Art. 115 et 116. Le contrat de société a une importance considérable dans toutes les législations civiles et commerciales. Il est aussi. ancien que la civilisation et, de même que les hommes ayant une origine commune se sont rénnis en sociétés politiques, sous le nom de tribus, de peuplades, de nations, pour se préserver des entreprises des tribus ou nations voisines, de même les individus se sont associés pour la défense et le développement de leurs intérêts particuliers.
Le principe qui fonde toute association est que les forces individuelles agissant collectivement donnent un résultat unique supérieur à la somme des résultats obtenus par des efforts séparés.
La puissance de l'association des forces est encore plus frappante si l'on suppose un résultat qui ne puisse s'obtenir par parties ; par exemple, le déplacement ou le transport d'une pierre ou d'une pièce de bois : un seul homme ne pourrait pas la mouvoir, deux hommes la déplaceront. quatre la transporteront où elle est nécessaire.
Quand nous disons que l'association privée des hommes est aussi ancienne que leur association politique, ce n'est pas assez dire : elle l'est davantage et l'exemple qui précède suffît à le prouver ; aussi n'y a-t-il peut-être pas un seul pays qui n'ait dans sa langue, en une forme ou en une autre, ce sage proverbe que “l'union fait la force.”
En même temps, il est très-digne de remarquer que les contrats les plus ordinaires et les plus utiles, comme la vente et le louage d'immeubles, le prêt d'argent et le prêt à usage, ne peuvent guère se multiplier avec les progrès de la civilisation et gardent à peu près la même 'proportion avec la population, dans un temps donné, parce qu'ils répondent à des besoins qui ne peuvent guère s'étendre ; tandis que le contrat de société suit, au contraire, avec les progrès de la civilisation et de la population, un développement non pas proportionnel mais progressif, parce qu'il ne tend pas seulement, comme la plupart des autres contrats, a satisfaire à des besoins individuels, plus ou moins réels et naturellement limités par la raison : il a surtout pour but d'augmenter la production de la richesse individuelle et c'est là que, les désirs de l'homme étant insatiables, scs efforts sont infatigables.
Une des causes qui font aujourd'hui multiplier les société en tous pays est la nécessité de réunir d'énormes capitaux en argent, pour l'exécution des grandes lignes de chemins de fer, des navires de transport au long cours, des grandes manufactures, etc. De pareilles entreprises ne pourraient jamais se faire avec des capitaux individuels : c'est par leur réunion en grande masse qu'elles deviennent possibles.
Les sociétés ainsi formées ont un objet commercial te non civil ; les sociétés civiles, les seules dont il soit ici traité, ont un objet moins considérable, mais elles doivent toujours être considérées comme le type, comme le modèle dont les autres sont une variété et un développement ; beaucoup de règles sont communes aux sociétés civiles et aux sociétés commerciales et ce sont surtout ces règles qui vont être présentées ici; on y ajoutera celles qui sont exclusivement propres aux sociétés civiles.
C'est le Code de Commerce qui définit les actes de commerce (art. 4 et s.)
Si l'on connaît bien le caractère d'un acte de commerce, considéré l'exception parmi les actes juridiques, on connaîtra, par contre, le caractère d'un acte civil restant la règle.
Avant tout, il convient de se fixer sur ce qu'on doit entendre par société civile, par opposition à la société commerciale ; la différence est la même qu'entre la vente civile et la vente commerciale, entre l'obligation civile et l'obligation commerciale et, généralement, entre un acte civil et un acte commercial ou de commerce.
Les actes de commerce peuvent être faits par des particuliers agissant isolément et si ceux-ci les font par profession et non accidentellement, ils pourront être quaifiés “commerçants.” Les mêmes actes peuvent être faits par des individus réunis en société pour cet objet, on a alors des “sociétés commerciales,” qui sont, en réalité des sociétés commerçantes.
On serait dès lors porté à croire qu'en sens inverse il y a société civile par cela seul que deux ou plusieurs personnes se réunissent pour faire un ou plusieurs actes civils dans un intérêt commun; mais ce ne serait pas tout à fait exact : il faut que cet intérêt commun soit un profit, un gain, "unbénefice à partager ;” la définition donnée par notre premier article l'exprime formellement.
Ainsi, une convention par laquelle deux ou plusieurs propriétaires, voisins d'une rivière, se réuniraient pour faire faire à frais commun une digue ou d'autres travaux destinés à protéger leurs propriétés contre les débordemonts, ne serait pas une société parce qu on se proposerait non de réaliser des bénéfices, mais d'éviter des pertes; il en est de même des assurances mu tel les contre l'incendie ou contre d'autres sinistres ; à plus forte raison, les associations scientifiques, littéraires, politiques ou de bienfaisance ne sont-elles pas des sociétés.
Cette nécessité que les actes civiles tendent à procurer des bénéfices aux associés n'a pas besoin d'être exprimée quand il s'git des sociétés commerciales, justement parce qu'un des caratères précités des actes de commerce est la spéculation, la recherche de bénéfices.
La définition donnée par l'article 115 assigne encore à la société deux autres conditions et celle-là exigées aussi pour les sociétés commerciales : c'est 1° que ces bénéfices soient partageables, également ou inégalement, 2° que les associés aient commencé par un apport réciproque, c'est-à-dire par mettre ou par s'engager à mettre des biens en commun, comme moyen, comme instrument de la. réalisation de ces bénéfices.
Mais aucune condition ou prohibition n'est édictée ici, quant à un nombre d'associés nécessaire (minimum) ou extrême (maximum) : notre article suppose simplement “deux ou plusieurs personnes” formant société. Si l'on proposait ici une entrave à la liberté, il faudrait la justifier ; mais la liberté des conventions est un principe trop respectable pour avoir besoin de justification.
La condition d'un apport et le mode de l'effectuer sont l'objet de dispositions ultérieures, notamment de l'article suivant.
Le partage des bénéfices reviendra aussi en son lieu.
Remarquons seulement que cette condition d'une partage de bénéfices restreint encore les cas où il y aura vraiment société.
Ainsi, lorsque des propriétaires voisins, formant une agglomération éloignée des voies publiques entretenues par l'autorité municipale, se réunissent pour faire des travaux de voirie, d'éclairage, d'aqueducs, qui doivent donner à leurs propriétés une plus-value certaine, il y a bien recherche de bénéfices, mais ils ne sont pas “partageables:” chaque fond aura pu gagner en valeur, d'après sa situation et son étendue, mais le propriétaire qui aura gagné le plus n'aura rien à communiquer à ceux qui auront gagné le moins ; seulement, les parties n'auront pas dû manquer de faire contribuer chacun aux dépenses, en proportion de la plus-value obtenue ou espérée.
Ces conventions n'étant pas l'objet d'une législation complète, s'il s'élève des difficultés sur la gestion des intérêts communs ou sur la contribution des intéressés aux dépenses, il est naturel d'emprunter, par analogie de motifs et de situation, les règles des sociétés civiles : c'est un principe général, consacré par le présent Code, que les contrats innommés empruntent les règles qui leur manquent aux contrats nommés avec lesquels ils ont le plus d'analogie (voy. Liv. des Biens, art. 303).
Il restera toujours des différences notables entre les associations syndicales et les véritables sociétés civiles : notamment. les premières n'ont pas de fonds social proprement dit, elles ne se dissolvent pas par la mort ou la faillite d'un des propriétaires, elles ne donnent pas lieu à partage, parce qu'elles ne créent pas d'indivision.
D'autres situations légales et d'autres conventions ont encore de l'analogie avec la société civile et ne doivent pas être confondues avec elle.
En premier lieu, nous citerons la communauté de biens ou copropriété indivise.
Ce n'est pas seulement parce que, le plus souvent, elle est l'effet de la loi et non de la convention qu'elle ne doit pas être confondue avec la société civile ; elle ne doit pas l'être davantage quand elle résulte d'une convention : ainsi, deux personnes n'ayant, aucune séparément, assez de capitaux pour acquérir un immeuble, se sont réunies dans le but de l'acheter a frais communs, pour des parts égales ou inégales ; elles sont dans l'indivision, mais non en société, parce que leur but n'est pas de réaliser des bénéfices autres que l'acquisition de l'immeuble ; elles espèrent assurément que l'immeuble ne dépérira pas, peut-être même elles comptent sur une plus-value avec le temps, mais leur but direct est seulement de devenir copropriétaires.
Sans doute, s'il était prouvé que les acheteurs ont spéculé sur la plus-value possible, comme alors ils auraient mis des fonds en commun pour partager les bénéfices à en provenir, il y aurait société ; mais c'est qu'alors les conditions en seraient formellement remplies et même elle aurait le caractère de société commerciale d'après le nouveau Code.
Lorsqu'il y a copropriété indivise deux différences principales avec la société restent à noter : 1° la copropriété ne cesse pas par la mort d'un des copropriétaires, lequel est alors représenté par ses héritiers ; 2° chacun des copropriétaires peut demander le partage quand il lui plaît.
Il y a encore plus d'analogie avec la société dans la convention suivante : un propriétaire cultivateur, un manufacturier ou un commerçant, ayant, le premier un gérant, le second un contre-maître, le troisième un premier commis, sont convenus avec leur employé de lui donner, outre un salaire fixe, une part dans les produits ou bénéfices de l'exploitation. Ici, on est bien près de la société, civile dans le premier cas, et commerciale dans les deux autres, et même, dans l'usage on dit que l'employé est “associé de la maison, ou du patron," qu'il a “une part dans les bénéfices;” mais, ici encore il faut dire qu'il n'y a pas société proprement dite : il n'y a pas de fonds social ou commun, l'employé n'a aucune part de propriété, il ne contribue pas aux pertes, il ne peut prétendre participer à l'administration, ni contrôler ou contredire celle du patron, il peut seulement demander communication des livres et de l'inventaire ; enfin, le patron a toujours le droit de le congédier, sauf à l'indemniser, s'il n'y a pas de cause légitime à ce renvoi.
Il y a encore de l'analogie entre la société et le bail d'immeuble “à part de fruits ou à métairie,” dans lequel le preneur ou métayer fournit ses soins à la culture d'un fonds et reçoit en échange une portion des fruits (voy. art. 134 et 138).
Mais ce contrat étant l'objet de dispositions spéciales placées par la loi sous un autre titre ne peut présenter de sérieux dangers de confusion avec la société, bien qu'il lui emprunte quelques règles.