause qui laisse espérer sa guérison, il vaut mieux ne pas l'interdire judiciairement, tant à cause de la notoriété fâcheuse qui en résulte qu'à cause des lenteurs nécessaires de la procédure d'interdiction et de celle de la main-levée, il suffit qu'elle soit placée dans une maison d'aliénés ou dans une maison de santé désignée à cet effet par l'autorité ou même retenue dans sa famille sous certaines conditions, et, tant qu'elles sont retenues dans cette maison, elles sont incapables de contracter, si pourtant elles ont réussi à aliéner ou à s'obliger, en fraude de la loi, elles ont une action en nullité ou en rescision contre laquelle la prescription ne court pas tant qu'elles sont retenues dans ladite maison, et même après leur sortie de la maison et le rétablissement de leur santé d'esprit, la prescription de leur action ne court qu'à partir du moment où l'acte qu'elles ont souscrit leur a été signifié ou du moment où elles en ont eu autrement connaissance.
5° Les faibles d'esprit et les prodigues reçoivent, un conseil judiciaire pour les actes les plus importants relatifs à leurs biens.
6° A l'égard des condamnés à des peines criminelles, interdits par la loi de l'exercice des droits civils, pendant la durée de leur peine, l'action en nullité ne sc prescrit pour eux qu'à compter du jour où leur peine a cessé. Il y a plus de difficulté à l'égard de ceux qui ont traité avec eux et auxquels le Code accorde aussi l'action en nullité (voy. art. 319, 2e al.). Le plus sage et aussi le plus simple est de leur conserver l'action en nullité aussi longtemps qu'elle est accordée au condamné, c'est-à-dire pendant cinq ans après l'expiration de leur peine : il ne faut pas perdre de vue, en effet, que, plus l'action en nullité sera largement ouverte, moins les condamnés seront portés à traiter, et ainsi le but de la loi se trouvera plus sûrement atteint ;
La loi a pu se prononcer, dès à présent, et avec plus de précision, sur le point de départ de la prescription, dans les cas de vices de consentement et dans celui de dol qui s'en rapproche beaucoup dans ses effets : la cessation de la violence, la reconnaissance de l'erreur, la découverte du dol, lèvent tous les obstacles de fait que rencontrait l'action et la prescription commence alors à courir.
Le dernier alinéa confirme, comme on l'a annoncé, le caractère de prescription du délai de cinq ans qui nous occupe. Ce n'est pas ici le lieu d'énoncer les diverses causes de suspension et d'interruption de la prescription.
Art. 546. Cet article ne présente pas de difficultés En général, les actions passent activement aux héri tiers et passivement contre eux. Ce principe est surtout applicable quand il s'agit d'actions ayant un intérêt purement pécuniaire, comme l'action en nullité ou en rescision. Mais, bien que l'action vienne à l'héritier du chef de son auteur, elle subit, au moins quant au délai, quelque modification du chef de l'héritier. Ainsi, l'action appartenait à un mineur et, comme telle, elle n'était pas prescriptible pendant sa minorité ; si l'héritier est majeur, la prescription ne sera pas suspendue ; réciproquement, l'auteur était majeur et la prescription courait contre lui : si l'hérititier est mineur, la prescription est suspendue en sa faveur.
Si l'auteur était majeur et si l'héritier l'est également, ce dernier ne jouira que du reste du délai non encore écoulé et ce temps pourrait être très-court.
Dans les trois articles précédents la loi n'a parlé que dès actes annulables et des actions ou exceptions qui tendent à les détruire ; il n'a pu être question des actes radicalement nuis ou inexistants, comme ceux auxquels ont manqué une ou plusieurs des conditions fondamentales exigées par l'article 304 : le consentement, un objet déterminé, une cause licite; dans ces cas, le contrat ne peut avoir, tout au plus, qu'une apparence d'existence qui disparaîtra an premier examen : il ne peut être question d'annuler ce qui n'existe pas.
Cependant, ce n'est pas à dire qu'il n'y aura jamais procès à cet égard : si l'inexistence est contestée, si l'une des parties veut se prévaloir du contrat, il faudra bien que la justice statue sur cette prétention et la déclare mal fondée ; ce sera alors par voie d'exception que l'inexistence, que la nullité radicale sera démontrée, mais, ici, l'exception sera évidemment perpétuelle : le temps, même le plus long, ne pourrait donner naissance à une obligation et l'inaction ne peut confirmer une convention inexistante.
En sens inverse, si l'une des parties a exécuté la convention qui n'avait que l'apparence d'existence, il faudra bien qu'elle prenne l'initiative d'une action pour revenir sur ce qui a été fait, pour le faire détruire ; mais ce ne sera pas une action en nullité ou en rescision, ce sera une revendication des choses livrées, lesquelles n'ont pas été réellement aliénées, ou une répétition des sommes ou. valeurs payées indûment et sans cause.
Ces actions différeront beaucoup de l'action en rescision, notamment, quant à. la durée : elles seront prescriptibles cependant, parce que toutes les actions le sont, en général, mais ce sera la prescription du droit commun, la plus longue, celle de trente ans.
Art. 547. Les trois précédents articles s'appliquaient à l'action en nullité ou en rescision, d'une manière générale ; le présent article et les quatre suivants sont spéciaux aux incapables et, bien que la liste n'en ait été dressée définitivement qu'au Livre des Personnes, il a fallu se prononcer ici sur le caractère de l'action en nullité qui leur appartient.
Il est nécessaire, pour l'intelligence et la justification de ces articles, d'indiquer d'abord les nombreuses hypothèses qui demandaient une solution et de présenter, sur chacune, celle que commandent les principes. il faut, avant tout, séparer les diverses sortes d'incapables, bien qu'on doive rencontrer quelques règles qui leur sont communes. On aura alors : 1° les mineurs non émancipés ; 2° les mineurs émancipés ; 3° les interdits, judiciairement ou légalement ; 4° les aliénés non interdits ; 5° les prodigues et les faibles d'esprit ; 6° les femmes mariées.
Sur chacune de ces classes de personnes, il faut sous-distinguer si les actes qui les concernent ont été faits régulièrement ou contrairement à la loi : si l'acte a été régulier, il est naturel de décider qu'il n'y a plus d'incapacité, elle doit être considérée comme corrigée parles garanties légales; si, au contraire, les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées, il doit y avoir présomption de préjudice pour l'incapable : son incapacité n'a pas été corrigée, il doit être secouru pour cela seul.
Les deux principes, toutefois, reçoivent quelques tempéraments suivant la distinction des personnes ; c'est pourpuoi il y a lieu de les reprendre séparément.
I. Mineurs non émancipés. — Ici, il faut faire une nouvelle sous-distinction : l'acte dont il s'agit d'apprécier la validité a-t-il été fait par le tuteur ou par le mineur lui-même ?
En principe, le mineur non émancipé ne doit faire aucun acte juridique par lui-même: il est pourvu d'un tuteur qui le représente dans tous les actes civils.
Quant aux pouvoirs du tuteur lui-même, ils varient, suivant la gravité des actes: certains actes lui sont absolument défendus, comme la donation des biens du mineur ; d'autres ne lui sont permis qu'avec l'autorisation du conseil de famille, comme la vente d'immeuble, la constitution d'hypothèque ; enfin, d'autres actes sont dispensés de tonte forme ou condition et peuvent être faits par le tuteur seul, comme les baux, l'achat, ou la vente des meubles de peu d'importance et les actes d'administration, en général.
A. Supposons maintenant : 1° que le tuteur a fait seul un acte d'administration, 2° qu'il a fait un acte avec les formes nécessaires, 3° qu'il a fait seul un acte qui exigeait une autorisation.
1er Cas. Le tuteur, représentant le pupille et ayant agi dans les limites du mandat que la loi lui donne, a fait évidemment un acte valable.
2e Cas. Le tuteur a fait un acte en bonne forme, c'est-à-dire avec l'autorisation requise. L'acte est encore inattaquable; le motif est le même: le tuteur a agi régulièrement comme mandataire légal du mineur.
3e Cas. Le tuteur n'a pas observé les formes et conditions requises ; ici, il ne s'est pas conformé à son mandat : l'acte est annulable, pour le seul défaut de formes, sans qu'il soit nécessaire de prouver la lésion du mineur.
Mais, ce serait aller trop loin que de dire que l'acte est radicalement nul, sans qu'il soit besoin même de l'attaquer ; c'est à tort qu'on dirait que le tuteur, n'ayant pas suivi les règles de son mandat, est considéré comme un étranger vis-à-vis du pupille : il a toujours une qualité générale de mandataire et c'est protéger suffisamment le pupille que de lui donner une action en rescision fondée sur la seule inobservation des formes.
B. Voyons maintenant le cas où c'est le mineur qui a fait l'acte et sous-distinguons : 1° s'il a fait seul un acte que le tuteur pouvait faire seul valablement, 2° s'il a lait seul un acte qui, pour le tuteur, était soumis à des formes et conditions.
On ne suppose pas ici, connue 3° cas, qu'il ait fait l'acte en bonne forme, parce que la première forme à observer était l'intervention du tuteur, et justement elle manque.
1er Cas. Il ne s'agit que d'un acte d'administration ; le seul défaut d'intervention du tuteur ne suffît pas pour faire annuler l'acte du mineur : il faut encore qu'il y ait lésion ; mais si légère qu'elle soit, pourvu qu'elle soit certaine, elle suffit.
2e Cas. Il s'agit d'actes qui, faits par le tuteur, seraient annulables faute de l'observation des formes : ils seront encore plus sûrement annulables, faits, dans ces conditions, par le mineur.
Ce sont les principes généraux de la tutelle qui com-mandent cette nullité pour défaut de formes.
II. Mineurs- émancipes. — Ici, on retrouve trois classes d'actes : 1° ceux que les émancipés peuvent faire seuls, comme un majeur ; 2° ceux pour lesquels ils ont besoin de l'assistance de leur curateur ; 3° ceux qui sont soumis aux mêmes formes et conditions que pour les mineurs non émancipés. Reprenons les séparément.
1er Cas. Les actes que l'émancipé peut faire seul sont, en général, des actes d'administration. Puisque pour ces actes, il est considéré comme majeurs, il est clair qu'il ne peut les faire annuler, même pour lésion.
2e Cas. Lorsque l'éman apé n'a pas été assisté de son curateur, il a excédé les bornes de sa capacité ; dans ce cas, la rescision lui est accordée, mais seulement s il est lésé.
3‘ Cas. Les formes et conditions n ont pas été observées : comme il est, à cet égard, assimilé au mineur non émancipé, il aura, comme lui, l'action en rescision pour défaut de formes, indépendamment de toute preuve directe d'une lésion.
L'article 547 résout d'abord trois questions sur la valeur des actes faits par le tuteur : 1 ° Quand les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées par lui, 2° Quand elles l'ont été, 3° Quand aucune forme particulière ne lui était imposée ?
Sur la première. question, il n'est pas douteux que l'inobservation des formes prescrites doive rendre l'acte annulable : ces formes sont établies dans l'intérêt du mineur, elles ne peuvent être impunément négligées. Telle est la disposition formelle du 1er alinéa de notre article.
Il ne faudrait pas, cependant, aller jusqu'à dire que ces actes sont radicalement nuis, pour vice de formes: les formes dont il s'agit ne sont pas de celles qui rendent les contrats solennels, elles suppléent seulement à la capacité qui manque au mineur et, en leur absence, l'incapacité subsiste. Mais aussi, on n'aura pas à examiner si l'acte lèse ou non le mineur, comme on le recherchera dans les cas prévus à l'article suivant : il y a une sorte de présomption légale absolue que le mineur est lèse, quand le tuteur n'a pas observé les formes et conditions que la loi lui a imposées.
Cette action en nullité qui est le résultat le plus saillant de l'incapacité du mineur ne sera pas seulement ouverte au mineur devenu majeur, elle peut même être exercée par le tuteur lui-même qui remplit encore son office en réparant sa propre faute.
La deuxième question est implicitement résolue par le même alinéa : l'acte accompli régulièrement par le tuteur n'est pas rescindable. On ne pourra soutenir, que l'acte régulier du tuteur est rescindable pour lésion : on réservera ce secours pour le cas où les mêmes actes auraient été faits par le mineur lui-même, ce qui est déjà une irrégularité, s'il n'y en a pas d'autres.
A quoi servirait donc, en effet, que le tuteur eût observé les formes prescrites, si l'acte n'était pas alors à l'abri de toute attaque ? Quelles garanties auraient les tiers? Qui voudrait traiter avec le tuteur, même pour les actes les plus nécessaires au pupille, s'il n'était sûr de conserver les avantages de son acte ?
La troisième question doit se résoudre comme la précédente et par un raisonnement sinon identique, au moins analogue : lorsqu'aucune formalité n'est imposée au tuteur, à cause de la simplicité de l'acte, ses pouvoirs sont les mêmes que si, soumis à des formalités, il s'y conformait ; l'acte accompli par lui est aussi régulier dans un cas que dans l'autre et l'intérêt du mineur demande encore davantage la sécurité des tiers contractants ; car ces actes qui sont les plus simples sont aussi les plus fréquents et les plus nécessaires, soit aux biens, soit à la personne même du mineur.
Le 1er alinéa de notre article assimile le tuteur de l'interdit à celui du mineur ; cette assimilation est constante et toute naturelle ; le texte même, par sa généralité, s'applique aussi bien au tuteur de l'interdit légalement qu'à celui de l'interdit judiciairement.
Les mêmes solutions sont encore étendues, à l'interdit, au mineur, émancipé ou non, au prodigue et au faible d'esprit pourvus d'un conseil judiciaire, lorsque leur actes ont été irrégulièrement accomplis ; en remarquant, avec le texte, que les actes de l'interdit sont toujours annulables, comme irréguliers, sans distinction (2e al.).
A l'égard du mineur émancipé il lui faut souvent, pour que ses actes soient valables, de l'assistance de son curateur ; pour le prodigue et pour le demi-interdit par suite de faiblesse d'esprit, il lui faut aussi l'assistance du curateur. Mais, dans tous lescas, chaque fois que la loi a été observée par eux, suivant ses exigences, l'acte reste et doit rester inatta quable, sans qu'il y ait à rechercher s'il y a eu lésion ou non.
Le 3e alinéa de notre article tend à prévenir une exagération de la validité des actes dont il s'agit : lorsque la loi met à l'abri de la rescision les actes réguliers des incapables, elle ne veut parler que de la rescision fondée sur l'incapacité ; il va de soi que si l'acte présentait quelque autre vice qui permit à un majeur de le faire rescinder, le mineur et son représentant n'auraient pas moins de droits : par exemple, si le consentement du tuteur ou du mineur émancipé avait été entaché d'erreur ou obtenu par violence.
Art. 548. La loi suppose ici que des actes ont été faits, non plus par le tuteur, mais par le mineur lui-même. S'il s'agissait d'actes soumis à l'autorisation du tribunal, comme, évidemment, cette condition n'aurait pas été remplie, les actes seraient annulables pour ce seul défaut, comme ils le seraient s'ils avaient été faits par le tuteur avec la même irrégularité. Mais on suppose que c'étaient des actes que le tuteur aurait pu faire seul, comme un contrat de louage, une vente ou un achat de meubles; dans ces cas, la loi ne considère pas l'absence du tuteur comme devant faire nécessairement présumer un préjudice pour le mineur ; elle veut qu'il en soit fourni une preuve directe, et alors l'acte sera annulable pour lésion.
Au reste quelle que soit l'importance de la lésion, elle suffit pour motiver la rescision ; cependant, les tribunaux ne devraient pas tomber dans l'exagération, en tenant compte d'une perte insignifiante et que le mineur n'allèguerait peut-être que pour faire rescinder un acte qu'il regretterait plutôt par caprice que par un intérêt légitime.
Au surplus, il n'est pas nécessaire que la lésion soit appréciable en argent : ainsi, si un mineur avait pris à loyer une habitation dans un quartier mal famé au malsain, il pourrait faire rescinder le contrat ; s'il avait acheté des objets d'art ou de luxe, même à un prix modéré, mais sans utilité pour lui, ou pourrait dire qu'il est lésé dans ses intérêts, quoiqu'il ne fût guère possible d'estimer cette lésion en argent : l'action en rescision lui appartiendrait et pourrait être exercée par son tuteur plus prévoyant que lui.
La loi (2e al.) accorde la même protection au mineur émancipé qui a traité seul, dans un cas où il aurait dû être assisté de son curateur; mais toujours en supposant qu'aucune autre condition n'était exigée pour cet acte : autrement, il aurait l'action pour la seule inobservation de cette condition. Si donc le mineur émancipé est lésé par son acte, d'une manière appréciable, en argent ou autrement, il aura l'action en rescision ; dans le cas contraire, l'acte sera inattaquable, quoique peut-être le mineur le regrette, par caprice ou par quelque circonstance extrinsèque.
La loi n'a pas à s'expliquer directement sur l'acte du mineur émancipé qui n'était pas même soumis par la loi à l'assistance du curateur, par exemple, pour un acte d'administration ; il est clair que, dans ce cas, il est capable comme un majeur : il n'est même pas restituable pour lésion.
Le dernier alinéa nous dit à quel moment il faut se placer pour apprécier la lésion : c'est au moment on l'acte a été fait et non au moment où l'action est intentée ; de cette façon, si des événements fortuits ont diminué ou détruit la contre-valeur ou les avantages que le mineur avait reçus et qui se trouvaients équivalents à ceux qu'il avait fournis, la perte sera pour lui. Ainsi, le mineur a acheté des livres utiles qui, depuis, lui ont été volés ou ont péri dans un incendie, il ne sera pas restitué pour lésion.
Le eus du prodigue et du faible d'esprit, pourvus d'un conseil judiciaire, est réglé de même.
Art. 549. La loi protégerait incomplètement les deux mineurs, si, pour le seul fait d'une déclaration mensongère de majorité, ils perdaient le droit de faire rescinder leurs actes, pour incapacité, c'est-à-dire pour inobservation des conditions prescrites par la loi, soit pour lésion dans les antres cas : cette fausse déclaration ne sera, le plus souvent, que la suite de l'imprudence qui les pousse à contracter irrégulièrement et il serait à craindre aussi que l'autre contractant, pour se mettre à l'abri de la rescision, n'exigeât, pour se couvrir, l'insertion de cette déclaration dans l'acte.
Mais, si le mineur ne s'est pas borné à une simple déclaration de majorité que l'autre partie aurait pu facilement contrôler, s'il a employé des manœuvres frauduleuses pour faire croire à sa majorité, comme la production de pièces fausses, d'actes de l'état civil qui concernent une autre personne ou l'attestation de faux témoins, alors il mérite moins la protection de la loi que l'autre partie et l'acte sera maintenu : il a commis un délit civil dont il est responsable (voy. art. 376), et la meilleure manière d'assurer cette responsabilité c'est de l'empêcher de se soustraire aux conséquences de son acte.
Cette disposition s'applique aux antres incapables, par identité de motifs : par exemple, à une femme mariée qui se serait déclarée célibataire, veuve ou divorcée.
Art. 550. 1les mineurs ont quelquefois une précoce maturité d'esprit et de talent qui trouverait un utile emploi dans le commerce ou l'industrie: ils peuvent alors être autorisés par leurs parents ou par le conseil de famille à exercer le comme ce ou à se livrer à des en-treprises industrielles.
Dans cette situation, le mineur doit évidemment avoir une plus grande capacité qu'un émancipé ordinaire : de là, la règle qu'il " est réputé majeur pour les actes relatifs à son commerce” “ou à son industrie.”
Il ne faut pas d'ailleurs confondre l'artiste ni le simple artusan avec un industriel : le mineur pourrait exercer un art ou un métier, sans être un industriel proprement dit et sans avoir besoin pour cela d'une autorisation en forme ni d'obtenir l'émancipation : l'exercice d'un art ou d'un métier peut être pour le mineur un moyen honorable de vivre et il n'engage pas, comme une industrie manufacturière, des capitaux plus ou moins considérables et une responsabilité illimitée : l'artiste ou l'artisan aura donc toujours la capacité de contracter pour l'exercice de son art on de son métier.
Il a paru dangereux d'accorder ici au mineur commerçant ou industriel une pleine et entière capacité : on pouvait réserver au Code de commerce le soin de limiter cette capacité ; mais, pour plus de simplicité, on y introduit ici la seule exception que l'expérience paraisse réclamer : on ne défend pas au mineur commerçant d'emprunter, même d'hypothéquer ses immeubles, parce que, dans le commerce et dans l'industrie, les besoins d'argent sont souvent pressants et imprévus et qu'une entrave, à cet égard, pourrait entraîner la faillite du mineur, au grand préjudice de son avenir ; mais on lui défend d'aliéner ses immeubles, à moins de suivre les formalités ordinaires imposées aux mineurs non commerçants et non émancipés.
Art. 551. L'incapacité de la femme mariée est réglée au sujet du Mariage qui unit les personnes et du Contrat de mariage qui réglemente les rapports pécuniaires des époux : cet article se borne à y renvoyer.
Art. 552. L'action en rescision ne doit être qu'un secours contre une perte : elle ne peut être l'occasion d'un profit illégitime, ce qui arriverait, si celui qui fuit rescinder un acte pouvait, en recouvrant ce qu'il a aliéné ou en se trouvant libéré d'une obligation, conserver la contre-valeur qu'il aurait reçue. La loi l'oblige donc à la restituer. Elle applique ici le principe général que "nul ne doit s'enrichir sans cause légitime aux dépens d'autrui," principe qui a été établi ci-dessus, art. 361 et suiv.) et déjà souvent appliqué.
Mais on trouve ici une nouvelle différence entre les personnes capables et les incapables: les premières doive t, en principe, restituer, soit identiquement, soit par équivalent, tout ce qu'elles ont reçu, lors même qu'elles en auraient perdu tout ou partie par accident; cependant, ce principe se trouve tempéré par un autre, non moins puissant, qu'il est bon de rappeler: si ces personnes avaient reçu un corps certain qui aurait péri ou se trouverait détérioré sans leur faute et avant qu'elles fussent en demeure, elles sc trouveraient libérées d'autant (art. 539). Ainsi, un majeur qui aurait aliéné un immeuble par erreur et qui demanderait la rescision de la vente devrait restituer tout le prix qu'il en aurait reçu, lors même qu'il prouverait n'en avoir pas profité; mais s'il avait acquis un immeuble, également par erreur, et que l'immeuble eût péri, en tout ou partie, sans sa faute, il ne serait tenu de restituer que ce qui en resterait et il recouvrerait tout le prix par lui payé.
Il en est autrement, si la rescision est demandée par un incapable : il ne doit restituer que l'enrichissement qui lui reste; il ne serait pas complètement secouru par la loi, s'il devait rendre l'équivalent de valeurs qu'il aurait dissipées; celui qui a contracté avec lui doit s'imputer son imprudence. Toutefois, on devrait tempérer la règle au profit du défendeur, en faisant restituer par l'incapable les valeurs qu'il aurait dissipées à dessein, avant la demande, soit en la retardant dans ce but, soit en voulant échapper à l'une des conséquences de la demande préparée par le tuteur : il y aurait alors un dol contre lequel le mineur ne peut être secouru.
La loi a cru devoir indiquer, en terminant, que l'action en restitution dont il s'agit n'est pas soumise au délai de cinq ans, ce qn'on aurait pu croire, à cause de son lien avec l'action en rescision ; mais, il est évident qu'elle repose sur un tout autre principe, qu'elle a un tout autre but, que les questions de preuves qu'elle soulève n'ont aucun rapport avec celles qui sont à produire pour la rescision ; c'est donc un cas de prescription ordinaire, comme tout autre cas de restitution de ce qui a été reçu indûment ou ne peut être conservé sans cause.
Art. 553. C'est un principe général déjà rencontré, et qu'on trouvera souvent appliqué, que “personne ne peut conférer plus de droits qu'il n'en a lui même” et que “celui qui n'a que des droits annulables ou résolubles ne peut conférer que des droits de la même nature.”
Les cas où l'action en rescision, en résolution on en révocation ne peut atteindre les tiers sont exceptionnels, au moins pour les aliénations d'immeubles, car, poulies meubles, les tiers de bonne foi sont toujours à l'abri de la revendication et des autres actions réelles.
Le principe énoncé se trouve appliqué ici et la loi a bien soin de le limiter aux aliénations d'immeubles. Il a déjà été annoncé sons les articles 352 et 353 auxquels la loi renvoie et on a vu que la loi a pris des précautions pour que les tiers fussent avertis tant de la demande en rescision que du retour du bien aux mains de l'ancien propriétaire; le moyen est l'inscription ou, tout an moins, la mention en marge de l'inscription déjà faite. Ce n'est pas le cas de revenir sur cette matière déjà longuement traitée.
On remarquera que la loi ne fait pas figurer ici la rescision pour dol ; on se souvient, en effet, que le dol n'est pas un vice du consentement, si l'erreur qu'il a produite n'a pas ce caractère en elle-même: il n'est qu'un fait dommageable donnant lieu à des dommagesintérêts, à une réparation, dont la rescision est le mode le plus simple et le pins complet ; mais cette action est purement personnelle contre l'auteur du dol, elle ne peut atteindre les tiers-acquéreurs, quand c'est une aliénation qui a été obtenue par dol (voy. art. 312).
Art. 554. Le fait seul, par la partie qui pourrait faire rescinder son engagement, de laisser écouler le délai de cinq ans sans agir, emporte confirmation on ratification tacite de ladite convention. Mais il y a d'autres confirmations tacites et il peut y avoir aussi des articles suivants.
Remarquons seulement que l'une et l'autre confirmation n'ont de valeur que lorsque l'incapacité a cessé, lorsque l'erreur a été découverte, etc., en d'autres termes, lorsque la partie intéressée à agir on nullité ne rencontre plus d'obstacle de droit ou de fait à donner un consentement parfait, ce que la loi exprime d'une façon générale en se référant à la situation identique énoncée à l'article 545 et qui sert de point de départ à la prescription de cinq ans.
Art. 555. La forme expresse pour la confirmation n'est exigée dans aucun cas, seulement sur la confirmation tacite elle a l'avantage d'être indiscutable. La loi indique trois conditions nécessaires pour que la confirmation soit expresse :
1° Que l'acte de confirmation reproduise, sinon la teneur littérale de la convention primitive, au moins sa substance, c'est-à-dire ses dispositions principales, et cela, afin qu'il n'y ait point de doute sur l'identité de l'acte qu'on a voulu confirmer ;
2° Que la cause de nullité ou rescision dont l'acte était entaché soit énoncée ; la loi n'ajoute pas qu'elle doit l'être clairement, mais cela va de soi ;
3° Que le contractant déclare sa volonté de valider l'acte, soit en renonçant à son action en nullité, soit en confirmant, en ratifiant, en approuvant l'acte: aucune expression n'est obligatoire ou sacramentelle, c'est toujours la clarté, la précision, qui est nécessaire.
Le 2e alinéa est à remarquer: non seulement la loi n'accepte pas une confirmation faite en termes généraux, puisqu'elle demande l'énonciation spéciale du vice on des vices du contrat, mais elle a soin de dire que la confirmation n'efface que les vices formellement énoncés. Ainsi, celui qui aurait confirmé une convention entachée d'erreur sur les qualités principales ou substantielles, alors qu'il imputait son erreur à son intention, conserverait l'action en nullité pour dol, s'il prouvait que son erreur n'a pas été spontanée, mais a été produite par des manoeuvres frauduleuses. De même, celui qui aurait confirmé une convention par lui consentie en minorité, en énonçant la lésion comme cause de nullité' conserverait le droit de la faire annuler pour inobservation des formes et conditions prescrites par la loi.
Mais ce principe doit être tempéré par la considération que, quelquefois, une confirmation en implique une autre par une plus forte raison. Ainsi, en renversant les deux dernières hypothèses, celui, qui aurait renoncé à l'action en nullité pour dol, ne pourrait plus demander la nullité pour la même erreur, en la prétendant spontanée ; celui qui aurait renoncé à la nullité pour inobservation des formes ne pourrait plus la demander pour lésion, comme mineur : ayant, dans ces deux cas, renoncé à l'action la plus favorable, il a, par cela même, renoncé à celle qui l'est moins.
Peut-être devrait-on dire qu'il y a dans ce cas confirmation tacite pour le vice non exprimé : ce serait le moyen de lever tous les doutes sur la solution. La confirmation tacite, en effet, n'est pas limitée ; la loi, à l'article ci-après, en énonce quelques cas, comme présumés à ses yeux : mais elle laisse les autres cas à l'appréciation des tribunaux.
Art. 556. L'exécution volontaire est peut-être la confirmation tacite la plus certaine ; il n'est pas nécessaire d'ailleurs qu'elle soit totale; il suffit qu'elle soit partielle, et ce sera fréquent, lorsqu'il s'agit d'une obligation divisée par périodes ; mais, si le débiteur qui pourrait être tenu de payer le tout à la fois, ne payait qu'une partie, en protestant ou en faisant des réserves pour le surplus, alors, on ne devrait plus voir dans son payement partiel une confirmation tacite pour le reste.
L'exécution forcée, obtenue sur des poursuites judiciaires ou en vertu d'un acte exécutoire sans jugement, pouvait faire doute, en tant que constituant une confirmation tacite. Le Code s'en explique: l'exécution forcée est assimilée à l'exécution volontaire, si elle n'est pas accompagnée de réserves ou protestations. Du reste, si l'exécution a lieu en vertu d'un jugement, la question ne se présente que s'il s'agit d'un jugement exécutoire provisoirement, avant d'être irrévocable ; car, une fois que la décision sera devenue inattaquable, ce n'est plus la confirmation tacite qui enlèvera l'action en nullité, c'est l'autorité de la chose jugée.
La novation, la dation, par le débiteur, d'une caution, d'un gage ou d'une hypothèque, sont aussi des actes volontaires qui enlèvent l'action en nullité, parce qu'elles présupposent une reconnaissance de la validité de la dette qui leur sert de base.
La demande faite en justice par le créancier n'est pas moins significative que l'exécution ; elle a peut-être plus encore le caractère d'une confirmation, car elle ne semble pas pouvoir être accompagnée de protestations ou réserves.
Enfin, l'aliénation volontaire de tout ou partie d'une chose acquise par une convention annulable est, à bon droit, considérée comme une renonciation tacite à la nullité : le fait par l'acquéreur de tirer profit de son acquisition, par un acte qui transforme cette partie de son patrimoine, est aussi significatif, dans le sens d'une approbation du contrat primitif, que les autres actes sus-énoncés. Il y a même une raison de plus de le décider : celui qui a conféré des droits ne peut lui-même en dépouiller ses ayant-cause ; c'est un cas de garantie essentielle à laquelle on ne peut se soustraire, même par une stipulation expresse (ci-dess., art. 396); or, si l'acquéreur, après avoir aliéné, à son tour, prétendait obtenir la rescision de son acquisition contre son cédant, il causerait l'éviction de son cessionnaire, il lui devrait la garantie et il perdrait aussi tout intérêt à la rescision.
Il ne faut pas confondre ce cas avec celui qui est prévu à l'article 553, où l'action en rescision peut atteindre les tiers-acquéreurs : dans le cas de cet article, l'aliénation a été faite, non par le demandeur à la rescision, mais par le défendeur, et alors ce n'est pas celui qui évince les tiers qui leur doit la garantie.
Il ne faut pas induire de l'énumération de certains cas de confirmation tacite que la loi entende enlever aux tribunaux le soin d'apprécier et de reconnaître les autres cas de confirmation tacite, car la loi ne peut prévoir tous les cas où l'on pourrait raisonnablement l'induire des circonstances. Les tribunaux auraient même un certain pouvoir d'apprécier et de rejeter les cas de confirmation tacite admis plus haut par la loi, car il n'y a pas là une présomption absolue de confirmation. Ainsi, lorsqu'il s'agit de l'exécution volontaire, il ne faudrait pas absolument considérer comme confirmation tacite le fait, par la partie demanderesse en rescision, d'avoir pris livraison d'une chose acquise par le contrat annulable : elle pourrait avoir pris livraison dans la crainte de l'insolvabilité prochaine du défendeur ; le plus sûr aurait été pour elle de faire des réserves ; mais le fait de prendre livraison d'une chose vendue aurait toujours moins clairement le sens d'une confirmation que le fait d'en payer le prix.
Art. 557. Un exemple fera bien comprendre le cas réglé par cet article. Un mineur a aliéné un immeuble sans suivre les formalités prescrites par la loi : il a l'action en nullité, pour sa seule incapacité de faire un tel contrat, indépendamment de toute lésion déterminée; plus tard, il aliène le même immeuble, soit après sa majorité, soit étant encore mineur, mais alors par l'intermédiaire de son tuteur et suivant les formes prescrites par la loi ; cette seconde aliénation n'a de valeur que parce que la première est rescindable : le nouvel acheteur est, en quelque sorte, cessionnaire de l'action en rescision ; par un dernier acte, le majeur, ou le mineur dûment représenté, confirme ou prétend confirmer la première aliénation ; il ne le peut pas, au moins en tant que cette confirmation nuirait à son second cessionnaire : il lui doit la garantie d'éviction, il ne peut donc opérer lui-même cette éviction en détruisant les droits qu'il a conférés.
La confirmation ne sera cependant pas dénuée d'effet entre les parties contractantes : elle obligera le cédant (l'ex-mineur) à la garantie ou indemnité envers son premier cessionnaire ; en confirmant la vente d'une chose dont il ne peut plus disposer, le cédant est dans la position ordinaire de celui qui vend la chose d'autrui : il est essentiellement garant de l'éviction et d'autant plus rigoureusement que l'éviction résulte d'un fait qui lui est personnel.
On pourrait donner un exemple plus simple et encore plus frappant ; supposons que celui auquel appartient une action en rescision ou nullité cède directement ladite action, ce qui revient à céder le droit que l'action tend à recouvrer; plus tard, il déclare confirmer la convention annulable ; cette confirmation ne pourra nuire au cessionnaire.
Art. 558. Il va de soi qu'un acte radicalement nul ne peut être confirmé : la remarque en a déjà été faite ; si la loi prend la peine de l'exprimer ici, c'est surtout pour- introduire ou, au moins, pour annoncer les exceptions qu'on trouvera plus loin.
Art. 559. Il a déjà été à l'article 310, 3e alinéa, des erreurs sur l'époque ou le lieu de l'exécution : il s'agit ici d'erreurs sur la date ou le lieu où l'acte a été fait ; on y prévoit aussi deux autres erreurs relatives également là l'acte. Il n'est pas rare que dans les conventions, soit verbales, soit rédigées par écrit, les parties commettent des erreurs de calcul, de nom des personnes, de date ou de lieu. Il faut examiner la nature de ces erreurs, pour justifier l'imprescriptibilité de l'action qui tend à les redresser. Il ne suffît pas de les qualifier "erreurs matérielles,” comme ou le fait souvent : il faut aller plus au fond.
D'abord l'erreur de calcul. Supposons que dans la fixation du prix de vente d'un terrain, porté dans l'acte à “tant de yens par tsoubo,” on ait commis une erreur de multiplication, en plus ou en moins, et arrêté le prix total à un chiffre qui ne cadre pas exactement avec les éléments que fournit le contrat. Il ne faudrait pas voir là une erreur sur l'objet même du contrat, bien que le prix de vente soit l'objet de l'obligation de l'acheteur ou de la créance du vendeur : ce serait une erreur sur la cause, parce que le vendeur n'aurait pas de cause de stipuler et l'acheteur de promettre un prix différent de celui que donnaient les éléments de sa fixation, tels qu'ils étaient portés dans l'acte. Pour que l'erreur sur le prix fût une erreur sur l'objet, il faudrait supposer que le vendeur ou l'acheteur se seraient trompes sur la fixation du prix de chaque tsoubo, fixation dont les éléments étaient a chercher en dehors du contrat même : par exemple, dans d'anciens titres ou dans des circonstances locales ; mais alors, ce ne serait plus une erreur de calcul, mais une erreur ordinaire de fait, sur les qualités principales de l'objet (art. 310) et la présente disposition ne s'y applique rait pas.
Si l'erreur de calcul se présentait dans le mesurage du terrain, d'ailleurs déterminé dans le contrat par ses limites, comme elle produirait encore la promesse ou l'acceptation d'un prix ne cadrant pas avec les éléments fournis par le contrat, ce serait encore une erreur sur la cause.
Une autre difficulté se présente ici : l'erreur sur la cause empêche, en général, le contrat de se former ; il n'y aurait donc pas de contrat, il ne s'agirait donc plus d'un simple redressement de compte ? Mais il ne faut pas aller si loin : l'erreur sur la cause n'a porté ici que sur la différence, en plus ou en moins, du prix exact que devaient donner des éléments d'ailleurs certains ; ce n'est pas la convention toute entière qui est nulle, mais seulement l'excédant ou l'insuffisance du prix et c'est cette différence qui pourra toujours être redressée.
L'erreur sur le nom des personnes intéressées ne doit pas se confondre avec l'erreur sur l'identité des parties. On sait que cette erreur sur la personne même de celui avec qui on contracte a une importance plus ou moins considérable, suivant les cas (voy. art 309). Mais, si la personne, certaine et connue d'ailleurs, a été mal désignée, cette erreur doit être réparée pour éviter des difficultés ultérieures; on ne comprendrait même pas que l'autre partie résistât a cette rectification, si elle n'a pas quelque intention de fraude pour l'avenir.
L'erreur de date peut avoir aussi des conséquences graves et fâcheuses, puisqu'elle pourrait faire croire que l'acte a été fait à une époque où l'une des parties était incapable lorsqu'elle était capable, ou réciproquement. L'erreur de date pourrait aussi, rapprochée de la date d'un autre acte, changer la position respective des in téressés et faire de tiers qu'étaient les uns des ayant-cause, et réciproquement des autres, puisque la qualité de tiers est presque toujours une question de priorité.
L'erreur de lien est peut-être moins fréquente, mais elle se commet quelquefois, quand on fait un acte étant en voyage, ou lorsqu'on vient de s'établir dans un lieu auquel on n'est pas encore habitué.
Le texte de l'aeticle 559 nous dit que l'action en redressement de ces erreurs est imprescriptible, ce qui suppose, en général, que les droits résultant de l'acte erroné ne sont pas eux-mêmes éteints par prescription : autrement, on n'aurait guère d'intérêt à la rectification.
Il n'est pas difficile de justifier cette imprescriptibilité. La prescription, comme on l'a déjà dit, chemin faisant, et comme on l'établira avec soin en son lieu, est fondée sur une présomption de satisfaction de l'a-yant-droit ou d'abandon tacite mais volontaire de son droit ; quand il s'agit d'erreur sur les qualités des choses, un consentement exprès ou tacite peut l'effacer ; mais l'erreur de calcul qui est une erreur sur la cause et les autres erreurs dites “matérielles” ne peuvent être effacées par la volonté : l'homme ne peut changer la valeur des nombres, ni les noms, les temps et les lieux.
Il ne faut pas, du reste, confondre l'action en rectification de l'erreur avec la répétition des sommes constituant la différence, laquelle reste prescriptible conformément au droit commun. Ainsi, l'acheteur qui aurait, par erreur de calcul, payé plus que le prix légitimement dû, ne pourrait répéter l'indû au-delà du temps de la prescription ordinaire ; de même le vendeur, pour ce qu'il aurait manqué à recevoir du juste prix de la chose vendue : la répétition des valeurs payées sans cause n'est pas plus imprescriptible que le droit le plus certain d'exiger une valeur en vertu d'un contrat parfaitement régulier.
Cette prescriptibilité des droits attachés au redressement de l'erreur ôte, comme on l'a dit, beaucoup d'intérêt au redressement lui-même ; cependant, il est bon que le droit d'y faire procéder soit conservé, parce qu'il subsiste toujours un intérêt général à ce que la vérité soit rétablie.
SECTION VIII.
DE LA RÉVOCATION.
Art. 560. Les trois noms de révocation, résolution, rescision, ont déjà été rencontrés, souvent juxtà-posés, parce qu'ils ont un caractère commun, à savoir, la destruction, la mise à néant d'un acte qui a existé ; tous trois aussi, ils opèrent la destruction rétroactive de l'acte non seulement entre les parties, mais à l'égard des tiers, sauf quelques conditions ou exceptions déjà signalées : il est donc naturel qu'après la section consacrée à la rescision, la loi en consacre une à la révocation et une autre à la résolution ; seulement comme ces deux théories ont déjà été traitées au sujet des matières auxquelles elles appartiennent, elles ne figurent plus ici que pour mémoire en forme de renvoi et pour que leur caractère extinctif des obligations soit bien marqué.
L'usage, eh effet, a, depuis longtemps, consacré le mot "résolution" pour la destruction du contrat par suite d'un événement postérieur à sa formation, mais, auquel la convention ou la loi ont, d'avance, attaché cet effet ; le mot “rescision” s'emploie, comme on l'a vu dans la Section précédente, pour le cas où le contrat est détruit en vertu d'un vice de consentement.
Le mot "révocation" s'emploie, d'abord et le plus exactement, pour le cas où un contractant "retire sa parole,” reprend ce qu'il a aliéné : spécialemet, dans le cas de donation, si le donataire manque à exécuter les charges qui lui ont été imposées. C'est pour cette application de la révocation, que le 2e alinéa de notre article renvoie à la matière des Donations.
On emploie aussi le nom de “révocation” pour l'action des créanciers tendant à faire tomber les aliénations ou engagements que le débiteur a consentis en fraude de leurs droits. Le 1er alinéa n'a eu qu'à se référer, à cet égard, aux articles 340 à 344, où l'action l'évocatoire est présentée avec détails.
Bien que cette action révocatoire repose, comme l'action en rescision, sur un vice originaire de la convention, sans dépendre d'aucun autre événement postérieur, ce n'était pas une raison pour que la loi la plaçât, même à titre de simple rappel, dans la Section précédente : elle en diffère profondément dans son principe : elle ne présente ni vice de consentement, ni incapacité d'aucun contractant, elle ne tend à protéger aucun d'eux, mais des tiers, car, les créanciers, n'ayant pas été dûment représentés, sont des tiers ; enfin, comme elle tend à la réparation d'un dommage injuste, elle n'est pas soumise à la prescription spéciale de cinq ans, mais à la prescription ordinaire de trente ans, à partir de l'acte frauduleux lui-même : sauf le cas où, les créanciers ayant découvert la fraude, la prescription est réduite à deux ans.
SECTION IX.
DE LA RÉSOLUTION.
Art. 561. On a longuement développé en son lieu la théorie de la condition résolutoire : on a vu que quand elle est stipulée ou expresse, elle opère, de plein droit et sans qu'il soit besoin pour cela d'une action en justice, la destruction de la convention et de ses effets, aliénation ou obligation ; il n'y a besoin d'une action en justice que pour recouvrer la possession des choses aliénées ou pour faire restituer les valeurs fournies ou payées. Cette action dure autant que les actions réelles ou personnelles ordinaires.
Dans d'autres cas, la condition résolutoire est tacite : notamment, dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des parties n'éxécute pas ses obligations ; alors, comme il y a toujours nécessité de vérifier et d'apprécier cette inexécution et aussi comme il est bon que les tribunaux puissent accorder un délai de grâce au débiteur, la résolution n'a pas lieu de plein droit et la partie lésée doit former en justice une demande en résolution. Cette action aussi dure autant que les actions ordinaires ; mais, comme il pourra y avoir quelques cas où la loi croira bon de l'abréger, par exemple, pour la faculté de rachat, le texte les réserve d'une façon générale.
Les actions en révocation et en résolution méritent, par leur importance, qu'on s'arrête encore, en terminant, sur leur nature, semblable d'ailleurs à celle de l'action en rescision.
Il faut examiner si elles sont réelles ou personnelles et nous pouvons annoncer immédiatement qu'elles ont tantôt un seul de ces deux caractères et tantôt l'un et l'autre réunis.
1゜ Les trois actions sont purement personnelles, c'est-à-dire, s'exercent, contre une personne déterminée, considérée comme débitrice, lorsqu'elles ont pour objet de détruire contre elle un droit de créance ou la remise d'une dette illégalement obtenus.
Ainsi une convention productive d'obligation seulement a été entachée d'un vice de consentement ou d'une incapacité ; la partie incapable ou dont le consentement a été vicié demande sa libération par l'action en rescision : l'action ne peut être que personnelle, c'est-à-dire, ne peut s'intenter que contre l'autre contractant qui est débiteur de cette libération, qui doit la fournir, à titre de restitution d'un profit illégitime.
Si la convention annulable, au lieu d'avoir été productive d'une obligation, l'a été d'une libération de dette antérieure, comme d'une remise de dette ou d'une compensation facultative, l'action en rescision sera encore personnelle, pour faire rétablir l'ancienne obligation.
Les solutions seraient identiques, si des conventions ayant les mêmes objets étaient révocables pour fraude aux créanciers ou résolubles pour inexécution des conditions.
2° Les trois actions sont, tout à la fois, réelles et personnelles, ou mixtes, si la convention rescindable, révocable ou résoluble, pour les causes connues, a eu pour objet une aliénation ou la constitution d'un droit réel quelconque, mobilier ou immobilier, et que le droit conféré appartienne encore au contractant ; celui-ci peut alors être poursuivi à deux titres, en deux qualités : comme débiteur d'une satisfaction, à raison d'un profit indûment obtenu ou comme possesseur d'une chose ou d'un droit qui ne lui appartient pas légitimement.
3° Les trois actions sont purement réelles, lorsque, s'agissant encore d'une aliénation ou constitution de droit réel, la chose ou le droit a passé aux mains d'un sous-acquéreur, et que l'action est de nature à atteindre les tiers, d'après les distinctions déjà faites : il est évident que, le tiers n'étant tenu par aucun lien d'obligation vis-à-vis du demandeur, mais seulement parce qu'il possède, l'action contre lui est purement réelle.
CHAPITRE IV.
DES OBLIGATIONS NATURELLES.
Cette matière est une de celles qui présentent le plus d'incertitude dans toutes les législations étrangères, à cause de l'insuffisance des textes et quelquefois même de leur absence totale.
Avant d'aborder les textes, il est nécessaire de rechercher :
1° Quelle est la nature des obligations dites "naturelles;"
2° Quels sont les cas dans lesquels la raison et l'équité commandent ou permettent de les reconnaître ;
3° Quels sont leurs effets ;
4° Quelles sont les causes de leur extinction.
§ I. DE LA NATURE DES OBLIGATIONS NATURELLES.
Il est clair d'abord que les obligations naturelles ne sont pas de simples devoirs de morale : elles sont des devoirs de droit, et si on leur donne une qualification propre, c'est pour dire qu'elles sont moins énergiques que les autres ; quand on dit qu'elles sont de droit naturel, ce n'est pas qu'elles ne soient nullement reconnues par le. droit positif : il les reconnaît, puisqu'il en est question dans la loi et qu'elle leur donne des effets; ce n'est pas à dire, non plus, en sens inverse, que les obligations dites “civiles ou de droit positif”soient de pure création de la loi positive et soient étrangères ou contraires au droit naturel : ce serait en faire une grave critique et elle serait d'ailleurs sans fondement, dans la plupart des cas ; car, sauf les délais imposés pour l'exercice des droits, lesquels ont toujours quelque chose d'arbitraire, et les formes des actes qui peuvent varier suivant les temps et lieux, il ne doit y avoir dans un Code civil aucune disposition qui ne puisse être suppléée d'après la raison et la justice naturelle, en l'absence de loi positive.
Ce que signifient ces expressions d'obligations civiles et d'obligations naturelles (et c'est ainsi que le Code les emploie), c'est que certaines obligations reçoivent de la loi positive toute la force coercitive possible, toute la sanction que la loi peut donner, tandis que d'autres ne reçoivent qu'une sanction imparfaite ; spécialement, elles ne sont pas garanties par une action ou par un droit de poursuite en justice : l'exécution en est laissée à la pleine volonté, à l'entière liberté du débiteur; on pourrait dire, et la loi le dira, qu'elle est laissée, à sa conscience.
On a toujours cherché une formule qui servît à définir brièvement l'obligation naturelle et, le plus souvent, on dit que c'est un lien d'équité, par opposition au lieu de droit civil qui est la définition usuelle de l'obligation civile ; mais cette formule a le tort grave d'établir entre le droit civil et l'équité une sorte d'opposition qu'il serait bien regrettable d'y rencontrer : elle a pu exister dans certaines parties du droit civil romain, surtout dans les temps primitifs ; mais, aujourd'hui, on ne pourrait soutenir que le droit civil ait, au moins volontairement et sciemment, des dispositions contraires à l'équité, ni même qu'il manque à lui prêter ses puissants moyens de coercition.
Ce qui, peut-être, a été dit de plus exact sur ce point, c'est que ce que l'on désigne ordinairement sous le nom d'obligations naturelles ce sont des obligations qui, au moment où elles paraissent prendre naissance ou, plus tard, lorsqu'elles ont été soumises à l'appréciation des tribunaux, sont suspectées ou réprouvées par la loi, comme ne remplissant pas les conditions de justice et de raison nécessaires non seulement pour former un lien de droit, mais même un lien d'équité : comme telles, elles sont, dès leur origine ou après le jugement, dénuées de tout effet ; si, plus tard encore, leur conformité à la raison et à la justice se révèle, accidentellement, pour ainsi dire, par l'exécution volontaire du débiteur ou au moins par sa reconnaissance volontaire, alors, elles commencent à être reconnues par la loi et désormais elles seront considérées comme civiles : la loi le dira, pour le cas de reconnaissance (v. art. 564); mais, quand c'est l'exécution même qui en a révélé l'existence, il ne peut être question d'action pour la demander : la principale sanction du droit leur manque comme inutile; la seule sanction que la loi ait à leur accorder désormais, c'est de maintenir le payement comme valablement fait, c'est d'en refuser la répétition.
Tel est le système qui va servir de base aux dispositions qui suivent, en remarquant bien que l'exécution volontaire ne sera pas le seul moyen de faire tomber la suspicion dont sont frappées ces obligations, à l'origine ou après jugement : on pourra, dans une certaine mesure et sous certaines conditions, en admettre la reconnaissance volontaire, expresse ou même lacite, et, par là, arriver à la sanction plus complète d'une action : mais c'est qu'alors la reconnaissance les aura déjà transformées en obligations civiles.
§ II. DES SOURCES DES OBLIGATIONS NATURELLES.
Voyons maintenant quels peuvent être les cas où une obligation dénuée de valeur légale, soit à l'origine, soit après avoir été annulée en justice, peut, après coup, l'acquérir ou la recouvrer, par l'exécution volontaire ou même par la reconnaissance formelle.
Pour mettre quelque méthode dans cette recherche, il convient de se reporter d'abord aux sources ou causes ordinaires des obligations : à savoir, aux conventions, aux enrichissements indûs, aux dommages injustes, et même aux dispositions de la loi positive qui, dans certains cas, impose directement des obligations aux personnes. Sur chacune de ces sources, on supposera qu'une obligation civile n'a pu en naître dans un cas donné ; mais on examinera s'il est permis d'admettre que, plus tard, un acte pleinement volontaire d'exécution, ou même de reconnaissance, puisse, rétroactivement, lui donner l'être; on verra aussi si l'obligation annulée en justice peut subsister comme obligation naturelle et même si une obligation naturelle peut survivre aux autres modes d'extinction d'une obligation civile; enfin, on recherchera s'il peut y avoir place à une obligation naturelle contrairement à certaines présomptions légales absolues de libération, commes celles résultant de la chose jugée ou de la prescription.
I. Consentions. On sait que pour que la convention produise une obligation civile, il faut : le consentement des parties, un objet déterminé et dont les parties aient la disposition, une cause vraie et licite, enfin, dans quelques cas, une certaine solennité de forme.
Supposons que l'une de ces quatre conditions ait manqué et voyons s'il serait permis de dire que l'obligation, nulle dans le principe, peut recevoir d'une exécution volontaire le caractère d'obligation naturelle.
Il ne faut pas, du reste, prétendre arriver à une solution identique pour tous les cas. On essayera ici de poser quelques principes dirigeants qui pourront aider à résoudre non seulement les questions ici soulevées, mais encore plusieurs autres qui suivront.
S'il y a eu défaut complet et reconnu de consentement, le contrat n'a aucune existence, il n'a pu en naître, aucune obligation et on ne saurait admettre que l'exécution volontaire lui donnât l'être, même comme obligation naturelle : la répétition de ce qui a été payé devrait être autorisée, comme de tout autre payement indû, ou, si le prétendu débiteur avait formellement renoncé à cette répétition, il devrait être considéré comme ayant fait une donation déguisée, si cette nature d'acte ne rencontrait pas quelque autre obstacle. Cette solution s'appliquerait sans difficulté, à la convention faite par un fou ou par un enfant en bas âge, lesquels l'auraient ensuite exécutée, par un faux point d'honneur, après le recouvrement de la raison ou après la majorité.
Si le défaut de consentement provient d'une erreur sur la nature de la convention, sur sa cause, sur l'identité do l'objet ou sur la qualité déterminante de la personne, la solution pourrait être différente ; on pourrait, d'après l'ensemble des circonstances, voir chez celui qui a exécuté volontairement cette convention, l'intention de prendre à sa charge les dommages résultant d'une erreur qu'il impute à sa négligence. Même solution, si le contrat est nul par défaut de détermination de l'objet dû : le débiteur, en donnant un objet déterminé et le créancier en l'acceptant, semblent réparer le dommage qu'ils se sont causé réciproquement par leur négligence.
Au contraire, si l'objet de la convention était illicite ou hors de la disposition des parties, l'ordre public s'oppose à ce que l'exécution volontaire soit valable : la répétition devrait être permise. Enfin, si la cause de la convention était fausse ou illicite, la solution ne serait pas la même dans les deux cas : au cas de fausse cause, comme il y a encore eu erreur, celui qui l'aurait commise pourrait, par une exécution volontaire, en supporter les dommages; au cas de cause illicite, la répétition de ce qui aurait été payé pourrait être autorisée, à moins qu'il n'y eût turpitude la part de celui qui aurait payé ; mais ce serait par une autre raison que celle d'une obligation naturelle (voy. art. 367, 2e al.).
Reste le cas d'inexistence de la convention par défaut de forme solennelle, quand cette forme est requise : l'exécution volontaire par le contractant ne permet pas de voir là une obligation naturelle, parce que la partie que la loi a voulu protéger par la solennité se trouverait privée de cette protection, aussi bien lors de l'exécution que lors de la convention ; ainsi, un donateur d'immeuble qui n'aurait pas suivi les formes prescrites pour cette donation et qui aurait ensuite livré la chose donnée pourrait la répéter ou la revendiquer. Ce qu'on peut décider et le Code le fera plus loin, c'est que l'héritier du donateur, en exécutant volontairement la donation, est considéré comme accomplissant une obligation naturelle dont il peut lui-mêmr se reconnaître tenu, par respect pour la volonté de son auteur clairement manifestée.
On a supposé jusqu'ici que la convention était entièrement nulle à l'origine et on a vu qu'elle pouvait laisser place, dans plusieurs cas, à une obligation naturelle. La question sera plus simple, si l'on suppose une convention seulement annulable, soit pour incapacité d'une partie, soit pour vice de consentement.
Une distinction est à faire tout d'abord : si l'on se place avant que le contractant ait demandé et obtenu la rescision de son acte, ce n'est pas d'une obligation naturelle qu'il est tenu, mais d'une obligation civile ; elle est annulable, il est vrai ; mais, tant qu'elle n'est pas annulée, par la justice ou par un commun accord, elle a le nom et le caractère d'obligation “civile;" est seulement après que l'obligation civile a été annulée qu'il reste la possibilité de retrouver une obligation naturelle (qui se révélera par l'exécution volontaire.
Une objection sérieuse se présente cependant : lorsqu'il y a eu jugement annulant l'obligation de l'incapable ou de celui dont le consentement a été vicié, il semble que la raison d'ordre public sur laquelle repose l'autorité de la chose jugée s'oppose à la persistance d'un lien quelconque, même de droit naturel, entre les parties. Mais l'objection n'est pas sans réponse. On examinera tout à l'heure, d'une manière plus générale, de la chose jugée, dans ses rapports avec les obligations naturelles ; nous dirons seulement ici que lorsque la loi permet aux incapables de faire annuler leurs engagements, pour le seul fait de leur condition d'âge ou de démence, elle leur donne ce droit par l'effet d'une présomption d'inaptitude à sauvegarder leurs intérêts ; de même, lorsqu'elle permet aux majeurs de faire annuler des conventions en justice, soit parce que leur consentement a été vicié par certaines erreurs ou par violence, soit parce qu'ils ont été victimes d'un dol de l'autre partie, c'est encore parce que ces faits, dont la vérification est à faire par le tribunal, paraissent à la loi motiver, commander, au nom de l'équité plus encore même que du droit civil proprement dit, l'affranchissement de l'obligation contractée. Mais la présomption sur laquelle sont fondés ces divers secours n'est pas tellement absolue que la partie seule intéressée à s'en prévaloir ne puisse y renoncer ; elle le pouvait, sans aucun doute, avant d'avoir agi en justice : il lui suffisait, pour cela, de laisser écouler le délai de la prescription de l'action ; elle pouvait aussi y renoncer expressément ou tacitement par une confirmation (voy. art. 554 et s.) il n'y a donc rien de contraire à la raison de l'admettre, même après qu'elle a invoqué en justice le secours de la loi, à y renoncer définitivement, par une exécution tardive mais volontaire.
II. Enrichissement indû. Ici, il y a moins de difficulté à trouver une obligation naturelle que dans les cas de convention. D'abord, le fondement de l'obligationt civile résultant de cette cause est l'équité pure : le droit positif n'y intervient que pour proclamer le principe que tout enrichissement indu ou obtenu sans cause légitime doit être restitué (art. 361). Ensuite, cette nature même de l'enrichissement et son étendue n'étant pas susceptibles d'être déterminées par la loi, d'avance et d'une manière absolue, est nécessairement laissée à l'appréciation des tribunaux. Il est donc naturel que la loi ratifie tout d'abord la restitution spontanée ou volontaire que ferait elle-même la partie enrichie ; sauf le droit de l'autre partie de lui demander davantage en justice, si cette restitution avait été incomplète.
Mais la difficulté apparaît, s'il y a en jugement, soit rejetant la demande en restitution, soit l'admettant pour une valeur déterminée. Deux questions se présentent alors : 1° Celui qui a été jugé n'être pas indûment enrichi, ou ne l'être que dans une certaine mesure, peut-il se reconnaître néanmoins tenu, en droit naturel, de restituer au-delà de ce qu'a fixé le jugement? 2° Celui qui a triomphé peut-il se reconnaître tenu naturellement à l'abandon de ce qui lui a été alloué en justice on à une contre-restitution de ce qu'il a reçu ?
L'affirmative, sur les deux questions, ne saurait faire doute. L'autorité de la chose jugée intéresse moins encore ici l'ordre public que dans les cas qui précèdent : le seul intérêt publie c'est que la question ne puisse être de nouveau débattue devant les tribunaux ; or, l'exécution volontaire a justement lieu sans intervention de la justice.
On pourrait aller plus loin encore. Supposons une donation faite en bonne forme et en conformité avec les règles de fond des conventions de cette nature ; plus tard, le donataire découvre que le donateur a agi sous l'influence de sentiments deshonnêtes à son égard on d'animosité mal fondée contre sa propre famille ; sa dignité dans le premier cas, son équité dans le second, lui commandent de restituer les choses reçues, ou leur équivalent, s'il les a aliénées ou autrement utilisées: il faut décider qu'il n'a pas fait une donation, à son tour, mais qu'il a rempli une obligation naturelle.
Enfin, le créancier qui aurait reçu des intérêts compensatoires ou moratoires, dans la limite du taux légal, pourrait les restituer volontairement, en tout ou en partie, sans être considéré comme donateur : il peut avoir des scrupules de conscience à conserver des intérêts à titre de compensation d'un prêt, ou d'indemnité du retard d'un payement, lorsqu'il sait qu'il n'aurait fait de son argent aucun emploi lucratif; il se considère alors comme indûment enrichi, ce qui est une cause d'obligation naturelle : celui qui n'a pas de cause de garder une valeur reçue a, par cela même, une causa de la rendre.
III. Dommage injuste. Les solutions et leurs motifs sont ici les mêmes qu'au cas d'enrichissement iudû. Avant que la justice ait statué sur la réparation, l'auteur du dommage peut bien, en quelque sorte, se condamner lui-même à une indemnité, sauf à. être contraint à la parfaire, si elle est insuffisante. Après le jugement, si l'auteur du dommage a été renvoyé de la demande ou légèrement condamné, il doit avoir la même faculté d'être plus sévère pour lui-même que ne l'a été la justice. Réciproquement, celui qui a obtenu l'indemnité peut ensuite reconnaître qu'il n'y a vait point droit, que la justice s'est trompée en sa faveur, peut-être même par son artifice, et on ne peut lui contester la faculté de se libérer d'une obligation naturelle qui pèse à sa conscience : il serait absurde de dire qu'il ferait alors une donation à son ancien adversaire.
IV. La loi, considérée comme source d'obligations ciriles, semble étrangère à notre sujet. Cependant, on peut se poser les mêmes questions que sur les sources précédentes d'obligations civiles : 1° Le débiteur peutil valablement se considérer comme tenu naturellement au delà de ce que la loi lui impose ? 2° Le créancier peut-il se croire naturellement obligé de restituer tout ou partie de ce que la loi lui accorde ?
Sur ces deux questions, la solution affirmative paraît la plus fondée. La première, surtout, demande quelques développements.
La loi nous oblige à nourrir et entretenir nos proches parents ou alliés.
Supposons que quelqu'un ait fourni des aliments et l'entretien, en nature ou en argent, à un parent légitime ou naturel se trouvent dans le besoin et envers lequel il n'avait pas d'obligation civile : il est certain qu'il ne serait pas admis à la répétition, en admettant d'ailleurs que le parent pauvre fût arrivé à meilleure fortune. Mais quelques personnes justifient le refus de répétition par l'idée qu'il y a eu donation, ce qui peut amener un résultat différent : d'abord, parce que les donations exigent une plus grande capacité de disposer que l'exécution d'une obligation naturelle; ensuite, parce que les donations sont sujettes à révocation pour des causes spéciales, ce qui n'a pas lieu pour l'acquittement d'un obligation naturelle.
Il paraît plus raisonnable de ne pas voir une donation dans cette prestation volontaire d'aliments. On pourrait peut-être dire, en ce sens, que celui qui a fourni ces aliments n'a pas enrichi effectivement le parent pauvre, pas plus qu'il n'a eu ce but ; qu'il n'a voulu que le préserver de la souffrance ; qu'il l'a peut-être même préservé de la mort qui pouvait résulter de la maladie et du dénûment; mais cette considération, vraie en elle-même, mènerait trop loin : elle empêcherait de considérer comme donation la prestation d'aliments à tout parent ou allié si éloigné qu'il fût, même à un étranger, ce qui n'est plus admissible. La véritable raison pour laquelle il n'y a pas donation dans la prestation d'aliments à de proches parents que la loi n'a pas autorisés à en réclamer, c'est que celui qui les a fournis a pu se considérer comme en étant tenu naturellement, au lieu et place d'un parent direct ou plus proche auquel il a sucédé et qui en aurait été tenu lui-même civilement, s'il avait vécu plus longtemps.
La seconde solution est aussi facile à justifier : le parent qui a reçu des aliments que la loi lui permettait d'exiger peut les restituer, tôt ou tard, comme se trouvant naturellement obligé à cette restitution.
Il y a d'abord le cas où il reconnaîtrait que c'est par sa faute qu'il s'est trouvé dans la nécessité de demander des aliments ; dans ce cas, il répare un dommage qu'il a causé à tort. Il y a aussi le cas où il n'a demandé et reçu les aliments que comme une avance, avec l'intention, même non exprimée, de les rembourser quand il le pourrait. Enfin, on pourrait supposer le cas où il estimerait que celui qui lui a fourni des aliments se trouve dans une position moins bonne que précédemment.
Chemin faisant, on a rencontré quelques cas d'obligations naturelles survivant à une cause légale d'extinction d'une obligation civile. Il convient maintenant d'examiner, d'une manière plus générale, si les autres causes d'extinction des obligations leur permettent ainsi une sorte de survie naturelle. Il n'y a pas de raison sérieuse d'en douter.
1° Le payement, qui est la cause la plus normale et la plus simple d'extinction des obligations civiles, libère le débiteur, mais seulement de ce qui aurait pu être exigé de lui ; or, il pouvait avoir, en équité, une obligation plus étendue que celle pour laquelle le créancier avait un titre régulier; c'est de cet excédant qu'il peut se reconnaître tenu naturellement.
2° Le même raisonnement peut s'appliquer à l'extinction par novation : le débiteur peut toujours reconnaître que la novation lui a été trop avantageuse et n'a pas équitablement remplacé l'ancienne dette.
3° Pour la remise de la dette, si elle a été gratuite, il est évident que le debiteur peut avoir les mêmes scrupules que pour toute autre libéralité, comme n l'a déjà établi ; si elle a été à titre onéreux, on raisonnera comme dans le cas d'un payement ou d'une novation.
4° La compensation qui n'est qu'un payement abrégé ne peut pas faire plus d'obstacle à la survie d'une obligation naturelle que le payement proprement dit.
5° La confusion, au contraire, ne peut laisser place à une obligation naturelle, car elle résulte de la réunion en une même personne des deux qualités de créancier et de débiteur de la même dette : or, on ne peut se devoir à soi-même, pas plus naturellement que civilement.
6° La perte de la chose due ou l'impossibilité d'exécuter peuvent laisser subsister une obligation naturelle, car le débiteur peut, étant pour lui-même plus sévère que la loi et que son créancier, s'imputer à faute l'impossibilité d'exécuter.
7° L'action en nullité ou rescision a été déjà reconnue comme pouvant laisser subsister une obligation naturelle.
8° Les actions en révocation et en résolution ont le même effet, pour des raisons analogues.
9° La prescription va nous occuper, sinon comme cause d'extinction directs des obligations civiles, au. moins comme présomption légale de libération.
Dans les divers cas qui viennent d'être examinés ou a eu soin de parler de la survie d'une obligation naturelle, c'est assez dire que ces cas n'en constituent pas des causes proprement dites : l'obligation qui subsiste a pour cause le fait qui a donne lieu à l'obligation civile primitive ; mais il n'y a pas moins d'utilité à la signaler, puisque son existence pourrait être méconnue.
La méthode qu'on vient d'adopter pour rechercher les causes des obligations naturelles semble la plus propre à n'en laisser échapper aucune ; aussi en a-t-on pu trouver ici un plus grand nombre que les jurisconsultes n'en présentent ordinairement. Cependant, il y en a deux autres qui sont généralement admises et qui ne sont pas entrées dans notre cadre.
On admet, et nous ne voulons pas y contredire, que celui qui a obtenu en justice un jugement favorable, par exemple, un jugement qui le déclare non débiteur ou débiteur seulement d'une certaine somme, peut valablement paver au délà de ce que lui impose le jugement et ne peut ensuite le répéter comme indû, étant considéré comme ayant acquitté une obligation naturelle.
On décide de même à l'égard de celui qui, ayant invoqué en justice le bénéfice de la prescription et ayant ainsi été déclaré libéré, paierait ensuite tout ou partie de son ancienne dette.
Ces deux solutions sont exactes et il ne faut que les expliquer. Elles sont d'ailleurs faciles à ramener à une seule, car, dans le second cas, c'est moins la prescription que l'autorité de la chose jugée qui semble faire obstacle à la persistance d'une obligation naturelle. Pour que la seconde hypothèse se distingue de l'autorité de la chose jugée, il faudrait supposer que le débiteur a invoqué la prescription par acte extrajudiciaire et a obtenu de son créancier, par la même voie, une reconnaissance qu'elle était accomplie à son profit. Dès lors, la difficulté se transporte sur un autre terrain , même sur un terrain plus large, et l'on revient à cette question générale déjà traitée : un débiteur peut-il encore être obligé naturellement quand il a la preuve régulière de sa libération en tant qu'obligé civilement ?
A cette question nous avons déjà répondu affirmativement ; ici nous supposerons le débiteur muni des trois meilleures preuves de libération : l'autorité de lu chose jugee, la prescription invoquée et admise, une quittance émanée du créancier.
1° Chose jugée. Assurément, le principe que "la chose jugée est présumée la vérité" est d'une grande autorité: c'est une des présomptions dites "absolues" ou invincibles, et le débiteur qui a obtenu un jugement favorable ne pourrait plus être inquiété, ni directement, ni indirectement, au sujet de la même dette; c'est à ce point de vue que la chose jugée est d'ordre public et qu'il serait inadmissible que la question jugée fût de nouveau agitée devant les tribunaux. Mais il est certain que les tribunaux peuvent se tromper dans le jugement des faits, surtout quand les parties ont cherché à les égarer, ou quand des preuves décisives n'ont pu leur être soumises en temps utile; aussi a-t-on admis la voie extraordinaire de la révision pour faire rétracter, dans certains cas, les jugements passés en force de chose jugée.
Ce n'est pas dans ces cas que nous avons à nous placer, évidemment : ce ne serait pas de la survie d'une obligation naturelle qu'il s'agirait, mais bien d'une obligation civile persistante.
Supposons donc qu'un débiteur, déclaré libéré par nu jugement contre lequel le créancier n'a aucune cause de requête civile, acquitte volontairement la dette qui no peut plus lui être demandée ; n'est-il pas permis de voir dans ce payement une reconnaissance, de sa part, que la justice a été induite en erreur par quelque circontance de fait dont il est le meilleur juge et dont, il ne veut pas profiter ? Les Romains, qui avaient les premiers appliqué avec un grand luxe de détails le principe de l'autorité de lachose jugée, reconnaissaient très-bien la survie d'une obligation naturelle au jugement qui déclarait un défendeur exempt de dette, et quand il avait ensuite payé volontairement, ils l'appelaient "un débiteur véritable".
2° Prescription. On a déjà eu occasion de dire plusieurs fois que la prescription est moins un mode direct de libération qu'une présomption légale de libération par un des modes ordinaires. Elle procure au débiteur un double avantage : en premier lieu, il lui suffit d'invoquer le bénéfice du temps, sans fournir d'autre preuve que celle du laps de temps écoulé depuis l'exigibilité de la dette ; en second lieu, la présomption est invincible ou absolue, plus encore que celle de la chose jugée, et le créancier n'a aucun moyen, ordinaire ou extraordinaire, de la démentir, de prouver qu'il n'y a pas eu extinction. Mais si le débiteur qui a invoqué et acquis le bénéfice de la prescription paye ensuite sa dette volontairement, il serait impossible de lui permettre la répétition de ce qu'il a payé et déraisonnable de dire qu'il a fait une donation à son ancien créancier : on se retrouve en face du “débiteur véritable” dont la il été question plus haut.
3° Quittance. Cette preuve de la libération fournie par le créancier lui-même, en forme authentique peut-être, ou privée, mais non contestée par lui, est une preuve aussi complète que les deux précédentes ; mais le débiteur, qui pourrait s'en prévaloir et repousser toute demande au sujet de la même dette, peut payer volontairement ce qu'il croit devoir encore, en conscience et en équité : il n'est pas présumé faire une donation, mais exécuter une obligation naturelle.
Dans les trois cas qui précèdent, comme dans ceux de toute autre preuve d'extinction d'obligation civile, il ne faut pas admettre qu'il y ait une cause ou source d'obligation naturelle autre que celles qui précèdent : elle découle toujours de l'une des trois causes énoncées plus haut : convention, enrichissement indû, dommage injuste ; seulement, la preuve civile qu'il y avait eu extinction est démentie par le fait, encore plus probant, d'un payement volontaire.
Une question assez délicate reste à examiner. Faut-il voir une dette naturelle dans la dette de jeu de hasard ou dans celle provenant d'un pari ? Les lois positives refusent au créancier toute action en justice pour le payement de pareilles dettes ; mais aussi elles refusent la répétition de ce qui a été payé à ce titre.
Presque tous les auteurs admettent qu'il y a là une obligation naturelle ; mais cette doctrine doit être énergiquement repoussée. Sans qu'il soit nécessaire de démontrer ici les funestes effets de la passion du jeu de hasard et des paris, ce qui n'est pas contesté et appartient surtout à la morale, sans s'attacher non plus à ses inconvénients économiques résultant de cc qu'elle détruit des capitaux, en favorisant des consommations improductives, il suffit de faire remarquer que ces dettes n'ont pas de cause légale ou qu'elles ont une cause illicite des deux côtés et déjà elles ont été déclarées milles comme telles. .Il est vrai que le payement de ces dettes n'est pas sujet à la répétition de l'indû, comme l'est en général, le payement fait sans cause ; mais lu raison en est dans l'immoralité même du fait qui ne doit pas permettre que le tribunal ait à constater une opération de jeu, soit en faveur du gagnant, soit en faveur du perdant : la situation est la même que dans le cas d'une promesse faite à une femme de mauvaise vie : elle n'aurait pas d'action pour le payement; mais celui qui a payé n'en a pas non plus pour la répétition. Il faut donc résolument repousser ici toute idée d'obligation naturelle et l'on verra au § suivant que la question a un véritable intérêt pratique.
§ III. DES EFFETS DES OBLIGATIONS NATURELLES.
Jusqu'ici on n'a parlé que d'un effet des obligations naturelles : la validité du payement volontaire fait par le debiteur, ou, sous une autre forme, l'inadmissibilité de la répétition de l'indû.
Au surplus, cette exécution volontaire d'une obligation naturelle ne produit pas le même effet que celle qui constitue la confirmation tacite d'une obligation civile annulable, telle qu'elle a été expliquée sous l'article 556; si l'on suppose une exécution seulement partielle, la différence sera bien frappante : dans le cas d'une obligation civile annulable, la confirmation a lieu pour toute l'obligation, les vices dont elle était entachée sont réparés par une volonté parfaite ; au contraire, l'obligation naturelle n'est révélée par le payement partiel que dans la mesure même de ce qui est payé : le débiteur demeure donc maître de payer ou non le reste ; cela dépend de sa future volonté.
Il ne faudrait pas croire que la refus de répétition du payement soit le seul effet que l'équité et la raison puissent attacher aux obligations naturelles et le Code en consacrera d'autres.
Chez les Romains, où les obligations naturelles étaient d'autant plus nombreuses que les obligations civiles étaient plus difficiles à admettre, les obligations naturelles avaient, la plupart au moins, un effet considérable : le créancier pouvait s'en faire un moyen de compensation, quand il était lui-même actionné en payement pour une obligation civile ; il arrivait ainsi à un payement forcé de l'obligation naturelle ; mais cet effet est absolument inadmissible aujourd'hui et personne ne le proposerait. Au contraire, plusieurs des autres effets admis autrefois à Rome peuvent l'être encore aujourd'hui : la condition essentielle c'est que ces effets dépendent d'un acte volontaire du débiteur ou d'un tiers qui agit pour lui.
Ainsi, il faut admettre qu'à défaut de payement volontaire, le débiteur puisse faire une reconnaissance formelle do sa dette naturelle, avec ou sans indication d'un terme fixe pour le payement. On ne voit pas pourquoi le débiteur qui n'a pas présentement les valeurs nécessaires pour accomplir ce qu'il considère comme une obligation de conscience et d'équité ne pourrait pas s'y obliger civilement par un acte en bonne forme.
Le Code consacre cet effet de l'obligation naturelle ainsi que ceux qui vont suivre.
On admet plus généralement que l'obligation naturelle puisse servir de base à une novation, c'est-à-dire, à un nouvel engagement, soit du débiteur naturel, soit d'un tiers, lequel engagement sera civil, s'il en remplit les conditions requises, et il aura pour cause l'extinction de l'obligation naturelle, de même que, dans les autres cas, la novation a pour cause l'extinction d'une dette civile antérieure. Déjà, la loi a admis cette base de la novation dans une obligation naturelle préexistante (voy. art. 494, 3e al.). Il n'y a pas lieu d'y insister davantage.
L'obligation naturelle peut-elle être l'objet du cautionnement d'un tiers ou de la dation d'une sûreté réelle par le débiteur ou par un tiers ? Le Code admet expressément l'affirmative dans un cas : celui de l'obligation annulable d'un mineur, et cela, non seulement dans le cas où la dette n'est pas encore annulée en justice, cas où la dette est encore civile, mais même après l'annulation prononcée en justice: le cautionnement donné avant l'annulation et en vue du cas où elle serait prononcée est évidemment destiné à lui survivre et à garantir l'obligation naturelle qui subsistera après que l'obligation civile aura cessé d'exister : or, on ne voit pas ce qui s'opposerait à ce que le même cautionnement pût être donné quand l'obligation civile est déjà détruite : cette volonté de la caution, qu'on suppose toujours agir en connaissance de cause, n'en est que plus évidente.
Ce qu'on dit ici du cautionnement d'une dette annulée doit se dire de même du cautionnement d'une dette ci vilement nulle à l'origine, au moins dans les cas exposés plus haut, où la nullité civile originaire n'est pas incompatible avec une obligation d'équité naturelle. Et généralement toute obligation naturelle peut être annulée.
Le cautionnement, dans les cas qui précèdent, donne lieu à une autre question : dès qu'on en admet la validité, on doit se demander si la caution qui aura payé le montant de l'obligation naturelle du débiteur principal (en vertu de sa propre obligation civile), aura un recours contre celui-ci.
Une distinction est nécessaire : si la caution s'est engagée sur un mandat du débiteur, comme cela arrive le plus souvent, dans le cautionnement ordinaire, elle aura contre lui l'action récursoire d'un mandataire ordinaire ; mais, si elle s'est engagée spontanément, sans mandat, comme gérant d'affaires, elle n'aura pas de recours, car, un gérant d'affaires n'a d'action en remboursement que pour ce qu'il a dépensé utilement, que pour les dépenses qu'il a épargnées au maître des affaires ; or, il n'est pas prouvé que le maître aurait fait un payement volontaire. Il y aura une autre différence entre le cautionnement fourni sur mandat du débiteur et le cautionnement spontané : dans le premier cas, le mandat donné par le débiteur pourra être considéré comme une reconnaissance volontaire de sa dette naturelle ; il n'en peut être de même dans le second cas.
La même solution devrait être donnée au sujet du payement fait par un tiers de l'obligation naturelle d'autrui.
Les solutions qui précèdent, avec les mêmes distinctions, doivent être appliquées, par identité de motifs, à la dation d'une sûreté réelle (d'un gage ou d'une hypothèque) pour une dette naturelle : si la sûreté a été fournie par un tiers, sur le mandat du débiteur, il y a reconnaissance de la dette, par ce seul fait du mandat, et recours du tiers, s'il a subi la poursuite ; si la sûreté a été fournie sans mandat du débiteur, le tiers qui a payé n'a pas de recours. Enfin, le débiteur, qui ne pourrait se cautionner lui-même, peut fournir, sur ses propres biens, une sûreté réelle pour sa dette naturelle ; seulement, dans ce cas, il ne sera tenu que sur les biens affectés au payement de sa dette naturelle et non sur tons ses autres biens : la reconnaissance volontaire contenue dans la constitution du gage on de l'hypothèque reste limitée à la valeur des biens affectés.
L'obligation naturelle, qui ne peut être l'objet de poursuites devant les tribunaux, pourrait-elle, de l'accord des parties, être soumise an jugement d'arbitres? Le Code admet aussi l'affirmative. Sans doute, le prétendu débiteur naturel qui consent à soumettre l'appréciation de sa dette à des arbitres, c'est-à-dire à des juges purement privés, n'a pas reconnu cette dette, mais il ne l'a pas non plus niée absolument ; car, s'il la niait tout-à-fait, l'arbitrage n'aurait pas de raison d'être, puisqu'il ne peut être inquiété à ce sujet ; on doit dire qu'il doute et qu'il reconnaît sa dette, sous la condition que les arbitres la reconnaîtront eux-mêmes. A la différence de l'arbitrage ordinaire, il est certain qu'ici la décision des arbitres ne sera pas susceptible d'annulation eu justice devant les tribunaux ordinaires: il ne pourrait v avoir recours que devant d'autres arbitres, du commun accord des parties.
C'est ici qu'il convient de signaler l'intérêt pratique que nous avons réservé, au sujet de la question de savoir si la dette de jeu ou de pari est une obligation naturelle. Nous avons soutenu, plus haut, qu'elle n'a pas ce caractère et que c'est par une toute autre considération que le payement volontaire n'en est pas sujet à répétition. Il faut remarquer maintenant, que, n'étant pas une obligation naturelle, elle n'est pas susceptible des autres effets de ce genre d'obligation. En conséquence, il no pourra en être fait de reconnaissance obligatoire, on n'en pourra pas faire la base d'une novation, elle ne sera susceptible, de cautionnement, ni de gage ou d'hypothèque, ni de compromis. On pourrait douter seulement pour le gage, pareequ'il consiste dans la tradition réelle d'un objet mobilier affecté volontairement au payement de la dette et on pourrait tirer un augment d'analogie de l'enjeu que les joueurs se donnent d'avance et sur lequel le payement s'effectue valablement. Mais l'analogie manque: l'enjeu est un payement anticipé et conditionnel et, comme tel, ne pourrait jamais donner lieu à une intervention du tribunal ; tandis que le gage, ne pouvant pas directement rester en payement au créancier et devant être l'objet d'une vente judiciaire, le scandale que la loi a voulu éviter se produirait, ce qui est inadmissible.
On n'a peut-être jamais examiné la question de savoir si les dettes naturelles peuvent être solidaires on indivisibles, à l'égard soit des créanciers, soit des débiteurs. La question ne peut raisonnablement se présenter que s'il y avait, à l'origine, solidarité ou indivisibilité d'une obligation civilement nulle, annulée ou autrement éteinte. Il faut encore supposer que c'est par une reconnaissance volontaire que l'obligation naturelle s'est révérée : car, si c'était par l'exécution volontaire d'un seul ou de plusieurs des débiteurs, il n'y aurait guère d'intérêt à la question, puisque la dette naturelle se trouverait elle-même éteinte par l'exécution qui l'aurait révélée : celui ou ceux qui auraient payé n'auraient pas de recours contre les autres, si ceux-ci n'avaient pas donné mandat de payer pour eux-mêmes. Cependant, s'il y avait plusieurs créanciers solidaires, l'exécution volontaire faite entre les mains de l'un d'eux donnerait déjà lieu à la question de savoir si celui-ci doit, en vertu de l'ancienne solidarité active, communiquer aux autres leur part de profit dans le payement, et l'affirmative paraît aussi juste que raisonnable ; à moins, toutefois. que le débiteur qui a payé n'ait formellement déclaré qu'il n'entendait payer que "la part" de ce créancier et que son payement ne fût, en effet, égal à cette part seulement.
Mais supposons une simple reconnaissance de la dette naturelle: si elle est faite par un seul dos débiteurs, sans mandat des autres, elle n'oblige que lui et elle l'oblige civilement; si elle est faite par tous ou par plusieurs, il est raisonnable do présumer qu'ils ont voulu faire renaître la dette avec le caractère de solidarité qu'elle avait précédemment.
S'il y a plusieurs créanciers solidaires originaires et reconnaissance par le débiteur unique envers un seul, le profit en sera communicable, ou non, aux autres créanciers, sous la distinction faite plus liant.
Les mêmes solutions peuvent, avec quelques précautions, être appliquées aux obligations indivisibles, activement ou passivement : il suffit de se reporter aux principes de cette matière.
§ IV. DE L'EXTINCTION DES OBLIGATIONS NATURELLES.
Puisqu'on a adopté ici un cadre analogue a celui ou l'on a placé les obligations civiles, il convient, pour compléter l'analogie, d'examiner, en peu de mots, comment s'éteignent les obligations naturelles.
I. Le payement volontaire ne les éteint, évidemment, que dans la mesure où il est effectué : il aura ainsi cet effet singulier qu'il les éteint au moment même où il les révèle. Il n'y a guère à revenir sur ce mode d'extinction qui a été constamment mis en jeu. On peut cependant supposer que le payement a été fait par un tiers, mandataire ou non, et alors peut-il être question pour lui de subrogation légale on conventionnelle ? La subrogation ne pourrait guère lui conférer des droits utiles du créancier, puisque celui-ci n'en avait pas qui pussent se faire valoir par action ou par exception. Cependant, il n'y a pas d'obstacle absolu à admettre la subrogation légale ou conventionnelle, suivant les cas: elle donnera, au moins, au subrogé les chances d'être payé qu'avait le créancier : notamment, si le débiteur rembourse un jour le subrogé, celui-ci n'aura pas reçu l'indû et sera à l'abri de la répétition ; il pourra aussi obtenir une reconnaissance de la dette, une novation, on une garantie réelle ou personnelle.
IL La novation est aussi un mode d'extinction des obligations naturelles : du moment qu'on a admis qu'une obligation naturelle petit servir de base à une novation, il en résulte que la nouvelle obligation civile ne naît que parce que l'ancienne obligation naturelle s'éteint au moins dans la même mesure.
III. La remise de la dette naturelle ne semble pas, au premier abord, pouvoir produire d'effet ; car, si le débiteur auquel la dette civile aurait été remise peut encore se reconnaître débiteur naturel, on comprendrait peut-être qu'il eût les mêmes scrupules, et tout aussi respectables, quand le créancier a déclaré lui remettre la dette naturelle; mais il faut décider, au contraire, que la dette naturelle est éteinte quand la remise, d'ailleurs conventionnelle, a porté sur cette dette même : le créancier a abandonné le droit extrême et en quelque sorte éventuel qui pouvait lui rester, et si l'ancien débiteur payait quelque chose à ce titre, il payerait certainement l'indû. et pourrait répéter.
IV. La compensation légale ne peut avoir lieu entre obligations naturelles ; plusieurs raisons s'y opposent : la plus simple est qu'elles ne sont pas exigibles. La compensation conventionnelle se comprendrait mieux ; mais elle ne produirait toujours qu'une extinction incertaine, car rien n empêcherait 1 un des débiteurs de ne pas se considérer comme complètement libéré et de payer encore tout ou partie de sa dette naturelle.
S'il y avait d'un côté une dette civile et de l'autre une dette naturelle, le débiteur de la dette civile ne pourrait certainement pas opposer la compensation de sa prétendue créance naturelle; d'abord, parce qu'elle n'est pas exigible, ensuite et surtout parce que, comme on l'a observé plus haut, ce serait tendre à un payement forcé, ce qui est impossible en cette matière. Mais l'inverse serait possible : le débiteur naturel pourrait admettre une compensation facultative de sa créance civile avec sa dette naturelle ; l'acte aurait le caractère d'une remise de la dette civile et ce serait une remise à titre onéreux, à laquelle on n'appliquerait pas les règles de fond des donations.
V. La confusion opère évidemment une extinction complète et absolue de la dette naturelle, puisque, comme on l'a déjà dit, on ne peut pas se devoir à soi-même, pas plus naturellement que civilement.
VI. Les obligations naturelles ne peuvent guère se concevoir comme ayant pour objet un corps certain dont la perte puisse libérer le débiteur ; mais on pourrait supposer une obligation naturelle de faire et que l'accomplissement du fait fût devenue impossible par une cause indépendante de la volonté du débiteur. Il est cependant difficile de dire que, dans ce cas, l'obligation naturelle serait éteinte : de même qu'après l'extinction de la dette civile, par cette cause, le débiteur peut se trouver encore tenu en conscience et en équité, de même, il peut persister à se considérer comme tenu d'un équivalent, au même titre, lorsque le fait qu il se proposait d'accomplir en vertu de sa dette naturelle est devenu impossible sans sa volonté.
VII. On ne peut concevoir l'action en nullité d'une obligation naturelle, puisque le débiteur n'est jamais contraint de l'exécuter: s'il ne se croit pas naturellement débiteur, il lui suffît de ne pas payer ou exécuter.
Il ne faudrait pas confondre cette situation avec celle d'un débiteur qui aurait reconnu sa dette naturelle par un acte en bonne forme, ou aurait fait novation pour l'éteindre : ici, il serait tenu civilement par la nouvelle convention et s'il l'avait contractée étant incapable ou avec un vice de consentement, il aurait certainement l'action en nullité ; mais cette action en nullité d'une dette civile, loin d'éteindre la dette naturelle qui n'est pas en jeu, pourrait au contraire, lui donner occasion de naître ou de subsister.
VIII. Les mêmes observations s'appliquent aux actions en révocation et en résolution : elles ne peuvent être dirigées contre des obligations naturelles qui ne sont jamais exigibles comme telles; mais elles seraient recevables contre des conventions portant novation on reconnaissance civile de la dette naturelle.
IX. La prescription n'éteint évidemment pas les dettes naturelles : si le débiteur tenu civilement à l'origine peut se considérer comme encore tenu naturellement après la prescription accomplie, invoquée par lui et admise en justice, c'est que le laps de temps est sans ancune influence sur les obligations fondées sur l'équité.
Une dernière observation reste à faire sur toute cette matière.
Quelque soin que prenne la loi de déterminer les causes des obligations naturelles et leur persistance après des événements qui sembleraient les éteindre, il est nécessaire qu'elle laisse, à cet égard, un large pouvoir d'appréciation aux tribunaux. Ils ne pourront pas, il est vrai, reconnaître à ces obligations plus ou moins d'effets que la loi ne leur en accorde. ; mais, eux seuls pourront, dans chaque cas particulier, prononcer avec certitude sur 1 existence de l'obligation naturelle : il y a là, surtout, une question d'intention, d'honnêteté, de délicatesse, à apprécier chez le prétendu débiteur ; il faudra aussi veiller à ce que, sous le fallacieux prétexte d'exécuter une obligation naturelle, il ne déguise pas une donation au profit d'une personne à laquelle la loi ne lui permettrait pas de donner ou ne le lui permettrait que dans certaines limites.
Le contrôle de la cour de cassation sera donc plus restreint en cette matière que dans les autres, puisque la difficulté du procès sera, le plus souvent, une question d'intention, laquelle est une question de fait sur laquelle les cours d'appel sont souveraines. Mais la cassation serait encourue, si les tribunaux avaient attribué à l'obligation naturelle plus d'effet qu'elle n'en comporte légalement: par exemple, s'ils avaient autorisé une action ou une compensation pour la faire valoir malgré le débiteur, ou lui avaient accordé trop peu d'effet, soit en permettant la répétition de tout ou partie de ce qui aurait été volontairement payé, soit en n'admettant pas la reconnaissance volontaire de la dette, la novation, le cautionnement, tous effets admis et reconnus par la loi Il y aurait encore lieu à cassation, si les tribunaux avaient reconnu l'existence d'une obligation naturelle, quand la loi où la nature des choses s'y refusent ou, en sens inverse, en avaient nié la possibilité dans un cas où, ni la loi, ni la nature des choses, ne s'opposent à son existence.
Il reste maintenant à présenter les articles du Projet qui vont déterminer les causes, les effets et l'extinction des obligations naturelles.
Après ce long Exposé, il y aura peu de choses à ajouter sur chaque article.
On trouve dans ces onze articles la plupart des propositions émises et justifiées plus haut. Cependant, il n'est rien dit ici de l'extinction des obligations naturelles, puisqu'on a reconnu que leur extinction complète n'est presque jamais certaine. On a dû ausst faire une interversion dans la méthode et placer ici les effets des obligations naturelles avant leurs causes, parce que leurs effets sont la meilleure preuve de leur nature qu'il fallait faire connaître d'abord, tout en évitant la forme dogmatique q ii ne convient guère à la Loi, même en cette matière, bien qu'elle soit, de tontes, la plus métaphysique.
Art. 562. Le caractère distinctif de l'obligation naturelle est indiqué tout d'abord, c'est la négation du droit de poursuite chez le créancier : il n'a pas d'action à exercer en justice; d'ailleurs, s'il avait le droit d'action, on ne donnerait pas à ces obligations un nom particulier: elle rentreraient dans les obligations civiles ordinaires. Le créancier n'a même pas le droit d'opposer en justice une exception de compensation entre une obligation civile dont il serait tenu et l'obligation naturelle dont il prétendrait que le demandeur est tenu envers lui : tout ce qui tendrait à une exécution forcée de l'obligation naturelle lui est refusé.
Cette situation qui paraît bizarre, au premier abord, d'un droit qui ne peut se faire valoir, devient toute simple, si l'on admet l'idée, exposée plus haut, que l'obligation naturelle est présumée ne pas plus exister en équité qu'en droit positif, tant que le débiteur ne l'a pas volontairement exécutée ou reconnu. Or, quand l'obligation naturelle a été exécutée, elle est éteinte dans la mesure même ou son existence a été ainsi tacitement reconnue ; quand elle a été expressément reconnue, elle devient civile dans la même mesure, avec droit d'action et d'exception pour le créancier.
Mais, dira-t-on, du moment que la loi a des dispositions sur les obligations naturelles, c'est, sans doute, pour les placer sous la sauvegarde des tribunaux; quand donc, dès lors, les tribunaux seront-ils appelés à constater l'existence d'une obligation naturelle et à apprécier son étendue comme telle ? La réponse est facile : ce sera quand le payement volontaire ou la reconnaissance même seront l'objet d'une contestation : quand, par exemple, le débiteur prétendra avoir indûment payé ou reconnu une obligation sans cause. La loi, dans l'article suivant, va lui refuser la répétition ; plus loin, elle admettra que l'obligation naturelle peut être reconnue, novée, garantie : c'est alors que le pouvoir des tribunaux s'exercera en cette matière.
Après avoir refusé au créancier toute voie d'exécution forcée, ce qui n'est qu'un effet négatif de l'obligation naturelle, la loi achève de la caractériser par un effet positif qui est la faculté pour le débiteur de l'accomplir : la loi n'ajoute pas encore la faculté déjà annoncée, de la reconnaître, de la nover, de la garantir parce qu'il n'est pas nécessaire d'énoncer tous les caractères, tous les effets d'une institution, pour l'introduire. Mais ce que la loi ne devait pas négliger, c'était de faire appel “à la conscience du débiteur” en même temps que la loi invite le débiteur à suivre ce excellent guide de sa volonté et de sa liberté, elle indique aussi aux tribunaux que c'est de la raison et de l'équité qu'il devront s'inspirer pour reconnaître si le débiteur a pu et dû se croire naturellement obligé.
Art. 563. Le refus de la répétition de l'indû, s'il v a eu payement volontaire d'une dette naturelle, est la consécration légale la plus saillante de son existence ; c'est l'effet sur lequel on a déjà le plus insisté.
Le 2e alinéa tranche une question importante et le fait en faveur du créancier. Si le débiteur était dans une situation dangereuse qui réclamât une protection spéciale, la loi devrait exiger une déclaration expresse qu'il entend exécuter une obligation naturelle ; mais sa situation est la meilleure qui se puisse imaginer : il peut ne payer que s'il veut et quand il veut. Mais il y a une condition nécessaire pour la validité de son payement, c'est qu'il ait eu l'intention d'éteindre une obligation naturelle ; or, pour en avoir l'intention, il fallait d'abord qu'il en eût connaissance, et pour qu'il en eût connaissance, il fallait qu'elle existât.
De là, trois questions de preuves à résoudre : La dette naturelle existait-elle ? Le débiteur la connaissait-il ? A-t-il eu l'intention de l'acquitter ? La première est une question de droit, qui trouvera sa solution dans les articles 565 à 570, les deux autres sont des questions de fait qui se résoudront d'après les circonstances.
Mais la véritable difficulté à résoudre est celle-ci: A qui incombera la charge de ces trois preuves ? Sera-ce à celui qui a paye, et qui prétend répéter, de prouver qu'il ne devait rien, même naturellement, ou, s'il avait une obligation naturelle, qu'il l'ignorait, ou, si ne l'ignorait pas, qu'il n'arait pas l'intention d'acquitter cette dette ?
Bien qu'on ait réservé la théorie générale des Preuves pour un Livre spécial, on a déjà dû, chemin faisant, pour compléter certaines théories et n'avoir pas à y revenir, résoudre quelques difficultés de preuves, dans des cas particuliers. On doit faire de même ici.
En principe, la preuve est à la charge du demandeur et, s'il ne parvient pas à donner an juge la conviction, il succombe. Il n'y a pas de motif de déroger ici à la règle ordinaire qui est fondée sur la raison autant que sur l'équité; il est d'ailleurs à présumer, en fait, que celui qui a payé entendait se libérer d'une dette, et celui qui a fait une prestation à titre de payement est présumé avoir été vraiment débiteur.
La seule objection qu'on pourrait faire ici à l'application du principe, et qui s'est déjà rencontrée, c'est que le demandeur aura à prouver des négations, ce qui est toujours très-difficile. Mais, par cela même que cette preuve est difficile à faire, les juges ont un plus grand pouvoir d'appréciation des circonstances : comme le demandeur en répétition n'a pu se procurer d'avance une preuve écrite des négations qu'il a à prouver, les simples présomptions de fait sont admissibles ; si le defendeur à la répétition, celui qui a reçu le payement, ne fait pas d'efforts de son côté pour établir l'existence de la dette naturelle, la connaissance qu'en avait le débiteur, enfin, son intention de l'acquitter, il courra grand risque de voir accueillir les preuves négatives du demandeur et d'être condamné à la restitution de l'indû.
Art. 564. Il pourrait arriver qu'un débiteur, se sachant tenu en équité et avant l'intention de se libérer de son obligation naturelle, n'en eût pas présentement les moyens ; or, il serait fâcheux pour le créancier que cette obligation ne put être utilement reconnue par un acte exprès et formel : le Code tranche affirmativement cette question qui pourrait faire doute Dans ce cas, il arrivera presque toujours que le débiteur indiquera la cause naturelle de la dette qu'il reconnaît, puisque son intention est de se lier civilement, en attendant qu'il puisse payer. Si son acte de reconnaissance ne portait pas l'énoncé de la cause, on en présumerait encore une légale, conformément à l'article 826.
La novation ne forme une obligation qu'en en éteignant une autre ; mais celle-ci peut avoir été moins énergique que ne le sera la nouvelle. Déjà 1 article 494 a admis que la première dette dont l'extinction sert de cause à la création de la nouvelle dette pouvait n'avoir été que naturelle : le texte ne fait ici que généraliser davantage cette idée.
Le 2e alinéa exprime une idée fort importante à remarquer, c'est que la reconnaissance de la dette naturelle, la novation ou la garantie dont elle et l'objet, la transforment et la rendent civile ; mais bien entendu, cette augmentation de ses effets n'a lieu que dans la mesure de ce qui a été fait ou déclaré. C'est là une grande différence, signalée brièvement plus haut, avec la confirmation des obligations civiles annulables. Une reconnaissance de dette civile annulable, sans indication de limites ou de réserves partielles, la confirmerait pour le tout : ici, la dette naturelle ne sera transformée que dans la mesure formellement énoncée ; de même, le cautionnement ou la garantie réelle d'une dette civile annulable la confirmerait pour le tout, sans qu'il soit besoin de l'exprimer ; tandis que la garantie personnelle ou réelle d'une dette naturelle ne lui donne de force civile que dans la mesure portée au cautionnement ou jusqu'à concurrence de la valeur donnée en gage ou en hypothèque : la raison de ces différences est que la dette civile Annulable a une étendue déterminée à l'origine, tandis que l'étendue de la dette naturelle n'est jamais connue que par la manifestation de la volonté du débiteur, par une reconnaissance on au moyen d'un payement.
Art. 565. Cet article et les suivants, jusqu'à l'article 570, sont relatifs, non plus aux effets des obligations naturelles, mais à leurs causes. Cette partie de la théorie ayant été le plus développée plus haut demandera ici moins d'explication que la précédente.
Le 1er alinéa suppose trois cas où le contrat ne s'est pas formé et n'a pas créé d'obligation civile ; mais l'obstacle à la naissance d'une telle obligation, dans les cas spécialement prévus, est plutôt tiré de la raison civile que de la raison naturelle et cette dernière doit l'emporter, dès que le débiteur trouve plus juste de ne pas se prévaloir des secours que lui donne la loi, par exemple, de la nullité pour défaut de formes solennelles.
Le seul cas où la loi s'oppose à la reconnaissance par le débiteur d'une obligation naturelle, à défaut de création d'une obligation civile, par défaut de formes, est celui d'une donation entre-vifs (2e al ).
Si l'on suppose une donation faite sans observation des formes requises et qu'il soit permis au donateur de se considérer comme obligé naturellement à l'exécution de sa promesse, il se trouvera à ce sujet, exposé aux dangers de captation que la loi a voulu éviter par l'institution de ces formes, il mettra même un faux point d'honneur à exécuter la donation, ne fût-ce que pour prouver qu'il n'avait en aucune faiblesse, qu'il n'avait cédé à aucune influence captieuse.
Mais, les mêmes raisons ne se rencontrent pour empêcher l'exécution ou la reconnaissance de la donation par les successeurs généraux du donateur : les mêmes influences ne s'agiteront pas autour d'eux, ils seront mus par le respect de le volonté de leur auteur et non par un faux point d'honneur.
La loi, dans le 3e alinéa, met sur le même ligne que la donation nulle en la forme le testament qui serait nul pour la même cause.
Le testament est soumis à quelques formes protectrices qui en garantiront la liberté et la sincérité, et quand ces formes n'auront pas été observées, la même question se présentera, c'est-à-dire celle de savoir s'il y a, pour les successeurs, une obligation naturelle d'exécuter la volonté de son auteur. Du testateur lui-même, il ne peut être question, puisque le testament ne produit d'effet qu'à sa mort ; pour l'héritier, la loi décide comme pour celui d'un donateur entre-vifs : il peut se reconnaître naturellement tenu.
Il n'y aura pas à y revenir à la matière des testaments.
Art. 566. Ici, la raison civile et la raison naturelle se rencontrent pour empêcher la formation d'une obligation naturelle, lorsqu'une obligation civile ne peut naître : là où il n'y a pas de cause, il ne peut y avoir d'effet ; la dette la plus simple qu'on puisse dire sans cause est la dette de jeu ou la dette attachée à un pari : on a établi plus haut que c'est pour sa cause illicite, que cette dette n'existe pas aux yeux de la loi, et, ni la raison naturelle, ni l'équité, ne permettent d'y voir le principe d'une obligation naturelle. Le refus de répétition de ce qui a été payé en vertu de pareilles dettes s'explique aisément : il y a cause honteuse aussi bien dans l'action en répétition que dans l'action en payement.
La solution est absolument la même dans le cas de tonte autre cause illicite.
Si l'obstacle à la formation de l'obligation civile est dans une raison d'ordre public, il est assez fort pour empêcher également la formation d'une obligation naturelle : celui qui aurait promis des intérêts supérieurs au taux légal pour des sommes prêtées, ne pourrait s'en reconnaître tenu même naturellement et, s'il les avait payées, il pourrait les répéter ; il n'y aurait pas dans ce cas de cause honteuse s'opposant à la répétition : l'ordre public demande que le débiteur soit protégé, même cou tre la délicatesse qui le porterait à payer les intérêts qu'il a promis.
Art. 567. La nullité de la promesse du fait d'autrui est fondée sur l'idée que l'objet de la convention n'est pas à la disposition du promettant, qu'il est pour lui un fait impossible; la nullité de la stipulation en faveur d'autrui (en faveur d'un autre que le stipulant) se rattache au défaut d'intérêt pour le stipulant, par conséquent, au défaut de cause (voy. art. 322, 2e al. et 323, 2e al.). Mais ces deux nullités sont de celles que l'on peut considérer comme fondée surtout sur la raison civile : la raison, naturelle ne s'oppose pas absolument à ce que de pareilles conventions produisent quelque effet ; 1 intention y joue un si grand rôle que souvent la prohibition cesse de s'appliquer, si les parties ont pris quelques précautions à cet effet. Il est donc facile de comprendre qu'en l'absence de ces précautions qui auraient laissé se former une obligation civile, le débiteur qui a promis le fait d'autrui ou son propre fait en faveur d'autrui puisse toujours se reconnaître tenu naturellement soit du fait même, soit d'une indemnité pour l'inexécution par le tiers ou en faveur du tiers.
Art. 568. Les articles précédents ont recherché les éléments d'une obligation naturelle dans la première cause des obligations civiles, dans les conventions; le présent article les recherche dans les trois autres causes : l'enrichissement indû, le dommage causé injustement et la loi Pour les deux premières causes, il est très-facile de comprendre que lorsqu'elles cessent d'avoir assez de précision et d'évidence extérieure pour être invoquées en justice contre le débiteur, celui-ci puisse encore se considérer comme tenu en équité et payer ou reconnaître une dette naturelle. On en a donné des exemples plus haut.
Le cas des obligations civiles nées de la loi est moins simple ; mais on s'y est étendu davantage, notamment au sujet de la dette alimentaire entre parents.
Remarquons encore, sur ces trois causes, qu'a l'inverse du cas où le débiteur est plus sévère pour lui-même que ne l'est la loi, le créancier peut aussi avoir scrupule de conserver ce qu'il a valablement reçu d'après la loi civile, et les restitutions qu'il pourra faire à ce titre n'auront ni le caractère de donation ni celui de payement indû.
Art. 569. Après l'examen des causes qui font naître les obligations naturelles là où elles sont impuissantes à faire naître une obligation civile, la loi passe aux cas où les obligations naturelles survivent à une obligation civile légalement éteinte On a parcouru plus haut toutes les causes légales d'extinction des obligations civiles et on a vu qu'il n'y a guère que la confusion dont on puisse dire qu'elle mette un obstacle à la persistance d'une obligation naturelle. Le présent article résume en deux alinéas ce qui a été dit à ce sujet : le premier, pour trois actions qui se rencontrent souvent ensemble dans la loi, à cause de leurs analogies, les actions en rescision, en révocation et en résolution ; le second, pour les autres modes d'extinction.
Art. 570. Ici, il y a moins eu cause spéciale d'extinction que preuve ou présomption légale d'une extinction par l'un des modes légaux : la prescription est une présomption de libération par payement, fondée sur le laps de temps et sur les autres circonstances qui en sont les conditions légales; l'autorité de la chose jugée est une présomption de vérité de ce qui a été reconnu et déclaré par la justice, fondée sur les lumières et l'intégrité des magistrats. Ces deux présomptions sont établies dans un intérêt public de premier ordre. Cependant, il n'est pas si puissant que ceux-là même en faveur desquels la présomption est établie ne puissent être admis à y renoncer, puisque cette renonciation ne sera pas une occasion de remettre en question ce qui est décidé.
Assurément, quelque soin que mettent les tribunaux à examiner les procès, ils ne sont pas à l'abri des erreurs humaines, d'autant moins qu'ils sont exposés à être égarés par les plaideurs, par les artifices des uns et par l'impéritie des autres; il peut donc arriver que celui qui a gagné son procès, en demandant ou en défendant ait plus tard des remords ou des scrupules et préfère soulager sa conscience, en restituant ce que le procès lui a fait obtenir ou l'a dispensé de payer. Comment hésiterait-on a voir là un cas d'obligation naturelle et à la sanctionner par un refus de répétition, s'il a payé volontairement et, même par une action civile tendant au payement, s'il a fait une reconnaissance ?
Les mêmes considérations s'appliquent au cas d'un débiteur qui a invoqué la prescription et l'a fait admettre. Si la prescription est la sauvegarde des débiteurs qui ont payé leur dette et perdu la preuve de leur payement, elle peut aussi, en fait, servir d'abri à ceux que le créancier a négligé de poursuivre ; dès lors, si, plus tard, cette libération mal acquise trouble leur conscience, pourquoi ne pas les admettre, de même, à payer leur dette ou à s'en reconnaître civilement tenus pour un terme ultérieur ?
Ces deux cas d'obligations naturelles sont peut-être, de tous, les moins contestés.
La loi a mis ici sur la même ligne les deux prescriptions : il a paru bon de faire remarquer que la prescription, comme la chose jugée, peut procurer des avantages illégitimes, dans l'ordre des droits réels, comme dans l'ordre des droits personnels ; celui qui aura, en invoquant la prescription acquisitive conservé un bien qu'il n'avait pas légitimement acquis, pourra se reconnaître naturellement débiteur, tout aussi bien que celui qui se sera par prescription, libéré d'une dette civile.
Le dernier cas d'obligation naturelle admis par notre article est celui où la partie intéressée répudierait une autre preuve civile d'acquisition ou de libération, en restituant ce que la loi lui permettrait de conserver, ou en se reconnaissant débitrice là où la loi ou l'autre partie la considère comme libérée.
Mais, comme on l'a fait remarquer plus haut, il n'y a pas là de cause nouvelle d'obligation naturelle ; ce sera toujours l'une de celles qu'on a déjà énoncées : précédemment, on avait pris les hypothèses dans le fond même du droit ; ici, on les prend dans les preuves du droit ou de la libération. Ainsi, un créancier a reçu une somme d'argent, en vertu d'un titre régulier de prêt ou de vente : il ne peut être tenu d'en restituer aucune partie ; mais il peut en faire une restitution volontaire totale ou partielle. Réciproquement, le débiteur qui, après le payement intégral de sa dette civile, telle qu'elle est portée à l'acte, ne pourrait être tenu de payer davantage, peut encore se croire tenu d'une dette naturelle complémentaire et la payer ou la reconnaître civilement.
Art. 571. Le Code tranche, au sujet de la cession de créance, une question fort délicate. Elle est peut-être plus théorique que pratique, ce qui explique qu'elle ne paraisse pas avoir encore été soulevée ; mais elle a ici sa place nécessaire.
Du moment qu'on reconnaît que l'obligation naturelle diffère de l'obligation purement morale en ce qu'elle a pour corrélatif un droit d'autrui ; du moment que, là où il y a un débiteur, il y a un créancier, il faut admettre qu'en regard de la dette naturelle il y a une créance naturelle. Le créancier, il est vrai, n'a pas d'action à exercer en justice ; mais, rien ne l'empêche de solliciter son débiteur, de l'éclairer, de faire appel “à sa raison et conseiense” (v. art. 562) ; il peut donc ainsi obtenir des biens et surtout conserver ceux qui lui ont été volontairement livrés ; dès lors, cette créance semble faire partie de son patrimoine, comme les créances civiles, tout en gardant son caractère plus précaire, et elle paraît pouvoir être cédée, à titre gratuit ou onéreux, avec les effets d'une cession civile ordinaire.
Sans doute, une pareille cession serait rare : comme donation, elle semblerait presque dérisoire, le donateur ne faisant qu'un sacrifice à peu près nominal et ne conférant qu'un droit, pour ainsi dire, théorique ; comme vente, on trouverait d'autant moins d'acquéreurs qu'il est à croire que le debiteur aura moins de scrupules à négliger de s'acquitter envers un inconnu qu envers son créancier originaire. Mais, pour que la question ait quelque intérêt partique, on pourrait supposer le cas où le créancier voudrait céder son droit à un tiers envers lequel, justement, le débiteur naturel aurait des sentiments d'affection ou de respect qu'il n'aurait pas envers son créancier et se trouverait ainsi porté davantage à une exécution volontaire.
A la question ainsi posée et ramenée aux vraisemblances, la loi répond par une négation : la cession n'est pas permise, comme cession civile, sauf un cas formellement excepté. Elle pourrait seulement devenir la cause d'une nouvelle dette naturelle.
Il faut justifier la prohibition et l'exception.
Si l'on se reporte à ce qui a été dit de la nature de l'obligation naturelle, on doit admettre, que jusqu'à l'exécution volontaire, jusqu'à la reconnaissance ou à ce qui en tient lieu (novation, garantie), la dette naturelle n'est pas connue, n'a pas d'existence, méme naturelle, aux yeux de la loi ; ce n'est pas une dette éventuelle ou conditionnelle, car une condition aussi complètement potestative de la part du débiteur est exclusive de tout droit du côté du créancier.
La cession de la prétendue créance naturelle est défendue parce qu'il n'y a pas encore créance aux yeux de la loi. Et cette solution n'est pas contraire à ce qu'on vient de rappeler que, là où il y a dette naturelle, il y a droit d'autrui : quand la dette naturelle sera exécutée ou reconnue, elle se trouvera correspondre et avoir toujours correspondu à un droit d'autrui ; mais, jusque là, la présomption est qu'il n'y a ni dette ni créance naturelle ; il n'y a donc rien de cessible, ni avant l'exécution, parce que la dette naturelle n'est pas encore légalement connue, ni après l'exécution, parce que la dette est éteinte. Si, an lieu de payement, il y a eu reconnaissance du débiteur, novation ou garantie, alors la cession est possible, mais c'est parce que la créance est devenue civile.
Si quelques personnes étaient portées, malgré ces considérations, à admettre que la créance naturelle existe avant le payement ou la reconnaissance, nous dirions encore que la cession est imposssble, parce qu'elle n'aurait pas un objet suffisamment certain : elle ne remplirait pas la condition essentielle de toute convention civile (voy. art. 304- 2°).
Mais on a remarqué que, dans le texte et dans l'exposé, il n'est question que d'une cession civi le, c'est-à-dire qui mettrait légalement le cessionnaire au lieu et place du cédant, pour recevoir le payement volontaire ou la reconnaissance. C'est cette cession que la loi défend ou, au moins, qu'elle refuse de sanctionner : si donc une pareille cession avait eu lieu, le cédant resterait en droit de recevoir le payement volontaire du débiteur et de bénéficier d'une reconnaissance.
Mais rien n'empêcherait que cette cession produisît elle-même une obligation naturelle du cédant, et qu'a-près avoir reçu du débiteur-cédé un payement volontaire ou une reconnaissance, il en transmît, volontairement, à son tour, le profit an cessionnaire. C'est une application nouvelle et intéressante du principe, posé plus haut, qu'une convention civilement nulle, faute d'un objet suffisamment certain, peut produire une obligation naturelle qui se révélera par l'un des faits si souvent répétés : payement volontaire, reconnaissance, novation, garantie.
Le texte de l'article 571 apporte une exception notable a la prohibition de faire la cession civile d'une créance naturelle: c'est celui où, un failli ayant obtenu un concordat, ses créanciers lui ont fait remise d'une partie de leur créance, pour l'aider à se relever.
Les créanciers, dans ce cas, conservent une créance naturelle, puisque le débiteur ne peut être réhabilité sans avoir remboursé intégralement toutes ses dettes, en capital et intérêts, y compris la portion dont le concordat lui a fait remise.
Cette dette naturelle a, évidemment, un caractère exceptionnel : elle est reconnue par la loi, avant même d'être acpuittée ; son chiffre, est connu à l'avance et tontes les objections faites précédemment à la cession d'une créance naturelle manquent ici d'application. La cession faite par le créancier sera donc civilement efficace : le cessionnaire sera seul admis à recevoir le payement volontaire que fera le débiteur pour obtenir la réhabilitation.
Art. 572. On n'a pas encore eu occasion de parler de l'arbitrage, sauf ce qui en a été dit plut haut, au point de vue qui va nous occuper. La plupart des législations, toutes peut-être, admettent que les particuliers peuvent soumettre le jugement de leurs différents à d'autres particuliers de leur choix, au lieu de s'adresser aux tribunaux, soit pour éviter des frais et des lenteurs, soit pour toute autre motifs dont on n'a pas à leur demander compte. La convention par laquelle les parties s'engagent ainsi l'une envers l'autre à se soumettre à l'arbitrage de tiers peut parter sur toute espèce de contestation, mais à la condition qu'il s'agisse de cas où les parties peuvent transiger. On ne peut donc soumettre à des arbitres les questions concernant les incapables, les questions d'état civil et, généralement, celles qni intéressent 1 ordre publie.
Dans la matière des obligations naturelles, le recours aux arbitres pourra avoir lieu dans deux cas différents dont l'un est semblable aux cas ordinaires d'arbitrage et dont l'autre est tout-à-fait spécial à cette nature d'obligation, ce qui motive la présente disposition du Code.
1° Un pavement a eu lieu, le débiteur prétend le répéter comme indû, ou bien, il y a eu reconnaissance, novation ou garantie d'une dette, et le débiteur, actionné civilement, prétend que son obligation n'a pas de cause, même dans une obligation naturelle; dans l'un et l'autre cas, il peut aussi, tout en admettant la possibilité de l'existence d'une obligation naturelle, soutenir, ou qu'il l'ignorait on que son acte de payement ou de reconnaissance n'a pas été volontaire. Ici, les questions soumises aux arbitres sont tout-à-fait celles qui auraient pu être soumises aux tribunaux ordinaires, tant pour les faits que pour le droit : la circonstance qu'il s'y agit d'obligation naturelle ne modifiera pas, n'augmentera ni ne diminuera le pouvoir ordinaire des arbitres, tel qu'il aura pu être déterminé par le compromis, ou tel qu'il est réglé par le Code de procédure.
2° Il n'y a encore eu aucun des actes supposés plus haut ; mais le créancier a suggéré au débiteur l'idée qu'il pouvait bien être tenu naturellement envers lui ; celui-ci n'a pas nié que ce fût possible, mais il ne l'a pas reconnu, en fait, et, comme preuve de son honnêteté et de sa bonne foi, il a proposé de soumettre la question à des arbitres; le créancier n'a en garde de refuser le jugement de tiers qui, étant entièrement désintéréssés et choisis parmi des personne éclairées et honorables, sont dans les meilleurs conditions pour décider une question de raison naturelle et d'équité.
Si la décision des arbitres reconnaut qu'il y avait obligation naturelle, elle sera, dit le texte, "civilement obligatoire,” parce que le recours aux arbitres est une transaction.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE DU LIVRE DES BIENS.