Art. 722. — N° 290. La stipulation permise ici au vendeur, l'autorisant à recouvrer sa chose, sous certaines conditions, ne doit pas être considérée comme une application ordinaire de la liberté des conventions qui, en général, font loi entre les parties (art. 348): c'est une véritable faveur accordée au vendeur, pour le motif qu'on va donner. L'acheteur n'aurait pas la faculté inverse, celle de restituer la chose (sauf ce qui a été dit de la vente it l'essai, par l'article 668), et les limites que va recevoir l'emploi de cette stipulation par le vendeur prouveront encore qu'il n'y a pas ici une simple application de la liberté des conventions.
Il ne s'agit pas, en effet, d'une véritable revente que l'acheteur s'engagerait à faire au vendeur, comme le ferait croire le nom de rachat ou réméré consacré depuis les Romains; aussi ces mots sont-ils inexacts et il faut leur préférer celui de retrait (1). En réalité, il s'agit, comme a soin de l'exprimer le texte de notre article, non d'une nouvelle vente faite par l'acheteur à son vendeur, mais d'une résolution de la première vente, de sa destruction rétroactive, avec anéantissement des droits réels conférés aux tiers par l'acheteur. On comprend, dès lors, que la loi limite l'usage d'une stipulation dont les effets intéressent si gravement les tiers.
291. C'est justement cette destruction des droits des tiers qui pourrait faire hésiter, en législation, à admettre la stipulation de retrait. Sans doute, les tiers auront été avertis du danger de résolution par la transcription de la première vente, s'il s'agit d'immeuble, mais alors, ils auront acheté à un prix inférieur à la valeur réelle, comme le premier acheteur lui-même, et c'est toujours une chose fâcheuse qu'une chose soit vendue au-dessous de sa valeur, même avec chances à peu près égales de gain ou de perte. Si les tiers, pour éviter la résolution, s'abstiennent de traiter avec l'acheteur, il y a un autre inconvénient économique, un mal général pour le pays, car il est utile que les biens circulent facilement: toute nouvelle acquisition donne lieu à des dépenses qui améliorent les biens, pour satisfaire à des besoins ou à des intérêts nouveaux; la faculté de retrait met obstacle à la circulation des biens: celui qui les acquiert sous cette condition trouvera difficilement à les aliéner et lui-même ne sera pas disposé il faire des dépenses d'amélioration, n'étant pas sûr d'en jouir longtemps.
11 faut donc, pour passer outre à de telles objections, qu'il y ait une raison bien sérieuse de permettre cette résolution en faveur du vendeur; cette raison a été suggérée par l'expérience: on voit souvent des propriétaires se trouver dans un embarras d'argent momentané, ou au moins qu'ils croient tel, et auxquels il serait très pénible d'aliéner leur bien; sans doute, ils pourraient emprunter en donnant leur immeuble en garantie, mais les conditions du prêt sont souvent très onéreuses par les intérêts, et il pourrait arriver que le débiteur fut dans l'impossibilité de rembourser à l'échéance de sa dette; les biens alors devraient être vendus sur saisie, avec beaucoup de frais et de lenteurs; ce résultat sera évité au moyen d'une vente à prix réduit, librement consentie par le vendeur, avec faculté pour lui de recouvrer son bien, s'il peut, dans un certain délai, rembourser le prix qu'il a reçu.
292. Cette justification de la stipulation de retrait par le vendeur explique que la même faculté ne soit pas accordée à l'acheteur: comme personne ne peut se trouver contraint d'acheter, il n'y a pas lieu d'accorder à l'acheteur la faculté de résoudre son achat: une telle résolution aurait d'ailleurs un caractère purement patestatif, car il suffirait à l'acheteur de vouloir la résolution pour qu'elle eût lieu, puisqu'il pourrait toujours rendre la chose vendue, dès qu'il ne l'aurait pas aliénée ou hypothéquée. Le Projet, il est vrai, ne défend pas la condition purement potestative (v. art. 435), nomme le fait le Code français (art. 1174), mais il en restreint beaucoup les effets. Au contraire, la condition résolutoire est loin d'être potestative de la part du vendeur: pour résoudre le contrat il faut qu'il puisse restituer le prix; or, cela lui sera souvent difficile, d'autant plus qu'il aura été contraint de vendre par le besoin d'argent.
On verra bientôt une autre conséquence du fondement de la faculté de retrait sur le besoin d'argent où est supposé le vendeur.
293. La faculté de retrait n'en a pas moins des inconvénients économiques qui expliquent que la loi l'ait enfermée dans des limites assez étroites.
La première de ces limites est la fixation d'un délai de rigueur, c'est-à-dire passé lequel, le vendeur est déchu de son droit, sans être admis à faire valoir aucune cause d'excuse légitime.
Le Projet adopte le même délai qu'en France, au moins pour les immeubles, 5 ans; quant aux meubles, il ne semble pas que la loi française y ait songé, à ce sujet: l'ensemble de ses dispositions sur le retrait paraît limité aux immeubles. On ne va pas ici jusqu'à exclure la faculté du retrait pour les meubles, mais on y apporte des limites spéciales: le délai sera plus court, 2 ans, et la résolution ne sera pas opposable aux tiers de bonne foi.
Si les parties, dans l'ignorance de la loi, sont convenues d'un délai plus long que 5 ou 2 ans, la convention ne sera pas nulle: le délai sera réduit à la durée légale; il serait déraisonnable d'opposer au vendeur un ancien axiome dont on abusait beaucoup autrefois, à savoir " qu'il a fait ce que la loi défend et n'a pas fait ce qu'elle permet: " celui qui a stipulé le retrait pour 6 ans ou davantage l'a implicitement stipulé pour 5 ans au moins.
La loi s'exprime encore sur un autre point qui aurait pu faire doute: si le retrait avait été stipulé pour 3 ou 4 ans, au sujet d'un immeuble, il ne pourrait pas, plus tard, être prorogé, prolongé, de 2 ans ou 1 an, quoique le total n'excédât pas 5 ans; c'est parce que ce serait étendre la condition résolutoire opposable aux tiers; cette prorogation ne doit pas être permise plus qu'une stipulation de retrait établie après une vente pure et simple.
Cependant, cette prorogation, comme la stipulation tardive, ne serait pas nulle: la loi nous dit qu'elle vaudrait comme promesse unilatérale de vente par l'acheteur ou, au moins, qu'elle pourrait être considérée comme telle, selon l'intention des parties. La promesse de vente, en effet, ne portera pas atteinte aux droits des tiers qui auront traité avec l'acheteur avant cette promesse et elle ne sera opposable à ceux qui traiteront postérieurement que si elle leur a été révélée par la transcription.
Les articles 663 et 664 ont suffisamment expliqué -les effets de la promesse unilatérale de vendre.
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(1) La précédente édition employait les mots réméré, ruchat, suivant l'usage français, mais, d'accord avec la Commission, nous les avons abandonnés qour celui de retrait.
Le Code officiel a également adopté le nom de retrait.