Projet de code civil pour l'Empire du Japon
参考原資料
- Projet de code civil pour l'Empire du Japon. Accompagne d'un commentaire. , TOME TROISIÈME [国立国会図書館デジタルコレクション]
COMMENTAIRE.
Art. 601.- Vo 1. On a déjà exposé (Tome I", Iutroduction) le plan du Présent Projet et sa divisiou eu cinq Livres.
Il était impossible d'adopter la division du Code français. On sait, en effet, que ce Code, qui n'a que trois Livres, a réuni dans le dernier plusieurs matières tout-à-fait étrangères les unes aux autres en même temps qu'à son titre. Ainsi, il est intitulé: Des difjërentes manières d'acquérir la propriété, et il traite, en mėme temps, des Obligations et des droits personnels ou de créance, et aussi des Garanties ou Sûretés des mêmes droits (cautionnement, nantissement, privileges et hypothèques). Le Projet japonais a placé les droits personnels dans le Livre II', parce que ce sont des Biens, autant que la propriété et les autres droits réels, et il consacrera un Livre entier, le IV', aux Garanties des mêmes droits.
Le Code français s'écarte encore de la rubrique de son Livre III', en y traitant des Preuves, et seulement au sujet des Obligations ou droits personnels; mais le Projet japonais consacre aux preuves un Livre entier, le Ve et dernier, parce qu'il faut réunir les preuves de tous les droits, tant réels que personnels, et même celles des droits de famille et de nationalite.
Le présent Livre III° est donc limité aux Joyens ll'acquérir les Biens, mais ou a soin de l'appliquer, nou seulement à la Propriété, mais encore à tous les autres Droits, tant réels que personnels.
On pourrait croire cependant qu'en fait d'acquisition de droits réels, on ne trouvera ici que la propriété, lo Livre II° ayant déjà présenté les moyens d'acquérir les démembrements de la propriété (usufruit, servitudes, louagc, emplıytéose, superficie); mais il faut se souvenir que l'on n'a développé que les moyens d'acquérir propres à ces démembrements de la propriété et que l'on s'est borné à énoncer ceux de ces modes qui leur sont communs avec la propriété; ces moyens d'acquérir se présenteront donc ici avec une application très-générale.
2. Le Livre 111°, ainsi limité, est encore si étendu qu'il y avait quelque difficulté à en distribuer les matières.
On ne pouvait songer à séparer les moyens d'acquerir en deux classes, ceux applicables aux droits réels et ceux applicables aux droits personnels, car le plus grand nombre est commun aux deux sortes de droits.
On a adopté une autre classification, très-usitée dans la doctrine, sinon dans les lois, en moyens d'acquérir à titre particulier et moyens d'acquérir à titre universel. Déjà, on a eu occasion, au Livre II° (art. 17), de distinguer les objets particuliers, singuliers ou individuels, des universalités, et l'on a vu que ces dernières constituent un ensemble de biens, tout un patrimoine ou une partie aliquote d'un patrimoine.
Pour justifier ici l'adoption de cette division, le présent article (2€ al.) en indique immédiatement l'intérêt pratique.
Déjà, au Livre II°, on a rencontré souvent cette distinction entre les ayant-cause à titre particulier et les ayaut-cause généraux (voy. notamment art. 358); mais c'est surtout au commencement de la II° Partie du présent Livre que l'on développera le principe que les acquéreurs à titre universel succèdent à l'ensemble des obligations de leur auteur, c'est-à-dire de colui de qui ils tiennent leur droit, soit entre-vifs, soit à cause de mort.
3. Cette division en deux Parties étant admise, il restait encore quelques difliculies de méthode, pour le classement des matières daus chaque Partie: la première comprenant des moyens d'acquérir beaucoup plus nombreux et plus variés que la seconde, il eut Hté désirable de pouvoir les grouper au moyen de divisions et de subdivisions; mais la plupart de ces moyens d'acquérir, pris isolément, ayant aussi leurs divisions nécessaires, on serait arrivé à un morcellement excessif des matières, ce qui eût été, pour l'esprit, un trouble plutôt qu'un secours. On s'est donc borné à observer l'ordre qu'on a cru rationnel dans le placement successif des 22 Chapitres qui composent cette Ire Partie, sans autre indication extérieure de nouvelles classifications.
Si pourtant on porte son attention sur ce point, on verra que la succession des Chapitres n'est ni arbitraire ni fortuite, mais qu'elle est suffisamment méthodique et motivée.
Ainsi: 1° Les cinq premiers Chapitres présentent seulement des moyens d'acquérir la propriété, mais nou les droits personnels;
2° Les Chapitres suivants (v1 à xvii) présentent des moyens d'acquérir les deux sortes de droits: ils sont communs aux droits réels et aux droits personnels;
3° Les cinq derniers Chapitres (XVIII à xxii), au contraire, sont exclusivement propres à l'acquisition des droits personnels.
On pourrait encore grouper ces moyens d'acquérir à un autre point de vue que celui de leur objet, à savoir au point de vue de leur nature.
Ainsi: 1° Les quatre premiers sont fondés principalement sur la prise de possession; or, ce caractère est à remarquer, quand on songe que la possession n'a plus, dans les autres cas d'acquisition, l'importance capitale qu'elle avait autrefois, au Japon comme en Europe (b);
2° Les trois moyens suivants sont fondés sur une décision de la justice, sur un jugement, et il y a là quelque chose de tout-à-fait particulier, car, ordinairement, les jugements sont déclaratifs de droits et ici ils en sont attributifs ou translatifs;
3° Le vie et le ixo Chapitres sont placés là pour terminer la série des moyens d'acquérir qui ne sont pas fondés sur l'accord des volontés: la Loi qui, avec tant d'autres effets, a déjà figuré parmi les sources ou causes des obligations ou des droits personnels, est aussi un moyen d'acquérir les droits réels, dans certains cas, peu nombreux d'ailleurs; quant au legs ou donation testamentaire, quoiqu'inusité au Japon jusqu'ici, il répond à un besoin et à un sentiment trop naturels de l'homme pour n'être pas reconnu et réglé par la nouvelle législation japonaise;
4°A partir du Chapitre xe jusqu'au dernier, tous les moyens d'acquérir sont conventionnels ou contractuels: les contrats innommés n'y sont guère compris que pour mémoire, ayant été déjà l'objet de toute la II Partie du Livre précédent; les douze derniers Chapitres sont consacrés aux contrats nommés, distinction annoncée par l'article 324.
On a pu tenir compte aussi, dans une certaine mesure, d'autres groupements des contrats, tirés des classifications variées qu'ils comportent et qu'ont présentées les articles 318 et suivants: ainsi, on a pu rapprocher les trois contrats réels qui seuls doivent figurer ici, le prêt de consommation, le prêt à usage et le dépôt (le gage appartient au Livre IV); en ajoutant le mandat aux deux derniers, on a rapproché encore les contrats dits “synallagmatiques imparfaits,” lesquels sont, en même temps, des contrats gratuits ou de bienfaisance; les autres contrats, à l'exception de la donation placée la première, sont onéreux.
La II° Partie présentera un moins grand nombre de moyens d'acquérir; mais quelques-uns, comme le premier et le dernier, les conventions matrimoniales et les successions légitimes, auront une grande importance (c).
Le nom même de ces moyens d'acquérir, “à titre universel,” indique suffisamment qu'ils s'appliquent, tout à la fois, aux droits réels et aux droits personnels.
Ces moyens d'acquérir sont gratuits, à l'exception des deux premiers.
4. Il restait à déterminer la place de la Prescription.
Déjà, au Tome Ier (Introd.), on avait indiqué que sa place logique serait au Livre ve, dans la matière des Preuves à laquelle elle appartient, comme “présomption légale et absolue d'acquisition ou de libération "; mais, on avait annoncé aussi que, par égard pour une sorte de tradition de la pratique avec laquelle on ne croyait pas devoir rompre entièrement, on la placeraii à la fin du Livre III', et l'article 585 a été rédigé en ce sens.
Mais, le moment venu, la concession promise a paru impossible à réaliser: la prescription, en tant que libé. ratoire, n'aurait pas de titre à figurer dans ce livre et, en tant qu'acquisitive, elle aurait, au contraire, à y figurer à deux titres et dans les deux Parties, car elle ferait acquérir aussi bien une universalité de biens qu'un bien particulier. Il a donc paru nécessaire de lui donner définitivement sa place logique, doctrinale et seule juridique, au Livre Vo, où elle terminera les Preuves et en même temps le Code qu'elle dominera vraiment tout entier.
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(a) Le Sommaire du Texte et du Commentaire se trouvera à la fin du volume et en formera un Résumé.
(b) Nous mettons à part la Prescription sur le caractère de laquelle nous nous expliquons plus loin.
(c) Cette Ile Partie ne sera rédigée qu'après les Livres I Veet Ve:il y a, comme pour les Personnes (Livre Jer), moins d'urgence que pour les autres matières de droit civil.
COMMENTAIRE.
Art. 602, 603 et 604.—N° 5. On a souvent soutenu que la propriété, à l'origine des sociétés, a commencé par l'occupation, même pour les immeubles.
Il est naturel d'admettre, en effet, que quand le sol de chaqne contrée était bien trop vaste, eu égard an peu de développement de la population, pour être entièrement mis en culture, chacun en pût librement occuper tout ce qu'il pouvait cultiver ou utiliser, et lorsqu'il l'avait plus ou moins clos et amélioré, il y avait là, pour lui, un titre légitime à le conserver, par préférence aux autres hommes qui avaient la même faculté que lui de s'approprier d'autres terres. Il ne fallait même pas envier au premier occupant la possession des terres meilleures, soit par leurs qualités, soit par leur emplacement, car les premières prises de possession, si elles étaient les plus avantageuses, correspondaient aussi aux plus grandes difficultés d'occupation et même aux plus grands dangers.
Mais, en admettant que ce fait d'occupation des terres ait trouvé une large application dans les temps primitifs, il est encore bien plus vraisemblable que les guerres de tribu à tribu et, plus tard, de peuple à peuple, ont détruit la plupart de ces droits de propriété: les terres conquises sont devenues le fruit de la victoire, les chefs victorieux les ont distribuées en partie à leurs soldats en conservant pour eux-mêmes les plus considérables et les plus riches. Cette cause d'acquisition, la guerre, est encore appelée “occupation"; mais, outre qu'elle est moins légitime que la précédente, elle ne devrait pas porter le même nom, car elle ne constitue plus “la prise de possession originaire de choses sans maître.”
6. Dans les sociétés civilisées et arrivées à un large développement de population, il n'est plus guère possible de supposer que des terres soient restées sans maître et puissent être acquises à un premier occupant.
En outre, la plupart des législations modernes ont une disposition qui attribue à l'Etat la propriété des immeubles qui n'ont pas de propriétaire particulier (comp. C. civ. fr., art. 539 et 717; Proj. jap., art. 26). Si donc une terre est tellement perdue dans les hautes montagnes ou rendue tellement rebelle à la culture par l'envahissement des eaux ou des sables que personne ne se la soit jamais appropriée, un premier occupant n'y pourrait acquérir aucun droit: il devrait en obtenir la cession de l'Etat. Il en serait de même d'un sol que le propriétaire aurait abandonné comme stérile ou ne produisant pas plus que le montant de l'impôt ou pas même autant.
7. Mais si l'occupation ne peut plus s'appliquer aux immeubles, bâtis ou non, elle peut encore s'exercer assez largement sur des objets mobiliers.
Trois conditions sont pour cela nécessaires: il faut 1° que celui qui prétend acquérir ait pris effectivement la possession matérielle de l'objet, avec l'intention de se l'approprier; 2° que la chose soit actuellement sans maître; 3° que les lois spéciales n'en interdisent pas on n'en restreignent pas l'acquisition.
Le texte de l'article 602 énonce formellement les deux premières de ces conditions; l'article 603 applique spécialement la seconde, dans un cas particulier; la troisième résulte de l'article 604. On les reprendra séparément.
8.-I. La possession que la loi exige n'est autre que la possession civile dont les deux éléments constitutifs, le fait et l'intention / corpus et animus) ont déjà été exposés (v. art. 193 et le Comment., T. Ie", p. 321 s., nos 252 s., et p. 346-347, no 279 s.). On remarquera d'ailleurs que, comme il ne s'agit pas ici de la possession d'une chose d'autrui, il ne peut pas être question de mauvaise foi, et comme il ne s'agit pas non plus de possession à l'effet de prescrire, on n'exige ni publicité, ni durée quelconque de la possession.
9-II Il faut, en second lieu, que la chose soit sans maître (rès nullius), soit qu'elle n'ait jamais été appropriée, soit que le maître auquel elle aurait déjà appartenu l'ait abandonnée.
Les principales choses sans maître sont les animaux sauvages vivant en liberté sur le sol, dans l'air ou dans les eaux, et ce n'est qu'à la condition qu'ils aient ce double caractère, d'être sauvages, en fait autant que par leur nature, et de vivre en liberté, qu'ils sont susceptibles d'être acquis par occupation, par la chasse ou la pêche (a). Il n'y aurait donc pas droit d'occupation pour celui qui, même de bonne foi, se serait emparé d'animaux de nature sauvage, mais apprivoisés et vivant en liberté, comme des pigeons d'origine sauvage qui se seraient fixés dans un colombier, mais auraient pris l'habitude d'aller et venir dans le voisinage: les voi. sins ne pourraient valablement les retenir; il en serait dle même d'un paon, d'un cerf, d'un daim, d'un sanglier apprivoisés, auxquels serait laissée la liberté d'aller et de venir (ire et redire), même dans un bois voisin: ce ne seraient plus des choses sans maître. Si même un animal de nature sauvage et resté tel, mais captif, était parvenu à s'échapper, il ne cesserait pas pour cela d'appartenir à son maître et le capteur n'en deviendrait pas propriétaire, tant que le maître aurait conservé l'intention de le reprendre et ferait des efforts à cet égard.
Mais quand l'animal réunit les deux conditions dont il s'agit, à savoir d'être sauvage et libre, il n'y a pas à distinguer si le capteur s'en est emparé sur son propre fonds ou sur le fonds d'autrui, ni, dans ce dernier cas, si c'est avec ou sans le consentement du propriétaire du fonds, ou même au mépris de sa défense: assurément, le capteur est en faute dans les deux derniers cas et il sera responsable, s'il a causé des dommages à la culture ou autrement; mais il n'en est pas moins propriétaire du gibier qu'il a pris, parce que, ce gibier étant toujours une "chose sans maître,” il n'en a dépouillé personne.
Cette décision, admise déjà dans le droit romain, l'est aussi dans la jurisprudence moderne. On n'a pas cru cependant devoir l'énoncer formellement dans le Projet, parce qu'il pourrait y avoir un certain danger, à proclamer dans la loi une sorte d'impunité pour un acte qui ne laisse pas que d'être repréhensible. Mais, en introduisant, dans l'article 603, une disposition contraire et prohibitive pour un cas exceptionnel, on a suffisamment reconnu l'existence de la règle.
L'exception est facile à justifier: lorsque le propriétaire d'un bois, parc ou autre terrain clos, y a introduit du gibier ou y entretient le gibier naturel par des soins particuliers, comme par de la nourriture, ou des abris et des plantations qui lui plaisent, entendant par là se ménager une chasse plus productive, il fait déjà, en quelque sorte, acte de maître sur le gibier et il ne diffère guère de celui qui a mis des poissons dans un étang ou dans un lac clos lui appartenant et les y nourrit ou les y soigne d'une façon quelconque.
Le texte réunit ainsi la chasse et la pêche dans le même article et il ajoute aux lacs et étangs privés et clos, les cours d'eau, également privés, traversant uue propriété close.
Dans ces cas, la loi ne va pas jusqu'à dire que le capteur étranger ne deviendrait pas propriétaire, parce que ce serait dire aussi que le gibier et le poisson appartiennent déjà au propriétaire du sol ou de l'eau, avant même qu'il les ait pris, ce qui serait contraire à la réalité, mais elle ordonne au capteur de les restituer en nature ou en équivalent. Or, on peut dire que lors même qu'il est devenu propriétaire, il doit réparer, par la restitution en nature, le dommage qu'il a causé.
10. Il ne faut évidemment pas confondre le cas prévu par l'article 603 avec celui de quelqu'un qui s'emparerait d'oiseaux ou d'autres animaux sauvages déjà pris et emprisonnés par autrui dans une cage ou palissade, ou qui prendrait des poissons déjà enfermés dans un réservoir ou placés dans le bassin d'un jardin: il y aurait alors soustraction de la chose d'autrui ou vol. La solution serait la même contre celui qui aurait frauduleusement vidé l'étang d'autrui et recueilli tout le poisson ou même cerné le gibier d'un parc et s'en serait emparé: dans ces cas, il n'y aurait plus pêche ou chasse, mais vol de la chose d'autrui.
Quant au poisson pèché en mer, en rivière ou même dans des eaux privées non closes, il appartient au capteur, comme le gibier pris hors du cas prévu à l'articles 603.
Les poissons ne sont pas les seules choses saus maître que l'on puisse tirer de la mer ou des rivières et acquérir par occupation. Il faut y ajouter, non seulement les crustacés et les coquillages, mais encore les herbes marines qui au Japon sont de variétés exceptionnelles, généralement comestibles pour l'homme, sans compter leur emploi agricole et industriel. On peut aussi prendre du sable et des cailloux au bord de la mer, quand il n'en doit pas résulter d'excavations nuisibles à l'usage du rivage; enfin, on peut valablement pécher le corail.
11.-III. La troisième condition pour qu'il y ait acquisition par occupation, c'est que des lois spéciales ne la prohibent pas. Or, il y a dans presque tous les pays, et déjà au Japon, des lois qui réglementent l'exercice du droit de chasse et de pêche, en le limitant, tout a la fuis, quant au temps, quast asr lieur et quant aux moyens. Ces mesures set prises dans l'igieret de la COLservatica da gibier et du poisson, c'est-à-dire dans un intéret public.
D'après ce qui a ete dit plus haut du gibier pris sans autorisation sur le fonds d'autrui, il faut decider ici que le chasseur ou le pécheur qui a pris da gibier ou du poisson, soit en temps prohibe, soit dans des lieux interdita, soit par des moyens defendus, n'en est pas moins propriétaire de ce qu'il a pris; mais, les memes lois ordonnant, en general, la contiscation du zibier et du poisson, en méme temps que des engins prohibes, la propriété acquise est, bientot après, perdue pour le coutrevenant ou le delinquant.
12. Le méme article 604 réserve aussi les dispusitions des lois speciales sur les épaves.
On nomme “épaves" les objets perdus dont le propriétaire est inconnu et parait ne pouvoir etre retrouvé (b).
Il y a des épaves martimes, fluviales et terrestres, suivant le lieu où les objets ont été troures.
Les épaves maritimes proviennent généralement de navires naufragés et brisés ou d'objets jetés à la mer pour alléger un navire en detresse. Quand ces objets ou ces débris de navires sont rejetés sur le rivage, c'est souvent après un long temps et à de grandes distances du lieu du sinistre, ce qui rend impossible la Ilécouverte du propriétaire. Si ces objets ne sont pas choses sans maitre, le résultat est à peu près le meme. Toutefois, il est bon que des lois spéciales règlent les suites de l'invention de ces objets. Généralement, en France, ils doivent être vendus publiquement et l'inventeur n'est admis à obtenir qu'une partie de la valeur; l'autre est attribuée à un fonds de secours pour les veuves de marins et leurs orphelins.
Les épaves fluviales proviennent ordinairement des inondations et débordements, lesquels entraînent des objets mobiliers qui se trouvent déposés sur les rives ou dans leur voisinage et qui, lorsqu'ils sont susceptibles de flotter, peuvent, comme les épaves maritimes, étre entraînés à de grandes distances, sans que les propriétaires puissent les recouvrer.
Les épaves terrestres sont les objets perdus sur les routes, dans les lieux publics et dans quelques autres circonstances que les lois peuvent prévoir.
Il ne faut pas s'étonner que, dans ces trois cas, la loi ne laisse pas à l'inventeur tout le produit de sa trouvaille: il y a une grande différence avec les cas de chasse, de pêche et autres analogues où il s'agit de choses n'appartenant vraiment à personne; ici, il y a un propriétaire, inconnu, il est vrai, mais cela suffit pour rendre l'inventeur moins intéressant; dès lors, la loi, ne pouvant rendre la chose à celui qui l'a perdue, eu affecte la valeur, au moins pour partie, à quelque emploi utile ou secourable (c).
13. Enfin, la loi mentionne ici les prises maritimes et le butin pris à la guerre.
Autrefois, les guerres étaient une véritable suspensiou de toutes les règles du droit international et même du droit naturel: les prisonniers étaient mis à mort ou reduits en esclavage; à plus forte raison, les vainqueurs se croyaient-ils le droit de s'approprier les biens des vaincus; les soldats étaient autorisés à s'emparer des objets mobiliers qu'ils pouvaient conserver sans nuire à leurs devoirs militaires. Aussi l'occupation recevait-elle là une nouvelle application: les choses de l'ennemi étaient considérées comme choses sans maître, idée fausse et odieuse que bien des siècles ont eu de la peine à détruire.
Aujourd'hui, les idées sont plus saines, la guerre même est soumise au droit des gens et, dans une certaine mesure, elle a des règles protectrices des vaincus. D'abord, les prisonniers sont rendus de part et d'autre après la paix. Quant aux biens, non seulement les soldats ne sont pas autorisés à s'approprier individuellement les objets appartenant à l'enuemi, mais les propriétés publiques et privées sont, en général, respectées par l'Etat victorieux, sauf les annexions de territoire et les indemnités de guerre qu'il impose au vaincu.
Cependant, aujourd'hui encore, le droit de la guerre permet quelques captures directes sur l'ennemi, ce sont ses navires, soit de guerre, soit de commerce, ses armes, munitions, engins de guerre, équipements, vivres, provisions de toutes sortes, dont la prise a moins pour but d'enrichir le capteur que d'affaiblir l'ennemi.
Au surplus, ce n'est guère que par égard pour l'aucienne théorie que ces cas d'acquisition sont mentionnés ici; en effet, comme on l'a déjà remarqué, on n'est plus dans les conditions de l'occupation proprement dite, puisque la chose n'est pas sans maître au moment où elle est prise; on pourrait peut-être même objecter que c'est moins le capteur lui-même qui acquiert individuellement, que l'Etat auquel appartient le capteur; mais, ici, l'objection ne porte plus, car on peut acquérir la possession par autrui, et tout soldat ou officier des armées de terre et de mer est considéré comme mandataire de l'Etat auquel il ap partient, comme gardien et défenseur de l'intérêt du pays.
14. En ce qui concerne les prises maritimes, il y a dans la plupart des pays d'Europe une législation spéciale qui attribue au capteur une portion de la valeur du navire capturé; mais c'est seulement quand le Gouvernement a autorisé des corsaires à "faire la course” contre les pavires de commerce ennemis: dans ce cas, la part qui revient au corsaire lui appartient moins par occupation que par la loi ou mème par la convention faite avec l'Etat (d).
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(a) En latin, on disait venatio pour la chasse des bêtes fauves, aucupatio, pour celle des oiseaux et piscatio pour la pêche des poissons
(b) On fait généralement venir le mot “i paves" du latin expa. l'escere, "s'effrayer,” parce que l'on employait primitivement le mot pour les animaux effrayés, égarés et perdus.
(c) Le nouveau Code pénal (art. 385) punit comme délit le fait l'avoir retenu sans déclaration aux autorités locales des objets paufragés ou perdus.
(d) La France, en 1836, dans le Traité de Paris qui a suivi la vuerre de Crimée, a déclaré qu'elle n'autoriserait plus les particuliers à "faire la course" pour elle: les navires de l'Etat en seront suws chargés. C'est un bon exemple que plusieurs nations ont suivi et qu'il est désirable de voir suivre par toutes les autres.
Art. 605. — 15. Parmi les « choses sans maitre” se trouvent encore les choses qui ont été abandonnées par leur propriétaire; elles sont donc susceptibles d'être acquises par le premier occupant.
Il faut en exclure, comme on l'a déjà annoncé, les immeubles qui, dans ce cas, sont acquis à l'Etat, en vertu de la loi, sans aucune appréhension de sa part et pourraient l'être à son insu (art. 26, 2° al.).
Même avec cette limite, il reste encore une assez large application de ce cas d'occupation. Dans les grandes villes, ou les habitations sont étroites, les particuliers se débarrassent sur la voie publique, ou dans des lieux à ce destinés, des objets mobiliers hors d'usage et qui ne pourraient même être vendus; mais les pauvres s'en accommodent encore volontiers et même la récolte de ces objets de rebut donne naisvance à une industrie spéciale; dans les campagnes, ce sont souvent de mauvaises pierres, des boues, des herbes, des détritus de jardins, qui sont déposés hors des propriétés, à la disposition de ceux qui pourraient les utiliser; l'industrie aussi rejette souvent des résidus de matières premières dont les pauvres peuvent valablement s'emparer.
Mais il pourrait arriver que, par mégarde, par la négligence des serviteurs ou employés, des objets dont le propriétaire n'a eu aucune intention de se démunir fussent jetés avec des débris inutiles; il pourrait arriver aussi que le propriétaire eût déposé provisoirement sur la voie publique des objets encombrants, destinés soit à être rentrés, soit à être expédiés. Il est clair que de pareils objets ne peuvent être acquis par occupation, même s'il y a bonne foi de l'inventeur, car il n'y a pas abandon sans “intention d'abandonner.”
De là, une question de preuve que le Projet a cru devoir trancher: la présomption légale est que nul n'est supposé avoir entendu renoncer à ce qui lui appartient, lors même qu'il aurait momentanément cessé de l'avoir sous sa garde. Si donc, il y avait contestation au sujet d'une chose que le propriétaire prétendrait n'avoir pas abandonnée et qu'un possesseur préten Irait avoir acquise par occupation, la preuve qu'il y a eu abandon volontaire incomberait à ce dernier.
Art. 606. — 16. Avant tout, il faut se rendre exactement compte de ce que la loi appelle “trésor.” Le Projet japonais n'en donne pas la définition, comme l'a fait le Code français (art. 716), mais il en indique les caractères dans la disposition même. La définition du Code français n'est d'ailleurs pas irréprochable: “Le “ trésor est toute chose enfouie ou cachée, sur laquelle “personne ne peut justifier sa propriété, et qui est dé“couverte par le par effet du hasard.” Il y a là trois caractères dont le dernier demande une distinction que ne fait pas ce Code: quand il s'agit de la portion du trésor attribuée à l'inventeur, il est nécessaire, en effet, que la découverte ait été fortuite; mais si c'est le propriétaire du fonds ou de la chose principale qui a découvert le trésor par des recherches faites spécialement dans ce but, il l'acquiert en totalité; il en est de même s'il a employé des ouvriers à cet effet, même sans les en prévenir, pourvu qu'il y ait preuve certaine de son but.
Bien plus, supposons qu'un tiers ait fait des recherches sur un fonds qui ne lui appartient pas, dans le but de découvrir un objet qu'il y croit enfoui et d'une propriété incertaine, et qu'il l'ait effectivement découvert, cet objet n'en sera pas moins un trésor, quoiqu'il ne soit pas découvert "par le par effet du hasard”; seulement, il sera acquis en entier au propriétaire du fonds. Ce n'est donc que pour l'acquisition par l'inventeur étranger que la condition de hasard est requise et c'est ce que notre article 606 a soin d'exprimer, reproduisant en cela la théorie romaine, suivie elle-même par le Code italien (art. 714).
Mais, pour le propriétaire de la chose principale et pour l'inventeur, les deux autres conditions doivent étre exigées: il faut lo que la chose découverte soit enfonie ou cachée, 2° que le vrai propriétaire en soit inconnu.
Si donc la chose trouvée était à la surface du sol ou de l'eau, ou égarée dans une maison ou dans un meuble, mais accessible aux yeux, sans travail, ce pourrait être un objet perdu, mais ce ne serait pas un trésor.
De même, si c'était une mine ou une carrière inconnue jusque-là, ce ne serait pas un trésor, mais une partie du sol, et l'inventeur n'y aurait aucune part, d'après notre article, sauf les avantages particuliers qui peuvent être accordés par les lois sur les mines à celui qui le premier découvre une mine.
Quant à la seconde condition, on ne doit pas la croire remplie par cela seul que le vrai propriétaire ne se fait connaître que tardivement et après l'attribution des parts respectives: il suffit qu'il fasse sa réclamation avant le temps de la prescription fixée par l'article suivant pour que l'objet trouvé cesse d'être considéré comme un trésor.
17. L'invention ou découverte d'un trésor est, pour l'inventeur, un cas d'occupation, mais un peu différent des précédents: les conditions n'en sont pas tout-à-fait les mêmes.
Ainsi, au lieu d'une prise effective de possession, il suffit que l'objet soit découvert, c'est-à-dire rendu visible, fût-ce même pour une minime partie, et cela, lors même que la disposition des lieux, le volume de l'objet, la profondeur de son eufvuissement, les dangers de l'extraction, devraient retarder plus ou moins longtemps la prise de possession réelle. Cependant, c'est toujours la possession qui doit étre considérée ici comme le principe et la cause de l'acquisition: les Romains auraient dit que la prise de possession a lieu par les yeux (oculis). Il faudrait même considérer comme découvert un trésor dont la présence n'aurait été révélée que par le son produit sur une caisse de bois ou de métal par une pioche ou un autre outil: lors même que plusieurs personnes attirées par la curiosité ou l'intérêt seraieut venues aider l'inventeur, il n'en serait pas moins considéré comme l'unique acquéreur.
Il n'est pas nécessaire non plus que la chose soit sans maître: elle ne l'est pas de sa nature et, généralement, le fait qu'elle a été enfouie ou cachée, loin de faire croire à un abandon volontaire du propriétaire, donne lieu de croire, au contraire, qu'il attachait uu grand prix à sa conservation; mais, le maître étant inconnu et sans doute impossible à connaître désormais, la loi assimile le trésor à une chose sans maître; sanf le droit déjà réservé à son propriétaire de se faire connaître avant que la prescription soit accomplie.
Enfin, c'est évideminent une dérogation que fait la loi aux règles de l'occupation, en n'accordant à l'inventeur que la moitié du trésor, lorsqu'il est découvert dans la chose d'autrui.
A la différence du Code français, on ne détermine pas ici les droits du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est découvert, parce que, pour celui-ci, l'acquisition n'exigeant pas la prise de possession et pouvant avoir lieu même à son insu, ne repose plus sur l'occupation, mais sur l'accession; il est donc plus logique de renvoyer ce point au Chapitre suivant. On y verra, d'ailleurs,que le droit du propriétaire n'est pas touji urs limité à la moitié, mais qu'il peut s'étendre au tout.
18. On n'a pas cru nécessaire de résoudre dans le texte un certain noinbre de questions qui peuvent être soulevées au sujet du trésor, mais dont la solution est facile, d'après les principes de la matière.
1. Ainsi, il ne faut pas hésiter à reconnaître que le trésor caché dans un muuhle serait soumis aux mémus règles que celui qui est enfoui dans le sol; c'est mêine par allusion à ces deux cas que la loi emploie les deux mots "enfoui ou cache”. Le Code français, en parlant deux fois de fonds, semblerait avoir exclu la trouvaille faite dans un meuble; mais on doit croire qu'il n'a employé ce mot que coniue désignant le cas le plus fréquent (quod ilerumque fit) et il y a unanimité, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, pour généraliser l'application de la loi.
II. Il y a plus de difficulté quand, plusieurs ouvriers étant occupés à creuser le sol, pour les fonda. tions d'une maison, pour un puits ou pour une route, le trésor a été découvert par celui d'entre eux qui se sert de la pioche, en présence de ceux qui enlèvent la terre détachée. On décide généralement que le seul inventeur, le seul bénéficiaire est celui qui a rencontré l'objet avec la pioche. Cette solution est peut-être trop exclusive: sans doute, il n'est pas possible d'admettre au bénéfice de l'invention toute la brigade d'ouvriers qui ont pu, tour à tour, sur le même emplacement, prendre la pioche et la pelle; il faut admettre que le hasard joue ici un rôle essentiel; mais il arrivera souvent, en fait, que l'attention de plusieurs ouvriers aura été simultanément attirée sur l'objet enfoui; presque toujours aussi, ils seront seuls et sans témoins désintéressés, et leurs prétentions seront contradictoires; dans le doute sur la priorité réelle, il faudra bien les admettre au partage de la moitié attribuée à l'invention. Si, au contraire, ce sont les ouvriers occupés au transport de la terre qui, en la déchargeant, ont trouvé le trésor resté inaperçu lors du premier travail (par exemple, une pièce de monnaie ou un bijon), celui qui tenait la pioche n'y aura aucun droit, car il avait désormais perdu l'occasion de la découverte.
III. On a quelquefois soulevé la question de savoir si l'on peut considérer comme trésor un tombeau ancien découvert par hasard dans un sol qui n'était pas consacré aux sépultures. Par cela seul qu'on exclut de la question l'hypothèse d'un ancien cimetière, où il n'y a certainement pas trésor, la solution doit être affirmative. Il sera bien rare d'ailleurs, si la tombe a un peu d'importance comme valeur, qu'elle ne porte pas quelque indice extérieur ou intérieur de la personalité du mort, lequel pourrait permettre de retrouver sa famille, si l'inhumation ne remonte pas à une époque trop reculée. Dans le cas où celle-ci serait introuvable, il n'y aurait vraiment aucun inconvénient à admettre les droits de l'inventeur: autrement, la découverte profiterait toute entière au propriétaire du sol, lequel n'est pas plus intéressant que l'inventeur (e).
IV. On peut encore soulever une question au sujet de celui qui a découvert un trésor dans le fonds d'autrui, par suite de travaux qu'il n'avait pas le droit d'y faire, comme un possesseur de mauvaise foi ou un voisin qui serait venu frauduleusement prendre du sable ou de la terre sur le fonds contigu. Sans doute, cet inventeur paraît peu intéressant, mais, en réservant la réparation qu'il doit pour sa faute, il n'en est pas moins vrai que cette faute n'a été que l'occasion de sa découverte et n'en change pas le caractère: le propriétaire du fonds n'avait aucun droit au trésor avant qu'il fût découvert, ce n'était pas une partie de son fonds. Mais il ne serait que juste de tenir compte, dans la fixation de l'indemnité, des chances qu'avait le propriétaire du sol de découvrir un jour le trésor, par luimême ou par quelqu'un de sa maison.
V. Nous examinerons, au sujet de l'accession du trésor au profit du propriétaire de la chose principale, la question (qui n'en devrait pas être une) de savoir, lorsqu'un trésor est découvert dans les murs ou les fondations d'une maison vendue pour être démolie, si c'est le propriétaire du sol ou celui de la maison en démolition qui a la seconde moitié du trésor.
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(e) On nous a affirmé qu'il existe au Japon une disposition con. traire, au sujet des tombeaux des anciens membres de la famille impériale, dont la trace aurait été perdue par l'effet des guerres civiles on des accidents naturels; mais l'exception même confirme la règle pour les tombes qui n'ont pas ce caractère; d'ailleurs, la dynastie impériale japonaise n'ayant pas changé depuis vingt. cinq siècles, l'unité de famille permet de dire que le propriétaire des anciennes tombes impériales est toujours l'Empereur régnant.
Art. 607. — 19. La loi ne pourrait déclarer le véritable propriétaire du trésor déchu de son droit de revendication, s'il ne réclamait la chose aussitôt après la découverte: c'eût été, en réalité, rendre impossible l'exercice de son droit; car, lors même qu'il serait, en même temps, le propriétaire du funds, il serait bien extraordinaire qu'il fût présent juste au moment de la découverte et, le fût-il, il n'aurait pas le moyen de faire reconnaître immédiatement son droit.
En France, aucun délai spécial n'est assigné au propriétaire du trésor pour faire valoir son droit; on décide donc qu'il a pour cela le délai ordinaire des actions réelles et personnelles, trente ans (art. 2262), ce qui est évidemment trop long. C'est à tort qu'on prétendrait que, s'agissant ici de la revendication d'un meuble, il y aurait lieu à cette sorte de “prescription instantanée” qui empêche la revendication des meubles (art. 2279). Cet article est sans application ici. D'abord, s'il était applicable, il serait la négation absolue du droit du propriétaire; on ne pourrait plus dire que le trésor n'est acquis à l'inventeur que si la propriété n'en est pas justifiée: elle ne serait jamais justifiée ni justifiable en temps utile. Ensuite, pour que le possesseur soit admis, en règle générale, à repousser la revendication d'un meuble, en vertu de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre”, il ne suffit pas qu'il ait la possession civile, c'est-à-dire qu'il possède de fait et d'intention (corpore et animo), il faut encore qu'il ait une juste cause de posséder, ce qu'on appelle aussi un “juste titru” (voy. art. 194); or, l'invention d'un trésor, si l'on fait abstraction des dispositions spéciales de la loi, n'est pas un juste titre; elle est plus ou elle est moius: «u elle est un titre parfait qui rendra l'inventeur propriétaire immédiatement, si la chose n'a plus de maître; ou elle n'est plus qu'une usurpation, dans le cas contraire, lors même que l'inventeur croirait à l'absence de droit d'un tiers; son ignorance de ce droit pourrait être qualifiée "bonne foi”, s'il s'agissait de la responsabilité de ses fautes dans la garde de l'objet; mais cette bonne foi, n'étant pas fondée sur un acte passé avec un tiers et “de nature à lui transférer la propriétó” ibid.), ne lui assurerait pas le bénéfice de l'article 2279.
Cependant, dans le Projet, on n'a pas cru devoir laisser subsister l'action en revendication du vrai propriétaire pendant trente ans, ou au moins pendant la durée ordinaire de la prescription, laquelle n'est pas encore fixée. On a déterminé un délai assez court, au moins en faveur des inventeurs de bonne foi et encore, arec une distinction: en principe, l'action du vrai propriétaire du trésor durera trois ans depuis la décourerte; mais, si c'est le propriétaire même de la chose principale qui se prétend propriétaire du trésor, le temps est réduit à un an, parce qu'il est naturel quo celui-ci se préoccupe davantage d'établir son droit sur une chose découverte dans sa propriété et, en même temps, il en aura plus de facilité; mais le point de départ est différent: ce n'est plus la découverte du trésor, c'est la connaissance qu'il en a eue, et elle pourrait lui avoir été cachée (f).
Pour que le délai de la prescription soit ainsi réduit à 3 ans ou 1 an, il faut, avons-nous dit, que ceux qui ont bénéficié du trésor aient été de bonne foi, c'est-àdire aient ignoré quel en était le véritable propriétire; dans le cas contraire, ils ne méritent plus de faveur et la prescription civile ordinaire leur est applicable.
Le présent article ne règle la prescription des droits du propriétaire du trésor qu'à l'égard de l'inventeur même; mais si celui-ci avuit cédé sa part du trésor à un tiers de bonne foi, c'est à-dire ignorant l'origine de cette chose aux mains de son cédant, alors la prescription instantanée des meubles retrouverait son application en faveur du cessionnaire.
Enfin, notre article ne règle pas la prescription à l'égard du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est trouvé: elle sera de même durée, mais c'est l'article 631 qui le dira.
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(f) Le nouveau Code pénal (art. 336) punit comme délit le fait d'avoir détourné un trésor trouvé dans la propriété d'autrui.
COMMENTAIRE.
Art. 608. — N° 20. Le mot “accession” exprime, en français, l'idée de la réunion d'une chose à une autre avec un caractère secondaire, accessoire, ou de dépendance.
Comme cette réunion ne peut toujours être détruite, soit parce que la nature physique s'y oppose, soit parce que la loi et l'intérêt général ne le permettent pas, l'accession devient alors, pour le propriétaire de la chose principale, un moyen d'acquérir la propriété de la chose accessoire (a). Si la séparation des deux choses est possible, naturellement et légalement, alors chacun des propriétaires garde la propriété de ce qui est à lui, et celui auquel appartient la chose accessoire peut la revendiquer en même temps qu'il en demande la séparation (b). C'est à raison de cette distinction, et de quelques autres, que le principe de l'acquisition n'est pas posé par notre article d'une manière absolue, mais avec des réserves.
Il va de soi que celui qui acquiert la chose d'autrui par accession doit indemniser celui auquel elle appartenait: la loi en fait également la réserve.
21. Le Code français (art. 546 et 547) et les législations qui l'ont imité donnent, comme première application de l'accession, l'acquisition des frnits et produits par le propriétaire de la chose.
Le Projet ne reproduit pas cette idée qui est mani. festement erronée: les fruits et produits appartiennent certainement au propriétaire (en supposant, bien entendu, que la chose ne soit ni louée ni grevée d'un usufruit en faveur d'un tiers); mais ce n'est pas par accession, ni par aucun mode spécial d'acquisition, c'est par l'effet direct du droit de p opriété qui se compose de trois attributs dont l'un est le droit de jouir (art. 31), c'est-à-dire de prendre les fruits.
A quel moment, d'ailleurs, pourrait-on dire que le propriétaire acquiert les fruits de sa chose ? D'après le Code français, il semble que ce soit, pour les fruits naturels, au moment où ils sont séparés du sol, comme cela est vrai pour l'usufruitier (Proj., art. 54 et 55; comp C. fr., art. 585) et, pour le croît des animaux, au moment où il est né; mais alors, loin qu'il y eût acquisition par accession, par réunion, ce serait plutôt par séparation.
La verité, c'est que, pour le propriétaire, il n'y a pas de différence juridique ou légale entre l'arbre, les fleurs et les fruits, entre les fruits verts et les fruits mûrs, entre ceux qui sont encore pendants par branches et racines et ceux qui sont récoltés, pas plus qu'entre les petits des animaux qui sont encore dans le corps de leur mère et ceux qui sont déjà nés. Pour trouver un intérêt à ces distinctions parmi les phénomènes naturels, il faut supposer un conflit de prétentions entre le propriétaire et un tiers, tel qu'un fermier, un usager ou un usufruitier, ou encore une vente du fonds ou de l'animal. Dans ce dernier cas, par exemple, si la vente a eu lieu avant la récolte ou avant la naissance du croît, l'acheteur aura droit aux fruits et au croît, parce qu'il devient propriétaire de la chose en l'état où elle est; tandis qu'il n'y aurait pas droit si la vente avait suivi la perception des fruits ou la naissance du croit: ces objets, en effet, auraient pris une individualité propre et distincte de la chose et ils ne seraient pas plus compris dans la vente de la chose principale que ne le serait un arbre abattu, une pierre extraite du sol ou la toison d'un mouton après la tonte.
22. Le présent article ne présente l'accession que comme un avantage du droit de propriété. Il n'en faut pas conclure que le titulaire d'un démembrement de la propriété ne participerait aucunement au droit d'accession. Ainsi, un usufruitier jouirait des alluvions et autres attérissements qui augmenteraient le fonds usufructuaire (art. 67; comp. C. civ. fr., art. 596, 597); on devrait décider de même pour un fermier (art. 133).
Si la loi n'a parlé que du propriétaire, c'est pour ne pas compliquer la rédaction et parce que le droit des autres titulaires de droits réels est énoncé en son licu.
On peut même dire que les droits personnels sont susceptibles aussi de s'étendre par accession. Supposons, par exemple, qu'une créance qui était, à l'origine, purement chirographaire ou sans caution, ait été, plus tard, garantie par une hypothèque, par un gage ou par un cautionnement, ces droits accessoires appartiendront au créancier, et si la créance était déjà cédée à un tiers, celui-ci bénéficierait de ces nouvelles garanties; le cas serait assez vraisemblable, si l'on suppose que ces garanties, entachées de nullité à l'origine, ont été confirmées ou renouvelées après la cession.
23. Les nombreux cas d'accession peuvent être ramenés à deux groupes de faits, suivant que la chose principale qui se trouve augmentée par la réunion d'une chose accessoire est un immeuble ou un meuble.
De là, une division eu deux Sections, laquelle se trouve pareillement dans le Code français.
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(a) Chez les Romains, le mot accessio signifiait non le fait de la réunion, mais la chose réunie, la chose accessoire, et il ne parait pas qu'ils aient formellement compté la réunion même comme un moyen d'acquérir; mais leurs solutions, dans la plupart des cas qui vont nous occuper, semblaient reposer sur le même principe, quoiqu'il ne fût pas nettement dénommé.
(b) En droit romain, le propriétaire de la chose accessoire devait, préılablement à la revendication, intenter une action personnelle (dite ad exhibendum), pour faire détacher, représenter, exhiber sa chose; aujourd'hui, ces actions peuvent être réunies et cumulées en une seule.
COMMENTAIRE.
Art. 609. — N° 24. Le présent article contient deux dispositions distinctes et d'un caractère assez différent.
Le Code français, en les réunissant dans une seule formule (art. 553), a affaibli la portée de l'une d'elles, mais l'interprétation doctrinale et judiciaire lui a rendu sa valeur.
D'après le Code français, il y a ici deux présomptions et chacune pourrait être démentie par la preuve contraire: 1° présomption que les constructions, ouvrages et plantations ont été faits par le propriétaire du sol et à ses frais, 2° présomption qu'ils lui appartiennent. Or, le Code français paraît ici fonder la seconde présomption sur la première, en sorte que, si celle-ci était démentie, celle-là tomberait à son tour. Mais telle n'est pas, au fond, la pensée de la loi: lors même qu'il est prouvé que les constructions et ouvrages ont été faits par les soins et aux frais d'un autre que le propriétaire du sol ou des bâtiments, lesdits ouvrages et constructions n'en appartiennent pas moins à ce dernier, sauf l'indemnité à raison de son enrichissement indû, ou sauf le droit de faire détruire et enlever les matériaux, sous certaines distinctions.
Lors même que l'on attribuerait aux deux dispositions un caractère de présomption légale, il faudrait reconnaître que la première est simple ou susceptible de toute preuve contraire, tandis que la seconde serait, si non absolue, au moins plus difficile à renverser: elle ne comporterait d'autre preuve contraire que celle d'un titre opérant cession desdits ouvrages à un tiers ou celle de la prescription qui est une autre présomption résultant d'une longue possession par un tiers.
Il y a là, en somme, la consécration d'un axiome qui remonte au droit romain: “tout ce qui est construit sur le sol accède au sol”, omne quod incedificatur solo cedit.
C'est en ce sens qu'a été rédigé le présent article du Projet.
Le texte a soin de parler séparément du propriétaire du sol et de celui des bâtiments, lesquels sont plus souvent distincts au Japon que dans la plupart des autres pays; or, le propriétaire des bâtiments peut être un superficiaire, un emphytéote, un usufruitier, na fermier. Si donc les bâtiments d'une de ces personnes ont été construits, augmentés ou réparés, la présomption est que c'est par elle que le travail et la dépense ont été faits, et s'il est prouvé qu'elle y a em ployé des matériaux d'autrui, elle acquierra lesdits matériaux, sauf l'indemnité dont il est parlé à l'article suivant.
On remarquera encore que notre article, contrairement au Code français, établit une différence entre les constructions ou autres ouvrages et les plantations: pour celles-ci, la présomption est bien, comme pour les constructions, qu'elles ont été faites par le propriétaire du sol et à ses frais; mais, quand il est prouvé qu'elles ont été faites avec les plants d'autrui (arbres, arbustes ou plantes), la propriété ne lui est acquise que si le propriétaire desdits plants ne les revendique pas dans l'année, comme il est dit à l'article 611. C'est là que cette exception sera justifiée.
Art. 610. — 25. Cet article suppose la première présomption démentie par la preuve que le propriétaire a construit avec les matériaux d'autrui et il applique le second principe celui de l'acquisition desdits matériaux sauf indemnité.
C'est ici qu'il faut justifier cette disposition qui peut étonner, au premier abord, comme contraire au principe du droit de propriété des meubles, lequel ne semble pas moins respectable que celui des immeubles.
Il ne faudrait pas croire que la loi est expliquée et justifiée quand on a dit que, si les matériaux ne peuvent être revendiqués par leur propriétaire, c'est parce qu'ils n'existent plus comme tels, c'est parce qu'ils sont devenus un bâtiment (a); sans doute, au premier aspect, il n'y a plus de matériaux, mais on pourrait les faire reparaître, en démolissant l'édifice ou les ouvrages; or, la loi ne le permet pas, et c'est cette prohibition qui doit être justifiée.
Déjà le droit romain défendait l'action personnelle ad exhibendum qui aurait tendu à cette démolition, comme préliminaire de la revendication (voy. p. 28, note b); une loi de l'Empire renouvelant une prohibi. tion déjà très-ancienne (b), en donnait une raison assez singulière, à savoir “qu'il ne fallait pas défigurer la ville par des ruines ”; raison qui, prise à la lettre, ne se serait pas appliquée aux villages et campagnes, et pourtant la prohibition était générale. Il est plus paturel de croire que le législateur, aux deux époques, s'était préoccupé de l'intérêt général qui bénéficie de la multiplicité des constructions et qui souffre plus de la démolition d'une maison que le propriétaire des matériaux ne souffre de les perdre, sans sa volonté, il est vrai, mais contre une indemnité.
Ce qui prouve que l'aspect des villes n'était pour rien dans la prohibition de démolir les constructions et que l'intérêt des campagnes n'était pas moins considéré que celui des villes, c'est que l'ancienne loi des xi Tables défendait aussi bien, dans ce cas, de retirer des vignes les supports dérobés que les poutres ou les pierres des maisons.
C'est encore aujourd'hui par la raison d'intérêt général, par la raison économique, que la même disposition des Codes modernes doit se justifier. Elle a pourtant été restreinte: on ne l'applique, nulle part sans doute, aux échalas et aux supports des vignes, et notre Projet ne l'applique aux plantations qu'à la condition qu'elles aient un an de date (art. 611).
Notre article ne change pas la règle pour le possesseur de mauvaise foi, toujours par la raison économique, sauf le mode d'indemnité indiqué plus loin.
26. La loi a cru devoir dire que, par réciprocité, le propriétaire du fonds, ne pouvant être contraint à rendre les matériaux, ne pourra non plus contraindre leur ancien propriétaire à les reprendre, même en l'indemnisant de leur dépréciation et de la privation temporaire qu'il en aurait subie. Cette solution aurait pu être suppléée sans texte, car elle est commandée autant par la logique que par l'équité: par la logique, car le propriétaire du sol est devenu propriétaire des matériaux; or, nul ne peut imposer la cession de ce qui lui appartient; par l'équité, car la solution contraire eût mis l'ancien propriétaire des matériaux à la discrétion du propriétaire du fonds.
27. Reste le mode de règlement de l'indemnité. La loi a pu simplifier la disposition en renvoyant à l'article 405. Cet article, il est vrai, est écrit pour l'indemnité résultant de l'inexécution d'une convention, mais il y a identité de motifs pour l'appliquer au cas d'enrichissement indû qui est notre cas, quand il y a bonne foi du constructeur, et au cas de dommage injuste qui est le cas de mauvaise foi. Déjà l'article 390 s'était référé à la même disposition pour tous les dommages injustes, en général.
Le constructeur de bonne foi devra donc, outre la valeur vénale des matériaux employés, les dommagesintérêts qu'il aurait pu prévoir s'il avait été moins imprudent, et le constructeur de mauvaise foi devra les dommages-intérêts même imprévus, pourvu qu'ils soient une suite nécessaire et inévitable de son délit.
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(a) Il y a, à cet égard, un ancien axiome: "les choses éteintes ne peuvent être revendiquées” (res extinctæ vindicari non possunt).
(b) Cette prohibition de démolir les édifices, sans nécessité ab. solue, notamment pour en restituer les matériaux, en tout ou en partie, à un ancien propriétaire, se trouvait déjà dans la loi des X1 Tables, aux premiers temps de la République romaine.
Art. 611. — 28. Nous avons dit qu'au sujet des plantations le Projet s'écarte du Code français, ajoutons et du Code italien; en effet, ces Codes mettent les plantations sur la même ligne que les constructions, et défendent au propriétaire des plants employés sans son consentement de les faire arracher pour les reprendre. Il n'y a pourtant pas la même raison économique d'interdire cette revendication: les arbres ne perdront pas sensiblement de leur utilité en changeant de sol pour retourner à leur propriétaire et, dès lors, il ne paraît pas bon de sacrifier le droit de propriété.
Toutefois, on ne pouvait non plus permettre cette revendication après un temps assez long pour que les plants aient pu se nourrir et de se développer dans le fonds où ils ont été indûment placés: la loi fixe un an comme prescription de cette action en revendication. Ce système n'a pas l'inconvénient de celui des Romains, lequel nécessitait la vérification difficile du point de savoir" si les arbres avaient poussé des racines" dans le fonds qui les avait indûment reçus.
Si le propriétaire des plants exerce sa revendication dans l'année de la plantation, il n'en aura pas moins droit à une indemnité, s'il y a lieu, pour la dépréciation de valeur et pour la privation de jouissance qu'il a subie. Après l'année, il aura droit à la valeur même des plants, estimés au jour où ils ont été employés, plus l'indemnité pour sa jouissance perdue. Mais il n'est pas obligé d'attendre un an pour demander cette valeur, s'il renonce désormais à la revendication. Bien entendu, le propriétaire du sol ne pourrait le forcer à reprendre ses plants dans l'année, mais il pourrait, à toute époque, le mettre en demeure de se prononcer dans un sens ou dans l'autre.
Comme les plantations d'arbres d'autrui peuvent aroir été faites par un usufruitier; un emphytéote ou un fermier, et que la solution devrait être la même, la loi, pour comprendre toutes ces personnes d'une façon abrégée, emploie le nom générique de “possesseur.”
Le texte a soin de ne parler que des arbres, arbustes, ou plantes: il ne s'appliquerait pas au cas de graînes d'autrui qui auraient été semées sans la permission de leur propriétaire dans un fonds étranger: ici, il n'y aurait jamais lieu qu'à une indemnité, car les semis, une fois levés, ne sont plus des graînes.
Art. 612. — 29. Le présent article, qui ne se trouve ni dans le Code français ni dans le Code italien, repose sur le même principe économique que l'article 610; mais la loi a dû s'en expliquer particulièrement, parce qu'il y a là une dérogation encore plus saillante au droit commun, en même temps qu'à l'article 609. En effet, cet article 609, ne reconnaît au propriétaire du sol la propriété des constructions et plantations que s'il n'y a pas " titre contraire;” or, la cession ou aliénation des bâtiments, pour être démolis et enlevés, et celle des arbres, bois ou forêts, pour être abattus ou arrachés, est précisément un titre contraire à son droit de propriété: il y a eu convention transférant la propriété de ces objets à un tiers, ces objets sont devenus des meubles par destination, avant même d'être détachés du sol (c). Il semble donc que, d'une part, le respect des conventions “qui font loi entre les parties” (art. 348) et, d'autre part, le changement de nature des objets, fassent obstacle à la prétention du propriétaire du sol, lorsqu'il veut conserver ces objets.
Mais, si nous nous reportons au motif qui autorise quelqu'un à conserver la propriété de matériaux qui, originairement, ne lui appartenaient pas, si nous considérons que la loi, dans un but économique, préfère que des bâtiments ne soient pas démolis, sauf à indemniser le propriétaire, alors nous trouvons qu'il y a même raison de permettre au propriétaire qui a vendu ou donné un bâtiment pour être démoli, d'empêcher ou d'arrêter la démolition, sauf indemnité à l'acheteur ou au donataire; mais il faut que ce soit pour conserver ladite construction et non pour la revendre ou la donner à un autre. C'est au tribunal à reconnaître si telle est véritablement l'intention du propriétaire et à déjouer la fraude. La règle est la même pour les plantations aliénées pour être arrachées, et, sous ce rapport, le droit du propriétaire ou du possesseur du sol sur ses anciennes plantations, lorsqu'il veut les conserver, est plus large que sur celles qu'il s'est indûment appropriées dans le cas de l'article précédent, puisque ces dernières ne lui sont définitivement acquises qu'après un an depuis qu'il les a placées dans son sol, et toujours avec indemnité, tandis qu'ici le propriétaire ou le possesseur du sol peut, aussi tot qu'il le veut (et le plus tôt sera le plus sûr), recouvrer ses plantations avec indemnité.
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(c) L'article 13 n'énonce pas ces objets parmi les meubles par destination; mais il n'est pas limitatif, ayant employé la formule “tels sont......" Du reste, il serait facile d'ajouter à l'article 13 un 4e numéro ainsi conçu: “ 4° les bâtiments et ouvrages aliénés “pour être démolis et enlevés, et les arbres, arbustes et récoltes “aliénés pour être arrachés.”
Art. 613. — 30. Cet article consacre encore le droit du propriétaire du sol sur un bâtiment dont les matériaux ne lui appartenaient pas; mais, à la différence du cas prévu à l'article 610, ce n'est pas lui qui a constrnit; on peut dire qu'ici il n'a commis aucune faute, aussi son droit est-il encore plus étendu: il peut garder ou faire démolir la construction placée sur son sol sans son autorisation et, s'il la garde, il a encore le choix entre deux valeurs à payer, entre ce que la construction a coûté et la plus-value qu'elle a donnée à son sol.
La construction, n'ayant pas été faite par le propriétaire du sol, l'a été, naturellement, par un possesseur.
Nous écartons ici les cas où le constructeur aurait été un usufruitier, un locataire, un emphytéote ou un superficiaire, parce que, dans ces cas, il y a des dispositions spéciales déjà rencontrées (art. 72 et 73, 158, 182, 189). Il ne s'agit plus que de celui qui a la possession civile, la détention avec la prétention à la propriété. Ce possesseur était de bonne foi ou de mauvaise foi. Il est naturel qu'il soit mieux traité dans le premier cas que dans le second.
De là deux dispositions de la loi.
31.—I. Si le constructeur était possesseur de bonne foi, c'est-à-dire croyait être propriétaire, lors même qu'il n'aurait pas un juste titre (par exemple, il se croyait héritier de l'ancien propriétaire sans l'être), il ne pourrait pas, il est vrai, enlever ses constructions et plantations, lors même qu'il y aurait un intérêt particulier, mais il ne pourrait non plus être contraint à opérer la démolition qui lui ferait éprouver un triple dommage: perte de la première main-d'œuvre, frais de démolition et d'enlèvement, dépréciation des matériaux. Son droit se résout donc en une indemnité.
La construction a coûté le prix des matériaux et celui de la main-d'ouvre; mais il est assez rare que la plus-value donnée au sol par la construction soit égale à ce qu'elle a coûté. Le propriétaire a le choix de donner au possesseur, soit le coût des constructions, soit le montant de la plus-value du sol. Cette solution est commandée par les principes généraux déjà rencontrés au sujet de l'obligation née d'un enrichissement indû ou sans cause (voy. T. II, p. 259, n° 256).
Si le propriétaire paye au constructeur ce qu'il a dépensé, il l'exonère de toute perte, celui-ci ne peut donc se plaindre: il ne pourrait réclamer l'excédant de plus-value, car ce serait le puiser dans le droit de propriété du sol qui ne lui appartient pas.
Si le propriétaire paye au constructeur la plus-value, il a rempli son obligation de ne pas s'enrichir au détriment d'autrui: l'excédant de la dépense ne lui pro fitant pas, il n'est pas admissible qu'il le doive payer; ce n'est pas lui qui est en faute.
32.-II. Supposons maintenant que le constructeur ait été de mauvaise foi, c'est-à-dire ait su que le fonds ne lui appartenait pas. La punition de sa mauvaise foi est qu'il peut être contraint de détruire les ouvrages et les plantations, ce qui lui cause déjà les trois dommages signalés plus haut et dont la loi a dû préserver le constructeur de bonne foi; il pourra même être condamné, en outre, à payer une indemnité, soit pour les dégradations irréparables du fonds, soit pour la privation de jouissance que subira le propriétaire pendant les travaux de démolition et d'enlèvement.
Mais le propriétaire peut désirer garder les constructions et plantations, en vertu du principe d'acces, sion. Dans ce cas, il doit en indemniser le constructeur.
Ici, le Projet paraît s'écarter du Code français qui, dans ce cas, oblige le propriétaire à payer la dépense de la construction, “sans avoir égard à la plus ou “moins grande augmentation de valeur que le fonds a “pu en recevoir” (art. 555, 3° al.). Cette solution a été souvent critiquée, car, dans ce cas, le constructeur de mauvaise foi paraît mieux traité que le constructeur de bonne foi. Peut-étre pourrait-on soutenir avec succès, malgré ce texte, que le propriétaire qui veut garder les constructions aura toujours le droit de considérer le constructeur comme ayant été de bonne foi, et ce n'est pas celui-ci qui sera admis à se prévaloir de sa mauvaise foi, à s'en faire un titre à une plus forte indemnité (dl); mais pour que le propriétaire ait ainsi le droit de considérer comme de bonne foi le possesseur qui, en réalité, était de mauvaise foi, il faudra qu'il ait eu soin, dans sa revendication, de ne pas réclamer les fruits perçus, pendant la possession et de ne pas contester la prescription plus courte qui est le bénéfice des possesseurs de bonne foi.
Le Projet a formellement tranché la question dans le sens le plus favorable au propriétaire, lequel n'indemnisera le constructeur que comme un possesseur de bonne foi, sans perdre pour cela le droit de lui faire subir les conséquences de sa mauvaise foi, au point de vue de la restitution des fruits et de la prescription,
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(d) Nous avons déjà rencontré à cet égard un axiome de droit: * personne n'est écouté, alléguant sa turpitude": Nemo auditur turpitudinem suam allegans.
Art. 614. — 33. L'accession prend le nom special d'alluvion dans le cas du présent article.
L'alluvion est un accroissement, presque toujours insensible, des rives des fleuves et rivières; elle provient du transport des terres, sables et détritus que les eaux détachent des terrains qu'elles parcourent et du dépôt qui s'en fait sur les rives inférieures, à la faveur des tournants et autres causes qui modèrent le cours des eaux,
Il est naturel que la loi attribue l'alluvion au propriétaire riverain sur le terrain duquel elle s'est déposée, car il est impossible de la rendre aux propriétaires, inconnus et nombreux, dont les terrains ont été diminués par la force des eaux.
La loi ne pourrait non plus distinguer entre les cours d'eau navigables et flottables et ceux qui ne le sont pas et attribuer l'alluvion à l'Etat, au département ou à la commune, pour les premiers cours d'eau, comme elle va le faire pour les îles (art. 617), parce que ces différents droits de propriété juxta-posés seraient une source continuelle de contestations. Enfin, l'attribution de l'alluvion aux riverains est pour eux une compensation éventuelle des dommages inverses que peuvent leur causer et que leur causent souvent les cours d'eau par leurs débordements.
Quand nous disons que “la loi attribue " l'alluvion aux riverains, ce n'est qu'une simplification de langage: nous n'entendons pas dire que nous soyons ici en présence d'une acquisition venant directement de la loi, comme on en rencontrera un cas dans le Chapitre viii. L'alluvion est un cas particulier d'accession, de réunion d'une chose tout-à-fait accessoire et secondaire à une chose principale, et la loi sanctionne et consacre ici un phénomène naturel plutôt qu'elle ne crée un droit.
Le texte de notre article s'est gardé d'assigner à l'alluvion le caractère de formation insensible d'un attérissement sur les fonds riverains, quoique ce caractère lui soit donné par toutes les législations civiles, depuis celle des Romains qui qualifiait l'alluvion du nom d'accroissement latent ou caché (incrementum latens).
Sans doute, l'alluvion ne se forme, en général, que lentement et insensiblement, peu à peu (paulatim), mais il n'est pas rare non plus qu'après de grandes crues des eaux, lorsque la fonte des neiges a été brusque dans des montagnes déboisées, les eaux, en rentrant dans leur lit, laissent sur leurs rives des terres d'alluvion en quantité considérable.
Si la loi ne reconnaît à l'alluvion que le caractère d'accroissement latent ou insensible, à qui appartiendront ces accroissements rapides, ces attérissements subits? La question a souvent fait doute en France, à cause des limites où le texte s'est enfermé: elle ne se présentera pas dans le Projet japonais.
34. Il arrive souvent que l'alluvion se trouve déposée sur le front de plusieurs propriétés riveraines distinctes, ce qui suppose, ou que l'alluvion a une certaine étendue en longueur, ou que les propriétés riveraines sont étroites. Dans ce cas, chaque propriété profite en raison de sa longueur contigüe à la rivière et non en raison de son étendue totale ou superficiaire.
Mais l'exécution de cette disposition présente, dans l'application, des difficultés presque inextricables. Une foule de systèmes ont été imaginés, et aucun n'est pleinement satisfaisant, de l'aveu même de ceux qui les ont proposés: pour qu'un système fût à l'abri de la critique, il faudrait qu'il satisfit au moins à ces trois conditions: 1° donner à chaque riverain une part de l'alluvion proportionnelle à la longueur de sa contigüité au cours d'eau, 2° ne laisser aucune portion de l'alluvion sans attribution à un riverain, 3° conserver à chaque propriétaire sa qualité de riverain.
Le cas où ces trois conditions seraient le plus faciles à remplir est malheureusement celui qui, dans l'appiication, se rencontrera le plus rarement, c'est le cas où le cours d'eau suivra une ligne à peu près droite et où l'alluvion se trouvera déposée le long de la rive, dans une largeur à peu près égale. Mais nous disons que le cas sera rare, parce que, justement, si le cours d'eau suit une ligne droite, il n'y a pas d'obstacle il l'entraînement des terres et sables, lesquels n'iront s'arrêter que dans les tournants, et c'est là que les différents propriétaires des terrains riverains auront des prétentions difficiles à concilier, surtout si l'alluviou présente des configurations accidentées.
Pour résoudre la difficulté, le Projet contient une innovativu qui n'a pas encore été proposée et que sa simplicité aurait dii, ce semble, suggérer aux auteurs qui ont traité ce sujet.
La loi fait une distinction entre le cas que nous avons présenté comme le plus rare et le plus simple et les autres cas plus fréquents mais plus compliqués, et elle les exprime en deus alinčas (le ? et le 3“), d'une façon qui ne cesse pas d'etre juridique, malgré l'emploi de deux termes géométriques.
35.-1" cas. Dans le premier cas, l'alluvion est parallèle au cours d'eau, c'est-à-dire à son axe, ou ello l'est à peu près (car il ne faut pas espérer trouver, en cette matière, un parallélisme parfait); alors, pour fixer la part de chaque riverain, il suffit de conduire, à travers les terrains d'alluvion, des lignes droites partant du point de jonction des propriétés et tombant perpendiculairement sur le cours de la rivière, et toute la partie de l'alluvion qui se trouvera entre chaque ligne appartiendra au propriétaire riverain qui lui fait face: il anra ainsi acquis “en raison de la largeur de sa pro“priété le long de la rive” (e), telle que celle-ci exis. tait avant la formation de l'alluvion, et sans aucune recherche de l'étendue de son fonds en profondeur.
Cette solution est très-équitable et on le reconnaît aisément, si l'on se reporte au motif qui fait admettre ici l'accession, à savoir: indemniser les riverains des dommages éventuels que peut leur causer la rivière, et ces dommages sont justement l'opposé de l'alluvion, c'est la destruction, l'enlèvement des rives, car souvent, ce que le fleuve a porté sur une rive, il l'avait enlevé sur la rive supérieure ou sur la rive opposée; or, plus un fonds a d'étendue en bordure de la rivière, plus aussi il est exposé aux ravages des eaux.
On pourrait prétendre que l'alluvion fait moins acquérir la propriété au riverain qu'elle ne lui rend l'usage du lit exhaussé; mais ce serait une erreur: d'abord, s'il s'agit d'alluvion sur un cours d'eau navigable, le riverain acquiert un droit qu'il n'avait pas sur le lit qui est propriété publique; si même il s'agit d'un cours d'eau non navigable, l'accession pourra se produire au-delà de la moitié du cours d'eau et cependant la propriété des riverains sur le lit s'arrête an milieu du cours d'eau.
36.-1[cas. Le deuxième cas est celui où le cours d'eau ne suit pas une ligne droite dans la partie qui a reçu l'alluvion et où l'alluvion est elle-même accidentée, c'est-à-dire forme soit avec l'axe du cours d'eau, soit avec les fonds riverains, des angles rentrants ou sortants. Nous avons dit que, dans ce cas, aucun des systèmes proposés n'est acceptable.
En effet, soit que l'on tire les lignes perpendiculaires au cours d'eau, à partir de l'ancienne limite des riverains, soit qu'on prolonge les lignes séparatives dans la direction qu'elles avaient déjà, on arrive à voir toutes ces lignes se croiser bizarrement sur le terrain d'alluvion, et certains angles de l'alluvion, tantôt seront réclamés simultanément par deux riverains, tantôt se trouveront en dehors des lignes et sans prétendant légitime; en outre, dans le même cas, quelques riverains primitifs cesseront d'avoir accès jusqu'au cours d'eau, résultat devant lequel certains systèmes n'ont pas reculé, mais que nous croyons inacceptable, parce que l'alluvion qui est un bénéfice de la qualité de riverain ne doit pas faire perdre cette qualité.
Le Projet tranche la difficulté d'une façon qui pourra paraître hardie, parce qu'elle est neuve, mais qui ne nous en paraît pas moins la seule raisonnable: les rive. rains seront co-propriétaires indivis de toute cette partie de l'alluvion qui ne peut se diviser d'après le système du précédent alinéa. C'est d'ailleurs une si. tuation plutôt avantageuse pour tous que nuisible, contrairement à l'effet ordinaire de l'indivision: le terrain d'alluvion, quand il aura conservé toute son étendue, sera plus facile à exploiter, en culture ou en plantations d'arbres, que quand il aura été morcelé.
Si, plus tard, cette indivision ne convient pas aux co-propriétaires, ils liciteront le tout: ils le vendront aux enchères, soit entre eux, soit à un acheteur étranger. Ils pourront aussi en faire entre eux un par tage amiable, soit définitif, soit provisionnel, et leur intérêt sera pour eux un excellent guide (f).
Quant à la part que chacun devra avoir dans la copropriété comme dans les revenus, elle sera toujours proportionnelle à la largeur comparative des propriétés riveraines au bord de l'ancienne rive.
37. La dernière disposition de notre article appartient plus au droit administratif qu'au droit civil.
Lorsqu'un cours d'eau est navigable ou flottable (voy. art. 25 et T. Ies, p. 452 et 453, n° 375), les riverains sont obligés de laisser entre leur fonds et la rive, un espace suffisant pour permettre le passage des hommes, et même des chevaux, nécessaire au halage, c'est-à-dire à la traction des bateaux ou trains de bois remontant le cours de l'eau. C'est l'administration qui détermine la largear du chemin et son emplacement. Généralement, il n'est établi que d'un côté du cours d'eau. Il peut être tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, suivant les exigences du terrain; mais, quand l'administration fait passer le chemin d'un côté sur l'autre, elle ne doit le faire, nécessairement, qu'aux endroits où il y a un pont ou un bac.
Le but du dernier alinéa de notre article est de dire que les riverains n'ont pas le droit de transporter le chemin de halage sur le terrain d'alluvion, pour s'approprier le sol de l'ancien chemin: le terrain d'alluvion est généralement bas et peu consistant, il est sujet à être couvert par les hautes eaux et il pourrait résulter de ce changement du chemin des obstacles à la navigation. Les riverains ne pourront non plus bâtir ou planter, ou faire sur le terrain d'alluvion des ouvrages quelconques qui, par leur hauteur, pourraient gêner le halage, c'est-à-dire arrêter les cordes au moyen desquelles les bateans sont tirés.
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(e) Les Romains disaient, dans les mêmes termes: pro modo latitudinis cujusque fundi quæ propè ripam sit.
(f) Sur la copropriété indivise, sur ses avantages et ses inconvénients, sur le droit et les moyens d'en sortir, voir les articles 38 à 41 et le Commentaire, Tome Ier, pp. 95 à 99, nos 68 à 70.
Art. 615. — 38. La loi passe à un autre cas d'ac. cession, auquel ne convient plus le nom d'alluvion, mais on lui donne celui de relai (g): les eaux n'ont pas apporté de terre sur les héritages riverains, mais elles se sont retirées d'une rive sur l'autre; le cas peut arriver dans les lieux où le cours d'eau fait un angle assez court et lorsque le sol y est peu consistant; alors, l'eau ronge le sol du côté intérieur de l'angle et, en tendant à redresser son cours, elle dégage le côté opposé.
Cette portion du lit, abandonnée par les eaux, devait naturellement être accordée, au même titre que l'alluvion, aux riverains du côté où elle se trouve.
Cependant, ici, on aurait pu hésiter, parce que, en même temps que l'un des riverains voit sa propriété augmentée, l'autre la voit diminuée d'autant. Mais, la loi ne pouvait songer ici à admettre le système de compensation qu'on trouvera plus loin, au Chapitre viii (art. 637), pour le cas ou un cours d'eau navigable on flottable abandonne entièrement son lit et s'en ouvre un autre: ce système de compensation, admis par le Code français (art. 563) et déjà très-critiqué, dans le cas dont nous parlons, le serait bien davantage et avec plus de raison, si la loi attribuait au voisin dépossédé lentement par l'envahissement progressif des eaux une bande de terrain sur la rive opposée, laquelle serait une source de difficultés et de contestations, surtout si elle coïncidait avec des alluvions antérieures ou concomitantes.
39. Toutefois, le droit d'accession pourrait donner un résultat inique, dans un cas assez rare, sans doute, mais que la loi a dû prévoir et régler spécialement, celui où le mouvement latéral des eaux, transformerait en relais, non seulement tout le lit antérieur du cours d'eau, mais encore une partie de la rive opposée.
Supposons d'abord un cours d'eau non navigable.
Rigoureusement, la propriété de chaque riverain sur le lit des petits cours d'eau s'étendant jusqu'au centre dudit lit, celui au devant duquel l'eau se retire ne devrait profiter du relai que jusqu'au centre également; mais, comme il serait difficile d'admettre que le riverain opposé franchit le cours d'eau pour occuper de l'autre côté une étroite bande de terre, sous prétexte que c'est une portion de l'ancien lit qui lui appartenait, la loi permet au riverain du coté duquel le lit a commencé à se découvrir de gagner tout l'ancien lit, s'il y a lieu. Mais elle l'oblige à s'arrêter devant l'ancienne rive découverte à son tour: jusques-là, celui qui profite de l'accession sera encore riverain du cours d'eau, mais sans avoir désormais aucune part de proprieté de nouveau lit (), il cessera même d'être riverain, si le cours d'eau continue à se porter de plus en plus, sur le terrain du riverain opposé.
La solution sera la même s'il s'agit d'un cours d'eau navigable ou flottable: la loi a soin de l'exprimer. Si donc un riverain a, par le retrait latéral et continu des eaux, gagné tout le lit appartenant à l'Etat, pendant que celui-ci acquérait le nouveau lit que le cours d'eau prenait peu à peu sur la rive opposée, le bénéfice s'arretera, dès que l'ancienne rive se trouvera dépassée, et le riverain opposé, reprendra possession de son ancieu sol transformé en relai. Le cas avons-nous dit, sera rare, heureusement.
40. Le droit d'accession n'a pas d'application à l'égard des lacs et étangs.
D'abord, il ne pourrait pas être question d'alluvion, parce que l'eau des lacs et étangs n'a pas de courant et ne peut charrier des terres et sables, et lors même que les torrents descendus des montagnes entraîneraient dans un lac des débris du sol, ceux-ci ne se fixeraient guère sur les bords et serviraient plutôt à élever le fond.
Mais les lacs et étangs pourraient, par l'abaissement des eaux, laisser à découvert une portion de leurs rives: il y aurait alors des relais.
La loi, cependant ne les accorde pas aux riverains, s'ils ne sont pas propriétaires de ces eaux. En effet, s'il s'agit d'un étang ou d'un lac n'appartenant pas aux riverains, c'est qu'il appartient à un autre propriétaire privé ou qu'il est une propriété publique; dans les deux cas, il a des limites déterminées qui sont en général, celles des plus hautes eaux; si ces eaux s'abaissent d'une façon permanante, le propriétaire voit s'étendre l'usage de ses rives, tout autour de l'étang, mais il n'acquiert pas de propriété nouvelle. Si, au contraire, le lac ou l'étang appartient aux riverains, ce n'est pas non plus par accession qu'ils ont la propriété des relais, c'est en vertu de leur titre antérieur: ils n'acquièrent de même qu'un usage plus étendu du sol découvert par le retrait des eaux.
41. Les rivages de la mer appartiennent au domaine public de l'Etat comme la mer territoriale ellemėme (art. 23); par conséquent, les particuliers dont les propriétés sont le plus à proximité du rivage, ne le joignant pas immédiatement, ne peuvent profiter des lais et relais (i).
Reste à savoir s'ils appartiendront au domaine public ou au domaine privé de l'Etat.
Il semblerait qu'ils dussent rentrer dans le domaine public, puisqu'ils joignent ce domaine sans solution de continuité et forment un tout avec lui. Mais le Projet les a déjà placés dans le domaine privé de l'Etat et c'est aussi la décision donnée sous le Code français, malgré la disposition, en apparence contraire, de l'article 538.
En effet, les terrains ainsi abandonnés par la mer peuvent être assez vastes pour ne pas être considérés comme rivages et il est utile que l'Etat puisse en faire la concession à des particuliers qui les mettront en exploitation. L'Etat pourra d'ailleurs limiter ladite concession à une certaine distance du nouveau rivage et cet intervalle deviendra, comme était l'ancien rivage, bien du domaine public.
42. Il n'était pas possible de faire bénéficier les riverains des portions de rives qui ne sont pas abandonnées naturellement par les eaux, qui ne le sont que par suite de travaux exécutés par l'administration. Il arrive souvent, en effet, que pour améliorer la navigation, l'administration fait creuser ou canaliser une rivière ou en contient les eaux au moyen de dignes ou relevées de terres et de pierres. Ces travaux sont toujours très-coûteux et il est juste que l'administration trouve une compensation à ses dépenses dans la propriété et dans la vente de ces terrains conquis sur le lit du cours d'eau. Toutefois, pour que les riverains ne perdent pas les avantages de la contiguïté au cours d'eau, par l'interposition d'un autre propriétaire, la loi leur réserve le droit de préemption ou d'achat par préférence à tous autres. C'est aux lois administratives à régler ce droit qui a d'autres applications: notamment, quand il y a suppression d'une route (j).
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(g) Sur la distinction entre les lais et les relais et le mauvais choix usuel de ces deux expressions, voir Tome lor, p. 64, n° 39,
(h) Le riverain dépossédé par le nouveau lit devra avoir soin de faire constater contradictoirement que désormais le nouveau lit lui appartient exclusivement: autrement, le droit commun serait invoqué plus tard contre lui.
(i) Nous profitons de cette occasion pour rectifier un passage du Texte de l'article 26 et du Commentaire qui s'y rapporte (T. Ier, p. 64, n° 39).
Dans l'article 26, il faudrait lire; “les lais et relais de la mer," au lieu des relais seulement. A la page 64, au lieu de présenter les lais comme “des terrains alternativement couverts et découverts par la marée et faisant partie du rivage,” il faut dire qu'ils sont, à proprement parler, des alluvions que la mer ne couvre plus, parce qu'ils ont dépassé le niveau habituel des eaux; tandis que les relais sont des terrains autrefois couverts par les eaux, même à marée basse, et désormais laissés à découvert; c'est ainsi qu'une grande partie de Tokio est bâtie sur des relais.
Au surplus, les lois et les légistes réunissent constamment les expressions “lais et relais" pour les traiter de la même manière, ce qui diminue beaucoup l'intérêt de la distinction.
(j) Déjà on a rencontró l'application du droit de préemption entre particuliers (art. 73, 156, 183, 189, 190).
Art. 616. — 43. Le cas prévu par cet article est appelé ordinairement avulsion, d'un mot latin qui exprime la “séparation violente, le fait d'arracher.” Il n'est pas aussi rare qu'on pourrait le supposer, surtout dans les pays montagneux où la fonte des neiges déjà mentionnée produit souvent des crues violentes et considérables des rivières.
Depuis les Romains, tous les Codes étrangers rèylent cette hypothèse d'une fraction du sol enlevéo d'un fonds riverain et transportée sur un autre ou au moins juxtà-posée à un autre, soit sur la même rive, soit sur la rive opposée. Il est manifeste qu'un fait de cette nature ne peut dépouiller immédiatement le propriétaire de la partie détachée de son fonds et qu'il doit être admis à la revendiquer.
Mais il était nécessaire que ce droit fût soumis à certaines conditions et limité à un délai assez court.
D'abord, il faut que la parcelle soit “reconnaissable”, que l'identité en puisse être constatée: le propriétaire ne serait pas admis à réclamer une quantité de terre équivalente à celle qu'il a perdue, même eu prouvant qu'elle s'est incorporée et confondue avec celle d'un autre riverain.
Le Projet n'exige pas, comme le Code français, qu'elle soit “considérable”, parce que l'expressiou manque de précision; d'ailleurs, il n'y a guère à craindre d'abus et de vexations dans la demande, car si le demandeur voulait réclamer une parcelle trop minime, il serait retenu par la difficulté et les frais d'un procés.
Chez les Romains, la revendication n'était pas limitée à un délai préfix: elle était possible tant que les arbres transportés avec la terre n'avaient pas pris racine dans le sol auquel celle-ci s'était arrêtée. On a déjà signalé la difficulté pratique de cette constatation, au sujet des arbres d'autrui qu'un propriétaire a indûment plantés sur son sol. En outre, il n'y avait plus de solution dans la loi romaine, si une fraction de sol non plantée d'arbres avait été transportée d'un fonds sur un autre.
Le Code français a fixé un délai d'un an pour la revendication et le Projet ne voit aucune raison d'en fixer un plus long ou plus court.
Le Projet adopte aussi l'extension du délai au-delà de l'année, jusqu'à ce que le riverain ait pris possession du morceau de terre. Jusque-là ce dernier n'a au. cune raison de s'opposer à la revendication.
44. Le Projet règle, en outre, quelques points que le Code français a négligés.
Ainsi, le revendiquant doit faire enlever les terres; c'est dire qu'il ne pourrait pas avoir la prétention (admise seulement au cas prévu par l'article 619, ci-après) de posséder sa parcelle de terre à la place où elle s'est arrêtée: non seulement, s'il y a eu superposition, cas ou, en réalité, il occuperait en même temps le fonds même du riverain, mais encorc s'il n'y avait eu que juxta-position, cas où son occupation enlèverait au propriétaire du sol la qualité de riverain. Il doit, de plus, réparer les dommages causés par ledit enlèvement, parce qu'ils proviennent de son fait.
La loi ne l'oblige pas à réparer les dommages causés par le fait seul de la superposition des terres, lesquelles penvent avoir écrasé et détruit d'autres plantations: il y a eu là une force majeure, un fait de la nature dont le revendiquant ne peut être responsable, et la circonstance qu'il réclame sa terre ne doit pas plus l'obliger à réparer le dégât qu'il n'y serait obligé si un arbre planté sur la limite de son fonds était jeté par un ouragan sur le fonds voisin et y renversait une partie de mur ou de maison: le propriétaire redresserait son arbre ou l'enlèverait, sans être tenu de payer le dégât.
Le riverain ne pourrait pas contraindre le propriétaire de la parcelle à la revendiquer: c'est un droit pour celui-ci et non une obligation. Mais il ne faudrait pas, non plus, que le riverain fût tenu de rester, pendant un an, dans l'incertitude et ainsi empêché de cultiver librement son fonds; la loi l'autorise donc à sommer le propriétaire de la parcelle d'avoir à déclarer s'il entend ou non user de son droit, et dans ce cas, il devra procéder sans délai à l'enlèvement des terres; dans le cas contraire, il sera déclaré déchu (k).
45. Le Projet déclare, en terminant, que la présente disposition ne s'applique pas seulement à des fractions du sol, mais encore à toute sorte d'objets mobiliers qui seraient “enlevés par la violence des eaux et trans“portés sur le fonds d'autrui, pourvu (ajoute la loi) “qu'ils soient reconnaissables”: autrement, ils auraient le caractère d'épaves et ils seraient soumis à des lois particulières (art. 604).
Il y avait même raison de décider ici en faveur du riverain, mais aux mêmes conditions: la circonstance que ces objets sont mobiliers ne pouvait pas faire songer à appliquer ici une prescription instantanée, ni même une prescription abrégée, parce que le possesseur manquerait du juste titre qui est le fondement essentiel de cette prescription (voy. art. 194).
Cette disposition est, par la nature des choses, celle qui est appelée à recevoir la plus fréquente application en cette matière; elle est cependant négligée par les Codes étrangers.
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(k) Les articles 73 et 189 donnent déjà des exemples analogues de ce droit de sommation d'avoir à exercer une option.
Art. 617. — 46. La loi arrive à une autre cause d'accession résultant de l'influence des eaux courantes. la formation d'iles et îlots dans les cours d'eau.
S'il s'agit de cours d'eau navigables ou flottables, comme le lit en appartient au domaine public de l'Etat, du département ou de la commune, suivant l'impor. tance du cours d'eau en tant que voie de communication, d'après le classement administratif, l'île ou l'ilot qui se forme dans ce même cours d'eau appartient, dès lors, à la même personne morale ou juridique; car l'île n'est qu'un exhaussement du lit.
Toutefois, comme l'ile, à la différence du cours d'eau lui-même, ne servira pas à un usage national, puisqu'au contraire, elle gêne plutôt les communications, elle ne sera plus que du domaine privé de l'Etat.
La première de ces solutions est écrite dans le Code français (art. 560); la seconde résulte d'une interprétation doctrinale toute naturelle.
Mais, lorsqu'il s'agit des petits cours d'eau, on n'est plus d'accord, en France, sur le point de savoir à qui ils appartiennent. On a déjà eu occasion de rencontrer cette controverse (v. T. Ier, p. 452 à 454, nos 375 à 378), et l'on sait qu'entre les trois opinions émises (l'une admettant la propriété de l'Etat, l'autre la propriété commune et, la troisième, celle des riverains) le Projet a adopté cette dernière.
La question n'avait encore été posée et résolue que daus le Commentaire (loco cit.), à l'occasion des servitudes relatives à l'usage des eaux courantes (art. 245); mais il fallait un texte formel et, quoique venant incidemment, il est ici à sa place.
Les riverains des petits cours d'eau ont, dès lors aussi, la propriété de l'ilot, comme l'Etat a celle des iles nées dans les grands cours d'eau et par le même principe, à savoir, parce qu'ils ont la propriété du lit lui-même; en sorte qu'on pourrait dire, suivant une formule déjà employée ci-dessus, qu'ils acquièreut moins une propriété nouvelle que l'usage, agricole ou autre, d'une propriété jusque-là couverte par les eaux. Mais on ne doit avoir aucun scrupule à admettre ici une acquisition nouvelle par accession, car la naissance d'un îlot dans un cours d'eau ne provient pas d'un soulèvement intérieur du sol, comme il s'en produit parfois dans la mer ou sur la terre ferme: l'îlot est, en réalité, une alluvion, seulement elle est centrale au lieu d'étre riveraine.
47. Dans l'attributiou de l'ile aux riverains, il peut y avoir des prétentious contraires, soit entre les riverains des deux cotés opposés, soit entre ceux d'un même côté. La détermination des droits de chacun est facile à établir au moyen du procédé indiqué aux 3° et 49 alinéas: une ligne parallèle au cours d'eau et passant par son axe, la divise longitudinalement, et sur cette ligne on abaisse des perpendiculaires partant du point extrême des propriétés, à l'endroit où elle joignent le cours d'eau, et chacun acquiert l'ile ou les portions de l'ile qui se trouvent dans le carré qui lui fait face.
Art. 618. — 48. Le Projet emprunte ici au Code italien (art. 459) une disposition prévoyante.
Si on se bornait à l'article 616, pour ce qui concerne l'arulsion d'une portion de terrain, il arriverait que si la portion arrachée, au lieu de se superposer ou de se juxta-poser à une autre propriété riveraine, s'arrêtait dans le cours de l'ean et y formait une île ou un îlot, le propriétaire devrait l'enlever dans l'année, sous peine de perdre sa propriété; or, il n'y a plus ici même motif de l'obliger à enlever sa terre ou à l'aban. donner: les riverains n'éprouvent aucun dommage de ce déplacement des terres, ni de cette modification du cours d'eau; il est donc naturel que le propriétaire du terrain déplacé en puisse prendre possession là où il s'est arrêté et ne soit soumis à aucune limite de temps pour le faire; sanf, bien entendu, le cas où un tiers en aurait acquis la propriété par prescription.
La règle est ici la même, en principe, pour les grands et les petits cours d'eau et pour le inême motif: il ne serait pas juste, notamment, que s'il s'agit d'un grand cours d'eau faisant partie du domaine public, l'Etat on le département acquît une île qui, à la différence des autres, n'est pas formée d'une alluvion lente et à laquelle beaucoup de terrains ont contribué: ici l'île est formée avec la terre d'un seul propriétaire et cette terre est reconnaissable; la propriété ne peut donc être perdue pour lui.
Mais le Projet, empruntant au Code italien sa disposition toute entière, autorise l'Etat ou le département à forcer le propriétaire à la cession de son île, afin qu'il puisse y avoir uniformité dans la propriété des îles des grands cours d'eau. Ce sera une expropriation forcée avec indemnité juste et préalable (comp. art. 32). La seule différence avec les cas ordinaires, c'est qu'ici l'utilité publique n'aura pas besoin d'être spécialement constatée ni déclarée administrativement; elle l'est par la loi elle-même: il suffira que l'Etat, le département ou la commune veuille exercer le droit que la loi lui reconnaît.
Art. 619. — 49. Le cas prévu par cet article est facile à concevoir, d'après la description du fait, telle qu'elle est empruntée par le texte aux Codes français et italien.
Si, dans le cas de l'article précédent, on a maintenu la propriété au riverain dont le sol avait été déplacé et s'était arrêté plus loin en forme d'île, à plus forte raison devait-on lui conserver la propriété de son sol devenu une île ou un ilot, sans déplacement et par le mouvement tournant du cours d'eau.
La loi statue ici pour tous les cours d'eau, mais elle aurait pu ne parler que de ceux qui sont navigables ou flottables, parce que ce sont les seuls à l'égard desquels il pouvait y avoir doute, leur lit étant dans le domaine public et les îles qui y sont nées n'étant pas la propriété des riverains. Il est clair que si le même fait se produit dans un cours d'eau dont le lit appartienne aux riverains, le cas qui nous occupe se trouvera résolu par le principe même de ce droit de propriété: le nouveau bras, étant pris sur un terrain privé, continuera d'appartenir, comme lit, au propriétaire envahi par l'eau, et le terrain resté découvert en forme d'île, qu'il appartienne ou non à la même personne, ne pourra avoir un autre propriétaire que précédemment.
Il convient donc de dire, pour tous les cas, que le terrain ne change pas de maître pour être entouré d'eau.
Pour terminer le cas réglé par notre article, nous remarquerons que le Projet emprunte encore ici au Code italien la disposition finale permettant à l'Etat ou au département de requérir la cession forcée quand il le jugera à propos: il y a identité de motif avec l'article précédent.
Art. 620. — 50. Le cas prévu par cet article sera plus rare que la formation d'une île ou d'un îlot; mais toutes les législations civiles un peu complètes ont cru devoir le régler, et d'ailleurs, il n'est pas invraisemblable, ni même sans exemple, surtout, comme on l'a déjà remarqué, dans les pays montagneux où les terrains sont sujets à des perturbations par les pluies d'orages et la fonte des neiges.
On retrouve encore ici la distinction entre les cours d'eau navigables ou flottables et ceux qui ne le sont pas; pour abréger nous pourrons dire entre les grands et les petits cours d'eau.
Puisquè la propriété du lit des petits cours d'eau appartient aux riverains, il est naturel que quand ce lit se trouve subitement abandonné, chacun en prenne possession, pour l'usage agricole ou autre qui lui convient.
Nous supposons, avec le texte, que le changement de lit est “ brusque ou subit”: autrement, on se retrouverait en présence des relais successifs réglés différemment par l'article 615.
Naturellement, le partage entre les riverains de chaque côté de l'ancien lit se fait au moyen de la ligne longitudinale et des lignes perpendiculaires déjà indiquées à l'article 617 pour le partage des îlots.
En ce qui concerne le lit d'un grand cours d'eau qui se trouverait ainsi abandonné, la propriété ne serait pas acquise au riverain, mais il y aurait une attribution légale toute différente: la loi attribuera le lit abandonné aux propriétaires dépossédés par la formation du nouveau lit (art. 637).
Art. 621. — 51. On a établi, ci-dessus (pp. 11 et 13, n°8 6 et 10) que les poissons des étangs privés ne sont pas sans maître, comme ceux des rivières et de la mer, qu'ils ne peuvent donc être acquis par la pêche, sans le consentement du propriétaire de l'étang et, de même, que les pigeons vivant dans des colombiers construits et entretenus à leur intention ne sont pas des oiseaux sauvages, que dès lors, il n'est pas permis de les chasser, même quand ils sont hors du colombier et chez le voisin, si d'ailleurs le voisin en connaît la provenance ou le caractère (l).
Mais les uns et les autres, les pigeons surtout, ayant une certaine liberté, peuvent quelquefois passer dans nn étang ou dans un colombier voisin, ce qu'on appelle migration. Pour les poissons, ce sera plus rare, parce que les étangs, même voisins, sont généralement séparés avec soin; mais il peut y avoir une rupture des cloisons, ou un débordement des eaux.
52. Lorsque la migration de ces animaux a eu lieu, la propriété en est acquise à celui chez lequel ils sont parvenus, mais à deux conditions: la première c'est que celui-ci n'ait pratiqué aucune ruse ou artifice, pour les faire pénétrer chez lui, encore moins une sonstraction, auxquels cas, il serait toujours exposé à la revendication et aux dommages-intérêts; la seconde, c'est que la revendication soit exercée dans la semaine.
Les sept jours doivent se compter non depuis le départ des animaux, mais depuis leur entrée chez le voisin, ce qui a de l'intérêt pour les pigeons qui peuvent avoir erré pendant quelques jours dans le voisi. nage sans se fixer. Si donc les pigeons s'étaient arrêtés plus d'une semaine sur un fonds, sans s'y fixer dans un colombier ou dans une partie de bâtiment pouvant leur servir de refuge, la revendication pourrait encore s'exercer, parce que le voisin ne les possèderait pas encore, à proprement parler.
Dans tous les cas, il va de soi (et d'ailleurs le texte a soin de l'exprimer) que le revendiquant doit justifier de son droit, c'est-à-dire de l'identité des animaux qu'il réclame: ce sera plus difficile pour les poissons, moins pour les pigeons qui peuvent être d'une espèce et d'un plumage différents de ceux du voisin. La réclamation sera encore plus facile, si le voisin n'avait pas luimême de pigeons dans son colombier ou sous ses toits au moment de l'émigration de ceux dont il s'agit.
Le cas des poissons présentera, pratiquement, plus de difficultés, non seulement au sujet de la reconnaissance d'identité, mais encore sur le point de savoir si le revendiquant pourrait faire vider l'étang du voisin pour reprendre ses poissons. Il faudra généralement lui refuser ce droit qui serait gênant et même préjudi. ciable pour le voisin. Mais si celui-ci était convaincu d'avoir pratiqué une fraude pour faire entrer les poissons dans son étang, le revendiquant obtiendrait aisément que l'étang fût vidé, pour la facilité des recherches et de la reprise des poissons détournés.
53. Les Codes français et italien (art. cités) ont une disposition plus simple, mais qui paraît moins juste: la propriété des poissons et pigeons est acquise immé. diatement au voisin chez lequel les animaux sont passés spontanément; par conséquent, aucun délai n'est donné pour la revendication.
On ne propose pas d'adopter cette disposition: il n'est pas juste que l'un des voisins profite d'un accident qui arrive à l'autre: ces animaux ne sont pas sauvages, aux yeux de la loi elle-même, puisqu'elle ne permet pas de les attirer par fraude ou artifice; la loi ne permet pas non plus de les retenir par force ou par ruse. Or, si la loi entend faire dépendre le droit nouveau du voisin d'une sorte de volonté des animaux, au moins de leur attache au fonds qu'ils ont choisi, il est naturel d'attendre un certain temps. Le délai d'une semaine, d'ailleurs assez court, a encore une double raison d'être: il indique chez le propriétaire des animaux une sorte d'abandon ou d'indifférence et, en même temps, il constitue pour le voisin une possession digne d'égards.
54. Les Codes précités ont une semblable disposition pour les lapins de garenne. Le Projet ne s'occupe pas de cette sorte d'animaux, d'abord parce qu'ils sont presque inconnus au Japon, ensuite, parce qu'ils sont vraiment sauvages et susceptibles d'appartenir au premier occupant. Il faudrait donc décider que si des lapins de garenne passaient d'un fonds sur un autre, ils appartiendraient de suite au voisin, et cela, lors même qu'il les aurait attirés par fraude; cette fraude d'ailleurs sera rare, car ces animaux sont très destructeurs et font le désespoir des cultivateurs dans les pays où ils sont nombreux.
Les deux Codes précités paraissent donner une solution tout-à-fait impraticable: au cas de fraude ou artifice, ils entendent évidemment permettre la revendication des lapins de garenne; or, ces animaux font des terriers, des galeries souterraines, étendues, entrecroisées, dont les entrées et les issues sont cachées dans les broussailles: la revendication dans ces conditions serait une mauvaise plaisanterie.
55. Le 2e alinéa de notre article donne au sujet des abeilles une solution analogue, mais un peu différente.
Le Code français a négligé d'en traiter; mais une loi antérieure sur la police rurale (du 28 sept. 1791), encore en vigueur, autorise le propriétaire de l'essaim qui s'est échappé à le suivre sur le fonds d'autrui, sans limite de temps (ce qui ne peut toujours être bien long) et à charge de réparer le dommage, s'il en canse,
Le Code italien (art. 713) n'autorise la poursuite que pendant deux jours; passé ce délai, “le propriétaire du fonds peut les prendre et les retenir.” On peut conclure de cette rédaction que la poursuite pourrait durer plus de deux jours, si le propriétaire du fonds n'avait pas fait acte de possession sur ledit essaim, et alors la poursuite ne serait plus limitée qu'au délai de 20 jours, par argument de l'article suivant dn même Code qui donne ce délai pour poursuivre dans les mains d'autrui les animaux apprivoisés qui n'auraient pas été attirés par fraude.
Le Projet s'écarte, tout à la fois, de la loi française et du Code italien: 1° le droit de suivre l'essaim sur le fonds voisin dure une semaine, comme dans le cas des pigeons; c'est moins qu'en France où il n'y a pas de limite et c'est plus qu'en Italie où le droit ne dure que deux jours; 2° le délai est réduit à 3 jours, si le propriétaire du fonds a recueilli les abeilles et les a retenues prisonnières dans une ruche ou autrement: on conçoit que le droit de suite se prolonge plus quand le voisin n'a pas encore pris possession que dans le cas contraire.
Il n'a pas semblé nécessaire d'ajouter au texte, comme le fait le Code italien, que “le propriétaire de l'essaim devrait réparer le dommage causé par la poursuite": cela va de soi, et même il est certain que la poursuite devrait être empêchée ou suspendue dans les cas où elle causerait des dommages difficiles à réparer.
56. Le dernier alinéa concerne des animaux tenant le milieu entre les animaux sauvages et les animaux domestiques: ce sont les animaux apprivoisés; ils sont, comme dit le texte, “ de nature sauvage,” mais ils sont devenus familiers avec l'homme. On suppose qu'ils sont “fugitifs" c'est-à-dire qu'ils ont cessé de revenir chez leur propriétaire.
S'ils étaient tout-à-fait sauvages, ils ne pourraient pas être revendiqués, parce qu'ils n'auraient pas de maître.
S'ils étaient domestiques, ils pourraient être revendiqués, sans autre limite de temps que la prescription ordinaire des meubles possédés sans droit (m).
Etant dans cette condition intermédiaire, la loi adopte elle-même à leur égard une disposition intermédiaire: ils peuvent être revendiqués dans un délai modéré mais suffisant; ce délai est d'un mois, à partir non de leur fuite, mais du moment où un tiers les a recueillis et par conséquent les possède. La loi suppose même qu'il les a recueillis “de bonne foi”, ce qui implique, 1° qu'il n'a employé aucune ruse pour les faire venir ou les retenir, 2° qu'il ignore quel est leur véritable propriétaire. Dans le cas contraire, la revendication ne serait soumise qu'à la prescription ordinaire des meubles possédés de mauvaise foi.
57. La loi n'a pas de disposition sur les animaux sauvages, mais captifs, qui se seraient échappés. Au point de vue de la revendication, ils devraient être assimilés à tous autres objets mobiliers qui auraient été perdus par hasard ou accident: ce sont des épaves terrestres dont la revendication devra être réglée par des lois particulières, si elle ne l'est déjà.
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(l) Les pigeons qui ne vivent pas dans des colombiers sont appelés pigeons ramiers, parce qu'ils vivent sur les arbres: ils sont sauvages et peuvent être chassés.
(m) En France, le délai serait de 30 ans, dans ce cas, pour les meubles, comme pour les immeubles, on proposera de le réduire au Japon; sauf au cas de vol (voir Livre Vo, Chapitre dernier).
COMMENTAIRE.
N° 58. Li loi arrive à l'accession mobilière, c'est-::dire à la réunion d'un objet mobilier à un autre objet également mobilier.
Les dispositions du Code français, à cet égard (art. 563 à 577), sont un peu confuses, en la forme, et ne sont pas, au fond, à l'abri de la critique. On a cherché ici à y mettre plus d'ordre et on a cru devoir modifier quelques-unes des solutions.
Les diverses hypothèses ici prévues sont au nombre de trois: l'adjonction (art. 622 à 625) la confusion ou le mélange (art. 626) et la spécification (art. 627 à 630).
Dans l'adjonction, il y a simplement réunion de deux ou plusieurs choses appartenant à divers propriétaires; cette réunion est une juxtaposition ou une superposition;
Dans la confusion ou le mélange, la réunion est plus complète, les diverses matières se pénètrent d'une façon plus ou moins intime, c'est ce qui a lieu pour les liquides et pour les métaux fondus ensemble; il peut aussi y avoir mélange de solides de petit volume et en grande quantité, comme des grains, des matières textiles, des charbons, etc.;
Enfin, dans la spécification, il y a création d'un objet nouveau avec la matière d'autrui.
Dans ces trois hypothèses, il y a d'abord à examiner si la matière réunie, mélangée ou modifiée, peut ou non continuer à appartenir à son propriétaire. Lorsqu'on arrive à le décider négativement, il faut déterminer à qui elle est acquise et à qu'elles conditions.
La loi termine par un cas tout particulier d'accession, en faveur du propriétaire de la chose dans laquelle un trésor est découvert (art. 631).
Art. 622. — 39. Le texte suppose que les choses appartenant à différents propriétaires ont été réunies “sans leur volonté”; si donc la réunion était l'effet de leur consentement réciproque, nos articles ne s'appliqueraient plus: il y aurait eu convention et l'effet de la réunion serait celui que les parties se seraient proposé, expressément ou tacitement; probablement, elles auraient voulu devenir copropriétaires, ou bien l'une aurait entendu céder sa chose à l'autre; en tout cas, la séparation ne serait pas laissée à la volonté d'une seule des parties, puisqu'elles ont voulu la réunion.
Cette observation s'applique aussi au mélange et à la spécification, sans qu'il soit nécessaire que la loi ait répété, pour chacun de ces cas, qu'il n'y a pas eu convention. Au surplus, l'article 629 règlera le cas où il y a eu accord des volontés.
Une autre observation préalable qui s'applique également à nos trois cas, c'est qu'il faut sous-entendre que celui qui a fait la réunion, le mélange ou la spécitication d'une chose mobilière que la loi suppose ne pas lui appartenir, n'était pas non plus dans le cas d'invoquer la prescription abrégée ou instantanée des meubles (a). Or, si nous présumons que le Projet admettra la théorie française de l'article 2279, nos ar. ticles ne s'appliqueront que dans le cas de possession de mauvaise foi, ou dans celui où la chose, même possédée de bonne foi, aurait été perdue ou volée depuis moins de 3 ans.
60. En revenant au texte, nous voyons que la loi suppose d'abord que les choses réunies "peuvent être séparées, facilement et sans notable détérioration”, dans ce cas, chaque propriétaire peut demander la séparation et revendiquer en même temps sa chose.
Le Code français, par une bizarrerie que nous trouvons inexplicable, commence par supposer, comme le Projet, que les choses “sont facilement séparables”; ou croirait, dès lors, que c'est pour permettre la séparation; nullement: il la défend.
Il est cependant bien plus juste et naturel que chacun puisse reprendre sa chose, quand cela se peut sans détérioration grave: c'est le respect du droit de propriété et, par suite, de l'intérêt ou des convenances de chacun des propriétaires.
Cette rentrée de chacun en possession de sa chose n'exclut pas un droit à une indemnité, soit parce que la chose aurait perdu en valeur par la double opération de la réunion et de la séparation, soit parce que le propriétaire en aurait été privé pendant un certain temps. L'indemnité sera demandée à celui qui a fait indûment la réunion: ce peut être un tiers, ce peut être l'un des propriétaires.
La loi termine par une observation qui n'est pas sans utilité: quand elle parle de la détérioration possible qui résulterait de la séparation et qui, par cela même, y inettrait obstacle, on pourrait la prendre trop à la lettre; elle croit donc devoir faire entrer en ligne de compte, comme détérioration, les changements plus ou moins nécessaires qui auraient été apportés aux choses pour en faciliter l'adjonction: elles auront été, le plus souvent, taillées, réduites, façonnées, d'une manière qui leur donnera peut-être plus d'utilité, une fois réunies, mais qui leur en otera, au contraire, une fois la séparation opérée.
Cette disposition est nouvelle; mais paraît fondée en raison.
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(a) Cette prescription instantanée des meubles, au profit du possesseur de bonne foi n'est pas encore réglée dans le Projet; mais elle est présupposée chaque fois que l'occasion de l'appliquer se rencontre (voy, notamment, art. 366).
Art. 623. — 61. La loi passe au cas inverse du précédent, celui où les choses “ne peuvent être séparées sans une notable détérioration ou sans trop de frais et de lenteurs”: dans ce cas, la séparation n'aura pas lieu; mais la loi ne commence pas par établir la copropriété indivise entre les propriétaires: elle sait que l'indivision a des inconvénients (voy. Comment. des art. 38 à 10); elle attribue le tout au propriétaire de la chose principale, mais à charge d'une indemnité.
La loi ne réglant que dans l'article suivant, le cas oi la réunion a été le fait de l'un des propriétaires, il faut dès lors supposer qu'ici cette réunion est le fait d'un tiers ou du hasard: l'indemnité alors a pour mesure, non le dommage éprouvé par celui qui perd sa chose, mais le profit obtenu par celui qui acquiert cette même chose, ce qui peut être fort différent (comp. art. 381-4").
Il fallait encore déterminer la chose principale ou la chose accessoire; le Projet indique pour cela deux moyens: le premier, tiré du caractère de chaque chose dans ses rapports avec l'autre, le second tiré de leur valeur respective. On n'est pas allé jusqu'à prévoir, comme le Code français (art. 569), que les deux choses pourraieut avoir la même valeur, et à donner la préférence à celle qui a “plus de volume”: cette cause de préférence est peu juridique, si le volume n'influe pas sur la valeur, et, du moment qu'on ne tient plus compte que de différences purement physiques des choses, on ne voit pas pourquoi on ne s'attacherait pas tout aussi bien au poids qu'au volume, ce qui, du reste, serait non moins déraisonnable.
A défaut des deux moyens indiqués par le Projet de reconnaître le caractère principal ou accessoire des choses, ce point est laissé à l'appréciation des tribunaux qui s'aideront des analogies fournies par la loi.
Art. 624. — 62. Ici, la loi suppose qu'à la différence du cas précédent l'auteur de la réunion des deux choses est un des propriétaires.
1° Si c'est le propriétaire de la chose principale qui a opéré cette réunion, du moment qu'il n'était pas propriétaire de la chose accessoire, il doit y avoir, si non dol, au moins faute ou négligence de sa part. Le dol ne se présume pas; mais la faute doit se présumer, dès qu'il est prouvé que quelqu'un a disposé de ce qui ne lui appartenait pas.
La différence résultant de cette circonstance que l'auteur de la réunion est le propriétaire de la chose principale c'est que l'indemnité aura une autre base que si la réunion était le fait d'un tiers, laquelle ne serait considérée que comme un par accident: ce ne priétaire de la chose principale, mais bien la perte éprouvée par le propriétaire de la chose accessoire. En outre, l'appréciation de cette perte se fera avec plus ou moins d'étendue et de sévérité, suivant qu'il y aura en simple faute on dol: la loi se borne à cet égard, à renvoyer aux principes généraux déjà posés, en matière de dommages-intérêts (voy. art. 405).
2° Si la réunion est le fait du propriétaire de la chose accessoire, il n'y a plus à distinguer s'il a commis une faute ou un dol, puisque ce n'est pas lui qui acquiert: par rapport au propriétaire de la chose principale, il est comme un tiers; son acte est aussi un accident dont l'autre propriétaire ne doit pas souffrir; mais comme il ne serait pas juste non plus qu'il en profitât, l'indemnité revient encore au profit réalisé, comme au cas de l'article précédent.
C'es utiles distinctions sont trop négligées dans les Codes français et italien.
Art. 625. — 63. Il restait à régler le cas où les choses ne pouvant toujours être séparées, au moins sans grand inconvénient, ne pourraient non plus être attribuées à un seul des propriétaires parce qu'aucune ne semble principale par rapport à l'autre,
La loi prend alors le seul parti qui reste possible: elle déclare la chose entière commune aux deux propriétaires. Elle ajoute que leurs droits sont égaux, puisque l'une des causes de la copropriété est l'égalité de leur valeur.
Le Projet n'ajoute pas, comme le Code français (art. 575), que “la chose doit être licitée au profit commun”: elle sera licitée ou elle ne le sera pas, suivant que les parties le voudront ou non; seulement, la volonté d'un seul suffira pour qu'il y ait licitation ou vente aux enchères, conformément au principe général (art. 40), parce que l'indivision, dès qu'elle cesse de plaire à tous les intéressés, est une cause de contestations.
La circonstance que la chose devient commune modifie le droit à l'indemnité, mais ne l'exclut pas.
D'abord, si la réunion est le fait d'un tiers, celui-ci peut être tenu d'indemniser les deux propriétaires du dommage qu'il leur a causé, en les plaçant ainsi dans l'indivision sans leur volonté.
Si la réunion est le fait de l'un des propriétaires, l'autre peut aussi se plaindre du même résultat.
Nous verrons encore, à l'article 627, un autre droit de ce même propriétaire.
Art. 626. — 64. La loi passe à la seconde sorte d'accession mobilière, au mélange ou à la confusion dont on a déjà indiqué le caractère propre.
Le mélange diffère de l'adjonction en ce que l'union des diverses choses est plus intime; les matières se confondent en quelque sorte dans toutes leurs parties: c'est ce qui a lieu pour les liquides réunis dans un même vase, pour les métaux fondus ensemble, puis solidifiés, et même pour les solides, lorsqu'ils sont de petit volume, en grand nombre et de nature semblable, ce qui rend difficile de les distinguer aisément, comme des riz de qualités plus ou moins semblables qui auraient été confondus.
Dans le cas de mélange, on appliquera les mêmes règles qu'à l'adjonction et sous les mêmes distinctions; pas conséquent, si l'on peut séparer les matières sans trop de difficultés, elles seront séparées; mais cela sera rare: l'opération, lorsqu'elle ne sera pas trèslente comme pour les riz, sera très-coûteuse, comme pour les métaux fondus ensemble et elle sera presque toujours impossible pour les liquides, comme pour les rins, les huiles, etc.
Dans ces cas où la séparation est difficile on impossible, le mélange total appartient au propriétaire de la chose principale, et comme, en pareil cas, on ne peut pas supposer, en fait, que dans la réunion des choses, l'une soit pour l'usage, l'ornement ou le complément de l'autre, on ne conçoit guère que la prédominance de valeur qui puisse déterminer la cause d'acquisition; or, cette prédominance de valeur ne pourra provenir que de la différence de nature et de qualité de la chose; la différence de quantité ne suffirait pas; aussi la loi décide-t-elle expressément lo qu'à défaut de cette diversité de valeur, la masse totale des objets mélangés appartient en commun aux divers propriétaires, et, comme il est possible qu'ils aient contribué inégale. ment à la formation de la masse mélangée, elle veut 2° que leurs droits dans l'indivision soient proportionnels à la quantité provenant de chacun. Cela est raisonnable et juste; car, supposons des vins de mêmo qualités réunis dans la mesure de deux tiers pour l'un et d'un tiers pour l'autre, il serait déraisonnable de donner toute la propriété au premier, avec indemnité pour le second, et injuste de leur reconnaitre des droits égaux dans l'indivision.
Art. 627. — 65. Les solutions qui précèdent sont, en principe, applicables aussi bien quand l'adjonction et le mélange résultent du fait d'un tiers que lorsqu'elles résultent du fait d'un des copropriétaires; mais, dans ce dernier cas, l'auteur de la modification des choses peut encore être tenu de réparer, autrement qu'il n'a été dit, le dommage par lui causé.
Il est possible que l'autre propriétaire, dont la chose est principale, ne désire pas devenir propriétaire de la totalité des choses ainsi réunies, parce qu'elle excède, soit ses besoius, soit ses moyens de payer la valeur de la chose accessoire; et si la chose doit devenir commune, le propriétaire exempt de faute peut ne pas vouloir entrer dans i'indivision avec celui qui l'a dépouillé de son droit primitif.
Dans les deux cas, il pourra donc renoncer, à l'un ou à l'autre de ces droits de propriété et se faire rendre par l'autre propriétaire pareilles quantité et qualité de matière ou l'estimation; ce dernier aura à son tour la propriété entière des choses réunies ou mélangées.
Art. 628. — 66. La loi arrive au dernier cas d'accession, à la spécification ou création d'une espèce nonvelle. Il faut toujours supposer qu'il y a deux ou plusieurs intéressés, le propriétaire de la matière et le spécificateur, au moins; car si quelqu'un a transformé sa propre matière, il n'y a pas de question: il est seul propriétaire.
Ici, comme dans les autres cas, c'est toujours la chose principale qui entraîne l'accessoire; seulement, la difficulté n'est plus la même: la comparaison est à faire entre la matière et la main-d'auvre.
Cette question de propriété de la chose ainsi créée avec la matière d'autrui, avait beaucoup divisé les juris. consultes romains: les uns donnaient la préférence au propriétaire de la matière, parce que sans elle, l'objet n'aurait pu être créé; les autres lui préféraient le spécificateur, parce qu'ils se plaçaient plus volontiers dans le cas d'une cuvre d'art où, en effet, le travail l'emporte facilement sur le prix de la matière; plus tard, la loi consacra une opinion intermédiaire d'après laquelle on devait distinguer si l'objet spécifié pouvait ou non être ramené à son état primitif; dans le premier cas, et sans qu'il fût nécessaire d'opérer la transformation, la propriété appartenait au maître de la matière; dans le second cas, elle appartenait au spécificateur, sauf indemnité au propriétaire de la matière. Cette distinction avait son côté séduisant, car on pouvait dire que dans le premier cas, l'objet n'était réellement pas nouveau, tandis qu'il l'était dans le second; la matière ne pouvant pas reparaître à l'état primitif était considérée comme détruite et ne pouvait plus être revendiquée; l'objet, dès lors nouveau, ne pouvait avoir d'autre maître que le spécificateur, comme premier occupant: on rentrait ainsi, sans le dire, dans l'occupation.
Le résultat n'en était pas moins quelquefois singulier et dépendait trop de la nature physique des objets: ainsi, un objet sculpté avec grand talent sur un bronze de peu de valeur, aurait appartenu au propriétaire de la matière, parce que le bronze travaillé peut aisément être ramené à son premier état; tandis qu'un simple socle carré, de vase ou de statue, taillé dans un beau marbre, serait devenu la propriété d'un spécificateur sans talent; de même, un tableau fait sur la planche d'autrui aurait dû appartenir au propriétaire de la planche, parce qu'elle n'était pas détruite comme telle par la peinture, tandis que celui qui aurait confectionné une tunique avec une étoffe précieuse de pourpre en aurait acquis la propriété.
67. Quoi qu'il en soit du mérite et des défauts de ce système, le Code français l'a formellement rejeté (art. 570) en donnant, en principe, la préférence an propriétaire de la matière, “soit que la matière puisse “on non reprendre sa première forme.” Mais, dans l'article suivant, il donne la préférence à la maind'œuvre, “si elle surpasse de beaucoup la valeur de la “ matière."
C'est aussi le système du Projet (1er al.), avec cette différence qu'il est moins exigeant que le Code français pour donner la préférence à la main-d'œuvre: il se contente d'un “notable excédant de valeur” (24 al.), tandis que ledit Code ne donne la préférence à la main-d'ouvre que lorsqu'elle “est tellement importante qu'elle surpasse de beaucoup la valeur de la matière” (art. 571).
Le 3° alinéa augmente pour le spécificateur les chances d'avoir la priorité, lorsqu'il a fourni une partie de la matière, en même temps que la maind'ouvre; c'est encore une différence avec le Code français qui, dans ce cas, sans qu'on en voie bien la raison, abandonne toute recherche de prédominance respective des valeurs pour établir une copropriété indivise entre les intéressés (art. 572).
Le 4° alinéa applique au cas de spécification une disposition analogue à celle de l'article 627 pour l'adjonction et le mélange: la partie qui peut se plaindre de l'autre n'est pas tenue de se prévaloir du droit de préférence qui lui appartiendrait et peut se faire indemniser en y renonçant.
Art. 629. — 68. Les solutions qui précèdent ont été données par la loi, dans l'hypothèse où les choses ont été réunies, mélangées ou transformées sans le consentement respectif des propriétaires.
Nous avons dit, sous l'article 622, que dans le cas où ce consentement a eu lieu, la question de propriété serait résolue d'après la convention. Mais il est à prévoir que souvent les parties auront négligé de s'expliquer suffisamment sur leur but et leur intention ou, l'opération une fois accomplie, ne seront plus d'accord sur les résultats; la loi a donc dû, en terminant, donner encore ici quelques règles d'interprétation de la volonté probable des parties.
Ainsi d'abord, l'article 622 ne s'appliquera pas, dans sa première disposition relative au droit pour chaque propriétaire de demander la séparation: il est clair que s'ils ont consenti à ce que leurs choses fussent réunies ou mélangées ce n'était pas pour garder le droit individuel de les faire séparer.
Reste à savoir si, par cela seul que les propriétaires ont consenti à la réunion, c'était avec l'intention de devenir copropriétaires indivis; ce ne sera pas toujours certain: il est possible, au contraire, que celui auquel appartenait la chose principale ait eu l'intention d'acquérir la chose accessoire, en en payant la valeur, bien entendu. Tout au plus, pourrait-on distinguer lequel des deux a sollicité la réunion: si c'était le propriétaire de la chose accessoire qui l'eût demandée et exécutée, c'était peut-être pour acquérir lui-même le tout, avec indemnité.
Le plus souvent, sans doute, il conviendra d'attacher à la convention l'effet de rendre les intéressés copropriétaires indivis, chacun en proportion de la valeur de ce qu'il a fourni à la masse devenue commune. Si l'indivision a pour les parties des inconvénients, elles en sortiront par la licitation.
Art. 630. — 69. Quoique les trois cas d'adjonction, de mélange et de spécification soient à peu près les seuls que l'expérience ait rencontrés et que les autres législations aient prévus comme accession mobilière, la loi ne veut pas que les tribunaux soient sans guide pour le cas où des faits différents se présenteraient: elle leur propose d'abord d'appliquer, par analogie, autant que possible, les règles précédentes, et, subsidiairement, de s'inspirer “des principes de l'équité naturelle."
Il y a une semblable recommandation dans le Code français (art. 565) et dans le Code italien (art. 463).
Il n'en faudrait pas conclure que ce soit là le seul cas où les tribunaux doivent s'inspirer du droit naturel on de l'équité: déjà la loi leur en a fait un devoir pour déterminer l'effet des conventions (comp. C. civ. fr., art. 1134 et 1135 et Projet jap., art. 350); en outre, toutes les dispositions de la loi concernant la bonne et la mauvaise foi impliquent pour les tribunaux un pareil devoir, en les plaçant sur le terrain de l'équité; enfin, dans tous les autres cas, si la loi ne proclame pas pour les tribunaux le pouvoir de statuer d'après l'équité, c'est parce qu'elle a prétendu déterminer ellemême les solutions que l'équité commandait.
Art. 631. — 70. Déjà l'article 606 a réglé les droits de celui qui, par l'effet du hasard, a trouvé un trésor dans le fonds d'autrui: la loi, suivant une tradition presque universelle et très-ancienne, même au Japon, lui en accorde la moitié, à titre d'invention ou d'occupation.
Ordinairement, les lois, pour abréger et ne pas revenir sur cette matière, règlent en même temps les droits du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est découvert et lui attribuent l'autre moitié.
On a préféré, dans ce Projet, mettre chaque disposj. tion à la place qui lui convient logiquement.
En effet, à l'égard de la moitié qui n'est pas attribuée à l'inventeur, l'acquisition du propriétaire n'est pas fondée sur l'occupation: on pourrait, sans inconvénient, dire qu'elle est fondée sur la loi; mais, comme ce bienfait de la loi est fondé lui-même sur la propriété de la chose principale, il est naturel de le faire rentrer dans les cas d'accession (b).
Comme le trésor est presque toujours trouvé dans le sol, l'usage est de dire que le propriétaire en acquiert la moitié jure soli, “par le droit du sol”; mais c'est une formule trop étroite, puisqu'il n'est pas douteux que le trésor découvert dans un meuble appartient pour moitié au propriétaire dudit meuble (voy. ci-dessus, p. 21, no 18); on doit dire qu'il acquiert jure dominii, “ par le droit de propriété.”
A cette occasion, nous donnerons la solution promise plus haut (p. 23, n° 18, V.), au sujet du trésor trouvé dans un bâtiment vendu pour être démoli, mais encore attaché au sol: il ne nous paraît pas douteux que la moitié revenant au propriétaire de la chose principale soit acquise à celui à qui appartient le bâtiment; le trésor est caché dans le bâtiment et non dans le sol; le cas ne diffère pas juridiquement de celui où le trésor n'aurait été découvert que dans les décombres du bâtimeut déjà démoli: les bâtiments vendus pour être démolis sont déjà des “ meubles par destination ” (voy. ci-dess., p. 42, n° 29, note c, ajoutant un 49 alinéa à l'article 13) et, comme tels, ils enlèvent tout droit au propriétaire du sol.
Disons encore, en passant, que c'est à raison de ce que le trésor découvert dans un meuble appartient pour moitié au propriétaire dudit meuble, que cet article est placé ici à la fin de la matière de l'accession, et c'est ainsi que le texte a soin d'exprimer sa double application “mobilière et immobilière."
71. En attribuant ainsi la moitié du trésor au propriétaire de la chose principale, la loi suit deux considérations d'équité: la première, c'est que le trésor peut avoir été déposé par un des anciens propriétaires, et le propriétaire actuel est le plus souvent son héritier; par conséquent, celui-ci se trouve déjà propriétaire du trésor à son insu: la découverte du trésor lui fait recouvrer l'exercice et la jouissance effective de son droit, plutôt qu'elle ne lui fait acquérir le droit luimême; ce droit se trouve même réduit de moitié, pour la récompense de l'inventeur qu'il a paru bon d'associer à ce bénéfice du hasard, afin d'éloigner de lui la pensée d'un détournement.
Mais cette première considération ne suffirait pas toujours à justifier le droit du propriétaire actuel, car il peut n'être pas l'héritier des anciens propriétaires: il n'est pas rare qu'il soit un acheteur et peut-être tout récent.
Il faut ajouter que la loi considère que, sans le hasard qui a amené un tiers à la découverte du trésor, le propriétaire avait de grandes chances de faire luimême, tòt ou tard, cette même découverte, laquelle alors lui aurait donné le trésor tout entier.
72. Notre article 631 tranche encore deux et même trois questions sur lesquelles il pourrait y avoir doute, au Japon comme en France, si la loi ne prenait soin de s'en expliquer.
1° La découverte du trésor a été faite par le propriétaire même de la chose principale, c'est-à-dire de celle dans laquelle le trésor était enfoui ou caché: il est naturel que le tout lui appartienne; ce n'était pas là le cas douteux puisque le propriétaire n'a pas de concurrent.
Mais à quel titre acquiert-il cette chose ? Il parait logique et naturel de reconnaître qu'il y a en lui deux qualités: celle d'inventeur et celle de propriétaire, et que s'il acquiert les deux moitiés du trésor, c'est pour partie en l'une de ces qualités et pour partie en l'autre. On en pourra déduire des conséquences dans le cas où le propriétaire serait marié et où il existerait entre lui et sou conjoint, soit une communauté soit une séparation d'intérêts plus ou moins déterminée.
En France, la combinaison des règles sur l'acquisition du trésor avec celles des divers régimes matrimoniaux donne lieu à des controverses; les dispositions qui précèdent aideront à les prévenir au Japon, lorsque sera venu le moment de régler l'association conjugale.
2° La découverte du trésor, au lieu d'être fortuite, i eu lieu par suite de recherches faites dans ce but: en ce cas, que ce soit par le propriétaire lui-même, ou par un tiers avec ou sans son ordre, c'est le propriétaire qui acquiert; on a vu, en effet, à l'article 606, que le tiers n'acquiert la moitié du trésor que quand sa découverte est due au hasard.
3° Il fallait admettre contre le propriétaire de la chose principale, comme contre l'inventeur, la revendication du trésor par son véritable propriétaire; il fallait aussi l'enfermer dans des limites assez étroites: la loi adopte naturellement la même prescription que contre l'inventeur et, pour cela, elle renvoie à l'article 607.
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(b) Déjà, sur l'article 67 qui refuse à l'usufruitier la jouissance de la portion du trésor revenant au propriétaire, on a eu occasion de faire allusion à la nature du trésor et, en disant qu'il “ n'est pas une accession,” un accessoire de la chose dans laquelle il est trouvé (T. Ier, p. 141, no 97), on indiquait par là qu'on ne le considérait pas comme acquis au propriétaire par accession; dès lors, on admettait que c'était un cas d'acquisition par la loi; c'est qu'à ce moment on n'était pas encore décidé à faire de concession à l'opinion commune qui y voit une accession. Mais la solution du texte sur l'usufruitier ne devra pas être changée: la justification seule diffèrera: on dira que cet accessoire de la chose usufructuaire, étant en dehors des prévisions du constituant, ne peut être une source de profit pour l'usufruitier.
COMMENTAIRE.
N° 73. L'acquisition des fruits et produits periu. diques d'une chose, étant un des principaux effets de la possession de bonne foi, a trouvé sa place naturelle au Chapitre iv du Livre II° consacré à la Possession.
Si la loi n'avait pas alors traité de l'acquisition des fruits, ayant déjà été obligée de renvoyer à la fin de ce Code un autre effet de la possession, à savoir la prescription acquisitive ou usucapion (roy. art. 211), il eút été singulier d'assigner un Chapitre à la Possession et de renvoyer à d'autres parties du Code les effets principaux de ce droit.
C'est donc le présent Chapitre qui se borne à un renvoi: son objet se réduit ainsi à marquer la place d'un des moyens d'acquérir la propriété, de manière à ce que l'énumération en soit complète dans ce Livre.
Nous rappellerons sommairement ici les conditions de cette acquisition des fruits.
Il faut 1° que le possesseur détienne la chose en vertu d'un juste titre, 2° qu'il soit de bonne foi, 3° qu'il ait perçu, par lui-même ou par un tiers agissant en son nom, les fruits et produits, au moins les produits naturels.
Reprenons chacune de ces conditions.
74.-I. Le juste titre est défini par l'article 194: c'est un acte juridique (écrit ou non) qui, de sa nature, est destiné à transférer la propriété; mais s'il est juste, dans ce sens un peu spécial, il n'est pas parfait: autrement, on ne parlerait pas d'une simple possession, mais d'une véritable propriété; ce titre a un vice, c'est qu'il n'émane pas de quelqu'un qui pouvait conférer le droit cédé, soit parce qu'il n'était pas le propriétaire de la chose, soit s'il l'était, parce qu'il n'avait pas la capacité de disposer.
L'opposé du juste titre n'est pas le titre précaire (voy. art. 197), c'est l'usurpation, la prise de possession sans titre (art. 194, 2° al.).
Le juste titre est le fondement nécessaire de la bonne foi.
75.-II. La bonne foi consiste, de la part du possesseur, à ignorer que la chose n'appartenait pas à sou cedant ou qu'il n'était pas capable de l'aliéner; par conséquent, le possesseur ignore que lui-même n'était pas devenu propriétaire.
On est très-divisé en France sur le point de savoir si l'erreur de droit peut fonder la bonne foi nécessaire et suffisante pour faire acquérir les fruits.
Ainsi, le possesseur, traitant avec un parent d'un propriétaire décédé, la cru héritier, par ignorance de la loi des successions; ou, traitant avec un mineur déjà proche de la majorité, il l'a cru capable d'aliéner un immeuble; ou bien, il a cru qu'un mandataire général avait pouvoir d'aliéner les immeubles sans une disposition spéciale du mandat.
Le Projet a tranché la question dans un seus assez rigoureux, au premier aspect (art. 195); mais cette disposition se trouve tempérée par une autre placée à l'article 206 (voy, aussi Comment., T. Ie', p. 381 et s., nos 306 et s.).
Le possesseur qui se trouve dans le cas d'une erreur de droit, étant honnête, sera toujours mieux traite quant aux fruits que le possesseur de mauvaise foi: il ne sera pas tenu de rendre la valeur des fruits consommés, à moins que cette consommation ne lait curichi, en lui éparguant l'achat nécessaire de fruits semblables.
Cette solution intermédiaire entre deux solutions extremes a paru concilier l'équité naturelle avec le principe que l'erreur de droit n'est pas exempte de faute (a).
Au contraire, celui dont la bonne foi reposerait sur une erreur de droit ne jouirait pas du bénéfice de la prescription abrégée (10 ou 20 ans): il ne prescrirait que par le plus long délai (30 ans).
76.—III. Le possesseur de bonne foi, à la différence de l'usufruitier, n'acquiert pas les fruits naturels par leur seule séparation du sol, il faut qu'il ait fait luimeme, ou par quelqu'un agissant en son nom, un acte de prise de possession des fruits. La raison en a déjà été donnée sous l'article 206: tandis que l'usufruitier acquiert les fruits en vertu d'un droit, le possesseur 10 les acquiert qu'en vertu d'un fait que la loi considère comme exempt de faute; c'est une pure protection contre le dommage sérieux que pourrait lui causer la restitution de valeurs qui sout entrées dans ses mains et qu'il a pu cousidérer comme siennes.
Pour les fruits civils, le Projet (art. 206, 2e al.) a tranché une question très-débattue en France: le possesseur les acquiert jour par jour, comme l'usufruitier; les raisons en ont été données sous l'article 206.
Il faut, bien entendu, que la bonne foi dure encore au moment de la perception des fruits pour qu'ils soient acquis au possesseur.
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(a) Nous proposons d'exprimer dans le 3e alinéa dudit article 200 que la bonne foi, sans juste titre, suppose une erreur de droit et de le rédiger ainsi: “Si le possesseur est de bonne foi sans "avoir de juste titre, ayant commis une erreur de droit, il n'est "dispensé de restituer que les fruits consommés, et en justitiant "qu'il n'en est pas enrichi.”
COMMENTAIRE.
N° 77. Voici encore un Chapitre qui n'est place ici que pour mémoire, en quelque sorte, car la disposition qu'il contient a déjà trouvé sa place au sujet de l'Effet des conventions (art. 332) et son application à l'occasion du Payement (art. 476).
Il y a toutefois quelque chose de plus ici, c'est que la disposition s'applique non seulement aux choses dues par suite d'une convention, mais encore à celles qui seraient dues par une autre cause, par exemple, par suite d'un enrichissement indû ou d'un dommage injuste; il pourrait s'agir aussi de choses dues par l'effet d'un legs ou d'une disposition testamentaire (voy. art. 642).
Il n'y a, dans cette acquisition par l'effet de la tradition, aucun retour aux anciennes idées romaines, françaises et même japonaises, d'après lesquelles la propriété ne pouvait s'acquérir par le seul consentement des parties, mais seulement par un fait extérieur, matériel, par la tradition: si cette tradition est nécessaire lorsqu'il s'agit de choses dites de quantité, c'est parce que le seul consentement serait, par la nature des choses, impuissant à transférer la propriété. Lorsqu'une personne promet de donner, à titre onéreux on gratuit, une certaine quantité de riz ou une somme d'argent, comment la propriété pourrait-elle être transférée par le seul consentement ? Quels seraient les sacs de riz, qu'elles seraient les pièces de monnaie ou de papier-monnaie qu'acquerrait l'autre partie? Peut-être le débiteur en a-t-il beaucoup: il faut alors choisir; peut-être n'en a-t-il pas du tout: il lui faut alors s'en procurer.
La tradition est donc nécessaire, au moins pour déterminer les choses dont la propriété sera transférée, et c'est justement parce que la tradition n'a plus du tout le caractère qu'elle avait dans les anciennes législations civiles, c'est parce qu'elle n'est qu'un simple mode de détermination des choses promises, qu'elle peut être remplacée par un choix fait d'accord entre les parties (a), sans déplacement de la possession, ce qui n'aurait pas suffi, assurément, quand la tradition réelle était exigée.
Lorsque le choix est ainsi fait, la chose promise est devenue un corps certain et la propriété en est transférée, comme si la chose avait été individuellement déterminée à l'origine; mais la transmission a lieu sans rétroactivité; si donc les objets avaient été déjà donnés en gage et que l'acquéreur ne l'ignorât pas, le droit de gage devrait être maintenu.
A plus forte raison, pour que la propriété soit ainsi transférée par la tradition ou la détermination ultérieure, est-il nécessaire que le cédant en soit propriétaire, comme s'il s'était agi d'un corps certain à l'origine, car on ne peut transférer que le droit qu'on a soi-même (nemo dat quod non habet).
78. La disposition qui précède s'applique aux immenbles comme aux meubles.
Il est certain qu'il sera beancoup plus rare qu'une personne stipule et qu'une autre promette une quantité de terrain: presque toujours il s'agira d'une maison, d'un terrain déterminés; mais il y a des contrées où la terre, à pen près inculte, est si raste et à si bas prix qu'on la vend et l'achète par grandes quantités, même sans les voir. En France, on procède ainsi pour les terres d'Algérie. Au Japon, on peut, à Tokio, vendre et acheter 1,000 ou 10,000 tsubos de terre ou de bois dans l'Hokkaïdo: on se sera borné à désigner le ken on une autre division territoriale; on aura pu indiquer comme limite ou point de départ, une rivière, une montagne, un antre domaine; mais la propriété ne sera transférée que quand la quantité aura été mesurée et délimitée, c'est-à-dire individuellement déterminée.
79. On a dit que la propriété ne serait pas transférée si celui qui a livré ou déterminé les choses dues n'en était pas propriétaire.
Mais, dans ce cas même, s'il s'agissait de choses mobilières, le mal serait facilement réparé par la prescription, si la chose n'avait été ni perdue ni volée: celui qui l'aurait reçue de bonne foi, en deviendrait propriétaire par la prescription.
En France, cette sorte de prescription, dite souvent instantanée, résulte de la célèbre maxime "en fait de meubles la possession vaut titre” (art. 2279); il est probable, comme on l'a déjà annoncé, qu'elle sera introduite dans le nouveau Code civil japonais; ajoutons qu'elle a déjà été consacrée par une loi spéciale.
S'il s'agissait d'un immeuble, la prescription serait de 10 ou 20 ans, toujours au cas de bonne foi du possesseur, et de 30 ans dans le cas contraire.
Remarquons, en terminant, que lorsque la prescription est nécessaire pour suppléer au défaut de droit chez le cédant, la tradition réelle est nécessaire aussi, car la prescription repose sur la possession: la simple détermination de la chose, ne donnant pas la possession, ne remplacerait plus la tradition.
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(a) Le Texte, en parlant d'une détermination “faite contradictoirement” entend dire, comme ici, qu'après s'être contredit, antant qu'il y avait lieu, les parties sont arrivées à un accord.
COMMENTAIRE.
N° 80. La matière de l'expropriation pour cause d'utilité publique a déjà dû trouver place au Chapitre de la Propriété (Livre II°, Chap. 1er); elle constitue, en effet, la première dérogation, et en même temps la plus grave, au droit de propriété.
Mais c'est une matière trop spéciale pour pouvoir être traitée, avec ses détails, dans le Code civil. Il suffit de poser en principe la prédominance de l'intérêt public sur l'intérêt privé; mais l'exercice des droits de l'Etat nécessite un certain nombre de mesures administratives qui ne peuvent être organisées que par des lois spéciales; en outre, ces lois sont sujettes à des variations fréquentes, tandis que la fixité doit être un des caractères d'un Code civil.
En France, depuis le Code civil senlement, l'expropriation pour cause d'utilité publique a été l'objet de sept lois principales différentes, sans compter un grand nombre d'ordonnances royales et de décrets impériaux réglant des détails d'exécution (a). On ne peut guère espérer arriver, de prime abord, au Japon, à une législation définitive sur cette matière.
La création de grandes lignes de chemins de fer, traversant le pays dans sa longueur, nécessitera un grand nombre d'expropriations. Jusqu'ici, on a pu faire face aux besoins avec une législation encore trèsincomplète et en laissant à l'administration une assez grande liberté d'action et de décision; mais il faut s'attendre à voir se multiplier les difficultés et croître les exigences des propriétaires, en même temps que les résistances de l'administration: la loi seule peut déterminer la manière de faire droit à ce qu'ont de légitime ces prétentions contraires.
Le Code civil doit donc se borner à proclamer le droit de l'Etat d'exproprier les particuliers pour cause d'utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité, et déjà l'article 32 a renvoyé aux lois spéciales pour le mode de règlement de cette indemnité.
81. Ici, on mentionne, à la suite de l'Etat, des départements et des communes, les concessionnaires de leurs droits, parce qu'il pourra arriver souvent que l'Etat ne procède pas lui-même aux travaux d'utilité publique, mais en fasse la concession à des compagnies qui feront procéder à l'expropriation comme représentant l'Etat ou comme concessionnaires de ses droits.
Le texte suppose implicitement qu'il pourrait y avoir cession amiable par les particuliers. Dans ce cas, il serait dressé un contrat entre l'administration et le propriétaire; cet acte serait considéré comme authentique, étant sans doute dressé par un officier public, civil ou administratif, et il produirait la translation immédiate de la propriété, conformément à l'article 351 du présent Code.
Il pourra arriver fréquemment, au Japon comme en France, que le propriétaire ne fasse pas d'objection à l'expropriation même, ce qui est le plus sage et le plus naturel, si les formalités légales ont été remplies, mais qu'il conteste le montant de l'indemnité offerte: dans ce cas, la cession sera toujours valable comme aliénation volontaire: il ne restera plus qu'à fixer l'indemnité, soit administrativement, soit judiciairement, suivant le mode qui sera fixé par la loi. On sait qu'en France, c'est un jury de douze citoyens qui fixe l'in. demnité.
On pourrait s'étonner qu'une cession à titre onéreux, qu'une vente, en réalité, soit valable avant la fixation du prix; mais les principes généraux permettent de vendre, en laissant la fixation ultérieure du prix à l'arbitrage d'un tiers (voy. ci-dessous, Chap. xii, Sect. 1", § 1er); or, c'est ce qui se passe dans le cas qui nous occupe: l'arbitre, c'est le jury ou toute autre autorité chargée de fixer l'indemnité.
Rappelons à ce sujet que le payement de l'indemnité n'est pas et ne peut pas être préalable à l'expropriation, c'est-à-dire au changement de propriétaire: il est préalable seulement à la prise de possession par l'Etat, comme l'exprime formellement l'article 32.
82. Soit que l'expropriation résulte d'une cession amiable ou d'un acte de l'autorité judiciaire ou administrative, et lorsqu'elle a un immeuble pour objet, la cession doit être portée à la connaissance de ceux qu'elle peut intéresser, par la voie de la transcription (art. 368-5°). Une fois la transcription faite, aucune cession nouvelle de la propriété, aucune constitution d'hypothèque ou d'autre droit réel, faite par l'ancien propriétaire, ne serait opposable à l'Etat ou à ceux qui sont subrogés à ses droits pour l'exécution des travaux.
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(a) Lois des 16 sept. 1807, 10 mars 1810, 30 mars 1831, 7 juillet 1833, 3 mai 1841, Sénatus-consulte du 25 déc. 1852, Loi du 27 juillet 1870.
COMMENTAIRE.
N° 83. Quand on examine quels étaient, en droit romain, les moyens d'acquérir la propriété, on en rencontre un, l'adjudication, qu'on ne trouve plus dans les législations modernes, même dans celles qui ont le plus emprunté aux Romains, comme celles de France et d'Italie.
L'adjudication du droit romain avait lieu dans trois cas: dans le partage d'une succession entre co-héritiers et, par analogie, d'une société universelle, dans le partage d'un bien particulier indivis entre deux ou plusieurs, et dans le bornage entre voisins.
Le nom d'adjudication exprimait l'idée d'une attribution de propriété par le juge de l'une de ces actions en partage ou en bornage.
Aujourd'hui, on fait encore, aussi souvent qu'à Rome, des partages et des bornages, et cependant il n'y a plus d'adjudication. Voyons donc comment les choses se passaient alors et comment elles se passent aujourd'hui.
On a déjà eu occasion, dès le commencement de ce Projet, d'indiquer quel grave changement la nature et les effets du partage ont reçu dans les temps modernes (voy. art. 15 et comment. T. Ier, p. 52 à 55; nos 25-26).
Autrefois, on reconnaissait que lorsque deux cohéritiers ou deux co-propriétaires procédaient au partage, ils se transféraient mutuellement la propriété de ce qui appartenait à chacun sur la portion attribuée à l'autre. Supposons, pour la plus grande simplicité, une succession échue à Primus et à Secundus, pour des portions égales, et composée d'une maison et d'un champ, et que les parties fussent d'accord pour que Primus eût seul la maison et Secundus seul le champ: coinme, jusque-là, chacun avait la moitié indivise des deux immeubles, il fallait nécessairement que Primus cédât à Secundus son droit de moitié sur le champ et que Secundus cédât à Primus son droit de moitié sur la maison; dans ce cas de partage à l'amiable, la translation de propriété résultait de la convention, ou mieux, de la tradition, nécessaire à cette époque. Mais si les parties n'étaient pas d'accord sur l'attribution à faire à chacun, il fallait recourir au juge et c'était lui qui formait les lots et transférait à chacun la part de l'autre: l'acte du juge s'appelait arjudicatio.
Lorsqu'il s'agissait dų bornage de propriétés contigües, il n'y avait pas nécessairement adjudication, il aurait fallu pour cela que le juge ne crût pas devoir maintenir les anciennes limites, après les avoir reconnues: il était, en effet, autorisé à les changer, pour leur donner plus de fixité et éviter des contestations ultérieures; dans ce cas, en même temps qu'il addjugeait à l'un des voisins une portion du fonds de l'autre, il le condamnait envers celui-ci à une indemnité qui jouait le rôle d'un prix de cession.
84. Le dernier de ces cas d'adjudication a dû cesser d'étre usité avant l'abolition des autres, parce qu'il est le plus contraire au principe de la propriété, laquelle ne doit pas recevoir d'atteinte sous le prétexte d'éviter des procès.
Les deux autres cas répondaient, au contraire, aux vrais principes du droit: la co-propriété ne pouvait évidemment cesser que par une translation réciproque des parts indivises, chacun aliénant sa part dans un objet pour en acquérir un autre dont il serait propriétaire exclusif.
Mais l'on reconnut dans la pratique des inconvénients qui ont été déjà signalés (loco citato), notamment, pour les héritiers, celui de recevoir dans leur lot une chose qui avait pu être déjà grevée d'hypothèque ou d'un autre droit réel; plus tard, on supporta difficilement de payer à l'autorité deux droits de mutation ou de transmission, l'un au moment de l'ouverture de la succession, l'autre au jour du partage, et l'on imagina (ce fût l'æuvre des légistes français du xvio siècle) de considérer le partage, non plus comme translatif ou attributif d'un droit nouveau de propriété, mais comme déclaratif d'un droit antérieur, réputé établi sur chaque lot, rétroactivement, depuis l'ouverture de la succession ou depuis que l'indivision avait commencé.
L'article 883 du Code civil français est rédigé formellement en ce sens et le Projet japonais a déjà adopté le même principe (art. 15), se réservant de l'appliquer au partage des Sociétés, des Successions et, généralement, des communautés de biens.
Il n'y a donc plus aujourd'hui d'acquisition par adjudication dans le sens du droit romain.
85. Mais s'il n'y en a plus dans le même sens, il y en a encore dans un autre, et il est étonnant que les auteurs n'aient pas pris soin de compter parmi les moyens d'acquérir celui qui fait l'objet de ce Chapitre; c'est, sans doute, parce qu'il appartient autant à la procédure civile qu'au droit civil même.
Il faut bien reconnaître, en effet, que lorsqu'un créancier fait saisir les biens de son débiteur insolvable, celui-ci ne pouvant plus en disposer, ni en faveur du saisissant, ni en faveur des autres créanciers, ni en faveur d'un tiers, les biens seront vendus aux enchères publiques et attribués au plus fort enchérisseur. Les enchères sont reçues publiquement, après affiches indiquant le lieu, le jour et l'heure de la vente; c'est un juge (juge de paix ou juge du tribunal civil) qui reçoit les enchères, et l'acte par lequel il attribue la propriété au dernier enchérisseur porte naturellement le nom d'adjudication. Il n'y a évidemment pas contrat entre le débiteur saisi et l'adjudicataire, pas davantage entre le créancier saisissant et l'adjudicataire: il y a bien là un moyen particulier d'acquérir la propriété.
Si l'adjudication a pour objet un immeuble, elle doit être transcrite, comme les autres actes opérant translation de propriété (art. 368).
La procédure de saisie n'est pas encore réglée définitivement: elle le sera dans le Code de procédure civile (a).
Le présent article porte que l'adjudication est soumise à des charges et conditions portées dans l'acte même. Il va sans dire, notamment, que l'adjudicataire doit payer le prix d'adjudication dans un délai trèscourt et déterminé.
La loi doit prévoir le cas où l'adjudicataire ne pourrait payer au temps convenu. La chose est alors remise aux enchères, aux risques et périls du premier adjudicataire, désigné sous le nom de fol enchérisseur, et si les nouvelles enchères n'atteignent pas le même chiffre, le fol enchérisseur doit parfaire la différence.
Il va sans dire que si l'adjudication a pour objet un immeuble, l'adjudicataire ne peut opposer son droit aux tiers qui traiteraieut plus tard avec le débiteur que depuis le moment où il a donné, à son titre d'acquisition la publicité des acquisitions d'immeuble: l'article 368-4° a une disposition formelle en ce sens.
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(a) A la fin de la 16e année de Meiji (1883), nous avons présenté au Ministère de la Justice un Projet de loi sur les Saisies, qui nous avait été demandé. Il a 145 articles accompagnés d'un Commentaire. Il a été traduit en japonais, imprimé et distribué; mais il n'est pas encore adopté: sans doute, il figurera dans le nouveau Code de procédure civile.
COMMENTAIRE.
N° 86. La confiscation spéciale est une peine accessoire, commune aux crimes, aux délits et aux contraventions. Elle peut atteindre trois sortes d'objets, aux termes de l'article 43 du Code pénal: les objets prohibés par la loi, ceux qui ont servi à commettre l'infraction et ceux qui ont été obtenus ou acquis par l'infraction. L'article 44 du même Code fait quelques distinctions sur le point de savoir à qui ces objets appartenaient avant l'infraction, au moins pour les deux premières catégories; mais ces distinctions ne doivent pas nous occuper ici: lorsqu'on suppose un jugement portant confiscation, on le suppose nécessairement rendu conformément à la loi. On doit aussi supposer que ce jugement est devenu irrévocable; autrement, tout pourrait être remis en question.
Le texte nous dit que l'effet de ce jugement est de transférer la propriété. C'est une chose rare qu'un jugement soit attributif de droits nouveaux: en général, un jugement est déclaratif de droits antérieurs qui se trouvaient contestés. Cette particularité tient à ce que la confiscation est une peine et la peine ne commence évidemment que quand elle est prononcée.
87. La loi mentionne comme acquéreurs possibles: en premier lieu, l'Etat; en effet, c'est l'Etat qui profite le plus souvent des confiscations; le mot même l'exprime: c'est le fisc, c'est-à-dire le trésor public qui acquiert.
Mais il est probable que certains objets confisqués seront attribués aux départements ou aux communes, par exemple, les objets saisis en cas d'infraction aux règlements de police départementale ou locale: la confiscation viendra ainsi en déduction des frais de police administrative. Il pourra arriver aussi que certains produits confisqués soient attribués aux hopitaux, comme des médicaments mis en vente par des personnes non autorisées, et se trouvant d'ailleurs de bonne qualité, comme des vins ou autres denrées qu'on aurait tenté d'introduire de pays étrangers en fraude de la douane, des tabacs fabriqués en contravention aux lois fiscales, des produits de chasse exercée en temps prohibé ou sans permis de chasse.
La loi ne réserve pas expressément le cas où la confiscation serait ordonnée par la loi en faveur de particuliers lésés par une infraction, et pour leur tenir lieu de dommages-intérêts; il pourra arriver cependant que cela soit un jour établi, notamment par la loi sur les brevets d'invention.
En France, les produits fabriqués en contrefaçon d'objets brevetés sont confisqués au profit du breveté auquel la contrefaçon a porté préjudice.
88. La première classe d'objets sujets à confiscation ne rentrera pas toujours sous l'application de notre article: elle comprend les objets prohibés par la loi; or, généralement, ces objets doivent étre détruits, parce que leur existence est un mal public, comme des fausses monnaies. Mais quelquefois la possession n'en est défendue qu'aux particuliers, comme pour les armes de guerre; elles seront donc acquises à l'Etat qui les placera dans ses arsenaux et pourra s'en servir.
COMMENTAIRE.
Art. 637. — N° 89. Cette disposition est empruntée au Code français (art. 563), mais avec une restriction: tandis que, dans ce Code, elle est commune aux grands et aux petits cours d'eau, c'est-à-dire même à ceux qui ne sont ni navigables ni flottables, il ne s'agit, dans le Projet japonais, que des cours d'eau navigables ou flottables.
Avant de justifier la restriction ici apportée, il est nécessaire d'expliquer et de justifier la disposition ellemême.
D'abord, on fera remarquer que bien qu'il s'agisse encore ici de modifications de la propriété immobilière résultant du mouvement des eaux, il n'était pas possible, logiquement, de placer le cas de cet article dans le Chapitre de l'accession, ce que font cependant les Codes européens; en effet, l'acquisition n'est fondée ici ni sur un fait de réunion physique ou de voisinage, ni sur la prédominance d'une chose principale par rapport à une chose accessoire: il y a une attribution directe et souveraine faite par la loi, et le principe, la cause de cette attribution, c'est l'équité qui veut que le propriétaire dépouillé soit indemnisé de sa perte et surtout que cette perte ne devienne pas pour un autre la source d'un profit sans cause légitime.
On a déjà eu occasion de voir que le lit des rivières navigables ou flottables appartient à l'Etat (art. 25, 2e al. et T. ler, p. 452, no 375, note f; v. aussi ci-dessus, p. 45, n° 33). Lors donc qu'un cours d'eau de cette nature change de lit (ce qui n'est pas rare, surtout dans les grandes crues et dans le voisinage des embouchures, lorsque le fleuve en a plusieurs), l'Etat acquiert alors la propriété du nouveau lit, laquelle fait partie de son domaine public; en même temps, si la disposition de notre article n'existait pas, le lit abandonné rentrerait dans son domaine privé (art. 26) et l'Etat se trouverait enrichi au préjudice des particuliers. C'est pour prévenir ce résultat regrettable que la loi attribue immédiatement la propriété du lit abandonné à ceux qui ont été dépouillés par la formation du nouveau lit.
90. Il est facile maintenant de comprendre pourquoi notre article limite cette indemnité au cas où il s'agit d'un cours d'eau navigable ou Aottable; c'est que c'est seulement alors que le lit appartient à l'Etat. On a vu, en effet, que le lit des petits cours d'eau, de ceux qui ne sont ni navigables ni flottables, appartient aux riverains (voy. art. 243, 2° al. et 615, 2° al.); or, si un cours d'eau de cette nature change de lit, le lit abandonné appartient à l'ancien propriétaire, et il ne serait pas juste que la loi le dépouillât de ce qui lui a tonjours appartenu pour en indemniser celui auquel nuit le nouveau lit. D'ailleurs, le propriétaire dont le fonds a été envahi par le cours d'eau n'a perdu que l'usage, mais non la propriété du sol; il ne serait donc pas admissible qu'il prit, à titre d'indemnité, le lit abandonné dans une autre propriété privée: ce serait gagner, à son tour, car il aurait ainsi les avantages d'un cours d'eau nouveau, en gardant la propriété du lit pris sur son fonds, plus, la propriété du sol de l'ancien lit maintenant découvert (si la loi le lui accordait) et, pendant ce temps là, l'autre propriétaire perdrait, tout à la fois, l'usage de l'ancien cours d'eau et la propriété du lit.
Le cas est, comme on voit, très-différent de celui où, s'agissant d'un cours d'eau navigable ou flottable, l'Etat gagne le terrain du nouveau lit et recouvre l'usage de l'ancien.
Le système du Code français a pour défenseurs les jurisconsultes qui soutiennent que le lit des petits cours d'eau appartient à l'Etat: il est alors naturel que la loi ne fasse pas de distinction entre les divers sortes de cours d'eau et qu'elle dispose librement des biens de l'Etat; mais ce système est un sérieux embarras pour ceux qui soutiennent que le lit des petits cours d'eau appartient aux riverains ou à ceux dont le cours d'eau traverse les fonds: on se trouve alors en présence d'une singulière disposition de la loi d'après laquelle elle dispose de ce qui appartient à des particuliers.
Dans le Projet japonais l'objection n'est plus possible: le lit des petits cours d'eau appartient aux riverains et leur changement ne donne lieu à aucune indemnité.
Dans les cas auxquels s'applique notre article, s'il y a plusieurs propriétaires envahis par le cours d'eau, il est juste que le partage du lit abandonné soit proportionnel à la perte de chacun.
Il était utile d'ajouter que l'indemnité pourra excéder le dommage: c'est une compensation naturelle avec le cas inverse où l'indemnité ne pourrait être égale à la perte.
Art. 638. — 91. Cet article a pour but, comme ceux qui, par une simple formule de renvoi, constituent les cinq Chapitres précédents, de consacrer, à sa place logique, la puissance de la Loi comme moyen direct d'acquérir la propriété dans d'autres cas que celui qui précède, et aussi d'autres droits, soit réels, soit personnels.
Parmi ces cas, les uns ont déjà été rencontrés, d'autres viendront ailleurs.
Ainsi, l'article 26 nous a déjà dit que les immeubles qui n'ont pas de maître particulier appartiennent à l'Etat; si donc un immeuble exposé aux inondations, est abandonné par son propriétaire, parce que les produits n'en couvrent pas l'entretien des digues, les frais de culture et les impôts, l'Etat en acquiert la propriété en vertu de la loi. C'est par le même principe que l'Etat acquiert les successions, même mobilières, qui sont en deshérence, c'est-à-dire auxquelles n'est appelé aucun héritier connu (même art. 26).
L'usufruit est quelquefois conféré par la loi: l'article 47, 2e alinéa, y a fait allusion, se bornant à renvoyer, à ce sujet, au Chapitre de la Puissance paternelle et à celui des Successions.
Les successions elles-mêmes, comprenant tous les biens laissés par un défunt, sont acquises directement par la loi; de là, leur nom habituel de successions légitimes, par opposition aux successions testamentaires déférées par la volonté du défunt.
Au Chapitre des Servitudes, on en a trouvé un grand nombre qui sont établies ou conférées directement par la loi (art. 228 à 285).
Comme droits réels accessoires formant des garanties ou sûretés des créances, on aura sans doute des hypothèques établies par la loi. En France, les mineurs ont, de plein droit et par la seule disposition de la loi, une hypothèque sur les biens de leur tuteur, pour la garantie de la gestion de celui-ci et des restitutions auxquelles il peut être soumis; de même, les femmes sur les biens de leurs maris, pour la garantie de leur dot et de leurs reprises matrimoniales. Ces hypothèques ne sont pas sans inconvénients pour la sécurité des tiers qui traitent avec le tuteur ou avec le mari, et on les a souvent critiquées en France et ailleurs; mais ces inconvénients proviennent moins des droits euxmêmes que de leur caractère occulte, de la dispense de publicité dont ils jouissent.
On pourra adopter ces hypothèques au Japon, en conciliant, par une publicité complète, les intérêts des tiers avec ceux du mineur et de la femme (v. Liv. IV, 11° Partie).
Enfin, il y a des droits personnels ou de créance conférés directement par la loi; on a vu au Livre II, II° Partie, que les obligations (et les créances qui en sont la contre-partie) ont quatre causes: la dernière est la Loi (voy. art. 316 et 400).
En dehors de ces moyens d'acquérir des droits réels ou personnels, provenant directement de la loi et qui ont trouvé ou trouveront place dans le Code civil, il y en a déjà d'autres et il pourra y en avoir encore davantage résultant de lois spéciales.
Si l'on songe aux créances de l'Etat contre les particuliers, il y en a déjà beaucoup qui résultent des lois fiscales ou des lois administratives, et le nombre en augmentera plutôt qu'il ne diminuera.
On a aussi renvoyé à des lois spéciales (art. 26 et 604) pour l'acquisition des épaves terrestres, fluviales et maritimes, ainsi que des prises faites sur l'ennemi dans les guerres terrestres et navales: on aura là de nouveaux cas d'acquisitions fondées sur l'effet direct de la Loi.
COMMENTAIRE.
N° 92. Il ne paraît pas que la pratique du testament ait été jusqu'ici très-répandue au Japon: cet acte est peu dans les meurs et il ne semble pas répondre à un besoin impérieux des particuliers; aussi les lois nouvelles, déjà si nombreuses pourtant, même en matière civile, depuis la Restauration, n'ont-elles pas eu à s'en occuper.
Pour expliquer ce rare emploi du testament, il suffit de remarquer, d'une part, la pratique constante de l'adoption par celui qui n'a pas d'enfant mâle, ce qui lui tient lieu de l'institution d'un héritier par legs universel, et, d'autre part, comme obstacle au legs particulier, l'usage très-fréquent chez les pères de famille de faire, de leur vivant et avant même leur extreme vieillesse, l'abandon, la démission de leurs biens, en faveur de l'aîné de leurs enfants et, à cette occasion, d'allouer quelques sommes ou valeurs aux puînés, s'ils le jugent utile ou nécessaire à leur établissement et à leur prospérité.
Cependant, en remontant un peu loin dans le passé, on trouve quelques actes législatifs qui autorisent le testament, tout en mettant des limites assez étroites à la liberté du testateur. Ces limites avaient pour but de conserver à l'aîné certaines prérogatives que la loi politique, plutôt que la loi civile, lui avait attribuées de temps immémorial, et c'est justement parce que l'usage du testament était né du désir des pères de venir en aide aux puînés qu'il avait paru nécessaire de sauvegarder les droits de l'aîné.
On nous assure que le testament est aujourd'hui pratiqué un peu plus fréquemment (a), et ce serait dans le même esprit, c'est-à-dire en faveur surtout des cadets, par conséquent sous la réserve aussi des droits de l'aîné, lesquels n'ont pas encore été modifiés depuis la Restauration, malgré leur caractère féodal.
Mais nous sommes persuadé que si, aujourd'hui, des contestations étaient portées au sujet de testaments devant les tribunaux, il serait difficile aux juges de les résoudre toutes avec la législation du premier Tokougawa sur cette matière: en admettant qu'elle ne fût pas considérée comme tacitement abrogée sur plus d'un point par la désuétude ou par l'effet des changements politiques et civils amenés par la Restauration, il y aurait bien des points non prévus et sur lesquels les tribunaux auraient à improviser des solutions satisfaisantes.
Par exemple, celui qui, n'ayant aucun enfant måle, aurait par testament laissé tous ses biens à un collatéral ou à un étranger, aurait-il pu, par ce moyen, enlever à sa famille le droit de lui désigner un héritier après sa mort?
Nous répondrions affirmativement et nous soutiendrions que, par cela seul qu'une pareille disposition n'est pas interdite, celui au profit duquel elle aurait été faite, pourrait, muni du testament, se présenter derant le tribunal et revendiquer les biens légués ou faire condamner la famille à les délivrer. Mais cette opinion ne serait pas unanime chez les légistes.
92 bis. A cette occasion, on peut élargir la question et se demander si, dans un pays qui n'aurait aucune loi certaine sur le testament, la disposition que ferait quelqu'un de tout ou partie de ses biens par un acte de dernière volonté, c'est-à-dire pour l'époque de son décès, serait valable.
La question revient à celle-ci: le testament est-il une institution de droit positif ou l'exercice d'un droit naturel ? Nous croyons la faculté de tester de droit naturel et c'est assurément l'opinion dominante chez les légistes.
Mais des esprits distingués ont soutenu autrefois et soutiennent encore aujourd'hui que les particuliers ne peuvent disposer par testament qu'en vertu d'une permission de la loi civile, c'est-à-dire par un bienfait de la loi positive et par un octroi formel du législateur.
Suivant cette opinion, le droit de propriété cesserait avec la vie du propriétaire: il serait un droit en quelque sorte viager, au point que les biens du défunt appartiendraient à l'Etat, comme biens vacants et sans maître, si la loi civile (toujours la loi positive, selon les partisans de cette doctrine) n'en permettait et n'en réglait la transmission virtuelle, spontanée, aux enfants ou aux autres proches parents du défunt. Si donc, dit-on, le propriétaire a voulu régler autrement cette transmission de ses biens, il ne l'a pu faire que si la loi positive l'a permis et aux conditions ou dans les limites qu'elle y a mises.
93. Mais nous croyons faux le point de départ de cette opinion et dès lors les conséquences en sont fausses également.
La propriété elle-même est “de droit naturel ” (voy. art. 31): lors donc qu'elle est entrée dans un patrimoine par une cause légitime, elle y est en quelque sorte commune à tous les membres de la famille: le chef en a la disposition, autant pour l'avantage de ses enfants ou de ses proches parents que pour son avantage propre; lorsqu'il meurt, l'Etat ne peut élever aucune prétention à tout ou partie de ses biens: ce serait une spoliation. Si le propriétaire n'avait qu'un droit viager, il ne pourrait valablement disposer de sa chose pour un temps qui excèderait sa vie: ses acheteurs ou donataires n'auraient pas plus de droits après sa mort que ceux qui auraient traité avec un usufruitier dont le droit est véritablement viager.
Sans doute, à la mort du propriétaire, la loi civile, la loi positive, intervient pour régler sa succession; sans doute, elle désigne l'héritier parmi les parents et, si elle en admet plusieurs, elle détermine la part de chacun; mais, en cela, la loi ne confère pas de droits aux héritiers, elle ne fait que déclarer le droit naturel de transmission qui pourrait n'être pas reconnu par ceux qu'aveuglerait l'intérêt.
La loi, dans le choix des héritiers du défunt, fait ce que celui-ci aurait sans doute fait lui-même, si la mort ne l'avait pas surpris: elle appelle généralement le plus proche parent à la succession, parce qu'elle sait que celui-là aussi avait vraisemblablement la première place dans l'affection du défunt.
Mais si le défunt a fait lui-même un choix différent, alors la loi civile n'a plus à intervenir, ou son rôle doit se borner à assurer l'effet de cette volonté que l'on suppose librement exprimée.
La seule circonstance qui puisse motiver l'intervention de la loi civile est la nécessité de protéger certains parents contre l'oubli ou l'exhérédation, et même d'assurer une réserve héréditaire aux plus proches d'entre eux, contre des étrangers ou des parents plus éloignés, ce qui est encore le respect et la sanction de la loi naturelle.
94. Et qu'on ne dise pas, en reproduisant un des plus médiocres arguments des partisans du caractère viager de la propriété, qu'il est illogique que l'homme dispose de ses biens pour un temps où il ne sera plus: pareille disposition a lieu également quand il vend ou donne entre-vifs, car le droit qu'il confère durera après sa mort comme il durait déjà pendant sa vie.
Il est vrai que le testateur peut révoquer ses dispositions jusqu'à sa mort et que jusque-là le droit du légataire reste en suspens; il est vrai aussi que le legs tombe, est caduc, par le prédécès du légataire au testateur, ce qui équivaut à dire que son droit est subordonné à sa survie au testateur; mais ces deux conditions, en donnant plus de fragilité au legs qu'aux autres dispositions de l'homme, suffisent à motiver la place particulière qu'il occupe dans la loi civile, mais non à en faire une création de cette loi; elles sont fondées sur deux sentiments naturels que la loi présume chez le testateur: 1° il a entendu se préférer au légataire, de là, l'ajournement à son propre décès des droits de celui-ci et la faculté de révoquer les mêmes droits; 2° sans doute, le legs prouve qu'il a préféré le légataire à ses propres héritiers, mais il a entendu préférer ceux-ci aux héritiers du legataire. Quand la loi positive interprète ainsi les sentiments naturels de l'homme, elle est elle-même la loi naturelle, et elle peut être suppléée dans les pays qui ne l'ont pas encore, du moment que la volonté de l'homme est clairement et librement exprimée.
Telle est la solution que nous avons déjà proposée verbalement pour le Japon, quand l'occasion s'en est présentée, répondant dans l'hypothèse de l'insuffisance de la loi ancienne.
95. Le droit romain et l'ancienne législation française présentaient une disposition gratuite des biens qui tenait le milieu entre la donation entre-vifs et le testament et qui peut aider à compléter cette démonstration.
Cette disposition s'appelait donation à cause de mort. Elle tenait de la donation entre-vifs, en ce qu'elle consistait dans une convention faite avec le donataire et acceptée par lui; elle tenait du testament, en ce qu'elle était pleinement révocable au gré du donateur et ne devenait définitive qu'à sa mort, s'il n'avait pas changé de volonté.
Quant au moment auquel le donataire à cause de mort devenait propriétaire, il variait suivant ce que le donateur avait voulu: celui-ci pouvait, en effet, ou bien garder la propriété jusqu'à sa mort, laquelle était alors la condition suspensive du droit du donataire; ou bien, il pouvait transférer immédiatement la propriété au donataire, mais sous la condition résolutoire de son changement de volonté; il y avait encore résolution ou caducité si le donateur survivait au donataire; enfin, si la donation avait été faite en prévision d'un danger particulier de mort pour le donateur, comme une maladie, un voyage par mer ou une expédition militaire, il suffisait que le donateur échappât à ce danger pour que la donation fût résolue.
Cette modalité de la donation à cause de mort la sé. parait davantage du testament, lequel ne donne jamais de droit au légataire du virant du testateur; mais la première modalité constituait une ressemblance frappante avec le testament: le droit ne commençait qu'à la mort et par l'effet de la mort.
Cependant, on n'avait jamais mis en doute qu'une pareille libéralité fût raisonnable et conforme à la nature du droit de propriété.
Si elle a été abolie par les lois modernes, c'est parce qu'elle jetait de l'incertitude sur la propriété, surtout dans le cas où le donataire, ayant été mis en possession du vivant du donateur, avait lui-même disposé de la chose en faveur d'un tiers: si la donation était révoquée ou résolue par l'événement, le droit du tiers s'évanouissait à son tour, comme et avec celui du donataire lui-même, au détriment de la confiance publique et au grand préjudice des intérêts généraux autant que particuliers.
Le testament ne présentant pas un pareil danger, n'a jamais couru le risque d'être interdit et l'on peut dire que la “disposition de dernière volonté”, commençant à avoir effet au dernier moment de la vie du testateur, si le légataire lui survit, peut se prolonger ensuite indéfiniment, sans rencontrer aucun obstacle dans les principes généraux du droit.
96. Nous concluons donc qu'au Japon, non seulement il est désirable que le Code civil reconnaisse le testament, mais même qu'avant aucune loi nouvelle sur ce sujet un testament librement fait doit être sanctionné par les tribunaux.
On objectera peut-être encore que la forme du testament n'étant pas déterminée, il pècherait par la forme. Mais c'est une méprise: un acte ne peut pécher par la forme que quand une forme précise ayant été prescrite par la loi, elle n'a pas été observée; or, quand la loi ne soumet une déclaration de volonté à aucune forme spéciale, il suffit que cette volonté soit clairement énoncée pour produire tous ses effets.
On pourrait cependant exiger que l'acte fût non seulement signé et scellé du sceau du testateur (ce qui est le droit commun des actes privés au Japon), mais encore que l'objet principal des dispositions et surtout le nom du légataire fussent écrits de la main du testateur, surtout s'il était dans l'usage de rédiger lui-même ses actes; mais ce serait toujours appliquer la raison et le droit naturel.
Quant à la date qui est rigoureusement exigée par la loi française, on ne pourrait l'exiger à peine de nullité au Japon, parce qu'en général l'époque à laquelle un acte est fait n'influe pas sur sa validité. Mais s'il y avait un intérêt particulier à la connaître, ce serait au légataire à suppléer à son absence dans l'acte, par les preuves ordinaires. Par exemple, si le testateur dont les dispositions n'étaient pas datées était mort peu de temps après sa majorité ou ayant perdu la raison, ce serait au légataire à prouver que le testament a été fait après la majorité ou avant la démence. De même, s'il y avait deux testaments inconciliables, comme c'est nécessairement le dernier en date qui devrait l'emporter, parce qu'il opère la révocation tacite du premier, c'est celui des légataires qui invoquerait l'un des testaments qui devrait prouver qu'il est le dernier en date.
97. Nous n'aurons pas de divisions de ce Chapitre. Après les deux premiers articles qui ont un caractère de Dispositions préliminaires, avec renvoi au legs universel pour les principales théories du testament, il n'est guère traité ici que des choses qui peuvent être léguées et des effets du legs; et, comme les effets varient avec les choses léguées, il n'est pas possible de séparer les deux théories (b).
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(a) Dans la première rédaction traduite en japonais, nous avions parlé du testament comme tout-à-fait inusité au Japon, dans passé et dans le présent. Mieux informé nous réparons notre erreur
(b) L'ordre des articles de ce Chapitre n'est pas le même que dans l'édition japonaise, mais le fond est peu modifié.
Art. 639. — 98. La première disposition de ce Chapitre pose le principe que “l'on peut disposer par “testament des biens dont on peut disposer par con"vention à titre gratuit.”
La loi proclame ainsi le droit de tester, en indiquant que le testament a une puissance égale à une autre manifestation de la volonté, à la convention; seulement, tandis que la convention est l'æuvre de deux volontés, le testament est l'ouvre d'une seule.
C'est à la convention gratuite que la loi assimile le testament et non pas à la convention onéreuse, et cela est naturel, puisque le légataire ne fournira pas d'équi. valent des choses léguées.
La loi ajoute, pour caractériser davantage le testament, qu'il dispose pour l'époque du décès du testateur, et si elle n'ajoute pas, comme le Code français (art. 895), qu'il est essentiellement révocable, c'est parce que l'article suivant l'annonce en renvoyant à cet égard: au legs universel.
Art. 640. — 99. L'assimilation des deux actes gratuits, faite par l'article précédent, n'est pas absolue: la loi ne la fait que par rapport aux biens dont on peut disposer par ces deux voies, soit quant à leur nature, soit quant à leur qualité; mais pour ce qui concerne les formes et la capacité requises pour l'une et l'autre sorte de libéralité, la loi réserve à en traiter plus tard et l'on verra, en effet, qu'elles sont assez différentes à cet égard.
En France, la capacité de tester est plus étendue que celle de donner entre-vifs: le mineur peut, dès l'âge de 16 ans accomplis, disposer de la moitié de ce dont il pourrait disposer s'il était majeur (art. 904); la femme mariée, qui ne pourrait faire une donation entre-vifs sans l'autorisation de son mari ou de justice (art. 217 et s.), peut tester sans aucune autorisation (art. 226).
Quant à la forme du testament, elle est triple:
1° On peut faire un testament purement privé, on pourrait dire autographe (écrit par soi-même), mais la loi l'appelle olographe (écrit en entier de la main du testateur) ce qui est plus exact: il ne doit porter aucune autre écriture que la sienne et il doit être daté, à peine de nullité (art. 970);
2° On peut faire un testament authentique c'est-àdire devant un officier public, un notaire: on le lui dicte alors, en présence de quatre témoins ou d'un second notaire et de deux témoins; il le rédige, le date, le lit au testateur et aux témoins, lesquels signent avec lui (art. 971 et s.);
3° On peut faire un testament mystique (mystérienx), tenant le milieu entre les deux autres: le testateur le rédige lui-même ou le fait rédiger par un tiers; en tout cas, il le signe; puis, il le présente fermé à un notaire, lequel rédige un acte de suscription portant la remise qui lui est faite, avec le nom du testateur, la date de la remise, en présence de sept témoins qui signent, avec lui et le testateur, ledit acte de suscription (art. 976 et s.). L'utilité de cette forme mystique est surtout pour les testateurs qui, tout en pouvant signer leur nom, ne pourraient pas écrire leurs dispositions et cependant désireraient ne pas les faire connaître par un acte public fait devant témoins.
Nous ne pouvons encore prévoir qu'elles seront les formes adoptées au Japon pour le testament. Il nous semble que celles qui précèdent ont chacune leur utilité et ne sont pas excessives dans leurs exigences.
Quant aux formes de la donation, elles ne pourraient guère être multiples: en France, la donation doit être faite devant notaire à peine de nullité (art. 931): on comprendrait qu'on admît au Japon une donation sous seing privé faite en présence de plusieurs témoins (c).
100. La loi renvoie également à la 1° Partie du présent Livre pour la détermination de la portion qu'il pourra être défendu de léguer au préjudice de certains parents: cette portion se pomme, en France, la réserve héréditaire; l'autre portion des biens est dite la quotité disponible, la portion disponible.
En France, la loi n'accorde de réserve qu'aux descendants, et, s'il n'y en a pas, aux ascendants; les collatéraux n'ont pas de réserve. La réserve est de moitié des biens pour un enfant unique, de deux tiers pour deux enfants, de trois quarts pour trois enfants: la portion disponible, l'opposé de la réserve, est donc de la moitié, d'un tiers, d'un quart, suivant le nombre des enfants, et on peut dire que, jusqu'à trois enfants, elle est “d'une part d'enfant”; mais, comine elle ne descend jamais au-dessous d'un quart, quel que soit le nombre des enfants, l'étranger qui reçoit la portion disponible peut, s'il y a quatre, cinq enfants ou plus, recevoir plus que chacun d'eux.
Si le défunt laissait des petit-enfants, ce n'est pas d'après leur nombre que se calculerait la réserve, mais d'après le nombre des enfants du premier degré (voy. art. 913 et 914).
Pour les ascendants, des distinctions sont à faire, mais elles nous mèneraient trop loin (voy. art. 915).
C'est encore au sujet du legs universel que la loi remet de traiter de la révocation du legs au gré du testateur et de sa caducité par le prédécès du légataire ou par autre cause.
Le présent Chapitre se trouve donc réduit, comme on l'a déjà annoncé, à l'effet du legs, qui est de conférer un droit réel ou un droit personnel au légataire, ou de l'affranchir d'une charge.
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(c) On annonce la promulgation prochaine d'une loi sur le notariat. N'ayant pris aucune part à sa rédaction ni même à son élaboration, nous ne savons si elle touchera à la forme des donations entre-vifs et à celle des testaments.
Art. 641 et 642.-101. L'effet ou les effets du legs particulier varient suivant la modalité du legs, suivant la nature du droit légué et suivant la nature de l'objet de ce droit.
Quant à la modalité, le legs peut être par et simple, à terme ou conditionnel.
Quant à la nature du droit légué, ce peut être, soit un droit réel de propriété, de jouissance, d'usage ou de servitude, soit un droit personnel ou de créance; ce peut être aussi la renonciation par le testateur à un démembrement de la propriété qu'il avait sur la chose du légataire ou la remise ou libération d'une dette dont celui-ci était tenu.
Enfin, lorsqu'il s'agit d'un droit réel légué, l'objet en peut être individuellement déterminé, être un corps certain, comme telle maison, tel champ, tel cheval, ou être seulement déterminé quant à son espèce et à sa quantité, comme tant de kokous de riz ou de saké, tant de tsoubos de terre dans une contrée où elle n'a pas encore assez de valeur pour se vendre avec détermination des parcelles. Le legs d'une somme d'argent rentre dans la même nature d'objets déterminés seulement par leur espèce et leur quantité.
En combinant la modalité du legs avec la nature du droit légué et de son objet, on arrive aux résultats suivants:
1° Legs par et simple d'un droit de propriété sur un objet individuellement déterminé ou corps certain: la propriété est immédiatement acquise au légataire, dès le moment du décès du testateur. La loi ajoute que cet effet se produit “même à l'insu du légataire”: le motif est que ce n'est pas une convention, mais l'aurre d'une seule volonté. Toutefois, comme le légataire peut ne pas consentir à recevoir une libéralité du défunt, il a la faculté de refuser le legs.
La solution est la même si, au lieu d'un droit de propriété, le legs a pour objet un droit réel de jouissance, d'usage ou de servitude.
2° Legs i terme (l'objet étant toujours un corps certain): s'il s'agit d'un droit de propriété, comme ce droit ne comporte aucun terme, ni terme initial (a quo), ni terme final (al quem) (v. Tome I"", p. 82, n° 5.), le droit commencera, de même, dès le décès; seulement, par interprétation de la volonté du défunt et pour lui donner l'effet qu'elle peut recevoir, l'entrée en jouissance sera retardée jusqu'à l'arrivée du terme initial; quant au terme final, si le testateur en avait assigné un, il faudrait le considérer comme non avenu, à moins que les circonstances du fait ne permissent de croire que, par ignorance des termes du droit, il a entendu conférer un droit de jouissance, sous le nom de droit de propriété temporaire,
Si, au contraire, le legs a formellement pour objet un droit de jouissance, d'usage ou de servitude, il pourra être soumis aux deux termes, au terme initial et au terme final (a quo et ad quem).
3° Legs sous condition; la condition peut être suspensive ou résolutoire: si elle est suspensive, le droit légué n'est pas acquis au légataire tant que la condition n'est pas accoinplie; mais, une fois qu'elle est accomplie, le droit rétroagit au jour du décès; si elle est résolutoire, le droit est acquis dès le jour du décès; mais, si la condition s'accomplit, le droit est détruit rétroactivement, comme s'il n'avait jamais existé. Ce sont, en somme, les même effets que lorsqu'il s'agit d'une convention affectée d'une condition de l'une ou l'autre espèce (voy. art. 428 et suiv.).
4° Legs de choses de quantité. On peut négliger ici la distinction des divers droits réels légués et celle de leurs diverses modalités: les résultats de changeraient pas de ce chef, mais la chose sur laquelle doit porter le droit n'étant pas déterininée individuellement, le légataire ne peut acquérir le droit réel par la seule force du legs: il ne peut être que créancier, il a droit à la chose et non droit sur la chose; pour que le droit réel commence à lui appartenir, il faudra que la chose ait été déterminée contradictoirement avec l'héritier.
Cette théorie, développée et justifiée, une première fois, au Livre II°, sous l'article 352 (T. II, p. 139, n°129), a déjà été reproduite et appliquée au Chapitre iv, cidessus (voy. p. 93, n° 77), il n'est donc pas besoin de s'y arrêter de nouveau.
Le renvoi final du présent article 642 aux règles générales du payement n'a pas non plus besoin d'explications: l'héritier, étant débiteur d'une quantité, se libèrera par un payement, lequel sera translatif de propriété (voy. art. 476).
Le legs prévu par cet article ne peut évidemment conférer au légataire un droit réel: son droit sera une créance contre l'héritier.
Il n'a pas paru nécessaire de dire ici, comme le Code français (art. 1022), que “lorsque le legs est d'une “ chose indéterminée (de quantité), l'héritier n'est pas “obligé de la donner de la meilleure qualité et ne “peut l'offrir de la plus mauvaise”: cette règle générale est écrite dans le Projet, au sujet du payement (voy. art. 481, 34 al.).
Art. 643. — 102. Il n'est pas difficile de trouver des exemples vraisemblables et pratiques de legs dont l'objet serait un fait à accomplir par l'héritier envers le légataire ou une abstention à observer envers lui.
Ainsi, le testateur peut avoir obligé son héritier à construire ou à faire construire une maison sur le terrain du légataire, à lui louer sa propre maison ou à lui en laisser la jouissance gratuite (d); il pourrait l'avoir soumis à l'obligation d'acheter pour le légataire la maison d'un tiers ce qui est une manière indirecte de léguer valablement la chose d'autrui, comme on le verra à l'article 650.
Comme obligation de ne pas faire, il peut l'avoir soumis à l'obligation de ne pas exercer un droit réel ou personnel qui lui appartiendrait d'ailleurs, à ne pas disposer d'un objet de la succession ou même d'un objet appartenant à l'héritier lui-même, sans avoir d'abord offert au légataire la préférence, la faculté de préemption.
Ces obligations imposées à l'héritier ne pourraient guère se résoudre qu'en dommages-intérêts, au cas d'inexécution, car on a vu, au sujet de l'effet des obligations en général, qu'elles ne vont pas jusqu'à supprimer la liberté individuelle et qu'elles ne permettent pas de contrainte effective sur la personne (voy. art. 402).
Ainsi, lorsque l'héritier a été chargé d'acheter lachose d'un tiers pour le compte du légataire et que l'héritier ne l'a pas fait et s'y refuse, il ne peut être contraint à faire des démarches vis-à-vis du tiers à fin d'acquisition; de même, s'il a vendu sa propre chose à un tiers, sans l'offrir préalablement au légataire, cette vente n'est pas moins valable; mais dans les deux cas, il doit une indemnité égale à l'intérêt qu'avait le légataire à l'accomplissement de l'obligation.
103. Il a paru nécessaire de rappeler ici que l'héritier est tenu envers le légataire par un enrichissement indû, qui est la seconde source des obligations. Déjà l'article 381-3° présente l'acceptation d'une succession grevée de legs comme un des cas où l'on est tenu saus convention et aussi sans délit ou quasi-délit, où l'on est tenu parce que l'on a reçu des biens à la condition d'acquitter certaines charges. En effet, que l'héritier soit légitime, c'est-à-dire appelé à la succession par la loi, ou qu'il soit lui-même un héritier testamentaire, un légataire universel, la cause fondamentale de son obligation d'acquitter les legs est dans son acquisition des biens héréditaires considérés comme diminués de la valeur des legs particuliers.
Lors même que l'on admettrait au Japon que certains parents fussent héritiers malgr eux, sans pouvoir refuser, héritiers nécessaires, comme il y en avait en droit romain, ils ne seraient certainement pas tenus des legs au delà des biens de la' succession (e): ce serait toujours leur enrichissement des biens héréditaires qui serait la cause directe de leur obligation.
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(d) En droit romain, la forme de ce legs était, comme celle d'un jugement, une condamnation à faire ou à ne pas faire, d'où son nom de legs per damnationem, “ par condamnation.”
(e) Il paraît qu'aujourd'hui, au Japon, le fils aîné, légitime ou adoptif, appelé par la loi à continuer le nom de la famille, en acquérant les biens du père, ne peut refuser cette vocation, lors inôme que les dettes excèderaient les biens; on peut donc dire qu'il est héritier nécessaire, comme à Rome, et sans avoir le bénéfice d'absten. tion qui était accordé au fils par l'Edit du próteur.
Art. 644. — 104. Le legs étant une manière de conférer un avantage gratuit, comme la donation entrevifs avec laquelle il a plus d'une analogie, il est naturel que le testateur puisse l'employer pour renoncer à des droits qu'il a contre celui qu'il veut gratifier: ces droits peuvent être réels, comme une servitude, un droit de louage, de gage ou d'hypothèque; il peuvent aussi être purement personnels ou de créance.
Quand le testateur renonce à son droit réel sur la chose du légataire, le droit est éteint, comme si la renonciation était faite par convention: il n'y a pas, sur ce point, à ajouter au texte du 1er alinéa de notre article.
Toutefois, on remarquera que la loi n'exige pas que la renonciation par legs soit expresse, comme elle l'exige, en général, pour la renonciation entre-vifs (voy. art. 102 et 308): la raison de cette différence est que les tribunaux devront avoir une assez grande latitude pour interpréter les dispositions testamentaires; c'est une ancienne tradition législative, fondée évidemment sur ce que l'on ne doit pas facilement annuler des dispositions que la mort empêche leur auteur de reproduire en les corrigeant.
Quand la libération d'une dette est accordée entrevifs, on l'appelle remise conventionnelle (v. art. 526 et s.); quand elle est accordée par testament, l'usage est de l'appeler legs de libération, qualification qu'elle avait en droit romain. Le 44 alinéa consacre cette expression, en renvoyant aux règles générales de la remise conventionnelle: on y dit que ces règles sont applicables ici “autant qu'il y a lieu," c'est comme si l'on disait “autant que de raison ”; en effet, on ne pouvait déclarer ces règles applicables au legs, d'une façon générale et absolue: tout ce qui tient à la convention, à l'accord de volonté, est nécessairement inapplicable ici; mais les effets de la remise faite à l'un des codébiteurs solidaires vis-à-vis des autres et vis-à-vis des cautions, les effets de la remise faite à la caution vis-à-vis du débiteur principal et la distinction entre la remise de la solidarité ou du cautionnement et celle de la dette elle-même, sont évidemment communs à la remise faite par testament et à celle faite par convention.
105. Le 2e alinéa contient deux dispositions dont la première fait allusion à une difficulté célèbre dans le droit romain et non encore dissipée en France, mais qu'il faut empêcher de se représenter au Japon: doiton exiger que l'héritier, en exécution de la volonté du testateur créancier, fasse avec le débiteur une remise conventionnelle ? Ou bien, le legs doit-il produire la libération directement et de plein droit? C'est cette solution qu'il convient de donner, parce que le testament, effet d'une volonté unique, doit avoir autant d'effet qu'un accord de volonté, du moment qu'il n'impose pas d'obligation au légataire et ne fait que lui conférer un avantage.
La seconde disposition du 2° alinéa est la cessation des intérêts de la dette dès le jour du décès. Si la loi ne s'en était expliquée, on aurait pu croire, à cause de la disposition de l'article 646, ci-après, que les intérêts cesseraient seulement du jour de la demande du légataire, sinon en délivrance (il n'a rien ici à se faire délivrer), du moins en reconnaissance de sa libération; mais la loi, toujours favorable à la libération, fait cesser les intérêts de plein droit: la logique le voulait d'ailleurs absolument, puisque la dette est éteinte dès le décès; quand il s'agit du legs de propriété d'une chose frugifere, on comprend bien que le légataire, quoique propriétaire depuis le décès, n'ait pas droit aux fruits, et que dans le legs qui confère une créance, le légataire n'ait pas droit aux intérêts, par cela seul qu'il est devenu créancier: rien n'est fréquent comme cette séparation entre le fond du droit et les fruits et intérêts; mais ce qu'on ne comprendrait pas, au contraire, c'est qu'une dette éteinte produisît des intérêts passivement, c'est qu'on dût des intérêts sans devoir un capital (f). Si l'on avait voulu que les intérêts ne cessassent pas de plein droit à partir du décès, il aurait fallu reprendre la théorie romaine et dire que le légataire ne serait pas non plus libéré de plein droit du capital même, mais qu'il aurait seulement une action contre l'héritier pour se faire libérer par un pacte de reinise.
Les auteurs qui, en France, contestent la cessation de plein droit des intérêts, en l'absence d'un texte formel, sont forcés de retourner à la théorie romaine ou sont illogiques.
106. Le 3e alinéa de notre article suppose que le testateur a voulu libérer le légataire de sa dette vis-àvis de l'héritier. '
On aurait pu hésiter davantage à admettre, dans ce cas, que le légataire fût libéré de plein droit, car le testateur ne semble pas pouvoir détruire lui-même la créance de son héritier; mais la loi donne la même décision. Voici comment elle se justifie: le légataire, s'il n'était pas libéré de plein droit par le testament, serait, au moins, créancier de la remise de sa dette; il aurait droit d'exiger qu'en exécution de la volonté du testateur, l'héritier lui accordât la remise conventionnelle; or, ne se trouverait-on pas là dans les conditions de la confusion, laquelle est elle-même un mode d'extinction de plein droit des obligations (v. art. 556 et s.)? La loi a donc été amenée à donner la même solution qu'au 1er alinéa.
Et remarquons, à cette occasion, que l'argument tiré de la confusion a autant et plus de valeur encore pour justifier la première solution.
107. Une question assez intéressante pourrait s'élever sur ces deux legs de libération.
Le légataire, ignorant le testament fait en sa faveur, peut avoir, du vivant du testateur, acquitté sa dette, soit envers celui-ci, soit envers l'héritier présomptif (nous disons présomptif, puisque la succession n'était pas encore ouverte). Pourrait-il, se prévalant de l'intention du testateur, laquelle était de lui faire une libéralité, réclamer de l'héritier une valeur équivalente à la dette qu'il a acquittée ?
Il faut répondre négativement.
D'abord, si la dette existait envers le testateur et que celui-ci, en ayant reçu le montant, n'ait pas fait un autre legs en compensation du premier, c'est que sa volonté n'était pas de gratifier le légataire à tout événement, ou c'est que ses intentions généreuses ont changé.
Si la dette existait envers l'héritier, on peut dire encore que le testateur, en ne prévoyant pas ce cas, pourtant vraisemblable, n'a pas non plus témoigné d'une générosité absolue et indépendante de la persistance de la dette; autrement, il aurait pu, soit s'informer ultérieurement de ce qui était advenu de la dette, soit léguer “la libération ou une somme égale au montant de la dette.”
Voilà pour ce qui concerne l'intention du testateur. Quant aux principes généraux du droit, ils conduisent à la même solution: au jour du décès, le legs n'a plus d'objet, il est dit caduc, tombé; c'est comme si le testateur avait légué une créance qu'il avait contre un tiers et qu'à son décès, il en eût reçu le montant: il n'y aurait plus de chose léguée, le légataire n'aurait pas droit à une valeur égale contre la succession.
108. Il restait un cas à prévoir: le testateur pourrait-il légier la libération au débiteur d'un tiers ? Par exemple, un de mes parents ou amis doit, non à moi, ni à mon héritier, mais à un tiers; je sais que cette dette lui est pénible et je lui lègue “ sa libération," en dési, guant clairement le créancier et la nature de la dette.
Il va de soi que, dans ce cas, mon legs n'a pu priver de son droit le créancier qui pour moi est un tiers et n'a lui-même, à la différence de mon héritier, aucune obligation à remplir envers ma succession. Mais ne peut-on pas voir dans un pareil legs l'obligation imposée à mon héritier de payer la dette du légataire ou de faire avec le tiers-créancier un pacte de remise, un arrangement quelconque qui libère le débiteur ?
On n'a pas cru devoir le décider ici d'une façon expresse.
Assurément, un legs sera rare en cette forme: le testateur aimnera souvent mieux léguer au débiteur la somme nécessaire à sa libération, et s'il craignait seulement que le légataire n'employât pas cette somme suivant sa destination, il lui suffirait d'exprimer la condition qu'elle ne fût versée au légataire que contre la quittance du créancier ou, à celui-ci, en présence du légataire.
Si pourtant le testateur avait simplement légué au débiteur " sa libération vis-à-vis d'un tiers" et que sa volonté ne laissât aucun doute, l'effet du legs serait, comme il est prévu à l'article précédent, d'obliger l'héritier “à faire” quelque chose, c'est-à-dire à traiter avec le créancier.
Si la dette était certaine et liquide, il n'y aurait qu'à la payer et à en rapporter la quittance au légataire; si elle était incertaine, indéterminée, litigieuse, l'héritier devrait, avec l'aide du légataire, faire statuer sur les difficultés et terminer le différend, soit avec l'aide de la justice, soit à l'amiable, par transaction ou autrement.
Une question semblable à celle qui a été posée et résolue plus haut se présenterait ici et devrait recevoir la même solution: si, au jour du décès du testateur, la dette du légataire envers le tiers avait déjà été acquittée par le débiteur, le legs se trouverait caduc, faute d'objet, et le légataire ne pourrait réclamer de l'héritier une somme équivalente à sa dette éteinte.
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(f) Il ne faudrait pas considérer comme cas où des intérêts sont dus sans capital le cas d'une rente perpétuelle: il y a toujours un capital productif des arrérages, seulement “il n'est par exigible"; et il existe si bien que le débiteur ne peut s'affranchir du payement des arrérages qu'en remboursant ce capital et, s'il manque à les payer, ce même capital devient exigible (C. fr. art., 1907 et s.; Proj. jap., ci-apr., Chap. xvii, Sect. 2).
Quant aux arrérages d'une rente viagère, ils ne sont pas, sans doute, le produit d'un capital, même idéal; aussi ne doit-on pas leur reconnaitre le caractère d'intérêts.
Art. 645. — 109. Le cas où le testateur est propriétaire avec un tiers, copropriétaire indivis de la chose léguée, présente une difficulté particulière: la chose léguée se trouve être à la fois la chose du testateur, pour la part qui lui appartient, et la chose d'autrui pour la part du tiers.
Il semblerait, au premier aspect, qu'il ne saurait y avoir de difficulté et qu'il suffirait de dire que le légataire aura exactement le droit du testateur sur la chose, un droit indivis avec la même étendue.
Cette solution est, en effet, celle du texte, pour un cas, mais elle n'est pas possible pour un autre.
De là une distinction préalable: ou le droit indivis du testateur porte uniquement sur l'objet légué, ou il porte en même temps sur une universalité de biens dont l'objet légué n'est qn'une partie.
Dans le premier cas, il n'y a qu'une solution possible: le légataire prend les lieu et place du testateur, il devient copropriétaire avec le tiers; cette situation durera autant qu'il conviendra à tous deux, et quand l'un demandera le partage, il devra avoir lieu (art. 40).
Sur ce partage, plusieurs résultats peuvent se produire:
1° On pourra peut-être diviser la chose matériellement en parties égales et chacun en aura une part, soit à l'amiable, soit par la voie du sort; si les parts ne peuvent être tout-à-fait égales, celui qui recevra la plus forte paiera à l'autre une indemnité (soulte), pour compenser ce qu'il reçoit d'excédant.
2° On pourra, si la chose n'est pas divisible sans inconvénients, l'attribuer en entier à l'un des copropriétaires, toujours à l'amiable ou par la voie du sort, et celui-ci paiera à l'autre la moitié de la valeur estimative de la chose; ce serait plus ou moins que la moitié si les droits des copropriétaires n'étaient pas égaux.
3° Si ni l'un ni l'autre ne désire recevoir la chose en nature, elle sera vendue, soit à l'amiable, soit aux enchères, et l'acheteur payera à chacun des copropriétaires-vendeurs la portion du prix correspondant à son droit de copropriété.
Le 1er alinéa de notre article donne ces solutions implicitement, dans une formule assez brève.
110. Le second cas est plus délicat et il donne lieu, en France, à des solutions divergentes, en l'absence d'un texte formel.
On a adopté au 2e alinéa la solution qui paraît la plus équitable et qui tient compte, en même temps, des règles générales de la copropriété indivise et des effets du partage.
On sait, par l'article 17-1', ce que c'est qu'une universalité de biens: le cas le plus simple est celui d'une succession ouverte; on peut y ajouter celui d'une société en liquidation, lorsque n'existe plus la personne morale société qui était le véritable propriétaire des biens sociaux.
D'un autre côté, on sait que lorsqu'un partage de biens indivis est effectué, chacun des copartageants est considéré fictivement comme ayant toujours eu seul la propriété des biens qui lui sont échus par le partage et n'avoir eu aucun droit sur les objets échus ou attribués par le partage à ses copropriétaires (comp. C. civ. fr., art. 883, et Projet jap., art. 15, 1er al.).
On a expliqué au Commentaire de l'article 15 (T. 1, p. 52 à 55, n°S 25 et 26 et ci-dessus, p. 102, n° 84) la raison d'utilité pratique qui a fait admettre cette fiction, en France et ailleurs, par dérogation au droit romain, et l'on a dit pourquoi il y a même raison de l'admettre au Japon; le partage sera donc déclaratif de droits antérieurs et non attributif de droits nouveaux.
111. Cela étant posé, si le testateur a légué une maison faisant partie d'une succession à laquelle il est appelé avec d'autres héritiers et dont le partage n'est pas encore effectué, on doit d'abord expliquer pourquoi la solution précédente ne serait pas applicable.
Qu'on remarque d'abord qu'il y a ici trois intéressés ou trois groupes d'intéressés et non plus deux, comme dans le cas du 1er alinéa. Tout à l'heure, le testateur était remplacé dans l'indivision par le légataire: ici, il ne l'est pas, ou au moins, il ne l'est pas entièrement, puisqu'il n'a pas légué tous ses droits dans l'indivision: il y a encore son héritier, pour le représenter, et un tiers ou des tiers appelés en même temps à cette succession dont fait partie le bien légué. Or, il ne serait pas possible, lorsqu'on fera le partage de cette succession, d'y admettre le légataire, concurremment avec l'héritier du testateur et avec les cohéritiers de celui-ci: ce serait permettre à un étranger de s'immiscer dans les affaires de la succession. Le partage devra donc se faire en dehors du légataire, sans sa présence, même sans son contrôle; autrement, on retomberait dans l'inconvénient signalé. Les copartageants pourront dès lors se faire des attributions volontaires des divers biens de la succession, ou en faire le tirage au sort.
Si l'objet légué tombe au lot de l'héritier du testateur, le légataire aura cet objet en nature, parce que le testateur a voulu qu'il l'eût de préférence à son héritier: c'est en même temps l'application directe du principe que le partage est déclaratif de propriété.
Mais si l'objet échoit à l'un des autres héritiers, à l'un de ceux avec lesquels le testateur aurait partagé s'il avait vécu, on ne dira pas que, le testateur étant censé n'avoir jamais eu aucun droit sur cet objet, le légataire ne saurait avoir plus de droits: ce serait exposer celui-ci à une fraude facile à commettre et difficile à découvrir, laquelle consisterait à faire toujours entrer l'objet légué dans un autre lot que celui de l'héritier du testateur. Or, il ne faut pas oublier que le légataire n'a pas été admis à surveiller le partage; il faut dès lors faire en sorte qu'il n'y ait pas intérêt et qu'il ne puisse éprouver aucun dommage, quelle que soit la manière dont ce partage aura été opéré.
La solution était, dès lors, toute naturelle: le légataire, ne recevant pas la chose en nature, en recevra la valeur: peu lui importe, après tout, d'avoir la chose ou sa valeur, tandis que, pour les héritiers, cette chose peut être un objet d'affection, un bien de famille, qu'ils ont désiré garder.
Cette attribution de la valeur, à défaut de la chose miine, est conforme, en même temps, à l'intention probable du testateur qui, vraisemblablement, a voulu que le légataire eût une libéralité de lui, quel que fût le sort du partage.
Une semblable solution a été donnée par le Code français dans un cas particulier, celui où le mari a légué un objet faisant partie de la communaute de biens qui avait existé entre lui et sa femme (v. Code civ. fr., art. 1423).
En France, il serait difficile d'étendre cette disposition au cas qui nous occupe, parce qu'elle semble spécialement écrite pour le mari; mais le légistateur peut l'admettre au Japon, du moment qu'il y trouve un moyen de donner satisfaction à des intérêts légitimes.
Nous ferons ici une dernière observation: on aurait pu croire que lorsque le légataire ne peut recevoir qu'une valeur, parce que la chose n'est pas échue au lot de l'héritier du testateur, ce n'est pas la valeur de la chose entière qu'il recevra, mais la valeur de la part qu'avait le testateur dans cette chose avant le partage. En effet, le testateur n'ayant qu'un droit partiel et indivis dans la succession ouverte, n'avait de même qu'un droit partiel dans chacun des objets qui la composaient. Mais on ne peut nier que, si la chose légnée était échue en entier au lot de l'héritier du testateur, le légataire aurait eu cette même chose en entier également; il avait donc un droit éventuel à la totalité de la chose, et cette éventualité était certainement entrée dans les prévisions du testateur, dès lors, il est naturel de croire qu'il a admis qu'au cas de l'éventualité inverse, le légataire aurait une valeur égale à la totalité.
Art. 646. — 112. Généralement, celui qui a le droit de réclamer une chose, comme lui appartenant ou comme lui étant due, ne peut exiger du détenteur ou du débiteur les fruits, produits ou intérêts, qu'à partir de la mise en demeure (voy. art. 404 et 413). La loi fait ici l'application du même principe au légataire. Ce n'est que par exception, et dans trois cas, qu'il a droit aux fruits et intérêts du jour du décès ou de l'échéance du terme, ou de l'événement de la condition, c'est-à-dire sans demande en justice ni autre mise en demeure:
1° Lorsque le testateur lui a formellement conféré cet avantage: il n'y a aucun motif de le lui refuser;
2° Si le legs lui a été fait comme pension alimentaire: il est juste qu'il ait cet avantage, d'après l'intention tacite et présumée du testateur. Il ne sera pas nécessaire que le testateur ait formellement donné au legs cette qualification: elle pourra ressortir suffisamment de la nature de la disposition; ainsi, le legs d'une rente viagère sera généralement considérée comme pension alimentaire. On pourrait aussi le décider pour un legs d'usufruit; mais il faudrait encore quelques circonstances particulières: par exemple, celle où déjà le testateur, de son vivant, logeait et nourrissait gratuitement le légataire d'usufruit, lequel était un de ses parents ou seulement un ami.
3° Le troisième cas, à la différence des deux autres, est une innovation par rapport au Code français (voy. art. 1015). On a voulu prévenir ou punir une fraude facile à commettre de la part de l'héritier: le légataire est très-exposé à ne pas connaître la disposition faite en sa faveur; comme le legs est essentiellement révo, cable par le testateur, jusqu'à son décès, il n'est pas d'usage qu'il dépose son testament aux mains du légataire; l'héritier, au contraire, ne peut guère manquer de trouver le testament dans les papiers du défunt.
La loi ne va pas jusqu'à obliger absolument l'héritier à prendre l'initiative d'un avertissement au légataire; mais s'il avait été interrogé par celui-ci sur l'existence du legs à son profit et qu'il l'eût niée; si même il l'avait niée étant questionné par un autre, ou si, sans que personne le questionnât, il avait dit ou fait répandre le bruit que le défunt n'avait fait aucun testament, il encourrait la sévérité de notre article: il devrait les fruits et intérêts du jour de l'exigibilité du legs.
Bien entendu, il en serait autrement, si l'héritier avait lui-même ignoré le testament: on ne pourrait dire qu'il a caché le legs, ni surtout qu'il l'a “caché volontairement.”
Art. 647. — 113. Il peut s'écouler un temps plus ou moins long entre la confection du testament et le jour où la chose doit être délivrée, c'est-à-dire, comme le texte trouve l'occasion de le rappeler, le jour du décès, l'échéance du terme ou l'événement de la condition.
La loi pose en principe que l'héritier délivrera la chose au légataire en l'état où elle se trouvera à ce moment. Par conséquent, les augmentations ou diminutions de valeur qui seraient provenues de cas fortuits ou de force majeure profiteraient ou nuiraient au légataire. C'est là, en somme, le droit commun déjà appliqué à la délivrance due en vertu d'une convention (voy. art. 354 et s.).
Il en est de même des améliorations ou détériorations apportées à la chose par le testateur lui-même: tout ce qu'il a pu faire pour augmenter la valeur de la chose, tel que des constructions ou des plantations sur le sol légué, des embellissements aux bâtiments, est considéré comme une libéralité complémentaire de sa part, et ces améliorations s'incorporant à la chose, la libéralité qu'elles contiennent n'a pas besoin d'être exprimée par une nouvelle disposition testamentaire.
En sens inverse, si le testateur a diminué la valeur de la chose léguée, il est considéré comme ayant, dans la même mesure, révoqué sa disposition, ce qui est son droit incontestable.
Mais il n'en est plus de même, s'il s'agit d'améliorations ou de détériorations provenant du fait de l'héritier avant la délivrance. D'abord, s'il s'agit de détériorations, l'héritier en doit l'indemnité, lors même qu'il les aurait faites de bonne foi, c'est-à-dire dans l'ignorance du testament: il n'est pas, dans ce cas, un simple possesseur de la chose d'autrui que sa bonne foi rend excusable d'avoir mésusé d'une chose qu'il croyait sienne, et qui ne serait tenu que dans la mesure du profit qu'il aurait tiré des dégradations; nous sommes ici en présence d'un héritier que le testament a rendu débiteur, même à son insu. Il y aurait seulement à tenir compte, dans la fixation des dommages-intérêts, des causes plus ou moins plausibles de son ignorance du testament: ce serait apprécier le degré de sa faute, et s'il apparaissait que le testament n'avait pu être connu ni même soupçonné de l'héritier, celui-ci ne devrait être tenu de réparer le dommage que dans la mesure du profit par lui tiré des modifications apportées à la chose.
En sens inverse, si l'héritier a fait des améliorations à la chose léguée, il doit en être indemnisé par le légataire, non dans la mesure de ses dépenses, mais dans celle du profit subsistant pour le légataire; s'il a fait des dépenses nécessaires ou de conservation, elles doivent lui être remboursées intégralement. C'est, dans les deux cas, l'application des principes généraux (art. 383).
114. La loi suppose enfin que le legs aurait pu être sous condition résolutoire et que la condition s'accomplit: le legs est alors détruit rétroactivement et le légataire doit restituer la chose, non seulement comme possesseur sans titre, mais comme débiteur.
Les solutions précédentes reçoivent ici une application inverse: les améliorations ou détériorations fortuites ou de force majeure profitent ou nuisent à l'hé. ritier qui recouvre la chose, et celles qui sont du fait du légataire donnent lieu à indemnité à son profit ou à sa charge.
Si la loi prend soin d'appliquer ainsi des principes généraux, c'est que le legs n'a pas encore été introduit dans la loi nouvelle et qu'il est bon d'accentuer ses res. semblances avec la convention, comme on en accentue les différences quand il y a lieu.
Art. 648. — 115. L'article précédent a supposé que la valeur de la chose léguée avait été modifiée en plus ou en moins, soit par cas fortuit ou force majeure, soit par le fait du testateur, soit par le fait de l'héritier; mais, dans les deux cas, la chose même n'avait pas perdu son identité, ni reçu l'adjonction d'une autre chose, ni perdu une de ses parties.
Le présent article suppose ces deux sortes de modi. fications, et sans le fait de l'héritier, comme on l'expliquera en terminant.
Si le testateur a légué un immeuble déterminé, dont les limites, par conséquent, sont fixes, la circonstance qu'il a acheté ou autrement acquis des terrains ou bàtiments contigus ne prouve pas qu'il ait voulu augmenter sa libéralité; car il peut avoir voulu faire emploi d'une partie de sa fortune ou chercher des avantages personnels, en vue du temps qui lui restait à vivre ou en vue de son héritier. Il y aurait eu un peu plus de doute, s'il s'était agi d'une dépendance pouvant faciliter ou améliorer l'exploitation de la propriété, comme d'un terrain ayant une source ou un cours d'eau, une sablonnière ou une petite carrière, un petit bois, etc.; mais les distinctions eussent été souvent difficiles et enssent donné lien à des contestations; la disposition négative est générale: le legs n'est pas augmenté par cela seul qu'il y a en acquisition contigüe.
116. Mais la loi réserve deux exceptions où la volonté du testateur est favorable an légataire. Dans un cas, la volonté est expresse: le testateur a déclaré qu'il entendait que le legs s'étendit; dans i'autre, ce n'est qu'une volonté présumée ou tacitement mani festée, mais il y a un fait significatif: le testateur a incorporé la nouvelle acquisition à la chose léguée au moyen de clôtures; les clôtures sont, en effet, le seul moyen de réunir matériellement des immeubles contigus. La loi indique, d'ailleurs deux modes de réunion des fonds par les clôtures: ce peut être l'établissement d'une clôture rattachant extérieurement la nouvelle propriété à l'ancienne; ce peut être aussi la suppression de la clôture intermédiaire qui séparait les deux fonds.
Mais on ne devrait pas se contenter d'une porte de communication entre deux maisons contigües ou entre deux terrains d'ailleurs clos séparément.
Quand les additions faites à la propriété léguée résultent de constructions ou plantations faites par le testateur lui-même, l'augmentation du legs se trouve réglée par l'article précédent, comme constituant des améliorations de la chose, sans changement d'identité; mais si ce sont des constructions ou plantations faites par un tiers qui se trouvait possesseur du fonds à une certaine époque, le testateur, en revendiquant son fonds, a dû ou voulu acquérir lesdites constructions ou plantations, suivant les distinctions faites à l'article 613, et ce sont des augmentations qui sont considérées comme incorporées par sa volonté, sans qu'il soit besoin d'autre circonstance à l'appui de cette présomption; mais elle peut être démentie par une déclaration contraire.
La loi termine par un renvoi aux autres cas d'accession ou incorporation: ils fournissent encore des cas d'augmentation du legs.
Art. 649. — 117. Après avoir parlé des acquisitions faites par le testateur depuis qu'il a fait le legs et qui sont de nature à l'augmenter, il serait naturel que la loi s'occupât des aliénations qu'il pourrait avoir faites de tout ou partie de la chose léguée; mais comme ces aliénations entraînent ordinairement la révocation tacite du legs, c'est avec les autres causes de révocation qu'il en sera traité, c'est-à-dire au sujet du legs universel, comme l'a annoncé l'article 640, d'une façon générale, pour tous les cas de révocation, et comme le fait spécialement le 2° alinéa de notre article pour le cas même d'aliénation (g).
118. Le cas ici prévu est celui d'un droit réel de gage ou d'hypothèque constitué par le testateur sur la chose léguée; mais il méritait une disposition particulière: l'hypothèque ou le gage, en effet, ne produit pas nécessairement une diminution du droit de propriété; cette sûreté a toujours quelque chose de conditionnel: elle n'entraîne pour le débiteur l'obligation de subir l'expropriation ou l'éviction, par vente forcée, que s'il ne paye pas sa dette ou si un tiers, intéressé ou non (ici le légataire), ne la paye pas pour lui. On ne peut donc pas voir, dans le fait par le testateur d'hypothéquer l'immeuble ou de donner en gage à son créancier le meuble légué, une intention de révoquer le legs: il a pu, vraisemblablement, espérer qu'il pourrait acquitter sa dette.
Lorsque la chose est ainsi affectée comme sûreté réelle à une créance, le légataire est exposé à l'éviction résultant du droit du créancier, et il ne peut exiger que l'héritier dégage la chose en désintéressant le créancier, à moins, comme dit le texte, que le testateur ne l'ait ainsi ordonné. Mais, soit qu'il subisse effectivement cette éviction, soit qu'il n'y échappe qu'en payant la dette, il a son recours en garantie, c'est-àdire en indemnité contre l'héritier ou contre tout autre débiteur de la dette, comme un codébiteur solidaire ou une caution.
Il serait impossible, en effet, de lui faire une position plus mauvaise ou meilleure, suivant que le créancier userait ou non de son droit de poursuite hypothécaire ou de vente du gage; or, si le créancier se faisait payer autrement que par la poursuite hypothécaire, l'héritier ne pourrait assurément se faire rembourser par le légataire le montant de la dette héréditaire qu'il aurait payée sur d'autres biens, il ne peut donc, dans le cas opposé, lui faire supporter ladite dette.
La raison qui résume toutes les autres est que le légataire particulier n'est pas tenu d'acquitter les dettes de la succession: c'est un axiome de droit que “les “dettes sont la charge de l'universalité du patrimoine, “non des biens particuliers” (voy. art. 601) (h).
Bien entendu, le légataire serait privé de son recours et il subirait l'effet de la dette, si les biens restés à l'héritier étaient insuffisants pour payer les dettes: il y a lieu d'appliquer ici un autre axiome, correctif du précédent: “personne ne peut être libéral, s'il n'est libéré (i).”
On a pu remarquer que la loi exprime qu'il n'y a pas à distinguer si la constitution d'hypothèque ou de gage a précédé ou suivi la disposition testamentaire; en effet, dans l'un et l'autre cas, on peut également admettre que le testateur a espéré payer sa dette avec l'ensemble de ses biens, sans qu'il fût nécessaire de recourir à la vente forcée.
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(g) La rédaction primitive, traduite en japonais, portait, dans l'article 644, le cas d'aliénation de la chose léguée, mais nous nou bornons ici à une mention avec renvoi.
(h) Universi patrimonii æs alienum onus est, non certarum rerum.
(i) Nemo liberalis nisi liberatus.
Art. 650. — 119. Cet article complète la théorie des choses qui peuvent être léguées.
Ici, il ne s'agit pas de la nature même de la chose léguée, mais du droit que le testateur a ou n'a pas sur cette chose.
C'est un principe qu'on a souvent rencontré au Livre IIe (voy. notamment, art. 325-3') que “nul ne “peut transférer les droits qu'il n'a pas, ou..... plus “ de droit qu'il n'en a lui-même (j).”
Si notre article n'avait pour but que d'appliquer ce principe, que de dire que “le legs de la chose d'autrui ne transfère pas la propriété au legataire,” il serait tout-à-fait inutile, presque naif, et on ne proposerait pas de l'insérer dans la loi japonaise.
Le Code français qui a une pareille disposition (art. 1021) a certainement aussi voulu dire une chose utile, et même il a, en cela, fait une grande innovation par rapport au droit romain et à l'ancien droit français qui permettaient et déclaraient valable le legs de la chose d'autrui, pourvu que le testateur sût que la chose ne lui appartenait pas.
Assurément, ni à Rome, ni dans l'ancienne jurisprudence française le testateur ne pouvait dépouiller un tiers de sa propriété pour en investir un légataire de son choix. Lorsque ces législations admettaient la validité du legs de la chose d'autrui, c'était en ce sens que l'héritier, pour donner effet à la volonté du testateur, devait acheter la chose et la donner au légataire, ou, s'il ne pouvait l'obtenir du propriétaire, il en devait payer l'estimation au légataire.
Mais ce legs de la chose d'autrui n'était valable, avons-nous dit, que si le testateur savait que la chose était à autrui, car s'il avait su qu'elle ne lui appartenait pas, il ne l'aurait sans doute pas léguée, et c'était au légataire, comme demandeur, à fournir la preuve de la connaissance qu'avait eue le testateur du droit du tiers. De là un danger de procès difficiles à résoudre, ce qui a fait rejeter cette sorte de legs par le Code français dont l'article 1021 exprime formellement qu'il n'y aura pas à rechercher “si le testateur savait ou “non que la chose appartenait à autrui.”
120. Cependant, toutes les difficultés n'ont pas disparu avec cette déclaration de nullité. On ne peut, notamment, refuser au testateur le droit, en annonçant qu'il lègue la chose d'autrui, d'obliger l'héritier à l'acquérir et à la donner au légataire: ce legs rentrerait dans le cas d'une obligation de faire imposée à l'héritier, et, bien qu'un tel legs ne soit pas formellement autorisé par le Code français comme par notre article 643, ci-dessus, on ne peut douter de sa validité.
Reste à savoir seulement si la disposition devrait être expresse en ce sens, ou si elle pourrait n'être que tacite et résulter des circonstances du fait. Mais, si l'on entre dans cette dernière voie, on s'expose à retomber dans les nombreux procès qu'on a voulu éviter, sur la recherche de ce qu'a su et voulu le testateur, et la difficulté sera même augmentée, car, suffira-t-il de prouver que le testateur savait que la chose appartenait à autrui, ou faudra-t-il encore pruver qu'il a entendu obliger son héritier à la procurer au légataire ?
Plusieurs systèmes se sont produits à cet égard pour l'interprétation du Code français, mais ils sont toujours plus ou moins gênés par ce qu'il y a de trop absolu dans les termes de l'article 1021.
Le Projet japonais ne peut laisser cette question dans l'incertitude.
Le Code italien a adopté le système le plus accrédité dans la doctrine: il admet la validité du legs de la chose d'autrui, “ lorsqu'il est déclaré dans le testament que le testateur savait que la chose appartenait à autrui” (art. 837). Il est clair, en effet, que dans ce cas il n'y aura pas de procès sur la connaissance du droit d'autrui par le testateur. Mais que décidera-t-on, si le testateur, sans faire une déclaration formelle de cette connaissance, a désigné la chose léguée comme appartenant à autrui ? Par exemple, il a dit: "je lègue à Pierre la maison A qui appartient à Paul”, ou, si Paul n'a qu'une seule maison: "je lègue à Pierre la maison de Paul.” Nous ne savons comment la doctrine et la jurisprudence italiennes se prononceraient sur cette difficulté; mais nous sommes d'avis de la prévenir au Japon, en exigeant seulement que “le testament porte la preuve” de la connaissance du droit d'autrui par le testateur.
Mais si le texte proposé est moins exigeant d'un coté que le Code italien, il paraît l'être plus de l'autre, en demandant encore la preuve que le testateur“a entendu imposer à l'héritier l'obligation d'acquérir la chose pour le compte du légataire"; pourtant il ne faut pas exagérer cette seconde exigence: elle sera remplie non seulement quand le testateur aura formellement exprimé sa volonté que l'héritier acquière la chose, à ses frais, pour le profit du légataire, mais encore lorsqu'il n'aura que mentionné cette acquisition, soit en assignant un délai plus ou moins large pour la faire, soit en réglant la remise des titres à faire au légataire.
Dans l'application, rien n'empêchera les tribunaux d'être plus ou moins exigeants à cet égard, suivant les circonstances: le seul fait que la chose léguée est désignée comme appartenant à un tiers pourra être déclaré suffisant, comme il pourra ne pas l'être, suivant que les tribunaux auront reconnu chez le testateur une plus ou moins claire notion de l'obligation qui pouvait résulter de ce legs à la charge de l'héritier; ainsi on donnera plus facilement effet au legs si le testateur est tant soit peu légiste que s'il est entièrement étranger aux, difficultés du droit.
121. Le texte a eu soin de parler à cette occasion d'une “chose individuellement déterminée”, car, s'il s'agissait de choses de quantité, comme elles n'auraient pas d'individualité, il n'y aurait pas à rechercher si le testateur laisse ou non, dans sa succession des choses de cette nature et en cette quantité; de même, s'il a légué de l'argent, il importe peu que sa succession présente cette somme en nature et liquide, pourvu, bien entendu, qu'elle puisse être réalisée par des rentrées d'argent dû ou par des ventes de meubles ou d'immeubles, car le testateur, on l'a dit, ne peut léguer au delà de la valeur de ses biens héréditaires.
Notre article suppose un legs de propriété, c'est-àdire de pleine propriété. Si la chose léguée appartepait au testateur, mais seulement en nue-propriété, c'est-à-dire que l'usufruit en appartînt à un tiers, au moment de l'ouverture de la succession, le legs ne vaudrait présentement que pour la nue-propriété; mais quand l'usufruit s'éteindrait par la mort du tiers usufruitier ou par une autre cause légale, il ferait retour à la nue-propriété en faveur du légataire: l'usufruit est en réalité une servitude personnelle (voy. T. 1", p. 415, n° 313), grevant le fonds d'une façon essentiellement temporaire et dont l'extinction, comme celle d'une servitude réelle ou foncière, profite nécessairement au propriétaire.
Le texte a soin de dire que c'est au décès du testateur que la chose doit lui appartenir; si donc, ne lui appar. tenant pas au moment de la confection du testament, elle est devenue sienne avant sa mort, la loi est satisfaite: il est présumé avoir, en léguant la chose, prévu cette acquisition.
Mais supposons que le testateur n'ait sur la chose léguée qu'un droit éventuel: par exemple, il l'avait acquise sous condition suspensive et la condition n'était pas encore accomplie au moment de son décès; ou bien il l'avait aliénée sous condition résolutoire et la condition, de même, n'était pas accomplie avant sa mort.
Il est clair que si, plus tard, la condition fait défaut, le legs de cette chose est nul, car la propriété n'est pas advenue au testateur ou ne lui a pas fait retour: il a légué la chose d'autrui. Mais, si la condition suspensire se réalise après sa mort, il est censé avoir été proprié taire, rétroactivement, depuis le moment où la convention avait eu lieu: le legs est alors valable. De même, si la condition résolutoire s'accomplit, même après sa mort, il est censé n'avoir jamais perdu la propriété de sa chose et le legs, de même, est valable. Il y a là une application toute naturelle des principes généraux de la condition, et la loi n'a pas besoin de la rappeler.
122. On a vu que, pour que le legs de la chose d'autrui soit valable, deux conditions sont requises par le présent article: il faut que le testament porte la preuve lo que le testateur savait que la chose léguée appartenait à autrui, 2° qu'il a eu, en même temps, la volonté que l'héritier l'acquît pour le compte du légataire.
Lorsqu'il s'agit du legs de la chose de l'héritier, la loi n'exige plus la seconde condition; en effet, il ne peut être question pour l'héritier d'acquérir une chose qui est déjà sienne: il n'a qu'à la donner au légataire, pour que la volonté du testateur soit accomplie.
Mais faut-il, dans ce cas, qu'il passe un contrat avec le légataire pour que la propriété change de mains ?
Nous n'hésitons pas à le décider affirmativement (et l'article 651 va disposer en conséquence), parce qu'il y a là un payement à faire, c'est-à-dire une dation opérant extinction d'une obligation; or, cet acte ne peut s'opérer de plein droit, sans un fait de l'homme. Ce sera un des cas très-rares où une obligation ayant pour objet un corps certain ne produira pas immédiatement et par elle-même la translation de propriété de cet objet.
C'est qu'en effet la propriété ne se transfère immédiatement que par la convention de donner, par l'accord des volontés entre le cédant et le cessionnaire (voy. art. 351); mais elle ne se transfère pas par le seul effet de l'obligation, quelle qu'en soit la cause: il fant que l'obligation vienne d'une convention (k).
La question a d'ailleurs un grand intérêt, car si la propriété passait de plein droit au légataire, à la mort du testateur, l'héritier ne pourrait valablement l'aliéner à d'autres, et le légataire jouirait vis-à-vis de ceux qui auraient indûment traité avec l'héritier des dispenses ou délais que la loi lui accorde en matière de transcription, tels qu'ils résultent des articles 652 et 653 ci-après: il aurait, à cet égard, les mêmes avantages que s'il était légataire d'un immeuble du testateur.
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(j) Nemo dat quod non habet;..... nemo plus juris in alium transferre potest quam ipse habet.
(k) On pourrait cependant croire qu'en droit français c'est l'ob. ligation de donner et non la convention de donner qui transfère la propriété (art. 1138); mais l'article 1139 s'est mal exprimé et il n'est pas douteux qu'il s'est placé dans l'hypothèse d'une obliga. tion résultant d'une convention.
L'article 351 du Projet japonais ne présente pas la même équivoque.
Art. 651. — 123. Cet article résout explicitement et dans le sens affirmatif la question examinée plus haut de savoir si, lorsque la chose de l'héritier a été léguée, celui-ci doit passer avec le légataire un acte de cession; tel n'est pas, toutefois, l'objet même de la disposition, lequel est de soumettre à la transcription ledit acte de cession, lorsque l'objet légué est un immeuble.
Il est clair que, du moment qu'il y a cession par l'héritier, cette cession doit être rendue publique: autrement, les tiers qui traiteraient avec lui, dans l'ignorance de cette cession, seraient exposés à une éviction qu'ils n'auraient pu prévoir; le légataire ne pourrait d'ailleurs alléguer, comme dans le cas d'un legs de la chose du testateur, qu'il a ignoré le testament (voy.ciaprès, n° 125); enfin, son acquisition résulte d'un acte entre-vifs, il est donc soumis à la transcription ordinaire (art. 368-1°).
Il en est de même, et à plus forte raison, si l'immeuble légué appartenait à un tiers, alors qu'on se trouve dans le cas où ce legs est valable: si l'héritier acquiert l'immeuble en son nom et passe ensuite un acte de cession avec le légataire, il faudra faire deux transcriptions; mais, pour simplifier, il sera préférable que l'héritier fasse directement l'acquisition au nom et pour le compte du légataire (l).
Le 2€ alinéa renvoie à l'article 370 pour le règlement de la priorité entre le légataire et les tiers; c'est donc au premier d'entre eux qui aura fait faire la transcription qu'appartiendra cette priorité.
Remarquons, en terminant, que cette transcription ne se présente pas dans la loi française, soit comme nécessaire, soit comme inutile, car elle se rapporte à l'hypothèse de deux legs considérés généralement comme nuls et défendus d'après l'article 1021. Mais ceux qui, dans la controverse mentionnée plus haut, prennent parti pour la validité exceptionnelle du legs, doivent conclure, comme notre article, à la nécessité d'un acte de cession et à sa soumission à la transcription.
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(l) Le texte suppose que l'acte est passé par l'héritier au légataire, même dans le cas d'immeuble acquis d'un tiers; mais c'est pour n'avoir qu'une seule formule, applicable aussi au cas où l'immeuble légué appartient à l'héritier; cela ne mettra pas obstacle à l'emploi proposé d'un moyen plus simple.
Art. 652 et 653.-124. La loi arrive au legs d'un immeuble appartenant au testateur et se trouvant ainsi transféré par la seule force de la volonté de celui-ci suivie de l'acceptation expresse ou tacite du légataire.
Le Projet japonais devait-il adopter la dispense traditionnelle de transcription ou d'autre publicité dont ce legs jouit en France, en Italie, et partout sans doute ? La question a été plutôt réservée que résolue par l'article 368: cet article, il est vrai, en soumettant à la transcription les actes entre-vifs, semble en dispenser les actes d'acquisition à cause de mort ou par décès. Il est certain que les successions légitimes ou légales en sont affranchies et on en a donné le motif au Commentaire dudit article (T. II, p. 199, n° 189); la même exemption pourra, par identité de motifs, être considérée comme applicable aux successions testamentaires, c'est-à-dire aux legs universel et à titre universel (voy. Ile Partie, Chap. v de ce Livre). Mais, pour le legs particulier d'un immeuble, on s'est borné à indiquer le motif qui l'a fait généralement dispenser de la transcription, et on a réservé la solution définitive du Projet à la place même où l'on traiterait de ce legs (voy. ibid., p. 198, n° 188).
125. Rappelons d'abord le principal motif de cette dispense avant d'en démontrer l'insuffisance.
On a dit que, si la transcription du legs d'immeuble était exigée, le légataire serait exposé à être frustré, sinon de tout le profit de son legs, au moins du droit même de propriété, car il ignore généralement la disposition pendant un certain temps après le décès du testateur, et l'héritier qui ne sera guère dans la même ignorance pourrait, par une prompte aliénation de l'immeuble à un tiers de bonne foi qui transcrirait le premier, réduire le légataire à une indemnité, et cette indemnité même pourrait être rendue illusoire par un héritier de mauvaise foi.
Ce motif nous paraît doublement insuffisant pour justifier la dispense de transcription. D'une part, il repose sur une hypothèse qui sera souvent démentie par les faits, à savoir l'ignorance chez le légataire de la disposition faite en sa faveur; en effet, chaque fois que le légataire réclame l'exécution du legs il ne devrait pas jouir du bénéfice d'une présomption d'ignorance à laquelle il donne lui-même un démenti. D'autre part, lors même qu'il est réellement dans cette ignorance, en quoi est-il plus intéressant que les tiers qui ont traité avec l'héritier dans la même ignorance du testament? N'était-il pas encore plus difficile à ceux-ci qu'au légataire de savoir qu'un testament dépouillait l'héritier du droit de disposer d'un imineuble de la succession ?
126. On a fait valoir encore une raison en faveur du légataire, c'est la nécessité de donner effet à la volonté du testateur, alors que lui-même n'a eu aucun tort, ni aucun devoir de faire connaître ses dispositions avant sa mort, puisqu'elles sont toujours révocables pendant sa vie. Et, pour affaiblir l'objection tirée de l'intérêt des tiers, on a dit que ceux qui voudront traiter avec l'héritier, au sujet d'un bien de la succession, devront être très-prudents et se faire au moins donner des sû. retés contre l'éventualité d'une éviction.
A cela encore nous ferons deux réponses: d'abord l'intérêt moral qu'il peut y avoir à ce que la volonté du testateur obtienne son effet ne saurait être plus puissant que l'intérêt pécuniaire du légataire lui-même, et si cet intérêt doit céder à celui des tiers, on ne comprendrait guère que celui du testateur ne lui cédât pas de même; quant aux garanties auxquelles on renvoie les tiers à se pourvoir, elles équivalent à une entrave presque absolue aux cessions qui nous occupent, et c'est un mal économique considérable.
127. En présence de la faiblesse des raisons alléguées pour justifier une dispense entière de transcription en faveur du légataire, nous allons proposer un système entièrement nouveau qui nous paraît concilier, d'une part, l'intérêt du légataire et le respect de la volonté du testateur et, d'autre part, l'intérêt des tiers et l'utilité générale qui demandent la facile et sûre circulation des biens.
Trois hypothèses sont à distinguer: les deux premières sont l'objet de l'article 652, la troisième est réglée par l'article 653: dans la 1', le légataire a obtenu la délivrance volontaire de l'immeuble, dans la 2, il a dû plaider à ce sujet et il a triomphé; la 3e hypothèse est indéterminée: ce sera toute autre que l'une des précédentes; elle se rencontrera notamment quand le légataire n'aura pas réclamé le legs, de sorte qu'il y aura incertitude s'il connaissait ou non le legs à lui fait.
128.—Ier Cas. Le légataire connaît le testament: il en réclame l'exécution, l'héritier ne conteste pas le legs et lui en fait la délivrance volontaire, plus ou moins promptement.
Il n'y a ici aucune raison de dispenser le légataire de la transcription; on ne peut pas craindre qu'ignorant le legs, il ne puisse publier son acquisition. Il est déjà assez fâcheux pour les tiers d'avoir été exposés à acquérir des droit réels sur l'immeuble, en traitant avec l'héritier, dans l'ignorance du legs, entre le décès du testateur et la publicité que le légataire donnera au legs.
Il restait à savoir quel délai on imposerait au légataire pour faire la transcription.
On ne pouvait l'astreindre à la transcription dès le moment où il aurait connu le legs, parce qu'il ne manquerait pas d'y avoir un procès entre lui et les tiers intéressés sur le point de savoir s'il connaissait ou non le legs, et ce procès, survenant presque toujours assez longtemps après les faits à prouver, serait fort difficile à juger.
On ne pouvait d'ailleurs se contenter de la connaissance que le légataire aurait eue du legs: ce pouvait n'être qu'une croyance à l'existence du legs ou à sa validité; il fallait la certitude sur l'une et l'autre; or, la loi ne voit cette certitude complète que dans la délivrance volontaire du legs par l'héritier (1er cas) ou dans un jugement qui le condamne à délivrer (2e cas).
Une fois la délivrance volontairement consentie par l'héritier et le légataire entré en possession ou autorisé à y entrer, la transcription est possible et par conséquent obligatoire; mais il eût été bien rigoureux d'exiger qu'elle fût immédiate: il ne faut pas oublier que l'on n'est pas ici dans un cas où la naissance du droit dépende de la volonté de l'acquéreur, en sorte qu'il lui soit loisible de la retarder jusqu'au moment où il pourra faire opérer la transcription et éviter ainsi tout dommage, en faisant coïncider l'acquisition avec la publicité; le droit du légataire lui est acquis dès le décès, même à son insu (sauf à le refuser); du moment que la publicité ne peut être concomitante à l'acquisition, il faut donner un peu de latitude pour l'accomplissement de la formalité de la transcription: on propose qu'elle soit faite dans la quinzaine. On pourrait fixer un délai plus court ou plus long (il y a toujours dans les délais légaux quelque chose d'arbitraire); mais le délai de quinzaine est assez usité dans les actes de procédure et il ne paraît ni trop long ni trop court..
Ce n'est pas à dire qu'il ne pourra s'élever ici aucune difficulté sur le point de départ du délai: du mo. ment que nous ne sommes pas encore dans le cas d'un jugement qui a une date fixe, il pourra y avoir contestation sur le jour précis auquel la délivrance a été consentie: il n'en est pas toujours dressé acte; les parties peuvent avoir été d'accord sur le fond du droit, mais l'héritier avoir demandé un certain temps pour évacuer l'immeuble.
On ne pourrait cependant pas remédier au mal en exigeant un acte écrit émané de l'héritier, car rien n'empêcherait les parties de retarder d'un commun accord la rédaction de cet écrit, ce qui n'améliorerait pas la condition des tiers, mais, au contraire, l'empirerait.
C'est à raison de ces difficultés que l'article suivant imposera une nouvelle limite au droit du légataire d'évincer les tiers-acquéreurs qui ont ignoré le legs.
129.-II Cas. Le cas où la délivrance est obtenue par jugement est plus simple, en ce sens que les délais seront faciles à compter.
D'abord le légataire doit faire inscrire sa demande, par extraits de ses objets essentiels: jusque-là elle n'est pas recevable. Il devra donc joindre à sa demande, quand il la présentera au tribunal, un certificat portant que ladite inscription est faite. Déjà l'article 372, 2e alinéa, nous a présenté une pareille disposition pour les demandes en justice qui peuvent exposer les tiers à des évictions de droit réels déjà publiés par leurs titulaires. Cette inscription ne révèle pas encore complètement l'existence du legs, elle ne révèle que la prétention du légataire, mais c'est assez pour avertir les tiers du danger de traiter avec l'héritier au sujet du même bien.
Le jugement une fois rendu en dernier ressort, le légataire a un délai de 15 jours pour compléter et confirmer l'avertissement qu'il a donné aux tiers.
Si le jugement de première instance a été frappé d'appel, le délai ne court qu'à partir de l'arrêt rendu sur l'appel ou du désistement d'appel par l'appelant; si le droit d'appel a été exercé, le délai de la transcription ne court que du jour où l'appel n'est plus recevable.
La loi n'autorise pas le légataire à attendre que le pourvoi en cassation soit jugé ou non recevable, pour faire mentionner le jugement en marge de la demande: elle applique ici le principe que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif de l'exécution civile.
Art. 653. — 130. —III Cas. L'innovation que porte le présent article est encore plus considérable que les deux précédentes, parce qu'il n'y a pas connaissance du legs par le légataire, ou du moins elle n'est pas prouvée, et on ne peut aller jusqu'à le présumer en faute pour cette ignorance.
Comme il pourrait arriver que le légataire tardât à faire la demande en délivrance de son legs, soit parce qu'il ignorerait le testament, soit par des raisons personnelles de ménagements pour l'héritier, il en résulterait que les tiers seraient exposés à traiter de bonne foi avec l'héritier, sur l'immeuble légué.
L'héritier lui-même pourrait être de bonne foi, en ignorant aussi le testament qui, par exemple, aurait été déposé aux mains d'un officier public ou chez un particulier. On peut encore supposer que l'héritier est mort et que c'est son successeur qui, de bonne foi, a aliéné le bien légué..
La loi, se trouvant dans la nécessité de sacrifier un des intéressés, sacrifie le légataire, dans l'intérêt gé. néral, c'est-à-dire dans l'intérêt de la circulation des biens et de la sécurité de ceux qui les acquièrent; il est juste, en même temps, que ce soit lui qui souffre de l'imprévoyance du testateur, lorsque le testament n'a pas été connu, soit que l'héritier l'ait dissimulé, soit que le dépositaire de l'acte ne l'ait pas, produit.
Le délai d'un an, depuis le décès, a paru raisonnable, et comme un legs conditionnel peut être transcrit avant l'accomplissement de la condition, le point de départ est uniformément le décès du testateur, lors même que la condition serait encore pendante.
Art. 654. — 131. La conséquence du défaut de: transcription par le légataire est facile à déduire; cependant, il a paru bon de l'exprimer dans une matière speciale comme celle-ci.
La loi fait ici l'application de l'article 368 écrit pour les acquisitions entre-vifs: si le légataire s'est conformé à la loi, en transcrivant dans le délai ci-dessus prescrit, il peut opposer son legs à tous ceux qui, en traitant avec l'héritier, ont acquis sur l'immeuble des droits incompatibles avec le sien, lors même que ceuxci les aurait publiés les premiers: la transcription du legs, faite dans le délai prescrit, a nécessairement un effet rétroactif. Si, au contraire, le légataire n'a pas observé les dispositions précédentes, les droits transcrits avant le sien lui sont opposables.
Il aura toujours intérêt à faire une transcription tardive, pour se préserver des cessions faites aux tiers postérieurement; mais peut-être aura-t-il déjà éprouvé un préjudice dont il ne pourra être indemnisé que par l'héritier, si celui-ci est d'ailleurs solvable, car l'héritier sera toujours garant des évictions résultant de son fait personnel.
COMMENTAIRE.
Art. 655. — N° 132. Ce Chapitre n'est placé ici que pour le principe, et comme opposition aux contrats nommés qui vont être l'objet des Chapitre xi à XXII.
La distinction des contrats en nommés et innommés a déjà été présentée dans la classification générale des contrats (art. 324), et l'on a dit à cette occasion où se trouvent placées les règles des uns et des autres.
Toutefois, les contrats innommés n'avaient pu encore ètre présentés que comme sources ou causes d'obligations ou créances: on les envisage ici comme ayant un objet plus large, comme pouvant être aussi une source de droits réels; ils appartiennent, en effet, au Livre IIIe autant qu'au précédent.
COMMENTAIRE.
N° 133. La donation entre-vifs est placée ici comune le premier contrat nommé, non parce qu'il est le plus fréquent, mais parce qu'il est la seule convention gratuite qui puisse produire tous les effets juridiques déjà plusieurs fois énoncés: création ou transmission, modification ou extinction de droits réels ou personnels; les autres contrats ayant cette étendue possible sont à titre onéreux; il y a bien encore d'autres contrats gratuits ou de bienfaisance, comme le prêt à usage, le dépôt, le mandat, mais ils ne sont plus que productifs de droits personnels,
Le voisinage du testament est encore une raison de placer ici les donations qui, sans cela, devraient être rejetées à l'un des derniers Chapitres; or, la donation a avec le testament quelques ressenıblances et surtout des différences qui seront mieux saisies quand les termes de comparaison ne seront pas trop éloignés.
Comme pour les testaments, ou plutôt comme pour les legs à titre particulier, on ne traite ici que de la nature des droits que les donations peuvent conférer: beaucoup d'autres théories relatives aux donations sont renvoyées à la IIo Partie du présent Livre (voy. art. 660).
Art. 656. — 134. La loi commence par une définition de la donation entre-vifs, dont la nature, à la différence du testament, est une convention, un accord de volontés. Sans doute, comme on l'a remarqué en son lieu, on ne peut être légataire malgré soi; mais le legs existe avant d'être accepté: le légataire acquiert même à son insu, sauf à refuser; tandis que le donataire n'acquiert que s'il veut et quand il veut: son acceptation est nécessaire à la formation même de l'acte.
En France, la loi exige une acceptation expresse (art. 894 et 932); on peut s'en étonner pour un acte qui, par sa nature, n'oblige pas le donataire, si ce n'est à la reconnaissance.
Le texte exige ici l'acceptation, sans préciser davantage: si l'on juge à propos de donner à cette acceptation un caractère formel et exprès, on ne manquera pas de s'en expliquer quand on règlera les formes des donations.
La définition nous dit encore que la donation confère un avantage gratuit, et pour que le mot ne laisse pas d'incertitude, il est expliqué par une autre idée: "sans équivalent."
On a eu soin d'exprimer au texte du présent article les différents avantages que le donateur peut conférer au donataire; ce peut être:
1° Un droit réel sur la chose: propriété, usufruit, usage, servitude;
2° Un droit personnel ou une créance dont le donateur est débiteur et le donataire créancier;
3° La remise ou l'abandon d'un droit réel qu'avait le donateur sur la chose du donataire, comme un droit d'usufruit, d'usage ou de servitude;
4° La remise d'une créance que le donateur avait contre le donataire, lequel se trouve ainsi libéré.
La loi n'a pas besoin de revenir sur les distinctions déjà faites, au premier cas, entre la propriété d'une chose individuellement déterminée ou corps certain et celle d'une chose de genre ou de quantité, et, au second cas, entre les obligations de faire et celles de ne pas faire: ces distinctions qu'il a paru nécessaire de reproduire au sujet du legs, comme étant une matière plus spéciale, ne pouvaient faire de doute ici, du moment qu'il s'agit d'une couvention.
Art. 657. — 135. La loi a cru devoir exprimer que la donation peut être soumise aux modalités ordinaires des droits: d'abord, à la plus favorable, à celle qui ne retarde ni la naissance du droit, ni son exigibilité, cas où l'on dit que la donation est “pure et simple”; ensuite, au terme qui ne retarde pas la naissance du droit mais seulement son exigibilité, en observant toutefois que le droit de propriété seule (pleine ou nue) ne comporte, de sa nature, ni le terme initial (a quo), ni le terme final (ad quem), ainsi qu'il a été expliqué au Tome Ier, p. 82, no 55; enfin, à la condition, qui retarde, tout à la fois, la naissance du droit et son exigibilité, s'il s'agit de la condition suspensive, ou son irrévocabi. lité, s'il s'agit de la condition résolutoire; en observant aussi que la condition, soit suspensive, soit résolutoire, ne produit pas seulement un retard dans l'existence ou dans la stabilité du droit, mais encore et surtout laisse l'incertitude planer sur l'un et l'autre: tout droit affecté d'une condition a quelque chose d'aléatoire ou qui dépend du hasard. Justement, ce que la loi ne permet pas c'est que la condition suspensive ou résolutoire dépende de “la seule volonté du donateur”: il faut toujours que le hasard y ait une part.
En France, quoique les expressions de la loi soient à peu près les mêmes que celles de notre article (voy. c. fr., art. 944), on est porté à décider, par des raisons historiques, que la donation est nulle par cela seul que la volonté du donateur peut être pour quelque chose dans l'accomplissement ou la défaillance de la condition, lors même que le hasard y devrait avoir aussi une part. Mais, cette solution peut paraître trop sévère et l'on a préféré ici donner effet à la donation du moment qu'elle ne dépendait pas du par caprice du donateur.
Ce n'est pas à dire, pour cela, qu'une donation ne puisse jamais être révoquée, pour quelques causes exceptionnelles. On a déjà eu occasion, au Livre II°, d'annoncer la révocation pour ingratitude du donataire. Le Code français en admet deux autres causes: l'inexécution des charges imposées au donataire et la survenance d'enfant au donateur, lorsqu'il n'en avait pas au moment de la donation. On pourra hésiter à admettre, au Japon, cette 3° cause de révocation, mais sans aucun doute la première sera adoptée par un motif d'équité naturelle, et surtout la seconde, par application du principe général que lorsqu'il y a des obligations réciproques (même inégales, comme ici), celle des parties qui manque à remplir les siennes ne peut prétendre obtenir qu'on les remplisse envers elle.
Comme ces causes de révocation seront communes aux donations universelles et aux donations à titre particulier, c'est dans la II° Partie de ce Livre qu'il en sera traité.
Art. 658. — 136. Les principes généraux pourraient, à la rigueur, suffire à faire déclarer nulle la donation de la chose d'autrui, car l'article 325 nous a déjà dit que les conventions n'existent, ne se forment, que si elles ont “un objet qui soit à la disposition des parties.” Mais, comme le legs de la chose d'autrui peut, dans certains cas, valoir à la charge de l'héritier et, encore plus facilement, le legs de la chose de l'héritier, il a paru bon d'exprimer ici qu'il en était autrement: comme l'héritier n'est pas en cause, on ne peut chercher des cas où le donateur aurait voulu le grever envers le donataire d'une obligation de donner sa propre chose ou d'acquérir une chose d'autrui pour le compte et le profit du donataire; il n'y a que le donateur lui-même qui puisse être obligé, tant qu'il vit, et il est clair que s'il avait voulu s'obliger à acquérir la chose d'autrui, pour la donner ensuite à celui qu'il veut gratifier, il aurait commencé par faire cette acquisition, volontairement et sans s'y obliger.
Si, cependant, on supposait qu'un donateur se fût formellement engagé à acquérir, pour le compte et au profit du donataire, une chose appartenant à autrui, il serait permis de voir là une donation par obligation de faire.
137. La loi suppose ensuite que, malgré son vou, la chose d'autrui a été donnée et que le donataire en a subi l'éviction: elle lui refuse l'action en garantie à cet égard.
Lorsqu'on aura à parler de la vente de la chose d'autrui qui est nulle également (v. Chapitre suivant), on verra que cette nullité est la cause et le principe d'un recours en garantie ou en indemnité de l'acheteur contre le vendeur. Le vendeur, en effet, a reçu un prix sans cause légitime, ou, s'il ne l'a pas encore reçu, ce prix lui est promis; il ne doit donc pas conserver un profit ou un droit qui ne lui est pas légitimeinent acquis. En outre, il a cherché un gain dans le contrat, ce qui le rend moins digne d'intérêt que s'il avait voulu en procurer un à l'autre contractant.
Toute autre est la situation du donateur: il n'a pas reçu d'équivalent et il ne lui en est pas dû, il n'a pas cherché un profit, mais il a voulu en procurer un; il ne serait donc pas juste qu'il indemnisat le donataire du manque de profit qui résulte pour celui-ci de l'ériction qu'il pourra subir.
Si le donataire a fait des dépenses sur la chose donnée et qu'elles en aient augmenté la valeur, il en sera indemnisé par le vrai propriétaire au moment de l'éviction, car celui-ci ne doit pas s'enrichir au préjudice d'autrui; les seules dépenses dont le donataire ne sera pas indemnisé sont les dépenses de par agrément ou voluptuaires.
La loi devait faire une première exception pour le cas où ce serait le donateur qui aurait causé l'éviction du donataire, après lui avoir conféré un droit régulier. Une seconde exception devait être tirée du principe général que le dol doit toujours ètre réparé.
138.-1. On a quelque peine ii comprendre, au premier abord, que le donateur puisse dépouiller le donataire des droits qu'il lui a conférés.
Le cas est cependant assez simple et trouverait son application dans les donations d'immeubles, de meubles et de créances.
D'abord il s'applique aux immeubles dans toutes les législations qui ont le système de la transcription. Supposons une donation d'immeuble appartenant effectivement au donateur; le donataire tarde à faire la transcription; le donateur, de mauvaise foi, ou son hé tiers qui fait la transcription le premier: le donataire sera évincé.
Dans ce cas, il aura droit à la garantie, c'est-à-dire à la valeur de la chose donnée et à toutes autres indemnités. Et à cela il y a deux raisons: 1° le donateur ou son héritier ont, par cette seconde aliénation, réalisé un bénéfice illégitime au préjudice du donataire; 2° ils lui ont causé un dommage injuste qu'ils doivent réparer, même au delà du profit par eux réalisé.
Nous avons supposé, de la part du donateur ou de son héritier, une aliénation volontaire de la chose donnée; nous pourrions supposer aussi une aliénation forcée sur saisie: les créanciers du donateur ont pu saisir l'immeuble donné, tant que la transcription de la donation n'a pas été faite et en se payant, sur le prix, de ce qui leur était dû, ils ont procuré un bénéfice au donateur dont les dettes se trouvent payées avec le bien du donataire, la garantie d'éviction est donc due à celui-ci.
Pour trouver, en matière de donation mobilière, une éviction résultant du fait personnel du donateur, il suffit de supposer qu'ayant donné un meuble sans le livrer, le donateur l'a ensuite aliéné et livré à un tiers de bonne foi, dont la prescription instantanée a dépouillé le donataire (voy. art. 366).
La même éviction aura lieu en matière de donation de créance, si le donataire a tardé à notifier son acquisition au débiteur cédé et que le donateur ait fait une nouvelle cession à un tiers plus diligent et toujours ile bonne foi (voy. art. 307).
139.-11. Dans ces divers cas, on a supposé, avec le texte, que le fait personnel du donateur opérant l'éviction du donataire est postérieur à la donation; on comprendrait pourtant qu'il fût antérieur et les mêmes hypothèses pourraient servir d'exemple, en admettant seulement que le premier acquéreur avait accompli les formalités de publicité nécessaires à la conservation de son droit, de sorte que le donataire devait forcément être évincé. S'il s'agissait d'une vente ou d'un autre acte onéreux ainsi précédé d'une aliénation qui devait nécessairement en empêcher l'effet, l'acquéreur, ainsi évincé par suite d'un fait personnel antérieur, aurait un recours en garantie (voy. art. 416 et Comm., T. II, p. 349, n° 337). Mais, quand il s'agit d'une donation, le donateur ne répond de son fait antérieur que s'il a donné dans une intention frauduleuse une chose qui ne lui appartenait plus et alors la formule du texte est assez large pour s'appliquer à toute donation de la chose d'autrui faite sciemment et pour nuire au donataire.
Art. 659. — 140. L'explication qui précède repose, dans un de ses exemples sur le système de la transcription: le présent article y soumet formellement la donation entre-vifs; à la rigueur, la généralité des termes de l'article 368 y suffisait, mais la place qu'il occupe étant plutôt de nature à faire songer aux contrats onéreux, il parait bon de l'appliquer formellement aux donations. D'ailleurs, il y aurait peut-être quelque singularité à ne pas mentionner la transcription au sujet des donations entre-vifs, quand on songe qu'elles ont été longtemps, en France et ailleurs, les senls actes qui fussent soumis à cette forinalité.
Le 2° alinéa a pour but de dispenser de reproduire, au sujet des donations, une foule de règles des contrats onéreux: il y renvoie d'une manière générale.
Ainsi les règles sur les Effets des conventions (art. 318 à 375), sur l'Interprétation des conventions (art. 377 à 380), sur les diverses Modalités des obligations (art. 421 à 470), sur l'Extinction des obligations (art. 471 à 585), sont applicables aux donations, en principe; mais si la loi y a apporté quelque dérogation expresse, elle sera respectée; on en a rencontré plusieurs cas au Livre II, ir Partie (voy. art. 354, 362); il en sera de même d'une dérogation apportée par les parties, du moment qu'elle ne sera pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes mæurs.
On doit considérer comme contraire à l'ordre public la faculté accordée au donateur de révoquer la donation à sa volonté: la loi l'a prohibée formellement.
Le texte admet aussi qu'il puisse y avoir des dérogations tacites au droit commun des contrats en ce qui concerne les donations: leur nature gratuite suffit pour entraîner quelques différences; ainsi, les tribunaux accorderont plus facilement au donateur qu'au vendeur un terme de grâce pour l'exécution.
Art. 660. — 141. Cet article est purement de renvoi: il est analogue à l'article 640, au sujet des legs.
COMMENTAIRE.
Art. 661. — N° 142. Le Projet commence par le contrat de vente la série des contrats nommés et à titre onéreux. Ce n'est pas cependant que ce contrat ait été le premier pratiqué à l'origine des sociétés, mais il est, en tout pays, le plus naturel et le plus utile.
C'est certainement par l'échange que les hommes ont commencé leurs conventions intéressées: l'un cédait ce qui lui était inutile ou ce qu'il avait en quantité excédant ses besoins, pour acquérir de l'autre des objets qui lui manquaient et lui étaient nécessaires ou utiles.
Mais comme il était souvent difficile que chacun trouvât chez un autre, tout à la fois, l'abondance de ce qui lui manquait à lui-même et le besoin de ce qu'il avait en excédant, on sentit la nécessité d'avoir une ou plusieurs matières d'une utilité constante, commune, égale pour tous, qui pût ainsi, en tout temps et en tout lieu, devenir l'un des éléments de l'échange pour quiconque aurait cette matière à offrir comme contrevaleur de ce dont il avait besoin (a).
Les métaux le plus répandus dans la nature, le fer et le cuivre, étaient les premiers désignés pour cette fonction privilégiée de servir de contre-valeur à tous les autres produits de la nature et du travail ou aux services directs que l'homme peut demander à son semblable. En effet, le fer et le cuivre étant nécessaires autant pour la confection des instruments de travail que pour la fabrication des armes, il est clair que celui qui pouvait disposer d'une certaine quantité de ces métaux devait trouver aisément à l'échanger, soit contre des produits agricoles ou naturels, soit contre des matériaux ou des services.
L'argent et l'or ne durent pas tarder à obtenir le même rôle de contre-valeur dans l'échange; ils n'avaient cependant pas la même utilité, mais leur beauté inaltérable et leurs autres propriétés naturelles, aussi heureuses que variées, les appelaient à satisfaire à de nouveaux besoins nés pour l'homme des progrès de la civilisation: c'était un nouveau genre d'utilité que de pouvoir être façonnés en vases, en coupes, en parures, être associés aux tissus ou appliqués comme revêtement à des matières vulgaires, de façon à en changer complètement l'apparence, enfin, étre employés, sous les formes les plus variées, pour décorer les temples et les palais et orner les chevaux, les chars et les armes. Ces métaux, moins estimables que le fer pour les peuplades ou les tribus primitives, essentiellement guerrières ou agricoles, étaient devenus indispensables chez les nations arrivées aux arts par la paix et au luxe par la prospérité; ils devaient donc être admis avec plus de faveur encore comme éléments ou instruments d'échange.
Ce fut d'abord au poids que s'apprécièrent les métaux, vulgaires ou précieux, donnés en contre-échange, sous forme de lingots plus ou moins réguliers. Mais, avec le progrès des temps et le développement du commerce, on imagina, pour augmenter la sécurité et la facilité des transactions, de dovner à des fragments de métal une forme déterminée, revêtue d'une empreinte apposée par l'autorité publique et garantissant la nature, le poids et la pureté de la matière; on eut alors la monnaie, et le métal donné en échange d'une marchandise, au lieu de s'apprécier par le poids, s'apprécia désormais par le nombre des pièces (b); le contrat luimême prit le nom de vente et d'achat, suivant le rôle qu'y jouait chaque partie; le vendeur étant celui qui aliénait la marchandise et l'acheteur celui qui en donnait le prix en argent (c).
L'invention et l'usage de la monnaie n'ont cependant pas supprimé entièrement l'ancien échange ou troc direct: il reste pratiqué chaque fois que les parties veulent disposer, l'une en faveur de l'autre, d'objets qui sont à leur convenance respective, et si la valeur de l'un des objets excède celle de l'autre, l'inégalité est compensée en argent par une soulte (voy. Chapitre suivant).
143. L'importance du contrat de vente lui a toujours fait donner une place considérable dans les lois civiles des divers pays. Il en sera de même au Japon; cependant, comme on a eu soin de donner aux Contrats et Obligations, en général, des développements qui leur manquent dans d'autres Codes, ce contrat aura un peu moins d'étendue ici qu'on n'est habitué à lui en trouver, moins notamment que dans le Code français, où il atteint jusqu'à 119 articles (art. 1582 à 1701).
Il eût même été possible de réduire encore l'étendue de ce Chapitre, en laissant à l'interprétation judiciaire et à la doctrine le soin d'emprunter aux contrats innommés, formant la 11° Partie du Livre II', une foule de règles qui par leur généralité s'appliquent à la vente; mais on a songé que les particuliers qui voudront, en contractant une vente, se rendre compte de leurs droits et de leurs devoirs, les chercheront plutôt au Chapitre de la Vente que dans les Conventions en général, et qu'ils courraient risque de s'égarer, si la loi ne leur donnait une aide dont les magistrats et les légistes n'auraient pas le même besoin.
Les divisions sont naturelles et simples; ce sont celles qu'on a déjà employées pour plusieurs droits réels et qu'on retrouvera pour la plupart des contrats nommés: d'abord des règles générales sur la nature du contrat et sa formation; puis ses effets, à la charge et au profit de chaque partie; enfin, sa destruction par des causes accidentelles, car la vente, à la différence de plusieurs autres contrats, est destinée à produire des effets irrévocables et perpétuels.
Un Appendice traitera d'une vente spéciale appelée licitation.
144. Le premier article donne une définition de la vente. Elle diffère notablement de celle du Code français (art. 1582), laquelle, empruntée aux jurisconsultes d'une autre époque, est aujourd'hui incomplète, même si on la réunit à l'article 1583 qui annonce un des effets les plus considérables de la vente moderne.
D'après l'article 1582 seul, la vente ne serait que productive d'obligations des deux côtés, elle ne serait qu'un contrat bilatéral ou synallagmatique; or, dans le droit moderne, elle est translative de propriété, par elle-même, chaque fois qu'elle a pour objet une chose individuellement déterminée, un corps certain; il ne suffit donc pas de la présenter comme simplement productive d'obligations; et lorsqu'elle ne peut produire directement l'effet de transférer la propriété, comme s'appliquant à des choses de quantité, ce n'est pas une simple obligation“ de livrer” qu'elle engendre, comme dit le méme article 1582, c'est une obligation de transférer la propriété; par conséquent, le vendeur qui, dans ce cas, livrerait une chose ne lui appartenant pas n'aurait pas rempli son obligation; en effet, un autre article dira plus loin que “la vente de la chose d'autrui est nulle” (art. 1599).
C'est justement parce que, dans l'ancien droit français, imitant en cela le droit romain, la vente de la chose d'autrui n'était pas pulle, que l'on pouvait dire que le vendeur n'était obligé qu'à livrer, fût-ce une chose ne lui appartenant pas, sauf à indemniser l'acheteur de l'éviction, si elle avait lieu plus tard.
La définition de notre premier article répond aux deux effets que peut produire la vente: 1° elle transfère la propriété, par elle-même et sans tradition, s'il s'agit d'un corps certain, meuble ou immeuble, pourvu que le vendeur soit lui-même propriétaire (et il lui sera interdit plus loin de vendre la chose d'autrui); 2° elle oblige le vendeur à transférer la propriété, quand la chose vendue n'est déterminée que par l'espèce, la quantité et la qualité, et le vendeur ne doit pas livrer des choses ne lui appartenant pas (d).
145. Mais, par cela même que le Projet exprime que le vendeur ne peut se borner à une livraison ou tradition, quand l'acheteur a entendu acquérir un droit complet sur la chose vendue, il doit prévoir des cas où l'intention sera moins étendue; aussi le texte a-t-il soin d'indiquer que, du côté du vendeur, l'objet peut être autre qu'une translation de propriété: ce pourrait être seulement “un démembrement de la propriété", comme un droit d'usufruit, d'usage ou d'habitation, une servitude foncière.
La vente pourrait avoir aussi pour objet un droit de créance contre un tiers. Le texte ne le prévoit pas explicitement; mais on peut, à la rigueur, dire que celui qui vend une créance lui appartenant en transfère la propriété, en ce sens qu'il cède à l'acheteur le droit qu'il avait lui-même de disposer de la créance, en maître, c'est-à-dire de la faire valoir, de la détruire ou de la céder, à son tour.
146. Le contrat de vente n'est pas à titre gratuit, mais à titre onéreux: chaque partie y trouve une charge (onus), y fait un sacrifice (art. 319); la définition devait l'exprimer; c'est pourquoi il est ajouté que l'autre partie s'oblige à payer un prix, une contrevaleur, qui doit consister “en argent”, sans quoi on se trouverait dans le cas de l'échange, comme il a été expliqué en commençant. Comme l'argent est une chose de quantité, la propriété n'en peut être transférée que par la livraison, aussi n'y a-t-il qu'une obligation à la charge de l'acheteur, au moment de la formation du contrat. Cette obligation peut même, comme dit le texte, être mise à la charge d'un tiers.
Le prix doit être déterminé par le contrat, afin qu'il ne dépende pas du vendeur d'en exiger un plus fort, ni de l'acheteur d'en offrir un plus faible. Mais cette détermination comporte quelques équivalents qui ne peuvent prendre place dans la définition et qui seront indiqués plus loin.
147. Le 20 alinéa déclare que la vente ne trouvera pas ici toutes les règles qui lui sont applicables. On a déjà dit qu'elle était soumise aux règles générales des Contrats et Conventions établies au Livre II, 11° Partie. Il était nécessaire que le principe fût posé une fois pour toutes, afin d'éviter des redites et, surtout, afin qu'on ne crût pas que, parce que la loi aurait reproduit au sujet de la vente quelques-unes de ces règles générales, elle entendait, par là même, exclure indirectement les autres.
Ainsi, on devra appliquer à la vente:
1° Les conditions générales d'existence et de validité des conventions (art. 325 à 347) et, par suite, toute la théorie du consentement et de la capacité de contracter, avec la sanction des vices du consentement et de l'incapacité qui est l'action en nullité ou en rescision (art. 566 à 582);
2° La distinction entre les effets de la couvention entre les parties et ses effets à l'égard des tiers (art. 318 à 375);
3° L'interprétation des conventions (art. 376 à 380);
4° les effets des obligations, l'action directe et l'actiou en dommages-intérêts (art. 101 à 41-1);
5° Les diverses modalités des obligations: le terme, la condition, le caractère alternatif ou facultatif de l'objet, la divisibilité ou l'indivisibilité des obligations, la solidarité entre créanciers ou entre débiteurs, ou le caractère d'obligation simplement conjointe;
6" Les divers modes d'extinction des obligations, notamment le payement que doit l'acheteur;
7° Enfin, les preuves qui, devant former l'objet d'un Livre spécial, le V“, s'appliqueront à la vente comune aux autres contrats.
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(a) Cette idée, plutôt économique que juridique, se trouve ren. due très-heureusement par un des grands jurisconsultes romains, Paul, et l'on ne manque jamais de la citer, en France, dans les ouvrages de doctrine sur la vente. Nous croyons qu'on l'accueillera aussi favorablement au Japon, et comme les textes latins n'y sont pas faciles à trouver, nous donnons ici la traduction littérale de ce fragment qui est le 1er de la Vente, au Digeste (Livre Ier, titre 1er):
“L'origine de l'achat et de la vente a commencé par l'échange,
“car, autrefois, il n'y avait pas de monnaie et l'on ne disait pas
“qu'une chose (échangée] était la marchandise et l'autre le prix;
“mais chacun, suivant la nécessité des temps et des faits, échan.
“geait les choses inutiles contre les choses utiles, puisque, le plus
“souvent, il arrive que ce qui surabonde chez l'un manque chez
“l'autre; mais comme il ne se rencontrait pas toujours ni faci.
“lement que, tandis que tu avais ce que je désirais, j'eusse, de
“mon côté, ce que tu voulais recevoir, on choisit une matière
“dont l'estimation publique et permanente pût remédier aux dif.
“ficultés des échanges par l'équivalent de la quantité [fournie),
“et cette matière, frappée d'une empreinte publique, produisit son
“utilité [?] moins par sa substance même que par sa quantité, et,
“ dès lors, les valeurs ne s'appelèrent plus, toutes deux, marchan.
“dises, mais l'une d'elles fut appelée prix.”
(b) On sait qu'en Chine les payements se font encore en lingots d'argent, sans autre contrôle officiel que celui du titre, ce qui oblige à les peser chaque fois qu'on les reçoit, pour les évaluer en taels, d'une valeur d'environ un yen et quart ou de 6 francs.
(c) En français, le mot argent comprend souvent, par extension, l'or et le cuivre et même le papier d'Etat, de banque ou autre, faisant fonction de monnaie.
(d) Le Code italien n'a pas complètement corrigé le Code français: il substitue l'obligation de donner à celle de livrer (art. 1447); mais, si l'on ne complétait pas cette définition par l'article suivant, comme dans le Code français, par l'article 1583, on croirait toujours que la vente ne peut, par elle-même, transférer la propriété.
Art. 662. — 118. De tout temps et en tous pays, sans doute, la vente, à cause de sa nécessité déjà siynaléc, it été dispensée de formalités ginantes. Les Romains mêmes, dont la législation était très-formaliste, se sont contentés, pour la vente, du simple consentement des parties. Ce consentement, il est vrai, ne transférait pas la propriété: il n'était que productif de l'obligation de livrer, d'une part, et de payer le prix d'autre part; mais c'était déjà favoriser beaucoup ce contrat que de le dispenser des paroles plus ou moins solennelles, requises, au contraire, pour la stipulation ou contrat unilatéral, pour le cautionnement, pour la constitution de dot, etc.
Une des causes qui avaient fait affranchir le contrat de vente de toute solennité était le besoin de le rendre possible entre les citoyens romains et les étrangers; d'où son nom de “contrat de droit des gens,” comme était aussi le louage, la société, le prét, etc.
Il va de soi que, dans les temps modernes, on ne pouvait songer à entraver la vente par des formalités.
149. Mais si la vente est formée par le seul consentement, “parfaite" comme dit le texte, en employant l'expression française, il y aura la difficulté de la preuve.
En France, la preuve testimoniale est limitée dans son application: elle n'est admise, en principe, que pour une somme ou valeur de 150 francs ou au-dessous; il est donc presque toujours de l'intérêt des parties de dresser un acte écrit constatant la convention. Il n'est pas nécessaire de recourir à un acte notarié, à moins que les parties ou l'une d'elles ne puissent pas même “approuver l'écriture" et signer leur nom. Si l'on dresse un acte sous seing privé, il doit être rédigó en double ou en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct (art. 1325).
Lors même que l'on adopterait au Japon des dispositions plus favorables à la preuve testimoniale (v. Liv.V), il n'en serait pas moins très-utile de dresser in acte écrit pour constater les ventes de quelque importance, parce que le témoignage des hommes manque souvent de précision, la mémoire est fugitive, surtout lorsqu'il s'agit des affaires d'autrui, et les difficultés qui ne peuvent se résoudre que par la preuve testimoniale donnent lieu à des procès longs et coûteux qu'on eût évités le plus souvent en rédigeant un écrit; on peut toujours rédiger un écrit clairement et il serait téméraire de plaider contre un écrit, lorsqu'il n'est pas équivoque.
Le Projet n'a pas imposé aux parties l'obligation de dresser un acte écrit de la vente, mais il y a lieu de croire que, par leur volonté et d'après leur intérêt, ce sera le plus fréquent.
D'abord, quand il s'agira d'immeuble, il y aura pour l'acheteur un intérêt majeur à faire dresser un acte de vente, afin de pouvoir le présenter à la transcription: autrement, il ne pourrait se prévaloir de son droit contre les ayant-cause de son vendeur qui auraient traité postérieurement à lui, au sujet du même bien, et auraient publié leur acquisition.
150. Pour les mêmes biens et pour toutes autres choses d'une valeur sérieuse, les parties ont un intérêt si manifeste à la rédaction d'un écrit comme instrument de preuve, que souvent il est exprimé ou sousentendu entre elles que, bien que le consentement soit donné de part et d'autre et l'accord établi sur tous les points, chacun des contractants cependant ne sera lié définitivement qu'après avoir mis sa signature au pied d'un acte écrit, et l'on voit même souvent, à cette occasion, naître des dissentiments, lorsqu'il s'agit de préciser par écrit certaines clauses qui n'avaient pas été l'objet d'une attention suffisante; il en pourra résulter une rupture de la convention, ou bien on la refera sur d'autres bases; mais si l'on n'avait pas dressé d'acte, ces clauses, restées incertaines, fussent devenues la matière d'un procès ultérieur, ce qui eût été un plus grand mal qu'un contrat abandonné.
Le texte tient compte de cette volonté des parties, de retarder leur consentement définitif à la vente jusqu'à la rédaction d'un écrit probatoire. Il n'exige pas que les parties aient formellement exprimé cette intention; elle peut résulter suffisamment des circonstances: puisqu'il ne s'agit encore que d'une convention verbale, on ne pourrait raisonnablement exiger une déclaration expresse qui ne pourrait se prouver elle-même que par témoins. Ce sera aux tribunaux à apprécier cette intention.
151. Chez les Romains où le contrat de vente était, avons-nous dit, aussi certainement consentuel que dans le Code français et dans le Projet japonais, rien n'était plus fréquent que cette subordination de la perfection du contrat à la rédaction d'un écrit. L'Empereur Justinien établit même, à cet égard, une présomption légale d'après laquelle on devait considérer comme conditionnelle toute vente que les parties avaient entendu rédiger par écrit, pour la preuve. Le contrat, du reste, ne changeait pas de nature et n'entrait pas pour cela dans la classe des contrats dits littéraux ou formés par écrit: la rédaction de l'acte de vente n'était qu'une condition à remplir à laquelle le contrat était subordonné, comme il aurait pu l'être à toute autre, sans cesser d'être consentuel.
La théorie du Projet diffère toutefois de celle de Justinien, en ce qu'il n'y a pas ici de présomption légale d'intention des parties: cette intention devra être reconnue d'après les circonstances.
Le Code français, entièrement muet sur ce point, ne peut se prêter à l'admission d'une présomption légale d'après laquelle la vente serait, dans certains cas, subordonnée tacitement à la rédaction d'un écrit; mais il laisse place, par son silence même, à une interprétation judiciaire de l'intention des parties en ce sens. Au contraire, on peut retrouver quelque chose d'une présomption légale d'intention dans la nécessité du double original (voy. art. 1325) et l'on s'y arrëtera au Livre V du présent Projet où la même nécessité sera reconnue.
La condition de rédiger un acte de vente lorsque les parties l'ont ainsi entendu est, de sa nature, potestative pour l'une et l'autre; chacune d'elles peut donc, en refusant de signer, renoncer au contrat et s'en départir, et cela valablement et “impunément” (comme disait encore Justinien), à moins qu'il ne soit intervenu une dation d'arrhes, comme garantie de la promesse et comme peine du dédit.
On va retrouver bientôt ce caractère et cet effet des arrhes sous l'article 666.
Art. 663 et 664.-152. L'article 1589 du Code français n'a qu'une seule disposition sur la promesse de vente et elle donne lieu à bien des difficultés, tant pour ce qu'elle dit explicitement que pour ce qu'elle a négligé de dire.
Cet article porte que “la promesse de vente raut "vente, lors qu'il y a consentement réciproque des “deux parties sur la chose et sur le prix.”
Le cas où se place la loi française étant celui d'une promesse réciproque de vendre et d'acheter, laisse complètement sans solution la promesse unilatérale de vendre et la promesse unilatérale d'acheter. Dans ces deux cas, il est bien impossible de dire que “la promesse vant vente ou achat”, car il ne peut pas y avoir vente tant que l'acheteur n'est pas engagé, ni achat tant qu'il n'y a pas de vendeur.
Il a donc fallu régler, dans le Projet, ces deux promesses unilatérales; c'est l'objet des article 663 et 664.
On a dû régler ensuite le cas de la promesse réciproque; c'est l'objet de l'article 665 (e).
153.-1. Promesse unilatérale de vendre. Une pareille promesse ne peut être actuellement translative de propriété, puisque le promettant ne pourrait être dépouillé de son droit de propriété sans acquérir une créance du prix et que l'autre partie, en obtenant le droit d'acheter, n'a pas encore déclaré vouloir en user.
Le promettant est donc obligé sous une condition suspensive dont l'accomplissement dépend de la volonté d'autrui.
Lorsque le stipulant déclarera vouloir acheter, la condition sera remplie et le promettant devra passer le contrat de vente, naturellement par écrit, pour qu'il n'y ait pas d'incertitude sur l'exécution de son obligation. La loi ne veut pas d'ailleurs que le stipulant puisse laisser le promettant dans une incertitude indéfinie sur le parti qu'il prendra; si donc la convention n'a pas fixé de délai pour l'exercice de la faculté d'a fixer uu, passé lequel le droit d'acheter sera perdu. C'est l'application d'un principe général déjà posé par les articles 423 et 435, et qu'on retrouvera dans plusieurs autres matières.
154. Supposons que le promettant requis de passer le contrat s'y refuse. Il y a là une obligation de faire et il semblerait que, le promettant ne pouvant être matériellement contraint à un acte qui exige sa volonté, l'obligation ne puisse que se résoudre en dommages-intérêts (art. 402 et 403). Mais on n'est pas dans un de ces cas où l'exécution forcée soit impossible: rien n'empêche que le promettant soit déssaisi de la possession de la chose qui sera considérée dès lors comme vendue et, si le stipulant en est évincé, rien ne s'opposera à ce qu'il ait contre le promettant l'action en garantie d'éviction, surtout s'il a déjà payé le prix.
Pour que ces effets se produisent, il suffit, mais il est nécessaire, que le tribunal rende un jugement qui tienne la vente pour faite et qui forme titre de vente et d'achat entre les parties: ce sera même un titre authentique, là où le promettant ne devait fournir qu'un titre sous seing privé.
Mais une grande difficulté pourrait se présenter et la loi doit la résoudre.
Si, dans l'intervalle, le promettant avait aliéné la chose à un tiers, et qu'il s'agit d'un immeuble, et que ce tiers eùt fait la transcription, il serait impossible que le jugement dépouillât ce tiers; un contrat volontaire de vente ne l'aurait pas pu, le jugement qui en tient lieu ne doit pas le pouvoir davantage.
D'un autre côté, celui auquel a été faite la promesse de vente ne doit pas être à la pure discrétion du promettant.
La loi déclare donc que si le stipulant a fait la transcription de la promesse de vente, il a sauvegardé son droit éventuel de propriété contre les aliénations intérimaires que pourrait faire le promettant: les tiers sont alors prévenus que celui avec lequel ils traitent n'a plus qu'un droit résoluble sur la chose et que cette résolution s'accomplira quand le stipulant exercera la condition suspensive de son droit.
Ce cas est loin d'être le seul où une transcription s'applique à des droits éventuels (voy. art. 372).
Lorsque, plus tard, le jugement sera rendu en faveur du stipulant, il sera mentionné en marge de ladite transcription et toute incertitude cessera.
Si la transcription de la promesse n'avait pas été faite, la transcription du jugement seul ne mettrait obstacle qu'aux aliénations postérieures. Toutefois, le stipulant pourrait toujours faire la transcription de sa demande, pour se garantir contre les aliénations qui auraient lieu pendant le procès (voy. art. 372, 1er al.).
Si, au lieu d'un immeuble, objet de la promesse unilatérale de vente, nous supposons qu'il s'agisse d'un meuble et qu'avant la décision du stipulant, il ait été aliéné et livré à un tiers de bonne foi, celui-ci ne pouvant être privé de la chose (art. 366), la promesse ne pourrait se résoudre qu'en dommages-intérêts.
155.—II. Promesse unilatérale d'acheter. Cette promesse a des similitudes et des différences avec la précédente. Elle est régie par les deux mêmes articles, sauf le dernier alinéa de l'article 664 qui ne s'applique qu'à la promesse de vendre.
Ainsi, celui qui a promis d'acheter dès que le stipulant déclarera vouloir vendre, sera tenu de passer le contrat quand le stipulant se prévaudra de la promesse qui lui a été faite; il pourra seulement, s'il n'y a pas de délai fixé pour l'exercice du droit auquel il est soumis, en faire fixer un par le tribunal.
Si le promettant refuse de passer le contrat, le tribunal rendra un jugement qui le déclarera acheteur, au prix et aux conditions fixées, et s'il s'agit d'un im. meuble, le jugement sera transcrit.
Jusqu'ici nous n'avons que des ressemblances entre les deux promesses; mais voici où est la différence, et elle est considérable.
Lors même que la promesse d'achat aurait été transcrite par le promettant, elle ne le préserverait pas des aliénations que le stipulant aurait pu faire de la chose qui est restée à son entière disposition: ici, il n'y a pas eu, pour le promettant, acquisition de la propriété sous condition, ou, cette condition étant purement potestative pour le stipulant, on doit reconnaître qu'en aliénant sa chose à un autre, il s'est mis volontairement hors d'état de se prévaloir vis-à-vis du promettant de la faculté de lui imposer la vente stipulée.
Il en est de même s'il s'agit d'un objet mobilier et qu'il l'ait aliéné et livré à un tiers.
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(e) Le Code italien n'a ni complété ni même reproduit l'article 1599 du Code français, ce n'est pas supprimer les difficultés, car en Italie comme en France, on doit faire des promesses de vente qui ne sont pas nécessairement des ventes actuelles.
Art. 665. — 156. —III. Promesse réciproque de vendre et d'acheter. Le Code français qui ne s'est occupé que de cette seule promesse déclare qu'elle "vaut vente" (art. 1589).
Tous les auteurs n'interprètent pas cette disposition de la même manière. Le plus grand nombre pense que la loi a voulu dire que l'on doit moins s'attacher aux expressions employées par les parties qu'à leur intention probable et que la loi, faisant elle-même cette interprétation de la volonté des contractants, déclare que, bien qu'elles aient semblé renvoyer la vente à l'avenir, elles ont voulu cependant la faire actuellement et n'en ont retardé que l'exécution.
D'autres auteurs ne trouvent pas acceptable cette explication de la loi française et, selon nous, avec raison.
D'abord, s'il ne s'agit que d'interpréter l'intention des parties, la loi a dû laisser ce soin aux tribunaux, lesquels statueront en fait et d'après les circonstances; tandis que, si l'interprétention est donnée par la loi, elle est absolue et invariable pour tous les cas, ce qui est fácheux.
Ensuite, si les parties ont fixé un délai pour la réalisation de la promesse, il est très-peu probable qu'elles aient voulu faire une vente actuelle et n'en retarder que l'exécution.
Enfin, l'interprétation que nous contestons pour l'explication du Code français est, en même temps, contraire à celle des anciens auteurs français, lesquels, employant déjà cette expression “la promesse de vente vaut vente”, lui donnaient le même sens que nous venons de donner à la promesse unilatérale de vendre.
Nous proposons donc de décider, ici encore, que lorsque la promesse est réciproque, elle ne produira, en principe, que les effets de la promesse unilatérale. Seulement, comme il y a deux promesses, l'effet, au lieu d'être simple, sera double: au lieu qu'une seule partie puisse contraindre l'autre, elles pourront se contraindre toutes deux; chacune pourra demander la fixation d'un délai, pour ne pas rester indéfiniment dans l'incertitude; s'il s'agit d'immeuble, celui qui doit jouer le rôle d'acheteur a intérêt à faire transcrire la promesse qui lui a été faite, pour être admis à invoquer son droit contre les cessionnaires intérimaires qui auraient traité avec celui qui devait être vendeur.
Cependant, comme il ne faut pas que le Projet s'expose, à son tour, au reproche de donner une solution absolue et inflexible qui pourrait être contraire à l'intention des parties, il laisse aux tribunaux le droit de décider, suivant les circonstances, que “les parties ont entendu faire une vente actuelle et immédiate”, et, s'il y a un délai fixé dans la promesse, “ qu'il n'est pas donné aux parties pour passer le contrat, mais pour l'exécuter.”
Art. 666. — 157. Le Code civil français (art. 1590) paraît n'avoir rattaché la théorie des arrhes qu'à la promesse de vente et il semble que c'était, en effet, le seul système rationnel; mais comme ce Code n'a parlé que de la promesse réciproque de vendre et d'acheter et qu'il a dit que cette promesse “vaut vente”, les auteurs et les tribunaux sont portés à étendre cette théorie des arrhes à la vente pure et simple ou actuelle et parfaite, ce qui paraît contraire à l'esprit de la loi et à la nature de la vente une fois qu'elle est parfaite.
Que sont les arrhes, en effet ? On les trouve déjà dans les législations grecque et romaine comme un moyen de se dédire de la vente, par le sacrifice d'une somme ou valeur déposée par une partie à l'autre en garantie de son engagement.
Mais il n'y a pas lieu de croire que ce dédit fût possible lorsque la vente était parfaite, c'est-à-dire formée par l'échange définitif des consentements: les arrhes n'intervenaient que dans le cas où les parties avaient subordonné la perfection de la vente à la rédaction d'un écrit, ce qui était un cas analogue à celui que nous appelons aujourd'hui “ promesse de vente.” Dans ce cas, comme il eût été facile à l'une ou à l'autre des parties de se refuser à la rédaction ou à la signature de l'écrit, il était utile que chacune se liât par le dépôt, aux mains de l'adversaire ou d'un tiers, d'une somme ou valeur dont la perte était la peine de son dédit. C'est ainsi que l'Empereur Justinien, que nous citons volontiers au Japon, comme on le cite encore en Europe, a présenté le rôle et l'utilité des arrhes, dans la modification qu'il a apportée à la formation de la vente et que nous avons rapportée plus haut (p. 191, n° 151).
Nous sommes porté à croire que les rédacteurs du Code français n'ont pas entendu exprimer une autre idée dans l'article 1590; car, s'il s'agissait d'une vente immédiatement parfaite, on ne voit pas pourquoi il serait permis à l'une des parties de s'en départir, sans le consentement de l'autre, même en faisant un sacrifice.
On objecte qu'alors la dation d'arrhes dans une telle vente, ne s'expliquerait plus, si elle n'avait le caractère de moyen et de peine du dédit.
Mais l'objection n'a de valeur que pour les arrhes qu'aurait données le vendeur, car si elles ont été données par l'acheteur, il est naturel de croire que c'est comme à-compte ou avance sur le prix.
Mais, objecte-t-on encore, si les arrhes données par l'acheteur ne consistent pas en argent, mais en objets mobiliers quelconques, on n'y peut pas plus voir une avance sur le prix que dans celles données en argent par le vendeur.
On pourrait répondre que le cas sera bien rare où, dans une vente déjà parfaite, le vendeur donnera des arrhes quelconques et l'acheteur des arrhes ne consistant pas en argent; si pourtant le cas se présentait, il serait encore possible d'expliquer les arrhes, surtout dans une vente mobilière, par la circonstance que les contractants ne se connaîtraient pas et qu'alors, sans impliquer le droit de se dédire, les arrhes seraient au moins une indemnité pour celui qui ne pourrait, en fait, contraindre l'autre à l'exécution,
On pourrait encore, dans ces cas extraordinaires, expliquer les arrhes comme un gage de prompte et fidèle exécution du contrat, comme un moyen de contrainte résultant pour une partie de la privation d'un objet utile ou nécessaire qui ne pourra être recouvré par elle qu'après l'exécution.
Du reste, la loi française ne se prête guère non plus au système qui limite aux promesses de vente le dédit avec perte des arrhes, puisque, dans cette loi, “la promesse de vente vaut vente”; ou bien alors il faut entendre cette expression dans le sens adopté ici: la promesse de vente ne se résoudra pas en dommagesintérêts et produira, par jugement, tous les effets d'une vente directe (f).
Quoi qu'il en soit, de la portée de la loi même et du bien ou mal fondé de la doctrine et de la jurisprudence françaises, en cette matière, et sans rapporter ici les distinctions qui ont été proposées pour donner aux arrhes le caractère de dédit, même dans la vente parfaite, le Projet fera, dans l'article suivant, une part suffisamment large à ce dédit, tout en le présentant comme exceptionnel.
158. Revenons, avec notre article 666, aux cas où les arrhes sont, de plein droit et par l'accord tacite des parties, un moyen de dédit, parce que la vente n'est pas encore parfaite. Ces cas sont au nombre de deux: 1° celui où les parties, bien qu'ayant conclu la vente, activement et passivement, c'est-à-dire réciproquement, en ont subordonné la perfection à la rédaction d'un écrit, pour en assurer la preuve; 2° celui où il n'y a eu que promesse de vente, soit unilatérale de vendre ou d'acheter, soit bilatérale ou réciproque de vendre et d'acheter.
Dans les deux cas, la vente étant encore imparfaite, il ne peut être question de voir dans les arrhes un àcompte sur le prix, même quand elles sont données par l'acheteur: ce serait admettre, contre toute raison, un commencement d'exécution anticipée; elles ne peuvent, dès lors, avoir qu'un but raisonnable: permettre le désistement et punir de leur perte celui qui refusera de parfaire le contrat, dans le premier cas, ou de le passer, dans le second cas, c'est-à-dire de vendre ou d'acheter, comme il l'avait promis.
Comme l'explication du second cas facilitera celle du premier, c'est par elle que nous commencerons.
Si la promesse est unilatérale, soit de vendre, soit d'acheter, le promettant seul donne des arrhes: lui seul encore étant lié, doit, seul aussi, être punissable de se délier. Dans ce cas, la théorie des arrhes est fort simple: si le promettant ne remplit pas sa promesse, il ne recouvre pas ce qu'il a donné; s'il la remplit, les arrhes lui sont rendues. C'est alors seulement qu'on peut dire que les arrhes non perdues sont "un à-compte sur le prix,” ou plutôt, se trouvent l'avoir été par l'événement; mais encore faut-il qu'elles aient consisté en argent.
Si la promesse est réciproque, il est bon qu'il soit donné des arrhes des deux côtés, surtout si elles ne consistent pas eu objets de nature identique; alors, celle des deux parties qui se dédit rend ce qu'elle a reçu et perd ce qu'elle a donné. Mais, si une seule des parties a fourni des arrhes, ce qui n'implique pas que l'autre ait été privée du droit de se dédire, la première est punie de son dédit en perdant ce qu'elle a donné et l'autre est punie du sien en rendant ce qu'elle a reçu et en y ajoutant pareille valeur, ce que la loi appelle “ rendre le double de ce qu'elle a reçu.” Dans cette dernière hypothèse, il n'y aura pas de difficulté si les arrhes reçues ont consiste en argent: il est facile d'en doubler la somme; mais, si elles ont consiste en un objet mobilier qui n'a pas une valeur courante, il faudra en faire l'estimation pour l'ajouter à la restitution en nature.
C'est la solution de cette dernière hypothèse qui s'appliquera au premier cas réservé plus haut, à celui d'une vente conclue des deux côtés, mais dont la perfection a été subordonnée à la rédaction d'un écrit: les deux parties sont liées, autant et plus même que dans la promesse réciproque de vendre et d'acheter, les arrhes y joueront donc le même rôle.
L'article 666 a bien soin d'exprimer les deux cas: “refus de passer le contrat ou refus de le rédiger."
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(f) Le Code italien a traité des arrhes dans les Conventions en général (art. 1217) en non dans la Vente: il leur donne, en principe, le caractère de “ garantie d'exécution” ou de clause pénale, mais celui de moyen de dédit peut aussi en résulter.
Art. 667. — 159. Il résulte de l'explication de l'article précédent qu'en principe les arrhes ne sont un moyen de dédit que dans les promesses de vente ou dans les ventes encore imparfaites, faute de la rédaction d'un écrit mise comme condition à leur perfection; quand la vente est parfaite, il ne doit pas être permis à une partie de s'en départir sans le consentement de l'autre: autrement, il ne serait plus exact de dire que le contrat se forme, qu'il lie les parties, par le seul consentement. Bien plus, si l'on admettait le dédit à l'égard d'une vente parfaite, on devrait l'admettre même quand la perfection de la vente, au lieu d'être immédiate, n'est résultée que de la rédaction de l'écrit ou de la réalisation de la promesse de vente; or, il y aurait là une prolongation exagérée de cette faculté de dédit et une fâcheuse incertitude dans les droits des parties et des tiers.
Toutefois, même dans les ventes parfaites, les arrhes peuvent avoir eu pour but de permettre le dédit, tout en le punissant; mais, c'est à la condition qu'elles ne puissent avoir le caractère d'un à-compte versé sur le prix. Or, si l'acheteur a versé au vendeur une somme d'argent, même en la qualifiant “arrhes”, on peut et par conséquent on doit la considérer comme fournie à valoir sur le prix et non comme un moyen de dédit. Si, au contraire, la valeur fournie par l'acheteur n'est pas de l'argent, elle ne peut être un à-compte sur le prix, lequel doit nécessairement consister en argent; elle est donc donnée et reçue comme moyen de dédit. Si une valeur est fournie par le vendeur, même en argent, elle a nécessairement le même caractère de moyen de dédit, car le vendeur n'a pas d'à-compte à fournir.
Dans ces deux cas, ce n'est qu'à la partie qui a donné les arrhes qu'appartient la faculté de dédit: ce n'est pas le cas où celle qui les a reçues pourrait se dédire en les rendant au double. Le texte du présent article est formel en ce sens.
Enfin, si la dation d'arrhes a été réciproque et si les parties leur ont expressément donné le caractère de dédit, chacune peut se dédire; mais alors avec la peine ordinaire, c'est-à-dire en rendant ce qu'elle a reçu et en abandonnant ce qu'elle a donné.
160. Il restait à savoir combien de temps durerait la faculté de dédit, soit dans le cas de la vente subordonnée à la rédaction d'un écrit, soit dans la promesse de vente, tant unilatérale que synallagmatique, soit enfin dans le cas de vente actuelle et immédiate, avec les circonstances prévues au présent article.
D'abord, si un délai a été fixé pour l'exercice de cette faculté, il est clair qu'après son expiration le dédit n'est plus possible.
Mais si aucun délai n'a été fixé, le dédit cesse encore d'être possible après l'exécution, même partielle; sans qu'il y ait à distinguer de quel côté a eu lieu l'exécution, car la partie qui accepte l'exécution n'y participe pas moins que celle qui la fournit.
En France, où la loi est si incomplète sur cette matière, on donne la même décision par interprétatien de son esprit et en conformité au droit romain; il est clair, en effet, que si le dédit restait permis après l'exécution, il n'y aurait plus de raison de le limiter et la vente qui devrait être le contrat le plus stable serait le plus fragile.
Le Projet ne laissera aucun doute sur ce point.
161. Il reste à savoir si l'exercice du dédit opèrera résolution de la vente ou de la promesse de vente, même à l'égard des tiers.
S'il s'agit de meubles, évidemment non: les tiers auxquels le meuble aurait été aliéné et livré et qui auraient ignoré la faculté de dédit ne pourraient être évincés (art. 366).
S'il s'agit d'immeubles, la faculté de dédit ne pourrait être opposée aux tiers qui auraient fait faire la transcription ou l'inscription de leurs droits qu'autant que la première vente ou promesse de vente aurait été transcrite, avec mention expresse de la dation d'arrhes et de la faculté de dédit qui y était attachée.
Art. 668. — 162. Il y a des choses dont les qualités ou les défauts ne se révèlent pas au premier aspect, surtout parmi les choses mobilières, comme un cheval de selle ou de trait, un carosse de maître, une machine à vapeur. Les ventes de ces choses ne sont généralement faites qu'à l'essai, c'est-à-dire que l'acheteur subordonne la perfection de la vente, outre les autres conditions ordinaires ou stipulées, à celle que la chose lui conviendra, qu'elle répondra à ses besoins.
Généralement, l'acheteur fera sagement de se réserver expressément la faculté d'essai et le droit de refus; mais cette réserve pourra, dans certains cas, résulter des circonstances et de la nature de la chose vendue.
La différence d'effets qu'on pourrait rattacher à la réserve expresse comparée à la réserve tacite, c'est que, dans le premier cas, le refus de l'acheteur sera généralement à l'abri de la discussion, il aura un effet absolu; tandis que, dans le second cas, l'acheteur ne sera pas autorisé à refuser une chose qui n'aurait pas de défauts notables et qui répondrait convenablement à ses besoins.
En ce qui concerne les défauts, nous réservons le cas où ils seraient tellement graves qu'ils pourraient motiver l'action redhibitoire dont il sera parlé à la Section 11°, $ 4; il ne faudrait supposer ici que des défauts relatifs aux besoins personnels de l'acheteur et non des défauts absolus dont toute personne se plaindrait. Ainsi, un cheval de selle vendu est vif et emporté, facile à s'effrayer, alors que l'acheteur est un homme déjà âgé ou un médiocre cavalier; un cheval de trait, qui pourrait être utile à la campagne pour des travaux agricoles, mais qui ne pourrait être convenablement attelé à une voiture de maître à laquelle pourtant il était destiné.
Les ventes à l'essai sont presque toujours mobi lières; mais on comprendrait très-bien cette condition dans une vente d'immeuble: par exemple, d'un terrain destiné à certaines cultures spéciales auxquelles il pourrait ne pas convenir.
163. Le texte nous dit que la condition affectant la vente à l'essai peut être suspensive ou résolutoire: elle sera le plus naturellement suspensive: la vente ne sera parfaite que si la chose est agréée, si elle convient, “si elle plaît” (si placuerit, disaient les Romains); mais la vente pourrait avoir été actuelle et immédiate, sauf à être résolue, si la chose ne convient pas, si elle déplaît (si displicuerit).
Si les parties ne se sont pas expliquées suffisamment sur la nature de la condition, les tribunaux se prononceront sur leur intention: dans le doute, ils pourront incliner pour admettre la condition suspensive.
164. Le 2e alinéa prévoit une vente de denrées qu'il est d'usage de goûter, avant de les acheter définitivement: le Code français (art. 1587) cite, comme exemples, le vin et l'huile; on pourrait y ajouter, au Japon comme en France, une foule d'autres denrées, alimentaires ou non.
Il y a beaucoup d'analogie entre ce cas et le précédent. Le texte semble toutefois n'admettre qu'une des deux conditions, la condition suspensive: il ne dit rien de la condition résolutoire; mais on remarquera que le texte pose une simple présomption: il ne limite pas le pouvoir des parties; on peut donc dire que la condition suspensive d'acceptation pourra n'être que tacite, mais la condition résolutoire de refus devra toujours être expresse.
Une autre différence entre le cas de vente faite à l'essai et celui de vente subordonnée à la dégustation est relative à l'étendue de la faculté laissée à l'acheteur dans chacun de ces cas.
Dans la vente à l'essai, l'acheteur a une grande liberté de refuser, mais elle n'est pas absolue et indiscutable: ainsi, il ne pourrait pas se borner à dire que la chose “ne lui convient pas”, il faudrait encore déclarer quels défauts il lui trouve et en quoi elle ne répond pas à ses besoins; s'il prétendait refuser la chose, sous le prétexte d'un défaut qu'elle n'a pas en réalité, il pourrait être contraint de la prendre; les conventions doivent, en effet, “s'exécuter de bonne foi” (art. 350).
Dans la vente de denrées soumises à la dégustation, il conviendra de sous-distinguer s'il s'agit, ou non, de choses destinées à la consommation personnelle de l'acheteur ou de sa famille; dans le premier cas, le droit de refus doit être considéré comme absolu: c'est un proverbe très-juste que “les goûts ne se discutent pas." Mais s'il s'agissait de denrées, de consommation ou autres, destinées au commerce, l'acheteur ne pourrait refuser celles qui seraient de goût et de qualité ordinaires, qui seraient, suivant l'expression du commerce, “bonnes, loyales et marchandes."
Art. 669. — 165. On a déjà vu, dans plusieurs occasions, notamment aux articles 423, 435 et 663, que lorsqu'une partie a une faculté à exercer, cette faculté, fût-elle purement potestative, il ne doit pas lui être permis de laisser l'autre partie dans une incertitude indéfinie.
Les parties feront sagement, en pareil cas, de fixer elles-mêmes un délai pour l'exercice de ladite faculté; si elle ne l'ont pas fait, c'est, en général, aux tribunaux qu'il appartient de le fixer, à la requête de la partie intéressée.
Ici, il n'y a pas besoin, en principe, de recourir au tribunal: c'est le vendeur qui fait sommation à l'acheteur d'avoir à faire l'essai ou la dégustation et à se prononcer dans un délai qu'il fixe lui-même et qui sera nécessairement court.
Si le délai paraissait trop court ou si l'acheteur était dans le cas de quelque empêchement légitime, par maladie ou autre, le tribunal pourrait prolonger le délai, toujours parce que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi.”
Art. 670. — 166. Le prix est un des éléments constitutifs de la vente: c'est l'obligation pour l'acheteur de payer le prix qui rend le contrat synallagmatique.
Si le prix n'était pas déterminé par le contrat et si sa fixation était réservée à une époque ultérieure, il pourrait arriver que le vendeur l'exigeât trop fort ou que l'acheteur l'offrît trop faible, de sorte que le contrat ne se formerait pas de ce chef. Il faut donc reconnaître que le contrat n'est pas formé tant qu'il dépend de l'une ou de l'autre des parties de débattre le prix. C'est là, au surplus, l'application d'une des conditions de formation des conventions: “elles doivent avoir un objet certain ou déterminé” (art. 325-29).
Mais il n'est pas nécessaire que le chiffre total du prix soit exprimé dans le contrat: la loi se contente de la “détermination de ses éléments.” Ainsi, il s'agit d'un terrain et l'on a fixé le prix du tsoubo; on ne savait pas la mesure exacte, on n'a donc pu fixer le prix total; mais, ni le vendeur ni l'acheteur ne pourront élever de difficultés ultérieures à ce sujet: le prix sera déterminé par une opération arithmétique fort simple, après le mesurage du sol. De même, s'il s'agit de denrées dont le prix et fixé seulement par certaines quantités, au poids, au nombre, ou à la mesure; de même, pour les étoffes, les bois, les pierres et, généralement, pour les choses dites de quantité: dans tous ces cas, le prix sera aisément déterminé, sans qu'il soit au pouvoir d'aucune partie de le contester.
La loi permet aussi de se référer pour le prix au cours moyen du commerce de la denrée ou marchandise vendue. Seulement, il sera bon que les parties s'expliquent sur le moment auquel on prendra ce cours: à savoir, si ce sera le cours présent, quoiqu'inconnu au moment de la vente, ou le cours du marché prochain.
Il sera toujours possible de donner un effet équitable à cette convention.
167. Enfin, le prix peut être laissé à l'estimation ou l'arbitrage d'un tiers. Ce tiers doit être désigné aussi par le contrat, sans quoi, il dépendrait de l'une ou de l'autre des parties d'empêcher l'achèvement du contrat, en ne nommant pas l'expert ou l'arbitre: la loi n'admet pas qu'ici la désignation de l'expert soit faite par le tribunal, ce ne serait plus faire exécuter une convention mais la faire naître.
Le Projet n'a pas cru devoir annoncer, comme le Code français, que, si l'expert ne peut ou ne veut faire l'estimation, le contrat ne se forme pas: il a semblé que ce résultat allait de soi. En effet, le tiers, en cas de refus ou d'impossibilité d'estimer la chose, ne peut être remplacé par un autre, à moins d'un nouvel accord des parties.
Mais ce que l'on a cru utile d'ajouter c'est que l'estimation peut être contestée, si elle est manifestement contraire à la vérité ou à l'équité. Il pourrait arriver, en effet, que ce tiers, par ignorance et incapacité, ou par complaisance ou collusion, fixât un prix hors de proportion, par son élévation ou sa faiblesse, avec la nature ou les qualités de la chose; or, les parties, en s'en rapportant à lui pour la fixation du prix, n'ont pas entendu abandonner leurs intérêts au hasard ou au dol. On trouve d'ailleurs dans le Code français une disposition analogue, au sujet de la fixation des parts dans la société (art. 1854).
Il ne faudrait pas croire, du reste, que le tribunal, en statuant sur la demande en nullité de l'arbitrage, pourra y substituer lui-même une autre estimation ou nommer un autre arbitre: ce serait encore aller au delà de ce qu'ont voulu les parties. Si celles-ci ne peuvent se mettre d'accord, soit pour fixer elles-mêmes le prix, soit pour nommer un autre arbitre, leur désaccord emportera renonciation à la vente.
168. Le dernier alinéa nous dit que le prix ne doit pas nécessairement consister en capital, mais qu'il peut consister en une rente perpétuelle ou viagère; toutefois, ces deux dernières sortes de prix ne pourraient être adoptées par l'arbitre sans des pouvoirs spéciaux, car un tel équivalent serait vraisemblablement contraire à l'intention des parties.
On ne s'arrête pas ici au caractère général de la rente, soit perpétuelle soit viagère: déjà, on a donné quelques développements sur la dernière, au sujet de l'usufruit, sous l'article 59 (v. Tome Ier, p. 131, no 89); on traitera de chacune en son lieu: de la rente viagère, ci-dessous, Chapitre xvi, Section 2°, et de la rente perpétuelle Chapitre, xvii, Section 2e.
Notons seulement que le Code français admet aussi que le prix de vente d'un immeuble puisse consister en une rente (art. 530).
Art. 671. — 169. Le Projet s'écarte ici du Code français et des autres Codes étrangers, lesquels mettent les frais de l'acte à la charge de l'acheteur seul (C. fr., art. 1593; C. it., art. 1455).
Cette disposition a peut-être été introduite, dans l'usage d'abord, puis dans la loi, par la considération que celui qui vend y est souvent contraint par des besoins d'argent, par de l'embarras dans ses affaires; mais ce n'est pas toujours le cas, et d'ailleurs le but ne sera pas toujours atteint, car si l'acheteur n'a pas luimême un désir impérieux d'acquérir, il offrira un prix moins élevé, à cause de la charge des frais.
Dans les contrats synallagmatiques, le législateur ne doit pas, sans nécessité, introduire des différences de traitement entre les deux parties: il doit maintenir entre elles une parfaite égalité et s'en remettre à ellesmêmes du soin d'y déroger par leur convention.
Les frais du contrat de vente seront donc, pour moitié, à la charge de chaque partie, si elles n'ont pas fait de convention contraire.
Déjà l'article 353, 3° alinéa, avait posé le principe pour les contrats onéreux, en général.
En France, les frais de vente sont plus lourds qu'au Japon (g). Si l'acte est fait devant notaire, le salaire de cet officier est assez élevé: il est proportionnel au prix de vente. Dans tous les cas, l'acte est rédigé sur papier timbré; il doit, de plus, être enregistré, au droit proportionnel (1 % pour les meubles, 4 % pour les immeubles). De plus, pour les immeubles, le droit de transcription est de 1ļ %, sans compter encore le salaire de l'officier chargé de la transcription; mais ces derniers frais ne sont plus des frais de l'acte de vente même: la transcription, étant dans l'intérêt exclusif de l'acheteur, sera aussi à sa charge exclusive, même au Japon.
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(g) La tendance, au Japon, est d'élever les frais d'actes, tant judiciaires qu'extrajudiciaires. De plus, la création récente des notaires augmentera encore ces frais.
COMMENTAIRE.
N° 170. Le Projet ne commence pas cette matière par une disposition semblable à celle du Code français (art. 1594), portant que “tous ceux auxquels la loi ne l'interdit pas peuvent acheter ou vendre.” Assurément cela est vrai, mais n'est-ce pas la règle commune à tous les contrats ? Le louage, la société, le prêt, le mandat, la donation même, ne sont-ils pas permis entre toutes personnes, sauf les exceptions que la loi a jugé à propos d'établir?
Du moment que le Projet ne proclame pas que la capacité est la règle et qu'il ne présente que les exceptions, l'intitulé de ce paragraphe ne peut plus être le même que dans le Code français: “qui peut acheter ou vendre", et il n'annonce que “les incapacités de vendre ou d'acheter.”
Art. 672. — 171. La première incapacité est celle des époux.
Le Projet s'éloigne assez notablement ici du Code français, lequel prohibe aussi la vente entre époux (art. 1595), puis apporte à la prohibition trois prétendues exceptions qui, en réalité, s'appliquent à autre chose qu'à la vente, à la dation en payement (voy. cidessus, art. 482).
Or, il est singulier d'établir des exceptions à une prohibition qui n'est pas exprimée. On doit donc en conclure que la dation en payement est défendue aux époux, comme la vente, et que la prohibition de la vente reste absolue et sans exceptions, tandis que la dation en payement comporte trois exceptions.
Le Projet exprime formellement les deux prohibitions, celle de la vente et celle de la dation en payement; il n'admet pas d'exception à la première; mais, pour la seconde, l'exception, bien qu'unique en la forme, est plus large que les trois du Code français.
Nous avons à justifier les deux prohibitions et à préciser le caractère de l'exception à la seconde, en la justifiant également.
En France, l'explication des auteurs est, en général,entre époux.
Selon nous, la loi a craint les avantages déguisés qui pourraient se cacher sous l'apparence de ce contrat, éminemment onéreux de sa nature; ainsi, l'époux vendeur déclarerait, soit par l'acte de vente, soit par un acte postérieur, avoir reçu le prix qui, en réalité, ne lui aurait pas été payé; or, les avantages déguisés entre époux sont nuls, en vertu de l'article 1099, et cela est juste, parce que, grâce au déguisement, ils échapperaient à la réduction, en cas d'excès sur la portion dont les époux peuvent disposer l'un à l'égard de l'autre (art. 1094 et 1098); ils échapperaient aussi à la révocation toute particulière à la donation entre époux et que la loi permet au donateur de faire quand il lui plaît (art. 1096).
172. Les auteurs croient, en général, justifier la prohibition de la vente entre époux, en disant seulement que la loi a craint les avantages inuirects, consistant dans l'inégalité du prix par rapport à la valeur de la chose, soit en plus, soit en moins, le prix étant d'ailleurs supposé payé tel qu'il a été fixé.
S'il a été fixé inférieur à la valeur réelle de la chose, c'est le vendeur qui fait une donation indirecte; s'il a été fixé au-dessus de cette valeur, c'est lui qui est donataire indirect. Dans ces deux cas, la donation n'est pas déguisée, puisque rien n'est caché, rien n'est trompeur: on peut toujours comparer la valeur de la chose avec le prix de vente. Et, comine la donation n'est pas déguisée, elle pourra être révoquée par le donateur qui se fera rendre le prix pour ce qu'il a payé en trop, comme acheteur, ou compléter le prix pour ce qu'il a reçu en moins, comme vendeur. En outre, si elle excède la portion de biens disponible entre époux, elle pourra être réduite, sur la demande des héritiers (a).
Ce n'est évidemment pas cette donation indirecte que la loi a voulu éviter, en prohibant la vente entre époux, puisqu'on voit qu'elle ne présente aucun danger de fraude, au moins irrémédiable; ce qui prouve encore bien plus clairement que ce n'est pas là la crainte de la loi, c'est que, dans les trois cas exceptionnels où elle permet, sous le nom de vente, la dation en payement, elle réserve “le droit des héritiers, s'il y a avantage indirect.” Et, en effet, la dation en payement, dans les cas où elle est permise, peut cependant présenter une inégalité manifeste entre la valeur de la chose donnée en payement et le montant de la dette qu'on a voulu éteindre.
On attribue généralement encore, un autre motif à la prohibition de la vente entre époux, c'est la crainte que celui des conjoints qui serait grevé de dettes au delà de son avoir ne se serve de ce contrat pour mettre ses biens à l'abri de la saisie de ses créanciers: ce serait alors une vente simulée dont il ne recevrait pas le prix, sauf à se faire donner par son conjoint une reconnaissance que le bien reste sa propriété. Il pourrait même arriver qu'avant de s'endetter l'époux aliénat son bien à son conjoint, et empruntât à des tiers avant que la mutation de propriété fût connue.
Sans doute, une pareille fraude ne serait pas invraisemblable, mais elle ne serait pas dénuée de sanction: on a vu dans les articles 360 et suivants du Projet (art. 1167 du Code franç.) que les créanciers peuvent attaquer les actes faits en fraude de leurs droits et qu'ils ont à cet égard une action dite “révocatoire.” C'est déjà un système législatif bien rigoureux que celui qui, pour prévenir une fraude possible, commence par prohiber l'acte qui, eu égard à la qualité des personnes, peut la favoriser davantage; encore faudrait-il que ce sonpçon de fraude ne pût être démenti par les faits; or, il y aurait de nombreux cas de vente entre époux d'une solvabilité parfaite et ne donnant aucun lieu à ce soupçon de fraude vis-à-vis des créanciers.
Nous ne donnerons pas de la prohibition de la vente entre époux un troisième motif qui serait la crainte de l'influence qu'un époux peut exercer sur l'autre, laquelle lui ôterait la liberté de refuser le contrat proposé.
Nous ne croyons pas que ce motif soit entré dans les vues du législateur français. Si cette influence était tellement à craindre, ce n'est pas seulement la vente qui devrait être défendue entre époux, et la dation en payement qui y ressemble, ce seraient encore le prêt, l'échange, la société, le louage, et surtout la donation; or, cette prohibition générale des contrats entre époux n'existe pas en droit français et nous ne proposerions pas non plus de l'établir au Japon.
173. Reconnaissons donc que c'est la donation déguisée sous forme de vente, avec quittance mensongère du prix, qui justifie le mieux, dans la loi française, la disposition prohibitive de la vente entre époux, et que c'est cette fraude, toujours possible et toujours difficile à découvrir, qu'elle a voulu prévenir par une prohibition qui est absolue et sans exception.
Ce motif ayant au Japon la même force qu'en France, la prohibition de la vente y sera absolue aussi: elle s'appliquera aux meubles comme aux immeubles et elle ne comportera pas d'exception.
La seule exception qu'on aurait pu admettre eût été le cas où les époux, se trouvant dans l'indivision, auraient voulu en sortir, l'un cédant sa part à l'autre. Mais il y aurait toujours eu à craindre que le prix de cette part ne fût pas réellement payé et qu'il n'y eût ainsi donation déguisée et faite en fraude de la loi qui restreint des donations entre époux.
La loi n'excepte pas non plus les ventes faites aux enchères publiques, sur saisie ou autres, où l'un des époux se porterait adjudicataire des biens de l'autre, comme plus offrant et dernier enchérisseur: il y aurait toujours à craindre que l'adjudicataire ne payât pas réellement le prix d'adjudication et pourtant en reçût quittance.
174. Arrivons à la dation en payement (datio in solutum), également prohibée entre époux et pour les mêmes motifs que la vente.
La dation en payement n'est pas une vente, parce qu'il n'y a pas de prix fixé et dû en argent: celui qui aliène peut être, il est vrai, débiteur d'une somme d'argent, mais il peut l'être aussi de toute autre valeur, peut-être même son obligation est-elle de faire ou de ne pas faire, et il doit trouver sa libération totale ou partielle comme prix de son aliénation.
Le danger de la dation en payement est à peu près le même que celui de la vente proprement dite; la fraude y prendrait une autre forme, mais elle ne serait pas beaucoup plus difficile à consommer, ni plus facile à déjouer: au lieu de donner une quittance mensongère d'un prix qu'il ne recevrait pas, celui qui voudrait aliéner se reconnaîtrait préalablement débiteur d'une dette imaginaire, et la libération fictive ou simulée de cette dette serait la fraude que la loi redoute.
Le Code français n'a permis la dation en payement entre époux que dans trois cas, où il a reconnu que la dette qu'il s'agissait d'éteindre, par la dation d'un meuble ou d'un immeuble, était sincère, avait “une cause légitime.” Il aurait pu se borner à cette condition de la légitimité de la dette et ne pas en enfermer l'application dans trois cas qui peuvent n'être pas les seuls à se présenter.
C'est ce que fait le Projet japonais: il permet la dation en payement chaque fois que “la dette est sincère et légitime."
175. Mais comme il serait encore facile aux époux de feindre une dette antérieure, par exemple un prêt qui n'aurait jamais eu lieu, la loi veut que le contrat soit soumis à l'approbation, à l'homologation du tribunal. C'est un cas de justice gracieuse ou non contentieuse: il n'y a pas procès, les époux présentent une requête au tribunal, avec justification, tant des causes de la dette que de celles de la dation en payement, et le tribunal autorise le contrat ou refuse de l'approuver.
Il y a dans le Code français des exemples de cette intervention du tribunal dans les contrats intéressant les mineurs, les interdits et les époux (v. art. 458, 484, 599, 1558 et 1559); le Projet fait moins ici une innovation qu'une application nouvelle de cette théorie.
Avec l'intervention du tribunal, un grand nombre de fraudes seront évitées: l'autorisation de vente ne sera accordée que s'il paraît bien évident au tribunal que la dette n'est pas simulée, qu'elle existe légitimement et sincèrement; telle serait, par exemple, une dette dont un époux serait tenu envers l'autre, comme héritier du débiteur de celui-ci.
La loi ne dit pas quelle sera la forme de cette requête: elle devra évidemment être signée par les deux époux. Il sera bon qu'elle soit communiquée au ministère public qui contrôlera les allégations des parties.
Le Code de procédure civile règlera les formes de la juridiction gracieuse.
L'autorisation une fois donnée ne pourrait plus être rétractée, le contrat étant devenu définitif.
La loi nous dit que la dation en payement n'est par faite qu'après l'autorisation; il en faut conclure que jusque-là chacun des époux peut renoncer au projet de contrat et sans aucune indemnité, sans perdre d'arrhes, lors même qu'il en aurait été donné.
Enfin, l'autorisation ou homologation étant une des conditions essentielles de l'acte, elle devra être mentionnée dans la transcription, s'il s'agit d'un droit réel immobilier. La loi pourrait se dispenser de rappeler cette application d'une théorie générale, mais son importance justifie ce surcroît de précautions.
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(a) La portion disponible ne se calculant que d'après les biens laissés par le donateur, à son décès, ce sont ses héritiers seuls qui peuvent demander la réduction. Quant au donateur lui-même, la révocation entière et absolument facultative lui appartient, comme il est dit plus haut.
Art. 673. — 176. Tout le monde n'est pas d'accord en France, sur le caractère de la sanction qui doit être attachée à la prohibition de la vente entre époux. La loi ne s'en étant pas expliquée, on ne peut trouver la sanction qu'elle a dû sous-entendre qu'en se reportant au motif principal de la prohibition, et comme les auteurs sont divisés sur ce motif, ils le sont aussi sur ses suites.
Si la loi ne craignait, comme on le dit trop souvent, que les avantages indirects, c'est-à-dire résultant de l'inégalité de la valeur reçue par l'un des époux avec la valeur par lui fournie, elle n'aurait pas à annuler la vente: il lui suffirait d'autoriser la révocation de cet avantage par l'époux qui l'a procuré (art. 1096, 1er al.) et la réduction à la portion disponible par ses héritiers (art. 1099, 1er al.); cette dernière sanction est la seule que la loi française attache à la dation en payement contenant “avantage indirect,” lorsqu'on est d'ailleurs dans un des cas où cette opération est permise (voy. art. 1595, dern. al.).
Mais la somme stipulée comme prix de vente, même égale à la valeur réelle de la chose, peut ne pas être véritablement payée, quoiqu'il en soit donné quittance; de même, dans la dation en payement, hors des cas où elle est permise, la dette qu'il s'agit d'éteindre peut étre simulée et mensongère; ce ne sont donc plus, des avantages indirects que craint la loi, mais des arantages déguisés; l'action, dès lors, ne doit plus tendre seulement à la réduction, mais à la nullité, et déjà l'article 1099, 2e alinéa du Code français, l'avait déclaré pour tous les cas de déguisement; or, la vente et la dation en payement sont les plus faciles moyens de déguiser une donation.
177. Il va de soi que la nullité dont il s'agit ici n'est pas de celles qu'on appelle absolues et qui empèchent la convention de se former: elle ne se rapporte pas au défaut d'une des conditions d'existence des conventions énoncées à l'article 325; ce ne peut être qu'une nullité ou rescision fondée sur l'incapacité de contracter, telle qu'elle est réglée en France par les articles 1304 et suivants et dans le Projet japonais par les articles 566 et suivants.
Mais il reste à savoir si cette action en nullité appartient aux deux époux ou seulement à celui qui a fait la vente ou la dation en payement prohibée.
On décide généralement, en France, que la loi, procédant d'une façon générale, en prohibant le contrat de vente entre époux, déclare ceux-ci, par cela même, tous deux incapables, l'un de vendre, l'autre d'acheter, et on prétend que l'action en nullité appartient à chacun des contractants.
178. Rien n'est moins logique; l'action en nullité ou en rescision, en général, n'appartient qu'à celui que la loi a voulu protéger: elle n'appartient pas à ceux qui ont contracté avec lui (C. fr., art. 1125, 2° al; Proj. jap., art. 310). Or, la loi n'a voulu protéger ici que l'époux qui s'est dépouillé gratuitement de son bien, sous le semblant d'une vente ou d'une dation en payement: nous avons plusieurs fois démontré que c'est lui seul qui court un danger, c'est donc aussi lui seul qui doit avoir l'action. Le texte de notre article 673 est rédigé en ce sens.
La loi donne aussi l'action aux héritiers, pour le cas où l'époux ne l'aurait pas exercée lui-même de son vivant, et à ses créanciers, pour le cas où il la négligerait à leur préjudice; et notons bien que, dans ce cas, ce n'est pas l'action révocatoire (C. fr., art. 1167; Proj. jap., art. 560), mais l'action dite “indirecte ou oblique” par laquelle les créanciers font valoir les droits de leur débiteur (C. fr., art. 1166; Proj. jap., art. 359).
Enfin, le texte termine en déclarant cette action soumise aux règles générales de l'action en nullité ou en rescision (art. 566 et suiv.). Ainsi, l'action dure cinq ans (au lieu de dix, comme en droit français), mais ces cinq ans ne courent pas, tant que dure le mariage; le contrat annulable peut être ratifié ou confirmé, après la dissolution du mariage (art. 577 et s.), etc.
Art. 674. — 179. La loi doit toujours empêcher, autant qu'il lui est possible, que l'homme se trouve placé entre son intérêt et son devoir. Quand la loi porte des ordres ou des injonctions pour faire prévaloir le devoir sur l'intérêt, elle n'est pas toujours sûre d'être strictement obéie; mais lorsqu'elle procède par prohibitions ou défenses, le résultat est plus facile à atteindre. C'est ce qui a lieu dans la défense d'acheter faite à certaines personnes.
Le Projet a cherché ici une forme plus simple et plus générale que celle du Code français; au lieu d'énumérer: les tuteurs, les mandataires, les administrateurs des communes, etc., il pose une règle prohibitive pour tous “les mandataires ou administrateurs, légaux, judiciaires ou conventionnels.”
Comme administrateurs légaux on peut citer, les tuteurs des mineurs ou des interdits; le père, lorsqu'il gère les biens de ses enfants, même sans en être tuteur; le mari (déjà compris dans l'article 672); les ministres, préfets et maires; les administrateurs des douanes, postes, télégraphes, hospices, prisons, etc.
Le texte de notre article a cru devoir s'expliquer au sujet des officiers publics qui participent aux ventes publiques; cette prohibition s'applique surtout aux greffiers et à leurs commis, et au juge chargé de présider les enchères dans les ventes sur saisie: ce sont des mandataires légaux. Le Code français de Procédure civile a une pareille disposition (art. 711).
Comme administrateurs judiciaires, on compte les séquestres, les administrateurs de successions vacantes, les syndics de faillite.
Enfin, les administrateurs conventionuels, appelés plutôt mandataires, peuvent être généraux ou spéciaux.
A tous ces mandataires la loi défend de “se rendre acquéreurs des biens qu'ils sont chargés de vendre.”
Etant chargés, par la loi, par la justice ou par le propriétaire, de vendre le bien d'autrui, leur devoir est de faire tout ce qui dépend d'eux légitimement pour que le prix de vente soit porté au chiffre le plus élevé possible; mais leur intérêt, s'ils pouvaient acquérir, serait que le prix fût le plus bas possible.
Pour éviter qu'ils ne manquent à leur devoir en faveur de leur intérêt, la loi leur défend d'acquérir.
180. Au premier abord, on ne comprend guère comment la vente pourrait se faire, quand bien même elle ne serait pas prohibée: le tuteur, évidemment, ne pourrait se vendre à lui-même, signer le contrat comme vendeur et comme acheteur; pareille impossibilité semble exister pour les administrateurs judiciaires et conventionnels.
Voici pourtant une première application de la prohibition: le plus souvent, les biens des incapables et des administrations publiques doivent être vendus aux enchères publiques; on comprendrait donc que le tuteur ou les autres mandataires se portassent adjudicataires, comme toute autre personne; mais la loi ne le permet pas, parce qu'il leur serait trop facile de déprécier les biens, pour les acquérir à bas prix; rien n'est plus aisé que de faire courir, dans le public qui pourrait acheter un bien, de faux bruits de nature à détourner les acheteurs, comme des dangers de procès au sujet de ces biens. On comprend donc la défense d'acquérir pour ces personnes, et la loi dit, en effet, qu'elles “ne peuvent acheter aux enchères,” là où elles n'auraient pas d'ailleurs à signer le contrat comme vendeurs.
Voici encore une application de la prohibition: les autres gardiens des droits et intérêts des incapables ou des administrations publiques, le conseil de famille pour les uns, le conseil départemental ou municipal pour les autres, ne pourraient valablement, par une délibération, vendre “à l'amiable" à l'administrateur, lors même que l'on se trouverait dans des cas où une vente amiable peut être faite par ces conseils.
Il y a pourtant un cas où un mandataire pourrait acquérir à l'amiable le bien qu'il a été chargé de vendre, c'est celui où il l'achèterait directement du mandant, en traitant avec lui; mais on comprend qu'alors le mandat aurait cessé: du moment que le mandant aurait luimême passé le contrat à son mandataire, il aurait repris la gestion de son bien.
181. La loi défend l'acquisition par interposition de personnes, comme l'acquisition directe et nominative: il est clair que le danger est le même et plus grand encore, s'il est possible, puisqu'il y a simulation d'un acte licite.
La loi ne va pas jusqu'à présumer que certaines persondes sont interposées, comme le Code français le fait, non en cette matière, mais en matière de donation prohibées (art. 911 et 1100). Ce sera donc une question de fait à résoudre par les tribunaux, d'après les circonstances. Assurément, il sera facile de reconnaître l'interposition de personnes quand l'acquéreur sera le père, le fils ou la femme de l'administrateur; mais cette complaisance pourra encore être établie, en dehors de la parenté ou de l'alliance.
Art. 675. — 182. Ici, de même que pour la prohibition des ventes entre époux, la loi croit devoir déterminer à qui appartient l'action en nullité; on ne peut pas dire ici que l'action appartient à l'incapable: ce serait le favoriser au lieu de le punir, puisqu'il bénéficierait du contrat ou le ferait annuler, suivant que le résultat lui paraîtrait favorable ou non. L'action n'appartient évidemment qu'à celui-là seul que la loi a voulu protéger, à celui qu'elle appelle “ l'ancien pro subsiste et il y a un nouveau propriétaire.
Art. 676. — 183. Voici encore une prohibition d'acquérir fondée sur la crainte que certaines personnes n'abusent de leur situation, de leur pouvoir, pour acquérir un bien dans des cas où le propriétaire pourrait préférer ne pas l'aliéner, ou ne l'aliéner qu'à des conditions plus favorables qu'il voudrait stipuler s'il était plus libre.
Mais il ne s'agit ici que de droits, réels ou personnels, sur lesquels il y a déjà quelque contestation, sinon déjà portée devant les tribunaux, au moins de nature à leur être vraisemblablement soumise.
La loi défend l'acquisition de ces droits par les personnes qui, à raison de leurs fonctions ou de leur ministère plus ou moins forcé, pourraient exercer une influence sur la décision, ou au moins pourraient donner au titulaire des droits contestés une appréciation de nature à l'égarer. Ces personnes pourraient exagérer les dangers de perdre le procès et proposer d'en acquérir l'objet à vil prix, sauf ensuite à le faire valoir en justice avec plein succès et à leur profit.
Cette prohibition a pour but d'abord de mettre à l'abri de toute atteinte et de tout soupçon la dignité des personnes contre lesquelles elle est édictée; elle est fondée aussi sur un motif d'équité à l'égard tant du cédant qui pourrait être facilement abusé que du cédé, c'est-à-dire de celui avec lequel la contestation existe ou est prévue et qui pourrait être jugé avec une partialité défavorable.
La prohibition à l'égard des avocats est plus utile qu'à l'égard des magistrats, parce qu'il y a de la part des avocats au Japon une habitude de se faire céder une partie des droits qu'ils sont chargés de faire valoir. En France, la loi a la même sévérité et, outre la sanction de la nullité, il y a des peines disciplinaires sévères outre les membres du barreau qui se font intéresser au procès.
La loi comprend dans la prohibition les notaires, de création récente (b): il est bon, pour assurer la dignité et la considération de la nouvelle corporation, que ses membres s'abstiennent de tous actes qui leur donneraient un intérêt contraire à celui de leurs clients.
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(b) La prohibition avait été proposée par avance, lors de la première rédaction; maintenant que la loi sur le notariat est pro. mulguée, elle a tout son intérêt.
Art. 677. — 184. La sanction de la prohibition est toujours une action en nullité ou en rescision de la vente qui n'est pas radicalement nulle.
Cette action n'appartient pas à l'incapable, mais à ceux-là seuls que la loi a voulu protéger, c'est-à-dire au cédant et au cédé.
La loi s'explique formellement en faveur du cédé, pour que son droit à l'action en nullité ne fasse pas doute, comme en France, où il peut récuser le juge cessionnaire (v. C. proc. civ. art. 378); en effet, dans la pensée de la loi, il est toujours à craindre que le tri que celui-ci n'est qu'un des auxiliaires de la justice.
185. Outre l'action en nullité, la loi accorde au cédé une faculté spéciale dite “retrait litigieux.”
L'expression de retrait était très-usitée dans l'ancien droit français et s'appliquait à un genre d'actes juridiques alors fréquents, devenus rares aujourd'hui et peu favorables dans ce qui en subsiste.
On appelait"retrait” l'acte par lequel une personne prenait pour son compte l'acquisition d'une autre, en vertu d'un droit antérieur ou d'un privilége fondé sur sa qualité. C'est ainsi qu'on avait:
1° Le retrait féodal, par lequel le seigneur féodal prenait pour lui l'achat d'un bien vendu par son vassal;
2° Le retrait lignager, par lequel un héritier de la ligne paternelle ou maternelle se faisait subroger à l'acheteur d'un immeuble aliéné par son auteur, lorsque l'immeuble était advenu audit auteur par succession à un parent de la même ligne: c'était un moyen de conserver les immeubles dans les mêmes familles.
Il y avait quatre autres retraits qui subsistent encore aujourd'hui:
1° Le retrait conventionnel ou faculté de rachat de la chose vendue: on le retrouve plus loin (art. 722 et s.);
2° Le retrait successoral, par lequel un des héritiers prend pour lui l'achat d'une part héréditaire vendue par son cohéritier à un étranger: le but est d'exclure du partage un étranger qui a pu vouloir s'immiscer dans les secrets d'une famille (v. C. civ. fr., art. 811);
3° Le retrait d'indivision, par lequel la femme mariée qui a été avec un tiers co-propriétaire indivise d'un bien dont le mari a acquis la totalité, aux enchères ou à l'ariable, prend pour elle l'acquisition totale, en remboursant à son mari ce qu'il a payé, tant à elle qu'à son copropriétaire (ibid., art. 1408): le but de ce retrait est de permettre à la femme de conserver un bien auquel elle pouvait être attachée et que son mari a pu acquérir au préjudice de celle-ci, en la dissuadant də l'acheter;
3° Il y a enfin le retrait litigieux qui seul se place ici et doit nous occuper un instant.
La loi française, suivant une ancienne tradition romaine, n'est pas favorable aux acheteurs de droits contestés ou litigieux, parce qu'ils spéculent sur la crainte des procès, se font céder, le plus souvent à vil prix, des droits sur lesquels il y a contestation et, courant le risque de perdre leur prix d'achat, poursuivent ensuite le procès pour leur compte, avec plus de rigueur que n'en aurait mis le cédant.
Pour déjouer ces calculs peu honorables, la loi française permet à celui contre lequel ont été cédés les droits prétendus, de désintéresser l'acheteur, en lui remboursant ce qu'il a payé, avec les intérêts, ce qui met fin à la contestation: par cela même que la cession est généralement faite à vil prix, le cédé peut ainsi être quitte à bon marché, et il préfèrera souvent ce léger sacrifice certain à la continuation d'un procés dont l'issue est aléatoire et peut être très-onéreuse pour lui.
Tel est le retrait dit "litigieux” qne la loi française permet d'une façon générale (sauf trois exceptions) contre toute personne qui s'est rendue cessionnaire de droits litigieux (voy. C. civ., art. 1699 à 1701).
On pourrait, avec quelque raison, critiquer la loi française de ce qu'elle permet d'infirmer, dans un intérêt privé, une convention consentie librement et sans fraude; il est vrai que l'intérêt public souffre de la multiplicité et de la durée des procès et que la loi peut raisonnablement prendre quelques mesures pour les prévenir ou les faire cesser; mais, quand un procès est né régulièrement, le changement d'intéressé n'est pas une raison suffisante pour faire intervenir l'autorité de la loi.
On ne proposera donc pas de reproduire dans le Projet japonais toute l'application que la loi française fait du retrait litigieux; on le conserve seulement dans le cas de notre article 676, parce qu'alors le cessionnaire est vraiment peu intéressant et fait une spéculation peu honorable; c'est même ici un acte prohibé, tandis que l'acquisition de droits litigieux par un simple particulier, si elle n'est pas favorable aux yeux de la loi, n'est pas du moins prohibée par elle.
Le Projet, n'admettant pas le retrait litigieux contre les particuliers cessionnaires de droits contestés, n'aura guère à s'occuper de cette cession; il en sera seulement fait mention pour dire que le cédant n'est pas soumis à la garantie d'existence des droits cédés (voy. art. 805–806).
L'application du retrait litigieux aux acquisitions prévues par notre article n'est pas restreinte par les trois exceptions que porte l'article 1701 du Code français. Ces exceptions, écrites pour le cas de cession faite à un particulier et coutre laquelle il n'y a pas de prohibition véritable, ne seraient plus justifiables s'il s'agissait de vente faite aux personnes que leurs fonctions rattachent plus ou moins directement à l'ordre judiciaire: elles se trouveraient toujours placées entre leur devoir et leur intérêt, ce que la loi n'a pas voulu (c).
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(c) Le Code italien n'a pas eu la même crainte; la prohibition qui nous occupe y reçoit les trois mêmes exceptions que le retrait litigieux, à savoir: l'achat par un cohéritier ou copropriétaire, l'acquisition en payement d'une dette, l'acquisition par le possesseur (comp. art. 1458 et 1548). Assurément, l'acheteur a ici une cause légitime d'acquérir qui éloigne le soupçon de spéculation; mais cela n'éloigne pas le danger de tentatives d'influences sur l'esprit des juges et de lutte entre l'intérêt et le devoir.
COMMENTAIRE.
Art. 678. — N° 186. Ici encore, on n'a pas cru utile de poser en principe, comme le Code français, que “tout ce qui est dans le commerce peut être vendu”: cette disposition était inutile dans le Code français, à cause de la règle générale posée déjà, dans l'article 1128, pour tous les contrats; elle ne serait pas moins inutile dans le Projet japonais, à cause de l'article 325-2° qui ne permet de contracter que “sur des choses dont les parties aient la disposition.”
Il fallait seulement indiquer les conséquences d'une vente de chose hors du commerce ou la sanction de la règle; tel est l'objet principal de cet article.
Le 1er alinéa indique d'abord deux classes de choses qui, par exception, ne peuvent être vendues: 1° celles qui, par leur nature, sont hors du commerce général, comme les biens du domaine public (voy. art. 25), les droits de famille, les fonctions publiques, etc.; 2° celles dont la disposition est interdite par une loi spéciale, toujours pour des raisons d'intérêt général ou d'ordre public, mais qui demandaient que le législateur s'en expliquât. De ce nombre sont les successions non ouvertes (art. 342), les armes de guerre et les armes prohibées, les objets contraires aux bonnes mœurs.
La vente de pareils objets n'est pas annulable, mais absolument nulle: elle n'est pas viciée, mais inexistante. La loi en tire la principale conséquence, c'est que chaque partie peut se prévaloir de cette nullité, ce qui ne serait pas, si la vente n'était qu'annulable, car la nullité alors ne pourrait être invoquée que par la partie que la loi aurait voulu protéger. Ici, la loi ne prétend protéger aucune partie, mais garantir l'ordre public, sauvegarder l'intérêt général.
187. Chaque partie a d'abord le droit d'opposer une exception ou fin de non-recevoir, une défense à l'action qui serait dirigée contre elle pour obtenir l'exécution du contrat: l'acheteur actionné en payement opposera la nullité de la vente; le vendeur actionné en délivrance la refusera en invoquant la nullité.
Chaque partie a également, après l'exécution, le droit d'action pour faire remettre les choses en l'état ou elles étaient avant la vente et avant l'exécution: l'acheteur répétera le prix qu'il a payé sans cause légitime, puisqu'il n'a rien pu acquérir; le vendeur revendiquera la chose, si elle lui appartenait ou, au moins, il exercera l'action possessoire, s'il n'était que possesseur. Chacun ne pourra triompher dans son action qu'en restituant ce qu'il a reçu: l'acheteur, la chose livrée, le vendeur, le prix reçu.
Nous disons que le vendeur a la revendication ou l'action possessoire; c'est qu'en effet, la circonstance qu'une chose est hors du commerce n'est pas toujours un obstacle à ce qu'un particulier en ait la propriété et surtout la possession; mais, s'il y avait eu vente d'un droit à une succession future ou non ouverte, d'une fonction publique, d'une qualité constitutive d'un état civil, le vendeur ne pourrait pas, à proprement parler, revendiquer la chose vendue, par le double motif qu'elle n'est pas dans ses biens et que l'acheteur ne la possède pas puisqu'elle est incorporelle; seulement, il pourrait toujours, s'il n'avait pas l'occasion de se défendre par une exception opposée à une prétention de l'acheteur, intenter contre lui une action pour faire juger et déclarer que la vente est pulle, afin que l'acheteur ne puisse s'abuser sur son droit et susciter plus tard des embarras à lui vendeur ou à ses héritiers.
188. Le dernier alinéa réserve le droit à une indemnité, mais celle-ci est très-limitée dans son application. En principe, il ne faudrait pas croire que le vendeur ait plus de responsabilité de cette vente que l'acheteur: on doit admettre que les deux parties ont autant de facilité l'une que l'autre à connaitre la prohibition de la vente, puisqu'elle tient à la nature même de la chose vendue. Mais, comme il est possible que l'une des parties ait employé un dol, des manauvres frauduleuses, pour déterminer l'autre à contracter, en faisant croire que la chose était susceptible d'être vendue, il est juste que ce dol soit puni par la réparation du tort qu'il a causé. Le plus souvent, ce dol émanera du vendeur qui, pour obtenir un prix de vente, aura abusé l'acheteur sur le caractère de la chose.
La loi n'a pas réservé, comme allant de soi, le droit du vendeur à la restitution du prix. Nous venons d'établir qu'elle est la conséquence de la nullité de la vente: lo prix a été payé sans cause.
Art. 679. — 189. Cette disposition est empruntée au Code français (art. 1599), oui, par sa brièveté, elle donne lieu à bien des difficultés. Le Code italien l'a reproduite (art. 1459), en tranchant la plus importante des questions soulevées, mais dans un sens opposé à celui du Projet.
La présente nullité rappelle celle, déjà rencontrée, du legs de la chose d'autrui (art. 650). Le motif n'est pas exactement le même.
Il convient de signaler d'abord une profonde différence à cet égard, entre le droit romain et les législations modernes, et on comprendra facilement que la vente de la chose d'autrui qui était permise chez les Romains ne puisse plus l'être aujourd'hui.
En droit romain, le vendeur ne contractait qu'une obligation, l'acheteur n'acquérait qu'un droit personnel; cela a déjà été remarqué sur le premier article de ce Chapitre, au sujet de la définition de la vente.
Mais quel était l'objet de cette obligation ? On croirait, d'après les idées modernes, que c'était l'obligation de transférer la propriété; mais c'était simplement celle de livrer la chose, de mettre l'acheteur en possession.
Pourquoi le vendeur n'était-il pas tenu de transférer la propriété ? On en peut donner plusieurs motifs:
1° La propriété des immeubles d'Italie et de plusieurs sortes de meubles ne pouvait se transférer que par des modes solennels, par des formalités gênantes, avec témoins; or, la nécessité de ces formalités aurait pu, dans bien des cas, être un obstacle à la vente: on se contenta donc d'une simple mise en possession;
2° Les fonds provinciaux, ceux des pays conquis par les Romains en dehors de l'Italie (Gaule, Espagne, Grèce, Afrique, Asie), n'étaient pas susceptibles de propriété civile proprement dite: les particuliers ne pouvaient en acquérir que la possession, et la propriété en appartenait au peuple romain ou à l'Empereur, suivant l'époque; le vendeur de ces fonds ne pouvait donc étre tenu de transférer une propriété qu'il n'avait pas lui-même et ne pouvait avoir;
3° Les étrangers ne pouvaient, même en Italie, acquerir la propriété civile, ils ne pouvaient acquérir que la possession.
Voilà donc trois causes qui expliquent suffisamment qu'à Rome le vendeur avait accompli son obligation quand il avait livré à l'acheteur la chose vendue. Or, comme on peut, en fait, livrer la chose d'autrui et que l'avantage est alors pour l'acheteur le même que si elle avait appartenu au vendeur, on décidait, en principe, que l'acheteur ne pouvait se plaindre que lorsqu'il était évincé ou, au moins, menacé de l'être. On faisait, du reste, à cet égard, quelques distinctions entre la bonne et la mauvaise foi du vendeur et celle de l'acheteur; mais il n'est pas nécessaire de les rappeler ici.
Ce qu'il importe de noter, pour la comparaison du droit romain et du droit moderne, c'est que la vente de la chose d'autrui n'était pas nulle.
Elle ne l'était pas non plus dans l'ancien droit français, où l'on suivait le droit romain, en l'absence de coutume formelle contraire.
190. Lors de la rédaction du Code français, on a voulu abroger expressément l'ancien droit; mais les motifs qui ont été donnés de l'article 1599, lors de sa présentation au Conseil d'Etat et au Corps législatif, sont équivoques et révèlent une certaine confusion chez les auteurs de ce Code.
Quelques-uns, comprenant mal la théorie romaine qu'il s'agissait d'abroger, semblaient croire qu'en droit romain, la vente de la chose d'autrui était valable parce qu'elle transférait la propriété, en dépouillant le légitime propriétaire, ce qui les choquait et eût été, en effet, une véritable monstruosité; mais tel n'a jamais été le système romain.
Ceux qui se sont le plus approchés de la véritable raison, sans être d'ailleurs suffisamment précis, n'ont pas indiqué le caractère de la nullité qu'ils proclamaient, en sorte qu'on est très-divisé en France, sur le point de savoir s'il s'agit d'une nullité radicale et absolue, pouvant être invoquée par les deux parties, ou seulement d'une nullité relative, établie dans le seul intérêt de l'acheteur et ne pouvant être invoquée que par lui.
C'est le caractère de cette nullité que nous avons à examiner d'abord; les conséquences en seront ensuite faciles à déduire.
Il y a des nullités établies en faveur d'une seule des parties, pour la protéger: telles sont les nullités résultant de l'incapacité ordinaire et des vices du consentement; celles-là ne peuvent être invoquées que par la personne incapable ou dont le consentement a été vicié, parce que c'est la seule partie que la loi a voulu protéger (voy. art. 340).
Nous avons rencontré d'autres applications du même principe, dans les articles 673, 675 et 677, mais avec cette différence que la nullité, au lieu d'être invoquée par l'incapable, l'est contre lui, parce que ce n'est pas lui que la loi a voulu protéger.
Quelquefois la nullité est fondée sur une raison d'ordre public, comme dans les cas prévus à l'article précédent, alors, il est naturel qu'elle puisse être invoquée par les deux parties, c'est la meilleure garantie pour la loi que ses prohibitions soient respectées, puisque chaque partie doit craindre l'action en nullité; c'est ainsi que la nullité des actes civils d'un condamné en état d'interdiction légale peut être invoquée par ceux qui ont traité avec lui et par lui-même (art. 340).
Enfin, la nullité peut tenir à ce que l'une des conditions d'existence de la convention manque au début. Le cas où la chose n'est pas dans le commerce (article précédent) en est déjà un exemple; il y a encore le défaut de formes solennelles, quand la loi en exige (ce qui n'est pas le cas de la vente), le cas du défaut de consentement (ici, il y a eu consentement), enfin, le défaut de cause, d'une cause vraie et licite (art. 325). Or, c'est justement la cause vraie qui manque dans la vente de la chose d'autrui.
191. On a déjà eu occasion (Tome II, pp. 58 et 73, nos 44 et 60) de signaler le défaut de cause dans la vente de la chose d'autrui; c'est l'exemple le plus frappant, le plus simple et le plus pratique de la nullité d'une convention par défaut de cause.
Voyons, en effet, quelle est la cause du contrat de vente pour chaque partie.
On sait que la cause d'une convention est la raison qui détermine directement et immédiatement une partie à contracter (ibid., no 45); les motifs, qu'il ne faut pas confondre avec la cause, ne sont plus que des raisons médiates et éloignées (ib. n° 62).
Or, quand une personne consent à acheter, c'est parce qu'elle désire devenir propriétaire, actuellement et immédiatement, par le seul effet du contrat; elle ne se contente plus, comme à Rome et dans l'ancien droit français, de devenir créancière de la livraison, elle veut et elle compte obtenir la propriété.
Pourquoi veut-elle devenir propriétaire ? Cela importe peu, ce peut être pour habiter, pour établir une industrie, pour spéculer; ce sont là les motifs: l'erreur sur le motif ne vicie pas le contrat, à moins qu'il n'y ait dol de l'autre partie (voy. art. 330, 2e al.).
Quelle est la cause chez le vendeur? C'est le désir, la volonté d'acquérir un prix en argent, ou même une simple créance du prix, car le prix peut ne pas être payable de suite.
La vente ne serait jamais nulle faute de cause, du chef du vendeur seul, car il acquerrait toujours une créance du prix, si la vente n'avait pas d'autre vice. Mais elle peut être nulle faute de cause, du chef de l'acheteur; c'est quand il ne peut devenir propriétaire par le seul effet du contrat, ce qui justement est le cas, lorsque la chose n'appartient pas au vendeur. Dès lors, si l'acheteur n'a pas de cause de donner un prix, le vendeur n'a pas de cause de donner la chose: la vente est donc nulle pour et contre les deux parties.
On arriverait encore à reconnaître la nullité radicale de la vente de la chose d'autrai, en remarquant qu'elle a pour objet une chose qui “n'est pas à la disposition du vendeur” qui “n'est pas dans son commerce” (voy. Tome II, p. 58, n° 44). Mais il est préférable, comme plus simple et plus usité, de fonder la nullité sur le défaut de cause.
192. La conséquence naturelle et nécessaire est, avons-nous dit, que la nullité peut être invoquée par les deux parties, même par le vendeur, quoiqu'il soit évidemment moins intéressant que l'acheteur, puisque, s'il n'a pas commis de dol, il est au moins en faute de n'avoir pas connu la vérité sur son prétendu droit de propriété.
Le plus grand nombre des auteurs donne à l'acheteur seul le droit d'invoquer la nullité de la vente; il arrive par là, soit à ne pas payer son prix, s'il en est encore temps, soit à le recouvrer s'il a été déjà payé, et il peut obtenir, en outre, des dommages-intérêts. C'est l'opinion consacrée par le Code italien (art. 1459).
D'autres auteurs accordent au vendeur le droit de se prévaloir de la nullité pour ne pas délivrer la chose vendue: ils se fondent sur ce motif qu'il ne doit pas être tenu de consommer un acte qui peut engager sa responsabilité envers le vrai propriétaire; mais ils ne vont pas jusqu'à l'autoriser à reprendre la chose une fois qu'elle a été livrée. Du reste, il serait impossible au vendeur de revendiquer cette chose, puisqu'il n'en est pas propriétaire; il serait non moins difficile de lui accorder l'action possessoire en réintégrande, car cette action n'est donnée que contre celui qui a dépossédé, autrui par violence ou par ruse (art. 216); or, ce n'est pas le fait de l'acheteur qui possède par la volonté même du vendeur.
Pour trouver un cas où le vendeur pourrait, après avoir livré la chose, prétendre la rerendiquer contre l'acheteur, il faudrait supposer qu'il fût devenu propriétaire par une cause postérieure à la vente; par exemple, en achetant du véritable propriétaire ou en lui succédant, ou même que le vrai propriétaire succédât au vendeur et prétendît, tout en se soumettant aux indemnités dont il serait tenu comme héritier du vendeur, exercer son droit antérieur de propriétaire. Ces deux hypothèses sont prévues à l'article 699.
Les auteurs les plus favorables au vendeur n'ont jamais osé aller jusqu'à lui permettre de revendiquer dans ces cas: ils se sont trouvés arrêtés par une règle célèbre déjà citée (Tome II, p. 221, no 216, et p. 863, aux Additions), à savoir que “celui qui doit la garantie “d'éviction ne peut lui-même opérer cette éviction.” Mais alors on ne voit pas pourquoi cette même règle ne serait pas déjà opposée au vendeur, lorsqu'il refuse de livrer, en invoquant la nullité de la vente.
193. L'objection est sérieuse, mais elle n'est pas sans réponse.
Quoique le vendeur soit en faute, il ne doit cependant pas être traité avec trop de rigueur, surtout quand il était de bonne foi lors de la vente; il n'est pas juste qu'il soit à l'entière discrétion de l'acheteur qui pourrait, même après avoir découvert que la propriété appartenait à un tiers, ne pas élever de suite sa réclamation, faire des travaux ou des constructions sur la chose, et se créer ainsi des droits à une indemnité plus ou moins considérable, au cas d'éviction; il pourrait aussi, sans attendre l'éviction, saisir le moment et les circonstances où la chose aurait acquis une certaine QUI NE PEUVENT plus-value et agir en nullité contre le vendeur qui lui devrait l'équivalent de cette plus-value, comme dommages-intérêts.
Pour déjouer ces combinaisons de l'acheteur et prévenir la ruive imméritée du vendeur, le Projet présentera un système entièrement nouveau; ce n'est pas encore le moment de l'exposer en détail: il est renvoyé à la Section suivante. Toutefois, le présent article le faisant déjà pressentir, on doit, pour qu'il soit compris, esquisser ici la théorie nouvelle, sauf à la déve. lopper eu sou lieu (voy. art 697-698).
194. D'abord, si le vendeur était de mauvaise foi lors de la vente, c'est-à-dire, s'il savait que la chose appartenait à autrui, il ne pourra invoquer la nullité de la vente à aucun moment, ni par aucune voie, même par voie d'exception, en refusant de livrer. Il livrera, il recevra son prix, mais il pourra, plus tard, être requis de le restituer, soit quand l'acheteur sera évince, soit même quand celui-ci voudra mettre fin à une situation incertaine. Il devra, en outre, diverses indemnités, si l'acheteur a été de bonne foi lors de la vente (art. 695). La position du vendeur sera très-désavantageuse assurément, mais c'est la conséquence et la punition de sa mauvaise foi.
Hâtons-nous d'ajouter qu'en fait il sera bien rare que l'acheteur croie pouvoir sans danger payer son prix, lorsqu'il aura su à l'origine, ou découvert plus tard, que la chose n'appartenait pas au vendeur: il devra craindre, dans ces cas, que le vendeur ne se mette hors d'état de restituer le prix; mais il pourrait arriver qu'au moment où l'acheteur demande la délivrance et offre de payer son prix, il n'ait pas encore fait cette découverte; c'est alors qu'il est utile de refuser au vendeur le droit d'invoquer la nullité de la vente en la révélant; et l'on ne doit pas s'arrêter à l'objection que, la vente étant radicalement nulle, le vendeur doit pouvoir arguer de cette nullité: il en est privé comme punition de son dol.
Mais le vendeur était de bonne foi au moment de la vente et quand la livraison lui est demandée, avec offre de payement du prix, il a découvert que la chose n'était pas à lui. Le Projet lui permet alors d'invoquer la nullité par voie d'exception (v. art. 697); il pourra bien être condamné à une indemnité, mais elle sera moindre que si l'acheteur avait déjà été mis en possession: celui-ci n'a pas encore fait de dépenses d'établissement et la chose ne peut avoir notablement gagné en valeur. En même temps, le vendeur ne se trouve pas contraint de consommer un acte qui peut être puisible au vrai propriétaire et qui entraînerait encore sa responsabilité vis-à-vis de ce dernier.
Si le vendeur de découvre la nullité de la vente qu'après avoir livré et reçu le payement du prix, estil juste que le hasard qui a retardé sa découverte lui enlève le bénéfice de sa bonne foi et faut-il le laisser indéfiniment sous le coup d'une action en garantie dont l'objet sera double: la restitution du prix et de lourdes indemnités ? On ne l'a pas pensé et l'on proposera bientôt de permettre au vendeur de mettre l'acheteur en demeure, sinon d'exercer son action en nullité, au moins de reconnaître que les indemnités déjà encourues ne seront plus susceptibles de s'aggraver contre le vendeur, soit par une plus-value fortuite, soit par des dépenses de l'acheteur. Elles seront alors constatées et fixées contradictoirement: le vendeur en consignera le montant ainsi que le prix qu'il a reçu, et les intérêts seront perçus par lui, parce que l'acheteur ne peut prétendre jouir en même temps de la chose et du prix (voy, art. 698).
Cette situation durera jusqu'à ce que l'acheteur, ou se décide à invoquer la nullité, ou arrive à la prescription acquisitive qui, le mettant à l'abri de la reven. dication du vrai propriétaire, lui ôtera aussi tout intérêt à se plaindre et à se faire rendre son prix avec indemnité.
Le vendeur aura toujours le droit de retirer les sommes déposées à la caisse des consignations, parce que c'est une offre de règlement qu'il a faite et qui n'étant pas acceptée ne le lie pas (ci-dessus, art. 500). Mais, du moment qu'il aura retiré la consignation, sa responsabilité redeviendra entière, et cela rétroactivement: la plus-value acquise par la chose dans l'intervalle, les travaux et constructions de l'acheteur, seront de nouvelles causes d'indemnité et il ne sera plus affranchi des conséquences de sa vente que par la prescription accomplie au profit de l'acheteur. On ne lui permettra pas de revenir à sa première proposition, en faisant constater les nouvelles indemnités et en consigoant (art. 698): cette inconstance serait abusive.
La position du vendeur sera meilleure, s'il est devenu propriétaire de la chose: il pourra alors mettre l'acheteur en demeure d'opter immédiatement entre une ratification pure et simple de la vente et l'exercice de l'action en nullité, avec règlement actuel et définitif de l'indemnité (v. art. 699): l'acheteur n'aurait plus aucune raison plausible de refuser cette option.
195. Le présent article 679 est écrit pour le cas où la chose vendue appartient en entier à autrui et peut donner lieu à une éviction totale; plus loin, au sujet de la garantie d'éviction, on entrera dans l'examen d'hypothèses intermédiaires ou la chose appartient en partie à antrui et en partie au vendeur, ou même appartient en entier au vendeur, mais est grevée d'usufruit, de servitude, d'hypothèque (v. art. 700 et s.).
Art. 680. — 196. Il est clair qu'une chose qui n'existe pas ne peut être vendue, pas plus qu'elle ne pourrait être l'objet d'aucun autre contrat: cette chose n'est plus “ dans le commerce," elle n'est plus" à la disposition” du vendeur (art. 325-3°) (a).
Si la loi prend la peine de s'en expliquer, c'est surtout pour le cas où la perte n'est que partielle et aussi pour statuer sur la question d'indemnité due ou non à l'acheteur, suivant la bonne ou la mauvaise foi des parties relativement à cette perte.
Supposons, avec le 1er alinéa, la perte totale de la chose, ce qui ne doit guère se comprendre que pour les marchandises ou autres objets mobiliers et pour les bâtiments portant sur un sol non vendu lui-même, car le sol ne peut guère périr en entier; la vente est radicalement nulle faute d'objet: l'acheteur ne payera pas son prix; s'il l'a payé, il le répétera; il ne pourra actionner le vendeur en délivrance. Quant aux dommages-intérêts, il n'en pourra obtenir qu'à deux conditions: 1° qu'il fût lui-même de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ignorât cette perte, 2° que le vendeur la connût.
Il ne faut pas voir une contradiction dans ces deux faits: nullité de la vente et droit de l'acheteur à une indemnité; l'indemnité ne lui est pas due par un effet de la vente, elle est fondée sur le dommage injuste que lui a causé le vendeur: le dommage injuste (délit ou quasi-délit) est une source des obligations, la 34, entièrement distincte et indépendante des contrats (voy. art. 390 à 399).
La supposition de la mauvaise foi de l'acheteur a moins de vraisemblance que celle du vendeur; cependant, on pourrait comprendre qu'un acheteur peu scrupuleux cherchât ainsi un moyen d'obtenir une indemnité d'un vendeur qui serait de mauvaise foi lui-même ou trop négligent: nul doute que, dans ce cas, l'indem. nité lui dût être refusée.
197. Le 22 alinéa prévoit le cas où la chose n'a péri qu'en partie.
Supposons que les deux contractants sont de bonne foi, c'est-à-dire ignorants du fait.
Il ne serait pas juste que l'acheteur fût obligé de payer le prix total en ne recevant qu'une partie de la chose: il peut donc toujours demander et ne manquera pas d'exiger une diminution proportionuelle du prix. '
Il est même possible que la chose ainsi diminuée de quantité n'ait pas pour lui d'utilité ou d'intérêt; il est donc juste de lui permettre de se désister du contrat. La vente n'est pas nulle de droit et même il ne peut la faire annuler par sa seule volonté: la loi l'oblige à justifier que la chose ne répond plus à ses besoins (b). Cette solution, contraire à celle du Code français (voy. art. 1601), paraît nécessaire pour qu'il y ait harmonie entre ce cas et deux autres qui en sont très-voisins: le déficit de contenance (voy. art. 689) et l'éviction partielle d'une portion divise (voy. art. 700).
Si l'acheteur n'a pas ignoré la perte partielle, le texte lui refuse l'une et l'autre action: il mérite peu d'intérêt, car il a pu, connaissant la perte, ne pas demander une diminution de prix, craignant qu'elle ne lui fût refusée et comptant la réclamer ensuite comme un droit acquis.
Lorsque l'acheteur est de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi, ou en faute de n'avoir pas su qu'il vendait comme entière une chose périe en partie, celui-ci peut être tenu, tout en subissant la résiliation ou la diminution du prix, de payer une indemnité à l'acheteur, lequel peut souffrir, au premier cas, de n'avoir pas obtenu une chose sur laquelle il comptait, au deuxième cas, de ne pas l'avoir en entier.
198. Le Code français est resté muet sur la durée de l'action de l'acheteur à fin de résiliation ou de diminution de prix: il semble qu'alors la prescription doive être de 30 ans, ce qui est démesurément long.
On croit devoir ici fixer un délai assez court, dont le point de départ sera la connaissance que l'acheteur a acquise de la perte partielle: deux ans, pour la dimi. nution de prix, six mois seulement pour la résiliation, parce qu'elle est plus grave pour le vendeur qu'une diminution de prix, et surtout parce qu'elle peut dépouiller des tiers acquéreurs, au moins dans certains cas (c).
Pour qu'un tiers puisse être dépouillé par la résiliation, on peut supposer un immeuble acheté en entier, lorsqu'il était péri en partie à l'insu de l'acheteur, puis revendu par celui-ci, pour une part indivise, avant la découverte de la perte: l'acheteur souffre ne n'avoir pas conservé une part aussi considérable qu'il l'espérait; il peut donc demander la résiliation, même au préjudice du sous-acquéreur; celui-ci aurait le même droit contre son propre vendeur, pour ce qui le concerne.
199. Nous terminerons ce qui concerne la perte totale ou partielle survenue avant le contrat, en la comparant avec les mêmes événements arrivant après le contrat, quand il est par et simple ou à terme, ou avant l'arrivée de la condition suspensive, quand le contrat est soumis à cette modalité.
On sait que dans la convention pure et simple ou à terme, la chose promise (vendue, échangée ou donnée) est, pour l'avenir, aux risques du stipulant (acheteur ou donataire) (art. 355). Au contraire, dans la convention soumise à une condition suspensive, les risques sont, jusqu'à l'événement de la condition, pour le promettant (vendeur ou donateur) (art. 439).
Ces deux théories des risques ne sont pas en contradiction avec notre article.
Quand la perte survient après la vente pure et simple ou à terme, cette perte ne peut détruire le contrat, parce qu'il est formé. Ici, la chose était périe avant que la vente se formât, le contrat n'a donc pu naître, faute d'objet.
Quand la vente est sous condition suspensive, elle n'existe pas immédiatement; la perte survenant avant que la condition soit accomplie, empêche donc, comme ici, la vente de se former.
Une sérieuse différence toutefois existe entre les deux cas.
Quand il s'agit d'une vente conditionnelle et de la perte postérieure à la convention, la loi ne met à la charge du vendeur que la perte totale ou celle qui dépasse la moitié de la valeur, en sorte que si la perte n'atteint pas cette gravité, elle retombe sur l'acheteur, parce que, celui-ci ayant les chances de plus-value avant l'événement de la condition, il est juste qu'il soit aussi exposé à quelque danger de perte. Mais ici, où la chose est déjà périe en partie au moment du contrat, cette partie absente, ne pouvant gagner en valeur, ne peut être périe pour l'acheteur: il n'y a ni chances ni risques pour ce qui n'existe pas.
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(a) Nous citons ici l'article 325 corrigé. La 2e condition d'existence des conventions y a été dédoublée: elle était formulée: “un objet certain et dont les parties aient la disposition”; nous avons proposé depuis:
2° Un objet certain ou déterminé,
3° Un objet dont les particuliers aient la disposition.
(b) Par inadvertance, on a omis au texte de notre article 680, 2e alinéa (ligne 3e) les mots: "en justifiant que ce qui reste ne suffit pas à ses besoins.” On les reproduit aux Additions.
(c) La 1re rédaction portait 5 ans pour la diminution du prix et 1 an pour la résiliation. Nous croyons ces délais trop longs, une fois la perte connue.
COMMENTAIRE.
Art. 681. — N° 200. Bien que les deux premiers articles de cette Section ne soient qu'un renvoi au droit commun des contrats, il ne faudrait pas les considérer comme inutiles: ils donnent à la vente sa physionomie entière. La vente, par cela même qu'elle est un des contrats les plus fréquents, doit avoir ici toutes ses règles, soit spéciales, soit générales: elle est elle-même une sorte de type général et commun des contrats à titre onéreux,
Le Code français, comme on l'a déjà remarqué, n'a pas assez mis en lumière le principal effet de la vente qui est la translation de propriété; ce n'est qu'acces. soirement et comme complément de sa définition qu'il mentionne cet effet (art. 1583); en dehors de cet article, il ne présente la vente que comme un contrat productif d'obligations (art. 1582), et les deux Chapitres (ivo et vey qu'il consacre aux effets de la vente sont limités, l'un aux obligations du vendeur, l'autre à celles de l'acheteur. La méthode voulait d'abord qu'ils fussent réunis en un seul Chapitre comme effets du contrat et, dès lors, il était naturel de commencer, comme nous le proposons ici, par l'effet principal, par la translation de propriété suivie de la théorie des risqaes. Quant à la théorie des fautes, elle rentre dans les obligations du vendeur (v. art. 683).
201. On rappellera brièvement, une fois de plus, les dispositions de droit commun auxquelles renvoient ces deux articles.
Si la chose vendue est un corps certain ou individuel. lement déterminé et appartenant au vendeur, la propriété en passe à l'acheteur, par le seul effet du contrat, sans qu'il soit besoin de tradition. C'est la théorie du droit européen moderne, exposée sous l'article 351 et dans ce Chapitre même, sous l'article 561.
Toutefois, cet effet n'a lieu que dans les ventes pures et simples ou à terme; dans la vente sous condition suspensive, la propriété n'est transférée que par l'accomplissement de la condition (art. 428 et suiv.).
Si la condition est résolutoire, la propriété est transférée immédiatement, car on sait que la condition résolutoire n'empêche pas les droits de naître: les effets de la convention sont présents et actuels, ils sont seulement soumis à une éventualité qui peut les détruire.
Quant au terme dont la vente serait affectée, il faut éviter une confusion sur son objet. D'abord, s'il y a terme pour le payement du prix par l'acheteur, il est clair que cette faveur ne peut le priver de l'acquisition de la propriété, elle ne le priverait même pas du droit de demander la délivrance immédiate..
Le terme peut avoir aussi pour objet la délivrance: le vendeur aura donc le droit la retarder; mais alors il devrait attendre de même pour exiger le payement du prix, car l'intention des parties a bien pu être que l'acheteur prît possession avant de payer son prix, mais non qu'il payât avant de prendre possession.
Reste le cas où le terme aurait pour objet, dans l'intention des parties, le transfert de la propriété même; mais il ne faut pas admettre que le terme puisse avoir cet objet: on a établi, au Livre II° (T. 1er p. 82, n° 55), que la propriété peut bien étre sous, condition, mais qu'elle ne peut être à terme, qu'elle ne peut être soumise ni au terme initial (a quo), celui à partir duquel la propriété commencerait, ni au terme final (ad quem), celui à l'expiration duquel la propriété cesserait: la perpétuité est un des caractères distinctifs de la propriété; en effet, un propriétaire temporaire ne pourrait pas disposer;. or, le droit de disposer est l'effet prin. cipal de la propriété.
Nous avons supposé que l'objet de la vente était déterminé individuellement, était un corps certain; s'il s'agissait seulement d'une ou plusieurs choses de quantité, d'une de ces choses qui “se comptent, se pèsent ou se mesurent” (quæ numero, pondere, mensurare consistunt), la propriété ne pourrait plus être transférée que par une opération ultérieure qui serait le mesurage ou le compte, constituant dès lors une détermination individuelle (voy. art. 352, 633 et 642).
202. Le 2° effet de la vente est la mise de la chose vendue aux risques de l'acheteur; mais toujours en distinguant la vente pure et simple ou à terme de la vente conditionnelle, et en supposant aussi qu'il s'agit d'un corps certain, car les choses de genre ou de quantité ne peuvent périr toutes (genera non pereunt).
En voyant ainsi les risques atteindre l'acheteur dans les circonstances mêmes où la propriété lui est acquise, on est porté à croire que l'une des théories est la conséquence de l'autre, et on dit quelquefois, en forme d'axiome”: la chose périt pour le propriétaire" (res perit domino). Mais il y a là une illusion: en fait, il est vrai, les risques sont aujourd'hui pour celui qui est devenu propriétaire, mais ce n'est là qu'une coïncidence en quelque sorte accidentelle résultant du changement introduit dans les temps modernes sur l'acquisition de la propriété. Ce qui prouve que les deux théories sont indépendantes et sans influence l'une sur l'autre, c'est que, dans le droit romain et dans l'ancien droit français, alors que la propriété ne se transférait que par la tradition, les risques dans la vente pure et simple ou à terme étaient déjà pour l'acheteur (v. T. II, p. 148-149, no 138-140 et p. 861-862, aux Additions).
Dans la vente sous condition suspensive, les risques sont pour le vendeur, parce qu'il n'est encore ni débiteur de la chose, ni créancier du prix; il ne peut donc être libéré par la perte de la chose d'une obligation de livrer qui n'est pas encore formée, et comme cette obligation ne pourra plus naître, faute d'objet, la créance du prix ne naîtra pas elle-même, faute de cause (voy, art. 439 et T. II, p. 404 et s., n°S 387 et s.).
Art. 682. — 203. Le précédent article ne règle la translation de propriété, comme effet principal de la vente, qu'entre les parties et à l'égard de leurs ayantcause généraux, héritiers et créanciers. Celui-ci les règle à l'égard de leurs ayant-cause particuliers qu'on a l'habitude de considérer comme des tiers, au moins dans les cas où la vente ne leur est pas opposable.
Ce n'est du reste qu'à l'égard des ayant-cause particuliers du vendeur que la vente peut n'être pas opposable, faute de l'accomplissement de certaines formalités ou conditions; du côté de l'acheteur, il ne se présente aucune difficulté: ses ayant-cause particuliers, ses propres cessionnaires ont ses droits, et la vente ne pouvant leur nuire, puisqu'elle est la base de leur propre acquisition, la loi n'a besoin de prendre aucune mesure pour les protéger.
Mais, il n'en est pas de même du côté du vendeur et de ses ayant-cause particuliers: la loi, dans certains cas, veut qu'ils soit avertis de l'existence de la vente qui a pu précéder le contrat qu'ils feraient avec le vendeur au sujet du même bien.
Ces cas sont au nombre de trois: vente d'immeuble, vente de meuble corporel, vente de créance. Dans les trois cas, il s'agit d'un corps certain ou d'une créance déterminée.
204.—Io cas. Vente d'immeuble. Si l'acheteur ne publie pas sa vente par la transcription, il expose d'autres personnes à traiter ensuite avec le vendeur, comme si celui-ci était encore propriétaire; celles-là, si la vente leur était opposable, quoique leur étant révélée tardivement, se trouveraient exposées à une éviction qu'elles n'ont pu prévoir ni éviter; or, comme elles n'ont commis aucune faute et que le premier acheteur a commis celle de ne pas publier son contrat, suivant le mode organisé par la loi, c'est lui qui sera évincé par les nouveaux acquéreurs, sauf son recours contre le vendeur.
Nous supposons, bien entendu, que les nouveaux acquéreurs se sont eux-mêmes conformés à la formalité de la transcription, sans quoi, ils n'auraient pas de titre à la préférence sur les anciens; le texte exprime qu'ils doivent avoir été de bonne foi, c'est-à-dire avoir ignoré la vente antérieure: ces deux conditions sont déjà exigées par l'article 370.
Il n'est pas nécessaire que les nouveaux ayant-cause du vendeur soient eux-mêmes des acheteurs, ou même des cessionnaires (donataires ou co-échangistes): ils pourraient être des créanciers ayant reçu une hypothèque et l'ayant inscrite, ou même des créanciers chirographaires ayant pratiqué une saisie immobilière et l'ayant transcrite.
205.-II cas. Vente de meuble. Il n'y a pas pour les menbles de transcription ni d'acte analogue, pour en publier la mutation; on peut donc dire qu'en principe la préférence entre deux acheteurs du même meuble appartient au premier contractant, pourvu que la priorité de temps soit bien établie; mais si de deux acheteurs l'un a été mis en possession réelle, c'est à lui que la loi donne la préférence. La possession donne à celui qui l'a obtenue une confiance encore plus grande dans son droit de propriété et il serait trop dur qu'il fát évincé par celui qui n'aurait en sa faveur que la priorité de temps.
Dans ce cas encore, il faut que celui auquel la loi donne la préférence ait été de bonne foi lors du contrat, c'est-à-dire qu'il ait ignoré la première vente (art. 366).
206.-II[ cas. Vente de créance. Les créances sont des choses incorporelles. Il est d'usage de dire qu'elles ne sont pas susceptibles d'une possession proprement dite; mais on a établi le contraire, au sujet de la Possession (voy. art. 193 et T. Ier, p. 338-339, nos 271–272) et du Payement (voy. art. 478 et T. II, p. 503 et s., n° 462 et s.). Cependant, ce n'est pas sur cette possession moins extérieure que celle des choses corporelles que la loi fonde la préférence entre cessionnaires successifs d'une même créance: la préférence appartient à celui qui le premier a fait connaître sou acquisition au débiteur, au cédé. D'abord celui-ci est le principal intéressé; car, si, ne connaissant pas la cession, il a payé à son ancien créancier, il serait trèsinjuste de l'obliger à payer encore au cessionnaire qui se ferait connaître tardivement. Cette signification faite au cédé a encore l'avantage de permettre à celui qui voudrait acheter la créance de s'informer, près du cédé, si le cédant est encore son créancier ou s'il y a déjà une autre cession signifiée.
Enfin, la signification a pour but de prévenir les propres créanciers du cédant qu'ils ne peuvent plus faire utilement, de son chef, une saisie-arrêt sur ladite créance.
Toute cette théorie de la publicité spéciale des cessions de créance a été suffisamment développée et justifiée en son lieu: d'abord, sous l'article 367 (v. T. II, p. 186 et s., nos 175 et s.), ensuite, sous les articles 549 et 550 (v. Ib., p. 702 et s., n°8 617 et s.).
COMMENTAIRE.
Art. 683. — N° 207. Il semble utile d'énumérer les obiigations du vendeur, avant de les exposer successivement en détail.
On rappelle d'abord celle déjà énoncée au $ précédent, de transférer la propriété, lorsque ce résultat n'a pu être produit par le contrat même, c'est-à-dire lorsqu'il ne s'agit pas d'un corps certain, mais d'une chose de quantité. S'il s'agit d'un corps certain, on ne dit pas que le vendeur doive transférer la propriété, puisque cet effet se produit, de plein droit, virtuellement, par la seule force de la convention.
La seconde obligation du vendeur, celle de délivrer la chose vendue, ne doit pas se confondre avec celle de transférer la propriété d'une chose de quantité et cela par deux raisons. D'abord, parce qu'il pourrait y avoir un délai fixé pour la délivrance et ce ne serait pas une raison suffisante pour que le vendeur refusât de déterminer préalablement les choses vendues, pour en fixer la propriété sur la tête de l'acheteur; par contre, les risques passeraient en même temps à la charge de celui-ci: cependant, le tribunal pourrait juger, en fait, qne les parties, en convenant d'un délai pour la déli. vrance, ont entendu par là adopter le même délai pour la détermination des choses vendues.
L'autre raison pour laquelle la délivrance ne doit pas être confondue avec la translation de propriété, même dans le cas de vente de choses de quantité ou fongibles, c'est que le vendeur n'aurait pas rempli son obligation de transférer la propriété, en livrant des choses ne lui appartenant pas; tandis que, s'il n'avait que l'obligation de livrer, comme dans le droit romain et dans l'ancien droit français, la délivrance de choses d'autrui ne serait pas nulle, tant que l'éviction n'aurait pas lieu. · La troisième obligation du vendeur est celle de conserver la chose vendue, en bon administrateur, jusqu'à la délivrance: ce que la loi française exprime par les mots “conserver en bon père de famille” (art. 1137).
La quatrième obligation est celle de garantir de l'éc viction: à la différence des trois autres, elle a quelque chose d'accidentel, car elle fait supposer qu'il y a eu vente de la chose d'autrui, ce qui est un dol ou une faute, un délit ou un quasi-délit.
On pourrait, avec quelques auteurs, ajouter celle d'exécuter les clauses particulières du contrat, mais il n'y a pas à s'y arrêter ici, puisque ces clauses peuvent varier avec chaque contrat; il suffit de rappeler, à cet égard, que “les conventions font loi entre les parties (art. 348). D'ailleurs, la même obligation incombe à l'acheteur.
L'obligation de délivrer la chose et celle de garantir de l'éviction sont les seules dont le présent paragraphe va s'occuper avec quelques délails, et encore ont-elles déjà leurs règles fondamentales dans la matière des Obligations en général (Livre II°, 2e Partie), à laquelle on fera quelques renvois.
La loi n'a pas besoin de reprendre l'obligation du vendeur de conserver la chose jusqu'à la délivrance: il n'y a rien ici de particulier à la vente et cette obligation ne sera pas reprise par le texte, lequel se borne à appliquer l'article 354; cet article doit être complété, pour le règlement de l'indemnité, par l'article 405 qui distingue entre la faute ou la négligence et le dol ou la mauvaise foi, Il va sans dire que cette obligation de garde et de conservation ne s'applique qu'aux choses individuellement déterminées, aux corps certains, soit que la vente les ait eus immédiatement pour objet, soit que la détermination ait eu lieu plus tard.
La théorie des risques qui forme la contre-partie de celle de la garde est aussi la même pour la vente que pour les contrats en général (v. art. 355, 439 et 681).
208. Avant d'aborder les deux obligations an. noncées, il convient de signaler et de justifier deux omissions volontaires de notre article comparé au Code français (art. 1602 et 1625).
I. L'article 1602, impose au vendeur, spécialement, le devoir “d'exprimer clairement ses obligations" et, comme sanction, il veut que "tout pacte obscur ou ambiga s'interprète contre lui.” Il y a là une grave dérogation au droit commun: en général, les clauses obscures s'interprètent contre le stipulant et en faveur de celui qui a contracté l'obligation (C. fr., art. 1162 et Proj. jap., art. 380): or, avec la disposition de l'art. 1602, l'interprétation sera toujours contre le vendeur: d'après le droit commun, s'il est créancier, et d'après la disposition exceptionnelle de cet article, s'il est débiteur.
On a donné de cette sévérité une raison qui ne semble pas bien fondée, en fait, et qui l'est encore moins en droit: on a dit que c'est généralement le vendeur qui dicte le contrat, qui en propose la rédaction. Ce fait peut être assez fréquent, mais il est loin d'être général; il n'a plus de valeur, si l'acte est rédigé devant notaire (ce qui est très-fréquent en France), car le notaire ne commettra guère la négligence de faire une rédaction obscure et, si on la lui proposait, il ne manquerait pas d'en proposer et d'en demander la correction; lorsque la vente a été rédigée sous seing privé, on devrait au moins admettre la preuve que le contrat, en fait, a été rédigé par l'acheteur; or, la loi ne fait pas cette réserve et il est singulier qu'elle ait fondé sur cette conjecture, quant à l'auteur de la rédaction, une présomption légale absolue n'admettant pas de preuve contraire.
La loi française nous paraît encore mériter ici le reproche de contradiction avec elle-même: en plusieurs endroits, elle protège le vendeur par une autre présomption; ainsi, s'il a vendu à vil prix, elle suppose qu'il a été force de vendre par le besoin d'argent; c'est pourquoi elle lui accorde la rescision pour lésion et, dans tous les cas, elle lui permet de stipuler la faculté de rachat; or, il n'est pas logique de supposer que celui qui est contraint de vendre a dicté les clauses et les termes du contrat; enfin, si le fait de dicter le contrat était un fondement suffisant à la présomption de fraude ou de mauvaise foi dans le choix des expressions, on devrait, dans les autres contrats, lorsqu'il serait prouvé que l'acte a été rédigé par une partie seule, décider, de même, que l'interprétation se fera contre elle; or, on ne trouve pas cette disposition générale dans la loi française.
Il est à remarquer que le nouveau Code civil italien n'a pas reproduit la disposition de l'article 1602 du Code français, quoique l'origine en soit romaine.
209.-II. La seconde disposition du Code français qu'on ne présente pas ici comme une obligation du vendeur est celle de garantir l'acheteur des vices cachés de la chose vendue (voy. art. 1625). Ce n'est pas à dire qu'on prétende affranchir le vendeur de la responsabilité des vices de la chose; mais comme il n'y aura pas lieu, dans ce cas, à une action en diminution de prix, mais à une action en résolution (dite rédhibitoire), il convient moins de la présenter sous forme d'effet de la vente et d'obligation du vendeur, que comme une des causes d'extinction ou de résolution de la vente (voy. Sect. 111, $ 4) (a).
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(a) Lors de la rédaction du Code français, l'acheteur avait, à son choix, une action en diminution de prix ou une action rédhibitoire (art. 1644); il y avait donc, à cet égard, une obligation du vendeur de rendre une partie du prix; mais, une loi spéciale du 20 mai 1838 ayant supprimé l'action en diminution de prix, la théorie s'est trouvée modifiée dans le sens ici exprimé.
COMMENTAIRE.
Art. 684. — 210. Les deux premiers alinéas supposent, successivement, que le temps et le lieu de la délivrance ont été réglés et qu'ils ne l'ont pas été. Aucune difficulté ne peut s'élever à cet égard.
Mais le vendeur jouit encore d'un délai de droit pour la délivrance, c'est-à-dire qu'il n'est pas tenu de remplir cette obligation, si l'acheteur ne remplit pas la sienne qui est de payer le prix. Il faut supposer que celui-ci n'a pas obtenu de son côté un délai conventionnel pour le payement, car alors le vendeur devrait livrer avant ce délai.
Si l'acheteur n'avait obtenu qu'un délai de grâce, par la bienveillance du tribunal (voy. art. 426), le vendeur ne serait pas tenu de délivrer la chose: ce délai aurait seulement pour effet d'empêcher la résolution.
La faculté accordée au vendeur de retarder la délivrance jusqu'au payement se nomme droit de rétention; c'est une sûreté réelle d'un genre spécial déjà annoncée par l'article 2 et dont on ne parlera avec détails qu'au Livre IV.
Il suffit de dire ici que le vendeur gardera la possession de la chose vendue, comme une sorte de gage; cette possession empêchera l'acheteur de disposer de la chose, et ses créanciers ne pourront la saisir pour être payés de ce qui leur est dû. Le droit de rétention diffère cependant du gage, en ce sens que le vendeur ne pourrait, au moins en vertu de ce droit, faire vendre la chose pour être payé sur le prix, par préférence aux autres créanciers. S'il a ce droit, ce sera à un autre titre et en vertu d'un privilége qui lui appartiendra comme vendeur, lors même qu'il aurait livré la chose. Ce point encore sera réglé, au Livre IV.
211. Le dernier alinéa de notre article autorise encore le vendeur à retarder la délivrance et même à la refuser, lorsque, depuis la vente, l'acheteur est tombé en faillite ou en déconfiture.
En admettant que cette insolvabilité ne lui fasse pas perdre toutes les siretés que la loi lui accorde, l'exercice en doit être embarrassé et retardé par la faillite, il est donc juste que le vendeur ne compromette pas sa position par la délivrance.
Le Code français (art. 1613) n'accorde que dans ce cas le sursis à la délivrance.
Le Projet y ajoute le cas d'une faillite ou insolvabi. lité antérieure que l'acheteur aurait frauduleusement dissimulée.
211 bis. On ne trouve pas ici une disposition semblable à celle de l'article 1615 du Code français, d'après laquelle le vendeur doit délivrer les accessoires de la chose: il n'y a là que l'application d'un principe gé. néral qui n'a rien de propre à la vente et qui aurait pris place dans l'article 353 qui traite de la délivrance, si le Projet ne lui avait donné encore plus de généralité dans l'article 16, 2e alinéa. Cette place et l'emploi du mot “aliénation” rend le principe applicable, non seulement à la délivrance ou remise de la possession, mais encore au transfert de la propriété.
Art. 685. — 212. Cet article et les suivants complètent ce qui concerne la délivrance, en réglant les difficultés relatives à la quantité.
Ce n'est pas seulement par égard pour une sorte de tradition législative que ces règles ont été réservées pour la matière de la vente, car elles n'eussent pas pu prendre place dans les dispositions communes à tous les contrats, à la suite de l'article 353; en effet, si elles sont applicables encore à d'autres contrats que la vente, notamment au louage (voy. art. 139), à l'échange, à la société même (voy. Chap. xv, Sect. 2), c'est en vertu de dispositions spéciales de la loi ou par l'analogie de certains contrats onéreux avec la vente; mais elles ne peuvent s'appliquer à la donation, puisque, dans ce contrat, il ne peut être question d'augmenter ou de diminuer le prix, comme dans le présent article et surtout dans les articles suivants.
Le Code français n'a prévu et réglé les difficultés relatives à la contenance de la chose vendue qu'au sujet des immeubles (art. 1616 à 1623); il n'a rien statué, à cet égard, au sujet des meubles, et cependant la difficulté peut se présenter: on a dû la prévenir au Japon.
La règle posée par ce premier article n'a d'autre but que d'introduire la sanction qu'elle comporte et qui varie suivant les cas; elle sert aussi à annoncer les exceptions.
213. Il va de soi, au premier abord, que le vendeur ne peut être autorisé à délivrer une quantité moindre que celle qu'il a promise et que l'acheteur peut le contraindre à délivrer cette quantité; mais la chose u'est pas toujours possible: notamment, s'il s'agit d'un corps certain qui n'a pas la quantité ou l'étendue promise et déclarée. Dans ce cas, le prix devra être diminué.
En sens inverse, il est naturel que le vendeur ne puisse obliger l'acheteur à prendre et à payer une quantité plus grande que celle qui lui a été promise et qu'il a acceptée; cependant, s'il s'agit toujours d'un corps certain, il serait fâcheux que l'acheteur pût contraindre le vendeur à garder ou reprendre une portion de la chose, afin de ne pas lui en payer le prix: cette portion serait souvent dénuée de valeur et d'utilité pour le vendeur; on ne pourrait d'ailleurs, sans arbitraire, faire le retranchement plutôt d'un côté que d'un autre. Il pourra donc y avoir des cas où l'acheteur sera tenu de payer un prix plus élevé que celui qui a été convenu, parce que la chose est plus étendue qu'il ' n'avait été annoncé.
Mais ces modifications du contrat ne peuvent avoir lieu pour de trop minimes quantités, en plus ou en moins; il ne faudrait pas non plus que l'acheteur fût obligé de prendre et de payer un excédant trop considérable au delà de ses prévisions. La loi doit déterminer les cas et les conditions de ces modifications du contrat. Tel est l'objet des articles suivants.
214. Avant de les présenter, il convient de remarquer que la difficulté ne peut pas se rencontrer dans toutes les ventes.
Ainsi, la vente a eu pour objet un terrain ou même des bâtiments étendus et uniformes, sans indication de la contenance totale, à raison de “tant par mesure” (par tsoubo, par tcho): le prix sera déterminé par le mesurage (voy. art. 670 et p. 207, no 166), et comme aucune quantité n'a été promise, il ne peut se trouver ni plus ni moins qu'il n'est dû.
Ainsi encore, un terrain ou un bâtiment a été vendu en bloc, sans autre indication que ses limites, comme des bornes, des arbres, des rues, des fonds voisins (les tepants et aboutissauts), et pour un prix également en bloc: si le fonds a bien les limites annoncées, il ne peut y avoir de question de mesure à soulever. Si, au contraire, il n'atteignait pas, de tous les côtés, les limites désignées, c'est qu'il y aurait eu pour partie vente de la chose d'antrui et ce serait une autre théorie; ou bien, on ne trouverait pas les limites annoncées, ni rien qui y ressemble, la chose manquerait alors d'une détermination suffisante et la vente serait nulle de ce chef. En sens inverse, si le fonds dépassait, de quelque côté, les limites désignées, il n'y en aurait de vendu que la portion qui se trouverait renfermée dans ces limites.
Un troisième cas tient, en quelque sorte, le milieu entre ceux qui donnent et ceux qui ne donnent pas lieu à difficulté, c'est celui où il aurait été vendu une certaine quantité de terrain à prendre dans une plus grande et“à tant par mesure”: le vendeur, en principe, ne devrait fournir que cette quantité, et il ne pourrait en faire prendre ni plus ni moins à l'acheteur; il n'y aurait de difficulté que si le terrain total ne suffisait pas à fournir la quantité promise. Ce cas peut être réglé par application des principes posés en cette matière tant par le Code français que par le Projet japonais. On s'y arrêtera à l'article suivant.
Il a paru bon de tenir compte aussi, au moins dans un cas, de la bonne ou mauvaise foi du vendeur, ce que le Code français a négligé.
Art. 686. — 215. Dans cette première hypothèse, comme dans les suivantes, le contrat indique la contenance totale du fonds vendu, mais ce qui est à remarquer c'est qu'au lieu d'indiquer un prix total, un prix en bloc, il le fait dépendre de la quantité vendue: le prix sera proportionnel à cette quantité, la vente est faite “à tant par mesure”; par exemple: 1 yen par tsoubo, 30 yens par sé, 300 yens par tan, 3000 yens par teho (b). Cette relation étroite que les parties ont établie entre le prix et la mesure prouve qu'elles ont attaché une grande importance à la contenance: l'acheteur n'a pas voulu payer pour plus qu'il ne recevrait et le vendeur n'a pas entendu recevoir une valeur moindre que celle qu'il livrerait.
La conséquence est que, si la contenance est moindre que celle annoncée, le prix ne se calculera pas sur cette contenance, mais sur celle qui est effectivement livrée; réciproquement, si elle est supérieure, le prix s'en trouvera augmenté.
En proposant cette solution qui traite les deux parties de la même manière, nous nous rencontrons avec le plus grand nombre des interprètes du Code français, lesquels croient que telle est la solution des articles 1617 et 1618. Nous croyons pourtant que l'article 1618 n'oblige l'acheteur à payer un supplément de prix que si la contenance réelle excède d'un vingtième la contenance déclarée: si le texte laisse quelque doute, les Travaux préparatoires de cette partie de la loi sont formels. Mais, législativement, il paraît bon d'admettre, à cet égard, la réciprocité entière des droits et obligations des parties: il n'est pas plus juste que l'acheteur reçoive un excédant sans le payer, qu'il n'est juste que le vendeur reçoive le prix d'une contenance sans la livrer.
On pourrait objecter que l'acheteur peut se trouver embarrassé de payer un supplément de prix qu'il n'a pas prévu, et on voudrait peut-être lui accorder le droit de se désister du contrat, dès qu'il a à payer un supplément de prix; mais cette crainte nous paraît exagérée: si le supplément à payer n'est pas d'un vingtième du prix primitif (du prix calculé sur la contenance déclarée), il sera permis à l'acheteur de demander et d'obtenir du tribunal un délai de grâce pour ce payement et même un fractionnement de ce payement (art. 426). Mais, si l'augmentation doit être de plus d'un vingtième, l'acheteur a le choix, ou de payer (toujours en demandant des délais), ou de se désister du contrat (art. 689, ci-après).
La loi a pris soin d'exprimer que si le vendeur avait inséré dans le contrat la non garantie de la contenance, il n'en résulterait pas qu'il fût affranchi de subir une diminution de prix pour moindre contenance: cette clause est considérée par la loi comme incompatible avec la fixation du prix "par chaque mesure”, laquelle n'aurait plus de sens si on donnait effet à la dispense de garantie. Mais la clause de "non garantie” aurait pourtant une utilité pour le vendeur: elle le dispenserait de payer des dommages-intérêts et l'affrarchirait de la résolution à la requête de l'acheteur pour insuffisance de la chose eu égard à ses besoins (v. art. 689).
C'est à cette première hypothèse que nous rattachons celle, annoncée plus haut, où la vente aurait pour objet “tant de mesure, à tel prix chacune, à prendre dans un fonds déterminé”: il est clair que l'acheteur ne sera pas obligé de prendre ce qui restera du fonds en sus de la quantité promise; mais, s'il y a moins que cette quantité, non seulement l'acheteur ne payera que ce qu'il reçoit, mais il aura droit à des dommages-intérêts ou à la résolution pour insuffisance (ibid.).
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(b) Le sé vaut 30 tsoubos, le tan en vaut 300, le tcho 3000.
Nous ne supposons pas, ni le texte non plus, que le contrat porte, en même temps, le prix total; en effet, cette indication serait inutile, car elle seraić calculée sur la contenance déclarée et elle n'ajouterait rien à ce que l'on peut savoir en multipliant le nombre des mesures par le prix de chacune. La fixation du prix total est d'autant moins utile dans ce cas, que si elle ne corres. pondait pas au nombre de mesures déclarées et au prix de chacune, elle devrait être négligée ou rectifiée, comme erronée.
Art. 687. — 216. Ici, outre l'indication de la contenance totale, il y a indication du prix total, en bloc, c'est-à-dire sans indication du prix de chaque mesure: les parties sont présumées avoir attaché moins d'importance que dans le cas précédent à l'exactitude de la mesure. Il faut que la différence en plus ou en moins soit d'une certaine importance pour que l'une ou l'autre des parties puisse demander une modification du prix. Le Projet admet ici la méme fraction que le Code français et le Code italien: un vingtième (1/200 ou 5 %).
Mais, ce que ni l'un ni l'autre de ces Codes n'a exprimé, c'est que le vendeur de mauvaise foi ne pourrait invoquer le bénéfice de cette disposition; par conséquent, si le vendeur avait connu le défaut de contenance, même inférieur à 1/200, il ne pourrait prétendre à recevoir intégralement le prix stipulé. Si l'on peut arriver au même résultat, sous l'empire de Codes muets à cet égard, c'est en invoquant les principes généraux établis au sujet du dol. Sans doute, les principes généraux doivent être ordinairement sous-entendus; mais lorsqu'il s'agit de matières que la loi règle spécialement avec détails, comme celle-ci, il n'est pas toujours facile de savoir dans quelle mesure elle a entendu maintenir l'application du droit commun.
La mauvaise foi du vendeur aura encore une conséquence contre lui, ce sera de rendre sans effet la mention que “la contenance n'est pas garantie ou qu'elle n'est qu'approximative”: par exemple “tant de tsoubos ou environ.”
Mais la mauvaise foi du vendeur de le priverait pas d'une augmentation de prix, s'il savait que le fonds avait un vingtième de plus qu'il n'a déclaré: sans doute, il a pu chercher, par cette fausse déclaration à décider l'acheteur à une acquisition devant laquelle il aurait reculé s'il en eût connu d'avance le prix; mais, puisque l'acheteur peut se désister du contrat, par cela seul qu'il doit payer 1/20e en plus (v. art. 689), le remède n'a pas besoin d'être cherché ailleurs.
La loi ne punit pas la mauvaise foi de l'acheteur, parce qu'elle serait peu à craindre et peu dangereuse pour le vendeur qui a toutes facilités pour connaître l'étendue de ce qu'il vend.
Si le vendeur a garanti la contenance, il doit subir une diminution de prix, quel que soit le déficit, et même s'il est de bonne foi: c'est l'effet d'une convention spéciale; c'est comme s'il avait vendu “à tant la mesure”, avec cette différence, toutefois, que cette dernière clause obligerait aussi l'acheteur, en cas d'excédant, tandis que la garantie de contenance profite à l'acheteur, mais ne peut lui nuire.
Art. 688. — 217. Ici, on suppose la veute de plusieurs fonds par un seul contrat: le prix est uuique, mais la contenance séparée de chaque fonds a été déclarée; autrement, et si l'on n'avait indiqué que la contenance totale, ce serait comme si un senl fonds était vendu, ce serait le même cas qu'à l'article précédent.
La loi a dû prévoir qu'en pareil cas il pourrait y avoir excédant de contenance dans l'un des fonds et moindre contenance dans un autre, et elle veut prévenir une erreur que pourraient commettre les parties et peut-être les tribunaux, laquelle consisterait à compenser les quantités qui se trouvent en plus avec celles qui se trouvent en moins..
Il est évident que ce résultat pourrait ne pas être équitable; il sera fréquent, en effet, que les fonds, les terres surtout, ne soient pas de même qualité et par suite de même valeur pour une pareille quantité. On devra donc estimer en argent ce qui manque à l'un des fonds et de même ce qui excède dans un autre; ces deux valeurs étant compues, on déduira l'une de l'autre; mais pour que la différence en plus ou en moins de ce qui avait été promis soit exigible, il faudra qu'ello soit, au minimum, d'un vingtième (5 %) du prix total stipulé au contrat.
La loi assimile à ce cas, celui où un seul fonds étant vendu, on en aurait distingué les diverses parties, à cause de la nature des terres, et où l'on aurait désigné la contenance de chaque partie. Il y a une similitude évidente entre les deux cas.
Il n'est rien dit de la bonne ou de la mauvaise foi du vendeur: il est clair que l'article précédent s'applique au présent cas.
Bien que la loi soit surtout écrite en vue des fonds de terre, elle exprime son application “aux fonds bátis”; il peut arriver, en effet, qu'une partie de bâtiments d'une certaine nature soit plus étendue qu'il n'a été promis, quand une partie d'une autre nature l'est moins, et il est tout aussi juste de redresser le prix que s'il s'agissait de terres.
Art. 689. — 218. Dans le règlement des difficultés résultant des différences de contenance, l'acheteur mérite plus de ménagements que le vendeur, parce qu'il n'a pas la même facilité qne celui-ci de connaître avant le contrat la contenance de la chose vendue.
S'il y a moins de contenance que celle promise, il ne suitira pas toujours que l'acheteur obtienne une diminution du prix: il pourrait arriver que la contenance réelle fût insuffisante pour la destination qu'il donnait à la chose achetée.
Ainsi, l'acheteur se proposait de faire des constructions, d'établir des ateliers qui demandent un certain développement, et ils ne peuvent plus le recevoir: il ne serait pas juste qu'il fût obligé de prendre, même avec réduction proportionnelle du prix, un terrain qui ne peut plus lui procurer l'utilité cherchée. Mais il devra prouver cette insuffisance: elle n'est jamais présumée, si grand que soit le déficit de contenance. Dès lors, l'acheteur est admis à demander, soit des dommagesintérêts, soit la résolution du contrat: il pourra se contenter des dommages-intérêts, si, en modifiant ses plans, il peut encore arriver à utiliser la chose; au cas contraire, il demandera la résolution.
Du reste, le vendeur ne pourrait objecter qu'il ignorait la destination que l'acheteur donnait à la chose: on doit toujours considérer qu'il est en faute, quand il n'est pas de mauvaise foi, et il était plutôt de son devoir de s'informer de l'usage auquel l'acheteur destinait la chose, qu'il n'était du devoir de celui-ci d'en faire la déclaration. Il va sans dire que la distinction entre la simple faute du vendeur et sa mauvaise foi prouvée produira ici son effet ordinaire sur la fixation des dommages-intérêts (voy, art. 405).
219. Le texte limite d'ailleurs le droit de l'acheteur aux dommages-intérêts et à la résolution, en le subordonnant à deux conditions:
1° Il faut qu'il ait droit à une diminution de prix, ce qui suppose, soit une vente "à tant la mesure”, avec déficit quelconque (art. 686), soit une vente pour un prix uniqne, avec “garantie de contenance" ou avec mauvaise foi du vendeur dans la déclaration de contenance ou, enfin, avec déficit d'un vingtième. On peut s'étonner que, dans la seconde hypothèse, lorsque le déficit est inférieur à un vingtième, l'acheteur ne soit pas recevable à prouver l'insuffisance de la contenance réelle, eu égard à la destination qu'il donnait à la chose; nous répondons que l'acheteur doit imputer à sa négligence le préjudice qu'il éprouve: il devait, s'il avait besoin d'une mesure déterminée, stipuler la garantie de contenance.
2° Il faut que la vente n'ait pas été faite " sans garantie de contenance: dans ce cas, l'acheteur a été suffisamment averti que la contenance annoncée pouvait manquer; sans doute, cette clause ne le priverait pas de la diminution du prix si la vente était faite “à tant la mesure”, parce que le vendeur ne doit pas, dans ce cas, toucher un prix supérieur à la valeur de la contenance réellement livrée: autrement, il s'enrichirait sans cause; mais elle le prive du droit de résolution, parce que le vendeur, en s'affranchissant de la garantie, a averti l'acheteur qu'il n'était pas sûr de la contenance. C'est d'ailleurs le moyen de donner un effet à cette clause de non-garantie, laquelle, sans cela, se trouvant insérée dans une vente à “tant la mesure”, ne produirait aucun effet; or, c'est un principe d'interprétation des conventions que “les clauses doivent s'interpréter de la façon qui leur donne un effet, plutôt que de celle qui ne leur en fait produire aucun " (v. C. fr., art. 1157 et Proj. jap., art. 378).
219 bis. La loi n'autorise pas l'acheteur à demander des dommages-intérêts fondés sur la plus-value qu'aurait acquise la chose dans son ensemble, depuis la rente, et les tribunaux devraient repousser toute prétention de ce genre. Supposons qu'une propriété annoncée comme ayant 1000 tsoubos, mais n'en ayant, en réalité, que 950 (1/20e en moins), ait augmenté de valeur d'un yen par tsoubo, l'acheteur ne pourrait réclamer 50 yens comme plus-value des 50 tsoubos manquant, car ce qui manque, ce qui n'existe pas, n'a pas pu augmenter de valeur. Le cas est très-different de celui d'une éviction qui enlèverait 50 tsoubos à l'acheteur, car ces tsoubos existent et leur augmentation qui profite au tiers revendiquant aurait profité pareillement à l'acheteur, s'il avait été rendu propriétaire (voy. ciaprès, art. 695-39).
220. Notre article 689, prévoyant l'inverse de l'insuffisance de la contenance, c'est-à-dire son excédant sur la quantité annoncée, accorde à l'acheteur un troisième droit, c'est celui de se désister purement et simplement du contrat, s'il doit payer un vingtième en sus du prix convenu.
La loi ne l'oblige pas, comme pour la demande en dommages-intérêts ou en résolution qui précède, à une justification quelconque, laquelle serait ici la difficulté ou l'impossibilité pour lui de payer ce supplément: il y a là une question de situation personnelle et de ressources individuelles dont l'acheteur est seul juge. Mais, par cela seul que l'acheteur est cru sur son affirmation, dès qu'il demande à se désister du contrat, faute d'argent pour acquitter l'excédant, il faut que cet excédant soit un peu élevé et la loi ne pouvait prendre une meilleure mesure que celle déjà adoptée, un vingtième en sus du prix convenu.
Il pourrait cependant arriver qu'une fraction un peu inférieure à un vingtième du prix fût encore gênante pour l'acheteur; mais alors, comme on l'a déjà fait remarquer, il obtiendra facilement du tribunal un délai de grace pour le payement et même le fractionnement de la dette (. art. 426).
Art. 690. — 221. On a dit, en commençant, que le Code français n'a pas réglé, pour les ventes de meubles, le défaut de quantité et de mesure, et il serait peutêtre difficile de résoudre, sans un peu d'arbitraire, les questions qui pourraient s'élever à ce sujet; or, l'extension aux meubles des dispositions écrites dans la loi pour les immeubles est justement une interprétation que l'on peut qualifier “d'arbitraire.” D'un antre côté, il est difficile que les erreurs de mesure ou de quantité dans les ventes de meubles ne donnent lieu à aucun redressement de compte.
Quoi qu'il en soit de ce que l'on peut décider pour l'application du Code français, le Projet ne doit pas rester muet sur un point si important et il ne peut rien proposer de plus simple que l'extension aux meubles des règles proposées pour les immeubles.
Mais il faut au moins s'arrêter un instant sur les hypothèses, plus rares d'ailleurs, où la question se présentera.
Il ne faut guère souger qu'aux choses fongibles de leur nature, parce que ce sont justement celles où l'acheteur s'attache à la quantité (poids, nombre ou mesure); mais il faut aussi et nécessairement qu'il s'agisse de corps certains, de choses individuellement déterminées, comme les pierres ou les sables formant un amas vendu en bloc, comme un chargement, par terre ou par eau, de bois ou de charbon, des liquides ne se trouvant pas contenus dans des tonneaux ou autres vaisseaux d'une capacité légale, des étoffes, etc.
Ainsi, quelqu'un vend, en bloc, un amas de pierres récemment extraites de son sol et qui ne sont pas rangées en un cube facile à mesurer immédiatement; la quantité annoncée est d'un certain nombre de tsoubos: la vente peut avoir lieu “à tant par tsoubo”, ou pour un prix unique; il peut y avoir eu garantie de la contenance, ou exclusion de cette garantie; dans tous les cas, on appliquera les règles des articles 686 à 689. Elles cesseraient, au contraire, d'être applicables, et le prix serait à l'abri de tout redressement pour déficit ou excédant de quantité, si, comme le texte a soin de le dire, la vérification immédiate avait été possible.
Il est probable que les rédacteurs du Code français ont considéré cette vérification immédiate comme toujours possible (ce qui est exagéré) et que, dans leur pensée, les ventes de meubles ne peuvent donner lieu à redressement de prix, à moins qu'il n'y ait eu dol.
Art. 691. — 222. En général, la durée des actions n'est pas enfermée dans un trop court délai qui pourrait en faire perdre facilement le bénéfice.
La tendance du Projet est cependant de restreindre les délais établis par le Code français, lesquels sont souvent trop considérables et laissent ainsi subsister une longue et fâcheuse incertitude sur les droits résultant des contrats.
On conçoit que lorsqu'il s'agit de faire exécuter un contrat selon sa teneur, le délai soit plutôt large; mais, lorsqu'il s'agit d'annuler un contrat, par exemple dans le cas d'incapacité ou de vices du consentement, la loi peut et doit être plus exigeante. C'est ainsi que le délai de l'action en nullité ou en rescision qui, d'après l'article 1304 du Code irançais, est de dix ans, a été réduit à cinq ans dans le Projet (art. 566).
Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas, en général, d'annuler le contrat mais seulement d'en modifier une partie, de changer le prix; on conçoit donc que la durée de l'action soit encore plus courte. Le Code français l'a fixée à un an à partir du contrat (art. 1622). On ne pouvait raisonnablement réduire ce délai, au Japon, au moins pour les immeubles, et même on croit devoir y apporter, dans un cas, une augmentation indirecte, en en changeant le point de départ.
Pour le vendeur, il est naturel que le point de départ de son action en redressemeut du prix commence à se prescrire à partir du jour du contrat; mais pour l'acheteur qui ne peut ordinairement faire la vérification qu'après la délivrance, il paraît beaucoup plus juste de prendre celle-ci pour point de départ du délai, ou, tout au moins, de le faire partir du payement du prix, s'il a précédé la délivrance.
Pour les meubles, le délai est plus court, sous la même distinction du point de départ.
Les délais sont les mêmes pour le droit de résolution et de désistement de l'acheteur, quoique ces actions détruisent le contrat au lieu de le inodifier.
222 bis. Le cas de défaut de contenance a une grande analogie avec la perte partielle déjà prévue par l'article 680, 2° alinéa. Il lui ressemble en ce qu'il donne lieu, de même que le premier cas, à diminution proportionnelle du prix ou à résiliation du contrat, si l'acheteur justifie de l'insuffisance de ce qui reste. Il en diffère en ce qu'il n'y a lieu à diminution de prix ou à résiliation inotivée que si le déficit a une certaine importance (1/200), ou si la vente a eu lieu avec certaines modalités; tandis que, dans le cas de perte partielle, l'acheteur a l'un ou l'autre de ces droits, quelle que soit la modalité de la vente et quelle que soit la quantité qui a péri.
Nous aurons encore, plus loin, à comparer le défaut de contenance avec l'éviction partielle (voy. n° 243) et il se présentera une intéressante remarque à faire sur le droit d'option entre deux recours que peut exercer l'acheteur partiellement évincé.
Art. 692. — 223. L'erreur sur la contenance ou l'étendue des immeubles, ou sur la quantité en poids, en nombre ou mesure, des choses mobilières fongibles, est, en réalité, une erreur sur les qualités de la chose et ces qualités sont, par leur nature, de celles qu'on doit appeler non-substantielles; comine telles, elles ne donneraient lieu, d'après le droit commun des conventions, ni à résolution ni à rescision, pas mêine à indemnité, s'il n'y avait pas dol de l'autre partie (art. 331). Mais la loi a dû, à cause de l'importance de ces qualités, les traiter, dans uue certaine mesure, comme des qualités substantielles ou principales. Pour ce qui est des autres qualités des choses, la loi déclare que la vente suivra le droit commun, ce qui veut dire que celles qui seront principales ou substantielles, soit par leur nature, soit par l'intention des parties, donneront lieu, par ellesmêmes, à rescision ou à in lemnité; tandis que celles qui ne sont que non-substantielles ou accessoires ne donneront lieu à rescision ou même à indemnité que si elles proviennent du dol de l'autre partie.
Il n'est pas nécessaire de revenir sur cette distinction, suffisamment exposée, avec des exemples, sous l'article 331 (v. Tome II, p. 79 et s., nos 65 et s.).
Rappelons seulement que, dans cette même matière de la vente, on a déjà vu que certaines qualités, nonsubstantielles de leur nature, ont été considérées comme pouvant être principales dans l'intention des parties; ce sont les qualités des choses qu'il est d'usage de goûter et d'agréer avant de les acquérir, et les qualités répondant aux besoins ou aux convenances personnelles de l'acheteur, dans les ventes faites à l'essai (soy, ci-dessus, art. 668 et 669).
COMMENTAIRE.
Art. 693. — N° 224. La seconde obligation du vendeur, celle de garantir l'acheteur de tous troubles et évictions, a reçu dans toutes les législations, depuis celle des Romains, des développements assez étendus, à carse des nombreuses distinctions qu'elle comporte.
Déjà, dans la matière des Obligations en général, on a parlé de la Garantie due dans les divers contrats (art. 415 à 420), ce qui est une innovation, car les autres lois civiles ne traitent guère de la garantie qu'au sujet de la vente et ce sont la doctrine et la jurisprudence qui, par voie d'analogie, en étendent les règles aux divers contrats.
Nous pourrions nous référer seulement aux règles générales de la garantie et insister seulement, avec le texte, tant sur les particularités qu'elle présente en matière de vente que sur ses principales applications. Mais, à cause de l'extrême importance de la matière, nous croyons devoir rappeler les principales de ces règles:
1° Celui qui a cédé ou prétendu céder des droits, comme lui appartenant, doit en assurer la jouissance et l'exercice contre les prétentions des tiers qui sontiendraient avoir des droits antérieurs incompatibles avec ceux qui ont été cédés; si cette première obligation ne peut être remplic, parce que les prétentions des tiers sont justifiées, le cédant doit indemniser son cessionnaire du préjudice qu'il éprouve (v. art. 415). En une forme abrégée, garantir d'an danger ou d'un dommage, c'est faire tout ce qui est possible pour le prévenir et, subsidiairement, pour le réparer.
2° L'obligation de garantie est légale ou naturelle dans les contrats à titre onéreux, c'est-à-dire qu'elle y a lieu de plein droit ou sans stipulation. Elle est conventionnelle ou accidentelle dans les actes à titre gratuit, c'est-à-dire qu'elle n'y a lieu qu'autant qu'elle a été stipulée (soy, art. 416, 1er al.).
3° Dans tous les contrats, soit onéreux, soit gratuits, on peut, par des conventions particulières, régler d'avance les effets de la garantie: on peut les étendre ou les modérer, on peut même les exclure entièrement; mais on ne peut affranchir le cédant de la garantie des dommages qui résulteraient de son fait personnel, soit postérieur au contrat, soit même antérieur (v. art. 416, 2e al); cette garantie est dite essentielle.
4° La bonne ou la mauvaise foi de l'une ou de l'autre partie influe sur le mode de règlement de l'indemnité, conformément au droit commun (v. art. 405).
225. La vente étant un contrat onéreux, la garantie y est due de plein droit.
Comme elle a pour objet de transférer la propriété ou un de ses démembrements, la garantie est due si la propriété ou le droit réel cédé appartenait antérieurement à un tiers.
Lorsque le tiers a justifié de son droit en justice et dépossédé l'acheteur, on dit qu'il y a ériction de celui-ci, on dit qu'il est érincé, c'est-à-dire (d'après l'étymologie latine) qu'il est vaincu et mis dehors, de là le nom de garantie d'ériction spécialement employé dans la vente.
La garantie d'éviction suppose donc qu'il y a eu vente de la chose d'autrui.
Mais la vente de la chose d'autrui est nulle (art. 679). On peut dès lors s'étonner qu'une vente nulle produise une obligation, surtout une obligation aussi étendue que celle de la garantie.
L'objection ne se présentait pas en droit romain, ni dans l'ancien droit français, où la vente de la chose d'autrui n'était pas nulle: elle obligeait justement à livrer et à garantir de tout trouble et éviction.
Mais depuis que la vente doit transférer la propriété (ou un de ses démembrements) et depuis qu'elle est radicalement nulle, faute de cause, lorsqu'elle n'a pu produire cet effet, on peut s'étonner qu'elle soit productive d'obligation.
La vérité est que l'obligation de garantie, dans ce cas, ne naît pas de la vente, mais de la faute commise par le vendeur; elle naît du dommage injuste qu'il a causé (délit civil ou quasi-délit, suivant qu'il a été de mauvaise foi ou de bonne foi), et c'est par l'effet d'une ancienne habitude de langage qu'on dit que l'obligation de garantie est née de la vente; elle est née de l'acte que les parties ont qualifié “vente” et auquel la loi elle-même ne peut guère donner un autre nom.
226. Il est possible que les rédacteurs du Code français ne se soient pas complètement rendu compte des conséquences du profond changement qu'ils apportaient à la théorie ancienne de la vente; mais le Projet japonais, adoptant en connaissance de cause le principe nouveau, très-rationnel d'ailleurs, doit en accepter aussi et en déduire les conséquences logiques.
La première de ces couséquences est proclamée par notre article 693: l'acheteur n'est pas obligé d'attendre que le vrai propriétaire l'ait évincé, ni même menacé d'éviction, pour agir contre son vendeur en déclaration, de la nullité de la vente et en garantie: il peut le faire dès qu'il est en mesure de prouver que la chose vendue appartenait à autrui, et c'est là une différence radicale avec l'ancien système, où l'acheteur n'aurait pas pu agir en garantie, surtout contre un vendeur de bonne foi, avant d'être troublé dans sa possession.
Il le peut, lors mêine qu'il aurait connu à l'origine cette cause de nullité de la vente et lors même que le vendeur l'aurait ignorée. Cette double circonstance le rend pourtant moins digne d'intérêt, en même temps que le vendeur l'est davantage; elle aura certainement une grande influence sur le règlement des diverses indemnités qui forment l'objet de la garantie; mais, comme il y a ici une question d'existence du contrat ou de nullité radicale, faute de cause, la mauvaise foi de l'acheteur n'empêche pas que la cause marque et la bonne foi du vendeur ne peut pas la suppléer.
Art. 694. — 227. La loi indique ici l'effet de la nullité et de la garantie dans la même circonstance où l'acheteur était de mauvaise foi lors du contrat. Dans ce cas, il a droit à la libération de l'obligation de payer le prix, s'il est encore dû, ou à la répétition, s'il a été déjà payé.
La justification de cette double proposition est trèssimple: au premier cas, le prix a été promis sans cause; au second cas, il a été payé indûment ou toujours sans cause. La bonne foi du vendeur ne le préserverait pas de cette restitution, car elle ne peut motiver un enrichissement sans cause.
Mais l'acheteur de mauvaise foi n'aurait droit à aucune des indemnités qui seront admises ci-après lorsqu'il sera supposé de bonne foi.
228. Le texte de notre article, en n'accordant à l'acheteur de mauvaise foi que la libération ou la répé. tition du prix “seulement" et en n'y ajoutant pas les diverses indemnités accordées ci-après à l'acheteur de bonne foi, les lui refuse par cela même.
Il ne distingue pas à cet égard, si le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi.
Assurément, cette limite des droits de l'acheteur est applicable si le vendeur était de bonne foi; mais elle l'est également si le vendeur était de mauvaise foi: quand la loi refuse à l'acheteur de mauvaise foi toute indemnité autre que la restitution de son prix, c'est parce qu'il s'est exposé sciemment, et on pourrait dire volontairement, à l'éviction et aux pertes qui en résultent: il espérait sans doute que le vrai propriétaire ignorerait toujours son droit et laisserait ainsi s'accomplir la prescription; mais il n'est pas plus digne d'intérêt parce que le vendeur aura lui-même été de mauvaise foi: la faute de l'un de diminue pas celle de l'autre. Au contraire, lorsque l'acheteur aura été de bonne foi, la position du vendeur sera plus défavorable, s'il a été lui-même de mauvaise foi.
229. Le 2e alinéa suppose que la chose vendue a diminué de valeur sans le dol ou l'eurichissement de l'acheteur de mauvaise foi, et il décide que cette diminution sera sans influence sur la répétition du prix.
On verra à l'article suivant que si la chose a augmenté de valeur, méme par cas fortuit, l'acheteur de bonne foi peut se faire indemniser de cette plus-value, comme étant privé d'un avantage qu'une vente valable lui aurait procuré. On pourrait donc croire que lorsqu'en sens inverse la chose a diminué de valeur, il doit subir cette perte. Le texte prend soin de prévenir cette erreur: c'est toujours parce que lo vendeur ne doit pas garder une seule partie du prix payé sans cause. Si, dans ce cas, l'acheteur peut répéter tout son prix quand il l'a payé, à plus forte raison doit-il être libéré en entier lorsqu'il ne l'a pas encore payé: il serait encore plus choquant qu'il donnit une partie du prix pour une chose dont il n'acquiert aucune portion, et cela, sous le prétexte que, s'il l'avait acquise, il aurait subi une perte dans sa valeur.
229 bis. Le dernier alinéa signale un effet de la nullité de la vente et de l'exercice de l'action en garantie sur lequel le texte du Code français et ses commentateurs ne se sont pas arrêtés, c'est l'obligation pour l'acheteur, au moment où il recouvre son prix qu sa libération, de restituer au vendeur la possession de l'immeuble. Sans doute, le vendeur n'aurait pu le premier agir en réintégrande (voy. p. 237, no 192), mais quand l'acheteur a invoqué et fait reconnaître la nullité de la vente, il ne peut jouir, en même temps, de la chose vendue et du prix.
Il paraît bon de le déclarer dans une matière où tout est important.
Art. 695. — 230. La loi suppose maintenant que l'acheteur était de bonne foi, c'est-à-dire qu'il a ignoré, lors du contrat, que la chose vendue appartenait à autrui, et elle lui reconnaît, outre le droit relatif au prix, tel qu'il est indiqué plus haut, le droit à diverses indemnités. La cause n'en est plus, comme pour la libération ou la répétition du prix, dans l'enrichissement indû ou sans cause du vendeur, mais dans le dommage injuste qu'il a causé.
Pour plus de clarté, ces indemnités sont énumérées et réunies dans un seul article, au lieu d'être disséminées dans plusieurs, comme elles le sont dans le Code français.
On va les justifier successivement.
1° Les frais du contrat ne sont pas très-considérables au Japon et ils se divisent par moitié, entre les parties, dans les contrats synallagmatiques (v. art. 353, 3° al. et 671); cependant, l'acheteur de bonne foi doit être remboursé de sa part des frais, car c'est la faute du vendeur qui lui a causé cette dépense inutile.
2° L'acheteur fait fréquemment des dépenses (ou impenses) sur la chose qu'il a achetée: les unes sont de grosses réparations, ou dépenses nécessaires; les autres sont des améliorations qui augmentent la valeur de la chose, ou dépenses utiles; enfin, les dernières sont des dépenses de par agrément, ou voluptuaires, au nombre desquelles il faut compter celles que l'acheteur aurait faites pour adapter la chose à ses besoins personnels, par exemple à sa profession, et qui, ne pouvant pas servir à d'autres, ne seraient pas considérées comme dépenses utiles ou donnant de la plus-value à la chose (voy. art. 208 et Comm., T. Ier, p. 387, no 312).
Il y a encore les dépenses d'entretien, mais elles ne doivent pas figurer ici, car elles sont une charge des fruits et l'acheteur de bonne foi, gagnant les fruits, doit aussi supporter les dépenses d'entretien, sans recours (voy. art. 89).
Les dépenses nécessaires et les dépenses utiles sont remboursées à l'acheteur par le propriétaire, au moment de la revendication (art. 381-4°, 383), il n'a donc pas à les réclamer au vendeur, au moins en général; mais comme nous savons que l'acheteur peut agir en garantie avant d'être évincé, avant même que le propriétaire l'ait troublé, il faut nécessairement admettre que, dans ce cas, l'acheteur réclamera du vendeur les trois sortes de dépenses, sauf le recours de ce dernier contre le vrai propriétaire, lorsque celui-ci fera valoir son droit. C'est pour laisser place à cette hypothèse et aussi à la distinction entre les trois sortes de dépenses que le texte suppose que l'acheteur“n'est pas remboursé par le propriétaire.”
3° Il est fréquent que les choses gagnent en valeur, par le seul effet du temps et des circonstances, sans qu'aucune dépense soit faite à cet égard; cela est vrai surtout des imineubles, notamment des terrains dans les villes, ou dans leur voisinage; les maisons mêmes, quoique le temps les dégrade et oblige à des réparations, ont de la tendance à augmenter de valeur dans les temps de prospérité générale, ne fût-ce que par le seul accroissement de la population qui augmente les besoins et la demande d'habitations. Quant aux meubles, ils ne gagnent guère de valeur avec le temps que s'ils ont un caractère artistique; mais toute cette théorie de la nullité de la vente de la chose d'autrui s'appliquera rarement aux meubles, si l'on admet au Japou, comme en France, que le possesseur de bonne foi d'un meuble en devient immédiatement propriétaire, par une sorte de prescription instantanée (C. fr., art. 2279).
Lorsque la chose vendue a ainsi augmenté en valeur et que l'achetenr n'en est pas devenu propriétaire, c'est avec raison qu'il peut dire que, si la propriété lui avait été transférée, il aurait bénéficié de cette plusvalue fortuite ou résultant de circonstances plus ou moins prévues.
La position de l'acheteur est donc, à ce point de vue, très-favorable: il profite de la plus-value, sans souffrir de la moins-value.
4° L'acheteur qui était de bonne foi lors du contrat a pu gagner les fruits pendant un certain temps (voy. art. 206): il n'est pas tenu de les rendre au vrai pro. priétaire, et ce profit, conforme à ses intentions, doit se compenser avec les intérêts de son prix, lesquels ne lui sont pas rendus avec le capital.
Mais on suppose que, plus tard, il a découvert que la chose appartenait à autrui et depuis ce moment les fruits ne lui sont plus acquis; il en est de même de ceux qu'il a perçus depuis la demande en revendication. Pour ces deux époques, il doit restituer les fruits au propriétaire, parce qu'il n'est plus possesseur de bonne foi (voy. ibid., 4€ al.).
La conséquence est que le vendeur lui en doit l'équivalent. Si l'acheteur use de ce droit, il ne réclamera pas les intérêts de son prix pour les deux mêmes périodes; mais la loi lui permet d'opter pour ces intérêts, en abandonnant la réclamation de l'indemnité des fruits. Du moment que la vente ne lui a pas même procuré directement le gain des fruits, il peut demander que les conséquences de la nullité s'appliquent dès qu'il a cessé de gagner les fruits.
231. Le dernier alinéa forme un 5° chef de réclamation (a).
L'acheteur peut éprouver d'autres dommages résultant de ce que la chose n'est pas devenue sa propriété: il peut avoir installé sur les lieux une industrie ou un commerce, dont il n'aura pas eu le temps de tirer profit; il peut avoir fait des travaux agricoles qui n'ont pas encore donné de plus-value ni de fruits et qui ne lui seront pas remboursés par le propriétaire, ou ne le seront que pour une faible partie. Il est juste qu'il en soit indemnisé.
La loi, pour ne pas entrer dans de nouveaux détails, se réfère au droit commun; toutefois, elle en donne comme application les frais de procès que le Code français a fait figurer dans son énumération (art. 1630-30).
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(a) Cet alinéa ne peut plus porter de numéro, parce que l'énumération est rompue par l'observation ajoutée au n° 4. C'est une pure question de style.
Art. 696. — 232. La position la plus favorable à l'acheteur, dans la demande en garantie, est celle où il était de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi. L'article précédent est applicable à cette double hypothèse.
Le présent article suppose que le vendeur était luimême de bonne foi lors du contrat, et comme la mauvaise foi ne se présume pas, elle doit être prouvée (voy. Proj., art. 199; C fr., 2268).
Mais la bonne foi du vendeur n'exclut pas l'idée de faute et les divers chefs d'indemnité prévus à l'article précédent recevront tous leur application; c'est seulement quant au mode de fixation du montaut de l'indemnité qu'il y aura une différence: au cas de bonne foi, les dommages-intérêts alloués n'excèderont pas l'étendue qui a pu être prévue lors du contrat (et la loi ajoute “raisonnablement," parce qu'il ne faut pas exiger des prévisions exagérées et invraisemblables); au cas de mauvaise foi, les dommages-intérêts pourront excéder les prévisions, et n'avoir d'autres limites que le préjudice réellement éprouvé ou le gain manqué (voy. art. 405).
233. Cette application à la vente du droit commun des dommages-intérêts ne doit pas faire croire qu'il soit nécessaire pour les faire encourir que l'acheteur ait mis le vendenr en demeure, conformément à l'article 404, 1er alinéa.
D'abord, on ne comprendrait pas bien quel serait l'objet de cette injonction de l'acheteur: que demanderait-il au vendeur? Dans le cas des dommages-intérêts prévus audit article 404, il s'agit d'une convention non exécutée, le créancier somme le débiteur de remplir son obligation; celui-ci pourrait n'y pas songer, il faut le lui rappeler, et si, après un avertissement en forme, il continue à manquer à son devoir, il est juste qu'il soit responsable du dommage qui suit cet avertissement, sans rétroactivité. Mais ici, il s'agit de la réparation d'une faute originaire commise lors de la formation du contrat et non de la simple inexécution d'une convention: un avertissement au vendeur n'aurait aucun sens ni aucune portée; l'acheteur ne pourrait raisonnablement sommer le vendeur d'avoir à le rendre propriétaire d'une chose qui est à autrui.
Du reste, le même article 404 contient la dispense de sommation qui nous occupe, car il excepte le cas où l'obligation est “de ne pas faire” (2° al.); or, le vendeur avait l'obligation de ne pas vendre la chose d'autrui,
On peut encore invoquer à l'appui de la dispense d'une mise en demeure le principe que le débiteur tenu par suite d'un délit ou d'un quasi-déiit est toujours en demeure (art. 562, 2° al.).
Art. 697. — 234. La loi suppose ici que le vendeur a été de bonne foi lors du contrat et qu'il a découvert ensuite que la chose appartenait à autrui. Sa position doit évidemment être meilleure que dans l'hypothèse où il était de mauvaise foi.
On est très-divisé en France sur le point de savoir si le vendeur de bonne foi peut invoquer la nullité de la vente.
Si l'on admet que cette nullité n'est que relative, comme celle qui résulterait d'un vice de consentement chez l'acheteur, spécialement d'une erreur de celui-ci sur la qualité principale ou substantielle de la chose (voy. art. 331), elle ne peut être invoquée que par lui, car c'est lui seul que la loi a voulu protéger (art. 340), et encore devrait-on exiger qu'il eût été de bonne foi: autrement, il ne mériterait pas la protection de la loi.
Mais si l'on admet, avec les meilleurs auteurs et comme le Projet, que la nullité est radicale et absolue, faute de cause, alors, la logique du droit semble exiger que l'acheteur et le vendeur soient, tous deux et dans tous les cas, admis à se prévaloir de cette nullité et à refuser d'exécuter le contrat. Il faut pourtant refuser ce droit au vendeur de mauvaise foi, comme peine de son dol (v. ci-dess., p. 239-240, n° 194). Mais la même rigueur serait exagérée à l'égard du vendeur de bonne foi, lequel n'est coupable que d'imprudence.
On a cependant prétendu qu'il ne doit pas être admis non plus à se prévaloir de la nullité, à cause de son obligation de garantir l'acheteur de l'éviction; or, c'est un principe fondamental de la matière que “celui qui doit la garantie ne peut lui-même opérer l'ériction” (b). Mais nous répondrons que lorsque le vendeur de bonne foi, prévenu tardivement des droits du vrai propriétaire, refuse de livrer la chose à l'acheteur, dans l'intention évidente ou présumée de la restituer à son propriétaire, ce n'est pas lui vendeur, c'est le propriétaire qui opère l'éviction: c'est au nom de celui-ci qu'elle a lieu et par l'effet de ses droits.
Le même raisonnement ne serait plus applicable, si le vendeur était de mauvaise foi, car on ne pourrait plus dire, sans choquer la vraisemblance, qu'il est présumé avoir l'intention de restituer la chose au propriétaire et que c'est au nom et en vertu des droits de celui-ci qu'il opère l'éviction.
235. Lorsque le vendeur de bonne foi invoque la nullité de la vente, il n'a pas seulement le droit de refuser la délivrance, en abandonnant son droit au prix, il a encore le droit de demander le règlement immédiat des indemnités dont il est tenu comme garant: autrement, l'acheteur pourrait, dans l'espérance d'une plus-value, attendre un temps plus ou moins long et aggraver ainsi la position du vendeur (v. ci-dess., p. 240, n° 194). Si celui-ci a négligé de faire régler immédiatement les conséquences de la garantie, il doit l'imputer à sa négligence.
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(b) Quem de evictione tenet actio cumdem agentem repellit exceptio (voy. ci-dessus, p. 238, n° 192).
Art. 698. — 236. La loi suppose maintenant que le vendeur, toujours de bonne foi, n'a pas connu les droits du vrai propriétaire avant la délivrance, de sorte qu'il n'a plus à la refuser, et il a reçu le prix. Il n'est plus possible de lui permettre de reprendre la chose livrée. A quel titre d'ailleurs le pourrait-il? On ne suppose pas encore qu'il soit devenu légitime propriétaire (ce sera le cas de l'article suivant); il ne peut donc revendiquer.
Il ne pourrait pas davantage exercer l'action possessoire en réintégrande, car cette action n'est donnée qu'à celui qui, ayant eu la possession, l'a perdue par la violence ou par la ruse d'autrui (v. art. 216); or, le vendeur n'a perdu la possession de la chose vendue que par une livraison volontaire; sans doute, elle est l'effet d'une erreur de sa part, de la croyance à son droit; mais ce n'est pas une raison suffisante de déroger aux règles qui limitent l'action en réintégrande.
237. Le présent article accorde cependant au vendeur un droit très-considérable qui est une grande innovation par rapport au Code français et aux autres Code étrangers: le vendeur ne sera pas exposé à voir l'acheteur retarder son action en nullité et en garantie pendant un temps plus ou moins considérable, dans l'espérance d'une plus-value, il pourra le sommer d'exercer immédiatement l'action en nullité et en garantie. Mais celui-ci pourrait s'y refuser et pourtant ce ne serait pas une raison pour le vendeur de demander lui-même la nullité: le secours que la loi accorde est différent, mais suffisant pour prévenir le calcul intéressé et peu honnête de l'acheteur. Le vendeur deman dera au tribunal de faire constater contradictoirement entre lui et l'acheteur le montant des indemnités dues à ce jour, d'après les causes portées à l'article 695. Si l'acheteur refuse de nommer un expert, celui-ci sera nommé par le tribunal; mais, il serait imprudent à l'acheteur de ne pas répondre à la demande, car il est à craindre pour lui que, faute de justification, le chiffre de l'indemnité ne soit très-réduit.
Soit que l'acheteur réponde ou non à la demande, le jugement règlera jusqu'à ce moment les effets de la garantie, sauf le droit ordinaire d'opposition ou d'appel. Si l'acheteur refuse de toucher les sommes qui lui sont allouées, le vendeur en fera des offres réelles et les consignera, conformément aux articles 495 et suivants.
Mais la libération restera soumise à l'application des règles de ce mode de payement: elle aura un caractère conditionnel et résoluble; le vendeur pourra bien, comme le lui permet l'article 500, retirer les sommes consignées, mais en s'exposant à une action en garantie ultérieure; toutefois, la garantie est jugée pour la première période: elle ne pourra plus être portée devant le tribunal que pour le temps qui l'aura suivie; mais il ne serait pas juste que le vendeur, après avoir enlevé à l'acheteur les chances de plus-value pour l'avenir, pût, sans lui rendre ces mêmes chances, reprendre la jouissance des sommes auxquelles il a été condamné (voy. ci-dess., p. 241, no 191).
Art. 699. — 238. Le cas prévu par cet article est particulièrement intéressant et il a toujours occupé les légistes. Le Code français le passe sous silence; mais la doctrine et la jurisprudence n'ont jamais hésité à refuser au vendeur de la chose d'autrui devenu plus tard légitime propriétaire le droit de revendiquer la chose comme sienne: sans doute, il est devenu propriétaire, mais il est toujours vendeur et tenu de la garantie; c'est bien là le cas de l'application directe du principe déjà signalé que "celui qui doit la garantie ne peut lui-même opérer l'éviction.”
Quelques personnes ont tenté de soutenir que la vente se trouvait, dans ce cas, confirmée de plein droit, virtuellement, de plano, dès que le vendeur était devenu propriétaire; mais c'est une erreur certaine: l'acheteur a eu le droit d'inroquer la nullité, dès la formation du contrat, ce droit ne peut lui être enlevé sans sa volonté; il peut d'ailleurs avoir déjà pourvu au remplacement de la chose, en avoir acquis une autre, avant de demander la nullité de la première vente comme il eu avait le droit.
Mais ici, comme au cas de l'article précédent, il serait très-dur pour le vendeur devenu propriétaire de rester pendant un temps indéfini dans l'incertitude sur ce que fera l'acheteur, lequel peut, suivant son intérêt et les circonstances, ou invoquer la nullité de la vente, avec les indemnités qui en résultent, ou garder le silence et attendre une plus-value, ou attendre le temps de la prescription.
Le Projet, ici encore, introduit une grave innovation, mais dont l'équité est évidente. Le vendeur pourrait dire à l'acheteur: "je ne conteste pas que vous ayez gardé le droit de vous prévaloir de la nullité originaire de la vente, parce que vous pouvez avoir souffert de n'être pas devenu propriétaire dès le jour du contrat; je suis donc prêt à vous rendre votre prix et à vous indemniser de tout le préjudice que vous avez éprouvé jusqu'à ce jour; si vous avez encore intérêt à devenir propriétaire, déclarez-le et le droit qui m'est survenu deviendra le vôtre, plus encore par votre volonté que par la mienne; mais vous ne pouvez me laisser indéfiniment dans l'incertitude sur la nullité ou la confirmation de la vente.”
Dans le cas même où l'acheteur ratifie la vente, il peut avoir droit à une indemnité: par exemple, il pourrait prouver qu'il a manqué l'occasion de revendre la chose avec bénéfice, parce qu'il n'avait pas encore le droit de propriété, et cette occasion ne se retrouve pas alors qu'il est devenu propriétaire.
239. Le ler alinéa recevra son application quand le vendeur de la chose d'autrui sera, postérieurement au contrat, devenu propriétaire de la chose vendue: ce pourra être parce qu'il l'aura lui-même achetée du vrai propriétaire; ce pourra être aussi parce qu'il est devenu son héritier. Il cumule ainsi, dans les deux cas, la qualité de propriétaire et celle de vendeur, avec cette seule différence que, dans le second cas, il a la qualité de vendeur, de son chef, et celle de propriétaire, du chef de son auteur.
Le 2° alinéa donne la même solution, le droit de provoquer une option de la part de l'acheteur, lorsque le vendeur de la chose d'autrui a eu pour héritier le le vrai propriétaire ou lorsqu'un tiers a succédé à l'un et à l'autre.
Les principes généraux mèneraient certainement à cette solution; mais, du moment que la loi exprime la 1re hypothèse, et cela était nécessaire, on s'attend naturellement à trouver ici la seconde et la troisième qui sont classiques.
Art. 700 et 701.-240. Il peut arriver que la chose vendue appartienne pour partie au vendeur et pour partie à un tiers, en sorte qu'on ne puisse dire d'une façon absolue qu'il y a eu vente de la chose d'autrui. La chose vendue peut aussi être grevée au profit d'un tiers de droits réels secondaires, de démembrements de la propriété; il est encore plus difficile, dans ce cas, de dire que la vente est nulle comme vente de la chose d'autrui.
Le principe qui domine ces diverses hypothèses est que la vente alors n'est pas nulle a priori, mais qu'elle peut seulement être résiliée ou résolue à la demande de l'acheteur; encore faut-il, le plus souvent, qu'il prouve que la part de propriété ou les droits qui lui manquent sont de telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas les acquérir. C'est l'application du droit cominun des contrats synallagmatiques: le vendeur avait implicitement promis de transférer la pro. priété de toute la chose vendue et une propriété pleine et entière, sans charges; or, il n'a pas rempli cette obligation; l'acheteur peut donc demander à être affranchi lui-même des siennes.
Mais il y aurait abus, s'il demandait la résiliation du contrat pour la plus légère diminution de ses droits; delà, la charge à lui imposée de prouver, au moins dans les cas les plus fréquents, que, dans l'état actuel, la chose lui est insuffisante. Cette situation a quelque analogie avec le déficit dans la contenance déclarée et, plus loin, on fera le parallèle entre l'éviction partielle et le défaut de contenance.
241. En ce qui concerne le premier cas prévu, celui où la chose appartient pour partie à un tiers, "en pleine propriété ou en nue propriété " (le cas d'usufruit est réglé à l'article 703), le texte de nos deux articles fait une distinction entre la “portion divise" et la “portion indivise " ou, comme disait le droit romain, entre l'éviction pro diviso et l'éviction pro indiviso.
Une portion divise est une fraction de la chose ayant des limites déterminées (un locus certus), ce peut être un angle, une bande de terrain, une parcelle contigüe au fonds principal.
Une portion indivise est une partie aliquote, portant sur le tout, comme un quart, un tiers, une moitié.
Le Code français, en réglant l'éviction partielle (art. 1636 et 1637), n'a pas distingué s'il s'agit d'une portion divise ou indivise. La doctrine a tenté d'introduire cette distinction, très-fondée en raison, qui peut s'appuyer sur la loi romaine, mais qui est peut-être difficile à accepter en présence du texte. Nous l'admettrions nous-même, malgré cela, parce qu'il nous paraît suffire que la loi ne l'ait pas défendue absolument pour qu'elle doive étre introduite dans son interprétation.
Quoi qu'il en soit du Code français, le Projet peut et, selon nous, doit admettre cette distinction et, en le faisant formellement, il prévient toute controverse.
La distinction a deux conséquences importantes que la loi a soin d'exprimer.
La première est relative au droit de résiliation que nous avons déjà annoncé en faveur de l'acheteur: la nécessité de prouver que la portion qui lui manque était d'une telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas l'acquérir ne s'applique qu'au cas où la portion est divise. Il se pourrait, en effet, que cette partie fût si faible par son étendue ou par sa nature que la demande en résiliation, sans justification de l'insuffisance, serait manifestement abusive: ce pourrait être pour l'acheteur un moyen peu honnête de se soustraire aux effets d'un contrat qui a cessé de le satisfaire.
Au contraire, quand il s'agit d'une portion indivise qui, n'appartenant pas au vendeur, n'a pas été transférée à l'acheteur, celui-ci se trouve avoir un copropriétaire de la totalité, l'exercice de son droit sera limité, gêné dans toutes ses applications par le droit similaire d'un tiers: on connaît les effets et les inconvénients de la copropriété (art. 38 à 40); on conçoit donc que l'acheteur ne puisse s'y trouver engagé à son insû et malgré lui, et qu'il ait le droit de résiliation, si faible que soit la part de propriété qu'il n'acquiert pas.
Comme il s'agit ici de convenances personnelles dont l'acheteur doit être laissé seul juge, il n'a d'autre justification à faire que celle de l'existence d'une copropriété étrangère.
La seconde conséquence de la distinction est relative au mode de règlement de l'indemnité; mais c'est seulement lorsque l'acheteur n'exerce pas le droit de résiliation, car s'il l'exerce, la vente, comme dans le cas précédent, se trouve complètement annulée, et l'indemnité se règle d'après l'article 695, comme le dit le texte.
242. Reprenons les deux natures de portions qui peuvent manquer à l'acheteur.
Ier Cas. C'est une portion divise. Du moment que l'acheteur ne peut obtenir la résiliation, faute de faire la justification nécessaire de l'insuffisance de ce qui lui reste, il ne peut pas dire que la vente soit nulle, même pour la portion qui lui manque: il a acheté surtout afin d'acquérir ce qu'en effet il a acquis, et ce qui lui manque ne doit plus être considéré que comme une qualité accessoire de la chose, comme un avantage secondaire qui peut et doit, assurément, donner lieu à une indemnité, mais sans aucun rapport avec l'éviction totale.
Ainsi, la portion de terrain qui est revendiquée par un tiers était plus ou moins étendue, mais sans grande utilité pour l'exploitation de la chose: l'indemnité pourra être assez faible; au contraire, la portion était peu étendue, mais elle contenait des bâtiments importants ou une source qui alimentait des rizières: l'indemnité pourra être considérable, car on n'est pas loin de l'hypothèse où l'acheteur pourrait faire résilier la vente pour insuffisance de ce qui lui reste.
Lorsque l'acheteur ne pent obtenir la résiliation du contrat, il ne réclame donc aucune portion de son prix, comme telle: il ne peut obtenir que la réparation du préjudice actuel que lui cause la privation qu'il subit, et la plus ou moins-value survenue à la chose ne lui profitera on ne lui puira que si elle affecte, en tout on en partie, la portion dont il y a ériction.
Une dernière conséquence de ce que la rente, dans ce cas, n'est nalle pour aucune de ses parties, c'est que l'acheteur ne peut se faire rembourser aucune partie des frais du contrat, tandis que, lorsqu'il y a nullité originaire ou résiliation, les frais payés par l'acheteur lui sont remboursés.
IIe Cas. C'est une portion inlicise. L'acheteur, pourrait, avons-nous dit, afin de se sonstraire aus inconvénients de la copropriété, demander, pour ce senl fait, la résiliation du contrat; mais il peut préférer maintenir la vente. Elle est cependant nulle faute de cause, pour la partie de la chose qui appartient à autrui: pour cette portion, l'acheteur a donné un prix sans cause; il peut donc le répéter pour cette inéme portion, sans avoir égard à la moins-value que la chose a pu subir dans le tout et dans cette partie indivise. Au contraire, il peut, si la chose a augmenté de valeur, réclamer une portion de la plus-value pour la portion qu'il a manqué à acquérir; et cela n'est pas contradictoire avec la première proposition, parce qu'il a pu compter sur la plus-value totale et que le vendeur est en faute de ne pas la lui avoir procurée.
Par le même motif que la vente est nulle pour partie, l'acheteur recouvrera aussi une portion des frais du contrat qu'il a payés.
243. Une question intéressante, qui semble avoir été négligée en France par les auteurs, mérite de nous arrêter ici un instant: elle résulte, comme on l'a an. noncé (v. p. 274, n° 222 bis), du rapprochement de deux garanties, de celle d'éviction et de celle de contenance.
Supposons qu'il y ait eu éviction d'une portion divise ou indivise de la chose vendue: ne peut-on pas considérer cette privation partielle de la chose comme cons tituant en même temps pour l'acheteur un déficit de contenance, donnant lieu à diminution du prix, d'après les articles 686 à 691 ? Nous l'avons toujours pensé, et si nous ne proposons pas de l'exprimer dans la loi, c'est parce que la solution nous paraît se déduire logiquement et forcément des principes des deux théories combinées.
La réciproque n'est pas vraie: un acheteur auquel manque une portion de la contenance déclarée, parce que le mesurage n'a pas été exact, ne peut se dire évince ni se faire indemniser, comme tel: il ne pourra l'être que d'après les articles 686 à 691.
Mais lorsque l'acheteur est privé, par une revendication, d'une portion divise formant le vingtième de la chose vendue, comment pourrait-on hésiter à dire qu'il est privé d'une partie de la contenance promise ? Et si l'éviction est d'une portion indivise, qu'importe à l'acheteur que la chose vendue ait, dans les limites annoncées, la contenance promise, si une portion de cette contenance ne peut lui être acquise ?
Sans doute, l'acheteur évincé d'une partie de la chose ne pourra réclamer tout à la fois une double indemnité, tant pour éviction que pour défaut de contenance: il devra opter et, naturellement, il se déterminera par son intérêt, et l'on va voir plus loin quel peut être cet intérêt, suivant les cas; mais il ne pourra invoquer l'un des deux chefs d'indemnité qu'en observant les règles et les conditions qui lui sont propres, dans leur ensemble et à l'exclusion des règles et conditions de l'autre chef.
Ainsi, l'acheteur évince ne pourra invoquer les règles du défaut de contenance, pour une faible privation éprouvée, que si la vente a été faite "à tant la mesure” (art. 686), ou "avec garantie de contenance” (art. 687): autrement, il faudra que le déficit résultant de l'éviction soit d'un vingtième de la totalité (ibid.). Si aucune de ces conditions ne se rencontre dans l'épiction partielle, l'acheteur ne pourra in voquer les règles du défaut de contenance: il ne pourra faire appliquer que celles de l'éviction.
244. Voici maintenant cominent l'acheteur sera guidé par son intérêt, dans les cas où il a l'option entre les deux chefs d'indemnité.
Si l'ériction est d'une part divise (d'un locus certus) et que le fonds entier ou cette partie seule ait diminué de valeur, l'acheteur ne peut recouvrer que la valeur actuelle de ce dont il est évincé (art. 700, 2e al. et C. fr., art. 1637), tandis que s'il invoque le défant de contenance, il recouvrera une partie proportionnelle du prix (art. 686 et 687 et C. fr., art. 1617 et 1619).
Au contraire, si le fonds a augmenté de valeur, l'acheteur éviucé négligera la garantie de contenance pour la garantie d'éviction qui lui fait obtenir l'indemnité de la plus-value.
Voici encore un avantage de la garantie d'ériction sur celle du défaut de contenance: supposons que le vendeur ait vendu "sans garantie de contenance,” cela ne l'affranchirait pas de la garantie d'éviction, parce qu'il y a, aux yeux de la loi, une plus grande faute à vendre une chose dont on n'est pas propriétaire, qu'à ignorer la contenance exacte du fonds vendu; on peut toujours, en effet, s'assurer de la validité de son titre et de la régularité des transmissions antérieures, tandis que, dans bien des circonstances, on ne peut recourir aux services d'un géomètre-arpenteur.
Mais s'il y avait eu stipulation de “non-garantie d'éviction” et que l'acheteur fût évincé d'une portion divise égale à 1/209, il ne pourrait se prévaloir du défaut de contenance qui en résulte, parce que ce serait se prévaloir de l'éviction.
Au contraire, il pourrait invoquer le défaut direct de contenance, c'est-à-dire le déficit qui n'aurait pas été prévu, parce que les clauses restrictives du droit commun sont limitées à leur objet formel.
Une autre différence à noter entre la garantie d'éviction et celle de contenance, c'est que dans la première on tient grand compte de la bonne ou de la mauvaise foi du vendeur, tandis que dans la seconde, sa bonne foi ne le préserverait pas de subir une diminution proportionnelle du prix, et sa mauvaise foi n'aurait pour effet que de le rendre responsable d'un déficit de moins de 1/20° (art. 687).
Art. 702. — 245. Nous passons au cas où le fonds vendu est grevé, an profit d'un tiers, de droits réels secondaires ou autres que la propriété et non déclarés au contrat.
Les servitudes, l'usufruit et le bail sont rattachés à nos deux articles 700 et 701, au moyen d'une distinction qui autorise à les considérer comme une portion, tantôt divise, tantôt indivise, de la propriété; seulement, au lieu qu'il y ait éviction de pleine propriété ou de nue propriété, comme le suppose l'article 700, il n'y a qu'éviction de jouissance ou d'usage.
Quant aux priviléges et hypothèques grevant le fonds vendu, ils sont l'objet de l'article 703, séparément, parce qu'ils donnent lieu à une toute autre distinction: leur existence seule sur le fond, même non déclarée, ne donne pas lieu au recours en garantie de l'acheteur; il faut, pour ce recours, que le droit soit exercé par le créancier, alors la garantie a lieu, lors même que le droit du tiers aurait été déclaré au contrat.
Notre article 702, avant de statuer sur l'existence d'une servitude passire, c'est-à-dire grevant le fonds vendu, prévoit le cas d'une servitude active annoncée par le contrat comme appartenant au fonds: c'était un droit accessoire que l'acheteur comptait acquérir avec le fonds; s'il en est privé, soit parce que ce droit n'a jamais été établi, soit parce qu'il a été éteint, il est juste que l'indemnité en soit fournie. Comme la privation d'une servitude, même profitant à tout le fonds (par exemple, un droit de passage ou de vue sur le voisin), ne peut être assimilée à la revendication d'une quote part de la propriété du fonds, c'est à l'éviction d'une portion divise que la loi emprunte le mode de règlement de cette indemnité.
Ce cas n'est pas prévu par le Code français: sans aucun doute, on suppléerait à son silence par la même assimilation.
Le texte de notre article 702 suppose que la servitude active est “annoncée par le contrat;" cela implique naturellement qu'il s'agit d'une servitude établie par le fait de l'homme, car, les servitudes dites "légales” étant établies d'après la situation respective des fonds voisins, l'acheteur compte qu'elles lui appartiennent, sans être déclarées; si donc elles avaient été abandonnées par une convention entre le vendeur et son voisin, il y aurait là une servitude passire du fait de l'homme, inverse de la servitude légale active (v. T. 1er, p. 517, no 433), et la garautie en serait due d'après la disposition suivante.
246. Pour les servitudes passives, pour celles que le fonds vendu doit souffrir, le vendeur n'en est garant que si elles sont, tout à la fois, " établies par le fait de l'homme" (v. art. 286 et s.), "non apparentes," et “non déclarées par le contrat.” Il n'y a donc pas de garantie: 1° pour les servitudes légales, parce qu'elles sont le droit commun de la propriété et que l'acheteur a toujours pu et dû les connaître, puisqu'elles se révèlent par la disposition de la loi, rapprochée de la situation du fonds vendu et des fonds voisins respectivement; 2° pour les servitudes du fait de l'homme qui se révèlent par des signes extérieurs, comme par un aqueduc, par un chemin ou une construction contraire aux prescriptions légales de distance; 3° pour les servitudes non apparentes qui ont été déclarées par le contrat: dans ces deux derniers cas, l'acheteur a encore pu et dû connaître la charge imposée au fonds et il est considéré comme en ayant tenu compte pour la fixation du prix qu'il a promis.
247. Les cas d'usufruit et de bail grevant le fonds vendu donnent lieu à d'autres distinctions que les servitudes.
Remarquons d'abord que le texte ne prévoit pas ici l'hypothèse d'un usufruit ou d'un bail considérés activement, c'est-à-dire comme devant appartenir à l'acheteur, accessoirement à la chose vendue, et dont il serait privé ou évince.
Pour l'usufruit, il n'est pas naturel qu'il ait ce caractère accessoire: si la vente a eu pour objet un droit de pleine propriété sur une chose et un droit d'usufruit sur une autre, l'éviction de l'usufruit donnera lieu à une action en garantie ordinaire.
Le droit de bail pourrait, au contraire, être vendu accessoirement à la propriété, c'est le cas où le vendeur aurait déclaré que la chose vendue était louée pour un certain temps et à un certain prix; mais, dans ce cas, l'accessoire de la chose vendue ne serait pas un droit réel de bail, ce serait une créance de loyers contre le prétendu locataire, lequel aurait le droit réel grevant la chose vendue; si, dans ce cas, le bail n'existait pas, il y aurait lieu à la garantie d'inexistence de la créance dont traitera l'article 705.
Supposons, au contraire, avec notre article, qu'il s'agisse d'un droit d'usufruit ou de bail appartenant à un tiers et réclamé par lui sur la chose vendue, il y a là éviction d'une partie des avantages que l'acheteur était en droit d'attendre de la vente et, pour en régler l'indemnité, la loi fait une distinction qu'elle a dù négliger en matière de servitudes: l'usufruit ou le bail porte-t-il sur une partie de la chose ou sur le tout? S'il porte sur le tout, doit-il encore durer plus d'un an pour les bâtiments et plus de deux ans pour les terres ?
Si l'usufruit ou le bail ne porte que sur une partie de la chose, ou si, portant sur la totalité, il ne doit pas durer plus que ledit délai, l'indemnité sera réglée comme celle de l'éviction pro diviso (v. art. 700); au cas contraire, ce seront les règles de l'ériction pro indiriso (v. art. 701). Au premier cas, l'acheteur n'obtiendra la résiliation que s'il prouve que la propriété, ainsi diminuée de la jouissance totale ou partielle pendant un temps assez long, n'est plus suffisante pour répondre à ses besoins et, faute de faire cette preuve, il n'obtiendra que la valeur de la jouissance actuelle dont il est privé; au second cas, la durée et l'étendue combinées du droit d'usufruit ou de bail. permettront à l'acheteur de faire résilier la vente sans autre justification.
La distinction entre les bâtiments et les terres est facile à comprendre: l'acheteur a, en général, un besoin plus urgent des bâtiments que des terres; dès lors, la privation des premiers pendant un an lui cause un préjudice égal, sinon supérieur, à celle des terres pendant deux ans.
Quand il s'agit d'un usufruit, s'il est viager, ce qui est le plus ordinaire, sa durée étant indéterminée, il suffira qu'il porte sur toute la chose vendue pour motiver la résiliation pure et simple, sans autre justification. Mais s'il s'agissait d'un usufruit total ayant, par exception, une durée fixée, on observerait la condition de durée du temps restant à courir, pour accorder la résiliation pure et simple.
Lorsque, dans le cas qui précède, l'acheteur n'use pas du droit de résiliation, l'indemnité se calcule d'a. près le préjudice réel et actuel, comme au cas d'éviction d'une part divise: on ne pourrait, aisément ni sûrement, établir la valeur proportionnelle d'une jouissance temporaire par rapport à la pleine propriété, pour faire restituer à l'acheteur évincé une partie correspondante du prix d'acquisition.
Ces distinctions du Projet, sur les droits réels qui grèvent la chose vendue sont, presque toutes, des innovations, car le Code français et ses imitateurs n'ont prévu que le cas de “servitudes non déclarées” (art. 1638).
248. Le Projet n'a pas cru nécessaire de statuer sur l'effet d'un droit d'usage ou d'habitation grevant le fonds vendu: ces droits, déjà fort rares en France, le seront encore bien plus au Japon où ils sont jusqu'ici inusités; mais si le cas se rencontrait, il ne serait pas embarrassant: un droit d'usage ou d'habitation, étant limité aux besoins du titulaire (roy. art. 116), ne sera jamais considéré comme portant légalement sur tout le fonds vendu, quoiqu'en fait il puisse absorber toute la jouissance; il ne motivera donc la résiliation qu'à charge par l'acheteur de la justification précitée, sauf au tribunal à l'admettre avec plus de facilité, si le droit diminue considérablement la jouissance.
Art. 703. — 249. A la différence des droits réels prévus ci-dessus, les priviléges et les hypothèques, bien que grevant en entier l'immeuble vendu, ne constituent pas nécessairement pour l'acheteur une privation du droit de propriété qu'il a voulu acquérir par le contrat, ni même une diminution de sa jouissance.
D'abord, s'il est prudent, il demandera, avant de payer son prix, un état des inscriptions de priviléges ou d'hypothèques pouvant grever l'immeuble vendu; cet état lui sera délivré par l'officier préposé aux transcriptions des mutations et aux inscriptions des hypothèques (v. art. 369).
Une fois instruit du nombre, du rang et du montant des créances inscrites, il offrira aux créanciers de leur verser son prix d'acquisition et, en suivant une procédure qui sera organisée en son lieu et qu'en France on nomme la purge, il obtiendra la radiation des priviléges et hypothèques et se trouvera à l'abri d'une éviction ultérieure (comp. T. II, p. 598, n° 538 bis). L'acheteur n'a donc pas le même sujet de se plaindre de ce que l'immeuble soit grevé de ces sûretés que s'il s'agissait des droits réels sus-énoncés.
Mais il pourrait avoir eu l'imprudence de verser son prix au vendeur et non aux mains des créanciers, et alors il resterait exposé à l'expropriation ou à payer les dettes hypothécaires, sauf son recours contre le vendeur.
Cependant, l'existence du droit réel d'hypothèque portant sur l'immeuble ne doit pas suffire à motiver l'action en garantie. Nous ne donnerons pas pour motif que l'acheteur est en faute de n'avoir pas rempli les formalités de la purge: le créancier pourrait faire ce reproche à l'acheteur, si celui-ci contestait l'exercice de l'action hypothécaire, pour le seul fait qu'il a payé son prix; mais le vendeur ne pourrait avoir un tel droit, puisqu'il n'a pas lui-même payé sa dette au créancier. Si l'existence seule de l'hypothèque ne suffit pas à motiver l'exercice immédiat de l'action en garantie, c'est parce que ce droit, à la différence des autres droits réels portant sur les immeubles, peut ne jamais être exercé, faute d'utilité pour le créancier: celui-ci peut avoir d'autres sûretés réelles ou personnelles plus faciles à faire valoir, il peut même avoir lieu de compter sur un payement volontaire du débiteur avec d'autres fonds disponibles.
L'acheteur, dans le cas qui nous occupe, n'est donc admis à exercer l'action en garantie que lorsqu'il est poursuivi en expropriation par le créancier hypothécaire.
Cette solution n'est peut-être pas incontestée en droit français, mais nous l'y soutiendrions sans hésiter et par le même motif que plus haut. L'article 1653 vient à l'appui de notre proposition, en nous fournissant le genre d'argument dit a contrario: il permet à l'acheteur “de refuser le payement du prix s'il est troublé ou s'il a juste sujet de craindre d'être troublé par une action en revendication ou hypothécaire,” ce qui est dire implicitement que la seule existence d'une hypothèque, saps menace de son exercice par le créancier, ne suffirait pas à permettre le refus de payement et encore moins l'action en garantie pour recouvrer le prix payé et obtenir des indemnités. Nous aurons du reste, au sujet des obligations de l'acheteur, à revenir sur cet article qui n'est pas sans difficultés.
249 lis. Une autre différence considérable entre les privileges ou hypothèqnes grevant la chose vendue et les autres droits réels est relative à l'effet de la connaissance qu'en pouvait avoir eue l'acheteur.
Quand il s'agit des droit réels autres que ceux qui nous occupent ici, la connaissance qu'en avait l'acheteur est appelée mauvaise foi et elle lui enlève tout droit à des dommages-intérêts au cas d'éviction, ne lui laissant que le droit de recouvrer son prix, comme payé sans cause. Mais ici, l'acheteur, tout en connaissant les privileges ou hypothèques, a pu croire que le vendeur payerait ses dettes avec d'autres fonds, que les créanciers le poursuivraient sur les autres biens qui pouvaient être restés dans ses mains, comme c'est leur devoir, en certains cas (v. C. fr., art. 2170): l'acheteur peut avoir été imprudent de ne pas purger les hypothèques, mais ce n'est pas là un cas de mauvaise foi.
Le Code français, sans être suffisamment explicite sur ce point, paraît autoriser cette solution dans un cas particulier (v. art. 2191).
Art. 704. — 250. En France, c'est une question très-difficile que celle de savoir quels sont les droits de l'adjudicataire sur saisie, lorsqne la chose n'appartenait pas au débiteur saisi.
Bien qu'il y ait beaucoup d'analogie entre l'adjudication et la vente, on ne peut les assimiler entièrement: l'adjudicataire ressemble certainement à un acheteur, puisqu'il acquiert une chose moyennant un prix fixé en argent; mais quel est le vendeur ? On ne peut pas dire que ce soit le saisi, puisque la saisie et la vente se font en quelque sorte malgré lui; on ne peut pas même dire ici qu'en contractant avec ses créanciers, il leur a donné mandat ou pouvoir de vendre, car ce pouvoir ne se serait appliqué, en tout cas, qu'aux choses dont la propriété lui appartenait et à non celles dont il était simplement possesseur; or, on est justement supposé être dans le cas où il n'était pas propriétaire.
On ne peut pas dire non plus que le saisissant soit vendeur, car ce serait le faire vendeur de la chose d'autrui, dans tous les cas, même quand la chose appartient au saisi, et dans ce dernier cas, il y aurait cette singularité que la vente de la chose d'autrui serait valable; ou bien, l'on dira qu'il vend comme mandataire du débiteur et c'est ce que nous venons de démontrer inexact: le saisissant requiert la vente, mais ne la fait pas, et ce qui prouve bien qu'il n'est pas vendeur, c'est qu'il n'a aucun pouvoir, soit pour déterminer le mode de la vente, soit pour en fixer le prix.
Dira-t-on que le vendeur est l'officier public qui procède à l'établissement du droit de propriété du saisi, dans la rédaction du cahier des charges ? Ce système ne serait pas plus soutenable que les deux autres: l'officier public (au Japon, ce sera sans doute le greffier du tribunal) a des obligations résultant de ses fonctions en cette matière, mais il n'est pas plus vendeur au cas d'adjudication sur saisie que ne le serait un notaire au cas de vente volontaire faite par acte authentique (c).
Si l'on entrait dans cette voie, il faudrait encore plutot considérer comme vendeur le juge qui préside les enchères et prononce l'adjudication, ce que pourtant l'on ne soutiendrait pas.
Ce qui est vrai pour l'officier public et même pour le juge présidant les enchères, c'est que si l'un ou l'autre avait manqué gravement aux devoirs de sa fonction et exposé l'adjudicataire à l'ignorance du danger de l'éviction, il pourrait être compté au nombre des personnes responsables, comme il est dit au dernier alinéa de notre article.
Il n'est donc pas possible de pousser bien loin l'assimilation de l'adjudication sur saisie à une vente volontaire.
251. Mais l'adjudicataire évincé aura payé son prix sans cause et il est juste qu'il le recouvre contre celui qui en a profité. Or, c'est, en première ligne, le débiteur saisi dont les dettes ont été éteintes par le prix, en tout ou en partie; mais, comme la saisie avait été amenée par son insolvabilité, il est vraisemblable qu'il sera encore insolvable au moment de l'action en répétition: dès lors, cette action peut être intentée contre les créanciers dans la mesure de ce qu'ils ont reçu. C'est en vain qu'ils allègueraient n'avoir reçu que ce qui leur était dû: il y a plusieurs cas de réception de l'indû, notamment celui où quelqu'un, étant vraiment créancier, reçoit de celui qui ne lui doit pas; or, c'est le cas de l'adjudicataire qui nous occupe.
252. A l'égard des dommages-intérêts, le texte indique trois personnes qui peuvent en être tenues, en tout ou en partie:
1° Le saisissant de mauvaise foi: saps chercher le principe de son obligation dans une prétendue qualité de vendeur qu'il n'a pas, il suffit qu'il ait commis la faute grave de saisir et faire vendre un bien qu'il savait ne pas appartenir à son débiteur. Cette faute est un dol, un véritable délit civil, une des sources ordi. naires d'obligations;
2° Le débiteur saisi: il est tonjours partie en cause dans la procédure de saisie et d'adjudication; il a l'occasion de s'expliquer au sujet des droits qu'il a ou qu'il n'a pas sur les choses saisies; s'il n'est pas propriétaire, son silence seul ne serait pas une faute suffisante pour engager sa responsabilité envers l'adjudicataire; mais si, requis de s'expliquer sur ses droits, il les a affirmés de mauvaise foi, ou a nié ceux d'un tiers, il a commis le méme délit civil que le saisissant; si enfin, sans avoir été mis en demeure de se prononcer, il a dissimulé les droits d'autrui, c'est encore un délit civil;
3° Les officiers publics participant à la procédure, spécialement à la rédaction du cahier des charges où doit être établie la propriété du débiteur saisi: si ces officiers ont commis une faute grave dans l'exercice de leur fonction et si cette faute a contribué à l'erreur de l'adjudicataire, il est juste et conforme au droit commun que leur responsabilité soit encourue.
La loi n'a pas besoin de rappeler ici la responsabilité du conservateur des registres de mutations qui aurait donné un certificat inexact des transcriptions antérieures: cette responsabilité est écrite, d'une façon générale, dans l'article 375.
Le Projet a cherché ainsi à prévenir les incertitudes qui règnent en France et dans plusieurs autres pays, au sujet de l'éviction que subit un adjudicataire sur saisie.
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(c) A la fin de la xve année de Meiji (1882), nous avons rédigé, à la demande du Ministre de la justice, un Projet de loi sur toutes les Saisies, en 145 articles, avec un Commentaire. Ce travail n'a été publié que dans la traduction japonaise (XVII° année).
On le destinait alors à faire partie du Code de procédure civile; mais nous ne prévoyons pas aujourd'hui quiel en sera le sort.
Au sujet de la saisie immobilière, il y est question du cahier des charges et de l'établissement de la propriété du débiteur saisi sur la chose mise en vente (art. 107 et 116). Les huissiers et les avoués n'existent pas au Japon et nous n'avons pas proposé de les y in. troduire, parce qu'ils contribueraient à l'augmentation des frais de justice: le rôle des huissiers est rempli dans notre Projet des saisies par des agents du greffe; le cahier des charges est rédigé par le greffier et les parties enchérissent elles-mêmes ou par man. dataire, avec des garanties.
Art. 705. — 253. Les dispositions de cet article sont reproduites du Code français (art. 1693, 1694 et 1695), avec une addition relative aux actions en nullité.
Les interprètes de ce Code ont souvent prétendu voir là des restrictions à la garantie ordinaire et ils ont cherché à les expliquer, en se fondant sur une défaveur que mériteraient les acheteurs ou cessionnaires de créances.
On a dit que ceux qui achètent des créances avant l'échéance sont des spéculateurs peu intéressants, qui cherchent à profiter de l'embarras des créanciers, payent le prix le plus faible qu'ils peuvent et poursuivent ensuite le débiteur-cédé avec toute la rigueur possible.
Nous croyons qu'il y a là une exagération et que ce reproche de spéculation plus ou moins avide n'est fondé qu'à l'égard des acheteurs de droits litigieux et non des acheteurs de créances ordinaires; aussi trouve-t-on dans le Code français, contre les acheteurs de droits litigieux, une mesure exceptionnelle qu'on n'y trouve pas pour ceux qui nous occupent, c'est le retrait litigieux que le Projet admet seulement contre certains officiers publics acheteurs de droits litigieux (voy. art. 677, 2e al.). La vérité est que la garantie n'est pas moins étendue dans la vente de créances que dans celle de choses corporelles.
254. Le 1er alinéa applique à la cession de créances le droit commun de la garantie: les limites qne la loi apporte à la garantie de la solvabilité, dans les deux alinéas qui suivent, n'ont d'autre but que de prévenir une extension abusive qu'on pourrait être porté à lui donner.
D'abord, le vendeur d'une créance est garant de l'existence de la créance; il est donc responsable de son inexistence: par exemple, si la prétendue créance était radicalement nulle faute, de cause licite ou d'objet suffisammment déterminé, ou si, ayant existé, elle avait été ensuite éteinte par un payement ou par une compensation.
Sous ce rapport, le vendeur d'une créance ne diffère pas de celui qui vendrait une chose corporelle ayant péri avant la vente (v. art. 680).
Le vendeur garantit aussi que la créance lui appartient: elle pourrait exister et appartenir à autrui; une pareille vente serait nulle comme toute vente de la chose d'autrui (voy. art. 679). Le Code français n'a parlé que de l'existence absolue de la créance, mais il faut l'entendre aussi 'une existence relative au rendeur, d'une existence à son profit; en tout cas, le Projet l'exprime formellement.
Le Projet ajoute que le vendeur est garant aussi de la validité de la créance, c'est-à-dire que si elle était sujette à une action en nullité ou en rescision, il en serait responsable.
Bien que le Code français n'ait pas exprimé cette garantie, on ne doit pas hésiter à l'admettre, car si une créance annulable existe, tant que l'action en nullité n'est pas exercée, elle cesse d'exister après le triomphe de cette action.
On voit que, jusqu'ici, il n'y a pas de défaveur pour l'acheteur d'une créance, et déjà on peut dire qu'il a droit à la même garantie qu'un acheteur de chose corporelle auquel on ne doit que la garantie d'existence physique de la chose, la garantie du droit de propriété chez le vendeur, enfin, la garantie que la chose n'a pas de vices cachés la rendant impropre à sa destination (ce dont il sera parlé à la Section 11).
255. La loi nous dit ensuite que le cédant n'est pas garant de la solvabilité du débiteur, et c'est là qu'on prétend voir une défaveur pour l'acheteur; mais si le vendeur garantissait la solvabilité ce serait, au contraire, une fareur exceptionnelle pour le cessionnaire. Le risque d'insolvabilité du débiteur est inhérent à la nature du droit cédé et en rendre le cédant garant de droit serait presque aussi exorbitant que rendre le vendeur d'un champ garant de la réussite des récoltes et le vendeur d'une maison garant d'une location continue: il peut y avoir là matière à une garantie conventionnelle, mais non à une garantie légale.
Législativement, on pourrait distinguer, à la rigueur, si la cession a eu lieu avant ou après l'échéance: dans le cas où la cession précède l'échéance, il est tout naturel que le cessionnaire coure le risque de l'insolvabilité future du cédé; quand, au contraire, la cession n'a lieu qu'après l'échéance, on comprendrait que le cédant fût garant de la solvabilité actuelle, car, si le cédé n'est pas actuellement solvable, il est bien douteux qu'il le devienne plus tard. Mais nous ne le proposerions pas comme disposition législative, parce que, selon nous, le seul fait que le créancier vend une créance échue fait présumer qu'il la considère comme étant d'un recouvrement difficile.
256. Mais si la loi ne croit pas devoir imposer au yendeur la garantie de la solvabilité du cédé, elle admet qu'il puisse s'y soumettre volontairement et par convention; on dit alors, dans le langage usuel, qu'il y a garantie de fait, par opposition à la garantie de droit, c'est-à-dire à celle qui a lieu en vertu de la loi et dont l'objet est l'existence de la créance.
La promesse de garantie de la solvabilité doit être expresse; ainsi, il ne suffirait pas que l'acte de vente portât que le vendeur cède telle créance “avec garantie,” parce que peut-être il n'aurait entendu garantir que l'existence de la créance. Il est vrai qu'on pourrait dire que “les clauses susceptibles de deux sens doivent s'entendre dans le sens qui leur donne un effet, plutôt que dans celui qui ne leur en donne aucun” (art. 378); or, la clause "de garantie" ne produira pas d'effet, si elle n'ajoute rien à la garantie légale; mais ou ne doit pas non plus admettre facilement, s'il y a doute, une extension aussi considérable des obligations du cédant; le Projet n'a d'ailleurs pas admis la disposition si sévère du Code français (art. 1602) d'après laquelle “tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur" (v. p. 254, n° 208). On se retrouve alors dans le cas d'appliquer une des règles les plus sages des deux Codes: “dans le doute, la clause obscure s'interprète contre le stipulant, en faveur du promettant” (C. civ. fr., art. 1162, Proj. jap., art. 380); or, dans la garantie, le stipulant est le cessionnaire, et le promettant est le cédant.
257. En supposant une promesse expresse de garantie de solvabilité, il reste encore des difficultés.
La créance peut n'être pas encore échue au moment de la cession, ou elle peut l'être.
A quel moment doit-on se placer pour déterminer la responsabilité de l'insolvabilité du cédé ?
Le Code français (art. 1695) dit que la garantie de la solvabilité ne s'entend que de la solvabilité actuelle.
On a prétendu qu'il fallait entendre ces mots dans le sens de la solvabilité au jour de l'échéance, quand la créance n'est échue qu'après la cession; on a dit que la solvabilité au jour de la cession n'avait pas d'importance quand la créance n'était pas encore échue; mais il y a là une erreur: lorsqne le débiteur est solvable au jour de la cession, mêine quand l'échéance est encore à venir, c'est déjà une forte présomption qu'il sera encore solvable à l'échéance et, en tout cas, comme le Code français ne distingue pas entre la créance échue et celle non échue, il est difficile de donner une interprétation aussi défavorable au cédant, quand on voit combien la loi est réservée à cet égard.
Mais le Code français peut être modifié utilement dans le sens que nous ne contestons qu'à cause de son texte,
Le Code italien (art. 1514) a lui-même donné l'exem. ple de cette modification et il est même allé plus loin que nous ne le proposons: ainsi, si la créance est échue, la garantie de la solvabilité s'étend à un an après la cession.
Nous proposons de s'en tenir ici à la solvabilité actuelle, parce que, s'il est certain, dans ce cas, que le cédant n'a pås eu pour but de se soustraire à tout danger de l'insolvabilité du cédé, il n'est pas à croire pour cela qu'il ait entendu courir des risques pour l'avenir.
Si la créance n'est pas échue, le cédant qui a promis la garantie est responsable de l'insolvabilité survenue avant l'échéance ou dans l'année qui la suit.
Enfin, nous croyons qu'il faut prévoir, comme le Code italien, le cas d'une créance de rente perpétuelle, quoique ces rentes soient encore peu usitées au Japon et ne doivent sans doute l'être jamais beaucoup entre particuliers, puisqu'elles disparaissent en Europe, après y avoir été très-répandues. Dans ce cas, comme il n'y a pas d'exigibilité du capital, mais seulement des arrérages annuels, la responsabilité du cédant, sans devenir perpétuelle comme la créance, doit étre plus longue: le Code italien la fait durer dix ans et ce délai ne nous semble pas exagéré.
Remarquons bien que ce délai d'un an ou de dix ans est celui pendant lequel la responsabilité du cédant est encourue et non celui pendant lequel il peut être actionné en garantie: une fois que l'obligation de garantie est née dans le délai précité, l'action est soumise au délai ordinaire de la prescription.
Sous ce rapport, le Code italien (ibid.) pourrait prêter à l'équivoque, lorsqu'il dit que “la garantie de la sol. vabilité s'éteint par le laps de dix ans, à partir de la cession:” on pourrait croire que l'action en garantie, une fois née dans ce délai, s'éteint avec la dixième année, ce qui n'est certainement pas la pensée de la loi, car le reste du délai de dix ans pourrait être très-court.
Le texte du Projet ne laissera pas de doute dans le sens opposé.
258. Il reste à savoir quel est, en matière de cession de créance, l'effet de l'obligation de garantie lors. qu'elle est encourue.
Il faut distinguer, à cet égard, entre la garantie legale ou de droit et la garantie conventionnelle ou de fait.
Le Projet, pas plus que le Code français, ne s'est expliqué sur la première garantie, parce qu'il faut lui appliquer le droit commun: soit que la créauce n'existe pas, soit qu'elle n'appartienne pas au cédant ou qu'elle soit seulement annulable, le cédant doit certainennent rembourser au cessionnaire le prix de cession et les frais du contrat, et ceux du procès dans lequel le cédé a triomphé, parce que ces frais ont été payés par le cessionnaire; le cédant doit aussi les dommages-intérêts; or, ici ils consisteront dans le gain que le cessionnaire a pu espérer de la cession, et ce gain est la différence entre le montant intégral de la créance et le prix de cession: c'est comme une plus-value de la chose vendue, dont le cessionnaire a été frustré. On voit donc que l'article 695 reçoit ici son application naturelle.
Par exemple, le cessionnaire a acheté pour 800 yens une créance de 1000 yens; mais la créance n'existe pas: le cessionnaire a accepté le risque de l'insolvabilité actuelle et future du débiteur, mais il n'a pas entendu courir celui de l'inexistence de la créance (comme on le verra, au contraire, dans la cession de droit litigieux), il est donc juste qu'il recouvre le montant intégral de la créance (1000 yens) ou, si l'on aime mieux, 800 yens, son prix d'acquisition, et 200 yens, le profit espéré de l'opération.
Mais on peut supposer, en même temps, que le prétendu débiteur de cette dette qui n'existe pas est une personne insolvable. Dans ce cas, le cédant ne sera garant que de la somme que le cessionnaire aurait effectivement obtenue du cédé, si la créance avait existé: le cédant, en effet, peut dire au cessionnaire que, lors même que la créance aurait existé, il n'en aurait pas obtenu le montant intégral; la réparation ne doit pas excéder le préjudice réellement éprouvé. Mais si l'indemnité ne doit pas atteindre le prix de cession, c'est ce prix que le cédant devra restituer: autrement, il en serait enrichi sans cause, ce qui est une autre source d'obligation.
Supposons maintenant qu'il y ait eu garantie conventionnelle de la solvabilité actuelle ou future du débiteur et que l'obligation du cédant soit encourue, parce que le débiteur est insolvable: le Projet, conforme en cela au Code français (v. art. 1694), n'oblige le cédant qu'à rembourser le prix de cession, comme constituant un enrichissement indû.
On a encore prétendu que cette limite de la garantie tenait à la défaveur qui atteint les cessionnaires de créances; il n'y a pas besoin d'imaginer un pareil motif: la loi interprète la clause de garantie de la façon la plus favorable au débiteur, c'est-à-dire, ici, an cédant.
Ces limites mises à l'obligation de garantie de solrabilité du cédé cessent lorsqu'il s'agit de la cession par endossement des créances dites "effets de commerce.” Le futur Code de commerce suivra, sans doute, la tradition européenne de ce genre particulier de cession: le céilant ou l'endosseur sera, de droit, garant de la solvabilité du cédé et, lorsque la garantie sera encourue, il devra rembourser le montant intégral de la créance (comp. C. com. fr., art. 140 et 16t).
Art. 706. — 259. Il peut arriver qu'une personne ait des droits ou intérêts en litige et qu'elle n'ait ni le temps d'attendre la décision judiciaire, ni les moyens de faire face aux frais du procès; il est naturel, dans ce cas, qu'elle ait la faculté de céder son droit, ou tont au moins sa prétention, avec les preuves à l'appui.
On a abandonné dans les temps modernes la disposition trop sévère de la législation romaine qui défendait la cession de droits litigieux à celui qui ne possédait pas la chose ou n'exerçait pas le droit en litige, et d'après laquelle le possesseur même n'était pas sans entraves dans son droit de céder.
Le demandeur peut donc aujourd'hni, comme le défendeur, vendre les droits qu'il prétend avoir.
La loi ne distingue pas non plus s'il s'agit de droits réels litigieux ou de créances litigieuses.
260. Au sujet de la garantie qui peut être due par le cédant, il y a une différence profonde avec la garantie des autres ventes ou cessions et elle résulte de la nature même de la chose cédée.
Dans les ventes ordinaires, de droits réels ou de créances, le vendeur est, de droit, garant de l'existence de la chose cédée et de l'existence à son profit, c'est-à-dire qu'il garantit que le droit lui appartient. Ici, on ne pouvait soumettre le cédant à une pareille garantie, puisque le droit est vendu comme contesté. Si l'acheteur a été prévenu de ce caractère litigieux de la chose (et il faut le supposer), il a connu aussi le langer de l'ériction: il a évidemment acheté à ses risques et périls.
On a prétendu encore qu'il y a là une rigueur contre les acheteurs de droits litigieux, auxquels la loi ne serait pas favorable, parce qu'ils spéculent sur les procès et parce que leur intervention, loin d'en faciliter la terminaison, la complique et la retarde; mais cette défarenr ne se révèle pas en matière de garantie. On la trouve, il est vrai, dans le Code français (art. 1699), mais c'est seulement dans la faculté accordée au cédé ile mettre fin au procès en remboursant au cessionnaire le prix de cession, ce qu'on nomme retrait litigieur. Le Projet n'a admis cette atteinte à la liberté des conventions que dans le cas de cession de droits litigieux faite à certains officiers publics (v. art. 677 et p. 227, no 185).
Il y a pourtant ici une particularité à noter au sujet de la garantie d'existence du droit cédé: si l'on appliquait le droit commun de cette matière, la seule connaissance qu'aurait eue l'acheteur du danger de l'éviction le priverait du droit aux dommages-intérêts, mais non du droit à la restitution de son prix; tandis qu'ici il n'aura même pas ce droit: c'est une vente faite à ses risques et périls, quoique ce caractère ne lui ait pas été assigné expressément; or, on verra bientôt que la vente "aux risques et périls” de l'acheteur lui ôte tout droit à la garantie.
Ce n'est pas à dire que le vendeur ne doive aucune garantie: il pent n'avoir aucun droit, puisqu'il y a litige, mais il doit avoir au moins une prétention; la loi n'exige pas que cette prétention soit légitime ou fondée (ce serait l'obliger à garantir le succès du procès); elle n'exige même pas qu'elle soit sincère, c'est-à-dire que le cédant ait la croyance à son droit; il suffit, mais il faut que la prétention soit réelle, sérieuse, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas imaginaire ou simulée: autrement, il suffirait d'intenter contre quelqu'un le procès le plus déraisonnable, pour se procurer frauduleusement des ressources, en vendant le prétendu droit litigieux.
Mais il ne suffit pas, pour exclure la garantie d'existence du droit, que la prétention soit réelle, il faut encore que “le cessionnaire ait eu connaissance du litige.” Il n'est pas nécessaire que le droit cédé ait été qualifié "litigieux,” si la connaissance de ce caractère chez le cessionnaire est autrement prouvée; mais on comprend facilement que si le cessionnaire ignorait le litige, il ne pourrait être considéré comme ayant acheté à ses risques et périls.
261. Il fallait encore que la loi précisât exactement ce qu'il fallait considérer ici comme un litige.
En tout autre cas, on ne dira qu'il y a litige que si un procès véritable est engagé, que si une action est déjà portée devant le tribunal; mais ici, la loi met sur la même ligne “une contestation formelle par acte extrajudiciaire.” Ainsi, un droit réel a été cédé: il y aura litige quand le possesseur aura été sommé de délaisser l'immeuble comme appartenant à celui qui fait la sommation. Si l'on suppose la cession d'une créance, il faudra que le cédant ait, antérieurement à la cession, fait à son prétendu débiteur sommation de payer et que celui-ci ait répondu, par un acte en forme, qu'il ne devait pas, soit pour avoir déjà payé, soit pour toute autre cause.
Remarquons, à ce sujet, une différence entre le droit réel et le droit personnel: quand le droit est personnel, il n'y a pas encore litige lorsque le prétendu créancier a fait sommation de payer; ce n'est pas encore une contestation: peut-être le débiteur obéira-t-il à la sommation; le litige ne commence que lorsque le débiteur a déclaré qu'il ne doit pas; quand, au contraire, il s'agit d'un droit réel, il suffit, pour qu'il y ait litige engagé, que le possesseur soit sommé de délaisser, sans qu'il soit nécessaire que celui-ci ait contredit la sommation; cette sommation est déjà elle-même la contradiction de la légitimité de la possession.
La même différence entre le droit personnel et le droit réel devrait être admise s'il s'agissait d'une demande en justice: la demande formée contre le pré. tendu débiteur ne suffirait pas pour que le litige fût engagé, il faudrait encore que celui-ci eût répondu par des conclusions tendant au rejet de la demande; tandis qu'en matière de droit réel, la revendication seule, intentée contre le possesseur, serait déjà l'engagement judiciaire du litige.
Admettre, comme on vient de le faire, qu'il y ait litige dans une “contestation extrajudiciaire, c'est élargir ici le sens du mot litige; mais, à un autre poiut de vue, ce sens est restreint. Ainsi, ordinairement, on dira qu'il y a litige, en matière personnelle, si un débiteur, sans nier sa dette, conteste la compétence du tribunal ou nie que l'échéance soit arrivée; en matière réelle, il y aura litige également si la compétence est contestée ou si l'action n'est exercée qu'au possessoire et non au pétitoire. Mais ici, il faut que la contestation porte sur le fond du droit: il faut que le débiteur nie sa dette ou que le demandeur revendique la propriété et non la possession. On pourrait, dans un cas, soutenir que l'exercice de l'action possessoire seule constitue un litige au fond, c'est lorsque la cession aurait eu pour objet la possession et non la propriété; encore faudraitil, dans ce cas, qu'il s'agît, de l'action en réintégrande et non de l'action en complainte (comp. art. 212 à 216).
Le Projet, sous ce dernier rapport, est conforme au Code français (art. 1700); mais il s'en est écarté en mettant sur la même ligne les contestations extrajudiciaires et judiciaires: le Code français exige que la contestation soit judiciaire, car il veut qu'il y ait “procès sur le fond du droit.”
262. Le Code français est resté muet sur la garautie que doit le cédant de droits litigieux: il n'a que deux dispositions sur cette matière: l'une qui nous a déjà occupés et qui défend à certaines personnes l'achat de droits litigieux (ci-dessus, art. 676 et C. fr. art. 1597), l'autre que le Projet n'a pas adoptée et qui permet à “celui contre lequel on a cédé un droit litigieux “de s'en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui “ remboursant le prix réel de la cession” (art. 1699).
Mais de ce que le Code français n'a pas limité la garantie du cédant comme le Projet vient de le faire dans le précédent article, il n'en résulte pas que la doctrine et la jurisprudence soumettent le cédant aux obligations ordinaires de la garantie en matière de cession de créances; les limites que nous venons de leur assiyner, d'après la nature même de la chose vendue, d'après son caractère aléatoire, sont généralement admises: le cédant n'est garant que de la réalité de sa prétention, non de la réalité de son droit.
263. Il restait à régler ici l'étendue de la garantie dans les deux cas où elle est encourue, soit quand la prétention du cédant n'était pas sérieuse et réelle, soit quand le cessionnaire avait ignoré que le droit était litigieux. Dans ces deux cas, le cédant ne mérite aucune faveur, l'obligation de garantie ne sera pas limitée exceptionnellement; il devra donc rendre le prix de cession, les frais du contrat et tous autres dommagesintérêts: notamment, les frais du procès avec le tiers, frais qu'il a dû payer, ayant succombé; le cédant devrait méme la différence entre le prix de cession et le montant nominal de la créance, dans le cas d'une cessiou de créauce; s'il s'agissait d'un droit réel, le cédant devrait, outre le prix de cession, l'excédant de valeur estimative, la plus-value de la chose cédée: il y a lieu à l'application du droit commun, du moment que le cédant n'est plus dans le cas de l'exception.
Art. 707, 708 et 709.-266. On sait que la loi défend la vente d'une succession non ouverte (art. 342); le inotif en a été donné en son lieu (T. II, p. 107, no 99). Mais, lorsqu'une succession est ouverte, celui qui y est appelé peut, sans attendre la liquidatiou et pour s'en épargner les lenteurs et les embarras, aliéner son droit héréditaire. La même faculté appartient à un légataire universel ou à titre universel, qu'on appelle quelquefois héritier testamentaire, par opposition à l'héritier légitime ou appelé par la disposition de la loi.
Il importe de déterminer quels sont l'objet et l'étendue de la garantie dans une pareille vente.
Si une convention est intervenue à cet égard entre les parties, elle sera suivie, et cette convention sera plus fréquente en cette matière que dans les autres ventes, à cause du caractère complexe du droit cédé.
La loi ne va statuer que pour le cas où aucune convention particulière n'a eu lieu.
Il est naturel que le vendeur soit garant de l'existence eu sa faveur du droit cédé, c'est-à-dire de sa qualité d'héritier ou de légataire et, s'il a déclaré être héritier ou legataire pour le tout ou pour une quote part déterminée, il est garant de l'étendue de son droit telle qu'il l'a annoncée. Il n'y a là que l'application du droit commun.
Mais la loi ajoute qu'il “n'est pas garant d'un émolument déterminé, s'il ne l'a exprimé.” Il peut arriver, en effet, que l'acheteur ait espéré une plus grande quantité de biens que celle qui se trouve effectivement dans la succession, ou que les dettes soient plus considérables qu'il ne le prévoyait; mais, s'il n'a pas stipulé un minimum de profit, le vendeur n'en est pas garant.
II ne faut pas voir là une limite exceptionnelle au droit cominun de la garantie: le vendeur n'a pas vendu un certain nombre de choses déterminées, comme héréditaires; il a vendu une universalité, susceptible d'une étendue plus ou moins considérable (v. art. 27, 4e al.); or, du moment qu'il avait la qualité d'héritier ou de légataire qu'il a annoncée, il avait droit à l'universalité cédée: il n'encourt aucune garantie.
265. Cet article suppose que le vendeur n'a pas spécifié la portion pour laquelle il est héritier on légataire: ce peut être pour le tout, ce peut n'être que pour une part.
Jusqu'ici, au Japon, il est bien rare que plusieurs héritiers soient simultanément appelés à une succession; mais il est à prévoir que la future loi des successions, tout en tenant compte des coutumes et traditions anciennes, admettra qu'il puisse y avoir concours de plusieurs héritiers, plutôt encore dans le cas de collatéraux venant à la succession que dans le cas d'enfants. En tout cas, si l'usage des testaments se répand au Japon, il pourra arriver que le testateur institue plusieurs légataires à titre universel pour des parts égales ou inégales.
Mais, dans le cas de plusieurs héritiers ou légataires, une difficulté sérieuse peut se présenter: elle n'est pas résolue dans le Code français et elle a été, de tout temps, l'objet de vives discussions, tant en droit romain que dans l'ancien droit français; il est désirable qu'elle ne se reproduise pas au Japon où ces matières présenteront déjà les difficultés d'une innovation.
Dans l'hypothèse de plusieurs héritiers ou légataires appelés à recueillir une même succession, pour des parts égales ou inégales, si tous sont dans les conditions de la loi pour recueillir leur part et l'acceptent, celui qui a acheté une des parts vient au partage avec les autres, au lieu et place du vendeur.
Mais si l'un des ayant-droit est incapable ou indigne de recueillir sa part, ou s'il la refuse, ou enfin, s'il est décédé avant le de cujus (d), alors, la part des autres s'en augmente: on dit qu'il y a accroissement, augmentation de la part des autres.
Fallait-il admettre que l'acheteur profitât de cette augmentation? Ceux qui la lui refusent, en France, allèguent que cette augmentation n'a été ni dans les prévisions ni dans l'intention des parties.
En sens inverse, il peut y avoir un autre héritier ou un légataire à titre universel appelé à la succession et dont on avait ignoré les droits, soit parce qu'on ne connaissait pas son degré de parenté, soit parce qu'on ignorait le testament qui l'appelait, soit enfin, parce qu'après avoir été longtemps sans nouvelles de lui, on le croyait décédé avant le de cujus; daus ces cas, les droits des autres héritiers sont diminués dans la mesure des siens: on dit qu'il y a décroissement.
Faut-il admettre que les droits de l'acheteur d'une des parts héréditaires seront diminués? Dans ses rapports avec cet héritier nouveau cela n'est pas douteux: la vente à laquelle celui-ci est étranger n'a pu lui nuire. Mais, dans ses rapports avec son vendeur, faut-il lui donner un recours en garantie pour la portion de droits dont il est privé? La solution du Projet concilie l'intention probable des parties avec les principes généraux des successions. Du moment que le vendeur a vendu ses droits "tels qu'ils se comportent,” ou sans spécifier la quotité de sa part, l'acheteur a droit à cette part, telle qu'elle se trouvera légalement fixée, après l'établissement des droits des divers héritiers et légataires: s'il a chance de gagner par un accroissement imprévu, il est juste qu'il coure le risque de voir ses droits diminués par le décroissement. On n'exigera pas qu'il y ait eu emploi de formules spéciales pour attribuer à la vente un effet plus ou moins étendu: c'est toujours à l'ensemble du contrat, rapproché des circonstances, qu'il faudra s'attacher pour savoir quelle a été l'intention des contractants.
Ainsi, si le vendeur a indiqué le nombre de ses cohéritiers ou colégataires et la quotité de leurs droits, il est clair qu'il a entendu par là indiquer à l'acheteur les seules parts qu'il aurait à admettre en concours avec lui et que s'il se présente d'autres ayaut-droit, il est tenu d'en indeminser l'acheteur; en sens inverse, s'il se trouve quelque part héréditaire non recueillie, l'acheteur ne peut prétendre en bénéficier et doit en restituer le profit au vendeur. Le cas doit être différent de celui où le vendeur aurait garanti un minimun d'émolument et où il y aurait excédant: dans ce cas, l'acheteur ne peut pas perdre, mais il peut gagner.
266. La vente d'une hérédité ne met pas absolument le cessionnaire aux lieu et place du vendeur; aucune novation n'est produite: les créanciers de la succession conservent leur droit de poursuite directe contre l'héritier; mais dans les rapports du cédaut et du cessionnaire, le résultat de la cession doit être d'affranchir le cédant de toute charge héréditaire et de le priver de tous les profits de la succession.
Le texte de cet article en déduit les principales conséquences.
La première est l'obligation pour le cessionnaire de préserver le cédant de toutes poursuites des créanciers de la succession, postérieurement à la vente. Il est singulier, au premier abord, de voir l'acheteur tenu d'une garantie, lorsqu'on est accoutumé à voir cette obligation imposée an vendeur au profit de l'acheteur; mais, quand on se reporte à la définition donnée de la garantie par la loi elle-même (art. 415), et à son application dans les contrats onéreux (art. 416), on voit qu'il n'y a rien là d'exceptionnel: le cessionnaire, en acquérant des droits, a assumé des charges indépendamment du prix de cession à payer: il s'est soumis aux dettes de la succession; il doit donc non seulement rembourser au cédant ce que celui-ci en aurait déjà payé, mais le préserver des poursuites, en satisfaisant directement lui-même les créanciers héréditaires. Si donc le cédant est actionné par ceux-ci (car ils ont toujours le droit de le poursuivre), il appellera le cessionnaire en cause pour débattre leur réclamation et y faire droit, s'il y a lieu; dans le cas où il sera lui-méme condamné à payer, il prendra jugement contre lui pour le remboursement.
Le vendeur devra être remboursé des autres dépenses qu'il aura faites pour la succession, notamment pour la réparation des biens.
L'héritier pourrait avoir des créances contre la succession. En principe, ces créances se sont éteintes par confusion, car sa qualité d'héritier le fait succéder à la dette de la succession et il ne peut avoir une créance contre lui-meme (voy. art. 555). Réciproquement, si l'héritier est débiteur de la succession, comme il ne peut se devoir à lui-même, sa dette s'est éteinte par confusion.
Mais, du moment qu'il vend sa qualité d'héritier, ses droits et ses obligations propres doivent renaître, au moins dans ses rapports avec son cessionnaire (art. 356, 24 al.); ils ne renaissent pas vis-à-vis des tiers, parce que la cause qui lui enlève la qualité d'héritier est volontaire et postérieure à l'ouverture de la succession; si donc les créances dont il s'agit étaient garanties par des cautions ou par des hypothèques, les cautions resteraient libérées et les hypothèques, éteintes par confusion, ne renaîtraient pas.
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(d) Ces mots sont l'abrégé de de cujus successione agitur, "celui de la succession duquel il s'agit;” ils sont synonymes de “le défunt;” mais quand on suppose deux décédés, comme ici, on ne peut employer une expression qui s'appliquerait à l'un comme à l'autre: il peut y avoir plusieurs défunts, mais il n'y a jamais qu'un seul de cujus.
Art. 710. — 267. Les dispositions expliquées plus haut sont établies pour le cas où les parties n'ont pas fait de convention au sujet de la garantie sur l'existence des droits cédés et sur leur intégralité.
Mais il va de soi qu'en cette matière, comme en toute autre où ne sont en jeu que des intérêts privés, les conventions des parties sont libres et peuvent restreindre, étendre ou modifier l'obligation du vendeur au sujet de la garantie; elles peuvent, notamment, fixer une somme unique, à forfait, pour toutes restitutions et indemnités dues à l'acheteur au cas d'ériction: ce serait une clause pénale (v. art. 408 et 409).
La loi croit devoir interpréter ici d'une façon favo. rable à l'acheteur une clause assez fréquente dout on pourrait être porté à exagérer l'effet. Le vendeur stipulera assez souvent qu'il“vend sans garantie” qu'il “ne sera tenu à aucune garantie:” cette stipulation l'exonère des divers chefs de dommages-intérêts énoncés à l'article 695, mais elle ne suffit pas pour l'affranchir de l'obligation de restituer le prix, parce qu'il l'a reçu sans cause, et il est encore plus commandé par l'équité naturelle de ne pas conserver le bien d'autrui sans cause légitime que de réparer le dommage causé injustement: dans le dommage causé, la faute peut n'avoir duré qu'un moment, tandis que dans l'enrichissement indû, l'injustice dure tant qu'il n'y a pas restitution.
Mais le vendeur peut être affranchi, dans deux cas, de cette obligation même de restituer le prix au cas d'éviction; c'est:
1° Lorsqu'à la stipulation de non garantie se joint la circonstance que l'acheteur connaissait le danger d'ériction, ce qu'il ne faut pas entendre dans le sens d'un simple soupçon des droits d'autrui, mais dans le sens d'une pleine connaissance de ces droits; c'est ce que, plus haut, nous avons constamment appelé la “mauvaise foi” de l'acheteur;
2° Lorsque la vente a été faite “aux risques et périls de l'acheteur.” On discute en France, si, avec cette clause de risques et périls de l'acheteur il faut encore qu'il y ait eu stipulation de non garantie; mais on décide généralement que la première clause suffit, parce qu'elle donne à la vente le caractère de contrat aléatoire (sog. art. 322). La question ne sera pas soulevée au Japon, le texte porte que “ dans tous les cas," la clause de risques et périls de l'acheteur affranchit le vendeur de la restitution du prix, ce qui rend inutile la stipulation de non-garantie et dispense de rechercher si l'acheteur connaissait ou non les droits d'autrui.
On remarquera que, dans les divers cas qui nous occupent, il n'y a pas à distinguer si le vendeur luimême était de bonne ou de mauvaise foi: comme sa bonne foi ne le dispense pas, lorsqu'il n'y a eu aucune clause particulière, de rendre le prix au cas d'éviction et de fournir toutes indemnités, parce qu'il y a toujours faute, de même, sa mauvaise foi ne le prive pas du bénéfice des clauses qu'il a fait insérer dans la vente pour se décharger de ces deux sortes d'obligations: elles ont suffisamment averti l'acheteur des dangers qu'il courait et il est bien certain que le prix s'en sera ressenti et aura été très-réduit.
268. Pour compléter cette importante théorie de la garantie, l'article 711 reproduit une règle générale de la matière posée antérieurement dans l'article 416 pour tous les contrats. Cette règle est parliculièrement à remarquer, parce qu'elle pent changer toutes les solutions précédentes, c'est que le cédant ne peut, à la faveur d'ancune clause ou stipulation, s'affranchir de la garantie d'éviction “résultant de son fait personnel ” (rov. C. fr., art. 1628). La garantie est alors dite essentielle. Ainsi, un vendeur d'immeuble, ayant stipulé qu'il ne devrait “aucune garantie,” au cas d'ériction, ou ayant rendu “aux risques et périls de l'acheteur,” aurait profité de la négligence de celui-ci à faire transcrire son acte, pour vendre une seconde fois à un tiers de bonne foi: celui-ci evincera le premier acheteur, en vertu du principe que la vente non transcrite n'est pas opposable aux tiers (art. 370), et l'acheteur évincé par suite de ce fait personnel du vendeur aura son recours en garantie dans toute sa plénitude, tant pour la restitution du prix que pour les dommages-intérêts (v. ci-dess., p. 174, n° 138).
La solution serait la même si le fait personnel du vendeur, au lieu d'être, comme ici, postérieur à la vente faite sans garantie y était antérieur. Ainsi, une première vente d'immeuble ayant été faite dans les conditions ordinaires, sans aucune stipulation particulière, a été transcrite immédiatement; peu de temps après, le même vendeur a vendu le même bien “sans garantie” ou “aux risques et périls” (lu nouvel acheteur; celui-ci, par l'effet d'une confiance trop absolue dans le vendeur, ne s'était pas fait délivrer préalablement im état des transcriptions: il sera évincé, évidemment; mais il aura son plein recours en garantie, parce que l'éviction qu'il subit est la suite inéritable d'un fait personnel du vendeur. Cette solution est d'une équité manifeste: il y a ici plus que la mauvaise foi du rendeur, c'est-à-ilire plus que sa connaissance des droits d'autrui: c'est lui qui a conféré ces droits à autrui, c'est Ini qui a créé la cause de l'éviction de son acheteur.
Il en serait de même si, le vendeur étant mort après une vente ordinaire transcrite, ses héritiers avaient, même de bonne foi, revendu le bien à un autre achetenr, à ses risques et périls: ils resteraient néanmoins tenus pleinement de la garantie (v. T. II, p. 350, n° 338).
Une question reste à examiner dans ces deux dernières hypothèses: comme la cause de l'ériction est antérieure à la vente, le second acheteur pourrait l'avoir connue, ce qui n'est pas possible dans la 1re hypothèse; on peut se demander alors si cette connaissance par l'acheteur du danger de l'ériction lui ôte le droit aux dommages-intérêts, en ne lui laissant que le droit à la restitution du prix. Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement: une des premières dispositions de cette matière est que les dommages-intérêts ne sont dus qu'à l'acheteur de bonne foi (art. 695); or, on vient de le supposer de mauvaise foi. Mais il recouvre son prix, comme enrichissement indû du vendeur.
269. On a déjà vu que les privileges et hypothèques portant sur la chose vendue, et même l'éviction qui en concernent les autres droits réels appartenant à des tiers (v. p. 309 et s., n°8 249 et 2-19 bis). On peut encore signaler ici une particularité que présentent ces mêmes droits, au sujet de la stipulation de “non garantie du vendeur" et de la clause de "risques et périls de l'acheteur.”
Sans doute, ces deux stipulations affranchiraient lo vendeur de l'indemnité d'éviction, s'il s'agissait de priviléges ou d'hypothèques grevant déjà la chose vendue avant qu'il l'eût acquise lui-même, parce qu'alors il ne serait pas débiteur personnellement de ces mêmes dettes, et n'en aurait été tenu que comme détenteur, qualité qu'il n'a plus après la vente. L'acheteur, dans ce cas, ne serait pas encore sans recours, car il aurait action contre le débiteur de ces dettes, pour le remboursement de ce qu'il aurait payé: ce serait une autre action en garantie.
Mais s'il s'agit de priviléges ou d'hypothèques provenant du chef du vendeur, d'hypothèques qu'il a constituées, ou même d'hypothèques et de privileges que la loi attache comme súretés à certaines dettes qu'il a contractées, et si l'ériction en est résultée contre l'a. cheteur, on se retroure alors en présence d'une éviction provenant du fait personnel du vendeur et à la garantie de laquelle il n'a pu se soustraire.
Art. 711. — 270. Le système de publicité des mutations d'immeubles auquel nous venons de faire allusion nous amène à examiner une question qui n'est pas moins délicate en France qu'elle ne pourrait le paraître au Japon, puisque la théorie de la transcription se trouvera la même dans les deux pays.
On a eu bien des occasions de parler de la bonne foi de l'acheteur, laquelle est son ignorance des droits d'un tiers sur la chose vendue. Or, on peut se demander si, dans une législation qui soumet les alienations d'immeubles à la publicité, un acheteur est recevable à se dire de bonne foi lorsque les droits en vertu desquels il est évince ont été publiés en la forme prescrite par la loi. Ne peut-on pas lui opposer qu'il est en fante de n'avoir pas connu ces droits ?
Nous ne croyons pas qu'il faille le traiter avec cette rigueur et nous proposons que la loi le déclare.
Sans doute, ce raisonnement serait très-exact s'il s'agissait des rapports de l'acheteur avec le tiers qui a transcrit: la bonne foi n'exclut pas la faute et ne ponrrait être opposée au tiers qui lui-même est exempt de toute faute. Mais ici, il s'agit des rapports de l'acheteur avec son vendeur: ce n'est pas à ce dernier qu'il peut être permis de reprocher à l'acheteur sa négligence à vérifier l'état des transcriptions, parce qu'il a commis lui-même une faute bien plus grave, soit en ignorant les droits publiés, soit en vendant malgré la connaissance qu'il en avait.
271. Reste à savoir qui aura la charge de la preuve.
Est-ce à l'acheteur à prouver sa bonne foi ? Est-ce au vendeur à prouver la mauvaise foi de celui-ci ?
C'est un principe général de droit et de raison, déjà signalé, que la mauvaise foi ne se présume pas (Projet jap., art. 199; C. civ. fr., art. 2268).
Il est naturel de l'appliquer ici, comme ailleurs. La seule cause de douter est que les registres de transcription sont publics ou, au moins, que toute personne peut en demander des extraits, moyennant une taxe minime (art. 369). Mais nous répétons que ce n'est qu'en faveur des tiers qui ont transcrit leur titre qu'il y a contre l'acheteur présomption légale de connaissance de la transcription faite ou présomption de faute à l'avoir ignorée. Il suffira donc à l'acheteur, dans ses rapports avec son vendeur, d'alléguer ou d'affirmer qu'il a ignoré la transcription. Il y aura d'ailleurs en sa faveur une présomption de fait inverse de la précédente, c'est l'invraisemblance qu'il ait acheté un fonds sachant qu'un tiers y avait des droits régulièrement établis.
Le vendeur pourra combattre cette allégation et cette présomption par toutes les preuves ordinaires: notamment, en prouvant que l'acheteur a demandé et obtenu du conservateur des registres un état des transcriptions existantes, ou en produisant des témoins auxquels l'acheteur aurait eu la témérité de dire qu'il espérait échapper, par une canse ou par une autre, à la revendication du tiers.
Pour que cette solution soit hors de doute au Japon, notre article l'exprime formellement; on y remarquera que la loi ne dit pas que les transcriptions seront sans effet sur le droit de l'acheteur aux indemnités de l'éviction: il est dit seulement qu'elles ne suffisent pas pour prouver sa mauvaise foi.
En résumé, la possibilité pour l'acheteur de demander un état des transcriptions avant de traiter ne fait pas présumer qu'il l'ait fait, car il y a des droits d'un exercice encore plus facile que l'on néglige trop souvent. Si d'ailleurs il a effectivement demandé cet état, la preuve en sera facile à fournir, au moyen d'une déclaration écrite de l'officier qui a délivré le certificat et qui n'aura pas dû manquer d'en prendre note.
Rappelons, à ce sujet, que s'il s'agit de priviléges et d'hypothèques, la délivrance à l'acheteur d'un certificat de ces droits grevant la chose vendue ne le priverait d'aucune indemnité en cas d'ériction (voy. p. 311, nos 249 bis); de même, la vente “à ses risques et périls” ne concerne pas l'éviction résultant de l'action hypothécaire du créancier, lorsque la dette provient du chef du vendeur (v. p. 336, n° 269).
Art. 712. — 272. On a vu à l'article 415, 2e alinéa (et ci-dessus, p. 284, n° 224-1°) que la garantie, en général, a deux objets: 1° défendre ou protéger le cessionnaire contre les troubles ou prétentions des tiers, 2° l'indemniser, si les troubles ou l'éviction n'out pu être empêchés.
Les dispositions qu'on a rencontrées ici n'ont trait qu'à l'indemnité; quant à l'obligation de protéger le cessionnaire, elle appartient plutôt à la procédure civile qu'au fond du droit: c'est là qu'on verra comment le cessionnaire doit “mettre en cause son garant," comment celui-ci doit “prendre la place, le fait et la cause du garanti;” l'article 419 a déjà renvoyé, à cet égard, au Code de procédure civile, et l'on renvoie ici à l'article 420, parce que cet article prive l'acheteur du droit à la garantie, quand il a négligé d'appeler le vendeur en cause et que celui-ci prouve qu'il avait des moyens légaux d'empêcher l'éviction.
273. Remarquons, que la première obligation du garant, celle d'intervenir en justice pour le garanti, est indivisible par sa nature, tandis que la seconde est divisible. En effet, on comprend que, s'il y a plusieurs vendeurs ou plusieurs héritiers d'un seul vendeur, chacun ne puisse intervenir autrement que pour le tout et comme s'il était seul: on ne peut venir en justice pour partie ni discuter et contester les droits du tiers pour partie; autrement, et dans ce dernier cas, si on reconnaissait les droits de celui-ci à une partie de la chose vendue, ce serait le cas d'éviction partielle; ce serait toujours une éviction. De même, s'il y avait plusieurs acheteurs par indivis, c'est-à-dire devant devenir copropriétaires, chacun pourrait appeler le vendeur en garantie pour le tout et, en cas de décès, chacun de ses héritiers le pourrait également.
Mais si les droits du tiers sont reconnus, la condamnation des garants aux indemnités sus-énoncées se divisera entre eux, car la nature des choses ne s'y oppose plus.
COMMENTAIRE.
Art. 713. — N° 274. Les obligations de l'acheteur ne sont pas nombreuses: il ne doit guère que payer le prix convenu; les intérêts, lorsqu'il y a lieu, sont un accessoire du prix; on doit ajouter cependant l'obligation de prendre livraison, car si c'est un droit pour l'acheteur, c'est aussi pour lui un devoir; enfin, si, par une clause spéciale de la vente, il s'était chargé de quelque obligation particulière, il devrait la remplir: telle serait la clause dite « de réméré” qui l'oblige à rendre la chose vendue, si, dans le délai fixé, le vendeur lui restitue le prix et les intérêts (v. art. 722 et s.).
275. Ce premier article concerne seulement le payement du prix en capital.
On a déjà remarqué, au sujet des obligations du vendeur (v. p. 260, no 210), qu'il y a une corrélation étroite entre la délivrance et le payement du prix. Ainsi, si la vente est pare et simple, ces deux obligations doivent être remplies immédiatement après la formation du contrat, et si l'acheteur n'est pas en mesure de remplir son obligation de payer le prix, le vendeur peut surseoir à l'accomplissement de la délivrance (voy. art. 684).
La première disposition de notre article donne implicitement la même solution en faveur de l'acheteur: à défaut de convention spéciale, il ne doit payer qu'au moment de la délivrance; si donc le vendeur est en retard de délivrer, l'acheteur peut surseoir au payement du prix.
Mais il restait à savoir si la convention qui retarderait l'exécution de l'une de ces obligations doit nécessairement retarder l'exécution de l'autre. Une distinction a paru nécessaire; elle n'est pas suffisamment exprimée dans le Code français (art. 1651), mais on peut l'y sous-entendre.
Lorsque le vendeur a accordé un délai pour le payement du prix, il n'est pas censé avoir obtenu pour luimême un pareil délai et il doit délivrer aussitôt après la vente; au contraire, quand le vendeur a stipulé un délai pour la délivrance, il est censé avoir accordé le même délai à l'acheteur pour le payement du prix. C'est ce qu'exprime le 20 alinéa de notre article, et le 3° alinéa étend la même disposition au délai de grâce accordé par le tribunal.
Cette distinction est raisonnable: quand le vendeur donne un délai à l'acheteur pour le payement du prix, il n'éprouve pas de préjudice à livrer avant le payement, parce que les intérêts du prix lui seront dus (voy. art. suivant), et s'il perd l'avantage du droit de rétention qui est une de ses sûretés, il en conserve encore deux autres, dans le privilége de vendeur et dans le droit de résolution; au contraire, si l'acheteur devait payer immédiatement, nonobstant le délai accordé pour la délivrance, il perdrait la jouissance de son prix, sans avoir celle de la chose vendue, ce qui ne serait pas juste. Un pareil résultat, qui n'est pas défendu, n'aura lieu que s'i apparaît formellement que telle a été l'in. tentior des parties.
Quant au délai de grâce, comme il est l'auvre, non des parties, mais du tribunal, il ne peut créer entre celles-ci une inégalité qui sans doute serait contraire à l'intention de l'une ou de l'autre; c'est pourquoi la loi dit que le délai de grâce accordé à l'une d'elles s'étend, par cela seul, à l'autre (a).
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(a) Nous avons ajouté ici un dernier alinéa pour établir cette réciprocité qui n'était pas encore dans le Projet, lorsque nous l'avons présentée comme une déduction logique d'un principe d'évidente équité (v. p. 260, no 210).
Art. 714. — 276. Déjà l'article 489, statuant sur le lieu du payement, en général, désigne comme tel le domicile du débiteur, mais en réservant ce qui pourrait être dit pour certains contrats. Il y a justement une exception au sujet de la vente: si le payement se fait en même temps que la délivrance, il se fait au lieu où celle-ci s'effectue; si le payement est exigible avant la délivrance, ce qui sera rare, ou après, ce qui sera plus fréquent, on rentre dans le droit commun: le payement se fait au domicile du débiteur.
La distinction que fait la loi entre les meubles et les immeubles et entre les choses corporelles et les choses incorporelles est rationnelle: quand la délivrance implique remise de titres, il est naturel que l'échange des titres et du prix s'effectue au même lieu.
Art. 715. — 277. Ordinairement, il ne suffit pas d'être débiteur d'un capital exigible pour en devoir les intérêts: il faut, en général, une convention spéciale ou une demande en justice; par exception, dans divers cas, tantôt les intérêts courent de plein droit, tantot une simple sommation suffit pour les faire courir (voy. art. 413).
On trouve ici l'application de la double exception.
1° Les intérêts du prix de vente sont dus de plein droit, c'est-à-dire sans convention, sans demande en justice ni sommation, lorsque la délivrance a eu lieu et que la chose vendue produit des fruits: dans ce cas, la plus simple équité demande que l'acheteur paye un équivalent des fruits qu'il perçoit et, pour que le mot fruits ne soit pas entendu dans un sens trop étroit, la loi a soin de mettre sur la même ligne les autres avantages périodiques que la chose peut procurer à l'acheteur, lorsque ces avantages sont appréciables en argent. Tel serait le cas d'une maison d'habitation que l'acheteur habiterait lui-même: il est clair que l'économie qu'il réalise sur son loyer est un avantage pécuniaire. Il en serait de même d'un cheval, d'une voiture ou de tout autre objet mobilier dont l'acheteur se servirait et qu'à défaut de la vente il lui faudrait louer.
Quelques cas peuvent paraître douteux. Par exemple, s'il s'agissait d'un terrain situé dans une ville, non bâti et non mis en culture, mais destiné à être couvert de constructions dans un temps plus ou moins prochain; assurément, il serait possible qu'il gagnât en valeur, d'une façon lente et continue, mais on ne pourrait pas dire qu'il “produit des avantages périodiques appréciables en argent,” à moins qu'il ne fût loué; et l'on ne devrait pas prétendre que l'acheteur pourrait le louer pour des dépôts de matériaux, ce qui est fréquent dans les villes: ce serait exagérer la pensée de la loi. Il y aurait plus de doute si ce terrain était ensuite couvert de constructions, aux frais de l'acheteur: cela pourrait suffire pour motiver un payement d'interéts, puisque ce serait un profit direct et continu tiré par lui de la chose vendue.
Le Code français (art. 1652) n'est pas assez explicite sur ce point.
2° Dans les autres cas, lorsque les intérêts ne courent pas de plein droit, il est facile au vendeur de les faire courir au moyen d'une sommation; c'est une faveur pour un contrat d'une utilité exceptionnelle.
Le vendeur peut aussi stipuler les intérêts au moment de la délivrance; cette stipulation pourra même être utile à l'acheteur, notamment si elle réduit l'intérêt à un taux assez faible, à raison du peu d'avantages que lui procure la vente; tandis que les intérêts dus en vertu d'une sommation seraient au taux légal.
Les dispositions qui précèdent sont établies surtout pour le cas où la chose est livrée; on pourrait cependant les appliquer au cas même où la chose n'est pas livrée, lorsqu'elle produit des fruits véritables, parce que ces fruits doivent être restitués à l'acheteur au moment de la délivrance: il y a dès lors même raison de lui faire payer les intérêts, et ce sera depuis le jour de la vente, puisque c'est de ce même jour que le vendeur doit compte des fruits, s'il n'y a convention contraire.
Art. 716. — 278. Cette disposition correspond à celle de l'article 1653 du Code français et la complète.
On a dit, en commençant la matière de la garantie, qu'il n'était pas nécessaire, pour que l'acheteur y eût droit, que l'éviction fût consommée par le succès d'une action en revendication, et qu'il suffisait qu'il prouvat que la chose vendue n'appartenait pas au vendeur et, par suite, n'était pas devenue sienne (v. p. 286, n° 226). Le présent article nous dit, implicitement, qu'en sens inverse il ne suffit pas que l'acheteur soit actionné en revendication pour opposer avec succès la nullité de la vente et agir utilement en garantie: cette revendication, si elle est seule, n'aura pour effet que de retarder le payement du prix.
Il pourrait arriver, en effet, que l'acheteur, par collusion avec un tiers, se fît actionner en revendication, pour se soustraire aux effets d'une vente dont il n'est plus satisfait ou dont les obligations sont trop lourdes pour lui, peut-étre même dans le seul but de gagner du temps pour trouver les fonds nécessaires au payement du prix; or, cette fraude doit être déjouée: lors même que la collusion n'existerait pas avec le revendiquant, l'action de celui-ci pourrait être si peu fondée qu'il serait déplorable qu'elle suffît à enlever au vendeur les avantages qu'il attend du contrat.
Mais la circonstance qu'une action en revendication est intentée par un tiers contre l'acheteur n'est pas indifférente: la loi ne doit pas présumer la collusion indiquée plus haut ni la témérité absolue du revendiquant; il y a dans le fait de cette action un motif suffisant pour l'acheteur de demander à surseoir au payement du prix, jusqu'à ce que le danger d'éviction ait été écarté.
D'un autre côté, comme la décision à intervenir sur la revendication pourrait tarder beaucoup, le vendeur est autorisé à fournir caution pour la restitution du prix et à exiger un payement immédiat. S'il ne peut trouver un répondant, il a encore la faculté d'exiger la consignation du prix, en vertu de l'article 718.
Si l'acheteur, en présence de cette sûreté, ne paye pas, c'est une preuve que son refus de payement tenait plus à un manque d'argent qu'à la crainte réelle d'un danger d'éviction, et il pourra être poursuivi.
279. On remarquera que notre article ne suppose pas seulement une action en revendication, mais “toute autre action réelle,” ce qui doit s'entendre des actions par lesquelles un tiers prétendrait faire reconnaître un démembrement de la propriété, tel qu'un droit d'usufruit, de bail, d'emphytéose, de servitude; ce pourrait être aussi une action hypothécaire, par laquelle un créancier ayant hypothèque sur le fonds vendu prétendrait obtenir le délaissement de l'immeuble ou le payement de sa créance.
Comme ces actions n'ont pas toutes la même gravité, elles ne motiveront pas toutes un refus total de payement du prix; par exemple, la créance hypothécaire peut être notablement inférieure an prix; il peut s'agir d'une servitude qui déprécie peu l'immeuble, du bail d'une partie seulement de la chose ou dont la durée restant à courir est courte; dans ces divers cas, l'acheteur ne devra demander le sursis au payement ou la caution que pour une partie de son prix.
Le Code français a négligé ces nuances et il ne serait pas toujours facile de les y suppléer; cependant, si l'acheteur n'était menacé que de la réclamation d'une servitude, il serait difficile de l'autoriser à refuser le payement de tout le prix.
280. Notre article se termine en proclamant un droit de l'acheteur qu'il eût été bon de voir exprimé dans l'article 1653 du Code français: si l'acheteur ne se borne pas à invoquer l'action en revendication, comme présomption d'un danger d'éviction, s'il peut fournir “ la preuve directe" que la chose n'appartenait pas au vendeur, alors il jouit du droit de faire prononcer la nullité complète de la vente; ce ne sera plus un sursis au payement qu'il demandera, mais il refusera absolument le payement pour l'avenir: il s'en fera déclarer libéré et, en outre, il réclamera les indemnités résultant de la garantie.
Art. 717. — 281. La situation prévue par cet article diffère de celle prévue par l'article précédent: ici, il n'y a pas d'action intentée; tout au plus, pourrait-il y avoir “un juste sujet de craindre une action hypothécaire ultérieure;” mais c'est surtout la disposition de la loi qui n'est plus la même: l'acheteur ici ne serait pas obligé de payer, si le vendeur lui donnait caution: il obtient un sursis légal au payement, jusqu'à ce qu'il ait rempli les formalités de la purge qui seule le met à l'abri de la poursuite des créanciers inscrits.
On a déjà eu occasion de parler de ces formalités, dont le but est de permettre au tiers acquéreur d'un immeuble de le décharger des hypothèques qui le grèvent (v. Tome II, p. 598, n° 538 bis et ci-dessus, p. 309, n° 249). On sait que l'acquéreur d'un immeuble qui veut s'affranchir des poursuites ultérieures des créauciers hypothécaires doit leur offrir son prix d'acquisition, avec déclaration qu'il est prêt à le leur payer, dans l'ordre de préférence existant entre eux; si ceuxci l'acceptent, l'immeuble sera dégrevé par le payement, lors même qu'il ne suffirait pas à désintéresser tous les créanciers; s'ils trouvent le prix insuffisant, ils doivent requérir la vente aux enchères publiques. Le prix obtenu par cette nouvelle vente sera distribué aux créanciers et l'immeuble sera purgé de toutes les hypothèques, même de celles auquelles le prix ne sera pas parvenu.
Toute cette procédure sera réglée soit dans le Code civil, au Livre IV°, soit dans le Code de procédure cirile (comp. C. civ. fr., art. 2181 et s.).
On comprend donc que l'acheteur d'un immeuble ne soit pas obligé de payer son prix au vendeur, puisque les créanciers hypothécaires ont un droit de préférence sur ce prix.
D'un autre côté, il ne faudrait pas que, sous le prétexte qu'il y a sur l'immeuble des inscriptions de privilége ou d'hypothèque, l'acheteur retardát indéfiniment le payement: il faut qu'il procède à la purge dans les délais qui seront fixés par la loi.
A ce point de vie, il sera nécessaire de traiter l'acheteur avec plus de rigueur que ne le fait le Code français, d'après lequel le tiers détenteur n'est pas tenu de prendre l'initiative de la procédure et peut attendre d'être sommé par les créanciers de payer ou de délaisser (art. 2183): il sera bon qu'il puisse être contraint de purger avant même les poursuites des créanciers; il devra suffire que le vendeur le somme luimême de payer ou de purger.
Ces délais pourront n'être que de trois à quatre mois, quand il ne se présentera pas d'incidents; mais rien n'est plus fréquent que des contestations en cette matière et la nécessité d'y faire statuer par les tribunaux peut prolonger beaucoup cette procédure.
Art. 718. — 282. Cette disposition est une innovation par rapport aux Codes étrangers et elle demande à être justifiée.
Indépendamment du droit de rétention déjà ren. contré et de la résolution faute de payement dont il sera traité à la Section suivante, le vendeur jouit encore d'un privilége sur la chose mêine qu'il a vendue, de sorte que, si l'acheteur ne le paye pas et si le vendeur ne désire pas recouvrer la propriété de sa chose, il peut en requérir la vente aux enchères publiques, pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers de l'acheteur.
Pour que ce droit ait tout son effet utile, il faut qu'il puisse être opposé aux tiers, c'est-à-dire aux créanciers de l'acheteur et à ceux auxquels la chose pourrait avoir été revendue. Or, les droits réels ne peuvent être opposés aux tiers que s'ils ont reçu une publicité suffisante, par la transcription de l'acte qui leur donne naissance ou par une inscription directe et spéciale.
C'est encore au Livre I Ve que cette publicité sera organisée, en ce qui concerne le privilége du vendeur, et sans doute le droit de résolution sera soumis à la même publicité (v. ci-après, no 288).
Si les formalités prescrites pour rendre les droits du vendeur opposables aux tiers n'ont pas été observées, celui-ci se trouve “en danger de perdre la chose et le prix,” pour employer les expressions du Code français (art. 1655).
Assurément, dans ce cas, le vendeur doit s'imputer la perte de ses avantages, mais ce n'est pas l'acheteur qui peut lui en faire reproche ni en profiter. Il ne serait donc pas juste que lorsque le vendeur n'a plus d'autre gage de payement que la solvabilité peut-être fort douteuse de l'acheteur, celui-ci pât, à la faveur des lenteurs de la procédure de purge ou des actions réelles prévues à l'article 716, retarder le payement du prix, dissiper ses biens ou peut-être les dissimuler. Le Projet permet donc au vendeur de requérir la consignation du prix à la caisse publique (v. art. 495 et s.).
Cette mesure sera encore utile au vendeur lorsque, dans le cas de l'article 716, il ne pourra fournir caution pour toucher le prix.
La consignation devra se faire au nom des deux intéressés, afin que l'un d'eux ne puisse retirer les sommes consignées sans le consentement et le concours de l'autre. Comme conséquence, il faut admettre aussi que ces sommes ne pourraient être l'objet d'une saisie-arrêt de la part des créanciers de l'une ou de l'autre partie, ou au moins la saisie s'arrêterait aux mesures conservatoires, sans distribution des deniers: autrement, la consignation ne produirait plus la sécurité que chaque partie doit y trouver. Ce n'est que lorsque les diverses procédures seront terminées que les sommes seront rendues à qui de droit et, en cas de contestation, le tribunal statuera.
283. Comme cette situation comporte diverses issues, nous les indiquerons sommairement:
1er Cas. C'était une action réelle qui, d'après l'article 716, avait motivé un sursis au payement; le vendeur n'avait pas pu fournir caution de restituer le prix, de sorte qu'il n'avait pu le toucher, mais il en avait exigé la consignation; il a eusuite fait cesser le trouble: le danger d'éviction étant écarté, il retirera le prix consigné, soit en vertu d'une autorisation de l'acheteur, soit en vertu d'une décision du tribunal.
2 Cas. Dans la même hypothèse, le vendeur n'a pu faire écarter le danger d'éviction totale ou partielle: l'acheteur invoque la nullité de la vente, ou la fait résilier pour insuffisance des avantages qui lui restent, on il demande une diminution du prix; c'est donc lui qui obtiendra le retrait de tout ou partie des sommes consignées.
3. Cas. Il existe des créances privilégiées ou hypothécaires inscrites sur l'immeuble renilu; le vendeur désintéresse les créanciers avec ses propres deniers, pour abréger les formalités de la purge; c'est lui qui retirera les sommes consignées.
4 C'as. Dans la même hypothèse, les créanciers non désintéressés par le vendeur acceptent l'offre du prix que leur a faite l'acheteur: ce sont eux qui retireront les sommes consignées, mais avec l'autorisation du vendeur et de l'acheteur, ou du tribunal.
5° Cas. Les créanciers, n'ayant pas trouvé suffisant le prix offert, ont requis la mise aux enchères; il y a un nouvel acheteur: le premier retirera les sommes consignées, car il ne doit plus de prix.
Art. 719. — 284. La prise de possession de la chose vendue est un des droits de l'acheteur, mais elle est aussi une de ses obligations: lors même qu'il a payé le prix, il ne doit pas pouvoir laisser la chose chez le vendeur auquel elle pourrait causer de la gêne et dont elle prolongerait l'obligation de la conserver avec cer. tains soins. De là, le droit reconnu au vendeur, par le présent article, de faire les offres et la consignation des effets mobiliers, dans les formes établies d'une manière générale par les articles cités au texte, en faveur du débiteur dont le créancier n'est pas disposé à receroir ce qui lui est dû.
Le Projet ne va pas ici aussi loin que le Code français qui, dans le cas de vente “de denrées et autres effets mobiliers, déclare la vente résolne de plein droit “après l'expiration du terme convenu pour le “retirement,” c'est-à-dire pour l'enlèvement (voy. art. 1657). Le Code français d'ailleurs s'est évidemment placé dans l'hypothèse où le prix n'était pas encore payé, tandis que le présent article, s'applique formellement au cas où le prix “est payé ou non.” Dans la première hypothèse, il ne serait pas favorable au vendeur que le contrat fût résolu, puisqu'alors il devrait rendre le prix.
Si le prix n'est pas payé, il y aura lieu à résolutiou d'après la Section suivante.
Le 24 alinéa pourvoit à l'intérêt de l'acheteur en obligeant le vendeur à revendre les choses au compte de celui-ci, lorsqu'elles pourraient perdre promptement toute valeur. C'est une suite de l'obligation de garde, laquelle ne cesse pas par le seul retard de l'acheteur à prendre livraison.
Cette obligation pour le vendeur de faire revendre les denrées dans l'intérêt de l'acheteur ne pouvait se trouver dans le Code français, puisque, la vente y étant résolue de plein droit, à défaut de retirement, les denrées sont redevenues la propriété du vendeur, mais sauf indemnité, quoique la loi ne le dise pas.
COMMENTAIRE.
Art. 720. — N° 285. La résolution de la vente pour inexécution des obligations par l'une ou l'autre des parties n'est que l'application du droit commun (v. art. 441 à 444 et Comm., T. II, p. 410 s., n° 394 s.); mais comme c'est peut-être dans la vente qu'elle reçoit le plus fréquemment son application, il est d'usage dans les lois de la mentionner spécialement.
C'est généralement contre l'acheteur que la résolution aura lieu, parce que la principale obligation du · vendeur, celle de délivrer, pent être exécutée sans sa volonté par voie de saisie; l'obligation de l'acheteur, étant de payer une somine d'argent, est en même temps la plus difficile à remplir, elle est aussi de nature à être retardée par le mauvais vouloir du débiteur.
Le Code français a prévu la résolution de la vente contre le vendeur pour défaut de délivrance (art. 1610) et pour éviction partielle de l'acheteur (art. 1636 et 1638), et contre l'acheteur pour défaut de payement (art. 1654 à 1657).
Le Projet réunit ici dans une formule commune tous les cas de résolution, en se référant au principe général, tel qu'il est posé dans la matière des Obligations, pour les contrats synallagmatiques.
En général, la résolution pour inexécution a lieu par l'effet d'une convention tacite; dans ce cas, il faut que la partie qui l'invoque s'adresse à la justice, et celle-ci peut suspendre la résolution en accordant un délai de grâce à la partie défenderesse; on sait seulement que ce pouvoir du tribunal cesse dans quelques cas qui ont été indiqués aussi dans la matière des Obligations en général (art. 426) et sur lesquels il n'est pas nécessaire de revenir ici.
Le Code français (art. 1655) refuse au tribunal la faculté d'accorder un délai à l'acheteur, “si le vendeur est en danger de perdre la chose et le prix," ce qui sera fréquent dans les ventes de meubles, lorsque la tradition aura déjà été faite, et sera possible dans les ventes d'immeubles, au cas, déjà prévu ci-dessus, où le vendeur aurait négligé les formalités requises pour la conservation de son privilége et pour que son droit de résolution fût opposable aux tiers. Lors donc que la chose vendue, livrée ou non, n'aura encore été l'objet d'aucune convention entre l'acheteur et un tiers, le droit de résolution pourra être utilement exercé et le vendeur, en publiant la résolution opérée, se mettra à l'abri de tous droits ultérieurs des tiers.
286. Le Projet ne présente pas ici une disposition analogue à celle dudit article 1655, parce que l'article,426 a refusé aux juges, d'une manière générale, le droit d'accorder un délai de grâce, “lorsque le créancier en devrait éprouver un préjudice sérieux."
Les parties peuvent aussi stipuler d'une manière expresse la résolution pour inexécution, respective. ment; elles se proposeront alors d'éviter la nécessité d'une action en justice et la résolution aura lieu de plein droit; par conséquent, aucun délai de grâce ne pourra être accordé à la partie qui sera en faute.
Mais cette résolution de plein droit n'a toujours pas lieu par le seul effet de l'échéance du terme: il faut encore que la partie qui n'exécute pas ait été mise en demeure, par un acte de procédure extrajudiciaire, à moins qu'il n'ait été convenu que la seule échéance du terme la constituerait en demeure; c'est l'application du droit commun (v. art. 404).
Le Code français, en exigeant aussi une sommation restée sans effet pour que la résolution de plein droit se produise, a paru à certains auteurs accorder au débi. teur une protection spéciale; mais il est plus vrai qu'il a, en cela encore, suivi le droit commun.
Rappelons enfin que la partie qui est en faute ne peut se prévaloir de la résolution opérée de plein droit que si l'autre partie l'invoque contre elle: autrement, elle bénéficierait de sa faute (v. art. 442).
287. On remarquera que la loi permet de cumuler avec la résolution “l'indemnité des pertes éprouvées,” mais non la compensation des gains manqués; déjà, sous l'article 414, on a justifié cette limite spéciale à l'indemnité et le rejet de l'expression ordinaire de “dommages-intérêts:” on a dit qu'il ne serait pas juste que la partie qui fait détruire le contrat en bénéficiât néanmoins, alors qu'elle recouvre la faculté de faire un nouveau contrat, au sujet de la même chose, avec un nouveau bénéfice.
Art. 720 bis. – 288. Assurément, le vendeur non payé de son prix, ou envers lequel l'acheteur n'aurait pas rempli ses autres obligations, ne serait pas suffisamment protégé si son action résolutoire était purement personnelle: s'il ne pouvait l'exercer contre les tiers, l'acheteur ne manquerait pas, pour échapper à la résolution, d'aliéner l'immeuble ou de l'hypothéquer.
Mais il ne faut pas non plus que les sous-acquéreurs ou les créanciers hypothécaires soient exposés à perdre des droits qu'ils ont pu croire à l'abri de toute atteinte.
Le système général de la loi, en matière de propriété immobilière, est de ne pas exposer les acquéreurs à des évictions qu'ils n'ont pu prévoir. De là, la nécessité pour le vendeur qui veut conserver à la résolution sou caractère réel de lui donner une publicité suffisante.
Le moyen est toujours la transcription.
Si le vendeur est prudent, c'est dans l'acte même de vente qu'il fera insérer les charges et conditions du contrat, à la suite du montant du prix; mais, pour le prix, il ne suffira pas de l'énoncer, il faudra de plus exprimer qu'il est encore dû, pour le tout ou pour partie; car, il n'est pas rare que le prix soit payé comptant ou peu de temps après la vente, et les tiers ne doivent pas rester dans l'incertitude à ce sujet (a). Sans doute, la loi pourrait laisser les tiers dans la nécessité de s'informer près du vendeur si le prix simplement énoncé a été payé, comme ils doivent s'informer si les autres conditions ont été remplies; mais, dès que le contrat exprime que le prix est encore dù, cette mention est pour eux un avertissement, uue meuace salutaire qui les préservera de la négligence. Si donc le contrat ne porte pas la mention exigée, la résolution faute de payement ne pourra, en principe, atteindre et dépouiller les tiers.
Mais la loi fait sagement, en permettant au vendeur de réparer cette omission, au moyen d'une publicité tardive, soit des charges et conditions, soit du non payement du prix, soit même de la demande en réso. lution déjà formée. Cette publication n'aura pas d'effet rétroactif, il est vrai: elle ne permettra pas au vendeur d'atteindre les tiers qui ont déjà traité avec l'acheteur, mais elle arrêtera les transcriptions et iuscriptions qui seraient opposables au vendeur (voy, art. 372, 1er al.).
Dans cet article, on ne parle que de la résolution au profit du vendeur, car lorsque l'acheteur demande la résolution, ce n'est que pour recouvrer son prix: il ne peut être dès lors question pour lui d'agir contre les tiers.
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(a) Cette première disposition est empruntée au Code français, au moins en ce qui concerne le prix (art. 2103).
Le Code italien est beaucoup moins favorable au vendeur: il ne suffit pas, pour qu'il puisse exercer l'action résolutoire contre les tiers, qu'il ait fait savoir par la transcription de l'acte de vente que tout ou partie du prix lui est encore dû, il faut encore qu'il ait fait transcrire la demande en résolution: jusque-là les tiers acquéreurs lui sont préférables (v, art. 1511).
Art. 721. — 289. Le droit de résolution en matière de meubles ne peut guère être connu des autres créanciers de l'acheteur, comme lorsqu'il s'agit des ventes d'immeubles: pour ces dernières, si l'acte transcrit porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie, ceux qui traitent ensuite avec l'acheteur savent qu'ils sont exposés à la résolution en faveur du vendeur. Mais les actes de ventes mobilières ne sont pas publiés et il ne serait pas juste que les créanciers de l'acheteur se vissent enlever un bien de leur débiteur qu'ils ont pu considérer comme étant leur gage général.
La loi toutefois doit faire quelques distinctious, pour ne pas sacrifier hors de propos les droits du vendeur.
Ier Cas. La vente a été faite avec terme pour le payement, et le vendeur a dû délivrer la chose avant ce terme; on peut dire, dans ce cas, suivant une formule qui remonte aux Romains, “qu'il a suivi la foi de l'acheteur," qu'il a accepté le risque de son insolvabilité; en même temps, la délivrance étant faite, les autres créanciers, ignorant vraisemblablement que le prix était encore dû, ont pu considérer la chose vendue comme devenue la propriété irrévocable de leur débi. teur et, par suite, comme étant leur gage. Dans ce cas, le vendeur n'est qu'un créancier ordinaire: il sera compris dans la distribution des sommes réalisées pour le prix convenu, avec les intérêts, s'il y a lieu.
II Cas. La vente a été faite avec terme pour le payement, mais la délivrance n'a pas encore été faite, soit parce que le vendeur a lui-inême obtenu un terme, soit parce que l'acheteur ne l'a pas sommé de délivrer: ici, le droit de résolution reste entier, car, la délivrance n'ayant pas encore été faite, les autres créanciers n'ont pas eu lieu de considérer la chose comme leur gage. Sans doute, la tradition n'a pas été nécessaire pou que la propriété fût transférée à l'acheteur; mais si les créanciers ont connu cette translation, ils ont dû en connaître aussi les conditions: ils ont dû savoir que le prix n'était pas encore payé.
III Cas. La vente a eu lieu sans terme pour le payement et la délivrance a été faite. Le vendeur, en ne consentant pas de terme, n'a pas suivi la foi de l'acheteur: s'il a fait la délivrance c'est qu'il espérait étre payé d'un moment à l'autre; l'acheteur lui aura douné quelque assurance mensongère dont il ne doit pas être victime, pourvu qu'il ait soin de ne pas laisser s'écouler un temps trop long avant de demander la résolution. La loi lui donne seulement huit jours pour exercer ce droit de résolution; c'est le même délai que dans le Code français (art. 2102-4°); le Code italien accorde quinze jours (art. 1513).
Dans ce cas même, la loi prend encore soin de sauvegarder l'intérêt des tiers, mais ce n'est plus celui de tous les créanciers de l'acheteur: il ne s'agit plus que des tiers qui ont acquis des droits réels sur la chose, comme serait, par exemple, un tiers auquel la chose aurait été aliénée, même sans lui être livrée, ou uu créancier privilégié dont le droit serait fondé sur le nantissement, comme le bailleur de la maison d'habitation de l'acheteur, si l'objet vendu est par sa nature soumis au privilége du bailleur; à plus forte raison, serait respecté le droit de gage proprement dit d'un créancier auquel la chose aurait été remise en nantissement.
La loi subordonne toutefois la préférence des tiers à leur bonne foi, c'est-à-dire à leur iguorance que le prix de vente du meuble était encore dû. Sans doute, la bonne foi se présumera, ici comme toujours, mais le vendeur sera reçu à prouver, par tous les moyens ordinaires, que les tiers connaissaient le défaut de payement du prix.
COMMENTAIRE.
Art. 722. — N° 290. La stipulation permise ici au vendeur, l'autorisant à recouvrer sa chose, sous certaines conditions, ne doit pas être considérée comme une application ordinaire de la liberté des conventions qui, en général, font loi entre les parties (art. 348): c'est une véritable faveur accordée au vendeur, pour le motif qu'on va donner. L'acheteur n'aurait pas la faculté inverse, celle de restituer la chose (sauf ce qui a été dit de la vente à l'essai, par l'article 668), et les limites que va recevoir l'emploi de cette stipulation par le vendeur prouveront encore qu'il n'y a pas ici une simple application de la liberté des conventions.
Il ne s'agit pas, en effet, d'une véritable revente que l'acheteur s'engagerait à faire au vendeur, comme le nom de rachat ou réméré le ferait croire; ces mots sont consacrés, depuis les Romains, mais ils sont inexacts: il s'agit, comme a soin de l'exprimer le texte de notre article, non d'une nouvelle vente faite par l'acheteur à son vendeur, mais d'une résolution de la première vente, de sa destruction rétroactive, avec anéantissement des droits réels conférés aux tiers par l'acheteur. On comprend, dès lors, que la loi limite l'usage d'une stipulation dont les effets intéressent si gravement les tiers.
291. C'est justement cette destruction des droits des tiers qui pourrait faire hésiter, en législation, à admettre la stipulation de rachat. Sans doute, les tiers auront été avertis du danger de résolution par la transcription de la première vente, s'il s'agit d'immeuble, mais alors, ils auront acheté à un prix inférieur à la valeur réelle, comme le premier acheteur lui-même, et c'est toujours une chose fâcheuse qu'une chose soit vendue au-dessous de sa valeur, même avec chauces à peu près égales de gain ou de perte. Si les tiers, pour éviter la résolution, s'abstiennent de traiter avec l'acheteur, il y a un autre inconvénient économique, un mal général pour le pays, car il est utile que les biens circulent facilement: toute nouvelle acquisition donne lieu à des dépenses qui améliorent les biens, pour satisfaire à des besoins ou à des intérêts nouveaux; la faculté de rachat met obstacle à la circulation des biens: celui qui les acquiert sous cette condition trouvera difficilement à les aliéner et lui-même ne sera pas disposé à faire des dépenses d'amélioration, n'étant pas sûr d'en jouir longtemps.
Il faut donc, pour passer outre à de telles objections, qu'il y ait une raison bien sériense de permettre cette résolution en faveur du vendeur; cette raison a été suggérée par l'expérience: on voit souvent des propriétaires se trouvant dans un embarras d'argent momentané, ou au moins qu'ils croient tel, et auxquels il serait très-pénible d'aliéner leur bien; sans doute, ils pourraient emprunter en donnant leur immeuble en garantie, mais les conditions du prêt sont souvent trèsonéreuses par les intérêts, et il pourrait arriver que le débiteur fût dans l'impossibilité de rembourser à l'échéance de sa dette; les biens alors devraient être vendus sur saisie, avec beaucoup de frais et de lenteurs; ce résultat sera évité au moyen d'une vente à prix réduit, librement consentie par le vendeur, avec faculté pour lui de recouvrer son bien, s'il peut, dans un certain délai, rembourser le prix qu'il a reçu.
292. Cette justification de la stipulation de rachat par le vendeur explique que la même faculté ne soit pas accordée à l'acheteur: comme personne ne peut se trouver contraint d'acheter, il n'y a pas lieu d'accorder à l'acheteur la faculté de résoudre son achat: npe telle résolution aurait d'ailleurs un caractère purement potestatif, car il suffirait à l'acheteur de vouloir la résotion pour qu'elle aît lieu, puisqu'il pourrait toujours rendre la chose vendue, dès qu'il ne l'aurait pas aliénée ou hypothéquée. Le Projet, il est vrai, ne défend pas la condition purement potestative (art. 435), comme le fait le Code français (art. 1174), mais il en restreint beaucoup les effets. Au contraire, la condition résolutoire est loin d'être potestative de la part du vendeur: pour résoudre le contrat il faut qu'il puisse restituer le prix; or, cela lui sera souvent difficile, d'autant plus qu'il aura été contraint de vendre par le besoin d'argent.
On verra bientôt une autre conséquence du fondement de la faculté de rachat sur le besoin d'argent où est supposé le vendeur.
293. La faculté de rachat n'en a pas moins des inconvénients économiques qui expliquent que la loi l'ait enfermée dans des limites assez étroites.
La première de ces limites est la fixation d'un délai de rigueur, c'est-à-dire passé lequel, le vendeur est déchu de son droit, sans être adinis à faire valoir aucune canse d'excuse légitime.
Le Projet adopte le même délai qu'en France, au moins pour les immeubles, 5 ans; quant aux meubles, il ne semble pas que la loi française y ait songé, à ce sujet: l'ensemble de ses dispositions sur le rachat paraît limité aux immeubles. On ne va pas ici jusqu'à exclure la faculté du rachat pour les meubles, mais on y apporte des limites spéciales: le délai sera plus court, 2 ans, et la résolution ne sera pas opposable aux tiers de bonne foi.
Si les parties, dans l'ignorance de la loi, sont convenues d'un délai plus long que 5 ou 2 ans, la convention ne sera pas nulle: le délai sera réduit à la durée légale; il serait déraisonnable d'opposer au vendeur un ancien axiome dont on abusait beaucoup autrefois, à savoir “ qu'il a fait ce que la loi défend et n'a pas fait ce qu'elle permet: " celui qui a stipulé le rachat pour 6 ans ou davantage l'a implicitement stipulé pour 5 ans au moins.
La loi s'exprime encore sur un autre point qui aurait pu faire doute: si le rachat avait été stipulé pour 3 ou 4 ans, au sujet d'un immeuble, il ne pourrait pas, plus tard, être prorogé, prolongé, de 2 avs ou 1 an, quoique le total n'excédât pas 5 ans; c'est parce que ce serait étendre la condition résolutoire opposable aux tiers; cette prorogation ne doit pas être permise plus qu'une stipulation de rachat établie après une vente pure et simple.
Cependant, cette prorogation, comme la stipulation tardive, ne serait pas nulle: la loi nous dit qu'elle vaudrait comme promesse unilatérale de vente par l'acheteur ou, au moins, qu'elle pourrait être considérée comme telle, selon l'intention des parties. La promesse de vente, en effet, ne portera pas atteinte aux droits des tiers qui auront traité avec l'acheteur avant cette promesse et elle ne sera opposable à ceux qui traiteront postérieurement que si elle a été révélée par la transcription.
Les articles 663 et 664 ont suffisainment expliqué les effets de la promesse unilatérale de vendre.
Art. 723. — 294. Cette disposition est tout à fait nouvelle; elle est une conséquence nécessaire du motif attribué à la loi dans l'admission de la faculté de rachat.
Puisque la loi se justifie par l'idée que le vendeur qui fait une pareille stipulation a été pressé par le besoin d'argent, il ne faut pas que les clauses et condition de la vente donnent un démenti à cette présomption. Or, c'est ce qui arriverait si le vendeur avait donné à l'acheteur un long terme pour le payement de tout ou partie du prix. Il serait permis alors de croire qu'en stipulant la faculté de rachat, il n'a pas eu pour but de remédier à l'inconvénient d'une vente forcée pour ainsi dire par la gêne, mais de se réserver le moyen de profiter de la plus-value que la chose pourrait acquérir, sans s'exposer au risque de la moins-value.
Mais on ne pouvait admettre que tout délai accordé pour le payement et pour quelque portion du prix que ce fût, fit perdre au vendeur le droit à cette faculté de rachat; on ne pouvait non plus laisser ces deux points à l'appréciation du tribunal: la loi doit les déterminer, et tel est l'objet de notre article.
La concession d'un terme pour le payement n'exclut l'idée de gêne chez le vendeur que lo si ce terme s'applique "à la moitié du prix ou à une somme plus forte," et 2° si le terme est “égal ou supérieur à la moitié du délai fixé pour le rachat:" si donc le délai du rachat était de cinq ans et celui du payement d'un an, on pourrait encore croire que le vendeur prévoyait des embarras d'argent entre la 2e et la 5° année du contrat; mais si, le délai du rachat étant toujours de 5 ans, le terme du payement est de 3 ans ou de 4 ans, il ne paraît pas que le vendeur ait si longtemps à l'avance prévu des besoins d'argent et voulu y remédier par une vente anticipée.
Art. 724. — 295. On a dit, en commençant, que la faculté qui nous occupe n'est pas, à proprement parler, un rachat, parce qu'un rachat ou une revente ne ferait recouvrer la chose au vendeur que dans l'état où elle serait présentement, c'est-à-dire grevée des droits qu'aurait conférés l'acheteur, et même ne pourrait aucunement la faire recouvrer si elle avait été aliénée en entier: au lieu d'un rachat, c'est une résolution, qu'on pourrait appeler et qu'on appelle quelquefois retrait (v. ci-dess., p. 226, n° 185)...
Le caractère de la résolution est bien connu déjà: elle remet les choses en l'état où elles étaient lors du contrat dont elle opère la destruction; elle a un effet rétroactif (v. art. 429).
La loi applique ici ce principe aux ventes d'immeubles soumises à la faculté de rachat; les tiers ne peuvent sérieusement se plaindre, puisque la faculté de rachat ne leur est opposable que si elle a été insérée dans l'acte même de vente et publiée en même temps (a).
La loi fait une exception en faveur de ceux qui auraient acquis un droit de bail sur la chose, mais à la condition que ce qui reste à courir du bail n'excède pas trois ans. Le texte n'ajoute pas, comme le Code français (art. 1673) et comme le Projet, au sujet des conditions résolutoires en général (art. 431), que le bail doit avoir été fait sans fraude ou de bonne foi, parce que, du moment que ce contrat à une courte durée, l'acheteur a fait un acte d'administration raisonnable et utile, quel que puisse être le sort de la vente; cette condition de bonne foi ne serait justifiable que si l'acte d'administration n'était pas limité dans sa durée; aussi, peut-on s'étonner que le Code italien, qui admet aussi la limite de 3 ans pour le bail, exige de plus que le bail soit « fait sans fraude” (art. 1528).
296. Lorsqu'il s'agit d'une vente de meubles, la loi ne défend pas la stipulation de la faculté de rachat, mais elle en restreint beaucoup les effets: la résolution ne pourra détruire les droits réels acquis aux tiers, parce que la faculté de rachat, n'ayant pas été publiée, peut ne pas être connue de ceux-ci; mais ici, comme il s'agirait souvent moins d'actes d'administration que d'actes de disposition, la loi exige que les tiers aient éti de bonde foi, c'est-à-dire aient réellement ignoré la faculté que s'était réservée le vendeur; or, si on présume la bonne foi, la prenve directe de la mauvaise foi peut toujours être fournie, et, en fait, il est possible que l'acheteur, en traitant arec les tiers, les ait avertis du dauger de résolution.
La loi ne prévoit pas ici le bail par l'acheteur du meuble vendu à réméré: il devrait être respecté, quelle que soit sa durée, car, plus il sera long, plus il sera voisin d'une disposition complète, laquelle devrait être respectée par le vendeur.
297. La faculté de rachat, ainsi restreinte dans ses effets pour les meubles, ne semble plus différer de la simple promesse unilatérale de revente véritable qu'aurait faite l'acheteur; il faut, en effet, reconnaître que si la mauvaise foi des tiers les soumet à la résolution, leur mauvaise foi les soumettrait aussi au respect d'une promesse de vente. Il ne faut pas non plus chercher de différence dans la circonstance que l'acheteur serait devenu insolvable, sans avoir d'ailleurs aliéné ni engagé l'objet: assurément, par la résolution, le vendeur, moyennant le remboursement du prix, recouvrerait la chose vendue, intégralement et sans subir le concours avec les autres créanciers; mais, avec la promesse de vente, le stipulant aurait le même avantage: il obtiendrait la chose en entier, en en payant le prix total: il ne pourrait être contraint à n'en rece. voir qu'one partie, même avec rédaction proportion. nelle du prix.
S'il y a quelque intérêt à distinguer ici la résolution ou le rachat de la promesse de vente, ce ne peut guère étre qu'au sujet des droits fiscaux auxquels, dans l'avenir, les ventes de meubles pourraient être soumises: la promesse de vente entraînerait ces frais, parce qu'il y aurait mutation de propriété; le réméré ne les entraînerait pas, parce que le vendeur, en recouvrant la propriété, serait censé ne l'avoir jamais perdue.
Le Code français ne s'est pas expliqué sur l'exercice de la faculté de rachat en matière de meubles; il est impossible de croire qu'il ait permis de s'en prévaloir au préjudice des tiers acquéreurs de bonne foi.
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(a) Le Code français (art. 166t) n'a pas employé une formule heureuse pour exprimer la même idée: il admet l'exercice du réméré contre un second acquéreur “quand même la faculté de réméré n'aurait pas été déclarée dans le second contrat;" il semble qu'il eût été plus utile de dire: “pourvu que la faculté... ait été déclarée dans le premier contrat.”
Art. 725. — 298. L'exercice de la faculté de rachat aurait pu être considéré comme exclusivement attaché à la personne du vendeur et comme ne pouvant être exercé par ses créanciers: il serait alors entré dans l'exception mise par la loi à l'exercice de l'action dite indirecte ou oblique (v. art. 359, 3° al.). Ce caractère personnel serait d'autant plus apparent qu'il s'agit plutót ici d'une faculté que d'un droit proprement dit (b).
Mais la loi, considérant que le bien n'a pas été vendu à sa valeur véritable, à cause du risque que court l'acheteur, ne veut pas que celui-ci profite des embarras d'argent du vendeur; si celui-ci, ne pouvant exercer le rachat, a des créanciers qui croyent de leur intérêt de faire rentrer le bien dans les mains de leur débiteur, en fournissant les sommes nécessaires, il est juste de le leur permettre: c'est un de ces cas où, entre personnes dignes d'intérêt à des titres différents, “la loi donne la “préférence à celle qui cherche à éviter une perte sur“celle qui cherche à réaliser un gain” (voy. Tome II, p. 170, n° 163).
Mais, pour qu'il n'y ait pas d'abus de la part des créanciers, la loi veut qu'ils établissent préalablement l'insolvabilité du débiteur; c'est moins exiger que ne fait le Code français (art. 1666), lequel autorise l'acquéreur à demander la discussion préalable des autres biens du vendeur, c'est-à-dire leur vente. D'un autre côté, cette discussion est implicitement soumise aux mêmes règles que le bénéfice de discussion invoqué par la caution (v. C. civ. fr., art. 2021 à 2024), il en résulte des limites, des délais, des frais qui seraient ici également nuisibles aux deux sortes d'intéressés; la loi les protège davantage et plus facilement, en se contentant de la subrogation judiciaire déjà mentionnée dans l'article 359, lequel règle l'exercice ordinaire des droits d'un débiteur par ses créanciers.
299. Il est naturel que l'acheteur puisse empêcher le rachat par les créanciers du vendeur en les désintéressant. Cependant, on songe aussitôt au danger de voir tous ces créanciers se présenter successivement devant l'acheteur avec la menace du rachat. Mais cet abus est conjuré par l'application d'un principe de la matière (v. art. 727, 1er al.) auquel la loi se réfère ici: l'acheteur fera subir au premier créancier la déduction des dépenses déjà faites “pour la conservation de la chose” (c), et quand se présentera le second créancier, il lui fera subir, à son tour, la déduction de ce qu'il aura payé au premier, parce que c'est une là véritable dépense de conservation, et ainsi de suite pour les autres; cela arrêtera promptement leurs prétentions.
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(b) Sur la différence entre les simples facultés et les droits pro. prement dits, voir l'article 359 et le Commentaire, au Tome II, p. 160, n° 154.
(c) Ces derniers mots doivent être ajoutés à la fin de notre ar. ticle 725 (voir aux Additions).
Art. 726. — 300. Le vendenr à réméré, ayant un droit conditionnel, un droit éventuel, suspendu jusqu'à ce qu'il ait exercé la résolution du droit de l'acheteur, peut disposer de ce droit même, en tout ou en partie.
Ainsi d'abord, il peut céder, en propres termes, son droit au rachat, c'est implicitement céder la chose même que le rachat lui ferait recouvrer. Il peut aussi céder la chose directement, c'est alors le droit au rachat qui est implicitement cédé, et il ne faudrait pas voir là une vente ou cession de la chose d'autrui, car la chose appartient au vendeur sous la condition suspensive que le rachat sera exercé.
Le vendeur peut aussi grever la chose de droits réels moins considérables: il peut l'hypothéquer, la donner à bail, la grever d'usufruit ou de servitudes. Mais les résultats sont alors bien différents de ceux des deux premiers cas.
Ici les cessionnaires de démembrements de la propriété ne peuvent plus exercer le réméré, ni en leur propre nom, ni au nom du vendeur: ils ne le peuvent en leur propre nom, car on ne leur a pas cédé la propriété éventuelle; ils ne le peuvent au nom du vendeur, car, sauf le cas d'hypothèque, ils ne sont pas créanciers du vendeur.
Les droits réels secondaires dont il s'agit sont donc subordonnés à l'exercice effectif du rachat par d'autres que par ceux auquels ils appartiennent.
En premier lieu, par le vendeur lui-même: en exerçant le rachat, il confirme les droits qu'il a consentis et il s'affranchit de l'obligation de garantie envers ses cessionnaires.
En second lieu, par ses créanciers, dans le cas prévu à l'article précédent: les créanciers ayant alors exercé le droit de leur débiteur et en son nom, les conséquences en doivent être les mêmes que s'il l'avait exercé luimême, les droits réels des tiers seront respectés; en pareil cas, ce sera encore pour les créanciers un motif de ne pas agir témérairement dans l'exercice du rachat, car ils pourraient en profiter moins que lesdits cessionnaires; au surplus, comme les droits réels dont il s'agit sont publiés, les créanciers savent quels ils sont et à qui ils appartiennent.
Remarquons, à ce sujet, que si l'acheteur veut user du droit de désintéresser les créanciers, comme le lui permet l'article précédent, il devra être admis à déduire encore la valeur des droits réels consentis par le vendeur, puisque le rachat coufirmerait ces droits et que les créanciers, en faisant vendre la chose, ne la yendraient que grevée de ces mêmes droits.
En troisième lieu, par le cessionnaire du droit au rachat, ou par le cessionnaire de la chose même; celuici peut, il est vrai, exercer le rachat en son propre nom; mais il n'a pu acquérir ce droit ou la chose même que sous la réserve des droits déjà créés par le vendeur à réméré, il n'est exposé à aucune surprise, puisque ces droits lui ont été révélés par la transcription; il aura d'ailleurs son recours en garantie contre le vendeur.
Art. 727. — 301. L'article 722 n'a annoncé comme étant à la charge du vendeur que le remboursement du prix de vente et de la portion de frais payée par l'acheteur, parce que ce sont là des sommes toujours dues; mais il est juste que le vendeur rembourse aussi cer.taines dépenses faites accidentellement par l'acheteur.
On sait, pour en avoir rencontré plusieurs fois l'application, qu'il peut être fait trois sortes de dépenses ou impenses sur la chose d'autrui: les dépenses nécessaires qui conservent la chose, les dépenses utiles qui l'améliorent et les dépenses voluptuaires ou de par agrément; on sait aussi que le propriétaire, recouvrant sa chose, doit rembourser les deux premières dépenses au possesseur (art. 208); on a vu, plus récemment, que le vendeur, au cas d'éviction de son acheteur, lui doit le remboursement des dépenses, même voluptuaires, s'il les a faites de bonne foi (v. art. 695).
Dans le cas qui nous occupe, il est juste que le vendeur rembourse les deux premières sortes de dépenses et non la troisième: s'il ne remboursait pas les deux premières, il s'enrichirait aux dépens de l'acheteur qui a conservé ou amélioré à ses frais la chose vendue; mais il ne doit rien des dépenses voluptuaires, car elles ne donnent pas de plus-value à la chose et l'acheteur ve doit imputer qu'à son imprévoyance la perte qu'il en éprouve.
Entre les deux premières sortes de dépenses la loi fait une différence: les dépenses nécessaires doivent étre remboursées, comme le prix de vente, dans le délai fixé pour le rachat, à peine de déchéance du vendeur, puisque ce délai est de rigueur; tandis qu'il peut dewander au tribunal et obtenir un délai de grâce pour le remboursement des dépenses utiles. En effet, ces dépenses n'étant pas nécessaires, l'acheteur, en les faisant, a songé plutôt à son intérêt éventuel qu'à celui du vendeur; il a pu même les porter à un chiffre assez élevé pour géner le vendeur; si la loi ne permettait pas au vendeur d'obtenir un délai, ce pourrait étre pour un acheteur de mauvaise foi un moyen de se soustraire au rachat: il lui suffirait de faire des dépenses utiles hors de proportion avec la fortune du vendeur, lequel d'ailleurs, dans les circonstances ordinaires, est supposé plutót embarrassé dans ses affaires.
Le Code français (art. 1673) et le Code italien (art. 1528), en mettant sur la même ligne le remboursement des deux sortes de dépenses, ont laissé planer sur la possibilité d'un délai de grâce une incertitude que l'on croit devoir éviter ici.
La loi ne parle pas du remboursement des intérets du prix, parce qu'ils ne sont exigibles ni dans le délai ni plus tard: si le vendeur devait rembourser les intérêts du prix, l'acheteur devrait lui rendre les fruits et produits ou l'équivalent de l'usage qu'il a eu de la chose, ce qui serait une grande complication et une matière à procès. Il se fera donc compensation entre ces deux sortes de restitutions, par application du principe de l'article 432, in fine.
Le droit de rétention accordé par le dernier alinéa figure dans l'énumération des sûretés réelles donnée par l'article 2; on l'a déjà rencontré et on le trouvera expliqué au Livre IV.
Art. 728, 729 et 730.-302. Ces articles et les deux qui suivent règlent l'exercice du réméré dans des circonstances particulières. Si l'on y cherche un principe commun et dominant, on verra que la loi craiut surtout que la propriété ne soit divisée par l'effet du réméré au-delà de ce que les parties ont pu prévoir ou au-delà de ce qui est juste.
Les articles 728, 729 et 730 ont pour point de départ la vente à réméré d'une portion indivise d'immeuble (d), telle qu'une moitié, un tiers, un quart, et il est supposé que pendant le délai stipulé pour le rachat il y a eu partage on. licitation: cela doit naturellement influer sur le mode d'exercice du rachat.
Notons d'abord un cas où la loi n'a pas à se prononcer, parce qu'il ne peut faire de difficulté. Si, au jour où le vendeur veut exercer le réméré, les choses sont restées dans le même état, s'il n'y a eu aucune opération de partage entre l'acheteur et les autres copropriétaires, le vendeur reprend sa part indivise, purement et simplement, et il redevient copropriétaire avec ceux-ci.
Mais voici des distinctions que la loi ne pourait négliger:
1° Il peut y avoir eu licitation ou partage en nature;
2° La licitation peut avoir été provoquée contre l'acheteur à réméré ou par lui (art. 728);
3° L'adjudication peut avoir été prononcée en faveur de l'acheteur (art. 728) ou en faveur d'un des autres propriétaires ou méme d'un tiers (art. 729);
4' Le partage par licitation ou en nature peut aroir été fait avec ou sans la participation du vendeur à réméré (art. 729 et 730).
Nous reprendrons ces hypothèses dans l'ordre de nos trois articles.
303. Ire II ypothese. Le partage a été demandé ou provoqué contre l'acheteur à réméré par l'un des propriétaires; le partage n'ayant pu se faire en nature, il a dû étre procédé à la licitation de l'immeuble, c'està-dire à sa mise aux enchères publiques pour en partager le prix; sur quoi, l'acheteur, désirant conserver ce qu'il avait acquis, s'est porté surenchérisseur et est resté adjudicataire de la totalité. C'est l'objet de l'article 728, 1er alinéa.
Remarquons d'abord que le vendeur ne peut critiquer la licitation sous le prétexte qu'elle a eu lieu avant l'expiration du délai qu'il avait stipulé pour le rachat: la vente avec stipulation de rachat n'a pu suspendre ni entraver le droit des copropriétaires de provoquer à toute époque le partage du bien commun; une convention entre les copropriétaires aurait pu seule avoir cet effet, pour cinq ans au plus (v. art. 39 et 40), et elle n'a pas eu lieu. Mais le vendeur conserve son droit au rachat contre l'acheteur devenu propriétaire de la totalité du bien par l'effet de l'adjudication.
Il restait à savoir si le vendeur pourrait n'exercer lo réméré que pour la part qu'il a vendue ou s'il devrait l'exercer pour le tout. C'est cette dernière solution que donne le Projet, conforme en cela au Code français (art. 1667); on remarque, en effet, que ce n'est pas par l'acheteur à réméré que le partage a été demandé: il l'a été contre lui; l'acheteur avait le droit de chercher à conserver légalement la part à lui vendue; pour cela, il lui a fallu acquérir le tout, il a dû payer comme prix de licitation la valeur des portions qu'il n'avait pas; c'est là une dépense nécessaire, faite pour la conservation de la chose; elle doit donc lui être remboursée avec son prix d'achat originaire et il restituera ainsi tout le bien au vendeur; si le vendeur ne veut ou ne peut faire cette dépense, il est déchu de son droit au rachat. Bien entendu, il ne sera obligé de se prononcer qu'à la limite du délai fixé pour le rachat.
304. Le 2e alinéa de l'article 728 tranche une question sur laquelle le Code français est muet. Il ne suffit pas de dire que le vendeur ne peut exercer le réméré partiel si l'acheteur s'y oppose, il faut encore savoir si l'acheteur pourrait s'opposer au réméré total. On comprendrait, en effet, que l'acheteur désirât garder la part indivise que la licitation lui a fait acquérir et prétendît ne rendre que celle qu'il tient de la vente à réméré. Mais la loi ne doit pas admettre cette prétention; ce serait donner à l'acheteur tous les avantages: si l'acquisition totale lui semblait mauvaise, il obligerait le vendeur à la prendre à sa charge; si elle lui paraissait avantageuse, il en conserverait une portion; il est contraire à la nature des contrats bilatéraux de créer de pareilles inégalités de droits entre les parties. Le réméré total est une obligation pour le vendeur, mais il est aussi un droit pour lui et c'est une obligation pour l'acheteur de le subir. Pour qu'il y eût réméré partiel, il faudrait que les deux parties y consentissent.
305. II° Hypothèse. Ce n'est pas contre l'acheteur à réméré que le partage a été provoqué, mais par lui, et c'est encore lui qui, sur la licitation, s'est porté adjudicataire de la totalité. Le cas est réglé par les deux derniers alinéas de l'article 728.
Ici, on ne peut plus dire qu'en achetant le tout, l'acheteur a fait une dépense nécessaire pour la conservation de la part indivise qui lui avait été vendue: c'est lui qui a donné lieu à la licitation, il n'a pas pu aggraver par là la position de son vendeur; celui-ci pourra donc n'exercer le réméré que pour la part qu'il a vendue.
Mais, par contre, il ne pourra pas exercer le réméré total si l'acheteur s'y oppose. C'est toujours le principe d'égalité des droits et avantages.
306. On n'a pas distingué, pour la solution des deux hypothèses qui précèdent, si le vendeur avait ou non été mis en cause dans la licitation, soit par l'acheteur à rėméré, soit par les autres copropriétaires. Cette mise en cause, fondée sur le droit éventuel du venıleur, sera très-importante, au contraire, quand il s'agira des rapports du vendeur avec les copropriétaires; mais on va voir que les deux principales décisions de l'article 728 (1er et 3° alinéas) ne doivent pas être modifiées par la présence ou l'absence du vendeur aux opérations de licitation, justement parce qu'il ne s'agit encore que des rapports du vendeur avec l'acheteur et nou de ses relations avec les tiers, lesquelles sont l'objet de l'article suivant.
Dans la 1re hypothèse, il est clair que si le vendeur a été mis en cause, il ne peut se refuser à reprendre la chose entière, en remboursant à l'acheteur le prix de licitation: l'opération faite en sa présence, provoquée, nou par l'acheteur, mais contro lui, ne peut être l'objet d'aucune critique de sa part; s'il n'avait pas vendu à réméré, s'il était resté propriétaire, il n'aurait pu, sur la licitation provoquée contre lui, acquérir la chose autrement que pour le tout, puisqu'il s'agissait de faire cesser l'indivision.
Dans le même cas, si le vendeur n'a pas été mis en cause, la solution doit encore être la même; en effet, le vendeur ne pourrait alléguer que son absence lui a nui, sans alléguer aussi qu'il se serait porté surenchérisseur et adjudicataire; or, il a justement le droit de prendre l'adjudication pour lui et à un moment plus favorable, puisqu'il a eu, outre le temps de la réflexion, l'occasion de voir si la chose tendait à gagner en valeur, et enfin la facilité de réaliser les fonds nécessaires à l'acquisition totale.
Dans la 2e hypothèse, où c'est l'acheteur qui a provoqué la licitation et s'est porté acquéreur, la décision du texte qui autorise le réméré partiel n'est pas non plus modifiée par l'absence ou la présence du vendeur: s'il n'a pas été mis en cause, cette circonstance, si elle était prise en considération, ne pourrait qu'être défavorable à l'acheteur, puisque c'est lui qui, ayant provoqué la licitation, a négligé d'y appeler le vendeur; et, lors même que le vendeur aurait été mis en cause, il pourrait toujours se refuser à un réméré total, car il lui suffirait d'alléguer que c'est parce qu'il ne voulait pas se rendre acquéreur de la totalité qu'il ne s'est pas porté surenchérisseur lors de la licitation; or, l'acheteur n'a pas pu, par son fait, empirer la condition du vendeur.
Passons maintenant à l'hypothèse où, au contraire, il importe beaucoup de savoir si le vendeur a été appelé à la licitation.
307. III° Hypothèse. L'adjudication a été prononcée au profit d'un des copropriétaires ou au profit d'un étranger, car on peut toujours et quelquefois même on doit admettre les étrangers à concourir aux en. chères (v. C. fr., art. 1687). Deux cas sont à distinguer.
1er Cas. Le vendeur n'a pas été mis en cause: on a eu le tort de ne pas tenir compte de ses droits éven. tuels; il peut critiquer le résnltat obtenn et dire que, s'il avait été présent, il se serait porté surenchérisseur; il peut dire aussi qu'il aurait appelé des étrangers, si cela n'a pas été fait. Assurément, la licitation faite sans lui ne peut lui être opposable, elle ne peut Ini öter le droit d'exercer le réméré contre l'adjudicataire considéré comme l'ayant-cause de son acheteur; or, celui-ci n'a pu conférer un droit irrévocable, lorsque le sien même était sujet à résolution.
2e Cas. Le vendeur a été mis en cause: il a pu se porter surenchérisseur; s'il ne l'a pas fait, faute d'argent ou pour toute autre cause, il ne peut en faire souffrir l'adjudicataire; il ne peut pas se prévaloir du délai qu'il avait stipulé pour l'exercice du rachat, parce que cette convention n'est pas opposable aux autres copropriétaires. Il est donc déchu de tont droit contre l'adjudicataire.
308. Conserve-t-il le droit d'exercer une sorte de réméré contre son acheteur, en lui offrant le prix qu'il a reçu de lui pour recevoir du même le prix de licitation? Ainsi, il avait vendu pour 1000 yens sa part indivise, une moitié, par exemple; lors de la licitation totale pour le prix de 2400 yens, l'acheteur a réméré a reçu 1200 yens comme étant sa part dans le prix d'adjudication; le vendeur peut-il rapporter 1000 yens pour en recevoir 1200 ?
Certains auteurs le soutiennent; mais il nous semble que c'est une erreur.
D'abord, si nous nous replaçons dans le cas ou le vendeur n'a pas été appelé à la licitation et où, par conséquent, il peut exercer son droit de réméré contre le tiers adjudicataire, il est certain qu'alors il ne peut cumuler deux droits de réméré, l'un sur la chose même, l'autre sur le prix de licitation. Le cas est le même que dans la vente à réméré d'une chose entière, si l'acheteur a revendu cette chose dans le délai, là où le vendeur peut la suivre contre les sous-acquéreurs; il est incontestable que le vendeur ne pourrait, négligeant le droit de suite, venir réclamer à l'acheteur le prix qu'il a payé originairement. Or, nous soutenons qu'il ne le peut davantage quand il a perdu le droit de suite, ce qui arrivera, non seulement dans le cas d'une licitation à laquelle il a été admis, mais même dans le cas d'une revente ordinaire à laquelle, appelé par son acheteur, il aurait consenti à concourir pour préserver les tiers de l'éviction.
Dans le cas présenté ci-dessus, si le vendeur pouvait exercer le réméré sur le prix de licitation touché par l'acheteur (1200 yens), en lui remboursant le prix de la vente à réméré (1000 yens), autant vaudrait dire qu'il peut demander purement et simplement 200 yens à l'acheteur, ce qui n'est pas exercer le réméré; les conditions du contrat seraient tout à fait changées: le vendeur n'aurait besoin d'aucune somme d'argent disponible pour exercer le rachat, toutes les bonnes chances seraient pour lui et toutes les mauvaises pour l'acheteur; la plus ou moins-value que la chose pour. rait obtenir ou subir serait désormais sans influence sur le rachat et, de même, le bon ou mauvais état des affaires du vendeur.
Cette prétention du vendeur serait également inadmissible, s'il y avait eu expropriation pour cause d'uti. lité publique: l'acheteur qui aurait reçu l'indemnité ne serait pas obligé de la verser au vendenr contre la restitution de son prix d'achat: l'expropriation est un fait de l'autorité qui produit pour les parties l'effet d'une force majeure, mettant fin aux rapports de droit privé existant au snjet de la chose désormais retirée du commerce.
Même solution encore si la chose vendue à réméré avait été détruite par un incendie et que l'acheteur eût touché le montant de la somme assurée ou eût reçu une indemnité de l'auteur de la faute; dans ces deux cas, le droit de réméré serait perdu pour le vendeur, toujours par le même motif qu'on ne peut plus racheter ou recouvrer par la résolution une chose qui a péri; et, lors même que l'acheteur en aurait reçu un équivalent, ce n'est pas cet équivalent, c'est la chose même, qui a été l'objet de la clause de réméré ou de résolution.
309. 4° Hypothèse. Ici on ne suppose plus qu'il ait été nécessaire de faire une licitation: la chose indivise a pu se partager en nature et chacun des coproprié. taire en a reçu une portion divise; s'il n'a pas été possible de mesurer exactement les parts sur la quotité des droits de chacun, on a parfait les comptes au moyen de soultes on retours de lots payés par ceux qui ont reçu plus à ceux qui ont reçu moins.
Cette hypothèse n'est prévue, à notre connaissance, ni par le Code français ni par les autres Codes étrangers.
On ne pouvait appliquer ici, purement et simplement, les mêmes solutions qu'au cas de licitation: il paraît notamment préférable de s'attacher moins au point de savoir si le partage a été provoqué par l'acheteur ou contre lui qu'au point de savoir si le vendeur y a été ou non appelé, en vertu de son droit éventuel.
1er Cas. Le vendeur a été appelé au partage: il a pu d'abord saisir cette occasion d'exercer immédiatement le rachat de la part qu'il avait vendue, et alors, l'acheteur étant écarté, le partage s'est fait entre le vendeur et ses copropriétaires; l'opération restera nécessairement irrévocable.
Si le vendeur n'était pas en mesure de pouvoir rem. bourser son acheteur, sa présence au partage lui aura encore été utile: il aura pu démontrer que la licitation, n'était pas nécessaire et que le partage en nature était possible; ce premier point obtenu, il a pu veiller à ce que les lots fussent formés égaux ou inégaux, conformément aux droits de chacun, et spécialement, si, à raison de leur inégalité, ils ne pouvaient être tirés au sort, il aura empêché que le lot attribué à son acheteur fût trop faible en nature, même avec un complément en argent, ou trop considérable, à charge d'une soulte dont le payement lui serait un jour trop onéreux.
L'opération, une fois ainsi faite, sera encore irrévo. cable à l'égard des autres copropriétaires; mais elle ne le sera pas à l'égard de l'acheteur à réméré: si le vendeur désire exercer le rachat, il le pourra, en retirant la portion divise échue à son acheteur, laquelle représente la part indivise qui lui a été vendue.
La loi ajoute que si l'acheteur a dû payer une soulte, parce que son lot excédait l'étendue de sa part, le vendeur remboursera cette soulte: c'est une dépense nécessaire, comme le prix de licitation dont parle l'article 728. En sens inverse, si l'acheteur a reçu une soulte, à cause de l'insuffisance de son lot, le vendeur la recevra avec le lot, ou la fera entrer en déduction du prix de vente qu'il doit restituer.
2e Cas. Le vendeur n'a pas été appelé au partage: d'abord on ne peut lui refuser le droit de le ratifier; les choses se passeront alors comme dans le cas précédent. Mais s'il ne ratifie pas le partage, l'opération de lui sera opposable par personne, pas même par son acheteur qui, s'il n'a pas provoqué le partage, a au moins eu le tort de n'y pas appeler le vendeur. Celui-ci commencera donc par exercer le rachat, c'est-à-dire par rendre à l'acheteur le prix qu'il en a reçu, et, rentrant par là dans la part indivise qu'il avait vendue, il provoquera un nouveau partage contre ses copropriétaires.
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(d) Le texte suppose qu'il s'agit "d'immeuble," comme étant le cas le plus vraisemblable; mais le réméré pouvant s'appliquer également aux meubles, sauf les droits des tiers (voy. art. 724, 2e al.), l'immeuble n'est pris ici que comme exemple du quod plerumque fit.
Art. 731. — 310. Cet article et le suivant ont encore rapport à l'exercice divisible ou indivisible du réméré.
Ici on suppose un seul acheteur et plusieurs vendeurs ou plusieurs héritiers d'un vendeur unique.
Dans l'article suivant, on supposera un seul vendeur, mais plusieurs acheteurs ou plusieurs héritiers d'un acheteur unique.
Dans le premier cas, celui du présent article, on doit distinguer s'il y a eu un seul contrat de vente ou plusieurs contrats, c'est-à-dire autant de contrats que de vendeurs.
S'il n'y avait qu'un seul contrat, en la forme, mais un prix distinct pour chaque portion vendue, ce serait, au fond, comme s'il y avait plusieurs contrats.
311. 1re Hypothèse: contrat unique. L'acheteur, en achetant toutes les parts, en même temps et sans distinction du prix de chacune, a montré par là qu'il tenait absolument à acquérir et conserver la chose en entier; c'est pourquoi la loi lui permet de s'opposer à un réméré partiel; il faut donc que les co-pendeurs se réunissent pour exercer le réméré total.
Mais l'acheteur est-il obligé de subir un réméré total qui lui serait offert par un seul des vendeurs, agissant dans son propre intérêt et sans mandat des autres ?
La question est discutée en France et généralement résolue dans le sens affirmatif: on prétend que l'acheteur ne peut refuser, tout à la fois, le réméré partiel et le réméré total et que, du moment que le choix lui est laissé d'obtenir l'un ou l'autre, il ne peut refuser l'un et l'autre, sous prétexte du défaut de mandat. Mais c'est, selon nous, une erreur certaine.
A la sommation d'opter pour l'un ou l'autre réméré, l'acheteur répondra qu'il refuse 1° le réméré partiel, parce qu'en achetant le tout par un seul contrat, il a montré qu'il ne voulait pas que la propriété fût morcelée, 2° le réméré total par un seul des vendeurs, parce que ce serait aggraver sa position, en multipliant ses dangers de subir le réméré; en effet, en compensation du risque de voir la propriété lui être reprise, il a la chance que les vendeurs ou l'un d'eux soient dans l'impossibilité d'effectuer le rachat. Il est déjà assez dur pour lui d'être obligé de céder devant un mandat donné, par ceux qui sont insolvables ou non désireux de racheter, à ceux qui sont en état de le faire, et ce mandat sera très-fréquent; mais si les co-vendeurs sont en désaccord ou en état d'hostilité, il n'est pas contraire à la nature de cette opération aléatoire que l'acheteur en profite.
On a dit que le refus par un ou plusieurs des vendeurs d'exercer le réméré devait profiter à l'autre ou aux autres; nous ne voyons pas pourquoi il ne profiterait pas plutôt à l'acheteur.
Le Code français nous paraît formel en ce sens, car il dit: lo que chaque vendeur (ou chaque héritier du vendeur unique) ne peut exercer le réméré “que pour la part qu'il avait” (art. 1668 et 1669); il ne peut donc l'exercer pour le tout; 2° que l'acheteur peut même exiger que les co-vendeurs (ou cohéritiers)” se concilieut pour la reprise de l'héritage entier" et que, “s'ils ne se concilient pas, il (l'acheteur) sera renvoyé de la demande” (art. 1670), c'est-à-dire que la demande formée contre lui sera rejetée.
Pour que la question ne se présente pas au Japon, on a soin de dire formellement que l'acheteur ne sera tenu de subir le réméré total que si celui qui prétend l'opérer “a un pouvoir des autres (e).”
Ce pouvoir est plutôt une autorisation, un consentement, qu'un mandat, car il n'y aura pas de compte à rendre, à ce sujet, entre les vendeurs; si le rachat est avantageux, ceux qui n'auront pas le moyen de l'effectuer pourront céder, rendre leur droit à leurs co-vendeurs.
312. 2 Hypothèse: Ces diverses portions ont été vendues par des contrats distincts.
La solution inverse était tont indiquée en faveur du réméré partiel: l'acheteur doit le subir de la part de ceux qui veulent et peuvent l'opérer; mais, sans aucun doute et à plus forte raison, il peut se refuser à un réméré total que l'un des vendeurs voudrait exercer sans pouvoir des autres.
La circonstance que le réméré partiel est possible ici nous ramène à l'application des articles 728 et 730. Il peut arriver, en effet, que l'un des reudeurs ait d'abord exercé le réméré pour sa part; il se trouve ainsi copropriétaire avec l'acheteur qui conserve encore les parts des autres; plus tard, et avant que le délai du réméré ne soit écoulé pour ces derniers, une licitation est provoquée contre l'acheteur par cet ancien vendeur redevenu propriétaire: l'acheteur ayant acquis sur licitation la totalité du fonds, le réméré ne pourra plus étre exercé par les derniers vendeurs que pour le tout (art. 728).
De même encore, le partage a eu lieu en nature: l'acheteur, ayant déjà subi le réméré d'un des vendeurs, à reçu une portion divise représentant les parts indivises qui lui restaient; on distinguera si le partage a été fait contradictoirement ou non avec tous les in fournies par l'article 730.
313. Deux hypothèses pourraient encore être proposées: le texte ne les prévoit pas, parce que les principes de la matière suffisent à les résoudre.'
1° Quelques parts indivises ont été vendues par un seul contrat et une ou plusieurs autres l'ont été par des contrats séparés. Il faut évidemment appliquer, tout à la fois, les deux règles qui précédent: le sort des parts vendues conjointement sera réglé par le 1er alinéa de notre article 731, comme si toutes ces parts réunies formaient un ensemble; celles qui ont été vendues séparément seront réglées parle 39 alinéa.
2° Le propriétaire unique d'une chose en a d'abord vendu une part à réméré; plus tard, il en a vendu, toujours à réméré et au même acheteur, une autre part ou tout le reste: on pourrait croire que, comme il y a ici plusieurs contrats, c'est le cas d'appliquer notre 34 alinéa; mais ce serait oublier les règles d'interprétation des conventions, où l'on doit chercher surtout quelle a été l'intention commune des parties (v.art. 376). Or, il est naturel de décider que l'acheteur, en acquérant ultérieurement la part qui lui manquait, a suffisamment montré par là qu'il tenait à avoir la chose en entier; de son côté, le vendeur, en aliénant cette nouvelle part, est présumé avoir renoncé au droit de réméré partiel que lui assurait son premier contrat.
Quand la loi attache l'importance que l'on a vue à la distinction entre l'unité et la pluralité de contrats, elle suppose plusieurs copropriétaires vendeurs, tandis que dans notre nouvelle hypothèse, il n'y a plus qu'un seul propriétaire, un seul vendeur, comme dans l'article suivant.
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(e) Le Code italien (art. 1525, 2e al.) permet, dans ce cas, à un seul des co-vendeurs d'exercer le rachat "en totalité, pour son propre compte.” Outre l'objection faite plus haut à cette solution, nous reprocherions au Code italien d'avoir conservé dans le 1er ali. néa la disposition française: "s'ils ne s'accordent pas, il sera renyoyé de la demande.” Cela ne fait-il pas une contradiction ?
Art. 732. — 314. Cet article ne suppose plus qu'un seul vendeur et plusieurs acheteurs.
On commence par supprimer expressément la distinction entre l'unité et la pluralité de contrats, parce que les acheteurs ne peuvent prétendre, dans aucun des deux cas, même dans celui où ils ont acheté par un seul contrat et pour un prix unique, avoir voulu éviter la division du fonds; en effet, si ce n'est pas le vendeur qui opère la division en exerçant un réméré partiel, chacun des acheteurs peut l'opérer en demandant le partage contre les autres.
La seule distinction qui soit à faire est relative à ce partage même entre les acheteurs.
Ier Hypothèse. Si, au moment où le vendeur veut exercer le réméré, le partage n'a pas encore eu lieu, il l'exerce, à son gré, soit contre un ou plusieurs des acheteurs, séparément, pour la part indivise de chacun, soit conjointement contre tous.
Dans le premier cas, le vendeur, prenant la place de celui ou de ceux qu'il désintéresse, devient copropriétaire des autres; dans le second, il redevient propriétaire unique, comme il l'était avant la vente.
2 Hypothèse. Si le partage entre les acheteurs a déjà été effectué, le réméré s'exercera de manière à ne pas produire un nouveau morcellement de la propriété: le vendeur respectera ce partage et il ne pourra reprendre à chacun ni plus, ni moins, ni autre chose que ce qui lui est échu par le partage ou par la licitation, et cela, sans distinguer par qui le partage a été provoqué, ni si le vendeur y a été appelé ou non, car les acheteurs tenant tous du vendeur leur droit de copropriété, tenaient aussi de lui le droit de partager.
La loi applique les mêmes règles au cas plus fréquent où il n'y aurait eu qu'un seul acheteur à l'origine, lequel serait décédé laissant plusieurs héritiers: le vendeur agira, à leur égard, comme à l'égard de plusieurs acheteurs originaires.
COMMENTAIRE.
Art. 733. — N° 315. C'est tout à fait par exception que les contrats sont rescindables pour lésion, lorsque d'ailleurs il n'y a preuve directe d'aucune erreur sur les qualités substantielles de la chose ou d'un dol de la partie adverse (v. art. 326, 34 al.).
Il y a cependant deux classes de ces exceptions.
La première concerne les contrats faits par les mineurs non émancipés, lorsqu'ils ont fait, sans l'autorisation ou l'intervention de leur tuteur, un contrat qui leur cause un préjudice appréciable en argent ou autrement (v. art. 570), si d'ailleurs ce contrat n'était pas soumis à des formes et conditions particulières à raison de leur minorité, auquel cas, l'action en nullité ou en rescision serait fondée sur la seule violation des formes (v. art. 569).
La 2e classe d'exceptions concerne les majeurs et elle ne comprend que quelques contrats limitativement déterminés.
En France, on ne compte généralement que deux contrats qui soient ainsi annulables pour lésion: la vente d'immeubles (art. 1674) et le partage de succession (art. 887). Mais nous pensons qu'on peut encore considérer comme fondés sur la lésion les cas de résiliation de la vente pour défaut ou excédant de la contenance promise (C. fr., art. 1618 et suiv.; Proj. jap., art. 689 et s.), pour éviction partielle (C. fr., art. 1636 et 1637; Proj. jap., art. 700 et 701) et pour vices cachés ou rédhibitoires (C. fr., art. 1644 et s.; Proj. jap., art. 741 et s.).
Il n'y a pas de raison particulière au Japon de multiplier davantage ces cas. Il n'y en a pas non plus de les restreindre, quoique de bons esprits aient réclamé la suppression de la rescision qui va nous occuper, comme étant, tout à la fois, contraire au principe de droit d'après “lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qni les ont faites” et à l'intérêt général qui réclame la stabilité des conventions.
316. Pour tous les légistes qui admettent la rescision pour lésion la justification n'en est pas identique: les uns disent que celui qui est lésé gravement dans une vente d'immeuble a sans doute été forcé de vendre par le besoin d'argent et qu'ainsi il n'a pas été entièrement libre; ils voient dans la lésion la preuve d'une sorte de violence morale, par conséquent, d'un vice du consentement. Mais on peut objecter que cette expli. cation n'est plus justifiée, si c'est un homme riche qui a vendu un immenble, de méme, si le vendeur a donné un long délai pour le payement.
D'autres disent que la lésion donne lieu de présumer une erreur sur les qualités principales de la chose vendue, car, vraisemblablement, celui qui vend un immeuble à vil prix, surtout sans besoin d'argent, doit en avoir ignoré la valeur; or, la valeur d'un immeuble ne dépend pas seulement de son étendue et de son emplacement, mais encore d'une foule de circonstances que le propriétaire connaît en général, mais qui, dans le cas d'une forte lésion, paraissent avoir été ignorées de lui.
Cette explication comporte aussi des objections: s'il s'agit de qualités intrinsèques de l'immeuble, de qualités tenant à sa nature, les seules qu'on puisse qualifier de substantielles, il est peu vraisemblable que le propriétaire les ait ignorées; s'il s'agit de circonstances extrinsèques ou extérieures, bien qu'elles puissent appeler l'immeuble à une sérieuse plus-value, ce ne sont plus des qualités substantielles; d'ailleurs, il n'est tenu compte que de la lésion actuelle au moment de la vente, non de celle qui se trouverait produite par des causes postérieures.
317. L'explication la plus satisfaisante paraît encore être celle qui a été déjà proposée (Tome II, p. 741742, n° 648, et p. 804, n° 720): elle fonde la rescision pour lésion sur l'idée d'enrichissement indû de la part de l'acheteur. En effet, la vente est un contrat à titre onéreux, où chaque partie fait un sacrifice pour obtenir un avantage équivalent; le contrat n'est pas aléatoire, mais ferme, le Code français l'appelle commutatif (art. 1104), au lieu de ferme, ce qui a l'inconvénient de ne pas former opposition à la qualification d'aléatoire, mais a l'avantage, au point de vue qui nous occupe, d'indiquer que chaque partie cherche dans le contrat un équivalent de ce qu'elle fournit. Or, lorsqu'il y a une lésion de plus de moitié pour le vendeur, en même temps que celui-ci perd cette valeur, l'acheteur la gagne et il la gagne sans cause légitime.
Tel est, selon nous, le fondement de la rescision pour lésion.
318. L'explication comporterait quelques objections, mais elles sont faciles à réfuter.
Ainsi, on pourrait demander:
1° Pourquoi cette rescision ne s'appliquerait-elle pas à tous les contrats à titre onéreux ?
Remarquons, en passant, que l'objection peut tout aussi bien être faite aux autres explications. Mais la limite à certains contrats s'explique par une raison d'utilité: il faut que les contrats soient stables autant que possible; de plus, la vente est presque le seul contrat où il soit facile d'apprécier s'il y a lésion pour une partie, et encore cette appréciation ne peut-elle se faire que du côté du vendeur, parce que l'équivalent qu'il doit recevoir est de l'argent; dans l'échange, on ne pourrait jamais affirmer que ce que l'un des contractants reçoit n'est pas l'équivalent de ce qu'il fournit, car les avantages réciproques, n'étant pas de l'argent, ne peuvent être jugés égaux ou inégaux que par les parties elles-mêmes.
Nous donnerons bientôt la raison pour laquelle l'acheteur n'a jamais l'action en rescision pour lésion.
2° Pourquoi, dit-on, s'il s'agit de faire cesser un enrichissement indû, exiger une lésion déterminée et aussi considérable ?
Voilà encore une objection opposable aux autres explications autant qu'à la nôtre, mais à laquelle il suffit de répondre que chaque fois qu'il s'agit de détruire un contrat, la loi doit y apporter des limites, avoir des scrupules, et n'autoriser un pareil résultat que pour un intérêt certain et suffisamment considérable.
3° Pourquoi, s'il s'agit de faire restituer un enrichissement indû, l'action, au lieu d'avoir un caractère réel, n'est-elle pas une action personnelle ordinaire, ce qui lui ferait donner une plus longue durée ?
Ici, nous ne dirons plus que l'objection pourrait se faire contre les autres systèmes, parce que ceux-ci, fondant le droit sur un vice du consentement présumé, ne peuvent chercher le remède que dans la rescision du contrat, action réelle, ou au moins mixte (tant réelle que personnelle). Mais notre système prend la même voie, parce que le vendeur, tout en se plaignant de n'avoir pas reçu l'équivalent de ce qu'il a fourni, ne peut exiger que l'acheteur lui complète le juste prix: il se peut que l'acheteur n'en ait ni le moyen, ni même la volonté; l'immeuble pourrait lui convenir pour le prix qu'il en a donné, et non pour celui qu'on lui demande maintenant; son obligation est donc plutôt de rendre l'immeuble que d'en parfaire le juste prix; ce complément du juste prix n'est qu'une faculté qu'il peut exercer (v. art. 576 et 737), une obligation facultative qu'il peut offrir de remplir, mais à l'exécution de laquelle il ne peut être contraint (voy. art. 456).
Du moment que le vendeur prétend à la restitution de son immeuble, on comprend que l'action soit réelle et que, détruisant un contrat, elle soit limitée à un assez bref délai, ainsi qu'on le verra à l'article suivant.
319. Le présent article contient trois conditions pour que la rescision de la vente pour lésion soit permise: il faut 1° qu'il s'agisse de vente d'immeuble, 2° que la lésion soit pour le vendeur, 3° qu'elle soit de plus de moitié.
Cette 3e condition se trouve déjà expliquée par ce qui précède: il faut une lésion grave pour annuler un contrat, lorsqu'il ne présente d'ailleurs aucun autre vice: elle a la gravité nécessaire et suffisante lorsqu'elle excède la moitié du juste prix, lorsque l'acheteur perd plus qu'il ne reçoit.
Le droit romain qui le premier aduit cette cause de rescision se contentait déjà d'une lésion de plus de moitié; l'ancien droit français conserva la même mesure, sous le nom de lésion “d'outre moitié;" le Code civil français a élevé le chiffre d'un douzième (à 7/12es au lieu de 6/12es). Le Projet propose de revenir au chiffre traditionnel comme plus simple; c'est aussi ce. lui qu'a adopté le Code italien (art. 1529).
Pour la 1re condition requise, à savoir qu'il s'agisse de vente d'immeuble, on la justifie quelquefois par l'affection que les hommes portent habituellement à leurs immeubles et par le regret que leur cause l'aliénation, lorsqu'elle n'est pas compensée par un profit équivalent. Cette raison est peu juridique et ne mérite pas beaucoup d'égards; c'est d'ailleurs une variété de l'idée traditionnelle, mais peu exacte dans les temps modernes: vilis mobilium possessio, “la possession des “meubles n'a pas d'importance.” Il est plus naturel de dire que les immeubles ont seuls, aux yeux de la loi, une valeur assez stable pour qu'on puisse avec certitude apprécier s'ils ont été vendus à leur véritable valeur, surtout lorsque cette appréciation doit se faire plus ou moins longtemps après la vente.
Quant à la 2e condition, on la justifie différemment, suivant que l'on fonde la rescision sur le prétendu besoin d'argent auquel aurait cédé le vendeur, ou sur l'enrichissement indû de l'acheteur.
Il est clair que l'acheteur qui se dirait lésé, pour avoir payé l'immeuble moitié plus que sa valeur, ne pourrait jamais prétendre qu'il a été contraint d'acheter par le besoin d'argent, et cela suffit, dans cette opi. nion, pour limiter le droit de résolution au vendeur.
Mais nous, nous dirons que l'acheteur qui a payé trop cher, même la moitié en plus que la valeur vénale de l'immeuble, a sans doute trouvé des avantages particuliers, personnels, qui motivent le sacrifice qu'il a fait. Il peut avoir attaché une grande importance à cette acquisition, soit pour la joindre à un autre immeuble contigu qui lui appartient déjà, soit pour rapprocher son habitation de celle d'un parent ou d'un ami, soit pour habiter un lieu favorable à sa santé ou voisin de ses occupations journalières.
En un mot, il peut y avoir une foule de raisons de convenances personnelles, inappréciables en argent, qui portent quelqu'un à acquérir un immeuble pour un prix supérieur à sa valeur normale, et il serait inexact de dire que l'acheteur a fait une perte par cette acquisition.
320. Notre article, après avoir consacré le droit du vendeur à la résolution pour lésion, ajoute qu'il ne perdrait pas son droit pour y avoir expressément renoncé “par le contrat,” ni pour avoir déclaré “abandonner la plus-value.”
Cette disposition est empruntée au Code français et on la trouvait déjà présentée, avec une application plus étendue, dans les Obligations en général (art. 578, 3° al.); elle se justifie peut-être mieux dans l'opinion commune qui fonde la rescision sur l'embarras d'argent où se serait trouvé le vendeur que dans celle qui la fonde sur l'enrichissement indû. Ainsi, on conçoit très-bien que si le vendeur a vendu par nécessité, l'acheteur, voulant profiter de sa pénurie, lui imposerait toujours une renonciation à la rescision et le vendeur ne pourrait s'y soustraire.
Mais, dans notre opinion, on peut dire sussi que cette renonciation serait viciée comme la vente, en ce qu'elle constituerait toujours un enrichissement indû pour l'acheteur. Du moment que l'acte ne serait pas une vente pour partie et une donation pour le reste, il constituerait toujours la lésion contre laquelle la loi veut relever le vendeur.
Mais la loi ne défend pas que le vendeur puisse renoncer à l'action en rescision par un acte distinct de la vente, parce qu'alors le vendeur a recouvre toute l'indépendance nécessaire pour transiger sur les droits plus ou moins contestables qu'il peut avoir. L'article 578 précité n'exige pas que l'acte de confirmation soit postérieur à la vente: il se contente qu'il soit distinct; mais l'esprit de la loi est évidemment que les deux actes ne soient pas concomitants.
Art. 734. — 321. On a déjà été amené, par l'exposé qui précède, à justifier la brièveté du délai pour agir en rescision pour lésion: outre que les actions qui ont pour but de détruire les contrats sont naturellement plus courtes que celles qui ont pour but de les faire exécuter, il y a ici une raison particulière de l'abréger encore davantage, c'est la difficulté qu'il y aurait de rechercher, à un plus grand intervalle de temps, quelle était la valeur vénale réelle de l'immeuble au jour de la vente.
Le délai de deux ans est celui du Code français et du Code italien; il n'y a aucun inconvénient à l'adopter au Japon: cette action y étant de création nouvelle, il est naturel de la prendre telle qu'elle est dans nos modèles habituels.
322. Chaque fois que la loi fixe un délai pour l'exercice d'un droit ou d'une action, on est porté à se demander si ce délai peut être augmenté ou diminué par la convention des parties, et, comme la liberté des convention est la règle, en matière de délais comme pour les droits eux-mêmes, quand la loi entend enlever cette liberté aux parties, elle doit l'exprimer. C'est ce qu'elle fait ici (2e al.), sous le double rapport de l'augmentation ou de la diminution du délai.
L'augmentation est interdite, parce que l'action en rescision d'une vente d'immeuble devant atteindre les sous-acquéreurs, il ne doit pas dépendre des parties de prolonger pour les tiers le danger de l'éviction, ni l'entrare à la circulation des biens qui en résulte.
La diminution du délai est interdite aussi, parce qu'alors c'est le vendeur qui serait exposé à être privé de la protection de la loi: la même raison qui lui fait refuser le droit de renoncer d'avance à la rescision pour lésion lui fait refuser le droit d'en abréger le délai.
Mais la loi a soin d'exprimer aussi que ce n'est que par le contrat même de la vente que cette diminution du délai est interdite: il serait donc permis au vendeur de consentir à la réduction du délai par un acte distinct de la vente et postérieur au contrat qui constitue la lésion; il y a de cela même raison que pour la renonciation entière à l'action.
323. La loi suppose, dans le 39 alinéa, que la vente sujette à rescision pour lésion serait, en même temps, sujette à résolution par l'effet de la faculté de rachat. On aurait pu douter si le délai de l'une des actions retardait le délai de l'autre, et la loi décide avec raison que les deux délais courent en même temps, ce qui fait dire qu'ils “se confondent;" s'ils étaient égaux, parce que celui du rachat n'aurait pas été porté à son maaimum, les deux actions se trouveraient éteintes en même temps; mais si le délai du rachat est plus long, la confusion n'a lieu que jusqu'à concurrence du délai de l'action en rescision pour lésion.
Il ne faudrait pas croire que pendant que le vendeur a les deux actions à sa disposition, il est indifférent qu'il agisse par l'une ou par l'autre: pour l'exercice de l'action en réméré, le vendeur doit présenter à l'acheteur le prix qu'il a reçu; tandis que pour la rescision pour lésion le vendeur n'a pas besoin d'offrir présentement le prix insuffisant qu'il a reçu; sans doute, il doit le rendre: il ne pourrait pas recouvrer sa chose et garder le prix qu'il a reçu; mais cette obligation n'est pas de nature à lui faire encourir la déchéance, et si la demande est faite dans le délai, le remboursement du prix peut être fait plus tard (voy. art. 737).
Une différence encore plus saillante est relative à l'exercice de l'action contre les sous-acquéreurs: on sait que le rachat s'exerce contre ceux-ci (v. art. 724); on verra bientôt que la rescision pour lésion, dans ce Projet, n'atteint les sous-acquéreurs qu'exceptionnellement (v. art. 736); c'est là qu'on justifiera cette différence.
Art. 735. — 324. On s'écarte notablement ici du Code francais, lequel veut lo que le tribunal rende un premier jugement admettant le demandeur à faire preuve de la lésion, “lorsque les faits articulés seront assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion” (art. 1077), 2° que la preuve se fasse seulement par un rapport de trois experts nommés d'office par le tribunal et ne formant qu'un seul avis à la pluralité des voix, à deux voix au moins (art. 1678, 1679 et 1680).
On n'exige pas ici qu'un premier jugement statue sur la recevabilité de la demande. En effet, de deux choses l'une, ou l'examen du tribunal sera limité, comme en France, à l'appréciation de la gravité des faits articulés, allégués par le demandeur, et alors, comme l'exactitude n'en est pas discutée et vérifiée contradictoirement, ce n'est pas une garantie suffisante que la demande n'est pas abusire; ou l'examen portera déjà sur la réalité et l'étendue de la lésion, et alors il pourra conduire an rejet de la demande, sans que celleci ait été suffisamment discutée. Mieux vaut, semblet-il supprimer ce jugement préalable d'admission et laisser le demandeur agir à ses risques et périls.
Le jugement exigé par le Code français a d'ailleurs un autre inconvénient: comme il est interlocutoire de sa nature, puisqu'il “préjuge le fond,” il est susceptible d'appel immédiat (C. pr.civ. fr., art. 451 et 452), ce qui peut causer un retard considérable pour la dé. cision finale.
Quant à la prenve décisive à fournir de la lésion, pour le jugement du fond, il ne semble pas qu'il y ait de raison majeure de s'écarter du droit commun des preuves, en n'admettant exclusivement que la preuve par experts, ni d'exiger trois experts nommés d'office par le tribunal. Sans doute, l'expertise sera presque toujours nécessaire, parce qu'elle est le moyen le plus naturel et le plus sûr de connaître la véritable valeur qu'avait l'immeuble au jour de la vente, mais il est plus naturel que chaque partie nomme son expert et que le tribunal en nomme un seul. Le Projet ne dit pas, comme le Code français, que les experts ne doivent faire qu'un seul rapport, avec mention de l'avis qui a la pluralité des voix et de celui qui est en minorité: il renvoie à cet égard au futur Code de procédure civile (a).
Le tribunal s'éclairera, en outre, par les preuves ordinaires que la loi mentionne plutôt à titre d'exemple que d'une matière limitative. Ainsi, les actes de vente antérieurs seront pris en considération pour le prix qu'ils portent, si d'ailleurs il n'y avait pas, à ces époques, de cause momentanée d'élévation du prix ou s'il n'est pas, depuis, survenu de cause de dépréciation du bien vendu; de même, des témoins pourraient déposer qu'eux-mêmes ou des personnes connues d'eux ont offert, vers l'époque de la vente, un prix supérieur de moitié, soit pour le même immeuble (alors que le propriétaire n'était pas encore disposé à vendre), soit pour des immeubles de même nature et au même lieu.
Les difficultés de détail relatives à cette recherche de la valeur véritable de l'immeuble ne doivent pas faire abandonner le principe de cette rescision; mais on peut affirmer d'avance qu'elle sera rarement prononcée, faute de preuves péremptoires; par le même motif, la demande sera rare. Il n'y a donc pas de raison pour subordonner la demande, comme en France, à l'épreuve d'un jugement préalable d'admission qui exposerait le vendeur à un rejet sans examen suffisant.
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(a) Quand le Code civil français a été préparé le Code de procé. dure civile n'était paz no: plus ré ligé; c'est po:rquoi on est entró sur cette expertise dans des détails de forme qui se retrouvent, et plus complets, au sujet des expertises en général (v. C. proc. civ., art. 302 et s., surtout art. 318 et 322).
Art. 736. — 325. Cette disposition est une grande innovation par rapport au Code français qui admet, im. plicitement au moins (v. art. 1681, 2° al.), que l'action en rescision pour lésion se donne contre les sous-acquéreurs, c'est-à-dire contre ceux qui ont acquis des droits réels sur l'immeuble du chef de l'acheteur (b): leur bonne foi, c'est-à-dire leur ignorance de la lésion ne les préserve pas de l'éviction; c'est une protection exagérée du vendeur. Lors même que l'on fonderait la rescision sur la contrainte morale qu'un embarras d'argent aurait imposée à celui-ci, ce ne serait pas une raison suffisante pour le secourir au préjudice des sous-acquéreurs de bonne foi.
Le vendeur ne serait pas plus digne de faveur si l'on expliquait la lésion par la présomption d'une erreur qu'il aurait commise sur les qualités substantielles on principales de sa chose; car, s'il est excusable d'une telle erreur, comment pourrait-on reprocher aux tiers de n'avoir pas connu la lésion qu'il avait soufferte ?
Avec notre explication qui fonde la rescision sur l'enrichissement indû de l'acheteur, il n'y a plus de difficulté: c'est l'acheteur seul qui est enrichi et non les tiers qui ont traité avec lui: l'action perd en grande partie son caractère réel et se rapproche beaucoup d'une action personnelle.
Une raison qui nous paraît déterminante pour protéger les sous-acquéreurs, c'est justement l'impossibilité où ils sont de connaître avec assez de certitude le danger d'éviction auquel la rescision les exposerait. Lorsqu'il s'agit du réméré, la faculté en est révélée aux tiers par le titre transcrit; lorsqu'il s'agit de la résolution faute de payement, les tiers ne sont pas non plus exposés à une surprise, car la résolution ne s'exerce contre eux que si l'acte de vente transcrit porte que tout ou partie du prix est encore dû. Lors même que la loi n'exigerait pas cette mention, les tiers acquéreurs, avec un peu plus de vigilance, seraient facilement à l'abri de tout danger: ils n'ignorent pas que l'acheteur a l'obligation de payer le prix et, du moment que l'acte n'en porterait pas quittance, ils devraient, ou se faire représenter la preuve du payement, ou considérer le prix comme étant encore dû.
Rien de semblable ne pourrait les avertir que lạ chose a été vendue pour moins de moitié de sa valeur, car on vient de reconnaître combien il est difficile de faire cette vérification, même quand elle est poursuivie par celui qui y a le plus d'intérêt.
Mais si les tiers n'ont acquis l'immeuble qu'après que la publication de la demande a été faite par le vendeur, alors ils ne sont plus de bonne foi, s'ils ont connu cette demande, ou ils sont en faute s'ils l'ont ignorée et l'action doit les atteindre.
Le Code italien auquel nous avons reproché de donner cette solution pour l'action résolutoire faute de payement (v. art. 1511), la donne avec raison pour l'action en rescision pour lésion (art. 1308).
Cette distinction n'a pas été annoncée lorsqu'on a traité de la lésion des majeurs (art. 575), mais elle n'a pas été non plus exclue: le renvoi fait par l'article 575 à l'article 372 laisse place à la distinction introduite ici.
326. Il eût peut-être été bon de faire la même distinction au sujet de l'erreur que la loi permet d'opposer aux tiers par voie de rescision, quoique rien n'ait pu la leur révéler dans le contrat.
Nous n'irons pas jusqu'à la proposer pourle cas de violence, quoiqu'elle ne soit pas non plus révélée aux tiers par le contrat transcrit: dans le cas de violence, la victime est beaucoup plus intéressante que dans le cas d'erreur, parce qu'elle n'a commis aucune faute. Mais nous sommes porté à croire que l'effort du législateur tendra de plus en plus à protéger les tiers-acquéreurs de bonne foi et ce que nous ne proposons pas aujourd'hui, par respect pour les anciennes traditions, sera un jour considéré comme admissible.
A l'égard du dol, le Projet a déjà formellement exprimé qu'il ne produit pas un vice du consentement, mais seulement un dommage sujet à indemnité et la rescision qu'il autorise n'a qu'un caractère de réparation; aussi ne peut-elle être exercée contre les sousacquéreurs de bonne foi (v. art. 333, dern. al.); mais il faudrait décider, de même, que ceux qui auraient acquis depuis la publicité donnée à la demande par la voie de la transcription, cessant d'étre de bonne foi, seraient exposés à la rescision. L'article 372, 1er alinéa, par la forme de sa rédaction, se prête parfaitement à cette interprétation (v. aussi Comm., Tome II, p. 225 à 227, n° 220 à 223) (c).
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(b) Nous disons que la disposition n'est qu'implicite, parce que l'article 1681 ne dit pas que le sous-acquéreur peut être évincé, il dit qu'il peut se préserver de l'éviction en payant le supplément du juste prix.
(c) Il ne faudrait pas induire les mêmes décisions de l'article 4 de la loi française du 23 mars 1855 sur la transcription: cet article, il est vrai, ordonne la transcription des jugements portant rescision ou nullité d'actes transcrits (il ne prescrit pas la publication des demandes); mais la sanction du défaut de publicité n'est pas la défense d'évincer les tiers qui ont traité de bonne foi avec celui qui a subi la rescision, ce n'est qu'une amende contre l'avoué fautif et sans doute des dommages-intérêts pour les tiers évincés.
Art. 737. — 327. Dans l'opinion qui fonde la rescision pour lésion sur une présomption de contrainte résultant du besoin d'argent, il serait peut-être plus logique d'accorder au vendeur le recouvrement de sa chose d'une façon absolue et de ne pas l'en priver parce que l'acheteur offrirait le complément du juste prix; on pourrait soutenir la même solution dans l'opinion qui fonde cette rescision sur une présomption d'erreur; mais, lorsqu'on la fonde sur l'enrichissement indû de l'acheteur, il n'y a plus à hésiter à refuser la rescision au vendeur dès que l'acheteur lui offre de parfaire le juste prix.
Quoi qu'il en soit du fondement de cette rescision, le Code français a accordé cette faculté à l'acheteur; celui-ci peut même déduire 1/10e du juste prix, pour ne pas arriver à payer la chose au maximun de sa valeur, après l'avoir payée beaucoup moins (art. 1681).
Le Projet japonais a généralisé cette faculté pour tous les cas de lésion (art. 576) et il veut que le complément du juste prix soit entier, sans déduction. C'est aussi la disposition du Code italien (art. 1534).
Ajusi, entre le Projet et le Code français deux différences connexes sont à noter, en faveur du vendeur, quant à la lésion nécessaire et quant à la manière de la corriger. Supposons, pour cela, la vente d'un immeuble valant 1200 yens, d'après l'expertise:
1° En France, la vente ne sera rescindable que si la lésion est de plus de 7/12e, donc l'immeuble aura été vendu moins de 500 yens; dans le Projet, il suffira d'une lésion de plus de moitié: la vente aura été faite pour moins de 600 yens;
2° En France, l'acheteur ne sera pas obligé de parfaire 1200 yens, mais 1200 moins le 10", moins 120, soit 1080 yens; dans le Projet, il doit parfaire les 1200 yens, et il ne faut pas s'arrêter à l'objection que l'acheteur, après avoir payé trop bon marché, va payer trop cher: il est naturel de croire que l'expertise donnera toujours à l'immeuble une valeur plutôt affaiblie qu'exagérée.
328. Ce qui est dit des interéts par les deux premiers alinéas de notre article ne présente aucune difficulté: si l'acheteur complète le prix, il doit y ajouter les intérêts, au moins depuis la demande; s'il rend la chose, il doit recouvrer les intérêts du prix déjà payé, avec le capital, et toujours depuis la demande; mais alors il doit rendre les fruits perçus pendant le même intervalle.
La loi pourrait, dans un but de simplification des comptes, admettre la compensation de ces derniers intérêts avec la jouissance qu'a eue l'acheteur pendant le procès; mais si l'on entrait dans cette voie, il y aurait lieu de la suivre dans beaucoup d'autres cas et il vaut mieux s'en tenir aux principes généraux qui veulent que les fruits et intérêts se calculent toujours d'après le moment de la demande en justice.
329. Le droit de rétention que la loi accorde à l'acheteur jusqu'au parfait remboursement de son prix est une sûreté réelle contre l'insolvabilité du vendeur; il a déjà été accordé à l'acheteur à réméré par l'article 727; si la loi ne l'accordait, ici encore, à l'acheteur, il serait exposé, après avoir rendu la chose, à la voir saisie et vendue par d'autres créanciers, avec lesquels il pourrait concourir, mais qui le réduiraient à ne recouvrer qu'une partie de ce qui lui est dû.
Art. 738. — 330. Quoique la rescision pour lésion diffère assez notablement de la résolution par l'effet du rachat, il y a cependant plus d'un point commun, et c'est même la cause pour laquelle les deux théories figurent dans la même Section.
L'exercice tantôt divisible, tantôt indivisible de l'action est un de ces points communs. Quoique les articles 728 à 732 soient assez compliqués par euxmêmes, il ne semble pas très-difficile d'en faire l'application à la rescision pour lésion: il suffira, en général, de supposer qu'au lieu d'une vente à réméré, il y a eu vente avec lésion de plus de moitié; les droits que la loi accorde ou refuse au vendeur à réméré, elle les accorde ou les refuse au vendeur lésé.
Dans les deux actions, la pluralité de vendeurs ou d'acheteurs ou la succession de plusieurs héritiers à l'une des parties ainsi que les snites du partage, donneront lieu aux mêmes distinctions.
Art. 739. — 331. Les ventes faites aux enchères publiques amènent, en général, un grand concours d'acheteurs et, par cela même, les choses vendues y obtiennent leur véritable valeur; c'est même pour ce motif que, dans les pays où la fortune publique est le mieux sauvegardée par les lois, les biens de l'Etat, des départements et des communes ne peuvent être vendus qu'aux enchères publiques.
Il est donc paturel que quand un immeuble a été vendu aux enchères publiques, l'acheteur ne soit pas exposé à la rescision pour lésion.
A cet égard, le Code français a une disposition un peu moius large que celle du Projet: il n'affranchit de l'action en rescision que les ventes qui ont été faites en justice, “d'après la loi” (art. 1681), c'est-à-dire d'après la disposition impérative de la loi; telles sont les ventes des biens des mineurs et interdits, des femmes mariées sous le régime dotal, des biens de l'Etat, des départements et des communes et des biens saisis par suite de jugement ou de poursuites hypothécaires.
Le Projet va plus loin: il accorde la même sécurité à l'acheteur, lorsque la vente a eu lieu aux enchères publiques, "même par la volonté du vendeur seul,” pourvu que les formes et délais prescrits pour les ventes faites par autorité de justice aient été observés. En effet, la circonstance que la loi ordonne la vente aux enchères est sans influence sur le concours des acheteurs et sur la chaleur des euchères: du moment que la vente a été annoncée publiquement, que les délais réglementaires ont été observés entre l'annonce de la vente et sa réalisation, que les acheteurs ont été admis, publiquement et en toute liberté, à enchérir, il n'y a pas lieu de craindre que le bien n'ait pas obtenn toute sa valeur légitime. Lors même qu'il serait prouvé que le bien s'est vendu notablement moins cher que d'autres biens se trouvant dans les mêmes conditions, moins cher même qu'il n'avait été vendu précédemment aux anciens propriétaires, moins cher enfin que l'acheteur ne l'a rerendu peu de temps après son acquisition, cela pourrait s'expliquer de diverses manières tenant à des circonstances momentanées; le bien n'en aurait pas moins atteint le prix qu'il valait au jour des enchères.
Le Code italien (art. 1536) accorde la même sécurité à l'acquéreur “aux enchères publiques.”
Art. 740. — 332. Une vente peut, comme dit le texte de cet article, avoir un caractère aléatoire, “soit par la nature du droit vendu," comme la vente d'un usufruit et même d'une nue-propriété, “soit par la nature du prix à payer," comme une vente faite moyennant une rente viagère.
Dans ces cas, il ne serait pas possible de vérifier s'il y a eu lésion à l'origine, puisque l'une des deux valeurs fournies est variable et aura plus ou moins d'importance suivant l'événement: ici, ce sera suivant la durée d'une vie (d).
Cette disposition qui ne se trouve pas dans les Codes étrangers y est généralement suppléée, dans l'interprétation.
Mais on remarque que cette disposition de la loi ne concerne pas toutes les ventes ayant un caractère aléatoire; ainsi, elle ne s'appliquerait pas aux ventes qui ne seraient aléatoires que par leur subordination à une condition suspensive ou résolutoire, même purement casuelle; il y aurait pourtant là un alea (v. Tome II, p. 37, no 32); mais si la condition suspensive s'accomplit ou si la condition résolutoire fait défaut, la vente est rétroactivement confirmée et les valeurs respectivement fournies peuvent être jugées non équivalentes au préjudice éprouvé par le vendeur.
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(d) On devrait cependant admettre la rescision d'une vente d'immeuble faite moyennant une rente viagère, si les arrérages annuels n'étaient pas notablement supérieurs aux revenus annuels que le nom: en réalité, le vendeur n'aurait aucune chance de gain, même en lui supposant une longévité exceptionnelle.
COMMENTAIRE.
Art. 741. — N° 333. Le Projet s'écarte ici du Code français et de ses imitateurs, par la méthode, mais non par le fond. Dans le Code français, les vices cachés de la chose vendue sont présentés comme constituant un cas spécial de garantie (art. 1641 et s.; comp. C. it., art. 1498 et s.); mais cette théorie est inexacte: la garantie suppose plutôt un danger menaçant qu'un dommage consommé; la garantie est l'obligation pour un contractant de préserver l'autre de ce danger, et ce n'est que subsidiairement et lorsque le dommage n'a pu être évité, que la réparation devient à son tour l'objet de la garantie; c'est ce qui a lieu dans le cas du danger d'éviction déjà rencontré; c'est aussi une véritable garantie que se doivent respectivement les codébiteurs solidaires et les débiteurs d'une dette indivisible (voy. art. 415 à 420; v. aussi ci-dessus, p. 338, n° 273).
Mais lorsque la chose vendue a des vices cachés, l'acheteur les découvrant ne demande pas au vendeur de les prévenir, puisqu'ils existent, ni de les faire cesser, puisqu'ils sont supposés “irrémédiables”: il demande la réparation du dommage qu'il en éprouve, et cette réparation pourra être la résolution de la vente, sous le nom spécial de rédhibition (a), ou la diminution du prix et, dans tous les cas, des dommages-intérêts.
C'est la nature principale de cette réparation qui nous fait placer dans cette Section l'action dite “rédhibitoire.” Il est cependant traité ensuite de l'action qui ne tend qu'à faire obtenir à l'acheteur une diminution du prix ou des dommages-intérêts; mais cette action est secondaire, moins considérable dans son effet, et il était naturel de la réunir à la principale.
334. Si l'on voulait trouver une véritable action en garantie, à raison des vices cachés, il faudrait supposer justement le cas exclu ici, celui où les vices seraient facilement réparables ou remédiables; alors, l'acheteur pourrait demander au vendeur de les corriger, de rétablir la chose vendue dans l'état où elle aurait dû être; tel serait le cas d'une machine à vapeur, d'un instrument de musique, d'une horloge, qui ne fonctionnerait pas correctement ou même ne fonctionnerait pas du tout, par suite de l'absence, de la rupture ou du mauvais état d'une pièce importante: assurément, en pareil cas, l'acheteur, non seulement pourrait demander la réparation, la mise en état de fonctionnement de la chose vendue, mais même il devrait l'accepter, si le vendeur l'offrait, et renoncer à l'action rédhibitoire, car il y aurait mauvaise foi de sa part à chercher à se soustraire aux obligations de la vente, sous prétexte d'un dommage momentané et facilement réparable.
L'observation qui précède est importante, parce qu'elle sert en même temps de justification à l'un des caractères exigés par le texte dans le vice de la chose pour que l'action rédhibitoire soit possible, c'est que le vice soit "irrémédiable.” Ce caractère, qui n'est pas exigé par les Codes étrangers, y doit être sousentendu; mais il est préférable de l'expriner.
335. Continuant l'analyse de notre premier article, nous y voyons que le vice doit être “non apparent;” cette expression est préférable à celle plus usitée de “vice caché," parce que le mot caché pourrait faire croire que le vice a été dissimulé à dessein par le vendeur (b); or, cette condition n'est nullement nécessaire: il peut arriver que le vendeur ait ignoré lui-même le vice de la chose vendue et cela ne l'exempte pas d'une certaine responsabilité.
On verra, du reste, qu'il y a intérêt à distinguer la bonne ou la mauvaise foi du vendeur, c'est-à-dire son ignorance ou sa connaissance du vice; sa position sera même encore plus mauvaise si, connaissant le rice, il l'a dissimulé par quelque artifice.
La loi ne se contente pas que ces vices soient “non apparents," elle a encore soin d'exiger que “l'acheteur les ait ignorés,” car s'ils lui avaient été révélés par quelqu'un ou par une circonstance fortuite, il ne mériterait plus le secours de la loi: de même si, en sens inverse, les vices étaient apparents et que l'acheteur les eût ignorés, faute d'avoir suffisamment examiné la chose, il ne pourrait imputer qu'à lui-même la perte qu'il éprouve, en supposant d'ailleurs que le vendeur n'ait commis aucun dol pour empêcher l'examen de la chose par l'acheteur.
336. Mais il faut encore que ces vices aient une gravité sérieuse pour donner lieu à l'action rédhibitoire. La loi l'exprime en supposant, soit que la chose se trouve devenue iinpropre à l'usage auquel elle était destinée, soit que cet usage est tellement diminué que l'acheteur n'aurait pas acheté, s'il avait connu les vices.
La loi a encore soin d'exprimer qu'il ne s'agit pas d'un usage particulier auquel l'acheteur aurait tacitement destiné la chose: il faut que cette destination résulte de la nature de la chose, on, si l'acheteur lui donne une destination particulière, il faut qu'elle ait été annoncée au vendeur et admise par lui comme possible.
Ainsi, l'acheteur d'un cheval de selle, l'aurait destiné à être attelé, sans en informer le vendeur, il ne pourrait se plaindre ensuite qu'il fût impropre à cet usage; il ne suffirait même pas qu'il eît informé le vendeur de son intention, parce que celui-ci pourrait n'aroir pas fait à cette déclaration une attention suffisante pour la combattre; mais si le vendeur a approuvé cette des. tination c'est une sorte d'assurance que la chose y est propre, c'est l'acceptation d'une responsabilité spéciale.
Etant donnés ces caractères et cette gravité des vices de la chose vendue, l'acheteur a droit à la rédhibition ou reprise de la chose par le vendeur.
337. Il y a de particulier dans cette résolution de la vente que, tandis que dans les autres cas on a vu que c'est le vendeur qui demande à recouvrer sa chose, soit faute de payement, soit par la faculté de rachat ou pour lésion, ici, c'est l'acheteur qui demande à la rendre, à la faire reprendre: c'est pour lui une variété de la résolution pour inexécution des conditions du contrat; car, bien que le vendeur ne soit pas tenu, comme le bailleur, de fournir un usage et une jouissance future et continue de la chose vendue, il doit au moins fournir les éléments actuels de la jouissance future, c'est-à-dire que la chose doit être en état de service normal, ou au moins, si elle a des défauts graves, il faut qu'ils aient pu être connus et acceptés.
La vente étant résolue par l'effet de l'action rédhibitoire, l'acheteur doit recouvrer son prix, s'il l'a déjà payé, ou il en est libéré, dans le cas où il jouissait d'un terme. Il doit être aussi remboursé des frais du contrat, car c'est une dépense dans laquelle le vendeur l'a entraîné sans cause légitime.
S'il y a eu mauvaise foi du vendeur, l'acheteur a des dommages-intérêts, comme il est établi plus loin.
A l'égard des intérêts du prix payé, la rigueur des principes voudrait qu'ils lui fussent remboursés avec le capital et que, de son côté, il payât quelque chose au vendeur pour la jouissance ou l'usage, même imparfait, qu'il a eu de la chose; mais, dans un but de simplification des comptes, la loi ordonne que les intérêts se compensent avec la jouissance ou l'usage. S'il s'agissait d'une résolution expressément ou tacitement convenue, la loi pourrait exiger un compte rigoureux des intérêts et des fruits, et encore elle le subordonnerait à l'intention des parties (art. 432; comp. art. 727). Mais lorsqu'il s'agit de détruire un contrat par dérogation au droit commun, et lorsque l'action est déjà considérée comme un mal nécessaire, il est naturel que la loi la simplifie autant qu'il est possible.
Toutefois, la loi ne pouvait raisonnablement admettre la compensation jusqu'au jour du jugement, encore moins jusqu'au jour de son exécution: la compensation s'arrête au jour de la demande.
338. La loi n'exprime pas que l'acheteur a le droit de rétention de la chose jusqu'au parfait payement de ce qui lui est dû, comme elle l'a exprimé pour le cas de rescision pour lésion; mais la solution est encore moins douteuse, car, outre que ce droit de rétention sera ultérieurement établi comme sûreté réelle “ dans tous les cas où un créancier détient la chose à raison de laquelle sa créance est née, il y a ici une cause toute particulière de protéger l'acheteur, c'est que l'action rédhibitoire est créée en sa faveur, tandis que l'action en rescision pour lésion est créée contre lui.
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(a) Le mot rédhibition est d'origine latine: re "de nouveau" et habere “avoir," parce que l'action tend à faire ravoir la chose par le vendeur. Dans l'usage, on emploie peu le mot "rédhibition,” mais on dit; "action rédhibitoire et vices rédhibitoires.”
(b) On emploie cependant dans les autres articles l'expression usuelle de “vices cachés;” mais c'est pour la simplicité du langage et par abréviation,
Art. 742. — 339. C'est à l'acheteur, comme demandeur, à prouver l'existence des vices de la chose et leurs caractères nécessaires pour fonder son action rédhibitoire; il doit, notamment, en prouver la gravité: spécialement, la suppression d'utilité de la chose ou une diminution d'utilité telle qu'il n'aurait pas acheté s'il avait connu ces vices.
S'il ne réussit pas à faire cette preuve, il est réduit à demander une diminution de prix et toujours en justifiant du degré de préjudice qu'il éprouve (c).
Mais il peut aussi, lors même qu'il serait fondé à exercer l'action rédhibitoire, s'en tenir à l'action en diminution de prix: il est possible, en effet, qu'il ait déjà pris des dispositions pour l'usage de la chose ou qu'il veuille éviter les embarras et les lenteurs de la recherche d'une autre chose.
Dans le cas où l'acheteur s'en tient à une diminution de prix, il ne recouvre rien des frais du contrat, puis que le prix étant ramené à ce qu'il aurait été au jour du contrat, la vente n'est plus nulle. "
La question de preuve de la moins-value est réglée par l'article 745.
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(c) Cette action déjà admise chez les Romains, concurremment avec l'actio redhibitoria, portait le nom abrégé, encore usité aujourd'hui, d'actio quanti minoris “action pour la moins-value."
Art. 743. — 340. L'annulation de la vente ou la diminution du prix n'indemniserait pas toujours suffisamment l'acheteur.
Ainsi, supposons qu'il obtienne l'annulation de la vente, il lui faudra se procurer une autre chose, avec difficulté peut-être, et pour un prix plus élevé qu'il ne l'eût payée antérieurement; s'il a pris lui-même des engagements qu'il ne pouvait remplir qu'avec la chose vendue, il peut manquer à gagner et même encourir une certaine responsabilité envers des tiers. L'action en diminution de prix ne l'indemuise pas non plus en entier; dans la même hypothèse, la chose conservée peut ne pas suffire à lui permettre de remplir ses engagements.
Mais les dommages-intérêts seront encore plus faciles à justifier, si nous supposons que la chose a causé chez l'acheteur des dommages directs aux biens ou aux personnes; ce qui arrivera si la vente a eu pour objet un animal vicieux, une voiture en mauvais état, une machine à vapeur dont quelques parties non visibles étaient détériorées. Le cas le plus simple serait celui d'une tête de bétail atteinte d'une maladie contagieuse non encore apparente et qui aurait été communiquée à tout ou partie d'un troupeau de l'acheteur. On peut citer encore un vase, un tonneau veudu qui, ayant contenu des acides, sans odeur qui les révélât, gâterait le vin, l'huile ou toute autre substance qui y aurait été introduite.
Si la loi ne statuait spécialement ici sur le règlement de l'indemnité, on appliquerait le droit commun, on distinguerait entre la bonne et la mauvaise foi du vendeur, mais la bonne foi n'excluant pas la possibilité d'une faute, on pourrait imputer à faute au vendeur d'avoir ignoré les vices de la chose qu'il vendait: il n'y aurait de différence entre la bonne et la mauvaise foi que quant à l'étendue de la responsabilité pouvant aller, au cas de mauvaise foi, jusqu'aux dommages imprévus et impossibles à prévoir (v. art. 405).
Mais le Projet, pour éviter des recours des vendeurs les uns contre les autres, et imitant en cela le Code français (art. 1645 et 1646) et le Code italien (art. 1502 et 1503), ne soumet le vendeur de bonne foi qu'à la restitution du prix et des frais ou à la diminution du prix, et il restreint la responsabilité des autres dommages et pertes au cas de mauvaise foi. Dans ce dernier cas, les tribunaux devront être encore plus sévères pour le vendeur qui, par dol, aura dissimulé les vices de sa chose que pour celui qui, les connaissant, se sera borné à ne les pas révéler.
Art. 744. — 341. La responsabilité par le vendeur des vices cachés de la chose est naturelle et non essentielle à la vente, elle peut donc être exclue par une clause spéciale; à plus forte raison, pourrait-elle être limitée dans ses cas d'application et dans ses effets, comme elle pourrait être étendue et appliquée, par exemple, à des vices apparents que le vendeur prétendrait momentanés et dont il garantirait la prompte cessation.
La convention pourrait aussi avoir pour objet de régler à forfait le montant de l'indemnité.
Tout ceci étant l'application du droit commun n'a pas besoin d'être exprimé par la loi. Mais elle devait apporter une limite à l'affranchissement de la responsabilité du vendeur, lorsqu'il a commis un dol, en dissimulant par artifice des vices qu'il conpaissait. Le seul fait de les avoir connus, qui suffirait pour lui en faire encourir la responsabilité dans le cas ordinaire, ne suffit plus, lorsqu'il a stipulé qu'il ne devrait pas de garantie: la loi reut encore qu'il ait contribué à en empêcher la découverte par l'acheteur; les vices étaient sans doute apparents de leur nature et c'est l'artifice du vendeur qui les a rendus non apparents; il serait inique qu'il pût s'affranchir de la responsabilité de son dol par une stipulation expresse de "non-garantie."
Art. 745. — 342. La disposition de cet article ne présente pas de difficulté; elle pourrait, à la rigueur, être omise, puisqu'au lieu de limiter le mode de preuve des divers points en litige, il déclare admissibles toutes les preuves de droit commun. Mais on aurait pu croire que l'expertise serait nécessaire pour établir les vices de la chose; or, ce sera sans doute le moyen le plus usité, en fait; mais, en droit, les autres moyens ne doivent pas être exclus. Ainsi, il y a des cas où l'expertise sera devenue impossible et où le témoignage restera tout naturellement admissible: par exemple s'il s'agit d'un animal déjà malade lors de la vente et mort, peu de jours après, chez l'acheteur, après y avoir causé la maladie d'autres animaux de même espèce: des témoins dignes de foi peuvent attester ces faits.
Quant à la mauvaise foi du vendeur, à l'étendue des dommages qu'il doit réparer de ce chef et à la connaissance des vices par l'acheteur, laquelle lui ôte le droit de se plaindre, il est naturel que toutes les preuves en soient admissibles.
Art. 746. — 343. La loi règle ici avec quelques détails le délai des actions relatives aux vices cachés.
Le Code français (art. 1648) présente, à cet égard, une disposition singulière et peut-être unique en matière de prescription d'actions: au lieu de déterminer un délai fixe pour les actions rédhibitoire et en diminution de prix, il se borne à dire qu'elles devront être exercées dans un bref délai,” ce qui laisse aux tribunaux un pouvoir peut-être dangereux pour admettre ou rejeter l'action et expose l'acheteur aux frais et aux embarras d'une demande dont il ne peut savoir d'avance exactement si elle est ou non recevable.
Le Code italien est plus sage (art. 1505): il fixe luimême un délai, et il le fait varier avec l'objet vendu, suivant qu'il s'agit d'un immeuble, d'un animal, ou de tout autre objet mobilier. C'est le système ici proposé; seulement, au lieu d'un an pour les inmeubles, nous croyons suffisant de donner un délai de six mois et il pourra être réduit ou augmenté suivant certaines circonstances, comme il est dit ci-après.
Le délai ne se compte pas du jour de la vente, mais de celui de la livraison, parce que c'est seulement lorsque l'acheteur est en possession de la chose qu'il en peut connaître les vices.
D'un autre côté, le délai n'a cette durée que pour permettre à l'acheteur de découvrir les vices cachés, pour qu'il ait l'occasion probable d'en avoir connaissance; si donc, il acquiert cette connaissance à un momoment assez rapproché de la livraison, il n'y a pas de motif de lui laisser un délai aussi long et il est réduit de moitié, en supposant que ce qui reste à courir excède cette durée, autrement, l'action s'éteindrait avec le reste du délai.
Ce serait au vendeur à prouver, quand il y a intéret, que l'acheteur a acquis la connaissance des vices.
314. En sens inverse, il est possible que, par suite de circonstances exceptionnelles ou de la nature de liv chose, l'acheteur n'ait pas eu, pendant un certain temps, la possibilité de découvrir le vice caché; dans ce cas, il est juste que la loi lui vienne en aide et que le délai puisse être prorogé par le tribunal, c'est-à-dire que l'action soit reçue nonobstant l'expiration du délai.
Comme application de cette exception, nous citerons le cas, rare sans doute, d'un terrain destiné à la culture, qui serait exposé à des inondations graves par suite de l'éboulement récent d'une montage obstruant une rivière: la vente pourrait avoir été faite longtemps avant l'époque des grandes pluies ou de la fonte des neiges et si cette époque se trouvait encore distante de plus de 6 mois lors de la livraison, ou si elle avait été retardée par une cause naturelle, connue ou inconnue, il serait juste de relever l'acheteur contre la déchéance.
Pour les meubles, il serait plus difficile encore de donner un exemple pratique et qui ne présentât pas de négligence chez l'acheteur.
On pourrait supposer pourtant un objet mobilier qui, ayant été volé chez l'acheteur, peu de jours après la livraison et avant que celui-ci ait eu le temps d'en connaître les vices, n'aurait été recouvré qu'après l'expiration des trois mois donnés pour l'action. Mieux encore serait le cas de semences vendues longtemps avant l'époque des semailles et qui auraient, en tout ou en grande partie, manqué à germer, quoiqu'ensemencées dans de bonnes conditions.
Mais nous n'admettrions pas qu'il y eût lieu à la prorogation du délai par suite d'une cause d'empêchement toute personnelle à l'acheteur, comme une maladie, une absence, même fondée sur un service public: en pareil cas, comme il est toujours possible de charger un mandataire des intérêts qui pourraient souffrir, il n'y a pas lieu à prorogation des délais ni à relèvement contre la déchéance. C'est déjà une dérogation exceptionnelle au droit commun que celle qui permet ici de proroger le délai pour cause majeure; cette exception se justifie par la brièveté du délai de l'action qui nous occupe, mais elle ne doit pas être exagérée.
Art. 747. — 345. Aucun des Codes étrangers que nous avons sous les yeux ne prévoit le cas où l'acheteur aurait aliéné la chose vendue avant d'en avoir découvert les vices, ou l'aurait aliénée après les avoir découverts, mais avant d'avoir exercé l'action rédhibitoire ou celle en diminution de prix.
Il ne faudrait pas considérer cette aliénation comme enlevant à l'acheteur le droit de se plaindre, ainsi que cela a lieu dans le cas des autres acquisitions annu. lables (v. art. 580). D'abord, au cas où le vice caché n'est pas encore découvert, on ne peut pas dire que l'aliénation emporte ratification tacite de la vente, et lorsque le vice était déjà connu, l'aliénation peut n'avoir été pour l'acheteur qu'un moyen prudent d'éviter une plus grande perte.
Toutefois, l'aliénation enlève à l'acheteur l'une des deux actions, celle en rédhibition, parce qu'il ne peut faire reprendre par le vendeur une chose qu'il ne peut plus lui rendre. Mais il conservera l'action en diminution de prix.
La loi fait à cet égard une distinction entre les modes gratuits d'aliénation et ceux à titre onéreux: si l'aliénation a été gratuite, l'acheteur a toujours le droit de demander une diminution du prix, parce qu'il n'a pas eu la satisfaction de gratifier son donataire autant qu'il l'aurait pu si la chose n'avait pas eu de vice; si l'aliénation a eu lieu à titre onéreux, l'acheteur devra établir ou qu'il a subi une perte sur l'aliénation, en recevant un équivalent inoindre que celui qu'il a fourni antérieurement à son vendeur (cela suppose que le vice a été reconnu lors de cette nouvelle aliénation), ou qu'il est maintenant actionné lui-même ou en danger de l'être par celui auquel il a cédé.
Art. 748. — 346. La perte totale de la chose résultant d'un cas fortuit ou d'une force majeure met obstacle, en principe, à l'exercice des deux actions: de l'action rédhibitoire, d'abord, parce qu'il serait impossible de faire reprendre par le vendeur une chose qui n'existe plus, ensuite, parce qu'il serait bien difficile, après la perte de la chose, de vérifier si elle était ou non affectée d'un vice de la nature qui fonde cette action; pour ce dernier motif, l'action en diminution de prix cesse elle-même d'être recevable.
Comme la perte d'une chose peut n'être pas totale, mais presque totale, et qu'il faut une limite légale entre la perte totale et la perte partielle, la loi suit ici une règle qu'elle a posée d'une manière générale pour la perte d'une chose affectée de droits conditionnels (art. 439): la perte de plus de moitié de la chose est assimilée à la perte totale et retombe sur l'acheteur dont le droit est actuel et soumis à une condition résolutoire; la perte de moins de moitié est considérée comme une simple détérioration et retombe sur le vendeur qui a conservé un droit sous condition suspensive.
La loi excepte naturellement le cas où la chose aurait péri ou subi une détérioration par l'effet même du vice caché dont elle était affectée: il est clair qu'alors l'acheteur conserve tous ses droits dans la mesure où ils peuvent encore s'exercer: s'il n'y a que perte partielle ou détérioration, l'acheteur, optant entre les deux actions, ou rendra ce qui reste et recouvrera tout son prix, avec indemnité supplémentaire, s'il y a lieu, ou obtiendra une diminution du prix; s'il y a perte totale, il recouvrera tout son prix et les frais de contrat, sans avoir rien à restituer.
L'acheteur aura, il est vrai, la charge de prouver que la perte ou la détérioration provient du vice de la chose; on a dit que cela peut être difficile après la perte; mais, quand cette perte provient elle-même du vice, il y aura sans doute un concours de circonstances favovables à cette preuve et que feront ressortir les témoignages ou l'expertise.
Art. 749. — 347. Cet article rappelle l'article 739, sans y être tout-à-fait semblable.
Quand il s'est agi de l'action en rescision pour lésion, la loi s'est contentée de la publicité des enchères et de l'observation de certains délais légaux, pour refuser cette action au vendeur, parce qu'il y a lieu de croire que la valeur véritable de l'immeuble a été obtenue, par suite de la libre concurrence des acheteurs; mais, lorsqu'il s'agit d'une action fondée sur des vices cachés, la publicité des enchères ne suffit plus à révéler ces vices: autrement, on pourrait dire qu'il n'étaient pas cachés et ce ne serait pas par exception que l'action cesserait d'être recevable, mais parce que la condition essentielle n'en serait pas remplie.
Il n'y a qu'une seule sorte de vente publique qui, par sa nature, doive empêcher l'action rédhibitoire, c'est la vente sur saisie; le motif de cette exception est que la vente est forcée et qu'on ne peut, dès lors, reprocher au saisi d'avoir gardé le silence sur les vices de sa chose, parce qu'il n'en est pas, à proprement parler, vendeur; on ne peut non plus faire ce reproche aux saisissants, parce qu'ils ne sont pas non plus vendeurs véritables (v. p. 312, n° 250) et, en tout cas, parce que, le plus souvent, ils ignorent et ne peuvent connaître les vices cachés que pourrait avoir la chose saisie.
Si même on rattache l'action rédhibitoire à l'idée d'enrichissement indû plutôt qu'à celle de faute du vendeur, au moins lorsqu'il est de bonne foi, ce n'est pas une raison d'en affranchir les ventes publiques en général, parce que le vendeur qui seulement soupçonnerait un vice dans sa chose, par exemple dans un cheval, ne manquerait pas de le vendre aux enchères, pour se soustraire à la restitution ou à la diminution du prix; et cette immunité de la vente aux enchères irait-elle jusqu'à couvrir la mauvaise foi, c'est-à-dire la connaissance certaine du vice? Il y aurait là une nouvelle difficulté; mais nous pensons que la question devrait être résolue contre le vendeur de mauvaise foi.
D'un autre côté, il ne faudrait pas exagérer l'idée d'enrichissement indû et soumettre à l'action rédhibitoire les ventes aux enchères, même forcées ou faites sur saisie, en disant que les saisissants sont enrichis indûment au préjudice de l'acheteur ignorant des vices cachés: la saisie et la vente des biens d'un débiteur insolvable doivent être la fin des poursuites exercées contre lui et il serait aussi rigoureux qu'inutile de lo soumettre à une nouvelle action à raison de la vente même qui consomme son dépouillement.
Le Code français ne refuse de même l'action rédhibitoire que contre les ventes faites “par autorité de justice" (art. 1649) et le Code italien contre “les ventes judiciaires” (art. 1506); d'où il faut conclure que cette action aurait lieu contre les ventes volontaires, même faites aux enchères publiques.
Bien entendu, pour que les ventes forcées soient à l'abri de l'action rédhibitoire il faut, comme notre texto l'exige, que les formes légales en aient été observées.
Art. 750. — 348. Les vices cachés sont plus fréquents dans les animaux domestiques que dans les autres objets mobiliers; ils y sont aussi plus difficiles à découvrir, parce que ce sont des maladies presque toujours internes et qui ne se révèlent à l'extérieur qu'après un certain temps d'incubation.
Ce qui est surtout difficile c'est, lorsque la maladie éclate chez l'acheteur, de prouver qu'elle existait déjà en germe avant la vente.
Cette particularité a donné lieu, en France, à la promulgation d'une première loi spéciale du 20 mai 1838 sur l'action rédhibitoire dans les ventes d'animaux domestiques. Cette loi a été récemment abrogée et remplacée par une nouvelle loi du 2 août 1884, laquelle n'est qu'une fraction détachée du Code rural toujours en préparation (d).
La loi de 1838 déterminait, pour trois classes d'avimaux, les espèces chevaline (chevaux, mulets, ânes), bovine (bæufs et vaches) et ovine (moutons et chèvres), la nature des maladies qui donneraient lieu à l'action rédhibitoire; elle supprimait, en cette matière, l'action en diminution de prix (e); enfin, elle déterminait le délai de l'action rédhibitoire (9 jours et 30 jours).
La nouvelle loi n'admet plus l'action rédhibitoire pour l'espèce bovine; au contraire, elle l'admet pour l'espèce porcine; elle rétablit l'action en diminution de prix avec un tempérament; elle ne maintient le délai de l'action à trente jours que pour un seul cas et le laisse à neuf jours pour tous les autres.
Au Japon, on reconnaîtra sans doute la nécessité de faire une loi spéciale pour la vente de certains animaux et même de certaines denrées, spécialement pour celles qui sont destinées aux semailles.
Mais ce n'est pas dans le Code civil qu'il convient de placer ces dispositions: en cette matière plus qu'en toute autre, l'expérience suggérera des modifications successives peu compatibles avec la fixité désirable dans la loi civile générale.
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(d) C'est également du Projet de Code rural que l'on a détaché deux lois spéciales du 20 août 1881 sur les chemins vicinaux et les servitudes rurales. Cette dernière, modifiant plusieurs articles du Code civil, est mentionnée au Tome Ier, sous les articles 231, 233, 236, 272 et 282.
(e) Nous saisissons cette occasion pour faire une double rectification à la page 256, n° 209, note a: 1° la loi de 1838 ne supprimait pas l'action en diminution de prix pour vices cachés dans toutes les ventes, mais seulement dans celles des animaux domestiques, objet de cette loi; 29 cette loi, qui était encore en vigueur à l'époque de notre première rédaction, était déjà abrogée au mo. ment de l'impression et nous avons omis de le signaler.
COMMENTAIRE.
Art. 751. — N° 349. La licitation, dans son sens propre et d'origine latine, est la “vente aux enchères (a);" l'usage moderne a limité l'emploi de ce mot à la vente aux enchères “d'un bien indivis”; du reste, il n'est pas nécessaire que les enchères soient publiques pour qu'il y ait licitation: on verra bientôt que les enchères peuvent n'avoir lieu qu'entre les copropriétaires eux-mêmes.
La licitation est ici appliquée, suivant l'usage, à un bien indivis, et c'est parce qu'elle n'a pas toujours le caractère d'une vente, mais l'a quelquefois, souvent même, qu'elle ne figure dans ce Chapitre que comme Appendice.
La loi commence par dire quand il y a lieu à la licitation. C'est évidemment quand il n'y a pas partage en nature. Mais quel obstacle la loi suppose-t-elle à ce partage ?
Le Code français (art. 1686) suppose et paraît exiger “que le partage en nature ne puisse se faire commodément et sans perte," ou "qu'aucun des propriétaires ne puisse ou ne veuille prendre le bien," évidemment en indemnisant les autres de leur part.
Le Projet s'écarte de ces deux conditions et les remplace par une seule autre: “le refus par un des copropriétaires de procéder au partage en nature.”
La première condition est écartée, car elle nécessite, en cas de désaccord entre les parties, une première intervention du tribunal pour décider si la chose est ou non “partageable commodément et sans perte”: c'est une occasion de lenteurs et de frais regrettables, et l'on doit considérer les parties comme meilleurs juges que le tribunal de leurs intérêts et de leurs convenances.
En se contentant du refus d'un seul des propriétaires de partager en nature, la loi simplifie la solution et celle-ci nuit moins aux parties que la solution du Code français, car l'un des copropriétaires ne se trouvera pas forcé d'avoir malgré lui une portion de la chose commune, et ceux qui désirent avoir la leur pourront acquérir le tout sur la licitation.
Remarquons d'ailleurs que cette disposition ne concerne que l'indivision d'un ou plusieurs objets déterminés, car, s'il s'agissait d'une universalité, comme d'une succession échue à plusieurs ou d'une société dissoute, le partage en nature, avec formation de lots, pourrait être imposé à un ou plusieurs des copropriétaires même opposants.
La seconde condition du Code français est qu'aucun des propriétaires ne veuille prendre la chose (ou une des choses indivises lorsqu'il y en a plusieurs). Mais, il ne suffit pas, pour empêcher la licitation, qu'un des propriétaires veuille prendre pour lui la chose indivise, pas plus qu'il ne suffirait que chacun voulût la prendre: il faut encore qu'on soit d'accord sur l'équivalent qui doit être fourni; or, ce désaccord seul oblige à recourir à la licitation, sauf à la faire à l'amiable, c'est-à-dire que les enchères n'aient lieu qu'entre les copropriétaires.
C'est donc encore avec raison que le Projet déclare qu'il y a lien à licitation “dès que l'un des intéressés refuse de partager en nature.”
350. La licitation on vente aux enchères n'est pas, dans ce cas, le seul moyen de remplacer le partage en nature: les parties peuvent faire une vente à l'amiable, soit à un tiers, soit même à l'une d'entre elles; ce ne serait pas une licitation, puisqu'il n'y aurait pas d'enchères, quoique le prix fût débattu, peut-être avec plusieurs.
Bien entendu, pour qu'il y ait ainsi vente amiable, il faut supposer que tous les copropriétaires sont présents et capables ou maîtres de leurs droits. L'article suivant supposera le cas contraire.
La loi termine en disant que le prix sera distribué entre les copropriétaires dans la mesure de leur droit ou de leur part dans la chose. Cela ne demande pas de justification.
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(a) Pour ne pas donner dans le texte une définition dogmatique de la licitation et pour que cependant le sens du mot fût consacré par la loi, il y est introduit comme équivalent des mots "vente aux enchères,” en remarquant toujours qu'il s'agit d'un bien indivis.
Art. 752. — 351. La loi arrive maintenant au cas où les enchères publiques sont inévitables; les parties n'ont pu se mettre d'accord pour aucun des trois actes déjà indiqués: vente amiable à un tiers, vente amiable à l'un des copropriétaires, licitation entre eux seuls; ces résultats peuvent même n'avoir pu être tentés parce qu'un ou plusieurs des copropriétaires étaient absents ou incapables; alors il ne reste plus que la licitation publique.
Elle est deux fois publique: 1° par la présence des étrangers, 2° par les publications préalables qui seront empuntées aux ventes forcées sur saisie (b).
La licitation publique se fera en principe devant le tribunal; mais celui-ci pourra désigner, pour recevoir les enchères, un officier public relevant de lui, comme le greffier ou un notaire.
C'est le Code de procédure civile qui ajoutera les détails nécessaires. Il y en a d'assez nombreux dans le Code français de procédure civile, surtout lorsqu'il y a des incapables parmi les intéressés (v. art. 966 à 985).
352. Comme il est juste que tous les moyens licites soient employés pour faire monter les enchères le plus haut possible, parce que c'est le meilleur moyen que la chose soit vendue à sa véritable valeur, la loi autorise chacun des propriétaires à exiger l'admission des étrangers à concourir, et cette admission est nécessaire lorsque l'un d'eux est incapable ou absent.
La loi n'indique pas la sanction de cette condition, mais c'est évidemment la nullité contre l'acquéreur, car, lorsque les formes et conditions prescrites pour les actes intéressant les incapables n'ont pas été observées, la sanction est la nullité ou rescision (voy, art. 569, 1er al).
Il va sans dire que si, dans ce cas, il n'était pas venu d'étrangers malgré les affiches et annonces légales, la vente ne serait pas annulable pour ce seul fait, dès qu'il n'aurait été pratiqué aucune manquvre ou artifice pour les éloigner; mais pratiquement, on devra, dans ce cas, ajourner la vente, tant dans l'intérêt des incapables que pour dissiper tout soupçon de fraude.
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(b) On s'est déjà référé plusieurs fois aux formalités des ventes publiques sur saisie. Ces formalités seront insérées au Code de Procédure civile. Déjà le Projet en a été rédigé (v. p. 103, n° 83, note a et p. 313, no 250, note c).
Nous rectifions, à ce sujet, une erreur de date dans la 1re note: c'est la seconde date qui est exacte (xve année de Meiji, 1882).
Art. 753. — 353. Pour que la licitation ait le caractère d'une vente, il faut que l'adjudication ou attribution du bien au plus fort enchérisseur, ait lieu au profit d'un étranger: si elle a lieu au profit d'un des copropriétaires eux-mêmes, ce n'est plus une rente mais un partage, dont les effets sont fort différents de ceux de la vente qui sont maintenant connus; ceux du partage ne le sont pas encore dans leur ensemble; on a seulement signalé l'un d'eux, le plus remarquable, il est vrai, dans l'article 15 (voy. aussi Conm., Tome Ier, p. 52 à 54, no 25 et 26).
Dans le Code français, les effets du partage sont réglés au sujet des Successions (art. 883 et suis.) et ses formes le sont tant dans le Code civil (art. 815 et s.) que dans le Code de procédure civile (art. 966 à 985).
Ce n'est pas à la matière des Successions qne le Projet japonais doit rattacher le siége de la théorie du partage: jusqu'aujourd'hui, les successions étant déférées, en général, à un seul héritier, ordinairement à l'ainé des enfants légitimes ou adoptifs, il ne peut être question de partager les biens du défunt; vraisemblablement, le Projet admettra bientôt la pluralité d'héritiers, dans les divers ordres et degrés auxquels ils peuvent être appelés à la succession; mais comme il n'est pas sûr que le Texte définitif accepte cette réforme, il est préférable de placer la théorie du partage dans une matière qui la comporte nécessairement, en tout temps et en tous lieux, c'est-à-dire dans celle de la Société. Tandis que le Code français renvoie à la matière des Successions pour le partage de la Communauté de biens entre époux et des Sociétés (v. art. 1476 et 1872), le Code japonais, en sens inverse, renverra des Successions à la Société.
Toutefois, comme le présent Projet prévoit souvent la pluralité d'héritiers, il est dans son esprit qu'il y ait partage de successions, c'est pourquoi notre article y renvoie en même temps qu'au partage des sociétés; il pourra d'ailleurs y avoir des particularités dans le partage entre héritiers.
354. Pour donner un intérêt immédiat à notre ar. ticle, nous indiquerons, dès à présent, sans développements ni justifications, les principales différences entre la vente et le partage.
1° La vente est translatire de propriété au moment où le contrat estpar fait (ex nunc, d'à présent), tandis que le partage est déclaratif d'une propriété antérieure remontant à l'acte qui a constitué l'indivision (ex tunc, d'alors) (v. art. 15 et Comm. déjà cité et art. 804).
Cette différence est la plus importante comme application de notre présent article: si la chose indivise est acquise en entier par l'un des copropriétaires, il la reçoit franche et quitte des droits conférés par ses copropriétaires pendant l'indivision; si c'est un tiers qui est l'acquéreur, il reçoit la chose telle qu'elle se trouve, grevée des droits qui ont pu être conférés antérieurement par chaque propriétaire sur sa part indivise et dans la mesure de cette part.
2° La vente d'immeuble est soumise à la formalité de la transcription: le partage n'y est pas soumis, soit qu'elle ait déjà eu lieu quand l'indivision a commencé, comme pour une société ou une vente faite à plusieurs, soit que l'acte qui a fait naître la copropriété indivise ne fût pas soumis à cette formalité, comme l'ouverture d'une succession (v. T. II, p. 199–200, n°8 189 et 190) (c).
3° La vente est soumise à la rescision pour lésion, mais seulement lorsqu'elle a pour objet un immeuble et lorsque la lésion est pour le vendenr et de plus de moitié (en France, de plus des 7/12es); le partage est rescindable, en France (et cela sera proposé plus loin dans le Projet japonais, par l'article 806), même s'il a pour objet des menbles et pour lésion de plus d'un quart.
355. Il y a aussi des points communs ou de ressemblance entre la vente et le partage.
1° Ce sont deux actes à titre onéreux: pour la vente, il n'est pas besoin de le démontrer et, pour le partage, lors même qu'il n'est pas fait par contrat, mais par autorité de justice, et bien qu'il ne soit pas translatif de propriété, il n'en produit pas moins des effets réciproques pour les parties dont chacune fait un sacrifice.
2° Le partage, comme la vente, produit l'obligation de garantie d'éviction, si l'une des parties y reçoit un objet appartenant à autrni; dans le cas de licitation, nous supposerions que la chose que les parties croyaient indivise entre elles et qui a été adjugée à l'une d'elles appartenait à un tiers pour le tout ou pour une portion.
Il n'y aura pas lieu à rescision du partage pour vices cachés, si la loi ne l'exprime pas, et nous ne le proposerons pas: il suffit qu'il soit annulable pour lésion et pour dol, même causant une faible lésion.
3° Le partage, comme la vente, donne un privilége sur l'immeuble licité, pour sûreté du prix de licitation dû par l'adjudicataire.
Ces ressemblances et ces différences suffisent à prouver qu'il y a un grand intérêt à distinguer si la licitation a le caractère d'une vente ou celui d'un partage, c'est-à-dire si elle a eu lieu en faveur d'un étranger ou en faveur d'un des copropriétaires.
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(c) Une loi de la présente année (xixo de Meiji, 1886), sur la transcription, parait soumettre à cette formalité les acquisitions par décès. Nous sommes étrangers à cette loi et les convenances ne nous permettent pas de la critiquer. Il nous suffit de renvoyer à ce que nous avions écrit, 3 ans avant, contre une pareille idée.
COMMENTAIRE.
Art. 754. — N° 356. Quoique l'échange soit toujours placé, dans les lois civiles, à la suite de la Vente et qu'il y puise presque toutes ses règles, par forme de renvoi, ce qui ne lui donne qu'une importànce secondaire (v. art. 756), il n'en est pas moins plus ancien que la vente, si l'on se reporte à l'origine des sociétés.
C'est ce qui a été expliqué au commencement du Chapitre précédent (voy. p. 181, no 142).
La vente n'est autre chose que l'échange d'une chose contre de l'argent monnayé. Mais il peut arriver que les particuliers recourent encore aujourd'hui à l'échange véritable, au troc direct: il se peut que l'une d'elles, désirant acquérir la chose de l'autre, par exemple sa maison ou son terrain, puisse en même temps disposer d'une chose qui plaît à celle-ci; dans ce cas, il est inutile de recourir à la vente, car il faudrait deux ventes réciproques: on fait alors un échange direct des deux choses.
357. La définition de l'échange par notre premier article n'est pas tout à fait semblable à celle qu'en donne le Code français (art. 1702), lequel présente l'échange comme opérant réciproquement dation ou translation de propriété; or, il y a également échange dans une promesse réciproque appliquée à des choses fongibles ou de quantité dont la propriété ne serait acquise que par la livraison, jusqu'à laquelle il n'y a “qu'obligation de donner.”
Il faut donc modifier la définition française de l'échange, comme nous avons déjà modifié celle de la vente (v. art. 661).
Le Code italien (art. 1519) est tombé dans la faute inverse de celle du Code français, en ne mentionnant plus la translation de propriété ou dation, mais seulement “l'obligation de donner.”
Nous avons encore modifié sous un autre rapport la définition du Code français, en ne la limitant pas à l'échange de propriété et en l'étendant à tous autres droits; ainsi, on peut échanger la propriété d'une chose avec un usufruit ou avec une servitude et même un de ces trois droits réels contre un droit personnel ou de créance déjà créé vis-à-vis d'un tiers.
358. Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à considérer comme échange la translation d'un droit réel contre une promesse de services, contre une obligation de faire ou de ne pas faire, encore moins la promesse de services d'une nature contre des services d'une autre nature: quand on parle le langage de l'économie politique, on emploie beaucoup l'expression “échange de services”; mais, en droit, le mot échange est technique et il ne s'applique, même dans le sens le plus large que les modernes puissent lui donner, que lorsque les droits conférés respectivement existent déjà dans le patrimoine de chaque partie: c'est alors seulement qu'ils sont transmis, cédés.
C'est pourquoi lorsque nous avons supposé plus haut que l'une des contre-valeurs fournies est une créance, cette créance existe déjà contre un tiers: elle est alors dans le patrimoine de la partie qui la fournit, ce qui ne serait plus exact si elle promettait de fournir ses services futurs, lesquels n'existent encore que comme puissance ou faculté d'agir. De même, si l'avantage fourni en contre-valeur était la libération d'une dette accordée à celui qui transfère un droit réel, il n'y aurait pas échange, parce que celui qui libère son débiteur ne transfère pas à celui-ci le droit personnel auquel il était soumis: il se dépouille et ne transfère rien (a).
Mais dans ces divers cas, s'il n'y a pas échange proprement dit, il y a toujours un contrat licite auquel il ne manque qu'un nom, et c'est justement pourquoi on l'appelle contrat innommé (voy. art. 324 et Comm., Tome II, p. 42, no 37).
359. Lorsque l'échange se fait purement et simpleinent, d'un droit pour un autre, c'est que les parties considèrent les deux droits comme ayant pour chacune d'elles une égale valeur ou une égale utilité, et il faut reconnaître que les parties sont les meilleurs juges de ce qui leur est utile, agréable ou avantageux. On reviendra bientôt sur cette idée, au sujet de l'absence de rescision pour lésion dans l'échange.
Mais quelquefois, les parties reconnaissent, d'un commun accord, que l'un des droits est inférieur à l'autre en valeur, et l'inégalité est alors compensée en argent ou autrement. Lorsque la compensation est en argent, on l'appelle soulte (1). Si elle consistait en autres objets mobiliers ou immobiliers, ces objets seraient eux-mêmes échangés et il n'y aurait à les considérer comme un complément de l'échange que parce qu'ils auraient un caractère accessoire, leur faisant suivre le sort du principal.
Si la valeur complémentaire de l'échange consistait dans des services à fournir ou dans la libération d'une dette antérieure, bien qu'on ne puisse plus dire, à proprement parler, que ces divers avantages sont échangés (ce qui serait, comme on vient de le faire remarquer, forcer le sens du mot), cependant, comme ils ne sont que les accessoires d'un échange véritable, le contrat conserverait ce nom; de même que, si la soulte en argent était inférieure aux objets fournis en échange, le contrat ne deviendrait pas une vente, même pour partie.
Au contraire, si ces services on la soulte en numéraire sont eux-inêmes la partie principale, le contrat est inuommé dans le premier cas et une vente dans le second. Telle est la disposition finale de notre présent article (c).
C'est surtout le dernier article de la matière qui indiquera l'intérêt qu'il y a à ne pas confondre l'échange avec la vente.
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(a) Il ne faudrait pas croire qu'il y a ici plus de subtilité que de raison: la preuve que la libération ne transuet pas de droit au débiteur libéré c'est que, si sa dette était hypothécaire, l'hypothèque s'éteindrait et ne pourrait être rattachée par lui à une autre dette.
Il y aurait encore bien d'autres démonstrations possibles de · cette vérité.
(b) Du latin solut um, payement.
(c) On peut la rattacher à un axiome connu: “la majeure partie entraine la moindre," major pars minorem ad se trahit,
Art. 755. — 360. La garantie a lieu daņs l'échange comme dans la vente et comme dans les autres contrats à titre onéreux (voy. art. 415 et 416); si la loi la mentionne ici, ce n'est pas seulement à cause de son importance, c'est encore pour ce qu'elle présente de particulier. En effet, si l'un des co-échangistes n'est pas seulement troublé dans la jouissance des droits qui lui ont été promis, s'il en est évincé ou s'il acquiert la preuve que ces droits ne lui ont pas été conférés, il n'a pas seulement, comme un acheteur en pareil cas, le droit de se faire indemniser en argent: il peut aussi, s'il le préfère (et il y aura souvent intérêt), faire résoudre le contrat pour inexécution des obligations et recouvrer en nature la chose qu'il a donnée; s'il avait fourni une soulte en argent, il la recouvrerait également; le tout, avec dommages-intérêts, si la privation de la chose promise lui cause des pertes accessoires.
En général, l'action résolutoire, tendant à faire rentrer un bien dans le patrimoine de celui qui l'a aliéné, s'exerce contre les sous-acquéreurs, au moins lorsqu'il s'agit d'immeubles, car, pour ce qui est des meubles, la possession des tiers de bonne foi les met à l'abri de la revendication, sous quelque forme qu'elle se présente. Tel est, pour les immeubles, l'effet du principe souvent rappelé que “nul ne peut conférer plus de droits qu'il “n'en a lui-même ou des droits plus stables que les “siens propres.”
Autrefois, le principe était appliqué dans toute sa rigueur et en toute matière; mais, dans les temps modernes, on a reconnu la nécessité de donner plus de stabilité à la propriété foncière et, par suite, plus de crédit aux propriétaires d'immeubles; de là un système de publicité des droits réels immobiliers et une sécurité pour les acquéreurs qui ont publié en bonne forme, par la transcription ou par l'inscription, des actes valables au moment où ils ont été passés. On conçoit donc que le système n'atteindrait pas son but si des tiers-acquéreurs pouvaient être évincés par des causes de résolution qu'ils n'ont pu prévoir en contractant.
Lorsqu'il s'agit de résolution pour inexécution des obligations par un précédent acquéreur, les sous-acquéreurs peuvent, en général, avant de traiter, s'assurer qu'elles ont été remplies; c'est ce qui arrive pour les cessionnaires d'un acheteur qui, sachant par la transcription de l'acte de vente originaire “que le prix était dû en tout ou en partie,” ne doivent eux-mêmes payer le leur qu'entre les mains du premier vendeur, s'il n'a pas été désintéressé jusque-là par l'acheteur. Il en est de même pour les autres obligations légales et conventionnelles que les sous-acquéreurs ont su être à la charge de leur auteur.
361. Le principe doit-il s'appliquer à l'échange, lorsque l'une des parties n'a pas rempli ses obligations?
D'abord, s'il y avait une soulte à payer, comme complément de la valeur d'un immeuble, et qu'elle eût été révélée par la transcription de l'échange, le sousacquéreur dudit immeuble ne pourrait nier que la résolution lui fût opposable, puisqu'il a pu, avant de contracter, s'assurer si la soulte avait été ou non payée.
On pourrait donner la même solution pour tout autre complément d'échange qui aurait été promis: le sous-acquéreur pourrait au moins s'assurer que son cédant a donné quittance de ce qui lui a été promis.
Mais, parmi les obligations des co-échangistes, et même en première ligne, se trouve celle de transférer la propriété des choses fournies par chacun: si elle n'est pas remplie, le coéchangiste qui les a reçues est exposé au danger d'éviction; de là pour lui un nouveau droit à la résolution.
C'est ici que l'on peut douter qu'elle doive, en raison, s'exercer contre les sous-acquéreurs. En effet, ont-ils la même facilité que dans les autres cas de connaître le danger d'éviction, cause de la résolution, ou de s'assurer qu'il n'existe pas ?
Par exemple, Primus a échangé son immeuble A contre l'immeuble B présenté à tort par Secundus comme lui appartenant et Primus est évince dudit immeuble: si, à ce moment, l'immeuble A est encore dans les mains de Secundus, il sera recouvré par Primus, au moyen de la résolution; mais si l'immeuble A était déjà aliéné par Secundus à Tertius, la résolution ne pourrait atteindre ce dernier. Comment Primus, en effet, pourrait-il imputer à faute à Tertius de n'avoir pas connu chez Secundus le défaut de droit de propriété sur l'immeuble B, cause de l'éviction, lorsqu'il s'y est trompé lui-même?
352. Le texte décide donc, par une innovation qui mérite attention, que l'action résolutoire n'atteindra pas les tiers qui ont acquis des droits réels sur les immeubles sujets au retour par l'action résolutoire, lorsque la publication de leur titre d'acquisition a précédé celle de la demande en résolution.
Cette disposition protectrice des droits des tiers de bonne foi se retrouvera chaque fois que les tiers-acquéreurs se seront conformés à la loi sur la publicité des droits immobiliers et qu'on n'aura aucune négligence à leur reprocher. Si le législateur n'entre pas résolument dans cette voie, tout le système de la publicité des droits réels perd sa valeur; s'il se trouve des cas, si peu nombreux qu'ils soient, où un tiers ayant valablement acquis un immeuble puisse en être dépouillé pour une cause antérieure qu'il n'a pu prévoir, la propriété foncière sera dépréciée, elle perdra tout crédit et l'obligation de transcrire ne sera plus qu'une mesure abusive, onéreuse et vexatoire.
C'est pour ce même motif que déjà, au sujet des legs, on a restreint beaucoup la faveur exceptionnelle qui permet de les opposer aux tiers, quoique le testament n'ait pas été transcrit (voy, art. 652 à 654).
On a décidé de même pour l'action en rescision fondée sur le dol (art. 333, dery, al.) et, plus récemment, pour la rescision pour lésion d'un majeur (voy. art. 736). Si l'on n'a pas cru pouvoir proposer la même protection pour les sous-acquéreurs en face d'une rescision pour erreur ou même pour violence (v. art. 575), c'est par respect pour une tradition immémoriale (voy. ci-dessus, p. 405, n° 326); mais ce serait peut-être une réforme heureuse autant que hardie que pourrait faire la Commission de Révision de ce Projet. Il ne resterait parmi les causes de rescision opposables aux tiers que celles fondées sur l'incapacité, parce que les tiersacquéreurs ont pu, avant de traiter avec le cessionnaire, s'assurer de la capacité de son cédant.
Art. 756. — 363. La vente et l'échange ayant le même but et ne différant au fond que par le moyen de l'atteindre, c'est-à-dire par la nature de l'une des deux valeurs fournies respectivement, il est naturel que les deux contrats suivent, en principe, les mêmes règles générales. La loi n'a eu qu'à déterminer les exceptions; nous aurons à les justifier.
I. Indiquons d'abord, sans développements, sinon toutes les règles communes à ces deux contrats, au moins les principales:
1° L'échange se forme, comme la vente, par le seul consentement (voy. art. 662). Le Code français a cru devoir l'exprimer formellement (art. 1703) parce que, dans le droit romain, l'échange était au nombre des contrats dits réels, formés re, par la remise des deux choses ou au moins de l'une d'elles. Le nombre des contrats purement consensuels était alors limité à quatre (la vente, le louage, la société et le mandat); hors delà, il fallait pour qu'il y eût le lien civil d'un contrat, ou des paroles ou des écrits plus ou moins solennels, ou un acte d'exécution produisant pour une partie un enrichissement qui l'obligeât, soit à rendre ce qu'elle avait reçu, soit à fournir une contre-raleur (voy. T. II, (p. 42, nQ 38).
Depuis longtemps, toutes ces distinctions, plus subtiles que fondées en raison, ont été supprimées et le Code français aurait pu se borner, au sujet de la formation de l'échange, an renvoi général aux règles de la rente; c'est ce que fait le Projet.
2° La promesse d'échange suit les règles de la promesse de vente et comporte les mêmes distinctions ainsi que le dédit avec sacrifice des arrhes (v. art. 663 et suiv.);
3° Les frais de l'acte se partagent par moitié entre les deux parties (v. art. 353, 3° al. et 671). Le Code français met les frais de l'acte de vente en entier à la charge de l'acheteur (art. 1593); il ne dit rien des frais d'actes dans l'échange; mais il est bien impossible de ne pas les diviser également, puisqu'il n'y a ni vendeur ni acheteur ou qu'ils remplissent chacun les deux rôles;
4° Les incapacités d'acheter prononcées par la loi contre les mandataires et officiers publics chargés de la vente et contre les juges et officiers de justice à l'égard des biens ou droits susceptibles d'être l'objet d'un litige porté derant eux (v. art. 671 à 677) s'appliquent à l'échange, par identité de motifs; mais il n'en est pas de même de l'incapacité respective des époux: on justifiera plus loin cette sérieuse différence avec la vente;
5° De même que la vente de la chose d'autrui est mulle (v. art. 679), ainsi est nul l'échange de la chose d'autrui, soit que la propriété manque chez l'un des co-échangiste, soit qu'elle manque chez tous deux;
6° Les règles de la vente sur la perte fortuite de la chose ou sur les risques (v. art. 681), sur les soins dus à la chose par le vendeur et sur la délivrance elle-même (v. art. 683 et s.), étant déjà le droit commun des contrats onéreux (v. art. 353, 351, 355 et 439), sont évidemment applicables à l'échange;
7° Il faut appliquer à l'échange les règles de la vente relatives au déficit ou à l'excédant de contenance et à l'indemnité ou à la résiliation qui en résultent, ainsi que le délai de l'action pour les obtenir (art. 685 et suiv.);
8° La garantie d'éviction, conséquence de la nullité de la vente de la chose d'autrui (v. art. 693 et s.), s'applique à l'échange, pour ce qui n'est pas contraire à l'article précédent;
9° Comme on pent, contre tout objet reçu on promis, donner en échange une créance, des droits litigieux ou une hérédité, les règles relatives à la vente de ces objets s'appliqueront à l'échange, spécialement en ce qui concerne la garantie avec ses particularités (voy. art. 705 à 709).
364.-II. Au contraire, tout ce qui concerne les obligations de l'acheteur, se rapportant plus ou moins directement au payement d'un prix en argent, est sans application à l'échange (sauf lorsqu'il y a une soulte en argent, comme on l'a dit plus haut): les deux parties, en effet, peuvent être assimilées à des vendeurs, mais non à des achetew's.
Parmi les causes de destruction du contrat de vente, c'est-à-dire de résolution, de rescision ou de rédhibition, les uues s'appliquent à l'échange et les autres non.
S'appliquent à l'échange: la résolution pour inexécution des obligations par une partie, la rescision pour incapacité et pour rice de consentement, enfin la rédhibition pour vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée.
Ne s'appliquent pas à l'échange: la prohibition de la vente entre époux, la résolution par l'effet d'une convention analogue à la faculté de rachat, ni la rescision pour lésion.
365. Il nous reste à justifier ces différences.
I. L'échange n'est pas, comme la vente, interdit entre époux.
La solution du Projet, à cet égard, est opposée à celle des interprètes du Code français. Comme ils expliquent la prohibition de la vente entre époux par un motif dont nous avons démontré le peu de fondement, à savoir la crainte d'avantages indirects, ils craignent le même danger dans le cas d'échange; mais nous avons établi plus haut, sous l'article 672 (voy. p. 214 à 216, n° 172 et 173), que la crainte de l'avantage indirect est si peu la cause de la prohibition, en France, de la vente entre époux que, dans les trois cas exceptionnels où cette prohibition cesse, la loi indique le correctif de ces avantages, s'ils se rencontrent (art. 1595, in fine); or, si, dans ce cas, il y a remède au mal, il n'y en aurait pas moins dans tous les autres cas.
Qu'est-ce, en effet, qu'une donation indirecte ? On l'a déjà dit, et il est bon d'y insister, c'est un avantage résultant des clauses et des effets d'une convention qui n'a ni le nom ni le caractère extérieur d'une donation; ainsi, une vente est faite volontairement pour un prix inférieur ou supérieur à la valeur véritable de la chose vendue: dans le premier cas, il y a donation indirecte du vendeur et, dans le second cas, de l'acheteur, pour toute la différence entre le prix fixé et la valeur véritable. Or, à moins que les donations entre époux ne soient défendues, d'une manière absolue, il n'y a pas de raison d'annuler ici la donation indirecte.
En France, les donations entre époux sont révocables à la volonté du donateur, comme garantie de sa liberté et de sa sincérité; elles sont aussi réductibles, à sa mort, si elles excèdent une certaine quotits des biens, seule disponible, qui varie avec la qualité et le nombre des héritiers qu'il laisse en mourant, et c'est ce droit de réduction que la loi française réserve aux héritiers dans l'article 1595 précité, pour les trois cas où la vente est permise.
Ce qui fait prohiber la vente dans tous les autres cas, c'est la crainte qu'elle ne serve à déguiser une donation: le prix serait fixé égal à la valeur réelle de la chose, mais il ne serait pas payé; cependant, le vendeur en donnerait quittance, dans l'acte ou par acte séparé et ainsi il serait, en réalité, donateur de toute la valeur de la chose; comme il semblerait vendeur, il serait privé du droit de révocation, car on ne révoque pas une vente, et ses héritiers ne pourraient exercer le droit de réduction, car on ne réduit pas les actes onéreux.
L'échange, au contraire, peut bien contenir un avantage indirect pour l'une des parties, mais il ne peut déguiser une donation. En effet, les valeurs fournies de part et d'autre peuvent être inégales en valeur, et celui des deux co-échangistes qui recevra moins qu'il ne donne pourra être considéré comme donateur de la différence; mais, cette différence étant facile à constater, la donation n'a rien de déguisé. Et ici, il n'y a pas à craindre, comme dans la vente, que la transmission de l'une des deux valeurs ne soit simulée, comme le payement d'un prix dont on donne une quittance mensongère.
Il n'y a donc aucune raison de défendre l'échange entre époux.
Pour qu'il n'y ait aucun doute, au Japon, sur la permission de l'échange entre époux, le Projet prend soin d'exclure ici une des règles de la vente. Cependant, comme il pourrait résulter un avantage indirect de l'inégalité des biens fournis respectivement en contreéchange, la loi réserre, comme en France et même dans une formule plus générale, l'obserration des règles des donations, non pour ce qui concerne leur forme qui, nécessairement, ne pourra étre exigée ici, mais pour le fond, c'est-à-dire pour les limites ou prohibitions qu'elles pourront recevoir entre époux et à l'égard desquelles rien n'est encore statué.
366.-II. On a vu que la rente peut être soumise à une résolution facultative de la part du vendeur, sous le nom de rachat ou réméré. C'est pour lni un moyen de recouvrer une chose dont il ne s'est séparé peut-être qu'à regret et par un besoin momentané d'argent.
Le Code français n'a pas dit qu'une pareille faculté de résolution n'existait pas dans l'échange, ce qui, vu la généralité du renvoi aux règles de la vente, tel qu'il est prononcé par l'article 1707, ferait croire à son application; mais nous n'hésitons pas à dire que, même en France, cette faculté ne doit pas exister dans l'échange et le Projet l'exprime formellement.
D'abord, parmi les règles de la vente il faut exclure, comme inapplicables à l'échange, toutes celles qui supposent nécessairement un prix en argent; or, la faculté de rachat est fondée sur le besoin d'argent: elle oblige à rendre le prix, et cette restitution n'est pas purement potestative, ce qui, sans en faire une condition prohibée, en restreindrait l'usage (v. art. 335), car il est souvent difficile de trouver de l'argent à époque fixe.
Au contraire, dans l'échange, si les deux parties ou l'une d'elles stipulaient la faculté de reprendre ce qu'elles ont donné, en rendant ce qu'elles ont reçu, les deux motifs de cette faculté manqueraient entièrement: 1° aucune partie n'a pu être contrainte d'échanger, elle n'a pu agir que par des motifs de convenance personnelle ou d'intérêt; 2' la restitution de ce qu'elle a reçu serait si facile qu'elle pourrait dépendre d'un caprice.
Toutefois, la loi ne va pas jusqu'à une prohibition absolue: la convention dont il s'agit vaudra entre les parties comme promesse réciproque d'un nouvel échange, d'un échange inverse du précédent qui remettra les choses aux mains des anciens propriétaires, par la volonté d'un seul et quand il l'exigera; mais elle ne sera opposable aux tiers qui auraient acquis des droits réels sur l'une des choses échangées que si cette faculté de résolution leur a été révélée par la transcription, comme il est dit pour la promesse de vente par l'article 664 auquel renvoie notre texte; cela rend moins considérable la différence avec le réméré qui n'est également opposable aux tiers que s'il est révélé par la transcription (voy. p. 365, n° 291 et p. 370, n° 295).
367.—III. On a vu que la vente peut être rescindée en faveur du vendeur, lorsqu'il s'agit d'un immeuble et que la lésion est pour lui de plus de moitié. Que le motif de la loi soit encore de protéger un vendeur obéré, ou de le relever contre une erreur présumée sur les qualités et la valeur de sa chose, ou d'enlever à l'acheteur un enrichissement indû, peu importe ici, car aucun de ces motifs ne se rencontrerait dans l'échange pour en autoriser la rescision: le premier motif manque évidemment, comme on l'a déjà fait remarquer; le second ne présente plus la même probabilité: un propriétaire peut avoir donné en échange une chose ayant une valeur vénale de la moitié en sus de celle qu'il a reçue, sans avoir commis aucune erreur: il est possible que la chose qu'il a acquise ait pour lui une valeur de convenance personnelle qui motive un pareil sacrifice et qui ne peut s'apprécier pécuniairement; il n'est pas rare, que pour réunir à sa propriété une parcelle voi. sine, on sacrifie une propriété plus considérable sans laquelle la partie contractante n'aurait pas abandonné la sienne; ou bien, c'est une propriété que l'on désire acquérir à tout prix, par des raisons de santé, de roisinage ou de spéculation. On ne pourrait donc jamais démontrer pleinement la lésion. C'est le même motif qui a fait refuser cette rescision à l'acheteur.
Enfin, on ne pourrait davantage arriver à la rescision d'un échange prétendu inégal par le motif d'enrichissement indû, lequel est, selon nous, le véritable fondement de la rescision de la vente pour lésion: dans l'échange, l'enrichissement de l'un des contractants n'est pas indû, du moment que l'autre a satisfait des intérêts particuliers ou des convenances personnelles qui échappent à l'estimation courante.
COMMENTAIRE.
Art. 757. — N° 368. Le contrat de transaction a toujours passé pour difficile: en France, il occupe une grande place dans les discussions de la doctrine et il exerce souvent la sagacité de la jurisprudence. Les règles en sont d'ailleurs peu nombreuses dans le Code français (art. 2044 à 2058); plusieurs d'entre elles pourraient même être supprimées sans inconvénient, comme se trouvant déjà écrites dans la matière des Obligations en général.
Mais la difficulté est justement de déterminer en quoi la transaction se sépare du droit commun. C'est à cette séparation qu'on s'est surtout attaché dans le présent Projet.
La loi donne d'abord la définition même du contrat.
Remarquons que dans le langage juridique français, le mot "transaction” s'emploie dans deux sens: un sens large où il est synonyme de “contrat, convention"; c'est ainsi que l'article 1107 du Code civil parle de "transactions commerciales,” dans le sens de conventions, opérations commerciales (voy. aussi art. 72, C. com.); constamment, dans le langage du droit, soit qu'on loue, soit qu'on critique ou seulement qu'on discute la loi, on parle de ce qui est favorable ou nuisible aux “transactions,” à leur célérité, à leur sûreté; c'est encore le sens large de “conventions, négociations.”
Ici, le sens est tout à fait spécial et, sans s'arrêter à l'étymologie latine qui n'y jetterait guère de lumière, nous relèverons la définition même que donne de ce contrat notre premier article.
369. La définition du Code français (art. 2044) est incomplète: tout le monde, ou à peu près, est d'accord pour y ajouter que les parties doivent “se faire des concessions ou des sacrifices réciproques.” En effet, si, la contestation étant déjà née, le demandeur abandonne purement et simplement ses prétentions et sa poursuite, on doit dire qu'il y a “désistement”; si c'est le défendeur qui reconnaît que la demande est fondée et qui renonce ainsi à la contester, on dira qu'il y a “acquiescement”; ce sont deux cas de cessation ou d'extinction d'action, mais ce ne sont pas des transactions; c'est au Code de procédure civile à les régler plutôt qu'au Code civil.
370. Toutefois, une distinction est à faire entre les deux cas:
1° S'il s'agit du désistement du demandeur, il peut porter sur la prétention au fond ou seulement sur l'instance entamée, sur la procédure déjà commencée: au premier cas, il y a de la part du demandeur aban. don de son droit ou reconnaissance qu'il n'a pas de droit, et toute nouvelle instance à ce sujet lui est interdite; au second cas, il n'a renoncé qu'à l'instance entemée, soit parce que les preuves décisives qu'il espérait lui manquent encore, soit parce que le tribunal qu'il a saisi lui paraît incompétent ou parce que le commencement de la procédure est entaché de nullité; dans ce cas, il peut renouveler le procès, soit devant le même tribunal, soit devant un autre, en supportant, bien entendu, les frais de la première procédure (voy. C. proc. civ., art. 402, 403) (a).
2° S'il s'agit de l'acquiescement par le défendeur, le bien fondé du droit et la légitimité de la procédure sont, en général, reconnus simultanément en faveur du demandeur, de sorte que celui-ci a un nouveau titre de son droit, et un titre d'autant plus efficace qu'il a le caractère d'un “acte judiciaire,” c'est-à-dire d'une constatation faite par la justice (comp. C. civ. fr., art. 2117 et 2123). On comprendrait cependant un acquiescement qui ne porterait que sur la procédure commencée et non sur le fond de la prétention du demandeur, c'est lorsque le tribunal serait incompétent ou la procédure commencée irrégulièrement et que le défendeur, après avoir proposé l'exception d'incompétence ou celle de nullité que lui donne la loi (v. C. proc. civ. fr., art. 168, 169, 173), consentirait à l'abandonner: alors le procès continuerait sur le fond du droit.
371. Dans chacun de ces cas, si l'on se place au point de vue du fond du droit, l'acte de désistement, comme celui d'acquiescement, pent différer de caractère suivant le mobile qui le fait faire: ou il constituera une reconnaissance sincère du droit de l'adversaire poursuivi ou poursuivant, il appartiendra alors à la matière des preuves et non à celle des contrats; ou il sera l'abandon volontaire, mais déguisé, d'un droit qui pouvait être opposé à l'adversaire défendeur ou demandeur, ce sera alors une donation déguisée dont la validité peut être contestée mais sur laquelle il n'y a pas lieu de s'arrêter ici.
Pour qu'il y ait transaction, il faut qu'il y ait "sacrifice réciproque,” soit que chacun abandonne une partie de ses prétentious pour obtenir la reconnaissance de l'autre partie, soit que l'un abandonne toute sa prétention, pour recevoir quelque avantage qui n'était pas en jeu dans la contestation.
Ainsi, le demandeur réclame 1000 yens, comme pret ou comme prix de vente, le défendeur nie le prêt ou la vente, ou soutient avoir payé, ou invoque en compensation une créance égale; les parties, craignant l'une et l'autre de perdre le procès, transigent, en fixant la dette à 500 yens: le demandeur a ainsi sacrifié la moitié de sa prétention et le défendeur la moitié de la sienne.
Ainsi encore, le demandeur revendique comme sien un terrain possédé par le défendeur et qu'il soutient étre l'accessoire d'un fonds à lui vendu par le défendeur; celui-ci conteste la prétention; mais on finit par transiger et le demandeur consent à ne recevoir qu'une portion dudit terrain, l'autre restant au défendeur.
Dans ces deux cas, les sacrifices mutuels sont pris sur les objets mêmes de la contestation.
On peut supposer aussi qu'ils seraient pris en dehors de ces objets. Ainsi, dans le premier cas, le défendeur aurait consenti à payer les 1000 yens réclamés, mais il aurait obtenu d'être libéré d'une autre obligation qui n'était pas contestée; dans le second cas, le demandeur du terrain aurait promis de faire ou de ne pas faire quelque chose pour le défendeur ou il lui aurait conféré un droit réel, mobilier ou immobilier.
Cette distinction entre la nature et l'origine des avantages réciproques a une grande importance au point de vue de la garantie qui peut en être due, et elle se retrouvera au dernier article de la matière.
372. Il résulte de ce qui précède que la transaction est un contrat à titre onéreux, puisque “chaque partie y fait un sacrifice” (voy. art. 319), mais qu'il n'est pas nécessairement synallagmatique, car le sacrifice n'est pas toujours “une obligation contractée de chaque côté” (v. art. 318); c'est ce qui arrive lorsque le demandeur se borne à renoncer à une partie de ses prétentions pour assurer le reste: le défendeur contracte bien une obligation, ou, au moins, il confirme une obligation douteuse; mais le demandeur ne s'oblige pas en renonçant à demander ce qui excède: ce n'est pas une obligation “de ne pas faire.”
C'est encore sous le dernier article que nous examinerons si la transaction opère ou non novation de la première obligation.
373. Nous avons supposé jusqu'ici que la contestation au sujet de laquelle la transaction intervient est “déjà née”: elle tend alors à “la terminer"; mais le texte admet aussi qu'on puisse transiger pour “prévenir une contestation qui peut naître," que l'on a lieu de prévoir et de craindre.
Il est désirable que les procès cessent ou soient prévenus, car ils sont toujours un trouble social et moral: ils sont une charge pour l'Etat qui doit entretenir un grand nombre de magistrats et d'officiers de justice; ils sont une cause de frais pour la partie qui succombe, et souvent même pour celle qui triomphe; enfin, le gain du procès par une partie et sa perte par l'autre laissent subsister des haines ou des rancunes entre elles, et souvent même les font naître ou les aggravent. Il y a en France, à ce sujet, un proverbe qui n'est pas inconnu au Japon, c'est que “mieux vaut un mauvais arrangement qu'un bon procès.”
374. Nous avons dit, en commençant, que la transaction suit presque en tous points les règles générales des conventions et que le Code français leur en a inutilement appliqué quelques-unes, en ne mettant peutêtre pas suffisamment en relief les cas où elle s'en écarte.
On a donc procédé autrement ici; on commence par proclamer le principe et on énonce les exceptions.
Nous allons, à l'occasion du 2e alinéa de notre article, indiquer les principales règles du droit commun applicables à la transaction et relever les articles du Code français qui n'ont pas dû trouver place ici.
1° La transaction, étant une convention, doit présenter les trois conditions d'existence de toute convention: le consentement des parties, un objet certain ou déterminé et qui soit dans le commerce, c'est-à-dire o que les particuliers aient à leur disposition," enfin, une cause vraie et licite, c'est-à-dire qui ne soit ni fausse ou erronée, ni illicite (voy. art. 325).
Pour l'intelligence de ce parallèle, il est nécessaire de revenir, en quelques mots, sur le consentement en général, sur les qualités que doit avoir l'objet de la convention et sur la cause de la convention:
a. Le consentement manque, non seulement lorsque la proposition d'une partie n'a pas été agréée par l'autre, expressément ou tacitement, mais encore lorsque l'une des parties a eu en vue un objet différent de celui qu'avait envisagé l'autre; ici, par exemple, une partie avait voulu transiger sur une convention antérieure, tandis que l'autre avait entendu seulement en fixer le sens, sans rien sacrifier de ses prétentions; ou toutes deux avaient bien entendu transiger, mais l'une avait envisagé une certaine contestation, née ou à naître, et l'autre partie une contestation différente; ou enfin, étant d'accord sur le point à régler par la transaction, une partie avait entendu faire un sacrifice différent ou moins considérable que celui que l'autre partie avait cru obtenir.
b. L'objet de la convention ne serait pas suffisamment déterminé, si les sacrifices promis respectivement étaient exprimés d'une façon qui laissât à l'une des parties le pouvoir d'exiger ou à l'autre celui de donner plus ou moins, sans qu'on pût dire qu'elle manque à son obligation; l'objet ne serait pas à la disposition des parties, si l'on prétendait transiger sur l'état civil des personnes ou sur un intérêt qui n'est pas purement privé, comme sur la dénonciation d'un vol ou de coups et blessures et non pas seulement sur la réparation civile qui en est due.
c. Enfin, la cause doit être vraie et licite; or quelle est la cause de la transaction ? C'est, comme le dit la définition de notre article 757, le désir, la volonté de terminer ou de prévenir un procès; cette volonté est évidemment licite; mais elle peut être erronée, elle peut être fausse: cela se rencontrera lorsqu'il n'y aura pas de contestation possible sur l'objet que les parties ont considéré comme contestable; par exemple, le procès était déjà terminé par un jugement ou un arrêt devenu irrévocable, ou bien une convention ou un testament ne laissait aucun doute possible en faveur d'une partie contre l'autre et sur aucun point de leurs prétentions respectives.
On s'attendrait donc à voir déclarer radicalement nulle, faute de cause, la transaction intervenue sur un sujet de contestation déjà irrévocablement jugé ou sur lequel une des parties n'aurait aucun droit.
Tel n'est pas cependant le système du Code français qui ne voit là que des causes de “rescision” de la transaction (art. 2054 et 2057).
Le Projet la imité en cela, quoique la logique rigoureuse semblât demander la nullité radicale. On justifiera cette solution mitigée sous les articles 760 et 761.
Il resterait donc pen de cas de nullité radicale de la transaction faute de cause: ce serait le cas de la transaction soumise à une condition suspensive qui ne se serait pas accomplie; ajoutons le cas où l'une des parties aurait déclaré qu'elle transigeait à raison d'un fait qui pour elle était déterminant, qu'elle croyait accompli et qui ne l'était pas, comme une alliance dans sa famille; enfin, de même que la vente de la chose d'autrui est radicalement nulle faute de cause, de même serait nulle la transaction où l'une des parties recevrait une chose n'appartenant pas à son adversaire, alors qu'elle entendait en acquérir la propriété.
Sauf la réserve faite plus haut, la transaction ne diffère donc pas des autres conventions, quant aux conditions de son existence.
2° La transaction est soumise aux deux conditions de validité des conventions en général: à l'absence de vices du consentement (d'erreur, de violence) et à la capacité des parties (v. art. 326); si elle était l'effet d'un dol, elle serait encore sujette à annulation entre les parties, à titre de réparation du préjudice causé (v. art. 333). C'est donc inutilement que le Code français déclare la transaction rescindable pour dol et violence (art. 2053, 2e al.).
3° La transaction produit entre les parties et sans nuire aux tiers les effets ordinaires des conventions, en tant qu'elle a pour objet de reconnaître, de créer, de transférer, de modifier ou d'éteindre soit des obligations, soit des droits réels (v. art. 348 et s., 365 et s.). Toutefois, on verra au dernier article (art. 762) qu'une distinction est à faire à cet égard, notamment, pour la garantie d'éviction et pour la transcription.
4° Les règles ordinaires d'interprétation des conventions s'appliquent à la transaction (v. art. 376 et suiv.).
5° La transaction et les obligations qui en résultent comportent les mêmes modalités que les obligations des autres conventions (voy, art. 421 et suiv.).
6° Elle comporte aussi les mêmes causes d'extinction, notamment la résolution pour inexécution des obligations (voy. art. 441 et s., 471 et s.).
7° Enfin, quant à la preuve de la transaction, la loi n'apporte pas de dérogation ou droit commun; elle pourra donc se prouver tant par témoins que par titres (roy. Livre Ve).
375. Voyons maintenant en quoi le Code français a soumis la transaction au droit commun et en quoi il l'en a séparée.
1° Il commence par l'en séparer quant à la preuve, en exigeant qu'elle soit rédigée par écrit (art. 2014, 2° al.). Le motif est évidemment d'éviter que la preuve de la transaction ne devienne une nouvelle source de procès, alors qu'on a voulu justement en éviter un. Mais, en somme, la loi ne gagne rien à cette sévérité; il y aura toujours procès: si la transaction ne peut être prouvée par écrit, parce qu'on n'en a pas rédigé, ni par témoins, parce que la loi le défend, on se retrouvera en face du procès primitivement commencé ou du procès prévu. Il ne paraît donc pas y avoir là une rai. son suffisante de refuser la preuve par témoins.
Au surplus, en France, l'écrit dont il s'agit n'est pas exigé pour faire de la transaction un acte solennel, autrement la loi exigerait un acte authentique; c'est seulement un mode de preuve; aussi, à défaut d'écrit, pourrait-on prouver la transaction par l'aveu et le serment (v. art. 1356 et 1358), et même on peut soutenir que, s'il y avait un commencement de preuve par écrit, la preuve testimoniale serait permise (v. art. 1347).
2° L'article 2015 dit inutilement que pour transiger, “il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction.” Il n'y a rien là qui ne soit vrai de tout contrat où l'on dispose, soit qu'on alière soit qu'on promette. Cette capacité doit exister autant à l'égard des objets mêmes de la contestation (née ou à naître), auxquels chaque partie peut renoncer, qu'à l'égard des objets étrangers qu'elle peut promettre ou aliéner.
3° L'article 2046 n'est pas plus utile, lorsqu'il dit qu'on peut transiger sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit,” mais que “la transaction n'empêche pas l'action du ministère public,” il s'agit là, en effet, d'un intérêt purement privé, d'une nature tout à fait différente de celle de l'intérêt public mé du délit, quoiqu'il ait le délit pour cause; aussi, les lois criminelles ontelles toujours soin de dire que l'action publique est indépendante de l'action privée; qu'elle n'est ni subordonnée à la plainte de la partie lésée, ni éteinte par sa renonciation (voy. C. pr. crim. franç., art. 4; Proj. jap., C. pr. crim., art. 3); de même, que l'acquittement ou la condamnation, prononcés au criminel, n'empêchent pas la réparation civile (C. pen. fr., art. 10; Prej. jap., C. pen. art. 58).
Toutefois, la transaction en matière de faux, est soumise, en France, à une condition particulière: elle doit être communiquée au ministère public et homologuée par le tribunal, avant son exécution (C. proc. civ., art. 249). Cette exception au droit commun ne nous paraît pas fondée sur des motifs assez impérieux pour la reproduire dans le Projet japonais.
4° Il n'était pas besoin de dire dans l'article 2047 qu'on peut ajouter à une transaction la stipulation d'une peine contre celui qui manquera à l'exécuter": la clause pénale est le règlement à forfait des dommages-intérêts; or, chaque fois qu'une partie peut devoir des dommages-intérêts qui auront besoin d'être appréciés par le tribunal, il est toujours possible aux parties de les régler d'avance par une clause pénale. La disposition du Code français n'aurait même pas pour effet de permettre la stipulation d'une peine excé. dant l'intérêt légal, si la transaction obligeait une des parties au payement d'une somme d'argent: tant que de l'intérêt ne sera pas libre, en France, la clause pėnale ne le sera pas davantage.
5° Les articles 2048 et 2049 se rapportent à l'interprétation des transactions et ils ne paraissent contenir rien qui ne soit déjà dans les règles générales d'interprétation des conventions, notamment dans les articles 1156 et 1163.
6° L'article 2050 donne encore une solution qui ne pouvait guère faire doute, dans le silence de la loi; il y a, du reste, un peu d'équivoque dans les termes de cet article: il suppose qu'une partie “qui a transige sur un droit qu'elle avait (ou mieux qu'elle prétendait avoir) de son chef,” c'est-à-dire par une cause née en sa personne, comme par un contrat où elle a figuré elle-même, acquiert ensuite un droit semblable du chef d'une autre personne, par exemple par succession, et il décide que cette partie “n'est pas liée, quant au droit nouvellement acquis, par la transaction antérieure.”
S'il s'agissait, dans la pensée du Code français, d'un droit seulement semblable, mais qui ne fût pas identiquement le même, par exemple un droit de créance ayant une cause semblable, comme un prêt, et un objet pareil, comme de l'argent ou des denrées, il ne saurait y avoir question: ce ne serait plus le même objet de transaction; or, “les transactions se renferment dans leur objet” a dit déjà l'article 2048: “elles ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris” (art. 2049).
Et en admettant que la transaction ait eu pour fondement l'interprétation d'une expression particulière dont le sens était douteux dans le premier contrat, et que la même expression se trouvât dans la nouvelle convention, les parties ne seraient pas liées par l'interprétation portée dans la transaction: la loi dit plus loin que “les transactions ont entre les parties l'autorité de la chose jugéo” (art. 2052); or, lorsqu'un tribunal a jugé une première fois quel est à ses yeux le sens d'une expression, soit dans une convention, soit dans la loi, il conserve le droit de juger autrement la méme difficulté et d'en donner une autre solation, fûtce entre les mêmes parties, du moment que ce n'est plus dans le même procès.
Ce qu'on peut croire seulement, c'est que la première interprétation du tribunal sera rarement abandonnée, et, lorsqu'il s'agit d'une interprétation transactionnelle, il sera facile de l'invoquer avec succès comme preuve de l'intention des parties, dans le nouvel usage qu'elles auront fait de la même expression.
Pour que l'article 2050 dise une chose plus ou moins utile, il faut l'entendre d'un droit identique, ce qu'il appelle un droit “semblable.” Le cas sera rare d'ailleurs où une personne pourrait prétendre au même droit, à deux titres différents, l'un en sa personne, l'autre comme héritière ou ayant-cause d'une autre personne. Comme exemple, nous citerons celui d'un prétendu créancier solidaire qui aurait transigé avec celui qu'il soutenait être son débiteur et aurait sacrifié une partie de sa prétention pour en assurer l'autre partie; plus tard, il succède à un autre des créanciers solidaires: il pourra faire valoir le droit comme entier du chef de son auteur, en défalquant seulement ce qu'il a obtenu de son propre chef par la transaction.
On pourrait donner encore l'exemple d'un copropriétaire indivis qui, après avoir transigé sur une revendication exercée de son chef contre le possesseur, succèderait à un autre des copropriétaires et formerait, du chef de celui-ci, une nouvelle demande.
7° C'est un principe général que les convention n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et qu'elles ne nuisent ni ne profitent aux tiers (C. civ. fr., art. 1165; Proj. jap., art. 365). L'article 2051, en disant que “la transaction faite par l'un des intéressés ne lie point les autres et ne peut être opposée par eux,” dit une chose qui n'est pas entièrement exacte et qui, dans ce qu'elle a de vrai, est inutile.
Elle n'est pas entièrement exacte, car il y a des intéressés qui peuvent opposer ou invoquer la transaction à laquelle ils n'ont pas pris part, mais dans laquelle ils sont considérés comme ayant été représentés par leur co-intéressé: par exemple, les codébiteurs et les cocréanciers solidaires sont représentés les uns par les autres, et les cautions par le débiteur principal, sinon pour ce qui leur nuit, au moins pour ce qui leur profite: ils peuvent donc opposer ou invoquer la transaction qui leur est favorable.
Pour la proposition inverse, à savoir que la transaction ne peut être opposée aux co-intéressés non représentés, elle est vraie; mais alors elle est inutile, puisqu'elle est déjà inscrite dans la règle générale que “les conventions ne nuisent point aux tiers.”
8° L'article 2052 a trois dispositions; les deux premières sont utiles et nous en trouverons de semblables dans le Projet, mais la troisième nous paraît mériter encore le reproche d'inutilité, quand elle dit:“la transaction ne peut être attaquée pour cause de lésion.” En effet, l'article 1118 a déjà dit que “la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats et à l'égard de certaines personnes déterminées par la loi”; or, ces contrats ne sont qu'an nombre de deux, dans la loi française: le partage et la vente d'immeubles; la transaction ne devant pas être un troisième contrat de ce genre, il suffisait de la passer sous silence pour la mettre à l'abri de la rescision.
Il est raisonnable d'ailleurs que la transaction ne fasse pas exception à la règle: moins qu'aucun autre contrat elle doit être rescindable pour lésion, car les éléments en sont incertains; on transige sur des droits douteux, et pour qu'une partie pût établir qu'elle a fait des sacrifices trop considérables, eu égard à ceux qu'elle a obtenus, il faudrait qu'elle fût autorisée à reprendre le procès terminé ou à entreprendre celui qu'on a voulu prévenir, et c'est justement là ce qui est inadmissible.
Il n'y aurait même pas lieu à rescision pour lésion si la transaction était intervenue sur le prix d'une vente d'immeuble ou sur la composition des lots d'un partage: l'article 888 est formel en ce sens pour le partage et on n'hésiterait pas, en l'absence de l'article 2052, à décider de même pour la vente d'immeuble.
En ce qui concerne les personnes exceptionnellement admises à faire annuler leurs engagements pour lésion, c'est-à-dire les mineurs (voy. art. 1305), faut-il considérer l'article 2052 comme utile, en ce qu'il apporterait une exception au droit commun des mineurs? Nous ne le croyons pas: la transaction intéressant les mineurs n'est pas un acte dispensé de formes, elle est, au contraire, soumise à des formalités protectrices assez compliquées (voy. C. civ. fr., art. 467 et 472); si ces formalités et conditions n'ont pas été observées, l'acte est annulable, pour ce seul fait; si elles ont été observées, l'acte est réputé fait par un majeur et, dès lors, il n'est plus annulable pour lésion (art. 1314).
L'article 2052 n'a donc pas eu à affranchir de la res. cision pour lésion des actes qui déjà n'y étaient pas soumis par la règle générale.
9° L'article 2053 est entièrement inutile, dans ses deux alinéas, en déclarant que “la transaction peut être rescindée, lorsqu'il y a erreur dans la personne ou sur l'objet de la contestation, et, dans tous les cas, lorsqu'il y a eu dol ou violence”; ce sont là des causes ordinaires de rescision (v. C. civ. fr., art. 1110 et suiv.; comp. Proj. jap., art. 330 et 331, 334 et s.).
10° L'article 2058 dit que “l'erreur de calcul dans la transaction doit être réparée”; cette disposition, ne se trouvant pas ailleurs, ne fait pas double emploi; mais, au lieu d'être placée dans la transaction, elle aurait dû l'être dans les règles générales des conventions, comme on l'a fait dans le Projet japonais (v. art. 331, ge al. et 582), car le Code français n'entend pas sans doute que l'erreur de calcul dans un prix de vente ou dans toute autre clause d'un contrat quelconque soit irréparable.
Nous nous sommes arrêté plus longuement que d'ordinaire sur ces négligences du Code français; d'abord, parce qu'il est peu de matières où on en trouve un aussi grand nombre en aussi peu d'articles; ensuite, parce qu'il était nécessaire de justifier l'absence de toutes ces dispositions dans le Projet japonais.
Nous allons aborder maintenant les véritables exceptions au droit commun que présente la transaction et qui forment l'objet des cinq articles suivants.
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(a) Dans le langage usuel on appelle souvent désistement d'action, l'abandon du droit et désistement d'instance celui de la procédure; mais nous n'approuvons pas cet usage: le mot "action" répond plutôt à la procédure qu'au fond du droit.
Art. 758. — 376. La première dérogation au droit commun concerne les transactions intéressant les incapables: il ne doit pas suffire qu'elles soient consenties par leur représentant ordinaire, parce que le désir d'éviter un procès pourrait n'être pas inspiré par l'intérêt des incapables eux-mêmes, mais par les convenances personnelles de ce représentant, pour lequel un procès est un embarras sans compensation. Il est donc nécessaire que ces transactions soient soumises à des formalités et à des conditions spéciales qui garantissent qu'elles sont utiles aux incapables.
C'est au Livre ser que se trouveront ces conditions, lorsque la loi traitera de l'administration des biens des incapables, spécialement des mineurs et des interdits, et peut-être des femmes mariées.
En France, la loi ne soumet à aucune condition particulière la transaction intéressant la femme mariée: il suffit à celle-ci d'obtenir le consentement de son mari ou l'autorisation de la justice (art. 217 et suiv.). Mais pour le mineur et l'interdit, leur tuteur ne peut transiger que s'il y est autorisé par le conseil de famille, sur l'avis favorable de trois jurisconsultes, avec homologation du tribunal civil (art. 467 et 509).
Le 2° alinéa de notre article renvoie aux lois administratives pour les transactions intéressant l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Ces personnes morales ne peuvent évidemment transiger, pas plus que faire tout autre contrat, si ce n'est par l'organe de leur représentant légal; il leur faut aussi une délibération favorable des conseils chargés de défendre leurs intérêts et l'approbation de l'autorité administrative.
Art. 759. — 377. On a formellement admis, dans le Projet, que les conventions, en général, peuvent être rescindées pour erreur de droit (art. 332); on tranchait ainsi une question qui, en France, n'est pas sans faire de sérieuses difficultés; cependant, la même solution peut y être soutenue, car le Code civil a deux dispositions qui refusent la révocation pour erreur de droit, l'article 1358, relatif à l'aveu (qui d'ailleurs n'est pas un contrat, mais une déclaration probatoire) et l'article 2054, pour la transaction; or, dit-on, avec raison, si la règle générale était que les actes ne peuvent être révoqués pour erreur de droit, il serait inutile que la loi l'exprimât dans deux cas particuliers. Si, au contraire, la révocabilité pour erreur de droit est la règle, il peut y avoir lieu à des exceptions.
Il faut justifier ici celle qui est admise également par le Projet, au sujet de la transaction.
Comme les autres dérogations au droit commun qui vont suivre, celle-ci repose surtout sur la cause propre de la transaction qui est le désir, chez les parties, de faire cesser ou de prévenir une contestation. Or, ce but serait souvent manqué si, après la transaction, l'une des parties était admise à soutenir qu'elle a ignoré ses droits ou cru indûment à ceux de son adversaire et qu'elle n'aurait pas transigé si elle avait connu la vérité: ce serait recommencer le procès.
L'exception a une limite indiquée par le même article: il y a, pour ainsi dire, une exception à l'exception, par conséquent, un retour à la règle; c'est lorsque l'erreur de droit de l'une des parties provient du dol de l'autre, c'est-à-dire, si l'un des contractants a employé des manevres frauduleuses pour empêcher l'autre de connaître ses propres droits ou pour lui faire croire à des droits de son adversaire, lesquels, en réalité, n'appartenaient pas à celui-ci. Et il ne faudrait pas reproduire ici l'objection qui précède, à savoir qu'il y a danger de voir naître ou renaître le procès qu'on a voulu clore ou éviter: le dol d'une partie est un fait nouveau sur lequel il n'y a pas eu transaction, il peut donc être l'occasion d'un procès spécial, et si ce dol est prouvé, la transaction tombera: ce sera la réparation la plus complète, la plus directe et en même temps la plus simple du dommage causé par le dol.
Art. 760. — 378. Cet article suppose une erreur de fait sur l'objet de la contestation. A la rigueur, on pourrait dire qu'il ne fait que l'application du principe général relatif à ce genre d'erreur (v. art. 331); mais, cette application pouvant faire quelque doute ici, le Projet croit devoir s'en expliquer, comme l'a fait aussi le Code français (art. 2054 et 2055); seulement, on s'en écarte sérieusement, au fond, sur deux points.
Les pièces dont il s'agit sont évidemment des instruments de preuve, des pièces écrites; elles peuvent être, soit entièrement fausses ou contrefaites, soit simplement falsifiées.
Les titres ou actes sont les faits juridiques qui étaient allégués comme fondement du prétendu droit de l'une des parties, par exemple une convention ou un testament; ils peuvent être nuls entièrement, soit par l'absence d'une forme solennelle requise par la loi, soit parce qu'ils auraient une cause ou une condition illicite ou un objet prohibé; ils peuvent être seulement annulables, pour incapacité ou vice de consentement.
Le texte s'applique à tous ces cas. Mais 1° il n'autorise dans tous que “la rescision” ou annulation par voie d'action: première différence avec le Code français qui édicte une “nullité entière" dans le cas de pièces fausses (v. art. 2055); 2° pour que la transaction puisse être annulée pour fausseté des pièces probatoires ou pour nullité des titres ou actes servant de fondement aux prétentions d'une partie, il faut que la partie adverse, celle qui aurait pu arguer de la fausseté ou de la nullité, ait ignoré le faux ou la nullité, tandis que dans le Code français cette ignorance n'est pas nécessaire: la connaissance des causes de nullité ne validerait pas la transaction," à moins que les parties n'aient expressément transigé sur la nullité” (v. art. 2054).
379. Dans tous les cas, il faut que l'erreur soit de fait et non de droit, car la règle particulière que la transaction n'est pas rescindable pour erreur de droit ne comporte pas ici d'autre exception que le cas de dol, contrairement à ce que l'on a prétendu au sujet de l'article 2054 du Code français qui correspond au nôtre.
D'abord, pour le cas de pièces fausses, il n'y a pas de difficulté: l'erreur de la partie adverse a consisté, évidemment, à ignorer que les pièces avaient été contrefaites ou falsifiées, ce qui est une erreur de fait. Quant à la nullité, on comprendrait les deux erreurs: l'une, de droit, consistant à ignorer que l'acte aurait dû revêtir certaines formes qui lui manquent, ou que la cause en est illicite ou l'objet prohibé; l'autre, de fait, consistant à ignorer que l'acte ou titre (qu'on n'a pas vu, sans doute) n'est pas revêtu des formes voulues, lorsqu'on sait d'ailleurs que ces formes sont requises, ou bien à ignorer qu'il a telle condition, telle cause ou tel objet, lorsqu'on sait d'ailleurs que cette condition ou cette cause serait illicite ou cet objet prohibé, s'ils existaient dans le titre.
Une comparaison empruntée à une autre science que celle du droit rendra sensible cette nuance qui ne laisse pas que d'être assez délicate. Un pharmacien ou un médecin a donné par erreur un médicament qui a été nuisible au malade: si c'est parce qu'il a ignoré les effets propres au médicament, il a commis une erreur scientifique; si c'est parce qu'il a confondu un flacon avec un autre, ou ignoré un état particulier du malade qui rendait ce médicament dangereux pour lui, il n'a commis qu'une erreur de fait.
C'est à l'erreur de fait seule que s'applique notre article; elle sera assez rare, sans doute, car elle exige la supposition que l'acte qui constate le prétendu droit et lui sert de fondement n'est pas représenté et que celui qui a transigé, pour en atténuer les effets contre lui-même, avait témérairement accepté les allégations de son adversaire ou de témoins complices de la fraude de celui-ci.
Notre article a bien soin de caractériser l'erreur qui seule permet ici de faire rescinder la transaction, en exigeant que la partie intéressée “ait ignoré le fait auquel la loi attache la nullité de l'acte." C'est, en réalité, une erreur sur l'objet de la contestation: non sur l'identité même de l'objet, mais sur ce que, dans la théorie générale de l'erreur, on appelle les " qualités essentielles ou substantielles de l'objet," c'est-à-dire ses"qualités principales” (art. 331). En effet, les pièces et les titres sur lesquels une partie fonde sa prétention, donnant plus ou moins de force à celle-ci, suivant leur valeur et leur sincérité, sont considérés comme des qualités de cette prétention qui, elle-même, forme l'objet de la transaction.
Art. 761. — 380. Il s'agit encore ici, et plus évidemment, d'une erreur de fait sur l'objet de la transaction née ou à naître: une partie ignorait qu'elle avait des droits complets et indubitables sur l'objet de la contestation ou que son adversaire n'en avait aucun (ce qui, au fond, est identique) et elle a sacrifié une portion de ses droits pour conserver le reste, ou elle a fourni ou promis un objet étranger à la contestation pour obtenir la plénitude du droit contesté. Plus tard, elle découvre des titres qui établissent l'étendue de ses droits antérieurs, il est juste qu'elle soit relevée contre les conséquences de son erreur.
Toutefois, la loi fait une distinction imitée du Code français (art. 2057): si la transaction a pour but de faire cesser ou de prévenir une ou plusieurs contestations déterminées, la découverte des titres dont il s'agit sera une cause de rescision de la transaction, quelle que soit la circonstance qui ait empêché la connaissance ou la production des titres; mais si la transaction avait pour but de faire cesser ou de prévenir toutes les contestations alors possibles entre les parties, dans ce cas, ce n'est que si les titres décisifs avaient été “ retenus par le fait de la partie adverse," volontairement ou à son insâ, que la transaction pourrait être rescindée.
381. Cette distinction n'est pas arbitraire: quand la transaction est limitée à une contestation déterminée, l'erreur d'une partie sur le fondement de sa prétention porte sur l'objet principal de la transaction et doit, dès lors, entraîner la rescision, conformément au droit commun; il en est de même, si la transaction est faite en vue de deux ou plusieurs contestations, toujours déterminées, et que l'erreur d'une partie porte sur tous les droits qui sont en jeu dans ces contestatious (a); lorsqu'au contraire la transaction est générale, les sacrifices de la partie qui a ignoré quelques-uns de ses droits sont faits en vue de l'ensemble du résultat cherché dans la transaction; or, il suffit qu'il soit obtenu, ne fût-ce qu'en partie, pour qu'il n'y ait pas à revenir sur l'opération.
Le 2 alinéa de notre article met sur la même ligne que la découverte de titres celle d'un jugement irrévocable qui aurait donné pleinement gain de cause à l'une des parties et dont elle n'aurait pas eu connaissance. Si le jugement était encore susceptible de recours, la transaction serait maintenue, parce qu'il n'est pas sûr que le jugement n'aurait pas été réformé en appel ou en cassation.
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(a) Le Code français, dans le 1er alinéa de l'article 2057, a sup posé une transaction “générale" et dans le 2e alinéa une transaction“ limitée à un objet”; mais on ne doit pas hésiter à assimiler plusieurs objets déterminés à un seul objet.
Art. 762. — 382. Cet article est consacré aux effets particuliers de la transaction.
On pourrait dire assurément de la transaction, comme des autres conventions, qu'elle tient lieu de loi entre les parties” (art. 348); mais, comme elle a pour but de prévenir ou de faire cesser une contestation judiciaire, il est naturel de lui reconnaître la force d'un jugement intervenu entre les parties et d'un jugement irrévocable, tant pour les points de fait que pour les points de droit, par conséquent, d'un jugement qui ne serait susceptible ni d'appel, ni de pourvoi en cassation.
Bien entendu, cela n'est vrai que de la transaction “valable," comme la loi a soin de l'exprimer.
Cette assimilation de la transaction à un jugement irrévocable se trouve aussi dans le Code français (art. 2052, 1er al.), mais elle y donne lieu à une sérieuse difficulté: les jugements, en général, ne sont pas attributifs ou translatifs de droits, mais ils en sont simplement déclaratifs; or, on a fait cette première objection que si la transaction a pour effet de déclarer que les droits définitivement reconnus en faveur d'une partie lui ont toujours appartenu, c'est sans cause qu'elle donne ou promet quelque chose pour les conserver; tandis que l'objection ne pourrait plus se faire, si l'on donnait à la transaction le caractère d'une cession, d'un acte translatif de droits. Mais on doit répondre que le sacrifice fait par un des contractants pour conserver une partie des droits auxquels il prétendait n'est pas le prix de ces mêmes droits, puisqu'il est considéré comme les ayant eus déjà auparavant: c'est le prix de la tranquillité qu'il acquiert par la transaction et ainsi, ce sacrifice n'est pas fait sans cause.
On ne devra pas non plus distinguer, comme l'avaient proposé d'anciens auteurs, si, à la suite de la transaction, il y a eu changement de possesseur, ce qui amènerait à dire que si la possession reste dans les mêmes mains, il y a déclaration d'un droit antérieur, que si, au contraire la possession change de mains, il y a translation d'un droit nouveau: cette importance attachée à la possession pouvait se justifier dans l'ancien droit français, alors que la propriété se transférait par le changement de possession, comme dans le droit romain, mais aujourd'hui elle ne serait pas fondée, pas plus au Japon qu'en France ou ailleurs.
383. Il reste une situation dans laquelle on doit reconnaître que la transaction est non plus déclarative, mais translative ou attributive de droits, soit réels, soit personnels. Le texte la fait bien ressortir, si l'on compare attentivement l'hypothèse du 2e alinéa de notre article avec celle du premier: l'un des contractants, pour consolider tout ou partie de ses anciennes prétentions, a donné ou promis un objet qui n'était pas compris dans la contestation; il est clair qu'en pareil cas, on ne peut pas dire que la transaction est "déclarative de droits antérieurs": elle est évidemment “attributive de droits nouveaux,” la partie qui les obtient ne les conserve pas, elle les acquiert.
La distinction a un grand intérêt pratique, comme on le verra en reprenant chacune des deux hypothèses, avec un exemple.
384.— Ier Cas. Les droits reconnus au profit des parties respectivement étaient déjà en jeu dans la contestation: par exemple, Primus revendiquait contre Secundus un immeuble possédé par celui-ci; avant le jugement, les parties transigent et il est convenu que Secundus gardera une partie divise ou indivise de l'immeuble et que Primus recouvrera l'autre: chacun sera considéré comme propriétaire en vertu de la cause sur laquelle il fondait sa prétention à la totalité; toutefois, les droits des tiers conférés sur l'immeuble par chaque partie seront respectés, car la transaction, soit comme convention, soit parce qu'elle est semblable à un jugement, n'a d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peut nuire aux tiers qui n'y ont pas été appelés.
Il y a quelque difficulté au sujet de la transcription: si le titre en vertu duquel Secundus possédait était de nature à être soumis à la transcription et avait été effectivement transcrit, la transcription subsistera; mais, pour que son effet soit réduit à la portion d'immeuble qu'il conserve, il faudra que la transaction soit mentionnée en marge de cette transcription, comme il faudrait le faire pour un jugement: en effet, Secundus pourrait conférer des droits excédant sa portion et les tiers ne doivent pas être exposés à des évictions imprévues.
La même formalité devra être remplie à l'égard du titre de Primus, s'il avait été transcrit, et, s'il ne l'avait pas été, mais avait dû l'être, d'après sa nature exemple, si Primus s'était dit acheteur de Secundus), il faudrait transcrire, soit la transaction en vertu de laquelle Primus obtient une partie de l'immeuble, soit la vente primitive, avec mention en marge de la transaction qui la modifie.
Supposons enfin, que l'une des parties fasse, pour son sacrifice, une promesse de somme d'argent: si elle était déjà prétendue par l'autre débitrice d'une somme plus forte, elle est considérée comme devant la somme moindre, en vertu de la même cause; s'il y avait hy. pothèque prétendue et que l'hypothèque soit reconnue, elle est confirmée; si l'inscription hypothécaire était déjà prise pour le tout, elle sera réduite, comme s'il y avait jugement; si l'inscription n'avait pas encore eu lieu, elle devrait être faite et, bien entendu, sans rétroagir.
La loi réserve le cas où les parties "auraient voulu “faire une novation”; alors, il n'y a plus déclaration de droits antérieurs, mais création de droits nouveaux, comme dans le cas suivant répondant au 2e alinéa de notre article (sur la novation, voy, art. 511 et suiv.).
385.—11° Cas. En changeant un peu la première hypothèse, supposons que Secundus, défendeur à la revendication, conserve en entier l'immeuble litigieux et, comme sacrifice, donne un autre immeuble qui n'est pas en contestation; dans ce cas, Primus ne pourrait évidemment pas soutenir qu'il obtient cet immeuble “en vertu d'une cause antérieure” dont il n'y a pas trace entre les parties: il devra donc transcrire la transaction, comme étant pour lui un titre nouveau de propriété.
COMMENTAIRE.
Art. 763. — N° 386. Le contrat de société a une importance considérable dans toutes les législations civiles et commerciales. Il est aussi ancien que la civilisation et, de même que les hommes ayant une origine commune se sont réunis en sociétés politiques, sous le nom de tribus, de peuplades, de nations, pour se préserver des entreprises des tribus ou nations voisines, de même les individus se sont associés pour la défense et le développement de leurs intérêts particuliers.
Le principe qui fonde toute association est que les forces individuelles agissant collectivement donnent un résultat unique supérieur à la somme des résultats obtenus par des efforts séparés. Ainsi, pour prendre un exemple dans l'ordre des faits purement matériels, supposons que deux hommes aient à transporter une quantité de 10 tsoubos cubes de terre à un tcho de distance, et que chacun, travaillant séparément, en puisse transporter 4 tsoubos en un jour, ce qui fait 8 tsoubos pour les deux hommes, ils pourront facilement transporter les 10 tsoubos dans la même journée, en travaillant en commun: ils pourront, en effet, prendre une grande roiture au lieu de deux petites et, en doublant la quantité transportée à chaque voyage, diminuer de moitié le nombre des voyages, c'est-à-dire le temps et la fatigue.
La puissance de l'association des forces est encore plus frappante si l'on suppose un résultat qui ne puisse s'obtenir par parties; par exemple, le déplacement ou le transport d'une pierre ou d'une pièce de bois: un seul hommé ne pourrait pas la mouvoir, deux hommes la déplaceront, quatre la transporteront où elle est nécessaire.
Quand nous disons que l'association privée des hommes est aussi ancienne que leur association poli tique, ce n'est pas assez dire: elle l'est davantage et les deux exemples qui précèdent suffisenti à le prouver; aussi n'y a-t-il peut-être pas un seul pays qui n'ait dans sa langue, en une forme ou en une autre, ce sage proverbe que “l'union fait la force.”
387. En même temps, il est très-digne de remarque que les contrats les plus ordinaires et les plus utiles, gent et le prêt à usage, ne peurent guère se multiplier avec les progrès de la civilisation et gardent à peu près la même proportion avec la population, dans un temps donné, parce qu'ils répondent à des besoins qui ne peuvent guère s'étendre; tandis que le contrat de société suit, au contraire, avec les progrès de la civilisation et de la population, un développement non pas proportionnel mais progressif, parce qu'il ne tend pas seulement, comme la plupart des autres contrats, à satisfaire à des besoins individuels, plus ou moins réels et naturellement limités par la raison: il a surtout pour but d'augmenter la production de la richesse individuelle et c'est là que, les désirs de l'homme étant insatiables, ses efforts sont infatigables.
Le Japon est une preure frappante de ce développement du contrat de société, surtout de la société commerciale. Avant la Restauration, il y avait peu de sociétés, soit civiles, soit commerciales; aujourd'hui, sous l'influence des rapports internationaux, ces dernières sont déjà très-nombreuses et chaque année en voit naître beaucoup.
Une des causes qui font aujourd'hui multiplier les sociétés en tous pays est la nécessité de réunir d'énormes capitaux en argent, pour l'exécution des grandes lignes de chemins de fer, des navires de transport au long cours, des grandes manufactures, etc. De pareilles entreprises ne pourraient jamais se faire avec des capitaux individuels; c'est par leur réunion en grande masse qu'elles deviennent possibles.
388. Les sociétés ainsi formées ont un objet commercial et non civil; les sociétés civiles, les seules dont il soit ici traité, ont un objet moins considérable, mais elles doivent toujours être considérées comme le type, comme le modèle dont les autres sont une variété et un développement; beaucoup de règles sont communes aux sociétés civiles et aux sociétés commerciales et ce sont surtout ces règles qui vont être présentées ici; on y ajoutera celles qui sont exclusivement propres aux sociétés civiles.
Avant tout, il convient de se fixer sur ce qu'on doit entendre par société civile, par opposition à la société commerciale; la différence est la même qu'entre la vente civile et la vente commerciale, entre l'obligation civile et l'obligation commerciale et, généralement, entre un acte civil et un acte commercial ou de commerce.
Si l'on connaît bien le caractère d'un acte de commerce, considéré comme l'exception parmi les actes juridiques, on connaîtra, par contre, le caractère d'un acte civil restant la règle. Or, on est à peu près d'accord pour admettre qu'un acte doit réunir deux caractères pour être considéré comme acte de commerce.
D'abord ce doit être un acte de spéculation (a), c'est-à-dire un acte où l'on recherche directement un gain, un profit, et non la satisfaction d'un besoin, comme dans la plupart des actes civils.
Mais, comme il y a aussi beaucoup d'actes civils où l'on recherche aussi un gain, comme le louage d'une terre labourable, du côté du preneur, la vente et l'é change d'un immeuble, du côté d'une partie ou de l'autre, ou de toutes deux à la fois, on reconnaît qu'il faut encore que l'acte, pour être commercial, ait un caractère d'entremise et ne s'arrête pas à la personne de celui qui le fait. Ainsi, un achat pour revendre, un contrat de transport, un contrat de commission, une opération de banque ou de courtage, une entreprise de spectacle public, sont des actes de commerce, parce que la spéculation se fait sur les bénéfices à tirer d'une entremise.
Tous ces actes et plusieurs autres sont généralement déclarés commerciaux par les lois commerciales de chaque pays (v. C. com., fr., art. 632 et 633); dans les cas où la loi se prononce formellement, on n'a plus à rechercher si et jusqu'à quel point se rencontrent les deux caractères de spéculation et d'entremise; mais comme ils s'y trouvent, en réalité, c'est une indication pour les actes sur lesquels la loi ne s'est pas prononcée. Ainsi, les sociétés d'assurances terrestres à prime fixe (b) doivent être reconnues sociétés commerciales, non seulement parce que la loi le décide déjà pour les assurances maritimes qui n'en diffèrent que par la nature du sinistre, mais encore parce qu'on y trouve la spéculation sur des chances et des risques, et l'entremise entre assurés qui auront les avantages de la mutualité sans en rencontrer les difficultés et les embarras.
389. En sens inverse, il y a une nature d'acte qui pourrait être, d'après sa nature, classée parmi les actes de commerce, parce qu'on y trouve l'idée de spéculation et d'entremise, mais qu'une longue tradition a fait toujours considérer comme acte civil, c'est l'achat d'immeubles pour les revendre ou pour les louer.
Généralement, les lois qui définissent la vente commerciale ne la présentent que comme applicable aúx "denrées ou marchandises” (v. C. com. fr., art. 632); le plus loin qu'on puisse aller c'est d'étendre ces mots jusqu'à tous les objets mobiliers susceptibles d'être achetés pour être revendus ou loués; mais les terrains, les bâtiments, ne sont pas des denrées ou marchandises, encore moins des meubles. Tout au plus, peut-on admettre que l'entrepreneur de constructions qui achète des matériaux pour construire des maisons et pour les vendre ensuite ou les louer fait en cela acte de commerce; mais c'est parce que les matériaux et leur emploi sont l'objet principal de sa spéculation.
Tous les actes juridiques qui ne rentrent pas dans la classe des actes de commerce, tels qu'ils sont caractérisés ci-dessus sont des actes civils.
Ainsi l'exploitation d'une mine ou d'une carrière ne doit pas être considérée comme un acte de commerce, mais comme une forme particulière de l'exploitation du sol. La loi française du 21 avril 1810, sur les Mines, le dit formellement pour celles-ci (art. 32). Il en est de même de l'exploitation agricole par les propriétaires du sol ou par les fermiers (voy. C. com. fr., art. 638).
390. Les actes de commerce peuvent être faits par des particuliers agissant isolément et si ceux-ci les font par profession et non accidentellement, ils pourront être qualifiés “commerçants.” Les mêmes actes peuvent être faits par des individus réunis en société pour cet objet, on a alors des "sociétés commerciales”. qui sont, en réalité des sociétés commerçantes.
On serait dès lors porté à croire qu'en sens inverse il y a société civile par cela seul que deux ou plusieurs personnes se réunissent pour faire un ou plusieurs actes civils dans un intérêt commun; mais ce ne serait pas tout à fait exact: il faut que cet intérêt commun soit un profit, un gain,“un bénéfice à partager;" la définition donnée par notre premier article l'exprime formellement.
Ainsi, une convention par laquelle deux ou plusieurs propriétaires, voisins d'une rivière, se réuniraient pour faire faire à frais commun une digue ou d'autres travaux destinés à protéger leurs propriétés contre les débordements, ne serait pas une société civile, parce qu'on se proposerait non de réaliser des bénéfices, mais d'éviter des pertes (c); il en est de même des assurances mutuelles contre l'incendie ou contre d'autres sinistres; à plus forte raison, les associations scientifiques, littéraires, politiques ou de bienfaisance ne sont-elles pas des sociétés civiles.
Cette nécessité que les actes civils tendent à procurer des bénéfices aux associés n'a pas besoin d'être exprimée quand il s'agit des sociétés commerciales, justement parce qu'un des caractères précités des actes de commerce est la spéculation, la recherche de bénéfices.
391. La définition donnée par notre article 763 assigne encore à la société deux autres conditions et celles-là exiyées aussi pour les sociétés commerciales: c'est 1° que ces bénéfices soient partageables, également ou inégalement, 2° que les associés aient commencé par un apport réciproque, c'est-à-dire par mettre ou par s'engager à mettre des biens en commun, comme moyen, comme instrument de la réalisation de ces bénéfices.
Mais aucune condition ou prohibition n'est édictée ici, quant à un nombre d'associés nécessaire (minimum) ou extrême (maximum): notre article suppose simplement "deux ou plusieurs personnes” formant société. C'est une différence entre la loi civile et les lois commerciales de divers pays dont les unes édictent un minimum, d'autres un maximum d'associés. Si l'on proposait ici une entrave à la liberté, il faudrait la justifier; mais la liberté des conventions est un principe trop respectable pour avoir besoin de justification.
La condition d'un apport et le mode de l'effectuer sont l'objet de dispositions ultérieures, notamment de l'article suivant.
Le partage des bénéfices reviendra aussi en son lieu.
Remarquons seulement que cette condition d'un partage de bénéfices restreint encore les cas où il y aura vraiment société.
Ainsi, lorsque des propriétaires voisins, formant une agglomération éloignée des voies publiques entretenues par l'autorité municipale, se réunissent pour faire des travaux de voirie, d'éclairage, d'aqueducs, qui doivent donner à leurs propriétés une plus-value certaine, il y a bien recherche de bénéfices, mais ils ne sont pas “partageables”: chaque fond aura pu gagner en valeur, d'après sa situation et son étendue, mais le propriétaire qui aura gagné le plus n'aura rien à communiquer à ceux qui auront gagné le moins; seulement, les parties n'auront pas dû manquer de faire contribuer chacun aux dépenses, en proportion de la plusvalue obtenue ou espérée.
Ces conventions entre propriétaires sont aujourd'hui fréquentes en Europe; en France, des lois spéciales les encouragent, sous le nom d'associations syndicales (voir lois citées ci-dess., p. 486, note c); mais comme elles ne sont pas l'objet d'une législation complète, s'il s'élève des difficultés sur la gestion des intérêts communs ou sur la contribution des intéressés aux dépenses, il est naturel d'emprunter, par analogie de motifs et de situation, les règles des sociétés civiles: c'est un principe général, consacré par le Projet japonais, que les contrats innommés empruntent les règles qui leur manquent aux contrats nommés avec lequels ils ont le plus d'analogie (voy. art. 324).
Il restera toujours des différences notables entre les associations syndicales et les véritables sociétés civiles: notamment, les premières n'ont pas de fonds social proprement dit, elles ne se dissolvent pas par la mort ou la faillite d'un des propriétaires, elles ne donnent pas lieu à partage, parce qu'elles ne créent pas d'indivision.
392. D'autres situations légales et d'autres contentions ont encore de l'analogie avec la société civile et ne doivent pas être confondues avec elle.
En premier lieu, nous citerons la communauté de biens ou copropriété indivise.
Ce n'est pas seulement parce que, le plus souvent, elle est l'effet de la loi et non de la convention qu'elle ne doit pas être confondue avec la société civile; elle ne doit pas l'être davantage quand elle résulte d'une convention: ainsi, deux personnes n'ayant, aucue séparément, assez de capitaux pour acquérir un immeuble, se sont réunies dans le but de l'acheter à frais communs, pour des parts égales ou inégales; elles sont dans l'indivision, mais von en société, parce que leur but n'est pas de réaliser des bénéfices autres que l'acquisition de l'immeuble; elles espèrent assurément que l'immeuble ne dépérira pas, peut-itre même elles comptent sur une plus-value avec le temps, mais leur but direct est seulement de devenir copropriétaires.
Sans doute, s'il était prouvé que les acheteurs ont spéculé sur la plus-value possible, comme alors ils auraient mis des fonds en commun pour partager les bénéfices à en provenir, il y aurait société civile; mais c'est qu'alors les conditions en seraient formellement remplies.
Lorsque la copropriété indivise résulte de la loi, comme de la vocation simultanée de deux personnes à une succession, ou d'un fait accidentel, comme de l'accession ou du mélange de deux substances appartenant à divers propriétaires (v. art. 625 et 626), il n'y a plus de confusion possible avec la société. Deux différences principales avec la société sont alors à noter: 1° la copropriété ne cesse pas par la mort d'un des copropriétaires, lequel est alors représenté par ses héritiers; 2° chacun des copropriétaires peut demander le partage quand il lui plaît (art. 40; C. civ.fr., art. 815).
Il existe en Europe une copropriété particulière dite “communauté entre époux”; nous ignorons si elle sera adoptée, en tout ou en partie, dans le nouveau droit civil japonais; quoi qu'il en soit, elle a ses règles propres et ne doit pas être confondue avec la société civile ni même avec les autres cas de copropriété.
393. Il y a encore plus d'analogie avec la société dans la convention suivante: un propriétaire cultivateur, un manufacturier ou un commerçant, ayant, le premier un gérant, le second un contre-maître, lo troisième un premier commis, sont convenus avec leur employé de lui donner, outre un salaire fixe, une part dans les produits ou bénéfices de l'exploitation. Ici, on est bien près de la société, civile dans le premier cas, et commerciale dans les deux autres, et même, dans l'usage, on dit que l'employé est “associé de la maison, ou du patron," qu'il a "une part dans les bénéfices”; mais, ici encore, il faut dire qu'il n'y a pas société proprement dite: il n'y a pas de fonds social ou commun, l'employé n'a aucune part de propriété, il ne contribue pas aux pertes, il ne peut prétendre participer à l'administration, ni contrôler ou contredire celle du patron, il peut seulement demander communication des livres et de l'inventaire; enfin, le patron a toujours le droit de le congédier, sauf à l'indemniser, s'il n'y a pas de cause légitime à ce renvoi.
394. Il y a encore de l'analogie entre la société et deux sortes de louages ou baux: le bail d'immeuble “à part de fruits ou à métairie," dans lequel le preneur ou métayer fournit ses soins à la culture d'un fonds et reçoit en échange une portion des fruits (voy. art. 142 et 146) et le bail à cheptel appliqué aux animaux de bétail et produisant à peu près les mêmes avantages réciproques pour le propriétaire des animaux et pour celui qui les soigne (v. ci-après, Chapitre xxII).
Mais ces contrats étant l'objet de dispositions spéciales placées par la loi sous d'autres titres ne peuvent présenter de sérieux dangers de confusion avec la société, bien qu'ils lui empruntent quelques règles.
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(a) Le mot spéculation, d'après son étymologie latine, implique l'idée d'une vue, de haut et de loin, des circonstances et des probabilités, favorables ou non; mais on ne peut guère faire entrer cette figure dans la définition juridique des actes de commerce.
(b) Il en est autrement du contrat d'assurance mutuelle où il n'entre aucune idée de spéculation, comme on l'expliquera plus loin (voir aussi Chapitre suivant, Section III).
(c) Des lois françaises spéciales des 10-15 juin 1854, 21-26 juin 1805, 21 août 1881, donnent au contrat intervenu à ce sujet entre les propriétaires le nom d'associations syndicales; le mot association est, en effet, usité pour exprimer la réunion, par contrat, de personnes ayant un même intérêt. Voir aussi une loi récente des 21-22 mars 1994, sur les syndicats professionnels.
Art. 764. — 395. La division des sociétés en universelles et particulières est consacrée depuis les Romains; elle figure dans la plupart des Codes modernes; mais il faut reconnaître que les sociétés universelles sont maintenant très-rares et ne paraissent pas devoir être encouragées par le législateur, parce qu'elles sont souvent un moyen de déguiser des libéralités. On verra même, lorsque le moment sera venu d'en traiter, qu'elles requièrent une capacité spéciale, tendant justement à prévenir les donations déguisées.
Il fallait définir la société particulière: le Projet s'écarte ici de la définition qu'en donne le Code français (v. art. 1841 et 1842). Cette division de la définition française en deux articles pourrait faire naître une difficulté que l'on a prévenue par la rédaction ici proposée.
D'après les deux articles français précités, le caractère de la société particulière se détermine soit par la nature des apports, soit par celle de l'objet à accomplir; la société est particulière dans deux cas: 1° quand les apports sont déterminés, 2° quand les opérations à faire en société sont également déterminées.
Or, quel serait le caractère d'une société dont l'objet n'aurait pas la première détermination mais aurait la seconde ou réciproquement ? Ainsi, les associés auraient promis d'apporter tous leurs biens présents, sans limites, mais dans le but d'accomplir une entreprise déterminée ou d'exercer un métier ou une profession, ou, en sens inverse, ils auraient mis seulement certains biens en commun, pour accomplir une série indéfinie d'actes profitables.
Si l'on s'attache à la nature des apports, la société est universelle dans le premier cas et particulière dans le second (art. 1836 à 1838); mais si l'on s'attache à la nature de l'entreprise, elle est particulière dans le premier cas et universelle dans le second.
La difficulté ne paraît pas avoir suffisamment préoccupé les auteurs; elle est pourtant sérieuse.
Le Projet ne la laissera pas naître; le caractère particulier ou universel de la société dépendra uniquement de ce que seront les apports: s'ils sont limités et déterminés, la société restera particulière, quoique les opérations à accomplir soient d'une variété indéfinie; réciproquement, elle sera universelle, si les apports consistent dans tous les biens présents, alors pourtant que les actes à accomplir seront très-limités.
Avec les termes du texte français, il y aurait encore difficulté sur le caractère à reconnaître à une société dans laquelle les associés apporteraient une quote-part de leurs biens présents, ou une seule espèce de leurs biens, comme tous les meubles ou tous immeubles: nous dirions alors qu'il y a société " à titre universel,” quelque limités que soient les actes à accomplir; mais nous réservons d'examiner ce point à la IIe Partie du présent Livre, où il sera traité des moyens d'acquérir universels et à titre universel.
Art. 765. — 396. La nécessité d'un apport réciproque des associés ou d'une mise de biens en commun est comprise dans la définition: elle est la cause directe et immédiate du droit au partage des bénéfices. C'est parce que les parties font un sacrifice mutuel ou réciproque que le contrat de société est à titre onéreux et non à titre gratuit.
On peut examiner deux questions au sujet de l'apport: 1° En quoi peut-il consister? 2° Comment peutil s'effectuer, se réaliser ?
Notre article répond à la 1re question; la 2e est déjà résolue par les deux articles précédents, mais les déve. loppements en ont été réservés jusqu'ici.
397.-I. On peut apporter en société la propriété d'un meuble ou celle d'un immeuble; dans les deux cas, la propriété est transférée par le seul consentement, sans qu'il soit besoin de tradition; mais, s'il s'agit d'immeuble, la transcription est nécessaire pour que les associés acquéreurs puissent opposer leur droit aux autres ayant-cause de celui qui a effectué l'apport.
La jouissance seule d'un meuble ou d'un immeuble peut aussi être apportée en société. Dans ce cas, il sera bon d'exprimer clairement si l'on apporte l'usufruit ou un droit de louage, surtout quand cette jouissance est à prendre sur un bien dont l'associé est propriétaire. Si déjà l'associé qui fait l'apport était usufruitier ou locataire d'un bien appartenant à autrui et qu'il eût déclaré mettre en société la jouissance de ce bien, il serait naturel de présumer qu'il a entendu mettre en société le droit même qu'il avait et tel qu'il l'avait, avec son caractère temporaire ou viager et sous les limites et conditions qui pouvaient y être attachées.
Mais l'associé qui apporte un droit de louage ou de bail devra l'apporter sans charge de payer de loyers, autrement, il n'apporterait rien qui lui coûtât, rien qui profitât aux autres associés. Il aura les obligations d'un bailleur, sans en avoir les droits; d'ailleurs, sa part dans les bénéfices pourra être supérieure aux loyers ordinaires de la chose.
Si l'apport consiste en argent, il peut être aussi en propriété ou en jouissance, dans le premier cas, le capital apporté devient commun et est plus tard sujet à partage, dans le second cas, la société jouit du capital, en l'employant à ses opérations ou autrement, et, lors de sa dissolution, l'associé qui l'a apporté le prélève avant le partage des bénéfices.
Le texte n'exprime pas formellement que l'apport puisse avoir pour objet des créances que l'associé aurait contre des tiers; mais il ne faut pas douter que cela soit possible: les créances ou droits personnels sont des biens, comme les droits réels, et ils sont ces sibles; les créances sont d'ailleurs des droits mobiliers ou immobiliers, d'après la nature de la chose due, et elles rentrent ainsi suffisamment dans l'énoncé des apports qui précèdent.
Une créance pourrait être aussi apportée en capital ou en jouissance.
Dans les deux cas, le débiteur devrait être prévenu par une notification en bonne forme de cette sorte de cession dont sa dette est l'objet (v. art. 367).
Enfin, le texte indique deux autres sortes d'apports qu'on peut rapprocher et confondre sans inconvénients: les services et l'industrie. Un associé apporte ses services, lorsqu'il donne ses soins aux affaires de la société, comme gérant, comme comptable, comme préposó à la vente des produits, etc.; il apporte son industrie, s'il participe aux travaux plus ou moins manuels ou intellectuels nécessaires à la réalisation du but de la société: par exemple, un destinateur dans une librairie, ou un ingénieur dans une fonderie.
398. Le Projet ne devait pas laisser subsister le doute qui existe en beaucoup de pays, notamment en France, sur le point de savoir si un associé peut n'apporter en société que son crédit. Notre article faisant une énumération des principaux apports possibles et passant sous silence le crédit, l'exclut suffisamment par prétérition. Pour justifier cette exclusion, il faut préciser ce qu'on entendrait par “apporter son crédit en société, et c'est peut-être parce que les auteurs n'ont pas assez pris ce soin que leurs solutions diffèrent.
Quelques-uns considèrent l'apport de crédit comme résultant de la seule entrée dans la société de la part d'une personne dont le nom et la situation sont honorablement connus: la présence de certaines personnes dans la société peut, dit-on, être une garantie pour les tiers de la moralité, de la prudence et même de la solvabilité de la société. Mais si l'apport ne constitue pas un sacrifice pour celui qui le fait, s'il n'entraîne pour lui aucune obligation déterminée, il ne saurait motiver une participation aux bénéfices; en effet, rien n'empêcherait que la même personne attachât ainsi son nom à un grand nombre de sociétés, avec droit à des profits indéfinis, sans s'exposer à aucune perte, ce qui pourrait devenir abusif.
On fait donc remarquer que la présence de cet associé parmi les autres le soumet aux obligations de la société envers les tiers, si non pour le tout et solidairement, au moins pour sa part virile; mais, là encore nous ne voyons pas un sacrifice suffisant pour motiver un droit à une part des bénéfices. Supposons, en effet, que cet associé ait été poursuivi pour sa part virile dans une dette de la société: comme son apport ne consiste pas dans une somme d'argent, mais dans une sorte de garantie ou de cautionnement, il devra donc être remboursé de ce qu'il aura payé, soit sur le fonds social, soit sur les biens des autres associés et, en somme, son sacrifice aura été nul.
Nous donnerions la même solution, lors inême que l'associé qui n'apporterait que son nom et son crédit aurait promis de signer, comme garant solidaire, toutes les obligations de la société: du moment qu'il aurait droit au remboursement intégral de ce qu'il aurait payé, son apport se trouverait réduit à une simple avance de fonds, et même cette avance n'aurait pas lieu chaque fois que la dette serait payée directement sur le fonds social.
Nous sommes donc d'avis que l'apport d'un associé ne peut consister dans son crédit seul, c'est-à-dire dans la confiance qu'il inspirerait aux tiers: cet apport manquerait d'un des caractères que doit avoir l'objet de toute convention, il ne serait pas suffisamment certain et déterminé. Il serait même permis de contester la parfaite moralité de cette stipulation d'un profit pour une sorte de prêt d'un nom: l'honorabilité civile, politique ou même commerciale d'un nom est un bien d'ordre moral qui ne peut s'échanger contre des biens pécuniaires: ce n'est pas une chose qui soit dans le commerce, “ni dont les particuliers aient la disposition” (voy. art. 325).
399.-II. Voyons maintenant les moyens par lesquels s'effectue l'apport; il y en a deux: ou bien l'associé confère immédiatement à la société les droits qu'il doit lui apporter, ou bien il s'engage à les lui conférer ultérieurement.
S'il a promis la propriété ou la jouissance d'un corps certain, meuble ou immeuble, la seule convention a suffi à conférer le droit; s'il a promis une chose de quantité, comme de l'argent, le droit de propriété ne sera conféré que par la tradition ou par un autre mode de détermination (v. art. 351 et 352, 633, 641 et 642).
S'il s'agit de conférer à la société une créance contre un tiers, le droit passera de l'associé à la société par le seul consentement, mais il ne sera opposable au debiteur cédé et aux autres tiers que par la notification qui lui en sera faite (v. art. 367), comme le transport de propriété immobilière ne sera opposable aux tiers que par la transcription (v. art. 368 et s.).
Restent les apports de services et d'industrie. Evidemment, ils ne seront acquis à la société que par la prestation réelle et effective qui en sera faite: jusquelà, la société n'a qu'une créance contre l'associé, laquelle peut se résoudre en dommages-intérêts, s'il n'exécute pas sa promesse, ou même amener la dissolution de la société par voie de résolution, avec rétroactivité.
L'apport de services ou d'industrie présente un autre caractère plus exceptionnel, c'est qu'il est successif ou continu et, par conséquent, temporaire. Lorsque la société vient à cesser, soit parce que son objet est accompli, soit parce que sa durée est expirée, ou par toute autre cause, l'apport de service ou d'industrie cesse forcément et il ne peut, par sa nature, faire partie de la masse partageable. Y a-t-il lieu d'admettre au partage du fonds social fourni par les autres associés celui qui reprend déjà ses services et son industrie et peut les porter à une autre société ?
C'est là un point qui sera examiné et résolu, lorsque l'on parlera du partage après la dissolution de la société.
Pour les lois qui admettent l'apport du crédit, ou, au moins, dont l'interprétation ne s'oppose pas à l'admission d'un tel apport, la question se présente, de même, de savoir comment sera traité dans le partage l'associé qui n'a apporté que son crédit, soit en signant des engagements sociaux, soit autrement. Nous l'examinerons sous l'article 789 et nous donnerons là de nouvelles raisons de ne pas admettre un tel apport.
400. Le 2° alinéa de notre article 765 porte que les apports des divers associés peuvent être inégaux en valeur et de natures différentes.
Cette proposition pourrait, à la rigueur, être sousentendue; mais elle n'est pas inutile à exprimer.
L'inégalité de valeur des apports motivera et même rendra obligatoire l'inégalité des droits aux bénéfices et au partage du fonds social.
La diversité de nature des apports ne suffira pas à empêcher l'égalité des parts, sauf ce qui sera dit, par l'article 789, de l'apport d'industrie ou de services. Cette diversité sera d'ailleurs presque toujours nécessaire, surtout dans les sociétés civiles. Par exemple, si plusieurs personnes veulent fonder en société une exploitation agricole, il arrivera, le plus souvent, qu'une d'elles fournira le fonds destiné à la culture, une autre fournira des capitaux pour les premiers travaux de défrichement, d'amendement des terres, d'irrigation, etc., une autre enfin se chargera de la gérance.
Art. 766. — 401. C'est une question très-débattue en France que celle de savoir si les sociétés civiles sont ou non des personnes morales ou juridiques, c'està-dire si elles ont une personnalité distincte de celle des associés. Pour les sociétés de commerce et d'industrie, il n'y a pas de difficulté sur l'affirmative: la loi est formelle (C. civ., art. 529); on peut même déjà tirer de cette disposition un argument en sens contraire (a contrario) pour contester la personnalité des sociétés civiles.
L'opinion dominante, en France, est que les sociétés civiles n'ont pas de personnalité juridique propre et distincte de celle des associés.
Il n'y a pas grand intérêt à énoncer ici les arguments sur lesquels on se fonde, dans les deux opinions, pour soutenir et pour combattre la persounalité juridique des sociétés civiles d'après le Code français.
Pour notre part, nous croyons que, dans l'état actuel du droit français, ce caractère n'appartient qu'aux sociétés commerciales et, tout au plus, à celles des sociétés civiles dont le capital est divisé en actions (roy. ci-après, art. 768). Mais ce n'est pas une raison pour qu'il en doive être de même dans le Projet japonais.
Il faut d'abord indiquer l'intérêt pratique de la question: il résulte de plusieurs différences dans les résultats, suivant le système qu'on admettra.
Voici les principales:
1° Si la société civile n'est pas une personne distincte des associés, les associés sont copropriétaires des biens respectivement apportés par les uns et les autres: ces biens sont communs et dans l'indivision entre eux (d); si, au contraire, la société a une personnalité propre, c'est elle qui est propriétaire du fonds social, lequel n'est pas dans l'indivision;
2° Dans le 1er système, le droit de chaque associé est mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui sont dans l'indivision; dans le 2e système, le droit des associés est mobilier: il consiste dans une créance contre l'être moral société et il tend à obtenir une part des bénéfices par elle réalisés. Cette différence cesse avec l'existence de la société, car alors les associés succèdent à ses droits et l'indivision commence entre eux;
3° Dans le 1er système, les créanciers qui ont traité avec les associés comme tels, c'est-à-dire pour les affaires de la société, n'ont pas de droit de préférence sur les créanciers purement personnels ou particuliers de chaque associé: il n'y a pas lieu de les payer sur le fonds social, à l'exclusion de ces derniers, parce que le fonds social est, en réalité, le fonds commun à tous les associés. Dans le système de la personnalité, au contraire, le fonds social est la garantie propre des créanciers sociaux et les créanciers personnels des associés n'y peuvent prétendre qu'après l'entière satisfaction des premiers;
4° Dans le 1er système, si les associés ont à soutenir un procès, comme demandeurs ou défendeurs, à raison des affaires sociales, ils doivent figurer tous nominativement dans la cause, soit individuellement, soit par mandataire, et le jugement ne pourra profiter ni nuire à ceux qui n'auront pas été directement parties au procès. Dans le système de la personnalité, au contraire, les associés ne figurent pas dans le procès: c'est l'administrateur qui forme la demande ou qui défend au nom de tous, en vertu de sa seule qualité et sans qu'il lui soit besoin d'un mandat exprès à cet effet.
402. Tous ces intérêts, et d'autres que la doctrine a relevés, sont en même temps des raisons d'adopter législativement la personnalité des sociétés, car les résultats auxquels elle conduit sont utiles, justes, et favorables au développement des sociétés civiles. On ne voit pas aisément d'ailleurs comment ce système qui a été jugé bon pour les sociétés commerciales serait mauvais pour les société civiles. Une seule chose est nécessaire, c'est que la loi s'en explique, et c'est ce que fait le présent article.
Il n'impose pas, du reste, aux associés la personnalité de la société: c'est une simple faculté pour eux: tout dépend de leur volonté; or, on comprend que certaines sociétés civiles puissent être de trop peu d'importance, soit par leur objet, soit par la durée qui leur est assignée, pour qu'il soit utile de leur donner une personnalité. Il pourrait même arriver que les associés n'eussent pas une notion suffisamment nette de cette personnalité; il serait donc dangereux de la leur imposer.
L'adoption de la personnalité peut être expresse; mais elle peut aussi être tacite: le dernier alinéa en donne deux exemples sur lesquels on va revenir.
Da moment que les sociétés civiles pourront être des personnes morales, il sera nécessaire qu'elles se révèlent aux tiers comme telles. A cet effet, rien n'est plus naturel que de les soumettre aux conditions de publicité imposées aux sociétés commerciales (e). En même temps, il convient de leur donner un nom social, lequel pourra être soit tiré de leur objet, soit composé d'un ou plusieurs noms des associés, avec la mention. “et compagnie.”
La disposition du 3e alinéa est nouvelle et facile à justifier: lorsque les associés donnent un nom à leur société, il est naturel de présumer qu'ils ont entendu lui donner une personnalité propre; de même, lorsqu'ils l'ont publiée, cette mesure, toute dans l'intérêt des tiers, n'aurait pas de suffisante raison d'être si les associés n'avaient voulu annoncer aux tiers que le fonds social serait la garantie spéciale des créanciers sociaux.
Nous ne nous arrêtons pas à une objection peu sérieuse qu'on pourrait faire, à savoir qu'il ne devrait pas dépendre des particuliers de faire ainsi naître à leur gré des personnes morales ou juridiques: outre que cette création ne lèse aucun intérêt, à raison de la publicité de l'acte de société, il n'y a là qu'un résultat déjà produit par la création des sociétés commerciales et même des sociétés civiles par actions.
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(d) Il n'en faudrait pas conclure que chacun pourrait en demander le partage, à son gré: il faudrait toujours attendre soit le terme assigné à la société, soit l'accomplissement de son objet.
(e) Bien que ce soient les sociétés civiles qui présentent le droit commun des sociétés et non les sociétés commerciales, c'est pour. tant à ces dernières qu'il faut se référer lorsqu'il s'agit de théories auxquelles ces sociétés ont donné naissance, comme celle de la publicité, ou dont elles ont favorisé le développement, comme celle de la division du capital en actions (v. art. 708).
Art. 767.. 403. Le contrat de société, malgré ses caractères propres déjà esquissés, a encore beaucoup de points communs avec les autres contrats; la loi indique les principaux: le consentement, l'objet, la cause et la capacité.
I. Le consentement est nécessaire, comme dans tout contrat et il suffit, parce que le contrat n'est ni réel (v. art. 320), ni solennel (v. art. 321).
Il faut le consentement de tous les associés entre lesquels le contrat a été proposé; si donc un projet de société a été formé entre trois personnes et qu'au moment de l'acceptation définitive une des trois refuse, non seulement elle n'est pas associée, mais les deux autres ne le sont pas davantage, car elles sont présumées n'avoir consenti que sous la condition que la troisième accepterait également (v. art. 327).
Le consentement peut être donné par un mandataire; mais il est nécessaire que le mandat soit exprès ou spécial; un mandat général ne suffirait pas: il serait trop dangereux que le mandataire, sous prétexte qu'il est chargé d'administrer et de faire fructifier les biens du mandant, pût ainsi le soumettre à des obligations indéterminées dans leur étendue, comme celles que peut entraîner une société.
Il va sans dire que la violence et l'erreur vicieraient le consentement, d'après le droit commun, et, spécialement, comme le contrat de société est un de ceux où la considération respective des personnes est déterminante, il y aurait lieu de l'annuler pour erreur d'un ou plusieurs des associés sur la personne d'un ou plusieurs autres (voy. art. 330, 4€ al.).
L'erreur sur la nature du contrat doit être considérée, non seulement comme viciant le consentement, mais comme l'excluant entièrement, de sorte que le contrat n'existerait pas si, l'un des associés ayant cru et voulu former une société, l'autre avait seulement entendu établir une copropriété indivise. Mais il y a doute, en France, sur le point de savoir si l'erreur sur la nature de la société contractée exclut le consentement; ainsi, l'un des associés croyait former une société civile et les autres entendaient former une société commerciale. Cette erreur pourrait être une erreur de fait; elle pourrait aussi être une erreur de droit.
Ce serait une erreur de fait, si elle portait sur le genre des opérations à faire en société; par exemple, l'un croyait qu'on achèterait des bâtiments pour les revendre ou les louer, les autres comptaient démolir, et vendre les matériaux; dans le premier cas, il y aurait eu société civile; dans le second cas, elle eût été commerciale.
Ce serait une erreur de droit, si l'un des associés croyait que les opérations à faire seraient civiles de leur nature, quand, en réalité, elles devaient étre commerciales; par exemple, un des associés croyait que l'achat de bâtiments pour les démolir et en vendre les matériaux est une opération civile, alors qu'elle est réellement un acte de commerce.
Nous croyons que, dans le premier cas, le consentement manque et que le contrat est entièrement nul, parce qu'en même temps qu'il y a erreur sur la nature de la société, c'est-à-dire sur la convention, il y a aussi erreur sur son objet, chaque contractant n'ayant pas eu en vue le même objet (voy. art. 330, 1er al.).
Dans le second cas, nous appliquerions l'article 332 qui reconnaît en principe la nullité des conventions pour erreur de droit, mais qui recommande aux tribunaux de ne l'admettre qu'avec une grande réserve, surtout lorsque la partie qui a commis l'erreur pouvait facilement l'éviter: elle perd alors, par suite de sa négligence, le secours que, sans cela, la loi lui eût donné.
404.-II. La société est soumise au droit commun quant à l'objet du contrat.
Ainsi, 1° l'objet doit être suffisamment déterminé (art. 325-2°): une société ne serait pas valablement formée si elle avait pour objet de « faire des spéculations sur les immeubles ou des exploitations de mines, minières ou carrières" et, s'il s'agissait d'une société commerciale, “de faire toute espèce de négoce, toutes sortes d'actes de commerce.”
2° L'objet de la société doit être licite; ainsi, on ne pourrait former une société pour fabriquer de l'opium, de la fausse monnaie ou des armes prohibées: ce sont là des objets manifestement illicites; il y en a d'autres sur lesquels on a exprimé des doutes, mais à tort, selon nous; ainsi l'objet de la société serait illicite, si elle avait pour objet de faire la contrebande au préjudice des douanes, non pas même nationales mais étrangères.
3° Les parties doivent avoir la disposition de l'objet: la société serait nulle, comme ayant un objet hors de la disposition des parties, si elle s'était formée, même de bonne foi, pour la mise en culture d'un sol appartenant à autrui, sans mandat du propriétaire; par exemple, d'un espace de terrain vague appartenant à l'Etat ou à un particulier absent ou inconnu.
405.-III. La société serait nulle comme ayant une cause illicite: d'abord, lorsque l'objet serait lui-même illicite, car l'objet de la société est la source des bénéfices et, comme telle, la cause du droit de les partager.
Il y aurait encore cause illicite si la société était subordonnée, pour sa formation ou pour quelques-uns de ses effets, à une condition illicite: on sait que la condition suspensive a le caractère de cause de la convention qui en dépend (voy. Tome II, p. 60, n° 45 et p. 396, n° 377).
406. Lorsqu'une société est déclarée nulle par le défaut de consentement ou par le vice soit de son objet, soit de sa cause, et que pourtant elle avait déjà fonctionné, il peut y avoir quelques difficultés sur les suites de cette nullité et le règlement des intérêts engagés. Sans doute, les apports qui n'ont pas encore été effectués ne devront pas l'être; mais y aura-t-il lieu à la restitution en faveur de ceux qui ont déjà apporté? Et que fera-t-on des bénéfices déjà réalisés ou des pertes déjà éprouvées ?
Ecartons d'abord, sauf à y revenir, les cas d'un objet ou d'une cause illicite, parce qu'ils comportent une solution particulière.
On doit décider que toutes les actions ou exceptions où l'une des parties se prévaudra, comme demanderesse ou défenderesse, de l'inexistence de la société, seront recevables, et, au contraire, que celles où elle se fonderait sur la prétendue existence de cette société seront rejetées.
Ainsi, l'associé qui n'a pas effectué son apport pourra refuser de le fournir et, s'il l'a effectué, il le répètera comme fourni sans cause: dans les deux cas, il se prévaudra de la nullité de la société.
Mais si, pendant un certain temps, il y a eu des biens mis en commun, s'il y a eu une collaboration effective, cela constitue ce qu'on appelle une société de fait qui donne nécessairement lieu à des comptes et à une liquidation: s'il y a eu des bénéfices ou des pertes, la répartition active ou passive en devra être faite entre tous les intéressés, en proportion de la valeur des apports de chacun; ce ne sera pas seulement par analogie de la liquidation d'une société valable (v. art. 789), mais aussi et surtout en vertu du principe que nul ne doit s'enrichir sans cause au préjudice d'autrui.
Nous avons réservé le cas où il y aurait nullité de la société à raison de ce que l'objet ou la cause en serait illicite; dans ce cas, il y a ce qu'on appelle turpitudo, des deux côtés, et la conséquence est qu'il n'y aura pas d'action en répétition des apports indûment effectués, ni distribution des profits, ni répartition des pertes: les choses resteront dans l'état où elles se trouveront, afin que les tribunaux n'aient pas à s'occuper d'un fait illicite pour en assurer le profit à ceux qui l'ont commis, ou pour réparer la préjudice qu'ils en ont éprouvé (v. art. 387 et Comm., T. II, p. 268-269, no 265).
407.- IV. La capacité requise pour entrer dans une société ne présente pas de dérogation au droit commun: un mineur, par exemple, ne pourrait pas former une société civile, tant parce qu'il ne peut aliéner que parce qu'il ne peut s'obliger.
Il n'y a pas de prohibition pour former société entre époux, comme il y en a pour la vente; le droit romain, au contraire, défendait la société entre époux, tandis qu'il n'interdisait pas la vente entre eux, lorsqu'elle n'avait pas pour but de déguiser une donation.
408.–V. Quant à la preuve, la loi ne place pas non plus le contrat de société en dehors du droit commun. Dans quelle mesure la preuve par témoins sera-t-elle admise, en général ? C'est le Livre ve qui le dira; mais il n'y aura, à cet égard, ni faveur, ni rigueur, pour le contrat de société. Il en est de même dans le Code français (voy. art. 1834).
Art. 768. — 409. En général, les sociétés civiles seront formées en considération des personnes: il faut une confiance absolue dans l'honnêteté, dans l'intelligence et dans la solvabilité d'une personne pour entreprendre avec elle une série d'opérations plus ou moins longues et difficiles dont on espère un profit pécuniaire.
On verra plus loin (art. 790) que l'une des conséquences de ce caractère des sociétés est l'impossibilité pour chaque associé de se substituer un tiers en le faisant entrer à sa place dans la société; une autre conséquence sera la dissolution de la société par la mort d'un des associés, car les survivants n'ont pas accepté de rester associés entre eux, ni d'avoir pour associé l'héritier du décédé, sauf convention contraire (voy. art. 795, 2e al.).
Mais cette considération des personnes est elle-même une entrave au développement des sociétés, elle expose les associés à ne pouvoir trouver des capitaux suffisants parmi les personnes avec lesquelles ils ont des relations d'affaires ou d'amitié, et aussi à voir la société se dissoudre par un décès, au moment le plus défavorable.
Cet inconvénient a depuis longtemps frappé les esprits, eu Europe, surtout au sujet des sociétés de commerce qui exigent plus de capitaux que les sociétés civiles, et l'on a imaginé d'attacher le droit et la part de chaque associé à un titre facilement cessible appelé action: la société est alors fondée sur la considération des capitaux versés et non plus sur celle des personnes.
Une autre conséquence de la division des parts en actions est que la responsabilité des actionnaires est limité à leur mise, c'est-à-dire au inontant du prix d'émission de l'action. Les actionnaires sont alors appelés “commanditaires," ce qui exprime l'idée qu'ils ont confié leur argent à la société pour le faire fructifier, en acceptant, comme il est juste, le risque de le perdre si la société ne réussit pas.
Ordinairement, à côté des associés actionnaires ou commanditaires, dont le nom ne figure pas dans le contrat de société, il y a des associés en nom, chargés de l'administration et responsables, non seulement visà-vis des actionnaires pour leur faute lourde ou leur infidélité dans la gestion, mais encore vis-à-vis des tiers pour toutes les dettes de la société, et cela solidairement. Leur droit ne peut plus s'appeler action et on le nomme intérêt (voy. C. civ. fr., art. 529). Le décès de l'un de ces associés est encore une cause de dissolution de la société, mais non le décès d'un des commanditaires, simples bailleurs de fonds.
La difficulté de trouver des associés ainsi responsables pourrait encore être un obstacle à la formation des sociétés et cette dissolution par le décès d'un associé en nom est toujours un danger imminent, on a donc imaginé une autre sorte de société où personne, même les gérants, n'est associé en nom, d'où on l'appelle société "anonyme” (sans nom), par opposition à la société " en nom collectif.”
Dans cette société, les gérants ne sont responsables que de leurs fautes de gestion, mais non des engagements de la société vis-à-vis des tiers, et ceux-ci n'ont pour gage que le fonds social, c'est-à-dire le montant des apports, autrement dit du produit des actions émises.
410. Bien que la division du capital en actions soit beaucoup plus fréquente dans les sociétés commerciales que dans les sociétés civiles, elle ne doit pas cependant être considérée comme changeant le caractère de ces dernières.
En France, la majorité des auteurs semble incliner à décider qu'une société devient commerciale par cela seul qu'elle a la forme de "commandite par actions” ou qu'elle est "anonyme.” Mais c'est une opinion que nous croyons mal fondée: c'est dans la nature des opérations auxquelles se livre la société qu'il faut chercher son caractère civil ou commercial et non dans la forme de sa constitution ou dans le degré de responsabilité des associés vis-à-vis des tiers.
Le présent article a justement pour but de trancher la question en ce sens et de prévenir les doutes que la jurisprudence française pourrait jeter en Japon (f).
Ce qui est le plus intéressant à remarquer à l'appui de cette disposition, c'est qu'en France les premières sociétés en commandite furent pratiquées à l'occasion de l'élevage des bestiaux, spéculation purement civile de tout temps, et que la première société où le fonds social fut divisé par actions fut créée à l'occasion de l'établissement d'un moulin à Toulouse et cette société existe encore, nous a-t-on assuré.
Il y a aujourd'hui en France d'autres sociétés civiles par actions, anonymes ou en commandite: les sociétés pour l'exploitation des mines ont ce caractère et la loi sur les Mines le leur reconnaît formellement (Loi du 21 avril 1810, art. 8, 4€ al. et art. 32). Il existe aussi une société de spéculation sur les nu-propriétés et les usufruits, lorsqu'ils sont séparés; cette société a pour nom social: “société civile des nu-propriétaires" et, comme elle est anonyme, elle est nécessairement par actions.
La société dont l'objet n'est pas commercial reste donc civile, malgré la forme anonyme ou en commandite qu'elle a pu recevoir et la division du capital social en actions, avec la responsabilité limitée de chaque actionnaire au montant de son apport, laquelle en est la conséquence principale et voulue; mais il ne s'ensuit pas que les dispositions des lois commerciales sur cette forme des sociétés soient ici inapplicables; au contraire, toutes les précautions prises par la loi pour l'émission et la négociation des actions, pour le versement de leur montant, pour la publicité et, généralement, toutes les mesures prises par la loi dans l'intérêt des tiers sont appliquables aux actions dans les sociétés civiles: au même danger, il faut le même remède (v. Loi fr. des 24–29 juill. 1867, sur les Sociétés).
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(f) Il y a vingt ans (en 1866), nous avons soutenu, et nous croyons avoir démontré que la commandite et l'anonymat sont tout à fait compatibles avec le caractère civil des sociétés (voir Revue critique de législation, 1966, Tome, 28: LE CODE NAPOLÉON ET LES Sociétés COOPÉRATIVES DU DAUPHINÉ.
COMMENTAIRE.
Art. 769. — N° 411. C'est une règle de droit commun que les droits qui ne sont affectés ni d'un terme ni d'une condition et qui, pour cette raison, sont dits “purs et simples," sont immédiatement exigibles, dès que l'acte qui leur donne naissance est lui-même parfait (voy, art. 422).
La loi applique cette règle à la société: d'abord à sa naissance, dans ler alinéa du présent article, ensuite à la réalisation des apports dans le 2° alinéa.
Mais la loi admet aussi une convention tacite autant qu'expresse pour la fixation d'un autre terme ou d'une condition retardant ou suspendant le commencement de la société ou de la réalisation d'un ou plusieurs apports.
En effet, il peut résulter de l'objet de la société une preuve suffisante qu'elle ne peut commencer à fonctionner utilement qu'après un certain temps ou si un certain événement s'accomplit.
Par exemple, une société s'est formée, au mois de janvier, pour la pêche dans l'ile de Yéso ou dans les Kouriles; cette pêche ne peut avoir lieu avant le mois. d'avril ou de mai; pour atteindre l'objet de la société, l'un doit fournir le bateau, l'autre de l'argent pour les provisions et les appareils, plusieurs autres doivent donner leur travail; dans ce cas, bien que l'on conçoive, à la rigueur, que la société existe avant de pouvoir fonctionner, on peut reconnaître qu'en fait, telle n'a pas été l'intention des parties, lesquelles n'ont pas agi en jurisconsultes, mais en spéculateurs.
De même, s'il s'agit de la formation d'une société pour l'exploitation d'une mine, pour laquelle il faut l'autorisation du Gouvernement, la société sera tacitement retardée dans sa formation jusqu'à l'obtention de ladite autorisation, elle y sera même subordonnée.
412. Le Code français dit, assez inutilement, que “ chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu'il a promis de lui apporter” (art. 1815). Le présent article (2° al.), au lieu de proclamer une conséquence aussi évidente de l'effet obligatoire des conventions, et désireux pourtant de la mentionner, la rattache à la disposition précédente, c'est-à-dire à la formation de la société, laquelle rend les apports exigibles.
Le 2e alinéa a surtout pour but de dire, implicitement, que l'associé est de plein droit en demeure, s'il n'effectue pas son apport au moment où il est dû: bien que la loi n'emploie pas cette formule générale, il ne faut pas douter que ce ne soit sa pensée et que toutes les conséquences de la mise en demeure ne se produisent, outre celles que la loi exprime ici: notamment, si la chose due est un corps certain, elle sera désormais aux risques de l'associé, en cas de perte fortuite et si elle n'avait pas dû périr au cas où elle aurait été livrée (voy. art. 355).
Ce qui est encore à remarqner dans le présent article, c'est que les sommes d'argent non versées en temps utile par les associés produisent non seulement les intérêts légaux, conformnément au droit commun, mais encore des dommages-intérêts supplémentaires. L'article 411, 1er alinéa, a réservé les cas où ce supplément serait permis par la loi. La seule différence entre ces deux classes d'intérêts c'est que les premiers seront dus, sans que les associés soient tenus de justifier d'aucune perte: la perte est présumée (voy. art. 412); tandis que les seconds ne seront dus que sur la justifi. cation spéciale d'une perte supérieure à celle des intérêts légaux.
Art. 770. — 413. L'apport consistant en services ou en industrie présente diverses particularités qu'on rencontrera chemin faisant; la première a déjà été signalée: il doit être continu, de sorte qu'il n'est complètement effectué que quand la société prend fin; par contre, c'est un apport temporaire: il ne reste pas dans la société comme un capital faisant partie du fonds social et partageable lorsque la société prend fin, l'associé recouvre le droit d'employer ailleurs ses services ou son industrie; enfin, par l'effet même de ces deux caractères, l'apport de services ou d'industrie n'est pas susceptible de recevoir une évaluation aussi précise, aussi exacte que les autres apports, et cela influera sur sa participation aux bénéfices et aux pertes (v. art. 789).
La loi ne s'occupe ici que de régler l'indemnité due par l'associé qui a négligé d'effectuer son apport de services ou d'industrie.
Deux cas sont supposés: 1° l'associé a simplement négligé de donner à la société son temps, ses soins ou son talent, dans la mesure où ils les avait promis; 2° pendant qu'il commettait cette négligence, il donnait son temps, ses soins ou son industrie à des affaires extérieures ou à lui personnelles.
L'indemnité variera suivant que l'associé se trouvera dans le premier ou dans le second cas.
S'il est dans le premier cas, il est naturel et juste qu'il répare le dommage qu'il a causé à la société en ne faisant pas pour elle ce qu'il lui a promis, et cette réparation devra comprendre aussi bien la perte éprouvée que le gain manqué.
S'il est dans le deuxième cas, il n'est pas moins juste qu'il restitue le gain qu'il a pu réaliser en employant son temps et son talent à d'autres affaires que celles de la société.
Ce qui ne serait pas juste, ce serait qu'il fût tenu des deux indemnités; aussi n'en doit-il qu'une seule.
La loi aurait pu dire qu'il devrait la plus élevée des deux, car chacune prise isolément se justifie.
Mais cette solution aurait nécessité deux évaluations précises et complètes, afin que la comparaison pût se faire avec exactitude et c'eût été une cause de lenteurs et de frais. La loi préfère donner le choix aux associés lésés.
Il leur suffira donc d'avoir un premier aperçu des deux valeurs comparatives pour faire d'abord leur choix; ensuite, ils feront procéder, contradictoirement avec l'associé fautif, à l'estimation du dommage qu'il a causé à la société ou du gain qu'il a réalisé séparément.
Cette solution alternative n'est pas celle du Code français qui, assez obscurément, paraît n'adopter que la seconde (voy. art. 1817).
Art. 771. — 414. Le contrat de société étant à titre onéreux, il est naturel qu'il oblige à la garantie des apports, cette garantie a trois applications possibles: au cas d'éviction, au cas où la quantité promise ne se trouverait pas dans la chose, et au cas où la chose aurait des vices rédhibitoires. Il est tout naturel d'appliquer ici les règles établies à ce sujet pour la vente, et l'on ne craint pas de signaler encore cette analogie de deux situations voisines, quoique le principe de l'obligation de garantie ait été posé d'une manière générale pour tous les contrats à titre onéreux (v. art. 415 et 416). Il ne faut pas d'ailleurs exagérer l'assimilation, à cet égard, de l'associé à un vendeur: pour un vendeur, l'obligation de garantie se décompose en plusieurs objets; notamment, il doit rendre le prix qu'il a reçu, toujours, et, en outre, des dommages-intérêts, si la chose a augmenté de valeur (v. ci-dess., art. 69 4 et s.); l'associé ne devra jamais que des dommages-intérêts, d'après la valeur au jour de l'éviction.
Le Code français n'a prévu que le cas d'éviction (v. art. 1845, 2° al.). Le texte de notre article assimile encore l'associé à un vendeur, pour l'obligation de la garantie de contenance (v. art. 685 et suiv.), et la disposition est nécessaire, parce que le principe de cette garantie n'est pas aussi général que celui d'éviction.
En établissant ici la garantie du défaut de contenance, le présent article ne prévoit pas le cas inverse, celui où la quantité fournie serait plus grande que celle qui a été promise; mais il ne faudrait pas hésiter à y appliquer encore les règles de la vente, c'est-àdire à indemniser l'associé de l'excédant de son apport (voy. art. 686 et s.).
Pour la garantie des vices rédhibitoires, les articles 741 et suivants seraient applicables entre associés.
415. Voilà pour le cas où l'apport consiste en pleine propriété.
Mais si l'associé n'a promis que la jouissance de la chose, alors la loi lui impose l'obligation de garantie de la jouissance telle que la doit un bailleur: elle est plus étendue que celle due par un vendeur, car elle s'applique même aux obstacles que la jouissance de la société pourrait rencontrer par suite de causes fortuites ou majeures (voy. art. 138).
Si l'associé exprimait formellement qu'il apporte en société l'usufruit de sa chose, ou l'usufruit qu'il a sur une chose d'autrui, il pourrait être assimilé à un vendeur d'usufruit plutôt qu'à un bailleur; mais il ferait sagement de le stipuler expressément.
Art. 772. — 416. Le succès de la société dépendra en grande partie de la manière dont elle sera administrée. Les associés feront donc sagement de pourvoir avec soin au choix des administrateurs ou gérants et, en les choisissant, de déterminer leurs pouvoirs avec le plus de précision possible.
Il allait de soi, à la rigueur, que “chaque administrateur doit se renfermer dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés,” et si la loi prend la peine de l'exprimer, c'est pour mieux faire ressortir le cas où les pouvoirs n'ont pas été déterminés et pour que les deux cas soient réglés.
Dans cette matière où la liberté des conventions est absolue, la loi doit seulement statuer sur ce qui aura lieu dans le silence des parties, par interprétation de leur volonté présumée.
La qualification même “d'administrateurs” indique la nature des actes qui doivent être raisonnablement permis aux associés investis de cette qualité.
D'abord, ils feront les actes qui ont pour but de conserver les biens, comme les réparations, tant grosses que d'entretien; ils acquitteront les charges, tant publiques, comme les impôts, que privées, comme les dettes exigibles valablement contractées pour le compte de la société; ils pourront faire aussi des actes tendant à améliorer le fonds social, par exemple, des travaux d'irrigation, de dessèchement, des murs de clôture ou de soutènement; mais sans que ces actes entraînent de risques exceptionnels et pourvu qu'on n'y emploie pas des capitaux nécessaires aux opérations normales de la société.
Ils ne pourraient, sauf l'exception indiquée ci-après, acheter ou vendre des immeubles, parce que ce sont des actes qui peuvent compromettre le patrimoine social, au lieu de l'améliorer.
Lorsqn'on veut savoir si un acte est, par sa nature, permis ou défendu aux administrateurs de la société, il faut se reporter aux actes d'administration de la chose d'autrui, comme en peuvent faire les tuteurs pour les biens de leur pupille, les maris pour ceux de leur femme, les copropriétaires pour la chose commune.
Mais le texte permet aux administrateurs de la société des actes qui seraient interdits aux administrateurs précités, comme étant plutôt des actes de disposition du fonds social; ce sont les actes qui rentrent par eux-mêmes dans le but ou l'objet de la société. Par exemple, ils pourraient acheter ou vendre des inmeubles si, justement, l'objet de la société était de spéculer sur l'achat et la vente des terrains. En effet, le principal rôle de l'administrateur d'une société est d'en réaliser l'objet, quelle que soit la nature des actes pour lesquels elle a été contractée.
Supposons encore une société qui aurait pour objet de bâtir des maisons pour en louer l'usage: les administrateurs pourraient, non seulement bâtir, ce qui ne rentre pas dans les actes ordinaires d'administration, mais encore ils pourraient faire des baux d'une durée supérieure à celle à laquelle peuvent consentir les administrateurs de la chose d'autrui (v. art. 126 et 127).
Au contraire, ils ne pourraient emprunter, même sans intérêts: l'emprunt est défendu en général, aux simples administrateurs, parce qu'il est facile de dépenser imprudemment les sommes prêtées; par suite, il est difficile de les rembourser au temps convenu, et il cn résulte des saisies et des rigueurs du créancier qu'on n'avait pas suffisamment prévues.
Les administrateurs ne pourraient non plus plaider comme demandeurs ou défendeurs, si ce n'est en matière de possession: un procès mal à propos intenté, une défense mal conduite, peuvent entraîner de grandes pertes et il faut avoir le droit de disposer des biens engagés daus le procès pour se passer d'autorisation de plaider; mais les actions possessoires ne préjugent pas le fond du droit; elles sont plutôt conservatoires et elles ont un caractère d'urgence qui motive l'intervention immédiate de l'administrateur.
Il va de soi que les administrateurs ont le pouvoir d'engager, pour les affaires de la société, des commis et des employés subalternes agissant sous leur responsabilité, ou des serviteurs et ouvriers; ils peuvent aussi les révoquer ou les congédier.
417. La loi devait prévoir le désaccord des administrateurs sur l'utilité ou l'opportunité de certains actes. Elle admet ici l'application d'un principe de raison universelle que “dans le doute, il convient de s'abstenir"; les jurisconsultes romains l'ont formulé en axiome pour le cas qui nous occupe et, généralement pour le cas de désaccord entre co-intéressés: in pari causâ, mclior est prohibentis, “dans des situations “égales, ou avec des droits égaux, la volonté de celui “qui défend (qui refuse ou s'oppose) est préférable.”
Mais le sursis à l'acte ne doit être que temporaire. Les associés devront se réunir à cet effet et délibérer sur le point de savoir si l'acte contesté sera fait.
La loi n'exige pas l'unanimité pour cette délibération: c'est un des cas où la majorité suffit, parce qu'il ne s'agit pas de modifier le contrat mais de l'exécuter, ainsi que le principe va en être posé plus loin.
Art. 773. — 418. Il est évidemment nécessaire qu'une société soit administrée, comme tout patrimoine, comme toute entreprise doit l'être; si le contrat ne désigne pas d'administrateurs, c'est alors la loi qui les désigne, par interprétation de la volonté présumée des parties, et, comme elle ne pourrait désigner un associé plutôt qu'un autre, elle déclare que tous sont administrateurs, avec les mêmes pouvoirs que ceux qu'ils auraient s'ils étaient nommés par le contrat, sans autre spécification (a).
Cette situation cesserait si, plus tard, les associés nom maient expressément des administrateurs; mais ce cas est différent de celui d'un simple dissentiment sur un acte d'administration, tel qu'il est prévu à l'article précédent, et la loi exige l'unanimité des voix, parce qu'il ne s'agit pas là d'exécuter le contrat, mais de le modifier, c'est-à-dire de substituer un mode d'administration à un autre.
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(a) Le Projet donne le même pouvoir d'administration dans l'intérêt commun, à chacun des copropriétaires se trouvant dans l'indivision, sans société (v. art. 38, 3° al.).
Art. 774. — 419. Dans le cas du 1er alinéa, les administrateurs ou gérants ont un caractère statutaire; il est donc juste qu'ils ne puissent être révoqués que de la manière par laquelle on changerait les statuts de la société, c'est-à-dire à l'unauimité des voix, en y comprenant même, comme la loi a soin de l'exprimer, les voix de ceux qu'il s'agit de révoquer, ce qui équivaut à une démission de leur part; aussi, quand ils consentiront à se retirer, ils ne manqueront pas de le faire avant le vote.
Toutefois, s'il y avait lieu de leur reprocher des actes d'impéritie ou d'infidélité, leur révocation pourrait s'effectuer sans leur consentement, c'est ce que la loi appelle une "cause légitime.” Dans ce cas, du moment qu'il y aurait contestation, ce serait aux tribunaux de statuer sur la révocation demandée.
Dans le cas où la nomination n'est plus statutaire, mais postérieure à l'acte, les administrateurs nommés ne sont plus que des mandataires ordivaires, bien qu'ils puissent d'ailleurs être associés; il est donc juste qu'ils soient révocables comme mandataires et sans leur consentement, bien que ce consentement ait été nécessaire pour l'acceptation du mandat: ici, ils ne peuvent plus alléguer, comme ils le pouvaient dans le premier cas, qu'ils ne sont entrés dans la société que parce qu'ils savaient qu'ils en seraient administrateurs. Cela est encore plus évident quand ils ont été nommés en remplacement d'anciens administrateurs statutaires qui auraient été eux-mêmes révoqués ou auraient donné leur démission.
La loi, pour ne pas compliquer la matière, ne fait pas de différence entre le cas où les nouveaux administrateurs en remplacent d'autres qui se retirent et celui où ils prennent la gestion antérieurement exercée par tous, à défaut d'autre désignation.
Art. 775. — 420. Ici, il n'y a pas de dérogation aux statuts: c'est, au contraire, les observer et les appliquer que remplacer les administrateurs empêchés; par conséquent, la majorité des voix suffit.
On remarquera deux choses à ce sujet: 1° Pour qu'il y ait lieu de remplacer un administrateur décédé, il faut supposer qu'il n'était pas un des associés: autrement, sa mort dissoudrait la société, à moins que le contraire n'eût été convenu on ne résultat de la forme de la société (en actions), conformément à l'article 795; 2° Le texte ne s'applique pas au cas de l'article 773 où tous les associés sont administrateurs, à défaut d'autre désignation, parce que, dans ce cas, il serait impossible de remplacer par un autre associé celui qui serait démissionnaire ou révoqué, puisque tous les autres sont déjà administrateurs.
Art. 776. — 421. La loi pose ici le principe qui a déjà été appliqué plus haut et par avance: il sert ainsi de généralisation pour ce qui précède.
Il ne faudrait pas croire d'ailleurs qu'il y a une rigneur à exiger l'unanimité pour déroger ou suppléer aux statuts et qu'à défaut de texte la majorité suffirait: c'est une illusion fréquente que de croire qu'en cas d'intérêts collectifs, la majorité des intéressés peut imposer sa volonté à la minorité: cela ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une convention spéciale ou d'un texte de loi, et la loi doit elle-même être très-réservée pour édicter cette règle (voy. Tome II, p. 181, no 169). Hors ces cas, on se retrouve en présence de la règle générale que “les conventions font loi entre les parties “et ne peuvent être révoquées que de leur consente“ment réciproque” (v. art. 318).
Comme application du 2 alinéa où il faudrait l'unanimité des voix, nous citerons le cas où il s'agirait d'étendre ou de restreindre l'objet de la société, c'està-dire ses opérations, ou bien d'augmenter ou de diminuer son capital, c'est-à-dire les mises de chacun, ou enfin d'augmenter ou de diminuer le nombre des associés.
Mais, on comprend que les associés soient convenus, à l'origine du contrat, que la majorité absolue des voix ou un nombre supérieur, comme les deux tiers ou les trois quarts, suffise, même pour les actes les plus graves, ou, en sens inverse, qu'une majorité de plus de moitié des voix soit nécessaire pour des actes de simple administration.
La loi elle-même peut modifier les règles qui précèdent; c'est ce qu'elle fera plus loin, pour la dissolution qui, dans certains cas, peut être provoquée par un seul associé.
Art. 777. — 422. Cet article correspond à l'article 1818 du Code français, mais il le complète sur quelques points restés douteux.
Ainsi, il est dit formellement: 1° que la présente disposition ne s'applique qu'à un associé administrateur ou “ayant pouvoir de gérer”; 2° que l'imputation faite par le débiteur est valable, sous une distinction; 3° que l'imputation légale est valable dans ses conditions ordinaires.
Nous allons reprendre le principe dominant de cet article et les trois dispositions qui le complètent.
On sait, par ce qui a été dit au sujet du payement (art. 491 à 494), qu'il y a lieu à imputation du payement quand le débiteur ayant plusieurs dettes de même nature envers une même personne fait un payement qui ne suffit pas à les éteindre toutes; il faut alors déterminer laquelle est éteinte; l'application de ce payement à l'une des dettes s'appelle imputation. L'imputation peut être faite par le débiteur ou par le créancier, sous certaines limites et conditions; à défaut d'imputation par l'une ou l'autre des parties, l'imputation est faite par la loi, c'est-à-dire qu'elle a lieu de plein droit sur l'une ou l'autre des dettes ou sur toutes à la fois, proportionnellement, suivant de nouvelles distinctions.
Disons d'abord que, dans le cas qui nous occupe, ce n'est que par extension que l'on peut dire que le débi. teur a plusieurs dettes envers la même personne: en réalité, il doit à un associé individuellement et à la société, personne morale, distincte de l'associé; mais cette différence est négligée par la loi, pour que l'associé ne puisse s'appliquer exclusivement le profit du payement; d'ailleurs, il y a des cas où la société n'est pas une personne morale (v. art. 766).
La loi veut, en principe, que l'associé impute le payement qu'il reçoit sur les deux créances, proportionnellement à leur montant respectif. Ainsi, il imputera pour moitié sur chacune, si elles sont égales, pour un tiers sur l'une et deux tiers sur l'autre, si la seconde est double de la première, et ainsi de suite.
Il pourrait, il est vrai, faire une imputation intégrale sur la créance de la société, parce qu'il renoncerait à son droit en faveur de celle-ci; mais s'il imputait tout le payement sur sa propre créance, il y aurait lieu de ramener l'imputation à la proportionnalité.
423. Voici maintenant une preinière limite à l'application de cette mesure un peu sévère: elle ne concerne que l'associé qui est, en même temps, administrateur; en effet, celui-là seul a l'obligation de veiller aux intérêts sociaux; seul, il peut recevoir ce qui est dû à la société et c'est parce qu'il peut recevoir qu'il le doit, quand un payement, même partiel, lui est offert. Au contraire, le simple associé, non administrateur, recevant un payement de son débiteur, peut, sans manquer à son devoir, imputer le payement sur sa créance en entier.
C'est là un des points discutables sous l'article 1848 du Code français; mais quand on considère que cet article prévoit le cas où l'associé aurait fait l'imputation entière sur la créance sociale, pour la déclarer valable, on est porté à croire qu'il a supposé un associé administrateur, celui qui a le plus naturellement qualité pour agir ainsi au nom de la société.
424. La loi nous dit encore que l'obligation imposée à l'associé au sujet de l'imputation ne prive pas le débiteur du droit de faire lui-même l'imputation à son gré, en tant qu'il y a intérêt, conformément au droit commun. Il est vrai que, dans les cas ordinaires, on ne recherche pas si le débiteur fait l'imputation suivant son intérêt, et qu'on le recherche ici; mais il y a à cela un motif facile à saisir: dans les cas ordinaires, l'imputation faite par le débiteur ne peut avoir d'autre mobile que son intérêt, tandis qu'ici elle peut être le résultat d'une entente complaisante ou frauduleuse avec l'associé, pour favoriser celui-ci au détriment de la société.
En France, quelques auteurs ont prétendu que si l'on ne pouvait contester au débiteur le droit d'imputer son payement, à son gré, même sur la créance de l'associé en entier, cette imputation serait sans effet contre la société, laquelle pourrait toujours exiger que l'associé lui restituât ce qui devrait lui revenir dans une imputation proportionnelle. Mais, en y regardant de près, on arrive facilement à reconnaître que le résultat serait tout-à-fait injuste.
Supposons, en effet, que la créance personnelle de l'associé fût productive d'intérêts et que celle de la société fût sans intérêts, ou que la première fût yarantie par une hypothèque et que la seconde ne fût que chirographaire; si le débiteur, suivant son intérêt légitime et sans qu'il y ait aucune preuve de fraude, impute sur la créance productive d'intérêts ou sur celle qui est hypothécaire, c'est-à-dire sur la créance de l'associé, et que celui-ci soit obligé d'abandonner à la société une partie des sommes qu'il a reçues, il n'aura plus droit à des intérêts et il n'aura plus la garantie de l'hypothèque pour sa part dans la créance sociale. C'est ce résultat qui est injuste et qu'il faut repousser.
Avec notre texte, l'imputation faite par le débiteur sur la créance de l'associé sera maintenue pour le tout, parce qu'elle est légitime et à l'abri de tout soupçon de fraude ou de collusion.
425. Le texte de notre article termine en disant qu'à défaut d'imputation par le débiteur ou par le créancier, l'imputation légale aura lieu conformément au droit commun (voy. art. 493): ainsi, elle portera d'abord sur la dette que le débiteur avait le plus d'intérêt à acquitter, comme il l'aurait faite lui-même s'il avait été prévoyant; s'il n'y a pas de cause légitime de préférence pour une créance plutôt que pour l'autre, l'imputation sera proportionnelle à chaque créance, selon le premier veu de la loi.
Art. 778. — 426. Cet article ne suppose plus que l'associé qui reçoit quelque chose d'un débiteur de la société soit en même temps créancier du même débiteur; il correspond à l'article 1819 du Code français qu'il modifie en quelque chose: ledit Code n'oblige l'associé à mettre en commun ce qu'il a reçu que si le débiteur de la société est devenu insolvable, en sorte que les autres associés n'auront pu recevoir leur part.
Nous croyons qu'il n'y a pas lieu d'attendre que, par l'événement, la part des autres soit compromise: un associé ne peut, tant que dure la société, obtenir sa part des créances, pas plus que sa part des autres droits ou des autres biens de la société. S'il est administrateur, ce qu'il reçoit est reçu nécessairement au nom de la société et doit profiter aux autres autant qu'à lui-même; s'il n'est pas administrateur, il a eu tort de s'immiscer dans la gestion et ce ne doit pas être pour lui une cause de profit.
Il ne faudrait pas voir en cela une contradiction avec l'article précédent où l'on a vu que l'associé “qui n'est pas administrateur" peut faire l'imputation d'un payement sur sa propre créance, en entier: dans ce cas, il avait une créance personnelle, en même temps que la société en avait une; ici, il n'y a qu'une créance, celle de la société, et l'associé qui, sans être administrateur, en reçoit une partie, a au moins les obligations d'un gérant d'affaires.
Art. 779. — 427. Bien que la règle, ici encore, soit posée pour "tout associé," administrateur ou non, cela ne veut pas dire qu'elle s'appliquera aussi souvent à l'un qu'à l'autre: il est clair que celui qui est administrateur aura bien plus d'occasion de commettre des actes fautifs ou des omissions que celui qui n'a ni le pouvoir ni le devoir de gérer. Mais ce dernier peut se trouver responsable de fautes ou de négligences dans plusieurs cas dont voici des exemples:
1° Il s'est indûment immiscé dans la gestion et il a fait des actes maladroits: il est évidemment responsable; si même il a omis des actes nécessaires dans les affaires dont il s'est occupé, il est encore responsable, car, s'il ne s'était pas occupé de ces affaires, un autre aurait pu s'en charger et les mieux gérer; '
2° Il a usé maladroitement de choses appartenant à la société et dont l'usage était commun;
3° Il a mal conservé les choses qu'il avait promis d'apporter à la société, soit en propriété, soit en jouissance.
Quant à l'associé administrateur, les cas où sa responsabilité peut être encourue sont si nombreux et si faciles à trouver que les exemples en seraient superflus.
428. Le 2e alinéa, reproduit du droit romain et du Code français (art. 1850), avec une légère addition, demande quelques mots de justification.
Au premier abord, il semble que la loi soit trop sévère en n'admettant pas la compensation entre les dommages causés et les profits procurés à la société par l'associé; quand surtout il s'agit de l'administrateur, on pourrait prétendre qu'il a à rendre à la société un compte général de sa gestion et que, dans ce compte, on fera la somme et la balance de ses actes profitables et nuisibles, pour ne le rendre débiteur que de l'excédant des dommages sur les profits.
Cette théorie est soutenable pour le gérant d'affaires, peut-être même pourrait-on l'étendre au mandataire non salarié; mais l'appliquer à l'associé administrateur serait se méprendre tout-à-fait sur son rôle; il a, en effet, deux obligations cumulées: prendre soin des affaires sociales, de manière à prévenir les pertes ou dommages, et faire prospérer lesdites affaires, de manière à ce qu'il y ait des profits à partager; or, ce n'est pas parce qu'il aura rempli l'une de ces obligations, la dernière par exemple, qu'il sera dispensé de remplir l'autre ou absout de l'avoir négligée.
En fait, assurément, les associés seront moins exigeants au sujet de la réparation des dommages envers celui qui leur aura, d'un autre côté, procuré d'importants bénéfices; les tribunaux eux-mêmes, si la question leur est portée, ne pourront guère se soustraire à une pareille indulgence: par exemple, ils admettront facilement que le gérant ait pu négliger de petites affaires, pendant qu'il en faisait prospérer de plus grandes; mais ils ne devront pas l'énoncer comme un principe de droit et de justice: ils se fonderont sur la bonne foi qui doit gouverner l'exécution des conven. tions (v. art. 350).
429. Nous proposons d'introduire une exception ou au moins un tempérament à cette défense de compensation entre les pertes et les profits; c'est lorsque les affaires qui ont causé les pertes sont liées, sont connexes à celles qui ont procuré les profits. La raison est qu'il faut considérer ces diverses affaires comme un tout indivisible, et ici il deviendrait tout-à-fait injuste d'apprécier séparément des affaires connexes, presque autant qu'il le serait de décomposer une affaire unique dans ses diverses phases, pour chercher dans les unes des dommages à réparer et dans les autres des profits à communiquer. Quelquefois même, quand des affaires sont liées, le gérant est obligé de faire quelque sacrifice sur l'une pour réaliser l'autre avec tous ses avantages.
430. Un principe qui domine tous les rapports entre associés, c'est qu'ils se doivent une bienveillance réciproque. Les Romains disaient déjà, et l'on répète volontiers après eux, que “les débats entre associés ne doivent pas être menés avec rigueur,”'ils avaient même admis que, pour l'appréciation des fautes ou négligences d'un associé dans les affaires communes, on ne devait le rendre responsable que de celles qu'il n'aurait pas commises dans ses propres affaires: alors, il y avait, en quelque sorte, mauvaise foi ou faute lourde. Cette exception, encore suivie dans l'ancienne jurisprudence française, a été abandonnée par le Code français qui a posé en règle que celui qui gère la chose,ou les intérêts d'autrui doit y apporter les soins d'un bon père de famille” (art. 1137), et n'a pas introduit d'exception entre associés.
Le Projet a reproduit le même principe (art. 354): il a réservé les cas où la loi serait moins sévère, sans les énoncer; dans le Commentaire (Tome II, p. 147, n° 137), nous avons fait pressentir qu'il pourrait y avoir exception en matière de société; ce n'est pas une raison suffisante pour introduire ici l'exception, au moins d'une façon aussi générale. Voyons d'ailleurs sur quoi elle se fonderait.
Les Romains, pour ne demander à l'associé, dans les affaires communes, que les soins qu'il apportait à ses propres affaires, en donnaient une raison qui n'est nullement décisive: c'était que les associés s'étaient choisis, et qu'ils devaient s'imputer à eux-mêmes la faute d'avoir choisi un associé peu diligent.
Si ce motif eût été suffisant, il aurait fallu l'appliquer à bien d'autres rapports qu'à ceux des associés, il était applicable entre presque tous les autres contractants: au mandataire que le mandant choisit, au locataire, à l'emprunteur à usage que le bailleur ou le prêteur choisit également; or, les Romains n'ont jamais étendu à ces débiteurs la tolérance dont il s'agit.
La meilleure raison eût été, et serait encore aujourd'hui, que les fautes de l'associé, en même temps qu'elles atteignent les autres associés, retombent aussi sur celui qui les commet, ce qui le punit déjà en partie et donne lieu de croire qu'il a fait le mieux qu'il a pu.
Mais nous ne proposons pas d'arriver par ce raisonnement à formuler en règle générale qu'nın associé nommé administrateur ne doit aux affaires de la société dont il est chargé que les soins qu'il apporte à ses propres affaires. Nous ne l'admettrons que pour un cas particulier, objet de l'article suivant.
Art. 780. — 431. La distinction ici proposée, au sujet de la responsabilité des fantes, entre les associés qui gèrent en vertu d'un mandat formel et ceux qui ne gèrent que parce qu'il n'a pas été nommé de gérant par le contrat de société (v. art. 773), est facile à justifier, et c'est par elle que l'on peut conserver ce qui avait été annoncé sous l'article 351, en même temps que l'on fait, tout à la fois, une part à la tradition romaine et une part au principe plus sévère du Code français.
Quand le contrat n'a pas désigné d'administrateurs, comme il n'en faut pas moins que la société soit administrée, la loi reconnaît à chacun le droit de gérer; mais on comprend que la responsabilité corrélative à l'exercice de ce droit soit moins rigoureuse que contre ceux qui ont reçu à cet égard un mandat formel; en effet, ou le défaut de nomination de gérants résulte d'un oubli, d'une négligence commune, et alors les associés n'ont pas le droit d'être bien sévères contre ceux qui auront géré; ou bien, c'est à dessein qu'ils n'ont pas désigné de gérant, ayant confiance les uns dans les autres également; dans les deux cas, ils n'ont pas à se plaindre si ceux qui ont géré ont pris autant de soins pour les affaires de la société que pour les leurs propres.
Dans l'explication du présent article et du précédent on a supposé des fautes ou des négligences commises dans la gestion, mais on n'a pas prévu le cas où l'associé qui devait gérer aurait tout-à-fait négligé de le faire. La même différence de sévérité devrait s'appliquer entre les deux sortes de gérants: celui qui a été formellement nommé gérant ou administrateur serait toujours responsable du défaut de gestion, même du simple retard apporté dans la prise de la gérance; tandis que celui qui n'a le droit de gérer que par application de l'article 773, n'en a le devoir et ne serait responsable du défaut de gestion que si, d'après les circonstances, il était le seul qui pût faire les actes de gestion négligés: autrement, les autres associés seraient responsables à leur tour envers lui et ces responsabilités mutuelles se neutraliseraient.
Mais si nous supposons que certains biens de la société étaient situés dans une localité où un seul des associés résidait, ce serait à lui naturellement qu'aurait incombé l'obligation de gérer ces biens; s'il s'agissait de vendre des produits agricoles de la société et que l'un des associés eût l'habitude de vendre lui-même des produits similaires de ses propriétés, il serait en faute de n'avoir pas vendu en même temps et aux mêmes cours les produits des fonds sociaux.
Dans l'application de ces deux articles sur la responsabilité des fautes, les tribunaux devront, plus encore qu'en toute autre cas, tenir grand compte des circonstances du fait et être peu rigoureux.
Art. 781. — 432. Cet article est emprunté à l'article 1859, 39 alinéa, du Code français, avec de légères modifications:
1° On ajoute aux dépenses nécessaires ou de conservation celles d'entretien qui ne sont pas moins utiles que les premières, puisque ce sont les dépenses d'entretien qui préviennent la dégradation et les grosses réparations;
2° On indique dans quelle mesure chaque associé doit contribuer auxdites dépenses, et il est naturel que ce soit non par portion égales ou par tête, mais proportionnellement aux droits de chacun, lesquels droits sont basés sur l'importance des apports comme on le verra bientôt;
3° On subordonne cette obligation à la condition qu'il n'y ait pas de sommes disponibles dans le fonds social, soit comme revenus, soit même comme capitaux, car il ne faudrait pas obliger les associés à faire de nouvelles avances lorsque toutes les mises n'ont pas été employées; il va sans dire que les déboursés ainsi faits pour les réparations seront restitués aux associés sur les premiers fonds disponibles;
4° Enfin, le texte ne dit pas ici, comme le Code français, que “chaque associé peut obliger ses co-associés à contribuer” etc., mais que “chaque associé est tenu,” parce que, le plus souvent, cette contrainte à faire des avances émanera du gérant et non des autres associés. Si le Code français a parlé d'une contrainte exercée “par chaque associé," c'est qu'il réglait à ce moment le cas où tous les associés gèrent, à défaut de nomination de gérants statutaires.
Art. 782. — 433. Cet article et le suivant complètent ce qui est relatif aux comptes respectifs que les associés peuvent avoir avec la société.
Il est naturel qu'un associé soit indemnisé des sacrifices qu'il a faits dans l'intérêt commun et des pertes qu'il a épronvées à l'occasion de cet intérêt.
Le texte exprime que cette disposition s'applique autant à l'associé qui n'est pas gérant qu'à celui qui a cette qualité, tandis que le Code français peut laisser quelque doute à ce sujet (b). En effet, la qualité de gérant peut modifier l'application de cette disposition, mais elle n'en est pas la condition essentielle: un associé qui n'est pas gérant peut avoir été amené par les circonstances à faire des actes dans l'intérêt de la société ou à souffrir à l'occasion de celle-ci, et il n'y a pas de raison de le traiter ni mieux ni plus mal que le gérant. Les réclamations ne lui sont d'ailleurs permises, à ce sujet, que sous des conditions qui suffisent à prévenir les abus.
Ainsi, les dépenses par lui faites doivent avoir été “utiles, c'est-à-dire avoir profité à la société; les engagements contractés doivent l'avoir été « de bonne foi,” c'est-à-dire avec un but utile, lors même que, par l'événement, le but n'aurait pas été atteint; enfin, les dommages doivent avoir été “inévitables, c'est-à-dire ne pouvoir être attribués à la faute ou à l'impéritie de l'associé.
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(b) L'article 1552, parlant d'abord ('“un associé,” ferait croire qu'il statue même pour celui qui ne gère pas; mais ensuite il parle de “sa gestion."
Art. 783. — 434. Déjà l'article 769 a fait courir les intérêts de plein droit au profit de la société contre l'associé qui est en retard d'effectuer son apport. Le présent article décide de même contre lui dans le deuxième alinéa et en sa faveur dans le premier.
Le motif de cette dérogation à la règle générale d'après laquelle une mise en demeure est nécessaire pour faire courir les intérêts (v. art. 404) est qu'entre associés il faut, autant que possible, éviter toute mesure qui peut paraître vexatoire ou irritante; or, si l'associé qui est créancier ne pouvait faire courir les intérêts moratoires que par une sommation ou une demande en justice, il indisposerait les autres par cette mesure ou il souffrirait dans son intérêt en ne l'employant pas. La loi le préserve de cette fâcheuse alternative.
On remarquera que la loi ne fait pas porter des intérêts de plein droit aux indemnités que l'associé a le droit de réclamer en vertu du 3e chef de réclamation qui lui est reconnu par l'article précédent: outre que ce serait une rigueur inusitée entre toutes personnes, il y a encore l'obstacle tiré de ce que ces indemnités ne sont pas liquidées tant qu'il n'y a pas eu jugement ou arrêté de compte.
Une autre dérogation au droit commun, déjà rencontrée dans l'article 769, est la possibilité que des dommages-intérêts viennent s'ajouter aux intérêts légaux comme réparation; l'article 411 avait réservé des cas où la loi permettrait ce cumul; il est naturel que la société soit un de ces cas, car la société s'est formée pour réaliser des bénéfices en commun; ces bénéfices doivent vraisemblablement être supérieurs à l'intérêt ordinaire de l'argent; or, de même que l'associé qui a tiré du fonds social des sommes d'argent pour ses affaires particulières a empêché la société de réaliser ces bénéfices; de même celui qui a avancé ses capitaux à la société lui a fourni l'occasion de grossir ces mêmes bénéfices, en même temps qu'il a pu se priver de les réaliser pour son propre compte.
Mais l'associé qui a avancé les fonds ne se fera pas attribuer les bénéfices de la société: ce n'est pas ce qu'elle a gagné qui sert de mesure à son droit, mais ce qu'il a perdu lui-même en se privant de ses capitaux.
Art. 784. — 435. La détermination des droits de chaque associé sur le fonds social est, pour ainsi dire, le point capital de cette matière, car elle tend à atteindre le but de la société qui est de procurer des avantages communs à tous ses membres.
Il est naturel que la loi reconnaisse d'abord aux parties le droit de régler elles-unêmes leurs parts respectives et que ce droit soit absolu, en principe: d'où les mots du texte “à leur gré;" mais, comme cette liberté reçoit plus loin deux exceptions, la loi les réserve immédiatement.
La détermination des parts peut se faire soit par l'acte de société, ce qui sera évidemment le plus sage et le plus fréquent, soit par un acte postérieur.
Si les parties, voulant fixer les parts par l'acte de société, ne parviennent pas à se mettre d'accord, elles ne signeront pas le contrat et la société ne se formera pas. Si, au contraire, elles ont signé, en réservant de fixer les parts ultérieurement, la société existe immédiatement et elle peut fonctionner comme il est dit plus haut.
Quand les parties s'occuperont ensuite de fixer les parts, si elles ne parviennent pas encore à tomber d'accord, à l'unanimité, pour ce règlement, il pourra arriver de deux choses l'une: ou qu'elles remettent à une autre époque une nouvelle tentative d'arrangement, et la société continuera à fonctionner, ou qu'elles y mettent fin, soit d'un commun accord, soit même sur la demande d'un seul des associés, comme on le verra possible à la Section suivante (art. 793).
436. Voyons maintenant, toujours avec le texte, ce qu'il faut entendre par ces “parts d'associés, c'est-àdire sur quoi elles portent.
A cet égard, on a soin d'exprimer qu'il s'agit surtout “du fonds social,” et l'on ne se contente pas, comme fait le Code français (art. 1853 et 1855) de parler “des bénéfices et des pertes:"
Dans le langage ordinaire, on est porté à donner au mot “ bénéfices” le sens d'une augmentation du fonds social, résultant du succès d'une ou plusieurs opérations. Ainsi, si une société formée avec des apports montant à 10,000 yens, a fait des achats et ventes qui ont porté son actif total à 12,000 yens au bout d'un an: on dira généralement qu'elle a 2000 yens de bénéfices; cela est exact; mais ce ne sont pas seulement ces 2000 yens sur lesquels il y a à fixer les droits des associés, ce sont encore les 10,000 yens provenant des apports primitifs. En réalité, on doit dire, avec le texte de notre article, que les associés ont droit à des parts du “fonds social,” en comprenant dans cette expression les profits qui le grossissent, ou en le considérant dans ce qui en reste, déduction faite des pertes éprouvées.
On peut être étonné, au premier abord, qu'il soit question de confondre les bénéfices avec les apports et de donner aux associés, par convention spéciale, des parts égales ou inégales dans cette masse: il semble qu'il serait plus naturel et plus juste que chacun, lors de la dissolution de la société, reprît ses apports, les prélevât avant le partage, soit en nature, soit en valeur, et que les bénéfices seuls, les profits résultant des opérations fussent partagés, également ou inégalement, suivant l'importance respective des apports de chacun ou les diverses coopérations fournies à la gestion.
Assurément, ce mode de procéder serait générale. ment très-satisfaisant et il sera sans doute observé fréquemment, par les parties faisant usage de leur liberté à cet effet, ou par les arbitres choisis par elles davs le même but; ce sera même, au fond, le mode de règlement des parts que la loi établira, avec une différence en la forme, lorsque les parties auront négligé de le faire (v. art. 789 et C. civ. fr., art. 1853).
Mais il s'agit ici du règlement par les parties, et la loi leur laisse une entière liberté de fixer leurs parts respectives dans le fonds social: c'est à elles qu'il appartient d'abord d'évaluer l'importance respective des apports, pour en faire dépendre la part qui reviendra à chacun dans le fonds commun.
Sans doute, si tous les apports consistent directement en argent ou en objets mobiliers ou immobiliers estimés en argent, il est naturel que les droits de tous les associés sur le fonds social soient mesurés sur l'importance respective des apports et qu'ils soient égaux ou inégaux suivant les cas; mais, même dans ces cas, ils auront dû tenir compte des soins donnés ou à donner par les uns ou les autres aux affaires sociales, ce qui déjà motivera un abandon de la proportionnalité des parts aux apports originaires; il peut arriver aussi que certains apports soient difficiles à évaluer en argent, comme une industrie, agricole ou manufacturière, une clientèle ou un achalandage, un outillage dont l'usage seul serait apporté à la société.
On conçoit donc que les parties aient une liberté, sinon absolue, au moins considérable, pour le règlement des parts respectives.
Nous verrons à l'article 787 deux restrictions à cette liberté.
La loi, en supposant que le fonds social a pu être "angmenté des profits réalisés ou diminué par les pertes éprouvées,” ne va pas jusqu'à supposer qu'il ait été complètement épuisé par les pertes et qu'en fin de compte il n'y ait à supporter que des pertes ou un passif. La règle est la même: il n'y a pas de raison de différence entre les pertes qui épuisent le capital et celles qui l'excèdent. Du reste, l'article suivant suffit à lever les doutes à cet égard.
Art. 785. — 437. La première disposition de cet article ne fait qu'appliquer le principe de la liberté des associés pour le règlement des parts: si la loi s'en explique, c'est d'abord parce que le cas avait paru assez important chez les Romains pour être formellement consacré; c'est aussi et surtout pour introduire dans la loi la présomption qui s'y rattache et la manière d'appliquer ce règlement.
Ainsi, d'après le 1er alinéa, on peut convenir que l'un des associés aura une part plus grande ou moindre dans l'actis que celle qu'il supportera dans le passif.
Nous employons ici ces deux mots comme préférables aux mots consacrés de Lénéfices et pertes qui peuvent prêter à l'équivoque (le mot bénéfices, au moins) et faire croire qu'il s'agit seulement de l'excédant des profits sur le capital primitif résultant des apports.
Cette clause pourra se trouver motivee, dans l'intention des parties, sur la circonstance que l'un des associés aura apporté un capital plus considérable ou moindre que les autres, ce qui expliquera qu'il prenne une part plus forte ou moindre dans l'actif. En même temps, suivant qu'il participera à la gestion ou qu'il y restera étranger, cela motivera qu'il subisse une part plus ou moins forte dans le passif, comme ayant pu être ou non cause de l'insuccès des opérations. Dans ce cas, on verra sans doute le gérant, ayant apporté peu ou point de capital, prendre une moindre part dans l'actif que celle qu'il supportera dans le passif.
438. Le 22 alinéa tend à empêcher que l'on ne se méprenne sur l'intention des parties, lorsqu'elles n'auraient exprimé la part d'un des associés que pour les bénéfices ou l'actif: on aurait pu croire que, n'ayant pas réglé les parts du passif, elles entendaient le laisser sous l'empire du règlement légal, tel qu'on le trouvera à l'article 789, pour le cas de silence des parties, cas auquel les parts sont proportionnelles aux apports; ce serait établir indirectement et peut-être contrairement à l'intention des parties ou de l'une d'elles, le défaut d'identité des parts dans l'actif et le passif.
La loi rejette ce résultat, en présumant que le règlement de l'actif implique, par présomption, celui du passif.
Il est raisonnable, en effet, de penser que si les associés n'ont réglé que leurs parts dans l'actif, c'est qu'il était naturel aussi qu'elle n'eussent songé qu'au succès de leur entreprise, comme s'il eût été de mauvais augure de prévoir que la société se liquiderait en perte.
Dans ce cas donc, il n'y aura pas diversité de parts dans l'actif et dans le passif.
Mais la loi ne prévoit pas le cas inverse; par conséquent, elle ne présume pas, si les parties n'ont réglé que le passif, qu'elles aient entendu régler l'actif de la même manière: l'actif alors sera partagé proportionnellement aux apports, d'après l'article 789. En effet, du moment que la prévision d'une liquidation en perte est anormale et qu'on a chargé du passif un ou plusieurs associés plus que les autres, c'est qu'il y a de cela quelque raison tout exceptionnelle et les exceptions ne s'étendent pas par analogie.
439. Le 39 alinéa prévient une autre erreur qui pourrait être commise dans l'interprétation de ces deux clauses distribuant dirersement l'actif et le passif. Ainsi, si l'un des associés a droit à la moitié des bénéfices et ne doit subir que le tiers des pertes, on ne fera pas deux calculs distincts dont l'un consisterait à faire la somme des profits réalisés dans toutes les affaires pour les partager par moitié, et dont l'autre additionnerait les pertes pour les diviser par tiers: on retranchera les pertes des profits ou les profits des pertes, on soustraira la plus faible somme de la plus forte, et c'est sur le reliquat qu'on assignera à l'associé favorisé la moitié des bénéfices s'ils excèdent les pertes, ou le tiers des pertes si elles excèdent les profits. Les Romains ont pris grand soin de faire cette remarque; tous les auteurs modernes la reproduisent; il est donc utile qu'elle prenne place, au Japon, dans la loi ellemême.
440. Le 4e alinéa tranche encore une question importante, en déclarant que toutes les attributions de bénéfices ou les répartitions de pertes qui ont pu être faites pendant la durée de la société ne sont que provisoires et peuvent se trouver modifiées par le compte définitif qui se fait à la dissolution de la société. En effet, lorsque la société doit avoir une durée indéterminée ou très-longue, il ne serait guère possible aux associés d'attendre sa dissolution pour distribuer les profits réalisés et encore moins pour répartir les pertes: souvent, la plus grande partie de l'avoir de chacun se trouve engagée dans les affaires sociales et s'il n'était pas fait de répartition des bénéfices, les associés, ne pourraient faire face à leurs dépenses courantes; de même, s'il y avait des pertes à subir, il ne serait pas possible de les laisser, jusqu'à la dissolution, à la charge du gérant. On fait donc des répartitions périodiques.
Lorsque les parts, égales ou inégales entre les associés, sont les mêmes dans l'actif que dans le passif, on peut dire que ce que chacun a reçu des profits ou supporté des dettes est définitif et qu'à la dissolution il n'y aura plus qu'à compléter les répartitions; mais si l'on est justement dans le cas prévu par le 1er alinéa, celui où la part de certains associés n'est pas la même dans l'actif que dans le passif, il est clair alors que les répartitions n'ont pu être que provisoires: si, par exemple, l'un d'eux a reçu la moitié des profits existants, parce qu'ils excédaient alors les pertes, et si, à la dissolution, les pertes sont assez fortes pour excéder 'les derniers profits, il devra rapporter aux autres tout ce qu'il n'aurait pas dû recevoir si le calcul général avait été fait au dernier moment.
Art. 786. — 441. La loi arrive aux deux clauses qui restent prohibées malgré le principe général que le règlement conventionnel des parts est libre.
C'est d'ailleurs à peine si l'on peut dire qu'il y a exception ici, car on voit que justement les clauses prohibées sont celles qui ne donneraient à un associé aucune part dans les profits ou ne lui feraient supporter aucune part dans les pertes: ce ne serait plus dès lors, un règlement des parts.
Reprenons séparément le motif de chacune de ces prohibitions.
442.-1. D'après la définition même de la société (art. 763), c'est “un contrat par lequel plusieurs personnes mettent des biens en coinmun, pour en tirer des bénéfices destinés à être partagés.” Le partage peut se faire également ou inégalement, mais il doit toujours y avoir partage; or, la 1re clause prohibée est celle qui exclurait du partage un ou plusieurs des associés, en donnant tout le fonds social à un ou plusieurs des autres; elle serait contraire à l'essence de la société. Une pareille société est dite "léonine” (la société du lion), depuis les Romains, par une figure empruntée à une fable célèbre dès l'antiquité (c).
Non seulement la loi ne permet pas l'attribution du fonds social à un seul associé, elle ne permet pas davantage d'attribuer à l'un des associés la totalité des bénéfices proprement dits, après le prélèvement du fonds social primitif ou la reprise des apports par chacun: le texte de notre article est formel pour les deux prohibitions.
Bien que la loi ne prohibe que la clause qui attribue " la totalité" à l'un des associés, il ne faudrait pas hésiter à appliquer la prohibition à celle qui, par fraude et pour échapper aux termes de la loi, attribuerait à l'un des associés une part infiniment petite comparée à celle des autres: on dit, en pareil cas, que “ rien et presque rien sont la même chose.”
Quelquefois l'on convient qu'un associé, au lieu de prendre une part, une quote part de l'actif social, prélèvera une somme fixe, quel que soit le montant dudit actif; si la somme ainsi attribuée à l'un était dérisoire par son exiguité ou si la somme attribuée à un autre était si considérable qu'elle dût vraisemblablement absorber l'actif et qu'en fait elle l'absorbât en entier ou presque en entier, la prohibition serait encourue.
On discute en France si la clause qui attribuerait tous les bénéfices au survivant des associés serait valable ou si elle tomberait sous le coup de la prohibition de l'article 1855 pareil au nôtre. Nous pensons qu'on ne doit pas l'admettre, quoique les chances de survie puissent être à peu près les mêmes pour chacun: quand la loi, dans la définition de la société, veut que le but en soit“un avantage commun," elle n'entend pas qu'il puisse être subordonné à d'autre condition qu'à celle du succès des opérations, surtout à un événement aussi incertain que la survie.
Lors même qu'on admettrait la validité de la clause, elle devrait êtro considérée comme une donation conditionnelle des prédécédés au survivant, et, comme donation, elle pourrait rencontrer des obstacles ou des limites tirées de la condition respective des parties.
Remarquons encore que cette attribution conditionnelle au survivant ne recevrait pas son application dans les sociétés sans terme fixe, parce que ces sociétés, se dissolvant par le premier décès qui survient parmi les associés, seraient liquidées conformément à l'article 789. Il faudrait supposer ou que la société avait été constituée de façon à continuer parmi les survi. vants (v. art. 795, 2° al.), ce qui sera rare, on, ce qui l'est moins, que la société n'était formée qu'entre deux personnes.
443.-II. La 2° clause est prohibée d'une façon un peu moins absolue; il s'agit de celle qui affranchit de toute contribution aux pertes les apports d'un des associés.
Le motif de cette prohibition est analogue à celui de la précédente: si les apports d'un associé ne sont pas sujets à être diminués par les pertes, il pourra arriver que cet associé reprenne ses apports intégralement, quand ceux des autres associés se trouveront entièrement absorbés par les dettes sociales.
Le danger des autres associés est ici moins certain que dans la clause précédente, puisque, si la société a prospéré, ils auront une part d'actif, et c'est peut-être la raison pour laquelle cette clause n'était pas prohibée chez les Romains ni dans l'ancien droit français. Mais le Code français a fait sagement d'introduire la prohibition d'une clause trop dangereuse pour ceux des associés qui n'en jouissent pas et n'en prévoient guère les effets nuisibles. Le Projet n'hésite pas à adopter la même prohibition; mais on remarquera qu'elle ne concerne que l'affranchissement des apports de valeurs ou de biens autres que l'apport d'industrie; si donc un associé n'a apporté que son industuie, il a pu stipuler qu'il ne supporterait pas les pertes excédant l'actif social. Le motif de cette exception est double: 1° ceux qui n'apporteut que leur industrie dans une société ne sont généralement pas capitalistes; il serait donc trèsdur pour eux de se trouver endettés, si la société se liquidait avec un excédant de passif; ce serait souvent un obstacle à leur entrée dans la société; 2° l'apport d'industrie sera souvent moins rétribué dans les béné. fices que les autres apports; la loi elle-même le rétribue moins, lorsque les parties n'ont pas réglė les parts (art. 789), il est donc raisonnable, non de l'affranchir légalement des pertes, mais de permettre aux parties de l'en affranchir par leur convention.
On pourrait supposer que les parties, sans affranchir des charges les apports d'un ou plusieurs associés, ont, en sens inverse, mis toutes les dettes et pertes à la charge de l'un d'eux. Il ne faut pas hésiter à déclarer que l'on se trouve encore en présence du résultat que la loi a voulu éviter et que cette clause n'est pas moins prohibée que la précédente. En effet, si un seul des associés paye toutes les dettes, subit toutes les pertes, les autres en sort par cela même, déchargés, ce que la loi ne permet pas. La seule exception à admettre serait pour le cas où les autres associés n'auraient fait que des apports d'industrie, ceux que l'on vient de déclarer susceptibles d'être par conrention déchargés des pertes.
444. Il restait à déterininer l'effet de la prohibition, c'est-à-dire la sanction de sa violation: ce ne pouvait être qu'une nullité; mais serait-ce toute la convention qui serait nulle, c'est-à-dire le contrat de société, ou seulement la clause prohibée ? La loi française paraît n'annuler que la clause (art. 1855). Il y a pourtant un principe général d'après lequel “toute condition illicite est nulle et rend nulle la convention qui en dépend” (C. civ. fr., art. 1172; comp. Proj., jap., art. 433); or, ce principe semblerait devoir entraîner la nullité du contrat de société lui-même.
Mais, pour le bien appliquer, il faut faire la distinction que notre article exprime: à savoir, si la clause a été concomitante à l'acte de société ou si elle l'a suivi; c'est dans le premier cas seulement que l'on peut dire que la convention dépend de la clause illicite et s'en trouve viciée dans sa formation; dans le second cas, la société était valablement formée: les parts n'étant pas fixées par les parties devaient se trouver réglées par la loi (art. 789); sans doute, les parties auraient toujours pu modifier ce règlement légal par un règlement de leur choix; mais elles ne l'ont pas fait valablement et ce règlement subsistera.
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(c) Pour ceux de nos lecteurs japonais qui ne peuvent lire cette fable dans le latin de Phèdre et qui n'ont pas sous la main son imitateur français La Fontaine, nous signalons dans cet apologue l'observation exacte de deux règles de la société:” On a mis en “commun le gain et le dommage,...... Puis comme on était quatre « à partager la proie, Juste en autant de parts le cerf est dépecé." Mais là où le lion viole la loi naturelle de la société, c'est lorsque, s'improvisant liquidateur, il s'attribue successivement les quatre parts: parce qu'il est sire, parce qu'il est le plus fort et le plus vaillant, enfin, parce qu'il s'appelle lion (Livre I, fable vi).
Art. 787. — 115. Entre le règlement des parts fait par les parties et celui que fait la loi à leur défaut, il y a place à un procédé intermédiaire, c'est le règlement par arbitres nommés par les associés. Ce procédé sera vraisemblablement assez rare; cependant, il est bon que la loi le prévoie, pour prévenir quelques difficultés possibles; le Code français suppose aussi que les parties ont pu confier le règlement à des arbitres (v. art. 1851); mais il laisse sans solution plusieurs de ces points difficiles.
Le 1er alinéa de cet article proclame le droit pour les parties de confier le règlement des parts à des arbitres; c'est l'application d'un droit général ou commun à toutes matières ne concernant pas l'ordre public (voy. C. proc. civ. fr., art. 1003). La convention ayant cet objet peut être une des clauses du contrat même de société; elle peut aussi en être distincte et le suivre; on lui donne alors le nom de compromis, en réservant le nom d'arbitrage à la décision que rendront les arbitres. Il peut y avoir un ou plusieurs arbitres. Les arbitres peuvent être associés ou étrangers. Enfin, ils peuvent être nommés dans l'acte même qui institue l'arbitrage ou nommés plus tard, notamment au moment où ils auront à remplir leur office, c'est-à-dire lors de la dissolution et de la liquidation de la société.
En France, la loi veut que tout compromis (en cette matière ou en toute autre) désigne nominativement les arbitres (C. pr. civ., art. 1006).
Sans qu'il y ait lieu d'examiner ici s'il conviendra d'admettre au Japon cette règle générale des compromis, on signalera immédiatement la raison de s'en écarter pour le cas qui nous occupe. Supposons que l'arbitrage soit adopté par les parties au moment même où elles forment le contrat de société, ce n'est évidemment pas pour que les arbitres fassent immédiatement le règlement des parts, c'est pour qu'ils ne le fassent que lors de la dissolution: autrement, elles pourraient demander aux arbitres de préparer ce règlement, de suite, avant de signer le contrat de société, de façon à l'y introduire ensuite comme étant leur @urre, si elles l'approuvent, ou à abandonner le projet de société, si ce règlement ne leur convient pas.
Au contraire, il pourra étre raisonnable de réserver le règlement des parts pour l'époque de la dissolution, afin de pouvoir tenir compte des services rendus et des avantages procurés à la société, pendant sa durée, par chaque associé personnellement: on conçoit même que les parties, en vue de cette éventualité, craignent de ne pouvoir se mettre d'accord pour apprécier équitablement les faits accomplis et qu'elles préfèrent pour cela recourir à des arbitres. Mais comme l'époque de la dissolution peut être fort éloignée ou tout-à-fait incertaine, par exemple le décès de l'un des associés, il ne serait pas raisonnable de désigner nommément les arbitres, parce qu'il y aurait trop peu de probabilité qu'ils fussent encore en situation d'accepter et d'accomplir l'arbitrage, lorsque le moment en sera venu.
446. Le 22 alinéa indique deux causes pour lesquelles la décision arbitrale pourra être attaquée; le Code français n'en indique qu'une, la seconde: la violation de l'équité; il ne faut pas hésiter à ajouter l'inobservation des formes et conditions imposées aux arbitres par les parties; celles-ci peuvent, en effet, avoir indiqué des bases sur lesquelles devront se fonder les arbitres, comme des comptes fournis ou à fournir ou des justifications à exiger; or, si les arbitres ont fixé les parts sans se fonder sur lesdits comptes ou sans exiger lesdites justifications, ils n'ont pas rempli leur mandat tel qu'il leur avait été confié.
La seconde cause d'attaquer la décision arbitrale est plus délicate, à cause de la largeur même des expressions de la loi, empruntées au Code français. Il était difficile, impossible même de déclarer l'arbitrage inattaquable, quel qu'il fût; il y aurait eu alors à craindre des abus: les arbitres auraient pu, par complaisance ou par animosité, peut-être même par corruption, fixer les parts respectives d'une façon qui n'eût aucun rapport avec les légitimes prétentions de chacun. D'un autre côté, on ne pouvait espérer que les parties traceraient aux arbitres toutes les règles à suivre pour arriver à un partage équitable: si elles eussent été en mesure de tracer de telles règles, elles auraient préféré faire le règlement elles-mêmes. Les parties sont présumées n'avoir demandé aux arbitres que d'être justes et la loi elle-même ne leur demande pas autre chose que de suivre l'équité; aussi faut-il que l'équité ait été violée "avec évidence” pour que la décision puisse être attaquée: si la partie qui prétend faire annuler la décision arbitrale n'en peut faire reconnaître aisément l'iniquité, elle devra succomber, parce que cette iniquité prétendue ne sera pas évidente.
Mais qu'elles seront les bases d'un règlement équitable? La loi ne les indique pas, pour ne pas enfermer les arbitres, ni après eux les tribunaux, dans des limites inflexibles; mais il est difficile d'en trouver d'autres que les deux suivantes: l'importance respective des apports et les soins donnés aux affaires sociales; en dehors de ces éléments d'appréciation, on peut dire que toute inégalité donnée aux parts sera l'effet de l'arbitraire, de la complaisace ou de l'animosité, sinon de la corruption.
Le règlement des parts émané des arbitres se rapprochera ainsi beaucoup du règlement fait subsidiairement par la loi, mais il ne se confondra cependant pas avec lui, car 1° le règlement légal ne tient compte que des différences dans les apports, sans s'attacher aux soins donnés à la gestion, à moins qu'elle ne constitue par elle-même un apport d'industrie, 2° le règlement légal n'estime l'apport d'industrie que pour une valeur égale à celle du plus faible des autres apports, tandis que les arbitres peuvent donner plus de valeur à l'industrie qu'aux autres apports.
447. Le 3e alinéa de notre article apporte deux limites de temps à l'exercice de l'action en nullité du règlement arbitral; ce sont les mêmes que dans le Code français: l'exécution volontaire dudit règlement et le fait d'avoir laissé s'écouler trois mois sans réclamation depuis la connaissance acquise du règlement; ces fins de non-recevoir supposent une ratification tacite.
La loi n'a pas besoin de reconnaître la ratification expresse: c'est un principe général qu'elle équivaut à un mandat.
Art. 788. — 448. Le Code français a négligé de s'expliquer sur le désaccord des associés au sujet du renroi à un arbitrage ou compromis et du choix des arbitres, ainsi que sur le refus ou l'impossiblité de ceux-ci de faire le règlement des parts.
S'il s'agit de faire le compromis dans l'acte de société même, il est évident qu'il faut l'unanimité des associés pour cette convention, car elle fait partie intégrante de l'acte de société.
Si les parties veulent, après le contrat, renvoyer à des arbitres la fixation des parts, il faut encore l'unanimité, car c'est déroger au contrat que d'enlever à une convention ultérieure possible ou aux tribunaux le pouvoir de fixer les parts.
Mais si, l'acte de société ou une convention ultérieure ayant une fois décidé que les parts seraient fixées par des arbitres, il ne reste plus qu'à les choisir individuellement, cette opération, n'étant plus qu'une exécution des statuts, peut se faire à la majorité absolue des voix (v. art. 776).
Si la majorité ne peut être obtenue pour le choix des arbitres, ce ne sera pas une raison pour en revenir au partage légal, puisque les parties ont déclaré à l'origine qu'elles ne voulaient pas subir ce règlement; il y aura donc lieu de demander au tribunal le choix des arbitres.
La loi donne la même solution pour le cas où les árbitres ne voudraient ou ne pourraient remplir leur mandat et où les associés ne s'accorderaient pas, à la majorité, pour les remplacer.
Art. 789. — 449. La loi prévoit enfin le cas où les parties n'auraient pas d'avance réglé les parts et où elles n'auraient pas non plus confié ce soin à des arbitres et aussi le cas où la décision arbitrale serait annulée: elle fait alors elle-même ce règlement, ce qui est de toute nécessité.
On aurait pu douter qu'il fallût admettre ici le cas où la décision arbitrale est annulée en vertu de l'article 787, et il ne serait pas déraisonnable de décider qu'alors le tribunal nommerait de nouveaux arbitres; mais ce serait s'exposer à un retard indéfini dans ce règlement, puisque la nouvelle décision pourrait ellemême être annulée pour l'une des trois causes énoncées à l'article 787, 2e alinéa. Nous ajoutons donc ce troisième cas de règlement légal que le Code français n'a pas prévu.
450. Le mode de fixation des parts adopté ici est le même que celui du Code français (art. 1853); il est d'une équité évidente: chacun aura dans le fonds social, augmenté des bénéfices ou diminué des pertes, une part proportionnelle à sa mise ou à son apport, et si l'actif est absorbé par les pertes et qu'il reste un excédant de passif, il sera de même supporté proportionnellement aux apports.
Ce point divisait les auteurs, en droit romain et dans l'ancien droit français, où l'égalité absolue et numérique des parts avait de nombreux partisans. Le Code français a fait une chose éminemment juste en adoptant la proportiounalité et on n'hésite pas à le suivre ici dans cette solution.
D'ailleurs, il n'est pas invraisemblable que l'égalité absolue des parts, dans les deux législations précitées, ait été fondée sur la présomption d'égalité des apports: lorsque les associés n'avaient pas réglé eux-mêmes leurs parts respectives, c'était sans doute parce qu'ils avaient reconnu que leurs apports leur donnaient un titre à des avantages égaux.
451. Si les apports ne consistent pas en argent et n'ont pas été évalués en argent, le tribunal devra préalablement procéder à cette évaluation.
Toutefois, l'apport d'industrie, s'il n'a pas été évalué par les parties elles-mêmes, l'est par la loi et non par le tribunal: il se mesure sur la valeur du moindre apport des autres associés; c'est à celui qui apporte son industrie et que cette estimation légale ne satisferait pas à faire adopter une autre évaluation par ses associés, au moment de la formation de la société ou plus tard.
Remarquons même que, pour que l'apport d'industrie soit compté pour la valeur qui lui est ainsi attribuée, il faut qu'il ait été effectué en entier, c'est-à-dire que, pendant toute la durée de la société, l'industrie dont il s'agit ait été exercée et appliquée aux besoins de la société: lors même que ce serait une force majeure, comme la maladie, qui aurait empêché l'associé de travailler pour la société, il n'en subirait pas moins une réduction proportionnelle de sa part; il n'y a que les corps certains apportés qui soient aux risques de la société. Cet apport est une sorte de louage d'industrie.
452. Le texte suppose enfin que l'associé qui a promis son industrie à la société a, en même temps, apporté de l'argent ou d'autres biens.
Ce cas, négligé par le Code français, mérite d'être mentionné et réglé, car il sera fréquent.
Il est naturel que cet associé ait deux parts: l'une afférente à son industrie, l'autre afférente à ses autres apports.
On s'est demandé, dans ce cas, si l'apport le plus faible sur lequel se mesure l'évaluation de l'industrie pourrait être l'apport de celui-là même qui, avec son industrie, apporte d'autres biens. Par exemple, un associé apporte 10,000 yens, un autre 5000, un troisième 2000 yens et son industrie: l'industrie sera-t-elle éraluée 5000 ou 2000 yens ?
Assurément, le moindre apport d'argent est 2000 yens, mais si c'était sur cet apport que fut mesuré l'apport d'industrie, il arriverait ce résultat choquant que celui qui apporte son industrie serait moins bien traité quand il apporte quelque chose de plus que quand il n'apporte que son industrie seule. Il est impossible d'admettre une telle solution: l'industrie sera donc dans ce cas, estimée 5000 yens. Du reste, le texte ne laisse pas subsister de doute à cet égard, car il prend pour mesure de l'apport d'industrie le plus faible apport "des autres associés.”
Nous avons dit plus haut que le tribunal doit évaluer les apports autres que celui d'industrie. Lorsque ce sont des arbitres qui doivent fixer les parts, d'après l'article 787, ils doivent évidemment faire une pareille évaluation, pour que leur règlement soit équitable. Mais sont-ils tenus d'observer la même exception en ce qui concerne l'industrie?
Nous n'hésitons pas à répondre négativement: lorsque les associés ont déféré à des arbitres la fixation des parts, c'est qu'elles n'ont pas voulu accepter le règlement légal; or, l'évaluation faite par la loi de l'apport d'industrie peut être la cause principale de leur compromis, de leur renvoi à des arbitres.
453. Nous avons eu à nous prononcer plus haut sur la question de savoir si un associé pourrait valablement apporter son crédit en société et nous avons conclu daus le sens de la négative (v. p. 494, n° 398). Il n'y a donc pas de question, pour nous, sur l'évaluation à faire d'un tel apport et nous espérons qn'il ne s'en soulèvera pas au Japon, à cet égard.
Mais ce qui devrait faire encore plus hésiter, en France et ailleurs, ceux qui ne reculent pas devant l'admission d'un apport de crédit, c'est la difficulté de l'évaluer: on ne peut l'assimiler à un apport d'industrie et lui donner la valeur du plus faible apport de choses, car la disposition légale qui fait cette assimilation est de droit étroit, comme toute exception; quant à assigner une valeur, par expertise, à un apport aussi incertain que le crédit dans ses effets, soit contre ceini qui le promet, soit en faveur des autres associés, il faut reconnaître que c'est absolument impossible.
Un tel apport, pour ceux qui l'admettent, ne pourrait donner droit à une part de profits ou imposer une part de pertes que s'il y avait une convention spéciale fixant cette part.
Art. 790. — 451. Le droit de chaque associé sur le fonds social ne peut s'exercer qu'à la dissolution de la société: jusque-là le fonds social appartient à l'être moral de la société, si elle a une personnalité, et à tous les associés, par indivis, dans le cas contraire; chaque associé ne peut donc, tant que dure la société, disposer des objets composant le fonds social, même pour sa part seulement.
Le Code français a pris la peine de l'exprimer daus l'article 186), sans que cela fût peut-être bien nécessaire; mais c'était pour lever un doute qui existait dans l'ancien droit et même pour condamner une jurisprudence qui permettait à un associé d'aliéner sa part.
Le Projet n'a pas les mêmes raisons de proclamer une vérité incontestable, d'après tout ce qui a été dit sur l'organisation de la société et sur son ailministration, et il n'y a pas lieu de distinguer ici si la société a ou non le caractère de personne morale (d).
Il va de soi également que les créanciers personnels d'un associé ne pourraient saisir une partie des choses sociales du chef de leur débiteur; tout au plus pourraient-ils, en exerçant les droits de leur débiteur, conformément à l'article 359 (v. art. 1166 du C. civ. fr.), demander communication des inventaires et faire opposition à toute délivrance des dividendes ou bénéfices qui pourraient être répartis avant la dissolution de la société.
Il faut excepter toutefois le cas où la société, bien que civile, serait organisée par actions, cas sur lequel on va revenir dans un instant avec le texte.
455. Le but du présent article, au lieu de prohiber ce qui est évidemment contraire à la nature de la société, est de proclamer certains droits de l'associé sur sa part, en tant qu'ils ne portent pas préjudice à la société.
D'abord, un associé peut former une sous-société pour sa part avec un tiers; cela lui sera quelquefois nécessaire quand il ne pourra effectuer son apport avec ses propres ressources: il ne trouverait peut-être à emprunter que difficilement ou à un gros intérêt, tandis qu'en partageant sa part de bénéfices avec le bailleur de fonds, il lui offrira des chances de gains qui pourront être déterminantes.
L'associé peut aussi donner sa part en nantissement, ce qui permettra au bailleur de fonds de se faire rembourser plus sûrement, sans concourir avec les autres créanciers de l'associé, lorsque la liquidation et le partage auront lieu.
Enfin, l'associé peut céder toute sa part, en transférant à un tiers ses droits éventuels sur le fonds social, et aussi en imposant au tiers la portion de passif qui pourrait lui incomber.
Mais le texte a soin d'ajouter que ces conventions particulières ne sont pas opposables à la société, au moins en principe: c'est l'application de la règle que “les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent être opposées aux tiers;” or, la convention particulière de l'associé au sujet de sa part ne doit pas nuire aux associés qui sont des tiers pour tout ce qui a été fait depuis qu'ils ont contracté. Ils n'auront donc pas pour associé le croupier de leur co-associé (e). Et cela est fort juste, car la société civile, plus encore que la société commerciale, est formée en considération des personnes (intuitu personarum), entre gens se connaissant, ayant confiance l'un en l'autre, et cette confiance ne s'étend pas nécessairement aux tiers que l'associé ne craindra pas de s'associer à lui-même.
Il en est de même de la cession ou de la remise en nantissement que l'associé ferait de sa part.
456. La loi apporte une double exception à cette limite des droits de l'associé: ce sont dès lors deux cas ou l'effet des actes d'un associé sur sa part, au lieu d'être seulement relatifs aux contractants, sont absolus et opposables même à la société.
C'est d'abord le cas où l'acte primitif de société aurait permis aux associés en général, ou à celui-ci spécialement, de faire ainsi entrer un nouveau membre dans la société, avec lui ou à sa place, sans qu'il y ait besoin de faire un nouveau contrat. Ce cas sera rare sans doute; il aura vraisemblablement été entouré de garanties; peut-être le nouveau meinbre possible aurat-il été nominativement désigné; en tout cas, ce sera toujours une application de la convention première plutôt que ce n'y sera une dérogation.
457. Le second cas où le cessionnaire d'un associé ou son croupier sera reconnu et admis comme associé par la société primitive est celui où son capital est divisé en actions.
Quand le capital n'est pas ainsi divisé, on appelle les droits des associés “parts d'intérêts”: le caractère de ces parts est justement d'être attachées à la personne de l'associé et incessibles. Cette forme, presque constante dans les sociétés civiles, suppose qu'il faut peu de capitaux pour que la société puisse fonctionner et que les associés les ont trouvés dans leurs relations. · Mais quand la société a besoin de grands capitaux, comme pour l'exploitation d'une mine, le dessèchement de marais, le défrichement et la inise en culture de terres incultes, il faut élargir le cercle de ceux dont on sollicite le concours et les fonds; alors on émet des actions, des titres, qui peuvent être au porteur ou nominatifs, mais qui sont essentiellement négociables ou cessibles, puisqu'alors le contrat de société est formé en dehors de toute considération des personnes, sauf peut-être pour les gérants. Les cessionnaires deviennent eux-mêmes associés.
La forme d'action donnée au droit des associés en permet encore la transmission aux héritiers, sans qu'il y ait dissolution de la société par la mort d'un associé: c'est un résultat important qu'on doit poursuivre dans les sociétés qui, ayant pour objet de grandes entreprises, doivent avoir une longue durée. On reviendra sur ce point au sujet de l'article 795.
Une conséquence non moindre que la cessibilité et la transmissibilité des parts d'associé résulte, en général, de la forme d'actions qui leur est donnée, c'est que l'associé qui a effectué le versement de l'apport imposé à chaque action ne peut être poursuivi pour payer les dettes de la société et si le versement est encore dû, en tout ou en partie, la poursuite ne peut excéder l'apport promis (f): cette limite des risques et de la responsabilité n'empêche pas que les associés-gérants ne soient tenus des dettes in infinitum. Pour que cette responsabilité elle-même fût supprimée, il faudrait que la société fût anonyme, c'est-à-dire qu'aucun associé n'y figurât en nom, même les gérants, restés simples actionnaires; alors les créanciers de la société n'auraient d'autre garantie que le fonds social; sauf le cas où les gérants auraient commis des fraudes ou des fautes lourdes (g).
Un article final proclamera ces principes.
Ces diverses formes de sociétés de capitaux ou par actions sont bien plus usitées en matière commerciale qu'en matière civile; mais nous avons démontré déjà, sous l'article 768, que lorsque l'objet de la société n'est pas commercial, ce n'est pas la forme qu'elle revêt qui peut en changer la nature (v. p. 507, no 410).
458. Le 22 alinéa, restant dans la double hypothèse où la cession des droits de l'associé serait opposable à la société, c'est-à-dire où les parts d'intérêt auraient été déclarées cessibles, ou bien où le capital aurait été divisé en actions, suppose que le contrat a réservé à la société, représentée par son gérant, le droit de préemption ou de préférence dans l'achat de la part d'intérêt ou de l'action que l'associé voudrait céder (h). Cette stipulation aurait pour but de restreindre le nombre des associés et de simplifier les rapports des personnes et les comptes.
Pour que la clause soit facilement exécutable, il sera bon que le contrat détermine les formes et les délais dans lesquels l'offre de cession devra être faite et acceptée. Nous supposons d'ailleurs qu'elle sera rare, au Japon comme en France, parce que, la cession devant se faire au prix que l'associé prétend trouver près d'un autre, il y aura toujours à craindre qu'il n'exagère ce prix.
La clause dont il s'agit ne serait ni applicable, ni utile, au cas où les actions seraient au porteur, c'està-dire cessibles par la tradition du titre. Elle serait inapplicable, car l'associé n'étant pas dénommé sur le titre, l'action peut changer de mains sans qu'il y en ait de trace; elle serait inutile, car si la société veut retirer une partie de ses actions, pour en relever la valeur ou pour un autre motif, elle pourra facilement acquérir, à la Bourse ou autrement, celles que les porteurs seraient disposés à vendre.
Cette faculté n'a rien de commun avec celle que la loi commerciale prohibera sans doute et qui consisterait, pour une société, à spéculer sur ses propres actions, par des achats desdites actions, non pour les anéantir, mais pour les revendre: ces oscillations artificielles entre la rareté et l'abondance des actions sur le marché public seraient d'autant plus dangereuses qu'elles seraient l'æuvre de la société elle-même; tandis que, lorsque la société aura supprimé par voie de rachat un certain nombre de ses actions, elle ne les remettra pas en circulation et le relèvement n'en sera pas sujet aux mêmes rechutes.
Le texte suppose que le droit de préemption a été stipulé en faveur de la société considérée comme personne morale ou au moins comme réunion des associés; mais rien ne s'opposerait à ce qu'un pareil droit fût stipulé pour les associés individuellement, lorsqu'ils auraient fait connaître, dans les formes et les délais prescrits, leur intention d'acheter les actions mises en vente.
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(d) C'est à tort, selon nous, que l'on invoque cet article 1860 du Code français pour soutenir qu'en France les sociétés civiles sont des personnes morales: la prohibition pour chaque associé d'aliéner sa part du fonds social s'explique aussi bien avec l'idée de simple co-propriété indivise qu'avec la personnalité morale de la société: l'indivision des associés a un but qui ne permet pas de réduire le fonds commun tant que ce but n'est pas atteint; de plus, elle est formée en considération de la personne des associés ceux-ci, ne peuvent donc changer sans la volonté de tous les intéressés.
(e) En France, on nomme croupier l'associé d'un associé, expres. sion figurée qui rappelle celui qui monte en croupe, c'est-à-dire derrière celui qui conduit un cheval.
(f) De là vient que, dans certaines sociétés commerciales on donne le nom de "commanditaires" (du latin commendare, confier) à ceux qui ne sont tenus que dans la mesure de leur mise, confióe à la société (voy.C. com. franç., art. 23 et suiv.; L. fr. du 24 juillet 1867, art. 1er à 20).
(g) Sur les sociétés commerciales anonymes, voir C. comm. fr., art. 29 et s.; L. fr. du 24 juill. 1867, art. 21 à 47.
(h) Le droit de préemption a déjà d'autres applications dans les articles 32, 73, 141, 150, 182, 189, 190.
Art. 791. — 459. Les deux dispositions principales de cet article (1er et 2e alinéas) dérogent profondément au Code français.
1° Le Code français n'admet pas, quoiqu'on ait soutenu le contraire, que les sociétés civiles soient des personnes morales ou juridiques: ce caractère n'est certain que pour les sociétés commerciales (voy. C. civ. art. 529). En conséquence, il n'y a pas de fonds social proprement dit: les biens dits “de la société” sont, en réalité, des biens indivis entre les associés; les créanciers dits “de la société" sont des créanciers des associés; il n'y a pas deux patrimoines et deux classes de créanciers dont chacune aurait son gage: il n'y a qu'un gage commun pour tous les créanciers de chaque associé, à savoir, la part indivise de celui-ci dans les biens de la société, réunie à ses autres biens; le tout se distribue en proportion du montant de chaque créance, sauf le cas où quelques-uns auraient des causes de préférence, comme un privilége légal ou une hypothèque conventionnelle.
Du moment que le Projet admet que les sociétés civiles pourront être des personnes morales, par la volonté des parties, et même qu'elles auront ce caractère par le seul fait qu'elles auront un nom social ou seront publiées (voy.art. 766), il va de soi que le fonds social sera, dans ce cas, distinct du patrimoine des associés, que les créanciers de la société ne se confondront pas avec les créanciers personnels des associés, que chaque classe de créanciers aura pour gage exclusif les biens de son débiteur: l'une le fonds social, l'autre les biens propres de l'associé; ce n'est que lorsque l'une sera entièrement désintéressée avec les biens qui lui sont destinés que l'excédant, s'il y en a, pourra être réclamé par l'autre classe.
Le présent article déduit formellement cette conséquence naturelle et même forcée du principe posé par l'article 766; sans doute, la doctrine et la jurisprudence n'auraient pas hésité à l'appliquer ainsi d'ellesmêmes; mais, du moment qu'on innovait sur le Code français, il fallait mettre les légistes japonais en garde contre l'influence de la tradition française qu'on retrouverait dans les ouvrages qu'elle a inspirés.
460. La disposition du 2e alinéa déroge aussi au Code français (v. art. 1862 et 1863), et ici la solution n'aurait pu être suppléée sans un texte formel.
C'est un principe général que lorsqu'il y a plusieurs débiteurs d'uue même dette, chacun d'eux ne peut être poursuivi que pour sa part; pour qu'il en soit autrement, il faut que la dette soit solidaire ou indivisible; or, la solidarité et l'indivisibilité sont des modalités exceptionnelles des obligations multiples (voy. Proj. art. 457 à 470); l'exception peut résulter de la convention des parties, des dispositions de la loi ou de la nature de la dette.
On suppose ici que lorsque le gérant de la société a contracté une dette en cette qualité ou pour les affaires de la société, il n'a pas été formellement autorisé par les statuts ou par une convention spéciale avec les associés à les obliger solidairement, c'est-à-dire chacun pour le tout: autrement, il n'y aurait pas de doute que la solidarité ne garantît le payement de cette dette.
Il n'y a pas non plus à s'occuper du cas où l'obligation serait indivisible par sa nature: la circonstance qu'il s'agit de la dette d'une société sera sans influence sur la nature de cette dette; par exemple, l'obligation de ne pas faire quelque chose est toujours indivisible par sa nature et celle de donner de l'argent est naturellement divisible.
Mais il pourrait y avoir solidarité légale, ou non, et c'est sur ce point que le Projet se sépare du Code français, lequel déclare formellement qu'à défaut de convention spéciale, les associés ne sont pas tenus solidairement des dettes de la société, mais seulement pour leur part.
Ce n'est pas sans de sérieux motifs que l'on propose d'établir ici la solidarité légale.
461. Cette solidarité est la règle dans les sociétés commerciales; or, on ne voit pas de raison pour qu'il en soit autrement dans les sociétés civiles; quel que soit le motif qui fait établir la solidarité légale dans les sociétés commerciales, il peut s'appliquer avec la même force aux sociétés civiles. Si c'est pour donner plus de crédit à ces sociétés, en ce que les tiers auront plus de garanties d'être payés, il n'est pas moins utile de donner du crédit aux sociétés civiles, car elles sont appelées à rendre au Japon de grands services pour la production agricole. Si c'est parce qu'il est difficile aux créanciers de connaître exactement la part de chacun dans la distribution de l'actif et du passif, cette difficulté n'est pas moindre dans les sociétés civiles que dans les sociétés commerciales; d'ailleurs, les unes et les autres sont soumises à la publicité et le règlement des parts peut être par là facilement connu. C'est peut-être enfin parce que les sociétés commerciales sont des personnes morales ou juridiques que la solidarité y a été attachée; or, le Projet décide que les sociétés civiles ont aussi une personnalité; il y a donc, de quelque côté qu'on se place, les mêmes raisons d'attacher la solidarité légale à la garantie des obligations contractées valablement par les gérants des sociétés civiles que s'il s'agissait des sociétés commerciales.
462. Nous exigeons qu'elles soient contractées “valablement”; par conséquent, si les pouvoirs du gérant avaient été restreints, il n'aurait obligé que lui personnellement, en excédant ses pouvoirs. Mais, comme le gérant peut aussi faire des contrats pour lui-même et pour ses affaires personnelles, il faut qu'il s'agisse ici d'actes qu'il a fait en qualité de gérant, c'est-à-dire au nom de la société, ou, s'il n'a pas pris formellement cette qualité dans l'acte, il faut qu'il s'agisse manifestement des affaires de la société, de sorte que les tiers qui ont traité avec lui sachent bien qu'ils ont la société pour débitrice et, après elle, les associés.
Ces diverses conditions sont exigées par la loi dans le jer alinéa, pour l'affectation du fonds social à la garantie des créanciers sociaux: elles sont naturellement exigées pour le recours subsidiaire des créanciers sociaux contre les associés.
Sur le 2 alinéa, il faut bien remarquer que l'action des créanciers n'est ailiise contre les associés individuellement “ qu'en cas d'insuffisance du fonds social”; par conséquent, les créanciers ne pourraient pas, à leur choix, poursuivre la société ou les associés, saisir les biens propres des associés plutôt que le fonds social, sous prétexte qu'ils y trouveraient plus de facilités, moins de frais ou moins de lenteurs.
Toutefois, la loi leur donne ce droit de poursuivre les associés avant d'avoir épuisé le fonds social, lorsque le gérant ou les associés “ne représentent pas le fonds social,” lorqsu'ils le dissimulent, ou même ne le révèlent pas par la production des livres, des titres ou des marchandises.
Il fallait prévoir, en effet, que le capital des sociétés civiles, n'étant pas toujours immobilier, serait facilement dissimulé aux créanciers et que, de cette façon, un temps considérable et inutile aurait été perdu avant que les créanciers pussent se prévaloir de la solidarité contre les associés individuellement.
463. La loi excepte de l'obligation solidaire le cas où le capital est divisé en actions, c'est-à-dire où la société civile est en commandite ou anonyme, comme il est prévu à l'article 768 et comme le précédent article y a déjà fait allusion. En effet, le but principal de la division du capital en actions est justement, comme on l'a remarqué plus haut, de limiter la responsabilité des associés à leur mise et de les préserver de pertes qu'ils n'ont pu prévoir ni surtout empêcher.
464. Le 3 alinéa déclare que cette solidarité n'est pas absolument liée à la personnalité de la société civile. Il y aura même cette différence qu'au lieu d'être subsidiaire et de ne pouvoir s'exercer qu'après épuisement du fonds social, elle est immédiate, puisqu'il n'y a pas de fonds social ou qu'il se confond avec les biens personnels des associés.
La présente disposition était d'autant plus nécessaire que le privilege des créanciers sur le fond social venait d'être limité, par le 1er alinéa, au cas où la société est une personne morale.
465. Le dernier alinéa applique un principe de la solidarité qu'on ne verra posé en lui-même qu'au Livre I Ve, où il sera traité de la solidarité dans son ensemble.
La solidarité des débiteurs existe surtout dans leurs rapports avec le créancier: dans leurs rapports respectifs et pour leur recours les uns contre les autres, la dette se divise et elle ne doit être supportée définitivement par chacun que pour sa part réelle dans la dette; or, on sait que les parts peuvent être égales ou inégales, d'après les articles 784 à 789; donc celui qui aura payé toute la dette, par l'effet de la solidarité, recourra contre les autres pour leur part et en conservera une part à sa propre charge.
Dans le présent article on a supposé des dettes contractées par le gérant. Il va de soi que s'il n'y avait pas eu de gérant nommé par l'acte de société ou par un acte ultérieur, comme alors tous les associés pourraient gérer, l'article s'appliquerait aux engagements de chaque associé, pourvu qu'il s'agit d'un acte d'administration fait au nom de la société ou applicable à ses biens. On serait encore dans les termes de notre article autant que dans son esprit.
COMMENTAIRE.
Art. 792. — N° 466. La loi fait deux classes de causes de cessation de la société: les unes en opèrent la dissolution, de plein droit, par la force de l'événement accompli et en vertu de la loi seule; les autres ne produisent cet effet que par la volonté des parties ou de l'une d'elles. Ce n'est pas à dire que lorsque la dissolution s'opère de plein droit, elle ne donnera jamais lieu à contestation et que la justice n'aura pas à intervenir; mais, lorsque les faits auxquels la loi attache la dissolution seront reconnus en justice, leur effet se reportera au jour où ils se sont accomplis; tandis que dans les cas où la dissolution est volontaire, elle ne rétroagit pas, sauf dans le cas du 39 alinéa de l'article 793, parce qu'il s'agit d'une résolution pour inexécution des obligations; mais il reste toujours cette différence que la résolution n'a lieu que par une demande en justice, laquelle pourrait n'être pas faite, et même, une fois qu'elle est faite et accueillie, la justice peut encore la tempérer, la retarder, par la concession d'un délai qui permettra au défendeur de l'éviter en satisfaisant à ses obligations (voy. art. 441).
467.—I. Le premier cas de dissolution de plein droit est l'expiration du temps pour lequel la société avait été formée; comme ce temps avait été fixé par les parties, on peut dire que la dissolution vient de leur volonté; mais, cette volonté n'ayant pas à être renouvelée lorsque le temps se trouve accompli, on peut dire exactement que c'est le temps qui, seul désormais, opère la dissolution.
Au surplus, le délai peut n'avoir été fixé que tacitement: par exemple, s'il s'agissait d'une société formée pour l'exploitation agricole d'une terre louée pour un temps déterminé; dans ce même cas, si, à l'expiration du bail, les associés obtenaient un nouveau bail de la même terre, la durée de la société pourrait être considérée comme tacitement prorogée jusqu'à l'expiration du nouveau bail.
Comme le présent article, ainsi que la plupart de tous ceux de ce Chapitre, est commun aux sociétés commerciales en même temps qu'aux sociétés civiles, nous donnerons encore l'exemple d'une société formée pour l'exploitation d'un hôtel de voyageurs dans des bâtiments loués pour un certain nombre d'années, ou pour l'exploitation d'un brevet d'invention dont la durée est limitée par la loi elle-même.
La loi met sur la même ligne que l'expiration du terme l'accomplissement de la condition résolutoire à laquelle l'existence de la société aurait été subordonnée. Par exemple, si l'apport de l'un des associés consistait en un droit de propriété immobilière sur lequel il y aurait un procés pendant ou imminent, les parties, en prévision de la perte du procès et d'une éviction, auraient pu, au lieu de s'en tenir à l'action en garantie qui pouvait être sans résultat utile, stipuler que la société serait résolue.
Il y aurait, du reste, entre ce cas et celui du terme, une sérieuse différence: la dissolution de la société serait rétroactive, elle n'aurait pas lieu ex nunc, “ de maintenant,” mais ex tunc, “d'alors”; c'est l'effet ordinaire de la condition résolutoire (voy. art. 429).
468.- II. La société peut avoir pour objet une suite indéfinie d'actes, de nature plus ou moins semblable; elle peut aussi n'avoir été formée que pour une ou plusieurs opérations déterminées: l'accomplissement de ces opérations met naturellement fin à la société. Ainsi, on s'est associé pour acheter un grand terrain et pour le revendre par lots, pour construire administration publique: la société prend fin lorsque ces opérations sont terminées.
La loi ajoute le cas où l'accomplissement serait devenu impossible: par exemple, dans la première hypothèse, on n'aurait pas pu conclure l'achat du terrain ou on n'aurait pas réussi à trouver des acquéreurs pour les lots; dans la seconde hypothèse, l'armée ou l'administration aurait résilié le contrat de fournitures.
469.—III. Le troisième cas de cessation de plein droit est la perte de la totalité ou de la majeure partie du fonds social réalisé, c'est-à-dire des apports déjà effectués ou au moins exigibles. Le fonds social est l'instrument des opérations de la société; s'il vient à manquer la société ne peut plus fonctionner, il n'y a pas de raison d'en prolonger l'existence et si la majeure partie du fonds est perdue, il est à craindre que le désordre des affaires sociales n'entraîne la perte du reste.
470.-IV. Quelquefois l'apport d'un des associés, au lieu d'être effectué immédiatement et en une seule fois, se compose de prestations successives et continues, soit de services, comme une gérance, une comptabilité, soit de jouissance, comme l'usage d'un terrain ou d'un bâtiment, tel que le doit fournir un bailleur (le précédent alinéa y fait allusion en mentionnant le cas contraire, celui des apports “ réalisés” ou exigibles): si l'associé qui a de pareilles obligations cesse de pouvoir les remplir, il n'effectue pas son apport et l'un des éléments de la société vient à manquer.
Il ne faut pas confondre ce cas avec celui qui forme le n° 3 de l'article suivant, où l'on suppose que l'un des associés est en faute de remplir ses obligations: comme il peut y être contraint, au moins en équivalent, la dissolution n'a pas lieu de plein droit, mais seulement par voie d'action résolutoire; mais ici, on suppose que c'est une impossibilité d'exécuter non imputable à l'associé: par exemple, c'est une maladie qui l'empêche de gérer, ou une force majeure, un accident, qui a détruit les bâtiments dont il devait fournir la jouissance pendant la durée de la société.
471.- V. Les sociétés civiles, plus que les sociétés commerciales, sont formées en considération des personnes: c'est parce que les associés se connaissent et ont confiance les uns dans les autres qu'ils unissent leurs intérêts et leurs efforts vers un but commun.
On comprend donc que la mort de l'un d'eux brise le faisceau de ces intérêts et de ces efforts, même pour les survivants.
Il en est de même de certains événements qui modifient profondément la capacité d'un des associés; en première ligne est l'interdiction, soit pour démence, soit par l'effet d'une condamnation criminelle: lors même que cet associé ne serait pas le gérant, il résulterait toujours de son interdiction de grands changements dans les rapports que les associés devraient avoir avec lui, soit pour l'examen des comptes et le partage des bénéfices, soit ponr les décisions à prendre en commun, et ces rapports ne pourraient même plus avoir lieu que par l'entremise de son représentant.
Les difficultés seraient les mêmes s'il y avait mise en faillite ou insolvabilité, notoire ou déclarée, d'un des associés: dans ces cas, les créanciers de celui-ci auraient le droit de s'immiscer dans les affaires de la société, au cours des négociations, ce qui serait contraire à l'intérêt et aux convenances des autres associés.
On peut dire que, dans ces trois cas, la société est dissoute parce que la situation d'un des associés est devenue telle que, si elle avait eu lieu plus tôt ou avait été prévue, les autres associés n'auraient pas consenti à former société avec lui.
On ne trouve pas ici comme cause de dissolution l'incapacité survenant chez une femme associée qui contracterait mariage.
En France, où l'incapacité de la femme mariée est assez considérable, la société n'est pas dissoute par le mariage contracté par une associée qui aurait été célibataire ou veuve au moment du contrat.
Les causes de dissolution de la société énoncées à ce 5° alinéa ne s'appliquent pas aux sociétés dont le capital est divisé en actions, et même, dans les sociétés formées en vue des personnes, ces causes de dissolution peuvent être exclues par la convention des parties, comme il est expliqué à l'article 795.
Art. 793. — 472. Nous arrivons à la dissolution qui n'a lieu que par la volonté des parties ou de l'une d'elles et qu'on pourrait appeler dissolution volontaire ou facultative, par opposition à celle qui a lieu de plein droit et est pour ainsi dire légale.
Les cas sont peu nombreux et, à l'exception du 2°, réservé un instant, ils sont très-simples.
C'est d'abord la volonté unanime des parties: il est clair que le droit commun de la liberté des conventions doit rester ici plein et entier et que toute société, en toute circonstance, peut se dissoudre par la volonté de toutes les parties; c'est ce que la loi exprime par les mots: “dans tous les cas."
Le 3e cas de dissolution volontaire, l'action résolutoire fondée sur l'inexécution par un associé de ses obligations, n'est aussi que l'application du droit commun; il faut supposer que l'inexécution est imputable à l'associé et fautive, et c'est cette idée de faute qui sépare ce cas de celui prévu au n° 4 de l'article précédent.
473. Le 2 cas est plus digne d'attention: il suffit de la volonté d'un seul des associés pour dissoudre la société.
Trois conditions sont requises pour cette cause de dissolution:
1° Il faut que la société n'ait pas de durée fixée, expressément ou tacitement: autrement, il faudrait attendre le terme ou fonder la dissolution anticipée sur une des causes portées aux nos 4 et 5 de l'article précédent. Mais lorsque la société doit avoir une durée illimitée et qu'elle n'est pas bornée à une ou plusieurs opérations déterminées (ce qui constituerait un terme tacite quoiqu'incertain), il serait contraire à l'intérêt commun des associés qu'ils fussent obligés de rester dans le lien social pendant toute leur vie; il ne manquerait pas de se produire des tiraillements, des dissentiments, d'autant plus probables que l'un des associés voudrait mettre fin aux opérations;
2° Il faut que cette dissolution soit demandée de bonne foi et non parce que l'associé qui la demande trouverait un emploi plus avantageux de ses fonds ou de son travail;
3° Enfin, il faut que la demande ne soit pas inopportune ou intempestive, ce qui arriverait si la liquidation ainsi amenée devait se produire dans un temps de crise commerciale, financière ou politique, alors que les biens se vendraient mal; la demande serait encore inopportune, si la société avait fait des sacrifices dont les résultats favorables seraient prochains et se trou. veraient empêchés par une dissolution anticipée.
Ces trois conditions sont requises par le Code fran. çais (art. 1869 et 1870).
Le Projet ne contient pas expressément de disposition analogue à celle de l'article 1871 du Code fran. çais permettant la dissolution par la volonté d'un seul associé, pour une société à durée fixe, en vertu d'une cause légitime ou de “justes motifs”: on doit considérer que les diverses causes légitimes sont suffisamment prévues dans le n° 4 de l'article précédent et dans le n° 3 du présent article.
Art. 794. — 474. La dissolution de la société par l'échéance du terme fixé n'est pas d'ordre public, pas plus du reste que les autres causes qui en opèrent la cessation de plein droit, et les parties peuvent l'empêcher en prorogeant ou en prolongeant ce terme.
La prorogation peut avoir lieu, soit avant l'arrivée du terme, soit après son expiration.
1° Avant l'arrivé du terme, la prorogation sera naturellement et presque toujours expresse; mais elle pourra aussi être tacite: par exemple, si le siège social et l'administration étant établis dans des locaux loués pour un temps égal à la durée fixée pour la société, la location de ces locaux a été renouvelée pour un temps plus ou moins considérable. Au contraire, on ne devrait pas voir une intention de proroger la société, si la location n'avait été renouvelée que pour six mois ou un an, ces délais modérés pouvant être destinés à la liquidation de la société, après l'expiration du terme.
S'il s'agissait d'une société agricole pour exploiter des terrains loués et que les terrains eussent été reloués pour un temps quelconque devant suivre la première location, on devrait y voir, comme on l'a déjà fait ob server, une prorogation tacite de la société pour la durée du nouveau bail.
2° Si le terme de la société est expiré, il ne peut guère y avoir qu'une prorogation tacite, car c'est la seule qui se conçoive immédiate et sans intervalle: elle résultera de la continuation des opérations sans opposition d'aucun associé, ce qui constitue leur consentement tacite.
Dans ce cas, aucun nouveau délai n'étant assigné à la continuation de la société, elle est réputée désormais n'avoir plus de durée fixée et, dès lors, elle se dissoudra par la volonté d'un seul associé.
Art. 795. — 475. On a déjà eu occasion de distinguer des sociétés de personnes et des sociétés de capitaux; on appelle ainsi les premières, parce qu'elles sont formées en considération des personnes, les autres parce qu'on y envisage surtout les capitaux fournis; on donne à ces dernières le nom de sociétés “par actions”; le plus souvent, elles sont commerciales, mais rien n'empêche que le capital des sociétés civiles soit divisé en actions (voy. art. 768).
Le présent article limite aux sociétés de personnes la dissolution par la mort d'un des associés ou par l'une des autres causes portées au no 5 de l'article 792. Il serait, en effet, déraisonnable que la mort d'un actionnaire pût dissoudre la société, alors que sa personne n'a été ni considérée, ni peut-être même connue, lors de la formation de la société. L'actionnaire qui a versé le montant de son action ou de ses actions a effectué son apport, et comme il ne doit plus rien à la société, son décès n'y jette aucun trouble; même les comptes à rendre seront rendus aux porteurs d'actions, quels qu'ils soient, aux actionnaires primitifs ou à leurs héritiers, et si l'un des actionnaires tombe en état d'interdiction, de faillite ou de déconfiture, ses droits seront exercés par son tuteur, dans le premier cas, et par ses créanciers dans les deux autres.
On remarquera que la loi a soiu de limiter l'exemption de la dissolution au cas où les événements qui nous occupent se produisent en la personne d'ou des actionnaires. C'est qu'en effet, il peut arriver et il arrive même souvent, qu'à côté des associés-actionnaires, non dénommés dans l'acte, il y a des associés en nom, dont la personne a été prise en considération pour la formation de la société et qui en seront ordinairement les gérants; or, si c'est l'un de ces associés qui vient à mourir ou à être frappé d'incapacité, avant le terme fixé pour la durée de la société, la dissolution devra s'ensuivre.
476. Le 2e alinéa du présent article élargit encore l'exception: lors même qu'il s'agirait d'une société de personnes, les associés peuvent convenir que la mort, l'incapacité ou l'insolvabilité survenant chez l'un des associés ne mettra pas fin à la société, laquelle continuera alors avec les autres associés, et les droits du décédé ou de l'incapable seront réglés au jour de l'événement, comme si la société était dissoute, car elle l'est à son égard. Il va de soi, du reste, sans qu'il paraisse nécessaire de l'exprimer comme le fait le Code français (art. 1868), que “l'héritier participerait aux droits ultérieurs qui seraient une suite nécessaire de ce qui s'est fait avant la mort de l'associé auquel il succède" et il en faut dire autant des pertes qui ne se révèleraient de même que tardivement, mais dont la cause serait dans des actes antérieurs.
La convention peut aller plus loin encore, on peut convenir que les héritiers du décédé deviendront euxmêmes associés en sa place, et, s'il s'agit d'une incapacité ou d'une insolvabilité, que l'incapable ou l'insolvable restera associé, sauf à être représenté dans les redditions de compte ou les délibérations par son tuteur ou ses créanciers.
Le Code français n'a prévu la convention dérogeant à la dissolution de la société que pour le cas de décès d'un associé et ce n'est également qu'en vue du cas de décès qu'il a prévu que la convention pourrait admettre le représentant de l'associé à entrer dans la société maintenue. Il n'y a pas lieu de considérer le silence de ce Code comme impliquant la prohibition d'une telle convention qui ne serait contraire à aucun principe. Cette convention sera plus rare, sans doute, comme moins conforme à l'intérêt des associés, mais elle doit être considérée comme licite et le Projet lève tout doute à cet égard.
COMMENTAIRE.
Art. 796. — N° 477. C'est une particularité du contrat de société que lorsque le contrat a pris fin, les intérêts des parties peuvent encore être en conflit et, dès lors, la loi n'a pas encore terminé ses prévisions en ce qui les concerne: il reste à faire une liquidation, souvent laborieuse, et un partage définitif du fonds social.
Cette communauté d'intérêts n'est plus la société proprement dite, mais elle en est si voisine qu'on lui donne souvent, même dans la loi, le nom de "société en liquidation ” (voy. art. 6 et 15) et l'ensemble des biens qui formaient le fonds social conserve jusqu'au partage le caractère d'un patrimoine, d'une universalité de biens, distincts des biens personnels des associés (v. art. 17).
La liquidation dont l'objet est détaillé à l'article suivant est, d'après le sens littéral du mot, un ensemble d'opérations qui tendent à rendre claire, transparente, la situation de la société, tant vis-à-vis des tiers que vis-à-vis des associés eux-mêmes, au moment de sa dissolution.
La liquidation est tellement naturelle et même si nécessaire qu'il semble qu'il n'y ait qu'à en régler les formes, mais non à l'annoncer comme un droit appartenant aux associés; lors donc que la loi dit qu'elle peut être demandée par chaque associé, c'est surtout pour reconnaître le même droit à leurs ayant-cause, parmi lesquels on ne doit pas négliger de compter leurs créanciers. Le même droit appartiendrait aux créanciers de la société, soit en cette qualité même, soit comme devenus créanciers personnels des associés par le fait de la dissolution.
478. Généralement, la liquidation sera demandée et effectuée avant le partage; il y a de cela une raison pratique: la liquidation contenant le payement des dettes échues et pouvant même s'étendre aux dettes non encore échues, moyennant accord avec les créanciers, il en résulte que l'excédant d'actif, s'il y en a, étant ensuite partagé, les associés ne seront plus inquiétés sur leur part à raison des dettes; cela est d'autant plus important que, la solidarité légale étant admise contre eux (v. art. 791), il y aurait lieu à recours de ceux qui auraient payé contre les autres.
Mais il pourrait arriver que quelques associés, pressés par des besoins d'argent, désirassent un partage immédiat du fonds social. La loi ne s'y oppose pas; mais, comme l'opération peut présenter des inconvénients, elle exige que la proposition soit acceptée par la majorité des associés.
Comme, il ne s'agit pas ici d'une "mesure à prendre en exécution des statuts,” mais d'un acte "ne rentrant pas dans les prévisions desdits statuts,” la loi a dû exprimer que la majorité suffirait: autrement, c'est l'unanimité qui serait nécessaire (v. art. 776).
La loi a dû admettre les créanciers à faire opposition à ce que le partage précédât la liquidation: sans cela, ils seraient exposés à ce que les biens, une fois divisés, ne fussent d'une saisie difficile.
Art. 797. — 479. Le Code français ne mentionne pas ici la liquidation, il n'a donc pas dit en quoi elle consiste; le mot n'étant pas encore consacré dans la loi japonaise, sauf en matière de dommages et intérêts (v. art. 406), il a paru bon d'indiquer en quoi consiste la liquidation d'une société.
Les actes ici mentionnés ne le sont que par forme d'énonciation et non comme énumération limitative. Du reste, il semble difficile que les autres actes qui pourraient être nécessaires ne rentrent pas, plus ou moins, dans l'un de ceux qui sont énoncés ici.
Nous les reprendrons sommairement.
1° Il faut d'abord terminer les affaires commencées pour la société par le gérant. Cela suppose évidemment qu'il ne s'agit pas d'une dissolution arrivée par l'achèvement de l'entreprise pour laquelle la société avait été formée. Dans les autres cas, au moment de la dissolution, il y aura toujours un certain nombre d'opérations commencées, soit avec des tiers, comme des travaux commandés pour la société, soit sans intervention de tiers, comme des cultures commencées qu'il faut suivre et conduire jusqu'à la récolte.
S'il n'y avait avec les tiers que des pourparlers de contrats, même sur le point d'aboutir à un résultat, il n'y aurait pas lieu pour le liquidateur de conclure définitivement le coutrat, parce que ce serait prolonger les effets de la société au-delà de ce qui est nécessaire.
2° La société, même ayant prospéré jusqu'à la fin, a naturellement des dettes à payer, par suite de ses opérations avec les tiers.
S'il s'agissait d'une société commerciale, les exemples seraient superflus; dans une société civile agricole, il y aura eu des achats de semences, d'engrais ou d'instruments aratoires, des locations d'ouvriers agricoles, des contrats avec les entrepreneurs ou artisans pour la réparation ou l'aménagement des locaux; s'il s'agissait d'une société pour l'achat et la revente de terrains, les dettes à payer pourraient être des prix d'achat desdits terrains.
Quant aux créances à recouvrer, il y a encore moins de difficultés à en comprendre un certain nombre: la société peut avoir vendu des produits, donné à loyer des bâtiments ou des terres, placé des capitaux en prêts, etc.
Au point de vue de la facilité de l'exécution, il y aura entre le payement des dettes et le recouvrement des créances une différence de droit assez notable (nous ne parlons pas de la différence de fait), c'est que le liquidateur pourra généralement payer les dettes non échues, en renonçant au bénéfice du terme (sauf à tâcher d'obtenir un escompte, si la dette ne portait pas d'intérêts), tandis qu'il ne pourra obtenir un payement anticipé de la part des tiers que s'ils y consentent (v. art. 424).
3° Une des opérations les plus importantes de la liquidation, c'est l'établissement du compte particulier de chaque associé avec la société. On a vu précédemment diverses dispositions d'après lesquelles un associé peut être, soit débiteur, soit créancier de la société. Il est débiteur quand il est en retard pour effectuer son apport, quand il a tiré des fonds de la société pour ses affaires personnelles ou quand il a commis des fautes dans la gestion; il est créancier quand il a fait des avances de fonds à la société ou éprouvé des pertes personnelles par suite des affaires de la société.
Le liquidateur s'aidera, pour ces comptes, des réclamations respectives des associés, et chacun lui fournira les justifications qui seront en son pouvoir.
Le compte du gérant sera toujours le plus difficile à établir.
4° Une fois toutes ces opérations terminées, il reste un actif à partager, ou un passif à supporter, suivant que la société a prospéré ou non.
Le partage est l'objet des derniers articles de cette Section (v. art. 802 et suiv.).
Art. 798. — 480. Il arrivera quelquefois que l'acte constitutif de la société aura réglé le choix du liquidateur et l'étendue de ses pouvoirs; on observera cette partie de la convention comme les autres, parce qu'elle est d'intérêt purement privé.
Mais si l'acte de société est muet sur la liquidation, il faut que la loi trace quelques règles à cet égard.
D'abord, qui sera liquidateur ? Si les associés s'entendent pour liquider conjointement ou en commun, rien n'est mieux, théoriquement; mais, en fait, on divisera le travail, suivant les aptitudes de chacun; on se concertera d'ailleurs à chaque difficulté, et l'avantage sera de n'avoir pas besoin de donner une approbation finale à la liquidation, puisqu'elle aura été approuvée dans chacune de ses parties.
Mais, il est à craindre aussi que tant de sujets à discuter en commun ne soient autant d'occasions de dissentiments et que le but ne soit pas atteint.
Aussi, le plus souvent, les associés nommeront-ils un seul liquidateur, pris soit parmi eux, soit au dehors.
La loi veut que ce choix soit fait à l'unanimité: s'il s'agissait d'exécuter les statuts, la majorité suffirait (v. art. 776), mais ici, il s'agit d'une mesure nouvelle à prendre et d'ailleurs la société est dissoute, il n'y a plus que des copropriétaires indivis; or, parmi eux, la majorité ne fait pas la loi pour la minorité.
Si l'unanimité ne peut être obtenue, il y aura lieu à demander au tribunal le choix du liquidateur. Ce sera le tribunal du lieu où la société avait son siège. Le tribunal pourra de même choisir pour liquidateur un associé ou un tiers; mais, s'il choisit l'ancien gérant, il devra nommer un liquidateur spécial pour établir le compte même du gérant.
Art. 799. — 481. Il ne fallait pas enfermer les pouvoirs du liquidateur dans des limites trop étroites, mais il ne fallait pas non plus leur donner une dangereuse étendue.
La loi commence, non par autoriser, mais par obliger le liquidateur à aliéner les objets susceptibles d'un dépérissement “rapide”: ce mot est nécessaire, car tous les objets en général dépérissent avec le temps. Si donc, dans une société agricole en liquidation, il y a des fruits non vendus, le liquidateur devra aliéner ceux qui peuvent se détériorer matériellement ou se déprécier en valeur; il en sera de même des animaux qui souvent pourraient dépérir faute des soins qu'ils recevaient pendant l'exploitation de la société.
Les autres objets mobiliers doivent être conservés, en principe, pour être partagés; mais, s'il y a insuffisance de sommes d'argent pour payer les dettes, le liquidateur pourra aliéner des meubles, jusqu'à concurrence de ce qui est nécessaire. C'est lui, naturellement, qui aura le choix de ces meubles.
La loi ne lui donne ce pouvoir que pour les dettes “échues”; il ne devrait donc pas vendre pour payer des dettes non échues, car cette renonciation au bénéfice du terme, déjà onéreuse aux intérêts communs, pourrait le devenir davantage si elle entraînait une vente inopportune de meubles.
L'aliénation des immeubles peut être encore plus nuisible que celle des meubles par son inopportunité, aussi la loi ne la permet-elle pas au liquidateur; il lui faut, à cet effet, une autorisation spéciale des associés, donnée à la majorité, et même, s'il n'est pas autorisé à traiter à l'amiable, il doit vendre aux enchères publiques.
Quant à l'hypothèque, elle n'est permise aussi qu'en vertu d'une autorisation spéciale. Si donc le liquidateur a besoin de fonds pour acquitter des dettes échues et s'il ne trouve pas à en emprunter sans hypothèque sur les biens de la société en liquidation, il doit présenter une demande aux ex-associés, à l'effet de se faire autoriser à hypothéquer.
482. Il arrivera souvent que les créances à faire valoir contre les tiers, au nom de l'ancienne société ou contre celle-ci par les tiers, donneront lieu à des difficultés. Il n'y a que trois manières de les résoudre: plaider devant les tribunaux, transiger ou s'en rapporter à des arbitres.
On peut hésiter sur le point de savoir s'il convient de laisser au liquidateur le pouvoir de plaider, comme demandeur ou défendeur, sans autorisation spéciale; de même, si on doit lui permettre de transiger, c'està-dire d'éviter le procès par des sacrifices; enfin, s'il doit pouvoir s'en rapporter à des arbitres (compromettre, faire un compromis). Ce sont les solutions affirmatives qu'on adopte ici.
Il n'y a pas beaucoup à craindre l'abus des procès par le liquidateur, parce que ce sera pour lui un surcroît de peines et d'embarras; toutefois, si le liquidateur recevait une indemnité ou rétribution mensuelle, il y aurait danger qu'il ne cherchất à prolonger sa fonction pour le profit qu'il en tire. Le remède sera dans la vigilance des associés qui pourront toujours demander au liquidateur des explications sur ce qu'il compte faire, et provoquer telles mesures qu'ils jugeront à propos.
La transaction présente le danger opposé: il serait à craindre que le liquidateur non rétribué désirât hâter ses opérations et fût porté à consentir trop facilement à des sacrifices, à des arrangements contraires aux intérêts dont il est chargé.
Le danger serait à peu près le même dans le compromis ou recours à des arbitres: pour éviter les lenteurs et les embarras d'un procés devant les tribunaux ordinaires, le liquidateur pourrait consentir trop facilement à confier à des arbitres la décision du litige.
Ici, la loi indique un remède contre l'abus: comme il s'agit d'actes pour ainsi dire instantanés que les associés pourraient ne connaître qu'après leur accomplissement, la loi leur donne le pouvoir d'attaquer la transaction et le compromis, lorsqu'il y a eu dol concerté entre le liquidateur et les tiers intéressés. Il n'est pas nécessaire d'ailleurs que le dol tende à enrichir directement les tiers au préjudice des associés; il suffit que la transaction ou le compromis soient intervenus par la complaisance du liquidateur, pour satisfaire ses convenances personnelles, et qu'ils soient préjudiciables aux ex-associés.
Art. 800. — 483. Bien que le liquidateur soit mandataire des associés, il n'en résulte pas que tout ce qu'il fera soit ratifié d'avance: il doit rendre compte de son mandat, et certains de ses actes pourraient n'être pas acceptés.
Toutefois, une distinction est nécessaire, et elle se trouve dans le présent article: tous les actes que le liquidateur a été autorisé à faire, soit par les associés, quand ils l'ont nommé, soit par la loi, d'après l'article précédent, resteront toujours valables à l'égard des tiers avec lesquels le liquidateur a traité, sous la seule condition que ceux-ci aient été “de bonne foi.”
Il ne faudrait pas exagérer cette protection des tiers et croire, par exemple, qu'ils garderaient un payement indû reçu par eux de bonne foi: outre que la loi n'aurait pas de raison de déroger ici aux règles générales du payement indû, il faut reconnaître que le liquidateur qui aurait payé à un tiers ce qui ne lui est pas dû n'aurait pas agi selon ses pouvoirs.
A l'égard des actes qui ne concernent pas les tiers, comme les comptes particuliers des associés, il est clair que l'on peut les vérifier, les rejeter on les redresser: les associés ne sont pas des tiers.
On se trouve, ici encore, en présence d'une décision pour laquelle la majorité des voix est suffisante.
Parmi les divers actes qui ne seront pas acceptés, les uns pourront être refaits, comme des comptes d'associés, les autres ne le pourront pas, comme des actes faits avec des tiers de bonne foi; le liquidateur, s'il est en faute, refera les premiers à ses frais et indemnisera les associés pour les seconds: on lui appliquera, à cet égard, les règles du mandat et on sera plus ou moins sévère, suivant que le mandat sera salarié ou non.
Art. 801. — 484. Les sociétés de capitaux, celles dont le capital est divisé en actions, qu'elles soient civiles ou commerciales, supposent un plus grand nombre d'associés que les sociétés de personnes; la liquidation en est plus compliquée, à certain égards, en ce sens qu'il y a plus d'opérations à terminer et de comptes à régler avec les tiers; le compte du gérant est aussi plus difficile à vérifier; mais il y a moins de comptes avec les associés.
Tout cela suffit à motiver quelques règles particulières qui seront inscrites dans la loi sur les sociétés commerciales; on les appliquera ici, par identité de motifs.
Art. 802. — 485. Le partage est, dans le vœu de la loi, l'opération finale qui clot les rapports nés de la société.
On sait qu'il pourrait, à la rigueur, précéder la liquidation, mais il vaut mieux qu'il la suive, comme on l'a expliqué sous l'article 796.
Rien n'oblige les parties à demander le partage; c'est une faculté dont elles peuvent user ou non, à leur gré; mais il suffit que l'une d'elles le demande pour que les autres doivent le subir: c'est une grave différence avec les autres mesures à prendre vis-à-vis des bien communs, mesures pour lesquelles on a vu qu'il faut tantôt la majorité, tantôt l'unanimité.
La raison de cette exception est dans les inconvénients que présente l'indivision: on les a déjà signalés sous l'article 40, et il est inutile d'y revenir.
Tant que la société durait, ces inconvénients, ou n'existaient pas, ou étaient moindres qu'après sa dissolution. Ils n'existaient pas, si la société était une personne morale: c'était elle alors qui était seule propriétaire du fonds social, il n'y avait pas indivision. Ils étaient moindres, si, à défaut de personnalité de la société, il y avait eu indivision temporaire, avec un but lucratif qui disposait les intéressés à la concorde et à une parfaite entente qu'on n'obtient pas aisément dans l'indivision, parce qu'elle n'a pas un pareil but.
Mais on a vu aussi, avec l'article 40, que le partage pouvant quelquefois être nuisible aux intéressés, par l'inopportunité des ventes qu'il rend souvent nécessaires, ceux-ci peuvent convenir de rester dans l'indi. vision pendant un certain temps. Cette convention doit avoir lieu à l'unanimité, d'après la règle générale; aussi la loi ne prend-elle pas la peine de l'exprimer, et elle doit avoir eu lieu depuis la dissolution de la société: la loi l'exige, parce que si la convention avait eu lieu, soit dans l'acte de société, soit pendant sa durée, elle n'aurait pas été faite en suffisante connaissance de cause; les parties auraient pu alors se faire illusion sur la bonne entente qui existerait entre elles, même lorsqu'elles ne seraient plus liées par la recherche d'un profit commun.
En outre, les co-propriétaires actuels peuvent n'être plus tous les mêmes: il peut y avoir des héritiers d'un associé décédé.
Art. 803. — 486. Le partage nécessite des opérations assez compliquées: il faut former autant de lots qu'il y a de parties intéressées, au moins autant que d'associés primitifs, sauf à subdiviser les lots de ceux qui sont décédés et ont laissé plusieurs héritiers; il faut ensuite attribuer les divers lots aux divers ayant-droit.
La difficulté de faire des lots égaux n'est pas trèsconsidérable, ou, si la nature des biens ne s'y prête pas, il y a lieu de les vendre, et c'est alors le prix qui en est partagé; de même, l'attribution des lots peut se faire par la voie du sort quand les parties n'ont pu se mettre d'accord pour se les attribuer à l'amiable.
Mais l'opération n'est plus aussi facile, quand les droits des associés ne sont pas égaux, soit par la convention, soit par l'inégalité de leurs apports: il faut alors faire des lots mesurés aussi exactement que possible sur les droits de chacun et l'attribution, ne pouvant plus être faite par la voie du sort, est alors directe.
Il est toujours désirable que les parties fassent toutes ces opérations à l'amiable et d'un commun accord; mais on ne peut l'espérer beaucoup. Il faut donc qu'il y ait une procédure légale pour y arriver.
Comme il ne s'agit plus de déterminer le fond du droit ou la quotité de la part revenant à chacun, mais de procéder à des opérations matérielles tendant à l'assignation des objets à recevoir, la loi renvoie au Code de Procédure civile où cette matière sera traitée avec les autres procédures extrajudiciaires; elle renvoie aussi au partage des successions tel qu'il sera réglé par le présent Code; c'est préjuger qu'on admettra la pluralité d'héritiers; mais il y a déjà bien des dispositions qui la présupposent, notamment les articles 15 et 461.
Art. 804. — 487. La loi proclame ici un principe général et on peut dire considérable, que l'article 15 avait déjà appliqué et dont le but et l'origine ont été exposés sous ledit article (T. 1er, p. 52, nos 25 s.).
On a coutume d'énoncer la règle en disant que le partage est, non plus attributif de droits nouveaux, mais déclaratif de droits antérieurs. Le principe se trouve énoncé dans l'article 883 du Code français.
Rigoureusement et dans la nature des choses, le partage apparaît plutôt comme attributif ou translatif de droits nouveaux; il fait cesser l'indivision; on comprendrait que chacun des copartageants, en recevant un lot qui sera désormais sa propriété exclusive, fût considéré comme tenant de ses copartageants la portion qu'il n'avait pas précédemment et qui se trouve ainsi réunie à celle qui lui appartenait déjà; en sens inverse, il transmettrait à ses copartageants la portion qui lui appartenait dans lenr lot. Cela est si naturel que le droit romain n'avait jamais admis ni imaginé autre chose et il en fut de même dans les origines du droit français.
Mais, pour des raisons d'utilité pratique, pour éviter des évictions que l'un des copartageants aurait pu éprouver, par suite de droits conférés par un des copropriétaires à des tiers, sur la chose commune, pendant l'indivision, on a admis une fiction d'après laquelle “chaque copartageant est censé avoir succédé seul et immédiatement aux objets à lui échus par le partage et n'avoir jamais eu la propriété des objets échus anx autres”; c'est la disposition à peu près textuelle de l'article 883 du Code civil français: elle est écrite pour les successions, mais elle est applicable aux autres partages (v. art. 1476 et 1872).
488. Il y a entre la rédaction de notre article 804 et celle dudit article 883 une légère différence de forme, mais qui ne change rien au fond. Tandis que dans l'article 883, la loi règle la double situation de chaque intéressé, en lui reconnaissant des droits exclusifs sur son lot et en lui en déniant aucun sur les lots des autres, le présent article ne règle que la situation d'un seul copartageant et ne s'occupe que de ses avantages: il a la propriété de son lot depuis que la dissolution de la société a eu lieu on depuis que l'indivision a commencé, et les autres n'ont pu conférer aucun droit valable sur les mêmes biens. Par contre, la même règle, doublement favorable au même copartageant, s'applique aux autres, puisque la disposition concerne tous les copartageants.
Le présent article diffère encore de l'article 883 en ce qu'il déduit immédiatement la conséquence du principe que le partage est déclaratif: c'est la rétroactivité de l'acquisition au jour où la dissolution de la société a eu lieu, c'est-à-dire où l'indivision a commencé, et, par suite, la résolution, l'anéantissement des droits conférés par les autres associés.
489. Le Projet fait remonter le droit de chaque copartageant au jour de la dissolution de la société, sans distinction. Lorsque la société a été une personne morale, ce qui sera le plus fréquent (voy. art. 766), il n'y a pas de difficulté, parce que c'est à ce moment aussi que l'indivision a commencé: jusque-là, c'est la société qui a été propriétaire et les droits valablement conférés par elle sont opposables aux associés. Mais quand la société n'a pas eu le caractère de personne morale, on peut prétendre que, l'indivision des associés ayant commencé avec la société, c'est au moment de la formation de celle-ci que remonte l'effet du partage, ou, tout au moins, au jour où les biens à partager sont entrés dans les mains des associés et ont fait partie du fonds social.
On propose cependant d'adopter une époque uniforme: la dissolution de la société. En effet, quand la société n'est pas une personne morale et quand, par conséquent, les objets formant son capital appartiennent aux associés, ceux-ci n'ont pas cependant le droit de les grever de droits réels au profit de leurs propres créanciers; ils ne peuvent valablement, sauf le gérant, ni les aliéner, ni les hypothéquer au préjudice des autres associés (v. art. 790); il n'y a donc pas à craindre qu'après le partage un associé souffre dans son lot une éviction provenant du fait de son co-associé: le mal que la loi vent éviter par la rétroactivité da partage se trouve ici conjuré antrement. Si c'est le gérant qui a aliéné ou hypothéqué, l'acte est opposable à chaque copartageant, mais on ne partagera pas sans en tenir compte et si, par exception, on avait mis cet objet dans un lot, sans faire de compensation ni de réserres, le copartageant érincé aurait l'action en garantie d'après l'article suivant.
Art. 805. — 490. On peut être étonné de voir paraître ici la garantie d'éviction, quand on vient de voir les précautions que la loi a prises pour que l'éviction ne fût pas permise aux tiers.
Mais il est facile de reconnaître qu'il n'y a pas contradiction: l'éviction dont la garantie est due à un associé ne viendra pas de droits conférés par les autres associés, puisque ces droits sont résolus contre les tiers, puisque ce sont ceux-ci, au contraire, qui sont évincés par le partage, lorsque les objets sur lesquels ils ont reçu des droits ne tombent pas dans le lot de leur auteur; il s'agit ici de l'éviction provenant de droits antérieurs et supérieurs à ceux de tous les associés, ce qui arrivera quand ils ont compris dans le partage des objets qui n'étaient pas indivis entre eux, mais qui appartenaient à des tiers, ou qui étaient déjà grevés de droits réels avant que l'indivision commençât (a).
Il pourrait même arriver que ces droits réels eussent été conférés par un des associés et qu'ils échappassent à la résolution prononcée par l'article précédent; par exemple, il s'agirait de droits mobiliers et les tiers en seraient possesseurs de bonne foi, alors, comme ils ne peuvent être évincés, ce sont eux qui évinceraient le copartageant.
491. On a vu à l'article 415 que la garantie d'éviction a deux objets: la défense du cessionnaire, en justice, contre les troubles et l'éviction dont il est menacé et l'indemnité des dommages, quand l'éviction n'a pu être empêchée.
La 1re obligation est indivisible et chaque copartageant la doit en entier, car “on ne peut pas défendre quelqu'un pour partie” c'est un axiome de droit; mais la 2e obligation est divisible, car elle a pour objet de l'argent (v. ci-dess., p. 338 et 339, nos 272 et 273).
Mais si chaque copartageant ne peut être, en principe, poursuivi que pour sa part, cela n'empêche pas qu'il puisse être subsidiairement poursuivi pour la part des autres, s'ils sont insolvables. En effet, la garantie ne serait pas complète, si elle n'avait pour objet l'insolvabilité même des garants. Ils se garantissent mutuellement de ce risque. Toutefois, le garanti supportera lui-même une part dans l'indemnité d'éviction et une part dans l'insolvabilité des autres: autrement, il lui serait avantageux d'être évincé.
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(a) Pour qu'il n'y ait pas de contradiction, même apparente, à la lecture des deux articles 804 et 805, nous avions d'abord exprimé au texte qu'il s'agissait de “causes autres que celles exclues par l'article précédent”; mais nous supprimons cette mention comme étant mieux à sa place dans le Commentaire que dans la Loi,
Art. 806. — 492. On sait que la lésion n'est pas, en général, une cause de nullité ou de rescision des conventions (v. art. 326, dern. al.). On a d'abord justifié le principe et annoncé les exceptions (v. Tome II, p. 63, n° 49 et p. 741, n° 648).
La première exception et la plus large existe en faveur des mineurs qui sont toujours restituables contre leurs engagements ou leurs aliénations, lorsqu'ils ont été lésés d'une quantité appréciable, en argent ou autrement et lorsque d'ailleurs l'acte n'était soumis à aucune formalité spéciale (v. art. 570); car, si la formalité a été négligée, l'acte est annulable pour ce seul fait, sans même qu'il y ait lésion, et si la formalité a été remplie, l'acte est inattaquable, même s'il y a lésion (v. Ibid., p. 763, n° 676).
Les majeurs, au contraire, ne sont pas admis à la rescision pour lésion, à moins qu'il ne s'agisse de certains contrats où il doit y aroir un échange de valeurs à peu près égales: en France, on ne compte que deux contrats rescindables pour lésion an profit des majeurs, la vente d'immeuble et le partage de biens indivis.
Au Japon, il n'y a pas de raison d'ajouter à ces cas ni d'en retrancher: on a réfuté plus haut les objections faites à la rescision pour lésion de la vente d'immeuble, on en a même donné une justification nouvelle (v. T. II, p. 801, n° 720 et ci-dess., p. 395–396, n° 317 et 318), ce qui fait qu'on n'a eu aucun scrupule de revenir à l'ancien taux de la lésion, tel qu'il suffisait en droit romain et dans l'ancien droit français: la moitié (6/12es) de la valeur réelle de l'immeuble, au lieu des 7/12es aujourd'hui exigés en France (v. ci-dess., art. 733).
493. Il y a moins encore à hésiter sur l'admission de la rescision pour lésion dans le partage, parce que les rapports antérieurs des copartageants exigent une observation encore plus stricte de l'équité. Aussi la lésion nécessaire est-elle moindre: il suffit qu'elle soit de plus d'un quart (3/124) de la part qui légitimement devait revenir à l'associé lésé. On ne distingue pas non plus si la lésion porte sur des meubles ou des immeubles. C'est ce que le texte exprime, pour accentuer la différence avec la vente.
La loi renvoie aux conditions qu'elle a édictées pour l'exercice de l'action en rescision en matière de vente (art. 731. et s.): il est naturel qu'elles soient les mêmes ici; ce qui comprend le délai de deux ans pour agir en rescision, les formalités pour la preuve de la lésion, le respect des droits des tiers qui ont traité avant la publication de la demande, le moyen pour les défendeurs à la rescision d'en arrêter les effets en payant au demandeur le montant de ce qui manque à sa part, enfin, l'indivisibilité de l'action.
Nous ne citons pas comme naturellement applicables au partage les dispositions des articles 739 et 740 qui excluent la rescision pour lésion dans les ventes faites aux enchères publiques et dans celles qui ont un caractère aléatoire: théoriquement, les partages seraient également à l'abri de la rescision dans les mêmes circonstances; mais celles-ci seraient peu vraisemblables.
Bien que le renvoi de notre article à la vente no comprenne pas l'article 733 et qu'on ne puisse, en la forme, l'étendre jusque-là, il ne faut cependant pas hésiter à appliquer au partage la disposition de cet article portaut que le droit à la rescision n'est ni supprimé ni amoindri par la renonciation qui y aurait été faite, même expressément, dans l'acte de partage: il y a mêmes motifs de maintenir la protection de la loi à ceux qui y auraient renoncé sans en prévoir le besoin.
En sens inverse, le renvoi à l'article 731 ne doit pas être observé si rigoureusement que d'autoriser la nomination d'autant d'experts qu'il y a de parties en cause: ici, il faut considérer tous les associés défendeurs à la rescision comme formant un groupe de personnes ayant le même intérêt, et il ne sera nommé qu'un expert pour controler, de leur chef, l'expertise faite à la requête du demandeur en rescision.
COMMENTAIRE.
Art. 807. — N° 494. Dans le Code français, il est difficile de trouver un ordre méthodique ayant présidé au classement des divers contrats nommés: les contrats aléatoires, notamment, sont placés après le dépôt et avant le mandat; ils auraient aussi bien pu être placés avant tous denx ou après.
Ici, au contraire, ce n'est pas sans raison que les contrats aléatoires précèdent le dépôt et le mandat: on a, dès le principe, annoncé que l'on donnerait d'abord tous les contrats qui peuvent conférer tout à la fois des droits réels et des droits personnels, pour donner ensuite ceux qui ne confèrent que des droits personnels ou de créance. Or, les contrats aléatoires appartiennent à la première classe, spécialement la constitution de rente viagère.
Déjà l'article 322 a annoncé qu'il y a des contrats “ dont l'existence ou les effets sont subordonnés à un événement qui dépend du hasard.” Les contrats qui ne sont pas aléatoires sont appelés commutatifs par lo Code français (art. 1104); le Projet leur donne le nom de contrats fermes, expression qui a paru préférable et qui a été justifiée en son lieu (v. T. II, p. 35, n° 31).
La définition du contrat aléatoire ici donnée par la loi est plus complète que celle de l'article 322, mais elle ne la contredit pas et, sous ce rapport, on ne rencontrera pas la difficulté qui, dans le Code français, naît de deux définitions contradictoires; en effet, tandis que l'article 1104 dudit Code paraît exiger que l'alea, la chance, bonne ou mauvaise, existe pour “chacune des parties," l'article 1964 admet indistinctement que la chance de gain ou de perte puisse être “soit pour toutes les parties, soit pour une ou plusieurs d'entre elles."
Le Projet ne se prononce qu'une seule fois sur cette question et il adopte la solution de l'article 1964. En effet, il paraît évident que, dans quelques cas, les suites du contrat ne sont incertaines que pour un des contractants, par exemple dans l'assurance à prime fixe: l'assureur a la chance favorable de ne pas supporter de sinistre, tout en recevant la prime annuelle; il court aussi le risque contraire; mais l'assuré n'est exposé à aucune mauvaise chance, pas plus qu'il n'en peut espérer une heureuse: il paye ou il doit une prime fixe, c'est-à-dire qui ne pourra ni augmenter, ni diminuer, par l'arrivée ou la non arrivée du sinistre prévu. Nous excluons le cas de l'assurance mutuelle, justement parce que chaque partie y est assureur en même temps qu'assuré (voir Section wil).
495. On se souvient que la définition de la condition a donné lieu, dans le Code français, à une difficulté analogue, par la contradiction de deux textes dont l'un (art. 1168) veut que l'événement dont dépend la con. vention soit "futur et incertain,” tandis que l'autre (art. 1181) se contente de ce que l'événement soit "incertain," c'est-à-dire “inconnu des parties, quoiqu'actuellement arrivé.” Le Projet a adopté la première solution (art. 428) et on en a donné la raison (Tome II, p. 381, n° 363).
Quand il s'agit du contrat aléatoire, faut-il aussi que l'événement incertain soit futur', ou l'incertitude suffitelle? Le Code français, dans les deux articles précités, n'exige que l'incertitude (art. 1104 et 1964) et nous y proposons la même addition: l'événement devra être futur.
D'abord, en fait, presque toujours l'événement dont dépendront les pertes ou avantages des parties sera naturellement futur, lors même que la loi ne l'exigerait pas, comme le résultat d'un jeu, la survie d'une personne à une époque déterminée, le sinistre (incendio ou naufrage) contre lequel il est fait une assurance; mais ce pourrait être quelquefois un événement déjà accompli, si la loi ne défendait pas d'en faire dépendre les effets du contrat; or, elle doit le défendre: toute convention dont les résultats dépendent d'un événement accompli, mais inconnu des parties, est un véritable pari; or, on verra que les paris sont, en principe, privés d'effets légaux, dépourvus d'action en justice, et lorsque, très-exceptionnellement, ils sont valables, l'événement auquel ils se rapportent doit être encore futur: par exemple, le pari entre deux éleveurs ou deux propriétaires de chevaux sur le résultat d'une course de vitesse.
De même, pour l'assurance, on ne doit pas permettre une assurance contre l'incendie ou le risque de mer, lorsque le danger est passé, bien que l'on n'en connaisse pas l'issue: il n'y a plus aucune chance favorable si lo sinistre est arrivé, ni aucun risque si le sinistre n'a pas eu lieu, alors le contrat ne dépend plus du hasard, d'un alea, il n'est plus aléatoire. Nous maintenons donc qu'il faut que l'événement soit futur en même temps qu'incertain. Telle n'est pas cependant la disposition du Code de commerce français (art. 365); nous y reviendrons, au sujet de l'assurance d'une maison déjà brûlée à l'insu des parties.
Art. 808. — 196. La distinction que fait la loi entre les contrats qui sont aléatoires par leur nature et ceux qui ne le sont que par l'adjonction d'une condition à laquelle les parties le subordonnent n'a guère qu'un intérêt théorique; mais elle fournit au moins l'occasion de donner la liste des contrats aléatoires dont trois seront repris ici, dans des Sections distinctes, et dont deux sont renvoyés aux lois du commerce maritime (voy. art. 809).
Il est inutile de donner, dès cet article, une esquisse de chacun des trois contrats aléatoires qui vont être repris ci-après. Nous remarquerons seulement que c'est à tort qu'on les considère généralement comme à titre onéreux et synallagmatiques: cela peut être fréquent mais n'est pas essentiel ou inhérent à leur nature. Ainsi, dans le jeu et le pari, qui ne sont obligatoires que par exception, il peut se faire qu'une seule des parties s'oblige à payer si elle perd, sans rien stipuler si elle gagne; ainsi encore la rente viagère peut être constituée à titre gratuit, elle n'est donc pas, dans ce cas, le résultat d'un contrat synallagmatique. Quant au contrat d'assurance, il est évidemment à titre onéreux, car chaque partie y fait un sacrifice, mais il n'est pas toujours synallagmatique: il est unilatéral lorsque la prime annuelle est versée par l'assuré au moment même où l'assureur s'engage à payer l'indemnité en cas de sinistre; ce dernier est alors seul obligé. Enfin, le prêt à profit maritime est évidemment à titre onereux, comme produisant un intérêt ou autre profit; mais, comme tous les prêts, il est unilatéral et n'oblige que l'emprunteur, puisque le contrat ne se forme que par la remise des espèces et, pour cela, est un contrat réel (voy, art. 320, 32 al. et Chap. suiv., art. 873).
Art. 809. — 497. Cet article n'est qu'un renvoi aux lois commerciales et ne peut nous arrêter longtemps.
Les assurances maritimes s'appliquent aux navires, en tout ou en partie, à leurs accessoires ou à la cargaison dont ils peuvent être chargés.
Ce sont les premières assurances qui aient été pratiquées, parce que les risques de mer sont si fréquents qu'ils ont dû, de bonne heure, éveiller l'esprit inventif des spéculateurs. Il n'y en a cependant pas de traces dans les anciennes législations grecque et romaine et elles n'apparaissent en Europe qu'au moyen-âge.
Toutes les assurances qui n'ont pas pour objet les risques de mer sont dites "terrestres," comme les assurances contre l'incendie, contre les accidents météorologiques et celles dites “sur la vie," pour exprimer que l'assuré cherche à faire compenser en argent les avantages de sa vie, au profit de ses proches, pour l'époque où il sera mort. On aurait dû dire plus simplement assurances “contre la mort”; cela n'aurait pas voulu dire, évidemment que l'assurance diminuait les dangers de mort pour l'assuré, mais qu'elle en adoucissait ou en neutralisait les conséquences dans l'ordre des intérêts matériels, comme l'assurance contre l'incendie ou contre les accidents météorologiques n'empêche ni ne diminue les uns ni les autres, mais en corrige ou en répare les effets.
L'assurance contre la mort en cas de voyage de mer sera-t-elle soumise aux règles des assurances maritimes ou des assurances terrestres ? C'est un point sur lequel on se prononcera à Section III.
L'assurance contre l'incendie d'un navire en mer ou même dans uue rade ou un port, est généralement régie par la loi maritime, lors même que l'incendie ne serait pas le résultat d'un fait de navigation, mais d'une imprudence ordinaire.
Quant au prêt à profit maritime ou à la grosse arenture, il suffit de dire qu'il a pour but ordinaire de faciliter à l'emprunteur l'achat de marchandises (ou d'une cargaison) destinées à être expédiées par mer, généralement dans un voyage au long cours, et il est convenu que, si les marchandises périssent, le prêteur ne recevra rien, ni capital, ni intérêts, et que si, au contraire, elles arrivent à bon port, le prêteur recevra tout le capital prêté, plus un profit dit "profit maritime,” comme prix du risque. Si la cargaison a péri pour partie, ce qui en reste est seul affecté au payement des sommes dues au prêteur (v. C. comm. fr., art. 325 à 327).
COMMENTAIRE.
Art. 810. — N° 498. Le Projet s'écarte ici du Code français plus en la forme qu'au fond; en effet, tandis que l'article 1965 dudit Code commence par refuser action pour dette de jeu ou de pari, en principe, et n'accorde l'action que par exception, on commence ici par indiquer dans quels cas le jeu et le pari donnent action, pour exclure ensuite l'action dans les autres cas. Le résultat est au fond le même. Le motif de cette différence de forme, dans l'énoncé de la règle et de l'exception, est qu'il semblerait bizarre (et la bizarrerie est dans la loi française) que la loi commençat la théorie d'un contrat nommé, d'un contrat qui ne peut figurer dans ses dispositions que s'il est obligatoire, par dire qu'il ne donne pas d'action, ce qui équivaut à dire qu'il est prohibé ou de nul effet. Or, puisqu'il y a des cas où le jeu et le pari peuvent engendrer une obligation et une action civiles, lors même que ces cas seraient exceptionnels, il faut les énoncer d'abord, puisque c'est à cause d'eux que le jeu et le pari figurent parmi les contrats réglés par la loi.
Le Code français, dans ledit article 1965, énonce, à titre d'exemple, quelques-uns des jeux qui donnent action, et comme il n'est pas limitatif, il ne faut pas hésiter à y comprendre la natation, la lutte corps à corps, la gymnastique. Ce qui est nécessaire c'est que ces jeux tendent à développer la force et l'adresse phy. siques; on ajoute ici et on place en tête "le courage," parce que c'est le but principal que doivent avoir en vue ceux qui se livrent à de tels exercices, et c'est aussi le résultat que doit chercher le législateur: la force et l'adresse contribuent à donner le courage, parce que, facilitant la résistance aux dangers, elles donnent à l'homme plus de confiance en lui-même. Et il ne faudrait pas craindre que les hommes devenus plus courageux, parce qu'ils sont plus forts ou plus habiles dans les exercices du corps, devinssent violents et querelleurs: c'est plutôt le contraire qui aura lieu, et l'expérience de la vie le prouve.
Les jeux tendant à développer l'esprit, par des combinaisons savantes ou compliquées, ne jouissent pas du privilege d'engendrer une action: il n'y en a pas de motifs aussi puissants, et il n'est pas sûr qu'un habile joueur d'échecs, en France, ou de gâ, au Japon, ait, par cela seul, d'heureuses dispositions pour conduire une armée et gagner des batailles.
Mais il ne faudrait pas considérer comme jeux dépourvus d'action les concours d'art: par exemple, de dessin, de peinture, de musique, ou de littérature, prose ou poésie, ou de sciences physiques ou morales: de pareils exercices de l'esprit ne sont plus des jeux et peuvent être l'objet de récompenses publiques ou privées valablement conférées cu obligatoirement promises.
499. La loi met les paris sur la même ligne que les jeux: ils donneront action dans les mêmes cas, et aussi dans les mêmes cas l'action leur sera refusée.
Le pari est une convention par laquelle les parties se promettent respectivement un avantage qui sera gagné par l'une ou par l'autre, suivant qu'un fait ou un événement, passé ou futur, mais encore incertain, se trouvera conforme à l'opinion ou à l'espérance qu'elle en a. Par exemple, Primus et Secundus sont convenus que si tel navire arrive de San Francisco dans le port de Yokohama, tel jour ou plus tôt, Primus payera 100 yens à Secundus et, réciproquement, qu'il les recevra si le navire arrive plus tard. Un tel pari est un de ceux que la loi ne sanctionnera pas, en général.
Mais supposons que Primus et Secundus soient constructeurs ou conducteurs de navires et qu'il s'agisse entre eux d'une rivalité tendant à obtenir une amélioration dans la construction ou dans la manœuvre des navires: dans ce cas, le pari sera valable comme étant un encouragement au développement de ce genre d'industrie. Il en sera de même d'un pari entre éleveurs de chevaux, et ces paris sont reconnus valables comme encourageant à l'amélioration de la race chevaline. Mais les paris que font souvent les simples spectateurs ou amateurs de chevaux qui croient au succès de tel ou tel cheval ne sont pas valables, parce qu'ils n'encouragent pas les éleveurs, lesquels ne bénéficient pas de tels paris.
Quant aux primes promises au cheval gagnant (généralement, par l'Etat, les départements, les villes ou des sociétés), elles sont légitimement dues, puisqu'elles sont encore une forine d'encouragement aux éleveurs; mais elles n'ont plus le caractère de pari: ce sont des donations sous condition.
Ces exemples et ces distinctions expliquent notre disposition finale sur le pari.
Quant aux paris dont la loi parle d'abord comme valables, ceux qui se rattachent à des jeux ou exercices de force ou d'adresse, il faut également qu'ils interviennent entre personnes prenant part à ces exercices, et alors ils ne sont qu'une forme du profit de ces jeux reconnus licites.
500. La loi termine par une disposition empruntée, comme la précédente, au Code français; elle peut étonner au premier abord, mais il est facile de la justifier: les tribunaux ne peuvent réduire le montant de la valeur promise comme profit du jeu ou du pari; si cette somme leur paraît excessive, ils doivent rejeter la demande pour le tout.
Cette solution est, en effet, celle qui retiendra le mieux les parties dans la modération de pareilles promesses. Si les tribunaux pouvaient réduire les engagements exagérés, les parties s'y laisseraient plus facilement aller, espérant que si les tribunaux ne les maintenaient pas en entier, en tout cas, ils les admettraient partiellement; ainsi, elles ne courraient aucun risque, tandis qu'ayant à craindre un rejet total de la demande, elles auront la sagesse de se modérer elles-mêmes.
Du reste, les tribunaux tiendront compte “des circonstances," comme le leur recommande notre texte, notamment de la fortune respective des contractants, et c'est la plus faible qni devra être prise pour base, si d'ailleurs les profits ou pertes doivent être égaux.
501. A ce sujet, nous devons examiner une question généralement négligée par les auteurs.
Le profit du gagnant doit-il être le même pour chacun, ou pourrait-on convenir que tel partie recevra tant, si elle gagne, et donnera tant (plus ou moins que la première somme), si elle perd ?
Nous ne voyons pas de raison impérieuse de le défendre; par exemple, dans un jeu de force ou d'adresse, il est possible que l'un des concurrents soit d'une force ou d'une adresse notablement supérieure à celle de l'autre, en sorte que ses chances de l'emporter sont plus grandes (bien entendu, son succès n'est pas absolument certain, car alors il n'y aurait plus rien d'aléatoire dans l'exercice); or, il est juste et raisonnable, en pareil cas, que le profit éventuel du plus fort soit moindre que celui du plus faible.
Mais, que faut-il décider si un seul des concurrents avait droit à un gain, en cas de succès ? Nous pensons que le contrat serait encore valable comme aléatoire; c'est le cas, il est vrai, où il ne serait plus synallagmatique, ni même à titre onéreux: comme on l'a annoncé en commençant, ce serait une donation conditionnelle de la part du plus fort, une sorte de prime offerte au plus faible, pour le cas de succès.
Art. 811. — 502. Les jeux et paris autres que ceux dont il est question dans l'article précédent ne sont pas autorisés par la loi et n'engendrent pas d'obligation civile ni, par conséquent, d'action en justice.
La loi, tranchant une question restée douteuse, en France et ailleurs, ajoute que ces contrats n'engendrent pas même d'obligation naturelle. La question a déjà été rencontrée précédemment, au sujet des obligations naturelles, en général, et cette solution a été donnée au Commentaire (v. Tome II, p. 818, n° 736 et p. 865, aux Additions).
Rappelons que la dette de jeu et de pari, quand elle ne se rapporte pas aux cas exceptionnels de l'article précédent, n'a pas de cause légitime, a une cause immorale (v. T. II, p. 270, n° 265), car il est contraire à la morale, en même temps qu'à l'ordre public et économique, qu'une personne s'enrichisse du bien d'une autre, sans fournir à celle-ci un avantage ou sans que celle-ci ait eu la volonté de lui faire une libéralité. Or, c'est ce qui arrive dans les jeux non autorisés. Et c'est une illusion de croire que l'équivalent de la chance du gain existe dans le risque de perte: cela peut prouver que le gain a une cause, mais cela ne prouve pas que cette cause soit légitime; et ce qui constitue le caractère anti-économique du jeu, c'est que le gain de l'un des joueurs correspond juste à une perte égale de l'autre, tandis que dans les autres contrats onéreux, les deux parties donnent et, par cela même aussi, elles reçoivent quelque chose, et elles sont présumées profiter toutes les deux, comme dans un échange loyal et intelligent.
On ne peut pas non plus comparer le jeu à une donation, quoique, dans la donation, ce que gagne le donataire soit perdu par le donateur: dans la donation, le donateur trouve une satisfaction morale à rendre service, peut être même il gagne' ou espère gagner la reconnaissance et l'affection du donataire, tandis que le perdant au jeu n'est animé d'aucune bienveillance pour le gagnant, il n'en obtiendra pas l'affection et Inimême pourra ressentir de la haine contre son heureux adversaire. Il serait superflu d'insister sur ces vérités évidentes.
503. Il ne faudrait pas se laisser abuser sur le prétendu caractère d'obligation naturelle de la dette de jeu, par la considération que le payement volontaire d'une dette de jeu ne pent être répété.
C'est, il est vrai, un des effets de l'obligation paturelle que “ce qui a été volontairement payé à ce titre ne peut être répété” (v. C. civ. fr., art. 1235; Proj. jap., art. 587). Mais le refus de répétition s'explique dans ce cas, comme dans quelques autres, sans qu'il y ait d'obligation naturelle: s'il s'agissait d'une convention plus manifestement illicite que le jeu et qu'il y eût immoralité du côté du promettant autant que du côté du stipulant (par exemple, une promesse à une prostituée), il n'est pas douteux que, d'une part, elle n'aurait pas d'action pour exiger la valeur promise et, d'autre part, que le promettant n'aurait pas d'action pour répéter ce qu'il aurait volontairement payé. Et cependant, personne ne soutiendra que cette promesse engendre une obligation naturelle.
Nous avons établi ailleurs que ce qui a été payé en vertu d'une cause honteuse (turpis causa) ne peut être répété, s'il y a turpitude du côté de celui qui a payé, lors même qu'il y a, en même temps, turpitude du côté de celui qui a reçu (v. T. II, pp. 268 à 270; no 265).
Pour que le payement de la dette de jeu ne soit pas sujet à répétition, il faut qu'il ait été "volontaire."
Le texte ajoute à cette condition la capacité chez celui qui a payé; déjà l'article 590 exigeait cette capacité chez celui qui exécute une obligation naturelle, mais comme le payement volontaire a ici un autre caractère, il est bon d'exprimer que la même condition de capacité est requise.
Enfin, la loi excepte, comme le Code français, le cas où le gagnant aurait usé de dol ou de supercherie dans le jeu: en ce cas, le payement fait avant la découverte du dol ne serait pas réputé volontaire et serait sujet à répétition.
504. On doit considérer comme payement volontaire la présentation, la pose de l'enjeu devant le joueur: c'est comme un payement anticipé ou conditionnel; donc le perdaut qui, ayant mis son enjeu devant lui, l'aurait retiré précipitamment, après avoir perdu, aurait vraiment pris le bien d'autrui et serait coupable, sinon de vol, l'enjeu étant dans ses mains comme un dépôt, au moins d'abus de confiance; seulement, la poursuite serait, en fait, assez difficilement admise.
Il se présente quelques questions intéressantes au sujet du payement volontaire.
D'abord, s'il a été fait avec de l'argent prêté et si le prêteur connaissait la destination de cet emprunt, le prêteur a-t-il action pour se faire rembourser le prêt?
On doit répondre affirmativement, parce que les deniers prêtés sont entrés dans le patrimoine de l'emprunteur et que ce ne sont peut-être pas les mêmes, identiquement, qui ont servi à payer la dette de jeu. On exceptera seulement le cas où le prêt aurait été fait au perdant par un des joueurs dans le lieu et au cours même du jeu: alors ce serait une opération de jeu n'engendrant pas d'action.
On peut encore se demander quel serait l'effet d'un payement de la dette de jeu effectué, en connaissance de cause, par un mandataire ou par un gérant d'affaires.
Les deux cas diffèrent: si le payement a été fait en vertu d'un mandat du perdant, c'est comme un payement volontaire de sa part; le mandataire représente le mandant, et le mandant sera civilement tenu envers le mandataire pour le remboursement des sommes payées: c'est comme s'il y avait eu un emprunt pour payer.
Il en serait tout autrement d'un mandat qui aurait pour objet de jouer pour le compte du mandant et de payer pour lui, au cas de perte: dans ce cas, le mandat est illicite et nul par son objet principal; dès lors, il l'est dans son objet subsidiaire et accessoire qui est le payement.
Mais si le payement a été fait, sans mandat, par un gérant d'affaires, comme on ne peut voir là une dépense nécessaire, ni même une dépense utile, le gérant n'aura pas d'action pour le remboursement: il sera remboursé par le maître (le joueur), si cela convient à celui-ci: le payement doit être volontaire de la part du perdant; c'est la règle générale.
505. Il pourrait arriver que le perdant donnat en payement des objets mobiliers ou immobiliers ou des créances et que le gagnant fût évincé des ups ou ne fût pas payé des autres. Dans ces cas, aurait-il l'action en garantie soit d'éviction, soit d'inexistence de la créance, soit de l'insolvabilité du cédé ? On supposerait d'ailleurs, pour la garantie d'insolvabilité qui est exceptionnelle, qu'elle aurait été promise expressément ou qu'elle serait attachée à la nature du titre et de la cession, comme à l'endossement d'un effet de commerce (v. art. 705).
Il ne faut pas hésiter à refuser au gagnant cette double garantie. Le payement ordinaire n'est valable que parce qu'il ne donne pas lieu à l'action de jeu; or, un recours contre la validité du payement serait, sous une autre forme, une action de jeu. Le perdant paye, s'il veut, comme il veut ou comme il peut, ce qn'il donne est reçu tel qu'il l'a, et le gagnant ne peut pas plus se plaindre de l'éviction des choses données en payement ou du défaut de payement des créances cédées qu'il ne pourrait se plaindre d'un payement seulement partiel. Sous ce rapport, le gagnant n'a même pas autant de droits qu'un donataire de la créance; car celui-ci, si la garantie d'éviction ou d'insolvabilité du cédé lui avait été expressément promise y aurait droit, tandis que le gagnant ne peut pas plus se prévaloir de cette promesse de garantie que de la promesse du payement même de la dette de jeu.
506. On sait que la dation en payement, soit qu'elle ait pour objet des meubles ou des immeubles, s'effectue par le seul consentement, sans tradition, d'après le droit commun, au moins lorsqu'il s'agit d'un corps certain et déterminé (v. art. 351); il n'y a pas de raison d'exiger davantage pour l'acquittement d'une dette de jeu ou de pari.
Il pourrait arrirer cependant que, plus tard, le perdant refusát de se dessaisir de la chose et qu'il fallût, pour déjouer sa mauvaise foi, un recours à la justice dans lequel le fait du jeu serait invoqué comme source d'un droit d'action, ce que précisément la loi veut éviter.
Nous répondons que le gagnant n'intentera pas une action en délivrance, parce que le perdant n'a pu contracter, pi directement par le jeu, ni indirectement par la dation en payement, l'obligation de livrer, pas plus qu'il n'a contracté, par ce même acte, l'obligation de garantie d'éviction dont on s'occupait plus haut, pas plus enfin qu'il n'a pu s'obliger à donner des soins à la conservation de la chose: il sera seulement actionné en revendication, comme détenteur d'une chose qui ne lui appartient plus.
Certainement, si le perdant défendeur conteste la légitimité de la dation en payement, le tribunal aura à reconnaître qu'il y a eu jeu et il devra admettre la validité de la dation en payement volontaire; mais ce résultat n'est pas, au fond, différent du cas où un tribunal statuerait, par un rejet, sur une demande en répétition du payement volontaire, fait en argent, d'une pareille dette de jeu.
Ce qui prouve, d'ailleurs, qu'il importe peu que les choses données en payement aient été livrées, ou non, c'est que, lors même que la livraison en aurait été faite, si le perdant venait à en recouvrer la possession, sans droit, il faudrait bien admettre qu'il fût soumis à la revendication, comme au cas qui nous occupe, et qu'il ne pût davantage objecter la cause illicite de jeu.
507. Le texte du présent article ne se borne pas à dénier au jeu et au pari l'effet de produire une obligation, même seulement naturelle, il prend encore soin d'ajouter qu'il y a nullité de la reconnaissance volontaire d'une dette de jeu ou de pari, de la novation dans laquelle l'extinction d'une telle dette serait présentée comme cause de la création d'une dette civile, enfin, d'un cautionnement par lequel un tiers prétendrait garantir une dette de jeu. Si la loi s'en explique, c'est toujours parce que la validité du payement volontaire, qui est commune à l'obligation naturelle et à la dette de jeu, pourrait porter à exagérer cette similitude des deux dettes; or, on sait que les obligations naturelles peuvent être l'objet d'une reconnaissance volontaire, d'une novation et d'un cautionnement, avec les effets civils attachés à ces actes: ici, ces effets ne se produiront pas.
Le texte qui refuse effet au cautionnement d'une dette de jeu ou de pari n'exprime pas la même prohibition à l'égard du gage et de l'hypothèque qui seraient fournis pour garantie de la même dette. Au premier abord, on pourrait croire que la prohibition va de soi, par identité de motifs; mais ce serait une illusion; il y a une grande différence entre les sûretés personnelles, comme le cautionnement, et les sûretés réelles, comme le gage et l'hypothèque: dans ces dernières, le débiteur se dépouille actuellement d'un droit réel qu'il confère au gagnant; or, co dépouillement, s'il est volontaire, comme un payement, doit en avoir aussi la validité.
En vain on objecterait, dans le sens de la prohibition du gage et de l'hypothèque, que ces deux sûretés n'opèrent pas une libération directe, comme le payement, et qu'elles rendront nécessaire, pour la réalisation de la valeur engagée, l'intervention de la justice que la loi veut éviter dans les dettes de jeu. Nous répondrons que ce qui répugne surtout à la loi c'est l'intervention judiciaire ayant un caractère de contrainte sur le débiteur, pour le déterminer à payer la dette de jeu; mais ici, le sacrifice volontaire a été fait, le reste n'est plus qu'une procédure de règlement de compte entre le créancier gagiste ou hypothécaire et le débiteur ou les autres créanciers. Il ne faut pas davantage alléguer que la validité du gage et celle de l'hypothèque exigent la rédaction préalable d'un acte portant reconnaissance de la dette et que, précisément, on vient de refuser effet à cette reconnaissance; la répouse est encore la même: la reconnaissance de la dette de jeu n'aura pas ici d'autre effet que de motiver la dation du gage ou de l'hypothèque, comme, précédemment, elle motivait le payement ou la dation en payement; elle n'entraînera aucune contrainte contre le débiteur, et la preuve en est que si le gage ou l'hypothèque sont insuffisants, le débiteur ne pourra être recherché pour le reste.
508. Notons enfin que si la dette de jeu ou de pari, même formellement reconnue, ne peut servir de base à une compensation légale ou judiciaire (ce qui équivaudrait à un payement forcé, lequel n'est pas admis), elle pourrait très-bien donner lieu à une compensation volontaire que le perdant consentirait à faire expressément avec une créance civile qu'il aurait contre le gagnant.
Art. 812. — 509. Le Code civil français n'a pas de disposition qui refuse action en vertu d'une loterie non autorisée; mais il ne faudrait pas hésiter à suppléer à son silence dans le sens de la prohibition; en effet, les loteries, lorsqu'elles n'ont pas été autorisées par l'administration, sont punissables comme le jeu (C. pénal, art. 410), et elles le sont toujours, parce qu'elles reposent toujours sur le hasard, tandis que la loi ne punit que les jeux dits “de hasard,” or, tous les jeux n'ont pas ce caractère. Il est donc évident que les conventions relatives aux loteries sont nulles et sans effets civils comme ayant une cause illicite. Il ne peut non plus y avoir d'exception relative aux exercices de force ou d'adresse, parce que le hasard des loteries ne peut se combiner avec de tels exercices.
Si, au contraire, une loterie était autorisée et que les organisateurs refusassent de délivrer les lots aux gaguants, ils y seraient contraints par action judiciaire, et cela est très-juste, en même temps que c'est le seul moyen d'encourager les preneurs de billets à une @uvre qui a toujours un caractère de bienfaisance ou d'utilité plus ou moins générale, sans quoi, elle ne serait pas autorisée. De même, ceux qui auraient souscrit pour un certain nombre de billets pourraient être coutraints à en verser le montant.
510. Le 2e alinéa de notre article assimile aux paris dépourvus d'action les spéculations sur la hausse ou la baisse des effets publics ou des marchandises, lorsqu'elles n'ont pas le caractère d'opérations sérieuses de vente ou d'achat. Comme conséquence naturelle de cette assimilation, la partie perdante ne pourra pas opposer la nullité, lorsqu'elle aura volontairement payé la différence entre le cours du jour de la convention et celui de l'échéance du terme.
La présomption légale est que le marché à terme est sérieux, car la loi impose au défendeur la charge de la preuve contraire. C'est l'inverse de l'ancienne disposition de l'article 422 du Code pénal français, récemment abrogée (voir ci-après), laquelle réputait pari et punissait de prison et d'amende toute vente à terme d'effets publics, “lorsque le vendeur ne prouvait “pas que lesdits effets avaient existé à sa disposition "au temps de la convention ou avaient dû s'y trouver “au temps de la livraison.”
Il y avait dans cette présomption légale un vestige des sévérités de l'ancien droit contre le jeu et le pari. Elle ne s'appliquait pas d'ailleurs aux ventes à terme de denrées ou marchandises, dites “marchés à livrer," et elle n'atteignait que le vendeur, non l'acheteur, sans doute parce qu'il serait si facile à celui-ci de troniper la justice sur ses prétendues ressources pécuniaires futures qu'il serait dérisoire d'en exiger la preuve.
Cette double restriction aux pénalités du pari n'empêchait pas que l'exception de jeu ou de pari fût opposable à l'acheteur à terme d'effets publics, lorsqu'il en demandait la livraison, et aux deux parties dans les marchés à livrer de denrées ou marchandises. Mais comme la présomption légale de jeu ou de pari n'existait plus, c'était au défendeur, actionné pour l'exécution, à prouver que l'opération n'avait pas été sérieuse à l'origine.
Notre article 812 crée exactement une même situation entre les parties, dans les ventes à terme d'effets publics et de marchandises: l'opération étant réputée sérieuse, c'est à celui qui le nie, à celui qui défend à la demande d'exécution, de prouver que les parties n'ont pas eu l'intention, lors du marché, de prendre livraison des valeurs et d'en effectuer le payement, c'est-à-dire qu'il n'y a eu entre elles qu'un pari sur les différences; ce sera une question de fait à décéder, et, pour cela, le tribunal tiendra compte des quantités et des sommes promises, de la fortune des contractants et, si elles ont l'habitude de faire ensemble de pareils marchés, de la manière dont elles les terminent ordinairement.
511. Nous avons dit que l'article 422 du Code pénal français a été abrogé; l'article 421 l'a été en même temps; il n'y a donc plus, en France, de présomption légale de jeu dans les ventes à terme d'effets publics, ni de peine pour ce délit présumé. Tel est l'objet d'une loi des 28 mars - 8 avril 1885.
La même loi porte que "tous marchés à terme sur “les effets publics et tous marchés à livrer sur denrées “et marchandises sont reconnus légaux: nul ne peut, “pour se soustraire aux obligations qui en résultent, “se prévaloir de l'article 1965 du Code civil, lors même “que lesdits marchés se résoudraient par le payc“ment d'une simple différence.”
En effet, outre la sanction pénale du pari, prononcée par l'article 421, la nullité civile des marchés à terme se faisait valoir par l'exception de jeu fournie par l'article 1965 du Code civil et cet article cessera d'être invocable contre ces marchés.
Cette loi s'est proposé de donner satisfaction à l'opinion publique: on s'était ému de plusieurs désastres financiers, aggravés par la mauvaise foi de ceux qui ne craignaient pas de se soustraire à leurs engagements, en opposant l'exception de jeu; les louables efforts des tribunaux pour déjouer cette mauvaise foi étaient souvent paralysés par la difficulté de distinguer, dans les marchés à terme sur les effets publics ou sur les marchandises, entre le jeu ou le pari sur la différence des cours et la spéculation sincère et véritable. La jurisprudence variait à cet égard.
En donnant action en justice pour l'exécution des marchés à terme, le législateur français n'avait pas à craindre de s'engager témérairement dans une voie incertaine, car déjà la plupart des pays d'Europe l'avaient précédé dans cette réforme, sans avoir eu à le regretter. D'ailleurs, la loi nouvelle n'a pas entendu valider et sanctionner les véritables paris sur la hause et la baisse des valeurs: il a été exprimé dans les Motifs de la loi et dans les Rapports législatifs que la présomption de sincérité des marchés à terme ne couvrirait pas les marchés entièrement fictifs; l'on a même longuement discuté sur la manière dont on exprimerait cette limite d'application de la loi et il faut reconnaître que la formule adoptée n'est pas à l'abri de la critique.
512. Le Projet du Gouvernement portait que l'exception de jeu cesserait d'être applicable aux marchés à terme, “lorsque l'acheteur aurait le droit d'exiger la livraison ou lorsque le rendenr aurait le droit de l'imposer." La commission de la Chambre des Députés objectait avec raison que ce texte, comme l'article 422 du Code pénal, mettait encore à la charge du vendeur de prouver que le marché était sérieux, ce qni était rendre presque illusoire le bénéfice de la loi préparée; on proposait donc de dire: “lors même que ces marchés devraient se résoudre par le simple payement d'une différence”; mais la Commission du Sénat à son tour, critiqnait cette réduction, comme dépassant le but de la loi et n'allant à rien moins qu'à valider les marchés manifestement fictifs, ceux dans lesquels les parties auraient formellement stipulé qu'ancune d'elles ne pourrait contraindre l'autre à l'exécution réelle et que le marché ne pourrait se résoudre que dans le payement d'une différence de cours; elle proposait donc de dire: “lors même que ces marchés se résoudraient par le payement d'une simple différence,” et c'est cette rédaction qui, finalement, a été adoptée par les deux Chambres.
Nous ne la trouvons pas satisfaisante, car si le marché se résout, en fait, par le payement volontaire d'une différence, on se trouve précisément dans le cas où il n'y a pas besoin de la loi nouvelle pour refuser l'exception de jeu: le payement l'enlève déjà au perdant, d'après l'article 1960. On a voulu dire certainement: lors même que la demande n'a pour objet que le payement d'une simple différence," ou bien: “ces marchés pourront se résoudre par le payement des différences."
On pouvait, dans ce sens, suivre l'exemple le plusieurs lois étrangères qui, selon nous, sont beaucoup plus heureuses dans leurs expressions.
Ainsi, la loi de Genève, reconnaissant la légalité des marchés à terme, porte que “ces marchés pourront se résoudre par différences; ".
La loi d'Autriche, dans les procès relatifs à des opérations de Bourse, refuse “l'exception de jeu ou de pari tirée de ce que la demande est fondée sur une opération de différences;”
La loi d'Italie porte que “pour les contrats à terme, il est donué une action en justice, alors même qu'ils n'auraient pour objet que le payement de différences;"
L'Espagne reconnaît aussi “la validité des opérations à terme se soldant par différences;”.
L'Allemagne a une disposition particulièrement intéressante: procédant à l'inverse des autres législations, comme le présent Projet, elle indique le seul cas où l'exception de jeu est admise, c'est seulement “s'il y a un engagement entre les parties pour ne pas livrer les titres (a).”
On voit qu'il était facile au législateur français de trouver chez ses devanciers une formule plus exacte que celle qu'il a adoptée.
513. Lorsque nous avons rédigé le présent article 812, nous ignorions que le même sujet était en discussion en France; mais nous avons aujourd'hui la satisfaction de voir que nous n'étions pas resté en arrière des idées nouvelles et que notre formule satisfaisait déjà, tout à la fois, et au principe qui veut que les contrats librement consentis soient obligatoires et à l'exception qui veut que le jeu et le pari n'engendrent pas d'action.
Nous ne changeons donc rien à notre première rédaction déjà publiée dans l'édition japonaise.
Il reste toutefois une notable différence de forme entre la disposition du Projet et les diverses lois étrangères précitées (sauf celle de l'Allemagne), c'est que celles-ci commencent par énoncer directement que les marchés à terme donnent action en justice, et elles ne réservent l'exception de jeu que d'une façon implicite et pour un cas considéré comme accidentel; tandis que le Projet procè-le en sens inverse: il n'énonce que le cas où l'exception de jeu sera admise; par cela inéme, le cas de la nullité est mieux précisé et la validité des marchés à terme se trouve garantie par le priucipe général de “la liberté des conventions” (r. art. 318).
Cette différence tient à ce que la loi française de 1885 et les autres lois étrangères, ayant eu à déroger à une loi antérieure qui traitait comme jeu et pari les marchés à terme, ont dû accentuer formellement leur innovation en proclamant la validité de ces marchés (b).
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(a) V. Dallox perlod., ann, 1885, 4e part., p. 25 s.
(b) Le présent article 812 du Projet ne sera pas la première disposition législative au Japon sur les marchés à terme: il y a aujourd'hui des règlements très-sévères sur les Bourses; mais nous les considérons comme n'ayant qu'un caractère provisoire et comme destinés à disparaître lorsque la matière sera réglée par le Code civil auquel elle appartient certainement.
Art. 813. — 514. Il restait à décider, pour le cas plus ou moins rare où l'exception de nullité est conservée au défendeur, si, dans le silence de celui-ci, les juges pourraient la suppléer d'office.
Assurément, la nullité de la prétendue obligation née du jeu ou du pari est d'ordre public et, comme telle, semblerait pouvoir étre, sans hésitation, prononcée d'office. Mais il ne faut pas oublier qu'on est en présence d'une présomption légale favorable au demandeur, d'une présomption d'après laquelle l'opération de Bourse à terme est considérée comme sérieuse. Le défendeur, il est vrai, est admis, par le présent article, à fournir la preuve contraire; mais quand il ne comparaît pas, ou quand, comparaissant, il ne se prévaut pas de l'exception de jeu et conteste par d'autres moyens la prétention du demandeur, il serait dangereux de donner aux juges un pouvoir illimité pour déclarer que l'opération ne leur paraît pas sérieuse.
Le Projet n'autorise donc les juges à déclarer d'office la nullité que si le caractère illicite de l'opération, le caractère de jeu ou de pari, résulte d'une déclaration (écrite ou verbale) faite, soit dans l'engagement, soit dans la demande. Le cas sera rare, sans doute: les parties n'auront pas voulu se priver l'une et l'autre, dès l'origine, du bénéfice d'une action en justice, et quand elles auront laissé le champ libre à l'action, le demandeur n'aura pas souvent l'imprudence ou la loyauté de déclarer qu'il n'a entendu faire qu'une opération de jeu ou de pari sur les différences de cours. Mais c'est précisément dans ces étroites limites qu'il n'y a plus d'objection à ce que l'exception puisse être suppléée d'office.
Ni la loi nouvelle française, ni la discussion à laquelle elle a donné lieu, ne fournissent aucune solution de cette difficulté.
N° 515. Avant d'aborder le texte des rentes viagères, nous en exposerons sommairement la théorie.
Il peut exister et on pratique en Europe deux sortes de contrats de rente, celui de rente perpétuelle et celui de rente viagère.
Le contrat de rente perpétuelle est une variété du prêt à intérêt et c'est avec ce contrat qu'il en sera traité (voir le Chapitre suivant).
Le contrat de rente viagère a de l'analogie avec d'autres contrats dont il peut n'être qu'une variété; il peut aussi avoir le caractère d'une donation et même, en dehors de tout contrat, la rente viagère peut être constituée par legs ou testament. Ce sont ces caractères variables de la rente viagère qui doivent nous occuper d'abord. Les textes en seront plus facilement compris et pourront être plus brièvement expliqués (a).
Le mot rente, en français, vient du latin reditus, “revenu”; mais il faut se garder de donner le nom de rente aux revenus mêmes, payés par mois ou par an: leur nom est arrérages et c'est ainsi que les textes français, et même ceux du présent Projet, mettent souvent sur la même ligne les “intérêts et arrérages.”
On doit garder le nom de rente pour le droit qui produit les arrérages; la rente est comme le fonds et les arrérages en sont les fruits.
Quand la rente est perpétuelle (ce qui n'exclut pas certaines causes exceptionnelles d'extinction), elle a un capital aussi déterminé que le prêt, et les arrérages en sont les intérêts.
Quand la rente est viagère, le capital en est indéterminé, il est fictif, il ne pourra jamais être exigé, non seulement au cas d'extinction normale du droit aux arrérages, par la mort du rentier, mais même au cas d'extinction anticipée pour inexécution d'une des obligations du débiteur (v. art. 825). Cependant, la rente est quelquefois la contre-valeur d'un capital fourni par le rentier, en argent, en meubles ou en immeubles; mais ce capital ne peut être considéré comme productif des arrérages, car ceux-ci sont généralement beaucoup plus élevés que l'intérêt ordinaire du prêt ou les fruits des biens, à raison même de ce qu'ils ne sont dûs que pendant la vie du rentier.
516. Lorsque la rente viagère est ainsi constituée comme contre-valeur d'un avantage fourni par le rentier, elle est évidemment le résultat d'un contrat à titre onéreux et synallagmatique, et, comme elle peut durer plus ou moins longtemps, suivant les hasards qui abrègent ou prolongent la vie humaine, le contrat est aléatoire pour les deux parties.
Lorsque la rente est constituée par donation, le contrat, étant gratuit, n'est pas synallagmatique; mais est-il encore aléatoire? Beaucoup d'auteurs le nient, prétendant que les contrats aléatoires ne sont qu'une variété des contrats onéreux. Mais nous ne voyons pas pourquoi on restreindrait ainsi le caractère des contrats aléatoires. Nous avons même, sous le premier article de ce Chapitre, établi que du moment que la chance de gain ou de perte peut ne se trouver que d'un seul côté, cela suffit, pour que le contrat soit aléatoire; or, ici, on peut presque dire qu'il y a des chances des deux côtés: d'abord, du côté du donateur, il est évident que la charge sera plus lourde pour lui si le donataire vit longtemps, tandis qu'elle le sera moins si le donataire meurt plus tôt; mais, même pour ce dernier, ne peut-on pas dire que, s'il ne court aucun risque de perdre, puisqu'il n'a qu'à recevoir, sans rien fournir, il a la chance de recevoir plus ou moins d'arrérages, suivant qu'il vivra plus ou moins longtemps ? Enfin, ce qui achève de prouver que le caractère aléatoire d'un contrat n'est pas incompatible avec la gratuité, c'est que si l'on suppose une donation de pleine propriété subordonnée à une condition casuelle, elle est, de ce chef, aléatoire (voy. art. 808, 2° al. et T. 11, p. 37, no 32 et p. 378, n° 360).
Au surplus, nous n'insistons pas sur cette question qui nous paraît d'un intérêt plus théorique que pratique; que la donation de rente viagère soit un contrat aléatoire ou non, ses effets seront les mêmes: elle suivra les règles des donations pour ses conditions d'existence ou de formation, et pour son étendue, si l'on se et, pour ce qui est de sa durée, elle sera toujours limitée à la vie du donataire, avec l'incertitude qui en est inséparable. On aura l'occasion, à l'article 823, de voir une complète assimilation du titre gratuit au titre onéreux dans la rente viagère, et on l'y justifiera.
517. Le contrat de rente viagère, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, n'est pas, croyons-nous, fort usité au Japon, sans doute parce que, la loi ne l'ayant pas réglé, les particuliers craindraient de ne pas faire un acte licite; mais il mérite d'être admis dans les prévisions du nouveau Code. En effet, il peut rendre de grands services à ceux qui n'ont pas une fortune suffisante pour vivre avec leurs revenus ordinaires. Supposons une personne ne pouvant plus, à cause de son âge, exercer un emploi ou un métier productif et n'ayant qu'un capital, mobilier ou immobilier, de 3000 yens, dont le revenu, à 10 %, serait de 300 yens par an, ou 25 yeus par mois: il pourrait arriver que ce revenu de 25 yeus par mois fût insuffisant pour ses besoins; si elle n'a pas d'enfants ou de proches parents auxquels elle désire laisser sa petite fortune, elle pourra l'aliéner moyennant une rente viagère qui, au lieu d'être de 10%, pourra être de 15, 18, même 20%, c'est-àdire d'autant plus élevée que cette personne sera plus agée; car, à sa mort, le débiteur de la rente cessera de payer les arrérages et ne devra aucune restitution. Si la personne dont il s'agit a des héritiers présomptifs qu'elle ne veuille pas dépouiller, c'est avec eux ou avec l'un d'eux qu'elle pourra faire le contrat, leur procurant ainsi l'avantage d'une succession anticipée.
Supposons maintenant une constitution de rente viagère par donation: elle permettra au donateur d'assurer l'existence du donataire, sans se priver lui-même d'un capital; il pourra être obligé de réduire ses propres dépenses, s'il n'a pas lui-même une fortune considérable, mais, après l'extinction de la rente viagère, il se trouvera aussi riche qu'auparavant.
Dans ces conditions, la rente viagère est un moyen rents pauvres et âgés ou de récompenser les services de vieux serviteurs.
Il peut arriver enfin que la rente viagère soit constituée par voie de retenue ou rétention sur un capital aliéné à titre onéreux ou gratuit, comme on constituerait un usufruit par rétention sur des biens vendus ou donnés. Ainsi, une personne donne 1000 yens et elle stipule que l'intérêt lui en sera payé, à un taux fixé, sa vie durant, par le donataire. Dans ce cas, bien que la rente ne soit pas elle-même donnée, elle favorise encore la donation du capital, puisque celui qui l'aliène conserve des moyens assurés d'existence.
Abordons maintenant les textes de cette matière.
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(a) Il a déjà été donné quelques notions sur la rente viagère, sous l'article 59 qui permet d'établir “l'usufruit d'une rente via. gère" (v. Tome Ier, pp. 131-132, no 89).
COMMENTAIRE.
Art. 814. — 518. Quand la rente viagère est cons tituée à titre onéreux, elle a, comme on l'a annoncé beaucoup d'analogie avec d'autres contrats dont elle forme, pour ainsi dire, une variété.
Ainsi, si le bénéficiaire de la rente a fourni de l'argent ou des denrées, c'est une variété du prêt à intérêt; seulement, comme les intérêts sont plus ou moins supérieurs au taux légal ou au taux conventionnel ordinaire, le capital fourni est abandonné et ne doit pas être remboursé; on peut l'appeler “prêt à fonds perdu” (v. C. civ. fr., art. 918). On peut aussi voir dans cette constitution de rente une vente de créance d'arrérages par celui qui les derra, et le capital aliéné en est le prix.
Si la rente viagère a été constituée en retour de l'aliénation d'un objet mobilier ou immobilier, le contrat a tout-à-fait le caractère d'une vente; mais les éléments en sont renversés: la rente n'est plus la chose vendue, elle est prix de vente, et ce qui est vendu c'est l'objet fourni pour obtenir la rente. Dans ce cas, on applique les règles générales de la vente, en tant qu'elles sont compatibles avec la nature de contrat aléatoire: par exemple, il y aura lieu à la garantie d'éviction, à celle de défaut de contenance ou des défauts cachés; mais il n'y aura pas lieu à la rescision pour lésion, parce que le caractère aléatoire s'y oppose (v. art. 710); ou bien, pour que la lésion fût une cause de rescision, il faudrait supposer, ce qui est invraisemblable, que les arrérages périodiques n'excèdent pas ou n'excédent que très-peu les revenus ordinaires de la chose vendue (v. ci-dess., p. 410, n° 332, d).
Lorsqu'il n'y a aucune valeur fournie par le créancier de la rente, par le crédi-rentier, la vente viagère est constituée à titre gratuit; ce peut être par une donation entre-vifs, ce peut être par un testament. On applique alors les règles propres à chacun de ces actes, tant les règles de formes que les règles de fond. Parmi ces dernières, il y a des restrictions à la capacité ordinaire des personnes, soit pour disposer, soit pour recevoir, il y a aussi des limites à l'étendue des choses qui peuvent être données, eu égard à la qualité et au nombre des héritiers que le donateur ou le testateur laisse à son décès, c'est la quotité disponible.
Ces règles de formes et de fond ne sont pas encore arrêtées dans le Projet, elles trouveront leur place dans
Art. 815. — 519. Généralement, quand la rente viagère est constituée à titre onéreux, elle est stipulée au profit de celui qui en fournit la contre-valeur; c'est le cas le plus naturel. Mais il peut arriver que la valeur soit fournie par une personne et que la rente soit stipulée au profit d'une autre.
Notons d'abord que la stipulation pour autrui n'étant valable qu'exceptionnellement (v. art. 344), il faut supposer ou que le stipulant se trouve dans un de ces cas exceptionnels, ou que celui auquel la rente viagère sera due est intervenu au contrat.
Le contrat présente ainsi trois intéressés qui forment deux groupes et dont il résulte deux rapports de droit: du donneur de valeur à celui qui la reçoit et qui devient le débi-rentier, et du donneur de valeur au bénéficiaire, c'est-à-dire au crédi-rentier. Sous le premier aspect, le contrat est à titre onéreux, car celui qui reçoit la valeur fournie comme cause de la rente viagère ne l'acquiert pas gratuitement, devant fournir un équivalent. Sous le deuxième aspect, le contrat est à titre gratuit, car celui qui recevra la rente viagère n'en a pas fourni la contre-valeur. Il est évident aussi que le rapport de donataire à donateur est entre le créancier des arrérages et le donneur de valeur.
520. Ce double caractère d'un contrat n'est pas spécial à la constitution de la rente viagère: on le retrouve chaque fois qu'il y a dans un contrat onéreux une stipulation pour un tiers ou par un tiers.
Il n'y a pas d'ailleurs d'incompatibilité absolue entre la gratuité et le caractère onéreux, du moment que les rapports sont entre personnes différentes; ainsi, la capacité peut n'être pas la même pour donner que pour aliéner à titre onéreux, mais rien n'empêche qu'elle se trouve observée aux deux points de vue.
Au contraire, pour ce qui est des formes, comme il n'y a qu'un acte, qu'un instrument, il faut que la loi décide s'il sera soumis aux formalités des donations ou s'il en sera affranchi à cause de ce qu'il a d'onéreux, et c'est cette dernière décision que donne la loi.
Mais une difficulté reste à résoudre et si la loi ne la tranche pas, c'est que les principes doivent mener à la véritable solution. Supposons que le donneur de valeur n'ait pas la capacité de donner, quoiqu'ayant celle d'aliéner à titre onéreux, ou que le bénéficiaire de la rente soit dans un cas d'incapacité relative de recevoir de la part du donneur de valeur: le contrat sera-t-il nul en entier, ou seulement vis-à-vis du bénéficiaire ? C'est à cette dernière solution qu'il faut se tenir, justement parce que le contrat peut valoir comme onéreux entre le donneur de valeur et celui qui promet la rente; dès lors, la rente sera payée non au bénéficiaire dépommé dans la stipulation, mais au donneur de valeur; seulement, elle aura toujours pour mesure de sa durée la vie du tiers que le débiteur avait considéré comme devant être le crédi-rentier. L'article suivant nous dira précisément que la rente peut dépendre de la vie d'un autre que le crédi-rentier.
La solution serait la même, si la rente excédait la portion disponible des biens du donateur: le débiteur de la rente n'en profiterait pas et il devrait verser l'excédant au donateur lui-même.
521. On a annoncé, en terminant l'exposé sommaire de ce sujet, que la rente viagère peut être constituée par rétention ou retenue d'une créance d'arrérages sur un capital aliéné en nue-propriété. Ce capital peut lui-même être aliéné à titre gratuit ou onéreux.
Cette disposition rappelle un mode semblable de constitution de l'usufruit auquel l'article 86 fait allusion, sans qu'il soit autrement consacré par la loi (a).
Une difficulté particulière se présente quand on se demande si une pareille constitution de la rente viagère est à titre onéreux ou gratuit.
Lorsque le capital est aliéné à titre onéreux, c'està-dire lorsqu'il en est fourni une contre-valeur, le créancier de la rente viagère est censé avoir reçu dans cette contre-valeur l'équivalent anticipé du droit à la jouissance qui n'est que retardé pendant sa vie.
Mais si le capital est donné en nue-propriété, la retenue des arrérages ou de la rente viagère sort des acquisitions gratuites ou onéreuses, parce qu'elle n'est pas, à proprement parler, une acquisition: celui qui retient la jouissance de son bien ne l'acquiert pas, puisqu'il l'avait déjà, pas plus que celui qui aliène la moitié de son bien n'acquiert l'autre en la retenant. Dans le cas qui nous occupe, il faut plutôt dire que la rente viagère retenue par le donateur du capital est donnée elle-même, à terme, c'est-à-dire pour l'époque du décès du rentier, comme, dans le cas précédent, on la considérait comme vendue, et c'est encore une valeur à faire entrer en compte dans le calcul de la quotité disponible.
Ajoutons un autre intérêt à reconnaître que la rente viagère ainsi retenue présentement est donnée pour l'avenir; supposons que le donataire soit dans le cas de subir la révocation de la donation pour ingratitude ou pour inexécution des conditions: dans ce cas, ce n'est pas seulement le capital en nue-propriété qui reviendrait au donateur, ce serait encore la jouissance perpétuelle de ce capital; en conséquence, à sa mort cette jouissance ne passerait pas au donataire, mais elle resterait dans la succession du donateur.
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(a) Il serait facile d'ajouter à l'article 47, après le 3e alinéa: “L'usufruit peut aussi être constitué par rétention sur des biens "aliénés à titre gratuit ou onéreux."
Art. 816. — 522. La rente viagère étant ordinairement créée pour assurer les moyens d'existence d'une personne, il est naturel qu'elle repose sur sa tête, qu'elle soit mesurée sur sa vie; mais le contraire pourrait avoir lieu. Ainsi, il pourrait être convenu que la rente sera servie par le débiteur pendant la durée de sa propre vie: le motif de cette stipulation, assez inusitée d'ailleurs, pourrait être la crainte que le débiteur, ayant intérêt à la mort du rentier, ne fît plus que des võux, mais des actes criminels pour la hâter. Une pareille stipulation serait cependant imprudente, car si le débiteur de la rente vient à mourir avant le crédirentier, celui-ci sera peut-être privé de moyens d'existence.
La rente peut aussi reposer sur la tête d'un tiers dont on est convenu; on peut trouver un intérêt à cette stipulation, en supposant qu'en réalité la rente avait été créée dans l'intérêt de ce tiers et pour assurer son existence, mais le donneur de valeur ou le donateur avait voulu que les arrérages fussent payés à un autre qui, fidèlement, en ferait profiter le bénéficiaire. Par exemple, quelqu'un voulant assurer l'aisance d'un vieillard, mais craignant sa faiblesse d'esprit, sa prodigalité ou même son avarice, constituerait une rente viagère payable au fils, mais reposent sur la tête du père: le fils nourrirait son père chez lui et le préserverait ainsi de l'un des deux extrêmes également dangereux pour ses vieux jours, la faiblesse prodigue et les privations avares.
Toutefois, comme il pourrait y avoir des cas moins favorables et qu'une personne pourrait ne pas se soucier que sa vie fût ainsi la mesure du droit et des obligations respectives de deux autres (ce qui peut constituer un danger pour elle et, en tout cas, une inquiétude), on propose ici que le consentement de cette personne soit nécessaire, non seulement à la validité de la convention, mais encore à sa formation, c'est-à-dire à son existence: lorsqu'elle consentira à la convention, c'est qu'elle n'aura aucun sujet de craindre une entreprise contre ses jours.
La conséquence logique de la nullité de la convention serait la répétition de ce qui aurait été fourni des deux côtés, lorsque l'une des parties jugerait à propos de se prévaloir de la nullité; mais la loi refuse la répétition des arrérages payés, parce qu'elle considère le débi-rentier comme ayant spéculé sur la mortalité humaine, sans avoir, comme le créancier, l'excuse de la nécessité. Celui-ci, au contraire, pourra répéter le capital qu'il a fourni, si le contrat est à titre onéreux, comme la loi a soin de le distinguer, et ce droit de répétition du créancier sera le frein le plus efficace de la spéculation du débiteur.
Art. 817. — 523. Nous n'avons pas à nous étendre sur l'hypothèse prévue par cet article: elle a été suffisamment expliquée, au sujet de l'usufruit, sous l'article 103 cité au texte (voy. Tome 1er, p. 198, n° 147). Il nous suffit de rappeler que si l'un des créanciers simultanés de la rente vient à mourir, le débiteur ne sera pas libéré pour partie, mais qu'il devra payer les arrérages en entier aux survivants, à moins, bien entendu, de convention contraire.
Nous avions pensé un instant renvoyer aussi à l'article 50 de l'usufruit, c'est-à-dire exiger que tous les créanciers successifs éventuels de la rente fussent déjà vivants au moment de la convention, mais nous ne voyons pas les mêmes motifs de cette condition: lorsqu'il s'agit d'usufruit, il faut éviter que la propriété soit trop longtemps privée de son revenu, ce qui la déprécie; mais dans la rente viagère, il n'y a qu'une obligation de personne et non un démembrement de la propriété; le principe de la liberté des conventions doit donc conserver son empire. D'ailleurs, puisque l'on peut bien créer des rentes perpétuelles, on ne concevrait pas qu'on ne pût en créer qui fussent reversibles sur une ou plusieurs générations.
Nous admettons cependant une limite à cette reversibilité; c'est lorsque l'une des têtes désignées pour la durée de la rente n'existant pas encore au moment de la constitution (par exemple, l'enfant à paître de deux époux), les autres têtes viendraient à s'éteindre avant la naissance et même avant la conception de cet enfant: alors la rente se trouvant éteinte, fante d'une tête sur laquelle elle pût reposer, ne renaîtrait pas avec l'apparition de cet enfant.
Art. 818. — 524. La présente disposition est fondée sur la nécessité de maintenir à la rente viagère son caractère aléatoire: si la personne dont la vie devait servir de mesure à l'obligation du débiteur était déjà morte au moment de la convention, elle n'aurait eu aucune chance de gain et le débiteur n'aurait couru ancun risque de perte. La convention serait donc nulle faute de cause et le capital fourni serait restituable.
La disposition est déclarée formellement applicable, lors même que les parties auraient toutes ignoré le prédécès du titulaire de la rente, car, si cette ignorance suffit à écarter tout soupçon de mauvaise foi, elle ne suffit pas à créer une cause légitime au contrat.
Le texte a bien soin d'exprimer que cette disposition ne s'applique qu'aux constitutions de rente"à titre onéreux”; car, dans la rente constituée par donation ou par testament, le donateur ou l'héritier du testateur n'aurait rien à restituer, n'ayant pas reçu de capital, ni rien à recouvrer, n'ayant pas payé d'arrérages à un rentier déjà décédé.
Un seul cas de donation pourrait faire doute, c'est celui où le donateur de meubles ou d'immeubles aurait retenu sur les biens donnés une rente viagère payable à uue personne déjà décédée. On pourrait comprendre que, dans ce cas, le donateur prétendît recouvrer les biens donnés, sous le prétexte que le donataire, ne pouvant remplir la condition de la libéralité, en conformité aux intentions du donateur, s'enrichirait sans cause légitime. Mais nous ne pensons pas qu'il faille, dans ce cas, se rapprocher de la règle des constitutions à titre onéreux: la cause principale de la dovation n'est pas le service de la rente, mais l'intention de gratifier le donataire; or, il sera d'autant plus gratifié qu'il n'aura pas à payer d'arrérages à un tiers déjà décédé.
Si la rente était établie sur plusieurs têtes, le présent article ne s'appliquerait que si tous les titulaires étaient morts au moment de la convention, car c'est là seulement que l'alea, les risques et les chances, seraient supprimés.
Il est naturel d'assimiler au cas où le titulaire de la rente est déjà mort celui où il est atteint d'une maladie certainement et promptement mortelle; dans ce cas encore, il n'y a pas suffisamment chance de gain et de perte.
Le Code français a considéré comme exclusif du risque nécessaire, le cas où le titulaire, déjà atteint d'une maladie lors de la constitution de la rente, est mort de cette même maladie dans un délai de 20 jours. Nous proposons de prolonger le délai jusqu'à soixante jours (b), parce qu'il y a des maladies graves qui préprésentent des alternatives de mieux et de pis, par lesquelles le décès est retardé sans avoir cessé d'être probable. Il ne serait pas difficile de citer un grand nombre de maladies dont les médecins n'espèrent pas la guérison, quoiqu'elles aient déjà duré plus de 20 jours et même plus de 40 jours.
Il y aura dans cette hypothèse quelques difficultés dans l'administration de la preuve C'est à celui qui invoquera la nullité de la convention ou plutôt sa résolution (c) à fournir la preuve que le titulaire de la rente était déjà atteint de la maladie dont il s'agit, lors de la constitution de la rente, et que c'est de cette même maladie qu'il est décédé dans les 60 jours.
La difficulté existera surtout pour les maladies chroniques; mais si les complications ou le caractère aigu du mal ne s'étaient produits qu'après le contrat, et si rien ne les avait fait prévoir à ce moment, leur survenance dans les soixante jours, suivie d'un décès, ne résoudrait pas le contrat. Quant à la grossesse, même avancée, au moment du contrat, elle ne devrait pas être considérée comme une maladie, si la gestation était normale; mais il sera bien rare qu'une rente viagère soit établie sur la tête d'une jeune femme enceinte, à moins que ladite rente ne soit stipulée reversible sur la tête de l'enfant espéré.
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(b) Comme les mois n'ont pas tous la même durée, au lieu de proposer un délai variable de deux mois, nous proposons un délai fixe de 60 jours.
(c) Nous disons qu'il y aura plutôt résolution que nullité, parce que le contrat, ayant valu au moment de sa formation même, ne peut cesser de valoir que par une résolution.
Art. 819. — 525. Généralement, tous les biens composant le patrimoine des particuliers sont cessibles ou aliénables par eux et saisissables par leurs créanciers, pour l'acquittement de leurs obligations.
Par exception, certains biens sont inaliénables et insaisissables (voy. art. 28 et 30; Comm. T. Ier, p. 65 et suiv., nos 41 à 45). La loi doit être très-réservée dans l'admission de ces exceptions, parce qu'elles peuvent exposer les tiers à des déceptions: les cessionnaires seront évincés de choses qu'ils auront cru acquérir et les saisissants, trompés dans leur croyance à un gage qui leur échappe, auront encore à supporter des frais inutiles et des pertes de temps.
Les rentes viagères figurent doublement dans l'exception; mais à la condition qu'elles soient constituées gratuitement: une première fois, c'est en vertu de la convention ou du testament, c'est-à-dire par la volonté de l'homme; une seconde fois, c'est par la disposition de la loi.
Le motif de cette double dérogation au droit commun est que la rente viagère a un caractère de pension alimentaire, et qu'il serait contraire à son but et à l'intention du constituant que le rentier-viager pùt, par une aliénation directe, ou en contractant des dettes en. traînant saisie, se dépouiller du moyen d'existence que le constituant a voulu lui assurer.
526. Une distinction, toutefois, est faite par la loi: 1° Si la rente est qualifiée dans l'acte même “pension alimentaire” ou si ce caractère résulte clairement de l'ensemble dudit acte, elle est, de droit, incessible et iusaisissable, et il n'est pas nécessaire que le constituant le stipule: il est présumé avoir imprimé ce caractère à sa libéralité, sauf, bien entendu, l'expression de la volonté contraire;
2° Si le caractère alimentaire n'est pas évident, l'incessiblité et l'insaisissabilité n'ont lieu qu'en vertu d'une disposition ou clause expresse de la donation ou du testament.
Lorsque la rente viagère est constituée à titre onereux, l'incessibilité et l'insaisissabilité ne peuvent être valablement convenues, parce que ce serait pour le crédi-rentier un moyen de frauder ses ayant-cause: un débiteur de mauvaise foi aliènerait des biens saisissables et cessibles, moyennant une rente viagère qu'il stipulerait ivsaisissable et incessible; par la première condition, il priverait ses créanciers de leur gage; par la seconde, il se réserverait le moyen de reprendre son droit de rente après en avoir fait une vente apparente et nulle.
Limitée aux constitutions à titre gratuit, la clause d'insaisissabilité et d'incessibilité ne dépouille pas les créanciers du rentier donataire, puisque la rente n'aura jamais été leur gage, et le danger d'éviction des cessionnaires sera suffisamment conjuré par l'insertion de la clause dans l'acte constitutif lui-même (2° al.): ceux raient alléguer leur bonne foi, puisqu'ils n'auraient pas manqué de se faire représenter l'acte constitutif qui prohibait la cession.
La loi apporte cependant une restriction aux faveurs accordées ici à la rente viagère établie gratuitement.
On a vu plus haut (p. 6:3-4, n° 521) que la rente peut être établie par rétention sur des choses données: le donateur, dans ce cas, u'acquérant pas une rente nouvelle, à proprement parler, mais la tirant de ses biens de ses créanciers qu'il pût soustraire à leur action une portion de ses revenus.
La solution ne serait pas la même si un testateur léguait un capital, en réservant sur ce capital, pour son héritier légitime, une rente viagère à laquelle il donnerait le caractère d'insaisissabilité et d'incessibilité: ici les créanciers du testateur ne pourraient souffrir aucun dommage, car le legs ne leur serait pas opposable et ne vaudrait, en capital et en rente, que s'ils étaient désintéressés sur les autres biens.
Le texte d'ailleurs a soin de ne parler, dans sa prohibition, que de la rente retenue au profit du donateur.
Art. 820. — 527. La loi croit devoir trancher ici deux questions qui pourraient faire doute, si elle ne s'en expliquait pas:
1° Si le donateur d'une rente viagère n'exprime que l'incessibilité sans l'insaisissabilité, ou réciproquement, la prohibition qu'il n'a pas exprimée sera sous-entendue: c'est une interprétation naturelle et raisonnable de l'intention du constituant qui a pu être plus préoccupé d'une des prohibitions que de l'autre. Plus loin, la loi tirera une autre conséquence de l'incessibilité de la rente viagère, ce sera son imprescriptibilité, c'est-àdire que le débiteur ne pourra se prétendre affranchi par prescription du service des arrérages (v. art. 826). On justifiera en son lieu ce nouveau caractère possible de la rente viagère, lequel se rapporte à son extinction.
2° L'insaisissabilité et l'incessibilité de la rente viagère concernent plutôt le droit lui-même de rente que les arrérages périodiques qui n'en sont que le produit; mais, il est clair que si le rentier pouvait céder d'avance les arrérages à échoir, soit pour toute sa vie, soit seulement pour un ou plusieurs termes futurs, la protection que le constituant ou la loi ont voulu lui assurer serait illusoire. On ne devait même pas permettre la cession ou la saisie d'un seul terme non échu, parce que la cession ou la saisie pourraient toujours être faites avant que le rentier eût pu toucher chacun desdits termes. La loi fait donc sagement de ne permettre la disposition des arrérages que lorsqu'ils sont “ échus."
COMMENTAIRE.
Art. 821. — N° 528. Le débiteur d'une rente viagère n'a ordinairement qu'une seule obligation, celle d'en payer régulièrement les arrérages. Quelquefois cependant, il s'engage par le contrat à fournir au créancier des sûretés pour le service desdits arrérages. Il en sera traité au & suivant, au sujet de la résolution qui est la sanction éventuelle de cette obligation.
La loi ne permet pas au débiteur de se soustraire au service des arrérages, même en payant un capital, quelle que soit la longévité du rentier ou de la personne sur la tête de laquelle porte le droit de rente; c'est la conséquence de ce que le contrat est aléatoire, et de même que le débiteur aurait pu se trouver affranchi de sa dette après un temps très-court, de même il est juste qu'il en supporte très-longtemps la charge, si le hasard prolonge la vie du titulaire, même au-delà de toute prévision.
La loi n'aurait pas pris la peine de s'expliquer sur ce point, si on n'avait une disposition différente en matière de rente perpétuelle. Le débiteur d'une rento perpétuelle peut, en effet, s'affranchir du service des arrérages en remboursant le capital qui les produit, et il le peut, nonobstant toute convention contraire, ce qu'on justifiera en son lieu (v. art. 887). Ici, c'est l'opposé: il faudrait une convention permettant le rachat de la rente pour qu'il fût possible au débiteur.
Art. 822. — 529. Les arrérages sont les fruits civils du droit de rente; ils suivent la règle ordinaire de l'acquisition jour par jour (voy. art. 56): les échéances plus ou moins éloignées ne sont que des modes de payement adoptés pour les convenances des parties. Si donc les arrérages ont été fixés à tant par an, on les divisera en 365 parties dont une sera acquise chaque jour; s'ils avaient été fixés à tant par mois, on les diviserait en 30 parties, en négligeant les variétés de durée des mois. Si donc le rentier ou la personne sur la tête de laquelle repose la rente vient à mourir au cours d'une période commencée, ses héritiers auront droit à autant de fractions des arrérages annuels ou mensuels qu'il y a de jours écoulés.
Cette solution est pour le cas où les arrérages sont payés à la fin de chaque période et comme se rapportant à la période écoulée, ce qui peut être considéré comme le cas ordinaire. Mais la loi suppose que, par exception, les arrérages seraient payables d'avance et au commencement de chaque période: dans ce cas, il suffit que le titulaire de la rente existe au commencement de la période pour avoir droit à tous les arrérages qui s'y rapportent. Le motif est qu'en général, le créancier de la rente aura, pour vivre, contracté des obligations pendant la période précédente et qu'il attend la nouvelle période pour les acquitter.
Art. 823. — 530. On aurait pu croire que le défaut de payement des arrérages par le débiteur donnerait lieu à la résolution par application du droit commun. Pour qu'elle ait lieu, il faudrait, au contraire, que lo créancier l'eût stipulée.
L'éqnité, en effet, s'opposerait à ce que le débiteur qui a déjà supporté pendant un certain temps la charge de la rente, avec l'éventualité du profit de l'extinction, fût à jamais privé de cette chance de gain parce qu'il ne peut payer régulièrement les arrėrages. Il est plus digne de ménagements dans le cas présent que dans celui qu'on verra à l'article 825, où il a manqué à fournir les sûretés promises ou diminué celles qu'il avait déjà fournies: dans ce cas, il n'a dû promettre que des sûretés qu'il était actuellement en son pouvoir de fournir, car la fourniture en devait sans doute accom pagner ou suivre immédiatement la formation du contrat; dans le cas du défaut de payement des arrérages, il a l'excuse de l'imprévu qui, au cours du service de la rente, peut le lui rendre difficile.
531. Mais il faut pourvoir à la sauvegarde des droits du créancier et c'est ce que fait le présent article: le créancier saisira une quantité des biens du débiteur, suffisante pour que la vente en produise un capital dont l'emploi, en prêt à intérêts ou autrement, assurera le service des arrérages.
On remarquera que le texte ne dit pas, comme le Code français, que le créancier saisira “les biens” du débiteur: il n'en saisira qu'une quantité suffisante pour assurer le payement des arrérages. Naturellement, ces biens seront vendus, s'ils sont autres que de l'argent, car les créanciers ne peuvent pas, en principe, se faire attribuer directement en payement les biens de leur débiteur. Le produit de la vente ne sera pas lui-même employé en rente viagère dans les mains d'un tiers, pour que les arrérages en soient payés au créancier de la rente: ce serait enlever au débiteur primitif et à ses ayant-cause, notamment à ses autres créanciers, le profit du capital qui pouvait, d'un jour à l'autre, leur être acquis par la mort du rentier; on emploiera ce capital en prêt, en rente sur l'Etat, ou d'une autre manière productive d'intérêts; puis, quand le créancier mourra, ledit capital retournera au débiteur ou à ses créanciers. Cette saisie n'a donc, au fond, qu'un caractère conservatoire.
Le texte nous dit encore que si le débiteur a d'autres créanciers et que ses biens ne suffisent pas à les désintéresser tous, le rentier subira comme eux une réduction proportionnelle; il n'y a pas de raison, en effet, de lui donner une préférence, à moins qu'il n'ait une hypothèque ou un gage.
532. Le texte exprime, en terminant, que le refus de résolution pour défaut de payement des arrérages n'est pas limité à la rente constituée à titre onéreux. On décide cependant, en France, que la disposition de l'article 1978, pareille à la nôtre, ne s'applique pas aux rentes constituées à titre gratuit. Le Projet s'oppose formellement à une telle distinction.
Voyons d'ailleurs les divers cas dans lesquels la question se présente.
1° La rente viagère a été stipulée payable à un tiers, moyennant un capital aliéné par le stipulant; ici le contrat est mixte: il est onéreux pour le débiteur de la rente et n'est gratuit qu'entre le stipulant et le bénéficiaire. Sans aucun doute, la résolution faute de payement des arrérages sera remplacée par la saisie prévue par notre article; on devrait décider de même, par application de l'article 1978 du Code français qui refuse au rentier non payé le droit de rentrer dans le capital ou dans le fonds par lui aliéné.
2° La rente viagère a été retenue par un donateur, à son profit, sur un capital donné entre-vifs, ou par un testateur, au profit de son héritier, sur des valeurs léguées. D'abord, le défaut de payement d'arrérages ne se présentera guère dans ce cas, car, vraisemblablement, le donateur ou l'héritier du testateur aura gardé dans ses mains le capital donné ou légué, comme, en cas d'usufruit retenu, il aurait gardé la possession de la chose usufructuaire. Mais supposons que le débiteur de la rente soit détenteur des valeurs données: assurément, s'il manque à payer régulièrement les arrérages, il est encore moins intéressaut qu'un contractant à titre onereux, puisqu'il n'a fait aucun sacrifice, et c'est ce qui explique qu'en France on admette qu'il soit soumis à la résolution de la donation, d'après l'article 953 qui est général pour les donations dont les conditions ne sont pas remplies; cependant, on se trouve encore dans les termes de l'article 1978 qui refuse au créancier la reprise du “capital aliéné.”
On peut d'ailleurs, dans l'intérêt du donataire, faire valoir deux considérations puissantes: en premier lieu, il serait trop dur et vraiment peu juste de le priver ou de priver ses créanciers d'un capital qui peut, d'un moment à l'autre, se trouver dégrevé du service de la rente viagère; en second lieu, le capital sur lequel le droit de rente a été retenu ne peut guère avoir consisté qu'en choses fongibles qui ont été confondues dans le patrimoine du donataire; donc, lors même que le donateur pourrait agir en résolution, ce ne serait que comme créancier ordinaire, sans cause de préférence, et, sauf la disponibilité du capital, il n'obtiendrait rien de plus que par la voie de saisie qu'indiquent l'article 1978 et le nôtre.
3° Nous réunissons enfin deux derniers cas de rente viagère constituée à titre gratuit où l'on ne concevrait même pas la résolution faute de payement des arrérages; ce sont les cas où une rente viagère a été directement donnée ou léguée, à la charge du donateur lui-même ou de l'héritier du testateur.
Ici, c'est le donateur ou l'héritier du testateur qui est en faute au sujet des arrérages non payés: la résolution, en détruisant la libéralité, ne nuirait qu'au rentier, sans rien faire rentrer dans ses mains. Là encore, on pourvoira efficacement aux intérêts du rentier, au moyen de la saisie et du placement temporaire d'un capital suffisant pour le service des arrérages.
Art. 824. — 533. Le payement des arrérages devant cesser avec la vie du rentier ou de la personne dont la vie a été prise pour terme, on peut dire que chaque somme périodique n'est due que sous condition de la survie de cette personne; dès lors, le rentier étant demandeur, doit fournir la preuve que la condition de son droit est remplie. Cette preuve se fait au moyen d'un certificat de vie.
En France, les certificats de vie sont délivrés par les maires ou les notaires (v. textes cités sous cet art.). Il y a aujourd'hui des notaires au Japon; nous ne proposons pas de leur donner une coinpétence exclusive en cette matière, car leur office ne sera pas gratuit comme celui de maires, et les rentiers viagers ne sont généralement pas riches.
C'est le maire de la résidence et non celui du domicile qui délivrera le certificat de vie, en présence de la personne.
Il se fera au besoin, attester l'identité du requérant par deux témoins connus de lui.
COMMENTAIRE.
Art. 825. — N° 534. Il est fréquent dans le contrat de rente viagère, plus que dans les autres, que le créancier stipule des sûretés particulières, parce que, le plus souvent, aliénant tout son capital pour augmenter son revenu, la rente sera son seul moyen d'existence.
Le présent article suppose que le débiteur ne fournit pas les sûretés promises: par exemple, une hypothèque ou une caution; la sanction sera la résolution du contrat; il en sera de même si, les ayant fournies d'abord, il commet quelque acte volontaire qui les diminue.
La loi avait ici un motif particulier de proclamer le droit du crédi-rentier à la résolution pour inexécution des obligations; c'est précisément parce qu'il n'a pas lieu, en principe, en matière de rente viagère, ainsi qu'on l'a expliqué sous l'article 823; c'est donc par exception qu'il est admis ici, comme étant le meilleur secours qui puisse être accordé au créancier.
On pourrait s'étonner que la loi ne se borne pas, comme dans l'article précité, à donner au rentier un droit de saisie qui laisserait au débiteur les chances favorables du contrat. Mais il faut remarquer qu'ici le débiteur est bien moins intéressant que celui qui ne peut servir les arrerages: il est presque suspect de mauvaise foi et, en tous cas, il est coupable de faute lourde, ce qu'on ne dira pas d'un insolvable.
535. Le texte exprime que cette résolution n'a lieu que si la rente a été “constituée à titre onéreux”; le Code français (art. 1977) la limite également à la rente “constituée moyennant un prix.” Ce n'est pas seulement parce que cette sorte de pénalité civile ne se justifierait pas autant contre un donateur en faute; l'impunité d'ailleurs ne serait déjà plus aussi facilement explicable à l'égard d'un héritier qui refuserait ou diminuerait les sûretés promises par son auteur dans une donation ou dans un legs de rente viagère. La véritable raison de cette différence est que, dans la constitution directe de rente viagère par acte gratuit, ce n'est que par fiction que l'on parle quelquefois d'un capital productif des arrérages: il n'y a pas de capital aliéné qui, par la résolution, puisse rentrer dans les mains du crédi-rentier; si le donataire ou le légataire d'une rente viagère qui n'obtient pas les sûretés promises pouvait acquérir comme idemnité un capital en perpétuel, les conditions de la libéralité seraient tout-à-fait changées à son profit, sans cause légitime. Mais comme il ne faut pas non plus que le donataire soit privé de tout secours, il se garantira pour l'avenir au moyen de la saisie conservatoire autorisée par l'article 823.
536. A cette occasion, la loi revient encore à la reute “retenue sur un capital donné ou légué," sur la nature de laquelle nous nous sommes déjà arrêté (ci-dess., pp. 629, 634 et 618, nos 517, 521 et 532) et qu'il faut se garder de confondre avec la rente constituée à titre gratuit.
Assurément, le donateur ou son héritier qui garde un droit de rente sur le capital donné ou légué ne le tient pas de la libéralité du donataire ou du légataire, et, s'il a stipulé des sûretés, il est encore plus digne d'intérêt que celui qui a obtenu la rente viagère comme prix d'un capital aliéné dans un but intéressé. Le gratifié, donataire ou légataire du capital, qui ne fournit pas les sûretés promises, ou qui diminue celles qu'il avait fournies, est bien plus fautif que celui, qui dans le même cas de rente retenue sur un capital donné, manque à servir les arrérages. Ce dernier n'a été soumis qu'à la saisie conservatoire par l'article 823; mais celui qui nous occupe subira la résolution, avec restitution du capital donné ou légué, en vertu du droit commun des donations ou des legs avec charges, autant que par application de notre présent article.
537. En général, la résolution doit remettre les choses au point où elles étaient avant la convention; cet effet ne se produira pas complètement ici: sans doute, le débiteur rendra tout le capital qu'il a reçu, car la rente est supposée avoir été constituée à titre onéreux; mais le créancier ne rendra aucune portion des arrérages reçus ou acquis, même la portion qu'on pourrait considérer comme l'excédant du taux ordinaire de l'intérêt. Il est juste, en effet, que le créancier conserve ce bénéfice comme prix du risque qu'il a couru, car il aurait pu mourir à l'époque où ces arrérages lui étaient encore payés régulièrement et le capital eût été acquis au débiteur.
Cette solution ayant fait doute, en France, chez quelques auteurs, on croit utile de l'insérer, comme étant une modification des règles générales de la résolution qui devrait remettre les choses en l'état primitif.
538. La loi suppose ensuite que le créancier ou, plus exactement, celui sur la tête duquel porte le droit de rente, est mort avant que la résolution ait été prononcée.
Ici encore, il y a une dérogation au droit commun. En général, le décès de l'un des plaideurs ne modifie pas les droits engagés dans l'action: la justice rend, pour ou contre les héritiers du décédé, le jugement qu'elle aurait rendu pour ou contre le plaideur luimême. Mais en matière de rente viagère, le droit n'est pas transmissible aux héritiers du rentier; si donc celui-ci est mort pendant le procès, son droit est éteint: la résolution n'a plus d'objet ni d'intérêt, car elle avait pour but de parer à l'éventualité du défaut de payement des arrérages, laquelle n'est plus en question, puisqu'il n'y a plus de dette.
Il en sera de même si la personne sur la tête de laquelle porte le droit de rente vient à mourir après le jugement de première instance et pendant l'instance d'appel, ou même dans le délai pendant lequel l'appel est recevable: il n'y a qu'un jugement définitif portant résolution qui puisse rendre le décès sans influence.
Quant au décès pendant le délai du pourvoi en cassation ou pendant l'instance en cassation, on devrait le considérer comme ne portant aucune atteinte à la résolution prononcée en appel, car le pourvoi n'est pas suspensif de l'exécution; seulement, l'instance en cassation serait suivie et si le pourvoi était rejeté, la résolution subsisterait; mais si l'arrêt d'appel était cassé, on se retrouverait en présence du jugement de première instance et le décès du rentier ferait obstacle à une nouvelle instance en appel: la résolution serait time chez les héritiers. Ce serait un cas de "cassation sans renvoi.”
Art. 826. — 539. Le Code français n'a qu'une disposition sur l'extinction de la rente viagère, en dehors de la résolution pour défaut des sûretés promises, c'est celle de l'article 1982 qui déclare que cette rente ne s'éteint pas par la mort civile du titulaire. Cette disposition est devenue inutile depuis l'abolition de la mort civile, en 1851.
Après ce qui vient d'être dit de la résolution, il paraît nécessaire de s'expliquer sur les autres causes d'extinction de la rente viagère, tant parce qu'elles ne s'y appliquent pas toutes que parce que la mort même du titulaire, qui est une cause spéciale d'extinction de ce droit, présente, dans un cas, une difficulté spéciale.
Le texte mentionne d'abord comme applicables à la rente via gère les causes de rescision ou nullité et de révocation d'après le droit commun; ainsi, les vices de consentement et les incapacités ordinaires donnent lieu, ici comme ailleurs, à l'action en rescision; de même les constitutions de rente viagère faites en fraude des créanciers d'une partie ou de l'autre donneront lieu à l'action révocatoire, conformément aux articles 360 et suivants.
Le payement n'éteint pas, en principe, la rente viagère, puisque le débiteur n'est pas autorisé à en effectuer le rachat par le remboursement du capital (art. 821). Mais, ce que la loi ne permet pas au débiteur, parce que ce serait manquer à l'observation du contrat, le contrat même peut le lui avoir permis, sous telles conditions qui auront été agréées par les parties: ce sera alors ce que le texte nomme “le rachat stipulé.”
La novation et la remise conventionnelle sont encore des causes d'extinction volontaire que la loi ne pouvait songer à défendre ni même à gêner: il lui suffit de les mentionner.
La confusion résultant de la réunion des deux qualités de créancier et de débiteur dans une seule personne produit nécessairement, ici comme ailleurs, son effet extinctif de la dette: elle aura lieu quand le rentier succèdera au débiteur ou un tiers à tous deux. Nous ne supposons pas le troisième cas ordinaire de confusion: le débiteur succédant au créancier; car, si c'est le crédi-rentier qui meurt, la rente s'éteint toujours, sans qu'il soit besoin d'une confusion résultant de ce que le débiteur lui aura succédé.
Une cause d'extinction qu'on est habitué à rencontrer à côté de la confusion, la compensation, n'aura pas lieu ici: supposons que le débiteur de la rente devienne, de son côté, créancier d'une somme ou valeur égale ou supérieure au capital fictif de la rente, il ne pourra se trouver affranchi du service de la rente, parce que ce serait en imposer le rachat, or, on a vu que cela n'est possible qu'en vertu d'une stipulation.
540. Enfin, la prescription s'applique tant au droit de rente même qu'aux arrérages, avec cette différence que le délai n'est pas le même dans les deux cas: c'est le délai ordinaire pour le droit de rente lui-même (trente ans, sans doute). Ce n'est plus que délai de cinq ans pour les arrérages.
Le point de départ, non plus, n'est pas le même pour les deux droits: pour le droit de rente, c'est l'acte constitutif, ou la reconnaissance tacite du droit par chaque payement d'arrérages; pour les arrérages, c'est leur échéance.
Au sujet de la prescription du droit même de rente, il était très-nécessaire de s'en expliquer, car on pouvait douter qu'elle fût applicable, surtout quand on considère la prescription moins comme un moyen direct d'extinction des obligations que comme une présomption d'extinction légitime; or, c'est justement la théorie que l'on a déjà adoptée dans le Projet.
En effet, on pourrait objecter que, le débiteur ne pouvant être contraint au remboursement du capital et ne pouvant non plus l'imposer au créancier, il n'y a pas lieu de présumer qu'il ait été libéré de la rente par un payement, comme s'il s'agissait de toute autre dette.
Mais la réponse est facile: on vient de voir que la rente viagère s'éteint de plusieurs manières, indépendamment de la mort du titulaire; or, que ces modes d'extinction soient plus ou moins exceptionnels, peu importe, au point de vue qui nous occupe: on peut toujours supposer que si le créancier a laissé s'écouler trente ans sans agir, c'est qu'il est survenu une de ces causes légitimes d'extinction. Assurément, on ne présumera pas la mort du créancier; à peine le pourraiton, s'il avait disparu depuis trente ans, ou s'il devait avoir atteint l'âge de cent ans (comp. C. c. fr., art. 129); son existence peut d'ailleurs être prouvée par un certificat de vie; mais on pourra présumer une remise conventionnelle de la rente, quoique ce soit une libéralité et que les libéralités ne se présument pas (a); maison présumera, avec plus de raison encore, un rachat conventionnel.
Quant à la prescription des arrérages échus, elle est tout naturellement fondée sur une présomption de payement, puisque, non seulement les arrérages sont payables, mais ils sont aussi exigibles: il n'est pas probable que le créancier ait laissé s'écouler cinq ans sans les exiger.
541. Nous avons annoncé, en expliquant l'article 820, que l'incessibilité de la rente viagère entraîne, de droit, son imprescriptibilité autant que son insaisissabilité: cela est naturel et forcé. Lorsque la rente viagère est stipulée incessible ou déclarée telle par la loi, c'est pour assurer au rentier des moyens d'existence qu'il ne puisse détruire par son imprévoyance, sa faiblesse ou sa prodigalité.
La première conséquence est que le rentier ne puisse recevoir le remboursement du capital de la part du débiteur, ni faire avec celui-ci une novation ou une convention de remise, lesquelles ne seraient autre chose que des cessions déguisées; c'est une sorte d'incapacité spéciale établie pour protéger le créancier.
La seconde conséquence est qu'il ne puisse pas perdre son droit par la prescription, pas plus que ne le peuvent les incapables ordinaires. En effet, il serait impossible qu'il fût présumé avoir reçu un remboursement qu'il lui est défendu de recevoir.
Quant aux arrérages, comme ils sont toujours cessibles et saisissables après l'échéance (voy, art. 820), ils seraient également prescriptibles, depuis la même époque.
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(a) Il ne faudrait pas voir un obstacle à cette présomption de remise dans l'article 527 qui ne l'admet que “dans les cas spécialement prévus par la loi”: cette disposition ne peut préjudicier à la nature de présomption légale qui sert de fondement à la prescription.
Art. 827. — 542. Il nous reste à parler du décès du titulaire, comme mode d'extinction de la rente.
Par titulaire nous entendrons, soit le rentier luimême, soit le tiers sur la tête duquel la rente reposerait, quant à sa durée, conformément à l'article 816.
Le présent article nous dit que la cause du décès n'est pas à considérer, en principe, sauf ce qui a été dit à l'article 818 du décès dans les soixante jours de l'acte constitutif, par l'effet d'une maladie dont le titulaire était déjà atteint et sauf aussi l'exception portée ci-après. Ainsi, le titulaire est mort le lendemain de l'acte constitutif, victime d'un accident ou d'un crime: la rente est éteinte sans indemnité pour le crédi-rentier ou pour ses héritiers, si c'est lui qui est décédé; ainsi, encore, le titulaire est mort dans un duel, ou par l'effet d'une sentence criminelle, ou par un suicide: dans ces derniers cas qui seraient très-importants à considérer s'il s'agissait d'une assurance sur la vie (voy. Section suivante, art. 869) le droit de rente est perdu et il y a d'autant moins lieu de songer à une indemnité en faveur des héritiers du décédé, lorsqu'il était lui-même le crédi-rentier, que, dans les trois cas, le décès est l'effet de la faute de leur auteur.
543. Mais il y a une exception nécessaire, si le décès est dû à "une cause illégitime et imputable an débiteur des arrérages.”
Il n'est pas sans exemple, malheureusement, dans les pays où la rente viagère est usitée, que le débiteur cherche à s'affranchir de la charge des arrérages ou d'une pension alimentaire, en abrégeant par un crime la vie du créancier.
Il est clair que, s'il est découvert, son crime, indépendamment de la peine criminelle encourue, ne peut lui profiter. D'un autre côté, la vie du titulaire ne peut plus servir de mesure au payement des arrérages; on se trouve donc embarrassé pour assigner au service de la rente, en faveur des héritiers de la victime, une durée qui ne soit pas arbitraire.
Le Projet fait sagement de régler ce point.
En même temps, on prévoit d'autres cas qu'un crime, et, en effet, il y en a d'autres où le débiteur peut être responsable du décès du titulaire de la rente, sans être un meurtrier: il suffit, comme dit le texte, que la cause du décès "soit illégitime et lui soit imputable.” Mais, le débiteur ne serait pas responsable, s'il avait donné la mort au titulaire étant en état de légitime défense, ou par l'ordre de la loi ou de l'autorité légitime.
Il ne serait pas responsable non plus si le décès de lui était pas imputable à faute; par exemple, s'il avait donné la mort, étant en état de démence ou contraint par une force majeure, dans un péril pour sa propre vie.
Mais s'il a donné la mort en duel, ou dans une rixe, même sans avoir eu d'intention homicide, le décès lui est imputable et il est responsable. Le texte est même assez large pour comprendre le cas d'homicide par imprudence; car, si le débiteur n'est, dans ce cas, soumis qu'à une peine correctionnelle légère, il est juste encore que sa faute ne l'enrichisse pas. A plus forte raison, la cause du décès serait-elle illégitime et imputable au débiteur, si, étant meurtrier, il n'était que dans un cas d'excuse légale qui laisse encore une assez grave application de la loi pénale.
543 bis. Il restait à savoir comment seraient réglés les droits des héritiers de la victime.
Le Projet fait, à cet égard, une distinction.
Si la rente était la contre-valeur d'une acquisition à titre onéreux ou la charge d'une libéralité, la peine civile du coupable et l'indemnité des parents de la victime seraient la résolution du contrat onéreux ou gratuit et, par suite, la restitution des valeurs reçues; la loi ajoute, comme déjà dans le cas moins grave de l'article 826, “sans répétition d'aucune partie des arrérages payés.”
Mais s'il s'agit d'une rente viagère directement donnée ou léguée, sans que le débiteur (qui est le constituant ou son héritier) ait rien reçu, il est clair qu'il ne peut pas être question de l'atteindre par une résolution. La loi alors l'oblige à servir la rente pendant un temps que le tribunal fixera comme étant la durée la plus longue probable de la vie du titulaire: le tribunal tiendra compte de l'âge qu'il avait déjà, de sa santé connue, en un mot, de ses chances de longévité.
COMMENTAIRE.
N° 544. La matière des assurances, soit terrestres soit maritimes, est une des plus difficiles à régler législativement.
Dans la plupart des pays d'Europe, il n'y a de lois que sur les assurances maritimes dont le besoin s'est fait sentir de bonne heure, à cause de la fréquence des sinistres de navigation.
En France, les assurances maritimes étaient déjà réglées avec beaucoup de soin par la célèbre ordonnance de la Marine, rendue sous Louis XIV (en 1681). Le Code de commerce français en a repris presque toutes les dispositions, en les complétant.
Les assurances terrestres ont été imaginées plus tard. C'est l'Angleterre qui, la première, les a mises en pratique et c'est encore chez elle qu'elles sont le plus répandues. En France, on a même douté d'abord de la validité de ces conventions dont les effets dépendent du hasard: on prétendait qu'elles avaient le caractère de paris; mais cette assimilation n'était pas exacte: dans le pari, comme dans le jeu, il n'y a qu'une valeur engagée et le hasard doit décider qui la perdra et qui la gagnera, ou qui la donnera et qui la recevra; le gagnant la recevra sans cause légitime, car il n'a fourni aucune valeur à l'autre partie et celle-ci n'a pas eu l'intention de lui faire une libéralité. Ceci a déjà été expliqué dans la 1re Section (p. 612, 1° 502).
Dans l'assurance, au contraire (en prenant notre exemple dans l'assurance à prime fixe (a), comme la plus simple et la plus usitée), l'assuré fournit une somme fixe, quoi qu'il arrive, et, par là, il achète en quelque sorte sa sécurité, c'est-à-dire le droit d'être indemnisé des dommages qui pourront survenir d'après les prévisions des parties. Ainsi, il est faux de dire que si le sinistre n'arrive pas l'assuré a donné la prime sans cause; ce qui prouve que cette sécurité acquise est quelque chose de sérieux, même quand le sinistre n'a pas lieu, c'est que s'il s'agit, par exemple, d'une maison assurée contre l'incendie, le propriétaire pourra emprunter sur hypothèque de ladite maison avec plus de facilités et à des conditions plus avantageuses que si la maison n'était pas assurée.
Ce qui différencie encore l'assurance du jeu et du pari, c'est que l'assuré ne doit jamais gagner par l'assurance: il ne doit qn'être indemnisé des pertes éventuelles pouvant résulter du sinistre. Quant à l'assureur, il ne gagne jamais dans l'assurance mutuelle, comme on le verra bientôt, mais il peut gagner et gagne souvent dans l'assurance à prime fixe: spécialement, s'il y a, dans une période donnée, beauconp de primes à recevoir d'un grand nombre d'assurés et peu de sinistres à réparer. On achèvera de démontrer la légitimité des assurances sous l'article 829 en faisant reconnaître qu'elle n'est pas discutable pour l'assurance mutuelle et que l'assurance à prime tend à suppléer celle-ci par des moyens différents qui arrivent plus sûrement au but.
Du reste, la question n'a plus qu'un intérêt théorique, car la loi des 24-29 juillet 1867, sur les sociétés commerciales, ayant annoncé (art. 66) “ qu'un règlement d'administration publique déterminerait les conditions dans lesquelles les sociétés d'assurances pourraient être constituées,” cetie promesse a été tenue par un décret impérial des 22 janvier -18 février 1868. Ce décret s'applique aux assurances à prime et mutuelles, et il ne règle que les rapports des associés entre eux. Pour les sociétés à prime, il ne dit rien des rapports de l'assuré avec l'assureur; pour les sociétés d'assurances mutuelles, en réglant les rapports des associés entre eux, il règle nécessairement ceux de l'assureur avec l'assuré, puisque chaque associé a les deux qualités. Mais aucune des questions civiles qui peuvent se présenter dans le cas des deux sortes d'assurances n'est réglée et ne pouvait l'être par le décret; aussi ne s'occupe-t-il que des conditions des statuts, de leur publicité et de leur observation: il n'y est fait que deux fois mention (art. 6 et 28) du contrat entre l'assuré et l'assureur, qui se nomme police d'assurance et auquel nous conserverons ce nom consacré par l'usage européen.
Ce sont précisément les questions civiles qui, en l'absence de dispositions législatives, sont restées jusqu'ici, en France, soumises à la sagacité et à la sagesse de la jurisprudence et que la présente Section du Projet japonais a pour but de résoudre.
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(a) Nous saisissons cette occasion de rectifier l'étymologie que nous avons attribuée au mot prime (T. Ier, p. 182, no 136, note 9): nous l'avons fait venir de primum ou de primo “d'abord," parce que la prime se paye avant le commencement du risque; mais il est plus naturel de le faire venir de præmium, récompense: les compagnies anglaises d'assurance emploient dans leurs actes le mot latin lui-même præmium.
Art. 828. — 545. Ce premier article présente une énumération des diverses assurances terrestres: elle n'est pas limitative mais énonciative et l'on s'est borné à indiquer les plus usitées, non au Japon où elles ne sont pas encore répandues, mais en Europe.
Au Japon, c'est à peine si l'assurance contre l'incendie se pratique et encore n'est-ce guère que par des compagnies étraugères et pour les constructions en pierre ou très-isolées; l'assurance maritime paraît prendre quelque faveur et il s'est formé récemment une société japonaise à cet effet.
Bien qu'il soit d'usage que la loi ne devance pas les besoins et qu'elle se borne à les satisfaire, on peut dire qu'ici elle doit prendre l'initiative, car c'est peut-être l'absence de dispositions législatives au Japon qui empêche les entreprises d'assurances de s'y former et les particuliers de les désirer; l'absence de règles certaines détournerait même ceux-ci de recourir aux compagnies d'assurances, si elles se formaient maintenant: il y aurait, de part et d'autre, la crainte de l'inconnu.
546. Les assurances maritimes seront régies par le Code de commerce, parce qu'elles auront toujours le caractère commercial, non seulement du côté de l'assureur, mais même du côté de l'assuré.
Il ne sera question ici que des assurances terrestres, c'est-à-dire contre les sinistres arrivant sur terre, dont les principaux sont:
I° L'incendie: on établira plus loin que l'assurance a pour objet d'indemniser l'assuré des pertes résultant du feu, à l'égard des objets assurés, quelle que soit, en principe, la cause du feu: cas fortuit, comme l'imprudence d'un tiers, force majeure, comme le feu du ciel, la communication d'un feu voisin, la malveillance d'autrui, enfin, l'imprudence de l'assuré lui-même ou celle de ses serviteurs, à moins qu'il ne s'agisse de quelque imprudence grave ou faute lourde formellement exceptée par l'assureur ou par la loi, comme l'emmagasinement de foins incomplètement secs qui se seraient enflammés spontanément et d'autres fautes lourdes qu'on indiquera sous l'article 848.
II° Les inondations: cette assurance sera d'une application moins fréquente que la précédente, parce que toutes les localités ne sont pas exposées au débordement des fleuves ou des rivières ou à la rupture des digues.
III° Les pertes de récoltes ou d'animaux: elles peuvent venir, les premières, d'accidents météorologiques, telles que grêles, gelées, sécheresses, les secondes, de maladies épizootiques.
IV° Les autres dommages aux biens peuvent provenir d'émeutes ou de guerres civiles, de tremblements de terre ou d'éruptions volcaniques.
On peut même faire des assurances contre le défaut de location des maisons ou des terres, car c'est éprouver un dommage aux biens que de ne pas trouver à louer les propriétés que l'on ne peut habiter ni cultiver soi. même.
Mais il y a du doute si l'on peut s'assurer contre l'insolvabilité des débiteurs, contre leur faillite ou leur déconfiture: l'assureur serait alors une sorte de caution payée pour son intervention. Nous ne croyons pas que l'assurance puisse s'appliquer à ce risque. En tout cas, s'il se trouvait des créanciers désireux de se faire assurer, il est peu probable qu'il se trouvât des assureurs pour ce genre de risque.
547. Nous plaçons au nombre des assurances terrestres celles qu'il est d'usage d'appeler assurances “sur la vie" et que nous préfèrerions qu'on appelât assurances “contre le décès.” Nous avons, en commençant ce Chapitre, fait la remarque que, l'assurance n'empêchant pas le sinistre d'arriver, mais en réparant les conséquences dans la mesure du possible, il ne serait pas moins exact de dire "assurance contre le décès” que de dire "assurance contre l'incendie.”
Le texte dit que cette assurance est terrestre, “quelle que soit la cause de décès prévue”; ainsi on peut avoir prévu le décès dans un voyage en mer et il ne faudrait pas voir là une assurance maritime, parce que les règles spéciales des assurances maritimes sont établies pour les marchandises transportées par mer et pour les navires eux-mêmes, mais non pour les personnes.
Ainsi, quand une personne a fait une assurance sur la vie ou contre son décès pendant un voyage en mer, l'assurance aura son effet, si la personne meurt pendant le voyage, lors même que sa mort serait l'effet d'une maladie et non d'un accident de navigation, ou qu'elle mourrait d'un accident arrivé à terre pendant une escale.
Le plus souvent, l'assurance sur la vie ne désigne aucun genre particulier de mort, c'est-à-dire aucune cause spéciale de mort, soit accidentelle, soit naturelle; l'assurance n'en a pas moins un caractère aléatoire, parce que la mort peut arriver plus ou moins promptement, et, comme ce genre d'assurance a généralement lieu moyennant une prime fixe ou somme annuelle, à payer par l'assuré, il peut arriver que l'assuré meure bientôt, n'ayant payé, par conséquent, qu'un petit nombre d'annuités, et cependant, à son décès, l'indemnité stipulée sera payée à ses héritiers, sans réduction; réciproquement, l'assuré peut avoir payé un grand nombre de primes et l'indemnité n'en sera pas plus élevée. On a, du reste, trouvé des combinaisons financières qui compensent ces conséquences de la longévité et nous les signalerons en leur lieu.
547 bis. On ne s'occupera pas dans ce Projet de plusieurs autres assurances dont celle sur la vie a été l'origine, mais auxquelles cette dénomination ne convient plus aussi bien, parce qu'elles ne sont pas un moyen de réparer seulement les dommages causés par un décès. Nous nous bornerons à signaler la principale.
Un père de famille peu riche, dont les enfants sont encore en bas âge, veut assurer à ceux-ci un capital pour l'époque de leur majorité: ce sera une dot pour marier sa fille ou un moyen d'établir son fils dans sa profession. Pour cela, il s'engage à verser à une compagnie d'assurances des primes annuelles. Ces primes seront plus élevées, proportionnellement, que si l'assurance était sur sa vie, parce qu'elles pourront être continuées moins longtemps; ce qui arrivera si le père survit à la majorité de ses enfants. De plus, si le père meurt avant cette époque, les primes cesseront encore d'être payées; mais le capital ne sera tonjours versé qu'à l'époque fixée. Cette assurance est appelée mixte, parce qu'elle est une combinaison de l'assurance ordinaire sur la vie avec une autre assurance sur laquelle le décès de l'assuré n'exerce aucune influence: l'assurance de capital différé.
Les compagnies d'assurances ont imaginé d'autres combinaisons des diverses assurances, avec des tarifs calculés mathématiquement d'après l'âge des assurés et les termes ou conditions du payement des sommes assurées, soit en capital, soit en rente viagère.
Il est à noter, en passant, qu'en France, et ailleurs sans doute, ces ingénieuses combinaisons ne peuvent être brevetées (L. fr. du 5 juill. 1814, art. 3). Ce n'est pas ici le lieu de s'arrêter à cette prohibition.
Art. 829. — 548. Les premières assurances terrestres, en France, se sont faites par la mutualité; mais ce système est devenu de moins en moins usité et il disparaîtra peut-être entièrement, pour faire place à l'assurance à prime. Au Japon, cette forme de l'assurance ne s'établira guère, sans doute. Mais comme les particuliers doivent garder la liberté de recourir à la mutualité si bon leur semble, il est utile que la loi la consacre.
L'article 829 ne fait qu'annoncer les deux modes d'assurance; ensuite, in article séparé est consacré à la définition de chacun d'eux.
Art. 830. — 549. Supposons une assurance mutuelle contre l'incendie. Elle aura lieu entre propriétaires d'une même localité ou de localités voisines. Les plus diligents et les plus expérimentés d'entre eux prépareront un projet d'association en vertu duquel tous les adhérents verseront aux mains de l'un d'eux, ou plutôt encore dans une caisse publique, une somme proportionnelle à la valeur de l'immeuble ou des meubles qu'il veut assurer. Cette somme, appelée cotisation, est destinée à payer les dommages qui pourront résulter du feu chez l'un des associés. Comme chacun a contribué à former le fonds d'indemnité, il est vrai de dire que chacun est assureur des antres et assuré par eux, et même que chacun est son propre assureur.
Si le fonds social ne suffisait pas réparer les dommages causés par le feu, l'incendié ne serait pas complètement indemnisé, à moins qu'il n'eût été établi par les statuts de la société que l'indemnité des sinistres serait complétée par un supplément proportionnel de la mise de chacun.
Ce simple aperçu de l'association d'assurance mutuelle en révèle les inconvénients: les associés ne sont jamais certains d'être entièrement indemnisés du sinistre par le fonds commun et s'il doit être fait un appel de versements supplémentaires, il est toujours à craindre qu'il ne soit difficile de les obtenir; car ceux qui ont versé volontiers à la masse avant le sinistre, dans l'espérance qu'il n'aurait pas lieu, seront très-peu disposés à faire un nouveau versement sachant qu'il ne leur en reviendra rien.
En outre, l'association demande une gérance qui entraîne des frais de personnel, de surveillance, et d'expertise; les associés, ayant chacun leur profession, ont peu de temps à consacrer aux intérêts communs et il arrive, tot ou tard, que l'on se décourage et que l'association se dissout. Ce n'est cependant pas une raison de ne pas prévoir cette association au Japon.
550. On emploie ici le nom d'association, de préférence au nom de société, parce que le but qu'on se propose n'est pas de réaliser des bénéfices, mais d'éviter des pertes. C'est une précaution usitée en France dans ce cas et dans tous autres où plusieurs personnes réunissent leurs efforts et même des capitaux dans un intérêt commun qui n'est pas celui de réaliser des profits; telles sont les associations littéraires ou scientifiques, les associations de charité, les associations dites syndicales entre propriétaires voisins (voy. ci-dess., pp. 486 et 487, nos 390 et 391).
La loi a soin aussi de qualifier "civiles” ces associations d'assurances mutuelles, parce que cela accentue davantage leur différence avec les sociétés d'assurances à prime qui, formées dans un but de spéculation, sont des sociétés commerciales. On reviendra, sous l'article 832, à ce caractère commercial des sociétés à prime; on se borne à faire remarquer ici, en ce qui concerne les associations d'assurances mutuelles qu'elles ne peuvent être que civiles, puisqu'aucun associé n'y cherche de bénéfice ou profit. Sans doute, toute recherche de profit n'a pas le caractère commercial; mais on peut être sûr que lorsqu'il n'y a pas profit cherché ni possible, il n'y a pas d'acte de commerce (voy, cidess., p. 486, n° 390).
Les associations d'assurances mutuelles ont encore un caractère propre qui les sépare des sociétés civiles ordinaires et les rapprocherait un peu de certaines sociétés commerciales, au moins pour la forme, c'est qu'elles peuvent recevoir incessamment de nouveaux membres, avec augmentation du fonds social, sans que le contrat doive être refait ni même modifié, et, en sens inverse, un nombre plus ou moins considérable de leurs membres peut se retirer sans que l'association se dissolve.
Elles sont semblables, à cet égard, aux sociétés commerciales à capital variable (v. L. fr. des 24 - 29 juill. 1867, art. 48 et s.); elles ont même quelque ressemblance avec les sociétés anonymes et en commandite par actions; le fonds social de celles-ci ne peut, il est vrai, varier que sous des conditions assez compliquées, mais le personnel des associés n'est pas connu d'avance, n'est pas limité, et peut augmenter ou diminuer saus que l'existence de la société s'en trouve modifiée.
Art. 831. — 551. Les assurances à prime ne présentent pas les inconvénients sigualés plus haut à l'égard des assurances mutuelles:
1° L'assuré n'a pas à craindre de n'être indemnisé que partiellement ou d'être obligé d'ajouter au prix de l'assurance; il est sûr de toucher toute la somme stipulée, en faisant les justifications nécessaires, et comme la prime (généralement annuelle) est fixe, il n'aura rien à y ajouter;
2° Les assurés ne forment pas une association, ils n'ont aucun rapport les uns avec les autres, ils n'ont pas à se préoccuper de la gestion d'intérêts commuus, ce ne sont pas eux qui cherchent à multiplier les assurances, qui contrôlent les déclarations de valeurs assurées, qui vérifient les causes et les effets des sinistres avant d'en payer l'indemnité: toutes ces charges pèsent sur l'assureur.
552. En fait, l'assureur ne peut être qu'une société ou compagnie disposant de gros capitaux, fortement organisée, sachant obtenir un grand nombre d'assurés et pouvant, par cela même, réduire le montant de la prime annuelle à un chiffre aussi faible que possible, proportionnellement à la somme assurée. On ne comprendrait pas qu'une seule personne en assurât une autre, par exemple, contre l'incendie: ce serait courir des risques énormes, pour gagner une prime relativement minime, et l'assuré serait fort exposé à de se trouver en présence d'un insolvable et à ne pas recevoir l'indemnité promise. Si même la prime était considérable, l'opération, plus explicable de la part de l'assureur, aurait le caractère d'un pari et on pourrait en contester la validité.
Au contraire, si l'assurance est faite par une société, plus grand sera le nombre d'assurés que celle-ci pourra réunir, plus diminuera le caractère aléatoire de l'assurance et surtout plus il s'éloignera du pari. En effet, on a reconnu que le hasard a lui-même ce qu'on peut appeler ses lois: on a remarqué que, dans un temps donné, les faits ordinairement fortuits se produisent dans un nombre moyen; par exemple, en un an, sur 1000 maisons agglomérées il y en aura, en moyenne, 1, 3 ou 5 atteintes par le feu; ou bien que sur 10,000 ou 100,000 yens de valeurs immobilières, il y anra, en moyenne, par suite du feu, des dommages de 100, de 590 ou de 1000 yens. Or, une société d'assurances arrivant à assurer un tel nombre de maisons, ou des maisons de telles valeurs, ne sera pas notablement déjouée dans ses calculs, lorsqu'elle aura compté payer la moyenne des indemnités ordinaires, et comme elle aura établi en conséquence les primes à recevoir, en se réservant un bénéfice raisonnable, elle aura rendu service aux assurés en même temps qu'à elle-même.
553. On peut remarquer d'ailleurs que les sociétés d'assurances à prime fixe tendent, au fond et dans leur résultat final, à réaliser l'assurance mutuelle qui n'est que très-imparfaitement cherchée et faiblement obtenue par les associations civiles dont parle l'article précédent.
En effet, une grande société d'assurances à prime peut être considérée comme une sorte de gérance d'association d'assurance mutuelle.
La gérance d'une telle association devrait:
1° Chercher à obtenir le plus grand nombre possible d'assurés, pour diminuer le montant de la contribution ou cotisation de chaque assuré; la société d'assurance à prime, par des agents spéciaux, dits “courtiers d'assurances,” recherche ceux qui désirent s'assurer et qui n'en prendraient pas l'initiative; les courtiers d'assurance n'ont pas d'autre salaire, en général, qu'une commission ou remise sur le montant des primes par eux obtenues des assurés;
2° Vérifier la valeur approximative de la chose assurée et les autres conditions de validité de l'assurance: la société d'assurances à prime a, pour cela, des agents différents des premiers, ayant les connaissances spéciales nécessaires;
3° Recevoir les cotisations et payer les indemnités aux assurés atteints par le sinistre, s'ils y ont droit: la société d'assurance à prime a une comptabilité organisée sur de larges bases et ces opérations se font avec une grande exactitude et avec célérité;
4° Enfin, dans les associations d'assurances mutuelles les assurés doivent surveiller la gérance et se réunir fréquemment pour délibérer sur les intérêts communs, parce qu'ils sont en même temps assureurs: dans l'assurance à prime, les associés restent tout-à-fait étrangers aux opérations de la société dont ils ne sont pas membres; ils n'ont, en principe, de rapport avec elle, après la signature du contrat, que par le payement de la prime annuelle et, extraordinairement, lorsque, le sinistre étant arrivé, ils ont à en faire vérifier la gravité et à en demander l'indemnité.
Art. 832. — 554. Il est clair, d'après ce qui précède, que les sociétés d'assurances à prime sont des sociétés commerciales, car elles font des actes ayant le caractère de spéculation (v. ci-dess., p. 484, n° 388) et non celui de gestion d'un patrimoine.
Au contraire, l'assuré fait un acte purement civil, un acte de gestion ou d'administration de ses biens, et c'est parce que l'assurance est civile du côté de l'assuré que les assurances terrestres prennent place dans ce Code.
Si les assurances maritimes sont renvoyées au Code de commerce, c'est d'abord parce qu'elles sont liées étroitement aux autres parties du droit maritime privé, lequel est commercial; c'est aussi parce que l'assurance maritime doit être considérée comme un acte commercial pour l'assuré lui-même. En effet, le commerçant, vendeur ou acheteur, expéditeur ou destinataire, qni fait assurer des marchandises expédiées par mer, se propose par là d'affranchir sa spéculation des risques de la navigation; de même que s'il a fait marché avec un emballeur pour la mise en caisse desdites marchandises, il a fait, comme celui-ci, un acte de commerce.
Ici, la loi prend bien soin de dire que l'assurance terrestre est civile du côté de l'assuré, lors même qu'il est commerçant ou industriel et qu'il assure ses marchandises ou ses produits manufacturés: dans ce cas, on ne peut pas dire qu'il fasse un acte de spéculation en assurant ses magasins contre l'incendie.
Art. 833. — 555. La disposition de cet article a pour but d'empêcher que les sociétés civiles ou commerciales d'assurances ne soient une occasion de perte pour les assurés, soit par leur inexpérience, soit par la témérité ou la fraude de ceux qui les fonderont. Les premiers essais, surtout, qui seront tentés au Japon auront une grande influence sur l'avenir des assurances en ce pays et s'ils ne réussissaient pas, ce serait un grand mal, car la pratique des assurances pourrait se trouver retardée pendant de longues années, après un essai infructueux.
En France, et dans la plupart des autres pays européens, les compagnies d'assurances ne peuvent se fonder qu'avec l'autorisation du Gouvernement.
Lorsque de pareilles compagnies demanderont au Gouvernement japonais l'autorisation de se fonder, elles devront présenter le projet de statuts et les noms des fondateurs; ces statuts devront être d'abord conformes aux règles générales des sociétés commerciales, et ensuite présenter toutes les garanties possibles, non seulement pour les associés, respectivement entre eux et par rapport aux gérants, mais encore et surtout pour les assurés; notamment, il devra être exigé que les bénéfices annuels réalisés ne soient pas distribués aux associés avant que le fonds social et le fonds de réserve soient assez élevés pour suffire aux indemnités éventuelles probables de l'année courante et d'une année future, au moins, eu égard à l'importance des sommes assurees.
Si les statuts proposés par une société qui demande l'autorisation ne paraissent pas acceptables, l'administration indiquera les additions, suppressions ou changements auxquels elle subordonnera son antorisation et une nouvelle demande pourra être accueillie.
Le présent article n'indique pas quelle sera l'autorité administrative qui sera compétente pour donner cette autorisation. Il sera nécessaire de faire à ce sujet un règlement qui déterminera cette compétence et les voies à suivre pour obtenir l'autorisation.
Il sera naturel que pour les sociétés d'assurances à prime ce soit l'autorité centrale qui statue sur la demande à elle transmise par le préfet; mais, pour les associations d'assurances mutuelles, plus locales et moins considérables par lenr importance, l'autorisation du préfet pourrait suffire, à la condition que les biens assurés fussent tous situés dans son département.
556. Nous terminerons ces observations générales par le veu que le Gouvernement japonais ne renonce pas à l'étude d'un système d'assurance mutuelle, obligatoire et générale, contre l'incendie et les autres calamités analogues (inondations, typhons, tremblements de terre, maladies des animaux).
Il y a quelques années, il fut question de faire de l'Etat l'assureur universel, au moyen d'une contribution spéciale imposée sur toutes les propriétés. On fit des recherches statistiques sur les pertes annuelles résultant pour le pays des calamités susénoncées. Nous ne savons pas exactement à quels chiffres on est arrivé; mais, quels qu'ils soient, nous ne voulons que discuter le principe de l'assurance par l'Etat et cela consistera à résoudre trois questions principales:
1° L'Etat excède-t-il son pouvoir légitime en im. posant aux particuliers les assurances terrestres?
2° Au point de vue économique, l'assurance mutuelle universelle est-elle avantageuse au pays tout entier?
3° Quel serait le moyen le plus simple d'établir, d'asseoir, cette sorte d'impôt à destination spéciale?
557.- Ire Question. Le principal rôle de l'Etat est de protéger les particuliers, dans leurs personnes et dans leurs biens, contre les maux sans nombre qui assiègent l'humanité.
Pour nous placer de suite dans l'ordre d'idées qui concerne les assurances, personne ne doute que l'Etat et même les autorités locales ne puissent prendre toutes les mesures préventives contre les incendies, soit en prohibant certaines natures de toitures des bâtiments, comme la paille, soit en en imposant d'incombustibles, comme la tuile ou le métal (b), soit en sou mettant certaines industries qui emploient le feu à des conditions gênantes mais dictées par la prudence, ou en règlementant l'emmagasivage et l'usage des substances inflammables ou explosibles. Or, si on reconnaît à l'Etat le droit de gêner la liberté des personnes et de leur imposer des charges pécuniaires lorsqu'il s'agit de prévenir certains sinistres, pourquoi ne lui accorderait-on pas le même droit lorsqu'il s'agit de les réparer?
Il est vrai que les impôts qui seraient établis pour l'indemnité générale des sinistres seront toujours, sinon plus lourds, au moins plus gênants, par leur permanence seule, que les entraves apportées à la liberté des constructions et des industries; en outre, ils atteindront tous les propriétaires de bâtiments, de magasins et peut-être même de marchandises combustibles. Mais nous allons voir, par l'exemple d'un sinistre plus grave encore que n'est l'incendie, le droit de l'Etat d'imposer les citoyens pour en réparer les désastres aussi certain et indiscutable que s'il s'agissait seulement de les prévenir.
On voit de suite qu'il s'agit de la guerre.
Supposons que l'Etat, pour prévenir une guerre étrangère ou pour eu diminuer les dangers, ait besoin d'augmenter son armée, ses fortifications et sa flotte, et, par conséquent, les armes, les équippements et les vivres; certes, on ne doute pas qu'il ne puisse, dans ce but, imposer les citoyens, et il le fait en tout pays, au Japon comme ailleurs. Supposons maintenant que la guerre n'ait pu être évitée et qu'elle ait causé des désastres locaux ou particuliers, même avec un résultat généralement favorable: personne ne contestera que l'Etat ne puisse et même nous dirons ne doive imposer les citoyens qui n'ont pas été atteints par la guerre, pour indemniser ceux qui en ont été victimes dans leurs biens ou dans leurs soutiens de famille.
Ce principe a souvent été appliqué en Europe et aussi au Japon après les guerres civiles.
Comment ce qui est si manifestement légitime pour la réparation d'un des fléaux de l'humanité ne le seraitil pas pour les autres ?
La légitimité de l'intervention de l'Etat peut encore se démontrer plus directement pour ce qui concerne les incendies ou les typhons: supposons qu'un grand nombre de citoyens aient été ruinés par ces désastres et que l'Etat ou le département leur distribue des secours plus ou moins considérables, plus ou moins prolongés, personne ne contestera que ces secours soient valablement fournis au moyen d'impôts supplémentaires. Or, le système d'assurance générale obligatoire ne différerait des secours qui précèdent que parce qu'il y aurait indemnité en capital aux victimes du sinistre, et que l'indemnité, au lieu d'être l'effet d'une faveur, comme un secours, serait due par l'effet d'un droit, parce que la victime aurait payé son assurance. Mais quand il s'agit d'examiner la valeur ou la légitimité d'un principe, ce n'est pas ce qu'il produit en plus ou en moins dans ses résultats, ou la forme sous laquelle se présentent ces résultats, qui doivent influer sur l'approbation ou l'improbation qu'il mérite.
Ici même, quoique l'indemnité doive être plus forte que ne le seraient des secours, elle ne pèsera pas aussi lourdement sur chacun des contribuables, puisque, so répartissant sur tout le pays, c'est-à-dire sur toutes les fortunes, elle sera d'un poids bien léger pour chacun des contribuables, et ceux mêmes qui recevront l'indemnité auront concouru antérieurement à former le fonds commun.
Voilà donc résolue affirmativement la question de légitimité de l'assurance générale ou universelle par l'Etat, au moyen d'une cotisation imposée.
558.—II° Question. Y a-t-il des avantages économiques dans cette assurance générale ?
La solution affirmative est encore plus évidente.
Rappelons ce qui a été dit plus haut de l'assurance mutuelle et fortifions-le par un exemple.
Supposons une association d'assurances mutuelles contre l'incendie par 100 propriétaires de bâtiments et, pour plus de simplicité, supposons aussi que leurs immeubles sont d'égale valeur, de 1000 yens chacun.
L'un d'eux est incendié, la cotisation de chacun sera du 100 de 1000 yens, soit 10 yens; or, qui contestera qu'au point de vue économique, c'est-à-dire au point de vue de la richesse générale, il vaille mieux que 100 personnes perdent chacune 10 yens plutôt qu'une seule perde 1000 yens ? Une personne ayant 1000 yens de capital et perdant 10 yens n'en éprouvera guère qu'un déplaisir, à peine s'imposera-t-elle une privation; tandis que celle qui perd 1000 yens (ici, tout son capital pent-être) est privée des moyens de production qui, en assurant son existence, contribuaient en mêine temps à la richesse générale.
Si, au lieu de 100 maisons assurées, nous en supposions 1000, la contribution de chaque propriétaire à la perte d'un des immeubles ne serait plus que de 1 yen. Mais, en fait, le risque croissant naturellement avec le nombre des maisons assurées, on pourrait se trouver en présence de 10 maisons incendiées et encore d'une perte de 10 yens pour chaque propriétaire; seulement, il y aurait plus d'incendiés indemnisés.
Supposons enfin qu'au lieu de 1000 propriétaires, ce soient tous les propriétaires de bâtiments du pays qui aient formé une assurance mutuelle, on voit que, bien que les risques soient encore augmentés, en conséquence du nombre, la contribution aux pertes sera encore faible pour chacun, et pourtant l'indemnité sera assurée à un plus grand nombre de victimes.
L'assurance par l'Etat ne serait pas autre chose qu'une assurance mutuelle universelle. L'Etat ne devrait pas y chercher un profit, comme font les compagnies d'assurances à prime fixe: il jouerait le rôle de gérant d'une association d'assurances mutuelles; ici, ce serait réellement et non plus fictivement comme nous avons fait remarquer plus hant qu'il en est au sujet des compagnies. Ainsi, l'Etat controlerait l'estimation estimation a deux objets considérables: elle sert de base à l'indemnité que doivent recevoir les propriétaires incendiés et à la cotisation ou contribution que doivent fournir ceux qui échappent à l'incendie. L'Etat encore, en cas d'incendie, en contrôlerait les causes et les effets et déterminerait les droits de l'assuré. C'est lui, enfin, qui recevrait les cotisations ou impôts spéciaux de l'assurance et payerait les indemnités en cas de sinistre.
Nous ne nous arrêtons pas à l'objection qu'on prétendrait tirer de ce que l'Etat absorberait ainsi une entreprise financière, au préjudice des particuliers; l'objection se réfute par deux réponses: d'abord, l'Etat ne devrait pas tirer un profit de cette opération qui aurait son budget spécial et dont les recettes ne devraient jamais excéder la somme annuelle des sinistres et des frais de gérance; ensuite, le moment serait d'autant plus favorable aujourd'hui que les entreprises particulières à l'égard des assurances ne sont pas encore formées au Japon.
559.—IIIe Question. Les voies et moyens ne pourraient être définitivement fixés qu'après un certain temps d'expérience. Pour commencer, on prendrait pour base de l'impôt la somme moyenne des pertes annuelles révélée par la statistique des dernières années. Cette somme devrait être fournie à une caisse centrale par une répartition proportionnelle, à la charge des propriétés bâties, d'après leur valeur estimative déjà connue pour la perception des autres impôts. Si les incendies d'une année dépassent la somme ainsi obtenue, la contribution de l'année suivante sera augmentée; si la somme n'est pas absorbée, la cotisation suivante sera diminuée.
Le personnel des agents du trésor devra être augmenté, mais une grande partie de la besogne pourra être mise à la charge des autres agents, surtout lorsque le système aura été complètement organisé.
Nous persistons à croire qu'il y a là un grand bien à attendre pour le pays.
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(b) Nous avons soutenu ce droit de l'Administration au sujet des limites nécessaires du droit de propriété (v. T. Ier, p. 88 et s., no 63). Depuis lors, des règlements de police ont été faits en ce sens à Tokio et dans d'autres villes.
Nous n'avons pas la prétention d'y avoir eu une influence; nous avons seulement eu la satisfaction de voir que les habitants n'ont pas résisté à cette mesure, comme en France, et que les incendies ont, depuis lors, perdu à Tokio cette effrayante puissance de pro pagation qui avait, à plusieurs reprises, dévoré, en un ou deux jours, 12,000, 15,000 et jusqu'à 18,000 maisons.
COMMENTAIRE.
Art. 834. — N° 560. Pour que l'assurance ne dégénère pas en pari, la loi exige tout d'abord que l'assuré, ou celui qui stipule une indemnité au cas de perte de la chose, ait intérêt à la conservation de cette chose; autrement, rien n'empêcherait le premier venu d'assurer un grand nombre de maisons, dans l'espérance qu'une ou plusieurs viendraient à brûler. Il faudrait, il est vrai, payer un plus grand nombre de primes; mais, d'après le calcul dit“ des probabilités" ou d'après ce qu'on nomme les “lois du hasard,” il y aurait des chances d'incendie proportionnelles au nombre des maisons assurées et dont la valeur payée par l'assureur pourrait être supérieure aux primes versées. De pareilles opérations auraient tous les caractères d'un pari. Elles violeraient, en même temps, un principe fondamental des assurances qui sera bientôt proclamé, à savoir que l'assurance ne doit jamais être une cause de gain ou de profit pour l'assuré, mais seulement un droit à une indemnité; or, celui qui n'aurait aucun intérêt à la conservation de la chose, ne devant pas souffrir de sa perte, n'aurait dès lors pas droit à en être indemnisé.
Un autre motif de cette condition, chez l'assuré, d'avoir intérêt à la conservation de la chose et de n'attendre aucun profit de sa perte, c'est d'écarter tout soupçon de fraude tendant à favoriser celle-ci.
La conséquence de cette condition est que, si elle n'est pas remplie, la convention d'assurance est non pas annulable, mais radicalement nulle, faute de cause. On doit aller jusqu'à cette sévère extrêmité, par respect pour le principe que la cause est une condition d'existence et non pas seulement de validité des conventions; or, l'intérêt de l'assuré à la conservation de la chose est justement, pour ce qui le concerne, la seule cause licite du contrat d'assurance.
En principe, lorsqu'une convention est radicalement nulle faute de cause, les deux parties peuvent se prévaloir de la nullité et se faire restituer, respectivement, ce qu'elles se sont fourni en vertu de ladite convention; mais il arrive quelquefois que la loi refuse la répétition à l'une des parties, à titre de peine de sa mauvaise foi. C'est ce qui arrive ici à l'égard de l'assuré qui s'est faussement attribué une qualité ou un intérêt qu'il n'avait pas.
Art. 835. — 561. Le présent article est une suite du précédent: s'il faut que l'assuré ait intérêt à la conservation de la chose, il est clair que ce ne doit pas être seulement au moment où l'assurance est contractée, mais encore pendant toute sa durée; lors donc que cet intérêt, cause du contrat, vient à cesser, son effet doit cesser aussi pour l'avenir, et cela, de plein droit, sans demande en justice, comme la loi a soin de l'exprimer.
Mais il était naturel de faire exception pour le cas d'aliénation. Par exemple, si l'assuré vend ou donne la chose assurée, après qu'il a déjà versé sa cotisation dans l'assurance mutuelle, ou sa prime annuelle dans l'assurance à prime, il ne serait pas juste que l'assureur fût déchargé du risque, alors qu'il a déjà réalisé le profit. D'un autre côté, l'ancien propriétaire ne peut plus prétendre recevoir l'indemnité au cas de sinistre, parce qu'il n'en éprouve plus aucun dommage, ayant donné ou vendu la chose; il est donc naturel que l'indemnité soit éventuellement acquise à l'acquéreur, lors même qu'il n'y aurait eu aucune convention à cet égard et lors même encore qu'il aurait ignoré l'assurance. Du reste, le plus souvent, l'acquéreur aura remboursé à l'assuré une portion de la prime ou de la cotisation correspondant à la fraction non encore écoulée de la période pour laquelle celle-ci est payée d'avance: ce sera son titre à l'indemnité.
Mais, pour le temps restant à courir de l'assurance entière et pour lequel les primes ou cotisations n'ont pas encore été versées, l'assurance cesse de produire effet, à moins que l'assuré n'ait obtenu de son acquéreur qu'il prît son lieu et place, par une sorte de subrogation personnelle; et quand l'assurance est ainsi résolue avant sa fin légitime, l'assureur doit être indemnisé par l'assuré, à raison des chances de profit qu'il a perdues par le fait de l'aliénation.
Une autre conséquence nécessaire, et que la loi n'avait pas besoin de déduire, du principe que pour avoir droit au bénéfice de l'assurance il faut avoir intérêt à la conservation de la chose, c'est que le droit éventuel à l'indemnité ne peut être cédé à un tiers qui n'aurait aucun droit réel sur la chose assurée; cette cession serait nulle pour deux raisons à la fois: le cédant perdant tout intérêt à la conservation de la chose et le cessionnaire n'en acquérant aucun, la convention se trouve manquer de cause du côté de chaque partie. La cession étant nulle, l'assurance subsiste, avec tous ses effets, entre l'assureur et l'assuré.
Art. 836. — 562. L'assurance a pour objet de compenser éventuellement par une indemnité la perte de la chose, au moyen d'un sacrifice certain, mais léger et qui se prend sur les revenus; si elle ne prévient pas la destruction de la chose, elle répare la perte de sa valeur; elle a donc le caractère d'un acte conservatoire, d'un acte d'administration. Delà, deux conséquences que la loi a soin d'exprimer elle-même:
1° Ceux qui ne peuvent disposer de leurs biens, mais peuvent les administrer, comme les mineurs émancipés et les femmes mariées, peuvent les assurer contre l'in. cendie et les autres accidents;
2° Ceux qui sont chargés d'administrer les biens d'autrui, comme les mandataires, les tuteurs, les maris, les syndics de faillite, les administrateurs de succession vacante, peuvent assurer les biens doni ils ont la garde et la gestion. On ne dit pas qu'ils doivent faire cette assurance, mais seulement qu'ils le peuvent, parce que l'usage des assurances, même dans les pays où elles sont le plus en faveur, n'est pas encore assez général ni assez à l'abri des objections pour qu'on puisse blâmer quelqu'un qui n'y a pas recours. Mais un mandataire de l'une des trois qualités exprimées au texte pourrait avoir été chargé spécialement de faire l'assurance par ceux dont il dépend, et alors il devrait se conformer à cet ordre.
Le texte termine en autorisant l'assurance, en dehors du mandat, par un simple gérant d'affaires. On se souvient que le gérant d'affaires a action contre le maître des affaires pour tout ce qu'il a dépensé utilement (art. 383). Ici, on aurait pu hésiter.
Sans doute, si les biens assurés par le gérant d'affaires avaient péri dans le sinistre prévu et que le maître touchát l'indemnité, on n'hésiterait pas à dire que le gérant d'affaires a le droit de prélever sur l'indemnité les sommes qu'il aurait déboursées comme primes ou cotisations; mais, s'il n'y a pas eu de sinistre, il semble que les primes ou cotisations n'ont pas été utilement dépensées. Cependant on devra les allouer, lorsque l'assurance aura été faite dans des conditions très-favorables, soit à cause du danger, soit à cause de la modicité de la prime, et telles que, vraisemblablement, le maître des affaires l'aurait faite luiméme, s'il eût été présent et en situation de faire l'assurance.
Art. 837. — 563. Cet article et les suivants continuent d'indiquer par qui peuvent étre faites les assurances coutre les dommages résultant du feu et d'autres accidents.
Les présentes dispositions sont surtout l'application du principe qu'il faut avoir intérêt à la conservation de la chose pour l'assurer en son propre nom, mais qu'on peut aussi l'assurer au nom et pour le compte d'autrui, comme mandataire ou comme gérant d'affaires.
La loi commence par rappeller ce qui a été dit à l'article 94 de l'assurance de bâtiments soumis à un usufruit. Ce rappel a d'abord l'avantage de réunir ici tout ce qui se rapporte à cette matière tout-à-fait spéciale des assurances. Il sert aussi à introduire une exception andit article 94, laquelle est l'objet du 2 alinéa.
Il était naturel que l'usufruitier étant soumis à la responsabilité de l'incendie, vis-à-vis du nu-propriétaire, par une présomption légale de faute (v. art. 88), fût de même légalement présumé avoir cherché dans l'assurance contre l'incendie un moyen de se couvrir contre cette responsabilité.
En France, où cette présomption de faute, formellement écrite contre le locataire (art. 1733), n'existe pas contre l'usufruitier, la jurisprudence (qui, en l'absence de loi sur les assurances, a tout à régler à ce sujet) est un peu hésitante sur l'effet à donner à l'assurance faite par l'usufruitier.
Lorsque l'usufruitier aura renversé par la preuve contraire la présomption de faute, ou lorsqu'il aura établi que sa faute n'atteint pas le montant total de la valeur des bâtiments incendiés et de l'indemnité due par l'assureur, l'article 91 recevra son application: “l'usufruitier jouira du surplus.”
Art. 838. — 561. Le locataire est soumis, en cas d'incendie, à la même présomption de faute vis-à-vis du bailleur (art. 152); il est donc naturel qu'il puisse s'assurer contre cette responsalité et que l'assurance soit de même présumée faite pour l'en préserver.
Remarquons, en passant, sauf à y revenir, qu'il y a là déjà une preuve que l'assuré a droit à l'indemnité contre l'assureur, lors même que l'incendie provient de sa faute. C'est à tort que beaucoup d'auteurs, en France, ont des doutes à cet égard et que les tribunaux ont souvent hésité à faire bénéficier de l'assurance celui qui avait causé l'incendie par son imprudence.
Le locataire, comme l'usufruitier encore, peut éprouver d'autres dommages de l'incendie.
D'abord, si l'incendie provient de sa faute, il en est responsable envers les voisins aux bâtiments desquels le feu a pu se communiquer; seulement, ici, il n'y a plus de présomption de faute envers les voisins: c'est à eux à en faire la preuve directe, parce que le locataire n'a pas envers eux l'obligation de conserver la chose louée, et encore moins celle de conserver leurs biens. Mais la faute pouvant être prouvée, il est sage au locataire de faire l'assurance dite “contre le recours des voisins."
C'est un nouvel argument pour prouver que la faute de l'assuré ne le prive pas de l'indemnité.
Le locataire peut encore éprouver deux donmages principaux de l'incendie: 1° s'il avait fait des dépenses d'aménagement et d'agencement des lieux loués, 2° s'il avait obtenu, à des conditions favorables, un bail d'une longue durée, qui dût prendre fin par la destruction des bâtiments. Il est juste qu'il puisse stipuler une indemnité applicable à ces deux dommages. Mais s'il n'avait pas eu soin de stipuler que tel était l'objet de l'assurance, il serait censé avoir agi comme gérant du propriétaire: autrement, il pourrait être très-difficile, en fait et dans chaque cas particulier, de reconnaître quel intérêt le locataire avait à la conservation de la chose.
Art. 839. — 565. La loi suppose ici que les bâtitiments assurés et incendiés étaient hypothéqués.
L'assurance a pu en être faite par le propriétaire (1er al.); elle a pu l'être aussi par les créanciers hypothécaires, ou même par de simples créanciers chirographaires (2° al.).
Les trois cas sont réglés par la loi, et la solution du premier commandait celle des deux autres.
C'est un point qui a fait difficulté en France, et que la jurisprudence n'a pas tout d'abord résolu uniformément, que de savoir à qui profite l'indemnité d'incendie lorsque les bâtiments hypothéqués avaient été assurés par le propriétaire. L'idée qui s'offre la première à l'esprit est que l'indemnité payée par l'assureur représente l'immeuble, comme le représenterait un prix de vente ou l'indemnité d'une expropriation, et qu'elle doit de même être distribuée aux créanciers hypothécaires, dans l'ordre de leur droit de préférence.
Mais cette idée a été combattue avec raison, en l'absence de texte de loi et, finalement, elle a été écartée dans la pratique. On a nié l'analogie entre le prix de vente ou l'indemnité d'expropriation, d'une part, et l'indemnité de l'incendie, d'autre part. Dans la vente et dans l'expropriation, le prix ou l'indemnité sont bien l'équivalent, la représentation de l'immeuble cédé qui existe au moment où le prix est dû. Mais comment dire que l'indemnité due par l'assureur représente l'immeuble, puisqu'elle ne commence à être due que lorsque l'immeuble est détruit? L'indemnité représente, il est vrai, ce que l'assureur a reçu; mais ce n'est pas l'immeuble qu'il a reçu, c'est une prime ou une cotisation annuelle. La vérité est donc que l'indemnité représente les primes ou cotisations reçues, et comme le contrat d'assurance est aléatoire, il peut arriver que l'indemnité excède de beaucoup les primes ou cotisations, parce qu'il n'y en aura eu qu'un petit nombre de versées, ou, au contraire, qu'elle y soit notablement inférieure, parce que, l'assurance étant très-ancienne, il y aura eu beaucoup d'annuités payées. Cette idée a déjà été présentée avec quelques développements sous l'article 94 (T. 1e", pp. 182-181, no 135-136).
La jurisprudence française applique le vrai principe de la matière, lorsqu'elle décide que l'indemnité se distribue à tous les créanciers indistinctement et en proportion de leur créance, à moins de stipulations particulières. Mais on ne manque plus aujourd'hui de faire ces stipulations, et les créanciers hypothécaires ont bien soin de s'assurer, dans l'acte constitutif de l'hypothèque, le payement de leur créance sur l'indemnité: si déjà l'immeuble est assuré, ils exigent que la créance éventuelle d'indemnité leur soit transférée et ils notifient à la société d'assurance la cession qui leur a été faite; si l'immeuble n'est pas encore assuré, ils en exigent l'assurance préalable, avec le même transport de l'indemnité, et comme, en France, la constitution d'hypothèque est un acte solennel, c'est-à-dire qui doit être passé devant notaires, à peine de nullité, le notaire qui dresse l'acte, ou celui qui y intervient dans l'intérêt du créancier hypothécaire, ne manque jamais de veiller à cette stipulation.
Il reste cependant un cas où la vigilance du créancier ou de son notaire est impuissante à lui assurer le profit éventuel de l'indemnité, c'est lorsqu'il s'agit d'une hypothèque légale (de femme mariée, de mineur, d'interdit), d'une hypothèque judiciaire (C. civ., art. 2123) ou d'un privilége légal (de vendeur, de copartageant ou autre); dans ces cas, comme la sûreté réelle ne provient pas d'une convention mais de la loi, les stipulations particulières n'y peuvent rien; surtout, dans les cas d'hypothèques des femmes mariées, des mineurs et interdits, parce que leurs créances contre les maris ou tuteurs ne proviennent généralement pas d'actes volontaires de la part du créancier; tandis que dans le cas des priviléges du vendeur ou des copartageants, la vente et le partage étant volontaires pourraient être d'avance subordonnés à l'assurance des immeubles vendus on partagés et au transport de la créance d'indemnité; mais encore, il n'y a pas ici d'intervention forcée d'un notaire, et les vendeurs ou les copartageants, ne connaissant pas toujours la loi, pourraient trop souvent omettre cette précaution essentielle.
C'est donc une chose sage et juste que de suppléer, par le bienfait de la loi, à l'ignorance ou à l'imprévoyance des parties.
Notre article le décide d'abord (1er al.) pour le cas où l'assurance a été faite par le propriétaire, soit avant, soit après avoir hy pothéqué ses bâtiments et, soit de son propre mouvement, soit sur la réquisition du créancier hypothécaire qui l'a exigé avant de contracter. Dans le cas d'incendie, l'indemnité profitera alors aux créanciers hypothécaires, dans l'ordre où ils seraient appelés au payement si l'immeuble était vendu, exproprié ou saisi.
Dans ce système, il n'y aura pas besoin que l'assureur soit averti directement de ce transport d'indemnité, puisqu'il est légal, ni de l'ordre dans lequel chacun doit être payé, puisque cet ordre est réglé soit par l'inscription d'hypothèque, soit par d'autres procédés propres à la matière et qu'on verra en leur lieu.
566. On pourrait se demander si cette admission légale des créanciers hypothécaires au droit à l'indemnité est absolue, ou si elle est seulement pour le cas de silence des contrats d'hypothèque et d'assurance, en d'autres termes, si elle pourrait être modifiée par des conventions particulières entre l'assuré et l'assureur.
Il faut répondre que le créancier hypothécaire auquel l'indemnité devrait revenir ne peut en être privé sans son consentement; autrement, il serait trop facile au débiteur de diminuer et même d'anéantir la sûreté hypothécaire du premier créancier, en transportant la créance d'indemnité à un créancier moius favorable par son rang ou même à un créancier chirographaire. Sans doute, ce serait toujours éventuellement et pour le cas d'un incendie; mais, outre que la diminution éventuelle du gage ne doit pas être permise plus que la diminution certaine, il y aurait encore ici un danger particulier sur lequel nous aurons d'autres occasions de revenir, c'est celui de donner au créancier non favorisé par son rang d'hypothèque, mais favorisé par la cession du droit à l'indemnité, un intérêt illégitime à l'incendie des bâtiments.
Tenons donc que la disposition de notre premier alinéa ne pourrait être modifiée que de l'accord des divers créanciers hypothécaires.
567. Le 2° alinéa suppose que l'assurance n'a pas été faite par le propriétaire avant la constitution de l'hypothèque ni en exécution d'une de ses clauses. Dans ce cas, tout créancier hypothécaire, quel que soit son rang, ou même tout créancier chirographaire, peut faire l'assurance, soit en son nom, comme y ayant intérêt, soit au nom du propriétaire, comme gérant ses affaires. Par quelque personne et en quelque nom que l'assurance soit faite, le résultat sera le même que précédemment: l'indemnité sera payée dans l'ordre de préférence des créanciers, ou à tous, en proportion de leurs créances, s'ils ne sont que créanciers chirographaires. Cette disposition est commandée par la prudence: si la loi permettait à un créancier dont le rang d'hypothèque est défavorable, ou à un simple créancier chirographaire primé par des hypothèques, d'assurer l'immeuble en son nom personnel et pour sûreté exclusive de sa créance, il y aurait l'inconvénient, déjà signalé plus haut pour un cas analogue, de lui donner intérêt à la destruction de l'immeuble par le feu, puis. que ce serait pour lui la seule chance d'être payé; or, c'est justement le coutraire du principe qui domine toute cette matière: à savoir, qu'il faut que l'assuré ait intérêt à la conservation de la chose.
Pour que cette disposition reste juste de tout point, la loi ajoute que celui qui a ainsi fait l'affaire des autres créanciers sera préalablement remboursé, sur l'indemnité, des primes ou cotisations par lui payées: c'est, comme au cas de l'article 94 précité, une dépense de gestion, utile à ceux dont l'affaire a été gérée.
568. Le premier créancier hypothécaire n'a pas seulement l'avantage d'être payé le premier, si l'assu. rance est faite par les autres créanciers, il a encore celui, lorsqu'il assure lui-même, de ne le faire que jusqu'à concurrence du montant de sa créance, ce que les autres n'auraient aucun intérêt à faire, puisque l'indemnité ainsi réduite ne pourrait pas toujours parvenir jusqu'à eux.
Mais si le premier créancier, ayant seul fait assurer l'immeuble pour le montant de sa créance, en a été remboursé, en tout ou en partie, avant l'incendie, ce qu'il ne touchera pas de l'indemnité profitera aux autres créanciers et, s'il n'y en a pas, au propriétaire.
Quand le premier créancier a ainsi assuré l'immeuble pour sa créance exclusivement, on pourrait se demander s'il a droit de prélever d'abord les primes ou cotisations qu'il a versées.
Il y a d'abord un cas où l'affirmative n'est pas douteuse, c'est celui, indiqué à l'instant, où il n'absorbe pas toute l'indemnité: on peut dire que, dans ce cas, l'assurance a profité à d'autres qu'à lui et qu'il est juste de le rembourser de ses dépenses, à cet égard.
Dans le cas où l'indemnité n'excède pas ce qui lui est dû, il semble difficile de l'autoriser à prélever d'abord ses dépenses d'assurance, ce qui le laisserait créaucier de ce qu'il ne toucherait pas en vertu de son hypothèque; il est vrai qu'il pourrait dire que l'assurance a encore profité au propriétaire, en le libérant, ou aux autres créanciers, en les préservant de son concours sur les autres biens; mais cette prétention n'est que spécieuse et ne pourrait être accueillie par les tribunaux, car l'assurance a surtout profité au premier créancier qui, saus elle, n'aurait rien reçu.
Art. 840. — 569. On connaît, par les articles 428 et suivants, la nature et les effets de la condition, tant suspensire que résolutoire. Il a été établi avec soin, dans le Commentaire, que lorsqu'une partie acquiert un droit sous condition suspensive, le cédant conserve le même droit sous condition résolutoire, c'està-dire que son droit s'évanouira si la condition suspensive s'accomplit; réciproquement, lorsque la cession est actuelle, mais sujette à une condition résolutoire, le droit du cédant reste en suspens et renaîtra si la condition résolutoire s'accomplit. Si la condition, soit suspensive, soit résolutoire, fait défaut, les choses restent dans l'état où la convention les a placées (v. Tome II, p. 377 et s., n°5 360 et s.). Il suffit donc que l'une ou l'autre condition affecte directement le droit d'une seule des parties pour que le droit de l'autre en soit indirectement affecté en sens contraire.
Tant que dure l'incertitude, chacune des parties a intérêt à assurer la chose contre l'incendie. Si l'événement incertain lui est favorable, elle se trouve avoir assuré sa propre chose; si la condition lui est défavorable, elle se trouve avoir fait un acte d'administration pour l'autre partie (comp. art. 431), elle sera donc remboursée de ses impenses.
Art. 841. — 570. Cet article et les suivants mettent quelques conditions à la validité de l'assurance; elles sont spéciales à ce contrat, sauf la première que l'on a déjà rencontrée au sujet de la vente (art. 680) et qu'on pourrait dire commune à tous les contrats.
En effet, pour qu'un contrat se forme, pour qu'il existe dès l'origine, il faut qu'il ait un objet certain et déterminé (art. 325-2°); la chose qui en fait l'objet doit donc elle-inême exister au moment où les parties contractent. Si la loi prend soin de s'en expliquer ici, c'est parce que, le contrat d'assurance étant aléatoire, on aurait pu croire qu'il s'écartait du droit commun à cet égard. Mais c'est précisément parce que la convention perd son caractère aléatoire que l'assurance est défendue dans le cas prévu: la bonne foi de l'assuré, ignorant que sa chose est périe, le disculpe de toute fraude, inais elle ne justifie pas que l'assureur se trouve soumis à une indemnité inévitable quoiqu'encore incertaine pour lui: l'opération ne serait autre chose qu'un pa ri et le pire des paris, celui qui porte sur un fait passé.
571. La loi ne prévoit pas le cas inverse, pour le prohiber également: c'est qu'il sera plus rare; mais la solution ne pourrait faire doute, pour le même motif.
Supposons qu'une personne demeurant à Tokio, ayant une maison au nord du Japon, à Hakodaté, par exemple, apprenne par le télégraphe qu'un grand incendie a dévoré une partie de cette ville; elle voudrait, au hasard, assurer cette maison contre le risque passé, moyennant une prime unique et considérable, et une compagnie d'assurance y consentirait (ce qui serait invraisemblable, assurément, et sans doute contraire à ses statuts): l'assurance serait nulle si la maison avait échappé à l'incendie, aussi bien que si elle avait péri, parce qu'ici, à l'inverse du cas précédent, l'assureur devrait nécessairement gagner la prime, sans courir aucun risque de payer une indemnité.
Nous avons déjà signalé une singulière disposition de la loi française (C. comm., art. 365 et 367) qui permet l'assurance maritime, quoique tout danger ait cessé pour le navire, ou quoique le navire ait déjà péri; cette disposition ne nous paraît pas plus sage ni plus conforme aux principes par le seul fait qu'on la retrouve dans le nouveau Code de commerce allemand (art. 789): il n'y a toujours là qu'un pari sur des faits accomplis et la bonne foi des parties ne peut le rendre légitime. Quoi qu'il en soit, cette anomalie ne doit pas être étendue aux assurances terrestres.
572. Revenons à notre article et au cas où la chose assurée est, non à l'abri du danger, mais déjà périe au moment de l'assurance.
La loi met sur la même ligne que la perto totale la perte de plus de moitié (2° al.); c'est une théorie qui a déjà reçu quelques applications (v. art. 439, 453 et 748): il ne fallait pas que la perte la plus légère survenue avant la convention l'empêchât de se former. Le texto a soin d'exprimer que, dans ce cas, il n'y a nullité que si la perte partielle a été ignorée des parties ou de l'une d'elles, car, si elles ont connu toutes deux cette perte, elles doivent être présumées avoir voulu assurer ce qui restait.
573. Par application, toujours, du principe que l'assurance ne doit pas dégénérer en jeu ou en pari, la loi ne veut pas qu'on puisse assurer des profits éventuels, comme la plus-value possible d'une propriété, ou des bénéfices à réaliser sur la hausse de marchandises.
La loi fait toutefois une exception pour l'assurance des fruits, tant civils que naturels, des biens de l'assuré. Ainsi on peut faire assurer les récoltes espérées de terres déjà ensemencées, les loyers de maisons eu état d'être habitées: il y a là, moins la recherche d'un profit, d'un lucre éventuel, que le désir pour l'assuré d'éviter une perte, en s'assurant un revenu normal d'un capital productif de sa nature.
La loi ne se prononce pas sur l'assurance contre la moins-value des propriétés ou la dépréciation de marchandises. Comme c'est une assurance qui tend à éviter une perte et non à faire un gain, elle doit être permise; mais elle sera rare, parce que, sans doute, les statuts autorisés des compagnies ne le permettront pas.
Art. 842. — 574. La loi formule ici un principe général qui domine la matière des assurances; dans les pays qui n'ont pas de législation spéciale sur cette matière, c'est la jurisprudence qui a proclamé ce principe que l'assurance ne doit pas avoir pour but de procurer des bénéfices, mais seulement de préserver de pertes.
Déjà l'article précédent (3° al.) reposait en partie sur cette idée.
Le principe ici posé est lui-même la suite de celui, plus large encore, qui n'admet l'assurance“qu'au profit de celui qui a un intérêt à la conservation de la chose" (v. art. 834).
En effet, si l'assurance pouvait être une cause de bénéfices pour l'assuré, il aurait intérêt à la perte de la chose, laquelle lui donnerait le droit de recevoir l'indemnité stipulée; or, il ne faut jamais que l'assuré ait intérêt à la perte de la chose; car, si honnête qu'il soit et incapable de la causer volontairement et directement, il mettra moins de zèle à prévenir le sinistre et à le combattre (l'incendie par exemple), si au lieu de prévoir une perte ou, tout au moins, une stricte réparation du dommage, il en attend un profit.
Le vom même d'indemnité, employé en matière d'assurances, deviendrait inexact si l'assuré obtenait plus que la réparation du dommage (du damnum) éprouvé.
575. La loi n'avait pas à tirer toutes les consé quences du principe posé; mais il y en a une qui demandait à être déduite, à cause de son importance et aussi des modifications qu'elle comporte.
Les objets assurés ne peuvent l'être pour une somme supérieure à leur valeur réelle estimée au moment de la convention.
Ce n'est même pas à dire que l'assuré aura toujours droit à cette valeur: on verra ultérieurement que si la chose a diminué de valeur au moment du sinistre, par une cause autre que celle contre laquelle l'assurance est faite, l'indemnité est diminuée d'autant.
Ainsi, dans l'assurance contre l'incendie d'une maison valant 1000 yens, on ne pourrait pas, en prévision d'une plus-value de 100, yens l'assurer pour 1100 yens, et si elle avait été assurée pour 1000 yens qu'elle valait déjà, mais qu'au moment de l'incendie, elle eût subi une dépréciation de 100 yens, par suite d'un typhon, l'assuré n'aurait droit qu'à 900 yens.
576. L'assuré a, du reste, deux droits correspondant à ces deux limites de ses avantages.
Au premier cas, dès que la chose aura éprouvé une plus-value, il pourra faire une assurance supplémentaire; au second cas, lorsqu'elle aura subi une dépréciation, il pourra demander une diminution de la prime ou de la cotisation annuelle, mais pour l'aveuir seulement et sans répétition pour ce qui est déjà payé.
Le 2e alinéa reconnaît également à l'assuré le droit de faire compléter l'assurance pour toute la valeur de la chose, quand il n'avait pas épuisé son droit à l'ori. gine. Nous ajoutons, comme allant de soi, qu'il peut, en sens inverse, s'il y a eu exagération i l'origine, faire réduire l'estimation et diminuer sa primes pour l'avenir.
Le texte exprime que l'assurance complémentaire peut être faite par le même assureur ou par un autre; dans ce dernier cas, il y aura lieu d'observer les dispositions des articles 814 à 846.
La loi n'ajoute pas, comme allant de soi, que cette assurance complémentaire peut être faite sur la demande d'un autre intéressé que le premier; ce pourrait être, par exemple, un créancier hy pothécaire.
Art. 843. — 577. Voici encore un principe que la jurisprudence a consacré et qui ne laisse pas de surprendre au premier abord, mais dont l'équité est incontestable.
Si l'assurance n'a lieu que pour une partie de la valeur de la chose et que cette chose périsse totalement, il est évident que l'assuré n'est pas indemnisé en entier et qu'une partie de la perte reste à sa charge; comment pourrait-il en être autrement quand l'assurance n'a lieu que pour une partie de la valeur?
Soit une maison valant 1000 yens, assurée pour 500 yens seulement, avec une prime en conséquence; si la maison brûle entièrement, l'assuré perdra 500 yens, la valeur non assurée. Si elle ne brûle qu'à moitié, comment pourrait-il prétendre toucher 500 yens et éviter toute perte? Avec notre texte, il ne touchera que la moitié de l'indemnité afférente à la perte de moitié. Si la chose brûle pour ]/5° de sa valeur (200 yens), il touchera 1/5° de l'indemnité (100 yens) et il supportera 100 yens de perte.
On pourrait tirer argument de cette situation pour désirer que l'assurance ne soit jamais de la valeur totale de la chose assurée, pour laisser toujours à l'assuré un intérêt à sa conservation. Mais c'est aux assureurs à mettre cette condition à leur assurance, s'ils le jugent a propos. La loi dépasserait peut-être son pouvoir raisonnable en imposant une pareille limite à la liberté des conventions.
Art. 844 et 845.— 578. Voici des dispositions plus difficiles, sinon à justifier, au moins à expliquer dans leurs détails et leurs distinctions.
Il serait à craindre que l'assuré, cherchant toujours un bénéfice dans l'assurance, malgré la prohibition de la loi, ne fît assurer secrètement plusieurs fois la même chose à des assureurs différents, pour sa valeur entière, et ne touchât ainsi plusieurs indemnités.
Ce danger fait toujours songer à l'intérêt qu'il aurait à la perte de la chose.
Pour l'éviter, la loi, dans ces deux articles, impose à l'assuré le devoir d'une double déclaration préalable à la seconde assurance: au premier assureur, il déclarera qu'il est dans l'intention de contracter une nouvelle assurance, et cette déclaration, pour répondre au væu de la loi, devra mentionner quel sera le nouvel assureur et pour quelle somme la nouvelle assurance sera faite; au second assureur, il déclarera les deux mêmes faits; seulement, ce ne sera plus comme probables et prochains, mais comme faits déjà accomplis.
Pour le second assureur, la situation sera très simple: s'il ne lui convient pas de faire l'assurance, lorsqu'il en existe déjà une sur le même objet et pour le même risque, il ne la fera pas: il peut craindre, en effet, des conflits entre assureurs, bien que la loi cherche à les éviter par les dispositions de l'article 816.
Le risque contre lequel la nouvelle assurance est demandée peut n'être pas le même que celui qui est déjà assuré; cependant, la déclaration de la première assurance est toujours obligatoire, au moins en principe, parce qu'il n'appartient pas à l'assuré de décider si le risque est différent ou est le même; mais lorsque lo second assureur estimera que le risque est suffisamment différent, il consentira probablement à assurer. On peut donc admettre que, malgré le défaut de la déclaration prescrite, l'imprudence de l'assuré n'entraînera pas la sévère sanction dont il va être parlé, lors que la différence des risques est telle qu'il n'y a aucun conflit possible d'intérêts entre les assureurs. Ainsi, une maison est déjà assurée contre l'incendie, mais le premier assureur a exclu de ses risques l'incendie provenant des suites d'un tremblement de terre, d'un typhon ou d'une guerre civile, exclusion qui est usitéə dans les polices d'assurance étrangères; le nouvel assureur, non prévenu de la première assurance, a consenti à assurer contre ces risques exceptionnels: il n'éprouve, en réalité, aucun dommage de l'ignorance où il a été laissé et les tribunaux ne devront pas ad. mettre sa demande en nullité de l'assurance.
579. Le 1er alinéa de l'article 844 déclare nulle, “non valable," la seconde assurance de la même chose, lorsqu'elle n'a pas été précédée ou accompagnée de la déclaration prescrite. L'assuré qui voudra se mettre à l'abri de cette nullité devra, non seulement faire la déclaration en temps utile, mais encore faire mentionner sa déclaration dans la police d'assurance: ce sera plus simple et plus sûr que de s'en faire donner une reconnaissance par acte séparé.
C'est pour ne pas laisser à l'assuré le pouvoir d'apprécier d'avance si le risque est le même ou s'il est différent que la loi ne fait pas ici mention expresse de l'identité de risque, ce qu'elle fait, an contraire, dans l'article 846.
Le 2° alinéa règle un cas qui, sans texte, pourrait faire difficulté: la déclaration n'a pas été faite au second assureur, elle n'a pas été faite non plus au premier; l'assuré est déchu envers celui-ci, d'après le 1er alinéa de l'article 845; il ne reste donc qu'une seule assurance, la seconde; dès lors, le second assureur ne peut se prévaloir de la nullité édictée par le 1er alinéa de l'article 844.
De même l'assuré, toujours ayant omis de déclarer la première assurance au second assureur, a fait au premier la déclaration prescrite, mais celui-ci, usant de la faculté que lui donne le 2 alinéa de l'article 815, résilie son assurance; là encore, la seconde assurance est valable, parce qu'elle se trouve, en définitive, subsister seule.
580. L'article 845 se trouve déjà en partie expliqué par les observations qui précèdent. Chaque alinéa demande cependant quelques remarques particulières.
Le premier assureur a, comme le second, plus même encore que lui, un intérêt légitime a ne pas se trouver engagé sans sa volonté dans des conflits d'assurances qu'il n'a pas prévus. Voilà pourquoi il doit être averti du projet de nouvelle assurance.
S'il n'est pas averti avant la signature de la seconde assurance, la première tombe, de plein droit.
On pourrait s'étonner que cette déchéance ne soit pas laissée à la volonté du premier assureur: il semble contraire aux principes généraux que l'assuré puisse, en manquant à un de ses devoirs, s'affranchir d'une convention antérieure; mais il y aurait une grande difficulté à subordonner la déchéance à une demande du premier assureur, ou même seulement à une déclaration de sa part: il aurait fallu lui donner un certain délai pour délibérer, et ce délai n'aurait pu courir qu'à partir du moment où il avait connu la seconde assurance; il se serait donc écoulé un délai, qui aurait pu étre fort long, pendant lequel on n'aurait pas sû si la première assurauce restait en vigueur et, pendant ce même délai, la validité de la seconde assurance aurait été elle-même en suspens.
La loi doit donc s'écarter du principe général que les conventions ne peuvent pas être révoquées par le fait ou la volonté d'une seule des parties.
Il n'est pas rare d'ailleurs qu'un contractant se mette par sa faute dans l'impossibilité d'exécuter la convention, sauf à en être puni civilement, et c'est justement ce qui arrive ici; la sanction est d'ailleurs d'une sévérité extrême: sa faute lui coûte le bénéfice de la première assurance, sans qu'il lui soit permis de recouvrer les primes ou cotisations qu'il a versées, même par avance, comme il est d'usage; et cela n'exclut pas de plus amples dommages-intérêts: notamment, au cas où l'assurance était faite pour plusieurs années, comme cela est fréquent dans les assurances mutuelles auxquelles nos articles ne s'appliquent pas moins qu'aux assurances à prime.
581. La loi prévoit ensuite (2e al.) que les deux assurances sont projetées ensemble et doivent prendre Ja même date. Dans ce cas, comme on ne peut plus dire que l'une est la première et l'autre la seconde, la loi veut que l'assuré fasse la double déclaration avant aucune signature: s'il y a manqué, s'il a signé les deux polices ou les a reçues signées des assureurs, sans avoir fait les deux déclarations prescrites, il est déchu, de plein droit, de ses deux assurances, sans aucune répétition des primes payées, et toujours sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, comme au cas du 1er alinéa dont celui-ci n'est que l'application, de deux côtés à la fois. La décision est dure, mais elle est commandée par les raisons qui précèdent, et d'ailleurs c'est une rigueur facile à éviter en observant la loi (a).
582. Le 3 alinéa de l'article 815 suppose que l'assuré a rempli son obligation d'avertir en temps utile le premier assureur de son projet de faire une nouvelle assurance. Ici, il n'y a pas de déchéance de plein droit; la plus grande faveur qui puisse être accordée au premier assureur est qu'il ait le choix de maintenir ou de résilier son contrat: s'il le maintient, c'est qu'il ne croit pas avoir lieu de craindre des difficultés du concours d'assurances; alors, le second assureur verra, de son côté, s'il a intérêt à faire lui-même une nouvelle assurance. Si le premier assureur résilie le contrat, il retient, pour tous dommages-intérêts, non plus la totalité, mais la moitié des primes ou cotisations reçues pour l'avenir, parce que c'est toujours le fait de l'assuré qui le met dans la nécessité de résilier.
Il va sans dire que nos deux article 844 et 845 sont applicables, respectivement, au cas de trois assurances ou d'un plus grand nombre, pour la même chose et le même risque.
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(a) Pour que les assurés n'ignorent pas leurs obligations, les principaux articles de la loi seront certainemt imprimés au dos des polices d'assurances. Cette précaution pourra même être imposée aux compagnies par les règlements et sera ainsi une condition de l'autorisation administrative.
Art. 846. — 583. La loi devait régler ensuite le cas où l'assuré, ayant observé la condition de la double déclaration, a obtenu l'adhésion de plusieurs assureurs, pour la même chose et pour la même nature de risque.
Deux cas sont supposés: 1° les assurances ont des dates différentes, elles sont "successives;" 2° elles ont la même date, elle sont simultanées.
Ier Cas. Du moment que l'assuré ne peut recevoir plus que la valeur véritable de sa chose, il est naturel que, la première assurance étant maintenue par la volonté du premier assureur, celui-ci reste tenu de l'indemnité éventuelle qu'il a promise; et comme il faut donner effet à la seconde assurance, elle vaudra garantie ou cautionnement de la première.
C'est à l'assuré, en pareil cas, à ne pas consentir à une prime trop forte pour cette nouvelle assurance, si la solvabilité du premier assureur ne lui paraît pas très-douteuse.
En France, ce premier cas de concours d'assureurs n'est pas toujours réglé par les polices d'assurances et, en l'absence de loi, il est intervenu des décisions judiciaires assez diverses. On y donne le nom de reprise d'assurance à l'assurance qui a ainsi pour but d'en garantir une autre. Le second assureur peut, en cas de sinistre, prendre la place du premier, payer l'indemnité et exercer, par subrogation conventionnelle, tous les droits de l'assuré contre les tiers responsables du sinistre, s'il y a lieu. Mais comme la première assurance, même faite par un assureur solvable, pourrait ne pas couvrir la valeur entière de la chose, la seconde assurance si elle excède la première, vaudra pour le complément de cette valeur, comme vaudrait une assurance unique.
II° Cas. Lorsque les assurances ont la même date, il n'y a pas de raison de considérer l'une comme étant la garantie de l'autre. Elles produiront donc toutes deux le même effet, comme nature d'obligation, c'est-àdire que chaque assureur participera définitivement au payement de l'indemnité; il n'y aura de différence que pour le montant de leur obligation: il est possible que l'un ait assuré pour une fraction de la valeur plus forte que l'autre, dès lors chacun contribuera au payement de l'indemnité totale, proportionnellement à la valeur pour laquelle il a assuré la chose. Ainsi, une maison qui vaut 10,000 yens (itchiman yens) a été assurée par A pour 6,000 et par B pour 4,000: au cas d'incendie de toute la maison, chacun payera ce qu'il a promis et le total fera l'indemnité de 10,000 yens; mais si la chose ne périt qu'en partie, A payera 6/10es de la perte et B 4/10es, parce que c'est la proportion dans laquelle ils ont contribué à l'assurance totale.
Si enfin chacun avait assuré pour le tout, c'est-à-dire également, ce qui ferait le double de la valeur réelle, chacun, en cas de perte totale, donnerait 5/10es ou la moitié des 10,000 ?ens et, en cas de perte partielle, 5/10es de cette perte dûment éraluée.
Le présent article ne s'applique, comme le texte a soin de l'exprimer, que si la double assurance concerne le même risque; si donc il y avait divers assureurs pour des risques différents, chaque assurance produirait son effet indépendant, s'il y avait lieu.
Art. 847. — 581. On donne en France le nom de réassurance à une nouvelle assurance faite, non par l'assuré, mais par le premier assureur, et qui a pour objet de garantir non plus l'assuré contre le sinistre ou contre l'insolvabilité du premier assureur, mais de garantir celui-ci contre les conséquences du risque qu'il a assuré.
Ainsi un premier assureur a assuré une maison pour 10,000 yens, mais il ne voudrait pas conserver à sa charge un risque si lourd, alors il peut traiter avec un nouvel assureur et lui transférer une partie du risque ou même le risque tout entier, moyennant une prime distincte de la précédente. En cas de sinistre, il payera l'indemnité à son assuré et il se fera rembourser à luimême celle qu'il a stipulée du réassureur.
La loi a soin de déclarer que les deux assurances sont indépendantes dans leurs conditions: par exemple, pour les primes qui peuvent être différentes. Il n'y a non plus à faire aucune déclaration à l'assuré ni par lui; mais l'indemnité stipulée du second assureur par le premier ne peut excéder celle qu'il a promise luimême, parce qu'il n'a intérêt que dans cette limite. Au contraire, elle pourrait être moindre.
Art. 848. — 585. En principe, l'assureur répond, dans les limites de l'indemnité convenue, des dommages causés par le genre de sinistre dont il s'est chargé, quelle qu'en soit la cause déterminante: il ne paraît pas nécessaire de l'exprimer dans la loi. Au contraire, il faut énoncer les cas exceptionnels dans lesquels l'indemnité n'est pas due.
Eu France, il y a une grande incertitude sur le point de savoir si l'assureur doit l'indemnité de l'incendie causé par l'imprudence de l'assuré ou des personnes dont celui-ci est responsable.
Quand on considère le but ordinaire de l'assurance contre l'incendie, on doit reconnaître que l'assuré désire se mettre à l'abri des pertes auxquelles il est exposé continuellement, autant par sa propre imprudence et celle de ses serviteurs que par les causes purement fortuites ou de force majeure. Si l'ou admettait comme règle que l'assureur ne répondît pas des fautes de l'assuré ou des fautes des serviteurs de celui-ci, il ne resterait guère, pour sa responsabilité, que le feu du ciel et la communication du feu par une maison voisine. Dans les autres cas, chaque incendie donnerait lieu à un procès sur la faute qu'aurait pu commettre l'assuré, son serviteur, ou un parent habitant avec lui. Un tel système discréditerait complètement les assurances et en empêcherait le développement au Japon.
En présence de cette difficulté, il semble que le plus sage est d'admettre que la faute lourde de l'assuré soit la seule qui doive décharger l'assureur de toute responsabilité, et cela est conforme à une théorie générale et ancienne d'après laquelle “la faute lourde est assimilée au dol.”
586. Mais, comme il serait dangereux d'adopter une formule aussi dogmatique et de laisser les tribunaux sans guide pour déterminer où finit la faute légère et où commence la faute lourde, la loi indique trois classes d'actes et d'omissions dans lesquels, à ses yeux, la faute de l'assuré est assez grave, assez lourde, pour le faire déchoir de tout droit à l'indemnité.
En premier lieu sont les faits ou les négligences de l'assaré auxquelles la convention a attaché la décharge de l'assureur, en cas de sinistre: la loi consacre ainsi la pleine liberté des parties en cette matière. Par exemple, dans une police d'assurance contre l'incendie, on aurait excepté le feu provenant de l'usage domestique des huiles minérales, même raffinées, ou de l'emploi de pièces d'artifice.
587. En second lien viennent les violations de prohibitions ou prescriptions de la loi commune ou des règlements de police.
En France, où il n'y a pas de loi sur les assurances terrestres, on ne trouve pas de véritables exclusions légales de la responsabilité de l'assureur, ou, au moins, elles ne sont pas directes, elles ne peuvent que se déduire des principes généraux du droit et des lois de sûreté: on y supplée par les prévisions des polices d'assurance.
En insérant ici, dans la loi elle-même, les causes d'exclusion les plus naturelles et les plus légitimes, on prépare plus d'uniformité dans les assurances et on les encourage, en donnant à l'assureur des immunités qu'il n'aura pas besoin de stipuler.
Certains actes sont défendus à toutes personnes par les lois et les règlements de police, comme pouvant facilement causer des incendies: il est clair qu'ils sont encore moins perinis à l'assuré, s'il est possible, et que le seul fait de les aroir accomplis lui enlève tout droit à être indemnisé de l'incendie qui a pu en résulter.
Ainsi, pour prendre un exemple de règlement japonais récent, l'assuré a usé d'huile minérale non raf. finée et la chute même fortuite d'une lampe a causé un incendie; ou bien l'assuré, étant marchand de cette substance, en a eu en magasin une quantité supérienre à celle que les règlements de sa profession autorisent à posséder, et l'incendie n'a pu être combattu avec suc cès, tandis qu'avec une moindre quantité de matière inflammable, il aurait pu être arrêté.
D'autres actes, moins dangereux, sans être prohibés, sont subordonnés par les règlements de police à des limites, à des conditions particulières ou à des mesures de précaution qui doivent en diminuer ou en supprimer le danger; tel est l'emploi des machines à feu ou à vapeur, du gaz, du goudron, etc.: l'inobservation de ces prescriptions pour l'assuré sera évidemment une faute lourde qui le privera de tout droit à une indemnité, au cas où un sinistre en proviendrait.
Cette violation des prohibitions et restrictions, tant légales que conventionnelles, est prévue par le 1er alinéa de notre article.
588. Le 2° alinéa prévoit la troisième catégorie de fautes lourdes de l'assuré dont il résultera pour l'assureur une décharge de toute responsabilité; elle ne peut présenter la même précision, parce qu'il ne s'agit plus d'actes prohibés ou limnités par la convention ou par la loi; il faut donc nécessairement laisser beaucoup au pouvoir des tribunaux. Le texte leur indique toutefois deux éléments d'appréciation dont ils ne devront pas s'écarter: “la nature des actes et les circonstances du fait,” lesquelles, soit réunies, soit séparées, créent un danger manifeste du sinistre, objet de l'assurance.
Ainsi, un assuré contre l'incendie a fait tirer un feu d'artifice dans sa propriété, alors que des amas de paille ou de foin s'y trouvaient à découvert et à proximité des bâtiments assurés, et les fusées étant retombées enflammées ou ayant dévié, comme il arrive souvent, ont mis le fen aux pailles ou foins et, à la faveur du vent, l'incendie a dévoré tout ou partie des bâtiments. Ainsi encore, il a fait allumer, pour une fête, des lanternes attachées à des bâtiments en bois, alors qu'il y avait un grand vent, ou si (toujours par un grand vent, circonstance de fait constituant l'imprudence) il a fait brûler, à proximité de ses bâtiments, des pailles hors d'usage, des herbes sèches, des broussailles, soit sur pied, soit coupées. Tel est encore le fait, si fréquent au Japon, d'ouvriers allumant du feu, pour se chauffer ou pour cuire leurs aliments, hors des foyers ordinaires, au milieu d'ateliers où le bois est travaillé et daus l'état le plus favorable à la combustion.
Dans ces divers cas, étant donnée la nature de l'acte qui est l'emploi du feu, et cela sans nécessité absolue, le danger est venu surtout des circonstances du fait qui commandaient de s'abstenir. Il y a donc faute lourde imputable à l'assuré, à ses serviteurs ou aux antres personnes sur lesquelles il a une autorité suffisante pour s'opposer à leurs actes imprudents.
Observons, en terminant cet exposé des cas de faute lourde de l'assuré, que, pour rester dans l'esprit de notre article, il faut supposer que l'inobservation de ces prohibitions, prescriptions ou précautions a été, sinon volontaire de la part de l'assuré, au moins libre et à lui imputable; si donc elle résultait d'une force majeure ou d'un cas purement fortuit, il n'y aurait plus lieu do le priver du bénéfice de l'assurance. Quant à la responsabilité des maîtres, patrons et commettants à l'égard des faits et négligences de leurs serviteurs, ouvriers ou préposés, elle reste soumise aux conditions et distinctions générales de la matière (v. art. 391 s.).
589. La tâche des tribunaux pourra cependant être encore difficile: il y aura de fréquentes contestations sur la réalité des faits allégués de part et d'autre, et l'incendie aura même, le plus souvent, fait disparaître les éléments matériels de la preuve de ce qui l'a causé.
C'est l'occasion de dire à qui incombe la charge des diverses preuves à fournir en cette matière.
Est-ce à l'assureur à prouver que l'assuré était en faute ? Est-ce à l'assuré à prouver qu'il s'était conformé à la convention et à la loi ?
La règle générale est que la preuve incombe au demandeur; or, ici, la demandeur est l'assuré réclamant l'indemnité; il devrait donc prouver qu'il n'est pas en faute ou que la cause d'incendie est purement fortuito ou majeure.
Mais c'est aussi un principe que “la faute ne se présume pas”; ce n'est que dans les rapports d'un locataire avec le bailleur ou d'un usufruitier avec le nupropriétaire que l'incendie est réputé provenir de la faute de l'habitant, sauf preuve contraire (voy. art. 88 et 152). Ce serait donc à l'assureur à prouver la faute de l'assuré.
590. Voici donc comment on fera la part de deux principes qui, au premier abord, semblent s'exclure l'un l'autre: l'assuré, comme demandeur, prouvera: 1° qu'il y a eu incendie de tout ou partie des objets en question; 2° que ces objets lui appartenaient ou qu'il avait intérêt à leur conservation; 3° qu'il avait contracté une assurance avec le défendeur, au sujet desdits objets; le défendeur, à son tour, ou combattra une ou plusieurs de ces preuves, ou prouvera que l'incendie provient d'une faute lourde de l'assuré, ou même que, la cause étant purement fortuite, il a commis une faute lourde en n'employant pas pour l'éteindre les moyens qui étaient à sa disposition.
Cette combinaison de deux principes, en apparence opposés, n'est pas rare en matière de preuve; on aura occasion d'y revenir et d'y insister au Livre V.
Appliquons-la ici à nos trois hypothèses de responsabilité possible de l'assuré: 1° à la violation de la prohibition absolue de certains actes, soit d'après la loi ou les règlements de police, soit d'après la convention; 2° à l'inobservation des conditions, limites ou précautions imposées à certains actes; 3° à l'imprudence grave résultant de la nature de l'acte, accompli dans des circonstances qui créaient un danger manifeste d'incendie.
Au premier cas, lorsqu'il s'agit de savoir si l'assuré a fait un acte tout-à-fait défendu par la convention on par la loi, la présomption qu'il ne l'a pas fait, c'està-dire qu'il n'est pas en faute, est certainement applicable; mais aussi la preuve contraire sera plus facile pour l'assureur. Ainsi, l'assuré ne devait pas avoir, eu égard à l'emplacement de ses bâtiments, des couvertures en paille ou en bois; on présumera qu'il les avait en tuile ou en métal, conformément au règlement de police; mais comme le fait est facilement connu des voisins, la preuve contraire, s'il y a lieu, c'est-à-dire s'il avait une toiture défendue, sera facile à fournir.
Il est inutile de multiplier les exemples.
Au second cas, lorsqu'il a causé l'incendie par le pétrole, on doit présumer qu'il a usé du pétrole épuré, conformément au règlement; mais s'il peut prouver qu'il l'a acheté d'un marchand, il ne devra pas négliger de fournir cette preuve qni mettra généralement sa responsabilité à couvert; de même, si c'est un chef d'usine ou de maison de bains, il fera bien do faire entendre comme témoins les voisins ou les inspecteurs de ces établissements pour attester que son foyer était dans l'état règlementaire. Mais la preuve contraire reste possible.
Enfin, au troisième cas, il est clair que l'on ne peut présumer que les circonstances de fait étaient défavorables à l'usage du fen; mais comme, le plus souvent, il s'agira de fuits accomplis au dehors, l'imprulenco avec laquelle ils ont pu être accomplis aura eu des témoins que l'assureur cherchera et qu'il fera entendre.
En somme, comme il arrive souvent, chaque partie devra s'efforcer, dans son intérêt, de fournir au juge du fait tous les renseignements dont elle dispose, et l'assuré serait imprudent si, se reposant absolument sur ce que la présomption a de favorable à son égard, il négligeait de la fortifier par toutes les preuves qui peuvent la confirmer.
590 bis. On aurait pu hésiter sur le point de savoir si les diverses exclusions de responsabilité de l'assureur n'avaient lieu que dans le silence du contrat et si elles pouvaient disparaître par une clause expresse garantissant à l'assuré l'immunité de sa faute lourde.
Le principe de la liberté des conventions devait-il ici recevoir son application ? On ne l'a pas pensé et l'on a introduit une mention expresse de l'inefficacité d'une clause qui tendrait à soumettre l'assureur à la responsabilité de toutes les fautes de l'assuré, y compris les fautes graves prévues par notre article 818. Il est, en effet, contraire à l'ordre public que quelqu'un s'assure l'impunité, même au point de vue civil, à l'égard de la violation de la loi et des règlements. Ceci s'applique déjà aux fautes prévues par le 1er alinéa.
Quant aux fautes graves objet du 29 alinéa, si l'assuré pourait en faire supporter les conséquences à l'assureur, il ne serait plus retenu contre les imprudences les plus grossières et le dommage n'atteindrait pas toujours l'assureur seul, mais il pourrait s'étendre à beaucoup de propriétaires voisins non assurés; enfin, ce serait un moyen facile de couvrir de l'impunité, au moins civile, des incendies volontaires dissimulés sous l'apparence d'une imprudence.
Nous avons pourtant annoncé sous l'article 838 que le locataire peut valablement s'assurer contre le recours du propriétaire, lequel est fondé sur une présomption de faute, et contre celui des voisins fondé sur une preuve directe de faute; mais il faut évidem ment supposer, dans les deux cas, que la faute n'est pas de la nature déterminée par nos deux alinéas.
Art. 849. — 591. En France, à défaut de loi sur les assurances contre l'incendie, les assureurs ne négli. gent pas d'exclure de leur responsabilité les incendies provenant des causes énumérées dans le présent article et même ils excluent des causes plus nombreuses encore. Ici, du moment qu'une loi intervient sur cette matière, elle doit être, comme en toute autre matière, prévoyante et sage pour les parties ivexpérimentées on imprudentes; mais il convient qu'elle laisse aussi une part à leur initiative.
Il est inutile de reprendre chacune des causes ici exclues de la responsabilité de l'assuré: on peut dire que, présentant toutes un caractère extraordinaire et exceptionnel, elles ont été considérées comme improbables dans les prévisions des parties et qu'autrement la prime ou la cotisation aurait été stipulée plus forte.
Remarquons seulement que la loi n'excepte pas de la responsabilité de l'assureur les incendies provenant des typhons, ce que font, au contraire, dans ce pays, les polices d'assurances étrangères: le motif de cette omission dans notre article est qu'il y aurait de sérieuses difficultés à résoudre daus chaque cas particulier: il faudrait décider d'abord si le vent avait le caractère d'un typhon on seulement d'une tempête, ensuite, si l'incendie avait été causé directement par le typhon (ce qui ne se conçoit guère que par le renversement d'une construction dont le foyer enflammerait les décombres) ou bien si l'incendie des bâtiments assurés est résulté seulement d'une communication à distance d'un autre incendie, ou même si l'incendie, déjà déclaré au moment de la naissance du typhon, a seulement été, par là, activé et rendu inextinguible. Il sera déjà fâcheux que ces difficultés soient à résoudre au cas d'exclusion expresse de cette cause de responsabilité dans la police d'assurance.
592. Nous relèverons spécialement la dernière cause, la combustion spontanée des foins et récoltes, et nous signalerons un double motif de cette exclusion: d'abord, le phénomène de la combustion spontanée par l'effet de la fermentation des végétaux n'est pas aussi fréquent au Japon qu'ailleurs, parce qu'on y emmagasine moins les récoltes dans des bâtiments clos; il convient donc que l'attention de l'assuré soit attirée sur ce point par la loi et par la mention qui sera exigée plus loin de ce texte dans les contrats d'assurance faits par les compagnies; ensuite, la loi déjoue par là une fraude odieuse qui serait facile à commettre et qui échapperait aussi facilement à la découverte: un cultivateur malhonnête qui, malgré les précautious de la loi, aurait intérêt à l'incendie d'un bâtiment assuré, pourrait y accumuler des récoltes ou foins dont la dessication ne serait pas achevée, et attribuer l'incendie à cette prétendue cause fortuite.
Ce cas, à la rigueur, pourrait rentrer dans le 22 alinéa de l'article précédent, mais il serait subordonné à des “circonstances de fait” toujours discutables. Ici, on peut dire que l'on n'aura pas à rechercher si l'engrangement a été ou non prématuré: le fait que la combustion aura été spontanée sera seul discutable; une fois que ce point sera suffisamment établi, la faute d'un engrangement prématuré sera elle-même établie.
Relevons, en terminant, une différence notable entre cette dernière cause d'incendie et les autres événements prévus par le 1er alinéa: tandis que l'assuré peut stipuler que l'indemnité s'étendra même aux incendies provenant de la guerre ou des séditions, des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques, il n'est pas admis à la même stipulation pour la combustion spontanée, toujours parce qu'il s'agit là, comme dans les cas de l'article précédent, d'une faute lourde qui pourrait même dégénérer en dol.
Ajoutons enfin que cette disposition rigoureuse pour l'assuré ne s'appliquerait pas au cas plus rare et d'ailleurs moins certain de combustion spontanée de menus ou résidus du criblage de charbon de terre se trouvant en amas et mouillés.
Art. 850. — 593. Bien que l'assurance contre l'incendie n'ait, en priucipe, pour objet que d'indemniser des dommages causés par le feu aux objets incendiés, il est juste que si d'autres dommages ont été la conséquence inévitable du feu, l'assureur en réponde. Ainsi, on ne doutera pas que si des meubles assurés ont été soustraits au feu, mais cassés ou détériorés par le sauvetage, l'assureur n'en doive la valeur.
La loi tranche dans le même sens une question qui fait quelque doute en France au sujet des bâtiments démolis pour arrêter la marche du feu. On a adopté ici une solution équitable et prudente: elle est équitable, en ce que l'on ne recherchera pas si, en fait, l'incendie s'est arrêté avant d'atteindre la place des bâtiments démolis, ce qui ne pouvait être prévu avec assez de fondement: il suffit que la démolition ait paru nécessaire; elle est prudente, en ce que ce n'est que l'autorité locale ou les chefs du sauvetage (généralement, le chef des pompiers) qui peuvent valablement ordommer cette démolition: autrement, on aurait à craindre que l'assuré, préférant l'indemnité à sa maison, ne la fît démolir sans nécessité, sous prétexte de couper la communication du feu.
Bien entendu, il n'y aura pas de difficulté si la maison, ayant été démolie même saus ordre régulier, s'est trouvée dépassée par le feu et incendiée dans ses décombres: il est évident que, dans ce cas, elle aurait aussi bien été incendiée, étant restée debout, et que l'indemnité est due.
Art. 851. — 594. Cet article et les quatre suivants sont relatifs aux obligations de l'assuré et s'ajoutent à celle dont il a été déjà traité au sujet des déclarations à faire en cas d'assurances multiples.
Lorsque quelqu'un demande à se faire assurer contre un risque déterminé, il est naturel qu'il fournisse à l'assureur tous les renseignements qui peuvent lui faire connaître l'étendue de la responsabilité à laquelle il sera soumis, "l'étendue du risque," comme dit le texte, pour consacrer une expression reçue dans l'usage.
Ainsi, s'agit-il d'une assurance de récoltes contre les débordements d'un fleuve voisin, l'assuré doit déclarer à quel genre de culture il compte se livrer pendant l'assurance et aussi quelle est l'étendue de ses terres riveraines. Quant à la cause possible du sinistre prévu, pluie ou fonte des neiges, comme elle est toutà-fait naturelle, l'assuré n'a rien à déclarer à ce sujet; il suffit que l'emplacement du champ soit exactement déterminé: c'est à l'assureur à faire visiter les lieux.
L'assurance de bâtiments contre l'incendio est, ici encore, la plus intéressante, comme la plus ordinaire et la plus grave, dans les obligations respectives qu'elle engendre. L'assuré devra désigner, non seulement la nature des objets qu'il demande à faire assurer et leur situation, mais encore les causes possibles d'incendio dépendant soit de sa profession ou de celles des voisins, soit du nombre et de la nature de ses foyers, de ses moyens d'éclairage, etc. En fait, l'assuré ne courra pas le danger de commettre des omissions graves à ce sujet, parce que l'assureur le questionnera sur les points principaux qui l'intéressent et lui demandera d'y répondre par écrit; ensuite, l'assureur vérifiera ou fera vérifier par ses agents, la disposition des lieux et les conditions dans lesquelles s'exerce la profession de l'assuré ou de ses voisins.
595. La loi suppose cependant que l'assuré a commis quelque réticence ou inexactitude et elle en indique la sanction. Elle ne prononce pas la nullité du contrat pour toute réticence ou fausse déclaration, comme le fait le Code de commerce français, au sujet des assurances maritimes (art. 348): il y a là une sévérité exagérée; pour que la nullité de l'assurance fût légitime, il faudrait que l'omission ou l'inexactitude fût commise de mauvaise foi et encore qu'elle eût une certaine gravité, une gravité telle que l'assureur n'aurait pas traité s'il avait connu la vérité; il faudrait aussi, pour une sanction si rigoureuse, que l'assureur n'eût pas eu toutes facilités de découvrer la vérité. La nullité ne pouvant être prononcée d'une manière absolue, et les circonstances étant trop variées pour que la loi puisse les prévoir et les classer, il est naturel de laisser aux tribunaux le soiu de prononcer,s'il y aura nullité ou seulement augmentation des primes ou réduction de l'indemnité, en cas de sinistre.
Une dernière raison de ne pas prononcer la nullité absolument, c'est que souvent les omissions ou inexactitudes de l'assuré, volontaires ou involontaires, auront été reconnues par l'assureur, et s'il a néanmoins consenti à recevoir les primes, avec ou sans augmentation, ou s'il a fait modifier le montant éventuel de l'indemnité, il est évident que la nullité serait couverte.
596. Pour résoudre ces difficultés, le texte fait d'assez nombreuses distinctions sur lesquelles il convient de s'arrêter un peu.
1° Si l'inexactitude des déclarations est découverte avant le sinistre, les choses doivent se régler comme si l'on était encore au moment de contracter: l'assureur peut refuser de maintenir l'assurance, ou il peut exiger des primes plus fortes. On pourrait s'étonner, lorsqu'il demande et obtient la nullité, qu'il ne restitue pas les primes reçues; mais c'est une peine naturelle de la faute de l'assuré; d'ailleurs, les abus sont peu à craindre, puisque c'est le tribunal qui décidera si l'inexactitude est assez grave pour motiver la nullité, et, s'il n'y a pas en mauvaise foi de l'assuré, sa faute pourra souvent être considérée comme atténuée par la négligence de l'assureur à vérifier ses déclarations.
Si l'assureur ne demande ou n'obtient qu'une élévation de la prime, elle s'appliquera aussi bien aux années échues qu'aux années futures, parce que l'assureur a couru un risque plus grand qu'il ne le croyait et ne le voulait, et parce qu'il aurait pu en subir les conséquences sans le découvrir. Cette raison s'applique même au cas précédent, et complète les motifs de ne pas rendre les primes reçues, même au cas de nullité demandée et obtenue.
2° Supposons maintenant que l'inexactitude des déclarations n'ait été découverte qu'après le sinistre; une sous-distinction est nécessaire: ou les causes de perte ignorées ont contribué à entraîner ou à aggraver la perte, ou elles ont été sans influence sur elle. Au premier cas, l'indemnité sera refusée en entier, ou seulement réduite, suivant la gravité du fait; au second cas, l'indemnité sera due en entier comme telle; mais puisqu'il y a eu augmentation de risque et que l'assuré aurait dû payer une prime plus élevée, la différence de ce qu'il devait avec ce qu'il a payé sera déduite de l'indemnité à recevoir.
Comme exemple unique, pouvant s'appliquer à nos diverses hypothèses, nous citerons le cas où l'assuré n'avait pas déclaré des poiles mobiles, à tuyaux de tòle, lesquels présentent toujours plus de danger d'incendie que les cheminées fixes, en brique ou pierre; du reste, l'incendie avait eu une toute autre cause. Assurément, cette augmentation de risque n'eût pas été un obstacle absolu à l'assurance, mais senlement une cause d'augmentation de la prime: il n'y aurait donc pas lieu à nullité, au cas de découverte avant le sinistre, ni à refus de toute indemnité, au cas de dėcouverte après le sinistre, étant donné que le feu est provenu d'une autre cause. Mais si le sinistre avait été causé par ce foyer dangereux et non déclaré, l'assuré ne recevrait aucune indemnité.
Art. 852. — 597. L'assurance ayant été faite en vue d'une situation déterminée et de risques prévus dans leur nature et leur étendue, il ne peut être permis à l'assuré de changer ces risques dans un sens qui les aggrave.
Les changements qui pourraient être apportés aux risques sont trop nombreux pour que la loi puisse songer à les prévoir tous, ou même à les caractériser; elle n'en signale qu'un, parce qu'il est d'une nature spéciale. Lorsque des meubles ont été assurés, la convention a énoncé leur emplacement; que le bâtiment où ils se trouvaient au moment de la convention fût lui-même assuré ou non, cet emplacement présentait certains risques acceptés par l'assureur. Ou conçoit que si les meubles sont déplacés, transportés dans un autre corps de bâtiment, peut-être même dans un lieu éloigné, les risques sont changés. Ils ne sont peutêtre pas augmentés, mais ils sont autres et il n'appartient pas à l'assuré d'apprécier s'ils sont plus ou moins considérables que les précédents. Il doit donc se faire autoriser au déplacement, et si le sinistre arrive après le déplacement et avant qu'il ait obtenu l'autorisation, il perd tout droit à l'indemnité, quelle que soit la cause de l'incendie; ainsi, les meubles ont été portés dans une maison qui a été incendiée par un coup de fondre; assurément, rien n'est plus fortuit, et cependant, si la maison où les meubles étaient précédemment n'a pas été incendiée par la même cause, l'assureur sera admis à refuser l'indemnité, car les risques ont été changés sans sou consentement.
Bien que la loi, pour rester dans la vraisemblance, suppose les changements ou déplacements du risque provenus du fait de l'assuré, il ne faut pas hésiter à donner la même solution si le changement provenait d'un cas fortuit ou du fait d'un tiers sur lequel l'assuré n'avait pas autorité. Ainsi des chevaux ou des bestiaux assurés se seraient échappés et auraient été brûlés hors des lieux où ils devaient être, ou bien les objets assurés auraient été volés et auraient brûlé chez le voleur: ce n'est pas l'assureur qui aurait à souffrir de cette perte fortuite, quoiqu'elle provînt du feu, car il ne s'est pas constitué gardien des objets assurés.
598. Il reste à dire à qui incombe la preuve, au cas de sinistre, lorsqu'il y a doute sur le point de savoir s'il y a eu ou non changement dans les conditions du risque.
Il est paturel de présumer que ces changements, étant illégitimes ou accidentels, n'ont pas eu lieu: on ne peut présumer une faute de l'assuré, pas plus qu'un cas fortuit. Ce sera donc à l'assureur à fournir la preuve, par témoins ou par les circonstances du fait, que les risques ont été changés: ainsi, on aurait trouvé dans les décombres d'un magasin coustruit en bois des restes de marchandises qui, au moment de l'assurance, étaient placés dans un magasin construit en brique ou en pierre; ou bien, il y aurait des indices certains de la présence d'huiles minérales dans les locaux incendiés, alors que l'assuré s'en était interdit l'usage dans sa police. Dans ces cas, l'assureur serait déchargé de l'indemnité, en tout ou en partie.
Art. 853. — 599. L'obligation principale de l'as suré est de payer la prime ou la cotisation convenie. La loi n'a pas eu besoin d'énoncer directement cette obligation, comme allant de soi; mais elle devait prévoir le défaut de payement à l'échéance.
Il est très-important de savoir à quel moment l'assuré qui serait en faute à cet égard encourt la déchéance du droit à l'indemnité, pour le cas où le sinistre aurait lieu dans le temps qui suit l'échéance.
La loi distingue, à cet égard, entre l'assurance à prime et l'assurance mutuelle. Pour cette dernière, la loi s'en réfère aux statuts de la société qui seront, en général, non seulement équitables mais très-modérés dans leurs sévérités.
Pour les assurances à prime, la loi sous-distingue en quel lieu la prime est payable: ce peut être au domicile de l'assuré, ce pent être en un autre lieu.
Si la prime est payable au domicile de l'assuré, elle est dite quérable (de quérir, “ demander”), parce que l'assuré peut ne la payer que si on vient la quérir, la demander; si elle est payable ailleurs, elle est dite portable, parce qu'il faut évidemment que l'assuré se déplace ou qu'il envoie quelqu'un pour la pager.
600. Cette distinction influe considérablement sur la déchéance de l'assuré qui serait en retard.
Dans le cas où la prime est quérable, il ne peut être déchu que si l'assureur lui a fait présenter la quittance à l'échéance, ou après, et n'a pas obtenu le payement. Or, cette présentation à l'échéance et ce défaut de payement ne peuvent être constatés que par une mise en demeure régulière ou “en bonne forme,” comme dit la loi. On suivra, à cet égard, la forme ordinaire des mises en demeure. En France, ce serait un acte d'huissier. Au Japon, ce sera un acte d'un agent du greffe, comme pour les autres obligations civiles; on pourra aussi, pour éviter les frais, faire reconnaître à l'assuré la mise en demeure et lui faire accepter sa déchéance; enfin la police d'assurance pourra porter la déchéance de plein droit, pour la seule échéance du terme; ce ne serait pas un cas où les tribunaux pussent accorder un délai de grâce.
Quand la prime est portable, soit au domicile de l'assureur, soit à une caisse publique ou privée, l'assuré est évidemment en faute s'il n'a pas tiré une quittance à l'échéance; il n'est pas besoin d'une mise en demeure. La loi, il est vrai, se montre, à cet égard, plus sévère pour lui que pour un débiteur ordinaire; mais il y a une raison particulière de cette sérérité: il ne faut pas que les risques continuent à peser sur l'assureur, alors que l'assuré ne remplit pas ses obligations; il n'y aurait pas égalité entre les parties si le retard de l'assuré n'était puni que du payement des intérêts moratoires, pendant que l'assureur court de risque de payer l'indemnité en cas de sinistre.
601. Du reste, cette rigueur comporte deux tempéraments: 1° elle peut être adoucie par la police d'assurance, laquelle peut accorder un délai; mais ce délai lui-même emportera déchéance; 2° la réception tardive mais volontaire de la prime par l'assureur relève l'assuré de la déchéance, et c'est ce qui arrivera souvent, s'il n'est pas survenu de sinistre dans l'intervalle, car lorsqu'il n'y a pas eu de sinistre, l'assureur n'a pas intérêt à se prévaloir de la déchéance.
La loi ne dit pas que cette déchéance ne puisse pas être invoquée par l'assuré, cela ra sans dire: elle est une peine du retard de l'assuré, elle ne peut être pour lui un moyen de s'affranchir d'une convention qui lui paraîtrait trop onéreuse.
Au contraire, la loi croit devoir énoncer le droit pour l'assuré, même quand la prime est quérable chez lui, de la porter chez l'assureur: il peut avoir un intérêt légitime à le faire et l'assureur n'en a pas à le refuser. Supposons que l'assuré soit sur le point de faire uu voyage qui doive se prolonger au-delà de l'échéance; il peut n'avoir chez lui personne d'assez exact ou d'assez sûr à qui confier le payement de la prime au moment où l'on se présentera pour la recevoir, et il craint d'encourir la déchéance: en payant au domicile de l'assureur ou du tiers désigné pour recevcir le payement, il se met à l'abri de cette déchéance.
Le dernier alinéa est relatif aux assurances mutuelles: la loi s'en remet aux statuts pour déterminer la déchéance; s'ils ne s'en expliquaient pas, on rentrerait dans le droit commun: la déchéance serait prononcée par voie de résolution pour inexécution des obligations de l'assuré.
Art. 854. — 602. Les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Ce principe de droit naturel, que l'article 350 a consacré, reçoit ici une application spéciale: l'assuré manquerait à la bonne foi, si, en présence d'un incendie commencé, se reposant sur l'assiirance, il ne faisait aucun effort pour en arrêter les développements ou pour y sonstraire les objets assurés. Ce qu'il ne peut faire par lui-même, il doit le faire faire par autrui; à plus forte raison, ne doit-il pas s'opposer aux travaux de sauvetage des pompiers et agents de l'autorité ou unême des autres personnes de bonne volonté. Il sera d'ailleurs remboursé des dépenses qu'il aura supportées à cet égard: ce sera que des obligations de l'assureur (v. ci-après, art. 856 et 859).
D'un autre côté, il ne faudrait pas toujours imputer à faute à l'assuré d'avoir défendu à la foule l'accès des lieux assurés, parce qu'il est notoire que souvent la grande agglomératiou de personnes est un obstacle an sauvetage et peut souvent même favoriser les vols et les détournements,
Ce sera un point laissé, comme tant d'autres en cette matière, à l'appréciation des tribunaux.
Art. 855. — 603. L'assuré serait suspect d'avoir causé ou favorisé l'incendie, s'il manquait à le déclarer, "aussitôt qu'il en a la faculté,” à l'assureur ou à l'antorité locale, suivant une distinction que fait la loi.
Ce n'est pas seulement le fait de l'incendie qu'il devra déclarer à l'autorité locale (son vent le fait est notoire) mais aussi ses causes probables et ses effets en ce qui le concerne.
Les tribunaux, en cas do retard, apprécieront si l'assuré en est excusable: il le serait, s'il avait été blessé, ou s'il était malade par suite du sinistre ou par autre cause.
Art. 856. — 504. La loi arrive aux obligations de l'assureur.
En réalité, on peut dire que ces obligations se résument en une seule qui est d'indemniser l'assuré du dommage qu'il éprouve du sinistre prévu.
L'objet des articles qui vont nous occuper est de déterminer l'étendue de cette obligation et les distinctions qu'elle comporte.
La première distinction est relative à l'évaluation anticipée qui a pu être faite, ou non, des dommages éventuels.
On suppose, dans ce premier article, qu'elle n'a pas été faite. Ce sera rare d'ailleurs.
D'abord, dans les assurances mutuelles, on ne pourra pas avoir omis d'évaluer les biens assurés, parce que cette évaluation a une double utilité: non seulement, elle pourra servir au règlement de l'indemnité, comme dans l'assurance à prime, mais encore elle servira nécessairement de base à la contribution de chaque membre de l'association pour le payement des indemnités mutuelles.
Dans les assurances à prime, l'évaluation ne sera guère omise, parce qu'elle sert de base à la prime annuelle à payer, laquelle est, en général, proportionnelle (tant pour %) au montant de la somme assurée; en outre, l'indemnité, comme on le verra bientôt, ne peut excéder le montant de ladite somme.
605. La loi doit cependant prévoir le cas où cette évaluation n'aurait pas été faite. Dans ce cas, il n'est pas sans difficulté de déterminer jusqu'où doit s'étendre pour l'assureur l'obligation d'indemniser l'assuré.
Et d'abord, s'il s'agit d'une assurance de récolte contre la grêle ou la gelée, l'assureur, au cas de perte totale ou partielle de ladite récolte par le sinistre prévu, doit la valeur de ce qui a péri: c'est là un dommage immédiat et direct résultant du sinistre. La récolte n'était peut-être pas encore près d'être recueillie; dans son état actuel, elle n'avait peut-être pas encore une valeur vénale bien considérable; mais, par cela même qu'elle était assurée, elle était plutôt une valeur sûre et à terme qu'une valeur éventuelle et conditionnelle. L'assureur devra donc la valeur de ce qui a péri, en supposant que la récolte serait venue à maturité sans accident. On tiendra compte cependant, à la décharge de l'assureur, des causes de pertes ou dépréciations qui seront prouvées plus tard avoir dû atteindre la récolte et qui ne se trouvaient pas comprises dans l'assurance, comme une sècheresse considérable, une invasion de sauterelles, une inondation: ces accidents étant survenus dans la contrée et ayant atteint les autres propriétés, il est vaturel de croire que la récolte assurée contre la grêle ou la gelée n'en aurait pas été exempte plus que les autres.
On ne tiendrait pas compte à l'assuré de ses frais de culture: ils sont compris dans la valeur donnée à la récolte.
606. Mais si la perte de la récolte a empêché l'assuré de remplir des obligations spéciales qui dépendaient du plein succès de celle-ci, comme des fournitures à des marchands, fournitures sur lesquelles il aurait fait des bénéfices appréciables ou faute d'effectuer lesquelles il devra des dommages-intérêts, l'assureur ne sera pas tenu à cet égard, parce que ce ne seraient pas des suites immédiates et directes du sinistre, et même, dans la première hypothèse, celle de bénéfices manqués, il y aurait encore cette raisou plus simple que l'assurance ne garantit que contre les pertes réelles et non contre la privation de profits (v. art. 811).
607. Il y a plus de difficulté dans l'assurance contre l'incendie.
L'assureur devra évidemment la valeur des objets détruits en entier par l'incendie; si la destruction n'est que partielle, il devra l'indemnité du dommage effectif; sauf le cas, dont il sera parlé plus loin, où il devra prendre l'objet détérioré et en payer la valeur entière.
La loi a soin de limiter la responsabilité de l'assureur aux dommages “matériels,” non seulement pour exclure l'indemnité à raison du “prix d'affection” qui est tout personnel et échappe à l'appréciation des tribunaux, mais pour exclure encore les inconvénients d'un changement temporaire de résidence, la perte de la clientèle, la suspension des actes de commerce, etc. Ces derniers dommages, fussent-ils même considérés coinme matériels, parce qu'ils sont pécuniaires (ce qui n'est pas indiscutable), seraient au moins indirects et éloignés. Le tout, sauf convention contraire, comme il est prévu à l'article 838.
608. L'assureur doit également payer les frais de sauvetage. La loi ne limite pas cette responsabilité à la valeur des choses effectivement sauvées de l'incendie: ce serait gêner l'assuré dans l'accomplissement de ce devoir, par crainte qu'il ne lui devînt onéreux. Les efforts faits pour le sauvetage ne réussissent pas toujours; mais s'ils n'étaient pas tentés par l'assuré, il serait toujours difficile et souvent impossible de savoir s'ils auraient eu un résultat utile. La seule condition que la loi mette au remboursement des frais de sauvetage est qu'ils aient été "faits légitimement" et, par conséquent, d'une façon raisonnable.
La loi met sur la même ligne que les frais de sau. vetage des objets assurés ceux faits pour prévenir ou arrêter les effets du sinistre. Parmi ces frais, l'article 850 a déjà compté ceux de démolition des bâtiments assurés pour empêcher la communication du fen. Il faut y ajouter le salaire des travailleurs, etc.
Remarquons, en teruninant, que l'assureur ne doit l'indemnité d'incendie que pour les dommages concernant les objets assurés. Ainsi, soit l'assurance d'une maison, mais non du mobilier qu'elle contient, si l'incendie de la maison a détruit tout ou partie du mobi. lier, l'assureur ne devra rien à ce sujet.
Pour qu'il en fût autrement, il faudrait supposer que le mobilier a été volontairement sacrifié, en tout ou en partie, pour sauver la maison. Ainsi, la maison contenait des marchandises très-inflammables non comprises dans l'assurance; l'assuré les a sorties de la maison pour faciliter le sauvetage de celle-ci; elles ont été consumées, en tout ou en partie, mais la maison a été sauvée elle-même, soit en totalité, soit en partie: il est juste que l'assureur tienne compte de cette perte à l'assuré, dans la mesure du service rendu.
Du reste, il faut ici supposer que ce sacrifice a été utile: autrement, si la maison a brûlé, malgré le retrait des marchandises, l'assureur objectera à l'assuré que s'il n'avait pas retiré les marchandises de la maison, elles auraient péri avec elle, et que, par conséquent, ce n'est pas cette opération qui est la cause de leur perte, inais un incendie contre lequel elles n'étaient pas assurées.
609. La loi rencontre encore ici et elle tranche une question de preuve.
C'est à l'assuré, comme demandeur, à prouver: 1° le montant des dommages “matériels" qu'il éprouve, 2° que ces dommages sont "une suite immédiate et directe du sinistre,” 3° le montant et la légitimité des frais dont il réclame le remboursement. Il ne serait pas nécessaire de consacrer ici l'application à l'assuré d'un principe général des preuves, si l'on n'avait déjà rencontré dans l'article 852 et si l'on ne devait retrouver dans l'article 857, ci-après, le fardeau d'autres preuves imposé à l'assureur.
Art. 857. — 610. La loi suppose maintenant que les objets assurés ont été évalués avant le sinistre.
Nous avons dit que c'est le cas le plus fréquent et le plus désirable dans l'assurance à prime et qu'il est inséparable de l'assurance mutuelle. Cette évaluation ne doit pas être considérée comme fixant d'une façon absolue le droit de l'assuré, même au cas de perte totale.
C'est par ce cas que la loi commence.
L'évaluation a pu être exagérée, soit par la mauvaise foi de l'assuré, qui aura ainsi intérêt au sinistre, soit de bonne foi et par la disposition naturelle de tout propriétaire à se faire illusion sur la valeur et le mérite de ce qui lui appartient.
Sans doute,'il y a lieu de croire que l'assuré est de bonne foi (c'est une présomption légale), et il aura dû être retenu d'ailleurs dans la tendance à l'exagération par l'augmentation proportionnelle de prime ou de cotisation qui en résulte; on peut dire aussi que l'assureur a pu contrôler cette évaluation et que s'il ne l'a pas fait diminuer c'est qu'il l'a trouvéo exacte. Mais il est fréquent aussi que l'assureur ne fasse pas une vérification minutieuse: elle pourrait donner lieu à des frais d'expertise que l'on veut éviter, puisque cela ne dispenserait pas d'une nouvelle expertise au cas de sinistre; ensuite, il en pourrait résulter, au moment du contrat, des contestations qui souvent empêcheraient les parties de traiter; or, les assureurs ont grand intérêt à faire beaucoup d'assurances.
611. Nous disons que, lors même que l'évaluation aurait été rigoureusement exacte à l'origine, elle ne dispenserait pas d'en faire une nouvelle après le sinistre. Ce n'est pas pour que l'assureur donne davantage, si les objets ont augmenté de valeur: c'est pour qu'il donne moins, s'ils en ont diminué. En effet, on sait que l'assurance ne doit jamais être une source de bénéfices, ni garantir des profits gratuits; or, c'est ce qui arriverait si la plus-value acquise fortuitement et gratuitement par les objets assurés était payée à l'assuré en cas de sinistre.
C'est encore ce qui aurait lieu si, les objets ayant diminué de valeur, l'assuré recevait la première éva. luation: il se trouverait ainsi indemuisé d'une perte qui n'aurait pas pour cause le sinistre, objet de l'assurance.
Il n'y aura donc lieu de payer à l'assuré que la valeur des objets au moment du sinistre.
La nouvelle estimation à faire après le sinitre sera évidemment difficile, surtout dans le cas, ici prévu, où les objets assurés ont péri en entier.
612. La loi met de nouveau ici la preuve à la charge de l'assureur, comme elle l'a fait déjà dans l'article 852: quand l'assuré a prouvé que le sinistre est de la nature prévue au contrat et qu'il a atteint les objets assurés, son obligation est remplie quant à la preuve; il ne lui reste plus qu'à combattre les preuves fournies contre lui. On sait déjà que ce n'est pas à lui de prouver que les objets mobiliers assurés n'ont pas été déplacés du lieu où l'assurance les avait trouvés; ce serait donc à l'assureur de prouver qu'ils n'étaient plus, en tout ou en partie, dans les locaux incendiés où l'assuré prétend qu'ils ont péri avec les bâtiments: l'assureur pourra prouver par témoins que tout ou partie des marchandises avaient été vendues et emportées; il pourra aussi prouver leur absence des lieux incendiés, en établissant qu'on n'a pas trouvé dans les décombres les vestiges que le feu peut altérer mais qu'il ne peut détruire: par exemple, les ferrures de voitures, les cercles en fer de tonneaux, de caisses ou de ballots, les fragments de porcelaines, de cristaux, etc.
En cette matière, où les modes ordinaires de preuve sont nécessairement rendus plus difficiles par la nature de l'événement, il faut laisser aux tribunaux un grand pouvoir d'appréciation.
Reste la preuve de la diminution de valeur des objets assurés: elle sera également à la charge de l'assureur; mais sa position ne sera pas très-mauvaise: outre la preuve par témoins, toujours admissible ici, il y aura encore des circonstances de fait faciles à établir: par exemple, la dépréciation du cours des marchandises assurées; enfin, la seule influence du temps sera, dans beaucoup de cas, une cause certaine de moins-value des objets assurés; c'est ce qu'on ne contestera pas pour les meubles d'usage journalier qui n'auraient pas été renouvelés et pour les bâtiments eux-mêmes, surtout ceux où domine le bois, lesquels, bien qu'entretenus, perdent chaque année de leur solidité et de leur valeur.
Art. 858. — 613. Ici la perte est supposée partielle.
S'il n'y avait pas eu de fixation de l'indemnité, on rechercherait simplement quel est le montant du dommage éprouvé par l'assuré et on le lui attribuerait, comme il est dit à l'article 856. Quand il y a en une indemnité fixée, c'est un maximum qui ne peut être dépassé; mais ce n'est pas un minimum qui doive nécessairement être atteint: on doit toujours tenir compte de la valeur actuelle qui peut être moindre; enfin, comme ce n'est pas toute la chose qui a péri, mais seulement une partie, ce n'est aussi qu'une partie de la valeur totale ainsi fixée qui sera attribuée à l'assuré.
Mais la loi rappelle une autre cause de restriction aux droits de l'assuré; c'est le cas où l'estimation donnée à la chose, à l'origine, comme fixation de l'indemnité, aurait été inférieure à la valeur réelle, cas où l'assuré, suivant l'expression usitée, et consacrée par l'article 813, “est considéré comme étant son propre assureur.” Dans ce cas, de même que, s'il y avait perte totale, il ne serait pas entièrement indemnisé, de même il ne doit pas l'être quand la perte n'est que partielle.
Ainsi, une maison valant 1000 yens n'a été assurée que pour 800 yens: l'assuré est son propre assureur pour 1/5°, pour 200 yens. Si la chose périssait en entier, en recevant 800 yens, il ne serait indemnisé que de 4/5es: si elle périt en partie et que la perte soit évaluée 400 yens, l'assuré ne les recevra que sous la déduction de 1/5°, soit de 80 yens, parce que, pour 1/5°, il est son propre assureur.
614. La loi termine cette dispositiou par une exception que la pratique, d'accord avec la jurisprudence, a consacrée en France et ailleurs.
On a vu, aux articles 837 et 838, deux assurances contre des risques spéciaux connus sous le nom de risques locatifs et de recours des voisins: la première s'applique à la responsabilité du locataire ou de l'usufruitier envers le propriétaire, établie par l'effet d'une présomption de faute ayant causé l'incendie (v. art. 88 et 152); la seconde s'applique à la responsabilité de tout habitant d'une maison (propriétaire, locataire ou usufruitier) envers les voisins aux bâtiments desquels le feu a été communiqué; seulement, ici, il n'y a plus de présomption de faute: la faute doit être prouvée directement par les moyens ordinaires.
L'assurance qui a pour objet ces deux risques particuliers relatifs à l'incendie contiendra, le plus souvent, autant et plus peut-être que les autres assurances, la fixation d'une somme garantie comme indemnité. Cette somme sera, bien entendu, le maximum de ce que devra l'assureur. Mais ce qu'il y a de particulier, c'est que l'assuré ne sera considéré comme son propre assu. reur que lorsque les dommages faisant l'objet du recours excèderont l'indemnité fixée: ici, en effet, ou ne peut évaluer d'avance l'étendue des risques, l'étendue du recours, surtout du recours des voisins, puisque l'incendie peut atteindre des proportions indéfinies; il est donc naturel et juste que l'assureur rembourse à l'assuré le montant exact de ce que celui-ci payera au propriétaire ou bien aux voisins, ou qu'il paye en son lieu et place, et cela jusqu'à concurrence de la somme fixée comme indemnité.
Il va sans dire que les primes sont calculées en conséquence de cette obligation particulière de l'assureur.
Art. 859. — 615. La loi continue par quelques dispositions de détail sur le mode de règlement de l'in. demnité et sur les déductions qu'elle comporte.
Il arrive souvent que les objets assurés ne périssent pas en entier, mais seulement en partie: quelquefois, certains objets sont absolument intacts, d'autres sont tout-à-fait détruits, d'autres enfin sont seulement endommagés. Quand il s'agit d'objets mobiliers, ce triple résultat est très-facile à concevoir; mais il n'est pas difficile non plus de le concevoir lorsqu'il s'agit d'immeubles qui peuvent former plusieurs corps de bâtiments dont les uns resteront intacts, tandis que d'autres seront entièrement détruits et les derniers seulement atteints et dégradés.
Il était difficile de donner la même solution pour les meubles et pour les immeubles.
La loi commence par les meubles: si l'assureur veut éviter les frais et les contestations d'une estimation proportionnelle de ce qui a péri et de ce qui subsiste, tant intact que détérioré, il peut retenir le tout et payer toute l'indemnité; mais il peut aussi laisser à l'assuré les objets restés intacts, en déduisant une part proportionnelle de l'indemnité; ce qu'il ne peut, c'est faire réparer les meubles détériorés, comme on va voir qu'il le peut pour les bâtiments; encore moins peut-il les laisser à l'assuré en diminuant de l'indemnité ce Lorsqu'il s'agit de bâtiments, il ne serait pas admissible que ceux qui n'ont pas été atteints par le feu devinssent la propriété de l'assureur, même lorsqu'il s'agirait de bâtiments n'appartenant pas au propriétaire du sol (voy. Droit de superficie, art. 183 à 190). Si donc un ou plusieurs corps de bâtiments sont restés intacts, il sera fait déduction de leur valeur sur le montant de l'indemnité. Le plus souvent d'ailleurs, chaque corps de bâtiment aura reçu une estimation spéciale dans la police d'assurance, ce qui simplifiera les calculs.
Si un corps de bâtiment, atteint par le feu, est détruit en partie ou endommagé, l'assureur a le choix, ou de faire remettre le bâtiment dans son état primitif, à ses frais, mais alors sans autre indemnité à ce sujet, ou de faire enlever les matériaux de ce qui reste, en payant l'indemnité relative à ce corps de bâtiment. Il ne peut, pas plus que pour les objets mobiliers, les laisser à l'assuré dans l'état où ils sont, en diminuant l'indemnité.
Au sujet de cette réparation en nature, on remarquera que, dans les cas de perte totale, la loi ne la proclame pas comme un droit pour l'assureur; celui-ci n'aurait ce droit que s'il se l'était réservé dans le contrat d'assurance: autrement, il y aurait lieu de craindre que ce ne fût une cause inévitable de contestations. En effet, lorsque le bâtiment a péri en entier, il est difficile de savoir exactement ce qu'il était avant l'incendie: la nature des matériaux, la disposition des lieux, la hauteur des constructions, ne pourront être établies que par des témoignages ou des renseignements généralement incomplets. En outre, les bâtiments incendiés étaient plus ou moins anciens et les bâtiments rétablis seraient neufs, ce qui est contraire au principe que l'assurance ne doit pas être une source de bénéfices.
Au contraire, lorsque les bâtiments n'ont péri qu'en partie, ce qui reste permettra souvent de reconnaître quelle était la disposition antérieure des bâtiments et la nature des matériaux; il n'y aura plus que l'objection de l'état de neuf des parties réparées; mais comme c'est toujours l'assureur qui a le choix, l'inconvénient n'a pas de gravité.
Il n'y a pas à revenir sur les frais de sauvetage: si la loi s'en explique encore ici, c'est qu'on aurait pu douter au sujet des frais relatifs à ce que l'assureur laisse à l'assuré.
Art. 860. — 616. La loi, ici encore, prend soin d'éviter une source sérieuse de difficultés et même de fraude.
D'abord des difficultés: si l'argent comptant se trouvait assuré et qu'il n'y eût pas de somme fixée d'avance pour l'indemnité à cet égard, il serait difficile de savoir quelle quantité d'argent se trouvait dans la maison au moment du sinistre; s'il s'agissait de titres de créances ou de propriété, il faudrait faire des distinctions difficiles sur la possibilité qu'aurait ou non le titulaire de se prouver de nouveaux titres; même difficulté pour les manuscrits qui peuvent avoir un grand intérêt personnel, mais n'ont pas toujours une valeur pécuniaire appréciable, parce qu'ils ne trouveraient pas d'acquéreur si on les supposait sauvés; d'ailleurs, il pourrait y avoir des copies de ces manuscrits ou des éléments pour les reconstituer plus ou moins facilement, ce dont l'assuré seul a le secret.
Lorsque l'indemnité aurait été fixée à l'avance pour ces mêmes objets, les difficultés inhérentes à leur nature ne seraient pas encore écartées, parce qu'il resterait le danger de mauvaise foi chez l'assuré: il lui serait facile de sauver de l'argent comptant, des bijoux, des titres, des manuscrits, sans que le fait puisse être conpu de l'assureur, et il s'en ferait payer la valeur.
Il va sans dire, quoique la loi ne l'exprime pas, qu'une convention expresse pourrait admettre cette assurance, aux risques et périls de l'assureur surtout. Il devrait dans ce cas, prendre soin de faire faire les énonciations et évaluations nécessaires et surtout, au cas des titres de propriété ou de créance, s'assurer s'ils ne peuvent être remplacés.
Parmi les objets précieux la loi n'exclut de l'assurance que les bijoux, parce que, pour les autres, il serait trop difficile de savoir dans qu'elles limites se renfermerait l'exclusion de l'assurance; ce sera aux parties à s'en expliquer. En France et en Angleterre, les conventions sont toujours assez prévoyantes à cet égard.
Art. 861. — 617. On a déjà mentionné plusieurs fois la responsabilité des locataires envers le propriétaire et, plus généralement, de ceux qui habitent les maisons, envers les voisius atteints par le feu à eux imputable. Ces deux risques (risque locatif et recours des voisins) peuvení être l'objet d'une assurance, tant de la part du créancier de l'indemnité que de la part de celui qui la doit. Le propriétaire, quand il assure sa maison, entend se garantir autant contre la faute de ses locataires (faute présumée jusqu'à preure contraire, quand le feu prend dans les locaux loués) et contre la faute des voisins (faute à prouver directement) que contre les causes fortuites ou majeures d'incendie. Le locataire, quand il assure les bâtiments loués, entend surtont se garantir contre le recours du propriétaire et contre celui des voisins (art. 838 et 858).
Le présent article suppose une assurance faite par l'une quelconque de ces personnes et une cause d'incendie imputable soit au locataire, soit à un voisin, soit même à toute autre personne. L'assureur a payé l'indemnité convenue: la loi le subroge aux lieu et place de l'assuré pour l'exercice du recours contre celui qui est en faute.
En France, il est difficile de voir là un cas de subrogation légale, parce que les cas de cette subrogation sont limitativement déterminés par l'article 1250, et il ne paraît pas que le 3e cas, le seul qu'on puisse invoquer en faveur de l'assureur, soit applicable ici; c'est le même cas que celui de l'article 504-1° du Projet japonais.
En vérité, on ne peut dire que l'assureur soit "tenu avec ou pour un autre” (ici l'auteur fautif de l'incendie): l'assureur est tenu de sa propre dette, en vertu d'un contrat et non en vertu d'un délit civil, la cause est pour lui la réception des primes et non une faute commise. On doit donc, en France, recourir à la subrogation conventionnelle, soit au moment où l'assurance est contractée, soit, au plus tard, au moment où l'assureur paye l'indemnité.
Mais ce que l'article 1250-3° du Code français et l'article 504-1° du Projet japonais ne suffisent pas à autoriser, un article spécial le peut bien faire et c'est ce que l'on propose ici. Il ne faut même pas considérer cet article comme comblant une lacune qu'on aurait laissée: les articles précités sont des articles généraux, ils ne font pas obstacle à des cas spéciaux de subrogation légale; or, la matière des assurances est évidemment une des plus spéciales, une de celles qui s'écartent le plus du droit commun.
618. On anrait pu, sans aller jusqu'à la subrogation légale, permettre à l'assureur de refuser le payement à l'assuré, à moins que celui-ci ne lui conférât la subrogation volontaire ou conventionnelle; mais c'était, sans utilité, s'arrêter à mi-chemin: si l'assureur pouvait ainsi exiger la subrogation conventionnelle, ce serait parce qu'elle est fondée en équité; dès lors, il est plus simple que la loi affranchisse les parties d'une formalité oiseuse et qu'elle donne elle-même la subrogation à l'assureur.
Il pourrait d'ailleurs, sans cela, se produire des résultats regrettables: supposons que l'assureur ait négligé de demander la subrogation conventionnelle, il a payé, et ainsi il a désintéressé l'assuré, c'est le locataire ou le voisin fautif qui profite, car certainement on n'autoriserait pas l'assuré à se faire encore payer par celui-ci le montant du sinistre.
D'un autre côté, l'assureur ne pourrait subordonner son payement à des poursuites préalablement faites sans succès contre les susdites personnes, ce serait de sa part prétendre être traité comme la caution de ces mêmes personnes, or l'assureur est tenu, comme on l'a déjà remarqué, en son nom personnel, en vertu du contrat d'assurance, et non comme caution de qui que ce soit, puisque souvent l'incendie n'est imputable à personne, et cependant il n'en est pas moins responsable.
La subrogation légale ici établie remédie à toutes ces difficultés: l'assureur, en désintéressant l'assuré, prend son lieu et place pour les recours auxquels l'incendie peut donner matière. Il en résultera que les primes seront généralement moins élevées, puisque l'assureur courra moins de risques.
En France, au sujet de la subrogation conventionnelle qui peut remédier en partie à l'absence de subrogation légale, on a élevé un doute sur le point de savoir si la présomption de faute établie contre le locataire pouvait être invoquée également par l'assureur subrogé: on a dit que c'était là un privilége du propriétaire, incessible et intransmissible. Mais cette prétendue incessibilité n'est commandée, ni par la raison, ni par les principes généraux: il arrive constamment qu'un droit naît au profit d'une personne à cause de sa qualité propre, mais, une fois né, il peut être transmis, et cette transmission même est souvent pour le titulaire une manière de bénéficier de son droit. Ainsi le privilége du vendeur et l'hypothèque légale du mineur sont créés par la loi en faveur de ces personnes et cependant ils peuvent être cédés avec la créance, par voie de subrogation ou de transport-cession.
Art. 862. — 619. Quand la chose assurée périt en entier, l'assurance cesse pour l'avenir, quoiqu'elle ait peut-être été faite pour un temps encore loin de son terme: elle a produit son effet, son but est atteint, l'assureur paye l'indemnité, l'assuré cesse de payer des primes et, s'il était dans une association d'assurance mutuelle, il cesse de contribuer aux autres sinistres, n'ayant plus rien à attendre de ses co-associés.
Si les choses détruites sont rétablies, l'assurance ne les garantit plus, car, en réalité, ce ne sont plus les mêmes choses.
Si la perte est de plus de moitié, l'assurance ne garantit plus l'autre moitié: c'est un nouveau cas à ajouter à ceux déjà rencontrés où la perte de plus de moitié est assimilée à la perte totale (v. art. 439, 453, 748 et 811).
Il en est de même si les choses périssent, dans les mêmes mesures, par une cause autre que le sinistre prévu: la continuation du payement des primes n'aurait plus de raison d'être et si les choses sont rétablies, ce ne sont plus les mêmes que celles qui ont été assurées.
COMMENTAIRE.
N° 620. On a déjà annoncé ce genre particulier d'assurance dont le nom consacré dans les langues de l'Occident, “assurance sur la vie, life insurance," n'exprime pas une idée fort claire au premier abord. Nous avons dit qu'on devrait plutôt l'appeler assurance “contre le décès”; ce qui ne voudrait pas dire qu'elle empêche le décès, pas plus que l'autre expression ne veut dire qu'elle “garantit la vie” mais cela exprimerait qu'elle garantit contre les dommages causés à cer. taines personnes par le décès d'une autre; c'est ainsi qu'on ne dit pas assurance sur l'incendie, mais contre l'incendie. Cette assurance, en effet, comme va l'indi. quer le premier article, a pour objet de faire payer anx héritiers d'une personne ou à une autre qu'elle désigne, une somme, en capital ou en arrérages perpétuels ou viagers, qui fera pour les bénéficiaires une compensation au dommage que leur causera la mort du stipulant.
La convention n'est pas gratuite entre l'assureur et l'assuré, car celui-ci a dû verser soit une somme unique en capital, soit une prestation périodique, généralement annuelle, qu'on appelle encore “prime," comme dans les assurances contre l'incendie et autres sinistres terrestres.
621. A ce sujet, nous rappelons ce qui a déjà été dit, que les assurances contre le décès, ne supposant qu'exceptionnellement un décès en iner, appartiennent aux assurances terrestres et non aux assurances mari. times, et qu'il faut même leur laisser cette qualification, lorsque, par exception, l'assurance aurait prévu un décès en mer: notamment, lorsqu'un supplément de prime “dit surprime” est payé pour couvrir l'excédant de risque d'un voyage au long cours (v. art. 867); en pareil cas, ce sont toujours les règles qui vont suivre qui seraient applicables et nullement celles des assurances maritimes (voy. p. 667, no 547).
622. Les assurances contre le décès, très-pratiquées en Angleterre, le sont moins en France, mais elles s'y répandent de plus en plus. Il est probable qu'elles auront quelque peine à s'introduire dans les meurs japonaises, parce que leur utilité ne frappe pas autant l'esprit que les assurances contre les risques de la navigation et contre l'incendie; mais, comme pour l'assurance contre l'incendie, il nous semble nécessaire que la loi offre d'avance aux compagnies et aux particuliers les garanties de sages prévisions.
Il convient d'abord de faire ressortir brièvement les avantages de ces assurances.
Souvent un chef de famille n'a pas assez de capitaux pour que les revenus en puissent suffire à sa subsistance et à celle de sa famille, et c'est par son industrie, par son travail, par une fonction publique, qu'il acquiert le supplément qui lui manque; quelquefois, trèssouvent même, ce travail ou cet emploi est la seule ressource du père de famille: sa mort réduira nécessairement sa famille à la gêne, pent-être même à la misère, car il n'aura pas toujours eu le temps de réaliser une épargne et, comme fonctionnaire, il n'aura pas eu toujours un assez long temps de services pour laisser une pension à sa veuve ou à ses orphelins.
L'assurance contre le décès lui fournit un moyen très-simple et généralement peu onéreux de laisser après lui un capital ou des revenus viagers plus ou moins considérables: pour cela, il lui suffira de prélever chaque année une faible portion de ses revenus, de son traitement ou de son salaire, pour payer la prime. Cette prime est d'autant moins élevée que l'assuré est plus jeune, parce qu'il aura vraisemblablement à la payer longtemps.
Il est difficile de concevoir une forme de l'épargne plus morale dans son but et plus sûre dans son moyen.
623. A l'aide des statistiques sur la durée moyenne de la vie humaine, on a établi des tableaux où le montant des primes est calculé d'après l'âge de celui dont la vie sert de base à l'assurance.
En France, en Angleterre, en Belgique, en Amérique et dans tous les pays où les assurances sur la vie sont répandues, les assurances sont toujours faites par des compagnies (a); la concurrence entre elles a amené l'abaissement du taux des primes à un chiffre modéré et à peu près uniforme (tant pour cent du capital assuré), suivant l'âge de l'assuré: le taux ordinaire varie de 14%. % à 62/3 %, entre 15 ans et 60 ans, de sorte que la prime s'élève de quelque fraction par chaque année que l'assuré a de plus, au moment où il contracte l'assurance; bien entendu, le contrat une fois fait, la prime n'augmente pas avec la suite des années; on va même voir qu'au contraire il y a une combinaison qui la fait diminuer progressivement.
624. Observons immédiatement que, dans l'usage, la prime ne varie pas suivant le sexe de l'assuré. Quant aux santés débiles, si elles sont de nature à faire craindre à la compagnie, sur le rapport de son médecin, que le risque ne soit trop considérable, l'assurance est refusée ou elle n'est faite qu'à des conditions particulières (b).
De même, les compagnies n'assurent généralement pas les personnes ayant moins de 15 ans ou ayant passé l'âge de 60 ans; mais elles peuvent le faire moyennant des primes convenues de gré à gré, en dehors du tarif ordinaire.
On peut faire aussi cette sorte d'assurance en vue d'un voyage par terre ou par mer; l'usage en est déjà très-répandu en Amérique: il n'est alors payé qu'une prime, au départ, et l'assureur est déchargé soit par la fin du voyage, soit par l'expiration du délai convenu, sans sinistre. Ce qui ne serait pas admis, ce serait l'assurance d'un malade, et pour la maladie seulement, avec détermination d'un délai qui libérerait l'assureur, en cas de guérison: une telle opération aurait trop le caractère d'un pari sur la vie ou la mort pour être permise.
625. Revenons au fonctionnement ordinaire de l'assurance sur la vie avec des assurés d'âges différents.
Soit un jeune homme de 20 ans, non encore marié et soutien de ses parents, qui veut assurer pour l'époque de sa mort, une somme de 1000 yens payable à ses parents (ou à ses enfants, s'il se marie plus tard), il devra payer chaque année 1,63 %;
Un homme de 30 ans payera 2,11 %;
Celui de 40 ans, payera 2,88 %;
Celui de 50 ans, payera 4,10 %;
Celui de 60 ans, payera 6,66 %;
Supposons maintenant que tous vivront 70 ans;
L'assuré de 20 ans aura payé pendant 50 ans la prime annuelle de 1,63, soit 815 yens (sauf la participation aux bénéfices dont il va être parle);
Celui de 30 ans aura payé 40 fois 2,11, soit 844 y.;
Celui de 40 ans 30 fois 2,88, soit 864 y.;
Celui de 50 ans - 20 fois 4,10, soit 820 y.;
Celui de 60 ans - 10 fois 6,66, soit 666 y.
Ce résultat étonne au premier abord, parce que l'on voit que celui qui s'assure le plus tôt aura versé 815 yens, tandis que celui qui s'assure le plus tard n'en a versé que 666, et tous les deux, ainsi que les assurés intermédiaires, recevront 1000 yens.
Mais il y a d'abord à considérer que l'assuré de 20 ans, à quelque époque qu'il fût mort, aurait toujours laissé 1000 yens à ses héritiers, tandis que l'assuré de 60 ans, s'il était mort avant sa 60e année, n'étant pas alors assuré, n'aurait rien laissé: comme il a couru le risque jusqu'à 60 ans, comme il a été son propre assureur pendant plus de 59 ans de sa vie, on conçoit déjà que, s'il vit encore, il trouve dans son assurance tardive une compensation à ce risque passé.
626. Toutefois, il était nécessaire d'encourager à l'assurance les hommes jeunes et de ne pas détourner les compagnies d'assurer les hommes âgés; c'est alors qu'on a imaginé une combinaison ingénieuse qui appelle les assurés à participer aux bénéfices de l'assureur, c'est-à-dire de la compagnie.
Le profit de l'assuré croît d'une façon non pas seulement proportionnelle mais progressive, à mesure que le total des primes qu'il a versées s'élève avec les années. Tous les ans ou tous les deux ans, les compagnies distribuent à leurs assurés une portion de leurs bénéfices, généralement la moitié des profits nets; cette distribution peut être faite de trois manières: ou en une somme d'argent comptant, ou en une augmentation du capital assuré (sans augmentation de la prime annuelle, bien entendu) ou en une diminution de la prime annuelle.
L'assuré a le choix, à chaque distribution de profits, d'opter entre les trois modes de répartition dont les résultats lui sont annoncés.
La raison lui commandera de ne pas opter pour le somme d'argent comptant; mieux vaut opter pour la diminution de la prime annuelle, parce que l'assuré, à mesure qu'il avance en âge, peut avoir moins de facilités à prélever la prime sur le produit de son travail.
Les tableaux dressés par les compagnies prouvent qu'un homme qui s'assure entre 20 et 30 ans peut se trouver, par ces diminutions progressives de la prime, affranchi de tout payement avant l'âge de 60 ans.
627. Nous ne pouvons ici entrer dans de plus longs préliminaires pour démontrer l'utilité considérable de ce genre d'assurances.
L'expérience est complète en Europe et en Amérique.
Ce qui importera pour leur succès au Japon, c'est que les compagnies qui se formeront pour ce genre d'assurances soient solidement établies, sous le contrôle du Gouvernement, de façon à éviter les fraudes envers les associés et l'insolvabilité envers les assurés: autretrement, la défiance en détournera les capitalistes et les assurés.
Nous allons maintenant développer les 10 articles consacrés à ce genre d'assurances.
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(a) Ce sont généralement les mêmes que celles qui assurent contre l'incendie; mais l'autorisation ne leur est donnée que si les capitaux des deux assurances et les profits et pertes en sont séparés dans la gestion.
(b) On nous pardonnera de citer, à cet égard, un fait qui nous est personnel: à l'âge de 37 ans, nous nous adressâmes à une grande compagnie française d'assurance sur la vie; nous déclarâmes être atteint d'une affection chronique (asthme) qui était de nature à aggraver le risque de l'assureur: peu de jours après, la compagnie nous informa, avec quelques ménagements, qu'elle ne pouvait prendre l'assurance, parce que nous n'étions pas “un risque de choix.” Plus tard, deux autres compagnies, moins timorées, ont accepté de nous assurer, après la mê ne déclaration; elles n'ont pas encore eu à le regretter, car depuis 25 ans, nous payons, chaque année, la prime de 39. Une plus grande longévité d'ailleurs ne nous donnerait pas lieu de regretter notre opération, car la prime diminue chaque année, par la participation des assurés aux béné. fices annuels de la compagnie.
Art. 863. — 628. Le contrat d'assurance contre le décès est évidemment à titre onéreux, c'est pourquoi la loi suppose que l'assuré donne ou promet une valeur à l'assureur pour obtenir l'indemnité: cette valeur sera presque toujours une prime annuelle, mais ce pourrait être un capital une fois payé. Ainsi, quelqu'un voudrait garantir à ses héritiers un capital de 1000 yens et il peut, de son vivant, disposer de 600 yens ou davantage: il pourra, en versant une somme unique à une compagnie, obtenir d'elle une promesse de 1000 yens pour l'époque de son décès.
La compagnie, naturellement, demandera une somme d'autant plus forte que l'âge de l'assuré sera plus avancé; car le bénéfice de la compagnie, dans ce cas comme dans celui d'une prime, consiste dans le profit qu'elle tire du capital versé; or, ce profit sera d'autant plus considérable que l'intervalle entre la réception et la restitution aura été plus long.
Le texte annonce que l'indemnité promise par l'assureur peut consister aussi en un capital ou en une rente; cette rente pourra être perpétuelle (voy. Chap. suiv., Sect. 11), elle pourra aussi être viagère (v. Sect. précéd.) et reposer sur la tête du bénéficiaire.
Ici, ce sera le plus souvent un capital: nos exemples précédents et ceux qui suivront supposeront toujours qu'un capital est payable au décès de l'assuré. Mais, si l'assuré ne doit laisser à sa mort qu'un héritier dis sipateur, et qui n'ait pas de proches parents, il fera sagement de ne lui assurer qu'une rente viagère et de la stipuler insaisissable (v. art. 819).
Lorsque l'indemnité consiste ainsi en une rente viagère, au lieu d'un capital, il y a à prendre en cousidération, par l'assureur, non seulement l'âge de l'assuré, pour fixer ce qui sera exigé de lui, mais encore l'âge du bénéficiaire de l'assurance, pour fixer le montant de la rente qui lui sera payée.
629. Généralement, l'assuré stipule pour ses héritiers, en prévision et pour l'époque de son décès; dans ce cas, il n'est pas nécessaire qu'il désigne nominativement ceux qui recueilleront le bénéfice de l'assurance: ce seront ses héritiers légitimes ou testamentaires, ceux qui recueilleront ses autres biens; et si l'assuré laissait des dettes en mourant, ses créanciers pourraient certainement se faire payer avec l'indemnité, quoiqu'ils n'eussent pas été directement appelés à la recueillir: ils y auraient droit comme à tout autre bien faisant partie de la succession.
L'assuré peut aussi stipuler l'indemnité pour un de ses héritiers nommément, en excluant les autres, pour un parent non héritier, pour son conjoint, ou même pour une personne étrangère à sa famille.
63). Lorsque la stipulation est en faveur de tous les héritiers ou de l'héritier unique de l'assuré, il n'y a pas lieu d'y voir une donation: l'assuré a modifié sa succession qui consistera désormais, en tout ou en partie, en une créance d'indemnité, au lieu de consister dans de petites sommes prélevées sur les revenus et accumulées plus ou moins régulièrement.
Mais si, l'assuré ayant plusieurs héritiers, la sti. pulation n'a été faite par lui qu'en faveur d'un seul de ceux-ci, elle prend le caractère d'une donation, parce que l'assuré a voulu, par ce moyen, avantager un de ses héritiers au préjudice des autres. Cette question rentrant dans la théorie générale des successions et ne devant avoir d'intérêt que lorsque le Projet se sera prononcé sur le système successoral, avec pluralité possible d'héritiers, votre article n'y fait pas allusion et nous ne nous y arrêterons pas ici.
Mais lorsque l'indemnité doit être payée à une personne qui n'est pas héritier: par exemple, au conjoint survivant ou à une personne étrangère, si cette personne n'a pas fourni une valeur équivalente, il est clair qu'elle reçoit une donation. On en pourrait douter, parce que l'assuré a obtenu la promesse de l'assureur en ne faisant qu'un léger sacrifice annuel pris sur ses revenus; mais d'abord, les donations de revenus accumulés ne diffèrent pas, quant au fond, des donations de capitaux; en outre, ici, l'indemnité est un véritable capital, analogne à celui qui résulterait du placement annuel de revenus.
Remarquons seulement que cette donation n'est pas telle quant à la forme, mais seulement quant au fond, c'est-à-dire quant à la capacité respective de donner et de recevoir, et quant à l'importance ou à l'étendue que peut atteindre la donation, ce qu'on appelle, en cette matière, la “ quotité disponible.”
Art. 864. — 631. Le présent article permet que l'assurance soit faite sur une autre vie que celle du stipulant: l'assuré est alors un tiers par rapport au contrat (c) et l'indemnité doit, à sa mort, être payée au stipulant s'il survit, à ses héritiers s'il est prédécédé, ou à toute autre personne désignée à cet effet dans le contrat d'assurance.
Comme application de cette assurance, on ne pourrait guère supposer des enfants faisant une assurance contre le décès de leur père, ni une femme contre le décès de son mari: cette prévoyance qui honore le père et le mari, quand elle vient d'eux-mêmes, serait peu convenable chez les enfants et chez la femme. Elle ne serait pas défendue cependant, parce que les compagnies n'assurent que des sommes en rapport avec les avantages que peut faire perdre le décès de l'assuré; dès lors, on doit admettre que, même après l'assurance qu'ils ont faite, les enfants ou la femme ont encore, outre l'affection naturelle, un intérêt pécuniaire à la vie du père ou du mari.
Ce quon pent supposer avec plus de vraisemblance, c'est une mère assurant une idemnité, non pour elle, mais pour ses enfants, en prévision et contre le décès du père de ceux-ci.
On peut supposer encore un créancier faisant assurer un capital sur la vie de son débiteur, lorsqu'il n'a pour garantie que la profession et le travail de celui-ci. Ce genre d'assurance n'est pas rare en Europe.
632. Le présent article, considérant que l'assurance sur la vie d'un tiers, d'un autre que le stipulant, peut présenter des dangers pour la vie de celui-ci et, dans tous les cas, lui être pénible, veut qu'il y consente, soit en intervenant au contrat, par la simple apposition de sa signature, soit en y adhérant séparément et par écrit.
Mais la plus sérieuse garantie exigée par la loi en faveur de l'assuré est que le bénéficiaire ait un intérêt pécuniaire appréciable à la conservation de la vie de celui-ci. C'est un principe analogue à celui de l'article 834 qui ne permet l'assurance des choses contre l'incendie et les autres accidents pouvant les détruire qu'à “ ceux qui ont intérêt à leur conservation.”
Cette disposition n'est écrite ici que pour l'assurance sur la vie d'un tiers; si donc c'est l'assuré lui-même qui a stipulé, pour l'époque de son décès, une indemnité payable à une personne de son choix, il n'y a pas à rechercher si celle-ci a un intérêt appréciable à la vie du stipulant: l'assuré est considéré comme ayant jugé souverainement cet intérêt, car l'affection réciproque présumée est la cause principale du contrat. D'ailleurs, comme on l'a remarqué plus haut, l'assureur, la compagnie d'assurance, peut toujours limiter la somme qu'elle promet, suivant ce que la prudence lui suggérera.
Ce ne sera pas toujours la perte des produits de la profession et du travail de l'assuré qui sera prise en considération par l'assureur et l'assuré. Supposons que l'assuré soit l'héritier présomptif d'un tiers plus jeune que lui, il peut craindre que son prédécès de prive lui et les siens de l'émolument de cette succession: l'assurance contre son décès, en faveur de son propre héritier ou d'un auni auquel il aurait destiné ces biens, s'il les eût recueillis, compensera la perte de son prédécès possible, et si l'assuré survit et recueille la succession, l'indemnité n'en sera ni supprimée, ni diminuée, car cette circonstance d'une succession en expectative a pu être envisagée par la compagnie assureur comme étant l'explication ou la justification de l'assurance, mais la survie de l'assuré n'en a pas dû être la condition résolutoire.
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(c) Le nom d'assuré présente quelque difficulté dans son emploi lorsque c'est le décès d'un tiers, d'un autre que le stipulant, qui donnera lieu au payement de l'indemnité; cependant, il est préférable et même il est d'usage de maintenir le nom d'assuré à celui dont le décès est le principe de l'indemnité, quoique ce ne soit pas lui qui ait stipulé celle-ci.
Art. 865. — 633. La loi consacre ici la faculté de céder le droit à l'indemnité pour ceux auxquels il appartient, mais avec une distinction importante entre deux cas.
Ier Cas. L'indemnité a été stipulée par l'assuré lui-même et sans bénéficiaire déterminé: elle est alors due à sa succession et elle est disponible pour lui, comme tout autre droit; lorsqu'il cèdera son droit, le cessionnaire sera dans la même situation que si l'indemnité avait été, à l'origine, stipulée à son profit: on ne recherchera pas davantage la preuve de son intérêt à la vie de l'assuré, elle est suffisante dans la disposition faite par celui-ci en sa faveur, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux.
IIe Cas. L'indemnité a été stipulée par l'assuré au profit d'une personne déterminée, laquelle pouvait être son conjoint, son héritier, son ami ou son créancier; ce bénéficiaire peut aussi céder son droit, mais sous deux conditions: "le consentement de l'assuré et la “preuve d'un intérêt appréciable, chez le cessionnaire, “à la vie de celui-ci.”
Le consentement de l'assuré pourra être, comme au cas de l'article précédent, tacite, par son intervention à l'acte, ou exprès, par un acte postérieur et par écrit.
Quant à l'intérêt du cessionnaire à la vie de l'assuré, il devra être, de même que précédemment, appréciable en argent.
Ce second cas comprend encore, par la généralité des termes de notre article: 1° le cas où le cessionnaire dont il y est parlé, voudrait, à son tour, céder le droit qu'il a acquis, 2° celui où l'indemnité a été stipulée, à l'origine, par un autre que l'assuré. Dans cette 2e hypothèse, prévue par l'article précédent, la double condition du consentemeut de l'assuré et de l'intérêt à sa vie, déjà exigée pour la validité de la stipulation première, devra se renouveler à l'occasion de la cession et a l'égard du cessionnaire.
Remarquons enfin, sur ce second cas de cession, dans ses diverses applications, que les deux conditions de consentement de l'assuré et d'intérêt à sa vie, sont exigibles pour toutes les cessions successives qui pour raient être faites, et qu'il n'y a pas à distinguer si la cession est faite à titre gratuit ou à titre onéreux.
Art. 866. — 634. La disposition du présent article est analogue à celle de l'article 851, et elle recevra une application bien plus fréquente ici qu'en matière d'assurance contre l'incendie: dans cette dernière assurance, l'assureur peut contrôler presque toutes les déclarations de l'assuré, tandis que lorsqu'il s'agit de l'assurance contre le décès, ce n'est pas seulement l'âge de l'assuré qui déterminera l'assureur à contracter et à se contenter de la prime fixée par les tarifs ordinaires, c'est encore l'état de santé apparent ou déclaré de l'assuré; or, rien n'est facile à dissimuler comme une maladie, même organique.
Les compagnies d'assurances font toujours subir un examen médical minutieux aux personnes sur la vie desquelles une assurance leur est demandée. Mais si le malade ne déclare pas certains symptômes intérieurs, beaucoup de maladies échapperont au diagnostic du médecin; d'ailleurs, les maladies organiques ont souvent des intermittences pendant lesquelles le malade paraît en parfaite santé.
Si la maladie est découverte ou déclarée après le contrat, l'assureur a le choix ou de maintenir l'assurance avec augmentation de prime, ou de l'annuler sans restitution. Si elle n'est découverte qu'après le décès, on fera la sous-distinction portée à l'article 851, 2° et 3° al., à savoir, si la maladie a influé ou non sur la mort, et l'assureur payera ou ne payera pas l'indemnité.
La loi a soin, comme il est juste, de n'attacher cette sanction au défaut de déclaration que si le stipulant connaissait les circonstances défavorables à l'assureur.
Art. 867. — 635. Généralement, une fois que l'assurance est régulièrement faite, les augmentations accidentelles du risque sont à la charge de l'assureur. Ainsi, une maladie grave survient à l'assuré, elle se prolonge et se termine fatalement: il n'y aura lieu ni à augmentation de prime pendant la maladie, ni à modification de l'indemnité. De même, l'indemnité n'est ni supprimée, ni réduite, si l'assuré est mort par la suite directe d'un incendie, d'un typhon, d'un tremblement de terre, d'une éruption volcanique ou d'une sédition: ces calamités, dont les dernières excluent la responsabilité de l'assureur contre l'incendie, sont sans influence sur l'assurance contre le décès. Il en est encore de même, et à plus forte raison, si l'assuré est mort par suite d'une épidémie de choléra ou autre: l'assurance perdrait tous ses avantages pour la sécurité des familles, si elle cessait d'être efficace contre de pareilles causes de décès; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la police d'assurance portât des exceptions formelles en ce sens.
Mais la loi a prévu spécialement deux augmentations extraordinaires du risque qui motivent ou une augmentation de la prime, ou la résiliation du contrat, au choix de l'assureur: ce sont le service militaire et la navigation au long cours.
Bien que le service militaire soit, le plus souvent, obligatoire, ce n'est pas une nature de risque que l'assureur ait nécessairement prévue. La loi ne distingue donc pas si l'entrée au service militaire a été volontaire ou forcée. Elle ne distingue pas non plus, si l'on est en temps de paix ou en temps de guerre. L'entrée dans la police urbaine ne serait pas comprise dans le service militaire; mais il en serait autrement de l'entrée dans la gendarmerie, dont l'organisation et le service sont militaires, au Japon comme ailleurs.
Les voyages de mer dits "au long cours” augmentent aussi considérablement le risque de décès et doivent être déclarés à l'avance.
Comme l'assureur pourrait refuser d'assurer un mi. litaire ou un marin, ou exiger de lui une plus forte primo que pour un autre, de même, en cas de risque de ce genre survenant depuis l'assurance, il peut, ou demander un supplément de prime, ou résilier l'assurance. Au cas de résiliation, il paye une indemnité proportionnelle aux primes déjà versées, car il n'y a pas faute de l'assuré et il ne serait pas juste que l'assureur bénéficiât de cette résolution (d).
La loi suppose ensuite que l'assuré n'a pas fait régulariser cette situation et que le décès de l'assuré est résulté de l'un des deux risques non déclarés (le service militaire ou la navigation) et alors la résolution a lieu “de plein droit," et toujours avec une indemnité proportionnelle aux primes versées.
La loi devait déterminer ce qu'il faut appeler "voyage au long cours.”
Dans un pays entouré de mers comme le Japon et divisé en un grand nombre d'îles, il fallait laisser à l'assuré une certaine liberté de naviguer. Tons les voyages de port en port du Japon, quelle que soit la distance, et qu'on appellerait en Europe "petit cabotage,” pour le commerce maritime, peuvent être faits sans déclaration et sans augmentation de prime; mais ceux du Japon en Chine, en Corée, ou vers tout autre port non japonais, sont des voyages au long cours, au point de vue de notre matière, bien qu'en termes de marine marchande ce ne soit encore que du "grand cabotage" et non de la “navigation au long cours.”
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(d) La loi ne distingue pas depuis combien de temps les primes ont déjà été payées au moment de la résiliation; mais les polices pourront limiter l'indemnité proportionnelle au cas où les primes ont déjà été payées pendant trois années: c'est un usage des po. lices d'assurance européennes.
Art. 868. — 636. On sait que l'article 853 distingue entre les primes quérables au domicile de l'as. suré et celles qui sont portables à l'assureur.
Il est naturel qu'ici, comme lorsqu'il s'agit d'assurance contre l'incendie, l'assuré ne soit pas déchu quand la prime était quérable chez lui et n'a pas été requise, ou quand le défaut de payement n'a pas été dûment constaté, avec mise en demeure, conformément à la loi ou à la police d'assurance. Au contraire, quand elle était portable, l'assuré a dû prendre l'initiative et il est en faute de ne l'avoir pas fait. On se conformera à cet égard à l'article 853, lequel lui-même veut qu'on se réfère aux conditions réglées par la police d'assurance. Généralement, les compagnies donueront d'itVance un délai supplémentaire après l'échéance, et pendant ce délai l'assuré pourra encore utilement payer.
Une différence entre l'assurance contre l'incendie et celle qui nous occupe, c'est qu'ici, lors même que l'assuré est déchu de l'assurance pour l'avenir, il conserve un droit à une certaine indemnité, proportionnelle aux primes payées.
En effet, contrairement à l'indemnité d'incendie qui n'est pas acquise peu à peu (paulatim), mais instantanément par le sinistre, l'indemnité du décès s'acquiert, en quelque sorte, jour par jour, puisque chaque jour de vie rapproche l'homme de la mort.
En Europe, les polices portent que si les primes n'ont pas encore été payées pendant un certain temps, généralement pendant 3 ans, elles sont gagnées par l'assureur, comme compensatiou de la perte de ses chances favorables: le texte ne met pas cette condition an droit de l'assuré, afin de rester dans la justice absolue; mais les polices pourront y déroger (v. note 1, ci-dessus).
Il va de soi, siins que la loi ait besoin de s'en expliquer, que si le droit à l'indemnité a été cédé et si l'assureur en a été dûment informé, c'est au cessionnaire que la prime quérable devra être réclamée par l'assureur. I va également de soi que, (lans tous les cas, le payement peut être fait valablement par toute personne, intéressée ou non, pour le compte de l'ayantdroit.
Art. 869. — 637. Généralement, les compagnies d'assurance, en Europe, annulent l'assurance et affranchissent l'assureur de tonte indemnité dans les trois cas prévus par cet article, c'est-à-dire quand la personne sur la tête de laquelle repose l'assurance est morte d'un duel, d'un suicide ou par l'effet d'une condamnation capitale: dans ces trois cas, en effet, la mort est le résultat direct, sinon toujours immédiat, d'une violation de la loi par celui qui avait stipulé en vue d'une cause de décès naturelle ou accidentelle, mais non dépendant de sa volonté. On propose ici de n'admettre cette solution dans toute sa rigueur que pour les deux premiers cas, parce que ce sont les seuls où l'on puisse dire que la personne sur la vie de laquelle porte l'assurance s'est volontairement exposée à la mort qui l'a atteinte.
Dans le troisième cas, celui d'une condamnation capitale, il y a encore à considérer que, le crime étant déjà puni de la peine la plus sévère dont dispose la loi, il y a quelque chose de trop dur à y ajouter une peine pécuniaire qui sort tout-à-fait du droit commun; d'ailleurs, cette peine qui n'atteindrait pas le coupable lui-même, ne frapperait que ses ayant-cause déjà atteints, s'ils sont ses parents, dans leur affection et dans leur honneur.
Mais il fallait tenir compte aussi des intérêts do l'assureur qui n'a pas dû prévoir cette canse de décès: le Projet lui donne satisfaction, en réduisant l'indemnité à la proportion des primes déjà payées au moment du décès du condamné.
Il vil sans dire, et la loi n'a pas besoin de l'exprimer, que si le bénéficiaire de l'assurance causait, par un crime ou un délit, la mort de la personne sur la vie de laquelle repose l'assurance, aucune indemnité ne serait due au coupable, comme aux cas de duel ou de suicide de l'assuré. Le cas est le même que si, dans l'assurance contre l'incendie, le feu était mis par l'assuré. Mais il ne faudrait pas étendre cette déchéance au cas d'homicide par imprudence, imputable au bénéficiaire, pas plus que l'on n'étendrait la déchéance encourue pour le suicide à l'imprudence de l'assuré, causant sa propre mort.
Art. 870. — 638. Les renvois de cet article aux principes des assurances contre l'incendie sont faciles à justifier. Nous les reprendrons séparément.
1° L'assurance sur la vie est une entreprise commerciale pour les compagnies qui jouent le rôle d'as. sureur; mais l'assurance est purement civile chez l'assuré (comp. art. 832).
2° Il serait à craindre qu'il ne se formât des compagnies d'assurances mal organisées, mal gérées, ne disposant pas de capitaux suffisants pour faire face à leurs obligations: l'autorisation du Gouvernement préviendra ce danger (comp. art. 833).
De même que nous avons exprimé le vœu que le Gouvernement entreprît l'assurance générale contre l'incendie, nous voudrions que le Gouvernement, en attendant l'initiative privée, entreprit l'assurance sur la vie; seulement, au lieu de la désirer générale et obligatoire, nous ne la désirons que facultative. Le Gouvernement pourrait au moins patronuer les premières compagnies qui se formeraient à cet égard.
Il serait très-désirable que les fonctionnaires japonais des rangs inférieurs fussent encouragés à faire cette assurance: le plus grand nombre des petits fonctionnaires n'ont que leur traitement pour vivre et en cas de décès prématuré, ils laissent leur famille dans la misère. Si le système des pensions civiles, récemment organisé au Japon, ne contenait pas des conditions très-restrictives (e), il pourrait tenir lieu d'assurance contre le décès, mais il manque encore trop de généralité. Dans tous les cas, les simples particuliers vivant des métiers, des actes de commerce et des professions diverses, ne pouvant avoir de pensions civiles, en trouveraient l'équivalent dans les assurances contre le décès.
La loi ne renvoie pas à l'article 841, qui suppose que la chose assurée était périe en totalité ou “pour plus de moitié” au moment de l'assurance: le renvoi serait ridicule, à cause de la seconde hypothèse. Mais la règle écrite pour la perte totale de la chose est applicable au cas où l'assuré était déjà mort au moment du contrat, même à l'insù de l'assureur et du stipulant: le contrat ne serait alors qu'un pari illicite (v. p. 705, n° 570).
3° L'assuré doit déclarer, en s'assurant, s'il a déjà fait antérieurement une assurance avec un autre assureur, et avertir le premier assureur de la nouvelle assurance qu'il est dans l'intention de contracter (comp. art. 814 et 845). Le motif est à peu près le même que dans l'assurance contre l'incendie: dans ce dernier cas, il s'agit d'éviter que l'assuré n'obtienne, par les assurances cumulées, une indemnité supérieure à la valeur réelle de la chose assurée; dans l'assurance sur la vie, il y aurait à craindre que l'assuré ne fît reposer sur sa tête, c'est-à-dire dépendre de sa mort, des sommes trop considérables et hors de proportion avec le préjudice que sa mort causerait à ses héritiers, ce qui donnerait à ceux-ci ou à tout autre bénéficiaire un dangereux intérêt à sa mort.
Malgré l'analogie des situations, il a fallu introduire ici une dérogation aux articles précités: ils permettent que, dans certains cas, la résolution de l'assurance soit prononcée sans restitution des primes, même de celles payées pour l'avenir. Ici, une telle rigueur ne serait pas légitime: le décès de l'assuré, à la différence d'un incendie, est un événement inévitable qui aurait, tot ou tard, obligé l'assureur à payer une indemnité; il est donc naturel de le soumettre ici à l'indemnité proportionnelle réglée par l'article suivant et dont il a déjà été fait plusieurs applications.
On remarquera que l'article 846 ne figure pas parmi les articles des assurances contre l'incendie rendus applicables aux assurances sur la vie; le motif en est que, à la différence d'une chose matérielle sujette à périr par incendie, la vie humaine, ou plutôt l'intérêt pécuniaire qui s'attache à sa conservation, n'a pas de valeur absolue: si donc il y a plusieurs assurances valables contre le même décès, par plusieurs assureurs, chaque assureur payera l'indemnité qu'il a promise; tandis que, dans l'assurance contre l'incendie, chacun ne payerait qu'une part de la valeur totale de la chose périe.
4° L'assureur contre le décès qui craint de courir un risque trop considérable a, comme l'assureur contre l'incendie, le droit de faire réassurer le même risque à son profit (comp. art. 847).
La loi ne renvoie pas à l'article 848 qui déclare l'assuré contre l'incendie déchu du droit à l'indemnité pour certaines fautes lourdes déterminées; celles prévues à l'article 869: le duel, le suicide et le crime puni de la peine capitale, sont les seules fautes emportant déchéance du droit à l'indemnité, et même avec un tempérament pour le troisième de ces cas.
5° Il est naturel que le bénéficiaire, remplaçant ici l'assuré, fasse à l'assureur, dans le plus bref délai possible, la déclaration du décès de l'assuré (comp. art. 855).
6° Enfin, si le décès de l'assuré est imputable à faute à un tiers, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé aux droits du bénéficiaire contre ce tiers, quand la parenté ou une autre circonstance motiverait de la part du bénéficiaire une action en réparation du dommage causé par le décès (comp. art. 861).
Observons que ce droit transmis par la subrogation ne se mesure pas sur l'indemnité payée en vertu de l'assurance: il a sa mesure dans l'intérêt pécuniaire qu'avait le bénéficiaire à l'existence de la victime; or, cet intérêt pouvait être moindre que l'indemnité; mais ce que l'assureur n'obtiendra pas de l'infracteur comme subrogé du bénéficiaire, il le réclamera, en son propre nom, comme ayant souffert de l'infraction par le payement anticipé de l'indemnité.
En sens inverse, si le préjudice du bénéficiaire est supérieur à l'indemnité, celui-ci réclamera de l'infracteur la différence.
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(e) Ces restrictions s'expliquent par la circonstance que les pensions civiles ne sont pas produites par des retenues sur les traitements.
Art. 871. — 639. En Europe, les compagnies d'assurances sur la vie ont dressé des tarifs ou tableaux des prix moyennant lesquels elles se libèrent de l'indemnité, par anticipation, lorsqu'il y a lieu: notamment, lorsque l'assuré cesse de payer la prime annuelle. Les polices d'assurances se réfèrent à ces tarifs, de sorte que le recours aux tribunaux n'est pas nécessaire.
Il est probable que les compagnies d'assurances qui se formeront au Japon ne manqueront pas d'avoir les mêmes prévisions; mais pour le cas où elles y manqueraient, la loi y pourvoit, en confiant aux tribunaux le soin de faire équitablement entre les intéressés une répartition proportionnelle.
Ainsi, par exemple, une assurance de 1000 yens aurait été faite par un homme de 30 ans, moyennant une prime annuelle de 20 yens par an; après 10 ans, l'assuré (ayant alors 40 ans) a cessé de payer ses primes; il avait donc déjà payé 200 yens (sauf la participation aux bénéfices): en examinant l'état de sa santé et ses chances de longévité probable, on arrivera peut-être à estimer qu'il aurait vécu jusqu'à 70 ans et payé encore 600 yens pendant 30 ans, sauf toujours cette même participation aux bénéfices qui est progressive (v. p. 758, n° 626); il a donc, en 10 ans, payé le quart de tout ce qu'il aurait payé en 40 ans, on lui donnera le 1/4 de 1000 yens, soit 250 yens. Si ses chances de longévité sont moindres, on lui donnera davantage, parce que la compagnie était plus exposée à payer bientôt les 1000 yens.
Remarquons, à ce sujet, que lorsque les compagnies ont un tarif dit “ de rachat," il n'est tenu compte que de l'âge des assurés et des primes versées, mais non de la longévité probable de chaque assuré. A défaut de tarif, on devra équitablement faire cet examen.
Art. 872. — 640. Les tontines (f) ou associations tontinières sont des associations de personnes mettant en commun des capitaux égaux ou inégaux avec convention que, lorsqu'il se sera écoulé un certain temps, la masse totale de ces capitaux, augmentée des intérêts, se partagera entre ceux des associés qui survivront à cette époque, et dans la proportion des versements qu'ils auront effectués.
On peut voir dans cette combinaison financière une sorte d'assurance mutuelle sur la vie.
Les associations de ce genre sont soumises à la nécessité de l'autorisation spéciale du Gouvernement par l'article 833 qui est général. Il en est de même en France (Loi du 24 juill. 1867, art. 66). En effet, les combinaisons financières auxquelles peuvent donner lieu les assurances sont si variées que la loi doit craindre qu'elles ne deviennent des moyens frauduleux d'obtenir la fortune d'autrui, sous l'apparence de bénéfices légitimes ou d'une sage prévoyance.
La loi déclare que les tontines sont régies par les principes généraux des assurances à prime, sauf ceux qui sont incompatibles avec leur nature de mutualité et avec leurs statuts particuliers (comp. art. 830 et son commentaire).
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(f) Le mot tontines vient du nom de l'inventeur italien de ces associations, un certain Tonti.
COMMENTAIRE.
Art. 873. — N° 642. Ce premier article donne une définition du contrat qui va nous occuper. Elle diffère de celle du Code français (voy. art. 1892) sur un point important: d'après ce Code, le prêteur ne devrait que “livrer” les choses prêtées, c'est-à-dire en faire la tradition, tandis que, d'après la définition ici proposée, il doit “transférer la propriété.” Evidemment, le Code français n'a pas entendu autre chose par le mot livrer, car si le prêteur livrait des choses ne lui appartenant pas, il ne mettrait pas l'emprunteur dans une situation qui lui permît de consommer légitimement ces choses et le prêt ne mériterait pas son nom.
La définition du Code français sera, le plus souvent, sans inconvénients, parce que le prêt de consommation ne s'applique toujours qu'à des choses mobilières et que le possesseur de meubles, grâce à la prescription instantanée, en serait presque toujours propriétaire quand il les prêterait, et aussi parce que l'emprunteur deviendrait lui-même, par le seul effet de cette prescription, propriétaire des choses prêtées, lorsqu'elles l'auraient été par celui à qui elles n'appartenaient pas. Mais pourtant cette prescription a des conditions qui ne seront pas toujours remplies et alors la livraison de choses n'appartenant pas au prêteur n'effectuera pas un prêt valable (voy, art. 876).
643. Une autre conséquence de la différence des deux définitions du prêt est celle-ci: avec celle du Code français, on peut croire, et de bons auteurs soutiennent, que, lors même que le prêteur est propriétaire des choses prêtées, le seul consentement des parties ne suffit pas à la formation du contrat et que la livraison est nécessaire.
En effet, dit-on, le prêt oblige à rendre, à restituer, sinon la chose même, au moins son parfait équivalent; or, on ne peut être tenu de rendre que ce que l'on a préalablement reçu et, pour cela, le contrat de prêt est de la nature de ceux qu'on nomme réels (v. art. 320).
Nous ne nions pas qu'il faille avoir reçu pour être tenu de rendre; mais la question est de savoir quand et comment on a reçu. Indépendamment du cas de tradition de brève-main prévu à l'article 203, nous soutenons qu'on a reçu, au point de vue qui nous occupe, quand on est devenu propriétaire. Sans doute, il y aura presque toujours eu livraison pour opérer le transport de propriété, parce que le prêt aura eu pour objet des choses fongibles, des choses de quantité, qui ne se déterminent guère que par la livraison; mais supposons que le prêt ait pour objet des marchandises déjà pesées, comptées ou mesurées, marquées de signes distinctifs et séparées d'objets semblables, co sont alors des corps certains, et il suffit que les parties soient d'accord sur le prêt de ces choses pour qu'elles deviennent immédiatement la propriété de l'emprunteur, lequel, dès lors, est tenu d'en rendre pareille quantité et qualité: il les a reçues, quoiqu'il n'en ait pas encore pris possession; il aurait pu les aliéner avec bénéfice; elles sont certainement à ses risques, de même que l'augmentation de valeur qu'elles pourraient acquérir lui profiterait; dès lors le prêt est formé et parfait; il est donc tenu d'en rendre l'équivalent à l'échéance. Dans un seul cas, il en serait dispensé; c'est lorsque le prêteur aurait été en demeure de les livrer: alors, soit que celui-ci les eût encore en sa possession, soit qu'elles eussent péri, son obligation de livrer se compenserait avec son droit de se faire restituer, et il pourrait même devoir, en outre, des dommages-intérêts.
De ce que le prêt ne se forme que par la translation de propriété de la chose prêtée, il ne faudrait pas conclure que la promesse de prêter des choses fongibles, formée et acceptée par le seul consentement, ne serait pas obligatoire: elle le serait assurément, mais ce ne serait pas encore un prêt; il n'y aurait que contrat innommé, et la question n'est pas une simple affaire de mots: la promesse de prêt est si loin d'être un prêt que celui qui s'y trouve seul tenu est le futur prêteur, tandis que, dans le prêt effectué, c'est l'emprunteur qui serait seul débiteur.
644. En comparant la définition du Code français et celle-ci, on remarquera encore que ce Code (art. 1874 et 1892) paraît exiger que les choses prêtées soient de nature à "se consommer par le premier usage"; or, ce caractère peut être fréquent, mais il n'est pas nécessaire: il faut et il suffit que les choses soient fongibles, c'est-à-dire de celles qui s'apprécient à la quantité (en poids, nombre ou mesure), par opposition aux corps certains; or, c'est autant l'intention des parties que la nature même des choses qui leur donne ce caractère fongible (voy., à ce sujet, l'art. 19 et son commentaire).
Le nom de "prêt de consommation" n'a donc pas pour but de dire que les choses prêtées se consomment nécessairement par le premier usage, mais que l'emprunteur, devenu propriétaire, peut les consommer, à la différence de l'emprunteur à usage qui ne peut que s'en servir.
645. Disons encore quelques mots de la nature du prêt de consommation.
Il est essentiellement unilatéral, car il n'oblige que l'emprunteur, et c'est un autre tort du Code français que d'avoir consacré une Section spéciale aux prétendues “obligations du prêteur.” Sans doute, 1° le prêteur ne doit pas prêter des choses nuisibles ou dangereuses et il est responsable des dommages que l'emprunteur en éprouverait, 2° il ne doit pas réclamer le remboursement du prêt avant le temps fixé. Mais ces deux prétendues obligations sont plutôt des devoirs généraux que des obligations proprement dites: la première d'ailleurs ne naît pas du prêt, elle a pour cause le dommage causé injustement, lequel peut se rencontrer dans tout autre contrat et même en dehors d'aucun contrat. Quant à la défense de réclamer le remboursement avant le terme, c'est plutôt l'effet de l'absence d'un droit que celui d'une obligation proprement dite; tout créancier est dans le même cas, de ne pouvoir réclamer avant le terme ce que lui est dû: il y a une limite à son droit, mais non une obligation; il est à peu près aussi inexact de voir là une obligation que si l'on prétendait que celui auquel il n'est rien dû, ni présentement, ni à terme, a une obligation continue de ne rien réclamer (voy. T. II p. 25, n° 21 bis).
Le prêt est donc purement unilatéral et, s'il en était autrement, on ne voit pas quel autre contrat aurait ce caractère, car on pourrait toujours y voir une obligation pour le créancier de ne pas réclamer avant le terme.
646. Enfin, le contrat de prêt de consommation peut être gratuit ou onéreux, suivant les circonstances.
Il est gratuit, quand l'emprunteur ne doit rendre que l'équivalent exact de ce qu'il a reçu; il est onéreux, quand l'emprunteur doit, outre le principal, rendre une valeur comme intérêt des choses prêtées.
On trouvera plus loin (art. 880 et suiv.) les règles spéciales au prêt à intérêt, sans qu'elles soient l'objet d'une division particulière.
La circonstance que le prêt est gratuit quand il est sans intérêt ne fait pas qu'il soit soumis aux règles des donations, au moins pour celles de la forme, et il y est bien peu soumis pour le fond, parce que la libéralité ne porte jamais que sur la jouissance ou l'usage, puisque la restitution du capital doit avoir lieu dans un temps plus ou moins rapproché; le prêt de consomination sans intérêts ne doit pas être considéré comme une libéralité plus considérable que le prêt à usage. Toutefois, le prêt de consommation présente un danger qui n'est pas dans le prêt à usage, c'est celui que le capital ne soit pas remboursé, par suite de l'insolvabilité du débiteur; ce danger n'existe pas dans le prêt à usage, où le prêteur pourrait toujours, par la revendication, reconvrer la chose prêtée. Ce danger peut suffire à faire interdire aux incapables le prêt gratuit, même à ceux qui ont l'administration de leurs biens, comme les mineurs émancipés; mais il ne suffirait pas à leur faire interdire le prêt à intérêt, car c'est souvent le seul moyen d'utiliser les capitaux.
Art. 874. — 647. Il sera rare que les parties n'aient pas soin de fixer l'époque du remboursement du prêt; mais si elles commettaient cette négligence, il ne faudrait pas croire que le remboursement fût immédiate ment exigible: ce serait évidemment contraire à l'intention des parties; dès lors, c'est au tribunal à fixer un délai, lequel ne sera pas un délai de grâce, mais un délai de droit, parce qu'il est présumé conforme à l'intention des parties. La loi emploie ici à peu près les mêmes expressions que dans l'article 423 où il s'agit de l'obligation de payer, en général; mais elle ne croit pas devoir répéter que si le débiteur ne peut payer au terıne fixé, le tribunal peut lui accorder “un délai de grâce” (v. art. 426); il faut même admettre que lors même que le terme de droit a été fixé par le tribunal, comme il vient d'être remarqué, cela ne met pas obstacle à ce que celui-ci accorde un nouveau délai, qui alors sera un terme de grâce.
Il est important aussi que le lieu du remboursement soit fixé. Si les parties n'y ont pas pourvu, la loi ne laisse pas l'application pure et simple du droit commun, ce qui entraînerait le payement au domicile du débiteur (art. 489); elle fait une distinction qui limite l'application du droit commun au cas de prêt onéreux ou à intérêts, et, dans le cas où le prêt est gratuit, le payement doit être fait au domicile du créancier; il est portable dans ce dernier cas et quérable dans le premier (comp. art. 853).
Art. 875. — 648. On prévoit ici, comme le Code français, que le remboursement est devenu impossible, et pour qu'il n'y ait point de doute sur l'application de la disposition, il est formellement exprimé que l'obstacle vient“ d'une force majeure."
On aurait pu croire que, dans ce cas, le débiteur serait libéré, l'inexécution ne lui étant pas imputable; “l'impossibilité d'exécuter” est, en effet, l'une des causes légitimes d'extinction des obligations (art. 561 à 565), ce que le Projet exprime d'une façon plus large que le Code français, lequel ne parle que de la perte de la chose due (art. 1302). Mais il faut remarquer que cette cause d'extinction n'a lieu que lorsqu'il s'agit de la dette d'un corps certain ou de choses individuellement déterminées; or, ce n'est justement pas ce qui a lieu dans le prêt de consommation, où l'emprunteur doit des choses de genre ou de quantité, lesquelles ne sont pas de nature à périr (genera non pereunt).
Mais il peut arriver, quoique rarement, que le genre tout entier soit retiré du commerce; alors, on aurait pu croire que le débiteur se trouverait libéré par l'impossibilité d'exécuter résultant d'une force majeure. Ce résultat serait tout-à-fait iniqne; il constituerait pour l'emprunteur un gain illicite.
En effet, le cas n'est plus le même que celui où il doit un corps certain lui appartenant, dont la perte fortuite ou par force majeure ne l'enrichit pas; tandis qu'ici les choses qu'il devait n'étaient sans doute pas encore dans ses biens, il avait à se les procurer, à prix d'argent, en général, pour les livrer ensuite au créancier; s'il était libéré parce qu'il ne peut se les procurer, il bénéficierait de ce qu'il aurait dû dépenser pour les obtenir. Si déjà il s'était procuré les choses dues, en vue du payement, la solution devrait encore être la même, car il n'est pas juridiquement admis à être considéré comme débiteur d'un corps certain; en outre, la mesure légale ou administrative qui retirerait du commerce certaines denrées ou substances accorderait sans aucun doute une indemnité aux possesseurs actuels et c'est lui qui la recueillerait, comme il est observé plus loin.
649. Restait à déterminer la manière de calculer l'indemnité due au prêteur par l'emprunteur.
Le Code français (art. 1903), dans la même hypothèse, veut que l'on prenne la valeur des choses au temps et au lieu où le payement devait se faire; mais, si l'on suppose que les choses ne sont plus dans le commerce, elles n'ont plus de cours, plus de valeur courante, dans ce lieu et à cette époque; et si l'on se place dans le cas où, sans être retirées du commerce, les choses dues sont devenues d'une rareté excessive, soit par l'absence de récoltes dans l'année, soit par la guerre, s'il s'agit de choses à provenir d'importation étrangère, les prix estimés au temps et au lieu fixés pour le payement seront tellement élevés que ce pour. rait être la ruine du débiteur et un profit énorme pour le créancier, le tont, contrairement aux prévisions des parties.
Le Projet adopte ici, pour tous les cas, un mode d'es. timation que le Code français n'a admis que pour le cas où le lieu et l'époque du payement n'ont pas été fixés: ce seront le temps et le lieu de la convention, ou, plus exactement encore, de la remise des choses prêtées; c'est à ce moment, en effet, que le prêt a procuré à l'emprunteur un profit facile à déterminer et qu'il a sans doute réalisé.
Il est possible que l'emprunteur, à cause même du retrait du commerce des choses dues, ait reçu une indemnité supérieure à la valeur vénale qu'avaient ces choses au moment du prêt, comme aussi leur rareté dans le commerce peut lui avoir fourni une occasion de profit plus considérable que la valeur au jour du prêt; mais la loi ne le soumet pas à rembourser ce profit, lequel se compensera éventuellement avec la perte qu'il aurait pu subir.
Art. 876. — 650. D'après la définition que nous avons donnée du prêt de consommation, il ne suffit pas que le prêteur ait livré les choses prêtées, il faut encore qu'il en ait transféré la propriété; c'est ce transfert qui donne à l'emprunteur le droit de consommer les choses prêtées; or, comme on ne peut transférer à autrui plus de droits qu'on n'en a soimême, il faut donc que le prêteur soit propriétaire des choses prêtées (a).
La loi doit prévoir le cas où cette condition ne serait pas remplie, et surtout indiquer comment cette omission originaire pourrait être réparée dans la suite.
D'abord elle nous dit que le prêt de la chose d'autrui est nul; nous dirons, comme pour la vente de la chose d'autrui, que cette nullité est radicale et vient du défaut de cause.
La loi nous dit encore que le prêt de la chose d'autrui oblige le prétendu prêteur à la garantie envers l'emprunteur, mais sous deux conditions: que le prêt ait été fait “à intérêts” et que l'emprunteur ait été “de bonne foi.” La première condition est l'application du principe général que la garantie n'a lieu que dans les contrats onéreux (v. art. 416); la seconde est fondée sur ce qu'il n'y a pas lieu de réparer un dommage envers celui qui s'y est volontairement exposé.
Revenons un instant à cette nullité originaire du prêt de la chose d'autrui.
Le prêteur n'a pas transféré la propriété à l'emprunteur: celui-ci, n'ayant pas acquis, n'a pas l'obligation de rendre; il a pourtant dans les mains les choses prêtées; mais comme il peut être actionné en revendication par le vrai propriétaire, il ne doit pas être exposé à deux poursuites à raison des mêmes choses; et il faut noter, en passant, que la restitution faite au prêteur, après la découverte du droit du vrai propriétaire, ne priverait pas celui-ci de son action contre l'emprunteur, car c'est un principe fondamental, devenu un axiome, que celui qui, par dol, a cessé de posséder est tenu comme s'il possédait encore (b).”
Mais, si ces poursuites du vrai propriétaire cessent d'être possibles, l'emprunteur doit être soumis à celle du prêteur: autrement, il trouverait dans ce prêt irrégulier une cause de profit illégitime.
651. Voyons maintenant les cas où, la revendication du propriétaire étant devenue impossible, le prêt de la chose d'autrui se trouve validé (c).
Ces cas sont au nombre de trois.
Ier Cas. L'emprunteur a consommé de bonne foi les choses prêtées.
En règle générale, toute consommation empêche la revendication du propriétaire (d); mais, en général aussi, la consommation laisse subsister une action en dommages-intérêts de l'ancien propriétaire contre celui qui a consommé la chose d'autrui: au cas de mauvaise foi, l'action fondée sur le dommage injuste, aura pour objet la réparation de tout le préjudice éprouvé et de tout le gain manqué par le propriétaire; au cas de bonne foi, le montant de l'action sera réduit au profit que le possesseur aura tiré des choses qu'il a consommées: l'action est alors fondée sur l'enrichissement indû.
Notre article, supposant la consommation “de bonne foi,” laisse donc place à l'action de l'ancien propriétaire des choses, lorsque la consommation a eu lieu de mauvaise foi: c'est le cas dont vous parlions plus haut, où la cessation de la possession par dol n'affranchit pas l'ancien possesseur de l'action du propriétaire; par conséquent, dans ce cas, le prêteur ne devrait pas avoir action.
Mais la consommation de bonne foi des choses prêtées permet de dire que l'emprunteur, quelle que soit la faute du prêteur, a trouvé dans le prêt tous les avantages qu'il y avait cherchés; dès lors, il n'a pas à faire à l'action du prêteur la même objection que lorsque les choses prêtées sont encore sujettes à l'action du propriétaire. Si donc il est désormais tenu envers le prêteur, il ve peut plus l'être envers l'ancien propriétaire auquel il répondrait qu'il n'est pas enrichi de son bien, ayant à en rendre l'équivalent au prêteur. C'est ce dernier qui indemnisera le vrai propriétaire: il le fera dans la mesure de la valeur totale des choses prêtées, s'il a été à l'origine posesseur de mauvaise foi; s'il a été de bonne foi au moment du prêt, il ne devra au propriétaire que son profit, c'est-à-dire le montant du remboursement effectif qu'il obtiendra de l'emprunteur; or, ce dernier pourrait être insolvable, en tout ou en partie.
IIo Cas. L'emprunteur de bonne foi n'a pas consommé les choses prêtées, mais, actionné en revendication par le vrai propriétaire, il lui a opposé, comme fin de non-recevoir, la prescription instantanée des meubles (v. C. civ. fr., art. 2279). La situation est la même que s'il avait consommé les choses de bonne foi, car il a désormais le droit de les consommer, et on peut dire encore qu'il a trouvé dans le prêt tous les avantages qu'il avait le droit d'en attendre; il est donc soumis au remboursement vis-à-vis du prêteur.
Remarquons, sur ce deuxième cas, que la loi a bien soin de supposer que l'emprunteur a effectivement opposé la prescription; en effet, elle n'est pas acquise de plein droit au possesseur, elle doit être invoquée (voy. C. civ., fr., art. 2223).
L'usage effectif de la prescription instantanée pourrait modifier sur deux points les solutions données au cas qui précède, sans les supprimer:
1° Supposons que l'emprunteur ait consommé de bonne foi les choses prêtées: il peut, sans prendre la peine d'établir, vis-à-vis du vrai propriétaire, qu'il n'est pas enrichi de cette consommation, à cause de la validation du prêt qui lui crée une nouvelle obligation, invoquer ladite prescription qui lui a été acquise dès avant la consommation, sous la condition de l'invoquer;
2° Le prêteur de bonne foi des choses d'autrui, actionné en vertu de son enrichissement, par l'ancien propriétaire, peut, si sa conscience n'y répugne pas, invoquer la prescription instantanée.
IIIe Cas. La loi suppose que le vrai propriétaire a ratifié le prêt fait sans son consentement. A partir de ce moment encore, l'emprunteur trouve dans le prêt tous les avantages qu'il y a cherchés; il est donc justo qu'il soit tenu envers le prêteur, sauf à celui-ci à compter avec le vrai propriétaire, suivant leurs rapports respectifs.
Toutes ces solutions manquent au Code français; mais elles peuvent y étre suppléées par la jurisprudence, d'après les divers principes généraux qui se rencontrent ici.
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(a) Les jurisconsultes romains disaient, avec une inimitable concision: in mutui datione, oportet dominum esse dantem, “dans la dation du prêt de consommation, il faut que le donneur de valeur en soit propriétaire."
(b) Qui dolo possidere desiit pro possidente damnatur: pro possessione dolus est.
(c) Les anciens jurisconsultes disaient alors: reconciliatur mutuum: “le prêt est réparé.”
(d) Res extinctæ vindicari non possunt: “les choses éteintes ne peuvent être revendiquées.”
Art. 877. — 652. On a dit plus haut que le contrat de prêt de consommation est purement unilatéral et que c'est à tort que le Code français consacre une Section à deux prétendues “obligations du prêteur.”
La première obligation serait de ne pas demander la restitution avant le terme convenu (art. 1899); or, ce n'est pas là une obligation proprement dite née du contrat, c'est un devoir général de ne pas contester à autrui ses avantages légaux ou conventionnels: le prêteur a acquis le droit de se faire rendre l'équivalent des choses prétées; mais ce droit est né avec une certaine limite de temps, il est affecté de la modalité qu'on appelle “terme initial” (terme a quo), cette limite doit étre respectée, comme toutes les autres. Il est tout aussi inexact de voir là une obligation spéciale du préteur que si l'on en voyait une dans l'absence du droit, pour lui, de demander plus ou autre chose que ce qu'il a prété.
Rappelons enfin, à cause de son importance, la remarque déjà faite, que si l'on voyait là une obligation du préteur, on en trouverait une analogue dans tous les autres contrats qui sont considérés comme unilatéraux, par exemple la novation, et il ne resterait pas un seul contrat unilatéral.
653. La seconde obligation que le Code français présente comme née du prét, à la charge du prêteur, est celle d'indemniser l'emprunteur des dommages que celui-ci a éprouvés par suite des défauts des choses prétées, lorsqu'il connaissait ces défauts (v. art. 1898, se référant à l'article 1891 écrit pour le prêt de consommation).
Ici, nous ne nions pas qu'il y ait une véritable obli. gation du préteur, mais nous nions qu'elle résulte du pret, qui deviendrait ainsi synallagmatique, au moins par exception. Cette obligation naît d'un dommage causé injustement, avec ou sans intention de nuire; il y a là une source d'obligation indépendante du prêt et dont celui-ci n'est que l'occasion (v. art. 390 et s.), comme d'autres conventions pourraient étre l'occasion d'un enrichissement indû ou sans cause légitime, ce qui est encore une antre source d'obligation (v. art. 381 et s.).
Le Projet énonce donc cette obligation du prêteur, mais avec une distinction entre le prét gratuit et le prêt à intérêts: c'est une application du droit commun de la garantie.
D'abord, dans les deux cas, il est supposé que les défauts des choses prêtées étaient “non apparents et ignorés de l'emprunteur,” car si celui-ci avait pu les reconnaître au moment du prêt ou avant d'employer les choses, il devrait imputer à sa négligence autant qu'à la faute du prêteur le dommage qu'il éprouve.
654. S'il n'a pas connu ces défauts et n'a pu les connaître, le prêteur à titre gratuit n'en est encore responsable que s'il les a connus et a eu l'intention, en les prêtant, de causer un dommage à l'emprunteur, ou, tout au moins, de profiter de l'ignorance de celui-ci, en so faisant promettre des choses de bonne qualité en retour des choses vicieuses qu'il livrait; ce dol n'implique pas, par lui-même, l'intention de nuire, car le prêteur, tout en connaissant les qualités nuisibles des choses prêtées, et même en les dissimulant, a pu espérer qu'elles ne causeraient pas de dommages. La responsabilité se règlera, dans les deux cas, d'après le principe de l'article 390 qui renvoie lui-même à l'article 405.
Si le prêt est à intérêts, comme le contrat tend à procurer un profit au prêteur, il est juste que celui-ci apporte plus de soins à ne causer aucun dominage à l'emprunteur, et l'on peut lui reprocher de n'avoir pas connu les défauts de la chose prêtée, “lorsqu'il ponvait les connaître.” Ce ne serait pas d'ailleurs pour lo prêteur un moyen de se disculper que d'alléguer que les choses prêtées ne lui appartenaient pas et qu'il n'a pu en connaître les défauts; car ce serait un autre tort que d'avoir prété des choses d'autrui, tort dont il est garant aussi dans le prêt non gratuit, ainsi qu'il est dit à l'article précédent.
655. La loi termine par un renvoi général aux règles de l'action rédhibitoire de la vente, lesquelles seront appliquées au prèt, “autant qu'il y a lieu.”
Ainsi, l'emprunteur venant à découvrir les vices des choses prêtées, avant de les avoir consommées ou aliénées, peut faire résilier le prêt (art. 741); il peut le maintenir avec diminution de la quantité ou de la qualité à restituer (art. 742); il peut demander des dommages-intérêts, dans les deux cas (art. 743); le prêteur ne peut, par une stipulation de “non garantie,” s'affranchir de la responsabilité des vices qu'il connaissait (art. 744); la preuve des vices cachés se fera par tous les moyens légaux de preuve (art. 745); l'action rédhibitoire et en dommages-intérêts est limitée à un délai spécial (art. 746); elle n'est pas perdue par l'aliénation des choses prêtées (art. 747); enfin, la perte totale ou fortuite de tout ou partie des choses prêtées éteint ou restreint les droits de l'emprunteur (art. 748).
Les articles 749 et 750 seuls sont ici sans application.
Art. 878. — 656. Lorsqu'on a traité du payement en général, on a eu occasion d'examiner et de résoudre avec développements une question fort importante, complexe et difficile, celle de savoir comment peut s'effectuer le payement des dettes d'argent, lorsqu'il y a plusieurs monnaies métalliques exprimant la même valeur légale, et aussi lorsqu'il existe un papier-monnaie ayant cours forcé (voy. Tome II, p. 520 et suiv., nos 475 et s.).
On a regretté d'abord que le Japon ait adopté pour ses nouvelles monnaies le système européen qui établit un rapport légal fixe entre la valeur de l'or et celle de l'argent, rapport d'après lequel l'or vaudrait, à poids égal, 16 fois et 17/100es plus que l'argent (e), et l'on a remarqué que ce rapport légal est rarement conforme à celui qui s'établit par le libre effet du commerce, de sorte qu'il est presque toujours plus avantageux au dé biteur de payer en une monnaie que dans une autre, tandis que le créancier a un intérêt diamétralement opposé; or, comme la loi est toujours plus favorable au débiteur qu'au créancier, dans une situation égale, c'est le débiteur qui a le choix de la monnaie dans laquelle le payement se fera, et son droit, comme son intérêt, est de choisir la monnaie la plus dépréciée; on a même dû reconnaître que, pour une raison d'ordre public, ce choix ne peut lui être enlevé par une convention expresse (comp. art. 481, 3° al.; V. aussi T. II, p. 528, n° 482 et p. 530, n° 484).
Lorsqu'il existe un papier-monnaie à cours forcé, le débiteur peut également se libérer en cette monnaie, lors même qu'il aurait promis de se libérer en monnaie métallique.
L'ensemble de ce système est très-préjudiciable au créancier, surtout quand l'échéance du payement est assez éloignée pour gêner les plus sages prévisions; aussi a-t-on fait, en France et ailleurs, bien des propositions et tentatives pour y remédier, mais sans succès jusqu'ici.
La loi française et celles qui l'ont imitée ont été faites à une époque où les phénomènes économiques étaient encore mal étudiés et où le législateur, se faisant illusion sur son pouvoir, croyait qu'il lui suffisait de décréter un rapport de valeur entre deux métaux monétaires pour que ce rapport demeurât invariable. Mieux éclairé, le législateur n'aurait donné à aucune des parties le choix de la monnaie à payer ou à recevoir: il aurait dit que le débiteur devrait payer moitié en une monnaie et moitié en l'autre, ce qui était le faire profiter de la baisse de l'une et souffrir de la hausse de l'autre, avec résultat inverse pour le créancier, lequel souffrirait de la baisse et profiterait de la hausse de la monnaie par lui reçue. La seule faveur légitime que le législateur eût dû laisser au débiteur c'était de lui permettre de transformer, au cours du jour du payement, en la monnaie unique qu'il voudrait choisir, la somme totale des deux valeurs ainsi déterminées, et cela, nonobstant toute convention contraire.
657. Or, c'est précisément ce que nous avons proposé, au sujet du payement en général (art. 484 et s.) et ce dont nous faisons ici l'application.
Mais ce n'est pas au législateur que nous demandons une innovation à laquelle nous doutons qu'il soit disposé: c'est aux parties que nous offrons le moyen de corriger elles-mêmes la loi générale par leurs accords personnels, tout en respectant ce qui, dans la loi, touche à l'ordre public “auquel on ne peut déroger par des conventions particulières.”
Les créavciers qui contracteront à l'avenir, menacés de la baisse progressive de l'argent comparé à l'or, exposés à ne pas recouvrer en cette monnaie l'équivalent de ce qu'ils auront fourni, en argent même ou en toute autre valeur, ne manqueront pas de stipuler la condition de faire supporter au débiteur la moitié (ou une autre fraction) de la baisse de ce métal; ils ne pourront pas, il est vrai exiger que le débiteur leur donne effectivement en or la moitié de leur créance, mais ils exigeront qu'il leur donne en argent la moitié de cette valeur en or. En d'autres termes, le débiteur ne profitera que pour moitié de la baisse de l'argent, ou le créancier profitera pour moitié de la hausse de l'or.
L'innovation proposée consistant dans une plus large part faite à la liberté des conventions ne s'imposera à personne et ne s'appliquera qu'à ceux qui, s'en étant exactement rendu compte, auront voulu s'en assurer le bénéfice. Elle se conciliera parfaitement d'ailleurs, et ce n'est pas son moindre avantage, avec le système monétaire actuel du Japon et avec les dispositions législatives de ceux des pays d'Europe qui sont sous le régime du bimétallisme.
Ce que nous proposons n'est donc qu'un bimétallisme corrigé (f).
Outre la satisfaction évidente que le système donne à l'équité, qui est ici l'égalité de traitement entre le créancier et le débiteur, nous croyons fermement qu'il rapprochera peu à peu le rapport commercial des deux métaux de leur rapport légal et qu'il les maintiendra ensuite en accord, car la spéculation n'aura plus d'intérêt à faire hausser ou baisser, d'une manière factice, l'un ou l'autre des métaux, puisque chacun des mouveinents de hausse ou de baisse de l'un se répercutera nécessairement sur l'autre et dans le même sens; en un mot, tandis qu'aujourd'hui le mouvement d'un métal dans un sens l'éloigne nécessairement de l'autre, comme le mouvement d'une balance, avec le nouveau système les deux métaux seroni conjoints et solidaires, et les oscillations n'auront plus lieu qu'entre eux et les autres marchandises dont ils sont le prix.
658. A cause de l'importance de cette théorie nous l'éclairerons de nouveau par un exemple. Comme le papier-monnaie au Japon est maintenant convertible en argent et reçu au pair, pour cette monnaie, nous ne ferons plus figurer dans notre exemple que les deux métaux précieux qui présentent au Japon, autant et plus qu'en Europe, un écart toujours croissant en faveur de l'or (g).
Supposons, pour plus de simplicité, que l'on est convenu de diviser le gain et la perte par moitié entre les deux parties, c'est comme si l'on était convenu que le débiteur payera la moyenne des deux valeurs moné. taires.
Soient les cours suivants (h):
100 yens d'or = 135 yens d'argent,
74 - d'or = 100 - d'argent.
S'il n'était pas intervenu de stipulation, le débiteur de 100 yens se libérerait en donnant cette somme en argent; s'il offrait de l'or, le créancier se contenterait sans doute de 74 ou 75 yens de cette monnaie, mais ce serait toujours le créancier qui subirait la baisse de l'argent.
Avec la convention supposée, le débiteur choisira entre ces trois modes de payement:
ou 50 yens d'argent et 50 yens d'or,
ou 50 - d'argent et 67 5/10es d'argent représentant 50 yens d'or,
ou 50 - d'or et 37 y. d'or représentant 50 y. d'arg.
Le jer payement, divisé en deux monnaies légales, est d'une équité évidente;
Le 2, en argent seulement, donne 117 y, 50/100es,
Le 3', en or seulement, donne 87 y.
Ces deux derniers payements présentent exactement la même valeur l'un que l'autre, et aussi la même valeur que le premier.
659. L'article 486 a prévu et permis une autre convention, mais elle n'est pas applicable au prêt.
On peut, en général, convenir (par exemple, dans une vente) que le débiteur payera “la valeur de 100 yens d'or;" cela n'enlève pas à celui-ci le droit de se libérer en argent, monnaie légale dont il garde le choix; mais, au lieu de donner 100 yens d'argent, comme s'il n'y avait pas eu de stipulation particulière, il en donnera 135 yens, en supposant les cours respectifs donnés plus haut.
C'est ici que le prêt de consommation présente une dérogation à la liberté des conventions, dérogation déjà annoncée par l'article 488 et expliquée par avance à cette occasion (v. T. II, pp. 545 – 547, n° 498):
Un prêteur qui livrerait 100 yens d'argent ne pourrait pas plus stipuler qu'il lui sera remboursé 100 yens d'or qu'il ne pourrait stipuler qu'il lui sera rendu 135 yens d'argent: ce serait, dans l'un et l'autre cas, se faire rembourser plus qu'il n'a prêté; or, qu'on ne l'oublie pas, le prêt est un contrat réel, il a sa cause dans la livraison effective et même dans la translation de propriété des choses prêtées; c'est la nature et la quantité de ces choses qui détermine la nature et la quantité de celles qui devront être rendues. Ainsi, celui qui a prêté des yens d'argent ne peut stipuler qu'il lui sera rendu pareil nombre de yens d'or, ni l'équivalent en argent de la valeur d'autant de yens d'or; au premier cas, il enlèverait au débiteur le choix de la monnaie, au second cas, il prétendrait se faire rendre plus qu'il n'a prété.
Celui même qui a prêté de l'or ne peut stipuler qu'il lui sera rendu pareille somme en or, toujours parce que ce serait enlever au débiteur le choix de la monnaie; mais il pourrait stipnler qu'il lui sera rendu en argent l'équivalent de la somme d'or prêtée, d'après le cours du jour du prêt.
Il ne faudrait pas croire que si l'on se trouvait dans un cas où le prêteur a pu stipuler des intérêts sans liinites légales, il a pu stipuler, au lieu d'intérêts, le remboursement en yens d'or d'uu prêt fait en yens d'argent: on verra, aux articles 881 et 882, que les intérêts conventionnels doivent être “stipulés" et non “dissimulés” dans une exagération du capital.
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(e) On sait qu'en France et dans plusieurs autres pays ayant formé avec elle une convention dite Union monétaire, le rapport légal de l'or à l'argent est de 15-1/2 à 1.
(f) Ce système a été exposé par nous, une première fois, à la Société d'Economie politique (v. J. des Economistes, Juillet 1873).
Nous l'avons rappelé dans une lettre, datée du Japon, à M. Joseph Garnier (v. J. des Econ., Juillet 1881).
Il avait été appliqué dans la 1re é lition du présent Projet (1882, p. 524 et s.).
Il est reproduit avec développements dans la 2e édition (1883), Tome II, p. 520 à 547, nos 475 à 498), et nous l'avons publié séparément (même année), sous ce titre: Le Bimetallisme corrigé dans le Projet de Code civil japonais.
(g) Lorsque nous avons exposé ce système, en 1893, le papiermonnaie (shihéi ou kinsatsu) était inconvertible et il subissait une perte de 13, comparé au yen d'argent, et celui-ci perdaịt 1/10 comparé au yen d'or. Depuis cette époque, le papier s'est progressivement relevé jusqu'au pair avec l'argent; il s'y est maintenu longtemps et, depuis quinze mois, les nouveaux billets émis avec ce caractère (dakkan-shihéi) sont acceptés comme l'argent. Ils ont encore cours forcé, mais en ce sens seulement que ce n'est pas le débiteur qui aurait la charge de demander le remboursement en espèces: c'est au créancier à prendre ce soin; il s'en abstient, du reste: il paye lui-même ses dettes avec ce papier, et l'argent reste en garantie dans les caisses de l'Etat.
(h) Ce sont les cours du jour où nous écrivons ces lignes (9 avril 1837).
Art. 879. — 660. Les lingots d'or ou d'argent ne sont pas de la monnaie: ce ne sont que des marchandises ordinaires; rien n'empêche donc de stipuler la restitution de pareilles quantité et qualité de même métal que celui qui a été prêté; sous ce rapport, l'or et l'argent ne diffèrent pas du cuivre et du plomb, ni même des denrées ou de toutes autres marchandises.
On pourrait stipuler aussi, en donnant un métal en lingot, qu'on recevra un autre métal, en quantité proportionnelle à sa qualité, inférieure ou supérieure à celle du métal livré; de même, qu'on recevra des denrées pour des lingots, ou des lingots pour denrées. Seulement, cette convention ne serait plus un prêt; elle ne serait pas non plus une vente, puisqu'il n'y aurait pas de prix en argent monnayé; elle ne constituerait pas non plus un échange, même avec l'extension donnée à ce contrat par le Projet (voy, art. 754): ce serait un contrat innommé (voy. ci-dess., p. 438 et s., nos 356 et s.).
Art. 880. — 661. Nous arrivons au prêt à intérêts déjà annoncé comme étant un contrat à titre onéreux sans cesser pour cela d'être unilatéral, puisque les deux obligations, celle du capital et celle des intérêts, sont du même côté.
Les économistes modernes soutiennent avec raison que le prêt à intérêt est un véritable louage d'argent; en effet, dans ce contrat, l'une des parties procure à l'autre l'usage et la jouissance d'une chose, moyennant un prix ou une contre-valeur que celle-ci s'engage à lui payer. Cette assimilation du prêt au louage est surtout utile lorsqu'on veut démontrer que le prêt à intérêt est légitime (ce qui a été contesté dans l'ancien droit européen) et que le taux de l'intérêt conventionnel doit être libre et non limité par la loi (ce qui n'est pas encore admis en tous pays). Mais, en dehors de cette considération, il vaut mieux laisser au contrat qni nous occupe le nom de “prêt à intérêts”: outre que ce nom est consacré généralement, même au Japon, il répond mieux à la classification juridique des contrats: le louage, dans tous les autres cas, est un contrat synal. lagmatique; il n'oblige pas seulement le preneur, mais encore le bailleur qui doit garantir au preneur la jouissance continue d'une chose dont la propriété n'est pas transférée à celui-ci; tandis que dans le prêt à intérêts, i'emprunteur devient ou doit devenir propriétaire; s'il a droit à garantie, c'est seulement si la propriété ne lui est pas acquise au moment du contrat (v. art. 876); mais après qu'il est devenu propriétaire, la chose reste à ses risques et les pertes de jouissance ne le dispensent pas de payer les intérêts.
662. De tout temps et en tous pays, le législateur s'est préoccupé des dangers du prêt à intérêt: l'emprunteur, toujours pressé d'un besoin d'argent, est porté à consentir à des intérêts très-élevés, espérant que le prêt, non seulement l'aidera à sortir d'embarras, mais même lui permettra de réaliser des bénéfices; l'époque du remboursement arrive, il n'est pas en situation de l'effectuer, il demande une prorogation du terme et souvent il ne l'obtient qu'en se soumettant à un intérêt encore plus élevé: la saisie de ses biens, pour être retardée, n'en est que plus inevitable et plus désastreuse.
Il est certain que celui qui entre dans la voie des emprunts est bien compromis et, s'il y a des exemples de débiteurs qu'un emprunt a sauvés, il y en a plus encore de débiteurs que les emprunts ont ruinés.
Chez les Romains, les patriciens (les nobles) tenaient les plébéiens (les gens du peuple) sous leur dépendance, au moyen de prêts à gros intérêts qui leur permettaient, à défaut de payement, de faire passer leurs débiteurs dans la condition d'esclaves.
Parmi les mesures restrictives de la tyrannie des prêteurs, se trouva celle qui limitait le taux marimum de l'intérêt à 1/100% pour cent par mois (centesima usura).
C'est un taux usité au Japon, et il serait à souhaiter qu'il ne fût pas trop souvent excédé.
Une autre disposition protectrice du débiteur, en cette matière, défendait au créancier de recevoir des intérêts, lorsque la somme de ceux déjà payés ou dûs arrivait à être égale au montant du capital. Cette disposition se trouvait auparavant dans une ancienne loi de l'Inde (Loi ou Code de Manou, Liv. vii, SS 140 à 143) et c'est sans doute là son origine: elle aura passé d'abord en Grèce, comme beaucoup d'autres coutumes, et de là à Rome.
603. L'ancien droit européen, au moyen-âge, fut plus sévère encore pour le prêt à intérêt: il le prohiba absolument; le prêt dut être gratuit. Cette prohibition fut le résultat de l'interprétation, erronée, croyons-nous, de quelques textes religieux, et aussi des fausses notions économiques de cette époque: on admettait bien que le propriétaire d'un sol pût, en le louant, en tirer un profit en argent parce que le preneur (l'emprunteur du sol, comme on dit au Japon), pouvait, en le cultivant, en tirer lui-même des fruits; mais ou disait que l'argent, par sa nature, ne produit pas d'autre argent et que, dès lors, le prêteur fait un gain injuste en tirant un produit de son argent.
664. Aujourd'hui, on ne prendrait pas la peine de réfuter une pareille erreur, si elle se produisait ou se répétait; c'est par une sorte d'égard pour le passé qu'on s'y arrête un instant et parce qu'il faut bien expliquer l'histoire; mais, il ne faut pas un grand effort pour démontrer que l'argent peut produire des intérêts sans qu'il y ait spoliation du débiteur: il suffirait de citer le louage d'une maison, sur la légitimité duquel on n'a jamais élevé de doute. Assurément, une maison ne produit pas de fruits comme un champ, et pourtant, celui à qui on la prête paye valablement un loyer, parce que, en habitant la maison d'autrui, il a épargné l'argent qu'il lui aurait fallu dépenser pour acheter ou faire construire une maison d'habitation.
Si quelqu'un emprunte une somme d'argent pour acheter un champ, ce champ lui donnera des fruits et produits; dira-t-on qu'il ne serait pas juste que l'emprunteur donnât une partie de ces fruits à celui qui lui a prêté l'argent pour l'achat ? Quelle objection, dès lors, y a-t-il à ce que la portion de fruits que peut recevoir le prêteur lui soit donnée sous forme de sommes périodiques d'argent? Faut-il donc chercher quel emploi l'emprunteur a fait de l'argent prêté et n'autoriser la stipulation d'intérêts que lorsqu'il a acquis avec cet argent des choses de nature frugifère?
Mais ce serait se jeter dans d'insolubles difficultés de preuves, et d'ailleurs, l'emprunteur a pu profiter de l'argent, de beaucoup d'autres manières qu'en achat de ces sortes de choses: supposons qu'il ait acheté des marchandises dans de bonnes conditions et qu'il les ait revendues avec bénéfice; supposons encore qu'il ait acheté des matériaux pour fabriquer des objets qu'il a vendus ou qu'il vendra.
Ajoutons qu'en même temps que le prêteur procure à l'emprunteur un avantage pécuniaire pouvant revêtir les formes les plus variées, il se prive lui-même d'un pareil avantage, car on ne contestera pas qu'il aurait pu, avec ses capitaux disponibles, acheter des marchandises pour les revendre, ou des objets productifs ou seulement utiles, ou même des choses de par agrément.
Nons n'insistons pas pour démontrer une vérité aussi évidente. Disons seulement qu'aujourd'hui ces exemples pourraient servir à réfuter une erreur à peu près semblable d'une école économiste plus ou moins voisine du communisme, laquelle prétend aussi que le prêt doit être gratuit; certes, les arguments ne sont pas tirés des textes religieux, ils semblent plutôt fondés sur un antagonisme aveugle du travail contre la propriété et le capital, ce qui est aujourd'hui une erreur économique commune. Aussi ceux qui ne demandent encore que la "gratuité du prêt ou du crédit,” demanderaient bientot, si on leur faisait quelque concession sur ce point, la gratuité du prêt des maisons, des instruments de travail et de tout ce qu'il est encore d'usage incontesté de louer à prix d'argent.
Ces novateurs seraient encore obligés d'aller plus loin: comme le prêt gratuit ne trouverait pas de prêteurs bénévoles, il faudrait décréter aussi le prêt obligatoire.
665. Il est donc pleinement établi que le prêt à intérêt est légitime, mais ce qui reste encore discuté aujourd'hui c'est le point de savoir si le législateur peut, en raison, et doit, pour l'utilité publique, limiter le taux de l'intérêt conventionnel, ou s'il doit, au contraire, le laisser libre.
La plupart des pays d'Europe admettent aujourd'hui la liberté du prêt à intérêt.
Dans ce sens, nous citerons d'abord l'Angleterre et l'Allemagne; ces pays, étant protestants, ont été plus tôt affranchis de l'influence du droit ecclésiastique ou canonique qui avait suggéré aux princes la prohibi. tion absolue du prêt à intérêt; ces pays étaient donc déjà prédisposés à admettre la liberté du taux.
Mais il faut ajouter encore, comme autorisant ici la liberté des conventions, plusieurs pays catholiques, comme l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, et il ne paraît pas que ces pays souffrent de cette liberté, car nous ne croyons pas qu'on ait songé à y rétablir les anciennes restrictions.
666. En France, les économistes sont depuis longtemps unanimes pour demander que le taux de l'intérêt redevienne libre (nous ne parlons pas des novateurs qui demandent la gratuité du prêt); les Chambres ont été plusieurs fois saisies de propositions dans ce sens. Une loi récente (12-14 janv. 1886) vient d'abolir la limite de 6% en matière commerciale (i). Il est probable que le législateur français ne voudra pas rester encore à cet égard, en arrière des autres législations, sur un point, et qu'il ne tardera pas à rendre aussi aux conventions civiles la liberté de l'intérêt.
Nous disons “rendre,” parce qu'après la prohibition à la suite de la Révolution, entra brusquement dans le système contraire et permit de fixer un intérêt conventionnel entièrement libre.
Cette situation fut maintenue, en 1804, dans le Code civil, où la liberté du taux de l'intérêt conventionnel est proclamée avec une réserve (art. 1907) que nous proposons d'adopter ici.
Mais, en 1807, par une loi spéciale du 3 septembre, loi encore en vigueur, au moins pour les matières civiles, et dont l'abrogation totale est demandée, le taux de l'intérêt conventionnel fut limité à 5% en matière civile et à 6% en matière commerciale: c'était le même taux que pour l'intérêt légal. Cette distinction entre les matières civiles et les matières commerciales n'est pas toujours facile à appliquer, mais comme elle n'est pas particulière au prêt (comp. ci-dess., art. 766 à 768, 830 et 832) et qu'elle n'a pas encore au Japon l'importance qu'elle a en France, notamment pour la compétence de tribunaux spéciaux, nous ne nous y arrêterons pas ici.
667. Le méme fait législatif s'est produit au Japon, au sujet du taux de l'intérêt conventionnel. Pendant les premières années qui ont suivi la Restauration, les parties ont été libres d'adopter le taux qui leur convenait (j); mais le Gouvernement s'est ému de l'abus qui a été fait de cette liberté et, sans avoir peut-être suffisamment attendu que le remède vînt de la liberté même et de la concurrence, il a porté une loi restrictive à cet égard.
Le taux d'ailleurs varie avec la somme prétée: il est plus élevé quand cette somme l'est moins; il est de 20% par an, pour moins de 100 yens, de 15% pour 100 yens et moins de 1000 yens, de 12% pour 1000 yens et au-dessus (k).
Nous ne voyons pas bien quel a pu être le motif du législateur, en établissant cette échelle des intérêts; si même le taux de l'intérêt pouvait, en raison, varier avec l'importance des sommes prêtées, nous comprendrions mieux le renversement de la proportion et nous voudrions diminuer l'intérêt avec l'exiguité de la somme. En effet, ceux qui empruntent de petites sommes sont précisément ceux qui ont peu de ressources: ils sont pressés par le besoin plus que par le désir de spéculer, et il leur sera sans doute plus difficile de payer 20 % qu'à ceux qui empruntent de grosses sommes. Si l'on considère la fortune de celui qui prête, et si l'on croit devoir accorder un plus grand profit du prêt à celui qui n'a que de petits capitaux, on se fait illusion en croyant que le prêteur de petites sommes n'a lui-même que de faibles capitaux: le contraire arrive souvent. C'est même un des résultats fâcheux de cette loi que des personnes ayant des capitaux importants les emploient à des prêts de petites sommes, à de pauvres gens, et arrivent ainsi à tirer 20 % de tous leurs capitaux.
Nous croyons donc que le taux doit être indépendant de l'importance des sommes prêtées, tout en leur étant proportionnel.
D'ailleurs, on peut facilement éluder les limites de la loi, même en prétant à une seule personne: pour cela, il suffit de diviser la somme prêtée en fractions de moins de 100 yens ou de moins de 1000 yens, et ainsi on obtiendra 20 %. au lieu de 15, et 15 %. au lieu de 12; il ne serait peut-être même pas nécessaire de laisser un intervalle quelconque entre les prêts: ceux-ci pourraient porter la même date ou ne différer que d'un jour.
La seule distinction qu'on pourrait justifier, et encore non sans quelque difficulté, est celle qui aurait rapport à la nature civile ou commerciale des dettes, inais nous ne la proposons pas.
668. Nous devons maintenant présenter, au moins d'une façon abrégée, les raisons qu'on peut faire valoir pour et contre les restrictions à la liberté des parties dans la fixation du taux de l'intérêt.
Les raisons pour une limitation légale se ramènent, aujourd'hui comine autrefois, à une seule: il faut protéger l'emprunteur contre “Ja rapacité" du prêteur, lequel sera d'autant plus exigeant qu'il saura l'emprunteur dans la gêne ou embarrassé dans ses affaires, et comme cette raison pourrait être donnée dans d'autres cas, où cependant on ne propose pas de limiter la liberté des contractants, on argumente encore de la croissance rapide de la dette d'intérêts par l'effet du temps.
Nous réfutons de suite cette dernière considération, en faisant remarquer que la loi pourvoit déjà deux fois à la protection du débiteur contre l'accumulation des intérêts, dans les seuls cas où elle serait ruineuse pour lui; c'est: 1° en admettant que les intérêts non payés se prescrivent par 5 ans (voy. C. civ. fr., art. 2277); le Projet, il est vrai n'a pas encore réglé ce point, mais il est probable qu'on y admettra aussi une prescription abrégée pour les intérêts; 2° lorsqu'elle défend la capitalisation des intérêts pouvant produire elle-même de nouveaux intérêts (anatocisme), s'il n'intervient chaque année une convention spéciale ou une demande en justice à cet effet (voy. Proj. jap., art. 414; comp. C. civ. fr., art. 1154); quant à la renaissance continue de la dette annuelle des intérêts, elle n'a rien d'injuste, puisque, pendant le même nombre d'années, l'emprunteur jouit de l'argent d'autrui.
669. Reste donc la crainte d'un taux trop élevé des intérêts. Il est certain que le prêteur sera d'autant plus exigeant que l'emprunteur paraîtra avoir plus besoin d'argent et surtout que les exigences du premier croîtront avec le risque de perdre tout ou partie du capital prêté, par suite du danger d'insolvabilité de l'emprunteur.
Le premier danger n'a rien de particulier au prêt à intérêt: si quelqu'un a le désir ou le besoin de louer ou d'acheter et que celui qui peut le satisfaire connaisse l'intensité de ce désir ou de ce besoin, il pourra tout autant abuser de ses avantages au préjudice de l'autre partie; il n'en serait pas autrement si, en sens inverse, c'est celui auquel appartient la chose qui a besoin de la louer ou de la vendre; les choses, en effet, n'ont pas de valeur absolue, comme prix de vente ou de location, leur prix dépend de l'intensité de la demande et de l'offre comparativement: c'est un principe d'économie politique aujourd'hui universellement reconnu. Donc, dans le cas de prêt qui nous occupe, l'emprunteur acceptera ou rejettera les conditions du prêteur, suivant que son besoin excèdera ou non la rigueur de ces conditions.
Le deuxième danger, celui de l'augmentation des intérêts avec le risque de perte pour tout ou partie du capital prêté, n'a rien qui doive faire reculer devant le principe de la liberté des conventions; il est tout-àfait d'accord avec l'équité: du moment que le contrat a quelque chose d'aléatoire, en fait, sinon en droit, il est naturel que le risque de perte se compense avec la chance de gain.
Nous citions tout-à-l'heure l'ancien Code hindou de Vanou; il avait encore ici une disposition très-sage: il est vrai qu'il limitait aussi le taux de l'intérêt conventionnel, mais la limite était moins étroite lorsque l'emprunteur ne pouvait pas fournir de gage ou d'hypothèque que lorsqu'il donnait l'une de ces sûretés (Liv. VIII, SS 151 et 153).
670. Ajoutons que ces deux objections à la liberté du taux, déjà réfutées, tombent tout-à-fait devant cette dernière considération que la liberté du taux amène la concurrence entre les préteurs, comme la liberté des veutes et des louages amène la concurrence entre les vendeurs et les bailleurs; or, si l'emprunteur trouve les conditions trop rigoureuses, il pourra s'adresser à d'autres préteurs et c'est encore la “loi de l'offre et de la demande” qui fera déterminer le taux dans sa mesure légitime. Autrement, si le taux est limité, il arrive de deux choses l'une (et elles sont également funestes à celui qui veut emprunter): ou bien les gens scrupuleux d'observer la loi, mais soigneux de leurs biens, ne lui préteront pas, à cause du peu de profit légitime et du risque d'insolvabilité, ou bien les gens sans scrupules lui prêteront à de gros intérêts, en les dissimulant par l'un des nombreux moyens dont nous parlerons bientôt, et comme ils sont exposés à quelques rigueurs de la loi, s'ils sont découverts, ils ne manqueront pas de s'en faire un argument près du débiteur pour lui imposer des conditions d'autant plus dures qu'ils s'exposent davantage, “pour l'obliger,” disentils, en violant la loi.
671. En France, une loi du 19 décembre 1850, modifiant celle du 3 septembre 1807, punit de peines correc tionnelles ceux qui prêtent habituellement à gros intérêts (à usure) et ils ne manquent pas de faire peser sur l'emprunteur le risque spécial qu'ils encourent, outre celui de restituer l'excédant de l'intérêt légitime.
Une dernière considération doit faire renoncer à la limitation, par la loi, du taux de l'intérêt conventionnel, c'est la grande facilité de l'éluder, par conséquent, son inutilité.
Dans l'ancien droit français où la prohibition de l'intérêt dans le prêt était absolue, on imagina d'ingénieuses combinaisons de contrats simultanés, tous licites isolément, mais produisant, par leur réunion et dans leur résultat final, le bénéfice même que la loi condampait.
Aujourd'hui, pour éluder les limites légales du taux de l'intérêt, la fraude est moins savante, mais elle at. teint son but tout aussi sûrement et aussi facilement.
Les exemples suivants se rencontrent aussi bien au Japon qu'ailleurs.
Ainsi, supposons un prêteur de 500 yens, pour un an, voulant obtenir 20 %., c'est-à-dire 5 %. au-delà du taux légitime, quatre moyens de fraude, au moins, sont à sa disposition, avec la complaisance presque forcée du débiteur obéré:
1° Il se fera faire une reconnaissance de 600 yens, sans exprimer aucune stipulation d'intérêts: il aura ainsi, en bloc, un profit de 100 yens, dont 25 yens illicitement;
2° Il se fera faire une reconvaissance de 525 yens, en stipulant 15% d'intérêts, ce qui lui donnera même plus de 20 %, car, outre les 25 yens ajoutés mensongèrement au capital, il en recevra l'intérêt à 15%, soit 75 yens, plus 3 y., 75 sens, en tout 103 y. 75 s.;
3° Il se fera faire une reconnaissance de 500 yens, à 15% d'intérêts, ce qui lui assure déjà 75 y. licitement, et, voulant obtenir 5% en sus, il retiendra 25 yens sur les 500; ces 25 y. peuvent encore rapporter 20%, par un emploi à un autre pret, soit 5 y., ce qui lui donnera, en tout, un profit de 105 yens;
4° Enfin, en se faisant donner une reconnaissance de 500 yens seulement, sans mention d'intérêts, il préJèvera 100 yens, formant l'intérêt à 20 %: ce sera l'escompte dit“en dehors" et il pourra prêter cette même somme à 20%, soit au même emprunteur, soit à un autre, ce qui lui donnera encore 20 yens: en tout, 120 yens de profit.
Quand une loi prohibitive est si facilement éludée, il vaut mieux qu'elle n'existe pas: autrement, l'autorité du légistaleur perd son prestige en révélant son impuissance.
672. En présence de cette situation, si le Projet ne propose pas l'abrogation immédiate de la loi actuelle sur le taux de l'intérêt, il ne consacre pas non plus la limitation de l'intérêt; il procède comme a fait le Code civil français: il en proclame la liberté, “sauf les cas où la loi la prohibe;" ces cas pourront être généraux ou spéciaux; le Code civil restera ainsi à l'abri des modifications ultérieures que l'expérience pourra suggérer; de même, le taux pourra être modifié, en plus ou en moins, sans qu'il en résulte de changement dans la loi civile fondamentale.
On ajoutera d'ailleurs au texte une sanction plus sévère que celle de la loi actuelle, contre les fraudes qui consisteront à “dissimuler” un intérêt prohibé (v. art. 882).
Nous complétons ce qui concerne le présent article, en remarquant que l'intérêt qui rend le prêt onéreux est possible non seulement quand il s'agit de sommes d'argent, mais encore lorsqu'il s'agit de denrées ou de toutes autres choses de quantité: l'intérêt consiste alors en choses de même nature.
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(i) Déjà une loi des 9-10 juin 1857 (art. 8) permettait à la Banque de porter son escompte et les intérêts de ses avances “ au-dessus de 6o,”, et les autres banques jouissaient, par une tolérance naturelle, de la même faveur.
(j) L'ancienne législation avait varió; mais, le plus souvent, elle avait restreint la liberté du prêt.
(k) Cette loi est du 10 jour du 9e mois de la xe année de Meiji (10 septembre 1877).
Elle ne mentionne que le prêt; mais comme elle n'a rien de pénal, la jurisprudence tend à l'appliquer aux autres obligations de commes d'argent. La sanction, en effet, n'est autre que la réduction au taux légal de l'intérêt excessif.
On est loin des rigueurs de l'ancien régime féodal où le prêteur à usure perdait le capital, lequel était confisqué.
Par un privilége dont l'explication nous éloignerait trop du sujet, les aveugles n'étaient pas soumis à ces limites du taux de l'intérêt.
Art. 881. — 673. Bien que l'intérêt soit un profit légitime dans le prêt, au moins lorsqu'il reste dans les limites où la loi le permet, ce n'est pas une raison pour qu'il soit dû de plein droit: le prêt de consommation est en principe gratuit, comme le prêt à usage; pour qu'il soit onéreux, pour que des intérêts soient dûs, il faut qu'ils aient été "stipulés ou convenus.”
Le texte n'exige pas que la convention soit expresse: elle pourrait donc s'induire des dispositions de l'acte pris dans son ensemble et interprété par le tribunal.
Le Code français est plus exigeant, il veut que le taux de l'intérêt soit "fixé par écrit” (art. 1907,4° al.). Cette disposition, écrite à une époque où le taux de l'intérêt était encore libre, avait sans doute pour but de modérer l'avidité des prêteurs par la crainte du mépris des autres; elle a perdu cette utilité quand le taux a été limité; mais elle l'a recouvrée pour les prêts commerciaux, depuis la loi précitée du 14 janvier 1886, et elle la recouvrera entièrement lorsque la liberté du prêt sera rétablie en matière civile; elle a d'ailleurs une autre utilité, c'est de prévenir les contestations sur le taux convenu.
La loi devait prévoir le cas où les parties, étant convenues qn'il serait dû des intérêts, n'en auraient pas fixé le taux: pour donner effet à la convention, elle veut que, dans ce cas, l'emprunteur paye le taux légal. Ce taux n'est pas déterminé par le présent. Projet: il se trouve déjà fixé à 6 % par la loi spéciale précitée de la ro année de Meiji, et comme il pourra varier dans l'avenir, suivant l'état économique du pays, il vaut mieux qu'il puisse être modifié par une autre loi, sans altération du Code civil.
674. Le ze alinéa suppose que le débiteur n'avait pas promis d'intérêts et que cependant il en a payé: la loi lui refuse le droit de les répéter et même de les imputer sur le capital. On pourrait croire que la répétition doit lui appartenir, comme à celui qui a fait un payement indû; mais la loi la lui refuse, parce qu'elle le considère comme ayant exécuté volontairement une obligation naturelle (v. T. II, p. 808, n° 724).
Le payement n'est validé, du reste, que dans la mesure du taux légal: ce qu'il aurait payé au-delà serait sujet à répétition. Ce n'est pas le cas de l'article suivant où le tout serait sujet à répétition.
Art. 882. — 675. On a annoncé que cette disposi. tion, imitée du Code français, avait pour but de ne pas abroger, quant à présent, la loi sur le taux marimum de l'intérêt: le Gouvernement aura le loisir d'en vérifier l'inutilité; il pourra ainsi la modifier, l'abroger, y revenir même, s'il regrettait un jour de l'avoir abrogée, et le Code civil n'en sera pas dérapyé dans ses dispositions.
Mais ce que le Projet propose c'est une sanction véritable et sérieuse contre la violation de la prohibition. On a déjà annoncé que cette sanction ne serait pas pénale mais purement civile; seulement, au lieu de ne consister, comme dans la loi actuelle, que dans la réduction de l'intérêt excessif à la mesure du taux légitime, on propose d'enlever au prêteur avide la totalité des intérêts qu'il a voulu obtenir, lorsqu'il a employé des moyens artificieux pour les “dissimuler.” Dans l'état actuel de la loi japonaise, le créancier a tout à gagner et rien à perdre à en frauder les prohibitions, car s'il n'est pas découvert, il gagne les intérêts illégitimes et s'il est découvert, il les garde dans la mesure permise.
Notre article présente donc trois dispositions distinctes:
1° Les intérêts conventionnels peuvent excéder le taux légal, quand la loi ne le prohibe pas.
Ici, on entend par “intérêt légal” celui qui est dû à défaut de stipulation spéciale: par exemple, en cas de retard dans le payement (intérêts moratoires).
Quant à la loi limitative, elle pourra être générale comme celle qui est aujourd'hui en vigueur; elle pourra être spéciale: par exemple, applicable seulement aux prêts faits par les fonctionnaires publics.
2° Si le créancier a stipulé des intérêts excédant les limites que fixe une loi générale ou spéciale et s'il n'a pas dissimulé sa stipulation, si elle est ostensible et loyale, il est supposé avoir ignoré ou mal compris cette loi, et la sanction n'est autre que la réduction de ses intérêts au taux légitime; au cas où les intérêts excessifs sont déjà payés, le débiteur peut les répéter, ou les imputer en déduction du capital, au moment du remboursement.
3° Si le créancier “a fait dissimuler” les intérêts dans la reconnaissance de la dette, il perd tout droit à des intérêts: il ne pourra pas en exiger, et s'il les a perçus, en tout ou en partie, il est soumis à la répétition ou à la déduction sur le capital.
La loi n'énonce qu'un mode de dissimulation, l'exagération du capital dû, dans la reconnaissance, mais elle prononce la même déchéance “pour tout autre moyen” de dissimulation, comme on en a donné plusieurs exemples sous l'article 880; rappelons seulement le plus simple: la retenue de l'intérêt excessif sur le capital prêté.
La loi pousse la sévérité aussi loin que possible, en prononçant la privation complète des intérêts, lors même que la dissimulation ne porterait que sur la portion illégitime; ainsi, le créancier aurait stipulé ostensiblement les intérêts au taux légitime: par exemple, 12% pour un capital de 1000 yens ou plus, et il aurait dissimulé 5 ou 10% en plus, en faisant grossir le capital porté dans la reconnaissance, ou en retenant cette somme sur le capital effectivement prêté. Dans ce cas, si la nullité ne portait que sur la somme dissimulée, ce serait encore le cas de dire que le créancier ne court aucun risque de perdre et n'a que la chance de gagner, ce que l'on vient de critiquer comme un effet de la loi actuellement en vigueur.
Toutes ces solutions sont nouvelles; mais on n'hésite pas à les proposer comme de nature a refréner l'ari. dité des prêteurs, bien plus que la peine correctionnelle du Code français, qui d'ailleurs n'atteint le délit d'usure que s'il y a habitude.
Art. 883. — 676. Cette disposition est empruntée au Code français (art. 1908); mais on lui donne ici plus de précision. Ainsi, il est formellement dit que la réception “d'une partie du capital suffit pour faire présumer que les intérêts sont payés ou abandonnés volontairement par le créancier, tandis que le Code français paraît n'avoir eu en vue que le remboursement total et final; de là un doute au cas de remboursement partiel, cas où l'on pourrait croire que les intérêts ne sont présumés payés que pour cette portion du capital.
Dans le système du Projet, si le remboursement n'est que partiel, les intérêts sont bien perdus pour tout ce qui est “ échu,” même pour la portion de capital non remboursée, mais il n'est porté aucun préjudice aux intérêts à échoir pour le reste du capital.
Bien entendu, le créancier qui n'a pas reçu les intérêts échus et qui n'entend pas en faire l'abandon peut les "réserver," et le texte a soin de l'exprimer; il va même plus loin que le Code français, en permettant au créancier qui a négligé de faire des réserves de prouver, contre la présomption légale, que les intérêts échus n'ont pas été payés et qu'il n'a eu aucune intention d'en faire l'abandon: par exemple, il produirait une lettre du débiteur annonçant, avec l'envoi du capital, un règlement prochain des intérêts dont il n'a pu faire encore le calcul.
Art. 884. — 677. En principe, les conventions sont libres pour fixer le terme de l'exécution des obligations, et le terme fixé doit, en général, être attendu, soit pour que le créancier poursuive, soit pour que le débiteur puisse se libérer. Cependant, on a déjà vu que le débiteur peut renoncer au bénéfice du terme, s'il n'est pas prouvé que le terme ait été établi dans l'intérêt du créancier (voy. art. 424).
Le présent article va encore plus loin en faveur du débiteur, en lui permettant d'enlever au créancier le bénéfice du terme, après 10 ans de payement d'intérêts, lors même que celui-ci a stipulé le terme pour son avantage propre.
La présente disposition surprendra peut-être, mais elle est la conséquence logique d'une autre qui va se présenter dans la Section suivante (art. 887). On va voir que quand le prêt prend la forme d'une constitution de rente, le créancier ne peut pas empêcher le débiteur de rembourser le capital, après 10 ans du contrat; or, il serait illogique que, dans un prêt ordinaire à intérêts, le créancier eût, à cet égard, plus de droit qu'un crédi-rentier: il a déjà l'avantage de pouvoir exiger le remboursement à l'époque fixée, tandis qu'il n'a jamais un tel droit dans le contrat de rente; c'est une raison pour ne pas lui donner encore le droit d'empêcher le remboursement par le débiteur.
On verra, sous ledit article 887, pourquoi cette faculté de rembourser le capital après 10 ans du contrat a été accordée au débi-rentier; il y a ici même motif de la lui accorder.
Le Code français et plusieurs de ceux qui l'ont imité ont été illogiques, il semble, en admettant la faculté de remboursement pour le débiteur d'une rente perpé. tuelle et en ne l'étendant pas au débiteur d'un prêt à intérêts à long terme (l).
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(l) Au dernier moment, nous trouvons dans le Code civil italien (art. 1832) une disposition semblable et plus prévoyante encore qui nous fait regretter que le texte de notre article 884 soit déjà imprimé. Nous le compléterons aux Additions.
Dans le Code italien, le délai du remboursement facultatif pour l'emprunteur n'est que de 5 ans; mis il est soumis à quatre conditions: 1° il faut que les intérêts conventionnels excèdent le taux légal; 2° le débiteur doit avertir le créancier de son intention, six mois à l'avance; 3° ce remboursement anticipé n'est pas admis si la somme annuelle à payer comprend, outre les intérêts, un amortissement graduel du capital; 4° s'il s'agit d'emprunts faits par l'Etat, les communes ou autres personnes morales (art. 1833).
Art. 885. — 678. Les dispositions qui précèdent (art. 881 à 884) auraient pu être placées dans le payement en général, parce que, si elles sont le plus naturellement applicables au prêt, elles ne lui sont pas exclusivement propres. On aurait donc pu les insérer à la place de l'article 488 qui lui-même renvoie au prêt. Mais il n'y a aucun inconvenient à les placer ici, avec renvoi au Payement. Il y a même a cela l'avantage que c'est ici qu'on les cherchera le plus naturellement.
Supposons donc une dette d'argent ayant pour cause une vente à terme: l'acheteur peut s'engager à payer des intérêts, même quand la chose vendue n'est pas frugifère: autrement, ils sont dus, de plein droit, du jour de la livraison reçue (v. art. 715); si le taux des intérêts conventionnels n'a pas été fixé, ils sont dûs au taux légal (art. 881, 2° al.); s'il a payé volontairement des intérêts non stipulés, il ne peut les répéter (ibid., 3° al.); les limites légales du taux conventionnel, s'il y a lieu, seront observées, avec une sanction différente, suivant qu'il y a eu ou non fraude à la loi (art. 882); la réception du capital fera présumer le payement ou la remise des intérêts échus, sauf s'il y a eu des réserves ou si la preuve contraire est fournie (art. 883) et, par l'effet de notre article 883 lui-même, la présomption s'applique, avec son tempérament, aux intérêts légaux comme aux intérêts conventionnels; enfin, si le terme du payement est à une échéance de plus de 10 ans, le débiteur peut se libérer par anticipation, nonobstant toute convention contraire (v. art. 881, avec les conditions ajoutées aux Additions).
L'article 809 a déjà annoncé que le prêt maritime, dit aussi prêt à la grosse aventure, n'est pas soumis aux règles du Code civil, mais à celles du Code de commerce (voy. C. comm., fr., art. 311 et s.). Ce n'est pas ici le lieu de signaler les particularités de ce prêt dont le caractère est aléatoire et où le créancier, courant des risques énormes, peut prétendre à un profit plus considérable qui fait compensation à ces risques.
COMMENTAIRE.
N° 679. Le contrat de rente perpétuelle est aujourd'hui rare, en Europe, entre les particuliers; il n'est plus guère usité que comme forme des emprunts d'Etat. On comprend que lorsqu'un Etat emprunte des sommes toujours considérables, soit pour de grands travaux publics, soit pour développer son armement militaire ou sa marine, il ne s'engage pas à rembourser le capital à époque fixe, parce que ces dépenses, si utiles ou nécessaires qu'elles puissent être, ne produiront jamais dans ses mains un capital égal à celui qu'elles ont coûté; l'Etat se soumet seulement à payer des intérêts ou arrérages annuels et perpétuels, auxquels il fait face au moyen des impôts, augmentés à cet effet; il conserve toutefois la faculté de rembourser, quand il le pourra, pour s'affranchir des arrérages.
Mais les particuliers n'ont pas les mêmes raisons de faire des emprunts non remboursables. Autrefois cependant, le contrat de rente perpétuelle était très-fréquent en Europe: cela tenait à ce que le prêt à intérêts était défendu; alors, on avait imaginé bien des moyens d'éluder une prohibition si contraire à la raison et à l'intérêt économique du peuple. Le seul qui fût admis par la jurisprudence, parce qu'il pouvait se concevoir indépendant de toute idée de fraude, fut le contrat de rente qui va nous occuper; aussi se garda-t-on bien, dans la pratique, de le considérer comme une variété du prêt à intérêts, c'eût été le condamner.
On imagina de dire que le débiteur rendait une créance de prestations périodiques perpétuelles, payables par lui-même; cette vente se faisait moyennant un capital que payait l'acheteur de la créance devenu le créancier de la rente ou crédi-rentier. En réalité, le débiteur (débi-rentier) était un emprunteur de la somme payée et la prestation périodique en était l'intérêt annuel; mais, comme il ne pouvait jamais être poursuivi en remboursement, on n'y voyait pas la même cause de ruine que dans le prêt à intérêts.
680. Du reste, ce procédé n'aurait sans doute pas eu le même succès s'il n'avait existé déjà une autre sorte de rente perpétuelle très-licite, la rente dite “foncière" dont nous devons d'autant plus donner un aperçu qu'elle existe encore aujourd'hui en Europe et qu'elle pourra prendre une place dans la pratique japonaise.
Il arrivait souvent autrefois que la vente d'immeuble, au lieu de se faire moyennant un capital en argent, se faisait moyennant une prestation périodique, perpétuelle ou viagère, en argent ou même en denrées: beaucoup d'acheteurs, n'ayant pas un capital suffisant pour acquérir un immeuble, pouvaient ainsi arriver à l'acquisition, en s'engageant à fournir une contrevaleur moins onéreuse pour eux et dont le vendeur s'accommodait, du moment que la rente était égale ou supérieure au revenu qu'il tirait de son immeuble.
Cette nature particulière du prix de vente était d'autant plus utile dans l'ancienne législation qu'un acheteur n'aurait pu, à cette époque, faire des billets pour le prix de vente, en capital, avec intérêts jusqu'aux échéances, puisque le prêt à intérêt était défendu et que l'obligation de payer un capital à terme avec intérêts jusqu'au payement pouvait être considérée comme un emprunt à intérêts.
Le droit de rente qui appartenait ainsi au vendeur était considéré comme retenu sur l'immeuble vendu, par opposition à la rente qui va nous occuper et qu'on appelait rente constituée (créée); le droit de rente retenue était réel et immobilier, de là, on l'appelait rente foncière, et comme, en même temps qu'il obligeait personnellement l'acheteur, il grevait l'immeuble même, il suivait pour ainsi dire cet immeuble dans les mains des tiers acquéreurs, comme l'aurait fait une hypothèque ou un privilége.
Aujourd'hui, il est encore permis de vendre ainsi un immeuble pour une rente perpétuelle ou viagère (v.ci-dessus, art. 661 et l'Addition à cet article; v. aussi art. 889). La rente est alors le prix de l'immeuble; le vendeur non payé a le choix entre le droit de résolution et un privilége sur la chose vendue; ces droits sont opposables aux tiers qui ont dû les connaître par la transcription.
Si ce mode de vente est moins fréquent en Europe qu'autrefois, c'est justement parce que le prêt à intérêts est permis et que l'acheteur qui n'a pas de capitaux suffisants peut en emprunter ou souscrire au vendeur des billets avec intérêts, tout en lui laissant ses droits de résolution et de privilége.
681. Nous avons dit que la préexistence de la rente foncière avait, à l'origine, contribué à faire autoriser dans la pratique la rente dite constituée, comme contrevaleur d'un capital mobilier reçu par le débiteur de la rente, et que pour éloigner toute apparence de prêt, au moins en la forme, on considérait le débiteur de la rente comme vendeur d'une créance d'arrérages sur lui-même, d'une créance dont il était le débiteur; mais au fond, on savait si bien qu'il y avait là un prêt à intérêt que les Ordovnauces royales apportèrent des Jimites au taux de la rente comparée au capital (a).
Cette idée de vente n'est plus nécessaire aujourd'hui, aussi le Code français traite-t-il de la rente sous la rubrique du Prêt à intérêt. Mais il a conservé un mot qui rappelle l'ancienne fiction de vente de créance, c'est le mot rachat, pour exprimer le remboursement du capital par le débiteur, lorsque celui-ci veut s'affranchir de la prestation périodique: puisqu'il rachète la rente, c'est qu'il l'avait rendue.
Dans le Projet, on évite ce mot rachat et on emploie celui de remboursement qui est plus clair et, en même temps, plus vrai.
Nous donverons maintenant quelques développements sur les dispositions du Projet.
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(a) Il fut d'abord admis que la rente annuelle, les arrerages, pourraient aller jusqu'au dixieme du capital, au denier-dix (ou 10%); puis, on les reduisit successivement au douzieme ou denier-douze (1/12e ou 8 1/3 %), au seizieme ou denier-seize (1/16e ou 6 1/4%), enfin, au vingtieme ou denier-vingt (1/20e ou 5%).
Art. 886. — 682. Ce qui caractérise le contrat de constitution de rente, c'est l'interdiction pour le prêteur d'exiger, à quelque époque que ce soit, le remboursement du capital aliéné: autrement, il n'y aurait plus qu'un prêt ordinaire à intérêts, avec un terme plus ou moins éloigné.
La loi n'exige pas que cette interdiction soit expresse, elle admet qu'elle puisse résulter des circonstances, pourvu que ce soit clair et incontestable.
On a quelquefois décidé en France qu'il y aurait contrat de rente perpétuelle si le prêteur avait accepté la clause que l'emprunteur rembourserait“à sa volonté ou quand il voudra," et il n'y a pas de raison de ne pas admettre le même solution au Japon. Il est vrai que l'article 423, prévoyant cette formule pour les obligations en général, la considère comme un “terme incertain” que le tribunal aura à fixer équitablement; mais cette disposition générale n'exclut pas une solution différente pour un cas particulier (b).
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(b) On pourra, du reste, ajouter à l'article 423 une réserve ainsi conçue: "sans préjudice du cas où les parties auraient entendu constituer une rente perpétuelle," et nous l'avons déjà proposée.
Art. 887. — 683. Il y a ici une dérogation remarquable à la liberté des conventions.
Beaucoup d'anteurs, en France, commentant l'article 1911 du Code civil, ont vu dans la faculté de rembourser laissée au débiteur un retour au droit commun; c'est une méprise certaine. Assurément, les dettes sont, en général, remboursables, comme elles sont exigibles; mais il s'agit justement ici d'un cas où les parties ont entendu déroger au droit commun, en s'interdisant, l'une, le droit de poursuivre le remboursement du capital, l'autre, le droit de le rembourser, et tandis que le créancier reste soumis à la convention, le débiteur peut s'en affranchir; c'est donc là qu'il y a dérogation au droit commun.
La présente disposition déroge en même temps à une autre règle, c'est que le débiteur ne peut rembourser avant le temps convenu, lorsque le terme a été établi dans l'intérêt du créancier; or, le débiteur conserve ici le droit de rembourser à toute époque, lors même qu'il aurait été formellement exprimé que la défense de rembourser est établie dans l'intérêt du créancier seul.
684. Il faut donc justifier cette nouvelle faveur accordée au débiteur.
L'intérêt annuel des capitaux est sujet à des variations fréquentes et il a une tendance naturelle à diminuer en temps de prospérité, parce que les capitaux, se développant sans cesse dans le pays, sont plutôt offerts en placement que demandés; de là, un profit moindre pour les prêteurs d'argent; si donc on suppose que le contrat a été fait à une époque où les capitaux étaient rares et l'intérêt élevé, le débiteur, s'il est obligé de continuer indéfiniment le service des mêmes arrérages, y trouvera certainement la ruine; car l'argent qu'il a reçu, l'eût-il conservé, ne produira plus dans ses mains un intérêt égal à celui qu'il paye. Il faut donc voir dans sa faculté de rembourser malgré l'interdiction à laquelle il s'est soumis, une protection exceptionnelle, mais équitable, légitime et nécessaire.
La loi cependant ne veut pas que cette protection d'un des contractants soit trop nuisible à l'autre; pour cela, elle autorise le créancier à stipuler que le remboursement ne pourra pas avoir lieu avant un temps fixe dont le maximum est 10 ans. Ce délai peut être renouvelé indéfiniment, mais sans jamais pouvoir excéder 10 ans, après qu'il a été convenu, afin que le débiteur n'abdique pas pour un temps trop long une faculté dont il peut ne pas prévoir la nécessité.
Si le délai pendant lequel le remboursement a été défendu était supérieur à 10 ans, il n'y aurait pas nullité entière de la clause: le délai serait seulement réductible à 10 ans.
On trouve une disposition analogue au sujet du droit de demander le partage entre copropriétaires, sauf que le délai n'est que de 5 ans (voy. art. 40).
685. Bien entendu, une fois les 10 ans écoulés, le bébiteur reste toujours libre de continuer le service de la rente: le créancier n'a jamais le droit d'exiger le remboursement, puisque c'est là le caractère distinctif de la rente: le remboursement est une faculté pour le débiteur, laquelle ne se perd pas par prescription (v. C. civ. fr., art. 2232); sous ce rapport, le remboursement de la rente diffère beaucoup de la faculté de rachat ou réméré dans la vente, laquelle, étant l'objet d'une stipulation, constitue un véritable droit susceptible de se perdre faute d'être exercé dans le délai convenu (v. art. 722 et s.)
Un point voisin pouvait faire doute et la loi le règle: si le débiteur, ayant prévenu le créancier de son intention de rembourser à une époque déterminée, comme l'y oblige notre article, n'accomplit pas sa promesse, peut-il y être contraint ? Le texte ne l'admet pas: le débi-rentier ne sera passible que de dommages-intérêts. En effet, le débiteur n'a pas, par la seule déclaration de son intention, changé la nature du contrat, il n'a pas fait d'un prêt perpétuel un prêt à terme: pour cela, il aurait fallu non seulement l'acceptation du crédi-rentier, mais une “novation,” sinon expresse, au moins "résultant clairement de l'acte ou des circonstances" (v. art. 514) (c).
686. Le texte de notre article a soin de dire également que “le remboursement facultatif doit être intégral, sauf convention contraire.” Cette convention pourrait être admise comme novation, et rendrait obligatoire le remboursement partiel.
Si la loi ne s'expliquait pas sur ce point, on aurait pu croire que la disposition de l'article 426 qui autorise le tribunal à donner des délais pour le payement des obligations en général et à effectuer le payement par parties s'appliquerait à cette matière spéciale; mais il faut décider négativement: la disposition de l'article 426 est une protection accordée par la loi au débiteur malheureux que le créancier, usant de son droit avec rigueur, vent contraindre au payement immédiat; mais ici, il s'agit d'une obligation facultative: le débiteur ne peut être contraint au remboursement; s'il le fait, c'est qu'il le veut, et il ne doit pas le vouloir avant de le pouvoir; il doit mettre des fonds en réserve pour payer le tout à la fois: il a pour cela tout le temps qui lui conviendra.
Remarquons pourtant que le tribunal pourrait accorder des délais au débiteur pour le payement des arrérages et en autoriser le payement partiel; mais cas d'un payement que le créancier peut exiger. Enfin, dans un des cas où par exception, le capital même devient exigible, le remboursement partiel pent être autorisé (v. art. 888, 2e al.).
Mais, outre que la division du remboursement est valable si elle a été stipulée dans l'acte, elle est encore permise si le débiteur, venant à mourir, laissait plusieurs héritiers: dans ce cas, chaque héritier ne devant personnellement que sa part héréditaire dans les arrérages, s'en libère valablement en remboursant le capital correspondant à cette part d'arrérages; il en est de même s'il y a plusieurs débiteurs originaires de la rente, sans solidarité, cas où chacun n'est obligé que pour sa part; enfin, s'il y a plusieurs créanciers de la rente, soit à l'origine, soit par la succession de plusieurs héritiers, le remboursement sera naturellement partiel et pourra avoir lieu envers l'un, sans avoir lieu envers les autres: la rente n'est une obligation indivisible ni activement, ni passivement (comp. art. 460, 461 et 462).
Il est à noter qu'il n'y a pas lieu d'appliquer ici la disposition de l'article 883 qui attache au payement d'une partie du capital dù la présomption de payement ou de remise des intérêts: lorsqu'il n'y a pas solidarité, ce qui est payé par chaque débiteur ou à chaque créancier est considéré comme l'acquittement d'une obligation distincte et n'a aucune influence sur le droit ou l'obligation des autres.
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(c) Le Code italien donne une solution différente dans son article 1832, mais le cas n'est pas le même: il s'y agit d'un prêt à long terme que le débiteur peut rembourser, par anticipation, après 5 ans; dans ce cas, l'avis préalable qu'il a donné de son intention l'oblige à la réaliser. Cette disposition n'est pas reproduite, et avec raison, au sujet de la constitution de rente qui forme un Titre séparé (art. 1778 à 1788).
Art. 888. — 687. Bien que le créancier ait renoncé au droit d'exiger le capital de la rente, il est clair qu'il n'a pas entendu le faire à tout événement et quoi qu'il arrive. Le débiteur jouit d'un terme pour ainsi dire indéfini; mais c'est à la condition qu'il remplira ses obligations et ne compromettra pas les intérêts du créancier par des actes frauduleux ou injustes.
La loi ne peut mieux faire, à cet égard, que de se référer aux cas généraux où le débiteur est déchu du terme de droit (v. art. 4.26).
Elle admet d'abord, en bloc,“les trois premiers cas” de cette déchéance: la faillite ou l'insolvabilité notoire, l'aliénation ou la saisie de la majeure partie des biens, la destruction, la diminution ou le défaut de fourniture des sûretés particulières données ou promises; quant au quatrième cas, le défaut de payement des intérêts (ici des arrérages), la loi le modifie en faveur du débiteur: il ne suffit pas qu'il ait manqué au payement des arrérages par un terme, il faut qu'il y ait marqué “pendant deux ans consécutifs," et ce délai ne court qu'à partir “d'une mise en demeure régulière.”
Enfin, dans ce dernier cas, la loi reconnaît aux tribunaux un droit qui leur est contesté en France, celui d'accorder un délai de grâce au débiteur. S'il n'en est pas de même dans les antres cas, c'est parce que débiteur a cessé d'être digne d'intérêt et que l'article 426 lui-même lui refuse cette faveur.
Art. 889. — 688. On a dit plus haut que l'établissement d'une rente comme prix ou condition de l'alié. nation d'un immeuble était plus fréquent en Europe autrefois qu'aujourd'hui; cette stipulation est jusqu'ici étrangère aux coutumes japonaises, mais il y a lieu de prévoir que la pratique s'en répandra, lorsque la loi en aura réglé les effets (d).
Ainsi, le débiteur de la rente perpétuelle aura, dans ce cas, le même droit de rembourser un capital pour s'affranchir des arrérages.
Mais là surgit une difficulté. Lorsqu'il sagit du contrat de rente ayant le caractère d'un prêt, le capital à rembourser est, ni plus ni moins, celui qui a été fourni par le prêteur; lorsque la rente est le prix d'un immeuble, on ne voit plus aussi clairement quel est le capital à rembourser.
689. La loi prévoit d'abord le cas où les parties auraient évalué le capital, en prévision de ce remboursement: ce sera alors comme un autre prix de vente à payer facultativement, au lieu et place du premier (voir les Obligations facultatives, art. 456).
Supposons que les arrérages formant le prix de l'immeuble fussent de 100 yens par an: les parties auront pu dire que le remboursement ou rachat se fera moyennant 800, 1000 ou 1200 yens: la convention reste nécessairement libre à cet égard, car un vendeur peut toujours stipuler le prix qui lui convient, soit en capi. tal, soit en arrérages. Il n'y aurait pas à tenir compte, à cet égard, des limites que la loi pourrait présenter quant au taux de l'intérêt de l'argent; c'est à tel point que, si l'on voulait appliquer la même théorie, cela mènerait à aggraver la position du débiteur, puisque pour maintenir le rapport légal des arrérages au capital, on devrait souvent porter le capital à rembourser, au-delà du prix stipulé par le vendeur; ainsi les arrérages de 100 yens ne permettraient pas le rachat à moins de 1200 yens, tandis que le vendeur peut s'être contenté d'un capital de rachat de 1000 ou 800 yens.
Le Code français (art. 530) reconnaît également cette liberté dans la fixation du taux du rachat de la rente dite foncière.
690. Mais si les parties n'ont pas eu le soin de régler ainsi le taux du rachat, on supposera qu'elles ont considéré que le capital à rembourser serait dans le même rapport proportionnel avec les arrérages dus que si ces arrérages étaient des intérêts légaux. Or, si les intérêts légaux étaient, comme en France, 5 %, on dirait qu'ils sont la 20° partie du capital, 1 pour 20, 5 pour 100, et en multipliant l'intérêt par 20, on anrait le capital; de même, si les arrérages de la rente étaient 5, 6, 10 par année, on les multiplierait par 20 pour en avoir le capital.
Mais, au Japon, l'intérêt légal, à défaut de convention, est de 6%, la 16e partie du capital (même 16, 66), c'est donc par ce chiffre que l'on multipliera les arréjages annuels pour en avoir le capital.
Si donc le débiteur devait 100 yens d'arrérages annuels, il ne s'en affranchirait qu'en remboursant 1,666, yens et 66 sens; s'il devait 500 yens par an, il devrait rembourser 8,330 yens; 600 yens d'arrérages donneraient 9,996 yens de ce capital, 700 yens d'arrérages, 11,662 yens, et ainsi pour tous les autres chiffres. On pourrait dire que cette multiplication des arrérages donne le capital légal de la rente.
Le résultat est, en même temps, très-naturel:
Celui qui aura venda un immeuble pour 500 yens de rente annuelle sera considéré comme l'ayant rendu pour 8,330 yens de capital,“ payables à la volonté de l'acheteur, avec charge de payer l'intérêt légal de ladite somme jusqu'au remboursement.” Et s'il avait stipulé le remboursement d'un capital snpérieur, de 10,000 yens, par exemple, il n'y aurait rieu à critiquer, car il a bien pa estimer son immeuble 10,000 yens, et, en se contentant de 500 yens d'arrérages, il n'a stipulė que pour 5% d'intérêts.
Un cas qui semblerait devoir faire plus de difficulté est celui d'une rente annuelle de 1000 yens d'arrérages dont le remboursement devrait se faire moyennant un capital relativement très-faible, par exemple, de 500 ou 6000 yens: alors, on ne pourrait plus dire que l'acheteur a promis ces sommes à terme incertain et facultatif, parce que ce serait dire que le vendenr a sti. pulé un intérêt de 20%, au premier cas et de 16,66% au second cas, ce qui est prohibé par la loi sur la limite de l'intérêt conventionnel. Mais alors on devrait supposer que le capital a été fixé à un chiffre plus élevé justifiant le taux des arrérages, mais qu'il a été entendu que, lors du remboursement, le débiteur jouirait d'une remise abaissant ce capital au chiffre fixé.
691. La rente perpétuelle établie à titre gratuit, par donation ou par testament, suit les mêmes règles au sujet du remboursement. Le donateur ou le testateur peut avoir stipulé les conditions du rachat: s'il a donné 1000 yens d'arrérages, il a pu dire que le remboursement ne pourrait être fait par lui ou par ses héritiers que moyennant 10,000, 20,000 ou 30,000 yens; c'est comme s'il avait promis gratuitement ces sommes, remboursables à volonté, à charge de payer jusqu'au remboursement 10% d'intérêts au 1er cas, 5 % au 2e cas 3,33 % au 3 cas. En sens inverse, si le remboursement devait se faire moyennant 5,000 ou 6,000 yens, comme cela constituerait, à 1000 yens d'arrérages, un intérêt de 20% ou de 16,66%, on supposerait, ainsi qu'il a été remarqué plus haut, une somme donnée ou léguée plus forte en capital, en tant que productive d'arrérages, avec remise partielle au débiteur, comme encouragement pour lui au remboursement facultatif.
692. La loi devait enfin prévoir le cas où les arrérages perpétuels à titre gratuit, ou stipulés comme prix de vente d'un immeuble, consisteraient en denrées, par exemple en riz, et où le débiteur voudrait s'en libérer par le remboursement d'un capital, en l'absence de convention à cet égard. Le texte adopte, avec une légère différence, un mode d'évaluation du prix moyen des denrées, emprunté à une célèbre loi française de 1790, sur le rachat des anciennes redevances foncières. On prendra le prix moyen des 10 dernières années: la loi des 18–29 décembre 1790 (tit. III, art. 7 et 10) voulait qu'on opérât le calcul sur les 14 dernières années, en déduisant les deux meilleures et les deux plus mauvaises, ce qui revenait encore à la moyenne finale de 10 années, avec une complication peu utile.
Le Code italien (art. 1784) calcule aussi le rachat sur 10 années. De plus, il n'admet pas que le capital fixé pour le rachat, par la convention, puisse être supérieur à ladite moyenne.
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(d) 11 sera même bon d'ajouter à l'article 661, un 2e alinéa ainsi conçu: “le prix (de vente] peut consister soit en un capital, soit “en une rente perpétuelle ou viagère" (voy. aux Additions).
COMMENTAIRE.
Art. 890 et 891.—N° 693. Rappelons d'abord ce qui a été dit au Chapitre précédent, que ce n'est pas sans motif que l'on a ici interverti l'ordre des prêts tel qu'il se trouve établi dans le Code français: on a placé le prêt de consommation en première ligne, parce qu'il a pour objet de transférer la propriété à l'emprunteur, tandis que le prêt à usage ne donne pas même un droit réel d'usage: il ne donne qu'un droit de créance, comme l'exprime notre article 891. Le prêt à usage commence la série des contrats qui ont ce même caractère, laquelle se continue jusqu'à la fin de la Ire Partie du présent Livre.
En même temps, le prêt à usage commence une série de trois contrats où l'une des parties rend à l'autre un service gratuit et que, pour cette raison, on nomme contrats “de bienfaisance”: les deux autres sont le dépôt et le mandat.
Le nom de “commodat” que porte aussi en Europe le prêt à usage est introduit ici dans la loi, mais il ne sera pas employé davantage, parce qu'il est moins clair et moins précis (a).
694. Cette première Section, consacrée à la “nature du contrat," nous apprend:
1° Que lo contrat ne se forme pas par le seul consentement: il est, comme le prêt de consommation, un contrat réel, formé re, “par la chose même," c'est-àdire par sa remise ou sa livraison (voy. art. 320);
2° Que le contrat peut avoir pour objet des immeubles autant que des meubles, ce qui n'était pas le cas du prêt de consommation;
3° Que la restitution doit se faire de la chose prêtée elle-même, “identiquement et en nature" et non dans son équivalent, ce qui est une autre différence avec le prêt de consommation;
4° Que le temps pendant lequel l'emprunteur peut conserver la chose peut être fixé tacitement;
5° Que le prêt à usage est essentiellement gratuit, à la différence du prêt de consommation, qui devient onéreux lorsqu'il est à intérêts;
6° Que l'emprunteur n'acquiert pas le droit réel d'usage, mais seulement une créance ou un droit personnel contre le prêteur;
7° Que le contrat ne prend pas fin par la mort du prêteur et que ses héritiers doivent le respecter jusqu'à l'expiration du temps fixé;
8° Qu'au contraire, il prend fin, en principe, par la mort de l'emprunteur et que ses héritiers doivent rendre la chose avant le temps fixé, à moins qu'il ne soit prouvé par eux que le prêteur avait entendu leur en laisser l'avantage éventuel;
9° Enfin que, lors même que le contrat prend fin par la mort de l'emprunteur, ses héritiers peuvent obtenir un délai pour se procurer l'usage d'une chose semblable, en justifiant, bien entendu, qu'ils éprouveraient un préjudice sérieux de la privation immédiate de l'usage de cette chose.
695. Chacun de ces caractères du contrat ne demande que de courtes explications et justifications.
Nous les reprendrons rapidement dans le même ordre.
I. Le contrat est réel et non purement consensuel; en effet, son principal objet est de permettre d'user; or, on ne peut pas user d'une chose avant de l'avoir à sa disposition; il oblige aussi l'emprunteur à conserver la chose avec soin et à la restituer au temps convenu; or, on ne peut “conserver et rendre” que ce que l'on “a reçu.”
Ce n'est pas à dire que la promesse purement consensuelle de prêter à usage serait sans effet, mais ce serait un contrat innommé, et il diffèrerait tellement du prêt à usage que les rôles seraient renversés: ce serait le futur prêteur qui devrait conserver la chose (par exemple, ne pas l'aliéner ni la prêter à un autre) et ensuite la livrer; le prêt ne commencerait que quant la promesse de prêter serait accomplie et le premier contrat exécuté.
II. Les immeubles pouvant servir sans être détruits, peuvent évidemment être prêtés à usage, comme ils peuvent être loués; au contraire, ils ne pourraient être l'objet d'un prêt de consommation.
A l'égard des meubles, remarquons que la loi n'exige pas, comme le Code français (art. 1878), que la chose “ne se consomme pas par l'usage”; sans doute, on ne prêtera gnère à usage des choses dont on ne peut user qu'en les consommant, comme le riz, le bois, le charbon, parce que l'usage de ces choses, sans consommation, ne consisterait plus qu'à les détenir et à les montrer; mais cependant cela pourrait quelquefois suffire à l'emprunteur, et il y a des cas où un marchand empruntera des marchandises, des denrées, dans le seul but de garnir ses magasins, au moment où il ouvre un commerce et lorsqu'il n'a pas encore eu le temps de s'approvi. sionner; alors il sera bien entendu entre lui et le prê. teur qu'il ne les vendra pas; les Romains disaient dans ce cas, et on répète encore après eux, qu'un tel prêt est ad pompam et ostentationem,“ pour le luxe et pour la montre.” Un changeur pourrait ainsi emprunter des monnaies étrangères d'or ou d'argent, pour garnir son étalage (usage plus européen que japonais) et cependant l'or et l'argent sont des choses dont on n'use, en général, qu'en les aliénant.
C'est l'inverse de ce que nous avons signalé pour le prêt de consommation: on peut prêter de cette façon, et pour être consommées ou aliénées par l'emprunteur, des choses non fongibles de leur nature, ou des choses qui ne se consomment pas par le premier usage, comme des meubles d'appartement, des outils, des chevaux; l'emprunteur, après les avoir détoriorés, usés on vendus, en rendra de semblables ou, au moins, d'aussi semblables que possible.
Tout, en cette matière, dépend de la façon dont les parties ont entendu que l'emprunteur userait. Toutefois, la nature de la chose aura toujours une réelle influence sur la nature du prêt: elle fera présumer que le prêt est à usage quand la chose ne se consomme pas par le premier usage, et, au cas contraire, que le prêt est de consommation.
III. L'obligation de restituer la chose identiquement et en nature est la conséquence de ce que l'emprunteur à usage n'a pas le droit de consommer la chose prêtée.
IV. Il est naturel que le délai pendant lequel l'emprunteur pourra conserver la chose ne soit pas nécessairement exprimé et qu'il puisse être considéré comme tacitement fixé, lorsque l'emprunteur a fait connaître au prêteur la nature et l'étendue du besoin qu'il avait de la chose. Ainsi, quand on prête des étais ou poutres de soutènement, pour la réparation d'une maison, il est clair que c'est pour la durée encore incertaine de ladite réparation; de même, si l'on prête un cheval ou une voiture pour un voyage ou un transport déterminé, ce sera pour tout le temps nécessaire audit voyage ou transport.
V. Un des caractères les plus saillants du prêt à usage c'est sa gratuité: elle est essentielle, c'est-à-dire que si l'emprunteur fournissait un avantage comme équivalent, le contrat changerait de nature et de nom: il deviendrait onéreur, et il constituerait un louage, si l'équivalent consistait en argent, ou un contrat innommé, si l'équivalent consistait en toute autre chose.
Il ne faudrait pas conclure de la gratuité du prêt à usage qu'il soit soumis aux règles plus ou moins restrictives des donations.
D'abord, il n'est pas soumis à la forme solennelle qui est exigée généralement par les lois étrangères et dont on adoptera sans doute quelque chose au Japon (b); l'avantage procuré par le prêteur à l'emprunteur le prive très-peu, en général, et c'est toujours pour un temps très-limité; ce serait rendre impossible la plupart des prêts que de les soumettre à une forme lente et plus ou moins coûteuse.
Il ne faut pas non plus exiger du prêteur la capacité plus ou moins exceptionnelle reqnise chez le donateur ordinaire, toujours à cause de la faible privation qu'il s'impose et en considérant aussi que, si la loi était trop sévère à cet égard, les incapables de prêter ne trouveraient pas eux-mêmes à emprunter à usage quand ils en auraient besoin.
En France, on admet généralement que les mineurs émancipés et les femmes mariées ayant l'administration de leurs biens peuvent valablement prêter et, à plus forte raison, emprunter à usage.
Mais les mineurs non émancipés et les interdits ne peuvent pas prêter, ni même emprunter: prêter, parce qu'ils se puiraient, en se privant d'un usage qui peut leur être nécessaire, emprunter, parce qu'ils pourraient encourir une certaine responsabilité quant à la garde de la chose.
VI. On aurait pu croire, à cause du nom même du contrat de prêt à usage, que l'emprunteur acquiert le droit réel d'usage (ou d'habitation, s'il s'agit d'une maison), droit dont traitent les articles 116 à 120; il n'en est rien: l'emprunteur n'acquiert qu'une créance ou droit personnel contre le prêteur; il y aurait, en effet, de grands inconvénients à rendre opposable aux tiers, même avec la publicité nécessaire, s'il s'agissait d'un immeuble, un droit essentiellement temporaire et sou. vent d'une très-courte durée.
VII et VIII. Le principe général que “celui qui s'oblige oblige aussi ses héritiers” (v. art. 358) reçoit ici son application ordinaire, à l'égard du prêteur. Si la loi s'en explique, c'est pour marquer l'opposition avec ce qui concerne les héritiers de l'emprunteur.
Le Code français (art. 1879) ne fait pas de différence entre le décès de l'emprunteur et celui du prêteur: dans un cas comme dans l'autre, il maintient les effets de la convention, pour et contre les héritiers, jusqu'à l'expiration du temps fixé. On propose ici, en règle, que le décès de l'emprunteur mette fin à ses droits et qu'ils ne passent pas à ses héritiers: la nature gratuite du contrat, son caractère essentiellement temporaire, la confiance qu'il nécessite chez le prêteur, permettent de le considérer, de la part de celui-ci, comme consenti “en vue de la personne même de l'emprunteur"; mais le contraire pouvant arriver aussi, la loi permet aux héritiers de prouver que le prêteur a voulu obliger aussi la famille; par exemple, si la chose prêtée était une maison spacieuse prêtée à l'emprunteur, pour habiter avec sa famille pendant la reconstruction de sa maison incendiée. Mais ce que le Code français pose en règle n'est plus ici que l'exception et, réciproquement, l'exception prévue par ledit Code devient ici la règle.
IX. L'obligation pour les héritiers de rendre la chose prêtée avant que l'usage en ait été complété pourrait, dans certains cas, leur être très-onéreuse; la loi leur permet donc de demander et d'obtenir du tribunal un délai modéré, de façon à pouvoir se procurer, avant la restitution, une chose semblable ou au moins qui leur suffise: ce n'est pas nuire au prêteur, car le décès de l'emprunteur est un fait sur l'époque duquel il n'a pu avoir une prévision certaine.
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(a) “Commodat” est la traduction du mot latin commodatum qui, chez les Romains, était le nom unique du contrat; le mot luimême était l'abrégé de commodum datum, “avantage donné," ce qui aurait pu se dire, tout aussi bien, des autres contrats gratuits.
(b) L'on a cru bon, au Japon, il y a quelques mois, de créer des notaires, avec un caractère analogue à celui qu'ils ont en France et ailleurs, et sans peut-être tenir assez compte des objections que comporte cette institution: il sera naturel, au moins, de confier aux notaires la rédaction des actes de donation et de quelques autres contrats, comme la constitution d'hypothèque.
COMMENTAIRE.
N° 696. Le Code français a deux Sections là où nous n'en avons qu'une seule: il traite séparément des obligations de l'emprunteur et de celles du prêteur, ce qui donnerait à croire que le contrat est synallagmatique; or, il n'en est rien: on démontrera plus loin, que des trois obligations attribuées au prêteur par ce Code, l'une est plutôt la privation d'un droit qu'une obligation proprement dite et que les deux autres résultent ou d'un enrichissement indû ou d'un dommage causé injustement; ces obligations sont donc accidentelles: le prêt n'en est pas la cause, il n'en est que l'occasion; c'est pourquoi on propose ici de parler des obligations "qui naissent du prêt,” ce sont celles à la charge de l'emprunteur, et de celles " qui naissent à son occasion," ce sont celles à la charge du prêteur.
Une observation analogue a été faite sous l'article 877, au sujet du prêt de consommation (voy. p. 783, n° 645, et p. 791, n° 652), avec cette seule différence qu'il ne pouvait être question que du dommage causé par la chose prêtée et non de dépenses faites pour sa conservation, puisque l'emprunteur devenait proprié. taire des choses prêtées.
Art. 892. — 697. La première disposition de cet article est toute naturelle: elle repose sur le principe que les conventions doivent être exécutées de bonne foi (art. 350) et suivant la commune intention des parties (art. 376).
Le 2e alinéa n'est encore qu'une application du principe général que “celui qui cause à autrui un dommage par sa faute ou sa négligence est tenu de le réparer” (art. 390). Il ne semble y avoir quelque ri. gueur exceptionnelle que dans la disposition finale au sujet de la perte fortuite de la chose, laquelle ne libère pas l'emprunteur, quand c'est son usage illégitime de la chose qui a été “ l'occasion” de la perte; mais, en réalité, c'est encore l'application d'un principe général: l'emprunteur avait une obligation de ne pas faire, il y a manqué, il s'est mis lui-même en demeure de cesser, ou il y était de plein droit sans qu'il y eût besoin d'une sommation (art. 404); dès lors, la perte fortuite ou par force majeure ne le libère pas (art. 561 et 562).
La loi ne réserve pas le cas où la chose aurait également péri chez le prêteur, cas où la perte retomberait sur celui-ci (art. 355, 2e al. et 563); mais cela va de soi, car il ne serait plus exact de dire que c'est l'usage illégitime de la chose qui a été l'occasion de sa perte.
Ce que l'on vient de dire, que l'emprunteur est de droit en demeure de ne pas user illégitimement de la chose, ne va pas jusqu'à dire qu'il soit de même en demeure de restituer la chose, par la seule échéance du terme; si donc la chose périssait par cas fortuit, chez lui, alors qu'il n'en usait pas illégitimement et sans qu'il eût été mis en demeure par un acte en bonne forme, il serait libéré, conformément au droit commun (art. 561, 1er al.).
Ce que l'on croit encore inutile d'exprimer ici, comme l'a fait l'article 1880 du Code français, c'est que “l'emprunteur est tenu de veiller en bon père de famille (en bon administrateur) à la garde et à la conservation de la chose prêtée”: il a été dit, d'une façon générale, par l'article 354, 1er al., que tout débiteur d'un corps certain a cette obligation, sauf les cas où la loi dispose autrement; il est donc inutile de le répéter; ce serait même inexact, comme insuffisant, comme il résulte de l'article suivant.
Art. 893. — 698. La loi demande à l'emprunteur de conserver la chose prêtée de préférence à la sienne propre; on n'hésite pas ici à imiter du Code français (art. 1882) deux rigueurs qu'il a lui-même imitées du droit romain:
1° L'emprunteur doit se servir de sa chose, de préférence à la chose prêtée, chaque fois qu'il le peut, car le prêt ne lui a été fait qu'à cause du besoin qu'il avait et pour le temps où ce besoin durerait; sans doute, on ne poussera pas la sévérité jusqu'à l'obliger à une indemnité pour un usage intempestif de la chose prêtée, s'il n'en est pas résulté de dommage; mais si la chose a péri, même par cas fortuit, pendant cet usage illégitime, l'emprunteur en est responsable comme ayant indûment donné occasion à cette perte;
2° On suppose que la chose prêtée se trouve en danger de périr, en même temps qu'une chose de l'emprunteur, soit pendant qu'il use de toutes deux, simultanément, soit même pendant qu'elles sont chez lui, non employées; par exemple, un cheval prêté et le cheval de l'emprunteur sont attelés ensemble et tombent dans une rivière, par accident, ou bien les deux chevaux sont à l'écurie et un incendie menace le bâtiment: si l'emprunteur, ne pouvant sauver qu'un des deux chevaux parce que le temps presse, sauve le sien, il ne peut invoquer la force majeure comme le libérant de la responsabilité du cheval prêté: le prêt a été un. bon office, un acte de bienfaisance qui impose à l'emprunteur le devoir moral et civil de faire tout ce qui dépend de lui pour sauver la chose prêtée, même au risque de perdre la sienne.
699. On a prétendu, en France, que cette rigueur devait cesser d'être applicable lorsque la chose de l'emprunteur avait une plus grande valeur que la chose prêtée et l'on a dit qu'en pareil cas, un bon administrateur auquel les deux choses appartiendraient, sauverait celle qui vaut le plus, que l'emprunteur a donc pu sauver la sienne propre si elle vaut le plus; mais il faut répondre que le cas est différent, lorsqu'il a un devoir de reconnaissance au sujet de l'une des deux choses. En fait, l'emprunteur sauvera sans doute la sienne, et l'on ne devrait guère l'en blâmer; mais il devra tenir compte au prêteur de la valeur de la chose prêtée et périe (comp. art. 906).
De ce que l'on imite du Code français les deux dispositions qui précédent ce n'est pas une raison d'en imiter une autre qui vient ensuite (art. 1883), d'après laquelle l'estimation faite de la chose prêtée en met les risques fortuits à la charge de l'emprunteur: ce n'est pas un de ces cas où l'estimation vaut vente comme dans l'usufruit (v. Proj. jap., art. 57; comp. C. civ. fr., art. 587 et 1551), cas où d'ailleurs il s'agit de choses qui se consomment par le premier usage et dont notre cas est très-différent; il vaut mieux considérer l'estimation de la chose prêtée comme une précaution prise d'avance par les parties, en vue d'une perte imputable à l'emprunteur, et pour éviter la difficulté d'estimer judiciairement la chose après qu'elle aurait péri.
Par contre, il est inutile de dire avec le Code français (art. 1884) que “si la chose prêtée s'est détériorée “par le seul usage légitime et sans aucune faute de “l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration": c'est là le droit commun le plus simple et le plus évi. dent; c'est aussi pour cela que le prêt est un bon office.
Art. 894. — 700. Le Code français se borne à refuser à l'emprunteur la répétition des dépenses qu'il a faites pour user de la chose; mais il fallait aller plus loin et lui imposer les dépenses d'entretien: par exemple, s'il a emprunté un cheval, il doit évideminent le nourrir convenablement, le faire ferrer, le faire visiter par le vétérinaire, s'il paraît malade, sauf à répéter les frais d'une maladie grave ou prolongée; s'il s'agit d'une machine industrielle, l'emprunteur doit y faire faire les réparations courantes nécessitées par l'usage, et s'il s'agit d'une maison, il doit y faire les réparations dites “locatives,” celles que supporte un locataire (v. art. 135; comp. C. civ. fr., art. 1754).
Mais les dépenses extraordinaires sont à la charge du prêteur, comme on le verra plus loin.
Art. 895 et 896.—701. Le Code français s'est peu occupé de la restitution de la chose, laquelle pourtant est la principale obligation de l'emprunteur.
On règle ici trois points concernant ladite restitution: 1° quand, 2° à qui et 3° en quel lieu doit-elle être faite?
I. Elle doit naturellement être faite au temps fixé par la convention, quand les parties ont pris le soin de le fixer; mais si cette fixation n'a pas été faite expressément, elle peut l'avoir été tacitement, quand l'emploi de la chose a été déterminé: par exemple, comme il a déjà été supposé plus haut, on a prêté un cheval pour un voyage, une voiture de transport pour l'enlèvement de matériaux dont la quantité est connue du prêteur, on une maison d'habitation pendant qu'on répare celle de l'emprunteur: il est clair que le prêteu doit laisser écouler le temps nécessaire pour le voyage, le charroi, ou la réparation, avant de réclamer sa chose; si l'usage est destiné à être continu, ou permanent, comme celui d'un cheval de selle, d'une roi ture de promenade ou d'une maison de plaisance, sans indication de délai ni d'une circonstance qui implique une limite de temps, et si l'emprunteur allègue qu'il a encore besoin de la chose prêtée, le tribunal fixera un délai convenable, toujours d'après l'intention probable des parties et les circonstances du fait.
Le texte permet aussi au prêteur de réclamer sa chose avant le temps fixé, dans deux cas:
1° Lorsque l'usage est terminé auparavant; il est clair que, dans ce cas, l'emprunteur n'a plus de canse légitime de garder la chose et il serait de mauvaise foi en refusant de la rendre.
Le Code français a décidé dans le même sens, mais incidemment, à propos de la définition même du prêt à usage, où il dit que l'emprunteur reçoit la chose à charge de la rendre "après s'en être servi.” Ces expressions d'ailleurs ne doivent pas être prises à la lettre, car si l'emprunteur tardait trop à commencer l'usage de la chose, ou prétendait le prolonger outre mesure, le préteur n'en devrait pas souffrir.
2° Le prêteur peut encore réclamer la restitution de la chose avant le temps fixé, lorsqu'il en a “pour luimême un besoin urgent et imprévu.”
Ceci est encore emprunté au Code français (art. 1889). Il ne faut pas oublier que le prêt à usage est un contrat de bienfaisance, que le prêteur ne reçoit pas d'équivalent du service qu'il rend et que son intention n'a pui étre de se priver de sa chose absolument et à tout événement. Mais, comme le dit le texte, il faut que le besoin soit “urgent,” par conséquent, que le prêteur ne puisse ni attendre, ni suppléer à cette chose par une autre lui appartenant; il faut encore que le besoin ait été "imprévu” lors du contrat: autrement, le prêteur serait considéré comme ayant consenti à se priver de l'usage de sa chose ou à se pourvoir autrement d'une chose semblable; enfin, il faut que le besoin soit pour l'emprunteur "lui-même”; par conséquent, il ne pourrait reprendre la chose pour satisfaire au besoin urgent d'un autre ami, même d'un membre de sa famille.
II.—702. L'emprunteur n'a pas à se préoccuper de savoir à qui appartient réellement la chose prêtée; il doit donc la rendre au prêteur, lors même qu'il déconvrirait après le prêt qu'elle appartient à un tiers. On n'excepte même pas le cas où il découvrirait que c'est une chose volée: cette exception n'est admise que pour le cas de dépôt (v. art. 914-4° et C. civ. fr., art. 1938); en effet, il n'y a pas même motif d'autoriser ici l'emprunteur à se prévaloir de sa prétendue découverte pour ne pas restituer; il y a une raison puissante de ne pas assimiler le prêt au dépôt: dans le prêt, celui qui reçoit la chose obtient un service gratuit; dans le dépôt, au contraire, c'est lui qui le rend; de là, une double conséquence: celui qui reçoit un service a une obligation plus étroite de ne pas retarder la restitution et de ne pas susciter des embarras au prêteur; ensuite, il est plus à craindre qu'il n'abuse de simples soupçons de vol pour ne pas restituer au temps fixé et pour prolonger l'usage qui lui a été accordé; tandis que le dépositaire qui n'a que la charge de la chose, sans pouvoir même en user, ne peut pas être suspect de chercher à prolonger le dépôt sans cause légitime,
Mais, qu'il y ait eu vol ou non, si l'emprunteur reçoit une opposition régulière à la restitution de la part d'un tiers qui se dit propriétaire, ou même de la part d'un créancier qui vent saisir la chose pour être payé par le prêteur, la restitution n'est plus obligatoire ni même permise.
Si le prêteur ou l'héritier du prêteur est un incapable, c'est à son représentant légal que la restitution doit être faite; s'il est absent et a laissé un mandataire, c'est à celui-ci qu'il faut restituer et non à ses serviteurs, ni même à ses parents se trouvant dans sa maison.
III.—703. En général, le débiteur paye à son domicile et la restitution est un payement, en donnant à ce mot le sens large qui lui appartient (v. art. 472, jer al.); mais ici, il y a une dérogation toute naturelle an principe: le prêt est un contrat de bienfaisance, il est donc aussi conforme à l'équité qu'aux convenances que l'emprunteur prenne la peine de faire porter la chose au domicile du prêteur, ou, s'il s'agit d'un incapable ou d'un absent, au domicile de son représentant.
Art. 897. — 704. Lorsqu'il y a plusieurs débiteurs d'une chose, chacun n'en est, en principe, débiteur que pour sa part; les parts sont égales ou inégales, suivant les cas; le plus souvent, elles sont égales on ririles, c'est-à-dire calculées par tête (pro numero virorum), l'obligation est alors dite conjointe (v. art. 460).
Mais quelquefois la convention porte que chacun pourra être poursuivi pour le tout; l'obligation est alors dite solidaire; dans quelques cas même, la loi, à défaut de convention, établit la solidarité entre les débiteurs, et nous en avons ici un exemple.
Cette rigueur, imitée du Code français (art. 1887), est facile à justifier: lorsque plusienrs personnes empruntent “conjointement et pour un usage simultané on alternatif," comme le texte a soin de l'exprimer, par addition au Code français, le prêteur ne peut savoir quelle sera la part de chacun dans l'usage simultané, ni le moment où chacun se servira de la chose, dans l'usage successif ou alternatif; or, comme il pourra y avoir abus ou excès dans l'usage, comme la chose pourra être détériorée, ou même périr, par la faute d'un des débiteurs ou de tous, il est juste que le prêteur puisse s'adresser à l'un ou à l'autre des emprunteurs, à son choix, pour la réparation du préjndice. Il en est de même, s'il ne s'agit que de la restitution: le prê. teur n'a pas à s'enquérir dans qu'elles mains se trouve la chose au moment où il exige la restitution.
Ce n'est qu'au Livre I V. (Iro Partie, Chap. 2) qne la solidarité sera expliquée dans ses détails: c'est là qu'on examinera la question, assez débattue en France, de savoir si la solidarité légale produit des effets aussi étendus et aussi rigoureux que la solidarité conventionnelle.
Mais nous pouvons dire, dès à présent, que, dans le cas qui nous occupe, il y a une telle communauté d'intérêts entre les divers emprunteurs qu'il est naturel de donner ici à la solidarité légale les effets les plus étendus qu'elle puisse avoir en faveur du prêteur.
705. Ici se termine ce qui concerne les obligations de l'emprunteur.
Remarquons qu'on n'a pas reproduit la disposition de l'article 1885 du Code français qui déclare que “l'emprunteur ne peut retenir la chose par compensation de ce que le prêteur lui doit.” Cette disposition n'est pas d'ailleurs très-claire en elle-même, et tous les auteurs ne la comprennent pas de la même manière. Si la loi a entendu parler d'une compensation proprement dite de la chose prêtée avec la créance de l'emprunteur, elle a dit une chose inutile, car la compensation n'a lieu qu'eutre choses fongibles, ou choses de quantité, et de la même espèce (v. C. civ. fr., art. 1291 et Proj. jap., art. 5 12); or, la chose prêtée à usage l'est comme corps certain,“ pour être restituée identiquement," et elle n'est pas de la même espèce que celle que peut devoir le prêteur à l'emprunteur. Déjà l'article 1293, 2e al. du Code français avait refusé la compensation de la dette du prêt à usage avec la créance de l'emprunteur contre le prêteur.
Nous pensons que, pour donuer un sens utile à ces deux dispositions, il faut y voir le refus de compensation des dommages-intérêts résultant de la perte de la chose prêtée avec la créance de l'emprunteur: c'est un moyen de prévenir une fraude facile d'un créancier qui, craignant de n'être pas payé, se ferait prêter une chose par son débiteur, l'aliénerait, et ensuite inroquerait la compensation des dommages-intérêts avec ce qui lui est dû (v. T. II, p. 699, no 616).
Le Projet, par l'article 5 18-1", a mis obstacle à cette compensation déloyale.
Certains auteurs donnent à l'article 1885 un tout autre sens: selon eux, la loi aurait refusé à l'emprunteur le droit de rétention de la chose prêtée comme garantie ou gage de sa créance.
Cette interprétation donne un sens inutile ou injuste suivant les cas: si l'emprunteur n'a fait aucune dépense nécessaire pour conserver la chose ni souffert ancun préjudice de cette chose, en d'autres termes, si sa créance n'est pas née à l'occasion de la chose prêtée, il va sans dire qu'il n'a pas le droit de rétention; ce droit ne s'exerce que comme garantie d'une créance née à l'occasion d'une chose que l'on détient (v. art. 2 du Projet et Livre IVé, il Partie): la disposition alors est inutile.
Si, au contraire, on est dans le cas ordinaire de la rétention, la disposition qui la refuserait serait injuste: ce n'est pas parce que l'emprunteur a reçu un ayantage gratuit dans le prêt qu'il doit être privé du droit commun de rétention.
On le lui réserve expressément à la fin de ce Chapitre.
Art. 898 et 899.- 706. On a déjà dit (p. 813, n° 696) que le prêteur n'a que deux obligations proprement dites et qu'elles ne naissent pas du prêt, c'està-dire de la convention, mais d'un enrichissement indû et d'un dommage injuste, deux causes très-différentes d'obligations. Ce sont ces obligations qui forment l'objet des deux présents articles.
On n'insère pas ici de disposition analogue à celle de l'article 1888 qui paraît présenter comme une obligation du prêteur l'absence du droit de “ retirer la chose avant le terme convenu ou avant que la chose ait servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée”: on a dit, en effet, plusieurs fois déjà, qu'il y a là plutôt un défaut de droit qu'une obligation proprement dite de ne pas faire. Cette défense faite au prêteur de retirer la chose prématurément se trouve d'ailleurs suffisamment mentionnée dans le Projet, mais sous une autre forme, au sujet du temps auquel l'emprunteur doit faire la restitution (v. art. 890, 1er al. et 895).
707. On pourrait cependaut nous faire une objection assez sérieuse tirée de l'article 891, 1er al., d'après lequel l'emprunteur n'acquiert pas un droit réel d'usage sur la chose, mais seulement un droit personnel ou de créance contre le prêteur; or dira-t-on, ce droit personnel est justement le droit de lui refuser la restitution anticipée et, comme sanction, une action personnelle pour le contraindre à la livrer de nouveau à l'emprunteur, s'il la lui avait retirée par surprise ou autrement; l'emprunteur aurait encore une action en indemnité contre le prêteur, si celui-ci avait aliéné la chose à un tiers qui la revendiquerait et mettrait ainsi au prêt une fin prématurée.
Nous maintenons cependant que le prêt est unilatéral, surtout au moment où il se forme et que s'il peut mériter le nom de "synallagmatique imparfait” qu'on lui donne habituellement, ce n'est qu'après coup (ex post facto), par le fait postérieur et accidentel de dépenses nécessaires ou de dommages matériels que la chose a causés..
Lorsque l'on a dit que l'emprunteur a “un droit personnel contre le prêteur," on a voulu dire que celuici a conféré un droit d'usage opposable à lui-même mais non opposable aux tiers, un droit qu'il ne doit plus enlever sous peine de réparer le tort qu'il ferait à l'emprunteur, mais que les tiers ne respecteraient pas, lors même qu'ils tiendraient leur propre droit d'un manquement du prêteur à sa promesse. Le prêteur a conféré un droit contre lui-même, il s'est privé de l'usage de sa chose en faveur de l'emprunteur, il a aliéné temporairement son droit d'user, il est donc naturel qu'il ne puisse retirer ce qu'il a conféré; mais il n'en résulte pas une obligation proprement dite de ne pas faire, il n'y a qu'un devoir général de respecter le droit d'autrui, et s'il y manquait, s'il était soumis à une action en justice de l'emprunteur, ce serait en vertu d'un fait nouveau, d'un acte injuste postérieur au contrat et entièrement distinct du prêt.
Cette difficulté avait déjà été abordée et résolue plus brièvement sous l'article 318 (voy. Tome II, p. 24-25, n° 21 bis).
708. Voyons maintenant les deux obligations proprement dites du prêteur, nées “à l'occasion du prêt.”
I. La première obligation naît d'un enrichissement ipdû: on suppose que l'emprunteur a fait des dépenses “ nécessaires" à la conservation de la chose, et on les suppose en même temps "urgentes,” sans quoi, il aurait dû avertir le prêteur de leur nécessité et se faire autoriser à les faire.
Si le prêteur ne les lui remboursait pas, et cela intégralement, il s'enrichirait sans cause et illégitimement au préjudice de l'emprunteur. Il n'y a là, au fond, que l'application du droit commun; mais il n'était pas inutile de l'énoncer, surtout à cause de la garantie accordée à l'emprunteur, à ce sujet, par l'article 900.
La loi ne mentionne pas les dépenses utiles qu'aurait pu faire l'emprunteur, c'est-à-dire les dépenses qui auraient augmenté la valeur de la chose: d'abord, ce sera rare; ensuite, l'emprunteur commettrait un abus, en imposant ainsi au prêteur une dépense que celui-ci n'était pas sans doute dans l'intention de faire et dont le remboursement peut le gêner. En tout cas, si l'emprunteur avait fait ces dépenses, il pourrait obtenir d'être traité comme gérant d'affaires (voy. art. 383); mais le prêteur obtiendrait facilement des délais pour le remboursement et si le droit de rétention devait appartenir à l'emprunteur au sujet de ces dépenses, ce ne serait pas en vertu de l'article 900 ci-après, mais en vertu d'un principe général annoncé déjà pour le Livre IV, 11° Partie, et qui manque dans plusieurs lois civiles, notamment dans le Code français.
II. La seconde obligation du prêteur est d'indempiser l'emprunteur des dommages que la chose prêtée peut avoir causés à celui-ci par ses vices.
Ces vices doivent avoir trois caractères pour que cette indemnité soit due; il faut: 1° qu'ils soient “pon apparents,” autrement, l'emprunteur a pu et dù savoir à quoi il s'exposait; 2° qu'ils soient“connus du prêteur," et on ne lui imputera pas à faute de les avoir ignorés, parce qu'il rend un service gratuit; au contraire, l'article 877 a rendu le prêteur à intérêts responsable de son ignorance des vices des choses prêtées; 3° qu'ils aient été, en fait, “ignorés de l'emprunteur," autrement, il a accepté le risque du dommage éprouvé.
Art. 900. — 709. On a déjà rencontré plusieurs applications de ce droit de rétention servant de garantie ou sûreté, constituant une sorte de gage, pour le remboursement de ce qui est dû à un créancier à l'occasion d'une chose dont il est légitimement détenteur (voy. art. 32, 1er al. et 684, 3° al.).
Ce n'est, avons-nous dit, qu'au Livre IVe, qu'on donnera les développements nécessaires sur cette sureté réelle; c'est là qu'on verra en quoi elle ressemble au gage proprement dit et comment elle en differe.
On ne croit pas cependant que ce soit une raison de ne pas reconnaître ici ce droit à l'emprunteur: il est bon qu'un droit de cette nature soit relevé dans ses principales applications, pour donner aux contrats auquels ils s'applique leur physionomie complète.
On peut considérer d'ailleurs le présent article comme accentuant une nouvelle différence avec le Code français, lequel paraît refuser le droit de rétention à l'emprunteur (art. 1885), sans qu'on en puisse trouver de raison suffisante; ce Code n'a pas d'ailleurs de disposition générale accordant cette sûreté à tout créancier détenteur de la chose au sujet de laquelle sa créance est née.
COMMENTAIRE.
Art. 901. — N° 710. Le Code français a voulu donner une définition commune du Dépôt proprement dit et du Séquestre, ce qui l'a obligé de qualifier les deux dépôts du nom d'acte (art. 1915), car le séquestre qui est, le plus souvent, un dépôt ordonné en justice, n'est pas un contrat davs ce cas.
Il semble plus simple de séparer le dépôt proprement dit du séquestre, de manière à donner le nom de contrat au premier.
Le contrat de dépôt a de l'analogie avec le prêt à usage, mais il en diffère aussi.
On va présenter d'abord ces ressemblances et différences.
711.-A. Le dépot ressemble au pret:
1° En ce qu'il est réel, c'est-à-dire formé par la reinise matérielle de la chose, par le déposant au dépositaire; en effet, puisque le dépositaire doit “garder" ou conserver la chose et ensuite “la restituer," il est bien évident qu'il ne peut être tenu de conserver et de rendre avant d'avoir reçu.
An surplus, il faut faire ici une remarque qui s'appliquait déjà au prêt à usage et même au prêt de consommation, et qu'on a omis d'y faire, à savoir que si la chose destinée au dépôt se trouve déjà aux mains du dépositaire, à un autre titre, le consentement senl des parties suffit pour transformer en dépôt la possession qu'avait déjà le dépositaire; c'est la tradition feinte dite “de brève main” déjà expliquée par l'article 203. Ainsi, un emprunteur à usage offre de rendre la chose prêtée, le prêteur, ne pouvant la recevoir à ce moment sans inconvénients, prie l'emprunteur de la garder en dépôt; il en serait de même d'une chose louée que le locataire serait prié de conserver en dépot après la fin du louage.
Cette transformation du prêt à usage ou du louage en dépôt est très-importante, pour la responsabilité du détenteur, laquelle est beaucoup moins lourde dans le dépôt que dans les deux autres contrats (a).
La tradition réelle serait encore inutile dans le cas où un propriétaire, vendant une chose mobilière, serait prié de la conserver à titre de dépôt, jusqu'à ce que l'acquéreur pùt la recevoir; cette convention se nomme“constitut possessoire" (voy. même art. 203). Au avoir livré au nouveau propriétaire pour se libérer de son obligation de vendeur, puis avoir immédiatement reçu la même chose en dépôt, et cela diminue sa responsabilité, car un vendeur doit apporter à la chose vendue, jusqu'à la tradition, les soins d'un bon admi. nistrateur (art. 354 et 683), tandis qu'un dépositaire ne doit à la chose déposée que les soins qu'il apporte habituellement à ses propres biens, comme on le verra plus loin.
Ce qu'on vient de dire du caractère réel du dépot ne met pas obstacle à ce qu'une personne s'engage à l'ecevoir ultérieurement une chose en dépôt; mais ce ne serait pas encore le dépôt, et l'obligation de conserver et de rendre ne serait pas née tant que la chose n'aurait pas été reçue: ce serait un contrat in nommé.
2° La seconde ressemblance du dépôt avec le prêt à usage est la gratuite du service rendu: si le dépositaire recevait un salaire, il y aurait louage de services ou louage de chose (par exemple, louage de magasin). Cependant, on verra plus loin que le dépositaire peut recevoir une “indemuité" de ses soins et que cette circonstauce influe sur l'appréciation plus ou moins rigourense de sa négligence; mais, en considérant que un profit pour le dépositaire, on peut maintenir savs hésiter que le dépôt est “essentiellement gratuit.”
3° La troisième ressemblance est dans la possibilité que le contrat qui est unilatéral au moment où il se forme, vlevienne synallagmatique après coup et, pour ainsi dire, par accident, ce qui, dans l'usage, le fait appeler “synallagmatique imparfait”; en réalité, comme on la remarqué sur le prét à usage, ce n'est pas la convention qui fait naître les obligatious du déposant, c'est son enrichissement indu, si le dépositaire a fait des dépenses pour la conservation de la chose, ou c'est le dommage injuste qu'il a causé, si la chose déposée avait des vices qui ont pui au dépositaire. Il y a même ici moins de doute encore sur le caractère unilatéral du contrat, car on n'y trouve pas pour le déposant, comme pour le prêteur à usage, la défense de réclamer la chose avant le temps convenu; le dépositaire, en effet, ne peut jamais prétendre garder le dépôt lorsqu'on le lui réclame, sauf le droit de rétention comme garantie des indemnités qui lui sont dues.
4° La dernière ressemblance est l'obligation de restituer la chose identiquement et en nature. Cette obligation est la même si la chose déposée est de l'argent, même à découvert, que si elle est un corps certain. Ce dépôt, nommé dans l'usage “dépôt irrégulier” (voy. art. 548-2°), n'autorise pas le dépositaire à se servir de l'argent; mais, en fait, il sera difficile et sans intérêt de savoir si les mêmes espèces sont rendues ou si c'en sont d'autres, pourvu qu'elles soient en tous points semblables (or, argent, papier-monnaie).
Il peut arriver cependant que le déposant autorise le dépositaire à se servir de cet argent; mais alors si le dépositaire en use, il en devient emprunteur dès ce moment et, bien qu'il ne lui ait pas été formellement accordé de délai, il pourrait eu obteuir un du tribunal, conformément à l'article 874: on ne serait plus dans le cas du dépôt par et simple, mais dans celui d'un prêt de consommation conditionnel et facultatif.
712.-B. Voici maintenant les différences entre le dépôt et le prêt à usage:
1° On a déjà signalé incidemment celle relative à l'étendue de la responsabilité, laquelle est moins rigoureuse pour le dépositaire qui rend un service que pour l'emprunteur qui le reçoit;
2° La restitution du dépot doit se faire à la première demande du déposant, tandis que l'emprunteur pent refuser de restituer avant qu'il ait tiré de la chose l'usage pour lequel elle lui a été prêtée;
3° Le dépositaire ne doit pas se servir de la chose déposée, tandis que l'emprunteur a ce droit; mais le déposant pourrait autoriser le dépositaire à se servir de la chose sans que le contrat devînt pour cela un prêt à usage; par exemple, s'il s'agit d'un cheval, le dépositaire devrait certainement y apporter plus de soin au moment où il en use que lorsqn'il le garde chez lui sans emploi; mais les rigueurs particulières auxquelles est soumis l'emprunteur (voy. art. 893) ne lui seraient pas applicables;
4.° Le dépôt ne peut avoir pour objet qu'une chose mobilière (1), tandis qu'on peut prêter à usage une mai. son ou un terrain: celui qui voudrait confier la garde d'une maison devrait donner mandat de la garder ou de la surveiller (v. Chap. suivant).
5° Le dépôt est quelquefois nécessaire, tandis que le prêt est toujours purement volontaire.
713. La division du dépôt en volontaire et nécessaire, telle qu'elle est dans le Code français et dans la plupart des Codes étrangers, n'aura pas moins d'utilité dans le Projet que dans les autres législations; elle en aura même davantage.
Dans le Code français, la distinction a eu deux intérêts: une plus grande facilité de preuve pour le dépôt nécessaire que pour le dépôt volontaire, et l'emploi de la contrainte par corps, pour assurer la restitution, contre le dépositaire nécessaire, mais non contre le dépositaire volontaire.
Cette 2e différence se trouve supprimée par l'aboli. tion générale de la contrainte par corps, en matière civile (Loi du 22 juillet 1867). La 1re subsiste seule: le dépôt nécessaire peut être prouvé par témoins, à quelque valeur qu'il puisse s'élever, tandis que le dépot volontaire ne peut être prouvé par témoins, s'il s'agit d'une valeur excédant 150 francs.
Au Japon, le système général des preuves n'est pas encore établi: il sera l'objet du Livre Ve Vraisemblablement, pour diminner le nombre des procès, on mettra aussi quelques limites à la preuve testimoniale; mais alors ces limites ne concerneront pas la preuve du dépôt nécessaire; il y a donc déjà là une utilité à faire la distinction entre les deux dépôts; de plus, l'abus de confiance est puni avec aggravation, s'il y a détournement d'un dépôt nécessaire (voy. Proj. révisé du C. pénal, art. 437 bis 3").
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(a) A cette occasion, la définition de la “tradition de brève main” donnée par l'article 203 nous paraît insuffisante: on suppose que la possession qui n'était que précaire est transformée en possession à titre de propriétaire; mais il serait permis de voir encore une tradition de brève main dans le changement d'une possession précaire en une autre également précaire, comme on le suppose ici. Le chan. gement sera proposé avant l'adoption définitive du Projet.
(b) D'après l'étymologie depositum: "une chose posée d'un lieu dans un autre."
COMMENTAIRE.
Art. 902. — N° 714. On croit utile de définir le dépôt volontaire pour prévenir une illusion que pourrait produire sou rapprochement avec le dépôt néces. saire: les deux dépôts sont des contrats, ils exigent donc la volonté, le consentement; seulement, dans le cas de dépôt nécessaire, le déposant, tout en étant juridiquement libre de déposer ou non, y a été en quelque sorte contraint, en fuit, par des circonstances malheureuses, comme par un incendie ou une inondation: il n'a pas eu le temps de choisir le dépositaire, ni le temps, ni le lieu du dépôt; il a préféré courir le risque d'avoir un dépositaire infidèle, pour éviter une perte certaine. Tandis que dans le dépòt purement volontaire, le déposant a pu, comme dit le texte, “choisir librement le temps et le lieu du dépôt et, surtout, la personne du dépositaire.”
Dans les deux cas, le consentement du dépositaire peut être tacite, surtout dans le dépôt nécessaire, et le dépositaire qui aurait su qu'une chose était déposée chez lui et n'aurait pas promptement demandé son enlèvement devrait la conserver jusqu'à ce que le déposaut ait eu le temps de trouver un autre dépositaire plus complaisant.
Le Code français n'a pas été beureux dans sa défini. tion du dépôt volontaire (art. 1921): elle pourrait s'appliquer à tout autre contrat non solennel, puisqu'elle n'exige que le consentement, et elle omet la nécessité de la tradition qui est essentielle dans le dépôt; d'ailleurs, si cette condition de la tradition avait été reproduite, il y aurait encore eu à reprocher à la loi de répéter la définition du dépôt en général, déjà donnée dans l'article 1915, et toujours de n'avoir pas sigualé la différence du dépôt volontaire avec le dépôt nécessaire. Ce n'est qu'en se reportant aux caractères du dépôt nécessaire (art. 1949) qu'on arrive à reconnaître la différence entre les deux dépôts.
Il n'y a guère à s'arrêter aux vices dont le contrat pourrait être entaché; si l'erreur provient du déposant qui se sera trompé sur la chose déposée ou sur la personne du déposant, le remède est bien simple: il n'aura pas à demander la nullité du contrat, il pourra jmmédiatement réclamer la restitution du dépôt (a), puisque le dépositaire n'a aucun intérêt et, par suite, aucun droit à retenir la chose déposée, sauf, bien entendu, le cas où il a déjà fait des dépenses pour sa conservation. Mais si l'erreur se rencontrait chez le dépositaire, soit qu'il ait ignoré les dangers que présentait la chose, comme des matières inflammables ou explosibles ou des objets volés, soit qu'il se soit trompé sur la personne du déposant, il faudrait, en cas de contestation, qu'il fît reconnaître son erreur en justice et qu'il fît annuler son obligation de conserver la chose.
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(a) En français, le mot “dépôt” s'emploie aussi bien pour désigner la chose déposée que le contrat même par lequel on dépose.
Art. 903. — 715. Cet article s'occupe de la capacité requise chez le déposant et l'article suivant de celle requise chez le dépositaire.
Le Code français (art. 1922) n'est pas encore exact, quand il dit que “le dépôt ne peut être régulièrement fait que par le propriétaire de la chose déposée ou de son consentement.”
D'abord, toute personne ayant un droit réel sur la chose peut la déposer; ainsi, l'usufruitier ou le locataire d'un meuble, le créancier gagiste, peuvent valablement déposer la chose qui ne leur appartient pas; sauf leur responsabilité envers le propriétaire, s'ils ont fait choix d'un dépositaire négligent ou infidèle. Il n'est même pas nécessaire que le déposant ait un droit réel sur la chose: un emprunteur à usage, un dépositaire même pourrait déposer la chose chez un tiers; aussi le texte de notre article a-t-il soin de dire qu'il suffit d'avoir “intérêt à la garde et à la conservation de la chose" pour avoir le droit de la déposer: un simple possesseur sans titre qui serait, en voie de prescrire aurait intérêt à déposer et, par conséquent, aurait le droit de le faire.
Dans tous ces cas, le dépositaire qui aurait accepté le dépôt ne serait pas admis à prétendre restituer la chose avant le temps convenu, sous prétexte que le déposant n'est pas propriétaire.
Le 2e alinéa, en reconnaissant aux représentants légaux des incapables le droit de déposer, le refuse, par cela seul, aux incapables eux-mêmes. En effet, le dépositaire ne devant pas pouvoir exiger des déposants incapables le remboursement de ses dépenses et sur. tout l'indemuité des dommages qui lui auraient été causés par la chose, ne peut pas être tenu de conserver un dépôt qui présente pour lui des dangers de perte. Sans doute, dans la rigueur des principes, l'action en nullité d'un contrat fait avec un incapable n'appartient qu'à ce dernier et non au contractant capable (art. 310); mais il ne faut pas oublier que le dépôt est un contrat gratuit ou de bienfaisance de la part du dépositaire, et il serait trop rigoureux de l'obliger à conserver un dépôt qui peut lui être une source de dépenses ou de dommages, sans avoir le droit d'en être indemuisé: on ne peut, en ce cas, refuser au dépositaire la faculté de s'adresser au représentant légal de l'incapable et de lui demander ou de valider le dépôt, en le ratifiant, ou de le reprendre.:
Quant le dépôt est fait par le représentant lui-même de l'incapable, tous les effets légaux du contrat se produisent.
Il en est de même lorsqu'il s'agit des mandataires conventionnels des propriétaires ou des antres personnes intéressées dont parle le 1er alinéa de cet article.
Art. 904. — 716. Il s'agit ici du dépositaire incapable de contracter: il est naturel que le déposant doive s'imputer d'avoir confié sa chose à une personne dont la responsabilité est limitée.
Nous ne disons pas que la responsabilité de l'incapable manque absolument: le texte a bien soin d'exprimer que l'incapable n'est pas à l'abri de toute poursuite; il en indiqne trois cas:
1° Le dépositaire incapable possède encore en nature la chose déposée: il devra la restituer, soit sur l'action en revendication, soit sur l'action possessoire du déposant; il ne peut évidemment s'autoriser de son incapacité pour retenir le bien d'autrui;
2° Il a aliéné la chose ou il l'a consommée de bonne foi: dans l'un et l'autre cas, il se trouve enrichi, soit parce qu'il n'a pas encore dissipé le produit de l'aliénation, soit parce qu'en consommant la chose par un emploi nécessaire ou utile, il a ménagé ses propres biens; il est alors enrichi du bien d'autrui, sans cause légitime, et il est juste qu'il restitue l'équivalent de cet enrichissement;
3° Il a détourné ou dissipé de manvaise foi les choses déposées, sans profit subsistant d'ailleurs: il en est responsable pénalement, car il est coupable d'abus de confiance, délit prévu et puni par le Code pénal; si l'incapable est une femme mariée, la responsabilité pénale est entière; si c'est un mineur de 12 à 20 ans, la responsabilité est diminuée par une excuse légale; s'il a agi sans discernement ou s'il est en démence, la responsabilité pénale manque entièrement. Voilà pourquoi notre article ne réserve l'action pénale que “s'il y a lieu.”
Art. 905. — 717. Le dépositaire, rendant un service gratuit, doit étre traité avec indulgence quant à l'appréciation des fautes ou négligences qu'il pourrait commettre dans la garde des choses lui à confiées.
Il est de tradition, depuis les Romains, qu'on n'exige de lui que les soins qu'il apporte à ses propres affaires: le déposant doit s'imputer à lui-même d'avoir choisi · un dépositaire peu soigneux ou peu diligent. C'est la même règle qu'en matière de société, pour les associés qui n'ont pas la qualité de gérants (v. art. 780) (b).
On a quelquefois douté si, dans le cas inverse, celui où le dépositaire est particulièrement soigneux et diligent, le déposant pourrait lui reprocher de n'avoir pas apporté à la chose déposée les mêmes soins que ceux qu'il est dans l'habitude d'apporter aux choses qui lui appartiennent.
Sans aller jusque-là, il faut décider que la resposabilité ordinaire reprend son empire: le déposant n'a sans doute choisi ce dépositaire que parce qu'il connaissait ses bonnes habitudes; il a, dès lors, dû compter au moins sur les soins d'un bon administrateur.
718. Le Code français, après avoir posé le même principe que celui de notre article (v. art. 1927), y apporte quatre exceptions dans l'article suivant. Nous ne proposons d'en adopter que deux et d'écarter le 2e cas, où le dépositaire reçoit un salaire, et le 4, où il a été convenu que le dépositaire répondrait de toute espèce de faute. · Pour ce qui est du salaire, nous n'admettons pas qu'un véritable dépositaire en reçoive un sans devenir, par cela seul, locateur de services: le contrat est“essentiellement gratuit," et nous ne comprendrions pas qu'il fût salarié sans changer de nature et, par suite, de nom.
Si la loi française a eu en vue le cas où le dépositaire a stipulé une indemnité déterminée pour certaines charges que le dépôt lui imposait: par exemple, un travail de déplacement de choses lui appartenant pour faire place au dépot, ou la mise en état d'un emplacement pour l'abriter, ce n'est pas là un salaire proprement dit, puisque le dépositaire n'y trouve aucun profit; si l'on a eu en vue les dépôts d'argent ou de titres reçus par les banques, moyennant un droit fixe ou proportionnel, ou les dépôts de manchandises reçus par les entrepôts, docks, magasins généraux, lesquels sont véritablement salariés, on a négligé la réalité pour s'attacher au nom: il y a dans ces cas de véritables louages de services et le nom de dépôt, quoique usité en fait, est inexact.
Nous ne comptons pas le 4e cas du Code français, pour un autre motif, c'est que la convention fait loi entre les parties, dans ce cas comme dans tous les autres; il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter ici.
719. Au contraire, les deux autres cas où la responsabilité du dépositaire revient au droit commun peuvent être admis, quoiqu'assez rares.
1° Le dépositaire s'est offert au dépôt: il faut supposer que le déposant avait seulement témoigné une certaine inquiétude au sujet de la chose, comme craignant soit le vol, soit la détérioration par la nature de l'emplacement où elle se trouvait, mais sans demander à la déposer, et que le dépositaire, en s'offrant, ait ainsi provoqué le dépôt, ou qu'il ait demandé d'être préféré à un autre dépositaire.
Le cas où le dépôt “est dans l'intérêt unique du dépositaire” (v. C. civ. fr., art. 1928) sera rare également, et comme cette hypothèse paraîtrait singulière, au premier abord, la loi indique ici le cas où elle est plausible: c'est lorsque la chose est destinée à être prêtée à usage au dépositaire, dans le cas où le besoin naîtrait pour lui, et comme ce besoin peut être subit et le prêteur être éloigné, la chose est d'abord confiée comme dépot à l'emprunteur futur et éventuel; dans ce cas, il doit déjà apporter les soins d'un bon administrateur, avant même d'avoir commencé à user de la chose.
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(b) Il est d'usage, dans la doctrine, de dire que, dans ce cas, la faute s'apprécie in concreto, par opposition aux autres cas, où elle s'apprécie in abstracto: on prétend par là exprimer que, dans le premier cas, le modèle que le débiteur doit suivre est lui-même, tandis que, dans les autres cas, son modèle est idéal.
Art. 906. — 720. L'article 893 impose à l'emprunteur à usage une responsabilité exceptiounelle: on a vu, que dans un péril commun de la chose de l'emprunteur et de la chose prêtée, l'emprunteur doit sauver cette dernière de préférence à la sienne, lors même qu'elle aurait moins de valeur, et que, s'il a agi autrement, il est responsable de la valeur de la chose prêtée ainsi perdue.
Cette rigneur, fondée sur ce que l'emprunteur reçoit un service, doit raisonnablement s'appliquer au dépositaire, lorsqu'il prend à son tour la qualité d'emprunteur, en vertu de la permission éventuelle qui lui en a été donnée.
Mais il ne faudrait pas croire que, hors ce cas, il pût toujours sauver la chose qui lui appartient, de préférence à celle qui lui est déposée: le texte veut encore qu'il sauve de préférence la chose déposée, lorsqu'elle a notablement plus de valeur que la sienne propre; c'est une application de la règle qu'il doit garder et conserver la chose déposée comme si elle était à lui; or, si elle était à lui, il la sauverait, de pré férence à celle qui a moins de valeur; mais ici, à la différence du cas où il est emprunteur, il sera indemnisé de la valeur de la sienne, justement parce que c'est le service qu'il rend au déposant qui pour lui est cause d'une perte.
Bien entendu, quand il s'agira d'apprécier la valeur comparative des deux choses, on devra tenir compte de la valeur d'affection que chacune pouvait avoir pour son propriétaire. Nous ne prendrons pas au Japon l'exemple, traditionnel chez les auteurs étrangers, d'un portrait de famille, comparé à un autre objet mobilier (parce que les portraits de famille sont encore peu nombreux en ce pays); mais supposons un objet donné par l'Empereur ou un autographe d'un personnage célèbre déjà mort, il y aurait là une valeur d'affection supérieure à la valeur vénale de la chose et dont il faudrait tenir grand compte, soit dans la chose déposée, soit dans la chose appartenant au dépositaire, en supposant d'ailleurs que celui-ci connaissait cette origine de la chose déposée. La loi veut aussi que la supériorité de valeur d'une des choses soit “notable,” c'està-dire importante: autrement, le dépositaire aurait pu la négliger ou même ne l'avoir pas remarquée.
Art. 907. — 721. Bien que la loi doive se montrer indulgente pour le dépositaire, à l'égard de ses fautes, elle ne doit cependant pas l'affranchir des conséquences de la mise en demeure; si donc, lorsqu'il a été mis en demeure de restituer, il manque à le faire, il est responsable de la perte, même fortuite ou résultant d'une force majeure, survenue depuis qu'il est en demeure. Si la loi renvoie au droit commun, c'est parce que la faveur due au dépositaire pouvait laisser des doutes à cet égard. Du reste, si l'événement qui a causé la perte de la chose déposée était de nature à atteindre également la chose chez le déposant, au cas où elle lui aurait été restituée, le dépositaire, quoiqu'en demeure, est encore libéré (v. art. 355, 2e al., 562 et 563).
Art. 908. — 722. Le Projet emprunte au Code français la première prohibition relative au respect à observer par le dépositaire au sujet de la chose déposée, lorsque le déposant ne la lui a pas fait connaître, et il ajoute une seconde prohibition, celle de faire connaître à des tiers la nature des choses déposées. La loi même lui défend de le faire “ dans aucun cas,” ce qui veut dire que si le déposant lui avait fait connaître les choses déposées, il n'en devrait pas moins garder le secret vis-à-vis des tiers.
La loi ne va pas jusqu'à lui défendre de faire savoir à des tiers qu'il est dépositaire; il devrait, en général, s'en abstenir, mais il pourrait arriver qu'il fût dans la nécessité de faire cette déclaration: par exemple, si les créanciers du déposant, soupçonnant le dépôt fait par leur débiteur, l'assignaient “en déclaration de sa dette” (voy. C. proc. civ. fr., art. 570 et s.), ou si ses propres créanciers voulaient, par erreur, saisir le dépôt comme lui appartenant.
On pourrait hésiter sur le point de savoir si la prohibition ne doit pas cesser au cas où le dépositaire aurait de fortes raisons de soupçonner le caractère délictueux de la chose déposée: par exemple, s'il s'agissait d'une substance explosible, d'opium ou de fausses monvaies, dont la possession seule est prohibée en général.
Comme la loi reconnaît aux particuliers le droit de dénoncer les crimes ou délits dont ils auraient la connaissance ou le soupçon (v. C. proc. crim. jap., art. 97 et Projet révisé art. 111; comp. C. instr. crim. fr., art. 30), il semble que la loi civile et la loi criminelle vont se trouver en conflit. Mais il faut admettre que la présente prohibition n'est écrite qu'au point de vue des intérêts civils et qu'elle ne porte aucune atteinte au droit de dénonciation établi par la loi de procédure criminelle dans l'intérêt public.
La sanction de la double défense ici faite au dépositaire n'est et ne pouvait être que l'indemnité du dommage causé au déposant par cette indiscrétion, en y comprenant le gain manqué par celui-ci et à la charge par lui de justifier de l'un et de l'autre, ce qui ne sera pas toujours sans difficulté.
Si la chose déposée paraît volée, le cas est réglé plus loin (v. art. 914).
Art. 909. — 723. On a déjà eu occasion de dire et de répéter que le dépositaire rend un service et n'en reçoit pas; s'il pouvait se servir de la chose et en consommer les fruits, il aurait presque toujours plus d'avantages qu'il n'en procurerait.
Cependant, le déposant peut lui avoir permis d'user et de jouir de la chose, soit comme compensation de l'embarras que la chose peut lui causer, comme d'un meuble ou d'une voiture, soit même dans le propre intérêt de la conservation de la chose, comme d'un cheval de selle qu'il faut promener, et d'un cheval de trait qu'il faut atteler, sans quoi il tomberait malade ou perdrait sa vitesse ou sa force.
S'il s'agissait d'une vache ou d'une chèvre, le dépositaire pourrait être autorisé à consommer le lait et à employer le fumier, et s'il s'agissait de poules, les @ufs, surtout s'il prepait à sa charge la nourriture de ces animaux.
Cette permission n'a pas besoin d'être expresse et formelle, elle peut n'être que tacite et s'induire des circonstances et de la nature de la chose.
Le texte a soin de dire que cette permission d'user de la chose “ne suffit pas à transformer le dépôt en prêt à usage"; par conséquent, le déposant pourra toujours reprendre sa chose quand il lui conviendra; mais aussi la responsabilité du dépositaire restera moindre que celle de l'emprunteur à usage: on n'est pas dans le cas de l'article 906, 1er alinéa, qui applique l'article 893 au dépositaire devenu emprunteur.
En effet, l'article 906 (complétant l'article 905) suppose que “le dépôt a été fait uniquement dans l'intérêt du dépositaire et pour lui permettre d'user de la chose, au cas de besoin”; tandis qu'ici le dépot est dans l'intérêt surtout du déposant et l'usage autorisé n'est qu'une compensation aux embarras que la chose peut causer. Cela aurait seulement pour effet d'obliger le dépositaire à donner à la chose déposée non plus seulement les soins qu'il apporte habituellement à ses propres affaires, mais même ceux d'un bon administrateur.
Art. 910. — 724. Cet article et le suivant concernent l'obligation de restituer qui peut être considérée coinme la principale obligation du dépositaire.
Il doit restituer la chose en nature et identiquement, c'est-à-dire celle même qu'il a reçue. On pourrait croire qu'il y a exception dans le cas du dépôt dit irrégulier, ayant pour objet de l'argent remis à découvert, sans enveloppe ni sac, et dont la restitution se fait non dans les mêmes espèces, mais en espèces de même nature; cependant, il n'y a pas lieu de présenter ce cas comme une exception: il rentre suffisamment dans la règle; du moment que l'individualité des espèces n'a pas été constatée, le dépositaire est considéré comme en rendant d'une identité suffisante, si la somme restituée est en même monnaie d'or, d'argent ou de papier.
Le dépositaire doit aussi rendre les fruits et produits par lui perçus, si la chose en a donné; ce ne peuvent guère être, du reste, que des petits d'animaux, puisqu'il ne s'agit pas d'immeubles et que les meubles autres que les animaux ne donnent pas de fruits ou produits (c).
Il pourrait arriver que les produits ne fussent pas susceptibles d'être conservés sans détérioration; dans ce cas, le dépositaire aurait dû les vendre et il rendrait la valeur qu'il en a tirée.
Bien entendu, cette restitution des fruits et produits n'aurait pas lieu si le dépositaire avait été autorisé à jouir de la chose, comme il est prévu à l'article précédent.
725. Le 20 alinéa de notre article recevra plus rarement une application; cependant, il pourrait arriver que la chose eût été endommagée par un tiers ou réquisitionnée temporairement pour un usage public, comme une pompe à incendie, un cheval, une voiture, et que ces faits eussent donné lieu à une indemnité que le dépositaire aurait reçue; dans ce cas, il ne pourrait évidemment la conserver sans s'enrichir injustement du bien d'autrui.
726. Le dernier alinéa suppose des faits plus graves: le dépositaire "a consommé, aliéné ou dé. tourné la chose déposée” et la loi suppose qu'il l'a fait “sciemment,” parce qu'il pourrait arriver, rarement il est vrai, qu'il eût oublié le dépôt ou qu'il eût confondu la chose déposée avec d'autres qui lui appartenaient. Hors ce cas, prévu à l'article 911, la disposition faite volontairement et de mauvaise foi est un acte trèsrépréhensible: il oblige le dépositaire à tous les dommages-intérêts et le soumet à l'action publique pour le délit d'abus de confiance, conformément au Code pénal.
Il faut remarquer que ces dommages-intérêts sont dus "de plein droit et sans mise en demeure.” La loi aurait pu ne pas s'en expliquer formellement, parce que ce n'est que l'application d'un principe général d'après lequel “celui qui est tenu de ne pas faire est toujours en demeure” (v. art. 404, 2° al.); mais il n'est pas mauvais que la loi fasse de temps en temps ellemêine l'application des principes, c'est une occasion de les faire mieux ressortir. Cependant, on ne va pas jusqu'à répéter que, comme il y a ici un dol, les dommages-intérêts comprendront même les dommages imprévus: cette règle a déjà été appliquée par la loi, au moyen de renvois à l'article 405.
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(c) Un dépôt de vers-à-soie, pendant l'élevage, serait, au Japon, un cas intéressant: ce sont des animaux donnant des produits (soie et graine); mais comme ils demandent des soins considérables et prolongés, le contrat devrait être plutôt considéré comme un mandat que comme un dépôt.
Art. 911. — 727. Il pourra arriver bien plus fréquemment pour l'héritier que pour le dépositaire luimême d'ignorer le dépôt et d'en disposer de bonne foi. S'il a consommé lui-même les objets déposés, par exemple des denrées alimentaires, des bois à brûler ou à ouvrer, il ne peut plus être question que d'une indemnité et comme son auteur rendait un service, comme on ne peut guère reprocher à l'héritier d'avoir ignoré le dépôt, l'indemnité ne se mesurera pas nécessairement sur la valeur vénale des objets consommés, encore moins sur le préjudice réel éprouvé par le déposant, mais seulement sur le montant du profit que l'héritier a trouvé dans cette consommation, notamment en s'épargnant une dépense; au fond, la différence sera peu de chose, à moins de supposer que les objets n'étaient pas de première nécessité, cas auquel l'héritier ne les aurait peut-être pas achetés, s'il n'avait pas cru les avoir à lui et où il n'est pas réellement enrichi.
Si les objets ont été aliénés, ils ne peuvent pas être revendiqués, lorsque les tiers acquéreurs out été de bonne foi et les possèdent, puisqu'ils ne pourraient être revendiqués non plus si le dépositaire lui-même les avait aliénés de mauvaise foi, comme il est prévu à l'article précédent.
Dans le cas d'aliénation onéreuse, l'héritier doit le prix ou autre équivalent qu'il a tiré de la chose; s'il a donné les objets, on recherchera si, à défaut de ces objets, il en eût donné d'autres: alors, il a encore profité de ce qu'il a épargné de ses propres biens.
La solution est déclarée applicable aux mêmes faits provenant du dépositaire lui-même ayant, de bonne foi, disposé des objets.
La loi ne porte pas, coinme allant de soi, qu'en sens inverse, l'article précédent sera applicable à l'héritier, s'il a commis sciemment ou de mauvaise foi les actes illégitimes punis contre son auteur: il est devenu luimême dépositaire infidèle.
Art. 912. — 728. Cet article et les deux suivants terminent ce qui concerne l'obligation de restituer le dépôt: le premier nous dit à qui le dépot doit être restitué, le second, en quel lieu, le dernier, en quel temps et aussi quand la restitution peut être refusée ou retardée.
Le Code français s'est étendu trop longuement sur les distinctions relatives aux personnes auquelles le dépôt doit être restitué (v. art. 1937 et 1939 à 1941): il n'y a ici que l'application des principes généraux et ce que le Code français dit au sujet du dépôt, il aurait pu le dire avec autant de détails et aussi peu d'utilité au sujet de tous les autres cas de restitution.
Il est clair que si le déposant est devenu incapable d'administrer ses biens, le dépót ne peut plus être res. titué qu'à son représentant; que si d'incapable il est devenu capable, le dépôt fait par son représentant lui sera restitué à lui-même; que s'il est décédé, la res. titution ne se fera qu'à son héritier et que s'il y a plu. sieurs héritiers, le dépôt ne doit être fait à chacun que pour sa part ou à tous réunis et d'accord.
Art. 913. — 729. Le lien de la restitution du dépôt sera rarement fixé expressément: le plus souvent la chose est de nature à rester au domicile du dépositaire et c'est là évidemment qu'elle sera rendue.
Mais le débiteur peut changer de domicile et, dans ce cas, la chose le suivra à son nouveau domicile; elle peut aussi avoir été déplacée pour la commodité du dépositaire et ce ne serait pas une raison pour qu'il dût la rapporter, pour la restitution, au lieu où elle était primitivement; il faut seulement que le changement de lieu ait été fait de bonne foi ou “sans fraude."
Bien entendu, quoique la loi ne le dise pas, les frais de restitution, c'est-à-dire d'enlèvement, sont à la charge du déposant.
Art. 914. — 730. L'article 901 a fait entrer dans la définition du dépôt l'obligation pour le dépositaire de rendre la chose à la première demande du déposant.
La loi n'a pas à reproduire ici ce caractère quant au temps, de l'obligation de rendre; mais elle y apporte quatre exceptions. Elles sont éparses dans le Code français (v. art. 1938, 1944, 1946, 1948); il est naturel de les réunir.
1° Il peut arriver que la propriété de la chose qui paraissait appartenir au déposant appartienne, au contraire, au dépositaire lui-même; le cas, pour être rare, n'est pas invraisemblable. Ce qui sera plus fréquent peut être, ce sera le cas où le dépositaire acquerrait la chose en traitant avec le déposant; dans ce cas, le dépôt prendrait fin dès le moment de l'acquisition: le dépositaire serait censé avoir restitué la chose à ce moment et l'avoir immédiatement reçue comme acquéreur.
2° Le dépositaire a, tout naturellement, le droit de rétention de la chose comme garantie du remboursement des dépenses qu'il a faites pour la conservation de la chose et pour l'indemnité des dommages qu'elle lui a causés.
Ce droit va lui être reconnu dans l'article suivant.
3° Il peut arriver qu'un créancier du déposant, crai. gnant de ne pas être payé et sachant qu'une chose de son débiteur est déposée aux maius d'un tiers, veuille en empêcher la restitution, de peur qu'elle ne soit ensuite détournée ou dissipée par le débiteur; dans ce cas, il a le droit de faire entre les mains du dépositaire une saisie-arrêt ou opposition.
Il y a encore lieu à opposition à la restitution du dépôt, si un tiers se prétend propriétaire de la chose déposée, ou prétend avoir sur cette chose un droit de gage ou un autre droit réel.
Dans ces divers cas, il n'appartient pas au dépositaire d'apprécier si ces prétentions des tiers sont bien ou mal fondées: il doit s'abstenir de restituer le dépôt, ou, s'il le restitue, c'est à ses risques et périls.
La seule condition pour qu'il doive surseoir à la restitution c'est que la saisie ou l'opposition soit faite en bonne forme.
4° Lorsque le dépositaire a découvert que la chose a été volée et s'il en connaît le légitime propriétaire, il n'a pas seulement le droit, mais il a le devoir de refuser la restitution, et alors il doit sommer le propriétaire de la réclamer dans un délai fixe et suffisant; mais il serait imprudent de la rendre à celui-ci sans appeler le déposant à contrôler et contredire au besoin la restitution. Le texte a soin d'exprimer cette précaution qui manque au Code français (art. 1938).
Passé le délai fixé au propriétaire saus réclamation de sa part, la restitution au déposant est obligatoire.
Si le dépositaire ne connaissait pas le propriétaire, bien qu'il eût de justes raisons de croire la chose volée, il ne serait ni obligé, ni en droit de retenir la chose, du moment qu'il ne pourrait provoquer un débat entre le déposant et le propriétaire.
Enfin, s'il n'avait qu'un soupçon du vol, il y aurait témérité à lui de mettre un retard à la restitution: il pourrait, au cas d'erreur, s'exposer à des dommagesintérêts envers le déposant.
Art. 915. — 731. La double obligation du déposant ici prévue ne résulte pas directement du contrat de dépôt: le contrat n'en est que l'occasion: c'est la même théorie que dans le prêt à usage: le déposant est tenu de l'enrichissement qui résulte pour lui de la conservation de sa chose ou du dommage qu'il a causé par sa faute, en déposant une chose nuisible dont il connaissait ou devait connaître les défauts. Il est sous-entendu que le déposant cesserait d'être responsable, si ces défauts étaient survenus depuis le dépôt: par exemple, un cheval déposé est devenu malade et a communiqué sa maladie aux chevaux du dépositaire. Il faut toujours qu'il y ait eu imprudence du déposant.
Mais la loi ne subordonne pas le droit du dépositaire d'être indemnisé à l'ignorance où il a été des vices de la chose, comme lorsqu'il s'agit de l'emprunteur à usage: il faut toujours se souvenir que le dépositaire rend un service, tandis que l'emprunteur en reçoit un.
732. Il n'y a pas à s'arrêter de nouveau sur le droit de rétention ici accordé au dépositaire comme garantie du payement de ces indemnités: lors même que cette sûreté réelle ne serait pas destinée à être généralisée dans le Projet, elle devrait toujours recevoir ici une application, à cause du service rendu.
On rappellera seulement que la loi ne mentionne pas ici le refus du droit de rétention de la chose, en compensation de ce que le déposant pourrait devoir au dépositaire, à tout autre titre que les deux causes précédentes: la disposition prohibitive de la compensation se trouve déjà dans l'article 548, 2e alinéa, et elle a été justifiée (T. II, p. 699-700, n° 616). On a fait d'ailleurs remarquer, à cette occasion, que la prétention du dépositaire à la compensation n'aurait pu se concevoir que s'il s'était agi d'un dépôt dit "irrégulier” ou de chose fongibles à rendre en équivalent; car s'il s'était agi d'un corps certain, la compensation était impossible par cela seul que les deux dettes n'étaient pas de même espèce.
COMMENTAIRE.
Art. 916. — N° 733. La distinction entre le dépôt nécessaire et le dépôt volontaire est traditionnelle en législation; mais elle n'a plus la même importance qu'autrefois, à cause de l'abolition de la contrainte par corps à laquelle était soumis le dépositaire nécessaire et non le dépositaire volontaire (v. C.civ.fr., art. 2060-1°). Dans le Code français, après l'abolition de la contrainte par corps, en matière civile (Loi du 22 juillet 1867), il reste encore une différence suffisante pour faire conserver cette distinction entre les deux dépots: elle est relative à la preuve du dépôt nécessaire qui peut se faire par témoins, même pour une valeur excédant 150 francs (v. art. 1318-2°), tandis que le dépôt volontaire ne peut se prouver par témoins que dans cette limite (roy. art. 1341).
Au Japon, les limites de la preuve testimoniale ne sont pas encore posées: on les trouvera au Livre V°, s'il y a lieu. Il est probable qu'il en sera apporté quelques-unes, car aujourd'hui l'écriture est assez répandue dans toutes les classes de ce pays pour que la loi en exige l'emploi plus fréquemment qu'autrefois, et cela, dans le but de prévenir les procès; mais qu'elles que soient les exigences ultérieures de la loi à cet égard, il sera nécessaire d'admettre une grande facilité pour prouver le dépôt nécessaire, et le présent article, pour faire voir l'utilité de la distinction des deux dépôts, annonce, dès à présent, que tous les modes de preuves seront admis à l'égard du dépôt nécessaire, même les simples “présomptions de fait.”
734. Le dépôt nécessaire n'augmente ni ne diminue la responsabilité du dépositaire: ce n'est pas pour le dépositaire qu'il y a nécessité, contrainte, résultant de l'événement, il n'y a donc pas lieu de diminuer à son égard la responsabilité ordinaire déjà assez faible; il n'y a pas lieu non plus de l'augmenter, parce que cela pourrait détourner les voisins de recevoir un dépôt dans ces conditions et ce serait au préjudice de celui qui a besoin de faire un pareil dépôt.
La seule différence qu'on puisse rattacher à la responsabilité du dépositaire nécessaire est une aggravation de peine en cas d'abus de confiance par détournement du dépôt: le déposant n'ayant pas pu choisir librement son dépositaire, l'infidélité de celui-ci présente un plus grand mal moral et social que celle d'un dépositaire volontaire: le mal moral est plus grand, car il abuse davantage de l'embarras où s'est trouvé le déposant, et le mal social est plus grand aussi, car si la confiance générale des hommes les uns envers les autres diminue, les pertes résultant des calamités locales augmenteront, faute de dépôt en temps utile(a).
Le caractère nécessaire du dépôt qui nous occupe pourra encore être pris en considération dans le cas où la chose déposée aura causé des dommages au dépositaire: on pourra être un peu moins sévère pour le déposant qui n'aura pas signalé les dangers que pouvait présenter la chose déposée; on tiendra compte du trouble et de la précipitation où il s'est trouvé.
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(a) Le Projet de Codle pénal aggravait d'un degré la peine de l'abus de confiance en cas de dépôt nécessaire; le Texte officiel a supprimé cette aggravation. Il est désirable qu'elle soit rétablie: nous l'avons proposé dans le Projet révisé de Code pénal (art. 437 bis-3").
Art. 917. — 735. Les voyageurs qui s'arrêtent dans les hôtelleries ou auberges ne peuvent guère choisir celui chez lequel ils logent; il peut même arriver que ce choix soit tout-à-fait impossible, parce que l'hôtellerie est la seule de la localité. Il n'y a donc pas d'exagération à considérer comme dépôt nécessaire l'introduction dans l'hôtellerie des effets et objets quelconques que les voyageurs portent avec eux.
La loi met sur la même ligne, comme dépositaires nécessaires, les entrepreneurs de transport par terre et par eau, au sujet des objets qui leur sont confiés pour être transportés, sans distinguer si celui qui les leur confie est lui-méme transporté en même temps.
La présence du propriétaire des objets dans l'hôtellerie ou dans les bateaux ou voitures n'empêche pas qu'il y ait dépôt, parce que les objets ne sont pas nécessairement sous ses yeux et sous sa garde. En effet, le plus souvent, ils sont déposés dans des lieux distincts de ceux où se trouvent les personnes, et, lors même que les malles et caisses d'un voyageur seraient dans sa chambre d'hôtel ou dans sa cabine de bateau, il arrive nécessairement qu'il s'absente pendant plus ou moins longtemps et, pendant ce temps, les objets pourraient disparaître en tout ou en partie.
736. Lorsque la loi assimile au dépôt nécessaire la remise des effets qui accompagnent les voyageurs ou de ceux qui sont confiés aux entrepreneurs, ce n'est pas à tous les points de vue, car ce serait n'imposer aux hotelliers et aux voituriers qu'une responsabilité trèslimitée et, au contraire, on va voir qu'elle est plus rigoureuse que celle des dépositaires ordinaires, c'est pour la facilité plus grande de la preuve du dépôt, parce qu'en pareil cas la célérité des affaires ou l'encombrement des voyageurs ne permettent pas souvent de dresser des écrits. Nous exceptons le cas des grandes entreprises de transport qui ne reçoivent les voyageurs ou les passagers et leurs bagages qu'après enregistrement.
Pour ces cas, il y aura encore lieu de déclarer que le dépôt est nécessaire, parce qu'il n'est presque jamais possible de choisir l'entreprise de transport (un chemin de fer, par exemple) et il restera un intérêt à qualifier le dépôt de“nécessaire”; ce ne sera pas pour la preuve, qui sera écrite, mais ce sera pour la responsabilité, au cas de détournement par des serviteurs ou employés: le dernier alinéa de l'article précédent sera applicable (v. Proj. révisé de C. pénal, art. 437 bis-2°).
Mais ce dépôt nécessaire diffère du précédent, au sujet du degré de soins que doit le dépositaire: comme le dépôt dans les hôtelleries, bateaux, voitures, est l'accessoire d'un louage de services, lequel est salarié, le dépositaire doit dès lors apporter à la chose déposée les soins d'un bon administrateur; il ne lui suffirait pas d'apporter, comme un dépositaire ordinaire, les soins qu'il apporte habituellement à ses propres affaires, C'est ce qu'exprime la loi en renvoyant à "la responsabilité des contractants à titre onéreux."
COMMENTAIRE.
Art. 918. — N° 737. Il serait quelquefois dangereux de laisser aux mains d'une des parties la chose objet d'un procès ou de prétentions opposées de deux ou plusieurs personnes: elle pourrait disparaître ou être détériorée par négligence ou mauvaise foi, en même temps que la responsabilité du détenteur pourrait être illusoire par l'effet de son insolvabilité. Il est donc naturel de déposer cette chose aux mains d'un tiers.
Le dépôt se nomme “séquestre”; mais on donne aussi le nom de “séquestre” au dépositaire.
Pour éviter la confusion dans l'emploi de deux mots semblables avec un sens aussi différent, le texte donne au dépositaire le nom de “séquestre-gardien.”
Ce premier article suppose que le dépôt est fait entre les mains d'un tiers, parce que ce sera le plus fréquent; mais on verra sous l'article suivant, que le dépôt peut être fait même entre les mains d'une des parties.
A la différence du dépôt ordinaire qui n'a lieu que pour les meubles, le séquestre peut avoir lieu pour les immeubles, ce qui lui donnera de l'analogie avec le mandat; toutefois, on devra lui maintenir le caractère de dépôt, ce qui le fait considérer comme contrat réel ou formé “par la remise de la chose.”
Le séquestre n'est d'ailleurs un véritable contrat que lorsqu'il est conventionnel, c'est-à-dire l'anvre des parties elles-mêmes; quand il est ordonné par la justice, il n'y a pas convention, quoique le séquestregardien accepte: la justice ne contracte pas avec lui, ni les parties non plus; mais les effets sont les mêmes que si les parties avaient consenti.
Art. 919. — 738. Dans le séquestre conventionnel le consentement doit, bien entendu, émaner des divers intéressés, et comme il y a toujours au moins deux personnes en contestation, c'est par inadvertance, évidemment, que le Code français (art. 1956) dit que le dépôt est fait "par une ou plusieurs personnes.”
Le consentement des intéressés a deux objets: le fait même du dépôt et le choix de celui auquel il est confié.
Bien entendu, celui-ci doit consentir également.
Lors même que le séquestre est ordonné par la justice, les parties doivent être admises à exprimer leur désir ou leurs objections sur le choix du gardien, et ce n'est que faute d'accord de leur part, à cet égard, que le choix est fait par le tribunal. Sans doute, si les parties sont d'accord pour le choix du gardien, elles pourraient établir un séquestre conventionnel, mais il pourra arriver que le gardien lui-même préfère recevoir son mandat de la justice ou que les parties ellesmêmes croyent que celui-ci s'acquittera plus fidèlement de sa charge après l'avoir reçue de la justice. Il sera bon d'ailleurs que le Code pénal aggrave la peine de l'abus de confiance consistant dans le détournement d'un dépôt confié par justice (v. Proj. révisé de Code pénal, art. 438).
Art. 920. — 739. On a déjà dit que le dépôt ordinaire, bien qu'essentiellement gratuit, ne change pas de nature et ne devient pas un louage de services par le seul fait que le dépositaire recevrait pour ses peines et soins une indemnité qui ne constituerait pas pour lui un profit proprement dit.
Mais ici le dépositaire-séquestre n'étant pas nécessairement un ami des parties intéressées, surtout ne pouvant guère l'être de toutes, quand elle sont plusieurs, ne saurait être considéré comme leur rendant un bon office; il est donc naturel qu'il reçoive un salaire, et, sans qu'on puisse aller jusqu'à dire que le contrat devient un louage de services, on peut au moins admettre que ce salaire constitue un profit; on comprend dès lors que la loi exige du séquestre-gardien plus de soins à la chose et qu'elle lui impose la responsabilité des contractants à titre onéreux, comme elle l'a déjà fait pour les hôtelliers, les voituriers et les bateliers (v.art. 917).
Art. 921. — 740. Un dépositaire ordinaire n'aurait pas qualité pour faire le bail de la chose déposée: le dépot lui est ordinairement fait pour un temps assez court et ce serait excéder ses pouvoirs que d'engager le déposant par un bail.
Le séquestre est fait pour un temps qui sera vraisemblablement assez long, puisqu'il aura pour terme le jugement d'une contestation, et le jugement en dernier ressort. On comprend donc que, dans l'intérêt même des parties en cause, la chose puisse être louée et ainsi rendue productive, surtout si c'est un immeuble (voy, art. 126 à 128).
Toutefois, la loi ne permet qu'au séquestre judiciaire de louer la chose sans un pouvoir spécial: le séquestre conventionnel devra avoir un pouvoir des intéressés pour engager ainsi l'avenir (comp. art. 129). Mais ils reparaissent tous deux sur la même ligne pour l'exercice des actions possessoires, en complainte et en réintégrande, la première pour conserver, la seconde pour recouvrer la possession qui leur a été confiée.
741. Il faut s'arrêter ici un instant sur la nature de cette possession.
Sans doute, le séquestre n'a pour lui-même qu'une possession précaire, comme tout dépositaire: il ne possède pas pour lui, mais pour autrui; l'un des adversaires avait évidemment la possession au moment où le séquestre a été nommé, et cette possession ne lui est pas juridiquement enlevée par la nomination du séquestre; elle est exercée en son nom par celui-ci. Cela suffit donc pour que le séquestre-gardien ait non seulement le droit, mais le devoir de conserver et de recouvrer cette possession.
Quelquefois cependant il y a doute sur la question de savoir lequel des deux adversaires avait la possession au moment où la contestation s'est élevée; dans ce cas, la possession du séquestre-gardien a pareillement quelque chose d'incertain: on peut dire alors, avec le 3e alinéa de notre article, qu'il possède “pour celui qui triomphera; " mais il n'en doit pas moins exercer les actions possessoires, s'il vient à être troublé
“pour qui il appartiendra."
Art. 922. — 742. Lorsqne la contestation ou le procès sera vidé, la partie gagnante sera réputée avoir toujours eu le droit en litige et c'est à celle que le séquestre remettra la chose.
Mais il faut que la décision soit irrévocable, et le séquestre n'est pas toujours en mesure de s'assurer qu'elle n'est susceptible d'aucun recours; la loi l'autorise donc à mettre sa responsabilité à couvert en exigeant pour la remise le consentement des parties en cause ou un ordre du tribunal.
Art. 923. — 743. Le séquestre étant un dépôt est soumis aux règles générales du dépôt, pour tous les points qui ne sont pas ici autrement réglés.
Art. 924. — 744. Le Code français (art. 1961) présente comme cas de séquestre judiciaire la garde des meubles saisis et la consignation des objets qu'un débiteur offre pour sa libération; mais il est reconnu qu'il y a là une négligence: la garde des meubles saisis n'est pas confiée par la justice directement et en vertu de sou pouvoir discrétionnaire, elle est ordonnée par la loi sur les saisies et c'est l'officier public procédant à la saisie qui nomme le gardien (voy. C. proc. civ. fr., art. 596 à 598).
Le dépôt et la consignation des objets dus que le créancier ne veut pas recevoir seraient plus près de ressembler au séquestre, au moins lorsqu'il s'agit d'objets autres que de l'argent; car, pour cette valeur, c'est encore la loi qui indique le consignataire; mais, pour les autres, c'est le tribunal (voy. art. 499).
Dans tous les cas, les règles sur la gestion du gardien et les conditions de la restitution sont spéciales et c'est au futur Code de procédure civile qu'elles seront indiquées.
COMMENTAIRE.
Art. 925. — N° 745. Le contrat de mandat diffère des précédents en ce qu'il est consensuel et non plus réel, mais il s'en rapproche encore par sa nature de bon office; on le classe donc aussi parmi les “contrats de bienfaisance.” Cependant, la gratuité n'y est plus essentielle: le salaire que peut recevoir le mandataire n'y a pas toujours un caractère d'indemnité, il peut constituer un profit, sans que le contrat devienne un louage de services; mais il faudra, dans l'application, veiller à ce que la qualification du contrat ne tende pas à le dénaturer.
Nous reviendrons sur cette difficulté sous l'article 927.
Le contrat de mandat est d'une grande utilité, car il est bien difficile que chacun puisse faire lui-même tout ce qui l'intéresse: un voyage, une maladie, le manque de connaissances spéciales, nos devoirs, nous obligent souvent à recourir aux bons offices d'autrui pour la gestion de tout ou partie de nos affaires et cela pendant un temps plus ou moins lovg.
Le caractère essentiel du mandat est que l'affaire à gérer intéresse le mandant; mais il n'est pas nécessaire qu'elle n'intéresse que lui seul: ainsi, l'affaire peut lui être commune avec un tiers ou avec le mandataire lui-même, par l'effet d'une société ou d'une copro-priété; si l'affaire ne concernait qu'un tiers seulement, le mandat ne serait pas valable, faute d'intérêt du sti. pulant, c'est-à-dire faute de cause; si elle ne con. cernait que le mandataire seal, ce ne serait plus qu'un conseil que le préten la man lataire poarrait, à son gré, suivre ou ne pas suivre et sans avoir à se plaindre, s'il n'y avait pas eu dol da mandant.
Lorsque le man lant est intéressé, l'affaire est faite “pour son compte," c'est-à-dire à ses risques et périls, pour son avantage ou son désavantage, car elle est faite par son ordre et snivant les indications qa'il a dû donner, s'il y avait lieu.
746. Ce qui caractérise encore le mandat c'est que le mandant est représenté par le mandataire: c'est le mandant qui est censé avoir fait l'acte dont il s'agit; le mandataire, en effet, ne s'est pas engagé personnellement vis-à-vis des tiers avec lesquels il a pn traiter, il n'a pas non plus stipulé pour lui-même: il a nommé son mandant, il a dit qu'il s'agissait des affaires de celui-ci, et les droits et actions qui penvent naître de l'exécution du mandat sont à exercer plus tard par le mandant ou contre lui.
Mais cette représentation du mandant par le mandataire n'est pas essentielle au mandat; on pourrait donner un mandat dans lequel le mandataire agirait vis-à-vis des tiers “en son propre nom,” ceux-ci ne connaissant que lui et devenant ses créanciers ou ses débiteurs; sauf toujours au mandataire à reporter sur le mandant les avantages et les désavantages des opérations faites avec les tiers. Ce mandat prend le nom de commission. Il est très-usité en matière de commerce et il donne lieu à une profession spéciale trèsimportante, à celle des commissionnaires (v. C. comm. fr., art. 94 et s.).
Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les avantages de cette forme de mandat; il suffit de dire que le commissionnaire, étant plus connu que le mandant, pourra -inspirer une confiance commerciale que n'inspirerait pas le mandant; ensuite, il gardera ainsi le secret de la personnalité de son mandant qui, lorsqu'il s'agit d'actes de commerce importants, peut désirer n'être pas nommé.
Bien que la commission ne soit guère usitée qu'en matière commerciale, rien n'empêche de l'employer en matière civile et notre article l'y autorise; mais il renvoie au Code de commerce pour le règlement de ses effets.
Art. 926. — 747. Le Code français dit bien que le mandat peut être accepté tacitement (art. 1955), mais il ne dit pas qu'il puisse être donné tacitement. Il préseute même l'acceptation tacite du mandataire comme limitée à l'exécution du mandat (ibid.). Mais il n'y a pas d'objection sérieuse à adınettre que la dation du mandat puisse elle-même être tacite, et que l'acceptation tacite du mandataire puisse précéder l'exécution. Ainsi, sur ce dernier point, on ne doutera pas que le mandataire ait accepté le mandat s'il a reçu d'avance le salaire, ou s'il a demandé des instructions sur l'affaire à gérer.
Quant à la dation tacite du mandat, il faudrait la reconnaître avec moins de facilité, parce qu'elle est moins naturelle et qu'elle peut être plus préjudiciable au mandant. Mais on admettra bien que le mari donne tacitement mandat à sa femme d'acheter les objets d'alimentation courante et les vêtements des enfants; les domestiques peuvent de même avoir un mandat tacite de leur maître pour faire certaines dépenses de ménage, d'après les circonstances et l'habitude de la maison. On peut aussi, dans les autres cas et pour d'autres personnes, considérer comme mandat tacite le fait par une personne de laisser continuer ou acte de gestion qu'elle a vu commencer, nu sujet d'une affaire qui l'intéresse. Sans doute, les tribunaux ne devront admettre qu'avec réserve la dation tacite du mandat, mais les principes généraux le permettent (v. art. 328).
Art. 927. — 748. On a déjà annoncé que le mandat n'est pas, comme le dépôt et le prêt à usage, essentiellement gratuit, que le salaire donné ou promis au mandataire n'en change pas la nature et n'en fait pas un louage de services. Pour justifier cette assertion par une raison déterminante, il suffit de dire que le salaire n'est pas ici une rémunération complète du service rendu, que le mandant, même après avoir donné le salaire, est encore, moralement au moins, l'obligé du mandataire; tandis que celui qui a eu recours à uu locage de services, et en a payé le prix, est libéré de toute obligation de reconnaissance.
Or, si l'on cherche le signe qui peut faire distinguer la nature des affaires susceptibles d'être l'objet d'un mandat d'avec celles qui seraient l'objet d'un louage de services, on devra reconnaître qu'il y a mandat quand l'affaire à un caractère plutôt juridique que matériel, comme de contracter, de plaider, de négocier, et lorsqu'elle exige, en même temps, une confiance plus ou moins absolue dans l'honnêteté du gérant; tandis qu'il y aura louage de services, ou même d'ouvrage, dans la charge de construire ou réparer une maison ou de transporter des objets matériels, dans les services des domestiques, même des commis ou préposés, si l'emploi de ceux-ci n'est pas d'une nature délicate et confidentielle.
Les Romains disaient plus simplement qu'il y a louage pour les services " qu'il est d'usage de louer" (quæ locari solent) et mandat pour les autres. On tronverait aujourd'hui que c'était “trancher la question par la question même”; mais on comprenait alors la distinction avec ces termes.:
749. On discute beaucoup, en France et ailleurs, si les services rétribués de l'avocat, de l'avoué, du notaire, du professeur et du médecin, sont l'objet d'un mandat ou d'un louage de services. Il semble qu'on soit influencé par le désir de ne pas abaisser ces pro tions d'amour-propre ne doivent pas être mises à la place des questions de droit et il ne faut pas confondre la vanité avec la dignité. C'est dans la nature même de ces services qu'il faut chercher la solution.
On a déjà dit que ce qui caractérise essentiellement le mandat c'est la représentation de celui qui reçoit le service par celui qui le rend. Or, l'avocat et l'avoué représentent le plaideur, leur client, ils parlent en son nom: ce sont incontestablement des mandataires et, comme leur service n'est pas et ne peut pas être gra en conséquence, le mandant a le droit d'exiger d'eux plus de soin qu'il n'en doit demander à des mandataires non salariés.
Mais on ne pourrait plus dire du notaire appelé à faire un acte de sa fonction qu'il représente les personnes qui lui demandent la rédaction d'un acte; cela est déjà évident lorsqu'il est requis simultanément par deux parties de rédiger pour elles un contrat, puisqu'ayant des intérêts opposés elles ne peuvent avoir le même représentant; l'évidence est encore plus frappante quand le notaire rédige un acte solennel pour lequel les parties sont absolument incapables d'agir par elles-mêmes: le notaire ne parle pas dans l'acte au nom des parties, il parle au sien propre et atteste que “les parties se sont présentées devant lui, tel jour, et qu'elles y ont fait telles et telles déclarations, qu'elles y ont consenti à telle ou telle aliénation, obligation ou libération."
Il n'est pas moins inadmissible, il serait presque ridicule de dire que le professeur des sciences, des lettres ou des arts libéraux représente quelqu'un: certes ce n'est pas son élève qu'il représente, lors même que c'est son élève qui le rétribue; il ne représente pas davantage les parents de l'élère, quand celuici est mineur et quand la rétribution est payée par sa famille: s'il y avait représentation de la famille l'ins. truction serait censée donnée par celle-ci; or, par cela même qu'elle donne un professeur à l'enfant, c'est qu'elle reconnaît sa propre incapacité.
Le cas est identiqne pour le médecin qui ne représente ni le malade, ni la famille qui l'a appelé à donner ses soins an malade.
De ce que le notaire, le professeur et le médecin ne peuvent être classés parmi les mandataires en faut-il conclure qu'ils louent leurs services ?
Nous le nions, sans la moindre hésitation: les services qu'ils rendent sont de ceux dont nous parlions plus haut, qui ne sont pas payés par la rétribution qu'on a soin de nommer honoraires; celui qui a donné la rétribution n'a pas acquitté toute sa dette: il reste tenu d'une certaine reconnaissance que le temps à peine suffit à affaiblir.
Que reste-t-il donc pour expliquer ce genre de services qui ne sont ni loués, ui fournis par mandat?
Ceux qui ont reconnu que les caractères du louage ou du mandat ne se rencontraient pas ici ont prétendu qu'il y avait contrat in nommé: c'est là, en effet, comme un cadre toujours ouvert, dans la classification des contrats (v.art. 32-1) et qui nous a déjà aidé à sortir de difficultés analogues. Mais cette ressource nous manque ici.
C'est une illusion de voir des obligations civiles dans les divers cas qui nous occupent et de leur chercher me canse légale: la question se retrouvera au Chapitre suivant et nous démontrerons, sous l'article 962, qu'il n'y a, en principe, pour l'avocat, le médecin, le professeur, qu'une obligation naturelle de continuer et compléter les soins qu'ils ont commencés.
Art. 928. — 750. La division du mandat en général et spécial est traditionnelle; on la trouve dans l'article 1987 du Code français; mais elle y est suivie, dans l'article 1988, d'une autre division en mandat conçu en termes généraux et mandat exprès, et on est loin d'être d'accord en France sur la conciliation de ces deux divisions.
En théorie, on comprendrait un mandat absolument général qui permît au mandataire de faire dans l'intérêt du mandant, ou au moins dans l'intérêt du patri. moine de celui-ci, tous les actes qui paraîtraient utiles. Mais, en pratique, un pareil mandat serait dangereux: il laisserait an mandataire le pouvoir de faire des actes d'une gravité que le mandant n'aurait pas prévue et qui pourraient causer sa ruine: par exemple, aliéner les immeubles, les hypothéquer, emprunter, faire une novation, transiger; il serait seulement interdit à un mandataire aussi général de faire des donations au nom du mandant, puisque la donation dépouillerait celui-ci sans équivalent.
La loi française fait donc sagement en ne permettant pas au mandant de s'exposer à des surprises aussi graves et en limitant la portée du mandat général aux “actes d'administration,” lesquels, par leur nature, tendent à conserver le patrimoine dans son intégrité ou à l'améliorer sans le compromettre. Si le mandant veut permettre davantage, il doit le dire expressément. Tel paraît être le sens de l'article 1988 qui ne parle plus de mandat spécial mais seulement de mandat exprès.
751. On n'adopte pas ici les termes de mandat erprès, de peur qu'il n'y ait contradiction, au moins apparente, avec la disposition qui permet le mandat tacite. On arrive alors à trois mandats: 1° le mandat général qui ne comprend que les actes d'administratiou; 2° le mandat déterminé qui comprend une ou plusieurs catégories d'actes plus graves que ceux d'administration, comme aliéner des immeubles, les hypothéquer, emprunter, transiger, etc.; enfin 3° le mandat spécial qui ne comprend qu'un ou plusieurs actes dénommés, comme aliéner ou acheter tel immeuble, emprunter ou prêter telle somme, avec ou sans indication d'une personne avec laquelle il faudra traiter.
Ces divers mandats seront, le plus souvent, erprès, parce qu'une volonté muette ne peut guère comporter de pareilles distinctions; cependant, il pourrait y avoir mandat tacite dans les trois cas; d'abord, le mandat général ou d'administrer, par cela même qu'il est, de sa nature, utile et souvent nécessaire, pourra facilement s'induire des circonstances; les deux autres, le mandat déterminé et le mandat spécial, seront tacites lorsque quelqu'un aura proposé à un de ses amis étant sur le point de partir en voyage, de faire, pour lui et en son pom, certains actes urgents, indispensables ou utiles, et que celui-ci sera parti sans en charger un autre, surtout s'il avait laissé à celui qui s'est offert au mandat des fonds, des titres ou d'autres objets nécessaires à l'accomplissement des actes proposés.
Entre le mandat déterminé et le mandat spécial, il n'y a d'ailleurs qu'une différence du plus au moins: le mandat spécial est plus limité encore que le mandat simplement déterminé, parce qu'il est spécifié, non seulement comme genre ou nature d'acte, mais encore comme appliqué à une chose ou à une personne nominativement désignée. De même, le mandat dit ici “déterminé" est spécial aussi, bien qu'avec plus de largeur, puisqu'il ne s'applique pas à la généralité des actes ni des biens du maudant. Il en résulte que, dans les autres parties de la loi, ou pourra, sans inconvé nient, se borner à opposer le mandat spécial au mandat général: le mandat général comprendra tous les actes d'administration applicables à tous les biens, le mandat spécial ne comprendra que certains actes applicables soit à certains biens, soit même à tous les biens. Déjà, la distinction a été faite en ces termes au sujet du louage: le mandataire, même général, ne peut faire des baux que d'une durée limitée à un petit nombre d'années variant avec la nature des biens; mais pour faire des baux d'une plus longue durée, qui se rapprochent d'une disposition des biens, il faut un mandat “spécial” (v. art. 126); d'après le présent article, ce mandat serait qualifié déterminé.
Art. 929. — 752. Tout mandat, quel que soit son caractère ou son étendue, comprend encore quelque chose de plus que son objet direct: il comporte des suites sous-entendues. A cet égard, on peut critiquer les limites trop étroites dans lesquelles le Code français paraît enfermer le mandataire en disant qu'il “ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat” (art. 1989).
Si on veut étendre raisonnablement ces limites, il n'est pas facile de trouver me formule entièrement satisfaisante: on ne pourrait pas dire que le mandat comprend toutes les suites naturelles des actes mandés, parce que ces suites peuvent être longues dans leur durée, lointaines par le temps où elles se produiront, compliquées dans les détails et dans les difficultés qu'elles feront naître, et elles pourraient, tout à la fois, excéder les charges et les embarras que le mandataire a consenti à accepter et, d'un autre côté, excéder la confiance que le mandant a pu mettre dans l'habileté, l'activité, la prudence on même l'honnêteté du mandataire.
On ne pouvait pas non plus ne mettre à la charge du mandataire aucune des suites de l'affaire: il y a peu d'affaires qui s'accomplissent en un seul moment, et si le mandataire n'avait ni le devoir, ni le droit de faire plus que ce qui forme l'objet direct du mandat exprès ou tacite, le résultat que le mandant s'est proposé ne serait pas atteint.
On propose d'adopter une limite qui répondra au double desideratum de ne permettre ni trop, ni trop peu: le mandataire devra pourvoir "aux suites nécessaires de l'acte” dont il est chargé.
Ainsi, s'il s'agit d'actes d'admivistration et que le mandataire commande des réparations, il pourra et devra les vérifier, les contrôler et même les payer, parce qu'il n'est pas d'usage, surtout au Japon, que les entrepreneurs fassent crédit, une fois les travaux finis; s'il fait un bail, il devra et pourra recevoir les loyers aux époques fixées pour le payement périodique, parce qu'un bon administrateur ne laisse pas les loyers s'accumuler.
Supposons un mandat spécial d'acheter un immeuble, le mandataire ne devra pas se borner à signer le contrat, il devra encore accomplir à la mairie les formalités du dépôt d'une copie de l'acte, pour la publicité qui remplace au Japon la transcription, et faire changer le nom du propriétaire sur le titre, à la préfecture.
Mais devra-t-il aussi prendre livraison de l'immeuble, si l'époque de la livraison est immédiate ou très-rapprochée ?
De même s'il était chargé de vendre, dirons-nous qu'il a le pouvoir de livrer?
Ici, il faut d'abord résoudre la question de savoir s'il a mandat de payer le prix de vente, au premier cas, et de le recevoir au second cas; en effet, si le mandataire vendeur livrait l'immeuble sans recevoir le prix de rente, il compromettrait les droits et garanties du vendeur, et un mandataire-acheteur ne pourrait pas ons-nous prétendre se faire livrer l'immeuble sans payer le prix. Le texte prend soin de nous dire que ce ne sont pas là des suites nécessaires du mandat: un mandataire qui stipule “un capital” n'a pas qualité pour le recevoir; celui qui promet un capital n'a pas qualité pour le payer: il ne peut payer ou recevoir que les intérêts. Dès lors, la livraison qui est subordonnée au payement du prix de vente ne rentre ni dans les droits ni dans les devoirs du mandataire acheteur ou vendeur.
Le mandataire qui serait chargé d'obtenir une hypothèque devrait prendre l'inscription, parce que, sans cette formalité qui révèle l'hypothèque aux tiers, celleci ne serait pas opposable aux autres créanciers ni à celui qui acquerrait l'immeuble; mais ce mandataire ne serait pas chargé de veiller à la collocation du mandant, à son rang d'hypothèque, sur le prix de vente de l'immeuble, si ledit immeuble était vendu à l'amiable par le débiteur ou vendu aux enchères sur saisie: la collocation est une opération difficile pour laquelle le mandataire pourrait n'avoir pas les documents nécessaires; encore moins, le mandataire pourrait-il toucher le montant du capital garanti par l'hypothèque: il y aurait là un risque de perte que le mandant peut n'avoir pas voulu courir.
753. Les divers mandats qu'on a pris jusqu'ici pour exemples sont des mandats pour gérer, contracter ou négocier (ad negotia). Il y a aussi le mandat pour plaider (ad litem). Le mandataire pour plaider peut être chargé d'intenter un procès comme demandeur, ou d'y répondre comme défendeur; il peut aussi être chargé d'intervenir dans un procès déjà entamé entre des tiers, pour y soutenir, incidemment, les droits de son mandant, en demandant ou en défendant.
On peut trouver ici des suites immédiates et nécessaires du mandat et des suites éloignées, plus ou moins accidentelles. Le mandataire devra pourvoir aux premières et non aux autres.
Ainsi, le mandataire-demandeur devra défendre aux exceptions ou fins de non-recevoir élevées contre sa demande, et aussi défendre aux demandes reconrentionnelles ou en compensation du défendeur; s'il a triomphé en première instance, il devra signifier le jugement pour faire courir les délais d'opposition ou d'appel, et si le jugement est attaqué dans les délais légaux par celui qui a perdu, il devra contester et plaider sur ce recours auquel il sera alors défendeur.
Le mandataire-défendeur aura les obligations inverses au sujet des moyens: il devra opposer les exceptions ou fins de non-recevoir, former et soutenir les demandes reconventionnelles ou en compensation dont il aura les titres et justifications; s'il triomphe, il siguifiera le jugement pour faire courir les délais de recours.
Supposons maintenant que le mandataire, demandeur on defendeur, a succombé et que le jugement lui a été signifié, devra-t-il interjeter appel dans le délai et suivre sur ce recours comme demandeur en appel ?
L'appel entraînant de nouveaux frais, lo mandataire fera sagement, si les circonstances lui permettent de communiquer en temps utile avec le mandavt, de se faire autoriser par lui à appeler; si, au contraire, cette communication est impossible, il devra prendre le conseil d'une personne expérimentée en ces matières, comme d'un avocat, et agir au mieux dans l'intérêt du mandant.
Quant an pourvoi en cassation, c'est un recours extraordinaire qui suppose une violation de la loi, le mandataire ne devra donc pas, en principe, le considérer comme une suite nécessaire de son mandat; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la violation de la loi fût manifeste, ce qui sera rare.
Le texte s'explique sur deux facultés qui n'appartiennent pas au mandataire chargé de plaider: s'il est demandeur, il ne pourra pas se désister de l'action, lors même que les moyens de défense à lui opposés lui paraîtraient irréfutables; sans doute, le désistement arrêterait les frais et même préviendrait une demande possible de dommages-intérêts; mais le mandataire pourrait se tromper sur la valeur des moyens du défendeur, et son désistement pourrait être téméraire: en effet, le mandant a voulu que son droit fût jugé par les tribunaux et non par son mandataire. De même, le mandataire-défendeur ne devrait pas acquiescer à la demande, si bien fondée qu'elle lui parût. Ces deux actes, désistement et acquiescement, demanderaient un pouvoir spécial.
La loi nous dit encore ici, à l'imitation du Code frauçais (v. art. 1989), que le mandat de transiger ne contient pas celui de soumettre le différend à des arbitres, de faire un compromis ou de compromettre. En effet, la transaction a été confiée au mandataire à raison, soit de la prudence et de la modération, soit de la fermeté que le mandant lui connaissait: elle suppose une confiance entière dans le mandataire; or, ce ne serait pas répondre aux intentions du mandant que de transporter à d'autres personnes la décision du litige; ce serait aussi exposer le mandant à des frais plus ou moins considérables, car les arbitres sont rétribués plus qu'un mandataire ordinaire.
Dans le même cas où le mandataire aurait pouvoir de transiger, il ne pourrait soumettre le différend anx tribunaux ordinaires, à cause des frais et des leuteurs inséparables d'un procès.
Le texte se prononce de la même manière sur le cas inverse: le mandataire qui serait chargé de choisir des arbitres ne pourrait pas, sous prétexte que la contestation est légère, la terminer lui-même par une transaction, en faisant quelques sacrisices des droits de son mandant; il ne pourrait non plus la soumettre aux juges ordinaires, pour la raison donnée plus haut.
Ces diverses solutions de la loi ne sont que des applications du principe posé en tête de l'article; elles serviront d'exemples aux tribunaux pour les autres cas.
754. Les restrictions qu'on vient d'indiquer aux pouvoirs du mandataire nous obligent à revenir sur le mandat général.
Sans doute, sa généralité est elle-inême limitée, puisqu'elle ne comprend que “les actes d'administration;" mais ces actes mêmes sont très-étendus et ils ne faut pas les borner à la conservation du patrimoine, quoique ce soit une définition usitée (v. p. 903, n° 750).
Ainsi, un mandataire général peut et doit encore:
1° Acquitter les dettes exigibles du mandant.
Assurément, on ne lui refuserait pas le pouvoir de réclamer le payement des débiteurs de celui-ci: ce serait évidemment conserver son patrimoine. L'acquittement de ses obligations n'est pas moins utile, car, si les dettes ne sont pas payées, les intérêts s'accumuleront sans utilité et de coûteuses poursuites pourront s'en suivre.
Mais ce droit de payer les dettes du mandant ne comporte pas celui de donner en payement autre chose que ce qui est dû (dation en payement), ui de faire novation, en contractant une nouvelle obligation au lieu et place de la première, à moins, dans les deux cas, que l'affaire ne présente si peu d'importance qu'on puisse la considérer comme une mesure d'administration.
Le pouvoir de payer les dettes du mandant ne s'entend que de ses dettes civiles, non de ses dettes naturelles, lesquelles, ne pouvant donner lieu à des poursuites, sont laissées à la conscience du débiteur lui-même (v. art. 586 et suiv.).
Si une dette paraît contestable au mandataire, il pent se laisser poursuivre et alors il a le pouvoir de défendre aux actions intentées de ce chef contrə le mandant; il peut aussi exercer tous les recours auquels les jugements lui paraîtraient devoir donner lieu, soit pour le fait (appel), soit pour le droit (pourvoi en cassation). Ceci n'est pas contraire aux limites que nous avons admises plus haut pour le mandat spécial de plaider: nous sommes ici en présence d'un mandat général.
2° Exercer les actions personnelles ou réelles mobilières du mandant: par exemple, poursuivre les débiteurs de sommes d'argent et d'autres valeurs mobilière et revendiquer les objets mobiliers lui appartenant, lorsque la prescription instantanée n'est pas opposable.
Le mandataire général ne peut exercer les actions immobilières, à cause de leur grande importance; ce pourrait d'ailleurs être un moyen indirect de priver le mandant d'un immeublo, en plaidaut maladroitement, et la disposition des immeubles n'est permise au mandataire qu'en vertu d'un mandat déterminé ou spécial. An contraire, le mandataire général peut défendre à une action immobilière, parce que ce serait souvent le seul moyen de conserver l'immeuble au mandant, surtout s'il était trop éloigné pour donner des ordres.
Le mandataire peut aussi faire commandement d'exécuter les jugements et pratiquer des saisies mobilières; mais il devrait s'abstenir des saisies immobilières qui sont longues, coûteuses, et peuvent, en cas d'irrégularités, entraîner des dommages-intérêts plus ou moins considérables.
3° Contracter des obligations pour le mandant, dans le but de faciliter l'administration des biens, c'est-àdire leur conservation et leur amélioration.
Dans ces contrats rentrent les baux qui obligent le mandant, mais lui assurent un revenu de ses biens Si le mandataire, au lieu de donner les biens à bail, les exploitait lui-même, en culture ou autrement, il faudrait encore lui permettre de contracter des engagements, à ce sujet, avec des ouvriers ou des fournisseurs d'instruments aratoires, de semences, d'engrais, etc.
4° Aliéner les choses mobilières sujettes à dépérissement ou dont la conservation serait difficile ou trop coûteuse.
5° Exercer les actions possessoires immobilières et interrompre la prescription des immeubles, par tous autres moyens que l'action en revendication,
755. Quand le mandataire est disposé à excéder ses pouvoirs, il en sera souvent empêché par le tiers visà-vis duquel il prétendrait faire un acte qui ne lui est pas permis; ainsi, si un mandataire général voulait exercer une action immobilière en revendication, le défendeur lui opposerait certainement son défaut de qualité pour une telle action. De même si un mandataire spécial chargé de vendre prétendait exiger le prix de vente, l'acheteur s'y refuserait; mais si le tiers ignorait lui-même les limites légales du mandat et, dans le premier cas, avait laissé juger le procès et, dans le second cas, avait payé, ce qui se serait fait contrairement à la loi ne serait pas opposable au mandant, lorsqu'il aurait intérêt à le désavouer; mais il pourrait le ratifier, sauf son recours en dommages-intérêts contre le mandataire, comme il sera expliqué plus loin.
Il y aura d'ailleurs à distinguer sur ce point si le mandant ne peut pas s'imputer aussi quelques négligences dans la détermination des pouvoirs du mandataire, lesquels pourraient se prêter à une plus grande extension que ne l'entendait le maudant.
Art. 930. — 756. On aurait pu croire que le mandat ne pourrait être donné qu'à des personnes pleinement capables de faire pour elles-mêmes les actes dont on voudrait les charger, et il semblerait, au premier abord, que celui qui ne peut faire pour lui-même tel ou tel acte juridique, par exemple un mineur, fût encore moins capable de le faire pour autrui; mais il y aurait là une illusion. Le mandant est juge de l'apti. tude de celui qu'il charge de ses intérêts; il est pos. sible d'ailleurs que la facilité de l'affairo permette à un mineur intelligent de s'on acquitter aussi bien qu'un inajeur; on peut d'ailleurs, en lui donnant des instructions plus détaillées, suppléer à l'inexpérience de son age et le mettre en parfait état d'accomplir le mandat.
Le Code français permet de donner mandat à un minenr “ émancipé” (v. art. 1990); mais cette condition de l'émancipation n'est même pas nécessaire: le mandataire ne s'obligeant pas envers les tiers (à la différence du commissionnaire), il importe peu qu'il soit capable ou non de s'obliger en son propre nom; d'ailleurs le principe général que les incapables ne peuvent s'obliger valablement est sauvegardé en ce sens que, si lo mandataire a commis des fautes dans sa gestion, le mandant n'aura action contre lui que d'après le droit commun, c'est-à-dire dans la mesure de son enrichis. sement ou du dommage causé par son dol (roy. C. civ. fr., art. 1312 et Proj. jap., art. 574, 2° al.).
Art. 931. — 757. On place dans les règles générales sur la nature du mandat ce qui concerne le ponie voir du mandataire de se substituer quelqu'un et les limites qui peuvent être assignées à ce pouvoir. Le Code français a placé cette théorie dans les obligations du mandataire, ce qui n'est peut-être pas rigoureusement logique. Dans tous les cas, les dispositions du Code français demandaient un complément à cet égard; de là, la longueur de notre article.
1er al. Le Code français ne confère ni ne refuse directement au mandataire le droit de se substituer quelqu'un; mais il règle sa responsabilité à l'égard de cette substitution, avec plus ou moins de rigueur, suivant les cas (v. art. 1994).
Notre texte lui reconnaît formellement ce droit, sauf exceptions; en effet, il est naturel que la confiance du mandant dans l'aptitude et dans l'honnêteté du mandataire s'applique autant au choix que celui-ci pourrait faire d'un substitué qu'à sa gestion personnelle. Il arrivera souvent d'ailleurs que le mandataire ne pourra suffire lui-même à tous les actes de la gestion: notamment, s'il s'agit d'un mandat général d'administrer, de la gestion d'un fonds de commerce, ou d'un procès à suivre, comme demandeur ou défendeur.
La prohibition de se substituer quelqu'un peut être expresse ou tacite: elle est tacite, quand l'affaire à gérer est d'une nature délicate, pour laquelle les talents, le caractère, la qualité du mandataire, ont été pris en considération déterminante par le mandant dans le choix qu'il a fait, comme pour une transaction destinée à mettre fin à un procès, une vente on une acquisition importante.
Dans le cas où la substitution n'est pas interdite, la responsabilité du mandataire à l'égard de son substitué n'est ni moindre ni plus lourde que celle qu'il encourt à l'égard de sa propre gestion; en effet, le substitué représente à son tour le substituant, et ses négligences sont imputables à celui qui l'a choisi et l'a mis en son lieu et place.
2° al. Quelquefois, le mandant, sans interdire la substitution, la limite à une ou plusieurs personnes déterminées: le mandataire doit évidemment se conformer à cette désignation, s'il a besoin de recourir à un substitué. Dans ce cas, on serait porté à croire que le mandataire n'encourt aucune responsabilité de la gestion du substitué, puisqn'il n'a pas eu la liberté du choix; mais ce serait une erreur contre laquelle le texte a soin de nous mettre en garde: le mandataire originaire reste toujours tenu de surveiller la gestion du substitué et s'il découvrait qu'il est incapable on infidèle, il devrait en informer le mandant sans délai on, en cas d'urgence, révoquer lui-méme le substitué, car c'est toujours lui qui l'a nommé et de même qu'il pouvait ne pas recourir à la substitution, il pent la faire cesser quand elle est dangereuse.
3' al. La loi devait enfin prévoir le cas où le mandataire aurait fait une substiiution dans un cas où elle lui était interdite, ou, ce qui est aussi irrégulier, aurait fait un choix autre que celui qui lui était désigné. Il va sans dire que si le mandant n'éprouvait aucun dommage de cette faute du mandataire, celui-ci resterait impuni, et que si, au contraire, le substitué avait commis des fautes dommageables au mandant, le mandataire en serait responsable comme de ses propres fautes, puisqu'il le serait de même si la substitution n'avait été ni interdite vi limitée; mais la juste rigueur de la loi apparaît, s'il résulte de la substitution des dommages causés par cas fortuit ou par force majeure et qui ne se seraient pas produits si le mandataire avait conservé la gestion: le mandataire en est responsable, car c'est sa faute qui a donné occasion au cas fortuit ou à la force majeure; le cas ne diffère pas, au fond, de la responsabilité des cas fortuits ou de la force majeure qui pèse sur tout débiteur constitué en demenre.
Art. 932. — 758. Ce texte reproduit, en la complétant, une disposition analogue du Code français (art. 1996, 2e al.) qui ne mentionne pas la réciprocité de l'action directe et qui laisse des doutes sur la substitution irrégulière.
On a parlé longuement de l'action indirecte on ob. lique, sous l'article 359 du Projet, correspondant à l'article 1166 du Code français et formant l'opposé de l'action directe (voy. T. II, p. 157 et s., nos 152 à 154). Celui qui exerce l'action indirecte est un créancier qui fait valoir un des droits de son débiteur, en prenant, pour ainsi dire, son lieu et place; mais, comme il est rarement seul à prétendre exercer ainsi l'action de son débiteur, il doit subir, à cet égard, le concours des antres créanciers de celui-ci on leur communiquer, quand ils se sont fait connaître en temps utile et par les voies légales, le profit de l'action qu'il a exercée seul.
Si, dans un cas analogue, un créancier peut exercer, directement et comme lui appartenant, l'action née d'un acte de son débiteur, il évite ce concours et il a seul le profit de ladite action.
Dans les cas qui nous occupent, le mandataire, en se substituant une autre personne, pourrait être considéré comme ayant acquis personnellement l'action de man. dat contre le substitué et le mandant ne devrait alors pouvoir exercer que l'action indirecte; ou pourrait surtout le soutenir quand la substitution était interdite ou avait été soumise à une limite qui n'a pas été observée.
Le premier de nos deux alinéas donne cependant au mandant originaire l'action directe contre le substitué; mais le deuxième alinéa ne lui permet de l'exercer qu'en renonçant à critiquer la substitution.
Il n'y a là, en somme, que l'application des principes généraux de la matière:
1° Dans les cas où la substitution est régulière, le mandataire, en se substituant un tiers, a agi pour le mandant et au nom de celui-ci; il n'a donc pas acquis pour lui-même l'action de mandat contre le substitué: il l'a acquise au mandant et, réciproquement, c'est le mandant qui est obligé envers le substitué, si celui-ci devient créancier d'une indemnité. Si ce sont là les deux seuls cas dans lesquels le Code français a entendu donner au mandant l'action directe, il n'a fait qu'appli. quer le droit commun et il faut sous-entendre dans son texte la réciprocité dont il n'a pas parlé.
2° Dans les cas où la substitution est irrégulière, parce qu'elle était tout-à-fait interdite, ou parce que le choix limité n'a pas été observé, on ne peut plus dire que le mandataire a représenté le mandant et lui a acquis l'action contre le substitué: il est lui-même mandant vis-à-vis du substitué, il a action contre lui et, réciproquement, il est tenu personnellement envers lui; le mandant originaire ne peut donc, d'après les principes, exercer que l'action indirecte ou oblique.
Mais comme le mandant peut toujours ratifier ce que le mandataire a fait au-delà de ses pouvoirs (ainsi qu'on le verra à la Section wil), il le pourra ici également, et, en exerçant l'action directe contre le substitué, il sera considéré comme ratifiant le choix qui a été fait de celui-ci.
On pourrait voir la même ratification dans le fait par le mandant de subir sans protestation l'action directe du substitué et même d'y défendre au fond, sans opposer d'abord le défaut de qualité du demandeur.
COMMENTAIRE.
Art. 933. — N° 759. La première obligation du mandataire, dans l'ordre du temps, et aussi la première dans l'ordre de l'importance, c'est l'accomplissement du mandat, car c'est là l'objet principal du contrat; ses autres obligations sont relatives à la manière d'accomplir le mandat et à la reddition de compte qui termine les rapports de droit nés du contrat.
La loi déclare que cette obligation d'accomplir le mandat dure tant qu'il n'a pas pris fin par une des causes énoncées à la dernière Section: la formule est ainsi plus large que celle du Code français qui paraît n'exclure que le cas de révocation, en disant: “tant que le mandataire demeure chargé du mandat” (art. 1991). Du reste, il ne faudrait pas non plus prendre à la lettre le nouveau terme assigné à la durée de l'obligation du mandataire: elle peut cesser avant la fin du temps assigné au mandat et aussi se prolonger au-delà.
Ainsi, si le moment favorable à l'exécution du mandat est passé, soit par la négligence du mandataire, soit même parce qu'il n'a pu en trouver l'occasion, il n'a plus ni le droit ni le devoir d'exécuter: autrement, ce serait nuire au mandant, au lieu de le servir. En sens inverse, lorsque le mandat a pris fin par la mort du mandataire ou par celle du mandant, l'exécution commencée doit, s'il y a urgence, être continuée par l'héritier du premier ou en faveur de l'héritier du second, ainsi qu'on le dira à la Section iv.
L'exécution doit avoir lieu “suivant la forme et teneur du mandat”: en principe, le mandataire ne doit faire ni plus ni moins que ce dont il est chargé; cependant, le texte nous dit qu'il faut tenir compte aussi de “l'intention non exprimée du mandant,” parce que quelquefois les termes du mandat excèderont sa pensée, ou ne l'atteindront pas entièrement, ou la rendront inexactement; mais il faut que cette intention du mandant soit connue du mandataire.
Rappelons aussi, à ce sujet, que le mandat général ne comprend que les actes d'administration et que le mandat spécial comporte des suites nécessaires non exprimées (art. 928 et 929).
760. On aurait pu douter si le mandataire qui ne pourrait, en fait, exécuter le mandat en entier, soit par suite de sa faute, soit autrement, devrait l'exécuter au moins dans la partie possible, ou s'il devrait s'abstenir d'une exécution partielle; la solution ne devait pas être absolue: la loi veut que le mandataire n'exécute pour partie que si cela est utile au mandant, auquel cas l'exécution partielle est aussi obligatoire pour le mandataire; dans le cas contraire, il n'aura ni le devoir ni le droit d'exécuter pour partie.
Ainsi, le mandataire avait été chargé d'acquérir en entier un terrain qui était à vendre en totalité ou par lots: il est arrivé qu'un ou plusieurs lots ont été vendus à des tiers, soit parce que le mandat a été donné trop tard, soit parce que le mandataire a tardé à l'exécuter; le mandataire ne devra pas acheter ce qui reste à vendre, parce que, vraisemblablement, le mandant qui avait voulu acquérir le tout, ne trouverait pas un emploi utile de ce qui reste; au contraire, s'il s'agissait de l'achat d'une cargaison arrivant sur un navire étranger, ou d'une quantité de riz ou d'autres denrées mise en vente, lors même que le mandataire ne peut plus acquérir le tout, il est encore utile d'acquérir ce qui l'este disponible.
L'utilité d'une acquisition partielle pour le mandant pouvant n'être pas évidente, le mandataire devra agir, en cela comme toujours, “en bon administrateur," et si c'est déjà par sa faute que l'exécution totale n'a pu avoir lieu, il devra tâcher de ne pas commettre une nouvelle faute en exécutaut inutilement une partie ou en omettant une exécution partielle qui eût été utile.
Art. 934. — 761. Le texte prévoit ici un cas particulier de mandat qui n'a pu, sans la faute du mandataire, être exécuté suivant sa teneur.
Si on accorde à cette hypothèse une mention spéciale c'est qu'elle a de tout temps divisé les jurisconsultes, depuis les Romains jusqu'à nos jours, et dès lors, il est bon que la loi tranche la difficulté pour qu'elle ne donne pas lieu aux mêmes incertitudes au Japon.
Nous supposerons que le mandataire avait été chargé d'acheter un immeuble pour le prix maximum de 1000 yens; cela lui a été impossible: soit que la vente eût lieu aux enchères, soit qu'elle eût lieu à l'amiable, l'immeuble n'a pu être acquis qu'avec un 10e en sus, soit pour 1100 yens.
Deux points d'abord ne sont pas douteux: 1° le mandant ne pent exiger que l'immeuble lui soit livré, en payant seulement 1000 yens: le mandat n'a pu être exécuté à ce prix; 2° le mandataire ne peut contraindre le mandant à prendre l'immeuble à 1100 yens: il a excédé les limites du mandat.
Mais plusieurs questions se posent encore:
1° Le mandataire peut-il, préférant perdre 100 yens, forcer le mandant à prendre la chose pour le prix fixé par celui-ci (1000 yens)?
2° Le mandant peut-il forcer le mandataire à livrer la chose, en payant à celui-ci le prix qu'il y a mis (1100 yens)?
La première question a généralement été résolue affirmativement: on a dit que le mandant ne peut se refuser à prendre la chose pour le prix qu'il a fixé; il ne lui importe pas, dit-on, que le mandataire l'ait payée davantage: si celui-ci consent à sacrifier l'excédant de prix qu'il a payé au-delà du mandat, les choses semblent se passer comme s'il avait exécuté le mandat à la lettre.
Mais cette solution a toujours eu des adversaires et aujourd'hui encore de très-bons auteurs y font une sérieuse objection; on conteste qu'elle soit équitable, parce que, dit-on, le mandataire a un avantage que n'a pas le mandant: si l'opération est mauvaise, même au prix fixé dans le mandat, le mandataire la rejettera sur le mandant; si elle est bonne, même au prix qu'il a réellement payé, il la gardera pour lui, en soutenant que, du moment qu'il n'a pu traiter au prix fixé, il a traité pour lui-même.
762. L'objection présuppose évidemment que, dans les deux opinions, on considère que le mandant n'a pas le droit de réclamer la chose pour le prix qu'elle a réellement coûté; or, c'est là l'objet de notre 2e question posée plus haut. Il semble qu'avant de la trancher dans le sens de la négative, on n'en ait pas fait un examen suffisant.
Nous croyons, au contraire, que le mandant peut ratifier l'exécution qui a dépassé les limites de son mandat: le mandataire ne peut s'y refuser, en disant qu'il a acheté pour lui-même, car il est interdit au mandataire de faire pour lui-même l'acte qu'il s'est chargé de faire pour autrui (v.art. 674); il aurait dû, en acceptant le mandat, réserver son droit, pour le cas où le prix du mandant serait dépassé, ou, au moment d'acheter, signifier au mandant qu'il ne pouvait traiter aux conditions à lui imposées et qu'il se considérait dès lors comme délié du mandat; mais s'il ne l'a pas fait, sa qualité de mandataire subsiste et le mandant peut le contraindre à lui transmettre la chose, lors même que l'opération n'aurait pas été faite en son nom: le mandataire sera considéré comme gérant d'affaires.
Mais, comme c'est là pour le mandant une simple faculté qu'il peut exercer ou non, à son gré, il ne faut pas que le mandataire reste exposé à une trop longue incertitude, et il lui est nécessairement permis de requérir le mandant d'avoir à se prononcer sur le parti qu'il veut prendre.
Le 2e alinéa prévoit le cas d'un mandat de vendre, avec fixation d'un prix minimum, et où le mandataire aurait vendu au-dessous de ce prix; il n'est pas douteux que le mandataire puisse faire approuver, ratifier cette vente par le mandaut, en le désintéressant, c'està-dire en fournissant de ses propres deniers la somme qui manque au prix fixé.
Il va sans dire que si le mandataire a vendu pour un prix plus élevé que le prix fixé, il doit le verser au vendeur: il n'a aucun droit à faire un bénéfice au sujet de la chose du vendeur (v. art. 937); de même que, quand il a été chargé d'acheter et qu'il a pu obtenir la chose au-dessous du prix fixé, il ne peut faire payer au mandant plus qu'il n'a effectivement payé lui-même.
Art. 935. — 763. Bien que le mandataire rende un service, ce n'est pas une raison pour qu'il soit dispensé d'apporter à l'accomplissement du mandat tous les soins d'un bon administrateur: il ne lui suffirait pas d'apporter à la gestion les mêmes soins que ceux qu'il apporte ordinairement à ses propres affaires, comme y est autorisé le dépositaire (voy. art. 905).
Lorsqu'il s'agit d'un dépôt qui ne demande an dépositaire qu'une certaine surveillance, le déposant peut se rendre compte aisément de l'aptitude du dépositaire à donner à la chose les soins nécessaires et il ne peut sans témérité en attendre plus de diligence pour la chose déposée que celui-ci n'en apporte aux choses qui lui appartiennent. Mais la gestion d'un mandat présentant souvent des difficultés imprévues et n'ayant pas une similitude nécessaire avec la gestion des propres affaires du mandataire, on ne peut raisonnablement dire que le mandant a basé sa confiance sur les seules habitudes du mandataire; il a même dû croire à celui-ci une aptitude suffisante pour une gestion qu'il a librement acceptée. D'ailleurs, l'obligation d'apporter à la chose d'autrui les soins d'un bon administrateur est un principe général qui régit tous ceux qui ont des comptes à rendre à ce sujet (v. art. 354), on n'y doit donc déroger que pour des causes particulières qui ne se rencontrent pas ici.
764. La loi, toutefois, permet aux tribunaux d'apporter plus ou moins de rigueur dans l'application du principe, suivant des circonstances qu'elle détermine, au nombre de quatre:
1° Si le mandataire ne reçoit pas de salaire, on doit être moins exigeant que s'il en reçoit un; ce n'est pas à dire que le mandataire salarié cesse de rendre un bon office et loue ses services: on a établi en commençant que le salaire du mandataire a plutôt un caractère d'indemnité de ses peines et soins que celui d'un profit; mais on peut dire que le bon office a moins de mérite lorsqu'il est accompagné d'une indemnité et que dès lors les soins doivent être plus exacts;
2° Si le mandataire a consenti à se charger du mandat qu'on l'a prié d'accepter, il doit être traité moins rigoureusement que si c'est lui-même qui, dans un zèle exagéré, s'est offert à le remplir;
3° Quand le mandataire est inhabile, soit en général, soit pour le genre d'affaire qu'on lui a confié, il se peut que le mandant ait connu ou soupçonné cette inhabileté, et alors il doit s'imputer en partie les fàcheuses conséquences de sa confiance;
4. Enfin, si le mandataire qui, par sa faute, a causé un dommage au mandant, dans une partie de l'exécntion du mandat, lui a, dans une autre partie, procuré des avantages inespérés, il est juste d'établir, à cet égard, une certaine compensation. La loi l'a refusée à l'associé gérant qui a, tour à tour, causé des pertes et procuré des profits à la société (soy. art. 779), mais il y avait pour cela des raisons particulières qui ont été indiquées en leur lieu.
La loi ne distingue pas si ces diverses circonstances, favorables ou défavorables au mandataire, se trouvent réunies ou non en sa personne. Ainsi, il pourrait n'être pas salarié (n° 1), mais s'étre offert an mandat (n° 2), ou l'inverse; de même il pourrait être inhabile, à l'insù du mandant (no 3), mais avoir réussi au-delà des prévisions du mandant, dans quelques parties de la gestion (n° 4); enfin, toutes les circonstances pourraient lui être favorables ou toutes défavorables: les tribunaux décideraient l'étendue de sa responsabilité, d'après le principe de notre article et ses tempéraments.
L'article 1992 du Code français n'a indiqué que le premier de ceux-ci.
Art. 936. — 765. L'obligation de rendre compte du mandat est générale et c'est à peine si l'on doit ad. mettre comme exception le cas où le mandataire aurait été dispensé par le mandant de rendre compte, ce qui serait tout-à-fait contraire à la nature du contrat et pourrait être considéré comme une donation déguisée. Dans tous les cas, la dispense de rendre compte n'affranchirait pas le mandataire de l'obligation de faire la restitution des valeurs dont le mandant prouverait qu'il est reliquataire.
La dispense d'appuyer le compte des pièces justificatives, comme l'exige notre article, serait plus plausible, parce qu'elle épargnerait au mandataire des soins ininutieux postérieurs à la gestion et lui témoignerait une honorable confiance. Ainsi, lorsqu'on donne mandat à un parent ou à un ami, absolument sûr, de vendre on d'acheter, de payer ou de recevoir, il serait absurde de le dispenser de rendre compte, ce serait aussi absurde que de le dispenser d'accomplir. le mandat qu'on lui donne; le mandataire devra douc présenter un compte des recettes et des dépenses; mais on a pu le dispenser de fournir des quittances des sommes payées, ou des preuves des ventes ou achats effectués.
L'obligation de rendre compte ne commence, en général, qu'au moment où le mandat prend fin par l'une des causes qu'on verra plus loin; mais elle peut aussi naître sur la seule réquisition du mandant qui doit toujours pouvoir demander où en sout ses affaires, ce qui a été fait et ce qui reste encore à faire.
Art. 937. — 766. La reddition de compte du mandataire établit ce dont il est débiteur ou créancier du mandant; elle peut constater aussi qu'il est détenteur d'objets, sommes ou valeurs appartenant à celni-ci. Cependant, ce ne serait pas là le seul moyen d'établir la situation respective des parties: le mandataire, notamment, n'y aura pas porté l'évaluation des fautes qu'il a pu commettre.
Notre premier alinéa veut que le mandataire restitue toutes les sommes ou valeurs, les choses de quantité ou les corps certains qu'il a reçus “pour le compte du mandant,” c'est-à-dire au nom et comme représentant de celui-ci, et aussi en son propre nou, comme commissionnaire, mais en vertu de sa gestion.
La loi ajoute (et c'est là le senl point qui pouvait faire donte) qu'il en serait de même si le mandataire avait ainsi reçu des sommes ou valeurs qui n'étaient pas dues au mnandant ou qu'il n'avait pas été autorisé à recevoir; nous y ajoutons, à notre tour, comme sonsentendu, qu'il en serait encore de même pour la réception de choses dont le mandant n'était jusques-là ni créancier, ni propriétaire, ni possesseur: il deviendrait possesseur par le mandataire, dès que celui-ci aurait ainsi pris possession en son nom ou pour son compte.
La raison pour laquelle le mandataire doit restituer toutes ces valeurs c'est qu'il ne les a pas reçnies et n'a pas pu les receroir pour son propre compte: il les a reçues pour le compte da mandant, il en a fait acquérir la possession à celui-ci, et, s'il y a plus tard quelque réclamation des tiers, c'est contre le mandant qu'elle sera faite.
De même et à plus forte raison, si le mandataire a excédé ses pouvoirs en recerant des sommes ou valeurs, cette fois dues au mandant ou lui appartenant, mais qu'il n'avait pas été chargé de recevoir, il doit les restituer à celui-ci: il le devrait, même en l'absence de tout mandat, d'après les principes généraux de l'enrichissement indû ou sans cause.
Le 2e alinéa déclare encore le mandataire responsable des sommes ou valeurs qu'il n'a pas perçues mais qu'il aurait dû percevoir en vertu de son mandat: ici, c'est la réparation d'une faute commise; de même, si des valeurs reçues ont été perdues par sa faute: il n'en n'est pas libéré. La loi rappelle à ce sujet les autres chefs de dommages-intérêts pour toute espèce de faute dans la gestion ou par défaut de gestion.
La Section suivante indiquera diverses obligations du mandant envers le mandataire; elles entrent naturellement, par voie de compensation, en déduction de ce que doit le mandataire au mandant.
Art. 938. — 767. Lorsque le mandataire a reçu des sommes d'argent pour le compte du mandant, il est considéré comme les ayant en dépôt, au moins en dépôt "irrégulier”; il ne doit donc pas employer ces sommes à son profit, et s'il l'a fait, il est naturel qu'il en doive les intérêts, lors même que sa solvabilité exclut le soupçon d'abus de confiance. Sans doute, en règle générale, les intérêts des sommes d'argent ne sont dues qu'en vertu d'une convention; mais quand il y a faute dans l'emploi de l'argent d'autrui, la loi supplée à la convention et fait courir les intérêts de plein droit et sans demande, depuis l'emploi (v. art. 404).
La preuve de l'emploi et de la date de cet emploi incombe au mandant, comme demandeur.
En principe, les intérêts dus à raison de cet emploi non autorisé des capitaux du mandant sont les intérêts légaux; mais, par exception et comme ou en a déjà rencontré des cas, notamment en matière de société (art. 783) et de dépôt (art. 910), il pourra être alloué au mandant de plus amples dommages-intérêts, s'il prouve que l'emploi illégitime de ses capitaux lui a porté un préjudice plus considérable que la perte des intérêts ordinaires.
Lorsque le compte de gestion se solde par un reliquat, par un reste, à la charge du mandataire, sans que celui-ci ait fait usage pour lui-même des sommes dues, les intérêts ne sont plus dus qu'à raison du retard, c'est-à-dire à partir d'une mise en demeure, conformément au droit commun.
Art. 939. — 768. La solidarité entre plusieurs débiteurs ne se présume pas: elle doit être stipulée par le créancier ou établie par la loi; on a déjà rencontré des cas de solidarité légale.
On aurait pu croire que la loi devait l'établir ici, entre les co-mandataires, comme elle l'a déjà fait entre les co-emprunteurs à usage (v. art. 897); mais les deux cas ne sont pas semblables: dans le prêt à usage les co-emprunteurs reçoivent un service, tandis que, dans le mandat, ils le rendent.
La loi pose le principe qu'il n'y a pas solidarité entre les co-mandataires, sans distinguer s'ils ont été constitués par un seul et même acte ou par des actes séparés. Ce n'est pas à dire pourtant que la séparation des actes soit indifférente: lorsque la constitution des divers mandataires est distincte et séparée, chacun est tenu de la gestion entière et responsable de son défaut de gestion, comme s'il était seul. Ce n'est cependant pas la solidarité proprement dite: il n'y a pas entre les co-mandataires ce lien étroit sur lequel on insistera au Livre IVé, et d'après leqnel les poursuites faites contre un seul des débiteurs sont considérées comme faites contre tous, interrompent la prescription contre tons, font courir les intérêts contre tous. Cette situation qui ressemble à la solidarité, sans l'être toutà-fait, a reçu dans la doctrine le nom de "solidarité imparfaite" ou d'obligation in solidum. C'est encore au Livre Ive qu'on l'étudiera, comme sûreté ou garantie des créances.
On verra à la Section suivante que s'il y a plusieurs mandauts, ils sont, an contraire, en règle générale, tenus solidairement envers le mandataire.
Mais la loi réserve deux cas où il y aura solidarité parfaite entre les mandataires: 1." celui où elle est sti. pulée, 2° celui ou les fautes sont, sinon concertées, au moins "conjointes:" elles constituent alors un délit civil de plusieurs et c'est un principe général que “si plusieurs ont causé injustement un dommage, ils en doivent solidairement la réparation" (v. art. 398).
Art. 940. — 769. La loi termine ce qui concerne les obligations du mandataire en réglant ses rapports vis-à-vis des tiers avec lesquels il a traité.
Une distinction naturelle est à faire: s'il a agi conformément à son mandat, dans les limites qui lui avaient été assignées, et s'il s'est présenté aux tiers comme inandataire et non comme commissionnaire, c'est-à-dire s'il a traité au nom du mandant et non au sien propre, il n'est pas responsable envers les tiers de ce qu'il a fait, ni garant de l'exécution de ce qu'il a promis: ainsi, chargé d'acheter, il a donné connnissance de ses pouvoirs au tiers vendeur, il n'est ni dé. bitenr, ni responsable du prix; chargé de vendre, il n'est pas responsable du défaut de livraison, ni garant de l'éviction que pourrait éprouver l'acheteur; chargé d'emprunter, il n'est pas tenu du remboursement: les tiers, en effet, en traitant avec lui, sont censés avoir traité avec le mandant et ils ont dû s'assurer de la sol. vabilité de celui-ci.
Mais si le mandataire a trompé les tiers sur l'étendue de ses pouvoirs, ou si, sans mauvaise foi, mais par maladresse, il leur a donné lieu de croire à des pouvoirs plus éteudus que ceux qu'il avait réellement, alors, comme il n'a pas obligé le mandant, il s'est obligé luimême: il est tenu de réparer le dommage qu'il a causé aux tiers, du moment que le mandant ne ratifie pas ce qu'il a fait au-delà de ses pouvoirs.
Le mandataire peut aussi se porter expressémeut garant des actes qu'il a faits au nom du mandant et dans les limites de ses pouvoirs: il a alors rendu un plus grand service au mandant et il aurait un recours special, parce qu'il aurait payé en vertu de cette garantie.
Enfin, si le mandataire avait agi en son propre nom et dès lors comme comunissionnaire, il n'aurait plus engagé le mandant mais lui-même: il serait de droit garant de ses actes, sauf toujours son recours contre le commettant.
La loi n'exprime pas ici la conséquence inverse du principe que le mandataire représente le mandant, à savoir que ce n'est pas au mandataire mais au mandant que sont acquises les actions qui naissent des actes accomplis en vertu du mandat: il y a là un effet normal et distinctif du mandat qui se rattache à sa dé. finition même (v. art. 925) et qui, étant un droit du mandant à l'égard des tiers, ne peut figurer dans cette Section ni dans la suivante, puisqu'elles sont relatives aux obligations des parties respectivement.
COMMENTAIRE.
Art. 941. — N° 770. On dit généralement que le mandat est, comme le prêt à usage et le dépôt, un contrat unilatéral, l'obligeant en principe qu'une seule partie, ici le mandataire, et ne devenant obligatoire pour l'autre, pour le mandant, que par accident, après coup (ex post facto), d'où on le qualifie, comme les deux autres contrats précédents, de “sypallagmatique imparfait.”
Nous considérons cette opinion comme erronée: le mandat, très-souvent, oblige immédiatement le maudant et, dès lors, il est vraiment synallagmatique: d'abord, lorsqu'un salaire a été promis par celui-ci; ensuite, lorsque la gestion entraîne inévitablement des dépenses, comme un voyage, une réparation de bâtiments, un achat à faire. Pour que le mandant ne fût pas obligé dans ce cas, il faudrait supposer qu'il a, dès le contrat, fait au mandataire toutes les avances nécessaires.
Il ne faudrait pas objecter que le salaire stipulé n'est pas dû dès la formation du contrat, mais seulement quand le mandat est exécuté: ce serait dire que cette obligation est conditionnelle; mais une obligation conditionnelle a ne existence suffisante pour rendre un contrat synallagmatique.
La question a d'ailleurs un grand intérêt pratiqne, comme dans les autres cas où il peut s'en poser une semblable: 1° la preuve écrite du contrat devra être rédigée en double original, dont l'un sera remis au mandant, naturellement, et l'autre au mandataire, pour lui assurer le payement de son salaire et du rembour. sement de ses frais et avances; 2° le contrat sera ré. soluble, sur la demande du mandataire, si le mandant ne lui paye pas son salaire, en tout ou en partie, à l'époque convenue, ou s'il ne lui rembourse pas les avances faites, même avant l'entier achèvement du mandat.
771. Reprenons maintenant, en peu de mots, les quatre obligations du mandant, en reconnaissant d'ail. leurs qu'elles ont presque toujours un caractère conditionnel.
I. Si le mandant n'a pas remis tout d'abord au mandataire les sommes ou valeurs nécessaires pour l'accomplissement du mandat, il doit lui rembourser les dépenses faites pour la gestion. Il est à peine besoin de donner des exemples; c'était un achat à faire, à prix fixé, ou au mieux des intérêts du mandant: celui-ci doit rembourser le prix d'achat; ou bien, c'était un procès à intenter comme demandeur, ou à suivre comme défendeur: les frais de justice, de procédure, d'avocat, sont à rembourser.
La loi veut que ces avances et frais soient “ légitimes," c'est-à-dire conformes au mandat, ou dans la mesure de ce qui était nécessaire ou utile.
Le mandant doit aussi les intérêts légaux desdites avances, à partir du jour où elles ont été faites; cette obligation accessoire est la contre-partie de celle que l'article 938 met à la charge du mandataire.
II. Le mandant doit payer le salaire promis; l'article 943 reprendra cette obligation.
III. Il peut arriver que le mandataire éprouve des dommages ou des pertes par suite de l'exécution du mandat; ainsi, ayant été obligé de voyager pour le mandant, il a forcément négligé quelques-uns de ses propres intérêts qui exigeaient sa présence; le texte a soin d'exiger que ces pertes ne soient pas le résultat de sa faute, car s'il avait pu les éviter, il ne devrait les imputer qu'à lui-même et il n'aurait pas de recours.
Il n'y a pas, du reste, à distinguer si les pertes ou dommages proviennent "directement” de la gestion ou si elles sont survenues "à l'occasion” de celle-ci; le Code français (art. 2000) a supprimé la distinction faite autrefois à cet égard et le Projet l'imite: ontre que l'équité n'en est pas suffisamment démontrée, elle présenterait, par sa subtilité, des difficultés considérables d'application.
Il y a une nature de dommage qui ne vient pas ilirectement de la gestion, mais seulement à son occasion; par exemple, le mandant aurait chargé le mandataire de vendre des marchandises avariées ou dangereuses et elles auraient causé dommage an mandataire avant la vente: il serait certainement tenu de rembourser ces dommages comme un prêteur à usage ou un déposant.
La loi excepte de cette indemnité les dommages qui ont pu être prévus, comme une suite naturelle de la gestion, et lorsque, en même temps, la fixation d'un salaire paraît avoir été motivée, en tout ou en partie, par l'intention de réparer ce dommage.
On saisit ici l'occasion de rappeler que le salaire du mandat a un véritable caractère d'indemnité à forfait de certains dommages, ce qui permet de dire que le salaire ne détruit pas le caractère de bon office du mandat et ne le confond pas avec le louage de services.
IV. Bien que le mandataire, à la différence du commissionnaire, n'ait pas à prendre d'engagements personnels, mais n'engage que le mandant, au nom duquel il traite, il peut arriver cependant que les tiers n'aient consenti à traiter avec lui que s'il s'obligeait lui-même, au moivs accessoirement; dans ce cas, le mandant doit lui procurer sa décharge, en traitant avec le tiers pour obtenir sa renonciation audit engagement, moyennant une autre sûreté ou, plus simplement encore, en exécutant; s'il ne peut arriver à ce résultat, il doit alors indemniser le mandataire: par exemple, en lui donnant à lui-même une sûreté contre les risques de cet engagement.
Art. 942. — 772. De ce que la loi compte au nombre des obligations du mandant le remboursement des avances et frais déboursés par le mandataire, il ne faudrait pas conclure que celui-ci soit tenu de faire ces avances préalablement à l'exécution du mandat: pour qu'il en fût tenu, il faudrait qu'il l'eût promis et ce sera plutôt rare que fréquent. Il aura donc le droit, hors cette exception, de refuser d'exécuter le mandat, si le mandant ne lui en fournit les moyens. Mais comme il ne faudrait pas non plus qu'il cherchất à se disculper de l'inexécution du mandat, en alléguant que le mandant ne lui a pas fourni “les provisions nécessaires," la loi ne lui permet de retarder l'exécution que s'il s'assure de la prenve du refus par le mandant de fournir lesdites provisions on, tout au moins, de son retard à le faire. Cette preuve pourra très-bien résulter de la correspondance, c'est-à-dire d'une simple lettre du mandant.
Cette disposition, comme beaucoup d'autres détails utiles en cette matière, manque au Code français.
Art. 943. — 773. Il est naturel que le salaire ne soit pas donné d'avance, ni au fur et à mesure de l'exécution du mandat, car il ne serait pas dû si l'exécution était défectueuse. Mais on peut modifier cette règle par les conventions particulières: notamment, fixer le salaire par périodes, comme par mois, quand l'exécution du mandat doit en durer plusieurs, avec uniformité dans les peines et soins.
Il fallait prévoir aussi comment se règlerait le salaire quand l'exécution du mandat n'aurait pu être totale et qu'il n'y aurait pas eu faute du mandataire à cet égard: par exemple, au cas de force majeure ou de révocation du mandat avant l'exécution totale. La loi donne une solution toute naturelle et d'une évidente équité, en disant que le salaire sera payé en proportion de ce qui a été fait par le mandataire, et cela d'après l'importance des actes et leur difficulté plus que d'après leur nombre. On devrait tenir compte aussi des dommages que l'exécution partielle a pu causer au mandataire.
Art. 944. — 774. Le droit de rétention, à titre de garantie et comme une sorte de gage, a déjà été reconnu à l'emprunteur à usage et au dépositaire, l'un recevant un service, l'autre le rendant, mais tous deux supposés créanciers à raison de la chose qu'ils détiennent. La loi reconnaît le même droit au mandataire, non moins favorable que le dépositaire.
Le Code français n'ayant pas admis le droit de rétentiov comme un principe général et ne l'ayant pas formellement reconnu au mandataire, on peut sérieusement douter qu'il y ait lieu de le suppléer en faveur de celui-ci.
Remarquons au moins que le mandataire n'a pas le droit de rétention sur tout objet appartenant au mandant et qui lui a été remis à raison du mandat: il faut encore que la créance du mandataire soit née" à raison de cet objet." Ainsi, si le mandant avait remis plusieurs choses au mandataire pour être vendues et que l'nne de ces choses n'ait pu trouver acquéreur, le mandataire ne pourrait la retenir comme garantie du salaire qui lui serait dû pour la vente des autres choses; au contraire, il aurait le droit de rétention sur le prix des choses vendues, s'il ne s'en était pas dessaisi prématurément.
Art. 945. — 775. La loi suppose ici un cas analogne à celui de l'article 939 où le mandat a été donné à plusieurs personnes: ici, il y a plusieurs mandants; la loi qui n'avait pas établi la solidarité entre les co-mandataires, sauf le cas de fante conjointe, l'établit, au contraire, en principe, entre les co-mandants.
Le motif en est facile à saisir: si chaque mandant n'était tenu que pour sa part d'intérêt dans la chose commune, il faudrait que le mandataire s'enquît et se fît justifier des parts respectives des mandauts, ce qui serait une complication et l'empêcherait souvent d'accepter le mandat; d'ailleurs, les mandataires rendent un service tandis que les mandants le reçoivent, ce qui autorise plus de rigueur contre ceux-ci.
La loi ne distingue pas si le mandat a été donné conjointement ou séparément par plusieurs personnes: il y avait encore moins à douter dans le cas d'actes sėparés; mais ce qui est essentiel c'est qu'il s'agisse bieu d'une “affaire commune.”
Bien entendu, la solidarité est ici parfaite et non imparfaite, comme on en a signalé la possibilité entre co-mandataires.
La liberté des conventions est naturellement admise en cette matière et elle pourrait être employée à supprimer ou à restreindre cette solidarité,
Art. 946. — 776. Cet article est comme la contrepartie de l'article 9 10. Du moment que le mandataire n'est pas tenu, en principe, vis-à-vis des tiers avec lesquels il traite, quavd il le fait au nom du mandant et dans la limite de ses pouvoirs, il est naturel que ce de notre article, en se plaçant dans le cas où le mandataire est resté dans les limites de ses pouvoirs.
777. Le 2e alinéa prévoit que le mandataire a excédé ses pouvoirs et il indique trois cas dans lesquels le mandant peut encore être tenu à raison desdits actes:
1° Il les a ratifiés: c'est un principe que la ratification des actes d'un gérant d'affaires équivaut à un mandat qu'on lui aurait donné (ratificatio manulato æquiparatur). La ratification expresse dont il s'agit ici n'est pas soumise aux formes et conditions de la ratification ou confirmation des actes annulables (voy. art. 578): une déclaration quelconque du mandant, portant approbation de l'acte, pourra valoir ratification, pourvu qu'elle ne soit pas équivoqne.
2° Le mandant a profité de l'acte fait au-delà des pouvoirs qu'il avait donnés: il est de toute équité et conforme aux principes généraux qu'il soit tenu des obligations qui forment la contre-partie de l'acte.
Ainsi, il avait donné mandat à quelqn'un de faire faire certaines réparations à sa maison; le mandataire en a fait faire davantage, mais elle sont utiles, peutêtre étaient-elles nécessaires: il est juste que le mandant paye ces réparatious, quoiqu'il ne les ait pas commandées, puisqu'elles lui profitent; mais il ne les payera que dans la mesure du profit qu'il en retire: c'est l'application de la principale règle de la gestion d'affaires (v. art. 383).
3° Le mandat, d'abord étendu, avait été restreint par un acte resté inconnu des tiers, peut-être même avait-il été tout-à-fait révoqué: les tiers de bonne foi ne doivent pas souffrir d'une restriction ou d'une révocation de pourvoirs qu'ils n'ont pas condue; d'ailleurs, le mandant n'est pas exempt de faute, en ayant laissé aux mains du mandataire un pouvoir qui n'était plus exact, ou même qui était annulé (voy. ci-après, art. 954). Rappelons ici qu'en vertu du principe de la représentation du mandant par le mandataire, de même que le mandant est obligé envers les tiers par les promesses du mandataire, il a action contre eux par l'effet des stipulations de celui-ci.
Art. 947. -N778. Le code francais, en enumerant les cases wui metttent fin au mandat (art, 2003). ena a omis quelques-unes, comme allant de soi, sans doute: ici elle ne sont enoucees que pour memoire, en passant et, en quelque sorte, en dehors de l'ennumeration principale.
Il est clair que le mandat cesse par l7excution que luia donnee le mandataire; c'est en raalite l'extinetion de son obligation par le payment: or le payment est la cause d'extinction la plus naturelle et, comme elle est commune a toutes les obligations, il est permis de l'omettre ici. Du reste, l'excution du mandat y met fin, lors même qu'elle ne serait pas conforme a sa teneur; ill en pourrait resulter une obligation pour le mandataire d'indemniser le mandataire de ses frais et depenses, mais le contrat de mandat ne continuerait pas et il n'engendrerait plus, dans l'avenir, aucun droit ni aucune oblifgation respectivement.
A cote de l'excution du andat, la loi mentionne encore l'impossibilite de l'excuter, comme la perte de la chose à gérer: il est clair qu'elle met fin an mandat de même qu'à toute autre obligation de faire (v. art. 561).
Le terme mettra fin au mandat, quand il aura été convenu que le mandataire gérera les affaires du mandant pendant un temps déterminé: ce sera le terme dit "final” (dies ad quem); lors même que le mandataire n'aurait pas géré pendant tout le temps conveno, le mandat n'en cesserait pas moins pour l'avenir.
779. La loi ne pouvait guère mentionner le terme sans y joindre la condition; mais cette condition, que la loi ne qualifie pas, n'est ni suspensive vi résolutoire du mandat lui-même: elle en est plutôt extinctive.
Et d'abord il ne peut être question ici d'une condition suspensive du mandat, car son accomplissement, au lieu de mettre fin au mandat, l'aurait fait commencer, et si elle avait défailli le mandat n'aurait pas cessé: il aurait manqué à naître; ce ne peut non plus être une condition résolutoire dont l'accomplissement aurait rétroactivement détruit le mandat, de sorte que ce qni aurait été fait en vertu dudit mandat deviendrait non avenu; or, un tel résultat est inadmissible: personne ne voudrait traiter avec un mandataire dont les pouvoirs seraient soumis à une telle éventualité. La condition dont il s'agit ici sera un événement incertain dont on a entendu faire dépendre la cessation du man. dat; elle est suspensive de l'extinction, c'est pourquoi nous l'avons qualifiée de coudition extinctive du mandat et elle différera encore du terme par son caractère incertain ou éventuel: ainsi quelqu'un, partant pour un voyage, donne mandat à un de ses amis de gérer ses affaires ou quelques-uns de ses intérêts, mais il a un proche parent malade ou absent lui-même dont il espère la guérison ou le retour, et il préférerait que ce fût celui-ci qui gérât plutôt que son ami; dès lors, il stipule que le mandat prendra fin si son parent guérit ou revient: ce n'est pas un terme, parce que l'événement est incertain et aléatoire: c'est une condition; mais ce n'est pas une condition rétroactivement résolutoire: elle est senlement extinctive pour l'avenir.
Si l'on objectait que cette troisième espèce de condition n'a pas été annoncée quand on a exposé la théorie générale de la condition (v. art. 428), et qu'on n'en a alors signalé que deux sortes, nous répondrons: d'abord, qu'il ne s'agissait alors que des conventions et des obligations en général, et que vous sommes ici dans un contrat particulier; ensuite, que la loi a réservé expressément l'interprétation des conventions, au sujet de l'effet des conditions, d'après l'intention des parties (v. art. 438) et c'est justement sur l'intention présumée des parties que nous fondons cet effet seulement extinctif du mandat, attaché ici à la condition.
La loi ne mentionne pas, même en la forme incidente du 1er alinéa, la confusion de la qualité de mandant et de mandataire en la même personne, par l'effet de la succession de l'une des parties à l'autre, ou d'un tiers à toutes deux (art. 556): il est clair que, dans ces cas, le mandat n'existerait plus.
780. Reprenons maintenant les quatre causes d'extinction plus spéciales au mandat:
I. La révocation par le mandant.
Généralement, les contrats ne peuvent prendre fin par la volonté d'une seule partie: @uvre de deux volontés, ils ne peuvent être détruits que par les deux mêmes volontés; mais cette règle comporte des exceptions que l'article 318, 2° al. avait déjà annoncées.
C'est ainsi que nous avons vu que le déposant peut reprendre le dépôt quand il lui plaît et que l'emprunteur à usage peut toujours rendre la chose prêtée. En effet, quand uu contrat, bien qu'étant l'œuvre de deux parties, n'est que dans l'intérêt d'une seule, il est naturel que celle-ci puisse y mettre fin quand elle le juge à propos.
Le mandat, en général, n'est utile qu'au mandant, il est donc paturel que celui-ci puisse renoncer à s'en prévaloir, le révoquer, retirer les pouvoirs qu'il a donnés, soit parce qu'il peut présentement gérer luimême ses affaires, soit parce qu'il a trouvé un mandataire qui lui inspire plus de confiance. Il n'est pas obligé de donner de motifs de la révocation et, par cela seul que ces motifs peuvent être très-variés, ils n'ont rien de désobligeant pour le mandataire.
L'article 948 apporte une senle limite au droit de révoquer le mandat et les articles 919, 95.) et 951 don. nent quelques développements sur cette première cause de cessation du mandat.
781. II. Renonciation par le mandataire.
Le mandataire rend un service, même quand il reçoit un salaire; on ne peut donc le traiter avec la même rigueur que celui qui est lié par un contrat onéreux, comme par exemple, celui qui loue ses services; aussi pent-il toujours renoncer au naudat, c'està-dire s'affranchir de l'obligation de le remplir. Cela est d'autant plus paturel qu'il s'agit d'une obligation de fuire et que personne ne peut être contraint d'accomplir un fait déterminé (v. art. 402 et T. II, p. 305, n° 298); à plus forte raison, s'il s'agit de faits successifs, variés comme ceux que le mandat a pour objet et qui requièrent de la bonne volonté, des soins et de l'intelligence. Lors même qu'il s'agirait d'un lonage de services, la renonciation serait encore admise, pour le même motif, mais alors sous une plus sévère responsabilité du renonçant, comme on le verra au Chapitre suivant (v. art. 958).
La renonciation du mandataire au mandat n'est d'ailleurs libre que si elle ne cause aucun préjudice au mandant ou si elle est fondée sur une cause légitime, comme on le verra sous l'article 952.
782. III. La mort, la faillite, la déconfiture ou l'interdiction de l'une des deux parties mettent fin au mandat, pour des causes, sinon semblables, au moins voisines.
Pour la mort, cela est nécessaire: il y a confiance du mandant envers le mandataire, cette confiance ne s'étend pas nécessairement à ses héritiers; de même, le mandataire a bien voulu rendre service au mandant, mais il peut n'avoir pas les mêmes raisons de rendre service aux héritiers de celui-ci; le contrat est formé en cousidération des personnes et non des avantages qui en résultent pour le patrimoine.
La faillite et la déconfiture mettant celui qui tombe en cet état dans l'impossibilité de remplir ses obligations, on comprend que ce soit une raison de ne pas prolonger davantage celles qui résultent du mandat entre les parties respectivement.
Enfin, l'interdiction, soit judiciaire pour démence, soit légale par l'effet d'une condamnation criminelle, doit empêcher le mandataire qui en est frappé de continuer pour autrui une gestion qu'il ne pourrait garder pour lui-même; et si c'est le mandant qui est interdit, la gestion de ses biens passe à un tuteur; elle ne peut donc subsister en la personne de celui qu'il en avait chargé.
783. IV. Cessation de la qualité en vertu de laquelle le mandat a été constitué.
Il a pu arriver que le mandat ait été conféré par un tuteur ou par un autre administrateur des biens d'autrui, même par une personne mandataire elle-même, ainsi qu'on l'a vu à l'article 931.
Dans ces divers cas, si la qualité de tuteur, d'administrateur ou de mandataire cesse chez celui qui a constitué ce mandat secondaire et, subsidiaire, pour ainsi dire, le mandat cesse avec la qualité qui en a été la cause.
Il en serait de même si un mandat (originaire cette fois) avait été donné à quelqu'un en vertu d'une qualité particulière qui viendrait à cesser: par exemple, à un co-associé, à un co-propriétaire du mandant, à un ban. quier, à un avocat (a).
Dans les divers cas mentionnés aux nos 3 et 4 da présent article, il semble, au premier abord, qu'on aurait pu, à la rigueur, se contenter de la faculté de révoquer, chez le mandant, et de renoncer, chez le mandataire; mais il y a, pour ces deux cessations du mandat, des limites et des conditions qu'il n'eût pas été juste d'étendre au cas de mort ou de changements dans la condition des personnes: les événements ici prévus sont assez graves pour suffire par eux-mêmes à mettre fin au mandat, sans aucune manifestation de volonté des personnes et sans limites ou conditions.
Du reste, les trois derniers articles (953 à 955) présentent quelques dispositions protectrices de la bonne foi des parties et de leur ignorance légitime desdits événements.
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(a) En France, les avocats ne sont pas autorisés à accepter de mandats; mais au Japon cette prohibition n'existe pas, au moins quant à prósent.
Art. 948. — 781. On a dit, sous le n° 1 de l'article précédent, que la révocabilité du mandat par le mandant est surtout fondée sur ce que le mandant peut toujours renoncer au bénéfice d'un contrat établi en sa faveur; mais il pourrait arriver que le mandat fût aussi, et en même temps, dans l'intérêt du mandataire ou d'un tiers: par exemple, quand il s'agira d'une chose commune ou d'une chose mise en société; alors le mandataire pourrait avoir intérêt à contester la révocation, comme dérangeant ses prévisions ou nuisant à ses intérêts; c'est ce que dit votre article; mais il ne le dit qu'indirectement, en subordonpant la révocation facultative à la condition que le mandat soit “davs l'intérêt unique du mandant.”
La loi nous dit encore que la circonstance qu'un salaire a été stipulé ne met pas obstacle à la révocation, avec perte du droit au salaire, évidemment, pour le mandataire, sans quoi la disposition serait inutile.
On aurait pu croire que le droit au salaire était un profit légitimement espéré du mandataire, lequel ne devrait pas lui être retiré sans cause légitime. Mais la loi confirme par là ce qui a été dit déjà que le salaire n'est pas considéré comme un profit véritable pour le mandataire, mais comme une indemnité à forfait de ses peines, soins et menus débours. Or, tout cela n'ayant pas lien si le mandat est révoqué avant d'avoir été exécuté aucunement, il n'y a pas lieu non plus à indemnité. Mais si la révocation a lieu au cours de l'exécution, l'indemnité ou salaire est due en proportion de ce qui a été fait.
Art. 949. — 785. Il est naturel que la révocation, comme la condition extinctive mentionnée plus haut (p. 944, n° 779), ne rétroagisse pas et ne détruise pas ce qui a été fait valablement jusque-là: cette disposi. tion est écrite non seulement dans l'intérêt des tiers qui ont traité avec le mandataire, sur la foi d'un mandat régulier, mais encore dans l'intérêt du mandant dont les affaires ne pourraient être gérées avec sécurité.
Art. 950. — 786. On sait par l'article 945 que s'il y a plusieurs mandants ils sont tenus solidairement des obligations qui naissent du mandat. On aurait pu croire que ce lien entre les mandants leur permettait aussi de se dégager les uns les autres de cette obligation; mais comme la révocation pourrait être nuisible à l'affaire commune, la loi ne permet pas que l'intérêt des autres soit compromis par un seul: leur mandat tient donc et pour le tout; seulement, la responsabilité de celui qui a révoqué cesse pour l'avenir et se transporte sur les autres.
Art. 951. — 787. Il n'est pas nécessaire que la révocation soit expresse, pas plus que cela n'est nécessaire pour la constitution elle-même du mandat, laquelle peut être tacite.
La loi donne ici deux applications possibles de la révocation tacite, mais elles ne sont ni impératives, ni limitatives: la nomination d'un nouveau mandataire pourrait n'avoir d'autre but que d'assurer davantage l'exécution du mandat, en aidant et soulageant le premier mandataire; de même, le fait par le mandant de gérer lui-même pourrait s'expliquer par un empêchement momentané du mandataire, ou par une facilité plus grande qu'en aurait le maudant.
Quant aux autres circonstances qui pourraient avoir le caractère d'une révocation tacite, ce sera aux tribumaux à les apprécier: des inimitiés graves survenues entre les parties, un procès intéressant l'honneur ou la majeure partie des biens de l'une d'elles, pourraient être considérés par les tribunaux comme impliquant une révocation tacite.
Art. 952. — 788. Déjà, sous le n° 2 de l'article 947, on a expliqué pourquoi la faculté de renoncer au mandat ne peut être refusée au mandataire; mais on a dit qu'elle ne pouvait pas toujours avoir lieu impunément. Une première distinction est à faire: la renonciation a-t-elle une cause légitime ou non? Si elle a une cause légitime: par exemple, l'éloignement plus ou moins considérable, en distance ou en durée, du lieu où se trouvent les biens ou les intérêts à gérer, ou une maladie sérieuse, ou la rupture des relations d'amitié entre le mandataire et le mandant, alors il n'y a pas lien à indemnité, lors même que le mandant en éprouverait un préjndice, sauf le tempérament porté à l'article 955: si, au contraire, la renonciation n'est pas justifiée et tient, soit au mauvais vouloir du mandataire, soit à son caprice où à ses seules convenances, et si cet abandon de la gestion a causé un préjudice au mandant, une indemnité est due à celui-ci.
Si, au lieu des convenances du mandataire, la renonciation était fondée elle-même sur un préjudice que lui causerait la continuation du mandat, il faudrait, si ce préjudice était grave, voir là une cause légitime ou justificativo de la renonciation. Le Code français (art. 2007) a admis formellement cette cause de renonciation, et c'est la seule qu'il ait indiquée, sans avoir d'ailleurs formulé le principe qui se trouve énoncé ici.
Il n'y a pas de raison de ne pas admettre une renonciation tacite au mandat, comme on en admet la révocation tacite; mais, pour que la responsabilité du mandataire soit à couvert, il faut toujours que cette renonciation ait une cause légitime.
Art. 953. — 789. Il serait injuste que les causes qui mettent fin au mandat produisissent leur effet entre les parties sans qu'elles le susseut ou, au moins, sans qu'elles eussent été mises en situation de le savoir; c'est pourquoi la loi enjoint à la partie qui entend profiter de la cessation du mandat de la notifier à l'autre. Le texte est ici plus large que le Code français qui n'exige la notification que pour la révocation et la renonciation, avec une protection pour le mandataire qui a ignoré les autres causes de cessation du mandat (art. 2008), mais sans disposition réciproque pour le mandant qui ignorerait une cause de cessation provenant du chef du mandataire, autre que sa mort, laquelle doit être notifiée au mandant (art. 2010).
Bien que la loi n'exprime pas d'exception à l'obligation de notifier la cause de cessation du mandat, on peut dire que le terme extinctif (dies ad quem) n'aura pas à être notifié, surtout s'il consiste dans un laps de temps fixe, parce qu'il est connu d'avance; nous n'en dirons pas autant de la condition extinctive qui pouvant ne pas arriver et, lorsqu'elle arrive, pouvant n'être pas connue de l'intéressé, doit lui être notifiée; enfin, il serait nécessaire, en cas d'exécution du mandat, et surtout d'impossibilité d'exécuter, que le mandataire en donnât connaissance au mandant.
Notre texte ne peut exiger que la révocation ou la renonciation tacite soit notifiée: d'ailleurs, à partir de la notification, l'acte deviendrait exprès et formel; mais la révocation ou la renonciation tacite ne serait opposable à la partie adverse que si elle était “parvenue à sa connaissance d'une manière certaine”: c'est à dater de ce moment seul qu'elle produirait ses effets.
Art. 954. — 790. Il ne peut être posé en règle que le mandaut soit à l'abri, vis-à-vis des tiers, des conséquences ultérieures de son mandat, lorsqu'il a pris fiu, soit par sa révocation, soit par une des autres causes sus-énoncées: la situation des tiers qui traiteraient avec le mandataire serait trop mauvaise et, en présence de l'éventualité d'un tel danger, nul ne voudrait traiter avec le mandataire, ce qui serait encore plus préjudiciable au mandant.
D'un autre côté, le mandant ne peut être tenu, en général, de notifier aux tiers la cessation du mandat, car il ne peut guère connaître ceux avec lesquels le mandataire serait disposé à traiter. La loi s'attache donc uniquement au point de savoir si les tiers ont été ou non “de bonne foi,” c'est-à-dire s'ils ont ignoré ou connu la cessation des pouvoirs du mandataire. C'est une disposition analogue à celle de l'article 946-3° relative au cas où les tiers “ont eu de justes motifs de croire à des pouvoirs du mandataire," alors qu'il ne les avait pas.
En général, lorsque le mandat aura pris fin, le mandant fera sagement de retirer des mains du mandataire le pouvoir écrit qu'il avait pu lui donner; le Code français n'en fait pas une obligation pour le mandant: il présente ce retrait du pouvoir écrit comme une faculté (art. 2001) et encore n'en fait-il mention qu'au sujet de la révocation.
On a tenu à mentionner ici dans la loi cette faculté du mandant, pour l'inviter à en user, dans l'intérêt de tous, et à cette occasion, le texte nous dit que lors même que la procuration écrite aurait été retirée des mains du mandataire, cette circonstance n'exclurait pas nécessairement la bonne foi des tiers; en effet, ceux qui auraient déjà traité récemment avec le mandataire, après avoir pris connaissance de ses pouvoirs, ne sont pas en faute pour ne pas s'être fait représenter de nouveau les mêmes pouvoirs, à chaque nouveau traité. La loi se contente de leur bonne foi, en l'exigeant; mais la faute lourde serait ici comme, en règle générale, assimilée au dol.
En principe, le mandataire doit restituer la procuration écrite, lorsqu'elle lui est réclamée par le mandant; cependant, s'il prétendait qu'elle lui est nécessaire pour la justification de ses actes, pour dégager sa responsabilité ou recevoir son salaire ou ses indemnités, il serait admis à en exiger une copie certifiée conforme, mentionnant la fin du mandat et le but pour lequel elle lui est délivrée.
Art. 955. — 791. La disposition de cet article, toute d'équité, rappelle celle analogue de l'article 382-2°, au sujet de la gestion spontanée des affaires d'autrui.
On a, ici encore, généralisé une disposition qui ne reçoit qu'une application trop limitée dans le Code français (art. 1991 et 2010) où il n'est prévu que deux causes de fin du mandat, la mort du mandant et celle du mandataire: au premier cas, le mandataire, au second cas, ses héritiers, doivent pourvoir à la protection des intérêts du mandant; mais il y a même raison de prendre un pareil soin dans les autres cas de cessation. Toutefois, la loi signale elle-même une différence à l'attention des tribunaux: l'obligation du mandataire de continuer provisoirement la gestion, jusqu'à ce que le mandant y puisse pouvoir, est plus rigoureuse si c'est sa volonté, sa renonciation, qui a mis fin au mandat, que si c'est la révocation par le mandant.
Ce qu'il ne faudrait pas admettre c'est que, dans le cas de révocation par le mandant, le mandataire pût immédiatement abandonner les intérêts qui lui avaient été confiés: ce serait contraire à la bonne foi du contrat et à son caractère de bon office.
N° 792. Déjà le Projet a réglé le louage ou bail des choses, on pourrait presque dire des choses corpo. relles, car elles auront presque toujours ce caractère.
Dans le louage des choses, le preneur est mis en rapport direct avec la chose louée et il lui est permis d'en tirer par lui-même, ou par un autre agissant de son chef, l'utilité et les services qu'elle peut procurer; de là, il a un droit réel ou sur la chose, lequel est mobilier ou immobilier, suivant la nature de celle-ci; le tout, sans préjudice d'un droit personnel ou de créance qu'il a contre son bailleur, pour que celui-ci lui assure et lui garantisse la jouissance de la chose (voy. art. 2-4° et 121).
Dans le louage qui va nous occuper, le preneur ne peut pas obtenir par lui-même les avantages qui lui sont promis: ce sont des faits qui dépendent de l'activité et, par conséquent, de la volonté d'autrui; le droit du preneur n'est donc et ne peut être que personnel et, en cas de refus d'exécution par le bailleur, le preneur n'obtiendra, le plus souvent, que des dommages-intérêts, à moins que les faits promis ne puissent être accomplis, avec les mêmes avantages, par un tiers et aux frais du bailleur (voy. art. 402, 3° al. et 403).
Cette différence profonde entre la nature des deux droits résultant du louage a fait diviser la matière, dans ce Projet, en deux parties très-distinctes et fort éloignées l'une de l'autre: l'article 122 avait déjà réservé "le louage d'ouvrage ou d'industrie et le louage de services."
Nous séparons ces trois nouveaux objets du louage, quoique l'on puisse, à la rigueur, les réunir sous la qualification générale de louage d'ouvrage, comme le fait le Code français, une première fois (art. 1708 et 1710), mais il y ajoute ensuite le louage d'industrie (art. 1779 et s.).
Ce Chapitre comporte quatre Sections dont deux, la 2e et la 3°, ne sont pas indiquées dans son titre: le contrat d'apprentissage et celui de transport.
COMMENTAIRE.
Art. 956. — N° 793. Par services on entend ici les peines et soins, plus ou moins variés dans chaque cas, que le bailleur s'engage à prendre dans l'intérêt de la personne ou du patrimoine d'autrui.
L'énumération donnée par ce premier article, des personnes généralement appelées à prendre ces peines et soins, à louer leurs services, contribue à faire connaître la nature de ces services: cette énumération ne comprend pas les personnes qui rendent des services plus relevés, dans l'ordre scientifique, littéraire ou artistique, comme les médecins, les avocats et les professeurs de science, de littérature ou d'art; ces personnes sont l'objet d'un article final de la Section (art. 962); au contraire, il faut rapprocher de notre article les personnes dont fait mention l'article 961.
La circonstance que les personnes énumérées dans notre article 956 ont droit à un salaire fixé par anuée, par mois ou par jour, n'implique pas que la durée du louage doive comprendre les mêmes périodes, comme cela a lien, au contraire, lorsqu'il s'agit du louage de maisons ou d'appartements meublés (voy. art. 160): la loi ne veut pas que l'engagement de la personne ait une durée fixe sur laquelle l'attention de celle-ci n'anrait pas toujours été suffisamment arrêtée. La période désignée ne sera considérée que comme un moyen de régler le montant du gage ou salaire, d'après le temps qu'auront duré les services.
Dans ces cas, le louage, n'ayant pas de durée fixée d'avance, ne cesse que par le congé ou avertissement que l'une quelconque des parties donne à l'autre.
A ce sujet, la loi indique quelques restrictions à la liberté des parties:
1° S'il y a un usage local pour l'époqne à laquelle le congé peut être donné valablement et pour l'intervalle entre le congé et la sortie, cet usage doit être observé: le louage de services, comme celui des choses, est une matière de pratique constante et journalière, où la loi ne prétend pas établir l'uniformité de détails dans tout le pays, elle laisse ici une certaine part d'autorité aux usages locaux (a);
2° S'il n'y a pas d'usage locaux certains, le congé et la sortie peuvent avoir lieu à toute époque, sous deux conditions laissées à l'appréciation des tribunaux, en cas de désaccord entre les parties: que le temps ne soit pas inopportun et qu'il n'y ait pas mauvaise foi.
Assurément, ces limites ne sont pas tellement impératives que le bailleur ou le preveur de services soit tenu, le premier de fournir, le second de recevoir des services qui auraient cessé de lui plaire, mais la mise à fin des services, contrairement aux conditions qui précèdent, donnerait lieu à une indemnité par la partie qui serait en faute.
Le congé serait donné en temps inopportun, s'il était donné à la fin de l'année pour les domestiques attachés à la personne ou pour les commis ou préposés de commerce, et à l'époque de la récolte pour les services ruraux; il serait donné de mauvaise foi lorsque celui qui le donnerait saurait que, par des circonstances particulières, il cause un dommage sérieux à l'autre partie.
Il n'y a pas, à ce sujet, de différence légale entre les deux parties; mais, en fait, ce sera, le plus souvent, le bailleur de services, c'est-à-dire l'employé, le serviteur ou l'homme de peine, qui aura droit à une indemnité, parce que, à certaines époques de l'année, il lui sera plus difficile de trouver un nouvel emploi qu'au maître de le remplacer.
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(a) Le Code français a admis les usages locaux pour l'époque du congé et de la sortie en matière de louage des choses (art. 1736, 1757 et 1759); mais il n'en a rien dit au sujet du louage de services. C'est le contraire qui a lieu dans le Projet japonais (v. art. 161 et 162).
Mais nous croyons devoir faire disparaître une différence qui ne serait pas plus justifiée que celle du Code français, tout en étant inverse. En conséquence nous proposons d'ajouter un article 103 bis ainsi conçu:
163 bis. “Les dispositions des trois articles précédents sur l'é. “poque du congé et sur celle de la sortie ne sont applicables qu'à “défaut d'usage local certain sur lesdites époques."
Art. 957. — 794. Il pourra arriver que le louage de services, au lieu d'avoir la durée variable que lui laisse l'article précédent, ait une durée fixée à l'avance. La loi intervient ici pour poser une limite à la durée de l'engagement réciproque. Cette durée ne peut excéder cinq ans ou un an, suivant la nature des services loués.
Le Code français ne défend que de louer les services à vie (art. 1780), et ses termes mêmes (" on ne peut louer ses services qu'à temps”) ne portent cette limite que pour le bailleur, non pour le preneur, en sorte que l'on admet assez généralement, en doctrine et en jurisprudence, que le maître qui aurait promis d'employer un commis, un serviteur, ou un ouvrier pendant toute la vie de celui-ci pourrait être tenu d'observer la convention. On serait peut-être moins affirmatif, si le maître avait pris sa propre vie pour mesure de son engagement.
Quoi qu'il en soit du Code français, on croit devoir poser ici une limite beaucoup plus étroite à la fixation de la durée du louage de services et on exprime qu'elle concerne et protège également les deux parties.
Le motif qui fait défendre un engagement à vie doit faire défendre aussi celui qui aurait une durée trop longue, eu égard aux prévisions des parties: c'est par respect pour la liberté et la dignité individuelles que la loi ne veut pas qu'un homme engage ses faits, son activité, pour toute sa vie ou pour un temps qui s'en rapprocherait; il ne serait pas conforme non plus à la dignité et à la prudence de se lier pour un temps qui fût une portion considérable de l'existence et pendant lequel il pourrait survenir une foule d'événements imprévus qui rendraient regrettable et préjudiciable l'engagement pris témérairement.
Le délai de cinq ans, pour les serviteurs et employés, occupés des soins de la personne ou des intérêts généraux du maître ou patron, a paru bien suffisant pour satisfaire aux exigences des uns et des autres, et de même, celui d'un an pour les ouvriers et hommes de peine ou de journée.
Le maître ou patron ne pourrait lui-même se lier envers ces personnes pour une période plus longue, parce qu'il pourrait souffrir aussi d'un engagement qui cesserait d'être compatible avec ses convenances personnelles ou avec des circonstances imprévnes survenues dans ce délai et modifiant sa situation.
La loi excepte de cette limite le contrat d'apprentissage dont il sera parlé plus loin.
795. Il est paturel que l'inobservation de la limite légale ci-dessus déterminée entraîne, non la nullité totale de la convention, mais seulement la réduction de l'engagement à la durée légale. Il est juste aussi que l'engagement puisse être renouvelé autant de fois qu'il plaîra aux parties, mais de telle sorte que le nouvel engagement, joint à ce qui reste à courir de l'ancien, n'excède jamais cinq ans ou un an: c'est une théorie déjà rencontrée (v. art. 40 et 887, 3° al.; secùs, art. 722).
La loi a soin de dire que la réduction de l'engagement trop long pent être demandée " par l'une ou l'autre des parties”; mais elle ne s'oppose pas à ce que l'une des parties s'engage à fournir ou à recevoir les services pour un temps plus long que l'engagement de l'autre, pourvu que le tout soit renfermé dans les susdites limites. Ainsi, un maître pourrait s'engager à garder un domestique, ou un patron un employé, pendant cinq ans, et ceux-ci ne s'engager à le servir que pendant deux ou trois ans. L'égalité de situation et de droit ne devient impérative que lorsqu'il s'agit de rentrer dans les limites légales.
Art. 958. — 796. Lors même que, dans sa durée, l'engagement n'excède d'aucun côté les limites légales, il est encore possible qu'il prenne fin auparavant; la loi en indique les causes.
La première c'est, tout naturellement, l'inexécution des obligations par l'une des parties. La loi pourrait, à la rigueur, ne pas exprimer un principe aussi général et aussi connu; mais, comme on l'a déjà remarqué pour d'autres contrats, il serait singulier et d'un mauvais effet de voir ici d'autres causes de dissolution de l'engagement sans rencontrer la plus certaine: on pourrait croire à une exception qui n'existe pas.
La nature des relations personnelles qui naissent du lounge de services demande qu'elles ne subsistent plus lorsqu'elles seraient une charge trop lourde pour l'une des parties ou qu'elles lui créeraient des embarras graves et imprévus. La loi ne peut prétendre prévoir et déterminer toutes les causes qui devraient équitablement amener la fin anticipée, la résiliation de ce lonage: elle se borne à exiger "une cause légitime et impérieuse" et c'est an tribunal à apprécier si la cause invoquée présente ou non ce double caractère.
Il n'est pas douteux que si le domestique ou l'employé se trouve appelé au service militaire, il y aura forcément résiliation du contrat; il en serait autrement s'il y avait engagement volontaire: dans ce cas, on pourrait craindre que le serviteur ou l'employé, ayant déjà du goût pour l'armée ou la marine, ne se décidât à un engagement volontaire, pour se soustraire sans indemnité à un contrat qui lui donne des regrêts.
Une maladie ou une infirmité rendant difficiles les services promis serait encore une cause légitime et impérieuse; il n'en serait pas de même du cas où le domestique ou employé trouverait un emploi plus avantageux ou voudrait s'établir, se marier, etc. Ces faits, honnêtes et légitimes en eux-mêmes, ne justifieraient pas une résiliation, au moins sans indemnité.
C'est dire que celui qui a promis ses services pent toujours cesser de les fournir, lorsqu'il en a la volonté, parce que “nul ne peut être contraint juridiquement (ni même physiquement) à accomplir un fait auquel il se refuse,” mais ce sera à charge d'iudemnité, quand le refus n'aura pas de cause “légitime et impérieuse.”
La résiliation peut venir aussi bien de celui auquel sont dus les services que de celui qui les doit; mais les causes n'en sont pas nécessairement les mêmes: assurément, on peut encore citer le service militaire forcé; mais on ne peut plus citer la maladie, car elle n'empêche pas de recevoir des soins comme elle empêche d'en fournir; tout au contraire, elle en réclame davantage, au moins des soins personnels. Mais si le maître d'un coureur, d'un cocher ou d'un traîneur éprouvait un accident ou tombait malade, de façon à ne pouvoir, de longtemps, aller à cheval ou en voiture, on pourrait y voir une cause suffisante de résilier l'engagement du serviteur; sauf l'indemnité prévue à l'article suivant, parce qu'on ne peut faire souffrir le serviteur des accidents survenus à son maître: la cause ne serait pas légitime à son égard.
Si le maître ou patron tombe en faillite ou en déconfiture, il sera dans l'impossibilité de garder le même nombre de serviteurs ou employés, et ceux-ci sortiront forcément de son service; mais comme il est impossible de voir là uve cause légitime de résiliation, il sera payé aux serviteurs ou employés une indemnité égale, en principe, à ce qui leur serait dû de gages ou salaire pour le temps restant à courir; sauf une certaine déduction, à raison du droit qu'ils recouvrent de louer leurs services ailleurs.
797. La mort du maître est une cause légitime et impérieuse de cessation du louage de services envers sa personne; les services d'un commis ou employé ne cesseraient que si le cominerce ou l'industrie du maître prenait fin par sa mort.
Comme les serviteurs de la maison sont plus ou moins attachés au service de la famille, il y aura souvent quelque difficulté de savoir si la mort du chef de famille met fin au louage; la question se résoudra en fait, d'après les circonstances: il n'est pas douteux que la mort du chef de la famille résiliera le louage de services de son valet de chambre et qu'elle sera sans effet légal sur le louage des services de la femme de chambre de sa veuve; mais pour le cuisinier, le cocher, le coureur, ce sera à décider par le tribunal, en cas de contestation, et il sera généralement juste d'admettre la résiliation, d'autant plus que l'article suivant préserve le serviteur d'un préjudice immérité.
La disposition qui concerne la mort du maître n'est pas, comme les précédentes, limitée au bail à durée fixe, elle s'applique dans tous les cas, même au bail qui finit par le congé: il n'y aura pas nécessité de le donner, ni d'en attendre l'époque usitée.
C'est plus loin (v. art. 960) que la loi prévoit la mort du serviteur ou de l'employé.
Art. 959. — 798. La disposition du présent article s'écarte de la rigueur des principes par raison d'humanité. La dérogation au droit commun est double:
1° La cause qui met fin au contrat de louage étant “légitime et impérieuse,” il semble qu'on devrait la considérer comme une force majeure et qu'aucune indempité ne devrait être réclamée de part ni d'autre; cependant une indemnité peut être due;
2° Du moment que la cause n'est pas considérée comme absolument majeure, l'indemnité devrait être exigible de la partie en la personne de laquelle survient cette cause, sans distinction entre le maître ou patron et le serviteur ou employé.
Mais la loi doit considérer la différence de dommage qu'éprouve chaque partie d'une résiliation anticipée du contrat: le maître ou le patron trouvera facilement à remplacer son serviteur ou employé, à toute époque de l'année, tandis que celui-ci aura de la peine à trouver un nouvel emploi aux époques où il n'est pas d'usage d'engager les serviteurs, gens de journée ou employés. Il y a, en effet, toujours plus de services disponibles et offerts que de maîtres ou de maisons qui en demandent.
Toujours par motif d'humanité envers une classe peu fortunée de la société, la loi ne veut pas qu'une cause de résiliation qui n'est pas nécessairement et absolument majeure prive subitement un serviteur, un ouvrier ou un employé de moyens d'existence sur lesquels il pouvait raisonnablement compter. Sans doute, il ne sera pas question de “ dommages-intérêts” proprement dits, lesquels supposent une faute du débiteur; mais la loi peut employer l'expression “d'indemnité” qui répond mieux à l'idée de compensation d'un mal même accidentel (b).
Le tribunal n'aura à intervenir que si les parties ne sont pas d'accord, et la loi dit qu'il “tiendra compte des circonstances.”
Ainsi, l'indemnité du serviteur ou de l'employé sera plus forte si c'est la faillite ou la déconfiture du maître ou patron que si c'est sa mort qui met fin au louage de services, parce qu'on est plus près de la faute au premier cas qu'au second; le tribunal accordera aussi une plus forte indemnité si l'on est loin de l'époque des engagements annuels que si l'on en est proche.
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(b) C'est ainsi qu'on emploie l'expression d'indemnité, et non celle de dommages-intérêts, en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (v. art. 32 et 112) et d'assurances (v. art. 94, 95, 111, 839, 843, etc.).
Art. 960. — 799. La mort du serviteur ou de l'employé ne donnera lieu à aucune indemnité de la part de ses héritiers au profit du maître ou patron: il n'y a plus ici les mêmes raisons d'humanité que dans le cas inverse prévu ci-dessus. Mais la loi devait réserver le cas où le serviteur ou employé aurait reçu, par anticipation, tout ou partie de ses gages ou de son salaire: il y aurait lieu alors à une restitution proportionnelle.
800. La loi ne présente ici aucune particularité au sujet de la preuve du louage de services, ni du montant des gages, ni enfin des à-compte payés.
Le Code français avait autrefois sur ce sujet une disposition exceptionnelle et dérogatoire au droit commun: le maître était “cru sur son affirmation" (c) pour la quotité des gages dus au serviteur et pour le payement total ou partiel desdits gages (art. 1781). Du reste, l'exception au droit commun ne concernait pas le fait même du louage, ni sa durée; elle ne s'appliquait pas non plus au patron dans ses rapports avec les commis ou employés.
On avait critiqué cette préférence donnée au maîtro sur son serviteur quant à la foi due à son affirmation: elle semblait contraire an principe d'égalité des citoyens, lequel, en France, est la base du droit public et privé. Peut-être y avait-il quelque exagération dans ces critiques et il n'avait pas été difficile de démontrer que la disposition, rapprochée des limites légales de la preuve testimoniale, était, dans bien des cas, favorable au serviteur; en effet, celui-ci n'étant pas toujours assez lettré pour signer un contrat et des quittances, n'aurait pas trouvé aisément à louer ses services si le maître avait dû l'engager et le payer devant notaire.
Quoi qu'il en soit de la valeur de ces critiques, et de la réfutation qu'on en a faite, elles ont amené l'abrogation dudit article 1781 (Loi du 2 août 1868) et, saps croire qu'il serait aussi impopulaire au Japon qu'en France, nous ne proposons pas de l'y introduire.
Il y a d'autant moins de nécessité, au Japon, de donner à l'affirmation du maître une valeur exceptionnelle que le serment n'y est pas encore usité en matière civile et qu'au contraire la preuve par témoins n'est pas enfermée dans les mêmes limites qu'en France.
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(c) La loi n'exigeait pas formellent le serment, mais la jurisprudence l'exigeait, par interprétation.
Art. 961. — 801. Il sera rare que les acteurs et autres artistes plus ou moins relevés qui louent leurs talents aux entrepreneurs de théâtre ou d'autres divertissements publics ne règlent pas, par un acte écrit, les clauses et conditions de ce louage; mais comme il arrivera souvent aussi que quelques points en aient été négligés par les parties, il est bon que la loi indique dans lesquelles de ses dispositions on devra chercher les moyens de combler ces lacunes. Or, bien que les acteurs et les autres personnes qui se consacrent à divertir et récréer le public prétendent à la qualité d'artistes, on ne peut méconnaître qu'ils louent leurs services, lorsqu'ils ne sont pas eux-mêmes entrepreneurs de divertissements et lorsqu'ils se bornent à fournir leur concours à l'entreprise d'un autre.
Il n'y a pas de nécessité de leur faire une place à part dans le louage de services, avec des règles spéciales: celles qui concernent les travailleurs plus sérieux peuvent leur être appliquées sans difficulté et sans objection. Il n'y a même pas lieu, du reste, de chercher une assimilation plus ou moins exacte entre ces personues et tel ou tel groupe de celles qu'énumère l'article 956: les acteurs ne sont pas des employés, commis ou préposés, bien qu'ils se rapprochent plus de ces personnes que des serviteurs et des ouvriers; et c'est parce qu'ils ne rentrent, à proprement parler, dans aucune des catégories de personnes dont s'occupe l'article 956 que la loi exprime que "les règles concernant ces personnes leur sont applicables.”
Remarquons à ce sujet que les entrepreneurs de théâtre et divertissements publics font acte de commerce, tandis que les acteurs et autres personnes qui louent leurs services et leurs talents à l'entrepreneur ne font qu'une opération civile.
802. La loi soumet encore aux règles ordinaires du louage de services les maîtres ou professeurs d'armes, de métiers ou d'arts industriels, ainsi que les médecins d'animaux.
Il est nécessaire que la loi s'explique au sujet des services de ces personnes, parce qu'ils sont très-voisins de services plus relevés qui ne se louent pas et dont l'article suivant va s'occuper.
Les “arts industriels ” sont opposés ici aux arts libéraux ou aux beaux-arts, les “métiers” sont opposés aux sciences et aux lettres, les médecins d'animaux ou “ vétérinaires” sont opposés aux médecins des personnes (d).
Assurément, ceux qui enseignent ces arts et ces métiers ou exercent la cure des animaux rendent de grands services et méritent toute considération, mais ils louent leurs services.
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(d) Le mot "vétérinaire" employé en français pour désigner les médecins d'animaux, vient du latin et paraît avoir signifié, à l'ori. gine, “ celui qui soigne les animaux âgés.”
Art. 962. — 893. Le Projet tranche ici une ques. tion qui, en France et ailleurs, divise beaucoup les auteurs et sur laquelle la jurisprudence n'est pas encore fixée: à savoir, quelle est la nature des soins et services que rendent ceux qui exercent les professions dites libérales.
Nous avons déjà exposé sommairement cette controverse (v. p. 901-902, n° 749) et fait pressentir la solution du Projet; il nous faut ici y insister, avec le texte destiné à prévenir cette controverse au Japon.
En fait, les personnes que le présent article énumère rendent des services à ceux qui ont recours à elles et ces services ne sont pas gratuits, en général, puisqu'une rémunération est ordinairement demandée et reçue par ces personnes (e).
Plusieurs systèmes se disputent la préférence.
Dans l'un, on dit que les services du médecin, de l'avocat, du professeur, sont l'objet d'un louage ordinaire et que la dignité des professions libérales n'est pas diminuée parce qu'elle fait vivre dans une condition plus ou moins aisée ceux qui les exercent.
Ce système comporte une objection sérieuse, c'est que le contrat serait alors à titre onéreux et synallagmatique et obligerait les deux parties à une exécution forcée, ce qui serait plus contraire à la dignité de l'une et à l'intérêt de l'autre que de recevoir un salaire et de le payer.
C'est principalement la nécessité d'éviter une pareille situation qui nous fait proposer le système actuel du Projet.
Dans un autre système, on dit que ces personnes remplissent un mandat; ce mandat, il est vrai, est naturellement salarié, mais on a vu (art. 927) que le salaire du mandat n'est pas considéré comme un profit ötant au contrat son caractère gratuit: il est plutôt une sorte d'indemnité en bloc ou à forfait des peines, soins et déboursés que le mandataire aura à supporter, et ici on y ajouterait comme cause spéciale les frais d'études antérieures nécessaires à l'obtention des titres et diplômes officiels.
C'est aussi parce que le salaire ne paye pas en entier le service rendu que nous avons déjà fait remarquer (p. 902, n° 749) que le malade, le plaideur et l'élève restent toujours tenus d'une certaine reconnaissance envers le médecin, l'avocat ou le maître.
Ce système ne donne pas lieu à la même objection que le précédent, à savoir qu'il y aurait donc une exécution forcée; en effet, le mandat peut cesser par la renonciation à peu près libre et volontaire du mandataire et par la révocation absolument libre par le mandant. Mais il comporte une objection non moins sérieuse.
Le caractère propre du mandat, c'est que le mandataire représente le mandant et fait, pour le compte et au nom du mandant, quelque chose que celui-ci pe pourrait faire lui-même. Or, si l'on peut trouver cetto sorte de représentation dans les services de l'avocat, on ne la trouve plus dans ceux du médecin ou du professeur des sciences, des lettres ou des arts. Comment pourrait-on comprendre que le médecin représentât le malade, le professeur son élève? Que serait-ce qu'un mandat à l'exécution duquel le mandant est nécessairement présent, lorsque le propre du mandat est que le mandataire remplace le mandant absent ou empêché?
La difficulté ne serait pas supprimée quand on prétendrait que le médecin ou le professeur sont les mandataires de la famille du malade ou de l'élève: ceux-ci n'ont pas toujours de famille pour prendre leur intérêt, et les soins et services dont ils ont besoin peuvent être directement demandés par eux.
Un troisième système rejette l'idée de louage de services et de mandat salarié et admet qu'il se forme un contrat spécial entre les personnes qui rendent et celles qui reçoivent ces services; ce contrat serait innommé partout où il n'y a pas de lois particulières et formelles sur cette matière. Ce n'est pas à dire qu'il ne serait pas de droit positif: il serait toujours soumis 1° aux règles générales des contrats, 2° aux règles principales du coutrat nommé avec lequel il aurait le plus d'analogie (v. art. 324); mais la difficulté est justement de savoir si ce contrat nommé, auquel on emprunterait des analogies, serait le louage de services ou le mandat.
En outre, on se trouve en face de l'objection faite au premier système, à savoir que le contrat principal, pour être innommé, n'en aurait pas moins une force obligatoire et coercitive peu compatible avec la dignité d'une partie et avec l'intérêt de l'autre.
C'est pourtant ce système qui a le plus grand nombre de partisans et que nous comptions proposer dans le Projet: déjà il avait été annoncé dans le commentaire de l'article 324 (voy. T. II, p. 42 et 44, n°3 37 et 39).
Mais un examen plus attentif nous a amené à proposer un quatrième système qui ne voit dans la convention qui nous occupe aucun contrat, ni nommé, ni innommé et qui ne lui fait produire aucune obligation civile, ni chez celui qui a promis les soins et services dont il s'agit, ni chez celui qui les a stipulés.
La loi, en écartant formellement l'obligation civile de part et d'autre, entend laisser place à une obligation naturelle.
Cependant, l'obligation civile pent naître après coup non pas de la promesse faite par une partie à l'autre, mais du profit que l'une a tiré des services rendus par l'autre on du dommage que le refus de les rendre ou de les recevoir à pu causer.
Le 1er alinéa de notre article pose le principe de l'absence d'obligation civile en vertu de la convention; les trois derniers alinéas établissent les responsabilités exceptionnelles.
804. Il nous faut maintenant justifier successivement le principe et les exceptions.
Un médecin a promis de donner ses soins à un malade, parce qu'il croit connaître sa maladie et pouvoir, soit le guérir, soit le soulager; plus tard, ayant commencé ou non le traitement, il s'aperçoit qu'il s'est trompé et que la maladie lui est inconnue; il doute de son aptitude et il préfère que les soins soient donnés par un autre: ou bien, c'est le malade ou son entourage qui lui témoignent de la défiance, ou qui ne sont pas disposés à suivre ponctuellement ses prescriptions; dans ces divers cas, il serait déraisonnable, en même temps que contraire à l'intérêt du malade, de dire que le médecin doit donner ou continuer ses soins.
Le raisonnement est le même pour un avocat qui s'est chargé d'une cause à plaider comme demandeur ou défendeur: la cause lui a paru d'abord juste et légitime, mais un plus ample examen lui en a démontré l'illégitimité; ou bien, il a cru qu'elle n'excédait pas sa capacité ou son expérience, et il découvre qu'elle est au-dessus de ses forces. Il serait immoral d'obliger un avocat à plaider une cause qu'il croit mauvaise ou pour laquelle il se croit insuffisant.
Enfin, un professeur a promis d'enseigner une science, une langue ou un art; plus tard, il trouve on qu'il lui mauque la connaissance suffisante de ce qu'il doit enseigner, ou que son élève n'a pas l'aptitude nécessaire au succès: on ne doit pas pouvoir le contraindre à continuer ou même à commencer une entreprise dans laquelle il ne croit pas pouvoir réussir.
805. Plaçons-nous maintenant du côté opposé, du côté de la personne qui a demandé et obtenu la promesse de soins ou services; le résultat est le même par un raisonnement un peu différent.
Le malade n'a plus confiance dans le médecin qu'il a choisi, ou le traitement Ini semble encore plus pénible que la maladie: va-t-on l'obliger à continuer un traitement qui lui déplaît et qui peut-être augmente son mal? Le plaideur n'a plus confiance dans son avocat, ou sa cause ne lui semble plus aussi légitime: sera-t-il obligé de laisser le procès suivre son cours ou de laisser ses intérêts dans les mêmes mains ?
Enfin, l'élève ne se croit pas les dispositions nécessaires pour l'étude qu'il a entreprise, ou il doute de l'aptitude à l'y instruire, chez le maître qu'il a choisi; pent-on l'obliger à perdre à une étude au-dessus de ses moyens un temps qui pourrait être mieux employé ou à conserver un professeur en qui il n'a pas confiance?
Toutes ces solutions sont d'une évidence qui s'imnpose, et dans aucun des autres systèmes, on ne pourrait les contester: on y préfèrerait sans doute sacrifier la logique qui les gêne à la raison qui les réclame.
806. Au premier abord, il semble inutile de dire que celui qui a promis des soins ou services scienti. fiques, littéraires ou artistiques n'est pas "civilement” tenu de les fournir; si on entend dire par là qu'il ne peut être contraint, ni physiquement ni juridiquement, de soigner un malade, de plaider une cause, de donner des leçons, on dit une chose évidente, déjà dite ailleurs (art. 402, 1er al.), également vraie pour le mandat (voy. p. 916, n° 781 et pour le louage de services (v. p. 964, no 796), et par conséquent inutile ici; il est évident que nul ne peut être contraint à l'exécution d'un fait qui réclame sa volonté: on se heurterait à la force d'inertie qui est invincible, à moins de pousser la contrainte jusqu'à la douleur physique excessive.
Il ne serait pas plus facile de contraindre le malade à recevoir les soins du médecin et l'élève à recevoir les leçons du maître que de contraindre ceux-ci à les donner. Mais la loi veut dire qu'en cas de refus de donner ou de recevoir les soins promis et acceptés, il n'y a même pas lieu aux dommages-intérêts qui sont ordinairement la compensation de l'inexécution volontaire d'une obligation de faire (v. art. 403).
807. On pose donc en principe que la promesse réciproque de donner et de recevoir les soins dont il s'agit n'oblige "civilement” ni l'une ni l'autre partie.
L'obligation naturelle n'est pas exprimée, mais elle n'est pas douteuse: aucune partie ne devrait, sans motifs suffisants, se soustraire aux engagements qu'elle aurait pris; seulement, comme elle est seule juge de ce qu'elle doit faire, on ne peut savoir si c'est par des raisons légitimes ou par caprice qu'elle s'est décidée; peut-être aussi sera-ce par pure économie chez la partie qui devait payer les honoraires, ou par désir d'un gain plus élevé chez celle qui devait les recevoir.
La loi suppose ensuite que les soins ou services ont été fournis.
Lorsque, en fait, le médecin a soigné le malade, lorsque l'avocat a plaidé la cause et le professeur donné les leçons promises, lorsqu'ils ont ainsi exécuté volon tairement leur obligation naturelle, l'obligation de l'autre partie est-elle devenue civile? Le malade ou sa famille, le plaideur, l'élève ou sa famille, sont-ils tenus, par les voies de droit, d'acquitter leur propre obligation, de payer la rémunération promise ?
Il faut répondre négativement, au moins en principe, et cela, sans distinguer essentiellement si le malade a été guéri ou seulement soulagé, on s'il est resté dans le même état ou s'il est mort, ni si la cause a été gagnée ou perdue, ni si les leçons ont ou non profité à l'élève; mais en supposant toujours que les soins ont été donnés avec zèle et bonne foi, et sauf ce qui sera dit plus loin à ce sujet comme mesure d'appréciation de la rémunération.
Du moment, que l'obligation de chaque partie n'a été que naturelle à l'origine, elle n'a pu changer de nature par le fait de l'autre partie. On ne pourrait même pas dire que la participation volontaire du malade aux soins qu'il a reçus, celle du plaideur qui a fourni des pièces ou des renseignements à son avocat, celle de l'élève aux leçons données et reçues, constitue une exécution de l'obligation naturelle de ces personnes: leur obligation a pour objet une somme d'argent et elle n'en ont rien exécuté à cet égard en recevant les soins.
Mais il pourra y avoir dans le fait accompli une et même deux nouvelles sources d'obligations qui pourront être civiles dans une certaine mesure et naturelles au-delà. La partie qui a fourni ses soins et services, conformément à la demande qui lui en avait été faite, peut alléguer avec raison qu'elle y a consacré un temps et des peines qui lui deviendraient préjudiciables si elle ne recevait une indemnité ou rénumération convenable; elle pourrait alléguer aussi qu'elle a procuré à l'autre partie des avantages appréciables en argent, ce qui sera évident en cas de gain d'un procès ou de guérison d'un malade vivant de son travail ou d'un élève devenu apte à remplir un emploi exigeant les connaissances spéciales que le professeur lui a fait acquérir.
Ces deux sources nouvelles d'obligations civiles, que nous connaissons sous les noms de “dommages causés injustement et enrichissement sans cause légitime,” seront appréciées par les tribunaux lorsque les parties ne seront pas tombées d'accord.
Il n'est pas rare que les malades oublient les soins du médecin, les plaideurs ceux de l'avocat et les élèves ceux du professeur; la dignité des uns favorise encore l'avarice des autres; mais si la réclamation est portéo en justice, elle doit être appréciée et jugée équitablement.
Le texte intervient ici pour indiquer où seront cherchées les bases de la décision: ce n'est pas la convention qui est mise en première ligne, justement parce qu'elle n'a pas suffi à constituer une obligation civile.
On tiendra compte d'abord de la qualité respective des personnes: le médecin est un grand praticien, fort occupé, ayant une clientèle choisie qui le paye largement, le malade lui-même est riche, l'indemnité pourra alors être élevée; elle le sera moins, au contraire, si le malade est d'une condition modeste ou pauvre, on même, le malade étant riche, si le médecin est peu célèbre, peu occupé et généralement peu rétribué. Il va sans dire que le tribunal tiendra grand compte aussi du résultat du traitement.
Du même pour l'avocat, on tiendra compte, d'une part, de sa célébrité ou de son obscurité et, d'autre part, de la situation pécuniaire de son client; il y aura beaucoup aussi à tenir compte du gain ou de la perte du procès, au point de vue de l'enrichissement.
Les mêmes éléments d'appréciation tirés des situations respectives seront utilisés pour les réclamations du professeur contre l'élève; l'instruction acquise par celui-ci correspondra au gain du procès pour le plai. deur et à la guérison pour le malade.
La loi veut aussi qu'on tienne compte de l'usage des professions, lequel usage, étant connu des deux parties ou devant l'être, implique un engagement tacite de s'y conformer. Il se rapproche ainsi de la convention expresse que la loi met en dernière ligne, comme base d'appréciation de la rémunération des soins ou des services effectivement rendus.
Il n'y a pas de contradiction à donner une certaine valeur civile à la convention, lorsqu'elle a reçu son exécution de la part d'une partie: quand il s'agit de savoir si le dommage éprouvé par elle est injuste, si l'enrichissement de l'autre est illégitime, lorsqu'on est ainsi en demeure d'appliquer civilement et judiciairement les règles de l'équité naturelle, il est juste et raisonnable de tenir compte de ce qui a été promis par le défendeur; la convention qu'il a faite le constitue de mauvaise foi dans sa résistance après avoir librement reçu les services.
809. Les deux derniers alinéas de notre article supposent qu'au contraire les soins ou services demandés n'ont pas été acceptés et que les soins ou services promis n'ont pas été fournis. Il fallait décider s'il y aurait lieu à indemnité.
En principe, le premier alinéa a décidé négativement et nous l'avons développé en ce sens.
Mais ici encore, on peut se trouver en présence d'autres sources d'obligation civile que la convention.
Le médecin, après avoir promis de donner ses soins à un malade, l'avocat surtout, après avoir consenti à se charger d'une cause, peuvent avoir refusé d'autres cares à entreprendre ou d'autres causes à plaider et avoir ainsi sacrifié un avantage de leur profession, en comptant sur la demande qui leur avait été faite. Si ensuite le malade ou le plaideur refuse d'user de leurs services, ils auront éprouvé, par l'effet de la première convention, un préjudice dans leurs intérêts. Il sera rare assurément que la preuve en soit certaine, mais il est bon que le principe en soit posé.
De même, et réciproquement, le malade ou sa famille, comptant sur la promesse du médecin, out négligé de s'assurer les soins d'un autre; plus tard, le premier refuse de commencer ou de continuer la cure: il en peut résulter une aggravation du mal et un préjudice pécuniaire.
Le cas est encore plus évident pour les soins promis par un avocat, lequel ensuite abandonnerait la cause dont il s'est chargé: il sera peut-être difficile de trouver en temps utile un autre avocat et la cause pourra être compromise, peut-être perdue, par suite de ce retard.
Le raisonnement serait le même pour un élève et son professeur.
Dans tous ces cas, il faut supposer toujours, pour qu'il y ait lieu à indemnité, que le motif qui a déterminé le médecin ou le malade, l'avocat ou le client, le professeur ou l'élève, à abandonner la convention formée, n'est pas "légitime.”
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(e) Le texte ne fait pas mention des notaires, de création récente au Japon, ni des avoués qui n'y sont pas encore créés: comme il y aura des règlements spéciaux sur ces officiers et comme leur ministère ne pourra être refusé par eux dans le cas où leur intervention sera nécessaire, ils ne seront pas régis par notre article 962; leur intervention se caractérisera d'après les dispositions des rè. glements spéciaux qui les concerneront, et, s'il reste des doutes, on pourra rattacher les droits et obligations de l'avoué au mandat et ceux du notaire à un contrat innommé.
COMMENTAIRE.
N° 810. Il paraît utile d'insérer dans cette partie du Projet quelques règles sur le contrat d'apprentissage. Le besoin s'en est fait sentir en France et dans d'autres pays, pour prévenir ou réprimer des abus provenant presque toujours du maître ou patron, soit dans les stipulations où il impose trop facilement ses conditions à la famille du mineur, souvent pauvre et toujours moins expérimentée, soit dans l'exécution du contrat que l'apprenti n'osera pas contester avant d'en avoir longtemps souffert.
En France, cette matière est réglée par une loi spéciale des 22 fév.-4 mars 1851, laquelle a vingt-deux articles étendus et pleins de détails minutieux,
Les mêmes abus ne paraissant pas autant à craindre ou devoir être aussi fréquents au Japon, il suffit d'y poser seulement quelques règles protectrices des droits et des intérêts de l'apprenti.
Cependant on ne trouvera rien ici concernant la durée du travail journalier de l'enfant et de ses jours de repos: en France, on a déjà fait, sans succès sufsi sant, plusieurs lois sur le “ travail des enfants dans les manufactures et ateliers” (Lois du 22 mars 1841, des 22 fév.-4 mars 1851, 19 mai–3 juin 1874); il existe aussi, à ce sujet, de nombreux Décrets du pouvoir exécutif.
Au Japon, l'industrie n'étant pas encore arrivée à l'activité fiévreuse qu'elle a en Europe et à l'â preté dans la recherche du gain, qui résulte de la concurrence, il y a moins de tendance chez les patrons à abuser du travail généralement non payé des apprentis.
En outre, il ne conviendrait pas d'insérer dans le Code civil, dont la fixité doit être un des caractères, une matière essentiellement variable, dépendant des circonstances de temps et de lieu et des modifications conditionnelles apportées aux industries et à leurs procédés.
Nous remarquons sur ce contrat que, bien qu'il soit rattaché ici au louage de services, il s'écarte des règles ordinaires de ce louage en ce que les services y sont plutôt échangés les uns contre les autres que payés par celui qui les reçoit: l'apprenti paye en travaux et en services divers les soins et l'enseignement professionnel qu'il reçoit, et réciproquement, le patron paye en soins et en enseignement les services que l'apprenti lui rend; mais comme il n'est pas impossible, comme il est fréquent même qu'il intervienne quelques prestations de sommes d'argent, soit au commencement, par l'apprenti au profit du maître, soit, vers la fin, par le patron à l'apprenti devenu son ouvrier, il est naturel de ne pas séparer le contrat d'apprentissage du louage de services.
Art. 963 et 964.-811. Le contrat d'apprentis. sage est synallagmatique et, par conséquent, à titre onéreux: la loi indique d'abord l'obligation principale de chaque partie: le maître ou patron doit enseigner à l'apprenti son métier, son industrie ou son commerce; l'apprenti doit, de son côté, rendre des services dans la nature des travaux relatifs au métier ou à la profession qu'il veut apprendre: l'article 967 le précisera davantage.
On remarquera que la loi ne parle que de “métier ou profession" et ne parle pas d'art; c'est justement pour ne pas confondre les maîtres-artisans avec les professeurs des sciences et beaux-arts dont il a été question précédemment et dont les rapports avec les élèves sont réglés différemment.
La loi ne suppose pas que le contrat d'apprentissage ait lieu pour les travaux agricoles; ce n'est pas une exclusion; mais les jeunes gens qui veulent apprendre l'agriculture s'engageront plutôt comme domestiques de ferme, aides-jardiniers ou surveillants, suivant le but qu'ils se proposeront, et leurs rapports avec le maître seront alors réglés par les articles précédents sur le louage de services.
La loi suppose que l'apprenti peut être de l'un ou de l'autre sexe et elle n'établit pas de règles spéciales pour l'apprentissage des filles mineures: en France, la loi ne permet pas à un chef d'atelier ou d'industrie non marié de prendre, à demeure, des filles mineures comme apprenties. Le motif est, évidemment, de sanvegarder la moralité des mineures; mais la loi dépasse son but en ne faisant aucune distinction de fait; par exemple, il ne devrait plus y avoir lieu à une telle prohibition, si la mère ou la tante d'une mineure était déjà servante ou employée dans la même maison; encore moins, si le patron était le frère, l'oncle ou le tuteur de l'apprentie; or, il y a quelque inconvénient à entrer législativement dans de pareils détails.
Il paraît donc suffire, au Japon, tant que de sérieux abus ne seront pas signalés, de s'en rapporter à la prudence des parents ou des tuteurs des filles mineures qu'il s'agira de placer en apprentissage. D'ailleurs, les moindres actes répréhensibles du patron donneraient lieu à la résolution du contrat en vertu de l'article 970-2°.
812. Ces deux premiers articles protègent à un autre point de vue, et doublement, les mineurs des deux sexes.
D'abord, les mineurs ne peuvent prendre seuls ni par eux-mêmes les engagements qui résultent du contrat d'apprentissage: ils doivent être ou assistés de leur père ou tuteur ou représentés par lui; toutefois, pour ne pas donner lieu à des difficultés qui pourraient résulter de l'insuffisance actuelle de l'organisation de la tutelle au Japon, la loi ajoute une formule plus générale qui comprend « toute personne ayant autorité sur le mineur.”
La seconde protection accordée aux mineurs (elle n'est pas dans la loi française) c'est que leurs parents ou représentants ne puissent les engager comme apprentis au-delà du temps de leur minorité. Sans doute, si l'apprentissage a commencé tardivement, il ne pourra pas toujours être terminé à la majorité; mais il convient que le jeune homme, devenu civilement maître de choisir son métier ou sa profession, ne se trouve pas gêné dans sa détermination par un engagement pris en son nom plutôt que par lui-même: le maître ne souffrira pas de cette limite qu'il a dû connaître, et ce serait d'ailleurs pour lui un bien mauvais apprenti qu'un jeune homme faisant un travail qui lui déplaît.
Bien entendu, l'apprenti devenu majeur pourra renouveler le contrat et consentir à lui donner désormais une durée aussi lovgue qu'il lui plaira.
Art. 965. — 813. Il est désirable que les parties aient soin de régler par écrit le plus de points possible de la convention d'apprentissage, ou, si elles ne rédigent pas d'acte, elles feront bien de s'expliquer en présence de témoins sur ce que chacune devra faire en faveur de l'autre. Ce contrat, en effet, n'est pas, comme la plupart des autres contrats nommés, susceptible d'une portée générale ou commune qui se reconnaisse à la seule dénomination consacrée, comme la vente, le louage de choses, le prêt, où, une fois connus le genre et le nom du contrat, chaque espèce ne diffère guère des autres que par l'importance de l'objet ou de la somme due: ici les obligations respectives des parties peuvent être d'une variété infinie; elles ont donc besoin d'être bien précisées, à l'origine, pour que l'une des parties ne demande pas ce que l'autre pourrait aisément contester.
La loi, prévoyant la négligence des contractants permet d'y suppléer par l'application de l'usage local en cette matière, et, naturellement, c'est l'usage du lieu où s'exerce la profession du patron et non celui du domicile de l'apprenti: ce n'est pas à ce dernier de changer la règle de la maison où il entre, mais bien de s'y conformer.
Si la coutume locale est insuffisante, la loi elle-même supplée, ci-après, au silence des parties sur quelques points importants.
Art. 966. — 814. Cet article impose des obligations au maître ou patron; les deux suivants en imposent à l'apprenti.
Le patron ne donne pas de salaire à l'apprenti pour les services qu'il en reçoit; mais il est naturel qu'il le loge, le nourrisse et l'entretienne, ce qui comprend les vêtements, au moins ceux de travail ou d'usage journalier, et les soins pendant la maladie; la loi veut encore que le patron fournisse, au moins en prêt gratuit, les outils ou instruments du métier, toujours si la convention ou l'usage local n'y sont pas contraires.
Mais ce que le maître doit surtout à l'apprenti ce sont les moyens d'apprendre la profession, l'état ou le métier pour lequel le contrat est formé. Or, parmi ces moyens, il y a d'abord l'occasion de voir travailler le patron ou ses ouvriers, et cela, en les aidant: l'observation du travail des autres exige que l'apprenti ve soit pas constamment occupé lui-même, et séparément, à des ouvrages grossiers, faciles, qu'il pourrait recommencer indéfiniment, sans profit réel pour son avenir. C'est sur ce point qu'il est difficile de poser des règles générales dans la loi et même dans la convention; aussi, plus qu'en aucune autre matière, doit-on ici observer le principe que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi” (v. art. 350).
Par emprunt à la loi française, sur cette matière, la loi suppose que l'apprenti “mineur” ne sait pas encore exactement lire, écrire et compter; dans ce cas, elle oblige le patron à lui laisser chaque jour une heure au moins à consacrer à l'étude de ces trois rudiments essentiels de l'instruction civile: la lecture, l'écriture et le calcul élémentaire. En France, la loi ajoute l'instruction “religieuse”; on ne propose pas de l'ajouter ici, parce que l'instruction religieuse au Japon n'a pas un objet aussi déterminé, aussi distinct des études philosophiques et morales qu'en France et dans d'autres pays d'Europe: ce serait peut-être obliger le patron à laisser du temps à l'apprenti pour les études religieuses, pendant toute la durée de l'apprentissage; tandis qu'en France, l'éducation religieuse de la jeu. nesse a des limites plus faciles à déterminer et à atteindre.
C'est un peu parce qu'on ne mentionne pas cette branche d'études que l'on réduit ici à une heure par jour le temps que le patron doit laisser à son apprenti pour l'étude: en France, ce temps est de deux heures.
Remarquons enfin: 1° que cette heure par jour ne doit pas se prendre sur le temps de repos de l'apprenti: autrement, sa santé serait compromise ou l'étude serait sacrifiée; 2° que cette obligation ne peut être exclue par convention contraire.
Art. 967 et 968.—815. Voici maintenant les obligations de l'apprenti: comme il ne donne généralement pas de prix au patron pour l'enseignement professionnel qu'il reçoit de lui, il lui doit son travail et ses services. Mais il ne faut pas que ces services et ce travail soient dans un ordre de faits entièrement étrangers au métier ou à la profession qu'il s'agit pour Ini d'apprendre, comme des travaux domestiques ou de jardinage: autrement, son temps serait perdu et il arriverait tard et imparfaitement à la connaissance du métier auquel il se destine.
Cependant, ici encore, la convention doit s'exécuter de bonne foi et l'usage ordinaire des professions doit être considéré comme accepté tacitement par les parties. Ainsi, presque partout, les jeunes apprentis font des courses pour le patron: ils portent l'ouvrage fait et vont chercher l'ouvrage à faire, ou les matières premières employées par le patron; par exemple, un apprenti imprimeur porte les épreuves chez les auteurs ou chez les éditeurs; un apprenti tisserand porte les étoffes faites, soit chez ceux qui les ont commandées, soit chez les industriels qui doivent leur donner une nouvelle façon, telle que teinture, apprêt, glaçage. S'il s'agit d'un apprenti commerçant, il portera les objets vendus, il ira recevoir de petites sommes d'argent, etc.
Evidemment, ces courses n'instruisent guère l'apprenti dans le métier, mais elles sont la compensation de l'enseignement professionnel qu'il reçoit à d'autres moments. Il ne faut pas que le patron en abuse; mais il ne faut pas non plus que l'apprenti ou ses pareuts l'y refusent; ce refus ne serait permis que s'il avait été convenu que l'apprenti rétribuerait le patron en argent et ne ferait pas de courses an dehors.
C'est aussi un usage général que les apprentis entretiennent l'ordre et la propreté dans le magasin ou l'atelier: outre qu'ils s'en acquittent mieux que des serviteurs ordinaires, parce qu'il y faut des soins spéciaux, ils y apprennent aussi, pour l'époque où ils seront patrons à leur tour, comment un pareil établissement doit être entretenu.
816. Comme l'apprenti doit au patron un certain temps de son travail applicable aux travaux professionnels du patron, il ne faudrait pas qu'il en fût libéré sans l'avoir effectivement fourni; si donc, par maladie ou autre cause majeure, il y a eu interruption dans son travail et ses services, il doit prolonger d'autant son apprentissage.
Mais on ne pouvait pas admettre qu'il serait fait un compte journalier de l'emploi de son temps: la loi ne tient compte que des empêchements ayant duré un mois ou plus. En cela, elle est moins rigoureuse pour l'apprenti que la loi française qui tient compte des quinzaines.
Bien entendu, comme le dit le texte, on ne tient compte aussi que de 30 jours consécutifs; autrement, il faudrait tenir le compte journalier du travail, ce qu'on a voulu éviter.
La loi a soin d'exprimer qu'il ne s'agit que d'une maladie de l'apprenti ou d'une cause majeure provenant de lui, “ou de son chef,” comme la maladie d'un de ses parents; par conséquent, une maladie du patron suspendant le travail de l'atelier ne ferait pas prolonger le temps de l'apprentissage.
Art. 969 et 970.-817. Les causes qui mettent fin au contrat d'apprentissage sont de deux sortes: les unes y mettent fin de plein droit et par elles-mêmes; les autres doivent être soumises à la justice, laquelle peut, en les admettant, condamner à des dommagesintérêts la partie qui y a donné lieu.
Les premières causes sont au nombre de quatre.
I. La mort du patron met fin au contrat, non seulement quand cet événement fait cesser le fonctionnement de la maison commerciale ou industrielle et ainsi empêche que l'apprenti puisse continuer son instruction professionnelle, mais même lorsque la maison continue à fonctionner, soit dans les mains d'un associé, soit sous la direction de la veuve ou de l'héritier du patron; en effet, il est naturel de croire que la considération de la personne du patron a été une des causes déterminantes du contrat.
Il était moins utile de dire que le contrat prend fin par la mort de l'apprenti, car il ne pourrait être question d'obliger le patron à enseigner son métier ou sa profession à l'héritier de l'apprenti; mais il serait singulier aussi de n'indiquer qu'une personne dont la mort dissout le contrat, lorsqu'il y en a deux; enfin, il est bon que l'on dise que la dissolution par la mort de l'une ou de l'autre partie met licitement fin au contrat, de sorte qu'il n'y ait pas d'indemnité à donner de part ni d'autre; en effet, des quatre causes qui mettent fin au contrat, la troisième seule donnera lieu à indemnité, parce que c'est la seule où il y ait faute.
II. Le service militaire est une obligation publique et légale dont l'accomplissement doit primer toutes les obligations privées et volontaires; celui des contractants qui est appelé à ce service se trouvera donc libéré des obligations du contrat d'apprentissage. Le cas sera plus rare chez le maître que chez l'apprenti, à cause de l'âge.
Il pourrait arriver que l'engagement au service de l'un ou de l'autre des contractants fût volontaire; la loi ne fait pas entre l'engagement volontaire et le service militaire forcé la distinction que nous avons faite au sujet du louage de services (voy. p. 963, n° 796): comme il n'est pas à craindre que l'une des parties s'engage volontairement comme soldat ou comme marin, dans le seul but de se soustraire aux obligations nées du contrat d'apprentissage, il vaut mieux laisser, dans tous les cas, au service militaire, si méritoire aux yeux de la loi, l'effet privilégié ici indiqué.
III. La condamnation criminelle ou correctionnelle de l'un des contractants à une peine égale ou supérieure à trois mois d'emprisonnement est un obstacle évident à l'accomplissement des obligations respectives des parties, et comme, en même temps, il y a faute, le condamné sera passible de dommages-intérêts envers l'autre partie (voy. art. suivant).
IV. Généralement, c'est par la convention que sera fixée la durée du contrat d'apprentissage: le temps “fixé par la loi” comme mettant fin au contrat ne peut guère être que le temps où l'apprenti devient majeur (v. art. 961).
818. Dans les cas prévus à l'article 970, le contrat ne finit plus de lui-même et de plein droit: il faut une décision de la justice, obtenue sur la demande de la partie intéressée.
On trouve cinq cas de cette extinction par voie d'action.
I. L'inexécution des obligations a ici son effet ordinaire et ne demande pas de développement; nous remarquons seulement que lors même que l'inexécution proviendrait d'une cause majeure, comme une maladie ou un accident, la résolution ne serait pas moins possible, sous l'appréciation du tribunal; en effet, le contrat d'apprentissage appartient au louage de services réciproques, et il est dans la nature de ce contrat, comme du contrat de louage des choses, que celui qui doit les services soit garant de la jouissance ou des services promis, même contre les cas fortuits ou de force majeure, non pas, il est vrai, jusqu'à devoir une indemnité, mais jusqu'à s'abstenir de recevoir l'équivalent des services promis.
II. Les mauvais traitements du patron envers l'apprenti doivent s'entendre ici d'une façon très-large: ils comprendraient non seulement des voies de fait on une alimentation insuffisante, mais un excès de travail imposé à l'apprenti, soit comme durée journalière, soit comme nature de travaux; enfin, s'il s'agissait d'une fille mineure, les procédés blessants pour sa pudeur, même les mauvaises paroles, devraient être considérés comme rentrant dans les "mauvais traitements.”
III. L'inconduite de l'apprenti devra être “habituelle”: quelques écarts de conduite non renouvelés ou très-peu rapprochés ne suffiraient pas, en général; mais s'il s'agissait de détournements de valeurs ou de marchandises, il n'y aurait pas besoin de l'habitude, à moins qu'il ne s'agit de valeurs très-peu importantes.
IV. Quand le délit du patron ou de l'affranchi a été puni d'un emprisonnement de trois mois ou plus, avec ou sans travail obligatoire, la faute est assez grave, aux yeux de la loi, pour que le contrat d'apprentissage soit résilié de plein droit. Mais un délit moindre peut être suffisant pour motiver une demande en résiliation de la part de l'autre partie: c'est au tribunal à apprécier la nature de ce délit et l'influence qu'il peut avoir sur les rapports ultérieurs des parties.
V. L'éloignement du patron du lieu où devait s'exé. cuter la convention obligerait l'apprenti à s'éloigner avec lui du lieu où il a probablement sa famille ou ses protecteurs; c'est un préjudice anquel il ne doit pas être soumis sans son consentement.
818 bis. La loi termine en soumettant à des dommages-intérêts celui qui par sa faute a donné lieu à la résolution, et elle saisit cette occasion pour y soumettre aussi le condamné à trois mois d'emprisonnement dont parle l'article précédent.
Du reste, dans ces divers cas, c'est plutôt contre le patron (s'il est en faute) qu'il y aura lieu de prononcer les dommages-intérêts que contre l'apprenti, parce que celui-ci souffrira plus que le patron de la résolution du contrat: un patron remplace aisément un apprenti qui se conduit mal ou qui est malade.
On pourrait s'étonner de ne pas voir ici de résolution du contrat par la seule volonté d'une des parties, sauf indemnité pour l'autre; on doit admettre pourtant que le patron ne peut être absolument forcé de conserver un apprenti qui lui déplaît par son caractère ou qui lui est inutile; le patron peut aussi cesser d'exercer sa profession; de son côté, l'apprenti peut, de l'avis de sa famille, renoncer à la profession à laquelle il se destinait ou désirer changer de patron.
Quoique cet exercice de la liberté individuelle puisse ne pas toujours être légalement justifié, il ne peut cependant être empêché: il donnera lieu seulement à dommages-intérêts. Il n'est pas nécessaire d'ailleurs d'en faire l'objet d'une disposition spéciale: si les parties ne parviennent pas à une résiliation amiable, il y aura lieu à résolution en justice pour inexécution des obligations de l'une d'elles.
COMMENTAIRE.
Art. 971. — N° 819. Le louage de transport est une variété du louage de services: celui qui s'engage à transporter des personnes ou des choses est le bailleur ou locateur de services et l'autre partie en est le prepeur; mais, en fait, ces expressions sont peu usitées.
Le Code civil français (art. 1782 et suiv.) et le Code de commerce (art. 96 et s.) emploient l'expression de “voituriers par terre et par eau" pour désigner ceux qui font le transport par l'un ou l'autre moyen.
On emploie ici, de préférence, celle " d'entrepreneurs de transport,” bien qu'elle semble s'appliquer plutôt à ceux qui font les transports par métier ou profession qu'à ceux qui les font accidentellement et par occasion.
Comme cette distinction est importante, le premier article de cette matière commence justement par séparer les deux sortes de bailleurs de services pour les transports: il déclare que ceux qui font les transports "par profession” sont commerçants et, comme tels, sont soumis au Code de commerce. Cela n'exclut pas l'application des règles ici posées, parce que le Code de commerce ajoute plutôt au Code civil qu'il n'en retranche. Toutefois, si le Code de commerce contient plus tard quelque disposition incompatible avec cellesci, c'est le Code de commerce qui aura la préférence, pour deux raisons: la première, parce qu'étant promulgué plus tard (si nos prévisions se réalisent), il exprimera la nouvelle volonté du législateur, la seconde, parce que c'est un principe que "les règles spéciales dérogent aux règles générales” (specialia generalibus derogant); cette denxième raison est si forte qu'elle suffit et que si le Code civil n'était promulgué sur ce point qu'après le Code de commerce c'est encore le Code de commerce qui aurait la préférence pour ses spécialités.
Mais le Code de commerce n'aura vraisemblablement rien à retrancher ni à changer à ce qui va suivre: il y ajoutera peut-être quelque chose, de même que les règlements spéciaux sur la profession d'entrepreneur de transport.
Le présent article déclare "commerçantes” les compagnies de chemins de fer et de navigation; il ne dit rien du cas où un chemin de fer appartient à l'Etat. Dans ce cas, il ne serait pas exact de dire que l'Etat est commerçant, parce que le rôle de l'Etat est mul. tiple et que ce n'est pas sa fonction la moins relevée qui doit lui donner sa qualification; mais on doit dire que lorsque l'Etat effectue des transports moyennant une rétribution, il fait “acte de commerce" et que cet acte est soumis au Code de commerce et aux présentes dispositions, à moins que les règlements des chemins de fer de l'Etat ne statuent autrement.
820. Le dernier alinéa de cet article restreint ce que l'article 917, 2e alinéa, a dit d'une façon trop générale: le dépôt fait aux voituriers et bateliers n'est considéré comme dépôt nécessaire que lorsqu'il est fait à des entrepreneurs de transport ayant la qualité de commerçants; ce sont, en effet, les seuls dont les services s'imposent, en quelque sorte.
On pourrait dire cependant que l'expéditeur ou déposant ont, même dans ce cas, le choix de l'entrepreneur (à moins qu'il ne s'agisse d'un monopole), et que ce dépôt doit encore être considéré comme volontaire; mais il n'y a pas d'exagération à établir à ce sujet une assimilation entre les entrepreneurs de transport et les hôteliers et logeurs que l'on peut choisir presque toujours aussi et à l'égard desquels pourtant le dépôt est nécessaire (v. art. 917, 1er al.).
Du reste, ce n'est pas pour ces entrepreneurs un surcroît de sévérité que de les déclarer seuls dépositaires nécessaires: c'est plutôt un adoucissement de la condition des autres, de ceux qui font un transport par circonstance et non comme commerçants: pour ceux-là, on a eu toute facilité du choix, avec moins d'urgence dans la formation du contrat, par conséquent, on a pu se munir des preuves requises par le droit commun, et s'ils sont infidèles, il y a bien abus de confiance, mais sans aggravation (a).
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(a) Il serait facile, au moment de la révision de ce Projet, de restreindre de suite l'article 917 à la seule portée qu'il doit avoir: on ne ferait pas mention ici de cette limitation du dépôt nécessaire et l'on ajouterait seulement à la fin du 2e alinéa de l'article 917: “et lorsque leur entreprise est commerciale” (voir aux Additions). Le commentaire du présent alinéa serait alors transféré sous l'article 917.
Art. 972. — 821. Ici, comme les premiers mots du texte l'indiquent, il s'agit, non plus seulement des entrepreneurs de transport par profession, mais de “ toute personne qui se charge d'effectuer un transport de choses”; plus loin, on parlera du transport des personnes; on suppose que le transport ne se fait pas gratuitement (ce ne serait plus un louage de services), mais moyennant un prix ou salaire; ce prix peut être unique ou en bloc, un forfait; il peut être aussi à régler d'après les quantités à transporter, en poids, nombre ou mesure, ou d'après la distance à parcourir, lorsque ces éléments de fixation du prix ne sont pas encore connus; dans tous les cas, il faut toujours supposer que le prix est fixé pour une quotité et pour une distance servant de bases, de sorte qu'il ne restera plus qu'à multiplier ce prix par le total des quotités trouvées et des distances à parcourir: autrement, si ces bases mêmes n'étaient pas fixées, la convention ne se formerait pas, faute d'objet certain (v. art. 325).
En cet état, une fois le louage de transport formé, le locateur est déclaré par la loi tenu d'avoir pour l'objet à transporter les soins que doit à la chose d'autrui tout contractant à titre onéreux; ces soins que le Code français appelle ceux " d'un bon père de famille," on sait que le Projet les appelle ceux “ d'un bon administrateur” (comp. art. 354), expression qui n'a pas,
822. La conséquence directe du principe est que le locateur répond des pertes et détériorations provenant de sa faute ou de sa végligence; mais il y a à déterminer à qui incombe la preuve.
Au premier abord, on croirait que la faute ne se présume pas et que c'est au demandeur, c'est-à-dire à l'expéditeur, à la prouver; mais il est tout aussi paturel de ne pas présumer le cas fortuit ou la force majeure, et, quand on considère ce qui se passe ordinairement dans la réalité des faits, on voit que les choses qui ne sont pas sous la garde de leur propriėtaire périssent ou se détériorent plus souvent par la négligence du gardien que par cas fortuit ou par force majeure.
La loi impose donc ici au locateur du transport le fardeau de la preuve du cas fortuit ou de la force ma jeure: c'est comme si elle proclamait qu'il est présumé en faute, jusqu'à prenve contraire. C'est l'application de la règle générale posée aux articles 355 et 453. La loi n'ajoute pas que la perte ou détérioration, même prouvée avoir eu lieu par cas fortuit ou par force majeure, est à la charge du locateur s'il s'est chargé des cas fortuits on des risques, ou s'il est en demeure: ce sont là des règles générales qu'on ne peut reproduire à chaque occasion où elles sont applicables (voy. art. 355 et 562).
On pourrait, pour le même motif, objecter qu'il n'est pas plus utile de poser la règle que l'exception, puisque la règle elle-même est générale; mais nous répondons que l'article 972 est nécessaire pour introduire l'article 973 qui ne pourrait guère se présenter seul: il est la continuation d'un ordre d'idées par lequel il faut commencer.
Art. 973. — 8.:23. Il était utile de dire à quel moment commence la responsabilité de l'entrepreneur ou locateur de transport: le Code français s'en est expliqué également (art. 1783); mais il a négligé qu'elles distinctions ajoutées ici.
Pour que la responsabilité de l'entrepreneur commence, avec la sévérité portée à l'article précédent, il faut pon seulement que les choses à transporter soient effectivement placées sous sa garde, mais il faut encore que le contrat soit formé, fût-il conditionnel, c'est-àdire subordonné au mesurage ou à une “ vérification quelconque.” Nais s'il n'y a eu que des pourparlers, si l'expéditeur, sans avoir encore connu ou accepté les conditions du transport, a envoyé d'avance les objets, parce qu'il n'en avait pas l'emplacement, alors il serait trop dur de soumettre le locateur aux soins d'un bon alministrateur: il suffit qu'il apporte à ces objets les mémes soins qu'à ses propres affaires et pour donner à cette situation son véritable caractère, la loi dit que la remise anticipée des objets est “un dépôt volontaire.”
Art. 974. — 824. Ici, il ne s'agit plus du transport des choses mais de celui des personnes; le voiturier ou le batelier leur doit également des soins, mais d'une autre nature: il doit veilller à ce que la voiture ou le bateau soit en bon état de service et conduit par des préposés ayant les aptitudes nécessaires; il ne doit pas s'aventurer dans des chemins dangereux, soit par terre soit par eau, ou sans les instruments nécessaires à la sécurité du transport; quant à des soins médicaux ou domestiques à donner aux personnes, il ne peut guère en être question que dans les voyages au long cours, par mer, pour lesquels il est d'usage d'avoir sur les bateaux un médecin et des domestiques.
Etant donnée déjà cette manière d'entendre les soins dus aux personnes transportées, différente des soins dus aux choses, l'article nous présente deux autres différences en faveur du voiturier ou batelier:
1° Il n'est pas présumé en faute lorsqu'il arrive un accident aux personnes: c'est à celles-ci ou à leurs représentants à prouver sa faute et non à lui à prouver le cas fortuit ou la force majeure;
2° La responsabilité ne commence que lorsque les personnes sont entrées dans les voitures ou bateaux conduits par l'entrepreneur ou ses préposés.
La 1re différence est fondée sur ce que les personnes ne sont pas comme les choses, des êtres passifs, subissant la volonté, la direction, l'action ou l'omission de l'entrepreneur, et en même temps incapables de témoigner de ce qui s'est passé à leur égard: les personnes transportées peuvent, au contraire, protester contre les actes imprudents, aider souvent à prévenir les omissions ou négligences et, lorsqu'elles n'auront pu y réussir, elles pourront aisément fournir la preuve des torts de l'entrepreneur.
Le 2e différence repose un peu sur la même idée: tant que le voyageur ou passager n'est pas encore embarqué ou monté en voiture ou wagon, il peut éviter lui-même les dangers, il peut se retirer d'un lieu dangereux; au contraire, une fois en voiture ou en bateau, il ne peut plus se soustraire au danger, même il ve peut guère le prévoir et il ne le connaît, le plus souvent, que lorsqu'il en est victime.
Il faudrait, du reste, déclarer le voiturier ou le batelier responsable, lorsque le passager sera monté dans une barque ou chaloupe destinée à le conduire au navire d'embarquement, à travers un port ou une rade, comme cela a lieu à Yokohama; mais, bien entendu, si la barque ou chaloupe est conduite par des préposés de l'entrepreneur (v. art. suiv.).
Art. 975. — 825. Cet article, déjà appliqué par les deux articles précédents, n'est lui-même que la reproduction d'une règle générale écrite dans l'article 393. Ce n'est pas une raison pour la supprimer, dans une matière où, plus que dans toute autre, l'exécution du contrat nécessite le concours d'agents ou préposés.
D'ailleurs, comme on l'a souvent remarqué, l'application faite par la loi, de temps à autre, des principes fondamentaux, leur donne plus de relief et en assure d'avantage l'observation par les tribunaux.
Art. 976. — 826. La loi ne doit pas laisser une trop grande facilité à l'exercice du recours de l'expéditeur contre le voiturier, à raison des pertes ou avaries survenues aux choses transportées, et encore moins à raison du retard dans l'arrivée et la remise des objets.
Le présent article établit une fin de non-recevoir pour les pertes et avaries.
Les deux articles suivants règlent le mode d'indemnité, quand il y a lieu.
L'article 979 porte une fin de non-recevoir à raison du simple retard.
Lorsque le destinataire est prudent, il doit, au reçu des objets transportés, en vérifier la quantité et l'état, en présence du voiturier ou de son représentant, et lui faire reconnaître, s'il y a lien, le déficit on les avaries. Lors même que le voiturier soutiendrait que les choses, sont dans l'état où elles lui ont été confiées, il serait toujours utile de lui faire reconnaître l'état actuel, sauf à vérifier plus tard si cet état était ou non celui de la remise.
Si le voiturier se refuse à reconnaître l'état des objets, le destinataire ne devra en donner de reçu qu'en y insérant une “protestation” ou des "réserves de ses droits.” Mais si le destinataire n'a pas eu cette précaution, sa position est moins bonne: la loi présume que les choses lui ont été remises au complet et en bon état. Cette présomption n'est entière, du reste, que si, en outre, le prix du transport a été payé, lorsqu'il était à la charge du destinataire: le défaut de payement, dans la même hypothèse, équivaudrait à une protestation ou à des réserves.
827. La présomption dont il s'agit est simple, c'est-à-dire qu'elle admet la preuve contraire, et comme la loi n'exclut aucun genre de preuve contraire, on devrait les admettre toutes: notamment, le témoignage, l'expertise et les présomptions ou circonstances de fait.
Le Code de commerce français ne réserve pas la preuve contraire, si ce n'est celle “de la fraude on de l'infidélité" (art. 105 et 108); mais il y a là une trop grande rigueur.
En effet, le destinataire peut n'avoir pas été avisé en temps utile par l'expéditeur de l'envoi qui lui est fait, il ne se croira pas dès lors autorisé à ouvrir les caisses, ballots ou paquets, ne sachant si vraiment ils lui sont destinés; il ne pourrait, même procédant à cette ouverture, savoir ce qui doit s'y trouver et par conséquent, s'il y a déficit, ni en quel état les choses ont dû arriver; il peut n'être pas présent chez lui et ses serviteurs ou parents, non prévenus davantage, n'ont pu que donner un récépissé des objets, et il serait injuste de leur reprocher de n'avoir pas fait des protestations ou réserves.
Il faudrait de puissantes raisons d'ordre public, pour. établir ici une présomption absolue et invincible en faveur du voiturier et il n'y en a pas. D'ailleurs, le voiturier est déjà très-fortement protégé, du moment que la présomption sera en sa faveur et que la preuve contraire sera à la charge du destinataire ou de l'expéditeur.
828. Mais supposons que les objets reçus sans protestation ni réserves soient brisés dans les caisses ou ballots, ou détériorés par l'eau de mer ou de pluie: il est naturel que le destinataire ne soit pas privé du droit d'en faire la preuve par experts ou par témoins; le voiturier lui-même pourra, dans le même cas, reporter sur l'expéditeur la responsabilité de l'accident, pour vice d'emballage. Si, au contraire, l'emballage étant bon, les objets sont néanmoins brisés ou détériorés, ce pourra être la faute du voiturier qui aura laissé tomber d'une trop grande hauteur les caisses ou ballots débarqués, ou aura laissé exposés à la pluie ou aux vagues des objets craignant l'eau. Il y a là des questions de fait, plus ou moins faciles à résoudre et des responsabilités à examiner; ce qui importe, c'est que la loi, sons prétexte d'éviter des procès difficiles, ne ferme pas la voie à des recours équitables.
La loi d'ailleurs protège encore le voiturier en le mettant à l'abri desdits recours, si les caisses, ballots ou paquets ont été ouverts hors de sa présence ou de celle de son préposé. En effet, dans ce cas, lors même que les objets seraient brisés ou détériorés, il n'est plus possible de prouver avec certitude qu'ils l'ont été par vice d'emballage de la part de l'expéditeur ou par défaut de soins de la part du voiturier.
Toutefois, le recours reste possible si le destinataire ou l'expéditeur prouve que le voiturier a commis une fraude ou une infidélité: par exemple, il manque plusieurs des objets expédiés, le destinataire a eu l'imprudence de les sortir des caisses hors de la présence du voiturier, mais il arrive à découvrir que celui-ci possède ou a vendu quelques objets semblables (nous supposons, bien entendu, que ce ne sont pas des objets se trouvant dans le commerce courant, ou bien qu'ils ont quelque signe particulier), alors le voiturier retombe sous le coup de l'action en recours (sans préjudice des pénalités, s'il y a lieu), car, du moment que les caisses ou ballots ont été ouverts avant la livraison, le voiturier ne peut plus décliner la responsabilité des dégats ou du déficit.
Ce n'est que comme exemple que nous supposons le détournement commis par le voiturier, il faut décider de même dans tous les cas de la fraude d'un tiers qui engagerait la responsabilité du voiturier.
829. Cet article, on le voit, contient, en matière de preuve, plusieurs dispositions très-différentes et qui demandent une grande attention:
1° Présomption favorable an voiturier, résultant de la réception des objets et du payement du prix de transport par le destinataire, s'il est à la charge de celui-ci, en l'absence de protestations ou réserves, dans les deux cas (1er et 2e al.);
2° Possibilité de la preuve contraire, sans limites quant au mode de preuve (ibid.);
3° Refus de la preuve contraire, si les ballots ou paquets ont été ouverts hors la présence du voiturier ou de son préposé (3° al.);
4° Retour à la preuve contraire, mais seulement pour fraude ou détournement, audit cas de déballage hors la présence du voiturier (ibid.).
Art. 977. — 830. La constatation des déficits ou manquements aux objets ou aux quantités pourra souvent se faire par les parties elles-mêmes, contradictoirement; il n'en est pas de même des avaries ou détériorations: elle ne peut guère se faire que par des experts. Il est à désirer que les parties les nomment elles-mêmes, pour éviter les frais et lenteurs; dans le cas contraire, ils sont nommés par la justice: elle en nommera un ou plusieurs, suivant l'importance et la difficulté de l'expertise.
Art. 978. — 831. La détermination de l'indemnité à payer, par le voiturier ou batelier, au destinataire ou à l'expéditeur, donne souvent lien à de sérieuses difficultés: quand il n'y a que perte partielle ou détérioration, on peut encore, d'après ce qui reste, arriver à connaître la valeur de ce qui a péri; mais au cas de perte totale, il faut chercher les preuves ailleurs, et, lors même que l'expéditeur produirait des quittances de ventes se rapportant à des objets de la nature de ceux qui ont été envoyés, ce ne serait pas toujours une preuve suffisante de l'identité des choses expédiées; dans les deux cas, de perte totale et de détérioration ou d'avaries, le voiturer sera encore reçu à objecter qu'on ne l'a pas informé suffisamment de la valeur des objets à transporter; par exemple, si on lui prouvait que les caisses contenaient des bijoux ou des objets précieux, il pourrait objecter avec raison que, si l'expéditeur l'avait averti de leur valeur, il aurait pris des mesures spéciales pour les préserver d'accidents ou de vol. C'est à cause de ces soins exceptionuels que le transport des objets précieux ou de l'argent est sujet à un tarif plus élevé.
Pour éviter ces difficultés, les parties feront bien de déterminer d'un commun accord la valeur des objets à transporter: la déclaration de l'expéditeur acceptée par le voiturier suffira à cet effet; on pourra attacher la même force à la déclaration du voiturier portant qu'en cas de perte, il ne payera qu'une somme de “ tant” par caisse, ballot, poids ou mesure, lorsque cette déclaration sera connue de l'expéditeur; mais il ne suffirait pas qu'une telle déclaration fût imprimée sur des bulletins, lettres de voiture ou connaissements délivrés à l'expéditeur au moment de l'expédition et dont souvent il ne peut prendre connaissance avant le départ des objets.
Comme ce que la loi veut surtout épargner aux deux parties ce sont les surprises, les déchéances ou les charges inattendues, c'est dans le même but qu'elle veut que la valeur estimative donnée aux objets perdus ne dépasse pas les limites qui ont pu être prévues par le voiturier; mais, bien entendu, s'il était coupable de dol, il ne pourrait se plaindre que l'estimation dépassât ses prévisions; c'est l'application de la distinction déjà faite au sujet des dommages-intérêts dus pour inexécution des conventions et pour délits ou quasidélits (v. art. 390 et 405).
Art. 979. — 832. Le retard dans la remise des objets transportés est une autre sorte de dommage que les pertes ou avaries. Ce sera au destinataire ou à l'expéditeur à établir la nature et l'étendue de ce dommage. S'il n'y a eu que faute (et elle se présume), la réparation n'en sera due que dans les limites de ce qui pouvait être prévu par le voiturier lors de la convention; s'il y a eu dol (il ne se présume pas), la réparation pourra aller au delà de ce que le voiturier a pu prévoir, pourvu que le dommage soit une suite inévitable du retard (v. art. 405).
La loi doit permettre moins facilement les réclamations pour retard que pour avaries, aussi admet-elle que cettte réclamation soit rendue impossible si les objets ont été reçus sans protestations ou réserves.
Il y a là deux différences notables avec le cas de l'article 976:
1° La réception des objets suffit: elle n'a pas besoin d'être accompagnée ou suivie du payement du prix de transport;
2° Ce n'est pas par voie de présomption simple qu'elle crée une fin de non-recevoir contre la réclamation: la loi ne peut pas présumer qu'il n'y a pas retard, car il peut être évident; mais elle présume qu'il y a abandon de toute réclamation, comme si le retard n'était pas dommageable; aussi la loi dit-elle que la réception sans réserves" purge la faute de l'entrepreneur ou du voiturier."
Mais pour que le droit de réclamation à raison du retard soit ainsi perdu par le silence du destinataire, il faut que le délai ait été stipulé par lui ou, s'il a été stipulé par l'expéditeur (ce qui sera le plus fréquent), que celui-ci l'ait fait connaître au destinataire en temps utile; généralement, il aura reçu un avis à cet égard, le voiturier présentera avec les objets une lettre de voiture ou un connaissement portant le délai dans lequel les objets doivent être remis à destination.
Les Codes français (civil et commercial) sont insuffisants sur les réclamations à raison du retard.
Art. 980. — 833. La loi réserve ici des règlements administratifs spéciaux" existant déjà, et à intervenir, s'il y a lieu, au sujet des professions de voituriers publics par terre et par eau.
Les chemins de fer et les compagnies de navigation à vapeur ont déjà donné lieu au Japon à des règlements de ce genre et il y en aura certainement d'autres. Ils sont et seront applicables, par addition ou par dérogation à ce qui précède.
COMMENTAIRE.
Art. 981. — N° 834. La loi n'emploie pas ici les expressions du Code français “ Des Devis et Mar Sousentrepreneurschés”: la première, parce qu'elle ne présente pas à l'esprit un sens assez clair par lui-même, la seconde, parce qu'elle est trop générale et s'emploierait pour désigner beaucoup de contrats onéreux, autres que le louage d'ouvrage; ainsi, on pourrait très-bien dire qu'une vente, qu'une entreprise de transport, est un marché.
Ce qui caractérise le louage d'ouvrage ou d'industrie et empêche de le confondre avec le louage de services, c'est, comme le texte l'exprime: 1° qu'il s'agit d'exécuter un travail déterminé, 2° que le prix est fixé d'avance, à forfait.
Le travail à exécuter peut être industriel, en prenant ce mot dans un sens large, de manière à y comprendre les travaux où l'intelligence est associée à l'effort matériel pour une part plus ou moins large: par exemple, des constructions de bâtiments, des fabrications ou réparations d'objets mobiliers, des cultures, des copies, des écritures, et même de la comptabilité ou des traductions; il peut aussi être purement manuel (a), c'est-à-dire sans art, comme des terrassements, des charrois de matériaux, des démolitions, des plantations ou arrachages d'arbres, des récoltes de fruits.
Le prix alors, au lieu d'être fixé à raison de la durée du travail, par jour, par mois ou par an, comme dans le louage de services, est fixé d'avance, soit pour tout le travail convenu, soit pour ses diverses parties: par exemple, “tant par mesure, par nombre, ou par poids."
On dit quelquefois que ce contrat a deux caractères: que l'ouvrier donne ses services à loyer et qu'il prend à loyer l'ouvrage à faire; cette théorie, plus ou moins empruntée au langage du droit romain (locatio operarum, conductio operis) prête à la confusion et doit être abandonnée. Il vaut mieux dire que l'ouvrier est bailleur de l'ouvrage promis et que l'autre partie, qu'on appelle le maître, en est preneur.
835. Mais pour que la convention soit un louage d'ouvrage, il faut que l'ouvrier travaille sur la matière du maître ou preneur, soit qu'il s'agisse de fonds de terre à modifier ou de bâtiments à réparer, soit qu'il s'agisse d'un bâtiment à construire en entier avec les matériaux fournis par le maître, ou d'un vêtement à confectionner avec ses étoffes, ou de tout autre objet à créer avec la matière du maître.
Si, au contraire, l'ouvrier doit fournir la matière, alors il y a vente, et non pas seulement vente de la matière avec louage d'ouvrage, mais vente de l'objet confectionné. C'est pourquoi le texte dit qu'alors “la vente est conditionnelle”; elle est sous la condition suspensive de l'exécution de l'objet.
Ce caractère conditionnel de la vente est très-important à noter: si l'on disait que la vente est ferme et actuelle pour la marchandise ou la matière, dès qu'elle est choisie par le maître, comme chose certaine, celleci serait dès lors aux risques du maître devenu propriétaire: en cas de perte, le dommage serait pour lui et il en devrait le prix, quoique ne recevantr ien; or, ce résultat est considéré par la loi comme étant contraire à l'intention des parties. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait que les contractants s'en fussent espliqués ou que la vente de la matière eût été faite par un contrat distinct de la convention de louage, laquelle chargerait le vendeur du travail désiré.
Il peut arriver que le maître et l'ouvrier fournissent chacun une partie de la matière. Dans ce cas, pour doit rechercher quel est celui qui fournit le plus de matière, comme quantité ou comme importance: si l'ouvrier fournit plus que le maître, il y aura yente de l'ouvrage entier; dans le cas contraire, il y aura louage d'ouvrage absorbant la vente d'une partie de la matière.
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(a) Nous ne prétendons pas dire qu'il y ait des travaux pour lesquels il ne faille aucune intelligence; toujours il faut que l'esprit guide la main; c'est pourquoi on ne peut compter sur le travail manuel d'un fou.
Art. 982. — 836. Le présent article établit formellement la théorie des risques “ dans les deux cas spécifiés à l'article précédent," c'est-à-dire, tant lorsque la matière est fournie par le maître que lorsqu'elle est fournie par l'ouvrier.
Le principe est le même dans chaque cas et il est aussi le même pour la perte de la matière et pour celle de la main-d'œuvre: la perte est pour celui à qui appartient la matière et le travail fait.
Ier Cas. La matière appartenait au maître, il l'avait seulement livrée à l'ouvrier pour être façonnée; au cours du travail, la chose périt par cas fortuit ou par force majeure: la perte tombe sur le maître, comme si la chose avait péri dans ses mains ou chez un dépositaire, un locataire ou un mandataire; de même, le travail déjà fait sera perdu pour l'ouvrier, car il est loueur ou bailleur d'ouvrage, et il doit procurer le travail fait, avant d'en recevoir le prix.
II° Cas. La matière est fournie par l'ouvrier: la vente étant subordonnée à l'exécution de l'ouvrage, la propriété appartient encore à l'ouvrier, c'est donc pour lui qu'elle périt; quant à son travail, la solution est la même que précédemment et pour le même motif.
Mais il peut arriver que le travail ait été terminé avant l'accident. Il faut alors examiner si le maître était ou non en retard de vérifier le travail et de le recevoir.
S'il avait été informé de l'achèvement et avait négligé de le recevoir, ou si le travail avait été fixé pour un jour déterminé et si l'objet devait être retiré par le maître chez l'ouvrier et non livré par celui-ci chez le maître, dans ces deux cas, la perte serait pour le maître qui, outre qu'il n'aurait plus sa chose, devrait encore payer le travail. La solution serait la même, si l'ouvrage avait dû être reçu par parties et qu'une partie fût finie lors de la perte, avec retard du maître à en prendre livraison.
Au contraire, si c'était l'ouvrier qui fût en retard de livrer la chose ou de prévenir le maître de l'achèvement, il supporterait la double perte, parce qu'il en serait la cause indirecte, et même il pourrait être tenu de plus amples dommages-intérêts, si le maître établissait que, faute d'avoir eu la chose en temps utile, il éprouve une perte ou manque un gain assuré.
837. La loi suppose enfin qu'il y a eu seulement une perte partielle de la chose.
On a déjà rencontré plusieurs fois la question de perte partielle, notamment au cas de louage de choses (art. 158), d'aliénation conditionnelle ou alternative (art. 439 et 453), de vente (art. 748) et d'assurance (art. 841 et 862); le Projet ne doit pas, ici plus que dans les autres cas, laisser subsister l'incertitude qu'on trouve dans les autres législations, et il ne trouve pas suffisante la solution des jurisconsultes qui disent que “presque tout est considéré comme tout et presque rien comme rien”; il y a des pertes dont on ne peut dire ni qu'elles sont“presque totales,” ni qu'elles sont “presque nulles” et dont il faut régler les conséquences. Le système adopté ici est le même que celui des articles précités: si la perte est de plus de moitié elle est considérée comme totale; si elle est de moins de moitié, il n'en est pas tenu compte pour le règlement, à moins que l'une des parties ne soit en faute, auquel cas on applique cumulativement la théorie des risques dans le louage (art. 158) et dans la vente conditionnelle (art. 439 et 440) à laquelle le texte renvoie. recevoir par parties, pour ne pas encourir une trop longue ou trop grande responsabilité des risques, et aussi pour ne pas faire lui-niême une avance trop considérable de ses fonds. Il peut donc stipuler que le maître aura à vérifier et recevoir le travail par parties déterminées, avec ou sans payement desdites parties, Par exemple, s'il doit construire un mur ou un terrassement d'une grande longueur, il pourra stipuler que le travail fait sera reçu par chaque étendue de tant de kens; s'il doit construire une maison, il pourra faire la inême stipulation pour l'établissement des fondations, puis pour l'élévation de toute la charpente, y compris celle du toît: s'il doit fabriquer du thé, des porcelaines, des boîtes laquées, il pourra stipuler un règlement partiel, par poids ou par nombre.
Cette décision, limitée au cas où il y a vente conditionnelle de la matière par l'ouvrier, cesse si c'est la matière du maître qui périt pour partie: l'autre partie subsistant, quelle qu'elle soit, lui reste, et comme elle a reçu une façon qui en est inséparable et dont le maître peut tirer profit, il ne serait pas juste qu'il gardât ce profit sans indemniser l'ouvrier.
On peut citer l'exemple d'un mur à construire sur le terrain et avec les matériaux du maître, lequel mur aurait été, au cours du travail, renversé en partie par une inondation: la portion de mur qui resterait debout, qu'elle fût inférieure ou supérieure à la moitié, aurait toujours plus de valeur que les matériaux employés n'en avaient avant la taille et la pose.
838. On a supposé jusqu'ici que la chose a péri pár cas fortuit ou force majeure, et bien entendu, c'était à la charge de l'ouvrier de prouver le cas fortuit, d'après le principe général de l'article 563.
On peut supposer encore que la perte est arrivée par le vice propre de la chose (suo vitio). Si c'est l'ouvrier qui fournissait la matière, il subira toujours la perte, tant de la matière que de son travail, car il doit s'imputer d'avoir mal choisi la matière; mais si la matière était fournie par le maître, on devra distinguer si le vice était apparent ou facile à découvrir, au moment de la mise en couvre: dans ce cas, l'ouvrier serait en faute de n'avoir pas signalé le danger, et non seulement il perdrait tout droit au prix de son travail, mais encore il serait tenu d'indemniser le maître de la perte de la matière qui aurait pu recevoir un autre emploi sans périr.
Art. 983. — 839. Lorsque le travail commandé par le maître doit avoir une assez grande importance par sa durée ou son étendue, l'ouvrier a intérêt à le faire recevoir par parties, pour ne pas enconrir une trop longue ou trop grondo responsabilité dos risques, et atussi pour ne pas faire lui-même une avance trop considerable de ses fonds. Il peut dono stipnlcr que le maitre aura a vélifier et recevoir le travail par parties determinécs, avec on sans payment desdites parties. Par exemple, s'il,loit constrnire uu mur ou un terrnssemont d'une grnndo longueur, il pourra stipuler que le travail fait sera reçn par chaque etendue de tant de kens; s'il doit construire une maison, il pourra faire la même atipulntion ponr l'êlabliseomcnt des fondnlion puis pour l't1lévnlion do toute la clmrpcuto, y eompri colle dn toit: s'il doit fabriquer du thé, des porcelaines, les boites lnr1uéo!, il poorm stipuler un règlement, partiel, par poids ou par nombre.
La loi ne prévoit cette stipulation, comme naturelle et vraisemblable, que “lorsque le maître fournit la matière”; car si l'ouvrier était vendeur de la matière, il pourrait, à la rigueur, demander des à-comptes, au cours du travail, mais cela n'oterait pas à la vente son caractère conditionnel pour la totalité et ne préserverait pas l'ouvrier-vendeur de la responsabilité des risques, à moins de convention contraire.
La disposition du présent article a soin d'exprimer que la réception partielle décharge l'ouvrier des risques de son travail, lors même que la livraison n'en devrait pas être faite au maître avant l'achèvement total; il va de soi d'ailleurs que, tant que la matière reste dans les mains de l'ouvrier, il doit y apporter tous ses soins.
840. Le texte suppose ensuite que le maître, saus vérifier et recevoir formellement le travail partiel, a fait des avances de fonds à l'ouvrier ou lui a fait des payements à-compte au cours du travail. On n'admet pas ici la solution du Code français (art. 1791), lequel décide que les payements à-compte faits en proportion de l'ouvrage exécuté sont censés nne vérification et une acceptation de ce travail. Il nous semble qu'il y a là une exagération: il pourra très-bien arriver que le maître, prié par l'ouvrier de lui faire une avance sur le prix total du travail, lui en donne le quart ou la moitié, sachant ou croyant que le travail est déjà exécuté pour cette fraction, mais n'ayant pas le temps ni la possibilité d'en vérifier l'étendue et la qualité, et ainsi la présomption de la loi se trouvera souvent contraire aux faits. La loi aurait dû au moins réserver la preuve contraire et elle l'a omis.
Le Projet décide, à l'opposé, que les payements partiels ne suffisent pas, par eux-mêmes, pour faire présumer l'acceptation du travail: il faudra donc d'autres circonstances de fait pour arriver à cette présomption, par exemple, un examen plus ou moins minutieux du maître ayant précédé le payement.
Mais la loi arrive aussi à une certaine protection de l'ouvrier, si la chose a péri après cette sorte de payement: comme la vérification de la qualité du travail n'est plus possible, le maître ne répétera pas la partie de ses versements à-compte pour la partie correspondant à la quantité do travail fait, il ne répétera que ce qu'il aura donné au-delà de ce travail. La preuve testimoniale sera nécessaire, en pareil cas, pour établir à quel point en était le travail lorsque la chose a péri.
Ces deux solutions sont, en somme, plus favorables à l'ouvrier que celle du Code français, car 1° le maître sera plus dispose à faire des avances à l'onvrier, du moment qu'elles ne lui enlèvent pas le droit de critiquer et de faire améliorer le travail fait; 2° elles af. franchissent l'onvrier, en cas de perte, de l'obligation de restituer une partie des avances qui lui auraient été faites en bloc et sans rapport proportionnel exact avec le travail fait; il y aura seulement à faire, après la perte, un compte de ce qui était déjà dû; tandis que, d'après le Code français, si le maître a fait une avance qui n'était pas exactement en proportion du travail fait, il n'est pas censé avoir vérifié et reçu le travail partiel et il a droit de répéter toutes ses avances, de manière à ne supporter que la perte de sa matière.
Art. 984. — 841. Le Code français n'a pas accordé au maître la protection que lui donne le présent article; on peut donc décider, en France, que, sauf le cas de "construction à forfait d'un édifice,” réglé par l'article 1792, le travail le moins bien exécuté ne donnera pas lieu à réclamation, une fois qu'il aura été reçu. Cela n'est cependant pas conforme aux règles générales du louage, puisque le bailleur doit procurer, assurer, garantir au preneur la jouissance de la chose louée; sans doute, on a voulu prévenir des procès difficiles sur la malfaçon du travail après qu'il a été reçu; mais on devra, au moins, même en l'absence de texte, admettre les réclamations du maître, s'il allègue et est en mesure de prouver qu'il y a eu dol ou dissimulation des vices du travail, au temps où il a été reçu.
Notre article va plus loin, et sans mentionner le cas de dol qui est généralement sous-entendu, il accorde au maître le droit de revenir sur son acceptation, de la rétracter, en prouvant que le travail a des vices ou “défauts non apparents qui rendent la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée."
Cet article, ne concernant que les vices on défauts cachés du travail, est applicable aux immeubles aussi bien qu'aux objets mobiliers; mais pour les immeubles, il faut ajouter l'article suivant qui concerne la perte de la chose ou sa détérioration.
La loi devait fixer un délai très-court pour l'exercice de cette action: il a para tout naturel d'adopter le même délai (3 mois) que pour la garantie des défants cachés de la chose vendue: la loi l'exprime formelle ment quand il y a lounge, c'est-à-dire lorsque le travail est fait sur la matière du maître; et lorsque le travail est fait sur la matière de l'ouvrier, alors qu'il y a vente, la loi renvoie formellement à l'article 746 sur les vices cachés ou rédhibitoires de la chose vendue.
Bien entendu, ce délai réduit ne s'applique pas au cas de dol: dans ce cas, l'action durerait 5 ans, conformément au droit commun (v. art. 566).
Il fallait aussi fixer le point de départ du délai: ce n'est pas celui de la découverte du vice non apparent; parce que, du moment où il n'y a pas eu dol, l'ouvrier ne doit pas souffrir du retard que le maître aurait éprouvé a découvrir la malfaçon. Ce n'est pas non plus le jour de la prise de possession, parce que le maître peut avoir tardé à prendre livraison et l'ouvrier ne doit pas souffrir de la complaisance qu'il aura mise à garder la chose pour le maître.
Le délai court à partir de la réception de l'ouvrage entier et non pas de la réception partielle qui aurait pu être faite, bien que peut-être les vices cachés concernent cette partie.
Art. 985. — 842. La loi arrive au cas où le travail a un caractère immobilier, c'est-à-dire consiste en ouvrages faits sur le sol.
Il ne s'agit d'abord que d'ouvrages entièrement nouveaux et non de simples réparations, lors même qu'elles auraient le caractère de "grosses réparations” (voy. art. 91); c'est ce qui résulte du mot “construction" employé par le texte.
La loi ne prétend pas énumérer tous les ouvrages qui peuvent donner lieu à l'application du présent article; mais elle énonce les principaux, pour mieux faire comprendre la nature des travaux dont il s'agit. Elle ne se borne pas d'ailleurs à prévoir, comme dans l'article précédent, des vices non apparents, découverts plus tard et rendant la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée; il s'agit de conséquences plus sérienses de la malfaçon: les édifices ou constructions se sont écroulés, ont péri, en tout on en partie, ou ont subi des détériorations graves, et la cause en est, nou dans une force majeure, mais dans un vice de construction ou dans un vice du sol qui aurait dû être corrigé avant le commencement de la construction.
La responsabilité de ces accidents est mise par la loi à la charge de l'architecte qui a dirigé les travaux ou de l'entrepreneur qui les a exécutés.
Si le travail a été dirigé par un architecte, l'entrepreneur est déchargé de la responsabilité; si la loi mentionne l'entrepreneur, c'est pour le cas où il n'y a pas eu d'architecte occupé au travail,
Au sujet de la perte partielle on des détériorations, la loi n'exige pas qu'elles aient une importance déterminée; il faut au moins qu'elles soient “graves:" du moment qu'elles sont assez sérieuses pour être l'objet d'une réclamation et que la cause en est une faute de l'architecte ou de l'entrepreneur qui en a fait l'office, il est juste que l'indemnité en soit due.
La loi exprime aussi que la responsabilité est la même contre les constructeurs, soit qu'ils aient construit sur le terrain du maître ou sur un autre dont le maître était locataire, soit qu'ils aient construit sur leur propre terrain, pour livrer ensuite le bâtiment tout fait; enfin, la même responsabilité incombe à ceux qui ont fourni leurs propres matériaux et à ceux qui ont employé les matériaux du maître: dans ce dernier cas, si les matériaux étaient défectueux, ils doivent s'imputer de les avoir acceptés et employés.
843. Il fallait fixer la durée de cette responsabilité. Le Code français la fait durer 10 ans, sans distinguer les diverses natures de constructions: la solntion est simple par son uniformité, mais elle ne répond pas à la justice absolue.
Le Projet distingue ici trois sortes d'ouvrages:
1° Les terrassements, murs et autres ouvrages en terre, avec emploi de bois, de pierres ou de tuiles, pour lesquels la responsabilité dure deux ans. La condition qu'il y ait emploi de matériaux autres que la terre a pour but d'affranchir l'entrepreneur de la responsabilité à l'égard de simples chaussées ou talus faits en terre, avec revêtement de gazon, comme on en fait beaucoup au Japon; il pourrait cependant arriver que le talus fût trop droit, mal affermi et s'éboulat; mais c'est là un dommage peu importaut qui ne doit pas autoriser le maître à revenir sur son acceptation du travail, laquelle a le caractère d'une convention.
2° Les maisons, édifices ou bâtiments dont le bois est la matière principale, ce qui n'exclut pas des fondations ou assises en pierre pour les poutres maîtresses, et souvent une couverture en tuiles; ce sont là les constructions les plus fréquentes au Japon.
3° Eufin, les édifices, maisons on constructions quel. conques, en pierre ou brique, c'est-à-dire dont ces matériaux sont l'élément principal; la loi y ajoute les koura ou do-zô, maisons à l'épreuve du feu: elles sont souvent construites en terre seulement, mais dans des conditions exceptionnelles de solidité qui permettent de les assimiler aux bâtiments de pierre.
Cette distinction des constructions en trois classes a pour effet de graduer la durée de la responsabilité de l'entrepreneur à raison du temps que doivent durer les coustructions à l'état normal. La responsabilité durera: deux ans au 1er cas, cinq ans au 2° cas, et dix ans au 3: cas. Ce n'est pas à dire que ces divers ouvrages n'aient qu'une durée normale de 2, 5 ou 10 ans; mais c'est parce que, lorsque ces divers délais se sont écoulés sans accident, il est vraisemblable qu'il n'en surviendra pas qui soient dus à la faute de l'entrepreneur, c'est-à-dire à des vices de la construction on du sol, et il est bon que l'entrepreneur se sache déchargé à un moment donné, afin de pouvoir entreprendre d'autres travaux, sans trop d'inquiétude pour le passé.
Le point de départ de ces divers délais est la réception de l'ouvrage, comme dans l'article précédent; si le unaître tardait à vérifier et recevoir, l'entrepreneur le mettrait en demeure, pour faire courir le délai.
Art. 986. — 814. Le précédent article règle la durée de la responsabilité de l'entrepreneur, c'est-àdire le temps pendant lequel l'édifice doit rester stable et dans son état normal, sous peine d'indemnité par l'entrepreneur au maître. Il fallait aussi régler la durée de l'action, une fois qu'elle est née par la chûte ou la détérioration de l'édifice.
En France, ce point est l'objet de discussions. Deux articles du Code français consacrés à cette responsabilité (qui est de 10 ans, uniformément) laissent du doute sur la durée de l'action. Les articles 1792 et 2270 ne sont pas rédigés dans les mêmes termes, mais ils semblent présenter la même disposition, à savoir que l'entrepreneur est responsable de la chûte de l'édi. fice, si elle a lieu dans les 10 ans et si elle provient d'un vice de construction ou d'un vice du sol. Mais il n'est rien dit de la durée de l'action, une fois que la chûte de l'édifice lui a donné naissance.
Quelques auteurs ont prétendu que l'action ne dure que ce qui peut rester à courir des dix ans, au moment de la chûte de l'édifice, de sorte que, comme la chûte sera vraisemblablement tardive, l'action n'aurait plus qu'une très-courte durée, et pourrait même se trouver enfermée daus un délai insignifiant, si l'édifice tombait dans le dernier mois ou dans les derniers jours de la dixième année.
D'autres anteurs prétendent que la loi, dans ces deux articles différents, a fixé deux délais distincts de 10 ans, l'un pour la responsabilité de la chûte de l'édifice (art. 1792), l'autre pour la durée de l'action me fois née (art. 2270). Mais si l'on voulait soutenir, avec quelque raison, que les deux articles n'ont pas le même objet, il nous semble qu'il faudrait plutôt fonder la durée de l'action une fois née sur le premier article (art. 1792) et la durée de la responsabilité sur l'article 2270, car les termes de chaque article, s'ils n'ont pas voulu exprimer la même idée, se prêtent mieux à l'interversion des cas. En effet, dans l'article 1792, on suppose que l'édifice construit à prix fait périt par la faute de l'entrepreneur (on ve dit pas dans quel délai il périt), et l'on déclare l'entrepreneur responsable de cette perte, pendant 10 ans; cela semble dire qu'il peut être poursuivi pendant 10 ans, à raison et à partir de cette perte. Quant à l'article 2270, il porte évidemment que la perte survenue dans les 10 ans de l'achèvement (ou de la réception) est à la charge de l'entrepreneur, mais il n'exprime pas combien de temps durera l'action en indemnité.
Le plus grand nombre des auteurs n'admettant pas que les deux articles aient deux objets différents et ne pouvant croire que la durée de l'action puisse être réduite à ce qui resterait à courir des 10 ans lors de la chûte de l'édifice, sont d'avis que la prescription de 30 ans est la seule applicable à l'action une fois née, car c'est la durée ordinaire des actions auxquelles la loi n'assigne pas un autre délai.
845. Quoi qu'il en soit du système français, le Projet ne devait pas laisser cette question dans l'incertitude. Le 1er système a dû être écarté sans hésitation, car il faut que l'action, une fois née, ait une durée suffisante et toujours la même; or, le 1er système lui donnerait une durée plus ou moins longte, et quelquefois insuffisante, suivant que la chûte de l'édi. fice serait plus ou moins rapprochée de l'expiration des dix ans. Il y aurait inconvénient aussi à prolonger législativement la prescription jusqu'à treate ans après la chûte de l'édifice; car, après un long temps écoulé depuis cet événement, il sera bien difficile de prouver que la cause en est attribuable à la faute de l'entrepreneur.
On propose donc une prescription très-courte et avec une distinction de deux cas: ou il y a eu perte totale ou il n'y a eu que perte partielle on simple détérioration. Cette distinction influe à la fois sur le point de départ de l'action et sur sa durée. Au 1er cas, une fois la perte totale survenue, le droit d'agir en indemnité est né, est certain et a atteint sa plus grande étendue; la perte est donc le point de départ de la prescription et l'action dure un an. Au 2 cas, il y a déjà un droit d'agir, mais il pourra s'étendre arec l'aggravation de la détérioration: il n'y a pas lieu de forcer en quelque sorte le maître à agir en indemnité, parce que cette indemnité peut ne pas être encore definitive et qu'il serait très-difficile d'avoir à régler des indemnités successives. Le point de départ est donc l'expiration du délai pendant lequel l'entrepreneur est responsable (délai qui varie avec la nature du travail), et dans ce cas, une fois ledit délai expiré, il en commence un autre pour l'action, mais il n'est plus que de six mois.
Art. 987. — 846. La loi prévoit aussi que les plans peuvent avoir été modifiés au cours du travail; c'est là une source fréquente de contestatious dans lesquelles l'entrepreneur prétend faire modifier le prix de son travail, primitivement réglé à forfait.
Pour mettre le maître à l'abri de réclamations tra cassières et pour qu'il sache exactement à quoi il s'expose légitimement en demandant ou en consentant des changements an plan primitif, la loi veut que l'augmentation de charges qni en résultera pour lui soit fixée par écrit; ce qui exclut la preuve testimoniale, lors même que le Projet serait ultérieurement plus favorable à son admission en général que ne l'est le Code français.
Mais vous n'irons pas jusqu'à dire, comme tous les auteurs français, que, dans ce cas, l'aveu et le serment judiciaires seraient inadmissibles à suppléer à l'écrit: la loi peut être exigeante quant à la preuve, pour éviter des procès difficiles, mais elle n'a pas à refuser deux preuves qui ne présentent aucune difficulté ni incertitude, puisque le débiteur ne succombe que “s'il témoigne contre lui-même.”
La loi a bien soin de limiter cette exigence d'un écrit aux “modifications” au plan primitif et de no pas l'appliquer à des additions ou à des suppressions distinctes et formant une partie séparée en plus ou en moins.
La loi protége encore le maître, en refusant à l'entrepreneur le droit de décliner la responsabilité de la solidité des édifices sous le prétexte que les plans ont été changés: c'était à lui de les rejeter, ou si le maître entendait les lui imposer, il devait alors se faire donner par écrit une décharge de la responsabilité.
Art. 988. — 817. Il y a peu de contrats qui puissent se résoudre par la seule volonté d'une senle des parties; le louage des choses n'est pas de ce nombre. Mais pour le louage d'ouvrage, il y avait lieu de le placer dans l'exception, comme on l'a fait déjà pour le louage de services (v. art. 956).
En effet, il serait déraisonnable que le maître fût obligé de laisser exécuter un travail qui a cessé de lui être utile ou de lui plaire, ou qu'il se verrait dans l'impossibilité de payer.
Dans le cas où le travail se fait sur la chose du maître, il y a encore une raison de lui permettre de résilier le contrat, c'est qu'il doit pouvoir reprendre sa chose quand il lui plaît et dans l'état où elle est.
On a pu douter, en France, que la disposition de l'art. 1794, qui ne fait pas de distinction, fût applicable aussi au cas où l'entrepreneur fournit la matière, parce que, dans ce cas, le contrat a le caractère d'une vente conditionnelle et que la vente n'est pas susceptible d'être résiliée ou résolue par la volonté d'une seule des parties. Mais il est permis de répondre que le vendeur n'a pas ici d'intérêt légitime à se refuser à cette résolution, du moment qu'il en est rendu entièrement indemne, par le payement des matières déjà préparées, du travail fait, et du gain que devait lui procurer le contrat; aussi, la résolution sera-t-elle plus rare dans ce cas que dans le premier, à moins qu'elle ne soit demandée dans un temps assez rapproché du contrat pour que l'entrepreneur n'ait encore fait aucune dépense; il suffira, dans ce cas, de lui payer le gain espéré, ce qui lui ote toujours tout intérêt à se plaindre.
Quoi qu'il en soit de la solution à donner dans le Code français, le nouveau texte accorde formellement au maître le droit de résilier le contrat dans les deux cas, parce que, lors même qu'il y a vente de la matière, il y a toujours un travail que le maître doit pouvoir arrêter quand il en est temps encore.
Art. 989. — 848. La même faculté de résiliation n'est pas accordée à l'entrepreneur, parce qu'il n'y peut avoir un intérêt aussi légitime, et aussi parce qu'il ne pourrait pas indemniser le maître d'une façon aussi certainement complète et exacte: les avantages que le maître attend de l'ouvrage commandé ne sont pas toujours appréciables en argent, comme ceux que cherche l'entrepreneur.
Mais si la loi ne consacre pas pour l'entrepreneur un droit formel de résilier le contrat par sa seule volonté, c'est une faculté qu'elle ne peut lui enlever, en fait, parce que le débiteur ne peut jamais être contraint effectivement à l'exécution d'une obligation de faire (art. 402); or, nous sommes justement en présence d'une telle obligation. Ce n'est donc que par la crainte de forts dommages-intérêts que le débiteur de mauvaise volonté sera maintenu dans le respect du contrat.
Mais si le contrat n'est pas résoluble par la volonté de l'entrepreneur, il l'est par sa mort ou par l'impossibilité où il se trouverait d'exécuter le travail, au moins dans le cas où la personne même de l'entrepreneur ou de l'ouvrier auraient été, à cause de son habileté particulière, une considération déterminante du contrat.
Bien qu'ici la résolution ne soit pas due à une faute de l'entrepreneur, c'est lui qui en souffrira, en perdant d'abord son gain, puis la valeur du travail déjà fait, à l'exception de ce qui en constituera pour le maître un profit ou une utilité; il ne s'agit pas d'ailleurs d'une utilité absolue qui serait la même pour tout le monde, il s'agit d'une utilité dans l'ordre d'intérêts où le travail avait été commandé: c'est ce que la loi exprime en se référant “au but que le maître se proposait.”
Le motif qui fait mettre ainsi à la charge de l'entrepreneur ou de sa succession les conséquences de son impossibilité de travailler ou de sa mort, c'est que, dans le louage d'ouvrage, les risques, les cas fortuits, sont à la charge du bailleur, comme on l'a vu plus hant.
Il ne faudrait pas limiter cette solution et l'application de notre présent article au cas où le contrat est un par louage d'ouvrage, parce que le maître fournit la matière: il faut donner la même solution quand l'ouvrier fournit la matière, outre son travail, parce que, malgré le caractère de vente que la loi reconnaît au contrat, comme étant dominant, il y a aussi, accessoirement, un louage d'ouvrage dont la loi a déjà fait plus d'une application.
Art. 990. — 849. Il arrive souvent que l'entrepreneur, surtout pour les constructions, est obligé de faire lui-même des contrats de louage d'ouvrage avec des sous-entrepreneurs, pour l'exécution de diverses parties du travail; par exemple, il fera faire par l'un les terrassements, par un autre la taille et la pose des pierres, et de même pour la charpente, la couverture, la peinture, etc.
Ces contrats particuliers sout, au fond, de la même nature que le contrat principal ou, tout au moins, ils établissent entre les sous-entrepreneurs et l'entreprenenr principal des rapports semblables à ceux qu'ils créeraient avec le maître s'ils étaient faits avec lui. Ainsi, si l'entrepreneur leur fournit la matière, ils de font que lui louer leur travail: ils sont bailleurs vis-àvis de lui; si ce sont eux qui fournissent la matière, ils sont vendeurs; et, par cela même que le maître ne fouruit pas non plus la matière, celui-ci sera acheteur et non preneur.
Mais quel sera alors le vendeur ? Sera-ce l'entrepreneur principal ou seront-ce les sous-entrepreneurs?
La loi tranche la question comme le Code français (art. 1798), mais avec plus de netteté.
En principe, c'est l'entrepreneur qui est créancier du maître, soit qu'il y ait vente, soit qu'il y ait simple louage d'ouvrage, et il est, de son côté, débiteur envers les sous-traitants; mais si l'entrepreneur ne paye pas ceux-ci, ils peuvent agir, en leur proprenom, contre le maître, pour ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal. Ce n'est donc pas seulement par l'action indirecte ou oblique établie par l'article 359 (C. fr., art. 1166), mais c'est par une action “ directe,” comme notre article a soin de l'exprimer; de sorte que, lors même que l'entrepreneur serait insolvable, ils ne seraient pas obligés de subir le concours avec ses créanciers.
Il ne faudrait pas voir là une cession légale de la créance, ce qui serait une théorie, ingénieuse peut être, mais un peu imaginaire: les sous-entrepreneurs ont une cause personnelle de droit contre le maître, bien qu'ils n'aient pas traité avec lui: ils ont géré ses affaires, ils ont fait pour lui ce qu'un autre devait faire et ils lui ont rendu le même service que celui qu'il attendait de l'entrepreneur principal.
La loi donne le même droit aux simples ouvriers qui n'ont pas le caractère de sous-entrepreneurs.
Le Projet n'a pas reproduit la disposition de l'article 1797, C. fr., d'après lequel “l'entrepreneur répond du fait des personnes qu'il emploie”: il y a là un prin. cipe général qui a été posé dans l'article 393, et déjà souvent appliqué.
850. On trouvera au Livre Vo un privilége au profit de l'architecte on entrepreneur sur les immeubles qu'il a édifiés, améliorés ou réparés. Ce privilége a de l'analogie avec celui du vendeur, dont il sera traité au mème Livre.
N° 851. Le mot cheptel, en français, est ancien et vient d'un mot latin corrompu, capitale, dérivé luimême de caput, tête: il signifie donc “ têtes ou capital de bétail.”
La production du bétail est une telle source de ri. chesse que beauconp de peuples primitifs s'y livraient presque exclusivement, aussi les appelait-on "peuples pasteurs”: ils ne se fixaient que dans les contrées paturellement fertiles, et comme ils ne réparaient pas, par le travail agricole, l'épuisement du sol, ils se transportaient ailleurs avec leurs troupeaux, de sorte qu'ils étaient aussi, et presque nécessairement, des “peuples nomades."
Dans les temps modernes, l'élevage du bétail a deux avantages, au lieu d'un:
1° Il utilise, dans les campagnes, les végétaux qui croissent spontanément dans les terres vagues, au bord des chemins, et dans tous les lieux où la culture est impossible ou trop difficile, et déjà une valeur importante est créée presque sans efforts: les animaux, en se multipliant, contribuent à l'alimentation par leur chair et leur lait, au vêtement par leur toison et à l'industrie par leur peau et leurs os;
2° Dans les climats où les produits spontanés de la terre sont restreints à certaines saisons et dans les contrées où la terre a trop de valeur pour n'être pas entièrement mise en culture, il est nécessaire de nourrir le bétail avec des produits de la culture même; mais, là encore, le bétail compense et au-delà, par le fumier (sans compter le lait de chaque jour), ce surcroît de frais et dépenses; aussi est-il reconnu aujourd'hui, en Europe, qu'il n'y a pas de bonne culture sans bétail: le bétail qui est un produit de l'agriculture, devient, à son tour, un élément de production agricole: il est, tout à la fois, effet et cause de la richesse du sol.
852. Au Japon, il ne faut pas chercher ailleurs que dans l'absence presque complète de bétail l'insuffisance de production du sol: si la culture du riz y est à peu près ce qu'elle peut être, les autres cultures sont bien en retard sur celles de l'Europe, et la cause en est due en grande partie à l'absence de furnier de bétail (a).
C'est un spectacle aussi surprenant que pénible pour les étrangers, que de voyager des journées entières, au Japon, sans rencontrer un bænf ou une vache, et les villages n'offrent que de bien pauvres basses-cours (b).
Les essais d'acclimatation de bestiaux étrangers ont été très-coûteux et mal dirigés et il en est résulté pour beaucoup de propriétaires et d'administrateurs la conviction, mal fondée assurément, que le climat du Japon est impropre à la conservation et à la multiplication du bétail. On prétend notamment que le sol y est trop humide pour les montons et même pour l'espèce bovine; or, ce qui peut être vrai pour les vallées ne l'est pas pour les coteanx et les montagnes, et le Japon est un des pays où il y a le plus de coteaux et de montagnes, proportionnellement à son étendue; dans les parties humides même, il ne serait pas difficile d'élever du gros bétail, avec quelques précautions pour le logement des animaux: en France, la Normandie est une province des plus humides et c'est là pourtant qu'on élève les plus beaux beufs, les meilleurs vaches laitières et les chevaux de trait les plus robustes (c).
853. Nous espérons donc qu'un jour viendra où le Japon possèdera du bétail à l'égal des autres pays; mais, pour cela, il faut que la législation favorise ellemême, par de sages prévisions, les conventions que nécessitera cette nouvelle industrie.
Il arrivera, le plus souvent, que les paysans seront trop pauvres on trop peu entreprenants pour faire euxmêmes la dépense de l'achat de bestiaux, surtout taut qu'il faudra les faire venir de l'étranger; d'un autre côté, les riches qui pourront aisément mettre des capitaux dans l'achat du bétail ne se soncieront pas de le faire nourrir dans leurs propriétés, en achetant la plus grande partie de la nourriture des bêtes, et en payant de nombreux serviteurs pour soigner le bétail: ce serait un procédé coûteux, uue occasion de fraudes dans la gestion, ou tout au moins de négligences la rendant très-onéreuse, et le découragement de tarderait pas à paralyser les meilleures volontés.
Il faut donc prévoir que les capitalistes qui achèteront le bétail préfèreront le donner à bail, soit séparé. ment, soit conjointement avec des terres; dans le premier cas, on dira qu'il y a "bail à cheptel ou cheptel simple;" dans le second, il y aura “cheptel donné au fermier;" le preneur (cheptelier simple ou fermier) n'aura que la charge de garder, nourrir et soigner le bétail, ce qui lui demandera plutôt des fatigues et de la vigilance que des capitaux, et il aura pour profit une portion des produits.
Il pourra aussi se créer une sorte de société entre propriétaires d'animaux; ils formeront ensemble un fonds de bétail: l'un d'eux en aura la charge, c'est-àdire l'entretien et la nourriture, et les profits se partageront en proportion des mises et des soins donnés au fonds commun.
854. Nous croyons fermement que la loi doit, par sa prévoyance, inviter en quelque sorte les particuliers à ces entreprises modestes mais fécondes qui n'ont pas les séductions de l'industrie manufacturière, mais qui n'en présentent pas non plus les risques, les dangers et les déceptions.
Toutes les législations de l'Europe, anciennes et modernes, ont de nombreuses dispositions au sujet du bé. tail, en tant que pouvant être l'objet de contrats particuliers (v. spécialement C. civ. fr., art. 522, 524, 583, 616, 618, 1809 et s.).
Les règles qui vont suivre ne sont pas copiées sur celles du Code français: non seulement celles-ci ne sont pas à l'abri de la critique en France, mais elles auraient des inconvénients particuliers au Japon.
On signalera, chemin faisant, les principales différences entre le Code français et le Projet japonais et les motifs de ces différences.
Disons encore quelques mots sur la nature des conventions qui vont nous occuper.
Elles ont assurément la nature du bail ou louage, et c'est ce qui explique que le Code français ait traité des cheptels dans le Titre du Louage. Mais le partage du croît et de la laine entre le bailleur et le preneur lui donne aussi un certain caractère de société et même l'une des combinaisons du contrat est une véritable société, au moins pour la partie principale, avec un élément de louage seulement.
Il y a d'ailleurs quelque chose d'assez particulier dans ce louage: on y nomme “ bailleur" celui qui fournit le bétail et “preneur" celui qui le reçoit; mais, à un certain point de vue, le preneur, fournissant ses soins et son travail, pourrait être considéré comme bailleur ou loueur de ses services.
Ces particularités et la spécialité de la matière du contrat justifient un Chapitre spécial.
Pothier aussi, l'auteur dont les rédacteurs du Code français se sont le plus servis comme modèle, traitait des cheptels séparément du louage.
Nous aurons trois Sections distinctes:
1° Le cheptel simple ou bail à cheptel proprement
2° Le cheptel donné au fermier on au colon partiaire;
3° Le cheptel à moitié ou en société.
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(a) Ce n'est pas ici le lieu de disserter sur les meilleurs modes de culture et sur l'influence des divers engrais.
Les Romains qui étaient d'excellents agriculteurs, comme les Italiens de nos jours, attachaient tant d'importance au fumier de bétail que, pendant longtemps, on admit que celui qui avait l'usage d'un troupeau devait se contenter de l'employer “à fumer son champ" (ad stercorandum agrumi); ce n'est qu'après des hésitations qu'on lui accorda le lait nécessaire à lui-même et à sa famille.
(b) Le lapin domestique est à peu près inconnu au Japon; l'au. teur de ces lignes a même vu, il y a 14 ans, paraître un singulier règlement de police défendant l'élevage de cet utile animal: on voulait par là arrêter “ un agiotage effréné" sur cette innocente créature encore fort rare alors au Japon. Nous avons conseillé, tout au contraire, de donner des primes aux éleveurs, pour faire cesser ce prestige de la rareté. Il n'y a pas eu de primes, les peines sont tombées en désuétude, mais avec l'élevage même du lapin. Les chasseurs regrettent aussi l'absence au Japon du lapin sauvage dit de garenne; mais au moins l'agriculture en profite.
(c) Une circonstance qui contribuera puissamment, croyonsnous, à l'élevage du bétail au Japon, comme à l'introduction de la vigne européenne, de l'olivier et de plusieurs autres sources de production et de richesse agricoles, sera l'admission des étrangers à la possession du sol (quand elle pourra se faire avec soumission complète de ceux-ci aux lois et à la juridiction japonaises): les Japonais prendront alors, par les exemples qu'ils auront sous les yeux, des leçons gratuites d'agriculture et de toutes les industries qui s'y rattachent, et ils reconnaîtront que leur sol n'est inférieur à aucun autre.
COMMENTAIRE.
Art. 991. — N° 8.:55. Ce premier article indique:
1° La nature du contrat appelé cheptel simple (a);
2° Les objets sur lesquels il peut porter;
3° Les droits qu'il confère à chacune des parties.
La nature est une combinaison du bail ou lounge de choses et du louage de services: celui qui fournit les animaux est le bailleur, celui qui les reçoit est le preneur ou cheptelier, et, au lieu de payer en argent sa part de jouissance, il la paye en soins et sevices.
L'objet du contrat, ce sont des animaux de rapport et non de par agrément: la loi ne se borne pas à nommer les bestiaux, ou le gros ou petit bétail, ce qui ne comprendrait que les bæufs, les vaches, les moutons et les chèvres: elle nomme, en outre, les chevaux, ce qui s'entend des jeunes poulains encore impropres au travail et des étalons et juments destinés à la reproduction; cela comprend aussi les mulets et mules, les înes et ânesses, trop peu répandus au Japon; enfin, la loi énonce “les animaux de basse-cour," ce qui, dans le langage rural, signifie les porcs, les oies, les dindes, les canards, les poules, etc. Il sera rare, sans doute, que l'on donne des poules à cheptel, mais ce ne sera pas aussi rare pour les oies qui demandent plus de soins et dont le duvet forme un produit qui récompense les soins qu'elles demandent.
Enfin, les droits respectifs des parties sont ceux-ci: le bailleur reste propriétaire de tout le cheptel; il a droit d'exiger que la garde, la nourriture et les soins soient fournis à ses animaux, et il conserve un droit à la moitié du croît, c'est-à-dire des petits (non des duvets et de la laine, du crin, des poils, plumes et aufs); de son côté, le preneur, en retour des soins et de la nourriture qu'il donne, acquiert un droit à la moitié du croît et des autres produits sus-énoncés; de plus, il a seul la totalité des produits secondaires énoncés au 20 alinéa.
Dans le système du Projet, le bail à cheptel, comme Jouage de choses, donne au preneur ou cheptelier un droit réel, un droit sur ou dans la chose louée (jus in re); à ce titre, il semble qu'il aurait dû prendre place au Livre II°, à la suite du Louage ou Bail de choses; mais on l'a placé ici parce qu'il constitue, du côté du preneur, un louage de services (1); en outre, le caractère de société qu'il revêt quelquefois est encore une raison pour le placer dans le Livre où il est traité de ce contrat.
856. Le Projet ne détermine les droits respectifs des parties qu'en l'absence de conventions particulières, lesquelles pourraient donner plus ou moins au preneur. A cet égard, le présent article paraît s'écarter notablement du Code français (art. 1811) qui limite beaucoup la liberté des conventions, dans le but reconnu de préserver de la rapacité du bailleur le preneur généralement pauvre et ignorant. Or, il semble que notre article expose le preneur au danger de subir toutes les conditions du bailleur; mais il n'en est rien: le cheptelier est, au contraire, beaucoup mieux traité ici que dans le Code français. En France, le cheptelier répond pour moitié de la perte partielle des animaux, même quand elle a lieu sans sa faute; la loi défend seulement qu'il se soumette à une perte plus forte que n'est sa part éventuelle de profits dans le croît et la laine. Or, le Projet lui est bien plus favorable encore, en le préservant de toute participation à la perte fortuite, lors même qu'il s'y soumettrait expressément par convention.
Le système du Code français, reproduit de l'ancien droit, est singulier et fâcheux pour le cheptelier: celuici est exposé à perdre ce qui ne lui appartient pas et, par conséquent, il lui faudra payer en argent une part du cheptel qui aura péri par cas fortuit; or, le cheptelier n'aura guère d'argent disponible et cette obligation sera sa ruine; elle est d'autant moins admissible qu'elle a lien sans convention; elle a, en même temps, un caractère aléatoire: c'est une sorte d'assurance du cheptel mise à la charge du cheptelier en faveur du propriétaire. Loin d'établir cette assurance, légalement et sans convention, le Projet défend de la faire même par convention (v. art. suiv., 2e al.).
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(a) En français, le mot cheptel désigne aussi bien le contrat de louage qui nous occupe que les animaux formant l'objet du contrat; ainsi, quand on dit “douner à cheptel” cela exprime le onaye; quand on lit que le cheptel a peri” on parle des animaux formant l'objet du contrat.
La même observation sur le double sens d'un même mot a été faite au sujet du dépôt (v. p. 867, note a); on pourra la faire aussi au sujet du gage.
(b) Il est intéressant de rappeler que, tandis que dans le louage des choses la contre-valeur à fournir par le preneur est ordinairement un prix en argent, dans le bail à cheptel, cette contre-valeur est une prestation de services par rapport à la chose. On pourrait faire une observation analogue au sujet du bail à colonage ou à parts de fruits (v. art. 142 et 146): le preneur paye en peines et soins à la chose la part de fruits qui lui revient.
Art. 992. — 857. Le 1er alinéa de cet article fait au preneur l'application du droit commun: chacun répond de sa faute, et il va sans dire que l'on ne pourrait s'en affranchir par convention. Il n'est pas nécessaire même que la faute soit directement et immédiatement la cause de la perte du cheptel: une négligence antérieure dont les conséquences naturelles, bien qu'éloignées, auraient été la perte totale ou partielle du cheptel, serait à la charge du preneur.
Le 22 alinéa est expliqué ci-dessus: le preneur ne pent se faire assureur du cheptel; or, la responsabilité des cas fortuits serait une assurance, sans prime équivalente.
Le 3e alinéa accentue encore la différence du Projet avec le Code français. Dans ce dernier Code, comme le preneur répond de la perte partielle, même fortuite, l'estimation a une importance, sinon plus grande, au moins plus fréquente. Dans le Projet, elle ne servira qu'à fixer l'indemnité au cas de faute.
Mais, ici encore, la loi protége le preneur: il est possible que le cheptel ait subi, postérieurement à l'estimation, des dépréciations de valeur ou des diminutions de têtes dont le preneur ne serait pas cause, et il serait inique que cette estimation ne fût pas redressée. Le redressement du prix d'estimation peut étre demandé par les deux parties; mais une nouvelle différence est établie entre le preneur et le bailleur: tandis que le preneur peut demander le redressement après la perte totale, comme après la perte partielle, le bailleur ne peut le demander après la perte totale: le motif de cette inégalité du droit des parties est facile à saisir: le bailleur étant plus éclairé, plus en état de veiller à ses intérêts et plus maître d'être exigeant, n'aura pas dû négliger de faire constater en présence du preneur les augmentations de valeur survenues au cheptel, tandis que le prenenr n'aura pas souvent connu son droit et aura encore moins osé le faire valoir, tant que la contestation au sujet de la perte n'aura pas été élevée.
Art. 993. — 858. La règle posée par cet article rappelle celle de l'article 60, au sujet du droit de l'nsufruitier d'un troupeau, lequel n'acquiert le croît qu'à charge de tenir le troupeau au complet.
Il n'y a pas besoin de justifier cette décision: il est clair que si le troupeau n'était pas tenu au complet, le preneur ne gèrerait pas en bon administrateur (en bon père de famille, comme le veut l'article 1806 du Code français) (c).
Comme le cheptelier n'a droit qu'à la moitié de la laine et des autres produits analogues qui ne se recueillent qu'une fois par an, il ne doit pas procéder à la tonte ou aux autres opérations semblables sans en avoir prévenu le bailleur, afin que celui-ci puisse y être présent ou s'y faire représenter.
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(c) On n'a pas inséré ici d'article spécial à ce sujet, parce que cette obligation est imposée au preneur d'une manière générale (v. art. 151.)
Art. 994. — 859. Il sera désirable que les parties fixent elles-mêmes la durée du bail à cheptel; mais, si elles ne l'ont pas fait, il est bon que la loi lui assigne une durée raisonnable. Le Code français la fixe à trois ans (art. 1815), ce qui paraît trop long, surtout pour le petit bétail et encore plus pour les animaux de bassecour qui ne vivent pas longtemps. Il ne faut pas non plus que la liberté contractuelle des parties soit entravée pendant plusieurs années sans nécessité.
Pour ne pas entrer dans des distinctions trop détaillées sur les diverses espèces d'animaux, le Projet donne à ce bail une durée uniforme d'un an; ce sera un peu court, sans doute, pour le gros bétail; mais comme on se trouve en présence d'une industrie encore peu connue au Japon, il vaut mieux que les engagements soient courts, avec facilité de renouvellement.
C'est par la même raison que si, par convention, les parties ont fixé un délai plus loug, le preneur peut résilier son engagement après ce délai d'un an: cette faveur accordée au cheptelier et non au bailleur, est fondée sur ce que la partie la moins éclairée peut n'avoir pas prévu tous les inconvénients des charges qu'elle a acceptées et qu'il vaut mieux lui permettre de se retirer loyalement que de remplir, de mauvaise volonté et incomplètement, des engagements qu'elle trouve trop lourds.
La loi devait aussi prévoir et régler la tacite récono duction, par analogie du louage ordinaire des choses (comp. art. 159).
Le Code français n'a pas statué ici sur la tacite réconduction, mais on décide qu'elle s'opère pour trois nouvelles années, parce que le nouveau bail se trouve n'avoir pas de durée fixée par les parties (v. art. 1815).
Art. 995. — 860. Il peut arriver que le cheptelier soit, en même temps, preneur d'un fond rural appartenant à un autre propriétaire; or, celui-ci pourrait croire que le bétail est la propriété de son fermier et prétendre le considérer comme son gage pour le payement des fermages. Pour éviter ce résultat qui serait justifié par la bonne foi du bailleur du fonds rural, la loi française (art. 1813) veut qu'il soit informé par le bailleur ou par le preneur du bétail que le cheptel n'appartient pas à ce dernier.
Le Projet se contente de la bonne foi du bailleur du fonds; il n'exclut d'ailleurs aucun moyen de connaissance par lui de la propriété du cheptel, comme pouvant le constituer en état de mauvaise foi.
COMMENTAIRE.
Art. 996. — N° 861. Le Projet s'écarte encore ici très-notablement du Code français.
D'après l'article 1821 de ce Code, lorsque le bailleur d'un fonds rural donne au fermier des bestiaux pour l'exploitation, celui-ci, par cela seul que le bétail est estimé, en devient non pas propriétaire mais responsable, et doit, nonobstant la perte fortuite, rendre des bestiaux de même nature et valeur, ce qui fait appeler ce bétail “cheptel de fer," comme étant indissolublement lié au bail ou au fonds.
Dans le Projet, le bétail ainsi livré au fermier n'est pas plus à ses risques que les autres instruments d'exploitation: les risques restent à la charge du propriétaire. On ne voit pas de raison de s'écarter du droit commun: toutes les variétés du Code français en cette matière, déjà peu satisfaisantes en France, ve feraient, au Japon, que troubler les idées de droit et de justice et mettre obstacle à la mise en pratique de cette nouvelle industrie.
Le bail d'animaux donnés au fermier devient dès lors un bail accessoire du bail rural, et la conséquence toute naturelle est qu'il a la même durée; c'est une première différence avec le bail à cheptel simple, c'est aussi la raison pour laquelle il n'en porte plus le nom; mais il n'en reste pas moins sonmis aux mêmes règles, sauf les dispositions des articles suivants.
Art. 997. — 862. Le ferinier a tous les produits da bétail, le croit, la laine, le lait; toutefois, il n'acquiert définitivement le croit qu'après avoir complété le trou. peau ou le nombre d'animaux qu'il a reço, en supposant que des bétes ont péri ou sont devenues hors d'usage.
A la différence du cheptelier simple, le fermier peut se charger des cas fortuits et devenir ainsi assureur du bétail. Le Projet se rapproche ainsi da Code français, avec cette différence que, tandis que dans le Code français cette assurance a lieu de droit, ici elle n'a lieu que par l'effet d'une convention expresse.
Art. 998. — 863. Ici, ce n'est plus à un fermier proprement dit que le cheptel a été livré, mais à un colon partiaire, c'est-à-dire que ce n'est plus à un preneur qui gagne tous les fruits et produits du fonds, moyennant un prix annuel payé en argent, mais à un preneur qui n'a qu'une part des produits et qui paye cette jouissance par ses soins au fonds, tels que culture, travaux, entretien.
Naturellement, le colon partiaire qui a reçu un cheptel de bétail n'aura que la moitié du croît et de la laine, ou, plus exactement, il aura dans le croît et dans la laine, “ la même quote part que dans les autres fruits;" or, si le partage se fait ordinairement par moitié, cette mesure n'est pas essentielle et les parties peuvent la régler autrement: par exemple, un tiers au propriétaire et deux tiers au colon, ou inversement. Le texte permet d'ailleurs de ne pas observer la même division au sujet du croît et de la laine qu'au sujet des fruits du fonds.
Le colon a tout le laitage, d'après le droit commun des cheptels; mais il ne sera pas rare que le bailleur s'en fasse attribuer une petite quantité pour ses besoins et ceux de sa famille; en effet, les parties ont à faire des partages fréquents des fruits du fonds, leurs rapports sont fréquents à ce sujet, et le partage du lait ne sera pas une complication.
Ce que la loi ne permet pas c'est que le colon partiaire se charge des cas fortuits au sujet du cheptel: du moment qu'il y a une sorte de société entre les parties, il ne serait pas juste que l'un des associés assumât une responsabilité qui ne serait pas compensée par des avantages correspondants (comp. art. 786).
Art. 999. — 864. Qu'il s'agisse de bail à ferme ou de colonage, le cheptel étant fourni au preneur "pour l'exploitation" du fonds loué, celui-ci ne doit pas vendre les fumiers, ni employer au dehors le travail des bæufs ou chevaux.
COMMENTAIRE.
Art. 1000. — N° 865. C'est avec intention que l'on exprime dans l'intitulé même de la Section qu'il s'agit ici d'un “cheptel en société”: cela met bien en relief la différence de ce cheptel avec les deux autres, et il est d'autant plus nécessaire d'accentuer ici le caractère de société que dans les cheptels précédents, le partage du croît et de la laine qui s'y rencontre donne déjà au contrat une certaine apparence d'association des intéressés.
Ici le cheptel n'est pas fourni par une partie à l'autre: il est fourni par l'une et l'autre, à la fois, pour former un fonds commun.
En France, c'est presque toujours par moitié que le cheptel est fourni par chacun; de là son nom vulgaire de “cheptel à moitié;" si on ne le lui conserve pas ici et si on propose de l'appeler “cheptel en commun,” c'est parce que rien n'empêchera les parties de faire des mises inégales, et s'il y a plus de deux intéressés, les parts seront nécessairement différentes de la moitié.
Si la gestion et l'entretien du fonds commun étaient eux-mêmes à la charge de tous les intéressés, on serait alors en présence d'une société ordinaire à laquelle s'appliqueraient toutes les règles de la société civile: mais ici, l'entretien et la garde du cheptel sont confiés à un seul qui est, à ce point de vue, bailleur de ses services, car on ne peut l'appeler preneur du cheptel.
Il résulte de cette circonstance quelques particularités qui séparent ce contrat de la société propre. ment dite et le rapprochent du bail à cheptel simple.
Le partage du croît et de la laine en proportion des mises est une règle de la société. Il en est de même de la perte fortuite ou par force majeure supportée dans la même mesure, et il serait conforme, tout à la fois, aux règles de la société et à celles du bail à cheptel simple de ne pas permettre de transporter sur un seul des contractants le risque de la perte fortuite du troupeau, soit totale, soit partielle (v. art. 786).
Mais le profit exclusif du lait, du fumier et du travail des bêtes, pour celui qui en a l'entretien, est une règle du bail à cheptel, tirée elle-même de ce qu'il emprunte quelque chose au louage de services.
S'il y a lieu d'apprécier le degré de soins dus par le gardien et de la responsabilité de ses fautes, c'est encore parce qu'il est bailleur de ses services qu'on lui appliquera, à cet égard, les règles du bail à cheptel et non pas celles de la société qui sont moins rigoureuses (v. art. 780).
Nous faisons observer, en terminant, que ce renvoi à l'article 780 prouve que nous ne croyons pas qu'il faille considérer le gardien du cheptel comme le gé. rant d'une société ordinaire, ce qui le soumettrait à Ja responsabilité ordinaire d'un mandataire (comp. art. 772 et 935): il faut plutôt voir dans sa prestation de soins au bétail un apport supplémentaire de services dont la rénumération est dans les menus produits qui ne se partagent pas.