SECTION II.
DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
§ I. DE L'EMPHYTÉOSE.
Art. 155. La loi ne permet pas, pour l'avenir, que les emphytéoses aient une durée plus longue que 50 années.
Les nouvelles emphytéoses seront surtout utiles pour mettre en culture les terres en friches ou incultes.
Il est clair qu'en pareil cas, les fermiers ont besoin d'être encouragés par la perspective d'un bail à longue durée: autrement, ils n'auraient pas la récompense de leurs peines et de leurs frais de défrichement.
D'un autre côté, le bail ne doit pas avoir une durée indéfinie, parce qu'il priverait le propriétaire ou son héritier de la libre disposition de la chose, au préjudice de l'intérêt général qui demande la facile circulation des biens; en outre, la redevance, ne pouvant être augmentée pendant la durée du bail, deviendrait presque toujours inférieure au prix normal des baux à ferme; le preneur ou son héritier eux-mêmes pourrait souffrir d'une trop longue durée du bail.
Le délai de 30 ans est assez long pour permettre au preneur de tirer un profit sérieux des terres qu'il aura défrichées; le délai de 50 ans est un maximum que la loi ne permet de dépasser qu'au moyen d'un renouvellement, lequel, fait en connaissance de cause par les parties, et à de nouvelles conditions, s'il y a lieu, n'a plus les inconvénients d'un engagement pris trop longtemps à l'avance; d'ailleurs, à quelque époque que le bail soit renouvelé, il ne durera jamais plus de 50 ans depuis le renouvellement.
Si les parties ont stipulé un plus long délai, le contrat ou le renouvellement ne sera pas nul, mais seulement réduit au terme permis par la loi. Il était nécessaire de le dire, car dans les contrats onéreux, les clauses prohibées ont souvent pour effet de vicier le contrat (v. art. 413). Ici cela eût été d'une rigueur exagérée.
On verra plus loin (art. 157) que l'emphytéose suit les règles du bail ordinaire, lorsqu'il n'y est point dérogé spécialement.
Une de ces règles est relative à la tacite réconduction, lorsque, la durée du bail étant expirée, le preneur est resté et a été laissé en possession de la chose louée (art. 151). Cette règle s'appliquera à l'emphytéose, laquelle continuera aux mêmes conditions que les précédentes, sauf la durée qui cessera par un congé; et comme la loi n'augmente pas l'intervalle entre le congé et la sortie, on appliquera ledit article 151.
Les droits des tiers seront d'ailleurs respectés conformément à l'art. 147.
A l'égard des contrats antérieurs à la mise à exécution de la présente disposition et ayant le caractère de baux perpétuels, la loi fait une distinction qui permettra de tempérer le principe de la non-rétroactivité des lois en faveur de l'intérêt public qui se trouve engagé ici.
1° Pour les baux de terres en friches ou incultes, auxquels les parties n'auront pas assigné de durée déterminée ou qu'elles auront qualifié “Eigosaku” , la loi réserve au législateur le droit de prendre dans l'avenir, pour les réduire, telle mesure qui lui paraîtra commandée par les circonstances: il est bon d'y préparer les exprits, car ce sera une nécessité très probable;
2° Les baux, au contraire, auxquels les parties avaient assigné une durée déterminée, même supérieure à 50 années, seront respectés et il est à croire qu'ils ne seront jamais atteints pour une loi future, à cause de leur moindre inconvénient.
La loi annonce ainsi à l'avance que le principe général de la non-rétroactivité des lois pourra ici recevoir une atteinte. Mais il est reconnu que ce principe n'est pas constitutionnel et qu'il peut toujours recevoir une atteinte par la loi, dans des cas exceptionnels et graves. Or, ici, l'exception sera très nécessaire et légitime. La règle de la non-rétroactivité est fondée sur le respect des droits acquis sour l'empire d'une ancienne loi. La loi nouvelle les respecte absolument, lorsque l'emphytéose établie avait dès l'origine une durée fixée: les parties en ont fait la loi de leur convention. Mais quand l'emphytéose a été stipulée perpétuelle, les parties ne peuvent avoir absolument compté sur la perpétuité qui est si peu dans l'ordre des choses humaines. Si la loi future ne permet de mettre fin aux emphytéoses stipulées perpétuelles qu'après un temps très long, 50 ans, par exemple, elle aura satisfait à la justice et à la raison.
Du moment que l'emphytéose est une sorte particulière de bail, il se présentera, peut-être fréquemment, une question dans la pratique, à savoir: à quel signe reconnaîtra-t-on que les parties ont entendu faire un contrat d'emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire?
D'abord, si les parties ont donné au contrat son nom légal, il n'y aura pas de difficulté. Mais, si elles ont négligé cette précaution, les tribunaux ne pourront décider la question que par les circonstances.
La durée du bail sera une indication importante: si le bail est fait pour plus de 30 années, il y aura présomption que les parties ont voulu établir une emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire, puisque le bail ordinaire ne peut excéder cette durée; s'il s'agit de terres en friches ou incultes, la présomption sera encore fortifiée Mais si, dans le contrat, se trouvent certaines clauses qui ne se rencontrent que dans le bail ordinaire, par exemple, sur la garantie de jouissance, on devra décider que les parties ont voulu faire un bail ordinaire et la durée en sera réduite à 30 ans. Dans le doute, on devra encore décider que les parties ont fait un bail ordinaire; car l'emphytéose restera toujours une exception et les exceptions ne se présument pas: elles doivent être prouvées par la partie intéressée.