Art. 84. La stipulation permise ici au vendeur, l'autorisant à recouvrer sa chose, sous certaines conditions, ne doit pas être considérée comme une application ordinaire de la liberté des conventions qui, en général, font loi entre les parties : c'est une véritable faveur accordée au vendeur, pour le motif qu'on va donner. L'acheteur n'aurait pas la faculté inverse, celle de restituer la chose (sauf ce qui à été dit de la vente à l'essai, par l'article 31), et les limites que va recevoir 1 emploi de cette stipulation par le vendeur prouveront encore qu'il n'y a pas ici une simple application de la liberté des conventions.
Il ne s'agit pas, en effet, d'une revente que l'acheteur s'engagerait à faire au vendeur ; il s'agit, comme a soin de l'exprimer le texte de notre article, non d'une nouvelle vente faite par l'acheteur à son vendeur, mais d'une résolution de la première vente, de sa destruction rétroactive, avec anéantissement des droits réels conférés aux tiers par l'acheteur. On comprend, dès lors, que la loi limite l'usage d'une stipulation dont les effets intérressent si gravement les tiers.
C'est justement cette destruction des droits des tiers qui pourrait faire hésiter, en législation, à admettre la stipulation de retrait. Sans doute, les tiers auront été avertis du danger de résolution par l'inscription de la première vente, s'il s'agit d'immeuble ; mais alors, ils auront acheté à un prix inférieur à la valeur réelle, comme le premier acheteur lui-même, et c'est toujours une chose fâcheuse qu'une chose soit vendue au-dessous de sa valeur, même avec chances à peu près égales de gain ou de perte. Si les tiers, pour éviter la résolution, s'abstiennent de traiter avec l'acheteur, il y a un autre inconvénient économique, un mal général pour le pays, car il est utile que les biens circulent facilement: toute nouvelle acquisition donne lieu à des dépenses qui améliorent les biens, pour satifaire à des besoins ou à des intérêts nouveaux ; la faculté de retrait met obstacle à la circulation des biens : celui qui les acquiert sous cette condition trouvera difficilement à les aliéner et lui-même ne sera pas disposé à faire des dépenses d'amélioration, n'étant pas sûr d'en jouir longtemps.
Il faut donc, pour passer outre à de telles objections, qu'il y ait une raison bien sérieuse de permettre cette résolution en faveur du vendeur ; cette raison a été suggérée par l'expérience : on voit souvent des propriétaires se trouvant dans un embarras d'argent momentané, ou au moins qu'ils croient tel, et auxquels il serait très-pénible d'aliéner leur bien ; sans doute, ils pourraient emprunter en donnant leur immeuble en garantie, mais les conditions du prêt sont souvent très-onéreuses par les intérêts, et il pourrait arriver que le débiteur fût dans l'impossibilité de rembourser à l'échéance de sa dette ; les biens alors devraient être vendus sur saisie, avec beaucoup de frais et de lenteurs ; ce résultat sera évité au moyen d'une vente à prix réduit, librement consentie par le vendeur, avec faculté pour lui de recouvrer son bien, s'il peut, dans un certain délai, rembourser le prixqu'il a reçu.
Cette justification de la stipulation de retrait par le vendeur explique que la même faculté ne soit pas accordée à l'acheteur : comme personne ne peut se trouver contraint d'acheter, il n'y a pas lieu d'accorder à l'acheteur la faculté de résoudre son achat : une telle résolution aurait d'ailleurs un caractère purement potestatif, car il suffirait à l'acheteur de vouloir la résolutoire pour qu'elle ait lieu, puisqu'il pourrait toujours rendre la chose vendu, dès qu'il ne l'aurait pas aliénée ou hypothéquée. Au contraire, la condition résolution est loin d'être potestative de la part du vendeur pour résoudre le contrat, il faut qu'il puisse restituer le prix; or, cela lui sera souvent difficile, d'autant plus qu'il aura été contraint de vendre par le besoin d'argent.
On verra bientôt une autre conséquence du fondement de la faculté de retrait sur le besoin d'argent où est supposé le vendeur.
La faculté de retrait n'en a pas moins des inconvénients économiques qui expliquent que la loi l'ait enfermée dans des limites assez étroites.
La première de ces limites est la fixation d'un délai de rigueur, c'est-à-dire passé lequel, le vendeur est déchu de son droit, sans être admis à faire valoir aucune cause d'excuse légitime.
Pour les immeubles, ce délai est de 5 ans. La loi n exclut pas la faculté du retrait pour les meubles, mais elle y apporte des limites spéciales : le délai sera plus court, 2 ans, et la résolution ne sera pas opposable aux tiers de bonne foi.
Si les parties, dans l'ignorance de la loi, sont convenues d'un délai plus long que 5 ou 2 ans, la convention ne sera pas nulle : le délai sera réduit à la durée légale ; il serait déraisonnable d'opposer au vendeur un ancien axiome dont on abusait beaucoup autrefois, en Eupope, à savoir “qu'il a fait ce que la loi défend et n'a pas fait ce qu'elle permet :“celui qui a stipulé le retrait pour 6 ans ou davantage l'a implicitement stipulé pour 5 ans au moins.
La loi s'exprime encore sur un autre point qui aurait pu faire doute : si le retrait avait été stipulé pour 3 ou 4 ans au sujet d'un immeuble, il ne pourrait pas, plus tard, être prorogé, prolongé, de 2 ans ou I an, quoique le total n'excédât pas 5 ans ; c'est parce que ce serait étendre la condition résolutoire opposable aux tiers; cette prorogation ne doit pas être permise plus qu'une stipulation de retrait établie après une vente pure et simple.
Cependant, cette prorogation, comme la stipulation tardive, ne serait pas nulle : la loi nous dit qu'elle vaudrait comme promesse unilatérale de vente par l'acheteur ou, au moins, qu'elle pourrait être considérée comme telle, selon l'intention des parties. La promesse de vente, en effet, ne portera pas atteinte aux droits des tiers qui auront traité avec l'acheteur avant cette promesse et elle ne sera opposable à ceux qui traiteront postérieurement que si elle a été révélée par l'inscription. Il va sans dire, quoique la loi ne l'exprime pas, que la prorogation ne pourrait se faire que de 5 ans en 5 ans. Si la loi limite ici la faculté de la promesse de revente, ce qu'elle n'a pas fait au sujet de la promesse de vente prévue à l'article 26, c'est parce qu'ici il s'agit de protéger le vendeur originaire contre des illusions sur ses moyens de racheter, ce qui n'est pas le cas de l'article 26.
Les articles 26 et 27 ont suffisamment expliqué les effets de la promesse unilatérale de vendre.
La disposition du dernier alinéa est tout-à-fait nouvelle ; elle est une conséquence nécessaire du motif attribué à la loi dans l'admission de la faculté de retrait.
Puisque la loi se justifie par l'idée que le vendeur qui fait une pareille stipulation a été pressé par le besoin d'argent, il ne faut pas que les clauses et condition de la vente donnent un démenti à cette présomption, Or, c'est ce qui arriverait si le vendeur avait donné à l'acheteur un long terme pour le payement de tout ou partie du prix. Il serait permis alors de croire qu'en stipulant la faculté de retrait, il n'a pas eu pour but de remédier à l'inconvénient d'une vente forcée pour ainsi dire par la gêne, mais de se réserver le moyen de profiter de la plus-value que la chose pourrait acquérir, sans s'exposer au risque de la moins-value.
Mais ont ne pouvait admettre que tout délai accordé pour le payement et pour quelque portion du prix que ce fût, fît perdre au vendeur le droit à cette faculté de retrait ; on ne pouvait non plus laisser ces deux points à l'appréciation du tribunal : la loi doit les déterminer, et tel est l'objet de cet alinéa.
La concession d'un terme pour le payement n'exclut l'idée de gêne chez le vendeur que 1° si ce terme s'applique “à la moitié du prix ou à une somme plus forte,” et 2° si le terme est “égal ou supérieur à la moitié du délai fixé pour le retrait :” si donc le délai du retrait était de cinq ans et celui du payement d'un an, on pourrait encore croire que le vendeur prévoyait des embarras d'argent entre la 2e et la 5e année du contrat ; mais si, ledélai du retrait étant toujours de 5 ans, le terme du payement est de 3 ans ou de 4 ans, il ne paraît pas que le vendeur ait si longtemps à l'avance prévu des besoins d'argent et voulu y remédier par une vente anticipée.