Art. 638. — 91. Cet article a pour but, comme ceux qui, par une simple formule de renvoi, constituent les cinq Chapitres précédents, de consacrer, à sa place logique, la puissance de la Loi comme moyen direct d'acquérir la propriété dans d'autres cas que celui qui précède, et aussi d'autres droits, soit réels, soit personnels.
Les immeubles qui n'ont pas de maître particulier appartiennent à l'Etat; si donc un immeuble exposé aux inondations, est abandonné par son propriétaire, parce que les produits n'en couvrent pas l'entretien des digues, les frais de culture et les impôts, l'Etat en acquiert la propriété en vertu de la loi.
C'est par le même principe que l'Etat acquiert les successions, même mobilières, qui sont en déshérence, c'est-à-dire auxquelles n'est appelé aucun héritier connu.
91 bis. Le même article réserve les dispositions des lois spéciales sur les épaves.
On nomme Il épaves " les objets perdus dont le propriétaire est inconnu et paraît ne pouvoir être retrouvé (a).
Il y a des épaves maritimes, fluviales et terrestres, suivant le lieu où les objets ont été trouvés.
Les épaves maritimes proviennent, généralement, de navires naufragés et brisés ou d'objets jetés à la mer pour alléger un navire en détresse. Quand ces objets ou ces débris de navires sont rejetés sur le rivage, c'est souvent après un long temps et à de grandes distances du lieu du sinistre, ce qui rend impossible la découverte du propriétaire. Si ces objets ne sont pas choses sans maître, le résultat est à peu près le même. Toutefois, il est bon que des lois spéciales règlent les suites de l'invention de ces objets. Généralement, en France, ils doivent être vendus publiquement et l'inventeur n'est admis à obtenir qu'une partie de la valeur; l'autre est attribuée à un fonds de secours pour les veuves de marins et leurs orphelins.
Les épaves fluviales proviennent ordinairement des inondations et débordements, lesquels entraînent des objets mobiliers qui se trouvent déposés sur les rives ou dans leur voisinage et qui, lorsqu'ils sont susceptibles de flotter, peuvent, comme les épaves maritimes, être entraînés à de grandes distances, sans que les propriétaires puissent les recouvrer.
Les épaves terrestres sont les objets perdus sur les routes, dans les lieux publics et dans quelques autres circonstances que les lois peuvent prévoir.
Il ne faut pas s'étonner que, dans ces trois cas, la loi ne laisse pas à l'inventeur tout le produit de sa trouvaille: il y une grande différence avec les cas de chasse, de pêche et autres analogues où il s'agit de choses n'appartenant vraiment à personne; ici, il y a un propriétaire, inconnu, il est vrai, mais cela su Hit pour rendre l'inventeur moins intéressant; dès lors, la loi, ne pouvant rendre la chose à celui qui l'a perdue, en affecte la valeur, au moins pour partie, H. quelque emploi utile ou secourable (b).
91 ter. Enfin, la loi mentionne ici les prises maritimes et le butin pris à la guerre.
Autrefois, les guerres étaient une véritable suspension de toutes les règles du droit international et même du droit naturel: les prisonniers étaient mis à mort ou réduits en esclavage; à plus forte raison, les vainqueurs se croyaient-ils le droit de s'approprier les biens des vaincus; les soldats étaient autorisés à s'emparer des objets mobiliers qu'ils pouvaient conserver sans nuire à leurs devoirs militaires. Aussi l'occupation recevait-elle là une nouvelle application: les choses de l'ennemi étaient considérées comme choses sans maître, idée fausse et odieuse que bien des siècles ont eu de la peine à détruire.
Aujourd'hui, les idées sont plus saines, plus morales, plus humaines: la guerre même est soumise au droit des gens et, dans une certaine mesure, elle a des règles protectrices des vaincus.
D'abord, les prisonniers sont rendus de part et d'autre après la paix. Quant aux biens, non seulement les soldats ne sont pas autorises à s'approprier indivi(lnellement les objets appartenant à l'ennemi, mais les propriétés publiques et privées sont, en général, respectées par l'Etat victorieux, sauf les annexions de territoire et les indemnités de guerre qu'il impose au vaincu.
Cependant, aujourd'hui encore, le droit de la guerre permet quelques captures directes sur l'ennemi, ce sont ses navires, soit de guerre, soit de commerce, ses armes, munitions, engins de guerre, équipements, vivres, provisions de toutes sortes, dont la prise a moins pour but d'enrichir le capteur que d'affaiblir l'ennemi.
Comme on l'a déjà remarqué, on n'est plus ici dans les conditions de l'occupation, puisque la chose n'est pas sans maître au moment où elle est prise; on pourrait pout-ctre même objecter que c'est moins le capteur lui-même qui acquiert individuellement, que l'Etat auquel appartient le capteur; mais comme on peut acquérir la possession par autrui, tout soldat ou officier des armées de terre et de mer est considéré comme mandataire de l'Etat auquel il appartient, comme gardien et défenseur de l'intérêt du pays.
En ce qui concerne les prises maritimes il y a dans la plupart des pays d'Europe une législation spéciale qui attribue au capteur une portion de la valeur du navire capturé; mais c'est seulement quand le Gouvernement a autorisé des corsaires à " faire la course " contre les navires de commerce ennemis: dans ce cas encore, la part qui revient au corsaire lui appartient moins par occupation que par la loi ou même par la convention faite avec l'Etat (a). Toutes ces matières sont ou seront réglées au Japon par des lois spéciales: le Projet se borne à leur donner leur place logique parmi les moyens d'acquérir.
91 quater. L'usufruit est quelquefois conféré par la loi: l'article 47, 29 alinéa, y a fait allusion, se bornant à renvoyer, à ce sujet, au Chapitre de la Puissance paternelle et il celui des Successions.
Les successions elles-mêmes, comprenant tous les biens laissés par un défunt, sont acquises directement par la loi; de là leur nom habituel de successions légitimes, par opposition aux successions testamentaires déférées par la volonté du défunt.
Au Chapitre des Servitudes, on en a trouvé un grand nombre qui sont établies ou conférées directement par la loi (art. 228 à 285).
Comme droits réels accessoires formant des garanties ou sûretés des créances, on aura des priviléges et hypothèques établis par la loi. En France, les mineurs ont, de plein droit et par la seule disposition de la loi, une hypothèque sur les biens de leur tuteur, pour la garantie de la gestion de celui-ci et des restitutions auxquelles il peut être soumis; de même, les femmes sur les biens de leurs maris, pour la garantie de leur dot et de leurs reprises matrimoniales. Ces hypothèques ne sont pas sans inconvénients pour la sécurité des tiers qui traitent avec le tuteur ou avec le mari, et on les a sou vent critiquées en France et ailleurs; mais ces inconvénients proviennent moins des droits euxmêmes que de leur caractère occulte, de la dispense de publicité dont ils jouissent.
On proposera d'adopter ces hypothèques au Japon, en conciliant, par une publicité complète, les intérêts des tiers avec ceux du mineur et de la femme (v. Liv. IV, art. 1219 et s.).
Enfin, il y a des droits personnels ou de créance conférés directement par la loi; on a vu au Livre Ir, ne Partie, que les obligations (et les créances qui en sont la contre-partie) ont quatre causes dont la dernière est la Loi (voy. art. 316 et 400).
En dehors de ces moyens d'acquérir des droits réels ou personnels, provenant directement de la loi et qui ont trouvé ou trouveront place dans le Code civil, il y en a déjà d'autres et il pourra y en avoir encore davantage résultant de lois spéciales.
Si l'on songe aux créances de l'Etat contre les particuliers, il y en a déjà beaucoup qui résultent des lois fiscales ou des lois administratives, et le nombre en augmentera plutôt qu'il ne diminuera.
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(a) On fait généralement venir le mot "épaves" du latin expa. vescere, s'effrayer, " parce que l'on employait primitivement le mot pour les animaux effrayés, égarés et perdus.
(b) Le nouveau Code pénal (art. 385) punit comme délit le fait d'avoir retenu, sans déclaration aux autorités locales, des objets naufragés ou perdus.
(a) La France, l'Il 1856, dans le Traité de Paris (lui a suivi la guerre de Crimée, a déclaré qu'elle n'autoriserait plus les particuliers à " faire la course" pour elle: les navires de l'Etat en seront seuls chargés. C'est un bon exemple que plusieurs nations ont suivi et qu'il est désirable de voir suivre par toutes les autres.