Art. 890 et 891. -N° 693. Rappelons d'abord ce qui a été dit au Chapitre précédent, que ce n'est pas sans motif que l'on a ici interverti l'ordre des prêts tel qu'il se trouve établi dans le Code français: on a placé le prêt de consommation en première ligne, parce qu'il a pour objet de transférer la propriété à l'emprunteur, tandis que le prêt à usage ne donne pas même un droit réel d'usage: il ne donne qu'un droit de créance, comme l'exprime notre article 891. Le prêta usage commence la série des contrats qui ont ce même caractère, laquelle se continue jusqu'à la fin de la Ire Partie du présent Livre, sauf ce qui est dit du bail à cheptel, à l'article 992.
En même temps, le prêt à usage commence une série de trois contrats où. l'une des parties rend à l'autre un service gratuit et que, pour cette raison, on nomme contrats " de bienfaisance: " les deux autres sont le dépôt et le mandat.
Le nom de " commodat " que porte aussi en Europe le prêt à usage est introduit ici dans la loi, mais il ne sera pas employé davantage, parce qu'il est moins clair et moins précis (a).
694. Cette première Section, consacrée à la " nature du contrat," nous apprend:
1° Que le contrat ne se forme pas par le seul consentement: il est, comme le prêt de consommation, un contrat réeZ, formé r e, " par la chose même," c'est-àdire par sa remise ou sa livraison (voy. art. 320);
2° Que le contrat peut avoir pour objet des immeubles autant que des meubles, ce qui n'était pas le cas du prêt de consommation;
3° Que la restitution doit se faire de la chose prêtée elle-même, " identiquement et en nature " et non dans ' son équivalent, ce qui est une autre différence avec le prêt de consommation;
4° Que le temps pendant lequel l'emprunteur peut conserver la chose peut être fixé tacitement;
5° Que le prêt à usage est essentiellement gratuit, à la différence du prêt de consommation, qui devient onéreux lorsqu'il est à intérêts;
6° Que l'emprunteur n'acquiert pas le droit réel d'usage, mais seulement une créance ou un droit personnel contre le prêteur;
7° Que le contrat ne prend pas fin par la mort du prêteur et que ses héritiers doivent le respecter jusqu'à l'expiration du temps fixé;
8° Qu'au contraire, il prend fin, en principe, par la mort de l'emprunteur et que ses héritiers doivent rendre la chose avant le temps fixé, à moins qu'il ne soit prouvé par eux que le prêteur avait entendu leur en laisser l'avantage éventuel;
9° Enfin que, lors même que le contrat prend fin par la mort de l'emprunteur, ses héritiers peuvent obtenir un délai pour se procurer l'usage d'une chose semblable, en justifiant, bien entendu, qu'ils éprouveraient un préjudice sérieux de la privation immédiate de l'usage de cette chose.
695. Chacun de ces caractères du contrat ne demande que de courtes explications et justifications.
Nous les reprendrons rapidement dans le même ordre.
I. Le contrat est réel et non purement consensuel; en effet, son principal objet est de permettre d'user; or, on ne peut pas user d'une chose avant de l'avoir il, sa disposition; il oblige aussi l'emprunteur à conserver la chose avec soin et à la restituer au temps convenu; or, on ne peut Il conserver et rendre " que ce que l'on Zt a reçu."
Ce n'est pas à dire que la promesse purement consensuelle de prêter à usage dût être sans effet, mais ce serait un contrat innommé, et il différerait tellement du prêt à usage que les rôles seraient renverses: ce serait le futur prêteur qui devrait conserver la chose (par exemple, ne pas l'aliéner ni la prêter à un autre) et ensuite la livrer; le prêt ne commencerait que quand la promesse de prêter serait accomplie et le premier contrat ~ exécuté.
II. Les immeubles pouvant servir sans être détruits, peuvent évidemment être prêtés à usage, comme ils peuvent être loués; au contraire, ils ne pourraient être l'objet d'un prêt de consommation.
A l'égard des meubles, remarquons que la loi n'exige pas, comme le Code français (art. 1878), que la chose " ne se consomme pas par l'usage; " sans doute, on ne prêtera guère à usage des choses dont on ne peut user qu'en les consommant, comme le riz, le bois, le charbon, parce que l'usage de ces choses, sans consommation, ne consisterait plus qu'à les détenir et à les montrer; mais cependant cela pourrait quelquefois su-ffire à l'emprunteur, et il y a des cas où un marchand empruntera des marchandises, des denrées, dans le seul but de garnir ses magasins, au moment où il ouvre un commerce et lorsqu'il n'a pas encore eu le temps de s'approvisionner; alors il sera bien entendu entre lui et le prêteur qu'il ne les vendra pas; les Romains disaient dans ce cas, et on repète encore après eux, qu'un tel prêt est ad pompam et ostentationem, " pour le luxe et pour la montre." Un changeur pourrait ainsi emprunter des monnaies étrangères d'or ou d'argent, pour garnir son étalage (usage plus européen que japonais) et cependant For et l'argent sont des choses dont on n'use, en général, qu'en les aliénant.
C'est l'inverse de ce que nous avons signalé pour le prêt de consommation: on peut prêter de cette façon, et pour être consommées ou aliénées par l'emprunteur, des choses non fongibles de leur nature, ou des choses qui ne se consomment pas par le premier usage, comme des meubles d'appartement, des outils, des chevaux; l'emprunteur, après les avoir détoriorés, usés ou vendus, en rendra de semblables ou, au moins, d'aussi semblables que possible.
Tout, en cette matière, dépend de la façon dont les parties ont entendu que l'emprunteur userait. Toutefois, la nature de la chose aura toujours une réelle influence sur la nature du prêt: elle fera présumer que le prêt est à usage quand la chose ne se consomme pas par le premier usage, et, au cas contraire, que le prêt est de consommation.
III. L'obligation de restituer la chose identiquement et en nature est la conséquence de ce que l'emprunteur à usage n'a pas le droit de consommer la chose prêtée.
IV. Il est naturel que le délai pendant lequel l'emprunteur pourra conserver la chose ne soit pas nécessairement exprimé et qu'il puisse être considéré comme tacitement fixé, lorsque l'emprunteur a fait connaître au prêteur la nature et l'étendue du besoin qu'il avait de la chose. Ainsi, quand on prête des étais ou poutres de soutènement, pour la réparation d'une maison, il est clair que c'est pour la durée encore incertaine de ladite réparation; de même, si l'on prête un cheval ou une voiture pour un voyage ou un transport déterminé, ce sera pour tout le temps nécessaire audit voyage ou transport.
V. Un des caractères les plus saillants du prêt à usage c'est sa gratuité: elle est essentielle, c'est-à-dire que si l'emprunteur fournissait un avantage comme équivalent, le contrat changerait de nature et de nom: il d6 viendrait onéreux, et il constituerait M?t louage, si l'équivalent consistait en argent, ou un contrat Ínnommé, si l'équivalent consistait en toute antre chose.
Il ne faudrait pas conclure de la gratuité du prêt à usage qu'il soit soumis aux règles plus on moins restrictives des donations.
D'abord, il n'est pas soumis à la forme solennelle qui est exigée généralement par les lois étrangères et dont on adoptera sans doute quelque chose au Japon (b): l'avantage procuré par le prêteur à l'emprunteur le prive très peu, en général, et c'est toujours pour un temps très limité; ce serait rendre impossible la plupart des prêts que de les soumettre à une forme lente et plus ou moins coûteuse.
Il ne faut pas non plus exiger du prêteur la capacité quelque peu exceptionnelle requise chez le donateur ordinaire: c'est toujours à cause de la faible privation qu'il s'impose et en considérant aussi que, si la loi était trop sévère à cet égard, les incapables de prêter ne trouveraient pas eux-mêmes à emprunter à usage quand ils en auraient besoin.
En France, on admet généralement que les mineurs émancipés et les femmes mariées ayant l'administration de leurs biens peuvent valablement prêter et, à plus forte raison, emprunter à usage.
Mais les mineurs non émancipés et les interdits ne peuvent pas prêter, ni même emprunter: prêter, parce qu'ils se nuiraient, en se privant d'un usage qui peut leur être nécessaire, emprunter, parce qu'ils pourraient encourir une certaine responsabilité quant à la garde £e la chose.
VI. On aurait pu croire, à cause du nom même du - contrat de prêt à usage. que l'emprunteur acquiert le droit réel d'usage (ou d'habitation, s'il s'agit d'une maison), droit dont traitent les articles 116 à 120; il n'en est rien: l'emprunteur n'acquiert qu'une créance on droit personnel contre le prêteur; il y aurait, en effet, de grands inconvénients à rendre opposable aux tiers (même avec la publicité nécessaire, s'il s'agissait d'un immeuble) un droit essentiellement temporaire et souvent d'une très courte durée.
VII et VIII. Le principe général que celui qui i> s'oblige oblige aussi ses héritiers" (v. art. 358) reçoit ici son application ordinaire, à l'égard du prêteur. Si la loi s'en explique, c'est pour marquer l'opposition avec ce qui concerne les héritiers de l'emprunteur.
Le Code français (art. 1879) ne fait pas de différence entre le décès de l'emprunteur et celui du prêteur: dans un cas comme dans l'autre, il maintient les effets de la convention, pour et contre les héritiers, jusqu'à l'expiration du temps fixé. On propose ici, en règle, que le décès de l'emprunteur mette fin à ses droits et qu'ils ne passent pas à ses héritiers; la nature gratuite du contrat, son caractère essentiellement temporaire, la confiance qu'il nécessite chez le prêteur, permettent de le considérer, de la part de celui-ci, comme consenti "en vue de la personne même de l'emprunteur; " mais le contraire pouvant arriver aussi, la loi permet aux héritiers de prouver que le prêteur a voulu obliger aussi la famille; par exemple, si la chose prêtée était une maison* spacieuse prêtée à l'emprunteur, pour habiter avec sa. famille pendant la reconstruction de sa maison incendiée. Mais ce que le Code français pose en règle n'est plus ici que l'exception et, réciproquement, l'exception prévue par ledit Code devient ici la règle.
IX. L'obligation pour les héritiers de rendre la chose prêtée avant que l'usage en ait été complété pourrait, dans certains cas, leur être très onéreuse; la loi leur permet donc de demander et d'obtenir du tribunal un délai modéré, de façon à pouvoir se procurer, avant la restitution, une chose semblable ou au moins qui leur suffise: ce n'est pas nuire au prêteur, car le décès de l'emprunteur est un fait sur l'époque duquel il n'a pu avoir une prévision certaine.
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(a) " Counnodat " est la traduction du mot latin commodatum qui, chez les Romains, était le iium unique du contrat; le mot lui-même était l'abrégé de commodum dalum, " avantage donné," ce qui aurait pu sq dire, tout aussi bien, des autres contrats gratuits.
(b) L'on a cru bon, au Japon, il y a quelques années, de créer des notaires, avec un caractère analogue à celui qu'ils ont en France et ailleurs, et sans peut-être tenir assez compte des objections que comporte cette institution: il sera naturel, au moins, de confier aux., notaires la rédaction des actes de donation et de quelques autres contrats, comme la constitution d'hypothèque (v. T. IV, n° 428, note 1).