旧民法・法例(明治23年)

Code civil de l'Empire du Japon. Accompagne d'un exposé des motifs

参考原資料

DE L'ACQUISITION DES BIENS.
DISPOSITION GÉNÉRALE.
Art. 1er. Le présent Livre est limité aux Moyens d'acquérir les Biens, non seulement la Propriété, mais encore tous les autres Droits, tant réels que personnels.
On pourrait croire cependant qu'en fait d'acquisition de droits réels, on ne trouvera ici que la propriété, le Livre des Biens ayant déjà présenté les moyens d'acquérir les démembrements de la propriété (usufruit, servitudes, louage, emphytéose, superficie) ; mais il faut se souvenir que l'on n'a développé que les moyens d'acquérir propres à ces démembrements de la propriété et que l'on s'est borné à énoncer ceux de ces modes qui leur sont communs avec la propriété ; ces moyens d'acquérir se présenteront donc ici avec une application très générale.
Dans ce Livre, on ne pouvait songer à séparer les moyens d'acquérir en deux classes, ceux applicables aux droits réels et ceux applicables aux droits personnels, car le plus grand nombre est commun aux deux sortes de droits. On s'est borné à présenter ici dovre premiers Chapitres dont chacun concerne un mode spécial d'acquérir à titre particulier ; on réserve les derniers Chapitres concernant les moyens d'acquérir à titre universel ; il en sera traité à la suite du Livre des Personnes avec lesquelles ils ont un rapport naturel.
On peut reconnaître ici une intention de classification. Ainsi on peut remarquer que les deux premiers Chapitres présentent des cas d'acquisition par la prise de possession, tandis que, dans les dix suivants, l'acquisition est fondée sur le seul accord des volontés.
CHAPITRE PREMIER.
DE L'OCCUPATION.
Art. 2 et 3. On a souvent soutenu que la propriété, à l'origine des sociétés, a commencé par l'occupation, même pour les immeubles.
Il est naturel d'admettre, en effet, que quand le sol de chaque contrée était bien trop vaste, eu égard au peu de développement de la population, pour être entièrement mis en culture, chacun en pût librement occuper tout ce qu'il pouvait cultiver ou utiliser, et lorsqu'il l'avait plus ou moins clos et amélioré, il y avait là, pour lui, un titre légitime à le conserver, par préférence aux autres hommes qui avaient la même faculté que lui de s'approprier d'autres terres. Il ne fallait même pas envier au premier occupant la possession des terres meilleures, soit par leurs qualités, soit par leur emplacement, car les premières prises de possession, si elles étaient les plus avantageuses, correspondaient aussi aux plus grandes difficultés d'occupation et même aux plus grands dangers.
Dans les sociétés civilisées et arrivées à un large développement de population, il n'est plus guère possible de supposer que des terres soient restées sans maître et puissent être acquises à un premier occupant.
En outre, la plupart des législations modernes ont, comme le présent Code, une disposition qui attribue à l'Etat la propriété des immeubles qui n'ont pas de propriétaire particulier. Si donc une terre est tellement perdue dans les hautes montagnes ou rendue tellement rebelle à la culture par l'envahissement des eaux ou des sables que personne ne se la soit jamais appropriée, un premier occupant n'y pourrait acquérir aucun droit : il devrait en obtenir la cession de l'Etat. Il en serait de même d'un sol que le proprietaire aurait abondonne comme stérile ou ne produisant pas plus que le montant de l'impôt ou pas même autant.
Mais si l'occupation ne peut plus s'appliquer aux immeubles, bâtis ou non, elle peut encore s'exercer assez largement sur des objets mobiliers.
Trois conditions sont pour cela nécessaires : il faut 1° que celui qui prétend acquérir ait pris effectivement la possession matérielle de l'objet avec l'intention de se l'approprier ; 2° que la chose soit actuellement sans maître ; 3° que les lois spéciales n'en interdisent pas ou n'en restreignent pas l'acquisition.
Le texte de l'article 2 énonce formellement les deux premières de ces conditions; la troisième résulte de l'article 3. On les reprendra séparément.
I. La possession que la loi exige n'est autre que la possession civile dont les deux éléments constitutifs, le fait et l'intention ont déjà été exposés en leur lieu. On remarquera d'ailleurs que, comme il ne s'agit pas ici de la possession d'une chose d'autrui, il ne peut pas être question de mauvaise foi, et comme il ne s'agit pas non plus de possession à l'effet de prescrire, on n'exige ni publicité ni durée quelconque de la possession.
II. Il faut, en second lieu, que la chose soit sans maître, soit qu'elle n'ait jamais été appropriée, soit que le maître auquel elle aurait déjà appartenu l'ait abandonnée.
Les principales choses sans martre sont les animaux sauvages vivant en liberté sur le sol, dans l'air ou dans les eaux, et ce n est qu à la condition qu'ils aient ce double caractère, d etre en fait autant que pat leur nature, et de vivre en liberté, qu'ils sont sus ceptibles d'être acquis par occupation, par la chasse ou la pêche. II n'y aurait donc pas droit d'occupation pour celui qui, même de bonne foi, se serait emparé d'animaux de nature sauvage, mais apprivoisés et vivant en liberté, comme des pigeons d'origine sauvage qui se seraient fixés dans un colombier, mais auraient pris l'habitude d'aller et venir dans le voisinage : les voisins ne pourraient valablement les retenir. Si même un animal de nature sauvage et resté tel, mais captif, était parvenu à s'échapper, il ne cesserait pas pour cela d'appartenir à son maître et le capteur n'en deviendrait pas propriétaire, tant que le maître aurait conservé l'intention de le reprendre et ferait des efforts à cet égard.
Mais quand l'animal réunit les deux conditions dont il s'agit, à savoir d'être sauvage et libre, il n'y a pas à distinguer si le capteur s'en est emparé sur son propre fonds ou sur le fonds d'autrui, ni, dans ce dernier cas si c'est avec ou sans le consentement du propriétaire du fonds, ou même au mépris de sa défense : assurément, le capteur est en faute dans les deux derniers cas et il sera responsable, s'il a causé des dommages à la culture ou autrement ; mais il n'en est pas moins propriétaire du gibier qu'il a pris, parce que, ce gibier étant toujours une "chose sans maître,” il n'en a dépouillé personne.
Il ne faut évidemment pas confondre ce cas avec celui de quelqu'un qui s'emparerait d'oiseaux ou d'autres animaux sauvages déjà pris et emprisonnés par autrui dans une cage ou palissade, ou qui prendrait des poissons déjà enfermés dans un réservoir ou placés dans le bassin d'un jardin : il aurait alors soustraction de la chose d'autrui ou vol. La solution serait la même contre celui qui aurait frauduleusement vidé l'étang d'autrui et recueilli tout le poisson ou même cerné le gibier d'un parc et s'en serait emparé : dans ces cas encore, il n'y aurait plus pêche ou chasse, mais vol de la chose d'autrui.
Quant au poisson pêché en mer, en rivière ou même dans des eaux privées non closes, il appartient an capteur.
Les poissons ne sont pas les seules choses sans maître que l'on puisse tirer de la mer ou des rivières et acquérir par occupation. Il faut y ajouter, non seulement les crustacés et les coquillages, mais encore les herbes marines, généralement comestibles pour l'homme, sans compter leur emploi agricole et industriel. On peut aussi prendre du sable et des cailloux au bord de la mer, quand il n'en doit pas résulter d'excavations nuisibles à l'usage du rivage ; enfin, on peut valablement pêcher le corail.
III. La troisième condition pour qu'il y ait acquisition par occupation, c'est que des lois spéciales ne la prohibent pas. Or, il y a au Japon, comme dans presque tous les pays, des lois qui réglementent l'exercice du droit de chasse et de pêche, en le limitant, tout à la fois, quant au temps, quant aux lieux et quant aux moyens. Ces mesures sont prises dans l'intérêt de la conservation du gibier et du poisson, c'est-à-dire dans un intérêt public.
Le même article 3 réserve aussi les dispositions des lois spéciales sur les choses perdues ou flottantes.
Enfin, la loi réserve les lois spéciales sur les prises maritimes et le butin pris à la guerre.
Art. 4. Parmi les choses sans maître se trouvent encore les choses qui ont été abandonnées par leur propriétaire ; elles sont donc susceptibles d'être acquises par le premier occupant.
Il faut en exclure, comme on l'a déjà annoncé, les immeubles qui, dans ce cas, sont acquis à l'Etat, en vertu de la loi, sans aucune appréhension de sa part et pourraient l'être à son insu (v. Liv. des Biens, art. 24).
Même avec cette limite, il reste encore une assez large application de ce cas d'occupation. Pans les grandes villes, où les habitations sont étroites, les particuliers se débarrassent sur la voie publique, ou dans des lieux à ce destinés, des objets mobiliers hors d'usage et qui ne pourraient même être vendus ; mais les pauvres s'en accommodent encore volontiers et même la récolte- de ces objets de rebut donne naissance à une industrie spéciale ; dans les campagnes, ce sont souvent de mauvaises pierres, des boues, des herbes, des détritus de jardins, qui sont déposés hors des propriétés, à la disposition de ceux qui pourraient les utiliser ; l'industrie aussi rejette souvent des résidus de matières premières dont les pauvres peuvent valablement s'emparer.
Mais il pourrait arriver que, par mégarde, par la négligence des serviteurs ou employés, des objets dont le propriétaire n'a eu aucune intention de se démunir fussent jetés avec des débris inutiles ; il pourrait arriver aussi que le propriétaire eût déposé provisoirement sur la voie publique des objets encombrants, destinés soit à être rentrés, soit à être expédiés. Il est clair que de pareils objets ne peuvent être acquis par occupation, même s'il y a bonne foi de l'inventeur, car il n'y a pas abandon sans intention d'abandonner.
De là, une question de preuve que la loi a cru devoir trancher : la présomption légale est que nul n'est supposé avoir entendu renoncer à ce qui lui appartient, lors même qu'il aurait momentanément cessé de l'avoir sous sa garde. Si donc, il y avait contestation au sujet d'une chose que le propriétaire prétendrait n'avoir pas abandonnée et qu'un possesseur prétendrait avoir acquise par occupation, la preuve qu'il y a eu abandon volontaire incomberait à ce dernier.
Art. 5. On définit ordinairement le trésor “toute “chose enfouie ou cachée, sur laquelle personne ne “peut justifier sa propriété, et qui est decouverte ‘‘ par le pur effet du hasard.” Il y a là trois caractères dont le dernier demande une distinction que 1 on ne doit pas négliger ; quand il s'agit de la portion du trésor attribuée à l'inventeur, il est nécessaire, en effet, que la découverte ail été fortuite ; mais si c'est le propriétaire du fonds ou de la chose principale qui a découvert le trésor par des recherches faites spécialement dans ce but, il l'acquiert en totalité ; il en est de même s'il a employé des ouvriers à cet effet, même sans les en prévenir, pourvu qu'il y ait preuve certaine de son but.
Bien plus, supposons qu'un tiers ait fait des recherches sur un fonds qui ne lui appartient pas, dans le but de découvrir un objet qu'il y croit enfoui et d'une propriété incertaine, et qu'il l'ait effectivement découvert, cet objet n'en sera pas moins un trésor, quoiqu'il ne soit pas découvert par le pur effet du hasard ; seulement, il sera acquis en entier au propriétaire du fonds. Ce n'est donc que pour l'acquisition par l'inventeur étranger que la condition de hasard est requise et c'est ce que notre article 5 a soin d'exprimer, reproduisant en cela la théorie romaine.
Mais, pour le propriétaire de la chose principale et pour l'inventeur, les deux autres conditions doivent être exigées : il faut 1° que la chose découverte soit enfouie ou cachée, 2° que le vrai propriétaire en soit inconnu.
Si donc la chose trouvée était à la surface du sol ou de l'eau, ou égarée dans une maison ou dans un meuble, mais accessible aux yeux, sans travail, ce pourrait être un objet perdu, une épave, mais ce ne serait pas un trésor.
De meme, si c était une mine ou une carrière inconnue jusque-la, ce ne serait pas un trésor, mais une partie du sol. et 1 inventeur n'y aurait aucune part, d'après notre article, sauf les avantages particuliers qui peuvent être accordés par les lois sur les mines a celui qui le premier découvre une mine.
Quant à la seconde condition, on ne doit pas la croire remplie par cela seul que le vrai propriétaire ne se fait connaître que tardivement et après l'attribution des parts respectives : il suffit qu'il fasse sa réclamation avant le temps de la prescription fixée par l'article suivant pour que l'objet trouvè cesse d être considéré comme un trésor.
L'invention ou découverte d'un trésor est, pour l'inventeur, un cas d'occupation, mais un peu différent des précédents: les conditions n'en sont pas tout-à-fait les mêmes.
Ainsi, au lieu d'une prise effective de possession, il suffit que l'objet soit découvert, c'est-à-dire rendu visible, fût-ce même pour une minime partie, et cela, lors même que la disposition des lieux, le volume de l'objet, la profondeur de son enfouissement, les dangers de l'extraction, devraient retarder plus ou moins longtemps la prise de possession réelle. Cependant, c'est toujours la possession qui doit être considérée ici comme le principe et la cause de l'acquisition : les Romains auraient dit que la prise de possession a lieu par les yeux. Il faudrait même considérer comme découvert un trésor dont la présence n'aurait été révélée que par le son produit sur une caisse de bois ou de métal par une pioche ou un autre outil : lors même que plusieurs personnes attirées par la curiosité ou la cupidité seraient venues aider l'inventeur, celui-ci n'en serait pas moins considéré comme l'unique acquéreur.
Il n'est pas nécessaire non plus que la chose soit sans maître : elle ne l'est pas de sa nature et, généralement, le fait qu'elle a été enfouie ou cachée, loin de faire croire à un abandon volontaire du propriétaire, donne lieu de croire, an contraire, qu'il attachait un grand prix à sa conservation ; mais, le maître étant inconnu et sans doute impossible à connaître désormais, la loi assimile le trésor à une chose sans maître ; sauf le droit déjà réservé à son propriétaire de se faire connaître avant que la prescription soit accomplie.
Enfin, c'est évidemment une dérogation que fait la loi aux règles de l'occupation, en n'accordant à l'inventeur que la moitié du trésor, lorsqu'il est découvert dans la chose d'autrui.
La loi ne détermine pas ici les droits du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est découvert, parce que, pour celui-ci, l'acquisition n'exigeant pas la prise de possession et pouvant avoir lieu même à son insu, ne repose plus sur l'occupation, mais sur l'accession ; il est donc plus logique de renvoyer ce point au Chapitre suivant. On verra, d'ailleurs (art. 23), que le droit du propriétaire n'est pas toujours limité à la moitié, mais qu'il peut s'étendre au tout.
On n'a pas cru nécessaire de résoudre dans le texte un certain nombre de questions qui peuvent être soulevées au sujet du trésor, mais dont la solution est facile, d'après les principes de la matière.
I. Ainsi, il ne faut pas hésiter à reconnaître que le trésor caché dans un meuble serait soumis aux mêmes règles que celui qui est enfoui dans le sol ou dans un mur.
IL II y a plus de difficulté quand, plusieurs ouvriers étant occupes a creuser le sol, pour les fondations d une maison, pour un puits ou pour une route, le trésor a ete découvert par celui d'entre eux qui se sert de la pioche, en présence de ceux qui enlèvent la terre détachée. On décide généralement que le seul inventeur, le seul bénéficiaire est celui qui a rencontré 1 objet avec la pioche. Cette solution est peut-être trop exclusive : sans doute, il n'est pas possible d'admettre au bénéfice de 1 invention toute la brigade d'ouvriers qui ont pu, tour à tour, sur le même emplacement, prendre la pioche et la pelle ; il faut admettre que le hasard joue ici un rôle essentiel ; mais il arrivera souvent, en fait, que l'attention de plusieurs ouvriers aura été simultanément attirée sur l'objet enfoui ; presque toujours aussi, ils seront seuls et sans témoins désintéressés, et leurs prétentions seront contradictoires ; dans le doute sur la priorité réelle, il faudra bien les admettre au partage de la moitié attribuée à l'invention. Si, au contraire, ce sont les ouvriers occupés au transport de la terre qui, en la déchargeant, ont trouvé le trésor inaperçu lors du premier travail (par exemple, une pièce de monnaie ou un bijou), celui qui tenait la pioche n'y aura aucun droit, car il avait désormais perdu l'occasion de la découverte.
III. On a quelquefois soulevé la question de savoir si l'on peut considérer comme trésor un tombeau ancien découvert par hasard dans un sol qui n'était pas consacré aux sépultures. Par cela seul qu'on exclut de la question l'hypothèse d'un ancien cimetière, où il n'y a certainement pas trésor, la Solution doit être affirmative. Il sera bien rare d'ailleurs, si la tombe a un peu d'importance comme valeur, qu'elle ne porte pas quelque indice extérieur ou intérieur de la personnalité du mort, lequel pourrait permettre de retrouver sa famille, si l'inhumation ne remonte pas à une époque trop reculée. Dans le cas où celle-ci serait introuvable, il n'y aurait vraiment aucun inconvénient à admettre les droits de l'inventeur : autrement, la découverte profiterait tout entière au propriétaire du sol, lequel n'est pas plus intéressant que l'inventeur.
IV. On peut encore soulever une question au sujet de celui qui a découvert un trésor dans le fonds d'autrui, par suite de travaux qu'il n'avait pas le droit d'y faire, comme un possesseur de mauvaise foi ou un voisin qui serait venu frauduleusement prendre du sable ou de la terre sur le fonds contigu. Sans doute, cet inventeur parait peu intéressant, mais, en réservant la réparation qu'il doit pour sa faute, il n'en est pas moins vrai que cette faute n'a été que l'occasion de sa découverte et n'en change pas le caractère : le proprietaire du fonds n'avait aucun droit au trésor avant qu il fut découvert, ce n'était pas une partie de son fonds. Mais il ne serait que juste de tenir compte, dans la fixation de 1 indemnité, des chances qu'avait le propriétaire du sol de découvrir un jour le trésor, par lui-même ou par quelqu'un de sa maison.
V. Nous examinerons, au sujet de l'accession du trésor au profit du propriétaire de la chose principale, la question (qui n'en devrait pas être une) de savoir, lorsqu'un trésor est découvert dans les murs ou les fondations d'une maison vendue pour être démolie, si c'est le propriétaire du sol ou celui de la maison en démolition qui a la seconde moitié du trésor.
Art. 6. La loi ne pouvait déclarer le véritable propriétaire du trésor déchu de son droit de revendication, s'il ne réclamait la chose aussitôt après la découverte : c'eût été, en réalité, rendre impossible l'exercice de son droit ; car, lors même qu'il serait, en même temps, le propriétaire du fonds, il serait bien extraordinaire qu'il fût présent juste au moment de la découverte et, le fût-il, il n'aurait pas le moyen de faire reconnaître immédiatement son droit.
Si, aucun délai spécial n'était assigné au propriétaire du trésor pour faire valoir son droit, on devrait décider qu'il a pour cela le délai ordinaire des actions réelles et personnelles, ce qui est évidemment trop long. C'est à tort qu'on prétendrait que, s'agissant ici de la revendication d'un meuble, il y aurait lieu à cette sorte de “prescription instantanée” qui empêche la revendication des meubles. Cette règle serait sans application ici. D'abord, si elle était applicable, elle serait la négation absolue du droit du propriétaire ; on ne pourrait plus dire que le trésor n'est acquis à l'inventeur que si la propriété n'en est pas justifiée ; elle ne serait jamais justifiée ni justifiable en temps utile. Ensuite, pour que le possesseur soit admis, en règle générale, à repousser la revendication d'un meuble, en vertu de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre,” il ne suffit pas qu'il ait la possession civile, c'est-à-dire qu'il possède de fait et d'intention, il faut encore qu'il ait une juste cause de posséder, ce qu'on appelle aussi un “juste titre ,” or, l'invention d'un trésor, si l'on fait abstraction des dispositions spéciales de la loi, n'est pas un juste titre ; elle est plus ou elle est moins : on elle est un titre parfait qui rendra l'inventeur propriétaire immédiatement, si la chose n'a plus de maître ; ou elle n'est plus qu'une usurpation, dans le cas contraire, lors même que l'inventeur croirait à l'absence de droit d'un tiers ; son ignorance de ce droit pourrait être qualifiée “bonne foi s'il s'agissait de la responsabilité de ses fautes dans la garde de l'objet ; mais cette bonne foi, n'étant pas fondée sur un acte passé avec un tiers et “de nature à lui transférer la propriété” (Liv. des Biens, art. 181), ne lui assurerait pas le bénéfice de la prescription instantanée.
Cependant, dans ce Code, on n'a pas cru devoir laisser subsister l'action en revendication du vrai propriétaire pendant trente ans, ou au moins pendant la durée ordinaire de la prescription. On a déterminé un délai assez court, au moins en faveur des inventeurs de bonne foi et encore, avec une distinction : en principe, l'action du vrai propriétaire du trésor durera trois ans depuis la découverte ; mais, si c'est le propriétaire même de la chose principale qui se prétend propriétaire du trésor, le temps est réduit à un an, parce qu'il est naturel que celui-ci se préoccupe davantage d'établir son droit sur une chose découverte dans sa propriété et, en même temps, il en aura plus de facilité ; mais le point de départ est différent: ce n'est plus la découverte du trésor, c'est la connaissance qu'il en a eue, et elle pourrait lui avoir été cachée.
Pour que le délai de la prescription soit ainsi réduit à 3 ans ou 1 an, il faut, avons-nous dit, que ceux qui ont bénéficié du trésor aient été de bonne foi, c'est-à dire aient ignoré quel en était le véritable propriétaire ; dans le cas contraire, ils ne méritent plus de faveur et la prescription civile ordinaire leur est applicable.
Le présent article ne règle la prescription des droits du propriétaire du trésor qu'à l'égard de l'inventeur même ; mais si celui-ci avait cédé sa part du trésor à un tiers de bonne foi, c'est-à-dire ignorant l'origine de cette chose aux mains de son cédant, alors la prescription des meubles retrouverait son application en faveur du cessionnaire.
Enfin, notre article ne règle pas la prescription à l'égard du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est trouvé : elle sera de même durée, mais c'est l'article 23 qui le dira.
CHAPITRE II.
DE L'ACCESSION.
Art. 7. Le mot “accesssion” exprime l'idée de la réunion d'une chose à une autre avec nn caractère secondaire, accessoire, ou de dépendance.
Comme cette réunion ne peut toujours être détruite, soit parce que la nature physique s'y oppose, soit parce que la loi et l'intérêt général ne le permettent pas l'accession devient alors, pour le propriétaire de la chose principale, un moyen d'acquérir la propriété de la chose accessoire. Si la séparation des deux choses est possible, naturellement et légalement, alors chacun des propriétaires garde la propriété de ce qui est à lui, et celui auquel appartient la chose accessoire peut la revendiquer en même temps qu'il en demande la séparation. C'est à raison de cette distinction, et de quelques autres, que le principe de l'acquisition n'est pas posé par notre article d'une manière absolue, mais avec des réserves.
Il va de soi que celui qui acquiert la chose d'autrui par accession doit indemniser celui auquel elle appartenait : la loi s'en expliquera chemin faisant.
Le présent article ne présente l'accession que comme un avantage du droit de propriété. Il n'en faut pas conclure que le titulaire d'un démembrement de la propriété ne participerait aucunement au droit d'accession.
Si la loi n'a parlé que du propriétaire, c'est pour ne pas compliquer la rédaction et parce que le droit des autres titulaires de droits réels est énoncé a ce sujet, quand il y a lieu.
On peut même dire que les droits personnels sont susceptibles aussi de s'étendre par accession. Supposons, par exemple, qu'une créance qui était, à l'origine, purement chirographaire ou sans caution, ait été, plus tard, garantie par une hypothèque, par un gage ou par un cautionnement, ces droits accessoires appartiendront au créancier, et si la créance était déjà cédée à un tiers, celui-ci bénéficierait de ces nouvelles garanties ; le cas serait assez vraisemblable, si l'on suppose que ces garanties, entachées de nullité à l'origine, ont été confirmées ou renouvelées après la cession.
Les nombreux cas d'accession peuvent être ramenés à deux groupes de faits, suivant que la chose principale qui se trouve augmentée par la réunion d'une chose accessoire est un immeuble ou un meuble.
De là, une division naturelle en deux Sections.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'ACCESSION RELATIVE AUX IMMEUBLES.
Art. 8. Le présent article contient deux dispositions distinctes et d'un caractère assez différent.
Il y a là, en somme, la consécration d'un axiome qui remonte au droit romain; “tout ce qui est construit sur le sol accède au sol.”
C est en ce sens qu'a été rédigé le présent article.
Le texte a soin de parler séparément du propriétaire du sol et de celui des bâtiments, lesquels sont plus souvent distincts au Japon que dans la plupart des autres pays ; or, le propriétaire des bâtiments peut être un superficiaire, un emphytéote, un usufruitier, un fermier.
Si donc les bâtiments d'une de ces personnes ont été construits, augmentés ou réparés, la présomption est que c'est par elle que le travail et la dépense ont été faits, et s'il est prouvé qu'elle y a employé des matériaux d'autrui, elle acquierra lesdits matériaux, sauf l'indemnité dont il est parlé à l'article suivant.
On remarquera encore que notre article établit une différence entre les constructions ou autres ouvrages et les plantations : pour celles-ci, la présomption est bien, comme pour les constructions, qu'elles ont été faites par le propriétaire du sol et à ses frais ; mais, quand il est prouvé qu'elles ont été faites avec les plants, d'autrui (arbres, arbustes ou plantes), la propriété ne lui est acquise que si le propriétaire desdits plants ne les revendique pas dans l'année, comme il est dit à l'article 10. C'est là que cette exception sera justifiée.
Art. 9. Cet article suppose la présomption démentie par la preuve que le propriétaire a construit avec les matériaux d'autrui et il applique le second principe celui de l'acquisition desdits matériaux sauf indemnité.
C'est ici qu'il faut justifier cette disposition qui peut étonner, au premier abord, comme contraire au principe du droit de propriété des meubles, lequel ne semble pas moins respectable que celui des immeubles.
Il ne faudrait pas croire que la loi est expliquée et justifiée quand on a dit que, si les matériaux ne peuvent être revendiqués par leur propriétaire, c'est parce qu'ils n'existent plus comme tels, parce qu'ils sont devenus un bâtiment : sans doute, au premier aspect, il n'y a plus de matériaux, mais on pourrait les faire reparaître, en démolissant l'édifice ou les ouvrages ; or, la loi ne le permet pas, et c'est cette prohibition qui doit être justifiée.
Déjà le droit romain défendait l'action personnelle qui aurait tendu à cette démolition, comme préliminaire de la revendication ; une loi de l'Empire renouvelant une prohibition déjà très-ancienne, en donnait une raison assez singulière, à savoir “qu'il ne fallait pas défigurer la ville par des ruines” ; raison qui, prise à la lettre, ne se serait pas appliquée aux villages et campagnes, et pourtant la prohibition était générale. .Il est plus naturel de croire que le législateur, aux deux époques, s'était préoccupé de l'intérêt général qui bénéficié de la multiplicité des constructions et qui souffre plus de la démolition d'une maison que le propriétaire des matériaux ne souffre de les perdre, sans sa volonté, il est vrai, mais contre une indemnité.
Ce qui prouve que l'aspect des villes n'était pour rien dans la prohibition de démolir les constructions et que l'intérêt des campagnes n'était pas moins considéré que celui des villes, c'est que l'ancienne loi romaine défendait aussi bien, dans cc cas, de retirer des vignes les supports dérobés que les poutres ou les pierres des maisons.
C'est encore aujourd'hui par la raison d'intérêt général, par la raison économique, que la même disposition des Codes modernes doit se justifier. Elle a pourtant été restreinte : on ne l'applique, nulle part sans doute, aux échalas et aux supports des vignes, et notre Code ne l'applique aux plantations qu'à la condition qu'elles aient un an de date (art. 10).
Notre article ne change pas la règle pour le possesseur de mauvaise foi, toujours par la raison économique, sauf le mode d'indemnité indiqué plus loin.
La loi a cru devoir dire que, par réciprocité, le propriétaire du fonds, ne pouvant être contraint à rendre les matériaux, ne pourra non plus contraindre leur ancien propriétaire à les reprendre, même en l'indemnisant de leur dépréciation et de la privation temporaire qu'il en aurait subie. Cette solution aurait pu être suppléée sans texte, car elle est commandée autant par la logique que par l'équité : par la logique, car le propriétaire du sol est devenu propriétaire des matériaux ; or, nul ne peut imposer la cession de ce qui lui appartient ; par l'équité, car la solution contraire eût mis l'ancien propriétaire des matériaux à la discrétion du propriétaire du fonds.
Reste le mode de règlement de l'indemnité. La loi a pu simplifier la disposition en renvoyant à l'article 385 du Livre des Biens. Cet article, il est vrai, est écrit pour l'indemnité résultant de l'inexécution d'une convention, mais il y a identité de motifs pour l'appliquer au cas d'enrichissement indû qui est notre cas, quand il y a bonne foi du constructeur, et au cas de dommage injuste qui est le cas de mauvaise foi. Déjà l'article 370 du même Livre s'était référé à la même disposition pour tous les dommages injustes, en général.
Le constructeur de bonne foi devra donc, outre la valeur vénale des matériaux employés, les dommages-intérêts qu'il aurait pu prévoir s'il avait été moins imprudent, et le constructeur de mauvaise foi devra les dommages-intérêts même imprévus, pourvu qu'ils soient une suite nécessaire et inévitable de son délit.
Art. 10. Il n'y pas la même raison économique d'interdire la revendication des plantations que celle des matériaux de construction : les arbres ne perdront pas sensiblement de leur utilité changeant de sol pour retourner à leur propriétaire et, dès lors, il ne parait pas son de sacrifier le droit de propriété.
Toutefois, on ne pouvait non plus permettre cette revendication après un temps assez long pour que les plants aient pu se nourrir et de se développer dans le fonds où ils ont été indûment placés : la loi fixe un an comme prescription de cette action en revendication. Ce système n'a pas l'inconvénient de celui des Romains, lequel nécessitait la vérification difficile du point de savoir “si les arbres avaient poussé des racines” dans le fonds qui les avait indûment reçus.
Si le propriétaire des plants exerce sa revendication dans l'année de la plantation, il n'en aura pas moins droit à une indemnité, s'il y a lieu, pour la dépréciation de valeur et pour la privation de jouissance qu'il a subie. Après l'année, il aura droit à la valeur même des plants, estimés au jour où ils ont été employés, plus l'indemnité pour sa jouissance perdue. Mais il n'est pas obligé d'attendre un an pour demander cette valeur, s'il renonce désormais à la revendication. Bien entendu, le propriétaire du sol ne pourrait le forcer à reprendre ses plants dans l'année, mais il pourrait, à toute époque, le mettre en demeure de se prononcer dans un sens ou dans l'autre.
Comme les plantations d'arbres d'autrui, peuvent avoir été faites par un usufruitier, un emphytéote on un fermier, et que la solution devrait être la même, la loi, pour comprendre toutes ces personnes d'une façon abrégée, emploie le nom générique de “possesseur.”
Le texte a soin de ne parler que des arbres, arbustes, ou plantes : il ne s'appliquerait pas au cas de graines d'autrui qui auraient été semées sans la permission de leur propriétaire dans un fonds étranger : ici, il n'y aurait jamais lieu qu'à une indemnité, car les semis, une fois levés, ne sont plus des graines.
Art. 11. Cet article consacre encore le droit du propriétaire du sol sur un bâtiment dont les matériaux ne lui appartenaient pas ; mais, à la différence du cas prevu a 1 article 9, ce n est pas lui qui a construit ; on peut dire qu'ici il n'a commis aucune faute, aussi son droit est-il encore plus étendu suivant les distinctions que présente la loi.
La construction, n'ayant pas été faite par le propriétaire du sol, 1 a été, naturellement, par un possesseur.
Nous écartons ici les cas où le constructeur aurait été un usufruitier, un locataire, un. emphytéote ou un. superficiaire, parce que, dans ces cas, il y a des dispositions spéciales déjà rencontrées (art. 69,70, 146,170 et 177 du Livre des Biens). Il ne s'agit plus que de celui qui a la possession civile, la détention avec la prétention à la propriété. Ce possesseur était de bonne foi ou de mavaise foi. Il est naturel qu'il soit mieux traité dans le premier cas que dans le second.
De là deux dispositions de la loi.
I. Si le constructeur était possesseur de bonne foi. c'est-à-dire croyait être propriétaire, lors même qu'il n'aurait pas un juste titre (par exemple, il se croyait héritier de l'ancien propriétaire sans l'être), il ne pourrait pas, il est vrai, enlever ses constructions et plantations, lors même qu'il y aurait un intérêt particulier, mais il ne pourrait non plus être contraint à opérer la démolition qui lui ferait éprouver un triple dommage : perte de la première main-d'œuvre, frais de démolition et d'enlèvement, dépréciation des matériaux. Son droit se résout donc en une indemnité.
La construction a coûté le prix des matériaux et celui de la main-d'œuvre ; mais il est assez rare que la plus-value donnée au sol par la construction soit égale à ce qu'elle a coûté. Le propriétaire a le choix de donner au possesseur, soit le coût des constructions, soit le montant de la plus-value du sol. Cette solution est commandée par les principes généraux déjà rencontrés au sujet de l'obligation née d'un enrichissement indû ou sans cause.
Si le propriétaire paye au constructeur ce qu'il a dépensé, il l'exonère de toute perte, celui-ci ne peut donc se plaindre ; il ne pourrait réclamer l'excédant de plus-value, car ce serait le puiser dans le droit de propriété du sol qui ne lui appartient pas.
Si le propriétaire paye au constructeur la plus-value, il a rempli son obligation de ne pas s'enrichir au détriment d'autrui : l'excédant de la dépense ne lui profitant pas, il n'est pas admissible qu'il le doive payer; ce n'est pas lui qui est en faute.
II. Supposons maintenant que le constructeur ait été de mauvaise foi, c'est-à-dire ait su que le fonds ne lui appartenait pas. La punition de sa mauvaise foi est qu'il peut être contraint de détruire les ouvrages et les plantations, ce qui lui cause déjà les trois dommages signalés plus haut et dont la loi a dû préserver le constructeur de bonne foi ; il pourra même être condamné, en outre, à payer une indemnité, soit pour les dégradations irréparables du fonds, soit pour la privation de jouissance que subira le propriétaire pendant les travaux de démolition et d'enlèvement.
Mais le propriétaire peut désirer garder les constructions et plantations, en vertu du principe d'accession. Dans ce cas, il doit en indemniser le constructeur, comme un possesseur de bonne foi, sans perdre pour cela le droit de lui faire subir les conséquences de sa mauvaise foi, au point de vue de la restitution des fruits et de la prescription.
Art. 12. L'accession prend le nom spécial d'alluvion dans le cas où les cours d'eau augmentent les fonds voisins par des attérissement ou la formation d'iles ou ilots ; comme ces faits naturels intéressent la navigation et l'intérêt général, en même temps que 1 interet privé, le Code en réserve le règlement à une loi spéciale.
Art. 13. On a établi, ci-cessus que les poissons des étangs privés ne sont pas sans maître, comme ceux des rivières et de la mer. qu'ils ne peuvent donc être acquis par la pêche, sans le consentement du propriétaire de 1 étang et, de même, que les pigeons vivant dans des colombiers construits et entretenus à leur intention ne sont pas des oiseaux sauvages, que dès lors, il n'est pas permis de les chasser, même quand ils sont hors du colombier et chez le voision, si d'ailleurs le voisin en connaît la provenance ou le caractère.
Mais les uns et les autres, les pigeons surtout, ayant une certaine liberté, peuvent quelquefois passer dans un étang ou dans un colombier voisin. Pour les poissons, ce sera plus rare, parce que les étangs, sont généralement séparés avec soin ; mais il peut y avoir une rupture des cloisons, ou un débordement des eaux.
Lorsque la migration de ces animaux a eu lieu, la propriété en est acquise à celui chez lequel ils sont parvenus, mais à deux conditions : la première c'est que celui-ci n'ait pratiqué aucune ruse ou artifice, pour les faire pénétrer chez lui, encore moins une soustraction, autrement, il serait toujours exposé à la revendication et aux dommages-intérêts ; la seconde, c'est que la revendication ne soit pas exercée dans la semaine.
Les sept jours doivent se compter non depuis le départ des animaux, mais depuis leur entrée chez le voisin, ce qui a de l'intérêt pour les pigeons qui peuvent avoir erré pendant quelques jours dans le voisinage sans se fixer. Si donc les pigeons s'étaient arrêtés plus d'une semaine sur un fonds, sans s'y fixer dans un colombier ou dans une partie de bâtiment pouvant leur servir de refuge, la revendication pourrait encore s'exercer, parce que le voisin ne les posséderait pas encore, à proprement parler.
Dans tous les cas, il va de soi (et d'ailleurs le texte a soin de l'exprimer) que la revendiquant doit justifier de son droit, c'est-à-dire de l'identité des animaux qu'il réclame : ce sera plus difficile pour les poissons, moins pour les pigeons qui peuvent être d'une espèce et d'un plumage différents de ceux du voisin. La réclamation sera encore plus facile, si le voisin n'avait pas lui-même de pigeons dans son colombier ou sous ses toits au moment de l'émigration de ceux dont il s agit.
Le cas des poissons présentera, pratiquement, plus de difficultés, non seulement au sujet de la reconnaissance d'identité, mais encore sur le point de savoir si le revendiquant pourrait faire vider l'étang du voisin pour reprendre ses poissons. Il faudra généralement lui refuser ce droit qui serait gênant et même préjudiciable pour le voisin. Mais si celui-ci était convaincu d'avoir pratiqué une fraude pour faire entrer les poissons dans son étang, le revendiquant obtiendrait aisément que l'étang fût vidé, pour la facilité des recherches et de la reprise des poissons détournés.
Quelques Codes étrangers ont une disposition plus simple, mais qui paraît moins juste : la propriété des poissons et pigeons est acquise immédiatement au voisin chez lequel les animaux sont passés spontanément ; par conséquent, aucun délai n'est donné pour la revendication.
On n'a pas adopté cette disposition : il n'est pas juste que l'un des voisins profite d'un accident qui arrive à l'autre : ces animaux ne sont pas sauvages, aux yeux de la loi elle-même, puisqu'elle ne permet pas de les attirer par fraude ou artifice ; la loi ne permet pas non plus de les retenir par force ou par ruse. Or, si la loi entend faire dépendre le droit nouveau du voisin d'une sorte de volonté des animaux, au moins de leur attache au fonds qu'ils ont choisi, il est naturel d'attendre un certain temps. Le délai d'une semaine, d ailleurs assez court, a encore une double raison d'être : il indique chez le propriétaire des animaux une sorte d abandon ou d'indifférence et, en même temps, il constitue pour le voisin une possession digne d'égards.
Le 2 alinéa de notre article donne au sujet des abeilles une solution analogue.
Le Code italien (art. 713) n'autorise la poursuite que pendant deux jours ; passe ce délai, “le propriétaire du fonds peut les prendre et les retenir." On peut conclure de cette rédaction que la poursuite pourrait durer plus de deux jours, si le propriétaire du fonds n'avait pas fait acte de possession sur ledit essaim, et alors la poursuite ne serait plus limitée qu'au délai de 20 jours, par argument de l'article suivant du même Code qui donne ce délai pour poursuivre dans les mains d'autrui les animaux apprivoisés qui n'auraient pas été attirés par fraude.
Il n'a pas semblé nécessaire d'ajouter au texte, que le propriétaire de l'essaim devrait réparer le dommage causé par la poursuite : cela va de soi, et même il est certain que la poursuite devrait être empêchée ou suspendue dans les cas où elle causerait des dommages difficiles à réparer.
Le dernier alinéa concerne des animaux tenant le milieu entre les animaux sauvages et les animaux domestiques : ce sont les animaux apprivoisés ; ils sont, comme dit le texte, “de nature sauvage,” mais ils sont devenus familiers avec l'homme. On suppose qu'ils sont “fugitifs” c'est-à-dire qu'ils ont cessé de revenir chez leur propriétaire.
S'ils étaient tout-à-fait sauvages, ils ne pourraient pas être revendiqués, parce qu'ils n'auraient pas de maître.
S'ils étaient domestiques, ils pourraient être revendiqués, sans autre limite de temps que la prescription ordinaire des meubles possédés sans droit.
Etant dans cette condition intermédiaire, la loi adopte elle-même à leur égard une disposition intermédiaire : ils peuvent être revendiqués dans un délai modéré mais suffisant ; ce délai est d'un mois, à partir non de leur fuite, mais du moment où un tiers les a recueillis et par conséquent les possède. La loi suppose même qu'il les a recueillis “de bonne foi,” ce qui implique, 1" qu'il n'a employé aucune ruse pour les faire venir ou les retenir, 2° qu'il ignore quel est leur véritable propriétaire. Dans le cas contraire, la revendication ne serait soumise qu à la prescription ordinaire des meubles de mauvaise foi.
La loi n'a pas de disposition sur les animaux sauvages, mais captifs, qui se seraient échappés. Au point de vue de la revendication, ils devraient être assimiles a tous autres objets mobiliers qui auraient été perdus par hasard ou accident.
SECTION II.
DE L'ACCESSION RELATIVE AUX MEUBLES.
La loi arrive à l'accession mobilière, c'est-à-dire à la réunion d'un objet mobilier à un autre objet également mobilier.
Les diverses hypothèses ici prévues sont au nombre de trois: Vadjonction (art. 14 à 17) la confusion ou le mélange et la spécification (art. 20 à 21).
Dans l'adjonction, il y a simplement réunion de deux ou plusieurs choses appartenant à divers propriétaires; cette réunion est une juxtaposition ou une superposition ;
Dans la confusion ou le mélange, la réunion est plus complète, les diverses matières se pénètrent d'une façon plus ou moins intime, c'est ce qui a lieu pour les liquides et pour les métaux fondus ensemble ; il peut aussi y avoir mélange de solides de petit volume et en grande quantité, comme des grains, des matières textiles, des charbons, etc. ;
Enfin, dans la spécification, il y a création d'un objet nouveau avec la matière d'autrui.
Dans ces trois hypothèses, il y a d'abord à examiner si la matière réunie, mélangée ou modifiée, peut ou non continuer a appartenir a sou propriétaire. Lorsqu'on arrive à le décider négativement, il faut déterminer à qui elle est acquise et à quelles conditions.
La loi termine par un cas tout particulier d'accession, en faveur du propriétaire de la chose dans laquelle un trésor est découvert (art. 23).
Art. 14. Le texte suppose que les choses appartenant à différents propriétaires ont été réunies “sans leur volonté” ; si donc la réunion était l'etfet de leur consentement réciproque, nos articles ne s'appliqueraient plus ; il y aurait eu convention et l'effet de la réunion serait celui que les parties se seraient proposé, expressément ou tacitement ; probablement, elles auraient voulu devenir copropriétaires, ou bien l'une aurait entendu céder sa chose à l'autre ; en tout cas, la séparation ne serait pas laissée à la volonté d'une seule des parties, puisqu'elles ont voulu la réunion.
Cette observation s'applique aussi au mélange et à la spécification, sans qu'il soit nécessaire que la loi ait répété, pour chacun de ces cas, qu'il n'y a pas eu convention. An surplus, l'article 21 réglera le cas où il y a eu accord des volontés.
Une autre observation préalable qui s'applique également à nos trois cas, c'est qu'il faut sous-entendre que celui qui a fait la réunion, le mélange ou la spécification d'une chose mobilière que la loi suppose ne pas lui appartenir, n'était pas non plus dans le cas d'invoquer la prescription abrégée ou instantanée des meubles.
En revenant au texte, nous voyons que la loi suppose d'abord que les choses réunies “peuvent être séparées, facilement et sans notable détérioration," dans ce cas, chaque propriétaire peut demander la séparation et revendiquer en même temps sa chose.
Il est juste et naturel que chacun puisse reprendre sa chose, quand cela se peut sans détérioration grave : c'est le respect du droit de propriété et, par suite, de l'intérêt ou des convenances de chacun des propriétaires.
Cette rentrée de chacun en possession de sa chose n'exclut pas un droit à une indemnité, soit parce que la chose aurait perdu en valeur par la double opération de la réunion et de la séparation, soit parce que le propriétaire en aurait été privé pendant un certain temps. L indemnité sera demandée à celui qui a fait indûment la réunion : ce peut être un tiers, ce peut être 1 un des propriétaires.
La loi termine par une observation qui n'est pas sans utilité : quand elle parle de la détérioration possible qui résulterait de la séparation et qui, par cela même, y mettrait obstacle, on pourrait la p rendre trop à la lettre ; elle croit donc devoir faire entrer en ligne de compte, comme détérioration, les changements plus ou moins nécessaires qui auraient été apportés aux choses pour en faciliter l'adjonction : elles auront été, le plus souvent, taillées, réduites, façonnées, d'une manière qui leur donnera peut-être plus d'utilité, une fois réunies, mais qui leur en ôtera, au contraire, une fois la- séparation opérée.
Art. 15. La loi passe au cas inverse du précédent, celui où les choses “ne peuvent être séparées sans une notable détérioration ou sans trop de frais et de lenteurs” : dans ce cas, la séparation n'aura pas lieu ; mais la loi ne commence pas par établir la copropriété indivise entre les propriétaires : elle sait que l'indivision a des inconvénients ; elle attribue le tout au propriétaire de la chose principale, mais, à charge d'une indemnité.
La loi ne réglant que dans l'article suivant, le cas où la réunion a été le fait de l'un des propriétaires, il faut dès lors supposer qu'ici cette réunion est le fait d'un tiers ou du hasard : l'indemnité alors a pour mesure, non le dommage éprouve par celui qui perd sa chose, mais le profit obtenu par celui qui acquiert cette même chose, ce qui peut être fort différent.
Il fallait encore déterminer la chose principale ou la chose accessoire ; le Code indique pour cela deux moyens : le premier, tiré du caractère de chaque chose dans ses rapports avec l'autre, le second tiré de leur valeur respective.
A défaut des deux moyens de reconnaître le caractère principal ou accessoire des choses, ce point est laissé à l'appréciation des tribunaux qui s'aideront des analogies fournies par la loi.
Art. 16. Ici, la loi suppose qu'à la différence du cas précédent l'auteur de la réunion des deux choses est un des propriétaires.
1° Si c'est le propriétaire de ht chose principale qui a opéré cette réunion, du moment qu'il n'était pas propriétaire de la chose accessoire, il doit y avoir, si non dol, au moins faute ou négligence de sa part. Le dol ne se présume pas ; mais la faute doit se présumer, dès qu'il est prouvé que quelqu'un a disposé de ce qui ne lui appartenait pas.
La différence résultant de cette circonstance que l'auteur de la réunion est le propriétaire de la chose principale c'est que l'indemnité aura une autre base que si ht réunion était le fait d'un tiers, laquelle ne serait considérée que comme un pur accident : ce ne sera plus le profit par lui réalisé dont sera tenu le propriétaire de la chose principale, mais bien la perte éprouvée par le propriétaire de la chose accessoire. En outre, l'appréciation de cette perte se fera avec plus ou moins d'étendue et de sévérité, suivant qu'il y aura eu simple faute ou dol: la loi se borne à cet égard, à renvoyer aux principes généraux déjà posés, en matière de dommages-intérêts (v. art. 370 et 385 du livre des biens).
2° Si la réunion est le fait du propriétaire de la chose accessoire, il n'y a plus à distinguer s'il a commis une faute ou un dol, puisque ce n'est pas lui qui acquiert : par rapport au propriétaire de la chose principale, il est comme un tiers ; son acte est aussi un accident dont l'autre proprietaire ne doit pas souffrir ; mais comme il ne serait pas juste non plus qu'il en profitât, 1 indemnité revient encore au profit réalisé, comme au cas de 1 article précédent.
Art. 17. Il restait à régler le cas où les choses ne pouvant toujours être séparées, au moins sans grand inconvénient, ne pourraient non plus être attribuées a un seul des propriétaires parce qu'aucune no semble principale par rapport à l'autre.
La loi prend alors le seul parti qui reste possible : elle déclare la chose entière commune aux deux propriétaires. Elle ajoute que leurs droits sont égaux, puisque l'une des causes de la copropriété est l'égalité de leur valeur.
La circonstance que la chose devient commune modifie le droit à l'indemnité, mais ne l'exclut pas.
D'abord, si la réunion est le fait d'un tiers, celui-ci peut être tenu d'indemniser les deux propriétaires du dommage qu'il leur a causé, en les plaçant ainsi dans l'indivision sans leur volonté.
Si la réunion est le fait de l'un des propriétaires, l'autre peut aussi se plaindre du même résultat.
Nous verrons encore, à l'article 19, un autre droit de ce même propriétaire.
Art. 18. La loi passe à la seconde sorte d'accession mobilière, au mélange ou à la confusion dont on a déjà indiqué le caractère propre.
Le mélange diffère de l'adjonction en ce que l'union des diverses choses est plus intime ; les matières se confondent en quelque sorte dans toutes leurs parties : c'est ce qui a lieu pour les liquides réunis dans un même vase, pour les métaux fondus ensemble, puis solidifiés, et même pour les solides, lorsqu'ils sont de petit volume, en grand nombre et de nature semblable, ce qui rend difficile de les distinguer aisément, comme des riz de qualités plus ou moins semblables qui auraient été confondus.
Dans le cas de mélange, on appliquera les mêmes règles qu'à l'adjonction et sous les mêmes distinctions ; par conséquent, si l'on peut séparer les matières sans trop de difficultés, elles seront séparées ; mais cela sera rare : l'opération, lorsqu'elle ne sera pas très-lente comme pour les riz, sera très-coûteuse, comme pour les métaux fondus ensemble et elle sera presque toujours impossible pour les liquides, comme pour les vins, les huiles, etc.
Dans ces cas où la séparation est difficile ou impossible, le mélange total appartient au propriétaire de la chose principale, et comme, en pareil cas, on ne peut pas supposer, en fait, que dans la réunion des choses, l'une soit pour l'usage, l'ornement ou le complément de l'autre, on ne conçoit guère que la prédominance de valeur qui puisse déterminer la cause d'acquisition ; or, cette prédominance de valeur ne pourra provenir que de la différence de nature et de qualité de la chose ; la différence de quantité ne suffirait pas ; aussi la loi décide-t-elle expressément 1° qu'à défaut de cette diversité de valeur, la masse totale des objets mélangés appartient en commun aux divers propriétaires, et, comme il est possible qu'ils aient contribué inégalement à la formation de la masse mélangée, elle veut 2° que leurs droits dans l'indivision soient proportionnels à la quantité provenant de chacun. Cela est raisonnable et juste ; car, supposons des vins de même qualités réunis dans la mesure de deux tiers pour l'un et d'un tiers pour l'autre, il serait déraisonnable de donner toute la propriété au premier, avec indemnité pour le second, et injuste de leur reconnaître des droits égaux dans l'indivision.
Art. 19. Les solutions qui précèdent sont, en principe, applicables aussi bien quand l'adjonction et le mélange résultent du fait d'un tiers que lorsqu elles résultent du fait d'un des copropriétaires ; mais, dans ce dernier cas, l'auteur de la modification des choses peut encore être tenu de réparer, autrement qu il n a été dit, le dommage par lui causé.
Il est possible que l'autre propriétaire, dont la chose est principale, ne désire pas devenir propriétaire de la totalité des choses ainsi réunies, parce qu'elle excède, soit, ses besoins, soit ses moyens de payer la valeur de la chose accessoire; et si la chose doit devenir commune, le propriétaire exempt de faute peut ne pas vouloir entrer dans l'indivision avec celui qui l'a dépouillé de son droit primitif Dans les deux cas, il pourra donc renoncer, à l'un ou à l'autre de ces droits de propriété et se faire rendre par l'autre propriétaire pareilles quantité et qualité de matière ou l'estimation ; ce dernier aura à son tour la propriété entière des choses réunies ou mélangées.
Art. 20. La loi arrive au dernier cas d'accession, à la spécification ou création d'une espèce nouvelle. Il faut toujours supposer qu'il y a deux ou plusieurs intéressés, le propriétaire de la matière et le spécificateur, au moins; car si quelqu'un a transformé sa propre matière, il n'y a pas de question: il est seul propriétaire.
Ici, comme dans les autres cas, c'est toujours la chose principale qui entraîne l'accessoire ; seulement, la difficulté n'est plus la même : la comparaison est à faire entre la matière et la main-d'œuvre.
Cette question de propriété de la chose ainsi créée avec la matière d'autrui, avait beaucoup divisé les jurisconsultes romains: les uns donnaient la préférence au propriétaire de la matière, parce que sans elle, l'objet n'aurait pu être créé ; les autres lui préféraient le spécificateur, parce qu'ils se plaçaient plus volontiers clans le cas d'une œuvre d'art où, en effet, le travail l'emporte facilement sur le prix de la matière; plus tard, la loi consacra une opinion intermédiaire d'après laquelle on devait distinguer si l'objet spécifié pouvait on non être ramené à son état primitif ; dans le premier cas, et sans qu'il fut nécessaire d'opérer la transformation, la propriété appartenait au maître de la matière ; dans le second cas, elle appartenait au spécificateur, sauf indemnité au propriétaire de la matière. Cette distinction avait son côté séduisant, car on pouvait dire que dans Je premier cas, l'objet n'était réellement pas nouveau, tandis qu'il l'était dans le second ; la matière ne pouvant pas reparaître à l'état primitif était considérée comme détruite et ne pouvait plus être revendiquée ; l'objet, dès lors nouveau, ne pouvait avoir d'autre maître que le spécificateur, comme premier occupant : on rentrait ainsi, sans le dire, dans Y occupation.
Le résultat n'en était pas moins quelquefois singulier et dépendait trop de la nature physique des objets : ainsi, un objet sculpté avec grand talent sur un bronze de peu de valeur, aurait appartenu au propriétaire de la matière, parce que le bronze travaillé peut aisément être ramené à son premier état ; tandis qu'un simple socle carré, de vase ou de statue, taillé dans un beau marbre, serait devenu la propriété d'un spécificateur sans talent ; de même, un tableau fait sur la planche d'autrui aurait dû appartenir au propriétaire de la planche, parce qu'elle n'était pas détruite comme telle par la peinture, tandis que celui qui aurait confectionné une tunique avec une étoffe précieuse de pourpre en aurait acquis la propriété.
Quoi qu'il en soit du mérite et des défauts de ce système, les Codes modernes l'ont formellement rejeté en donnant, en principe, la préférence au propriétaire de la matière, soit que la matière puisse ou non reprendre sa première forme. Cependant la préférence reste à la main-d'œuvre, si elle surpasse notablement la valeur de la matière.
C'est aussi le système du présent Code.
Le 3e alinéa augmente pour le spécificateur les chances d'avoir la priorité, lorsqu'il a fourni une partie de la matière, en même temps que la main-d'œuvre.
Le 4e alinéa applique au cas de spécification une disposition analogue à celle de l'article précédent pour l'adjonction et le mélange : la partie qui peut se plaindre de l'autre n'est pas tenue de se prévaloir du droit de préférence qui lui appartiendrait et peut se faire indemniser en y renonçant.
Art. 21. Les solutions qui précèdent ont été données par la loi, dans l'hypothèse où les choses ont été réunies, mélangées ou transformées sans le consentement respectif des propriétaires.
Nous avons dit, sous l'article 14, que dans le cas où ce consentement a eu lieu, la question de propriété serait résolue d'après la convention. Mais il est à prévoir que souvent les parties auront négligé de s'expliquer suffisamment sur leur but et leur intention ou, l'opération une fois accomplie, ne seront plus d'accord sur les résultats ; la loi a donc dû, en terminant, donner encore ici quelques règles d'interprétation de la volonté probable des parties.
Ainsi d'abord, l'article 14 ne s'appliquera pas, dans sa première disposition relative au droit pour chaque propriétaire de demander la séparation : il est clair que s'ils ont consenti à ce que leurs choses fussent réunies ou mélangées, ce n'était pas pour garder le droit individuel de les faire séparer.
Reste à savoir si, par cela seul que les propriétaires ont consenti à la réunion, c'était avec l'intention de devenir copropriétaires indivis ; ce ne sera pas toujours certain : il est possible, au contraire, que celui auquel appartenait la chose principale ait eu l'intention d'acquérir la chose accessoire, en en payant la valeur, bien entendu. Tout au plus, pourrait-on distinguer lequel des deux a sollicité la réunion : si c'était le propriétaire de la chose accessoire qui l'eût demandée et exécutée, c'était peut-être pour acquérir lui-même le tout, avec indemnité.
Le plus souvent, sans doute, il conviendra d'attacheà la convention l'effet de rendre les intéressés copror priétaires indivis, chacun en proportion de la valeur de ce qu'il a fourni à la masse devenue commune. Si l'indivision a pour les parties des inconvénients, elles en sortiront par la licitation.
Art. 22. Quoique les trois cas d'adjonction, de mélange et de spécification soient à peu près les seuls que l'expérience ait rencontrés et que les autres législations aient prévus comme accession mobilière, la loi ne veut pas que les tribunaux soient sans guide poulie cas où des faits différents se présenteraient : elle leur propose d'abord d'appliquer, par analogie, autant que possible, les règles précédentes, et subsidiairement, de s'inspirer “des principes de l'équité naturelle.”
Il n'en faudrait pas conclure que ce soit là le seul cas où les tribunaux doivent s'inspirer du droit naturel ou de l'équité : déjà la loi leur en a fait un devoir pour déterminer l'effet des conventions (art. 329) ; en outre, toutes les dispositions de la loi concernant la bonne et la mauvaise foi impliquent pour les tribunaux un pareil devoir, en les plaçant sur le terrain de l'équité ; enfin, dans tous les autres cas, si la loi ne proclame pas pour les tribunaux le pouvoir de statuer d'après l'équité, c'est parce qu'elle a prétendu déterminer elle-même les solutions que l'équité commandait.
Art. 23. Déjà l'article 5 a réglé les droits de celui qui, par l'effet du hasard, a trouve un trésor dans le fonds d'autrui : la loi, suivant une tradition presque universelle, lui en accorde la moitié, a titre d invention ou d'occupation.
Ordinairement, les lois, pour abréger et ne pas revenir sur cette matière, règlent en même temps les droits du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est découvert et lui attribuent l'autre moitié.
On a préféré, dans ce Code, mettre chaque disposition à la place qui lui convient logiquement.
En effet, à l'égard de la moitié qui n'est pas attribuée à l'inventeur, l'acquisition du propriétaire n'est pas fondée sur l'occupation : on pourrait, sans inconvénient, dire qu'elle est fondée sur la loi ; mais, comme ce bienfait de la loi est fondé lui-même sur la propriété de la chose principale, il est naturel de le faire rentrer dans les cas d'accession.
A cette occasion, nous donnerons la solution promise plus haut, au sujet du trésor trouvé dans un bâtiment vendu pour être démoli, mais encore attaché au sol : il ne nous paraît pas douteux que la moitié revenant au propriétaire de la chose principale soit acquise à celui à qui appartient le bâtiment; le trésor est caché dans le bâtiment et non dans le sol ; le cas ne diffère pas juridiquement de celui où le trésor n'aurait été découvert que dans les décombres du bâtiment déjà démoli : les bâtiments vendus pour être démolis sont déjà des “meubles par destination” et, comme tels, ils enlèvent tout droit au propriétaire du sol.
Disons encore, en passant, que c'est à raison de ce que le trésor découvert dans un meuble appartient pour moitié au propriétaire dudit meuble, que cet article est place ici à la fin de la matière de l'accession, et c'est ainsi que le texte a soin d'exprimer sa double application “mobilière et immobilière."
En attribuant ainsi la moitié du trésor au propriétaire de la chose principale, la loi suit deux considérations d'équité : la première, c'est que le trésor peut avoir été déposé par un des anciens propriétaires, et le propriétaire actuel est le plus souvent son héritier ; par conséquent, celui-ci se trouve déjà propriétaire du trésor à son insu : la découverte du trésor lui fait recouvrer l'exercice et la jouissance effective de son droit, plutôt qu'elle ne lui fait acquérir le droit lui-même ; ce droit se trouve même réduit de moitié, pour la récompense de l'inventeur qu'il a paru bon d'associer à ce bénéfice du hasard, afin d'éloigner de lui la pensée d'un détournement.
Mais cette première considération ne suffirait pas toujours à justifier le droit du propriétaire actuel, car il peut n'être pas l'héritier des anciens propriétaires : il n'est pas rare qu'il soit un acheteur et peut-être tout récent.
Il faut ajouter que la loi considère que, sans le hasard qui a amené un tiers à la découverte du trésor, le propriétaire avait de grandes chances de faire lui-même, tôt ou tard, cette même découverte, laquelle alors lui aurait donné le trésor tout entier.
Notre article tranche encore deux et même trois questions sur lesquelles il pourrait y avoir doute, si la loi ne prenait soin de s'en expliquer.
1° La découverte du trésor a été faite par le propriétaire même de la chose principale, c'est-à-dire de celle dans laquelle le trésor était enfoui ou caché : il est naturel que le tout lui appartienne ; ce n'était pas là le cas douteux, puisque le propriétaire n'a pas de concurrent.
Mais à quel titre acquiert-il cette chose ? Il paraît logique et naturel de reconnaître qu'il y a en lui deux qualités : celle d'inventeur et celle de propriétaire, et que s'il acquiert les deux moitiés du trésor, c'est pour partie en l'une de ces qualités et pour partie en l'autre. La distinction aurait de l'intérêt, si la propriété était indivise entre l'inventeur et un tiers : l'inventeur aurait seul la moitié que lui est attribuée en cette qualité.
2° La découverte du trésor, au lieu d'être fortuite, a eu lieu par suite de recherches faites dans ce but : en ce cas, que ce soit par le propriétaire lui-même, ou par un tiers avec ou sans son ordre, c'est le propriétaire qui acquiert ; on a vu, en effet, à l'article 5, que le tiers n'aquiert la moitié du trésor que quand sa découverte est due au hasard.
3° Il fallait admettre contre le propriétaire de la chose principale, comme contre l'inventeur, la revendication du trésor par son véritable propriétaire ; il fallait aussi l'enfermer dans des limites assez étroites : la loi adopte naturellement la même prescription qu'à l'égard de l'inventeur et, pour cela, celle renvoie à l'article 6.
CHAPITRE III.
DE LA VENTE.
SECTION PREMIÈRE.
DES RÈGLES COMMUNES DE LA VENTE.
§ 1er. DE LA NATURE ET DE LA FORMATION DE LA VENTE.
Art. 24. Le Code commence par le contrat de vente la série des contrats nommés et à titre onéreux. Ce n'est pas cependant que ce contrat ait été le premier pratiqué à l'origine des sociétés, mais il est, en tout pays, le plus naturel et le plus utile.
C'est certainement par l'échange que les hommes ont commencé leurs conventions intéressées.
L'importance du contrat de vente lui a toujours fait donner une place considérable dans les lois civiles des divers pays. Il en est de même au Japon.
Il eût été possible de réduire l'étendue de ce Chapitre en laissant à l'interprétation judiciaire et à la doctrine le soin d'emprunter aux contrats innommés, formant la IIe Partie du Livre des Biens, une foule de règles qui par leur généralité s'appliquent à la vente ; mais on a songé que les particuliers qui voudront, en contractant une vente, se rendre compte de leurs droits et de leurs devoirs, les chercheront plutôt au Chapitre de la Vente que dans les Conventions en général, et qu'ils courraient risque de s'égarer, si la loi ne leur donnait une aide dont les magistrats et les légistes n'auraient pas le même besoin. Cependant, la loi renvoie à ces règles générales des contrats, par ce qu'elle ne peut reproduire ici une foule de principes généraux qui régissent la vente comme les autres contrats.
Les divisions sont naturelles et simples ; ce sont celles qu'on a déjà employées pour plusieurs droits réels et qu'on retrouvera pour la plupart des contrats nommés : d'abord des règles générales sur la nature du contrats et sa formation ; puis ses effets, à la charge et au profit de chaque partie ; enfin, sa destruction par des causes accidentelles, car la vente, à la différence de plusieurs autres contrats, est destinée à. produire des effets irrévocables et perpétuels.
La définition de la vente donnée par notre premier article répond aux deux effets que peut produire la vente : 1° elle transfère la propriété, par elle-même et sans tradition, s'il s'agit d'un corps certain, meuble ou immeuble, pourvu que le vendeur soit lui-même propriétaire (et il lui sera interdit plus loin de vendre la chose d'autrui) ; 2° elle oblige le vendeur à transférer la propriété, quand la chose vendue n'est déterminée que par l'espèce, la quantité et la qualité, et le vendeur ne doit pas livrer des choses ne lui appartenant pas.
Mais, par cela même que le Code exprime que le vendeur ne peut se borner à une livraison ou tradition, quand l'acheteur a entendu acquérir un droit complet sur la chose vendue, il doit prévoir des cas où l'intention sera moins étendue ; aussi le texte a-t-il soin d'indiquer que, du côté du vendeur, l'objet peut être autre qu'une translation de propriété : ce pourrait être seulement “un démembrement de la propriété,” comme un droit d'usufruit, d'usage ou d'habitation, une servitude foncière.
La vente pourrait avoir aussi pour objet un droit de creance contre un tiers. Le texte ne le prévoit pas explicitement ; mais on peut, à la rigueur, dire que celui qui vend une créance lui appartenant en transfère la propriété, eu ce sens qu'il cède à l'acheteur le droit qu'il avait lui-même de disposer de la créance, en maître, c'est-à-dire de la faire valoir, de la détruire ou de la céder, à son tour.
Le contrat de vente n'est pas à titre gratuit, mais à litre onéreux : chaque partie y trouve une charge, y fait un sacrifice; la définition devait l'expprimer ; c'est pourquoi il est ajouté que l'autre partie s'oblige à payer un prix, une contre-valeur, qui doit consister “en argent,” sans quoi, on se trouverait dans le cas de l'échange. Comme l'argent est une chose de quantité, la propriété n'en peut être transférée que par la livraison, aussi n'y a-t-il qu'une obligation à la charge de l'acheteur, au moment de la formation du contrat. Cette obligation peut même, comme dit le texte, être misé à la charge d'un tiers.
Le prix doit être déterminé par le contrat, afin qu'il ne dépende pas du vendeur d'en exiger un plus fort, ni de l'acheteur d'en offrir un plus faible. Mais cette détermination comporte quelques équivalents qui ne peuvent prendre place dans la définition et qui seront indiqués plus loin.
Le 2e alinéa déclare, comme on l'a annoncé plus haut, que la vente ne trouvera pas ici toutes les règles qui lui sont applicables, On a déjà dit qu'elle était soumise aux règles générales des Conventions établies au Livre des Biens, IIe Partie. Il était nécessaire que le principe fût posé une fois pour toutes, afin d'éviter des redites et, sourtout, afin qu'on ne crût pas que, parce que la loi aurait reproduit au sujet de la vente quelques-unes de ces règles générales, elle entendait, par là même, exclure indirectement les autres.
Ainsi, on devra appliquer à la vente :
1° Les conditions générales d'existence et de validité des conventions (art. 304 à 32.6) et, par suite, toute la théorie du consentement et de la capacité de contracter, avec la sanction des vices du consentement et de 1 incapacité qui est l'action en nullité ou en rescision (art. 544 à 559) ;
2° La distinction entre les effets de la convention entre les parties et ses effets à l'égard des tiers (art. 327 à 355);
3° L'interprétation des conventions (art. 356 à 360) ;
4° Les effets des obligations, l'action directe et l'action en dommages-intérêts (art. 381 à 394) ;
5° Les diverses modalités des obligations : le terme, la condition, le caractère alternatif ou facultatif de l'objet, la divisibilité ou l'indivisibilité des obligations, la solidarité entre créanciers ou entre débiteurs, ou le caractère d'obligation simplement conjointe (art. 401 à. 449) ;
6° Les divers modes d'extinction des obligations, notamment le pavement que doit l'acheteur (art. 450 à 561) ;
7° Enfin, les preuves qui forment l'objet d'un Livre spécial s'appliquent à la vente comme aux autres contrats.
Art. 25. De tout temps et en tous pays, sans doute la vente, à cause de sa nécessité a été dispensée de formalités gênantes. Les Romains mêmes, dont la législation était très-formaliste, se sont contentés, pour la vente, du simple consentement des parties. Ce consentemant, il est vrai, ne transférait pas la propriété : il n était que productif de l'obligation de livrer, d'une part, et de payer le prix d'autre part ; mais c'était déjà favoriser beaucoup ce contrat que de le dispenser des paroles plus on moins solennelles, requises, au contraire, pour la stipulation ou contrat unilatéral, pour le cautionnement, etc.
Une des causes qui avaient fait affranchir le contrat «le vente de toute solennité était le besoin de le rendre possible entre les citoyens romains et les étrangers ; d'où son nom de”contrat de droit des gens,” comme était aussi le louage, la société, le prêt, etc.
Il va de soi que, dans les temps modernes, on ne pouvait songer à entraver la vente par des formalités.
Mais si la vente est formée par le seul consentement, “parfaite” comme dit le texte, en employant l'expression consacrée, il y aura la difficulté de la preuve.
La preuve testimoniale est limitée dans son application : elle n'est admise, en principe, que pour une somme ou valeur de 50 yens ou au-dessous; il est donc presque toujours de l'intérêt des parties de dresser un acte écrit constatant la convention (Liv. des Preuves art. 60). Il n'est pas nécessaire de recourir à un acte notarié, à moins que les parties ou l'une d'elles ne puissent pas même apposer leur sceau. Si l'on dresse un acte sous seing privé, il doit être rédigé en double ou en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct (Liv. des Preuves, art. 21).
Il est donc quelquefois nécessaire et toujours très utile de dresser un acte écrit pour constater les ventes de quelque importance, parce que le témoignage des hommes manque souvent de précision, la mémoire est fugitive, surtout lorsqu'il s'agit des affaires d'autrui, et les difficultés qui ne peuvent se résoudre que par la preuve testimoniale donnent lieu à des procès longs et coûteux qu 'on eût évités le plus souvent en rédigeant un écrit ; on peut toujours rédiger un écrit clairement et il serait téméraire de plaider contre un écrit, lorsqu'il n'est pas équivoque.
La loi n'a pas imposé aux parties l'obligation de dresser un acte écrit de la vente, mais il y a lieu de croire que, par leur volonté et d'après leur intérêt, ce sera le plus fréquent.
D'abord, quand il s'agira d'immeuble, il y aura pour l'acheteur un intérêt majeur à faire dresser un acte de vente, afin de pouvoir le présenter à l'inscription : autrement, il ne pourrait se prévaloir de son droit contre les ayant-cause de son vendeur qui auraient traité postérieurement à lui, au sujet du même bien, et auraient publé leur acquisition.
Pour 1 s mêmes biens et pour toutes autres choses d'une valeur sérieuse, les parties ont un intérêt si manifeste à la rédaction d'un écrit comme instrument de preuve, que souvent il est exprimé ou sous-entendu entre elles que, bien que le consentement soit donné de part et d'autre et l'accord établi sur tous les points, chacun des contractants cependant ne sera lié définitivement qu'après avoir missasignature au pied d'un acte écrit, et l'on voit même souvent, à cette occasion, naître des dissentiments, lorsqu'il s'agit de préciser par écrit certaines clauses qui n'avaient pas été l'objet d'une attention suffisante; il en pourra résulter une repture de la convention, ou bien on la refera sur d'autres bases; mais si l'on n'avait pas dressé d'acte, ces clauses, restées incertaines, fussent devenues la matière d'un procès ultérieur, ce qui eût été un plus grand mal qu'un contrat abandonné.
Le texte tient compte de cette volonté des parties, de retarder leur consentement définitif à la vente jusqu'à la rédaction d'un écrit probatoire. Il n'exige pas que les parties aient formellement exprimé cette intention ; elle peut résulter suffisamment des circonstances : puisqu il ne s'agit encore que d'une convention verbale, on ne pourrait raisonnablement exiger une déclaration expresse qui ne pourrait se prouver elle-même que par témoins. Ce sera aux tribunaux à apprécier cette intention.
La condition de rédiger un acte de vente lorsque les parties l'ont ainsi entendu est, de sa nature, potestative pour l'une et l'autre ; chacune d'elles peut donc, en refusant de signer, renoncer au contrat et s‘en départir, et cela valablement et impunément, à moins qu'il ne soit intervenu une dation d'arrhes, comme garantie de la promesse et comme peine du dédit.
On va retrouver bientôt ce caractère et cet effet des arrhes sous l'article 29.
Art. 26. 27 et 28. Il peut y avoir promesse unilatérale soit de vendre, soit d'acheter, ou promesse réciproque de vendre et d'acheter.
I. Promesse unilatérale de vendre. Une pareille promesse ne peut être actuellement translative de propriété, puisque le promettant ne pourrait être dépouillé de son droit de propriété sans acquérir une créance du prix et que l'autre partie, en obtenant le droit d'acheter, n'a pas encore déclaré vouloir en user.
Le promettant est donc obligé sous une condition suspensive dont l'accomplissement dépend de la volonté d'autrui.
Lorsque le stipulant déclarera vouloir acheter, la condition sera remplie et le promettant devra passer le contrat de vente, naturellement par écrit, pour qu'il n'y ait pas d'incertitude sur l'exécution de son obligation. D'ailleurs le stipulant ne devrait pas laisser le promettant dans une incertitude indéfinie sur le parti qu'il prendra ; si donc la convention n'a pas fixé de délai pour l'exercice de la faculté d'acheter, le promettant pourrait demander au tribunal d'en fixer un, passé lequel le droit d'acheter sera perdu. C'est l'application d'un principe général déjà posé par les articles 403 et 415 du Livre des Biens et qu'on retrouvera dans plusieurs autres matières.
Supposons que le promettant requis de passer le contrat s'y refuse. Il y a là une obligation de faire et il semblerait que, le promettant ne pouvant être matériellement contraint à un acte qui exige sa volonté, l'obligation ne puisse que se résoudre en dommages-intéiets. Mais on nest pas dans un de ces cas où 1 exécution forcée soit impossible : rien n'empêche que le promettant soit dessaisi de la possession de la chose qui sera considérée dès lors comme vendue et, si le stipulant en est évincé, rien ne s'opposera à ce qu il ait contre le promettant l'action en garantie d'éviction, surtout s il a déjà payé le prix.
Pour que ces effets se produisent, il suffit, mais il est nécessaire, que le tribunal rende un jugement qui tienne la vente pour faite et qui forme titre de vente et d'achat entre les parties : ce sera même un titre authentique, là où le promettant ne devait fournir qu'un titre sous seing privé.
Mais une grande difficulté pourrait sc présenter et la loi doit la résoudre.
Si, dans l'intervalle, le promettant avait aliéné la chose à un tiers, et qu'il s'agît d'un immeuble, et que ce tiers eût fait l'inscription, il serait impossible que le jugement dépouillât ce tiers ; un contrat volontaire de vente ne l'aurait pas pu, le jugement qui en tient lieu ne doit pas le pouvoir davantage.
D'un autre côté, celui auquel a été faite la promesse de vente ne doit pas être à la pure discrétion du promettant.
La loi déclare donc que si le stipulant a fait l'inscription de la promesse de vente, il a sauvegardé son droit éventuel de propriété contre les aliénations intérimaires que pourrait faire le promettant : les tiers sont alors prévenus que celui avec lequel ils traitent n'a plus qu'un droit résoluble sur la chose et que cette résolution s'accomplira quand le stipulant exercera la condition suspensive de son droit.
Ce cas est loin d'être le seul où une inscription s'applique à des droits éventuels (voy. Liv. des Biens art 352).
Lorsque, plus tard, le jugement sera rendu en faveur du stipulant, il sera mentionné en marge de ladite inscription et toute incertitude cessera.
Si l'inscription de La promesse n'avait pas été faite, l'inscription du jugement seul ne mettrait obstacle qu'aux aliénations postérieures. Toutefois, le stipulant pourrait toujours faire l'inscription de sa demande, pour se garantir contre les aliénations qui auraient lieu pendant le procès.
Si, au lieu d'un immeuble, objet de la promesse unilatérale de vente, nous; supposons qu'il s'agisse d'un meuble et qu'avant la décision du stipulant, il ait été aliéné et livré à un tiers de bonne foi, celui-ci ne pouvant être privé de la chose (Liv. des Biens, art. 46), la promesse ne pourrait se résoudre qu'en dommages-intérêts II Promesse unilatérale d'acheter. Cette promesse a des similitudes et des différence avec la précédente. Elle est régie par les deux mêmes articles, 26 et 27 sauf le dernier alinéa de l'article 27 qui ne s'applique qu'à la promesse de vendre.
Ainsi, celui qui a promis d'acheter dès que le stipulant déclarera vouloir vendre, sera tenu de passer le contrat quand le stipulant se prévaudra de la promesse qui lui a été faite ; il pourra seulement, s'il n'y a pas de délai fixé pour l'exercice du droit auquel il est soumis. en faire fixer un par le tribunal.
Si le promettant refuse de passer le contrat, le tribunal rendra un jugement qui le déclarera acheteur, au prix et aux conditions fixées, et s'il s'agit d'un immeuble, le jugement sera inscrit.
Jusqu'ici nous n'avons que des ressemblances entre les deux promesss ; mais voici où est la différence, et elle est considérable.
Lors même que la promesse d'achat aurait été inscrite par le promettant, elle ne le préserverait pas des aliénations que le stipulant aurait pu faire de la chose qui est restée à son entière disposition : ici, il n'y a pas eu, pour le promettant, acquisition de la propriété sous condition, ou, cette condition étant purement potestative pour le stipulant, on doit reconnaître qu en aliénant sa chose à un autre, il s'est mis volontairement hors d'état de se prévaloir vis-à-vis du promettant de la faculté de lui imposer la vente stipulée.
Il en est de même s'il s'agit d'un objet mobilier et qu'il l'ait aliéné et livré à un tiers.
III. Promesse réciproque de vendra et d'acheter. La promesse, quoique réciproque, ne produira, en principe, que les effets de la promesse unilatérale. Seulement, comme il y a deux promesses, l'effet, au lieu d'être simple, sera double : au lieu qu'une seule partie puisse contraindre l'autre, elles pourront se contraindre toutes deux; chacune pourra demander la fixation d'un délai, pour ne pas rester indéfiniment dans l'incertitude; s'il s'agit d'immeuble, celui qui doit jouer le rôle d'acheteur a intérêt à faire inscrire la promesse qui lui a été faite, pour être admis à invoquer son droit contre les cessionnaires intérimaires qui auraient traité avec celui qui devait être vendeur.
Cependant, la loi ne voulant pas donner une solution absolue et inflexible qui pourrait être contraire à l'intention des parties, laisse aux tribunaux le droit de décider, suivant les circonstances, que “les parties ont entendu faire une vente actuelle et immédiate,” et, s'il y a un délai fixé dans la promesse, “qu'il n'est pas donné aux parties pour passer le contrat, mais pour l'exécuter”
Art. 29. On trouve déjà les arrhes dans l'ancienne coutume japonaise, les arrhes comme un moyen de se dédire de la vente, par le sacrifice d'une somme ou valeur déposée par une partie à l'autre en garantie de son engagement.
Mais il n'y a pas lieu de croire que ce dédit fût possible, lorsque la vente était parfaite, c'est-à-dire formée par l'échange définitif des consentements: les arrhes n'intervenaient que dans le cas où les parties avaient subordonné la perfection de la vente à la rédation d'un écrit, ce qui était un cas analogue à celui que nous appelons aujourd'hui “promesse de vente.” Dans ce cas, comme il eût été facile à l'une ou à l'autre des parties de se refuser à la rédaction ou à la signature de l'écrit, il était utile que chacune se liât par le dépôt, aux mains de l'adversaire ou d'un tiers, d'une somme ou valeur dont la perte était la peine de son dédit.
Les arrhes sont, donc de plein droit et par l'accord tacite des parties, un moyen de dédit, lorsque la vente n'est pas encore parfaite. Les cas sont au nombre de deux : 1° celui où les parties, bien qu'ayant conclu la vente, activement et passivement, c'est-à-dire réciproquement, en ont subordonné la perfection à la rédaction d'un écrit, pour en assurer la preuve ; 2° celui où il n'y a en que promesse de vente, soit unilatérale de vendre ou d'acheter, soit bilatérale ou réciproque de vendre et d'acheter.
Dans les deux cas, la vente étant encore imparfaite, il ne peut être question de voir dans les arrhes un à-compte sur le prix, même quand elles sont données par l'acheteur : ce serait admettre, contre toute raison, un commencement d'exécution anticipée ; elles ne peuvent, dès lors, avoir qu'un but raisonnable : permettre le désistement et punir de leur perte celui qui refusera de parfaire le contrat, dans le premier cas, ou de le passer, dans le second cas, c'est-à-dire de vendre ou d'acheter, comme il l'avait promis.
Comme l'explication du second cas facilitera celle du premier, c'est par elle que nous commencerons.
Si la promesse est unilatérale, soit de vendre, soit d'acheter, le promettant seul donne des arrhes : lui seul encore étant lié, doit, seul aussi, être punissable de se délier. Dans ce cas, la théorie des arrhes est fort simple : si le promettant ne remplit pas sa promesse, il ne recouvre pas ce qu'il a donné ; s'il la remplit, les arrhes lui sont rendues. C'est alors seulement qu on peut dire que les arrhes non perdues sont “un a-compte sur le prix,” ou plutôt, se trouvent l'avoir été par l'événement ; mais encore faut-il quelles aient consisté en argent.
Si la promesse est réciproque, il est bon qu'il soit donné des arrhes des deux côtés, surtout si elles ne consistent pas en objets de nature identique. Mais, si une seule des parties a fourni des arrhes, ce qui n'implique pas que l'autre ait été privée du droit de se dédire, la première est punie de son dédit en perdant ce qu'elle a donné et l'autre est punie du sien en rendant ce qu'elle a reçu et en y ajoutant pareille valeur, ce que la loi appelle “rendre le double de ce qu'elle a reçu.” Dans cette dernière hypothèse, il n'y aura pas de difficulté, si les arrhes reçues ont consisté en argent : il est facile d'en doubler la somme ; mais, si elles ont consisté en un objet mobilier qui n'a pas une valeur courante, il faudra en faire l'estimation pour l'ajouter à la restitution en nature.
C'est la solution de cette dernière hypothèse qui s'appliquera au premier cas réservé plus haut, à celui d'une vente conclue des deux côtés, mais dont la perfection a été subordonnée à la rédaction d'un écrit ; les deux parties sont liées, autant et plus même que dans la promesse réciproque de vendre et d'acheter; les arrhes y joueront donc le même rôle.
Le présent article a bien soin d'exprimer les deux cas : " refus de passer le contrat ou refus de le rédiger."
Art. 30. Il résulte de l'explication de l'article précédent qu'eu principe, les arrhes ne sont un moyen de dédit que dans les promesses de vente on dans les ventes encore imparfaites, faute de là rédaction d'un écrit mise comme condition a leur perfection ; quand la vente est parfaite, il ne doit pas être permis à une partie de s'en départir sans le consentement de l'autre : autrement, il ne serait plus exact de dire que le contrat se forme, qu'il lie les parties, par le seul consentement. Bien plus, si l'on admettait le dédit à l'égard d'une vente parfaite, on devrait l'admettre même quand la perfection de la vente, au lieu d'être immédiate, n'est résultée que de la rédaction de l'écrit ou de la réalisation de la promesse de vente ; or, il y aurait là une prolongation exagérée de cette faculté de dédit et une fâcheuse incertitude dans les droits des parties et des tiers.
Toutefois, même dans les ventes parfaites, les arrhes peuvent avoir eu pour but de permettre le dédit, tout en le punissant ; mais, c'est à la condition qu'elles ne puissent avoir le caractère d'un à-compte versé sur le prix. Or, si l'acheteur a versé au vendeur une somme d'argent, même en la qualifiant “arrhes,” on peut et, par conséquent, on doit la considérer comme fournie à valoir sur le prix et non comme un moyen de dédit. Si, au contraire, la valeur fournie par l'acheteur n'est pas de l'argent, elle ne peut être un à-compte sur le prix, lequel doit nécessairement consister en argent ; elle est donc donnée et reçue comme moyen de dédit. Si une valeur est fournie par le vendeur, même en argent, elle a nécessairement le même caractère de moyen de dédit, car le vendeur n'a pas d'à-compte à fournir.
Dans ces deux cas, ce n'est qu'à la partie qui a donnée les arrhes qu'appartient la faculté de dédit : ce n'est pas le cas où celle qui les a reçues pourrait se dédire en les rendant au double. Le texte du présent article est formel en ce sens.
Si la dation d'arrhes a été réciproque et si les parties leur ont expressément donné le caractère de dédit chacune peut se dédire ; mais alors avec la peine ordinaire, c'est-à-dire en rendant ce qu'elle a reçu et en abandonnant ce qu'elle a donné.
Enfin, la loi réserve les usages locaux qui pourraient admettre le dédit dans d'autres cas.
Il restait à savoir combien de temps durerait la faculté de dédit, soit dans le cas de la vente subordonnée à la rédaction d'un écrit, soit dans la promesse de vente, tant unilatérale que synallagmatique, soit enfin dans le cas de vente actuelle et immédiate, avec les circonstances prévues au présent article.
D'abord, si un délai a été fixé pour l'exercice de cette faculté, il est clair qu'après son expiration le dédit n'est plus possible.
Mais si aucun délai n'a été fixé, le dédit cesse encore d'être possible après l'exécution, même partielle ; sans qu'il y ait à distinguer de quel côté a eu lieu l'exécution, car la partie qui accepte l'exécution n'y participe pas moins que celle qui la fournit.
II reste à savoir si l'exercice du dédit opérera résolution de la vente ou de la promesse de vente, même à l'égard des tiers.
S'il s'agit de meubles, évidemment non : les tiers auxquels le meuble aurait été aliéné et livré et qui auraient ignoré la faculté de dédit ne pourraient être évincés (art. 346).
S'il s'agit d'immeubles, la faculté de dédit ne pourrait être opposée aux tiers qui auraient fait faire l'inscription de leurs droits qu'autant que la première vente ou promesse de vente aurait été inscrite, avec mention expresse de la dation d arrhes et de la faculté de dédit qui y était attachée.
Art. 31. Il y a des choses dont les qualités ou les défauts ne se révèlent pas au premier aspect, surtout parmi les choses mobilières, comme un cheval de selle ou de trait, un carosse de maître, une machine à vapeur. Les ventes de ces choses ne sont généralement faites qu'à l'essai, c'est-à-dire que l'acheteur subordonne la perfection de la vente, outre les autres conditions ordinaires ou stipulées, à celle que la chose lui conviendra, qu'elle répondra à ses besoins.
Généralement, l'acheteur fera sagement de se réserver expressément la faculté d'essai et le droit de refus ; mais cette réserve pourra, dans certains cas, résulter des circonstances et de la nature de la chose vendue.
La différence d'effets qu'on pourrait rattacher à la réserve expresse comparée à la réserve tacite, c'est que, dans le premier cas, le refus de l'acheteur sera généralement à l'abri de la discussion, il aura un effet absolu . tandis que, dans le second cas, l'acheteur ne sera pas autorisé à refuser une chose qui n'aurait pas de défauts notables et qui répondrait convenablement à ses besoins.
En ce qui concerne les défauts, nous réservons le cas ou ils seraient tellement graves qu'ils pourraient motiver l'action rédhibitoire dont il sera parlé à la Section IIIe, § 3 ; il ne faudrait supposer ici que des défauts relatifs aux besoins personnels de l'acheteur et non des défauts absolus dont toute personne se plaindrait. Ainsi, un cheval de selle vendu est vif et emporté, facile à s'effrayer, alors que l'acheteur est un homme déjà âgé ou un médiocre cavalier ; un cheval de trait, qui pourrait Être utile à la campagne pour des travaux agricoles, mais qui ne pourrait être convenablement attelé à une voiture de maître à laquelle pourtant il était destiné.
Les ventes à l'essai sont presque toujours mobilières ; mais on comprendrait très-bien cette condition dans une vente d'immeuble : par exemple, d'un terrain destiné à certaines cultures spéciales auxquelles il pourrait ne pas convenir.
Le texte nous dit que la condition affectant la vente à l'essai peut être suspensive ou résolutoire : elle sera le plus naturellement suspensive : la vente ne sera parfaite que si la chose est agréée, si elle convient, “si elle plaît mais la vente pourrait avoir été actuelle et immédiate, sauf à être résolue, si la chose ne convient pas, si elle déplaît.
Si les parties ne se sont pas expliquées suffisamment sur la nature de la condition, les tribunaux se prononceront sur leur intention : dans le doute, ils pourront incliner pour admettre la condition suspensive.
Le 2e alinéa prévoit une vente de denrées qu'il est d'usage de goûter, avant de les acheter définitivement.
Il y a beaucoup d'analogie entre ce cas et le précédent. Le texte semble toutefois n'admettre qu'une des deux conditions, la condition suspensive : il ne dit rien de la condition résolutoire ; mais on remarquera que le texte pose une simple présomption : il ne limite pas le pouvoir des parties; on peut donc dire que la condition suspensive d'acceptation pourra n'être que tacite, mais la condition résolutoire de refus devra toujours être expresse.
Une autre différence entre le cas de vente faite à l'essai et celui de vente subordonnée à la dégustation est relative à l'étendue de la faculté laissée à l'acheteur dans chacun de ces cas.
Dans la vente à l'essai, l'acheteur a une grande liberté de refuser, mais elle n'est pas absolue et indiscutable : ainsi, il ne pourrait pas se borner à dire que la chose “ne lui convient pas”, il faudrait encore déclarer quels défauts il lui trouve et en quoi elle ne répond pas à ses besoins; s'il prétendait refuser la chose, sous le prétexte d'un défaut qu'elle n'a pas en réalité, il pourrait être contraint de la prendre ; les conventions doivent, en effet, “s'exécuter de bonne foi” (art. 330).
Dans la vente de denrées soumises à la dégustation, il conviendra de sous-distinguer s'il s'agit, ou non, de choses destinées à la consommation personnelle de l'acheteur ou de sa famille ; dans le premier cas, le droit de refus doit être considéré comme absolu : c'est un proverbe très-juste que “les goûts ne se discutent pas.” Mais s'il s'agissait de denrées, de consommation ou autres, destinées au commerce, l'acheteur ne pourrait refuser celles qui seraient de goût et de qualité ordinaires, qui seraient, suivant l'expression du commerce, “bonnes, loyales et marchandes.”
Art. 32. On a déjà vu, dans plusieurs occasions, que, lorsqu'une partie a une faculté à exercer, cette faculté, fût-elle purement potestative, il ne doit pas lui être permis do laisser l'autre partie dans une incertitude indéfinie.
Les parties feront sagement, en pareil cas, de fixer elles-mêmes un délai pour l'exercice de ladite faculté ; si elles ne l'ont pas fait, c'est, en général, aux tribunaux qu'il appartient de le fixer, à la requête de la partie intéressée.
Ici, il n'y a pas besoin, en principe, de recourir au tribunal : c'est le vendeur qui fait sommation à l'acheteur d'avoir à faire l'essai ou la dégustation et à se prononcer dans un délai qu'il fixe lui-même et qui sera nécessairement court.
Si le délai paraissait trop court ou si l'acheteur était dans le cas de quelque empêchement légitime, par maladie ou autre, le tribunal pourrait prolonger le délai toujours parce que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi.”
Art. 33. Le prix est un des éléments constitutifs de la vente : c'est l'obligation pour l'acheteur de payer le prix qui rend le contrat synallagmatique.
Si le prix n'était pas déterminé par le contrat et si sa fixation était réservée à une époque ultérieure, il pourrait arriver que le vendeur l'exigeât trop fort ou que l'acheteur l'offrît trop faible, de sorte que le contrat ne se formerait pas de ce chef. II faut donc reconnaître que le contrat n'est pas forme tant qu'il dépend de l'une ou de l'autre des parties de débattre le prix. C'est là, au surplus, l'application d'une des conditions de formation des conventions : “elles doivent avoir un objet certain ou déterminé” (art. 304-2°).
Mais il n'est pas nécessaire que le chiffre total du prix soit exprimé dans le contrat : la loi se contente de la " détermination de ses éléments.” Ainsi, il s'agit d'un terrain et l'on a fixé le prix du tsoubo ; on ne savait pas la mesure exacte, on n'a donc pu fixer le prix total ; mais, ni le vendeur ni l'acheteur ne pourront élever de difficultés ultérieures à ce sujet : le prix sera déterminé par une opération aritlmétique fort simple, après le mesurage du sol. De même, s'il s'agit de denrées dont le prix est fixé seulement par certaines quantités, au poids, au nombre, ou à la mesure ; de même, pour les étoffes, les bois, les pierres et, généralement, pour les choses dites de quantité : dans tous ces cas, le prix sera aisément déterminé, sans qu'il soit au pouvoir d'aucune partie de le contester.
La loi permet aussi de se référer pour le prix au cours moyen du commerce de la denrée ou marchandise vendue. Seulement, il sera bon que les parlies s'expliquent sur le moment auquel on prendra ce cours : à savoir, si ce sera le cours présent, quoiqu'inconnu au moment de la vente, ou le cours du marché prochain.
Il sera toujours possible de donner un effet équitable à cette convention.
Enfin, le prix peut être laissé à l'estimation on l'arbitrage d'un tiers. Ce tiers doit être désigné aussi par le contrat, sans quoi, il dépendrait de l'une ou de l'autre des parties d'empêcher l'achèvement du contrat, en ne nommant pas l'expert ou l'arbitre : la loi n'admet pas qu'ici la désignation de l'expert soit faite par le tribunal, ce ne serait plus faire exécuter une convention mais la faire naître.
La loi n'a pas cru devoir annoncer, que, si l'expert ne peut ou ne veut faire l'estimation, le contrat ne se forme pas : il a semblé que ce résultat allait de soi. En effet, le tiers, en cas de refus ou d'impossibilité d'estimer la chose, ne peut être remplacé par un autre, à moins d'un nouvel accord des parties.
Mais ce que l'on a cru utile d'ajouter c'est que l'estimation peut être contestée, si elle est manifestement contraire à la vérité ou à l'équité. Il pourrait arriver, en effet, que ce tiers, par ignorance et incapacité, ou par complaisance ou collusion, fixât un prix hors de proportion, par son élévation ou sa faiblesse, avec la nature ou les qualités de la chose ; or, les parties, en s'en rapportant à lui pour la fixation du prix, n'ont pas entendu abandonner leurs intérêts au hasard ou au dol.
Il ne faudrait pas croire, du reste, que le tribunal, en statuant sur la demande en nullité de l'arbitrage, pourra y substituer lui-même une autre estimation ou nommer un autre arbitre : ce serait encore aller au delà de ce qu'ont voulu les parties. Si celles-ci ne peuvent se mettre d'accord, soit pour fixer elles-mêmes le prix, soit pour nommer un autre arbitre, leur désaccord emportera renonciation à la vente.
Le dernier alinéa nous dit que le prix ne doit pas nécessairement consister en capital, mais qu'il peut consister en une rente perpétuelle ou viagère ; toutefois, ces deux dernières sortes de prix ne pourraient être adoptées par l'arbitre sans des pouvoirs spéciaux, car un tel équivalent serait vraisemblablement contraire à l'intention des parties.
On ne s'arrête pas ici au caractère général de la rente, soit perpétuelle soit viagère : déjà, on a donné quelques développements sur la dernière, au sujet de l'usufruit; on traitera de chacune en son lieu, dans le Livre des Biens.
Art. 34. La loi s'écarte ici de la plupart des Codes étrangers, lesquels mettent les frais de l'acte à la charge de l'acheteur seul.
Cette disposition a peut-être été introduite, dans l'usage d'abord, puis dans la loi, par la considération que celui qui vend y est souvent contraint par des besoins d'argent, par de l'embarras dans ses affaires ; mais ce n'est pas toujours le cas, et d'ailleurs le but ne sera pas toujours atteint, car, si l'acheteur n'a pas lui-même un désir impérieux d'acquérir, il offrira un prix moins élevé, à cause de la charge des frais.
Dans les contrats synallagmatiques, le législateur ne doit pas, sans nécessité, introduire des différences de traitement entre les deux parties : il doit maintenir entre elles une parfaite égalité et s'en remettre à elles-mêmes du soin d'y déroger par leur convention.
Les frais du contrat de vente seront donc, pour moitié, à la charge de chaque partie, si elles n'ont pas fait de convention contraire.
Le 3e alinéa de l'article 333 du Livre des Biens avait posé le principe pour les contrats onéreux, en général.
§ II.--DES INCAPACITÉS DE VENDRE OU D'ACHETER.
Art. 35. Il est clair que tous ceux auxquels la loi ne l'interdit pas peuvent acheter ou vendre. Aussi la loi n'a-t-elle qu'à présenter les incapacités de vendre ou d'acheter.
La première incapacité est celle des époux.
La loi craint les avantages déguisés qui pourraient se cacher sous l'apparence de ce contrat, éminemment onéreux de sa nature; ainsi, l'époux vendeur déclarerait, soit par l'acte de vente, soit par un acte postérieur, avoir reçu le prix qui, en réalité, ne lui aurait pas été payé : ce serait un moyen facile de fraude aux créanciers du prétendu vendeur ; il éluderait aussi la révocation toute particulière à la donation entre époux que la loi permet au donateur de faire quand il lui plaît (art. 367 du Livre de l'Acquisition des Biens).
La prohibition de la vente est absolue : elle s'applique aux meubles comme aux immeubles et elle ne comporte pas d'exception.
La seule exception qu'on aurait pu admettre eût été le cas où les époux, se trouvant dans l'indivision, auraient voulu en sortir, l'un cédant sa part à l'autre. Mais il y aurait toujours eu à craindre que le prix de cette part ne fût pas réellement payé et qu'il n'y eût ainsi donation déguisée et faite eu fraude des créanciers.
La dation en payement est également prohibée entre époux et pour les mêmes motifs que la vente.
La dation en payement n'est pas une vente, parce qu'il n'y a pas de prix fixé et dû en argent: celui qui aliène peut être, il est vrai, débiteur d'une somme d'argent, mais il peut l'être aussi de toute autre valeur, peut-être même son obligation est-elle de faire ou de ne pas faire, et il doit trouver sa libération totale ou partielle comme prix de son aliénation.
Le danger de la dation en payement est à peu près le même que celui de la vente proprement dite ; la fraude y prendrait une autre forme, mais ne serait pas beaucoup plus difficile à consommer, ni plus facile à déjouer; au lieu de donner une quittance mensongère d'un prix qu'il ne recevrait pas, celui qui voudrait aliéner se reconnaîtrait préalablement débiteur d'une dette imaginaire, et la libération fictive ou simulée de cette dette serait la fraude que la loi redoute.
C'est pourquoi la loi ne permet la dation en payement que si la dette est sincère et légitime.
Mais comme il serait encore facile aux epoux de feindre une dette antérieure, par exemple un prêt qui n'aurait jamais eu lieu, la loi veut que le contrat soit soumis à l'approbation, à l'homologation du tribunal. C'est un cas de justice gracieuse ou non contentieuse : il n'y a pas procès, les époux présentent une requête au tribunal, avec justification, tant des causes de la dette que de celles de la dation en payement, et le tribunal autorise le contrat ou refuse de l'approuver.
Avec l'intervention du tribunal, un grand nombre de fraudes seront évitées : l'autorisation de ce mode de payement ne sera accordée que s'il paraît bien évident au tribunal que la dette n'est pas simulée, qu'elle existe légitimement et sincèrement ; telle serait, par exemple, une dette dont un époux serait tenu envers l'autre, comme héritier du débiteur de celui-ci.
L'autorisation une fois donnée ne pourrait plus être rétractée, le contrat étant devenu définitif.
La loi nous dit que la dation en payement n'est parfaite qu'après l'autorisation ; il en faut conclure que jusque-là chacun des époux peut renoncer au projet de contrat et sans aucune indemnité, sans perdre d'arrhes, lors même qu'il en aurait été donné.
Enfin, l'autorisation ou homologation étant une des conditions essentielles de l'acte, elle devra être mentionnée dans l'inscription, s'il s'agit d'un droit réel immobilier. La loi pourrait se dispenser de rappeler cette application d'une théorie générale, mais son importance justifie ce surcroît de précautions.
Art. 36. Il va de soi que la nullité dont il s'agit ici n est pas de celles qu'on appelle absolues et qui empêchent la convention de se former : elle ne se rapporte pas au defaut d une des conditions d'existence des conventions énoncées à l'article 304 du Livre des Biens ; ce ne peut être qu'une nullité ou rescision fondée sur l'incapacité de contracter, telle qu'elle est réglée par les articles 544 et suivants du même Livre.
Mais il restait à savoir si cette action en nullité appartiendrait aux deux époux ou seulement à celui qui a fait la vente ou la dation en payement prohibée.
L'action en nullité ou en rescision, en général, n'appartient qu'à celui que la loi a voulu protéger : elle n'appartient pas à ceux qui ont contracté avec lui (art. 319). Or, la loi n'a voulu protéger ici que l'époux qui s'est dépouillé gratuitement de son bien, sous le semblant d'une vente ou d'une dation en payement : c'est lui seul qui court un danger, c'est donc aussi lui seul qui doivent avoir l'action. Le texte de notre article 36 est rédigé en ce sens.
La loi donne aussi l'action à l'héritier, pour le cas où l'époux ne l'aurait pas exercée lui-même de son vivant, et à ses créanciers, pour le cas où. il la négligerait à leur préjudice; et notons bien que, dans ce cas, ce n'est pas l'action révocatoire (de l'article 340 du Livre des Biens), mais l'action dite “indirecte” par laquelle les créanciers font valoir les droits de leur débiteur (Liv. des Biens, art. 339).
Enfin, le texte termine en déclarant cette action soumise aux règles générales de l'action en nullité ou en rescision (Liv. des Biens, art. 544 et suiv.). Ainsi, l'action dure cinq ans, mais ces cinq ans ne courent pas, tant que dure le mariage ; le contrat annulable peut être ratifié ou confirmé, après la dissolution du mariage, etc.
Art. 37. La loi doit toujours empêcher, autant qu'il lui est possible, que l'homme se trouve placé entre son intérêt et son devoir. Quand la loi porte des ordres ou des injonctions pour faire prévaloir le devoir sur l'intérêt, elle n'est pas toujours sûre d'être strictement obéie ; mais lorsqu'elle procède par prohibitions ou défenses, le résultat est plus facile à atteindre. C'est ce qui a lieu dans la défense d'acheter faite a tous les mandataires ou administrateurs, légaux, judiciaires ou conventionnels.”
Comme administrateurs légaux on peut citer, les tuteurs des mineurs ou des interdits; le père, lorsqu il gère les biens de ses enfants, même sans en être tuteur ; le mari ; les ministres, préfets et maires ; les administrateurs des douanes, postes, télégraphes, hospices, prisons, etc.
Le texte de notre article a cru devoir s'expliquer au sujet des officiers qui participent aux ventes publiques; cette prohibition s'applique surtout aux greffiers et au juge chargé de présider les enchères dans les ventes sur saisie ; ce sont des mandataires légaux.
Comme administrateurs judiciaires, on compte les séquestres, les administrateurs de successions vacantes, les syndics de faillite.
Enfin, les administrateurs conventionnels, appelés plutôt mandataires, peuvent être généraux ou spéciaux.
A tous ces mandataires, la loi défend de ‘‘se rendre acquéreurs des biens qu'ils sont chargés de vendre.”
Etant chargés, par la loi, par la justice ou par le propriétaire, de vendre le bien d'autrui, leur devoir est de faire tout ce qui dépend d'eux légitimement pour que le prix de vente soit porté au chiffre le plus élevé possible ; mais, s'ils pouvaient acquérir, leur intérêt serait que le prix fût le plus bas possible.
Pour éviter qu'ils ne manquent à leur devoir en faveur de leur intérêt, la loi leur défend d'acquérir.
Au premier abord, on ne comprend guère comment la vente pourrait sc faire, quand bien même elle ne serait pas prohibée : le tuteur, évidemment, ne pourrait sc vendre à lui-même, signer le contrat comme vendeur et comme acheteur ; pareille impossibilité semble exister pour les administrateurs judiciaires et conventionnels.
Voici pourtant une première application de la prohibition : le plus souvent, les biens des incapables et des administrations publiques doivent être vendus aux enchères publiques ; on comprendrait donc que le tuteur ou les autres mandataires se portassent adjudicataires, comme toute autre personne ; mais la loi ne le permet pas, parce qu'il leur serait trop facile de déprécier les biens, pour les acquérir à bas prix ; rien n'est plus aisé que de faire courir, dans le public qui pourrait acheter un bien, de faux bruits de nature à détourner les acheteurs, comme des dangers de procès au sujet de ces biens. On comprend donc la défense d'acquérir pour ces personnes, et la loi dit, en effet, qu'elles “ne peuvent acheter aux enchères," là où elles n'auraient pas d'ailleurs à signer le contrat comme vendeurs.
Voici encore une application de la prohibition : les autres gardiens des droits et intérêts des incapables ou des administrations publiques, le conseil de famille pour les uns, le conseil départemental ou municipal pour les autres, ne pourraient valablement, par une délibération, vendre “à l'amiable” à l'administrateur, lors même que l'on se trouverait dans des cas où une vente amiable peut être faite par ces conseils.
Il y a pourtant un cas où un mandataire pourrait acquérir à l'amiable le bien qu'il a été chargé de vendre, c'est celui où il l'achèterait directement du mandant, en traitant arec lui ; mais on comprend qu'alors le mandat aurait cessé: du moment que le mandant aurait lui-même passé le contrat à son mandataire, il aurait repris la gestion de son bien.
La loi défend l'acquisition par interposition de personnes, comme l'acquisition directe et nominative : il est clair que le danger est le même et plus grand encore, s'il est possible, puisqu'il y a simulation d'un acte licite.
La loi ne va pas jusqu'à présumer que certaines personnes sont interposées. Ce sera donc une question de fait à résoudre par les tribunaux, d'après les circonstances. Assurément, il sera facile de reconnaître l'interposition de personnes quand l'acquéreur sera le père, le fils ou la femme de l'administrateur ; mais cette complaisance pourra encore être établie, en dehors de la parenté ou de l'alliance.
Art. 38. Ici, de même que pour la prohibition des ventes entre époux, la loi croit devoir déterminer à qui appartient l'action en nullité ; on ne peut pas dire ici que l'action appartient à l'incapable : ce serait le favoriser au lieu de le punir, puisqu'il bénéficierait du contrat ou le ferait annuler, suivant que le résultat lui paraîtrait favorable ou non. L'action n'appartient évidemment qu'à celui-là seul que la loi a voulu protéger, à celui qu'elle appelle “l'ancien propriétaire,” car, tant que la vente n'est pas annulée, elle subsiste et il y a un nouveau propriétaire.
Art. 39. Voici encore une prohibition d'acquérir fondée sur la crainte que certaines personnes n'abusent de leur situation, de leur pouvoir, pour acquérir un bien dans des cas où le propriétaire pourrait préférer ne pas l'aliéner, ou ne l'aliéner qu'à des conditions plus favorables qu'il voudrait stipuler s'il était plus libre.
Mais il ne s'agit ici que de droits, réels ou personnels, sur lesquels il y a déjà quelque contestation, sinon déjà portée devant les tribunaux, au moins de nature à leur être vraisemblablement soumise.
La loi défend l'acquisition de ces droits par les personnes qui, à raison de leurs fonctions ou de leur ministère plus ou moins forcé, pourraient exercer une influence sur la décision, ou au moins pourraient donner au titulaire des droits contestés une appréciation de nature à l'égarer. Ces personnes pourraient exagérer les dangers de perdre le procès et proposer d'en acquérir l'objet à vil prix, sauf ensuite à le faire valoir en justice avec plein succès et à leur profit.
Cette prohibition a pour but d'abord de mettre à l'abri de toute atteinte et de tout soupçon la dignité des personnes contre lesquelles elle est édictée ; elle est fondée aussi sur un motif d'équité à l'égard tant du cédant qui pourrait être facilement abusé que du cédé, c'est-à-dire de celui avec lequel la contestation existe ou est prévue et qui pourrait être jugé avec une partialité défavorable.
La loi comprend dans la prohibition les notaires : il est bon, pour assurer la dignité et la considération de la nouvelle corporation, que ses membres s'abstiennent de tous actes qui leur donneraient un intérêt contraire à celui de leurs clients.
Art. 40. La sanction de la prohibition est toujours une action en nullité ou en rescision de la vente qui n'est pas radicalement nulle.
Cette action n'appartient pas à l'incapable, mais à ceux-là seuls que la loi a voulu protéger, c'est-à-dire au cédant et au cédé.
La loi s'explique formellement en faveur du cédé, pour que son droit à l'action en nullité ne fasse pas doute, parce qu'il peut récuser le juge cessionnaire; en effet, dans la pensée de la loi, il est toujours à craindre que le tribunal, ne soit influencé par le cessionnaire, lors même que celui-ci n'est qu'un des auxiliaires de la justice.
Outre l'action en nullité, la loi accorde au cédé une faculté spéciale dite “retrait litigieux,”
Certaines législations permettent le retrait dit “litigieux” d'une façon générale contre toute personne qui s'est rendue cessionnaire de droits litigieux;
Le Code japonais le permet seulement dans le cas de notre article, parce qu'alors le cessionnaire est vraiment peu intéressant et fait une spéculation peu honorable; c'est même ici un acte prohibé, tandis que 1 acquisition de droits litigieux pur un simple particulier, si elle n'est pas favorable aux yeux de la loi, n'est pas du moins prohibée par elle.
§ III. -DES CHOSES QUI NE PEUVENT ÊTRE VENDUES.
Art. 41. Le 1er alinéa indique d'abord deux classes de choses qui, par exception, ne peuvent être vendues : 1° celles qui, par leur nature, sont hors du commerce général, comme les biens du domaine public, les droits de famille, etc. ; 2° celles dont la disposition est interdite par une loi spéciale, toujours pour des raisons d'intérêt général ou d'ordre public, mais qui demandaient que le législateur s'en expliquât. De ce nombre sont les successions non ouvertes, les armes de guerre et les armes prohibées, les objets contraires aux bonnes mœurs.
La vente de pareils objets n'est pas annulable, mais absolument nulle : elle n'est pas viciée, mais inexistante. La loi en tire la principale conséquence, c'est que chaque partie peut se prévaloir de cette nullité, ce qui ne serait pas, si la vente n'était qu'annulable, car la nullité alors ne pourrait être invoquée que par la partie que la loi aurait voulu protéger. Ici, la loi ne prétend protéger aucune partie, mais garantir l'ordre public, sauvegarder l'intérêt général.
Chaque partie a d'abord le droit d'opposer une exception ou fin de non-recevoir, une défense à l'action qui serait dirigée contre elle pour obtenir l'exécution du contrat : l'acheteur actionné en payement opposera la nullité de la vente ; le vendeur actionné en délivrance la refusera en invoquant la nullité.
Chaque partie a également, après l'exécution, le droit d'action pour faire remettre les choses en l'état où elles étaient avant la vente et avant l'exécution : l'acheteur répétera le prix qu'il a payé sans cause légitime, puisqu'il n'a rien pu acquérir ; le vendeur revendiquera la chose, si elle lui appartenait ou, au moins, il exercera l'action possessoire, s'il n'était que possesseur. Chacun ne pourra triompher dans son action qu'en restituant ce qu'il a reçu : l'acheteur, la chose livrée, le vendeur, le prix reçu.
Nous disons que le vendeur a la revendication ou l'action possessoire ; c'est qu'en effet, la circonstance qu'une chose est hors du commerce n'est pas toujours un obstacle à ce qu'un particulier en ait la propriété et surtout la possession ; mais, s'il y avait eu vente d'un droit à une succession future d'une qualité constitutive d'un état civil, le vendeur ne pourrait pas, à proprement parler, revendiquer la chose vendue, par le motif qu'elle n'est pas dans ses biens ; seulement, il pourrait toujours, s'il n'avait pas l'occasion de se défendre par une exception opposée à une prétention de l'acheteur, intenter contre lui une action pour faire juger et déclarer que la vente est nulle, afin que l'acheteur ne puisse s'abuser sur son droit et susciter plus tard des embarras à lui vendeur ou à ses héritiers.
Le dernier alinéa réserve le droit à une indemnité, mais celle-ci est très-limitée dans son application. En principe, il ne faudrait pas croire que le vendeur ait plus de responsabilité de cette vente que l'acheteur : on doit admettre que les deux parties ont autant de facilité l'une que l'autre à connaître la prohibition de la vente, puisqu'elle tient à la nature même de la chose vendue. Mais, comme il est possible que l'une des parties ait employé un dol, des manœuvres frauduleuses, pour déterminer l'autre à contracter, en faisant croire que la chose était susceptible d'être vendue, il est juste que ce dol soit puni par la réparation du tort qu'il a causé. Le plus souvent, ce dol émanera du vendeur qui, pour obtenir un prix de vente, aura abusé l'acheteur sur le caractère de la chose.
La loi n'a pas réservé, comme allant de soi, le droit du vendeur à la restitution du prix. Nous venons d'e-tablir qu'elle est la conséquence de la nullité de la vente : le prix a été payé sans cause.
Art. 42. Il convient de signaler d'abord une profonde différenee ici, entre le droit romain et les législations modernes, et on comprendra facilement que la vente de la chose d'autrui qui était permise chez les Romains ne puisse plus l'être aujourd'hui.
En droit romain, le vendeur ne contractait qu'une obligation, l'acheteur n'acquérait qu'un droit personnel.
Mais quel était l'objet de cette obligation ? On croirait, d'après les idées modernes, que c'était l'obligation de tranférer la propriété ; mais c'était simplement celle de livrer la chose, de mettre l'acheteur en possession.
Pourquoi le vendeur n'était-il pas tenu de transférer la propriété ? On en peut donner plusieurs motifs :
1° La propriété des immeubles d'Italie et de plusieurs sortes de meubles ne pouvait se transférer que par des modes solennels, par des formalités gênantes, avec témoins ; or, la nécessité de ces formalités aurait pu, dans bien des cas, être un obstacle à la vente : on se contenta donc d'une simple mise en possession ;
2° Les fonds provinciaux, ceux des pays conquis par les Romains en dehors de l'Italie (Gaule, Espagne, Grèce, Afrique, Asie), n'étaient pas susceptibles de propriété civile proprement dite : les particuliers ne pouvaient en acquérir que la possession, et la propriété en appartenait au peuple romain ou à l'Empereur, suivant 1 époque ; le vendeur de ccs fonds ne pouvait donc être tenu de transférer une propriété qu'il n'avait pas lui-même et ne pouvait avoir ;
3° Les étrangers ne pouvaient, même en Italie, acquérir la propriété civile, ils ne pouvaient acquérir que la possession.
Voilà donc trois causes qui expliquent suffisamment qu'à Rome le vendeur avait accompli son obligation quand il avait livré à l'acheteur la chose vendue. Or, comme on peut, en fait, livrer la chose d'autrui et que l'avantage est alors pour l'acheteur le même que si elle avait appartenu au vendeur, on décidait, en principe, que l'acheteur ne pouvait se plaindre que lorsqu'il était évincé ou, au moins, menacé de l'être. On faisait, du reste, à cet égard, quelques distinctions entre la bonne et la mauvaise foi du vendeur et celle de l'acheteur ; mais il n'est pas nécessaire de les rappeler ici.
Ce qu'il importe de noter, pour la comparaison du droit romain et du droit moderne, c'est que la vente de la chose d'autrui n'était pas nulle, comme elle l'est aujourd'hui.
C'est le caractère de cette nullité que nous avons à examiner d'abord ; les conséquences en seront ensuite faciles à déduire.
Il y a des nullités établies en faveur d'une seule des parties, pour la protéger : telles sont les nullités résultant de l'incapacité ordinaire et des vices du consentement ; celles-là ne peuvent être invoquées que parla personne incapable ou dont le consentement a été vicié, parce que c'est la seule partie que la loi a voulu protéger (voy. Liv. des Biens, art. 319).
Nous avons rencontré d'autres applications du même principe, dans les articles 36, 38 et 40 ci dessus, mais avec cette différence que la nullité, au lieu d'être invoquée par l'incapable, l'est contre lui, parce que ce n'est pas lui que la loi a voulu protéger.
Quelquefois la nullité est fondée sur une raison d'ordre public, comme dans les cas prévus à l'article précédent, alors, il est naturel qu'elle puisse être invoquée par les deux parties, c'est la meilleure garantie pour la loi que ses prohibitions soient respectées, puisque chaque partie doit craindre l'action en nullité ; c'est ainsi que la nullité des actes civils d'un condamne en état d'interdiction légale peut être invoquée par ceux qui ont traité avec lui et par lui-même (Liv. des Biens, art. 319).
Enfin, la nullité peut tenir à ce que l'une des conditions d'existence de la convention manque au début. Le cas où la chose n'est pas dans le commerce (article précédent) en est déjà un exemple ; il y a encore le défaut de formes solennelles, quand la loi en exige (ce qui n'est pas le cas de la vente), le cas du défaut de consentement (ici, il y a eu consentement), enfin, le défaut de cause, d'une cause vraie et licite (Liv. des Biens, art. 304). Or, c'est justement la cause vraie qui manque dans la vente de la chose d'autrui.
On a déjà eu occasion de signaler le défaut de cause dans la vente de la chose d'autrui ; c'est l'exemple le plus frappant, le plus simple et le plus pratique de la nullité d'une convention par défaut de cause.
Voyons, en effet, quelle est la cause du contrat de vente pour chaque partie.
On sait que la cause d'un convention est la raison qui détermine directement et immédiatement une partie à contracter ; les motifs, qu'il ne faut pas confondre avec la cause, ne sont plus que des raisons médiates éloignées.
Or, quand une personne consent à acheter, c'est parce qu'elle désire devenir propriétaire, actuellement et immédiatement, par le seul effet du contrat ; elle ne se contente plus, comme à Rome et dans l'ancien droit européen, de devenir créancière de la livraison, elle veut et elle compte obtenir la propriété.
Pourquoi veut-elle devenir propriétaire ? Cela importe peu, ce peut être pour habiter, pour établir une industrie, pour spéculer ; ce sont là les motifs : l'erreur sur le motif ne vicie pas le contrat, à moins qu'il n'y ait dol de l'autre partie (voy. Liv. des Biens, art. 309, 2e al.).
Quelle est la cause chez le vendeur? C'est le désir, la volonté d'acquérir un prix en argent, ou même une simple créance du prix, car le prix peut ne pas être payable de suite.
La vente ne serait jamais nulle faute de cause, du chef du vendeur seul, car il acquerrait toujours une créance du prix, si la vente n'avait pas d'autre vice. Mais elle peut être nulle faute de cause, du chef de l'acheteur; c'est quand il ne peut devenir propriétaire par le seul effet du contrat, ce qui justement est le cas, lorsque la chose n'appartient pas au vendeur. Dès lors, si l'acheteur n'a pas de cause de donner un prix, le vendeur n'a pas de cause de donner la chose : la vente est donc nulle pour et contre les deux parties.
On arriverait encore à reconnaître la nullité radicale de la vente de la chose d'autrui, en remarquant qu'elle a pour objet une chose qui “n'est pas à la disposition du vendeur” qui “n'est pas dans son commerce”. Mais il est préférable, comme plus simple et plus usité, de fonder la nullité sur le défaut de cause.
La conséquence naturelle et nécessaire est, avons-nous dit, que la nullité peut être invoquée par les deux parties, même par le vendeur, quoiqu'il soit évidemment moins intéressant que l'acheteur, puisque, s'il n'a pas commis de dol, il est au moins en faute de n'avoir pas connu la vérité sur son prétendu droit de propriété.
Le plus grand nombre des auteurs étrangers donne à l'acheteur seul le droit d'invoquer la nullité de la vente ; il arrive par là, soit à ne pas payer son prix, s'il en est encore temps, soit à le recouvrer s'il a été déjà payé, et il peut obtenir, en outre, des dommages-intérêts. C'est l'opinion consacrée par le Code italien (art. 1459).
D'autres auteurs accordent au vendeur le droit de se prévaloir de la nullité pour ne pas délivrer la chose vendue : ils se fondent sur ce motif qu'il ne doit pas être tenu de consommer un acte qui peut engager sa responsabilité envers le vrai propriétaire ; mais ils ne vont pas jusqu'à l'autoriser à reprendre la chose une fois qu'elle a été livrée. Du reste, il serait impossible au vendeur de revendiquer cette chose, puisqu'il n'en est pas propriétaire ; il serait non moins difficile de lui accorder l'action possessoire en rêintégrande, car cette action n'est donnée que contre celui qui a dépossédé autrui par violence ou par ruse ; or, ce n'est pas le fait de l'acheteur qui possède par la volonté même du vendeur.
Pour trouver un cas où le vendeur pourrait, après avoir livré la chose, prétendre la revendiquer contre l'acheteur, il faudrait supposer qu'il fût devenu propriétaire par une cause postérieure à la vente ; par exemple, en achetant du véritable propriétaire ou en lui succédant, ou même que le vrai propriétaire succédât au vendeur et prétendît, tout en se soumettant aux indemnités dont il serait tenu comme héritier du vendeur, exercer son droit antérieur de propriétaire. Ces deux hypothèses sont prévues à l'article 62.
Les auteurs les plus favorables au vendeur n'ont jamais osé aller jusqu'à lui permettre de revendiquer dans ces cas : ils se sont trouvés arrêtés par une règle célèbre, à savoir que “celui qui doit la garantie d'é-“viction ne peut lui-même opérer cette éviction.” Mais alors on ne voit pas pourquoi cette même règle ne serait pas déjà opposée au vendeur, lorsqu'il refuse de livrer, en invoquant la nullité de la vente.
L'objection est sérieuse, mais elle n'est pas sans réponse.
Quoique le vendeur soit en faute, il ne doit cependant pas être traité avec trop de rigueur, surtout quand il était de bonne foi lors de la vente ; il n'est pas juste qu'il soit à l'entière discrétion de l'acheteur qui pourrait, même après avoir découvert que la propriété appartenait à un tiers, ne pas élever de suite sa récla mation, faire des travaux ou des constructions sur la chose, et se créer ainsi des droits à une indemnité plus ou moins considérable, au cas d'éviction ; il pourrait aussi, sans attendre l'éviction, saisir le moment et les circonstances où la chose aurait acquis une certaine plus-value et agir en nullité contre le vendeur qui lui devrait l'équivalent de cette plus-value, comme dommages-intérêts.
Pour déjouer ces combinaisons de l'acheteur et prévenir la ruine imméritée du vendeur, le Code présentera un système entièrement nouveau ; ce n'est pas encore le moment de l'exposer en détail : il est renvoyé à la Section suivante. Toutefois, le présent article le faisant déjà pressentir, on doit, pour qu'il soit compris, esquisser ici la théorie nouvelle, sauf à la développer en son lieu (voy. art 60 et 61).
D'abord, si le vendeur était de mauvaise foi lors de la vente, c'est-à-dire, s'il savait que la chose appartenait à autrui, il ne pourra invoquer la nullité de la vente à aucun moment, ni par aucune voie, même par voie d'exception, en refusant de livrer. Il livrera, il recevra son prix, mais il pourra, plus tard, être requis de le restituer, soit quand l'acheteur sera évincé, soit même quand celui-ci voudra mettre fin à une situation incertaine. Il devra, en outre, diverses indemnités, si l'acheteur a été de bonne foi lors de la vente (art. 58). La position du vendeur sera très-désavantageuse assurément, mais c'est la conséquence et la punition de sa mauvaise foi.
Hâtons-nous d'ajouter qu'en fait, il sera bien rare que l'acheteur croit pouvoir sans danger payer son prix, lorsqu'il aura su à l'origine, ou découvert plus tard, que la chose n'appartenait pas au vendeur : il devra craindre, dans ces cas, que le vendeur ne se mette hors d'état de restituer le prix ; mais il pourrait arriver qu'au moment où l'acheteur demande la délivrance et offre de payer son prix, il n'ait pas encore fait cette découverte ; c'est alors qu'il est utile de refuser au vendeur le droit d invoquer la nullité de la vente en la révélant ; et l'on ne doit pas s'arrêter à l'objection que, la vente étant radicalement nulle, le vendeur doit pouvoir arguer de cette nullité : il en est privé comme punition de son dol.
Mais le vendeur était de bonne foi au moment de la vente et quand la livraison lui est demandée, avec offre de payement du prix, il a découvert que la chose n'était pas à lui. Le Code lui permet alors d'invoquer la nullité par voie d'exception (v. art. 60) ; il pourra bien être condamné à une indemnité, mais elle sera moindre que si l'acheteur avait déjà été mis en possession : celui-ci n'a pas encore fait de dépenses d'établissement et la chose ne peut avoir notablement gagné en valeur. En même temps, le vendeur ne se trouve pas contraint de consommer un acte qui peut être nuisible au vrai propriétaire et qui entraînerait encore sa responsabilité vis-à-vis de ce dernier.
Si le vendeur ne découvre la nullité de la vente qu'après avoir livré et reçu le payement du prix, est-il juste que le hasard qui a retardé sa découverte lui enlève le bénéfice de sa bonne foi et faut-il le laisser indéfiniment sous le coup d'une action en garantie dont l'objet sera double : la restitution du prix et de lourdes indemnités -On ne l'a pas pensé et l'on proposera bientôt de permet? tre au vendeur de mettre l'acheteur en demeure, sinon d'exercer son action en nullité, au moins de reconnaître que les indemnités déjà encourues ne seront plus susceptibles de s'aggraver contre le vendeur, soit par une plus-value fortuite, soit par des dépenses de l'acheteur. Elles seront alors constatées et fixées contradictoirement : le vendeur en consignera le montant ainsi que le prix qu'il a reçu, et les intérêts seront perçus par lui, parce que l'acheteur ne peut prétendre jouir en même temps de la chose et du prix (voy. art. 61).
Cette situation durera jusqu'à ce que l'acheteur, ou se décide à invoquer la nullité, ou arrive à la prescription acquisitive qui, le mettant à l'abri de la revendication du vrai propriétaire, lui ôtera aussi tout intérêt à se plaindre et à se faire rendre son prix avec indemnité.
Le vendeur aura toujours le droit de retirer les sommes déposées à la caisse des consignations, parce que c'est une offre de règlement qu'il a faite et qui n'étant pas acceptée ne le lie pas (Liv. des Biens, art. 478). Mais, du moment qu'il aura retiré la consignation, sa responsabilité redeviendra entière, et cela rétroactivement : la plus-value acquise par la chose dans l'intervalle, les travaux et constructions de l'acheteur, seront de nouvelles causes d'indemnité et il ne sera plus affranchi des conséquences de sa vente que par la prescription accomplie au profit de l'acheteur. On ne lui permettra pas de revenir à sa première proposition, en faisant constater les nouvelles indemnitées et en consignant (art. 61) : cette inconstance serait abusive.
La position du vendeur sera meilleure, s'il est devenu propriétaire de la chose : il pourra alors mettre l'acheteur en demeure d'opter immédiatement entre une ratification pure et simple de la vente et l'exercice de l'action en nullité, avec règlement actuel et définitif de l'indemnité (v. art. 62): l'acheteur n'aurait plus aucune raison plausible de refuser cette option.
Le présent article 42 est écrit pour le cas où la chose vendue appartient en entier à autrui et peut donner lieu à une éviction totale; plus loin, au sujet de la garantie d'éviction, on entrera dans l'examen d'hypothèses intermédiaires où la chose appartient en partie à autrui et en partie au vendeur, ou même appartient en entier au vendeur, mais est grevée d'usufruit, de servitude, d'hypothèque (v. art. 63 et s.).
Art. 43. Il est clair qu'une chose qui n'existe pas ne peut être vendue, pas plus qu'elle ne pourrait être l'objet d'aucun autre contrat : cette chose n est plus “dans le commerce,” elle n'est plus “à la disposition” du vendeur.
Si la loi prend la peine de s'en expliquer, c'est surtout pour le cas où la perte n'est que partielle et aussi pour statuer sur la question d'indemnité due ou non à l'acheteur, suivant la bonne ou la mauvaise foi des parties relativement à cette perte.
Supposons, avec le 1er alinéa, la perte totale de la chose, ce qui ne doit guère se comprendre que pour les marchandises ou autres objets mobiliers et pour les bâtiments portant sur un sol non vendu lui-même, carie sol ne peut guère périr en entier ; la vente est radicalement nulle faute d'objet: l'acheteur ne payera pas son prix ; s'il l'a payé, il le répétera ; il ne pourra actionner le vendeur en délivrance. Quant aux dommages-intérêts, il n'en pourra obtenir qu'à deux conditions : 1° qu'il fût lui-même de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ignorât cette perte, 2° que le vendeur la connût.
Il ne faut pas voir une contradiction dans ces deux faits ; nullité de la vente et droit de l'acheteur à une indemnité ; l'indemnité ne lui est pas due par un effet de la vente, elle est fondée sur le dommage injuste que lui a causé le vendeur : le dommage injuste (délit ou quasi-délit) est une source des obligations, la 3e, entièrement distincte et indépendante des contrats (voy. Liv. des Biens, art. 370 à 379).
La supposition de la mauvaise foi de l'acheteur a moins de vraisemblance que celle du vendeur; cependant, on pourrait comprendre qu'un acheteur peu scrupuleux cherchât ainsi un moyen d'obtenir une indemnité d un vendeur qui serait de mauvaise foi lui-même ou trop négligent : nul doute que, dans ce cas, l'indemnité lui dût être refusée.
Le 2e alinéa prévoit le cas où la chose n'a péri qu'en partie.
Supposons que les deux contractants sont de bonne foi, c'est-à-dire ignorants du fait.
Il ne serait pas juste que l'acheteur fût obligé de payer le prix total en ne recevant qu'une partie de la chose : il peut donc toujours demander et ne manquera pas d'exiger une diminution proportionnelle du prix.
Il est même possible que la chose ainsi diminuée de quantité n'ait pas pour lui d'utilité ou d'intérêt; il est donc juste de lui permettre de se désister du contrat. La vente n'est pas nulle de droit et même il ne peut la faire annuler par sa seule volonté : la loi l'oblige à justifier que la chose ne répond plus à ses besoins.
Si l'acheteur n'a pas ignoré la perte partielle, le texte lui refuse l'un et l'autre action : il mérite peu d'intérêt, car il a pu, connaissant la perte, ne pas demander une diminution de prix, craignant qu'elle ne lui fût refusée et comptant la réclamer ensuite comme un droit acquis. '
Lorsque l'acheteur est de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi, ou en faute de n'avoir pas su qu'il vendait comme entière une chose périe en partie, celui-ci peut être tenu, tout en subissant la rescision ou la diminution du prix, de payer une indemnité à l'acheteur lequel peut souffrir, au premier cas, de n'avoir pas obtenu une chose sur laquelle il comptait, au deuxième cas, de ne pas l'avoir en entier.
Sur la durée de l'action de l'acheteur à fin de résiliation ou de diminution de prix, on a cru devoir fixer un délai assez court, dont le point de départ sera la connaissance que l'acheteur a acquise de la perte partielle : deux ans, pour la diminution de prix, six mois seulement pour le résiliation, parce quelle est plus grave pour le vendeur qu'une diminution de prix, et surtout parce qu'elle peut dépouiller des tiers acquéreurs, au moins dans certians cas.
Pour qu'un tiers puisse être dépouillé par la résiliation, on peut supposer un immeuble achète en entier, lorsqu'il était péri en partie à l'insu de l'acheteur, puis revendu par celui-ci, pour une part indivise, avant la découverte de la perte : l'acheteur souffre de n avoir pas conservé une part aussi considérable qu'il l'espérait ; il peut donc demander la résiliation, même au préjudice du sous-acquéreur ; celui-ci aurait le même droit contre son propre vendeur, pour ce qui le concerne.
Nous terminerons ce qui concerne la perte totale ou partielle survenue avant le contrat, en la comparant avec les mêmes événements arrivant après le contrat, quand il est pur et simple ou à terme, ou avant l'arrivée de la condition suspensive, quand le contrat est soumis à cette modalité.
On sait que dans la convention pure et simple ou à terme, la chose promise (vendue, échangée ou donnée) est, pour l'avenir, aux risques du stipulant (acheteur ou donataire) (Liv. des Biens art. 335). Au contraire, dans la convention soumise à une condition suspensive, les risques sont, jusqu'à l'événement de la condition, pour le promettant (vendeur ou donateur) (Liv. des Biens, art. 419).
Ces deux théories des risques ne sont pas en contradiction avec notre article.
Quand la perte survient après la vente pure et simple ou à terme, cette perte ne peut détruire le contrat, parce qu'il est formé. Ici, la chose était périe avant que la vente se formât, le contrat n'a donc pu naître, faute d'objet.
Quand la vente est sous condition suspensive, elle n'existe pas immédiatement ; la perte survenant avant que la condition soit accomplie, empêche donc, comme ici, la vente de se former.
Une sérieuse différence toutefois existe entre les deux cas.
Quand il s'agit d'une vente conditionnelle et de la perte postérieure à l'accord des volontés, la loi ne met à la charge du vendeur que la perte totale ou celle qui dépasse la moitié de la valeur, en sorte que si la perte n'atteint pas cette gravité, elle retombe sur l'acheteur, parce que, celui-ci ayant les chances de plus-value avant l'événement de la condition, il est juste qu'il soit aussi exposé à quelque danger de perte. Mais ici, où la chose est déjà périe en partie au moment du contrat, cette partie absente, ne pouvant gagner en valeur, ne peut être périe pour l'acheteur : il n'y a ni chances ni risques pour ce qui n'existe pas.
SECTION II.
DES EFFETS DU CONTRAT DE VENTE.
§ 1er. — DU TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ ET DES RISQUES.
Art. 44. Bien que les deux premiers articles de cette Section ne soient qu'un renvoi au droit commun des contrats, il ne faudrait pas les considérer comme inutiles : ils donnent à la vente sa physionomie entière. La vente, par cela même qu'elle est un des contrats les plus fréquents, doit avoir ici toutes ses règles, soit spéciales, soit générales : elle est elle-même une sorte de type général et commun des contrats à titre onéreux.
On rappellera brèvement les dispositions de droit commun auxquelles renvoient ces deux articles.
Si la chose vendue est un corps certain ou individuellement déterminé et appartenant au vendeur, la propriété en passe à l'acheteur, par le seul effet du contrat, sans qu'il soit besoin de tradition. C'est la théorie du droit européen moderne, déjà exposée sous l'article 331 du Livre des Biens.
Toutefois, cet effet n'a lieu que dans les ventes pures et simples ou à terme ; dans la vente sous condition suspensive, la propriété n'est transférée que par 1 accomplissement de la condition (Liv. des Biens, art. 408 suiv.).
Si la condition est résolutoire, la propriété est transférée immédiatement, car on sait que la condition résolutoire n'empêche pas les droits de naître : les effets de la convention sont présents et actuels, ils sont seulement soumis à une éventualité qui peut les détruire.
Quant au terme dont la vente serait affectée, il faut éviter une confusion sur son objet. D'abord, s'il y a terme pour le payement du prix par l'acheteur, il est clair que cette faveur ne peut le priver de l'acquisition de la propriété, elle ne le priverait même pas du droit de demanner la délivrance immédiate.
Le terme peut avoir aussi pour objet la délivrance : le vendeur aura donc le droit de la retarder ; mais alors il devrait attendre de même pour exiger le payement du prix, car l'intention des parties a bien pu être que l'acheteur prît possession avant de payer son prix, mais non qu'il payât avant de prendre possession.
Reste le cas où le terme aurait pour objet, dans l'intention des parties, le transfert de la propriété même ; mais il ne faut pas admettre que le terme puisse avoir cet objet : on a établi, au Livre des Biens, que la propriété peut bien être sous condition, mais qu'elle ne peut être à terme, qu'elle ne peut être soumise ni au terme initial, celui à partir duquel la propriété commencerait, ni au terme final, celui à l'expiration duquel la propriété cesserait : la perpétuité est un des caractères distinctifs de la propriété ; en effet, un propriétaire ne pourrait pas disposer ; or, le droit de disposer est l'effet principal de la propriété.
Nous avons supposé que l'objet de la vente était déterminé individuellement, était un corps certain ; s'il s'agissait seulement d'un ou plusieurs choses de quantité, d'une de ces choses qui “se comptent, se pèsent ou se mesurent,” la propriété ne pourrait plus être transférée que par une opération ultérieure qui serait le mesurage ou le compte, constituant dès lors une détermination individuelle (voy. Liv. des Biens, art. 332,).
Le 2e effet de la vente est la mise de la chose vendue aux risques de l'acheteur ; mais toujours en distinguant la vente pure et simple ou à terme de la vente conditionnelle, et en supposant aussi qu'il s'agit d'un corps certain, car les choses de genre ou de quantité ne peuvent périr toutes.
En voyant ainsi les risques atteindre l'acheteur dans les circonstances mêmes où la propriété lui est acquise, on est porté à croire que l'une des théories est la conséquence de l'autre, et on dit quelquefois, en forme d'axiome: “la chose périt pour le propriétaire.” Mais il y a là une illusion : en fait, il est vrai, les risques sont aujourd'hui pour celui qui est devenu propriétaire, mais ce n'est là qu'une coïncidence en quelque sorte accidentelle résultant du changement introduit dans les temps modernes sur l'acquisition de la propriété. Ce qui prouve que les deux théories sont indépendantes et sans influence l'une sur l'autre, c'est que, dans le droit romain et dans l'ancien droit européen, alors que la propriété ne se transférait que par la tradition, les risques dans la vente pure et simple ou à terme étaient déjà pour l'acheteur.
Dans la vente sous condition suspensive, les risques sont pour le vendeur, parce qu'il n'est actuellement encore ni débiteur de la chose, ni créancier du prix; il ne peut donc être libéré par la perte de la chose d'une obligation de livrer qui n'est pas encore formée, et comme cette obligation ne pourra plus naître, faute d'objet, la créance du prix ne naîtra pas elle-même, faute de cause.
Art. 45. Le précédent article ne règle la translation de propriété, comme effet principal de la vente, qu'entre les parties et à l'égard de leurs ayant-cause généraux, héritiers et créanciers. Celui-ci les règle à l'égard de leurs ayant-cause particuliers qu'on a l'habitude de considérer comme des tiers, au moins dans les cas où la vente ne leur est pas opposable.
Ce n'est du reste qu'à l'égard des ayant-cause particuliers du vendeur que la vente peut n'être pas opposable, faute de l'accomplissement de certaines formalités ou conditions; du côté de l'acheteur, il ne se présente aucune difficulté : ses ayant-cause particuliers, ses propres cessionnaires ont ses droits, et la vente ne pouvant leur nuire, puisqu'elle est la base de leur propre acquistition, la loi n'a besoin de prendre aucune mesure pour les protéger.
Mais, il n'en est pas de même du côté du vendeur et de ses ayant-cause particuliers : la loi, dans certains cas, veut qu'ils soit avertis de l'existence de la vente qui a pu précéder le contrat qu'ils feraient avec le vendeur au sujet du même bien.
Ces cas sont au nombre de trois : vente d'immeuble, vente de meuble corporel, vente de créance. Dans les trois cas, il s'agit d'un corps certain ou d'une créance déterminée.
Ier cas. Vente d'immeuble. Si l'acheteur ne publie pas sa vente par l'inscription, il expose d'autres personnes à traiter ensuite avec le vendeur, comme si celui-ci était encore propriétaire ; celles-là, si la vente leur était opposable, quoique leur étant révélée tardivement, se trouveraient exposées à une éviction qu'elles n'ont pu prévoir ni éviter ; or, comme elles n'ont commis aucune faute et que le premier acheteur a commis celle de ne pas publier son contrat, suivant le mode organisé par la loi, c'est lui qui sera évincé par les nouveaux acquéreurs, sauf son recours contre le vendeur.
Nous supposons, bien entendu, que les nouveaux acquéreurs se sont eux-mêmes conformés à la formalité de l'inscription ; sans quoi, ils n'auraient pas de titre à la préférence sur les anciens ; le texte exprime qu'ils doivent avoir été de bonne foi, c'est-à-dire avoir ignoré la vente antérieure : ces deux conditions sont déjà exigées par l'article 350 du Livre des Biens.
Il n'est pas nécessaire que les nouveaux ayant-cause du vendeur soient eux-mêmes des acheteurs, ou même des cessionnaires (donataires ou co-échangistes) ; ils pourraient être des créanciers ayant reçu une hypothèque et l'ayant inscrite, ou même des créanciers chirographaires ayant pratiqué une saisie immobilière et l'ayant inscrite.
IIe cas. Vente de meuble. Il n'y a pas pour les meubles d'inscription, ni d'acte analogue, pour en publier la mutation ; on peut donc dire qu'en principe, la préférence entre deux acheteurs du même meuble appartient au premier contractant, pourvu que la priorité de temps soit bien établie ; mais si de deux acheteurs, l'un a été mis en possession réelle, c'est à lui que la loi donne la préférence. La possession donne à celui qui l'a obtenue une confiance encore plus grande dans son droit de propriété et il serait trop dur qu'il fût évincé par celui qui n'aurait en sa faveur que la priorité de temps.
Dans ce cas encore, il faut que celui auquel la loi donne la préférence ait été de bonne foi lors du contrat, c'est-à-dire qu'il ait ignoré la première vente (Liv. des Biens, art. 356).
IIP cas. Vente de créance. Les créances sont des choses incorporelles. 1.1 est d'usage de dire qu'elles ne sont pas susceptibles d'une possession proprement dite ; mais on a établi le contraire, au sujet de la l'ossession et du Payement. Cependant, ce n'est pas sur cette possession moins extérieure que celle des choses corporelles que la loi fonde la préférence entre cessionnaires successifs d'une même créance; la préférence appartient à celui qui le premier a fait connaître son acquisition au débiteur, au cédé. D'abord celui-ci est le principal intéressé ; car, si, ne connaissant pas la cession, il a payé à son ancien créancier, il serait très-injuste de l'obliger à payer encore au cessionnaire qui se ferait connaître tardivement. Cette signification faite au cédé a encore l'avantage de permettre à celui qui voudrait acheter la créance de s'informer, près du cédé, si le cédant est encore son créancier ou s'il y a déjà une autre cession signifiée.
Enfin, la signification a pour but de prévenir les propres créanciers du cédant qu'il ne peuvent plus faire utilement, de son chef, une saisie-arrêt sur ladite créance.
Toute cette théorie de la publicité spéciale des cessoins de créance a été suffisamment développée et justifiée en son lieu : d'abord, sous l'article 357 du Livre des Biens, ensuite, sous les articles 527 et 528 du même Livre).
§ II. — DES OBLIGATIONS DU VENDEUR.
Art. 46. Il a semblé utile d'énumérer les obligations du vendeur, avant de les exposer successivement en détail.
On rappelle d'abord celle déjà énoncée au § précédent, de transférer la propriété, lorsque ce résultat n'a pu être produit par le contrat même, c'est-à-dirc lorsqu'il ne s'agit pas d'un corps certain, mais d'une chose de quantité. S il s'agit d'un corps certain, on ne dit pas que le vendeur doive transférer la propriété, puisque cet effet se produit, de plein droit, virtuellement, par la seule force de la convention.
La seconde obligation du vendeur, celle de délivrer la chose vendue, ne doit pas se confondre avec celle de transférer la propriété d'une chose de quantité et cela par deux raisons. D'abord, parce qu'il pourrait y avoir un délai fixé pour la délivrance et ce ne serait pas une raison suffisante pour que le vendeur refusât de déterminer préalablement les choses vendues, pour en fixer la propriété sur la tête de l'acheteur ; par contre, les risques passeraient en même temps à la charge de celui-ci : cependant, le tribunal pourrait juger, en fait, que les parties, en convenant d'un délai pour la délivrance, ont entendu par là adopter le même délai pour la détermination des choses vendues.
L'autre raison pour laquelle la délivrance ne doit pas être confondue avec la translation de propriété, même dans le cas de vente de choses de quantité ou fongibles, c'est que le vendeur n'aurait pas rempli son obligation de transférer la propriété, en livrant des choses ne lui appartenant pas ; tandis que, s'il n'avait que l'obligation de livrer, comme dans le droit romain et dans l'ancien droit européen, la délivrance de choses d'autrui ne serait pas nulle, tant que l'éviction n'aurait pas lieu.
La troisième obligation du vendeur est celle de conserver la chose vendue, en bon administrateur, jusqu'à la délivrance.
La quatrième obligation est celle de garantir de l'éviction : à la différence des trois autres, elle a quelque chose d'accidentel, car elle fait supposer qu'il y a eu vente de la chose d'autrui, ce qui est un dol ou une faute, un délit ou un quasi-délit.
On pourrait ajouter celle d'exécuter les clauses particulières du contrat, mais il n'y a pas à s'y arrêter ici, puisque ces clauses peuvent varier avec chaque contrat ; il suffit de rappeler, à cet égard, que “les conventions font loi entre les parties” (Liv. des art. 327). D'ailleurs, la même obligation incombe à l'acheteur.
L'obligation de délivrer la chose et celle de garantir de l'éviction sont les seules dont le présent paragraphe va s'occuper avec quelques délais, et encore ont-elles déjà leurs règles fondamentales dans la matière des Obligations en général, à laquelle on fera quelques renvois.
La loi n'a pas besoin de reprendre l'obligation du vendeur de conserver la chose jusqu'à la délivrance : il n'y a rien ici de particulier à la vente.
La théorie des risques qui forme la contre-partie de celle de la garde est aussi la même pour la vente que pour les contrats en général (v. Liv. des Biens, art. 335, et 419).
I. DE L'OBLIGATION DE DÉLIVERER.
Art. 47. Les deux premiers alinéas supposent, successivement, que le temps et le lieu de la délivrance ont été réglés et qu'ils ne l'ont pas été. Aucune difficulté ne peut s'élever à cet égard.
Mais le vendeur jouit encore d'un délai de droit pour la délivrance, c'est-à-dire qu'il n'est pas tenu de remplir cette obligation, si l'acheteur ne remplit pas la sienne qui est de payer le prix (3e al.). Il faut supposer que celui-ci n'a pas obtenu de son côté un délai conventionnel pour le payement, car autrement le vendeur devrait livrer avant ce délai.
Si l'acheteur n'avait obtenu qu'un délai de grâce, par la bienveillance du tribunal (voy. Liv. des Biens, art. 406), le vendeur ne serait pas tenu de délivrer la chose : ce délai aurait seulement pour effet d'empêcher la résolution.
La faculté accordée au vendeur de retarder la délivrance jusqu'au payement se nomme droit de rétention ; c'est une sûreté réelle d'un genre spécial déjà annoncée par l'article 2 du Livre des Biens et dont on parlera avec détails qu'au Livre des Garanties.
Il suffit de dire ici que le vendeur gardera la possession de la chose vendue, comme une sorte de gage; cette possession empêchera l'acheteur de disposer de la chose, et ses créanciers ne pourront la saisir pour être payés de ce qui leur est dû. Le droit de rétention diffère cependant du gage, en ce sens que le vendeur ne pourrait, au moins en vertu de ce droit, faire vendre la chose pour être payé sur le prix, par préférence aux autres créanciers. S'il a ce droit, ce sera à un autre titre et en vertu d'un privilège qui lui appartiendra comme vendeur, lors même qu'il aurait livré la chose. Ce point encore sera réglé, au Livre des Garanties.
Le dernier alinéa de notre article autoise encore le vendeur à retarder la délivrance, lorsque, depuis la vente, l'acheteur est tombé en faillite ou en déconfiture.
En admettant que cette insolvabilité ne lui fassse pas perdre toutes les sûretés que la loi accorde, l'exercice eu doit être embarrassé et retardé par la faillite, il est donc juste que le vendeur ne compromette pas sa position par la délivrance.
La loi encore sursis à délivrance, dans le cas d'une faillite ou insolvabilité antérieure que l'acheur aurait frauduleusement dissimulée.
Art. 48. Cet article et les suivants complètent ce qui concerne la délivrance, en réglant les difficultés relatives à la quantité.
Ce n'est pas seulement par égard pour une sorte de tradition législative que ces règles ont été réservées pour la matière de la vente, car elles n'eussent pas pu prendre place dans les dispositions communes à tous les contrats, à la suite de l'article 333 du Livre des Biens; en effet, si elles sont applicables encore à d'autres contrats quela vente, notamment au louage, à l'échange, a la société même, c'est en vertu de dispositions spéciales de la loi ou par l'analogie de certains contrats onéreux avec la vente; mais elles ne peuvent s'appliquer à la donation, puisque, dans ce contrat, il ne peut être question d augmenter ou de diminuer le prix, comme dans le présent article et surtout dans les articles suivants.
La règle posée par le présent article n'a d autre but que d'introduire la sanction qu'elle comporte et qui varie suivant les cas ; elle sert aussi à annoncer les exceptions.
Tl va de soi, au premier abord, que le vendeur ne peut être autorisé à délivrer une quantité moindre que celle qu'il a promise et que l'acheteur peut le contraindre à délivrer cette quantité ; mais la chose n'est pas toujours possible: notamment, s'il s'agit d'un corps certain qui n'a pas la quantité ou l'étendue promise et déclarée. Dans ce cas, le prix devra être diminué.
En sens inverse, il est naturel que le vendeur ne puisse obliger l'acheteur à prendre et à payer une quantité plus grande que celle qui lui a été promise et qu'il a acceptée ; cependant, s'il s'agit toujours d'un corps certain, il serait fâcheux que l'acheteur pût contraindre le vendeur à garder ou reprendre une portion de la chose, afin de ne pas lui on payer le prix : cette portion serait souvent dénuée de valeur et d'utilité pour le vendeur ; on ne pourrrait d'ailleurs, sans arbitraire, faire le retranchement plutôt d'un côté que d'un autre. Il pourra donc y avoir des cas où l'acheteur sera tenu de payer un prix plus élevé que celui qui a été convenu, parce que la chose est plus étendue qu'il n'avait été annoncé.
Mais ces modifications du contrat ne peuvent avoir lieu pour de trop minimes quantités, en plus ou en moins ; il ne faudrait pas non plus que l'acheteur fût obligé de prendre et de payer un excédant trop considérable au delà de ses prévisions. La loi doit déter miner les cas et lés conditions de ces modifications du contrat. Tel est l'objet des articles suivants.
Avant de les présenter, il convient de remarquer que la difficulté ne peut pas se rencontrer dans toutes les ventes.
Ainsi, la vente a eu pour objet un terrain ou même des bâtiments étendus et uniformes, sans indication de la contenance totale, à raison de “tant par mesure” (par t.soubo, par tcho) : le prix sera déterminé par le mesurage, et comme aucune quantité n'a été promise, il ne peut se trouver ni plus ni moins qu'il n'est dû.
Ainsi encore, un terrain ou un bâtiment a été vendu en bloc, sans autre indication que ses limites, comme des bornes, des arbres, des rues, des fonds voisins (les tenants et aboutissants), et pour un prix également en bloc : si le fonds a bien les limites annoncées, il ne peut y avoir de question de mesure à soulever. Si, au contraire, il n'atteignait pas, de tous les côtés, les limites désignées, c'est qu'il y aurait en pour partie vente de la chose d'autrui et ce serait une autre théorie; ou bien, on ne trouverait pas les limites annoncées, ni rien qui y ressemble, la chose manquerait alors d'une détermination suffisante et la vente serait nulle de ce chef. En sens inverse, si. le fonds dépassait, de quelque côté, les limites désignées, il n'y en aurait de vendu que la portion qui se trouverait renfermée dans ces limites.
Un troisième cas tient, en quelque sorte, le milieu entre ceux qui donnent et ceux qui ne donnent pas lieu à difficulté, c'est celui où il aurait été vendu une certaine quantité de terrain à prendre dans une plus grande et “à tant par mesure le vendeur, en principe, ne devrait fournir que cette quantité, et il ne pourrait en faire prendre ni plus ni moins à l'acheteur ; il n'y aurait de difficulté que si le terrain total ne suffisait pas à fournir la quantité promise. Ce cas peut être réglé par application des principes posés en cette matière. On s'y arrêtera à l'article suivant.
Il a paru bon de tenir compte aussi, au moins dans un cas, de la bonne ou mauvaise foi du vendeur.
Art. 49. Dans cette première hypothèse, comme dans les suivantes, le contrat indique la contenance totale du fonds vendu, mais ce qui est à remarquer c'est qu'au lieu d'indiquer un prix total, un prix en bloc, il le fait dépendre de la quantité vendue: le prix sera proportionnel à cette quantité, la vente est faite “à tant par mesure” ; par exemple : 1 yen par tsoubo, 30 yens par sé, 300 yens par tan, 3000 yens par tcho. Cette relation étroite que les parties ont établie entre le prix et la mesure prouve qu'elles ont attaché une grande importance à la contenance : l'acheteur n'a pas voulu payer pour plus qu'il ne recevrait et le vendeur n'a pas entendu recevoir une valeur moindre que celle qu'il livrerait.
La conséquence est que, si la contenance est moindre que celle annoncée, le prix ne se calculera pas sur cette contenance, mais sur celle qui est effectivement livrée ; réciproquement, si elle est supérieure, le prix s'en trouvera augmenté.
On pourrait objecter que l'acheteur peut se trouver embarrassé de payer un supplément de prix qu'il n'a pas prévu, et on voudrait peut-être lui accorder le droit de se désister du contrat, dès qu'il a à payer un supplément de prix ; mais cette crainte serait exagérée : si le supplément à payer n'est pas d'un vingtième du prix primitif (du prix calculé sur la contenance déclarée), il sera permis à l'acheteur de demander et d'obtenir du tribunal un délai de grâce pour ce payement et même un fractionnement de ce payement (Liv. des Siens, art. 402). Mais, si l'augmentation doit être de plus d'un vingtième, l'acheteur a le choix, ou de payer (toujours en demandant des délais), ou de se désister du contrat (art 52, ci-après'.
La loi a pris soin d'exprimer que si le vendeur avait inséré dans le contrat la non garantie de la contenance, il n'en résulterait pas qu'il fût affranchi de subir une diminution de prix pour moindre contenance : cette clause est considérée par la loi comme incompatible avec la fixation du prix “par chaque mesure”, laquelle n'aurait plus de sens, si on donnait effet à la dispense de garantie. Mais la clause de “non garantie” aurait pourtant une utilité pour le vendeur : elle le dispenserait de payer des dommages-intérêts et l'affranchirait de la résolution à la requête de l'acheteur pour insuffisance de la chose eu égard à ses besoins (v. art. 52).
C'est à cette première hypothèse que nous rattachons celle, annoncée plus haut, où la vente aurait pour objet “tant de mesure, à tel prix chacune, à prendre dans un fonds déterminé” : il est clair que l'acheteur ne sera pas obligé de prendre ce qui restera du fonds en sus de la quantité promise ; mais, s'il y a moins que cette quantité, non seulement l'acheteur ne payera que ce qu'il reçoit, mais il aura droit à des dommages-intérêts on à la résolution pour insuffisance.
Art. 50. Ici, outre l'indication de la contenance totale, il y a indication du prix total, en bloc, c'est-à-dire sans indication du prix de chaque mesure : les parties sont présumées avoir attaché moins d'importance que dans le cas précédent à l'exactitude de la mesure. Il faut que la différence en plus ou en moins soit d'une certaine importance pour que l'une ou l'autre des parties puisse demander une modification du prix.
Mais le vendeur de mauvaise foi ne pourrait invoquer le bénéfice de cette disposition ; par conséquent, si le vendeur avait connu le défaut de contenance, même inférieur à 1 /20e, il ne pourrait prétendre à recevoir intégralement le prix stipulé.
La mauvaise foi du vendeur aura encore une conséquence contre lui ; ce sera de rendre sans effet la mention que “la contenance n'est pas garantie ou qu elle n'est qu'approximative": par exemple, “tant de tsoubos ou environ.”
Mais la mauvaise foi du vendeur ne le priverait pas d'une augmentation de prix, s'il savait que le fonds avait un vingtième de plus qu'il n'a déclaré : sans doute, il a pu chercher, par cette fausse déclaration à décider l'acheteur à une acquisition devant laquelle il aurait reculé s'il en eût connu d'avance le prix ; mais, puisque l'acheteur peut se désister du contrat, par cela seul qu'il doit payer 1/20” en plus, le remède n'a pas besoin d'être cherché ailleurs.
La loi ne punit pas la mauvaise foi de l'acheteur, parce qu'elle serait peu à craindre et peu dangereuse pour le vendeur qui a tontes facilités pour connaître l'étendue de ce qu'il Vend.
Si le vendeur a garanti la contenance, il doit subir une diminution de prix, quel que soit le déficit, et même s'il est de bonne foi : c'est l'effet d'une convention spéciale ; c'est comme s'il avait vendu “à tant la mesure”, avec cette différence, toutefois, que cette dernière clause obligerait aussi l'acheteur, en cas d'excédant, tandis que la garantie de contenance profite à l'acheteur, mais ne peut lui nuire.
Art. 51. Ici, on suppose la vente de plusieurs fonds par un seul contrat : le prix est unique, mais la contenance séparée de chaque fonds a été déclarée ; autrement, et si l'on n'avait indiqué que la contenance totale, ce serait comme si un seul fonds était vendu, ce serait le même cas qu'à l'article précédent.
La loi a dû prévoir qu'en pareil cas, il pourrait y avoir excédant de contenance dans l'un des fonds et moindre contenance dans un autre, et elle veut prévenir une erreur que pourraient commettre les parties et peut-être les tribunaux, laquelle consisterait à compenser les quantités qui se trouvent en plus avec celles qui se trouvent eu moins.
Il est évident que ce résultat pourrait ne pas être équitable ; il sera fréquent, en effet, que les fonds, les terres surtout, ne soient pas de même qualité et par suite de même valeur pour une pareille quantité. On devra donc estimer en argent ce qui manque à l'un des fonds et, de même, ce qui excède dans un autre; ces deux valeurs étant connues, on déduira l'une de l'autre ; mais pour que la différence en plus ou en moins de ce qui avait été promis soit exigible, il faudra qu'elle soit, au minimum, d'un vingtième du prix total stipulé au contrat.
La loi aissimile à ce cas, celui où un seul fonds étant vendu, on en aurait distingué les diverses parties, à cause de la nature des terres, et où l'on aurait désigné la contenance de chaque partie. Il y a une similitude évidente entre les deux cas.
Il n'est rien dit de la bonne ou de la mauvaise foi du vendeur : il est clair que l'article précédent s'applique au présent cas.
Bien que la loi soit surtout écrite en vue des fonds de terre, elle exprime son application “aux fonds bâtis"; il peut arriver, en effet, qu'une partie de bâtiments d'une certaine nature soit plus étendue qu'il n'a été promis, quand une partie d'une autre nature l'est moins, et il est tout aussi juste de redresser le prix que s'il s'agissait de terres.
Art. 52. Dans le règlement des difficultés résultant des différences de contenance, l'acheteur mérite plus de ménagements que le vendeur, parce qu'il n'a pas lu même facilité que celui-ci de connaître avant le contrat la contenance de la chose vendue.
S'il y a moins de contenance que celle promise, il ne suffira pas toujours que l'acheteur obtienne une diminution du prix : il pourrait arriver que la contenance réelle fût insuffisante pour la destination qu il donnait à la chose achetée.
Ainsi, l'acheteur se proposait de faire ces constructions, d'établir des ateliers qui demandent un certain développement, et ils ne peuvent plus le recevoir : il ne serait pas juste qu'il fût obligé de prendre, même avec réduction proportionnelle du prix, un terrain qui ne peut plus lui procurer l'utilité cherchée. Mais il devra prouver cette insuffisance : elle n'est jamais présumée, si grand que soit le déficit de contenance. Dès lors, l'acheteur est admis à demander, soit des dommages-intérêts, soit la rescision du contrat : il pourra se contenter des dommages-intérêts, si, en modifiant ses plans, il peut encore arriver à utiliser la chose ; au cas contraire, il demandera la rescision.
Du reste, le vendeur ne pourrait objecter qu'il ignorait la destination que l'acheteur donnait à la chose : on doit toujours considérer qu'il est en faute, quand il n'est pas de mauvaise foi, et il était plutôt de son devoir de s'informer de l'usage auquel l'acheteur destinait la chose, qu'il n'était du devoir de celui-ci d'en faire la déclaration. Il va sans dire que la distinction entre la simple faute du vendeur et sa mauvaise foi prouvée produira ici son effet ordinaire sur la fixation des dommages-intérêts (voy. Liv. des Biens, art. 385).
Le texte limite d'ailleurs le droit de l'acheteur aux dommages-intérêts et à la rescision, en le subordonnant à deux conditions :
1° Il faut qu'il ait droit à une diminution de prix, ce qui suppose, soit une vente “à tant la mesure”, avec déficit quelconque, soit une vente pour un prix unique, avec” garantie de contenance” ou avec mauvaise foi du vendeur dans la déclaration de contenance ou, enfin avec déficit d'un vingtième. On peut s'étonner que, dans la seconde hypothèse, lorsque le déficit est inférieur à un vingtième, l'acheteur ne soit pas recevable à prouver l'insuffisance de la contenance réelle, eu égard à la destination qu'il donnait à la chose ; nous répondons que l'acheteur doit imputer â sa négligence le préjudice qu'il éprouve : il devait, s'il avait besoin d'une mesure déterminée, stipuler la garantie de contenance.
2° Il faut que la vente n'ait pas été faite “sans garantie" de contenance : dans ce cas, l'acheteur a été suffisamment averti que la contenance annoncée pouvait manquer ; sans doute, cette clause ne le priverait pas de la diminution du prix si la vente était faite " à tant la mesure parce que le vendeur ne doit pas, dans ce cas, toucher un prix supérieur à la valeur de la contenance réellement livrée : autrement, il s'enrichirait sans cause ; mais elle le prive du droit de rescision, parce le vendeur, en s'affanchissant de la garantie, a averti l'acheteur qu'il n'était pas sûr de la contenance C'est d'ailleurs le moyen de donner un effet à cette clause de non-garantie, laquelle, sans cela, se trouvant insérée dans une vente “à tant la mesure", ne produirait aucun effet ; or, c'est un principe d'interprétation des conventions que “les clauses doivent s'interpréter de la façon qui leur donne un effet, plutôt que de celle qui ne leur en fait produire aucun.”
La loi n'autorise pas l'acheteur à demander des dommages-intérêts fondés sur la plus-value qu'aurait acquise la chose dans son ensemble, depuis la vente, et les tribunaux devraient repousser toute prétention de ce genre. Supposons qu'une propriété annoncée comme ayant 1000 tsoubos, mais n'en ayant, en réalité que 950 (l/20e en moins), ait augmenté de valeur d'un yen par tsoubo, l'acheteur ne pourrait réclamer 50 yens comme plus-value des 50 tsoubos manquant, car ce qui manque, ce qui n'existe pas, n'a pas pu augmenter de valeur. Le cas est très-différent de celui d'une éviction qui enlèverait 50 tsoubos à l'acheteur, car ces tsoubos existent et leur augmentation qui profite au tiers revendiquant aurait profité pareillement à l'acheteur, s'il avait été rendu propriétaire (voy. ci-après, art. 56-3°).
Notre article, prévoyant l'inverse de l'insuffisance de la contenance, c'est-à-dire son excédant sur la quantité annoncée, accorde à l'acheteur un troisième droit, c'est celui de renoncer purement et simplement an contrat, s'il doit payer un vingtième en sus du prix convenu.
La loi ne l'oblige pas, comme pour la demande en dommages-intérêts ou en rescision qui précède, à une justification quelconque, laquelle serait ici la difficulté ou l'impossibilité pour lui de payer ce supplément : il y a là une question de situation personnelle et de ressources individuelles dont l'acheteur est seul juge. Mais, par cela seul que l'acheteur est cra sur son affirmation, dès qu'il demande à se désister du contrat, faute d'argent pour acquitter l'excédant, il faut que cet excédant soit un peu élevé et la loi ne pouvait prendre une meilleure mesure que celle déjà adoptée, un vingtième en sus du prix convenu.
Il pourrait cependant arriver qu'une fraction un peu inférieure à un vingtième du prix fût encore gênante pour l'acheteur ; mais alors, comme on l'a déjà fait remarquer, il obtiendra facilement du tribunal un délai de grâce pour le payement et même le fractionnement de la dette (v. Liv. des Biens, 406).
Art. 53. Les codes étrangers ne paraissent avoir réglé qu au sujet des immeubles les effets du défaut ou de 1 excédant de contenance. Le code japonais applique les règles qui précèdent aux ventes de meubles.
Mais il faut au moins s'arrêter un instant sur les hypothèses, plus rares d'ailleurs, où la question se présentera.
Il ne faut guère songer qu'aux choses fongibles de leur nature, parce que ce sont justement celles où l'acheteur s'attache à la quantité (poids, nombre ou mesure) ; mais il faut aussi et nécessairement qu'il s'agisse de corps certains, de choses individuellement déterminées, comme les pierres ou les sables formant un amas vendu en bloc, comme un chargement, par terre ou par eau, de bois ou de charbon, des liquides ne se trouvant pas contenus dans des tonneaux ou autres vaisseaux d'une capacité légale, des étoffes, etc.
Ainsi, quelqu'un vend, en bloc, un amas de pierres récemment extraites de son sol et qui ne sont pas rangées en un cube facile à mesurer immédiatement ; la quantité annoncée est d'un certain nombre de tsoubos : la vente peut avoir lieu “à tant par tsoubo”, ou pour un prix unique ; il peut y avoir eu garantie de la contenance ou exclusion de cette garantie ; dans tous les cas, on appliquera les règles des articles 49 à 52. Elles cesseraient, au contraire, d'être applicables, et le prix serait à l'abri de tout redressement pour déficit ou excédant de quantité, si, comme le texte a soin de le dire, la vérification immédiate avait été possible.
Art. 54. En général, la durée des actions n'est pas enfermée dans un trop court délai qui pourrait en faire perdre facilement le bénéfice.
La tendance du présent Code est cependant de restreindre les délais pour ne pas laisser subsister une longue et fâcheuse incertitude sur les droits résultant des contrats.
On conçoit que lorsqu'il s'agit de faire exécuter un contrat selon sa teneur, le délai soit plutôt large ; mais, lorsqu'il s'agit d'annuler un contrat, par exemple dans le cas d'incapacité ou de vices du consentement, la loi peut et doit être plus exigeante. C'est ainsi que le délai de l'action en nullité ou en rescision qui, d'après plusieurs Codes étrangers, est de dix ans, a été reduit a cinq ans dans le Code japonais, (Liv. des Biens, art. 544).
Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas, en généra], d'annuler le contrat, mais seulement d en modifier une partie, de changer le prix d'après des vérifications faciles à faire ; on conçoit donc que la durée de l'action soit encore plus courte : elle est d'un an pour les ventes d'immeubles et d'un mois pour celles de meubles.
Pour le vendeur, il est naturel que le point de départ de la prescription de son action en redressement du prix commence à partir du jour du contrat; mais pour l'acheteur qui ne peut ordinairement faire la vérification qu'après la délivrance, il paraît beaucoup plus juste de prendre celle-ci pour point de départ du délai, lors même que le payement du prix aurait précédé la délivrance.
Les délais sont les mêmes pour le droit de rescision de l'acheteur, quoique cette action détruise le contrat au lieu de le modifier.
Le cas de défaut de contenance a une grande analogie avec la perte partielle déjà prévue par l'article 43, 2° alinéa. Il lui ressemble en ce qu'il donne lieu, de même que le premier cas, à diminution proportionnelle du prix ou à rescision du contrat, si l'acheteur justifie de l'insuffisance de ce qui reste. Il en diffère en ce qu'il n'y a lieu à diminution de prix ou à rescision motivée que si le déficit a une certaine importance (l/20e), ou si la vente a eu lieu avec certaines modalités ; tandis que, dans le cas de perte partielle, l'acheteur a l'un ou l'autre de ces droits, quelle que soit la quantité qui a péri.
Nous aurons encore, plus loin, à comparer le défaut de contenance avec l'éviction partielle (v. sous les art. 63 et 64) et il se présentera une intéressante remarque à faire sur le droit d'option entre deux recours que peut exercer l'acheteur partiellement évincé.
Art. 55. L'erreur sur la contenance ou l'étendue des immeubles, ou sur la quantité en poids, en nombre ou mesure, des choses mobilières fongibles, est en réalité, une erreur sur les qualités de la chose et ces qualités sont, par leur nature, de celles qu'on doit appeler non-substantielles ; comme telles, elles, ne donneraient lieu, d'après le droit commun des conventions, ni à résolution ni à rescision, pas même à indemnité, s'il n'y avait pas dol de l'autre partie (Liv. des Biens, art. 310). Mais la loi a dû, à cause de l'importance de ces qualités, les traiter dans une certaine mesure, comme des qualités substantielles ou principales.
Pour ce qui est des autres qualités des choses, la loi déclare que la vente suivra le droit commun, ce qui veut dire que celles qui seront principales ou substantielles, soit par leur nature, soit par l'intention des parties, donneront lien, par elles-mêmes, à rescision ou à indemnité ; tandis que celles qui ne sont que non-substantielles ou accessoires ne donneront lieu à rescision ou même à indemnité que si elles proviennent du dol de l'autre partie.
Il n'est pas nécessaire de revenir sur cette distinction, suffisamment exposée, sous l'article 310 du Livre des Biens.
Rappelons seulement que, dans cette même matière de la vente, on a déjà vu que certaines qualités, non-substantielles de leur nature, ont été considérées comme pouvant être principales dans l'intention des parties ; ce sont les qualités des choses qu'il est d'usage de goûter et d'agréer avant de les acquérir, et les qualités répondant aux besoins ou aux convenances personnelles de l'acheteur, dans les ventes faites à l'essai (voy. ci-dessus, art. 31 et 32).
II. OBLIGATION DE GARANTIE D'ÉVIOTION.
Art. 56. La seconde obligation du vendeur, celle de garantir l'aclieteur de tous troubles et évictions, a reçu dans toutes les législations, depuis celle des Romains, des développements assez étendus, à cause des nombreuses distinctions qu'elle comporte.
Déjà, dans la matière des Obligations en général, on a parlé de la Garantie due dans les divers contrats (Liv. des Biens, art. 395 à 402).
Avant d'aborder les particularités qu'elle présente en matière de vente et ses principales applications, au cas d'évicition, nous croyons devoir, à cause de l'extrême importance de la matière, rappeler les principales règles de la garantie :
1° Celui qui a cédé ou prétendu céder des droits, comme lui appartenant, doit en assurer la jouissance et l'exercice contre les prétentions des tiers qui soutiendraient avoir des droits antérieurs incompatibles avec ceux qui ont été cédés ; si cette première obligation ne peut être remplie, parce que les prétentions des tiers sont justifiées, le cédant doit indemniser son cessionnaire du préjudice qu'il éprouve. En une forme abrégée, garantir d'un danger ou d'un dommage, c'est faire tout ce qui est possible le prévenir et, subsidiairement, pour le réparer.
2° L'obligation de garantie est légale ou naturelle dans les contrats à titre onéreux, c'est-à-dire qu'elle y a lieu de plein droit ou sans stipulation. Elle est conventionnelle ou accidentelle dans les actes à titre gratuit, c'est-à-dire qu'elle n'y a lieu qu'autant qu'elle a été stipulée.
3° Dans tous les contrats, soit onéreux, soit gratuits, on peut, par des conventions particulières, régler d'avance les effets de la garantie : on peut les étendre ou les modérer, on peut même les exclure entièrement; mais on ne peut affranchir le cédant de la garantie des dommages qui résulteraient de son fait personnel, soit postérieur au contrat, soit même antérieur ; cette garantie est dite essentielle.
4° La bonne ou la mauvaise foi de l'une ou de l'autre partie influe sur le mode de règlement de l'indemnité, conformément au droit commun (v. Liv. des Biens, art. 38.).
La vente étant un contrat onéreux, le garantie y est due de plein droit.
Gomme elle a pour objet de transférer la propriété ou un de ses démembrements, la garantie est due si la propriété ou le droit réel cédé appartenait antérieurement à un tiers.
Lorsque le tiers a justifié de son droit en justice et dépossédé l'acheteur, on dit qu'il y a éviction de celui-ci, on dit qu'il est évincé, c'est-à-dire qu'il est vaincu et, mis dehors, de là le nom de garantie d'éviction spécialement employé dans la vente.
La garantie d'éviction suppose donc qu'il y a eu vente de la chose d'autrui.
Mais la vente de la chose d'autrui est nulle faute de cause (art. 42), On peut dès lors s'étonner qu'une vente nulle produise une obligation, surtout une obligation aussi étendu que celle de la garantie.
La vérité est que l'obligation de garantie, dans ce cas, ne naît pas de la vente, mais de la faute commise par le vendeur ; elle naît du dommage injuste qu'il a causé (délit civil ou quasi-délit, suivant qu'il a été de mauvaise foi ou bonne foi), et c'est par l'effet d'une abréviation de langage qu'on dit que l'obligation de garantie est née de la vente ; elle est née de l'acte que les parties ont qualifié “vente” et auquel la loi elle-même ne peut guère donner un autre nom.
Il y a aussi une part à faire à l'enrichissement indû, quand le prix a été payé par l'acheteur évincé.
Le Code japonais, adoptant les principes très-rationnels,doit en accepter aussi et en déduire les conséquences logiques.
La première de ces conséquences est proclamée par notre article 56 : l'acheteur n'est pas obligé d'attendre que le vrai propriétaire l'ait évincé, ni même menacé d'éviction, pour agir contre son vendeur en déclaration de la nullité de la vente et en garantie : il peut le faire dès qu'il est en mesure de prouver que la chose vendue appartenait à autrui. Il le peut, lors même qu'il aurait connu à l'origine cette cause de nullité de la vente et lors même que le vendeur l'aurait ignorée. Cette double circonstance le rend pourtant moins digne d'intérêt, en même temps que le vendeur l'est davantage ; elle aura certainement une grande influence sur le règlement des diverses indemnités qui forment l'objet de la garantie ; mais, comme il y a ici une question d'existence du contrat ou de nullité radicale, faute de cause, la mauvaise foi de l'acheteur n'empêche pas que la cause manque et la bonne foi du vendeur ne peut pas la suppléer.
Art. 57. La loi indique ici l'effet de la nullité et de la garantie dans la même circonstance où l'acheteur était de mauvaise foi lors du contrat. Dans ce cas, il a droit à la libération de l'obligation de payer le prix, s'il est encore dû, on à la répétition, s'il a été déjà payé.
La justification de cette double proposition est très-simple : au premier cas, le prix a été promis sans cause ; au second cas, il a été payé indûment ou toujours sans cause. La bonne foi du vendeur ne le préserverait pas de cette restitution, car elle ne peut motiver un enrichissement sans cause.
Mais l'acheteur de mauvaise foi n'aurait droit à aucune des indemnités qui seront admises ci-après lorsqu'il sera supposé de bonne foi.
Le texte de notre article, en n'accordant à l'acheteur de mauvaise foi que la libération ou répétition du prix “seulement” et en n'y ajoutant pas les diverses indemnités accordées ci-après à l'acheteur de bonne foi, les lui refuse par cela même.
Il ne distingue pas à cet égard, si le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi.
Assurément, cette limite des droits de l'acheteur est applicable, si le vendeur était de bonne foi ; mais elle l'est également, si le vendeur était de mauvaise foi : quand la loi refuse à l'acheteur de mauvaise foi toute indemnité autre que la restitution de son prix, c'est parce qu'il s'est exposé sciemment, et on pourrait dire volontairement, à l'éviction et aux pertes qui en résultent : il espérait sans doute que le vrai propriétaire ignorerait toujours son droit et laisserait ainsi s'accomplir la prescription ; mais il n'est pas plus digne d'intérêt, parce que le vendeur aura lui-même été de mauvaise foi : la faute de l'un ne diminue pas celle de l'autre. Au contraire, lorsque l'acheteur aura été de bonne foi, la position du vendeur sera plus défavorable, s'il a été lui-même de mauvaise foi.
Le 2e alinéa suppose que la chose vendue a diminué de valeur sans le dol ou l'enrichissement de l'acheteur de mauvaise foi, et il décide que cette diminution sera sans influence sur la répétition du prix.
On verra à l'article suivant que, si la chose a augmenté de valeur, même par cas fortuit, l'acheteur de bonne foi peut se faire indemniser de cette plus-value, comme étant privé d'un avantage qu'une vente valable lui aurait procuré. On pourrait donc croire que lorsqu'on sens inverse, la chose a diminué de valeur, il doit subir cette perte. Le texte prend soin de prévenir cette erreur : c'est toujours parce que le vendeur ne doit pas garder une seule partie du prix payé sans cause. Si, dans ce cas, l'acheteur peut répéter tout son prix quand il l'a payé, à plus forte raison doit-il être libéré en entier, lorsqu'il ne l'a pas encore payé : il serait encore plus choquant qu'il donnât une partie du prix pour une chose dont il n'acquiert aucune portion, et cela, sous le prétexte que, s'il l'avait acquise, il aurait subi une perte dans sa valeur.
Le dernier alinéa signale encore un effet de la nullité de la vente et de l'exercice de l'action en garantie, c'est l'obligation pour l'acheteur, au moment où il recouvre son prix ou sa libération, de restituer au vendeur la possession de l'immeuble. Sans doute, le vendeur n'aurait pu le premier agir en réintégrande, mais quand l'acheteur a invoqué et fait reconnaître la nullité de la vente, il ne peut jouir, en même temps, de la chose vendue et du prix.
Il paraît bon de le déclarer dans une matière où tout est important.
Art. 58. La loi suppose maintenant que l'acheteur était de bonne foi, c'est-à-dire qu'il a ignoré, lors du contrat, que la chose vendue appartenait à autrui, et elle lui reconnaît, outre le droit relatif au prix, tel qu'il est indiqué plus haut, le droit à diverses indemnités La cause n'en est plus, comme pour la libération ou la répétition du prix, dans l'enrichissement indû ou sans cause du vendeur, mais dans le dommage injuste qu'il a causé.
Pour plus de clarté, ces indemnités sont énumérées et réunies dans un seul article.
On va les justifier successivement.
1° Les frais du contrat ne sont pas très-considérables et ils se divisent par moitié, entre les parties, dans les contrats synallagmatiques (v. des Biens 334.) ; cependant, 1 acheteur de bonne foi doit être remboursé de sa part des frais, car c'est la faute du vendeur qui lui a causé cette dépense inutile,
2° L'acheteur fait fréquemment des dépenses sur la chose qu'il a achetée : les unes sont de grosses réparations, ou dépenses nécessaires ; les autres sont des améliorations qui augmentent la valeur de la chose, ou dépenses utiles ; enfin, les dernières sont des dépenses de pur agrément, ou voluptuaires, au nombre desquelles il faut compter celles que l'acheteur aurait faites pour adapter la chose à ses besoins personnels, par exemple à sa profession, et qui, ne pouvant pas servir à d'autres, ne seraient pas considérées comme dépenses utiles ou donnant de la plus-value à la chose.
1.1 y a encore les dépenses d'entretien, mais elle ne doivent pas figurer ici, car elles sont une charge des fruits et l'acheteur de bonne foi, gagnant les fruits, doit aussi supporter les dépenses d'entretien, sans recours (voy. art. 86).
Les dépenses nécessaires et les dépenses utiles sont remboursées à l'acheteur par le propriétaire, au moment de la revendication (Liv. des Biens, 361-4°, 363), il n'a donc pas à les réclamer au vendeur, au moins en général ; mais comme l'acheteur peut agir en garantie avant d'être évincé, avant même que le propriétaire l'ait troublé, il faut nécessairement admettre que, dans ce cas, l'acheteur réclamera du vendeur les trois sortes de de dépenses, sauf le recours de ce dernier contre le vrai propriétaire, lorsque celui-ci fera valoir son droit. C'est pour laisser place à cette hypothèse et aussi à la distinction entre les trois sortes de dépenses que le texte suppose que l'acheteur “n'est pas remboursé par le propriétaire.”
3° Il est fréquent que les choses gagnent en valeur, par le seul effet du temps et des circonstances, sans qu'aucune dépense soit faite à cet égard ; cela est vrai surtout des immeubles, notamment des terrains dans les villes ou dans leur voisinage ; les maisons mêmes, quoique le temps les dégrade et oblige à des réparations, ont de la tendance à augmenter de valeur dans les temps de prospérité générale, ne fût-ce que par le seul accroissement de la population qui augmente les besoins et la demande d'habitations. Quant aux meubles, ils ne gagnent guère de valeur avec le temps que s'ils ont un caractère artistique ; mais toute cette théorie de la nullité de la vente de la chose d'autrui s'appliquera rarement aux meubles, du moment, que le possesseur de bonne foi d'un meuble en devient immédiatement propriétaire, par une sorte de prescription instantanée.
Lorsque la chose vendue a ainsi augmenté en valeur et que l'aclieteur n'en est pas devenu propriétaire, c'est avec raison qu'il peut dire que, si la propriété lui avait été transférée, il aurait bénéficié de cette plus-value fortuite ou résultant de circonstances plus ou moins prévues.
La position de l'acheteur est donc, à ce point de vue, très-favorable : il profite de la plus-value, sans souffrir de la moins-value.
4° L'acheteur qui était de bonne foi lors du contrat a pu gagner les fruits pendant un certain temps (voy. Liv. des Biens, art. 194) : il n'est pas tenu de les rendre au vrai propriétaire, et ce profit, conforme à ces intentions, doit se compenser avec les intérêts de son prix, lesquels ne lui sont pas rendus avec le capital.
Mais si l'on suppose que, plus tard, il a découvert que la chose appartenait à autrui, depuis ce moment les fruits ne lui sont plus acquis ; il en est de même de ceux qu'il a perçus depuis la demande en revendication. Pour ces deux époques, il doit restituer les fruits au propriétaire, parce qu'il n'est plus possesseur de bonne foi.
La conséquence est que le vendeur lui en doit l'équivalent. Si l'acheteur use de ce droit, il ne réclamera pas les intérêts de son prix pour les deux mêmes périodes ; mais la loi lui permet d'opter pour ces inté rêts, en abandonnant la réclamation de l'indemnité des fruits. Du moment que la vente ne lui a pas même procuré directement le gain des fruits, il peut demander que les conséquences de la nullité s'appliquent dès qu'il a cessé de gagner les fruits.
Le dernier alinéa forme un 5e chef de réclamation.
L'acheteur peut éprouver d'autres dommages résultant de ce que la chose n'est pas devenue sa propriété ; il peut avoir installé sur les lieux une industrie ou un commerce, dont il n'aura pas eu le temps de tirer profit ; il peut avoir fait des travaux agricoles qui n'ont pas encore donné de plus-value, ni de fruits et qui ne lui seront pas remboursés par le propriétaire, ou ne le seront que pour une faible partie. Il est juste qu'il en soit indemnisé La loi, pour ne pas entrer dans de nouveaux détails, se réfère au droit commun ; toutefois, elle en donne comme application les frais de procès.
Art. 59. La position la plus favorable à l'acheteur, dans la demande en garantie, est celle où il était de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi. L'article précédent est applicable à cette hypothèse.
Le présent article suppose que le vendeur était lui-même de bonne foi lors du contrat, et comme la mauvaise foi ne se présume pas, elle doit être prouvée (Liv. des Biens, art. 187).
Mais la bonne foi du vendeur n'exclut pas l'idée de faute et les divers chefs d'indemnité prévus à l'article précédent recevront tous leur application ; c'est seulement quant au mode de fixation du montant de l'indemnité qu'il y aura une différence : au cas de bonne foi, les dommages-intérêts alloués n'excèderont pas l'étendue qui a pu être prévue lors du contrat (et la loi ajoute “raisonnablement,” parce qu'il ne faut pas exiger des prévisions exagérées et invraisemblables) ; au cas de mauvaise foi, les dommages-intérêts pourront excéder les prévisions, et n'avoir d'autres limites que le préjudice réellement éprouvé ou le gain manqué (voy. Liv. des Biens, art. 385).
Cette application à la vente du droit commun des dommages-intérêts ne doit pas faire croire qu il soit nécessaire pour les faire encourir que l'acheteur ait mis le vendeur en demeure, conformément à l'article 384 du Livre des Biens.
D'abord, on ne comprendrait pas bien quel serait l'objet de cette injonction de l'acheteur : que demanderait-il au vendeur ? Dans le cas des dommages-intérêts prévus audit article 384 du Livre des Biens, il s'agit d'une convention non exécutée, le créancier somme le débiteur de remplir son obligation ; celui-ci pourrait n'y pas songer, il faut le lui rappeler, et, si après un avertissement en forme, il continue à manquer à son devoir, il est juste qu'il soit responsable du dommage qui suit cet avertissement. Mais ici, il s'agit de la réparation d'une faute originaire commise lors de la formation du contrat et non de la simple inexécution d'une convention : un avertissement au vendeur n'aurait aucun sens ni aucune portée ; l'acheteur ne pourrait raisonnablement sommer le vendeur d'avoir à le rendre propriétaire d'une chose qui est à autrui.
Du reste, le même article 384 contient la dispense de sommation qui nous occupe, car il excepte le cas où le débiteur est tenu par suite d'un délit ou d'un quasi-délit et est toujours en demeure.
Art. 60. La loi suppose ici que le vendeur a été de bonne foi lors du contrat et qu'il a découvert ensuite que la chose appartenait à autrui. Sa position doit évidemment être meilleure que dans l'hypothèse où il était de mauvaise foi.
Comme la nullité de la vente de la chose d'autrui est radicale et absolue, faute de cause, la logique du droit semblerait exiger que l'acheteur et le vendeur soient, tous deux et dans tous les cas, admis à se prévaloir de cette nullité et à refuser d'exécuter le contrat. Il faut pourtant refuser ce droit au vendeur de mauvaise foi, comme peine de son dol.
Mais la même rigueur serait exagérée à l'égard du vendeur de bonne foi, lequel n'est coupable que d'imprudence. Si l'on prétendit qu'il ne doit pas être admis non plus à se prévaloir de la nullité, à cause de son obligation de garantir l'aclieteur de l'éviction et que c'est un principe fondamental de la matière que “celui qui doit la garantie ne peut lui-même opérer l'éviction”, la réponse serait que lorsque le vendeur de bonne foi, prévenu tardivement des droits du vrai propriétaire, refuse de livrer la chose à l'acheteur, dans l'intention évidente ou présumée de la restituer à son propriétaire, ce n'est pas lui vendeur, c'est le propriétaire qui opère l'éviction : c'est au nom de celui-ci qu'elle a lieu et par l'effet de ses droits.
Le même raisonnement ne serait plus applicable, si le vendeur était de mauvaise foi, car on ne pourrait plus dire, Sans choquer la vraisemblance, qu'il est présumé avoir l'intention de restituer la chose au propriétaire et que c'est au nom et en vertu des droits de celui-ci qu'il opère l'éviction.
Lorsque le vendeur de bonne foi invoque la nullité de la vente, il n'a pas seulement le droit de refuser la délivrance, en abandonnant son droit au prix, il a encore le droit de demander le règlement immédiat des indemnités dont il est tenu comme garant : autrement, l'acheteur pourrait, dans l'espérance d'une plus-value, attendre un temps plus ou moins long et aggraver ainsi la position du vendeur. Si celui-ci a négligé de faire régler immédiatement les conséquences de la garantie, il doit l'imputer à sa négligence.
L'acheteur peut, du reste à ce moment, renoncer à tout recours en cas d'éviction ; ce qu'il pourra faire, lorsqu il sera près d'arriver à la prescription et lorsque l'acquisition lui paraîtra avantageuse.
Art. 61. La loi suppose maintenant que le vendeur, toujours de bonne foi, n'a pas connu les droits du vrai propriétaire avant la délivrance, de sorte qu'il n'a plus à refuser celle-ci, et il a reçu le prix. Il n'est plus possible de lui permettre la chose livrée. A quel titre d'ailleurs le pourrait-il ? On ne suppose pas encore qu'il soit devenu légitime propriétaire (ce sera le cas de l'article suivant) ; il ne peut donc revendiquer.
Il ne pourrait pas davantage exercer l'action pos-sessoire en réintégrande, car cette action n'est donnée qu'à celui qui, ayant eu la possession, l'a perdue par la violence ou par la ruse d'autrui (v. Liv des Biens, art. 204) ; or, le vendeur n'a perdu la possession de la chose vendue que par une livraison volontaire ; sans doute, elle est l'effet d'une erreur de sa part, de la croyance à son droit ; mais ce n'est pas une raison suffisante de déroger aux règles qui limitent l'action en réintégrande.
Le présent article accorde cependant au vendeur un droit très-considérable qui est une grande innovation par rapport aux Codes étrangers : le vendeur ne sera pas exposé à voir l'acheteur retarder son action en nullité et en garantie pendant un temps plus ou moins considérable, dans l'espérance d'une plus-value, il pourra le sommer d'exercer immédiatement l'action en nullité et en garantie. Mais celui-ci pourrait s'y refuser et pourtant ce ne serait pas une raison pour le vendeur de demander lui-même la nullité : le secours que la loi accorde est différent, mais suffisant pour prévenir le calcul intéressé et peu honnête de l'acheteur. Le vendeur demandera au tribunal de faire constater contradictoirement entre lui et l'acheteur le montant des indemnités dues à ce jour, d'après les causes portées à l'article 58. Si l'acheteur refuse de nommer un expert, celui-ci sera nommé par le tribunal ; mais, il serait imprudent à l'acheteur de ne pas répondre à la demande, car il est à craindre pour lui que, faute de justification, le chiffre de l'indemnité ne soit très-réduit.
Soit que l'acheteur réponde ou non à la demande, le jugement réglera jusqu'à ce moment les effets de la garantie, sauf le droit ordinaire d'opposition ou d'appel. Si l'acheteur refuse de toucher les sommes qui lui sont allouées, le vendeur en fera des offres réelles et les consignera, conformément aux articles 414 et suivants du Livre des Biens.
Mais la libération restera soumise à l'application des règles de ce mode de payement : elle aura un caractère conditionnel et résoluble ; le vendeur pourra bien, comme le lui permet l'article 478 du même Livre, retirer les sommes consignées, mais en s'exposant à une action en garantie ultérieure; toutefois, la garantie est jugée pour la première période : elle ne pourra plus être portée devant le tribunal que pour le temps qui l'aura suivie ; mais il ne serait pas juste que le vendeur, après avoir enlevé à l'acheteur les chances de plus-value pour l'avenir, pût, sans lui ren dre ces mêmes chances reprendre, la jouissance des sommes auxquelles il a été condamné.
Art. 62. Le cas prévu par cet article est particulièrement intéressant et il a toujours occupé les légistes qui n'ont jamais hésité à refuser au vendeur de la chose d'autrui devenu plus tard légitime propriétaire le droit de revendiquer la chose comme sienne : sans doute, il est devenu propriétaire, mais il est toujours vendeur et tenu de la garantie ; c'est bien là le cas de l'application directe du principe déjà signalé que “celui qui doit la garantie ne peut lui-même opérer l'éviction.”
On serait peut-être tenté de soutenir que la vente se trouvait, dans ce cas, confirmée de plein droit, virtuellement, dès que le vendeur était devenu propriétaire; mais ce serait une erreur certaine : l'aclieteur a eu le droit d'invoquer la nullité, dès la formation du contrat, ce droit ne peut lui être enlevé sans sa volonté ; peut d'ailleurs avoir déjà pourvu au remplacement de la chose, en avoir acquis une autre, avant de demander la nullité de la première vente comme il en avait le droit.
Mais ici, comme au cas de l'article précédent, il serait très-dur pour le vendeur devenu propriétaire de rester pendant un temps indéfini dans l'incertitude sur ce que fera l'acheteur, lequel peut, suivant son intérêt et les circonstances, ou invoquer la nullité de la vente, avec les indemnités qui en résultent, ou garder le silence et attendre une plus-value, ou attendre le temps de la prescription.
Le Code, ici encore, introduit une grave innovation, mais dont l'équité est évidente. Le vendeur pourrait dire à l'acheteur : “je ne conteste pas que vous avez gardé le droit de vous prévaloir de la nullité originaire de la vente, parce que vous pouvez avoir souffert de n'être pas devenu propriétaire dès le jour du contrat. ; je suis donc prêt à vous rendre votre prix et à vous indemniser de tout le préjudice que vous avez éprouvé jusqu'à ce jour; si vous avez encore intérêt à devenir propriétaire, déclarez-le et le droit qui m'est survenu deviendra le vôtre, plus encore par votre volonté que par la mienne; mais vous ne pouvez me laisser indéfiniment dans l'incertitude sur la nullité ou la confirmation de la vente.”
Dans le cas même où l'acheteur ratifie la vente, il peut avoir droit à une indemnité : par exemple, il pourrait prouver qu'il a manqué l'occasion de revendre la chose avec bénéfice, parce qu'il n'avait pas encore le droit de propriété, et cette occasion ne se retrouve pas alors qu il est devenu propriétaire.
Le 1^ alinéa recevra son application, quand le vendeur de la chose d'autrui sera, postérieurement au contrat, devenu propriétaire de la chose vendue : ce pourra être parce qu'il l'aura lui-même achetée de vrai propriétaire ; ce pourra être aussi parce qu'il est devenu son héritier. Il cumule ainsi, dans les deux cas, la qualité de propriétaire et celle de vendeur, avec cette seule différence que, dans le second cas, il a la qualité de vendeur, de son chef, et celle de propriétaire, du chef de son auteur.
Le 2e alinéa donne la même solution, le droit de provoquer une option de la part de l'acheteur, lorsque le vendeur de la chose d'autrui a eu pour héritier le vrai propriétaire, il faut y ajouter le cas où un tiers a succédé à l'un et à l'autre.
Art. 63 et 64. Il peut arriver que la chose vendue appartienne pour partie au vendeur et pour partie à un tiers, en sorte qu'on ne puisse dire d'une façon absolue qu'il y a eu vente de la chose d'autrui. La chose vendue peut aussi être grevée an profit d'un tiers de droits réels secondaires, de démembrements de la propriété ; il est encore plus difficile, dans ce cas, de dire que la vente est nulle comme vente de la chose d'autrui.
Le principe qui domine ces diverses hypothèses est que la vente alors n'est pas nulle de droit, mais qu'elle peut seulement être résiliée ou résolue à la demande de l'acheteur; encore faut-il, le plus souvent, qu'il prouve que la part de propriété ou les droits qui lui manquent sont de telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas les acquérir. C'est l'application du droit commun des contrats synallagmatiques: le vendeur avait implicitement promis de transférer la propriété de toute la chose vendue et une propriété pleine et entière sans charges ; or, il n'a pas rempli cette obligation ; l'acheteur peut donc demander à être affranchi lui-même des siennes.
Mais il y aurait abus, s'il demandait la résiliation du contrat pour la plus légère diminution de ses droits ; delà, la charge à lui imposée de prouver, au moins dans les cas les plus fréquents, que, dans l'état actuel, la chose lui est insuffisante. Cette situation a quelque analogie avec le déficit dans la contenance déclarée et, plus loin, on fera le parallèle entre l'éviction partielle et le défaut de contenance.
En ce qui concerne le premier cas prévu, celui où la chose appartient pour partie à un tiers, “en pleine dropriété ou en nue propriété” (le cas d'usufruit est réglé à l'article 65), le texte de nos deux articles fait une distinction entre la “portion divise” et la “portion indivise.”
Une portion divise est une fraction de la chose ayant des limites déterminées, ce peut être un angle, une bande de terrain, une parcelle contiguë au fonds principal.
Une portion indivise est une partie aliquote, portant sur le tout, comme un quart, un tiers, une moitié.
La distinction a deux conséquences importantes que la loi a soin d'exprimer.
La première est relative au droit de résiliation que nous avons déjà annoncé en faveur de l'acheteur : la nécessité de prouver que la portion qui lui manque était d'une telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas l'acquérir ne s'applique qu'au cas où la portion est divise. Il se pourrait, en effet, que cette partie fut si faible par son étendue ou par sa nature que la demande en résiliation, sans justification de l'insuffisance, serait manifestement abusive : ce pourrait être pour l'acheteur un moyen peu honnête de se soustraire aux effets d'un contrat qui a cessé de le satisfaire.
Au contraire, quand il s'agit d'une portion indivise qui, n appartenant pas an vendeur, n'a pas été transférée à 1 acheteur, celui-ci se trouve avoir un copropriétaire de la totalité, l'exercice de son droit sera limité, gêné dans toutes ses applications par le droit similaire d'un tiers : on connaît les effets et les inconvénients de la copropriété (v. Liv. des Biens, art. 37 à 39) ; on conçoit donc que l'acheteur ne puisse s'y trouver engagé à son insû et malgré lui, et qu'il ait le droit de résiliation, si faible que soit la part de propriété qu'il n'acquiert pas.
Comme il s'agit ici de convenances personnelles dont l'acheteur doit être laissé seul juge, il n'a d'autre justification à faire que celle de l'existence d'une copropriété étrangère.
La seconde conséquence de la distinction est relative au mode de règlement de l'indemnité ; mais c'est seulement lorsque l'acheteur n'exerce pas le droit de résiliation, car s'il l'exerce, la vente, comme dans le cas précédent, se trouve complètement annulée, et l'indemnité se règle d'après l'article 58.
Reprenons les deux natures de portions qui peuvent manquer à l'acheteur.
Ier Cas. C'est une portion divise. Du moment que l'acheteur ne peut obtenir la résiliation, faute de faire la justification nécessaire de l'insuffisance de ce qui lui reste, il ne peut pas dire que la vente soit nulle, même pour la portion qui lui manque : il a acheté sortout afin d'acquérir ce qu'en effet il a acquis, et ce qui lui manque ne doit plus être considéré que comme une qualité accessoire de la chose, comme un avantage secondaire qui peut et doit, assurément, donner lieu à une indemnité, mais sans aucun rappport avec l'éviction totale.
Ainsi, la portion de terrain qui est revendiquée par un tiers était plus ou moins étendue, mais sans grande utilité pour l'exploitation de la chose : l'indemnité pourra être assez faible , au contraire, la portion était peu étendue, mais elle contenait des bâtiments importants ou une source qui alimentait des rizières: l'indemnité pourra être considérable, car on n'est pas loin de l'hypothèse où l'acheteur pourrait faire résilier la vente pour insuffisance de ce qui lui reste.
Lorsque l'acheteur ne peut obtenir la résiliation du contrat, il ne réclame donc aucune portion de son prix, comme telle : il ne peut obtenir que la réparation du préjudice actuel que lui cause la privation qu'il subit, et la plus ou moins-vaine survenue à la portion dont il est évincé lui profitera ou lui nuira.
Une dernière conséquence de ce que la vente, dans ce cas, n'est nulle pour aucune de ses parties, c'est que l'acheteur ne peut se faire rembourser aucune partie des frais du contrat, tandis que, lorsqu'il y a nullité originaire ou résiliation, les frais payés par l'acheteur lui sont remboursés.
1Ie Cas. C'est une portion indivise. L'acheteur, pourrait, avons-nous dit, afin de se soustraire aux inconvénients de la copropriété, demander, pour ce seul fait, la résiliation du contrat ; mais il peut préférer maintenir la vente. Elle est cependant nulle faute de cause, pour la partie de la chose qui appartient à autrui : pour cette portion, l'acheteur a donné un prix sans cause ; il peut donc le répéter pour cette même portion, sans avoir égard à la moins-value que la chose a pu subir dans le tout et dans cette partie indivise. Au contraire, il peut, si la chose a augmenté de valeur, réclamer une portion de la plus-value pour la portion qu'il a manqué à acquérir ; et cela n'est pas contradictoire avec la première proposition, parce qu'il a pu compter sur la plus-value totale et que le vendeur est en faute de ne pas la lui avoir procurée.
Par le même motif que la vente est nulle pour partie, 1 acheteur recouvrera aussi une portion des frais du contrat qu'il a payés.
Une question intéressante, mérite de nous arrêter ici un instant : elle résulte, comme on l'a annoncé plus haut, du rapprochement de deux garanties, de celle d'éviction et de celle de contenance.
Supposons qu'il y ait eu éviction d'une portion divise ou indivise de la chose vendue : ne peut-on pas considérer cette privation partielle de la chose comme constituant en même temps pour l'acheteur un déficit de contenance, donnant lieu à diminution du prix, d'après les articles 49 à 54? On l'a pensé, et si on ne l'a pas exprimé dans la loi, c'est parce que la solution a paru se déduire logiquement et forcément des principes des deux théories combinées.
La réciproque n'est pas vraie : un acheteur auquel manque une portion de la contenance déclarée, parce que le mesurage n'a pas été exact, ne peut se dire évincé ni se faire indemniser, comme tel : il ne pourra l'être que d'après les articles 49 à 54.
Mais lorsque l'acheteur est privé, par une revendication, d'une portion divise formant le vingtième de la chose vendue, comment pourrait-on hésiter à dire qu'il est privé d'une partie de la contenance promise? Et si l'éviction est d'une portion indivise, qu'importe à l'acheteur que la chose vendue ait, dans les limites annoncées, la contenance promise, si une portion de cette contenance ne peut lui être acquise ?
Sans doute, l'acheteur évincé d'une partie de la chose ne pourra réclamer tout à la fois une double indemnité, tant pour éviction que pour défaut de contenance : il devra opter et, naturellement, il se déterminera par son intérêt, et l'on va voir plus loin quel peut être cet intérêt, suivant les cas ; mais il ne pourra invoquer l'un des deux chefs d'indemnité qu'en observant les règles et conditions qui lui sont propres, dans leur ensemble et à l'exclusion des règles et conditions de l'autre chef.
Ainsi, l'acheteur évincé ne pourra invoquer les règles du défaut de contenance, pour une faible privation éprouvée, que si la vente a été faite “a tant la mesure (art. 49), ou “avec garantie de contenance” (art. 50) : autrement, il faudra que le déficit résultant de l'éviction soit d'un vingtième de la totalité (ibid.). Si aucune de ces conditions ne se rencontre dans l'éviction partielle l'aclieteur ne pourra invoquer les règles du défaut de contenance : il ne pourra faire appliquer que celles de l'éviction.
Voici maintenant comment l'acheteur sera guidé par son intérêt, dans les cas où il a l'option entre les deux chefs d'indemnité.
Si l'éviction est d'une part divise et que le fonds entier ou cette partie seule ait diminué de valeur, l'acheteur ne peut recouvrer que la valeur actuelle de ce dont il est évincé (art. 63, 2e al.), tandis que s'il invoque le défaut de contenance, il recouvrera une partie proportionnelle du prix (art. 49 et 50).
Au contraire, si le fonds a augmenté de valeur, l'acheteur évincé négligera la garantie de contenance pour la garantie d'éviction qui lui fait obtenir l'indemnité de la plus-value oici encore un avantage de la garantie d'éviction sur celle du défaut de contenance : supposons que le vendeur ait vendu “sans garantie de contenance,” cela ne l'affranchirait pas de la garantie d'éviction, parce qu'il y a, aux yeux de la loi, une plus grande faute à vendre une chose dont on n'est pas propriétaire, qu'à ignorer la contenance exacte du fonds vendu ; on peut toujours, en effet, s'assurer de la validité de son titre et de la régularité des transmissions antérieures, tandis-que, dans bien des circonstances, on ne pent recourir aux services d'un géomètre-arpenteur.
Mais s il y avait eu stipulation de “non-garantie d'éviction” et que l'acheteur fût évincé d'une portion divise égale a l/20e, il ne pourrait se prévaloir du défaut de contenance qui en résulte, parce que ce serait se prévaloir de l'éviction.
Au contraire, il pourrait invoquer le défaut direct de contenance, c'est-à-dire le déficit qui n'aurait pas été prévu, parce que les clauses restrictives du droit commun sont limitées à leur objet formel.
Une autre différence à noter la garantie d'éviction et celle de contenance, c'est que dans la première ou tient grand compte de la bonne ou de la mauvaise foi du vendeur, tandis que dans la seconde, sa bonne foi ne le préserverait pas de subir une diminution proportionnelle du prix, et sa mauvaise foi n'aurait pour effet que de le rendre responsable d'un déficit de moins de 1/20e (art. 50).
Art. 65. La loi passe au cas où le fonds vendu est grevé, au profit d'un tiers, de droits réels secondaires ou autres que la propriété et non déclarés au contrat.
Les servitudes, l'usufruit et le bail sont rattachés aux articles 63 et 64, au moyen d'une distinction qui autorise à les considérer comme une portion, tantôt divise, tantôt indivise, de la propriété ; seulement, au lieu qu'il y ait éviction de pleine propriété ou de nue propriété, comme le suppose l'articie 63, il n'y qu'éviction de jouissance ou d'usage.
Quant aux privilèges et hypothèques grevant le fonds vendu, ils sont l'objet de l'article 66, séparément, parce qu'ils donnent lieu à une toute autre distinction : leur existence seule sur le fond, même non déclarée, ne donne pas lieu au recours en garantie de l'acheteur ; il faut, pour ce recours, que le droit soit exercé par le créancier, alors la garantie a lieu, lors même que le droit du tiers aurait été déclaré au contrat.
Notre article 65, avant de statuer sur l'existence d'une servitude passive, c'est-à-dire grevant le fonds vendu, le cas d'une servitude active annoncée par le contrat comme appartenant au fonds : c'était un droit accessoire que l'acheteur comptait acquérir avec le fonds ; s'il en est privé, soit parce que ce droit n a jamais été établi, soit parce qu'il a été éteint, il est juste que l'indemnité en soit fournie. Comme la privation d une servitude, même profitant à tout le fonds (par exemple, un droit de passage ou de vue sur le voisin), ne peut être assimilée à la revendication d'une quote part la propriété du fonds, c'est à l'éviction d'une portion divise que la loi emprunte le mode de règlement de cette indemnité.
Le texte de notre article suppose que la servitude active est “annoncée par le contrat ;” cela implique naturellement qu'il s'agit d'une servitude établie par le fait de l'homme, car, les servitudes dites “légales” étant établies d'après la situation respective des fonds voisins, l'acheteur compte qu'elles lui appartiennent, sans être déclarées ; si donc elles avaient été abandonnées par une convention entre le vendeur et son voisinil y aurait là une sorte de servitude passive du fait de l'homme, inverse de la servitude légale active, et la garantie en serait due d'après la disposition suivante.
Pour les servitudes passives, pour celles que le fonds vendu doit souffrir, le vendeur n'en est garant que si elles sont, tout à la fois, “établies par le fait de l'homme ” “non apparentes,” et " non déclarées par le contrat.” Il n'y a donc pas de garantie : I° pour les servitudes légales, parce qu'elles sont le droit commun de la propriété et que l'acheteur a toujours pu et dû les connaître, puisqu'elles se révèlent par la disposition de la loi, rapprochée du la situation du fonds vendu et des fonds voisins respecivement ; 2° pour les servitudes du fait de l'homme qui se révèlent par des signes extérieurs, comme par un aqueduc, par un chemin ou une construction contraire aux prescriptions égales de distance ; 3° pour les servitudes non apparentes qui ont été déclarées par le contrat : dans ces deux derniers cas, l'acheteur a encore pu et dû connaître la charge imposée au fonds et il est considéré comme en ayant tenu compte pour la fixation du prix qu'il a promis.
Les cas d'usufruit et de bail grevant le fonds vendu donnent lieu à d'autres distinctions que les servitudes.
Remarquons d'abord que le texte ne prévoit pas ici l'hypothèse d'un usufruit ou d'un bail considérés activement, c'est-à-dire comme devant appartenir à l'acheteur, accessoirement à la chose vendue, et dont il serait privé ou évincé.
Supposons, au contraire, avec notre article, qu'il s'agisse d'un droit d'usufruit ou de bail appartenant à un tiers et réclamé par lui sur la chose vendue, il y a là éviction d'une partie des avantages que l'acheteur était en droit d'attendre de la vente et, pour en régler l'indemnité, la loi fait une distinction qu'elle a dû négliger en matière de servitudes : l'usufruit ou le bail porte-t-il sur une partie de la chose ou sur le tout ? S'il porte sur le tout, doit-il encore durer plus d'un an pour les bâtiments et plus de deux ans pour les terres ?
Si l'usufruit ou le bail ne porte que sur une partie de la chose, ou si, portant sur la totalité, il ne doit pas durer plus que ledit délai, l'indemnité sera réglée comme celle de l'éviction d'une portion divise (v. art. 63} ; au cas contraire, ce seront les règles de l'éviction d'une part indivise (v. art. 64). Au premier cas, l'acheteur n'obtiendra la résiliation que s'il prouve que la propriété, ainsi diminuée de la jouissance totale ou partielle pendant un temps assez long, n'est plus suffisante pour répondre à ses besoins et, faute de faire cette preuve, il n'obtiendra que la valeur de la jouissance actuelle dont il est privé ; au second cas, la durée et l'étendue combinées du droit d'usufruit ou de bail permettront à l'acheteur de faire résilier la vente sans autre justification.
La distinction entre les bâtiments et les terres est facile à comprendre : l'acheteur a, en général, un besoin plus urgent des bâtiments que des terres; dès lors, la privation des premiers pendant un an lui cause un préjudice égal, sinon supérieur, à celle des terres pendant deux ans.
Quand il s'agit d'un usufruit, s'il est viager, ce qui est le plus ordinaire, sa durée étant indéterminée, il suffira qu'il porte sur toute la chose vendue pour motiver la résiliation pure et simple, sans autre justification. Mais s'il s'agissait d'un usufruit total ayant, par exception, une durée fixée, on observerait la condition de durée du temps restant à courir, pour accorder la résiliation pure et simple.
Lorsque, dans le cas qui précède, l'acheteur n'use pas du droit de résiliation, l'indemnité se calcule d'après le préjudice réel et actuel, comme au cas d'éviction d'une part divise : on ne pourrait, aisément ni sûrement, établir la valeur proportionnelle d'une jouissance temporaire par rapport à la pleine propriété, pour faire restituer à l'acheteur évincé une partie correspondante du prix d'acquisition.
La loi n'a pas cru nécessaire de statuer sur l'effet d'un droit d'usage ou d'habitation grevant le fonds vendu ; mais si le cas se rencontrait, il ne serait pas embarrassant: un droit d'usage ou d'habitation, étant limité aux besoins du titulaire (voy. Liv. des Biens, art. 110), ne sera jamais considéré comme portant légalement sur tout le fonds vendu, quoiqu'en fait il puisse absorber toute la jouissance ; il ne motivera donc la résiliation qu'à charge par l'acheteur de la justification précitée, sauf au tribunal à l'admettre avec plus de facilité, si le droit diminue considérablement la jouissance.
Art. 66. A la différence des droits réels prévus ci-dessus, les privilèges et les hypothèques, bien que grevant en entier l'immeuble vendu, ne constituent pas nécessairement pour l'acheteur une privation du droit de propriété qu'il a voulu acquérir par le contrat, ni même une diminution de sa jouissance.
D'abord, s'il est prudent, il demandera, avant de payer son prix, un état des inscriptions de privilèges ou d'hypothèques pouvant grever l'immeuble vendu ; cet état lui sera délivré par l'officier préposé aux inscriptions des mutations et des hypothèques (v. Liv. des Biens, art. 349).
Une fois instruit du nombre, du rang et du montant des créances inscrites, il offrira aux créanciers de leur verser son prix d'acquisition et, en suivant une procédure qui est organisée au Livre des Garanties et qu'on nomme la purge, il obtiendra la radiation des privilèges et hypothèques et se trouvera à l'abri d'une éviction ultérieure. L'acheteur n'a donc pas le même sujet de se plaindre de ce que l'immeuble soit grevé de ces sûretés que s'il s'agissait des droits réels sus-énoncés.
Mais il pourrait avoir eu l'imprudence de verser son prix au vendeur et non aux mains des créanciers, et alors il resterait exposé à l'expropriation ou à payer les dettes hypothécaires, sauf son recours contre le vendeur.
Cependant, l'existence du droit réel d'hypothèque portant sur l'immeuble ne doit pas suffire à motiver l'action en garantie. Nous ne donnerons pas pour motif que l'acheteur est en faute de n'avoir pas rempli les formalités de la purge : le créancier pourrait faire ce reproche à l'acheteur, si celui-ci contestait l'exercice de l'action hypothécaire, pour le seul fait qu'il a payé son prix ; mais le vendeur ne pourrait avoir un tel droit, puisqu'il n'a pas lui-même payé sa dette au créancier. Si l'existence seule de l'hypothèque ne suffit pas à motiver l'exercice immédiat de l'action en garantie, c'est parce que ce droit, à la différence des autres droits réels portant sur les immeubles, peut ne jamais être exercé, faute d'utilité pour le créancier : celui-ci peut avoir d'autres sûretés réelles ou personnelles plus faciles à faire valoir, il peut même avoir lieu de compter sur un payement volontaire du débiteur avec d'autres fonds disponibles.
L'acheteur, dans le cas qui nous occupe, n'est donc admis à exercer l'action en garantie que lorsqu'il est poursuivi en expropriation par le créancier hypothécaire.
Une autre différence considérable entre les privilèges ou hypothèques grevant la chose vendue et les autres droits réels est relative à l'effet de la connaissance qu'en pouvait avoir eue l'acheteur.
Quand il s'agit des droits réels autres que ceux qui nous occupent ici, la connaissance qu'en avait l'acheteur est appelée mauvaise foi et elle lui enlève tout droit à des dommages-intérêts au cas d'éviction, ne lui laissant que le droit de recouvrer son prix, comme payé sans cause. Mais ici, l'acheteur, tout en connaissant les privilèges ou hypothèques, a pu croire que le vendeur payerait ses dettes avec d'autres fonds, que les créanciers le poursuivraient sur les autres biens qui pouvaient être restés dans ses mains, comme c'est leur devoir, en certains cas : l'acheteur peut avoir été imprudent de ne pas purger les hypothèques, mais ce n'est pas là un cas de mauvaise foi.
Art. 67. C'était une question difficile que celle de savoir quels seraient les droits de l'adjudicataire sur saisie, lorsque la chose n'appartenait pas au débiteur saisi.
Bien qu'il y ait beaucoup d'analogie entre l'adjudication et la vente, on ne peut les assimiler entièrement : 1 adjudicataire ressemble certainement à un acheteur, puisqu'il acquiert une chose moyennant un prix fixé en argent ; mais quel est le vendeur ? On ne peut pas dire que ce soit le saisi, puisque la saisie et la vente se font en quelque sorte malgré lui; on ne peut pas même dire ici qu'en contractant avec ses créanciers, il leur a donné mandat ou pouvoir de vendre, car ce pouvoir ne se serait appliqué, en tout cas, qu'aux choses dont la propriété lui appartenait et à non celles dont il était simplement possesseur ; or, on est justement supposé être dans le cas où il n'était pas propriétaire.
On ne peut pas dire non plus que le saisissant soit vendeur, car ce serait le faire vendeur de la chose d'autrui, dans tous les cas, même quand la chose appartient au saisi, et dans ce dernier cas, il y aurait cette singularité que la vente de la chose d'autrui serait valable ; ou bien, l'on dira qu'il vend comme mandataire du débiteur et c'est ce que nous venons de démontrer inexact : le saisissant requiert la vente, mais ne la fait pas, et ce qui prouve bien qu'il n'est pas vendeur, c'est qu'il n'a aucun pouvoir, soit pour déterminer le mode de la vente, soit pour en fixer le prix Dira-t-on que le vendeur est l'officier public qui procède à l'établissement du droit de propriété du saisi, dans la rédaction du cahier des charges ? Ce système ne serait pas plus soutenable que les deux autres : l'officier public a des obligations résultant de ses fonctions en cette matière, mais il n'est pas plus vendeur au cas d'adjudication sur saisie que ne le serait un notaire au cas de vente volontaire faite par acte authentique.
Si l'on entrait dans cette voie, il faudrait encore plutôt considérer comme vendeur le juge qui préside les enchères et prononce l'adjudication, ce que pourtant l'on ne soutiendrait pas.
Ce qui est vrai pour l'officier public et même pour le juge présidant les enchères, c'est que si l'un ou l'autre avait manqué gravement aux devoirs de sa fonction et exposé l'adjudicataire à l'ignorance du danger de l'éviction, il pourrait être compté au nombre des personnes responsables, comme il est dit au dernier alinéa de notre article.
Il n'est donc pas possible de pousser bien loin l'assimilation de l'adjudication sur saisie à une vente volontaire.
Mais l'adjudicataire évincé aura payé son prix sans cause et il est juste qu'il le recouvre contre celui qui en a profité. Or, c'est, en première ligne, le débiteur saisi dont les dettes ont été éteintes par le prix, en tout ou en partie ; mais, comme la saisie avait été amenée par son insolvabilité, il est vraisemblable qu'il sera encore insolvable au moment de l'action en répétition : dès lors, cette action peut être intentée contre les créanciers dans la mesure de ce qu'ils ont reçu. C'est en vain qu'ils allégueraient n'avoir reçu que ce qui leur était dû : il y a plusieurs cas de réception de l'indii, notamment celui où quelqu'un, étant vraiment créancier, reçoit de celui qui ne lui doit pas ; or, c'est le cas de l'adjudicataire qui nous occupe.
A l'égard des dommages-intérêts, le texte indique trois personnes qui peuvent en être tenues, en tout ou en partie :
1° Le saisissant de mauvaise foi : sans chercher le principe de son obligation dans une prétendue qualité de vendeur qu'il n'a pas, il suffit qu'il ait commis la faute grave de saisir et faire vendre un bien qu'il savait ne pas appartenir à son débiteur. Cette faute est un dol, un véritable délit civil, une des sources ordinaires d'obligations ;
2 Le debiteur saisi : il est toujours partie en cause dans la procédure de saisie et d'adjudication ; il a l'occasion de s'expliquer au sujet des droits qu'il a ou qu'il n a pas sur les choses saisies ; s'il n'est pas propriétaire, son silence seul ne serait pas une faute suffisante pour engager sa responsabilité envers l'adjudicataire ; mais si, requis de s'expliquer sur ses droits, il les a affirmés de mauvaise foi, ou a nié ceux d'un tiers, il a commis le même délit civil que le saisissant; si enfin, sans avoir été mis en demeure de se prononcer, il a dissimulé les droits d'autrui, c'est encore un délit civil ;
3° Les officiers publies participant à la procédure, spécialement à la rédaction du cahier des charges où doit être établie la propriété du débiteur saisi : si ces officiers ont commis une faute grave dans l'exercice de leur fonction et si cette faute a contribué à l'erreur de l'adjudicataire, il est juste et conforme au droit commun que leur responsabilité soit encourue.
La loi n'a pas besoin de rappeler ici la responsabilité, du conservateur des registres de mutations qui aurait donné un ceitificat inexact des inscriptions antérieures : cette responsabilité est écrite, d'une façon générale, dans l'article 355 du Livre des Biens.
Art. 68. Le 1er alinéa applique à la cession de créances le droit commun de la garantie : les limites que la loi apporte à la garantie de la solvabilité, dans les deux alinéas qui suivent, n'ont d'autre but que de prévenir une extension abusive qu'on pourrait être porté à lui donner.
D'abord, le vendeur d'une Créance est garant de l'existence de la créance ; il est donc responsable de son inexistence : par exemple, si la prétendue créance était radicalement nulle, faute de cause licite ou d'objet suffisamment déterminé, ou si, ayant existé elle avait été ensuite éteinte par un payement ou une compensation.
Sous ce rapport, le vendeur d'une créance ne diffère pas de celui qui vendrait une chose corporelle ayant péri avant la vente (v. art. 43).
Le vendeur garantit aussi que la créance lui appartient: elle pourrait exister et appartenir à autrui ; une pareille vente serait nulle comme toute vente de la chose d'autrui.
La loi ajoute que le vendeur est garant aussi de lu validité de la créance, c'est-à-dire que si elle était sujette à une action en nullité ou en rescision, il en serait responsable.
On voit que, jusqu'ici, il n'y a pas de défaveur pour l'acheteur d'une créance, et déjà on peut dire qu il a droit à la même garantie qu'un acheteur de chose corporelle auquel on ne doit que la garantie d'existence physique de la chose, la garantie du droit de propriété chez le vendeur, enfin, la garantie que la chose n'a pas de vices cachés la rendant impropre à sa destination (ce dont il sera parlé à la Section III).
La loi nous dit ensuite que le cédant u'est pas garant de la solvabilité du débiteur, et là encore on ne doit pas voir une défaveur pour l'acheteur; si le vendeur garantissait la solvabilité ce serait, au contraire, une faveur exceptionnelle pour le cessionnaire. Le risque d'insolvabilité du débiteur est inhérent à la nature du droit cédé et en rendre le cédant garant de droit serait presque aussi exorbitant que rendre le vendeur d'un champ garant de la réussite des récoltes et le vendeur d'une maison garant d'une location continue : il peut y avoir la matière à une garantie conventionnelle, mais non à une garantie légale.
Législativement, on pourrait distinguer, à la rigueur, si la cession a eu lieu avant ou après l'échéance: dans le cas où la cession précède l'échéance, il est tout naturel que le cessionnaire coure le risque de l'insolvabilité future du cédé ; quand, au contraire, la cession n'a lieu qu'après l'échéance, on comprendrait que le cédant fût garant de la solvabilité actuelle, car, si le cédé n'est pas actuellement solvable, il est bien douteux qu'il le devienne plus tard. Mais on n'a pas admis une telle disposition législative, parce que, le seul fait que le créancier vend une créance échue fait présumer qu'il la considère comme étant d'un recouvrement difficile.
Mais si la loi ne croit pas devoir imposer au vendeur la garantie de la solvabilité du cédé, elle admet qu'il puisse s'y soumettre volontairement et par convention ; on peut dire alors qu'il y a garantie de fait, par opposition à la garantie de droit, c'est-à-dire à celle qui a lieu en vertu de la loi et dont l'objet est l'existence de la créance.
La promesse de garantie de la solvabilité doit être expresse ; ainsi, il ne suffirait pas que l'acte de vente portât que le vendeur cède telle créance “avec garantie,” parce que peut-être il n'aurait entendu garantir que l'existence de la créance. Il est vrai qu'on pourrait dire que “les clauses susceptibles de deux sens doivent s'entendre dans le sens qui leur donne un effet, plutôt que dans celui qui ne leur en donne aucun or, la clause “de garantie” ne produira pas d'effet, si elle n'ajoute rien à la garantie légale ; mais on ne doit pas non plus admettre facilement, s'il y a doute, une extension aussi considérable des obligations du cédant : “dans le doute, la clause obscure s'interprète contre le stipulant, en faveur du promettant” (Liv. des Biens, art. 360) ; or, dans la garantie, le stipulant est le cessionnaire, et le promettant est le cédant.
En supposant une promesse expresse de garantie de solvabilité, il restait encore des difficultés.
La créance peut n'être pas encore échue au moment de la cession, ou elle peut l'être.
A quel moment doit-on se placer pour déterminer la responsabilité de l'insolvabilité du cédé ?
La loi s'en tient ici à la solvabilité actuelle, parce que, s'il est certain, dans ce cas, que le cédant n'a pas eu pour but de se soustraire à tout danger de l'insolvabilité du cédé, il n'est pas à croire pour cela qu'il ait entendu courir des risques pour l'avenir.
Si la créance n'est pas échue, le cédant qui a promis la garantie est responsable de 1 insolvabilité survenue avant l'échéance ou dans l'année qui la suit.
Enfin, on a cru qu'il fallait prévoir le cas d'une créance de rente perpétuelle, quoique ces rentes soint encore peu usitées au Japon et ne doivent sans doute 1 etre jamais beaucoup entre particuliers. Dans ce cas, comme il n'y a pas d'exigibilité du capital, niais seulement des arrérages annuels, la responsabilité du cédant, sans devenir perpétuelle comme la créance, doit être plus longue : le délai de dix ans n'a pas semblé exagéré.
Remarquons bien que ce délai d'un an ou de dix ans est celui pendant lequel la responsabilité du cédant est encourue et non celui pendant lequel il peut être actionné en garantie : une fois que l'obligation de garantie est née dans le délai précité, l'action est soumise au délai ordinaire de la prescription.
Il reste à savoir quel est, en matière de cession de créance, l'effet de l'obligation de garantie lorsqu'elle est encourue.
Il faut distinguer, à cet égard, entre la garantie légale ou d e d r o i t et la garantie conventionnelle ou d e fait.
La loi ne s'est expliqué sur la première garantie, parce qu'il faut lui appliquer le droit commun : soit que la créance n'existe pas, soit qu'elle n'appartienne pas au cédant ou qu'elle soit seulement annulable, le cédant, doit certainement rembourser au cessionnaire le prix de cession et les frais du contrat, et ceux du procès dans lequel le cédé a triomphé, parce que ces frais ont été payés par le cessionnaire ; le cédant doit aussi les dommages-intérêts ; or, ici ils consisteront dans le gain que le cessionnaire a pu espérer de la cession, et ce gain est la différence entre le montant intégral de la créance et le prix de cession : c'est comme une plus-value de la chose vendue, dont le cessionnaire a été frustré. On voit donc que 1 article 58 reçoit ici son application naturelle.
Par exemple, le cessionnaire a acheté pour 800 yens une créance de 1000 yens; mais la créance n'existe pas : le cessionnaire a accepté le risque de l'insolvabilité actuelle et future du débiteur, mais il n'a pas entendu courir celui de l'inexistence de la créance (comme on le verra, au contraire, dans la cession de droit litigieux), il est donc juste qu'il recouvre le montant intégral de la créance (1000 yens) ou, si l'on aime mieux, 800 yens, son prix d'acquisition, et 200 yens, le profit espéré de l'opération.
Mais on peut supposer, en même temps, que le prétendu débiteur de cette dette qui n'existe pas est une personne insolvable. Dans ce cas, le cédant ne sera garant que de la somme que le cessionnaire aurait effectivement obtenue du cédé, si la créance avait existé : le cédant, en effet, peut dire au cessionnaire que, lors même que la créance aurait existé, il n'en aurait pas obtenu le montant intégral ; la réparation ne doit pas excéder le préjudice réellement éprouvé. Mais si l'indemnité ne doit pas atteindre le prix de cession, c'est ce prix que le cédant devra restituer : autrement, il en serait enrichi sans cause, ce qui est une autre source d'obligation.
Supposons maintenant qu'il y ait eu garantie conventionnelle de la solvabilité actuelle ou future du débiteur et que l'obligation du cédant soit encourue, parce que le débiteur est insolvable : la loi ici n'oblige le cédant qu'à rembourser le prix de cession, comme constituant un enrichissement indû.
Il ne faudrait pas croire que cette limite de la garantie tienne à une défaveur qui atteindrait les cessionnaires de créances; il n'y a pas besoin d'imaginer un pareil motif : la loi interprète la clause de garantie de la façon la plus favorable au débiteur, c'est-à-dire, ici au cédant.
Ces limites mises à l'obligation de garantie de solvabilité du cédé cessent lorsqu'il s'agit de la cession par endossement des créances dites “effets de commerce. Le Code de commerce règle cette dernière garantie. Elles cessent encore, s'il y a convention de garantie de la solvabilité future ; mais, dans ce cas, la loi y apporte une limite de temps, un an ou dix ans, suivant la nature de la dette, afin que le garant ne soit pas tenu indéfiniment au delà de ses prévisions.
Art. 69. Il peut arriver qu'une personne ait des droits ou intérêts en litige et qu'elle n'ait ni le temps d'attendre la décision judiciaire, ni les moyens de faire face aux frais du procès ; il est naturel, dans ce cas, qu'elle ait la faculté de céder son droit, ou tout au moins sa prétention, avec les preuves à l'appui.
On a abandonné dans les Codes modernes la disposition trop sévère de la législation romaine qui défendait la cession de droits litigieux à celui qui ne possédait pas la chose ou n'exerçait pas le droit en litige, et d'après laquelle le possesseur même n'était pas sans entraves dans son droit de céder.
Le demandeur peut donc, comme le défendeur, vendre les droits qu'il prétend avoir.
La loi ne distingue pas non plus s'il s'agit de droits réels 1 itigieux ou de créances litigieuses.
Au sujet de la garantie qui peut être due par le cédant, il y a une différence profonde avec la garantie des autres ventes ou cessions et elle résulte de la nature même de la chose cédée.
Dans les ventes ordinaires, de droits réels ou de créances, le vendeur est, de droit, garant de l'existence de la chose cédée et de l'existence à son profit, c'est-à-dire qu'il garantit que le droit lui appartient. Ici, on ne pouvait soumettre le cédant à une pareille garantie, puisque le droit est vendu comme contesté. Si l'acheteur a été prévenu de ce caractère litigieux de la chose (et il faut le supposer), il a connu aussi le danger de l'éviction : il a évidemment acheté à ses risques et périls.
Il y a ici une particularité à noter au sujet de la garantie d'existence du droit cédé : si l'on appliquait le droit commun de cette matière, la seule connaissance qu'aurait eue l'acheteur du danger de l'éviction le priverait du droit aux dommages-intérêts, mais non du droit à la restitution de son prix ; tandis qu'ici il n'aura même pas ce droit, puisque c'est une vente faite à ses risques et périls, quoique ce caractère ne lui ait pas été assigné expressément ; or, on verra bientôt que la vente “aux risques et périls” de l'acheteur lui ôte le droit à la garantie.
Ce n'est pas à dire que le vendeur ne doive aucune garantie : il peut n'avoir aucun droit, puisqu'il y a litige, mais il doit avoir au moins une prétention ; la loi n'exige pas que cette prétention soit légitime ou fondée (ce serait l'obliger à garantir le succès du procès) ; elle n'exige même pas qu'elle soit sincère, c'est-à-dire que le cédant ait la croyance à son droit ; il suffit, mais il faut que la prétention soit réelle, sérieuse, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas imaginaire ou simulée : autrement, il suffirait d'intenter contre quelqu'un le procès le plus déraisonnable, pour se procurer frauduleusement des ressources, en vendant le prétendu droit litigieux.
Mais il ne suffit pas, pour exclure la garantie d'existence du droit, que la prétention soit réelle, il faut encore que le cessionnaire ait eu connaissance du litige.” Il n'est pas nécessaire que le droit cédé ait été qualifié” litigieux,” si la connaissance de ce caractère chez le cessionnaire est autrement prouvée ; mais on comprend facilement que si le cessionnaire ignorait le litige, il ne pourrait être considéré comme ayant acheté à ses risques et périls.
Il fallait encore que la loi précisât exactement ce qu'il faut considérer ici comme un I i t i g e.
Eu tout autre cas, on ne dira qu'il y a litige que si un procès véritable est engagé, que si une action est déjà portée devant le tribunal ; mais ici, la loi met sur la même ligne” une contestation formelle par acte extrajudiciaire.” Ainsi, un d r o i t réel a été cédé : il y aura litige quand le possesseur aura été sommé de délaisser l'immeuble comme appartenant à celui qui fait la sommation. Si l'on suppose la cession d'une créance, il faudra que le cédant ait, antérieurement à la cession, fait à son prétendu débiteur sommation de payer et que celui-ci ait répondu, par un acte en forme, qu'il ne devait pas, soit pour avoir déjà payé, soit pour toute autre cause.
Remarquons, à ce sujet, une différence entre le droit réel et le droit personnel : quand le droit est personnel, il n'y a pas encore litige lorsque le prétendu créancier a fait sommation de payer ; ce n'est pas encore une contestation : peut-être le débiteur obéira-t-il à la sommation ; le litige ne commence que lorsque le débiteur a déclaré qu'il ne doit pas ; quand, au contraire, il s'agit d'un droit réel, il suffit, pour qu'il y ait litige engagé, que le possesseur soit sommé de délaisser, sans qu'il soit nécessaire que celui-ci ait contredit la sommation ; cette sommation est déjà elle-même la prétention à la propriété et par conséquent la contradiction de la légitimité de la possession.
La même différence entre le droit personnel et le droit réel devrait être admise s'il s'agissait d'une demande en justice : la demande formée contre le prétendu débiteur ne suffirait pas pour que le litige fût engage, il faudrait encore que celui-ci eût répondu par des conclusions tendant au rejet de la demande ; tandis qu'en matière de droit réel, la revendication seule, intentée contre le possesseur serait déjà l'engagement judiciaire du litige.
Admettre, comme on vient de le faire, qu'il y ait litige dans une “contestation extrajudiciaire,” c'est élargir ici le sens du mot litige ; mais, à un autre point de vue, ce sens est restreint. Ainsi, ordinairement, on dira qu'il y a litige, en matière personnelle, si un débiteur, sans nier sa dette, conteste la compétence du tribunal ou nie que l'échéance soit arrivée ; en matière réelle, il y aura litige également si la compétence est contestée ou si. l'action n'est exercée qu'au possessoire et non au pétitoire. Mais ici, il faut que la contestation porte sur le fond du droit : il faut que le débiteur nie sa dette ou que le demandeur revendique la propriété et non la possession. On pourrait, dans un cas, soutenir que l'exercice de l'action possessoire seule constitue un litige au fond, c'est lorsque la cession aurait eu pour objet la possession et non la propriété ; encore faudrait-il, dans ce cas, qu'il s'agît, de l'action en réintégrande et non de l'action en complainte (comp. Liv. des Biens, art. 199 à 204).
Il restait à régler l'étendue de la garantie dans le cas où elle est encourue, parce que la prétention du cédant n'était pas sérieuse et réelle. Dans ce cas, le cédant ne mérite aucune faveur, l'obligation de garantie ne sera pas limitée exceptionnellement ; il devra donc rendre le prix de cession, les frais du contrat et tous autres dommages-intérêts : notamment, les frais du procès avec le tiers, frais qu'il a dû payer, ayant succombé ; le cédant devrait même la différence entre le prix de cession et le montant nominal de la créance, dans le cas d'une cession de créance ; s'il s'agissait d'un droit réel, le cédant devrait, outre le prix de cession, l'excédant de valeur estimative, la plus-value de la chose cédée : il y a lieu à l'application du droit commun, du moment que le cédant n'est plus dans le cas de l'exception.
La garantie aurait la même étendue, si le cessionnaire avait ignoré que le droit cédé était litigieux.
Art. 70. Le droit d'un associé dans une société, civile ou commerciale, est une universalité de biens ; mais rien, n'empêche qu'il soit vendu, comme un bien déterminé.
La loi règle la garantie de cette vente : en nous désant que le cédant ne garantie que l'existence de son droit d'associé et de l'étendue annoncée de ce droit, par exemple une moitié, un tiers, un quart, du fonds social et des profits éventuels, elle entend exclure la garantie, de tels ou tels profits : le cessionnaire n'aura que les profits que donnera la société, comme s'il était l'associé lui-même ; de même il subira les pertes qui pourraient retomber sur l'associé.
Mais le cessionnaire ne profitera ni ne souffrira des opérations antérieures à la vente déjà liquidées ou arrêtées, quand même les payements respectifs n'auraient pas encore été effectués.
La loi ne s'occupe pas ici du point de savoir si le cessionnaire prend vis-à-vis des autres associés la place même du cédant ou si la cession ne produit d'effet qu'entre les parties : il y a sur ce point des distinctions à faire qui trouveront leur place au chapitre de la Société.
Art. 71. Les dispositions expliquées plus haut sont établies pour le cas où les parties n'ont pas fait de convention au sujet de la garantie sur l'existence des droits cédés et sur leur intégralité.
Mais il va de soi qu'en cette matière, comme en toute autre où ne sont en jeu que des intérêts privés, les conventions des parties sont libres et peuvent restreindre, étendre ou modifier l'obligation du vendeur au sujet de la garantie ; elles peuvent, notamment, fixer une somme unique, à forfait, pour toutes restitutions et indemnités dues à l'acheteur au cas d'éviction : ce serait une clause pénale (v. Liv. des Biens, art. 388 et 389).
La loi croit devoir interpréter ici d'une façon favorable à l'acheteur une clause assez fréquente dont on pourrait être porté à exagérer l'effet. Le vendeur stipulera assez souvent qu'il “vend sans garantie “qu'il “ne sera tenu à aucune garantie :” cette stipulation l'exonère des divers chefs de dommages-intérêts énoncés à l'article 68, mais elle ne suffit pas pour l'affranchir de l'obligation de restituer le prix, parce qu'il l'a reçu sans cause, et il est encore plus commandé par l'équité naturelle de ne pas conserver le bien d'autrui sans cause légitime que de réparer le dommage causé injustement : dans le dommage causé, la faute peut n'avoir duré qu'un moment, tandis que dans l'enrichissement indû, l'injustice dure tant qu'il n'y a pas restitution.
Mais le vendeur peut être affranchi, dans deux cas, de cette obligation même de restituer le prix au eas d'éviction ; c'est :
1° Lorsqu'à la stipulation de non garantie se joint la circonstance que l'acheteur connaissait le danger d'éviction, ce qu'il ne faut pas entendre dans le sens d'une simple soupçon des droits d'autrui, mais dans le sens d'une pleine connaissance de ces droits ; c'est ce que, plus liant, nous avons constamment appelé la “mauvaise foi” de l'acheteur ;
2° Lorsque la vente a été faite “aux risques et périls de l'acheteur.” On ne discutera pas si, avec cette clause de risques et périls de l'acheteur il faut encore qu'il y ait eu stipulation de non-garantie : la première clause suffit, parce qu'elle donne à la vente le caractère de contrat aléatoire ; le texte porte que la clause seule de risques et périls de l'acheteur affranchit le vendeur de la restitution du prix, ce qui rend inutile la stipulation de non-garantie et dispense de rechercher si l'acheteur connaissait ou non les droits d'autrui.
On remarquera que, dans les divers cas qui nous occupent, il n'y a pas à distinguer si le vendeur lui-même était de bonne ou de mauvaise foi : comme sa bonne foi ne le dispense pas, lorsqu'il n'y a eu aucune clause particulière, de rendre le prix au cas d'éviction et de fournir toutes indemnités, parce qu'il y a toujours, faute de même, sa mauvaise foi ne le prive pas du bénéfice des clauses qu'il a fait insérer dans la vente pour se décharger de ces deux sortes d'obligations : elles ont suffisamment averti l'acheteur des dangers qu'il courait et il est bien certain que le prix s'en sera ressenti et aura été très-réduit.
Pour compléter cette importante théorie de la garantie, l'article 71 reproduit une règle générale de la matière posée antérieurement dans l'article 396 du Livre des Biens pour tous les contrats. Cette règle est particulièrement à remarquer, parce qu'elle peut changer toutes les solutions précédentes, c'est que le cédant ne peut, à la faveur d'aucune ou clause stipulation, affranchir de la garantie d'éviction résultant de droits par lui conférés c'est-à dire de son fait personnel. La garantie est alors dite essentielle. Ainsi, un vendeur d'immeuble, ayant stipulé qu'il ne devrait “aucune garantié,” au cas d'éviction, ou ayant vendu “aux risques et périls de l'acheteur," aurait profité de la négligence de celui-ci à faire inscrire son acte, pour vendre une seconde fois à un tiers de bonne foi ; celui-ci évincera le premier acheteur, en vertu du principe que la vente non inscrite n'est pas opposable aux tiers (Liv. des Biens, art. 350), et l'acheteur évincé par suite de ce fait personnel du vendeur aura son recours en garantie dans toute sa plénitude, tant pour la restitution du prix que pour les dommagesintérêts.
La solution serait la même, si le fait personnel du vendeur, au lieu d'être, comme ici, postérieur à la vente faite sans garantie y était antérieur. Ainsi, une première vente d'immeuble ayant été faite dans les conditions ordinaires, sans aucune stipulation particulière, a été inscrite immédiatement ; peu de temps après, le même vendeur a vendu le même bien “sans garantie” ou “aux risques et périls ” du nouvel acheteur ; celui-ci, par l'effet d'une confiance trop absolue dans le vendeur, ne s'était pas fait délivrer préalablement un état des inscriptions : il sera évincé, évidemment ; mais il aura son plein recours en garantie, parce que l'éviction qu'il subit est la suite inévitable d'un fait personnel du vendeur. Cette solution est d'une équité manifeste : il y a ici plus que la mauvaise foi du vendeur, c'est-à-dire plus que sa connaissance des droits d'autrui : c'est lui qui a conféré ces droits à autrui, c'est lui qui a créé la cause de l'éviction de son acheteur.
Il en serait de même si, le vendeur étant mort après une vente ordinaire inscrite, ses héritiers avaient, même de bonne foi, revendu le bien à un autre acheteur, à ses risques et périls : ils resteraient néanmoins tenus pleinement de la garantie.
Une question reste à examiner dans ces deux dernières hypothèses : comme la cause de l'éviction est antérieure à la vente, le second acheteur pourrait l'avoir connue, ce qui n'est pas possible dans la 1re hypothèse ; on peut se demander alors si cette connaissance par l'acheteur du danger de l'éviction lui ôte le droit aux dommages-intérêts, en ne lui laissant que le droit à la restitution du prix. Nous n'hésitons pas à. répondre affirmativement : une des premières dispositons de cette matière est que les dommages-intérêts ne sont dus qu'à l'acheteur de bonne foi (art. 68) ; or, on vient de le supposer de mauvaise foi. Mais il recouvre son prix, comme enrichissement indû du vendeur On a déjà vu, sous l'art. 66, que les privilèges et hypothèques portant sur la chose vendue, et même l'éviction qui en résulte, ne sont pas entièrement soumis aux règles qui concernent les autres droits réels appartenant à des tiers On peut encore signaler ici une particularité I que présentent ces mêmes droits, au sujet de la stipulation de “non-garantie du vendeur” et de la clause de “risques et périls de l'acheteur.”
Sans doute, ces deux stipulations affranchiraient le vendeur de l'indemnité d'éviction, s'il s'agissait de privilèges ou d'hypothèques grevant déjà la chose vendue avant qu'il l'eût acquise lui-même, parcequ'a lors il ne serait pas débiteur personnellement de ces mêmes dettes, et n'en aurait été tenu que comme détenteur, qualité qu'il n'a plus après la vente. L'acheteur, dans ce cas, ne serait pas encore sans recours, car il aurait action contre le débiteur de ces dettes, pour le remboursement de ce qu'il aurait payé: ce serait une autre action en garantie.
Mais s'il s'agit de privilèges ou d'hypothèques provenant du chef du vendeur, d'hypothèques qu'il a constituées, ou même d'hypothèques et de priviléges que la loi attache comme sûretés à certaines dettes qu'il a contractées, et si l'éviction en est résultée contre l'acheteur, on se retrouve alors en présence d'une éviction provenant du fait personnel du vendeur et à la garantie de laquelle il n'a pu se soustraire.
Art. 72. Le système de publicité des mutations d'immeubles auquel nous venons de faire allusion nous amène à examiner une question n'est pas sous difficulté.
On a eu bien des occasions de parler de la bonne foi de l'acheteur, laquelle est son ignorance des droits d'un tiers sur la chose vendue. Or, on peut se demander si, dans une législation qui soumet les aliénations d'immeubles à la publicité, un acheteur est recevable à se dire de bonne foi lorsque les droits en vertu desquels il est évincé ont été publiés en la forme prescrite par la loi. Ne peut-on pas lui opposer qu'il est en faute de n'avoir pas connu ces droits ?
On n'a pas cru qu'il fallût le traiter avec cette rigueur et la loi le déclare.
Sans cloute, ce raisonnement serait très-exact s'il s'agissait des rapports de l'acheteur avec le tiers qui a fait une inscription : la bonne foi n'exclut pas la faute et ne pourrait être opposée au tiers qui lui-même est exempt de toute faute. Mais ici, il s'agit des rapports de l'acheteur avec son vendeur : ce n'est pas à ce dernier qu'il peut être permis de reprocher à l'acheteur sa négligence à vérifier l'état des inscriptions, parce qu'il a commis lui-même une faute bien plus grave, soit en ignorant les droits publiés, soit en vendant malgré la connaissance qu'il en avait.
Reste à savoir qui aura la charge de la preuve.
Est-ce à l'acheteur à prouver sa bonne foi? Est-ce au vendeur à prouver la mauvaise foi de celui-ci ?
C'est un principe général de droit et de raison, déjà signalé, que la mauvaise foi ne se présume pas (Liv des Biens, art. 187).
Il est naturel de l'appliquer ici, comme ailleurs La seule cause de douter est que les registres d'inscription sont publics ou, au moins, que toute personne peut en demander des extraits, moyennant une taxe minime. Mais nous répétons que ce n'est qu'en faveur des tiers qui ont inscrit leur titre qu'il y a contre l'acheteur présomption légale de connaissance de l'inscription faite ou présomption de faute à l'avoir ignorée. Il suffira donc à l'acheteur, dans ses rapports avec son vendeur, d'alléguer ou d'affirmer qu'il a ignoré l'inscription. Il y aura d'ailleurs en sa faveur une présomption de fait inverse de la précédente, c'est l'invraisemblance qu'il ait acheté un fonds sachant qu'un tiers y avait des droits régulièrement établis.
Le vendeur pourra combattre cette allégation et cette présomption par toutes les preuves ordinaires : notamment, en prouvant que l'acheteur a demandé et obtenu du conservateur des registres un état des inscriptions existantes, ou en produisant des témoins auxquels l'acheteur aurait eu la témérité de dire qu'il espérait échapper, par une cause ou par une autre, à la revendication du tiers.
Pour que cette solution soit hors de doute, notre article l'exprime formellement; on y remarquera que la loi ne dit pas que les inscriptions seront sans effet sur le droit de l'acheteur aux indemnités de l'éviction il est dit seulement qu'elles ne suffisent pas pour prouver sa mauvaise foi.
En résumé, la possibilité pour l'acheteur de demander un état des inscriptions avant de traiter ne fait pas présumer qu'il l'ait fait, car il y a des droits d'un exercice encore plus facile que l'on néglige trop souvent. Si d'ailleurs il a effectivement demandé cet état, la preuve en sera facile à fournir, au moyen d'une déclaration écrite de l'officier qui a délivré le certificat et qui n'aura pas dû manquer d'en prendre note.
Art. 73. On a vu à l'article 395 duLivre des Biens, 2e alinéa, que la Garantie, en général, a deux objets: 1° défendre ou protéger le cessionnaire contre les troubles ou prétentions des tiers, 2° 1 indemniser, si les troubles ou l'éviction n'ont pu être empêchés.
Les dispositions qu'on a rencontrées ici n'ont trait qu'à l'indemnité ; quant à l'obligation de protéger le cessionnaire, elle appartient plutôt à la procédure civile qu au fond du droit : c'est la qu'on verra comment le cessionnaire doit “mettre en cause son garant,” comment celui-ci doit “prendre la place, le fait et la cause du garanti;” l'article 399 du Livre des Biens a déjà renvoyé, a cet egard, au Code de procédure civile, et l'on renvoie ici, en outre, à l'article 400 du même Livre, parce que cet article prive l'acheteur du droit à la garantie, quand il a négligé d'appeler le vendeur en cause et que celui-ci prouve qu'il avait des moyens légaux d'empêcher l'éviction.
Remarquons, que la première obligation du garant, celle d'intervenir en justice pour le garanti, est indivisible par sa nature, tandis que la seconde est divisible. En effet, on comprend que, s'il y a plusieurs vendeurs ou plusieurs successeurs d'un seul vendeur, chacun ne puisse intervenir autrement que pour le tout et comme s'il était seul : on ne peut venir en justice pour partie ni discuter et contester les droits du tiers pour partie ; autrement, et dans ce dernier cas, si on reconnaissait les droits de celui-ci à une partie de la chose vendue, ce serait le cas d'éviction partielle ; ce serait toujours une eviction. De même, s'il y avait plusieurs acheteurs par indivis, c'est-à-dire devant devenir copropriétaires, chacun pourrait appeler le vendeur en garantie pour le tout Mais si les droits du tiers sont reconnus, la condamnation des garants aux indemnités sus-énoncées se divisera entre eux, car la nature des choses ne s'y oppose plus.
§ III. — DES OBLIGATIONS DE L'ACHETEUR.
Art. 74. Les obligations de l'acheteur ne sont pas nombreuses : il ne doit guère que payer le prix convenu ; les intérêts, lorsqu'il y a lieu, sont un accessoire du prix ; on doit ajouter cependant l'obligation de prendre livraison, car si c'est un droit pour l'acheteur, c'est aussi pour lui un devoir; enfin, si, par une clause spéciale de la vente, il s'était chargé de quelque obligation particulière, il devrait la remplir : telle serait la clause dite “de réméré” qui l'oblige à rendre la chose vendue, si, dans le délai fixé, le vendeur lui restitue le prix et les intérêts (v. art. 84 et s.).
Ce premier article concerne seulement le payement du prix en capital.
On a déjà remarqué, au sujet des obligations du vendeur, qu'il y a une corrélation étroite la délivrance et le payement du prix. Ainsi, si la vente est pure et simple, ces deux obligations doivent être remplies immédiatement après la formation du contrat, et si l'acheteur n'est pas en mesure de remplir son obligation de payer prix, le vendeur peut surseoir à l'accomplissement de la délivrance (voy. art. 47).
La première disposition de notre article donne implicitement la même solution en faveur de l'acheteur : à défaut de convention spéciale, il ne doit payer qu'au moment de la délivrance ; si donc le vendeur est en retard de délivrer, l'acheteur peut surseoir au payement du prix.
Mais il restait à savoir si la convention qui retarderait l'exécution de l'une de ces obligations doit nécessairement retarder l'exécution de l'autre. Une distinction a paru nécessaire :
Lorsque le vendeur a accordé un délai pour le payement du prix, il n'est pas censé avoir obtenu pour lui-même un pareil délai et il doit délivrer aussitôt après la vente ; au contraire, quand le vendeur a stipulé un délai pour la délivrance, il est censé avoir accordé le même délai à l'acheteur pour le payement du prix. C'est ce qu'exprime le 2° alinéa de notre article, et le 3e alinéa étend la même disposition au délai de grâce accordé par le tribunal.
Cette distinction est raisonnable : quand le vendeur donne un délai à l'acheteur pour le payement du prix, il n'éprouve pas de préjudice à livrer avant le payement, parce que les intérêts du prix lui seront dûs (voy. art. suiv), et s'il perd l'avantage du droit de rétention qui est une de ses sûretés, il en conserve encore deux autres, dans le privilège de vendeur et dans le droit de résolution ; au contraire, si l'acheteur devait payer immédiatement, nonobstant le délai accordé pour la délivrance, il perdrait la jouissance de son prix, sans avoir celle de la chose vendue, ce qui ne serait pas juste. Un pareil résultat, qui n'est pas défendu, n'aura lieu que s'il apparaît formellement que telle a été l'intention des parties.
Quant au délai de grâce, comme il est l'œuvre, non des parties, mais du tribunal, il ne peut créer entre celles-ci une inégalité qui sans doute serait contraire à l'intention de l'une ou de l'autre ; c'est pourquoi la loi dit que le délai de grâce accordé à l'une d'elles s'étend, par cela seul, à l'autre.
Art. 75. Déjà l'article 468, statuant sur le lieu du payement, en général, désigne comme tel le domicile du débiteur, mais en réservant ce qui pourrait être dit pour certains contrats. Il y a justement une exception au sujet de la vente : si le payement se fait en même temps que la délivrance, il se fait au lieu où celle-ci s'effectue ; si le payement est exigible avant la délivrance, ce qui sera rare, ou après, ce qui sera plus fréquent, on rentre dans le droit commun : le payement se fait au domicile du débiteur.
La distinction que fait la loi entre les meubles et les immeubles et entre les choses corporelles et les choses incorporelles est rationnelle : quand la délivrance implique remise de titres, il est naturel que l'échange des titres et du prix s'effectue au même lieu.
Art. 76. Ordinairement, il ne suffit pas d'être débiteur d'un capital exigible pour en devoir les intérêts : il faut, en général, une convention spéciale ou une demande en justice ; par exception, dans divers cas, tantôt les intérêts courent de plein droit, tantôt une simple sommation suffit pour les faire courir (voy. Liv. des Biens, art. 393).
On trouve ici l'application de la double exception.
1° Les intérêts du prix de vente sont dûs de plein droit, c'est-à-dire sans convention, sans demande en justice, ni sommation, lorsque la délivrance a eu lieu et que la chose vendue produit des fruits : dans ce cas, la plus simple équité demande que l'acheteur paye un équivalent des fruits qu'il perçoit et, pour que le mot fruits ne soit pas entendu dans un sens trop étroit, la loi a soin de mettre sur la même ligne les “autres avantages périodiques” que la chose peut procurer à l'acheteur, lorsque ces avantages sont “appréciables en argent.” Tel serait le cas d'une maison d'habitation que l'achteur habiterait lui-même : il est clair que l'économie qu'il réalise sur son loyer est un avantage pécuniaire. Il en serait de même d'un cheval, d'une voiture ou de tout autre objet mobilier dont l'acheteur se servirait et qu'à défaut de la vente, il lui faudrait louer.
Quelques cas peuvent paraître douteux. Par exemple, s'il s'aigissait d'un terrain situé dans une ville, non bâti et non mis en culture, mais destiné à être couvert de constructions dans un temps plus ou moins prochain; assurément, il serait possible qu'il gagnât en valeur, d'une façon lente et continue, mais on ne pourrait pas dire qu'il “produit des avantages périodiques appréciables en argent,” à moins qu'il ne fût loué ; et l'on ne devrait pas prétendre que l'acheteur pourrait le louer pour des dépôts de matériaux, ce qui est fréquent dans les villes : ce serait exagérer la pensée de la loi. Il n'y aurait plus de doute, si ce terrain était ensuite couvert de constructions, aux frais de l'acheteur : cela suffirait pour motiver un payement d'intérêts, puisque ce serait un profit direct et continu tiré par lui de la chose vendue.
2° Dans les autres cas, lorsque les intérêts ne courent pas de plein droit, il est facile au vendeur de les faire courir au moyen d'une sommation ; c'est une faveur pour un contrat d'une utilité exceptionnelle.
Le vendeur peut aussi stipuler les intérêts au moment de la délivrance; cette stipulation pourra même être utile à l'acheteur, notamment si elle réduit l'intérêt à un taux assez faible, à raison du peu d'avantages que lui procure la vente ; tandis que les intérêts dûs en vertu d'une sommation seraient au taux légal.
Les dispositions qui précèdent sont établies surtout pour le cas où la chose est livrée; on pourrait cependant les appliquer au cas même où la chose n'est pas livrée, lorsqu'elle produit des fruits véritables, parce que ces fruits doivent être restitués à l'acheteur au moment de la délivrance : il y a dès lors même raison de lui faire payer les intérêts, et ce sera depuis le jour de la vente, puisque c'est de ce même jour que le vendeur doit compte des fruits, s'il n'y a convention contraire.
Art. 77. On a dit, en commençant la matière de la garantie, qu'il n'était pas nécessaire, pour que l'acheteur y eût droit, que l'éviction fût consommée par le succès d'une action en revendication, et qu'il suffisait qu'il prouvât que la chose vendue n'appartenait pas au vendeur et, par suite, n était pas devenue sienne. Le présent article nous dit, implicitement, qu'en sens inverse, il ne suffit pas que l'acheteur soit actionné en revendication pour opposer avec succès la nullité de la vente et agir utilement en garantie: cette revendication, si elle est seule, n'aura pour effet que de retarder le payement du prix.
Il pourrait arriver, en effet, que l'acheteur, par collusion avec un tiers, se fît actionner en revendication, pour se soustraire aux effets d'une vente dont il n'est plus satisfait ou dont les obligations sont trop lourdes pour lui, peut-être même dans le seul but de gagner du temps pour trouver les fonds nécessaires au payement du prix ; or, cette fraude doit être déjouée : lors même que la collusion n'existerait pas avec le revencliquant, l'action de celui-ci pourrait être si peu fondée qu'il serait déplorable qu'elle suffît à enlever au vendeur les avantages qu'il attend du contrat.
Mais la circonstance qu'une action en revendication est intentée par un tiers contre l'acheteur n'est pas indifférente : la loi ne doit pas présumer la collusion indiquée plus haut, ni la témérité absolue du revendiquant ; il y a dans le fait de cette action un motif suffisant pour l'acheteur de demander à surseoir au payement du prix, jusqu'à ce que le danger d'éviction ait été écarté.
D'un autre coté, comme la décision à intervenir sur la revendication pourrait tarder beaucoup, le vendeur est autorisé à fournir caution pour la restitution du prix et à exiger un payement immédiat. S'il ne peut trouver un répondant, il a encore la faculté d'exiger la consignation du prix, en vertu de l'article. 79.
Si l'acheteur, en présence de cette sûreté, ne paye pas, c'est une preuve que son refus de payement tenait plus à un manque d'argent qu'à la crainte réelle d'un danger d'éviction, et il pourra être poursuivi.
On remarquera que notre article ne suppose pas seulement une action en revendication, mais “toute autre action réelle,” ce qui doit s'entendre des actions par lesquelles un tiers prétendrait faire reconnaître un démembrement de la propriété, tel qu'un droit d'usufruit, de bail, d'emphytéose, de servitude ; ce pourrait être aussi une action hypothécaire, par laquelle un créancier ayant hypothèque sur le fonds vendu prétendrait obtenir le délaissement de l'immeuble ou le payement de sa créance.
Comme ces actions n'ont pas toutes la même gravité, elles ne motiveront pas toutes un refus total de payement du prix ; par exemple, la créance hypothécaire peut être notablement inférieure au prix ; il peut s'agir d'une servitude qui déprécie peu l'immeuble, du bail d'une partie seulement de la chose ou dont la durée restant à courir est courte ; dans ces divers cas, l'acheteur ne devra demander le sursis au payement ou la caution que pour une partie de son prix,
Notre article se termine en proclamant un droit de l'acheteur qu'il était bon d'exprimer : si l'acheteur ne se borne pas à invoquer l'action en revendication, comme présomption d'un danger d'éviction, s'il peut fournir “la preuve directe” que la chose n'appartenait pas au vendeur, alors il jouit du droit de faire prononcer la nullité complète de la vente ; ce ne sera plus un sursis au payement qu'il demandera, mais il refusera absolument le payement pour l'avenir : il s'en fera déclarer libéré et, en outre, il réclamera les indemnités résultant de la garantie.
Art. 78. La situation prévue par cet article diffère de celle prévue par l'article précédent : ici, il n'y a pas d'action intentée ; tout au plus, pourrait-il y avoir un juste sujet de craindre une action hypothécaire ultérieure ; mais c'est surtout la disposition de la loi qui n'est plus la même : l'acheteur ici ne serait pas obligé de payer, si le vendeur lui donnait caution : il obtient un sursis légal au payement, jusqu'à ce qu'il ait rempli les formalités de la purge qui seule le met à l'abri de la poursuite des créanciers inscrits.
On a déjà eu occasion de parler de ces formalités, dont le but est de permettre au tiers acquéreur d'un immeuble de le décharger des hypothèques qui le grèvent : l'acquéreur d'un immeuble qui veut s'affranchir des poursuites ultérieures des créanciers hypothécaires doit leur offrir son prix d'acquisition, avec déclaration qu'il est prêt à le leur payer, dans l'ordre de préférence existant entre eux ; si ceux-ci l'acceptent, l'immeuble sera dégrevé par le payement, lors même qu'il ne suffirait pas à désintéresser tous les créanciers ; s'ils trou vent le prix insuffisant, ils doivent requérir la vente aux enchères publiques. Le prix obtenu par cette nouvelle vente sera distribué aux créanciers et 1 immeuble sera purgé de toutes les hypothèques, même de celles aux quelles le prix ne sera pas parvenu.
Toute cette procédure est réglée tant dans le Code civil, au Livre des Garanties, que dans le Code de procédure civile.
On comprend donc que l'acheteur d'un immeuble ne soit pas obligé de payer son prix au vendeur, puisque les créanciers hypothécaires ont un droit de préférence sur ce prix.
D'un autre côté, il ne faudrait pas que, sous le prétexte qu'il y a sur l'immeuble des inscriptions de privilège ou d'hypothèque, l'acheteur retardât indéfiniment le payement : il faut qu'il procède à la purge dans les délais qui sont fixés par la loi (v. Livre des Garanties art. 260 et s.).
Indépendamment du droit de rétention déjà rencontré et de la résolution faute de payement dont il sera traité à la Section suivante, le vendeur jouit encore d'un privilège sur la chose même qu'il a vendue, de sorte que, si l'acheteur ne le paye pas et si le vendeur ne désire pas recouvrer la propriété de sa chose, il peut en requérir la vente aux enchères publiques, pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers de l'acheteur.
Pour que ce droit ait tout son effet utile, il faut qu'il puisse être opposé aux tiers, c'est-à-dire aux créanciers de l'acheteur et à ceux auxquels la chose pourrait avoir été revendue. Or, les droits réels ne peuvent être opposés aux tiers que s'ils ont reçu une publicité suffisante, par l'inscription de l'acte qui leur donne naissance ou par une inscription directe et spéciale.
C'est encore au Livre des Garanties que cette publicité est organisée, en ce qui concerne le privilège du ven deur, et le droit de résolution est soumis à la même publicité.
Si les formalités prescrites pour rendre les droits du vendeur opposables aux tiers n'ont pas été observées, celui-ci se trouve en danger de perdre la chose et le prix.
Assurément, dans ce cas, le vendeur doit s'imputer la perte de ses avantages, mais ce n'est pas l'acheteur qui peut lui en faire reproche ni en profiter. Il ne serait donc pas juste que lorsque le vendeur n'a plus d'autre gage de payement que la solvabilité peut-être fort douteuse de l'acheteur, celui-ci pût, à la faveur des lenteurs de la procédure de purge ou des actions réelles prévues à l'article 77, retarder le payement du prix, dissiper ses biens ou peut-être les dissimuler. La loi permet donc au vendeur de requérir la consignation du prix à la caisse publique (v. Liv. des Biens, art. 474 et s.).
Cette mesure sera encore utile au vendeur lorsque, dans le cas de l'article 77, il ne pourra fournir caution pour toucher le prix.
La consignation devra se faire au nom des deux intéressés, afin que l'un d'eux ne puisse retirer les sommes consignées sans le consentement et le concours de l'autre. Comme conséquence, il faut admettre aussi que ces sommes ne pourraient être l'objet d'une saisie-arrêt de la part des créanciers de l'une ou de l'autre partie, ou au moins la saisie s'arrêterait aux mesures conservatoires, sans distribution des deniers : autrement, la consignation ne produirait plus la sécurité que chaque partie doit y trouver. Ce n'est que lorsque les diverses procédures seront terminées que les sommes seront rendues à qui de droit et, en cas de contestation, le tribunal statuera.
Comme cette situation comporte diverses issues, nous les indiquerons sommairement :
1er Cas. C'était une action réelle qui, d'après l'article 77, avait motivé un sursis au payement ; le vendeur n'avait pas pu fournir caution de restituer le prix, de sorte qu'il n'avait pu le toucher, mais il en avait exigé la consignation ; il a ensuite fait cesser le trouble : le danger d'éviction étant écarté, il retirera le prix, consigné, soit en vertu d'une autorisation de l'acheteur, soit en vertu d'une décision du tribunal.
2e Cas. Dans la même hypothèse, le vendeur n'a pu faire écarter le danger d'éviction totale ou partielle : l'acheteur invoque la nullité de la vente, ou la fait résilier pour insuffisance des avantages qui lui restent, ou il demande une diminution du prix ; c'est donc lui qui obtiendra le retrait de tout ou partie des sommes consignées.
3e Cas. Il existe des créances privilégiées ou hypothécaires inscrites sur l'immeuble vendu ; le vendeur désintéresse les créanciers avec ses propres deniers, pour abréger les formalités de la purge ; c'est lui qui retirera les sommes consignées.
4e Cas. Dans la même hypothèse, les créanciers non désintéressés par le vendeur acceptent l'offre du prix que leur a faite l'acheteur : ce sont eux qui retireront les sommes consignées, mais avec l'autorisation du vendeur et de l'acheteur, ou du tribunal.
5e Cas. Les créanciers, n'ayant pas trouvé suffisant le prix offert, ont requis la mise aux enchères ; il y a un nouvel acheteur : le premier retirera les sommes consignées, car il ne doit plus de prix.
Art. 80. La prise de possession de la chose vendue est un des droits de l'acheteur, mais elle est aussi une de ses obligations : lors même qu'il a payé le prix, il ne doit pas pouvoir laisser la chose chez le vendeur auquel elle pourrait causer de la gêne et dont elle prolongerait l'obligation de la conserver avec certains soins. De là, le droit reconnu au vendeur, par le présent article, de faire les offres et la consignation des effets mobiliers, dans les formes établies d'une manière générale par les articles cités au texte, en faveur du débiteur dont le créancier n'est pas disposé à recevoir ce qui lui est dû.
Le 2e alinéa pourvoit à l'intérêt de l'acheteur en obligeant le vendeur à revendre les choses au compte de celui-ci, lorsqu'elles pourraient perdre promptement toute valeur. C'est une suite de l'obligation de garde, laquelle ne cesse pas par le seul retard de l'acheteur à. prendre livraison.
SECTION III.
DE LA RÉSOLUTION ET DE LA RESCISION DE LA VENTE.
§ 1er. — DE LA RÉSOLUTION POUR INEXECUTION DES OBLIGATIONS.
Art. 81. La résolution de la vente pour inexécution des obligations par l'une ou l'autre des parties n'est que l'application du droit commun (v. Liv. des Biens, art. 421 à 424); mais comme c'est peut-être dans la vente qu'elle reçoit le plus fréquemment son application, il est d'usage dans les lois de l'y mentionner spécialement.
C'est généralement contre l'acheteur que la résolution aura lieu, parce que la principale obligation du vendeur, celle de délivrer, peut être exécutée sans volonté par voie de saisie ; l'obligation de l'acheteur, étant de payer une somme d'argent, est en même temps la plus difficile à remplir, elle est aussi de nature à être retardée par le mauvais vouloir du débiteur.
La loi réunit ici dans une formule tous les cas de résolution, en se référant au principe général, tel qu'il est posé dans la matière des Obligations, pour les contrats synallagmatiques.
En général, la résolution pour inexécution a lieu par l'effet d'une convention tacite ; dans ce cas, il faut que la partie qui l'invoque s'adresse à la justice, et celle-ci peut suspendre la résolution en accordant un délai de grâce la partie défenderesse ; on sait seulement que ce pouvoir du tribunal cesse dans quelques cas qui ont été indiqués aussi dans la matière des Obligations en général (art. 40(5) et sur lesquels il n'est pas nécessaire de revenir ici.
Les parties peuvent aussi stipuler d'une manière expresse la résolution pour inexécution, respectivement ; elles se proposeront alors d'éviter la nécessité d'une action en justice et la résolution aura lieu de plein droit ; par conséquent, aucun délai de grâce ne pourra être accordé à la partie qui sera en faute.
Mais cette résolution de plein droit n'a toujours pas lieu par le seul effet de l'échéance du terme : il faut encore que la partie qui n'exécute pas ait été mise en demeure, par un acte de procédure extrajudiciaire, à moins qu'il n'ait été convenu que la seule échéance du terme la constituerait en demeure ; c'est l'application du droit commun (v. Liv. des Biens, art. 884).
Rappelons ici que la partie qui est en faute ne peut se prévaloir de la résolution opérée de plein droit que si l'autre partie l'invoque contre elle : autrement, elle bénéficierait de sa faute (v. Liv. des Biens, art. 422).
On remarquera que la loi permet de cumuler avec la résolution “l'indemnité des pertes éprouvées,” mais non la compensation des gains manqués ; déjà, sous l'article 424 du Livre des Biens, on a justifié cette limite spéciale à l'indemnité et le:rejet de l'expression ordinaire de “dommages-intérêts :” on a dit qu'il ne serait pas juste que la partie qui fait détruire le contrat en bénéficiât néanmoins, alors qu'elle recouvre la faculté de faire un nouveau contrat, au sujet de la même chose, avec un nouveau bénéfice.
Art. 82. Assurément, le vendeur non payé de son prix, ou envers lequel l'acheteur n'aurait pas rempli ses autres obligations, ne serait pas suffisamment protégé, si son action résolutoire était purement personnelle : s'il ne pouvait l'exercer contre les tiers, l'acheteur ne manquerait pas, pour échapper à la résolution, d'aliéner l'immeuble ou de l'hypothéquer.
Mais il ne faut pas non plus que les sous-acquéreurs ou les créanciers hypothécaires soient exposés à perdre des droits qu'ils ont pu croire à l'abri de toute atteinte.
Le système général de la loi, en matière de propriété immobilière, est de ne pas exposer les acquéreurs à des évictions qu'ils n'ont pu prévoir. De là, la nécessité pour le vendeur qui veut conserver à la résolution son caractère réel de lui donner une publicité suffisante.
Le moyen est toujours l'inscription.
Si le vendeur est prudent, c'est dans l'acte même de vente qu'il fera insérer les charges et conditions du contrat, à la suite du montant du prix ; mais, pour le prix, il ne suffira pas de l'énoncer, il faudra de plus exprimer qu'il est encore dû, pour le tout ou pour partie ; car, il n'est pas rare que le prix soit payé comptant ou peu de temps après la vente, et les tiers ne doivent pas rester dans l'incertitude à ce sujet. Sans doute, la loi pourrait laisser les tiers dans la nécessité de s'informer près du vendeur si le prix simplement énoncé a été payé, comme ils doivent s'informer si les autres conditions ont été remplies ; mais, dès que le contrat exprime que le prix est encore dû, cette mention est pour eux un avertissement, une me nace salutaire qui les préservera de la négligence. Si donc le contrat ne porte pas la mention exigée, la résolution faute de payement ne pourra, en principe, atteindre et dépouiller les tiers.
Mais la loi fait sagement, en permettant au vendeur de réparer cette omission, au moyen d'une publicité tardive, soit des charges et conditions, soit du non payement du prix, soit même de la demande en résolution déjà formée (v. Liv. des Garanties, art. 181). Cette publication n'aura pas d'effet rétroactif, il est vrai : elle ne permettra pas au vendeur d'atteindre les tiers qui ont déjà traité avec l'acheteur, mais elle arrêtera les inscriptions qui seraient opposables au vendeur (voy. Liv. des Biens, art. 352, 1er al.).
Dans cet article, on ne parle que de la résolution au profit du vendeur, car lorsque l'acheteur demande la résolution, ce n'est que pour recouvrer son prix : il ne peut être dès lors question pour lui d'agir contre les tiers.
Art. 83. Le droit de résolution en matière de meubles ne peut guère être connu des autres créanciers de l'acheteur, comme lorsqu'il s'agit des ventes d'immeubles : pour ces dernières, si l'acte inscrit porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie, ceux que traitent ensuite avec l'acheteur savent qu'ils sont exposés à la résolution en faveur du vendeur. Mais les actes de ventes mobilières ne sont pas publiés et il ne serait pas juste que les créanciers de l'acheteur se vissent enlever un bien de leur débiteur qu'ils ont pu considérer comme étant leur gage général.
La loi toutefois doit faire quelques distinctions, pour ne pas sacrifier hors de propos les droits du vendeur.
Ie Cas. La vente a été faite avec terme pour le payement, et le vendeur a dû délivrer la chose avant ce terme ; on peut dire, dans ce cas, qu'il a suivi la foi de l'acheteur, qu'il a accepté la risque de. son insolvabilité ; en même temps, la délivrance étant faite, les autres créanciers, ignorant vraisemblablement que le prix était encore dû, ont pu considérer la chose vendue comme devenue la propriété irrévocable de leur débiteur et, par suite, comme étant leur gage. Dans ce cas, le vendeur n'est qu'un créancier ordinaire : il sera compris dans la distribution des sommes réalisées pour le prix convenu, avec les intérêts, s'il y a lieu.
IIe Cas. La vente a été faite avec terme pour le payement, mais la délivrance n'a pas encore été faite, soit parce que le vendeura lui-même obtenu un terme, soit parce que l'aclieteur ne l'a pas sommé de délivrer : ici, le droit de résolution reste entier, car, la délivrance n'ayant pas encore été faite, les autres créanciers n'ont pas en lieu de considérer la chose comme leur gage. Sans doute, la tradition n'a pas été nécessaire pour que la propriété fût transférée à l'acheteur ; mais si les créanciers ont connu cette translation, ils ont dû en connaître aussi les conditions : ils ont dû savoir que le prix n'était pas encore payé.
IIIe Cas. La vente a eu lieu sans terme pour le payement et la délivrance a été faite. Le vendeur, en ne consentant pas de terme, n'y pas suivi la foi de l'acheteur : s'il a fait la délivrance c'est qu'il espérait être payé d'un moment à l'autre ; l'acheteur lui aura donné quelque assurance mensongère dont il ne doit pas être victime, pourvu qu'il ait soin de ne pas laisser s'écouler un temps trop long avant do demander la résolution. La loi lui dorme seulement huit jours pour exercer ce droit de résolution.
Dans ce cas même, la loi prend encore soin de sauvegarder l'intérêt des tiers, mais ce n'est plus celui de tous les créanciers de l'acheteur : il ne s'agit plus que des tiers qui ont acquis des droits réels sur la chose, comme serait, par exemple, un tiers auquel la chose aurait été aliénée, même sans lui être livrée, ou un créancier privilégié dont le droit serait fondé sur le nantissement, comme le bailleur de la maison d habitation de l'acheteur, si l'objet vendu est par sa nature soumis au privilège du bailleur ; à plus forte raison, serait respecté le droit de gage proprement dit d'un créancier auquel la chose aurait été remise en nantissement.
La loi subordonne toutefois la préférence des tiers à leur bonne foi, c'est-à-dire à leur ignorance que le prix de vente du meuble était encore dû. Sans doute, la bonne foi sc présumera, ici comme toujours, mais le vendeur sera reçu à prouver, par tous les moyens ordinaires, que les tiers connaissaient le défaut de payement du prix.
§ II.--DE L'EXERCICE DE LA FACULTÉ DU RETRAIT.
Art. 84. La stipulation permise ici au vendeur, l'autorisant à recouvrer sa chose, sous certaines conditions, ne doit pas être considérée comme une application ordinaire de la liberté des conventions qui, en général, font loi entre les parties : c'est une véritable faveur accordée au vendeur, pour le motif qu'on va donner. L'acheteur n'aurait pas la faculté inverse, celle de restituer la chose (sauf ce qui à été dit de la vente à l'essai, par l'article 31), et les limites que va recevoir 1 emploi de cette stipulation par le vendeur prouveront encore qu'il n'y a pas ici une simple application de la liberté des conventions.
Il ne s'agit pas, en effet, d'une revente que l'acheteur s'engagerait à faire au vendeur ; il s'agit, comme a soin de l'exprimer le texte de notre article, non d'une nouvelle vente faite par l'acheteur à son vendeur, mais d'une résolution de la première vente, de sa destruction rétroactive, avec anéantissement des droits réels conférés aux tiers par l'acheteur. On comprend, dès lors, que la loi limite l'usage d'une stipulation dont les effets intérressent si gravement les tiers.
C'est justement cette destruction des droits des tiers qui pourrait faire hésiter, en législation, à admettre la stipulation de retrait. Sans doute, les tiers auront été avertis du danger de résolution par l'inscription de la première vente, s'il s'agit d'immeuble ; mais alors, ils auront acheté à un prix inférieur à la valeur réelle, comme le premier acheteur lui-même, et c'est toujours une chose fâcheuse qu'une chose soit vendue au-dessous de sa valeur, même avec chances à peu près égales de gain ou de perte. Si les tiers, pour éviter la résolution, s'abstiennent de traiter avec l'acheteur, il y a un autre inconvénient économique, un mal général pour le pays, car il est utile que les biens circulent facilement: toute nouvelle acquisition donne lieu à des dépenses qui améliorent les biens, pour satifaire à des besoins ou à des intérêts nouveaux ; la faculté de retrait met obstacle à la circulation des biens : celui qui les acquiert sous cette condition trouvera difficilement à les aliéner et lui-même ne sera pas disposé à faire des dépenses d'amélioration, n'étant pas sûr d'en jouir longtemps.
Il faut donc, pour passer outre à de telles objections, qu'il y ait une raison bien sérieuse de permettre cette résolution en faveur du vendeur ; cette raison a été suggérée par l'expérience : on voit souvent des propriétaires se trouvant dans un embarras d'argent momentané, ou au moins qu'ils croient tel, et auxquels il serait très-pénible d'aliéner leur bien ; sans doute, ils pourraient emprunter en donnant leur immeuble en garantie, mais les conditions du prêt sont souvent très-onéreuses par les intérêts, et il pourrait arriver que le débiteur fût dans l'impossibilité de rembourser à l'échéance de sa dette ; les biens alors devraient être vendus sur saisie, avec beaucoup de frais et de lenteurs ; ce résultat sera évité au moyen d'une vente à prix réduit, librement consentie par le vendeur, avec faculté pour lui de recouvrer son bien, s'il peut, dans un certain délai, rembourser le prixqu'il a reçu.
Cette justification de la stipulation de retrait par le vendeur explique que la même faculté ne soit pas accordée à l'acheteur : comme personne ne peut se trouver contraint d'acheter, il n'y a pas lieu d'accorder à l'acheteur la faculté de résoudre son achat : une telle résolution aurait d'ailleurs un caractère purement potestatif, car il suffirait à l'acheteur de vouloir la résolutoire pour qu'elle ait lieu, puisqu'il pourrait toujours rendre la chose vendu, dès qu'il ne l'aurait pas aliénée ou hypothéquée. Au contraire, la condition résolution est loin d'être potestative de la part du vendeur pour résoudre le contrat, il faut qu'il puisse restituer le prix; or, cela lui sera souvent difficile, d'autant plus qu'il aura été contraint de vendre par le besoin d'argent.
On verra bientôt une autre conséquence du fondement de la faculté de retrait sur le besoin d'argent où est supposé le vendeur.
La faculté de retrait n'en a pas moins des inconvénients économiques qui expliquent que la loi l'ait enfermée dans des limites assez étroites.
La première de ces limites est la fixation d'un délai de rigueur, c'est-à-dire passé lequel, le vendeur est déchu de son droit, sans être admis à faire valoir aucune cause d'excuse légitime.
Pour les immeubles, ce délai est de 5 ans. La loi n exclut pas la faculté du retrait pour les meubles, mais elle y apporte des limites spéciales : le délai sera plus court, 2 ans, et la résolution ne sera pas opposable aux tiers de bonne foi.
Si les parties, dans l'ignorance de la loi, sont convenues d'un délai plus long que 5 ou 2 ans, la convention ne sera pas nulle : le délai sera réduit à la durée légale ; il serait déraisonnable d'opposer au vendeur un ancien axiome dont on abusait beaucoup autrefois, en Eupope, à savoir “qu'il a fait ce que la loi défend et n'a pas fait ce qu'elle permet :“celui qui a stipulé le retrait pour 6 ans ou davantage l'a implicitement stipulé pour 5 ans au moins.
La loi s'exprime encore sur un autre point qui aurait pu faire doute : si le retrait avait été stipulé pour 3 ou 4 ans au sujet d'un immeuble, il ne pourrait pas, plus tard, être prorogé, prolongé, de 2 ans ou I an, quoique le total n'excédât pas 5 ans ; c'est parce que ce serait étendre la condition résolutoire opposable aux tiers; cette prorogation ne doit pas être permise plus qu'une stipulation de retrait établie après une vente pure et simple.
Cependant, cette prorogation, comme la stipulation tardive, ne serait pas nulle : la loi nous dit qu'elle vaudrait comme promesse unilatérale de vente par l'acheteur ou, au moins, qu'elle pourrait être considérée comme telle, selon l'intention des parties. La promesse de vente, en effet, ne portera pas atteinte aux droits des tiers qui auront traité avec l'acheteur avant cette promesse et elle ne sera opposable à ceux qui traiteront postérieurement que si elle a été révélée par l'inscription. Il va sans dire, quoique la loi ne l'exprime pas, que la prorogation ne pourrait se faire que de 5 ans en 5 ans. Si la loi limite ici la faculté de la promesse de revente, ce qu'elle n'a pas fait au sujet de la promesse de vente prévue à l'article 26, c'est parce qu'ici il s'agit de protéger le vendeur originaire contre des illusions sur ses moyens de racheter, ce qui n'est pas le cas de l'article 26.
Les articles 26 et 27 ont suffisamment expliqué les effets de la promesse unilatérale de vendre.
La disposition du dernier alinéa est tout-à-fait nouvelle ; elle est une conséquence nécessaire du motif attribué à la loi dans l'admission de la faculté de retrait.
Puisque la loi se justifie par l'idée que le vendeur qui fait une pareille stipulation a été pressé par le besoin d'argent, il ne faut pas que les clauses et condition de la vente donnent un démenti à cette présomption, Or, c'est ce qui arriverait si le vendeur avait donné à l'acheteur un long terme pour le payement de tout ou partie du prix. Il serait permis alors de croire qu'en stipulant la faculté de retrait, il n'a pas eu pour but de remédier à l'inconvénient d'une vente forcée pour ainsi dire par la gêne, mais de se réserver le moyen de profiter de la plus-value que la chose pourrait acquérir, sans s'exposer au risque de la moins-value.
Mais ont ne pouvait admettre que tout délai accordé pour le payement et pour quelque portion du prix que ce fût, fît perdre au vendeur le droit à cette faculté de retrait ; on ne pouvait non plus laisser ces deux points à l'appréciation du tribunal : la loi doit les déterminer, et tel est l'objet de cet alinéa.
La concession d'un terme pour le payement n'exclut l'idée de gêne chez le vendeur que 1° si ce terme s'applique “à la moitié du prix ou à une somme plus forte,” et 2° si le terme est “égal ou supérieur à la moitié du délai fixé pour le retrait :” si donc le délai du retrait était de cinq ans et celui du payement d'un an, on pourrait encore croire que le vendeur prévoyait des embarras d'argent entre la 2e et la 5e année du contrat ; mais si, ledélai du retrait étant toujours de 5 ans, le terme du payement est de 3 ans ou de 4 ans, il ne paraît pas que le vendeur ait si longtemps à l'avance prévu des besoins d'argent et voulu y remédier par une vente anticipée.
Art. 85. On a dit, en commençant, que la faculté qui nous occupe n'est pas un rachat, parce qu'un rachat ou une revente ne ferait recouvrer la chose au vendeur que dans l'état où elle serait présentement, c'est-à-dire grevée des droits qu'aurait conférés l'acheteur, et même ne pourrait aucunement la faire recouvrer si elle avait été aliénée en entier ; au lieu d'un rachat, c'est une résolution, qu'on appelle ici retrait.
Le caractère de la résolution est bien connu déjà ; elle remet les choses en l'état où elles étaient lors du contrat dont elle opère la destruction; elle a un effet rétroactif (v. Livre des Biens. art. 409).
La loi applique ici ce principe aux ventes d'immeubles soumises à la faculté de retrait ; les titers ne peuvent sérieusement se plaindre, puisque la faculté de retrait ne leur est opposable que si elle a été insérée dans l'acte même de vente et publiée en même temps.
La loi fait une exception en faveur de ceux qui auraient acquis un droit de bail sur la chose, mais à la condition que ce qui reste à courir du bail n'excède pas un an. Le texte n'ajoute pas que le bail doit avoir été fait sans fraude ou de bonne foi, parce que, du moment que ce contrat a une courte durée, l'acheteur a fait un acte d'administration raisonnable et utile, quel que puisse être le sort de la vente ; cette condition de bonne foi ne serait justifiable que si l'acte d'administration n'était pas limité dans sa durée.
Lorsqu'il s'agit d'une vente de meubles, la loi ne défend pas la stipulation de la faculté de retrait, mais elle en restreint beaucoup les effets : la résolution ne pourra détruire les droits réels acquis aux tiers, parce que la faculté de retrait, n'ayant pas été publiée, peut ne pas être connue de ceux-ci ; mais ici, comme il s'agirait souvent moins d'actes d'administration que d'actes de disposition, la loi exige que les tiers aient été de bonne foi, c'est-à-dire aient réellement ignoré la faculté que s'était réservée le vendeur ; or, si on présume la bonne foi, la preuve directe de lam auvaise foi peut toujours être fournie, et. en fait, il est possible que l'acheteur, en traitant avec les tiers, les ait avertis du danger de résolution.
La loi ne prévoit pas ici le bail par l'acheteur du meuble vendu avec faculté de retrait: il devrait être respecté, quelle que soit sa durée, car, plus il sera long, plus il sera voisin d'une disposition complète, laquelle devrait être respectée par le vendeur.
La faculté de retrait, ai nsi restreinte dans ses effets pour les meubles, ne semble plus différer de la simple promesse unilatérale de revente qu'aurait faite l'acheteur; il faut, en effet, reconnaître que si la mauvaise foi des tiers les soumet à la résolution, leur mauvaise foi les soumettrait aussi au respect d'une promesse de vente. Il ne faut pas non plus chercher la différence dans la circonstance que l'acheteur serait devenu insolvable, sans avoir d'ailleurs aliéné ni engagé l'objet : assurément, par la résolution, le vendeur, moyennant le remboursement du prix, recouvrerait la chose vendue, intégralement et sans subir le concours avec les autres créanciers ; mais, avec la promesse de vente, le stipulant aurait le même avantage : il obtiendrait la chose en entier, en en payant le prix total : il ne pourrait être contraint à n'en recevoir qu'une partie, même avec réduction proportionnelle du prix.
Art. 86. L exercice de la faculté de retrait aurait pu être considéré comme exclusivement attaché à la personne du vendeur et comme ne pouvant être exercé par ses créanciers : il serait alors entré dans l'exception mise par la loi à l'exercice de l'action dite indirecte ou oblique (v. Liv. ‘des Biens, art. 339 3e al.). Ce caractère personnel serait d'autant plus apparent que l'avantage dont il s'agit est plutôt qualifié faculté que droit proprement dit.
Mais la loi, considérant que le bien n'a pas été vendu à sa valeur véritable, à cause du risque que court l'acheteur, ne veut pas que celui-ci profite des embarras d'argent du vendeur; si celui-ci, ne pouvant exercer le retrait, a des créanciers qui croyent de leur intérêt de faire rentrer le bien dans les mains de leur débiteur, en fournissant les sommes nécessaires, il est juste de le leur permettre : c'est un de ces cas où, entre personnes dignes d'intérêt à des titres différents, “la loi donne la “préférence à celle qui cherche à éviter une perte sur “celle qui cherche à réaliser un gain.”
Mais, pour qu'il n'y ait pas d'abus de la part des créanciers, la loi veut qu'ils établissent préalablement l'insolvabilité du débiteur ; elle se contente de la subrogation judiciaire déjà mentionnée dans l'article 339 du Livre des Biens, lequel règle l'exercice ordinaire des droits d'un débiteur par ses créanciers.
Il est naturel que l'acheteur puisse empêcher le retrait par les créanciers du vendeur en les désintéressant. Cependant, on songe aussitôt au danger de voir tous ces créanciers se présenter successivement devant l'acheteur avec la menace du retrait. Mais cet abus est conjuré par l'application d'un principe de la matière (v. art. 88 1er al.) auquel la loi se réfère ici : l'acheteur fera subir au premier créancier la déduction des dépenses déjà faites “pour la conservation de la chose,” et quand se présentera le second créancier, il lui fera subir, à son tour, la déduction de ce qu'il aura payé au premier, parce que c'est là une véritable dépense de conservation, et ainsi de suite pour les autres ; cela arrêtera promptement leurs prétentions.
Art. 87. Le vendeur avec faculté, de retrait ayant un droit conditionnel, un droit éventuel, suspendu jusqu'à ce qu'il ait exercé la résolution du droitde l'acheteur, peut disposer de ce droit même, en tout ou en partie.
Ainsi d'abord, il peut céder, en propres termes, son droit au retrait, c'est implicitement céder la chose meme que le retrait lui ferait recouvrer. Il peut aussi céder la chose directement, c'est alors le droit au retrait qui est implicitement cédé, et il ne faudrait pas voir là une vente ou cession de la chose d'autrui, car la chose appartient au vendeur sous la condition suspensive que le retrait sera exercé.
Le vendeur peut aussi grever la chose de droits réels moins considérables : il peut l'hypothéquer, la donner à bail, la grever d'usufruit ou de servitudes. Mais les résultats sont alors bien différents de ceux des deux premiers cas.
Ici les cessionnaires de démembrements de la propriété ne peuvent plus exercer le retrait, ni en leur propre nom, ni au nom du vendeur : ils ne le peuvent en leur propre nom, ne car on leur a pas cédé la propriété éven tuelle ; ils ne le peuvent au nom du vendeur, car, sauf le cas d'hypothèque, ils ne sont pas créanciers du vendeur.
Les droits réels secondaires dont il s'agit sont donc subordonnés à l'exercice effectif du retrait par d'autres que par ceux auquels ils appartiennent,
En premier lieu, par le vendeur lui-même : en exerçant le retrait, il confirme les droits qu'il a consentis et il s'affranchit de l'obligation de garantie envers ses cessionnaires.
En second lieu, par ses créanciers, dans le cas prévu à l'article précédent : les créanciers ayant alors exercé le droit de leur débiteur et en son nom, les conséquences en doivent être les mêmes que s'il l'avait exercé lui-même, les droits réels des tiers seront respectés ; en pareil cas, ce sera encore pour les créanciers un motif de ne pas agir témérairement dans l'exercice du retrait, car ils pourraient en profiter moins que lesdits cessionnaires ; au surplus, comme les droits réels dont il s'agit sont publiés, les créanciers savent quels ils sont et à qui ils appartiennent.
Remarquons, à ce sujet, que si l'acheteur veut user du droit de désintéresser les créanciers, comme le lui permet l'article précédent, il devra être admis à déduire encore la valeur des droits réels consentis par le vendeur, puisque le retrait confirmerait ces droits et que les créanciers, en faisant vendre la chose, ne la vendraient que grevée de ces mêmes droits.
En troisième lieu, par le cessionnaire du droit au retrait, ou par le cessionnaire de la chose même ; celui-ci peut, il est vrai, exercer le retrait en son propre nom ; mais il n'a pu acquérir ce droit ou la chose même que sous la réserve des droits déjà créés par le vendeur, il n'est exposé à aucune surprise, puisque ces droits lui ont été révélés par l'inscription ; il aura d'ailleurs son recours en garantie contre le vendeur.
Art. 88. L'article 84 n'a annoncé comme étant à la charge du vendeur que le remboursement du prix de vente et de la portion de frais payée par l'acheteur, parce que ce sont là des sommes toujours dues ; mais il est juste que le vendeur rembourse aussi certaines dépenses faites accidentellement par l'acheteur.
On sait, pour en avoir rencontré plusieurs fois l'application, qu'il peut être fait trois sortes de dépenses ou impenses sur la chose d'autrui : les dépenses nécessaires qui conservent la chose, les dépenses utiles qui l'améliorent et les dépenses voluptuaires ou de pur agrément ; on sait aussi que le propriétaire, recouvrant sa chose, doit rembourser les deux premières dépenses au possesseur (Liv. des Biens, art. 196) ; on a vu, plus récemment, que le vendeur, au cas d'éviction de son acheteur, lui doit le remboursement des dépenses, même voluptuaires, s'il les a faites de bonne foi (v. art. 58).
Dans le cas qui nous occupe, il est juste que le ven deur rembourse les deux premières sortes de dépenses et non la troisième : s'il ne remboursait pas les deux premières, il s'enrichirait aux dépens de l'acheteur qui a conservé ou amélioré à ses frais la chose vendue ; mais il ne doit rien des dépenses voluptuaires, car elles ne donnent pas de plus-value à la chose et l'acheteur ne doit imputer qu'à son imprévoyance la perte qu il en éprouve.
Entre les deux premières sortes de dépenses, la loi fait une différence : les dépenses nécessaires doivent être remboursées, comme le prix de vente, dans la délai fixé pour le retrait, à peine de déchéance du vendeur, puisque ce délai est de rigueur; tandis qu'il peut demander au tribunal et obtenir un délai de grâce poue le remboursement des dépenses utiles. En effet, ces dépenses n'étant pas nécessaires, l'acheteur, en les faisant, a songé plutôt à son intérêt éventuel qu'à celui du vendeur ; il a pu même les porter a un chiffre assez élevé pour gêner le vendeur ; si la loi ne permettait pas au vendeur d'obtenir un délai, ce pourrait être pour un acheteur de mauvaise foi un moyen de se soustraire au retrait : il lui suffirait de faire des dépenses utiles hors de proportion avec la fortune du vendeur, lequel d'ailleurs, dans les circonstances ordinaires, est supposé plutôt embarrassé dans ses affaires.
La loi ne parle pas du remboursement des intérêts du prix, parce qu'ils ne sont exigibles ni dans le délai ni plus tard : si le vendeur devait rembourser les intérêts du prix, l'acheteur devrait lui rendre les fruits et produits ou l'équivalent de l'usage de qu'il a eu la chose, ce qui serait une grande complication et une matière à procès. Il se fera donc compensation entre ces deux sortes de restitutions, par application du principe de l'article 412 du Livre des Biens, in fine. Mais cet article n admet la compensation des intérêts avec les fruits que si ces derniers ont été perçus; or, si le retrait était exercé avant la perception, il est clair que le vendeur devrait rendre les intérêts du prix.
Le droit de rétention accordé par le dernier alinéa figure dans l'énumération des sûretés réelles donnée par l'article 2 du Livre des Biens ; on l'a déjà rencontré et on le trouvera expliqué au Livre des Garanties.
Art. 89, 90 et 91. Ces articles et les deux qui suivent règlent l'exercice du retrait dans des circonstances particulières. Si l'on y cherche un principe commun et dominant, on verra que la loi craint surtout que la propriété ne soit divisée par l'effet du retrait au-delà de ce que les parties ont pu prévoir ou au-delà de ce qui est juste.
Ces trois articles ont pour point de départ la vente à retrait d'une portion indivise d'immeuble, telle qu'une moitié, un tiers, un quart, et il est supposé que pendant le délai stipulé pour le retrait, il y a eu partage ou licitation : cela doit naturellement influer sur le mode d'exercice du retrait.
Notons d'abord un cas où la loi n'a pas à se prononcer, parce qu'il ne peut faire de difficulté. Si, au jour où le vendeur veut exercer le retrait, les choses sont restées dans le même état, s'il n'y a eu aucune opération de partage entre l'acheteur et les autres copropriétaires, le vendeur reprend sa part indivise, purement et simplement, et il redevient copropriétaire avec ceux-ci.
Mais voici des distinctions que la loi ne pouvait négliger :
1° Il peut y avoir eu licitation ou partage en nature ;
2° La licitation peut avoir été provoquée contre l'acheteur ou par lui ;
3° L'adjudication peut avoir été prononcée en faveur de l'acheteur ou en faveur d'un des autres propriétaires ou même d'un tiers ;
4° Le partage par licitation ou en nature peut avoir été fait avec ou sans la participation du vendeur.
Nous reprendrons ces hypothèses dans l'ordre de nos trois articles.
Ire Hypothèse. Le partage a été demandé ou provoqué contre l'acheteur par l'un des propriétaires ; le partage n'ayant pu se faire en nature, il a dû être procédé à la licitation de l'immeuble, c'est-à-dire à sa mise aux enchères publiques pour en partager le prix ; sur quoi, l'acheteur, désirant conserver ce qu'il avait acquis, s'est porté surenchérisseur et est resté adjudicataire de la totalité. C'est l'objet de l'article 89, 1er alinéa.
Remarquons d'abord que le vendeur ne peut critiquer la licitation sous le prétexte qu'elle a eu lieu avant l'expiration du délai qu'il avait stipulé pour le rachat : la vente avec stipulation de retrait n'a pu suspendre ni entraver le droit des copropriétaires de provoquer à toute époque le partage du bien commun ; une convention entre les copropriétaires aurait pu seule avoir cet effet, pour cinq ans au plus (v. art. 38 et 39), et elle n'a pas eu lieu. Mais le vendeur conserve son droit au retrait contre l'acheteur devenu propriétaire de la totalité du bien par l'effet de l'adjudication.
Il restait à savoir si le vendeur pourrait n'exercer le retrait que pour la part qu'il a vendue ou s'il devrait l'exercer pour le tout. C'est cette dernière solution que donne la loi ; ou remarque, en effet, que ce n'est pas par l'acheteur que le partage a été demandé : il l'a été contre lui ; l'acheteur avait le droit de chercher à conserver légalement la part à lui vendue ; pour cela, il lui a fallu acquérir le tout, il a dû payer comme prix de licitation la valeur des portions qu'il n'avait pas ; c'est là une dépense nécessaire, faite pour la conservation de la chose ; elle doit donc lui être remboursée avec son prix d'achat originaire et il restituera ainsi tout le bien au vendeur ; si le vendeur ne veut ou ne peut faire cette dépense, il est déchu de son droit au retrait. Bien entendu, il ne sera obligé de se prononcer qu'à la limite du délai fixé pour le retrait.
L'article 89 tranche une question importante. Il ne suffisait pas de dire que le vendeur ne peut exercer le réméré partiel si l'acheteur s'y oppose, il fallait encore savoir si l'acheteur pourrait s'opposer au réméré total. On comprendrait, en effet, que l'acheteur désirât garder la part indivise que la licitation lui a fait acquérir et prétendît ne rendre que celle qu'il tient de la vente à retrait. Mais la loi ne doit pas admettre cette prétention ; ce serait donner à l'acheteur tous les avantages : si l'acquisition totale lui semblait mauvaise, il obligerait le vendeur à la prendre à sa charge ; si elle lui paraissait avantageuse, il en conserverait une portion ; il est contraire à la nature des contrats bilatéraux de créer pareilles inégalités de droits entre les parties. Le retrait total est une obligation pour le vendeur, mais il est aussi un droit pour lui et c'est une obligation pour l'acheteur de le subir. Pour qu'il y eût retrait partiel, il faudrait que les deux parties y consentissent.
IIe Hypothèse. Ce n'est pas contre l'acheteur que le partage a été provoqué, mais par lui, et c'est encore lui qui, sur la licitation, s'est porté adjudicataire de la totalité. Le cas est réglé par les deux derniers élinéas de l'article 89.
Ici on ne peut plus dire qu'en achetant le tout, l'acheteur a fait une dépense nécessaire pour la conservation de la part indivise qui lui avait été vendue ; c'est lui qui a donné lieu à la licitation, il n'a pas pu aggraver par là la position de son vendeur ; celui-ci pourra donc n'exercer le retrait que pour la part qu'il a vendue.
Mais, par contre, il ne pourra pas exercer le retrait total si l'acheteur s'y oppose. C'est toujours le principe d'égalité des droits et avantages.
On n'a pas distingué, pour le solution des deux hypothèses qui précèdent, si le vendeur avait ou non été mis en cause dans la licitation, soit par l'acheteur à retrait, soit par les autres copropriétaires. Cette mise en cause, fondée sur le droit éventuel du vendeur, sera très-importante, au contraire, quand il s'agira des rapports du vendeur avec les copropriétaires ; mais on va voir que les deux principales décisions qui précèdent ne doivent pas être modifiées par la présence ou l'absence du vendeur aux opérations de licitation, justement parce qu'il ne s'agit encore que des rapports du vendeur avec l'acheteur et non de ses relations avec les tiers, lesquelles sont l'objet de l'article suivant.
Dans la 1re hypothèse, il est clair que si le vendeur a été mis en cause, il ne peut se refuser à reprendre la chose entière, en remboursant à l'acheteur le prix de licitation : l'opération faite en sa présence, provoquée, non p a r l'acheteur, mais contre lui, ne peut être l'objet d'aucune critique de sa part ; s'il n'avait pas vendu à retrait s'il était resté propriétaire, il n'aurait pu, sur la licitation provoquée contre lui, acquérir la chose autrement que pour le tout, puisqu'il s'agissait de faire cesser l'indivision Dans le même cas, si le vendeur n'a pas été mis en cause, la solution doit encore être la même ; en effet, le vendeur ne pourrait alléguer que son absence lui a nui, sans alléguer aussi qu'il se serait porté surenchérisseur et adjudicataire; or, il a justement le droit de prendre l'adjudication pour lui et à un moment plus favorable, puisqu'il a eu, outre le temps de la réflexion, l'occasion de voir si la chose tendait à gagner en valeur, et enfin la facilité de réaliser les fonds nécessaires à l'acquisition totale.
Dans la 2 hypothèse, où c'est l'acheteur qui a provoqué la licitation et s'est porté acquéreur, la décision du texte qui autorise le retrait partiel n'est pas non plus modifiée par l'absence ou la présence du vendeur : s'il n'a pas été mis en cause, cette circonstance, si elle était prise en considération, ne pourrait qu'être défavorable à l'acheteur, puisque c'est lui qui, ayant provoqué la licitation, a négligé d'y appeler le vendeur ; et, lors même que le vendeur aurait été mis en cause, il pourrait toujours se refuser à un retrait total, car il lui suffirait d'alléguer que c'est parce qu'il en voulait pas se rendre acquéreur de la totalité qu'il ne s'est pas porté surenchérisseur lors de la licitation ; or, l'acheteur n'a pas pu, par son fait, empirer la condition du vendeur.
Passons maintenant à l'hypothèse où, au contraire, il importe beaucoup de savoir si le vendeur a été appelé à la licitation (art. 90).
IIIe Hypothèse. L'adjudication a été prononcée au profit d'un des copropriétaires ou au profit d'un étranger, car on peut toujours et quelquefois même on doit admettre les étrangers à concourir aux enchères. Deux cas sont à distinguer.
1er Cas. Le vendeur n'a pas été mis en cause ; on a eu le tort de ne pas tenir compte de ses droits éventuels; il peut critiquer le résultat obtenu et dite que, s'il avait été présent, il se serait porté surenchérisseur; il peut dire aussi qu'il aurait appelé des étrangers, si cela n'a pas été fait. Assurément, la licitation faite sans lui ne peut lui être opposable, elle ne peut lui ôter le droit d'exercer le retrait contre l'adjudicataire considéré comme l'ayant-cause de son acheteur ; or, celui-ci n'a pu conférer un droit irrévocable, lorsque le sien même était sujet à résolution.
2e Cas. Le vendeur a été mis en cause : il a pu sc porter surenchérisseur; s'il ne l'a pas fait, faute d'argent ou pour toute autre cause, il ne peut en faire souffrir l'adjudicataire ; il ne peut pas se prévaloir du délai qu'il avait stipulé pour l'exercice du retrait, parce que cette convention n'est pas opposable aux autres copropriétaires. II est donc déchu de tout droit contre l'adjudicataire.
Conserve-t-il le droit d'exercer une sorte de retrait contre son acheteur, en lui offrant le prix qu'il a reçu de lui pour recevoir du même le prix de licitation ? Ainsi, il avait vendu pour 1000 yens sa part indivise, une moitié, par exemple ; lors de la licitaion totale pour le prix de 2400 yens, l'acheteur à retrait a reçu 1200 yens comme étant sa part dans le prix d'adjudication ; le vendeur peut-il rapporter 1000 yens, pour en recevoir 1200 ?
Cette prétention serait inadmissible.
D'abord, si nous nous replaçons dans le cas où le vendeur n'a pas été appelé à la licitation et où, par conséquent, il peut exercer son droit de retrait contre le tiers adjudicataire, il est certain qu'alors il ne peut choisir entre deux droits de retrait, l'un sur la chose même, l'autre sur le prix de licitation. Le cas est le même que dans la vente à retrait d'une chose entière, si l'acheteur a revendu cette chose dans le délai, là où le vendeur peut la suivre contre les sous-acquéreurs ; il est incontestable que le vendeur ne pourrait, négligeant le droit de suite, venir réclamer à l'acheteur le prix que celui-ci a reçu en lui remboursant celui qu'il a payé originairement. Or, nous soutenons qu'il ne le peut davantage quand il a perdu le droit de suite, ce qui arrivera, non seulement dans le cas d'une licitation à laquelle il a été admis, mais même dans le cas d'une revente ordinaire à laquelle, appelé par son acheteur, il aurait consenti à concourir pour préserver les tiers de l'éviction.
Dans le cas présenté ci-dessus, si le vendeur pouvait exercer le retrait sur le prix de licitation touché par l'acheteur (1200 yens), en lui remboursant le prix de la vente à retrait (1000 yens), autant vaudrait dire qu'il peut demander purement et simplement 200 yens a l'acheteur, ce qui n'est pas exercer le retrait; les conditions du contrat seraient tout à fait changées : le vendeur n'aurait besoin d'aucune somme d'argent disponible pour exercer le retrait, toutes les bonnes chances seraient pour lui et toutes les mauvaises pour l'acheteur ; la plus ou moins-value que la chose pourrait obtenir ou subir serait désormais sans influence sur le retrait et, de même, le bon ou mauvais état des affaires du vendeur.
Cette prétention du vendeur serait également inadmissible, s'il y avait eu expropriation pour cause d'utilité publique : l'acheteur qui aurait reçu l'indemnité ne serait pas obligé de la verser au vendeur contre la restitution de son prix d'achat : l'expropriation est un fait de l'autorité qui produit pour les parties l'effet d'uneforce majeure, mettant fin aux rapports de droit privé existant au sujet de la chose désormais retirée du commerce.
Même solution encore si la chose vendue à retrait avait été détruite par un incendie et que l'acheteur eût touché le montant de la somme assurée ou eût reçu une indemnité de l'auteur de la faute ; dans ces deux cas, le droit de retrait serait perdu pour le vendenr, toujours par le même motif qu'on ne peut plus recouvrer par le retrait une chose qui a péri ; et, lors même que l'acheteur en aurait reçu un équivalent, ce n'est pas cet équivalent, c'est la chose même, qui a été l'objet de la clause de retrait ou de résolution
4e Hypothèse. Dans l'article 91, on ne suppose plus qu'il ait été nécessaire de faire une licitation : la chose indivise a pu se partager en nature et chacun des copropriétaires en a reçu une portion divise ; s'il n'a pas été possible de mesurer exactement les parts sur la quotité des droits de chacun, on a parfait les comptes au moyen de soultes ou retours de lots payés par ceux qui ont reçu plus à ceux qui ont reçu moins.
On ne pouvait appliquer ici, purement et simplement, les mêmes solutions qu'au cas de licitation : il paraît notamment préférable de s'attacher moins au point de savoir si le partage a été provoqué par l'acheteur ou contre lui qu'au point de savoir si le vendeur y a été ou non appelé, en vertu de son droit éventuel.
1er Cas. Le vendeur a été appelé au partage : il a pu d'abord saisir cette occasion d'exercer immédiatement le retrait de la part qu'il avait vendue, et alors, l'acheteur étant écarté, le partage s'est fait entre le vendeur et ses copropriétaires ; l'opération restera nécessairement irrévocable.
Si le vendeur n'était pas en mesure de pouvoir rembourser son acheteur, sa. présence au partage lui aura encore été utile ; il aura pu démontrer que la licitation n'était pas nécessaire et que le partage en nature était possible : ce premier point obtenu, il a pu veiller à ce que les lots fussent formés égaux ou inégaux, conformément aux droits de chacun, et spécialement, si, à raison de leur inégalité, ils ne pouvaient être tirés au sort, il aura empêché que le lot attribué à son acheteur fut trop faible en nature, même avec un complément en argent, ou trop considérable, à charge d'une soulte dont le payement lui serait un jour trop onéreux.
L'opération, une fois ainsi faite, sera encore irrévocable à l'égard des autres copropriétaires ; mais elle ne le sera pas a 1 égard de l'acheteur : si le vendeur désire exercer le retrait, il le pourra, en retirant la portion divise échue à son acheteur, laquelle représente la part indivise qui lui a été vendue.
La loi ajoute que si l'acheteur a dû payer une soulte, parce que son lot excédait l'étendue de sa part, le vendeur remboursera cette soulte: c'est une dépense nécessaire, comme le prix de licitation dont parle l'article 89. En sens inverse, si l'acheteur a reçu une soulte, a cause de 1 insuffisance de son lot, le vendeur la recevra avec le lot, ou la fera entrer en déduction du prix de vente qu'il doit restituer.
2e Cas. Le vendeur n'a pas été appelé au partage: d'abord on ne peut lui refuser le droit de le ratifier; les choses se passeront alors comme dans le cas précédent. Mais s il ne ratifie pas le partage, l'opération ne lui sera opposable par personne, pas même par son acheteur qui, s'il n'a pas provoqué le partage, a au moins eu le tort de n'y pas appeler le vendeur. Celui-ci commencera donc par exercer le retrait, c'est-à-dire par rendre à l'acheteur le prix qu'il en a reçu, et, rentrant par là dans la part indivise qu'il avait vendue, il provoquera un nouveau partage contre ses copropriétaires.
Art. 92. Cet article et le suivant ont encore rapport à l'exercice divisible ou indivisible du retrait.
Ici on suppose un seul acheteur et plusieurs vendeurs.
Dans l'article suivant, on supposera un seul vendeur, mais plusieurs acheteurs Dans le premier cas, celui du présent article, on doit distinguer s'il y a eu un seul contrat de vente ou plusieurs contrats, c'est-à-dire autant de contrats que de vendeurs.
S'il n'y avait qu'un seul contrat, en la forme, mais un prix distinct pour chaque portion vendue, ce serait, au fond, comme s'il y avait plusieurs contrats.
1re Hypothèse : contrat unique. L'acheteur, en achetant toutes les parts, en même temps et sans distinction du prix de chacune, a montré par là qu'il tenait absolument à acquérir et conserver la chose en entier ; c'est pourquoi la loi lui permet de s'opposer à un retrait partiel ; il faut donc que les co-vendeurs se réunissent pour exercer le total.
Mais l'acheteur est-il obligé de subir un retrait total qui lui serait offert par un seul des vendeurs, agissant dans son propre intérêt et sans mandat des autres?
Dans le sens affirmatif, on pourrait prétendre que l'acheteur ne peut refuser, tout à la fois, le retrait partiel et le retrait total et que, du moment que le choix lui est laissé d'obtenir l'un ou l'autre, il ne peut refuser l'un et l'autre, sous prétexte du défaut de mandat.
Mais ce serait une erreur.
A la sommation d'opter pour l'un ou l'autre retrait, l'acheteur répondrait qu'il refuse 1° le retrait partiel, parce qu'en achetant le tout par un seul contrat, il a montré qu'il ne voulait pas que la propriété fût morcelée, 2° le retrait total par un seul des vendeurs, parce que ce serait aggraver sa position, en multipliant ses dangers de subir le retrait ; en effet, en compensation du risque de voir la propriété lui être reprise, il a la chance que les vendeurs ou l'un d'eux soient dans l'impossibilité d'effectuer le retrait. Il est déjà assez dur pour lui d'être obligé de céder devant un mandat donné, par ceux qui sont insolvables ou non désireux de retraire, à ceux qui sont en état de le faire, et ce mandat sera très-fréquent ; mais si les co-vendeurs sont en désaccord ou en état d'hostilité, il n'est pas contraire à la nature de cette opération aléatoire que l'acheteur en profite.
En vain on dirait que le refus par un ou plusieurs des vendeurs d'exercer le réméré doit profiter à l'autre ou aux autres : il est plus naturel qu'il profite à l'acheteur.
L'acheteur ne serait tenu de subir le retrait total que si celui qui prétend l'opérer avait un pouvoir des autres.
2e Hypothèse : Les diverses portions ont été vendues par des contrats distincts.
La solution inverse était tout indiquée en faveur du retrait partiel: l'acheteur doit le subir de la part de ceux qui veulent et peuvent 1 opérer ; mais, sans aucun doute et à plus forte raison, il peut se refuser à un réméré total que 1 un des vendeurs voudrait exercer sans pouvoir des autres.
La circonstance que le retrait partiel est possible ici nous ramène à l'application des articles 89 et 91. Il peut arriver, en effet, que l'un des vendeurs ait d'abord exercé le retrait pour sa part ; il se trouve ainsi copropriétaire avec l'acheteur qui conserve encore les parts des autres ; plus tard, et avant que le délai du retrait ne soit écoulé pour ces derniers, une licitation est provoquée entre l'acheteur par cet ancien vendeur redevenu propriétaire : l'acheteur ayant acquis sur licitation la totalité du fonds, le retrait ne pourra plus être exercé par les derniers vendeurs que pour le tout.
De même encore, le partage a eu lieu en nature : l'acheteur, ayant déjà subi le retrait d'un des vendeurs, a reçu une portion divise représentant les parts indivises qui lui restaient ; on distinguera si le partage a été fait contradictoirement on non avec tous les intéressés et l'on appliquera l'une des deux solutions fournies par l'article 91.
Deux hypothèses pourraient encore être proposées : le texte ne les prévoit pas, parce que les principes de la matière suffisent à les résoudre.
1° Quelques parts indivises ont été vendues par un seul contrat et une ou plusieurs autres l'ont été par des contrats séparés. Il faut évidemment appliquer, tout à la fois, les deux règles qui précèdent : le sort des parts vendues conjointement sera réglé par le 1er alinéa de notre article 92, comme si toutes ces parts réunies formaient un ensemble ; celles qui ont été vendues séparément réglées par le 3° alinéa.
2° Le propriétaire unique d'une chose en a d'abord vendu une part à retrait ; plus tard, il en a vendu, toujours à retrait et au même acheteur, une autre part ou tout le reste : on pourrait croire que, comme il y a ici plusieurs contrats, c'est le cas d'appliquer notre 3e alinéa ; mais ce serait oublier les règles d'interprétation des conventions, ou l'on doit chercher surtout quelle a été l'intention commune des parties (v. Liv. des Biens, art. 356). Or, il est naturel de décider que l'acheteur, en acquérant ultérieurement la part qui lui manquait, a suffisamment montré par là qu'il tenait à avoir la chose en entier ; de son côté, le vendeur, en aliénant cette nouvelle part, est présumé avoir renoncé au droit de retrait partiel que lui assurait son premier contrat.
Quand la loi attache l'importance que l'on a vue à la distinction entre l'unité et la pluralité de contrats, elle suppose plusieurs copropriétaires vendeurs, tandis que dans notre nouvelle hypothèse, il n'y a plus qu'un seul propriétaire, un seul vendeur, comme dans l'article suivant.
Art. 93. Cet article ne suppose plus qu'un seul vendeur et plusieurs acheteurs.
On commence par supprimer expressément la distinction entre l'unité et la pluralité de contrats, parce que les acheteurs ne peuvent prétendre, dans aucun des deux cas, même dans celui où ils ont acheté par un seul contrat et pour un prix unique, avoir voulu éviter la division du fonds ; en effet, si ce n'est pas le vendeur qui opère la division en exerçant un retrait partiel, chacun des acheteurs peut l'opérer en demandant le partage contre les autres.
La seule distinction qui soit à faire est relative à ce partage même entre les acheteurs.
1re Hypothèse. Si, au moment où le vendeur veut exercer le retrait, le partage n'a pas encore eu lieu, il l'exerce, à son gré soit contre un ou plusieurs des ache teurs, séparément, pour la part indivise de chacun, soit conjointement contre tous.
Dans le premier cas, le vendeur, prenant la place de celui ou de ceux qu'il désintéresse, devient copropriétaire des autres ; dans le second, il redevient propriétaire unique, comme il l'était avant la vente.
2e Hypothèse. Si le partage entre les acheteurs a déjà été effectué, le retrait s'exercera de manière à ne pas produire un nouveau morcellement de la propriété : le vendeur respectera ce partage et il ne pourra reprendre à chacun ni plus, ni moins, ni autre chose que ce qui lui est échu par le partage ou par la licitation, et cela, sans distinguer par qui le partage a été provoqué, ni si le vendeur y a été appelé on non, car les acheteurs tenant tous du vendeur droit de copropriété, tenaient aussi de lui le droit de partager.
§ III. — DE L'ACTION RÉDHIBITOIRE POUR VICES CACHÉS.
Art. 94. Les vices cachés de la chose vendue ne doivent pas être considérés comme constituant un cas spécial de garantie : la garantie suppose plutôt un danger menaçant qu'un dommage consommé ; la garantie est l'obligation pour un contractant de préserver l'autre de ce danger, et ce n'est que subsidiairement et lorsque le dommage n'a pu être évité, que la réparation devient à son tour l'objet de la garantie ; c'est ce qui a lieu dans le cas du danger d'éviction déjà rencontré ; c'est aussi une véritable garantie que se doivent respectivement les codébiteurs solidaires et les débiteurs d'une dette indivisible (art. 398).
Mais lorsque la chose vendue a des vices cachés, l'acheteur les découvrant ne demande pas au vendeur de les prévenir, puisqu'ils existent, ni de les faire cesser, puisqu'ils sont supposés “irrémédiables”: il demande la réparation du dommage qu'il:en éprouve, et cette réparation pourra être la résolution de la vente, sous le nom spécial de rédhibition, ou la diminution du prix et, dans tous les cas, des dommages-intérêts.
C'est la nature principale de cette réparation qui a fait placer dans cette Section l'action dite “rédhibitoire.” Il est cependant traité ensuite de l'action qui ne tend qu'à faire obtenir à l'acheteur une diminution du prix ou des dommages-intérêts ; mais cette action est secondaire, moins considérable dans son effet, et il était naturel de la réunir à la principale.
Si l'on voulait trouver une véritable action en garantie, à raison des vices cachés, il faudrait supposer justement le cas exclu ici, celui où les vices seraient facilement réparables ou remédiables ; alors, l'acheteur pourrait demander au vendeur de les corriger, de rétablir la chose vendue dans l'état où elle aurait dû être ; tel serait le cas d'une machine à vapeur, d'un instrument de musique, d'une horloge, qui ne fonctionnerait pas correctement ou même ne fonctionnerait pas du tout: assurément, en pareil cas, l'acheteur, non-seulement pourrait demander la réparation, la mise en état de fonctionnement de la chose vendue, mais même il devrait l'accepter, si le vendeur l'offrait, et renoncer à l'action rédhibitoire, car il y aurait mauvaise foi de sa part à chercher à se soustraire aux obligations de la vente, sons prétexte d'un dommage momentané et facilement réparable.
L'observation qui précède est importante, parce qu'elle sert en même temps de justification à l'un des caractères exigés par le texte dans le vice de la chose pour que l'action rédhibitoire soit possible, c'est que le vice soit “irrémédiable."
Continuant l'analyse de notre premier article, nous y voyons que le vice doit être “non apparent cette expression est préférable à celle plus usitée de “vice cache, parce que le mot caché pourrait faire croire que le vice a été dissimulé à dessein par le vendeur ; or, cette condition n est nullement nécessaire : il peut arriver que le vendeur ait ignoré lui-même le vice de la chose vendue et cela ne l'exempte pas d'une certaine responsabilité.
On verra, du reste, qu'il y a intérêt à distinguer la bonne ou la mauvaise foi du vendeur, c'est-à-dire son ignorance ou sa connaissance du vice ; sa position sera même encore plus mauvaise, si, connaissant le vice, il l'a dissimulé par quelque artifice,
La loi ne se contente pas que ces vices soient “non apparents,” elle a encore soin d'exiger que “l'acheteur les ait ignorés,” car s'ils lui avaient été révélés par quelqu'un ou par une circonstance fortuite, il ne mériterait plus le secours de la loi : de même si, en sens inverse, les vices étaient apparents et que l'acheteur les eût ignorés, faute d'avoir suffisamment examiné la chose, il ne pourrait imputer qu'à lui-même la perte qu'il éprouve, en supposant d'ailleurs que le vendeur n'ait commis aucun dol pour empêcher l'examen de la chose par l'acheteur.
Mais il faut encore que ces vices aient une gravité sérieuse pour donner lieu à l'action rédhibitoire. La loi l'exprime en supposant, soit que la chose se trouve devenue impropre à l'usage auquel elle était destinée, soit que cet usage est tellement diminué que l'acheteur n'aurait pas acheté, s'il avait connu les vices.
La loi a encore soin d'exprimer qu'il ne s'agit pas d'un usage particulier auquel l'acheteur aurait tacitement destiné la chose : il faut que cette destination résulte “de la nature de la chose,” ou, si l'acheteur lui donne une destination particulière, il faut qu'elle ait été annoncée au vendeur et admise par lui comme possible.
Ainsi, l'acheteur d'un cheval de selle, l'aurait destiné à être attelé, sans en informer le vendeur, il ne pourrait se plaindre ensuite qu'il fût impropre à cet usage ; il ne suffirait même pas qu'il eût informé le vendeur de son intention, parce que celui-ci pourrait n'avoir pas fait à cette déclaration une attention suffisante pour la combattre ; mais si le vendeur a approuvé cette destination c'est une sorte d'assurance que la chose y est propre, c'est l'acceptation d'une responsabilité spéciale.
Etant donnés ces caractères et cette gravité des vices de la chose vendue, l'acheteur a droit à la rédhibition ou reprise de la chose par le vendeur.
Il v a de particulier dans cette résolution de la vente que, tandis que, dans les autres cas, on a vu que c'est le vendeur qui demande à recouvrer sa chose, soit faute de payement, soit par la faculté de retrait, ici, c'est l'acheteur qui demande à la rendre, à la faire reprendre : c'est pour lui une variété de la résolution pour inexécution des conditions du contrat ; car, bien que le vendeur ne soit pas tenu, comme le bailleur, de fournir un usage et une jouissance future et continue de la chose vendue, il doit au moins fournir les éléments actuels de la jouissance future, c'est-à-dire que la chose doit être en état de service normal, ou au moins, elle, a des défauts graves, il faut qu'ils aient pu être connus et acceptés.
La vente étant résolue par l'effet de l'action rédhibitoire, l'acheteur doit recouvrer son prix, s'il l'a déjà payé, ou il en est libéré, dans le cas où il jouissait d'un terme. Il doit être aussi remboursé des frais du contrat, car c'est une dépense dans laquelle le vendeur l'a entraîné sans cause légitime.
S'il y a eu mauvaise foi du vendeur, l'acheteur a des dommages-intérêts, comme il est établi plus loin.
A l'égard des intérêts du prix payé, la rigneur des principes voudrait qu'ils fussent remboursés à l'acheteur avec le capital et que, de son côté, il payât quelque chose au vendeur pour la jouissance ou l'usage, même imparfait, qu'il a eu de la chose ; mais, dans un but de simplification des comptes, la loi ordonne que les intérêts se compensent avec la jouissance ou l'usage. S'il s'agissait d'une résolution expressément ou tacitement convenue, la loi pourrait exiger un compte rigoureux des intérêts et des fruits, et encore elle le subordonnerait à l'intention des parties (Liv. des Biens art 412). Mais lorsqu'il s'agit de détruire un contrat par dérogation au droit commun, et lorsque l'action est déjà considérée comme un mal nécessaire, il est naturel que la loi la simplifie autant qu'il est possible.
Toutefois, la loi ne pouvait raisonnablement admettre la compensation jusqu'au jour du jugement, encore moins jusqu'au jour de son exécution : la compensation s'arrête au jour de la demande.
La loi n'exprime pas que l'acheteur a le droit de rétention de la chose jusqu'au parfait payement de ce (qui lui est dû; mais la solution n'est pas douteuse, car, outre que ce droit de rétention sera ultérieurement établi comme sûreté réelle “dans tous les cas où un créancier détient la chose à raison de laquelle sa créance est née,” il y a ici une cause toute particulière de protéger l'acheteur, c'est que l'action rédhibitoire est créée en sa faveur.
Art. 95. C'est à l'acheteur, comme demandeur, à prouver l'existence des vices de la chose et leurs caractères nécessaires pour fonder son action rédhibitoire; il doit en prouver la gravité : spécialement, la suppression d'utilité de la chose ou une diminution d'utilité telle qu'il n'aurait pas acheté s'il avait connu ces vices.
S'il ne réussit pas à faire cette preuve, il est réduit à demander une diminution de prix et toujours en justifiant du degré de préjudice qu'il éprouve Mais il peut aussi, lors même qu'il serait fondé à exercer l'action rédhibitoire, s'en tenir à l'action en diminution de prix : il est possible, en effet, qu'il ait déjà pris des dispositions pour l'usage de la chose ou qu'il veuille éviter les embarras et les lenteurs de la recherche d'une autre chose Dans le cas où l'acheteur s'en tient à une diminution de prix, il ne recouvre rien des frais du contrat, puisque le prix étant ramené à ce qu'il aurait été au jour du contrat, la vente n'est plus nulle.
La question de preuve de la moins-value est réglée par l'article 98.
Art. 98. L'annulation de la vente ou la diminution du prix n'indemniserait pas toujours suffisamment l'acheteur.
Ainsi, supposons qu'il obtienne l'annulation de la vente, il lui faudra se procurer une autre chose, avec difficulté peut-être, et pour un prix plus élevé qu'il ne l'eût payée antérieurement; s'il a pris lui-même des engagements qu'il ne pouvait remplir qu'avec la chose vendue, il peut manquer à gagner et même encourir une certaine responsabilité envers des tiers. L'action en diminution de prix ne l'indemnise pas non plus en entier ; dans la même hypothèse, la chose conservée peut ne pas suffire à lui permettre de remplir ses engagements.
Mais les dommages-intérêts seront encore plus faciles à justifier, si nous supposons que la chose a causé chez l'acheteur des dommages directs aux biens ou aux personnes ; ce qui arrivera, si la vente a eu pour objet un animal vicieux, une voiture en mauvais état, une machine à vapeur dont quelques parties non visibles étaient détériorées. Le cas le plus simple serait celui d'une tête de bétail atteinte d'une maladie contagieuse non encore apparente et qui aurait été communiquée à tout ou partie d'un troupeau de l'acheteur. On peut citer encore un vase, un tonneau vendu qui, ayant contenu des. acides, sans odeur qui les révélât, gâterait le vin, l'huile ou toute autre substance qui y aurait été introduite.
Si la loi ne statuait spécialement ici sur le règlement de l'indemnité, on appliquerait le droit commun, on distinguerait entre la bonne et mauvaise foi du vendeur, mais la bonne foi n'excluant pas la possibilité d'une faute, on pourrait imputer à faute au vendeur d'avoir ignoré les vices de la chose qu'il vendait : il n'y aurait de différence entre la bonne et la mauvaise foi que quant à l'étendue de la responsabilité pouvant aller, au cas de mauvaise foi, jusqu'aux dommages imprévus et impossibles à prévoir (v. Liv. des Biens, art. 385).
Mais la loi, pour éviter des recours des vendeurs les uns contre les autres, ne soumet le vendeur de bonne foi qu'à la restitution du prix et des frais ou à la diminution du prix, et il restreint la responsabilité des autres dommages et pertes an cas de mauvaise foi. Dans ce dernier cas, les tribunaux devront être encore plus sévères pour le vendeur qui, par dol aura dissimulé les vices de sa chose que pour celui qui, les connaissant, se sera borné à ne les pas révéler.
Art. 97. La responsabilité par le vendeur des vices cachés de la chose est naturelle et non essentielle à la vente, elle peut donc être exclue par une clause spéciale; à plus forte raison, pourrait-elle être limitée dans ses cas d'application et dans ses effets, comme elle pourrait être étendue et appliquée, par exemple, à des vices apparents que le vendeur prétendrait momentanés et dont il garantirait la prompte cessation.
La convention pourrait aussi avoir pour objet de régler à forfait le montant de l'indemnité.
Tout ceci étant l'application du droit commun n'a pas besoin d'être exprimé par la loi. Mais elle devait apporter une limite à l'affranchissement de la responsabilité du vendeur, lorsqu'il a commis un dol, en dissimulant par artifice des vices qu'il connaissait. Le seul fait de les avoir connus, qui suffirait pour lui en faire encourir la responsabilité dans le cas ordinaire, ne suffit plus, lorsqu'il a stipulé qu'il ne devrait pas de garantie : la loi veut encore qu'il ait contribué à en empêcher la découverte par l'acheteur ; les vices étaient sans doute apparents de leur nature et c'est l'artifice du vendeur qui les a rendus non apparents ; il serait inique qu'il pût s'affranchir de la responsabilité de son dol par une stipulation expresse de “non-garantie.“
Art. 98. La disposition de cet article ne présente pas de difficulté ; elle pourrait, à la rigueur, être omise, puisqu'au lieu de limiter le mode de preuve des divers points en litige, il déclare admissibles toutes les preuves de droit commun. Mais on aurait pu croire que l'expertise serait nécessaire pour établir les vices de la chose ; or, ce sera sans doute le moyen le plus usité, en fait ; mais, en droit, les autres moyens ne doivent pas être exclus. Ainsi, il y a des cas où l'expertise sera devenue impossible et où le témoignage restera tout naturellement admissible : par exemple, s'il s'agit d'un animal déjà malade lors de la vente et mort, peu de jours après, chez l'acheteur, après y avoir causé la maladie d'autres animaux de même espèce: des témoins dignes de foi peuvent attester ces faits.
Quant à la mauvaise foi du vendeur, à l'étendue des dommages qu'il doit réparer de ce chef et à la connaissance des vices par l'acheteur, laquelle lui ôte le droit de se plaindre, il est naturel que toutes les preuves en soient admissibles.
Art. 99. La loi règle ici avec quelques détails le délai des actions relatives aux vices cachés; elle le fait varier avce l'objet vendu, suivant qu'il s'agit d'un immeuble, d'un animal, ou de toute autre objet mobilier.
Le délai ne se compte pas du jour de la vente, mais de celui de la livraison, parce que c'est seulement lorsque l'acheteur est en possession de la chose qu'il en peut connaître les vices.
D'un autre côté, le délai n'a cette durée que pour permettre à l'acheteur de découvrir les vices cachés, pour qu'il ait l'occasion probable d'en avoir connaissance ; si donc, il acquiert cette connaissance à un moment assez rapproché de la livraison, il n'y a pas de motif de lui laisser un délai aussi long et il est réduit de moitié, en supposant que ce qui reste à courir excède cette durée ; autrement, l'action s'éteindrait avec le reste du délai.
Ce serait au vendeur à prouver, quand il y a intérêt, que l'acheteur a acquis la connaissance des vices.
En sens inverse, il est possible que, par suite de circonstances exceptionnelles ou de la nature de la chose, l'acheteur n'ait pas eu, pendant un certain temps, la possibilité de découvrir le vice caché; dans ce cas, il est juste que la loi lui vienne en aille et que le délai puisse être prorogé par le tribunal, c'est-à-dire que l'action soit reçue nonobstant l'expiration du délai.
Comme application de cette exception, on peut citer le cas, rare sans doute, d'un terrain destiné à la culture, qui serait exposé à des inondations graves par suite de l'éboulement récent d'une montagne obstruant une rivière : la vente pourrait avoir été faite longtemps avant l'époque des grandes pluies ou de la fonte des neiges et si cette époque se trouvait encore distante de plus de 6 mois lors de la livraison, ou si elle avait été retardée par une cause naturelle, connue ou inconnue, il serait juste de relever l'acheteur contre la déchéance.
Pour les meubles, il serait plus difficile de donner un exemple pratique et qui ne présentât pas de négligence chez l'acheteur.
On pourrait supposer pourtant un objet mobilier qui, ayant été volé chez l'acheteur, peu de jours après la livraison et avant que celui-ci ait eu le temps d'en connaître les vices, n'aurait été recouvré qu'après l'expiration des trois mois donnés pour l'action. Mieux encore serait le cas de semences vendues longttmps avant l'époque des semailles et qui auraient, en tout ou en grande partie, manqué à germer, quoiqu'ensemencées dans de bonnes conditions.
Mais on n'admettrait pas qu'il y eût lieu à la prorogation du délai par suite d'une cause d'empêchement tout personnelle à l'acheteur, comme une maladie, une absence, même fondée sur un service public: en pareil cas, comme il est toujours possible de charger un mandataire des intérêts qui pourraient souffrir, il n'y a pas lieu à prorogation des délais ni à relèvement contre ht déchéance. C'est déjà une dérogation exceptionnelle au droit commun que celle qui permet ici de proroger le délai pour cause majeure ; cette exception se justifie par la brièveté du délai de l'action qui nous occupe, mais elle ne doit pas être exagérée.
Art. 100. Il fallait prévoir le cas où l'acheteur aurait aliéné la chose vendue avant d'en avoir découvert le vices, ou l'aurait aliénée après les avoir découverts, mais avant d'avoir exercé l'action rédhibitoire ou celle en diminution de prix.
Il ne fallait pas considérer cette aliénation comme enlevant à l'acheteur le droit de se plaindre, ainsi que cela a lieu dans le cas des autres acquisitions annulables (v. Liv. des Biens, art. 556). D'abord, au cas où le vice caché n'est pas encore découvert, on ne peut pas dire que l'aliénation emporte ratification tacite de la vente, et lorsque le vice était déjà connu, l'aliénation peut n'avoir été pour l'acheteur qu'un moyen prudent d'éviter une plus grande perte.
Toutefois, 1 aliénation enlève à l'acheteur l'une des deux actions, celle en rédhibition, parce qu'il ne peut faire reprendre par le vendeur une chose qu'il ne peut plus lui rendre. Mais il conservera l'action en diminution de prix.
La loi fait à cet égard une distinction entre les modes gratuits d aliénation et ceux à titre onéreux : si l'aliénation a été gratuite, l'acheteur a toujours le droit de demander une diminution du prix, parce qu'il n'a pas eu la satisfaction de gratifier son donataire autant qu'il l'aurait pu, si la chose n'avait pas eu de vice ; si l'aliénation a eu lieu à titre onéreux, l'acheteur devra établir on qu'il a subi une perte sur l'aliénation, en recevant un équivalent moindre que celui qu'il a fourni antérieurement à son vendeur (cela suppose que le vice a été reconnu lors de cette nouvelle aliénation), ou qu'il est maintenant actionné lui-même ou en danger de l'être par celui auquel il a cédé.
Art. 101. La perte totale de la chose résultant d'un cas fortuit ou d'une force majeure met obstacle, en principe, à l'exercice des deux actions : de l'action rédhibitoire, d'abord, parce qu'il serait impossible de faire reprendre par le vendeur une chose qui n'existe plus, ensuite, parce qu'il serait bien difficile, après la perte de la chose, de vérifier si elle était ou non affectée d'un vice de la nature qui fonde cette action; pour ce dernier motif, l'action en diminution de prix cesse elle-même d'être recevable.
Comme la perte d'une chose peut n'être pas totale, mais presque totale, et qu'il faut une limite légale entre la perte totale et la perte partielle, la loi suit ici une règle qu'elle a posée d'une manière générale pour la perte d'une chose affectée de droits conditionnels (Liv. des Biens, art. 419) : la perte de plus de moitié de la chose est assimilée à la perte totale et retombe sur l'acheteur dont le droit est actuel et soumis à une condition résolutoire; la perte de moins de moitié est considérée comme une simple détérioration et retombe sur le vendeur qui a conservé un droit sous condition suspensive.
La loi excepte naturellement le cas où la chose aurait péri ou subi une détérioration par l'effet même du vice caché dont elle était affectée : il est clair qu'alors l'acheteur conserve tous ses droits dans la mesure où ils peuvent encore s'exercer : s'il n'y a que perte partielle ou détérioration, l'acheteur, optant entre les deux actions, ou rendra ce qui reste et recouvrera tout son prix, avec indemnité supplémentaire, s'il y a lieu, ou obtiendra une diminution du prix ; s'il y a perte totale, i! recouvrera tout son prix et les frais de contrat, sans avoir rien à restituer.
L'acheteur aura, il est vrai, la charge de prouver que la perte ou la détérioration provient du vice de la chose ; on a dit que cela peut être difficile après la perte ; mais, quand cette perte provient elle-même du vice, il y aura sans doute un concours de circonstances favorables à cette preuve et que feront ressortir les témoignages ou l'expertise.
Art. 102. Lorsqu'il s'agit d'une action fondée suides vices cachés, la publicité des enchères ne suffit pas à révéler ces vices : autrement, on pourrait dire qu'ils n'étaient pas cachés et ce ne serait pas par exception que l'action cesserait d'être recevable, mais parce que la condition essentielle n'en serait pas remplie.
Il n'y a qu'une seule sorte de vente publique qui, par sa nature, doive empêcher l'action rédhibitoire, c'est la vente forcée où sur saisie; le motif de cette exception est que dans cette vente, on ne peut reprocher au saisi d'avoir gardé le silence sur les vices de sa chose, parce qu'il n'en est pas, à proprement parler, vendeurs on ne peut non plus faire ce reproche aux saisissants, parce qu'ils ne sont pas non plus vendeurs véritables et, en tout cas, parce que, le plus souvent, ils ignorent et ne peuvent connaître les vices cachés que pourrait avoir la chose saisie.
Bien entendu, pour que les ventes forcées soient à l'abri de l'action rédhibitoire il faut, comme notre texte l'exige, que les formes légales en aient été observées.
Art. 103. Les vices cachés sont plus fréquents dans les animaux domestiques que dans les autres objets mobiliers ; ils y sont aussi plus difficiles à découvrir, parce que ce sont des maladies presque toujours internes et qui ne se révèlent à l'extérieur qu'après un certain temps d'incubation.
Ce qui est surtout difficile c'est, lorsque la maladie éclate chez l'acheteur, de prouver qu'elle existait déjà en germe avant la vente.
Au Japon, comme dans la plupart des pays étrangers on reconnaîtra sans doute la nécessité de faire une loi spéciale pour la vente de certains animaux et même de certaines denrées, spécialement pour celles qui sont destinées aux semailles.
Mais ce n'est pas dans le Code civil qu'il convient de placer ces dispositions : en cette matière plus qu'en toute autre, l'expérience suggérera des modifications successives peu compatibles avec la fixité désirable dans la loi civile générale.
SECTION IV.
DE LA LICITATION.
Art. 104. — La loi commence par dire quand il y a lieu à la licitation. C'est évidemment quand il n'y a pas partage en nature. L'obstacle que la loi suppose à ce partage est “le refus par un des copropriétaires de procéder au partage en nature.”
En se contenant du refus d'un seul des propriétaires de partager en nature, la loi simplifie la solution et elle ne nuit pas aux parties, car l'un des copropriétaires ne se trouvera pas forcé d'avoir malgré lui une portion de la chose commune, et ceux qui désirent avoir la leur pourront acquérir tout sur la licitation.
La licitation ou vente aux enchères n'est pas, dans ce cas, le seul moyen de remplacer le partage en nature : les parties peuvent faire une vente à l'amiable, soit à un tiers, soit même à l'une d'entre elles; ce ne serait pas une licitation, puisqu'il n'y aurait pas d'enchères, quoique le prix fût débattu, peut-être avec plusieurs.
Bien entendu, pour qu'il y ait ainsi vente amiable, il faut supposer que tous les copropriétaires sont présents et capables ou maîtres de leurs droits. L'article suivant supposera le cas contraire.
La loi termine en disant que le prix sera distribué entre les copropriétaires dans la mesure de leur droit ou de leur part dans la chose. Cela ne demande pas de justification.
Art. 105. La loi arrive maintenant au cas où les enchères publiques sont inévitables ; les parties n'ont pu se mettre d'accord pour aucun des trois actes déjà indiqués : vente amiable à un tiers, vente amiable à l'un des copropriétaires, licitation entre eux seuls ; ces résultats peuvent même n'avoir pu tentés parce qu'un ou plusieurs des copropriétaires étaient absents ou incapables ; alors il ne reste plus que la licitation publique.
Elle est deux fois publique : 1° par la présence des étrangers, 2° par les publications préalables qui seront empruntées aux ventes forcées sur saisie.
La licitation publique se fera en principe devant le tribunal. C est le Code de procédure civile qui ajoute les détails nécessaires.
Comme il est juste que tous les moyens licites soient employés pour faire monter les enchères le plus haut possible, parce que c'est le meilleur moyen que la chose soit vendue a sa véritable valeur, la loi autorise chacun des propriétaires à exiger l'admission des étrangers à concourir, et cette admission est nécessaire lorsque l'un d'eux est incapable ou absent.
La loi n'indique pas la sanction de cette condition, mais c'est évidemment la nullité contre l'acquéreur, car, lorsque les formes et conditions prescrites pour les actes intéressant les incapables n'ont pas été observées, la sanction est la nullité ou rescision (voy. Liv. des Biens, art. 547).
Il va sans dire que si, dans ce cas, il n'était pas venu d'étrangers malgré les affiches et annonces légales, la vente ne serait pas annulable pour ce seul fait, dès qu'il n'aurait été pratiqué aucune manœuvre ou artifice pour les éloigner ; mais pratiquement, on devra, dans ce cas, ajourner la vente, tant dans l'intérêt des incapables que pour dissiper tout soupçon de fraude.
Art. 106. Pour que la licitation ait le caractère d'une vente, il faut que l'adjudication ou attribution du bien au plus fort enchérisseur, ait lieu au profit d'un étranger : si elle a lieu au profit d'un des copropriétaires eux-mêmes, ce n'est plus une vente mais un partage, dont les effets sont fort différents de ceux de la vente qui sont maintenant connus ; ceux du partage ne le sont pas encore dans leur ensemble ; on a seulement signalé l'un d'eux, le plus remarquable, il est vrai, dans l'article 14 du Livre des Biens.
Ce n'est pas à la matière des Successions que le Code japonais doit rattacher le siége de la théorie du partage : les successions étant déférées à un seul héritier, ordinairement à l'aîné des enfants légitimes ou adoptifs, il ne peut être question de partager les biens du défunt ; il est donc nécessaire de placer la théorie du partage dans une matière qui la comporte nécessairement, en tout temps et en tous lieux, c'est-à-dire dans celle de la Société.
Pour donner un intérêt immédiat à notre article, nous indiquerons, dès à présent, sans développements deux différences entre la vente et le partage.
1° La vente est translative de propriété au moment où le contrat est parfait, tandis que le partage est déclaratif d'une propriété antérieure remontant à l'acte qui a constitué l'indivision.
Cette différence est la plus importante comme application de notre présent article : si la chose indivise est acquise en entier par l'un des copropriétaires, il la reçoit franche et quitte des droits conféres par ses copropriétaires pendant l'indivision ; si c'est un tiers qui est l'acquéreur, il reçoit la chose telle qu'elle se trouve, grevée des droits qui ont pu être conférés antérieurement par chaque propriétaire sur sa part indivise et dans la mesure de cette part.
2° La vente d'immeuble est toujours soumise à la formalité de l'inscription : le partage n'y est soumis que lorsqu'il fait naître des créances garanties par un privilége sur le bien partagé (v. Liv. des Garanties).
Il y a aussi des points communs ou de ressemblance entre la vente et le partage.
1° Ce sont deux actes à titre onéreux : pour la vente, il n'est pas besoin de le démontrer et, pour le partage, lors même qu'il n'est pas fait par contrat, mais par autorité de justice, et bien qu'il ne soit pas translatif de propriété, il n'en produit pas moins des effets réciproques pour les parties dont chacune fait un sacrifice.
2° Le partage, comme la vente, produit l'obligation de garantie d'éviction, si l'une des parties y reçoit un objet appartenant à autrui ; dans le cas de licitation, nous supposerions que la chose que les parties crevaient indivise entre elles et qui a été adjugée à l'une d'elles appartenait à un tiers pour le tout ou pour une portion.
3° Le partage, comme la vente, donne un privilège sur l'immeuble licité, pour sûreté du prix de licitation dû par l'adjudicataire.
Ces ressemblances et ces différences suffisent à prouver qu'il y a un grand intérêt à distinguer si la licitation a le caractère d'une vente ou celui d'un partage, c'est-à-dire si elle a eu lieu en faveur d'un étranger ou en faveur d'un des copropriétaires.
CHAPITRE IV.
DE L'ÉCHANGE.
Art. 107. Quoique l'échange soit toujours placé, dans les lois civiles, à la suite de la Vente et qu'il y puise presque toutes ses règles, par forme de renvoi, ce qui ne lui donne qu'une importance secondaire (v. art. 109), il n'en est pas moins plus ancien que la vente, si l'on se reporte à l'origine des sociétés.
La vente n'est autre chose que l'échange d'une chose contre de l'argent monnayé. Mais il peut arriver que les particuliers recourent encore aujourd'hui à l'échange véritable, au troc direct : il se peut que l'une d'elles, désirant acquérir la chose de l'autre, par exemple sa maison ou son terrain, puisse en même temps disposer d'une chose qui plaît à celle-ci ; dans ce cas, il est inutile de recourir à la vente, car il faudrait deux ventes réciproques : on fait alors un échange direct des deux choses.
La définition de l'échange par notre premier article indique que l'échange n'opère pas toujours réciproquement d a t i o n ou translation de propriété : il y a également échange dans une promesse réciproque appliquée à des choses fongibles ou de quantité dont la propriété ne serait acquise par la livraison, jusqu'à laquelle il n'y a “qu'obligation de donner.”
Au surplus, ce contrat ne se limite pas à l'échange de propriété, il s'étend à tous autres droits ; ainsi, on peut échanger la propriété d'une chose avec un usufruit ou avec une servitude et même un de ces trois droits réels contre un droit personnel ou de créance déjà créé vis-à-vis d'un tiers.
Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à considérer comme échange la translation d'un droit réel contre une promesse de services, contre une obligation de faire ou de ne pas faire, encore moins la promesse de services d'une nature contre des services d'une autre nature : quand on parle le langage de l'économie politique, on emploie beaucoup l'expression “échange de services” ; mais, en droit, le mot é c h an ge est technique et il ne s'applique, même dans le sens le plus large que les modernes puissent lui donner, que lorsque les droits conférés respectivement existent déjà dans le patrimoine de chaque partie : c'est alors seulement qu'ils sont transmis, cédés.
C'est pourquoi lorsque nous avons supposé plus haut que l'une des contre-valeurs fournies est une créance, cette créance existe déjà contre un tiers : elle est alors dans le patrimoine de la partie qui la fournit, ce qui ne serait plus exact si elle promettait de fournir ses services futurs, lesquels n'existent encore que comme puissance ou faculté d'agir. De même, si l'avantage fourni en contre-valeur était la libération d une dette accordée à celui qui transfère un droit réel, il n'y aurait pas échange, parce que celui qui libère son débiteur ne transfère pas à celui-ci le droit personnel auquel il était soumis : il se dépouille et ne transfère rien.
Mais dans ces divers cas, s'il n'y a pas échange proprement dit, il y a toujours un contrat licite auquel il ne manque qu'un nom, et c'est justement pourquoi on l'appelle contrat innommé (voy. Liv. des Biens, art. 363).
Lorsque l'échange se fait purement et simplement, d'un droit pour un autre, c'est que les parties considèrent les deux droits comme ayant pour chacune d'elles une égale valeur ou une égale utilité, et il faut reconnaître que les parties sont les meilleurs juges de ce qui leur est utile, agréable ou avantageux.
Mais quelquefois, les parties reconnaissent, d'un commun accord, que l'un des droits est inférieur à l'autre en valeur, et l'inégalité est alors compensée en argent ou autrement. Lorsque la compensation est en argent, on l'appelle soulte. Si elle consistait en autres objets mobiliers ou immobiliers, ces objets seraient eux-mêmes échangés et il n'y aurait à les considérer comme un complément de l'échange que parce qu'ils auraient un caractère accessoire, leur faisant suivre le sort du principal .
Si la valeur complémentaire de l'échange consistait dans des services à fournir ou dans la libération d'une dette antérieure, bien qu'on ne puisse plus dire, à proprement parler, que ces divers avantages sont échangés (ce qui serait, comme on vient de le faire remarquer, forcer le sens du mot), cependant, comme ils ne sont que les accessoires d'un échange véritable, le contrat conserverait ce nom; de même que, si la soulte en argent était inférieure aux objets fournis en échange, le contrat ne deviendrait pas une vente, même pour partie.
Au contraire, si ces services ou la soulte en numéraire sont eux-même la partie principale, le contrat est innommé dans le premier cas et une vente dans le second. Telle est la disposition finale de notre présent article.
C'est surtout le dernier article de la matière qui indiquera l'intérêt qu'il y a à ne pas confondre l'échange avec la vente.
Art. 108. La garantie a lieu dans l'échange comme dans la vente et comme dans les autres contrats à titre onéreux (voy. Liv. des Biens, art. 395 et 396) ; si la loi la mentionne ici, ce n'est pas seulement à cause de son importance, c'est encore pour ce qu'elle présente de particulier. En effet, si l'un des co-échangistes n'est pas seulement troublé dans la jouissance des droits qui lui ont été promis, s'il en est évincé ou s'il acquiert la preuve que ces droits ne lui ont pas été confértés, il n'a pas seulement, comme un acheteur en pareil cas, le droit de se faire indemniser en argent : il peut aussi, s'il le préfère (et il y aura souvent intérêt), faire résoudre le contrat pour inexécution des obligations et recouvrer en nature la chose qu'il a donnée ; s'il avait fourni une soulte en argent, il la recouvrerait également ; le tout, avec dommages-intérêts, si la privation de la chose promise lui cause des pertes accessoires.
En général, l'action résolutoire, tendant à faire rentrer un bien dans le patrimoine de celui qui l'a aliéné, s'exerce contre les sous-acquéreurs, au moins lorsqu'il s'agit d'immeubles, car, pour ce qui est des meubles, la possession des tiers de bonne foi les met à l'abri de la revendication, sous quelque forme qu'elle se présente. Tel est, pour les immeubles, l'effet du principe souvent rappelé que “nul ne peut conférer plus de droits qu'il “n'en lui-même ou des droits plus stables que les “siens propres.”
Autrefois, le principe était appliqué dans toute sa rigueur et en toute matière ; mais dans les temps modernes, on a reconnu la nécessité de donner plus de stabilité à la propriété foncière et, par suite, plus de crédit aux propriétaires d'immeubles ; de là un système de publicité des droits réels immobiliers et une sécurité pour les acquéreurs qui ont publié en bonne forme, par l'inscription, des actes valables au moment où ils ont été passés. On conçoit donc que le système n'atteindrait pas son but, si des tiers-acquéreurs pouvaient être évincés par des causes de résolution qu'ils n'ont pu prévoir en contractant.
Lorsqu'il s'agit de résolution pour inexécution des obligations par un précédent acquéreur, les sous-acquéreurs peuvent, en général, avant de traiter, s'assurer qu'elles ont été remplies ; c'est ce qui arrive pour les cessionnaires d'un acheteur qui, sachant par l'inscription de l'acte de vente originaire “que le prix était dû en tout ou en partie,” ne doivent eux-mêmes payer le leur qu'entre les mains du premier vendeur, s'il n'a pas été désintéressé jusque-là par l'acheteur. Il ne est de même pour les autres obligations légales et conventionnelles que les sous-acquéreurs ont su être à la charge de leur auteur.
Le principe doit-il s'appliquer à l'échange, lorsque l'une des parties n'a pas rempli ses obligations ?
D'abord, s'il y avait une soulte à payer, comme complément de la valeur d'un immeuble, et qu'elle eût été révélée par l'inscription de l'échange, le sous-acquéreur dudit immeuble ne pourrait nier que la résolution lui fût opposable, puisqu'il a pu, avant de contracter, s'assurer si la soulte avait été ou non payée.
On pourrait donner la même solution pour tout autre complément d'échange qui aurait été promis : le sous-acquéreur pourrait au moins s'assurer que son cédant a donné quittance de ce qui lui a été promis.
Mais, parmi les obligations des co-échangistes, et même en première ligne, se trouve celle de transférer la propriété des choses fournies par chacun : si elle n'est pas remplie, le coéchangiste qui les a reçues est exposé au danger d'éviction ; de là pour lui un nouveau droit à la résolution.
C'est ici que l'on peut douter qu'elle doive, en raison, l'exercer contre les sous-acquéreurs. En effet, ont-ils la meme facilité que dans les autres cas de connaître le danger d'éviction, cause de la résolution, ou de s'assurer qu'il n'existe pas ?
Par exemple, Primus a échangé son immeuble A contre l'immeuble B présenté à tort par Secundus comme lui appartenant et Primus est évincé dudit immeuble : si, à ce moment, l'immeuble A est encore clans les mains de Secundus, il sera recouvré par Primus, au moyen de la résolution ; mais si l'immeuble A était déjà aliéné par Secundus à Tertius, la résolution ne pourrait atteindre ce dernier. Comment Primus, en effet, pourrait-il imputer à faute à Tertius de n'avoir pas connu chez Secundus le défaut de droit de propriété sur l'immeuble B, cause de l'éviction, lorsqu'il s'y est trompé lui-même ?
Le texte décide donc, par une disposition qui mérite attention, que l'action résolutoire n'atteindra pas les tiers qui ont acquis des droits réels sur les immeubles sujets au retour par l'action résolutoire, lorsque la publication de leur titre d'acquisition a précédé celle de la demande en résolution.
Cette disposition protectrice des droits des tiers de bonne foi se retrouvera chaque fois que les tiers-acquéreurs se seront conformés à la loi sur la publicité des droits immobiliers et qu'on n'aura aucune négligence à leur reproche. Si le législateur n'entre pas résolument dans cette voie, tout le système de la publicité des droits réels perd sa valeur ; s'il se trouve des cas, si peu nombreux qu'ils soient, où un tiers ayant valablement acquis un immeuble puisse en être dépouillé pour une cause antérieure qu'il n'a pu prévoir, la propriété foncière sera dépréciée, elle perdra tout crédit et l'obligation de faire l'inscription ne sera plus qu'une mesure abusive, onéreuse et vexatoire.
On a décidé de même pour l'action en rescision fondée sur le dol (Liv. des Biens, art 312, dern. al.) Si l'on n'a pas cru pouvoir proposer la même protection pour les sous-acquéreurs en face d'une rescision pour erreur ou même pour violence (v. Liv. des Biens, 553), c'est par respect pour une tradition immémoriael. Il faut compter parmi les causes de rescision opposables aux tires celles fondées sur l'incapacité, parce que les tiersacquéreurs ont pu, avant de traiter avec le cessionnaire, s'assurer de la capacité de son cédant.
Art. 109. La vente et l'échange ayant le même but et ne différant au fond que par le moyen de l'atteindre, c'est-à-dire par la nature de l'une des deux valeurs fournies respectivement, il est naturel que les deux contrats suivent, en principe, les mêmes règles générales. La loi n'a eu qu'à déterminer les exceptions; nous aurons à les justifier.
1. Indiquons d'abord, sans développements, sinon toutes les règles communes à ces deux contrats, au moins les principales :
1° L'échange se forme, comme la vente, par le seul consentement.
2° La promesse d'échange suit les règles de la promesse de vente et comporte les mêmes distinctions ainsi que le dédit avec sacrifice des arrhes (v. art. 26 et suiv.) ;
3° Les frais de l'acte se partagent par moitié entre les deux parties (v. art. 34).
4° Les incapacités d'acheter prononcées par la loi contre les mandataires et officiers publics chargés de la vente et contre les juges et officiers de justice à l'égard des biens ou droits susceptibles d'être l'objet d'un litige porté devant eux (v. art. 37 à 40) s'appliquent à l'échange, par identité de motifs ; mais il n'en est pas de même de l'incapacité respective des époux : on justifiera plus loin cette sérieuse différence avec la vente ;
5° De même que la vente de la chose d'autrui est nulle (v. art. 42), ainsi est nul l'échange de la chose d'autrui, si la propriété manque chez les deux co-échangistes, si elle ne manque que d'un côté, il y a lieu seulement à résolution au profit de l'autre partie, avec réserve des droits des tiers, comme il est dit à l'article 108, 3e al.
6° Les règles de la vente sur la perte fortuite de la chose ou sur les risques (v. art. 44), sur les soins dus à la chose par le vendeur et sur la délivrance elle-même (v. art. 46 et s.), étant déjà le droit commun des contrats onéreux, sont évidemment applicables à l'échange ;
7° Il faut appliquer à l'échange les règles de la vente relatives au déficit ou à l'excédant de contenance et à l'indemnité ou à la résiliation qui en résultent, ainsi que le délai de l'action pour les obtentir (art. 48 et suiv );
8° La garantie d'éviction, conséquence de la nullité de la vente de la chose d'autrui (v. art. 56 et s.), s'applique à l'échange, pour ce qui n'est pas contraire à l'article précédent ;
9° Comme on peut, contre tout objet reçu ou promis, donner en échange une créance, des droits litigieux, les règles relatives à la vente de ces objets s'appliqueront a l'échange, spécialement en ce qui concerne la garantie avec ses particularités (voy. art. 68 à 70).
II. Au contraire, tout ce qui concerne les obligations de l'acheteur, se rapportant plus ou moins directement au payement d'un prix en argent, est sans application à l'échange (sauf lorsqu'il y a une soulte en argent, comme on l'a dit plus liant) : les deux parties, en effet, peuvent être assimilées à des vendeurs, mais non à des acheteurs.
Parmi les causes de destruction du contrat de vente, c'est-à-dire de résolution, de rescision ou de rédhibition, les unes s'appliquent à l'échange et les autres non.
S'appliquent à l'échange : la résolution pour inexécution des obligations par une partie, la rescision pour incapacité et pour vice de consentement, enfin la rédhibition pour vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée.
Ne s'appliquent pas à l'échange ; la prohibition de la vente entre époux, la résolution par l'effet d'une convention analogue à la faculté de rachat.
Il nous reste à justifier ces différences.
I. L'échange n'est pas, comme la vente, interdit entre époux.
Ce qui fait prohiber la vente entre époux, c'est la crainte qu'elle ne serve à déguiser une donation : le prix serait fixé égal à la valeur réelle de la chose, mais il ne serait pas payé ; cependant, le vendeur en donnerait quittance, dans l'acte ou par acte séparé et ainsi il serait, en réalité, donateur de toute la valeur de la chose; comme il semblerait vendeur, il serait privé du droit de révocation, car on ne révoque pas une vente, et ses successeurs ne pourraient exercer le droit de réduction, car on ne réduit pas les actes onéreux.
L'échange, au contraire, peut bien contenir un avantage indirect pour l'une des parties, mais il ne peut déguiser une donation. En effet, les valeurs fournies de part et d'autre peuvent être inégales en valeur, et celui des deux co-échangistes qui recevra moins qu'il ne donne pourra être considéré comme donateur de la différence ; mais, cette différence étant facile à constater, la donation n'a rien de déguisé. Et ici, il n'y a pas à craindre, comme dans la vente, que la transmission de l'une des deux valeurs ne soit simulée comme le payement d'un prix dont on donne une quittance mensongère.
Il n'y a donc aucune raison de défendre l'échange entre époux.
Pour qu'il n'y ait aucun doute, sur la permission de l'échange entre époux, le texte prend soin d'exclure ici une des règles de la vente. Cependant, comme il pourrait résulter un avantage indirect de l'inégalité des biens fournis respectivement en contre-échange, la loi réserve l'observation des règles des donations, non pour ce qui concerne leur forme qui, nécessairement, ne pourra être exigée ici, mais pour le fond, c'est-à-dire pour les limites ou prohibitions qu'elles pourront recevoir entre époux.
II. On a vu que la vente peut être soumise à une résolution facultative de la part du vendeur, sous le nom de retrait. C'est pour lui un moyen de recouvrer une chose dont il ne s'est séparé peut-être qu'à regret et par un besoin momentané d'argent. Il est alors obligé à rendre le prix, et cette restitution n'est pas purement potestative, ce qui, sans en faire une condition prohibée, en restreindrait l'usage (v. Liv. des Biens, art. 415), car il est souvent difficile de trouver de l'argent à une époque fixe.
An contraire, dans l'échange, si les deux parties ou l'une d'elles stipulaient la faculté de reprendre ce qu'elles ont donné, en rendant ce qu'elles ont reçu, les deux motifs de cette faculté manqueraient entièrement : 1° aucune partie n'a pu être contrainte d'échanger, elle n'a pu agir que par des motifs de convenance personnelle ou d'intérêt ; 2° la restitution de ce qu'elle a reçu serait si facile qu'elle pourrait dépendre d'un caprice.
Toutefois, la loi ne va pas jusqu'à une prohibition absolue : la convention dont il s'agit vaudra entre les parties comme promesse réciproque d'un nouvel échange, d'un échange inverse du précédent qui remettra les choses aux mains des anciens propriétaires, par la volonté d'un seul et quand il l'exigera ; mais elle ne sera opposable aux tiers qui auraient acquis des droits réels sur l'une des choses échangées que si cette faculté de résolution leur a été révélée par l'inscription, comme il est dit pour la promesse de vente par l'article 27 auquel renvoie notre texte ; cela rend moins considérable la différence avec le retrait qui n'est également opposable aux tiers que s'il est révélé par l'inscription.
CHAPITRE V.
DE LA TRANSACTION
Art. 110. Le contrat de transaction a toujours passé pour difficile.
La difficulté est de déterminer en quoi la transaction se sépare du droit commun. C'est à cette séparation qu'on s'est surtout attaché dans le présent Code.
La loi donne d'abord la définition même du contrat: On y trouve 1° l'objet ou le but du contrat qui est de terminer ou prévenir une contestation, 2° le moyen qui consiste dans des sacrifices réciproques.
La réciprocité de sacrifices est nécessaire. En effet, si, la contestation étant déjà née, le demandeur abandonne purement et simplement ses prétentions et sa poursuite, on doit dire qu'il y a “désistement”; si c'est le défendeur qui reconnaît que la demande est fondée et qui renonce ainsi à la contester, on dira qu'il y a “acquiescement” ; ce sont deux cas de cessation ou d'extinction d'action, mais ce ne sont pas des transactions ; c'est le Code de procédure civile qui les règle et non le Code civil.
Pour qu'il y ait transaction, il faut qu'il y ait “sacrifice réciproque,” soit que chacun abandonne une partie de ses prétentions pour obtenir la reconnaissance de l'autre partie, soit que l'un abandonne toute sa prétention, pour recevoir quelque avantage qui n'était pas en jeu dans la contestation.
Ainsi, le demandeur réclame 1000 yens, comme prêt ou comme prix de vente, le défendeur nie le prêt ou la vente, ou soutient avoir payé, ou invoque en compensation une créance égale ; les parties, craignant l'une et l'autre de perdre le procès, transigent, en fixant la dette à 500 yens : le demandeur a ainsi sacrifié la moitié de sa prétention et le défendeur la moitié de la sienne.
Ainsi encore, le demandeur revendique comme sien un terrain possédé par le défendeur et qu'il soutient être l'accessoire d'un fonds à lui vendu par le défendeur ; celui-ci conteste la prétention ; mais on finit par transiger et le demandeur consent à ne recevoir qu'une portion dudit terrain, l'autre restant au défendeur.
Dans ces deux cas, les sacrifices mutuels sont pris sur les objets mêmes de la contestation.
On peut supposer aussi qu'ils seraient pris en dehors de ces objets. Ainsi, dans le premier cas, le défendeur aurait consenti à payer les 1000 yens réclamés, mais il aurait obtenu d'être libéré d'une obligation de faire qui n'était pas contestée ; dans le second cas, le demandeur du terrain aurait promis de faire ou de ne pas faire quelque chose pour le défendeur ou il lui aurait conféré un droit réel, mobilier ou immobilier.
Cette distinction entre la nature et l'origine des avantages réciproques a une grande importance au point de vue de la garantie qui peut en être due, et elle se retrouvera au dernier article de la matière.
Il résulte de ce qui précède que la transaction est un contrat à titre onéreux, puisque “chaque partie y fait un sacrifice" (voy. Liv. des Biens, art. 298), mais qu'il n'est pas nécessairement synallagmatique, car le sacrifice n'est pas toujours “une obligation contractée de chaque côté" (v. Liv. des Biens, art. 297); c'est ce qui arrive lorsque le demandeur se borne à renoncer à une partie de ses prétentions pour assurer le reste : le défendeur contracte bien une obligation, ou, au moins, il confirme une obligation douteuse ; mais le demandeur ne s'oblige pas en renonçant à demander cc qui excède : ce n'est pas une obligation “de ne pas faire."
C'est encore sous le dernier article que nous examinerons si la transaction opère ou non novation de la première obligation.
Nous avons supposé jusqu'ici que la contestation au sujet de laquelle la transaction intervient est “déjà née”: elle tend alors à “la terminer”; mais le texte admet aussi qu'on puisse transiger pour “prévenir une contestation qui peut naître,” que l'on a lieu de prévoir et de craindre.
Il est désirable que les procès cessent ou soient prévenus, car ils sont toujours un trouble social et moral : ils sont une charge pour l'Etat qui doit entretenir un grand nombre de magistrats et d'officiers de justice; ils sont une cause de frais pour la partie qui sucombe, et souvent même pour celle qui triomphe; enfin, le gain du procès par une partie et sa perte par l'autre laissent subsister des haines ou des rancunes entre elles, et souvent même les font naître ou les aggravent.
La transaction suit presque en tous points les règles générales des conventions, dans quelques cas, elle s'en écarte.
On commence par proclamer le principe et on énonce les exceptions.
Nous allons, à l'occasion du 2e alinéa de notre article, indiquer les principales règles du droit commun applicables à la transaction.
1° La transaction, étant une convention, doit présenter les trois conditions d'existence de toute convention : le consentement des parties, un objet certain ou déterminé et qui soit dans le commerce, c'est-à-dire “que les particuliers aient à leur disposition,” enfin, une cause vraie et licite, c'est-à-dire qui ne soit ni fausse ou erronée, ni illicite (voy. Liv. des Biens, art. 304).
Le consentement manquerait, non seulement lorsque la proposition d'une partie n'aurait pas été agréée par l'autre, expressément ou tacitement, mais encore lorsque l'une des parties aurait eu en vue un objet différent de celui qu'avait envisagé l'autre : par exemple, une partie avait voulu transiger sur une convention antérieure, tandis que l'autre avait entendu seulement en fixer le sens, sans rien sacrifier de ses prétentions; ou toutes deux avaient bien entendu transiger, mais l'une avait envisagé une certaine contestation, née ou à naître, et l'autre partie une contestation différente; ou enfin, étant d'accord sur le point à régler par la transaction, une partie avait entendu faire un sacrifice différent ou moins considérable que celui que l'autre partie avait cru obtenir.
L'objet de la convention ne serait pas suffisamment déterminé, si les sacrifices promis respectivement étaient exprimés d'une façon qui laissât à l'une des parties le pouvoir d'exiger ou àl'autre celui de donner plus ou moins, sans qu'on pût dire qu'elle manque à son obligation ; l'objet ne serait pas à la disposition des parties, si l'on prétendait transiger sur l'état civil des personnes ou sur un intérêt qui n'est pas purement privé, comme sur la dénonciation d'un vol ou de coups et blessures et non pas seulement sur la réparation civile qui en est due.
Enfin, la cause doit être vraie et licite ; or quelle est la cause de la transaction ? C'est, comme le dit la définition de notre article, le désir, la volonté de terminer ou de prévenir un procès ; cette volonté est évidemment licite ; mais elle peut être erronée, elle peut être fausse : cela se rencontrera lorsqu'il n'y aura pas de contestation possible sur l'objet que les parties ont considéré comme contestable; par exemple, le procès était déjà terminé par un jugement ou un arrêt devenu irrévocable, ou bien une convention ou un testament ne laissait aucun doute possible en faveur d'une partie contre l'autre et sur aucun point de leurs prétentions respectives.
On s'attendrait donc à voir déclarer radicalement nulle, faute de cause, la transaction intervenue sur un sujet de contestation déjà irrévocablement jugé ou sur lequel une des parties n'aurait aucun droit.
Tel n'est pas cependant le système de la loi qui ne voit là que des causes de “rescision” de la transaction. On justifiera cette solution mitigée sous les articles 112 et 113.
Il resterait donc peu de cas de nullité radicale de la transaction faute de cause : ce serait le cas de la transaction soumise à une condition suspensive qui ne se serait pas accomplie ; ajoutons le cas où l'une des parties aurait déclaré qu'elle transigeait à raison d'un fait qui pour elle était déterminant, qu'elle croyait accompli et qui ne l'était pas, comme une alliance entre les deux familles; enfin, de même que la vente de la chose d'autrui est radicalement nulle faute de cause, de même serait nulle la transaction où l'une des parties recevrait une chose n'appartenant pas à son adversaire, alors qu'elle entendait en acquérir la propriété.
Sauf la réserve faite plus haut, la transaction ne diffère donc pas des autres conventions, quant aux conditions de son existence.
2° La transaction est soumise aux deux conditions de validité des conventions en général: à l'absence de vices du consentement (d'erreur, de violence) et à la capacité des parties (v. Liv. des Biens, art. 305) ; si elle était l'effet d'un dol, elle serait encore sujette à annulation entre les parties, à titre de réparation du préjudice causé (v. Liv. des Biens, art. 312).
3° La transaction produit entre les parties et sans nuire aux tiers les effets ordinaires des conventions, en tant qu'elle a pour objet de reconnaître, de créer, de transférer, de modifier ou d'éteindre soit des obligations, soit des droits réels (v. Liv. des Biens, art. 327 et s., 345 et s.). Toutefois, on verra au dernier article qu'une distinction est à faire à cet égard, notamment, pour la garantie d'éviction et pour l'inscription.
4° Les règles ordinaires d'interprétation des conventions s'appliquent à la transaction (v. Liv. des Biens, art. 356 et suiv.).
5° La transaction et les obligations qui en résultent comportent les mêmes modalités que les obligations des autres conventions (voy. Liv. des Biens, art. 401 et suiv.).
6° Elle comporte aussi les mêmes causes d'extinction, notamment la résolution pour inexécution des obligations (voy. Liv. des Biens, art. 421 et s.).
7° Enfin, quant à la preuve de la transaction, la loi n'apporte pas de dérogation au droit commun ; elle pourra donc se prouver tant par témoins que par titres.
Les exceptions au droit commun que présente la transaction forment l'objet des quatre articles suivants.
Art. 111. On a formellement admis, dans le présent Code, que les conventions, en général, peuvent être rescindées pour erreur de droit (Liv. des Biens, art. 311).
Une exception est admise, au sujet de la transaction.
Comme les autres dérogations au droit commun qui vont suivre, celle-ci repose surtout sur la cause propre de la transaction qui est le désir, chez les parties, de faire cesser ou de prévenir une contestation. Or, ce but serait souvent manqué si, après la transaction, l'une des parties était admise à soutenir qu'elle a ignoré ses droits ou cru indûment à ceux de son adversaire et qu'elle n'aurait pas transigé si elle avait connu la vérité : ce serait recommencer le procès.
L'exception a une limite indiquée par le même article : il a, pour ainsi dire, une exception à l'exception, par conséquent, un retour à la règle ; c'est lorsque l'erreur de droit de l'une des parties provient du dol de l'autre, c'est-à-dire, si l'un des contractants a employé des manœuvres frauduleuses pour empêcher l'autre de connaître ses propres droits ou pour lui faire croire à des droits de son adversaire, lesquels, en réalité, n'appartenaient pas à celui-ci. Et il ne faudrait pas reproduire ici l'objection qui précède, à savoir qu'il y a danger de voir naître ou renaître le procès qu'on a voulu clore ou éviter: le dol d'une partie est un fait nouveau sur lequel il n'y a pas eu transaction, il peut donc être l'occasion d'un procès spécial, et si ce dol est prouvé, la transaction tombera : ce sera réparation la plus complète, la plus directe et en même temps la plus simple du dommage causé par le dol.
Art. 112. Cet article suppose une erreur de fait sur l'objet de la contestation. A la rigueur, on pourrait dire qu'il ne fait que l'application du principe général relatif à ce genre d'erreur ; mais, cette application pouvant faire quelque doute ici, la loi croit devoir s'en expliquer.
Les pièces dont il s'agit sont évidemment des instruments de preuve, des pièces écrites ; elles peuvent être, soit entièrement fausses ou contrefaites, soit simplement falsifiées.
Les titres ou actes sont les faits juridiques qui étaient allégués comme fondement du prétendu droit de l'une des parties, par exemple une convention ou un testament ; ils peuvent être nuis entièrement, soit par l'absence d'une forme solennelle requise par la loi, soit parce qu'ils auraient une cause ou une condition illicite ou un objet prohibé ; ils peuvent être seulement annulables, pour incapacité ou vice de consentement.
Le texte s'applique à tous ces cas. Mais 1° il n'autorise dans tous que "la rescision” ou annulation par voie d action ; 2° pour que la transaction puisse être annulée pour faussete des pièces probatoires ou pour nullité des titres ou actes servant de fondement aux prétentions d'une partie, il faut que la partie adverse, celle qui aurait pu arguer de la fausseté ou de la nullité, ait ignoré le faux ou la nullité.
Dans tous les cas, il faut que l'erreur soit de f a i t et non de droit, car la règle particulière que la transaction n'est pas rescindable pour erreur de droit ne comporte pas d'autre exception que le cas de dol.
D'abord, pour le cas de pièces fausses, il n'y a pas de difficulté ; l'erreur de la partie adverse a consisté, évidemment, à ignorer que les pièces avaient été contrefaites ou falsifiées, ce qui est une erreur de fait. Quant à la nullité, on comprendrait les deux erreurs : l'une, de droit, consistant à ignorer que l'acte aurait d û revêtir certaines formes qui lui manquent, ou que la cause en est illicite ou l'objet prohibé ; l'autre, de fait, consistant à ignorer que l'acte ou titre (qu'on n'a pas vu, sans doute) n'est pas revêtu des formes voulues, lorsqu'on sait d'ailleurs que ces formes sont requises, ou bien à ignorer qu'il a tellle condition, telle cause ou tel objet, lorsqu'on sait d'ailleurs que cette condition ou cette cause serait illicite ou cet objet prohibé, s'ils existaient dans le titre.
Une comparaison empruntée à une autre science que celle du droit rendra sensible cette nuance qui ne laisse pas que d'être assez délicate. Un pharmacien ou un médecin a donné par erreur un médicament qui a été nuisible au malade : si c'est parce qu'il a ignoré les effets propres au médicament, il a commis une erreur scientifique ; si c'est parce qu'il a confondu un flacon avec un autre, ou ignoré un état particulier du malade qui rendait ce médicament dangereux pour lui, il n'a commis qu'une erreur de fuit.
C'est à l'erreur de fait seule que s'applique notre article ; elle sera assez rare, sans doute, car elle exige la supposition que l'acte qui constate le prétendu droit et lui sert de fondement n'est pas représenté et que celui qui a transigé, pour en atténuer les effets contre lui-même, avait témérairement accepté les allégations de son adversaire ou de témoins complices de la fraude de celui-ci.
Notre article a bien soin de caractériser l'erreur qui seule permet ici de faire rescinder la transaction, en exigeant que la partie intéressée “ait ignoré le fait auquel la loi attache la nullité de l'acte.” C'est, en réalité, une erreur sur l'objet de la contestation : non sur l'identité même de l'objet, niais sur ce que, dans la théorie générale de l'erreur, on appelle les “qualités essentielles ou substantielles de l'objet,” c'est-à-dire ses “qualités principales” (Liv. des Biens, art. 310), En effet, les pièces et les titres sur lesquels une partie fonde sa prétention donnant plus ou moins de force à celle-ci, suivant leur valeur et leur sincérité, sont considérés comme des qualités de cette prétention qui, elle-même, forme objet de la transaction.
Art. 113. Il s'agit encore ici, et plus évidemment, d'une erreur de fait sur l'objet de la transaction née ou à naître : une partie ignorait qu'elle avait des droits complets et indubitables sur l'objet de la contestation ou que son adversaire n'en avait aucun (ce qui, au fond, est indentique) et elle a sacrifié une portion de ses droits pour conserver le reste, ou elle a fourni on promis un objet étranger à la contestation pour s'assurer la plénitude du droit contesté. Plus tard, elle découvre des titres qui établissent l'étendue de ses droits antérieurs, il est juste qu'elle soit relevée contre les conséquences de son erreur.
Toutefois, la loi fait une distinction : si la transaction a pour but de faire cesser ou de prévenir une ou plus-sieurs contestations déterminées, la découverte des titres dont il s'agit sera une cause de rescision de la transaction, quelle que soit la circonstance qui ait empêché la connaissance ou la production des titres ; mais si la transaction avait pour but de faire cesser ou de prévenir toutes les contestations alors possible entre les parties, dans ce cas, ce n'est que si ses titres décisifs avaient été “retenus par le fait de la partie adverse,” volontairement ou à son insu, que latransaction pourrait être rescindée.
Cette distinction n'est pas arbitraire : quand la transaction est limitée à une contestation déterminée, l'erreur d'une partie sur le fondement de sa prétention porte sur l'objet principal de la transaction et doit, dès lors, entraîner la rescision, conformément au droit commun ; il en est de même, si la transaction est faite en vue de deux ou plusieurs contestations, toujours déterminées, et que l'erreur d'une partie porte sur tous les droits qui sont en jeu dans ces contestations ; lorsqu'au contraire la transaction est générale, les sacrifices de la partie qui a ignoré quelques-uns de ses droits sont faits en vue de l'ensemble du résultat cherché dans la transaction ; or, il suffit qu'il soit obtenu, ne fût-ce qu'en partie, pour qu'il n'y ait pas à revenir sur l'opération.
Le 2e alinéa de notre article met sur la même ligne que la découverte de titres celle d'un jugement irrévocable qui aurait donné pleinement gain de cause à l'une des parties et dont elle n'aurait pas eu connaissance. Si le jugement était encore susceptible de recours, la transaction serait maintenue, parce qu'il n'est pas sûr que le jugement n'aurait pas été réformé en appel ou en cassation.
Art. 114. Cet article est consacré aux effets particuliers de la transaction.
On pourrait dire assurément de la transaction, comme des autres conventions, qu' “elle tient lieu de 1 o i entre les parties” (Liv. des Biens, art. 327) ; mais, comme elle a pour but de prévenir ou de faire cesser une contestation judiciaire, il est naturel de lui reconnaître la force d'un jugement intervenu entre les parties et d'un jugement irrévocable, tant pour les points de fait que pour les points de droit, par conséquent, d'un jugement qui ne serait susceptible ni d'appel, ni de pourvoi en cassation.
Bien entendu, cela n'est vrai que de la transaction “valable,” comme la loi a soin de l'exprimer.
Cette assimilation de la transaction à un jugement irrévocable pourrait donner lieu à. une difficulté : les jugements, en général, ne sont pas attributifs ou translatifs de droits, mais ils en sont simplement déclaratifs ; or, on pourrait faire cette objection que si la transaction a pour effet de d é c 1 a r e r que les droits définitivement reconnus en faveur d'une partie lui ont toujours appartenu, c'est sans cause qu'elle donne ou promet quelque chose pour les conserver ; tandis que l'objection ne pourrait plus se faire, si l'on donnait à la transaction le caractère d'une cession, d'un acte translatif de droits Mais on doit répondre que le sacrifice fait par un des contractants pour conserver une partie des droits auxquels il prétendait n'est pas le prix de ces mêmes droits, puisqu'il est considéré comme les ayant eus déjà auparavant : c'est le prix de la tranquillité qu'il acquiert par la transaction et ainsi, ce sacrifice n'est pas fait sans cause.
Il reste une situation dans laquelle on doit reconnaître que la transaction est non plus déclarative, mais t r a n s 1 a t i v e ou attributive de droits, soit réels, soit personnnels. Le texte la fait bien ressortir, si l'on compare attentivement l'hypothèse du 2e alinéa de notre article avec celle du premier : l'un des contractants, pour consolider tout ou partie de ses anciennes prétentions, a donné ou promis un objet qui n'était pas compris dans la contestation ; il est clair qu'en pareil cas, on ne peut pas dire que la transaction est “déclarative de droits antérieurs elle est évidemment "attributive de droits nouveaux,” la partie qui les obtient ne les conserve pas, elle les acquiert.
La distinction a un grand intérêt pratique, comme on le verra en reprenant chacun des deux hypothèses, avec un exemple.
Ier Cas. Les droits reconnus au profit de parties respectivement étaient déjà en jeu dans la contestation : par exemple Primus revendiquait contre Secundus un immeuble possédé par celui-ci ; avant le jugement, les parties transigent et il est convenu que Secundus gardera une partie divise ou indivise de l'immeuble et que Primus recouvrera l'autre: chacun sera considéré comme propriétaire eu vertu de la cause sur laquelle il fondait sa prétention à la totalité ; toutefois, les droits des tiers conférés sur l'immeuble par chaque partie seront respectés, car la transaction, soit comme convention, soit parce qu'elle est semblable à un jugement, n'a d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peut nuire aux tiers qui n'y ont pas été appelés.
Il y a quelque difficulté au sujet de l'inscription : si le titre en vertu duquel Secundus possédait était de nature à être soumis à cette formalité et avait été effectivement inscrit, l'inscription subsistera ; mais, pour que son effet soit réduit à la portion d'immeuble qu'il conserve, il faudra que l'inscription soit mentionnée en marge de cette inscription, comme il faudrait le faire pour un jugement : en effet, Secundus pourrait conférer des droits excédant sa portion et les tiers ne doivent pas être exposés à des évictions imprévues.
La même formalité devra être remplie à l'égard du titre de Primus, s'il avait été inscrit, et, s'il ne l'avait pas été, mais avait dû l'être, d'après sa nature (par exemple, si Primus s'était dit acheteur de Secundus), il faudrait inscrire, soit la transaction en vertu de laquelle Primus obtient une partie de l'immeuble, soit la vente primitive, avec mention en marge de l'inscription qui la modifie.
Supposons enfin, que l'une des parties fasse, pour son sacrifice, une promesse de somme d'argent : si elle était déjà prétendue par l'autre débitrice d'une somme plus forte, elle est considérée comme devant la somme moindre, en vertu de la même cause ; s'il y avait hypothèque prétendue et que l'hypothèque soit reconnue, elle est confirmée ; si l'inscription hypothécaire était déjà prise pour le tout, elle sera réduite, comme s'il y avait jugement ; si l'inscription n'avait pas encore eu lieu, elle devrait être faite et, bien entendu, sans rétro-agir.
La loi réserve le cas où les parties “auraient voulu " faire une novation alors, il n'y a plus déclaration de droits antérieurs, mais création de droits nouveaux, comme dans le cas suivant répondant au 2e alinéa de notre article (sur la novation, voy. Liv. des Biens, art. 489 et suiv.).
IIe Cas. En changeant un peu la première hypothèse, supposons que Secundus, défendeur à la revendication, conserve en entier l'immeuble litigieux et comme sacrifice, donne un autre immeuble qui n'est pas en contestation ; dans ce cas, Primus ne pourrait évidemment pas soutenir qu'il obtient cet immeuble “en vertu d'une cause antérieure” dont il n'y a pas trace entre les parties : il devra donc inscrire la transaction, comme étant pour lui un titre nouveau de propriété.
CHAPITRE VI.
DE LA SOCIÉTÉ.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA NATURE ET DE LA FORMATION DE LA SOCIÉTÉ.
Art. 115 et 116. Le contrat de société a une importance considérable dans toutes les législations civiles et commerciales. Il est aussi. ancien que la civilisation et, de même que les hommes ayant une origine commune se sont rénnis en sociétés politiques, sous le nom de tribus, de peuplades, de nations, pour se préserver des entreprises des tribus ou nations voisines, de même les individus se sont associés pour la défense et le développement de leurs intérêts particuliers.
Le principe qui fonde toute association est que les forces individuelles agissant collectivement donnent un résultat unique supérieur à la somme des résultats obtenus par des efforts séparés.
La puissance de l'association des forces est encore plus frappante si l'on suppose un résultat qui ne puisse s'obtenir par parties ; par exemple, le déplacement ou le transport d'une pierre ou d'une pièce de bois : un seul homme ne pourrait pas la mouvoir, deux hommes la déplaceront. quatre la transporteront où elle est nécessaire.
Quand nous disons que l'association privée des hommes est aussi ancienne que leur association politique, ce n'est pas assez dire : elle l'est davantage et l'exemple qui précède suffît à le prouver ; aussi n'y a-t-il peut-être pas un seul pays qui n'ait dans sa langue, en une forme ou en une autre, ce sage proverbe que “l'union fait la force.”
En même temps, il est très-digne de remarquer que les contrats les plus ordinaires et les plus utiles, comme la vente et le louage d'immeubles, le prêt d'argent et le prêt à usage, ne peuvent guère se multiplier avec les progrès de la civilisation et gardent à peu près la même 'proportion avec la population, dans un temps donné, parce qu'ils répondent à des besoins qui ne peuvent guère s'étendre ; tandis que le contrat de société suit, au contraire, avec les progrès de la civilisation et de la population, un développement non pas proportionnel mais progressif, parce qu'il ne tend pas seulement, comme la plupart des autres contrats, a satisfaire à des besoins individuels, plus ou moins réels et naturellement limités par la raison : il a surtout pour but d'augmenter la production de la richesse individuelle et c'est là que, les désirs de l'homme étant insatiables, scs efforts sont infatigables.
Une des causes qui font aujourd'hui multiplier les société en tous pays est la nécessité de réunir d'énormes capitaux en argent, pour l'exécution des grandes lignes de chemins de fer, des navires de transport au long cours, des grandes manufactures, etc. De pareilles entreprises ne pourraient jamais se faire avec des capitaux individuels : c'est par leur réunion en grande masse qu'elles deviennent possibles.
Les sociétés ainsi formées ont un objet commercial te non civil ; les sociétés civiles, les seules dont il soit ici traité, ont un objet moins considérable, mais elles doivent toujours être considérées comme le type, comme le modèle dont les autres sont une variété et un développement ; beaucoup de règles sont communes aux sociétés civiles et aux sociétés commerciales et ce sont surtout ces règles qui vont être présentées ici; on y ajoutera celles qui sont exclusivement propres aux sociétés civiles.
C'est le Code de Commerce qui définit les actes de commerce (art. 4 et s.)
Si l'on connaît bien le caractère d'un acte de commerce, considéré l'exception parmi les actes juridiques, on connaîtra, par contre, le caractère d'un acte civil restant la règle.
Avant tout, il convient de se fixer sur ce qu'on doit entendre par société civile, par opposition à la société commerciale ; la différence est la même qu'entre la vente civile et la vente commerciale, entre l'obligation civile et l'obligation commerciale et, généralement, entre un acte civil et un acte commercial ou de commerce.
Les actes de commerce peuvent être faits par des particuliers agissant isolément et si ceux-ci les font par profession et non accidentellement, ils pourront être quaifiés “commerçants.” Les mêmes actes peuvent être faits par des individus réunis en société pour cet objet, on a alors des “sociétés commerciales,” qui sont, en réalité des sociétés commerçantes.
On serait dès lors porté à croire qu'en sens inverse il y a société civile par cela seul que deux ou plusieurs personnes se réunissent pour faire un ou plusieurs actes civils dans un intérêt commun; mais ce ne serait pas tout à fait exact : il faut que cet intérêt commun soit un profit, un gain, "unbénefice à partager ;” la définition donnée par notre premier article l'exprime formellement.
Ainsi, une convention par laquelle deux ou plusieurs propriétaires, voisins d'une rivière, se réuniraient pour faire faire à frais commun une digue ou d'autres travaux destinés à protéger leurs propriétés contre les débordemonts, ne serait pas une société parce qu on se proposerait non de réaliser des bénéfices, mais d'éviter des pertes; il en est de même des assurances mu tel les contre l'incendie ou contre d'autres sinistres ; à plus forte raison, les associations scientifiques, littéraires, politiques ou de bienfaisance ne sont-elles pas des sociétés.
Cette nécessité que les actes civiles tendent à procurer des bénéfices aux associés n'a pas besoin d'être exprimée quand il s'git des sociétés commerciales, justement parce qu'un des caratères précités des actes de commerce est la spéculation, la recherche de bénéfices.
La définition donnée par l'article 115 assigne encore à la société deux autres conditions et celle-là exigées aussi pour les sociétés commerciales : c'est 1° que ces bénéfices soient partageables, également ou inégalement, 2° que les associés aient commencé par un apport réciproque, c'est-à-dire par mettre ou par s'engager à mettre des biens en commun, comme moyen, comme instrument de la. réalisation de ces bénéfices.
Mais aucune condition ou prohibition n'est édictée ici, quant à un nombre d'associés nécessaire (minimum) ou extrême (maximum) : notre article suppose simplement “deux ou plusieurs personnes” formant société. Si l'on proposait ici une entrave à la liberté, il faudrait la justifier ; mais la liberté des conventions est un principe trop respectable pour avoir besoin de justification.
La condition d'un apport et le mode de l'effectuer sont l'objet de dispositions ultérieures, notamment de l'article suivant.
Le partage des bénéfices reviendra aussi en son lieu.
Remarquons seulement que cette condition d'une partage de bénéfices restreint encore les cas où il y aura vraiment société.
Ainsi, lorsque des propriétaires voisins, formant une agglomération éloignée des voies publiques entretenues par l'autorité municipale, se réunissent pour faire des travaux de voirie, d'éclairage, d'aqueducs, qui doivent donner à leurs propriétés une plus-value certaine, il y a bien recherche de bénéfices, mais ils ne sont pas “partageables:” chaque fond aura pu gagner en valeur, d'après sa situation et son étendue, mais le propriétaire qui aura gagné le plus n'aura rien à communiquer à ceux qui auront gagné le moins ; seulement, les parties n'auront pas dû manquer de faire contribuer chacun aux dépenses, en proportion de la plus-value obtenue ou espérée.
Ces conventions n'étant pas l'objet d'une législation complète, s'il s'élève des difficultés sur la gestion des intérêts communs ou sur la contribution des intéressés aux dépenses, il est naturel d'emprunter, par analogie de motifs et de situation, les règles des sociétés civiles : c'est un principe général, consacré par le présent Code, que les contrats innommés empruntent les règles qui leur manquent aux contrats nommés avec lesquels ils ont le plus d'analogie (voy. Liv. des Biens, art. 303).
Il restera toujours des différences notables entre les associations syndicales et les véritables sociétés civiles : notamment. les premières n'ont pas de fonds social proprement dit, elles ne se dissolvent pas par la mort ou la faillite d'un des propriétaires, elles ne donnent pas lieu à partage, parce qu'elles ne créent pas d'indivision.
D'autres situations légales et d'autres conventions ont encore de l'analogie avec la société civile et ne doivent pas être confondues avec elle.
En premier lieu, nous citerons la communauté de biens ou copropriété indivise.
Ce n'est pas seulement parce que, le plus souvent, elle est l'effet de la loi et non de la convention qu'elle ne doit pas être confondue avec la société civile ; elle ne doit pas l'être davantage quand elle résulte d'une convention : ainsi, deux personnes n'ayant, aucune séparément, assez de capitaux pour acquérir un immeuble, se sont réunies dans le but de l'acheter a frais communs, pour des parts égales ou inégales ; elles sont dans l'indivision, mais non en société, parce que leur but n'est pas de réaliser des bénéfices autres que l'acquisition de l'immeuble ; elles espèrent assurément que l'immeuble ne dépérira pas, peut-être même elles comptent sur une plus-value avec le temps, mais leur but direct est seulement de devenir copropriétaires.
Sans doute, s'il était prouvé que les acheteurs ont spéculé sur la plus-value possible, comme alors ils auraient mis des fonds en commun pour partager les bénéfices à en provenir, il y aurait société ; mais c'est qu'alors les conditions en seraient formellement remplies et même elle aurait le caractère de société commerciale d'après le nouveau Code.
Lorsqu'il y a copropriété indivise deux différences principales avec la société restent à noter : 1° la copropriété ne cesse pas par la mort d'un des copropriétaires, lequel est alors représenté par ses héritiers ; 2° chacun des copropriétaires peut demander le partage quand il lui plaît.
Il y a encore plus d'analogie avec la société dans la convention suivante : un propriétaire cultivateur, un manufacturier ou un commerçant, ayant, le premier un gérant, le second un contre-maître, le troisième un premier commis, sont convenus avec leur employé de lui donner, outre un salaire fixe, une part dans les produits ou bénéfices de l'exploitation. Ici, on est bien près de la société, civile dans le premier cas, et commerciale dans les deux autres, et même, dans l'usage on dit que l'employé est “associé de la maison, ou du patron," qu'il a “une part dans les bénéfices;” mais, ici encore il faut dire qu'il n'y a pas société proprement dite : il n'y a pas de fonds social ou commun, l'employé n'a aucune part de propriété, il ne contribue pas aux pertes, il ne peut prétendre participer à l'administration, ni contrôler ou contredire celle du patron, il peut seulement demander communication des livres et de l'inventaire ; enfin, le patron a toujours le droit de le congédier, sauf à l'indemniser, s'il n'y a pas de cause légitime à ce renvoi.
Il y a encore de l'analogie entre la société et le bail d'immeuble “à part de fruits ou à métairie,” dans lequel le preneur ou métayer fournit ses soins à la culture d'un fonds et reçoit en échange une portion des fruits (voy. art. 134 et 138).
Mais ce contrat étant l'objet de dispositions spéciales placées par la loi sous un autre titre ne peut présenter de sérieux dangers de confusion avec la société, bien qu'il lui emprunte quelques règles.
Art. 117. La nécessité d'un apport réciproque des associés ou d'une mise de biens en commun est comprise dans la définition : elle est la cause directe et immédiate du droit au partage des bénéfices. C'est parce que les parties font un sacrifice mutuel ou réciproque que le contrat de société est à titre onéreux et non à titre gratuit.
On peut examiner deux questions au sujet de l'apport : 1° En quoi peut-il consister ? 2° Gomment peut-il s'effectuer, se réaliser ?
I. On peut apporter en société la propriété d'un meuble ou celle d'un immeuble; dans les deux cas, la propriété est transférée par le seul consentement, sans qu'il soit besoin de tradition; mais, s'il s'agit d'immeuble, l'inscription est nécessaire pour que les associés acquéreurs puissent opposer leur droit aux autres ayant-cause de celui qui a effectué l'apport.
Si l'apport consiste en argent, il peut être aussi en propriété ou en jouissance; dans le premier cas, le capital apporté devient commun et est plus tard sujet à partage, dans le second cas, la société jouit du capital, en l'employant à ses opérations ou autrement, et, lors de sa dissolution, l'associé qui l'a apporté le prélève avant le partage des bénéfices.
Le texte n'exprime pas formellement que l'apport puisse avoir pour objet des créances que l'associé aurait contre des tiers; mais il ne faut pas douter que cela soit possible : les créances ou droits personnels sont des biens, comme les droits réels, et ils sont cessibles; les créances sont d'ailleurs des droits mobiliers ou immobiliers, d'après la nature de la chose due, et elles rentrent ainsi suffisamment dans l'énoncé des apports qui précèdent.
Une créance pourrait être aussi apportée en capital ou en jouissance.
Dans les deux cas, le débiteur devrait être prévenu par une notification en bonne forme de cette sorte de cession dont sa dette est l'objet (v. Liv. des Biens, art. 347).
Enfin, le texte indique deux autres sortes d'apports qu'on peut rapprocher et confondre sans inconvénients : les services et l'industrie. Un associé apporte ses services, lorsqu'il donne ses soins aux affaires de la société, comme gérant, comme comptable, comme préposé à la vente des produits, etc. ; il apporte son industrie, s'il participe aux travaux plus ou moins manuels ou intellectuels nécessaires à la réalisation du but de la société : par exemple, un destinateur dans une librairie, ou un ingénieur dans une fonderie.
La loi ne devait pas laisser subsister le doute qui existe en beaucoup de pays, sur le point de savoir si un associé peut n'apporter en société que son crédit. Notre article faisant une énumération des principaux apports possibles et passant sous silence le crédit, l'exclut suffisamment par prétérition. Pour justifier cette exclusion, il faut préciser ce qu'on entendrait par “apporter son crédit en société,” et c'est peut-être parce que les auteurs n'ont pas assez pris ce soin que leurs solutions diffèrent.
Quelques-uns considèrent l'apport de crédit comme résultant de la seule entrée dans la société d'une personne dont le nom et la situation sont honorablement connus: la présence de certaines personnes dans la société peut, dit-on, être une garantie pour les tiers de la moralité, de la prudence et même de la solvabilité de la société. Mais si l'apport ne constitue pas un sacrifice pour celui qui le fait, s'il n'entraîne pour lui aucune obligation déterminée, il ne saurait motiver une participation aux bénéfices; en effet, rien n'empêcherait que la même personne attachât ainsi son nom à un grand nombre de sociétés, avec droit à des profits indéfinis, sans s'exposer à aucune perte, ce qui pourrait devenir abusif.
On fait donc remarquer que la présence de cet associé parmi les autres le soumet aux obligations de la société envers les tiers, sinon pour le tout et solidairement, au moins pour sa part virile; mais, là encore nous ne voyons pas un sacrifice suffisant pour motiver un droit à une part des bénéfices. Supposons, en effet, que cet associé ait été poursuivi pour sa part virile dans une dette de la société : comme son apport ne consiste pas dans une somme d'argent, mais dans une sorte de garantie ou de cautionnement, il devra donc être remboursé de ce qu'il aura payé, soit sur le fonds social, soit sur les biens des autres associés et, en somme, son sacrifice aura été nul.
Nous donnerions la même solution, lors même que l'associé qui n'apporterait que son nom et son crédit aurait promis de signer, comme garant solidaire, toutet les obligations de la société : du moment qu'il aurait droit au remboursement intégral de ce qu'il aurais payé, son apport se trouverait réduit à une simple avance de fonds, et même cette avance n'aurait pas lieu chaque fois que la dette serait payée directement sur le fonds social.
Il est donc juste que l'apport d'un associé ne puisse consister dans son crédit seul, c'est-à-dire dans la confiance qu'il inspirerait aux tiers : cet apport manquerait d'un des caractères que doit avoir l'objet de toute convention, il ne serait pas suffisamment certain et déterminé. Il serait même permis de contester la parfaite moralité de cette stipulation d'un profit pour une sorte de prêt d'u n nom : l'honorabilité civile, politique ou même commerciale d'un nom est un bien d'ordre moral qui ne peut s'échanger contre des biens pécuniaires : ce n'est pas une chose qui soit dans le commerce, “ni dont les particuliers aient la disposition” (voy. Liv. des Biens, art. 304).
II. Voyons maintenant les moyens par lesquels s'effectue l'apport ; il y en a deux : ou bien l'associé confère immédiatement à la société les droits qu'il doit lui apporter, ou bien il s'engage à les lui conférer ultérieurement S'il a promis la propriété ou la jouissance d'un corps certain, meuble ou immeuble, la seule convention a suffi à conférer le droit ; s'il a promis une chose de quantité comme de l'argent, le droit de propriété ne sera conféré que par la tradition ou par un autre mode de détermination (v. Liv. des Biens, art. 331 et 332).
S'il s'agit de conférer à la société une créance contre un tiers, le droit passera de l'associé à la société par le seul consentement, mais il ne sera opposable au débiteur cédé et aux autres tiers que par la notification qui lui en sera faite (v. Liv. des Biens, art. 347), comme le transport de propriété immobilière ne sera opposable aux tiers que par l'inscription (v. Liv. des Biens, art. 348 et s.).
Restent les apports de services et d'industrie. Evidemment, ils ne seront acquis à la société que par la prestation réelle et effective qui en sera faite : jusque-là, la société n'a qu'une créance contre l'associé, laquelle peut se résoudre en dommages-intérêts, s'il n'exécute pas sa promesse, ou même amener la dissolution de la société par voie de résolution, avec rétroactivité.
L'apport de services ou d'industrie présente un autre caractère plus exceptionnel, c'est qu'il est successif ou continu et, par conséquent, temporaire. Lorsque la société vient à cesser, soit parce que son objet est accompli, soit parce que sa durée est expirée, ou par toute autre cause, l'apport de service ou d'industrie cesse forcément et il ne peut, par sa nature, faire partie de la masse partageable. Y a t-il lieu d'admettre au partage du fonds social fourni par les autres associés celui qui reprend déjà ses services et son industrie et peut les porter à une autre société ?
C'est là un point qui sera examiné et résolu, lorsque l'on parlera du partage après la dissolution de la société.
Le 2e alinéa de notre article 117 porte que les apports des divers associés peuvent être inégaux en valeur ; ils pourraient aussi être de natures différentes.
L'inégalité de valeur des apports motivera et même rendra obligatoire l'inégalité des droits aux bénéfices et au partage du fonds social.
La diversité de nature des apports ne suffira pas à empêcher l'égalité des parts. Cette diversité sera d'ailleurs presque toujours nécessaire, surtout dans les sociétés civiles. Par exemple, si plusieurs personnes veulent fonder en société une exploitation agricole, il arrivera, le plus souvent, qu'une d'elles fournira le fonds destiné à la culture, une autre fournira des capitaux pour les premiers travaux de dé richement, d'amendement des terres, d'irrigation, etc., une autre enfin se chargera de la gérance.
Art. 118. Beaucoup de législations étrangères négligent de décider si les sociétés civiles sont ou non des personnes morales on juridiques, c'est-à-dire si elles ont une personnalité distincte de celle des associés.
L'opinion dominante est alors que les sociétés civiles n'ont pas de personnalité juridique propre et distincte de celle des associés.
La question a dû être tranchée dans le Code japonais.
Il faut d'abord indiquer l'intérêt pratique de la question : il résulte de plusieurs différences dans les résultats suivant le système qu'on admet.
Voici les principales :
1° Si la société civile n'est pas une personne distincte des associés, les associés sont copropriétaires des biens respectivement apportés par les uns et les autres : ces biens sont communs et dans l'indivision entre eux (a) ; si, au contraire, la société a une personnalité propre, c'est elle qui est propriétaire du fonds social, lequel n'est pas dans l'indivision ;
2° Dans le 1er système, le droit de chaque associé est mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui sont dans l'indivision ; dans le 2e système, le droit des associés est mobilier : il consiste dans une créance contre l'être moral société et il tend à obtenir une part des bénéfices par elle réalisés. Cette différence cesse avec l'existence de la société, car alors les associés succèdent à ses droits et l'indivision commence entre eux ;
3° Dans le 1er système, les créanciers qui ont traité avec les associés comme tels, c'est-à-dire pour les affaires de la société, n'ont pas de droit de préférence sur les créanciers purement personnels ou particuliers de chaque associé : il n'y a pas lieu de les payer sur le fonds social, à l'exclusion de ces derniers, parce que le fonds social est, en réalité, le fonds commun à tous les associés. Dans le système de la personnalité, au contraire, le fonds social est la garantie propre des créanciers sociaux et les créanciers personnels des associés n'y peuvent prétendre qu'après l'entière satisfaction des premiers ;
4° Dans le 1er système, si les associés ont à soutenir un procès, comme demandeurs ou défendeurs, à raison des affaires sociales, ils doivent figurer tous nominativement dans la cause, soit individuellement, soit par mandataire, et le jugement ne pourra profiter ni nuire à ceux qui n'auront pas été directement parties au procès. Dans le système de la personnalité, au contraire, les associés ne figurent pas dans le procès : c'est l'administrateur qui forme la demande ou qui défend au nom de tous, en vertu. de sa seule qualité et sans qu'il lui soit besoin d 'un mandat exprès à cet effet.
Tous ces intérêts, et d'autres que la doctrine a relevés, sont en même temps des raisons d'adopter législativement la personnalité des sociétés, car les résultats auxquels elle conduit sont utiles, justes, et favorables au développement des sociétés civiles. On ne voit pas aisément d'ailleurs comment ce système qui a été jugé bon pour les sociétés commerciales serait mauvais pour les sociétés civiles. Une seule chose est nécessaire, c'est que la loi s'en explique, et c'est ce que fait le présent article.
Il n'impose pas, du reste, aux associés la personnalité de la société : c'est une simple faculté pour eux ; tout dépend de leur volonté ; or, on comprend que certaines sociétés civiles puissent être de trop peu d'importance, soit par leur objet, soit par la durée qui leur est assignée, pour qu'il soit utile de leur donner une personnalité.
Il pourrait même arriver que les associés n'eussent pas une notion suffisamment nette de cette personnalité ; il serait donc dangereux de la leur imposer.
L'adoption de la personnalité peut être expresse ; niais elle peut aussi être tacite : le dernier alinéa en donne deux exemples sur lesquels on va revenir.
Du moment que les sociétés civiles pourront être des personnes morales, il sera nécessaire qu'elles se révèlent aux tiers comme telles. A cet effet, rien n'est plus naturel que de les soumettre aux conditions de publicité imposées aux sociétés commerciales. En même temps, il convient de leur donner un nom social, lequel pourra être soit tiré de leur objet, soit composé d'un ou plusieurs noms des associés, avec la mention “et compagnie.”
La disposition finale du 2e alinéa est facile à justifier : lorsque les associés donnent un nom à leur so-cété, il est naturel de présumer qu'ils ont entendu lui donner une personnalité propre ; de même, lorsqu'ils l'ont publiée, cette mesure, toute dans l'intérêt des tiersi n'aurait pas de suffisante raison d'être si les associés n'avaient voulu annoncer aux tiers que le fonds social serait la garantie spéciale des créanciers sociaux.
Nous ne nous arrêtons pas à une objection peu sérieuse qu'on pourrait faire, à savoir qu'il ne devrait pas dépendre des particuliers de faire ainsi naître à leur gre des personnes morales ou juridiques : outre que cette création ne lèse aucun intérêt, à raison de la publicité de l'acte de société, il n'y a là qu'un résultat déjà produit par la création des sociétés commerciales.
Art. 119. Le contrat de société, malgré ses caractères propres déjà esquissés, a encore beaucoup de points communs avec les autres contrats ; la loi indique les principaux ; le consentement, l'objet, la cause, la capacité et les preuves.
I. Le consentement est nécessaire, comme dans tout contrat et il suffit, parce que le contrat n'est ni réel (v. Liv. des Biens, art. 299), ni solennel (v. idem. art. 300).
Il faut le consentement de tous les associés entre lesquels le contrat a été proposé : si donc un projet de société a été formé entre trois personnes et qu'au moment de l'acceptation définitive une des trois refuse, non seulement elle n'est pas associée, mais les deux autres ne le sont pas davantage, car elles sont présumées n'avoir consenti que sous la condition que la troisième accepterait également (v. Liv. des Biens, art. 206)
Le consentement peut être donné par un mandataire ; mais il est nécessaire que le mandat soit exprès ou spécial ; un mandat général ne suffirait pas : il serai. trop dangereux que le mandataire, sous prétexte qu'il est chargé d'administrer et de faire fructifier les biens du mandant, pût ainsi le soumettre à des obligations indéterminées dans leur étendue, comme celles que peut entraîner une société.
Il va sans dire que la violence et l'erreur vicieraient le consentement, d'après le droit commun, et, spécialement, comme le contrat de société est un de ceux où la considération respective des personnes est déterminante, il y aurait lieu de l'annuler pour erreur d'un ou plusieurs des associés sur la personne d'un ou plusieurs autres (voy. Liv. des Biens, art 309, 4e al.).
L'erreur sur la nature du contrat doit être considérée, non seulement comme viciant le consentement, mais comme l'excluant entièrement, de sorte que le contrat n'existerait pas si, l'un des associés ayant cru et voulu former une société, l'autre avait seulement entendu établir une copropriété indivise.
Il pourrait y avoir erreur sur la nature de la société contractée, ainsi, l'un des associés croyait former une société civile et les autres entendaient formeé une sociétr commerciale. Cette erreur pourrait être une erreur de fait ; elle pourrait aussi être une erreur de droit.
Ce serait une erreur de fait, si elle portait sur le genre des opérations à faire en société ; par exemple, l'un croyait qu'on achèterait des bâtiments pour les habiter, les autres comptaient les revendre ou louer; dans le premier cas, il y aurait eu société civile ; dans le second cas, elle eût été commerciale.
Ce serait une erreur de droit, si l'un des associés croyait que les opérations à faire seraient civiles de leur nature, quand, en réalité, elles devaient être commerciales; par exemple, un des associés croyait que l'achat de bâtiments pour les démolir et en vendre les matériaux est une opération civile, alors quelle est réellement un acte de commerce.
Il faudrait décider, dans le cas d'erreur de fait que le consentement manque et que le contrat est entièrement nul, parce qu'en même temps qu'il y a erreur sur le nature de la société, c'est-à-dire sur la convention, il y a aussi erreur sur son objet, chaque contractant n'ayant pas eu en vue le même objet (voy. Liv. des Biens, art. 309, 1er al.).
Dans le cas de l'erreur de droit, on appliquerait l'article 311 du Livre des Biens, qui reconnaît en principe la nullité des conventions pour erreur de droit, mais qui recommande aux tribunaux de ne l'admettre lorsque la partie qui a commis l'erreur ne pouvait facilement l'éviter.
II. La société est soumise au droit commun quant à l'objet du contrat.
Ainsi, 1” l'objet doit être suffisamment déterminé (Liv. des Biens, art 304-2°): une société ne serait pas valablement formée si elle avait pour objet de “faire toutes spéculations sur les immeubles sans autre détermination et, s il s'agissait d'une société commerciale, “de faire toutes sortes d'actes de commerce.”
2° L'objet de la société doit être licite ; ainsi, on ne pourrait former une société pour fabriquer de l'opium, de la fausse monnaie ou des armes prohibées : ce sont là des objets manifestement illicites.
3° Les parties doivent avoir la disposition de l'objet : la société serait nulle, comme ayant un objet hors de la disposition des parties, si elle s'était formée, même de bonne foi, pour la mise en culture d'un sol appartenant à autrui, sans mandat du propriétaire; par exemple, d'un espace de terrain vague appartenant à l'Etat ou à un particulier absent ou inconnu.
III. La société serait nulle comme ayant une cause illicite: d'abord, lorsque l'objet serait lui-même illicite, car l'objet de la société est la source des bénéfices et, comme telle, est la eau se du droit de les partager.
Il y aurait encore cause illicite si la société était subordonnée, pour sa formation ou pour quelques-uns de ses effets, à une condition illicite : on sait que la condition suspensive a le caractère de cause de la convention qui en dépend.
Lorsqu'une société est déclarée nulle par le défaut de consentement ou par le vice soit de son objet, soit de sa cause, et que pourtant elle avait déjà fonctionné, il peut y avoir quelques difficultés sur les suites de cette nullité et le règlement des intérêts engagés. Sans doute, les apports qui n'ont pas encore été effectués ne devront pas l'être; mais y aura-t-il lieu à la restitution en faveur de ceux qui ont déjà apporté ? Et que fera-t-on des bénéfices déjà réalisés ou des pertes déjà éprouvées?
Ecartons d'abord, sauf à y revenir, les cas d'un objet ou d'une cause illicite, parce qu'ils comportent une solution particulière.
On doit décider que toutes les actions ou exceptions où l'une des parties se prévaudra, comme demanderesse ou défenderesse, de l'inexistence de la. société, seront recevables, et, au contraire, que celles où elle se fonderait sur la prétendue existence de cette société seront rejetées.
Ainsi, l'associé qui n'a pas effectué son apport pourra refuser de le fournir et, s'il l'a effectué, il le répétera comme fourni sans cause : dans les deux cas, il se prévaudra de la nullité de la société.
Mais si, pendant un certain temps, il y a eu des biens mis en commun, s'il y a eu une collaboration effective, cela constitue ce qu'on appelle une société de fait qui donne nécessairement lieu à des comptes et à une liquidation : s'il y a eu des bénéfices ou des pertes, la répartition active ou passive en devra être faite entre tous les intéressés, eu proportion de la valeur des apports de chacun ; ce ne sera pas seulement pat-analogie de la liquidation d'une société valable (v. art. 141), mais aussi et surtout en vertu du principe que nul ne doit s'enrichir sans cause au préjudice d'autrui.
Nous avons réservé le cas où il y aurait nullité de la société à raison de ce que l'objet ou la cause en serait illicite; dans ce cas, il y a ce qu'on appelle turpitude, des deux côtés, et la conséquence est qu'il n'y aura pas d'action en répétition des apports indûment effectués, ni distribution des profite, ni répartition des pertes : les choses resteront dans l'état où elles se trouveront, afin que les tribunaux n'aient pas à s'occuper d'un fait illicite pour en assurer le profit à ceux qui l'ont commis, ou pour réparer la préjudice qu'ils en ont éprouvé (v. Liv. des Riens, art. 367).
IV. La capacité requise pour entrer dans une société ne présente pas de dérogation au droit commun ; un mineur, par exemple, ne pourrait pas former une société civile, tant parce qu'il ne peut aliéner que parce qu'il ne peut s'obliger.
Il n'y a pas de prohibition pour former société entre époux, comme il y en a pour la vente.
V. Quant à la preuve, la loi ne place pas non plus le contrat de société en dehors du droit commun. Dans quelle mesure la preuve par témoins sera-t-elle admise, en général? C'est le Livre des Preuves qui le dit; mais il n'y a, à cet égard, ni faveur, ni rigueur, pour le contrat de société.
Art. 120. Les sociétés civiles seront formées en considération des personnes : il faut une confiance absolue dans l'honnêteté, dans l'intelligence et dans la solvabilité d'une personne pour entreprendre avec elle une série d'opération plus ou moins longues et difficiles dont on espère un profit pécuniaire.
On verra plus loin (art. 142) que l'une des conséquences de ce caractère des sociétés est l'impossibilité pour chaque associé de se substituer un tiers en le faisant entrer à sa place dans la société ; une autre conséquence sera la dissolution de la société par la mort d'un des associés, car les survivants n'ont pas accepté de rester associés entre eux, ni d'avoir pour associé l'héritier du décédé, sauf convention contraire (voy. art. 147, 2e al.).
Mais cette considération des personnes est elle-même une entrave au développement des sociétés, elle expose les associés à ne pouvoir trouver des capitaux suffisants parmi les personnes avec lesquelles ils ont des relations d'affaires ou d'amitié, et aussi à voir la société se dissoudre par un décès, au moment le plus défavorable.
Pour remédier à cet inconvénient on a imaginé d'attacher le droit et la part de chaque associé à un titre facilement cessible appelé action: la société est alors fondée sur la considération des capitaux versés et non plus sur celle des personnes. Mais le nouveau Code de Commerce déclarant qu'une société devient commerciale par cela seul que son capital est divisé en actions (v. art. 155), il n'y a pas lieu de s'en occuper ici.
SECTION II DES DROITS ET OBLIGATIONS DES ASSOCIES.
Art. 121. C'est une règle de droit commun que les droits qui ne sont affectés ni d'un terme ni d'une condition et qui. pour cette raison, sont dits “purs et simples,” sont immédiatement exigibles, dès que l'acte qui leur donne naissance est lui-même parfait (v. Liv. des Biens, art. 402).
La loi applique cette règle à la société : d'abord à sa naissance, dans le 1er alinéa du présent article, ensuite à la réalisation des apports dans le 2e alinéa.
Mais la loi admet aussi une convention tacite autant qu'expresse pour la fixation d'un autre terme ou d'une condition retardant ou suspendant le commencement de la société ou de la réalisation d'un on plusieurs apports.
En effet, il peut résulter de l'objet de la société une preuve suffisante qu'elle ne peut commencer à fonctionner utilement qu'après un certain temps ou si un certain événement s'accomplit.
Par exemple, une société s'est formée, au mois de janvier, pour la pêche dans l'ile de Hokkaïdo ou dans les Tchisima ; cette pêche ne peut avoir lieu avant le mois d'avril ou de mai ; pour atteindre l'objet de la société, l'un doit fournir le bateau, l'autre de l'argent pour les provisions et les appareils, plusieurs autres doivent donner leur travail ; dans ce cas, bien que Ton conçoive, à la rigueur, que la société existe avant de pouvoir fonctionner, on peut reconnaître qu'en fait, telle n a pas etc 1 intention des parties, lesquelles n'ont pas agi en jurisconsultes, mais en spéculateurs.
De même, s'il s'agit de la formation d'une société pour l'exploitation d'une mine, pour laquelle il faut l'autorisation du Gouvernement, la société sera tacite ment retardée dans sa formation jusqu'à l'obtention de ladite autorisation, elle y sera même subordonnée.
Le 2e alinéa a surtout pour but de dire, implicitement, que l'associé est plein droit en demeure, s'il n'effectue pas son apport au moment où il est du: bien que la loi n'emploie pas cette formule générale, il ne faut pas douter que ce ne soit sa pensée et que toutes les conséquences de la mise en demeure ne se produisent, outre celles que la loi exprime ici : notamment, si la chose due est un corps certain, elle sera désormais aux risques de l'associé, en cas de perte fortuite et si elle n'avait pas dû périr au cas où elle aurait été livrée (voy. Liv. des Biens, art. 335).
Ce qui est encore à remarquer dans le présent article, c'est que les sommes d'argent non versées en temps utile par les associés produisent non-seulement les intérêts légaux conformément au droit commun, niais encore des dommages-intérêts supplémentaires. L'article 391 du Livre des Biens, 1er alinéa, a réservé les cas où ce supplément serait permis par la loi. La seule différence entre ces deux classes d'intérêts c'est que les premiers seront dus, sans que les associés tenus de justifier d'aucune perte : la perte est présumée (voy. Liv. des Biens, art. 392) ; tandis que les seconds ne seront dus que sur la justification spéciale d'une perte supérieur à celle des intérêts légaux.
Art. 122. L'apport consistant en services ou en industrie présente diverses particularités qu'on rencontrera chemin faisant ; la première a déjà été signalée: il doit être continu, de sorte qu'il n'est complètement effectué que quand la société prend fin ; par contre, c'est un apport temporaire: il ne reste pas dans la société comme un capital faisant partie du fonds social et partageable lorsque la société prend fin, l'associé recouvre le droit d'employer ailleurs scs services ou son industrie ; enfin, par l'effet même de ces deux caractères, l'apport de services ou d'industrie n'est pas susceptible de recevoir une évaluation aussi précise, aussi exacte que les autres apports, et cela influera sur sa participation aux bénéfices et aux pertes (v. art. 141).
La loi ne s'occupe ici que de régler l'indemnité due par l'associé qui a négligé d'effectuer son apport de services ou d'industrie.
Deux cas sont supposés : 1° l'associé a simplement négligé de donner à la société son temps, ses soins ou son talent, dans la mesure où ils les avait promis ; 2° pendant qu'il commettait cette négligence, il donnait son temps, ses soins ou son industrie à des affaires extérieures ou à lui personnelles.
L'indemnité variera suivant que l'associé se trouvera dans le premier ou dans le second cas.
S'il est dans le premier cas, il est naturel et juste qu'il répare le dommage qu'il a causé à la société en ne faisant pas pour elle ce qu'il lui a promis, et cette réparation devra comprendre aussi bien la perte éprouvée que le gain manqué.
S'il est dans le deuxième cas, il n'est pas moins juste qu'il restitue le gain qu'il a pu réaliser en employant son temps et son talent à d'autres affaires que celles de la société.
Ce qui ne serait pas juste, ce serait qu'il fût tenu des deux indemnités ; aussi n'en doit-il qu'une seule.
La loi aurait pu dire qu'il devrait la plus élevée des deux, car chacune prise isolément sc justifie.
Mais cette solution aurait nécessité deux évaluations précises et complètes, afin que la comparaison pût se faire avec exactitude et c'eût été une cause de lenteurs et de frais. La loi préfère donner le choix aux associés lésés.
Il leur suffira donc d'avoir un premier aperçu des deux valeurs comparatives pour faire d'abord leur choix ; ensuite, ils feront procéder, contradictoirement avec l'associé fautif, à l'estimation du dommage qu'il a causé à la société ou du gain qu'il a réalisé séparément.
Art. 123. Le contrat de société étant à titre onéreux, il est naturel qu'il oblige à la garantie des apports, cette garantie a trois applications possibles: au cas d'éviction, au cas où la quantité promise ne se trouverait pas dans la chose, et au cas où la chose aurait des vices rédhibitoires. Il est tout naturel d'appliquer ici les règles établies à ce sujet pour la vente, et l'on ne craint pas de signaler encore cette analogie de deux situations voisines, quoique le principe de l'obligation de garantie ait été posé d'une manière générale pour tous les contrats à titre onéreux (v. Liv. des Biens, art. 395 et 396). Il ne faut pas d'ailleurs exagérer l'assimilation, à cet égard, de l'associé à un vendeur : pour un vendeur, l'obligation de garantie se décompose en plusieurs objets ; notamment, il doit rendre le prix qu'il a reçu, toujours, et, en outre, des dommages-intérêts, si la chose a augmenté de valeur (v. ci-dess., art. 57 et s.); l'associé ne devra jamais que des dommages-intérêts, d'après la valeur au jour de l'éviction.
Le texte de notre article assimile encore l'associé à un vendeur, pour l'obligation de la garantie de contenance (v. art 48 et suiv.), et la disposition est nécessaire, parce que le principe de cette garantie n'est pas aussi général que celui d'éviction En établissant ici la garantie du défaut de contenance, le présent article ne prévoit pas le cas inverse, celui où la quantité fournie serait plus grande que celle qui a été promise ; mais il ne faudrait pas hésiter à y appliquer encore les règles de la vente, c'est-à-dire à indemniser l'associé de l'excédant de son apport (voy. art. 49 et s.).
Pour la garantie des vices rédhibitoires, les articles t
94 et suivants seraient applicables entre associés.
Voilà pour le cas où l'apport consiste en pleine propriété.
Mais si l'associé n'a promis que la jouissance de la chose, alors la loi lui impose l'obligation de garantie de la jouissance telle que la doit un bailleur: elle est plus étendue que celle due par un vendeur, car elle s'applique même aux obstacles que la jouissance de la société pourrait rencontrer par suite de causes fortuites ou majeures (voy. art. 131).
Si l'associé exprimait formellement qu'il apporte en société l'usufruit de sa chose, ou l'usufruit qu'il a sur une chose d'autrui, il pourrait être assimilé à un vendeur d'usufruit plutôt qu'a un bailleur; mais il ferait sagement de le stipuler expressément.
Art. 124. Le succès de la société dépendra en grande partie de la manière dont elle sera administrée. Les associés feront donc sagement de pourvoir avec soin au choix des administrateurs ou gérants et, en les choisissant, de déterminer leurs pouvoirs avec le plus de précision possible.
Il allait de soi, à la rigueur, que “chaque administrateur doit se renfermer dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés,” et si la loi prend la peine de l'exprimer, c'est pour mieux faire ressortir le cas où les pouvoirs n'ont pas été déterminés et pour que les deux cas soient réglés.
Dans cette matière où la liberté des conventions est absolue, la loi doit seulement statuer sur ce qui aura lieu dans le silence des parties, par interprétation de leur volonté présumée.
D'abord, les administrateurs feront les actes qui ont pour but de conserveries biens, comme les réparations, tant grosses que d'entretien ; ils acquitteront les charges, tant publiques, comme les impôts, que privées, comme les dettes exigibles valablement contractées poulie compte de la société ; ils pourront faire aussi des actes tendant à améliorer le fonds social, par exemple, des travaux d'irrigation, de dessèchement, des murs de clôture ou de soutènement ; mais sans que ces actes entraînent de risques exceptionnels et pourvu qu'on n'y emploie pas des capitaux nécessaires aux opérations normales de la société.
Ils ne pourraient, sauf l'exception indiquée ci-après, acheter ou vendre des immeubles, parce que ce sont, des actes qui peuvent compromettre le patrimoine social, au lieu de l'améliorer.
Lorsqu'on veut savoir si un acte est, par sa nature, permis ou défendu aux administrateurs de la société, il faut se reporter aux actes d'administration de la chose d'autrui, comme en peuvent faire les tuteurs pour les biens de leur pupille, les copropriétaires pour la chose commune.
Mais le texte permet aux administrateurs de la société des actes qui seraient interdits aux administrateurs précités, comme étant plutôt des actes de disposition du fonds social ; ce sont les actes qui rentrent par eux-mêmes dans le but ou l'objet de la société. Par exemple, ils pourraient acheter ou vendre des immeubles si, justement, l'objet de la société était de spéculer sur l'achat et la vente des terrains. En effet, le principal rôle de l'administrateur d'une société est d'en realiser l'objet, quelle que soit la nature des actes pour lesquels elle a été contractée.
Supposons encore une société qui aurait pour objet de bâtir des maisons pour en louer l'usage : les administrateurs pourraient, non-seulement bâtir, ce qui ne rentre pas dans les actes ordinaires d'administration, mais encore ils pourraient faire des baux d'une durée supérieure à celle à laquelle peuvent consentir les administrateurs de la chose d'autrui (v. art. 119 et 120).
Au contraire, ils ne pourraient emprunter, même sans intérêts : l'emprunt est défendu en général, aux simples administrateurs, parce qu'il est facile de dépenser imprudemment les sommes empruntées ; par suite, il est difficile de les rembourser au temps convenu, et il en résulte des saisies et des rigueurs du créancier qu'on n'avait pas suffisamment prévues Les administrateurs ne pourraient non plus plaider comme demandeurs ou défendeurs, si ce n'est en matière de possession : un procès mal à propos intenté, une défense mal conduite, peuvent entraîner de grandes pertes et il faut avoir le droit de disposer des biens engagés dans le procès pour se passer d'autorisation de plaider ; mais les actions pôssessoires ne préjugent pas le fond du droit ; elles sont plutôt conservatoires et elles ont un caractère d'urgence qui motive l'intervention immédiate de l'administrateur.
Il va de soi que les administrateurs ont le pouvoir d'engager, pour les affaires de la société, des commis et des employés subalternes agissant sous leur responsabilité, ou des serviteurs et ouvriers ; ils peuvent aussi les révoquer ou les congédier.
La loi devait prévoir le désaccord des administrateurs sur l'utilité ou l'opportunité de certains actes. Elle admet ici l'application d'un principe de raison universelle que “dans le doute, il convient de s'abstenir” ; les jurisconsultes romains l'ont formulé en axiome pour le cas qui nous occupe et, généralement pour le cas de désaccord entre co-intéressés : “dans des situations égales, “ou avec des droits égaux, la volonté de celui qui dé-“fend (qui refuse ou s'oppose) est préférable.”
Mais le sursis à l'acte ne doit être que temporaire.
Les associés devront se réunir à cet effet et délibérer sur le point de savoir si l'acte contesté sera fait.
La loi n'exige pas l'unanimité pour cette délibération : c'est un des cas où la majorité suffit, parce qu'il ne s'agit pas de modifie r le contrat mais de l'exé-cuter, ainsi que le principe va en être posé plus loin.
Art. 125. Il est évidemment nécessaire qu'une société soit administrée, comme tout patrimoine, comme toute entreprise doit l'être ; si le contrat ne désigne pas d'administrateurs, c'est alors la loi qui les désigne, par interprétation de la volonté présumée des parties, et, comme elle ne pourrait désigner un associé plutôt qu'un autre, elle déclare que tous sont administrateurs, avec les mêmes pouvoirs que ceux qu'ils auraient s'ils étaient nommés par le contrat, sans autre spécification.
Cette situation cesserait si, plus tard, les associés nommaient expressément des administrateurs ; mais ce cas est différent de celui d'un simple dissentiment sur un acte d'administration, tel qu'il est prévu à l'article précédent, et la loi exige l'unanimité des voix, parce qu'il ne s'agit pas là d'exécuter le contrat, mais de le modifier, c'est-à-dire de substituer un mode d'administration à un autre.
Art. 126. Dans le cas du 1er alinéa, les administrateurs ou gérants ont un caractère statutaire ; il est donc juste qu'ils ne puissent être révoqués que de la manière par laquelle on changerait les statuts de la société, c'est-à-dire à l'unanimité des voix, en y comprenant même, comme la loi a soin de l'exprimer, les voix de ceux qu'il s'agit de révoquer, ce qui équivaut à une démission de leur part : aussi, quand ils consentiront à se retirer, ils ne manqueront pas de le faire avant le vote.
Toutefois, s'il y avait lieu de leur reprocher des actes d'impéritie ou d'infidélité, leur révocation pourrait s'effectuer sans leur consentement, c'est ce que la loi appelle une “cause légitime.” Dans ce cas, du moment qu'il y aurait contestation, ce serait aux tribunaux de statuer sur la révocation demandée.
Dans le cas où la nomination n'est plus statutaire, mais postérieure à l'acte, les administrateurs nommés ne sont plus que des mandataires, ordinaires, bien qu'ils puissent d'ailleurs être associés ; il est donc juste qu'ils soient révocables comme mandataires et sans leur consentement, bien que ce consentement ait été nécessaire pour l'acceptation du mandat : ici, ils ne peuvent plus alléguer, comme ils le pouvaient dans le premier cas, qu'ils ne sont entrés dans la société que parce qu'ils savaient qu'ils en seraient administrateurs. Cela est encore plus évident quand ils ont été nommés en remplacement d'anciens administrateurs statutaires qui auraient été eux-mêmes révoqués ou auraient donné leur démission.
La loi, pour ne pas compliquer la matière, ne fait pas de différence entre le cas où les nouveaux administrateurs en remplacent d'autres qui se retirent et celui où ils prennent la gestion antérieurement exercée par ous, à défaut d'autre désignation.
Art. 127. Ici, il n'y a pas de dérogation aux statuts : c'est, au contraire, les observer et les appliquer que remplacer les administrateurs empêchés ; par conséquent, la majorité des voix suffit.
On remarquera deux choses à ce sujet : 1° pour qu'il fi ait lieu de remplacer un administrateur décédé, il faut supposer qu'il n'était pas un des associés autrement, sa mort dissoudrait la société, à moins que le contraire n'eût été convenu, conformément à l'article 147 ; 2° le texte ne s'applique pas au cas de l'article 125 où tous les associés sont administrateurs, à défaut d'autre désignation, parce que, dans ce cas, il serait impossible de remplacer par un autre associé celui qui serait démissionnaire ou révoqué, puisque tous les autres sont déjà administrateurs.
Art. 128. La loi indique ici d'une manière générale au moyen d'une distinction, quand la majorité des voix suffit et quand l'unanimité est nécessaire. Lorsqu'il ne s'agit que d'exécuter les statuts, il est naturel que la majorité suffise : les parties ont tacitement consenti à ee que les mesures nécessaires à l'exécution des statuts ne puissent être entravées par la volonté du plus petit nombre. Mais lorsqu'il s'agit de changer les statuts ou de les suppléer, il y a là une chose imprévue pour laquelle l'unanimité est nécessaire.
Il ne faudrait pas croire qu'il y a une rigueur à exiger l'unanimité pour déroger ou suppléer aux statuts et qu'à défaut de texte la majorité suffirait : c'est une illusion fréquente que de croire qu'en cas d'intérêts collectifs, la majorité des intéressés peut imposer sa volonté à la minorité : cela ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une convention spéciale ou d'un texte de loi et la loi doit elle-même être très réservée pour édicter, cette règle. Hors ces cas, on se retrouve en présence de la règle général que " les conventions font loi entre les “parties et ne peuvent être révoquées que de leur con-“sentement réciproque” (v. Liv. des Biens, art. 327).
Comme application du 2e alinéa où il faudrait l'unanimité des voix, nous citerons le cas où il s'agirait d'étendre ou de restreindre l'objet de la société, c'est-à-dire ses opérations ou bien d'augmenter ou de diminuer son capital, c'est-à-dire les mises de chacun, ou en fin d'augmenter ou de diminuer le nombre des associés.
Mais, on comprend que les associés soient convenus, à l'origine du contrat, que la majorité absolue des voix ou un nombre supérieur, comme les deux tiers ou les trois quarts, suffise, même pour les actes les plus graves, on en sens inverse, qu'une majorité de plus de moitié des voix soit nécessaire pour des actes de simple administration.
La loi elle-même peut modifier les règles qui précèdent; c'est ce qu'elle fera plus loin, pour la dissolution qui, dans certains cas, peut être provoquée par un seul associé.
Art. 129. On sait, par ce qui a été dit au sujet du payement (Liv. des Biens, art. 470 à 473), qu'il y a lieu à imputation du payement quand le débiteur ayant plusieurs dettes de même nature envers une même personne fait un payement qui ne suffit pas à les éteindre tontes ; il faut alors déterminer laquelle est éteinte ; l'application de ce payement à l'une des dettes s'appelle imputation. L'imputation peut être faite par le débiteur ou par le créancier, sous certaines limites et conditions ; à défaut d'imputation par l'une ou l'autre des parties, l'imputation est faite par la loi, c'est-à-dire qu'elle a lieu de plein droit sur l'une ou l'autre des dettes ou sur toutes à la fois, proportionnellement, suivant de nouvelles distinctions.
Disons d'abord que, dans le cas qui nous occupe, ce n'est que par extension que l'on peut dire que le débiteur a plusieurs dettes envers la même personne : en réalité, il doit à un associé individuellement et à la société, personne morale, distincte de l'associé ; mais cette différence est négligée par la loi, pour que l'associé ne puisse s'appliquer exclusivement le profit du payement ; d'ailleurs, il y a des cas où la société n'est pas une personne morale (v. art. 118).
La loi veut, en principe, que l'associé impute le payement qu'il reçoit sur les deux créances, proportionnellement à leur montant respectif Ainsi, il imputera pour moitié sur chacune, si elles sont égales, pour un tiers sur l'une et deux tiers sur l'autre, si la seconde est double de la première, et ainsi de suite.
Il pourrait, il est vrai, faire une imputation intégrale sur la créance de la société, parce qu'il renoncerait à son droit en faveur de celle ci ; mais s'il imputait tout le payement sur sa propre créance, il y aurait lieu de ramener l'imputation à la proportionnalité.
Voici maintenant une première limite à l'application de cette mesure un peu sévère: elle ne concerne que l'associé qui est, en même temps, administrateur; en effet, celui-là seul a l'obligation de veiller aux intérêts sociaux ; seul, il peut recevoir ce qui est dû à la société et c'est parce qu'il peut recevoir qu'il le doit, quand un payement, même partiel, lui est offert. Au contraire, le simple associé, non administrateur, recevant un payement de son débiteur, petit, sans manquer à son devoir, imputer le payement sur sa créance en entier.
La loi nous dit encore que l'obligation imposée à l'associé au sujet de l'imputation ne prive pas le débiteur du droit de faire lui-même l'imputation à son gré, en tant qu'il y a intérêt, conformément au droit commun. Il est vrai que, dans les cas ordinaires, on ne recherche pas si le débiteur fait l'imputation suivant son intérêt, et qu'on le recherche ici ; mais il y a à cela un motif facile à saisir : dans les cas ordinaires, l'imputation faite par le débiteur ne peut avoir d'autre mobile que son intérêt, tandis qu'ici elle peut être le résultat d'une entente complaisante ou frauduleuse avec l'associé, pour favoriser celui-ci au détriment de la société.
On aurait pu prétendre que si l'on ne pouvait contester au débiteur le droit d'imputer son payement, à son gré, même sur la créance de l'associé en entier, cette imputation serait sans effet contre la société, laquelle pourrait toujours exiger que l'associé lui restituât ce qui devrait lui revenir dans une imputation proportionnelle. Mais, en y regardant de près, on arrive facilement à reconnaître que le résultat serait tout-à-fait injuste.
Supposons, en effet, que la créance personnelle de l'associé fût productive d'intérêts et que celle de la société fût sans intérêts, ou que la première fût ga rantie par une hypothèque et que la seconde ne fût que chirographaire ; si le débiteur, suivant son intérêt légitime et sans qu'il y ait aucune preuve de fraude, impute sur la créance productive d'intérets on sur celle qui est hypothécaire, c'est-à-dire sur la créance de l'associé, et que celui-ci soit obligé d'abandonner à la société une parties des sommes qu'il a reçues, il n'aura plus droit à des intérêts et il n'aura plus la garantie de l'hypothèque pour sa part dans la créance sociale. C'est ce résultat qui est injuste et qu'il faut repousser.
Avec notre texte, l'imputation faite par le débiteur sur la créance de l'associé sera maintenue pour le tout, parce qu'elle est légitime et à l'abri de tout soupçon de fraude ou de collusion.
Le texte de notre article termine en disant qu'à défaut d'imputation par le débiteur ou par le créancier, l'imputation légale aura lieu conformément au droit commun (voy. Liv. des Biens, art. 472): ainsi, elle portera d'abord sur la dette que le débiteur avait le plus d'intérêt à acquitter, comme il l'aurait faite lui-même s'il avait été prévoyant ; s'il n'y a pas de cause légitime de préférence pour une créance plutôt que pour l'autre, l'imputation sera proportionnelle à chaque créance, selon le premier vœu de la loi.
Art. 130. Cet article ne suppose plus que l'associé qui reçoit quelque chose d'un débiteur de la société soit en même temps créancier du même débiteur; un associé ne peut, tant que dure la société, obtenir sa part des créances, pas plus que sa part des autres droits ou des autres biens de la société. S'il est administrateur, ce qu'il reçoit est reçu nécessairement au nom de la société et doit profiter aux autres autant qu'à lui-même ; s'il n'est pas administrateur, il a eu tort de s'immiscer dans la gestion et ce ne doit pas être pour lui une cause de profit.
Il ne faudrait pas voir en cela une contradiction avec l'article précédent où l'on a vu que l'associé “qui n'est pas administrateur” peut faite l'imputation d'un payement sur sa propre créance, en entier : dans ce cas, il avait une créance personnelle, en même temps que la société en avait une ; ici, il n'y a qu'une créance, celle de la société, et l'associé qui, sans être administrateur, en reçoit une partie, a au moins les obligations d'un gérant d'affaires.
Art. 131. Bien que la règle, ici encore, soit posée pour “tout associé,” administrateur ou non, cela ne veut pas dire qu'elle s'appliquera aussi souvent à l'un qu'à l'autre : il est clair que celui qui est administrateur aura bien pins d'occasion de commettre des actes fautifs ou des omissions que celui qui n'a ni le pouvoir ni le devoir de gérer. Mais ce dernier peut se trouver responsable de fautes ou de négligences dans plusieurs cas dont voici des exemples :
1° Il s'est indûment immiscé dans la gestion et il a fait des actes maladroits: il est évidemment responsable ; si même il a o ni i s des actes nécessaires dans les affaires dont il s'est occupé, il est encore responsable, car, s'il ne s'était pas occupé de ces affaires, un autre aurait pu s'en charger et les mieux gérer ;
2° Il a usé maladroitement de choses appartenant à la société et dont l'usage était commun ;
3e Tl a mal conservé les choses qu'il avait promis d'apporter à la société, soit en propriété, soit en jouissance.
Quant à l'associé administrateur, les cas où sa responsabilité peut être encourue sont si nombreux et si faciles à trouver que les exemples en seraient superflus.
Le 2e alinéa demande quelques mots de justification.
Au premier abord, il semble que la loi soit trop sévère en n'admettant pas la compensation entre les dommages causés et les profits procurés à la société par l'associé, quand surtout il s'agit de l'administrateur, on pourrait prétendre qu'il a à rendre à la société un compte général de sa gestion et que, dans ce compte, on fera la somme et la balance de ses actes profitables et nuisibles, pour ne le rendre débiteur que de l'excédant des dommages sur les profits.
Cette théorie est soutenable pour le gérant d'affaires, peut-être même pourrait-on l'étendre au mandataire non salarié; niais l'appliquer à l'associé administrateur serait se méprendre tout-à-fait sur son rôle ; il a, en effet, deux obligations cumulées : prendre soin des affaires sociales, de manière à prévenir les pertes ou dommages, et faire prospérer lesdites affaires, de manière à ce qu'il y ait des profits à partager ; or, ce n'est pas parce qu'il aura rempli l'une de ces obligations, la dernière par exemple, qu'il sera dispensé de remplir l'autre ou absout de l'avoir négligée.
En fait, assurément, les associés seront moins exigeants au sujet de la réparation des dommages envers celui qui leur aura, d'un autre côté, procuré d'importants bénéfices ; les tribunaux eux-mêmes, si la question leur est portée, ne pourront guère se soustraire à une pareille indulgence : par exemple, ils admettront facilement que le gérant ait pu négliger de petites affaires, pendant qu'il en faisait prospérer de plus grandes; mais ils ne devront pas l'énoncer comme un principe de droit et de justice : ils se fonderont sur la bonne foi qui doit gouverner l'exécution des conventions (v. Liv. des Biens, art. 329).
La loi apporte une exception ou au moins un tempérament à cette défense de compensation entre les pertes et les profits ; c'est lorsque les affaires qui ont causé les pertes sont liées, sont connexes à celles qui ont procuré les profits. La raison est qu'il faut considérer ces diverses affaires comme un tout indivisible, et ici il deviendrait tout-à-fait injuste d'apprécier séparément des affaires connexes, presque autant qu'il le serait de décomposer une affaire unique dans ses diverses phases, pour chercher dans les unes des dommages à réparer et dans les autres des profits à communiquer. Quelquefois même, quand des affaires sont liées, le gérant est obligé de faire quelque sacrifice sur l'une pour réaliser l'autre avec tons ses avantages.
Un principe qui domine tous les rapports entre associés, c'est qu'ils se doivent une bienveillance réciproque. Les Romains disaient déjà, et l'on répète volontiers après eux, que "les débats entre associés ne doivent pas être menés avec rigueur," ils avaient même admis que, pour l'appréciation des fautes ou négligences d'un associé dans les affaires communes, on ne devait le rendre responsable que de celles qu'il n'aurait pas commises dans ses propres affaires : alors, il y avait, en quelque sorte, mauvaise foi ou faute lourde. Cette exception, encore suivie dans l'ancienne jurisprudence européenne, a été abandonnée dans les temps modernes où l'on a posé en règle que celui qui gère la chose ou les intérêts d'autrui doit y apporter les soins "d'un bon père de famille,” et l'on n'a pas introduit d'exception entre associés.
Le Code japonais a reproduit le même principe (Liv. des Biens, art. 334): il a réservé les cas ou la loi serait moins sévère, sans les énoncer ; mais il n'admet pas d'exception en matière de société. Voyons d'ailleurs sur qui elle se fonderait.
Les Romains, pour ne demander à l'associé, dans les affaires communes, que les soins qu'il apportait à ses propres affaires, en donnaient une raison qui n'est nullement décisive : c'était que les associés s'étaient choisis, et qu'ils devaient s'imputer à eux-mêmes la faute d'avoir choisi un associé peu diligent.
Si ce motif eût été suffisant, il aurait fallu l'appliquer à bien d'autres rapports qu'à ceux des associés, il seait applicable entre presque tous les autres contractants : au mandataire que le mandant choisit, au locataire, à l'emprunteur à usage que le bailleur ou le prêteur choisit également; or, les Romains n'ont jamais étendu à ces débiteurs la tolérance dont il s'agit.
La meilleure raison eût été, et serait encore aujourd'hui, que les fautes de l'associé, en même temps qu'elles atteignent les autres associés, retombent aussi sur celui qui les commet, ce qui le punit déjà en partie et donne lieu de croire qu'il a fait le mieux qu'il a pu.
Mais ce raisonnement n'a été admis que pour un cas particulier, objet de l'article suivant.
Art. 132. La distinction ici proposée, au sujet de la responsabilité des fautes, entre les associés qui gèrent en vertu d'un mandat formel et ceux qui ne gèrent que parce qu'il n'a pas été nommé de gérant par le contrat de société est facile à justifier.
Quand le contrat n'a pas désigné d'administrateurs, comme il n'en faut pas moins que la société soit administrée, la loi reconnaît à chacun le droit de gérer; mais on comprend que la responsabilité corrélative à l'exercice de ce droit soit moins rigoureuse que contre ceux qui ont reçu à cet égard un mandat formel ; en effet, ou le défaut de nomination de gérants résulte d'un oubli, d'une négligence commune, et alors les associés n'ont pas le droit d'être bien sévères contre ceux qui auront géré ; ou bien, c'est à dessein qu'ils n'ont pas désigné de gérant, ayant confiance les uns dans les autres également ; dans les deux cas, ils n'ont pas à se plaindre si ceux qui ont géré ont pris autant de soins pour les affaires de la société que pour les leurs propres.
Dans l'explication du présent article et du précédent on a supposé des fautes ou des négligences commises dans la gestion, mais ou n'a pas prévu le cas où l'associé qui devait gérer aurait tout-à-fait négligé de le faire. La même différence de sévérité devrait s'appliquer entre les deux sortes de gérants : celui qui a été formellement nommé gérant ou administrateur serait joujours responsable du défaut de gestion, même du simple retard apporté dans la prise de la gérance ; tandis que celui qui n'a le d r o i t de gérer que par application de l'article 125, n'en ale devoir et ne serait responsable du défaut de gestion que si, d'après les circonstances, il était le seul qui pût faire les actes de gestion négligés : autrement, les autres associés seraient responsables à leur tour envers lui et ces responsabilités mutuelles se neutraliseraient.
Mais si nous supposons que certains biens de la société étaient situés dans une localité où un seul des associés résidait, ce serait, à lui naturellement qu'aurait incombé l'obligation de gérer ces biens; s'il s'agissait de vendre des produits agricoles de la société et que l'un des associés eût l'habitude de vendre lui-même des produits similaires de ses propriétés, il serait en faute de n'avoir pas vendu en même temps et aux mêmes cours les produits des fonds sociaux.
Dans l'application de ces deux articles sur responsabilité des fautes, les tribunaux devront, plus encore qu'en tout autrer cas, tenir grand compte des circonstances du fait et être peu rigoureux.
Art. 133. Cet article demande quelques remarques :
1° On ajoute aux dépenses nécessaires ou de conservation celles d'entretien qui ne sont pas moins utiles que les premières, puisque ce sont les dépenses d'entretien qui préviennent la dégradation et les grosses réparations ;
2° On indique dans quelle mesure chaque associé doit contribuer auxdites dépenses, et il est naturel que ce soit non par portion égale ou par tête, mais proportionnellement aux droits de chacun, lesquels droits donc basés sur l'importance des apports comme on le verra bientôt ;
3° On subordonne cette obligation à la condition qu'il n'y ait pas de sommes disponibles dans le fonds social, soit comme revenus, soit même comme capitaux, car il ne faudrait pas obliger les associés à faire de nouvelles avances lorsque toutes les mises n'ont pas été employées ; il va sans dire que les déboursés ainsi faits pour les réparations seront restitués aux associés sur les premiers fonds disponibles ;
Art. 134. Cet article et le suivant complètent ce qui est relatif aux comptes respectifs que les associés peuvent avoir avec la société.
Il est naturel qu'un associé soit indemnisé des sacrifices qu'il a faits dans l'intérêt commun et des pertes qu'il a éprouvées à l'occasion de cet intérêt.
Le texte exprime que cette disposition s'applique autant à l'associé qui n'est pas gérant qu'à celui qui a cette qualité. En effet, la qualité de gérant peut modifier l'application de cette disposition, mais elle n'en est pas la condition essentielle: un associé qui n'est pas gérant peut avoir été amené par les circonstances à faire des actes dans l'intérêt de la société ou à souffrir a l'occasion de celle-ci, et il n'y a pas raison de le traiter ni mieux ni plus mal que le gérant. Les réclamations ne lui sont d'ailleurs permises, à ce sujet, que sous des conditions qui suffisent à prévenir les abus.
Ainsi les dépenses par lui faites doivent avoir été “utiles,” c'est-à-dire avoir profité à la société; les engagements contractés doivent l'avoir été “de bonne foi,” c'est-à-dire avec un but utile, lors même que, par l'événement, le but n'aurait pas été atteint ; enfin, les dommages doivent avoir été “inévitables,” c'est-à-dire ne pouvoir être attribués à la faute ou à l'impéritie de l'associé.
Art. 135. Déjà l'article 121 a fait courir les intérêts de plein droit au profit de la société contre l'associé qui est en retard d'effectuer son apport. Le présent article décide de même contre lui dans le deuxième alinéa et sa faveur dans le premier.
Le motif de cette dérogation à la règle générale d'après laquelle une mise en demeure est nécessaire pour faire courir les intérêts (v. Liv. des Biens, art. 384) est qu'entre associés il faut, autant que possible, éviter toute mesure qui peut paraître vexatoire ou irritante ; or, si l'associé qui est créancier ne pouvait faire courir les intérêts moratoires que par une sommation ou une demande en justice, il indisposerait les autres par cette mesure ou il souffrirait dans son intérêt en ne l'employant pas. La loi le préserve de cette fâcheuse alternative.
On remarquera que la loi ne fait pas porter des intérêts de plein droit aux indemnités que l'associé à le droit de réclamer en vertu du 3e chef de réclamation qui lui est reconnu par l'article précédent : outre que ce serait une rigueur inusitée entre toutes personnes, il y a encore l'obstacle tiré de ce que ces indemnités ne sont pas liquidées tant qu'il n'y a pas eu jugement ou arrêté de compte.
Une autre dérogation au droit commun, déjà rencontrée dans l'article 121, est la possibilité que des dommages-intérêts viennent s'ajouter aux intérêts légaux comme réparation; l'article 391 du Livre des Biens, avait réservé des cas où la loi permettrait ce cumul ; il est naturel que la société soit un de ces cas, car la société s'est formée pour réaliser des bénéfices en commun ; ces bénéfices doivent vraisemblablement être supérieurs à l'intérêt ordinaire de l'argent; or, de même que l'associé qui a tiré du fonds social des sommes d'argent pour ses affaires particulières a empêché la société de réaliser ces bénéfices , de même celui qui a avance ses capitaux à la société lui a fourni l'occasion de grossir ces mêmes bénéfices, en même temps qu'il a pu se priver de les réaliser pour son propre compte.
Mais l'associé qui a avancé les fonds ne se fera pas attribuer les bénéfices de la société : ce n'est pas ce qu'elle a gagné qui sert de mesure à son droit, mais ce qu'il a perdu lui-même en se privant de ses capitaux.
Art. 136. La détermination des droits de chaque associé sur le fonds social est, pour ainsi dire, le point capital de cette matfère, car elle tend à atteindre le but de la société qui est de procurer des avantages communs à tous ses membres Il est naturel que la loi reconnaisse d'abord aux parties le droit de régler elles-mêmes leurs parts respectives et que ce droit soit absolu, en principe : d'où les mots du texte “à leur gré ;” mais, cette liberté reçoit plus loin deux exceptions (v. art. 138).
La détermination des parts peut se faire soit par l'acte de société, ce qui sera évidemment le plus sage et le plus fréquent, soit par un acte postérieur.
Si les parties, voulant fixer les parts par l'acte de société, ne parviennent pas à se mettre d'accord, elles ne signeront pas le contrat et la société ne se formera pas. Si, au contraire, elles ont signé, en réservant de fixer des parts ultérieurement, la société existe immédiatement et elle peut fonctionner comme il est dit plus haut.
Quand les parties s'occuperont ensuite de fixer les parts, si elles ne parviennent pas encore à tomber d'accord, à l'unanimité, pour ce règlement, il pourra arriver de deux choses l'une : ou qu'elles remettent à une autre époque une nouvelle tantative d'arrangement, et la société continuera à fonctionner, ou qu'elles y mettent fin, soit d'un commun accord, soit même sur la demande d'un seul des associés, comme on le verra possible à la Section suivante (art. 145).
Voyons maintenant, toujours avec le texte, ce qu'il faut entendre par ces “parts d'associés,” c'est à-dire sur quoi elles portent.
A cet égard, on a soin d'exprimer qu'il s'agit surtout “du fonds social,” et non pas seulement “des bénéfices et des pertes :”
Dans le langage ordinaire, on est porté à donner au mot “bénéfices” le sens d'une augmentation du fonds social, résultant du succès d'une ou plusieurs opérations. Ainsi, si une société formée avec des apports montant à 10,000 yens, a fait des achats et ventes qui ont porté son actif total à 12,000 yens au bout d'un an : on dira généralement qu'elle a 2000 yens de bénéfices ; cela est exact ; mais ce ne sont pas seulement ces 2000 yens sur lesquels il y a à fixer les droits des associés, ce sont encore les 10,000 yens provenant des apports primitifs. En réalité, on doit dire, avec le texte de notre article, que les associés ont droit à des parts du “fonds social,” en comprenant dans cette expression les profits qui le grossissent, ou en le considérant dans ce qui en reste, déduction faite des pertes éprouvées.
On pent être étonné, au premier abord, qu'il soit question de confondre les bénéfices avec les apports et de donner aux associés, par convention spéciale, des parts égales ou inégales dans cette masse : il semble qu'il serait plus naturel et plus juste que chacun, lors de la dissolution de la société, reprit ses apports, les prélevât avant le partage, soit en nature, soit en valeur, et que les dénefices seuls, les profits résultant des opérations fussent partagés, également ou inégalement, suivant l'importance respective des apports de chacun ou les diverses coopérations fournies à la gestion.
Assurément, ce mode de procéder serait généralement très-satisfaisant et il sera sans doute observé fréquemment, par les parties faisant usage de leur liberté à cet effet, ou par les arbitres choisis par elles dans le même but ; ce sera même, an fond, le mode de règlement des parts que la loi établira, avec une différence en la forme, lorsque les parties auront négligé de le faire (v. art. 141).
Mais il s'agit ici du règlement par les parties, et la loi leur laisse une entière liberté de fixer leurs parts respectives dans le fonds social : c'est à elles qu'il appartient d'abord d'évaluer l'importance respective des apports, pour en faire dépendre la part qui reviendra à chacun dans le fonds commun.
Sans doute, si tous les apports consistent directement en argent ou en objets mobiliers ou immobiliers estimés en argent, il est naturel que les droits de tous les associés sur le fonds social soient mesurés sur l'importance respective des apports et qu'ils soient égaux ou inégaux suivant les cas ; mais, même dans ces cas, ils auront dû tenir compte des soins donnés ou à donner par les uns ou les autres aux affaires sociales, ce qui déjà motivera un abandon de la proportionnalité des parts aux apports originaires ; il peut arriver aussi que certains apports soient difficiles à évaluer en argent, comme une industrie, agricole ou manufacturière, une clientèle ou un achalandage, un outillage dont l'usage seul serait apporté à la société.
On conçoit donc que les parties aient une liberté, sinon absolue, au moins considérable, pour le règlement des parts respectives.
Nous verrons à l'article 138 deux restrictions à cette liberté.
La loi ne va pas jusqu'à supposer que le fonds social ait été complètement épuisé par les pertes et qu'en fin de compte il n'y ait à supporter que des pertes ou un passif. La règle est la même : il n'y a pas de raison de différence entre les pertes qui épuisent le capital et celles qui l'excèdent. Du reste, l'article suivant suffît à lever les doutes à cet égard.
Cet article ne prévoit que le partage final du fonds social, augmenté des bénéfices ou diminué des pertes ; mais il faut l'étendre, naturellement, aux partages de bénéfices ou de pertes qui a lieu au cours de la société à des époques plus ou moins périodiques.
Art. 137. La première disposition de cet arcticle ne fait qu'appliquer le principe de la liberté des associés pour le règlement des parts : si la loi s'en explique, c'est surtout pour introduire dans la loi la présomption qui s'y rattache et la manière d'appliquer ce règlement.
Ainsi, d'après le 1er alinéa, on peut convenir que l'un des associés aura une part plus grande ou moindre dans les bénéfices que celle qu'il supportera dans les pertes.
Cette clause pourra se trouver motivée, dans l'intention des parties, sur la circonstance que l'un des associés aura apporté un capital plus considérable ou moindre que les autres, ce qui expliquera qu'il prenne une part plus forte ou moindre dans les bénéfices. En même temps, suivant qu'il participera à la gestion ou qu'il y restera étranger, cela motivera qu'il subisse une part plus ou moins forte dans les perses, comme ayant pu être ou non cause de l'insuccès des opérations. Dans ce cas, on verra sans doute le gérant, ayant apporté peu ou point de capital, prendre une moindre part dans les bénéfices que celle qu'il supportera dans les perses.
Le 2® alinéa tend à empêcher que l'on ne se méprenne sur l'intention des parties, lorsqu'elles n'auraient exprimé la part d'un des associés que pour les bénéfices on aurait pu croire que, n'ayant pas réglé les parts des perses, elles entendaient le laisser sous l'empire du règlement légal, tel qu'on le trouvera à l'article 141, pour le cas de silence des parties, auquel cas les parts sont proportionnelles aux apports ; ce serait établir indirectement et peut-être contrairement à 1 intention des parties ou de l'une d'elles, le défaut d identité des parts dans les bénéfices et les perses.
La loi rejette ce résultat, en présumant que le règlement des bénéfices implique, par présomption, celui des perses.
Il est. raisonnable, en effet, de penser que si les associés n'ont réglé que leurs parts dans les bénéfices c'est qu'il était naturel aussi qu'elles n'eussent songé qu'au succès de leur entreprise, comme s'il eût été de mauvais augure de prévoir que la société se liquiderait en perte.
Dans ce cas donc, il n'y aura pas diversité de parts dans les bénéfices et dans les perses.
Mais la loi ne prévoit pas le cas inverse ; par conséquent, elle ne présume pas, si les parties n'ont réglé que les perses qu'elles aient entendu régler les bénéfices de la même manière : l'actif alors sera partage proportionnellement aux apports, d'après l'article 141. En effet, du moment que la prévision d'une liquidation en perte est anormale et qu'on a chargé des perses un ou plusieurs associés plus que les autres, c'est qu'il y a de cela quelque raison tout exceptionnelle et les exceptions ne s'étendent pas par analogie.
Le 3e alinéa prévient une autre erreur qui pourrait être commise dans l'interprétation de ces deux clauses distribuant diversement les bénéfices et les perses. Ainsi, si 1 un des associés a droit à la moitié des bénéfices et ne doit subir que le tiers des pertes, on ne fera pas deux calculs distincts dont l'un consisterait à faire la somme des profits réalisés dans toutes les affaires pour les partager par moitié, et dont l'autre additionnerait les pertes pour les diviser par tiers : on retranchera les pertes des profits ou les profits des pertes, on soustraira la plus faible somme de la plus forte, et c'est sur le reliquat qu'on assignera à l'associé favorisé la moitié des bénéfices s'ils excèdent les pertes, ou le tiers des pertes si elles excèdent les profits.
Le 4e alinéa tranche encore une question importante, en déclarant que toutes les attributions de bénéfices ou les répartitions de pertes qui ont pu être faites pendant la durée de la société sont définitives, si elles ont été faites sans fraude. En effet, lorsque la société doit avoir une durée indéterminée ou très-longue, il ne serait guère possible aux associés d'attendre sa dissolution pour distribuer les profits réalisés et encore moins pour répartir les pertes: souvent, la plus grande partie de l'avoir de chacun se trouve engagée dans les affaires sociales et s'il n'était pas fait de réparation des bénéfices, les associés ne pourraient faire face à leurs dépenses courantes ; de même, s'il y avait des pertes à subir, il ne serait pas possible de les laisser, jusqu'à la dissolution, à la charge du gérant. On fait donc, des répartitions périodiques.
Art. 138. La loi arrive aux deux clauses qui restent prohibées malgré le principe général que le règlement conventionnel des parts est libre.
C'est d'ailleurs à peine si l'on peut dire qu'il y a exception ici, car on voit que justement les clauses prohibées sont celles qui ne donneraient à un associé aucune part dans les profits ou ne lui feraient supporter ancune part dans les pertes: ce ne serait plus dès lors, un règlement des parts.
Reprenons séparément le motif de chacune de ces prohibitions.
I. D'après la définition même de la société (art. 115), c'est un contrat par lequel plusieurs personnes mettent des biens en commun, pour en tirer des bénéfices destinés à être partagés. Le partage peut se faire également ou inégalement, mais il doit toujours y avoir partage; or, la 1re clause prohibée est celle qui exclurait du partage un ou plusieurs des associés, en donnant tout le fonds social à un ou plusieurs des autres; elle serait contraire à l'essence de la société.
Non-seulement la loi ne permet pas l'attribution du fonds social à un seul associé, elle ne permet pas davantage d'attribuer à l'un des associés la totalité des bénéfices proprement dits, après le prélèvement du fonds social primitif ou la reprise des apports par chacun : le texte de notre article est formel pour les deux prohibitions.
La loi ne prévoit pas le cas ou l'exclusion n'atteindrait qu'un seul associé ; mais il y a évidemment même raison de prohiber cette clause.
Bien que la loi ne prohibe que le clause qui attribue “la totalité” à l'un des associés, il ne faudrait pas hésiter à appliquer la prohibition à celle qui, par fraude et pour échapper aux termes de la loi, attribuerait à l'un des associés une part infiniment petite comparée à celle des autres : on dit, en pareil cas, que rien et presque rien sont la même chose.
Quelquefois l'on convient qu'un associé, au lieu de prendre une part, une quote part de l'actif social, prélèvera une somme fixe, quel que soit le montant dudit actif ; si la somme ainsi attribuée à l'un était dérisoire par son exiguité ou si la somme attribuée à un autre était si considérable qu'elle dût vraisemblablement absorber l'actif et qu'en fait elle l'absorbât en entier ou presque en entier, la prohibition serait encourue.
II. La 2e clause est prohibée d'une façon un peu moins absolue ; il s'agit de celle qui affranchit de toute contribution aux pertes les apports d'un des associés.
Le motif de cette prohibition est analogue à celui de la précédente : si les apports d'un associé ne sont pas sujets à être diminués par les pertes, il pourrra arriver que cet associé reprenne ses apports intégralement, quand ceux des autres associés se trouveront entièrement absorbés par les dettes sociales.
Le danger des autres associés est ici moins certain que dans la clause précédente, puisque, si la société a prospéré, ils auront une part des bénéfices. Mais notre Code a fait sagement d'introduire la prohibition d'une clause trop dangereuse pour ceux des associés qui n'en jouissent pas et n'en prévoient guère les effets nuisibles. On remarquera toutefois qu'elle ne concerne que l'affranchissement des apports de valeurs ou de biens autres que l'apport d'industrie ; si donc un associé n'a apporté que ses services ou son industrie, il a pu stipuler qu'il ne supporterait pas les pertes excédant l'actif social. Le motif de cette exception est double : 1° ceux qui n'apportent que leur industrie dans une société ne sont généralement pas capitalistes ; il serait donc très-dur pour eux de se trouver endettés, si la société se liquidait avec un excédant de passif ; ce serait souvent un obstacle à leur entrée dans la société ; 2 l'apport d'industrie sera souvent moins rétribué dans les bénéfices que les autres apports ; la loi se réfère à cet égard, à l'appléciation, qu'auront à faire les tribunaux (art. 141, 2e al.), il est donc raisonnable, non de l'affranchir légalement des pertes, mais de permettre aux parties de l'en affranchir par leur convention.
On pourrait supposer que les parties, sans affranchir des charges les apports d'un ou plusieurs associés, ont, en sens inverse, mis toutes les dettes et pertes à la charge de l'un d'eux. Il ne faut pas hésiter à déclarer que l'on se trouve encore en présence du résultat que la loi a voulu éviter que cette cause n'est pas moins prohibée que la précédente. En effet, si un seul des associés paye toutes les dettes, subit toutes les pertes, les autres en sont par cela même, déchargés, ce que la loi ne permet pas. La seule exception à admettre serait pour le cas où les autres associés n'auraient fait que des apports de services ou d'industrie, ceux que l'on vient déclarer susceptibles d'être par convention déchargés des pertes.
Il restait à déterminer l'effet de la prohibition, c'est-à-dire la sanction de sa violation : ce ne pouvait être qu'une nullité ; mais serait ce toute la convention qui serait nulle, c'est-à-dire le contrat de société, ou seulement la clause prohibée? Il y a un principe général d'après lequel “toute condition illicite est nulle et rend nulle la convention qui en dépend” (Liv. des Biens, art 413) ; or. ce principe semblerait devoir entraîner la nullité du contrat de société lui-même.
Mais, pour le bien appliquer, il faut faire la distinction que notre article exprime : à savoir, si la clause a été concomitante à l'acte de société ou si elle l'a suivi ; c'est dans le premier cas seulement que l'on peut dire que la convention dépend de la clause illicite et s'en trouve viciée dans sa formation ; dans le second cas, la société était valablement formée : les parts n'étant pas fixées par les parties devaient se trouver réglées par la loi (art. 141) ; sans doute, les parties auraient toujours pu modifier ce règlement légal par un règlement de leur choix ; mais elles ne l'ont pas fait valablement et ce règlement subsistera.
Art. 139. Entre le règlement des parts fait par les parties et celui que fait la loi à leur défaut, il y a place à un procédé intermédiaire, c'est le règlement par arbitres nommés par les associés. Ce procédé sera vraisemblablement assez rare ; cependant, il est bon que la loi le prévoie, pour prévenir quelques difficultés possibles ;
Le 1er alinéa de cet article proclame le droit pour les parties de confier le règlement des parts à des arbitres; c est 1 application d un droit général ou commun à toutes matières ne concernant pas l'ordre public. La con vention ayant cet objet peut être une des clauses du contrat même de société ; elle peut aussi en être distincte et le suivre ; on lui donne alors le nom de compromis, en réservant le nom d'arbitrage à la décision que rendront les arbitres. Il peut y avoir un ou plusieurs arbitres. Les arbitres peuvent être associés ou étrangers. Enfin, ils peuvent être nommés dans l'acte même qui institue l'arbitrage ou nommés plus tard, notamment au moment où ils auront à remplir leur office, c'est-à-dire lors de la dissolution et de la liquidation de la société.
En général, il est bon que le compromis désigne nominativement les arbitres ; mais il convient de s'écarter de cette règle générale au cas qui nous occupe. Supposons que l'arbitrage soit adopté par les parties au moment même où elles forment le contrat de société, ce n'est évidemment pas pour que les arbitres fassent immédiatement le règlement des parts, c'est pour qu'ils ne le fassent que lors de la dissolution : autrement, les parties pourraient demander aux arbitres de préparer ce règlement, de suite, avant de signer le contrat de société, de façon à l'y introduire ensuite comme étant leur œuvre, si elles l'approuvent, ou à abandonner le projet de société, si ce règlement ne leur convient pas.
Au contraire, il pourra être raisonnable de réserver le règlement des parts pour l'époque de la dissolution, afin de pouvoir tenire compte des services rendus et des avantages procurés à la société, pendant sa durée, par chaque associé personnellement ; on conçoit même que les parties, en vue de cette éventualité, craignent de ne pouvoir se mettre d'accord pour apprécier équitablement les faits accomplis et qu'elles préfèrent pour cela recourir à des arbitres. Mais comme l'époque de la dissolution peut être fort éloignée ou tout-à-fait incertaine, par exemple, le décès de l'un des associés, il ne serait pas raisonnable de désigner nommément les arbitres, parce qu'il y aurait trop peu de probabilité qu'ils fussent encore en situation d'accepter et d'accomplir l'arbitrage, lorsque le moment en sera venu.
Le 2e alinea indique deux causes pour lesquelles la décision arbitrale pourra être attaquée ; la première est l'inobservation des formes et conditions imposées aux arbitres par les parties ; celles-ci peuvent, en effet, avoir indiqué des bases sur lesquelles devront se fonder les arbitres, comme des comptes fournis ou à fournir ou des justifications à exiger ; or, si les arbitres ont fixé les parts sans se fonder sur lesdits comptes ou sans exiger lesdites justifications, ils n'ont pas rempli leur mandat tel qu'il leur avait été confié.
La seconde cause d'attaquer la décision arbitrale la violation de l'équité est plus délicate, à cause de la largeur même des expressions de la loi. Il était difficile, impossible même, de déclarer l'arbitrage inattaquable, quel qu'il fût; il y aurait eu alors à craindre des abus : les arbitres auraient pu, par complaisance ou par animosité, peut-être même par corruption, fixer les parts respectives d'une façon qui n'eût aucun rapport avec les légitimes prétentions de chacun. D'un autre côté, on ne pouvait espérer que les parties traceraient aux arbitres toutes les règles à suivre pour arriver à un partage équitable : si elles eussent été en mesure de tracer de telles règles, elles auraient préféré faire le règlement elles-mêmes Les parties sont présumeés n'avoir demandé aux arbitres que d'être justes et la loi elle-même ne leur demande pas autre chose que de suivre l'équité ; aussi faut-il que l'équité ait été violée “avec évidence” pour que la décision puisse être attaquée : si la partie qui prétend faire annuler la décision arbitrale n'en peut faire reconnaître aisément l'iniquité, elle devra succomber, parce que cette iniquité prétendue ne sera pas évidente.
Mais quelles seront les bases d'un règlement équitable ? La loi ne les indique pas, pour ne pas enfermer les arbitres, ni après eux les tribunaux, dans des limites inflexibles ; mais il est difficile d'en trouver d'autres que les deux suivantes ; l'importance respective des apports et les soins donnés aux affaires sociales ; en dehors de ces éléments d'appréciation, on peut dire que toute inégalité donnée aux parts sera l'effet de la complaisance ou de l'animosité, sinon de la corruption.
Le règlement des parts émané des arbitres se rapprochera ainsi beaucoup du règlement fait subsidiairement par la oi.
Le 3e alinéa de notre article apporte deux limites de temps à l'exercice de l'action en nullité du règlement arbitral : l'exécution volontaire dudit règlement et le fait d'avoir laissé s'écouler trois mois sans réclamation depuis la connaissance acquise du règlement ; ces fins de non-recevoir supposent une ratification tacite.
La loi n'a pas besoin de reconnaître la ratification expresse : c'est un principe général qu'elle équivaut à un mandat.
Art. 140. La loi ne devait pas négligé de s'expliquer sur le désaccord des associés au sujet du renvoi à un arbitrage ou compromits et du choix des arbitres, ainsi que sur le refus ou l'impossibilité de ceux-ci de faire le règlement des parts.
S'il s'agit de faire le compromis dans l'acte de société même, il est évident qu'il faut l'unanimité des associés pour cette convention, car elle fait partie intégrante de l'acte de société.
Si les parties veulent, après le contrat, renvoyer à des arbitres la fixation des parts, il faut encore l'unanimité, car c'est déroger au contrat que d'enlever à une convention ultérieure possible ou aux tribunaux le pouvoir de fixer les parts.
Mais si, l'acte de société ou une convention ultérieure ayant une fois décidé que les parts seraient fixées par des arbitres, il ne reste plus qu'à les choisir individuellement, cette opération, n'étant plus qu'une exécution des statuts, peut se faire à la majorité absolue des voix (v. art. 128).
Si la majorité ne peut être obtenue pour le choix des arbitres, ce ne sera pas une raison pour en revenir au partage légal, puisque les parties ont déclaré à l'origine qu'elles ne voulaient pas subir ce règlement ; il y aura donc lieu de demander au tribunal le choix des arbitres.
La loi donne la même solution pour le cas où les arbitres ne voudraient ou ne pourraient remplir leur mandat et où les associés ne s'accorderaient pas, à la majorité, pour les remplacer.
Art. 141. La loi prévoit enfin le cas où les parties n'auraient pas d'avance réglé les parts et où elles n'auraient pas non plus confié ce soin à des arbitres et aussi le cas où la décision arbitrale serait annulée : elle fait alors elle-même ce règlement, ce qui est de toute nécessité.
On aurait pu douter qu'il fallût admettre ici le cas où la décision arbitrale est annulée en vertu de l'article 139, et il n'eût pas été déraisonnable de décider qu'alors le tribunal nommerait de nouveaux arbitres ; mais c'eût été exposer ce règleinnet à un retard indéfini, puisque la nouvelle décision pourrait elle-même être annulée pour l'une des causes énoncées à l'article 139, 2e alinéa.
Le mode de fixation des parts adopté ici est d'une équité évidente : chacun aura dans le fonds social, augmenté des bénéfices ou diminué des pertes, une part proportionnelle à sa mise ou à son apport, et si l'actif est absorbé par les pertes et qu'il reste un excédant de passif, il sera de même supporté proportionnellement aux apports.
Si les apports ne consistent pas en argent et n'ont pas été évalués en argent, le tribunal devra préalablement procéder à cette évaluation, spécialement pour l'apport de services ou d'industrie.
Le texte suppose enfin que l'associé qui a promis son industrie à la société a, en même temps, apporté de l'argent ou d'autres biens.
Ce cas mérite d'être mentionné et réglé, car il sera fréquent.
Il est naturel que cet associé ait deux parts : l'une afférente à son industrie, l'autre afférente à ses autres apports.
On s'est prononcé plus haut sur la question de savoir si un associé pourrait valablement apporter son crédit en société et on a conclu dans le sens de la négative. Il n'y a donc pas de question sur l'évaluation à faire d'un tel apport.
Art. 142. Le droit de chaque associé sur le fonds social ne peut s'exercer qu'à la dissolution de la société : jusque-là le fonds social appartient à l'être moral de la société, si elle a une personnalité, et à tous les associés, par indivis, dans le cas contraire; chaque associé ne peut donc, tant que dure la société, disposer des objets composant le fonds social, même pour sa part seulement.
Il va de soi également que les créanciers personnels d'un associé ne pourraient saisir une partie des choses sociales du chef de leur débiteur ; tout au plus pourraient-ils, en exerçant les droits de leur débiteur, conformément à l'article 339 du Livre des Biens, demander communication des inventaires et faire opposition à toute délivrance des dividendes ou bénéfices qui pourraient être réparties avant la dissolution de la société.
Le but du présent article n'est pas de prohiber, ce qui est évidemment contraire à la nature de la société, c'est de proclamer certains droits de l'associé sur su part, en tant qu'ils ne portent pas préjudice à la société.
D'abord, un associé peut former une sous-société pour sa part avec un tiers ; cela lui sera quelquefois nécessaire quand il ne pourra effectuer son apport avec ses propres ressources : il ne trouverait peut-être à emprunter que difficilement ou à un gros intérêt, tandis qu'en partageant sa part de bénéfices avec le bailleur de fonds, il lui offrira des chances de gains qui pourront être déterminantes.
L'associé peut aussi donner sa part en nantissement, ce qui permettra au bailleur de fonds de se faire rembourser plus sûrement, sans concourir avec les autres créanciers de l'associé, lorsque la liquidation et le partage auront lieu.
Enfin, l'associé peut céder toute sa part, en transférant à un tiers ses droits éventuels sur le fonds social, et aussi en imposant au tiers la portion de passif qui pourrait lui incomber.
Mais le texte a soin d'ajouter que ces conventions particulières ne sont pas opposables à la société, au moins en principe : c'est l'application da la règle que “les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent être opposés aux tiers or, la convention particulière de l'associé au sujet de sa part ne doit pas nuire aux associés qui sont des tiers pour tout ce qui a été fait depuis qu'ils ont contracté. Ils n'auront donc pas pour l'associé de leur co-associé. Et cela est fort juste, car la société civile, plus encore que la société commerciale, est formée en considération des personnes, entre gens se connaissant, ayant confiance l'un en l'autre, et cette confiance ne s'étend pas nécessairement aux tiers que l'associé ne craindra pas de s'associer à lui-même.
Il eu est de même de la cession ou de la remise en nantissement que l'associé ferait de sa part.
La loi apporte une exception à cette limite des droits de l'associé ; par conséquent l'effet des actes d'un associé sur sa part, au lieu d'être seulement relatif aux contractants, sera absolu et opposable même à la société.
C'est le cas où l'acte primitif de société aurait permis aux associés en général, ou à celui-ci spécialement, de faire ainsi entrer un nouveau membre dans la société, avec lui ou à sa place, sans qu'il y ait besoin de faire un nouveau contrat. Ce cas sera rare sans doute; il aura vraisemblablement été entouré de garanties; peut-être le nouveau membre possible aura-t-il été nominativement désigné ; en tout cas, ce sera toujours une application de la convention première plutôt que ce n'y sera une dérogation.
Mais, dans tous les cas, le tiers admis à exercer les droits sociaux du cédant, ne sera pas en son lieu et place, vis à vis de la société, pour les obligations de celui-ci, à moins qu'il ne soit fait novation par changement du débiteur.
La fin du 1er alinéa, restant dans l'hypothèse où la cession des droits de l'associé serait opposable à la société, c'est-à-dire où les parts d'intérêt auraient été déclarées cessibles, suppose que le contract a réservé à la société, représentée par son gérant, le droit de préemption ou de préférence dans l'achat de la part d'intérêt ou de l'action que l'associé voudrait céder. Cette stipulation aurait pour but de restreindre le nombre des associés et de simplifier les rapports des personnes et les comptes.
Pour que la clause soit facilement exécutable, il sera bon que le contrat détermine les fermes et les délais dans lesquels l'offre de cession devra être faite et acceptée. Nous supposons d'ailleurs qu'elle sera rare, parce que, la cession devant se faire au prix que l'associé prétend trouver près d'un autre, il y aura toujours à craindre qu'il n'exagère ce prix.
Le texte suppose que la droit de préemption a été stipulé eu faveur de la société considérée comme personne morale ou au moins comme réunion des associés; mais rien ne s'opposerait à ce qu'un pareil droit fût stipulé pour les associés individuellement, lorsqu'ils auraient fait connaître, dans les formes et les délais prescrits, leur intention d'acheter les actions mises en vente.
Art. 143. Du moment que le Code admet que les sociétiés civiles pourront être des personnes morales, par la volonté des parties, et même qu'elles auront ce caractère par le seul fait quelles auront un nom social ou seront publiées (voy. art. 118), il va de soi que le fonds social sera, dans ce cas, distinct du patrimoine des associés que les créanciers de la société ne se confondront pas avec les créanciers personnels des associés, que chaque classe de créanciers, aura pour gage exclusif les biens de son débiteur : l'une le fonds social, l'autre les biens propres de l'associé ; ce n'est que lorsque l'une sera entièrement désintéressée avec les biens qui lui sont destinés que l'excédant, s'il y en a, pourra être réclamé par l'autre classe présent article déduit formellement cette conséquence naturelle et même forcée du principe posé par l'article 118.
C'est un principe général que lorsqu'il y a plusieurs débiteurs d'une même dette, chacun d'eux ne peut être poursuivi que pour sa part ; pour qu'il en soit autrement, il faut que la dette soit solidaire ou indivisible ; or, la solidarité et l'indivisibilité sont des modalités exceptionnelles des obligations multiples ; l'exception peut résulter de la convention des parties, des dispositions de la loi ou de la nature de la dette.
On suppose ici que lorsque le gérant de la société a contracté une dette en cette qualité ou pour les affaires de la société, il n'a pas été formellement autorisé par les statuts ou par une convention spéciale avec les associés à les obliger solidairement, c'est-à-dire chacun pour le tout : autrement, il n'y aurait pas de doute que la solidarité ne garantît le payement de cette dette.
Il n'y a pas non plus à s'occuper du cas où l'obligation serait indivisible par sa nature : la circonstance qu'il s'agit de la dette d'une société sera sans influence sur la nature de cette dette ; par exemple, l'obligation de ne pas faire quelque chose est toujours indivisible par sa nature et celle de donner de l'argent est naturellement divisible.
Ce n'est pas sans de sérieux motifs que l'on a établi ici la solidarité légale.
Cette solidarité est la règle dans les sociétés commerciales ; or, on ne voit pas de raison pour qu'il en soit autrement dans les sociétés civiles ; quel que soit le motif principal qui fait établir la solidarité légale dans les sociétés commerciales, il peut s'appliquer avec la même force aux sociétés civiles. C'est d'abord pour donner plus de crédit à ces sociétés, en ce que les tiers auront plus de garanties d'être payés, or, il n'est pas moins utile de donner du crédit aux sociétés civiles, car elles sont appelées à rendre de grands services pour la production agricole. C'est aussi parce qu'il est difficile aux créanciers de connaître exactement la part de chacun dans la distribution de l'actif et du passif, cette difficulté n'est pas moindre dans les sociétés civiles que dans les sociétés commerciales ; d'ailleurs, les unes et les autres sont soumises à la publicité et le règlement des parts peut être par là facilement connu.
Le motif déterminant et qui l'applique aussi bien aux sociétés civiles qu'aux sociétés commerciales et. sans distinguer si elles ont ou non une personnalité juridique, c'est que chaque associé est en faute soit d'avoir mal géré, s'ils ont tous la qualité de gérant, soit d'avoir néglige de contrôler et de redresser les actes des gérants.
Nous exigeons qu'elles soient contractées “valablement” ; par conséquent, si les pouvoirs du gérant avaient été restreints, il n'aurait obligé que lui personnellement, en excédant ses pouvoirs. Mais, comme le gérant peut aussi faire des contrats pour lui-même et pour ses affaires personnelles, il faut qu'il s'agisse ici d'actes qu'il a fait en qualité de gérant, c'est-à-dire au nom de la société, ou, s'il n'a pas pris formellement cette qualité dans l'acte, il faut qu'il s'agisse manifestement des affaires de la société, de sorte que les tiers qui ont traité avec lui sachent bien qu'ils ont la société pour débitrice et, après elle, les associés.
Ces diverses conditions sont exigées par la loi dans le 1er alinéa, pour l'affectation du fonds social à la garantie des créanciers sociaux : elles sont naturellement exigées pour le recours subsidiaire des créanciers sociaux contre les associés.
Sur le 2e alinéa, il faut bien remarquer que l'action des créanciers n'est admise contre les associés individuellement “qu'en cas d'insuffisance du fonds social” ; par conséquent, les créanciers ne pourraient pas, à leur choix, poursuivre la société ou les associés, saisir les biens propres des associés plutôt que le fonds social, sous prétexte qu'ils y trouveraient plus de facilités, moins de frais ou moins de lenteurs.
Toutefois, la loi leur donne ce droit de poursuivre les associés avant d'avoir épuisé le fonds social, lorsque le gérant ou les associés “ne réprésentent pas le fonds social,” lorsqu'ils le dissimulent, ou même ne le révèlent pas par la production des livres, des titres ou des marchandises.
Il fallait prévoir, en effet, que le capital des sociétés civiles, n'étant pas toujours immobilier, serait facilement dissimulé aux créanciers et que, de cette façon, un temps considérable et inutile aurait été perdu avant que les créanciers pussent se prévaloir de la solidarité contre les associés individuellement.
Le 2e alinéa déclare encore que cette solidarité n'est pas absolument liée à la personnalité de la société civile. Il y aura même cette différence qu'au lieu dêtre subsidiaire et de ne pouvoir s'exercer qu'après épuisement du fonds social, elle est immédiate, puisqu'il n'y a pas de fonds social ou qu'il se confond avec les biens personnels des associés La présente disposition était d'autant plus nécessaire que le privilège des créanciers sur le fond social venait d'être limité, par le 1er alinéa, au cas où la société est une personne morale.
Le dernier alinéa applique un principe de la solidarité qu'on ne verra posé en lui-même qu'au Livre des garanties où il sera traité de la solidarité dans son ensemble.
La solidarité des débiteurs existe surtout dans leurs rapports avec le créancier : dans leurs rapports respectifs et pour leur recours les uns contre les autres, la dette se divise et elle ne doit être supportée définitivement par chacun que pour sa part réelle dans la dette ; or, on sait que les parts peuvent être égales ou inégales, d'après les articles 135 à 141 ; donc celui qui aura payé toute la dette, par l'effet de la solidarité, recourra contre les autres pour leur part et en conservera une part à sa propre charge.
Dans le présent article on a supposé des dettes contractées par le gérant. Il va de soi que s'il n'y avait pas eu de gérant nommé par l'acte de société ou par un acte ultérieur, comme alors tous les associés pourraient gérer, l'article s'appliquerait aux engagements de chaque associé, pourvu qu'il s'agit d'un acte d'administration fait au nom de la société ou applicable à ses biens. On serait encore dans les termes de notre article autant que dans son esprit.
SECTION III.
DE LA CESSATION DE LA SOCIÉTÉ.
Art. 144. La loi fait deux classes de causes de cessation de la société : les unes en opèrent la dissolution, de plein droit, par la force de l'événement accompli et en vertu de la loi seule ; les autres ne produisent cet effet que par la volonté des parties ou de l'une d'elles. Ce n'est pas à dire que lorsque la dissolution s'opère de plein droit, elle ne donnera jamais lieu à contestation et que la justice n'aura pas à intervenir; mais, lorsque les faits auxquels la loi attache la dissolution seront reconnus en justice, leur effet se reportera au jour où ils se sont accomplis ; tandis que dans les cas où la dissolution est volontaire, elle ne rétroagit pas, sauf dans le cas du 3e alinéa de l'article 145, parce qu'il s'agit d'une résolution pour inexécution des obligations ; mais il reste toujours cette différence que la résolution n'a lieu que par une demande en justice, laquelle pourrait n'être pas faite, et même une fois qu'elle est faite et accueillie, la justice peut encore la tempérer, la retarder, par la concession d'un délai qui permettra au défendeur de l'éviter en satisfaisant à ses obligations (voy. Liv. des Biens, art. 421).
I. Le premier cas de dissolution de plein droit est l'expiration du temps pour lequel la société avait été formée ; comme ce temps avait été fixé par les parties, on peut dire que la dissolution vient de leur volonté ; mais, cette volonté n'ayant pas à être renouvelée lorsque le temps se trouve accompli, on peut dire exactement que c'est le temps qui, seul désormais, opère la dissolution.
Au surplus, le délai peut n'avoir été fixé que tacitement : par exemple, s'il s'agissait d'une société formée pour l'exploitation agricole d'une terre louée pour un temps déterminé; dans ce même cas, si, à l'expiration du bail, les associés obtenaient un nouveau bail de la même terre, la durée de la société pourrait être considérée comme tacitement prorogée jusqu'à l'expiration du nouveau bail.
La loi met sur la même ligne que l'expiration du terme l'accomplissement de la condition résolutoire à laquelle l'existence de la société aurait été subordonnée. Par exemple, si l'apport de l'un des associés consistait en un droit de propriété immobilière sur lequel il y aurait un procès pendant ou imminent, les parties, en prévision de la perte du procès et d'une éviction, auraient pu, au lieu de s'en tenir à l'action en garantie qui pouvait être sans résultat utile, stipuler que la société serait résolue.
Il y aurait, du reste, entre ce cas et celui du terme, une sérieuse différence: la dissolution de la société serait rétroactive, c'est l'effet ordinaire de la condition résolutoire (voy. Liv. des Biens, art. 409.)
IL La société peut avoir pour objet une suite indéfinie d'actes, de nature plus ou moins semblable ; elle peut aussi n'avoir été formée que pour une ou plusieurs opérations déterminées : l'accomplissement de ces opérations met naturellement fin à la société.
La loi ajoute le cas où l'accomplissement serait devenu impossible : par exemple, dans la première hypothèse, on n'aurait pas pu conclure l'achat du terrain ou on n'aurait pas réussi à trouver des acquéreurs pour les lots; dans la seconde hypothèse, l'armée ou l'administration aurait résilié le contrat de fournitures.
III. Le troisième cas de cessation de plein droit est la perte de la totalité ou de la majeure partie du fonds social réalisé, c'est-à-dire des apports déjà effectués ou au moins exigibles. Le fonds social est l'instrument des opérations de la société; s'il vient à manquer la société ne peut plus fonctionner, il n'y a pas de raison d'en prolonger l'existence et si la majeure partie du fonds est perdue, il est à craindre que le désordre des affaires sociales n'entraîne la perte du reste.
IV. Quelquefois d'apport d'un des associés, au lieu d'être effectué immédiatement et en une seule fois, se compose de prestations successives et continues, soit de services, comme une gérance, une comptabilité, soit de jouissance, comme l'usage d'un terrain ou d'un bâtiment, (le précédent numéro fait allusion en mentionnant le cas contraire, celui des apports réalisés ou exigibles) : si l'associé qui a de pareilles obligations cesse de pouvoir les remplir, il n'effectue pas son apport et l'un des éléments de la société vient a manquer.
Il ne faut pas confondre ce cas avec celui qui forme le n° 3 de l'article suivant, où l'on suppose que l'un des associés est en faute de remplir ses obligations : comme il peut y être contraint, au moins en équivalent, la dissolution n'a pas lieu de plein droit, mais seulement par voie d'action résolutoire ; mais ici, on suppose que c'est une impossibilité d'exécuter non imputable à l'associé : par exemple, c'est une maladie grave qui l'empêche de gérer, ou une force majeure, un accident, qui a détruit les bâtiments dont il devait fournir la jouissance pendant la durée de la société.
Les sociétés civiles sont formées en considération des personnes : c'est parce que les associés se connaissent et ont confiance les uns dans les autres qu'ils unissent leurs intérêts et leurs efforts vers un but commun.
On comprend donc que la mort de l'un d'eux brise le faisceau de ces intérêts et de ces efforts, même pour les survivants.
Il en est de même de certains événements qui modifient profondément la capacité d'un des assoociés ; en première ligne est l'interdiction, soit pour démence, soit par l'effet d'une condamnation criminelle : lors même que cet associé ne serait pas le gérant, il résulterait toujours de son interdiction de grands changements dans les rapports que les associés devraient avoir avec lui, soit pour l'examen des comptes et le partage des bénéfices, soit pour les décisions à prendre en commun, et ces rapports ne pourraient même plus avoir lieu que par l'entremise de son représentant.
Les difficultés seraient les mêmes s'il y avait mise en faillite ou insolvabilité, notoire ou déclarée, d'un des associés : dans ces cas, les créanciers de celui-ci auraient le droit de s'immiscer dans les affaires de la société, au cours des négociations, ce qui serait contraire à l'intérêt et aux convenances des autres associés.
On peut dire que, dans ces trois cas, la société est dissoute parce que la situation d'un des associés est devenue telle que, si elle avait eu lieu plus tôt ou avait été prévue, les autres associés n'auraient pas consenti à former société avec lui.
Les causes de dissolution de la société énoncées à ce 5e alinéa ne s'appliquent pas aux sociétés dont le capital est divisé en actions, et même, dans les sociétés formées en vue des personnes, ces causes de dissolution peuvent être exclues par la convention des parties, comme il est expliqué à l'artrcle 147.
Art. 145. Nous arrivons à la dissolution qui n'a lieu que par la volonté des parties ou de l'une d'elles et qu'on pourrait appeler dissolution volontaire ou facultative, par opposition à celle qui a lieu de plein droit et est pour ainsi dire légale.
Les cas sont peu nombreux et, à l'exception du 2e réservé un instant, ils sont très-simples.
C'est d'abord la volonté unanime des parties : il est clair que le droit commun de la liberté des conventions doit rester ici plein et entier et que toute société, en toute circonstance, peut se dissoudre par la volonté de toutes les parties ; c'est ce que la loi exprime par les mots: “dans tous les cas.” .
Le 3e cas de dissolution volontaire, l'action résolutoire fondée sur l'inexécution par un associé de ses obligations, n'est aussi que l'application du droit commun ; il faut, supposer que l'inexécution est imputable à l'associé et fautive, et c'est cette idée de faute qui sépare ce cas de celui prévu au n° 4 de l'article précédent.
Le 2e cas est plus digne d'attention : il suffît de la volonté d'un seul des associés pour dissoudre la société.
Trois conditions sont requises pour cette cause de dissolution :
1° Il faut que la société n'ait pas de durée fixée, expressément ou tacitement : autrement, il faudrait attendre le terme ou fonder la dissolution anticipée sur une des causes portées aux n°s 4 et 5 de l'article précédent. Mais lorsque la société doit avoir une durée illimitée et qu'elle n'est pas bornée à une ou plusieurs opérations déterminées (ce qui constituerait un ternie tacite quoiqu'incertain), il serait contraire à l'intérêt commun des associés qu'ils fussent obligés de rester dans le lien social pendant toute leur vie ; il ne manquerait pas de se produire des tiraillements, des dissentiments, d'autant plus probables que l'un des associés voudrait mettre fin aux opérations ;
2° Il faut que cette dissolution soit demandée de bonne foi et non parce que l'associé qui la demande trouverait un emploi plus avantageux de ses fonds ou de son travail ;
3° Enfin, il faut que la demande ne soit pas inopportune ou intempestive, ce qui arriverait si la liquidation ainsi amenée devait se produire dans un temps de crise commerciale, financière ou politique, alors que les biens se vendraient mal ; la demande serait encore inopportune, si la société avait fait des sacrifices dont les résultats favorables seraient prochains et se trouveraient empêchés par une dissolution anticipée.
Art. 146. La dissolution de la société par l'échéance du ternie fixé n'est pas d'ordre public, pas plus du reste que les causes qui en opèrent la cessation de plein droit, et les parties peuvent l'empêcher en prorogeant ou en prolongeant ce terme.
La prorogation peut avoir lieu, soit avant l'arrivée du terme, soit après son expiration.
1° Avant l'arrivée du terme, la prorogation sera naturellement et presque toujours expresse ; mais elle pourra aussi être tacite : par exemple, si le siège social et l'administration étant établis dans des locaux loués pour un temps égal à la durée fixée pour la société, la location de ces locaux a été renouvelée pour un temps plus ou moins considérable. Au contraire, on ne devrait pas voir une intention de proroger la société, si la location n'avait été renouvelée que pour six mois ou un an, ces délais modérés pouvant être destinés à la liquidation de la société, après l'expiration du terme.
S'il s'agissait d'une société agricole pour exploiter des terrains loués et que les terrains eussent été reloués pour un temps quelconque devant suivre lu première location, on devrait y voir, comme on l'a déjà fait observer, une prorogation tacite de la société pour la durée du nouveau bail.
2° Si le terme de la société est expiré, il ne peut guère y avoir qu'une prorogation tacite, car c'est la seule qui se conçoive immédiate et sans intervalle : elle résultera de la continuation des opérations sans opposition d'aucun associé, ce qui constitue leur consentement tacite.
Dans ce cas, aucun nouveau délai n'étant assigné à la continuation de la société, elle est réputée désormais n'avoir plus de durée fixée et, dès lors, elle se dissoudra par la volonté d'un seul associé.
Art. 147. D'après cet article, les associés peuvent convenir que la mort, l'incapacité ou l'insolvabilité survenant chez l'un des associés ne mettra pas fin à la s ociété, laquelle continuera alors avec les autres associés, et les droits du décédé ou l'incapable seront réglés an jour de l'événement, comme si la société était dissoute, car elle l'est à son égard. Il va de soi, du reste, sans qu'il paraisse nécessaire de l'exprimer, que l'héritier participerait aux droits ultérieurs qui seraient une suite nécessaire de ce qui s'est fait avant la mort de l'associé auquel il succède et il en faut dire autant des pertes qui ne se révéleraient de même que tardivement, mais dont la cause serait dans des actes antérieures La convention peut aller plus loin encore, on peut convenir que les successeurs du décédé deviendront eux-mêmes associés en sa place, et, s'il s'agit d'une incapacité, que l'incapable restera associé, sauf à être représenté dans les redditions de compte ou les délibérations par son tuteur. Mais, comme la loi a soin de l'exprimer, il faudra que l'héritier du décédé ou le représentant de l'incapable consente à entrer dans la société.
SECTION IV.
DE LA LIQUIDATION ET DU PARTAGE DE LA SOCIÉTÉ.
Art. 148. C'est une particularité du contrat de société que lorsque le contrat a pris fin, les intérêts des parties peuvent encore être en conflit et, dès lors, la loi n'a pas encore terminé ses prévisions en ce qui les concerne : il reste à faire une liquidation, souvent laborieuse, et un partage définitif du fonds social.
Cette communauté d'intérêts n'est plus la société proprement dite, mais elle en est si voisine qu'on lui donne souvent, même dans la loi, le nom de “société en liquidation” (voy. art. 6 et 14 des Biens) et l'ensemble des biens qui formaient le fonds social conserve jusqu'au partage le caractère d'un patrimoine, d'une universalité de biens, distincts des biens personnels des associés (v. art. 16).
La liquidation est tellement naturelle et même si nécessaire qu'il semble qu'il n'y ait qu'à en régler les formes, mais non à l'annoncer comme un droit appartenant aux associés ; lors donc que la loi dit qu'elle peut être demandée par chaque associé, c'est surtout pour reconnaître le même droit à leurs ayant-cause, parmi lesquels on ne doit pas négliger de compter leurs créanciers. Le même droit appartiendrait aux créanciers de la société, soit en cette qualité même, soit comme devenus créanciers personnels des associés par le fait de la dissolution.
Généralement, la liquidation sera demandée et effectuée avant le partage ; il y a de cela une raison pratique : la liquidation contenant le payement des dettes échues, et pouvant même s'étendre aux dettes non encore échues, moyennant accord avec les créanciers, il en résulte que l'excédant d'actif, s'il y en a, étant ensuite partagé, les associés ne seront plus inquiétés sur leur part à raison des dettes ; cela est d'autant plus important que, la solidarité légale étant admise contre eux (v. art. 143), il y aurait lieu à recours de ceux qui auraient payé contre les autres.
Mais il pourrait arriver que quelques associés pressés par des besoins d'argent, désirassent un partage immédiat du fonds social. La loi ne s'y oppose pas ; mais, comme l'opération peut présenter des inconvénients, elle exige que la proposition soit acceptée par la majorité des associés.
Comme, il ne s'agit pas ici d'une “mesure à prendre en exécution des statuts,” mais d'un acte “ne rentrant pas dans les prévisions desdits statuts,” la loi a dû exprimer que la majorité suffirait : autrement, c'est l'unanimité qui serait nécessaire (v. art. 128).
La loi a dû admettre les créanciers à faire opposition à ce que le partage précédât la liquidation : sans cela, ils seraient exposés à ce que les biens, une fois divisés, ne fussent d'une saisie difficile.
Art. 149. Le mot de liquidation n'étant pas encore consacré dans la loi japonaise, sauf en matière de dommages et intérêts (v. Liv. des Biens, art. 386), il a paru bon d'indiquer en quoi consiste la liquidation d'une société.
Les actes ici mentionnés ne le sont que par forme d'énonciation et non comme énumération limitative. Du reste, il semble difficile que les autres actes qui pourraient être nécessaires ne rentrent pas, plus on moins, dans l'un de ceux qui sont énoncés ici.
On les reprendra sommairement.
1° Il faut d'abord terminer les affaires commencées pour la société par le gérant. Cela suppose évidemment qu'il ne s'agit pas d'une dissolution arrivée par l'achèvement de l'entreprise pour laquelle la société avait été formée. Dans les autres cas, au moment de la dissolution, il y aura toujours un certain nombre d'opérations commencées, soit avec des tiers, comme des travaux commandés pour la société soit sans intervention de tiers, comme des cultures commencées qu'il faut suivre et conduire jusqu'à la récolte.
S'il n'y avait avec les tiers que des pourparlers de contrats, même sur le point d'aboutir à un résultat, il n'y aurait pas lieu pour le liquidateur de conclure définitivement le contrat, parce que ce serait prolonger les effets de la société au-delà de ce qui est nécessaire.
2 La société, même ayant prospéré jusqu'à la fin, a naturellement des dettes à payer, par suite de ses opérations avec les tiers.
S'il s'agissait d'une société commerciale, les exemples seraient superflus ; dans une société civile agricole, il y aura eu des achats de semences, d'engrais ou d'instruments aratoires, des locations d'ouvriers agricoles, des contrats avec les entrepreneurs ou artisans pour la réparation ou l'aménagement des locaux ; s'il s'agissait d'une société pour l'achat et la revente de terrains, les dettes à payer pourraient être des prix d'achat desdits terrains.
Quant aux créances à recouvrer, il y a encore moins de difficultés à en comprendre un certain nombre : la société peut avoir vendu des produits, donné à loyer des bâtiments ou des terres, placé des capitaux en prêts, etc.
Au point de vue de la facilité de l'exécution, il y aura entre le payement des dettes et le recouvrement des créances une différence de droit assez notable (nous ne parlons pas de la différence de fait), c'est que le liquidateur pourra généralement payer les dettes non échues, en renonçant au bénéfice du terme (sauf à tâcher d'obtenir un escompte, si la dette ne portait pas d'intérêts), tandis qu'il ne pourra obtenir un payement anticipé de la part des tiers que s'ils y consentent.
3° Une des opérations les plus importantes de la liquidation, c'est l'établissement du compte particulier de chaque associé avec la société. On a vu précédemment diverses dispositions d'après lesquelles un associé peut être, soit débiteur, soit créancier de la société. Il est débiteur quand il est en retard pour effectuer son apport, quand il a tiré des fonds de la société pour ses affaires personnelles ou quand il a commis des fautes dans la gestion ; il est créancier quand il a fait des avances de fonds à la société ou éprouvé des pertes personnelles par suite des affaires de la société.
Le liquidateur s'aidera, pour ces comptes, des réclamations respectives des associés, et chacun lui fournira les justifications qui seront en son pouvoir.
Le compte du gérant sera toujours le plus difficile à établir.
4° Une fois toutes ces opérations terminées, il reste un actif à partager, ou un passif à supporter, suivant que la société a prospéré ou non.
Le partage est l'objet des derniers articles de cette Section (v. art. 153 et suiv.).
Art. 150. Il arrivera quelquefois que l'acte constitutif de la société aura réglé le choix du liquidateur et l'étendue de ses pouvoirs ; on observera cette partie de la convention comme les autres, parce qu'elle est d'intérêt purement privé.
Mais si l'acte de société est muet sur la liquidation, il faut que la loi trace quelques règles à cet égard.
D'abord, qui sera liquidateur ? Si les associés s'entendent pour liquider conjointement ou en commun, rien n'est mieux, théoriquement ; mais, en fait, on divisera le travail, suivant les aptitudes de chacun ; on se concertera d'ailleurs à chaque difficulté, et l'avantage sera de n'avoir pas besoin de donner une approbation finale à la liquidation, puisqu'elle aura été approuvée dans chacune de ses parties.
Mais, il est à craindre aussi que tant de sujets à discuter en commun ne soient autant d'occasions de dissentiments et que le but ne soit pas atteint.
Aussi, le plus souvent, les associés nommeront-ils un seul liquidateur, pris soit parmi eux, soit an dehors.
La loi veut que ce choix soit fait à l'unanimité : s'il s agissait d'exécuter les statuts, la majorité suffirait (v. art. 128), mais ici, il s'agit d'une mesure nouvelle a prendre et d'ailleurs la société est dissoute, il n'y a plus que des copropriétaires indivis; or, parmi eux, la majorité ne fait pas la loi pour la minorité.
Si l'unanimité ne peut être obtenue, il y aura lieu à demander au tribunal le choix du liquidateur. Ce sera le tribunal du lieu où la société avait son siége. Le tribunal pourra de même choisir pour liquidateur un associé ou un tiers ; mais, s'il choisit l'ancien gérant, il devra nommer un liquidateur spécial pour établir le compte même du gérant.
Art. 151. Il ne faillait pas enfermer les pouvoirs du liquidateur dans des limites trop étroites, mais il ne fallait pas non plus leur donner une dangereuse étendue.
La loi commence, non par autoriser, mais par obliger le liquidateur à aliéner les objets susceptibles d'un dépérissement “rapide ce mot est nécessaire, car tous les objets en général dépérissent avec le temps. Si donc, dans une société agricole en liquidation, il y a des fruits non vendus, le liquidateur devra aliéner ceux qui peuvent se détériorer matériellement ou se déprécier en valeur : il en sera de même des animaux qui souvent pourraient dépérir faute des soins qu'ils recevaient pendant l'exploitation de la société.
Les autres objets mobiliers doivent être conservés, en principe, pour être partagés ; mais, s'il y a insuffisance de sommes d'argent pour payer les dettes, le liquidateur pourra aliéner des meubles, jusqu'à concurrence de ce qui est nécessaire. C'est lui, naturellement qui aura le choix de ces meubles.
La loi ne lui donne ce pouvoir que pour les dettes “échues”; il ne devrait donc pas vendre pour payer des dettes non échues, car cette renonciation au bénéfice du terme, déjà onéreuse aux intérêts communs, pourrait le devenir davantage si elle entraînait une vente inopportune de meubles.
L'aliénation des immeubles peut être encore plus nuisible que celle des meubles par son inopportunité, aussi la loi ne la permet-elle pas au liquidateur; il lui faut, à cet effet, une autorisation spéciale des associés, donnée à la majorité, et même, s'il n'est pas autorisé à traiter à l'amiable, il doit vendre aux enchères publiques.
Quant à l'hypothèque, elle n'est permise aussi qu'en vertu d'une autorisation spéciale. Si donc le liquidateur a besoin de fonds pour acquitter des dettes échues et s'il ne trouve pas à en emprunter sans hypothèque sur les biens de la société en liquidation, il doit présenter une demande aux ex-associés, à l'effet de se faire autoriser à hypothéquer.
Il arrivera souvent que les créances à faire valoir contre les tiers, au nom de l'ancienne société ou contre celle-ci par les tiers, donneront lieu à des difficultés. Il n'y a que trois manières de les résoudre : plaider devant les tribunaux, transiger ou s'en rapporter a des arbitres.
On pouvait hésiter sur le point de savoir s'il convient de laisser au liquidateur le pouvoir de plaider, comme demandeur ou défendeur, sans autorisation spéciale ; de même, si on doit lui permettre de transiger, c'est-à-dire d'éviter le procès par des sacrifices ; enfin, s'il doit pouvoir s'en rapporter à des arbitres (compromettre, faire un compromis). Ce sont les solutions affirmatives qu'on a adoptées ici.
Il n'y a pas beaucoup à craindre l'abus des procès par le liquidateur, parce que ce sera pour lui un surcroît de peines et d'embarras ; toutefois, si le liquidateur recevait une indemnité ou rétribution mensuelle, il y aurait danger qu'il ne cherchât à prolonger sa fonction pour le profit qu'il en tire. Le remède sera dans la vigilance des associés qui pourront toujours demander au liquidateur des explications sur ce qu'il compte faire, et provoquer telles mesures qu'ils jugeront à propos.
La transaction présente le danger opposé : il serait à craindre qu'un liquidateur non rétribué désirât hâter ses opérations et fût porté à consentir trop facilement à des sacrifices, à des arrangements contraires aux intérêts dont il est chargé.
Le danger serait à peu près le même dans le compromis ou recours à des arbitres ; pour éviter les lenteurs et les embarras d'un procès devant les tribunaux ordinaires, le liquidateur pourrait consentir trop facilement à confier à des arbitres la décision du litige.
Ici, la loi indique un remède contre l'abus : comme il s'agit d'actes pour ainsi dire instantanés que les associés pourraient ne connaître qu'après leur accomplissement, la loi leur donne le pouvoir d'attaquer la transaction et le compromis, lorsqu'il y a eu dol concerté entre le liquidateur et les tiers intéressés.
Art. 152. Bien que le liquidateur soit mandataire des associés, il n'en résulte pas que tout ce qu'il fera soit ratifié d'avance : il doit rendre compte de son mandat, et certains de ses actes pourraient n'être pas acceptés.
Toutefois, une distinction est nécessaire, et elle se trouve dans le présent article : tous les actes que le liquidateur a été autorisé à faire, soit par les associés, quand ils l'ont nommé, soit par la loi, d'après l'article précédent, resteront toujours valables à l'égard des tiers avec lesquels le liquidateur a traité, sous la seule condition que ceux-ci aient été de bonne foi.”
Il ne faudrait pas exagérer cette protection des tiers et croire, par exemple, qu'ils garderaient un payement indû reçu par eux de bonne foi : outre que la loi n'aurait pas de raison de déroger ici aux règles générales du payement indû, il faut reconnaître que le liquidateur qui aurait payé à un tiers ce qui ne lui est pas dû n'aurait pas agi selon ses pouvoirs.
A l'égard des actes qui ne concernent pas les tiers comme les comptes particuliers des associés, il est clair que l'on peut les vérifier, les rejeter ou les redresser : les associés ne sont pas des tiers.
On se trouve, ici encore, en présence d'une décision pour laquelle la majorité des voix est suffisante.
Parmi les divers actes qui ne seront pas acceptés, les uns pourront être refaits, comme des comptes d'associés, les autres ne le pourront pas, comme des actes fa:ts avec des tiers de bonne foi ; le liquidateur, s'il est en faute, refera les premiers à ses frais et indemnisera les associés pour les seconds : on lui appliquera, à cet égard, les règles du mandat et on sera plus ou moins sévère, suivant que le mandat sera salarié ou non.
Art. 153. Le partage est, dans le vœu de la loi. l'opération finale qui clôt les rapports nés de la société.
On sait qu'il pourrait, à la rigueur, précéder la liquidation, mais il vaut mieux qu'il la suive, comme on l'a expliqué sous l'article 148.
Rien n'oblige les parties à demander le partage ; c'est une faculté dont elles peuvent user ou non, à leur gré ; mais il suffit que l'une d'elles le demande pour que les autres doivent le subir ; c'est une grave différence avec les autres mesures à prendre vis-à-vis des biens communs, mesures pour lesquelles on a vu qu'il faut tantôt la majorité, tantôt l'unanimité.
La raison de cette exception est dans les inconvénients que présente l'indivision : on les a déjà signalés sous l'article 39 du Livre des Biens, et il est inutile d'y revenir.
Tant que la société durait, ces inconvénients, ou n existaient pas, ou étaient moindres qu'après sa dissolution. Ils n'existaient pas, si la société était une personne morale : c était elle alors qui était seule propriétaire du fonds social, il n'y avait pas indivision. Ils étaient moindres, si, a défaut de personnalité de la société, il y avait eu indivision temporaire, avec un but lucratif qui disposait les intéressés à la concorde et à une parfaite entente qu'on n'obtient pas aisément dans l'indivision, parce qu'elle n'a pas un pareil but.
Mais on a vu aussi, avec l'article 39 du Livre des Biens, que le partage pouvant quelquefois être nuisible aux intéressés, par l'inopportunité des ventes qu'il rend souvent nécessaires, ceux-ci peuvent convenir de rester dans l'indivision pendant un certain temps. Cette convention doit avoir lieu à l'unanimité, d'après la règle générale ; aussi la loi ne prend-elle pas la peine de l'exprimer, et elle doit avoir eu lieu depuis la dissolution de la société : la loi l'exige, parce que si la convention avait eu lieu, soit dans l'acte de société, soit pendant sa durée, elle n'aurait pas été faite en suffisante connaissance de cause ; les parties auraient pu alors se faire illusion sur la bonne entente qui existerait entre elles, même lorsqu'elles ne seraient plus liées par la recherche d'un profit commun.
En outre, les co-propriétaires actuels peuvent n'être plus tous les mêmes : il peut y avoir un héritier d'un associé décédé.
Art. 154. Le partage nécessite des opérations assez compliquées ; il faut former autant de lots qu'il y a de parties intéressées, au moins autant que d'associés primitifs, sauf à subdiviser les lots de ceux qui sont décédés et ont laissé plusieurs successeurs ; il faut ensuite attribuer les divers lots aux divers ayant-droit.
La difficulté de faire des lots égaux n'est pas très-considérable, ou, si la nature des biens ne s'y prête pas, il y a lieu de les vendre, c'est alors le prix qui en est partagé ; de même, l'attribution des lots peut se faire par la voie du sort quand les parties n'ont pu se mettre d'accord pour se les attribuer à l'amiable.
Mais l'opération n'est plus aussi facile, quand les droits des associés ne sont pas égaux, soit par la convention, soit par l'inégalité de leurs apports : il faut alors faire des lots mesurés aussi exactement que possible sur les droits de chacun et l'attribution, ne pouvant plus être faite par la voie du sort, est alors directe.
Il est toujours désirable que les parties fassent toutes ces opérations a l'amiable et d'un commun accord; mais on ne peut l'espérer beaucoup. Il faut donc qu'il y ait une procédure légale pour y arriver.
Comme il ne s'agit plus de déterminer le fond du droit ou la quotité de la part revenant à chacun, mais de procéder à des opérations matérielles tendant à l'assignation des objets à recevoir, la loi renvoie aux règles spéciales où cette matière sera traitée avec les autres procédures extrajudiciaires.
Art. 155. La loi proclame ici uu principe général et on peut dire considérable, que l'article 14 avec déjà appliqué et dont le but et l'origine ont été exposés sous ledit article.
On a coutume d'énoncer la règle en disant que le partage est, non plus attributif de droits nouveaux, mais dêcralatif de droits antérieurs.
Rigoureusement et dans la nature des choses, le partage apparaît plutôt comme attributif ou translatif de droits nouveaux : il fait cesser l'indivision ; on comprendrait que chacun des copartageants, en recevant un lot qui sera désormais sa propriété exlusive, fût considère comme tenant de ses copartageants la portion qu'il n'avait pas précédemment et qui se trouve ainsi réunie à celle qui lui appartenait déjà ; en sens inverse, il transmettrait à ses copartageants la portion qui lui appartenait dans leur lot. Cela est si naturel que le droit romain n avait jamais admis ni imaginé autre chose et il en fut de même dans les origines du droit français.
Mais, pour des raisons d'utilité pratique, pour éviter des évictions que l'un des copartageants aurait pu éprouver, par suite de droits conférés par un des copropriétaires à des tiers, sur la chose commune, pendant l'indivision, on a admis une fiction d'après laquelle “chaque copartageant est censé avoir succédé seul et immédiatement aux objets à lui échus par le partage et n'avoir jamais eu la propriété des objets échus aux autres ainsi chaque copartageant a la propriété de son lot depuis que la dissolution de la société a eu lieu ou depuis que l'indivision a commencé, et les autres n'ont pu conférer aucun droit valable sur mêmes biens. Par contre, la même règle, doublement favorable au même copartageant, s'applique aux autres, puisque la disposition concerne tous les copartageants.
La loi déduit immédiatement la conséquence du principe que le partage est déclaratif : c'est la rétroactivité de l'acquisition au jour où la dissolution de la société a eu lieu, c'est-à-dire où l'indivision a commencé, et, par suite, la résolution, l'anéantissement des droits conférés par les autres associés.
Le texte fait remonter le droit de chaque copartageant au jour de la dissolution de la société, sans distinction. Lorsque la société a été une personne morale, ce qui sera le plus fréquent, il n'y a pas de difficulté, parce que c'est à ce moment aussi que l'indivision a commencé : jusque-là, c'est la société qui a été propriétaire et les droits valablement conférés par elle sont opposables aux associés. Mais quand la société n'a pas eu le caractère de personne morale, on peut prétendre que l'indivision des associés ayant commencé avec la société, c'est au moment de la formation de celle-ci que remonte l'effet du partage, ou, tout au moins, au jour où les biens à partager sont entrés dans les mains des associés et ont fait partie du fonds social.
Cependant la loi adopte une époque uniforme: la dissolution de la société. En effet, quand la société n'est pas une personne morale et quand, par conséquent, les objets formant son capital appartiennent aux associés, ceux-ci n'ont pas cependant le droit de les grever de droits réels an profit de leurs propres créanciers ; ils ne peuvent valablement, sauf le gérant, ni les aliéner, ni les hypothéquer au préjudice des autres associés (v. art. 142) ; il n'y a donc pas à criandre qu'après le partage un associé souffre dans son lot une éviction provenant du fait de son co-associé : le mal que la loi veut éviter par la rétroactivité du partage se trouve ici conjuré autrement. Si c'est le gérant qui a aliéné ou hypothéqué, l'acte est opposable à chaque copartageant, mais on ne partagera pas sans en tenir compte et si, par exception, on avait mis cet objet dans un lot, sans faire de compensation ni de réserves, le copartageant évincé aurait l'action en garantie d'après l'article suivant.
Art. 156. On peut être étonné de voir paraître ici la garantie d'éviction, quand on vient de voir les précautions que la loi a prises pour que l'éviction ne fût pas permise aux tiers Mais il est facile de reconnaître qu'il n'y a pas contradiction : l'éviction dont la garantie est due à un associé ne viendra pas de droits conférés par les autres associés, puisque ces droits sont résolus contre les tiers, puisque ce sont ceux-ci, au contraire, qui sont évincés par le partage, lorsque les objets sur lesquels ils ont reçu des droits ne tombent pas dans le lot de leur auteur ; il s'agit ici de l'éviction provenant de droits antérieurs et supérieurs à ceux de tous les associés, ce qui arrivera quand ils ont compris dans le partage des objets qui n'étaient pas indivis entre eux, mais qui appartenaient à des tiers, ou qui étaient déjà grevés de droits réels avant que l'indivision commençât.
Il pourrait même arriver que ces droits réels eus sent été conférés par un des associés et qu'ils échappassent à la résolution prononcée par l'article précédent ; par exemple, il s'agirait de droits mobiliers et les tiers en seraient possesseurs de bonne foi, alors, comme ils ne peuvent être évincés, ce sont eux qui évinceraient le copartageant.
On a vu a l'article 395 du Livre des Biens que la garantie d'éviction a deux objets : la défense du cessionnaire, en justice, contre les troubles et l'éviction dont il est menacé et l'indemnité des dommages, quand l'éviction n'a pu être empêchée.
La 1re obligation est indivisible et chaque copartageant la doit on entier, car “on ne peut pas défendre quelqu'un pour partie” c'est un axiome de droit ; mais la 2e obligation est divisible, car elle a pour objet de l'argent. La loi n'a prévu que la seconde obligation comme étant l'obligation finale.
Mais chaque copartageant ne peut être, en principe, poursuivi que pour sa part dans l'indemnité, cela n'empêche pas qu'il puisse être subsidiairement poursuivi pour la part des autres, s'ils sont insolvables. En effet, la garantie ne serait pas complète, si elle n'avait pour objet l'insolvabilité même des garants. Ils se garantissent mutuellement de ce risque. Toutefois, le garanti supportera lui-même une part dans l'indemnité d'éviction et une part dans l'insolvabilité des autres : autrement, il lui serait avantageux d'être évincé.
Ce droit des copartageants à la garantie d'éviction est garanti par un privilège qui est réglé au Livre des Garanties.
La loi n'a pas statué ici sur le point de savoir si le partage est rescindable pour lésion ; mais elle s'est prononcée d'une manière générale sur la rescision pour lésion, au sujet du partage entre donataires et légataires universels, et, à cette occasion, elle a généralisé sa disposition pour tous les partages entre copropriétaires, ce qui comprend les associés ; c'est le seul cas de rescision pour lésion au profit de majeurs.
CHAPITRE VII.
DES CONTRATS ALÉATOIRES.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 157. Déjà l'article 301 du Livre des Biens, a annoncé qu'il y a des contrats “dont l'existence ou les effets sont subordonnés à un événement qui dépend du hasard.” Les contrats qui ne sont pas aléatoires sont appel 's commutatifs par les Codes étrangers : le Code japonais leur donne le nom de contrats fermes, expression qui a paru préférable et qui a été justifiée en son lieu.
La loi ne parle ici que des effets du contrats et non plus de son existence même, comme dépendant du hasard ; mais l'idée est assurément la même ; cela résulte formellement du 3e alinéa de l'article suivant.
Art. 158 et 159. La distinction que fait la loi entre les contrats qui sont aléatoires par leur nature et ceux qui ne le sont que par l'adjonction d'une condition à laquelle les parties le subordonnent n'a guère qu'un intérêt théorique ; mais elle fournit au moins l'occasion de donner la liste des contrats aléatoires dont deux seront repris ici, dans des Sections distinctes, et dont les autres sont renvoyés au Code de commerce.
Il est inutile de donner, dès cet article, une esquisse de chacun des deux contrats aléatoires qui vont être repris ci-après. Nous remarquerons seulement que c'est à tort qu'on les considère généralement comme à titre onéreux e tsynallagmatiques : cela peut être fréquent mais n'est pas essentiel ou inhérent à leur nature. Ainsi, clans le jeu et le pari, qui ne sont obligatoires que par exception, il peut se faire qu'une seule des parties s'oblige à payer si elle perd, sans rien stipuler si elle gagne ; ainsi encore la rente viagère peut être constituée à titre gratuit, elle n'est donc pas, dans ce cas, le résultat d'un contrat synallagmatique.
Art. 160. Ce n'est que par exception que le jeu et le pari peuvent engendrer une obligation et une action civiles ; mais quoique ces cas soient exceptionnels, il faut les énoncer d'abord, puisque c'est à cause d'eux que le jeu et le pari figurent parmi les contrats réglés par la loi.
Pour que le jeu donne une action civile, il est nécessaire qu'il tend à développer la force et l'adresse physiques ; on ajoute ici et on place en tête “le courage,” parce que c'est le but principal que doivent avoir en vue ceux qui se livrent à de tels exercices, et c'est aussi le résultat que doit chercher le législateur ; la force et l'adresse contribuent à donner le courage, parce que, facilitant la résistance aux dangers, elles donnent à l'homme plus de confiance en lui-même. Et il ne faudrait pas craindre que les hommes devenus plus courageux, parce qu'ils sont plus forts ou plus habiles dans les exercices du corps, devinssent violents et querelleurs : c'est plutôt le contraire qui aura lieu, et l'expérience de la vie le prouve.
Les jeux tendant à développer l'esprit, par des combinaisons savantes ou compliquées, ne jouissent pas du privilège d'engendrer une action : il n'y en a pas de motifs aussi puissants, et il n'est pas sûr qu'un habile joueur d'echecs, ou de go, ait, par cela seul, d'heureuses dispositions pour conduire une armée et gagner des batailles.
La loi met les paris sur la même ligne que les jeux : ils donneront action dans les mêmes cas, et aussi dans les mêmes cas l'action leur sera refusée.
Le pari est une convention par laquelle les parties se promettent respectivement un avantage qui sera gagné par l'une ou par l'autre, suivant qu'un fait ou un événement, passé ou futur, mais encore incertain, se trouvera conforme à l'opinion ou à l'espérance qu'elle en a. Par exemple, Primus et Secundus sont convenus que si tel navire arrive de San Francisco dans le port de Yokohama, tel jour ou plus tôt, Primus payera 100 yen à Secundus et, réciproquement, qu'il les recevra si le navire arrive plus tard. Un tel pari est un de ceux que la loi ne sanctionnera pas, en général.
Mais supposons que Primus et Secundus soient constructeurs ou conducteurs de navires et qu'il s'agisse entre eux d'une rivalité tendant à obtenir une amélioration dans la construction ou dans la manœuvre des navire : dans ce cas, le pari sera valable comme étant un encouragement au développement de ce genre d'industrie. Il en sera de même d'un pari entre éleveurs de chevaux, et ces paris sont reconnus valables comme encourageant à l'amélioration de la race chevaline. Mais les paris que font souvent les simples spectateurs ou amateurs de chevaux qui croient au succès de tel ou tel cheval ne sont pas valables, parce qu'ils n'encouragent pas les éleveurs, lesquels ne bénéficient pas de tels paris.
Qnant aux primes promises au cheval gagnant (généralement, par l'Etat, les fu, les ken, les shi, tcho ou son ou des sociétés), elles sont légitimement dues, puisqu'elles sont encore une forme d'encouragement aux éleveurs ; mais elles n'ont plus le caractère de pari : ce sont des donations sous condition.
Quant aux paris dont la loi parle d'abord comme valables, ceux qui se rattachent à des jeux ou exercices de force ou d'adresse, il faut également qu'il interviennent entre personnes prenant part à ces exercices, et alors ils ne sont qu'une forme du profit de ces jeux reconnus licites.
La loi termine par une disposition qui peut étonner au premier abord, mais qu'il est facile de justifier : les tribunaux ne peuvent réduire le montant de la valeur promise comme profit du jeu ou du pari ; si cette somme leur paraît excessive, ils doivent rejeter la demande pour le tout.
Cette solution est, en effet, celle qui retiendra le mieux les parties dans la modération de pareilles promesses, Si les tribunaux pouvaient réduire les engagements exagérés, les parties s'y laisseraient plus facilement aller, espérant que si les tribunaux ne les maintenaient pas en entier, en tout cas, ils les admettraient partiellement ; ainsi, elles ne courraient aucun risque, tandis qu'ayant à craindre un rejet total de la demande, elles auront la sagesse de se modérer elles-mêmes.
Du reste, les tribunaux tiendront compte “des circonstance,” comme le leur recommande notre texte, notamment de la fortune respective des contractants, et c'est la plus faible qui devra être prise pour base, si d'ailleurs les profits ou pertes doivent être égaux.
A ce sujet, nous devons examiner une question qui pourrait faire doute.
Le profit du gagnant doit-il être le même pour chacun, ou pourrait-on convenir que tel partie recevra tant, si elle gagne, et donnera tant (plus ou moins que la première somme), si elle perd ?
On ne voit pas de raison de le défendre ; par exemple, dans un jeu de force ou d'adresse, il est possible que l'un des concurrents soit d'une force ou d'une adresse notablement supérieure à celle de l'autre, en sorte que ses chances de l'emporter sont plus grandes (bien entendu, son succès n'est pas absolument certain, car alors il n'y aurait plus rien d'aléatoire dans l'exercice) ; or, il est juste et raisonnable, en pareil cas, que le profit éventuel du plus fort soit moindre que celui du plus faible.
Mais, que faut-il décider si un seul des concurrents avait droit à un gain, en cas de succès ? Il faut décider que le contrat serait encore valable comme aléatoire ; l'est le cas, il est vrai, où il ne serait plus synallagmatique, ni même à titre onéreux : comme on l'a annoncé en commençant, ce serait une donation conditionnelle de la part du plus fort, une sorte de prime offerte au plus faible, pour le cas de succès.
Enfin, si la promesse d'une récompense était faite par une personne étrangère à la lutte il faudrait encore décider qu'elle serait sujette à l'action, sans avoir elle-même pu stipuler un avantage pour le cas d'insuccès de l'autre. On serait toujours dans les termes de la loi.
Art. 161. Les jeux et paris autres que ceux dont il est question dans l'article précédent ne sont pas autorisés par la loi et n'engendrent pas d'obligation civile ni, par conséquent, d'action en justice.
La loi, tranchant une question restée douteuse, en Europe, ajoute que ces contrats n'engendrent pas même d'obligation naturelle.
Rappelons que la dette de jeu et de pari, quand elle ne se rapporte pas aux cas exceptionnels de l'article précédent, n'a pas de cause légitime, a une cause immorale, car il est contraire à la morale, en même temps qu'à l'ordre public et économique, qu'une personne s'enrichisse du bien d'une autre, sans fournir à celle-ci un avantage ou sans que celle-ci ait eu la volonté de lui faire une libéralité. Or, c'est ce qui arrive dans les jeux non autorisés. Et c'est une illusion de croire que l'équivalent de chance du gain existe dans le risque de perte : cela peut prouver que le gain a une cause, mais cela ne prouve pas que cette cause soit légitime ; et ce qui constitue le caractère anti-économique du jeu, o'est que le gain de l'un des joueurs correspond juste à une perte égale de l'autre, tandis que dans les autres contrats onéreux, les deux parties donnent et, par cela même aussi, elles reçoivent quelque chose, et elles sont présumées profiter toutes les deux, comme dans un échange loyal et intelligent.
On ne peut pas non plus comparer le jeu à une donation, quoique, dans la donation, ce que gagne le donation soit perdu par le donateur : dans la donation, le donateur trouve une satisfaction morale à rendre service, peut être même il gagne ou espère gagner la reconnaissance et l'affection du donataire, tandis que le perdant au jeu n'est animé d'aucune bienveillance pour le gagnant, il n'en obtiendra pas l'affection et lui-même pourra ressentir de la haine contre son heureux adversaire. Il serait superflu d'insister sur ces vérités évidentes Il ne faudrait pas se laisser abuser sur le prétendu caractère d'obligation naturelle de la dette de jeu, par la considération que le payement volontaire d'une dette de jeu ne peut être répété.
C'est, il est vrai, un des effets de l'obligation naturelle que “ce qui a été volontairement payé à ce titre ne peut être répété” (v. Liv. des Biens, art. 583). Mais le refus de répétition s'explique dans ce cas, comme dans quelques autres, sans qu'il y ait d'obligation naturelle : s'il s'agissait d'une convention plus manifestement illicite que le jeu et qu'il y eût immoralité du côté du promettant autant que du côté du stipulant, il n'est pas douteux que, d'une part, elle n'aurait pas d'action pour exiger la valeur promise et, d'autre part, que le promettant n'aurait pas d'action pour répéter ce qu'il aurait volontairement payé. Et cependant, personne ne soutiendra que cette promesse engendre une obligation naturelle.
Nous avons établi ailleurs que ce qui a été payé en vertu d'une cause honteuse ne peut être répété, s'il y a turpitude du côté de celui qui a payé, lors même qu'il y a, en même temps, turpitude du côté de celui qui a reçu.
Pour que le payement de la dette de jeu ne soit pas sujet à répétition, il faut qu'il ait été “volontaire.”
Le texte ajoute à cette condition la capacité chez celui qui a payé ; cette capacité est nécessaie aussi chez celui qui exécute une obligation naturelle, mais comme le payement volontaire a ici un autre caractère, il est bon. d'exprimer que la même condition de capacité est requise.
Enfin, la loi excepte le cas où le gagnant aurait usé de dol ou de surprise dans le jeu : en ce cas, le payement fait avant la découverte du dol ne serait pas réputé volontaire et serait sujet à répétition.
On doit considérer comme payement volontaire la présentation, la pose de 1 ' e n j c u devant le joueur : c'est comme un payement anticipé ou conditionnel ; donc le perdant qui, ayant mis son enjeu devant lui, l'aurait retiré précipitamment, après avoir perdu, aurait vraiment pris le bien d'autrui et serait coupable, sinon de vol, l'enjeu étant dans ses mains comme un dépot, au moins d'abus de confinance ; seulement, la poursuite serait, en fait, assez difficilement admise.
Il se présente quelques questions intéressantes au sujet du payement volontaire.
D'abord, s'il a été fait avec de L'argent prêté et si le prêteur connaissait la destination de cet emprunt, le prêteur a-t-il action pour se faire rembourser le prêt ?
On doit répondre affirmativement, parce que les deniers prêtés sont entrés dans le patrimoine de l'emprunteur et que ce ne sont peut-être pas les mêmes, identiquement, qui ont servi à payer la dette de jeu.
On exceptera seulement le cas où le prêt aurait été fait au perdant par un des joueurs dans le lieu et au cours même du jeu : alors ce serait une opération de jeu n'enge ndrant pas d'action.
On peut encore se demander quel serait l'effet d'un payement de la dette de jeu effectué, en connaissance de cause, par un mandataire ou par un gérant d'affaires.
Les deux cas différent : si le payement a été fait en vertu d'un mandat du perdant, c'est comme un payement volontaire de sa part ; le mandataire représente le mandant, et le mandant sera civilement tenu envers le mandataire, pour le remboursement des sommes payées : c'est comme s'il y avait eu un emprunt pour payer.
Il en serait tout autrement d'un mandat qui aurait pour objet de jouer pour le compte du mandant et de payer pour lui, au cas de perte : dans ce cas, le mandat est illicite et nul par son objet principal ; dès lors, il l'est dans son objet subsidiaire et accessoire qui est le payement.
Si le payement a été fait, sans mandat, par un gérant d'affaires, comme on ne peut voir là une dépense nécessaire, ni même une dépense utile, le gérant n'aura pas d'action pour le remboursement : il sera remboursé par le maître (le joueur), si cela convient à celui-ci : le payement doit être volontaire de la part du perdant ; c'est la règle générale il pourrait arriver que le perdant donnât en payement des objets mobiliers ou immobiliers ou des créances et que le gagnant fût évincé des uns ou ne fût pas payé des autres. Dans ces cas, aurait-il l'action ou garantie soit d'éviction, soit d'inexistence de la créance, soit de l'insolvabilité du cédé ? On supposerait d'ailleurs, pour la garantie d'insolvabilité qui est exceptionnelle, qu'elle aurait été promise expressément ou qu'elle serait attachée à la nature du titre et de la cession, comme à l'endossement d'un effet de commerce.
Il ne faut pas hésiter à refuser au gagnant cette double garantie. Le payement ordinaire n'est valable que parce qu'il ne donne pas lieu à l'action de jeu; or, un recours contre la validité du payement serait, sons une autre forme, une action de jeu. Le perdant paye, s'il veut, comme il veut ou comme il peut, ce qu'il donne est reçu tel qu'il l'a, et le gagnant ne peut pas plus se plaindre de l'éviction des choses données en payement ou du défaut de payement des créances cédées qu'il ne pourrait se plaindre d'un payement seulement partiel. Sous ce rapport, le gagnant n'a même pas autant de droits qu'un donataire de la créance ; car celui-ci, si la garantie d'éviction ou d'insolvabilité du cédé lui avait été expressément promise y aurait droit, tandis que le gagnant ne peut pas plus se prévaloir de cette promesse de garantie que de la promesse du payement même de la dette de jeu.
Le texte du présent article ne se borne pas à dénier au jeu et au pari l'effet de produire une obligation, même seulement naturelle, il prend encore soin d'ajouter qu'il y a nullité de la reconnaissance volontaire d'une dette de jeu ou de pari, de la novation dans laquelle l'extinction d'une telle dette serait présentée comme cause de la création d'une dette civile, enfin, d'un cautionnement par lequel un tiers prétendrait garantir une dette de jeu. Si la loi s'en explique, c'est toujours parce que la validité du payement volontaire, qui est commune à l'obligation naturelle et à la dette de jeu, pourrait porter à exagérer cette similitude des deux dettes; or, on sait que les obligations naturelles peuvent être l'objet d'une reconnaissance volontaire, d'une novation et d'un cautionnement, avec les effets civils attachés à ces actes : ici, ces effets ne se produiront pas.
Le texte qui refuse effet au cautionnement d'une dette de jeu ou de pari n'exprime pas la même prohibition à l'égard du gage et de l'hypothèque qui seraient fournis pour garantie de la même dette. Au premier abord, on pourrait croire que la prohibition va de soi, par identité de motifs ; mais ce serait une illusion ; il y a une grande différence entre les sûretés personnelles, comme le cautionnement, et les sûretés réelles, comme le gage et l'hypothèque : dans ces dernières, le débiteur se dépouille actuellement d'un droit réel qu'il confère au gagnant ; or, ce dépouillement, s'il est volontaire, comme un payement, doit en avoir aussi la validité.
En vain on objecterait, dans le sens de la prohibition du gage et de l'hypothèque, que ces deux sûretés n'opèrent pas une libération directe, comme le payement, et qu'elles rendront nécessaire, pour la réalisation de la valeur engagée, l'intervention de la justice que la loi veut éviter dans les dettes de jeu. Nous répondrons . que ce qui répugne surtout à la loi c'est l'intervention judiciaire ayant un caractère de contrainte sur le débiteur, pour le déterminer à payer la dette de jeu ; mais ici, le sacrifice volontaire a été fait, le reste n'est plus qu'une procédure de règlement de compte entre le créancier gagiste ou hypothécaire et le débiteur ou les autres créanciers. Il ne faut pas davantage alléguer que la validité du gage et celle de l'hypothèque exigent la rédaction préalable d'un acte portant reconnaissance de la dette et que, précisément, on vient de refuser effet à cette reconnaissance ; la réponse est encore la même : la reconnaissance de la dette de jeu n'aura pas ici d'autre effet que de motiver la dation du gage ou de l'hypothèque, comme, précédemment, elle motivait le payement ou la dation en payement ; elle n'entraînera aucune contrainte contre le débiteur, et la preuve en est que si le gage ou l'hypothèque sont insuffisants, le débiteur ne pourra être recherché pour le reste.
Notons enfin que si la dette de jeu ou de pari, même formellement reconnu, ne peut servir de base à une compensation légale ou judiciaire (ce qui équivaudrait à un payement forcé, lequel n'est pas admis), elle pourrait très bien donner lieu à une compensation volontaire que le perdant consentirait à faire expressément avec une créance civile qu'il aurait contre le gagnant.
Art. 162. Il était naturel de refuser action en vertu d'une loterie non autorisée ; en effet, les loteries, lorsqu'elles n'ont pas été autorisées par l'administration, sont punissables comme le jeu et elles le sont toujours, comme ayant une cause illicite. Il ne peut en effet y avoir d'exception relative aux exercices de force ou d'adresse, parce que le hasard des loteries ne peut se combiner avec de tels exercices.
Si, au contraire, une loterie était autorisée et que les organisateurs refusassent de délivrer les lots aux gagnants, ils y seraient contraints par action judiciaire, et cela est très juste, en même temps que c'est le seul moyen d'encourager les preneurs de billets à une œuvre qui a toujours un caractère de bienfaisance ou d'utilité plus ou moins générale, sans quoi, elle ne serait pas autorisée. De même, ceux qui auraient souscrit pour un certain nombre de billets pourraient être contraints à en verser le montant.
Le 2e alinéa de notre article assimile aux paris dépourvus d'action les spéculations sur la hausse ou la baisse des effets publics ou des marchandises, lorsqu'elles n'ont pas le caractère d'opérations sérieuses de vente ou d'achat. Comme conséquence naturelle cette assimilation, la partie perdante ne pourra pas opposer la nullité, lorsqu'elle aura volontairement payé la différence entre le cours du jour de la convention et celui de l'échéance du terme.
La présomption légale est que le marché à terme est sérieux, car la loi impose au défendeur la charge de la preuve contraire.
L'opération étant réputée sérieuse, c'est celui qui le nie, à celui qui défend à la demande d'exécution, de prouver que les parties n'ont pas eu l'intention, lors du marché, de prendre livraison des valeurs et d en effectuer le payement, c'est-à-dire qu'il n'y a eu entre elles qu'un pari sur les différences ; ce sera une question d e fait à décéder, et, pour cela, le tribunal tiendra compte des quantités et des sommes promises, de la fortune des contractants et, si elles ont l'habitude de faire ensemble île pareils marchés, de la manière dont elles les terminent ordinairement.
Art. 163. Il restait à décider, pour le cas plus ou moins rare où l'exception de nullité est conservée au défendeur, si, dans le silence de celui-ci, les juges pourraient la suppléer d'office.
Assurément, la nullité de la prétendue obligation née du jeu ou du pari est d'ordre public et, comme telle, semblerait pouvoir être, sans hésitation, prononcée d'office. Mais il ne faut pas oublier qu'on est en présence d'une présomption légale favorable au demandeur, d'une présomption d'après laquelle l'opération de Bourse à terme est considérée comme sérieuse. Le défendeur, il est vrai, est admis, par le présent article, à fournir la preuve contraire ; mais quand il ne comparaît pas, ou quand, comparaissant, il ne se prévaut pas de l'exception de jeu et conteste par d'autres moyens la prétention du demandeur, il serait dangereux de donner aux juges un pouvoir illimité pour déclarer que l'opération ne leur paraît pas sérieuse.
Le texte n'autorise donc les juges à déclarer d'office la nullité que si le caractère illicite de l'opération, le caractère de jeu ou de pari, résulte d'une déclaration (écrite ou verbale) faite, soit dans l'engagement, soit dans la demande. Le cas sera rare, sans doute : les parties n'auront pas voulu se priver l'une et l'autre, dès l'origine, du bénéfice d'une action en justice, et quand elles auront laissé le champ libre à l'action, le demandeur n'aura pas souvent l'imprudence ou la loyauté de déclarer qu'il n'a entendu faire qu'une opération de jeu ou de pari sur les différences de cours. Mais c'est précisément dans ces étroites limites qu'il n'y a plus d'objection à ce que l'exception puisse être suppléée d'office.
SECTION II DE LA RENTE VIAGÈRE.
Avant d'aborder le texte des rentes viagères, nous en exposerons sommairement la théorie.
Il peut exister deux sortes de contrats de rente, celui de rente perpétuelle et celui de rente viagère.
Le contrat de rente perpétuelle est une variété du prêt à intérêt et c'est avec ce contrat qu'il en sera traité (voir le Chapitre suivant).
Le contrat de rente viagère a de l'analogie avec d'autres contrats dont il peut n'être qu'une variété ; il peut aussi avoir le caractère d'une donation et même, en dehors de tout contrat, la rente viagère peut être constituée par legs ou testament. Ce sont ces caractères variables ne la rente viagère qui doivent nous occuper d'abord. Les textes en seront plus facilement compris et pourront être plus brièvement expliqués.
Il faut se garder de donner le nom de rente aux revenus mêmes, payés par mois ou par an : leur nom est arrérages et c'est ainsi que les textes du présent Code, mettent souvent sur la même ligne les “intérêts et arrérages.”
On doit garder le nom de rente pour le droit qui produit les arrérages ; la rente est comme le fonds et les arrérages en sont les fruits.
Quand la rente est perpétuelle (ce qui n'exclut pas certaines causes exceptionnelles d'extinction), elle a un capital aussi déterminé que le prêt, et les arrérages en sont les intérêts.
Quand la rente est viagère, le capital en est indéterminé, il est f i c t i f, il ne pourra jamais être exigé, non seulement au cas d'extinction normale du droit aux arrérages, par la mort du rentier, mais même au cas d'extinction anticipée pour inexécution d'une des obligations du débiteur. Cependant, la rente est quelquefois la contre-valeur d'un capital fourni par le rentier, en argent, en meubles ou en immeubles ; mais ce capital ne peut être considéré comme productif des arrérages, car ceux-ci sont généralement beaucoup plus élevés que l'intérêt ordinaire du prêt ou les fruits des biens, à raison même de ce qu'ils ne sont dûs que pendant la vie du rentier.
Lorsque la rente viagère est ainsi constituée comme contre-valeur d'un avantage fourni par le rentier, elle est évidemment le résultat d'un contrat à titre onéreux et synallagmatique, et, comme elle peut durer plus ou moins longtemps, suivant les hasards qui abrègent ou prolongent la vie humaine, le contrat est aléatoire pour les deux parties.
Lorsque la rente est constituée par donation, le contrat, étant gratuit, n'est pas synallagmatique ; mais est-il encore aléatoire ? Beaucoup d'auteurs le nient, prétendant que les contrats aléatoires ne sont qu'une variété des contrats onéreux. Mais on ne voit pas pourquoi on restreindrait ainsi le caractère des contrats aléatoires. Lors même que la chance de gain ou de perte peut ne se trouver que d'un seul côté, cela suffît, pour que le contrat soit aléatoire ; or, ici, on peut presque dire qu'il y a des chances des deux côtés : d'abord, du côte du donateur, il est évident que la charge sera plus lourde pour lui si le donataire vit long temps, tandis quelle le sera moins si le donateur meurt plus tôt ; mais, même pour ce dernier, ne peut-on pas dire que, s'il ne court aucun risque de perdre, puisqu'il n'a qu'à recevoir, sans rien fournir, il a la chance de recevoir plus ou moins d'arrérages, suivant qu'il vivra plus ou moins longtemps ? Enfin, ce qui achève de prouver que le caractère aléatoire d'un contrat n'est pas incompatible avec la gratuité, c'est que si l'on suppose une donation de pleine propriété subordonné à une condition casuelle, elle est, de ce chef, aléatoire.
Au surplus, nous n'insistons pas sur cette question qui nous paraît d'un intérêt plus théorique que pratique ; que la donation de rente viagère soil un contrat aléatoire ou non, ses effets seront les mêmes : elle suivra les règles des donations pour ses conditions d'existence ou de formation, et pour son étendue, si l'on se trouve dans un des cas où les donations sont restreintes, et, pour ce qui est de sa durée, elle sera toujours limitée à la vie du donataire, avec l'incertitude qui en est inséparable. On aura l'occasion, à l'article 173, de voir une complète assimilation du titre gratuit au titre onéreux dans la rente viagère, et on l'y justifiera.
Le contrat de rente viagère, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, peut rendre de grands services à ceux qui n'ont pas une fortune suffisante pour vivre avec leurs revenus ordinaires. Supposons une personne ne pouvant plus, à cause de son âge, exercer un emploi ou un métier productif et n'ayant qu'un capital, mobilier ou immobilier, de 1500 yens dont le revenu, à 10 %, serait de 150 yens par an, 12 y et demi par mois : il pourrait arriver que ce revenu fût insuffisant pour ses besoins ; si elle n'a pas d'enfants ou de proches parents auxquels elle désire laisser sa petite fortune, elle pourra l'aliéner moyennant une rente viagère qui, au lieu d'être de 10 %, pourra être de 15, même 20 %, c'est-à-dire d'autant plus élevée que cette personne sera plus âgée ; car, à sa mort, le débiteur de la rente cessera de payer les arrérages et ne devra aucune restitution. Si la personne dont il s'agit a un héritier présomptif qu'elle ne peut dépouiller, c'est avec lui qu'elle pourra faire le contrat, lui procurant ainsi l'avantage d'une succession anticipée.
Supposons maintenant une constitution de rente viagère par donation : elle permettra au donateur d'assurer l'existence du donataire, sans se priver lui-même d'un capital ; il pourra être obligé de réduire ses propres dépenses, s'il n'a pas lui-même une fortune considérable, mais, après l'extinction de la rente viagère, il se trouvera aussi riche qu'auparavant.
Dans ces conditions, la rente viagère est un moyen facile de procurer le repos et la subsistance à des parents pauvres et âgés ou de récompenser les services de vieux serviteurs.
Il peut arriver enfin que la rente viagère soit constituée par voie de retenue ou rétention sur un capital aliéné à titre onéreux on gratuit, comme on constituerait un usufruit par rétention sur des biens vendus ou donnés Ainsi, une personne donne 1000 yens et elle stipule que l'intérêt lui en sera payé, à un taux fixé, sa vie durant, par le donataire. Dans ce cas, bien que la rente ne soit pas elle-même donnée, elle favorise encore la donation du capital, puisque celui qui l'aliène conserve des moyens assurés d'existence.
Abordons maintenant les textes de cette matière.
§ Ier CONSTITUTION DE LA RENTE VIAGERE.
Art. 164. Quand la rente viagère est constituée à titre onéreux, elle a, comme on l'a annoncé beaucoup d'analogie avec d'autres contrats dont elle forme, pour ainsi dire, une variété.
Ainsi, si le bénéficiaire de la rente a fourni de l'argent ou des denrées, c'est une Variété du prêt à intérêt; seulement, comme les intérêts sont plus ou moins supérieurs au taux légal ou an taux conventionnel ordinaire, le capital fourni est abandonné et ne doit pas être remboursé ; on peut l'appeler “prêt à fonds perdu" On peut aussi voir dans cette constitution de rente une vente de créance d'arrérages par celui qui les devra, et le capital aliéné en est le prix.
Si la rente viagère a été constituée en retour de l'aliénation d'un objet mobilier ou immobilier, le contrat a tout-a-fait le caractère d'une vente ; mais les éléments en sont renversés : la rente n'est plus la chose vendue, elle est prix de vente, et ce qui est vendu c'est l'objet fourni pour obtenir la rente Dans ce cas, on applique les règles générales de la vente, en tant qu'elles sont compatibles avec la nature de contrat aléatoire : par exemple, il y aura lieu à la garantie d'éviction, à celle de défaut de contenance ou des défauts cachés.
Lorsqu'il n'y a aucune valeur fournie par le créancier de la rente, par le crédi-renlier, la rente viagèrec st constituée à titre gratuit ; ce peut être par une donation entre-vifs, ce peut être par un testament. On applique alors les règles propres à chacun de ces actes, tant les règles de formes que les règles de fond Parmi ces dernières, il y a des restrictions à la capacité ordinaire des personnes, soit pour disposer, soit pour recevoir, il y a aussi des limites à l'étendue des choses qui peuvent être données, en égard à la qualité de l'héritier que le donateur ou le testateur laisse à son décès, c'est la quotité disponible.
On a annoncé, en terminant l'exposé sommaire de ce sujet, que la rente viagère peut être constituée par rétention ou retenue d'une créance d'arrérages sur un capital aliéné en nue-propriété. Ce capital peut lui-même être aliéné à titre gratuit ou onéreux.
Cette disposition rappelle un mode semblable de constitution de l'usufruit (v. Liv. des Biens, art. 45 ).
Une difficulté particulière se présente quand on se demande si une pareille constitution de la rente viagère est à titre onéreux ou gratuit.
Lorsque le capital est aliéné à titre onéreux, c'est-à-dire lorsqu'il en est fourni une contre-valeur, le créancier de la rente viagère est censé avoir reçu dans cette contre-valeur l'équivalent anticipé du droit à la jouissance qui n'est pendant sa vie, que retardé pour l'acquéreur.
Mais si le capital est donné en nue-propriété, la retenue des arrérages ou de la rente viagère sort des acquisitions gratuites ou onéreuses, parce qu'elle n'est pas, à proprement parler, une acquisition: celui qui retient la jouissance de son bien ne l'acquiert pas, puisqu'il l'avait déja, pas plus que celui qui aliène la moitié de son bien n'acquiert l'autre en la retenant. Dans le cas qui nous occupe, il faut plutôt dire que la rente viagère retenue par le donateur du capital est donnée elle-même, à terme, c'est-à-dire pour l'époque du décès du rentier, comme, dans le cas précédent, on. la considérait comme vendue, et c'est encore une valeur à faire entrer en compte dans le calcul de la quotité disponible.
Ajoutons un autre intérêt à reconnaître que la rente viagère ainsi retenue présentement est donnée pour l'avenir ; supposons que le donataire soit dans le cas de subir la révocation de la donation pour inexécution des conditions : dans ce cas, ce n'est pas seulement le capital en nue-propriété qui reviendrait au donateur, ce serait encore la jouissance perpétuelle de ce capital ; en conséquence, à sa mort cette jouissance ne passerait pas au donataire, mais elle resterait dans la succession du donateur.
Art. 165. Généralement, quand la rente viagère est constitutée à titre onéreux, elle est stipulée au profit de celui qui en fournit la contre-valeur ; c'est le cas le plus naturel. Mais il peut arriver que la valeur soit fournie par une personne et que la rente soit stipulée au profit d'une autre.
Notons d'abord que la stipulation pour autrui n'étant valable qu'exceptionnellement (v. Liv. des Biens, art. 323), il faut supposer ou que le stipulant se trouve dans un de ces cas exceptionnels, ou que celui auquel la rente viagère sera due est intervenu au contrat.
Le contrat présente ainsi trois intéressés qui forment deux groupes et dont il résulte deux rapports de droit : du donneur de valeur à celui qui la reçoit et qui devient le débi-rentier, et du donneur de valeur au bénéficiaire, c'est-à-dire au crédi-rentier. Sous le premier aspect, le contrat est à titre onéreux, car celui qui reçoit la valeur fournie comme cause de la rente viagère ne l'acquiert pas gratuitement, devant fournir un équivalent. Sous le deuxième aspect, le contrat est à titre gratuit, car celui qui recevra la rente viagère n'en a pas fourni la contre-valeur. Il est évident aussi que le rapport de donataire à donateur est entre le créancier des arrérages et le donneur de valeur.
Ce double caractère d'un contrat n'est pas spécial à la constitution de la rente viagère : on le retrouve chaque fois qu'il y a dans un contrat onéreux une stipulation pour un tiers ou par un tiers.
Il n'y a pas d'ailleurs d'incompatibilité absolue entre la gratuité et le caractère onéreux, du moment que les rapports sont entre personnes différentes; ainsi, la capacité peut n'être pas la même pour donner que pour aliéner à titre onéreux, mais rien n'empêche qu'elle se trouve observée aux deux points de vue.
Au contraire, pour ce qui est des formes, comme il n'y a qu'un acte, qu'un instrument, il faut que la loi décide s'il sera soumis aux formalités des donations ou s'il en sera affranchi à cause de ce qu'il a d'onéreux, et c'est cette dernière décision que donne la loi.
Mais une difficulté reste à résoudre et si la loi ne la tranche pas, c'est que les principes doivent mener à la véritable solution. Supposons que le donneur de valeur n'ait pas la capacité de donner, quoiqu'ayant celle d'aliéner à titre onéreux, ou que le bénéficiaire de la rente soit dans un cas d'incapacité relative de recevoir de la part du donneur de valeur : le contrat sera-t-il nul en entier, ou seulement vis-à-vis du bénéficiaire? C'est à cette dernière solution qu'il faut se tenir, justement parce que le contrat peut valoir comme onéreux entre le donneur de valeur est celui qui promet la rente ; dès lors, la rente sera payée non au bénéficiaire dénommé dans la stipulation, mais au donneur de valeur ; seulement, elle aura toujours pour mesure de sa durée la vie du tiers que le débiteur avait considéré comme devant être le crédi-rentier. L'article suivant nous dira précisément que la rente peut dépendre de la vie d'un autre que le crédi-rentier.
Art. 166. La rente viagère étant ordinairement créée pour assurer les moyens d'existence d'une personne, il est naturel qu'elle repose sur sa tête, qu'elle soit mesurée sur sa vie; mais le contraire pourrait avoir lieu. Ainsi, il pourrait être convenu que la rente sera servie par le débiteur pendant la durée de sa propre vie : le motif de cette stipulation, assez inusitée d'ailleurs, pourrait être la crainte que le débiteur, ayant intérêt à la mort du rentier, ne fît plus que des vœux, mais des actes criminels pour la hâter. Une pareille stipulation serait cependant imprudente, car si le débiteur de la rente vient à mourir avant le crédirentier, celui-ci sera peut-être privé de moyens d'existence.
La rente peut aussi reposer sur la tête d'un tiers dont on est convenu ; on peut trouver un intérêt à cette stipulation, en supposant qu'en réalité la rente avait été créée dans l'intérêt de ce tiers et pour assurer son existence, mais le donneur de valeur ou le donateur avait voulu que les arrérages fussent payés à un autre qui, fidèlement, en ferait profiter le bénéficiaire. Par exemple, quelqu'un voulant assurer l'aisance d'un vieillard, mais craignant sa faiblesse d'esprit, sa prodigalité ou même son avarice, constituerait une rente viagère payable au fils, mais reposant sur la tête du père : le fils nourrirait son père chez lui et le préserverait ainsi de l'un des deux extrêmes également dangereux pour ses vieux jours, la faiblesse prodigue et les privations avares.
Toutefois, comme il pourrait y avoir des cas moins favorables et qu'une personne pourrait ne pas se soucier que sa vie fût ainsi la mesure du droit et des obligations respectives de deux autres (ce qui peut constituer un danger pour elle et, en tout cas, une inquiétude), la loi veut que le consentement de cette personne soit nécesissaire, non seulement à la validité de la convention, mais encore à sa formation, c'est-à-dire à son existence : lorsqu'elle consentira à la convention, c'est qu'elle n'aura aucun sujet de craindre une entreprise contre scs jours.
La conséquence logique de la nullité de la convention serait la répétition de ce qui aurait été fourni des deux côtés, lorsque l'une des parties jugerait à propos de se prévaloir de la nullité ; mais la loi refuse la répétition des arrérages payés, parce qu'elle considère le débi-rentier comme ayant spéculé sur la mort dite humaine, sans avoir, comme le créancier, l'excuse de la nécessité. Celui-ci, au contraire, pourra répéter le capital qu'il a fourni, si le contrat est à titre onéreux, comme la loi a soin de le distinguer, et ce droit de répétition du créancier sera le frein le plus efficace de la spéculation du débiteur.
Art. 167. Nous n'avons pas à nous étendre sur l'hypothèse prevue par cet article : elle a été suffisamment expliquée, au sujet de l'usufruit, sons l'article 100 du Livre des Biens, cité au texte. Il nous suffit de rappeler que si l'un des créanciers simultanés de la rente vient à mourir, le débiteur ne sera pas libéré pour partie, mais qu'il devra payer les arrérages en entier aux survivants, à moins, bien entendu, de convention contraire.
On avait pensé un instant renvoyer aussi à l'article 48 du Livre des Biens, c'est-à-dire exiger que tous les créanciers successifs éventuels de la rente fussent déjà vivants au moment de la convention, mais on ne rencontre pas ici les mêmes motifs de cette condition : lorsqu'il s'agit d'usufruit, il faut éviter que la propriété soit trop longtemps privée de son revenu, ce qui la déprécie ; mais dans la rente viagère, il n'y a qu'une obligation de personne et non un démembrement de la propriété ; le principe de la liberté des conventions doit donc conserver son empire. D'ailleurs, pusique l'on peut bien créer de perpétuelles, on ne concevrait pas qu'on ne pût en créer qui fussent réversibles une ou plusieurs génération.
On doit admettre cependent une limite à cette réversibilité ; c'est lorsque l'une des têtes désignées pour la durée de la rente n existant pas encore au moment de la constitution (par exemple, l'enfant à naître de deux époux), les autres tûtes viendraient à s'éitendre avant la naissance et même avant le conception de cet enfant: alors la rente se trouvant éteinte, faute d'une tête sur laquelle elle pût reposer, ne renaîtrait pas avec l'apparition de cet enfant.
Art. 168. La présente disposition est fondée sur la nécessité de maintenir a la rente viagère son caractère aléatoire : si la personne dont la vie devait servir de mesure à l'obligation du débiteur était déjà morte au moment de la convention, elle n'aurait eu aucune chance de gain et le débiteur n'aurait couru aucun risque de perte. La convention serait donc nulle faute de cause et le capital fourni serait restituable.
La disposition est déclarée formellement applicable, lors même que les parties auraient toutes ignoré le prédécès du titulaire de la rente, car, si cette ignorance suffit à écarter tout soupçon de mauvaise foi, elle ne suffit pas à créer une cause légitime au contrat.
Le texte a bien soin d'exprimer que cette disposition ne s'applique qu'aux constitutions de rente “à titre onéreux” ; car, dans la rente constituée par donation ou par testament, le donateur ou l'héritier du testateur n'aurait rien à restituer, n'ayant pas reçu de capital, ni rien à recouvrer, n'ayant pas payé d'arrérages à un rentier dejà décédé.
Un seul cas de donation pourrait faire doute, c'est celui où le donateur de meubles ou d'iummeubles aurait retenu sur les biens donnés une rente viagère payable à une personne déjà décédée. On pourrait comprendre que, dans ce cas, le donateur prétendît recouvrer les biens donnés, sous le prétexte que le donataire, ne pouvant remplir la condition de la libéralité, en conformité aux intentions du donateur, s'enrichirait sans cause légitime. Mais il n'y a pas lieu, dans ce cas, se rapprocher de la règle des constitutions à titre onéreux : la cause principale de la donation n'est pas le service de la rente, mais l'intention de gratifier le donataire ; or, il sera d'autant plus gratifié qu'il n'aura pas à payer d'arrérages à un tiers déjà décédé.
Si la rente était établie sur plusieurs têtes, le présent article ne s'appliquerait que si tous les titulaires étaient morts au moment de la convention, car c'est là seulement que l'alea, les risques et les chances, seraient supprimés.
Il est naturel d'assimiler au cas où le titulaire de la rente est déjà mort celui où il est atteint d'une maladie certainement et promptement mortelle ; dans ce cas encore, il n'y a pas suffisamment chance de gain et de perte.
Quelques Codes étrangers ont considéré comme exclusif du risque nécessaire, le cas où le titulaire, déjà atteint d'une maladie lors de constitution de la rente, est mort de cette même maladie dans un délai de 20 jours. On prolonge ici le délai jusqu'à soixante jours, parce qu'il y a des maladies graves qui présentent des alternatives de mieux et de pis, par lesquelles le décès est retardé sans avoir cessé d'être probable. Il ne serait pas difficile de citer de grand nombre de maladies dont les médecins n'espèrent pas la guérison quoiqu'elles aient déjà duré plus de 20 jours et même plus de 40 jours.
Il y aura dans cette hypothèse quelques difficultés dans l'administration de la preuve. C'est à celui qui invoquera la nullité de la convention ou plutôt sa résolution à fournir la preuve que le titulaire de la rente était déjà atteint de la maladie dont il s'agit, lors de la constitution de la rente, et que c'est de cette même maladie qu'il est décédé dans les 60 jours.
La difficulté existera surtout pour les maladies chroniques ; mais si les complications ou le caractère aigu du mal ne s'étaient produits qu'après le contrat, et si rien ne les avait fait prévoir à ce moment, leur survenance dans les soixante jours, suivie d'un décès, ne résoudrait pas le contrat. Quant à la grossesse, même avancée. au moment du contrat, elle ne devrait pas être considérée comme une maladie, si la gestation é ait normale ; mais il sera bien rare qu'une rente viagère soit établie sur la tète d'une jeune femme enceinte, à moins que ladite rente ne soit stipulée réversible sur la tête de l'enfant espéré.
Art. 169. Généralement, tous les biens composant le patrimoine des particuliers sont cessibles ou aliénables par eux et saisissables par leurs créanciers, pour l'acquittement de leurs obligations.
Par exception, certains biens sont inaliénables et insaisissables (v. Liv. des Biens, art. 27 et 29'. La loi doit être très-réservée dans l'admission de ces exceptions, parce qu'elles peuvent exposer les tiers à des déceptions : les cessionnaires seront évincés de choses qu'ils auront cru acquérir et les saisissants, trompés dans leur croyance à un gage qui leur échappe, auront encore à supporter des frais inutiles et des pertes de temps.
Les rentes viagères figurent doublement dans l'exception ; mais à la condition quelles soient constituées gratuitement : une première fois, c'est en vertu de la convention ou de testament, c'est-à-dire par la volonté de l'homme ; une seconde fois, c'est par la disposition de la loi.
Le motif de cette double dérogation au droit commun est que la rente viagère a un caractère de pension alimentaire, et qu'il serait contraire à son but et à l'intention du constituant que le rentier-viager pût, par une aliénation directe, ou en contractant des dettes entraînant saisie, se depouiller du moyen d'existence que le constituant a voulu lui assurer.
Une distinction, toutefois, est faite par la loi ;
1° Si la rente est qualifiée dans l'acte même “pension alimentaire” ou si ce caractère résulte clairement de l'ensemble dudit acte, elle est, d e droit, incessible et insaisissable, et il n'est pas nécessaire que le constituant le stipule : il est présumé avoir imprimé ce caractère à sa libéralité, sauf, bien entendu, l'expression de la volonté contraire ;
2° Si le caractère alimentaire n'est pas évident, l'incessibilité et l'insaissabilité n'ont lieu qu'en vertu d'une disposition ou clause expresse de la donation ou du testament.
Lorsque la rente viagère est constituée à titre onéreux, l'incessibilité et l'insaisissabilité ne peuvent être valablement convenues, parce que ce serait pour le crédirentier un moyen de frauder ses ayant-cause : un débiteur de mauvaise foi aliénerait des biens saisis-sables et cessibles, moyennant une rente viagère qa il stipulerait insaisissable et incessible ; par la première condition, il priverait ses créanciers de leur gage; par la seconde, il se réserverait le moyen de reprendre son droit de rente après en avoir fait une vente apparente et nulle.
Limitée aux constitutions à titre gratuit, la clause d'insaisissabilité et d'incessibilité ne dépouille pas les créanciers du rentier donataire, puisque la rente n'aura jamais été leur gage, et le danger d'éviction des cessionnaires sera suffisamment conjuré par l'insertion de la clause dans l'acte constitutif lui-même (2° al.) : ceux qui prétendraient avoir acquis la rente viagère ne pourraient alléguer leur bonne foi, puisqu'ils n'auraient pas manqué de se faire représenter l'acte constitutif qui prohibait la cession.
La loi apporte cependant une restriction aux faveurs accordées ici à la rente viagère établie gratuitement.
On a vu plus haut que la rente peut être établie par rétention sur des choses données : le donateur, dans ce cas, n'acquérant pas une rente nouvelle, à proprement parler, mais la tirant de ses biens antérieurs, il serait contraire à l'équité et aux droits de ses créanciers qu'il pût soustraire à leur action une portion de ses revenus.
La solution ne serait pas la même si un testateur léguait un capital, en réservant sur ce capital, pour son héritier légitime, une rente viagère à laquelle il donnerait le caractère d'insaisissabilité et d'incessibilité : ici les créanciers du testateur ne pourraient souf frir aucun dommage, car le legs ne leur serait pas opposable et ne vaudrait, en capital et en rente, que s'ils étaient désintéressés sur les antres biens.
Le texte d'ailleurs a soin de ne parler, dans sa prohibition, que de la rente retenue au profit du donateur.
L'insaisissabilité et l'incessibilité de la rente viagère concernent plutôt le droit lui-même de rente que les arrérages périodiques qui n'en sont que le produit ; mais, il est clair que si le rentier pouvait céder d'avance les arrérages à échoir, soit pour toute sa vie, soit seulement pour un ou plusieurs termes futurs, la protection que le constituant ou la loi ont voulu lui assurer serait illusoire. On ne devait même pas permettre la cession ou la saisie d'un seul terme non échu, parce que la cession ou la saisie pourraient toujours être faites avant que le rentier eût pu toucher chacun desdits termes. La loi fait donc sagement de ne permettre la disposition des arrérages que lorsqu'ils sont “échus.”
Art. 170. La loi croit devoir trancher ici une question qui pourrait faire doute, si elle ne s'en expliquait pas :
Si le donateur d'une rente viagère n'exprime que l'incessibilité sans l'insaisissabilité, ou réciproquement, la prohibition qu'il n'a pas exprimée sera sous-entendue : c'est une interprétation naturelle et raisonnable de l'intention du constituant qui a pu être plus préoccupé d'une des prohibitions que de l'autre. Plus loin, la loi tirera une autre conséquence de l'incessibilité de la rente viagère, ce sera son imprescriptibilité, c'est-à-dire que le débiteur ne pourra se prétendre affranchi par prescription du service des arrérages (v. art. 176). On justifiera en son lieu ce nouveau caractère possible de la rente viagère, lequel se rapporte à son extinction.
§ II. — DES EFFETS DU CONTRAT DE RENTE VIAGERE.
Art. 171. Le débiteur d'une rente viagère n'a ordinairement qu'une seule obligation, celle d en payer régulièrement les arrérages. Quelquefois cependant, il s'engage par le contrat à fournir au créancier des sûretés pour le service desdits arrérages. Il en sera traité au § suivant, au sujet de la résolution qui est la sanction éventuelle de cette obligation.
La loi ne permet pas au débiteur de se soustraire au service des arrérages, même en payant un capital, quelle que soit la longévité du rentier ou de la personne sur la tête de laquelle porte le droit de rente ; c'est la conséquence de ce que le contrat est aléatoire, et de même que le débiteur aurait pu se trouver affranchi de sa dette après un temps très-court, de même il est juste qu'il en supporte très-longtemps la charge, si le hasard prolonge la vie du titulaire, même au-delà de toute prévision.
La loi n'aurait pas pris la peine de s'expliquer sur ce point, si on n'avait une disposition différente en matière de rente perpétuelle. Le débiteur d'une rente perpétuelle peut, en effet, s'affranchir du service des arrérages en remboursant le capital qui les produit, et il le peut, nonobstant toute convention contraire, ce qu'on justifiera en son lieu (v. art. 192). Ici, c'est l'opposé : il faudrait une convention permettant le rachat de la rente pour qu'il fût possible au débiteur.
Art. 172. Les arrérages sont les fruits civils du droit de rente ; ils suivant la règle ordinaire de l'acquisition jour par jour (v. Liv. des Biens, art. 54) : les échéances plus ou moins éloignées ne sont que des modes de payement adoptés pour les convenances des parties. Si donc les arrérages ont été fixés à tant par an, on les divisera en 365 parties dont une sera acquise chaque our ; s'ils avaient été fixés à tant par mois, on les diviserait en 30 parties, en négligeant les variétés de durée des mois. Si donc le rentier ou la personne sur la tête de laquelle repose la rente vient à mourir au cours d'une période commencée, ses héritiers auront droit à autant de fractions des arrérages annuels ou mensuels qu'il y a de jours écoulés.
Cette solution est pour le cas où les arrérages sont payés à la fin de chaque période et comme se rapportant à la période écoulée, ce qui peut être considéré comme le cas ordinaire. Mais la loi suppose que, par exception, les arrérages seraient payables d'avance et au commencement de chaque période : dans ce cas, il suffit que le titulaire de la rente existe au commencement de la période pour avoir droit à tous les arrérages qui s'y rapportent. Le motif est qu'en général, le créancier de la rente aurra, pour vivre, contracté des obligations pendant la période précédente et qu'il attend la nouvelle période pour les acquitter.
Art. 173. On aurait pu croire que le défaut de payement des arrérages par le débiteur donnerait lieu à la résolution par application du droit commun. Pour qu'elle ait lieu, il faudrait, au contraire, que le créancier l'eût stipulée.
L'équité, en effet, s'opposerait à ce que le débiteur qui a déjà supporté pendant un certain temps la charge de la rente, avec l'éventualité du profit de l'extinction, fût à jamais privé de cette chance de gain parce qu'il ne peut payer régulièrement les arrérages. Il est plus digne de ménagements dans le cas présent que dans celui qu'on verra à l'article 175 où il a manqué à fournir les sûretés promises ou diminué celles qu'il avait déjà fournies : dans ce cas, il n'a dû promettre que des sûretés qu'il était actuellement en son pouvoir de fournir, car la fourniture en devait sans doute accom pagner ou suivre immédiatement la formation du contrat ; dans le cas du défaut de payement des arrérages, il a l'excuse de l'imprévu qui, au cours du service de la rente, peut le lui rendre difficile.
Mais il faut pourvoir à la sauvegarde des droits du créancier et c'est ce que fait le présent article : le créancier saisira une quantité des biens du débiteur, suffisante pour que la vente en produise un capital dont l'emploi, en prêt à intérêts ou autrement, assurera le service des arrérages.
Le créancier saisira des biens du bébiteur une quantité suffisante pour assurer le payement des arrérages. Naturellement, ces biens seront vendus, s'ils sont autres que de l'argent, car les créanciers ne peuvent pas, en principe, se faire attribuer directement en payement les biens de leur débiteur. Le produit de la vente ne sera pas lui-même employé en rente viagère dans les mains d'un tiers, pour que les arrérages en soient payés au créancier de la rente : ce serait enlever au débiteur primitif et à ses ayant-cause, notamment à ses autres créanciers, le profit du capital qui pouvait, d'un jour a l'autre, leur être acquis par la mort du rentier ; on emploiera ce capital en prêt, en rente sur l'Etat, ou d'une autre manière productive d'intérêts; puis, quand le créancier mourra, ledit capital retournera au débiteur ou à ses créanciers. Cette saisie n'a donc, au fond, qu'un caractère conservatoire.
Le texte nous dit encore que si le débiteur a d'autres créanciers et que ses biens ne suffisent pas à les désintéresser tous, le rentier subira comme eux une réduction proportionnelle; il n'y a pas de raison, en effet, de lui donner une préférence, à moins qu'il n'ait une hypothèque ou un gage.
Le texte exprime, en terminant, que le refus de résolution pour défaut de payement des arrérages n'est pas limité à la rente constituée à titre onéreux et qu'il s'applique aussi aux rentes constituées à titre gratuit.
Art. 174. Le payement des arrérages devant cesser avec la vie du rentier ou de la personne dont la vie a été prise pour terme, on peut dire que chaque somme périodique n'est due que sous condition de la survie de cette personne ; dès lors, le rentier étant demandeur, doit fournir la preuve que la condition de son droit est remplie. Cette preuve se fait au moyen d'un certificat de vieLa loi ne donne pas aux notaires une compétence exclusive en cette matière, car leur office n'est pas gratuit comme celui de maires, et les rentiers viagers ne sont généralement pas riches: les notaires avec l'officier de l'état civil partageront cette compétence.
C'est l'officier de la résidence et non celui du domicile qui délivrera le certificat de vie, en présence de la personne.
Il se fera au besoin, attester l'indentité du requérant par deux témoins connus de lui.
§ III. — DE L'EXTINCTION DE LA RENTE VIAGERE.
Art. 175. Il est fréquent dans le contrat de rente viagère, plus que dans les autres, que le créancier stipule des sûretés particulières, parce que, le plus souvent, aliénant tout son capital pour augmenter son revenu, la rente sera son seul moyen d'existence.
Le présent article suppose que le débiteur ne fournit pas es sûretés promises : par exemple, une hypothèque ou une caution ; la sanction sera la résolution du contrat; il en sera de même si, les ayant fournies d'abord, il commet quelque acte volontaire qui les diminue.
La loi avait ici un motif particulier de proclamer le droit du crédi-rentier à la résolution pour inexécution des obligations ; c'est précisément parce qu'il n'a pas lieu, en principe, en matière de rente viagère, ainsi qu'on l'a expliqué sous l'article 173 ; c'est donc par exception qu'il est admis ici, comme étant le meilleur secours qui puisse être accordé au créancier.
On pourrait s'étonner que la loi ne se borne pas, comme dans l'article précité, à donner au rentier un droit de saisie qui laisserait au débiteur les chances favorables du contrat. Mais il faut remarquer qu'ici le debiteur est bien moins intéressant que celui qui no peut servir les arrérages : il est presque suspect de mauvaise foi et, en tous cas, il est coupable de faute lourde, ce qu'on ne dira pas d'un insolvable.
Le texte exprime que cette résolution n'a lieu que si la rente a été “constituée à titre onéreux.” Ce n'est pas seulement parce que cette sorte de pénalité civile ne se justifierait pas autant contre un donateur en faute ; l'impunité d'ailleurs ne serait déjà plus aussi facilement explicable à l'égard d'un héritier qui refuserait ou diminuerait les sûretés promises par son auteur dans une donation ou dans un legs de rente viagère. La véritable raison de cette différence est que, dans la constitution directe de rente viagère par acte gratuit, ce n'est que par fiction que l'on parle quelquefois d'un capital productif des arrérages: il n'y a pas de capital aliéné qui, par la résolution, puisse rentrer dans les mains du crédi-rentier ; si le donataire ou le légataire d'une rente viagère qui n'obtient pas les sûretés promises pouvait acquérir comme indemnité un capital en perpétuel, les conditions de la libéralité seraient tout-à-fait changées à son profit, sans cause légitime. Mais comme il ne faut pas non plus que le donataire soit privé de tout secours, il se garantira pour 'l'avenir au moyen de la saisie conservatoire autorisée par l'article 173.
A cette occasion, la loi revient encore à la rente “retenue sur un capital donne ou légué,” sur la nature de laquelle nous nous sommes déjà arrêté et qu'il faut se garder de confondre avec la rente constituée à titre gratuit.
Assurément, le donateur ou son héritier qui garde un droit de rente sur le capital donné ou légué ne le tient pas de la libéralité du donataire ou du légataire, et, s'il a stipulé des sûretés, il est encore plus digne d'intérêt que celui a obtenu la rente viagère comme prix d'un capital aliéné dans un but intéressé. Le gratifié, donataire ou légataire du capital, qui ne fournit pas les sûretés promises, ou qui diminue celles qu'il avait fournies, est bien plus fautif que celui qui, dans le même cas de rente retenue sur un capital donné, manque à servir les arrérages. Ce dernier n'a été soumis qu'à la saisie conservatoire par l'article 173; mais celui qui nous occupe subira la résolution, avec restitution du capital donné ou légué, en vertu du droit commun des donations où des legs avec charges, autant que par application de notre présent article.
En général, la résolution doit remettre les choses au point où elles étaient avant la convention ; cet effet ne se produira pas complètement ici : sans doute, le débiteur rendra tout le capital qu'il a reçu, car la rente est supposée avoir été constituée à titre onéreux ; mais le créancier ne rendra aucune portion des arrérages reçus ou acquis, même la portion qu'on pourrait considérer comme l'excédant du taux ordinaire de l'intérêt. Il est juste, en effet, que le créancier conserve ce bénéfice comme prix du risque qu'il a couru, car il aurait pu mourir à l'époque où ces arrérages lui étaient encore payés régulièrement et le capital eût été acquis au débiteur.
Cette solution pouvant faire doute, on croit utile de l'insérer, comme étant une modification des règles générales de la résolution qui devrait remettre les choses en l'état primitif.
La loi suppose ensuite que celui sur la tête duquel porte le droit de rente, est mort avant que la résolution ait été prononcée.
Ici encore, il y a une dérogation au droit commun. En général, le décès de l'un des plaideurs ne modifie pas les droits engagés dans l'action: la justice rend, pour ou contre les héritiers du décédé, le jugement qu'elle aurait rendu pour ou contre le plaideur lui-même. Mais en matière de rente viagère, le droit n'est pas transmissible aux héritiers du rentier ; si donc celui-ci est mort pendant le procès, son droit est éteint: la résolution n'a plus d'objet ni d'intérêt, car elle avait pour but de parer à l'eventualité du défaut de payement des arrérages, laquelle n'est plus en question, puisqu'il n'y a plus de dette.
Il en sera de même si la personne sur la tète de laquelle porte le droit de rente vient à mourir après le jugement de première instance et pendant l'instance d'appel, ou même dans le délai pendant lequel l'appel est recevable : il n'y a qu'un jugement définitif portant résolution qui puisse rendre le décès sans influence.
Art. 176. Après ce qui vient d'être dit de la résolution, il paraît nécessaire de s'expliquer sur les autres causes d'extinction de la rente viagère, ta ntparce qu'elles ne s'y appliquent pas toutes que parce que la mort même du titulaire, qui est une cause spéciale d'extinction de ce droit, présente, dans un cas, une difficulté spéciale.
Le texte mentionne d'abord comme applicables à la rente viagère les causes de rescision ou nullité et de révocation d'après le droit commun ; ainsi, les vices de consentement et les incapacités ordinaires donnent lieu, ici comme ailleurs, à l'action en rescision ; de même les constitutions de rente viagère faites en fraude des créanciers d'une partie ou de l'autre donneront lieu à l'action l'évocatoire, conformément aux articles 340 et suivants du Livre des Biens.
Le payement n'éteint pas, en principe, la rente viagère, puisque le débiteur n'est pas autorisé à en effectuer le rachat par le remboursement du capital (art 171). Mais, ce que la loi ne permet pas au débiteur, parce que ce serait manquer à l'observation du contrat, le contrat même peut le lui avoir permis, sous telles conditions qui auront été agréées par les parties : ce sera alors ce que le texte nomme “le rachat stipulé.”
La novation et la remise conventionnelle sont encore des causes d'extinction volontaire que la loi ne pouvait songer à défendre ni même à gêner : il lui suffit de les mentionner.
La confusion résultant de la réunion des deux qualités de créancier et de débiteur dans une seule personne produit nécessairement, ici comme ailleurs, son effet extinctif de la dette : elle aura lieu quand le rentier succédera au débiteur ou un tiers à tous deux. Nous ne supposons pas le troisième cas ordinaire de confusion : le débiteur succédant au créancier ; car, si c'est le crédi-rentier qui meurt, la rente s'éteint toujours, sans qu'il soit besoin d'une confusion résultant de ce que le débiteur lui aura succédé.
Une cause d'extinction qu'on est habitué à rencontrer à côté de la confusion, la compensation, n'aura pas lieu ici : supposons que le débiteur de la rente devienne, de son côté, créancier d'une somme ou valeur égale ou supérieure au capital fictif de la rente, il ne pourra se trouver affranchi du service de la rente, parce que ce serait en imposer le rachat, or, on a vu que cela n'est possible qu'en vertu d'une stipulation.
Enfin, la prescription s'applique tant au droit de rente même qu'aux arrérages, avec cette différence que le délai n'est pas le même dans les deux cas : c'est le délai ordinaire pour le droit de rente lui-même (trente ans). Ce n'est plus que délai de cinq ans pour les arrérages.
Le point de départ, non plus, n'est pas le même pour les deux droits : pour le droit de rente, c'est l'acte constitutif, ou la reconnaissance tacite du droit par chaque payement d'arrérages ; pour les arrérages, c'est leur échéance.
Au sujet de la prescription du droit même de rente, il était très nécessaire de s'en expliquer, car on pouvait douter quelle fût applicable, surtout quand on considère la prescription moins comme une moyen direct d'extinction des obligations que comme une présomption d'extinction légitime ; or, c'est justement la théorie que l'on a déjà adoptée dans le présent Code.
En effet, on pourrait objecter que, le débiteur ne pouvant être contraint au remboursement du capital et ne pouvant non plus l'imposer au créancier, il n'y a pas lieu de présumer qu'il ait été libéré de la rente par un payement, comme s'il s'agissait de toute autre dette.
Mais la réponse est facile : on vient de voir que la rente viagère s'éteint de plusieurs manières, indépendamment de la mort du titulaire ; or, que ces modes d'extinction soient plus ou moins exceptionnels, peu importe, au point de vue qui nous occupe : on peut toujours supposer que si le créancier a laissé s'écouler trente ans sans agir, c'est qu'il est survenu une de ces causes légitimes d'extinction Assurément, on ne présumera pas la mort du créancier ; à peine le pourrait-on, s'il avait disparu depuis trente ans, son existence peut d'aillenrs être prouvée par un certificat de vie ; mais on pourra présumer une remise conventionnelle de la rente, quoique ce soit une libéralité et que les libéralités ne se présument pas ; mais on présumera, avec plus de raison encore, un rachat conventionnel.
Quant à la prescription des arrérages échus, elle est tout naturellement fondue sur une présomption de payement, puisque, non seulement les arrérages sont payables, mais ils sont aussi exigibles: il n'est pas probable que le créancier ait laissé l'écouler cinq ans sans les exiger.
Nous avons annoncé, en expliquant l'article 170, que l'incessibilité de la rente viagère entraîne, de droit, son imprescriptibilité autant que son insaisissabilité : cela est naturel et forcé. Lorsque la rente viagère est stipulée incessible ou déclarée telle par la loi, c'est pour assurer au rentier des moyens d'existence qu'il ne puisse détruire par son imprévoyance, sa faiblesse ou sa prodigalité.
La première conséquence est que le rentier ne puisse recevoir le remboursement du capital de la part du débiteur, ni faire avec celui-ci une novation ou une convention de remise, lesquelles ne seraient autre chose que des cessions déguisées; c'est une sorte d'incapacité spéciale établie pour protéger le créancier.
La seconde conséquence est qu'il ne puisse pas perdre son droit par la prescription, pas plus que ne le peuvent les incapables ordinaires. En effet, il serait impossible qu'il fût p ré su m é avoir reçu un remboursement qu'il lui est défendu de recevoir.
Quant aux arrérages, comme ils sont toujours cessibles et saisissables après l'échéance (voy. art. 169), ils seraient également prescriptibles, depuis la même époque.
Art. 177. Il nous reste à parler du décès du titulaire, comme mode d'extinction de la rente.
Par titulaire nous entendrons, soit le rentier lui-même, soit le tiers sur la tête duquel la rente reposerait, quant à sa durée, conformément à l'article 166.
Le présent article nous dit que la cause du décès n'est pas à considérer, en principe, sauf ce qui a été dit à l'article 168 du décès dans les soixante jours de l'acte constitutif, par l'effet d'une maladie dont le titulaire était déjà atteint et sauf aussi l'exception portée ci-après. Ainsi, le titulaire est mort le lendemain de l'acte constitutif, victime d'un accident ou d'un crime : la rente est éteinte sans indemnité pour le crédi-rentier ou pour ses héritiers, si c'est lui qui est décédé; ainsi, encore, le titulaire est mort dans un duel, ou par l'effet d'une sentence criminelle, ou par un suicide: dans ces derniers cas qui seraient très-importants à considérer s'il s'agissait d'une assurance sur la vie, le droit de rente est perdu et il y a d'autant moins lieu de songer à une indemnité en faveur des héritiers du décédé, lorsqu'il était lui-même le crédi-rentier, que, dans les trois cas, le décès est l'effet de la faute de leur auteur.
Mais il y a une exception nécessaire, si le décès est dû à " une cause illégitime et imputable au débiteur des arrérages.”
Il n'est pas sans exemple, malheureusement, dans les pays où la rente viagère est usitée, que le débiteur cherche à s'affranchir de la charge des arrérages ou d'une pension alimentaire, en abrégeant par un crime la vie du créancier.
Il est clair que, s'il est découvert, son crime, indépendamment de la peine criminelle encourue, ne peut lui profiter. D'un autre côté, la vie du titulaire ne peut plus servir de mesure au payement des arrérages; on se trouve donc embarrassé pour assigner au service de la rente, en faveur des héritiers de la victime, une durée qui ne soit pas arbitraire.
La loi fait sagement de régler ce point.
En même temps, on prévoit d'autres cas qu'un crime, et, en effet, il y en a d'autres où le débiteur peut être responsable du décès du titulaire de la rente, sans être un meurtrier : il suffit, comme dit le texte, que la cause du décès “soit illégitime et lui soit imputable.” Mais, le débiteur ne serait pas responsable, s'il avait donné la mort au titulaire étant en état de légitime défense, ou par l'ordre de la loi ou de l'autorité légitime.
Il ne serait pas responsable non plus si le décès ne lui était pas imputable à faute ; par exemple, s'il avait donné la mort, étant en état de démence ou contraint par une force majeure, dans un péril pour sa propre vie.
Mais s'il a donné la mort en duel, ou dans une rixe, même sans avoir eu d'intention homicide, le décès lui est imputable et il est responsable. Le texte est même assez large pour comprendre le cas d'homicide par imprudence ; car, si le débiteur n'est, dans ce cas, soumis qu'à une peine correctionnelle légère, il est juste encore que sa faute ne l'enrichisse pas. A plus forte raison, la cause du décès serait-elle illégitime et imputable au débiteur, si, étant meurtrier, il n'était que dans un cas d'excuse légale qui laisse encore une assez grave application de la loi pénale.
Il restait à savoir comment seraient régies les droits de l'héritier de la victime.
La loi fait, à cet égard, une distinction.
Si la rente était la contre-valeur d'une acquisition à titre onéreux ou la charge d'une libéralité, la peine civile du coupable et l'indemnité des parents de la victime seraient la résolution du contrat onéreux ou gratuit et, par suite, la restitution des valeurs reçues ; la loi ajoute, comme déjà dans le cas moins grave de l'article 175, “sans répétition d'aucune partie des arrérages payés.”
Mais s'il s'agit d'une vente viagère directement donnée ou léguée, sans que le débiteur (qui est le constituant ou son héritier) ait rien reçu, il est clair qu'il ne peut pas être question de l'atteindre par une résolution. La loi alors l'oblige à servir la rente pendant un temps que le tribunal fixera comme étant la durée la plus longue probable de la vie du titulaire : le tribunal tiendra compte de l'âge qu'il avait déjà, de sa santé connue, en un mot, de ses chances de longévité.
CHAPITRE VIII.
DU PRÊT DE CONSOMMATION ET DE LA RENTE PERPÉTUELLE.
Le Code sépare les deux sortes de prêt : le prêt de consommation et le prêt à usage. Il n'y a pas, en effet, une similitude suffisante pour les réunir, puisque le premier transfère la propriété, tandis que le second ne donne que la possession seulement précaire.
On commence par le prêt de consommation pour deux raisons : 1° parce que, transférant la propriété, ce prêt continue et termine la série des contrats qui ont ce caractère ; 2° parce qu'il a quelquefois le caractère de constitution de rente perpétuelle et qu'ainsi il se rapproche, par certains côtés, du contrat de rente viagère dont s'occupait le Chapitre précédent.
SECTION PREMIERE.
DU PRÊT DE CONSOMMATION.
Art. 178. Ce premier article donne une définition du contrat qui va nous occuper. Il ne suffirait pas que le prêteur livrât les choses prêtées, c'est-à-dire en fît la tradition : d'après la définition, il doit en transférer la propriété,” si le prêteur livrait des choses ne lui appartenant pas, il ne mettrait pas l'emprunteur dans une situation qui lui permît de consommer légitimement ces choses et le prêt ne mériterait pas son nom.
Du reste la tradition suffira le plus souvent, parce que le prêt de consommation ne s'applique toujours qu'à des choses mobilières et que le possesseur de meubles, grâce à la prescription instantanée, en sera presque toujours propriétaire quand il les prêtera, et aussi parce que l'emprunteur deviendra lui-même, par le seul effet de cette prescription, propriétaire des choses prêtées, lorsqu'elles l'auront été par celui à qui elles n'appartenaient pas. Mais pourtant cette prescription a des conditions qui ne seront pas toujours remplies et alors la livraison de choses n'appartenant pas au prêteur n'effectuera pas un prêt valable (voy. art. 181).
De ce que le prêt ne se forme que par la translation de propriété de la chose prêtée, il ne faudrait pas conclure que la promesse de prêter des choses fongibles, formée et acceptée par le seul consentement, ne serait pas obligatoire : elle le serait assurément, mais ce ne serait pas encore un prêt; il n'y aurait que contrat innommé, et la question n'est pas une simple affaire de mots : la promesse de prêt est si loin d'être Un prêt que celui qui s'y trouve seul tenu est le futur prêteur, tandis que, dans le prêt effectué, c'est l'emprunteur qui serait seul débiteur.
Le nom de “prêt de consommation" n'a pas pour but de dire que les choses prêtées se consomment nécessairement par le premier usage, mais que l'emprunteur, devenu propriétaire, peut les consommer, à la différence do l'emprunteur à usage qui ne peut que s'en servir.
Le prêt de consommation est essentiellement unilatéral, car il n'oblige que l'emprunteur. Sans doute, 1° le prêteur ne doit pas prêter choses nuisible ou dangereuses et il est responsable des dommages que l'emprunteur en éprouverait, 2° il ne doit pas réclamer le remboursement du prêt avant le temps fixé. Mais la 1re de ces deux obligations ne naît pas du prêt, elle a pour cause le dommage causé injustement, lequel peut se rencontrer dans tout autre contrat et même en dehors d'aucun contrat. Quant à la défense de réclamer le remboursement avant le terme, c'est plutôt l'effet de l'absence d'un droit que celui d'une obligation proprement dite ; tout créancier est dans le même cas, de ne pouvoir réclamer avant le terme ce que lui est dû : il y a une limite à son droit, mais non une obligation; il est à peu près aussi inexact de voir là une obligation que si l'on prétendait que celui auquel il n'est rien dû, ni présentement, ni à terme, a une obligation continue de ne rien réclamer.
Le prêt est donc purement unilatéral et, s'il en était autrement, on ne voit pas quel autre contrat aurait ce caractère, car on pourrait toujours y voir une obligation pour le créancier de ne pas réclamer avant le terme.
Enfin, le contrat de prêt de consommation peut être gratuit ou onéreux, suivant les circonstances.
Il est gratuit, quand l'emprunteur ne doit rendre que l'équivalent exact de ce qu'il a reçu ; il est onéreux, quand l'emprunteur doit, outre le principal, rendre une valeur comme intérêt des choses prêtées.
On trouvera plus loin (art. 185 et suiv.) les règles spéciales au prêt à intérêt, sans qu'elles soient l'objet d'une division particulière.
La circonstance que le prêt est gratuit quand il est sans intérêt ne fait pas qu'il soit soumis aux règles des donations, au moins pour celles de la forme, et il y est bien peu soumis pour le fond, parce que la libéralité ne porte jamais que sur la jouissance ou l'usage, puisque la restitution du capital doit avoir lieu dans un temps plus ou moins rapproché ; le prêt de consommation sans intérêts ne doit pas être considéré comme une libéralité plus considérable que le prêt à usage. Toutefois, le prêt de consommation présente un danger qui n'est pas dans le prêt à usage, c'est celui que le capital ne soit pas remboursé, par suite de l'insolvabilité du débiteur ; ce danger n'existe pas dans le prêt à usage, où le prêteur pourrait toujours, par la revendication, recouvrer la chose prêtée. Ce danger peut suffire à faire interdire aux incapables le prêt gratuit, même à ceux qui ont l'administration de leurs biens, comme les mineurs émancipés ; mais il ne suffirait pas à leur faire interdire le prêt à intérêt, car c'est souvent le seul moyen d'utiliser les capitaux.
Art. 179. Il sera rare que les parties n'aient pas soin de fixer l'époque du remboursement du prêt ; mais si elles commettaient cette négligence, il ne faudrait pas croire que le remboursement fût immédiatement exigible : ce serait évidemment contraire à l'intention des parties ; dès lors, c'est au tribunal à fixer un délai, lequel ne sera pas un délai de grâce, mais un délai de droit, parce qu'il est présumé conforme à l'intention des parties. La loi emploie ici à peu près les mêmes expressions que dans l'article 403 du Livre des Biens, où il s'agit de l'obligation de payer, en général ; mais elle ne croit pas devoir répéter que si le débiteur ne peut payer au terme fixé, le tribunal peut lui accorder “un délai de grâce" (v. Liv. des Biens, art. 406) ; il faut même admettre que lors même que le terme de droit a été fixé par le tribunal, comme il vient d'être remarqué, cela ne met pas obstacle à ce que celui-ci accorde un nouveau délai, qui alors sera un terme de grâce.
Il est important aussi que le lieu du remboursement soit fixé. Si les parties n'y ont pas pourvu, la loi ne laisse pas l'application pure et simple du droit commun, ce qui entraînerait le payement au domicile du débiteur (Liv. des Biens, art. 463) ; elle fait une distinction qui limite l'application du droit commun au cas de prêt onéreux ou à intérêts, et, dans le cas où le prêt est gratuit, le payement doit être fait au domicile du créancier ; il est portable dans ce dernier cas et quérable dans le premier.
Art. 180. On prévoit ici que le remboursement est devenu impossible, et pour qu'il n'y ait point de doute sur l'application de la disposition, il est formellement exprimé que l'obstacle vient “d'une force majeure.”
On aurait pu croire que, dans ce cas, le débiteur serait libéré, l'inexécution ne lui étant pas imputable ; “l'impossibilité d'exécuter” est, en effet, l'une des causes légitimes d'extinction des obligations (Liv. des Biens, art. 539 à 543). Mais il faut remarquer que cette cause d'extinction n'a lieu que lorsqu'il s'agit de la dette d'un corps certain ou de choses individuellement déterminées ; or, ce n'est justement pas ce qui a lieu dans le prêt de consommation, où l'emprunteur doit des choses de genre ou de quantité, lesquelles ne sont pas de nature à périr.
Mais il peut arriver, quoique rarement, que le genre tout entier soit retiré du commerce ; alors, on aurait pu croire que le débiteur se trouverait libéré par l'impossibilité d'exécuter résultant d'une force majeure. Ce résultat serait tout-à-fait inique ; il constituerait pour l'emprunteur un gain illicite.
En effet, le cas n'est plus le même que celui où il doit un corps certain lui appartenant, dont la perte fortuite ou par force majeure ne l'enrichit pas ; tandis qu'ici les choses qu'il devait n'étaient sans doute pas encore dans ses biens, il avait à se les procurer, à prix d'argent, en général, pour les livrer ensuite au créancier ; s'il était libéré parce qu'il ne peut se les procurer, il bénéficierait de ce qu'il aurait dû dépenser pour les obtenir. Si déjà il s'était procuré les choses dues, en vue du payement, la solution devrait encore être la même, car il n'est pas juridiquement admis à être considéré comme débiteur d'un corps certain; en outre, la mesure légale ou administrative qui retirerait du commerce certaines denrées ou substances accorderait sans aucun doute une indemnité aux possesseurs actuels et c'est lui qui la recueillerait, comme il est observé plus loin.
Restait à déterminer la manière de calculer l'indemnité due au prêteur par l'emprunteur.
Il est possible que l'emprunteur, à causé même du retrait du commerce des choses dues, ait reçu une indemnité supérieure à la valeur vénale qu'avaient ces choses au moment du prêt, comme aussi leur rareté dans le commerce peut lui avoir fourni une occasion de profit plus considérable que la valeur au jour du prêt ! mais la loi ne le soumet pas à rembourser ce profit, lequel se compensera éventuellement avec la perte qu'il aurait pu subir : elle l'oblige à rembourser la valeur des choses prêtées au jour et au lieu où est survenue l'impossibilité de rembourser en nature.
Art. 181. D'après la définition donnée du prêt de consommation, il ne suffit pas que le prêteur ait livré les choses prêtées, il faut encore qu'il en ait transféré la propriété ; c'est ce transfert qui donne à l'emprunteur le droit de consommer les choses prêtées; or, comme on ne peut transférer à autrui plus de droits qu'on n'en a soi-même, il faut donc que le prêteur soit propriétaire des choses prêtées.
La loi doit prévoir le cas où cette condition ne serait pas remplie, et surtout indiquer comment cette omission originaire pourrait être réparée dans la suite.
D'abord elle nous dit que le prêt de la chose d'autrui est nul; nous dirons, comme pour la vente de la chose d'autrui, que cette nullité est radicale et vient du défaut de cause.
La loi nous dit encore que le prêt de la chose d'autrui oblige le prétendu prêteur à la garantie envers l'emprunteur, mais sous deux conditions : que le prêt ait été fait " à intérêts” et que l'emprunteur ait été “de bonne foi.” La première condition est l'application du principe général que la garantie n'a lieu que dans les contrats onéreux (v. Liv. des Biens, art. 396) ; la seconde est fondée sur ce qu'il n'y a pas lieu de réparer un dommage envers celui qui s'y est volontairement exposé.
Revenons un instant à cette nullité originaire du prêt de la chose d'autrui.
Le prêteur n'a pas transféré la propriété à l'emprunteur : celui-ci, n'ayant pas acquis, n'a pas l'obligation de rendre; il a pourtant dans les mains les choses prêtées ; mais comme il peut être actionné en revendication par le vrai propriétaire, il ne doit pas être exposé à deux poursuites à raison des mêmes choses ; et il faut noter, en passant, que la restitution faite au prêteur, après la découverte du droit du vrai propriétaire, ne priverait pas celui-ci de son action contre l'emprunteur, car c'est un principe fondamental, devenu un axiome, que “celui qui, par dol, a cessé de posséder est tenu comme s'il possédait encore.”
Mais, si ces poursuites du vrai propriétaire cessent d'être possibles, l'emprunteur doit être soumis à celle du prêteur : autrement, il trouverait dans ce prêt irrégulier une cause de profit illégitime.
Voyons maintenant les cas où, la revendication du propriétaire étant devenue impossible, le prêt de la chose d'autrui se trouve validé.
Ces cas sont au nombre de trois.
Ier Cas. L'emprunteur a consommé de bonne foi les choses prêtées.
En règle générale, toute consommation empêche la revendication du propriétaire ; mais, en général aussi, la consommation laisse subsister une action en dommages-intérêts de l'ancien propriétaire contre celui qui a consommé la chose d'autrui : au cas de mauvaise foi, l'action fondée sur le dommage injuste, aura pour objet la réparation de tout le préjudice éprouvé et de tout le gain manque par le propriétaire ; au cas de bonne foi. Je montant de l'action sera réduit au profit que le possesseur aura tiré des choses qu'il a consommées : l'action est alors fondée sur l'enrichissement indû.
Notre article, suppposant la consommation “de bonne foi,” laisse donc place à l'action de l'ancien propriétaire des choses, lorsque la consommation a eu lieu de mauvaise foi : c'est le cas dont nous parlions plus haut, où la cessation de la possession par dol n'affranchit pas l'ancien possesseur de l'action du propriétaire ; par conséquent, dans ce cas, le prêteur ne devrait pas avoir action.
Mais la consommation de bonne foi des choses prêtées permet de dire que l'emprunteur, quelle que soit la faute du prêteur, a trouvé dans le prêt tous les avantages qu'il y avait cherchés ; dès lors, il n'a pas à faire à l'action du prêteur la même objection que lorsque les choses prêtées sont encore sujettes à l'action du propriétaire. Si donc il est désormais tenu envers le prêteur, il ne peut plus l'être envers l'ancien propriétaire auquel il répondrait qu'il n'est pas enrichi de son bien, ayant à en rendre l'équivalent au prêteur. C'est ce dernier qui indemnisera le vrai propriétaire : il le fera dans la mesure de la valeur totale des choses prêtées, s'il a été à l'origine possesseur de mauvaise foi ; s'il a été de bonne foi au moment du prêt, il ne devra au propriétaire que son profit, c'est-à-dire le montant du remboursement effectif qu'il obtiendra de l'emprunteur ; or, ce dernier pourrait être insolvable, en tout ou en partie.
IIe Cas. L'emprunteur de bonne foi n'a pas consommé les choses prêtées, mais, actionné en revendication par le vrai propriétaire, il lui a opposé, comme fin de non-recevoir, la prescription instantanée des meubles. La situation est la même que s'il avait consommé les choses de bonne foi, car il a désormais le droit de les consommer, et on peut dire encore qu'il a trouvé dans le prêt tous les avantages qu'il avait le droit d'en attendre ; il est donc soumis au remboursement vis-à-vis du prêteur.
Remarquons, sur ce deuxième cas, que la loi a bien soin de supposer que l'emprunteur a effectivement opposé la prescription ; en effet, elle n'est pas acquise de plein droit au possesseur, elle doit être invoquée.
IIIe Cas. La loi suppose que le vrai propriétaire a ratifié le prêt fait sans son consentement. A partir de ce moment encore, l'emprunteur trouve dans le prêt tous les avantages qu'il y a cherchés ; il est donc juste qu'il soit tenu envers le prêteur, sauf à celui-ci à compter avec le vrai propriétaire, suivant leurs rapports respectifs.
Art. 182. Ou a dit plus haut que le contrat de prêt de consommation est purement unilatéral et que c'est à tort que l'on admettrait des obligations du prêteur.
La première obligation serait de ne pas demander la restitution avant le terme convenu ; or, ce n'est pas là une obligation proprement dite née du contrat, c'est un devoir général de ne pas contester à autrui ses avantages légaux ou conventionnels: le prêteur a acquis le droit de se faire rendre l'équivalent des choses prêtées; mais ce droit est né avec une certaine limite de temps, il est affecté de la modalité qu'on appelle "terme initial,” cette limite doit être respectée, comme toutes les autres. Il est tout aussi inexact de voir là une obligation spéciale du prêteur que si l'on eu voyait une dans l'absence du droit, pour lui, de demander plus ou autre chose que ce qu'il a prêté.
Rappelons enfin, à cause de son importance, la remarque déjà faite, que si l'on voyait là une obligation du prêteur, on en trouverait une analogue dans tous les antres contrats qui sont considérés comme unilatéraux, par exemple la novation, et il ne resterait pas un seul contrat unilatéral.
La seconde obligation que l'on prétendrait née du prêt, à la charge du prêteur, est celle d'indemniser l'emprunteur des dommages que celui-ci a éprouvés par suite des défauts des choses prêtées, lorsqu'il connaissait ces défauts.
Ici, on ne peut nier qu'il y ait une véritable obligation du prêteur, mais elle ne résulte pas du prêt, qui deviendrait ainsi synallagmatique, au moins par exception. Cette obligation naît d'un dommage causé injustement, avec ou sans intention de nuire ; il y a là une source d'obligation indépendante du prêt et dont celui-ci n'est que l'occasion (v. Liv. des Biens, art. 370 et s ), comme d'autres conventions pourraient être l'occasion d'un enrichissement indû ou sans cause légitime, ce qui est encore une autre source d'obligation (v. Liv. des Biens, 361 et s.).
La loi énonce donc cette obligation du prêteur, mais avec une distinction entre le prêt gratuit et le prêt à intérêts: c'est une application du droit commun de la garantie.
D'abord, dans les deux cas, il est supposé que les défauts des choses prêtées étaient “non apparents et ignorés de l'emprunteur,” car si celui-ci avait pu les reconnaître au moment du prêt ou avant d'employer les choses, il devrait imputer à sa négligence autant qu'à la faute du prêteur le dommage qu'il éprouve.
S'il n'a pas connu ces défauts et n'a pu les connaître, le prêteur à titre gratuit n'en est encore responsable que s'il les a connus et a eu l'intention, en les prêtant, de causer un dommage à l'emprunteur, ou, tout au moins, de profiter de l'ignorance de celui-ci, en se faisant promettre des choses de bonne qualité en retour des choses vicieuses qu'il livrait ; ce dol n'implique pas, par lui-même, l'intention de nuire, car le prêteur, tout en connaissant les qualités nuisibles des choses prêtées, et même en les dissimulant, a pu espérer qu'elles ne causeraient pas de dommages. La responsabilité se réglera, dans les deux cas, d'après le principe de l'article 370 du Livre des Siens, qui renvoie lui-même à l'article 385 du même Livre,
Si le prêt est à intérêts, comme le contrat tend à procurer un profit au prêteur, il est juste que celui-ci apporte plus de soins à ne causer aucun dommage à l'emprunteur, et l'on peut lui reprocher de n'avoir pas connu les défauts de la chose prêtée, “lorsqu'il pouvait les connaître." Ce ne serait pas d'ailleurs pour le prêteur un moyen de se disculper que d'alléguer que les choses prêtées ne lui appartenaient pas et qu'il n'a pu en connaître les défauts ; car ce serait un autre tort que d'avoir prêté des choses d'autrui, tort dont il est garant aussi dans le prêt non gratuit, ainsi qu'il est dit à l'article précédent.
La loi termine par un renvoi général aux règles de l'action rédhibitoire de la vente, lesquelles seront appliquées au prêt, autant qu'il y a lieu.
Ainsi, l'emprunteur venant à découvrir les vices des choses prêtées, avant de les avoir consommées ou aliénées, peut faire résilier le prêt (art. 94) ; il peut le maintenir avec diminution de la quantité ou de la qualité à restituer (art. 95) : il peut demander des dommages-intérêts, dans les deux cas (art 96); le prêteur ne peut, par une stipulation de "non garantie,” s'affranchir de la responsabilité des vices qu'il connaissait (art. 97); la preuve des vices cachés se fera par tous les moyens légaux de preuve (art. 98) ; l'action rédhibitoire et en dommages-intérêts est limitée à un délai spécial (art. 99) ; elle n'est pas perdue par l'aliénation des choses prêtées (art. 100); enfin, la perte totale ou fortuite de tout ou partie des choses prêtées éteint ou restreint les droits de l'emprunteur (art. 101).
Les articles 162 et 103 seuls sont ici sans application.
Art. 183. Lorsqu'on a traité du payement en général, on a eu occasion d'examiner et de résoudre avec développements une question fort importante, complexe et difficile, celle de savoir comment peut s'effectuer le payement des dettes d'argent, lorsqu'il y a plusieurs monnaies métalliques exprimant la même valeur légale.
On a remarqué à ce sujet, que ce rapport légal des deux monnaies est rarement conforme à celui qui s'établit par le libre effet du commerce, de sorte qu'il est presque toujours plus avantageux au débiteur de payer en une monnaie que dans une autre, tandis que le créancier a un intérêt diamétralement opposé ; or, comme la loi est toujours plus favorable au débiteur qu'au créancier, dans une situation égale, c'est le débiteur qui a le choix de la monnaie dans laquelle le payement se fera, et son droit, comme son intérêt, est de choisir la monnaie la plus dépréciée ; on a même dû reconnaître que, pour une raison d'ordre public, ce choix ne peut lui être enlevé par une convention expresse.
Lorsqu'il existe un papier-monnaie à cours forcé, le débiteur peut également se libérer en cette monnaie, lors même qu'il aurait promis de se libérer en monnaie métallique.
L'ensemble de ce système est très préjudiciable au créancier, surtout quand l'échéance du payement est assez éloignée pour gêner les plus sages prévisions ; aussi a-t-on fait, en Europe, bien des propositions et tentatives pour y remédier, mais sans succès jusqu'iciLa loi française et celles qui l'ont imitée à cet égard ont été faites, à une époque où les phénomènes économiques étaient encore mal étudiés et où le législateur, se faisant illusion sur son pouvoir, croyait qu'il lui suffisait de décréter un rapport de valeur entre deux métaux monétaires pour que ce rapport demeurât invariable. Mieux éclairé, le législateur n'aurait donné à aucune des parties le choix de la monnaie à payer ou à recevoir: il aurait dit que le débiteur devrait payer moitié en une monnaie et moitié en l'autre, ce qui était le faire profiter de la baisse de l'une et souffrir dela hausse de l'autre, avec résultat inverse pour le créancier, lequel souffrirait de la baisse et profiterait de la hausse de la monnaie par lui reçue. Le seule faveur légitime que le législateur eût dû laisser au débiteur c'était de lui permettre de transformer, au cours du jour du payement, en la monnaie unique qu'il voudrait choisir, la somme totale des deux valeurs ainsi déterminées, et cela, nonobstant toute convention contraire.
Or, c'est précisément le système qu'a adopté le Code japonais, au sujet du payement en général (Liv. des Biens, art. 464 et s.) et dont on retrouve ici l'application.
Mais c'est aux parties qu'est offert le moyen de corriger elles-mêmes la loi générale par leurs accords personnels, tout en respectant ce qui, dans la loi, touche à l'ordre public “auquel on ne peut déroger par des couventions particulières.”
Les créanciers qui contracteront à l'avenir, menacés de la baisse progressive de l'argent comparé à l'or, exposés à ne pas recouvrer en cette monnaie l'équivalent de ce qu'ils auront fourni, en argent même ou en toute autre valeur, ne manqueront pas de stipuler la condition de faire supporter au débiteur la moitié (ou une autre fraction) de la baisse de ce métal ; ils ne pourront pas, il est vrai exiger que le débiteur leur donne effectivement en or la moitié de leur créance, mais ils exigeront qu'il leur donne en argent la moitié de cette valeur en or. En d'autres termes, le débiteur ne profitera que pour moitié de la baisse de l'argent, ou le créancier profitera pour moitié de la hausse de l'or.
L'innovation proposée consistant dans une plus large part faite à la liberté des conventions ne s'imposera à personne et ne s'appliquera qu'à ceux qui. s'en étant exactement rendu compte, auront voulu s'en assurer le bénéfice. Elle se conciliera parfaitement d'ailleurs, et ce n'est pas son moindre avantage, avec le système monétaire actuel du Japon.
Outre la satisfaction évidente que le système donne à l'équité, qui est ici 1'égalité de traitement entre le créancier et le débiteur, on peut espérer qu'il rapprochera peu à peu le rapport commercial des deux métaux de leur rapport légal et qu'il les maintiendra ensuite en accord, car la spéculation n'aura plus d'intérêt à faire hausser ou baisser, d'une manière factice, l'un ou l'autre des métaux, puisque chacun des mouvements de hausse, ou de baisse de l'un se répercutera nécessairement sur l'autre et dans le même sens; en un mot, tandis qu'àujourd'hui le mouvement d'un métal dans un sens l'éloigne nécessairement de l'autre, comme le mouvement d'une balance, avec le nouveau système les deux métaux seront conjoints et solidaires, et les oscillations n'auront plus lieu qu'entre eux et les autres marchandises dont ils sont le prix.
L'article 465 du Livre des Biens, a prévu et permis une autre convention, mais elle n'est pas applicable au prêt.
On peut, en général, convenir (par exemple, dans une vente) que le débiteur payera “la valeur de 100 yens d'or cela n'enlève pas à celui-ci le droit de se libérer en argent, monnaie légale dont il garde le choix; mais, au lieu de donner 100 yens d'argent, comme s'il n'y avait pas eu de stipulation particulière, il en donnera 135 yens, en supposant les cours respectifs donnés plus haut.
C'est ici que le prêt de consommation présente une dérogation à la liberté des conventions, dérogation déjà annoncée par l'article 467 et expliquée par avance à cette occasion.
Un prêteur qui livrerait 100 yens d'argent ne pourrait pas plus stipuler qu'il lui sera remboursé 100 yens d'or qu'il ne pourrait stipuler qu'il lui sera rendu 135 yens d'argent : ce serait, dans l'un et l'autre cas, se faire rembourser plus qu'il n'a prêté ; or, qu'on ne l'oublie pas, le prêt est un contrat réel, il a sa cause dans la livraison effective et même dans la translation de propriété des choses prêtées ; c'est la nature et la quantité de ces choses qui détermine la nature et la quantité de celles qui devront être rendues. Ainsi, celui qui a prêté des yens d'argent ne peut stipuler qu'il lui sera rendu pareil nombre de yens d'or, ni l'équivalent en argent de la valeur d'autant de yens d'or: au premier cas, il enlèverait au débiteur le choix de la monnaie, au second cas, il prétendrait se faire rendre plus qu'il n'a prêté.
Celui même qui a prêté de l'or ne peut stipuler qu'il lui sera rendu pareille somme en or, toujours parce que ce serait enlever au débiteur le choix de la monnaie; mais il pourrait stipuler qu'il lui sera rendu eu argent l'équivalent de la somme d'or prêtée, d'après le cours du jour du prêt.
Il ne faudrait pas croire que si l'on se trouvait dans un cas où le prêteur a pu stipuler des intérêts sans limites légales, il a pu stipuler, au lieu d'intérêts, le remboursement en yens d'or d'un prêt fait en yens d'argent: on verra, aux articles 186 et 187, que les intérêts conventionnels doivent être “stipulés” et non “dissimulés” dans une exagération du capital.
Art. 184. Les lingots d'or ou d'argent ne sont pas la monnaie : ce ne sont que des marchandises ordinaires ; rien n'empêche donc de stipuler la restitution de pareilles quantité et qualité de même métal que celui qui a été prêté ; sous ce rapport, l'or et l'argent ne diffèrent pas du cuivre et du plomb, ni même des denrées ou de toutes autres marchandises.
On pourrait stipuler aussi, en donnant un métal en lingot, qu'on recevra un autre métal, en quantité proportionnelle à sa qualité, inférieure ou supérieure à celle du métal livré ; de même, qu'on recevra des denrées pour des lingots, ou des lingots pour denrées. Seulement, cette convention ne serait plus un prêt ; elle ne serait pas non plus une vente, puisqu'il n'y aurait pas de prix en argent monnayé ; elle ne constituerait pas non plus un échange, serait un contrat innommé.
Art. 185 et 186. Nous arrivons au prêt à intérêts déjà annoncé comme étant un contrat à titre onéreux sans cesser pour cela d'être unilatéral, puisque les deux obligations, celle du capital et celle des intérêts, sont du même côté.
De tout temps et en tous pays, le législateur s'est préoccupé des dangers du prêt à intérêt : l'emprunteur, toujours pressé d'un beison d'argent, est porté à consentir à des intérêts très-élevés, espérant que le prêt, non seulement l'aidera à sortir d'embarras, mais même lui permettra de réaliser des bénéfices; l'époque du remboursement arrive, il n'est pas en situation de l'effectuer, il demande une prorogation du terme et souvent il ne l'obtient qu'en se soumettant à un intérêt encore plus élevé : la saisie de ses biens; pour être retardée, n'en est que plus inévitable et plus désastreuse.
Il est certain que celui qui entre dans la voie des emprunts est bien compromis et, s'il y a des exemples de débiteurs qu'un emprunt a sauvés, il y en a plus encore de débiteurs que les emprunts ont ruinés.
L'intérêt qui rend le prêt onéreux est possible non seulement quand il s'agit de sommes d'argent, mais encore lorsqu'il s'agit de denrées ou de toutes autres choses de quantité : l'intérêt consiste alors en choses de même nature.
Bien que l'intérêt soit un profit légitime dans le prêt, au moins lorsqu'il reste dans les limites où la loi le permet, ce n'est pas une raison pour qu'il soit dû de plein droit: le prêt de consommation est en principe, gratuit, comme le prêt à usage ; pour qu'il soit onéreux, pour que des intérêts soint dûs, il faut qu'ils aient été “stipulés ou convenus.
Le texte n'exige pas que la convention soit expresse : elle pourrait donc s'induire des dispositions de l'acte pris dans son ensemble et interprété par le tribunal La loi devait prévoir le cas où les parties, étant convenues qu'il serait dû des intérêts, n'en auraient pas fixé le taux : pour donner effet à la convention, elle veut que, dans ce cas, l'emprunteur paye le taux légal. Ce taux n'est pas déterminé par le présent Code : il se trouve déjà fixé à 6 % par une loi spéciale, et comme il pourra varier dans l'avenir, suivant l'état économique du pays, il vaut mieux qu'il puisse être modifié par une autre loi, sans altération du Code civil.
Le 3e alinéa de l'article 186 suppose que le débiteur n'avait pas promis et que cependant il en a payé : la loi lui refuse le droit de les répéter et même de les imputer sur le capital. On pourrait croire que la répétition doit lui appartenir, comme à celui qui a fait un payement indû ; mais la loi la lui refuse, parce qn'elle le considère comme ayant exécuté volontairement une obligation naturelle.
Le payement n'est validé, du reste, que dans la mesure du taux légal : ce qu'il aurait payé au-delà serait sujet à répétition. Ce n'est pas le cas de l'article suivant où le tout serait sujet à répétition.
Art. 187- Il est malheureusement facile d'éluder les limites légales du taux de l'intérêt. La loi devait établir une sanction véritable et sérieuse contre la violation de la prohibition. Cette sanction n'est pas pénale mais purement civile ; seulement, au lieu de ne consister, comme dans la loi actuelle, que dans la réduction de l'intérêt excessif à la mesure du taux légitime, elle enlève an prêteur avide la totalité des intérêts qu'il a voulu obtenir, lorsqu'il a employé des moyens artificieux pour les “dissimuler.” Dans l'état actuel de la loi, le créancier a tout à gagner et rien à perdre à en frauder les prohibitions, car s'il n'est pas découvert, il gagne les intérêts illégitimes et s'il est découvert, il les garde dans la mesure permise.
Notre article présente donc trois dispositions distinctes:
1° Les intérêts conventionnels peuvent excéder le taux légal dans les limites permises par la loi.
Ici, on entend par “intérêt légal” celui qui est dû à défaut de stipulation spéciale : par exemple, en cas de retard dans le payement (intérêt moratoires).
2° Si le créancier a stipulé des intérêts excédant les limites que fixe la loi et s'il n'a pas dissimulé sa stipulation, si elle est ostensible et loyale, il est supposé avoir ignoré on mal compris cette loi, et la sanction n'est autre que la réduction de ses intérêts au taux légitime; au cas où les intérêts excessifs sont déjà payés, le débiteur peut les répéter, ou les imputer en déduction du capital, au moment du remboursement.
3° Si le créancier “a fait dissimuler” les intérêts dans la reconnaissance de la dette, il perd tout droit à des intérêts: il ne pourra pas en exiger, et s'il les a perçus, en tout ou en partie, il est soumis à la répétition ou à la déduction sur le capital.
La loi n'énonce qu'un mode de dissimulation, l'exagération du capital dû, dans la reconnaissance, mais elle prononce la même déchéance “pour tout autre moyen” de dissimulation, dont le plus simple est la retenue de l'intérêt excessif sur le capital prêté.
La loi pousse la sévérité aussi loin que possible, en prononçant la privation complète des intérêts, lors même que la dissimulation ne porterait que sur la portion illégitime; ainsi, le créancier aurait stipulé ostensiblement les intérêts au taux légitime : par exemple, 12 % pour un capital de 1000 yens ou plus, et il aurait dissimulé 5 ou 10 % en plus, en faisant grossir le capital porté dans la reconnaissance, ou en retenant cette somme sur le capital effectivement prêté. Dans ce cas, si la nullité ne portait que sur la somme dissimulée, ce serait encore le cas de dire que le créancier ne court aucun risque de perdre et n'a que la chance de gagner, ce que l'on vient de critiquer comme un effet de la loi actuellement en vigueur.
Art. 188. La réception “d'une partie” du capital suffît pour faire présumer que les intérêts sont payés ou abandonnés volontairement par le créancier.
Si le remboursement n'est que partiel, les intérêts sont bien perdus pour tout ce qui est “échu,” même pour la portion de capital non remboursée, mais il n'est porté aucun préjudice aux intérêts à échoir pour le reste du capital.
Bien entendu, le créancier qui n'a pas reçu les intérêts échus et qui n'entend pas en faire l'abandon peut les “réserver," et le texte a soin de l'exprimer; il est même permis au créancier qui a négligé de faire des réserves de prouver, contre la présomption légale, que les intérêts échus n'ont pas été payés et qu'il n'a eu aucune intention d'en faire l'abandon : par exemple, il produirait une lettre du debiteur annonçant avec l'envoi du capital, un règlement prochain des intérêts dont il n'a pu faire encore le calcul.
Art. 189. En principe, les conventions sont libres pour fixer le terme de l'exécution des obligations, et le terme fixé doit, en général, être attendu, soit pour que le créancier poursuive, soit pour vue le débiteur puisse se libérer. Cependant, on a déjà vu que le débiteur peut renoncer au bénéfice du terme, s'il n'est pas prouvé que le terme ait été établi dans l'intérêt du créancier (voy. Liv. des Biens, art. 404).
Le présent article va encore plus loin en faveur du débiteur, en lui permettant d'enlever au créancier le bénéfice du terme, après 10 ans de payement d'intérêts, lors même que celui-ci a stipulé le terme pour son avantage propre.
La présente disposition surprendra peut-être, mais elle est la conséquence logique d'une autre qui va se présenter dans la Section suivante (art. 192). On va voir que quand le prêt prend la forme d'une constitution de rente, le créancier ne peut pas empêcher le débiteur de rembourser le capital, après 10 ans du contrat; or, il serait illogique que, dans un prêt ordinaire à intérêts, le créancier eût, à cet égard, plus de droit qu'un crédi rentier : il a déjà l'avantage de pouvoir exiger le remboursement à l'époque fixée, tandis qu'il n'a jamais un tel droit dans le contrat de rente; c'est une raison pour ne pas lui donner encore le droit d'empêcher le remboursement par le débiteur.
On verra, sous ledit article 192, pourquoi cette faculté de rembourser le capital après 10 ans du contrat a été accordée au débi-rentier ; il y a ici même motif de la lui accorder. La loi exclut la faculté du remboursement anticipé, lorsque les annuités comprennent un amortissement graduel du capital : le remboursement se fait alors par une autre voie, fût-elle plus longue.
Dans ce cas, le créancier peut avoir préparé l'emploi successif de ses capitaux, et un remboursement anticipé pourrait lui créer des embarras.
Art. 190. Les dispositions qui précèdent (art. 186 à 189) auraient pu être placées dans le payement en général, parce que, si elles sont le plus naturellement applicables au prêt, elles ne lui sont pas exclusivement propres. On aurait donc pu les insérer à la place de l'article 467 du Livre des Biens, qui lui-même renvoie au prêt. Mais il n'y a aucun inconvénient à les placer ici, avec renvoi an Payement. Il y a même à cela l'avantage que c'est ici qu'on les cherchera le plus naturellement.
Supposons donc une dette d'argent ayant pour cause une vente à terme : l'acheteur peut s'engager à payer des intérêts, même quand la chose vendue n'est pas frugifère : autrement, ils sont dus, de plein droit, du jour de la livraison reçue (v. art. 76); si le taux des intérêts conventionnels n'a pas été fixé, ils sont dûs au taux légal (art. 186, 2e al.); s'il a payé volontairement des intérêts non stipulés, il ne peut les répéter (ibld., 3e al.) ; les limites légales du taux conventionnel, s'il y a lieu, seront observées, avec une sanction différente, suivant qu'il y a eu ou non fraude à la loi (art. 187); la réception du capital fera présumer le payement ou la remise des intérêts échus, sauf s'il y a eu des réserves ou si la preuve contraire est fournie (art. 188) et, par l'effet de notre article lui-même, la présomption s'applique, avec sou tempérament, aux intérêts légaux comme aux intérêts conventionnels ; enfin, si le terme du payement est à une échéance de plus de 10 ans, le débiteur peut se libérer par anticipation, nonobstant toute convention contraire (v. art 189).
SECTION II.
DU CONTRAT DE RENTE PERPÉTUELLE.
Art. 191. Ce qui caractérisé le contrat de constitution de rente, c'est l'interdiction pour le prêteur d'e x ig e r, à quelque époque que ce soit, le remboursement du capital aliéné : autrement, il n'y aurait plus qu'un prêt ordinaire à intérêts, avec un terme plus ou moins éloigné.
La loi n'exige pas que cette interdiction soit expresse, elle admet qu'elle puisse résulter des circonstances, pourvu que ce soit clair et incontestable.
Art. 192. Il y a ici une dérogation remarquable à la liberté des conventions.
Assurément, les dettes sont, en général, remboursables, comme elles sont exigibles; mais il s'agit justement ici d'un cas où les parties ont entendu déroger au droit commun, en s'interdisant, l'une, le droit de poursuivre le remboursement du capital, l'autre, le droit de le rembourser, et tandis que le créancier reste soumis à la convention, le débiteur peut s'en affranchir ; c'est donc là qu'il y a dérogation au droit commun La présente disposition déroge en même temps à une autre règle, c'est que le débiteur ne peut rembourser avant le temps convenu, lorsque le terme a été établi dans l'intérêt du créancier ; or, le débiteur conserve ici le droit de rembourser à tout époque, lors même qu'il aurait été formellement exprimé que la défense de rembourser est établie dans l'intérêt du créancier seul.
Il faut donc justifier cette nouvelle faveur accordée au débiteur.
L'intérêt annuel des capitaux est sujet à des variatiens fréquentes et il a une tendance naturelle à diminuer en temps de prospérité, parce que les capitaux, se développant sans cesse dans le pays, sont plutôt offerts en placement que demandés ; de là, un profit moindre pour les prêteurs d'argent ; si donc on suppose que le contrat a été fait à une époque où les capitaux étaient rares et l'intérêt élevé, le débiteur, s'il est obligé de continuer indéfiniment le service des mêmes arrérages, y trouvera certainement la ruine; car l'argent qu'il a reçu, l'eût-il conservé, ne produira plus dans ses mains un intérêt égal à celui qu'il paye. Il faut donc voir dans sa faculté de rembourser malgré l'interdiction à laquelle il s'est soumis, une protection exceptionnelle, mais équitable, légitime et nécessaire.
La loi cependant ne veut pas que cette protection d'un des contractants soit trop nuisible à l'autre ; pour cela, elle autorise le créancier à stipuler que le remboursement ne pourra pas avoir lieu avant un temps fixe dont le maximum est 10 ans. Ce délai peut être renouvelé indéfiniment, mais sans jamais pouvoir excéder 10 ans, après qu'il a été convenu, afin que le débiteur n'abdique pas pour un temps trop long une faculté dont il peut ne pas prévoir la nécessité.
Si le délai pendant lequel le remboursement a été défendu était supérieur à 10 ans, il n'y aurait pas nullité entière de la clause : le délai serait seulement réductible à 10 ans.
Bien entendu, une fois les 10 ans écoulés, le débiteur reste toujours libre de continuer le service de la de la rente : le créancier n'a jamais le droit d'exiger le remboursement, puisque c'est là le caractère distinctif de la rente : le remboursement est une faculté pour le débiteur, laquelle ne se perd pas par prescription ; sous ce rapport, le remboursement de la rente diffère beaucoup de la faculté de rachat ou retrait dans la venté, laquelle, étant l'objet d'une stipulation, con stitue un véritable droit susceptible de se perdre faute d'être exercé dans le délai convenu (v. art 84).
Un point voisin pouvait faire doute et la loi le règle : si le débiteur, ayant prévenu le créancier de son intention de rembourser à une époque déterminée, comme l'y oblige notre article, n'accomplit pas sa promesse, peut-il y être contraint ? Le texte ne l'admet pas : le débi-rentier ne sera possible que de dommages-intérêts. En effet, le débiteur n'a pas, par la seule déclaration de son intention, changé la nature du contrat, il n'a pas fait d'un prêt perpétuel un prêt à terme: pour cela, il aurait fallu non seulement l'acceptation du crédi-rentier, mais une “novation,” sinon expresse, au moins "résultant clairement de l'acte ou des circonstances” (v. Liv. des Biens 492).
Le texte de notre article a soin de dire également que " le remboursement facultatif doit être intégral, sauf convention contraire” Cette convention pourrait être admise comme novation, et rendrait obligatoire le remboursement partiel.
Si la loi ne s'expliquait pas sur ce point, on aurait pu croire que la disposition de l'article 406 du Livre des Biens, qui autorise le tribunal à donner des délais pour le payement des obligations en général et à effectuer le payement par parties s'appliquerait à cette matière spéciale ; mais il faut décider négativement : la disposition de l'article 406 est une protection accordée par la loi au débiteur malheureux que le créancier, usant de son droit avec rigueur, veut contraindre au payement immédiat ; mais ici, il s'agit d'une obligation facultative : le débiteur ne peut être contraint au remboursement; s'il le fait, c'est qu'il le veut, et il ne doit pas le vouloir avaét de le pouvoir; il doit mettre des fonds en réserve pour payer le tout à la fois : il a pour cela tout le temps qui lui conviendra.
Remarquons pourtant que le tribunal pourrait accorder des délais au débiteur pour le payement des arrérages et en autoriser le payement paitiel ; mais c'est précisément parce que l'on se retrouve dans le cas d'un payement que le créancier peut exiger. Enfin, dans un des cas où par exception, le capital même devient exigible, le remboursement partiel peut être autorisé (v. art, 193, 2e al.).
Mais, outre que la division du remboursement est valable si elle a été stipulée dans l'acte, elle est encore permise s'il y a plusieurs débiteurs originaires de la rente, sans solidarité, cas où chacun n'est obligé que pour sa part; enfin, s'il y a plusieurs créanciers de la rente, le remboursement sera naturellement partiel et pourra avoir lieu envers l'un, sans avoir lieu envers les autres : la rente n'est une obligation indivisible ni activement, ni passivement.
Il est à noter qu'il n'y a pas lieu d'appliquer ici la disposition de l'article 188 qui attache au payement d'une partie du capital dû la présomption de payement ou de remise des intérêts : lorsqu'il n'y a pas solidarité, ce qui est payé par chaque débiteur ou à chaque créancier est considéré comme l'acquittement d'une obligation distincte et n'a aucune influence sur le droit ou l'obligation des autres.
Art. 193. Bien que le créancier ait renoncé au droit d'exiger le capital de la rente, il est clair qu'il n'a pas entendu le faire à tout événement et quoi qu'il arrive. Le débiteur jouit d'un terme pour ainsi dire indéfini ; mais c'est à la condition qu'il remplira ses obligations et ne compromettra pas les intérêts du créancier par des actes frauduleux ou injustes.
La loi ne peut mieux faire, à cet égard, que de se référer aux cas généraux où le débiteur est déchu du terme de droit (v. art. 405).
Elle admet d'abord, en bloc, “les trois premiers cas ” de cette déchéance : la faillite ou l'insolvabilité notoire, l'aliénation ou la saisie de la majeure partie des biens, la destruction, la diminution ou le défaut de fourniture des sûretés particulières données ou promises; quant au quatrième cas, le défaut de payement des intérêts (ici des arrérages), la loi le modifie en faveur du débiteur : il ne suffit pas qu'il ait manqué au payement des arrérages par un terme, il faut qu'il y ait manqué “pendant deux ans consécutifs,” et ce délai ne court qu'à partir “d'une mise en demeure régulière.”
Enfin, dans ce dernier cas, la loi reconnaît aux tribunaux le droit d'accorder un délai de grâce au débiteur. S'il n'en est pas de même dans les autres cas, c'est parce que le débiteur a cessé d'être digne d'intérêt et que l'article 10(3 lui-même lui refuse cette faveur.
Art. 194. Lors de l'établissement d'une rente comme prix ou condition de l'aliénation d'un immeuble, le débiteur aura le même droit de rembourser un capital pour s'affranchir des arrérages.
Mais là surgit une difficulté. Lorsqu'il s'agit du contrat de rente ayant le caractère d'un prêt, le capital à rembourser est, ni plus ni moins, celui qui a été fourni par le prêteur ; lorsque la rente est le prix d'un immeuble, on ne voit plus aussi clairement quel est le capital à rembourser.
La loi prévoit d'abord le cas où les parties auraient évalué le capital, en prévision de ce remboursement : ce sera alors comme un autre prix de vente à payer facultativement, au lieu et place du premier (voir les Obligations facultatives, Liv. des Biens, art. 436).
Supposons que les arrérages formant le prix de l'immeuble fussent de. 100 yens par an : les parties auront pu dire que le remboursement ou rachat se fera moyennant 800, 1000 ou 1200 yens : la convention reste nécessairement libre à cet égard, car un vendeur peut toujours stipuler le prix qui lui convient, soit en capital, soit en arrérages. II n'y aurait pas à tenir compte, à cet égard, des limites que la loi pourrait présenter quant au taux de 1 intérêt de l'argent ; c'est à tel point que, si l'on voulait appliquer la même théorie, cela mènerait à aggraver la position du débiteur, puisque pour maintenir le rapport légal des arréragée au capital, on devrait souvent porter le capital à rembourser, au-delà du prix stipulé par le vendeur ; ainsi les arrérages de 100 yens ne permettraient pas le rachat à moins de 1200 yens, tandis que le vendeur peut s'être contenté d'un capital de rachat de 1000 on 800 yens.
Mais si les parties n'ont pas eu le soin de régler ainsi le taux du rachat, on supposera qu'elles ont considéré que le capital à rembourser serait dans le même rapport proportionnel avec les arrérages dus que si ces arrérages étaient des intérêts légaux.
Or, à défaut de convention, l'intérêt légal est de 6 %, la 16e parties du capital (même 16 66), c'est donc par ce chiffre que l'on multipliera les arrérages annuels pour en avoir le capital.
La rente perpétuelle établie à titre gratuit, par donation ou par testament, suit les mêmes règles au sujet du remboursement Le donateur ou le testateur peut avoir stipulé les conditions du rachat : s'il a donné 1000 yens d'arrérages, il a pu dire que le remboursement ne pourrait être fait par lui ou par son héritier que moyennant 10,000, 20,000 ou 30,000 yens ; c'est comme s'il avait promis gratuitement ces sommes, remboursables à volonté, à charge de payer jusqu'au remboursement 10 % d'intérêts au 1er cas, 5 % au 2e cas 3,33 % au 3e cas. En sens inverse, si le remboursement devait se faire moyennant 5,000 ou 6,000 yens, comme cela constituerait, à 1000 yens d'arrérages, un intérêt de 20 % ou de 16, 66 %, on supposerait, ainsi qu'il a été remarqué plus haut, une somme donnée ou léguée plus forte en capital, en tant que productive d'arrérages, avec remise partielle au débiteur, comme encouragement pour lui au remboursement facultatif.
La loi devait enfin prévoir le cas où les arrérages perpétuels à titre gratuit, ou stipulés comme prix de vente d'un immeuble, consisteraient en denrées, par exemple en riz, et où le débiteur voudrait s'en libérer par le remboursement d'un capital, en l'absence de convention à cet égard : les denrées seront évaluées au prix moyen des dix dernières années et ce prix sera multiplié comme il est dit an cas d'arrérages en argent.
CHAPITRE IX.
DU PRÊT A USAGE.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA NATURE DU PRÊT A USAGE.
Art. 195 et 196. Le prêt à usage commence une série de trois contrats où l'une des parties rend à l'autre un service gratuit et que, pour cette raison, on nomme contrats “de bienfaisance”: les deux autres sont le dépôt et le mandat.
Cette première Section, consacrée à la “nature du contrat,” nous apprend :
1° Que le contrat ne se forme pas par le seul consentement : il est, comme le prêt de consommation, un contrat réel, formé par la chose même, c'est-à-dire par sa remise ou sa livraison (voy. Liv. des Biens, art. 299).;
2° Que le contrat peut avoir pour objet des immeubles autant que des meubles, ce qui n'était pas le cas du prêt de consommation ;
3° Que la restitution doit se faire de la chose prêtée elle-même, “identiquement et en nature” et non dans son équivalent, ce qui est une autre différence avec le prêt de consommation ;
4° Que le temps pendant lequel l'emprunteur peut conserver la chose peut être fixé tacitement ;
5° Que le prêt à usage est essentiellement gratuit, à la différence du prêt de consommation, qui devient onéreux lorsqu'il est à intérêts;
6° Que l'emprunteur n'acquiert pas le droit réel d'usage, mais seulement une créance ou un droit personnel contre le prêteur ;
7° Que le contrat ne prend pas fin par la mort du prêteur et que son héritier doit le réspecter jusqu à l'expiration du temps fixe ;
8° Qu'au contraire, il prend fin en principe, par la mort de l'emprunteur et que son héritier doit rendre la chose avant le temps fixé, à moins qu'il ne soit prouvé par lui que le prêteur avait entendu lui en laisser l'avantage éventuel.
9° Enfin que, lors même que le contrat prend fin par la mort de l'emprunteur, son héritier peut obtenir un délai pour se procurer l'usage d'une chose semblable, en justifiant, bien entendu, qu'il éprouverait un préjudice sérieux de la privation immédiate de l'usage de cette chose.
Chacun de ces caractères du contrat ne demande que de courtes explications et justifications.
Nous les reprendrons rapidement dans le même ordre.
I. Le contrat réel et non purement consensuel ; en effet, son principal objet est de permettre d'user ; or, on ne peut pas user d'une chose avant de l'avoir à sa disposition ; il oblige aussi l'emprunteur à conserver la chose avec soin et à la restituer an temps convenu ; or, on ne peut “conserver et rendre” que ce que l'on “a reçu.”
Ce n'est pas à dire que la promesse purement consensuelle de prêter à usage serait sans effet, mais ce serait un contrat innommé, et il différerait tellement du prêt à usage que les rôles seraient renversés: ce serait le futur prêteur qui devrait conserver la chose (par exemple, ne pas l'aliéner ni prêter à un autre) et ensuite la livrer ; le prêt ne commencerait que quand la promesse de prêter serait accomplie et le premier contrat exécuté.
II. Les immeubles pouvant servir sans être détruits, peuvent évidemment être prêtés à usage, comme ils peuvent être loués; au contraire, ils ne pourraient être l'objet d'un prêt de consommation.
A l'égard des meubles, la loi n'exige pas que la chose “ne se consomme pas par 1 usage " ; sans doute, en ne prêtera guère à usage des choses dont on ne peut user qu'en les consommant, comme le riz, le bois, le charbon, parce que l'usage de ces choses, sans consommation, ne consisterait pins qu'à les détenir et à les montrer ; mais cependant cela pourrait quelquefois suffire à l'emprunteur et il y a des cas où un marchand empruntera des marchandises, des denrées, dans le seul but de garnir ses magasins, au moment où il ouvre un commerce et lorsqu'il n'a pas encore eu le temps de s'approvisionner; alors il sera bien entendu entre lui et le prêteur qu'il ne les vendra pas. Un changeur pourrait ainsi emprunter des monnaies étrangères d'or ou d'argent, pour garnir son étalage et cependant l'or et l'argent sont des choses dont on n'use, en général, qu'en les aliénant.
C'est l'inverse de ce qui a lieu pour le prêt des consommation : on peut prêter de cette façon, et pour être consommées ou aliénées par l'emprunteur, des choses non fongiblcs de leur nature, ou des choses qui ne se consomment pas par le premier usage, comme des meubles d'appartement, des outils, des chevaux ; l'emprunteur, après les avoir détériorés, usés ou vendus, en rendra de semblables, ou, au moins, d'aussi semblables que possible.
Tout, en cette matière, dépend de la façon dont less parties ont entendu que l'emprunteur userait. Toutefois, la nature de la chose aura toujours une réelle influence sur la nature du prêt : elle fera présumer que le prêt est à usage quand la chose ne se consomme pas le premier usage, et, au cas contraire, que le prêt est de consommation.
III. L'obligation de restituer la chose identiquement et en nature est la conséquence de ce que l'emprunteur à usage n'a pas le droit de consommer la chose prêtée.
IV. Il est naturel que le délai pendant lequel l'emprunteur pourra conserver la chose ne soit pas nécessairement exprimé et qu'il puisse être considéré comme tacitement fixé, lorsque l'emprunteur a fait connaître au prêteur la nature et l'étendue du besoin qu'il avait de la chose. Ainsi, quand on prête des étais ou poutres de soutènement, pour la réparation d'une maison, il est clair que c'est pour la durée encore incertaine de ladite réparation ; de même, si l'on prête un cheval ou une voiture pour un voyage ou un transport déterminé, ce sera pour le temps nécessaire audit voyage ou transport.
V. Un des carctères les plus saillants du prêt à usage c'est sa gratuité : elle est essentielle, c'est-à-dire que si l'emprunteur fournissait un avantage comme équivalent, le contrat changerait de nature et de nom : il deviendrait onéreux, et il constituerait un louage, si l'équivalent consistait en argent, ou un contrat innommé, si l'équivalent consistait en toute autre chose.
Il ne faudrait pas conclure de la gratuité du prêt à usage qu'il soit soumis aux règles plus ou moins restrictives des donations.
D'abord, il n'est pas soumis à aucune solennité de forme : l'avantage procuré par le prêteur à l'emprunteur le prive très-peu, en général, et c'est toujours pour un temps très-limité ; ce serait rendre impossible la plupart des prêts que de les soumettre à une forme lente et plus ou moins coûteuse.
Il ne faut pas non plus exiger du prêteur la capacité plus ou moins exceptionnelle requise chez le donateur ordinaire, toujours à cause de la faible privation qu'il s'impose et en considérant aussi que, si la loi était trop sévère à cet égard, les incapables de prêter ne trouveraient pas eux-mêmes à emprunter à usage quand ils eu auraient besoin.
En Europe, on admet généralement que les mineurs émancipés et les femmes mariées ayant l'administration de leurs biens peuvent valablement prêter et, à plus forte raison, emprunter à usage.
Mais les mineurs non émancipés et les interdits ne peuvent pas prêter, ni même emprunter : prêter, parce qu'ils se nuiraient, en se privant d'un usage qui peut leur être nécessaire, emprunter, parce qu'ils pourraient encourir une certaine responsabilité quant à la garde de la chose.
VI. On aurait pu croire, à cause du nom même du contrat de prêt â usage, que l'emprunteur acquiert le droit réel d'usage (ou d'habitation, s'il s'agit d'une maison), droit dont traitent les articles 110 à 114- du Livre des Biens ; il n'en est rien : l'emprunteur n'acquiert qu'une créance ou droit personnel contre le prêteur ; il y aurait, en effet, de grands inconvénients à rendre opposable aux tiers, même avec la publicité nécessaire, s'il s'agissait d'un immeuble, un droit essentiellement temporaire et souvent d'une très-courte durée.
VII et VIII. Le principe général que “celui qui s'oblige oblige aussi son héritier” (v. Li v. des Biens, art. 338) reçoit ici son application ordinaire, à l'égard du prêteur. Si la loi s'en explique, c'est pour marquer l'opposition avec ce qui concerne les héritiers de l'emprunteur.
Plusieurs Codes étrangers ne font pas de différence entre le décès de l'emprunteur et celui du prêteur : dans un cas comme dans l'autre, ils maintiennent les effets de la convention, pour et contre l'héritier, jusqu'à l'expiration du temps fixé. On pose ici, en règle, que le décès de l'emprunteur met fin à ses droits et qu'ils ne passent pas à son héritier : la nature gratuite du contrat, son caractère essentiellement temporaire, la confiance qu'il nécessite chez le prêteur, permettent de le considérer, de la part de celui-ci, comme consenti “en vue de la personne même de l'emprunteur” ; mais le contraire pouvant arriver aussi, la loi permet à l'héritier de prouver que le prêteur a voulu rendre service aussi la famille ; par exemple, si la chose prêtée était une maison spacieuse prêtée à l'emprunteur. pour habiter avec sa famille pendant la reconstruction de sa maison incendiée.
IX. L'obligation pour l'héritier de rendre la chose prêtée avant que l'usage en ait. été complété pourrait, dans certains cas, lui être très-onéreuse ; la loi lui permet donc de demander et d'obtenir du tribunal un délai modéré, de façon à pouvoir se procurer, avant la restitution, une chose semblable ou au moins qui lui suffise : ce n'est pas nuire au prêteur, car le décès de l'emprunteur est un fait sur l'époque duquel il n'a pu avoir une prévision certaine.
SECTION II.
DES OBLIGATIONS QUI NAISSENT DU PRÊT OU A SON OCCASION.
Art. 197. La première disposition de cet article est toute naturelle : elle repose sur le principe que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, (Liv. des Biens, art. 330) et suivant la commune intention des parties (art. 356).
Le 2e alinéa n'est encore qu'une application de principe général que “celui qui cause à autrui un dommage par sa faute ou sa négligence est tenu de le réparer” (art. 370). Il ne semble y avoir quelque ri gueur exceptionnelle que dans la disposition finale au sujet de la perte fortuite de la chose, laquelle ne libère pas l'emprunteur, quand c'est son usage illégitime de ]a chose qui a été “l'occasion” de la perte ; mais, en réalité, c'est encore l'application d'un principe général : l'emprunteur avait une obligation de ne pas faire, il y a manqué, il s'est mis lui-même en demeure de cesser ou il y était de plein dro t sans qu'il y eût besoin d'une sommation (art. 384) ; dès lors, la perte fortuite ou par force majeure ne le libère pas (art. 539 et 540).
La loi ne réserve pas le cas où la chose aurait également péri chez le prêteur, cas où la perte retomberait sur celui-ci (art. 335, 2e al. et 541); mais cela va de soi, car il ne serait plus exact de dire que c'est l'usage illégitime de la chose qui a été l'occasion de sa perte.
Ce que l'on vient de dire, que l'emprunteur est de droit en demeure de ne pas user illégitimement de la chose, ne va pas jusqu'à dire qu'il soit de même en demeure de restituer la chose, par la seule échéance du terme ; si donc la chose périssait par cas fortuit, chez lui, alors qu'il n'en usait pas illégitimement et sans qu'il eût été mis en demeure par un acte en bonne forme, il serait libéré, conformément au droit commun (art 539, 1er al.).
Ce que l'on a cru encore inutile d'exprimer ici, c'est que “l'emprunteur est tenu de veiller en bon administrateur à la garde et à la conservation de la chose prêtée” : il a été dit d'une façon générale, par l'article 334, Ier al,, que tout débiteur d'un corps certain a cette oblugation, sauf les cas où la loi dispose autrement ; il est donc inutile de le répéter , ce serait même inexact, comme insuffisant, ainsi qu'il résulte de 1 article suivant.
Art. 198. La loi demande à l'emprunteur de conserver la chose prêtée de préférence à la sienne propre ; et elle en déduit deux rigueurs imitées du droit romain.
1° L'emprunteur doit se servir de sa chose, de préférence à la chose prêtée, chaque fois qu'il le peut, car le prêt ne lui a été fait qu'à cause du besoin qu'il avait et pour le temps où ce besoin durerait ; sans doute, on ne poussera pas la sévérité jusqu'à l'obliger à une indemnité pour un usage intempestif de la chose prêéât. s'il n'en est pas résulté de dommage ; mais si la chose a péri, même par cas fortuit, pendant cet usage illégitime, l'emprunteur en est responsable comme ayant indûment donné occasion à cette perte ;
2° On suppose que la chose prêtée se trouve en danger de périr, en même temps qu'une chose de l'emprunteur, soit pendant qu'il use de toutes deux, simultanément, soit même pendant qu'elles sont chez lui. non employées ; par exemple, un cheval prêté et le cheval de l'emprunteur sont attelés ensemble et tombent dans une rivière, par accident, ou bien les deux chevaux sont à l'écurie et un incendie menace le bâtiment : si l'emprunteur, ne pouvant sauver qu'un des deux chevaux parce que le temps presse, sauve le sien, il ne peut invoquer la force majeure comme le libérant de la responsabilité du cheval prêté : le prêt a été un bon office, un acte de bienfaisance qui impose à l'emprunteur le devoir moral et civil de faire tout ce qui dépend de lui pour sauver la chose prêtée, même au risque de perdre la sienne.
On a prétendu, quelquefois, que cette rigueur devait cesser d'être applicable lorsque la chose de l'emprunteur avait une plus grande valeur que la chose prêtée et l'on a dit qu'en pareil cas, un bon administrateur auquel les deux choses appartiendraient, sauverait celle qui vaut le plus, que l'emprunteur a donc pu sauver la sienne propre si elle vaut le plus ; mais il faut répondre que le cas est différent, lorsqu'il a un devoir de reconnaissance au sujet de l'une des deux choses. En fait, l'emprunteur sauvera sans doute la sienne, et l'on ne devrait guère l'en blâmer ; mais il devra tenir compte an prêteur de la valeur de la chose prêtée et périe.
L'estimation faite de la chose prêtée ne mettrait pas les risques fortuits à la charge de l'emprunteur : ce n'est pas un de ces cas où l'estimation vaut vente comme dans l'usufruit (v. art. 55 des Biens), cas où d'ailleurs il s'agit de choses qui se consomment par le premier usage et dont notre cas est très-différent ; il vaut mieux considérer l'estimation de la chose prêtée comme une précaution prise d'avance par les parties, en vue d'une perte imputable à l'emprunteur, et pour éviter la difficulté d'estimer judiciairement la chose après quelle aurait péri.
Il a paru inutile de dire que si la chose prêtée s'est détériorée par le seul usage légitime et sans aucune faute de l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration : c'est là le droit commun le plus simple et le plus évident ; c'est aussi pour cela que le prêt est un bon office.
Art. 199. Certains Codes étrangers se bornent à refuser à l'emprunteur la répétition des dépenses qu'il a faites pour user de la chose ; mais il fallait aller plus loin et lui imposer les dépenses d'entretien : par exemple, s'il a emprunté un cheval, il doit évidemment le nourrir convenablement, le faire ferrer, le faire visiter par le vétérinaire, s'il paraît malade, sauf à répéter les frais d'une maladie grave ou prolongée ; s'il s'agit d'une machine industrielle, l'emprunteur doit y faire faire les réparations courantes nécessitées par l'usage, et s'il s'agit d'une maison, il doit y faire les réparations dites “locatives," celles que supporte un locataire.
Mais les dépenses extraordinaires sont à la charge du prêteur, comme on le verra plus loin.
Art. 200 et 201. La restitution de la chose est la principale obligation de l'emprunteur.
On règle ici trois points concernant ladite restitution : 1° quand, 2° à qui et 3° en quel lieu doit-elle être faite ?
I. Elle doit naturellement être faite au temps fixé par la convention, quand les parties ont pris le soin de le fixer ; mais si celte fixation n'a pas été faite expressément, elle peut l avoir été tacitement, quand l'emploi de la chose a été déterminé : par exemple, comme il a déjà été supposé plus haut, on a prêté un cheval pour un voyage, une voiture de transport pour l'enlèvement de matériaux dont la quantité est connue du prêteur, ou une maison d'habitation pendant qu'on répare celle de l'emprunteur : il est clair que le prêteur doit laisser écouler le temps nécessaire pour le voyage, le charroi, ou la réparation, avant de réclamer sa chose; si l'usage est destiné à être continu, ou permanent, comme celui d'un cheval de selle, d'une voiture de promenade ou d'une maison de plaisance, sans indication de délai ni d'une circonstance qui implique une limite de temps, et si l'emprunteur allègue qu'il a encore besoin de la chose prêtée, le tribunal fixera un délai convenable, toujours d'après 1 intention probable des parties et les circonstances du fait.
Le texte permet aussi au prêteur de réclamer sa chose avant le temps fixé, dans deux cas:
1° Lorsque l'usage est terminé auparavant ; il est clair que, dans ce cas, l'emprunteur n'a plus de cause légitime de garder la chose et il serait de mauvaise foi en refusant de la rendre.
2° Le prêteur peut encore réclamer la restitution de la chose avant le temps fixé, lorsqu il en a " pour lui-même un besoin urgent et imprévu" (v. art. 203)
II. L'emprunteur n'a pas à se préoccuper de savoir à qui appartient réellement la chose prêtée; il doit donc la rendre au prêteur, lors même qu'il découvrirait après le prêt qu'elle appartient à un tiers. On n'excepte même pas le cas où il découvrirait que c'est une chose volée : cette exception n'est admise que pour le cas de dépôt (v. art. 218-4°); en effet, il n'y a pas même motif d'autoriser ici l'emprunteur à se prévaloir de sa prétendue découverte pour ne pas restituer ; il y a une raison puissante de ne pas assimiler le prêt au dépôt : dans le prêt, celui qui reçoit la chose obtient un service gratuit ; dans le dépôt, au contraire, c'est lui qui le rend ; de là, une double conséquence : celui qui reçoit un service a une obligation plus étroite de ne pas retarder la restitution et de ne pas susciter des embarras au prêteur; ensuite, il est plus à craindre qu'il n'abuse de simples soupçons de vol pour ne pas restituer au temps fixé et pour prolonger l'usage qui lui a été accordé ; tandis que le dépositaire qui n'a que la charge de la chose, sans pouvoir même en user, ne peut pas être suspect de chercher à prolonger le dépôt sans cause légitime.
Mais, qu'il y ait eu vol ou non, si l'emprunteur reçoit une opposition réguIière à la restitution de la part d'un tiers qui se dit propriétaire, la restitution n'est plus bligatoire ni même permise. Il faut décider de même s'il y a opposition de la part d'un créancier qui veut saisir la chose pour être payé par le prêteur.
Si le prêteur ou l'héritier du prêteur est un incapable, c'est à son représentant légal que la restitution doit être faite ; s'il est absent et a laissé un mandataire, c'est à celui-ci qu'il faut restituer et non à ses serviteurs, ni même à scs parents sc trouvant dans sa maison.
III. En général, le débiteur paye à son domicile et la restitution est un payement, en donnant à ce mot le sens large qui lui appartient (v. Liv des Biens, art. 451, 1er al); mais ici, il y a une dérogation toute naturelle au principe : le prêt est un contrat de bienfaisance, il est donc aussi conforme à l'équité qu'aux convenances que l'emprunteur prenne la peine de faire porter la chose au domicile du prêteur, on, s'il s'agit d'un incapable ou d'un absent, au domicile de son représentant.
Art. 202. Lorsqu'il y a plusieurs débiteurs d'une chose, chacun n'en est, en principe, débiteur que pour sa part ; les parts sont égales ou inégales, suivant les cas; le plus souvent, elles sont égales ou viriles, c'est-à-dire calculées par tête, l'obligation est alors dite conjointe (v. Liv. des Biens, art. 440).
Mais quelquefois la convention porte que chacun pourra être poursuivi pour le tout; l'obligation est alors dite solidaire; dans quelques cas même, la loi, à défaut de convention, établit la solidarité entre les débiteurs, et nous en avons ici un exemple.
Cette rigueur est facile à justifier : lorsque plusieurs personnes empruntent “conjointement et pour un usage simultané ou alternatif,” comme le texte a soin de l'exprimer, le prêteur ne peut savoir quelle sera la part de chacun dans l'usage simultané, ni le moment où chacun se servira de la chose, dans l'usage successif ou alternatif ; or, comme il pourra y avoir abus ou excès dans l'usage, comme la chose pourra être détériorée, ou même périr, par la faute d'un des débiteurs ou de tous, il est juste que le prêteur puisse s'adresser à l'un ou à l'autre des emprunteurs, à son choix, pour la réparation du préjudice. Il en est de même, s'il ne s'agit que de la restitution : le prêteur n'a pas à s'enquérir dans quelles mains se trouve la chose au moment où il exige la restitution.
Ce n'est qu'au Livre des Garanties (Ire Partie, Chap. 2) que la solidarité sera expliquée dans ses détails : c'est là qu'on examinera la question de savoir si la solidarité légale produit des effets aussi étendus et aussi rigoureux que la solidarité conventionnelle.
Mais nous pouvons dire, dès à présent, que, dans le cas qui nous occupe, il y a une telle communauté d'intérêts entre les divers emprunteurs qu'il est naturel de donner ici à la solidarité légale les effets les plus étendus qu'elle puisse avoir en faveur du prêteur.
Ici se termine se qui concerne les obligations de l'emprunteur.
Art. 203 et 204. Ces deux articles indiquent trois obligations du prêteur dont la première naît du prêt lui-même et les deux autres à son occasion seulement, mais ont une antre cause directe.
La première obligation du prêteur est de ne pas réclamer la chose avant le temps accordé pour l'usage. Si l'emprunteur acquérait un droit réel d'usage, il serait plus exact de dire qu'il y a plutôt pour le prêteur absence du droit de réclamer sa chose qu'obligation de laisser user ; c'est ce qui a été admis pour le prêt de consommation qui transfère la propriété, mais le prêteur n'a pas entendu conférer un droit réel; il a consenti seulement à se priver lui-même temporairement de la faculté d'user, dans ses rapports avec l'emprunteur ; aussi pourrait-il disposer de la chose en faveur d'un tiers, sauf à indemniser l'emprunteur.
Par exception, la loi permet au prêteur de réclamer la chose avant le temps convenu.
Il ne faut pas oublier que le prêt à usage est un contrat de bienfaisance, que le prêteur ne reçoit pas d'équivalent du service qu'il rend et que son intention n'a pu être de se priver de sa chose absolument et à tout événement. Mais, comme le dit le texte, il faut que le besoin soit “urgent,” par conséquent, que le prêteur ne puisse ni attendre, ni suppléer à cette chose par une autre lui appartenant ; il faut encore que le besoin ait été “imprévu” lors du contrat : autrement, le prêteur serait considéré comme ayant consenti à se priver de l'usage de sa chose ou à se pourvoir autrement d'une chose semblable; enfin, il faut que le besoin soit pour l'emprunteur “lui-même”; par conséquent, il ne pourrait reprendre la chose pour satisfaire au besoin urgent d'un autre ami, même d'un membre de sa famille.
Voyons maintenant les deux obligations du prêteur, nées “à l'occasion du prêt.”
I. La première obligation naît d'un enrichissement indû : ou suppose que l'emprunteur a fait des dépenses “nécessaires” à la conservation de la chose, et on les suppose en même temps “urgentes,” sans quoi, il aurait dû avertir le prêteur de leur nécessité et se faire autoriser à les faire.
Si le prêteur ne les lui remboursait pas, et cela intégralement. il s'enrichirait sans cause et illégitimement au préjudice de l'emprunteur. Il n'y a là, au fond, que l'application du droit commun; mais il n'était pas inutile de l'énoncer, surtout à cause de la garantie accordée à l'emprunteur, à ce sujet, par l'article 205.
La loi ne mentionne pas les dépenses utiles qu'aurait pu faire l'emprunteur, c'est-à-dire les dépenses qui auraient augmenté la valeur de la chose : d'abord, ce sera rare ; ensuite, l'emprunteur commettrait un abus, en imposant ainsi au prêteur une dépense que celui-ci n'était pas sans doute dans l'intention de faire et dont le remboursement peut le gêner. En tout cas, si l'emprunteur avait fait ces dépenses, il pourrait obtenir d'être traité comme gérant d'affaires (voy. Liv. des Biens, art. 363) ; mais le préteur obtiendrait facilement des délais pour le remboursement et si le droit de rétention devait appartenir à l'emprunteur au sujet de ces dépenses, ce ne serait pas en vertu de l'article 205 ci-après, mais en vertu d'un principe général annoncé déjà pour le Livre des Garanties, II° Partie.
IL La seconde obligation du prêteur est d'indemniser l'emprunteur des dommages que la chose prêtée peut avoir causés à celui-ci par ses vices. A cet égard, la loi renvoie à l'article 180 écrit au sujet de prêt de consommation.
Art. 205. On a déjà rencontré plusieurs applications de ce droit de rétention servant de garantie ou sûreté, constituant une sorte de gage, pour le remboursement de ce qui est dû à un créancier à l'occasion d'une chose dont il est légitimement détenteur.
Ce n'est, avons-nous dit, qu'au Livre des Garanties, qu'on donnera les développements nécessaires sur cette sûreté réelle ; c'est là qu'on verra en quoi elle ressemble au gage proprement dit comment elle en diffère,
On ne croit pas cependant que ce soit une raison de ne pas reconnaître ici ce droit à l'emprunteur: il est bon qu'un droit de cette nature soit relevé dans ses principales applications, pour donner aux contrats auxquels ils s'appliquent leur physionomie complète.
CHAPITRE X.
DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE.
SECTION PREMIÈRE.
DU DÉPÔT PROPREMENT DIT.
Art. 206. Le contrat de dépôt a de l'analogie avec le prêt à usage, mais il en diffère aussi.
On va présenter d'abord ces ressemblances et différences.
A. Le dépôt ressemble au prêt :
1° En ce qu'il est réel, c'est-à-dire formé par la remise matérielle de la chose, par le déposant au dépositaire ; en effet, puisque le dépositaire doit “garder' ou conserver la chose et ensuite "la restituer,” il est bien évident qu'il ne peut être tenu de conserver et de rendre avant d'avoir reçu.
Au surplus, il faut faire ici une remarque qui s'appliquait déjà au prêt à usage et même au prêt de consommation, et qu'on a omis d'y faire, à savoir que si la chose destinée au dépôt se trouve déjà aux mains du dépositaire, à un autre titre, le consentement seul des parties suffit pour transformer en dépôt la possession qu'avait déjà le dépositaire ; c'est la tradition feinte dite “de brève main” déjà expliquée par l'article 191 du Livre des Biens. Ainsi, un emprunteur à usage offre de rendre la chose prêtée, le prêteur, ne pouvant la recevoir à ce moment sans inconvénients, prie l'emprunteur de la garder en dépôt ; il en serait de même d'une chose louée que le locataire serait prié de conserver en dépôt après la fin du louage.
Cette transformation du prêt à usage ou du louage en dépôt est très-importante, pour la responsabilité du détenteur, laquelle est beaucoup moins lourde dans le dépôt que dans les deux antres contrats.
La tradition réelle serait encore inutile dans le cas où un propriétaire, vendant une chose mobilière, serait prié de la conserver à titre de dépôt, jusqu'à ce que l'acquéreur pût la recevoir ; cette convention se nomme “constitut possessoire” (voy. même art. 191). Au fond, la fiction est la même ; celui qui aliène est censé avoir livré au nouveau propriétaire pour se libérer de son obligation de vendeur, puis avoir immédiatement reçu la même chose en dépôt, et cela diminue sa responsabilité, car un vendeur doit apportera la chose vendue, jusqu'à la tradition, les soins d'un bon administrateur (Liv. des Biens, art 334 et Liv. de l'acq. des Biens, 46) tandis qu'un dépositaire ne doit à la chose déposée que les soins qu'il apporte habituellement à ses propres biens, comme on le verra plus loin.
Ce qu'on vient de dire du caractère réel du dépôt ne met pas obstacle à ce qu'une personne s'engage à recevoir ultérieurement une chose en dépôt ; mais ce ne serait pas encore le dépôt, et l'obligation de conserver et de rendre ne serait pas née tant que la chose n'aurait pas été reçue : ce serait un contrat i n n o m m é.
2° La seconde ressemblance du dépôt avec le prêt à usage est la gratuité du service rendu : si le dépositaire recevait un salaire, il y aurait louage de services on louage de chose (par exemple, louage de magasin). Cependant, on verra plus loin que le dépositaire peut recevoir une “indemnité” de ses soins et que cette circonstance influe sur l'appréciation plus ou moins rigoureuse de sa négligence; mais, en considérant que cette indemnité, à la différence d'un salaire, n'est pas un profit pour le dépositaire, on peut maintenir sans hésiter que le dépôt est “essentiellement gratuit.”
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3° La troisième ressemblance est clans la possibilité que le contrat qui est unilatéral au moment où il se forme, devienne synallagmatique après coup et, pour ainsi dire, par accident, ce qui, dans l'usage, le fait appeler “synallagmatique imparfait”; en réalité, comme on l'a remarqué sur le prêt à usage, pour deux des obligations du préteur, ce n'est pas la convention qui fait naître les obligations du déposant, c'est son enrichissement indû, si le dépositaire a fait des dépenses pour la conservation de la chose, ou c'est le dommage injuste qu'il a causé, si la chose déposée avait des vices qui ont nui au dépositaire. Il y a même ici aucun doute sur le caractère unilatéral du contrat, car on n'y trouve pas pour le déposant, comme pour le prêteur à usage, la défense de réclamer la chose avant le temps convenu ; le dépositaire, en effet, ne peut jamais prétendre garder le dépôt lorsqu'on le lui réclame, sauf le droit de rétention comme garantie des indemnités qui lui sont dues.
4° La dernière ressemblance est l'obligation de restituer la chose identiquement et en nature. Cette obligation est la même si la chose déposée est de l'argent, même à découvert, que si elle est un corps certain. Ce dépôt, nommé dans l'usage “. dépôt irrégulier” (voy. Liv. des Biens, art. 526-2°), n'autorise pas le dépositaire à se servir de l'argent ; mais, en fait, il sera difficile et sans intérêt de savoir si les mêmes espèces sont rendues ou si c'en sont d'autres, pourvu qu'elles soient en tous points semblables (or, argent, papier-monnaie).
Il peut arriver cependant que le déposant autorise le dépositaire à se servir de cet argent ; mais alors si le dépositaire en use, il en devient emprunteur dès ce moment, et, bien qu'il ne lui ait pas été formellement accordé de délai, il pourrait en obtenir un du tribunal, conformément à l'article 179 : on ne serait pas dans le cas du dépôt pur et simple, mais dans celui d'un prêt de consommation conditionnel et facultatif.
B. Voici maintenant les différences entre le dépôt et le prêt à usage.
1° On a déjà signalé incidemment celle relative à l'étendue de la responsabilité, laquelle est moins rigoureuse pour le dépositaire qui rend un service que pour l'emprunteur qui le reçoit;
2° La restitution du dépôt doit se faire à la première demande de déposant, tandis que l'emprunteur peut refuser de restituer avant qu'il ait tiré de la chose l'usage pour lequel elle lui a été prêtée ;
3° Le dépositaire ne doit pas se servir de la chose déposée, tandis que l'emprunteur a ce droit; mais le déposant pourrait autoriser le dépositaire à se servir de la chose sans que le contrat devînt pour cela un prêt à usage; par exemple, s'il s'agit d'un cheval, le dépositaire devrait certainement y apporter plus de soin au moment où il en use que lorsqu'il le garde chez lui sans emploi ; mais les rigueurs particulières auxquelles est soumis l'emprunteur (voy. art. 198) ne lui seraient pas applicables;
4° Le dépôt ne peut avoir pour objet qu'une chose mobilière, tandis qu'on peut prêter à usage une maison ou un terrain: celui qui voudrait confier la garde d'une maison devrait donner mandat de la garder ou de la surveiller (v. Chap. suivant).
5° Le dépôt est quelqufois nécessaire, tandis que le prêt est toujours purement volontaire.
La division du dépôt en volontaire et nécessaire, a de l'importance quant à la preuve : le dépôt nécessaire peut être prouvé par témoins, à quelque valeur qu'il puisse s'élever, tandis que le dépôt volontaire ne peut être prouvé par témoins, s'il s'agit d'une valeur excédant 50 yens.
§ Ier. — DU DÉPÔT VOLONTAIRE.
Art. 207. On croit utile de définir le dépôt volontaire pour prévenir une illusion que pourrait produire son rapprochement avec le dépôt nécessaire : les deux dépôts sont des contrats, ils exigent donc la volonté, le consentement ; seulement, dans le cas de dépôt nécessaire, le déposant, tout en étant juridiquement libre de déposer ou non, y a été en quelque sorte contraint, en fait, par des circonstances malheureuses, comme par un incendie ou une inondation : il n'a pas eu le temps de choisir le dépositaire, ni le temps, ni le lieu du dépôt; il a préféré courir le risque d'avoir un dépositaire infidèle, pour éviter une perte certaine. Tandis que dans le dépôt purement volontaire, le déposant a pu, comme dit le texte, “choisir librement le temps et le lieu du dépôt et, surtout, la personne du dépositaire.”
Dans les deux cas, le consentement du dépositaire peut être tacite, surtout dans le dépôt nécessaire, et le dépositaire qui aurait su qu'une chose était déposée chez lui et n'aurait pas promptement demandé son enlèvement devrait la conserver jusqu'à ce que le déposant ait eu le temps de trouver un autre dépositaire plus complaisant.
Il n'y a guère à s'arrêter aux vices dont le contrat pourrait être entaché ; si l'erreur provient du déposant qui se sera trompé sur la chose déposée ou sur la personne du dépositaire, le remède est bien simple : il n'aura pas à demander la nullité du contrat, il pourra immédiatement réclamer la restitution du dépôt, puisque le depositaire n'a aucun intérêt et, par suite, aucun droit à retenir la chose déposcé, sauf, bien entendu, le cas où il a déjà fait des dépenses pour sa conservation. Mais si l'erreur se rencontrait chez le dépositaire, soit qu'il ait ignoré les dangers que présentait la chose, comme des matières inflammables ou explosibles ou des objets volés, soit qu'il se soit trompé sur la personne du déposant, il faudrait, en cas de contestation, qu'il fît reconnaître son erreur en justice et qu'il fît annuler son obligation d? conserver la chose.
Art. 208. Cet article s'occupe de la capacité requise chez le déposant et l'article suivant de celle requise chez le dépositaire.
Toute personne ayant un droit réel sur la chose peut la déposer ; ainsi, l'usufruitier ou le locataire d'un meuble, le créancier gagiste, l'eurent valablement déposer la chose qui ne leur appartient pas ; sauf leur responsabilité envers le propriétaire, s'ils ont fait choix d'un dépositaire négligent ou infidèle. Il n'est même pas nécessaire que le déposant ait un droit réel sur la chose : un emprunteur à usage, un dépositaire même pourrait déposer lu chose chez un tiers ; aussi le texte de notre article a-t-il soin de dire qu'il suffit d'avoir “intérêt à la garde et à la conservation de la chose” pour avoir le droit de la déposer : un simple possesseur sans titre qui serait en voie de prescrire aurait intérêt à déposer et, par conséquent, aurait le droit de le faire.
Dans tous ces cas, le dépositaire qui aurait accepté le dépôt ne serait pas admis à prétendre restituer ht chose avant le temps covenu, sous prétexte que le déposant n'est pas propriétaire.
Le 2e alinéa, en reconnaissant aux représentants légaux des incapables le droit de déposer, le refuse, par cela seul, aux incapables eux-mêmes. En effet, le dépositaire ne devant pas pouvoir exiger des déposants incapables le remboursement de ses dépenses et surtout l'indemnité des dommages qui lui auraient été causés par la chose, ne peut pas être tenu de conserver un dépôt qui présente pour lui des dangers de perte. Sans doute, dans la rigueur des principes, l'action en nullité d'un contrat fait avec un incapable n'appartient qu'à ce dernier et non au contractant capable (art. 319); niais il ne faut pas oublier que le dépôt est un contrat gratuit ou de bienfaisance de la part du dépositaire, et il serait trop rigoureux de l'obliger à conserver un dépôt qui peut lui être une source de dépenses ou de dommages, sans avoir le droit d'en être indemnise : on ne peut, en ce cas, refuser au dépositaire la faculté de s'adresser au représentant légal de l'incapable et de lui demender ou de valider le dépôt, en le ratifiant, ou de le reprendre.
Quand le dépôt est fait par le représentant lui-même de l'incapable, tous les effets légaux du contrat se produisent.
Il en est de même lorsqu'il s'agit des mandataires conventionnels des propriétaires ou des autres personnes intéressées dont parle le 1er alinéa de cet article.
Art. 209. Il s'agit ici du dépositaire incapable de contracter : il est naturel que le déposant doive s'imputer d'avoir confié sa chose à une personne dont la responsabilité est limitée.
Nous ne disons pas que la responsabilité de l'incapable manque absolument : le texte a bien soin d'exprimer que l'incapable n'est pas à l'abri de toute poursuite ; il en indique trois cas :
1“Le dépositaire incapable possède encore en nature la chose déposée : il devra la restituer, soit sur l'action en revendication, soit sur l'action possessoire du déposant ; il ne peut évidemment s'autoriser de son incapacité pour retenir le bien d'autrui ;
2° Il a aliéné la chose ou il l'a consommée de bonne foi : dans l'un et l'autre cas, il se trouve enrichi, soit parce qu'il n'a pas encore dissipé le produit de l'aliénation, soit parce qu'en consommant la chose par un emploi nécessaire ou utile, il a ménagé ses propres biens ; il est alors enrichi du bien d'autrui, sans cause légitime, et il est juste qu'il restitue l'équivalent de cet enrichissement ;
3° Il a détourné ou dissipé de mauvaise foi les choses déposées, sans profit subsistant d'ailleurs : il en est responsable pénalement, car il est coupable d'abus do confiance, délit prévu et puni par le Code pénal ; si l'incapable est une femme mariée, la responsabilité pénale est entière ; si c'est un mineur de 12 à 20 ans, la responsabilité est diminuée par une excuse légale ; s'il a agi sans discernement ou s'il est en démence, la responsabilité pénale manque entièrement.
Art. 210. Le dépositaire, rendant un service gratuit, doit être traité avec indulgence quant à l'appréciation des fautes ou négligences qu'il pourrait commettre dans la garde des choses confiées à lui.
Il est de tradition, depuis les Romains, qu'on n'exige de lui que les soins qu'il apporte à ses propres affaires : le déposant doit s'imputer à lui-même d'avoir choisi un dépositaire peu soigneux ou peu diligent. C'est la même règle qu'en matière de société, pour les associés qui n'ont pas la qualité de gérants (v. art. 132).
On a quelquefois douté si, dans le cas inverse, celui où le dépositaire est particulièrement soigneux et diligent, le déposant pourrait lui reprocher de n'avoir pas apporté à la chose déposée les mêmes soins que ceux qu'il est dans l'habitude d'apporter aux choses qui lui appartiennent.
Sans aller jusque-là, il faut décider que la responsabilité ordinaire reprend son empire : le déposant n'a sans doute choisi ce dépositaire que parce qu'il connaissait ses bonnes habitudes ; il a, dès lors, dû compter au moins sur les soins d'un administrateur.
La loi énonce deux cas où la responsabilité du dépositaire revient au droit commun :
1° Le dépositaire s'est offert au dépôt: il faut supposer que le déposant avait seulement témoigné une certaine inquiétude au sujet de la chose, comme craignant soit le vol, soit la détérioration par la nature de l'emplacement où elle se trouvait, mais sans demander à la déposer, et que le dépositaire, en s'offrant, ait ainsi provoqué le dépôt, ou qu'il ait demandé d'être préféré à un autre dépositaire.
Le cas où le dépôt “est dans l'intérêt unique du dépositaire” sera rare et comme l'hypothèse paraîtrait singulière, au premier abord, la loi indique ici le cas où elle est plausible : c'est lorsque la chose est destinée à être prêtée à usage au dépositaire, dans le cas où le besoin naîtrait pour lui, et comme ce besoin peut être subit et le prêteur être éloigné, la chose est d'abord confiée comme dépôt à l'emprunteur futur et éventuel ; dans ce cas, il doit déjà apporter les soins d'un bon administrateur, avant même d'avoir commencé à user de la chose.
L'article 198 impose à l'emprunteur à usage une responsabilité exceptionnelle : on a vu, que dans un péril commun de la chose de l'emprunteur et de la chose prêtée, l'emprunteur doit sauver cette dernière de préférence à la sienne, lors même qu'elle aurait moins de valeur, et que, s'il a agi autrement, il est responsable de la valeur de la chose prêtée ainsi perdu.
Cette rigueur, fondée sur ce que l'emprunteur reçoit un service, doit raisonnablement s'appliquer au dépositaire, lorsqu'il prend à son tour la qualité d'emprunteur, en vertu de la permission éventuelle qui lui en a été donnée.
Mais il ne faudrait pas croire que, hors ce cas, il pût toujours sauver la chose qui lui appartient, de préférence à celle qui lui est déposée : il devrait sauver de préférence la chose déposée, lorsqu'elle a notablement plus de valeur que la sienne propre ; c'est une application de la règle qu'il doit garder et conserver la chose déposée comme si elle était à lui ; or, si elle était à lui, il la sauverait, de préférence à celle qui a moins de valeur ; mais ici, à la différence du cas où il est emprunteur, il devra être indemnisé de la valeur de la sienne, justement parce que c'est le service qu'il rend au déposant qui, pour lui, est cause d'une perte.
Art. 211. Bien que la loi doive se montrer indulgente pour le dépositaire, à l'égard de ses fautes, elle ne doit cependant pas l'affranchir des conséquences de la mise en demeure ; si donc, lorsqu'il a été mis en demeure de restituer, il manque à le faire, il est responsable de la perte, même fortuite ou résultant d'une force majeure, survenue depuis qu'il est en demeure. Si la loi renvoie au droit commun, c'est parce que la faveur due au dépositaire pouvait laisser des doutes à cet égard. Du reste, si l'événement qui a causé la perte de la chose déposée était de nature à atteindre également la chose chez le déposant, au cas où elle lui aurait été restituée, le dépositaire, quoiqu'on demeure, est encore libéré (v. Liv. des Biens, art. 345, 2° al., et 541).
Art. 212. Outre la prohibition relative au respect à observer par le dépositaire au sujet de la chose déposée, lorsque le déposant ne la lui a pas fait connaître, la loi ajoute une seconde prohibition, celle de faire connaître à des tiers la nature des choses déposées ; il ne devrait le faire dans aucun cas : si même le déposant lui avait fait connaître les choses déposées, il n'en devrait pas moins garder le secret vis-à-vis des tiers.
La loi ne va pas jusqu'à lui défendre de faire savoir à des tiers qu'il est dépositaire ; il devrait, en général, s'en abstenir ; mais il pourrait arriver qu'il fût dans la nécessité de faire cette déclaration : par exemple, si les créanciers du déposant, soupçonnant le dépôt fait par leur débiteur, l'assignaient en déclaration de sa dette, ou si ses propres créanciers voulaient, par erreur, saisir le dépôt comme lui appartenant.
On pourrait hésiter sur le point de savoir si la prohibition ne doit pas cesser au cas où le dépositaire aurait de fortes raisons de soupçonner le caractère délictueux de la chose déposée : par exemple, s'il s'agissait d'une substance explosible, d'opium ou de fausses monnaies, dont la possession seule est prohibée en général.
Comme la loi reconnaît aux particuliers le droit de dénoncer les crimes ou délits dont ils auraient la connaissance ou le soupçon, il semble que la loi civile et la loi criminelle vont se trouver en conflit. Mais il faut admettre que la présente prohibition n'est écrite qu'au point de vue des intérêts civils et qu'elle ne porte aucune atteinte au droit de dénonciation établi par la loi de procédure criminelle dans l'intérêt publie.
La sanction de la double défense ici faite au dépositaire n'est et ne pouvait être que l'indemnité du dommage causé au déposant par cette indiscrétion, en y comprenant le gain manqué par celui-ci et à la charge par lui de justifier de l'un et de l'autre, ce qui ne sera pas toujours sans difficulté.
Si la chose déposée paraît volée, le cas est réglé plus loin (v. art. 218-4°).
Art. 213. On a déjà eu occasion de dire et de répéter que le dépositaire rend un service et n'en reçoit pas ; s'il pouvait se servir de la chose et en consommer les fruits, il aurait presque toujours plus d'avantages qu'il n'en procurerait.
Cependant, le déposant peut lui avoir permis d'user et de jouir de la chose, soit comme compensation de l'embarras que la chose peut lui causer, comme d'un meuble ou d'une voiture, soit même dans le propre intérêt de la conservation de la chose, comme d'un cheval de selle qu'il faut promener, et d'un cheval de trait qu'il faut atteler, sans quoi il tomberait malade ou perdrait sa vitesse ou sa force.
S'il s'agissait d'une vache ou d'une chèvre, le dépositaire pourrait être autorisé à consommer le lait et à employer le fumier, et s'il s'agissait de poules, les œufs, surtout s'il prenait à sa charge la nourriture de ces animaux.
Cette permission n'a pas besoin d'être expresse et formelle, elle peut n'être que tacite et s'induire des circonstances et de la nature de la chose.
Le texte a soin de dire que cette permission d'user de la chose “ne suffit pas à transformer le dépôt en prêt à usage par conséquent, le déposant pourra toujours reprendre sa chose quand il lui conviendra ; mais aussi la responsabilité du dépositaire restera moindre que celle de l'emprunteur à usage : on n'est pas dans le cas de l'article 210, 3e alinéa, qui applique l'article 198 au dépositaire devenu emprunteur.
En effet, l'article 210, suppose que “le dépôt a été fait uniquement dans l'intérêt du dépositaire et pour lui permettre d'user de la chose, au cas de besoin”; tandis qu'ici le dépôt est dans l'intérêt surtout du déposant et l'usage autorisé n'est qu'une compensation aux embarras que la chose peut causer. Cela aurait seulement pour effet d'obliger le dépositaire à donner à la chose déposée non plus seulement les soins qu'il apporte habituellement à ses propres affaires, mais même ceux d'un bon administrateur.
Art. 214. Cet article et le suivant concernent l'obligation de restituer qui peut être considérée comme la principale obligation du dépositaire.
Il doit restituer la chose en nature et identiquement c'est-à-dire celle même qu'il a reçue. On pourrait croire qu'il y a exception dans le cas du dépôt dit irrégulier, ayant pour objet de l'argent remis à découvert, sans envoloppe ni sac, et dont la restitution se fait non dans les mêmes espèces, mais en espèces de même nature; cependant, il n'y a pas lieu de présenter ce cas comme une exception : il rentre suffisamment dans la règle ; du moment que l'individualité des espèces n'a pas été constatée, le dépositaire est considéré comme en rendant d'une identité suffisante, si la somme restituée est en même monnaie d'or, d'argent ou de papier.
Le dépositaire doit aussi rendre les fruits et produits par lui perçus, si la chose en a donné ; ce ne peuvent guère être, du reste, que des petits d'animaux, puisqu'il ne s'agit pas d'immeubles et que les meubles autres que les animaux ne donnent pas de fruits on produits.
Il pourrait arriver que les produits ne fussent pas susceptibles d'être conservés sans détérioration ; dans ce cas, le dépositaire aurait dû les vendre et il rendrait la valeur qu'il en a tirée.
Bien entendu, cette restitution des fruits et produits n'aurait pas lieu si le dépositaire avait été autorisé à jouir de la chose, comme il est prévu à l'article précédent.
Le 2e alinéa de notre article recevra plus rarement une application ; cependant, il pourrait arriver que la chose eût été endommagée par un tiers ou réquisitionnée temporairement pour un usage public, comme une pompe à incendie, un cheval, une voiture, et que ces faits eussent donné lieu à une indemnité que le dépositaire aurait reçue ; dans ce cas, il ne pourrait évidemment la conserver sans s'enrichir injustement du bien d'autrui.
Le dernier alinéa suppose des faits plus graves : le dépositaire a consommé, aliéné ou détourné la chose déposée” et la loi suppose qu'il l'a fait “sciemment,” parce qu'il pourrait arriver, rarement il est vrai, qu'il eût oublié le dépôt ou qu'il eût confondu la chose déposée avec d'autres qui lui appartenaient. Hors ce cas, prévu à l'article 215, la disposition faite volontairement et de mauvaise foi est un acte très répréhensible : il oblige le dépositaire à tous les dommages-intérêts et le soumet à l'action publique pour le délit d'abus de confiance, conformément au Code pénal.
Il faut remarquer que ces dommages-intérêts sont dus “de plein droit et sans mise en demeure.” La loi aurait pu ne pas s'en expliquer formellement, parce que ce n'est que l'application d'un principe général d'après lequel “celui qui est tenu de ne pas faire est toujours en demeure” (v. Liv. des Biens, art. 384) ; mais il n'est pas mauvais que la loi fasse de temps en temps elle-même l'application des principes, c'est une occasion de les faire mieux ressortir. Cependant, on ne va pas jusqu'à répéter que, comme il y a ici un dol, les dommages-intérêts comprendront même les dommages imprévus : cette règle a déjà été appliquée par la loi, au moyen de renvois à l'article 385.
Art. 215. Il pourra arriver bien plus fréquemment pour l'héritier que pour le dépositaire lui-même d'ignorer le dépôt et d'en disposer de bonne foi. S'il a consommé lui-même les objets déposés, par exemple des denrées alimentaires, des bois à brûler ou à ouvrer il ne peut plus être question que d'une indemnité et, comme son auteur rendait un service, comme on ne peut guère reprocher à l'héritier d'avoir ignoré le dépôt, l'indemnité ne se mesurera pas nécessairement sur la valeur vénale des objets consommés, encore moins sur le préjudice réel éprouvé par le déposant, mais seulement sur le montant du profit que l'héritier a trouvé dans cette consommation, notamment en s'épargnant une dépense ; au fond, la différence sera peu de chose, à moins de supposer que les objets n'étaient pas de première nécessité, auquel cas l'héritier ne les aurait peut-être pas achetés, s'il n'avait pas cru les avoir à lui et où il n'est pas réellement enrichi.
Si les objets ont été aliénés, ils ne peuvent pas être revendiqués, lorsque les tiers acquéreurs ont été de bonùe foi et les possèdent, puisqu'ils ne pourraient être revendiqués non plus si le dépositaire lui-même les avait aliénés de mauvaise foi, comme il est prévu à l'article précédent.
Dans le cas d'aliénation onéreuse, l'héritier doit le prix ou autre équivalent qu'il a tiré de la chose ; s'il a donné les objets, on recherchera si, à défaut de ces objets, il en eût donné d'autres : alors, il a encore profité de ce qu'il a épargné de ses propres biens.
La solution est déclarée applicable aux mêmes faits provenant du dépositaire lui-même ayant, de bonne foi, disposé des objets.
La loi ne porte pas, comme allant de soi, qu'en sens inverse, l'article précédent sera applicable à l'héritier, s'il a commis sciemment ou de mauvaise foi les actes illégitimes punis contre son auteur: il est devenu lui-même dépositaire infidèle.
Art. 216. Cet article et les deux suivants terminent ce qui concerne l'obligation de restituer le dépôt : le premier nous dit à qui le dépôt doit être restitué, le second, en quel lien, le dernier, en quel temps et aussi quand la restitution peut être refusée ou retardée.
Il est clair que si le déposant est devenu incapable d'administrer ses biens, le dépôt ne peut plus être restitué qu'à son représentant ; que si d'incapable il est devenu capable, le dépôt fait par son représentant lui sera restitué à lui-même ; que s'il est décédé, la restitution ne se fera qu'à son héritier.
Art. 217. Le lieu de la restitution du dépôt sera rarement fixe expressément: le plus souvent la chose est de nature à rester au domicile du dépositaire et c'est là évidemment qu'elle sera rendue.
Mais le débiteur peut changer de domicile et, dans ce cas, la chose le suivra à son nouveau domicile; elle peut aussi avoir été déplacée pour la commodité du dépositaire et ce ne serait pas une raison pour qu'il dût la rapporter, pour la restitution, au lieu où elle était primitivement ; il faut seulement que le changement de heu ait été fait de bonne foi ou “sans fraude.”
Bien entendu, quoique la loi ne le dise pas, les frais de restitution, c'est-à-dire d'enlèvement, sont à la charge du déposant.
Art. 218. L'article 206 a fait entrer dans la définition du dépôt l'obligation pour le dépositaire de rendre la chose à la première demande du déposant.
La loi n'a pas à reproduire ici ce caractère quant au temps, de l'obligation de rendre ; mais elle y apporte quatre exceptions.
1° Il peut arriver que la propriété de la chose qui paraissait appartenir au déposant appartienne, an contraire, au dépositaire lui-même ; le cas, pour être rare, n'est pas invraisemblable. Ce qui sera plus fréquent peut-être, ce sera le cas où le dépositaire acquerrait la chose en traitant avec le déposant ; dans ce cas, le dépôt prendrait fin dès le moment de l'acquisition : le dépositaire serait censé avoir restitué la chose à ce moment et l'avoir immédiatement reçue comme acquéreur.
2° Le dépositaire a, tout naturellement, le droit de rétention de la chose comme garantie du remboursement des dépenses qu'il a faites pour la conservation de la chose et pour l'indemnité des dommages qu'elle lui a causés.
Ce droit va lui être reconnu dans l'article suivant.
3° Il pont arriver qu'un créancier du déposant, craignant de ne pas être payé et sachant qu'une chose de son débiteur est déposée aux mains d'un tiers, veuille en empêcher la restitution, de peur qu'elle ne soit ensuite détournée ou dissipée par le débiteur ; dans ce cas, il a le droit de faire entre les mains du dépositaire une saisie-arrêt ou opposition.
Il y a encore lieu à opposition à la restitution du dépôt, si un tiers se prétend propriétaire de la chose déposée, ou prétend avoir sur cette chose un droit de gage ou un autre droit réel.
Dans ces divers cas, il n'appartient pas au dépositaire d'apprécier si ces prétentions des tiers sont bien ou mal fondées : il doit s'abstenir de restituer le dépôt, ou, s'il le restitue, c'est à ses risques et périls.
La seule condition pour qu'il doive surseoir à la restitution c'est que la saisie ou l'opposition soit faite en bonne forme.
4° Lorsque le dépositaire a découvert que la chose a été volée et s'il en connaît le légitime propriétaire, il n'a pas seulement le d r o i t, mais il a le d e v o i r de refuser la restitution, et alors il doit sommer la propriétaire de la réclamer dans un délai fixe et suffisant ; mais il serait imprudent de la rendre à celui-ci sans appeler le déposant à contrôler et contredire au besoin la restitution. Le texte a soin d'exprimer cette précaution.
Passé le délai fixé au propriétaire sans réclamation de sa part, la restitution au déposant est obligaoire.
Si le dépositaire ne connaissait pas le propriétaire, bien qu'il eût de pistes raisons de croire la chose volée, il ne serait ni obligé, ni en droit de retenir la chose, du moment qu'il ne pourrait provoquer un débat entre le déposant et le propriétaire.
Enfin, s'il n'avait qu'un soupçon du vol, il y aurait témérité à lui de mettre un retard à la restitution : il pourrait, au cas d'erreur, s'exposer à des dommages-intérêts envers le déposant.
Art. 219. La double obligation du déposant ici prévue ne résulte pas directement du contrat de dépôt : le contrat n'en est que l'occasion : c'est la même théorie que dans le prêt à usage : le déposant est tenu de l'enrichissement qui résulte pour lui de la conservation de sa chose on du dommage qu'il a causé par sa faute, en déposant une chose nuisible dont il connaissait ou devait connaître les défauts. Il est sous-entendu que le déposant cesserait d'être responsable, si ces défauts étaient survenus depuis le dépôt : par exemple, un cheval déposé est devenu mala le et a communiqué sa maladie aux chevaux du dépositaire. Il faut toujours qu'il y ait eu imprudence du déposant.
Mais la loi ne subordonne pas le droit du dépositaire d'être indemnisé à l'ignorance où il a été des vices de la chose, comme lorsqu'il s'agit de l'emprunteur à usage : il faut toujours se souvenir que le dépositaire rend un service, tandis que l'emprunteur en reçoit un.
Il n'y a pas à s'arrêter de nouveau sur le droit de rétention ici accordé au dépositaire comme garantie du payement de ces indemnités : lors même que cette sûreté réelle n'aurait pas être généralisée dans le Code, elle devrait toujours recevoir ici une application, à cause du service rendu.
§ II. — DU DÉPÔT NÉCESSAIRE ET DU DÉPÔT DANS LES HÔTELLERIES.
Art. 220. La distinction entre le dépôt nécessaire et le dépôt volontaire est relative à la preuve du dépôt nécessaire qui peut se faire par témoins, même pour une valeur excédant 50 yens, tandis que le dépôt volontaire ne peut se prouver par témoins que dans cette limite.
Le dépôt nécessaire n'augmente ni ne diminue la responsabilité du dépositaire : ce n'est pas pour le dépositaire qu'il y a nécessité, contrainte, résultant de l'événement, il n'y a donc pas lieu de diminuer à son égard la responsabilité ordinaire déjà assez faible ; il n'y a pas lieu non plus de l'augmenter, parce que cela pourrait détourner les voisins de recevoir un dépôt dans ces conditions et ce serait au préjudice de celui qui a besoin de faire un pareil dépôt.
Le caractère nécessaire du dépôt qui nous occupe pourra être pris en considération dans le cas où la chose déposée aura causé des dommages au dépositaire : on pourra être un peu moins sévère pour le déposant qui n'aura pas signalé les dangers que pouvait présenter la chose déposée ; on tiendra compte du trouble et de la précipitation où il s'est trouvé.
Art. 221. Les voyageurs qui s'arrêtent dans les hôtelleries ou auberges ne peuvent guère choisir celui chez lequel ils logent ; il peut même arriver que ce choix soit tout-à-fait impossible, parce que l'hôtellerie est la seule de la localité. Il n'y a donc pas d'exagération à considérer comme dépôt nécessaire l'introduction dans l'hôtellerie des effets et objets quelconques que les voyageurs portent avec eux.
La loi met sur la même ligne, comme dépositaires nécessaires, les entrepreneurs de transport par terre et par eau, au sujet des objets qui leur sont confiés pour être transportés, sans distinguer si celui qui les leur confie est lui-même transporté en même temps.
La présence du propriétaire des objets dans l'hôtellerie ou dans les bateaux ou voitures n'empêche pas qu'il y ait dépôt, parce que les objets ne sont pas nécessairement sous ses yeux et sous sa garde. En effet, le plus souvent, ils sont déposés dans des lieux distincts de ceux où se trouvent les personnes, et, lors même que les malles et caisses d'un voyageur seraient dans sa chambre d'hôtel ou dans sa cabine de bateau, il arrive nécessairement qu'il s'absente pendant plus ou moins longtemps et, pendant ce temps, les objets pourraient disparaître en tout on en partie.
Lorsque la loi assimile au dépôt nécessaire la remise des effets qui accompagnent les voyageurs ou de ceux qui sont confiés aux entrepreneurs, ce n'est pas à tous les points de vue, car ce serait n'imposer aux hôtelliers et aux voituriers qu'une responsabilité très-limitée et, au contraire, on va voir qu'elle est plus rigoureuse que celle des dépositaires ordinaires, c'est pour la facilité plus grande de la preuve du dépôt, parce qu'en pareil cas la célérité des affaires ou l'encombrement des voyageurs ne permettent pas souvent de dresser des écrits. Nous exceptons le cas des grandes entreprises de transport qui ne reçoivent les voyageurs ou les passagers et leurs bagages qu'après enregistrement.
Mais ce dépôt nécessaire diffère du précédent, au sujet du degré de soins que doit le dépositaire : comme le dépôt dans les hôtelleries, bateaux, voitures, est l'accessoire d'un contrat de Services, lequel est salarié, le dépositaire doit dès lors apporter à la chose déposée les soins d'un bon administrateur; il ne lui suffirait pas d'apporter, comme un dépositaire ordinaire, les soins qu'il apporte habituellement à ses propres affaires. C'est ce qu'exprime la loi en renvoyant à “la responsabilité des contractants à titre onéreux.”
SECTION II.
DU SÉQUESTRE.
Art. 222. Il serait quelquefois dangereux de laisser aux mains d'une des parties la chose objet d'un procès on de prétentions opposées de deux ou plusieurs personnes: elle pourrait disparaître ou être détériorée par négligence ou mauvaise foi, en même temps que la responsabilité du détenteur pourrait être illusoire par l'effet de son insolvabilité. Il est donc naturel de déposer cette chose aux mains d'un tiers.
A la différence du dépôt ordinaire qui n'a lieu que pour les meubles, le séquestre peut avoir lieu pour les immeubles, ce qui lui donnera de l'analogie avec le mandat; toutefois, on devra lui maintenir le caractère de dépôt, ce que le fait considérer comme contrat rêel ou formé “par la remise de la chose,”
Le séquestre n'est d'ailleurs un véritable contrat que lorsqu'il est conventionnel, c'est-à-dire l'œuvre des parties elles-mêmes ; quand il est ordonné par la justice, il n'y a pas convention, quoique le séquestre-gardien accepte: la justice ne contracte pas avec lui, ni les parties non plus ; mais les effets sont les mêmes que si les parties avaient consenti.
Art. 223. Dans le séquestre conventionnel le consentement doit, bien entendu, émaner des divers intéressés.
Le consentement des intéressés a deux objets : le fait même du dépôt et le choix de celui auquel il est confié.
Bien entendu, celui-ci doit consentir également.
Lors même que le séquestre est ordonné par la justice, les parties doivent être admises à exprimer leur désir ou leurs objections sur le choix du gardien, et ce n'est que faute d'accord de leur part, à cet égard, que le choix est fait par le tribunal. Sans doute, si les parties sont d'accord pour le choix du gardien, elles pourraient établir un séquestre conventionnel, mais il pourra arriver que le gardien lui-même préfère recevoir son mandat de la justice ou que les parties elles-mêmes croyent que celui-ci s'acquittera plus fidèlement de sa charge après l'avoir reçue de la justice.
Art. 224. On a déjà dit que le dépôt ordinaire, bien qu'essentiellement gratuit, ne change pas de nature et ne devient pas un louage de services par le seul fait que le dépositaire recevrait pour ses peines et soins une indemnité qui ne constituerait pas pour lui un profit proprement dit.
Mais ici le dépositaire-séquestre n'étant pas nécessairement un ami des parties intéressées, surtout ne pouvant guère l'être de toutes, quand elles sont plusieurs, ne saurait être considéré comme leur rendant un bon office ; il est donc naturel qu'il reçoive un salaire, et, sans qu'on puisse aller jusqu'à dire que le contrat devient un louage de services, on peut au moins admettre que ce salaire constitue un profit ; on comprend dès lors que la loi exige du séquestre-gardien plus de soins à la chose et qu'elle lui impose la responsabilité des contractants à titre onéreux, comme elle l'a déjà fait pour les hôtelliers, les voituriers et les bateliers.
Art. 225. Un dépositaire ordinaire n'aurait pas qualité pour faire le bail de la chose déposée : le dépôt lui est ordinairement fait pour un temps assez court et ce serait excéder ses pouvoirs que d'engager le déposant par un bail.
Le séquestre est fait pour un temps qui sera vraisemblablement assez long, puisqu'il aura pour terme le jugement d'une contestation, et le jugement en dernier ressort. On comprend donc que, dans l'intérêt même des parties en cause, la chose puisse être louée et ainsi rendue productive, surtout si c'est un immeuble (voy. art. 119 des Biens).
Toutefois, la loi ne permet qu'au séquestre judiciaire de louer la chose sans un pouvoir spécial : le séquestre conventionnel devra avoir un pouvoir des intéressés pour engager ainsi l'avenir. Mais ils reparaissent tous deux sur la même ligne pour l'exercice des actions pos-sessoires, en complainte et en réintégrande, la première pour conserver, la seconde pour recouvrer la possession qui leur a été confiée.
Il faut s'arrêter ici un instant sur la nature de cette possession.
Sans doute, le séquestre n'a pour lui-même qu'une possession précaire, comme tout dépositaire : Il ne possède pas pour lui, mais pour autrui; l'un des adversaires avait évidemment la possession au moment où le séquestre a été nommé, et cette possession ne lui est pas juridiquement enlevée par la nomination du séquestre; elle est exercée en son nom par celui-ci. Cela su ffit donc pour que le séquestre-gardien ait non seulement le droit, mais le devoir de conserver et de recouvrer cette possession.
Quelquefois cependant il y a doute sur la question de savoir lequel des deux adversaires avait la possession au moment où la contestation s'est élevée ; dans ce cas, la possession du séquestre-gardien a pareillement quelque chose d'incertain : on peut dire alors, avec le 3e alinéa de notre article, qu'il possède “pour celui qui triomphera," mais il n'en doit pas moins exercer les actions possessoires, s'il vient à être troublé ou dépossédé.
Art. 226. Lorsque la contestation ou le procès sera vidé, la partie gagnante sera réputée avoir toujours eu le droit en litige et c'est à celle que le séquestre remettra la chose.
Mais il faut que la décision soit irrévocable, et le séquestre n'est pas toujours en mesure de s'assurer qu'elle n'est susceptible d'aucun recours ; la loi l'autorise donc à mettre sa responsabilité à couvert en exigeant pour la remise le consentement des parties en cause ou un ordre du tribunal.
Art. 227. Le séquestre étant un dépôt est soumis aux règles générales du dépôt, pour tous les points qui ne sont pas ici autrement réglés.
Art. 228. La loi renvoie à une loi spéciale les règles de lagarde des objets saisie par autorité de justice et de ceux consignés à défaut de consentement du créancier à les recevoir.
CHAPITRE XI.
DU MANDAT.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA NATURE DU MANDAT.
Art. 229. Le contrat de mandat diffère des précédents en ce qu'il est consensuel et non plus réel, mais il s'en rapproche encore par sa nature de bon office; on le classe donc aussi parmi les “contrats de bienfaisance.” Cependant, la gratuité n'y est plus essentielle: le salaire que peut recevoir le mandataire n'y a pas toujours un caractère d'indemnité, il peut constituer un p r o f i t, sans que les contrat devienne un contrat de services ; mais il faudra, dans l'application, veiller à ce que la qualification du contrat ne tende pas à le dénaturer.
Nous reviendrons sur cette difficulté sous l'article 231.
Le contrat de mandat est d'une grande utilité, car il est bien difficile que chacun puisse faire lui-même tout ce qui l'intéresse : un voyage, une maladie, le manque de connaissances spéciales, nos devoirs, nous obligent souvent à recourir aux bons offices d'autrui pour la gestion de tout ou partie de nos affaires et cela pendant un temps plus ou moins long.
Le caractère essentiel du mandat est que l'affaire à gérer intéresse le mandant ; mais il n'est pas nécessaire qu'elle n'intéresse que lui seul : ainsi, l'affaire peut lui être commune avec un tiers ou avec le mandataire lui-même, par l'effet d'une société ou d'une copropriété ; si l'affaire ne concernait qu'un tiers seulement, le mandat ne serait pas valable, faute d'intérêt du stipulant, c'est-à-dire faute de cause; elle ne concernait que le mandataire seul, ce ne serait plus qu'un conseil que le prétendu mandataire pourrait, à son gré, suivre ou ne pas suivre et sans avoir à se plaindre, s'il n'y avait pas eu dol du mandant.
Lorsque le mandant est intéressé, l'affaire est faite “pour son compte,” c'est-à-dire à ses risques et périls, pour son avantage ou son désavantage, car elle est faite par son ordre et suivant les indications qu'il a dû donner, s'il y avait lieu.
Ce qui caractérise encore le mandat c'est que le mandant est représenté par le mandataire : c'est le mandant qui est censé avoir fait l'acte dont il s'agit ; le mandataire, en effet, ne s'est pas engagé personnellement vis-à-vis des tiers avec lesquels il a pu traiter, il n'a pas non plus stipulé pour lui-même : il a nommé son mandant, il a dit qu'il s'agissait des affaires de celui-ci, et les droits et actions qui peuvent naître de l'exécution du mandat sont à exercer plus tard par le mandant ou contre lui.
Mais cette représentation du mandant par le mandataire n'est pas essentielle au mandat ; on pourrait donner un mandat dans lequel le mandataire agirait vis-à-vis des tiers “en son propre nom,” ceux-ci ne connaissant que lui et devenant ses créanciers ou ses débiteurs'; sauf toujours au mandataire à reporter sur le mandant les avantages et les désavantages des opérations faites avec les tiers. Ce mandat prend le nom de commission. Il est très-usité en matière de commerce et il donne lieu à une profession spéciale très-importante, à celle des commissionnaires.
Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les avantages de cette forme de mandat ; il suffit de dire que le commissionnaire, étant plus connu que le mandant, pourra inspirer une confiance commerciale que n'inspirerait pas le mandant, ensuite, il gardera ainsi la secret de la personnalité de son mandant qui, lorsqu'il s'agit d'actes de commerce importants, peut désirer n'être pas nommé.
Bien que la commission ne soit guère usitée qu en matière commerciale, rien n'empêche de l'employer en matière civile et notre article l'y autorise ; mais il renvoie au Code de commerce pour le règlement de ses effets.
Art. 230. L'acceptation tacite du mandataire peut précéder l'exécution. Ainsi, on ne doutera pas que le mandataire ait accepté le mandat s'il a reçu d'avance le salaire, ou s'il a demandé des instructions sur l'affaire à gérer.
Quant à la dation tacite du mandat, il faudrait la reconnaître avec moins de facilité, parce qu'elle est moins naturelle et qu'elle peut être plus préjudiciable au mandant. Mais on admettra bien que le mari donne tacitement mandat à sa femme d'acheter les objets d'alimentation courante et les vêtements des enfants ; les domestiques peuvent de même avoir un mandat tacite de leur maître pour faire certaines dépenses de ménage, d'après les circonstances et l'habitude de la maison. On peut aussi, dans les autres cas et pour d'autres personnes, considérer comme mandat tacite le fait par une personne de laisser continuer un acte de gestion qu'elle a vu commencer, au sujet d'une affaire qui l'intéresse. Sans doute, les tribunaux ne devront admettre qu'avec réserve la dation tacite du mandat, mais les principes généraux le permettent (v. art. 307).
Art. 231. On a déjà annoncé que le mandat n'est pas, comme le dépôt et le prêt à usage, essentiellement gratuit, que le salaire donné ou promis au mandataire n'en change pas la nature et n'en fait pas un contrat de services. Pour justifier cette assertion par une raison déterminante, il suffit de dire que le salaire n'est pas ici une rémunération complète du service rendu, que le mandant, même après avoir donné le salaire, est encore, moralement an moins, l'obligé du mandataire; tandis que celui qui a eu recours à un contrat de services, et en a payé le prix, est libéré de toute obligation de reconnaissance.
Or, si l'on cherche le signe qui peut faire distinguer la nature des affaires susceptibles d'être l'objet d'un mandat d'avec celles qui seraient l'objet d'un contrat de services, on devra reconnaître qu'il y a mandat quand l'affaire a un caractère plutôt juridique que matériel, comme de contracter, de plaider, de négocier, et lorsqu'elle exige, en même temps, une confiance plus ou moins absolue dans l'honnêteté du gérant ; tandis qu'il y aura contrat de services, ou même d'ouvrage, dans la charge de construire ou réparer une maison ou de transporter des objets matériels, dans les services des domestiques, même des commis ou préposés, si l'emploi de ceux-ci n'est pas d'une nature délicate et confidentielle.
On discute beaucoup, en France et ailleurs, si les services rétribués de l'avocat, de l'avoué, du notaire, du professeur et du médecin, sont l'objet d'un mandat ou d'un contrat de services. Il semble qu'on soit influencé par le désir de ne pas abaisser ces professions en leur attribuant un salaire; mais les questions d'amour-propre ne doivent pas être mises à la place des questions de droit et il ne faut pas confondre la vanité donc la dignité. C'est dans la nature même de ces services qu'il faut chercher la solution.
On a déjà dit que ce qui caractérise essentiellement le mandat c'est la représentation de celui qui reçoit le service par celui qui le rend. Or, l'avocat et l'avoué représentent le plaideur, leur client, ils parlent en son nom: ce sont incontestablement des mandataires et, comme leur service n'est pas et ne peut pas être pas être gratuit, ce sont des mandataires salariés ou rétribués ; en conséquence, le mandant a le droit d'exiger d'eux plus de soin qu'il n'en doit demander à des mandataires non salariés.
Mais on ne pourrait plus dire du notaire appelé à faire un acte de sa fonction qu'il représente les personnes qui lui demandent la rédaction d'un acte ; cela est déjà évident lorsqu'il est requis simultanément par deux parties de rédiger pour elles un contrat, puisqu'ayant des intérêts opposés elles ne peuvent avoir le même représentant ; l'évidence est encore plus frappante quand le notaire rédige un acte solennel pour lequel les parties sont absolument incapables d'agir par elles-mêmes : le notaire ne parle pas dans l'acte au nom des parties, il parle au sien propre et atteste que “les parties se sont présentées devant lui, tel jour, et qu'elles y ont fait telles et telles déclarations, qu'elles y ont consenti à telle ou telle aliénation, obligation ou libération.”
Il n'est pas moins inadmissible, il serait presque ridicule de dire que le professeur des sciences, des lettres ou des arts libéraux représente quelqu'un : certes ce n'est pas son élève qu'il représente, lors même que c'est son élève qui le rétribue ; il ne représente pas davantage les parents de l'élève, quand celui-ci est mineur et quand la rétribution est payée par sa famille: s'il y avait représentation de la famile l'instruction serait censée donnée par celle-ci ; or, par cela même qu'elle donne un professeur à l'enfant, c'est qu'elle reconnaît sa propre incapacité.
Le cas est identique pour le médecin qui ne représente ni le malade, ni la famille qui l'a appelé à donner ses soins au malade.
De ce que le notaire, le professeur et le médecin ne peuvent être classés parmi les mandataires en faut-il conclure qu'ils louent leurs services ?
Nous le nions, sans la moindre hésitation : les services qu'ils rendent sont de ceux dont nous parlions plus haut, qui ne sont pas payés par la rétribution qu'on a soin de nommer honoraires; celui qui a donné la rétribution n'a pas acquitté toute sa dette : il reste tenu d'une certaine reconnaissance que le temps à peine suffit à affaiblir.
Que reste t-il donc pour expliquer ce genre de services qui ne sont ni loués, ni fournis par mandat ?
Ceux qui ont reconnu que les caractères du louage ou du mandat ne se rencontraient pas ici ont prétendu qu'il y avait contrat innommé: c'est là, en effet, comme un cadre toujours ouvert, dans la classification des contrats (v. Liv. des Biens, art. 303) et qui nous a déjà aidé à sortir de difficultés analogues. Mais cette ressource nous manque ici.
C'est une illusion de voir des obligations civiles dans les divers cas qui nous occupent et de leur chercher une cause légale: la question se retrouvera au Chapitre suivant et nous démontrerons, sous l'article 266, qu'il n'y a, en principe, pour l'avocat, le médecin, le professeur qu'une obligation morale de continuer et compléter les soins qu'il ont commencés.
Art. 232. La division du mandat en général et spécial est traditionnelle :
En théorie, on comprendrait un mandat absolument général qui permît au mandataire de faire dans l'intérêt du mandat, ou au moins dans l'intérêt du patrimoine de celui-ci, tous les actes qui paraîtraient utiles. Mais, en pratique, un pareil mandat serait dangereux : il laisserait au mandataire le pouvoir de faire des actes d'une gravité que le mandant n'aurait pas prevue et qui pourraient causer sa ruine : par exemple, aliéner les immeubles, les hypothéquer, emprunter, faire une novation, transiger ; il serait seulement interdit à un mandataire aussi général de faire des donations au nom du mandant, puisque la donation dépouillerait celui-ci sans équivalent.
La loi fait donc sagement en ne permettant pas au mandant de s'exposer à des surprises aussi graves et en limitant la portée du mandat général aux “actes d'administration,” lesquels, par leur nature, tendent à conserver le patrimoine dans son intégrité ou à l'améliorer sans le compromettre. Si le mandant veut permettre davantage, il doit le dire expressément.
La loi reconnaît deux mandats: 1° le mandat général que ne comprend que les actes d'administration ; 2° le mandat spécial qui comprend une ou plusieurs catégories d'actes plus graves que ceux d'administration, comme aliéner des immeubles, les hypothéquer, emprunter, transiger, etc. ; bien entendu, le mandat spécial peut ne comprendre qu'un ou plusieurs actes dénommés, comme aliéner ou acheter tel immeuble, emprunter ou prêter telle somme, avec ou sans indication d'une personne avec laquelle il faudra traiter.
Ces deux mandats seront, le plus souvent, exprès, parce qu'une volonté muette ne peut guère comporter de pareilles distinctions ; cependant, il pourrait y avoir mandat tacite dans les deux cas, d'abord, le mandat général ou d'administrer, par cela même qu'il est, de sa nature, utile et souvent nécessaire, pourra facilement s'induire des circonstances ; le mandat spécial, sera tacite lorsque quelqu'un aura proposé à un de ses amis étant sur le point de partir en voyage, de faire, pour lui et en son nom, certains actes urgents, indispensables ou utiles, et que celui-ci sera parti sans en charger un autre, surtout s il avait laissé à celui qui s'est offert au mandat des fonds, des titres ou d'autres objets nécessaires à l'accomplissement des actes proposés.
Art. 233. Tout mandat, quel que soit son caractère ou son étendue, comprend encore quelque chose de plus que son objet direct : il comporte des suites sous-entendues. La difficulté est de déterminer ces suites On ne pourrait pas dire que le mandat comprend toutes les suites naturelles des actes mandés, parce que ces suites peuvent être longues dans leur durée, lointaines par le temps où elles se produiront, compliquées dans leurs détails et dans les difficultés qu'elles feront naître, et elles pourraient, tout à la fois, excéder les charges et les embarras que le mandataire a consenti à accepter et, d'un autre côté, excéder la confiance que le mandant a pu mettre dans l'habileté, l'activité, la prudence ou même l'honnêteté, du mandataire.
On ne pourrait pas non plus ne mettre à la charge du mandataire aucune des suites de l'affaire : il y a peu d'affaires qui s'accomplissent en un seul moment, et si le mandataire n'avait ni le devoir, ni le droit de faire plus que ce qui forme l'objet direct du mandat exprès ou tacite, le résultat que le mandant s'est proposé ne serait pas atteint.
On a adopté une limite qui répondra au double besoin de ne permettre ni trop, ni trop peu : le mandataire devra pourvoir ‘‘aux suites n é c e ssa i r es de l'acte” dont il est chargé.
Ainsi, s'il s'agit d'actes d'administration et que le mandataire commande des réparations, il pourra et devra les vérifier, les contrôler et même les payer; si l'entrepreneur refuse de faire crédit, s'il fait un bail, il devra et pourra recevoir les loyers aux époques fixées pour le payement périodique, parce qu'un bon administrateur ne laisse pas les loyers s'accumuler.
Supposons un mandat spécial d'acheter un immeuble, le mandataire ne devra pas se borner à signer le contrat, il devra encore accomplir les formalités de la publicité des mutations.
Mais devra-t-il aussi prendre livraison de l'immeuble, si l'époque de la livraison est immédiate ou très rapprochée ?
De même s'il était chargé de vendre, dirons-nous qu'il a le pouvoir de livrer ?
Ici, il faut d'abord résoudre la question de savoir s'il a mandat de payer le prix de vente, au premier cas, et de le recevoir au second cas ; en effet, si le mandataire vendeur livrait l'immeuble sans recevoir le prix de vente, il compromettrait les droits et garanties du vendeur, et un mandataire-acheteur ne pourrait pas prétendre se faire livrer l'immeuble sans payer le prix. Le texte prend soin de nous dire que ce ne sont pas là des suites nécessaires du mandat: un mandataire qui stipule “un capital” n'a pas qualité pour le recevoir ; celui qui promet un capital n'a pas qualité pour le payer: il ne peut payer ou recevoir que les intérêts. Dès lors, la livraison qui est subordonnée au payement du prix de vente ne rentre ni dans les droits ni dans les devoirs du mandataire acheteur on vendeur.
Le mandataire que serait chargé d'obtenir une hypothèque devrait prendre l'inscription, parce que, sans cette formalité qui révèle l'hypothèque aux tiers, celle-ci ne serait pas opposable aux autres créanciers ni à celui qui acquerrait l'immeuble; mais ce mandataire ne serait pas chargé de veiller à ce que le mandant soit colloqué à son rang d'hypothèque, sur le prix de vente de l'immeuble, si ledit immeuble était vendu à l'amiable par le débiteur ou vendu aux enchères sur saisie : la collocation est une opération difficile pour laquelle le mandataire pourrait n'avoir pas les doouments nécessaires ; encore moins, le mandataire pourrait-il toucher le montant du capital garanti par l'hypothèque : il y aurait là un risque de perte que le mandant peut n'avoir pas voulu courir.
Les divers mandats qu'on a pris jusqu'ici pour exemples sont des mandats pour gérer, contracter ou négocier. Il y a aussi le mandat pour plaider. Le mandataire pour plaider peut être chargé d'intenter un procès comme demandeur, ou d'y répondre comme défendeur ; il peut aussi être chargé d'intervenir dans un procès déjà entamé entre des tiers, pour y soutenir, incidemment, les droits de son mandant, en demandant ou en défendant.
On peut trouver ici des suites immédiates et nécessaires du mandat et des suites éloignées plus ou moins accidentelles. Le mandataire devra pourvoir aux premières et non aux autres.
Ainsi, le mandataire-demandeur devra défendre aux exceptions ou fins de non-recevoir élevés contre sa demande, et aussi défendre aux demandes reconventionnelles ou en compensation du défendeur ; s'il a triomphé en première instance, il devra signifier le jugement pour faire courir les délais d'opposition ou d'appel, et si le jugement est attaqué dans les délais légaux par celui qui a perdu, il devra contester et plaider sur ce recours auquel il sera alors défendeur.
Le mandataire-défendeur aura les obligations inverses au sujet des moyens : il devra opposer les exceptions ou fins de non-recevoir, former et soutenir les demandes reconventionnelles ou en compensation dont il aura les titres et justifications; s'il triomphe, il signifiera le jugement pour faire courir les délais de recours.
Supposons maintenant que le mandataire, demandeur ou défendeur, a succombé et que le jugement lui a été
418 DE L'ACQUISITION DES BIENS. — CHAP. XI signifié, devra-t-il interjeter appel dans le délai et suivre sur ce recours comme demandeur en appel ?
L'appel entraînant de nouveaux frais. le mandataire fera segement, si les circonstances lui permettent de communiquer en temps utile avec le mandant, de se faire autoriser par lui à appeler; si, au contraire, cette communication est impossible, il devra prendre le conseil d'une personne expérimentée en ces matières, comme d'un avocat, et agir au mieux dans l'intérêt du mandant.
Quant au pourvoi en cassation, c'est un recours extraordinaire qui suppose une violation de la. loi, le mandataire ne devra donc pas, en principe, le considérer comme une suite nécessaire de son mandat; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la violation de la loi fût manifeste, ce qui sera rare.
Le texte s'explique sur deux facultés qui n'appartiennent pas au mandataire chargé de plaider: s'il est demandeur, il ne pourra pas se désister de l'action, lors même que les moyens de défense à lui opposés lui paraîtraient irréfutables; sans doute, le désistement arrêterait les frais et même préviendrait une demande possible de dommages-intérêts; mais le mandataire pourrait se tromper sur la valeur des moyens du défendeur, et son désistement pourrait être téméraire ; en effet, le mandant a voulu que son droit fût jugé par les tribunaux et non par son mandataire. De même, le mandataire-défendeur ne devrait pas acquiescer à la demande, si bien fondée qu'elle lui parût. Tl ne pourrait non plus transiger. Ces trois actes, désistement, acquiescement, transaction demanderaient un pouvoir spécial.
La loi nous dit encore que le mandat de transiger ne contient pas celui de soumettre le différend à des arbitres, de faire un compromis. En effet, la transaction a été confiée au mandataire à raison, soit de la prudence et de la modération, soit de la fermeté que le mandant lui connaissait : elle suppose une confiance entière dans le mandataire ; or, ce ne serait pas répondre aux intentions du mandant que de transporter à d'autres personnes la décision du litige; ce serait aussi exposer le mandant à des frais plus ou moins considérables, car les arbitres sont rétribués plus qu'un mandataire ordinaire.
Dans le même cas où le mandataire aurait pouvoir de transiger, il ne pourrait soumettre le différend aux tribunaux ordinaires, à cause des frais et des lenteurs inséparables d'un procès.
Le texte se prononce de la même manière sur le cas inverse: le mandataire qui serait chargé de choisir des arbitres ne pourrait pas, sous prétexte que la contestation est légère, la terminer lui-même par une transaction, en faisant quelques sacrifices des droits de son mandant; il ne pourrait non plus la soumettre aux juges ordinaires, pour la raison donnée plus haut.
Ces diverses solutions de la loi ne sont que des applications du principe posé en tête de l'article ; elles serviront d'exemples aux tribunaux pour les autres cas.
Les restrictions qu'on vient d'indiquer aux pouvoirs du mandataire nous obligent à revenir sur le mandat général.
Sans doute, sa généralité est elle-même limitée, puisqu'elle ne comprend que “les actes d'administration;” mais ces actes mêmes sont très-étendus et il ne faut pas les borner à la conservation du patrimoine, quoique ce soit une définition usitée.
Ainsi, un mandataire général peut et doit encore :
1° Acquitter les dettes exigibles du mandant.
Assurément, on ne lui refuserait pas le pouvoir de réclamer le payement des débiteurs de celui-ci : ce serait évidemment conserver son patrimoine. L'acquittement de ses obligations n'est pas moins utile, car, si les dettes ne sont pas payées, les intérêts s'accumuleront sans utilité et de coûteuses poursuites pourront s'en suivre.
Mais ce droit de payer les dettes du mandant ne comporte pas celui de donner en payement autre chose que ce qui est dû (dation en payement), ni de faire novation, en contractant une nouvelle obligation au lieu et place de la première, à moins, dans les deux cas, que l'affaire ne présente si peu d'importance qu'on puisse la considérer comme une mesure d'administration.
Le pouvoir de payer les dettes du mandant ne s'entend que de ses dettes civiles, non de ses dettes naturelles, lesquelles, ne pouvant donner lieu à des poursuites, sont laissées à la conscience du débiteur lui-même (v. Liv. des Biens, art. 562 et suiv).
Si une dette paraît contestable au mandataire, il peut se laisser poursuivre et alors il a le pouvoir de défendre aux actions intentées de ce chef contre le mandant ; il peut aussi exercer tous les recours auxquels les jugements lui paraîtraient devoir donner lieu, soit pour le fait (appel), soit pour le droit (pourvoi en cassation): Ceci n'est pas contraire aux limites que nous avons admises plus haut pour le mandat spécial de plaider. nous sommes ici en présence d'un mandat général.
2° Exercer les actions personnelles ou réelles mobilières du mandant: par exemple, poursuivre les débiteurs de sommes d'argent et d'autres valeurs mobilières et revendiquer les objets mobiliers lui appartenant, lorsque la prescription instantanée n'est pas opposable.
Le mandataire général ne peut exercer les actions immobilières, à cause de leur grande importance ; ce pourrait d'ailleurs être un moyen indirect de priver le mandant d'un immeuble, en plaidant maladroitement, et. la disposition des immeubles n'est permise au mandataire qu'en vertu d'un mandat spécial. Au contraire, le mandataire général peut défendreà une action immobilière, parce que ce serait souvent le seul moyen de conserver l'immeuble au mandant, surtout s'il était trop éloigné pour donner des ordres.
Le mandataire peut aussi faire commandement d'exécuter les jugements et pratiquer des saisies mobilières ; mais il devrait s'abstenir des saisies immobilières qui sont longues, coûteuses, et peuvent, en cas d'irrégularités, entraîner des dommages intérêts plus ou moins considérables.
3° Contracter des obligations pour le mandant, dans le but de faciliter l'administration des biens, c'est-à-dire leur conservation et leur amélioration.
Dans ces contrats rentrent les baux qui obligent le mandant, mais lui assurent un revenu de ses biens. Si le mandataire, au lieu de donner les biens à bail, les exploitait lui-même, en culture ou autrement, il faudrait encore lui permettre de contracter des engagements, à ce sujet, avec des ouvriers ou des fournisseurs d'instruments aratoires, de semences, d'engrais, etc.
4° Aliéner les choses mobilières sujettes à dépérissement ou dont la conservation serait difficile ou trop coûteuse.
5° Exercer les actions possessoires immobilières et interrompre la prescription des immeubles, par tous autres moyens que l'action en revendication.
Quand le mandataire est disposé à excéder ses pouvoirs, il en sera souvent empêché par le tiers vis-à-vis duquel il prétendrait faire un acte qui ne lui est pas permis; ainsi, si un mandataire général voulait exercer une action immobilière eu revendication, le défendeur lui opposerait certainement son défaut de qualité pour une telle action. De même si un mandataire spécial chargé de vendre prétendait exiger le prix de vente, l'acheteur s'y refuserait ; mais si le tiers ignorait lui-même les limites légales du mandat et, dans le premier cas, avait laissé juger le procès et, dans le second cas, avait payé, ce qui se serait fait contrairement à la loi ne serait pas opposable au mandant, lorsqu'il aurait intérêt à le désavouer ; mais il pourrait le ratifier, sauf son recours en dommages-intérêts contre le mandataire, comme il sera expliqué plus loin.
Il y aura d'ailleurs à distinguer sur ce point si le mandant ne peut pas s'imputer aussi quelques négligences dans la détermination des pouvoirs du mandataire, lesquels pourraient se prêter à une plus grande extension que ne l'entendait le mandant.
Art. 234. On aurait pu croire que le mandat ne pourrait être donné qu'à des personnes pleinement capables de faire pour elles-mêmes les actes dont on vomirait les charger, et il semblerait, au premier abord, que celui qui ne peut faire pour lui-même tel ou tel acte juridique, par exemple un mineur, fût encore moins capable de le faire pour autrui ; mais il y aurait là une illusion. Le mandant est juge de l'aptitude de celui qu'il charge de ses intérêts ; il est possible d'ailleurs que la facilité de l'affaire permette à un mineur intelligent de s'en acquitter aussi bien qu'un majeur; on peut d'ailleurs, en lui donnant des instructions plus détaillées, suppléer à l'inexpérience de son âge et le mettre en parfait état d'accomplir le mandat.
La condition de l'émancipation n'est même pas nécessaire : le mandataire ne s'obligeant pas envers les tiers (à la différence du commissionnaire), il importe peu qu'il soit capable ou non de s'obliger en son propre nom ; d'ailleurs le principe général que les incapables ne peuvent s'obliger valablement est sauvegardé en ce sens que, si le mandataire a commis des fautes dans sa gestion, le mandant n'aura action contre lui que d'après le droit commun, c'est-à-dire dans la mesure de son enrichissement ou. du dommage causé par son dol (Liv. des Siens, art. 552, 2e al.).
Art. 235. On place dans les règles générales sur la nature du mandat ce qui concerne le pouvoir du mandataire de se substituer quelqu'un et les limites qui peuvent être assignées à ce pouvoir.
1er al. Notre texte reconnaît formellement au mandataire le droit de se substituer quelqu'un, sauf exceptions ; en effet, il est naturel que la confiance du mandant dans l'aptitude et dans l'honnêteté du mandataire s'applique autant au choix que celui-ci pourrait faire d'un substitué qu'à sa gestion personnelle. Il arrivera souvent d'ailleurs que le mandataire ne pourra suffire lui-même à tous les actes de la gestion : notamment, s'il s'agit d'un mandat général d'administrer, de la gestion d'un fonds de commerce, ou d'un procès à suivre, comme demandeur ou défendeur.
La prohibition de se substituer quelqu'un peut être expresse ou tacite: elle est tacite, quand l'affaire à gérer est d'une nature délicate, pour laquelle les talents, le caractère, la qualité du mandataire, ont été pris en considération déterminante par le mandant dans le choix qu'il a fait, comme pour une transaction destinée à mettre fin à un procès, une vente on une acquisition importante.
Dans le cas où la substitution n'est pas interdite, la responsabilité du mandataire à l'égard de son substitué n'est ni moindre ni plus lourde que celle qu il encourt à l'égard de sa propre gestion ; en effet, le substitué représente à son tour le substituant, et ses négligences sont imputables à celui qui 1 a choisi et 1 a mis en son lieu imputables à celui qui l'a choisi et 1 a mis en son lieu et place.
2' al. Quelquefois, le mandant, sans interdire la substitution, la limite à une ou plusieurs personnes déterminées ; le mandataire doit évidemment se conformer à cette désignation, s'il a besoin de recourir à un substitué. Dans ce cas, on serait porté à croire que le mandataire n'encourt aucune responsabilité de la gestion du substitué, puisqu'il n'a pas eu la liberté du choix ; mais ce serait une erreur contre laquelle le texte a soin de nous mettre en garde : le mandataire originaire reste toujours tenu de surveiller la gestion du substitué et s'il découvrait qu'il est incapable ou infidèle, il devrait en informer le mandant sans délai ou, en cas d'urgence, révoquer lui-même le substitué, car c'est toujours lui qui l'a nommé et de même qu'il pouvait ne pas recourir à la substitution, il peut la faire cesser quand elle est dangereuse.
3e al. La loi devait enfin prévoir le cas où le mandataire aurait fait une substitution dans un cas où elle lui était interdite, ou, ce qui est aussi irrégulier, aurait fait un choix autre que celui qui lui était désigné. Il va sans dire que si le mandant n'éprouvait aucun dommage de cette faute du mandataire, celui-ci resterait impuni, et que si, au contraire, le substitué avait commis des fautes dommageables au mandat, le mandataire en serait responsable comme de ses propres fautes, puisqu'il le serait de même, si la substitution n'avait été ni interdite ni limitée ; mais la juste rigueur de la loi apparaît, s'il résulte de la substitution des dommages causés par cas fortuit ou par force majeure et qui ne se seraient pas produits si le mandataire avait conservé la gestion : le mandataire en est responsable, car c'est sa faute qui a donné occasion au cas fortuit ou à la force majeure ; le cas ne diffère pas, au fond, de la responsabilité des cas fortuits ou de la force majeure qui pèse sur tout débiteur constitué en demeure.
Art. 236. On a parlé longuement sous l'article 339 des Biens, de l'action indirecte ou oblique, forniant l'opposé de l'action directe. Celui qui exerce l'action indirecte est un créancier qui fait valoir un des droits de son débiteur, en prenant, pour ainsi dire, son lieu et place ; mais, comme il est rarement seul à prétendre exercer ainsi l'action de son débiteur, il doit subir, à cet égard, le concours des antres créanciers de celui-ci ou leur communiquer, quand ils se sont fait connaître en temps utile et par les voies légales, le profit de l'action qu'il a exercée seul.
Si, dans un cas analogue, un créancier peut exercer, directement et comme lui appartenant, l'action née d'un acte de son débiteur, il évite ce concours et il a seul le profit de ladite action.
Dans les cas qui nous occupent, le mandataire, en se substituant une autre personne, pourrait être considéré comme ayant acquis personnellement l'action de mandat contre le substitué et le mandant ne devrait alors pouvoir exercer que l'action indirecte; on pourrait surtout le soutenir quand la substitution était interdite ou avait été soumise à une limite qui n'a pas été observée.
Le premier de nos deux alinéas donne cependant au mandant originaire l'action directe contre le substitué ; mais le deuxième alinéa ne lui permet de l'exercer qu'en renonçant à critiquer la substitution.
Il n'y a là, en somme, que l'application des principes généraux de la matière :
1° Dans les cas où la substitution est régulière, le mandataire, en se substituant un tiers, a agi pour le mandant et au nom de celui-ci : il n'a donc pas acquis pour lui-même l'action de mandat contre le substitué : il l'a acquise au mandant et, réciproquement, c'est le mandant qui est obligé envers le substitué, si celui-ci devient créancier d'une indemnité.
2° Dans les cas où la substitution est irrégulière, parce qu'elle était tout-à-fait interdite, ou parce que le choix limité n'a pas été observé, on ne peut plus dire que le mandataire a représenté le mandant et lui a acquis l'action contre le substitué : il est lui-même mandant vis-à-vis du substitué, il a action contre lui et, réciproquement, il est tenu personnellement envers lui ; le mandant originaire ne peut donc, d'après les principes, exercer que l'action indirecte.
Mais comme le mandant peut toujours ratifier ce que le mandataire a fait au-delà de ses pouvoirs (ainsi qu'on le verra à la Section III), il le pourra ici également, et en exerçant l'action directe contre le substitué, il sera considéré comme ratifiant le choix qui a été fait de celui-ci.
On pourrait voir la même ratification dans le fait par le mandant de subir sans protestation l'action directe du substitué et même d'y défendre an fond, sans opposer d'abord le défaut de qualité du demandeur.
SECTION II DES OBLIGATIONS DU MANDATAIRE.
Art. 237. La première obligation du mandataire, dans l'ordre du temps, et aussi la première dans l'ordre de l'importance, c'est l'accomplissement du mandat, car c'est là l'objet principal du contrat ; ses autres obligations sont relatives à la manière d'accomplir le mandat et à la reddition de compte qui termine les rapports de droit nés du contrat.
La loi déclare que cette obligation d'accomplir le mandat “dure tant q'il n'a pas pris fin”. Du reste, il ne faudrait pas prendre à la lettre le terme qui aurait été assigné à la durée de l'obligation du mandataire : elle peut cesser avant la fin du temps assigné au mandat et aussi se prolonger au-delà.
Ainsi si le moment favorable à l'exécution du mandat est passé, soit par la négligence du mandataire, soit même parce qu'il n'a pu en trouver l'occasion, il n'a plus ni le droit ni le devoir d'exécuter : autrement, ce serait nuire au mandant, au lieu de le servir. En sens inverse, lorsque le mandat a pris fin par la mort du mandataire ou par celle du mandant, l'exécution commencée doit, s'il y a urgence, être continuée par l'héritier du premier ou en faveur de l'héritier du second, ainsi qu'on le dira à la Section IV.
L'exécution doit avoir lieu “suivant la forme et teneur du mandat” : en principe, le mandataire ne doit faire ni plus ni moins que ce dont il est chargé ; cependant, le texte nous dit qu'il faut tenir compte aussi de “l'intention non exprimée du mandant,” parce que quelquefois les termes du mandat excéderont sa pensée, ou ne l'atteindront pas entièrement, ou la rendront inexactement ; mais il faut que cette intention du mandant soit connue du mandataire.
Rappelons aussi, à ce sujet, que le mandat général ne comprend que les actes d'administration et que le mandat spécial comporte des suites nécessaires non exprimées (art. 232 et 233).
On aurait pu douter si le mandataire qui ne pourrait, en fait, exécuter le mandat en entier, soit par suite de sa faute, soit autrement, devrait l'exécuter au moins dans la partie possible, ou s'il devrait s'abstenir d'une exécution partielle ; la solution ne devrait pas être absolue : la loi veut que le mandataire n'exécute pour partie que si cela est utile au mandant, auquel cas l'exécution partielle est aussi obligatoire pour le mandataire ; dans le cas contraire, il n'aura ni le devoir ni le droit d'exécuter pour partie.
Ainsi, le mandataire avait été chargé d'acquérir en entier un terrain qui était à vendre en totalité ou par lots : il est arrivé qu'un ou plusieurs lots ont été vendus à des tiers, soit parce que le mandat a été donné trop tard, soit parce que le mandataire a tardé à l'exécuter ; le mandataire ne devra pas acheter ce qui reste à vendre, parce que, vraisemblablement, le mandant qui avait voulu acquérir le tout, ne trouverait pas un emploi utile de ce qui reste ; au contraire, s'il s'agissait de l'achat d'une cargaison arrivant sur un navire étranger, ou d'une quantité de riz ou d'autres denrées mise en vente, lors même que le mandataire ne peut plus acquérir le tout, il est encore utile d'acquérir ce qui reste disponible.
L'utilité d'une acquisition partielle pour le mandant pouvant n'êtrè pas évidente, le mandataire devra agir, en cela comme toujours, “en bon administrateur,” et si c'est déjà par sa faute que l'exécution totale n'a pu avoir lien, il devra tâcher de ne pas commettre une nouvelle faute en exécutant inutilement une partie ou en omettant une exécution partielle qui eût été utile.
Art. 238. Le texte prévoit ici un cas particulier de mandat qui n'a pu, sans la faute du mandataire, être exécuté suivant sa teneur.
Si l'on a accordé à cette hypothèse une mention spéciale c'est qu'elle a de tout temps divisé les jurisconsultes, depuis les Romains jusqu'à nos jours, et dès lors, il était bon que la loi tranchât la difficulté pour qu'elle ne donnât pas lieu aux mêmes incertitudes au Japon.
Nous supposerons que le mandataire avait été chargé d'acheter un immeuble pour le prix maximum de 1000 yens ; cela lui a été impossible : soit que la vente eût lieu aux enchères, soit qu'elle eût lieu à l'amiable, l'immeuble n'a pu être acquis qu'avec un 10' en sus, soit pour 1100 yens.
Deux points d'abord ne sont pas douteux : 1° le mandant ne peut exiger que l'immeuble lui soit livré, en payant seulement 1000 yens : le mandat n'a pu être exécuté à ce prix ; 2° le mandataire ne peut contraindre le mandant à prendre l'immeuble à 1100 yens : il a excédé les limites du mandat.
Mais plusieurs questions se posent encore :
1° Le mandataire peut-il, préférant perdre 100 yens, forcer le mandant à prendre la chose pour le prix fixé par celui-ci ( 1000 yens) ?
2° Le mandant peut-il forcer le mandataire à livrer la chose, en payant à celui-ci le prix qu'il y a mis (1100 yens) ?
La première question a généralement été résolue affirmativement : on a dît que le mandant ne peut se refuser à prendre la chose pour le prix qu'il a fixé ; il ne lui importe pas, dit-on, que le mandataire l'ait payée davantage : si celui ci consent à sacrifier l'excédant de prix qu'il a payé au-delà du mandat, les choses semblent se passer comme s'il avait exécuté le mandat à la lettre.
Mais cette solution a toujours eu des adversaires et aujourd hui encore de très-bons auteurs y font une sérieuse objection ; on conteste qu'elle soit équitable, parce que, dit-on, le mandataire a un avantage que n'a pas le mandant : si l'opération est mauvaise, même au prix fixé dans le mandat, le mandataire la rejettera sur le mandant ; si elle est bonne, même au prix qu'il a réellement payé, il la gardera pour lui, en soutenant que, du moment qu'il n'a pu traiter au prix fixé, il a traité pour lui-même.
L'objection présuppose évidemment que, dans les deux opinions, on considère que le mandant n'a pas le droit de réclamer la chose pour le prix qu'elle a réellement coûté ; or, c'est là l'objet de notre 2e question posée plus haut. Il semble qu'avant de la trancher dans le sens de la négative, on n'en ait pas fait un examen suffisant.
Nous croyons, au contraire, que le mandant peut ratifier l'exécution qui a dépassé les limites de son man dat : le mandataire ne peut s'y refuser, en disant qu'il a acheté pour lui-même, car il est interdit au mandataire de faire pour lui-même l'acte qu'il s'est chargé de faire pour autrui (v. art. 37) ; il aurait dû, en acceptant le mandat, réserver son droit, pour le cas où le prix du mandant serait dépassé, ou, au moment d'acheter, signifier au mandant qu'il ne pouvait traiter aux conditions à lui imposées et qu'il se considérait dès lors comme délié du mandat ; mais s'il ne l'a pas fait, sa qualité de mandataire subsiste et le mandant peut le contraindre à lui transmettre la chose, lors même que l'opération n'aurait pas été faite en son nom: le mandataire sera considéré comme gerant d'affaires.
Mais, comme c'est là pour le mandant une simple faculté qu'il peut exercer ou non, à son gré, il ne faut pas que le mandataire reste exposé à une trop longue incertitude, et il lui est nécessairement permis de requérir le mandant d'avoir à se prononcer sur le parti qu'il veut prendre.
Le 2e alinéa prévoit le cas d'un mandat de vendre, avec fixation d'un prix minimum, et où le mandataire aurait vendu au-dessous de ce prix; il n'est pas douteux que le mandataire puisse faire approuver, ratifier cette vente par le mandant, en le désintéressant, c'est-à-dire en fournissant de ses propres deniers la somme qui manque au prix fixé.
Il va sans dire que si le mandataire a vendu pour un prix plus élevé que le prix fixé, il doit le verser au vendeur : il n'a aucun droit à faire un bénéfice au sujet de la chose du vendeur (v. art. 24) ; de même que, quand il a été chargé d'acheter et qu'il a pu obtenir la chose au-dessous du prix fixé, il ne peut faire payer au mandant plus qu'il n'a effectivement payé lui-même.
Art. 239. Bien que le mandataire rende un service, ce n'est pas une raison pour qu'il soit dispensé d'apporter à l'accomplissement du mandat tous les soins d'un bon administrateur : il ne lui suffirait pas d'apporter à la gestion les mêmes soins que ceux qu'il apporte ordinairement à ses propres affaires, comme y est autorisé le dépositaire.
Lorsqu'il s'agit d'un dépôt qui ne demande au dépositaire qu'une certaine surveillance, le déposant peut se rendre compte aisément de l'aptitude du dépositaire à donner à la chose les soins nécessaires et il ne peut sans témérité en attendre plus de diligence pour la chose déposée que celui-ci n'en apporte aux choses qui lui appartiennent. Mais la gestion d'un mandat présentant souvent des difficultés imprévues et n'ayant pas une similitude nécessaire avec la gestion des propres affaires du mandataire, on ne peut raisonnablement dire que le mandant a basé sa confiance sur les seules habitudes du mandataire ; il a même dît croire à celui-ci une aptitude suffisante pour une gestion qu'il a librement acceptée. D'ailleurs, l'obligation d'apporter à la chose d'autrui les soins d'un bon administrateur est un principe général qui régit tous ceux qui ont des comptes à rendre à ce sujet (v. Liv. des Biens, art. 331), on n'y doit donc déroger que pour des causes particulières qui ne se rencontrent pas ici.
La loi, toutefois, permet aux tribunaux d'apporter plus ou moins de rigueur dans l'application du principe, suivant des circonstances qu'elle détermine, au nombre de quatre :
1e Si le mandataire ne reçoit pas de salaire, on doit être moins exigeant que s'il en reçoit un ; ce n'est pas à dire que le mandataire salarié cesse de rendre un bon office et loue ses services : on a établi en commençant que le salaire du mandataire a plutôt un caractère d'indemnité de ses peines et soins que celui d'un profit ; mais on peut dire que le bon office a moins de mérite lorsqu'il est accompagné d'une indemnité et que dès lors les soins doivent être plus exacts ;
2° Si le mandataire a consenti à se charger du mandat qu'on l'a prié d'accepter, il doit être traité moins rigoureusement que si c'est lui-même qui, dans un zèle exagéré, s'est offert à la remplir ;
3° Quand le mandataire est inhabile, soit en général soit pour le genre d'affaire qu'on lui a confié, il se peut que le mandant ait connu ou soupçonné cette inhabileté, et alors il doit s'imputer en partie les fâcheuses conséquences de sa confiance ;
4° Enfin, si le mandataire qui, par sa faute, a causé un dommage au mandant, dans une partie de l'exécution du mandat, lui a, dans une autre partie, procuré des avantages inespérés, il est juste d'établir, à cet égard, une certaine compensation. La loi l'a refusée à l'associé gérant qui a, tour à tour, causé des pertes et procuré des profits à la société (voy. art. 131), mais il y avait pour cela des raisons particulières qui ont été indiquées en leur lieu.
La loi ne distingue pas si ces diverses circonstances, favorables ou défavorables au mandataire, se trouvent réunies ou non en sa personne. Ainsi, il pourrait n'être pas sa larié (n° I), s'être offert, au mandat (n° 2), ou l'inverse ; de même, il pourrait être inhabile, à l'insû du mandant (n° 3), mais avoir réussi au-delà des prévisions du mandant, quelques parties de la gestion (n° 4) ; enfin, toutes les circonstances pourraient lui être favorables on toutes défavorables : les tribunaux décideraient l'étendue de sa responsabilité, d'après le principe de notre article et ses tempéraments.
Art. 240. L'obligation de rendre compte du mandat est générale et c'est à peine si l'on doit admettre comme exception le cas où le mandataire aurait été dispensé parle mandant de rendre compte, ce qui serait tout-à-fait contraire à la nature du contrat et pourrait être considéré comme une donation déguisée. Dans tous les cas, la dispense de rendre compte n'affranchirait pas le mandataire de l'obligation de faire la restitution des valeurs dont le mandant prouverait qu'il est reliquataire.
La dispense d'appuyer le compte des pièces justificatives, comme l'exige notre article, serait plus plausible, parce qu'elle épargnerait au mandataire des soins minutieux postérieurs à la gestion et lui témoignerait une honorable confiance. Ainsi, lorsqu'on donne mandat à un parent ou à un ami, absolument sûr, de vendre ou d'acheter, de payer ou de recevoir, il serait absurde de le dispenser de rendre compte, ce serait aussi absurde que de le dispenser d'accomplir le mandat qu'on lui donne ; le mandataire devra donc présenter un compte des recettes et des dépenses ; mais on a pu le dispenser de fournir des quittances des sommes payées, ou des preuves des ventes ou achats effectués.
L'obligation de rendre compte ne commence, en général, qu'au moment où le mandat prend fin par l'une des causes qu'on verra plus loin ; mais elle peut aussi naître sur la seule réquisition du mandant qui doit toujours pouvoir demander où en sont ses affaires, ce qui a été fait et ce qui reste encore à faire.
Art. 241. La reddition de compte du mandataire établit ce dont il est débiteur ou créancier du mandant ; elle peut constater aussi qu'il est détenteur d'objets, sommes ou valeurs appartenant à celui-ci. Cependant, ce ne serait pas là le seul moyen d'établir la situation respective des parties : le mandataire, notamment, n'y aura pas porté l'évaluation des fautes qu'il a pu commettre.
Notre premier alinéa veut que le mandataire restitue toutes les sommes ou valeurs, les choses de quantité ou les corps certains qu'il a reçus pour le compte du mandant, c'est-à-dire au nom et comme représentant de celui-ci, et aussi en son propre nom, comme commissionniare, mais en vertu de sa gestion.
La loi ajoute (et c'est là le seul point qui pouvait faire doute) qu'il en serait de même si le mandataire avait ainsi reçu des sommes ou valeurs qui n'étaient pas dues au mandant ou qu'il n'avait pas été autorisé à recevoir : nous y ajoutons, à notre tour, comme sous-entendu, qu'il en serait encore de même pour la réception de choses dont le mandant n'était jusques-là ni créancier, ni propriétaire, ni possesseur : il deviendrait possesseur par le mandataire, dès que celui-ci aurait ainsi pris possession en son nom ou pour son compte.
La raison pour laquelle le mandataire doit restituer toutes ces valeurs c'est qu'il ne les a pas reçues et n'a pas pu les recevoir pour son propre compte : il les a reçues pour le compte du mandant, il en a fait acquérir la possession à celui-ci, et, s'il y a plus tard quelque réclamation des tiers, c'est contre le mandant qu'elle sera faite.
De même et à plus forte raison, si le mandataire a excédé ses pouvoirs en recevant des sommes ou valeurs, cette fois dues au mandant ou lui appartenant, mais qu'il n'avait pas été chargé de recevoir, il doit les restituer à celui-ci : il le devrait, même en l'absence de tout mandat, d'après les principes généraux de l'enrichissement indû ou sans cause.
Le 2e alinéa déchue encore le mandataire responsable des sommes ou valeurs qu'il n'a pas perçues mais qu'il aurait dû percevoir en vertu de son mandat ; ici, c'est la réparation d'une faute commise ; de même, si des valeurs reçues ont été perdues par sa faute : il n'en n'est pas libéré La loi rappelle à ce sujet les autres chefs de dommages-intérêts pour toute espèce de faute dans la gestion ou par défaut de gestion.
La Section suivante indiquera diverses obligations du mandant envers le mandataire ; elles entrent naturellement, par voie de compensation, en déduction de ce que doit le mandataire au mandant.
Art. 242. Lorsque le mandataire a reçu des sommes d'argent pour le compte du mandant, il est considéré comme les ayant en dépôt, au moins en dépôt “irrégulier” ; il ne doit donc pas employer ces sommes à son profit, et s'il l'a fait, il est naturel qu'il en doive les intérêts, lors même que sa solvabilité exclut le soupçon d'abus de confiance. Sans doute, en règle générale, les intérêts des sommes d'argent ne sont dues qu'en vertu d'une convention ; mais quand il y a faute dans l'emploi de l'argent d'autrui, la loi supplée à la convention et fait courir les intérêts de plein droit et sans demande, depuis l'emploi (v. Liv. des Biens, art. 384).
La preuve de l'emploi et de la date de cet emploi incombe au mandant, comme demandeur.
En principe, les intérêts dus à raison de cet emploi non autorisé des capitaux du mandant sont les intérêts légaux ; mais, par exception et comme on en a déjà rencontré des cas, notamment en matière de société (art. 135) et de dépôt (art. 214), il pourra être alloué au mandant de plus amples dommages-intérêts, s'il prouve que l'emploi illégitime de ses capitaux lui a porté un préjudice plus considérable que la perte des intérêts ordinaires.
Lorsque le compte de gestion se solde par un reliquat, car un reste, à la charge du mandataire, sans que celui-ci ait fait usage pour lui-même des sommes dues, les intérêts ne sont plus dus qu'à raison du retard, c'est-à-dire à partir d'une mise en demeure, conformément au droit commun.
Art. 243. La solidalité entre plusieurs débiteurs ne se présume pas : elle doit être stipulée par le créancier ou établie par la loi ; on a déjà rencontré des cas de solidarité légale.
On aurait pu croire que la loi devait l'établir ici, entre les co-mandataires, comme elle l'a déjà fait entre les co-emprunteurs à usage (v. art. 202) ; mais les deux cas ne sont pas semblables : dans le prêt à usage les co-emprunteurs reçoivent un service, tandis que, dans le mandat, ils le rendent.
La loi pose le principe qu'il n'y a pas solidarité entre les co-mandataires, sans distinguer s'ils ont été constitués par un seul et même acte ou par des actes séparés. Ce n'est pas à dire pourtant que la séparation des actes soit indifférente : lorsque la constitution des divers mandataires est distincte et séparée, chacun est tenu de la gestion entière et responsable de son défaut de gestion, comme s'il était seul. Ce n'est cependant pas la solidarité proprement dite : il n'y a pas entre les co-mandataires ce lien étroit sur lequel on insistera au Livre des Garanties, et d'après lequel les doursuites faites contre un seul des débiteurs sont considérées comme faites contre tous, interrompent la prescription contre tous, font courir les intérêts contre tous Cette situation qui ressemble à la solidarité, sans l'être tout-à-fait, a reçu dans la doctrine le nom de “solidarité imparfaite” ou d'obligation in solidum. C'est encore au Livre des Garanties qu'on l'étudiera, comme sûreté ou garantie des créances, sous le nom d'obligation intégrale (v. Liv. des Garanties, art. 73).
On verra à la Section suivante que s'il y a plusieurs mandants, ils sont, au contraire, en règle générale, tenus solidairement envers le mandataire.
Mais la loi réserve deux cas où il y aura solidarité parfaite entre les mandataires : I° celui où elle est stipulée, 2° celui où les fautes sont concertées : elles constituent alors un délit civil de plusieurs et c'est un principe général que “si plusieurs ont causé injustement un dommage, ils en doivent solidairement la réparation” (v. Liv. des Biens, art. 378).
Art. 244. La loi termine ce qui concerne les obligations du mandataire en réglant ses rapports vis-à-vis des tiers avec lesquels il a traité.
Une distinction naturelle est à faire : s'il a agi conformément à son mandat, dans les limites qui lui avaient été assignées, et s'il s'est présenté aux tiers comme mandataire et non comme commissionnaire, c'est-à-dire s'il a traité au nom du mandat et non an sien propre, il n'est pas responsable envers les tiers de ce qu'il a fait, ni garant de l'exécution de ce qu'il a promis : ainsi, chargé d'acheter, il a donné connaissance de ses pouvoirs au tiers vendeur, il n'est ni débiteur, ni responsable du prix ; chargé de vendre, il n'est pas responsable du défaut de livraison, ni garant de l'éviction que pourrait éprouver l'acheteur ; chargé d'emprunter, il n'est pas tenu du remboursement : les tiers, en effet, en traitant avec lui, sont censés avoir traité avec le mandant et ils ont dû s'assurer de la solvabilité de celui-ci.
Mais si le mandataire a trompé les tiers sur l'étendue de ses pouvoirs, ou si, sans mauvaise foi, mais par maladresse, il leur a donné lieu de croire à des pouvoirs plus étendus que ceux qu'il avait réellement, alors, comme il n'a pas obligé le mandant, il s'est obligé lui-même : il est tenu de réparer le dommage qu'il a causé aux tiers, du moment que le mandant ne ratifie pas ce qu'il a fait au-delà de ses pouvoirs.
Le mandataire peut aussi se porter expressément garant dos actes qu'il a faits, au nom du mandant et dans les limites de ses pouvoirs : il a alors rendu un plus grand service au mandant et il aurait un recours spécial, parce qn'il aurait payé en vertu de cette garantie.
Enfin, si le mandataire avait agi en son propre nom et dès lors comme commissionnaire, il n'aurait plus engagé le mandant, mais lui-même : il serait de droit garant de ses actes, sauf toujours son recours contre le commettant.
La loi n'exprime pas ici la conséquence inverse du principe que le mandataire représente le mandant, à savoir que ce n'est pas au mandataire mais au mandant que sont acquises les actions qui naissent des actes accomplis en vertu du mandat : il y a là un effet normal et distinctif du mandat qui se rattache à sa définition même (y. art. 229) et qui, étant un droit du mandant à l'égard des tiers, ne peut figurer dans cette Section ni dans la suivante, puisqu'elles sont relatives aux obligations des parties r e s p e c t i v em e n t.
SECTION III.
DES OBLIGATIONS DU MANDANT.
Art. 245. On dit généralement que le mandat est comme le dépôt, un contrat unilatéral, n'obligeant en principe qu'une seule partie, ici le mandataire, et ne devenant obligatoire pour l'autre, pour le mandant, que par accident, après coup, d'où on le qualifie de “synallagmatique imparfait.”
Nous considérons cette opinion comme erronée : le mandat, très-souvent, oblige immédiatement le mandant et, dès lors, il est vraiment synallagmatique : d'abord, lorsqu'un salaire a été promis par celui-ci ; ensuite, lorsque la gestion entraîne inévitablement des dépenses, comme un voyage, une réparation de bâtiments, un achat à faire. Pour que le mandant ne fût pas oblige dans ce cas, il faudrait supposer qu'il a, dès le contrat, fait an mandataire toutes les avances nécessaires.
Il ne faudrait pas objecter que le salaire stipulé n'est pas dû dès la formation du contrat, mais seulement quand le mandat est exécuté : ce serait dire que cette obligation est conditionnelle ; mais une obligation conditionnelle a une existence suffisante pour rendre un contrat synallagmatique La question a d'ailleurs un grand intérêt pratique comme dans les autres cas où il peut s'en poser une semblable: 1° la preuve écrite du contrat devra être rédigée en double original, dont l'un sera remis au mandant, naturellement, et l'autre au mandataire, pour lui assurer le payement de son salaire et du remboursement de ses frais et avances ; 2° le contrat sera résoluble, sur la demande du mandataire, si le mandant ne lui paye pas son salaire, en tout ou en partie, à l'époque convenue, ou s'il ne lui rembourse pas les avances faites, même avant l'entier achèvement du mandat.
Reprenons maintenant, en peu de mots, les quatre obligations du mandant, en reconnaissant d'ailleurs qu'elles ont presque toujours un caractère conditionnel.
I. Si le mandant n'a pas remis tout d'abord au mandataire les sommes ou valeurs nécessaires pour l'accomplissement du mandat, il doit lui rembourser les dépenses faites pour la gestion. Il est à peine besoin de donner des exemples; c'était un achat à faire, à prix fixé, ou au mieux des intérêts du mandant : celui-ci doit rembourser le prix d'achat ; ou bien, c'était un procès à intenter comme demandeur, ou à suivre comme défendeur: les frais de justice, de procédure, d'avocat, sont à rembourser.
La loi veut que ces frais soient “légitimes,” c'est-à-dire conformes au mandat, ou dans la mesure de ce qui était nécessaire ou utile.
Le mandant doit aussi les intérêts légaux desdites avances, à partir du jour où elles ont été faites; cette obligation accessoire est la contre-partie de celle que l'article 242 met à la charge du mandataire.
II. Le mandant doit payer le salaire promis; l'article 247 reprendra cette obligation.
III. Il peut arriver que le mandataire éprouve des dommages ou des pertes par suite de l'exécution du mandat; ainsi, ayant été obligé de voyager pour le mandant, il a forcément négligé quelques-uns de ses propres intérêts qui exigeaient sa présence ; le texte a soin d'exiger que ces pertes ne soient pas le résultat de sa faute, car s'il avait pu les éviter, il ne devrait les imputer qu'à lui-même et il n'aurait pas de recours.
Il n'y a pas, du reste, à distinguer si les pertes ou dommages proviennent “directement” de la gestion ou si elles sont survenues “à l'occasion” de celle-ci: outre que l'équité n'en est pas suffisamment démontrée, elle présenterait, par sa subtilité, des difficultés considérables d'application.
Il y a une nature de dommage qui ne vient pas directement de la gestion, mais seulement à son occasion ; par exemple, le mandant aurait chargé le mandataire de vendre des marchandises avariées ou dangereuses et elles auraient causé dommage au mandataire avant la vente: il serait certainement tenu de rembourser ces dommages comme un prêteur à usage ou un déposant.
La loi excepte de cette indemnité les dommages qui ont pu être prévus, comme une suite naturelle de la gestion, et lorsque, en même temps, la fixation d'un salaire paraît avoir été motivée, en tout ou en partie, par l'intention de réparer ce dommage.
On saisit ici l'occasion de rappeler que le salaire du mandat a un véritable caractère d'indemnité à forfait de certains dommages, ce qui permet de dire que le sa laire ne détruit pas le caractère de bon office du man dat et ne le confond pas avec le contrat de services.
IV. Bien que le mandataire, à la différence du commissionnaire, n'ait pas à prendre d'engagements personnels, mais n'engage que le mandant, au nom duquel il traite, il peut arriver cependant que les tiers n'aient consenti à traiter avec lui que s'il s'obligeait lui-même, au moins accessoirement comme caution ; dans ce cas, le mandant doit lui procurer sa décharge, en traitant avec le tiers pour obtenir sa renonciation audit engagement, moyennant une autre sûreté ou, plus simplement encore, en exécutant ; s'il ne peut arriver à ce résultat, il doit alors indemniser le mandataire : par exemple, en lui donnant à lui-même une sûreté contre les risques de cet engagement.
Art. 246. De ce que la loi compte au nombre des obligations du mandant le remboursement des avances et frais déboursés par le mandataire, il ne faudrait pas conclure que celui-ci soit tenu de faire ces avances préalablement à l'exécution du mandat : pour qu'il en fût tenu, il faudrait qu'il l'eût promis et ce sera plutôt rare que fréquent. Il aura donc le droit, hors cette exception, de refuser d'exécuter le mandat, si le mandant ne lui en fournit les moyens. Mais comme il ne faudrait pas non plus qu'il cherchât à se disculper de l'inexécution du mandat, en alléguant que le mandant ne lui a pas fourni “les provisions nécessaires,” la loi ne lui permet de retarder l'exécution que s'il s'assure de la preuve du refus par le mandant de fournir lesdites provisions ou, tout au moins, de son retard à le faire. Cette preuve pourra très-bien résulter de la correspondance, c'est-à-dire d'une simple lettre du mandant.
Art. 247. Il est naturel que le salaire ne soit pas donné d'avance, ni au fur et à mesure de l'exécution du mandat, car il ne serait pas dû si l'exécution était défectueuse. Mais on peut modifier cette règle par les conventions particulières : notamment, fixer le salaire par périodes, comme par mois, quand l'exécution du mandat doit en durer plusieurs, avec uniformité dans les peines et soins
Il fallait prévoir aussi comment se réglerait le salaire quand l'exécution du mandat n'aurait pu être totale et qu'il n'y aurait pas eu faute du mandataire à cet égard : par exemple, au cas de force majeure ou de révocation du mandat avant l'exécution totale. La loi donne une solution toute naturelle et d'une évidente équité, en disant que le salaire sera payé en proportion de ce qui a été fait par le mandataire, et cela d'après l'importance des actes et leur difficulté plus que d'après leur nombre. On devrait tenir compte aussi des dommages que l'exécution partielle a pu causer au mandataire.
Art. 248. Le droit de rétention, à titre de garantie et comme une sorte de gage, a déjà été reconnu à l'emprunteur à usage et au dépositaire, l'un recevant un service, l'autre le rendant, mais tous deux supposés créanciers à raison de la chose qu'ils détiennent. La loi reconnaît le même droit au mandataire, non moins favorable que le dépositaire.
Remarquons du reste que le mandataire n'a pas le droit de rétention sur tout objet appartenant au mandant et qui lui a été remis à raison du mandat : il faut encore que la créance du mandataire soit née” à raison de cet objet.” Ainsi, si le mandant avait remis plusieurs choses au mandataire pour être vendues et que l'une de ces choses n'ait pu trouver acquéreur, le mandataire ne pourrait la retenir comme garantie du salaire qui lui serait dû pour la vente des autres choses ; au contraire, il aurait le droit de rétention sur le prix des choses vendues, s'il ne s'en était pas dessaisi prématurément.
Art. 249. La loi suppose ici un cas analogue à celui de l'article 243 où le mandat a été donné à plusieurs personnes : ici, il y a plusieurs mandants ; la loi qui n'avait pas établi la solidarité entre les co-mandataires, sauf le cas de faute conjointe, l'établit, au contaire, en principe, entre les co-mandants.
Le motif en est facile à saisir : si chaque mandant n'était tenu que pour sa part d'intérêt dans la chose commune, il faudrait que le mandataire s'enquît et se fit justifier des parts respectives des mandants, ce qui serait une complication et l'empêcherait souvent d'accepter le mandat; d'ailleurs, les mandataires rendent un service tandis que les mandants le reçoivent, ce qui autorise plus de rigueur contre ceux-ci.
La loi ne distingue pas si le mandat a été donné conjointement ou séparément par plusieurs personnes : il y avait encore moins à douter dans le cas d'actes séparés ; mais ce qui est essentiel c'est qu'il s'agisse bien d'une “affaire commune.”
Bien entendu, la solidarité est ici parfaite et non imparfaite, comme on en a signalé la possibilité entre co-mandataires.
La liberté des conventions est naturellement admise en cette matière et elle pourrait être employée à supprimer ou à restreindre cette solidarité.
Art. 250. Cet article est comme la contre partie de l'article 244. Du moment que le mandataire n'est pas tenu, en principe, vis-à-vis des tiers avec lesquels il traite, quand il le fait au nom du mandant et dans la limite de ses pouvoirs, il est naturel que ce soit le mandant qui ait la responsabilité directe de ces engagements ; c'est ce qu'exprime le premier alinéa de notre article, en se plaçant dans le cas où le mandataire est resté dans les limites de ses pouvoirs.
Le 2e alinéa prévoit que le mandataire a excédé ses pouvoirs et il indique trois cas dans lesquels le mandant peut encore être tenu à raison desdits actes :
1° Il les a ratifiés : c'est un principe que la ratification des actes d'un gérant d'affaires équivaut à un mandat qu'on lui aurait donné. La ratification expresse dont il s'agit ici n'est pas soumise aux formes et conditions de la ratification ou confirmation des actes annulables (voy. Liv des Biens, art. 555) : une déclaration quelconque du mandant, portant approbation de l'acte, pourra valoir ratification, pourvu qu'elle ne soit pas équivoque.
2° Le mandant a profité de l'acte fait au-delà des pouvoirs qu'il avait donnés ; il est de toute équité et conforme aux principes généraux qu'il soit tenu des obligations qui forment la contre-partie de l'acte.
Ainsi, il avait donné mandat à quelqu'un de faire faire certaines réparations à sa maison ; le mandataire en a fait faire davantage, mais elles sont utiles, peut-être étaient-elles nécessaires : il est juste que le mandant paye ces réparations, quoiqu'il ne les ait pas commandées, puisqu'elles lui profitent; mais il ne les payera que dans la mesure du profit qu'il en retire : c'est l'application de la principale règle de la gestion d'affaires (v. Liv. des Biens, art. 363).
3° Le mandat, d'abord étendu, avait été restreint par un acte resté inconnu des tiers, peut-être même avait-il été tout-à-fait révoqué : les tiers de bonne foi ne doivent pas souffrir d'une restriction ou d'une révocation de pourvoira qu'ils n'ont pas connue ; d'ailleurs, le mandant n'est pas exempt de faute, en ayant laissé aux mains du mandataire un'pouvoir qui n'était plus exact, ou même qui était annulé (voy. ci-après, art. 258).
Rappelons ici qu'en vertu du principe de la représentation du mandant par le mandataire, de même que le mandant est obligé envers les tiers par les promesses du mandataire, il a action contre eux par l'effet des stipulations de celui-ci.
SECTION IV.
DE LA CESSATION DU MANDAT.
Art. 251. Il est clair que le mandat cesse par l'exécution que lui a donnée le mandataire ; c'est, en réalité, l'extinction de son obligation par le payement ; or, le payement est la cause d'extinction la plus naturelle et, comme elle est commune à toutes les obligations, il eût été permis de l'omettre ici. Du reste, l'exécution du mandat y met fin, lors même qu'elle ne serait pas conforme à sa teneur; il en pourrait résulter une obligation pour le mandataire d'indemniser le mandant, mais le contrat n'aurait pas moins pris fin ; de même, le mandant pourrait avoir à. indemniser le mandataire de ses frais et dépenses, mais le contrat de mandat ne continuerait pas et il n'engendrerait plus, dans l'avenir, aucun droit ni aucune obligation respectivement.
A côté de l'exécution du mandat, la loi mentionne encore l'impossibilité de l'exécuter, comme la perte de la chose à gérer : il est clair qu'elle met fin au mandat de même qu'à toute autre obligation de faire (v. Liv des Biens, art. 539).
Le terme mettra fin au mandat, quand il aura été convenu que le mandataire gérera les affaires du mandant pendant un temps déterminé : ce sera le terme dit “final lois même que le mandataire n'aurait pas géré pendant tout le temps convenu, le mandat n'en cesserait pas moins pour l'avenir.
La loi ne pouvait guère mentionner le ternie sans y joindre la condition ; mais cette condition, que la loi ne qualifie pas, n'est ni suspensive ni résolutoire du mandat lui-même : elle en est plutôt extinctive.
Et d'abord il ne peut être question ici d'une condition suspensive du mandat, car son accomplissement, au lieu de mettre fin au mandat, l'aurait fait commencer, et si elle avait défailli le mandat n'aurait pas cessé : il aurait manqué à naître ; ce ne peut non plus être une condition résolutoire dont l'accomplissement aurait rétroactivement détruit le mandat, de sorte que ce qui aurait été fait en vertu dudit mandat deviendrait non avenu ; or, un tel résultat est inadmissible : personne ne voudrait traiter avec un mandataire dont les pouvoirs seraient soumis à une telle éventualité. La condition dont il s'agit ici sera un événement incertain dont on a entendu faire dépendre la cessation du mandat; elle est suspensive de l'extinction, c'est pourquoi nous l'avons qualifiée de condition extinctive du mandat et elle différera encore du terme par son caractère incertain ou éventuel: ainsi quelqu'un, partant pour un voyage, donne mandat à un de ses amis de gérer ses affaires ou quelques-uns de ses intérêts, mais il a un proche parent malade ou absent lui-même dont il espère la guérison ou le retour, et il préférerait que ce fût celui-ci qui gérât plutôt que son ami; dès lors, il stipule que le mandat prendra fin si son parent guérit ou revient : ce n'est pas un terme, parce que l'événement est incertain et aléatoire : c'est une condition ; mais ce n'est pas une condition rétroactivement résolutoire : elle est seulement extinctive pour l'avenir.
Si l'on objectait que cette troisième espèce de condition n'a pas été annoncée quand on a exposé la théorie générale de la condition (v. Liv. des Biens, art. 408), et qu'on n'en a alors signalé que deux sortes, nous répondrons : d'abord, qu'il ne s'agissait alors que des conventions et des obligations en général, et que nous sommes ici dans un contrat particulier; ensuite, que la loi a réservé expressément l'interprétation des conventions, au sujet de l'effet des conditions, d'après l'intention des parties (v. art. 418) et c'est justement sur l'intention présumée des parties que nous fondons cet effet seulement exinctif du mandat, attaché ici à la condition.
La loi ne mentionne pas, même en la forme incidente du 1er alinéa, la confusion de la qualité de mandant et de mandataire en la même personne, par l'effet de la succession de l'une des parties à l'autre, ou d'un tiers à toutes deux (v. Liv. des Biens, art. 534) : il est clair que, dans ces cas, le mandat n'existerait plus.
Reprenons maintenant les quatre causes d'extinction plus spéciales au mandat :
I. La révocation par le mandant.
Généralement, les contrats ne peuvent prendre fin par la volonté d'une seule partie : œuvre de deux volontés, ils ne peuvent être détruits que par les deux mêmes volontés ; mais cette règle comporte des exceptions que l'article 327, 2e al. avait déjà annoncées.
C'est ainsi que nous avons vu que le déposant peut reprendre le dépôt quand il lui plaît et que l'emprunteur à usage peut toujours rendre la chose prêtée. En effet, quand un contrat, bien qu'étant l'œuvre de deux parties, n'est que dans l'intérêt d'une seule, il est naturel que celle-ci puisse y mettre fin quand elle le juge à propos.
Le mandat, en général, n'est utile qu'au mandant, il est donc naturel que celui-ci puisse renoncer à s'en prévaloir, le révoquer, retirer les pouvoirs qu'il a donnés, soit parce qu'il peut présentement gérer lui-même ses affaires, soit parce qu'il a trouvé un manda taire qui lui inspire plus de confiance. Il n'est pas obligé de donner de motifs de la révocation et, par cela seul que ces motifs peuvent être très-variés, ils n'ont rien de désobligeant pour le mandataire.
L'article 252 apporte une seule limite au droit de révoquer le mandat et les articles 253 à 255 donnent quelques développements sur cette première cause de cessation du mandat.
II. Renonciation par le mandataire.
Le mandataire rend un service, même quand il reçoit un salaire; on ne peut donc le traiter avec la même rigueur que celui qui est lié par un contrat onéreux, comme par exemple, celui qui loue ses services ; aussi peut-il toujours renoncer au mandat, c'est-à-dire s'affranchir de l'obligation de le remplir. Cela est d'autant plus naturel qu'il s'agit d'une obligation de faire et que personne ne peut être contraint d'accomplir un fait déterminé (v. Liv. des Biens, art. 382) ; à plus forte raison, s'il s'agit de faits successifs, variés comme ceux que le mandat a pour objet et qui requièrent de la bonne volonté, des soins et de l'intelligence. Lors même qu'il s'agirait d'un contrat de services, la renonciation serait encore admise, pour le même motif, mais alors sous une plus sévère responsabilité du renonçant, comme on le verra au Chapitre suivant (v. art. 262).
La renonciation du mandataire au mandat n'est d'ailleurs libre que si elle ne cause aucun préjudice au mandant ou si elle est fondée sur une cause légitime, comme on le verra sous l'article 256.
III. La mort, la faillite, la déconfiture ou l'interdiction de l'une des deux parties mettent fin au mandat, pour des causes, sinon semblables, au moins voisines.
Pour la mort, cela est nécessaire : il y a confiance du mandant envers le mandataire, cette confiance ne s'étend pas nécessairement à son héritier ; de même, le mandataire a bien voulu rendre service au mandant, mais il peut n'avoir pas les mêmes raisons de rendre service à l'héritier de celui-ci ; le contrat est formé en considération des personnes et non des avantages qui en résultent pour le partrimoine.
La faillite et la déconfiture mettant celui qui tombe en cet état dans l'impossibilité de remplir ses obligations, on comprend que ce soit une raison de ne pas prolonger davantage celles qui résultent du mandat entre les parties respectivement.
Enfin, l'interdiction, soit judiciaire pour démence, soit légale par l'effet d'une condamnation criminelle, doit empêcher le mandataire qui en est frappé de continuer pour autrui une gestion qu'il ne pourrait garder pour lui-même ; et si c'est le mandant qui est interdit, la gestion de ses biens passe à un tuteur ; elle ne peut donc subsister en la personne de celui qu'il en avait chargé.
IV. Cessation de la qualité en vertu de laquelle le mandat a été constitué.
Il a pu arriver que le mandat ait été confére par un tuteur ou par un autre administrateur des biens d'autrui, même par une personne mandataire elle-même, ainsi qu'on l'a vu à l'article 235.
Dans ces divers cas, si la qualité de tuteur, d'administrateur ou de mandataire cesse chez celui qui a constitué ce mandat secondaire et subsidiaire, pour ainsi dire, le mandat cesse avec la qualité qui en a été la cause.
Il en serait de même si un mandat (originaire cette fois) avait été donné à quelqu'un en vertu d une qualité particulière qui viendrait à cesser : par exemple, à un co-associé, à un co-propriétaire du mandant, à un banquier, à un avocat.
Dans les divers cas mentionnés aux nos 3 et 4 du présent article, il semble, au premier abord, qu on aurait pu, à la rigueur, se contenter de la faculté de révoquer, chez le mandant, et de renoncer, chez le mandataire ; mais il y a, pour ces deux cessations du mandat, des limites et des conditions qu'il n'eût pas été juste d'étendre au cas de mort ou de changements dans la condition des personnes : les événements ici prévus sont assez graves pour suffire par eux-mêmes à mettre fin au mandat, sans aucune manifestation de volonté des personnes et sans limites ou conditions.
Du reste, les trois derniers articles (257 à 259) présentent quelques dispositions protectrices de la bonne foi des parties et de leur ignorance légitime desdits évé nements.
Art. 252. On a dit, sous le n° 1 de l'article précédent, que la révocabilité du mandat par le mandant est surtout fondée sur ce que le mandant peut toujours renoncer au bénéfice d'un contrat établi en sa faveur ; mais il pourrait arriver que le mandat fût aussi, et en même temps, dans l'intérêt du mandataire ou d'un tiers : par exemple, quand il s'agira d'une chose commune ou d'une chose mise en société ; alors le mandataire pourrait avoir intérêt à contester la révocation comme dérangeant ses prévisions ou nuisant à ses intérêts ; c'est ce que dit notre article ; mais il ne le dit qu'indirectement, en subordonnant la révocation facultative à la condition que le mandat soit “dans l'intérêt unique du mandant."
La loi nous dit encore que la circonstance qu'un salaire a été stipulé ne met pas obstacle à la révocation, avec perte du droit au salaire, évidemment, pour le mandataire, sans quoi la disposition serait inutile.
On aurait pu croire que le droit au salaire était un profit légitimement espéré du mandataire, lequel ne devrait pas lui être retiré sans cause légitime. Mais la loi confirme par là ce qui a été dit déjà que le salaire n'est pas considéré comme un profit véritable pour le mandataire, mais comme une indemnité à forfait de ses peines, soins et menus débours. Or, tout cela n ayant pas lieu si le mandat est révoqué avant d'avoir été exécuté aucunement, il n'y a pas lieu non plus à indemnité. Mais si la révocation a lieu au cours de l'exécution, l'indemnité ou salaire est due en proportion de ce qui a été fait.
Art. 253. Il est naturel que la révocation, comme la condition extinctive mentionnée plus haut, ne rétroagisse pas et ne détruise pas ce qui a été fait valablement jusque-là: cette disposition est écrite non seulement dans l'intérêt des tiers qui ont traité avec le mandataire, sur la foi d'un mandat régulier, mais encore dans l'intérêt du mandant dont les affaires ne pourraient être gérées avec sécurité.
Art. 254. On sait par l'article 249 que s'il y a plusieurs mandants ils sont tenus solidairement des obligations qui naissent du mandat. On aurait pu croire que ce lien entre les mandants leur permettait aussi de se dégager les uns les autres de cette obligation ; mais comme la révocation pourrait être nuisible à l'affaire commune, la loi ne permet pas que l'intérêt des autres soit compromis par un seul : leur mandat tient donc et pour le tout ; seulement, la responsabilité de celui qui a révoqué cesse pour l'avenir et se transporte sur les autres.
Art. 255. Il n'est pas nécessaire que la révocation soit expresse, pas plus que cela n'est nécessaire pour la constitution elle-même du mandat, laquelle peut être tacite.
La loi donne ici deux applications possibles de la révocation tacite, mais elles ne sont ni impératives, in limitatives : la nomination d'un nouveau mandataire pourrait n'avoir d'autre but que d'assurer davantage l'exécution du mandat, en aidant et soulageant le premier mandataire ; de même, le fait par le mandant de gérer lui-même pourrait s'expliquer par un empêchement momentané du mandataire, ou par une facilité plus grande qu'en aurait le mandant.
Quant aux autres circonstances qui pourraient avoir le caractère d'une révocation tacite, ce sera aux tribunaux à les apprécier : des inimitiés graves survenues entre les parties, un procès intéressant l'honneur ou la majeure partie des biens de l'une d'elles, pourraient être considérés par les tribunaux comme impliquant une révocation tacite.
Art. 256. Déjà, sous le n° 2 de l'article 251, on a expliqué pourquoi la faculté de renoncer au mandat ne peut être refusée au mandataire ; mais on a dit qu'elle ne pouvait pas toujours avoir lieu impunément. Une première distinction est à faire : la renonciation a-t-elle une cause légitime ou non ? Si elle a une cause légitime: par exemple, l'éloignement plus ou moins considérable, en distance ou en durée, du lieu ou se trouvent les biens ou les intérêts à gérer, ou une maladie sérieuse, ou la rupture des relations d'amitié entre le mandataire et le mandant, alors il n'y a pas lieu à indemnité, lors même que le mandant en éprouverait un préjudice, sauf le tempérament porté à l'article 259 : si, au contraire, la renonciation n'est pas justifiée et tient, soit au mauvais vouloir du mandataire, soit à son caprice ou à ses seules convenances, et si cet abandon de la gestion a causé un préjudice au mandant, une indemnité est due à celui-ci.
Si, au lieu des convenances du mandataire, la renonciation était fondée elle-même sur un préjudice que lui causerait la continuation du mandat, il faudrait, si ce préjudice était grave, voir là une cause légitime ou justificative de la renonciation.
Il n'y a pas de raison de ne pas admettre une renonciation tacite au mandat, comme on en admet la révocation tacite ; mais, pour que la responsabilité du mandataire soit à couvert, il faut toujours que cette renonciation ait une cause légitime.
Art. 257. Il serait injuste que les causes qui mettent fin au mandat produisissent leur effet entre les parties sans qu'elles le sussent ou, au moins, sans qu'elles eussent été mises en situation de le savoir ; c'est pourquoi la loi enjoint à la partie qui entend profiter de la cessation du mandat de la notifier à l'autre.
Bien que la loi n'exprime pas d'exception à l'obligation de notifier la cause de cessation du mandat, on peut dire que le terme extinctif n'aura pas à être notifié, surtout s'il consiste dans un laps de temps fixe, parce qu'il est connu d'avance ; nous n'en dirons pas autant de la condition extinctive qui pouvant ne pas arriver et, lorsqu'elle arrive, pouvant n'être pas connue de l'intéressé, doit lui être notifiée ; enfin, il serait nécessaire, en cas d'exécution du mandat, et surtout d'impossibilité d'exécuter, que le mendataire en donnât connaissance au mandant.
Notre texte ne peut exiger que la révocation ou la renonciation tacite soit notifiée : d'ailleurs, à partir de la notification, l'acte deviendrait exprès et formel ; mais la révocation ou la renonciation tacite ne serait opposable à la partie adverse que si elle était “parvenue à sa connaissance d'une manière certaine”: c est à dater de ce moment seul qu'elle produirait ses effets.
Art. 258. Il ne peut être posé en règle que le mandant soit à l'abri, vis-à-vis des tiers, des conséquences ultérieures de son mandat, lorsqu il a pris fin, soit par sa révocation, soit par une des autres causes susénoncées : la situation des tiers qui traiteraient avec le mandataire serait trop mauvaise et, en présence de l'éventualité d'un tel danger, nul ne voudrait traiter avec le mandataire, ce qui serait encore plus préjudiciable au mandant.
D'un autre côté, le mandant ne peut être tenu, en général, de notifier aux tiers la cessation du mandat, car il ne peut guère connaître ceux avec lesquels le mandataire serait disposé à traiter. La loi s'attache donc uniquement au point de savoir si les tiers ont ignoré ou connu la cessation des pouvoirs du mandataire, c'est-à-dire s'ils ont été ou non de bonne foi. C'est une disposition analogue à celle de l'article 250-3° relative au cas où les tiers “ont eu de justes motifs de croire à des pouvoirs du mandataire,” alors qu'il ne les avait pas.
En général, lorsque le mandat aura pris fin, le mandant fera sagement de retirer des mains du mandataire le pouvoir écrit qu'il avait pu lui donner.
On a tenu à mentionner ici dans la loi cette faculté du mandant, pour l'inviter à en user, dans l'intérêt de tous, et à cette occasion, le texte nous dit que lors même que la procuration écrite aurait été retirée des mains du mandataire, cette circonstance n'exclurait pas nécessairement la bonne foi des tiers ; en effet, ceux qui auraient déjà traité récemment avec le mandataire, après avoir pris connaissance de ses pouvoirs, ne sont pas en faute pour ne pas s'être fait représenter de nouveau les mêmes pouvoirs, à chaque nouveau traité- La loi se contente de leur bonne foi, en l'exigeant ; mais la faute lourde serait ici, comme en règle générale, assimilée au dol.
En principe, le mandataire doit restituer la procuration écrite, lorsqu'elle lui est réclamée par le mandant ; cependant, s'il prétendait qu'elle lui est néces saire pour la justification de ses actes, pour dégager sa responsabilité ou recevoir son salaire ou ses indemnités, il serait admis à en exiger une copie certifiée conforme, mentionnant la fin du mandat et le but pour lequel elle lui est délivrée.
Art. 259. La disposition de cet article, toute d'équité, rappelle celle analogue de l'article 362-2e al. du Livre des Biens, au sujet de la gestion spontanée des affaires d'autrui L'obligation du mandataire de continuer provisoirement la gestion, jusqu'à ce que le mandant y puisse pouvoir, est plus rigoureuse si c'est sa volonté, sa renonciation, qui a mis fin au mandat, que si c'est la révocation par le mandant.
Ce qu'il ne faudrait pas admettre c'est que, dans le cas de révocation par le mandant, le mandataire pût immédiatement abandonner les intérêts qui lui avaient été confiés : ce serait contraire à la bonne foi du contrat et à son caractère de bon office.
CHAPITRE XII.
DU CONTRAT DE SERVICES ET D'ENTREPRISE D'OUVRAGE.
Dans les législations européennes, le contrat par lequel quelqu'un engage ses services ou se charge d'un ouvrage est considérée comme une variété du louage des choses, et les noms des deux contrats a quelque chose de commun. Ce qu'il peut y avoir de vrai, au fond, dans cette théorie ne peut être reproduit ici. à cause de la grande différence des expressions consacrées pour désigner ces deux sortes de contrats. On les exposera donc en eux-mêmes, sans s'attacher à y voir une analogie avec le louage des choses, ce qui ne serait qu'une cause d'obscurité dans une matière simple en elle-même.
SECTION PREMIERE.
DU CONTRAT DE SERVICES.
Art. 260. Par services on entend ici les peines et soins, plus ou moins variés, qu'une partie s'engage à prendre dans l'intérêt de la personne ou du patrimoine d'autrui.
L'énumération donnée par ce premier article, des personnes généralement appelées à prendre ces peines et soins, contribue à faire connaître la nature de ces services : cette énumération ne comprend pas les personnes qui rendent des services plus relevés, dans l'ordre scientifique, littéraire ou artistique, comme les médecins, les avocats et les professeurs de science, de littérature ou d'art ; ces personnes sont l'objet d'un article final de la Section (art. 266); au contraire, il faut rapprocher de notre article les personnes dont fait mention l'article 265.
La circonstance que les personnes énumérées dans notre article 260 ont droit à un salaire fixé par année, par mois ou par jour, n'implique pas que la durée du contrat doive comprendre les mêmes périodes, comme cela a lieu, au contraire, lorsqu'il s'agit du louage de maisons ou d'appartements meublés (voy. Liv. des Biens, art. 148): la loi n'exige pas que l'engagement de la personne ait une durée fixe sur laquelle l'attention de celle-ci n'aurait pas toujours été suffisamment arrêtée. La période désignée ne sera considérée que comme un moyen de régler le montant du gage ou salaire, d'après le temps qu'auront duré les services.
Dans ces cas, le contrat, n'ayant pas de durée fixée d'avance, ne cesse que par le congé ou avertissement que l'une quelconque des parties donne à l'autre.
A ce sujet, la loi indique quelques restrictions à la liberté des parties :
1° S'il y a un usage local pour l'époque à laquelle le congé peut être donné valablement et pour l'intervalle entre le congé et la sortie, cet usage doit être observé : l'engagement de services, est une matière de pratique constante et journalière, où la loi ne prétend pas établir l'uniformité de détails dans tout le pays, elle laisse ici une certaine part d'autorité aux usages locaux.
2° S'il n'y a pas d'usage locaux certains, le congé et la sortie peuvent avoir lieu à toute époque, sous deux conditions laissées à l'appréciation des tribunaux, en cas de désaccord entre les parties : que le temps ne soit pas inopportun et qu'il n'y ait pas mauvaise foi.
Assurément, ces limites ne sont pas tellement impératives que les contractants soient tenus, l'un de fournir, l'autre de recevoir des services qui auraient cessé de lui plaire, mais la mise à fin des services, contrairement aux conditions qui précèdent, donnerait lieu à une indemnité par la partie qui serait en faute.
Le congé serait denné en temps inopportun, s'il était donné à la fin de l'année pour les domestiques attachés à la personne ou pour les commis ou préposés de commerce, et à l'époque de la récolte pour les services ruraux ; il serait donné de mauvaise foi lorsque celui qui le donnerait saurait que, par des circonstances particulières, il cause un dommage sérieux à l'autre partie.
Il n'y a pas, à ce sujet, de différence légale entre les deux parties ; mais, en fait, ce sera, le plus souvent, l'employé, le serviteur ou l'homme de peine, qui aura droit à une indemnité, parce que, à certaines époques de l'année, il lui sera plus difficile de trouver un nouvel emploi qu'au maître de le remplacer.
Art. 261. Il pourra arriver que le contrat de services, au lieu d'avoir la durée variable que lui laisse l'article précédent, ait une durée fixée à l'avance. La loi intervient ici pour poser une limite à la durée de l'engagement réciproque. Cette durée ne peut excéder cinq ans ou un an, suivant la nature des services loués.
Par respect pour la liberté et la dignité individuelles, la loi ne veut pas qu'un homme engage ses faits, son activité, pour toute sa vie ou pour un temps qui s'en rapprocherait ; il ne serait pas conforme non plus à. la dignité et à laprudence.de se lier pour un temps qui fût une portion considérable de l'existence et pendant lequel il pourrait survenir une foule d'événements imprévus qui rendraient regrettable et préjudiciable l'engagement pris témérairement.
Le délai de cinq ans, pour les commis et employés, occupés des intérêts généraux du maître ou patron, a paru bien suffisant pour satisfaire aux exigences des uns et des autres, et de même, celui d'un an pour les ouvriers et serviteurs.
Le maître ou patron ne pourrait lui-même se lier envers ces personnes pour une période plus longue, parce qu'il pourrait souffrir aussi d'un engagement qui cesserait d'être compatible avec ses convenances personnelles ou avec des circonstances imprévues survenues dans ce délai et modifiant sa situation.
La loi excepte de cette limite le contrat d'apprentissage dont il sera parlé plus loin.
Il est naturel que l'inobservation de la limite légale ci-dessus déterminée entraîne, non la nullité totale de la convention, mais seulement la réduction de l'engagement à la durée légale. Il est juste aussi que l'engagement puisse être renouvelé autant de fois qu'il plaira aux parties mais de telle sorte que le nouvel engagement, joint à ce qui reste à courir de l'ancien, n'excède jamais cinq ans ou un an: c'est une théorie déjà rencontrée (v. art. 39 du Livre des Biens et 192, ci-dessus).
La loi a soin de dire que la rédaction de l'engagement trop long peut être demandée “par l'une ou l'autre des parties” ; mais elle ne s'oppose pas à ce que l'une des parties s'engage à fournir ou à recevoir les services pour un temps plus long que l'engagement de l'autre, pourvu que le tout soit renfermé dans les susdites limites. Ainsi, un patron pourrait s'engager à garder un employé, pendant cinq ans, et celui-ci ne s'engager à le servir que pendant deux ou trois ans. L'égalité de situation et de droit ne devient impérative que lorsqu'il s'agit de rentrer dans les limites légales.
Art. 262. Lors même que, dans sa durée, l'engagement n'excède d'aucun côté les limites légales, il est encore possible qu'il prenne fin auparavant ; la loi en indique les causes.
La première c'est, tout naturellement, l'inexécution des obligations par l'une des parties. La loi pourrait, à la rigueur, ne pas exprimer un principe aussi général et aussi connu ; mais, comme on l'a déjà remarqué pour d'autres contrats, il serait singulier et d'un mauvais effet de voir ici d'autres causes de dissolution de l'engagement sans rencontrer la plus certaine: on pourrait croire à une exception qui n'existe pas.
La nature des relations personnelles qui naissent du contrat de services demande qu'elles ne subsistent plus lorsqu'elles seraient une charge trop lourde pour l'une des parties ou qu'elles lui créeraient des embarras graves et imprévus. La loi ne peut prétendre prévoir et déterminer toutes les causes qui devraient équitablement amener la fin anticipée, la résiliation de ce contrat : elle se borne à exiger “une cause légitime et impérieuse” et c'est au tribunal à apprécier si la cause invoquée présente ou non ce double caractère.
Il n'est pas douteux que si le domestique ou l'employé se trouve appelé au service militaire, il y aura forcément résiliation du contrat ; il en serait autrement s'il y avait engagement volontaire : dans ce cas, on pourrait craindre que le serviteur ou l'employé, ayant déjà du goût pour l'armée ou la marine, ne se décidât à un engagement volontaire, pour se soustraire sans indemnité à un contrat qui lui donne des regrets.
Une maladie ou une infirmité rendant difficiles les services promis serait encore une cause légitime et impérieuse ; il n'en serait pas de même du cas où le domestique ou employé trouverait un emploi plus avantageux. Ces faits, honnêtes et légitimes en eux-mêmes, ne justifieraient pas une résiliation, au moins sans indemnité.
C'est dire que celui que a promis ses services peut toujours cesser de les fournir, lorsqu'il en a la volonté, parce que “nul ne peut être contraint juridiquement (ni même physiquement) à accomplir un fait auquel il se refuse,” mais ce sera à charge d'indemnité, quand le refus n'aura pas de cause “légitime et impérieuse.”
La résiliation peut venir aussi bien de celui auquel sont dus les services que de celui qui les doit; mais les causes n'en sont pas nécessairement les mêmes : assurément, on peut encore citer le service militaire forcé ; mais on ne peut plus citer la maladie, car elle n'empêche pas de recevoir des soins comme elle empêche d'en fournir; tout au contraire, elle en réclame davantage, au moins des soins personnels. Mais si le maître d'un coureur, d'un cocher ou d'un traîneur éprouvait un accident ou tombait malade, de façon à ne pouvoir, de longtemps, aller à cheval ou en voiture, on pourrait y voir une cause suffisante de résilier l'engagement du serviteur ; sauf l'indemnité prévue à l'article suivant, parce qu'on ne peut faire souffrir le serviteur des accidents survenus à son maître : la cause ne serait pas légitime à son égard.
Si le maître ou patron tombe en faillite ou en déconfiture, il sera dans l'impossibilité de garder le même nombre de serviteurs ou employés, et ceux-ci sortiront forcément de son service ; mais comme il est impossible de voir là une cause légitime de résiliation, il sera pay é aux serviteurs ou employés une indemnité égale, en principe, à ce qui leur serait dû de gages ou salaire pour le temps restant à courir ; sauf une certaine déduction, à raison du droit qu'ils recouvrent d'engager leurs services ailleurs.
La mort du maître est une cause légitime et impérieuse de cessation du contrat de services envers sa personne ; les services d'un commis ou employé ne cesseraient que si le commerce ou 1 industrie du maître prenait fin par sa mort.
Comme les serviteurs de la maison plus ou moins attachés au service de la famille, il y aura souvent quelque difficulté de savoir si la mort du chef de famille met fin au louage ; la question se résoudra en fait, d'après les circonstances : il n'est pas douteux que la mort du chef de la famille résiliera le contrat de services de son valet de chambre et qu'elle sera sans effet légal sur le contrat de services de la femme de chambre de sa veuve ; mais pour le cuisinier, le cocher, le coureur, ce sera à décider par le tribunal, en cas de contestation, et il sera généralement juste d'admettre la résiliation, d'autant plus que l'article suivant préserve le serviteur d'un préjudice immérité.
La disposition qui concerne la mort du maître n'est pas, comme les précédentes, limitée au contrat à durée fixe, elle s'applique dans tous les cas, même au contrat qui finit par le congé : il n'y aura pas nécessité de le donner, ni d'en attendre l'époque usitée.
C'est l'article 264 qui prévoit la mort du serviteur ou de l'employé.
Art. 263. La disposition du présent article s'écarte de la rigueur des principes par raison d'humanité. La dérogation au droit commun est double :
1° La cause qui met fin au contrat étant “légitime et impérieuse,” il semble qu'on devrait la considérer comme une force majeure et qu'aucune indemnité ne devrait être réclamée de part ni d'autre ; cependant une indemnité peut être due;
2° Du moment que la cause n'est pas considérée comme absolument majeure, l'indemnité devrait être exigible de la partie en la personne de laquelle survient cette cause, sans distinction entre le maître ou patron et le serviteur ou employé.
Mais la loi doit considérer la différence de dommage qu'éprouve chaque partie d'une résiliation anticipée du contrat : le maître ou le patron trouvera facilement à remplacer son serviteur ou employé, à toute époque de l'année, tandis que celui-ci aura de la peine à trouver un nouvel emploi aux époques où il n'est pas d'usage d'engager les serviteurs ou employés. Il y a, en effet, toujours plus de services disponibles et offerts que de maîtres ou de maisons qui en demandent.
Toujours par motif d'humanité envers une classe peu fortunée de la société, la loi ne veut pas qu'une cause de résiliation qui n'est pas nécessairement et absolument majeure prive subitement un serviteur, un ouvrier ou un employé de moyens d'existence sur lesquels il pouvait raisonnablement compter. Sans doute, il ne sera pas question de “dommages-intérêts” proprement dits, lesquels dits, supposent une faute du débiteur ; mais la loi peut employer l'expression “d'indemnité ” qui répond mieux à l'idée de compensation d'un mal même accidentel.
Le tribunal n'aura à intervenir que si les parties ne sont pas d'accord, et la loi dit qu'il “tiendra compte des circonstances.”
Ainsi, l'indemnité du serviteur ou de l'employé sera plus forte si c'est la faillite ou la déconfiture du maître ou patron que si c'est sa mort qui met lin au contrat de services, parce qu'on est plus près de la faute au premier cas qu'au second ; le tribunal accordera aussi une forte indemnité si l'on est loin de l'époque des engagement annuels que si l'on en est proche.
Art. 264. La mort du serviteur ou de l'employé ne donnera lieu à aucune indemnité de la part de son héritier au profit du maître on patron : il n'y a plus ici les mêmes raisons d'humanité que dans le cas inverse prévu ci-dessus. Mais la loi devait réserver le cas où le serviteur ou employé aurait reçu, par anticipation, toutou partie de ses gages ou de son salaire : il y aurait lieu alors à une restitution proportionnelle.
Art. 265. Il sera rare que les acteurs et autres artistes plus ou moins relevés qui engagent leurs talents aux entrepreneurs de théâtre ou d'autres divertissements publics ne règlent pas, par un acte écrit, les clauses et conditions de ce contrat ; mais comme il arrivera souvent aussi que quelques points en aient été négligés par les parties, il est bon que la loi indique dans lesquelles de ses dispositions on devra chercher les moyens de combler ces lacunes. Or, bien que les acteurs et les autres personnes qui se consacrent à divertir et récréer le public prétendent à la qualité d'artistes, en ne peut méconnaître qu'ils engagent leurs services, lorsqu'ils ne sont pas eux-mêmes entrepreneurs de divertissements et lorsqu'ils se bornent à fournir leur concours à l'entreprise d'un autre.
Il n'y a pas de nécessité de leur faire une place à part dans le contrat de services, avec des règles spéciales : celles qui concernent les travailleurs plus sérieux peuvent leur être appliquées sans difficulté et sans objection. Il n'y a même pas lieu, du reste, de chercher une assimilation plus ou moins exacte entre ces personnes et tel ou tel groupe de celles qu'énumère l'article 260 : les acteurs ne sont pas des employés, commis ou préposés, bien qu'ils se rapprochent plus de ces personnes que des serviteurs et des ouvriers; et c'est parce qu'ils ne rentrent, à proprement parler, dans aucune des catégories de personnes dont s'occupe l'article 260 que la loi exprime que “les règles qui précédent leur sont applicables.”
Remarquons à ce sujet que les entrepreneurs de théâtre et divertissements publics font acte de commerce, tandis que les acteurs et autres personnes qui engagent leurs services et leurs talents à l'entrepreneur ne font qu'un acte civil.
Art. 266. Le Code tranche ici une question qui, en France et ailleurs, divise beaucoup les auteurs et sur laquelle la jurisprudence n'est pas bien fixée: à savoir, quelle est la nature des soins et services que rendent ceux qui exercent les professions distinguées dont parle notre article.
Il nous faut nous arrêter un instant sur le texte destiné à prévenir cette controverse au Japon.
En fait, les personnes que le présent article énumère rendent des services à ceux qui ont recours à elles et ces services ne sont pas gratuits, en général, puisqu'une rémunération est ordinairement demandée et reçue par ces personnes.
Plusieurs systèmes se disputaient la préférence.
Dans l'un, on disait que les services du médecin, de l'avocat, du professeur, sont 1 objet d'un contrat ordinaire de services et que la dignité des professions libérales n'est pas diminuée parce qu'elle fait vivre dans une condition plus ou moins aisée ceux qui les exercent.
Ce système comporte une objection sérieuse, c'cst que le contrat serait alors à titre onéreux et synallagmatique et obligerait les deux parties à l'exécution ou à des dommages-intérêts, ce qui serait plus contraire à la dignité de l'une et à 1 intérêt de l'autre que de recevoir un salaire et de le payer.
C'est principalement la nécessité d'éviter une pareille situation qui a fait adopter le système actuel du Code.
Dans un autre système, on disait que ces personnes remplissent un mandat; ce mandat, il est vrai, est naturellement salarié, mais on a vu sur l'article 231 que le salaire du mandat n'est pas considéré comme un profit ôtant au contrat son caractère gratuit : il est plutôt une sorte d'indemnité en bloc ou à forfait des peines, soins et déboursés que le mandataire aura à supporter, et ici on y ajouterait comme cause spéciale les frais d'études antérieures nécessaires à l'obtention des titres et diplômes officiels.
C'est aussi parce que le salaire ne paye pas en entier le service rendu que le malade, le plaideur et l'élève restent toujours tenus d'une certaine reconnaissance envers le médecin, l'avocat ou le maître.
Ce système ne donne pas lieu à la même objection que le précédent, à savoir qu'il y aurait donc une exécution obligatoire; en effet, le mandat peut cesser par la renonciation à peu près libre et volontaire du mandataire et par la révocation absolument libre par le mandant. Mais il comporte une objection non moins sérieuse.
Le caractère propre du mandat, c'est que le mandataire représente le mandant et fait, pour le compte et au nom du mandant, quelque chose que celui-ci ne pourrait faire lui-même. Or, si l'on peut trouver cette sorte de représentation dans les services de l'avocat, on ne la trouve plus dans ceux du médecin ou du professeur des sciences, des lettres ou des arts. Comment pourrait-on comprendre que le médecin représentât le malade, le professeur son élève? Que serait-ce qu'un mandat à l'exécution duquel le mandant est nécessairement présent, lorsque le propre du mandat est que le mandataire remplace le mandant absent ou empêché?
La difficulté ne serait pas supprimée quand on prétendrait que le médecin ou le professeur sont les mandataires de la famille du malade ou de 1 élève: ceux-ci n'ont pas toujours de famille pour prendre leur intérêt, et les soins et services dont ils ont besoin peuvent être directement demandés par eux.
Un troisième système eût rejeté l'idée de contrat de services et de mandat salarié et eût admis qu'il se forme un contrat spécial entre les personnes qui rendent et celles qui reçoivent ces services ; ce contrat serait innommé s'il n'y avait pas de lois particulières et formelles sur cette matière. Ce n'est pas à dire qu'il ne serait pas de droit positif: il serait toujours soumis 1° aux règles générales des contrats, 2° aux règles principales du contrat nommé avec lequel il aurait 1e plus d'analogie (v. Liv. des Biens, art. 303); mais la difficulté eut etc justement de savoir si ce contrat nommé, auquel on emprunterait des analogies, serait le contrat de services ou le mandat.
En outre, on se trouvait en face de l'objection faite au premier système, à savoir que le contrat principal, pour être innommé, n'en aurait pas moins une force obligatoire peu compatible avec la dignité d'une partie et avec l'intérêt de l'autre.
Le Code a adopté un quatrième système qui ne voit dans la convention qui nous occupe aucun contrat, ni nommé, ni innommé et qui ne lui fait produire aucune obligation civile, ni chez celui qui a promis les soins et services dont il s'agit, ni chez celui qui les a stipulés.
La loi, en écartant formellement l'obligation civile de part et d'autre, entend laisser place à une obligation purement morale.
Cependant, l'obligation civile peut naître après coup non pas de la promesse faite par une partie à l'autre, mais du profit que l'une a tiré des services rendus par l'autre on du dommage que le refus de les rendre ou de les recevoir a pu causer.
Le 1er alinéa de notre article pose le principe de l'absence d'obligation civile en vertu de la convention; les trois derniers alinéas établissent les responsabilités exception n elles.
Il nous faut maintenant justifier successivement le principe et les exceptions.
Un médecin a promis de donner ses soins à un malade, parce qu'il croit connaître sa maladie et pouvoir, soit le guérir, soit le soulager; plus lard, ayant commencé ou non le traitement, il s'aperçoit qu'il s'est trompé et que la maladie lui est inconnue ; il doute de son aptitude et il préfère que les soins soient donnés par un autre : ou bien, c'est le malade ou son entourage qui lui témoignent de la défiance, ou qui ne sont pas disposés à suivre ponctuellement scs prescriptions ; dans ces divers cas, il serait déraisonnable, en même temps que contraire à l'intérêt du malade, de dire que le médecin doit donner ou continuer ses soins.
Le raisonnement est le même pour un avocat qui s'est chargé d'une cause à plaider comme demandeur ou défendeur: la cause lui a paru d'abord juste et légitime, mais un plus ample examen lui en a démontré l'illégitimité ; ou bien, il a cru qu'elle n'excédait pas sa capacité ou son expérience, et il découvre qu elle est au-dessus de ses forces. Il serait immoral d'obliger un avocat à plaider une cause qu'il croit mauvaise ou pour laquelle il se croit insuffisant.
Enfin, un professeur a promis d'enseigner une science, une langue ou un art; plus tard, il trouve ou qu'il lui manque la connaissance suffisante de ce qu'il doit enseigner, ou que son élève n'a pas l'aptitude nécessaire au succès : on ne doit pas pouvoir le contraindre à continuer ou même à commencer une entreprise dans laquelle il ne croit pas pouvoir réussir.
Plaçons-nous maintenant du côté opposé, du côté de la personne qui a demandé et obtenu la promesse de soins ou services ; le résultat est le même par un raisonnement un peu différent.
Le malade n'a plus confiance dans le médecin qu'il a choisi, ou le traitement lui semble encore plus pénible que la maladie : va-t-on l'obliger à continuer un traitement qui lui déplaît et qui peut-être augmente son mal ? Le plaideur n'a plus confiance dans son avocat, ou sa cause ne lui semble plus aussi légitime : sera-t-il obligé de laisser le procès suivre son cours ou de laisser ses intérêts dans les mêmes mains ?
Enfin, l'élève ne se croit pas les dispositions nécessaires pour l'étude qu'il a entreprise, ou il doute de l'aptitude à l'y instruire, chez le maître qu'il a choisi ; peut-on l'obliger à perdre à une étude au-dessus de ses moyens un temps qui pourrait être mieux employé ou à conserver un professeur en qui il n'a pas confiance ?
Toutes ces solutions sont d'une évidence qui s'impose, et dans aucun des autres systèmes, on ne pourrait les contester : on y préférerait sans doute sacrifier la logique qui les gêne à la raison qui les réclame.
Au premier abord, il semble inutile de dire que celui qui a promis des soins ou services scientifiques, littéraires ou artistiques n'est pas “civilement” tenu de les fournir; si on entend dire par là qu'il ne peut être contraint, ni physiquement ni juridiquement, de soigner un malade, de plaider une cause, de donner d s leçons, on dit une chose évidente, déjà dite ailleurs (Liv. des Biens, art. 382, 1er al), également vraie pour le mandat, et par conséquent inutile ici ; il est évident que nul ne peut être contraint à l'exécution d'un fait qui réclame sa volonté : on se heurterait à la force d'inertie qui est invincible, à moins de pousser la contrainte jusqu'à la douleur physique excessive.
Il ne serait pas plus facile de contraindre le malade à recevoir les soins du médecin et l'élève à recevoir les leçons du maître que de contraindre ceux-ci à les donner. Mais la loi veut dire qu'en cas de refus de donner ou do recevoir les soins promis et acceptés, il n'y a même pas lieu aux dommages-intérêts qui sont ordinairement la compensation de l'inexécution volontaire d'une obligation de faite (v. art 383).
On pose donc en principe que la promesse réciproque de donner et de recevoir les soins dont il s'agit n'oblige “civilement” ni l une ni l'autre partie.
Reste à savoir s'il y a une obligation naturelle ou seulement une obligation morale. Assurément, aucune partie ne devrait, sans motifs suffisants, se soustraire aux engagements qu'elle aurait pris; seulement, comme elle est seule juge de ce qu'elle doit faire, on ne peut savoir si c'est par des raisons légitimes ou par caprice qu'elle s'est décidée ; peut être aussi serace par pure économie chez la partie qui devait payer les honoraires, ou par désir d'un gain plus élevé chez celle qui devait les recevoir. Mais là encore il n'y a qu'un devoir moral qui échappe à la sanction de la loi.
La loi suppose ensuite que les soins ou services ont été fournis Lorsque, en fait, le médecin a soigné le malade, lorsque l'avocat a plaidé la cause et le professeur donné les leçons promises, lorsqu'ils ont ainsi exécuté volontairement leur promesse réciproque, l'obligation de l'autre partie est-elle devenue civile? Le malade ou sa famille, le plaideur, l'élève ou sa famille, sont-ils tenus, par les voies de droit, de payer la rémunération promise ?
Il faut répondre négativement, au moins en principe, et cela, sans distinguer essentiellement si le malade a été guéri ou seulement soulagé, ou s'il est resté dans le même état ou s'il est mort, ni si la cause a été gagnée ou perdue, ni si les leçons ont ou non profité à l'élève ; mais en supposant toujours que les soins ont été donnés avec zèle et bonne foi, et sauf ce qui sera dit plus loin à ce sujet comme mesure d'appréciation de la rémunération.
Du moment, que l'obligation de chaque partie n'a pas été civile à l'origine, elle n'a pu changer de nature par le fait de l'autre partie. On ne pourrait même pas dire que la participation volontaire du malade aux soins qu'il a reçus, celle du plaideur qui a fourni des pièces ou des renseignements à son avocat, celle do l'élève aux leçons données et reçues, constitue l'exécution d une l'obligation naturelle de ces per sonnes : leur promesse a eu pour objet une somme d'argent et elles n'en ont rien exécuté à cet égard en recevant les soins..
Mais il pourra y avoir dans le fait accompli une et même deux nouvelles sources d'obligations qui pourront être civiles dans une certaine mesure.
Ainsi, la partie qui a fourni scs soins et services, conformément à la demande qui lui en avait été faite, peut alléguer avec raison quelle y a consacré un temps et des peines qui lui deviendraient préjudiciables si elle ne recevait une indemnité ou rémunération convenable ; elle pourrait alléguer aussi qu'elle a procuré à l'autre partie des avantages appréciables en argent, ce qui sera évident en cas de gain d'un procès ou de guérison d'un malade vivant de son travail ou d'un élève devenu apte à remplir un emploi exigeant les connaissances spéciales que le professeur lui a fait acquérir.
Ces deux sources d'obligations civiles seront appréciées par les tribunaux lorsque les parties ne seront pas tombées d'accord.
Il n'est pas rare que les malades oublient les soins du médecin, les plaideurs ceux de l'avocat et les élèves ceux du professeur; la dignité des uns favorise encore l'avarice des autres; mais si la réclamation est portée en justice, elle doit être appréciée et jugée équitablement.
Le texte intervient ici pour indiquer où seront cherchées les bases de la décision : ce n'est pas la convention qui est mise en première ligne, justement parce qu'elle n'a pas suffi à constituer une obligation civile.
On tiendra compte d'abord de la qualité respective des personnes : le médecin est un grand praticien, fort occupé, ayant une clientèle choisie qui le paye largement, le malade lui-même est riche, l'indemnité pourra alors être élevée: elle le sera moins, au contraire, si le malade est d'une condition modeste ou pauvre, ou même, le malade étant riche, si le médecin est peu célèbre, peu occupé et généralement peu rétribué. Il va sans dire que le tribunal tiendra grand compte aussi du résultat du traitement.
De même pour l'avocat, on tiendra compte, d'une part, de sa célébrité ou de son obscurité et, d'autre part, de la situation pécuniaire de son client ; il y aura aussi à tenir compte du gain ou de la perte du procès, au point de vue de l'enrichissement.
Les mêmes éléments d'appréciation tirés des situations respectives seront utilisés pour les réclamations du professeur contre l'élève; l'instruction acquise par celui-ci correspondra au gain du procès pour le plaideur et à la guérison pour le malade.
La loi veut aussi qu'on tienne compte de l'usage des professions, lequel usage, étant connu des deux parties ou devant l'être, implique un engagement tacite de s'y conformer. Il se rapproche ainsi de la convention expresse que la loi met en dernière ligne, comme base d'appréciation de la rémunération des soins ou des services effectivement rendus.
Il n'y a pas de contradiction à donner une certaine valeur civile à la convention, lorsqu'elle a reçu son exécution de la part d une partie : quand il s'agit de savoir si le dommage éprouvé par elle est injuste, si l'enrichissement de l'autre est illégitime, lorsqu'on est ainsi en demeure d'appliquer civilement et judiciairement les régies de l'équité naturelle, il est juste et raisonnable de tenir compte de ce qui a été promis par le défendeur ; la convention qu'il a faite le constitue de mauvaise foi dans sa résistance après avoir librement reçu les services.
Les deux derniers alinéas de notre article supposent qu'au contraire les soins ou services demandés n'ont pas été acceptés et que les soins ou services promis n'ont pas été fournis. Il fallait décider s'il y aurait lieu à indemnité.
En principe, le premier alinéa a décidé négativement et nous l'avons développé en ce sens.
Mais ici encore, on peut se trouver en présence d'autres sources d'obligation civile que la convention.
Le médecin, après avoir promis de donner ses soins à un malade, l'avocat surtout, après avoir consenti à se charger d'une cause, peuvent avoir refusé d'autres cures à entreprendre ou d'autres causes à plaider et avoir ainsi sacrifié un avantage de leur profession, en comptant sur la demande qui leur avait été faite. Si ensuite le malade ou le plaideur refuse d'user de leurs services, ils auront éprouvé, par l'effet de la première convention, un préjudice dans leurs intérêts. Usera rare assurément que la preuve en soit certaine, mais il est bon que le principe en soit posé.
De même, et réciproquement, le malade ou sa famille, comptant sur la promesse du médecin, ont négligé de s'assurer les soins d'un autre; plus tard, le premier refuse de commencer ou de continuer la cure: il en peut résulter une aggravation du mal et un préjudice pécuniaire.
Le cas est encore plus évident pour les soins promis par un avocat, lequel ensuite abandonnerait la cause dont il s'est chargé : sera peut-être difficile de trouver en temps utile un antre avocat et la cause pourra être compromise, peut-être perdue, par suite de ce retard.
Le raisonnement serait le même pour un élève et son professeur.
Dans tous ces cas, il faut supposer toujours, pour qu'il y ait lieu à indemnité, que le motif qui a déterminé le médecin ou le malade, l'avocat ou le client, le professeur ou l'élève, à abandonner la convention formée, n'est pas “légitime.”
SECTION II DU CONTRAT D'APPRENTISSAGE.
Il paraît utile d'insérer dans cette partie du Code quelques règles sur le contrat d'apprentissage, pour prévenir ou réprimer des abus provenant presque toujours du maître ou patron, soit dans les stipulations où il impose trop facilement ses conditions à la famille du mineur, souvent pauvre et toujours moins expérimentée, soit dans l'exécution du contrat que l'apprenti n'osera pas contester avant d'en avoir longtemps souffert.
Il suffit d'ailleurs de poser seulement quelques règles protectrices des droits et des intérêts de l'appprenti. On ne trouvera donc rien ici concernant la durée du travail journalier de l'enfant et de ses jours de repos : il ne conviendrait pas d'insérer dans le Code civil, dont la fixité doit être un des caractères, une matière essentiellement variable, dépendant des circonstances de temps et de lieu et des modifications conditionnelles apportées aux industries et à leurs procédés.
Nous remarquons sur ce contrat que, bien qu'il soit rattaché ici au contrat de services, il s'écarte des règles ordinaires de ce contrat en ce que les services y sont plutôt é c h a n g é s les uns contre les autres que payés par celui qui les reçoit : l'apprenti paye en travaux et en services divers les soins et l'enseignement professionnel qu'il reçoit, et réciproquement, le patron paye en soins et en enseignement les services que l'apprenti lui rend ; mais comme il n'est pas impossible, comme il est fréquent même qu'il intervienne quelque prestations de sommes d'argent, soit au commencement, par l'apprenti au profit du maître, soit, vers la fin, par le patron à l'apprenti devenu son ouvrier, il est naturel de ne pas séparer le contrat d'apprentissage du contrat de services.
Art. 267 et 268. Le contrat d'apprentissage est synallagmatique et, par conséquent, à titre onéreux : la loi indique d'abord l'obligation principale de chaque partie : le maître ou patron doit enseigner à l'apprenti Son métier, son industrie ou son commerce; l'apprenti doit, de son côté, rendre des services dans la nature des travaux relatifs au métier ou à la profession qu'il Veut apprendre : l'article 271 le précisera davantage.
On remarquera que la loi ne parle que de “métier ou profession” et ne parle pas d'art; c'est justement pour ne pas confondre les maîtres-artisans avec les professeurs des sciences et beaux-arts dont il a été question précédemment et dont les rapports avec les élèves sont réglés différemment.
La loi ne suppose pas que le contrat d'apprentissage ait lieu pour les travaux agricoles ; ce n'est pas une exclusion ; mais les jeunes gens qui veulent apprendre l'agriculture s'engageront plutôt comme domestiques de ferme, aides-jardiniers ou surveillants, suivant le but qu'ils se proposeront, et leurs rapports avec le maître seront alors réglés par les articles précédents sur le contrat de services.
Ces deux premiers articles protègent à un autre point de vue, et doublement, les mineurs des deux sexes.
D'abord, les mineurs ne peuvent prendre seuls ni par eux-mêmes les engagements qui résultent du contrat d apprentissage : ils doivent être ou assistés de leur père ou tuteur ou représentés par lui.
Le seconde protection accordée aux mineurs c'est que leurs parents ou représentants ne puissent les engager comme apprentis au-delà du temps de leur minorité. Sans doute, si l'apprentissage a commencé tardivement, il ne pourra pas toujours être terminé à la majorité ; mais il convient que le jeune homme, devenu civilement maître de choisir son métier ou sa profession, ne se trouve pas gêné dans sa détermination par un engagement pris en son nom plutôt que par lui-même ; le maître ne souffrira pas de cette limite qu'il a dû connaître, et ce serait d'ailleurs pour lui un bien mauvais apprenti qu'un jeune homme faisant un travail qui lui déplaît.
Bien entendu, l'apprenti devenu majeur pourra renouveler le contrat et consentir à lui donner désormais la durée qu'il lui plaira, dans les limites du contrat de services (v. art. 261).
Art. 269. Il est désirable que les parties aient soin de régler par écrit le plus de points possible de la convention d'apprentissage, ou, si elles ne rédigent pas d'acte, elles feront bien de s'expliquer en présence de témoins sur ce que chacune devra faire en faveur de l'autre. Ce contrat, en effet, n'est pas, comme la plupart des autres contrats nommés, susceptible d'une portée générale ou commune qui se reconnaisse à ht seule dénomination consacrée, comme la vente, le louage de choses, le prêt, où, une fois connus le genre et le nom du contrat, chaque espèce ne diffère guère des autres que par l'importance de l'objet ou de la somme due : ici les obligations respectives des parties peuvent être d'une variété infinie ; elles ont donc besoin d'être bien précisées, à l'origine, pour que l'une des parties ne demande pas ce que l'autre pourrait aisément contester.
La loi, prévoyant la négligence des contractants permet d'y suppléer par l'application de l'usage local en cette matière, et, naturellement, c'est l'usage du lien où s'exerce la profession du patron et non celui du domicile de l'apprenti : ce n'est pas à ce dernier de changer la règle de la maison où il entre, mais bien de s'y conformer.
Si la coutume locale est insuffisante, la loi elle-même supplée, ci-après, au silence des parties sur quelques points importants.
Art. 270. Cet article impose des obligations au maître ou patron ; les deux suivants en imposent à l'apprenti.
Le patron ne donne pas de salaire à l'apprenti pour les services qu'il en reçoit ; mais il est naturel qu'il le loge, le nourrisse et l'entretienne, ce qui comprend les vêtements, au moins ceux de travail ou d'usage journalier, et les soins pendant la maladie ; la loi veut encore que le patron fournisse, au moins en prêt gratuit, les outils ou instruments du métier, toujours si la convention ou l'usage local n'y sont pas contraires.
Mais ce que le maître dont surtout à l'apprenti ce sont les moyens d'apprendre la profession, l'état ou lemétier pour lequel le contrat est formé. Or, parmi ces moyens, il y a d'abord l'occasion de voir travailler le patron ou ses ouvriers, et cela, en les aidant : l'observation du travail des autres exige que l'apprenti ne soit pas constamment occupé lui-même, et séparément, à des ouvrages grossiers, faciles, qu'il pourrait recommencer indéfiniment, sans profit réel pour son avenir. C'est sur ce point qu'il est difficile de poser des règles générales dans la loi et même dans la convention ; aussi, plus qu'en aucune autre matière, doit-on ici observer le principe que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi” (v. Liv. des Biens, art. 330).
La loi suppose que l'apprenti “mineur” ne sait pas encore exactement lire, écrire et compter ; dans ce cas, elle oblige le patron à lui laisser chaque jour une heure au moins à consacrer à l'étude de ces trois rudiments essentiels de l'instruction civile : la lecture, l'écriture et le calcul élémentaire.
Remarquons : 1° que cette heure par jour ne doit pas se prendre sur le temps de repos de l'apprenti : autrement, sa santé serait compromise ou l'étude serait sacrifiée ; 2° que cette obligation ne peut être exclue par convention contraire.
Art. 271 et 272. Voici maintenant les obligations de l'apprenti : comme il ne donne généralement pas de prix au patron pour l'enseignement professionnel qu'il reçoit de lui, il lui doit son travail et ses services. Mais il ne faut pas que ces services et ce travail soient dans un ordre de faits entièrement étrangers au métier ou à la profession qu'il s'agit d'apprendre, comme des travaux domestiques ou de jardinage : au moins il ne faut pas que ce soit l'occupation principale de l'apprenti. Du reste, autrement, son temps serait perdu et il arriverait tard et imparfaitement à la connaissance du métier auquel il se destine. Ici encore, la convention doit s'exécuter de bonne foi et l'usage ordinaire des professions doit être considéré comme accepté tacitement par les parties. Ainsi, presque partout, les jeunes apprentis font des courses pour le patron : ils portent l'ouvrage fait et vont chercher l'ouvrage à faire, ou les matières premières employées par le patron ; par exemple, un apprenti imprimeur porte les épreuves chez les auteurs ou chez les éditeurs ; un apprenti tisserand porte les étoffes faites, soit chez ceux qui les ont commandées, soit chez les industriels qui doivent leur donner une nouvelle façon, telle que teinture, apprêt, glaçage. S'il s'agit d'un apprenti commerçant, il portera les objets vendus, il ira recevoir de petites sommes d'argent, etc.
Evidemment, ces courses n'instruisent guère l'apprenti dans le métier, mais elles sont la compensation de l'enseignement professionnel qu'il reçoit à d'autres moments. Il ne faut pas que le patron en abuse ; mais il ne faut pas non plus que l'apprenti ou ses parents l'y refusent ; ce refus ne serait permis que s'il avait été convenu que l'apprenti rétribuerait le patron en argent et ne ferait pas de courses au dehors.
C'est aussi un usage général que les apprentis entretiennent l'ordre et la propreté dans le magasin ou l'atelier : outre qu'ils s'en acquittent mieux que des serviteurs ordinaires, parce qu'il y faut des soins spéciaux, ils y apprennent aussi, pour l'époque où ils seront patrons à leur tour, comment un pareil établissement doit être entretenu.
Comme l'apprenti doit au patron un certain temps de son travail applicable aux travaux professionnels du patron, il ne faudrait pas qu'il en fût libéré sans l'avoir effectivement fourni ; si donc, par maladie ou autre cause majeure, il y a eu interruption dans son travail et ses services, il doit prolonger d'autant son apprentissage.
Mais on ne pouvait pas admettre qu'il serait fait un compte journalier de l'emploi de son temps : la loi ne tient compte que des empêchements ayant duré un mois ou plus.
Bien entendu, on ne tient compte que de 30 jours consécutifs ; autrement, il faudrait tenir le compte journalier du travail, ce qu'on a voulu éviter.
La loi a soin d'exprimer qu'il ne s'agit que d'une maladie de l'apprenti ou “d'une cause majeure provenant de lui, ou de sa famille par conséquent, une maladie du patron suspendant le travail de l'atelier ne ferait pas prolonger le temps de l'apprentissage.
Art. 273. et 274. Les causes qui mettent fin au contrat d'apprentissage sont de deux sortes : les unes y mettent fin de plein droit et par elles-mêmes ; les autres doivent être soumises à la justice, laquelle peut, en les admettant, condamner à des dommages-intérêts la partie qui y a donné lieu.
Les premières causes sont au nombre de quatre.
I. La mort du patron met fin au contrat, non seulement quand cet événement fait cesser le fonctionnement de maison commerciale ou industrielle et ainsi empêche que l'apprenti puisse continuer son instruction professionnelle, mais même lorsque la maison continue à fonctionner, soit dans les mains d'un associé, soit sous la direction de veuve on de l'héritier du patron ; en effet, il est naturel de croire que la considération de la personne du patron a été une des causes déterminantes du contrat.
Il était moins utile de dire que le contrat prend fin par la mort de l'apprenti, car il ne pourrait être question d'obliger le patron à ensigner son métier ou sa profession à l'héritier de l'apprenti ; mais il serait singulier aussi de n'indiquer qu'une personne dont la mort dissout le contrat, losqu'il y en a deux; enfin, il est bon que l'on dise que la dissolution par la mort de l'uno ou de l'autre partie met licitement fin au contrat, de sorte qu'il n'y ait pas d'indemnité à donner de part ni d'autre ; en effet, des quatre causes qui mettent fin au contrat, la troisième seule donnera lieu à indemnité, parce que c'est la seule où il y ait faute.
II. Le service militaire est une obligation publique et légale dont l'accomplissement doit primer toutes les obligations privées et volontaires ; celui des contractants qui est appelé à ce se rvice se trouvera donc libéré des obligations du contrat d'apprentissage. Le cas sera plus rare chez le maître que chez l'apprenti, à cause de l'âge.
Il pourrait arriver que l'engagement au service de l'un ou de l'autre des contractants fût volontaire ; la loi ne fait pas entre l'engagement volontaire et le service militaire forcé la distinction qu'on a faite au sujet du contrat de services : comme il n'est pas à craindre que l'une des parties s'engage volontairement comme soldat ou comme marin, dans le seul but de se soustraire aux obligations nées du contrat d'apprentissage, il vaut mieux laisser, dans tous les cas, au service militaire, si méritoire aux yeux de la loi, l'effet privilégié ici indiqué.
III. La condamnation criminelle ou correctionnelle de l'un des contractants à une peine égale ou supérieure à trois mois d'emprisonnement est un obstacle évident à l'accomplissement des obligations respectives des parties, et comme, en même temps, il y a faute, le condamné sera passible de dommages-intérêts envers l'autre partie (voy. art. suivant).
IV. Généralement, c'est par la convention que sera fixée la durée du contrat d'apprentissage : le temps “fixé par la loi” comme mettant fin au contrat ne peut guère être que le temps où l'apprenti devient majeur (v. art. 268).
Dans les cas prévus à l'article 274, le contrat ne finit plus de lui-même et de plein droit : il faut une decision de la justice, obtenue sur la demande de la partie intéressée.
On trouve cinq cas de cette extinction par voie d'action.
I. L'inexécution des obligations a ici son effet ordinaire et ne demande pas de développement ; nous remarquons seulement que lors même que l'inexécution proviendrait d'une cause majeure, comme une maladie ou un accident, la résolution ne serait pas moins possible, sous l'appréciation du tribunal ; en effet, le contrat d'apprentissage appartient au contrat de services réciproques, et il est dans la nature de ce contrat, que celui qui doit les services soit garant de la jouissance ou des services promis, même contre les cas fortuits ou de force majeure, non pas, il est vrai, jusqu'à devoir une indemnité, mais jusqu'à s'abstenir de recevoir l'équivalent des services promis.
II. Les mauvais traitements du patron envers l'apprenti doivent s'entendre ici d'une façon très-large : ils comprendraient non seulement des voies de fait ou une alimentation insuffisante, mais un excès de travail imposé à l'apprenti, soit comme durée journalière, soit comme nature de travaux ; enfin, s'il s'agissait d'une fille mineure, les procédés blessants pour sa pudeur, même les mauvaises paroles, devraient être considérés comme rentrant dans les “mauvais traitements.”
III. L'inconduite de l'apprenti devra être “habituelle” : quelques écarts de conduite non renouvelés ou très-peu rapprochés ne suffiraient pas, en général ; mais s'il s'agissait de détournements de valeurs ou de marchandises, il n'y aurait pas besoin de l'habitude; le cas rentrerait dans le n° suivant.
IV. Quand le délit du partron ou de l'affranchi a été puni d'un emprisonnement de trois mois ou plus, avec ou sans travail obligatoire, la faute est assez grave, aux yeux de la loi, pour que le contrat d'apprentissage soit résilié de plein droit. Mais un délit moindre peut être suffisant pour motiver une demande en résiliation de la part de l'autre partie : c'est au tribunal à apprécier la nature de ce délit et l'influence qu'il peut avoir sur les rapports ultérieurs des parties.
V. L'éloignement du patron du lieu où devait s'exécuter la convention obligerait l'apprenti à s'éloigner avec lui du lieu où il a probablement sa famille ou ses protecteurs; c'est un préjudice auquel il ne doit pas être soumis sans son consentement.
La loi termine en soumettant à des dommages-intérêts celui qui par sa faute a donné lieu à la résolution, et elle saisit cette occasion pour y soumettre aussi le condamné à trois mois d'emprisonnement dont parle l'article précédent.
Du reste, dans ces divers cas, c'est plutôt contre le patron (s'il est en faute) qu'il y aura lieu de prononcer les dommages-intérêts que contre l'apprenti, parce que celui-ci souffrira plus que le patron de la résolution du contrat : un patron remplace aisément un apprenti qui se conduit mal ou qui est malade.
On pourrait s'étonner de ne pas voir ici de résolution du contrat par la seule volonté d'une des parties, sauf indemnité pour l'autre; on doit admettre pourtant que le patron ne peut être absolument forcé de conserver un apprenti qui lui déplaît par son caractère ou qui lui est inutile; le patron peut aussi cesser d'exercer sa profession ; de son côté, l'apprenti peut, de l'avis de sa famille, renoncer à la profession à laquelle il se destinât ou désirer changer de patron.
Quoique cet exercice de la liberté individuelle puisse ne pas toujours être légalement justifié, il ne peut cependant être empêché : il donnera lieu seulement à dommages-intérêts. Il n'est pas nécessaire d'ailleurs d'en faire l'objet d'une disposition spéciale : si les parties ne parviennent pas à une résiliation amiable, il y aura lieu à résolution en justice pour inexécution des obligations de l'une d'elles.
SECTION III.
DU CONTRAT D'ENTREPRISE. D'OUVRAGE
Art. 275. Ce qui caractérise l'entreprise d'ouvrage et empêche de la confondre avec le contrat de services, c'est comme le texte l'exprime : 1° qu'il s agit d exécuter un travail déterminé, 2° que le prix est fixe d avance à forfait.
Le travail à exécuter peut être industriel, en prenant ce mot dans un sens large, de manière à y comprendre les travaux où l'intelligence est associée à l'effort matériel pour une part plus ou moins large: par exemple, des constructions de bâtiments, des fabrications ou réparations d'objets mobiliers, des cultures, des copies, des écritures, et même de la comptabilité ou des traductions ; il peut aussi être purement m an u e 1, c'est-à-dire sans art, comme des terrassements, des charrois de matériaux, des démolitions, des plantations ou arrachages d'arbres, des récoltes de fruits.
Le prix alors, au lieu d'être fixé à raison de la durée du travail, par jour, par mois ou par an, comme dans le contrat de services, est fixé d'avance, soit pour tout le travail convenu, soit pour ses diverses parties : par exemple, ‘‘ tant par mesure, par nombre, ou par poids”
Mais pour que la convention soit un contrat d'entreprise d'ouvrage, il faut que l'ouvrier travaille sur la matière du maître ou preneur, soit qu'il s'agisse de fonds de terre à modifier ou de bâtiments à réparer, soit qu'il s'agisse d'un bâtiment à construire en entier avec les matériaux fournis par le maître, ou d'un vêtement à confectionner avec ses étoffes, ou de tout autre objet à créer avec la matière du maître.
Si, au contraire, l'ouvrier doit fournir la matière, alors il y a vente, et non pas seulement vente de la matière avec contrat d'entreprise d'ouvrage, mais vente de l'objet confectionné. C'est pourquoi le texte dit qu'alors “la vente est conditionnelle” : elle est sous la condition suspensive de l'exécution de l'objet.
Ce caractère conditionnel de la vente est très important à noter : si l'on disait que la vente est ferme et actuelle pour la marchandise ou la matière, dès qu'elle est choisie par le maître, comme chose certaine, celle-ci serait dès lors aux risques du maître devenu propriétaire ; en cas de perte, le dommage serait pour lu et il en devrait le prix, quoique ne recevant rien ; or, ce résultat est considéré par la loi comme étant contraire à l'intention des parties. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait que les contractants s'en fussent expliqués ou que la vente de la matière eût été faite par un contrat distinct du contrat d'entreprise d'ourage, lequel chargerait le vendeur du travail désiré.
Il peut arriver que le maître et l'ouvrier fournissent chacun une partie de la matière. Dans ce cas, pour déterminer la nature du contrat, vente ou louage, ou doit rechercher quel est celui qui fournit le plus de matière, comme quantité ou comme importance : si l'ouvrier fournit plus que le maître, il y aura vente de l'ouvrage entier ; dans le cas contraire, il y aura entreprise d'ouvrage absorbant la vente d'une partie de la matière.
Art. 276. Le présent article établit formellement la théorie des risques” dans les deux cas spécifiés à l'article précédent,” c'est-à-dire, tant lorsque la matière est fournie par le maître que lorsqu'elle est fournie par l'ouvrier.
Le principe est le même dans chaque cas et il est aussi le même pour la perte de la matière et pour celle de la main-d'œuvre : la perte est pour celui à qui appartient la matière et qui a fait le travail.
Ier Cas. La matière appartenait au maître, il l'avait seulement livrée à l'ouvrier pour être façonnée ; au cours du travail, la chose périt par cas fortuit ou par force majeure : la perte tombe sur le maître, comme si la chose avait péri dans ses mains ou chez un dépositaire, un locataire ou un mandataire ; de même, le travail déjà fait sera perdu pour l'ouvrier, car il doit procurer le travail fait, avant d'en recevoir le prix.
IIe Cas. La matière est fournie par l'ouvrier: la vente étant subordonnée à l'exécution de l'ouvrage, la propriété appartient encore à l'ouvrier, c'est donc pour lui qu'elle périt ; quant à son travail, la solution est la même que précédemment et pour le même motif.
Mais il peut arriver que le travail ait été terminé avant l'accident. Il faut alors examiner si le maître était ou non en retard de vérifier le travail et de le recevoir.
S'il avait été informé de l'achèvement et avait négligé de le recevoir, ou si le travail avait été fixé pour un jour déterminé et si l'objet devait être retiré par le maître chez l'ouvrier et non livré par celui-ci chez le maître, dans ces deux cas, la perte serait pour le maître qui, outre qu'il n'aurait plus sa chose, devrait encore payer le travail. La solution serait la même, si l'ouvrage avait dû être reçu par parties et qu'une partie fût finie lors de la perte, avec retard du maître à en prendre livraison.
Au contraire, si c'était l'ouvrier qui fût en retard de livrer la chose ou de prévenir le maître de l'achèvement, il supporterait la double perte, parce qu'il en serait la cause indirecte, et même il pourrait être tenu de dommages-intérêts, si le maître établissait que, faute d'avoir eu la chose en temps utile, il éprouve une perte ou manque un gain assuré.
La loi suppose enfin qu'il y a eu seulement une perte partielle de la chose.
On a déjà rencontré plusieurs fois la question de perte partielle, notamment au cas de louage de choses (Liv. des Biens, art. 146). d'aliénation conditionnelle ou alternative (art. 419 et 429), la loi ne doit pas, ici plus que dans les autres cas, laisser subsister d'incertitude, et elle ne trouve pas suffisante la solution des jurisconsultes qui disent que “presque tout est considéré comme tout et presque rien comme rien” ; il y a des pertes dont on ne peut dire ni qu'elles sont “presque totales,” ni qu'elles sont “presque nulles” et dont il fait régler les conséquences. Le système adopté ici est le même que celui des articles précités : si la perte est de moitié ou de plus elle est considérée comme totale ; si elle est de moins de moitié, il n'en est pas tenu compte pour le règlement, à moins que l'une des parties ne soit en faute, auquel cas on applique cumulativement la théorie des risques dans le louage (art. 146) et dans la vente conditionnelle (art. 419 et 420) à laquelle le texte renvoie.
Cette décision, limitée au cas où il y a vente conditionnelle de la matière par l'ouvrier, cesse si c'est la matière du maître qui périt pour partie : l'autre partie subsistant, quelle qu'elle soit, lui reste, et comme elle a reçu une façon qui en est inséparable et dont le maître peut tirer profit, il ne serait pas juste qu'il gardât ce profit sans indemniser l'ouvrier.
On peut citer l'exemple d'un mur à construire sur le terrain et avec les matériaux du maître, lequel mur aurait été, au cours du travail, renversé en partie par une inondation : la portion de mur qui resterait debout, qu'elle fût intérieure ou supérieure à la moitié, aurait toujours plus de valeur que les matériaux employés n'en avaient avant la taille et la pose.
On a supposé jusqu'ici que la chose a péri par cas fortuit ou force majeure, et bien entendu, c'était à la charge de l'ouvrier de prouver le cas fortuit, d'après le principe général de l'article 541 du Livre des Biens.
On peut supposer encore que la perte est arrivée par le vice propre de la chose. Si c'est l'ouvrier qui fournissait la matière, il subira toujours la perte, tant de la matière que de son travail, car il doit s'imputer d'avoir mal choisi la matière ; mais si la matière était fournie par le maître, on devra distinguer si le vice était apparent ou facile à découvrir, au moment de la mise en œuvre : dans ce cas, l'ouvrier serait en faute de n'avoir pas signalé le danger et non seulement il perdrait tout droit au prix de son travail, mais encore il serait tenu d'indemniser le maître de la perte de la matière qui aurait pu recevoir un autre emploi sans périr.
Art. 277. Lorsque le travail commandé par le maître doit avoir une assez grande importance par sa durée ou son étendue, l'ouvrier a intérêt à le faire recevoir par parties, pour ne pas encourir une trop longue ou trop grande responsabilité des risques, et aussi pour ne pas faire lui-même une avance trop considérable de ses fonds. Il peut donc stipuler que le maître aura à vérifier et recevoir le travail par parties déterminées, avec ou sans payement desdites parties. Par exemple, s'il doit construire un mur on un terrassement d'une grande longueur, il pourra stipuler que le travail fait sera reçu par chaque étendue de tant de kens ; s'il doit construire une maison, il pourra faire la même stipulation pour l'établissement des fondations, puis pour l'élévation de toute la charpente, y compris celle du toit : s'il doit fabriquer du thé, des porcelaines, des boîtes laquées, il pourra stipuler un règlement partiel, par poids ou par nombre.
La loi ne prévoit cette stipulation, comme naturelle et vraisemblable, que “lorsque le maître fournit la matière” ; car si l'ouvrier était vendeur de la matière, il pourrait, à la rigueur, demander des à-comptes, au cours du travail, mais cela n'ôterait pas à la vente son caractère conditionnel pour la totalité et ne préserverait pas l'ouvrier-vendeur de la responsabilité des risques, à moins de convention contraire.
La disposition du présent article a soin d'exprimer que la réception partielle décharge l'ouvrier des risques de son travail, lors même que la livraison n'en devrait pas être faite au maître avant l'achèvement total ; il va de soi d'ailleurs que, tant que la matière reste dans les mains de l'ouvrier, il doit y apporter tous ses soins.
Le texte suppose ensuite que le maître, sans vérifie-et recevoir formellement le travail partiel, a fait des avances de fonds à l'ouvrier ou lui a fait des payements à-compte au cours du travail. On n'admet pas ici que les payements à-compte faits en proportion de l'ouvrage exécuté sont censés une vérification et une acceptation de ce travail : il pourra très-bien arriver que le maître, prié par l'ouvrier de lui faire une avance sur le prix total du travail, lui en donne le quart ou la moitié, sachant ou croyant que le travail est déjà exécuté pour cette fraction, mais n'ayant pas le temps ni la possibilité d'en vérifier l'étendue et la qualité, et ainsi une présomption de la loi en ce sens se trouverait souvent contraire aux faits.
Pour que les payements partiels suffisent par eux-mêmes, pour faire présumer l'acceptation du travail, il faudrait donc d'autres circonstances de fait pour arriver à cette présomption, par exemple, un examen plus ou moins minutieux du maître ayant précédé le payement.
Mais la loi arrive aussi à une certaine protection de l'ouvrier, si la chose a péri après cette sorte de payement : comme la vérification de la qualité du travail n'est plus possible, le maître ne répétera pas la partie de ses versements à-compte pour la partie correspondant à la quantité de travail fait, il ne répétera que ce qu'il aura donné au-delà de ce travail. La preuve testimoniale sera nécessaire, en pareil cas, pour établir à quel point en était le travail lorsque la chose a péri.
Ces deux solutions sont, en somme favorables à l'ouvrier, car 1° le maître sera disposé à faire des avances à l'ouvrier, du moment qu'elles ne lui enlèvent pas le droit de critiquer et de faire améliorer le travail fait ; 2° elles affranchissent l'ouvrier, en cas de perte, de l'obligation de restituer une partie des avances qui lui auraient été faites en bloc et sans rapport proportionnel exact avec le travail fait ; il y aura seulement à faire, après la perte, un compte de ce qui était déjà dû.
Art. 278. Il ne fallait pas admettre que le travail le moins bien exécuté ne donnât jamais lieu à réclamation, une fois qu'il aurait été reçu.
Notre article, sans mentionner le cas de dol qui est généralement sous-entendu, accorde au maître le droit de revenir sur son acceptation, de la rétracter, en prouvant que le travail a des vices ou “défauts non apparents qui rendent la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée.”
Cet article, ne concernant que les vices ou défauts cachés du travail, est applicable aux immeubles aussi bien qu'aux objets mobiliers ; mais pour les immeubles, il faut ajouter l'article suivant qui concerne la perte de la chose ou sa détérioration.
La loi devait fixer un délai très-court pour l'exercice de cette action : il a paru naturel d'adopter le même délai (3 mois) que pour la garantie des défauts cachés de la chose vendue, lorsqu'elle est mobilière, quoiqu'il ne s'agisse pas ici exclusivement de meubles, mais parce que l'article suivant donne un délai plus long pour les constructions : la loi l'exprime formellement quand le travail est fait sur la matière du maître ; et lorsque, le travail est fait sur la matière de l'ouvrier, alors qu'il y a vente la loi renvoie formellement à l'article 99 sur les vices cachés ou rédhibitoires del a chose vendue.
Bien entendu, ce délai réduit ne s'applique pas au cas de dol : dans ce cas, l'action durerait 5 ans, conformément au droit commun (v. Liv. des Biens, art. 544).
Il fallait aussi fixer le point de départ du délai : ce n'est pas celui de la découverte du vice non apparent, parce que, du moment où il n'y a pas eu dol, l'ouvrier ne doit pas souffrir du retard que le maître aurait éprouvé a découvrir la malfaçon. Ce n'est pas non plus le jour de la prise de possession, parce que le maître peut avoir tardé à prendre livraison et l'ouvrier ne doit pas souffrir de la complaisance qu'il aura mise à garder la chose pour le maître.
Le délai court à partir de la réception de l'ouvrage entier et non pas de la réception partielle qui aurait pu être faite, bien que peut-être les vices cachés concernent cette partie.
Art. 279. La loi arrive au cas où le travail a spécialement pour objet des constructions.
Il ne s'agît d'abord que d'ouvrages entièrement nouveaux et non de simples réparations, lors même qu'elles auraient le caractère de “grosses réparations ;” c'est ce qui résulte du mot “construction” employé par le texte.
La loi ne prétend pas énumérer tous les ouvrages qui peuvent donner lieu à l'application du présent article ; mais elle énonce les principaux, pour mieux faire comprendre la nature des travaux dont il s'agit. Elle ne se borne pas d'ailleurs à prévoir, comme dans l'article précédent, des vices non apparents, découverts plus tard et rendant la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée ; il s'agit de conséquences plus sérieuses de la malfaçon : les édifices ou constructions se sont écroulés, ont péri, en tout ou en partie, ou ont subi des détériorations graves, et la cause en est, non dans une force majeure, mais dans un vice de construction ou dans un vice du sol qui aurait dû être corrigé avant le commencement de la construction.
Au sujet de la perte partielle on des détériorations, la loi n'exige pas qu'elles aient une importance déterminée ; il faut au moins qu'elles soient “graves :” du moment qu'elles sont assez sérieuses pour être l'objet d'une réclamation et que la cause en est une faute de l'entrepreneur, il est juste que l'indemnité en soit due.
La loi exprime aussi que la responsabilité est la même contre les constructeurs, soit qu'ils aient construit sur le terrain du maître ou sur un autre dont le maître était locataire, soit qu'ils aient construit sur leur propre terrain, pour livrer ensuite le bâtiment tout fait ; enfin, la même responsabilité incombe à ceux qui ont fourni leurs propres matériaux et à ceux qui ont employé les matériaux du maître : dans ce dernier cas, si les matériaux étaient défectueux, ils doivent s'imputer de les avoir acceptés et employés.
Il fallait fixer la durée de cette responsabilité.
La loi distingue ici trois sortes d'ouvrages :
1° Les murs et autres ouvrages en terre, pour lesquels la responsabilité dure deux ans.
2° Les maisons, édifices ou bâtiments dont le bois est la matière principale ce qui n'exclut pas des fondations ou assises en pierre pour les poutres maîtresses, et souvent une couverture en tuiles; ce sont là les constructions les plus fréquentes au Japon.
3° Enfin, les édifices, maisons ou constructions quelconques, en pierre ou brique, c'est-à-dire dont ces matériaux sont l'élément principal.
Cette distinction des constructions en trois classes a pour effet de graduer la durée de la responsabilité de l'entrepreneur à raison du temps que doivent durer les constructions à l'état normal. La responsabilité durera : deux ans au 1er cas, trois ans au 2e cas, et dix ans au 3e cas. Ce n'est pas à dire que ces divers ouvrages n'aient qu'une durée normale de 2, 5 ou 10 ans ; mais c'est parce que, lorsque ces divers délais se sont écoulés sans accident, il est vraisemblable qu'il n'en surviendra pas qui soient dus à la faute de l'entrepreneur, c'est-à-dire à des vices de la construction ou du sol, et il est bon que l'entrepreneur se sache déchargé à un moment donné, afin de pouvoir entreprendre d'autres travaux, sans trop d'inquiétude pour le passé.
Le point de départ de cas divers délais est la réception de l'ouvrage, comme dans l'article précédent ; si le maître tardait à vérifier et recevoir, l'entrepreneur le mettrait en demeure, pour faire courir le délai.
Art. 280. Le précédent article règle la durée de la responsabilité de l'entrepreneur, c'est-à-dire le temps pendant lequel l'édifice doit rester stable et dans son état normal, sous peine d'indemnité par l'entrepreneur an maître. Il fallait aussi régler la durée de l'action, une fois qu'elle est née par la chute on la détérioration de l'édifice.
La prescription est très-courte et avec une distinction de deux cas : ou il y a eu perte totale ou il n'y a eu que perte partielle ou simple détérioration. Cette distinction influe à la fois sur le point de départ de l'action et sur sa durée. Au 1er cas, une fois la perte totale survenue, le droit d'agir en indemnité est né, est certain et a atteint sa plus grande étendue; la perte est donc le point de départ de la prescription et l'action dure un an. Au 2e cas, il y a déjà un droit d'agir, mais il pourra s'étendre avec l'aggravation de la détérioration : il n'y a pas lieu de forcer en quelque sorte le maître à agir en indemnité, parce que cette indemnité peut ne pas être encore définitive et qu'il serait très-difficile d'avoir à régler des indemnités successives. Le point de départ est donc l'expiration du délai pendant lequel l'entrepreneur est responsable (délai qui varie avec la nature du travail), et dans ce cas, une fois ledit délai expiré, il en commence un autre pour l'action, mais il n'est plus que de six mois.
Art. 281. La loi prévoit aussi que les plans peuvent avoir été modifiés au cours du travail ; c'est là une source fréquente de contestations dans lesquelles l'entrepreneur prétend faire modifier le prix de son travail, primitivement réglé à forfait.
Pour mettre le maître à l'abri de réclamations tra-cassières et pour qu'il sache exactement à quoi il s'expose légitimement en demandant ou en consentant des changements au plan primitif, la loi veut que l'augmentation de charges qui en résultera pour lui soit fixée par écrit; ce qui exclut la preuve testimoniale.
La loi a bien soin de limiter cette exigence d'un écrit aux “modifications” au plan primitif et de ne pas l'appliquer à des additions ou à des suppressions distinctes et formant une partie séparée en plus ou en moins.
La loi protège encore le maître, en refusant à l'entrepreneur le droit de décliner la responsabilité de la solidité des édifices sous le prétexte que les plans ont été changés : c'était à lui de les rejeter, ou si le maître entendait les lui imposer, il devait alors se faire donner parécrit une décharge de la responsabilité.
Art. 282. Il y a peu de contrats qni puissent se résoudre par la seule volonté d'une seule des parties. Mais pour l'entreprise d'ouvrage, il y avait lieu de la placer dans l'exception, comme on l'a fait déjà pour le contrat de services (v. art. 260).
En effet, il serait déraisonnable que le maître fût obligé de laisser exécuter un travail qui a cessé de lui être utile ou de lui plaire, ou qu'il se verrait dans l'impossibilité de payer.
Dans le cas où le travail se fait sur la chose du maître, il y a encore une raison de lui permettre de résilier le contrat, c'est qu'il doit pouvoir reprendre sa chose quand il lui plaît et dans l'état où elle est.
Art. 283. La loi présente ici un nouveau cas du droit de rétention comme garantie de l'entrepreneur. On sait que ce droit figure en première ligne parmi les garanties réelles.
Art. 284. La faculté de résiliation volontaire n'est pas accordée à l'entrepreneur comme au maître, parce qu il n'y peut avoir un intérêt aussi légitime, et aussi parce qu'il ne pourrait pas indemniser le maître d'une façon aussi certainement complète et exacte : les avantages que le maître attend de l'ouvrage commande ne sont pas toujours appréciables en argent, comme ceux que cherche l'entrepreneur.
Mais si la loi ne consacre pas pour l'entrepreneur un droit formel de résilier le contrat par sa seule volonté, c'est une faculté quelle ne peut lui enlever, en fait, parce que le débiteur ne peut jamais être contraint effectivement à l'excution d'une obligation de faire, (Liv. des Biens, art. 382) ; or, nous sommes justement en présence d'une telle obligation. Ce n'est donc que par la crainte de forts dommages-intérêts que le débiteur de mauvaise volonté sera maintenu dans le respect du contrat.
Mais si le contrat n'est pas résoluble par la volonté de l'entrepreneur, il l'est par sa mort ou par l'impossibilité où il se trouverait d'exécuter le travail, au moins dans le cas où la personne même de l'entrepreneur ou de l'ouvrier auraient été, à cause de son habileté particulière, une considération déterminante du contrat.
Bien qu'ici la résolution ne soit pas due à une faute de l'entrepreneur, c'est lui qui en souffrira, en perdant d'abord son gain, puis la valeur du travail déjà fait, à l'exception de ce qui en constituera pour le maître un profit ou une utilité ; il ne s'agit pas d'ailleurs d'une utilité absolue qui serait la même pour tout le monde, il s'agit d'une utilité dans l'ordre d'intérêts aù le travail avait été commandé : c'est ce que la loi exprime en se référant “au but que le maître se proposait.”
Le motif qui fait mettre ainsi à la charge de l'entrepreneur ou de sa succession les conséquences de son impossibilité de travailler ou de sa mort, c'est que, dans le contrat d'entreprise d'ouvrage, les risques, les cas fortuits sont à la charge du bailleur, comme on l'a vu plus, haut.
Il ne faudrait pas limiter cette solution et l'application de notre présent article au cas où. le contrat est un pur contre d'entreprise louage d'ouvrage, parce que le maître fournit la matière : il faut donner la même solution quand l'ouvrier fournit la matière, outre son travail, parce que, malgré le caractère de vente que la loi reconnaît au contrat, comme étant dominant, il y a aussi, accessoirement, un contrat d'entreprise d'ouvrage dont la loi a déjà fait plus d'une application.
Art. 285. Il arrive souvent que l'entrepreneur, surtout pour les constructions, est obligé de faire lui-même des contrats d'entreprise d'ouvrage avec des sous-entrepreneurs, pour l'exécution de diverses parties du travail ; par exemple, il fera faire par l'un les terrassements, par un autre la taille et la pose des pierres, et de même pour la charpente, la couverture, la peinture, etc.
Ces contrats particuliers sont, au fond, de la même nature que le contrat principal ou, tout au moins, ils établissent entre les sous-entrepreneurs et l'entrepreneur principal des rapports semblables à ceux qu'ils créeraient avec le maître s'ils étaient faits avec lui. Ainsi, si l'entrepreneur leur fournit la matière, ils ne font que lui louer leur travail : ils sont bailleurs vis-à-vis de lui ; si ce sont eux qui fournissent la matière, ils sont vendeurs ; et, par cela même que le maître ne fournit pas non plus la matière, celui-ci sera acheteur et non preneur.
Mais quel sera alors le vendeur ? Sera-ce l'entrepreneur principal ou seront-ce les sous-entrepreneurs ? La loi tranche la question.
En principe, c'est l'entrepreneur qui est créancier du maître, soit qu'il y ait vente, soit qu'il y ait simple louage d'ouvrage, et il est, de son côté, débiteur envers les sous-traitants ; mais si l'entrepreneur ne paye pas ceux-ci, ils peuvent agir, en leur proprenom, contre le maître, pour ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal. Ce n'est donc pas seulement par l'action indirecte établie par l'article 339 du Livre des Biens, mais c'est par une action “directe,” comme notre article a soin de l'exprimer ; de sorte que, lors même que l'entrepreneur serait insolvable, ils ne seraient pas obligés de subir le concours avec ses créanciers.
Il ne faudrait pas voir là une cession légale de la créance, ce qui serait une théorie, ingénieuse peut être, mais un peu imaginaire : les sous-entrepreneurs ont une cause personnelle de droit contre le maître, bien qu'ils n'aient pas traité avec lui : ils ont géré ses affaires, ils ont fait pour lui ce qu'un autre devait faire et ils lui ont rendu le même service que celui qu'il attendait de l'entrepreneur principal.
La loi donne le même droit aux simples ouvriers qui n'ont pas le caractère de sous-entrepreneurs.
On trouvera au Livre des Garanties un privilège au profit de l'architecte ou entrepreneur sur les immeubles qu'il a édifiés, améliorés ou réparés. Ce privilège a de l'analogie avec celui du vendeur, dont il sera traité au même Livre.
FIN DES CHAP. I—XII DU LIVRE DE L'ACQUISITION DES BIENS.