Art. 2 et 3. On a souvent soutenu que la propriété, à l'origine des sociétés, a commencé par l'occupation, même pour les immeubles.
Il est naturel d'admettre, en effet, que quand le sol de chaque contrée était bien trop vaste, eu égard au peu de développement de la population, pour être entièrement mis en culture, chacun en pût librement occuper tout ce qu'il pouvait cultiver ou utiliser, et lorsqu'il l'avait plus ou moins clos et amélioré, il y avait là, pour lui, un titre légitime à le conserver, par préférence aux autres hommes qui avaient la même faculté que lui de s'approprier d'autres terres. Il ne fallait même pas envier au premier occupant la possession des terres meilleures, soit par leurs qualités, soit par leur emplacement, car les premières prises de possession, si elles étaient les plus avantageuses, correspondaient aussi aux plus grandes difficultés d'occupation et même aux plus grands dangers.
Dans les sociétés civilisées et arrivées à un large développement de population, il n'est plus guère possible de supposer que des terres soient restées sans maître et puissent être acquises à un premier occupant.
En outre, la plupart des législations modernes ont, comme le présent Code, une disposition qui attribue à l'Etat la propriété des immeubles qui n'ont pas de propriétaire particulier. Si donc une terre est tellement perdue dans les hautes montagnes ou rendue tellement rebelle à la culture par l'envahissement des eaux ou des sables que personne ne se la soit jamais appropriée, un premier occupant n'y pourrait acquérir aucun droit : il devrait en obtenir la cession de l'Etat. Il en serait de même d'un sol que le proprietaire aurait abondonne comme stérile ou ne produisant pas plus que le montant de l'impôt ou pas même autant.
Mais si l'occupation ne peut plus s'appliquer aux immeubles, bâtis ou non, elle peut encore s'exercer assez largement sur des objets mobiliers.
Trois conditions sont pour cela nécessaires : il faut 1° que celui qui prétend acquérir ait pris effectivement la possession matérielle de l'objet avec l'intention de se l'approprier ; 2° que la chose soit actuellement sans maître ; 3° que les lois spéciales n'en interdisent pas ou n'en restreignent pas l'acquisition.
Le texte de l'article 2 énonce formellement les deux premières de ces conditions; la troisième résulte de l'article 3. On les reprendra séparément.
I. La possession que la loi exige n'est autre que la possession civile dont les deux éléments constitutifs, le fait et l'intention ont déjà été exposés en leur lieu. On remarquera d'ailleurs que, comme il ne s'agit pas ici de la possession d'une chose d'autrui, il ne peut pas être question de mauvaise foi, et comme il ne s'agit pas non plus de possession à l'effet de prescrire, on n'exige ni publicité ni durée quelconque de la possession.
II. Il faut, en second lieu, que la chose soit sans maître, soit qu'elle n'ait jamais été appropriée, soit que le maître auquel elle aurait déjà appartenu l'ait abandonnée.
Les principales choses sans martre sont les animaux sauvages vivant en liberté sur le sol, dans l'air ou dans les eaux, et ce n est qu à la condition qu'ils aient ce double caractère, d etre en fait autant que pat leur nature, et de vivre en liberté, qu'ils sont sus ceptibles d'être acquis par occupation, par la chasse ou la pêche. II n'y aurait donc pas droit d'occupation pour celui qui, même de bonne foi, se serait emparé d'animaux de nature sauvage, mais apprivoisés et vivant en liberté, comme des pigeons d'origine sauvage qui se seraient fixés dans un colombier, mais auraient pris l'habitude d'aller et venir dans le voisinage : les voisins ne pourraient valablement les retenir. Si même un animal de nature sauvage et resté tel, mais captif, était parvenu à s'échapper, il ne cesserait pas pour cela d'appartenir à son maître et le capteur n'en deviendrait pas propriétaire, tant que le maître aurait conservé l'intention de le reprendre et ferait des efforts à cet égard.
Mais quand l'animal réunit les deux conditions dont il s'agit, à savoir d'être sauvage et libre, il n'y a pas à distinguer si le capteur s'en est emparé sur son propre fonds ou sur le fonds d'autrui, ni, dans ce dernier cas si c'est avec ou sans le consentement du propriétaire du fonds, ou même au mépris de sa défense : assurément, le capteur est en faute dans les deux derniers cas et il sera responsable, s'il a causé des dommages à la culture ou autrement ; mais il n'en est pas moins propriétaire du gibier qu'il a pris, parce que, ce gibier étant toujours une "chose sans maître,” il n'en a dépouillé personne.
Il ne faut évidemment pas confondre ce cas avec celui de quelqu'un qui s'emparerait d'oiseaux ou d'autres animaux sauvages déjà pris et emprisonnés par autrui dans une cage ou palissade, ou qui prendrait des poissons déjà enfermés dans un réservoir ou placés dans le bassin d'un jardin : il aurait alors soustraction de la chose d'autrui ou vol. La solution serait la même contre celui qui aurait frauduleusement vidé l'étang d'autrui et recueilli tout le poisson ou même cerné le gibier d'un parc et s'en serait emparé : dans ces cas encore, il n'y aurait plus pêche ou chasse, mais vol de la chose d'autrui.
Quant au poisson pêché en mer, en rivière ou même dans des eaux privées non closes, il appartient an capteur.
Les poissons ne sont pas les seules choses sans maître que l'on puisse tirer de la mer ou des rivières et acquérir par occupation. Il faut y ajouter, non seulement les crustacés et les coquillages, mais encore les herbes marines, généralement comestibles pour l'homme, sans compter leur emploi agricole et industriel. On peut aussi prendre du sable et des cailloux au bord de la mer, quand il n'en doit pas résulter d'excavations nuisibles à l'usage du rivage ; enfin, on peut valablement pêcher le corail.
III. La troisième condition pour qu'il y ait acquisition par occupation, c'est que des lois spéciales ne la prohibent pas. Or, il y a au Japon, comme dans presque tous les pays, des lois qui réglementent l'exercice du droit de chasse et de pêche, en le limitant, tout à la fois, quant au temps, quant aux lieux et quant aux moyens. Ces mesures sont prises dans l'intérêt de la conservation du gibier et du poisson, c'est-à-dire dans un intérêt public.
Le même article 3 réserve aussi les dispositions des lois spéciales sur les choses perdues ou flottantes.
Enfin, la loi réserve les lois spéciales sur les prises maritimes et le butin pris à la guerre.