Art. 195 et 196. Le prêt à usage commence une série de trois contrats où l'une des parties rend à l'autre un service gratuit et que, pour cette raison, on nomme contrats “de bienfaisance”: les deux autres sont le dépôt et le mandat.
Cette première Section, consacrée à la “nature du contrat,” nous apprend :
1° Que le contrat ne se forme pas par le seul consentement : il est, comme le prêt de consommation, un contrat réel, formé par la chose même, c'est-à-dire par sa remise ou sa livraison (voy. Liv. des Biens, art. 299).;
2° Que le contrat peut avoir pour objet des immeubles autant que des meubles, ce qui n'était pas le cas du prêt de consommation ;
3° Que la restitution doit se faire de la chose prêtée elle-même, “identiquement et en nature” et non dans son équivalent, ce qui est une autre différence avec le prêt de consommation ;
4° Que le temps pendant lequel l'emprunteur peut conserver la chose peut être fixé tacitement ;
5° Que le prêt à usage est essentiellement gratuit, à la différence du prêt de consommation, qui devient onéreux lorsqu'il est à intérêts;
6° Que l'emprunteur n'acquiert pas le droit réel d'usage, mais seulement une créance ou un droit personnel contre le prêteur ;
7° Que le contrat ne prend pas fin par la mort du prêteur et que son héritier doit le réspecter jusqu à l'expiration du temps fixe ;
8° Qu'au contraire, il prend fin en principe, par la mort de l'emprunteur et que son héritier doit rendre la chose avant le temps fixé, à moins qu'il ne soit prouvé par lui que le prêteur avait entendu lui en laisser l'avantage éventuel.
9° Enfin que, lors même que le contrat prend fin par la mort de l'emprunteur, son héritier peut obtenir un délai pour se procurer l'usage d'une chose semblable, en justifiant, bien entendu, qu'il éprouverait un préjudice sérieux de la privation immédiate de l'usage de cette chose.
Chacun de ces caractères du contrat ne demande que de courtes explications et justifications.
Nous les reprendrons rapidement dans le même ordre.
I. Le contrat réel et non purement consensuel ; en effet, son principal objet est de permettre d'user ; or, on ne peut pas user d'une chose avant de l'avoir à sa disposition ; il oblige aussi l'emprunteur à conserver la chose avec soin et à la restituer an temps convenu ; or, on ne peut “conserver et rendre” que ce que l'on “a reçu.”
Ce n'est pas à dire que la promesse purement consensuelle de prêter à usage serait sans effet, mais ce serait un contrat innommé, et il différerait tellement du prêt à usage que les rôles seraient renversés: ce serait le futur prêteur qui devrait conserver la chose (par exemple, ne pas l'aliéner ni prêter à un autre) et ensuite la livrer ; le prêt ne commencerait que quand la promesse de prêter serait accomplie et le premier contrat exécuté.
II. Les immeubles pouvant servir sans être détruits, peuvent évidemment être prêtés à usage, comme ils peuvent être loués; au contraire, ils ne pourraient être l'objet d'un prêt de consommation.
A l'égard des meubles, la loi n'exige pas que la chose “ne se consomme pas par 1 usage " ; sans doute, en ne prêtera guère à usage des choses dont on ne peut user qu'en les consommant, comme le riz, le bois, le charbon, parce que l'usage de ces choses, sans consommation, ne consisterait pins qu'à les détenir et à les montrer ; mais cependant cela pourrait quelquefois suffire à l'emprunteur et il y a des cas où un marchand empruntera des marchandises, des denrées, dans le seul but de garnir ses magasins, au moment où il ouvre un commerce et lorsqu'il n'a pas encore eu le temps de s'approvisionner; alors il sera bien entendu entre lui et le prêteur qu'il ne les vendra pas. Un changeur pourrait ainsi emprunter des monnaies étrangères d'or ou d'argent, pour garnir son étalage et cependant l'or et l'argent sont des choses dont on n'use, en général, qu'en les aliénant.
C'est l'inverse de ce qui a lieu pour le prêt des consommation : on peut prêter de cette façon, et pour être consommées ou aliénées par l'emprunteur, des choses non fongiblcs de leur nature, ou des choses qui ne se consomment pas par le premier usage, comme des meubles d'appartement, des outils, des chevaux ; l'emprunteur, après les avoir détériorés, usés ou vendus, en rendra de semblables, ou, au moins, d'aussi semblables que possible.
Tout, en cette matière, dépend de la façon dont less parties ont entendu que l'emprunteur userait. Toutefois, la nature de la chose aura toujours une réelle influence sur la nature du prêt : elle fera présumer que le prêt est à usage quand la chose ne se consomme pas le premier usage, et, au cas contraire, que le prêt est de consommation.
III. L'obligation de restituer la chose identiquement et en nature est la conséquence de ce que l'emprunteur à usage n'a pas le droit de consommer la chose prêtée.
IV. Il est naturel que le délai pendant lequel l'emprunteur pourra conserver la chose ne soit pas nécessairement exprimé et qu'il puisse être considéré comme tacitement fixé, lorsque l'emprunteur a fait connaître au prêteur la nature et l'étendue du besoin qu'il avait de la chose. Ainsi, quand on prête des étais ou poutres de soutènement, pour la réparation d'une maison, il est clair que c'est pour la durée encore incertaine de ladite réparation ; de même, si l'on prête un cheval ou une voiture pour un voyage ou un transport déterminé, ce sera pour le temps nécessaire audit voyage ou transport.
V. Un des carctères les plus saillants du prêt à usage c'est sa gratuité : elle est essentielle, c'est-à-dire que si l'emprunteur fournissait un avantage comme équivalent, le contrat changerait de nature et de nom : il deviendrait onéreux, et il constituerait un louage, si l'équivalent consistait en argent, ou un contrat innommé, si l'équivalent consistait en toute autre chose.
Il ne faudrait pas conclure de la gratuité du prêt à usage qu'il soit soumis aux règles plus ou moins restrictives des donations.
D'abord, il n'est pas soumis à aucune solennité de forme : l'avantage procuré par le prêteur à l'emprunteur le prive très-peu, en général, et c'est toujours pour un temps très-limité ; ce serait rendre impossible la plupart des prêts que de les soumettre à une forme lente et plus ou moins coûteuse.
Il ne faut pas non plus exiger du prêteur la capacité plus ou moins exceptionnelle requise chez le donateur ordinaire, toujours à cause de la faible privation qu'il s'impose et en considérant aussi que, si la loi était trop sévère à cet égard, les incapables de prêter ne trouveraient pas eux-mêmes à emprunter à usage quand ils eu auraient besoin.
En Europe, on admet généralement que les mineurs émancipés et les femmes mariées ayant l'administration de leurs biens peuvent valablement prêter et, à plus forte raison, emprunter à usage.
Mais les mineurs non émancipés et les interdits ne peuvent pas prêter, ni même emprunter : prêter, parce qu'ils se nuiraient, en se privant d'un usage qui peut leur être nécessaire, emprunter, parce qu'ils pourraient encourir une certaine responsabilité quant à la garde de la chose.
VI. On aurait pu croire, à cause du nom même du contrat de prêt â usage, que l'emprunteur acquiert le droit réel d'usage (ou d'habitation, s'il s'agit d'une maison), droit dont traitent les articles 110 à 114- du Livre des Biens ; il n'en est rien : l'emprunteur n'acquiert qu'une créance ou droit personnel contre le prêteur ; il y aurait, en effet, de grands inconvénients à rendre opposable aux tiers, même avec la publicité nécessaire, s'il s'agissait d'un immeuble, un droit essentiellement temporaire et souvent d'une très-courte durée.
VII et VIII. Le principe général que “celui qui s'oblige oblige aussi son héritier” (v. Li v. des Biens, art. 338) reçoit ici son application ordinaire, à l'égard du prêteur. Si la loi s'en explique, c'est pour marquer l'opposition avec ce qui concerne les héritiers de l'emprunteur.
Plusieurs Codes étrangers ne font pas de différence entre le décès de l'emprunteur et celui du prêteur : dans un cas comme dans l'autre, ils maintiennent les effets de la convention, pour et contre l'héritier, jusqu'à l'expiration du temps fixé. On pose ici, en règle, que le décès de l'emprunteur met fin à ses droits et qu'ils ne passent pas à son héritier : la nature gratuite du contrat, son caractère essentiellement temporaire, la confiance qu'il nécessite chez le prêteur, permettent de le considérer, de la part de celui-ci, comme consenti “en vue de la personne même de l'emprunteur” ; mais le contraire pouvant arriver aussi, la loi permet à l'héritier de prouver que le prêteur a voulu rendre service aussi la famille ; par exemple, si la chose prêtée était une maison spacieuse prêtée à l'emprunteur. pour habiter avec sa famille pendant la reconstruction de sa maison incendiée.
IX. L'obligation pour l'héritier de rendre la chose prêtée avant que l'usage en ait. été complété pourrait, dans certains cas, lui être très-onéreuse ; la loi lui permet donc de demander et d'obtenir du tribunal un délai modéré, de façon à pouvoir se procurer, avant la restitution, une chose semblable ou au moins qui lui suffise : ce n'est pas nuire au prêteur, car le décès de l'emprunteur est un fait sur l'époque duquel il n'a pu avoir une prévision certaine.