Art. 543. — 607. Cet article reprend et applique la première condition requise pour la compensation légale, à savoir que les deux dettes soient "principales," en même temps qu'elles doivent être "personnelles;" seulement, le lien qui résulte de la solidarité et de l'indivisibilité, entre les co-débiteurs et les co-créanciers, donne à la personnalité des dettes une certaine extension; de là, de nombreuses distinctions qui nécessitent un examen particulier de chacun de ces quatre alinéas.
608. -1er al. Le créancier a un débiteur et une caution; de son côté, il doit à la caution, mais non au débiteur principal, et c'est celui-ci qu'il poursuit; ce débiteur ne peut se soustraire au payement, en opposant la compensation de ce que son créancier doit à la caution, et cela, par plusieurs raisons réunies: d'abord, la dette de la caution, étant une dette accessoire, n'a pu, avant les poursuites faites contre elle, se compenser de plein droit avec la dette du créancier envers elle; ensuite, le créance de la caution n'est pas 'personnelle au débiteur principal; d'ailleurs, si cette compensation était possible, il pourrait se présenter un cumul ou un conflit inadmissible de deux compensations, si, par hasard, la débiteur principal se trouvait, en même temps que la caution, créancier du créancier; enfin, une raison qui, si elle était seule, suffirait déjà à exclure la compensation du chef de ce qui est dû à la caution, c'est qu'il n'est pas permis au débiteur de contraindre la caution à payer pour lui; or, la compensation aurait cet effet: le créancier seul a ce droit et encore est-il soumis à certaines conditions et limites qu'on verra au sujet du Cautionnement (v. art. 1018 et s.).
En sens inverse, si le créancier poursuit la caution, alors qu'il doit au débiteur principal, celle-ci peut lui opposer la compensation du chef de ce débiteur, parce que tous les modes d'extinction de la dette peuvent être invoqués par la caution pour sa décharge (v. art. 1025); seulement, dans ce cas, la compensation n'est pas légale, mais simplement facultative. L'intérêt de la question n'est pas purement théorique: si la compensation était légale, elle aurait eu lieu de plein droit, depuis la coexistence des deux dettes et les intérêts des sommes, dus respectivement ou d'un seul côté, auraient cessé de courir depuis cette époque; si, au contraire, la compensation est facultative, les intérêts ne sont arrêtés que du jour où elle est opposée, sans rétroactivité (v. art. 553).
Si le créancier doit à la caution elle-même, celle-ci peut lui opposer la compensation de son propre chef; mais avec cette différence que la compensation légale ne s'est pas opérée dès le moment où les deux dettes ont coexisté: la dette de la caution n'était qu'accessoire et elle n'était pas exigible purement et simplement: elle était toujours subordonnée à quelques préliminaires de poursuites contre le débiteur principal (e); mais, lorsque la caution est valablement poursuivie, c'est que la dette est devenue exigible contre elle, et son caractère accessoire a, en quelque sorte, disparu.
Bien entendu, quand la caution a ainsi compensé sa créance avec la dette principale, elle a recours contre le débiteur qu'elle a libéré à ses frais, c'est-à-dire en perdant sa créance.
609. —2e al. La solidarité n'ayant jusqu'ici été rencontrée qu'incidemment, on n'a pas encore eu l'occasion d'en signaler le caractère mixte qui influe sur la présente situation. Un débiteur solidaire doit toute la dette, comme le mot l'indique; mais il n'en doit qu'une partie en son propre nom: le reste, il le doit au nom et comme caution des autres. Ce n'est pas à dire qu'à tous les points de vue il soit traité comme la caution ordinaire: notamment, il ne jouirait pas des bénéfices de discussion et de division qu'on verra, plus tard, appartenir à la caution; mais, ce qui prouve que le débiteur solidaire n'est, pour les parts des autres, qu'une caution solidaire, c'est le recours qui lui appartient contre eux, lorsqu'il a payé (comp. c. civ. fr., art. 1203, 1214 et 2021, in fine; Proj., art. 418 et 1064).
Cette remarque rend facile l'explication du présent alinéa, lequel comprend d'ailleurs deux hypothèses.
1° Le créancier unique, devant à l'un de ses débiteurs solidaires, poursuit l'un des autres débiteurs avec lequel il n'a pas de cause de compensation; le défendeur ne pourra pas se soustraire entièrement aux poursuites, en alléguant que la compensation a eu lieu pour le tout entre le créancier et l'un des codébiteurs: d'abord, ce serait indirectement faire peser l'avance du payement sur ce codébiteur; or, le créancier seul a ce pouvoir, par. le choix qu'il fait dans sa poursuite; ensuite, le codébiteur non poursuivi jouant le rôle de caution pour toutes les parts autres que la sienne propre, la compensation ne peut être invoquée de son chef, en vertu du 1er alinéa; mais elle pourra être invoquée pour la part même de ce codébiteur, car il doit cette part " personnellement et principalement " (/).
2° Le créancier poursuit celui-là même avec lequel il a cause de compensation totale ou partielle: le débiteur poursuivi invoquera alors la compensation, comme s'il était débiteur unique; la qualité de caution qu'on vient de lui reconnaître ne s'y oppose pas, puisque la caution ordinaire, quand elle est poursuivie, est alors traitée par le créancier comme devenue " débitrice personnelle et principale," et elle oppose ainsi la compensation de ce qui lui est dû à elle-même, en vertu toujours du précédent alinéa, mais comme compensation facultative et sans rétroactivité (v. art. 553).
Le débiteur solidaire qui a ainsi libéré les autres, en perdant sa créance, a recours contre chacun d'eux pour leur part et portion réelle dans l'obligation (textes cités).
610. —3e al. Il n'y a qu'un seul débiteur, mais plusi eurs créanciers solidaires, dont l'un est obligé envers le débiteur commun. Que ce soit lui qui poursuive ou un autre des créanciers, le Projet, tranchant ici une question fort débattue en France, en l'absence de texte, et non moins difficile en législation, décide que, dans l'un et l'autre cas, le débiteur poursuivi opposera la compensation pour tout le montant de sa créance, c'està-dire, même au-delà de la part du. créancier poursuivant.
On arrive à ce résultat, en considérant la nature du mandat mutuel que se sont donné les co-créanciers solidaires: d'abord, chaque créancier peut recevoir un payement effectif intégral, sauf à en communiquer le profit aux autres (v. art. 418 et 1084); ensuite, pour ce qui est de la compensation tirée de sa propre dette envers le débiteur, il n'est pas douteux que si ce créancier poursuit lui-même le débiteur, son action ne puisse être détruite par la compensation intégrale, ce qui oblige à reconnaître que son mandat lui permettait de créer une cause de compensation excédant sa part dans la créance, sauf à en indemniser ses co-créanciers; il n'y a donc pas de raison suffisante pour refuser d'admettre la même compensation du chef de ce qu'il doit, lorsque la poursuite émane d'un des autres créanciers; sauf, bien entendu, l'indemnité due à ceux-ci pour leur part dans la créance perdue.
Cette étendue donnée au mandat mutuel des cocréanciers solidaires, par une sorte d'interprétation législative de leur volonté, ne paraîtra pas exagérée, si l'on considère qu'il y a, en général; une communauté d'intérêts entre eux bien plus étroite qu'entre co-débiteurs solidaires: leur mandat, étant toujours volontaire, suppose une confiance mutuelle entière, tandis qu'entre codébiteurs la solidarité est, le plus souvent, une condition du contrat imposée par un créancier défiant, sous peine de ne pas traiter.
Remarquons, du reste, que ce droit à la compensation intégrale n'a lieu que dans le cas où le débiteur poursuivi n'a pas perdu le droit de contraindre le créancier à recevoir le payement, ce qui s'explique par le renvoi du texte à l'article 1078 (1).
611. —4e al. Lorsqu'il s'agit d'une dette indivisible, ]e fonctionnement de la compensation se trouve un peu plus simple que celui de la remise de la dette ou de la remise de la modalité, dans le même genre de dette (comp. art. 528, 36 al. et 531): on n'a plus à se préoccuper de l'indivisibilité naturelle, puisqu'il doit s'agir, avant tout, de dettes de choses fongibles entre elles, ce qui exclut nécessairement les obligations de faire et de ne pas faire, celles de donner des corps certains ou même la plupart des choses de quantité. Il ne peut être question que de dettes d'argent ou de denrées cotées (v. art. suiv.), dont l'une devait être exécutée indivisiblement, à cause du but que se proposait le créancier (2).
Supposons donc, tour à tour, que cette dette, indivisible par l'intention (v. art. 462, 2e al.) ou par la convention expresse (v. art. 464 et 1088) est due 1° par plusieurs débiteurs, 2° à plusieurs créanciers, et qu'il y a matière à compensation; supposons aussi que la dette est d'argent, en réservant à l'article suivant l'explication du 5e alinéa qui vise implicitement le cas où elle est de prestations de denrées cotées.
1er Gas. Il y a plusieurs débiteurs dont l'un est devenu créancier du créancier commun.
Si le créancier poursuit le débiteur envers lequel il a une dette, il est évident que celui-ci lui opposera la compensation, pour tout le montant de sa propre créance: il serait bien inutile de conserver au créancier un droit de poursuite intégrale, à charge de précompter une valeur, conformément à l'article 466, puisque cette valeur serait de la même nature que celle qui est réclamée, à savoir, de l'argent.
Si le créancier poursuit l'un des autres débiteurs, avec lequel il n'a pas de cause directe de compensation, celui-ci lui opposera de même la compensation, du chef de son codébiteur; mais il ne pourra plus l'opposer que pour la part de son codébiteur, comme si la dette était solidaire, et par les deux motifs donnés cidessus, sur le 26 alinéa.
2e Gas. Il y a plusieurs créanciers de cette dette d'argent, indivisible par convention, et l'un deux est devenu débiteur, d'une somme d'argent aussi, envers le débiteur commun.
Si la poursuite est exercée par ce créancier, nul doute que le débiteur puisse lui opposer la compensation jusqu'à due concurrence, ce qui peut aller jusqu'à une compensation totale.
Si la poursuite est exercée par un des autres créanciers, il semblerait, au premier abord, que la compensation ne pût lui être opposée que pour la part de l'autre créancier; mais la loi admet la compensation intégrale, comme si la dette était solidaire entre créanciers: l'objection tirée de l'insuffisance apparente du mandat mutuel a été déjà réfutée au sujet de la remise de dette (n° 592); il y a même ici une raison de plus de décider en faveur de la compensation totale: chaque créancier peut recevoir le payement total et ainsi libérer le débiteur, sauf à communiquer le profit aux autres; or, lorsqu'un des créanciers est devenu, de son côté, débiteur personnel du débiteur commun, c'est qu'il en a reçu une valeur (et ici c'est une valeur de même nature que celle qui est due à tous, de l'argent); n'est-ce pas comme s'il avait reçu, par anticipation, le payement effectif de la dette ?
La loi arrive donc, sans arbitraire, à assimiler ici à la dette solidaire active et passive la dette d'argent indivisible activement et passivement par l'intention ou la volonté des parties.
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(e) En France, la caution ne peut, en général, être poursuivie qu'après discussion des biens du débiteur principal (art 2021 et suiv.); dans tous les cas, le débiteur doit, au moins, avoir été mis en demeure de payer.
Le Projet étend, plus qu'il ne les resserre, ce bénéfice de la caution (v. art. 1018 et s.).
(f) La solution donnée au texte tranche une question restée douteuse en France, en présence de l'article 1294, 36 al.; mais l'opinion dominante, et la seule qui paraisse conforme à l'équité et aux principes de la matière, est celle qu'adopte le Projet: on peut croire d'ailleurs que le Code français n'a voulu défendre qu'une compensation totale qui eût été, en effet, inadmissible.
Le Code italien (art. 1290) admet, comme le Projet, la compensation pour une part.
(1) Il est clair que cette limite est nouvelle et n'a pu être introduite ici que depuis que le Livre IV est terminé.
(2) Lors de la Révision, à la dernière heure, ayant eu à retoucher ce qui concernait l'indivisibilité naturelle, en matière de novation (art. 522), de remise conventionnelle (art. 528 et 537), de confusion (art. 558), nous avions été entraîné, par l'analogie apparente et sans nous y arrêter, à introduire aussi dans la compensation (art. 543) un renvoi à l'article 466: c'était dire, en une forme abrégée, que le créancier poursuivant auquel la compensation serait opposée par le débiteur, du chef d'un des autres créan ciers, pourrait néanmoins demander le payement intégral, en tenant compte, en argent, au débiteur, de la valeur de la part de cet autre créancier: nous ne songions pas, à ce moment, que les dettes indivisibles par leur nature ne peuvent être de choses fongibles et, par conséquent, ne peuvent donner lieu à la compensation légale. Si nous avions, à ce moment jeté les yeux sur le présent Commentaire, si explicite en ce sens, nous n'aurions pas commis cette inadvertance qui n'a pas été aperçue en temps utile et est restée au Texte officiel (art. 521).
Bien heureusement, cette disposition ne constitue ni une injustice, 'ni une contradiction formelle avec une autre disposition; elle reste seulement sans application possible: le cas prévu ne se présentera pas.