Art. 521. Cet article reprend et applique la première condition requise pour la compensation légale, à savoir que les deux dettes soient “principales” en même temps quelles doivent être personnelles ; seulement, le lien qui résulte de la solidarité et de l'indivisibilité, entre les co-débitcurs, et les co-créanciers, donne à la personnalité des dettes une certaine extention ; de là, de nombreuses distinctions qui nécessitent un examen particulier de chacun de ces quatre alinéas.
1er al. Le créancier a un débiteur et une caution ; de son côté, il doit à la caution, mais non au débiteur principal, et c'est celui-ci qu'il poursuit ; ce débiteur ne peut se soustraire au payement, en opposant la compensation de ce que son créancier doit à la caution, et cela, par plusieurs raisons réunies : d'abord, la dette de la caution, étant une dette accessoire, n'a pu, avant les poursuites faites contre elle, se compenser de plein droit avec la dette du créancier envers elle ; ensuite, la créance de la caution n'est pas personnelle au débiteur principal ; d'ailleurs, si cette compensation était possible, il pourrait se présenter un cumul ou un conflit inadmissible de deux compensations, si, par hasard, le débiteur principal se trouvait, en même temps que la caution, créancier du créancier ; enfin, une raison qui, si elle était seule, suffirait déjà à exclure la compensation du chef de ce qui est dû à la caution, c'est qu'il n'est pas permis au débiteur de contraindre la caution à payer pour lui ; or, la compensation aurait cet effet : le créancier seul a ce droit et encore est-il soumis à certaines conditions et limites qu'on verra au Chapitre du Cautionnement.
En sens inverse, si le créancier poursuit la caution, alors qu'il doit au débiteur principal, celle-ci peut lui opposer la compensation du chef de ce débiteur, parce que tous les modes d'extinction de la dette peuvent être invoqués par la caution pour sa décharge; seulement, dans ce cas, la compensation n'est pas légale, mais simplement facultative. L'intérêt de la question n'est pas purement théorique : si la compensation était légale, elle aurait eu lieu de plein droit, depuis la coexistence des deux dettes et les intérêts des sommes, dûs respectivement ou d'un seul côté, auraient cessé de courir depuis cette époque ; si, au contraire, la compensation est facultative, les intérêts ne sont arrêtés que du jour où elle est opposée, sans rétroactivité (voy. art. 531).
Si le créancier doit à la caution elle-même, celle-ci peut lui opposer la compensation de son propre chef; mais avec cette différence que la compensation légale ne s'est pas opérée dès le moment où les deux dettes ont coexisté : la dette de la caution n'était qu'accessoire et elle n'était pas exigible purement et simplement : elle était toujours subordonnée à quelques préliminaires de poursuites contre le débiteur principal ; mais lorsque la caution est valablement poursuivie, c'est que la dette est devenue exigible contre elle, et son caractère accessoire a, en quelque sorte, disparu.
Bien entendu, quand la caution a ainsi compensé sa créance avec la dette principale, elle a recours contre le débiteur qu'elle a libéré à scs frais, c'est-à-dire en perdant sa créance.
2e al. La solidarité n'ayant jusqu'ici été rencontrée qu'incidemment, on n'a pas encore eu l'occasion d'en signaler le caractère mixte qui influe sur la présente situation. Un débiteur solidaire doit toute la dette, comme le mot l'indique ; mais il n'en doit qu'une partie en son propre nom : le reste, il le doit au nom et comme caution des autres. Ce n'est pas à dire qu'à tous les points de vue il soit traité comme la caution ordinaire : notamment, il ne jouirait pas des bénéfices de discussion et de division qu'on verra, plus tard, appartenir à la caution; mais, ce qui prouve que le débiteur solidaire n'est, pour les parts des autres, qu'une caution solidaire, c'est le recours qui lui appartient contre eux, lorsqu'il a payé.
Cette remarque rend facile l'explication du présent alinéa, lequel comprend d'ailleurs deux hypothèses.
1° Le créancier unique, devant à l'un de ses débiteurs solidaires, poursuit l'un des autres débiteurs avec lequel il n'a pas cause de compensation ; le défendeur ne pourra pas se soustraire entièrement aux poursuites, en alléguant que le compensation a eu lieu pour le tout entre le créancier et l'un des codébiteurs : d'abord, ce serait indirectement faire peser l'avance du payement sur ce codébiteur : or, le créancier seul a ce pouvoir, par le choix qu'il fait dans sa poursuite ; ensuite, le codebiteur non poursuivi jouant le rôle de caution pour toutes les parts autres que la sienne propre, la compensation ne peut être invoquée de son chef, en vertu du 1er alinéa ; mais elle pourra être invoquée pour la part même de ce codébiteur, car il doit cette part "personnellement et principalement.”
2° Le créancier poursuit celui-là même avec lequel il a cause de compensation totale ou partielle: le débiteur poursuivi invoquera alors la compensation, comme s'il était débiteur unique ; la qualité de caution qu'on vient de lui reconnaitre ne s'y oppose pas, puisque la caution ordinaire, quand elle est poursuivie, est alors traitée par le créancier comme devenue “débitrice personnelle et principale,” et elle oppose ainsi la compensation de ce qui lui est dû à elle-même, en vertu toujours du précédent alinéa, mais comme compensation facultative et ans rétroactivité.
Le débiteur solidaire qui a ainsi libéré les autres, en perdant sa créance, a recours contre chacun d'eux pour leur part et portion réelle dans l'obligation.
3e al. Il n'y a qu'un seul débiteur, mais plusieurs créanciers solidaires, dont l'un est obligé envers le débiteur commun. Que ce soit lui qui poursuive ou un autre des créanciers, le Code décide que, dans l'un et l'autre cas, le débiteur poursuivi opposera la compensation pour tout le montant de sa créance, c'est-à-dire, même au-delà de la part du créancier poursuivant.
On arrive à ce résultat, en considérant la nature du mandat mutel que se sont donné les co-créanciers solidaires: d'abord, chaque créancier peut recevoir un payement effectif intégral, sauf à en communiquer le profit aux autres ; ensuite, pour ce qui est de la compensation tirée de sa propre dette envers le débiteur, il n'est pas douteux que si ce créancier poursuit lui-même le débiteur, son action ne puisse être détruite par la compensation intégrale, ce qui oblige à reconnaître que son mandat lui permettait de créer une cause de compensation excédant sa part dans la créance, sauf à en indemniser ses co-créanciers; il n'y a donc pas de raison suffisante pour refuser d'admettre la même compensation du chef de ce qu'il doit, lorsque la poursuite émane d'un des autres créanciers ; sauf, bien entendu, l'indemnité due à ceux-ci pour leur part dans la créance ainsi perdue.
Cette étendue donnée au mandat mutuel des cocréanciers solidaires, par une sorte d'interprétation législative de leur volonté, ne paraîtra pas exagérée, si l'on considère qu'il y a, en général, une communauté d'intérêts entre eux bien plus étroite qu'entre codébiteurs solidaires : leur mandat, étant toujours volontaire, suppose une confiance mutuelle entière, tandis qu'entre codébiteurs la solidarité est quelquefois légale, et même quand elle est volontaire, elle est, le plus souvent, une, condition du contrat imposée par un créancier déliant, sous peine de ne pas traiter.
4e al. Lorsqu'il s'agit d'une dette indivisible, le fonctionnement de la compensation s'y trouve un peu plus simple que celui de la remise de la dette ou de la remise de la modalité, dans le même genre de dette : on n'a plus guère à se préoccuper que de l'indivisibilité volontaire, puisqu'il s'agit, avant tout, de dettes de choses fongibles entre elles. Il ne peut guère être question que de dettes d'argent dont l'une devait être exécutée indivisiblement, à cause du but que se proposait le créancier.
Supposons donc, tour à tour, que cette dette d'argent, indivisible par l'intention ou la convention, est due 1° par plusieurs débiteurs, 2° à plusieurs créanciers et qu'il y a matière à compensation.
7. Il y a plusieurs débiteurs dont l'un est devenu créancier du créancier commun.
Si le créancier poursuit le débiteur envers lequel il a une dette, il est évident que celui-ci lui opposera la compensation, pour tout le montant de sa propre créance : il serait bien inutile de conserver au créancier un droit de poursuite intégrale, à charge de précompter une valeur, conformément à l'article 445, puisque cette valeur serait de la même nature que celle qui est réclamée, à savoir, de l'argent.
Si le créancier poursuit l'un des autres débiteurs, avec lequel il n'a pas de cause directe de compensation, celui-ci lui opposera de même la compensation, du chef de son codébiteur; mais il ne pourra plus l'opposer que pour la part de son codébiteur, comme si la dette était solidaire, et par les deux motifs donnés ci-dessus, sur le 2e alinéa.
2. Il y a plusieurs créanciers de cette dette d'argent, indivisible par convention, et l'un d'eux est devenu débiteur, d'une somme d'argent aussi, envers le débiteur commun.
Si la poursuite est exercée par ce créancier, nul doute que le débiteur puisse lui opposer la compensation jusqu'à due concurrence, ce qui peut aller jusqu'à une compensation totale.
Si la poursuite est exercée par un des autres créanciers, il semblerait, an premier abord, que la compensation ne pût lui être opposée que pour la part de l'autre créancier; mais la loi admet la compensation intégrale, comme si la dette était solidaire entre créanciers : l'objection tirée de l'insuffisance apparente du mandat mutuel a été déjà réfutée au sujet de la remise de dette ; il y a même ici une raison de plus de décider en faveur de la compensation totale : chaque créancier peut recevoir 1e payement total et ainsi libérer le débiteur, sauf à communiquer le profit aux autres; or, lorsqu'un des créanciers est devenu, de son côté, débiteur personnel du débiteur commun, c'est qu'il en a reçu une valeur (et ici c'est une valeur de même nature que celle qui est due à tous, de l'argent); n'est-ce pas comme s'il avait reçu, par anticipation, le payement effectif de la dette?
La loi arrive donc, sans arbitraire, à assimiler ici à la dette solidaire active et passive la dette d'argent indivisible activement et passivement par l'intention des parties.