Projet de code civil pour l'Empire du Japon
参考原資料
- Projet de code civil pour l'Empire du Japon. Accompagne d'un commentaire. , TOME DEUXIÈME [国立国会図書館デジタルコレクション]
COMMENTAIRE.
Art. 314. — 1. Les droits personnels forment, avec les droits réels, l'ensemble des Biens qui composent le patrimoine des Personnes (voy. T. 14, pp. 2, 22-23).
Déjà, sous les articles 2 et 3, on a indiqué la nature différente de ces deux droits: on a dit que les premiers mettent une personne en rapport direct avec une chose, (jus in re, “droit sur la chose”), permettent d'en tirer tout ou partie de l'utilité et des avantages qu'elle peut fournir et autorisent à revendiquer la possession de cette chose contre toute personne qui la détient injustement; tandis que le droit personnel n'établit pas de rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne qui la doit; de là, le nom même de droit personnel (jus in personam, “droit contre une personne”).
Cette distinction qui se présente, au premier abord, comme purement dogmatique et théorique, a déjà reçu d'intéressantes applications pratiques, en ce qui concerne les droits réels, dans les divers Chapitres qui forment la Première Partie de ce Livre; on la trouvera appliquée ici également, pour les droits personnels.
2. On rappelle aussi ce qui a déjà été dit (T. 1er, p. 23) au sujet de l'unité des droits personnels: quoi. qu'on emploie habituellement la forme du pluriel, ce n'est pas à dire qu'il y ait des droits personnels de plusieurs sortes, comme il y a plusieurs droits réels profondément différents; tout au plus, trouvera-t-on des droits personnels sanctionnés avec plus ou moins d'énergie par la loi; mais au fond, leur nature est identique. Si l'on parle ainsi au pluriel, c'est parce que quelqu'un peut avoir plusieurs droits personnels contre la même personne: il suffit que deux droits soient nés à des époques différentes, ou qu'ils n'aient pas la même cause ou n'aient pas le même objet, pour être considérés comme des droits personnels distincts.
3. Le 1er alinéa donne au droit personnel un nom équivalent, le nom de créance, qui exprime que celui qui a le droit personuel (le créancier) croit, a confiance en celui contre qui le droit existe (le débiteur). Quel. quefois, cependant, cette confiance est très-limitée et le créancier exige des garanties particulières, telles qu'une caution, un gage, une hypothèque; mais les noms juridiques sont tirés des cas ordinaires et non des cas exceptionnels; de même, on ne peut dire, à proprement parler, que le créancier a cru au débiteur, quand la dette est née de la faute de celui-ci; c'est seulement au cas de convention ou contrat que l'expression de créance ou croyance est justifiée; mais comme les conventions sont, de beaucoup, les causes les plus nombreuses des droits personnels, c'est encore “à ce qui arrive le plus souvent” que répond l'expression légale (a).
4. Le 1er alinéa nons dit encore que la créance a pour corrélatif nécessaire une obligation. On dit, en général, qu'à tout droit d'une personne correspond un devoir d'une autre; mais ce devoir n'est pas toujours une obligation proprement dite. Ainsi, au droit réel d'une personne répond le devoir de toute autre de respecter ce droit, mais il serait ridicule de dire que le monde entier est obligé envers chaque propriétaire et autant de fois que celui-ci est propriétaire d'objets différents: comme il n'y a pas lieu d'intenter une action en justice pour faire déclarer ce devoir général tant qu'il n'y est pas manqué, il convient de dire qu'il y a plutôt là, pour les tiers, “absence de droit” qu'obligation; l'obligation proprement dite ne commence que pour l'usurpateur ou le possesseur de mauvaise foi, qui est tenu civilement, et par voie d'action en justice, de rendre la chose à celui à qui elle appartient; c'est qu'alors un droit personnel est né, au profit du propriétaire, de l'acte injuste dont il a été victime (voy. art. 316).
Il n'y a donc que le devoir correspondant au droit personnel auquel convienne le nom “d'obligation;" il est plus étroit, plus rigoureux, en même temps qu'il est limité à une seule personne, et le mot obligation (du latin: ligare, “lier”) exprime bien l'idée d'un assujettissement individuel (b).
La corrélation de l'obligation à la créance est si naturelle, si intime, que l'usage juridique et même législatif est de traiter des droits personnels sous le titre des Obligations. On suivra ici le même usage: les divisions principales de cette II° Partie se rapporteront aux Obligations; c'est en déterminant leurs causes, leurs effets, leur extinction ou leur fin que le Projet présentera la théorie des droits personnels ou de créance.
5. Enfin, la loi, au lieu de définir ici le droit personnel, ce qui a déjà été fait dans l'article 3, définit son corollaire, l'obligation. L'expression lien de droit est consacrée depuis le droit romain (vinculum juris); certains jurisconsultes ont préféré celle de “nécessité juridique d'action ou d'inaction;" mais l'idée est moins claire et moins simple, et mieux vaut conserver la définition traditionnelle.
La définition nous dit encore que ce lien peut provenir du droit positif ou du droit naturel. On verra, sous l'article suivant, que la force coercitive de ces deux autorités n'est pas la même.
6. Vient ensuite l'effet de l'obligation qui se confond avec son objet: c'est une contrainte plus ou moins énergique “à donner, à faire, ou à ne pas faire.” Ce sont encore là des expressions consacrées.
Donner (dare), c'est transférer la propriété ou un autre droit réel. Il ne faut pas confondre l'obligation de donner avec la dation effectuée: tant qu'il n'y a qu'obligation, il n'y a qu'un droit personnel; quand la dation est effectuée, l'obligation a cessé par l'exécution, le droit réel lui a succédé. On verra plus loin quand et comment la dation se trouve effectuée.
Faire (facere), c'est accomplir un acte utile ou profitable à autrui, autre qu'une dation, comme un travail manuel ou intellectuel, comme un service personnel, une entremise, un voyage, une prestation ou livraison de chose pour un usage déterminé.
Ne pas faire, c'est s'abstenir d'un acte, licite d'ailleurs, que le débiteur pourrait, en principe, accomplir, soit sur ses biens, soit sur les biens d'autrui, mais qu'il s'engage à ne pas accomplir, pour le plus grand avantage du créancier. Tel serait le cas où celui qui aurait loué sa maison ou cédé son fonds de commerce, s'interdirait, dans l'intérêt de son locataire ou de son cessionnaire, d'exercer une industrie ou un commerce qui pourrait faire concurrence à ce dernier. La garantie que doit le bailleur ou le vendeur, d'après la loi, impose déjà cette obligation dans une certaine mesure et sans convention spéciale (voy. art. 140); mais ou peut l'étendre ou la restreindre par convention; le preneur lui-même ou le cessionnaire pourrait aussi se soumettre à l'obligation de ne pas faire certains actes que le droit commun lui permettrait.
On peut supposer encore le cas où un propriétaire se serait interdit, dans l'intérêt de son voisin, quelquesuns des droits attachés à la propriété, sans, pour cela, qu'il y ait servitude foncière; comme de ne pas chasser chez lui, de ne pas couper des arbres qui préservent le fonds voisin des vents du nord (c). Enfin, on peut s'interdire d'exercer sur les biens d'autrui certains actes qui d'ailleurs eussent été permis, soit en vertu du droit commun, soit par une convention spéciale; tel serait le cas où un prêteur d'argent s'engagerait à ne pas saisir certains biens de son débiteur; par exemple, son traitement de fonctionnaire; celui où un propriétaire s'engagerait pour un certain temps, à ne pas couper les branches des arbres du fonds voisin qui avancent au-dessus de la ligne séparative, ou à ne pas user d'un droit de servitude qui lui appartient: cette renonciation temporaire à son droit ne pouvant être considérée comme une extinction de la servitude légale ou du fait de l'homme, il faut lui reconnaître le caractère d'obligation de ne pas faire, d'engagement personnel, lequel ne serait pas opposable au cessionnaire du fonds dominant, et ne profiterait au cessionnaire du fonds servant que s'il avait été informé de cette créance temporaire et en avait été investi expressément ou tacitement.
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(a) Les Romains ont, les premiers, donné ce sens général à leur mot creditum bien qu'il eût la même étymologie limitative, credere, "croire, avoir confiance.”
(b) Cette idée de lien est si naturelle qu'elle se trouve aussi dans la langue juridique japonaise qui, cependant, ne s'est pas formée sous l'influence romaine: on dit, en japonais: iaku soku, "lier ensemble."
(c) On peut rapprocher ces exemples d'obligations négatives de ceux d'obligations positives donnés sous l'article 286, 2C al.
Art. 315. — 7. On a dit, plus haut, que l'unité qui caractérise les droits personnels ne va pas jusqu'à exclure des degrés dans la force d'exécution qu'ils comportent. Ces différences de sanction sont rattachées par la loi à deux sortes d'obligations corrélatives aux droits personnels: les plus énergiques sont munies d'une action qui permet au créancier d'obtenir en justice tous les moyens de contrainte que la loi autorise pour arriver à l'exécution forcée, à défaut d'exécution volontaire; on les appelle obligations civiles, dans les lois européennes qui suivent ici encore les traditions et les expressions romaines; le présent article les qualifie de même et aussi “obligations de droit positif,” c'est-à-dire déterminées et sanctionnées par la loi du pays, pour mieux accentuer leur opposition avec les obligations naturelles ou “ de droit naturel” qui n'ont qu'une sanction incomplète, qui ne comportent pas d'exécution forcée, mais seulement une exécution volontaire laissée à la conscience et à l'honnêteté du débiteur.
La détermination des cas d'obligations naturelles est très-difficile: les lois étrangères ont laissé ce soin à la doctrine et à la jurisprudence; il en est résulté des divergences assez sérieuses, tant parmi les auteurs que parmi les arrêts; les lois romaines n'ont pu être suivies ici qu'en partie, à cause de graves modifications produites avec le temps dans l'organisation de la société et de la famille. Le Projet japonais devra prévenir de pareilles difficultés, en déterminant les cas d'obligations naturelles; mais ces cas ne pouvant se comprendre que lorsque les obligations civiles seront réglées, c'est dans un Appendice qu'on les trouvera, à la fin de cette IIo Partie.
8. Bien que les obligations civiles soient aussi qualifiées ici obligations “de droit positif,” il n'eu fauldrait pas conclure que si, dans un pays, la matière des obligations privées n'était pas réglée par la loi, toutes les obligations seraient naturelles, c'est-à-dire imparfaites quant à leur sanction et dépourvues d'action en justice: on pourrait toujours en reconnaître de plus énergiques les unes que les autres; seulement, la détermination des unes et des autres serait plus difficile encore et les qualifications devraient être changées (d).
9. Le dernier alinéa du présent article vise deux autres sortes d'obligations, uniquement pour dire que la loi entend y rester étrangère.
C'est aujourd'hui un principe fondamental du droit public théorique que la loi doit se désintéresser de ce qui est du par domaine de la conscience. L'homme a trois sortes de devoirs ou obligations: des devoirs envers ses semblables, des devoirs envers lui-même et des devoirs envers la Divinité.
Les devoirs de l'homme envers ses semblables sont ceux dans l'observation desquels la loi doit intervenir, sinon toujours, au moins le plus souvent: si elle ne le faisait pas, dans la plupart des cas, les hommes seraient en lutte perpétuelle les uns avec les autres; la société périrait dans les discordes et les déchirements; c'est seulement dans l'ordre de ces devoirs entre les hommes que le Droit intervient; c'est là son véritable et seul domaine.
10. A l'égard des devoirs de l'homme envers luimême, comme sont ceux de mener uve vie honnête et réglée, pour remplir sa destinée et être utile à ses semblables, ils ne sont plus des evoirs de droit, mais des devoirs de morale. Celui qui manque à ces devoirs est exposé à perdre l'estime publique et à sentir les reproches de sa conscience; mais si ses vices n'ont pas causé à autrui un dommage direct et appréciable, la loi n'a pas à intervenir; autrement, elle deviendrait inquisitoriale de la vie privée; elle aurait besoin de la délation pour auxiliaire; le remède au mal serait pire · que le mal lui-même.
Eu rattachant ainsi à la morale les devoirs de l'homme envers lui-même, on n'entend pas dire ici que la morale n'ait pas une part et même une large part dans les devoirs de l'homme envers ses semblables. Assuré. ment, la morale lui ordonne de leur faire le plus de bien possible et lui interdit de leur faire le mal qu'il peut éviter de leur faire,; mais le législateur est impuissant à édicter toutes les règles impératives ou prohibitives dont l'observation constitue l'honnêteté, la bonté, la vertu; et, lors-même qu'il y parviendrait, en s'aidant des lumières des philosophes, des moralistes et des religieux, ses préceptes de morale seraient presque toujours dépourvus d'une sauction effective et resteraient à l'état de pure théorie; car la violation de la loi morale n'est imputable que si elle est intentionnelle ou volontaire, et, le plus souvent, lorsque la question de fait serait portée devant les tribunaux, le défendeur alléguerait sa bonne foi ou des obstacles à l'accomplissement de son devoir, la preuve contraire ne pourrait être entièrement fournie et la loi serait savs effet.
Ce n'est pas à dire, non plus, que dans les matières qui sont l'objet du droit positif, il n'y ait jamais des points de morale à apprécier par les tribuvaux: toutes les parties du droit où il est sévi contre le dol et la violence (et on en va rencontrer tout à l'heure), celles où la loi exige la bonne foi, où elle établit la responsabilité des fautes par action ou par omission, obligent les juges à remonter aux principes de la morale, si non de ceux qui doivent régir la vie individuelle, au moins de ceux qui doivent être observés nécessairement dans les relations entre les hommes.
C'est à cause de ces affinités de la science du droit avec la morale et avec la philosophie qu'elle rentre, au premier chef, dans l'ordre des sciences morales et · philosophiques.
11. Enfin l'homme a des devoirs en vers la Divinité. Quelle que soit l'idée plus ou moins définie que les hommes puissent concevoir d'un Etre suprême, quelle que soit la diversité du culte que les hommes lui rendent, suivant les temps et suivant les lieux, la croyance à un Etre supérieur, à Dieu, est universelle, elle exerce sur les sociétés humaines l'influence la plus salutaire, en agissant d'abord sur la conduite individuelle et, de proche en proche, sur les nations.
Une société dont les membres ne croiraient pas à la Divinité serait livrée à tous les désordres; le frein des lois serait impuissant à maintenir les hommes dans l'observation de leurs devoirs envers leurs sein blables; la morale elle-même et la philosophie manqueraient de base et les hommes, au lieu d'être plus libres seraient, pour la plupart, esclaves: les faibles le seraient des forts, les pauvres des riches, les bous des méchants, les simples des rusés; tous seraient encore esclaves de leurs propres passions.
La croyance religieuse est donc pour le législateur un auxiliaire encore plus puissant que la morale, parce qu'elle rapproche davantage les hommes (e), au milieu de tant d'intérêts qui les divisent.
Cependant, la loi proclame ici qu'elle n'intervient pas dans l'observation des devoirs religieux. C'est un principe du droit public des temps modernes qui figure dans quelques constitutions de l'Europe et dont l'absence est regrettée dans plusieurs autres (f). L'Histoire nous montre quels ont été les malheurs des peuples où la théocratie (g) était le principe du gouvernement: l'autorité civile était débordée, usurpée, par celle des prêtres, et l'on peut dire saus témérité que les excès du despotisme religieux ont amené dans ces pays une réaction anti-religieuse extrême qui est un autre mal et que les sages ne peuvent que déplorer.
Confucius (chap. VII) conseille à ses disciples “de "ne pas chercher à approfondir les choses surnatu“relles, parce qu'elles excèdent les dernières limites “de la raison et qu'il n'est pas donné à l'homme de “les éclaircir.” Il n'aurait pas tenu un autre langage, s'il avait parlé au législateur, et, si ce sage précepte avait été observé toujours en Europe, elle n'aurait pas été troublée par des guerres de religions d'autant plus acharnées que, de chaque côté, les combattants prétendaient être en possession de la vérité et se croyaient le devoir autant que le droit de l'imposer à leur adversaire.
Le Japon est, aujourd'hui, plus qu'à toute autre époque, porté à la tolérance religieuse, et la loi répondra au sentiment public eu se désintéressant formellement des questions de religion. '
Ce n'est pas à dire pourtant que les adeptes d'une religion, nationale ou étrangère, puissent sans contrôle de l'autorité administrative, célébrer publiquement leur culte: du moment qu'il y a publicité, l'ordre général est intéressé, comme dans toute autre réunion publique; de même, la liberté religieuse de chacun se trouve limitée par la liberté religieuse d'autrui, et tout individu qui troublerait l'exercice d'un culte serait punissable par le nouveau Code pénal (art. 263).
Le texte du présent article ne contredit pas ces solutions: il n'exclut pas d'une façon absolue l'intervention de la loi dans les matières religieuses, il n'exclut que “la contrainte légale à l'observation des devoirs religieux:" les indifférents, les incrédules, les athées, pourront être privés d'une grande force daus l'adversité, de grandes consolations dans le malheur; mais ils n'auront violé aucune loi humaine.
12. Après ces courtes Dispositions préliminaires, le Projet va présenter la théorie générale des Créances ou Obligations, dans le même ordre que pour les Droits réels; on verra donc: 1° leurs causes, ou comment elles s'établissent, 2° leurs effets, 3° leur extinction.
Une remarque importante est à faire, dès à présent: il ne s'agit ici, comme le dit l'intitulé de cette II Partie, que des obligations en général et von de celles qui ont des causes, des effets et des extinctions propres; ces dernières se trouveront énumérées au Livre III°. Ainsi, la vente, le louage, la société, le mandat, le prêt, sont des contrats spéciaux dont la nature et les effets diffèrent profondément, à beaucoup d'égards; ce qu'ils ont de particulier pe se trouvera pas ici; mais ils ont aussi de nombreux caractères communs avec tous les contrats, et les obligations qu'ils produisent trouveront ici leurs règles générales.
Le Code civil français a procédé de même: le Titre nuo du Livre III° est consacré aux Contrats et aux Obligations en général; mais, plus loin, des titres particuliers sont consacrés à chacun des contrats qui présentent des dérogations au droit commun.
Malheureusement, à part cette similitude dans les grandes lignes, il ne sera pas toujours possible de suivre, dans le Projet japonais, la méthode du Code français dont les négligences sont nombreuses et depuis longtemps reconnues.
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(d) On peut, sans critique et comme simple observation de fait, reconnaître que telle a été jusqu'ici la situation du Japon, en cette matière.
(e) Dans les langues européennes dérivées du latin, le mot religion et les mots analogues viennent du verbe religare qui veut dire: “lier, rapprocher les hommes."
(f) En France, on vient seulement d'abolir une loi de 1814, sur le repos forcé du Dimanche et des Fêtes religieuses; elle était d'ailleurs tombée en désuétude.
En Angleterre, l'observation du Dimanche est encore rigoureusement imposée et ce n'est pas un des moindres sujets d'étonnement pour les étrangers que cette intervention de la loi dans les choses de conscience, chez un peuple qui prétend être le plus libre de l'Europe.
(g) De deux mots grecs qui signifient: “pouvoir de Dien sur la terre."
COMMENTAIRE.
Art. 316. — 13. Toutes les obligations civiles, même celles qui seront l'objet de règles particulières, aux Livres III et IV°, ont l'une de ces quatre causes; les obligations naturelles, elles-mêmes, ont les mêmes causes, mais affaiblies, comme on le verra à l'Appendice, en exceptant seulement la quatrième qui est évidemment de droit positif.
La 2° et la 3° cause d'obligations apparaissent ici sons des noms moins usités que ceux que leur donnent les législations étrangères; mais on a cru devoir bannir de la loi un langage reconnu défectueux et qui n'avait en sa faveur qu'une longue tradition.
Le Code français et ceux qui l'ont imité (a) divisent les obligations eu deux classes: les obligations conventionnelles et celles qui se forment sans convention; la seconde classe est l'objet il'un Titre spécial, ce qui est peu raisonnable, car les effets et les modes d'extinction de ces obligations étant les mêmes que pour les obligations conventionnelles, sauf quelques légères différences de détail, cette séparation tranchée pourrait faire douter de l'identité fondamentale de nature et d'effets de ces obligations. Il en résulte aussi un aspect bizarre de ces deux Titres: tandis que le premier a 269 articles, le second est réduit à n'en avoir que 15.
14. Le Projet a donc réuni en une seule Section les causes diverses des obligations (b). Mais là n'est pas la seule dérogation au Code français: tandis que celui-ci mentionne comme causes d'obligations non conventionnelles, les quasi-contrats, les délits et les quasi-délits, le Projet emploie ici des expressions trèsdifférentes, mais qui ont l'avantage d'avoir un sens précis et connu. L'expression consacrée de quasicontrat (comme un contrat, presque un contrat) ferait croire que, dans le fait ainsi qualifié, il y a un accord de volonté, au moins tacite ou imparfait; or, il n'en est rien; on ne peut expliquer les obligations rattachées à cette dénomination équivoque que par l'idée d'un enrichissement indû, illégitiine, sans toutefois qu'il y ait faute de celui qui est enrichi; or, il paraît bien plus simple d'introduire dans la loi le nom véritable de cette cause d'obligation.
15. Il y a moins d'objections à faire contre l'expression de quasi-délit, parce que cette cause ressemble an délit, comme étant une faute dommageable, quoiqu'elle en diffère par l'absence d'intention de vuire; mais il est préférable encore de qualifier ces deux causes du nom commun de “dommage injuste,” lequel n'a pas besoin de commentaire.
Les expressions de quasi-contrat et quasi-délit sont une imitation maladroite du droit romain: les Romains n'admettaient, à l'origine, que deux causes d'obligations civiles: le contrat et le délit; plus tard, ils reconnurent que l'équité commandait la restitution de certains enrichissements mal fondés et la réparation de certains dommages qui n'étaient pas causés par de véritables délits; dès lors, sans ajouter aux deux causes fondamentales d'obligations, ils recopnurent qu'il y avait là “des images, des figures de ces deux causes” (variæ causarum figuræ) et ils dirent que l'obligation naissait "comme d'un contrat, comme d'un délit” (quasi ex contractu, quasi ex delicto); ce sont les modernes qui, négligeant ces précautions de langage, ont introduit les noms inélégants et obscurs de quasi-contrat, quasidélit. Déjà, ils ont été introduits dans la langue juridique japonaise, et il ne faut pas le regretter, pour l'intelligence du Code français que l'on consultera toujours avec fruit; mais la loi nationale doit être claire et compréhensible pour tous, or, il n'y a pas besoin d'être légiste pour comprendre que celui qui s'est enrichi sans cause légitime du bien d'autrui doit restituer ce dont il est enrichi et que celni qui a causé, sans droit, un dommage à autrui, doit le réparer.
16. On pourrait s'étonner de ne pas trouver ici, comme dernière cause ou source d'obligations, les jugements. Il semble, en effet, que lorsqu'on jngement irrévocable est intervenn, condamnant une partie à payer ou à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose au profit de l'autre, il y ait dans cette décision judiciaire un principe nouveau d'obligation, quelle qu'ait pu être la cause première de la condamnation; le langage pratique favorise cette illusion, car l'exécution de l'obligation sera requise en vertu du jugement dûment signifié.
Mais ce n'est, disons-nous, qu'une illusion; les jugements ne créent pas de droits nouveaux, ils déclarent des droits préexistants: lorsqu'une personne est condamnée, comme on vient de le supposer, c'est parce qu'elle était antérieurement obligée par l'une des quatre causes ci-dessus énoncées; le jugement d'y ajoute rien; la condamnation aux frais, elle-même, a une cause antérieure au jugement, c'est la faute commise par la partie qui succombe, faute consistant dans la témérité de sa demande ou de sa défense. Quant à la circonstance que l'exécution est requise en vertu du jugement, elle n'est pas une objection sérieuse: le jugement n'est qu'une preuve du droit, preuve invincible, d'ailleurs, rentrant dans la classe des présomptions légales, comme on le verra au Livre V°; mais il n'est pas plus la cause. ou la source du droit que l'écrit ou le témoignage sur la foi duquel le jugement peut avoir été rendu.
Au reste, l'idée que les jugements sont des sources d'obligations, entièrement fausse aujourd'hui, était exacte en droit romain. Les Romains admettaient une novation judiciaire, à côté de la novation conventionnelle qui est une convention modificative d'une obligation antérieure (voy. art. 511 et s.). Ils avaient cette formule restée célèbre: “avant l'action en justice, “le débiteur doit donner ou faire ce qu'il a promis; “après l'action intentée, il doit subir condamnation; “après la condamnation prononcée, il doit exécuter le “jugé.” Mais cette double novation était la conséquence d'un système de procédure, très-savant, il est vrai, mais très-compliqué, dont il ne reste rien dans les législations contemporaines et que personne ne proposera de rétablir. C'est cependant là ce qui explique que quelques anteurs modernes, influencés intempestivement par les souvenirs du droit romain, disent que des obligations “naissent du quasi-contrat judiciaire.”
La loi va consacrer une Section particulière à chacune des quatre causes d'obligations.
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(a) Le Code italien est de ce nombre; il reproduit, trop fidèlement peut-être, le Titre des Obligations du Code français; aussi aura-t-on moins l'occasion de le citer en cette matière qu'en celle des droits réels. Cependant, on y signalera quelques améliorations de détail et de méthode.
(b) C'est à peu près ce qu'a fait le Code italien qui a, du moins, rapproché ces causes dans des Sections successives (v. art. 1098 et suiv., 1140 et suiv., 1151 et suiv.).
COMMENTAIRE.
Art. 317. — 17. Bien que les expressions de convention et de contrat, soient souvent employées l'une pour l'autre, dans l'usage et même dans les lois, il est bon cependant de reconnaître le sens propre de chacune; elles ne sont pas synonymes: la convention est plus large que le contrat; elle est le genre, celui-ci est l'espèce. Le sens propre ou étymologique n'est pas le même, dans les langues dérivées du latin; la convention (b) exprime l'idée de personnes qui, après avoir été dans des dispositions d'esprit différentes, arrivent à se réunir dans un même sentiment, dans une même volonté; le contrat (c) suppose aussi l'accord de deux volontés, mais, spécialement, dans le but de former un lien juridique, une obligation. Le contrat est donc toujours une convention, mais la convention n'est pas toujours un contrat.
Ainsi, soit une convention ayant pour but d'éteindre une obligation, par exemple, une remise de dette, il serait tout à fait impropre de dire qu'il y a contrat (d). De même, si l'on suppose une donation de meuble ou d'immeuble dont l'objet est déjà aux mains du donataire: comme alors le donateur, tout en se dépouillant du droit de propriété, ne contracte aucune obligation, pas même celle de livrer la chose, on ne doit pas dire qu'il y a contrat, mais qu'il y a convention. Si, au contraire, on suppose une vente ou un échange, bien que l'effet principal soit la transmission de la propriété, il y a aussi des obligations créées: l'acheteur doit payer un prix; pour lui, la convention est un contrat; pour le vendeur et le coéchangiste, il y a aussi, outre l'obligation de livrer, celle de garantir le cessionpaire de tout trouble ou éviction fondé sur un droit antérieur prétendu par un tiers; la convention est donc, de ce chef, un contrat, et c'est ce qui explique que l'on dise bien plus souvent "le contrat de vente ou d'échange" que la convention de vente, la convention d'échange. Les Romains, toujours scrupuleux dans la langue juridique, disaient que, dans la remise de dette, il y a moins contractus que distractus (dénoûment).
Quelquefois, la convention de crée ni n'éteint entièrement une obligation: elle modifie, elle change quelque chose d'une obligation antérienrement formée; elle y ajoute, y substitue ou en retranche quelque chose; en pareil cas, on ne recherche guère s'il y a plus d'ajouté que de retranché, et l'on peut indistinctement employer l'expression générique de convention ou celle plus étroite de contrat: c'est ce que l'on fera ici, le plus souvent.
Mais ce qu'on ne doit jamais faire, ce que le Code français a fait trop souvent et ce qu'on ne trouvera pas dans le Projet japonais, c'est employer le mot obligation pour celui de contrat ou de convention; ce qui est confondre l'effet avec la cause et brouiller toutes les idées (e).
18. La loi va présenter successivement: 1° la classification des contrats ou conventions; 2° leurs conditions d'existence et de validité: 3° leur force ou leurs effets, tant entre les parties qu'à l'égard des tiers; enfin, 4° les règles de leur interprétation.
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(b) Du latin: venire cum: “venir avec, venir ensemble, se rencontrer.”
(c) Du latin: trahere cum: “tirer avec, tirer ensemble, serrer un lien.”
(d) C'est pourtant ce que fait le Code italien (art. 1098).
(e) Cette fâcheuse confusion se trouve, notamment, au Code français, dans le Chapitre II, Sections 3e et 4e, dans les rubriques du Chapitre III et de la Section 2°, et dans l'important article 1138.
§ 1.-DES DIVERSES ESPÈCES DE CONTRATS OU CONVENTIONS.
19. On doit faire remarquer, tout d'abord, que les sept divisions des conventions ici présentées de constituent pas sept classes de conventions différentes et encore moins quatorze, quoique chaque division donne deux groupes ou deux branches: ce sont seulement des aspects différents des mêmes conventions. Sans doute, pour chaque division, la convention qui est dans une branche n'est pas dans l'autre; mais les conventions qui étaient dans la première division reparaissent dans la deuxième et dans toutes les autres. C'est ainsi que les divisions des Choses, objet des articles 1er à 30, nous ont présenté successivement les mêmes choses, sous des points de vue différents. La même remarque pourra s'appliquer aux divisions des Personnes que la loi envisagera, tour-à-tour, au point de vue de la nationalité, du sexe, de l'âge et des autres conditions légales ou juridiques dans lesquelles elles peuvent se trouver.
Chaque division des contrats ou conventions a des conséquences importantes qu'on rencontrera, chemin faisant, mais qu'on indiquera déjà ici, sommairement.
COMMENTAIRE.
Art. 318. — 20. Cette division mérite le premier rang par son importance pratique.
Le contrat unilatéral, d'après l'étymologie latine (voy. T. 105, p. 233, c.), est celui qui n'oblige que d'un seul côté; le contrat bilatéral oblige des deux côtés; ce dernier est encore appelé synallagmatique, de deux mots grecs qui veulent dire qu'il y a lien réciproque. La vente, l'échange, le louage, la société, sont des contrats bilatéraux ou synallagmatiques; le prêt dit de consommation, celui qui permet de consommer la chose prêtée, à la charge d'en rendre uue semblable, avec ou sans intérêts, est unilatéral.
21. Certains contrats sont d'une nature mixte et appelés, dans la doctrine, “synallagmatiques imparfaits, ou imparfaitement synallagmatiques;” ce sont: le prêt à usage ou commodat, le dépôt, le gage, le mandat. Ces contrats, au moment de leur formation, n'obligent qu'une des parties: l'emprunteur, le dépositaire, le créancier gagiste, qui doivent rendre la chose même qu'ils ont reçue, le mandataire qui doit accomplir le mandat. Mais il peut arriver, et il arrive souvent, que ces personnes deviennent créancières, à leur tour, soit parce que la chose à elles remise leur a causé un dommage, soit parce qu'elles ont fait des dépenses pour la conserver, ou parce que l'exécution du mandat a entraîné des avances ou des pertes.
Dans l'usage, on dit que ces contrats sont unilatéraux au moment de leur formation et peuvent devenir syvallagmatiques postérieurement et accidentellement (ex post facto).
Si l'on s'attache à la théorie pure, on doit plutôt dire que ces contrats ne sont qu'unilatéraux. Quant aux obligations qui peuvent naître ultérieurement an profit du débiteur, elles ne naissent pas du contrat même, mais de l'une des deux autres causes d'obligations: l'enrichissement indû ou illégitime du créancier ou le dommage injuste qu'il a causé en livrant une chose nuisible. Cette dernière obligation incombe même au prêteur de choses de consommation (c. civ. fr., art. 1898) et pourtant on n'a pas songé à lui contester le caractère de contrat purement unilatéral.
Ce qui a fait négliger ce point de vue et adopter la dénomination de contrats synallagmatiques imparfaits, c'est que les obligations respectives des parties, bien qu'elles aient des causes différentes, se font valoir, en général, par la même action, où elles donnent lieu à des compensations, à un règlement unique; peut-être même pourrait-on dire que la réparation des dommages et le remboursement des dépenses sont entrés dans les prévisions des parties et ont formé l'objet d'une couvention tacite; mais, au foud et en réalité, il y a ici concours de deux ou de trois causes différentes d'obligatious.
21 bis. Quelques auteurs ont prétendu que le contrat de prêt à usage n'est pas seulement synallagmatique ex post facto, mais qu'il l'est dès le début (a priori), au moins lorsque le prêteur la consenti pour un temps fixe pendant lequel il s'est interdit de redemander la chose prêtée. En effet, le Code français annonce comme “obligation du prêteur à usage," celle de ne pas réclamer la chose avant le temps convenu (art. 1888). Mais la même prohibition existant aussi à la charge du prêteur, dans le prêt de consommation (art. 1899), il en faudrait conclure que ce contrat est également synallagmatique, et il ne le serait pas, dès lors, d'une façon seulement imparfaite: il aurait ce caractère plein et entier, en sorte qn'il serait difficile désormais de trouver un contrat qui fût purement unilatéral. Le but serait dépassé. La vérité est que l'obstacle à la demande avant le terme de vient pas d'une obligation, mais de l'absence d'un droit. Celui qui a conféré à autrui un droit réel ou personuel soit temporaire soit perpétuel, ne peut ensuite retirer ou réduire ce droit, vi en gêner l'exercice de quelque manière que ce soit: le prêteur, à usage ou à consommation, est, à cet égard, dans la situation commune: il ne diffère pas, avant le terme, de celui qui n'ayant rien prêté n'a jamais le droit d'agir. Cette situation rappelle celle qui a été déjà expliquée plus baut (p. 3-4), au sujet du respect de la propriété d'autrui: on ne peut appeler “obligation ” le devoir général de tous de respecter la propriété de chacun.
22. Voici maintenant l'intérêt de la division des contrats en synallagmatiques (parfaits) et unilatéraux; il est double: tout contrat synallagmatique est soumis à la condition tacite que si l'une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie pourra s'affranchir des siennes, en demandant en justice la résolution du contrat. Ce n'est, du reste, qu'une faculté, à laquelle elle peut toujours renoncer, en se bornant à faire exécuter le contrat; mais la résolution sera souvent plus sûre et plus simple; elle peut, d'ailleurs, être accompagnée d'une condamnation à des dommages-intérêts.
Pour les contrats unilatéraux, il ne peut être question d'une semblable cause de résolution: si la partie qui est seule obligée n'exécute pas volontairement la convention, l'autre n'éprouverait de la résolution qu'une perte sans compensation; elle est donc réduite à demander l'exécution forcée sur les biens du débiteur, par les voies ordinaires.
Cette première différence entre les deux espèces de conventions qui nous occupent se trouve consacrée par le Code français (art. 1184); elle résulte de la nature même des choses et elle ne pouvait manquer d'être admise au Japon (v. art. 441 à 444).
La seconde différence, tout aussi juste, est peut-être moins nécessaire, aussi ne la trouve-t-on pas dans le Code italien; mais il semble qu'il faille le regretter. Le Code français l'établit dans l'article 1325; elle est relative à la preuve: si la convention est synallagmatique et que l'acte qui la constate soit sous-signature privée, il doit être rédigé en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette disposition sera proposée au Livre Vo. On se borne ici à la justifier sommairement, par cette considération qu'il est juste et utile que chacune des parties ait aux mains la preuve de son droit, pour le faire, au besoin, valoir en justice; autrement, si un seul acte était dressé et que la partie qui eu serait détenteur regrettât la convention, il serait en son pouvoir de l'anéantir; elle arriverait ainsi, contre toute raison et toute justice, à une sorte de résolution du contrat qui, au lieu d'être, comme la précédente, la peine de sa faute, en serait la récompense.
23. On a dit plus haut que certains contrats sont unilatéraux au moment de leur formation et paraissent devenir synallagmatiques par des circonstances postérieures; tels sont les contrats qui obligent à conserver une chose et à la rendre ensuite. On a dit aussi qu'en réalité ces contrats sont vraiment unilatéraux et que ce n'est pas sans danger qu'on les appelle "synallagmatiques imparfaits.”
Examinons en peu de mots comment ces contrats doivent être traités, au point de vue des deux conséquences pratiques de cette grande division. Donnentils lieu à résolution pour inexécution? Doivent-ils être rédigés en double ?
Il n'est pas douteux que si l'emprunteur à usage abuse de la chose prêtée, il sera obligé de la rendre de suite, que si le créancier gagiste conserve mal le gage, il sera obligé de s'en dessaisir; mais ce serait se faire illusion que de voir là la résolution des contrats synallagmatiques: en effet, la faute qui la motive provient de celui-là même qui est le débiteur normal dans le contrat; or, pour que la résolution fût due au prétendu caractère synallagmatique du contrat, il faudrait qu'elle fût fondée sur la faute de celui qui, étant le créancier normal, ne devient débiteur que par un fait postérieur; il faudrait par exemple, que le prêteur refusât d'indemniser l'emprunteur des dommages que la chose prêtée a causés à celui-ci ou des dépenses qu'il a faites pour sa conservation; or, en pareil cas, la résolution, loin de profiter à l'emprunteur, lui puirait, puisque, saus augmenter ses chances de remboursement, elle le priverait du prêt à usage; de même, dans le cas de gage, le créancier qui ferait résoudre le gage, faute du payement de ses frais et dommages, se priverait de sa garantie. Les seuls cas où la résolution profiterait à celui envers lequel ne sont pas remboursés les frais et dommages dus postérieurement au contrat seraient ceux de dépôt et de mandat: le dépositaire et le mandataire non remboursés pourraient refuser de conserver plus longtemps un dépôt nuisible ou de remplir un mandat dispendieux pour lesquels ils ne seraient pas indemnisés; mais il n'est pas besoin de chercher dans le prétendu caractère sypallagmatique du dépôt ou du mandat l'explication de cette résolution: le demaudeur l'exerce, soit pour faire cesser le dommage, si le danger est permanent, soit pour n'avoir plus à faire de nouvelles dépenses dont il ne pourrait être indemnisé. La meilleure preuve que le prétendu caractère synallagmatique n'a aucune application ici, c'est qu'on trouve aussi une sorte de droit de résolution dans le prêt de consommation, à intérêts, lequel n'a jamais été prétendu synallagmatique, même imparfait: supposons que l'emprunteur marque à payer les intérêts, il sera privé du bénéfice du terme pour lequel le contrat avait été consenti, il devra rembourser immédiatement le capital (v. art. 425).
Pour ce qui est de la rédaction des actes, il ne sera dressé qu'un acte original du dépôt, du prêt, du gage ou du mandat; cet acte ne sera signé que du dépositaire, de l'emprunteur, du créancier gagiste ou du mandataire, lesquels sont, d'après le contrat, seuls débiteurs immédiats et certains: on ne concevrait pas que le déposant, le prêteur, celui qui fournit le gage, ou le mandant, se reconnussent davance débiteurs d'une obligation éventuelle qui peut-être ne naîtra jamais et qui, d'ailleurs, une fois née, pourra être prouvée par tous les moyens ordinaires, même par témoins; il n'y aura pas non plus besoin, an moins en général, que l'emprunteur ait dans les mains la preuve du terme qni Ini a été consenti pour la restitution: si ce terme est porté dans la reconnaissance qu'il a fournie du prêt, il pourra s'en prévaloir en invoquant l'acte même produit contre lui. Il n'y a qu'au cas où le terme aurait été consenti par un acte postérieur ou séparé que l'emprunteur devrait en avoir une preuve à sa disposition; mais cela ne tiendrait pas au prétendu caractère synallagmatique du prêt, ce serait l'application du principe plus général que quiconque se prévaut contre autrui d'un avantage particulier doit en fournir la preuve.
La preuve du mandat pourra être aussi et sera, le plus souvent, rédigée en double, de manière à se trouver dans les mains du mandataire; mais ce sera moins pour lui assurer le récouvrement de ses déboursés éventuels que pour lui permettre d'établir aux yeux des tiers la qualité de mandataire en vertu de laquelle il pourra avoir à traiter avec eux.
On fera donc sagement, dans la pratique japonaise, de ne pas adopter l'expression de "contrats synallagmatiques imparfaits” pour désigner les contrats qui nous occupent, ou si on l'emploie, afin de n'avoir pas à en inventer une autre, il faudra bien se garder d'y attacher une portée abusive.
Art. 319. — 24. Le mot onéreux vient du latin on us, “charge;" il y a charge, sacrifice des deux côtés. La définition donnée ici n'est pas celle du Code français qui dit (art. 1106) que le contrat onéreux “est celui qui assujettit chacune des parties à donner ou à faire quelque chose.” Cette définition tendrait à confondre le contrat onéreux avec le contrat synallagmatique, ce qui serait une erreur. Sans doute, le contrat synallagmatique est toujours onéreux, puisque chaque partie y est obligée; mais la réciproque n'est pas vraie. Ainsi, le contrat de prêt à intérêt est à titre onéreux et cependant il n'y a que l'emprunteur qui soit obligé: il doit rendre le capital et y ajouter les intérêts; le prêteur, il est vrai, supporte aussi une charge, il fait un sacrifice, car il se prive temporairement de son capital; mais ce n'est pas une obligation, il n'est pas assujetti, puisqu'avant de prêter, il n'y était pas tenu et qu'après avoir livré les espèces il n'a aucune obligation; c'est qne ce contrat ne se forme que par la remise de la chose prêtée, et, de ce chef, on va le retrouver dans la division suivante. La nouvelle définition, par le mot de sacrifice, fait ou à faire, substitué à celui d'assujettissement, ne donne donc pas prise à la critique précédente.
Outre le prêt à intérêts et les contrats synallagmatiques, qui sont tous onéreux, on peut encore citer comme tels les contrats qui opèrent novation d'une obligation, en en changeant l'objet ou un autre élément: chaque partie y fera “un sacrifice:” le créancier, en abandonnant son droit antérieur, le débiteur en contractant une nouvelle dette (voy. art. 511 et s.).
Le contrat à titre gratuit est aussi appelé “ de bienfaisance; ” le Code francais (art. 1105) explique l'une de ces expressions par l'autre, ce qui est insuffisant; il a aussi le tort, plus grave, de considérer la partie "qui donne" et non celle “ qui reçoit,” ce qui dénature la physionomie du contrat. La définition ici proposée met bien en relief la gratuité du contrat qui consiste à "receroir sans rien donner.”
La loi suppose que le sacrifice pent être fait "en faveur d'un tiers.” Les stipulations faites dans un contrat en faveur de personnes qui n'y sont pas parties ne sont valables que sous certaines distinctions dont il serait prématuré de parler ici; on les trouvera ci-après (art. 344); mais celui qui reçoit à charge de donner à un tiers reçoit à titre onéreux.
Comme contrats de bienfaisance ou gratuits, on citera, en première ligne, la donation (a), puis le prêt de consommation sans intérêts et le prêt à usage, qui constituent, pour l'emprunteur des services purement gratuits; le dépôt et le mandat, où le service est rendu par le dépositaire et le mandataire; le cautionnement où se présente cette singularité que la caution rend un service gratuit au débiteur, en s'obligeant avec elle et pour elle, tandis que le contrat est onéreux entre elle et le créancier, si, au moins, il a déjà ce caractère entre le créancier et le débiteur principal.
25. La distinction des contrats en gratuits et onéreux n'est pas, en droit français, moins importante que la précédente; mais dans d'autres ordres d'idées: ainsi d'abord, les contrats à titre gratuit exigent une capa. cité plus grande que les contrats onéreux; par exemple, les personnes qui n'ont que le pouvoir d'administrer, soit les biens d'autrui, soit les leurs, peuvent faire des actes onéreux (et non pas tous encore), mais elles ne peuvent faire d'actes gratuits sur ces biens, parce que ce serait les diminuer sans compensation; ainsi encore, les créanciers d'une personne insolvable peuvent critiquer et faire révoquer ses actes gratuits plus facile- · ment que ses actes onéreux (voy. art. 362); enfin, la donation, l'acte gratuit le plus important, est soumise à des formes solennelles qui tendent à protéger le donateur contre la captation des gens cupides et contre son propre entraînement. Ces différences passeront, plus ou moins entières, dans le Projet japonais, parce qu'elles sont justes et raisonnables.
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(a) On rencontre presque toujours le testament à côté de la donation; cependant, ici, il n'en peut être question: le testament est bien un acte de bienfaisance, une libéralité; mais il n'est pas l'œuvre de deux volontés, il n'est pas une convention.
Art. 320. — 26. Le consentement, dont il sera parlé longuement au § suivant, est de l'essence des contrats et conventions, c'est-à-dire qu'il est indispensable à leur formation et, en général, il y suffit, surtout dans les temps modernes, où la loi n'exige de formalités dans les actes juridiques que lorsqu'il y a pour cela quelque nécessité particulière.
La vente, l'échange, le louage, la société, le mandat, le cautionnement, sont des contrats purement consensuels. On pourrait y ajouter la donation, si elle n'était soumise justement à l'une de ces formalités, déjà mentionnée plus haut et qui lui donne la première place dans la division suivante; mais comme la donation n'est pas un des contrat réels dont on va parler et comme, cependant, elle doit rentrer dans la présente division, elle est consensuelle au point de vue qui nous оссире.
Le contrat réel est celui qui exige que la chose (res), objet du contrat, soit remise ou livrée au moment de sa formation; tels sont: les deux sortes de prêts, le dépôt et le gage.
27. Cette condition de tradition n'est pas arbitraire: on la trouve dans toutes les législations, ou, tout au moins, la pratique l'y supplée, quand elle n'est pas écrite dans la loi, parce qu'elle est dans la nature des choses.
Ces quatre contrats, en effet, ont pour objet essentiel d'obliger quelqu'un à rendre une chose et même (le prêt de consommation excepté) à la conserver avec soin jusqu'à la restitution; or, on ne peut être tenu de conserver et de rendre que ce que l'on a préalablement reçu. Le gage se concevrait, à la rigueur, savs tradition: la raison ne s'opposerait pas à ce qu'une chose mobilière fût affectée à la garantie d'une dette, tout en restant en la possession du débiteur, comme y reste un immeuble hypothéqué; mais ce serait alors une hypothèque véritable, une hypothèque mobilière, telle que le droit romain la permettait; ses dangers l'ont fait, du reste, abandonner dans les temps modernes et on ne proposera pas d'y revenir au Japon: le gage ne doit être valable “ qu'autant que la chose a été remise et est restée aux mains du créancier" (voy. c. civ. fr., art. 2076).
On a dit que la tradition, dans les quatre contrats réels (le nombre est limitatif), doit précéder la convention on l'accompagner: elle la précède, lorsque, la chose se trouvant déjà dans les mains du futur débiteur, à un autre titre, à titre de louage, par exemple, il est convenu qu'il la gardera en prêt à usage, en dépôt ou en gage; elle pourrait même être déjà dans ses mains en vertu d'un premier contrat réel, par exemple, d'un dépôt, et on lui permettrait d'en user comme prêtée, ou d'un prêt à usage et on la lui laisserait en gage. Dans ces cas, le débiteur est censé avoir rendu la chose en vertu du titre précédent et l'avoir immédiatement reçue en vertu du nouveau titre; c'est ce qu'on appelle la “tradition de brève main:” au lieu de deux livraisons successives et contraires, on n'en fait aucune; on laisse la chose aux mains où elle est (v. T. 105, p. 366).
Dans les autres cas, la chose est livrée au moment même du contrat.
L'utilité pratique de cette division des contrats se trouve expliquée par ce qui précède: elle revient à dire quand le contrat existe et quand il n'existe pas,
28. Au surplus, on pourrait concevoir que quel. qu'un eût promis de prêter uve chose (à usage ou à consommation) ou de la donner en gage, et n'eût pas encore fait la tradition; cette promesse ne serait pas encore un prêt ni un contrat de gage, mais elle serait obligatoire comme un des contrats innommés dont il sera parlé plus loin. Ce cas serait bien différent du prêt, puisque c'est le futur prêteur qui serait l'obligé et le futur emprunteur le créancier. S'il y avait eu promesse de gage pour une dette déjà née, ce serait le débiteur qui serait tenu de cette nouvelle obligation, tandis que, s'il avait déjà fourni le gage, il serait créancier de la restitution. Enfin, si quelqu'un avait promis de recevoir un dépôt, il aurait bien une obligation de faire, mais il n'aurait pas celles d'un dépositaire qui sont de conserver et de rendre.
Ces théories sont évidemment délicates, mais elles sont d'une grande importance et elles ont l'avantage, assez rare, d'être hors de discussion, au moins pour les jurisconsultes exacts.
Art. 321. — 29. Dans le droit romain, il y avait beaucoup de contrats solennels: la solennité, il est vrai, ne consistait pas toujours dans l'intervention d'un officier public ou d'un magistrat; elle consistait le plus souvent dans des formules déterminées que prononçaient les parties, en présence de témoins; la précision de ces formules frappait l'esprit des contractants qui se rendaient ainsi un compte exact de leurs droits et de leurs devoirs, et le souvenir des témoins était aussi mieux assuré. Le progrès des temps a permis d'affranchir les contractants de ces entraves mises à leur liberté, et, dans les temps modernes, la solennité des contrats, devenue d'ailleurs exceptionnelle, ne consiste pas dans des formules, mais dans l'intervention d'un officier public qui rédige l'acte conformément à ses règles propres, après avoir reçu les déclarations des parties, leur en donne lecture et signe avec elles, en mentionnant cette lecture faite ainsi que leur signature ou la cause qui les a empêchées de signer.
Il n'y a actuellement en droit français que cinq contrats solennels; deux sont relatifs à l'état des per sonues: le mariage et l'adoption; trois sont relatifs aux biens: la donation entre-vifs, les conventions matri. moniales, la constitution d'hypothèque. Tous les autres contrats sont non solennels et peuvent se faire hors la présence d'un officier public.
30. Il ne faut pas confondre d'ailleurs, comme on le fait quelquefois, les cas où la solennité est exigée pour la formation du contrat avec ceux où elle est exigée pour sa preuve. En France, il y a plusieurs cas où la loi exige que la preuve écrite soit authentique et où elle n'admet pas un acte sous signature privée (art. 1250–2° et 1690); mais ce qni montre bien qu'il ne s'agit que de la preuve et non de l'existence du contrat, c'est que, à défaut d'acte authentique, la preuve peut se faire par l'aveu du débiteur ou par le serment du créancier, si le débiteur a déclaré s'y référer.
La distinction des contrats en solennels et non solennels a, en France, comme la précédente, une importance qui se révèle dans la définition même; il n'y a donc pas à s'y arrêter davantage.
Le Projet japonais présentera aussi quelqnes cas de contrats solennels; ils ne sont pas encore déterminés; on les rencontrera aux Livres III et IV.
Art. 322. — 31. Cette division est celle que le Code français donne, dans l'article 1104, sous le nom de contrats commutatifs on aléatoires. Le Projet remplace la dénomination de commutatif par celle de ferme.
Voici le motif de l'abandon de la première qualification et la raison du choix de la nouvelle.
Le mot "commutatif” (du latin mutare cum,"changer avec, échanger”) indiquerait les contrats où il y a échange de valeurs, soit de choses, soit de services; or, tous les contrats à titre onéreux présentent ce caractère; il n'y a que les contrats de bienfaisance ou à titre gratuit où il n'y ait pas cet échange de valeurs. Le mot commutatif ne fait donc pas opposition aux contrats dits aléatoires (du latin alea, “dé à jouer, hasard”); dans les contrats aléatoires, où les chances doivent être égales ou dans lesquels, si les chances sont inégales, il doit y avoir quelque autre compensation, il y a échange de valeurs, fût-ce échange de chances et de risques; les contrats aléatoires sont donc aussi bien commutatifs que les autres. On ne s'explique guère que cette expression, qui ne paraît pas avoir été employée par les Romains dans ce sens impropre, se soit introduite dans le droit français et n'ait peut-être jamais été critiquée.
Le Projet y substitue celle de contrats fermes. Le mot ferme signifiant stable, solide, forme bien opposition à ce qui est fragile, incertain, soumis au hasard. D'ailleurs, le mot ferme a déjà un emploi consacré dans la pratique des opérations de Bourse, pour désigner les achats sérieux et irrévocables, par opposition aux achats à prime dont on peut se dédire en sacrifiant une somme assez faible, mais proportionnelle au montant des valeurs achetées.
32. Dans cette division, on trouve des contrats qui, de leur nature, sont toujours aléatoires, les autres ne le sont que parce que les parties leur ont volontairement donné ce caractère.
Sont toujours aléatoires: 1° le jeu et le pari; mais ces contrats ne sont que très-exceptionnellement permis par les lois (voy. c. civ. fr., art. 1965 et suiv.); 2° le contrat de rente viagère; 3° la constitution d'usufruit, toujours viagère; 4° le prêt maritime dit "prêt à la grosse aventure;” 5° le contrat d'assurance contre les risques, soit maritimes, soit terrestres, avec les nombreuses applications qu'il reçoit dans les temps modernes et qui tendront toujours à se multiplier.
Les autres contrats sont fermes, de leur nature; mais les parties peuvent leur donner le caractère aléatoire, en les faisant dépendre du hasard, soit pour leur existence, soit pour tout ou partie de leurs effets. Ainsi, chaque fois qu'un contrat ou les obligations qui en résultent sont soumis à une condition, soit suspensive, soit résolutoire (v. art. 428 et s.), il prend un caractère aléatoire, et cela, non seulement quand la condition est purement casuelle ou fortuite, mais même lorsqu'elle dépend de la volonté du créancier (v. c. civ. fr., art. 1168 et suiv.), laquelle est un véritable hasard pour le débiteur. Ainsi encore, les contrats qui sont accompagnés d'une dation d'arrhes, permettant à l'une des parties ou à chacune d'elles de se départir du contrat, moyennant la perte des arrhes ou leur restitution au double (v. c. civ. fr., art. 1590), ont un caractère aléatoire; ce sont de véritables contrats à prime, comme les opérations de Bourse dont on parlait tout à l'heure. Il en est de mêine des ventes à l'essai ou des ventes de choses qu'il est dans l'usage de goûter avant de les agréer (ibid., art. 1587 et 1588; v. aussi Comment. de l'art. 445 ci-après). Mais, habituellement, on ne donne guère le nom d'aléatoires qu'aux contrats qui sont tels par leur nature.
33. L'intérêt pratique de cette division des contrats n'est pas aussi considérable que celui des autres divisions; on n'en cite ordinairement qu'un: ces contrats ne sont pas sujets à la rescision pour lésion, dans les cas où les contrats fermes le seraient; or, la rescision pour lésion étant déjà très-rare pour ces derniers, sa suppression dans les contrats aléatoires n'aurait pas une grande importance. Cette différence n'est inême pas entière; car on pourrait trouver une lésion dans un contrat aléatoire où, tout en supposant que les chances seraient les plus favorables à l'une des parties, celle-ci serait encore lésée. Ainsi, la vente ferme d'immeuble est sujette à rescision pour lésion, si le vendeur est lésé de plus des 7/12es du prix véritable que vaut l'immeuble (v. C. civ. fr., art. 1674); or, si l'on suppose que le prix consiste dans une rente viagère, seulement égale ou à peine supérieure au revenu annuel de l'immeuble, il est clair que le vendeur est lésé, lors même qu'on lui supposerait les plus grandes chauces de longévité.
Cette prétendue différence est donc à peine admissible.
34. On en peut présenter une autre plus sérieuse et qui, cependant, est généralement négligée. Si un contrat aléatoire est résolu pour inexécution des conditions par l'une des parties, les choses ne devront pas être remises dans l'état primitif, comme dans la résolution des contrats fermes: ce résultat serait inique, puisque la partie qui manque à ses engagements a déjà couru des chances défavorables; on doit donc lui laisser une compensation correspondant aux chances favorables qui lui étaient dues et qu'elle va perdre. Ainsi, celui qui avait reçu un capital à charge de servir une rente viagère, a cessé de payer les arrérages après un certain temps; il ne serait pas juste, en prononçant la résolution, de se borner à lui restituer la portion des arrérages payés qui excédait le taux légal ou ordinaire: il faudrait lui rendre davantage, parce qu'il aurait eu la chance de voir cesser sa dette, d'un moment à l'autre, et de gagner irrévocablement le capital par le décès du rentier-viager. De même, si, dans le contrat d'assurance dit “sur la vie,” l'assuré cesse de payer la prime annuelle, le contrat ne sera résolu que moyennant une indemnité calculée sur la durée du temps pendant lequel il a déjà payé ses primes. Ces idées seront introduites dans le Projet, en temps et lieu.
Art. 323. — 35. Cette division rappelle, dans une certaine mesure, celle de l'article 16 qui, de même, distingue les Choses en principales et accessoires.
Certains contrats sont toujours principaux, nécessairement et de leur nature, tandis que d'autres ne peuvent être qu'accessoires; mais c'est le plus petit nombre: la plupart des contrats ou conventions ont l'un ou l'autre de ces caractères, suivant l'intention des parties, laquelle peut, ou être formellement exprimée, ou s'induire des circonstances.
Sont toujours principaux, les deux contrats solennels qui sont la base de la famille: le mariage et l'adoption; on ne comprendrait guère, en fait, que de pareils contrats fussent accessoires d'autres contrats; en tout cas, la loi ne le permettrait pas.
Sont toujours accessoires, le cautionnement, le gage, l'antichrèse, l'hypothèque, qui sont des contrats de garantie (voy. art 2).
Mais la vente, le louage, la société, le prêt, qui sont principaux, le plus souvent, peuvent aussi être accessoires. Par exemple, on vend une maison, pour un prix déterminé, et l'on vend aussi les meubles qui la garnissent, pour un prix spécial; il est naturel de croire que cette vente des meubles est accessoire de l'autre, et la conséquence, indiquée par le texte, est que, si la vente de la maison n'était pas valable, à cause d'un vice du contrat, la vente des meubles, même correcte en elle-même, serait entraînée dans la même nullité. Un louage pourrait être aussi l'accessoire d'une vente, si, par exemple, on donnait à loyer un terrain contigu à une maison vendue, ou des instruments agricoles ou industriels dont l'acheteur aurait momentanément besoin. Le prêt de consommation pourrait aussi être l'accessoire d'un louage; si, par exemple, un fermier avait besoin d'une avance de capitaux pour commencer l'exploitation du fonds loué.
La question de savoir si un contrat est principal, ou accessoire d'un autre, est une question de fait que les tribunaux apprécieront d'après les circonstances. On verra au iv quelques règles d'interprétation des conventions; mais pour ne pas revenir, à cette occasion, sur la présente division des contrats, on fera remarquer ici que si les deux contrats dont il s'agirait d'apprécier le caractère respectif ont la même date, le contrat principal sera, naturellement, le plus important par les valeurs mises en mouvement; s'ils ont des dates dif. férentes, le principal sera le premier en date, car il n'est pas admissible qu'après sa formation définitive, on l'ait subordonné au sort d'un contrat postérieur; ce résultat ne pourrait être admis que s'il y avait une déclaration formelle des parties en ce sens, laquelle aurait le caractère d'une novation.
36 Le grand intérêt de la division des contrats en principaux et accessoires est dans l'influence que peut avoir la nullité de l'un sur celle de l'autre. A cet égard, le texte pose deux règles dont chacune reçoit une exception.
La première règle est que la nullité du contrat prin. cipal entraîne celle du contrat accessoire. L'exception s'applique aux contrats accessoires dits de garantie, qui peuvent avoir été consentis justement pour tenir lieu du contrat principal, au cas où il serait annulé. Aivsi, quelqu'un a cautionné un mineur; celui-ci, plus tard, fait annuler son engagement: la cautiou restera tenue. Un vendeur s'est formellement soumis à une obligation d'indemnité au cas où l'acheteur serait évincé (c'est ce qu'on nomme la garantie de fait, par opposition à la garantie de droit qui est due en vertu de la loi et sans convention); l'acheteur est ensuite évincé, ce qui entraîne la nullité de la vente, car la vente de la chose d'autrui est nulle (c. civ. fr., art. 1599); mais l'obligation de garantie subsistera, car elle n'a pas eu d'autre but que de suppléer à la nullité de la vente.
Dans ces deux cas, on pourrait dire, en théorie pure, que le contrat de garantie est moins un contrat accessoire qu'un contrat principal sous condition; mais la loi a préféré lui laisser le nom d'accessoire, qu'on lui donnera toujours en pratique, et lui appliquer une règle exceptionnelle.
La seconde règle est que la vullité du contrat accessoire ne porte pas atteinte à la validité du contrat principal; le cas exceptionnel est celui où le lien des deux contrats est si intime qu'ils sont indivisibles dans l'intention des parties; par exemple, accessoirement à la vente d'un terrain, le vendeur a concédé sur un fonds contigu, une prise d'eau nécessaire à l'exploi. tation agricole ou industrielle que va entreprendre l'acheteur; si la constitution de la servitude ne peut produire d'effet, parce que le constituant n'est pas propriétaire de la source, la vente du terrain pourra être considérée elle-même comme nulle, parce que les deux contrats sont vraisemblablement indivisibles dans l'intention des parties. On pourrait peut-être, prétendre, en théorie, comme pour l'exception à la première règle, que, dans ce cas, les deux contrats sont principaux, c'est-à-dire égaux en importance, de sorte qu'il n'y ait réellement pas d'exception; mais, ici encore, la pratique considérera la vente de la servitude comme accessoire de la vente du fonds. D'ailleurs, ce qui importe, c'est la solution même, plutôt que de rechercher si elle vient de la règle ou d'une exception.
Art. 324. — 37. Presque tous les contrats qui ont été pris pour exemples, au sujet des six divisions précédentes, sont des contrats nommés; aussi n'a-t-il pas été nécessaire d'en indiquer l'objet pour les faire connaître: quand on cite la vente, le louage, le prêt, etc., il n'est pas besoin, pour être compris, de les définir ni d'en rappeler le but.
Au contraire, quand nous avons pris pour exemple la novation, il a fallu en expliquer le but et le caractère; bien que la novation ait ce nom même et que la loi en pose les règles, il n'est pas d'usage de la considérer comme un contrat nommé: elle est moins envisagée dans la loi comme source d'obligation pouvelle, comme contrat, que comme cause d'extinction d'une obligation antérieure. Le contrat d'assurance terrestre, cité comme exemple de contrat aléatoire, est, en droit français, un contrat innommé, quoiqu'il n'y ait pas besoin d'une périphrase pour le désigner, parce qu'il n'est pas réglé par la loi, mais seulement par la convention des parties.
On ajoute ici quelques autres cas de contrats innommés: l'échange de services, la convention par laquelle on reçoit les soins d'un médecin, celle par laquelle on charge un avocat d'un procès, celle par laquelle on prend pour soi ou pour autrui les leçons d'un professeur de sciences, de lettres ou de beaux-arts, moyennant une rétribution en argent, les promesses de prêt, de gage ou d'hypothèque, et celle de recevoir un dépôt, dont il a été parlé sous l'article 320.
38. Chez les Romains, il y avait un peu moins de contrats nommés que dans les temps modernes; il y avait donc plus de contrats innommés. Ainsi, l'échange, aussi bien de propriété que de services, n'ayant pas été réglé d'une manière spéciale par la loi, n'était qu'un contrat innommé. Mais ce qui est bien plus important à signaler dans cette législation, comme différence entre les deux sortes de contrats, c'est que, chez les Romains, les contrats innommés ne se formaient pas, comme aujourd'hui, par le seul consentement des par ties: ainsi la promesse d'échange n'était pas obligatoire civilement, elle ne donnait pas d'action en justice à chaque partie respectivement: pour que l'action daquît, il fallait que l'une des parties eût exécuté sa promesse; alors seulement, celle-là pouvait poursuivre l'autre en exécution de la sienne. Il en était de même pour tous les autres contrats innommés: ils étaient appelés contrats réels, car ils naissaient moins du consentement que de la tradition d'une chose ou de l'exécution d'un fait. On les ramenait à quatre hypothèses dont la formule est restée célèbre et est souvent employée dans les temps modernes, avec une portée plus générale: “je donne pour que tu donnes (do ut des), je donne "pour que tu fasses (do ut facias), je fais pour que tu “donnes (facio ut des), je fais pour que tu fasses (facio “ut facias).” Le premier cas comprenait l'échange de propriété, le second et le troisième, l'échange de services pour une valeur autre qu'un prix en argent, le quatrième cas, l'échange de services contre des services. Si les services avaient été rendus pour une valeur en argent, le contrat eût été un louage, contrat nommé, purement consensuel, obligatoire des deux côtés avant l'exécution.
Aujourd'hui ces subtilités ont disparu: le contrat ivnommé est toujours obligatoire par le seul consentement: la promesse de services contre des services u'est pas plus un louage qu'elle ne l'était chez les Romains, parce qu'il n'y a pas de louage de services sans un prix en argent; mais elle est, pour chacune des parties, tout aussi obligatoire qu'un louage; la promesse de prêt n'est pas un prêt, mais celui auquel elle a été faite peut en exiger la réalisation immédiate ou au temps convenu.
39. Le texte du présent article nous indique, pour chacune de ces classes de contrats, deux sources de règles à y appliquer: aux contrats nommés, leurs règles propres, chaque fois qu'il en existe dans la loi, et pour les points non spécialement réglés, le droit commun des conventions, les Dispositions générales qui forment cette II° Partie; aux contrats innommés: en principe, les présentes Règles générales, et, par exception, les règles spéciales à celui des contrats nommés avec lequel ils ont le plus d'analogie.
Ce dernier point demande seul quelques observations. Il faut chercher l'analogie dans les choses et non dans les mots. Ainsi l'échange de services devra se régler par analogie avec le louage de services et non avec l'échange de propriété; la promesse de prêt, à usage ou de consommation, celle de gage, n'ont aucune analogie avec le prêt ou le gage effectué. On a déjà fait remarquer, sous l'article 320, que les rôles des parties y sont tout-à-fait inverses; de même, pour la promesse de recevoir un dépôt: il y a là des obligations de faire ipnommées et soumises uniquement aux présentes règles des conventions en général.
La convention faite avec un médecin, pour obtenir ses soins, ou avec un professeur, pour avoir ses leçons, a de l'analogie avec le louage de services; celle faite avec un avocat, pour suivre un procès, a de l'analogie tant avec le même contrat de louage qu'avec le mandat. Le contrat d'assurances terrestres a une frappante analogie avec l'assurance inaritime.
Au surplus, comme cette matière des contrats junommés donne lieu à des difficultés sérieuses en droit français, le Projet japonais aura soin de les prévenir, en établissant des règles spéciales pour ces diverses conventions, ce qui en fera des contrats nommés.
COMMENTAIRE.
Art. 325 et 326.-40. Le rapprochement de ces deux premiers articles permet de saisir d'un seul coup d'ail les conditions d'existence et de validité des conventions et de distinguer immédiatement les conven tious radicalement nulles de celles qui ne sont que viciées ou annulables.
Il y a plusieurs grandes différences entre une convention nulle et une convention annulable.
Lorsque la convention est pulle ou non existante, la nullité, étant radicale, a lieu de plein droit: elle n'a pas besoin d'être obtenue en justice; elle y serait seulement déclarée, comme préexistante, en cas de contestation; chacune des parties peut s'en prévaloir contre l'autre, soit pour se soustraire à l'exécution, soit pour la faire réparer, si elle a déjà été accomplie; ce qui fait dire que la nullité est absolue; enfin, ni le temps, ni la volonté des parties ne peuvent valider la convention nulle: elle devrait être refaite (voy. art. 581; comp. c. civ. fr. art. 1339).
Au contraire, si la convention n'est qu'annulable, l'annulation doit être demandée et obtenue en justice; elle ne peut être demandée que par celle des parties dont le consentement a été vicié ou qui était en état d'incapacité; d'où son nom de nullité relative (a); enfin, le vice de la convention simplement andulable peut être réparé, couvert, par une ratification ou confirmation expresse ou tacite, et même le fait seul, par la partie intéressée, de laisser écouler, says agir en nullité, le temps fixé par la loi pour l'exercice de l'action équivaut à une ratification (voy. art. 577 à 579; comp. c. civ. fr. art. 1304 et s.).
Il est superflu d'insister sur une dernière différence que le texte de l'article 326 fait suffisamment ressortir: les conditions d'existence des conventions sont nécessaires à leur validité et la réciproque n'est pas vraie, c'est-à-dire que les conditions de leur validité ne sont pas nécessaires à leur existence; de même, pour qu'une personne soit valide, il est nécessaire qu'elle vive, tandis que la vie et la santé ne sont pas toujours réunies.
41. Le Code français est loin d'être exact et complet sur cette distinction entre les conditions d'existence et de validité des conventions; dans l'article 1108, il présente comme conditions de simple validité le consentement, l'objet certain et la cause, lesquels sont des conditions de l'existence même de la convention, et il n'indique pas tous les caractères que doivent avoir le consentement, l'objet et la cause; on ne les trouve que plus loin (art. 1109, et s., 1126 et s., 1130 et s.).
Bien que la loi doive reprendre successivement chacune des conditions d'existence et de validité des conventions, elles ont un tel lien les unes avec les autres qu'il est nécessaire de donner ici une esquisse rapide de chacune d'elles, en suivant l'ordre indiqué par les deux articles 325 et 326.
I.-CONDITIONS D'EXISTENCE DES CONVENTIONS.
42.-A. Consentement.- Le consentement est l'accord des volontés; c'est un même sentiment des parties (b); il est tellement essentiel à l'existence de la convention que la définition de celle-ci (art. 317) est presque la même que celle du consentement (c). Le plus souvent, la convention a pour point de départ la proposition d'une des parties, une offre ou une demande, et quand l'autre partie adhère, acquiesce à la proposition, on dit qu'elle consent. Si les deux autres conditions sont remplies, la convention est formée.
Les articles suivants indiqueront comment l'accord des volontés peut être constaté.
43.- B. Objet. - Le second élément essentiel à l'existence de la convention, c'est un objet. La défi. nition même que nous donne l'article 317, dit que cet objet ne peut être qne la création, la modification ou l'extinction d'un droit, soit réel, soit personnel. Mais le droit à créer, comme objet de la convention, doit luimême avoir un objet, ainsi qu'il a'un sujet actif et un sujet passif; il en résulte que, le plus souvent, par abréviation, on dit de l'objet du droit qu'il est l'objet de la convention. C'est cet objet du droit qui doit, d'après notre article 325, être certain ou déterminé (*) et tel que les parties en aient la disposition.
Si, par exemple, il s'agit d'une obligation à créer (objet de la convention) et qu'il s'agisse de faire ou de donner quelque chose (objet de l'obligation ou de la créance), il faut que le fait à accomplir soit assez déterminé pour que le créancier ne puisse pas exiger plus que le débiteur n'a entendu promettre, et pour que celui-ci ne puisse pas réduire son obligation audessous de ce que le créancier a entendu obtenir. De même, s'il s'agit d'une chose à donner et que ce soit une chose individuelle, il faut qu'elle soit assez clairement désignée pour qu'elle ne puisse être confondue avec d'autres de plus ou moins grande valeur, et s'il s'agit d'une quantité, il faut qu'elle soit nettement déterminée en poids, nombre ou mesure.
Outre les choses individuellement désignées, dites corps certains, et les choses de quantité (v. art. 17), il y a les choses qui seraient désignées seulement par leur genre ou par leur espèce. Il ne suffirait pas de désigner par le genre la chose à donner, comme un animal, un arbre, une pierre: placés ainsi en présence de l'un des “trois règnes de la nature”(d), le créancier serait à la discrétion du débiteur ou celui-ci à la discrétion du créancier: tandis que le créancier pourrait exiger une chose d'une très-grande valeur, dans le genre indiqué, le débiteur ne manquerait pas d'en offrir une d'une valeur dérisoire. Il suffirait à peine de désigner la chose par son espèce, comme un cheval, un sapin, un pied cube de pierre ou de marbre; peut-être pourraiton, quelquefois, d'après les circonstances et le but que se proposait le créancier, connaître avec plus de précision l'objet compris dans la convention; mais, le plus souvent, la convention serait sans effet, parce que l'objet ne serait pas assez certain, ou assez déterminé.
44. L'objet doit aussi être de ceux dont les parties “aient la disposition." Cette expression répond à celle de “ chose dans le commerce" usitée en Europe où on l'a tirée du droit romain. Le mot commerce, pris ici dans un sens très-large, pourrait être équivoque, à cause de son autre sens étroit et spécial. On l'a remplacé par une expression qui serait, au besoin, la définition des “ choses dans le commerce.” Il y a d'ailleurs ici une plus grande exactitude que dans l'expression usitée: lorsqu'on parle de choses qui sont ou ne sont pas dans le commerce, on parle d'une manière absolue, abstraction faite des personnes; ainsi, on dit qu'une chose "n'est pas dans le commerce," quand personne n'en peut disposer avec profit (v. art. 27); tels sont les objets dont la fabrication, la vente ou la possession sont prohibées, tels sont encore les actes illicites ou défendus, soit par les lois, soit par les bonnes mæurs. D'un autre côté, il y a des choses qui ne sont pas dans le commerce pour certaines personnes et qui y sont pour d'autres; l'obstacle à la convention, à l'égard de ces choses, n'est plus absolu, mais seulement relatif. Ainsi, les biens des particuliers sont, en général, daus le commerce, en ce sens que le propriétaire en peut disposer; mais ils sont hors du commerce pour tout autre que lui; c'est ce qui expliquera, le plus naturellement, en son lieu, que “la vente de la chose d'autrui est nulle" (c. civ. fr., art. 1599): une chose n'est pas dans le commerce pour un vendeur non propriétaire; on pourrait seulement promettre de se procurer la chose d'autrui et de la céder ensuite: on aurait alors promis son propre fait, on aurait contracté une obligation de faire (e).
L'expression adoptée par le Projet tient compte du caractère relatif de la prohibition de disposer.
Il va sans dire que la convention serait radicalement nulle si la chose qu'il s'agirait de donner avait déjà péri au moment de la convention: cette nullité n'est écrite dans la loi française que pour la vente (art. 1601), mais il faut, évidemment, la généraliser pour tous les contrats, sans qu'il soit besoin de rien ajouter au texte, car une chose périe “n'est ni dans le cominerce ni à notre disposition.”
45.-C. Cause.- La cause de la convention est la raison déterminante qui a décidé les parties à y consentir; c'est le but qu'elles ont voulu atteindre: on ne fait pas une convention par caprice, mais par raison; on y cherche, en général, une satisfaction morale, pécuniaire ou de convenance. La satisfaction est purement morale dans la donation ou dans la réparation volontaire d'an tort; elle est pécuniaire dans tous les contrats à titre onéreux ou intéressés; elle est de simple convenance, quand on prend certains engagements qui n'ont pas le caractère de bienfaisance et qui ne procurent aucun profit, mais qu'on doit à sa position sociale ou à ses rapports avec certaines personnes; par exemple, quand on souscrit pour quelque dépense locale, pour l'érection d'un monument, pour une société scientifique ou littéraire. Il y a aussi des conventions ou engagements, et c'est peut-être le plus grand nombre, dont le mobile est la recherche d'un plaisir, d'une satisfaction de la vanité ou du luxe.
Voilà ce qu'on entend par la cause dans les conventions, et c'est cette cause qui doit être vraie et licite.
Il y a des conventions où il n'y a pas à rechercher si elles ont une cause, pi si elle est licite, parce qu'elle y est inhérente; tels sont tous les contrats nommés qui, étant organisés par la loi, ont nécessairement une cause et une cause licite. Ainsi, dans la vente, la cause de la convention, chez le vendeur, d'est autre que le désir d'acquérir une somme d'argent, le prix ou la créance du prix, en compensation de l'aliénation; chez l'acheteur, la cause est le désir d'acquérir la propriété, en compensation du prix à fournir. Dans la société, la cause est, pour chaque partie, le désir de réaliser des profits qui devront être plus considérables si elle met en commun ses biens et son travail que si elle les utilise séparément. Dans la donation, la cause est, chez le donateur, le désir d'être utile à autrui, plus encore que celui d'en obtenir de la reconnaissance; chez le donataire, la cause est le désir naturel d'acquérir gratuitement.
Au contraire, dans les contrats innommés, qui ne sont pas proposés et réglés par la loi, la cause doit être cherchée, car elle pourrait manquer, être erronée ou simulée, c'est-à-dire fausse, ou même être illicite. Ainsi, dans la novation, une partie n'a pu contracter une dette nouvelle que dans le but d'en éteindre une précédente; voilà la cause qu'on doit trouver. Mais si cette première dette n'avait jamais existé ou n'existait plus, la nouvelle dette serait sans cause; si les parties croyaient à une cause, il y aurait cause erronée; si elles savaient que la cause n'existait pas, il y aurait cause simulée et, dans ces deux cas, fausse cause. requises pour l'existence de certaines conventions qu'à l'occasion de chacune d'elles en particulier. Elles ne sont mentionnées ici que pour mémoire, car elles n'appartiennent pas à la théorie des Conventions en général. Les conventions solennelles ont d'ailleurs été déjà sigualées sous l'article 321.
La cause illicite est plus facile à concevoir et pourra se présenter plus souvent; on peut d'ailleurs la rencontrer dans les contrats nommés aussi bien que dans les contrats innommés. En voici les deux cas principaux: 1° l'une des parties s'est engagée à accomplir un acte illicite; cet acte ne peut, pour cette partie, être l'objet d'une obligation ni d'une convention, puisqu'elle “n'en a pas la disposition," puisque cet acte “n'est pas dans le commerce;" en même temps, comme il est, pour l'autre partie, le résultat cherché, le but poursuivi, il se trouve être, pour elle, une cause illicite de la convention; 2° toutes les fois que les parties ont subordonné tout ou partie des effets de la convention à une condition prohibée, la cause de la convention est illicite; car toute condition est une cause de la convention, une cause tantôt principale et tantôt accessoire, mais qui, dans les deux cas, doit, comme illicite, rendre la convention nulle; il n'y a aucune différence réelle entre promettre une somme d'argent à quelqu'un s'il commet un délit, et la lui promettre PARCE QU'IL aura commis un délit.
Il ne faut pas confondre avec la cause les motifs de la convention. On en établira les profondes différences sous l'article 329.
46.-D. Solennites.- Il ne sera parle des solennites requises pour l'existence de certaines conventions qu'à l'occasion de chacune d'elles en particulier. Elles ne sont mentionnées ici que pour mémoire, car elles n'appartiennent pas à la théorie des Conventions en général. Les conventions solennelles ont d'ailleurs été déjà sigualées sous l'article 321.
II.- CONDITIONS DE VALIDITÉ DES CONVENTIONS.
47.- A. Absence de vices dans le consentement. L'article 326 indique seulement deux vices du consentement: l'erreur et la violence; en cela, il s'écarte no. tablement du Code français et de ceux qui l'ont imité, lesquels comptent aussi le dol comme un vice du consentement. On démontrera, sous l'article 334, que le dol, suivant le degré d'erreur qu'il cause, ou se confond avec ce vice même, ou n'est plus qu'un fait simplement dommageable qui donne lieu à réparation: cette réparation, il est vrai, pourra être obtenue par l'annulation du contrat, mais avec un autre caractère et avec moins d'effets que lorsqu'il y a eu une erreur viciant le consentement à proprement parler.
48.- B. Capacité des parties. Certaines personnes sont, par suite de conditions particulières où elles se trouvent, légalement présumées et déclarées incapables de faire certains actes concernant leur personne même et leurs biens. Le Projet n'a pas encore eu à déter. miner ces personnes: c'est au Livre I er qu'il se prononcera. Mais, vraisemblablement, la loi japonaise ne sera, à cet égard, ni plus ni moins exigeante que les lois européennes.
La raison et l'expérience générale des peuples, tant anciens que modernes, ont toujours refusé la capacité de faire des actes juridiques de quelque importance à ceux dont les facultés intellectuelles ne sont pas suffi. santes, soit par l'effet du jeune âge, soit par un dérangement de l'esprit. Mais la loi positive doit intervenir pour déterminer l'âge jusqu'auquel se prolonge, chez l'adolescent, la présomption d'inaptitude aux affaires juridiques; de même, elle doit déterminer les moyens de constater chez l'insensé le dérangement des facultés mentales, d'en reconnaître la gravité et de lui interdire, s'il y a lieu et aussi longtemps qu'il sera nécessaire, l'exercice des droits civils.
Les lois des divers pays présentent quelques différences pour la fixation de l'âge de la capacité: l'influence des climats activant ou retardant le développement physique de l'homme, le développement de l'intelligence se trouve en même temps hâté ou retardé. L'âge de la capacité varie, en Europe et en Amérique, de 18 à 25 ans; mais avec quelques différences entre les deux sexes et relativement à certains actes plus importants que d'autres. Le plus généralement, l'âge de la capacité est de 21 ans, pour les deux sexes. Au Japon, il est maintenant de 20 ans et cet âge ne paraît ni prématuré ni trop retardé. L'usage, en Europe, est d'appeler mineur celui qui n'a pas encore atteint l'âge de la capacité et majeur celui qui l'a dépassé: on suivra ici le même usage (f).
Il peut exister pour les mineurs une situation intermédiaire qui les prépare à la majorité et constitue pour eux une demi-capacité, c'est l'émancipation. Elle sera sans doute admise au Japon; il y a déjà été fait allu. sion au sujet des droits réels (v. art. 130).
Quant à ceux dont la démence, dont l'aliénation mentale a été dûment constatée, et dont l'incapacité a été prononcée en justice, on les appelle en France interdits; on y donne le nom d'aliénés, à ceux qui sont temporairement placés dans un établissement de santé, sans avoir été judiciairement interdits, et le nom de prodigues à ceux que leur faiblesse d'esprit porte seulement à la dissipation. Les interdits sont, comme les mineurs, représentés par un tuteur placé lui-même sous le contrôle d'un conseil de famille; les aliénés sont représentés par un administrateur provisoire; les prodigues sont assistés d'un conseil judiciaire.
Quant à présent et jusqu'à ce que la loi ait réglé, au Japon, la condition juridique de ces personnes, on les désignera, dans le Projet, par le nom d'interdits ou d'aliénés.
Ici encore, le Projet suit la tradition générale, en distinguant l'incapacité d'avec les vices du consentement, quoique, en allant plus au fond des choses, on puisse retrouver une présomption de vice du consentement, au moins d'erreur, chez l'adolescent ou chez le majeur frappé d'interdiction pour démence.
Il existe aussi en Europe l'incapacité des femmes mariées, fondée plutôt sur la soumission générale que la femme doit à son mari que sur la faiblesse du sexe féminin, puisque la femme non mariée ou veuve y peut exercer ses droits civils avec le même pouvoir que l'homme. La tendance est aujourd'hui, en Europe et en Amérique, d'étendre les droits des femmes plutôt que de les restreindre. Au Japon, ce sera déjà pour les femmes une extension de capacité que de n'être soumises qu'à l'incapacité où elles sont placées par la loi française.
49.- C. Lésion.- On n'entrera, à présent, dans aucups détails, au sujet de la lésion considérée comme cause tout exceptionnelle d'annulabilité des conventions. La lésion suppose que, dans un contrat à titre onéreux où chaque partie cherchait un avantage égal à celui qu'elle fournissait (c'est le contrat que le Code français appelle commutatif) l'une d'elles a trouvé un avantage beaucoup moindre. L'intérêt général qui demande que les conventions soient maintenues autant que possible ne permet pas que cette cause d'annulation soit facilement adınise. Aussi, en droit français, ne rencontre-t-on que deux contrats annulables pour lésion proprement dite entre personnes majeures: le partage de biens indivis où l'un des co-partageants est lésé de plus du quart de la part qu'il devrait avoir (art. 887) et la vente d'immeuble où le vendeur est lésé, dans le prix fixé, de plus des 7/12es de la valeur véritable (art. 1674). Si ces deux cas d'annulation ou rescision pour lésion sont admis dans le Code japonais, c'est à l'occasion des contrats qui y donneront lieu qu'il en sera traité (g).
La lésion est encore, en droit français, une cause de rescision, en faveur des mineurs, “contre toutes sortes “de conventions" (art. 1305), et ici, quelle que soit l'importance de la lésion, même la plus minime. Cette combinaison de la lésion avec l'incapacité a donné lieu, dans la jurisprudence et la doctrine françaises, à d'assez sérieuses difficultés que le Projet devra s'efforcer de prévenir (voy. 569 et s.).
50. On terminera ce qui concerne ces diverses conditions d'existence et de validité des conventions par une observation importante.
Déjà, en plusieurs occasions, on a rencontré et appliqué le principe fondamental de la liberté des conventions; le § snivant va bientôt le proclamer, le justifier et en fixer les limites. Ce principe ne reçoit ici qu'une application très-restreinte: les parties pourraient ajouter aux conditions d'existence de la convention, en la subordonnant à un événement plus ou moins casuel, et à celles de validité, en la subordounant à l'absence de lésion, dans un cas où la loi n'admet pas la rescision pour lésion, ou en exigeant pour cette rescision une lésion moindre que celle que la loi exige; mais elles ne pourraient rien retrancher des conditions légales, soit d'existence, soit de validité de la convention: pour les premières, elles dépendent de la nature des choses, laquelle est ici la pure raison; pour les secondes, elles sont une protection pour les faibles, et le but de la loi qui est un but de justice ne serait pas atteint, si la partie intéressée pouvait se soustraire à cette protection, notamment au droit de faire rescinder son contrat pour lésion (voy. c. civ. fr., art. 1674).
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(a) L'exactitude du langage voudrait que le mot nullité fût réservé au cas d'inexistence de la convention (nul vient du latin: nihil, “rien"), et l'on devrait dire annulabilité dans le cas d'un simple vice du consentement, où une action en justice est nécessaire et constitue une simple faculté pour l'une des parties; mais on a pris l'habitude, en France, d'employer aussi, dans ce cas, le mot de nullité; peut-être est-ce parce que le contrat, annulable à sa naissance, devient nul après le succès de l'action en justice.
(b) Du latin: sentire cum, “sentir avec, penser ensemble."
(c) Pour que la définition de la convention fût complète, on devrait y faire entrer, outre la nécessité du consentement, celle de la cause et de l'objet; mais ce serait la trop compliquer.
(*) A l'Erratum, on ajoutera “ou déterminé."
(d) Au Japon, on trouve aussi cette division tripartite, mais un peu surannée, des choses principales que la terre met à la disposition de l'homme: les animaux (dó-boutsou ou kin-jú), les végétaux (shokouboutsou ou só-mokou), les minéraux (kó-boutsou ou kin-séki).
(e) Au Japon, tant que les étrangers ne pourront être propriétaires d'immeubles que dans les concessions (settlements), les immeubles seront " hors de leur commerce."
(f) Ces deux mots signifiant: moins agé, plus agé, sous-entendent un point de comparaison qui est l'âge de la capacité: 21 ans, en France 20 ans, au Japon.
(g) Il ne serait peut-être pas téméraire de considérer comme des cas de rescision pour lésion, au fond et dans le principe, la résiliation pour éviction partielle (c. civ. fr., art. 1636) et celle par suite de vices cachés (ib., art. 1644); on peut, au moins, sans hésiter, citer d'autres cas où la lésion, sans motiver l'annulation du contrat, donne lieu à une modi. fication des obligations respectives des parties: par exemple, l'excédant ou l'insuffisance de la mesure dans la vente ou le louage d'immeuble (art. 1617 et s.; 1765).
Art. 327. — 51. Il n'y a plus à revenir sur les caractères du consentement, déjà suffisamment expliqués. On remarquera seulement que le Projet s'écarte ici, avec raison, du Code français qui n'exige le consentement que “de la partie qui s'oblige” (art. 1108). Il est clair que le consentement, étant un accord de volontés, ne peut provenir d'une seule personne. Le Projet prend soin d'exiger le consentement de toutes les parties intéressées, activement autant que passivement; mais il n'exige pas le consentement de toutes les personnes qui figurent dans l'acte à un autre titre, par exemple, comme témoins. De même, si une personne intervient à l'acte comme garant ou caution, elle doit assurément consentir à prendre cette qualité, mais elle n'a pas à consentir à l'acte principal auquel elle n'est pas directement intéressée.
Le cas prévu au 2° alinéa sera rare, parce que si une personne ne voulait pas consentir à une convention, elle n'y assisterait pas, surtout elle n'y laisserait pas figurer son nom, s'il y avait un acte dressé pour la preuve. Cependant, il pourrait arriver que, dans les préliminaires d'une vente ou d'un louage, plusieurs personnes fussent disposées à y figurer comme acheteurs ou locataires, et qu'au dernier moment, l'une d'elles n'acceptât pas les conditions définitives, alors que les autres les ont déjà acceptées. La loi pose en principe que si l'une des parties proposées ne consent pas, le contrat ne se forme pas, non seulement avec cette personne, mais même entre les autres: il y a présomption que le contrat devait être indivisible quant aux personnes. Mais la preuve d'une intention contraire sera perinise et le contrat pourra être déclaré formé entre les divers adhérents. Le cas serait peutêtre assez fréquent en matière de société projetée entre un grand nombre de personnes et à laquelle une ou plusieurs refuseraient ensuite d'adhérer.
Art. 328. — 52. Le consentement, en lui-même, est un fait purement interne, comme tout acte de la volonté; mais il ne peut avoir d'effet juridique qu'autant qu'il se manifeste; quand la loi veut, exceptionnellement, s'assurer que le consentement a été parfaitement libre et même éclairé, elle exige qu'il soit donné devant un officier public dont la présence et les conseils sont une précieuse garantie pour les parties; c'est le cas des contrats solennels; dans les autres cas, la loi admet toute manifestation de la volonté par les moyens dont l'homme dispose: l'écriture, la parole, même les sigues.
Théoriquement, presque toutes les législations, depuis les Romains, admettent que le consentement puisse être donné par signe; mais, en fait, devant les tribunaux, on ne serait guère recevable à se prévaloir d'un consentement qu'on n'aurait obtenu que de cette façon, fût-ce d'un muet; encore faudrait-il qu'il ne sût pas écrire et qu'il y eût des témoins connaissant assez les signes du muet et son degré d'intelligence pour affiriner qu'il a donné à la convention une pleine adhésion. Aussi, le Projet prend-il, comme on le voit, de sages précautions pour éviter les abus à ce sujet. On peut d'ailleurs supposer des cas où les sigpes seraient le seul moyen de manifester le consentement; par exemple, si un blessé, incapable de parler et d'écrire, a besoin de changer de lieu ou d'acheter des choses nécessaires à son état, ou de faire un emprunt ou un dépôt, ou tout autre contrat urgent: il faudra bien admettre que son consentement aux propositions qui lui seraient faites, en présence de parents, d'amis on d'étrangers, puisse être donné par signe, et lors même qu'un officier public serait appelé pour plus de garanties de sa liberté, il faudrait toujours que son consentement au contrat fût donné en cette forme imparfaite.
Les signes d'adhésion ou de consentement à une proposition, comme ceux de dénégation ou de refus, sont à peu près les mêmes dans chaque pays. Les Romains appelaient le premier signe adnutus, et le secoud abnutus. En Europe, le signe d'adhésion se fait ordinairement par un abaissement vertical de la tête et le signe de refus par un double mouvement latéral; il n'en est pas autrement au Japon, ce qui mérite d'être noté, à côté de tant de différences dans les formes du langage écrit ou parlé. Mais il peut être nécessaire de recourir à des signes conventionnels. Ainsi, on voit souvent des blessés ou des paralytiques incapables de parler et même de faire un mouvement de la tête; en pareil cas, on commencera par leur proposer d'autres signes d'adhésion ou de refus; par exemple, de fermer les yeux pendant un certain temps, pour refuser une proposition, et de les tenir. ouverts pour l'accepter. Si, plus tard, ces circonstances sont déclarées par des témoins, les parties seront arrivées par signes à un résultat aussi utile que s'il y avait eu consentement écrit ou verbal. Il y a aussi des signes ou signaux conventionnels en matière de navigation inaritime; par exemple, pour demander un pilote à l'approche d'un port ou pour demander des secours en cas de péril; ces signes d'appel, suivis du service ou du secours demandé, permettront de dire qu'il y a eu convention.
53. Il n'est pas d'usage d'appeler tacite, le consentement donné par signe, parce que les signes font alors l'office de langage; mais la loi admet aussi le consentement tout à fait tacite, ou consentement muet (qui se tait, d'après l'étymologie latine).
Le consentement tacite se révèle, soit par des faits extérieurs, soit par le silence. Les faits extérieurs sont, par exemple, l'exécution totale ou partielle d'un travail ou d'une fourniture demandés, ou, en sens inverse, la demande de l'exécution d'une proposition reçue qui, par là, se trouve agréée. Le silence lui-même vaut con. sentement ou acceptation, quand, après des pourparlers dans le but de contracter, il a été entendu que si un refus n'était pas envoyé dans un délai fixe, le silence vaudrait consentement. Mais une partie ne pourrait imposer à l'autre la nécessité d'envoyer un refus dans un délai déterminé, faute de quoi celle-ci serait considérée comme acceptante: une pareille prétention serait évidemment absurde. Ce qui est permis, c'est l'inverse: on peut faire une offre ou proposition avec assignation d'un délai pour l'acceptation, passé lequel, l'offre devra être considérée comme non avenue.
Art. 329. — 54. Cette disposition s'applique sur tout aux conventions qui se font par correspondance ou par intermédiaires. Les ventes commerciales les plus importantes se font, presque toujours, par cette voie, à cause des distances entre les grands marchés.
Quelquefois, c'est l'offre du vendeur qui commence: le contrat ne sera formé que quand l'acheteur l'aura acceptée; d'autres fois, l'acheteur demande la marchandise, en indiquant son prix: il faut alors l'acceptation du vendeur pour qu'il y ait vente.
Si la partie qui a écrit la première ne change pas d'intention, il n'y a pas d'intérêt, en général, à rechercher à quel moment l'acceptation de l'autre est intervenue pour former le contrat; tout au plus, cela seraitil à considérer, si le prix devait être déterminé par le cours public de cette marchandise au jour de l'acceptation. Mais, si l'offre est rétractée ou si la demande est retirée, à une époque plus ou moins rapprochée de l'acceptation, il importe de savoir si celle-ci est utilement intervenue..
Le principe est qu'il faut, mais aussi qu'il suffit, qu'il y ait persistance de l'offre ou de la demande jusqu'au moment de l'acceptation, de sorte qu'elles aient existé en même temps; en effet, toute offre ou demande qui n'est pas retirée est censée soutenue, confirmée, à chaque moment, par la persistance d'une même volonté; mais aussi, elle peut être retirée tant qu'elle n'est pas acceptée; car, dans la manifestation d'une seule volonté, il n'y a encore, d'aucun côté, ni droit ni obligation; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que celui qui a fait l'offre se fût engagé, comme on l'a déjà prévu plus haut, à ne pas la retirer pendant un certain temps: l'offre prendrait alors le nom de pollicitation ou promesse.
55. Quand l'offre est acceptée, elle ne peut plus être retirée, parce que le contrat est formé. Quelques auteurs soutiennent cependant que l'offre peut être retirée tant que celui qui l'a faite n'a pas été informé de l'acceptation, et, réciproquement, suivant eux, l'acceptation pourrait être faite tant que le retrait de l'offre ne serait pas parvenu à la connaissance de l'accepteur, de même que l'acceptation envoyée pourrait être rétractée tant qu'elle ne serait pas parvenue à celui à qui elle est adressée. Dans ce système, on admet que l'acceptation envoyée par lettre pourrait être rétractée par un télégramme arrivé plus tôt. Mais cette opinion doit être rejetée; autrement, on serait entraîné à dire qu'il ne suffit pas que la réponse à l'offre fût parvenue, mais qu'il faudrait encore que celui qui a adressé la réponse sût qu'elle est parvenue en temps utile et on ne voit pas où l'on s'arrêterait dans cette série de missives réciproques.
Le Projet tranche formellement la question, en disant qu'on ne s'attachera qu'aux dates des deux actes dont l'un peut empêcher l'autre: le retrait de l'offre empêchant l'acceptation et l'acceptation empêchant le retrait de l'offre, c'est, de ces deux actes, le premier en date qui l'emportera. Le seul cas où une dépêche rapide pourrait utilement devancer une lettre déjà partie est celui où une offre envoyée par lettre serait rétractée par une dépêche télégraphique; dans ce cas, le destinataire de l'offre recevant la rétractation de celle-ci avant l'offre elle-même, ne pourrait plus l'accepter; car il serait averti d'avance que l'offre qu'il recevra n'existe plus.
56. Le dernier alinéa du présent article demande à être justifié.
Les contrats obligent, en général, les héritiers des parties, comme celles-ci elles-mêmes; ils n'éprouvent aucune atteinte de la mort ou de l'incapacité survenue à l'une d'elles ou à toutes deux; c'est un principe qui trouvera sa place bientôt; ce n'est que par exception que certains contrats sont résolus par la mort, l'interdiction ou la faillite de l'une des parties; tels sont le mandat, la société, le louage d'ouvrage et de services.
Mais ce qui est l'exception pour les contrats devient la règle pour les offres; comme elles ne forment pas encore un lien de droit, elles ve peuvent durer que par la persistance de la volonté; or, la volonté ne produit d'effet au delà de la vie que dans le testament; la volonté d'un interdit n'a plus de valeur juridique; celle d'un failli est entravée par l'intérêt de ses créanciers; les offres faites tombent donc par la mort et l'incapacité survenues; de même, pour que l'offre soit présumée soutenue par une personne vivante et restée capable, il faut que la personne à laquelle l'offre a été faite soit en état de pouvoir l'accepter personnellement.
Il faut observer seulement que si les héritiers ou les représentants de la personne décédée ou devenue incapable avaient négligé de prévenir l'autre partie de l'événement qui a fait tomber l'offre et qu'il en fût résulté un préjudice pour celle-ci, ils pourraient encourir des dommages-intérêts, à raison de la faute par eux commise.
Art. 330. — 57. La loi ne parle pas, comme allant de soi, d'un premier cas où il n'y a pas de consentement; c'est celui où l'une des parties n'aurait pas donné son adhésion extérieure au projet de convention et où cependant l'autre partie prétendrait qu'elle a consenti: il n'y a là qu'un point de fait à vérifier.
La loi ne parle pas non plus du cas où il y aurait défaut complet de volonté ou de consentement par absence totale d'intelligence de l'acte juridique chez l'une des parties, comme chez un enfant en bas âge, chez un fou, hors d'un intervalle lucide, ou chez une personne atteinte d'une fièvre délirante: il est évident que le consentement de ces personnes n'est pas vicié, mais manque entièrement. D'un antre côté, la loi ne pouvant déterminer avec la précision nécessaire les cas où se rencontrera ce défaut absolu de consentement, c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de le constater dans chaque affaire.
Mais le présent article croit devoir déclarer que certaipes erreurs sont exclusives d'un consentement véritable, quoiqu'il soit apparent en la forme; cela est d'autant plus nécessaire que d'autres erreurs dont il est parlé ensuite ne produisent qu'un vice du consentement, lequel rend le contrat simplement annulable, et que d'autres erreurs laissent même au consentement toute sa validité. En général, les lois abandonnent à la doctrine le soin de distinguer ces diverses sortes d'erreurs; mais ce système n'est pas sans danger; il ressemble d'ailleurs à une abdication du législateur, dans un ordre de difficultés qui n'est plus, comme le précédent, de fait, mais de droit.
On trouve ici quatre erreurs dont la nature et la gravité sont telles qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu consentement de la part de celui qui les a commises. La loi en indique une autre qui, au contraire, laisse au contrat toute sa validité.
58.-A. Erreur sur la nature de la convention.—Le contrat proposé par l'une des parties était une vente, l'autre partie a cru faire un échange; ou bien, l'une proposait un louage, l'autre a cru recevoir un prêt à usage (contrat gratuit); ainsi encore, l'une entendait avoir un débiteur solidaire, l'autre n'a voulu s'engager que comme caution. Sans doute, de pareilles erreurs ne seront pas fréquentes; mais elles ne sont pas invraisemblables, si l'on suppose que les pourparlers ont porté sur les deux conventions et que la réponse a été donnée par lettre, sans rédaction d'un acte en bonne forme. Dans tous les cas supposés, il est clair que chaque partie ayant eu en vue une convention différente, il n'y a pas eu même sentiment, consentement. Une réserve, toutefois, est à faire sur la dernière hypothèse: si le créancier qui a cru obtenir un engagement solidaire consentait, après coup, à recevoir comme caution la partie qui a entendu de prendre qu'un tel engagement, celle-ci ne pourrait se soustraire à son engagement.
59.- B. Erreur sur l'objet de la convention.- Les pourparlers préalables à la convention, par exemple, à une vente, avaient porté sur plusieurs objets, successivement et disjonctivement; au dernier moment, l'acheteur a déclaré accepter, par correspondance toujours, et il enteudait acheter un des objets proposés, quand le vendeur pensait qu'il s'agissait d'un autre; c'est là l'erreur dite “sur le corps même de la chose” (in ipso corpore rei), qu'il ne faut pas confondre avec l'erreur “sur les qualités de la chose” dont il sera parlé plus loin. Ici encore il n'y a pas accord des volontés.
60.--C. Erreur sur la cause et sur le motif de la convention.-On réunit ici deux erreurs très-différentes dans leur gravité, mais de natures très-voisines.
L'erreur sur la cause semble, au premier abord, difficile à supposer. On a déjà dit que les contrats nommés ont toujours une cause qui est de leur essence et qui, par cela même qu'elle est reconnue par la loi, doit être toujours vraie, comme elle est toujours licite. On peut cependant citer des ventes nulles pour fausse cause; ce sont les ventes faites par un autre que le propriétaire ou “ventes de la chose d'autrui:" on a déjà dit (p. 58) qu'elles sont nulles par un vice de l'objet qni “n'est pas dans le commerce du vendeur;" elles sont aussi nulles faute de cause ou pour fausse cause, parce que l'acheteur avait pour but, en contractant, d'acquérir la propriété et que ce but est impossible à atteindre, en traitant avec un non-propriétaire; on pourrait inême trouver un troisième principe de nullité de la vente de la chose d'autrui, ce serait l'erreur sur la personne du vendeur; mais cette explication ne suffirait pas toujours sans l'une des deux autres; car, lors même que l'acheteur saurait que le vendeur n'est pas propriétaire, la vente serait encore nulle.
L'erreur sur la cause est plus fréquente dans les contrats ippoinmés auxquels la cause est donnée par les parties; d'où elle peut être erronée ou simulée, comme elle peut être illicite, ainsi qu'on l'a déjà remarqué. Il ne s'agit ici que du cas où la cause est erronée, parce que c'est le seul cas où le consentement n'existe pas. Par exemple, dans la novation, l'une des parties, en contractant l'obligation nouvelle, a entendu se libérer de l'une des obligations dont elle était tepue, alors que le créancier entendait la libérer d'une autre. Il y a bien une cause à la novation, il aurait même pu y en avoir plusieurs, puisque le débiteur avait plusieurs dettes à éteindre; mais il n'y a pas eu accord sur la même cause, donc pas de consentement.
61. La loi tranche, dans le présent article, un point de doctrine fort important, en déclarant que l'erreur sur le motif n'entraîne jamais la nullité de la convention; la raison en est que cette erreur n'exclut ni ne vicie le consentement, et lors même qu'elle serait l'effet d'un dol de l'autre partie, il ne serait pas encore exact de dire, dans la théorie nouvelle du Projet, qu'il y a vice de consentement: il n'y aurait qu'un “dommage causé injustement," doppant lieu à réparation, comme on l'expliquera plus loin, au sujet du dol commis dans les conventions.
Il est donc très-important de bien distinguer le motif d'avec la cause.
On a vu, plus haut, que la cause de la convention est la raison qui détermine, qui décide les parties à la faire; mais il faut l'entendre de la raison immédiatement et directement déterminante. Le motif est une raison médiate, indirecte, éloignée, qui nous porte à contracter.
Dans le langage ordinaire, les mots cause et motif, appliqués aux actions des hommes, sont synonymes; mais dans le langage du droit, on a dû les distinguer et, tout en leur donnant le nom commun de raison d'agir, on les différencie par leur relation avec l'acte, laquelle est immédiate ou médiate, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée. On doit aussi remarquer (et ce point est très-important) que, tandis qu'il n'y a, en général, qu'une seule cause de la convention, il y a toujours plusieurs motifs que l'on trouve en remontant du plus proche au plus éloigné.
62. Cela étant admis, on va prendre des exemples de motifs; on verra ensuite pourquoi l'erreur sur le motif n'est pas une cause de pullité comme l'erreur sur la cause.
Si, dans le contrat de vente d'immeuble, op cherche la cause de la convention, on trouve, pour le vendeur, le désir d'acquérir un prix ou la créance du prix, et, pour l'acheteur, le désir de devenir propriétaire. Mais pourquoi le vendeur et l'acheteur veulent-ils ainsi, chacun, transformer une valeur de leur patrimoine en une autre ? Ce sont des raisons toutes personnelles, de convenance ou d'intérêt dans lesquelles, ni la loi, ni même l'autre partie, n'ont à s'immiscer: le vendeur veut peut-être, avec ce prix, faire le commerce ou s'intéresser dans une industrie, ou seulement, par un emploi de son argent en prêt à intérêts, s'assurer un revenu plus fixe et plus facile à percevoir que celui d'un immeuble; l'acheteur, de son côté, veut peut-être, par l'emploi d'un capital en achat d'immeuble, éviter les risques de perte que présentent souvent les prêts, ou fonder un établissement industriel ou commercial dans les locaux achetés, ou simplement fixer sa demeure dans un lieu plus favorable. Ce sont les motifs.
Dans la donation, la cause, chez le donateur, est le désir de faire du bien au donataire, son parent ou son ami. Mais est-ce parce que celui-ci est pauvre ? Est-ce parce que le donateur a reçu des services antérieurs de lui ou de son auteur ? Voilà divers motifs possibles, et, au delà, il y en a d'autres, puis d'autres encore; chaque partie seule peut les connaître, pour ce qui la concerne.
Dans ces divers cas, si l'on suppose qu'il y a eu, de la part de l'une d'elles, erreur sur le motif, elle ne pourra se soustraire aux conséquences de la convention; autrement, ce serait faire souffrir l'autre partie d'une faute à laquelle elle n'a pas participé; on excepte seulement le cas où ce serait elle qui, par son dol, aurait fait croire le contractant à de faux motifs, et alors, la réparation du dommage pourrait aller jusqu'à l'appulation du contrat, comme on le verra bientôt (v. art. 333).
63.— D. Erreur sur la personne.- La considération de la personne avec laquelle on contracte joue un rôle plus ou moins considérable dans la convention. Quelquefois, elle en est la cause principale et déterminante, comme dans la donation, dans le prêt à usage, dans le dépôt, dans le mandat, dans le cautionnement, en un mot, dans les contrats de bienfaisance ou gratuits. Dans ces cas, s'il y a erreur d'une partie sur l'identité de l'autre, la convention est nulle, autant faute de consentement que pour fausse cause.
La considération de la personne peut aussi être déterminante dans certains contrats onéreux, dans ceux où l'une des parties recherche surtout les qualités personnelles ou les talents professionnels de l'autre; par exemple, dans les contrats où il y a prestation de services, soit pour la personne du créancier, comme les services d'un domestique, soit pour l'exécution d'une @uvre artistique ou littéraire.
D'autres fois, la considération de la personne n'est qu'un des éléments de détermination de la volonté, se joignant à d'autres, comme dans la vente à terme, dans le louage, dans le prêt à intérêt, où la personnalité du débiteur est à considérer, à raison du danger d'insolvabilité, comme aussi dans le louage de services industriels, où le talent et les qualités individuelles sont moins exclusivement recherchés par le stipulant.
Enfin, dans certains cas, la personne du contractant est indifférente, comme dans la vente au comptant, le prêt à intérêt, sur gage ou sur hypothèque, et, généralement, dans les contrats où le profit exclut toute idée de bienfaisance, en même temps qu'il n'y a aucun risque à courir.
Par la même raison, on ne tient pas compte non plus, dans les contrats à titre onéreux, au moins en général, de l'erreur du débiteur sur la personne du créancier, lequel ne peut, à raison de sa personnalité, exiger plus que son dâ, quoique peut-être il puisse mettre plus ou moins de rigueur dans la poursuite.
64. Pour revenir à l'application du présent article, on peut remarquer que dans les cas où la considération de la personne a été déterminante de la convention, elle a joué le rôle de cause, de sorte que l'erreur sur la personne n'est alors qu'une variété de l'erreur sur la cause; c'est à ce titre qu'elle exclut le consentement.
Ainsi, en reprenant les exemples donnés plus haut, le donateur a entendu gratifier un de ses parents éloignés ou le fils d'un ami, ne les connaissant pas individuellement; par l'effet d'une erreur commune, peut-être par un dol, une autre personne a reçu la donation; la donation est nulle, faute de cousevtement du donateur et par fausse cause. La solution serait la même si l'erreur existait chez le donataire, à l'égard de la personne du donateur, duquel il ne consentirait pas à recevoir une donation, soit parce qu'il le croirait lui-même peu honorable, soit parce qu'il craindrait que ses biens n'eussent pas une source honnête.
Mêmes solutions pour le prêt à usage et par les mêmes raisons.
Dans le mandat et le dépôt, la considération de la personne est déterminante des deux côtés: le mandant ne chargerait pas de ses intérêts toute personne indistinctement; le mandataire n'accepterait pas la peine et la responsabilité du mandat pour une personne inconnue.
Dans le cautionnement, où trois personnes sont en jeu, le créancier, le débiteur principal et la caution, il faut distinguer qui s'est trompé et sur quelle personne l'erreur a porté. Si l'erreur est chez le créancier, soit qu'elle porte sur la personne du débiteur ou sur celle de la caution, il n'y a guère que l'intérêt de la solvabilité qui soit en jeu et cette erreur appartient à la seconde classe déjà indiquée plus haut et dont s'occupe la dernière disposition de notre article. Si l'erreur est chez le débiteur et porte sur la personne du créancier, elle est indifférente; c'est l'erreur de la troisième classe; si elle porte sur la caution qui intervient pour lui, comme il peut désirer ne pas recevoir un service d'une personne qu'il ne connaît pas ou p'estime pas, il sera admis à présenter une autre caution et le créapcier ne pourra la refuser, si elle est aussi solvable que la précédente. Mais le cas le plus sérieux est celui où l'erreur viendrait de la caution et où elle se serait trompée sur la personne du débiteur qu'elle a cau tionné: en pareil cas, la considération de la personne est déterrninante, comme dans tout contrat de bienfaisance, et le cautionnement sera nul faute de consentement et pour fausse cause.
En somme, dans les contrats à titre onéreux, les cas où la considération de la personne du débiteur est déterminante sont plus rares que ceux où elle n'est que secondaire. On ne peut guère citer que les louages de services qui supposent, soit une science ou un art sérieux, comme la construction d'un navire, celle d'un palais, ou la fabrication d'une machine compliquée, soit une probité absolue, comme un emploi de comptable, soit l'expérience, le savoir et l'honnêteté, pour les contrats innommés faits avec le médecin, l'avocat, le précepteur. Dans tous ces cas, les tribunaux tiendront grand compte aussi des circonstances du fait, spécialement de la nature des services à rendre, pour reconnaître l'intention des parties.
Art. 331. — 65. Il ne s'agit plus ici de l'erreur “sur le corps même de la chose,” mais de l'erreur sur ses qualités, laquelle, en fait, sera plus fréquente que la première.
Le Projet a cherché à être plus précis et plus complet que le Code français qui, davs une trop courte disposition de l'article 1110, ne distingue pas assez nettement les diverses erreurs dont la chose peut être l'objet. Le Projet reproduit ici les solutions les plus sûres qui se sont produites dans la doctrine et qui répondent, tout à la fois, à la raison et à l'utilité pratique.
L'idée qui domine est celle-ci: pour que le consentement et, par suite, le contrat, soit vicié par l'erreur, il faut que l'erreur ait porté sur une qualité de la chose qui a, dans une certain mesure, joué le rôle de cause dans la convention: autrement, ce ne serait plus qu'une erreur sur le motif et il a été établi qu'elle doit être sans influence sur la validité de la convention. Mais il ne faut pas non plus supposer que cette qualité était la cause unique et seule déterminante de la convention: autrement, la convention serait radicalement nulle. Il faut donc supposer, avec le texte, que la qualité sur laquelle l'erreur a porté était d'une importance suffisante pour contribuer à déterminer la convention, mais sans la déterminer seule; c'était, comme dit encore le texte, “une des qualités principales" que les parties recherchaient dans la convention.
66. Le Code français appelle ces qualités: la substance de la chose; mais le mot n'est pas sans inconvénients: à proprement parler, la substance d'une chose, c'est la matière qui la constitue (h); ainsi, c'est par la substance surtout que diffèrent profondément les métaux, les minéraux, les végétaux, et c'est par elle que, parmi eux, on sous-distingue les objets d'or, d'argent, de cuivre, de fer, de plomb; la pierre, le marbre; les divers bois, les diverses matières textiles, etc.
Assurément, l'erreur d'une des parties sur la substance de l'objet du contrat, peut être grave; mais c'est à la condition que cette substance a été prise en grande considération par la partie; or, le contraire peut souvent arriver et il serait mauvais qu'elle pût, par caprice et à la faveur d'une erreur de peu d'importance, se soustraire à la convention; en sens inverse, il y a d'autres qualités des choses, des qualités non-substantielles, qui peuvent avoir été considérées comme déterminantes dans le contrat et qu'il serait fâcheux de laisser sans remède.
Le Projet a donc présenté autrement que son modèle les règles de cette matière: on recherchera si les qualités sur lesquelles l'erreur d'une des parties a porté étaient, dans une certaine mesure, déterminantes de son consentement, elles sont alors dites principales, et, le consentement se trouvant vicié, la convention est annulable; si ces qualités n'ont eu qu'une importance secondaire pour la partie induite en erreur, la convention sera maintenue; sauf indemnité, si l'erreur provenait du dol de l'autre partie.
67. Le Projet n'a cependant pas ôté tout intérêt, dans le cas d'erreur, à distinguer les qualités substantielles de celles qui ne le sont pas, et, de cette façon, il se rattache aux traditions courantes: les qualités substantielles sont présumées principales et déterminantes pour les parties, sauf la preuve d'une intention différente; la présomption est inverse pour les qualités nonsubstantielles: elles sont présumées secondaires et de peu d'importance pour les parties, sauf aussi la preuve contraire.
Dans l'application du Code français, la jurisprudence, cherche à arriver au même résultat par une autre interprétation de l'intention des parties: on ne dit pas que les qualités substantielles des choses sont présumées principales et déterminantes pour les parties; on dit, au contraire, que les qualités déterminantes sont substantielles, ce qui a l'inconvénient de dénaturer le sens du mot substance. Dans ce système, on est amené à appeler substantielles les qualités purement abstraites et métaphysiques dont parle le dernier alinéa du présent article, ce qui est évidemment abusif; tandis qu'il est très-naturel de considérer comme principales et déterminantes l'ancienneté d'une chose, son histoire, sa provenance régionale, l'usage auquel elle est propre ou destinée.
68. Une dernière observation reste à faire. Puisque, dans les deux systèmes, on reconnaît qu'il y a des qualités substantielles et d'autres qui ne le sont pas, même en restant dans l'ordre des qualités physiques et matérielles des choses, il faut chercher le signe distinctif des unes et des autres.
Sans doute, comme on l'a dit déjà, la substance des métaux n'est pas la même que celle des autres miné. raux; sans doute aussi, chaque métal, chaque minéral, chaque végétal, a sa substance propre; on peut même dire que la substance de l'acier n'est pas la même que celle du fer; mais il y a encore bien des qualités différentes, soit de fer, soit d'acier; dans les matières textiles, non seulement il y en a de végétales et d'animales, mais, en outre, la soie diffère profondément de la laine et le coton du chanvre; ces différences sont substantielles, assurément; mais il y a de même des différences entre les soies, entre les laines, entre les cotons, suivant leurs diverses provenances; on peut dire encore que ces différences sont substantielles; enfin, il y a, entre ces mêmes substances, des différences de solidité ou d'éclat qui proviennent du mode de fabrication; ces différences ne sont pas substantielles, pas plus que les degrés de résistance, soit du fer, soit de l'acier.
Parmi les animaux, la différence entre le beuf et le cheval n'est pas seulement dans la forme et dans la force musculaire, elle est dans la substance même de tout l'être; parmi les chevaux même, entre le cheval japonais, le cheval arabe et le cheval anglais, la différence, dite de race, est substantielle; mais entre deux chevaux japonais ou deux chevaux anglais il n'y a plus que des différences individuelles, de force, d'agilité, d'élégance, lesquelles assurément ne sont pas substan. tielles.
Tout le monde peut être d'accord sur ces solutions; mais, ce qu'il faut, c'est un principe dirigeant, une formule applicable à tous les cas. La meilleure qui ait été proposée, en France, est celle-ci; chaque fois que, dans les objets de même espèce, une qualité est absolue, toujours identique dans les objets de même espèce et non susceptible de degrés, elle est SUBSTANTIELLE; Hors. qu'au contraire, la qualité est relative, lorsqu'elle varie avec les objets individuels, lorsqu'elle est "susceptible de plus ou de moins,” elle est NON-SUBSTANTIELLE. On peut ajouter que les qualités substantielles font, en général, donner aux choses un nom particulier qui les distingue des autres, tandis que les qualités non-substantielles ne leur font guère donner qu'une qualification adjective.
69. On terminera toutes ces dispositions concernant l'erreur à ses divers degrés, par une observation importante. Soit que l'erreur, suivant son objet et sa gravité, entraîne la nullité radicale du contrat ou le rende simplement avnulable, elle peut être et elle sera souvent imputable à la négligence de celui qui l'a commise. On verra, dans l'article 333, le cas où elle est l'effet du dol de l'autre partie; mais, quand elle est spontanée et résulte, dans une certaine mesure, de la faute de celui qui s'est trompé, il est naturel et juste qu'il indemnise l'autre partie: celle-ci, en effet, se voit privée des avantages d'une convention qu'elle a pa considérer comme stable et certaine, et elle peut avoir ainsi perdu l'opportunité de faire une pareille convention avec une autre personne. La réciproque pourrait avoir lieu, il pourrait y avoir eu faute, même sans dol, de la partie contre laquelle la nullité pour erreur est demandée: notamment, si proposant un contrat par correspondance, elle n'a pas suffisamment désigné les qualités de l'objet proposé. Les tribunaux auront donc à rechercher si l'erreur est imputable à une faute ou à des circonstances toutes fortuites, et, s'il y a eu faute on imprévoyance, de quel côté elle a eu lieu. Ils pourraient alors, si l'imprudence vient du demandeur en nullité, le soumettre à une indemnité pour le dommage causé à l'autre partie, et même, si la faute est trèslourde et que le dommage de la nullité doive être trèsconsidérable, la refuser absolument; car il vaut mieux ne pas causer un dommage que d'avoir à le réparer.
70. Le dernier alinéa se borne à mentionner, avec renvoi, quelques erreurs de fait qu'on qualifie souvent d'erreurs matérielles, les erreurs de calcul, de noms, de dates, de lieux: elles ne motivent pas, en général, l'annulation du contrat et ne donnent lieu qu'à redressement ou rectification: la loi s'en expliquera au sujet de la durée de l'action qu'elle déclare imprescriptible (art. 582).
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(h) Du latin: quod stat sub modis, "ce qui est sous la forme," la nature intime de la chose.
Art. 332. — 71. Le Projet tranche ici une question d'une grande importance, fort difficile de tout temps et dont le Code français ne s'est pas occupé, au moins comme principe général. On ne trouve dans ce Code que deux dispositions particulières sur l'erreur de droit: l'article 1356 qui ne permet pas de révoquer, de rétracter un aveu pour erreur de droit, et l'article 2052 qui défend d'attaquer une transaction pour erreur de droit. Ces deux solutions particulières fournissent un argument en sens contraire (a contrario), pour soutenir que les autres contrats ou actes juridiques pourraient être annulés pour ce genre d'erreur. En effet, les deux dispositions seraient inutiles si la règle générale n'était pas inverse.
Le Projet ne s'écartera pas, sans doute, du Code français à l'égard de ces deux dispositious faciles à justifier en leur lieu; de plus, il se prononce sur le principe, comme a déjà eu soin de le faire le Code italien (art. 1109) dont la disposition, beaucoup plus brève, trop brève peut-être, est ainsi conçue: “l'erreur “de droit produit la nullité du contrat, seulement lors“qu'elle en a été la cause unique ou principale."
Ce texte ne dit pas s'il s'agit d'une nullité absolue et radicale ou seulement d'un cas d'annulation judiciaire; il semble que ce doive être la première, car, dans le cas prévu, la cause manque ou est fausse.
Le Projet japonais est plus large, il admet qu'il y aura tantôt nullité radicale, tantôt simple annulabilité pour vice du consentement, par l'effet de l'erreur de droit, et cela, suivant les distinctions déjà établies au sujet de l'erreur de fait.
En permettant d'attaquer les conventions pour erreur de droit, la loi montre qu'elle n'est pas arrêtée par un prétendu principe, trop souvent répété, en forme d'axiôme, à savoir que "nul n'est censé ignorer la loi" (nemo jus ignorare censetur). Ce principe sera examiné et réduit à sa juste application, sous le 3° alinéa, ci-après.
Le texte prévoit cinq sortes d'erreurs de droit: elles peuvent porter sur la nature de la convention, sur ses effets légaux, sur sa cause, sur les qualités légales de son objet ou sur celles de la personne du co-contractant. On va les reprendre avec des exemples.
72.-A. On a déjà expliqué (p. 72) comment il peut y avoir erreur de fait sur la nature de la convention.
L'erreur sera de droit, quand une partie se sera trompée sur la qualification donnée au contrat; par exemple, elle aura confondu un prêt à usage avec un prêt de consommation ou avec un louage; un louage avec une emphytéose, un cautionnement avec un engagement solidaire. Il est évident que, dans le cas d'une telle erreur, le contractant n'a pas donné un véritable consentement: les volontés ne se sont pas rencontrées.
73.-B. Si l'erreur a porté sur les effets légaux du contrat, le résultat est le même et par la même raison; la seule différence c'est que la partie a bien compris qu'elle faisait tel ou tel contrat nommé, comme une vente ou un louage; mais elle en ignorait certains effets, tels, que si elle les avait connus, elle n'aurait pas contracté; par exemple, un vendeur ignorait qu'il était tenu, de droit ou par la force seule de la loi, à la garantie d'éviction ou à celle des défauts cachés de la chose, lors même qu'il ne connaissait pas lui-même ces défauts; ou bien, un bailleur ignorait qu'il était tenu de garantir la possession paisible et de fournir la jouissance continue de la chose louée; or, il lui serait possible de démontrer que, s'il avait connu les obligations que le contrat lui imposait, il n'aurait pas contracté ou aurait stipulé un prix plus considérable, ou aurait, en diminuant le prix, stipulé l'affranchissement de ces obligations.
On pourrait supposer une erreur de droit en seps inverse: le vendeur ou le bailleur se croyait des droits que la loi ne lui donne pas sans stipulation particulière; par exemple, il se croyait un privilége sur la chose vendue que la loi ne lui accorde pas on qu'elle subordonne à des conditions qu'il ignorait et qu'il n'a pas remplies; on peut supposer la même erreur chez un bailleur, au sujet du privilége sur la récolte et autres produits de la chose louée. La partie qui s'est ainsi trompée sur le droit peut établir qu'elle n'aurait pas traité si elle avait sn être privée de ces avantages.
74.-C. L'erreur de droit sur la cause du contrat nous est encore fournie par la novation dont il a été déjà parlé et qui sera développée en son lieu. Uve partie se croyait tenue légalement d'une obligation antérieure et, pour s'en affranchir, elle a consenti une autre obligation; plus tard, elle découvre que la première obligation n'était pas valable dès l'origine ou était éteinte par une compensation légale ou par la confusion; l'erreur ne portait pas sur les faits, wais sur les dispositions de la loi qui les régissent, c'est donc une erreur de droit et la nouvelle obligation est nulle pour fausse cause ou pour absence de cause.
75.—D. Le texte fait encore mention de l'erreur de droit qui porterait sur les qualités principales et déterminantes de la chose objet du contrat. On conçoit moins aisément, à ce sujet, une erreur de droit qu'une erreur de fait. Le cas le plus naturel qui pourrait se présenter est celui où l'une des parties aurait cru que la chose était dans le commerce, tandis qu'elle était dans le domaine public, ou l'avait crue aliénable, lorsqu'elle ne l'était pas; de même elle aurait pu croire qu'un droit était mobilier, quand il était immeuble par la détermination de la loi. Une pareille erreur peut être tout aussi préjudiciable à la partie qu'une erreur de fait.
76.-E. Il y a enfin l'erreur de droit sur les qualités de la personne ayant déterminé la convention; ainsi, lorsqu'on a fait un partage de succession avec un parent qu'on croyait héritier, alors que la loi ne l'appelait pas à la succession; ou bien, lorsqu'on a fait une transaction avec une personne qu'on croyait héritier légitime du créancier ou du débiteur et qu'il se trouve ensuite que cette personne, n'ayant pas la qualité d'héritier, ne pouvait valablement transiger au sujet de cette obligation. On pourrait encore citer le cas où l'acheteur a cru, par une fause interprétation des titres à lui présentés, que le vendeur était propriétaire de la chose vendue, quand il ne l'était pas: il est clair que s'il avait connu la vérité, il n'aurait pas acheté, puisque “ vente de la chose d'autrui est pulle.”
Dans ces divers cas, on revient toujours à reconnaître que l'erreur de droit est une erreur sur la cause unique ou principale, et c'est ainsi que l'a entendue l'article 1109, précité, du Code italien.
77. Il reste à concilier ces secours accordés par le Projet à celui qui a commis une erreur de droit avec la prétendue règle que “nul n'est censé ignorer la loi," et tel est l'objet des deux derniers alinéas du présent article.
On a déjà remarqué (p. 83), au sujet de l'erreur de fait, que celui qui a commis ce genre d'erreur sera plus ou moins facilement admis à être relevé contre son erreur, suivant que celle-ci sera plus ou moins excusable; la même règle s'applique à l'erreur de droit et l'excuse sera d'autant plus difficilement accordée qu'il était plus facile de convaître, soit l'existence d'une loi sur un objet déterminé, soit le sens et la portée de ses dispositions; si la partie avait des doutes à cet égard, elle pouvait, en général, s'éclairer près de personnes plus compétentes ou plus expérimentées. C'est pourquoi, le texte dit que les tribupaux “n'admettront la nullité de la convention qu'avec une grande réserve.” Ces recommandations de la loi aux tribunaux, sans être fréquentes ne sont pas inusitées (comp. C. civ. fr., art. 1244).
Mais il faut reconnaître aussi que les recueils de loi ne sont pas facilement accessibles à tous; lors même que les lois civiles seront codifiées, elles ne seront pas écrites dans la langue du peuple et, quelque soin qui aît été apporté à leur rédaction, on ne peut espérer qu'il n'y aura pas de points douteux, même pour les légistes; dans tous les pays, les légistes et les magistrats sont arrêtés par des difficultés de droit et divisés sur leur solution; le Japon ne peut prétendre échapper à cet inconvénient. Il faudra donc, pour être juste, admettre la partie qui s'est trompée sur le droit à prouver, non seulement sa bonne foi, mais encore les difficultés qui l'ont empêchée de connaître la loi, son sens ou sa portée. Les tribunaux tiendront compte, à cet égard, du caractère exceptionnel ou vulgaire de la con vention, de la condition sociale de la partie demanderesse, des moyens qu'elle avait ou non de s'éclairer, et enfin du degré de protection dûn à l'autre partie.
78. Quant au principe célèbre que “nul n'est censé ignorer la loi,” le troisième alinéa en fait l'application aux matières pédales, aux déchéances et, générale. ment, aux matières d'ordre public.
Ces exceptions sont faciles à justifier.
Pour les pénalités, elles supposent des actes qui, par leur nature, doivent se présenter à l'esprit de chacun comme malhonnêtes et, par conséquent, interdits; dans le doute, il faut s'en abstenir.
Les déchéances de droits, résultant, soit du temps, soit de l'inobservation des formalités prescrites par la loi, sont établies dans un bat de protection, soit pour l'autre partie contre laquelle on droit est prétendu, soit pour l'ordre public et la tranquillité générale; il est inadmissible que l'erreur d'une partie nuise à l'autre ou au bien de tous; tel est le cas de celui qui, par ignorance, aurait laissé son droit s'éteindre par prescription ou n'aurait pas suivi les formes de procédure établies pour la conservation de son droit.
La dernière formule de la loi est très-large et c'est aux tribuvaux qu'il appartiendra d'apprécier si l'ordre public s'oppose à ce que les particuliers soient relevés contre une erreur de droit. Nous citerons, comme exemples hors de doute, les erreurs de droit commises sur la forme à observer dans les contrats solennels, sur la publicité à donner aux constitutions ou transmissions de droits réels immobiliers, sur le taux légal de l'intérêt de l'argent, etc.
Rappelons, en terminant, un autre cas déjà expliqué (T. 1er, p. 351-352), où l'erreur de droit ne sera pas excusable: le possesseur de la chose d'autrui ve sera pas admis à invoquer son erreur de droit, comme base de sa bonne foi, soit pour profiter des fruits, soit pour acquérir par une prescription abrégée; le motif qu'on en a donné peut se résumer en un axiôme qu'on retrouvera sous l'article 362, c'est que “celui qui lutte “pour acquérir le bien d'autrui est moins intéressant “que celui qui lutte pour conserver le sien propre." Ce point de vue devra même être pris en considération dans les autres cas, en vertu du 2° alinéa du présent article.
Art. 333. — 79. La disposition de cet article constitue une profonde innovation par rapport au Code français et à ceux qui l'ont suivi: le dol ne figure plus, en lui-même et comme tel, parmi les vices du consentement: il n'est qu'un fait dommageable donnant lieu à la réparation du préjudice causé; si l'annulation est prononcée exceptionnellement, ce ne sera qu'à ce titre de réparation et sans que les tiers de bonne foi puissent en souffrir.
Pour justifier cette innovation du Projet, il faut d'abord se rendre compte des objections qu'on peut faire et qu'on a faites au Code français. L'article 1116 exige que le dol ait été pratiqué “par l'une des parties," pour être une cause de nullité au profit de l'autre: pratiqué par un tiers qui ne serait pas complice de la partie, il ne donnerait lieu qu'à une indemnité de la part de ce tiers. Or, la raison se refuse à comprendre qu'un fait dolosif, un acte frauduleux, change de nature et de gravité avec la personne de son auteur, qu'il produise un vice de consentement quand il est accompli par la partie et laisse au consentement toute sa validité quand il est accompli par un tiers; tel est pourtant le résultat singulier auquel paraît conduire l'article 1116 du Code français et contre lequel les auteurs n'ont pas assez protesté.
Quand il s'agit, au contraire, de l'erreur, soit sur la chose même, soit sur ses qualités principales, la loi ne distingue pas et elle ne pouvait distinguer quelle est l'origine ou la cause de l'erreur: si elle est spontanée, si elle provient de la fante de l'autre partie ou d'un tiers, le consentement est toujours vicié; de même (on le verra bientôt), s'il y a eu violence, contrainte, le consentement est toujours vicié, quel que soit l'auteur de la violence. La distinction qu'a faite le Code français au sujet de l'auteur du dol n'a jamais pu être pleinement justifiée et presque tous les auteurs luttent inutilement de subtilités et d'hypothèses complaisantes pour défendre contre la raison la loi ainsi interprétée.
80. Reprenant la question de plus baut, il faut d'abord se demander qu'est-ce, au juste, que le dol? Les jurisconsultes romains, ici encore, nous fournissent des définitions satisfaisantes: l'un dit qu'il y a dol “ lorsque l'on simule une chose, en en faisant une “autre;” un autre, plus précis, dit que le dol est “toute “ruse, toute supercherie, toute machination, employée “pour induire en erreur, circon venir, tromper autrui.” Cependant, ils n'interdisent pas, ils ue condamnent pas toute adresse, toute habileté consistant, pour chaque contractant, à défendre ses intérêts et à tirer le meil. leur profit possible de la convention: à cet égard, ils admettent un dolus bonus, un dol permis, par opposition au dolus malus ou dol illicite, le seul dont le droit aît à s'occuper pour le combattre ou le réprimer.
Dans le langage moderne, le mot dol se prend toujours en mauvaise part et on y attache le sens de “mapeuvres frauduleuses tendant à induire un con“tractant en erreur et ayant eu ce résultat.”
L'erreur est donc le mal immédiat qui résulte du dol, et avant de se prononcer sur le point de savoir si le dol est un vice de consentement, il faut examiner quelle nature, quelle gravité d'erreur il a produite.
Il est clair que si le dol a produit une des erreurs désignées à l'article 330, l'erreur sur la nature de la convention, sur l'objet même de la convention, sur sa cause ou sur la personne, quand celle-ci est la considération déterminante de la convention, alors, il n'y a pas de consentement, la convention est radicalement nulle; il est indifférent pour le résultat principal, pour la nullité, que l'erreur vienne du dol ou soit spontanée: la circonstance qu'il y a eu dol ne pourra guère avoir d'influence que pour les dommages-intérêts supplémentaires.
De même, si l'erreur produite par le dol a porté sur la personne, dans le cas prévu à l'article 330, 2° al., ou sur ce que l'article 331 appelle les qualités principales (pour substantielles) de la chose, le consentement est vicié, non par le dol, mais par l'erreur.
Quelles autres erreurs le dol peut-il avoir causées ? Il ne reste que l'erreur sur la personne, quand celle-ci était sans influence sur la formation de la convention, l'erreur sur les qualités secondaires (non substantielles) de la chose, et l'erreur sur le motif. Or, il a été établi que ces erreurs n'ont pas, en elles-mêmes, assez de gravité pour vicier le consentement et pour entraîner la nullité de la convention. Elles ne peuvent pas changer de nature, ni de gravité, parce qu'elles proviennent d'un dol, au lieu d'être spontanées. Senlement, si elles proviennent d'un dol, il y a là un fait dommageable qui doit être réparé par son auteur: il y a uve obligation née non plus d'un contrat, mais d'un délit civil.
81. Voyons comment cette réparation sera obtenue.
En général, dans ce cas, comme dans les autres, les dommages causés injustement se répareront en argent; ce mode de réparation est le seul qui puisse être demandé à l'auteur du dol, lorsqu'il n'est pas la partie contractante, et il en sera de même lorsque le dol émanant de celle-ci n'aura pas eu d'influence sur la formation même de la convention, n'aura pas déterminé le consentement, mais aura seulement fait accepter des conditions moins avantageuses; tel serait la tromperie sur des qualités secondaires ou accessoires de la chose vendue; c'est le cas que les auteurs appellent dol incident, dol accessoire ou dol secondaire. Lorsqu'au contraire, le dol émanant de la partie contractante a été déterminant, cas où le dol est dit principal, comme serait le dol sur le motif, une indemnité en argent ne réparerait souvent que très-imparfaitement le dommage causé: il est bien plus simple, et plus juste aussi, de rendre à la partie sa situation première, de l'affranchir de la convention qui lui porte préjudice.
82. Il reste à établir que cette annulation de la convention, prononcée à titre de réparation, n'a pas tous les caractères de l'annulation prononcée pour vice de consentement. On peut signaler trois différences par lesquelles elle s'en sépare.
1° Si la convention déterminée par dol était une aliénation, et que, par l'effet d'une autre convention, la chose eût passé dans les mains d'un tiers exempt de toute fraude ou collusion, la première aliénation, même immobilière, ne pourrait être annulée au préjudice du sous-acquéreur, tandis que, s'il-y avait eu vice du consentement proprement dit, l'annulation de la convention pourrait être poursuivie contre les sous-acquéreurs, ainsi qu'il sera dit plus loin (art 575). Cette première différence résulte formellement du dernier alinéa du présent article.
2° S'il y avait plusieurs co-contractants dont un seul fût coupable de dol, l'annulation ne pourrait être prononcée, parce qu'elle ne devrait pas nuire à ceux qui sont exempts de faute. Cette différence, toute de justice et de raison, résulte suffisamment du texte du 3° alinéa qui, n'accordant l'annulation à titre de réparation que si l'auteur du dol est l'autre partie, doit s'entendre de toutes les autres parties, si elles sont plusieurs.
3° Enfin, l'action en réparation du dol est purement personnelle, elle est une simple créance d'indemnité, dont l'annulation du contrat n'est qu'un mode particulier; par conséquent, elle n'entraîne aucune préférence ponr la partie trompée dans une aliénation; si donc l'auteur du dol est devenu insolvable, quand bien même la chose aliénée serait encore sa propriété, elle est devenue le gage de tous les créanciers et l'aliénateur trompé ne pourrait que venir en conconrs avec les autres créanciers, pour se faire indemniser proportionnellement à sa perte, sur la valeur de la chose qui serait vendue au profit commun. Si, au contraire, l'annulation avait lieu pour vice de consentement, elle aurait lieu à l'encontre des créanciers de l'acquéreur, parce que la partie demanderesse agirait en vertu d'un droit réel par elle conservé. Cette dernière différence résulte des principes généraux, une fois le système du Projet admis: elle n'a pas besoin d'être appuyée sur un texte.
Le 3°alinéa permet d'accorder à la partie lésée des dommages-intérêts, outre l'annulation; ceci est encore conforme aux principes; mais il est d'usage, dans les lois, de le rappeler souvent.
Art. 334. — 83. En général, la violence n'est considérée que comme un rice du consentement; c'est ainsi que le Code français la présente (art. 1111 et sniv.); c'est la théorie romaine, d'après laquelle “la volonté forcée est toujours une volonté;" dans le même sens, on dit aujourd'hui que celui qui cède à la violence on à la menace préfère de deux maux le moindre, et, par conséquent, ayant délibéré, a consenti.
Mais on doit admettre qu'il y a des cas où la violence est telle que la résistance est impossible, qu'il n'y a plus délibération, par conséquent, pas de volonté ni de consentement. Ce ne sera guère que le cas de menaces de mort et alors que le danger de la mise à exécution sera immédiat, par exemple, le cas où une partie serait sommée d'avoir à promettre ou à aliéner, alors qu'étant liée ou désarmée, on lui appliquerait sur la poitrine une arme meurtrière. On devrait admettre aussi le cas d'actes de barbarie ou de tortures physiques insupportables: l'assentiment purement extérieur, par la parole ou par les actes, n'impliquerait aucune volonté.
La loi met sur la même ligne un danger, un péril imminent, provenant d'un accident et contre lequel une personne implore un secours, en promettant ou en aliénant tout ou la plus grande partie de sa fortune. Le cas de pareils engagements, que le texte suppose excessifs, téméraires et déraisonnables," s'est présenté de tous temps et en tous pays et il a souvent donné lieu à des difficultés sérieuses devant les tribupaux. Après le péril passé, ceux qui ont fait de telles promesses ou aliénations ne les veulent plus reconnaître, comme n'ayant pas été libres, ni même volontaires. Il n'est pas possible d'autoriser les tribunaux à les réduire, parce que ce serait, de leur part, estimer en argent des services, des dévouements qui ne comportent pas une pareille estimation; ils ne peuvent donc que maintenir la convention en entier, si elle n'est pas déraisonnable, ou la déclarer nulle en entier, pour défaut complet de consentement, à cause de son exagération même. C'est ce qu'autorise le texte du deuxième alinéa. Bien entendu, dans ce cas, les tribunaux pourraient allouer une indemnité à la personne qui a rendu le service demandé, en prenant pour base, moins le danger que cette persovne a couru elle-même pour le sauvetage que le dommage qu'elle a pu en éprouver, soit dans sa personne, soit dans ses biens; le reste doit être laissé à la reconnaissance de la personne sauvée et ne constitue pour elle qu'une obligation naturelle ou de conscience.
84. Le cas où la violence vicie seulement le consentement est réglé au 3° alinéa. Les deux premières hypothèses s'y retrouvent, les violences physiques ou voies de fait et le danger imminent, mais à up moindre degré; il s'y troave aussi les menaces d'un mal assez considérable pour que la partie menacée ait préféré consentir à la convention qu'on lui demandait, plutôt que de subir ce mal; la loi suppose aussi que ce mal doit être “immédiat ou prochain," parce que, s'il était éloigné, il serait difficile de croire que la partie l'a redouté plus encore que la convention et que sa crainte a été sériense. Mais ce qui, surtout, doit être présent, c'est la crainte et non le danger; sous ce rapport, le droit romain, disant crainte présente, était plus exact que le Code français qui parle de mal présent.
Le texte pous dit encore que le péril auquel la partie a cherché à se soustraire par la convention peut avoir été "soit pour sa personne, soit pour ses biens,” et qu'il peut avoir été aussi “pour la personne ou pour les biens d'autrui." Cette double assimilation d'intérêts de nature ordinairement différente, n'est pas absolue: elle ne défend pas aux tribunaux de tevir plus grand compte du danger des personnes que du danger des biens, et du danger du contractant plus que du danger d'autrui: du moment que les tribunaux doivent apprécier la gravité du danger et l'influence que la crainte a exercée sur la volonté, toutes les cir. constances du fait sont à considérer par eux.
Les articles suivants confieront encore d'autres points à leur examen.
Il va sans dire, et la loi n'a pas cru devoir l'exprimer, que des menaces légitimes qui auraient déterminé quelqu'un à contracter ou à aliéner, pour se soustraire à un danger légal, ne seraient pas considérées comme viciant le consentement; par exemple, si quelqu'un, menacé d'une poursuite civile ou d'une plainte au criminel (dans un des cas où l'action publique est subordonnée à la plainte de la partie lésée), faisait une transaction pour y échapper, il ne pourrait se plaindre que s'il y avait eu exagération mensongère du danger qu'il pouvait courir et, dans ce cas, ce serait plutôt un dol qu'une violence; mais il pourrait, d'après la distinction exposée sous l'article 333, faire annuler ou réduire son engagement.
Art. 335. — 85. Cette disposition rappelle celle de l'article 1113 du Code français; mais elle est complétée avec l'article 1113 du Code italien. Lorsque la parenté ou l'alliance sont très-proches, l'affection naturelle est présumée assez forte pour que le danger couru par la tierce personne soit assimilé par la loi à celui qu'aurait couru la partie contractante elle-même. Mais là s'arrête la présomption légale: pour les autres ordres de parenté ou d'alliance, la question d'affection et, par suite, d'influence sur la liberté du contractant sera appréciée en fait par les tribunaux. Ceux-ci pourront aussi tenir compte des simples liens d'amitité et même des sentiments naturels d'humanité qui auraient pu porter une personne à contracter un engagement, sous l'influence d'une menace dont un étranger serait l'objet et dans le seul but de le sauver du danger.
Quoique le présent article ne parle que des violences commises par les personnes, il ne faudrait pas hésiter à l'appliquer aux périls accidentels prévus au 2° alinéa de l'article précédent: par exemple, si quelqu'un avait promis une somme déraisonnable, eu égard à ses facultés, pour le sauvetage d'un parent ou d'un ami.
Art. 336. — 86. La même observation se trouve dans l'article 1111 du Code français, et c'est elle qui constitue la profonde différence entre la violence et le dol; c'est elle qui a permis de dire que le dol n'est pas, en lui-même, un vice du consentement, puisque son influence sur la convention varie avec la personne qui l'a commis.
Dans le présent Projet, il y a encore moins lieu de douter que la violence provenant d'un tiers vicie ou exclut le consentement, puisque la crainte d'un péril imminent provenant d'une force majeure ou d'un événement de la nature est assimilée à la crainte provenant de violences coupables.
L'idée de notre article s'exprimait, en droit romain, en disant que “la violence s'examine in rem, en ellemême, tandis que le dol s'examine in personam, quant à la personne qui l'a commis.”
Art. 337. — 87. On verra, à l'article 340, que la partie dont le consentement a été vicié a seule le droit de demander l'annulation du contrat. Le présent article a pour but de nous dire que c'est là un secours extrême auquel elle n'est pas tenue de recourir: elle peut se contenter de dommages-intérêts. La même disposition se trouve déjà dans l'article 333 au sujet du dol. Mais il ne faudrait l'étendre ni au cas d'erreur, ni à celui d'incapacité, parce que, dans ces deux cas, il n'y a pas faute de l'autre partie contractante.
Art. 338. — 88. Le Projet réunit ici deux dispositions fort sages du Code français (art. 1112 et 1114), en y apportant toutefois deux corrections.
Le Code français exige que les violences aient été “de nature à faire impression sur une personne raisonnable;” par cela même, il n'accorde pas de protection à une personne qui, par faiblesse d'esprit ou par l'effet de la maladie, aurait été impressionnée d'une manière exagérée par des menaces peu graves. Le Projet japonais corrige cette disposition: si cet état particulièrement faible où s'est trouvé le contractant a été connu de l'autre partie et surtout si c'est elle qui est l'auteur de la violence, il n'est pas juste qu'elle profite d'une convention qui n'a pas été pleinement libre.
La considération de l'âge s'appliquera plutôt à la vieillesse qu'à la trop grande jeunesse, puisque la minorité fournit déjà une autre protection.
Pour le sexe, il est clair qu'une femme sera plus facilement qu'un homme admise à alléguer la violence ou les menaces dont elle a été l'objet.
La condition respective des personnes concerne les rapports de maîtres ou patrons à serviteurs et ouvriers, de chefs à subordonnés, dans les services publics; enfin, les rapports de parents à enfants et de mari à femme.
Pour ces derniers, la loi met les tribunaux en garde contre un excès de protection pour les enfants et l'épouse (cette dernière n'est pas mentionnée dans le Code français): ils ne seraient pas recevables à dire qu'ils n'ont pu, par la raison de respect, résister à la convention qui leur était demandée.
Art. 339. — 89. La disposition du 1er alinéa ne se trouve dans le Code français que pour le dol (art. 1116); mais elle n'est pas moins vraie pour les deux véritables vices de consentement, l'erreur et la violence, ni pour la lésion et même pour l'incapacité. A la rigueur, elle pourrait, sans grave inconvénient, ne pas figurer dans la loi et on ne la trouve pas dans le Code italien. Mais elle n'est pas inutile non plus, car elle accentue une différence, quant à la preuve, entre les conditions d'existence des conventions et les conditions de leur validité.
Les conditions d'existence des conventions ne se présument pas: c'est à celui qui prétend tirer avantage d'une convention à prouver qu'elle existe, c'est-à-dire, que toutes les conditions essentielles en sont remplies; au contraire, quand la convention existe, elle est présumée valable; c'est donc à celui qui la prétend viciée, par l'altération de son consentement ou par son incapacité, à prouver ces circonstances exceptionnelles.
90. Cette différence entre l'existence des conventions et leur validité, au sujet du fardeau de la preuve, n'est pas si évidente qu'on doive se dispenser de l'indiquer dans la loi et de la justifier ici. Elle repose sur deux principes généraux qui eux-mêmes ne sont pas à écrire dans la loi, parce qu'ils sont dans la nature des choses: le premier, c'est que le droit commun des hommes est l'absence d'obligation civile entre eux; l'existence d'une obligation d'une personne envers une autre est toujours une exception, une situation anormale; la preuve de l'existence d'une obligation est donc à la charge de celui s'en prévaut. Le second principe est que ce qui existe est valide, est viable; or, les cas où la convention est viciée ou annulable impliquent toujours quelque faute; tantôt, c'est une faute de la partie même qui se plaint de la convention, comme le défaut d'attention, dans l'erreur, l'imprudence, dans la lésion et dans l'incapacité; tantôt, c'est une faute de l'adversaire, comme dans la violence et le dol; ce sont donc encore là des cas exceptionnels et qui doivent être prouvés, car la raison, la prudence, l'honnêteté, se rencontrent le plus souvent dans les conventions.
91. La disposition du 2e alinéa vise surtout le cas où il y aurait dol réciproque ou incapacité des deux parties; car, il est plus difficile de supposer, soit des violences réciproques, soit une double erreur ou une double lésion. Mais, réduite à deux applications, la disposition a encore une grande importance.
Si l'on suppose un contrat entre deux incapables, celui des deux qui demandera la nullité n'y sera pas moins recevable parce que l'autre partie y devra perdre le bénéfice du contrat: il est naturel qu'entre deux personnes également dignes de protection par leur qualité, la loi donne la préférence à celle qui cherche à éviter une perte sur celle qui cherche à conserver un profit (v. p. 90); c'est ce que le Code français admet implici. tement dans l'article 1125, 2° al., lorsqu'il refuse à la partie capable le droit d'agir en nullité contre l'incapable: il reconnaît, par là, que si toutes deux étaient incapables, chacune pourrait agir contre l'autre.
92. Le cas de dol réciproque est plus douteux. Le droit romain refusait formellement l'action de dol aux deux parties lorsqu'elles s'étaient trompées réciproquement: on disait que les deux dols “se compensaient.” Cette solution est encore aujourd'hui prétendue applicable en droit français, en l'absence d'un texte formel; mais elle est loin d'être satisfaisante: pour que les dols réciproques pussent être compensés, il faudrait les supposer d'égale gravité, ce qui sera bien rare et, en tout cas, très-difficile à apprécier, parce que les fraudes n'auront ni le même objet, ni le même caractère. Il paraît donc plus juste d'autoriser chaque partie à se plaindre de ce dont elle a souffert. Si les deux parties désirent seulement la nullité du contrat, elles s'abstiendront de plaider; mais, si l'une d'elles y résiste, en alléguant et en prouvant le dol réciproque du demandeur, le tribunal pourra, tout en prononçant la nullité du contrat, condamner le demandeur à des dommagesintérêts; enfin, si, de part et d'autre, on s'abstient de demander la nullité, pour s'en tenir à des dommagesintérêts, à raison du préjudice éprouvé dans le contrat, le tribunal arbitrera la gravité des fraudes réciproques et condamnera chaque partie à l'indemnité, et c'est seulement sur les sommes d'argent à payer qu'il y aura compensation jusqu'à concurrence de la plus faible (comp. art. 407).
Art. 340. — 93. Cette disposition, comme la précédente, ne se trouve qu'incomplètement dans le Code français (art. 1125, 2° al.); ici, ce sont les vices de consentement qu'il a négligés: il refuse l'action en nul. lité à ceux qui ont traité avec les incapables, lorsqu'ils étaient capables eux-mêmes, mais il ne dit pas que la même action soit refusée à ceux qui ont traité avec celui dont le consentement a été vicié. Le Code italien n'a pas non plus complété la disposition à cet égard (art. 1107); il a seulement ajouté une exception semblable à celle qui forme ici le second alinéa.
Il ne paraît pas nécessaire, après tout ce qui a été dit précédemment, de s'arrêter longtemps à justifier la disposition générale qui forme le 1er alinéa du présent article: l'action en nullité ne doit appartenir qu'à celui que la loi a voulu protéger en subordonnant la validité de la convention à la perfection du consentement comme à la capacité. Au surplus, les interprètes du Code français et les tribunaux n'ont jamais hésité à refuser l'action à celui des deux contractants dont le consentement n'a pas été vicié, même quand il n'avait commis ni dol ni violence.
Personne ne pouvant se faire un titre de la faute qu'il a commise, il est clair que la pullité ne pourra jamais être invoquée par la partie coupable de dol ou de violence; elle ne pourra ainsi s'affranchir des charges ou obligations que la convention pouvait lui imposer, si elle était à titre onéreux. Lors même que la violence proviendrait d'un tiers dont le contractant n'aurait pas été complice, ce dernier ne pourrait non plus arguer de la violence dont l'autre partie aurait été victime. Mais, bien entendu, si l'annulation était obtenue par la partie violentée, l'autre partie, coupable ou non, serait déliée de ses propres engagements corrélatifs.
Si le dol ou la violence avaient été tels qu'ils exclussent tout consentement, comme alors le contrat serait radicalement nul, la nullité pourrait être invoquée par les deux parties, même par celle qui serait coupable; mais le cas sera rare, car l'auteur d'une telle violence ou d'un tel dol n'aurait probablement pas contracté d'engagement corrélatif, ou du moins, cet engagement serait trop peu onéreux pour qu'il eût intérêt à se prévaloir de la nullité, en renonçant aux avantages qu'il espérait du contrat.
94. L'exception portée au 2e alinéa demande, au contraire, à être justifiée; elle tranche d'ailleurs une question qui n'est pas sans difficulté en France.
Ce n'est pas seulement à cause du principe précité de l'article 1125 que l'on peut hésiter à accorder l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, c'est aussi parce que ce n'est évidemment pas dans leur intérêt que l'interdiction légale a été établie; elle est établie, sinon comme une peine proprement dite (i), au moins comme un moyen d'assurer l'efficacité des peines criminelles, en ôtant au condamné les moyens de corrompre ses gardiens et, par là, de se soustraire aux rigueurs du régime pénitentiaire, même de se procurer la fuite.
En même temps qu'on est porté à refuser l'action en nullité à ceux qui ont traité avec le condamné, on est tenté aussi de la lui refuser à lui-même, pour qu'il ne puisse pas tirer avantage d'une disposition édictée contre lui.
Mais il ne faut pas que cette mesure qui est plutôt sage que rigoureuse demeure inefficace et dépourvue de sanction: le meilleur moyen de lui assurer les effets préventifs que la loi en attend, c'est de donner l'action à tous ceux qui y ont intérêt: si le condamné peut s'affranchir de ses engagements envers les tiers, ou recouvrer les biens qu'il a aliénés, il est presque certain que personne ne consentira à traiter avec lui, pas même ses gardiens; si les tiers peuvent également se soustraire à leurs conventions, le condamné n'aura aucun intérêt sérieux à traiter avec eux. L'exception se trouve donc entièrement justifiée; mais elle est assez notable pour avoir besoin d'être exprimée dans la loi: c'est aussi ce qu'a fait le Code italien (art. 1107).
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(i) C'est dans un but de simplification que le nouveau Code pénal qualifie l'interdiction légale du nom de peine accessoire (art. 10).
Art. 341. — 95. L'action en nullité reparaîtra dans la loi comme mode d'extinction des obligations; à ce titre, elle appartient au Chapitre III, et le Projet conservant, pour plus de simplicité, l'ordre des causes d'extinction des obligations, tel qu'il est présenté par les deux Codes français et italien, ce mode sera le 7o. On reparlera aussi, au -même lieu, de cette actiov, comme moyen de recouvrer un droit réel aliéné.
On voit que l'annulation des conventions, appelée aussi rescision, a une grande importance. Le Projet ne devait pas ici laisser croire qu'il n'en serait plus question et après avoir judiqué, dans l'article précédent, à qui l'action appartient, il se borne à annoncer, dès à présent, qu'elle doit être exercée dans un certain délai, passé lequel, la convention est présumée confirmée. En France, ce délai est de 10 ans (art. 1304); en Italie, il n'est que de 5 ans (art. 300), ce qui paraît bien suffisant: c'est le même délai qui sera proposé pour le Japon (art. 566 à 568).
Ce cas de confirmation tacite n'étant pas le seul et la confirmation pouvant aussi être expresse, la loi l'annonce par un renvoi (voy. art. 578 et s.).
Art. 342. — 96. Cet article correspond aux articles 1130 du Code français et 1118 du Code italien.
On pourrait s'étonner que la loi revienne à l'objet des conventions et, plus loin, à leur cause. Mais on remarquera que ce qui en a été dit jusqu'ici n'était relatif qu'aux principes, aux caractères généraux de l'objet et de la cause. Il restait à en faire l'application à des cas particuliers et à y apporter des exceptions. Les deux Codes précités, ayant un autre système de division, ont pu consacrer des Sections ou des paragraphes distincts au consentement, à l'objet et à la cause; cette méthode n'était pas praticable ici.
97. On a vu, dans l'article 325-2°, que la convention doit avoir un objet certain ou déterminé; la loi entendait, par là, prohiber une convention dont l'objet, imparfaitement désigné, pourrait être, abusivement, exagéré par le créancier ou réduit par le débiteur (voy. p. 57); mais la loi ne prétendait pas exiger que l'objet fût “certain dans son existence," puisqu'elle autorise les contrats aléatoires. Le présent article permet douc de contracter sur des choses futures, comme les fruits à paître d'un fonds, le produit d'une pêche prochaine, ou ceux d'une entreprise commerciale, industrielle ou agricole. En même temps que ces choses sont futures, Jeur existence, et surtout leur étendue ou leur consistance, sont incertaines; mais, du moment qu'il ne sera pas au gré des parties de les réduire ou de les exagérer abusivement, suivant leur intérêt, il n'y a pas de raison pour que la loi gêne leur liberté de contracter.
Souvent, la circonstance que l'objet du contrat est futur et incertain lui donnera le caractère aléatoire; c'est ce que l'on n'hésitera pas à dire pour les deux premiers exemples, des fruits à naître ou du produit d'une pêche; mais, quand on considère que les sociétés civiles ou commerciales ont toujours pour objet des bénéfices futurs et incertains, à réaliser en commun, on est obligé d'y négliger ce caractère aléatoire qui existe en réalité, mais qu'il n'est pas d'usage de relever, par cela même qu'il est inséparable d'une société.
Le texte a dû s'expliquer sur un point qui a une grande importance, sur l'obligation tacite du promettant, laquelle est de ne pas gêner la réalisation de l'objet futur et même de la favoriser. Ainsi, celui qui a vendu les fruits à naître de son fonds ne devrait pas abandonner la culture commencée; celui qui a vendu le produit futur de sa pêche en mer, ne devrait pas manquer à jeter ses filets, ni surtout rester à terre.
S'il s'agit d'une société, les obligations des divers associés, tendant à la réalisation de la plus grande somme de profits à partager, sont déterminées par la convention et, à son défaut, par la loi.
98. Il ne faudrait pas que les contrats aléatoires ayant pour objet des choses encore inexistantes dégénérassent en paris, en jeux de hasard. Ainsi, on devra, en général, considérer comme nuls les contrats portant sur des choses existantes mais inconnues des parties; par exemple, l'achat d'une récolte déjà faite dans une autre contrée et dont la valeur est inconnue, l'achat d'une cargaison portée par un navire encore en mer et dont le connaissement n'est pas parvenu aux parties: il y aurait là un véritable jeu de hasard que la loi ne doit pas favoriser. On peut dire qu'en pareil cas, il n'y a pas chances ou risques égaux pour les deux parties: les faits sont accomplis, ils resteront ce qu'ils sont; on peut affirmer qu'au moment du contrat l'une des parties a fait une bonne affaire, tandis que l'autre en a fait une mauvaise, qui peut être déplorable; la circonstance qu'elles ignorent ce qu'il en est peut éloigner tout soupçon de dol, mais ne saurait légitimer la perte de l'une et le gain de l'autre, lesquelles seraient sans cause.
C'est donc avec raison que la loi ne parle que des choses futures, lorsque leur existence est incertaine, parce que, dans ce cas, les chances et les risques respectifs existent encore pour les parties.
Dans le même ordre d'idées, la loi ne reconnaîtra le caractère de condition casuelle qu'aux événements futurs et incertains, non à ceux qui sout actuellement arrivés, bien qu'inconnus des parties (voy. art. 428 et le comment.).
99. La loi introduit dans le 2° alinéa une exception considérable à la liberté de faire des conventions sur les choses futures.
Une succession non ouverte, la succession d'une personne encore vivante n'existe pas légalement; mais ce n'est pas pour cette raison qu'elle ne peut être l'objet d'une convention, puisqu'elle est au moins une chose future; ce n'est pas non plus parce que les objets qui la composeront sont encore soumis à bien des éventualités qui pourraient décevoir les parties, puisque les fruits futurs, le produit d'une pêche à faire, sont encore plus incertains; c'est parce qu'une pareille convention impliquerait toujours, plus ou moins, un væu de mort (votum mortis) chez celui qui doit recueillir tout ou partie des biens du futur défunt. La loi ne permet même pas cette convention avec le consentement du de cujus (j), parce que celui-ci pourrait être capté ou circonvenu, et que d'ailleurs son autorisation ne dimi. nuerait pas le danger signalé.
Ainsi seront nulles: les ventes et achats, les dons, les legs, les partages de tout ou partie de droits successoraux éventuels, et les renonciations anticipées à ces mêmes droits.
Du reste, la présente prohibition est limitée par le texte aux conventions qui donnent ou retirent des droits auxdites successions non ouvertes; ainsi, elle ne s'appliquera pas à un mandat que donnerait l'héritier présomptif à un tiers de le représenter dans la succession, lorsqu'elle sera ouverte; elle ne s'appliquera pas non plus à la convention qui prendrait comme échéance d'une obligation l'ouverture d'une succession à laquelle le débiteur serait éventuellement appelé; on devra même admettre que l'ouverture d'une succession au profit de l'héritier présomptif op éventuel soit attachée comme condition suspensive à la formation d'une obli. gation ou, en sens inverse, que l'inadmission de cet héritier opère comme condition résolutoire d'une obligation contratée.
Dans ces divers cas, la succession non ouverte n'est pas l'objet même de la convention, aucun des contractants n'acquiert ou n'abandonne de droits sur ladite succession, elle n'est qu'une considération plus ou moins importante dans une convention qui a un autre objet et le votum mortis n'est pas à craindre.
Un cas pourrait faire hésiter, un instant, c'est celui où un héritier présomptif vendrait un bien appartenant à son auteur, sous la condition suspensive que ce bien lui appartiendra un jour par la succession. On pourrait croire que, ses droits légaux à la succession étaut respectés par la convention, celle-ci est valable.
On remarquera cependant que, sans cette condition, la vente serait déjà nulle, comme portant sur la chose d'autrui (v. c. civ. fr., art 1599). Mais cette condition si la propriété arrive un jour au vendeur," qui validerait la vente dans toute autre circonstance, suffit ici à l'annuler; car l'héritier se trouve ainsi disposer par anticipation, quoique conditionnellement, d'une partie de ses droits de succession: il aliène son droit éventuel, pour le cas même où il lui appartiendrait.
Le texte termine en réservant des cas encore indéterminés où les conventions sur les successions non ouvertes seront permises par des dispositions spéciales de la loi. En France, ces cas sont assez nombreux; ils ont surtout rapport aux conventions matrimoniales (voy. art. 1048 et s., 1082 et s., 1093 et s.). Ils ne sont pas encore réglés par le Projet. Mais on ne manquera pas, sans doute, d'y conserver les démissions de biens des ascendants en faveur de leurs descendants, lesquelles, très-usitées au Japon, ont une grande analogie avec une ancienne pratique française du même nom; elles seront utilement rapprochées des partages d'ascendants (v. C. civ. fr., art. 1075 et s.).
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(j) L'expression de cujus qui n'est que le commencemment d'une phrase latine: de cujus successione agitur, “celui dont la succession est en question,” est tout-à-fait consacrée en français; elle s'emploie quand le mot défunt ne serait pas admissible: notamment, comme ici, quand il s'agit de désigner le futur défunt.
Art. 343. — 100. L'article du 1119 du Code civil français, célèbre par son obscurité et son laconisme, contient deux dispositions mélées et confondues, alors qu'elles auraient dû être tout à fait séparées: “on ne peut, en général, s'engager ni stipuler, en son propre nom, que pour soi-même;" ce qui revient à dire: 1° on ne peut promettre le fait d'autrui, 2° on ne peut se faire promettre qu'il sera donné ou fait quelque chose en faveur d'autrui. Chacune des deux règles reçoit d'ailleurs des exceptions que la loi ajoute aussitôt (art. 1120-1121).
Mais la première règle concerne l'objet des conventions, la seconde concerne la cause, et les Rédacteurs du Code français paraissent avoir complétement méconnu cette différence, en plaçant l'article 1119 avant les deux Sections relatives à l'Objet et à la Cause.
Le Code civil italien a séparé les deux dispositions (art. 1128 et 1129); de plus, il n'a laissé le caractère prohibitif qu'à l'une d'elles (la stipulation au profit d'autrui); mais, en les plaçant toutes deux après l'Objet et la Cause, dans les Effets des contrats, il paraît avoir commis une autre méprise.
Le Projet conserve chacune de ces prohibitions et il établit nettement leur caractère. Il commence par poser en principe que la promesse d'un acte illicite ou impossible est nulle et c'est évidemment une nullité radicale, car l'articre 325 n'admet pas l'existence de la convention, si elle n'a pas pour objet une chose ou un fait qui soit, légalement, à la disposition du promettant.
101. Par application de ce principe, la loi prohibe “la promesse du fait d'autrui,” parce qu'elle considère ce fait comme impossible au promettant. C'est la théorie romaine, d'après laquelle “ on ne peut promettre qu'un fait de soi-même” (de se quemque promittere opportet).
On remarquera d'abord, tant pour l'interprétation de cet article du Projet que pour les articles précités des Codes étrangers, que lorsque la promesse du fait d'autrui est déclarée nulle, ce n'est pas seulement à l'égard du tiers, mais aussi et surtout à l'égard du promettant lui-même: pour ce qui concerne le tiers, il n'est certainement pas tenu, mais c'est en vertu d'un antre principe qu'on posera bientôt, à savoir que "les conventions n'ont d'effet qu'à l'égard des parties contractantes et de leurs héritiers ou ayant-cause." C'est donc à l'égard du promettant lui-même que la promesse du fait d'autrui est ici déclarée pulle. Mais, pour rester dans l'hypothèse de l'impossibilité d'accomplir la promesse, la loi suppose que “le promettant n'a pas d'autorité sur le tiers dont le fait a été promis."
La promesse serait donc valable si quelqu'un avait promis le fait de son fils mineur, de son serviteur, de son ouvrier ou employé, et en supposant, bien entendu, qu'il s'agît d'un fait que le promettant pourrait exiger pour lui-même de ce tiers; en réalité, c'est comme s'il avait promis de donner les ordres et le temps nécessaires à son fils, à son serviteur ou employé, pour l'accomplissement du fait en question, et si, après la promesse, le maître refusait on négligeait de donner ce temps ou ces ordres, il serait tenu des dommages-intérêts; si c'était le tiers qui refusât absolument de faire le travail promis, l'obligation, qui n'aurait pas été nulle dès le principe (a priori), se trouverait éteinte par force majeure.
102. Après avoir déclaré nulle la promesse du fait d'autrui, la loi apporte moins une exception qu'un tempérament à la règle: elle dit que l'on peut garantir l'accomplissement du fait d'autrui; c'est ce que le Code français appelle se porter fort pour autrui (art. 1120).
Ici, le Projet s'écarte notablement des deux Codes précités, en exigeant que la garantie sois expresse.
La jurisprudence française permet que, par interprétation de la volonté des parties, on puisse considérer comme s'étant tacitement porté fort ou garant celui qui a promis le fait d'autrui; or, comme on doit toujours, autant que possible, interpréter les conventions “ de la façon qui doit leur faire produire un effet, plu“tôt que de celle qui ne leur en ferait produire aucun” (c. civ. fr., art. 1157), on arrive à supprimer entièrement la prohibition de la promesse expresse du fait d'autrui, pour y voir une promesse tacite de garantie, c'est-à-dire un fait personnel du promettant.
Le Code italien (art. 1129) remplace formellement la règle par l'exception: la promesse du fait d'autrui est toujours valable, non à la charge du tiers, bien entendu, puisqu'il n'a pas figuré dans l'acte, mais à la charge du promettant qui sera toujours garant et tenu de dommages-intérêts, si le tiers n'accomplit pas le fait promis. Le Projet japonais ne suit pas cet exemple.
Les auteurs du Code italien ne paraissent pas s'être aperçus qu'ils se mettaient ici en contradiction avec un principe du cautionnement qu'ils ont posé dans l'article 1902 et qu'ils ont emprunté au Code français (art. 2015), à savoir que “le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès.” Il est raisonnable de tempérer la prohibition qui nous occupe par l'admissibilité du cautionnement, mais il faut en observer les règles particulières. C'est ce que fait le Projet japonais.
On pourrait peut-être objecter qu'il n'y a pas de cautionnement sans une dette principale, et que c'est justement cette dette qui manque ici; mais la règle n'est pas si absolue, et l'on a vu, sous l'article 323, que le cautionnement peut précisément avoir pour but de suppléer à la nullité ou à l'absence de l'obligation principale.
103. C'est par la même raison que le 4° alinéa déclare efficace la promesse du fait ou de l'abstention d'autrui, sans garantie expresse, si elle est accompagnée d'une clause pénale à la charge du promettant, pour le cas d'inexécution: le promettant se trouve alors avoir promis son fait personnel, c'est-à-dire le payement d'une indemnité déterminée, sous la condition inverse de la première promesse: à savoir, si le tiers n'a pas fait ce qu'on a promis qu'il ferait, ou a fait ce dont on a promis qu'il s'abstiendrait. La clause pénale est une promesse accessoire qui, loin d'être nulle par l'effet de la nullité de la promesse principale, la corrige et la répare; c'est un exemple à ajouter pour l'explication de l'article 323.
On retrouvera la clause pénale, dans ses applications ordinaires, aux articles 408 à 410.
104. Le dernier alinéa règle enfin une situation qui se trouve intermédiaire entre la nullité entière de la promesse du fait d'autrui et le cautionnement; c'est la promesse de faire ratifier par un tiers l'engagement pris en son nom et pour son compte, sans mandat. Celui qui a promis de “faire ratifier" n'est pas garant de l'exécution, mais seulement de la ratification, laquelle, suivant un principe traditionnel, "équivaut à un mandat (k);" or, de même que le mandataire qui promet au nom de son mandant n'est pas personnellement responsable, ainsi celui qui a procuré la ratification est dégagé de son obligation.
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(k) Ratificatio mandato æquiparatur.
Art. 344. — 105. Cet article correspond à la règle posée par l'article 1119 du Code français, aux exceptions qu'y apporte l'article 1121, et à l'article 1128 du Code italien; mais il y ajoute aussi les compléments nécessaires.
Il pose d'abord en principe que l'intérêt est la cause nécessaire des conventions; il indique seulement que cet intérêt doit être à la fois "légitime et appréciable." S'il n'était pas légitime, la cause serait nulle, comme illicite; s'il n'était pas appréciable, il serait, pour les tribunaux, comme n'existant pas: il y aurait défaut de cause. Ce principe n'est pas discutable et il est passé en axiôme: “ pas d'intérêt, pas d'action;" tous les jours, on voit les tribunaux rejeter une prétention, soit principale, soit accessoire à une action, parce que le demandeur ne justifie pas de son intérêt.
106. Le 2° alinéa rattache à ce principe du défaut de cause ou d'intérêt la nullité de la stipulation pour autrui qui, dans le Code français, se trouve égarée, en quelque sorte, et savs lien avec les principes, comme la nullité de la promesse du fait d'autrui que le Projet a rattachée à un défaut d'objet réalisable.
Lors donc que quelqu'un aura, par affection ou par un motif resté inconnn, stipulé un avantage pour autrui, l'exécution de la promesse ne pourra être poursuivi en justice, ni par le tiers, parce qu'il n'a pas figuré dans la couvention et qu'elle ne peut lui donner d'action, ni par le stipulant parce qu'il ne peut justifier d'un intérêt pécuniairement appréciable.
Mais si le stipulant avait ajouté une clause pénale à la stipulation dont l'intérêt n'est pas autrement appréciable, la stipulation deviendrait valable, par cela seul que son intérêt serait déterminé par la convention; il n'y aurait pas à rechercher si la clause pénale excède ou non cet intérêt: la convention, ici comme toujours, “fait loi entre les parties," pourvu qu'il n'y ait pas eu dol ou surprise.
On objecterait vainement que si la convention prin. cipale est nulle, la clause pénale est entraînée dans la même nullité: on se trouve, ici encore et comme à l'article précédent, dans le cas de l'exception apportée au principe par l'article 323. On doit d'ailleurs admettre que la clause pénale n'est pas le seul moyen de reconnaître l'intérêt du stipulant, c'est une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux, d'après les cir. constances.
Bien que la loi n'ait mentionné l'effet utile de la clause pénale qu'au sujet de la stipulation pour autrui, il ne faut pas hésiter à l'admettre dans tous les cas où c'est le défaut d'intérêt appréciable qui forme l'obstacle à la validité de la stipulation; mais il ne faudrait pas admettre que la clause pénale pật légitimer l'in. érêt d'ailleurs illégitime que vise aussi le 1er alinéa (l).
107. Le 30 alinéa apporte une double exception à la pullité de la stipulation pour autrui, même lorsqu'elle n'est pas accompaguée d'une clause pénale: elle est fondée, vou seulement sur le caractère accessoire attribué à cette stipulation, mais aussi sur la présomption d'intérêt personnel du stipulant. Dans le premier cas, on peut supposer une vente ou un autre contrat intéressé, dans lequel le vendeur ou le créancier, outre ce qu'il s'est fait promettre pour lui-même, s'est fait promettre aussi quelque avantage pour autrui, comme une servitude pour son voisin sur le fonds vendu, ou un emploi pour vu de ses anciens serviteurs. Dans le second cas, c'est un donateur qui, ne devant rien recevoir en retour de la donation, stipule pour autrai un avantage analogue au précédent ou tout autre, mais qui d'ailleurs n'est pas assez considérable pour détruire le caractère gratuit de la convention.
108. Dans ces deux cas, si la promesse dans l'intérêt d'autrui n'est pas exécutée, le stipulant n'aura pas à justifier, en fait, quel est le montant de son intérêt personnel à l'exécution: ce serait le plus souvent impossible; il demandera seulement la résolution de la convention; il rentrera dans le bien qu'il a aliéné, puisque la condition de l'aliénation n'est pas remplie. Mais s'il y avait attaché une clause pénale, il en dewanderait le payement comme dommages-intérêts stipulés, et c'est à lui qu'elle serait payée, toujours parce que le tiers n'a pas figuré dans la convention et n'y peut puiser un droit d'action.
Tel est l'objet du 49 alinéa.
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(l) C'est pour cette raison que, dans cette seconde édition, on a transporté, du 1er alinéa au 2°, la réserve de la clause pénale.
Art. 345. — 109. Les héritiers des parties ne sout pas des tiers, mais des ayant-cause, et, lorsqu'uue partie stipule pour elle-même, le profit de la convention est éventuellement acquis à ses héritiers, sans même qu'elle ait besoin de s'en exprimer; de même, lorsqu'une partie promet, elle oblige anssi ses héritiers, pour le cas où la dette ne serait pas acquittée de son vivant. Le Code français a cru devoir poser ce principe (art. 1123); il ne l'a fait d'ailleurs qu'incomplétement et pour la stipulation, non pour la promesse; mais on le retrouve, entier cette fois, dans l'article 1220; c'est d'ailleurs le fonds même de la théorie des Successions autant que de celle des Obligations; ce seront deux occasions, pour le Projet, de poser le double principe, en réservant quelques exceptions qu'il comporte.
110. L'objet du présent article est différent, il suppose que le stipulant a voulu faire acquérir le bénéfice de la convention à un ou plusieurs de ses héritiers déterminés, en excluant les autres; c'est alors une donation qu'il a voulu faire à ceux qu'il a favorisés et la loi déclare la convention valable comme donation, en supposant que les conditions et limites des avantages entre héritiers soient observées. Ainsi, si la future loi japonaise des Successions établit une réserve héréditaire au profit des enfants, c'est-à-dire si elle ne permet pas au père de les dépouiller en entier, ou si elle subordonne ce dépouillement à des conditions particulières, ces limites et conditions du droit paternel devront être respectées ici. Mais les règles de forme des donations ne seraient pas obligatoires, l'acte étant supposé onéreux entre le stipulant et le promettant.
111. Le 2° alinéa suppose le cas inverse de celui-ci, le cas où le promettant mettrait l'exécution de son obligation à la charge d'un de ses héritiers déterminé, en en affranchissant les autres, lesquels se trouveraient ainsi gratifiés. Cette hypothèse suivrait les mêmes règles que la précédente. Elle retrouvera sa place au sujet de l'effet des obligations indivisibles (art. 463, 2° al.).
Art. 346. — 112. Cette disposition ne présente pas de difficulté. Une fois que le tiers a accepté le bénéfice de la stipulation, il est devenu partie à la convention et elle ne peut être modifiée à son préjudice, sans son consentement; mais, jusque-là, le stipulant peut en faire profiter une autre personne, ou en ramener à lui-même le bénéfice. On ne devrait excepter que le cas où le promettant établirait qu'il n'a lui-même fait Ja promesse qu'en considération de la personne du tiers bénéficiaire de la première stipulation.
Art. 347. — 113. L'article 1132 du Code français a toujours paru obscur et les articles 1120 et 1121 du Code italien ont cherché à être plus clairs (m); mais les deux Codes laissent subsister une difficulté quant à la preuve. En admettant, avec le Code italien, que la charge de la preuve incombe au défendeur, en admettant même qu'il puisse prouver que la cause alléguée est fausse ou qu'elle est illicite, comment prouvera-t-il, si aucune cause n'est exprimée, qu'il n'y en a pas en réalité? Comment prouvera-t-il une négation ? Il est reconnu qu'une pareille preuve est bien difficile, pour ne pas dire impossible. Le défendeur ne peut s'attaquer successivement à toutes les causes valables d'obligations et prouver qu'aucune d'elles n'a existé entre lui et le demandeur.
C'est pour remédier à cette difficulté que le présent article consacre un moyen qui a été proposé par les auteurs et qui permet au défendeur de limiter le champ de la preuve négative par une sommation au demandeur, de sorte qu'il n'aura plus à contester que la cause alléguée par celui-ci. Tout danger cependant n'aura pas disparu; car, si le demandeur allègne un prêt d'argent, comme cause d'une promesse de payer à lui faite, il sera bien difficile au défendeur de prouver qu'il n'a pas emprunté au premier; le seul moyen peut-être qui lui restera sera la délation du serment.
On rappelle, à cette occasion, une observation qui a déjà tron vé sa place, à savoir que les difficultés sur la cause ne se présentent pas au sujet des contrats nommés dont la cause est toujours vraie et licite, mais seulement au sujet des contrats innommés.
On fait remarquer enfin que le présent article s'appliquera surtout aux billets, mandats de payement à faire, chèques, ou autres écritures portant promesses de somme d'argent, sans énonciation de la cause.
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(m) Le Code français porte: “La convention n'est pas moins valable, “quoique la cause n'en soit pas exprimée.” Le Code italien, après avoir reproduit la même disposition, ajoute: “la cause est présumée exister, "tant que le contraire n'est pas exprimé (art. 1121).”
§ III.--DE L'EFFET DES CONVENTIONS.
L'effet des conventions sera examiné sous deux rapports: 1° à l'égard des parties elles-mêmes et de leurs nyant-canse, 2° à l'égard des tiers.
COMMENTAIRE.
Art. 348. — 114. Le principe posé par cet article est un des plus considérables du droit privé. Il forme l'article 1134 du Code français et l'article 1123 du Code italien. Il a déjà été fréquemment invoqué, et le sera encore, pour la justification d'un grand nombre des dispositions de la loi: il doit être justifié à son tour.
On sait que le droit civil ou privé est la partie du Droit qui ne concerne et n'intéresse qne les particuliers: il règle la condition de leurs biens. C'est à tort que, dans les lois et les Codes, on fait rentrer habituellement le droit des personnes dans le droit civil ou privé: cette matière est de droit public, dans presque toutes ses dispositions; aussi ne peut-elle être modifiée par des conventions particulières, sauf de très-rares exceptions où, justement, l'intérêt public est moindre que l'intérêt privé.
Si donc l'objet du droit privé est étranger à l'intérêt public, comme étant surtout pécuniaire et relatif aux biens, il est juste et paturel que la loi laisse aux particuliers le soin de régler à leur gré leurs intérêts de cette nature. Ils peuvent, quand et comme il leur plaît, aliéner ou acquérir, promettre ou stipuler, faire valoir leurs droits en justice ou y reponcer: leur volonté forme pour enx une véritable lui qui, pour être particulière et à eux limitée, n'en est pas moins impérative ou prohibitive. La Loi générale n'intervient que pour faire respecter la loi particulière, et lorsqu'elle nous dit que “les conventions privées font loi entre les parties,” elle promet, par là, de leur donner la sanction obligatoire et juridique qui n'appartient qu'à elle seule.
Mais, pour que les conventions privées aient cet effet, il faut qu'elles soient légalement formées, c'est-à-dire qu'elles ne soient pas contraires à la Loi générale, qu'elles en aient suivi les prescriptions et respecté les limites. Déjà, on a vu que les conventions sont quelquefois soumises à des formes solennelles, qu'elles exigent une certaine capacité, que le consentement doit être exempt de vices, qu'elles doivent avoir une cause vraie et licite et que l'objet doit avoir certaines qualités; ce n'est que si elles remplissent ces conditions que les conventions font loi. C'est encore dans cette condition d'être “légalement formées” qu'on pourrait faire rentrer la limite signalée plus haut en ce qui concerne les droits de famille; mais l'article suivant consacre plus explicitement cette restriction, en prohibant certaines conventions, au nom de l'intérêt général.
115. Lorsqne l'on dit que les conventions "tiennent lien de loi,” c'est pour exprimer simplement et brièvement leur degré de force; mais il ne faudrait pas pousser jusqu'à l'extrême cette assimilation de la convention à la Loi. Ainsi, l'interprétation des conventions (objet du g suivant) est faite souverainement par les juges d'appel et u pourvoi en cassation ne pourrait être fondé sur une prétendue erreur d'interprétation de la convention, comme lorsqu'il s'agit de la Loi proprement dite. Ce que les parties ont dit et voulu daus leur convention n'est toujours qu'un fuit et c'est aus juges du fait seuls qu'il appartient de le déclarer.
Si l'on se reporte an but du pourvoi en cassation, on reconvaît aisément qu'il n'a rien à faire ici: le pourvoi a été ivstitué pour assurer une interprétation exacte et uviforme de la loi commune, parce qu'il serait choquant qu'elle fût interprétée et appliquée tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, suivant les différences de lieux et la diversité de composition des cours et tribunaux; mais cette uniformité d'interprétation n'est pas à rechercher quand il s'agit de conventions particulières, ne fut-ce que pour cette senle raison qu'il s'en rencontrera rarement deux ou plusieurs qui soient exactement semblables.
Le rôle de la cour de cassation reviendra, au contraire, quand les tribunaux, ayant reconnu et déclaré que les parties ont fait telle ou telle convention, auront refusé d'en sanctionner les effets que la Loi y attache, ou auront voulu leur faire produire des effets que la Loi n'y attache pas; de même, s'ils ont sanctionné une convention illégalement formée, ou réciproquement.
116. Le 2° alinéa applique le principe que les conventions font loi entre les parties, en exigeant leur consentement mutuel pour qu'elles puissent être révoquées; mais, immédiatement, il apporte une exception trèslarge à cette seconde règle: il y a des cas où la résocation peut être valablement faite par une seule des parties.
L'exception a deus applications principales dont la première est déjà connue: chaque fois qu'une convention est viciée, soit par l'incapacité d'une des parties, soit par l'imperfection de son consentement, cette partie seule peut demander la rérocation: la convention ne fait pas loi pour elle; son droit de révocation est cependant limité quant au temps et quant aux formes de l'action en pullité; elle ne pourrait non plus maintenir la convention pour ce qui lui est favorable et la faire annuler pour le reste: la révocation doit être indivisible.
Il faut assimiler à l'action en nullité l'action en résolution pour inexécution de la convention par l'autre partie; cette théorie déjà annoncée reviendra en son lieu (voy, art. 441 et s.).
La deuxième application de l'exception à la règle que la révocation ne peut avoir lieu que du consentement réciproque des parties se rencontre dans certains contrats qui, n'intéressant qu'une des parties, peuvent être révoqués par cette partie seule, sans condition. Tels sont: le dépôt, qui peut toujours être révoqué par le déposant et le prêt à usage, auquel l'emprunteur peut toujours renoncer. Dans ces deux contrats, l'inverse peut aussi avoir lieu: le dépositaire pourrait exiger la reprise du dépôt, s'il lui causait un embarras grave ou un danger im prévu; de même, le prêteur à usage pourrait redemander la chose prêtée, si la privation lui en était très-dommageable. Le gage peut cesser par la seule volonté du créancier gagiste. Le mandat est révocable au plein gré du mandant; il peut être révoqué aussi, sur la demande du mandataire, si celui-ci ne peut plus le remplir sans difficultés imprévues. La société peut aussi être dissoute par la volonté d'une des parties, soit pour des causes légitimes, si elle a une durée fixée, soit sans aucune autre conditiou que la bonne foi, si sa durée et illimitée (c. civ. fr., art. 1869 à 1871).
Ces exceptions et d'autres se rencouteront sur les contrats vommés auxquels elles s'appliquent et elles y seront justifiées plus au lovg.
Quelquefois enfin, c'est en vertu d'une clause particulière de la convention que l'une des parties peut la révoquer sans le consentement de l'autre; on pent dire alors que c'est toujours par l'effet de la volonté des deux parties, puisque cette volouté a été exprimée à l'origine. Ainsi, le louage est souvent soumis à cette révocation, au gré du bailleur ou du preneur (voy. art. 165); la vente peut être révoquée par la volonté du vendeur, lorsqu'il a stipnlé à l'origine la faculté de rachat (c. civ. fr., art. 1659 et s.), par celle de l'acheteur, lorsqu'il a acheté à l'essai (ibid., art. 1588) et par la volonté de l'une ou de l'autre des parties, lorqu'il y a eu des arrhes données comme moyen de dédit (ibid., art. 1590).
117. Sur les points qui nous occupent, le Code français a employé une formule insuffisante: en dehors du consentement mutuel, il n'admet de révocation par la volonté d'un seul des contractants que “pour les causes que la loi autorise” (art. 1134). Cela vise évi. demment la résolution pour inexécution par l'autre partie, l'annulation pour incapacité ou pour vice de consentement et plusieurs des autres cas énumérés plus haut; mais on ne pourrait y voir les cas, plus simples et presque aussi nombreux, où l'une des parties peut mettre fin au contrat sans autre condition que sa volonté et sans avoir aucune justification à fournir.
118. Lorsque la loi permet aux parties de révoquer leurs conventions par consentement mutuel, ou même à l'une d'elles, dans les cas particuliers où, une seule partie étant intéressée, celle-ci peut renoncer au bénéfice de la convention, cela doit s'entendre du cas où la convention n'est pas encore exécutée ou n'a pas encore produit ses effets de droit; dans le cas contraire, il faudrait une convention inverse de la précédente pour remettre les choses dans l'état primitif. Ainsi, s'il s'agit d'une convention destinée à transférer la propriété, comme une vente, et qu'elle ait pour objet des choses de quantité dont la propriété ne peut-être transférée que par la tradition ou, au moins, par le mesurage, une fois la tradition effectuée, on ne pourrait plus faire une simple révocation de la convention: il faudrait une revente ou rétrocession, avec tradition inverse de la précédente; s'il s'agit d'un objet individuellement déterminé ou corps certain, la propriété ayant été transférée par le seul consentement, la révocation n'est plus possible: il faudra encore une revente et, si la transcription avait été faite, dans les cas qu'on va voir bientôt (art. 368 et suiv.), pour que le droit fût opposable aux tiers, une transcription inverse devrait être effectuée. Enfin, si le prix avait été payé, il devrait être restitué.
La révocation proprement dite n'est donc possible que pour empêcher les effets futurs de la convention, ce qui laisse encore une large application au principe: notamment, dans la vente des choses de quantité, avant la translation de propriété, dans le louage, dans la société, le cautionnement, la transaction, etc.
119. Il va sans dire, quoique la loi ne le dise pas, que la révocation ne peut avoir lieu au préjudice des tiers: on rencontrera bientôt le principe d'après lequel “ les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent nuire aux tiers;” or, si, à la suite d'une vente, l'acheteur avait consenti à un tiers des droits réels sur la chose vendue, la révocation consentie entre les deux premiers contractants ne pourrait nuire au second cessionnaire.
Art. 349. — 120. Cet article complète le précédent, en nous disant quand la convention est "légalement formée" et quand elle ne l'est pas. Il répond à l'article 6 du Code français qui ne contient que la prohibition finale et la présente comme une règle, tandis que c'est la liberté des conventions qui est la règle et que la prohibition n'est qu'une exception ou une limite.
On rencontrera dans le Projet, comme dans le Code français, de nombreuses applications tant de la règle que de l'exception, bien que, à la rigueur, la loi puisse se fier à la sagacité des juges pour faire observer l'une et l'autre. Cependant, il y a des cas où la loi fait sagement de se prononcer sur ces questions: quelquefois, elle attache à la convention certains effets ou elle lui en refuse d'autres, mais elle réserve formel. lement aux parties le droit de décider l'inverse; si elle ne s'expliquait pas, on serait exposé à prendre comme absolue la disposition qui n'est écrite que pour le cas de silence des parties.
D'autres fois, la loi exclut formellement la possibilité de faire une convention dérogatoire, parce que l'on aurait pu douter qu'il y eût un intérêt public on moral en jeu dans la convention.
121. On ne croit pas nécessaire de donner ici des exemples de cas où la convention est libre, c'est la régle, et les applications en sont infinies; mais on don. nera des exemples de ceux où la liberté est ôtée aux parties. De ces exemples, les uns seront vraisembla. blement meutionnés ultérieurement dans la loi, les autres y devront être supléés par application de notre article.
Ainsi, se trouvent prohibées, comme on l'a dit déjà, les conventions qui prétendraient modifier l'organisation de la famille, la puissance paternelle et maritale, la capacité et, généralement, ce qu'on nomme "l'état des personnes;” de même, les conventions qui tendraient à modifier les effets des droits réels, de manière à les rendre opposables aux tiers en dehors des conditions qui protégent ceux-ci contre les surprises et les revendications imprévues.
Seraient encore nulles les conventions qui porteraient atteinte à la liberté individuelle, comme celle par laquelle une personne engagerait ses services à une autre, pour toute la vie de celle-ci ou pour la sienne propre, ou par laquelle on débiteur se soumettrait à l'emprisonnement pour dettes ou à la contrainte par corps aujourd'hui abolie, au Japon comme en France.
Dans un autre ordre d'intérêts, seraient nulles: les conventions qui auraient pour objet des coalitions ou grèves, soit entre patrons, pour faire baisser artificiel. lement les salaires, soit entre ouvriers pour les faire hausser; celles qui auraient pour objet la renonciation à la plainte d'une partie lésée par un crime ou un délit, soit contre les personnes, soit contre les biens, en ex ceptant toutefois les cas, déterminés par le Code pénal, où la loi subordonne l'action publique à cette plainte, parce que, dans ces mêmes cas, la loi place au-dessus de l'intérêt public de la répression l'intérêt privé et les convenances personnelles de la partie lésée.
Serait nulle également la convention par laquelle le débiteur commerçant stipulerait qu'en cas d'insolva. bilité son créancier ne pourrait le faire déclarer en faillite.
Parmi les conventions qui seraient directement contraires à la morale, on peut citer celles qui contiendraient une renonciation anticipée à l'action en nullité pour erreur, dol ou violence, ou qui soumettraient le demandeur en nullité à des dommages-intérêts pour le cas où il triompherait dans cette action; il en serait autrement de la même stipulation pour le cas où le demandeur succomberait.
C'est encore comme contraires à l'ordre public et aux bonnes mæurs que sont prohibées les conventions relatives aux successions non ouvertes dont il a déjà été traité et celles qui constituent un jeu ou un pari.
Dans ces divers cas, on peut remarquer que la convention qui déroge aux lois d'ordre public et aux bonnes mæurs est toujours vicieuse par son objet ou par sa cause.
Ces théories ayant été déjà partiellement appliquées, il paraît inutile d'y insister davantage.
Art. 350. — 122. La principale force de la con. vention étant dans la volonté ou le consentement des parties, c'est à elle qu'il faut d'abord se référer pour en déterminer les effets: si cette volonté est exprimée, il faut s'y attacher, à condition toutefois qu'elle ne soit pas justement celle que la loi réprouve, et pourvu que les parties ne se soient pas méprises sur la portée des expressions dont elles se sont servies; car on verra bientôt que l'interprétation des conventions ne doit pas se faire d'après le sens littéral des termes employés, mais d'après la commune intention des parties. Si certains effets de la convention n'ont pas été exprimés, ils peuvent cependant être tellement naturels qu'il n'y ait pas à hésiter sur leur admission tacite par les parties; par exemple, dans une vente, l'obligation de payer le prix au moment de la délivrance de la chose, et, s'il s'agit de la délivrance d'un immeuble habité par le vendeur, le délai convenable pour lui permettre de quitter les lieux et de transporter ailleurs son mobilier; s'il s'agit d'un louage d'ouvrage ou de services, et que le preneur sache que l'entrepreneur ou l'ouvrier est momentanément empêché de commencer, par un autre travail urgent ou par une maladie, il sera consi. déré comme ayant tacitement donné un délai, au moins, jusqu'au moment où lui-même se trouverait exposé à un dommage par un plus long retard.
Outre l'intention expresse ou tacite des parties, le texte indique encore "l'équité, l'usage ou la loi” comme pouvant faire produire des effets à la convention.
Le Projet japonais a suivi ici le texte du Code français (art. 1135), parce qu'il est traditionnel; mais, en réalité, on doit voir là encore, des effets résultant de l'intention tacite des parties; ainsi, aucune d'elles ne serait recevable à dire qu'elle a entendu se soustraire aux règles de l'équité: par exemple, à la responsabilité du dol ou des fautes qu'elle pourrait commettre; tandis qu'après la faute ou le dol commis, une convention dé. rogatoire aux dommages-intérêts serait permise. De même, c'est par l'effet de l'intention tacite des parties que les usages locaux seront observés pour déterminer les conséquences de la convention.
Enfin, lorsque la convention produit des effets légaux qui auraient pu être modifiés par les parties, si elles n'y ont pas dérogé, c'est qu'elles les ont tacitement acceptés; ils ne resteraient purement légaux que si les parties avaient ignoré la loi, ce qui n'empêcherait pas, en général, ces effets de se produire, sauf ce qui a été dit au sujet de l'erreur de droit (art. 332).
123. La loi ajoute que “les conventions doivent être exécutées de bonne foi."
Cette disposition qui se trouve dans la loi française y a été mise pour consacrer l'abandon définitif d'une ancienne distinction que faisaient les Romains en contrats de droit strict ou de droit étroit et rigoureux, et contrats de bonne foi. Sans doute, il suffit que cette distinction ne se trouve pas reproduite dans la classification générale qui ouvre cette matière, pour qu'on n'ait pas à douter qu'elle soit abolie; mais il est bon aussi de consacrer le principe que la bonne foi, la sincérité, doivent présider à toutes les conventions, non seulement dans les clauses et stipulations qui les composent, mais encore dans l'exécution.
Ainsi, le bailleur qui doit livrer la chose louée en bon état de réparation ne doit pas se borner à faire les réparations qui ont rapport à la solidité des bâtiments, mais encore celles qui se rapportent à l'agrément et à la propreté, et s'il faisait un marché à prix fait avec nn entrepreneur pour l'exécution de ces travaux, sans les spécifier en détail, mais en en indiquant le but, celui-ci devrait, de même, en raison de la bonne foi requise, faire toutes ces réparations. En sens inverse, s'il y avait exagération dans les prétentions du locataire vis-à-vis du bailleur ou dans celles du bailleur visà-vis de l'entrepreneur, elles seraient réduites par le tribunal à ce qu'exige la bonne foi.
De même, s'il y a eu vente de choses fongibles ou de choses de quantité (voy. art. 19), le vendeur n'a pas le droit de donner la qualité la plus mauvaise, ni l'acheteur d'exiger la qualité la meilleure: la bonne foi est satisfaite s'il est fourni une qualité moyenne (v. art. 481).
Art. 351. — 124. Le Projet consacre ici un des progrès du droit les plus considérables dans les temps modernes. Dans toutes les législations primitives, on voit toujours que la propriété ne passe d'une personne à une autre que par un acte extérieur, plus ou moins matériel, destiné, non seulement à bien démontrer la volonté des parties, mais aussi à frapper les yeux de tous et à donner ainsi une sorte de publicité au changement de propriétaire.
Il en était ainsi chez les Romains, notamment: la propriété ne se transférait que par la tradition ou délivrance de la chose à l'acquéreur; quelquefois même, par exemple, pour les immeubles d'Italie, il fallait une véritable cérémonie, une solennité, accomplie en présence de cinq témoins, avec des paroles consacrées: l'acquéreur, en prononçant ces paroles, prenait à la main un symbole de la chose, une tuile, pour une maison, ne glèbe ou morceau de terre, pour un champ (a).
Plus tard, les formalités se simplifèrent: on admit que la prise de possession se fit fictivement et, en quel. que sorte, par les yeux (oculis); par exemple, lorsqu'il s'agissait d'un vaste domaine, il suffisait que le vendeur le montrât à l'acheteur d'un lieu élevé: c'était la tradition dite "de longue main” (longâ manu). On admettait aussi une tradition dite "de brève main” (brevi manu), lorsque l'acheteur possédait déjà la chose à titre précaire, par exemple, comme locataire, usufruitier, dépositaire, emprunteur à usage; dans ces cas, la rigueur des principes aurait exigé que l'acheteur restituât d'abord la chose, en vertu de son obligation antérieure, et la reçût ensuite à titre d'acheteur; mais, pour simplifier l'opération, au lieu d'une double tradition, on n'en faisait aucune (voy. T. 1er, p. 366).
On admit encore une autre tradition fictive ou abrégée, lorsque le vendeur désirait garder la chose pendant un certain temps, sans pourtant retarder la translation de propriété: il était censé livrer la chose à l'acheteur, en vertu du contrat de vente, et la recevoir de celui-ci à titre de prêt ou de dépôt, de louage ou de mandat; cette convention prenait le nom de constitut possessoire (b).
Tant que la tradition réelle ou feinte n'était pas effectuée, le vendeur ou le donateur restait propriétaire de la chose; en conséquence, ses créanciers pouvaient la saisir, comme ses autres biens; s'il la revendait et la livrait à un autre, celui-ci était propriétaire et le premier acheteur ou donataire n'avait qu'une action personnelle en indemnité.
125. L'ancien droit coutumier français adopta le droit romain sur ce point. Le principe fut toujours que la tradition seule opérait la translation de la propriété; mais la tradition fictive fut encore plus fréquemment appliquée: l'usage même s'établit d'insérer dans les actes destinés à transférer la propriété une clause expresse par laquelle le vendeur ou le donateur déclarait se dessaisir de la possession et en saisir l'acquéreur; cette clause, dite de dessaisine-saisine, était devenue de style dans les actes notariés et on la trouvait, le plus souvent aussi, dans les actes sous seing-privé.
Dans certaines coutumes du nord de la France, on adopta pour le dessaisissement de la possession, appliqué aux immeubles, d'abord une sorte d'investiture ou nantissement, donnée par le seigneur ou par ses officiers; plus tard, on remplaça l'investiture par une déclaration devant un officier de justice, avec une mention sur des registres publics, dite insinuation; on appelait pays de nantissement les provinces où cette forme de transmission de la possession, et, par suite, de la propriété, était observée.
126. C'est dans ces coutumes que fut puisé, avec quelques modifications, le système français moderne de la transmission de la propriété, tant mobilière qu'immobilière. Il apparaît d'abord dans une loi célèbre, du 11 brumaire, an VII (1er nov. 1798), reproduite, en grande partie, dans le Code civil (*).
D'après ce nouveau système, la propriété se tranfère par le seul consentement, pour les immeubles comme pour les meubles; la raison ne fait aucun obstacle à ce qu'un droit réel soit constitué par la seule volonté, comme un droit personnel. Mais comme le droit réel est, de sa nature, opposable à toute personne, aux tiers comme aux contractants eux-mêmes, il est nécessaire de donner des garanties générales contre les surprises qui résulteraient de mutations secrètes ou difficiles à connaître. Ainsi, il ne faudrait pas que des créanciers d'un vendeur fussent exposés à le considérer comme étant encore propriétaire quand il a déjà aliéné, ni qu'un second acheteur fût exposé à donner un prix pour une chose qui est déjà aliénée à un autre. On a remédié à ce danger, au moyen d'une publicité sérieuse donnée aux mutations de propriété et aux autres constitutions de droits réels sur les immeubles, par la transcription et l'inscription sur des registres publics que les intéressés peuvent consulter et dont ils peuvent obtenir des extraits. Ce système de publicité, très-bien organisé en l'an VII, s'était trouvé altéré dans le Code civil; il a été rétabli et complété depuis, par une loi spéciale du 23 mars 1855.
127. Aujourd'hui, on dit, généralement, que “la “propriété des immeubles se transfère entre les parties “ par le seul consentement et à l'égard des tiers par la “ transcription,” cette formule n'est pas sans grave objection, mais elle est consacrée; on peut l'admettre provisoirement et pour simplifier cette théorie difficile; mais elle sera redressée, ci-après (p. 220), quand le moment sera venu de traiter de l'effet des conventions à l'égard des tiers (c).
Le présent article s'abstient donc de la formule précédente: il déclare, d'une façon absolue, que la propriété est transférée par le seul consentement, au moins quand il s'agit d'un corps certain; un peu plus loin, on trouvera les garanties données aux tiers, tant au sujet des meubles qu'au sujet des immeubles.
128. La loi réserve, en terminant l'article 351, le cas où la convention serait affectée d'une condition suspensive; ce n'est pas pour dire que, dans ce cas, la tradition soit nécessaire à la translation de la propriété, mais pour faire comprendre que le seul consentement ne suffit pas et qu'il faut encore que la condition, que l'événement prévu soit accompli. Si la condition était résolutoire, la propriété serait transférée immédiatement, sauf à être résolue par l'événement. Ces deux conditions, déjà rencontrées, chemin faisant, seront étudiées ultérieusement dans leur entier (v. art. 428 et s.).
La loi ne réserve pas le cas d'un terme fixé pour la translation de propriété, comme elle a réservé celui d'une condition suspensive. C'est qu'en effet, il n'est pas compatible avec la nature du droit de propriété d'être affecté d'un terme ou délai, soit d'un terme à partir duquel la propriété commence à appartenir au cessionnaire (terme a quo), soit d'un terme à l'expiration duquel la propriété doive le quitter pour revenir au cédant (terme ad quem).
Il a déjà été remarqué, sous l'article 31 et sous l'article 49 (v. T. Ier. pp. 82 et 114), au sujet de l'usufruit qui comporte le terme autant que la condition, que la propriété ne peut ainsi être limitée quant au temps: une pareille modalité est, disons-nous, incompatible avec la nature de ce droit; en effet, si le propriétaire à temps ou à terme (ad tempus) pouvait disposer valablement, comme un propriétaire ordinaire, la limite de son droit serait dérisoire; si, contraire, il ne pouvait pas disposer, par respect pour cette limite, il n'aurait pas l'avantage qui caractérise essentiellement la propriété. Il est étrange qu'en France beaucoup d'auteurs mettent le terme sur la même ligne que la condition, en matière de translation de propriété, sans même paraître, se préoccuper de la difficulté (*).
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(a) De là, le nom de mancipatio, de manus, main, et capere, prendre.
(b) La tradition de brève main et le constitut possessoire sont admis dans le Projet comme moyens de livraison (voy. ci-dess. art. 203); mais ils ne sont plus nécessaires pour opérer la translation de la propriété.
(*) Le calendrier de la 1ro République française n'étant pas bien connu au Japon, on en donne ici l'analyse.
Un décret de la Convention nationale (du 5 octobre 1793) créa une Ere nouvelle qui fut reportée à la fondation de la République, au 22 Septembre 1792; c'était, en même temps, l'équinoxe d'automne.
L'année civile était divisée en 12 mois égaux, de 30 jours, plus 4 jours dits complémentaires (5 jours, pour les années bissextiles), placés à la fin de l'année.
Les mois étaient divisés en trois périodes de 10 jours, appelées décades.
Les trois mois de chaque saison portaient le nom du phénomène naturel avec lequel ils se recontraient le plus ordinairement. Ceux d'au. tomne se nommaient: Tendémiaire (des vendanges), Brumaire (des brumes), Frimaire (des frimas); ceux d'hiver: Nivôse (des neiges), Pluviôse (des pluies), l'entôse (des vents); ceux de printemps: Germinal (de la germination), Floréal (des fleurs), Prairial (des prairies); enfin, ceux d'été: Messidor (des moissons), Thermidor (des chaleurs), Fruc. tidor (des fruits).
Les 4 ou 5 jours complémentaires étaient placés entre le 16 et le 22 Septembre.
Ce calendrier resta officiellement en vigueur jusqu'au 10 Nivôse, an XIV (31 décembre 1805), époque à laquelle le 1er Empire rétablit le calendrier chrétien, dit Grégorien (du pape Grégoire XIII qui l'avait rectifié, en 1582).
Beaucoup de loi importantes, encore applicables aujourd'hui ou utiles à consulter, portent une date de l'Ere républicaine: on la leur laisse dans les Recueils et dans les citations. La loi du 11 brumaire, an VII (1er nov. 1798), est de ce nombre.
(c) Cette singulière, idée d'une transmission relative et non absolue de la propriété, se trouve énoncée dans l'article 1583 du Code français, d'après lequel "la vente est parfaite entre les parties et la propriété est transférée "à l'acheteur à l'égard du vendeur"...... par le seul consenteinent.
(*) Voir aux Additions (p. 862), une difficulté, à ce sujet, et sa solution.
Art. 352. — 129. C'est dans l'article 1138 du Code français que se trouve posé le nouveau principe que la propriété se transfère sans tradition; malheureusement, la rédaction en est très-défectueuse et si l'on ne connaissait pas les précédents historiques de la loi, on pourrait douter que l'innovation soit si considérable; il y a plus de précision dans l'article 938, au sujet de la donation et dans l'article 1583, au sujet de la vente.
Le Code italien est très-formel dans le sens de l'innovation qui nous occupe (art. 1125); seulement, il néglige, comme le Code français, de la limiter au cas où il s'agit d'un corps certain.
Il est évident, néanmoins, que si le contrat a pour objet la translation de propriété d'une chose qui n'est déterminée que par l'espèce et la quantité (au poids, au nombre ou à la mesure), la propriété n'en peut être transférée par le seul consentement: la nature des choses s'y oppose. Comment l'acheteur ou le dodataire pourrait-il revendiquer, comme siennes, des choses qui sont en quantité indéfinie dans le monde et dont le vendeur ou le donateur possède peut-être lui-même une énorme quantité ? Il est clair que le stipulant ne peut être que créancier: il a droit d'être rendu propriétaire, mais cet effet ne sera produit que quand la chose aura passé du genre ou de l'espèce à l'état individuel, ce qui pourra se faire, soit par la livraison même, soit par une détermination conventionnelle qui en fera un corps certain; par exemple, on marquera les sacs de riz, ou les ballots de soie ou de papier; ce sera alors comme si, à l'origine, la convention avait porté sur des objets individuellement déterminés.
La loi veut que la détermination soit faite "contradictoirement,” c'est-à-dire que le choix ne soit pas laissé au gré unique de l'une des parties. C'est là qu'il faut observer la bonne foi, comme il a été dit plus haut, et que le promettant ne peut imposer les choses les plus inférieures, ni le stipulant exiger les meilleures (voy. art. 481).
Il y a encore une grande utilité à ce que la détermination des choses soit faite contradictoirement, c'est que, la propriété étant transférée à partir de ce moment, les choses sont aux risques du propriétaire; c'està-dire que si elles périssent par cas fortuit ou force majeure, la perte est pour celui-ci, ainsi qu'il sera établi plus loin; or, il serait inadmissible que le débi. teur, après une perte, survenue chez lui, de choses de la nature de celles qu'il a promises, fût admis à dire que “c'étaient justement celles-là qu'il avait choisies et destinées au créancier.”
Il va sans dire, mais l'article 476 l'exprimera, que pour que la propriété des choses fongibles soit transférée par la tradition ou la détermination, il faut que les choses livrées ou choisies et marquées appartiennent au promettant, comme lorsqu'il s'agit d'un corps certain; car on ne peut transférer un droit qu'on n'a pas. Du reste, cette condition sera facilement suppléée par la prescription instantanée, quand il s'agira d'objets mobiliers et que le possesseur sera de bonne foi.
Art. 353. — 130. Des dispositions analogues à celles de cet article se trouvent éparses dans le Code français (art. 1136, 1247, 1593 et 1605 à 1609) et elle n'y sont pas toutes en parfaite harmonie: la loi semble y avoir fait une différence, difficile à justifier, entre la vente et les autres contrats onéreux destinés à transférer la propriété. Le Projet s'attache, au contraire, à poser des règles communes à toutes ces sortes de contrats, ce qui réduira beaucoup les dispositions propres à chacun d'eux en particulier (d).
Il n'y a pas à s'arrêter à la définition de la déli. vrance; c'est assez inutilement que le Code français a cru devoir la donner (art. 1604), en ces termes: “le transport de la chose en la puissance et possession de l'acquéreur;" en d'autres termes, elle consiste à mettre l'acquéreur en situation d'user, de jouir et de disposer librement de la chose, comme lui appartenant désormais.
Cette définition est commune à la tradition des choses fongibles, destinée à en transférer la propriété, et à celle des corps certains, servant à en donner seulement la possession (e).
D'abord, il est naturel que celui qui a transféré la propriété d'un corps certain, par le seul consentement, en fasse la délivrance ou livraison. Sans doute, à défaut de livraison, l'acquéreur pourrait toujours obtenir la chose par l'effet de la revendication; mais sa posi. tion serait plus difficile: dans cette action, il devrait faire la preuve, non seulement de la convention intervenue entre lui et l'aliénateur, mais encore du droit de propriété appartenant à celui-ci; si, au contraire, il a le droit d'agir seulement en délivrance, ce n'est qu'une action personnelle où il prouvera seulement la conven. tion, et, après sa mise en possession, il sera défendeur aux revendications que prétendraient exercer les tiers. C'est certainement ce résultat qu'a eu en vue le Code français, quand il dit, dans l'article 1136: “l'obligation de donner emporte celle de livrer;" quoiqu'il eût été plus exact de dire: la convention de donner emporte l'obligation de livrer.
131. Le présent article nous dit que la délivrance est faite par les soins et aux frais du promettant; l'article 1608 du Code français le dit également; ce qui suppose, évidemment, qu'il y a quelques difficultés pour la faire. D'un autre côté, l'article 1606 du même Code déclare que la tradition des objets mobiliers vendus peut se faire par la remise des clefs des bâtiments qui les contiennent, ce qui exclut toute idée de soins et de frais pour le vendeur.
Le Projet n'a pas indiqué les divers modes de déli. vrance des choses mobilières, parce qu'ils sont plus nombreux que ne le dit le Code français et dépendent beaucoup des circonstances; s'il y fait figurer la tradition de brève main et le constitut possessoire, déjà mentionnés (art. 203), c'est à cause de leur caractère plus exceptionnel; en outre, il n'est pas toujours vrai que la remise des clefs suffise pour opérer la déli. vravce; par exemple, si les marchandises vendues se trouvent d'un accès difficile, par la présence d'autres objets lourds ou volumineux: en pareil cas, le vendeur devrait certainement faire déplacer ces dermiers et il ne serait pas abusif d'exiger qu'il sortît des bâtiments les objets vendus et même qu'il les portât jusqu'aux limites de sa propriété, au moins quand la sortie présenterait des risques exceptionnels. Seront encore à la charge du vendeur ou aliénateur le pesage ou le mesurage qui sont quelquefois une opération difficile, longue et coû. teuse. Au contraire, l'acquéreur, le stipulant, supporte les frais d'enlèvement, c'est-à-dire d'emballage, de chargement et de transport au lieu de destination (f).
132. La livraison des immeubles est incompletement définie par l'article 1605 du Code français: il ne suffirait pas de remettre à l'acquéreur les clefs d'un bâtiment, il faudrait encore l'évacuer, c'est-à-dire, en. lever tous les objets non vendus qui s'y trouvent. Quant aux titres à remettre à l'acquéreur, l'usage, en France, est de lui remettre, non seulement le titre nouveau portant translation de propriété, mais encore les titres des propriétaires antérieurs dont les plus anciens servent de base aux plus nouveaux, et en remontant le plus loin possible, au moins de trente ans, pour fonder, au profit de l'acquéreur, une prescription qui pourrait lui être nécessaire et pour laquelle il joindrait à sa possession celle de ses prédécesseurs (voy, art. 204).
Au Japon, l'usage est différent: il est délivré à l'acquéreur, par le préfet (leenrei) un nouveau titre qui remplace le précédent; si le droit du cédant était contesté au cessionnaire, il serait nécessaire de demander au kenrei un certificat des anciennes mutations. Peutêtre y aurait-il lieu de laisser les anciens titres au nouvel acquéreur, afin qu'il ait toujours dans les mains la prenve de son droit avec celle du droit de ses auteurs.
Ce point de détail pourra être réglé ultérieurement.
133. La loi, après avoir réglé les frais de la déli. vrance et ceux de l'enlèvement, règle ceux de l'acte, pour n'avoir pas à revenir sur la question des frais. Les frais d'acte ne sont pas encore considérables au Japon; mais lorsque les notaires projetés seront institués, lorsqu'aussi des droits d'enregistrement des mu. tations seront établis, la question aura de l'importance.
Le Code français, ne statuant toujours que pour la vente, met les frais d'acte à la charge de l'acheteur (art. 1593). Il est difficile de justifier cette disposition, et, pour les autres contrats, on doit décider comme le fait ici le Projet pour tous les cas: si le contrat profite aux deux parties, s'il est intéressé des deux côtés, s'il est onéreux, les frais se diviseront également, ou dans la proportion de l'intérêt de chacun; s'il est gratuit, ils seront à la charge du bénéficiaire. Le texte a soin de ne poser cette règle que pour l'acte instrumentaire, pour celui qui sert de preuve (g); il ne s'appliquerait pas à la transcription qui, étant faite surtout dans l'intérêt de l'acquéreur, doit être à sa charge (h). Les frais d'une quittance, pour un payement postérieur à l'acte, seraient de même à la charge de l'acquéreur, parce que la quittance ne sert qu'à lui seul, en prouvant sa libération (comp. c. civ. fr., 1248).
134. La loi prévoit enfin le cas où, soit le temps, soit le lieu de la délivrance, n'aurait pas été fixé par la convention.
Au premier cas, l'obligation, n'étant pas affectée d'un terme ni d'une condition, est pure et simple; la délivrance est exigible immédiatement; toutefois, s'il s'agissait d'une vente et que l'acheteur n'eût pas non plus de terme pour le payement du prix, il ne pourrait exiger la délivrance avant d'avoir payé le prix: le vendeur, garderait, en quelque sorte, la chose en gage, par droit de rétention (art. 2; comp. c. civ. fr., art. 1612).
Au second cas, pour le lieu de la délivrance, la loi distingue: s'il s'agit d'un corps certain, il sera délivré au lieu où il se trouvait lors du contrat; cela s'observera même pour la délivrance du titre d'un immeuble, si les parties ne sont pas d'accord pour la remise au domicile de l'une d'elles; à l'égard d'un meuble, la même règle sera observée rigoureusement, s'il est pesant ou d'un déplacement dangereux; mais pour un objet portatif ou facilement mobile, comme une voiture, un cheval, on devra décider, en pratique, d'après l'intention probable des parties, qu'il pourrait être valablement délivré au domicile de l'aliénateur. S'il s'agit de choses de qnantité, comme on ne peut pas dire qu'elles se trouvent dans un lieu déterminé au moment de la convention, il faut nécessairement se placer à une époque postérieure: à celle où elles ont été déterminées et où elles sont devenues corps certains.
Dans les cas pon réglés par la convention, expressement ou tacitement, la délivrance se fait au domicile du débiteur: c'est une faveur paturelle à ajouter à d'autres qu'on a déjà rencontrées. Ainsi, lorsqu'il s'agira d'appeler le créancier à la détermination des choses fongibles, le débiteur pourra l'appeler à son domicile, si les objets s'y trouvent.
135. Comme les règles du droit civil s'appliquent aux conventions commerciales, chaque fois que les lois spéciales an cominerce n'y dérogent pas, et comme ces dérogations doivent être le plus limitées qu'il est possible, on doit indiquer ici quand et comment s'effectue la délivrance de marchandises, lorsqne le vendeur doit les expédier à l'acheteur et qu'il y a à effectuer un transport plus ou moins long, par terre ou par ean.
Cette matière, tout-à-fait négligée dans les Codes français, civil et commercial, peut se résoudre par les principes généraux. Le vendeur, s'il n'y a pas de terme fixé, fera la délivrance sans autre délai que celui qui est nécessaire pour l'emballage et le transport; la délivrance ne sera pas considérée comme faite par la rewise à l'entrepreneur de transport, même quand c'est une entreprise publique, parce que cet entrepreneur est le maydataire du vendeur seul. Il en serait antrement si l'entreprise avait le monopole de ce genre de transport, comme l'administration des postes, ou était le senle existant en fait, entre les deux localités, parce que, dans les deux cas, cette entreprise devrait être considérée comme le mandataire tacite et nécessaire des deux parties. Sauf ces cas, la délivrance ne sera considérée comme faite que par la remise réelle au destinataire ou à son représentant.
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(d) C'est parce que les dispositions de toute cette Partie sont com. munes aux diverses conventions qu'on ne prend la Vente que comme exemple et que, le plus souvent, on y ajoute la Donation: ce sont là les contrats translatifs de propriété les plus fréquents, au Japon comme ailleurs.
(e) On emploie indistinctement les mots tradition livraison ou déli. vrance (voy. c. civ. fr., art. 938, 1138, 1583, 1604 et s.); seulement, le mot tradition est plus doctrinal et les deux autres plus pratiques.
(f) Pour éviter la contradiction apparente des deux articles précités du Code français, on peut dire que la remise des clefs détermine les objets vendus comme étant désormais des corps certains et les met aux risques de l'acheteur, mais qu'elle ne dispense pas le vendeur de payer les frais de pesage, de mesurage et de sortie des bâtiments.
(g) Le mot instrumentaire a été conservé de l'ancienne pratique fran. çaice qui, elle-même, l'avait tiré du latin instrumentum, "preuve écrite."
(h) On verra que la trancription est utile aussi au vendeur non payé, en révélant son privilége.
Art. 354. — 136. La disposition principale de cet article est reproduite des articles 1136 et 1137 du Code français: on y a remplacé, comme dans l'usufruit (art. 46), l'expression “bon père de famille," un peu trop romaine, par celle de “bon adıninistrateur" qui n'a pas besoin de commentaire.
Le droit français a encore innové en cette matière, par comparaison avec le droit romain qui imposait une responsabilité très-différente, suivant la pature des conventions. A la responsabilité se rattachait une théorie des fautes, fort compliquée et sur laquelle de grandes controverses se sont élevées: dans certains contrats, le promettant devait garder la chose due avec les soins de l'administrateur le plus diligent, et il se trouvait ainsi responsable d'une faute très-légère; dans quelques autres, il ne devait à la chose que les soivs d'un administrateur ordinaire, et il répondait de la faute légère; enfin, daus les autres contrats, le débiteur ne devait apporter à la chose que les soins qu'il apportait à ses propres biens, et il ne répondait que de sa faute lourde. La difficulté était surtout de classer les divers contrats dans ces trois catégories.
Mais, ces subtilités ont été enfin abandonnées en France et il faut se garder de les introduire au Japon. La seule différence que paraissent demander la raison et l'équité, au moins lorsqu'il s'agit des contrats translatifs de propriété, c'est celle que fait ici la loi entre les contrats onéreux et les contrats gratuits ou de bienfaisance: il est naturel que le donateur ne soit tenu, jusqu'à la livraison, d'apporter à la chose donnée que les soins qu'il apporte à ses propres biens, et c'est seulement dans le cas où il aurait manqué à cette obligation, déjà adoucie, qu'il serait tenu de dommagesintérêts.
137. Lorsque le Projet traitera de certains contrats spéciaux qui, sans transférer la propriété, obligent à conserver la chose d'autrui ou une chose commune, on y verra encore entre eux quelques différences analogues à celle qui précède; ainsi, on demandera moins de soins au dépositaire qui rend un service qu'à l'emprunteur à usage qui en reçoit un, moins au mandataire qui rend un service gratuit qu'au mandataire salarié, enfin, moins à l'associé, qui gère la chose commune et souffre déjà de sa négligence, qu'au locataire dont la négligence, proverbiale, pour ainsi dire, en tous pays, nuit au propriétaire seul.
Art. 355. — 138. La loi présente ici ce qu'on nomme ordivairement la “Théorie des risqnes," laqnelle se tronve anssi réglée dans l'article 1138 du Code français, mêlée et confondne, mal à propos, dans la grande innovation, déjà expliquée, du travsfert de la propriété par le seul conseutement.
La théorie des risques se trouve d'ailleurs bien simplifiée aujourd'hui par cette innovation même: du momeut que la propriété est transférée par le seul effet du consentement, il est naturel que les pertes, comme les angmentations dont la chose peut être l'objet, soient au détriinent comme au profit de celui à qui elle appartient. Beaucoup de personnes semblent même voir là une conséquence du seul droit de propriété et elles sont portées à croire que si le stipulant n'était resté que créancier, comme antrefois, s'il n'avait eu qu'un droit personnel, les risques seraient restés au promettapt; mais c'est là une erreur certaine.
D'abord, en droit romain et dans l'ancien droit français, où la propriété n'était transférée que par la tradition, les risques étaient à la charge du stipulant, resté simple créancier, tout comme ils sont aujourd'hui à la charge du stipulavt devenu propriétaire.
En outre, la raison de droit et celle de justice voulaient qu'il en fût ainsi.
139. Eu droit, lorsque le contrat n'avait produit qn'me obligation, celle-ci n'en avait pas moins un objet détermivé qui avait sa destinée, bonne on mauvaise, qui pouvait se détériorer ons'améliorer, périr en entier ou doubler de valeur; le débiteur avait toujours rempli son obligation de faire la tradition, en livrant l'objet dans l'état où il était, lorsqne d'ailleurs les détériorativus n'étaient pas imputables à sa négligence; réciproquement, si la chose avait augmenté de valeur, il eût été insoutenable qu'il pût en retrancher une partie ou se faire tenir compte en argent du montant de la plus-value.
Il semblerait toutefois qu'il y eût plus de donte quand la chose avait péri ev entier; on concevait bien encore que le débiteur fût libéré par cette perte, dès qu'elle n'était point de son fait; mais, s'il avait droit à un avantage réciproque, parce que la convention était synallagmatique, on comprend moins facilement qu'il le conservât: par exemple, qu'un vendeur pât exiger le prix d'une chose qu'il n'avait pu livrer et dont il n'avait pu transférer la propriété; on est porté à dire qu'il recevait son prix sans cause. Mais il faut bien remarquer que le contrat une fois formé avait produit deux obligations distinctes quoique réciproques: l'une avait été la cause de l'antre, mais elles étaient désormais indépendantes; l'une pouvait se trouver éteinte par l'impossibilité de l'exécuter, l'autre pouvait subsister, si un pareil obstacle n'existait pas; or, un corps certain peut périr; l'argent dû, au contraire, comme chose de genre, ne périt pas (genera non pereunt). Voilà pour la raison de droit.
La raison de justice ou d'équité est encore plus évidente: si la chose avait doublé, triplé de valeur, dans l'intervalle de la convention à la livraison, ce qui n'est ni impossible ni sans exemple, le profit, assurément, en eût été pour le créancier, il était donc juste que, par compensation, le même créancier subît la perte fortuite.
140. Aujourd'hui, ces considérations ne sont plus nécessaires; il y a une raison plus simple et plus directe pour que les profits et les pertes soient pour le stipulant: il est propriétaire; c'est aujourd'hui seulemeut qn'on pent dire avec vérité ce qui était déjà un axiôine autrefois, mais souvent mal appliqué: “la chose périt pour le propriétaire (res perit domino).”
141. Il est permis de mettre les risques et périls à la charge du promettant (comp. c. civ. fr., art. 1302, 2° al.), ce qui donne à la convention un caractère aléatoire: le promettant est alors une sorte d'assureur contre les cas fortuits et la force majeure; en pareil cas, sans doute, ses avantages seront augmentés; l'uti. lité de cette clause de la convention est d'éviter les contestations sur la responsabilité qui pourrait être imputable au promettant.
142. La loi réserve, ici encore, le cas où la convertion serait affectée d'une condition suspensive: en pareil cas, le droit du stipulant n'étant pas né par l'effet de la convention seule et ne devant naître qu'avec l'accomplissement de la condition, la chose ne peut périr pour lui, il en eût été de même si la convention n'avait produit qu'une créance conditionnelle, comme autrefois. On reviendra sur ce point, en son lieu; on y examinera aussi une difficulté particulière du risque, au cas de simple détérioration ou de perte partielle (voy. art. 439 et 440).
143. Le deuxième alinéa apporte une exception à la règle qui inet la chose aux risques du stipulant, c'est le cas où la chose a péri ou s'est détériorée, même par cas fortuit ou force majeure, après que le promettant a été en retard (en demeure) de faire la traditiov; mais encore faut-il, pour que les risques retombent alors sur ce dernier, que son retard soit la cause de la perte, c'est-à-dire, qu'elle n'ait pas dû arriver si la chose avait été livrée. Ainsi, in meuble a été vendu, la livraison aurait dû être faite et l'objet a péri dans l'incendie de la maison du vendeur; comme, sans doute, la maison de l'acheteur n'a pas brûlé, il est clair que la fante du vendeur est indirectement cause de la perte de la chose; si, au contraire, on suppose la vente d'une maison et qu'elle ait brûlé par le feu du ciel ou par la com munication inévitable d'un grand incendie, comme elle n'aurait pas moins brûlé si elle eût été livrée, les risques restent à la charge de l'acheteur.
Cette disposition, incomplète dans l'article 1138 du Code français, se trouve complétée par l'article 1302, 26 al.
Art. 356. — 144. Ces dispositions correspondent aux articles 1139, 1145 et 1146 du Code français. L'expression française demeure (du latin mora) est synonyme de retard, avec l'idée de faute.
De ce qu'un délai a été déterininé pour l'exécution d'une obligation, il n'en résulte pas que le débiteur soit constitué en demeure par la seule échéance de ce terme; il faut, en général, qu'un avertissement lui soit donné par le créancier: la loi tient compte de la déplorable facilité avec laquelle les hommes laissent passer le temps sans s'en apercevoir, et pour que le but de la loi soit atteint, il faut nécessairement que l'avertissement ne soit donné qu'après l'échéance du terme (i).
145. Les trois premiers moyens par lesquels le dé: biteur peut être mis en demeure viennent du créancier; s'il fait une demande en justice, le premier acte de procédure sera un avertissement suffisant; s'il a déjà un titre exécntoire, comme un jugement ou un acte authentique, il en fera notifier copie, avec injonction d'exécuter, c'est le commandement; enfin, si le créancier, n'ayant pas de titre exécutoire, veut sauvegarder ses droits, sans user de rigueur, il fera une sommation, dont la loi n'indique pas la forme, laissant ce soin au Code de procédure civile. Ces deux derniers actes, bien que faits, en général, par le ministère d'un officier public (en France, par un huissier), s'appellent “actes extrajudiciaires,” parce qu'ils sont faits en dehors d'un procès.
Un avertissement privé, mais exprès et formel et reconnu par le débiteur, pourrait être admis comme mise en demeure, la forme authentique n'étant nécessaire que pour la preuve. A plus forte raison, une reconnaissance spontanée de sa fante par le débiteur le mettrait-elle en demeure.
146. Par exception, la senle échéance du terme peut constituer le débitenr en demeure; le texte en indique deux cas, suivis d'une bypothèse particulière qui pourrait être considérée comme formant un troisième cas:
1° Lorsque la loi, dans quelques cas particuliers, juge à propos de donner cette garantie au créancier: le cas le plus saillant est celui de l'obligation de restituer une chose rolée (voy.c. civ. fr., art. 1302, 4° al.);
2° Lorsque la convention porte expressément que le débiteur sera constitué en demeure par la seule échéance du terme: il ne sera pas nécessaire d'ajouter “et sans sommation, quoique ce soit préférable, pour écarter tous les dontes;
3° La troisième hypothèse où le débiteur est en demeure, sans autre avertissement que l'expiration du temps fixé pour l'exécution, tient à des circonstances particulières que la loi n'a pu réunir que dans une formule très-générale: on peut citer, comme exemple, le cas où il y a eu cou vention de fournir, soit en vente, soit en location, des objets nécessaires pour une cérémonie publique ou même particulière, comme un mariage on des funérailles, dont l'époque est connue du promettant; il est clair que si le stipulant était, en pareil cas, obligé de faire me sommation avant la cérémonie, et au moment extrême où la fourniture devrait être faite, il serait déjà trop tard. En réalité, dans ce cas, c'est comme s'il y avait eu convention formelle entre les parties qne le prometiant sera en demeure par la seule échéance du terme.
On verra plus loin (art. 404) que dans l'obligation de ne pas faire le débiteur est considéré comme se coustituant lui-même en demeure par la contravention.
Les règles de la mise en demeure pour faire courir les intérêts moratoires, dans les obligations de sommes d'argent, ne seront pas tout-à-fait les mêmes: on les trouvera plus loin (art. 413).
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(i) Autrefois, on admettait généralement la règle inverse: dies interpellat pro homine: "le terme interpelle à la place de l'homme;" aujourd'hui, on dit: dies non interpellat....
Art. 357. — 147. Les conventions de faire et de ne pas faire sont aussi fréquentes qne celles de donner; il semblerait naturel que la loi en traitât ici; mais l'intérêt étant bien plus dans l'obligation créée que dans la convention qui la produit, la loi renvoie au Chapitre suivant consacré aux Effets des Obligations. On y redira qnelqne chose de l'obligation de donner et de livrer qui, à la rigueur, peut être rangée parmi les obligations de faire; car la livraison est un fait.
Art. 358. — 148. La règle posée ici a déjà été annoncée sous l'article 345, au sujet d'une modification qu'elle peut recevoir du fait des parties.
L'expression ayant-cause est consacrée et pourrait difficilement être remplacée par une autre qui fût aussi claire et aussi brère: elle désigne “les personnes qui ont les droits d'une autre," qui tievrent leurs droits de celle-ci, laquelle est leur auteur(j). Il y a deux classes d'ayant-cause, les uns généraux, les autres particuliers, Les ayant-cause généraux ont tous les droits de leur auteur, sauf quelques exceptions relatives aux droits qui, par leur nature, ue peuvent se transmettre ou se commuviquer; les ayant-cause particuliers n'ont les droits de leur auteur que sur un ou plusieurs objets déterminés.
La première classe d'ayant-cause comprend: les héritiers légitimes, les légataires et donataires universels ou à titre universel (v. art. 17 et 48), enfin, les créan. ciers. La seconde classe comprend les acquéreurs ou cessionnaires, à titre onéreux ou gratuit, de choses déterminées.
149. La différence entre ces deux classes d'ayantcause, qu'on appelle souvent anssi successeurs, soit à titre universel, soit à titre particulier (l), est considérable et elle va se rencontrer dans le rapprochement des articles suivants. Elle peut se résumer aiusi: les ayant-cause généraux sont exposés à voir leur situation empirée par les actes maladroits ou malheureux de leur auteur, comme la sieppe propre s'empire par les mêmes actes; mais aussi, en sens inverse, leur situation s'améliore avec la sienne, par ses actes habiles ou heureux. Cela est évident pour les héritiers qui recueilJeront une succession plus ou moins opulente, suivant que leur auteur aura réussi ou non dans ses entreprises; il en est de même pour les créanciers qui, ayant pour gage général (indépendamment de leurs sûretés exceptionnelles) tous les biens de leur débiteur, peu. vent voir ce gage augmenter ou diminuer journellement.
Au contraire, les ayant-cause particuliers, les acheteurs, coéchangistes, donataires, ne sont exposés à aucune éventualité défavorable ni appelés à aucun avantage imprévu: ils prennent la situation de leur auteur ou cédant, telle qu'elle était au jour de la convention, par rapport à la chose ou au droit cédé; ils sont ayantcause pour le passé, parce qu'ils ont consenti à l'être; mais ils ne le sont pas pour l'avenir: ils sont étrangers à tout ce qui pourrait être fait dans la suite par leur cédant, ils sont des tiers à cet égard. C'est en cette qualité de tiers qu'ils seront envisagés dans la division suivante de ce paragraphe.
150. Le présent article réserve d'une façon indéterminée les cas où les ayant-cause généraux n'auront pas les droits de leur auteur ou ne souffriront pas de ses actes. Déjà l'article 345 a indiqué le cas où le profit d'une stipulation pourrait être attribué ou la charge d'une promesse être imposée à l'un des héritiers présomptifs, à l'exclusion des autres. Les cas où la loi n'autorise pas la transmission des droits aux héritiers sont assez nombreux et se rencontreront, chemin faisant: on a déjà vu que l'usufruit, l'usage et l'habitation ne sont pas transmissibles aux héritiers; c'est encore ce qui arrive pour les rentes viagères, pour les pensions civiles ou militaires; certains contrats ne profitent ni ne puisent aux héritiers: tel est le mandat qui s'éteint par la mort du mandant ou du mandataire; telles sont encore certaines sociétés qui se dissolvent par la mort de l'un des associés. Seulement, dans ces divers cas, les actes valablement faits avant la mort, en vertu du mandat ou de la société, profitent ou nuisent aux héritiers.
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(j) Ayant-cause est la traduction littérale de deux mots latins: habentes causam, ceux qui ont la situation même d'une autre personne, la situation que celle-ci leur a faite.
(k) Les créanciers des parties sont les seuls ayant-cause qu'on ne puisse appeler successeurs, parce que leurs droits co-existent avec ceux de leur débiteur, ainsi que cela résulte des dispositions qui vont suivre.
Art. 359. — 151. Cet article répond aux articles 1166 du Code français et 1234 du Code italien. La théorie qu'il présente est une des plus importantes du droit civil. Il n'est lui-même qne la conséqnence d'un principe plus large encore, déjà invoqué, et qui trouvera sa place ailleurs, à savoir que "tous les biens d'un “débiteur sont la garantie de ses dettes ou le gage de "ses créanciers” (voy. c. civ. fr., art. 2092–2093).
Il pent arriver, il arrive même souvent, qu'un débiteur, embarrassé dans ses affaires, néglige de faire valoir ses droits contre ses propres débiteurs ou d'exercer les actions réelles qui pourraient lui appartenir pour recouvrer quelques uns de ses biens, par le motif qu'ayant de nombreux créanciers, il ne lui en revien. drait aucun avantage. Cette inertie est blâmable et Ja loi doit donner aux créanciers le moyen de la combattre. Tel est l'objet de notre article.
Ce peu de mots suffit pour expliquer le 1er alinéa qui pose le principe du droit des créanciers; le 2° indique les principaux moyens par lesquels ils procéderont et le 3e présente quelques exceptions à la règle.
152. Le Code français a négligé d'indiquer les voies et moyens de l'exercice du droit des créanciers et la question y donde lieu à de sérieuses difficultés. Le Projet prend soin de s'en expliquer. Les trois moyens qu'indique le présent article ne sont pas limitatifs, mais ils seront les plus fréquents.
1° Saisies. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les diverses sortes de saisies que peuvent exercer les créan. ciers: cette matière appartient au Code de procédure; il ne s'agit pas d'ailleurs ici des saisies que les créanciers feraient sur les biens de leur débiteur, en vertu d'un jugement qu'ils auraient obtenu coutre lui: dans ce cas, ils n'exerceraient pas les droits de leur débiteur contre des tiers, mais leur propre droit contre le premier. Il s'agit de saisies que le débiteur pourrait faire pratiquer lui-même contre ses propres débiteurs et qu'il néglige de faire; ce seront: ou des saisies-exécutious (v. c. proc. civ. fr., art. 583 et s.), ou des saisies-revendications (ibid., art. 826 et s.), ou de simples saisiesconservatoires (ib., art. 819 et s.); les créanciers pratiqueront souvent aussi la saisie-arrêt ou saisie-opposition (ih., art. 557 et s.) contre les débiteurs de leur débiteur; mais on peut dire de cette saisie qu'ils l'exercent plutôt comme à eux appartenant que comme appartenant à leur débiteur, car celui-ci n'en a jamais besoin.
2° Intervention. Le débiteur pourrait négliger de soutenir ses droits, comme demandeur ou défendeur, dans les procès pendants entre lui et des tiers: ses créanciers peuvent se joindre à lui, pour l'aider, soit dans l'attaque soit dans la défense; cette participation se nomme, en procédure, “intervention,” expression trèsclaire, parce qu'elle est tirée du langage ordinaire (voy. c. pr. civ., art. 339-341). L'intervention aura un avantage particulier, c'est qu'elle empêchera que le débiteur, par collusion ou fraude concertée avec l'adversaire, ne se laisse débouter comme demandeur ou condamner comme défendeur, ce qui laisserait encore un recours aux créanciers, mais d'un usage plus difficile, la tierceopposition (v. ci-après, art. 361). La simple intervention sera particulièrement utile si le débiteur, ayant formé une demande, néglige ensuite de la suivre et d'y produire les preuves de son droit, ou bien, si, ayant été assigué comme défendeur, il néglige de répondre, fait défaut et s'expose à une condamnation mal fondée.
3° Action indirecte. Si l'expression “ d'action indirecte ou oblique” n'était pas consacrée ici, on pourrait tout aussi bien employer celle, plus naturelle, d'action directe, par opposition à l'intervention. Mais on a adopté depuis longtemps l'une des deux autres expressions, pour judiquer que ce n'est pas une action à eux propre qu'exercent les créanciers, mais nne action appartenant à leur débiteur, dont le profit ne leur parviendra qu'en passant, sinon dans les maius même de celui-ci, au moins daus son patrimoine. En effet, les créanciers, qui ont exercé l'action contre le tiers, pourront bien, après le succès, prendre des précautions pour éviter le détournement du profit de l'action, mais ils ne pourront s'opposer à ce que ce profit soit distribué à tous les créanciers indistinctement, sanf les causes ordinaires de préférence, parmi lesquelles ne figurera pas le fait d'avoir pris l'initiative de l'action.
A cette occasion, on remarquera qu'il n'est pas nécessaire que les créanciers se forment en syndicat ou en comité, ni agissent d'un commuu accord, pour exercer les actions de leur débiteur: le droit appartient à un seul autant qu'à tous et il peut être exercé isolément, par le plus diligent, ou collectivement, après entente préalable.
153. Le Projet tranche, au sujet de cette action indirecte, une question qui est très-controversée en France et qu'il fallait résoudre au Japon: les créanciers qui voudront exercer l'action ne se borneront pas à faire à leur débiteur une sommation d'avoir à exercer lui. même son droit, pour, en cas de refus, l'exercer à sa place; ils devront présenter requête au tribunal, en exposant la situation qui leur est faite et le danger qu'ils courent, afin d'obtenir de la justice le droit de prendre le lieu et la place de leur débiteur dans l'action à intenter contre le tiers; le débiteur pourra toujours se joindre à eux, mais, une fois l'action intentée, il ne sera plus qu'un intervenant: il aura perdu, par sa résistance première, le rôle de partie principale.
Cette autorisation de justice, donnée aux créanciers, d'agir au lieu et place de leur débiteur et en son nom, est appelée ici “subrogation judiciaire:" c'est un nom qui lui est donné dans la pratique, en France, où elle est très-usitée, sans être formellement exigée par la loi.
On peut soutenir, en effet, sous l'empire du Code français, que les créanciers peuvent agir d'emblée, de plein droit (de plano), au nom de leur débiteur, contre les tiers que celui-ci pourrait poursuivre lui-même; par conséquent, sans avoir besoin de son autorisation ni de celle de la justice: on peut considérer cette autorisation comme donnée par la loi. Mais cette solution, en admettant qu'elle soit conforme à la loi, présente de sérieux dangers, tant pour les créanciers que pour le tiers actionné: pour les premiers, en ce que le débiteur conserve, pendant le procès, le droit de disposer de l'objet du litige, de transiger avec le tiers et d'anéantir ainsi leur droit; pour le tiers, il est exposé, après avoir triomphé d'un des créanciers, à subir une nouvelle action d'autres créanciers vu du débiteur lui-même; car il est difficile d'admettre que le premier créancier, en agissant seul, de son propre mouvement et sans un mandat spécial des autres créanciers et du débiteur, ait pu compromettre le droit de ceux-ci.
Le tiers, il est vrai, préviendrait ce danger, en ce qui le concerne, en exigeant la mise en cause du débiteur; mais cette mise en canse ne prévient pas le danger, pour le créancier poursuivant, d'une trapsaction ou d'un autre acte qui le dépouillerait et qu'il ne pourrait attaquer qu'en prouvant la fraude, conformément à l'article suivant, ce qui est toujours difficile.
On remédiera, tout à la fois, au double danger signalé, par la subrogation judiciaire du créancier, laquelle ne devra être accordée qu'après que le débiteur aura été sommé d'exercer son action et entraînera sa mise en cause, sans qu'il ait le droit de transiger ou de compromettre autrement ses droits devenus ceux des créanciers; en même temps, le créancier poursuivant devra être constitué représentant des autres, après qu'ils auront été dûment avertis. De cette façon, le jugement rendu en faveur du créancier demandeur, profitera aux autres créanciers et au débiteur, et le jugement rendu en faveur du tiers sera opposable aux mêmes personnes.
154. Le 3e alinéa introduit trois exceptions ou tem, péraments à la règle que les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur.
1° Ils ne peuvent exercer les simples facultés légales de leur débiteur. Avant de proposer la formule caractéristique des simples facultés opposées aux droits, on en donnera d'abord quelques exemples incontestables et frappants.
Il est évident que les créanciers ne pourraient bâtir sur un terrain de leur débiteur, louer ses immeubles, exploiter ses terres ou modifier ses cultures; cependant, on pourrait dire que ce sont là des droits incontestables du débiteur: mais, en réalité, ce sont de simples facultés. De même, si le débiteur avait vendu un bien avec faculté de rachat (clause de réméré), les créanciers ne pourraient, au moins, en règle, exercer le rachat: ici le caractère de faculté est bien évident, car c'est ce nom même que la loi donne au rachat (v. c. civ. fr., art. 1659 et s.). On pourrait multiplier les exemples.
Au contraire, il n'est pas douteux que les créanciers puissent exercer une action en pullité ou rescisiou de convention, appartenant à leur débiteur, pour vice de consentement ou pour incapacité; de même, une action en résolution pour inexécution des conditions, une action en dommages-intérêts pour dommages causés aux biens et une foule d'autres.
On reconnaît donc la nécessité d'une formule, d'on signe caractéristique (criterium) qui permette, dans tous les cas, de voir si l'on est en présence d'un droit ou d'une simple faculté.
La distinction est celle-ci: chaque fois qu'il s'agit d'un avantage que le débiteur ne peut négliger de faire valoir saps éprouver une perte certaine, cet avantage est un droit; chaque fois, au contraire, que, pour obtenir l'avantage, il y a un sacrifice correspondant à faire, il y a simple faculté. Et la différence relative au droit d'agir des créanciers est facile à justifier: du moment que le droit ne peut être négligé sans une perte certaine et directe, il est naturel que les créanciers conservent leur gage et se substituent au débiteur de mauvaise volonté; au contraire, quand il y a à délibérer si l'exercice de la faculté est avantageux ou non, les créanciers ne pourraient s'immiscer dans cette délibération et agir au lieu et place du débiteur, peut-être contre sa volonté: ce serait lui enlever l'administration de son patrimoine, ce qui dépasserait infiniment l'avantage que la loi a entendu leur accorder ici. D'ailleurs, s'il y a plusieurs créanciers, ce qui sera le plus fréquent, il y a presqne certitude qu'ils seront en désaccord sur l'exercice d'une faculté, tandis que, pour l'exercice d'un droit, l'accord est tout naturel. C'est seulement au cas de faillite que le droit des créanciers peut aller jusqu'à exercer les facultés du débiteur; mais alors c'est qu'il y a pour lui dessaisissement de ses biens, et justement alors, les créanciers sont organisés en assemblée, et délibèrent à une certaine majorité, pour le meilleur règlement de leurs intérêts.
Par exception, le Code français permet aux créanciers d'exercer la faculté de rachat, au lieu et place du débiteur; mais ce n'est qu'après discussion de ses biens, c'est-à-dire après que son insolvabilité a été constatée (voy. art. 1666), ce qui est la déconfiture analogue à la faillite.
2° La deuxième exception concerne des droits proprement dits du débiteur dont l'exercice est refusé aux créanciers. Ce sont des droits qui présentent plus d'intérêt moral que d'intérêt pécuniaire, c'est pourquoi ils sont considérés comme "exclusivement attachés ou réservés à la personne même du débiteur;" il en serait de même, et à plus forte raison, des droits dont l'intérêt est purement moral et que d'ailleurs les créanciers n'auraient eux-mêmes aucun intérêt à exercer. Cette formule aidera à faire distinguer ces droits d'avec les autres. Les exemples les plus fréquents et les plus saillants à citer sont: les droits relatifs à l'état des personnes, tels que la réclamation ou la contestation de légitimité, la demande en divorce ou en nullité de mariage ou d'adoption, le droit de demander la réparation d'une injure ou d'un autre délit contre la personne, celui de demander la révocation d'une donation pour ingratitude, etc.
Au contraire, on doit considérer comme rentrant dans le droit des créanciers, les actions qui tendent à faire recouvrer à leur débiteur tout ou partie d'une succession, lors même qu'un intérêt moral serait en jeu et pourrait faire hésiter le débiteur; par exemple, la pétition d'hérédité, même subordonnée à la contestation de légitimité d'un enfant, l'actiov. en rapport à succession (c. civ. fr., art. 843 et s.), en réduction de donations ou legs excessifs (ibid., art. 913 et s.), en déclaration d'indignité contre un héritier (ib., art. 727 et s.). Dans ces divers cas, l'intérêt pécuniaire à agir paraît excéder l'intérêt moral à ne pas agir et le droit des créanciers ne pourrait être exclu que par une renonciation formelle du débiteur faite sans fraude.
3° Enfin, la loi qui a compté le droit de saisie an nombre des garanties des créanciers le leur refuse sur certains biens qui ne sont pas leur gage et qui, pour des raisons de convenance ou d'humanité, sont aussi exclusivement réservés au débiteur, d'où leur nom d'insaisissables (v. art. 30); ces biens seront énumérés au Code de procédure civile, au sujet des saisies.
Art. 360. — 155. Le droit des créanciers exposé dans l'article précédent a ici sa contre-partie: leur qualité d'ayavt-cause qui les fait profiter de tous les actes avantageux de leur débiteur, les fait sonffrir aussi de ses actes nnisibles: s'il diminue son actif, par des donations ou même par des aliénations à titre onéreux peu avantageuses, ils voient lenr gage diminner; de inême, s'il augmente son passif (l), s'il contracte de nouveaux engagements, ils doivent subir le concours des nouveaux créanciers et, par là encore, leur gage est diminué.
Mais, de même que le précédent article a reçu des exceptions, celui-ci en reçoit également: il y a des aliénations et des engagements que les créanciers ne seront pas tenus de respecter, comme ayant eu lieu “en fraude de leurs droits.” Dans ces cas, les créanciers ne sont plus des ayant-cause mais des tiers: le débiteur de les a plus représentés, puisqu'il s'est fait leur adversaire.
Le présent article correspond à l'article 1167 du Code français, reproduit, avec quelques améliorations déjà, par le Code italien (art. 1235); mais l'un et l'autre ont le tort de présenter comme règle le droit pour les créanciers d'attaquer les actes frauduleux de leur débiteur, tandis qu'en réalité il n'est qu'une exception.
Le présent article pose la règle avant l'exception et il définit la fraude.
Les articles suivants tranchent plusieurs questions encore débattues en France à canse de l'insuffisance du texte.
156. La loi prend ici le soin de définir la fraude, parce qu'il ne faut, ni la confondre avec le simple préjudice, ni l'en séparer tout-à-fait, ni en exagérer la différence. Le préjudice est le dommage qui résulte pour les créanciers de l'acte de leur débiteur; il peut être causé de bonne foi, c'est-à-dire sans intention de nuire aux créanciers. Si cette intention de nuire existait chez le débiteur, mais que le dommage ne fût pas produit, il n'y aurait pas lieu à la plainte des créanciers, parce qu'il n'y aurait pas d'intérêt pour eux et que l'intérêt est le mobile des actions (voy. art. 344). Pour qu'il y ait fraude, dans le sens de notre article, et ouverture au droit des créanciers, il faut l'intention de nuire à ceux-ci et un préjudice réel, le fait et l'intention, ce que les latins appelaient eventus et consilium.
Cependant, comme il serait, le plus souvent, impossible aux créanciers de faire la preuve directe de l'intention de nuire que le débiteur aura toujours soin de dissimuler, la loi se contente de la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité actuelle ou savait qu'elle devait résulter de l'acte qu'il allait accomplir. Mais, si le débiteur était déjà insolvable à son insû, ou si, même le sachant, il croyait que son nouvel acte pouvait le relever, il n'y aurait pas fraude aux créanciers, quoique l'acte leur fût très-préjudiciable.
157. La loi est très-générale dans cette disposition: elle permet d'attaquer, indistinctement, tous les actes qui diminaent le partimoine du débiteur et, par suite, le gage des créanciers, soit directement, comme les aliénations ou les renonciations à des droits acquis, soit indirectement, comme les engagements nouveaux dont parle le 1er alinéa. Il n'y a pas même à distinguer, comme le prétendent certains auteurs, en France, entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, au moins en ce qui concerne la double condition du préjudice et de l'intention frauduleuse. C'est à tort que l'on soutiendrait que, dans la donation, l'acquéreur cherchant à conserver un gain, est moins intéressant que les créanciers qui cherchent à éviter une perte; en effet, le fait, par le débiteur, d'avoir des créanciers ne doit pas lui enlever le droit de faire des libéralités, lorsqu'elles sont inspirées par la reconnaissance ou l'affec tion et non par l'animosité contre ses créanciers. Cette distinction entre les actes gratuits et les actes onéreux trouvera d'ailleurs sa place dans une autre question traitée à l'article suivant.
Ce qui a pu donner lieu à cette opinion défavorable aux donations, c'est: lo que les legs ou donations testamentaires ne sont valables qu'autant que les dettes du défunt peuvent être payées sur les autres biens de la succession (v.c. civ. fr., art. 922, 1009 et 1012); 2° que le Code français, dans les articles 622, 788 et 1053, permet d'annuler des renonciations faites au préjudice des créanciers: la loi ne paraît pas exiger la fraude. Mais on a répondu, au sujet de ces articles (qui d'ail. leurs ne distinguent pas si la renonciation est gratuite ou onéreuse), qu'ayant été écrits avant l'article 1167, la théorie de la loi n'était pas encore bien arrêtée et qu'elle l'a été, plus tard, dans le sens qui exige la fraude (m). A l'objection, tirée des legs, il est facile de répondre que si, au décès du débiteur, l'acquittement des legs n'était pas subordonné au payement préalable des dettes, les créanciers n'auraient plus aucune possibilité d'être payés; tandis que, du vivant de leur débiteur, le danger n'est plus le même.
Da reste, il restera toujours une différence défavorable aux donations, c'est que, si elles sont universelles, elles ne pourront avoir lieu qu'à charge du prélèvement des dettes; car, il est évident que le débiteur doit savoir qu'il se rend insolvable par ce genre de donation. Mais encore, ce n'est pas en invoquant la fraude que les créanciers demanderont leur payement, c'est en vertu du principe que la donation universelle est une sorte de succession (voy. art. 17 et T. 1e' p. 58).
158. Il faut, au contraire, distinguer, au sujet de l'application de notre article, entre les cas où le débiteur aliène nu droit acquis et celui où il manque à acquérir un droit qui lui est offert. Cette distinction, déjà faite en droit romain, est très-sage et doit être encore admise aujourd'hui. En effet, si les créanciers peuvent s'opposer à ce que le débiteur diminue leur gage, c'est qu'ils y ont eux-mêmes un droit acquis; mais ils ne peuvent exiger qu'il l'augmente: lors même qu'on offrirait uue donation à leur débiteur, ils ne peuvent prétendre qu'il l'accepte, ni l'accepter pour lui, parce qu'il est seul juge de la convenance qn'il y a pour lui à recevoir une donation d'une personne quelconque, même honorable. En tout cas, lors même que les créanciers prétendraient un pareil droit, ce ne serait pas en vertui de notre article, mais en vertu du précédent; or, il s'agit ici d'une de ces “simples facultés” dont l'exercice est exclusivement réservé au débiteur.
Au surplus, il y a un cas important où les créanciers peuvent aujourd'hui faire annuler un acte comme fait en fraude de leurs droits, tandis que le même acte n'aurait pu être annulé en droit romain, et cela, parce qu'aujourd'hui cet acte serait me “renonciation à un droit acquis,” tandis qu'alors il n'eût été qu'un “inanquement à acquérir," c'est le cas où le débiteur renonce à une succession ouverte à son profit. En effet, aujourd'hui, en France (et il en est de même au Japon), l'héritier est saisi, investi, de plein droit, de la succession de son auteur, méme à son insû, dès le jour du décès (voy.c. civ. fr., art. 724); si donc il renonce, plus tard, à la succession, il ne manque pas à acquérir: il se dépouille, et les créanciers peuvent critiquer et faire annuler cette renonciation (art. 788 précité). Il en serait de même d'un legs universel ou particulier auquel le débiteur renoncerait: comme le legs lui est acquis de plein droit, au décès du testateur, la renonciation qu'il y fait est un dépouillement de droit acquis.
Malgré la généralité des termes de la loi, il va de soi que les créanciers ne pourraient faire annuler comme frauduleux un acte d'aliénation portant sur des choses insaisissables: dans ce cas, les créanciers ne pourraient alléguer qu'il y a préjudice pour eux, puisque ce bien, en admettant qu'il fût aliénable, ne pourrait servir à les payer que par la pure volonté du débiteur.'
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(l) Les expressions actif et passif sont consacrées pour exprimer les biens et les deltes; le Code civil et le Code de commerce français parlent plusieurs fois des dettes actires et passives (v. c. civ., art. 333; c. comm., art. 439, 414, 518).
(m) On peut même soutenir que les mots français "au préjudice des créanciers ” sont la traduction des mots latins in prejudicium, qui se traduisent mieux: pour le préjudice que a vec préjudice; or, "pour le préjudice" exprime suffisamment l'intention frauduleuse.
Art. 361. — 159. Cet article règle les voies et moyens par lesquels les créanciers obtiennent la réparation du préjudice à eux causé par les actes frauduleux du débiteur.
Le premier moyen, celui qu'on peut considérer comme général, est une action tendant à l'annulation de ce qui a été fait en fraude des créanciers. Pour distinguer cette action des autres actions en nullité, l'usage est de l'appeler “action révocatoire" et ce nom est consacré ici; on l'appelle aussi, en France, “action paulienne," du nom du Préteur romain Paul, qui l'inventa.
Le 1er alinéa du présent article nous dit que cette action est donnée contre ceux qui ont traité avec le débiteur et, subsidiairement, c'est-à-dire, en tant qu'il est besoin et possible, contre les sous-acquéreurs. Il est clair que cette action ne peut être exercée contre le débiteur, au moins contre le débiteur seul, et cela pour deux raisons: la première, c'est qu'il ne dépend plus de lui d'anéantir l'acte qu'il a fait avec un tiers, la seconde c'est qu'il est insolvable et que l'action contre lui n'aurait aucune utilité pour les créanciers. Il faut donc que l'action soit dirigée contre ceux qui ont traité avec le débiteur; sauf à mettre celui-ci en cause, comme l'exige le 30 alinéa, tant pour qu'il puisse soutenir la validité de l'acte que pour que le jugement Jui soit opposable.
Quand il s'agit de faire annuler un engagement du débiteur envers un tiers, ou une renonciation du débi. teur à une créance qu'il avait contre un tiers, c'est ce dernier seul qui peut être le défendeur: l'action est nécessairement personnelle contre lui; elle ne provient pas d'un contrat, car le tiers n'a pas contracté avec les créanciers, mais elle est née, soit de sa participation à la fraude, ce qui est un délit civil, soit de son enrichissement illégitime, ce qui est un quasi-contrat.
S'il s'agit de faire annuler une aliénation et que la chose aliénée soit encore la propriété de l'acquérenr, l'action est encore personnelle et elle s'explique de la même manière. Mais si l'acquéreur a lui-même cédé la chose, la loi permet et devait permettre la révocation contre le sous-acquéreur, au moins dans certains cas, autrement, la réparation du préjudice eût été le plus souvent impossible; mais il ne fallait pas non plus atteindre des tiers qui n'auraient eu aucune participation à la fraude; il a donc été nécessaire de faire des distinctions, indiquées aussitôt après: suivant ces distinctions, l'action révocatoire, même dirigée contre des sous-acquéreurs, est encore personnelle, car elle se trouve toujours fondée sur un délit civil.
160. Le 2° alinéa prévoit un acte frauduleux du débiteur, qui n'est pas un contrat, mais qui ne doit pas davantage échapper à la révocation. Le débiteur, avec intention frauduleuse contre ses créanciers, s'est laissé condamner dans une instance où il était défendeur, ou il a laissé rejeter une demande par lui faite, pour la forme seulement, mais dans laquelle il n'a pas soutenu son droit (on dit, en procédure, qu'il “s'est laissé débouter”'); les créanciers n'avaient pas usé du droit d'intervention que leur fournissait l'article 352, 2° al. (voy. c. pr. civ. fr., art. 339 et s.): dans ces deux cas, la justice a été nécessairement trompée, et le respect dû à ses décisions ne sera nullement atteint parce que sa décision sera attaqnée. Il y a, à cet égard, une voie de recours spéciale et extraordinaire, appelée tierceopposition, parce qu'elle est exercée par des personnes qui n'ont pas été parties au procès, par des tiers (voy. c. proc. civ. fr., art. 474 et s.).
Elle sera certainement admise au Japon.
161. Le dernier alinéa prévoit le cas où la révocation ne pourrait être obtenue directement, c'est-à-dire par apnulation de l'acte frauduleux; dans ce cas, il sera pourvu à la réparation du préjudice des créanciers par une demande en dommages-intérêts. Voici les principaux de ces cas: l'aliénation frauduleuse a porté sur des objets mobiliers que l'acquéreur a détournés et qui ne peuvent être retrouvés; ou bien, ce sont des meubles ou même des immeubles que l'acquéreur a revendus à des tiers de bonne foi qui ne peuvent être atteints par l'action révocatoire, d'après l'article suivant.
Il faut admettre enfin que les créanciers fraudés pourront toujours se boruer à une action en dommagesintérêts, lorsque la chose aura passé dans les mains d'un sous-acquéreur, s'ils préfèrent ne pas s'engager dans une poursuite devenue plus difficile contre celui-ci.
Art. 362. — 162. La loi tranche ici trois questions que le Code français a laissées incertaines et sur lesquelles les légistes n'ont pu arriver à un parfait accord.
La première solution a déjà été annoncée par les observations faites sur l'article 360. La loi ne se contente pas du simple prvjudice pour permettre l'annulation des actes gratuits du débiteur: que l'acte soit gratuit ou onéreux, le fondement nécessaire de l'action révocatoire est l'intention frauduleuse jointe au préjudice réel, et, comme la fraude ne pent se présumer, les créanciers devront la prouver. On rappelle seulement que l'intention frauduleuse est suffisamment éta blie par la preuve que le débiteur connaissait son insolvabilité (v. p. 164).
163. La deuxième solution présente la seule différence admise dans le Projet entre les actes gratuits et les actes onéreux: si l'acte est gratuit, le contractant ne sera pas à l'abri de la révocation, malgré sa bonne foi, tandis que celui qui a contracté à titre onéreux ne perdra le bénéfice de l'acte qu'autant qu'il aura colludé, c'est-à-dire participé à la fraude commise contre les créanciers, ce qui sera suffisamment établi par cela seul qu'il l'aura conque. Cette distinction entre les actes gratuits et onéreux a toujours été admise par les jurisconsultes, depuis les Romains: elle se fonde sur cette idée, très-juste en elle même, mais qu'on a quelquefois poussée trop loin, que “le dovataire qui “cherche à conserver un gain est moins intéressant “que les créanciers fraudés qui cherchent à éviter une “perte” (n). Au contraire, ceux qui ont traité à titre onéreux avec le débiteur cherchent aussi à éviter une perte, en contestant la révocation; or, lorsque le débat s'établit entre personnes également favorables, il est naturel de maintenir ce qui a été fait, de laisser à chacun sa position acquise, de sorte que “la préférence “reste à celui qui possède" (o).
Lorsqu'il s'agit, non d'un contrat frauduleux, mais d'un procès que le débiteur a laissé décider contre lui, en fraude de ses créanciers, il faut faire la même distinction: si le procès est fondé sur un acte onéreux, la tierce-opposition tendant à faire révoquer le jugement erroné ne peut être admise que si l'adversaire a colludé avec le débiteur; si le procès, au contraire, est fondé sur une donation dont l'exécution est litigieuse, il suffit, pour le succès de la tierce-opposition, que le débiteur ait eu l'intention de frauder ses créanciers, sans collusion du donataire.
164. La troisième solution (2° alinéa) est différente, sur un point, de celle qu'on donne habituellement dans la jurisprudence française. On a dit, plus haut, que l'action révocatoire n'atteindrait pas suffisamment son but si elle ne pouvait être donnée que contre celui qui a traité avec le débiteur. Cependant, il est difficile de soutenir que les créanciers fraudés gardent un droit réel sur les choses aliénées en fraude de leur droit: on ne peut assimiler leur gage général au gage spécial dont ils seraient nantis ou à une hypothèque qui leur aurait été constituée; ils ne peuvent donc avoir uu véritable droit de suite, lequel serait l'avantage distinctif du droit réel. Mais, si l'on trouve dans la situation des sous-acquéreurs les éléments d'une obligatiou, l'action peut être donnée contre eux, comme action personnelle.
Ainsi, tout le monde est d'accord pour donner l'action contre un sous-acquéreur de mauvaise foi, c'est-àdire qui a connu la fraude originaire faite aux droits des créanciers: il y a alors le délit civil déjà mentionné. Mais, si le sous-acquéreur a ignoré cette fraude, s'il a été de bonne foi en recevant la chose, alors on fait gé. néralement une distinction: on met à l'abri de la révocation le sous-acquéreur à titre onéreux et on y soumet le sous-acquéreur à titre gratuit, tonjours sous le prétexte “qu'il cherche à retenir uu gain, en face de ceux qui cherchent à éviter une perte.” Là est l'exagération.
Le Projet se sépare ici de l'opinion commune: il protége également tous les sous-acquéreurs de bonne foi, quelle que soit la nature de leur titre d'acquisition. En effet, il n'est pas exact de dire qu'un sous-acquéreur par donation qui a ignoré la fraude faite aux créanciers “ne cherche qu'à conserver un gain,” il ne faut pas dire non plus qu'il est enrichi indûment du bien d'autrui, ce qui le soumettrait aux obligations nées du quasi-contrat. Assurément, un donataire qui a pu considérer une libéralité comme valablement acquise et qu'on en dépouillerait ensuite, ne serait guère moins lésé qu'un acheteur: il a pu changer son mode d'existence, se marier, entreprendre un commerce ou une industrie et le dépouillement serait la ruine. Lorsqu'il s'agit d'un donataire direct du débiteur frauduleux, on peut lui imputer quelque imprudence, notamment, de ne pas s'être assuré de la situation du do. nateur; mais, quand le donataire est un sous-acquéreur, il ne connaît pas nécessairement l'auteur de la première aliénation, aucune faute ne lui est imputable.
On n'hésite pas à se séparer ici de l'opinion commune: on peut, d'ailleurs, invoquer le Code italien comme un précédent, car l'article 1235 de ce Code ne permet pas d'atteindre “les sous-acquéreurs qui n'ont pas participé à la fraude,” et il ne distingue pas non plus si leur titre est onéreux ou gratuit.
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(n) Cette formule est connue et vient des Romains: Potior est qui certat de damno vitando quàm qui certat de lucro captando, “celui qui lutte pour éviter une perte est préférable à celui qui cherche à faire un gain.
(o) Il y a encore, à cet égard, un axiôme latin: In pari causâ, melior est causa possidentis, “dans deux situations semblables, celle du possesseur est la préférable.”
Art. 363. — 165. La première des solutions de cet article est indiscutable. Il y a plus de difficulté sur la seconde.
Assurément, les créanciers qui n'ont traité avec le débiteur qu'après l'acte frauduleux ne peuvent dire qu'ils sont fraudés: ils ont dû connaître la position du débiteur, l'état actuel de son actif et de son passif, ils ne sont pas trompés; l'action révocatoire ne peut donc appartenir qu'aux créanciers antérieurs aux actes frauduleux.
166. Mais ce serait exagérer leur avantage que de soutenir, comme on l'a fait, que le profit de la révocation ne doit aussi appartenir qu'à eux seuls: ce serait faire deux catégories de créanciers et deux masses de biens à distribuer, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de la faillite et de la déconfiture.
L'effet de la révocation doit être de rétablir les choses dans l'état où elles auraient été si l'acte frauduleux n'avait pas eu lieu. Ainsi, s'il y a eu engagement frauduleux envers un créancier, ce dernier sera seul écarté de la distribution des biens du débiteur et son exclusion devra profiter à tous les autres; s'il y a eu renonciation frauduleuse du débiteur à une créance, celui au profit duquel elle a été consentie devra payer sa dette et tous les créanciers en bénéficieront. Il n'en doit pas être autrement au cas d'aliénation révoquée, la chose rentrée dans les biens du débiteur sera vendue et le prix en sera distribué entre tous les créanciers. Toutefois, si celui contre lequel la révocation est prononcée avait lui-même fourni une contre-valeur, il figurerait avec les autres dans la distribution, pour la restitution qui lui est certainement due.
Le texte réserve, en terminant, le cas où il y aurait. entre les créanciers des causes légitimes de préférence: c'est toujours l'application de l'idée que l'acte révoqué est censé non avenu. Ainsi, ceux des créanciers qui pouvaient avoir sur la chose un droit de gage ou d'hypothèque le conserveront comme droit réel; il pourra même arriver que la préférence soit née de la révocation elle-même: ainsi, le créancier qui a fait les poursuites sera remboursé par préférence aux autres, sur la valeur du bien recouvré, des avances et frais qu'il a faits pour le procès: c'est un cas de privilége fondé sur l'idée de service rendu à la masse, c'est-à-dire à tous les créanciers.
Art. 364. — 167. Le délai de trente ans sera pro bablement admis ultérieurement comme étant la plus longue prescription des actions personnelles, ce qui est le cas de l'action révocatoire. Ce délai est considéré ici comme largement suffisant pour que les créanciers puissent connaître la fraude dont ils ont été victimes. Mais, si la fraude est une fois connue, le délai de dix ans pour agir est suffisant aussi. Si la fraude n'avait été découverte qu'après vingt ans depuis l'acte frandulenx, il ne resterait plus pour agir que ce qui resterait à courir des trente ans. Législativement, on pourrait ne donner qu'un délai plus court, de cinq ans, par exemple, ou même d'un an, mais dont le point de départ serait toujours la déconverte de la fraude; il y a des exemples avalogues dans la loi française (voy.c. civ., art. 1304; c. pr.civ., art. 488). Mais ce système a le grand inconvénient de laisser peser une trop longue incertitude sur les droits, car la fraude peut n'être découverte que très-tardivement et de pareils procès deviennent, avec le temps, fort difficiles à juger.
COMMENTAIRE.
Art. 365. — 168. La disposition de cet article est encore une des plus importantes du droit privé: elle est un de ces principes constamment invoqués dans les discussions d'espèces et qu'on doit toujours avoir présents à l'esprit; il a déjà été cité ici plus d'une fois, à l'appui de certaines dispositions de la loi (v. notamment, p. 110 et 114). Il forme l'objet de l'article 1165 du Code français et de l'article 1130 du Code italien (a).
Le principe est facile à justifier, surtout dans la seconde proposition qui met les tiers à l'abri des conséquences de conventions auxquelles ils n'ont pas participé: il est clair que nul ne peut voir diminuer ses droits, moins encore qu'augmenter ses charges, par un fait auquel il est resté étranger; nul ne doit souffrir du fait d'autrui; quand un tel mal est produit par un fait d'autrui, il doit être réparé; mais il ne pourra pas être produit par un droit d'autrui: il suffit pour le prévenir que la loi s'y oppose.
La première proposition est moins commandée par la justice que par la raison: aucun intérêt ne serait lésé, si les conventions faites entre deux parties profitaient à un tiers qui n'y a pas participé; mais ce serait contraire à l'ordre naturel des choses: on a même vu (p. 114) que le stipulant lui-même ne pourrait, au moins en règle générale, se prévaloir d'une stipulation qu'il aurait faite au profit d'un tiers.
169. Mais les deux propositions peuvent recevoir des exceptions et c'est à la loi à les déterminer.
Déjà, on a vu que la stipulation pour autrui est valable dans deux cas indiqués par l'article 344; mais, c'est à peine si l'on peut dire que, dans ces deux cas, il y a exception au principe, car, avant que le tiers ait déclaré accepter la stipulation, le bénéfice ne lui en est pas acquis irrévocablement, ce n'est même pas à lui qu'appartient l'action, mais au stipulant, et, après son acceptation, il n'est plus étranger à l'acte, il y est participant (v. art. 346).
Il y aura probablement d'autres exceptions et plus complètes: notamment, dans la matière du Contrat de mariage, où des avantages pourront, sans doute, être stipulés au profit des enfants à naître du mariage et leur donneront une action directe à l'abri de la révocation des contractants.
La loi admettra probablement aussi quelques exceptions à la règle inverse, qu'une convention ne peut être opposée qu'à ceux qui y ont pris part.
En France, on en rencontre quatre principales, dans les articles 826 du Code civil, 507 et 532 du Code de commerce et dans une loi du 21 juin 1865, art. 12, sur les associations syndicales. On y voit des co-intéressés (cohéritiers, co-créanciers, co-propriétaires) prenant, à une certaine majorité, des délibérations qui lient la minorité, quoiqu'elle n'y ait pas consenti et mêne y ait résisté.
Il faut, du reste, se garder de considérer comme exception au principe le cas où des associés prennent, à la majorité des voix, des décisions qui lient la minorité des associés: en pareil cas, si la force de la délibération est opposable à tous, c'est que les statuts de la société l'ont décidé et les statuts ont été préalablement votés à l'unanimité ou acceptés individuellement par chaque associé, au moment de son entrée dans la société.
170. Les articles suivants vont présenter d'autres dispositions qui, dans une certaine mesure, ont aussi le caractère d'exceptions à la seconde règle, ce qui explique leur place dans ce g: ou y verra des conventions nuisaut aux tiers et ces tiers ne seront autres que des personnes ayant été parties dans une autre convention antérieure; mais il y aura à cela une raison particulière, c'est qu'ils n'auront pas fait tout ce que la loi leur prescrivait pour conserver leur droit.
Ces dispositions sont au nombre de trois: les deux premières sont l'objet des deux articles suivants; la troisième, infiniment plus difficile daus son application et ses détails, occupe les articles 368 à 375.
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(a) Le double principe énoncé en cet article se trouve formulé dans un célèbre axiðme latin: Res inter alios acta aliis neque nocere neque prodesse potest:" l'acte passé entre les uns ne peut ni nuire ni profiter aux autres.” En changeant le mot acta en judicata, on arrive à un autre axiðme, non moins célèbre et juste: “la chose jugée entre les uns, etc."
Art. 366. — 171. Cette disposition est empruntée à l'article 1141 du Code français et à l'article 1126 du Code italien qui a fourni spécialement le 2 alinéa.
Il faut bien se garder de voir dans l'avantage attribué ici à la possession un retour à l'ancienne théorie d'après laquelle la tradition était nécessaire pour la translation de la propriété. Lorsqu'il y a eu deux aliénations successives d'un meuble, il n'est pas douteux que la propriété soit acquise au premier contractant, et, d'après le droit commun, le cédant n'a pu conférer une seconde fois le même droit; le second cessionnaire, n'étant que l'ayant-cause du cédant, ne devrait pas avoir plus de droit que celui-ci, et spécialement, il ne devrait pouvoir, en aucun cas, évincer le premier cessionnaire qui est un tiers par rapport à la seconde convention. Mais la loi considère que l'équité et l'intérêt général souffriraient également si un vouveau contractant était exposé lui-même à une éviction qu'il n'a pas prévue ni pu prévoir. Ne pouvant organiser une publicité proprement dite des aliénations de ineubles, comme elle en institue une pour les aliénations d'immeubles, la loi la considère comme utilement remplacée par la tradition réelle, c'est-à-dire par la mise en possession matérielle de l'acquéreur. Dès lors, celui qui achète ou reçoit en donation un meuble, déjà aliéné et qui n'est plus en possession du cédant, commet une imprudence dont il doit s'imputer les suites: il reste ayant-cause, avec les conséquences de cette qualité. Mais si, au contraire, le second acquéreur voit la chose dans les mains du cédant, ce n'est plus lui qui est en faute, mais le premier acquéreur qui n'a pas exigé la tradition. Les situations sont alors interverties par la loi, qui donne la qualité d'ayant-cause au premier acquéreur et celle de tiers au second: celui-ci n'est pas tenu de respecter une aliénation, même antérieure, qu'il n'a pu connaître; dès lors, la seconde convention nuit à une personne qui n'y a pas figuré et le présent article devient une nouvelle exception à la règle de l'article précédent, c'est pourquoi la loi l'y rattache par le mot toutefois.
172. La loi subordonne cette préférence donnée au possesseur réel à deux conditions qui complètent l'équité de la disposition:
1° Il faut que le possesseur soit de bonne foi, c'està-dire qu'il ait ignoré la première cession. La loi a soin, à ce sujet, de se prononcer sur un point qui, sans cela, ferait difficulté, au Japon comme en France: fautil exiger la bonne foi, non-seulement au moment de la convention, mais encore au moment de la prise de possession ? La loi ne l'exige qu'au moment de la convention; c'est là, en effet, que, les choses étant encore entières, le nouvel acquéreur doit s'abstenir de traiter, s'il connaît la première cession; mais, une fois ce moment passé, si la loi l'obligeait à s'abstenir de demander et de prendre la possession, parce qu'il a découvert une cession antérieure, elle lui imposerait le sacrifice d'un droit sur lequel il a raisonnablement compté.
2° Il faut encore que le nouveau cessionnaire n'ait pas eu, au moment du contrat, l'administration des biens du premier acquéreur: autrement, il aurait eu l'obligatiou de prendre la possession pour celui-ci et surtout de ue pas la prendre pour lui-même; tel serait le cas d'un tuteur ou d'un mari qui acquerrait un meuble déjà cédé à son pupille ou à sa femme.
173. Toute cette théorie, qui donne la préférence et la qualité de tiers à celui des deux cessionnaires qui possède effectivement, peut paraître, au premier aspect, hardie et singulière, et elle ne serait pas suffisamment justifiée comme quelques personnes le croiraient par la règle précitée: “dans deux situations également favorables, on préfère celle du possesseur:”ici les situations ne sont pas égales, puisqu'il y a la priorité de contrat en faveur de l'un des cessionnaires. Mais, outre que cette théorie est, comme on l'a fait remarquer, aussi juste qu'utile, elle est, de plus, en parfait accord avec une autre théorie non moins importante du droit nouveau, laquelle fait acquérir les meubles par la possession fondée sur un juste titre avec bonne foi (voy. c. civ. fr., art. 2279), sans qu'elle ait besoin d'une durée déterminée, d'où son nom ordinaire de “prescription instantanée (comp. T. I”, p. 394-395).”
Du moment que le présent article repose tout entier sur la prescription, il faut encore eu subordonner l'application à une troisième condition que la loi ne mentionne pas, pour ne pas anticiper sur la matière de la prescription, et parce que les règles n'en sont pas encore toutes adoptées en principe, c'est qne la qualité respective des deux cessionnaires ne soit pas un obstacle à ce que l'on puisse prescrire contre l'autre. Ainsi, si le premier acquéreur était un mari et que le second acquéreur fût sa femme, celle-ci ne pourrait se prévaloir de sa possession contre le mari (voy. c. civ. fr., art. 2253), et ce n'est plus par la raison de l'adminis. tration des biens, laquelle suffirait, au contraire, si on supposait que le premier acquéreur fût la femme.
Si, maintenant, l'on suppose qu'aucun des cessiounaires n'a été mis en possession réelle, on retrouvera l'application de la règle que la propriété a été transférée au premier par le seul consentement: c'est lui qui triomphera dans l'action en revendication qui serait intentée par l'un ou par l'autre; si le cédant est insolvable, il ne subira pas le concours avec les créanciers et il se fera délivrer la chose, à l'exclusion de ceux-ci; enfin, les créanciers du cédant ne pourraient jamais critiquer la seconde cession comme faite en fraude de leurs droits, par application de l'article 360, car le bien n'appartenait plus à leur débiteur au moment de cette seconde cession.
174. Le premier alinéa du présent article en restreint l'application aux meubles corporels, de manière à en exclure les créances ou droits personnels qui sont des choses incorporelles: ces choses, en effet, bien que susceptibles de possession (voy. T. Ie", pp. 338 et 339), ne s'acquièreut pas par la prescription instantanée. Mais le 2° alinéa fait une exception en faveur des créances ou titres au porteur et y applique la disposition qui nous occupe. On sait, en effet, que les titres au porteur sont des actes constatant une obligation (généralement de l'Etat ou d'une grande corporation) au profit de quiconque possède, détient le titre, avec juste cause et bonne foi; il est donc naturel que la possession de ces titres produise le même avantage, pour un second cessionnaire au préjudice du premier, que s'il s'agissait d'une chose corporelle.
Les titres au porteur ne sont pas encore très-répandus au Japon, mais ils y sont connus et il a paru bon d'insérer dans la loi une disposition les concernant, comme l'a fait le Code italien (art. 1130).
En France, la jurisprudence supplée, dans le même sens, au silence de la loi.
Art. 367. — 175. Le Code français et le Code italien n'ont traité de la cession ou transport des créances qu'au titre de la Vente, ce qui est un défaut de méthode, puisque les créances sont susceptibles aussi d'être données et que certaines particularités de la cession des créances, justement celles qui sont l'objet du présent article, sont communes aux cessions à titre gratuit et à celles qui se font à titre onéreux; la vente d'ailleurs n'est pas le seul acte qui puisse opérer une cession de créance à titre onéreux: outre l'échange, on peut citer la dation en payement, la mise en société, la transaction, et il faut y assimiler, au point de vue qui va vous occuper, la dation en gage ou en garantie, laquelle, bien que n'opérant pas cession proprement dite, donne au créancier gagiste un droit de préférence qui demande les mêmes mesures de précaution.
Ce qui peut sans inconvénient être réservé au Chapitre de la Vente, c'est la garantie d'éviction et celle de la solvabilité du débiteur cédé, qui n'ont pas lieu dans les cessions gratuites.
176. La cession de créance est d'une très-grande importance pratique et les dispositions du Code français sur cette matière (voy. art. 1295 et 1689 à 1695.) pe laissent pas que de donner lieu à beaucoup de difficultés. On a essayé de les prévenir ici. Il ne s'agit, du reste, comme on le voit, à la lecture de l'article, que de la manière de donner à la cession une sorte de publicité, on, au moins, de la porter à la connaissance des intéressés.
Le Code français (art. 1690) et le Code italien (art. 1539) disent que le cessionnaire n'est saisi, investi, du droit cédé, “à l'égard des tiers,” que par la signification on l'acceptation. L'expression tiers est ici tout-à-fait impropre; elle est absolument le contraire de celle qu'il fallait employer: c'est surtont à l'égard des futurs ayant-cause du cédant que le cessionnaire doit prendre certaines précautions de publicité; c'est pour leur imposer cette qualité et garder pour lui celle de tiers qu'il doit les avertir, ou leur fournir le moyen d'information qui les préservera du danger de devenir ayant-cause d'un cédant qui n'a plus de droits à leur céder.
Supposons un instant que la cession de créance ne fût soumise à aucune publicité; voici comment les choses se passeraient: le cessionnaire opposerait son droit: 1° au débiteur lui-même, qui ne pourrait plus valablement payer au créancier cédant; 2° aux créanciers du cédant, lesquels ne pourraient plus faire de saisie-arrêt ou opposition sur cette créance qui n'appartient plus à leur débiteur; 3° aux cessionnaires postérieurs, qui ne pourraient plus valablement acquérir une créance déjà aliénée. Ces personnes auxquelles le droit du premier cessionnaire serait opposable se trouveraient évidemment ayant-cause du cédant et tenues de respecter ses actes antérieurs; le cessionnaire lui-même serait ayant-cause pour les actes antérieurs au sien (par exemple, pour un payement partiel ou une transaction qui diminuerait la créance); mais il serait tiers pour les actes postérieurs.
Cependant, cette situation serait très-défavorable à la confiance générale: elle exposerait les contractants à des surprises et à des déceptions qu'il ne dépendrait pas d'eux d'éviter. La loi, ne pouvant considérer ici la délivrance ou remise des titres comme une publicité suffisante, en a organisé une autre; mais, lorsqu'elle soumet la cession à une certaine publicité, elle ne fait autre chose que de subordonner le maintien de ces positions respectives à une condition facile à remplir par le cessionnaire et qui, justement, suffit à prévenir le danger signalé que courraient les ayant-cause.
177. Il faut maintenant expliquer comment les formalités prescrites tiennent lieu de publicité.
D'abord, il y en a deux: 1° la signification ou notification de la cession au cédé, laquelle peut être faite, soit par le cédant, soit par le cessionnaire, conjointement avec le cédantou autorisé par lui, au moins quand la cession est sous seing-privé (b); 2° l'acceptation du cédé, soit dans l'acte même de cession, anquel il consent à intervenir, soit dans un acte séparé; cette acceptation doit être authentique ou, au moins, avoir date certaine, justement, parce que les difficultés à prévenir ne peuvent être que des questions de priorité sur l'époque respective des actes. Quant à la signification, elle aura aussi date certaine, devant être faite par un officier public.
L'avertissement ainsi donné au cédé suffira pour tous les intéressés: d'abord, il suffira pour le cédé lui-même, qui ne doit plus payer au cédant, ni faire avec lui aucune transaction ou convention libératoire qui nuirait au cessionnaire; il suffira aussi pour les créanciers du cédant qui voudraient faire saisie-arrêt sur la créance, et pour les personnes qui seraient disposées à acquérir la créance; car, avant de saisir ou de traiter, ces personnes ne manqueront pas de s'assurer, près du prétendu débiteur, s'il l'est réellement encore et quel est le montant de la dette; suivant la réponse qui leur sera faite (et dont ils feront bien de tirer une preuve écrite, en prévision d'une fraude ou d'une erreur), ils traiteront ou ve traiteront pas.
178. Le 2° alinéa indigne une différence notable entre les deux formalités: la signification, étant un acte auquel le cédé ne participe pas, ne peut lui nnire (art. 365); en conséquence, elle lui laisse le droit d'opposer au cessionnaire tous les moyens de défense qu'il aurait pu avoir contre le cédant, tels que la nullité absolue de l'obligation pour défaut de consentement, de cause ou d'objet, l'annulabilité pour vice de consentement on incapacité, ou toute cause extinctive de la dette, pour le tout ou pour partie; au contraire, l'acceptation, étant son œuvre, lui enlève ces moyens de défense, par une sorte de renonciation à ses droits ou de confirmation de la dette. Le Code français n'a indiqué cette différence entre les deux formalités que sur un point, celui de la compensation (voy. art. 1295); il faut nécessairement généraliser cette disposition. Le seul cas douteux serait celui de la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par une ratification; mais l'obligation commencerait avec le nouveau consentement, si d'ailleurs elle avait une cause et un objet valables.
179. Le 3° alinéa suppose que le cessionnaire a tarde à faire la signification ou à obtenir l'acceptatiou et il en indique les conséquences: si le débiteur cédé paye ou se libère antrement vis-à-vis du cédant, si des créanciers de celui-ci font une saisie-arrêt entre les mains du cédé, si un autre cessionnaire signifie me nouvelle cession, ce sont ces personnes qui sont préférées, ce sont elles qui se trouvent tiers par rapport à la cession qu'elles ont ignorée et c'est le cessionnaire qui se trouve ayant-cause du cédant par rapport aux actes qu'il est tenu de respecter.
180. La loi ne se borne pas à déduire les conséquences du défaut de signification ou d'acceptation en temps utile: elle tranche une question fort grave et elle le fait dans un sens émineminent équitable, mais que bien pen de personnes osent sontenir en droit frauçais. On décide généralement que si la siguification de la cession n'a pas en lien, elle est présumée inconnue des intéressés et on voit là une présomption légale absolue, c'est-à-dire n'admettant aucune preuve contraire; on n'admet pas la recherche de la bonne ou mauvaise foi des tiers, c'est-à-dire de la connaissance qu'ils pourraient avoir eue autrement de la cession antérieure. Cette solution est évidemment contraire à la justice et elle ne se trouve pas suffisamment justifiée par la prétendue nécessité d'éviter des procès difficiles.
Le Projet concilie la justice avec l'utilité générale, en admettant la preuve de la mauvaise foi, comme démenti à la présomption légale, mais en la limitant à l'aveu même de celui qui se prévaudrait du défaut de signification, ou à son refus de serment en justice, qui équivaut à un aveu tacite. Assurément, un débiteur qui avouerait qu'il connaissait la cession déjà faite, au moment où il a traité avec le cédant, ne serait pas digne de la protection de la loi, pas plus qu'un second cessionnaire qui avonerait avoir connu une cession antérieure non encore signifiée. Il en est de même des cas où ces personnes sommées (le jurer en justice qu'elles ont ignoré la cession, refuseraient de jarer en ce sens: ce serait me preuve d'honnêteté; mais la même honnêteté leur défend de se prévaloir d'un acte qu'elles ont malhonnêtement passé avec le cédant.
Lorsque le Projet traitera des Preuves (Livre V), on établira que l'aveu et le serment sont des preuves toujours admissibles, même coutre les présomptions légales les plus fortes, chaque fois, du moius, que l'intérêt privé est seul en jeu, et cela, parce que, daus ces preuves, l'adversaire est fait juge dans sa propre cause, et, s'il se condamne lui-même, la certitude est absolue.
Ce que le Projet ne permet pas, au moins en principe, ce serait de prouver la mauvaise foi par témoins ou par des présomptions de fait et encore la prohibition cesse lorsqu'il y a fraude concertée, collusion, entre le cédant et le nouveau cessionnaire, parce qu'alors il y a un délit civil caractérisé.
La même question et la même solution vont se représenter au sujet de la publicité à donner aux aliénations d'immeubles et, à cause de l'intérêt plus considérable de la matière, on s'y arrêtera davantage, en citant des textes à l'appui.
181. La loi ayant, dans l'article précédent, assimilé les créances aux porteur aux choses corporelles, le présent article reste limité aux créances nominatives; mais quelques-unes encore sont régies par d'autres règles, ce sont les créances ou titres cessibles par voie d'endossement et connus généralement sous le nom d'effets de commerce. C'est au Code de commerce qu'il en sera traité et l'on y verra que l'endossement, révélant, sur l'acte même, la cession de la créance, constitue pour les intéressés une publicité suffisante..
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(b) La loi française (art. 1691) ne fait pas de différence entre la signification faite par le cédant et celle faite par le cessionnaire; mais il y a un grave inconvénient à ne pas exiger la participation du cédant à la signification d'une cession sous seing-privé: il pourrait y avoir faux par un prétendu cessionnaire, signification d'une cession imaginaire, d'où résulterait le dépouillement du vrai créancier, si l'on admet la validité du payement fait de bonne foi par le débiteur (voy. art. 479, ci-après; comp. c. civ. fr., art. 12 40), ou un préjudice pour le débiteur, s'il devait payer une seconde fois au véritable créancier.
Art. 368. — 182. On a reconnu, dans les temps modernes, la nécessité de donner une véritable publicité anx aliénations d'immeubles et aux cessions on constitutions de tous autres droits réels formant démembrement de la propriété immobilière. Il serait tout-àfait contraire à l'intérêt général que celui qui a cru acquérir un droit immobilier, en traitant avec celui qui paraissait investi du droit cédé, fût exposé à en être évincé par un cessionnaire antérieur dont il n'avait pu connaître les droits. Les observations présentées cidessus, au sujet des mesures prises par la loi, dans le but d'éviter ce danger, à l'égard des cessions de menbles corporels ou incorporels, dispensent d'insister sur ce point. On indiquera seulement par qu'elles phases successives a passé la législation française, sur les cessions d'immeubles.
On a déjà mentionné plus haut (p. 136) les dispositions de certaines coutumes du nord de la France qni exigeaient, pour la validité des mutations d'immeubles, une formalité appelée insinuation, laquelle avait beaucoup d'analogie avec la transcription moderne et en fut évidemment l'origine.
Une loi célèbre du 11 brumaire an VII (16pov. 1798) a établi, avec un soin tout particulier, la transcription des aliénations d'immenbles et l'inscription des hypothèques.
183. Lors de la rédaction du Code civil, en l'an XII (1804), il se produisit quelque désaccord au sujet du maintien de la transcription: on l'admit bien sans difficulté pour les donations (voy. art. 939), mais on hé. sita pour la vente et les autres contrats à titre onéreux; de là, l'article 1140 qui renvoie à statuer sur ce point ans titres de la Vente et des Hypothèques. Lorsqu'on rédigea le titre de la Vente, la question fut encore réservée, seulement on sembla la décider en faveur du maintien de la transcription, car l'article 1583, réglant l'effet du consentement, dit qu'il "rend la vente parfaite entre les parties et transfère la propriété à l'acheteur à l'égard du vendeur,” ce qui semble bien dire, implicitement, qu'à l'égard destiers (on, mieux, des ayant-cause), il faudra quelque chose de plus que le consentement.
Lorsqu'on arriva au titre des Priviléges et Hypothèques, il fallut bien se prononcer définitivement; on suivait d'aillen's, presque de point en point, la loi précitée de l'an VII, laquelle subordonnait la conservation du privilége du vendeur à la formalité de la transcription.
Après une assez longrie discussion, le maintien de la transcription fut formellement admis au Conseil d'Etat et l'article 9] qui la consacrait, en reproduisant l'article 26 de la loi de Brumaire, fut réservé pour un changement de rédaction. On conserva en même temps les dispositions de détail sur les effets de la transcription à l'égard du privilége du vendeur (art. 2108).
Mais quand, deux jours après, le Projet de loi revint au Conseil d'Etat, l'article principal consacrant la transcription ne s'y trouvait plus et personne ne parut le remarquer (c).
Toutefois, si cette formalité ne figura plus dans la loi comme essentielle à la translation de propriété, elle y resta comme moyen de conserver et de publier le privilége du vendeur et comme préliminaire de la purge des hypothèques, c'est-à-dire d'une procédure assez compliquée qui tend à dégrever l'immeuble des priviléges et hypothèques, lorsqu'il est passé aux mains d'un tiers-détenteur.
La transcription resta également nécessaire au donataire d'immeuble, pour qu'il pût opposer son droit aux ayant-cause du donateur, même postérieurs à la donation, lesquels lui étaient préférés, s'ils avaient eux-même transcrit ou inscrit leur droit les premiers (art. 939 à 94.2); comme aussi le donataire qui avait fait la transcription primait les autres donataires ou les créanciers privilégiés ou hypothécaires qui avaient négligé de publier leur droit sur l'immeuble (d).
Ce système, résultant d'une incroyable inadvertance, souleva bien des objections dans la pratique et les pouvoirs publics s'en émurent souvent. On voyait, en effet, des propriétaires malhonnêtes aliéner leur bien une première fois, d'une façon plus ou moins clandestine, puis l'aliéner une seconde fois ou l'hypothéquer. Comme ils n'avaient plus de droits à conférer par la seconde convention, les nouveaux ayant-cause étaient évincés par le premier qui était tiers à leur égard; ils avaient bien l'action en garantie contre leur cédant, mais, le plus souvent, ce recours était rendu illusoire par l'insolvabilité de celui-ci.
184. Cette situation dura jusqu'en 1855 (23 mars), époque où une loi, aussi célèbre par son importance que par les nouvelles difficultés qu'elle a fait naître, est venue rétablir, avec qnelques améliorations, le système de Brumaire an VII. Cette loi, trop laconique (elle n'a que douze articles), a été l'objet de nombreux et volumieux commentaires; mais elle est maintenant bien comprise: elle est entrée dans les habitudes de la pratique et il est à croire qu'elle restera désormais attachée au Code civil dont elle est devenue le complément.
Le Code italien en a adopté les principales dispositious (Liv. III, tit. xxII); il a même profité des critiques faites à la loi française, dans l'intervalle de dix ans qui a précédé la rédaction de ce Code, pour éclaircir quelques points et combler plusieurs lacunes (voy. art. 1932 à 1947); mais il est entré dans des détails d'esécution trop minutieux pour in Code civil (e).
Le Projet actuel se borne à poser les principes et renvoie au futur Code de procédure civile pour les détails d'application: ils y devront trouver place dans une 11® Partie consacrée à la procédure non contentieuse.
185. C'est à la sons-préfecture (goun on kou yakou sho) de la sitnation des biens objets de la convention qu'on a placé le registre destiné à recevoir les transcriptions et les inscriptious: on maintient par là, avec mpe légère modification, un usage déjà ancien (f); d'ailleurs, comme la publicité dont il s'agit est d'intérêt général, comme elle pourra favoriser aussi l'assiette ct la perception de l'impôt foncier, un siége administratif est plutôt indiqué que, par exemple, le greffe du tribunal (g).
Mais le système actuellement observé au Japon ne donne peut-être pas aux acquéreurs toute la sécurité désirable: l'acquéreur demande à la préfecture et en obtient un titre officiel ou authentique de son droit, lequel lui est délivré en vertu d'une convention particulière et contre la restitution du titre de l'ancien propriétaire. Il y a là plusieurs inconvénients: l'acquéreur ne connaît pas les propriétaires antérieurs à son cédant; en cas de procès en revendication dirigé contre lui, il est obligé de demander à la préfecture des renseignements qui peuvent être tardifs ou incomplets et qu'il ne peut contrôler; c'est une position défavorable. En outre, comme la loi n'oblige pas les préfectures ni les mairies à délivrer à tout requérant des certificats des droits qui portent sur les immeubles, il n'y a pas là de publicité véritable; sans doute, cela n'empêchera pas ceux qui veulent acquérir des droits sur l'immeuble, de traiter avec le propriétaire, parce qu'il justifiera de sa qualité par la représentation de son titre, lequel ne serait plus dans ses mains, s'il avait déjà aliéné ou même donné hypothèque; mais, si des créanciers non hypothécaires veulent connaître la situation de leur débiteur sans lui témoigner de défiance, il ne leur est pas facile d'y parvenir. L'insuffisance de la constatation et de la publicité actuelles des droits de propriété se fera encore bien plus sentir, si le régime hypothécaire est établi au Japon comme il l'est en Europe, notamment, si l'on y admet des hypothèques légales, et si les saisies immobilières sont faites par les créanciers et sous leur responsabilité, au lieu de l'être par les tribunaux.
186. L'article 368 indique cinq classes d'actes qui doivent être soumis à la transcription; il y a là, tout à la fois, plus et moins que dans la loi française de 1855: plus, par la généralité du 1er alinéa qui comprend tous les baux d'immeubles, quand la loi française n'y soumet que ceux de plus de 18 ans, plus aussi par le cas du 50 alinéa, emprunté à la loi du 3 mai 1841, art. 16; moins, en ce que l'on a écarté les quittances de loyers non échus, pour un motif donné plus loin.
187. Le 1or alinéa est très-large, il soumet à la transcription tous les actes entre-vifs qui confèrent à autrui, qui aliènent un droit réel immobilier; qu'il s'agisse de la propriété pleine, ou démembrée d'un de ses avantages, ou d'un de ces démembrements même, comme l'usufruit, l'usage, l'habitation, comme les droits de louage, d'emphytéose, de superficie ou d'antichrèse. Quelques uns de ces droits sont pourtant incessibles; mais la publicité conserve une grande utilité pour ceux qui traiteraient avec le constituant: ils sauront qu'il n'a plus la disposition de ces mêmes droits et que la propriété est déjà démembrée entre ses mains.
Il n'y a pas à distinguer si l'acte est authentique ou privé, parce que le but de la transcription est, la publicité, laquelle n'est pas obtenue par la forine authentique. Il n'y a pas à distinguer non plus si l'acte est à titre onéreux ou gratuit; les actes gratuits, il est vrai, ont toujours paru nécessiter la publicité, plus encore que les actes à titre onéreux: sans doute, parce que souvent le donateur garde long-temps la possession de la chose donnée; mais, aujourd'hui qu'on ne considère pas la tradition comme une publicité sérieuse, si ce n'est en matière de meubles (voy. art. 366), son absence ou son retard ne motive pas de disposition exceptionnelle.
Les principaux contrats nommés et à titre onéreux qui se trouvent soumis à la transcription, comme pouvant conférer des droits réels iminobiliers, sont, outre la vente et l'échange, qui seront tonjours les plus fré. quents, la société, le contrat de mariage, la transaction; comme contrats innommés, on peut supposer une dation en payement (art. 482), une novation (art. 511-1°).
188. La seule restriction apportée à la publicité des actes portant aliénation est qu'elle ne s'applique qu'aux actes entre-vifs; par conséquent, elle n'a pas lieu pour les dispositions testamentaires ou à cause de mort. D'abord, si elle devait être admise législativement, pour ces sortes d'actes, ce n'est pas ici qu'elle aurait sa place, car la loi de traite présentement que des contrats ou conventions. Mais, il a toujours paru difficile de soumettre les dispositions testamentaires à une formalité dont l'inobservation pourrait compromettre gravement les droits du légataire, sans qu'il y ait, le plus souvent, de faute à lui imputer. Ainsi, l'héritier qui connaît presque toujours le testament avaut le légataire pourrait, en se hâtant d'aliéner la chose léguée, à un tiers de bonne foi qui transcrirait le premier, dépouiller le légataire de la propriété qui lui a été léguée. Pour dispenser le légataire de la transcription, il suffira de ne pas l'y obliger, quand on traitera du testament, et, si on veut l'y soumettre, c'est au même moment qu'on le dira.
189. Quant à l'héritier légitime, qui succède par la disposition de la loi et non par la volonté de l'homme, qui acquiert aussi à cause de mort et non entre-vifs, il est également dispensé de la transcription; mais ce n'est plus par le même motif que le légataire: il est clair que, lors même qu'il ne connaîtrait son droit que, longtemps après le décès (soit parce qu'il n'aurait connu que, tardivement ce décès même, soit parce qu'il ignorait sa qualité d'héritier), il ne fait courir aucun danger à des acquéreurs dignes de protection: ceux qui, au lieu de traiter avec lui, ont traité avec un héritier apparent, avec une personne qu'ils ont crue héritier, lorsqu'elle ne l'était pas, sont en faute: ils sont victimes de leur imprudence. D'ailleurs, l'héritier représente le défunt et si l'on dit, au point de vue fiscal ou administratif, qu'il y a mutation, changement de propriétaire, on doit dire, au point de vue du droit civil, qu'il y a continuation de la personne juridique du défunt et que c'est le même droit de propriété et la même possession.
190. Mais, que décider du partage des immeubles effectué plus ou moins longtemps après le décès, lorsqu'il y a plusieurs héritiers ? Doit-il être transcrit ?
Même question, au sujet du partage entre associés, après la dissolution de la société, on entre co-propriétaires, lorsqu'ils veulent sortir de l'indivision.
Pour résoudre la question, il fant se reporter à ce qui a été dit de la pature du partage, au sujet de l'article 15 (T. 105, pp. 52-55): le partage n'attribue pas, De confère pas de droits nouveaux, il déclare des droits antérieurs; lorsqu'un co-héritier, un ex-associé ou un co-propriétaire reçoit un immeuble davs son lot, il est censé en avoir eu la propriété exclusive depuis que l'iu. division a commencé; il ne tient rien de ses co-proprié taires, mais de la cause première qui a créé l'indivision, qu'elle ait été ou non soumise à la transcription.
Cette dispepse de transcription, conséquence rigoureusement logique de la nature du partage, n'est pas sans danger pour les tiers, qui pourraient, dans l'ignorance du partage, traiter avec un des autres cohéritiers ou co-propriétaires; mais ils pourront, avec quelque précaution, éviter ce danger et, dans le doute, exiger la participation de tous les co-propriétaires à leur contrat, ce qui les garantira contre l'éviction de celui qui a reçu l'iinmeuble dans son lot.
191. Il reste à examiner s'il y a lieu ou non de faire la transcription pour trois moyens d'acquérir assez exceptionnels, l'occupation, l'accession et la prescription.
La négative parait la seule solution raisonnable.
D'abord, le texte de parle que “d'actes entre-vifs portant aliénation;” or, ces trois faits, l'occupation, l'accession, la prescription, ne sont pas des actes entrevifs, car ils ne sont pas passés, consentis entre les intéressés; ce sont des faits purement individuels de la part de celui qui acquiert, dans l'occupation et dans la prescription, ou même de la nature seule dans certaius cas d'accession, comme l'alluvion, et de la loi, dans l'acquisition d'une île aux riverains: il n'y aurait pas d'acte, qui pût être copié, transcrit sur les registres.
Mais cette raison tirée du texte, qui serait impérative, s'il s'agissait d'interpréter et d'appliquer une loi promulguée, perd toute sa force quand il s'agit, comme ici, d'une loi à faire, d'un Projet de loi: il serait facile, en effet, d'élargir le texte et d'assigner une forme particulière à la publicité.
Mais législativement, la solution doit être la même,
192. Et d'abord, pour l'occupation, la question même ne se présentera pas au Japon, pas plus qu'en France. L'occupation est l'acquisition de la propriété d'une chose sans maître, par la prise de possession première ou originaire; or, les immeubles, au Japon, ne sont jamais sans maître: ceux qui n'ont pas de propriétaire particulier appartiennent à l'Etat (art. 26); on ne peut donc les acquérir de l'Etat que par un contrat administratif en bonne forme, lequel sera, sans aucun doute, soumis à la transcription. Le seul cas qui pourrait faire doute est celui, fort rare, où un immeuble, étant abandonné par son propriétaire, devient la propriété de l'Etat, en vertu de la loi; mais on ne voit pas dans l'intérêt de qui la publicité serait exigée: ce ne pourrait être en faveur de ceux qui traiteraient avec l'ancien propriétaire depuis qu'il a abandonné l'immeuble, ce cas serait trop invraisemblable. Ce ne pourrait plus être que pour affranchir l'immeuble des droits antérieurement conférés et non publiés; mais il est préférable que ces droits soient respectés par l'Etat, lorsqu'ils lui seront révélés.
193. Pour l'accession, lorsqu'elle résulte de l'alluvion c'est-à-dire de l'augmentation lente et progressive d'une rive fluviale ou maritime, on ne comprendrait pas qu'elle fût soumise à la publicité de la transcription, ni à quel moment elle commencerait à l'être: le fait est journalier et pour ainsi dire continu; il est d'ailleurs public, patent, par lui-même.
La raison de décider est la même pour l'accession résultant de la naissance d'une île dans le voisinage d'un fonds riverain d'un cours d'eau (h).
194. Enfin, en ce qui concerne la prescription acquisitive d'un immeuble, il n'y a pas lieu, non plus, de la soumettre à la transcription.
D'abord, il arrivera le plus souvent que l'acte qni a motivé la prise de possession aura été transcrit comme juste titre, comme acte de nature à transférer la propriété (art. 194); lorsque le vice de ce titre impuissant à transférer la propriété, parce qu'il émanait d'un autre qne le propriétaire (a non domino), a été couvert par la prescription, la publicité primitive du titre se trouve avoir eu la même utilité qne si le titre avait été parfait à l'origine.
Cette raison ne s'applique plus au cas d'usurpation ou de prescription sans titre; mais il ne faut pas 011blier que l'une des conditions essentielles de la prescription acquisitive est une possession continue et publique; or, cette publicité continue de la possession peut raisonnablement être considérée comme équivalente à la transcription, si même elle ne lui est pas supérieure.
195. Le 2° alinéa de l'article 368 s'applique à des actes qui diffèrent plutôt par le nom que par le fond de ceux qui précèdent: si une convention modifie un droit précédemment acquis, elle y ajoute ou elle en retranche quelque chose; si elle ajoute au droit du cessionnaire, elle diminue ceux du cédant et, dès lors, ceux qui contracteront plus tard avec celui-ci ont intérêt à connaître la convention; si elle retrauche quelque chose au droit du cessionnaire, ce sont ceux qui traiteront avec ce dernier qui ont intérêt à la publicité; il en est de même, et à plus forte raison, au cas de renonciation totale à un droit réel établi sur la chose d'autrui.
Les démembrements de la propriété sont les seuls droits réels auxquels s'applique le 2° alinéa, parce qne ce sont aussi les seuls qui, par la simple renonciation, passent d'une personne à une autre, en retournant à la sonche dont ils ont été détachés. Il est vrai que si quelqu'un renonçait à un droit de propriété immobilière, son droit passerait à l'Etat; inais, outre que le fait est bien rare, il serait difficile de voir là une transmission directe du particulier à l'Etat: le bien serait d'abord devenu sans maître (nullius), ensuite, l'Etat tiendrait son droit de la loi, et le présent article ne s'y appliquerait pas. Ce n'est pas à dire que, dans ce cas, la transcription n'aurait aucun intérêt: elle tendrait, comme on l'a déjà fait remarquer, plus haut, à prévenir l'aliénation ultérieure du bien par celui qui l'avait abandonné; mais si l'hypothèse d'un abandon d'immeuble est déjà rare, celle d'uve aliénation ultérienre le sera davantage encore, non seulement parce qu'elle serait un acte malhonnête, mais parce que cet abandon, suivi d'une prise de possession par l'Etat, aura été notoire, par sa singularité même.
Il ne faut pas, quant à la publicité, assimiler à la renonciation aux démembrements de propriété leurs causes naturelles d'extinction: ainsi l'extinction d'un bail par l'expiration du terme fixé on d'un usufruit par la mort de l'usufruitier, n'est pas soumise à la transcription: ceux qui traiteraient avec le locataire ou le fermier au sujet de son droit pormalement éteint, seraient en faute, car la transcription du bail leur en a révélé le terme; à plus forte raison, seraient en faute ceux qui, après la inort de l'usufruitier, traiteraient avec son mandataire, igooraut sa mort, ou avec son héritier, ignorant que l'usufruit s'éteint par la mort. Mais le jugement prononçant l'extinction d'un usufruit pour abus de jouissance devrait être publié, conformément à l'article 372, parce que ce n'est pas une cause naturelle d'extinction du droit d'usufruit.
196. Le 3° alinéa suppose qu'un droit réel a été conféré par une couvention purement verbale, laquelle, on le sait, suffit entre les parties; or, on ne peut transcrire qu'un acte écrit, puisque transcrire c'est "copier une pièce écrite.” Mais, si l'acquéreur a prouvé son droit en justice, par témoins, par aveu ou par serment, ce jugement, portant reconnaissance du droit, devient, à son tour, une preuve écrite et authentique de la convention et il pourra être soumis à la formalité de la transcription.
Si les parties, après une convention verbale, étaient d'accord pour ne pas recourir à la justice, afin d'éviter des lenteurs et des frais, elles pourraient rédiger un acte spécial portant reconnaissance de la convention antérieure, lequel serait transcrit; ce ne serait pas une nouvelle cession, ce ne serait qu'une preuve de la première. La loi n'a pas besoin de prévoir ce cas particulier qui rentre suffisamment dans la règle.
La formule des 2 et 3° alinéas est générale, quant aux renonciations, pour plus de simplicité; mais il y en a qu'il sera inutile de transcrire, faute d'utilité, ce sont les renonciations au droit d'usage ou d'habitation et à ceux des baux qui ne sont pas susceptibles d'être cédés ou hypothéqués (voy. art. 116, 142 et 143); en effet, personne ne pouvant devenir ayant-cause particulier du titulaire de ces droits en traitant avec lui, il n'y a à prévenir aucune des surprises ou erreurs auxquelles pare ordinairement la publicité; à l'égard de ceux qui voudraient traiter avec le plein propriétaire, au sujet des mêmes droits, celui-ci aura tout intérêt en même temps que toute facilité à établir, par la production de l'acte même de renonciation, que les droits antérieurement transcrits comme grevant son fonds ont cessé d'exister.
197. Le 4° alinéa soumet à la trauscription les adjudications d'immeubles sur saisie: ce sont des actes translatifs de propriété immobilière; si la loi en fait l'objet d'une disposition spéciale, c'est que ce ne sont pas à proprement parler “ des actes entre-vifs,” ils ne sont pas passés ou consentis entre les parties intéressées, puisque l'une d'elles, le débiteur saisi, est considéré comme résistant et contestant. Le Code de procédure civile japonais soumettra certainement à la transcription la saisie immobilière elle-même; alors pour l'adjudication, il n'y aura plus qu'à en faire mention en marge de la saisie, comme cela a lieu en France (comp. c. pr. civ. fr., art. 678 et 716).
198. La loi française de 1855 (art. 2, n° 4) soumet à la formalité de la transcription les baux immobiliers de plus de dix-huit ans, pour qu'ils soient opposables à ceux qui traiteront avec le bailleur; il en résulte que les baux de moindre durée sont opposables à ceux-ci sans transcription. Le Code italien (art. 1932, no 5) a une pareille disposition, avec cette différence que la transcription est obligatoire même pour les baux de plus de neuf ans.
Le Projet n'ayant ici aucune règle particulière pour les baux d'immeubles, il en résulte que, quelle que soit leur durée, ils sont soumis à la transcription; il en est de même des cessions de bail ou sous-locations. La raison de cette différence est double: 1° dans le Projet, le bail donne un droit réel, tandis qu'il ne donne qu'un droit personnel en France et en Italie; 2° du moment que le bail, quelle que soit sa durée, doit être opposable aux ayant-cause du baillenr, il est nécessaire que ceuxci soient préalablement avertis de l'existence du droit; on peut donc reprocher une inconséquence aux deux Codes précités, en ce qu'ils admettent que les baux de moins de 9 on 18 ans, quoique ne constituant que des droits personnels, sont opposables aux tiers et cependant ne leur sont pas révélés par la transcription.
199. Les deux législations précitées soumettent aussi à la transcription les conventions qui enlèvent au bailleur trois années de loyers ou fermages non échus, telles que quittance anticipée donnée au preneur ou, cession de la créance desdits loyers. Le motif de la publicité donnée à ces actes est que le cessionnaire du fonds loué, étant tenu de respecter le bail, doit être averti qu'il n'aura rien à recevoir de ce chef pendant trois ans.
Le Projet japonais n'a aucune disposition à cet égard; mais la conséquence est, en sens inverse de la solution précédente, qu'aucune libération anticipée du preneur ou aucune cession de la créance à un tiers n'est soumise à la transcription et est cependant opposable à l'acquéreur, sauf son recours en garantie contre le cédant, comme daus toute autre cession d'une créance déjà éteinte ou n'appartenant pas au cédant (voy.c. civ. fr., art. 1693). En effet, il ne s'agit plus ici d'un droit réel immobilier aliéné, mais d'une simple créance éteinte on cédée; en outre, l'acquéreur du fonds loné, étant toujours averti de l'existence du bail par la transcription, ponrra s'assurer près du preneur si les loyers ou fermages lui seront payables, ou non, à partir du moment où il deviendra propriétaire, et il traitera en conséquence.
200. Bien qne l'expropriation pour cause d'utilité publique doive être réglée par une loi spéciale, à la fois civile et administrative, il paraît bon de déclarer, dès à présent (5° alinéa), que ce genre d'acquisition est soumis à la publicité du droit commun; l'utilité est la même: c'est d'empêcher que des particuliers n'achètent de l'exproprié un bien qui désormais est du domaine public; la loi ne distingue pas, du reste, si l'expropriation a été consentie à l'amiable on prononcée en justice.
201. La loi déclare enfin que la publicité des droits réels de privilége et d'hypothèque est réglée dans une autre partie du Code; ce ne sera pas une transcription à peu près intégrale du titre, mais une mention de sa substance, sous le nom d'inscription. C'est au Livre IVe qu'il en sera parlé, lorsque la loi traitera des droits réels accessoires formant la garantie des créances.
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(c) Il est à noter, du reste, que ces discussions, qui furent, ordinairement, si lumineuses et si bien conduites, présentent ici une certainc confusion. On y mêle, sans paraître s'en apercevoir, deux questions qui sont voisines, il est vrai, mais différentes: celle qui nous occupe, à savoir si la transcription sera conservée pour rendre les droits réels opposables aux tiers et celle de savoir si la transcription affranchira, purgera, les immeubles cédés des droits réels antérieurs. Contre cette dernière solution, on répète plusieurs fois que “ personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en "a lui-même; que la simple transcription ne purge pas les priviléges et “hypothèques qni grèvent le bien vendu." Ces vérités incontestables prennent place dans la loi (art. 2125 et 2182); mais ce qu'il fallait décider, et ce qu'on négligea, ce fut justement le point principal en litige, à savoir si les droits réels antérieurs à la transcription d'une aliénation, mais non transcrits eux-mêmes, tomberaient ou subsisteraient devant la transcription d'un titre translatif de propriété émané du même cédant.
La question ainsi posée ne devait pas faire de doute dans le sens de la déchéance des droits non transcrits: du moment que l'on songeait à maintenir la transcription, il en devait résulter cette double conséquence: lo que les droits transcrits seraient à l'abri de toute cession ultérieure, 20 que les droits non transcrits s'évanouiraient devant un titre transcrit, même postérieur en date. C'est ce que décida l'article 91 du Projet et ce qui fut mis en relief par Treilhard, Jollivet et Tronchet, non sang regrets même de la part de ce dernier.
On ne saura jamais comment l'article 91 disparut du Projet définitif et on ne comprend pas aujourd'hui l'inadvertance de tant d'intéressés: il semble qne, ce grand travail du Code civil touchant à sa fin, il y eût une lassitude générale et qu'on eût bâte d'en finir.
Ce qui prouve encore cette précipitation, c'est le Rapport de Grenier au Tribunat, sur le Projet: l'article 91 n'y figurait plus et cependant il. en déduit les conséquences énoncées plus haut; puis, il corrige son Rapport dans le sens opposé et distribue un Erratum imprimé à ses collègues, et cet incident n'écluire personne! Le même Rapport est ensuite lu au Corps législatif, avec la correction; les orateurs du Conseil d'Etat l'entendent, mais aucune objection n'est soulevée par ceux qui seuls pouvaient porter la parole devant cette Assemblée muette.
N.B.--On sait que sous la Constitution de l'an VIII, le Corps législatif ne discutait pas la loi proposée, mais l'acceptait ou la rejetait, après avoir entendu les orateurs du Conseil d'Etat et ceux du Tribunat.
Voir FENET, Travaux préparatoires du Code civil, T. XI:
P. 346, pour la proposition de l'article 91;
PP. 386-390, pour la discussion de l'article et l'établissement de ses conséquences logiques, soutenues par Treilhard, Jollivet et Tronchet;
P. 391, pour le renvoi au comité de rédaction;
P. 407, pour le retour du Projet où l'ancien article 91 ne figure plus;
P. 505, pour la correction du Rapport de Grenier au Tribunat, enfin,
P. 524, pour la répétition de ce Rapport au Corps législatif.
(d) Il est singulier encore que ce résultat nécessaire du système de la transcription, qui rencontra tant de résistance quand il s'agissait de la vente, n'ait soulevé aucune objection au sujet de la donation.
(e) On consultera aussi avec fruit la loi belge du 16 décembre 1851, qui a remplacé tout le Titre des Priviléges et Hypothèques et dont les Dispositions préliminaires sont consacrées à la Transcription.
(f) Aujourd'hui, dans les grandes villes, les registres des mutations d'immeubles et des hypothèques sont déjà tenus dans les kou yakou sho qui ont le caractère de sous-préfectures; dans les campagnes, ils sont généralement tenus aux mairies (ko-tcho yakou-ba); en plaçant les registres dans les sous-préfectures rurales, on les éloignera un peu plus des parties, mais les dépôts seront plus centralisés, la tenue en sera plus correcte et la conservation mieux assurée que dans les mairies.
La 1re édition du Projet plaçait les registres à la préfecture du fou ou ken; mais on propose de les rapprocher des parties: c'est, en méme temps, conserver en partie l'usage actuel.
(g) En France, les registres des transcriptions et inscriptions sont tenus aussi au chef-lieu de l'arrondissement (sous-préfecture); ils sont confiés à un officier public spécial appelé conservateur des hypothèques; celui-ci n'est pas rétribué par l'Etat qui pourtant le nomme: il perçoit un salaire, d'après un tarif, sur les transcriptions, inscriptions, radiations et certificats requis par les intéressés.
(h) La théorie de l'accession et celle de l'occupation se rencontrent ici par anticipation: on sait que c'est au Livre 11le qu'elles trouveront leur place naturelle, comme moyens d'acquérir la propriété (v. art. 31, 2° al.).
Art. 369. — 202. L'article 369 laisse aux intéressés le soin de requérir la transcription, après avoir justifié de leur qualité, de leur intérêt et de la sincérité du titre dont ils demandent la transcription; cette justification se fera, soit par des moyens de droit commun, soit dans une forme qui sera ultérieurement fixée au Code de procédure, ainsi que l'annonce le dernier alinéa. Il ne faudrait pas laisser les propriétaires exposés à ce que des transcriptions mal fondées fussent faites sur leurs immeubles et diminuassent ainsi leur crédit. Sans doute, une transcription indûment faite pourra toujours être annulée (art. 374), mais il vaut mieux prévenir les abus que les réprimer.
Avec ces précautions, il sera bon de donner au certificat de transcription un caractère de titre constatant le droit; mais il y aura là une difficulté: si la convention n'a été rédigée que sous seing-privé, il ne sera pas possible que le certificat de transcription ait une plus grande force probante que l'original: il n'y aura d'authentique que la déclaration de conformité. Ce sera encore un point à régler au Livre des Preuves.
203. Pour que la publicité résultant de la transcription soit efficace, il faut que toute personne puisse requérir un extrait des transcriptions ou inscriptions existant sur tel immeuble qu'elle désignera: le requérant pourra limiter sa demande aux mentions antérieures ou postérieures à une époque déterminée. Il y aura nécessairement à payer un droit, une taxe, suivant le nombre et l'étendue des extraits délivrés.
On pourrait, à la rigneur, autoriser les intéressés à examiner eux-mêmes les registres; mais ce procédé, s'il est moins dispendieux pour eux, présente des dangers d'altération des registres.
Ici, la loi n'exige pas que le requérant justifie de son intérêt, pour deux raisons: d'abord, aucun danger n'est à craindre pour le crédit légitime du propriétaire: il y perdrait, tout au plus, un crédit usurpé; ensuite, l'intérêt peut n'être pas encore né pour le requérant; par exemple, s'il s'informe avant de contracter.
204. Il devra être fait un règlement ministériel sur la forme et la tenue des registres de transcriptions. Il rentrera dans les attributions du Ministre de la justice d'organiser et de surveiller cette publicité qui sera une application du Code civil. On aura alors à se prononcer entre deux systèmes dont l'un, suivi en France, en Italie et en Belgique, rattache la transcription et l'inscription aux noms des intéressés, tandis que l'autre, suivi en Allemagne, le rattache aux immeubles. La différence des deux systèmes se révèle surtout dans les recherches à faire sur les registres: dans le premier système, les répertoires portent les noms des intéressés, cédants et cessionnaires, créan. ciers hypothécaires et débiteurs: les biens ne sont indiqués que secondairement; daus le second système, la classification se fait d'après les parcelles de terre et les maisons objets des conventions, et, sous chaque désigpation, on trouve le nom des ayant-droit. L'inconvénient, au premier cas, est que si une personne, avant de traiter avec un propriétaire, désire savoir s'il a bien et dûment cette qualité et si son immeuble est ou non grevé de dettes, la moindre erreur sur le bom, soit de la part dn requérant, soit de la part du rédactenr du répertoire, peut rendre les recherches très-difficiles; tandis que si les actes sont tous classés sous l'indication de l'immeuble, il est facile, au moyen d'un simple renvoi aux pages et articles du registre, de retrouver tous les noms des personnes intéressées et, par suite, tous les actes où elles ont figuré.
On pourrait, en adoptant le second système, combiner la publicité des mutations d'inmeubles avec le système cadastral qui nécessite un plan des parcelles de terre et une désignation des terrains bâtis. On pourrait aussi exiger que chaque propriété portât ostensiblement un numéro d'ordre répondant à celui qu'elle porte au plan cadastral et au registre des mutations.
Art. 370. — 205. Cet article présente les consé. quences du système de publicité des mutations; elles sout, par ce qui précède, rendues faciles à comprendre et à jastifier.
Si le premier acquéreur a fait transcrire son titre, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour empêcher que d'antres personnes, ignorant la cession, traitassent avec l'aucien propriétaire, pour acquérir de lui, soit la propriété même, soit des démembrements de la propriété, soit des sûretés réelles: celles-ci ne peuvent imputer qu'à elles-mêmes lenr imprudence, si elles ont négligé de consulter les registres. On pourrait cependant supposer qu'elles ont demandé au conservateur du registre un état des transcriptions et inscriptions et que, par erreur, celui-ci a omis de mentionner une transcription que ces personnes avaient intérêt à connaître; le cas est prévu par le Code français (art. 2197 et 2198) et l'est aussi dans le Projet japonais; en pareil cas, la fante du couservateur ne peut retomber sur celui qui å transcrit son titre, elle retombe donc sur celui qui a requis le certificat, sauf son recours contre le conservateur négligent (voy. art. 375).
Si, au contraire, le premier acquéreur n'a pas fait faire la transcription, ceux qui ont, plus tard, traité avec le précédent propriétaire, étant fondés à lui croire encore cette qualité, conserveront leurs droits. Il en est de même de ceux qui ont traité avec un usufruitier ou un preneur à bail, an sujet de son droit déjà cédé, mais sans qu'il y ait eu transcription. Bien entendu, pour que les derniers contractants soient préférables au premier, il est nécessaire, comme le texte le dit, qn'ils aient eux-mêmes fait faire la transcription ou l'inscription de leur titre, à moins qu'ils ne soient dans un cas d'exception (i).
206. On pourrait faire une objection assez spécieuse (et elle a été faite, ici, tout récemment) à la condition que les nouveaux contractants "aient transcrit euxmêmes leur titre," pour se prévaloir du défaut de transcription: on pourrait dire, et on a dit, que du moment que le premier acquéreur n'a pas révélé son titre avant la formation du nouveau contrat, il a causé au second contractant le dommage même que la loi voulait prévenir et qu'elle lui fait réparer en le déclarant déchu vis-à-vis de ce dernier et c'est ainsi d'ailleurs que le système général de la loi est justifié plus loin.
L'objection s'appliquerait de même, par identité de motif, au cas de cession de créance non signifiée avant une seconde cession par le même créaucier, et aussi au cas de ventes successives d'un meuble corporel dont aucune n'aurait été suivie de tradition.
Nous répondrons, tout d'abord, que le cas ne se présentera jamais en pratique, car le second cessionnaire n'aura pas l'imprudence d'intenter l'action tendant à établir la préférence qui lui est due, avant d'avoir luimême fait la transcription (ou la signification); autrement, il courrait le risque certain d'être devancé dans la publication. Mais si l'on suppose deux plaideurs décidés à ne pas transcrire et à faire juger par les tribunaux la question de principe, ce qui ne serait pas sans intérêt, il faut alors réfuter l'objection au fond.
Or, la base de l'objection, à savoir que le premier acquéreur, en ne transcrivant pas, a exposé le second contractant au danger de faire un acte nul et à lui préjudiciable, est facile à renverser: ce dernier ne courra aucun risque, s'il fait faire la transcription après s'être assuré qu'il n'existe pas encore d'autre transcription ou inscription, au sujet du même droit, et en n'exécutant pas la convention avant d'avoir consolidé son droit par la publicité requise.
En ontre, qu'y aurait-il de plus choquant que de voir le second contractant reprocher au premier de n'avoir pas observé la loi qui prescrit la transcription, alors qu'il ne l'aurait pas observée lui-même ?
Enfin, la meilleure preuve que l'objection n'est pas fondée, c'est qu'en la poussant à ses dernières conséquences, on arriverait à dire que, du moment que la transcription du premier acte n'aurait pas été faite avant la passation seule du second contrat, elle ne pourrait plus être faite utilement: les auteurs de l'objection n'oseraient sans doute pas soutenir ce singulier système, car cela reviendrait à dire que de deux contractants la loi préférerait toujours le second en date.
Il faut donc reconnaître que si les deux acquéreurs se présentaient devant le tribunal, sans qu'aucun eût transcrit un droit immobilier, ou signifié une cession de créance, ou reçu la tradition d'un meuble corporel, la décision devrait être en faveur du premier contractant: la priorité est l'avantage qui, avant la loi de transcription donnait la préférence; elle doit la donner encore, quand les parties négligent volontairement le secours que leur offre cette loi.
207. La loi, ici, ne parle pas seulement de ceux qui ont traité avec le propriétaire ou titulaire apparent des droits cédés: elle ajoute, ceux qui "ont acquis des droits du chef de celui-ci,” ce qui comprend des cré. anciers ayant acquis une hypothèque légale ou judiciaire et des créanciers, même chirographaires, ayant transcrit une saisie immobilière, avant la transcription d'une acquisition. Enfin, on remarque que la loi ne se place pas uniquement dans le cas où ce sont identiquement les mêmes droits qui ont été l'objet des conventions successives: il suffit qu'ils soient incompatibles: si le premier droit cédé était la nue-propriété et le second l'usufruit, ou réciproquement, il n'y aurait pas incompatibilité et les deux droits seraient maintenus, quel que fût l'ordre des transcriptions; mais, si le premier droit cédé était la pleine propriété, tous les autres droits cédés sur le même immeuble étant incompatibles avec elle, la priorité de transcription serait essentielle à considérer.
208. Un autre cas qui divise beaucoup les auteurs, en France, et que la loi laisse ici sous l'empire des principes de la matière, comme suffisant à le régler, est celui où un acquéreur, n'ayant pas transcrit, a cédé des droits à des tiers qui ont transcrit leur titre et non celui de leur auteur; dans ce cas, si l'ancien propriétaire cède de nouveau sur l'immeuble des droits incompatibles avec le premier, ceux qui les ont publiés sont préférables aux sous-acquéreurs qui pourtant ont transcrit les premiers; c'est qu'en effet la première acqui. sition, n'ayant pas été publiée, n'a pas dessaisi l'ancien propriétaire de la faculté de faire de nouvelles cessions valables en faveur des tiers.
209. La disposition la plus notable de l'article 370 est celle qui limite le bénéfice de la loi aux ayant-cause “de bonne foi.” On trouve bien une pareille disposition dans la loi belge précitée (Loi du 16 déc. 1851) dont l'article 1er ne permet de se prévaloir du défaut de transcription d'une précédente acquisition qu'à ceux qui ont, postérieurement, “contracté sans fraude;" mais, ni la loi italienne, ni la loi française, n'ont cette condition de bonne foi ou d'absence de fraude et il s'en faut de beaucoup qu'on soit d'accord pour l'y suppléer.
Sans doute, on admet, comme axiôme général de droit, que “la fraude altère tous les principes” (fraus omnia corrumpit), qu'elle ne peut être protégée par aucune des règles du droit; mais on ne veut pas ici appliquer l'axiôme: on craint qu'il ne s'élève constamment des procès sur le point de savoir si le nouvel acquéreur connaissait ou non le premier contrat, et l'on soutient que le but de la loi serait alors complétement manqué, car il a été de donner de la stabilité aux conventions. On prétend donc qu'il y a, en cette matière, deux présomptions légales, contre lesquelles aucune preuve contraire n'est admise.
Au premier cas, s'il y a eu transcription de la première acquisition, les ayant-cause qui ont traité postérieurement sont présumés avoir connu l'acte transcrit, ou s'ils ne l'ont pas connu, ils sont présumés négligents. Assurément, en pareil cas, personne n'admettrait la preuve contraire de cette présomption alternative, de ce dilemme (j), pas même dans l'hypothèse déjà signalée, où, par la faute du conservateur, la transcription faite n'aurait pas été mentionnée dans le certificat requis par le second contractant.
Au second cas, s'il n'y a pas eu transcription, on dit que la présomption légale est l'ignorance des ayantcause et qu'il ne doit pas être permis de prouver qu'ils ont eu connaissance de la première convention par une autre voie que celle de la transcription; on invoque même, à ce sujet, un article topique (directement ap.plicable) du Code français (art. 1071), d'après lequel "le défaut de transcription ne pourra être suppléé ni "regardé comme couvert par la connaissance que les “tiers-acquéreurs pourraient avoir eue de la disposi“tion par d'autres voies que la transcription (k).” La présomption d'ignorance d'un acte non transcrit, serait donc aussi forte que la présomption de connaissance d'un acte transcrit.
210. Mais il n'y a pas parité entre les deux cas. Nul ne doit ignorer ce qui est régulièrement publié, cela est indiscutable; mais, au contraire, quelqu'un peut savoir, en fait, ce qui était tenu secret. Le premier acquéreur qui a transcrit son titre a nécessairement le bénéfice de sa diligence; mais, s'il a été négligent, il peut aussi, par hasard, par uu heureux conconrs de circonstauces, avoir le même avantage: il n'y a, en cela, rien d'injuste ni d'illogique: tous les jours, les personnes négligent ce que la prudence exigerait qu'elles fissent pour la sauvegarde de leur corps ou de leurs biens et, cependant, elles ne sont pas toujours victimes de leur imprudence. La même chose se passe ici: dès que le nouvel acquéreur est informé de la première convention, par hasard ou autrement, le rou de la loi est satisfait.
Il s'est présenté en France plusieurs cas où l'équité et la raison défendaient que la mauvaise foi du nouveau contractant pût s'abriter derrière le défaut de transcription du premier acquéreur, et les tribunaux ont été divisés sur la solution: dans un cas, le nouvel acheteur avait été témoin à l'acte passé avec le premier acquéreur; dans un autre, il avait coopéré à l'acte comme rédacteur, en qualité de clerc du notaire; une autre fois, le premier acte avait été mentionné dans le second; dans un autre cas, le nouvel acqnéreur avait été averti par le premier de l'existence du contrat avté. rieur; enfin, il s'est présenté un cas où le nouvel acquéreur avait déjà acquis une servitude, en traitant avec le premier et l'avait, par cela même, reconnu comme propriétaire. Dans tous ces cas, le nouvel acquéreur, profitant de la négligence du premier, s'était bâté de faire transcrire son titre avant que celui-ci eût fait transcrire le sien et il prétendait l'évincer.
211. Evidemment, la loi qui organise la publicité des mutations n'est pas nécessaire pour celui qui connaissait déjà la première convention et ce n'est pas à lui qu'elle doit permettre de se prévaloir du défaut de transcription. L'objection tirée de l'article 1071 revient donc à dire que la présemption d'ignorance d'une aliénation non transcrite est absolue, c'est-à-dire ne comporte pas de preuve contraire (l); c'est, dit-on, une des applications de l'article 1352, d'après lequel “pulle “prenve n'est admise contre la présomption de la loi, “lorsque, sur le fondement de cette présomption, la “loi annule un acte ou dénie l'action en justice”. Mais il faut remarquer que cet article se termine par les mots: "sant ce qui sera dit sur le serment et l'aveu judiciaires.” Or, ce sont justement ces deux seules preuves qui sont admises par le Projet, pour établir la mauvaise foi du second contractant, en l'absence de transcription du premier contrat (comp. 2° al. et art. 367).
En effet, si l'on se reporte à ce que la loi française dit plus loin de l'aveu et du serment judiciaires, on voit que "l'aveu fait pleine foi contre celui qui le fait" (art. 1356), que “le serment peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit” (art. 1358); “que celui auquel le serment est déféré, qui le refuse “et ne consent pas à le référer, doit succomber dans sa “demande ou dans son exception” (art. 1361). Si donc celui qui veut se prévaloir du défaut de transcription, avoue, soit dans la procédure d'interrogatoire sur faits et articles (voy. c. proc. civ. fr., art. 324 et suiv.), soit dans une comparution volontaire en justice, soit dans une correspoudarce non contestée, qu'il connaissait la première aliénation, quoique non transcrite, il devra sucomber dans sa prétention à la priorité. Il faudra même assimiler à l'aveu écrit, les cas précités où il aurait figuré comme témoin dans la première aliénation et celui où le nouvel acte, signé de lui, contiendrait une mention formelle du premier acte non transcrit.
Quant au serment, on peut supposer qu'il a été déféré au nouvel acquéreur sur l'ignorance réelle où il prétendait être de la première aliénation et qu'il a refusé de jurer.
Ceux qui contestent ici l'application de l'aveu et du serment, allèguent que ces preuves ne sont pas admises quand il s'agit de faire tomber une présomption d'ordre public, ce qui est exact d'ailleurs; or, selon eux, tout ce qui concerne la publicité des mutations de propriété est d'ordre public.
Il y a là une nouvelle méprise. Sans doute, lorsque la loi organise un système de publicité, elle se préoccupe de donner la sécurité aux contractants, en général; elle veut déjouer la mauvaise foi, protéger la bonne foi, fortifier le crédit; c'est dans le but général de la loi qu'il y a une idée d'ordre public ou d'intérêt général; mais, lorsqu'un conflit d'intérêts s'élève devant un tribunal, au sujet d'actes transcrits ou non transcrits, il n'y a plus en jeu que deux intérêts privés et le but de la loi sera d'autant mieux atteint qu'on ne la fera pas servir à protéger celui des deux adversaires qui est de mauvaise foi.
212. Quoique l'opinion énoncée ici et consacrée par le Projet n'ait pas cours en France, il est facile de reconnaître, quand on parcourt les travaux préparatoires de la loi de 1855 (l'Exposé des motifs, les Rapports des commissions et la discussion), que le but essentiel de cette loi a été de déjoner la mauvaise foi du premier acquéreur qui pouvait laisser ignorer son titre, par collusion avec le vendeur, et de protéger un nouveau contractant qui traitait de bonne foi avec le même vendeur et se trouvait ensuite évincé par le premier acheteur, sans avoir aucune imprudence à se reprocher: les idées “de bonne foi et de mauvaise foi” se trouvent constamment répétées; c'était là la seule préoccupation du législateur. Aujourd'hui, le même danger n'existe plus: si la première aliénation n'est pas transcrite, le nouveau contractavt est présumé l'ignorer, et il traite valablement; mais la loi ne peut avoir voulu, en fermant une voie à la mauvaise foi, lui en ouvrir une autre, et, après avoir déjoué la mauvaise foi du premier contractant, favoriser celle du second; c'est pourtant ce qui arrive, si l'on n'admet pas que la présomption de bonne foi de celui-ci puisse être contredite par les deux preuves où il se juge et se condamne lui-même, par son aveu et par son refus de serment.
213. Ceux qui combattent en France le système exposé ci-dessus font déjà une concession très-compromettante pour leur opinion: ils autorisent la preure de la mauvaise foi du nouvel acquéreur, quand elle est concertée avec le vendeur, quand il y a collusion, et, dans ce cas, ce n'est pas senlement par l'areu et le serment qu'ils permettent de prouver la collusion, c'est même par témoins et par de simples présomptions de fait (comp. c. civ. art. 1348-1° et 1353). Cette distinction, entre le cas où il y a deux dols et celui où il n'y en a qu'un, est importante et elle est faite aussi par le Projet (art. 367); mais elle ne doit pas avoir un effet si considérable que de permettre toute preuve contraire à la présomption, après qu'on n'en a admis ancune quand il n'y a qu'un dol ou qu'une fraude. Dans le système que nous combattons, cette distinction est une brèche par laquelle, un jour, sans doute, passera tout entier le système ici exposé. Le cas où il y a fraude concertée ve doit produire qu'une seule différence indiquée à la fin de l'article, c'est que la fraude concertée pourra se prouver par tous les moyens ordinaires de preuve, même contre le nouvel acquéreur; en effet, le cédant n'est protégé par aucune présomption légale, et la fraude, dès lors, pouvant se prouver contre lui, par témoins et par simples présomptions de fait, doit youvoir se prouver de même contre son complice.
Au surplus, les adrersaires reconnaissent que le système nonvean qu'ils contestent pour la loi française actuelle “serait très-bon en législation.” Cette législation qui a paru sage à la Belgique, que l'on peut saps témérité soutenir être celle de la France, sainement interprétée, est expressément proposée pour le Japon.
214. Une observation importante reste à faire sur le présent article: il ne faudrait pas croire que la mauvaise foi du second cessionnaire au sujet de la transcription, doive entraîner le législateur à donner la même solution, lorsqu'il arrivera à la matière des priviléges et hypothèques et à l'inscription à laquelle sont soumises ces sûretés pour être opposables aux ayant-cause du débiteur; on devra alors décider que la priorité d'inscription donne la priorité pour le payement, même lorsque le premier créancier inscrit connaissait l'existence du privilége ou de l'hypothèque dont l'inscription avait été négligée.
En effet, entre la propriété et ses démembrements, d'une part, et les priviléges et hypothèques, d'autre part, il y a une profonde différence, au point de vue qui nous occupe: les premiers sont incompatibles les uns avec les autres, comme seraient deux droits de propriété sur la même chose; ou, tout au moins, les uns amoindrissent les autres, comme l'usufruit, le louage, le privilége et l'hypothèque amoindrissent la propriété: la priorité y a donc une importance essentielle; au contraire, les priviléges et hypothèques peuvent coexister, appartenir à des personnes différentes sur le même bien, saps s'exclure nécessairement, sans que l'un soit la destruction de l'autre; ainsi, un créancier, primé dans le rang d'hypothèque qu'il espérait, peut être payé avec d'autres biens du débiteur, ou par une caution; les biens bypothéqués même peuvent souvent suffire à payer plusieurs créanciers inscrits. Si donc on suppose que le second créancier hypothécaire connaît la première hypothèque, quoiqu'elle ne soit pas inscrite, la bonne foi ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter, elle ne lui défend pas de se hâter de prendre inscription, car il a pu croire que si le premier créancier était peu diligent, c'est qu'il avait d'autres garanties do payement.
215. Il reste, pour terminer ce qui concerne cette théorie importante, à réfuter une formule consacrée en France et sur laquelle on a promis plus haut (p. 138) de revenir: elle est d'autant plus dangereuse qu'elle est la base du faux système qu'on vient de combattre.
Il n'est pas exact de dire, comme on le trouve dans presque tous les auteurs français, que "la propriété des “immeubles se transfère entre les parties par le seul “consentement et à l'égard des tiers (lisez: des ayant"cause) par la transcription." Cette formule, que semblent autoriser les articles 1140 et 1583 du Code français, est tout-à-fait contraire à la nature de droit de propriété et de tous les droits réels, en général. Un droit réel est un rapport immédiat et direct entre une personne et une chose, entre le sujet actif du droit et l'objet de ce droit; il n'y a pas de sujet passif du droit réel, ou bien, tout le monde en est sujet passif; quand quelqu'un dit "cette chose m'appartient, elle est à moi," il a énoncé une idée simple et claire; mais il serait bizarre de dire "cette chose m'appartient à l'égard "d'un tel (de mon vendeur) et ne n'appartient pas à "l'égard des autres (des ayant-cause de mon vendeur).”
La propriété est, évidemment, de sa nature, un droit absolu; le droit de créance seul est un droit relatif (voir p. 215 note I).
Qu'est-ce, en effet, que le droit de propriété ? C'est le droit de disposer. Or, si je suis devenu propriétaire et si mon vendeur a cessé de l'être, c'est moi qui puis disposer désormais et non plus lui. Cependant, dans l'opinion qui accepte l'axiôme précité, c'est mon vendeur qui seul peut disposer, tant que je n'ai pas transcrits; alors, comment peut-on dire que je suis propriétaire ?
216. Les Romains étaient plus logiques: jusqu'à la tradition, l'acheteur n'avait qu'un droit personnel, il n'était que créancier du vendeur; celui-ci, dès lors, pouvait aliéner valablement, en livrant à un autre, sauf indemnité au premier achcteur; après la tradition, l'acheteur avait un droit réel, mais il l'avait envers et contre tous (ergà omnes).
Dans les coûtumes françaises, dites de nantissement, qui remplaçaient la tradition réelle par la solennité de la dessaisine-saisine (voy. p. 136), le résultat était le même: avant la formalité, le vendeur restait propriétaire, même vis-à-vis de l'acheteur; mais on ne concevait pas une propriété relative.
Le Code civil, n'exigeant ni la tradition ni la transcription, donnait, évidemment, au seul consentement l'effet de transférer la propriété d'une manière absolue. Rien n'autorise à croire que le rétablissement de la transcription ait produit le singulier résultat d'une propriété relative, d'autant moins que, dans la présentation de la loi de 1855, on a dit plusieurs fois que "tous les principes du Code civil étaient maintenus “et qu'on se borpait à les compléter.” Or, ce complément n'est qu'une précaution organisée pour prévenir la fraude ou l'erreur: celui qui ne s'y est pas conformé n'est pas moins acquéreur, mais il doit réparer le dommage que sa négligence a pu causer et surtout il ne doit pas contribuer à causer ce dommage en évinçant le nouvel acquéreur: c'est un principe célèbre de droit civil passé en axiôme que "celui qui serait garant d'une éviction doit s'abstenir de l'opérer” (m).
Un dernier argument suffirait, à lui seul, à lever tous les doutes: supposons qu'après une vente non transcrite, un tiers se mette, sans titre, en possession du fonds acheté, ou même l'achète de bonne foi d'un autre que l'ancien propriétaire et fasse transcrire son titre; personne ne conteste qu'en pareil cas le premier acquéreur puisse, même sans avoir transcrit, évincer le possesseur; la transcription n'est donc pas nécessaire pour devenir propriétaire à l'égard des tiers.
Toute cette explication, dont l'importance justifie les développements, va se trouver encore fortifiée par la disposition de l'article suivant qui existe en France et y peut servir, autant qu'ici, à prouver que ce n'est pas la transcription qui transfère la propriété, mais le seul consentement.
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(i) En France, on peut citer comme exceptions; les legs et les baux de moins de dix-huit ans, dispensés de transcription, et les hypothèques légales des mineurs, des interdits et des femmes mariées, dispensées d'ins. cription. Mais la loi de 1855, art. 3, a le tort de ne pas réserver les excep. tions et de paraître ne protéger que " ceux qui ont conservé leurs droits en se conformant aux lois:” on ne pent pas dire que ceux que les lois dispensaient de toute publicité "se sont conformés aux lois:" on se conforme à une disposition impérative ou prohibitive, mais non à une dispense de tout devoir.
(j) Le dilemme est un argument à deux faces, à deux tranchants, par lequel l'adversaire doit toujours être vaincu: ici, le premier acquéreur qui a transcrit pourrait employer uu dilemme contre le second contractant; il lui dirait: “ou vous avez vu que j'ai transcrit mon acquisition, et alors vous avez eu tort de traiter avec l'ancien propriétaire: ou vous n'avez pas vui ma transcription et vous êtes encore en faute, car elle est publique."
Ce genre d'argument (ni-dju-taï) s'emploie aussi au Japon.
(k) L'art. 1071 appartient à la matière des Donations et des Sabstitutions; mais, ces actes étant soumis à la transcription, on peut très-bien en argumenter pour la transcription des actes onéreux.
(l) L'expression de présomption absolue s'emploic ici par opposition aux présomptions simples; plus loin (p. 219), on parle de droit absolu, par opposition au droit relatif; ces formules peuvent présenter des dif. ficultés de traduction en japonais, comine tout ce qui tient aux idées mé. taphysiques dont l'expression est toujours très-différente dans les langues qui n'ont ni la même origine ni le même génie.
(m) L'axiðme, quoiqu'il ne soit pas des Romains, est formulé en latin; on lo connaît déjà au Japon: quem de evictione tenet actio eumdem agentem repellit exceptio; "celui qui est tenu de la garantie d'éviction, est repoussé par l'exception même de garantie, s'il agit lui-même en revendication” (voy. art. 416).
Art. 371. — 217. La disposition de cet article se trouve dans le Code civil français (art. 941), au sujet des donations entre-vifs qui, on l'a dit, ont été, dès le principe, soumises à la transcription, quand la vente ne l'était pas encore. Le Code italien (art. 1944) la présente également, avec une application générale aux actes gratuits et onéreux. Bien que la loi française de 1855 n'ait pas déclaré l'article 941 applicable aux actes onéreux, on n'a jamais mis en doute qu'il le fût, par identité de motifs.
Lorsque la première cession a été faite à un incapable dûment représenté ou autorisé, c'est au gardien de ses intérêts qu'incombe l'obligation de faire procéder à la transcription; le tuteur la fera faire pour le mineur on l'interdit, le mari pour la femme; s'il s'agit d'une persoune morale ou juridique qui a acquis, comme l'Etat, un département, une commune, un établissement public, une corporation, c'est an fonctionnaire public ou à l'agent qui représente cet être moral à procéder à la mesure conservatoire qui doit préserver l'acquéreur de l'éviction résultant d'une nouvelle cession; les administrateurs nommés par la justice, comme les syndics de faillite, ont le même devoir; il en est de même, enfin, d'un mandataire conventionnel chargé d'acheter un immeuble: il n'aura rempli complétement son mandat que lorsqu'il aura fait faire la transcription; on devrait même appliquer cette disposition aux mandataires conventionnels généraux, qui auraient connaissance qu'une acquisition d'immeuble faite par leur mandant n'a pas encore été transcrite.
Si, avant que la transcription ait été faite par les soins du mandataire légal, judiciaire ou conventionnel, une autre acquisition a été transcrite, la priorité appartient à celle-ci, en principe, et il n'y aura même pas, en faveur des mineurs ou des interdits, un de ces secours extraordinaires qu'on trouve dans les lois, même à l'encontre des tiers de bonne foi; le seul droit qui leur appartienne est un recours en indemnité contre leur tuteur; les mandants n'auront également qu'une action en dommages-intérêts contre leur mandataire négligent.
218. Mais, si c'était le tuteur, le mari, le représentant légal, judiciaire ou conventionnel, qui lui-même eût acquis le bien déjà cédé et eût fait transcrire le nouveau titre, alors, ce ne serait plus d'une indemnité en argent qu'il serait tenu: comme il devrait la réparation aussi complète qu'il peut la donner, il serait privé du droit d'évincer lui-même celui qu'il devait préserver de l'ériction d'autrui (comp. p. 220).
Rien n'est plus juste que cette solution et on voit qnelle vive lumière elle jette sur la théorie précédente. Peut-être, cependant, ce représentant était-il de bonne foi au moment où il a acquis et transcrit, peut-être l'acquisition de l'incapable était-elle antérieure à son entrée en fonctions; mais, comme son devoir était de preudre une connaissance exacte des droits dont il avait la garde, sa faute si légère qu'on la supposerait, suffirait encore à justifier cette sévérité de la loi. Il y aurait encore bonne foi, si le tuteur étant mort avant de faire la transcription pour le mineur, son héritier, ignorant la première cession, avait lui-inême acheté le bien et fait transcrire le premier: sa qualité d'héritier le soumettant aux obligations de son auteur, lui enlèverait le droit d'évincer le mineur.
Si, par exception, il se trouvait un cas où le tuteur ou tout autre mandataire serait exempt de toute faute, même de la plus légère, le présent article ne s'appliquerait plus: en effet, la loi se place dans le cas où ces personnes “étaient chargées de faire la transcription,” c'est qu'elles en avaient le devoir; or, ce devoir n'existait pas si elles n'avaient en aucun moyen de connaître la première acquisition.
219. Pour le privilége, comme pour l'hypothèque, la décision sera différente, par la raison donnée à la fin de l'explication de l'article précédent: lorsqu'on tuteur ou un mandataire a négligé de prendre inscription d'une hypothèque pour son papille ou pour son mandant, et a inscrit le premier sa propre hypothèque, on doit décider que la priorité de droit sera acquise à la priorité de date de l'inscription; il y a d'ailleurs des formalités et des procédures, dites de purge et d'ordre, qui seraient troublées et entravées si l'ordre et la priorité des inscriptions pouvaient être contestés par des allégations de faute ou de mauvaise foi chez le tuteur ou le mandataire le premier inscrit. En pareil cas, la faute du tuteur sera réparée par les voies ordinaires ouvertes an pupille; il serait même possible à celui-ci de se faire attribuer directement en justice le profit de la collocation du tuteur.
Art. 372 et 373.- 220. Ou a déjà rencontré les principales applications des actions qui tendent à détruire des conventions: ou sait que la résolution est demandée par une partie pour l'inexécutiou des obliga tions de l'autre, que la rescision est demandée pour vice de consentement ou pour incapacité, enfin, que la révocation a pour but de détruire un acte fait en fraude des créanciers. D'autres causes de résolution, de rescision ou de révocation pourront être admises par la loi; mais ces applications déjà connues suffiront à l'intelligence des deux présents articles.
L'article 372 présente une distinction capitale qui est négligée par le Code français et par la loi de 1855, qui est à peine indiquée par la Loi belge de 1851 (art. 4) et qui, au contraire, est très-nettement établie dans le Code italien (art. 1933-39). Dans certains cas, les actions dont il s'agit ici ne sont pas tellement favorables qu'elles doivent être données contre des sousacquéreurs, c'est-à-dire contre des ayant-cause qui ont acquis de bonne foi des droits réels du chef de celui dont l'acquisition doit être annulée. Dans d'autres cas, c'est le demandeur qui a droit à la préférence. Assurément, il est pénible pour le législateur de ne pouvoir toujours préserver de l'éviction un sous-acquéreur qui, voyant le titre de son auteur régulièrement transcrit en la forme et ignorant d'ailleurs la cause de nullité de ce titre, ne peut être accusé ni de mauvaise foi ni d'imprudence. Mais le législateur ne peut non plus sacrifier l'incapable ou celui dont le consentement a été vicié par violence ou erreur, ni celui à l'égard duquel les conditions d'un contrat synallagmatique n'ont pas été remplies. Il ne reste à la loi qu'un moyen de se rapprocher ici de la justice idéale qu'elle poursuit toujours, c'est de rechercher quel est celui des intéressés qui est le plus digne d'intérêt et les législations précitées ne se trouvent pas d'accord sur ce point.
221. Le Code français admet bien, en principe, que “celui qui n'a sur un immeuble qu'un droit soumis à une “condition suspensive ou résolutoire ou sujet à resci“sion ne peut consentir que des droits réels soumis aux "mêmes conditions ou à la même rescision” (art. 2125); il applique lui-même expressément le principe à la réduction des donations excédant la portion disponible (art. 929), à la stipulation du droit du retour des choses données (art. 952), à la révocation des donations pour inexécution des charges imposées au donataire (art. 954) ou pour survenance d'enfant (art. 963), à la condition résolutoire expresse ou tacite (art. 1183 et 1184); pour ce qui est de la rescision pour vice de consentemet ou incapacité, la généralité de ses expressions la laisse sous l'empire du principe général, dont on retrouve encore l'application indirecte dans l'article 1338, 3° al. (n); enfin, les articles 1664, 1673 et 1681 permettent formellement d'exercer contre les sous-acquéreurs la résolution par l'effet de la clause de réméré (faculté de rachat) et la rescision pour lésion.
Mais le Code français admet aussi des exceptions à la règle que les actions qui tendent à détruire les conventions atteignent les sous-acquéreurs, et ces exceptions confirment la règle, car elles la présupposent: l'article 958 défend d'exercer contre les ayant-cause de l'acquéreur la révocation des donations pour ingratitude; l'article 865 fait, au sujet de l'action en rapport à succession, une distinction entre les sous-acquéreurs de la propriété et ceux qui n'en ont acquis que des démembrements: les premiers sont respectés, les seconds voient leurs droits s'évanouir; enfin, la loi du 23 mars 1855 (art. 7) restreint, par certaines limites et conditions, les effets contre les tiers de l'action en résolution de la vente faute de payement du prix.
Le Code belge, sur cette matière, ne diffère pas du Code français; mais le Code italien accorde moins largement contre les tiers la résolution, la rescision et la révocation; cependant, le priucipe est le même que dans les deux autres Codes; les exceptions y sont seulement plus nombreuses et elles sont formellement écrites dans les articles 1080, 1088, 1235, 1308, 1511 1553 et 1787 ce qui autorise à croire que l'énumération en est limitative.
222. Le Projet japonais n'a pas de motif de s'écarter ici du principe général ci-dessus énoncé, et n'ayant pas encore eu à déterminer les exceptions qu'il comporte, il se borne à statuer séparément sur la règle et sur les exceptions réservées.
Une nécessité de rédaction fait commencer l'article 372 par les exceptions, c'est-à-dire par les cas dans lesquels l'action ne peut atteindre les sous-acquéreurs. Dans ce cas, il est de l'intérêt du demandeur d'avertir les tiers, au plus tôt, de son intention de faire tomber son aliénation transcrite et de recouvrer son immeuble; il devra donc faire mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit et les tiers qui ont traité avec l'acquéreur postérieurement à cet avertissement ne pourrout imputer qu'à leur imprudence l'éviction à laquelle ils se sont exposés.
La sanction de la disposition de la loi est la préférence donné au plus diligent.
223. Si, au contraire, on est dans le cas de la règle, si l'action est de nature à détruire le droit des sousacquéreurs anssi bien que celui du contractant primitif, alors le demandenr n'a pas d'intérêt à les avertir de sa demande: peu lui importe que le nombre de ceux que son action dépouillera augmente jusqu'au jour où il rentrera dans son bien; mais, la loi pourvoit à l'intérêt des tiers, en obligeant le demandeur à mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit, et plus tard, quand le jugement sera rendu en sa faveur, il devra eu faire faire une pareille mention (o).
Il fallait établir, ici encore, une sanction contre le demandeur négligent. On ne pouvait songer à le déclarer déchu du droit d'évincer les sous-acquéreurs qui auraient traité depuis la demande formée et avant qu'elle fût publiée: il y aurait eu là une grave'inconséquence de la loi, il eût été déraisonnable que les droits du demandeur fussent diminués par l'exercice même de son action (p). Il ne restait comme sanction qu'un moyen de procédure qu'on propose d'adopter d'après la Loi belge (art. 3), c'est de déclarer l'action non recevable tant que la mention prescrite ne sera pas opérée.
Enfin, il fallait une sanction à l'obligation de mentionner le jugement à la suite de la demande. Elle ne pouvait plus être trouvée dans la procédure, puisqu'elle est terminée; il ne restait plus guère qu'une amende, c'est la sanction adoptée par deux des législations précitées: l'amende est de 100 francs dans la loi française de 1855 (art. 4), et de 100 à 200 fr. dans le Code italien (art. 1934). La Loi belge a été plus sévère (art. 3): elle soumet le greffier aux dommages-intérêts envers les tiers qui auraient traité avant la publication du jugement; or, les dommages-intérêts peuvent être considérables.
Le Projet a adopté la sanction d'une amende assez élevée, mais très-divisible, 10 à 100 yens, contre la partie qui a obtenu le jugement (q).
224. Il fallait aussi fixer le délai dans lequel la publicité serait donnée au jugement: le délai d'un mois a paru suffisant, à partir du jour où le jugement est devenu inattaquable. Mais comme les jugements peuvent être déclarés exécutoires provisoirement, nonobstant appel ou opposition, comme ils seront peut-être même exécutoires, de droit, nonobstant le pourvoi en cassation, comme en France, il a paru juste d'en ordonner la publicité avant l'exécution, même provisoire, sous la sanction de la susdite amende (r). En cas de rejet de la demande, la loi veut, pour simplifier la procédure, que le tribunal en ordonne d'office, sans qu'il soit besoin de conclusions spéciales à cet effet, la radiation sur le registre; seulement, cette radiation ne pouvant être définitive que quand le jugement qui a rejeté la demande ne sera plus attaquable, elle ne sera effectuée qu'après l'expiration des délais de recours, ou la confirmation du jugement, s'il y a eu des recours formés. Il en sera de même au cas de péremption de l'instance par l'effet de la discontinuité des poursuites (comp. c. pr. civ. fr. art. 397 et s.).
225. L'article 373 prévoit un cas qui aurait pu être une occasion de fraude entre les parties contre les sous-acquéreurs: elles auraient pu, sans le contrôle de la justice et par une convention amiable, ou par un acquiescement du défendeur sur les premières poursuites, opérer la destruction de la convention première, en la qualifiant de résolution, de rescision ou de révocation, sans pourtant se trouver dans l'un des cas où ces actions sont admises; il en serait résulté pour les sous-acquéreurs la perte de droits valablement acquis. La loi prévient cette fraude, cette collusion, en considérant toute pareille convention comme une rétrocession, comme une translation inverse de la propriété on du droit réel précédemment cédé. La conséquence en est que les droits des sous-acquéreurs seront maintenus (bien entendu, en les supposant publiés eux-mêmes), et cela, “ dans tous les cas," c'est-à-dire sans distinguer si la prétendue cause de résolution ou de rescision était de nature, ou non, à prévaloir contre les sons-acqéreurs. La sanction de cette disposition est suffisamment indiquée au texte, c'est celle de l'article 370: tant que la transcription n'est pas faite, les droits concédés par le premier acquéreur et dûment publiés sont opposables à celui qui a obtenu la rétrocession.
L'obligation finale imposée au conservateur n'a pas de sanction pénale, parce que l'inobservation en sera rare sans doute et ne causerait pas un préjudice sérieux aux intéressés qui sont surtout avertis par la transcription principale.
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(n) L'art. 1338 suppose la confirination d'un acte annulable, par conséquent, la renonciation à l'action en rescision; mais il réserve le droit des tiers, c'est-à-dire des ayant-cause auxquels ont été consentis, par le cédant, des droits subordonnés à l'exercice de son action; or, si les droits de ceux-ci doivent être respectés, c'est qu'ils sont, aux yeux de la loi, préférables à ceux de l'acquéreur et de ses ayant-cause.
(o) La loi française de 1855 (art. 4) et le Code italien (art. 1934) n'or. donnent pas de publier la demande, mais seulement le jugement dans les cas où l'action peut dépouiller les sous-acquéreurs.
(P) Les Romains avaient un axiôme célèbre à ce sujet: “en exerçant nos actions, nous améliorons notre situation; nous ne pouvons l'empirer."
(q) En France et en Italie, l'amende est prononcée contre l'avoué qui a obtenu le jugement; mais, les avoués n'étant pas encore institués au Japon, l'amende y est prononcée contre le demandeur lui-même.
Le yen japonais, au pair, vaut un dollar américain, environ 5 francs.
(r) On pourrait, au Japon, adopter, un terme moyen, à ce sujet: ce serait de déclarer le jugement exécutoire jusqu'à ce qu'il y ait eu admis. sion du pourvoi par la chambre des requêtes, ce qui constituerait alors une présomption favorable du bien fondé du pourvoi.
Art. 374. — 226. Le Projet a réservé au Code de procédure civile ou à un Règlement spécial les règles à suivre par les conservateurs pour la tenue des registres et la détermination des pièces à fournir par celui qui requiert une transcription ou une inscription (s). Mais quelques précautions que puisse prendre la loi pour éviter les erreurs ou les fraudes, il pourra toujours arriver qu'une travscription soit indûment faite sur les registres ou qu'une mention soit mal à propos mise on maintenue en marge d'un acte transcrit. Dans le premier cas, la transcription puit à celui qui prétend avoir un droit incompatible avec le titre transcrit; par exemple, au propriétaire qui nierait avoir vendu à celui qui a fait transcrire une vente; dans le second cas, c'est à celui qui a fait la transcription que la mention est nuisible; par exemple, si quelqu'un a fait men. tionner une demande en nullité ou rescision d'un acte transcrit et n'en porte pas la demande au tribuval, ce qui est l'inverse d'une demande qui serait portée au tribunal sans avoir été préalablement mentionnée sur le registre. Dans ces cas, il y a lieu à radiation (du latin radere, rayer).
Les transcriptions ou mentions pourraient aussi, savs être entièrement mal fondées, contenir des inexactitudes ou des omissions plus ou moins graves; par exemple, il aurait été porté dans la transcription d'une vente que le prix est encore dû, lorsqu'il est déjà payé en tout ou en partie, ce qni nuit au crédit de l'achetenr, tant par le privilége réservé au vendeur que par son droit de résolution; ou bien, il aurait été omis, à tort de mentionner que le prix est encore dê ou que telle autre charge incombe à l'acheteur, ce qui nuit au vendeur, par la raison inverse, en l'exposant à se voir contester ses deux droits précités. C'est le cas de la rectification.
Il y aurait pour les intéressés un grave préjudice à laisser planer ainsi l'incertitude sur l'existence, la nature ou l'étendue de leurs droits: Ja loi leur donne une action en justice pour faire radier ou rectifier les transcriptions ou mentions indues ou inexactes (1er alinéa).
227. Mais, ponr que les ayant-cause qui traitent avec les intéressés sur le vi des transcriptions ne soient pas exposés à des déceptions, la loi veut que les demandes et jugements soient eux-mêmes publiés (2° alinéa), et, pour ne pas reproduire les distinctions déjà faites au sujet des sanctions encourues par les contrevenants, elle se borne à renvoyer à l'article 372.
Ainsi, si la vente transcrite était nulle comme n'éinanant pas du vrai propriétaire, celui-ci n'encourrait que l'amende, pour avoir négligé de faire mentionner sa demande en marge de la transcription de cette vente: il serait impossible, en effet, de l'obliger à respecter les actes passés et transcrits par les ayant-cause du prétendu acquéreur. Au contraire, il aurait ce devoir si, la vente émanant bien de lui, la transcription avait présenté les inexactitudes ou omissions citées plus haut et concernant le prix et les charges de la vente: les ayant-cause de l'acheteur seraient fondés à croire la transcription exacte, tant que la demande en rectification ne leur aurait pas été annoncée; les transcriptions ou inscriptions par eux faites dans l'intervalle seraient maintenues, avec leur effet et leur rang.
228. La loi n'avait pas ici les mêmes raisons de suspecter les conventions amiables que lorsqu'il s'est agi de la résolution ou de la rescision volontaire d'actes transcrits: elle permet donc (3° al.) les radiations ou rectifications volontaires consenties par les intéressés, s'ils sont capables de disposer du droit immobilier dont il s'agit. Le remède à la fraude se trouve d'ailleurs dans le dernier alinéa auquel nous arrivons.
229. L'autorité de la chose jugée est une présomption de vérité qui n'admet aucune preuve contraire, quand toutes les voies de recours ont été épuisées; mais ce n'est pas une vérité absolue, reconnue envers et contre tous (ergà omnes), c'est une vérité relative aux parties seulement qui ont figuré dans l'instance et à leurs ayant-cause (voy. c. civ. fr., art. 1351) (t).On aurait pu croire que lorsqu'un jugement a ordonné contre un acquéreur la radiation ou la rectification d'une transcription, il aurait effet également contre ceux de ses ayant-cause qui ont transcrit ou inscrit des droits qu'ils tiennent de lui; mais la loi prévient cette erreur qui a été souvent commise en France: ceux qui ont acquis des droits réels sur l'immeuble et les ont régulièrement publiés ne peuvent en être dépouillés par jugement sans avoir été appelés à les soutenir. Tel est l'objet du 4° alinéa. Il est d'ailleurs facile au demandeur de les mettre en cause, puisque la transcription ou l'inscription qu'ils ont effectuée les fait suffisamment connaître.
Le principe est identique pour les conventions amiables qui auraient le même objet: on sait, en effet, que les conventions ne peuvent nuire aux tiers (art. 365). Il y a toutefois une différence grave entre les jugements et les conventions, c'est que, pour donner effet à ces dernières, il faut une adhésion entière des intéressés, tandis que, pour les jugements, il suffit que les intéressés aient été mis en cause et appelés à contredire à la demande.
230. On fait remarquer, en terminant, que les radiations et rectifications pourraient être elles-mêmes contestées après avoir été effectuées, aussi bien quand elles ont été ordonnées en justice que quand elles ont été consenties à l'amiable. Lors même qu'on n'admettrait pas sans réserve, au Code de procédure civile, le système français d'après lequel le pourvoi en cassation n'empêche pas l'exécution du jugement, il y aurait encore la tierce-opposition et la requête civile, en vertu desquelles la radiation ou rectification déjà effectuées sur le registre pourraient être elles-mêmes radiées ou rectifiées, par suite de la réformation ultérieure du jugement (voy. c. pr. civ. fr., art. 478 et 497).
Il en serait de même d'une radiation ou rectification conventionnelle qui aurait été viciée par erreur, violence ou incapacité. Ce sont là, heureusement, des complications rares.
Mais, pour que les erreurs restent toujours réparables, les radiations et rectifications ne consistent jamais dans une oblitération, dans une altération matérielle qui rendraient illisibles les transcriptions ou mentions: c'est toujours une autre mention faite à la suite ou en marge de la première, indiquant la modification apportée, la nature de l'acte (jugement ou convention) qui la justifie, la date, etc; de cette façon, il est toujours possible de revenir à l'ancienne situation, s'il était établi qu'elle a été indûment modifiée.
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(s) 'Toute cette partie du Projet sur la Transcription est étrangère aux Priviléges et Ilypothèques, ainsi qu'il est dit au dernier alinéa de l'article 368; mais les détails de forme en seront, à beaucoup d'égards, communs aux Inscriptions des garanties réelles.
(t). La règle et ses limites sont consacrées en deux célèbres formules latines: Res judicata pro veritate habetur (ou accipitur)," la chose jugée est tenue (ou reçue) pour la vérité;" Res inter alios judicata aliis neque nocet neque prodest, “la chose jugée entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres (comp. p 180, note a)."
Art. 375. — 231. Les intéressés qui requièrent une insertion sur les registres de transcriptions fournissent au conservateur les pièces nécessaires et justificatives, mais ils n'assistent pas à l'opération de la copie, ils ne peuvent en vérifier l'exactitude; ce n'est souvent que très-tardivement que celle-ci leur est révélée, à l'occasion d'un autre acte donnant lieu à la demande d'un certificat des transcriptions et inscriptions. La faute du conservateur peut aussi avoir consisté dans la délivrance d'un certificat inexact ou incomplet de l'état des transcriptions, inscriptions ou mentions diverses portées sur les registres. Il est clair que, dans ces deux cas, la responsabilité du conservateur est encourue, car il a, par sa faute, causé un dommage qui peut être très-considérable.
232. Mais il faut ici déterminer avec soin envers qui le conservateur est responsable. Le texte se borne à indiquer, d'une façon générale, "les parties requérantes ou intéressées” comme ayant droit à la réparation du dommage; quelques exemples d'applications sont nécessaires.
Un acheteur a remis au couservateur un acte de vente pour être transcrit et il en a tiré un récépissé; la transcription n'a pas été faite ou elle l'a été tardivement; dans l'intervalle, une autre vente ou une constitution d'hypothèque émanée du même vendeur a été présentée à la transcription ou à l'inscription et elle prime le premier acheteur: s'il y a eu bonne foi de celui qui a obtenu la première transcription ou inscription (voy. art. 370), le dommage retombe sur le premier acquéreur et c'est lui qui actionnera le conservateur; car il pouvait s'assurer si la transcription avait été faite et le second acquéreur ne pouvait découvrir qn'elle ne l'avait pas été.
Si la transcription a été faite, mais inexactement, et qu'il ait été omis d'y mentionner que tout ou partie du pris est encore dû, et que l'acheteur ait rerendu on hypothéqué à des ayant-cause qui ont, de bonne foi, fait faire la transcription ou l'inscription, alors c'est le vendeur qui en souffre, en ce sens que son privilége et son droit de résolution sont perdus; car c'est lui qui est en faute, c'est donc envers lui que le conservateur est responsable.
Si une demande en résolution, en rescision ou en révocation a été formée contre un acte transcrit et que le conservateur, dûment requis, ne l'ait pas mentionnée en marge de l'acte transcrit, on doit se reporter à la distinction faite par l'article 372 pour savoir quelle est la partie qui souffrira de l'omission et recourra contre le conservateur: si la demande était nécessaire pour arrêter les transcriptions ou inscriptions opposables au demandeur, c'est celui-ci qui souffrirait de la faute du conservateur, si, dans l'intervalle, entre sa réquisition et la découverte de la fante, de nouvelles transcrip tions ou inscriptions avaient eu lieu, car elles lui seraient opposables; dans le cas inverse, où la demande serait opposable aux ayant-cause du défendeur, quoi. qu'ils ne l'eussent pas connue, ce sont ceux-ci qui souffriraient de la faute du conservateur.
La loi suppose aussi que les omissions ou inexacti. tudes du conservateur peuvent porter sur les certificats destinés à faire connaître les actes et mentions portés aux registres. Ici, le préjudice atteint toujours les requérants, car ceux qui ont une fois acquis le bénéfice des transcriptions ou mentions exactes effectivement portées sur les registres, ne peuvent le perdre par la négligence du conservateur; ce sont donc les requérants qui auront action contre ce dernier.
COMMENTAIRE.
Art. 376 à 380.- 233. Ou réunit ici tous les articles de cette courte Section, à raison même de la disposition de l'un d'eux (art. 378) qni veut que “toutes les clauses de la conventiou s'interprètent les unes par les autres." Il en est de même de ces diverses dispositions de la loi: elles forment une série de conseils aux tribuvaux, pour les aider à trouver l'intention des parties et le sens des conventions; il est donc préférable de les embrasser dans leur ensemble.
Cette section correspond aux urticles 1156 à 1164 du Code français. On a cherché toutefois à y mettre un ordre plus logique et plus de précision dans la rédaction, ce qu'avait déjà tenté le Code italien (art. 1131 à 1139).
234. La première disposition est la plus importante: elle forme un principe général dont les autres ne sont que l'application; elle indique le but principal que les tribunaux doivent chercher à atteindre et les autres ne sont que les moyens d'y arriver.
Puisque, dans les conventions, c'est la volonté des parties qui fait loi, il est clair que c'est cette volonté qui, avant tout, doit être recherchée. Sans doute, c'est dans les expressions qu'elles ont employées qu'on trouvera, le plus souvent, cette volonté même; mais, outre que toutes les langues ont leurs imperfections, il arrive souvent aussi que les contractants en connaissent mal les ressources et parlent ou écrivent la leur incorrectement ou négligemment. De là, cette première règle “qu'il ne faut pas s'attacher exclusivement au sens littéral des termes employés par les parties” (art. 376) (a).
235. Au Japon, comme ailleurs, les mêmes mots n'ont pas toujours le même sens, en tous lieux: des habitudes locales différentes se forment sous l'influence de circonstances particulières et se conservent ensuite de génération en génération: le législateur peut bien établir, par voie d'autorité, l'uniformité des poids et mesures, des monnaies et de la législation même, mais il sortirait de son domaine, s'il voulait réglementer la langue, et il y échouerait presque toujours. Ce qu'il peut seulement, c'est établir des présomptions du sens que les parties ont attaché aux mots et encore ce ne doivent être que des présomptions simples, susceptibles d'être combattues par des preuves contraires. Les dispositions des articles 376 à 379 ont ce caractère de présomptions simples.
Pour ce qui concerne les expressions locales, le Projet (art. 377, 1er al.) s'écarte des Codes français et italien qui ne s'attachent qu'à l'usage du lieu où le contrat a été passé: il semble, au contraire, que la raison veuille que l'on s'attache d'abord au lieu où les deux parties ont leur domicile; car, si elles ont traité ailleurs, par exemple, en voyage, il est naturel de croire qu'elles ont parlé le langage qui leur est habituel et non celui d'une localité où elles ne se trouvent qu'accidentellement.
Mais la loi a dû prévoir le cas où les parties de seraient pas domiciliées au même lien; dans ce cas, il n'eût pas été déraisonnable peut-être de donner la préférence au sens reçu dans le lieu où le débiteur est domicilié; mais il y avait à craindre que le créancier ne fût privé de tout moyen de contrôle sur le sens de ce langage; tandis qu'en adoptant ici le seus usité dans le lieu du contrat, la loi suppose que le créancier a pu se le faire expliquer et certifier.
236. Le 2° alinéa de l'article 377 veut encore que l'on cherche dans la nature et l'objet de la convention le sens d'une expression équivoque; cette règle recevra fréquemment son application aux mots jouissance et usage qui diffèrent plus ou moins de portée ou d'étendue, suivant qu'il s'agit de droits d'usufruit, d'usage, de louage, d'emphytéose, de superficie ou de servitudes.
237. L'article 378 ne s'occupe plus seulement d'une expression, d'un terme de la convention, mais d'une clause, c'est-à-dire d'une des stipulations dont l'ensemble forme la convention. Il ne serait pas raisonnable d'interpréter chaque clause séparément des autres; le plus souvent, elles ne sont détachées que par des nécessités de rédaction; mais, pour les parties, elles forment un ensemble indivisible, en raison et en équité; il est bien rare que les upes soient complétement indépendantes des autres dans l'intention des parties; elles sont plutôt liées par le rapport de cause à effet; l'une n'existerait pas si l'autre n'avait pas été admise; la portée et l'étendue de l'une a dû être mesurée sur la portée et l'étendue de l'autre, et il ne serait même pas raisonnable de considérer comme les plus importantes celles qui occupent la priorité dans l'ordre des énonciations.
238. Le 2° alinéa de l'article 378 paraît inutile, au premier abord, lorsqu'il dit qu'on doit interpréter une clause de la manière qui lui donne un effet, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun. Cependant, cette disposition se trouve dans toutes les législations qui ont réglé l'interprétation des conventions et elle reçoit souvent son application dans la pratique: par exemple, le débiteur alléguera qu'une clause n'est qu'une répétition d'une disposition de la loi et qu'elle a été insérée, soit par inadvertance, soit pour plus de clarté; il cherche ainsi à se soustraire à l'une de ses obligations; mais les tribunaux ne devront pas admettre facilement que les parties aient commis cette négligence de répéter la disposition de la loi. On peut citer, en ce sens, le cas d'une vente de créance "avec garantie:” si on entendait ici que le vendeur ne serait garant que de l'existence de la créance et de sa qualité de créancier, la clause serait inutile, car cette garantie est déjà imposée par la loi, elle est de droit (c. civ. fr., art. 1693); on devra donc présumer que le vendeur a entendu garantir en outre, la solvabilité du cédé, laquelle garantie "n'est due que si le vendeur s'y est engagé” (art.. 1694).
239. Souvent, les parties, pour déterminer les effets de la convention ou les objets qu'elle embrasse, emploient des expressions très-larges, très-générales, qui, prises à la lettre, dépasseraient leur pensée; la loi veut que la plus grande extension de ces expressions ne soit pas portée au-delà des objets que les parties ont entendu comprendre dans leur convention ou des effets qu'elles ont vraisemblablement voulu lui faire produire. Ainsi, dans la vente d'une maison “avec tous les meubles ou tous les objets mobiliers qui s'y trouvent,” le vendeur ne serait pas présumé avoir entendu comprendre: son argent comptant, ses titres de créances ou d'autres droits, ses vêtements, bijoux, manuscrits, documents, instruments professionnels, portraits de famille, et, généralement, les objets d'utilité ou d'affection personnelle (comp. c. civ. fr., art. 533).
240. En sens inverse, il ne faudrait pas trop restreindre les effets de la convention, parce que les parties auraient prévu et réglé un ou plusieurs d'entre eux: l'énoncé d'un ou plusieurs effets peut avoir paru nécessaire pour plus de précision, ou pour quelque particularité qu'on a voulu y apporter; mais ce n'est pas une raison suffisante de croire que les parties aient voulu supprimer ou exclure les autres effets légaux du contrat (b). Ainsi, dans le contrat de bail d'une maison, le bailleur a expressément promis de mettre les locaux loués en bon état de réparations pour l'époque de l'entrée en jouissance;" cela ne le dispensera pas de faire les réparations d'entretien, au cours du bail; de même, dans un louage ou dans une vente, on a prévu et réglé la résolution du contrat, faute de payement du prix par le preneur ou par l'acheteur; ce n'est pas une raison suffisante de croire que l'on ait entendu supprimer les autres causes de résolution, faute par la même partie de remplir ses autres obligations ou, faute par l'autre partie, de remplir les siennes.
Cette décision contitue une exception à l'article 378, 26 alinéa, sans qu'on l'ait peut être assez remarquée, même dans le Code francais où les deux règles se trouvent également: en effet, ici, on préfère l'interprétation qui ne donne aucun effet utile à une clause, plutôt que de lui donner un effet exagéré.
241. La loi prévoit enfin que, malgré les indications qu'elle vient de donner et malgré la perspicacité des juges, ceux-ci pourraient conserver des doutes sur l'intention des parties. Ce doute peut d'ailleurs exister, soit au sujet d'un ou plusieurs points particuliers de la convention, soit sur sa nature propre, soit enfin sur son existence même; dans ces deux derniers cas, ce n'est plus une question d'interprétation, mais une question de preuve ordinaire des droits. Au reste, la règle est la même dans tous les cas et elle doit être généralisée.
Le principe qui domine toute la matière des preuves à faire en justice est que “la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait pour en tirer avantage;" la conséquence en est que celui qui ne parvient pas à fournir une preuve complète de sa prétention doit succomber. En effet, les particuliers ne sont liés les uns envers les autres que par exception (p. 100), il faut donc que le prétendu créancier prouve qu'il est dans le cas exceptionnel; les obligations, une fois prouvées quant à leur existence, sont encore présumées le moins étendues possible; il faut donc encore que le créancier prouve jusqu'où va son droit.
Mais, l'existence et l'étendue de l'obligation une fois prouvées, c'est au débiteur à prouver sa libération et son entière libération, s'il l'allègue.
Le Projet n'a pas encore à envisager la question de preuve d'une façon aussi générale: il ne s'agit ici que de la preuve du sens et de la portée de la convention, parce qu'il n'y a qu'une difficulté d'interprétation; mais le principe général est déjà appliqué: le stipulant souffrira de n'avoir pu lever les doutes résultant de l'obscurité de la convention; les effets de la convention seront bornés à ceux qui ont été pleinement prouvés contre le promettant.
242. Une difficulté pouvait s'élever au sujet des contrats synallagmatiques, où chaque partie est à la fois stipulant et promettant. Le Projet la tranche, en faisant remarquer que la règle reçoit son application “dans chaque clause séparément.” En effet, le contrat synallagmatique est une réunion de clauses où chaque partie joue alternativement le rôle de créancière et de débitrice: il y a, en quelque sorte, deux contrats unilatéraux juxta-posés; par exemple, le vendeur ou le bailleur confère un droit réel et s'engage à livrer et à garantir de tout trouble ou éviction; de son côté, l'acheteur ou le preneur s'engage à payer un prix unique ou périodique. Si donc il y a obscurité sur les obli. gations contractées par le vendeur ou par le bailleur, l'interprétation se fera en leur faveur, contre l'acheteur ou le preneur; s'il y a, au contraire, obscurité sur les obligations de l'acheteur ou du preneur, l'interpréta tion se fera contre le vendeur ou le hailleur, c'est-àdire, dans tous les cas, contre le stipulant et en faveur du promettant (c).
242 bis. Les règles ici posées pour l'interprétation des conventions devront être rendues applicables à l'interprétation de la Loi elle-même: il sera bon de le dire dans les Dispositions générales du Code. La seule différence sera dans le cas de doute, lequel ne se résoudra pas nécessairement contre le demandeur, mais sera éclairci par les précédents historiques et par l'équité et la raison naturelle.
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(a) Les présentes règles d'interprétation s'appliqueront surtout aus conventions écrites; mais elles s'appliqueraient aussi aux conventions verbales dont les termes principaux seraient reconnus par les parties ou prouvés par témoins.
(b) On a déjà cité souvent des axiðmes latins à l'appui des solutions proposées. Ici, il y a, au contraire, un axiôme à rejeter et universellement reconnu dangereux: qui dicit de uno, negat de altero: "celui qui affirme, qui acquiesce, pour un cas, nie, conteste, pour les autres cas."
(c) Par une exception difficile à justifier, le Code français veut que “tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur” (art. 1602). Le Code italien n'a pas reproduit cette anomalie et le Projet japonais ne la reproduira pas davantage; les exemples donnés ci-dessus le présupposent: on ne doit pas, en effet, sans de puissantes raisons, admettre d'exceptions au droit commun, surtout à un principe aussi considérable que celui qui domine les preuves, tel qu'il est énoncé plus haut.
COMMENTAIRE.
Art. 381. — 243. La loi arrive à la seconde cause ou source des obligations et des droits personnels ou de créance, annoncée dans l'article 316. On a déjà expliqué (p. 16) comment l'expression de quasi-contrats a été adoptée en Europe pour désigner cette cause d'obligations et pourquoi, sans la rejeter tout à fait, le Projet lui préfère celle d'enrichissement indů. Il serait d'ailleurs bien difficile de donner une bonne définition du quasi-contrat sans y faire entrer l'idée essentielle d'enrichissement indú ou sans cause, et c'est pour de l'avoir pas fait que le Code français (art. 1371) et le Code italien (art. 1140) n'ont donné du quasi-contrat aucune idée précise: l'un l'appelle “un fait purement volontaire de l'homme," l'autre, “un fait volontaire et licite;" mais, tous les jours et à tout instant, l'homme accomplit des faits volontaires et licites qui ne sont ni des contrats, ni des quasi-contrats, et qui n'engendrent pas d'obligations; il manque donc à cette définition un élément essentiel générateur de l'obligation; or, c'est l'enrichissement indû, et c'est uniquement à lui que s'attache le présent article pour caractériser cette seconde source d'obligations. La loi arrive ainsi à une formule aussi large que celle qui définira bientôt "les dommages injustes” ou délits et quasi-délits, et qui se rapprochera beaucoup du célèbre article 1382 du Code français (a).
Il faut reconnaître d'ailleurs, et la suite le confirmera bientôt, que, très souvent, les diverses sources d'obligations se réunissent et se combinent dans des faits complexes: l'enrichissement indû avec le dommage injuste et l'un ou l'autre avec le contrat.
244. On remarquera, sur le premier alinéa, que la Joi ne distingue pas si celui qui se trouve enrichi du bien d'autrui l'est devenu par un fait volontaire ou involontaire, ni s'il l'est devenu par erreur ou sciemment: sa bonne ou sa mauvaise foi pourra influer sur l'étendue de l'obligation, mais non sur le principe de son existence; il suffit, pour constituer la présente source d'obligation, que le fait d'enrichissement, volontaire ou involontaire, n'ait pas le caractère d'un délit ou d'un quasi-délit, tel qu'on le déterminera à la Section suivante.
L'obligation qui naît de l'enrichissement indû est de rendre le profit ainsi obtenu; mais la loi la présente sous une forme un peu différente: l'obligation de satisfaire "à la répétition", à la réclamation de la partie qui a souffert la perte; la loi introduit ainsi et adopte un mot tout à fait consacré depuis les Romains (b); c'est encore par souvenir des Romains, et par égard pour une expression conservée d'eux, qu'au lieu de parler“du profit” elle parle "de ce qui a tourné au profit” (c); il y a d'ailleurs une bonne raison d'adopter cette expression, c'est qu'elle comprend non seulement le profit direct mais encore le profit indirect; par exemple, celui qui a reçu des denrées qui ne lui étaient pas dues les a consommées utilement et s'est ainsi épargné une dépense qu'il eût dû, sans cela, faire de ses propres deniers: “il est enrichi d'autant qu'il a moins dépensé” (d); ou bien, il les a vendues et il est enrichi du prix qu'il en a tiré; réciproquement, si quelqu'un, ayant reçu de l'argent qui ne lui était pas dû, a employé cet argent en achat de choses qui lui restent ou qu'il a utilement consommées, il est enrichi d'autant.
Notons, en passant, que l'enrichissement indâ, an lieu de fonder une action personnelle en répétition, pourrait fonder une action réelle en revendication; c'est le cas où les choses indûment reçues se trouveraient encore en nature dans la possession de celui qui les a reçues: la propriété ne se transfère pas plus sans cause légitime que ne s'acquiert sans cause un droit de créance.
245. Le présent article ne se borne pas à poser le principe de cette seconde cause d'obligation, il en donne les "applications principales,” ce qui prouve, en même temps, qu'elles ne sont qu'énonciatives et nou limitatives. Il a paru nécessaire de donner ces applications; d'abord, parce que les deux premières, la gestion d'af. faires et la réception de choses indues, sont traitées dans toutes les législations avec certains développements et les demandent encore davantage au Japon, comme y étant moins connues; ensuite, parce que les législations étrangères, n'ayant traité que de ces deux quasi-contrats, ont semblé méconnaître qu'il y en ait d'autres; ce n'est que par de simples allusions et d'une façon éparse qu'on trouve dans le Code français l'obligation de rendre les enrichissements indûs (e); enfin, la loi devait annoncer davance les divers cas d'enrichissement, dès qu'elle se proposait de donner à quelques ups les développements nécessaires. Les cas prévus aux trois derniers alinéas appartenant à des matières spéciales s'y trouveront naturellement réglés; il suffira d'en donner ici une idée sommaire.
246. Celui qui est appelé à recueillir une succession, soit légitime soit testamentaire, n'a pas seulement le droit d'en recueillir les biens, il a aussi l'obligation d'en acquitter les charges. Parmi ces charges se trouveront les dettes personnelles du défunt et les legs particuliers qu'il a pu laisser à des tiers. L'héritier ou le légataire universel est tenu des dettes du défunt au même titre que son auteur: les créanciers, une fois la qualité d'héritier fixée sur sa tête, ne le poursuivront pas en vertu de son enrichissement considéré comme cause nouvelle d'obligation, mais en vertu des contrats du défunt; l'enrichissement de l'héritier pourrait, tout au plus, indiquer la limite dans laquelle il serait poursuivi, s'il avait d'ailleurs en soin de faire un inventaire fidèle et exact des biens de la succession; on peut dire, enfin, que “l'héritier ne reçoit les “biens que déduction faite des dettes, lesquelles dimi. “nuent de plein droit l'hérédité” (f).
247. Mais pour les legs et autres charges mises par le testateur à la charge de celui qui reçoit l'universalité de ses biens, il n'est plus possible de dire que celui-ci les doit au même titre que le défunt, puisque le défunt ne les a jamais dns: le successeur universel les doit en vertu de son acceptation de la succession; c'est bien ce “fait volontaire” dont le Code français se contente, en général, pour qu'il y ait quasi-contrat, et il est surprenant qu'il ait omis de mentionner ce cas que les Romains n'avaient pas négligé; mais il faut encore ici donner la prééminence à l'enrichissement, car le successeur n'est tenu des legs que dans la mesure de ce qui reste de biens héréditaires après le payement des dettes.
C'est tellement l'enrichissement qui est le principe de cette obligation, plus encore que l'acceptation de la succession, que si l'on conserve au Japon le système d'après lequel les enfants ne peuvent refuser la succession paternelle, ce qui peut les faire nommer héritiers nécessaires, comme chez les Romains, ils n'en seront pas moins tenus d'acquitter les legs, jusqu'à concurrence, soit de toute la succession, soit d'une quotité qui sera dite disponible: ils ne seront donc pas tenus envers les légataires par un fait volontaire de leur part, mais par leur enrichissement. Aujourd'hui, le testament n'étant pas pratiqué au Japon, la question ne se présente pas encore.
248. Il a déjà été fait mention, incidemment, de l'accession, moyen d'acquérir la propriété par la réunion d'une chose secondaire à une chose principale, lorsque la séparation est impossible en fait ou défendue par la loi; ce n'est pas encore ici qu'il en doit être traité; c'est au Livre III° qu'on en trouvera les principales applications en même temps que la justification. Il suffit de noter ici que le propriétaire de la chose principale ne profite de l'adjonction de la chose d'autrui ou du travail d'autrui qui a transformé et augmenté la valeur de la chose principale qu'à la charge de payer la valeur dont il profite.
249. Lorsqu'un immeuble n'est pas en la possession du propriétaire, le possesseur actuel n'a pas toujours droit aux fruits et produits. Ainsi, le possesseur de mauvaise foi n'acquiert pas les fruits et produits périodiques; le possesseur, même de bonne foi, cesse de les acquérir dès que la revendication est intentée (voy. art. 206, 3° al.); en outre, certains produits n'ont pas le caractère de fruits et sont considérés comme des parties de la chose, tels que les arbres de futaie et les produits des mines et carrières non ouvertes. Dans tous ces cas, le possesseur est tenu de rendre ce qu'il a perçu, lorsqu'il ne pouvait légalement l'acquérir: le principe de cette obligation est encore l'enrichissement indû; toutefois, il pourra, dans le cas de possession de mauvaise foi, se combiner avec le principe qui oblige à réparer les dommages causés injustement; ainsi, le possesseur de mauvaise foi doit rendre non seulement les fruits par lui perçus, mais encore ceux qu'il a négligé de percevoir (voy. art. 207 et 388).
De son côté, le vrai propriétaire, ne devant pas s'enrichir au détriment du possesseur, devra rembourser, directement ou par déduction sur ce qui lui est dû, les frais de culture et de récolte et toutes les dépenses nécessaires ou utiles faites par le possesseur (voy.art. 208).
S'il s'agissait d'un meuble, il pourrait arriver que le possesseur de bonne foi l'eût vendu, et cela, dans un cas où il n'était pas devenu propriétaire par le seul fait de la possession: par exemple, si la chose était originairement volée; dans ce cas, si la chose ne peut être retrouvée dans les mains du nouveau possesseur, celui qui l'a vendue est tenu jusqu'à concurrence du prix qu'il en a tiré, parce que c'est un enrichissement qu'il ne peut légitimement garder (comp. art. 389, ci-après et c. civ. fr., art. 2279, 2° al.).
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(a) La formule de l'article 381 rappelle une maxime célèbre du droit romain: "en droit naturel, il est juste que personne ne s'enrichisse au “ préjudice d'autrui et sans droit (jure naturæ æquum est neminem cum “alterius detrimento et injuria fieri locupletiorem).”
(b) Du latin repetere, “redemander.”
(c) C'est la traduction littérale du latin consacré en cette matière: actio de in rem verso, "action au sujet de ce qui a tourné à la chose, c'est-à-dire, au profit du patrimoine."
(d) Locupletior factus est quatenus pecuniæ suæ pepercit.
(e) Voyez, notamment: art. 551, 555, 566; 571, 574; 643; 660 et 661; 1241; 1303; 1312; 1380 et 1381; 1632, 1634; 1926.
(f) Tel est le sens de deux axiômes latins: Non sunt bona nisi deducto ære alieno; Debita ipso jure minuunt hereditatem.
Art. 382 et 383.- 250. La gestion d'affaires a beaucoup d'analogie avec l'acceptation et l'accomplissement d'un mandat, tant dans son principe que dans ses effets: dans son principe, car elle est motivée, en général, par le désir d'être gratuitement utile à autrui; c'est un bon office; dans ses effets, car les obligations respectives qu'elle crée entre le gérant et le maître sout à peu près les mêmes qu'entre le mandataire et le mandant. Cependant, il y a une grande différence entre les deux faits: le mandat est un contrat, parce qu'il y a accord de deux volontés dans un but déterminé; la gestion d'affaires n'est l'effet que d'une seule volonté, elle est "spontanée,” comme dit le texte (g), c'est un quasi-contrat, dans le lavgage reçu, et la plupart des obligations qui en résultent peuvent encore s'expliquer par l'idée d'enrichissement indû. Toutefois, un autre principe d'obligation vient s'y joindre, le plus souvent, au moins du côté du gérant (non du côté du maître), c'est la responsabilité des fautes. Il ne faut pas dire, à la vérité, comme une loi romaine: “ c'est une faute que de s'immiscer aux affaires d'autrui sans mandat;” mais il y a faute, si, lorsqu'on s'y est immiscé par bon office, on abandonne la gestion prématurément ou si on la conduit mal.
251. Le texte de l'article 382 suppose que la gestion a été entreprise à cause de l'absence du maître ou par une nécessité analogue; évidemment, ces circonstances n'ont rien de limitatif, la loi les indique pour donner à la gestion d'affaires ses causes les plus ordinaires et sa physionomie la plus naturelle; mais, une maladie du maître serait une cause de gestion non moins fréquente et peut-être plus intéressante encore.
La loi n'exige pas, comme la loi romaine, que le mobile qui a fait agir le gérant soit nécessairement un bon office; ainsi, celui qui gérerait les biens de sou débiteur absent, pour assurer son payement, aurait non seulement les devoirs d'uv gérant d'affaires, mais il en aurait aussi les droits; on peut encore traiter comme gérant d'affaires celui qui, étant co-propriétaire avec un autre, a géré et administré la chose commune, plutôt dans son intérêt que dans celui de son co-propriétaire. Il en est autrement d'un associé: c'est en vertu da contrat de société qn'il a le devoir de gérer la chose commune.
252. Par la même raison que l'intention de remplir un bon office n'est pas nécessaire, on doit admettre, d'après le Projet, quoique ce ne soit pas l'opinion générale, en France, que celui qui, croyant gérer sa propre chose, a, par erreur, géré celle d'autrui, aurait droit aux indemnités dues au gérant ordinaire.
On hésite généralement aussi à appliquer les règles de la gestion d'affaires au cas où la gestion a eu lieu malgré la défense du maître; mais il est préférable de reconnaître que, dans ce cas même, il y a gestion d'affaires et qu'il n'est pas moins juste de faire rendre par, le maître ce dont il est enrichi; seulement, dans ce cas, comme dans le précédent, l'enrichissement sera apprécié, non au moment de la gestion, mais au moment de l'action judiciaire intentée par le gérant; de sorte que s'il y a eu, dans l'intervalle, diminution du profit, la perte retombera sur le gérant qui, dans ce cas, est beaucoup moins digne d'intérêt (v. plus loin, art. 388).
253. Le texte ne dit pas, comme le Code français, qu'il y a gestion, “sans distinguer si le maître connaît ou non la gestion.” Chez les Romains, la connaissance que le maître avait de la gestion équivalait à un mandat. Le Code français déroge évidemment à cette règle. D'un autre côté, le mandat ne doit pas être nécessairement exprès: si un propriétaire sait que quelqu'un gère son bien, et, pouvant s'y opposer, ne le fait pas, si même il a déjà demandé des comptes de gestion, s'il a reçu des mains du gérant des loyers ou intérêts des biens et valeurs gérés, il est difficile de ne pas voir là un mandat tacite; il semble donc plus sage de laisser aux tribunaux, en cas de contestation, le soin de décider s'il y a eu mandat tacite ou simple gestion d'affaires.
Dans le cas où un mandataire excèderait ses pouvoirs, on devrait le considérer comme gérant d'affaires pour tout ce qu'il aurait fait au delà de son mandat.
254. L'article 382 indique quatre obligations du gérant, dont deux sont dans le 1er alinéa.
1° Il doit restituer, à première demande, et même spontanément, dès qu'il le peut, les sommes, valeurs, fruits et autres avantages qu'il a perçus en vertu de sa gestion. S'il avait employé tout ou partie de ces sommes à ses propres affaires, il en devrait les intérêts, comme profit tiré des biens du maître. Si, sans profiter ainsi des sommes reçues, il avait tardé à les restituer, il pourrait être encore tenu des intérêts, à cause de sa négligence; ce serait une rigueur particulière, car, en général, un débiteur de sommes d'argent ne doit les intérêts qu'à partir de la demande (voy. art. 413); mais on peut dire que le gérant s'est mis virtuellement et de lui-même en demeure, par le fait de son immixtion dans les affaires d'autrui.
2° Le gérant a pu acquérir des droits et actions, en son propre nom, à l'occasion de ladite gestion; par exemple, ayant vendu des fruits et produits avec terme pour le payement, il s'est fait souscrire des billets ou obligations, et comme les acheteurs ne connaissaient pas le maître, c'est au profit du gérant, nominativement, que les billets ont été souscrits; si les billets avaient été payés avant la reddition du compte de gestion, c'est la valeur, ce sont les sommes reçues qui seraient restituées au maître; mais, si les obligations subsistent encore, le gérant fera des cessions de créance, comme elles sont prévues à l'article 367, et ce ne seront pas des cessions gratuites, bien que le cédant n'en reçoive pas directement la contre-valeur: il reçoit en retour sa libération, il ne fait donc pas une donation au maître.
3° Le gérant n'était pas tenu d'entreprendre la gestion, puisqu'il n'y avait aucun mandat; il a pu agir par simple sentiment de bon office; mais, une fois la gestion commencée, il doit la continuer: autrement, il pourrait arriver qu'au lieu de rendre un service, il eût causé un dommage au maître; par exemple, voulant faire réparer une maison, il a commencé par la faire découvrir: s'il ne fait pas poser une nouvelle toîture, la condition du bâtiment sera pire que précédemment; il en serait de même pour la plupart des travaux matériels à exécuter sur les biens immeubles, à l'égard desquels il est généralement plus sage de ne pas com: mencer des réparations que de les commencer sans les achever.
Une raison encore pour laquelle le gérant doit continuer la gestion commencée, c'est que son intervention aura pu empêcher une autre personne, par exemple, un autre ami ou un voisin du maître, d'entreprendre ladite gestion et, à cet égard encore, mienx aurait valu ne pas commencer la gestion que de l'abandonner ensuite.
4° Enfin, le gérant doit gérer avec autant de soins qu'un mandataire conventionnel. Le droit romain lui demandait des soins encore plus exacts, par le motif que si le gérant n'avait pas entrepris la gestion, une autre personne plus diligente aurait pu l'entre prendre. Le Code français se borne, suivant sa formule habituelle, à demander au gérant "les soins d'un bon père de famille." Le présent article ne pose pas une règle aussi absolue: il laisse aux tribunaux le soin de déterminer s'il y a lieu à responsabilité, c'est-à-dire s'il y a faute ou négligence du gérant, en tenant compte des circonstances dans lesquelles il a entrepris la gestion. Par exemple, s'il y avait urgence et si personne n'était disposé à gérer les biens de l'absent, on devra être moins exigeant pour le gérant que si la gestion pouvait attendre sans inconvénients ou être entreprise par un proche parent qui y était disposé; de même encore, si la gestion a eu lieu à la suite d'un incendie, d'un typhon ou d'une inondation qui ont causé des dégradations demandant une réparation urgente, on devra être moins sévère pour le gérant que si l'on se trouvait dans un cas ordinaire, surtout si le gérant a eu à faire, en même temps, des réparations à ses propres biens.
255. L'article 383 impose au maître deux obliga. tions qui sont uniquement fondées sur son enrichissement, car, de son côté, il ne peut être question de fautes commises.
1° Si le gérant a fait des dépenses nécessaires ou de conservation, c'est-à-dire, sans lesquelles les biens gérés eussent péri ou perdu de leur valeur, il est juste que le maître les rembourse, car “il est enrichi de ce qu'il n'a pas pardu;') de même, si les dépenses ont été utiles ou d'amélioration, le maître les doit rembourser, par le · même motif, encore plus évident; ici, il ne devrait pas les dépenses dites voluptuaires ou de par agrément, parce qu'elles ne constituent pas un enrichissement appréciable (comp. art. 208).
2° Il peut arriver que le gérant ait commandé des travaux ou des fournitures nécessaires ou utiles et pour lesquels il n'a pas encore effectué de payements, inais au sujet desquels les entrepreneurs ou les fournisseurs ont pu lui demander de s'engager personnellement et par écrit, justement, parce qu'il n'était pas le propriétaire des biens et n'avait pas de mandat; si les travaux ont été exécutés ou sont en cours de l'être, il est juste que le maître décharge le gérant des engagements, en les prenant pour son compte et en son nom. Pour cela, il fera novation avec le créancier, c'est-à-dire que celui-ci déclarera qu'il décharge ou libère le gérant, en acceptant le maître pour unique débiteur; mais comme le créancier ne pourrait être contraint à cette novation et s'y refusera quelquefois, le maître, dans ce cas, prendra l'engagement envers le gérant de le rembourser de ce qu'il aura payé, même de payer à sa place, à première réquisition du créancier; c'est ce que le texte entend par “garantir le gérant de ses engagements personnels.”
Les règles de la gestion d'affaires étant applicables au mandataire qui aurait excédé son mandat, si dans les dépenses qu'il a faites au delà de celles dont il était chargé il s'en trouve de nécessaires ou d'utiles, il en sera remboursé.
256. C'est une question débattue, en France, que celle de savoir si le maître doit les intérêts des sommes dépensées utilement pour lui; la loi l'a dit formellement pour les sommes dues par le mandant au mandataire (art. 2001); mais l'analogie des situations ne suffirait pas pour appliquer cet article entre le maître et le gérant. La question devra encore se résoudre ici par le principe de l'enrichissement indû: si le gérant a fait des dépenses nécessaires et n'a pas payé prématurément, il est juste que les intérêts lui soient remboursés, car le maître, s'il eût payé lui-même, y aurait perdu l'intérêt de son argent; si le payement a été anticipé, il faudra voir encore si le gérant n'a pas obtenu à cause de cela une réduction, un à-compte, comme cela se fait souvent en pareil cas: alors les intérêts lui seront alloués. Si les dépenses n'ont été. qu'utiles, les intérêts ne seront dus que si, indépendamment de la plus-value donnée aux choses, en capital, il en est résulté un revenu pour le maître: par exemple, le gérant a fait agrandir des bâtiments et les a loués; dans ce cas, outre la plus-value du capital, il y a plus-value du revenu et le maître doit les intérêts des sommes payées.
Remarquons, à ce sujet, que le maître qui ne devra jamais plus que son enrichissement, quoique la dépense y ait été supérieure, ne devra jamais, non plus, au delà de ce que le gérant a dépensé, lors même que la plusvalue y serait supérieure: dans le premier cas, il y a un excédant de perte qui doit retomber sur le gérant, parce qu'il a été plus ou moins imprudent; dans le second cas, il y a un excédant de profit qui ne peut appartenir qu'au propriétaire, car la gestion d'affaires peut bien être une cause de perte, mais jamais une cause de profit pour le gérant.
257. Une dernière question reste à résoudre: à quel moment doit-on se placer pour apprécier l'enrichissement qui détermine l'obligation du maître ? Est-ce au moment où les actes de gestion ont eu lieu, ou au moment où l'action en justice est intentée ? La question a un grand intérêt quand, dans l'intervalle de la gestion à l'action, il est survenu des circonstances fortuites qui ont diminué le profit déjà réalisé. On doit décider, en règle générale, qu'il faut se placer au moment des actes de gestion, s'ils sont suffisamment distincts les uns des autres, ou à la fin de la gestion, si elle est indivisible. La raison en est que le maître se trouvant, dès cette époque, débiteur d'une somme d'argent, chose de quantité, ne peut en être libéré par la perte de la chose due, comme s'il était débiteur d'un corps certain. La solution contraire n'est admissible que dans les cas d'une gestion d'affaires entreprise en dehors de toute idée de bon office: par exemple, quand on gère la chose d'autrui, la croyant sienne, ou quand on la gère sciemment malgré la défense du maître (voy. p. 255); dans ces deux cas, on est d'accord, depuis les Romains, pour apprécier l'enrichissement au moment de l'action (voy. p. 255); l'action prend alors un autre nom: ce n'est plus l'action “de gestion d'affaires," mais l'action "du profit actuel," actio de in rem verso (voy. p. 249, note c).
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(g) Lors même que la gestion aurait été conseillée par un parent ou un ami du maître absent, on pourrait encore dire qu'elle est spontanée, pour indiquer que la demande ne vient pas du maître lui-même.
Art. 384. — 258. La théorie du payement indû est incomplétement présentée par les Codes français et italien; c'est parce qu'ils n'ont pas fait toutes les distinctions nécessaires qu'il s'est produit des divergences d'opinions assez graves, notamment, au sujet de l'in. fluence de l'erreur de l'une ou de l'autre partie.
Un payement peut être indû de plusieurs façons, lesquelles peuvent se trouver réunies ou séparées:
I. La dette peut ne pas exister du tout, soit parce qu'elle n'a pas été légalement créée, soit parce qu'elle est déjà éteinte; dans ce cas, il n'y a ni créancier, ni débiteur, ni chose due; le payement est aussi nul que la dette prétendue, et il devient lui-même le principe, la cause, d'une véritable dette née de la réception de l'indû ou de l'enrichissement de celui qui l'a reçu. L'article 384 s'applique à ce cas, en même temps qu'au cas suivant.
II. La dette existe, celui qui a payé est bien le débiteur, mais celui qui a reçu n'est pas le créancier; c'est encore le cas de l'article 384; le payement est aussi nul que le précédent, car, si le débiteur avait une cause de payer, celui qui a reçu n'en avait pas de recevoir; ce payement, d'ailleurs, n'a nullement libéré le débiteur envers son véritable créancier et, en même temps qu'il s'est dépouillé d'une somme ou valeur sans cause légitime, celui qui a reçu s'est indûment enrichi.
Dans ces deux premiers cas de payement indû, le texte a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer s'il y a eu erreur, ou non, de l'une ou de l'autre partie: il y a toujours lieu à répétition.
259. On a prétendu, en France, à cause de l'article 1377, que, si celui qui a payé ce qu'il ne devait pas, la fait sciemment, il n'a pas la répétition; mais cette solution se trouve en opposition avec un autre article du même Code qui dit que “ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition” (art. 1235). On prétend que celui qui paye, sachant qu'il ne doit pas, entend, sans doute, faire une donation; mais cette explication est très-défectueuse: d'abord, il pourrait arriver que l'intention de donner n'existât pas chez celui qui paye; par exemple, dans un temps de trouble, voulant mettre son argent en sûreté et ne trouvant pas facilement un dépositaire, il fait remettre des valeurs, à titre de payement, à une personne honnête et assez puissante pour que les valeurs ne courrent aucun risque dans ses mains; celle-ci qui, sans doute, n'aurait pas accepté un dépôt, reçoit le prétendu payement, sauf à vérifier plus tard; il serait injuste de refuser la répétition dans ce cas, sous prétexte qu'il y a eu surprise. Il y a encore une autre objection à l'admission d'une donation: les donations sont soumises à des formes protectrices du donateur et il serait dangereux de lui permettre de s'en affranchir aussi facilement: les donations manuelles, les donations déguisées, peuvent n'être pas absolument interdites; mais elles ne doivent pas être présumées.
La bonne foi de celui qui a reçu ce qui ne lui était pas dû ne le préserve pas non plus de la répétition; mais elle atténue son obligation, comme on le verra ultérieurement, au sujet de la mauvaise foi, dans une disposition qui comprendra toutes les réceptions sans cause et les répétitions qui s'y rapportent (voy. art. 288).
On remarquera que le texte de l'article 384 emploie l'expression de « prestation à titre de payement;" c'est afin de comprendre aussi bien l'accomplissement de faits que les dations de choses, de sommes ou valeurs; on y ferait rentrer, au besoin, les abstentions qui seraient l'exécution d'obligations de ne pas faire; mais le cas sera rare.
260.-III. Le payement a été fait au véritable créancier, mais par un antre que le débiteur et sans qu'il y ait mandat de celui-ci, ni sans que celui qui a payé ait entendu le faire en son nom ou pour son compte, ce qui serait une gestion d'affaires (voy. c. civ. fr. art. 1236). Ce cas est réglé par l'article 385.
Ici, la position de celui qui reçoit est bien plus digne d'intérêt, car il est vraiment créancier. Deux faveurs lui sont accordées: il est à l'abri de la répétition dans deux cas.
1er cas. Si celui qui a payé savait qu'il ne devait pas: en d'autres termes, la loi ne lui accorde la répétition que s'il a payé “par erreur"; en effet, il est juste que lorsqu'il a payé à celui qu'il savait créancier, alors qu'il savait n'être pas lui-même le débiteur, lorsqu'il a donné au créancier la satisfaction de recevoir ce qui lui est vraiment dû, il ne puisse plus, sous le prétexte qu'il a eu une autre intention restée secrète, lui causer une déception pénible et souvent préjudiciable; le créancier a d'ailleurs pu croire facilement à un mandat du débiteur, à une gestion d'affaires ou à un intérêt personnel que le tiers avait à payer cette dette, quoiqu'elle ne fût pas la sienne. Mais il ne faudrait pas ici, moins encore que dans le cas précédent, se fonder sur l'idée d'une donation que celui qui a payé aurait voulu faire à celui qui a reçu, puisque ce dernier, recevant son dû, ne profite en rien.
2e cas. Si celui qui a reçu a supprimé son titre et se trouve ainsi dans l'impossibilité de poursuivre le véritable débiteur: ici, le Projet, plus prévoyant que le Code français, exige la bonne foi du créancier au moment où il a détruit son titre; par conséquent, il faut qu'il ait cru avoir reçu du débiteur ou au moins de quelqu'un qui payait en son nom et pour son compte; autrement, et dans le doute, il aurait dû conserver son titre. En fait, le titre aura été le plus souvent remis au tiers qui a payé, comme il l'aurait été au débiteur lui-même.
Remarquons, au surplus, que lorsque le créancier a, de bonne foi, supprimé son titre, il n'y a plus à exiger, pour le refus de répétition, que le tiers ait payé sciemment; autrement, s'il fallait encore que le payement ait eu lieu sciemment, ce second cas ne serait plus une faveur pour le créancier: c'est justement quand celui qui a payé l'a fait par erreur que la suppression du titre met le créancier à l'abri du recours.
Il faut assimiler à la suppression du titre le cas où le créancier l'aurait laissé périmer par la prescription, toujours sur la foi du payement.
261. L'action en répétition, dans les divers cas déjà indiqués, présente des questions de preuve assez délicates.
Le demandeur devra prouver: 1° qu'il a effectivement payé ou fait une prestation à titre de payement, 2° que celui qui a reçu n'était pas créancier ou que celui qui a payé n'était pas débiteur, 3° dans ce dernier cas, que le payement a été fait par erreur.
Le défendeur, dans le cas où il était vraiment créan. cier et où il s'oppose à la répétition de l'indû, devra pronver: 1° la destruction ou la péremption de son titre 2° sa bonne foi.
La première preuve du demandeur se fera comme la preuve ordinaire d'un payement régulier, par écrit ou par témoins, suivant le droit commun.
La preuve que la dette n'existait pas sera plus difficile, parce que c'est la preuve d'un fait négatif; aussi admet-on, généralement, que si le défendeur à la répétition avait d'abord nié le fait de la réception du payement, il serait, après cette preuve faite contre lui, présumé avoir reçu l'indû; ce serait alors à lui de prouver que la dette existait.
La preuve de l'erreur de celui qui a payé, quand elle est requise, ne sera pas toujours facile; mais c'est le cas de toutes les erreurs; on admettra d'ailleurs la preuve d'une erreur de droit autant que celle d'une erreur de fait (voy. art. 332).
La preuve de la destruction du titre se fera par tous les moyens ordinaires, et elle sera difficile également, car ce n'est pas un acte qui se fasse, en général, devant témoins; les tribunaux décideraient d'après les présomptions de fait. Celle de la prescription du titre sera plus facile à faire, puisqu'elle revient à une preuve du laps de temps écoulé et à l'exception opposée par le débiteur sur les poursuites faites contre lui.
Enfin, la preuve de la bonne foi du créancier sera la plus facile: on pourra appliquer ici le principe de l'article 199, d'après lequel “ la bonne foi est toujours présumée;" mais la preuve contraire, celle de la mauvaise foi, se fera par tous les moyens possibles.
La loi termine les dispositions de l'article 385 en réservant, dans les deux cas, le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur: il a pour ce recours deux voies dont l'une est déjà connue, la gestion d'affaires; l'autre, la subrogation, sera expliquée ultérieurement: on verra que le payement "fait avec subrogation" permet au tiers qui a payé la dette d'autrai d'exercer les droits, actions, priviléges et hypothèques qui appartenaient au créancier désintéressé avec les deniers d'autrui (v. art. 505).
262.-IV. Le payement a été fait par le véritable débiteur au véritable créancier; c'est le cas prévu par l'article 386.
Il faut bien, ici encore, qu'il y ait eu quelque irrégularité; autrement, il y aurait eu extinction pure et simple de l'obligation et il ne serait pas question d'en chercher une nouvelle. Ce n'est pas le cas d'une obli. gation conditionnelle payée avant l'accomplissement de la condition, car, dans ce cas, il n'y aurait encore ni créancier, ni débiteur, ni chose dne; mais on supposera, avec le texte du premier alinéa, le payement d'une chose d'une autre nature que celle qui est due ou d'une chose qui n'appartenait pas au débiteur, et toujours un payement fait par erreur.
Le droit de répétition accordé dans ce deuxième cas, pourrait sembler contraire à la maxime déjà citée (p. 220, note m) d'après laquelle celui qui doit la garantie d'éviction ne peut pas opérer lui-même cette éviction; mais l'objection doit tomber devant cette considération que le débiteur, n'étant pas libéré par le payement de la chose d'autrui, se trouverait resté dans le lien de son obligation primitive, en même temps que sa responsa. bilité serait engagée envers le vrai propriétaire de la chose donnée en payement. Du reste, ce n'est guère qu'au cas d'immeuble que cette répétition de la chose même pourrait être exercée; car, s'il s'agissait de meuble, le créancier pourrait invoquer la prescription instantanée ou la maxime "en fait de meubles, la pos. session vaut titre" et le payement se trouverait ainsi validé.
Le seul tempérament que la loi apporte à la répétition, dans ce cas, c'est que le créancier puisse retenir la chose indûment reçue, jusqu'au payement de celle qui lui est due (voy. art. 476). On expliquera, en son lieu (Livre IV°), l'application générale du droit de rétention, sorte de droit de gage énoncé à l'article 2, comme droit réel accessoire ou de garantie. On en a déjà rencontré une application à l'article 209.
263. La loi refuse la répétition, au contraire, dans des cas où l'irrégularité est peu grave:
1° Un payement a été fait avant le terme: dans ce cas, la dette existe; sans doute, le créancier ne pouvait exiger le payement avant l'échéance; mais si le débiteur l'a offert, même par erreur, il serait trop dur de forcer le créancier à restituer des sommes ou valeurs qu'il a peut-être déjà employées et qui, un peu plus tard, seraient exigibles par lui; seulement, il tiendra compte au débiteur des fruits ou intérêts intérimaires dont il profite.
2° Un payement a été fait dans un lieu autre que celui où le débiteur devait payer; même solution et par le même motif: l'indemnité pourra consister dans le remboursement de frais de transport que le débiteur a épargnés au créancier, et peut-être même dans une différence de plus-value de la chose payée.
3° Le payement a été fait d'une chose de qualité, valeur ou bonté autre que celle qui était due: il suffira, dans ce cas, de tenir compte de la différence de valeur, en ayant soin, comme dit le texte, de ne pas faire rendre à celui qui a reçu plus qu'il n'a profité, ni plus que le débiteur n'a perdu.
Dans ces divers cas, on voit que si l'erreur n'est pas une cause de répétition, elle donne lieu à redressement de compte et, si l'erreur a eu lieu chez le créancier, il ne sera pas moins secouru que le débiteur.
S'il n'y a eu erreur d'aucun côté, les parties seront considérées comme ayant volontairement modifié leurs rapports de droit respectifs.
Art. 387. — 264. Il n'y a pas de différence, au fond, entre la répétition d'un payement indû et celle des prestations faites sans cause, pour fausse cause, pour cause illicite, ou pour une cause prévue qui ne s'est pas réalisée ou qui a cessé d'exister; ce n'était pas une raison, cependant, pour ne pas les régler dans la loi; il faut justement consacrer cette similitude dans les effets (laquelle, d'ailleurs, comportera une exception), et c'est une lacune regrettable des deux Codes français et italien.
Le droit romain était, au contraire, très-développé à cet égard (h).
Le payement indû est, dans la réalité des choses, une prestation faite sans cause; on pourrait dire aussi qu'il est fait pour une cause illicite, quand il est fait en exécution d'une convention prohibée; de même, si le payement indû s'applique à une dette dont la condition est défaillie ou non accomplie ou dont la cause a cessé d'exister, on peut dire qu'il y a un "payement indû," chaque fois que la prestation a été faite à titre de payement, sous le nom de payement (nomine solutionis), et l'on réserve les autres expressions aux prestations faites à tout autre titre illégitime.
265. La loi ayant énuméré ces prestations au 2° alinéa de l'article 381, il a suffi dans le présent article, d'un simple rappel de cette disposition, et pour le règlement des effets, c'est l'article 384 que la loi applique, parce que c'est celui qui prévoit le payement le plus indân de tous. En conséquence, la pullité de la prestation sera aussi complète, aussi absolue que possible: il n'y aura à distinguer, ni chez celui qui a reçu, ni chez celui qui a donné, s'il y avait, ou non, connaissance de l'illégalité de la prestation; dans un seul cas, la répétition est refusée, c'est lorsque la prestation a une cause illicite ou contraire, soit à l'ordre public, soit aux bonnes meurs, et encore faut-il, pour cela, que l'immoralité se rencontre chez celui qui a fait la prestation autant que chez celui qui l'a reçue. Ainsi, une somme ou valeur a été donnée à une femme de mauvaise vie pour obtenir ses faveurs, à un homme hardi pour opérer l'enlèvement d'une jeune fille, à un témoin pour faire une fausse déclaration: assurément, dans ces divers cas, et dans une foule d'autres cas analogues qu'on pourrait citer, celui qui a reçu n'a pas de cause légitime de garder la valeur qu'il a reçue; mais il y aurait un scandale et une sorte d'offense à la justice, si celui qui a donné des sommes ou valeurs pour une telle cause venait au tribunal se faire un titre de sa malhonnêteté pour se les faire restituer; il y a, à cet égard, un axiôme célèbre et souvent appliqué par les tribunaux: “personne n'est écouté, alléguant sa turpitude" (nemo auditur turpitudinem suam allegans) (i).
Au contraire, si la malhonnêteté, “la turpitude,” no se rencontre que chez celui qui a reçu, alors la répéti. tion est admise: par exemple, j'ai donné à quelqu'un une somme d'argent pour qu'il s'abstînt d'un crime, d'uu délit ou d'une autre mauvaise action; la prestation n'a une cause malhonnête que de son coté, car il ne doit pas accepter une récompense pour ne pas avoir commis une mauvaise action; pour ma part, j'ai fait un acte utile et honnête, en prévenant un mal; c'est au point qu'il a semblé à certains auteurs que, dans un but d'utilité publique, il vaudrait peut-être mieux interdire la répétition des choses données pour empêcher une mauvaise action: on se bornerait à refuser action au stipulant, s'il n'y avait eu que promesse sans prestation actuelle. Mais il serait très-dangereux d'entrer dans cette voie, et on serait amené à refuser la répétition à celui qui aurait remis, à des brigands ou à des pirates, des sommes ou valeurs, à titre de rançon ou de rachat d'un captif, ce qui est inadmissible.
On peut encore citer comme cas d'application de la répétition fondée sur une cause illégale du seul côté de celui qui a reçu: le cas d'intérêts usuraires, le cas d'un prix payé au-delà du tarif légal, pour les choses taxées par l'autorité, ou même d'un prix quelconque payé pour un service qui aurait dû être fourni gratuitement; dans ces cas, il n'y a pas immoralité de la part de celui qui a fait la prestation, parce qu'il est présumé avoir agi sous l'empire de nécessités qui l'ont contraint de subir les conditions injustes qu'on voulait lui faire (j).
Ce qui a été donné en vertu de jeu ou de pari ne peut être répété, pas plus que ce qui aurait été promis au même titre ne pourrait être exigé: la cause est injuste ou immorale des deux côtés.
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(h) Les Romains appelaient condictio l'action en répétition et ils donnaient un nom particulier à chacune de ses applications: condictio indebiti, condictio dati sine causa, ob falsam causam, ob turpem causam, ob injustam causam, ob causam non secutam vel finitam; c'est-d-dire: “ répétition de ce qui a été donné indûment, ou sans cause, ou pour une “cause fausse, honteuse, injuste, défaillie ou finie."
(i) On dit aussi:In pari causa turpitudinis, cessat repetitio: "dans "le cas d'une turpitude egale des deux cotes, la repetition n'a pas lieu."
(j) Ces cas sont plus spécialement ceux où les Romains donnaient la condictio ob injustam causam.
Art. 388 et 389.- 266. Ces deux articles sont applicables, tout à la fois, aux diverses prestations dont il vient d'être parlé et aux divers payements indûs, tels qu'ils sont prévus par les articles 384, 385 et 386.
On a dit précédemment (p. 262) que la bonne foi de celui qui a reçu n'était pas un obstacle à la répétition dirigée contre lui, mais qu'elle rendait sa position meilleure. La différence entre la bonne et la mauvaise foi est celle-ci: celui qui a reçu de bonne foi n'est tenu que de l'enrichissement qu'il a effectivement reçu et même qui a persisté jusqu'au jour de l'action en répétition; au contraire, celui qui a reçu de mauvaise foi, doit, outre cet enrichissement, les diverses indemnités déterminées par l'article 388: elles sont fondées sur la faute commise; le principe de l'obligation n'est plus le même, c'est le délit civil."
267. Au surplus, ces cas ne demandent que peu d'explications.
1° Les intérêts des capitaux reçus sont dus, de plein droit, du jour où ces capitaux ont été versés, et, en cela, il y a une rigueur particulière, car il n'y a pas, besoin de demande en justice pour faire courir ces intérêts: le débiteur est constitué en demeure par sa seule mauvaise foi. Ce qui prouve, au surplus, que ce n'est plus en vertu de l'enrichissement que les intérêts sont das, c'est que, peut-être, le débiteur n'a pas tiré profit de ces capitaux et qu'il n'en doit pas moins les intérêts.
2° Les fruits et produits de la chose indûment livrée sont dûs, lors même qu'ils n'auraient pas été effectivement perçus; c'est l'application d'un principe déjà rencontré à l'article 207.
3° Le débiteur des choses reçues, sachant qu'il devait les rendre, aurait dû apporter des soins suffisants pour leur conservation: sa faute originaire l'expose à des fautes consécutives; tandis qu'un possesseur de bonne foi, ayant cru que la chose lui appartenait, ne serait pas responsable de sa négligence (k). Bien plus, si la chose a péri ou a été détériorée par cas fortuit ou force majeure, il peut encore être tenu d'en rendre la valeur originaire, c'est lorsque la chose n'aurait pas nécessairement péri, si elle était restée aux mains de celui qui l'a indûment livrée: on a déjà rencontré cette juste sévérité au sujet de celui qui a manqué à restituer après sa mise en demeure (voy. art. 355); or, ici, la mauvaise foi équivaut à une mise en demeure.
268. L'article 389 suppose que la chose indûment reçue a été aliénée et il donne encore une différence entre la bonne et la mauvaise foi.
Observons d'abord que si la chose reçue est un corps certain, meuble ou immeuble, qui se retrouve dans les biens de celui qui l'a reçu, la restitution se fera en nature, avec indemnité, s'il y a lieu. Mais, si la chose a été aliénée par celui qui l'a reçue, on pourrait douter et quelques personnes doutent, en France, en présence de l'article 1381, que la chose puisse être revendiquée contre les tiers-acquéreurs, surtout s'ils sont de bonne foi. Cependant, le droit de revendication est certain: l'aliénation, étant sans cause, est radicalement nulle et celui qui a reçu la prestation indue n'a pas pu transférer des droits qu'il n'avait pas; lors même qu'il a transcrit son acte et le sous-acquéreur le sien propre, ces deux transcriptions, appliquées à des actes nuls, sont nulles elles-mêmes, et c'est le cas d'application de l'article 372, 2® al.(l). L'objection tirée de l'article 1381 du Code français perd toute sa force, si on considère que la loi a entendu régler seulement par cet article les rapports de celui qui a donné avec celui qui a reçu. Ce n'est que lorsqu'il s'agira de meubles aliénés à des sous-acquéreurs de bonne foi que la revendication en sera interdite (art. 2279).
269. Le présent article 389 tranche nettement la question à ce double point de vue, c'est-à-dire, tant à l'égard des tiers qu'à l'égard de celui qui a reçu: la partie qui a livré l'immeuble, aliéné ensuite, a le choix entre la revendication contre le sous-acquéreur et l'action personnelle contre celui qui a reçu. Elle pourra même, quoique la loi ne le dise pas, cumuler les deux actions dans une certaine mesure, s'il y a eu mauvaise foi de celui qui a reçu et si l'action réelle ne trouve plus l'immeuble que détérioré: l'indemnité de la détérioration ne pouvant être demandée au tiers-possesseur, s'il est de bonne foi, sera obtenue de celui qui a reçu et aliéné de mauvaise foi.
Si celui qui a livré préfère intenter l'action personnelle en répétition contre celui qui a reçu et aliéné, il obtiendra la valeur estimative intégrale de l'immeuble contre le vendeur de mauvaise foi; mais contre le vendeur de bonne foi, il n'obtiendra que le prix de cession, et si ce prix n'a pas encore été payé, il pourra seulement se faire céder l'action en payement et l'action en résolution qui appartiennent au cédant.
Une difficulté subsiste, dans ce cas de cession faite de bonne foi à un sous-acquéreur: si la partie qui a livré l'immeuble exerce la revendication, l'acheteur évincé recourra en garantie contre son vendeur et celui-ci, malgré sa bonne foi, pourra être exposé à de lourdes indemnités, ce qni est incompatible avec la limite de responsabilité qui lui est accordée quand il est actionné directement par celui qui a payé l'indû (m). Pour concilier les deux droits, on doit admettre que le vendeur mettra en cause le revendiquant et fera retomber sur lui l'indemnité de garantie, de façon à ne supporter définitivement que la restitution du prix reçu.
Si la chose, au lieu d'être vendue, avait été donnée de bonne foi, le donateur ne serait tenu, ni envers celui qui a livré la chose indûment, puisqu'il n'est pas enrichi, ni envers le donataire évincé, puisqu'un donateur n'est jamais garant de l'éviction.
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(k) Celui qui a négligé une chose qu'il croyait sienne n'est exposé à aucune réclamation:” Qui quasi suam rem neglexit, unllæ querela subjectus est.
(l) Chez les Romains, la tradition, avec volonté d'aliéner, même sans cause légitime, suffisait à transférer la propriété; l'absence de cause donnait seulement lieu à une action personnelle (condictio), pour obtenir la rétrocession ou une indemnité; par conséquent, l'action réelle contre les tiers était impossible. Mais c'était donner à la volonté sans cause un effet que la raison ne saurait approuver.
(m) On regrette de ne pouvoir éviter, au Japon, ces périphrases si longues: “celui qui a donné ou livré, celui qui a reçu:” en France, on emploie des mots latins: le tradens ou le solvens, pour le premier, et l'accipiens, pour le second.
COMMENTAIRE.
Art. 390. — 270. Cet article correspond au célèbre article 1382 du Code français, un de ceux qui ont le mérite de présenter, en peu de mots, un principe large et fécond de droit civil, et que, pour cette raison, on invoque et on applique constamment (comp. c. civ. ital., art. 1151).
L'expression “dommages injustes” a semblé devoir être adoptée de préférence, dans le Projet, à celle, plus usitée, de "délits et quasi-délit,” parce qu'elle exprime mieux l'idée dominante de cette troisième source des obligations: elle a d'ailleurs sa source dans le droit romain qui réglait avec soin la réparation des “dommages causés sans droit, à tort, injustement” (damnum injuria datum, damnum injurio).
De même que lorsqu'il s'agit de l'enrichissement à restituer, il faut qu'il ait été indû, de même, lorsqu'il s'agit de dommage à réparer, il est nécessaire qu'il ait été injuste, ou causé "par une faute ou une négligence," ce qui exclut la réparation des dommages causés par l'exercice régulier d'un droit, par l'accomplissement d'un devoir ou même par l'effet d'un cas fortuit ou d'une force majeure. Ainsi, très-souvent, les actes d'un propriétaire d'immeuble, accomplis dans les limites de son droit, nuisent au voisin, et cependant aucune réparation n'est due pour cette sorte de dommage; ainsi encore, les officiers publics, dans l'exercice régulier de leurs fonctions, causent souvent des dommages aux particuliers, dans la liberté de leur personne ou dans leurs biens, et, ni eux, ni l'Etat, n'en sont responsables; enfin, quand, par exemple, un cavalier, dont le cheval est effrayé par une cause fortuite, renverse et blesse un passant, il n'est tenu d'aucune réparation, si d'ailleurs le cavalier était suffisamment habile pour monter ce cheval, en égard à sou caractère habituel; de même, si une maison incendiée par le feu du ciel communique le feu à une maison voisine, il n'y a lieu à aucune responsabilité: on ne saurait raisonnablement reprocher au premier propriétaire de n'avoir pas posé un paratonnerre sur sa maison.
Il faut donc, pour que la responsabilité soit encourue, pour que l'obligation de réparer se forme, qu'une faute ou une négligence soit imputable à l'auteur du dommage. Il importe peu, d'ailleurs, si le dommage est causé directement par la personne ou par ses biens seulement, ni s'il est causé à la personne d'autrui ou à ses biens: les exemples déjà donnés, même comme n'entraî. vant pas de responsabilité, prouvent que si le dommage était injuste, il serait réparable, sans distinguer s'il a été causé par une personne ou par ses biens, ni à une personne ou à ses biens. Cette observation n'est pas inutile, si on remarque que la législation romaine ne considérait, en principe, comme donnaut lien à réparation civile intégrale, que les dommages causés par une personne aux biens d'autrui; à l'égard des dommages causés par les choses, comine par un animal nuisible on par la chute d'un bâtiment, la responsabilité se rédui. sait à l'abandon de l'animal ou des matériaux tombés (abandon noxal, voy. T. 105, p. 398), et, pour les dommages causés à une personne, dans son corps ou dans sa considération, ils donnaient plus lieu à des sanctions pénales qu'à des sanctions civiles.
271. Au surplus, si l'on s'occupe plus de la réalité des choses que de l'expression, on reconnaît que l'idée non seulement la plus raisonnable, mais aussi la seule aujourd'hui véritablement appliquée, est encore celle qui attache-la responsabilité civile et pécuniaire aux dommages qui viennent d'une personne et en atteignent une autre dans ses biens. En effet, quand nous répondons des dommages causés par nos biens, comme par vos animaux ou par nos bâtiments, c'est toujours parce que notre personne a été en faute, a manqué de prévoyance; de même, si nous sommes responsables des lésions corporelles causées à autrui, c'est parce qu'elles ont entraîné des frais de maladie et des pertes de profits légitimes, par suite de l'incapacité de travail. Si, en cas d'homicide par imprudence, nous devons une pension aux enfants, à la veuve ou aux ascendants de la victime, c'est parce que notre faute les a privés de leur soutien; c'est donc toujours la réparation d'un tort cansé au patrimoine. Bien plus, lorsque le dommage semble purement moral, par exemple, par suite d'une diffamation, on ne peut obtenir d'indemnité pécuniaire qu'autant que la diffamation paraît avoir entraîné, indirectement, quelque dommage de fortune pour la victime.
Il n'y a pas à distinguer, non plus, si la faute est un fait positif, c'est-à-dire un acte accompli illégalement, ou une omission, un manquement au devoir ou à la prudence; la seule différence qui pourrait résulter de cette nuance, c'est que les tribunaux pourraient être, toutes choses égales d'ailleurs (c'est-à-dire, dans deux cas de pareille gravité par leurs conséquences), plus indulgents pour une omission que pour un acte positif; parce que l'omission est, pour ainsi dire, insensible et muette: elle ne porte pas en elle-même, comme l'acte positif, un avertissement qu'il y a une règle contraire à observer; mais il n'y a là qu'une différence de fait et non de droit. Au contraire, il y a à distinguer, au point de vue légal, si le dommage résultant de la faute ou de l'omission a été volontaire ou involontaire: non seulement le fait dommageable change alors de nom et de qualification légale, mais aussi, et surtout, la manière d'apprécier la responsabilité change notablement.
272. Le Projet comble ici une lacune des Codes français et italien, en renvoyant sur ce point à la responsabilité des fautes ou des omissions commises dans l'exécution des conventions.
En France, très-peu d'auteurs ont cru pouvoir étendre aux délits et aux quasi-délits les articles 1150 et 1151 qui règlent l'indemnité du dol et de la simple faute commises au sujet des contrats; cependant, l'analogie est frappante, et comme il ne s'agit pas ici de peines, mais de réparation civile, on ne conçoit pas de pareils scrupules; il en résulte que les tribunaux ne sont soumis à aucune règle, ont un pouvoir illimité pour apprécier la responsabilité des dommages, en cas de délits et de quasi-délits, tandis qu'ils n'ont pas la même liberté lorsqu'il s'agit d'inexécution des conventions. Si la distinction que la loi a faite entre le dol et la simple faute est juste et raisonnable, quand il s'agit des conventions, on ne voit pas comment elle cesserait de l'être dans les autre cas, notamment, dans les quasi-contrats et dans les délits et quasi-délits. En tout cas, sans rechercher si l'assimilation de ces divers cas est suffisamment autorisée en droit français, en l'absence de texte formel, on peut, sans scrupules, la poser en règle dans le Projet japonais.
Comme cette matière sera réglée plus loin, au sujet de l'effet des obligations, en général, on n'y insiste pas ici; il suffit d'annoncer que lorsqu'il y a dol ou dom. mage volontaire, la réparation comprend non seulement les dommages qui ont été prévus par son auteur ou qu'il lui était possible de prévoir, au moment de l'acte fautif, mais encore ceux qu'il ne pouvait prévoir; tandis que lorsqu'il n'y a que simple faute, imprudence ou négligence, la réparation n'excède pas les prévisions réelles ou raisonnablement possibles. Ainsi, celui qui a, volontairement et dans l'intention de nuire, lancé des pierres dans une maison voisine qu'il croyait non habitée, sera responsable des blessures qu'il aura causées à une personne qui s'y trouvait à son insû, ou des dégâts causés à des objets précieux qui y étaient déposés; tandis que celui qui, voulant, par exemple, chasser un corbeau d'un arbre à lui appartenant, aura, par maladresse, dépassé le but et atteint la maison voisine qu'il croyait aussi inhabitée et y aura causé les mêmes dommages que le délinquant qui précède, ne sera tenu que du bris de vitres qu'il a commis, parce que c'est le seul dommage qu'il ait pu raisonnablement prévoir; ainsi encore, celui qui a commis volontairement un homicide est tenu de l'indemnité des dommages qui en résultent pour toutes les personnes, même nombreuses, qui avaient un intérêt légitime à la vie de la victime; tandis que celui qui a causé un homicide par imprudence ne serait tenu que dans la limite des cas ordinaires; enfin, si l'on suppose une diffamation calomnieuse ou simplement malicieuse, la réparation comprendra tous les dommages effectifs que la victime a pu en éprouver; tandis que s'il n'y a eu qu'imprudence, légèreté, dans la divulgation de faits déshonorants, la responsabilité ne s'appliquera qu'au préjudice qu'il était possible de prévoir.
Au sujet de la réparation des dommages causés à tort, il y aura encore à distinguer ceux qui sont une suite immédiate et directe de la faute et ceux qui n'en sont qu'une suite médiate et indirecte; mais cette distinction, plus délicate que la précédente, demanderait des développements et des exemples qui seront mieux à leur place au Chapitre suivant, Section II, auxquels renvoie notre article (v. art. 405).
Au surplus, l'indemnité comprendra, comme en matière de contrats, la réparation du dommage éprouvé et la compensation du profit manqué (a); ce double élément de l'indemnité est contenu dans l'expression de dommages-intérêts (v.art. 405). Le plus souvent, l'indemnité sera fixée en argent; mais il ne serait pas contraire à la loi que les tribunaux ordonpassent une réparation en nature, dans les cas où elle serait possible et utile.
273. Il faut remarquer, en terminant sur ce point, que les délits civils, malgré la volonté de nuire qui s'y rencontre, ne constituent pas tonjours des délits correctionnels, et que, réciproquement, des quasi-délits peuvent constituer des délits correctionnels. Ainsi, celui qui, par ruse et méchanceté, déterminerait un propriétaire à aliéner son immeuble, en lui inspirant la crainte d'un darger imaginaire ou en lui donnant une espérance chimérique, ne commettrait pas une escroquerie, du moment qu'il ne serait ni l'acheteur ni le complice de l'acheteur, il ne se trouverait coupable d'aucun délit pénal, mais il aurait commis un délit civil. Il en serait de même de celui qui, méchamment, aurait donné un conseil qui a causé la perte d'un immeuble, d'un navire ou de marchandises: la loi ne punit que les conseils nuisibles aux personnes (c. pénal jap. art. 297 et 308). En sens inverse, celui qui, par imprudence ou inobservation des règlements, aurait causé un homicide ou des lésions corporelles à autrui, aurait commis un délit correctionnel, mais il ne serait, civilement, auteur que d'un quasi-délit. Le seul point où les deux qualifications de délit se rencontrent est qu'un délit correctionnel dont l'intention coupable sera un élément constitutif (et c'est, de beaucoup, le plus grand nombre) sera toujours, en même temps, un délit civil.
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(a) Du latin: damnum emergens, lucrum cessans.
Art. 391. — 274. Le Projet suit ici une division consacrée: l'usage est de dire que l'on répond toujours de ses propres faits et même dans certains cas, “du fait d'autrui.” Mais, si l'on va au fond des choses, on reconnaît facilement, comme on l'a déjà remarqué, que, dans tous les cas, on n'est responsable que de son propre fait ou de sa propre négligence: il serait, en effet, contraire à toute justice que quelqu'un se trouvât obligé sans sa faute ou sans sa volonté; il n'y a que dans les cas d'obligations imposées par la loi (et elles sont en très-petit nombre, comme on le voit à la Section suivante) qu'une personne se trouve obligée sans son fait personnel. Dans les cas qu'annonce le présent article et que les articles suivants vont déterminer, il y a toujours négligence, défaut de soins ou de surveillance, de la part de celui que la loi déclare responsable et c'est là la cause et le principe de sa responsabilité. C'est aussi ce qui explique que la responsabilité s'étende aux dégâts ou dommages causés par des animaux ou même par des choses inanimées: assurément, en pareil cas, on ne peut parler de “fait d'autrui;” mais il y a toujours négligence de la part du propriétaire et comme il est rare qu'une négligence soit commise volontairement et avec intention de nuire à autrui, on ne trouve guère ici que des quasi-délits.
Art. 392. — 275. Pour qu'une personne soit dite responsable du fait d'une autre, il faut “qu'elle ait autorité” sur celle-ci; à cet égard, l'article précédent a posé le principe d'une façon plus précise que l'article 1384 du Code français qui, par une singulière négligence, dit “qu'on est responsable du fait des personnes dont on doit répondre: c'est un cercle vicieux.” Le Code italien (art. 1153) présente la même négligence de langage.
Or, quand doit-on répondre du fait dommageable d'autrui? N'est-ce pas quand on pouvait l'empêcher; par conséquent, quand on a autorité sur la personne?
Il restait à déterminer qu'elles personnes ont sur d'autres une autorité suffisante pour prévenir les délits ou quasi-délits de celles-ci: la loi le fait ici.
En première ligne se trouvent les ascendants. Comme la matière de la puissance paternelle n'est pas encore réglée par le Projet, la loi ne détermine pas ici quel est celui des ascendants qui est responsable des faits du descendant: elle ne désigne pas, comme le Code français, “le père et, à son défaut, la mère," elle se borne à indiquer, d'une façon indéterminée, “celui des ascendants qui exerce la puissance paternelle sur ses descendants mineurs.” Indépendamment de cette autorité de droit résultant de la puissance paternelle, la loi vent encore la possibilité que cette puissance s'exerce en fait, à savoir, “la communauté d'habitation:” autrement, il serait trop dur de rendre l'ascendant responsable des actes de l'enfant habitant séparément; d'ailleurs, si l'ascendant n'est pas responsable quand son descendant habite au dehors, il y aura presque toujours une autre personne responsable: par exemple, un instituteur ou un maître d'apprentissage, comme le prévoit le 4° alinéa du présent article.
Cependant, il ne faudrait pas prendre trop à la lettre la condition d'habitation commune: si, par exemple, l'enfant qui venait d'être, depuis peu de jours, placé comme élève interne dans une maison d'éducation y conmettait quelque acte nuisible à autrui et qui ne fût pas dû au défaut de surveillance, comme un vol clandestin ou des violences contre ses condisciples, il serait impossible d'affranchir l'ascendant de la responsabilité et de la transporter sur l'instituteur: le premier a eu tort de mal élever son enfant et de le confier à un étranger sans l'avertir du danger, tandis que ce dernier ne peut être considéré comme fautif; mais s'il s'est déjà écoulé un temps assez long depuis l'entrée de l'enfant dans l'établissement, on n'est plus aussi sûr que les fautes de l'enfant soient le résultat de son éducation première, elles peuvent provenir du défaut de surveillance; en tout cas, l'instituteur, ayant pu connaître les mauvaises dispositions de l'enfant, doit s'imputer de ne pas l'avoir renvoyé à sa famille; d'ailleurs, le dernier alinéa du présent article protégera encore l'instituteur, quand il n'aura pu empêcher le dommage.
276. Le Code français n'a pas déclaré le toteur responsable des fautes de son pupille, ni le mari de celles de sa femme. On n'hésite guère, dans la pratique, à suppléer au silence de la loi, au sujet du tuteur, parce qu'il exerce à peu près les pouvoirs paternels à l'égard de l'éducation du pupille; mais on ne peut étendre l'analogie jusqu'au mari, qui n'a pas sur sa femme une autorité égale à celle du tuteur, ni les mêmes moyens de coercition que celui-ci à l'égard du pupille.
Le Projet comble cette double lacune dans le sens d'une égale responsabilité. Pour le tutenr, il 'y avait pas à hésiter; pour le mari, on a considéré que la puissance maritale est plus forte au Japon qu'en France et dans la plupart des autres pays; le mari y jouit d'ailleurs de la faculté de renvoyer sa femme pour des causes assez nombreuses, faculté que n'ont pas les ascendants à l'égard de leurs descendants et les tuteurs à l'égard de leur pupille et qui, par conséquent, motive davantage la responsabilité du mari qui a toléré les défauts de sa femme.
La loi exige la même condition d'habitation commune pour ces deux nouveaux cas de responsabilité du fait d'autrui; c'est, en effet, une condition essentielle pour la surveillance et l'influence continue. Il n'est rien dit de l'âge; la conséquence est que, pour la femme, lors même qu'elle sera devenue majeure, la responsabilité du mari continuera; quant au pupille, il doit nécessairement être mineur: la tutelle cesse avec la majorité.
277. Le Projet n'a pas encore réglé la tutelle et la garde des aliénés. Vraisemblablement, on admettra, comme en France, une distinction entre ceux dont la guérison est possible ou espérée et ceux qui peuvent être considérés comme incurables: les premiers pourront être placés temporairement dans un hospice spécial ou confiés à leur famille, les autres seront mis en tutelle. Sans faire ici une distinction qui a surtout trait à l'incapacité résultant de la démence, la loi déclare ceux qui ont la garde des aliénés responsables des dommages causés par ceux-ci, et, bien qu'elle n'exige pas qu'il y ait communauté d'habitation, le cas se rencontrera presque nécessairement, puisque la responsabilité est fondée sur la garde.
A l'égard des personnes désignées au 4 alinéa de notre article, la loi exige encore la minorité des délinquants pour qu'elles soient civilement responsables; c'est à cette condition seulement que ces personnes peuvent être considérées comme ayant reçu une délégation de l'autorité du père ou du tuteur. La loi n'exige pas l'habitation commune, mais elle s'en rapproche, en limitant la responsabilité des instituteurs et patrons aux actes commis pendant que les élèves, les apprentis ou ouvriers, sont sous leur surveillance.
278. La dernière disposition de l'article 392 est importante: elle atténue la responsabilité qui nous occupe, en la maintenant dans les limites de la raison et de l'équité. On a dit, en effet, que cette responsabilité est fondée sur une présomption de négligence des parents et des autres personnes ayant autorité sur les délinquants; or, cette présomption ne peut être absolue:, elle doit admettre la preuve contraire. Si, par exemple, l'enfant est d'un caractère insoumis et si, malgré la vi. gilance de ses parents, il sort de la maison paternelle et commet des larcins au dehors, ou s'il cause des dégâts aux propriétés voisines, il serait trop sévère de maintenir la responsabilité des parents. Il appartient aux tribunaux d'apprécier souverainement si, en fait, les parents ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour prévenir les écarts de l'enfant, et ils doivent considérer, à cet égard, non seulement la vigilance de ceux-ci days le cas particulier dont il s'agit, mais les soins qu'ils ont donnés à l'éducation générale de l'enfant.
Art. 393. — 279. La responsabilité des personnes désignées au présent article est, comme pour les précédentes, fondée sur une présomption de négligence; toutefois, elle présente avec la première des différences notables qui motivent cette disposition spéciale:
1° Les personnes ici désignées ne sont responsables que des actes dommageables commis à l'occasion ou par suite des fonctions qu'elles ont conférées; c'est, en effet, dans cette seule mesure que ces personnes ont autorité sur le délinquant; c'est dans cette mesure aussi qu'elles peuvent être blâmées d'avoir donné leur confiance à un homme incapable ou peu méritant.
2° Ces mêmes personnes ne sont pas reçues, comme les précédentes, à prouver qu'elles n'ont pu empêcher les dommages; la raison en est que leur négligence s'apprécie moins au moment de l'acte qu'au moment où elles ont fait leur choix et pendant le temps qui a suivi; or, elles pouvaient librement choisir et faire cesser les services d'un employé incapable ou malhonnête, ce qu'on ne peut pas dire pour les ascendants qui, sauf dans le cas d'adoption, ne choisissent par leurs enfants et ne peuvent les renvoyer. On pourrait peut-être prétendre que l'analogie des situations commanderait la même solution pour la responsabilité du mari à l'égard de sa femme, puisqu'il l'a dû choisir librement et qu'il peut la renvoyer par le divorce; mais, sur ce second point, l'analogie manque tout à fait: le divorce est un remède extrême aux unions mal assorties, il n'est pas dans le væu de la loi, car il est lui-même un trouble pour les familles; on ne pourrait raisonnablement reprocher à un mari de n'avoir pas renvoyé sa femme pour quelques défauts de caractère qui seraient de nature à nuire à ses voisins.
A l'égard des instituteurs et maîtres d'apprentissage, ils peuvent aussi choisir leurs élèves et surtout les renvoyer, ce qui semblerait devoir leur interdire de se disculper de leur négligence; mais il est plus naturel de leur donner le même avantage qu'aux parents dont ils sont les délégués; le système contraire aurait d'ailleurs l'inconvénient grave d'exposer les élèves ou apprentis turbulents et indisciplinés à être rejetés de toutes les écoles ou ateliers, par crainte de la responsabilité qu'ils feraient encourir et ils deviendraient alors incorrigibles.
280. Ces deux différences étant données et justifiées, entre la responsabilité des personnes désignées à l'article prédédent et celle des maîtres et commettants, par rapport aux actes de leurs serviteurs et préposés, il faut en présenter quelques applications et elles demandent de la précaution.
Un cocher ou conducteur renverse et blesse un passant, en conduisant imprudemment ou maladroitement la voiture de son maître; le maître est civilement responsable, lors même qu'il n'est pas dans ladite voiture: il aurait dû prendre un cocher plus habile ou n'en pas garder un qui est incapable; l'ivresse du cocher, même accidentelle, n'excuserait pas le maître, car il est toujours évident qu'il a fait un mauvais choix. Les tri. bunaux auraient, cependant, dans des cas tout-à-fait favorables au maître, la ressource équitable de déclarer que les suites de l'ivresse du cocher sont, par rapport au maître, un cas fortuit ou une force majeure.
Le serviteur envoyé dans une maison par son maître y commet un vol, le maître est responsable d'avoir envoyé chez autrui un individu peu sûr; mais le servi. teur, en allant au bain, commet un vol dans l'établissement, le maître n'est pas responsable, car, dans ce cas, le serviteur ne remplit pas une fonction pour son maître. Il y a plus de difficulté, si, en allant faire une commission pour son maître, il vole un objet au-devant d'une boutique: il semble, dans ce cas, que le vol soit commis, sinon “ dans l'exercice,” au moins “à l'occasion” de la fonction, ce que le texte met sur la même ligne; mais il faut reconnaître que la fonction est ici tout-à-fait étrangère au vol, elle n'y a pas plus "donné occasion” que ne l'aurait fait une promenade du serviteur dans la même rue. Il en serait autrement si le serviteur, allant dans divers magasins pour y chercher l'objet demandé par son maître, a commis un larcin dans l'un de ces magasins.
Les cas d'application de cette responsabilité des maîtres sont très-variés et souvent délicats.
281. Pour celle des entrepreneurs de travaux, les applications sont journalières aussi. Très-souvent, les ouvriers, dans les travaux qu'ils exécutent, commettent des négligences qui causent des dommages aux personnes ou aux propriétés; quelquefois, des ouvriers du même patron sont blessés par l'imprudence d'un autre: le patron est toujours responsable, parce qu'il y a toujours imprudence de sa part ou défaut de surveillance.
Les compagnies de chemin de fer, de bateaux, de transports de toute sorte, ont la même responsabilité des accidents causés par leurs employés. Et ici, il faut bien remarquer que si les dommages étaient causés aux personnes mêmes ou aux choses que la compaguie s'est engagée à transporter, ce ne serait plus par un quasi-délit qu'elle serait tenue, mais par le contrat même qu'elle a fait, par le contrat de louage de services ou d'industrie.
282. La responsabilité des commettants à l'égard des faits de leurs préposés s'applique aussi bien aux administrations publiques qu'aux administrations privées: l'Etat, les départements, les communes, sont, sous ce rapport, soumis au droit commun. La question n'a jamais fait doute, en France et dans les autres pays, et le principe ne paraît pas contesté non plus au Japon.
Ainsi d'abord, chaque fois que l'Etat se charge d'un service public salarié, comme du transport des lettres, des transmissions télégraphiques, des transports par chemins de fer, il est responsable des délits et des quasi-délits de ses employés; bien plus, si un accident est causé par la maladresse des marins de l'Etat, des soldats faisant l'exercice à feu, des cavaliers portant des dépêches, l'Etat est responsable; enfin, s'il y a abus de ponvoirs par un agent du Gouvernement, l'Etat est encore responsable. Il y a souvent des difficultés et des tempéraments dans l'application, mais le principe doit être proclamé pour la garantie des particuliers.
Bien entendu, pour les préposés des administrations publiques et privées, la responsabilité des commettants n'est encourue que si la faute a été commise “ dans l'exercice ou à l'occasion des fonctions déléguées,” comme cela a été expliqué au sujet de la faute des serviteurs.
Art. 394. — 283. La responsabilité établie par cet article et le suivant est la preuve, comme on l'a déjà annoncé (p. 283) qu'en réalité ce qu'on nomme habituellement "responsabilité du fait d'autrui” est la responsabilité d'une négligence personnelle: que le défaut de soins et de vigilance s'applique aux personnes ou aux choses, et aux choses animées ou inanimées, le principe est le même, la responsabilité est encourue.
Le texte ne distingue pas parmi les diverses espèces d'animaux; ce seront, presque toujours, des animaux domestiques ou attachés à la maison, tels que chevaux, bétail, cbiens, coqs ou poules; mais la loi a dû se garder de mettre cette limite dans ses prévisions, car il peut arriver qu'une personne ait, par curiosité ou par métier, quelque animal de nature sauvage ou même féroce qui, mal apprivoisé ou mal enfermé, commettrait des dégâts aux biens ou des dommages aux personnes. Le nouveau Code pénal (art. 426-8°) punit d'ailleurs ceux qui ont laissé vaguer des animaux dangereux.
Les seuls animaux à l'égard desquels il n'y aurait pas de responsabilité seraient les animaux sauvages qui vivraient ordinairement en liberté dans une propriété vaste et boisée et qui, delà, feraient des incursions sur les propriétés voisines, comme des loups, des renards ou des lièvres. En pareil cas, le propriétaire du terrain ne pouvant être dit propriétaire de ces animanx u'aurait aucune responsabilité des dégâts: la seule obligation qu'il aurait serait de laisser faire des battues, des chasses, par les voisins, pour la destruction de ces animaux et, en cas de refus, il pourrait être déclaré responsable des dégâts; le refus de laisser détruire ces animaux pourrait même être réprimé par la police locale, s'il y avait danger pour les personnes.
La loi impose la responsabilité à celui qui a l'usage de l'animal domestique au moment du dommage. Ce pourra être un usufruitier ou un usager, un emprunteur à usage, un locataire; ce sont, en effet, ces personnes qui ont la garde de l'animal et le devoir de le surveiller.
284. La loi ne se prononce pas ici sur le droit que les personnes menacées pourraient avoir de tuer l'animal nuisible, lorsqu'il pénètre dans les propriétés d'autrui ou attaque un passant sur la voie publique: ce droit n'est pas douteux, s'il y a danger pour les personnes; mais pour les dommages aux biens, on ne peut guère l'admettre que pour les animaux sans grande valeur; ce sera aux lois de police à y pourvoir et, à leur défaut, à la sagesse des tribunaux.
Art. 395. — 285. Le principe de cet article est le même que celui qui régit l'article précédent: la responsabilité du propriétaire n'a évidemment pas pour cause l'accident produit par sa maison, mais sa propre négligence à l'égard de ladite maison. Si la loi ne mentionne pas, comme à l'article précédent, la responsabilité de ceux qui ont l'usage de la maison ou des autres objets mentionnés au présent article, ce n'est pas parce que cette responsabilité est impossible, mais parce qu'elle sera plus rare; ainsi, l'usufruitier et le locataire ne devant pas faire les grosses réparations, il n'y aura pas à leur imputer la chûte d'un bâtiment; mais les locataires pourraient être responsables des chûtes d'arbres, d'enseignes, d'auvents, et les locataires de navires seraient responsables des dommages causés par le défaut d'amarres ou d'attaches.
286. Le droit inoderne de l'Europe, consacré ici, s'écarte beaucoup du droit romain, au sujet des dom. mages causés par les animaux et par les objets inanimés. Les Romains, n'admettant pas qu'une personne pût se trouver obligée par le fait d'autrui, ce qui est, en soi, très-rationnel et très-juste, l'admettaient encore bien moins lorsque le dommage était causé par une chose; mais la chose qui avait nui était en quelque sorte responsable; en conséquence, le propriétaire pouvait se libérer de toute indemnité en l'abandonnant à celui qui avait souffert du dommage; il faisait “l'abandon noxal (noxæ deditio) de l'animal ou des décombres de la maison tombée (voy. T. 105, p. 397-398). Si le dommage avait été causé par un esclave, il y avait lieu au inême abandon, parce que l'esclave était, à beaucoup d'égards, considéré comme une chose. Bien plus, à une époque où l'autorité paternelle était despotique, le père pouvait, de même, faire l'abandon noxal de son enfant, qui devait alors travailler comme un esclave jusqu'à ce qu'il eût réparé lui-même le dommage.
Tout ce système péchait par la base: on ne voyait pas que le principe de la responsabilité du naître ou du père est dans sa faute personnelle, dans son défaut de prévoyance. Aussi, arriva-t-on, au moins pour le cas des bâtiments menaçant ruine, à un moyen préventif qui se rapprochait déjà de la vraie théorie: le voisin menacé par la ruine d'un édifice chancelant ponvait actionner le propriétaire et lui demander de donner caution de réparer le dommage futur (cautio damni infecti); si celui-ci refusait de donner caution ou de faire la réparation, le demandeur obtenait l'envoi en possession des bâtiments; il pouvait alors les réparer à ses frais et il ne pouvait être tenu de les rendre que contre le remboursement de ses dépenses.
Aujourd'hui, l'indemnité étant de droit, il n'y a pas la même nécessité de demander cette caution; mais on l'a cependant permis (art. 214 et 222), par emprunt au Code italien (voy. T. 107 p. 397). Le voisin menacé pourrait aussi provoquer une mesure de police pour faire soutenir les bâtiments, s'il y avait danger im. médiat.
Comme les constructeurs de maisons sont, dans une certaine mesure, garants des vices de construction, en vertu du contrat de louage d'ouvrage, la loi réserve le recours contre eux. Ceux qui ont éprouvé le dommage pourraient même, en cas d'insolvabilité du propriétaire, exercer contre lesdits constructeurs l'action indirecte ou oblique qui appartient aux créanciers en général, d'après l'article 359, 2° alinéa.
Art. 396. — 287. On a toujours admis qu'il n'est pas nécessaire d'avoir autant d'âge, de raison et d'expérience pour éviter de causer dommage à autrui que pour bien gérer et gouverner ses propres affaires civiles; aussi la loi pénale rend-elle les mineurs responsables de leurs infractions, mais avec des excuses graduées depuis l'âge de 12 ans jusqu'à la majorité (voy. c. p. jap., art. 79 à 81). Pour ce qui est de la responsabilité civile des délits, la loi ne fait pas les mêmes distinctions, sauf aux juges à mesurer l'étendue de la responsabilité au degré de raison et par suite de mé. chanceté ou d'imprévoyance du mineur; c'est pourquoi le texte laisse aux tribunaux un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard, par les mots: “peuvent,... en tout ou en partie.” Ils pourraient même déclarer responsable d'un dommage causé à tort un mineur de moins de 12 ans, quoiqu'à cet âge il échappe à toute responsabilité pénale; les Romains disaient, à ce sujet, et on répète encore aujourd'hui “la méchanceté supplée à l'âge" (malitia supplet ætatem).
Il n'y a pas de raison non plus de les affranchir absolument de la responsabilité du fait de leurs serviteurs ou préposés, ni des dommages causés par leurs animaux ou même par les choses inanimées qui leur appartiennent, comme par la rupture d'une digue, par la chûte d'un arbre ou d'une maison, lorsqu'il y a eu imprudence dans le choix du serviteur, dans le défaut de surveillance des animaux ou d'entretien des bâtiments et digues. Seulement, comme ce n'est pas, généralement, le mineur qui choisit ses serviteurs ou surveille ses bâtiments, il pourra avoir recours contre son tuteur ou contre celui qui est chargé de ces soins. Il faut donc, pour appliquer cette responsabilité au minenr, supposer qu'il est près de sa majorité et qu'en fait, c'est lui qui a choisi le serviteur fautif, qui entretient des animaux nuisibles ou qui se sert des bâtiments mal entretenus, etc.
Art. 397. — 288. Cette disposition qui pe se trouve pas exprimée dans les Codes français y est considérée comme sous-entendue. Si on la néglige ordinairement, c'est que, le plus souvent, les auteurs du dom. mage dont la minorité ou la dépendance entraîne la responsabilité d'autrui sont moins solvables que ceux qui ont autorité sur eux; mais le principe doit être posé néanmoins. Le texte, toutefois, subordonne la condamnation de l'auteur du dommage à une condition essentielle, c'est “qu'il puisse être considéré comme personnellement responsable de ses actes,” ce qui exclut de cette responsabilité les fous et les enfants n'ayant pas encore le discernement exact de leurs devoirs; mais, les mineurs proches de la majorité et les serviteurs ou préposés, majeurs, pour la plupart, seront condamnés comme débiteurs principaux. Les personnes civilement responsables seront assimilées à des cautions, et c'est à raison de cette similitude qu'elles ont, de droit, un recours contre le débiteur principal, lorsqu'elles ont payé pour lui; l'auteur du dommage ne pourrait leur reprocher, comme le peut celui qui en a souffert, leur défaut de surveillance ou leur imprudence dans le choix dont ils ont été l'objet.
289. Remarquons, au surplus, que l'acte directement dommageable peut être un délit, civil ou pépal, quand il est volontaire, tandis que la faute de la personne civilement responsable, n'étant ordinairement qu'une imprudence on uve omission in volontaire, ne constitue qu'un quasi-délit. La conséquence est importante pour l'appréciation de la responsabilité de chacun. Quand l'auteur du dommage volontaire a assez d'âge et de raison pour que son acte lui soit imputable civilement, les tribunaux le condamneront à l'indemnité toute entière du dommage causé, même au delà de ce qu'il pouvait prévoir au moment de l'acte; tandis qu'ils ne condamneront les personnes civilement responsables que dans les limites du dommage qu'elles auraient pu et dû prévoir (art. 390, 3° al. et p. 280-281).
290. Les amendes sont des peines qui, comme telles, sont personnelles et ne peuvent, en principe, être prononcées que contre les délinquants. Si les personnes qui ont autorité sur eux ou qui leur ont donné des fonctions étaient responsables des amendes, ce ne serait plus une responsabilité civile mais une responsabilité pénale et il n'y aurait plus de raison pour ne pas les soumettre aussi à l'emprisonnement, au lieu et place du délinquant, s'il s'échappait.
La loi réserve cependant des cas exceptionnels où l'amende pourra être poursuivie contre ces personnes; on les trouvera dans des lois spéciales: par exemple, en matière de douanes, d'impôts indirects, de postes; dans ces cas, certaines fraudes ou contraventions sont punies d'amendes qui ont un caractère de réparation civile autant et plus que de peine; l'exception, comme on le voit, est plutôt dans les mots que dans la chose elle-même.
Art. 398. — 291. Il a déjà été rencontré des cas de solidarité légale, notamment, au cas de responsabilité de l'incendie d'une maison louée (art. 152). On a dit, à cette occasion, que le principal effet de la solidarité est d'autoriser le créancier à poursuivre chacun des débiteurs pour le tout, ce qui augmente ses chances de payement. La solidarité, étant une des garanties des créances, n'aura sa place, avec les développements qu'elle comporte, qu'au Livre IV°. Il n'y a besoin ici que d'en justifier l'établissement par la loi.
S'il était possible de connaître et de déterminer la part de faute, de négligence, de chacune des personnes que la loi présume en faute dans cette Section, il ne serait pas équitable d'établir contre elles une responsabilité solidaire; mais cette constatation du degré de faute individuelle sera presque toujours impossible: la loi, en établissant ici la solidarité, ne fait autre chose qu'appliquer un principe général consacré en matière pénale.
On pourrait hésiter dans le cas où le dommage a été causé par un animal ou par la chûte d'un bâtiment appartenant à plusieurs personnes pour des parts déterminées, égales ou inégales: on pourrait croire que, dans ce cas, l'équité n'admet de responsabilité pour chacun que dans la mesure de son droit de propriété sur la chose qui a causé le dommage; mais c'est une illusion: celui qui, par exemple, n'est co-propriétaire d'un bâtiment que pour moitié, ne devait pas l'entretenir et le réparer pour moitié seulement, mais pour le tout; à plus forte raison, pour un animal dangereux, il devait le garder pour le tout: on ne comprendrait même pas qu'il pût n'être gardé que pour une partie. L'opinion contraire qui divise la responsabilité dans la proportion des droits respectifs des co-propriétaires subit, sans s'en rendre compte, l'influence de l'ancienne théorie romaine sur l'abandon noxal: il est clair que dans une législation qui permettait de se libérer de la responsabilité des dommages causés par une chose animée ou inanimée, en l'abandonnant à la victime du dommage, la responsabilité de chaque propriétaire ne pouvait excéder sa part de co-propriété; mais ce n'est plus le système moderne, infiniment plus rationnel et équitable, où la responsabilité est fondée uniquement sur la négligence du propriétaire; or, la surveillance étant de sa nature indivisible, la responsabilité doit être intégrale et solidaire.
Art. 399. — 292. On a déjà remarqué (p. 282) que les fautes dommageables, même volontaires, ne constituent pas toujours une infraction d'après la loi pénale, et que, en sens inverse, une faute involontaire, une imprudence, un quasi-délit, peut constituer un délit correctionnel; elle constituera, plus souvent encore, une contravention.
La circonstance que la faute sera une infraction à la loi pénale n'influera pas sur l'étendue de la responsabilité civile; mais elle modifiera la compétence, puisqu'il est de principe que les tribunaux de répression sout compétents pour statuer sur la réparation civile due à la partie lésée (voy. nouv. c. pr. cr., art. 4); elle influera aussi sur la prescription de l'action en judemnité qui sera généralement plus courte que la prescription civile ordinaire, étant mesurée sur la durée de la prescription de l'action publique (Ib., art. 10 et 11).
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette double dérogation au droit commun des matières civiles: cela a été fait, en temps et lieu, au sujet du Code de procédure criminelle (b).
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(b) Voir Commentaire du Projet de Code de procédure criminelle, (pp. 26 et s., 50 et s.).
COMMENTAIRE.
Art. 400. — 293. On remarquera d'abord, au sujet de l'intitulé de cette Section, une addition qui ne se trouve pas aux trois autres; le motif en est que si les yeux rencontraient par hasard cette Section, sans qu'on se rendît compte de la place qu'elle occupe, ou serait surpris de voir un article unique intitulé: de la Loi, alors que tout le Code est lui-même la Loi; avec cette addition, le lecteur sera aussitôt fixé sur le rôle tout spécial attribué ici à la loi.
294. Le 107 alinéa fait ressortir le caractère des obligations légales, en y signalant l'absence d'un fait actuel de l'homme; on aurait pu croire, en effet, que toute obligation reconnue, sanctionnée par la loi, pouvait être qualifiée "obligation légale;" inais, quand elle n'est pas directement l'æuvre de la loi, quand il y a un fait de l'homme, plus ou moins volontaire, comme une convention, un enrichissement indû ou une faute, il est plus logique et plus simple d'assigner ce fait comme cause directe et immédiate à l'obligation et de réserver le nom d'obligations légales à celles que la loi impose aux particuliers sans leur volonté et, en quelque sorte, sans leur participation.
On a cependant contesté ce point de vue: on a soutenu que dans les prétendues obligations légales, il y a toujours un fait de l'homme qui pourrait être considéré comme base de l'obligation. Ainsi l'obligation alimentaire aurait pour base le mariage et la parenté, faits volontaires dans leur principe; l'obligation de gérer une tutelle reposerait de même sur un lien de parenté provenant toujours du mariage; les obligations entre co-propriétaires ou entre voisins auraient pour base la propriété même qui est toujours acquise volontairement. Mais, ce sont là des subtilités abusives; il faut toujours donner un nom à ces nouvelles obligations, car il est impossible de les déclarer conventionnelles, puisqu'on ne pourrait ni les supprimer, ni les restreindre par convention; il est encore moins possible de les rattacher à un enrichissement indû ou à une faute: il est bien plus simple et plus naturel de les rattacher à la Loi, qui, interprétant le droit naturel, les détermine et les consacre.
295. Les obligations légales ici énumérées le sont plutôt énonciativement que limitativement: il est possible que le développement du droit au Japon en fasse admettre d'autres que celles qui sont ici énoncées et qui sont les seules aussi qu'on trouve dans les principaux Codes étrangers. S'il s'agissait du droit administratif et non plus du droit privé, on en trouverait un trèsgrand nombre, mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.
La loi ne donne ici aucun détail sur les obligations légales qu'elle mentionne: elle se borne à renvoyer aux matières auxquelles elles se rattachent, an moins, pour ce qu'elles ont de particulier; car, à beaucoup d'égards, elles suivent les règles des obligations conventionnelles: leurs effets, notamment, se trouveront traités ci-après.
L'obligation alimentaire sera explignée aux Chapitres du Mariage et de la Paternité; celle de gérer une tutelle le sera au Chapitre de la Tutelle (ces trois matières seront au Livre 1er). Quant aux obligations entre co-propriétaires, elles se trouvent déjà expliquées au présent Livre (art. 38 et suiv.); enfin, celles entre voisins, en dehors des cas qui constituent des charges réelles ou servitudes foncières, se trouvent plus ou moins mêlées avec ces dernières, par la nécessité de ne pas séparer des règles très-voisines les unes des autres: ainsi la nécessité de contribuer au borpage et à la clôture des propriétés contiguës (art. 264 et 267) et celle de céder la mitoyenneté au voisin qui le requiert (art. 277) sont plutôt des obligations personnelles que des charges réelles.
Ici se termine ce qui concerne les Causes ou Sources des Obligations. La loi passe maintenant à leurs Effets.
COMMENTAIRE.
Art. 401. — 296. La définition de l'obligation, donnée par l'article 314, nous a déjà dit que “le débi“teur est astreint, envers le créancier, à donner, à faire “ou à ne pas faire quelque chose;" mais, si c'est là l'effet immédiat de l'obligation, ce n'en est aussi qu'un effet purement moral et métaphysique: il faut prévoir le cas où le débiteur manquerait à remplir son devoir juridique, il faut que la loi détermine les effets ultérieurs de l'obligation, c'est-à-dire les conséquences, la sanction de l'inexécution. Elles consistent dans des moyens de contrainte du créancier, et comme aucun trouble ne doit être apporté à la liberté civile des persounes sans le contrôle de la justice, le droit du créancier prend la forme d'une action en justice. C'est d'ailleurs “l'action en justice pour l'exécution” qui caractérise l'obligation civile; quant à l'obligation naturelle, elle ne donne pas d'action au créancier: l'exécution, en principe, doit être volontaire (voir l'Appendice, art. 586 à 600).
297. Le créancier, comme l'annonce le présent article, a deux actions, l'une tendant à l'exécution directe de l'obligation, c'est-à-dire à la réalisation en nature de ce qui est dû (chose, fait, ou abstention), l'autre tendant à obtenir une indemnité pour l'inexécution, soit que le débiteur ne veuille exécuter ou se trouve, par sa faute, dans l'impossibilité de le faire, soit qu'il ait seulement tardé à exécuter; les deux actions peuvent être intentées séparément ou conjointement; la seconde peut, tantôt être subsidiaire à la première, tantôt en être un complément. Toutefois, pour plus de clarté, le Projet consacre à chacune de ces actions une Section séparée.
Cet effet principal des obligations se trouve modifié, en plus ou en moins, suivant ce que les Codes étrangers appellent les “ diverses espèces d'obligations" et ce que le présent article qualifie, plus juridiquement, leurs “diverses modalités ” ou manières d'être; elles sont l'objet d'une quatrième Section. L'une de ces modalités, la plus importante peut-être, donnera même au créancier une autre nature d'action, l'action en résolution déjà mentionnée souvent et qui sera bientôt expliquée plus au long.
Comme on l'a déjà observé, avec l'article 400, au sujet des obligations nées de la loi, les effets des obli. gations sont, en principe, les mêmes, quelle que soit leur cause (convention, enrichissement indû, dommage injuste ou la loi); s'il y a quelque particularité tenant à la cause, elle sera signalée chemin faisant.
COMMENTAIRE.
Art. 402. — 298. Ce que la loi appelle “l'exécution directe” de l'obligation, et, en d'autres termes, “l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur," c'est l'accomplissement en nature de ce qui a été promis, s'il s'agit d'une obligation conventionnelle, et de ce qui est imposé par la loi, s'il s'agit d'une obligation fondée sur une des autres causes légales traitées au Chapitre précédent.
Au premier abord, il semblerait que ce genre d'accomplissement de l'obligation pourrait toujours être exigé, mais le premier alinéa le subordonne à deux conditions dont la première va de soi, c'est que le créancier la requierre; la seconde seule demande quelque justification.
Si l'exécution directe de l'obligation ne pouvait être obtenue que par des moyens de contrainte sur la personne du débiteur, il faudrait l'abandonner; en effet, le débiteur, en s'engageant, même expressément et par contrat, à accomplir un acte licite, n'a pas eu l'intention ni même le droit d'aliéner tout ou partie de sa liberté individuelle; il reste maître de sa personne, maître de faire ou de ne pas faire, sauf la responsabilité du dommage qui peut résulter pour le créancier du parti qu'il a pris.
Du reste, on comprendrait très-difficilement que la contrainte personnelle produisît un effet utile pour le créancier: la plupart des obligations de faire ne peuvent se réaliser que par un effet de la pleine volonté du débiteur, et son refus formel constituerait la force d'inertie plus difficile à vaincre que la force active (a).
Voici pourtant un cas très-pratique d'une obligation de faire qui ne pourra que se résoudre en dommagesintérêts, parce que l'exécution forcée, quoiqu'à peu près possible en fait, est défendue en droit: une personne a promis ses services à temps, pour un prix qui lui a été payé davance, en tout ou en partie; elle est déjà entrée dans la maison où elle doit servir; bientôt, elle veut se retirer, même sans cause légitime; celui auquel elle a loué ses services ne peut la retenir, lors même qu'elle ne serait pas en état de restituer les sommes reçues. Le cas se présente souvent au Japon et l'on n'y a peut-être pas toujours observé le principe de droit naturel qui défend qu'une personne aliène sa liberté. Il ne faut pas qu'une maison privée soit transformée en une prison: le maître qui retiendrait ainsi une servante contre sa volonté, quoiqu'elle eût fait un contrat de louage de services personnels, serait coupable de séquestration, délit prévu par le nouveau Code pénal (art. 322).
299. La prohibition légale de toute contrainte sur la personne du débiteur s'applique surtout aux obligations de ne pas faire: justement, parce que c'est le cas où la contrainte serait possible en fait, et encore ne serait-ce que dans des circonstances très-spéciales.
En France, un acteur célèbre engagé avec un directeur de théâtre, avait promis de ne pas jouer sur un autre théâtre pendant la durée de son engagement (b); il contrevint à sa promesse et le directeur demanda que l'acteur fût enlevé de la scène rivale pendant la repré. sentation; il l'obtint du tribunal, mais ce fut une violation du principe et elle est restée célèbre comme telle; il convient de remarquer d'ailleurs que la décision émanait d'un tribunal de commerce dont les membres ne sont pas toujours des jurisconsultes.
300. Le présent article, après avoir posé le principe qu'on vient de justifier, indique des cas où le créancier obtiendra, avec le secours de la justice, une satisfaction égale ou presque égale à celle que lui donnerait une exécution volontaire.
Le premier cas recevra une très-large et très-fréquente application. Le débiteur est tenu de délivrer une chose corporelle, meuble on immeuble, en vertu d'une vente, d'un échange, d'une société; il manque à remplir son obligation: le créancier fera saisir la chose et se la fera délivrer par les officiers de justice chargés de l'exécution des jugements. Cette disposition s'appliquera, non seulement dans les cas où, s'agissant d'un corps certain, la propriété aura été transférée par la convention (dans ce cas, le créancier obtiendrait, au besoin, la possession, parl'action en revendication), mais encore, lorsqu'il s'agirait de choses de quantité vendues ou promises: si le débiteur possédait des choses de la nature et de la quantité promises, le créancier en ferait saisir et s'en ferait délivrer la quantité due. En effet, tout cela peut se réaliser sans violence, sans contrainte sur la personne du débiteur. La violence légale ne serait employée que si le débiteur s'opposait lui-même, par la violence, à l'exécution du jugement; mais alors il commettrait un délit qui pourrait toujours être réprimé par la force publique.
Cette disposition s'appliquera non seulement aux cas où la délivrance se rapportera à une translation de propriété ou de droit réel moins étendu, comme à un droit d'usufruit, de louage ou de gage, mais même au cas où il ne s'agirait que d'un droit personnel, comme dans le prêt à usage on commodat, si le promettant refusait d'opérer le prêt par la tradition.
Le deuxième cas est celui d'une obligation de faire. Ici, l'obstacle résultant de la mauvaise volonté du débiteur est le plus considérable, parce qu'il n'y a pas de saisie possible; mais la loi indique un moyen qui, bien souvent, suffira pour donner satisfaction au créancier: il fera accomplir le fait par un tiers, aux frais du débiteur. On conçoit que lorsqu'il s'agit de travaux agricoles ou manufacturiers, il sera peu important pour le créancier qu'ils soient faits par le débiteur lui-même ou par un autre. Mais, s'il s'agit d'une cuvre d'art à exécuter, d'un mandat ou d'une négociation à accomplir, le créancier aura pris en considération le talent, l'habileté du débiteur, et il ne trouverait pas toujours dans un tiers les mêmes garanties de succès. Il appartient donc au créancier, en pareil cas, de choisir entre l'exécution par un tiers et les dommages-intérêts pour inexécution; quand le texte dit que le tribunal autorisera l'exécution par un tiers, c'est bien entendu, en supposant, avec le premier alinéa, qu'elle est requise par le créancier.
Dans le troisième cas, l'obligation est de ne pas faire, l'inexécution de cette obligation est justement l'accomplissement du fait défendu; on dit alors qu'il y a contravention, que le débiteur a contrevenu à l'obligation. L'exécution tout-à-fait directe ne pourrait être obtenue que par des moyens préventifs attentatoires à la liberté individuelle que la loi défend et qui d'ailleurs seraient presque aussi impossibles en fait qu'en droit, car le créancier ne pourrait exercer sur les actes de son débiteur une surveillance continuelle.
Le seul moyen d'assurer au créancier, autant que possible, le bénéfice de l'obligation, c'est de l'autoriser à faire détruire ce qui aura été fait en contravention à ladite obligation, et comme cette destruction sera ellemême un travail, elle sera accomplie aux frais du débiteur. Bien entendu, il faut supposer qu'il s'agit d'actes matériels susceptibles d'être détruits, comme des travaux, des constructions ou plantations nuisibles à un voisin, et encore faut-il supposer qu'ils ne sont pas faits en contravention à une servitude, car ce n'est pas alors en vertu d'une obligation de ne pas faire qu'ils seraient sujets à destruction, mais en vertu du droit réel de servitude.
Un cas pourrait faire doute, c'est celui où le débi. teur, homme de lettres ou écrivain de profession, aurait promis de consacrer exclusivement ses travaux à un journal ou à une revue, et aurait contrevenu en donnant des articles à une feuille rivale. En pareil cas, le tribunal pourrait-il ordonner la destruction des travaux faits en contravention à l'obligation ? Il faut répondre négativement, parce que les œuvres de l'esprit ne peuvent être ainsi détruites que lorsqu'elles sont contraires à la morale ou à l'ordre public, ce qui n'est pas le cas. Il n'y aurait donc lieu qu'à des dommagesintérêts.
301. La loi autorise enfin des mesures préventives pour l'avenir, s'il y a lieu, c'est-à-dire, s'il est possible d'empêcher le retour de la contravention; mais toujours, il faudrait se garder de porter atteinte à l'indépendance de la personne et même au droit de propriété. Ainsi, si un forgeron avait promis de ne pas battre le fer pendant la maladie de son voisin et continuerait cependant l'exercice de sa bruyante profession: le tribunal pourrait bien ordonner qu'il payera une forte somme d'argent, par chaque jour ou même chaque heure de contravention; mais il ne pourrait ôter au débiteur le libre accès à son atelier, ni même autoriser la saisie des fers, marteaux, enclumes.
302. L'avant-dernier alinéa de notre article réserve le cumul des dommages-intérêts avec la satisfaction principale autorisée par les alinéas précédents (comp.c. civ. fr., art. 1145; c. civ. ital., art. 1222). En effet, cette satisfaction peut n'être pas complète, et, en tout cas, elle sera souvent tardive et le retard seul est presque toujours préjudiciable. Dans le cas de l'exécution par un tiers, le créancier pourra n'avoir pas les mêmes avantages que si l'exécution était venue du débiteur; enfin, dans le cas où il y a eu destruction de ce qui avait été fait en contravention à l'obligation, il sera rare que le préjudice soit complètement réparé par cette destruction. Mais il ne faudrait pas croire, prenaut à la lettre l'article 1145 du Code français (reproduit textuellement par l'article 1221 du Code italien), que la destruction de ce qui a été fait ne suffira jamais et sera toujours accompagnée de dommages-intérêts: le véritable sens de cette disposition sera donné à la Section suivante.
302 bis. La loi n'aurait pas suffisamment pourvu à la garantie des droits du créancier, en lui donnant une action directe pour l'exécution et une action subsidiaire ou même cumulative en dommages-intérêts, si elle ne lui assurait encore l'exécution des condamnations prononcées contre le débiteur: il faut arriver, comme dernière sanction, à la saisie et à la vente forcée des biens de celui-ci et, par la distribution du prix, le créancier pourra arriver à une satisfaction plus ou moins complète. Mais ces voies d'exécution forcée, qui sont le complément et l'issue finale des poursuites, appartiennent évidemment à la procédure civile à laquelle renvoie le dernier alinéa de notre article.
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(a) De là l'axiôme: “Personne ne peut être directement contraint à faire,” nemo præcisè cogi potest ad factum; ce qui est aussi vrai d'une contrainte de fait que d'une contrainte de droit.
(b) Cette convention est très-fréquente au Japon.
COMMENTAIRE.
Art. 403. — 303. La loi indique d'abord les cas où il y a lieu à la seconde action du créancier, à celle qui tend à l'obtention de dommages-intérêts: ces cas sont déjà pressentis par ce qui a été dit au sujet de l'action pour l'exécution directe:
1° Il y a refus plus ou moins explicite du débiteur; peut-être garde-t-il le silence sur les réclamations formelles du créancier; peut-être allègue-t-il que l'obligation est nulle ou éteinte; dans ce premier cas, il peut y avoir encore lieu à l'exécution directe: le tribunal, rejetant les exceptions ou moyens de défense du débiteur, pourra ordonner les mesures prescrites à l'article précédent, en réservant la condamnation subsidiaire aux dommages-intérêts, sur lesquels il statuera ensuite.
2° Il y a impossibilité d'exécuter et elle est imputable au débiteur, soit que, par imprévoyance, il ait promis plus qu'il ne pouvait tenir, soit que, par la mauvaise gestion de ses affaires, il soit arrivé à ne pas pou voir remplir ses engagements. Ce cas implique la so. lution inverse dans l'hypothèse où l'inexécution proviendrait d'un cas fortuit ou d'une force majeure; par exemple, la chose due aurait péri par accident, ou elle serait retirée du commerce; bien entendu, ce serait au débiteur à prouver le cas fortuit ou la force majeure. Au surplus, cette impossibilité d'exécution constituant un cas d'extinction de l'obligation, c'est au Chapitre III° qu'il en sera reparlé avec quelques détails.
3° Il y a seulement retard à l'exécution. Ici, les deux actions se réunissent, comme on l'a déjà prévu: le créancier peut obtenir la satisfaction directe ou en nature qui lui est due; mais, en vertu de l'axiôme que “celui qui paye tard, paye moins" (qui tardius solvit, minus solvit), ledit créancier pourra obtenir une indemnité à raison de ce préjudice. La fixation des dommages-intérêts est faite par la loi elle-même dans le cas d'obligation d'une somme d'argent: on rencontrera bientôt cette disposition (art. 411) et elle sera justifiée; les parties peuvent aussi les régler d'avance, par une stipulation spéciale de la convention, appelée clause pénale dont il est traité ci-après. A défaut de fixation légale ou conventionnelle des dommages-intérêts, elle appartient aux tribunaux qui statueront, d'après les circonstances du fait, sur les justifications fournies par le créancier et après que le débiteur aura été appelé à y contredire.
Quoique le pouvoir du tribunal soit assez étendu en cette matière, il est cependant soumis à certaines conditions et distinctions qui sont l'objet des articles suivants.
Art. 404. — 304. On a déjà remarqué, sur l'article 356, que la loi, tenant compte de la facilité avec laquelle les hommes laissent s'écouler le temps saus s'apercevoir de sa rapidité, n'a pas admis, en principe, que la seule échéance du terme fixé pour l'exécution constituât le débiteur en demeure et le rendît responsable de l'inexécution. Cependant le Code italien l'a admis (art. 1223), mais c'est une grande rigueur qui ne semble pas devoir être suivie (a).
Au cas désignés déjà par l'article 356 où le débiteur est constitué en demeure, le présent article en ajoute un nouveau, c'est celui où l'obligation est de ne pas faire," celui où elle a pour objet l'abstention d'un acte même licite. Il est clair qu'il serait déraisonnable d'esiger, dans ce cas, une mise en demeure formelle émanant du créancier: s'il devait, pour sauvegarder son droit, avertir le débiteur d'avoir à ne pas faire ce dont il a promis de s'abstenir, il faudrait qu'il réitérât cet avertissement chaque jour et, pour ainsi dire, à chaque moment. On est donc amené à reconnaître que le débiteur est toujours en demeure: d'ailleurs, il ne court pas ici le risque d'être surpris par le temps, d'être en faute à son insû, comme dans le cas d'une obligation de faire quelque chose à terme fixe; car sa faute n'est pas de manquer à faire ce qu'il a promis, mais de faire ce qu'il s'est interdit; or, l'accomplissement d'un acte, si facile et si prompt qu'il soit, n'est pas de nature à avoir lieu sans que l'attention du débiteur y soit arrêtée et cela suffit pour engager sa responsabilité (voy. pp. 151 et 280).
La même disposition se trouve dans les Codes français (art. 1145) et italien (art. 1221); mais elle y est présentée dans des termes et à une place qui feraient croire à un tout autre sens: il semblerait que la loi a voulu dire que, dans le cas d'obligation de ne pas faire, il y a toujours un préjudice éprouvé par le créancier, au cas de contravention, ce qui peut très-bien ne pas être.
Le Projet ne laissera aucun doute sur ce point.
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(a) Suivant que la loi adunet ou n'admet pas que le terme vaille interpellation, au lieu et place d'une sommation, on dit: dies interpellat ou non interpellat pro homine (v. p. 151, note i).
Art. 405. — 305. L'expression dommages-intérêts a, en français, un sens complexe: elle répond à la double idée de perte éprouvée (damnum emergens) et de gain manqué (lucrum cessans); il est, en effet, aussi nuisible, en principe, au créancier, de perdre quelque chose des biens déjà acquis que de manquer à acquérir de nouveaux biens; cela est vrai surtout si ces profits étaient dans les prévisions du créancier; il y a toutefois cette différence entre les pertes éprouvées et les gains manqués que ceux-ci seront plus difficiles à prouver que celles-là, par la raison que les pertes sont un fait positif et les gains manqués un fait négatif; or, on a déjà eu occasion de signaler (ci-dess., p. 117 et T. 105, p. 531) la difficulté de prouver une végation. On a vu aussi (p. 166) que les créanciers qui peuvent attaquer, pour fraude à leurs droits, les actes par lesquels le débiteur diminue ses biens, ne pourraient le critiquer d'avoir manqué à acquérir, ni se substituer à lui pour acquérir à sa place.
Malgré la généralité du principe posé par le premier alinéa, il a fallu y apporter quelque tempérament: il est de la nature des dommages ou pertes de se développer progressivement: une perte en entraîne souvent une autre; de même, un gain réalisé en amènerait d'autres successivement et la cause qui le fait manquer fait aussi manquer les autres. La loi ne peut cependant suivre jusqu'au bout, ni même bien loin, cette succession de pertes éprouvées ou de gains manqués; elle est seulement plus sévère pour le débiteur de mauvaise foi que pour celui auquel il n'y a à imputer que sa négligence. Le débiteur qui n'a manqué à exécuter son engagement que par imprévoyance ne répond des pertes du créancier ou des gains par lui manqués que dans la mesure de ce qui était prévu ou à prévoir par les parties, lors de la convention. Cette prévision effective ou possible est considérée comme une convention tacite, au sujet des dommages-intérêts.
306. Une difficulté s'élève cependant, en France, sur l'article 1150 qui a la même disposition: faut-il que les parties aient prévu le montant de l'indemnité qu'entraînerait l'inexécution, ou seulement qu'elles aient prévu la cause ou la nature du dommage ? La première opinion est la plus généralement admise et c'est elle aussi qui protége davantage le débiteur; car, si l'on se contente que la cause du dommage ait été seule prévue, les suites pourront en être ruineuses pour le débiteur. Un exemple fera ressortir cette différence dans les résultats des deux systèmes. Le débiteur avait promis des marchandises qu'il savait destinées à être vendues par le stipulant; par sa faute, il n'a pu les livrer au temps convenu; dans l'intervalle du contrat au temps fixé pour l'exécution, la valeur desdites marchandises a doublé ou triplé, contre toutes les prévisions, même les plus favorables: dans l'opinion commune, le débiteur ne devrait que la valeur la plus haute que les parties ont pu raisonnablement prévoir; dans l'autre opinion (assez nouvelle en France), le débiteur, ayant connu le but du stipulant, qui était de revendre, a prévu la cause de la perte et en doit subir toutes les suites. Le Code français parait avoir adopté ce système rigoureux en matière de vente (art. 1633), où, supposant qu'un acheteur est évincé de la chose vendue, parce que le vendeur ne l'a pas rendu propriétaire, il lui fait rembourser, à titre de dommages-intérêts, toute la plus-value qu'a pu acquérir la chose, sans distinguer si cette plus-value a été ou non dans les prévisions des parties. Faut-il voir là une application du second système ? N'est-ce pas plutôt une exception au premier? La question sera longtemps encore discutée en France.
Quoi qu'il en soit, le Projet ne croit pas devoir consacrer le nouveau système, comme trop rigoureux pour le débiteur, et il suffit, pour l'écarter, de ne pas parler de la prévision des causes de pertes; le texte n'exige pas non plus la prévision du montant des pertes, ce serait enfermer les tribunaux dans des limites trop étroites; il semble préférable d'adopter une formule intermédiaire, qui, moins déterminée que les deux autres, permet aux tribunaux de concilier l'équité avec la modération.
307. Il y a plus de sévérité pour le débiteur qui n'a pas exécuté par dol ou mauvaise foi.
Il faut d'abord déterminer en quoi consiste ici le dol ou la mauvaise foi: le dol ne sera pas, comme dans le cas de l'article 333, un ensemble de manoeuvres tendant à induire en erreur la partie contractante, il est ici synonyme de la mauvaise foi, laquelle consistera, au point de vue qui nous occupe, à manquer volontairement à exécuter l'obligation, lorsqu'on en aurait la possibilité; il n'est même pas nécessaire que le débiteur ait eu, en n'exécutant pas, le but et l'intention de nuire, il suffit que le débiteur ait su qu'il nuisait; ainsi, le débiteur a promis des marchandises ou des travaux pour une époque déterminée; ensuite, il en trouve un meilleur prix près d'une autre personne et il lui donne la préférence: on dira, dans ce cas, que l'inexécution n'est pas seulement l'effet d'une faute, mais qu'elle provient du dol ou de la mauvaise foi, quoique le mobile du débiteur n'ait pas été la méchanceté, mais seulement la recherche d'un gain illicite.
La conséquence sera que le débiteur répondra non seulement du préjudice qui a pu être prévu par lui, lors de la convention ou même lors de l'inexécution, mais encore du préjudice qu'il ne lui était pas possible de prévoir; par exemple, le créancier avait, de son côté, pris des engagements auxquels il ne pouvait satisfaire que s'il avait obtenu lui-même ce qui lui était dû: le débiteur sera responsable des indemnités auquelles le créancier pourra être condamné envers son propre créancier.
308. Mais, dans ce cas même, la loi craint l'exagération de la responsabilité du débiteur de mauvaise foi: c'est là surtout qu'elle défend de rechercher la génération des dommages les uns par les autres; le Code français (art. 1151) ne permet au tribunal de tenir compte que de ce qui est "une suite immédiate et directe de l'inexécution;" le Code italien a la même disposition (art. 1229). Pour comprendre cette limite, on peut supposer que le débiteur qui avait promis des marchandises à livrer a manqué, de mauvaise foi, à l'exécution de sa promesse; il ignorait que le créancier avait fait lui-même un marché à livrer des mêmes marchandises: le prix ayant haussé, le créancier a été obligé de se pourvoir des mêmes marchandises au cours du jour et il a souffert une perte ou manqué à gagner; c'est là un dommage “imprévu” dont ne répondrait pas un débi. teur simplement négligent; mais comme ce dommage est une “suite immédiate et directe" de l'inexécution, le débiteur de manvaise foi en est tenu; au contraire, le créancier ne serait pas recevable à demander l'indemnité de dommages "médiats et indirects:" par exemple, n'ayant pu remplir son engagement envers un tiers, il a été condamné, lui-inême, à une forte indemnité: il ne pourra se la faire rembourser par son débiteur de mauvaise foi, parce que ce dommage n'est pas la suite immédiate et directe de l'inexécution de la première obligation, mais de l'inexécution de la seconde; il ne pourrait, non plus, en alléguant la plus-value des marchandises et les bénéfices qu'il en aurait pu réaliser, se faire tenir compte des bénéfices ultérieurs et successifs qui en auraient pu être la suite.
Cette limitation des dommages-intérêts, même au cas de mauvaise foi du débiteur, se justifie de deux manières: d'abord, lorsque les dommages ne résultent pas directement de l'inexécution, ils n'en sont pas la conséquence certaine: il est à craindre que le créancier, abusant de la situation peu intéressante du débiteur, n'attribue à l'inexécution des dommages ou des pertes de profits qui, en réalité, n'ont pas cette cause; en second lieu, le créancier pouvait ou est présumé avoir pu éviter les dommages-intérêts, en se pourvoyant autrement pour remplir lui-même les engagements qu'il avait contractés.
309. C'est à raison de ce double motif de la limitation de la responsabilité du débiteur de mauvaise foi que le Projet a changé légèrement l'expression du Code français: au lieu de rechercher ce qui est “une suite immédiate et directe de l'inexécution,” les tribunaux rechercheront ce qui en est "une suite inévitable.”
La différence n'est pas seulement dans les mots, mais elle est aussi dans les choses: la question de savoir si tel dommage ou telle privation de gain est une suite immédiate et directe de l'inexécution est une question de métaphysique, antant et plus que de droit; certainement, elle n'est pas une question de fait; elle peut donc créer de sérieux embarras pour les tribunaux, comme cela se voit en France; au contraire, c'est une simple question de fait et de circonstances que de savoir si le créancier pouvait, par quelque mesure prévoyante ou habile, prévenir telle ou telle suite de l'inexécution de la promesse qui lui a été faite.
Une autre conséquence naturelle de ce changement de texte, et elle est grave, c'est que les tribunaux n'auront plus à rechercher si telle perte ou telle privation de gain est une suite immédiate ou médiate, directe ou indirecte, de l'inexécution: il leur suffira de rechercher si le créancier pouvait ou non l'éviter (b).
L'innovation du Projet aura encore une conséquence très-importante dans le règlement des dommages-intérêts, au cas de bonne foi ou de simple faute du débiteur. Dans le système français, on peut trouver des cas où la position du débiteur de bonne foi sera moins avantageuse que celle du débiteur de mauvaise foi: si l'on suppose que des dommages ou des privations de gains ont été prévues ou ont pu l'être, comme suite médiate ou indirecte de l'inexécution, le débiteur de bonne foi en est tenu, comme les ayant prévus et en ayant éventuellement accepté la responsabilité; tandis que le débiteur de mauvaise foi qui ne les aurait pas prévus n'en serait pas tenu. Avec la nouvelle formule, le débiteur de bonne foi ne devra réparer que les dommages “inévitables" qu'il a prévus, parce qu'il a toujours pu espérer aussi que le créancier ferait tout ce qui dépendrait de lui pour prévenir et limiter les dommages.
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(b) Un ancien auteur françnis que les rédacteurs du Code ont constamment suivi dans la matière des Obligations, Pothier, distinguait si les dommages éprouvés “étaient une suite nécessaire de l'inexécution ou pouvaient avoir une autre cause;" c'était la même idée que celle proposée dans ce Projet.
Art. 406. — 310. Le principe posé par le premier alinéa a pour but d'éviter que le tribunal n'ordonne des indemnités en nature dont la valeur pourait être dif. ficile à apprécier et pourrait, dans sa réalisation, se trouver inférieure ou supérieure au dommage réel du créancier. Ainsi, si le débiteur a manqué à fournir un objet déterminé, le tribunal ne pourrait le condamner à en fournir un semblable: d'abord, la similitude parfaite pourrait être impossible à tronver; elle serait, en tout cas, contestable et le procès renaîtrait à ce sujet; ensuite, il pourrait arriver que la difficulté du remplacement fut extrême et que le débiteur en éprou vât un préjudice bien supérieur à celui du créancier; une condamnation immédiate à une somme d'argent, arbitrée par le tribunal, d'après les distinctions qui précèdent, satisfera les intérêts respectifs des parties et terminera la contestation.
Le tribunal peut tonjours nommer des experts, pour s'éclairer sur la nature ou l'étendue des dommages et sur la valeur des éléments de réparation.
311. La règle qui précède ne s'applique plus aussi rigoureusement lorsque les dommages-intérêts sont demandés, non par action principale, mais subsidiairement ou conjointement à une autre action, laquelle peut tendre, soit à l'exécution directe par le débiteur ou par un tiers å ses frais, soit à la résolution du contrat pour inexécution. Dans ce cas, la loi n'exige pas la liquidation immédiate des dommages-intérêts: il en pourrait résulter un retard préjudiciable au créancier. La loi indique alors la marche que devra suivre le tribunal: s'il n'a pas les éléments nécessaires à la fixation du montant des dommages-intérêts, il se borne à les allouer, en principe, et il en réserve la liquidation, à laquelle il devra procéder, lorsque le créancier aura fourni les justifications nécessaires, lesquelles pourront être contredites par le débiteur. Ce procédé s'appelle, en France, “liquidation par état" (c. proc. civ., art. 128 et 523, s.); parce que le créancier doit fournir ultérieurement des documents ou états des pertes qu'il a éprouvées et des gains qu'il a manqué à faire.
312. Le 2° alinéa indique un autre procédé que le tribunal pourra souvent employer utilement: quand l'exécution de l'obligation ne pent avoir lieu sans la pleine volonté du débiteur, sur laquelle aucune contrainte directe ne peut être exercée, le tribunal arrivera légalement à une contrainte indirecte, en ordonnant ladite exécution et en condamnant éventuellement ou conditionnellement le débiteur à une indemnité par chaque jour ou chaque mois de retard. Généralement, ce délai de commencera qu'à partir d'un certain temps également fixé par le tribunal, car il y a des cas où l'exécution, même volontaire, exige un certain temps. Mais, comme il ne faudrait pas que cette prestation, à raison du retard, se continuât indéfiniment et arrivât ainsi à excéder la réparation du dommage réel, même le plus rigoureusement estimé, le tribunal doit fixer un un délai maximum après lequel il statuera définitivement; il pourra alors allouer encore quelque somme complémentaire pour des dommages-intérêts non-appréciés dans le jugement, mais il ne pourrait pas restreindre celle qu'il a déjà fixée pour le retard; on l'a cependant quelquefois prétendu et il y a des tribunaux qui ont cru pouvoir le faire, mais cette solution est contraire à l'autorité de la chose jugée: la condamnation prononcée en prévision du retard n'a pas été simplement comminatoire, ou en forme de menace, elle a été et a dû être effective.
313. Le dernier alinéa consacre au profit du débiteur un droit qui peut étonner, au premier abord, parce qu'il semble contraire aussi à l'autorité de la chose jugée; mais il faut remarquer que la condamnation prononcée en prévision du retard est éventuelle ou conditionnelle; or, de même que le débiteur pourrait la faire tomber en exécutant, de même il le peut, en déclarant, immédiatement ou au cours du délai, qu'il se refuse à exécuter; dès lors, il n'y a plus lieu de maintenir une mesure qui sera nécessairement sans résultat utile. On n'a pas oublié d'ailleurs que, dans les cas où l'exécution de l'obligation dépend de la volonté du débiteur, cette volonté doit rester libre, sauf la sanction, la peine civile de l'inexécution. Lors donc que le dé biteur déclare formellement qu'il se refuse à exécuter et demande le règlement immédiat des dommages-intérêts, il doit l'obtenir: il encourra la condamnation antérieure pour le temps déjà écoulé et la condamnation définitive sera anticipée. On peut remarquer, du reste, que son refus formel d'exécuter le constituera non plus seulement en faute, mais en état de mauvaise foi, ce qui étend sa responsabilité du dommage.
Art. 407. — 314. Il n'est pas rare que le créancier lui-même ait eu quelques torts qui ont eu une influence sur l'inexécution de l'obligation ou sur le retard qu'y a mis le débiteur; par exemple, il a indûment contesté le mode d'exécution du débiteur ou il a refusé une livraison proposée, sous le prétexte exagéré d'un défaut de conformité à l'obligation; évidemment, il est juste de tempérer la condamnation aux dommages-intérêts.
Cette prise en considération des torts réciproques sera d'une application plus fréquente encore lorsqu'il s'agira de fixer les dommages-intérêts en matière de délits ou de quasi-délits; ainsi, quant une personne est blessée par l'imprudence d'une autre, il n'est pas rare que la victime ait, elle-même, commis quelque imprudence en s'exposant an danger.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse d'inexécution d'obligation ou de dommage causé injustement, la réciprocité des torts aura souvent pour effet d'exclure tout soupçon de mauvaise intention chez le débiteur.
Art. 408 et 409.-315. Il y a avantage pour les parties à régler à l'avance les dommages-intérêts: le créancier est alors dispensé d'établir non-seulement l'étendue du dommage qu'il éprouve, mais l'existence même de ce dommage; le débiteur, de son côté, n'a pas à en craindre une évaluation judiciaire exagérée; c'est une sorte de forfait ou prix fait à l'avance.
Le nom de “clause pénale” donné à cette convention n'est pas rigoureusement exact: l'indemnité, la réparation d'un dommage n'est pas une peine pour le débiteur, pas plus qu'elle n'est un profit pour le créancier; mais ce nom est consacré par l'usage, depuis les Romains, et il paraît naturel de l'adopter aussi au Japon (c).
La clause pénale n'aura pas, du reste, un effet aussi étendu que celui d'une transaction qui interviendrait entre les parties après le dommage causé: elle n'empêchera pas toujours le procès: certains points resteront à décider par le tribunal, si les parties n'ont pas poussé leurs prévisions jusqu'au bout.
Ainsi, la clause pénale a-t-elle été stipulée pour le cas d'inexécution ou pour celui de simple retard ? Ce sera une question à décider d'après les circonstances, et, principalement, d'après le montant même de la somme stipulée: si elle est relativement faible, il sera vraisemblable qu'elle n'a été établie que pour le retard et, dans ce cas, le créancier pourra demander, en même temps, l'exécution et la somme pénale (comp. civ. fr., art. 1229).
Il pourra aussi y avoir procès sur le point de savoir si l'inexécution ou le retard est imputable au débiteur, ou s'il y a eu cas fortuit, force majeure, ou même négligence du créancier; car, la clause pénale, représentant les dommages-intérêts, n'est que que dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que ceux-ci; c'est ainsi encore qu'elle n'est due que si l'inexécution ou le retard ont eu lieu après la mise en demeure. Au contraire, il n'y aura pas à distinguer si l'inexécution ou le retard provient de la mauvaise fui du débiteur ou senlement de sa végligence, ni, par suite, si les dommages éprouvés sont ou pon “un effet inévitable” de l'ipexécution on du retard; en effet, la stipulation pévale, qui ne modifie pas les cas dans lesquels les dommages. intérêts sout encourus, a justement pour but de prévenir les difficultés relatives à leur fixation.
316. Le pouvoir d'appréciation des tribunaux, même quant au montant des dommages-intérêts, conserve cependant encore une application importante prévue à l'article 409: s'ils ne peuvent, en principe, augmenter ni diminuer la clause pénale, c'est parce que les parties ont entendu pourvoir elles-même à leurs intérêts; mais ils peuvent, par exception, la diminuer dans deux cas où des circonstances postérieures à la stipulation exigent que l'indemnité soit diminuée pour rester juste. Ces deux cas, indiqués au texte, n'ont pas besoin d'explication. On remarquera seulement que ce n'est pas un devoir que la loi impose au tribunal, mais un pouvoir qu'elle lui accorde: dans chacun des deux cas, il y a à faire une appréciation pour laquelle une grande latitude doit être laissée au tribunal. Ainsi, l'exécution partielle peut n'avoir procuré au créaucier aucun avantage réel, comme on le verra dans les obligations indivisibles, il ne devra donc pas tonjours y avoir diminution de la clanse pénale; ainsi encore, la faute du débiteur pent avoir eu beaucoup plus d'infuence sur l'inexécution ou le retard que le cas fortuit, la force majeure ou mêine la négligence du créancier.
317. Une autre sorte de contestation pourra s'élever sur la clause pénale, à savoir, sur sa validité même: l'une des parties pourra prétendre qu'elle n'a été amenée à y consentir que par erreur, violence ou dol; le cré, ancier se plaignant, à ce sujet, de son exiguité, le dé. biteur, de son exagération. La loi n'a pas à réserver ce genre de contestation qui peut s'élever au sujet de toute convention.
318. Il y a plus de difficulté au sujet de la clause pénale ajoutée à une convention qui serait nulle par elle-même, soit par son objet, soit par sa cause.
En principe, la nullité de la convention principale entraînera celle de la clause pénale (art. 323); ainsi, s'il y a eu convention de donner une chose placée hors du commerce, ou promesse d'un fait illicite, la stipulation d'une peine sera nulle comme la stipulation prin. cipale. Il en serait autrement, si la stipulation prin. cipale n'était nulle que faute d'un intérêt appréciable pour le stipulant: dans cas, la clause pénale, en don. nant un intérêt déterminé au stipulant, validerait la stipulation principale (voy. art. 343).
A cet égard, l'article 1227 du Code français est trop absolu, en ne réservant pas le cas particulier qui nous occupe.
Il faut encore citer comme cas où la clause pénale serait nulle, étant contraire à la loi, celle où elle aurait pour but d'éluder les limites du taux de l'intérêt d'une somme d'argent. Quand le taux des intérêts compensatoires n'est pas laissé à la liberté des conventions, celui des intérêts moratoires ne peut être libre non plus (d); si donc le créancier avait stipulé, pour le cas de retard dans le payement d'une somme d'argent, une somme fixe qui se trouvât supérieure au taux légal, eu égard au temps du retard, elle serait réduite à ce taux. Quelques personnes pourraient soutenir que la clause pénale est nulle pour le tout et que les intérêts moratoires seront alors fixés par le tribunal, d'après les articles qui suivent, comme s'il n'y avait pas de clause pénale; mais il paraît plus exact de dire que la clause pénale n'est nulle que pour ce qui excède le taux légal; et il n'est pas indifférent de le décider, parce que, si la clause était garantie par un cautionnement ou par une autre sûreté, cet avantage serait maintenu dans la mesure du taux légal, ce qui n'aurait pas lieu si la clause était annulée pour le tout.
319. Un cas assez fréquent où la validité de la clause pénale sera discutable est celui où elle aura été stipulée en vue de prévenir les procès sur la convention. Il faudrait la déclarer nulle, si elle avait pour but de priver l'une des parties du recours à la justice pour le redressement des torts qu'elle aurait subis, soit lors de la formation du contrat, soit lors de son exécution. Ainsi, une partie ne pourrait valablement se soumettre à une clause pénale pour le cas où elle demanderait la nullité de la convention, pour erreur, violence, dol ou incapacité: elle ne peut renoncer ainsi, d'une façon déguisée, à la protection des tribunaux, pas plus qu'elle n'y pourrait renoncer expressément; si donc, elle triomphait, sur une pareille demande, la clause pénale serait sans effet contre elle; au contraire, si la partie succombait, comme, en pareil cas, le tribunal pourrait la com damper aux dommages-intérêts, la clause pénale se trouverait encourue, comme fixant le montant des dommages-intérêts, sans préjudice des frais du procès.
Au contraire, la clause pénale serait valable, si elle avait pour but de prévenir un appel contre une première sentence rendue ou à rendre, parce que les parties peuvent toujours renoncer à l'appel, soit avaut le jugement de première instance, soit après.
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(c) Par un défaut de méthode, le Code français (art. 1152), après avoir senlement mentionné la clause pénale dans la Section des dom. mages-intérêts, où était pourtant sa place naturelle, lui consacre, beau. coup plus loin, uno Section spéciale (art. 1226 à 1233), et il la considère, à tort, comme une modalité ou modification de l'obligation.
Le Code italien a reproduit prosque testuellement les mêmes disposi. tions (voy, art. 1209 à 1216 et 1230).
(d) On appelle intérêts compensatoires ceux que le débiteur doit en vertu et en retour de la jouissance d'une somme d'argent, jusqu'à l'éché. ance du terme, et intérêts moratoires, ceux qu'il doit après la mise en domcure (mora).
Art. 410. — 320. Çette questiou entièrement négligée dans les Codes français et italien est d'une grande importance et demande une solution législative.
On a annoncé déjà (p. 26) et l'on verra bientôt avec détails (art. 441) que tout contrat synallagmatique contient une condition résolutoire tacite au profit de chacune des parties, pour le cas où l'autre n'exécuterait pas; la partie non satisfaite a ainsi le choix entre deux voies: ou faire exécuter l'obligation, autant que faire se pourra, avec dommages-intérêts complémentaires, s'il subsiste pour elle un préjndice, ou faire détruire, résoudre le contrat, en justice, c'est-à-dire, se faire délier elle-même de ses engagements et recouvrer ce qu'elle a déjà fourni en vertu du contrat, avec dom. mages-intérêts également, tant pour le retard éprouvé que pour le manque de gain légitime et quelquefois pour insuffisance de la restitution.
321. On verra aussi que les parties ou l'une d'elles peuvent renoncer au droit de résolution, parce qu'il n'est pas d'ordre public. Mais la stipulation d'une clause pénale pour le cas d'inexécution par l'une des parties ne suffit pas pour enlever au stipulant le droit commun de la résolution; pour qu'il en fût autrement, il faudrait qne la stipulation eût été accompagnée d'une renonciation expresse à la résolution; seulement, le demandeur en résolution ne pourrait cumuler les deux avantages, pas plus qu'il ne pourrait cumuler l'exécution réelle, même tardive, avec la clause pénale stipulée pour inexécution. Lors donc que le créancier demandera la résolution, il ne pourra obtenir comme dommages-in. térêts que ceux qu'il aurait pu obtenir, dans le même cas, s'il n'y avait pas eu stipulation: la clause pénale sera complètement écartée; car le créancier qui obtient la résolution ne peut plus se plaindre de l'inexécution principale, laquelle est le résultat de sa volonté; les dommages-intérêts complémentaires qui lui sont dus pour les causes ci-dessus énoncées, seront donc fixés par le tribunal.
Mais, si l'on suppose, avec le second alinéa de notre article, que la clause pénale a été stipulée pour le cas de simple retard, elle se cumule avec l'exercice de la résolution, comme elle se cumulerait avec l'exécution réelle ou directe.
322. Observons, en terminant, qu'il ne faut pas confondre la clause pénale avec la “dation d'arrhes,” laquelle consiste dans la remise d'une somme d'argent ou autre valeur, avec convention expresse ou tacite que celui qui l'a donnée pourra se désister librement du contrat, en perdant cette valeur; dans ce cas, le créancier ne peut exiger l'exécution, si le débiteur déclare “se dédire ou se désister.” Il sera parlé de la dation d'arrhes, sous l'article 445, au sujet de la résolution volontaire des contrats, considérée comme cause d'ex. tinction des obligations.
Art. 411, 412 et 413.- 323. La loi présente ici quelques dispositions particulières aux dettes de sommes d'argent, en ce qui concerne les dommagesintérêts pour inexécution. Il faut remarquer tout d'abord qu'ici l'inexécution se confond avec le simple retard, car, tant que la dette d'argent n'est pas acquittée, elle est exigible en nature: il n'y a à cela aucun obstacle de droit ni de fait; la faute du débiteur consiste donc uniquement dans le retard.
Ces dispositions spéciales, qui ne sont pas toutes des faveurs pour le débiteur, sont au nombre de trois et forment l'objet d'autant d'articles distincts; elles sont d'ailleurs les mêmes que dans le Code français (art. 1153).
Avant de les justifier, il convient de les préciser avec soin.
324.-I. Le montant des dommages-intérêts ou des intérêts moratoires n'est pas laissé à l'appréciation du tribunal, même avec les limites prévues à l'article 405: il ne peut être ni supérieur, ni inférieur au taux que la loi fixe elle-même, lorsqu'elle alloue des intérêts compensatoires au créancier de sommes d'argent, à défaut de convention spéciale.
Ce taux, dit légal, se rencontre dans toutes les législations, même dans celles qui admettent la liberté de l'intérêt conventionnel: il a justement pour but de sappléer au défaut de convention à cet égard, dans les cas où le créancier a besoin de la protection de la loi; on conçoit dès lors qu'il ait une détermination fixe et que le taux en soit modéré.
Il existait un taux légal de l'intérêt sous l'empire du Code civil français, à côté de l'intérêt conventionnel qui était libre (art. 1907) et qui n'a été limité que par une loi postérieure du 3 septembre 1807 (e).
On trouve aussi dans le Code civil italien un intérêt légal, à côté de l'intérêt conventionnel qui est libre (art. 1838).
Enfin, même quand l'intérêt conventionnel est limité, les deux taux peuvent être inégaux; c'est ce qui existe actuellement au Japon, où l'intérêt légal est de 6 pour 100, tandis que l'intérêt conventionnel n'est limité qu'à 20, 15 et 12 pour 100, suivant le montant de la dette.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter, au point de vue économique ni législatif, s'il ne vaut pas mieux que l'intérêt soit indépendant du montant des sommes dues, et même s'il ne doit pas être entièrement libre. La question trouvera sa place toute naturelle à l'occasion du contrat de prêt de consommation.
De ce que les tribunaux ne peuvent allouer à titre d'intérêts moratoires que les intérêts dits légaux, il n'en faut pas conclure que ces intérêts moratoires deviennent eux-mêmes légaux: ce serait dire qu'ils sont dus de plein droit, en vertu de la loi et sans demande de la partie intéressée, ce qui est inexact, en présence de l'article 413 qui exige formellement une demande, comme point de départ des intérêts moratoires.
Si les parties veulent régler elles-mêmes les intérêts moratoires par une clause pénale, elles n'ont pas non plus, à cet égard, une liberté illimitée: elles doivent rester dans la liinite du taux de l'intérêt conventionnel, s'il est limité par la loi; mais elles peuvent toujours fixer un taux moindre, même inférieur à l'intérêt légal.
En France, où l'intérêt légal et l'intérêt conventionnel ont le même taux, la clause pénale est rare, car elle ne peut servir qu'à diminuer l'intérêt moratoire.
Au Japon, aujourd'hui, elle pourrait servir aussi à l'élever an-dessus du taux légal, tout en restant dans la limite du taux conventionnel maximum.
En Italie, la clause pénale est absolument libre pour la fixation des intérêts moratoires, comme pour celle des intérêts compensatoires (art. 1231).
Le Code français, après avoir posé le principe qui nous occupe (art. 1153), excepte les matières comrnerciales et le cautionnement (comp. art. 2028); la matière des sociétés se trouve aussi exceptée (art. 1846-39);
Le Code italien réserve formellement les trois mêmes exceptions (art. 1231).
Le présent Projet n'a pas voulu limiter ainsi les exceptions: il se borne à les réserver d'une manière générale; on les rencontrera, chemin faisant.
325.--II. Le créancier, ne pouvant recevoir à titre de dommages-intérêts qu'une somme déterminée par la loi, pour tous les cas indistinctement, ne sera pas toujours indemnisé complètement du préjudice éprouvé; il est naturel alors que par une sorte de compensation, il reçoive tonjours la même somme, lors même qu'il n'établira avoir éprouvé aucun préjudice; le règlement de la loi est un forfait, comine la clause pénale (voy. p. 325): le créancier peut y perdre, mais aussi il peut y gagner.
Comme on ne recherchera pas si c'est par la simple faute du débiteur ou par l'effet de sa mauvaise foi que la dette n'a pas été acquittée, il n'y a pas lieu non plus à la distinction entre les dommages prévus et les dommages imprévus, ni entre ceux qui sont une suite immédiate, directe et nécessaire du retard à payer et ceux qui n'en sont que la suite médiate, indirecte ou accidentelle. Mais, par contre, le débiteur ne sera pas reçu à se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure.
326.—III. Tandis que la mise en demeure qui constitue le débiteur en faute peut résulter de moyens assez variés, lorsqu'il s'agit d'obligations autres que d'une somme d'argent (voy. art. 356 et 404), ici, la mise en demeure ne peut résulter que d'une demande en justice: la loi n'admet pas même une convention originaire, par laquelle il aurait été stipulé que le débiteur serait en demeure par la seule échéance du terme, sans demande et même sans sommation. Sous ce rapport, le Projet suit la loi française et s'écarte du Code italien qui paraît se contenter de toute mise en demeure, d'après le droit commun. Enfin, le Projet tranche contre le créancier une question restée discutable en France, à savoir, si la demande du capital suffit pour faire courir les intérêts moratoires ou si elle doit porter, en même temps ou séparément, sur les intérêts moratoires eux-mêmes: c'est cette dernière solution que le Projet adopte comme plus favorable au débiteur.
La loi met sur la même ligne que la demande des intérêts moratoires la reconnaissance spéciale qu'en ferait le débiteur: il est clair que, de tous les modes de constitution en demeure, c'est encore là celui qui donne le plus de garantie contre la surprise résultant de la rapidité du temps; il n'est d'ailleurs qu'une application du principe que “la convention fait loi entre les parties” (f).
La loi réserve encore ici, d'une façon générale, des cas exceptionnels où les intérêts moratoires courent de plein droit, c'est-à-dire, par la force de la loi et sans injonction du créancier, et des cas où cette injonction, moins énergique qu'une demande en justice, consistera dans une simple sommation (comp. c. civ. fr., art. 1652).
327. Il faut maintenant justifier ces trois faveurs accordées au débiteur d'une somme d'argent: les deux premières sont foudées sur une idée commune, la troi. sième sur une raison spéciale.
I. Si la loi avait permis au créancier de prouver toute espèce de préjudice résultant pour lui du défant de pagement de la somme due, il lui aurait été très-facile d'établir par des témoins complaisants ou abusés qu'il aurait fait de son argent tel ou tel emploi très-lucratif; il aurait naturellement allégué les emplois qui, par l'événement, se seraient trouvés avautageux, tandis que, peut-être, s'il avait eu la disposition de la somme, il en anrait fait un emploi ruineux; l'extrême variété des emplois possibles d'une somme d'argent, avec leurs résultats éventuels fort différents, aurait jeté les tribunaux dans un grand embarras, lequel ne se rencontre pas, au contraire, lorsqu'il s'agit, soit de dettes de toutes autres choses à donner, soit d'obligation de faire ou de ne pas faire: dans ces cas, le but que se proposait le créancier est facile à connaître et les conséquences de l'inexécution ou du retard sont également faciles à apprécier.
La loi, ne croyant pas possible pour les tribunaux d'arriver à la certitude sur la nature et l'étendue de la perte du créancier, suppose volontiers qu'il aurait fait de son argent un emploi raisonnable, plutôt sûr qu'aléatoire, par conséquent, modérément lucratif; c'est par la même considération que, dans certains cas qu'on rencontre, chemin faisant, dans la loi, où elle accorde au créancier des intérêts compensatoires sans stipulation, ou des intérêts moratoires sans demande, elle les taxe à un taux uniforme et modéré qui devient ainsi le taux légal.
On agite quelquefois en France la question de savoir si les tribunaux ne pourraient pas allouer des dommages-intérêts supérieurs à l'intérêt légal, lorsque le stipulant d'une somme d'argent en a annoncé au promettant un emploi déterminé et lorsqu'il est prouvé que, faute d'avoir eu la somme au temps convenu, le créancier a éprouvé un préjudice considérable et prévu; par exemple, il avait stipulé une somme nécessaire pour exercer un rachat ou réméré, dans un délai déterminé, et, faute de la somme, il a été déchu de son droit (comp. c.civ., art. 1661-1662). Mais il serait dangereux d'entrer dans cette voie; ce serait s'exposer aux abus et aux contestations que la loi a voulu éviter, et si des exceptions doivent être admises, il faudra qu'elles soient li. mitativement déterminées par la loi, comme il en existe quelques cas dans les Codes précités.
328.-II. Ce n'est point arbitrairement que la loi supprime, à l'égard de l'inexécution des dettes d'argent, la distinction entre la simple faute du débiteur et sa mauvaise foi: c'est la conséquence de ce que l'indemnité du créancier est réglée par la loi, à forfait, avec des chances de gain comme avec des dangers de perte; c'est toujours la suite de la difficulté de prouver tant l'étendue du dommage que ses causes.
De même, quand la loi refuse au débiteur la faculté de se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure, il n'y faut pas voir une rigueur de la loi, surtout dans la matière même où elle prétend le plus protéger le débiteur: il faut considérer que la nature de la dette, qui est une chose de quantité, ne comporte pas d'extinction par la perte de la chose ou par l'impossibilité de se la procurer: à cet égard, il n'y a guère de différence entre les dettes d'argent et les autres dettes de choses fongibles; si l'on en admettait une, elle serait encore contre le débiteur d'une somme d'argent; car, si l'on comparait une dette de marchandises et une dette de somme d'argent, toutes deux portables, c'est-à-dire payables au domicile du créancier, et qu'on supposât les communications interrompues par force majeure (inondation, guerre, peste), le débiteur de marchandises serait exempt de dommages-intérêts pour le retard, tandis que le débiteur de somme d'argent devrait toujours les intérêts moratoires, puisqu'il aura pu profiter de son argent pendant tout le temps où il a été empêché de le payer. Encore bien moins le débiteur serait-il reçu à alléguer, comme empêchement majeur au payement, une faillite ou un vol dont il aurait été victime: ces moyens de défense n'appartiennent qu'au débiteur d'un corps certain.
329.-III. La dernière faveur accordée au débiteur d'une somme d'argent, celle relative au mode de mise en demeure se justifie antrement. Lorsqu'il s'agit de toute autre sorte d'obligation, la loi est déjà très-favorable au débiteur, en exigeant qu'il reçoive un avertissement du créancier pour devenir responsable de l'inexécution ou du retard; mais il suffit que cet aver. tissement soit donné d'une façon précise pour que le débiteur doive se tenir pour informé que le créancier attend l'exécution et, sans doute, a besoin qu'elle ait lieu: il n'est pas nécessaire que la mise en demeure ait une forme menaçante; an contraire, quand le débiteur doit une somme d'argent, il peut se faire illusion sur les besoins du créancier qu'il suppose peut-être moindres qu'ils ne sont; il pent ne pas croire que la privation de sop argent lui causera, quant à présent, un dommage réel; il pent croire enfin que le créancier a d'autres moyens faciles, s'il en est besoin, de se procurer ail. leurs une pareille somme d'argent. En fait, il est vrai qu'un créancier stipule souvent une somme comme règlement de compte et pour une époque fixe, sans, pour cela, avoir en vue un emploi déterminé de cette somme; tandis que celui qui a stipulé des marchandises ou des travaux à faire a évidemment des besoins prochains à satisfaire. On conçoit donc que, dans le cas d'une somme d'argent, il faille plus d'énergie dans la réclamation du créancier pour révéler ses besoins et sa ferme intention d'arriver à l'exécution.
On peut ajouter une autre considération: le débiteur de marchandises ou de travaux n'a pris, en général, de pareils engagements que parce qu'il a, par sa profession ou par les circonstances, des facilités particulières pour l'exécution; au contraire, la promesse d'une somme d'argent est une forme d'engagement que tout le monde peut prendre, mais dont l'accomplissement est souvent très-difficile: un marchand, un entrepreneur, déjà gêné dans ses affaires, pourra encore fournir des marchandises ou des travaux, mais sera souvent embarrassé de trouver une somme d'argent pour acquitter une dette; il doit donc suffire de l'avertir par une simple sommation dans le premier cas, tandis qu'il est nécessaire, dans le second cas, de le menacer par une demande en justice.
Cette double considération servira encore à expliquer que la demande en justice du capital ne suffise pas pour faire courir les intérêts, et qu'elle doive porter spécialement sur lesdits intérêts; autrement, le débiteur pourrait ne pas se rendre compte de l'augmentation de sa dette pendant la durée du procès, et comme, en matière civile, les procès ne sont jugés promptement que si les parties mettent elles-mêmes de l'empressement à fournir aux juges les justifications nécessaires, le débiteur pourrait se trouver devoir six mois, peut-être un an d'intérêts, sans l'avoir prévu. Il doit donc en être averti formellement par la demande.
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(e) L'article 1907 du Code français ne mentionne l'intérêt légal que d'une manière générale, sans en déterminer le taux. Une loi de la Révo. lution, du 2 octobre 1789 en permettant de stipuler un intérêt pour le prêt d'argent (ce qui avait été défendu anciennement) limita l'intérêt conventionnel "au taux légal," sans le déterminer davantage: pour le connaître, il fallait remonter à un Edit de 1770 qui le fixait au denier vingt (1 pour 20, ou 5 pour 100).
La loi du 3 Septembre 1807, en limitant, pour l'avenir, l'intérêt conventionnel au même taux que l'intérét légal, fixa de nouveau celui-ci à 5 pour 100 on matière civile et à 6 pour 100 en matière commerciale.
(f) C'est parce que cette convention est évidemment licite qu'elle n'a pas été mise formellement au nombre des moyens de mise en demeure énumérés par l'article 856; mais elle est mentionnée au Commentaire (v. p. 152).
Art. 414. — 330. Voici une dernière protection accordée par la loi au débiteur contre les surprises qui résulteraient pour lui de la rapidité du temps et de l'accnmulation progressive des intérêts.
De tout temps et en tons pays, les législateurs se sont préoccupés du danger que courent les débiteurs d'être ruinés par l'accumulation des intérêts: les limites apportées par un grand nombre de lois à la liberté du taux de l'intérêt n'ont pas d'autre cause. Chez les Romains, indépendamment d'un taux maximum qui était ordinairement d'un pour cent par mois (centesima usura) ou 12 p. 100 par an, il était encore établi que le cours des intérêts, même compensatoires ou représentant la jouissance d'argent prêté, cessait lorsque le total des intérêts dus ou même payés doublait ce capital, c'està-dire atteignait une somme égale au prêt (g).
Dans l'ancien droit français et dans celui de presque toute l'Europe, sous l'influence d'un précepte religieux mal compris, en même temps que d'une fausse théorie économique, le prêt à intérêt fut absolument interdit; il n'y avait donc pas d'intérêts compensatoires; quant aux intérêts moratoires, ils étaient, par cela même, inadmissibles; mais, comme les décisions judiciaires devaieut être sanctionnées, il y était pourvu par des dommages-intérêts diversement motivés.
Les lois modernes ont, avec raison, permis le prêt à intérêt et ont considéré les dettes d'argent, en général, comme étant de nature à produire des intérêts, soit comme compensation de la jouissance du débiteur, soit comme indemnité de son retard à payer, ce profit ou cette faute coïncidant d'ailleurs, dans les deux cas, avec une perte de jouissance du créancier. Mais le législateur n'a pas abandonné toute idée de protection pour le débiteur, et c'est toujours en multipliant pour lui les avertissements, ce qui permet, en même temps, au créancier vigilant de garder ses droits (comp. c. civ. fr., art. 1154 et 1155; c. civ. ital., art. 1232 et 1233).
Le présent article a, de même, pour but, non de défendre, mais de limiter, d'entraver la production d'intérêts par les intérêts els-mêmes, appelée anatocisme ou capitalisation des intérêts (h).
331. Dans les pays où l'intérêt, légal ou conventionnel, n'est que de 5 pour 100, on trouve que le capital est doublé en 14 ans par les intérêts, avec la capitalisation annuelle desdits intérêts: les intérêts primordiaux ou normaux, pendant 14 ans, font déjà 70 et les intérêts des intérêts, grossissant chaque année, forment 30, en sorte que le débiteur de 100 arrive, en qnatorze ans, à devoir 200. Si l'intérêt est de 10 pour 100, comme cela est permis au Japon, c'est en 7 ans que le capital serait doublé! Si la capitalisation, au lieu d'être annuelle était faite par semestre, par trimestre ou par mois, la progression de la dette serait énorme et vraiment effrayante.
La première limite apportée ici par le Projet, comme par les Codes précités, est que la capitalisation ne peut être faite que d'année en année.
En second lieu, elle ne peut avoir lieu que par l'effet d'une convention spéciale entre les parties ou par une demande en justice du créancier: une sommation ne suffirait pas.
En troisième lieu, la convention, pas plus que la demande, ne peut avoir lieu avant l'échéance d'un an d'intérêt; la question est discutée en France, pour la convention, parce que le texte y est équivoque; le Projet s'en explique ici formellement: si l'on admettait une convention originaire et unique, d'après laquelle les intérêts se capitaliseraient chaque année, à l'échéance, le débiteur ne recevrait pas cet avertissement réitéré que la loi considère comme éminemment protecteur pour lui et comme préventif de sa négligence.
Le texte a soin d'ailleurs d'exprimer que, si les intérêts sont déjà dos pour une année et une fraction de l'année courante, la capitalisation peut avoir lieu pour tout ce qui est échu; mais elle ne pourra être renouvellée qu'après une autre année révolue en entier.
Le texte prend soin encore de dire que les intérêts primordiaux auxquels s'applique la présente règle sont aussi bien les intérêts compensatoires que les intérêts moratoires; il y a, en effet, même motif de protéger le débiteur contre l'accumulation progressive des uns et des autres. Quant aux intérêts pouveaux, nés de la capitalisation, ils seront compensatoises, si la capitalisation est faite par convention, parce qu'alors il y a une sorte de prêt; ils seront, au contraire, moratoires, si la capitalisation résulte d'une demande en justice. La question de nom et de caractère de ces intérêts n'est pas indifférente, quand le taux maximum des intérêts conventionnels peut être plus élevé que celui des intérêts légaux ou judiciaires, comme cela a lieu dans la loi japonaise actuelle.
332. Le premier alinéa du présent article limite formellement la règle qu'il édicte aux intérêts “des capitaux dus ou exigibles” (i); le second alinéa établit, à cet égard, une différence pour les revenus qui ne supposent pas de capital dû, comme les loyers et fermages, ou dont le capital est purement nominal et n'est jamais exigible, comme les arrérages des rentes.
Par cela même que le locataire ou le fermier ne doit que des prestations périodiques, pendant la durée du bail, et n'aura jamais de capital à payer, il n'y a pas grand inconvénient à permettre la capitalisation fréquente des loyers ou fermages arriérés, même pour une durée de moins d'un an. La raison est la même pour les arrérages d'une rente perpétuelle ou viagère dont le capital ne peut jamais être exigé. Même raison, enfin, pour les restitutions de fruits que doit faire un possesseur de bonne ou de mauvaise foi. Bien entendu, il faut supposer que les fruits ont été évalués en argent par le jugement (comp. c. proc. civ., art. 129), car s'ils étaient dus en nature, il n'y aurait plus lieu de déroger à la première disposition de notre article, ni même de rentrer dans l'application de l'article 411 qui est déjà une dérogation au droit commun, par rapport aux dettes d'argent: on se retrouverait en présence du droit commun lui-même des dommages-intérêts (art. 305).
Dans les divers cas de prestations périodiques qui viennent d'étre énoncés, il ne faut pas exagérer la faveur particulière qui est accordée au créancier: il ne pourra toujours pas stipuler les intérêts avant l'échéance des prestations, pas plus qu'il n'en pourrait faire la demande en justice; mais il pourrait faire la demande ou la stipulation à l'échéance de chaque période, bien qu'elle fût moindre d'une apnée.
333. Le dernier alinéa de notre article présente la même disposition, et elle se trouve, en réalité, constituer une plus grande faveur encore, car il s'agit bien, cette fois, “d'intérêts de capitaux;" mais, du moment qu'ils ont été payés par un tiers, au nom et en l'acquit du débiteur, ils sont considérés comme un capital pour ce tiers: le débiteur aura bien le double fardeau d'intérêts des intérêts, mais ce n'est pas le même créancier qui recevra les uns et les autres. Observons que, dans le cas où un tiers paye ainsi des intérêts en l'acquit d'un débiteur, il jouit souvent d'une autre faveur, comme mandataire ou comme caution: les intérêts de ses déboursés courent de plein droit et saps demande; la loi, pour ne pas surcharger la rédaction, n'a pas cru nécessaire de réserver cette disposition qui se retrouvera en son lieu.
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(g) Cette disposition protectrice des débiteurs de sommes d'argent n'est pas d'origine romaine: elle a probablement été transmise de l'Inde aux Romains, à travers la Grèce; car on la trouve textuellement dans le très-ancien Code indien de Manou (Liv. VIII, § 151). La même loi défend aussi l'anatocisme ou l'intérêt de l'intérêt (Ib., § 153).
(h) Anatocisme vient de deux mots grecs: ana, de nouveau, et tokos, fruit: "reproduction de fruits par des fruits.”
(i) Le texte emploie ici le mot exigible dans le sens où l'emploie quelquefois le Code français (voy, art. 529, 581): ce n'est pas pour dire que l'échéance est arrivée et que le capital peut être demandé; mais pour indiquer qu'un jour ou l'aụtre, l'échéance arrivera, à la différence du capital des rentes “que le cr'ancier s'interdit d'exiger" (art. 1909).
COMMENTAIRE.
334. On ne trouve pas dans les Codes français, italiens et autres, une théorie générale de la garantie, telle qu'elle est présentée ici: on la rencontre seulement appliquée dans divers cas particuliers, avec des variétés tenant à la différence des cas, comme dans la vente, le louage, le partage, la solidarité, le cantionnement; mais il est regrettable qu'elle n'ait pas sa place dans les effets généraux des conventions ou des obligations. On croit nécessaire de combler cette lacune dans le Projet. D'ailleurs, l'importance de la théorie de la garantie est si considérable qu'on la ren. contre, chemin faisant, dans presque toutes les matières du droit privé et, déjà, il en a été fait mention plusieurs fois (voy. art., 97, 100, 137).
Le mot, "garantie" présente en français le sens large de "préservation, prévention d'un dommage" et il est désirable d'adopter au Japon un mot qui rende la même idée; cependant, la largeur même de cette signification n'est pas sans quelque inconvénient, parce qu'elle donne lieu à l'emploi du même mot pour des droits assez différents les uns des autres. Ainsi, on dit que les priviléges et hypothèques, le gage et l'antichrèse, la solidarité et le cautionnement, sont des garanties, des sûretés des créances (voy. art. 2); ce sont, en effet, des moyens de préserver le créancier de l'insolvabilité du débiteur; mais ce n'est pas dans ce sens limité que la garantie est entendue et présentée dans cette Section. En matière de cautionnement et de solidarité, l'emploi du mot “garantie" est particulièrement délicat et demande une plus grande attention, car il s'y rencontre dans les deux sens, ce qui peut donner lieu à des confusions: la caution garantit le payement vis-à-vis du créancier, en ce sens qu'elle assure le payement; mais elle est garantie par le débiteur principal, contre les suites de son engagement, en ce sens qu'elle doit être préservée du danger des poursuites et, subsidiairement, en être indemnisée. Il en est de même des co-débiteurs soli. daires: vis-à-vis du créancier, ils sont garants les uns des autres, comme sûretés personnelles, et vis-à-vis les uns des autres, ils sont respectivement garants et garantis, pour que chacun ne supporte définitivement que sa part de la dette.
C'est dans ce second sens que la garantie est considérée dans la présente Section (a).
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(a) Le nouveau langage juridique, au Japon, est encore en voie de forination: pendant cos dernières années, on n'avait qu'un seul mot, hó-sho, comme en France, pour exprimer l'idée de garantie dans ses deux applications; mais, depuis quelque temps, on réserve le mot hó-sho à la garantie qui a le caractère de sûreté et on a adopté le mot tam-po pour la garantie contre les poursuites et pour l'indemnité subsidiaire.
Art. 415 et 416.- 335. L'article 415 pose le principe d'après lequel la garantie est due et il en indique l'objet.
Lorsque quelqu'un a conféré un droit de propriété ou un démembrement de propriété, ou un simple droit de créance (par exemple, eu cédant une créance dont il est titulaire), il ne lui suffit pas d'avoir fait la tradition ou remise de la possession et la délivrance des titres, il doit encore assurer, favoriser, par tous les moyens légaux qui lui appartiennent, l'exercice et la jouissance du droit cédé (b). C'est là l'application normale de la garantie qui va nous occuper.
Il peut arriver aussi que le prétendu cédant n'ait, en réalité, rien cédé, ou ait cédé moins de droits qu'il n'en avait promis, parce qu'il n'avait pas ces droits ou ve les avait qu'incomplets. De là, des troubles et des revendications de la part des tiers. Le texte prévoit les deux cas.
Mais le cédant n'est pas obligé de faire cesser des troubles de fait ou des actes d'usurpation qui seraient l'effet de la ruse ou de la violence: il faut que ces troubles soient fondés sur une prétention à un droit et que le droit allégué soit lui-même fondé sur une cause antérieure à la cession ou imputables au cédant. Eu effet, les troubles de fait ne relèvent que de la police locale et les troubles de droit fondés sur une cause postérieure à la cession et qui ne peut être imputée au cédant, sont, alors sans doute, imputables au cessionnaire lui-même.
336. Le 2° alinéa de l'article 315 assigne à la garantie deux objets ou deux applications qui se succèderont souvent, le second suppléant à l'insuffisance du premier. D'abord, le garant devra défendre le cessionnaire contre les prétentions élevées par les tiers; cette défense consistera à l'assister en justice, lorsqu'il y sera demandeur, défendeur ou intervenant(c), et cette assistance consistera dans la production de titres, pièces ou témoignages, de nature à fortifier les prétentions du cessionnaire et à affaiblir celles du tiers, en démontrant l'existence des droits cédés.
Mais, il pourrait arriver que le cédant ne vînt pas défendre le cessionnaire ou que sa défense fût sans résultat utile; alors, il doit indemniser le cessionnaire du dommage qu'a éprouvé celui-ci: généralement, s'il y a éviction entière, l'indemnité comprendra la valeur de la chose ou du droit cédé, en la déterminant au jour de l'éviction, et le remboursement des frais de l'acte de cession et de ceux du procès, et encore la réparation du préjudice personnel que la privation de cette chose peut causer au cessionnaire, par le dérangement apporté à ses affaires, par la nécessité de pourvoir au remplacement de la chose, etc.
Lorsque la garantie se résoudra en dommages-intérêts, on leur appliquera les règles établies dans la Section précédente.
337. L'article 416 limite, dans une certaine mesure, ce qu'il y a d'un peu trop général dans l'article 315. L'intérêt de la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit a déjà été signalé sous l'article 319; il se représente ici dans une nouvelle application: la garantie est dite naturelle dans les contrats onéreux, parce qu'elle y a lieu, par l'effet du droit et de la loi, sans que les parties aient besoin de la stipuler, et elle n'y est pas essentielle, car les parties peuvent l'exclure par une convention expresse; an contraire, dans les contrats gratuits, elle n'est qu'accidentelle, car les parties doivent en convenir pour qu'elle soit due.
Cette différence est facile à justifier: dans le contrat onéreux, le cédant cherche un profit, il doit donc fournir, au moins par équivalent, tout ce qu'il a promis; tandis que, dans le contrat gratuit, le cédant se dépouille sans profit; s'il n'a pas, en réalité, les droits qu'il a prétendu conférer, il serait injuste de lui demander d'en fournir l'équivalent sur d'autres biens, car il pourrait ainsi arriver que sa générosité tournât à sa ruide. Les seuls cas où le donateur serait garant de l'éviction, de droit et sans stipulation, sont celui où il anrait, par dol et dans l'intention de nuire, donné une chose qu'il savait ne pas lui appartenir, et celui où l'é. viction du donataire serait l'effet d'une autre cession faite par le donateur, soit avant, soit après la donation. Il en serait de même, et à plus forte raison, dans un acte à titre onéreux. Cette garantie est tellement fondée en équité et en raison qu'elle ne pourrait être exclue par convention expresse et, dès lors, elle devient essentielle.
Il est nécessaire d'expliquer, par des exemples, comment l'éviction peut ainsi procéder d'un fait personnel au cédant, soit antérieur, soit postérieur à la cession.
Lorsque le cédant a fait l'acte gratuit ou onéreux (et, dans ce dernier cas, avec stipulation expresse de non garantie), il avait déjà cédé le même droit et le cessionnaire s'était conformé aux règles de publicité nécessaires à la conservation de son droit; ce dernier évincera le second cessionnaire et celui-ci aura le recours en garantie contre son cédant, nonobstant la gratuité de l'acte, ou malgré la stipulation de non garantie, si l'acte est onéreux.
Il peut même arriver que l'acte qui produit l'éviction soit postérieur à la cession: ainsi, le donataire ou l'acheteur d'un immeuble a négligé de faire immédiatement la transcription; quelque temps après, le donateur ou le vendeur a cédé à une autre personne qui a transcrit son acte la première: c'est elle qui est préférable et qui obtiendra l'immeuble; mais le premier cessionnaire évincé aura droit à la garantie, c'est-à-dire à l'indemnité totale. Il en serait de même, si, au lieu d'immeuble, on supposait un meuble d'abord donné ou vendu sans tradition, puis cédé à un tiers auquel la tradition est faite. Même solution encore, s'il s'agissait d'une cession de créance que le cessionnaire aurait tardé à notifier au débiteur cédé et qu'ensuite une nouvelle cession ait été faite et notifiée avant la première. On trouve là l'application des articles 366, 367 et 368, sur lesquels il a été donné d'amples développements.
338. Le 3e alinéa de l'article 416 consacre le principe que les héritiers, qui n'ont pas plus de droits qne leur auteur, ont les mêmes obligations. Ainsi, si les héritiers, ignorant que leur auteur a, de son vivant ou par testament, cédé un de ses biens, faisaient enx-mêmes une cession du même bien, soit gratuitement, soit à titre onéreux et sans garantie, ils ne seraient pas affranchis de la garantie, nonobstant leur bonne foi, parce que l'éviction proviendrait “de leur fait personnel.”
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(b) La différence entre la jouissance et l'exercice d'un droit sera pré. sentée avec quelques développements au commencement du Livre ler où sera sa place naturelle; il suffit de noter ici que la “jouissance” d'un droit consiste dans l'obtention des avantages qui y sont attachés, et que “l'exercice" d'un droit consiste dans l'accomplissement des actes juri. diques qui permettent de réaliser ces avantages. Ainsi, habiter une mai. son, recueillir les fruits d'un fonds, c'est jouir du droit de propriété; louer, vendre, modifier 12 chose, c'est exercer le droit de propriété.
(c) Le cessionnaire sera demandeur, quand, pour obtenir la possession de la chose acquise, il devra la revendiquer contre un tiers qui la détient; il sera défendeur, quand, possédant la chose, il sera actionné en revendication par un tiers qui s'en prétend propriétaire; enfin, il sera intervenant, quand, après avoir lui-même cédé la chose acquise, il aura été appelé en garantie par son cessionnaire menacé d'éviction, ou quand il sera spontanément venu défendre celui-ci; dans ce cas, lo garant appelle, à son tour, en sous-garantie, le cédant originaire (voy. c. pr. civ, fr., art. 175 et s.).
Art. 417 et 418.- 339. L'article 417 a pour but de nous dire que l'on ne présente ici que les règles générales et pour ainsi dire communes de la garantie, mais qu'elle reçoit des applications particulières dans certains contrats: la vente, le louage et le partage sont les cas où la garantie reçoit ordinairement quelques extensions. C'est même au sujet de ces contrats seulement que le Code français a traité de la garantie, ce qui est un tort, en ce que l'on pourrait douter de son application aux autres contrats.
Le Projet ne reviendra sur la garantie que pour les particularités qu'elle recevra dans ces contrats spéciaux.
340. L'article 418 présente une nouvelle application de la gara utie qu'il serait difficile de faire rentrer dans les cas de l'article 415 et qui a une grande importance pratique.
On a déjà dit, plus haut, que celui qui s'engage pour autrui, comme caution, ou avec autrui, comme codébiteur solidaire, joue un double rôle juridique: il est, vis-à-vis du créaucier, garant du débiteur principal ou de son codébiteur et garanti, à son tour, par le débi. teur principal ou par son codébiteur.
Cette dernière garantie a deux objets, comme celle qui a lieu dans la cession de droits: le garant doit d'abord défendre le garanti contre la poursuite, c'està-dire contester la demande, s'il y a lieu, ou l'arrêter par un payement; subsidiairement, et si les poursuites out été poussées jusqu'au bout, le garant doit ivdemniser le garanti du préjudice par lui éprouvé et, spécialement, le rembourser de tout ce qu'il a payé, comme caution, on de tout ce qn'il a payé au delà de sa part, s'il s'agit d'une dette solidaire.
La garantie reçoit une application analogne entre co-créanciers d'une obligation solidaire ou indivisible: le 2e alinéa de notre article l'indique assez clairement pour qu'il n'y ait pas à s'y arrêter. On remarquera seulement que la loi ne donne ici à la garantie que son second objet: l'indemnité, sous forme de partage du profit personnel d'un seul; en effet, les créanciers n'é. tant pas poursuivis, mais poursuivants, n'ont pas lieu, en général, de s'appeler en garantie pour une défense commune; mais si, par exception, un des créanciers était poursuivi en restitution du payement prétenda fait indûment, après qu'il l'aurait partagé avec les autres, il pourrait appeler ceux-ci en garantie pour la défense commune et subsidiairement obtenir leur part d'indemnité pour la restitution effectuée.
Art. 419 et 420.-341. L'article 419 se rapporte au premier objet de la garantie qui est de défendre en justice celui auquel la garantie est due. Pour obtenir ce secours, le garanti doit, dès les premières poursuites, appeler en cause le garant; il en résulte un retard de l'action principale; aussi ce moyen de procédure est-il appelé exception dilatoire. Le Code de procédure civile français y consacre les articles 175 et suivants et il entre dans des détails assez délicats sur la manière dont la procédure sera suivie, à la fois, contre le garant et contre le garanti; ce dernier pourra, dans certains cas, se faire mettre hors de cause, s'il le préfère; dans d'autres, il n'aura pas cette faculté.
Ces distinctions fondées sur la différence des cas de garantie seront bonnes à conserver au Japon; mais c'est aussi dans le Code de procédure civile qu'elles devront trouver place.
Dans le cas où le garanti appelle le garant en cause, la garantie est dite incidente, dans le cas contraire, elle est dite principale.
342. L'article 420 suppose que le garant n'a pas été appelé en cause et que celui qui a droit à la garantie a succombé; il a alors, en principe, un recours en garantie principale, c'est-à-dire qu'il intente une nouvelle action dont l'objet est la réparation du préjudice qu'il a éprouvé; c'est, en somme, une action en dommagesintérêts, à laquelle on applique, comme ou la déjà dit, les règles de la Section précédente.
Mais, il sera généralement imprudent au garanti d'accepter le premier procès sans y appeler le garant, car celui-ci pourrait avoir des moyens de défense de nature à triompher de la demande et que le garanti ignorerait. Alors, le garant, en prouvant l'existence de ces moyens, fera rejeter la demande en garantie principale formée contre lui (comp. c. civ., fr., art. 1640).
Il ne faudrait pas voir là une contradiction à la chose jugée: on a déjà posé et l'on justifiera, en temps et lieu, le principe d'après lequel “la chose jugée n'a d'effet qu'entre les parties qui ont figuré dans l'instance;” d'un autre côté, les moyens du garant, si efficaces qu'ils soient pour le défendre, ne seront plus opposables au tiers qui a triomphé dans l'instance contre le garanti, si la chose jugée est devenue définitive entre ceux-ci.
COMMENTAIRE.
Art. 421. — 343. Cette Section complète ce qui concerne les Effets des obligations, en s'attachant à des variétés qu'elles peuvent présenter et qui constituent “leurs diverses espèces ou modalités" (voy. ci-dessus, art. 401 et p. 303).
Si l'on cherche en quoi consistent ces variétés on trouve qu'elles affectent les divers éléments constitutifs de l'obligation:
1° Son existence même, suivant que sa naissance ou son extinction est subordonnée ou von à un événement particulier, futur et incertain; l'obligation est alors conditionnelle ou non-conditionnelle;
2° Le sujet, actif ou passif, de l'obligation, lequel pent être simple ou multiple et, dans le cas où il est multiple, peut être seulement conjoint ou solidaire; de là, la division en obligations solidaires et von solidaires, soit activement ou eutre créanciers, soit passivement ou entre débiteurs;
3° L'objet de l'obligation, lequel peut être divisible ou indivisible, simple on multiple, simple ou alteruatif et encore simple on facultatif;
4° Enfin, le temps de l'exécution, laquelle peut être exigible immédiatement ou à terme.
Si l'on recherche les causes d'où résultent ces di. verses modalités, on en trouve quatre également:
1° La volonté des parties: puisque la plupart des obligations ont pour cause la convention des parties, il est clair que celles-ci peuvent modifier, à leur gré, les divers éléments de l'obligation, sauf les exceptions fondes sur des raisons d'ordre public;
2° La loi introduit, à son tour, certaines modalités de l'obligation, dans des circonstances déterminées qui elles-mêmes ont pu être créées par les parties; ainsi, la loi sous-entend la condition résolutoire tacite pour le cas d'inexécution, dans les contrats synallagmatiques; quelquefois, la loi fixe un terme pour l'exécution; ainsi encore, la loi établit la solidarité entre codébiteurs d'une même dette, lorsqu'il y a contre chacun d'eux, présomption de faute égale ou de profit intégral;
3° Quelquefois, la modalité vient d'une cause plus puissante encore que la loi et que la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la nature des choses; c'est le cas de l'indivisibilité de la chose due;
4° Enfin, il y a une modalité qui résulte de l'autorité judiciaire, c'est le délai ou terme dit "de grâce,” opposé au terme “de droit.”
344. De ces deux classifications, l'une tirée des éléments modifiés de l'obligation, l'autre des sources ou causes des modifications, le Projet va suivre la première, avec de légères corrections, parce qu'elle a l'avantage de réunir les effets qui ont des points communs et de rapprocher ceux qui ne sont que voisins; tandis que la classification d'après les causes séparerait ce qui doit être rapproché et rapprocherait ce qui doit être séparé. Ainsi, la condition résolutoire établie ou au moins sous-entendue par la loi serait mal à propos séparée de celle qui est l'ouvre expresse et directe des parties; ainsi encore, le terme de grâce se trouverait, à tort, séparé du terme de droit.
Les Codes français et italien ne paraîssent pas s'être assez préoccupés ici de la méthode; ils semblent même n'avoir pas tenu compte du rapport intime et essentiel qui existe entre les “ diverses espèces ou modalités" des obligations et leurs "effets,” car les deux matières y sont traitées dans des Chapitres séparés.
Le Projet japonais, pour se conformer à la méthode et à la logique, se sépare encore de ses modèles, en détachant de la présente Section la solidarité, tant légale que conventionnelle, et aussi l'indivisibilité autre que celle qui résulte de la nature de la chose due; ces deux modalités des obligations, soit qu'elles opèrent activement ou passivement, c'est-à-dire entre les créanciers ou entre les débiteurs, sont, dans tous les cas, des sûretés ou garanties des créances, lesquelles doivent être traitées, dans leur ensemble, au Livre IV°. Mais, il en sera fait plusieurs fois mention pour l'intelligence des autres modalités et à titre de comparaison.
Tout ce qui précède se trouve résumé et consacré par l'article 421.
COMMENTAIRE.
Art. 422. — 345. Cet article revient à dire que “l'obligation est pure et simple, lorsqu'elle n'est soumise à aucun terme, ni subordonnée à aucune condition;" mais on a préféré ne pas introduire ici deux expressions techniques qui vont tout-à-l'heure répondre aux modalités opposées.
L'obligation pure et simple est la plus favorable au créancier: 1° son droit est assuré: il n'est subordonné à aucun événement ultérieur; si l'on ne dit pas, en français, qu'il est certain, c'est que le inot pourrait faire croire que le créancier en a la connaissance actuelle, ce qui n'est pas nécessaire, comme on le verra au sujet de la condition; 2° son droit est exigible, c'est-à-dire que les effets peuvent en être immédiatement poursuivis en justice.
Cette situation est peut-être moins fréquente que le cas de l'obligation à terme: elle ne se rencontre pas, notamment, dans le prêt d'argent qui ne peut être utile que s'il est fait pour un certain temps, ni dans le louage qui oblige le locataire à des prestations périodiques; mais elle se rencontre fréquemment dans la vente qui prend alors le nom de vente au comptant. L'obligation pure et simple ne présente aucune difficulté de de droit, c'est pourquoi les lois civiles omettent généralement de la mentionner.
Du reste, il ne faudrait pas croire que l'obligation est nécessairement pure et simple et exigible immé. diatement, par cela seul que la convention ne porterait pas de terme exprès: il peut y avoir un terme tacite résultant des circonstances, lesquelles sont laissées à l'appréciation du tribunal. Ainsi, la plupart des obli. gations de faire impliquent tacitement le délai pécessaire pour l'exécution: il en serait de même de l'obli. gation de dovner des denrées ou marchandises dans un lieu qui ne serait pas le lieu de production et qui ne serait pas non plus un marché ou entrepôt habituel de ces objets: il faudrait reconnaître au débiteur un délai nécessaire pour les faire venir.
346. L'obligation pure et simple peut se transformer en obligation à terme, lorsque le tribunal, usant d'une faculté qui va lui être reconnue plus loin, accorde au débiteur le délai dit " de grâce" déjà annoncé.
En sens inverse, on dit quelquefois que l'obligation qui, à l'origine, était à terme ou conditionnelle “ devient pure et simple,” lorsque le terme est échu ou la condition accomplie. Cette formule qui, dans bien des cas, n'a pas d'inconvénient réel, ne doit cependant être accueillie qu'avec précaution, en ce qui concerne la condition, parce que la chose due purement et simple. ment est aux risques du créancier, tandis que la chose due sous condition est aux risqnes du débiteur, ainsi qu'il en sera justifié plus loin. Sans donte, quand la condition s'accomplit, son effet rétroagit, comme si l'obligation avait été formée parfaitement dès l'origine; mais, si la chose avait péri auparavant, la formation rétroactive de l'obligatiou n'aurait pas lieu, faute d'objet. Ce qni reste vrai, c'est que qnand le terme est échu ou la condition accomplie, l'obstacle qui en résultait pour l'exercice des droits du créancier ayant cessé, il peut agir en justice, si d'ailleurs, il n'est pas survenu dans l'intervalle quelque événement qui modifie les rapports respectifs des parties; enfin, il est encore vrai qu'une fois la condition accomplie les risques de la chose passent à la charge du créancier.
Art. 423. — 347. Le terme est différent de la condition en ce qu'il ne retarde pas, comme celle-ci, la formation de l'obligation, mais seulement son exigibi. lité. Le Code français (art. 1185) et le Code italien (art. 1172) ont cru devoir énoncer cette proposition purement doctrinale; mais il a paru suffisant d'indiquer ici que le terme retarde l'action du créancier, sauf à indiqner plus loin l'effet plus étendu de la condition qui est de suspendre la naissance même du droit.
Le terme est, le plus souvent, un simple laps de temps à attendre; mais, il peut être aussi un événement déterminé et certain, c'est-à-dire qui ne peut manquer d'arriver; car, s'il était incertain quant à son accomplissement, ce serait une condition; au reste, il peut y avoir incertitude sur l'époque à laquelle l'évévement arrivera ou sur l'époque à laquelle il sera condu des parties, on dit alors qu'il y a "terme incertain," mais ce n'est toujours pas une condition (a).
Le texte p'exige pas que l'événement prévu soit futur, parce que ce serait une restriction arbitraire: sans doute, pratiquement, les parties ve se référeront pas, pour l'exécution de l'obligation, à un événement passé; mais il pourrait arriver qu'elles crussent futur un événement déjà accompli à leur insâ et cette erreur ne vicierait pas la convention: l'exécution serait exigible quand l'événement serait connu. La question se représentera bientôt, quand il s'agira de savoir si un événement actuellement arrivé mais inconnu des parties est une condition, lorsque d'ailleurs, à la différence de l'événement qui nous occupe, il est casuel ou incertain.
348. On a déjé annoncé deux sortes de termes: le terme “ de droit" et le terme “ de grâce.” Les deux qualifications indiquent bien leur nature différente et, plus loin, on verra la différence de leurs effets.
Les cas où le terme est établi par la loi elle-même ne sont pas très-fréquents: on peut citer, en droit français, le cas de l'héritier qui ne peut être poursuivi pendant les délais de 3 mois et 40 jours, lesquels lui sont accordés pour faire inventaire et délibérer (art. 797); le cas de restitution de la dot qui ne peut être exigée du mari ou de ses héritiers qu'un an après la dissolution du mariage (art. 1565); enfin, le cas de vente dont le prix ne peut être exigé avant la délivrance, ni la déliFrance avant le payement du prix (art. 1612 et 1651).
Il sera bien plus fréquent que le terme soit fixé par la convention des parties, laquelle, “faisant loi entre elles,” justifie encore l'expression de “terme de droit;": enfin, le terme peut être fixé par un testament, lequel a autant de force que la convention, bien qu'il n'y ait qu'une seule volonté exprimée.
349. Le texte suppose ensuite que les parties ont laissé une latitude plus ou moins grande au débiteur pour acquitter sa dette. Comme ces formules: “quand le débiteur pourra,” ou “ quand il voudra,” sont assez fréquentes, la loi croit devoir en prévenir une fausse interprétation qui consisterait à les prendre à la lettre: rien ne serait plus contraire, ordivairement, à l'intention des parties et aux règles générales d'interpréta tion des conventions, telles qu'elles sont établies aux articles 376 à 380.
Dans le cas où le débiteur a la faculté de payer “quand il voudra," quelques auteurs français pevsent qu'il peut refuser de payer pendant toute sa vie et que le payement n'est exigible que contre ses héritiers. Cette solution est inadmissible: d'abord, elle sera, presque toujours contraire à l'intention des parties; ensuite, les héritiers pourraient, en vertu du principe général d'après lequel ils ont les mêmes droits que leur auteur, prétendre de payer eux-mêmes que “quand ils vondront." Il paraît plus sage de ne pas faire de différence entre les deux formules “quand le débiteur pourra,” ou “quand il voudra" et de dire, avec le Projet, que les tribunaux fixeront un délai raisonnable, d'après les circonstances.
Le Code français n'a donné cette solution que pour le premier cas, parce que c'est aussi le seul qu'il ait prévu (art. 1901).
Il ne faudrait pas, du reste, considérer le terme ainsi fixé par le tribunal comme étant un terme “de grâce:” le tribunal ne fait ici qu'interpréter l'intention des parties, tandis que le terme de grâce est vraimevt son cuvre et souvent contraire à l'intention du créancier. On verra bientôt l'intérêt de la question, en comparant les deux termes.
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(a) En droit, quand on parle d'événements certains, on considère le cours ordinaire des choses (id quod plerumque fil); mais, en raison pure, il y a bien peu d'événements futurs absolument certains. Ainsi, on peut, pratiquement, fixer comme terme d'une obligation, une élection politique ou municipale prochaine, une exposition annoncée, et cependant, il est facile de reconnaître que ces événements pourraient être empêchés; à plus forte raison, les actes d'une personne déterminée qui peut en être empêchée par la mort. On ne pourrait guère citer comme événements futurs et absolument certains que la mort elle-même d'une personne, ou des faits de la nature compatibles avec le climat, comme la première pluie, la première gelée, et, au Japon, le premier typhon.
Art. 424. — 350. Il est évident que le débiteur a, en général, intérêt à exécuter son obligation le plus tard possible: s'il s'agit d'une dette d'argent et qu'il ait la somme à sa disposition, il peut en tirer profit; s'il n'a pas la somme, il n'est pas tenu d'emprunter à intérêts plus ou moins lourds; s'il s'agit de marchandises à fournir ou de travaux à exécuter, il a, sous une autre forme, les mêmes avantages à attendre. La loi est donc couforme à la réalité des choses, en présumant que le terme a été stipulé dans l'intérêt du débiteur; mais c'est une présomption simple, pouvant céder à la preuve contraire résultant des clauses de la convention on des circonstances du fait. La même présomption existe pour le terme accordé par la loi. Quant au terme de grâce, il sera expressément accordé au débiteur par le jugement, et si l'on admet, par exception, que le terme de grâce puisse être accordé dans l'intérêt du créancier, le jugement s'en expliquera encore plus formellement, à cause de la singularité du fait.
Mais, c'est un principe général que toute personve peut renoncer à un bénéfice établi en sa faveur. Le débiteur pourra donc payer avant le terme, chaque fois que la présomption dont il s'agit ne sera pas contredite à son égard. Il aura avantage à se libérer ainsi par anticipation, lorsque sa dette produit un intérêt plus élevé que le profit que lui procureraient ses propres fonds ou que les intérêts des fonds qu'il emprunterait à cet effet; et, lors même que la dette ne porterait pas intérêt, s'il a des fonds sans emploi, il s'affranchit, en payant, des risques de perte ou de vol.
351. Le terme a pu être établi dans l'intérêt du créancier: s'il s'agit d'une dette d'argent, il a pu luimême vouloir se préserver des risques de perte ou de vol, pendant un temps où il n'avait pas toutes facilités à cet égard; ou bien, il a cherché à s'assurer un intérêt de son capital pendant le temps où il prévoyait n'en avoir pas d'autre emploi; ou bien, il s'agissait de travaux à exécuter, qui, avant le temps fixé, devaient lui être inntiles ou gênants. En pareils cas, le créancier a le même droit que le débiteur, celui de renoncer au bénéfice du terme, en exigeant l'exécution ou le payement anticipé. Mais, il ne faudrait pas que cette faculté du créancier devînt trop gênante pour le débiteur qui n'aurait pas prévu cette dérogation à la convention, et le tribunal pourra accorder au débiteur un terme de grâce pour lui permettre de prendre ses dispositions.
La loi prévoit aussi que le terme aurait pu être établi dans l'intérêt simultané des deux parties; dans ce cas, l'une ne pourrait y renoncer sans le cousentement de l'autre.
352. Il va de soi que si la partie qui aurait une fois renoncé au bénéfice du terme établi dans son intérêt exclusif voulait ensuite revenir à la convention, pour retarder l'exécution, elle ne le pourrait pas, sans le consentement de l'autre; car il y aurait eu une sorte de novation ou convention nouvelle qui constituerait un droit pour l'autre partie.
353. La loi rappelle, en terminant, sa décision déjà donnée (art. 316) au sujet du payement anticipé fait par erreur: cette erreur ne permet pas de dire qu'il y a eu renonciation au terme; mais la répétition de ce qui aurait été ainsi donné par anticipation serait trop nuisible à celui qui a reçu pour être permise.
Art. 425,- 354. L'obligation à terme, à la dif. férence de l'obligation conditionnelle, existe actuellement et pleinement, dès la formation du contrat; l'exécution seule en est retardée; mais le terme n'a été accordé par le créancier ou par la loi que parce qu'il ne semblait devoir en résulter aucun danger sérieux pour l'avenir. Si donc les prévisions sont démenties par les événements, il est juste que le bénéfice du terme soit enlevé au débiteur et que le créancier puisse réclamer l'exécution immédiate.
Les quatre cas de déchéance du terme sont naturel. lement limitatifs, puisqu'il s'agit d'une rigueur.
En premier lieu, se trouve la faillite du débiteur, ce qui suppose qu'il est commerçant. La faillite n'implique pas nécessairement l'insolvabilité; mais elle sera fréquente et, de plus, la faillite entraîne la liquidation des biens du failli: si le créancier à terme n'était pas admis à la distribution des biens, il ne lui resterait aucone chance d'être payé plus tard. La loi met sur la même ligne que la faillite, l'insolvabilité du non commerçant ou sa déconfiture, et, comme il est plus difficile de constater celle-ci que la faillite, la loi exige qu'elle soit "notoire,” c'est-à-dire généralement connue. Sous ce rapport, le Projet est plus prévoyant que le Code français qui n'a prévu que la faillite (art. 1188 et c. proc. civ., art. 124) mais que la jurisprudence complète, en y assimilant la déconfiture; il est aussi plus précis que le Code italien qui, sans distinguer entre le commerçant et le non commerçant, exige “l'insolvabilité,” ce qui peut donner lieu à deux difficultés qui n'existeront pas au Japon: comment se prouvera l'insolvabilité et quid s'il y a faillite, sans insolvabilité ?
Le second cas où le débiteur perd le bénéfice du terme présente un danger analogue à celui de la fail. lite et de la déconfiture, car il expose aussi le créancier à n'être pas payé. Ici, le Projet s'écarte des deux Codes étrangers: aucun n'a prévu l'aliénation totale ou partielle des biens du débiteur et le Code français n'a attaché à la sasie des biens que la perte du terme de grâce (c. proc. civ., art. 124): il a paru sage de protéger tout créancier à terme contre un tel danger, en exigeant toutefois que la saisie concerne "plus de la moitié des biens.”
Le troisième cas est d'une nécessité plus évidente encore: le débiteur a manqué à sa promesse ou il a cherché à en neutraliser l'effet: on suppose, ou qu'ayant promis, soit un gage, soit une hypothèque, il a refusé ensuite de les constituer, ou que, les ayant une fois constitués, il y a porté atteinte: par exemple, en coupant les bois ou en détruisant les bâtiments qui se trouvaient sur le fonds hypothéqué ou donné en nantissement. En France, le fait d'aliéner un fonds hypothéqué ne serait pas considéré comme une diminution des sûretés promises, parce que l'hypothèque est toujours opposable au tiers acquéreur; il en sera sans doute de même au Japon, lorsque la matière des bypothèques sera tout-à-fait réglée.
Le quatrième cas où le débiteur perd le bénéfice du terme est celui où il ne remplit pas l'obligation corrélative à son avantage, celle de payer les intérêts dits compensatoires: c'est une sorte de résolution du contrat, faute d'exécution, quoiqu'il ne s'agisse pas toujours d'un contrat synallagmatique, mais peut-être d'un prêt à intérêts.
La loi n'a pas eu à s'occuper des intérêts moratoires, parce que, si le débiteur était en retard (in mora), c'est que déjà le terme serait échu.
Art. 426 et 427.–355. Le Code civil italien a supprimé le délai de grâce adopté précédemment en Italie et il a été critiqué de cette innovation. Le Code français l'a autorisé au sujet du payement (art. 1244), et il y joint la recommandation aux tribunaux “de n'user de ce pouvoir qu'avec une grande réserve.” On n'a pas hésité à admettre au Japon cette disposition toute d'humanité; on y a, de plus, tranché (art. 426, 2° et 30 alinéas) deux questions restées douteuses en France, et on a cru utile de rapprocher les deux sortes de termes dans la même Section. · L'article 426 commence par déclarer lo que la circonstance qu'il y aurait déjà eu un terme de droit ne met pas obstacle à la concession d'un délai de grâce; 2° que l'existence d'un titre exécutoire ne paralyse pas non plus le pouvoir du tribunal: en France, ce dernier point ne fait guère doute pour les actes notariés, mais il est inadmissible pour les jugements déjà rendus et qui ne contiennent pas la concession d'un délai (c. pr. civ., art. 122); cependant, en législation, il n'y a pas de raison majeure de refuser à un tribunal le droit de retarder l'exécution d'un jugement émané, soit de luimême, soit d'un autre tribunal: il peut être survenu des malheurs au débiteur, entre la prononciation du jugement et les poursuites à fios d'exécution. Dans ce cas, comme dans celui d'un titre potarié, la demande du délai de grâce sera introduite devant le tribunal, soit principalement, par voie de requête, soit incidemment, comme difficulté relative à l'exécution.
Dans le cas d'un engagement sous seing privé, objet d'une action en justice, le débiteur demandera le délai, en même temps qu'il répondra à la poursuite, et en supposant, bien entendu, qu'il ne la conteste pas au fond.
La loi veut aussi: que le délai concédé soit "modéré," que le débiteur mérite cette faveur par son malheur et sa bonne foi (b) et que le créancier n'en doive pas éprouver un préjudice trop considérable. Cette dernière condition, tout à fait négligée dans la loi française, y est toujours suppléée par la sagesse des tribunaux: il serait, en effet, déraisonnable et injuste de sacrifier les droits du créancier à la faveur du débiteur.
356. Le tribunal n'est pas seulement autorisé à retarder l'exigibilité du payement, il peut aussi en permettre la division, chaque fois encore qu'elle est possible sans nuire au créancier. Cette division du payement sera très-naturelle, quand il s'agira d'une somme d'argent: il sera plus facile au débiteur de s'en libérer par parties; s'il justifie au tribunal qu'il a lui-même des sommes à recevoir successivement, il pourra être autorisé à les verser partieilement au créaucier, évitant ainsi le danger de les dissiper et le risque de les perdre.
En France, on a quelquefois contesté que le tribunal pût autoriser le payement partiel d'une dette; mais l'opinion favorable au fractionnement prévaut aujourd'hui et se trouve suffisamment fondée sur le texte de l'article 1244, malgré la négligence de sa rédaction (c).
357. Le dernier alinéa de l'article 426 tranche une question fort importante et sur laquelle les auteurs sont encore divisés en France. La disposition qui nous occupe doit être considérée comme “d'ordre public" et, par conséquent, le débiteur ne peut, par convention, renoncer d'avance à la faculté de demander un délai de grâce. Si l'opinion contraire était admise, cette renonciation anticipée serait toujours exigée par le créancier; le débiteur, en empruntant ou en achetant à crédit, n'oserait pas refuser de s'y soumettre, de peur de faire manquer le contrat; la clause deviendrait de style et le but humanitaire de la loi serait toujours éludé. On admettra cependant, plus loin que les parties peuvent convenir de la résolution expresse ou “de plein droit," pour inexécution par l'une d'elles de ses obligations, ce qui, en dispensant du recours à la justice pour faire prononcer la résolution, ôte à celle-ci le droit d'accorder un délai de grâce. Mais, il y a là une disposition traditionnelle qu'il a paru nécessaire de conserver et qui sera justifiée en son lieu (art. 442).
Voici une autre conséquence à tirer du principe que le débiteur ne peut renoncer d'avance au délai de grâce, ni directement, ni indirectement: supposons qu'une clause pénale ait été convenue pour le cas de retard à l'exécution; à l'échéance, le créancier réclame la clause pénale, le débiteur demande un délai de grâce, en justifiant qu'il est dans la situation requise pour cette faveur; le tribunal pourra lui accorder le délai de grâce, avec beaucoup de modération, sans doute, et la clause pénale ne sera encourue qu'après l'expiration de ce délai sans exécution.
Remarquons, du reste, que le caractère d'ordre public reconnu à cette faculté du tribunal ne va pas jusqu'à lui permettre d'accorder un délai de grâce d'office et sans demande: il faut encore que le débiteur déclare s'en prévaloir, en allègue et jusqu'à un certain point en justifie la nécessité pour lui; le tribunal commettrait un excès de pouvoir, s'il accordait un délai de grâce qui n'aurait pas été demandé.
358. Le délai de grâce a naturellement moins de force que le délai de droit, il est plus précaire et se perd plus facilement: l'article 427 nous le montre.
D'abord, il va de soi que les causes qui font perdre le délai de droit font perdre également celui de grâce. Il se perd, en outre, dans quatre autres cas.
Le Projet est allé plus loin ici que le Code français de procédure civile (voy. art. 124). Tandis que la loi française n'admet que la contumace et l'emprisonnement pour dette, aujourd'hui aboli (sauf pour les condamnations pécuniaires fondées sur une infraction pénale), le Projet généralise la première idée et remplace la seconde. Dans tous les cas où le débiteur est “en fuite” il perd le bénéfice du terme de grâce, et la loi assimile à la fuite le cas où le débiteur “cache sa résidence;" en effet, il n'est plus de bonne foi, du moment qu'il cherche à se soustraire à la surveillance de ses créanciers. La loi lui enlève encore le bénéfice du terme, s'il est condamné à un emprisonnement correctionnel d'un an ou plus; ici, le motif est un peu différent: c'est moios à cause de la faute qui entraîne cette pénalité (elle ne regarde pas le créancier) qu'à cause de la gêne pécuniaire que l'emprisonnement doit causer au débiteur et de la diminution des chances qui resteront au créancier d'être payé à l'échéance.
Le troisième cas est une innovation très-raisonnable: il faut supposer que le tribunal a autorisé le fractionnement de la dette, ce qui implique des délais successifs; le débiteur laisse passer une des époques fixées, sans payer la fraction de sa dette qui y est afférente; dès lors, il n'y a plus lieu d'espérer qu'il puisse remplir ses antres obligations successives: la dette devient donc exigible pour le tout.
Le quatrième cas où est perdu le terme de grâce se trouve indiqué dans le Code français (art. 1292), mais d'une façon qui ne le fait pas immédiatement reconpaître: “ le terme de grâce ne fait pas obstacle à la compensation.” Parmi les modes d'extinction des obligations, on compte la compensation qui, dans l'hypothèse où les deux parties sont respectivement créancières et débitrices, opère la libération de chacune jusqu'à concurrence de la dette la plus faible, les deux dettes se faisant équilibre, se balançant, jusqu'au chiffre où elles se rencontrent. Mais, pour que la compensation opère ainsi, par elle-même et de plein droit, l'effet d'un payement réciproque, il faut que les deux dettes réunissent certains caractères communs, notamment, qu'elles soient toutes deux exigibles (voy. art. 542): de même que le payement ne peut être demandé avant le terme, de même la compensation ne peut s'opérer; mais ici se rencontre la dernière différence entre le terme de droit et le terme de grâce: ce dernier ne fait pas obstacle à la compensation, et cela est très-paturel: le terme de grâce n'avait été accordé au débiteur qu'à raison de la difficulté où il était de se libérer; or, quand il est lui. même créancier, dans les conditions qui permettent la compensation, il n'a plus ancun titre à conserver cette faveur. On pourrait même croire qu'une fois entrée dans cette voie, la loi devrait retirer le bénéfice du terme de grâce au débiteur, chaque fois que sa position pécuniaire s'est suffisamment améliorée pour qu'il lui soit possible de se libérer présentement; mais ce serait dopper ouverture à une foule de procès délicats et autoriser le créancier à se livrer à un examen continuel et à une discussion vexatoire des changements de fortune du débiteur. Ce danger n'existe pas dans le cas de la compensation, parce que les éléments en sont contradictoirement établis entre les parties.
359. La dernière disposition de l'article 427 peut se justifier de deux manières: d'abord, le débiteur ne mérite plus une nouvelle fareur, n'ayant pas su profiter de la première; ensuite, le tribunal, ayant statué sur cette demande, a épuisé son pouvoir à cet égard.
Il va de soi que dans les cas où le débiteur est privé, soit du terme de droit, soit du terme de grâce, conformément aux articles 425 et 427, il ne pourrait obtenir un terme de grâce, s'il était déjà dans l'un des cas prévus par ces articles.
Il est inutile aussi de dire que, comme la concession du délai de grâce, de même la déchéance de l'un ou de l'autre terme, ne peut être prononcée par le tribunal sans qu'il y ait eu, à cet égard, demande de la partie intéressée: ce ne sont pas là des cas où le tribunal puisse statuer d'office: l'ordre public n'y est pas intéressé (comp. p. 375).
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(b) Les expressions “malheureux et de bonne foi” sont empruntées à l'article 1268 (c. civ. fr.) qui n'a plus guère d'application depuis l'abolition, on France, de la contrainte par corps, en matière civile et commercialo.
(c) La rédaction de cet article 1244 est bien singulière: la loi commence par poser en principe la nécessité pour le débiteur de payer toute la dette, à la fois; puis elle présente comme dérogation à la règle (“ néanmoins ") la faculté pour les tribunaux d'accorder des délais; les deux idées n'ont aucun rapport: l'une est relative à la quantité à payer, l'autre à l'époque du payement; évidemment, la loi a voulu, par là, exprimor que, par exception, le payoment pourrait être fait partiellement.
Art. 428 et 429.-360. On voit, de suite, par la définition de la condition, qu'elle diffère profondément du terme: tandis que le terme n'empêche pas l'obligation de naître, de se former, et en retarde seulement l'exécution, la condition tient en suspens l'existence même de l'obligation (voy. c. civ, fr., art. 1185), et ce n'est pas seulement un retard qu'elle apporte à la formation ou à la résolution de l'obligation, c'est l'incertitude, l'éventualité, qui peut se terminer favorablement ou défavorablement pour le créancier ou pour le débiteur; chacun a des chances et court des risques: le contrat devient aléatoire par le fait même qu'il est affecté d'une condition (voy. ci-desssus, p. 37).
On voit par le présent article que la condition est de deux sortes: suspensive ou résolutoire; dans le premier cas, l'obligation affectée de la condition n'est pas formée par la seule convention, c'est la condition qui, en s'accomplissant, fera naître l'obligation (d); dans le second cas, l'obligation est née immédiatement, par le seul effet du contrat; mais les parties sont convenues que, si tel événement arrivait, l'obligation serait résolue, c'està-dire éteinte rétroactivement, comme si elle n'avait jamais existé.
On dit quelquefois que la condition est "toujours suspensive" et que, dans le premier cas, elle suspend la naissance de l'obligation, tandis que, dans le second cas, elle en suspend la résolution; cette formule est exacte et même elle a une origine romaine (e); mais on conservera ici les expressions usitées et l'on appellera condition SUSPENSIVE celle qui expose le droit du créancier à ne pas naître, et résoLUTOIRE celle qui, le droit une foi né, l'expose à être détruit. La difficulté du langage va encore s'augmenter, si, au lieu d'une obligation conditionnelle, nous supposons qu'il s'agit d'un droit réel affecté d'une condition.
361. Le texte de l'article 428, en effet, après avoir supposé d'abord que c'est une obligation ou une créance qui est affectée de la condition, déclare que la même modalité pourrait affecter un droit réel: la propriété ou un de ses démembrements, ou une sûreté réelle fournie pour la garantie d'une créance (f).
Dans ce cas, la condition produira un effet double, très-digne d'attention: elle sera, tout à la fois, suspensive pour l'une des parties et résolutoire pour l'autre. '
Supposons une aliénation d'immeuble subordonnée au départ du vendeur pour un pays éloigné; dans ce cas, la condition sera qualifiée de “suspensive," parce que le droit de l'acheteur n'est pas encore né; mais si la condition s'accomplit, en même temps qu'elle “ fera naître" le droit de l'acheteur, "elle résoudra" celui du vendeur.
En sens inverse, si l'aliénation a été faite immédiatement, mais qu'il ait été convenu qu'au cas où le vendeur reviendrait se fixer dans le pays qu'il quitte, la vente serait résolue, on peut dire qu'en même temps que le droit de l'acheteur est “résoluble," celui du vendeur est "suspendu: " l'événement prévu s'accomplissant enlèvera le droit de propriété à l'acheteur, nonseulement pour l'avenir, mais pour le passé, et le reportera rétroactivement sur la tête du vendeur, comme s'il n'avait jamais cessé de lui appartenir.
Comme conséquence de ce double effet de la condition, les droits conférés sur la chose par celui qui n'avait qu'un droit résoluble s'évanouissent comme et avec le sien, et les droits conférés par celui dont le droit était en suspens se confirment comme le sien propre.
362. La raison de ce double effet de chaque condi. tion, lorsqu'il s'agit de l'aliénation d'un droit réel, tient à la nature même de ce droit qui, une fois créé, doit nécessairement porter sur une tête, et ne peut en quitter une sans passer sur une autre, ni retourner au premier titulaire sans quitter le second. On ne rencontre pas ce double effet, lorsqu'il s'agit d'une obligation contractée avec une condition: elle ne préexistait pas à la convention, laquelle la fait naître et ne la trausfère pas; si elle est subordonnée à une condition suspensive et que celle-ci s'accomplisse, le droit naît pour le créancier, mais on ne peut pas dire qu'il quitte le débiteur; si elle est subordonnée à une condition résolutoire, l'événement enlèvera le droit au créancier, mais il ne le reportera pas sur la tête du débiteur.
On doit donc reconnaître que si les droits personnels peuvent être affectés de l'une ou l'autre condition, c'est toujours séparément, disjointement; tandis que les droits réels ne peuvent être affectés de l'une saps l'être en même temps et conjointement de l'autre.
Il y a toutefois un cas où le droit personnel sera affecté simultanément des deux conditions; mais l'es. ception, loin d'être gênante, confirme la règle: un créancier cède, sous condition suspensive, la créance qu'il a contre un tiers; si la condition s'accomplit, le droit cédé quitte le cédant pour passer sur la tête du cessionnaire; si la cession a été faite sous condition résolutoire, la résolution, en dépouillant le cessionnaire, reporte le droit sur le cédant. Si, dans ce cas, la condition produit deux effets simultanés, comme dans la cession d'un droit réel, c'est parce que droit personnel cédé préexistait à la convention.
Il est donc vrai et évident que toute condition mise à la translation d'un droit réel, ou d'un droit personnel préexistant, produit, tout à la fois, d'un côté, une suspension, et, de l'autre, une résolution. Il faut pourtant que les noms ne produisent pas d'équivoque. Le moyen de l'éviter c'est de s'attacher à l'EFFET DIRECT de la condition sur le droit conféré et non à son EFFET INDIRECT sur le droit retenit par l'aliénateur. Ainsi, upe vente sera dite “sous condition suspensive," quand le droit conféré à l'acheteur sera suspendu: on négligera la résolution qui ne doit se produire qu'indirectement sur le droit retenu par le vendeur; au contraire, la vente sera dite "sous condition résolutoire" quand le droit, présentement conféré à l'acheteur, sera sujet à résolution: on négligera l'effet indirectement suspensif de cette condition sur le droit retenu par le vendeur.
Mais, si l'effet indirect de chaque condition est à négliger quand il s'agit de la dénomination à donner à celle-ci, il est très-important, au contraire, à considérer pour le fond de toute cette théorie: on le verra bientôt, notamment, quand il s'agira de savoir laquelle des deux parties supporte les risques de perte fortuite, dans l'une et l'autre condition (v. art. 439 et 440).
363. L'article 428 assigne deux caractères à l'évé. nement qu'on appelle condition: il doit être “futur et incertain." Le Code français, dans l'art. 1168, exige les deux mêmes caractères; mais, plus loin (art. 1181), il met sur la même ligne “un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.” Il y là une méprise que le Code italien n'a pas commise (art. 1157) et que le droit romain a signalée le premier en ces termes: “ les choses qui sont certaines par leur na"ture, ne retardent pas la naissance de l'obligation, "quoiqu'elles soient incertaines pour nous.” Cependapt, au premier aspect, la situation paraît identique; si, par exemple, les parties ont subordonné les effets de leur convention à l'issue favorable d'une expédition militaire ou maritime qui doit être actuellement accomplie, mais dout aucune d'elles n'a pu encore avoir de nouvelles, il semble que les choses se passeront comme si l'événement était fatur: lorsque l'issue de l'expédition se trouvera avoir été favorable, la convention aura eu tous ses effets dès l'origine; lorsque l'issue aura été défavorable, la convention sera ré. putée non avenue. Mais, au fond, il reste une grande différence entre cette situation et celle d'une véritable condition: daus le cas d'un événement actuellement arrivé, l'obligation existe ou n'existe pas, dès le mo. ment de la convention, quoique les parties l'ignorent; si elle existe, rien n'empêchera ensuite qu'elle ait tous ses effets; si elle n'existe pas, rien, dans l'avenir, ne pourra lui donner effet; il n'y a pas d'alea, c'est-à-dire qu'il n'y a, pour les parties, ni chances, vi risques; si l'événement était accompli suivant les prévisions des parties, ce n'est pas lui qui aurait fait naître l'obligation, ce serait la convention; si l'événement était accompli en sens contraire, ou défailli, l'obligation ne serait pas née et ne pourrait jamais paître, sans une nouvelle convention.
Voilà pour la différence théorique de la question; en voici maintenant l'intérêt pratique: si l'obligation a été subordonnée à une véritable condition et que la chose due vienne à périr par cas fortuit avant l'événement, l'obligation ne se forme pas, faute d'objet, comme on l'a déjà dit plus haut (p. 150) et comme on en donnera bientôt la justification, en sorte que la perte retombe sur le débiteur qui n'a plus sa chose et n'aura pas les avantages que la convention pouvait lui destiner; tandis que, si l'obligation dépend d'un événement actuellement arrivé mais encore inconnu des parties, la chose due périt pour le créancier dont le droit est né quoiqu'il l'ignore: l'événement inconnu n'a été qu'un “terme incertain," ce terme s'est trouvé échu quand l'événement a été connu; or, le terme ne retardant pas la naissance du droit, mais seulement son exigibilité, met la chose aus risques de celui à qui elle est due.
364. Le présent article complète le caractère de la condition, soit suspensive, soit résolutoire, en donnant un effet rétroactif à sou accomplissement, soit pour la formation, soit pour la résolution de l'obligation ou du droit réel conféré. Cette rétroactivité a dû être indiquée de suite, pour faire saisir la nature de la condition (g); l'article suivant en va iudiquer les conséquences.
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(d) Le inot condition vient du mot latin condere, “ fonder:" la condition est ici “le fondement" du droit.
(e) Les Romains disaient que cette obligation "est pure, mais résoluble soris condition" (obligatio pura que sub conditione resolvitur):
(f) On rappelle encore, à cette occasion que le terme, à la différence de la condition, ne peut affecter que les démembrements de la propriété, mais non la propriété elle-même, ainsi qu'il a été expliqué sous l'article 31 (T. 1er, p. 82) et sous l'article 351 (ci-dessus, p. 140).
N.B. Par inadvertance, le passage cité (p. 140, n° 129) a été placé sous l'article 352: il faut le reporter sous l'article 351, à la page 138, après le n° 127, où il deviendra le n° 128.
(g) Le Code français (art. 1179) et le Code italien (art. 1170) ont eu le tort de rejeter à la fin de la matière l'effet rétroactif de la condition.
Art. 430. — 365. L'article 430 consacre, tout à la fois, le principe de la rétroactivité de la condition et celui du double effet, déjà signalé, de chacune des deux conditions. On va l'appliquer successivement aux diverses hypothèses.
1° Une obligation, de sonime d'argent ou autre, a été contractée sous condition suspensive; tant que la condition est en suspens (pendente conditione) le créancier n'a qu'un droit éventuel; mais il peut céder ce droit sous la modalité qui l'affecte: le cessionnaire exercera le droit de créance, si la condition s'accomplit, pourvu qu'il ait notifié au débiteur la cession qui lui a, été faite; si la condition fait défaut, son droit s'évanouira. Quant au point de savoir s'il aura droit à la restitution de son prix, par action en garantie, cela dépendra des clauses de la cession: en général, il n'y aura pas lieu à la restitution du prix, parce que la cession a un caractère aléatoire comme la créance cédée elle-même. Cependant, le cédant d'une créance est, de droit et sans stipulation, garant de l'existence de la créance (c. civ. fr., art. 1693); mais une créance conditionnelle existe suffisamment pour n'être pas sujette à cette garantie: elle a l'existence éventuelle que le cessionaire était en droit d'attendre, du moment que la condition lui a été révélée.
Dans cette hypothèse, le débiteur sous condition n'aura pas toujours à céder un droit corrélatif à son obligation; mais cela pourrait être, si le contrat était synallagmatique; alors seulement, il aura pu céder lui-même un droit conditionnel, avec les mêmes conséquences.
2° Une créance pure et simple ou à terme existait entre deux personnes et le créancier l'a cédée à un tiers, sous condition suspensive: il a conservé sa créance sous condition résolutoire, ainsi qu'on l'a fait remarquer sous l'article 428. Ici, chacune des parties figurant dans la cession a un droit inverse de celui de l'autre et elle peut en disposer tel qu'il se comporte, c'est-à-dire, avec la condition dont il est affecté: le cessionnaire peut disposer par vente ou donation de sa créance éventuelle ou conditionnelle; le cédant peut disposer de même de sa créance actuelle mais résoluble. Si la condition de la première cession se réalise, la sous-cession faite par le cessionnaire produit ses effets et la seconde cession faite par le cédant se résont; si, au contraire, la condi. tion de la première cession fait défaut, c'est la souscession qui se résout et la seconde cession faite par le cédant qui se réalise.
Les rôles et lessituations seraient inverses, si la première cession avait été faite sous condition résolutoire.
Quant au débiteur cédé, sa position ne change pas, il reste tenu purement et simplement ou à terme: il payera à celui des deux intéressés dont le droit sera définitivement confirmé, ou, tout au moins, dont le droit sera actuel, quoique résoluble, au moment où le payement sera exigé de lui.
3° Supposons enfin un droit de propriété cédé sous condition suspensive, ce qui laisse la propriété au cédant, mais sous condition résolutoire. Chacune des parties peut céder le droit qui lui appartient, sous la condition dont il est affecté: l'événement qui confirmera le droit du cessionnaire résoudra le droit du cédant et, du même coup, les secondes cessions qu'il a faites, en confirmant les sous-cessions. En sens inverse, si la première cession a été faite sous condition résolutoire, le cédant a gardé la propriété sous condition suspensive, et les nouvelles cessions faites par l'un ou l'autre se résoudront ou se confirmeront comme et avec le droit de chaque cédant.
La complication de ces hypothèses est plus apparente que véritable: le principe une fois posé, les conséquences sont logiques et faciles à déduire.
366. Le 26 alinéa de l'article 430 subordonne les effets qui précèdent, en tant qu'il s'agit de les opposer, respectivement, entre une partie ou ses ayant-cause et les ayant-cause de l'autre, à la publicité requise pour les cessions de créance et pour les aliénations d'immeubles ou les constitutions de droits immobiliers.
Il est évident, par exemple, que si celui qui n'a qu'un droit conditionnel le cédait comme lui appartenant purement et simplement et que la condition ne s'accomplît pas en sa faveur, les cessionnaires ne pourraient être évincés que s'ils avaient été mis en mesure de connaître la condition dont leur droit était affecté; or, pour les droits réels immobiliers, la condition, tant suspensive que résolutoire, a dû être révélée par la transcription du titre originaire du cédant. Pour les créances conditionnelles, si la condition est mentionnée au titre, cela suffit pour en avertir le cessionnaire; si la condition y a été ajoutée par un acte séparé, le cessionnaire a pu en être informé au moment où il a fait au cédé la notification de la cession. Si ces avertissements n'ont pas été donnés au cessionnaire, la condition ne lui est pas opposable, car les droits sont toujours présumés purs et simples: la condition est une anomalie, une exception au droit commun.
Art. 431. — 367. L'article 431 déroge à l'article 430, en ce sens que les actes d'administration ne se trouvent pas affectés de la condition qui affecte le droit de celui qui les a faits. Ainsi, celui qui n'avait qu'un droit de propriété soumis à une condition résolntoire a loué l'objet à un tiers; plus tard, la résolution s'accomplit, le bail subsistera. Le motif de la loi est qu'il est d'intérêt général que les biens soient loués ou utilement administrés et il serait difficile de trouver un locataire on un fermier, si son droit devait s'évanouir par l'effet de conditions auxquelles il est étranger.
Mais pour que les actes d'administration soient ainsi respectés, il faut qn'ils soient faits “de bonne foi et en conformité à la loi.” Ils ne seraient pas faits “de bonne foi,” si le bailleur avait eu pour but de priver de la jouissance du bien, au moins pour un temps, celui auquel la propriété doit passer par l'accomplissement de la condition résolutoire; la mauvaise foi serait certaine si la location avait été faite lorsque déjà la condition était accomplie ou paraissait sur le point de l'être, et il serait difficile de considérer comme faite de bonne foi la location d'un meuble qu'il n'est pas d'usage à un propriétaire de louer. La loi n'exige pas la bonne foi des tiers qui ont contracté avec l'administrateur; par conséquent, lors même qu'ils auraient connu la condition qui affectait le droit du bailleur, le contrat de bail ne serait pas moins valable à leur égard. C'est toujours la raison économique qui veut qu'on favorise les baux des maisons et des terres. Mais les tiers cesseraient de pouvoir invoquer les baux, s'ils les avaient souscrits après que la condition résolutoire était accomplie, même à leur iosâ: ils seraient dans la situation ordinaire de ceux qui traitent sur une chose avec un autre que le propriétaire.
Enfin, l'acte d'administration ne serait pas fait "en conformité à la loi," si la location avait été faite pour un temps plus long ou sous d'autres conditions que la loi ne le permet aux administrateurs du bien d'autrui (voy. art. 126 à 138).
368. On pourrait croire que les jugements, ayant le caractère de preuves, par l'effet d'une présomption légale absolue de vérité attachée à la chose jugée, seraient opposables à tous les intéressés quand ils leur seraient contraires, de même qu'ils pourraient être invoqués par eux lorsqu'ils leur seraient favorables. Mais la raison et l'équité s'opposent à ce qu'une personne souffre d'un jugement qu'elle n'a pas demandé et qu'elle n'a pa combattre: l'autorité judiciaire, qu'elles que soient ses lumières et son impartialité, ne se prononce que sur les faits qui lui sont soumis et ne se détermine que par les preuves produites devant elle: aussi est-il universellement reconnu, par les lois comme par la doctrine, que la chose jugée ne nuit ni ne profite qu'aux parties qui ont figuré dans le procès, comme demanderesses ou défenderesses, soit en personne, soit par représentation. Ce principe déjà sigvalé (p. 180) et qui sera développé et justifié plus amplement, lorsqu'on arrivera à la matière des preuves (Livre Vo), est appliqué ici, par le 2° alinéa de notre article 431, mais sous une double exception on réserve qui demande quelques explications:
1° Certaines personnes qui n'ont pas été parties en cause pourront invoquer le jugement, s'il leur est favorable, et le récuser s'il leur est contraire;
2° Les jugements sur les actes d'administration seront opposables autant que profitables à ces mêmes personnes.
369.-1. On remarquera d'abord que la loi suppose que c'est celle des parties dont le droit était résoluble qui a plaidé avec le tiers: c'est cette partie, en effet, qui a un droit actuel et c'est elle seule qui peut être attaquée par un tiers au sujet de la chose; la loi n'en a pas moins deux applications: il peut y avoir eu aliénation sous condition résolutoire directe, c'est alors l'acheteur qui acquiert un droit résoluble; il peut y avoir en aliénation sous coudition suspensive, c'est le vendeur qui retient un droit résoluble.
Pour l'application de notre article, il ne faudrait pas supposer que celui dont le droit est résoluble a plaidé avec des personnes qui prétendraient avoir acquis des droits de lui, postérieurement à la convention affectée de la condition: il est clair que ces personnes ne pourraient se prévaloir, contre la partie dont le droit est en suspens, du jugement qui reconnaîtrait leur droit, puisqu'elles ne pourraient non plus se prévaloir contre elle d'une convention non contestée qui leur aurait conféré ces mêmes droits. Il faut supposer que le procès a eu pour objet d'établir des droits antérieurs à la convention conditionnelle; or, si ces droits existaient réellement, ils ont, suivant leur nature, mis un obstacle total ou partiel à la cession conditionnelle. Par exemple, une vente sous condition suspensive a eu lieu: le vendeur a conservé la propriété sous condition résolutoire; avant que la condition fût accomplie, un tiers a prétendu qu'il avait lui-même, soit la propriété, soit un démembrement de la propriété sur cette même chose; le jugement qui a reconnu son droit n'aura son effet que si la condition suspensive de la vente fait défaut et si la résolution ne s'opère pas contre le vendeur: dans ce cas, en effet, le vendeur ne peut méconnaître le jugement auquel il a figuré et l'acheteur n'ayant désormais aucun droit sur la chose, puisque la condition suspensive est défaillie, n'a pas intérêt à contester ce jugement; si la condition s'accomplit, l'acheteur ne respectera pas le jugement, parce qu'il n'y a pas été partie et n'a pas été représenté par son vendeur qui n'avait pas qualité pour compromettre les droits de son acheteur par une défense maladroite ou complaisante. Au contraire, le tiers a succombé dans sa demande et la condition s'est accomplie, l'acheteur pourra se prévaloir du jugement contre le tiers, parce que le vendeur a eu qualité pour sauvegarder les droits de son acheteur: il a accompli son obligation de garantie contre tous troubles et évictions; on peut aussi le considérer comme ayant été gérant d'affaires de l'acheteur; or, un gérant d'affaires peut rendre service au "maître" et ne peut compromettre ses droits. La même règle a déjà été appliquée entre l'usufruitier et le nupropriétaire (voy. art. 101).
Il va de soi, et notre 2° alinéa le fait remarquer, que, si l'acheteur a été mis en cause par le tiers, à cause de son droit éventuel, le jugement défavorable lui sera opposable.
370.-II. Si le procès intervenu entre un tiers et la partie dont les droits sont résolubles avait concerné un acte d'adıninistration, la solution serait différente; le jugement défavorable à celui dont les droits sont ensuite résolus serait opposable à celui qui acquiert le bien par l'effet de la condition; car la partie qui a pu faire des actes d'administration opposables à l'autre partie a eu qualité pour plaider sur des actes de cette nature.
Toutes ces questions ont été absolument négligées par les Codes français et italien.
Art. 432. — 371. L'article 432 complète les effets de la résolution, en statuant sur les fruits et intérêts intérimaires. Les Codes français et italien sont restés muets sur ce point également, ce qui donne lieu à des divergences d'opinion.
Le Projet suit les conséquences naturelles de la résolution: si elle est directe et accomplie contre l'acquéreur du droit conféré, celui-ci, ayant pu, pendant un certain temps de possession, percevoir des fruits et produits de la chose, les restituera; de son côté, celui qui a aliéné, pouvant avoir reçu le prix, en rendra les intérêts; si la résolution est opérée indirectement, par l'accomplissement de la condition suspensive, celui quiavait conféré le droit livrera la chose avec les fruits perçus, et l'acquéreur payera le prix avec les intérêts. Les choses sont ainsi ramenées, dans le premier cas, à l'état où elles auraient été, si la convention résoluble n'avait pas eu lieu; dans le second, à l'état où elles auraient été, si la convention suspendue avait été pure et simple.
L'article 432, en donnant cette solution, admet qu'elle pourrait être modifiée par l'intention des parties; en effet, il est possible que, dans un but de simplification, elles aient adınis, expressément ou tacitement, que les fruits perçus par une partie, pendant que la coudition était en suspens, se compenseraient avec les intérêts qu'elle devrait recevoir de l'autre partie. Cette compensation, qu'on a le tort, en France, d'admettre plutôt comme une règle générale que comme une exception, pourra être très-facilement admise au Japon par les tribunaux: notamment, quand il se sera écoulé un long intervalle entre la convention et l'issue de la condition; mais, elle devra toujours être considérée comme une exception résultant des circonstances.
Art. 433. — 372. Le Code français (art. 1169 à 1174) énumère et définit plusieurs natures de conditions qui, tout en étant nécessairement suspensives ou résolutoires, ont d'autres caractères influant plus ou moins sur la validité de la convention qui en dépend. C'est ainsi qu'il distingue les conditions: 1° en casuelles, potestatives et mixtes, suivant qu'elles dépendent, ou du par hasard, ou de la volonté d'une seule des parties, ou, tout à la fois, de la volonté d'une des parties et de celle d'un tiers ou du hasard; 2° en licites et illicites; 3° en possibles et impossibles; 4° enfin, en positives et négatives, suivant qu'on a prévu qu'un événement arrivera ou n'arrivera pas.
Le Code italien a suivi à peu près la même méthode (art. 1159 à 1162).
Le présent Projet ne mentionne ces caractères particuliers des conditions qu'en en réglant l'influence sur la convention, et il ne définit que la condition illicite, celle justement que les Codes précités ont négligé de définir, quand c'était le cas où la définition était le plus nécessaire.
373. Et d'abord, pour la condition impossible il n'y a pas de difficulté réelle. Si elle est en même temps positive ou affirmative, elle rend pulle la convention qui en dépend; par exemple, on a vendu ou donné un fonds à quelqu'un, s'il faisait l'ascension du Fusiyama au mois de Janvier (h); il est évident qu'une pareille convention n'est pas sérieuse et que les deux parties, si elles sont saines d'esprit, savent, dès l'abord, que la condition suspensive ne se réalisera pas et que, par conséquent, la convention ne peut produire d'effet. Il en serait de même, si le fait impossible était pris comme condition résolutoire; par exemple: “je vous vends mon fonds présentement, mais la vente sera résolue, si je fais l'ascension............ etc.;” ici, ce n'est plus la vente qui est nulle, c'est la clause stipulant la résolution: il est clair que celui qui ne s'est réservé qu'une résolution impossible a fait uue vente pure et simple.
Supposons maintenant que le même fait impossible, au lieu d'être envisagé positivement ou affirmativement, l'ait été négativement, la solution sera différente; par exemple: “je vous vends ma maison, sous cette condition suspensive:” si vous ne faites pas l'ascension du Fusiyama, etc.;" comme il est bien certain, dès aujourd'hui, que vous ne la ferez pas, la vente est pure et simple; ou bien encore, vous ayant vendu ma maison antérieurement, sans condition, j'ai stipulé, plus tard, que la vente serait résolue, si vous ne faisiez pas ladite ascension; comme il est certain que vous ne la ferez pas, la vente est résolue immédiatement, purement et simplement. On a dû supposer ici que la vente était antérieure à la stipulation de résolution, car, si les deux clauses se trouvaient dans une même convention, la vente se trouverait résolue en même temps qu'elle se formerait, ce qui serait dérisoire.
Cette distinction entre la condition positive et la condition négative d'un fait impossible se trouve dans ces deux dispositions du Code français: “ Toute condition “d'une chose impossible est nulle et rend nulle la con“ vention qui en dépend (art. 1172);
“La condition de ne pas faire une chose impossible “ ne rend pas nulle l'obligation contractée sous cette “condition" (art. 1173).
374. Le Code français est moins précis au sujet de la condition illicite qu'il n'envisage pas sous ses deux faces, positive et négative, ce qui donne lieu à des doutes sérieux, quand la condition est négative ou “de ne pas faire une chose illicite."
Le Projet s'est attaché à prévenir ici toute difficulté.
La convention ne sera illicite, au point de vue qui nous occupe, elle ne rendra la convention nulle, que si elle doit tendre à un résultat mauvais, moralement ou socialement; or, ce résultat est à prévoir et à redouter dans deux cas que le texte du présent article détermine avec soin:
1° Si l'une des parties doit bénéficier, soit de l'accomplissement d'un acte que la loi ou la morale défend, soit de l'abstention d'un devoir que la loi ou la morale impose;
2° Si l'une des parties doit souffrir, soit de s'être abstenue d'un acte défendu, soit d'avoir accompli un acte ordonné.
Dans le premier cas, les parties se seraient proposé de récompenser le mal et, dans le second cas, de punir le bien.
Il n'y a pas à distinguer, du reste, si le profit du mal ou la peine du bien doit être pour le stipulant ou pour le promettant, ni si la condition illicite est suspensive ou résolutoire; seulement, il est bien entendu que si la condition est suspensive, il n'y a pas de convention du tout, tandis que si la condition est résolutoire, c'est celle-ci qui est seule non avenue, la convention restant pure et simple:
375. Il est nécessaire de donner des exemples de ces diverses situations qui sont régies par le même principe.
1° “Je vous promets ma maison, si vous me procurez des documents secrets du Gouvernement:" la condition illicite est suspensive; elle est positive; elle est dans l'intérêt du stipulant de la maison (i).
2° “Je vous promets ma maison, si vous ne remettez pas au Gouvernement les documents que vous avez reçus pour lui:” la condition illicite est encore suspensive et dans l'intérêt du stipulant; mais elle est négative, en ce qu'elle a pour objet le non-accomplissement d'un devoir.
3° “Je vous donne ma maison présentemement, mais la donation sera résolue, si je vous remets les documents secrets du Gouvernement, ou si vous ne lui remettez pas ceux qui lui sont adressés:" dans les deux cas, la condition est dans l'intérêt de celui qui stipule la résolution; au premier cas, la condition est positive et la faute serait récompensée; au second cas, la condition est négative et le mérite du promettant serait puni.
376. Voici maintenant les cas que le Code français a laissés dans le doute et qui se trouvent implicitement réglés par les limites précises que le Projet a mises à la nullité.
Les parties ont établi comme condition suspensive de la convention le cas où l'une d'elles s'abstiendrait de tel acte illicite ou accomplirait tel devoir dans des circonstances ou dans un temps déterminé; ou, en sens inverse, elles sont convenues que la convention actuellement formée serait résolue, si la partie intéressée à son maintien commettait un acte illicite déterminé ou manquait à accomplir tel devoir. Plusieurs auteurs soutiennent que la condition doit, ici encore, être considérée comme nulle et entraîner la nullité de la convention qui en dépend: ils allèguent qu'il est immoral qu'ave partie stipule un avantage (l'acquisition ou la conservation d'un droit), comme prix de l'observation de la loi et de l'accomplissement d'un de ses devoirs. Mais d'autres répondent que tout moyen qui assure ce double résultat est utile à la société et doit être autorisé.
On doit remarquer d'abord qu'il n'y a pas similitude parfaite entre les deux hypothèses ici proposées: dans la première, celle de la condition suspensive, il y a bien récompense de l'observation de la loi; mais dans la seconde, ce n'est pas la non-résolution qu'il faut envisager comme une récompense, mais plutôt la résolution comme une peine; or, les parties, pouvant toujours stipuler une peine civile pour assurer l'observation de la loi, auraient pu, certainement, subordonner leur convention à la résolution, pour le cas où l'acquéreur commettrait un acte illicite ou manquerait à l'observation de la loi; il ne faut donc pas les empêcher d'atteindre ce but légitime parce qu'elles auront donné à leur convention une forme différente qui n'en change pas le fond. Il faut, dès lors, sans hésiter, admettre que la résolution peut être stipulée sous la condition indiquée plus haut.
Dans le cas de la condition suspensive, on pourra faire la distinction suivante: si le stipulant s'est fait promettre un avantage pour le cas où il ne commettrait pas un acte pupissable par la loi, ou accomplirait un devoir dont la violation a aussi une sanction pénale, la condition viciera la convention comme immorale; il y a cause honteuse (turpis causa), et, par suite, refus d'action et droit de répétition contre le stipulant, s'il y avait eu exécution (voy.art. 381-2° et 387); d'ailleurs, il semblerait que la condition implique une menace, laquelle vicie également la convention. Mais, si la condition est de ne pas faire un acte que la morale seule réprouve et non la loi pénale, ou d'accomplir uu devoir que la morale seule impose et non la loi, la convention qui en dépend devra être maintenue. Ainsi, une promesse a été faite à une fille de mauvaise vie, pour le cas où elle rentrerait dans sa famille et s'y conduirait honnêtement, ou à un homme vivant irrégulièrement avec une femme, pour le cas où il l'épouserait légalement; dans ces cas, il n'y a pas immoralité à obtenir uue pareille promesse et à la faire valoir, même en justice, si la condition est remplie.
377. Le rapprochement du 10et du 3° alinéas de notre article 433 donne lieu à une observation importante. Tout ce qui a été dit de la condition illicite ou impossible, comme viciant et annulant la convention qui en dépend, ne s'applique qu'au cas où c'est l'effet principal de la convention qui aurait été rattaché à la condition: alors la condition joue le rôle de cause déterminante de la convention et, comme cause illicite ou fausse, elle empêche la convention de se former (voy. art. 325). Ainsi, dans une vente conditionnelle, si c'est la translation de propriété même qui a été subordonnée à la condition, la nullité de la condition entraînera celle de toute la convention; mais, si la condition n'affecte qu'un accessoire de la vente, un objet complémentaire aliéné, un terme pour la délivrance de la chose ou pour le payement du prix, alors, l'accessoire, le terme, seront seuls frappés de nullité.
Cette distinction, formellement écrite dans le Projet, ne se trouve pas dans les Codes français et italien; mais l'interprétation doctrinale et judiciaire les y supplée ordinairement.
378. Terminons par une remarque importante. La théorie générale des conventions et obligations ici présentée comprend, en principe, les contrats à titre gratuit comme les contrats à titre onéreux: en ce qui concerne l'effet des conditions illicites ou impossibles, on n'a pas signalé de différence entre les deux sortes d'actes; on a même pris, tantôt alternativement, tantôt cumulativement, des exemples de donations et de ventes. Il en est tout autrement dans le Code français: ce n'est que dans les actes onéreux que la nullité de la condition entraîne la nullité de l'acte qui en dépend; dans les donations il en est autrement: la con. dition mulle y est réputée non écrite et la donation est valable comme pure et simple (c. civ. fr., art. 900). Il a toujours été difficile de justifier cette disposition singulière: elle paraît être une assimilation irréfléchie de la donation au testament, pour lequel, au contraire, la disposition a été sagement admise depuis le droit romain. Le Code italien (art. 1266) s'est gardé, en cela, d'imiter le Code français, et le Projet japonais suit l'exemple du Code italien.
Lorsqu'on traitera des donations, on pourra, soit se référer au présent article 433, soit même garder le silence sur les conditions, ce qui impliquera la même théorie que pour les conventions en général. Au contraire, pour les testaments, on ne manquera pas de conserver l'exception consacrée par une longue tradition, au sujet des conditions polles, et on l'y justifiera.
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(h) Les jurisconsultes romains donnaient comme exemple de condition impossible: “si vous touchez le ciel du doigt.” Ils auraient pu en imaginer de plus vraisemblables, en tant que stipulation.
(i) On dit qu'elle est dans l'intérêt du stipulant de la maison, en ce qui concerne le contrat; cela n'empêche pas de supposer que le promettant a un intérêt à l'accomplissement de la faute ou à l'inaccoinplissement du devoir; mais cet intérêt, illicite sans doute, est inconnu et inutile à chercher.
Art. 434 et 435.- 379. Comme on l'a dit plus haut, la condition casuelle est celle qui dépend seulement du hasard (casus) ou d'un événement sur lequel les parties ne peuvent exercer aucune influence; si la condition dépend, en même temps, de la volonté d'une partie et du hasard ou de la volonté d'un tiers, la condition est appelée mixte; enfin, elle est dite potestative, quand il dépend uniquement de la volonté de l'une des parties de la faire accomplir ou défaillir.
Le Code français prohibe “la condition potestative de la part de celui qui s'oblige” (art. 1174); le Code italien, avec une nuance d'expression, prohibe la condition qui dépend “de la pure volonté de celui qui s'oblige” (art. 1162) (j). Au contraire, tous deux permettent, par cela seul qu'ils ne la prohibent pas, la condition potestative de la part du stipulant.
Le Projet japonais paraît s'écarter de ses deux modèles, en ne prohibant pas même la condition potestative de la part de celui qui s'oblige; mais, en réalité, la dérogation est moindre qu'elle ne paraît. En France, notamment, la saine interprétation de la loi n'amène à prononcer la nullité de la convention qui en dépend que lorsque la condition est purement potestative, lorsque le promettant ne fait aucun sacrifice, soit qu'il veuille ou ne veuille pas accomplir la condition, quand elle dépend de son par caprice ou de sa fantaisie, lorsqu'enfin il n'a entendu s'obliger que si tel était son bon plaisir, ce que les Romains désignaient par ces mots: “si je veux" (si voluero). Au Japon aussi, la convention sera nulle dans ce cas; mais ce sera d'après le principe général qu'il n'y a pas convention ou contrat sans volonté de s'obliger, sans consentement. Mais on n'a jamais sérieusement soutenu, en France, qu'one vente fût nulle quand, par exemple, le vendeur l'avait subordonnée à un voyage, ou à sa démission de fonctions publiques ou privées; parce qu'on reconnaît qu'en pareil cas, comme dans une foule d'autres, ce n'est pas par caprice ou pure fantaisie qu'une partie fait un voyage ou donne sa démission: il y a toujours des intérêts en jeu, des sacrifices à faire, qui peuvent faire hésiter le contractant. De même, s'il s'agit d'un contrat synallagmatique, il est difficile de dire quand la condition “dépend de la volonté de la partie qui s'oblige,” puisque les deux parties sont respectivement créancière et débitrice.
380. Toutes ces difficultés disparaissent dans le Projet. L'article 435 prend d'ailleurs une précaution qui éloigne tout danger. Il est clair que dans le cas où l'accomplissement de la condition dépend de la volonté d'une seule des parties, que ce soit du stipulant ou du promettant, la convention n'est pas pure et simple: il fant encore que cette volonté soit exprimée et notifiée; jusques-là, le promettant ignore si et quand il devra exécuter, ou c'est le stipulant qui ignore si et quand il pourra demander l'exécution; la partie qui n'a pas le choix peut donc souffrir plus ou moins d'une trop longue incertitude. La loi y pourvoit, en autorisant cette partie à demander au tribunal la fixation d'un délai, si d'ailleurs les parties n'en ont pas fixé on elles-mêmes (comp. art. 436). Passé ce délai, la condition sera réputée défaillie, si la partie n'a pas exercé sa faculté.
Il n'y a pas à distinguer, d'ailleurs, si la condition potestative était suspensive ou résolutoire, quant à son effet sur la convention, ni, si elle était positive ou négative, c'est-à-dire s'il s'agissait de l'accomplissement ou du non-accomplissement d'un fait déterminé.
381. L'article 434 a un autre objet: statuant sur une condition qui ne dépend pas de la volonté du promettant, mais de celle du stipulant ou du hasard, il punit le promettant de tout acte de sa part qui aurait pour effet d'empêcher l'accomplissement de la condition au profit du stipulant, et la punition est que la condition défaillie par son fait sera réputée accomplie contre lui. Ainsi, une vente avait été faite sous la condition suspensive que le vendeur aurait acquis telle autre propriété; l'acheteur, regrettant le contrat et pour faire manquer la condition, achète lui-même le bien désiré par son vendeur: il en sera puni, si le vendeur in voque la loi, en se trouvant acheteur du premier bien, en même temps qu'il l'est du second, ce qui pourra être pour lui un sérieux embarras. En modifiant l'exemple, on l'appliquera à la condition résolutoire: il a été convenu que la vente serait résolue, dans l'intérêt de l'acheteur, s'il parvenait à acquérir un autre immeuble déterminé qui répond mieux à ses besoins; le vendeur, pour empêcher la résolution de s'accomplir, s'est rendu luimême acquéreur de ce bien: comme il a volontairement empêché la résolution, elle sera réputée accomplie; il devra reprendre son immeuble et restituer le prix qu'il aura reçu.
Bien entendu, dans les deux cas, la résolution n'a pas lieu de plein droit: elle doit être prononcée en justice, à cause de son caractère de peine, et la demande ne peut en être faite que par la partie en faveur de laquelle la condition avait été établie.
L'article 134 ne s'applique pas, comme il résulte bien de son texte, au cas où la condition dépend de la volonté du promettant; il est clair que, dans ce cas, il a pu faire manquer l'accomplissement de la condition sans en être responsable: il a exercé son droit.
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(j) Le Code français, qui n'annule pas la donation affectée d'une condition illicite (art. 900), annule, au contraire, celle qui dépend d'une condition potestative; mais il paraît ne considérer comme telle que "celle qui dépend de la seule volonté du donateur.” Cependant ce point est fort discutable.
Art. 436. — 382. Les deux premières dispositions de cet article sont empruntées aux articles 1176 et 1177 du Code français, reproduits littéralement par le Code italien (art. 1167 et 1168). A la rigueur, elles pourraient ne pas figurer dans la loi, parce qu'elles ne sont que des déductions logiques de la nature de la condition et de l'intention des contractants; toutefois, ce qu'il a paru utile d'exprimer en France et en Italie, où les tribunaux sont familiers avec la théorie de la condition, ne pouvait être jugé superflu au Japon où, cette modalité des obligations étant peu pratiquée, la théorie scientifique en est encore peu connue; le Projet y ajoute d'ailleurs une disposition nécessaire.
383. Le 1er alinéa prévoit une condition positive, c'està-dire, un événement dont l'arrivée doit faire naître ou résoudre un droit; le 20 alinéa suppose une condition négative, c'est-à-dire que c'est le non-accomplissement in d'un événement qui agira sur le droit, comme condition suspensive ou résolutoire. Dans le premier cas, la loi déclare quand la condition est défaillie: elle néglige de dire quand elle est accomplie; au contraire, dans le second cas, la loi déclare quand la condition est accomplie et elle ne dit pas quand elle est défaillie; c'est qu'en effet, les deux points négligés par la loi ne présentent aucune difficulté.
Ainsi, quelqu'un a acheté 100 kokous (k) de riz, sous la condition qu'ils lui seraient livrés dans le délai d'un mois; la livraison a été faite dans le délai fixé: la condition est évidemment accomplie et la vente est parfaite; ou bien la vente de riz, déjà parfaite, avait été stipulée résoluble si, dans le délai d'un mois, l'acheteur recevait d'autres riz qui lui avaient été promis par un tiers; ces riz lui arrivent dans le délai fixé: la condition résolutoire de la vente est accomplie.
La loi n'a pas besoin de régler cet accomplissement normal de la condition.
Au contraire, supposons que, dans le cas de la vente sous condition suspensive, les riz ne soient pas livrés dans le délai d'un mois, et, dans le cas de la vente sous condition résolutoire, que l'acheteur ne reçoise pas les riz d'une autre origine qu'il espérait, alors, la loi croit utile d'exprimer que la condition est défaillie, c'est-à-dire qu'une livraison ou une arrivée tardive ne remplirait pas la condition stipulée.
Ce qui, d'ailleurs, complète l'utilité du texte, c'est le 39 alinéa qui manque dans les deux Codes précités, à savoir, que les tribunaux ne peuvent proroger le délai fixé par les parties: ce serait, de leur part, exposer l'une d'elles à des pertes, car la fixation du délai a été naturellement basée sur des considérations d'intérêt ou de convenance personnels dans lesquels les tribunaux ne doivent pas s'immiscer. Il n'y a ici aucune analogie avec la concession d'un délai de grâce pour l'exécution (art. 426): il ne s'agit pas d'exécuter une obligation déjà née, mais d'en favoriser la naissance ou la résolution, ce qui ne peut être dans le pouvoir des tribunaux; s'il a été permis aux tribunaux, par l'article 435, de fixer un délai quand les parties n'en avaient pas fixé c'était par interprétation de la volonté tacite de cellesci, et le délai, dans ce cas, n'est plus un terme de grâce, mais un terme de droit (comp. p. 368).
384. La loi croit encore devoir s'expliquer sur le cas où, avant l'arrivée du terme, il est devenu certain que l'événement positif prévu ne pourra plus arriver; par exemple, les riz attendus ont péri, avant le mois, dans un incendie ou un naufrage: il est inutile de laisser s'écouler le mois pour reconnaître que la condition est défaillie.
Le raisonnement sera le même pour la condition négative, mais avec les modifications nécessaires de l'hypothèse. La vente du riz a eu lieu sous cette condition suspensive qu'elle serait parfaite seulement si l'acheteur ne recevait pas, dans le délai d'un mois, d'autres riz qui lui sont promis d'un autre côté; ces riz sont arrivés dans le délai, la condition suspensive de la vente est défaillie et la vente est non avenue. Ou bien, la vente, née et actuelle, a été subordonnée à cette condition qu'elle serait résolue si le vendeur ne recevait pas, dans le délai d'un mois, d'autres riz qui devaient remplacer pour lui ceux qu'il vendait présentement; ces riz sont arrivés dans le délai, la condition est défaillie et la vente est maintenue. Dans les deux cas, il est inutile d'attendre l'expiration du délai fixé pour reconnaître que la condition est défaillie.
La loi n'a pas à s'expliquer sur des résultats si simples. Mais elle croit devoir déclarer que la condition est tenue pour accomplie, même avant l'expiration du délai, dès qu'il est certain que l'événement ne pourra plus arriver; par exemple encore, si les riz attendus ont péri. Elle déclare aussi que la condition négative est accomplie quand l'événement prévu n'est pas arrivé dans le délai fixé, parce qu'on aurait pu croire que le délai n'était pas "de rigueur" et pouvait être prorogé par le juge.
La loi ne défend ici aux tribunaux que la prorogation du délai fixé par les parties; à l'égard du délai antérieurement fixé par le tribunal, dans le cas de l'article 435, la prorogation en est déjà défendue, et d'une façon plus générale, par l'article 427, in fine.
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(k) Le kokou est une mesure de capacité équivalant à 180 litres décimaux environ.
Art. 437. — 385. L'article 1179 du Code français et l'article 1170 du Code italien ont cette disposition principale, mais ils n'ont pas l'exception, laquelle pourtant recevra une fréquente application; car, s'il s'agit d'une obligation de faire un travail qui exige des connaissances ou un talent particuliers, la personne du promettant aura été le plus souvent prise en considération et sa mort fera défaillir la condition, même avant le délai qui aurait pu être fixé. De même, s'il s'agit d'une obligation de ne pas faire, par exemple, si un acteur s'est soumis à la condition de ne pas jouer sur un théatre rival, la condition ne serait pas imposée à ses héritiers, desquels la même concurrence ne serait pas à craindre; la condition négative se trouverait ainsi accomplie par la mort du promettant avant le délai fixé, par application de l'article précédent. En sens inverse, dans ce dernier exemple, la mort du stipulant ferait tenir la condition pour accomplie, si, par sa mort, l'entreprise théatrale en faveur de laquelle il avait sti. pulé se trouvait dissoute.
Art. 438. — 386. Les deux Codes précités n'ont, ici encore, exprimé que la principale de ces idées (c. fr., art. 1175 et c. it., art. 1166); ils l'ont fait incompletement d'ailleurs, et c'était la moins nécessaire à exprimer, à cause du principe général de l'interprétation des conventions (voy. art. 376 et suiv.).
Le présent article est plus complet en ce qu'il vise le cas d'un accomplissement partiel de la condition qui, sans doute, ne pourra jamais être assimilé à l'accomplissement total, mais qui ne devra pas non plus être toujours considéré comme inutile et sans effet. Si l'accomplissement partiel de la condition permet au stipulant d'atteindre en partie le but qu'il se proposait, il est raisonnable et juste que les droits qui dépendaient de cette condition soient considérés comme formés respectivement.
Cette difficulté se trouvera éclaircie par ce qu'on dira bientôt, au sujet des obligations divisibles et indivisibles ($ 1v).
Art. 439 et 440.-387. Bien que la théorie des risques appartienne surtout à "l'extinction des obligations par la perte de la chose due” dont il sera traité au Chapitre III, elle présente, en matière de conditions, ainsi qu'on l'a déjà annoncé à l'article 355, des particolarités qui sont mieux placées ici, au siége de la matière.
Ces deux articles correspondent à l'article 1182 da Code français et à l'article 1164 du Code italien; mais ils sont plus complets, en ce qu'ils prévoient, tout à la fois, la condition suspensive et la condition résolutoire, tandis que cette dernière a été négligée par les deux Codes étrangers; ils s'écartent aussi de la solution donnée au fond, ainsi qu'on le fera remarquer.
388. Lorsqu'une convention confère un droit, purement et simplement ou à terme, la chose due ou cédée est aux risques du stipulant ou du cessionnaire, ainsi qu'il est dit à l'article 356 et pour les raisons données au commentaire (p. 148 à 150); si donc la chose périt en tout ou partie, ou se détériore plus ou moins gravement, sans la faute du débiteur ou du cédant, il sera libéré dans la même mesure, sans rien perdre des droits et avantages réciproques qui pouvaient lui être dus en vertu de la même convention.
Il en est tout autrement dans le cas de condition, au moins de condition suspensive. Tant que cette condition n'est pas accomplie, les droits qu'elle doit conférer ne sont pas nés, mais seulement espérés: c'est l'accomplissement de la condition qui les fera naître; le consentement donné à l'origine n'a pas besoin d'être renouvelé et n'a pu être rétracté; la cause originaire subsiste et l'accomplissement de la condition jouera le rôle de cause complémentaire (voy. p. 60). Mais pour qu'ils naissent, il faut qu'ils puissent porter sur un objet et l'objet de la condition a pu périr. S'il a péri en entier, la convention, restée en suspens, ne peut naître faute d'objet: celui auquel la chose a été promise ou cédée ne la recevra pas, mais il n'aura pas non plus à fournir la contrevaleur qu'il avait pu promettre en compensation, en sorte qu'il est exact de dire que la perte est pour le promettant ou le cédant. On doit décider de même au cas d'une donation sous condition suspensive, quoique le donateur n'ait pas à recevoir d'équivalent de la chose donnée ou promise; en effet, quoiqu'il demeure privé de sa chose, il ne l'est pas par la donation, mais par la perte accidentelle: il n'a donc pas la satisfaction d'avoir donné; les avantages moraux qu'il avait cherchés, la reconnaissance du donataire, le secours alimentaire même que la donation anrait pu lui faire acquérir, lui manquent également.
Cette solution, rigoureuse, mais découlant logiquement des principes, semble contraire à l'effet rétroactif de la condition; car on doit supposer que la condition s'est accomplie après la perte, et, comme elle rétroagit au jour où la convention a eu lieu, comme, à cette époque, il y avait un objet dû ou cédé, il semble que la perte devrait retomber sur le créancier ou le cessionnaire.
La réponse est facile: pour que la condition rétroagisse, il faut qu'elle puisse d'abord s'accomplir utilement(l); pour qu'elle fasse remonter les effets de la convention au jour où le consentement a été donné, il faut que ces effets même puissent se produire, il faut que la convention elle-même puisse naître; or, elle ne peut naître, faute d'objet. On peut comparer la convention conditionnelle à un enfant simplement conçu, qui peut bien succéder avant de naître, inais pourvu qu'il naisse vivant et viable; dans le cas contraire, le droit de succession qui était en expectative sur sa tête s'évanouit.
Jusqu'ici, la solution du Projet est semblable à celle des Codes précités: on a seulement mis plus en relief la perte éprouvée par le promettant ou le cédant.
Mais, si la perte est partielle, la similitude cesse.
389. Le Code français semble n'avoir été guidé par aucun principe fixe, pour le cas où la chose a été seulement détériorée ou partiellement détruite sans la faute du promettant: il a hésité entre deux solutions extrêmes dont l'une ferait supporter la perte au promettant et l'autre au stipulant, et, par un singulier procédé, les deux solutions ont une part d'application: si le stipulant désire l'exécution de la convention, malgré la perte, il peut l'obtenir, mais “sans diminution du prix” (m), quelle que soit l'étendue de la détérioration ou perte partielle; si, au contraire, le stipulant n'a pas le désir d'obtenir la chose détériorée, il peut faire résoudre ou résilier la convention, quelque faible que soit la détérioration, mais sans dommages-intérêts, puisque cette détérioration n'est pas imputable au promettant.
Le Code italien a été plus ferme dans sa décision: il a mis la perte partielle ou détérioration à la charge du stipulant, lequel devra, de son côté, exécuter la convention, comme il peut lui-même la faire exécuter. Cette solution, conforme au principe que celui qui a les chances de plus-value doit subir les risques de détérioration, est cependant, à son tour, trop rigoureuse pour le stipulant, car la perte peut être presque totale et la détérioration tellement considérable qu'elle ôte pour le stipulant toute utilité à la convention; or, il est bizarre que, si la perte est totale, elle retombe sur le promettant, et que, si elle est presque totale, elle retombe sur le stipulant. Il ne faut pas oublier qu'ici la convention est conditionnelle, c'est-à-dire n'était pas encore parfaite au moment où la perte partielle est arrivée et cette considération, qui fait mettre la perte totale à la charge du promettant, peut justifier qu'il supporte aussi la perte partielle, au moins dans certains cas.
390. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'en de. hors de la solution du Code français il n'y ait place que pour les deux solutions extrêmes faisant retomber la perte partielle, l'une sur le promettant, l'autre sur le stipulant. On concevrait un système qui, au lieu de donner le choix au stipulant, le donnerait au promettant: s'il optait pour le maintien de la convention, il subirait alors une diminution de la contre-valeur qu'il devait recevoir; s'il optait, au contraire, pour la résiliation, il garderait la chose détériorée, sans rien recevoir. On pourrait admettre aussi que la perte partielle se divisât entre les deux parties. Mais la première solution serait plus défavorable encore au débiteur que celle du Code français, car il ne recevrait jamais la contre-valeur intégrale, et la perte, en somme, retomberait toujours sur lui; la seconde solution nécessiterait toujours une expertise pour faire la part de chacun dans la perte.
La solution du Projet paraît aussi équitable que naturelle et simple: la perte est-elle de plus de moitié, elle est assimilée à la perte totale: elle retombe sur le promettant; est-elle de moitié, ou moins, il n'en est pas tenu compte: elle retombe donc sur le stipulant. C'est l'application d'un axiôme latin assez connu: major pars minorem ad se trahit, "la plus forte part entraîne la plus faible.” Le Code français l'a appliqué dans une autre difficulté, parce qu'il lui a paru équitable et raisonnable (voy. art. 866, 2° al.).
Remarquons, enfin, au sujet de la perte de plus de moitié, qu'il ne s'agit pas nécessairement de la moitié en quantité, c'est-à-dire en étendue, en poids, nombre ou mesure, mais de la moitié en valeur; la question a beaucoup d'intérêt, lorsque la chose n'est pas identique dans toutes ses parties.
391. Le Projet a prévu aussi la perte ou la détérioration dans le cas de la condition résolutoire, laquelle a été complétement négligée par les deux Codes étrangers. La solution paraît inverse, parce que la condition agit en sens inverse sur la convention et que les rôles des parties semblent renversés; mais, au fond, c'est le même principe. Soit une vente sous condition résolutoire et la chose vendue ayant péri en totalité, ou pour plus de moitié de sa valeur, avant l'accomplisseinent de la condition qui a eu lieu ensuite: on peut laisser à l'acheteur le nom de "stipulant,” parce qu'il a stipulé la chose vendue; on peut encore mieux lui laisser le nom de cessionnaire, mais, en réalité, il devient promettant sous condition suspensive, puisque la résolution s'accomplissant fera renaître le droit du vendeur. Or, la loi, en mettant la chose à ses risques, lui applique évidemment la principe précédent: si la chose vendue périt en entier ou pour plus de moitié de sa valeur, la condition ne s'accomplira pas utilement; la chose n'existant plus, ou étant considérée comme telle, ne peut retourner au cédant; dès lors, celui-ci, ne recouvrant rien de ce qu'il a aliéné, ne rend rien non plus de ce qu'il a reçu; la vente se trouve devenue irrévocable, malgré l'accomplissement de la condition prévue et la perte demeure à la charge du cessionnaire. Cette solution qui manque dans les deux Codes étrangers y doit être suppléée par interprétation; seulement, ce qui est dit de la perte de plus de moitié reste particulier au Projet japonais.
La théorie des risques, déjà esquissée sous l'article 355, au sujet de l'obligation pure et simple ou à terme, continuée ici pour l'obligation conditionnelle, sera complétée au Chapitre III, lorsque la loi traitera de l'extinction des obligations par l'effet de la perte de la chose due.
392. Le ze alinéa de l'article 499 n'est écrit que pour l'harmonie des dispositions: il aurait pu être sousentendu: si la perte ou détérioration est de moitié de la valeur ou de moins, elle se compense avec les chances de plus-value; elle est donc à la charge de celui dont le droit à la chose dépend de l'accomplissement de la condition: il la recevra diminuée, sans pouvoir exercer lui-même aucune diminution ou retenue sur la contrevaleur qu'il doit fournir.
393. L'article 440 prévoit que la perte ou détérioration est imputable à l'une des parties: naturellement, à la partie qui avait la choso en sa possession tant que la condition était en suspens. Ici, sans distinguer si la perte est totale ou partielle, la loi la fait retomber nécessairement sur la partie qui est en faute. Si la perte est totale, l'autre partie est libérée de ce qu'elle pouvait devoir en contre-valeur et elle pourra même obtenir des dommages-intérêts; si la perte est partielle, l'autre partie a un choix tout naturel entre le maintien de la convention et son abandon, avec dommages-intérêts dans les deux cas.
Si la partie lésée demande la résolution de la convention, le résultat définitif n'est pas le même, suivant que la condition était suspensive ou qu'elle était résolutoire: au premier cas, les parties sont dans la position où elles auraient été s'il n'y avait eu aucune convention entre elles; au second cas, c'est la condition résolutoire seule qui est annulée, elle est, pour ainsi dire, résolue elle-même, et la convention primitive devient pure et simple. Ainsi, une vente avait été faite sous condition résolutoire; pendant que la condition était en suspens, l'acheteur a laissé la chose se détériorer plus ou moins gravement; le vendeur ne désire pas la recouvrer, même avec dommages-intérêts, quand la condition viendra à s'accomplir: il fait résoudre la clause qui devait opérer la résolution et la vente devient pure et simple ou irrévocable, sans préjudice encore de quelque indemnité, parce que l'acheteur ne devait pas lui faire perdre lavantage de recouvrer la chose.
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(l) Il y a encore un axiômo latin applicable ici: prius est esse quam esse i ale, “il faut être avant d'être tel;" on pourrait dire ici: “il faut que la condition agisse avant qu'elle rétroagisse."
(m) Par ces mots, la loi française paraît se placer dans l'hypothèse d'une vente ou d'un louage; il eût été mieux de généraliser la solution, en parlant de la contre-valeur ou de l'avantage réciproque dû par le stipulant.
Art. 441. — 394. La condition résolutoire tacite est un des effets particuliers aux contrats synallagmatiques ou bilatéraux et elle donne un grand intérêt à cette division des contrats, ainsi qu'on l'a déjà annoncé sous l'article 318 (voy. p. 26). Le Code français en pose le principe général dans l'article 1184, et il en fait ailleurs l'application à plusieurs contrats particnliers, spécialement à la vente (art. 1610 et 1654 à 1657) et au lonage (art. 1741). Le Code italien pose le principe dans les mêmes termes (art. 1165). L'un et l'autre Code ont laissé subsister quelques lacunes que l'on comble dans le Projet.
C'est une très-grande faveur que cette résolution accordée par la loi à la partie qui se plaint de l'inexécution: si elle était réduite à son action ordinaire, elle pourrait souffrir de l'insolvabilité du débiteur, en subissant le concours avec les autres créanciers de celuici: elle devrait elle-même exécuter son obligation en entier et elle n'obtiendrait, à son tour, qu'une portion de ce qui lui est dû. Mais, au moyen de la résolution, elle peut recouvrer sa position première, comme si la convention n'avait pas eu lieu: si elle n'a pas encore exécuté elle-même ses obligations, elle en est déliée, en même temps qu'elle en délie son débiteur; si elle a déjà exécuté, elle peut répéter ce qu'elle a donné, soit en nature, soit en équivalent. Par exemple, un vendeur d'immeuble, qui a déjà transféré la propriété par son seul consentement, a, en outre, livré l'immenble, il a déjà mis l'acheteur en possession et lui a remis les titres; l'acheteur ne paye pas le prix à l'échéance fixée; le vendeur peut, par la résolution, recouvrer la propriété et se faire remettre en possession de la chose vendue; ce droit a de l'analogie avec le privilége non moins précieux qu'il pourrait exercer, sans demander la résolution, en faisant saisir et revendre la chose vendue, pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers de l'acheteur; mais, à cause de son avantage même, le droit de résolution est soumis à la même pia blicité que le privilége proprement dit, afin qu'il n'y ait pas de surprises à craindre pour les tiers qui contracteraient avec l'acheteur.
La position serait moins bonne pour un vendeur de meubles, de denrées ou marchandises, qui aurait livré les choses vendues: il no pourrait, en général, recouvrer ces choses en nature, au préjudice des tiers acquéreurs ou même des autres créanciers; la résolution ne lui donnerait toujours qu'un droit personnel; seulement, au lieu de réclamer le prix de vente primitivement fixé, il pourrait réclamer la valeur actuelle des choses vendues, lesquelles peuvent avoir augmenté de valeur.
On pourvoira du reste, d'une autre façon à la protection du vendeur, lorsque le moment sera venu de régler les priviléges sur les meubles (comp. c. civ. fr., art. 2102-4° et c. com., art. 576).
La résolution n'appartiendrait pas moins à l'acheteur qu'au vendeur, si la chose ne lui était pas livrée en temps utile ou n'était pas dans l'état où elle lui a été promise. Mais s'il a déjà payé son prix, il n'aura pour le recouvrer, qu'une simple créance, sans aucun privi. lége, car le prix qu'il a payé se trouve confondu avec les autres valeurs du vendeur: il n'usera donc de la résolution que si le vendeur est solvable.
395. Il ne faut pas croire, du reste, que le vendeur ne puisse exercer son action résolutoire qu'après avoir lui-même rempli son obligation de livrer et l'acheteur après avoir rempli celle de payer le prix: ce serait, comme on vient de le voir exposer l'un ou l'autre à perdre, tout à la fois, la chose et le prix. D'un autre côté, il ne faudrait pas que l'une des parties pât trouver dans la résolution un moyen de se soustraire à ses obli. gations: le texte lève tous les doutes en exigeant que le demandeur en résolution, s'il n'a pas déjà exécuté, “offre au moins de le faire;” dans ce cas, la résolution ve tendra pas à lui faire recouvrer une valeur fournie mais à le libérer de la fournir. Pour qu'il n'y ait point de contestation sur le droit de la partie demanderesse, elle fera bien de faire des offres réelles, comme il est dit à l'article 496; mais elle n'aurait pas besoin de faire la consignation dont parle l'article 499.
396. La loi tranche encore une question qui pouvait faire doute: Faut-il, pour qu'il y ait lieu de demander la résolution, que l'une des parties n'ait pas exécuté du tout ses obligations, ou suffit-il qu'elle y ait manqué en quelque chose ? La loi veut que l'exécution ait eu lieu en entier et, faute de cela, la résolution pourra être demandée pour le tout, à charge, bien entendu, pour la partie qui fait résoudre, de restituer ce qu'elle a reçu: la résolution partielle ne répondrait pas au but du contractant; ainsi, par exemple, un vendeur qui n'aurait reçu qu'une partie de son prix ne pourrait être forcé à une résolution partielle de l'aliénation, parce qu'elle ne lui laisserait pas des chances suffisamment favorable de faire une nouvelle aliénation de la portion recouvrée; en outre, elle l'obligerait à se trouver copropriétaire avec son acheteur. De même, un acheteur auquel il n'aurait été livré qu'une partie des choses vendues ne pourrait être contraint à garder cette portion qui peut lui être inutile. Il faut dire aussi que la résolution partielle ne peut être imposée au défendeur: il est en faute, assurément, mais il ne serait ni juste ni logique de lui imposer le contrat et de l'en priver, tout à la fois.
397. Le 2° alinéa de notre article nous dit que la résolution pour inexécution "n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée en justice.” Il ne faudrait pas, pour expliquer cette nécessité du recours aux tribunaux, alléguer que souvent il y aura contestation sur le fait même de l'inexécution, que le débiteur pourrait soutenir que le terme n'était pas échu ou que lui-même attendait l'exécution de l'autre partie: si cette raison était fondée, elle conduirait à défendre la stipulation expresse d'une résolution de plein droit que l'article suivant, au contraire, va permettre. La véritable raison du recours aux tribunaux c'est que la loi a voulu qu'un délai de grâce pût être accordé au débiteur embarrassé et de bonne foi, comme le texte a soin de le proclamer.
Art. 442, 443 et 444.- 398. La condition résolutoire n'est attachée aux contrats synallagmatiques que par une interprétation faite par la loi de l'intention probable des parties; celles-ci peuvent donc manifester une volonté contraire, car cette garantie d'exécution n'est pas d'ordre public; mais elles doivent y renoncer expressément pour faire tomber la présomption légale. Cette renonciation peut, du reste, n'avoir lieu que d'un côté, et le fait par une partie de s'être privée de la résolution n'en prive pas l'autre par cela seul.
En sens inverse, les parties peuvent, au lieu de se contenter de la présomption légale, au lieu de s'en tenir à la condition résolutoire tacite, la stipuler expressément (n).
Entre la condition résolutoire tacite et la condition résolutoire expresse, il y a deux grandes différences qui ressortent clairement du rapprochement des articles 441 et 442: 1° la résolution tacite doit être demandée en justice, tandis que la résolution expresse s'opère de plein droit; 2° dans le premier cas, les tribunaux peuvent accorder un délai de grâce à la partie qui est en retard, ils ne le peuvent pas dans le second cas, et c'est pent-être là le but principal pour lequel la résolution expresse aura été stipulée. Mais alors, il semble qu'on rencontre ici une exception à la règle posée par l'article 426, 3° al., d'après laquelle la renonciation anticipée au terme de grâce n'est pas admise, et l'exception est d'autant plus difficile à concevoir, au premier abord, que l'on a présenté le droit de demander un délai de grâce comme étant d'ordre public, tandis qu'au contraire, la résolution pour inexécution n'a pas ce caractère. Cependant, en réalité, et si l'on va au fond des choses, on doit reconnaître qu'il n'y a pas ici une véritable exception à la prohibition de l'article 426: il ne s'agit plus ici de contraindre rigoureusement un débiteur à l'exécution de ses obligations, mais d'affranchir le créancier de remplir les siennes propres, ce qui, en même temps, libérera le débiteur. Bien plus, le prin. cipe protecteur de l'article 426 retrouvera une part d'application, car si le débiteur contre lequel la résolution a opéré de plein droit est tenu de faire quelque restitution de sommes on valeurs reçues en vertu du contrat, rien ne l'empêchera de demander et d'obtenir un délai pour l'exécution de cette obligation: la seule chose que le tribunal ne puisse pas c'est retarder la résolution, quand les parties ont voulu qu'elle s'opérât de plein droit.
La résolution expresse ne s'opère que lorsque la partie négligente a été constituée en demeure: il pe suffirait pas que le terme stipulé pour l'exécution fùt accompli, à moins que la convention ne portât expressément que la seule échéance du terme vaudrait mise en demeure (voy. art. 356).
399. En regard des deux différences qui précédent on remarquera trois points de ressemblance entre la résolution tacite et la résolution expresse:
1° Ni l'une ni l'autre ne peut être invoquée par celle des parties qui est en fante: cela ne peut faire question pour la résolution tacite qui a besoin d'être demandée et obtenue en justice; car, personne ne peut se faire de sa propre faute un titre et un moyen d'action; mais pour la résolution expresse qui opère de plein droit, on pourrait croire que le résultat, se produisant sans demande, profite aux deux parties; la loi prend soin de repousser cette interprétation: pour que la résolution opérée de plein droit ait son effet, il faudra toujours que la partie lésée par l'inexécution préfère la résolution à l'action directe pour l'exécution; son intention a été d'augmenter ses droits et non de les diminuer.
2° Si cette partie a, une première fois, exercé son option entre la résolution et l'action directe, elle ne peut plus revenir sur le choix qu'elle a fait (art. 443); or, l'option résulte (comme la loi prend soin de le dire), de la demande faite en justice, dans le cas de résolution tacite, et d'une déclaration quelconque, mais formelle, dans le cas de résolution expresse ou opérée de plein de droit. Il est cependant reçu qu'on peut, en général, se désister d'une action intentée ou renoncer à un avantage personnel; mais cette faculté de désistement ou de renonciation ne doit jamais devenir préjudiciable à l'autre partie; or, c'est ce qui arriverait, si, après avoir manifesté la volonté de résoudre le contrat et lorsque le débiteur a commencé à prendre ses dispositions en conséquence, le créancier changeait d'avis et prétendait revenir à l'action directe pour l'exécution.
3° Bien que la résolution ait pour but de remettre les choses au point où elles étaient avant la convention, ce résultat ne sera pas toujours possible. Les choses restituées pourront avoir perdu de leur valeur par une cause imputable à celui qui les rend; la partie qui comptait sur l'exécution réelle avait pu prendre ellemême des engagements qu'elle ne pourra remplir; il est donc juste qu'elle soit “indemnisée du préjudice qu'elle éprouve." C'est ce que dit l'article 444, et il met sur la même ligne, à cet égard, la résolution espresse et la résolution tacite. Mais, on remarquera que la loi n'accorde pas à la partie qui fait résoudre “la compensation des gains manqués;” aussi évite-t-elle l'espression ordinairement usitée de dommages-intérêts, laquelle comprend “la perte éprouvée et le gain manqué” (art. 405). Il serait, en effet, contraire à la raison et à l'équité que celui qui fait résoudre obtînt, en même temps, son affranchissement de la convention et les bénéfices qu'il en espérait; ces bénéfices qu'il pourra trouver dans une nouvelle convention avec un tiers ne peuvent ainsi lui être aquis deux fois. Le Projet japonais, en se prononçant en ce sens, tranche une question qui pourrait faire un doute sérieux dans les Codes étrangers, lesquels accordent “ des dommages-intérêts,” suivant la formule ordinaire.
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(n) Cette stipulation porte, en France, le nom de “pacte commissoire" qui vient du droit romain; mais ce nom ne présentant pas, par lui-même, un sens assez clair, il vaut mieux adopter au Japon celui de "condition résolutoire expresse."
Art. 445. — 400. La vente, à raison de sa fréquence en tous pays et de son importance pratique, comporte des modifications, des variétés considérables dans ses effets; on pourrait, sans doute, les présenter ici comme étant applicables aux autres contrats, mais l'usage les limite plus ou moins à la vente, et c'est là qu'il convient d'en traiter, sauf à les appliquer aux autres contrats, quand leur nature le permettra et quand les parties l'auront ainsi stipulé.
On se bornera à indiquer ici les clauses les plus usitées dans la vente, qui lui donnent un caractère conditionnel et par suite aléatoire, comme il a été déjà annoncé sous l'article 322 (p. 37). Ces conditions sont tantôt suspensives et tantôt résolutoires; mais ce qui les rend plus singulières, au moins dans le Code français, c'est qu'elles sont plus ou moins potestatives de la part de l'une ou de l'autre partie; or, comme, dans la vente, chaque partie est débitrice, on trouve là une nouvelle preuve qu'il ne faut pas prendre à la lettre l'article 1174 qui défend les conditions “ potestatives de la part du débiteur.”
401.-I. Il y a des choses qu'il est d'usage de n'acheter qu'après les avoir goûtées ou essayées et agréées, telles que le vin, l'huile et, généralement, les denrées comestibles destinées à la consommation personnelle de l'acheteur et non à être revendues; la vente de ces denrées, si elle porte sur des quantités un peu considérables et si le vendeur en connaît la destination chez l'acheteur, est présumée faite sous la condition que l'acheteur les agréera (voy. c. civ. fr., art. 1587 et 1588).
La condition sera suspensive ou résolutoire, suivant la disposition plus ou moins expresse du contrat: par exemple, la vente a été faite, “si la chose convient” (si res placilerit), c'est une condition suspensive, ou “à moins qu'elle ne convienne pas” (nisi res displicuerit), c'est une condition résolutoire.
Le caractère de la condition peut encore dépendre des circonstances du fait: par exemple, si les denrées n'ont pas été livrées ni le prix payé avant la dégustation, la vente sera considérée comme faite sous condition suspensive; dans le cas contraire, la condition tacite sera résolutoire (art. 439).
La question a un grand intérêt pour les risques, comme ou l'a vu précédement.
Bien entendu, il ne serait pas permis à l'acheteur de refuser des denrées reconnues en parfait état et d'un goût normal: quoique la condition ait quelque chose de potestatif, elle ne doit pas favoriser le caprice ou la mauvaise foi de l'acheteur.
Il en est de même des choses qu'il est d'usage d'essayer, comme un cheval de selle ou une voiture de maître destinés à l'usage personnel de l'acheteur.
Pour les choses qu'il n'est pas d'usage de goûter ou d'essayer, il faudrait, pour que la condition existât, qu'elle eût été formellement stipulée.
402.-II. La vente peut avoir été accompagnée d'une faculté de dédit, soit pour une seule des parties, soit pour toutes deux. Cette faculté peut n'être établie que tacitement et résulter d'une “dation d'arrhes” (généralement en argent), qui jouent, en quelque sorte, le rôle de gage ou de garantie que la partie s'oblige sérieusement et ne se départira pas du contrat par caprice. Les arrhes deviennent alors la peine ou l'indemnité du dédit, de la résolutiov. potestative: la partie qui se dédit, ou perd la somme qu'elle a donnée à titre d'arrhes, ou rend celle qu'elle a reçue, en y ajoutant pareille somme (voy. c. civ. fr., art. 1590). Quand les parties, en dovnant ou recevant des arrhes, n'ont pas formellement réservé la faculté de dédit, c'est aux tribunaux à décider la question, suivant les circonstances: si les arrhes ont été données par l'acheteur, elles pourront n'être qu'un à compte sur le prix; si elles ont été données par le vendeur, il est difficile de ve pas leur reconnaître le caractère de dédit.
403.—III. On pent convenir que la vente sera résolue si le vendeur trouve, dans un certain délai, un prix plus élevé de la chose vendue (0); on pourrait, en sens inverse, accorder la résolution à l'acheteur, pour le cas où il trouverait une chose semblable pour un prix moins élevé.
404.-IV. La vente peut être faite avec faculté de rachat; cette clause, connue sous le nom de "pacte de réméré” (p), est une condition résolutoire stipulée au profit du vendeur; elle n'est pas purement potestative, car il faut que le vendeur qui use de la faculté de rachat restitue le prix qu'il a reçu et les frais du contrat, ce qu'il ne sera pas toujours en mesure de faire dans le délai convenu. Pour que la propriété ne soit pas trop long-temps incertaine, au préjudice des tiers qui pourraient l'acquérir, la loi française ne permet pas de stipuler la faculté de rachat pour plus de cinq ans (voy. c. civ. fr., art. 1659 et suiv.),
On a dit plus haut que ces conditions pourraient être attachées à d'autres contrats qu'à la vente: il est trèsfréquent qu'on les attache au louage qui a d'ailleurs plus d'une ressemblance avec la vente; rien n'empêcherait de les attacher aussi au contrat de société; à plus forte raison, pourrait-on les attacher à l'échange.
La faculté de rachat seule paraît devoir être limitée à la vente, comme on l'expliquera en son lieu; ce n'est pas, bien entendu, à cause de son nom de rachat: il est clair que si l'on admettait la faculté de résoudre un échange par la restitution volontaire de la chose reçue, on changerait le nom de rachat en un autre.
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(o) Cette clause était très-usitée, chez les Romains, sous le nom d'addictio in diem. Le Code français ne l'a pas réglée: elle ne serait pas défendue aujourd'hui; mais elle est peu usitée, parce qu'elle prête à la fraude, par l'intervention d'un nouvel acheteur simulé.
(p) Da Latin emere, acheter, et re, de nouveau: “y'acheter."
Art. 446. — 405. Cette disposition n'est écrite que pour la condition et non pour le terme, dans le Code français (art. 1180) et dans le Code italien (art. 1171): probablement, on a cru qu'il n'y aurait de doute que pour la condition suspensive, à raison de ce que le droit n'est pas encore né et seulement espéré; mais, en admettant qu'il n'y ait encore dans la condition qu'une "espérance de droit," il ne doit pas être au pouvoir du débiteur d'en rendre la réalisation inutile, en détournant ses biens ou en les employant à payer d'autres créanciers dont les droits sont actuellement exigibles.
La loi n'a pas à énumérer ici toutes les mesures conservatoires que peuvent prendre les créanciers conditionnels ou à terme.
Le présent Code a déjà présenté en détail deux droits des créanciers qui ont un caractère conservatoire: 1° celui d'exercer les droits et actions qui appartiennent à leur débiteur et que celui-ci parait disposé à négliger; 2° celui de faire annuler les actes faits en fraude de leurs droits (art. 359, 360 et suiv.); il sera parlé ailleurs du droit des créanciers de faire nommer un administrateur des biens des absents et un tuteur aux aliénés ou aux mineurs, de faire apposer les scellés sur les biens de leurs débiteurs décédés ou faillis, de prendre inscription d'un privilége ou d'une hypothèque pour une créance conditionnelle, etc.
Le Code de procédure civile déterminera celle des saisies qui ont un caractère conservatoire et la manière de sauvegarder les intérêts des créanciers conditionnels dans les ordres et contributions, c'est-à-dire dans la distribution des biens du débiteur aux créanciers, suivant leur rang de préférence ou proportionnellement au montant de leurs créances.
Remarquons, en terminant, que la loi ne parle pas ici de la condition résolutoire. En effet, celui dont le droit est résoluble, ayant un droit né et actuel, le fait valoir dans toute sa plénitude et non pas seulement conservatoirement; c'est la partie adverse qui a un droit suspendu par une condition et c'est à elle qu'appartiennent les mesures conservatoires.
COMMENTAIRE.
Art. 447. — 406. Les Codes français et italien, dans leurs divisions correspondant à celle-ci, n'ont parlé que des obligations alternatives, sans indiquer suffisamment le caractère de ceiles qui leur sont opposées: elles sont seulement mentionnées incidemment sous le nom d'obligations "pures et simples” (art. 1192 et 1193); ni l'un ni l'autre de ces Codes ne parle ici de l'obligation facultative; on en trouve seulement deos applications particulières dans le Partage et dans la Vente. Le Projet a dû combler cette double lacude: la première, pour l'exactitude de la théorie et de la méthode, la seconde, pour l'utilité pratique.
Rigoureusement, il semble qu'on ne devrait appeler obligation "simple” que celle qui a un objet unique ou plusieurs objets réunis, et que ce serait aller aussi loin que le mot le permet que de considérer comme unité, les choses dites “de genre ou de quantité,” les choses “collectives,” comme un troupeau, les livres composant une bibliothèque, les tableaux ou objets d'art formaut la collection d'un amateur, et, enfin, "les universalités," comme les ineubles ou les immeubles composant une succession (comp. art. 17): dans ces cas, bien qu'il y ait pluralité d'objets, considérés matériellement, il est certain que, considérés juridiquement, ils forment une unité.
Le 1er alinéa de notre article derait d'abord déclarer que telle est la première application de l'obligation “simple.” On aurait pu y exprimer aussi l'idée que · la nature de l'obligation simple est la même, s'il s'agit de choses "à faire” ou à "ne pas faire," comme s'il s'agit de choses "à donner;" mais on comprend plus difficilement, en pratique, l'obligation de ne pas faire appliquée à des choses de gevre ou à des universalités, et la loi ne peut et ne doit pas s'ingénier à trourer des formules qui comprennent toutes les hypothèses, même les plus extraordinaires.
407. Le 2° alinéa donne à l'obligation simple une plus grande extension que le mot ne le comporterait dans le langage usuel: dans les cas qui y sont prévus, la doctrine dit plutôt que l'obligation est “composée, conjointe ou conjonctive;" mais ces mots qui ne sont pas universellement admis jetteraient de l'obscurité dans la loi et, d'ailleurs, il est tout-à-fait inutile de donner un nom spécial à l'obligation qui a plusieurs objets distincts et conjoints, puisque les effets sont les mêmes que si l'objet était unique. On a donc assimilé à l'obligation simple proprement dite celle qui a plusieurs objets distincts à donner, à faire ou à ne pas faire, même lorsque les prestations ne doivent pas être simul. tapées, pourvu que l'unité d'obligation résulte au moins de l'unité de convention, et encore, la loi assimile-t-elle à une convention unique le cas de plusieurs conventions dont l'une serait principale et les autres accessoires on qui seraient liées l'une à l'autre, "connexes," dans l'intention des parties.
Comme exemple de plusieurs prestations successives dues en vertu d'un seul contrat, on peut citer celles du locataire, et, comme dues par divers contrats connexes, le cas de deux veutes portant, l'une sur une chose principale, l'autre sur des choses accessoires.
408. Le 30 alinéa tire la conséquence, le corollaire, de cette extension donnée au nom d'obligation “simple,” et il en fournit, en même temps, la justification, en nous disant que la dette ne s'éteint que “par la prestation de toutes les choses dues,” de même que dans l'obligation qui a un objet unique, il faudrait la prestation de toutes ses parties pour libérer le débiteur.
L'intérêt de cette disposition est surtout relatif à la résolution pour inexécution, laquelle pourra être demandée pour toute la convention et pour les conventions connexes, par cela seul que l'une des prestations manquera à être fournie.
La loi ne parle ici que de la “prestation" des choses, comme moyen de libération du débiteur; elle n'entend pas exclure les autres modes d'extinction des obligations, comme, par exemple, la perte fortuite de la chose due; mais ces modes d'extinction n'ont pas un caractère normal et ce n'est pas le cas d'y faire allusion; du reste, il va de soi que le débiteur ne serait libéré que par la perte fortuite de toutes les choses dues, et que si quelques-unes subsistaient, il serait tenu de les délivrer, comme, dans le cas d'une chose unique qui aurait péri en partie, il devrait fournir ce qui en reste.
Art. 448. — 409. Ce qui caractérise l'obligation alternative (a) ce n'est pas la pluralité d'objets dus, ni leur diversité de nature, puisqu'on a vu que l'obligation peut être simple, tout en ayant des objets pombreux et distincts: c'est la circonstance que la prestation d'une ou plusieurs des choses dues libère le débiteur. La loi dit "une ou plusieurs,” parce qu'il est possible que les choses dues, au lieu de consister en deux unités, soient séparées par groupes de plusieurs; par exemple, le débiteur a promis deux bæufs ou dix moutons, dix kokous de riz ou cinq tonneaux de saké.
La théorie de l'obligation alternative paraît assez compliquée, au premier abord, à cause des nombreuses distinctions qu'elle nécessite; mais il sera facile de reconnaître qu'elle ne présente rien d'arbitraire et qu'elle est régie par des principes généraux déjà condus; à savoir: la liberté des conventions qui donne le choix à l'une ou à l'autre partie, la préférence naturelle donnée au débiteur, quand la convention est muette sur ce point, la théorie des risques ou des pertes fortuites, la responsabilité des fautes, enfin, dans une certaine mesure, la théorie de la condition.
Les six articles suivants règlent les conséquences de la perte de tout ou partie des choses dues, ce qui est le grand et presque le seul intérêt de cette matière. Mais, là, il faudra nécessairement distinguer à laquelle des deux parties appartenait le choix de la chose à fournir; puis, si la perte est imputable à cette partie même ou à l'autre, ou si elle est fortuite; si elle atteint une des choses dues ou toutes deux; enfin, dans ce dernier cas, si les pertes sont successives ou simultanées. Il résulte de ces nombreuses distinctions une complication exceptionnelle; mais on y trouvera une intéressante combinaison de plusieurs principes fondamentaux des Obligations: notamment, la liberté et le respect des conventions, la théorie des risques, celle des fautes et aussi celle de la condition; car l'article 455 complétera le caractère de l'obligation facultative donné par le présent article, en indiquant qu'elle est, toujours et par elle même, sous condition suspensive.
Le Projet s'écarte sur quelques uns de ces points des solutions du Code français et du Code italien; il a tranché quelques questions que ceux-ci ont négligées et supprimé deux de leurs dispositions comme inutiles (voy. c. civ. fr., art. 1192 et 1196).
410. Du moment que le débiteur ne doit qu'une chose ou une autre, un groupe de choses ou un autre groupe, il y a un choix à faire. Il importe de savoir qui fera le choix. Si la convention s'en est expliquée (et ce sera le plus fréquent), on suivra la convention; si elle est muette, le choix appartiendra au débiteur, par application de la règle générale que, dans le doute, on doit décider en faveur du débiteur (voy. art. 380). Ici déjà, le Projet s'écarte légèrement de ses modèles qui n'admettent le choix du créancier que s'il lui a été réservé “expressément:" on ne voit pas pourquoi le droit du créancier à faire le choix ne s'induirait pas des circoustances, alors que lorsqu'il s'agit de déterininer l'étendue de l'obligation, quant aux objets qu'elle embrasse, les juges peuvent décider d'après les circonstances du fait.
La loi prend soin de dire, par surcroît de précautions, comme les deux Codes précités (c. fr., art. 1191; c. it., art. 1177), que le débiteur, lorsqu'il a le chois, ne pourrait donner une partie de chaque chose: il est évident qu'en pareil cas, il ne se conformerait pas à l'intention du créancier et que des prestations partielles seraient souvent sans utilité sérieuse pour lui.
Le Projet ajoute que de même, le créancier, lorsqu'il a le choix, ue pourrait demander une partie de chaque chose ou de chaque groupe de choses, parce que ce serait contraire à l'intention et à l'intérêt du débiteur.
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(a) Alternative est dérivé du latin alter: "l'un de deux," on de alteruter, "l'un ou l'autre."
Art. 449. — 411. I. Voici d'abord l'hypothèse où le choix appartient au débiteur, et c'est lui-même qui est en faute.
La loi sous-distingue: 1° s'il reste une des choses dues, 2° si toutes deux ont péri successivement, 30 si elles ont péri simultanément.
1. Au premier cas, l'obligation devient “simple," elle n'a plus qu'un objet, celui qui reste: la loi refuse formellement au débiteur le droit de donner la valeur de celle qui a péri, parce que ce serait changer les termes de la convention, où l'on n'a pas eu en vue la valeur des choses dues, mais les choses elles-mêmes.
Par le même motif, le créancier ne pourrait exiger la valeur de la chose qui a péri; en effet, le débiteur pourrait alléguer qu'en faisant périr ou en aliénant l'une des deux choses, il a indirectement exercé son chois sur l'autre, et, justement, cette perte pourra n'être qu'une aliénation qui, étant tout-à-fait valable, l'a mis dans l'impossibilité légale de la fournir au créancier.
Lorsque l'obligation alternative est ainsi devenue simple, l'objet unique sur lequel elle porte désormais doit être aux risques du créancier, d'après les principes généraux, et s'il vient à périr par cas fortuit, le débiteur doit être libéré.
Le Code français (art. 1193) et le Code italien (art. 1180) ont, pour ce cas, adopté une autre décision et ils obligent le débiteur à donner “le prix de la chose qui a péri la dernière." Cette décision n'est pas facilement justifiable. C'est en vain qu'on dit que le débiteur, en faisant périr ou en aliévant l'une des choses dues, a diminué les chances favorables du créancier: c'était son droit. Tont au plus, pourrait-on rechercher s'il n'aurait pas dû prévenir le créancier du choix qu'il avait ainsi fait indirectement, afin que celui-ci pût se faire délivrer la chose qui restait, ou mettre le débiteur en demeure de la livrer et ainsi transporter les risques sur celui-ci.
La solution des deux Codes précités serait plus soutenable, s'il y avait un terme établi dans l'intérêt du créancier, ce qui est assez rare: dans ce cas, le débiteur aurait dû conserver les deux choses jusqu'à l'échéance du terme, et alors, on ne devrait pas faire payer au débiteur le prix de celle qui a péri la dernière, mais plutôt le prix de celle à l'égard de laquelle il est en faute.
2. Au deuxième cas de notre article, la solution des Codes français et italien redevient exacte; le débiteur a aliéné ou fait périr d'abord l'une des deux choses: il a exercé son choix, il doit l'autre, purement et simplement; ensuite, il la fait périr également: il en doit la valeur.
3. Le troisième cas est plus délicat. Les deux choses ont péri simultanément et le débiteur est en faute, soit à l'égard de toutes deux, soit à l'égard d'une seule.
Il peut paraître singulier, au premier abord, que dans la perte simultanée de deux choses, le débiteur soit en faute pour l'une d'elles et non pour l'autre. On peut cependant supposer que, dans une inondation ou un incendie, le débiteur aurait pu sauver au moins une des deux choses et n'en a sauvé aucune, faute de prévoyance. Par exemple encore, ayant promis un cheval de trait ou un cheval de selle et ayant naturellement dû s'abstenir d'atteler le cheval de selle, il les a attelés tous deux et ils ont péri dans une rivière dé. bordée: il a donné occasion à un cas fortuit que ne devait pas rencontrer le cheval de selle, il est en faute pour celui-là et non pour le cheval de trait.
On peut retenir les mêmes exemples, pour l'explication de l'article suivant, où la faute viendra du créancier: on supposera alors qu'il avait pris les deux chevaux à l'essai: il ne devait en user que suivant leur destination et faire tout ce qui dépendait de lui pour les sauver en cas d'accident naturel, et il y a manqué.
Revenons au cas où les deux choses ont péri “simultanément" et où le débiteur est en faute, soit à l'égard de toutes deux, soit à l'égard d'une seule. Par exemple, il devait alternativement un cheval déterminé ou un autre; ils ont péri dans une inondation ou un incendie; mais les circonstances lui permettaient d'en sauver un, au moins, et il n'en a sauvé aucun.
Remarquons, tout d'abord, que la décision des deux Codes précités serait ici sans application possible, car on ne peut plus parler d'une chose "qui a péri la dernière,” puisque la perte est supposée simultanée; aussi paraît-il impossible, en France, de résoudre cette difficulté sans arbitraire. Laisser au débiteur le choix entre les deux valeurs serait peut-être encore ce qui se justifierait le mieux; car, ne pouvant appliquer le texte de la loi, on rentrerait dans l'application de la convention qui a donné le choix au débiteur, et il n'y aurait pas à cela un grand inconvénient, quoique celui-ci soit en faute, parce que, en général, les choses dues alternativement auront à peu près la même valeur.
Quoi qu'il en soit, le Projet a tranché la question d'une toute autre manière: voulant, à bon droit, que le débiteur soit puni de sa faute, il transporte le choix au créancier: celui-ci obtiendra la valeur de l'une ou de l'autre chose; ce n'est plus observer la convention, mais c'est le débiteur qui l'a méconnue le premier.
Art. 450. — 412. Cet article prévoit encore le cas où le choix appartenait au débiteur, mais il suppose la faute du créancier et elle a causé: 1° la perte de l'une des deux choses dues; 2° la perte de toutes deux; 3° la perte d'une seule, mais l'autre ayant péri, en même temps, par cas fortuit (“toutes deux simultanément”).
Bien entendu, les choses dues sont supposées appartenir au débiteur.
Ces trois cas sont complétement omis par les Codes français et italien. L'idée qui les domine et les régit c'est que la faute du créancier ne doit pas nuire au débiteur.
Au premier cas, le débiteur peut invoquer sa libération; c'est dire alors qu'il opte pour la chose qui a péri par la faute du créancier; mais, comme il aurait pu avoir intérêt à donner celle qui reste et à garder celle qui a péri, il peut donner celle qui reste et réclamer la valeur de celle qu'il aurait pu conserver sans la faute du créancier.
Au second cas, il est nécessairement libéré et il devient évidemment créancier d'une des deux valeurs; comme il avait le choix de la chose à donner, la loi lui laisse le choix de la valeur à répéter. On a cependant soutenu, en France, en l'absence de texte, que le créancier, étant devenu débiteur de la restitution, devait avoir le choix, comme étant, à son tour, tenu d'une dette alternative; mais cette solution est tout-à-fait erronée: il ne peut dépendre du créancier de changer, par sa faute, la situation respective des parties quant au choix.
Au troisième cas, le débiteur est nécessairement li. béré, comme au second, puisqu'il ne reste plus aucune chose due et qu'il n'est en faute à l'égard d'aucone; mais il n'a pas la répétition d'une des deux valeurs, puisqu'il y a eu un cas fortuit; or, le propre de l'obligation alternative est de mettre les risques des deux choses à la charge du débiteur, tant que le choix n'est pas encore fait: si, en effet, la perte fortuite avait précédé ou suivi la perte imputable au créancier, le débiteur n'aurait pu s'en faire donner la valeur; il ne peut donc avoir ce droit par la circonstance que les deux pertes sont simultanées.
Art. 451 et 452.- 413. II. La loi passe au cas où le choix appartient au créancier, non en vertu de la disposition exceptionnelle et pénale qui précède, mais en vertu de la convention, et elle y fait les mêmes distinctions et sous-distinctions que pour le cas précédent; seulement, les solutions ne sont plus et ne peuvent plus être les mêmes.
1er Cas.-C'est le débiteur qui est en faute (art. 451).
1° Il n'est en faute qu'à l'égard de l'une des deux choses: le créancier garde son choix et peut l'exercer, soit sur la chose qui reste, soit sur la valeur de celle qui a péri.
2° Il est en faute à l'égard des deux choses: le créancier a le choix entre les deux valeurs, sans qu'il y ait à distinguer si les pertes sont successives ou simultanées.
3° Il n'est en faute qu'à l'égard d'une seule, l'autre a péri par cas fortuit, mais les deux pertes sont simultanées: comme la faute du débiteur ne peut enlever le choix au créancier, celui-ci l'exerce également entre les deux valeurs.
2e Cas. C'est le créancier qui est en faute (art. 452).
1° Une seule chose a péri: il est censé avoir exercé son choix sur cette chose et le débiteur est libéré de donner l'autre; or, celle-ci n'étant plus due est consi. dérée comme tout autre bien du débiteur: si elle périt par cas fortuit la perte est pour lui; si elle périt par la faute du créancier, celui-ci en doit la valeur, comme toute autre personne la devrait en pareil cas.
2° Les deux choses sont péri simultanément: le débiteur est d'abord libéré et, de plus, il devient créancier · de la restitution d'une des deux valeurs: la loi lui en transfère le choix pour punir le créancier, comme elle l'a fait contre le débiteur, dans l'article 449, quand il y a en lieu de punir celui-ci.
3° Une seule chose a péri par la faute du créancier, l'autre a péri par cas fortuit, mais encore simultanément; dans ce cas, tout est fini, sans répétition de part ni d'autre: le créancier a, évidemment, perdu son droit par sa faute, et le débiteur doit, nécessairement, souffrir de la perte fortuite d'une des deux choses; car si, au lieu d'être concomitante à la perte imputable au créancier, elle l'avait précédée on suivie, le résultat lui eût été également nuisible.
413 bis. La loi n'a dit rien de la perte partielle ou de la simple détérioration imputable à l'une des parties.
Les principes généraux de la responsabilité des fautes, combinés avec ceux de cette matière doivent faire décider: 1° que, si le choix était au débiteur et la faute à lui imputable, il ne peut plus offrir la chose détériorée; 2° que, si le choix était au créancier et la faute imputable au débiteur, le créancier pourrait encore choisir la chose détériorée avec dommages-intérêts; 3° que si, dans le même cas, la faute était imputable au créancier, il pourrait choisir la chose non détériorée, en indemnisant le débiteur de la détérioration de celle qui lui est laissée.
Art. 453. — 414. Jusqu'ici la loi a supposé que la perte de l'une ou des deux choses était imputable à l'une ou à l'autre des parties; elle suppose maintenant que cette perte est fortuite ou résulte d'une force majeure.
Si une seule chose périt, le débiteur n'est pas libéré de l'autre, même lorsque le choix lui appartenait: il ne serait pas recevable à faire porter son choix sur une chose qui n'existe plus, et pas même sur sa valeur, parce que tel n'est pas l'objet de la convention: il doit donc purement et simplement l'autre chose (1er al.). Pour que le débiteur fût libéré, il faudrait que les deux choses eussent ainsi péri, par cas fortuit ou force majeure (2° al.), ce qui ne rendrait pas sa position moins mauvaise.
415. Il restait à régler un cas fort délicat que n'a prévu aucun des Codes étrangers, c'est celui de la perte partielle ou détérioration provenant d'un cas fortuit.
Quand le choix est au créancier, il n'y a pas à s'en occuper: il ne choisira vraisemblablement pas la chose détériorée; en tout cas, il en a toujours le droit.
Mais si le choix est au débiteur, il serait porté à choisir la chose détériorée, et ce choix deviendrait abusif, surtout si la chose était devenue presque sans valeur; il serait choquant que, tandis que la perte totale de l'une des choses retombe en entier sur lui, en le laissant débiteur de l'autre chose, la perte presque totale retom bât sur le créancier. La loi applique ici le principe de l'obligation conditionnelle (l'obligation alter native a quelque chose de ce caractère, comme le déclare l'article 455) et elle met à la charge du débiteur la perte de plus de moitié de la valeur de l'une des choses, en sorte qu'il doit l'autre purement et simplement (3° al.).
416. La loi ne prévoit pas le cas où les deux choses subiraient ainsi une perte ou détérioration de plus de moitié: il est naturel, dans cette hypothèse, de laisser le choix à la partie qui l'avait, d'après la convention: le débiteur choisira, sans doute, la chose la plus dépréciée; le créancier, au contraire, choisira celle qui l'est le moins; mais ce droit n'est pas plus choquant que celui qu'il aurait assurément si chacune des deux choses était dépréciée de moins de moitié.
La loi ne prévoit pas non plus le cas où l'une des choses ou toutes deux auraient augmenté de valeur; les choix restent encore libres: si le choix est au débiteur, il donnera naturellement celle qui a le moins augmenté; le choix du créancier s'exercera en sens inverse.
Enfin, la loi a négligé de prévoir un cas qui a occupé les deux Codes précités (c. fr. art. 1192; c. it., art. 1179), à savoir, celui où l'une des deux choses promises ne peat être l'objet d'une obligation privée: il est clair qu'en pareil cas l'obligation est simple dès l'origine et se réduit à l'autre objet.
Art. 454. — 417. Le 1° alinéa de cet article se trouvera expliqué et justifié par ce qui sera dit au S IV, au sujet des obligations indivisibles: il est clair, dès à présent, que les héritiers ne pourraient, pas plus que les parties elles-mêmes, fractionner leur choix et le faire porter, tout à la fois, sur des objets différents (comp. art. 448, 3° al.).
Si la loi ne tranchait pas la question prévue au 2° alinéa, on pourrait soutenir, comme quelques auteurs le font en France, que le choix de l'une des parties peut être rétracté tant qu'il n'a pas été accepté par l'autre ou tenu pour accepté par un jugement devenn inattaquable. Mais cette solution n'est pas admise par le Projet: il y aurait trop à craindre la mauvaise foi; si, en effet, avant que les offres réelles (voy. art. 496) du débiteur fussent acceptées, la chose offerte venait à augmenter de valeur ou la chose retenue à être détériorée ou à périr, le débiteur, par une option inverse, prendrait le profit de la plus-value ou rejetterait la perte sur le créancier; la même fraude pourrait être pratiquée par le créancier qui aurait le choix, si, en sens inverse, après sa demande en justice et avant le jugement, la chose choisie par lui perdait de sa valeur ou si celle qu'il a négligée en acquérait.
L'opinion qui permet la rétractation jusqu'à l'acqui. escement de l'autre partie ou jusqu'au jugement repose sur une erreur: l'option fondée sur la convention est un droit acquis qu'il ne dépend ni de l'autre partie ni du tribunal d'entraver, elle dépend de la pure volonté de la partie à laquelle elle appartient, et, une fois cette volonté portée régulièrement à la connaissance de l'autre partie, elle fixe les droits respectifs et les risques de la chose, sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit agréée, puisqu'elle ne peut être contestée; c'est pourquoi la loi, par la généralité de ses termes, permet de mettre sur la même ligne que la demande en justice une demande extrajudiciaire en bonne forme.
Art. 455. — 418. En terminant, la loi tranche encore une grave question de principe que les Codes précités ont abandonnée à la doctrine et à la jurisprudence, ce qui a donné lieu à des divergences d'opinions: l'obligation alternative est déclarée “sous condition suspensive" et cette condition est potestative de la part de la partie qui a le choix; la condition peut ici être indifféremment considérée comme positive ou comme négative: c'est comme si chacune des choses avait été promise sous cette condition: “si elle est choisie ou si l'autre n'est pas choisie, par le débiteur ou par le créancier.”
Une des conséquences de ce caractère conditionnel de l'obligation alternative a déjà été présentée à l'article précédent: la perte fortuite, totale ou de plus de moitié, de l'une des choses dues, retombe sur le débiteur, conformément à l'article 439.
Une autre conséquence est indiquée ici: lorsque l'obligation arrivera à ne plus porter que sur un seul objet, soit par l'exercice du choix de la partie à laquelle il appartient, soit par la perte de l'autre objet, le créan. cier sera considéré comme ayant toujours eu droit à cet objet seul, et les actes de disposition qu'il en aurait faits dans l'intervalle seront validés, conformément à l'article 439; réciproquement, les droits conférés sur ce même objet par le débiteur se trouveront résolus, au moins s'il ne s'agit pas d'un meuble corporel, auquel cas les droits des tiers-acquéreurs de bonne foi seraient inattaquables et si le choix n'appartenait pas au débiteur, cas auquel les aliénations qu'il aurait faites constitueraient son choix, même s'il s'agissait d'un immeuble.
Art. 456. — 419. Ni le Code français ni le Code Code italien n'ont réglé les effets de l'obligation facultative, en général; ils en ont cependant prévu deux cas où l'on peut dire même que cette obligation est créée par la loi et non par la convention: il s'agit, justement, des deux seuls cas où une convention entre majeurs puisse être rescindée pour lésion (le partage de biens indivis et la vente d'immeubles): dans ces deux cas, le défendeur à la rescision peut y échapper en réparant en argent la lésion dont le demandeur a souffert (voy. c. fr., art. 891 et 1681; c. ital., art. 1042 et 1534).
Mais ces deux Codes ont laissé à la doctrine, aidée des traditions du droit romain, le soin de régler les conséquences de la perte des choses, avec les distinctions nécessaires entre la perte fortuite et la perte imputable à l'une des parties. Le présent article a pour but de combler ces lacunes.
L'obligation facultative paraît, au premier aspect, avoir beaucoup de ressemblance avec l'obligation alternative dans laquelle le choix serait laissé au débiteur; mais la ressemblance est plus apparente que réelle: dans l'obligation alternative toutes les choses qui peuvent être données en payement sont dues; elles ne le sont pas purement et simplement, il est vrai: elles ne le sont que l'une à défaut de l'autre et sous condition suspensive; elles sont cependant l'une et l'autre les véritables objets de l'obligation. Dans l'obligation facultative, au contraire, une seule chose est vraiment due, l'autre est un moyen de payement laissé à la volonté du débiteur (b).
De cette différence qui paraît purement théorique, au premier abord, la loi tire des conséquences pratiques importantes, dont la première suit immédiatement la définition donnée au 1er alinéa, c'est le caractère conditionnel de la dette, lequel se trouve opposé à celui de la dette alternative: ici, la condition est résolutoire, c'est-à-dire qu'il y a déjà un objet actuellement dû; mais il cesse de l'être et il sera censé n'avoir jamais été dû si le débiteur, usant de sa faculté, donne l'autre objet en payement (2° alin.). Par suite de ce caractère de condition résolutotire, la chose due principalement est aux risques du créancier, comme on le verra dans les alinéas suivants.
420. Le 39 alinéa prévoit la perte fortuite ou par force majeure de la chose due principalement, laquelle libère évidemment le débiteur; comme il n'y a, en réalité, que cette chose qui soit due, le débiteur ne peut être tenu de donner celle qui est due facultativement: il n'a pas à se libérer d'une dette déjà éteinte.
Le 4° alinéa prévoit encore la perte de la chose principale, mais par la faute du débiteur: ici, il ne peut être Jibéré; mais il ne faut pas croire que la chose due facultativement devienne exigible par le créancier: celuici n'a droit qu'à la valeur de la chose due et aux dommages-intérêts, s'il y a lieu. On pourrait même croire, avec quelque apparence de raison, que le débiteur a perdu le droit de se libérer en donnant la chose due facultativement; car on n'est plus dans la situation prévue et réglée par la convention; mais le débiteur peut soutenir que l'exercice de sa faculté de payement n'est pas plus nuisible au créancier après la perte de la chose principale que si elle existait encore: c'est la solution du Projet.
421. La loi néglige, au sujet de la chose due facul. tativement, la perte fortuite et celle résultant de la faute du débiteur; évidemment, dans aucun de ces deux cas, le débiteur n'est libéré: il a perdu, par hasard on par sa faute, un moyen particulier de payement; mais, la chose vraiment due subsistant encore, il doit la donner.
Au contraire, la loi (50 et 6° alinéas) suppose imputable au créancier la perte, soit de l'une, soit de l'autre chose due, soit de toutes deux.
Si c'est la chose due principalement qui a ainsi péri, le débiteur peut se prétendre libéré; mais il peut aussi donner la chose due facultativement et se faire indemniser de celle due principalement.
Si, en sens inverse, c'est la chose due facultativement qui a péri, le débiteur peut donner celle due principalement et se faire indemniser de celle qu'il aurait préféré conserver.
Enfin, si toutes deux ont péri, toujours par la faute du créancier, le débiteur déclare laquelle il aurait donnée et se fait indemniser de la perte de l'autre.
Le principe unique qui régit ces trois dernières solutions est bien simple, c'est que le débiteur ne doit pas perdre, par la faute du créancier, l'un des modes de libération qui lui appartiennent d'après la convention.
422. Le cas prévu au 7° et dernier alinéa est délicat, comme tous ceux où la loi a déjà dû régler la perte simultanée des deux choses par des causes différentes; il est même ici plus embarrassant, parce que la perte fortuite de la chose due principalement libérerait le débiteur, en lui donnant action pour obtenir la valeur de l'autre, perdue par la faute du créancier; tandis que la perte fortuite de la chose due facultativement, n'empêcherait pas le débiteur de devoir la première; il est vrai qu'il en serait libéré par la faute du créancier; mais il perdrait toujours les deux choses au lieu d'une. Or, on ignore justement ce qu'il importerait le plus de savoir, c'est-à-dire, sur quelle chose porte le cas fortuit et sur laquelle porte la faute du créancier.
Par exemple, dans un incendie, le créancier possesseur des deux objets, aurait pu, avec un peu d'efforts, sauver l'une des deux choses, au moins, et il n'en a sauvé aucune, ayant préféré sauver des choses qui lui appartenaient. Le débiteur prétendra, sans doute, que la perte fortuite peut avoir porté sur la chose due principalement, ce qui l'a libéré, et qu'il reste créancier de la valeur de la chose due facultativement, perdue par la faute du créancier. Mais celui-ci soutiendra, avec non moins de vraisemblance, que la perte fortuite peut avoir porté sur la chose due facultativement, ce qui n'a pas libéré le débiteur et que sa faute, à l'égard de l'autre chose, n'a d'autre effet que de lui faire perdre sa créance.
En face de ces deux prétentions contradictoires, fondées chacune sur une simple conjecture, on ne peut sortir d'embarras que par l'application du principe général des preuves, d'après lequel c'est au demaudeur à faire la preuve de ce qu'il avance, faute de quoi, il doit succomber (voy. c. civ. fr., art. 1315).
Mais, ici encore, il faut bien observer le rôle de chacun dans le procès.
Sans doute, c'est le débiteur qui est demandeur en restitution d'une valeur (de celle de la chose due facultativement), et il semble que, ne pouvant prouver que c'est celle-là qui a péri par la faute du créancier, il doive succomber. Mais, il ne faut pas perdre de vue que, pour que le créancier ait été en faute à l'égard d'une des deux choses, sans qu'on sache de laquelle, il est nécessaire de supposer qu'il les détenait toutes deux, soit en vertu d'un prêt, d'un dépôt, d'un mandat, soit, ce qui serait plus grave encore, par l'effet d'un acte illicite; or, le débiteur n'a à prouver que la cause, licite ou illicite, de la détention du créancier, et c'est à celui-ci qu'incombe la preuve du cas fortuit (voy.c. civ. fr., art. 1302, 3° al.): “le défendeur devient demandeur dans l'exception qu'il oppose” (voy.c. civ. fr., art. 1315, 2° al.) (c) et, ne la justifiant pas, il succombe.
422 bis. La loi ne dit rien du moment à partir duquel le débiteur qui a proposé d'user de sa faculté de payement ne pourra plus se rétracter: on appliquera, évidemment, par analogie de motifs, l'article 454: il aura perdu le droit de se rétracter après des offres réelles valablement faites.
Remarquons, en terminant, que dans les deux cas précités d'obligations facultatives prévues par le Code français (art. 891 et 1681), les distinctions relatives à la perte seraient moins nombreuses qu'ici, puisque la chose due facultativement est toujours de l'argent, c'est-à-dire une chose de genre ou de quantité, laquelle ne périt pas (genera non pereunt).
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(b) On a conservé dans la doctrine, en France, les formules latines; la chose due est dite: in obligatione, celle qui peut être donnée à sa place est dite: in facultate solutionis. Le Projet, ne pouvant employer les mots latins consacrés, a cherché à s'en rapprocher, en adoptant les expressions de “chose due principalement" et de "chose due facultatirement."
(c) C'est encore un axiême très-connu, formule en latin: rcus in erci. piendo fit actor.
COMMENTAIRE.
Art. 457. — 423. Cette division des obligations en simples et multiples, quant au nombre des sujets actifs et passifs, est moins importante en elle-même que dans ses subdivisions en obligations conjointes, solidaires et indivisibles, lesquelles sont traitées plus loin; aussi, pour ne pas anticiper sur celles-ci, la loi se borne-t-elle ici à une simple énonciation des caractères de chacune.
Le 1er alinéa du présent article indique suffisamment quand l'obligation est simple et quand elle est multiple.
L'obligation simple à son origine peut devenir mul. tiple par la suite, si, avant l'exécution, le créancier ou le débiteur vient à mourir laissant plusieurs héritiers: si cette obligation n'a pas le caractère indivisible que l'on expliquera au & suivant, elle deviendra seulement conjointe, mais elle ne deviendra jamais solidaire entre les héritiers.
Art. 458. — 424. L'obligation conjointe étant divisible entre les créanciers et les débiteurs originaires ou entre leurs héritiers, il y aurait à déterminer la part active et passive de chacup; mais la loi ne pourrait pas le faire ici, sans anticiper sur la distinction qui va suivre: elle se borne donc à indiquer qu'il y a divi. sibilité.
Pour ce qui est de l'obligation solidaire, il a fallu la renvoyer au Livre IVe qui traitera des sûretés ou ga ranties des créances; la loi se borne à en indiquer le caractère distinctif (a). Mais, par cela même que la théorie complète ne pourra être donnée que beaucoup plus tard et, à raison de ce qu'il y aura lieu de s'y référer souvent par anticipation, il est nécessaire de la présenter ici sommairement.
L'obligation peut être solidaire entre les créanciers seulement, ou entre les débiteurs; elle pourrait l'être tout à la fois, entre les uns et les autres, c'est-à-dire activement et passivement.
Cette sorte d'association entre les créanciers ou entre les débiteurs vient le plus souvent d'une convention expresse, elle peut venir aussi d'un testament ou de la loi. Elle a le caractère d'un mandat mutuel, surtout quand elle est conventionnelle: entre les créanciers, ce mandat autorise chacun à poursuivre le débiteur pour le tout, et le texte nous dit que celui qui poursuit ainsi l'exécution intégrale, alors qu'il n'a pour lui-même qu'un droit partiel, agit, en même temps, au nom et pour le compte des autres; entre les débiteurs, le mandat a pour effet d'obliger chacun d'eux à payer pour les autres en même temps que pour lui. Dans les deux cas, le mandat est établi surtout en faveur du créancier unique ou des créanciers solidaires, car leurs chances de payement en sont augmentées; mais c'est par l'effet d'autres principes, comme on le verra au sujet de la novation (art. 523), de la remise de la dette (art. 528, 531) et de la compensation (art. 543). Le mandat entre les débiteurs leur profite cependant aussi quel. quefois, en effet, s'il y a solidarité entre créanciers, la vigilance d'un seul pent conserver le droit des autres; s'il y a solidarité entre débiteurs, la solvabilité d'un seul corrige l'insolvabilité des autres.
Cette association entre les créanciers ou entre les débiteurs a encore d'autres conséquences favorables aux créanciers: si un seul des créanciers solidaires poursuit le débiteur unique, il interrompt la prescription au profit des autres créanciers; si le créancier unique poursuit l'un des débiteurs solidaires, la prescription est interrompue contre les autres. Généralement, chaque créancier solidaire peut faire des actes conservatoires du droit de ses co-créanciers en même temps que de son droit; mais il ne peut le compromettre. Les débiteurs solidaires, de leur côté, ont mandat réciproque à l'effet de conserver ou de sauvegarder le droit du créancier, mais ils ne peuvent aggraver l'obligation commune.
425. La solidarité n'a pas seulement pour effet de modifier les rapports des créanciers avec les débiteurs, elle a encore celui de créer des rapports de droit entre les co-créanciers et entre les co-débiteurs eux-mêmes, rapports qui n'existent pas dans l'obligation simplement conjointe. Dans cette obligation, chaque créancier ne pouvant demander et recevoir que sa part et chaque débiteur n'étant, de même, tenu de payer que sa part, il ne peut être question d'aucun recours ultérieur des uns contre les autres: tout est terminé pour chacun par le payement qu'il fait. Il en est autrement dans le cas de solidarité: la poursuite et le payement, par suite du manque de confiance des créanciers contre les débiteurs, ont pu dépasser la mesure normale: il faut y revenir par un compte ou règlement particulier entre celui qui a reçu et ses co-créanciers ou entre celui qui a payé et ses co-débiteurs; ce règlement, s'il est contesté, s'obtient par voie d'action en garantie, comme il est dit à la fin de l'article 458 qui ne fait, en cela, qu'appliquer l'article 418.
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(a) Le nom de solidaire vient du latin solidum: “le tout," justement, parce que chaque créancier peut demander le tout et que chaque débiteur peut être poursuivi pour le tout.
COMMENTAIRE.
Art. 459. — 426. On peut poser en principe que la divisibilité des obligations, activement et passivement, est la règle générale et que l'indivisibilité est l'exception. Mais la divisibilité suppose plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs, soit à l'origine de l'obligation, soit par suite du décès de l'une des parties; en d'autres termes, elle suppose une obligation multiple quant aux personnes. Si donc il n'y a qu'un seul créancier et un seul débiteur, l'exécution doit être intégrale, c'est-àdire qu'elle doit comprendre simultanément toute la chose ou toutes les choses dues, lors même qu'elles seraient divisibles, comme l'argent, les denrées, etc.
Il semble inutile, au premier abord, de proclamer cette indivisibilité, qui pourtant est écrite aussi dans le Code civil français (art. 1220) et dans le Code italien (art. 1204): on pourrait dire que l'indivisibilité est déjà suffisamment assurée par la nécessité de payer à l'échéance, et que si le débiteur prétendait diviser le payement, il se trouverait en retard pour la portion ajournée. Mais la règle devient utile, si le débiteur prétendait payer une ou plusieurs portions avant l'échéance et le reste à l'échéance même; de même, si le créancier en faveur duquel le terme aurait été établi voulait, en y renonçant partiellement, se faire payer une portion par anticipation et le reste à l'échéance. Il est clair que chacune de ces prétentions pourrait être abusive et créer des embarras pour l'autre partie, en dehors de la convention.
427. La loi rappelle une exception déjà établie par l'article 426: les tribunaux peuvent autoriser le débiteur à fractionner le payement, non par des payements anticipés, mais par des payements tardifs, ce qui est, en même temps, une dérogation à la nécessité d'observer l'échéance: cette double faveur accordée au débiteur se fonde sur l'embarras où il peut se trouver pour l'exécution totale à l'échéance: elle ne se justifierait plus autant, si le débiteur prétendait payer par parties, avant l'échéance, pour éviter le risque de perdre des sommes qu'il a à sa disposition. De même, il n'y aurait pas de raison suffisante d'autoriser le créancier à renoncer partiellement au bénéfice du terme stipulé dans son intérêt, pour se faire payer des sommes partielles dont il aurait besoin, ce qui mettrait le débiteur dans des embarras successifs qu'il n'a pu prévoir.
Au surplus, la règle de l'indivisibilité de l'obligation simple ne doit pas être appliquée avec trop de rigueur: il est clair que s'il s'agit de denrées ou marchandises, de matériaux d'une quantité, d'un poids ou d'un volume considérable, la livraison n'en pourra pas toujours être faite intégralement, en un seul moment, pas même en un seul jour; il faudra bien admettre, forcément, ou que le débiteur commencera la livraison quelque temps avant l'échéance ou qu'il la complétera quelque temps après: “les conventions doivent être exécutées de bonne foi” (art. 350).
Art. 460. — 428. La divisibilité active et passive apparaît, au contraire, dans l'obligation conjointe.
La loi a dû indiquer le moyen de connaître la part de chaque débiteur. Les parts ne sont pas nécessairement égales: si, par exemple, deux co-propriétaires, dont les droits étaient inégaux, vendent la chose qui leur est commune, la part de chacun dans le prix de vente sera la même que dans la chose vendue; de même, si deux personnes empruntent une somme d'argent pour une affaire commune, chacune sera débitrice d'une part semblable à celle pour laquelle elle est intéressée. Cette part, dite réelle ou véritable (a), sert de mesure à l'action de chaque créancier et à l'obligation de chaque débiteur, mais à la condition que les rapports de droit antérieurs qui la déterminent soient connus des parties adverses, respectivement: si la convention s'en explique, rien n'est mieux; mais cette connaissance peut aussi provenir aux parties des circonstances du fait; par exemple, dans les deux hypothèses ci-dessus, la communauté d'intérêts des vendeurs ou des emprunteurs était déjà connue de l'acheteur ou du prêteur, par suite de conventions ou de rapports antérieurs.
Si la part réelle de chaque créancier on de chaque débiteur n'est pas connue de l'autre partie, la part de chacun dans l'action et dans l'obligation sera virile ou calculée par têtes (6): de moitié, du tiers, du quart, suivant que les créanciers ou les débiteurs sont deux, trois, quatre, etc. Cette division donnera quelquefois à l'un plus et à l'autre moins que sa part réelle; de là, la nécessité de recours respectifs en garantie, au moyen desquels, comme dit le texte, chacun est ramené à recueillir sa part réelle du profit ou à supporter sa part de la charge (voy. art. 418).
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(a) On donne ici au mot réelle le sens le plus simple et qui se rendra le mieux en langue japonaise; il serait possible, cependant, de lui donner aussi le sens habituel et plus juridique qui consiste à opposer réel à per. sonnel; la part réelle serait la part consistant dans la chose (de res), par opposition à la part personnelle ou virile mentionnée plus loin.
(b) Part virile vient du latin vir, “ homme;" elle se calcule “sur le nombre d'hommes: " pro numero virorum.
Art. 461. — 429. La divisibilité de l'obligation se produit encore au cas de décès du créancier ou du débiteur unique, quoique l'obligation fût simple à l'origine. Ce cas de décès est même le seul que le Code français (art. 1220) et le Code italien (art. 1204) aient donné comme application de la divisibilité: ils n'ont pas songé à l'obligation qui serait conjointe à l'origine, laquelle n'est pas plus rare que le cas de décès d'une des parties.
Lorsque la dette, simple et indivisible, à l'origine, devient conjointe et divisible par un décès, la division ne se fait plus qu'exceptionnellement par portions viriles, mais presque toujours par portions réelles, parce que chacun connaît ou doit connaître la part hérédi. taire de son adversaire, sur laquelle se règle sa part dans la créance ou dans la dette. Ce n'est que dans certains cas de successions compliquées que l'on peut admettre les poursuites par portions viriles (voy. c. fr., art. 747 et 766).
Jusqu'ici, au Japon, il a été rare qu'un défunt eût plusieurs héritiers: le système successoral est la transmission intégrale du patrimoine à l'aîné des enfants mâles ou à l'héritier désigné par le défunt et, à leur défaut, à l'héritier choisi par les proches parents du défunt. Mais la nouvelle loi des successions, tout en tenant grand compte des anciens usages, admettra, sans doute, dans plusieurs cas, la pluralité d'héritiers, et leurs droits pourront n'être pas égaux; par exemple, il pourra y avoir un préciput légal pour l'aîné: la part réelle ne sera donc pas une part virile.
Si la dette est conjointe à l'origine, il y a déjà division entre les créanciers ou les débiteurs originaires; le décès des uns ou des autres amène une subdivision entre leurs héritiers, et, s'il survenait encore un décès parmi ces derniers, il y aurait une nouvelle subdivision; si les divisions et subdivisions s'opèrent simultanément entre les créanciers et entre les débiteurs, le morcellement peut être excessif.
Si la dette est solidaire, il n'y a pas division entre les créanciers ou les débiteurs originaires; mais la division commence à s'opérer entre leurs héritiers. C'est ce qu'exprime le dernier alinéa de l'article 461 du Projet, plus explicite, à cet égard, que l'article 1219 du Code français, reproduit lui-même par le Code italien (art. 1203) et portant l'un et l'autre d'une façon un peu énigmatique, que “la solidarité stipulée ne donne pas à l'obligation le caractère d'indivisibilité.”
430. Les résultats de la division étant différents entre eux, suivant que la dette est simple, conjointe ou solidaire, il est bon de les faire ressortir par un exemple commun, où l'objet de la dette, le nombre des débiteurs et des créanciers originaires et celui de leurs héritiers sera le même: on ne changera que la modalité de l'obligation, et, pour plas de simplicité, on supposera que les droits et devoirs des héritiers sont égaux, sont des parts viriles, ce qui permettra de diviser et subdiviser la dette par têtes.
1° Soit, d'abord, une obligation simple de 1000 yens avec un seul créancier et un seul débiteur. S'il n'y a pas de décès avant l'échéance, l'obligation ne se divisera pas: le créancier ne pourra pas demander les 1000 yens par parties et le débiteur ne pourra se libérer qu'en les donnant tout à la fois. Si le créancier ou le débiteur meurt, laissant deux héritiers, chacun de ceuxci ne peut demander ou ne peut être tenu de donner que la moitié, soit 500 yens. Mais si le créancier et le débiteur sont morts, chacun avec deux héritiers, la dette se divise par quarts: chaque héritier du créancier ne peut plus demander à chaque héritier du débiteur que 250 yens.
2° Soit, maintenant, une obligation conjointe de même somme, avec deux créanciers et deux débiteurs originaires. Il se fait, de suite, une première division. de la dette par moitié, activement et passivement, laquelle donne lieu à quatre demandes distinctes de 1/4 chacune. En cas de décès de l'une des parties avec deux héritiers, la subdivision donnera pour chaque héritier un quart qui s'obtiendra par deux demandes de 1/8e chacune. S'il y a, tout à la fois, décès d'un des débiteurs, toujours avec deux héritiers, chaque héritier du créancier défunt ne pourra obtenir son quart que par des poursuites de 1/16e contre chaque héritier du débiteur défunt et il réclamera 2/16es ou 1/8e contre le débi. teur survivant; quant au créancier survivant qui conserve son droit à une moitié, il demandera 2/16es ou 1/80 à chaque héritier du débiteur décédé: ensemble, 4/16's ou 2/8es ou 1/4, et 4/16c ou 1/4 au débiteur survivant.
3° Soit, enfin, une obligation solidaire. Elle ne se divise pas au premier degré: chacun des créanciers peut demander le tout et chacun des débiteurs doit payer le tout, comme si la dette était simple; la divisibilité ne commence qu'au cas de décès d'un des créanciers ou des débiteurs, et comme le tout (solidum) portait sur chacun, activement et passivement, la part de chaque héritier est une fraction de la totalité, en sorte que la première division donne les mêmes résultats que dans l'obligation simple, quoiqu'elle soit ici multiple; en observant, toutefois, que, pendant que le droit d'un des créanciers ou l'obligation d'un des débiteurs se divise par l'effet de son décès, le droit ou l'obligation des survivants restent entiers, ce qui est le signe distinctif de la solidarité.
Dans les exemples qui précèdent on n'a pas poussé les divisions et subdivisions bien loin: on s'est arrêté à l'hypothèse du décès de l'un des créanciers ou des débiteurs, d'un décès de chaque côté; mais ce ne serait pas dépasser les vraisemblances que de supposer l'un des héritiers du créancier venant lui-même à décéder; on aurait alors une nouvelle subdivision: la part de l'héritier décédé se fractionnerait en autant de nouvelles parts qu'il aurait lui-même d'héritiers, et si, en même temps, il y avait décès de l'un des héritiers du débiteur, ces héritiers d'héritiers, mis en face les uns des autres, ne pourraient réclamer ou être tenus de payer que des fractions d'autant plus faibles que leur nombre respectif serait plus élevé. Ces calculs assez compliqués en apparence, et qui le deviennent davantage si les droits des divers héritiers sont inégaux et si leur nombre est plus considérable, sont cependant susceptibles d'une grande précision mathématique; ils constituent les liquidations de succession: en France, ils sont faits par les notaires, en même temps que le partage, avec homologation du tribunal, s'il y a des mineurs ou des héritiers absents ou opposants (vos. c. civ. fr., art. 838 et c. pr. civ. fr., art. 981).
Art. 462 et 463.- 431. Toutes les complications qui précèdent disparaissent dans l'obligation indivisible: chaque créancier ou héritier du créancier a droit à la totalité de la créance; chaque débiteur ou héritier du débiteur doit la totalité de l'obligation, et chaque héritier d'un héritier décédé a également droit et obligation pour le tout (c. civ. fr., art. 1222 et 1223); si le lien est, à certains égards, moins fort que celui de la solidarité, il a plus d'étendue quant à son objet. Mais ce que cette matière gagne en simplicité de ce côté, elle le perd d'un autre; car la difficulté des obligations indivisibles est proverbiale et on dit souvent, avec un vieil auteur français, Dumoulin, que c'est un “labyrinthe inextricable” où il est difficile de ne pas s'égarer.
Le Projet va s'efforcer d'y mettre de la clarté et même de la simplicité.
En rapprochant ces neuf articles de pareil nombre consacré aux mêmes obligations dans le Code français (art. 1217 à 1225), on trouvera, au premier abord, que le fond des dispositions des uns et des autres paraît différer assez peu; mais un examen attentif révèlera ici une classification plus rigoureuse des divers cas d'indivisibilité et de leurs effets, quelques suppressions nécessaires et des additions utiles qui seront mises en relief et justifiées sur chaque article. A raison de ces changements, il ne faudra consulter les auteurs français sur cette matière qu'avec grande précaution, lorsqu'on y cherchera des éclaircissements complémentaires.
Le Code italien (art. 1202 à 1208) s'est borné à quelques suppressions, ce qui n'était peut-être pas le meilleur moyen de dissiper les obscurités de cette matière.
Il est reçu, en France, depuis Dumoulin, auteur cólèbre qui vivait il y a trois siècles, suivi, plus tard, par Pothier, auteur du siècle dernier, qu'il y a trois sortes d'indivisibilité; la première est dite “naturelle,” la seconde, "conventionnelle ou intentionnelle," la troi. sième est dite, fort obscurément, “quant au payement ou quant à l'exécution” (c). Une grande partie des difficultés de la matière est venue de cette troisième sorte d'indivisibilité qui a été, par les uns, mise sur la même ligne que les deux premières, avec quelques différences, et, par les autres, considérée comme un cas de divisibilité, mais donnant lieu, par exception, à une exécution intégrale (d).
432. La vérité est qu'il y a deux points de vue différents auxquels on peut se placer pour le classement des cas d'indivisibilité: celui de leurs causes et celui de leurs effets; chaque point de vue donne deux classes, et c'est pour avoir mêlé et confondu ces deux classifications différentes que les auteurs sont arrivés si malheureusement à trois classes d'indivisibilité.
I. Si l'on considère les CAUSES de l'indivisibilité des obligations on n'en trouve que deux: la nature de la chose due qui ne comporte pas de fractions, et la convention ou intention des parties qui ont entendu exclure la division de la dette, quoiqu'elle fût possible naturellement.
Il y a bien aussi un cas d'indivisibilité légale, c'està-dire fondée sur la disposition seule de la loi, c'est celui du gage et de l'hypothèque, et on peut ajouter, par une analogie évidente, celui du privilége sur les meubles et les immeubles (voy. art. 20, 3° al. et T. 1°7, p. 61-62): mais, on a pris, eu France, l'habitude de considérer cette indivisibilité comme naturelle, parce que la loi ellemême dit que “l'hypothèque est, de sa nature, indivisible (c. civ. fr., art. 2114, 2° al. et 2083),” ce qui est inexact: on comprendrait très bien que la poursuite hypothécaire se fractionnat entre les créanciers et contre les divers détenteurs de parties différentes de l'immeuble; si l'on ne veut pas admettre d'indivisibilité légale, il vaut encore mieux rattacher celle de l'hypothèque à l'intention des parties qu'à la nature du droit.
Le Projet a tranché la question dans le sens de l'indivisibilité légale (loc. cit.). On y reviendra, à propos de la matière même des hypothèques et si l'on ne s'y arrête pas ici, c'est qu'il ne s'agit, en ce moment, que d'obligations ou de créances et non de droits réels. On dira seulement ici (ce qui n'aurait pas été hors de propos sous l'article 20) que le Projet ne pouvait prétendre agir arbitrairement: c'eût été plus choquant encore dans un cas où il veut se séparer de la loi française qui a vainement décrété une prétendue nature des choses; le Projet tenait pourtant à ne pas briser une tradition séculaire et peut-être universelle: il a donc déclaré l'hypothèque indivisible, activement et passivement, par interprétation de la volonté probable des parties; aussi, ces dernières pourraient-elles déroger à la loi, tandis qu'elles ne pourraient pas déroger à la nature des choses.
II. Si l'on considère les EFFETS de l'indivisibilité, on en trouve deux également: l'un général ou absolu, affectant l'obligation activement et passivement, c'està-dire à l'égard des créanciers et des débiteurs; l'autre limité et relatif, n'affectant l'obligation que passivement, c'est-à-dire à l'égard des débiteurs seulement. Il n'y a pas d'indivisibilité active seulement, parce que, sans l'indivisibilité passive, elle ne procurerait pas aux créanciers plus d'utilité qu'un mandat ordinaire.
L'indivisibilité qui est naturelle quant à sa cause est nécessairement générale et absolue quant à ses effets: on ne comprendrait pas plus la division active que la division passive, du moment que l'obstacle à la division vient de la nature de la chose due. Au contraire, l'indivisibilité dont la cause est la convention ou l'intention des parties peut être plus ou moins étendue, suivant leur volonté et d'après leur but et leur intérêt: elle peut donc être, soit générale et absolue, soit limitée et relative. C'est dans ce dernier cas et lorsque l'indivisibilité est limitée aux débiteurs que l'on dit, dans l'usage, qu'il y a indivisibilité “quant au payement” (solutione tantum).
Dans le Code français, l'indivisibilité naturelle est prévue par l'article 1217, l'indivisibilité intentionnelle, par l'article 1218 et l'indivisibilité quant au payement, par l'article 1221. Cette dernière est l'objet d'une foule de difficultés qui disparaissent dans le Projet japonais.
433. Le Projet s'écarte d'abord du Code français par la classification: s'attachant moins aux causes de l'indivisibilité qu'à leurs effets, il consacre un premier article à l'indivisibilité générale et absolue ou active et passive (art. 462) et ses deux causes sont seulement indiquées en deux alinéas. Puis vient l'indivisibilité relative, c'est-à-dire limitée, dans ses effets, aux débiteurs, ou passive seulement; ses causes sont les mêmes: la nature de la chose due et la convention ou le testament (le titre constitutif de l'obligation); seulement, la loi ne prévoit qu'un cas pour l'application de chaque cause (art. 463, 1er et 2€ al.), celui où l'indivisibilité ne pèse que sur un seul des débiteurs à l'exclusion des autres. Vient enfin (art. 464) le cas où l'indivisibilité, toujours passive seulement, a été formellement stipulée à la charge de tous les débiteurs indistinctement; c'est là cette véritable sûreté ou garantie de la créance dont on a déjà parlé, sûreté analogue à la solidarité, moins dure à quelques égards pour les débiteurs, mais à d'autres égards, plus dure; ce qui explique qu'elle soit sonvent stipulée conjointement avec elle. Comme sûreté, elle est renvoyée au Livre IV®.
On retrouve donc dans le Projet les mêmes sortes d'indivisibilité que celles que présente le Code français; mais avec des nuances qui, en somme, touchent plus à la méthode qu'au fond.
434. Il faut maintenant éclaircir par quelques exemples et développements les deux articles 462 et 463.
Les choses peuvent se diviser de deux manières: matériellement et intellectuellement ou juridiquement, comme dit l'article 462. La division matérielle ne peut s'appliquer qu'aux choses corporelles; la division intellectuelle ou juridique s'applique tant aux choses corporelles qu'aux choses incorporelles.
Parmi les choses corporelles, il y en a qui se divisent matériellement d'une façon presque illimitée, sans changer de nature et sans perdre leur utilité, comme l'argent et les denrées qui se pèsent, se comptent on se mesurent; d'autres se trouvent plus ou moins dété riorées par la division matérielle, comme les vêtements, les meubles des habitations, les objets d'art, les instruments des métiers; on recherche alors si l'intention des parties n'a pas été d'en exclure cette sorte de division; enfin, il y a des choses corporelles qu'on doit déclarer tout à fait indivisibles matériellement, parce qu'elles changeraient de nature et même seraient, pour ainsi dire, détruites par la division, tels sont les animaux vivants. Mais tous ces objets sont susceptibles de division intellectuelle ou juridique, en ce sens que le droit de propriété dont elles sont susceptibles peut être fractionné entre plusieurs personnes qui auront des droits de même nature, égaux ou inégaux (e). Si le débiteur d'un objet de cette nature meurt laissant plusieurs héritiers, chacun de ceux-ci, devenant co-propriétaire pour une part dans l'objet et se trouvant débiteur de la même part envers le créancier, pourrait, en principe, se libérer en abandonnant, en cédant sa part au créancier. On comprend que cette division, toute juridique, ne change pas la nature de la chose et qu'elle s'appliquerait notamment à un animal vivant.
Les choses incorporelles ne sont évidemment susceptibles que d'une division juridique: ce sont des droits qui peuvent être transférés par partie à diverses personnes ou par un ou plusieurs de ceux auxquels ils appartiennent. Ainsi, si un usufruit est dû à plusieurs stipulants, le débiteur pourrait se libérer en cédant à chacun des créanciers la part d'usufruit qui lui est due, et si, par une cause quelconque, il ne pouvait remplir son obligation envers tous, ceux qui auraient reçu leur part ne pourraient se plaindre. Réciproquement, s'il y a plusieurs promettants d'un usufruit, ou si le promettant unique meurt, laissant plusieurs héritiers, chacun peut constituer l'usufruit pour la part qu'il doit comme héritier, et, si un ou plusieurs d'entre eux manquent à exécuter l'obligation, le créancier ne pourra pas s'en prendre à ceux qui ont exécuté pour leur part.
Il en serait de même s'il s'agissait d'une créance dont la cession aurait été promise à plusieurs ou par plusieurs: l'exécution de la cession par portions indi. vises se comprendrait (f) très-bien et ne serait pas dé. nuée d'utilité.
Ce qui vient d'être dit d'un usufruit qui peut être constitué pour partie, activement et passivement, pourrait, à la rigueur, se comprendre d'un droit de louage et même d'une hypothèque à constituer. Pour le louage, sans doute, une part indivise dans la jouissance d'un bien ne sera pas toujours conforme à l'intention des parties, mais il ne s'agit pas encore de l'indivisibilité intentionnelle; le louage est au moins divisible juridiquement.
Il semble qu'il y ait plus de doute pour l'hypothèque, puisque la loi la déclare “indivisible:" la loi française “par sa nature,” le Projet japonais, par l'intention probable des parties; mais c'est seulement, une fois constituée, que l'hypothèque a ce caractère: alors, chaque partie de l'immeuble, soit matérielle, soit juridique, est affectée au payement de la dette entière, et chaque partie de la créance est garantie par l'immeuble tout entier (cela sera développé en son lieu); mais lorsqu'il s'agit d'une hypothèque promise, d'une hypothèque à constituer, soit par plusieurs, soit en faveur de plusieurs, on comprend très-bien qu'un seul des promettants remplisse sa promesse quand les autres y manquent, ou que le promettant unique exécute son obligation envers un seul de ses créanciers et y manque envers les autres; on conçoit également que l'hypothèque constituée par un seul des co-propriétaires ne grève que sa part in. divise de l'immeuble, quand les autres parts en sont exemptes (comp. c. civ. art. 2205), ce qui prouve bien que cette prétendue indivisibilité de l'hypothèque n'est pas “de sa nature.”
435. Mais il y a des droits réels et des droits personnels indivisibles, même juridiquement, d'après leur nature; tels sont: pour les premiers, les droits de servi. tude dont la nature indivisible est proclamée par l'article 288 et expliquée au Tome Ier pp. 526-528; pour les seconds, la plupart des obligations de ne pas faire et un grand nombre d'obligations de faire (voy. art. 20, 2° al.). Ainsi, quand quelqu'un a promis de ne pas faire un procès, comme demandeur ou défendeur, au sujet d'une réclamation prévue, et meurt laissant plusieurs héritiers, l'obligation est entière à la charge de chacun, et la moindre entreprise ou la moindre résistance litigieuse, par un seul des héritiers, serait une violation entière de l'engagement; de même, si le créancier étant mort, l'un des héritiers avait été engagé dans le procès, le promettant aurait autant manqué à son engagement que s'il avait contesté judiciairement avec tous les héritiers; la conséquence serait, notamment, qu'il devrait des dommages-intérêts à tous et s'il y avait une clause pénale, elle serait encourue en entier.
Les obligations de faire sont moins généralement indivisibles: ainsi, l'obligation de construire un mur ou un chemin, de défricher un terrain, de fabriquer, en assez grand nombre, des objets de même nature ou même de nature diverse, se conçoit exécutée par partie, avec utilité; on peut même dire que, là, il y a divisi. bilité matérielle, et si l'un des débiteurs avait exécuté pour sa part, ou si l'un des créanciers avait obtenu la sienne, il pourrait y avoir libération partielle; pour dé. cider autrement, il faudrait se placer dans l'hypothèse d'nne indivisibilité conventionnelle ou intentionnelle.
Mais certaines obligations de faire sont indivisibles par leur nature; si le débiteur n'a pas fait tout ce qu'il devait, il n'a rien fait d'utile: par exemple, il devait faire une négociation, un arbitrage, contracter et signer pour quelqu'un, faire un acte d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation; s'il n'a pas exécuté son mandat en entier, c'est comme s'il n'avait pas même tenté de l'exécuter.
Notons, en passant, que, comme le mandat cesse par la mort da mandant ou du mandataire, au moins, en général (voy. c. civ. fr., art. 2010), il faudrait supposer ici, non qu'il y a plusieurs héritiers du mandant ou du mandataire, mais que, à l'origine, il y a eu plusieurs mandants ou plusieurs mandataires.
A raison donc de cette indivisibilité du mandat, chaque mandant pourrait demander l'exécution entière du mandat et chaque mandataire pourrait être actionné pour l'accomplir en entier.
On peut encore citer, comme obligation de faire, indivisible par sa nature: celle de produire une pièce, de rendre des comptes de gestion, de garantir un acheteur ou un preneur des troubles ou évictions dont il est menacé, en intervenant en justice avec lui ou en sa place: la garantie ne devient divisible que si elle se résout en dommages-intérêts pour inexécution (v. art. 415, 2° al.).
Tels sont les principaux cas d'indivisibilité dite naturelle, prévus au 1er alinéa de l'article 462.
436. L'indivisibilité intentionnelle (2e al.) résulte de la volonté des parties, laquelle peut être ou exprimée dans la convention, ou manifestée tacitement. La loi, pour ne pas gêner l'interprétation des tribunaux, leur permet de prendre en considération les diverses circonstances du fait, mais c'est généralement le but que se sont proposé les parties en contractant qui ré. vèlera cette intention.
Ainsi, plusieurs personnes ont stipulé un terrain, pour construire une maison d'habitation ou une hôtellerie ou une manufacture; ou bien il y a eu plusieurs promettants de ce terrain; ou, enfin, l'un des contractants originaires est mort laissant plusieurs héritiers: assurément, en pareil cas, la nature de la chose due permet une exécution partielle, mais le but que se proposaient les stipulants, but connu des promettants, ne pouvant être atteint que par la cession entière du terrain, chaque créancier a le droit de demander tout le terrain et chaque débiteur peut être actionné pour le fournir en entier.
Quelques-unes des obligations présentées plus haut comme divisibles par leur nature seront souvent rendues indivisibles par l'intention des contractants: ainsi l'obligation de fournir un objet d'art, un instrument de science ou d'industrie, un animal vivant, laquelle pourrait s'exécuter par parties, au moyen de la cession d'une part juridique de propriété, sera presque toujours indivisible par l'intention des contractants.
Généralement, c'est l'intention des stipulants qui devra être prise en considération pour apprécier si l'obligation a un caractère indivisible, parce que ce sont surtout ces parties qui ont un but déterminé à atteindre, un avantage spécial à réaliser; mais on devra tenir compte aussi de l'intention des promettants qui, en répondant à la stipulation dont le but leur était connu, ont dû considérer qu'ils étaient tenus pour le tout et doivent avoir pris leurs dispositions en conséquence. L'article 470, ci-après, autorise les co-débi. teurs à se prévaloir, de leur côté, du caractère indiri. sible de l'obligation.
On peut encore citer comme cas d'indivisibilité in tentionnelle, et pouvant être autant invoquée par les débiteurs que par les créanciers, les actions qui tendent à la résolution, à la rescision ou à la révocation de conventions.
A la rigueur, et à ne considérer que la nature même de l'action, on comprendrait qu'un contrat fut annulé pour une part et maintenu pour l'autre: par exemple, un vendeur qui n'aurait pas touché la moitié de son prix de vente, pourrait ne rentrer dans la propriété que pour moitié de sa chose; mais ce résultat, contraire, le plus souvent, à son intérêt, le serait aussi à son intention originaire; de même, l'acheteur, quoiqu'il soit en faute, ne doit pas être tenu de garder la moitié de la chose, en co-propriété avec le vendeur. On est bien près de trouver ici une indivisibilité légale; cependant, quand il n'y a pas de disposition formelle de la loi à cet égard, il vaut mieux attribuer cette indivisibilité à l'intention présumée des parties (g). On devra aussi la limiter aux cas où la chose n'est pas susceptible d'une division naturelle qui laisse à toutes les parties une utilité proportionnelle à l'utilité du tout, comme une maison ou un terrain, dont les parties. peuvent n'avoir qu'une utilité très-limitée; mais si l'on suppose une vente de denrées ou de marchandises très-divisibles par leur nature et dont le prix a été fixé proportionnellement au poids, au nombre ou à la mesure, et que l'acheteur ait manqué à payer la moitié ou les trois quarts du prix, le vendeur pourrait se contenter de faire résoudre la vente pour moitié ou pour trois quarts, et l'acheteur ne devrait pas être reçu à s'opposer à cette résolution partielle.
On voit donc que l'intention des parties peut se révéler autrement que par le but qu'elles se proposaient, mais encore par la nature même de la chose objet de la convention et par l'utilité qui subsisterait après sa division matérielle.
437. On a quelquefois prétendu que si, dans un contrat synallagmatique, l'obligation contractée par l'une des parties est indivisible, soit par sa nature, soit par l'intention des parties, l'obligation de l'autre doit être, par cela seul, considérée comme indivisible, au moins par l'intention. Mais c'est là une exagération: par exemple, deux personnes se sont fait promettre par deux autres, une servitude, chose indivisible par sa nature, ou un terrain pour une construction déterminée, un cheval, un tableau, choses indivisibles par l'intention des parties; le prix qu'elles doivent est divisible par sa nature, et on ne voit pas de raison suffisante pour présumer que les parties ont entendu que le payement du prix serait indivisible; pour que cela fût, il faudrait que le prix à payer eût lui-même une destination indivisible de la part de ceux auquel il est dû et que cette destination fût connue de ceux qui le doivent; par exemple, il aurait été destiné à acheter une maison ou un navire.
438. L'article 462 nous a fait connaître les deux cas d'indivisibilité absolue, c'est-à-dire active et passive, tout à la fois. Dans l'article 463, il est traité de l'indivisibilité passive seulement ou relative aux débiteurs seuls. Le texte ne lui donne que deux applications, tandis que l'article 1221 du Code civil français lui en donne cinq; le cinquième de ces cas, rendu plus précis, va être l'objet de l'article 464; mais, il est reconnu que les deux autres cas de l'article 1221, le 1er et le 3o, n'ont été considérés comme cas d'indivisibilité que par méprise et confusion. Ainsi le Code français déclare indivisible "la dette hypothécaire;" mais, dans la dette hypothécaire, il ne faut pas confondre le droit personnel ou de créance et le droit réel d'hypothèque ou la sûreté: si le droit est exercé comme personnel, sur tous les biens du débiteur, il est divisible entre les créanciers et entre les débiteurs; s'il est exercé hypothécairement, c'est-à-dire sur le bien hypothéqué et contre le déten. teur de l'immeuble, il est indivisible; c'est donc l'hypothèque qui est indivisible et non la dette même, et comme cette indivisibilité de l'hypothèque est prétendue fondée sur sa nature, elle est active et passive et non passive seulement, comme le ferait croire l'article 1221-1°.
C'est par une confusion analogue que le même article déclare indivisible “l'obligation alternative portant sur deux choses dont l'une est indivisible au choix du cré. ancier:"il est évident que, si le choix vient à porter sur la chose divisible, l'obligation, jusque-là conditionnelle et incertaine quant à son objet (voy. art. 455), se trouvera avoir été toujours divisible; si, au contraire, le choix est dirigé sur la chose indivisible, l'obligation sera indivisible, non plus comme alternative et en vertu de cette disposition, mais elle le sera par sa nature ou par l'intention des parties, suivant les cas. Ce que le Code français a voulu dire, sans doute, c'est que le choix est indivisible et que le créancier qui a le choix ne peut choisir partie d'une chose et partie de l'autre, ce qui était bien inutile à dire, car il ne pourrait jamais obtenir une partie de la chose indivisible; enfin, on ne voit pas pourquoi le Code limite cette indivisibilité du choix au cas où il appartient "au créancier;" il est bien évident que la division du choix ne serait pas non plus permise au débiteur: l'article 1191 l'a déjà dit, même pour le cas où toutes les choses dues sont divisibles (comp. cidessus, art. 448, 3° al.).
C'est sans doute pour ces raisons que le Code italien a supprimé ces deux cas de son article 1245 qui correspond, du reste, à l'article 1221 du Code français.
439. Voici maintenant les deux cas qui du Code français passent dans le Projet japonais.
1er Cas. Il s'agit, non de la translation de propriété, mais de la délivrance, de la tradition d'un corps certain; peut-être la translation de propriété a-t-elle déjà eu lieu, par le seul consentement, comme dans la vente ou la donation; peut-être s'agit-il d'un usufruit ou d'un droit de louage déjà conférés de même; peut-être, enfin, ne s'agit-il que de la restitution d'un dépôt, d'un prêt à usage, d'un objet dont la location est expirée; dans tous les cas, s'il y a plusieurs débiteurs de cette délivrance, elle sera requise en entier de celui qui détient physiquement la chose; en effet, la poursuite contre les autres débiteurs ne pourrait conduire qu'à des dommages-intérêts pour inexécution et ce ne serait pas, pour le créancier, une satisfaction entière. Cette indivisibilité a pour cause la nature même de la délivrance, qui, à la différence de la cession du droit de propriété sur cette chose, est un par fait matériel qu'on ne pourrait opérer par parties qu'en morcellant la chose, ce qui lui ôterait, le plus souvent, toute utilité; mais elle n'a pas pour cause la nature même du corps certain à délivrer; autrement, elle devrait être considérée comme active et passive, tout à la fois; or, le texte suppose formellement la chose “divisible par sa nature" et il n'attribue l'indivisibilité qu'à l'intention des parties. Ici, c'est spécialement de l'intention des débiteurs qu'il s'agit; car, par un partage ou autrement, ils ont consenti à mettre ou à laisser la chose due aux mains de l'un d'enx, et ils ont entendu, par là, le charger seul le l'exécution; le créancier y trouve, à son tour, l'aIntage de ne pas être tenu d'intenter plusieurs actions qi ne pourraient lui faire obtenir que des dommagesinirêts contre ceux qui ne sont pas détenteurs de la chose due.
Mais il n'y a pas indivisibilité active; si donc il y a plusieurs créanciers originaires ou plusieurs héritiers d'un créancier unique, chacun d'eux ne doit agir que pour sa part dans la créance: les autres n'ont vraisemblablement pas entendu s'exposer au risque de son insolvabilité.
D'un autre côté, comme un corps certain, à la différence d'une chose de quantité, ne peut être délivré par parties, sans détériorations, le débiteur poursuivi par un des créanciers est admis, pour dégager sa responsabilité, à requérir la mise en cause de tous les autres, afin de se libérer simultanément entre leurs mains. Cette disposition, qui manque dans les Codes étrangers, paraît le seul moyen de concilier tous les intérêts.
2e Cas.-Ici, l'intention des contractants est expresse: le titre constitutif de l'obligation contractée par plusieurs a mis le payement à la charge d'un des débiteurs spécialement; ou, en prévision du décès d'un débiteur unique, il a été stipulé que le payement serait fait par un des héritiers désigné; cette désignation pourrait aussi avoir été faite par le testament du débiteur. Bien entendu, dans ces divers cas, le créancier pourrait négliger le droit qui lui a été conféré et intenter une action divisée contre chaque débiteur.
Cette indivisibilité est, comme la précédente, passive seulement; si donc, il y a plusieurs créanciers originaires ou plusieurs héritiers d'un créancier unique, chacun d'eux ne pourra agir que pour sa part contre le débiteur spécialement désigné pour le payement; et, comme la division, tant matérielle que juridique, ne présentera pas ici les mêmes difficultés que dans l'obligation de délivrance, la loi ne donne pas au débiteu assigné la faculté de faire mettre en cause les dives créanciers: il exécutera envers chacun, au fur et à rsure qu'il se présentera.
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(c) Dumoulin n'avait pas tiré sa division tripartite du droit romain qui parait n'avoir admis que l'indivisibilité naturelle; mais il écrivait en latin et il se servit d'expression dont l'obscurité ajouta à celle du sujet; elles ont malheureusement obtenu la consécration de l'usage; il faudra bien se garder de les vulgariser au Japon: ainsi Dumoulin et, après lui, Pothier et les auteurs modernes, appellent la première indivisibilité: naturâ aut contractu, "par la nature ou par le contrat," la seconde: obligatione, “par l'obligation," la troisième: quoad solutionem ou solutione tantum, "quant au payement.” Ces expressions, sauf la première: natura, n'ont aucun sens précis par elles-mêmes; on aurait dû remplacer la seconde par contractu qui répondrait mieux à l'idée d'intention des parties que celle de obligatione; quant à la troisième, il eût été facile de la remplacer par une autre, indiquant clairement que l'indivisibilité n'a lieu que du côté des débiteurs: quoad debitores (voir, ci-après, no 432).
(d) Plusieurs auteurs, en effet, ont cru faire disparaître les difficultés qui naissent de l'article 1221, en insistant sur ce que les obligations prévues par cet article sont divisibles, en principe, et que c'est seulement par exception que la division n'a pas lieu. Mais, si la division n'a pas lieu, comment peut-on dire que l'obligation est divisible? Il faut vrai. ment, une grande complaisance pour ne pas appeler “indivisibilité" des cas où l'exécution intégrale est obligatoire: tous les “cas d'exception à la divisibilité" sont justement ceux où l'obligation est indivisible.
(e) On dit alors que les co-propriétaires sont dans l'indivision (comp. art. 38), espression qui, bien que consacrée, n'est pas exacte, car les droits sont déjà divisés intellectuellement ou juridiquement; on veut dire qu'il n'y a pas encore division matérielle.
(f) La division intellectuelle (du latin intelligere, “comprendre") est, justement, celle qui se comprend, sans se voir, sans tomber sous les sens externes, comme la division inatérielle.
(g) Le Projet donne le caractère d'indivisibilité légale à l'action résolutoire, dans un cas particulier (art. 508, 2° al.).
Art. 464. — 440.
Cet article prévoit un dinier cas d'indivisibilité passive seulement, qui, par conséquent, n'a d'autre cause que l'intention des parties, avec cette différence qu'il faudra une stipulation formelle pour l'établir. Ce n'est pas, toutefois, à raison de cette particularité que la loi lui consacre un article spécial, c'est parce que l'indivisibilité ainsi stipulée devient une sûreté personnelle dont les développements sont renvoyés au Livre IV, où elle prendra place à côté de la solidarité entre les débiteurs.
On se borne ici à indiquer sommairement le principal avantage qu'il y a pour le créancier qui a déjà en sa faveur le lien de la solidarité entre les débiteurs, à y ajouter celui de l'indivisibilité.
Dans les deux cas, le créancier peut poursuivre chaque débiteur originaire pour le tout: l'indivisibilité n'ajouterait rien, sous ce rapport, à la solidarité; mais s'il survient un décès du côté des débiteurs, la dette commence à se diviser (voy. ci-dess., art. 461, 2° al. et c. civ. fr., art. 1219): en stipulant l'indivisibilité, le créancier pare à cet inconvénient. Du reste, il ne perd pas les avantages propres que lui donnait la solidarité: par exemple, la garantie intégrale par tous des fautes de chacun des débiteurs, avantage que ne lui donne pas l'indivisibilité naturelle, comme on va le voir à l'article 469; en effet, le créancier n'a pas substitué l'indivisibilité à la solidarité, il l'y a réunie, de façon à avoir les bénéfices de chacune des modalités de l'obligation.
Art. 465. — 441. La loi arrive à des effets secondaires de l'indivisibilité; mais ils sont encore fort importants. Quand elle de distinguera pas entre l'indivisibilité active et passive ou seulement passive, ces effets pourront être considérés comme communs aux deux cas.
Lorsque la loi reconnaît à chaque créancier un droit intégral de poursuite, ce n'est que dans ses rapports avec les débiteurs; mais il va sans dire que la cause qui a fait naître la créance au profit de plusieurs fait supposer entre eux des rapports particuliers qui donneront lieu à un compte à régler: ce sont ou des copropriétaires, ou des associés, ou des cohéritiers, ou des époux; leurs droits sur le profit de la créance se règleront donc d'après leurs rapports respectifs anté. rieurs, ou nés au moment même de la convention, par un mandat mutuel. Il en est de même pour les co-débiteurs qui ne se trouvent engagés simultanément dans la même obligation que par suite de rapports antérieurs ou, tout au moins, distincts de ceux de l'obligation indivisible, s'ils y sont concomitants.
S'il n'y a pas lieu à une action fondée sur des rapports de droit antérieurs, les recours des créanciers ou des débiteurs les uns contre les autres, pour partager, également ou inégalement, le profit ou la charge de l'obligation, se font valoir par une action en garantie (voy. art. 418): dans cette action, le créancier qui a seul reçu le montant de l'obligation sera défendeur visà-vis des autres, et, s'il s'agit d'un débiteur qui a payé toute la dette, celui-ci sera demandeur contre les autres.
Art. 466. — 442. Bien que, dans l'obligation indivisible, le droit existe entier en la personne de chaque créancier, il ne s'en suit pas que chacun puisse disposer du droit comme s'il était seul intéressé: la loi ne pouvait le permettre, même à charge du recours en garantie prévu à l'article précédent, et cela, par deux raisons: d'abord, ce recours pourrait être rendu inefficace par l'effet de l'insolvabilité de celui qui y est soumis; ensuite, lors même qu'il serait utile, il ne conduirait qu'à des dommages-intérêts en argent, divisés et ne constituant qu'un équivalent imparfait du droit perdu.
Mais il y a un mode d'extinction de l'obligation par un des créanciers que la loi ne pouvait exclure, c'est celui auquel peuvent tendre légitimement les efforts de chacun, à savoir l'exécution réelle de l'obligation sui. vant sa teneur, ou le payement. La loi le réserve expressémeut. D'ailleurs, dans le cas de payement in. tégral fait à un seul des créanciers, les deux dangers signalés plus haut n'existent qu'à un moindre degré: on bien une chose aura été transférée et la propriété en sera devenue commune aux divers créanciers, ou bien un fait aura été accompli relativement à une affaire commune et tous en auront profité; ce n'est guère qu'au cas de payement d'argent ou de denrées que serait à craindre le danger d'insolvabilité du créancier qui a reçu le payement; mais encore, dans ce cas, les autres créanciers peuvent prendre des mesures, pour que le payement ne se fasse qu'en présence et aux mains de tout réunis.
Dans tous les cas, pour que l'un des créanciers puisse recevoir seul le payement, il faut qu'il le reçoive tel qu'il est dû, “tel qu'il a été stipulé:" il ne pourrait recevoir une chose pour une autre (aliud pro alio), ce qu'on appelle “dation en payement” (voy. art. 482), et cela, lors même qu'il recevrait plus qu'il n'est dû. A plus forte raison, lui est-il défendu de faire une remise gratuite de la dette, ou une novation qui en changerait un des éléments.
La loi suppose cependant que l'un de ces actes a été fait et elle lui donne tout l'effet qu'il peut avoir sans compromettre le droit des autres créanciers: leur droit sera exercé, en entier, contre le débiteur unique ou contre celui des co-débiteurs qu'ils voudront choisir, comme s'il n'y avait pas eu remise de dette, novation ou compensation, mais ils tiendront compte à celui-ci d'une valeur en argent égale à la part de profit qu'ils auraient eue à communiquer à leur co-créancier, s'il n'avait pas fait remise ou novation. De cette manière, la conven. tion libératoire conservera son effet sans nuire aux autres créanciers. Comme cette matière comporte des distinctions très-délicates, au sujet de la novation, de la remise de dette et de la compensation, la loi fait un renvoi très-précis aux dispositions spéciales qui concernent l'indivisibilité entre créanciers (art. 523, 4° al., 537, 2° al. et 543, 4° et 5° al.).
De ces diverses bypothèses le Code français (art. 1224) et le Code italien (art. 1207) n'ont prévu que la remise de la dette et la dation en payement pour lesquelles ils ont donné les mêmes solutions que le Projet.
443. Ni ces Codes, ni le Projet, ne prévoient le cas où l'exécution de l'obligation indivisible deviendrait impossible par la faute d'un des créanciers; ici, les principes généraux suffisent à indiquer la solution: tous les débiteurs sont libérés envers tous les créanciers, car cette perte est, pour enx, un cas fortuit ou une force majeure; mais le créancier fautif est tenu envers chacun des autres de les indemniser de leur part dans le profit de l'ancienne créance et cette indemnité est divisible.
Art. 467. — 444. En sens inverse des dispositions qui précèdent, les créanciers, qui n'ont pas le pouvoir de se nuire respectivement, peuvent se rendre de bons offices au sujet de la créance commune; ce n'est pas qu'il y ait mandat réciproque, comme dans la solidarité entre créanciers; il n'y a même pas lieu de faire intervenir l'idée d'une gestion d'affaires, car les co-créanciers peuvent ne pas se connaître tous, lorsqu'ils sont devenus tels par succession. Si les actes conservatoires faits par l'un des créanciers sont covsidérés comme profitant aux autres, à cause de la nature de la dette qui ne permet pas qu'elle soit conservée pour une part et perdue pour les autres, l'équité ne permettrait pas davantage qu'elle fût conservée pour le tout au profit d'un seul créancier et perdue pour les autres.
La loi a spécialement mentionné la mise en demeure du débiteur parmi les actes conservatoires qui, faits par un créancier, profitent aux autres. On sait que la mise en demeure produit plusieurs effets importants: elle rend le débiteur responsable de la perte, même fortuite, qui n'aurait pas eu lieu s'il avait exécuté l'obligation (art. 355 et 356), elle le soumet aux dommages-intérêts à raison du retard (art. 404), enfin, elle interrompt la prescription.
Le Code français et le Code italien ont négligé de se prononcer sur les effets généraux de la mise en demeure provenant d'un seul des créanciers ou exercée contre un seul des débiteurs, dans le cas de l'obligation indivisible; ce qu'ils ont fait, au contraire, pour l'obligation solidaire. Mais ils ont réglé ce qui concerne l'interruption et la suspension de la prescription, dans un cas de droit indivisible: ainsi, la prescription interrompue par l'un des titulaires d'une servitude, est interrompue au profit des autres; de même, la suspension existant au profit de l'un d'eux, à cause de sa minorité, profite aux autres titulaires majeurs (c. civ. fr., art. 709 et 710; c. civ. it., art. 671 et 672). Ces solutions sont données, il est vrai, au sujet des servitudes, mais on ne doit pas hésiter à les appliquer à tout autre droit indivisible. En ce qui concerne l'interruption faite contre l'un des débiteurs ou contre l'un de leurs héritiers, la loi la déclare également opposable aux autres (c. fr., art. 2249 2° al. in fine, et c. it., art. 2130).
Le motif pour lequel les effets de l'interruption et de la suspension de la prescription ont autant et plus encore d'étendue dans l'indivisibilité que dans la solidarité, quoiqu'il n'y ait pas de mandat réciproque, c'est, d'une part, l'impossibilité d'admettre une suspension ou une interruption limitée qui tendrait à une extinction partielle de la dette; d'autre part, l'impossibilité de refuser tout effet à l'interruption due à la vigilance d'an créancier ou à la suspension protectrice de sa minorité.
Le Projet japonais a suivi ici les précédents des Codes étrangers; cependant, on alléguera peut-être qu'il lui eût été possible de s'en écarter sans manquer à la logique et à l'équité, qu'on aurait pu, tout en maintenant le droit intégral du créancier diligent ou mineur, faire profiter le débiteur de la négligence des antres créanciers, en employant le procédé établi par l'article précédent pour la remise de la dette faite par un des créanciers. Mais, l'analogie n'est pas aussi complète qu'elle le paraît: la prescription est, comme on l'a déjà annoncé (T. Ie", pp. 4, 67, 106 et 333) et comme on le démontrera plus amplement, en son lieu, une présomption légale de payement; or, de même que le débiteur ne peut pas avoir effectivement payé sa dette à l'un des créanciers sans être libéré envers les autres, ainsi, il ne peut invoquer la présomption de payement contre les uns sans l'invoquer en même temps contre les autres; d'un autre côté, il ne peut invoquer la présomption de payement contre celui qui a fait des actes interruptifs ou qui jouit de la suspension de prescription, il ne pourra donc l'invoquer contre aucun. C'est ce que décide le Projet.
Art. 468 et 469.— 445. Ces deux articles forment la contre-partie des deux précédents: les co-débiteurs, dont les uns peuvent quelquefois profiter des actes des autres (voy. art. 528, 3° al.), ne peuvent, pas plus que les co-créanciers, se nuire les uns aux autres.
En ce qui concerne la mise en demeure, il semble qu'il y ait contradiction entre la disposition précédente qui permet aux créanciers de se prévaloir de celle faite par un d'entre eux et la présente règle qui ne permet pas d'opposer à tous les débiteurs celle faite contre un seul. Mais la contradiction disparaît, si l'on suppose, dans le premier cas, qu'il n'y a qu'un seul débiteur et plusieurs créanciers et, dans le second cas, qu'un seul créancier et plusieurs débiteurs: le débiteur unique averti par un seul des co-créanciers, est censé avoir été averti par tous: il lui importe peu de payer à l'un plutôt qu'aux autres; au contraire, celui des co-débiteurs qui n'a pas été mis en demeure n'est pas averti par la mise en demeure des autres, car il peut l'ignorer.
Il en est autrement de l'interruption de prescription, effet principal de la mise en demeure: elle ne peut avoir lieu contre l'un des co-débiteurs sans avoir lieu en même temps contre les autres; autrement, les uns invoqueraient une présomption de payement, quand les autres resteraient débiteurs, ce qui est inconciliable avec la nature de l'obligation indivisible et avec l'effet du payement; d'un autre côté, le créancier qui a poursuivi l'un des débiteurs ne peut se voir opposer la prescription par celui-ci: la solution est donc identique à la précédente et par identité de motifs.
La loi ne dit rien ici de la suspension de prescription contre tous les débiteurs, par l'effet de la minorité du créancier unique: il est clair que celui-ci a contre tous ses débiteurs le bénéfice de l'âge.
446. L'article 469 applique aux débiteurs le prin. cipe que les fautes sont personnelles, en l'absence de mandat fondant une responsabilité collective, comme cela a lieu dans l'obligation solidaire. Si donc l'un des débiteurs a, par sa faute, empêché l'exécution normale de la dette, il est seul tenu des dommages-intérêts ou de la clause pénale. La loi n'a pas eu besoin de mettre sur la même ligne que la faute directe, le retard apporté à l'exécution ou même la perte fortuite, postérieurs à la mise en demeure: il résultait déjà suffisamment de l'article précédent que les débiteurs qui n'a vaient pas été individuellement mis en demeure n'en devaient pas souffrir.
En ce qui concerne la clause pénale, le Projet s'est écarté ici des deux Codes français et italien qui tous deux mettent la clause pénale à la charge de tous les débiteurs pour la faute d'un seul, bien qu'ils n'y mettent pas les dommages-intérêts ordinaires (c. civ. fr., art. 1232 et 1233, 2° al. et c. civ. ital., art. 1215 et 1216, 2° al.). Cette différence entre la clause pénale et les dommages-intérêts laissés à la fixation des tribunaux est difficile à justifier et ne devait pas être imitée; c'est en vain qu'on prétendrait voir dans la clause pénale une obligation alternative et conditionnelle qui prendrait la place de l'obligation indivisible, lorsque celleci ne pourrait être exécutée: la clause pénale n'est tou. jours que l'estimation anticipée des dommages-intérêts et ne doit être due que par celui des débiteurs qui est en faute.
Par le même motif, le Projet n'a pas eu à distinguer, comme les Codes précités, si la clause pénale avait été ajoutée à l'obligation principale pour en assurer l'exécution intégrale: il n'était pas possible de dopper, dans ce cas, plus d'efficacité à la clause pénale que dans le cas où l'indivisibilité résultait de la nature propre de l'obligation.
Art. 470. — 447. Déjà dans l'article 463, 1er al., on a vu le débiteur actionné par l'un de plusieurs créan. ciers demander que tous les créanciers interviennent, pour qu'il puisse être libéré à leur égard; ici, c'est l'un de plusieurs débiteurs qui demande à n'être pas poursuivi seul et qui requiert que la condamnation soit prononcée simultanément contre tous, ce qui pourra induire le créancier à faire exécuter contre les autres autant que contre lui; en même temps, ce débiteur obtiendra contre les autres une condamnation subsidiaire à la garantie qui lui sera due s'il paye pour tous (comp. c. civ. fr., art. 1225 et c. civ. it., art., 1208).
Entre ces deux dispositions il y a, d'ailleurs, une différence qu'il ne faut pas négliger: dans l'article 463, c'est le créancier poursuivant qui doit, sur la réquisition du débiteur, prendre soin d'appeler en cause ses co-créanciers: dans le présent article 470, c'est le débiteur poursuivi qui doit appeler en cause ses co-débi. teurs: la raison en est que le débiteur peut ne pas connaître tous ses créanciers, tandis qu'il doit connaître tous ses co-débiteurs.
Notons, enfin, que la faculté accordée au débiteur par notre article 470 ne s'appliqne qu'aux cas d'indi. visibilité active et passive, de là, le renvoi à l'article 462; dans les cas de l'indivisibilité passive seulement, prévus par l'article 463, le débiteur poursuivi est trop étroitement tenu de l'exécution intégrale pour pouvoir retarder et modifier la poursuite.
Les Codes français et italien ont négligé cette distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 471. — 448. Chacun de ces modes d'extinction devant faire l'objet d'une Section particulière, il n'y a pas lieu d'en indiquer ici, même sommairement, la caractère distinctif. On fera seulement remarquer qu'au lieu de nommer la 6° cause d'extinction “perte de la chose due," comme font les autres Codes, le Projet prend une formule plus générale, “l'impossibilité d'exécuter:" elle a l'avantage de s'appliquer aux obligations de faire et de ne pas faire, en même temps qu'à celle de donner; en outre, elle comprend des cas où il n'y a pas perte proprement dite de la chose due et où cependant le débiteur est libéré: par exemple, si la chose est retirée du commerce.
449. Indépendamment des causes d'extinction ici énumérées, on pourrait citer, pour quelques cas particuliers, la volonté de l'une des parties et sa mort; mais ces deux causes d'extinction des obligations n'ont pas la généralité d'application qui seule forme l'objet de cette II° Partie, consacrée aux Obligations en général. En effet, ce ne sont que certains contrats particuliers qui prennent fin par la volonté d'une des parties ou par sa mort; par exemple, la société, le mandat, le dépôt, le prêt à usage; ce sont des contrats formés surtout en considération des personnes et dans lesquels le but poursuivi ne pourrait être utilement atteint sans un accord persistant des volontés ou avec un changement de personnes par décès (voy. p. 128).
On cite aussi quelquefois l'échéance du terme comme cause d'extinction de l'obligation. Ordinairement, l'échéance du terme, au lieu de mettre fin au droit du créancier, lui donne, au contraire, tout son effet, en le rendant exigible; mais, si la convention porte qu'il sera fait au créancier un certain nombre de prestations annuelles, on dit alors, quand le nombre des années est écoulé, que le terme est extinctif. Il en est de même pour les prestations qui doivent être continuées seulement pendant la vie du créancier: sa mort, quoique incertaine dans son arrivée, est alors un terme extinctif.
Il n'y aurait pas grand inconvénient à ajouter cette cause d'extinction à celles qui précèdent; mais on pent dire aussi qu'elle n'a pent-être pas un caractère de généralité suffisant pour l'énoncer ici; on peut dire même qu'elle rentre dans le cas du payement, car la dette, ayant été acquittée pendant le temps convenu, se trouve payée, et si les prestations dues n'avaient pas été effectuées, certes, le temps échu n'en libérerait pas le débiteur.
450. Il n'est peut-être pas sans intérêt de rappro cher ici les causes d'extinction des droits réels (a) de celles d'extinction des droit personnels ou des Obligations. Il y a, du reste, à peu près autant de différences que de ressemblances.
Sont communs aux deux sortes de droits, comme modes d'extinction: la remise ou renonciation, la perte de la chose objet du droit, la confusion ou consolidation, la rescision, la résolution, la révocation de la convention d'où provient le droit, le non-usage et la prescription; mais encore ces moyens d'extinction comportent des nuances dans leur application aux deux sortes de droits.
Restent propres aux obligations ou aux droits personnels: le payement, la novation, la compensation. Restent, de même, propres aux droits réels: l'accession ou incorporation, la confiscation, l'expropriation pour cause d'utilité publique; en outre, l'expiration du terme met fin aux droits réels qui ne sont pas perpétuels de leur nature, comme l'usufruit et le bail, et la mort du titulaire met fin à ceux qui sont concédés en faveur de la personne, comme l'usufruit, l'usage et l'habitation.
Il faut noter, enfin, que la loi, considérant toujours l'obligation d'une personne envers une autre comme une situation anormale, exceptionnelle (voy. pp. 100 et 243), est favorable à son extinction qui rétablit l'indépendance respective des personnes; au contraire, la loi n'a pas la même raison de favoriser l'extinction des droits réels, surtout du droit de propriété; tout au plus, favoriserait-elle l'extinction de l'usufruit et des servitudes foncières qui ont aussi quelque chose d'anormal; mais encore, il y a cette différence essentielle que l'obligation est toujours destinée à une extinction plus ou moins prompte: il n'y en a aucune qui soit absolument perpétuelle; car la rente même, qui seule peut être stipulée perpétuelle, est essentiellement rachetable (voy. c. civ. fr., art. 530 et 1911).
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(a) Voir: pour l'extinction de la propriété, l'article 44; de l'usufruit, l'article 102; du bail, l'article 157; de la possession, l'article 226; des servitudes foncières, l'article 307.
COMMENTAIRE.
Art. 472. — 451. Cet article a surtout pour but d'annoncer les divisions qui vont suivre.
Le payement simple opère une libération plus complète que le payement avec subrogation: on verra bientôt que le payement avec subrogation est fait par un tiers ou par l'un de plusieurs débiteurs et que celui qui a payé peut recourir coutre celui qui a été libéré, en exerçant les actions qui appartenaient au créancier, ce qui permet de dire que l'obligation n'est pas entièreinent éteinte. Le payement simple est donc celui qui n'est pas accompagné d'une pareille subrogation.
La plupart des règles du payement simple s'appliquent aussi au payement avec subrogation, c'est pourquoi les Codes français et italien en traitent sous l'intitulé " du payement en général."
On procédera ici un peu différemment et c'est à l'occasion du payement simple que l'on verra successivement: 1° Qui peut payer (art. 473 à 476); 2° A qui le payement peut être fait (art. 477 à 480); 3° Quelle chose doit être payée (art. 481 à 488); 4° Où le payement doit être fait (art. 489); 5° Qui supporte les frais du payement (ibid.); 6° Quand le payement doit être fait (art. 490).
Le 2° alinéa de notre article 472 se borne à annoncer quand il y a lieu à imputation du payement; on y reviendra au 2o.
Le 3° alinéa prévoit le cas où le payement n'est pas volontairement reçu par le créancier: la loi pourvoit alors à la protectiou du débiteur qui doit pouvoir se libérer, afin de faire cesser le cours des intérêts et de se décharger des risques de la chose dne.
452. Quant à la cession de biens ou abandon à faire par le débiteur à ses créanciers (visée par le 49 alinéa), le Code français ne la présente que comme un moyen d'affranchir de la contrainte par corps le débiteur “malheureux et de bonne foi” (art. 1265 à 1270); or, la contrainte par corps ayant été abolie en 1867, en matières civile et commerciale, on peut considérer ces articles comme devenus à peu près sans application (a).
Le Code italien, qui n'admet pas non plus la contrainte par corps, a supprimé ce qui concerne la cession de biens.
Au Japon, la contrainte par corps n'existe pas davantage; on pourrait donc douter qu'il y ait lieu de faire une place à la cession de biens. Mais, quand on considère que, depuis 1856, on a admis, en France, pour les commerçants faillis, des "concordats par abandon d'actif” (voy.c. comm. art. 541) et que ces concordats ont donné des résultats satisfaisants, en simplifiant la liquidation des faillites et en en diminuant les frais et les lenteurs, il y a lieu, non seulement de les admettre, au Japon, pour les commerçants faillis, mais même de les étendre aux débiteurs non commerçants devenus insolvables. De là le renvoi au Code de procédure civile,
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(a) La contrainte par corps reste cependant applicable aux amendes, dommages-intérêts et frais dûs par suite de condamnations en matière de crimes, délits et contraventions; mais il sera rare qu'elle puisse prendre fin par la cession de biens, parce que le débiteur, qui pourra bien souvent être "malheureux," sera rarement "de bonne foi.” On peut cependant trouver la bonne foi dans le cas de simples contraventions et, plus aisé. ment encore, chez l'héritier du condamné. Dans ces cas, on pourrait admettre la cession de biens.
COMMENTAIRE.
Art. 473. — 453. —I. Cet article et les trois suivants sont consacrés à la première des questions annoncées: “Qui peut payer ?”
Le présent article dit, en quelque sorte, que toute personne peut payer: d'abord, le débiteur unique, ou l'un des co-débiteurs, en remarquant qu'il n'y a de véritables co-débiteurs que dans la dette solidaire ou indivisible, car dans la dette simplement conjointe, il a autant de dettes distinctes que de débiteurs; puis, viennent ceux que le Code français appelle “tiers intéressés au payement" et que le Projet appelle “débiteurs subsidiaires,” parce qu'ils sont tenus, non pour eux, mais pour d'autres: ce sont les cautions et ceux qui, ayant acquis un immeuble, après que le propriétaire l'avait hypothéqué à sa dette, sont exposés à être expropriés par le créancier, s'ils ne préfèrent acquitter la dette; enfiv, peuvent payer, les tiers qui n'ont pas d'intérêt pécuniaire appréciable au payement et qui peuvent être mus par le désir de rendre un bon office, soit au débiteur, soit même au créancier, tout en conservant un recours pour le remboursement. Quelquefois cependant, en France, un tiers paye la dette d'anitrui, par l'entremise d'un notaire, sans connaître, ni le créancier, ni le débiteur, et uniquement pour employer ses capitaux, en se faisant subroger aux sûretés qu'avait le créancier; dans ces cas, on dit encore que le payement est fait par un tiers “non intéressé," parce qu'il n'a pas un intérêt né de l'obligation elle-même.
Lorsqu'un tiers non intéressé paye la dette d'autrui, il peut le faire au nom du débiteur ou en son propre nom; dans le premier cas, il est un véritable gérant d'affaires; il pourrait même être un mandataire; dans le second, il n'a pas cette qualité et la distinction a quelque inflnence sur l'étendue de son recours, comme on le verra ci-après, au sujet de l'article 475.
Art. 474. — 454. Cet article tranche une double question, à savoir, s'il faut le consentement du créancier et celui du débiteur pour le payement fait par un tiers.
D'abord, si le tiers est intéressé à payer, il est naturel que, ni le créancier, ni le débiteur principal, ne puissent s'opposer au payement, parce qu'un intérêt né d'une convention ou de rapports légaux est équivalent à un droit; mais même, si le tiers n'est pas intéressé, le pa.yement, en principe au moins, peut encore être imposé au créancier on effectué malgré le débiteur. Le motif en est, comme on l'a dit plus haut, que toute obligation est une situation anormale, une cause éven. tuelle de procès ou de désaccords, et la loi doit en favoriser l'extinction. Cependant, une exception est admise dans chaque cas.
Le consentement du créancier sera nécessaire, si l'obligation était de telle pature qu'il eût intérêt à ce que l'exécution fût faite par le débiteur lui-même: la loi suppose, à cet égard, qu'il s'agit d'une obligation "de faire,” parce que, pour celle de donner, on ne comprendrait guère que le créancier eût intérêt à ce que la dation fût faite par le débiteur lui-même, de préférence à un tiers; quant à l'obligation de ne pas faire, un tiers, intéressé ou non, ne sera jamais en situation de la remplir pour le débiteur lui-même: une abstention est de sa nature et nécessairement personnelle.
Le cousentement du débiteur sera nécessaire pour la validité du payement, si le créancier a, de son côté, manifesté sa résistance au payement: en pareil cas, l'intervention d'un tiers ne serait plus aucunement justifiable, elle serait même choquante. On remarquera seulement que cette opposition du débiteur au payement déjà refusé par le créancier n'est admise que si le tiers qui veut payer n'est pas intéressé. Au contraire, quand il s'agit du refus du créancier, permis par le premier alinéa de notre article, l'intérêt qu'aurait le tiers au payement ne l'autoriserait pas à le faire; ainsi une caution qui aurait garanti l'exécution d'une @uvre d'art ou d'un travail scientifique on littéraire ne serait pas admise à l'exécuter elle-inême malgré le créancier.
Art. 475. — 455. On verra au § suivant que le tiers intéressé qui a payé la dette d'autrui est subrogé “de plein droit ou par la loi” aux droits et aux sûretés du créancier, pour le remboursement de ce qu'il a payé en l'acquit du débiteur; le tiers non intéressé peut aussi être subrogé aux mêmes droits, mais seulement par convention avec le créancier ou avec le débiteur. A défaut de l'une ou de l'autre subrogation, le tiers non intéressé qui a payé n'en a pas moins un recours contre le débiteur; ce recours varie, suivant qu'il a payé an nom du débiteur, comme mandataire ou gérant d'af. faires, ou en son propre nom.
Supposons d'abord le payement fait par un mandataire général ou spécial du débiteur: on peut dire que le mandataire représentant le mandant, le payement n'est plus fait par un tiers, mais par le débiteur lui même. Toutefois, à côté de la fiction qui identifie le mandant et le mandataire, il y a la réalité: si le payement n'a pas été effectué avec les valeurs du mandant, mais avec celles du mandataire, il est nécessaire que celui-ci ait un recours: il aura l'action née du contrat de mandat; le montant en sera exactement ce qui aura été payé dans les termes et les limites du mandat, plus les intérêts des déboursés. Le mandataire pourrait d'ailleurs être subrogé aux droits du créancier, comme on l'expliquera sous le § 4.
Dans les deux autres cas, le profit ou avantage procuré au débiteur sera le fondement du recours; mais, dans le premier cas, celui de gestion d'affaires, ce profit s'appréciera an moment où le payement a eu lieu et, dans le second, au moment où est intentée l'action en remboursement (comp. pp. 255 et 260). Ainsi le tiers a payé 1000 yens pour le débiteur, à un moment où il y avait déjà matière à compensation pour 100 yens entre celui-ci et le créancier; plus tard, il est survenu entre eux une nouvelle cause de compensation pour 100 yens: celui qui a payé au nom du débiteur réclamera de lui 900 yens, montant du profit procuré au créancier au jour du payement; celui qui a payé en son propre nom sera traité comme celui qui aurait payé malgré le débiteur: il ne réclamera que 800 yens montant du profit actuel. Mais, comme il ne serait pas juste que le créancier tirât de ces circonstances un profit illégitime, il devra rendre au tiers les sommes pour lesquelles la compensation aurait pu lui être opposée par le débiteur: dans cette mesure, il a reçu ce qui ne lui était pas dûn et il est soumis à la répétition (art. 384)..
Art. 476. — 456. Le payement est, comme l'a défini incidemment l'article 472, “l'exécution de l'obligation, suivant sa forme et teneur.” Cette définition, d'après sa généralité même, s'applique à toutes les ob ligations: à celles de donner, de faire ou de ne pas faire. Le présent article contient une règle particulière pour l'obligation “de donner ou de transférer la propriété;" il en soumet le payement ou exécution à deux conditions de validité chez celui qui paye, à savoir: la qualité de propriétaire des choses données en payement et la capacité de les aliéner.
Il faut se souvenir ici que quand la convention a pour objet de transférer la propriété, son effet est très-différent, suivant que l'objet à transférer est individuellement déterminé, est un corps certain, ou n'est qu'une chose de quantité ou chose fongible: dans le premier cas, la propriété est transférée, immédiatement, par le seul effet de la convention, sans distinguer s'il s'agit d'un meuble ou d'un immeuble: il ne reste plus qu'à faire la tradition ou délivrance, au temps convenu; s'il s'agit, au contraire, de choses déterminées seulement au poids, au nombre ou à la mesure, de choses de quantité, la propriété ne pourra être transférée que par la tradition ou par quelque autre moyen de détermination des objets (voy. art. 351 et 352).
457. Dans le premier cas, il est clair que la double condition de propriété et de capacité chez celui qui aliène ne peut être exigée qu'au moment de la convention: le droit de propriété, surtout, ne peut plus exister chez le promettant au moment où il fait la délivrance, puisque l'aliénation a été consommée par le seul consentement. On a suffisamment expliqué ailleurs (voy. p. 73), comment la convention est radicalement nulle, faute de cause, si le promettant n'est pas propriétaire, et comment elle n'est qu'annulable s'il n'a pas la capacité d'aliéner (voy. art. 326). C'est seulement quand la propriété ne devra être transférée que par le payement (voy. art. 352) que le débiteur devra, à ce moment même, être propriétaire et capable d'aliéner.
Le présent article 476, évitant la trop grande généralité d'expression du Code français (art. 1238), a soin de se placer spécialement dans l'hypothèse d'un payement qui doit opérer dation ou “translation de propriété;" c'est ce qu'a fait aussi le Code italien (art. 1240). Si on prenait le Code français à la lettre, on arriverait à dire que le dépositaire, l'emprunteur à usage, le locataire, qui rendent la chose déposée, prêtée on louée, doivent en être propriétaires, ce qui est absolument impossible et ce que le Code français n'a certainement pas voulu dire.
458. Après avoir posé les deux conditions requises pour la validité du payement qni nous occupe, l'article 476 règle les conséquences de l'inaccomplissement de l'une ou de l'autre. Il ne s'occupe, du reste, que des rapports entre le créancier et le débiteur; quant aux droits du véritable propriétaire contre celui qui a reçu en payement la chose d'autrui et contre celui qui l'a payée, il n'en est pas question ici; les règles de la propriété sont connues et elles auront ici leur application naturelle: le propriétaire pourra revendiquer sa chose contre celui qui l'a reçue, tant que la prescription acqui. sitive ou usucapion ne lui sera pas opposable, sous les distinctions qui seront établies entre les meubles et les immeubles. Si la revendication est devenue impossible, soit par l'effet de l'usucapion, soit par l'effet de la perte fortuite de la chose ou de sa consommation de bonne foi, le propriétaire aura, le plus souvent, une action contre le débiteur qui a payé, soit en vertu d'un contrat qui avait constitué celui-ci détenteur et débiteur de cette chose, soit en vertu d'un délit par lequel il s'en serait indûment saisi, soit en vertu de l'enrichis. sement que ce payement lui aurait procuré à partir du moment où la libération se serait trouvée validée.
Pour ce qui est des rapports nés du payement irré gulier entre celui qui l'a fait et celui qui l'a reçu, la loi distingue le payement fait par un non-propriétaire et le payement fait par un propriétaire incapable d'aliéner.
Au premier cas, chaque partie peut demander la nullité du payement: cela ne peut faire difficulté du côté du créancier dont le droit n'est pas détruit par un payement qui n'a pas atteint son but.
Mais, on pourrait douter et quelques auteurs ont douté, en France, que le débiteur pût demander la nullité du payement. En effet, n'étant pas propriétaire, il ne peut revendiquer; si même, il avait la possession civile avant le payement, il ne peut la recouvrer par une action possessoire, parce qu'il l'a librement abandonnée ou cédée; il ne peut non plus exercer, à cet égard, une action née de la convention, car, lors même qu'elle serait synallagmatique, elle ne lui donnerait pas action pour revenir contre le payement qu'il a fait; enfin, on pourrait encore opposer an débiteur la maxime célèbre “qu'étant garant de l'éviction, il ne peut l'opérer lui-même" (voy. p. 220). Mais il a la répétition de l'indû; car c'est un des cas de payement indû que celui où le débiteur a payé une chose qui ne lui appartenait pas (voy. art. 386 et p. 266). Son intérêt à répéter est d'ailleurs facile à concevoir et il est légitime: c'est de prévenir l'action en dommages-intérêts du véritable propriétaire.
Au second cas, la nullité fondée sur l'incapacité d'aliéner n'est plus absolue, mais seulement relative: l'incapable seul, le débiteur, pourra donc arguer le payement de nullité (comp. art. 340).
Mais, par esprit d'équité, la loi ne permet pas que le débiteur, soit dans le cas où il a donné ce qui ne lui appartenait pas, soit dans celui où il n'était pas capable d'aliéner, réclame contre le payement irrégulier sans offrir immédiatement un payement valable. Il devra donc, au premier cas, offrir une chose qui lui appartienne et, au second cas, se faire dûment assister ou représenter dans un nouveau payement (par son tuteur, père ou mari, suivant la cause d'incapacité), ou attendre, pour faire un nouveau payement, que la cause d'incapacité ait cessé. Jusque-là, le créancier peut retenir la chose indûment payée (comp. p. 266).
Ce droit de rétention donné par la loi au créancier doit lever tous les doutes que ferait naître la maxime précitée (quem de evictione tenet actio eumdem agentem repellit exceptio); car, du moment qu'il ne sera évincé par son débiteur qu'en recevant un payement valable, il n'a aucun sujet de se plaindre.
459. Il arrivera souvent que le créancier, ignorant la nullité du payement, aura consommé la chose reçue ou l'aura aliénée; dans ces cas, la répétition cesse du côté du débiteur, parce qu'elle causerait au créancier un dommage considérable et disproportionné à sa faute. Bien entendu, le créancier lui-même, dans le cas où il aurait reçu la chose d'autrui, cesserait de pouvoir critiquer le payement, du moment qu'il en aurait tiré les avantages que lui aurait procurés un payement régulier (a). Mais si la chose avait péri par cas fortuit, cette circonstance qui enlèverait au débiteur l'action en répétition n'enlèverait pas au créancier son action en nullité.
Dans ce cas de payement indû, la loi n'ajoute pas, comme cause de refus de répétition, de la part du débiteur, la circonstance que le créancier, sur la foi du payement, aurait supprimé son titre de créance (voy. art. 385, 2° al.); c'est qu'en effet cette suppression ne causerait pas le même préjudice au créancier que lorsque le payement a été fait par un autre que le débiteur: dans le cas qui nous occupe, le seul fait par le débiteur de répéter la chose comme indûment payée, faute de lui appartenir, implique suffisamment une reconnaissance de sa dette; elle constitue pour le créan. cier un nouveau titre qui répare la suppression de l'ancien. Le seul cas qui pourrait faire doute est celui où le titre snpprimé aurait porté l'engagement d'une caution ou un gage mobilier; mais ces deux sûretés sont suffisamment compensées par le droit de rétention accordé ici au créancier.
Observons, en terminant, que les règles concernant le payement fait par un incapable ne s'appliquent pas au payement consistant à faire ou à ne pas faire quelque chose, ni au payement d'une obligation annulable ellemême pour incapacité; mais l'exception opère en sens inverse dans chaque cas. S'il y a eu exécution, par un incapable, d'une obligation de faire ou de ne pas faire, valablement contractée à l'origine, le payement ne sera pas nul: il est considéré comme un des actes d'administration que les incapables peuvent faire, en général; il serait d'ailleurs à peu près impossible d'annuler un fait ou une abstention consommés. En sens inverse, s'il y a eu exécution ou payement d'une obligation annulable pour incapacité, dès l'origine, non seulement le payement est annulable, mais la nullité n'est pas couverte par la consommation ou l'aliénation de la chose par le créancier de bonne foi: dans ce cas, on applique les règles de la nullité des obligations qui seront exposées à la Section VII.
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(a) Les Romains avaient, à cet égard, une expression assez heureuse: quand il y avait eu prêt ou payement de choses n'appartenant pas au prêteur ou au débiteur et que le créancier avait consommé ou utilisé les objets, ils disaient: reconciliatur mutuum, reconciliatur solutio, "le prêt, le payement est réconcilié” (est validé).
Art. 477. — 460. II. Cet article et les trois suivants sont consacrés à la seconde question annoncée: A qui le payement peut-il être fait ?
Il est naturel que ceux qui peuvent recevoir le payement soient moins nombreux que ceux qui peuvent le faire: le créancier ne peut être exposé à perdre son droit sans son consentement. En principe donc, le payement ne peut être valablement fait qu'à lui-même ou à son représentant. Le texte ne dit pas ici, comme les Codes français (art. 1239) et italien (art. 1241), que le représentant peut être conventionnel, légal ou judi. ciaire: cela va de soi et il n'y a pas de raison ici, plus qu'en toute autre matière, d'énoncer les diverses sortes de représentants. On sait d'ailleurs qu'un mandataire est un représentant conventionnel et le tuteur, le père ou le mari, des représentants légaux; quant aux représentants judiciaires ou délégués par la justice, on peut citer les administrateurs des biens des absents, des condamnés ou de ceux qui sont décédés sans héri. tiers connus, les séquestres de biens litigieux, les syndics de faillite.
Si ces personnes, après avoir reçu le payement, le dissipaient et n'en tenaient pas compte au créancier, le débiteur n'en serait pas moins libéré, car il aurait valablement payé; il n'y aurait de difficulté que si le mandat ou la qualité de représentant avait cessé avant le payement et que le débiteur leur eût fait le payement, dans l'ignorance de cette circonstance. Il faudrait, pour apprécier la validité ou la nullité du payement, rechercher de quel côté il y a faute ou, au moins, fante plus considérable. Ainsi, dans le cas d'un mandat ayant déjà cessé par l'expiration du temps pour lequel il avait été donné, la faute serait au débiteur, car, ayant dû se faire justifier du mandat, il a dû aussi en connaître la durée; il devrait donc payer de nouveau, sanf son recours contre le mandataire iufidèle; au contraire, dans le cas d'un mandat révoqué par la volonté du mandant, si celui-ci n'avait pas notifié la révocation au dé. biteur et si ce dernier n'en avait pas été autrement informé, la perte retomberait sur le créancier. Dans le cas d'une représentation légale qui aurait cessé par la majorité du créancier ou par la dissolution du mariage, le débiteur serait généralement en faute de n'avoir pas connu ces circonstances; de même, pour la cessation des pouvoirs d'un administrateur judiciaire; mais la question devrait surtout être décidée d'après les circonstances du fait.
461. Si le payement avait été fait à un tiers agissant comme gérant d'affaires, le débiteur ne serait pas libéré, en principe, parce que le gérant d'affaires n'a pas qualité pour diminuer les droits et avantages du maître, mais seulement pour les augmenter on les conserver. Mais, si le créancier ratifie plus tard ce payement, c'est comme s'il avait donné mandat à l'origine (b); si, enfin, sans ratification, il se trouve avoir profité du payement fait sans son autorisation, il cesse d'être recevable à demander un nouveau payement, au moins dans la mesure du profit qu'il a tiré. Par exemple, le débiteur a payé à un créancier de son créancier, même sans que celui-ci eût procédé par voie de saisie-arrêt, comme il sera dit sous l'article 480; si la dette du créancier qui n'avait pas donné mandat de payer pour lui n'était susceptible, ni de contestation, ni de réduction, il sera considéré comme ayant profité du payement.
Dans ce dernier cas, il pourra se présenter des questions de preuves: Y avait-il mandat à l'origine? A défaut de mandat, y a-t-il eu ratification ? Y a-t-il eu, au moins, profit pour le créancier ? Sur tous ces points, la preuve incombera au débiteur, car il est demandeur en validité du payement qu'il a fait; c'est donc à lui de prouver que les conditions en sont remplies.
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(b) Il y a, à cet égard, un axiôme latin bien connu et fort exact: ratificatio mandato æquiparatur: "la ratification équivaut au mandat.”
Art. 478. — 462. Le cas prévu par cet article est assez délicat. Il est emprunté au Code civil français (art. 1240) reproduit textuellement par le Code italien (art. 1242). La difficulté est de savoir ce qu'il faut entendre par le “possesseur d'une créance:"assurément, ce n'est pas le véritable créancier; ce n'est pas non plus le détenteur du titre servant de preuve à la créance, sauf dans le cas de titre au porteur(v.ci-après).
Déjà, lorsqu'on a traité de la possession, on a dit qu'elle s'appliquait non seulement aux choses corporelles, mais aussi aux choses incorporelles, aux droits, et, notamment, aux créances (voy. T. Io, art. 193 et p. 338-339). Le possesseur d'une créance est celui qui, sans être le véritable créancier, se comporte comme tel et paraît avoir cette qualité aux yeux des tiers; par exemple, en touchant les intérêts annuels, en faisant des poursuites, en accordant des délais.
Quand il s'agit d'une chose corporelle, il suffit, pour en avoir la possession civile, de la détenir physiquement, de l'avoir à sa disposition “avec l'intention de l'avoir à soi” (art. 193); cette intention est d'ailleurs présumée (art. 198); il n'est pas nécessaire de détenir la chose en vertu d'un titre ou acte juridique destiné à la transférer. En matière de créance, la détention du titre instrumentaire (c) ne saurait avoir le même effet; d'abord, il arrive très-fréquemment qu'on est détenteur d'un titre, par suite d'un mandat ou d'un dépôt: cette détention ne pourrait donc être présumée, au même degré, fondée sur un droit propre au détenteur; ensuite, elle ne se révèle pas par des faits extérieurs qui lui donnent une publicité suffisante pour fortifier la présomption de droit (comp. art. 196); enfin et surtout, le titre même, portant le nom du véritable créancier, contredit la prétention du simple détenteur. Pour que la détention du titre fasse présumer le droit de créance, il faut ou qu'il s'agisse d'un titre au porteur, cas où le droit est attaché au titre même et non à une personne dénommée (voy. art. 366), ou, s'il s'agit d'un titre nominatif, que le possesseur ait fait, en son propre nom, des actes plus ou moins répétés de la nature de ceux qui appartiennent aux créanciers, fussent-ils de simples actes conservatoires.
Dans ces conditions, le payement fait de bonne foi par le débiteur est valable, c'est-à-dire le libère envers le véritable créancier qui n'est pas lui-même exempt de négligence; c'est ce dernier qui aura recours contre le possesseur, pour la restitution des valeurs payées, avec le risque de son insolvabilité.
463. Le Projet, à cause de la difficulté de cette matière, a cru devoir donner des exemples de possesseurs de créance auxquels le payement pourra ainsi être fait valablement. Il en donne trois qui sont peutêtre les seuls que la jurisprudence et la doctrine françaises aient admis; mais la loi n'est pas limitative.
Le premier cas est celui de “l'héritier apparent," expression consacrée pour indiquer celui qui passe, aux yeux des tiers, pour l'héritier légitime d'un défunt; la loi lui assimile tout autre successeur universel, tel qu'un donataire ou un légataire, quoique le cas doive se présenter plus rarement au Japon. Il peut arriver que cet héritier soit primé par un parent plus proche dont l'existence était ignorée, que la donation ou le testament soit nul ou révoqué; mais l'erreur commune commande de protéger le débiteur qui a payé de bonne foi (d).
Le deuxième cas est celui d'une cession de créance nominative, faite en bonne et due forme et notifiée au débiteur-cédé par le cessionnaire (voy. art. 367), mais qui n'a pas opéré un véritable transport, par le défaut de droit et de qualité chez le cédant. Dans ce cas, le cessionnaire a peut-être été imprudent, en ne se faisant pas justifier exactement les droits du cédant; peutêtre a-t-il été victime d'un faux qu'une plus grande vigilance aurait pu lui faire découvrir; mais ce n'est pas le cessionnaire que la loi protège, c'est le cédé qui, recevant notification de la cession, n'a pas eu à en vérifier la validité(e).
S'il s'agit d'un"effet de commerce" (lettre de change, billet à ordre, chèque) nominatif toujours, mais cessible par simple endossement (f), la solution sera identique, lors même que l'endossement aurait été signé par un faussaire: le payement fait au cessionnaire apparent libérera le débiteur, pourvu qu'il n'ait pas été fait avant l'échéance (roy.c. comm. fr., art. 144 et 145).
Le troisième cas est celui d'un titre au porteur cessible par la simple tradition; pour que la cession soit valable, il faut, il est vrai, que la tradition du titre soit faite par le véritable créancier; mais la facilité de fraude ou d'erreur est encore ici plus considérable que dans les titres nominatifs, et le payement fait au porteur du titre doit libérer le débiteur, comme dans les cas précédents.
464. On remarquera que la loi n'exige pas, pour la validité du payement, qu'il ait été reçu de bonne foi par le possesseur de la créance; mais elle exige la bonne foi chez le débiteur, c'est-à-dire qu'il croge payer au véritable créancier.
La loi devait-elle encore subordonner la validité du payement à la condition qu'il ne fût pas fait avant l'échéance? Cette condition qui ne se trouve pas dans les Codes français et italien, pour les créances civiles, est exigée pour certaines créances commerciales (c.com., fr., art. 144 et 446). En faveur de l'extension de cette disposition au cas qui nous occupe, on pourrait dire que si le débiteur n'a pas attendu l'échéance pour payer, il a diminué les chances qui restaient an véritable créancier de se faire connaître en temps utile, d'évincer le possesseur et de se faire payer lui-même (g). Mais il faut reconnaître que la loi n'atteindrait pas son but si elle n'admettait pas la validité du payement fait avant l'échéance: du moment que le débiteur est de bonne foi, la loi ne peut exiger qu'il attende l'échéance, ce serait admettre qu'il a eu des soupçons sur le droit du possesseur; d'ailleurs, de deux choses l'une: ou le terme a été établi dans l'intérêt du débiteur (ce qui est le cas ordinaire) et il peut toujours y renoncer (art. 424): la dette devient alors échue par sa volonté et il n'a pas payé avant l'échéance du terme; ou bien le terme est établi daus l'intérêt du créancier et celuici (ou du moins, le créancier apparent, le possesseur de la créance), en demandant le payement ou même en le recevant, a renoncé au bénéfice du terme et la dette se trouve encore n'avoir pas été payée avant l'échéance.
Il n'y a donc pas lieu de demander plus que la bonne foi du débiteur au moment du payement. S'il en est autrement pour les dettes commerciales, spécialement pour les lettres de change et billets à ordre, c'est que ces titres, négociables par endossement et souvent rédigés en double ou triple original, font presque l'office de monnaie; dès lors, le débiteur s'il est prudent, doit toujours songer qu'il peut y avoir eu perte d'un des doubles déjà endossé et que le porteur légitime peut se présenter au dernier jour.
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(c) Le mot titre ayant, comme on le voit ici, deux sens, en français: “ fondement d'un droit et preuve d'un droit," on ajoute souvent au denxième emploi, pour éviter l'équivoque, la qualification d'instrumentaire, du latin: instrumentum, “instrument, preuve.” Voy. aussi, note, ciaprès.
(d) On peut appliquer ici un axiôme célèbre: “l'erreur commune fait le droit:" error communis facit jus.
(e) L'article 367 précité met sur la inême ligne que la signification au cédé l'acceptation faite par celui-ci de la cession. Peut-être, dans ce cas, est-il lui-même en faute de n'avoir pas reconnu et signalé l'illégalité de la cession; mais il ne serait vraiment en faute que s'il assistait à la cession même; or, il peut accepter une cession faite en dehors de sa présence.
(f) L'endossement est, comme le mot l'indique, la cession mentionnée au dos du titre: il porte le nom du cessionnaire, la cause de la cession, la date et la signature du cédant dit "endosseur.”
(g) La 1ro édition du Projet donnait cette solution et par le motif cidessus présenté. Mais un plus mûr examen l'a fait abandonner par les raisons données ci-après: elles sont de nature à dissiper tous les doutos.
Art. 479. — 465. Il est plus fréquent de rencontrer chez le débiteur la capacité de payer que chez le créancier la capacité de recevoir le payement: le mineur émancipé, la femme mariée, peuvent payer valablement leurs dettes, quand celles-ci n'ont pas pour objet des choses qu'ils sont incapables d'aliéner; au contraire, ils ne peuvent valablement recevoir des capitaux, surtout en argent, parce qu'il y a trop de faci. lité pour eux de les dissiper ou de les perdre. Ce n'est pas ici que la loi détermine qui est capable ou incapable de recevoir un payement; elle suppose seulement que le créancier était incapable, et elle lui permet de faire annuler le pagement, c'est-à-dire, en principe, d'en demander un nouveau, quand il sera devenu capable ou sera dûment représenté ou assisté. Mais l'équité la plus vulgaire ne permettrait pas que le créancier s'enrichît au détriment d'un débiteur imprudent: le payement sera donc maintenu, dans la mesure où il a profité au créancier.
Deux questions peuvent se présenter à ce sujet:
A quel moment devra-t-on apprécier le profit du créancier ?
Le débiteur ne peut-il prendre quelque mesure pour éviter de payer une seconde fois ?
Sur la première question, il est clair que l'on ne peut se placer au moment où le payement a été effectué; car, à ce moment, il y a toujours eu profit pour le créancier. Il ne faudrait pas non plus se placer, toujours et absolument, au moment où l'incapable demande la nullité du payement; car il a pu, avec les valeurs reçues, acquérir des objets mobiliers ou immobiliers qui, plus tard, ont péri par cas fortuit, et il ne serait pas juste que cette perte retombât sur le débiteur. On devra donc distinguer si l'incapable a acquis, soit des choses nécessaires ou utiles, soit des choses de par agrément: dans le premier cas, il y a eu profit, par le fait même de cette acquisition, et la perte ultérieure devra retomber sur le créancier; dans le second cas, si le profit n'existe plus ou a diminué au jour de la demande en nullité du payement, la perte retombera sur le débiteur.
La seconde question est déjà éclaircie par la solution de la première: il serait injuste que le débiteur restât indéfiniment dans l'incertitude et à la discrétion du créancier: il pourra donc, aussitôt qu'il reconnaîtra la nullité de son payement, alors que les valeurs payées sont encore aux mains de l'incapable et, à plus forte raison, dès qu'il y aura profit réalisé par quelque acquisition, lui demander soit de ratifier le payement, en se faisant autoriser ou représenter à cet effet, soit d'invoquer immédiatement la nullité du payement, en déduisant ce dont il a profité.
La loi n'a pas, dans le présent article, mis sur la même ligne, comme validant le payement, la ratification et le profit, ainsi qu'elle l'a fait dans le cas de l'article 477: il n'y avait pas à douter pourtant que la ratification fût possible; mais elle est soumise, pour les incapables, à des conditions qui ne seront exposées qu'à la Section VII° (art. 577 et s.).
Art. 480. — 466. La saisie-arrêt qu'on appelle aussi "saisie-opposition ou opposition," crée à la validité du payement un obstacle qui ressemble à une double incapacité: celle de payer, chez le débiteur, et celle de recevoir, chez le créancier. Avant de se prononcer sur son caractère exact, à ce point de vue, il faut d'abord se rendre compte des circonstances dans lesquelles elle intervient, de son but et de la manière dont la loi en assure les effets.
Lorsqu'un créancier a lui-même des créanciers, ceuxci peuvent craindre que leur débiteur, après avoir reçu ce qui lui est dû des mains de son propre débiteur, n'en détourne ou n'en dissipe le montant à leur préjudice; ils ont donc le droit de faire défense au débiteur de leur débiteur de “payer et vider ses mains” entre les siennes et de lui ordonner d'effectuer le payement entre les leurs. On pomme "saisissants ou opposants” les créanciers qui ont ainsi fait opposition au payement, “saisi” le débiteur qui ne peut plus recevoir ce qui lui est dû et "tiers-saisi” le débiteur du débiteur qui ne peut plus payer à son propre créancier ce qu'il lui doit.
La procédure, un peu compliquée, de la saisie-opposition devra se trouver dans le Code de procédure civile (comp. C. proc. civ. fr., art. 557 à 582). On suppose ici qu'elle a été faite régulièrement et que le débiteur, n'en tenant pas compte, a effectué le payement aux mains de son créancier; la conséquence naturelle est qu'il peut être contraint de payer de nouveau aux créanciers saisissants, et, comme il se trouvera avoir payé deux fois sa dette et que son créancier a profité du second payement autant que du premier, en se trouvant libéré de ses dettes, il n'est ni moins juste pi moins naturel que le débiteur ait une action en répétition contre son créancier, dans la mesure de ce qu'il a dû payer aux saisissants.
Il va sans dire que si les sommes dues aux saisissants, si les "causes de la saisie” sont supérieures à la somme due par le tiers-saisi, celui-ci n'en sera pas moins libéré en payant seulement ce qu'il doit. Observons encore que s'il y a plusieurs saisissants, la priorité de saisie, en date, ne donne aucune priorité de droit: la saisie n'a pas pour effet d'attribuer au saisissant les biens de son débiteur, elle les place seulement sous la main de la justice; tous les saisissants sont donc payés proportionnellement au montant de leur créance, s'il n'y a pas d'ailleurs entre eux d'autre cause de préférence
467. Cette situation, assez simple, an premier abord, peut se trouver compliquée dans des cas particuliers. Supposons d'abord que la saisie ait été faite pour une somme ou valeur inférieure à la dette du tiers-saisi, ce dernier a pu se croire en droit de payer l'excédant à son créancier; mais, ce ne sera pas toujours impunément: d'autres saisies peuvent survenir, tant que la procédure de la première n'est pas terminée; assurément, elles ne frapperont que la somme conservée par le tiers-saisi entre ses mains, et le dividende revenant aux derniers saisissants sera moindre que si la somme était restée entière; mais, ils ne peuvent s'en prendre qu'à euxmêmes d'avoir fait une saisie tardive. D'un autre côté, le concours des nouveaux saisissants réduit la somme revenant au premier: au lieu de se trouver payé intégralement, il ne recevra plus qu'un dividende, et, comme cette perte ne l'aurait pas atteint ou l'aurait atteint à un moindre degré, si le tiers-saisi n'avait pas versé l'excédant dont il s'agit, ce dernier sera tenu de rembourser au premier saisissant ce dont il se trouve frustré, sauf son recours contre le saisi.
Un exemple peut paraître nécessaire pour l'application de ces divers principes combinés.
La dette était de 1000 yens; Primus, créancier du créancier, fait saisie-opposition sur le débitenr pour une somme de 600 yens; le débiteur (tiers-saisi), ignorant qn'il pourra y avoir d'autres saisies, paye les 400 yens qui excèdent les causes de la saisie. Pendant la procédure qui tend à établir la légitimité de la saisie de Primus, surviennent d'autres saisies, par Secundus et Tertius, pour des sommes qui, réunies, font 400 yens. Comme ces dernières saisies ne portent que sur les 600 yens déjà saisis-arrêtés, il y a à payer 1000 yene dus aux trois saisissants avec 600 yens, ce qui fait un déficit de 2/5es sur le tout et sur chaque créance séparé. ment. Secundus et Tertius ne peuvent se plaindre de subir cette réduction, parce que leur saisie a été tardive; mais Primus fera remarquer au tiers-saisi que si, averti, par la saisie, de l'insolvabilité probable de son créancier (du saisi), il ne lui avait rien versé, il se serait trouvé avoir 1000 yens pour payer pareille somme à tous les saisissants, que le versement de 400 yens au saisi est la cause pour laquelle il a, lui, premier saisissant, subi une perte de 2/5es de sa créance, soit 240 yens, et il se les fera restituer par le tiers-saisi; enfin, comme celui-ci se trouvera avoir payé deux fois cette somme à son propre créancier, une fois directement et une autre fois en le libérant d'une dette, il aura son recours pour ladite somme.
Dans cet exemple, on a supposé que les diverses causes de saisies égalaient juste la somme qui avait été saisie-arrêtée par le premier créancier, ce qui a permis de dire que si le tiers-saisi n'avait pas eu l'imprudence de verser l'excédant qui lui paraissait libre après la première saisie, tout le monde aurait été payé intégralement. Supposons maintenant, toujours avec une dette principale de 1000 yens, avec une première saisie pour 600 yens et 400 yens d'excédant versés au saisi, que les pouvelles saisies soient pour le double de ce qu'elles étaient tout à l'heure, soit pour 800 yens, il se produira un résultat qui paraît singulier au premier abord, mais qui est forcé, c'est que le tiers-saisi souffrira d'autant moins de son imprudence que les autres sommes dues sont plus fortes. En effet, les 800 yens dus aux derniers saisissants, joints aux 600 yens dus à Primus, font un total de 1400 yens à payer avec les 600 frappés de saisie, ce qui donne un déficit de 8/14es ou 4/7es pour chacun; mais si le tiers-saisi avait conservé les 1000 yens, Primus n'aurait perdu que 4/14es ou 217es; c'est donc cette différence entre 4/7es et 2/7es que le tierssaisi aura à lui payer, soit 171 yens, 40 sens.
On voit cependant que le tiers-saisi est toujours imprudent, s'il paye ce qui excède le montant de la créance du premier saisissant; d'un autre côté, il a intérêt à se libérer: spécialement, pour faire cesser le cours des intérêts de sa dette; il aura alors la ressource de verser à la caisse publique des consignations tout ce qu'il doit. Le saisi peut lui-même avoir intérêt à exiger cette consignation, car le tiers-saisi pourrait devenir insolvable et les saisissants n'étant pas payés conserveraient leur droit de poursuite contre le saisi; en outre, le tiers-saisi pourrait, étant embarrassé dans ses affaires, provoquer des saisies fictives et complaisantes dans le seul but de gagner du temps. La consignation remédie à ces divers dangers.
468. On a supposé que la saisie-arrêt avait été pratiquée sur des sommes d'argent; c'est ce qui arrivera le plus souvent; mais, rien n'empêcherait de saisirarrêter des valeurs mobilières d'une autre pature dues par un tiers, même des immeubles; et cela, soit qu'ils appartinssent encore au tiers-saisi, comme des marchandises déterminées seulement par leur nature et leur quantité, ou des terrains déterminés seulement quant à leur situation régionale et à leur quantité (par ex., 10,000 tsubos de terre dans l'Hokkaïdô) (h), soit que, s'agissant de corps certains, la propriété eût été déjà transférée au créancier; dans ce dernier cas, il y anrait encore lieu à saisie-arrêt, au moins pour empêcher la délivrance (voy. c. pr. civ. fr., art. 557).
469. On a dit, en commençant, que la saisie-arrêt élève, à l'égard du payement, un obstacle qui paraît une incapacité, aussi bien de payer, pour le débiteur, que de recevoir, pour le créancier. Il faut se fixer sous ce rapport qui a été complétement négligé dans la doctrine française. La question n'est pas sans intérêt. D'abord, s'il y a incapacité de payer, la place de notre article 480 doit se trouver plus haut; ensuite, et cela est plus important, s'il y a incapacité de payer, c'est le débiteur seul (le tiers-saisi) qui pourra critiquer le le payement; si, au contraire, l'incapacité est de recevoir, elle est du côté du créancier (du saisi) et l'on peut dire qu'il n'y aura jamais demande en nullité du payement, car le débiteur n'aurait pas d'action pour se faire rendre ce qu'il a ainsi payé, et le créancier n'y aurait aucun intérêt, à moins de supposer que les choses payées ont péri; mais, certes, personne ne pourrait admettre que le créancier, pût, dans ce cas ni dans aucun autre, demander un second payement, puisque, lorsqu'il y aura lieu pour le débiteur (tiers-saisi) de payer de nouveau aux saisissants, il aura son recours contre le créancier saisi.
La vérité est que l'incapacité a ici un caractère tout spécial: elle atteint les deux parties, mais dans un intérêt qui n'est pas le leur, dans l'intérêt des saisissants. Il serait encore plus simple de dire qu'il y a là une défense de payer et de recevoir dont la sanction est le risque pour le débiteur de faire un nouveau payement; or, les défenses ou prohibitions de la loi ne créent d'incapacité proprement dite que lorsqu'elles ont pour but de protéger celui auquel elles s'adressent (i).
470. Il reste à voir si le débiteur tiers-saisi qui aurait en l'imprudence de payer son créancier pourrait, au cours de la procédure de saisie, se faire restituer par le saisi les sommes qu'il a ainsi payées. Comme il ne pourrait alléguer avoir payé l'indû, il faut, en principe, lui refuser la répétition; mais, il faut lui accorder cette action, dès qu'il aura consigné une nouvelle somme destinée à faire face aux saisies; et même, s'il ne consigne pas et qu'il y ait une instance commencée contre lui tendant à un nouveau payement, il pourra y appeler en garantie le créancier saisi, pour obtenir contre lui condamnation par le même jugement.
La pratique de la saisie-arrêt n'étant pas encore répandue au Japon, on a dû lui donner ici quelques développements pour l'intelligence de l'article 480.
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(h) Le tsubo japonais (tsoubo) est une mesure de superficie de 1 mètre 80 c. de côté.
(i) L'incapacité même des condamnés a un caractère de protection, car elle est le corollaire nécessaire du dessaisissement de l'administration de leurs biens dont la loi les frappe pour assurer l'exécution de la peine (voy, p. 103-104).
Art. 481 et 482.- 471. III.-Ces deux articles et les six articles suivants se rapportent à l'objet du payement, ou à la 3° question: Quelle chose doit être payée ?
Le payement étant, d'après la définition même, donnée par l'article 472, “l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur," cette première disposition pourrait, à la rigueur, ne pas figurer dans la loi; mais, comme on la trouve dans le Code français (art. 1243) et dans le Code italien (art. 1245), il ne paraît pas exagéré de l'inscrire dans le Projet. D'ailleurs, on y ajoute la contre-partie de la disposition unique écrite dans ces Codes; en effet, il n'est pas plus inutile de dire que le créancier ne peut demander autre chose que ce qui lui est dû que de dire qu'il ne peut être forcé de le recevoir. Comme, dans la plupart des obligations, ce n'est pas seulement la valeur vénale des choses dues qui est prise en considération par les parties, mais encore les convenances personnelles de celles-ci, ainsi, que la plus ou moins grande facilité qu'elles trouveront, l'une à se procurer, l'autre à utiliser les choses dues, il est naturel que l'une des parties ne puisse être tenue de subir un changement d'objet. Il faudrait pour cela que l'obligation fût alternative ou facultative, comme on l'a vu aux articles 448 et suivants; mais, alors en. core, la faculté d'option ne serait pas arbitraire: elle aurait été réservée par la convention.
Si l'objet de la dette est une chose de genre ou de quantité, une chose fongible, le débiteur la fournira de la nature et de l'espèce promises et des quantité et qualité convenues; mais, comme il est assez difficile de déterminer clairement la qualité d'une chose de genre, le meilleur moyen est d'adopter un modèle ou échantillon. La loi, supposant que les parties n'ont pas pris cette précaution ou suffisamment déterminé la qualité, déclare que le débiteur n'est tenu de donner et le créancier tenu de recevoir que la qualité moyenne.
En somme, tout cet article est l'application spéciale du principe général que “les conventions doivent s'exécuter de bonne foi” (voy. art. 350, 2° al.).
472. Mais ce que l'une des parties ne peut imposer à l'autre peut fort bien avoir lieu d'un commun accord. Il y a alors, suivant l'expression consacrée, “dation en payement” (datio in solutum). La loi ne prend pas la peine de proclamer ce principe de la liberté des conventions qui ne peut faire doute: elle suppose que la convention a eu lieu et elle en règle les effets.
Elle déclare d'abord que les parties, dans cette convention, sont considérées comme ayant tacitement nové leur premier engagement, c'est-à-dire que le débiteur s'est, avec le consentement du créancier, engagé à donner le nouvel objet dont il s'agit, puis, qu'il a exécuté immédiatement sa nouvelle obligation. Cette idée de novation n'est pas superflue, car si la première obligation était garantie par une caution, celle-ci serait libérée de la première dette et ne serait pas tenue de la nouvelle: notamment, elle ne serait pas tenue de la garantie d'éviction, au cas où la chose serait enlevée au créancier par la revendication d'un tiers (j).
La loi ne se borne pas à reconnaître dans la dation en payement une novation tacite, elle détermine encore la nature de la nouvelle convention intervenue, au moins dans les cas qui seront le plus fréquents. Ainsi, si la dette primitive était d'une somme d'argent et que le débiteur s'en libère en donnant la propriété d'un meuble ou d'un immeuble, il sera considéré comme vendant cet objet et comme recevant pour prix la somme dont il était primitivement débiteur; réciproquement, s'il devait une chose déterminée individuellement, ou seulement quant à l'espèce et à la quantité, et qu'il soit admis à se libérer en donnant une somme d'argent, il sera considéré comme acheteur de la chose qu'il garde. Ces deux cas de vente présenteront, du reste, une notable différence au cas d'éviction: dans le premier cas, le créancier, devenu acheteur, aura l'action en garantie; dans le second cas, le débiteur ne l'aura pas, puisque l'éviction proviendra de sa négligence à avoir promis primitivement, une chose qui ne lui appartenait pas.
Si aucune somme d'argent ne figurait dans l'opération, soit du chef de la première dette, soit du chef de la seconde, mais qu'un objet fût donné à la place d'un autre, il y aurait échange: en observant la même distinction entre le créancier et le débiteur, s'il y avait éviction de l'une des choses échangées.
Les cas de dation en payement ainsi prévus et réglés par la loi ne sont pas limitatifs: ainsi, s'il y avait pres. tation de jouissance par le débiteur, au lieu d'une somme d'argent dont il se trouverait libéré, il serait considéré comme bailleur ou locateur; mais la réciproque ne serait plus vraie: s'il fournissait une somme d'argent, au lieu de la prestation de jouissance d'une chose, il ne pourrait être considéré comme locataire ou preneur; car, le bail étant nécessairement temporaire, cela entraînerait à dire qu'au bout d'un certain temps, il devrait restituer la chose dont il jouirait, ce qui n'est pas possible, cette chose lui appartenant sans doute en propriété: il y aurait donc, dans ce cas, un contrat innommé. Enfin, on peut supposer que la dation en payement consiste à accomplir un fait, au lieu de prester une somme d'argent: ce sera alors une sorte de louage d'ouvrage; mais ce ne sera plus qn'un contrat innommé, s'il y a prestation d'argent au lieu d'un fait, ou prestation d'un fait pour un autre fait.
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(j) En France, on déciderait, de même, que l'hypothèque ne s'étendrait pas à la nouvelle dette: mais le Projet s'écartera un peu du droit français, au sujet de l'effet de la novation par rapport à l'hypothèque (voy. art. 525).
Art. 483. — 473. Cet article n'est guère que la consécration des principes posés aux articles 354 et 355, sur les soins que le débiteur d'un corps certain doit à la chose due et sur les risques des cas fortuits ou majeurs qui pèsent sur le créancier, en dehors de l'obligation conditionnelle que la loi a soin de réserver. Si le débiteur d'un corps certain a dû faire des dépenses pour le conserver (dépenses nécessaires) ou s'il l'a amé. lioré sans exagération, (dépenses utiles), il est naturel et juste qu'il en soit remboursé, d'après les règles de la gestion d'affaires; si, au contraire, il a laissé la chose se détériorer, faute de soins, à plus forte raison, si, par des actes directs, de lui on des personnes dont il est responsable, la chose a été détériorée, il en doit l'in. demnité.
Cette disposition se trouve, à peu près dans les mêmes termes, dans le Code français (art. 1245) et dans le Code italien (art. 1247), au moins en ce qui concerne les fautes, car ces deux articles négligent de parler des dépenses utiles ou nécessaires; seulement, ici, on rappelle moins explicitement les effets déjà signalés de la mise en demeure qui rend le débiteur responsable des pertes fortuites, lorsqu'elles ne se seraient pas également produites chez le créancier (voy. art. 355): la loi s'y réfère, en peu de mots, dès qu'elle veut qu'on se place "au moment où la livraison doit être faite;" tandis que les Codes précités, disant d'abord qu'on se place “au moment de la livraison" sont obligés ensuite de réserver le cas de mise en demeure, comme faisant retomber les cas fortuits sur le débiteur.
Mais les Codes précités paraissent donner une solution différente au cas de vente: ils portent que le vendeur doit délivrer la chose en l'état où elle se trouvait lors de la vente et non plus lors de la livraison (voy. c. civ. fr., art. 1614 et c. civ. it., art. 1470). Mais, si l'on y regarde de près, le résultat sera le même et il n'y a pas lieu de voir là, comme l'ont fait quelques auteurs, une règle particulière à la vente. Supposons, en effet, que la chose due valût 1000 yens au moment de la convention et qu'au moment de la livraison (c'est-à-dire au moment où elle doit être faite) elle ne vaille plus que 900 yens, par la faute du débiteur, il n'est pas douteux que, d'après la règle de la vente, le débiteur devra 100 yens d'indemnité, puisqu'on se place au jour du contrat pour déterminer l'étendue de son obligation; si on se place au jour de la livraison, d'après la règle des obligations en général, le résultat sera le même: le débiteur ne sera pas libéré, en donnant la chose réduite par sa faute à la valeur de 900 yens, il devra toujours ajouter 100 yens de dommages-intérêts, encourus par sa faute.
474. La disposition qui précède est formellement limitée au cas où la dette est d'un “corps certain;" en effet, c'est dans ce cas seulement que le débiteur peut être tenu de soins, qu'il peut avoir commis des fautes ou fait des améliorations et que le créancier peut courir des risques. S'il doit une chose de genre ou de quantité, il ne peut voir son obligation ni modifiée par des dépenses nécessaires ou utiles, ou par des fautes ou négligences, ni diminuée ou éteinte par des détériora. tions ou des pertes fortuites: "les genres ne périssent pas" (genera non pereunt), suivant un axiôme connu,
Art. 484. — 475. La loi arrive au cas où l'objet de la dette est une somme d'argent: ce cas paraît le plus simple et cependant il présente le plus de difficultés.
Presque tous les pays, anciens et modernes, ont adopté trois métaux pour les monnaies: l'or, l'argent et le cuivre. Le fer, dont les premiers peuples ont aussi fait usage, et qu'on employait de même autrefois au Japon, est aujourd'hui abandonné comme monnaie, à cause de son peu de valeur intrinsèque cornparé à son poids, et le cuivre, pour le même motif, reste d'un usage très-limité. Les deux autres métaux, dits “métaux précieux,” sont employés concurremment, sauf dans quelques pays où la rareté de l'or a fait adopter l'argent seul, comme la Chine et l'Inde, et quelques autres où l'or a la préférence, comme l'Angleterre, la Hollande et l'Allemagne. Mais, dans un grand nombre d'autres pays: notamment, en France, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Amérique et aussi au Japon, une difficulté grave est née de la concurrence des deux métaux.
On a cru pouvoir adopter et fixer un rapport légal entre la valeur des deux métaux, pour un même poids, et, sur cette base, on a frappé des monnaies d'or et d'argent portant une valeur déterminée en francs, livres, dollars, yens (car le Japon a adopté le même système): on nomme bimetallisme, ou “système du double éta “lon”(k) cet emploi simultané de deux monnaies exprimant une même valeur sous la forme de deux métaux différents.
En France, le rapport légal de l'or à l'argent, fixé depuis le commencement de ce siècle, est de 1 à 15 1/2, c'est-à-dire qu'un gramme ou un kilogramme d'or monpayé vaut quinze fois et demi un pareil poids d'argent également monnayé. Mais ce rapport, exact, sans doute, au moment même, où il a été établi, n'a pas tardé à être contrarié, contredit et démenti, par les faits.
L'or et l'argent, en effet, étant des métaux utiles dans les arts et l'industrie, sont de véritables marchandises qui, comme telles, ont un cours dans le commerce; ce cours varie avec leur abondance ou leur rareté comparées aux besoins du temps et du lieu où l'on est; les découvertes assez fréquentes de nouvelles mines d'or et d'argent font baisser celui des métaux qui devient le plus abondant; l'épuisement plus ou moins rapide de ces mines relève les cours; en outre, la guerre, la paix, les spéculations, le commerce international, modifient alternativement le cours respectif des deux métaux.
Ce n'est pas seulement pour ceux qui font un commerce spécial des deux métaux (tels que banquiers, changeurs, marchands d'or et d'argent) que se font sentir ces variations, c'est pour tous ceux qui vendent et achètent des produits quelconques avec l'un ou l'autre métal, c'est-à-dire pour tout le monde: une quantité de blé ou de riz se vendra pour plus ou moins de francs ou de yens, suivant que l'acheteur payera en or ou en argent, et si le marché est à terme, les prévisions des parties seront toujours exposées à être trompées par le changement du cours des métaux, indépendamment de celui du cours de la marchandise.
476. Depuis longtemps, la baisse de l'argent étant devenue constante et même progressive, on s'est préoccupé de trouver un autre système qui donnât plus de fixité à la valeur respective des monnaies. Beaucoup de mesures ont été proposées; quelques-unes ont été appliquées; aucune jusqu'ici n'a réussi. Plusieurs pays ayant des monnaies semblables (la France, l'Italie, la Suisse, la Belgique) ont formé une “Union monétaire” et se sont engagés, pour un certain nombre d'années, à ne frapper de monnaies d'argent que pour des sommes déterminées; mais il n'en est résulté aucun relèvement du cours de ce métal. D'autres pays sont allés beaucoup plus loin et ils ont complétement abandonné l'argent comme monnaie légale; ainsi a fait la Hollande; l'Allemagne est entrée dans cette voie et hésite à aller jusqu'au bout. C'est, en effet, une mesure très-grave pour les fortunes privées que celle qui réduirait aus usages industriels et artistiques la masse énorme d'argent monnayé qui se trouve actuellement en circulation dans chaque pays (l).
477. Le Japon, ayant adopté le bimétallisme européen, se trouve en présence du même problême et des mêmes embarras: il souffre, comme les autres pays, de l'écart commercial qui est permanent entre l'or et l'argent. La difficulté s'augmente encore au Japon, comme dans beaucoup de pays d'Europe, du cours forcé des satsu (si-hei) ou papiers-monnaie de l'Etat, qui présentent, depuis plusieurs années, un écart considérable avec la monnaie métallique.
Il est à regretter que, lorsque le Japon a frappé ses nouvelles monnaies d'or et d'argent, il ait suivi l'exemple, déjà reconnu funeste, des autres nations, et ait établi entre les deux métaux précieux un rapport légal de valeur, avec sa prétendue et chimérique fixité (m).
Il était bien facile alors d'adopter un autre système, depuis longtemps proposé en Europe, mais non encore pratiqué: on aurait frappé des monnaies d'or et d'argent d'un poids et d'un titre déterminés (n), mais en ne donnant de valeur en yens qu'à l'une des deux monnaies, par exemple, à l'argent. La monnaie qui n'aurait été désignée que par son poids et son titre de fin (l'or, par exemple) aurait eu une valeur commercialement variable, mais facile à constater périodiquement dans les grands centres commerciaux et aurait été reçue en payement pour cette valeur en yens d'argent (o).
A l'appui de ce système, qui certainement sera adopté un jour en Europe, dans les pays qui, pour d'autres raisons, auront à refondre leurs monnaies (p), on peut citer un argument frappant d'analogie tiré du Code civil français (art. 1291) et qui n'a pas encore été invoqué dans cette controverse, c'est la faculté de compenser avec les dettes d'argent les créances de denrées “cotées aux mercuriales " c'est-à-dire des valeurs considérées comme équivalentes au jour du payement; or, la compensation n'étant autre chose qu'un payement abrégé, comme on le verra plus loin (art. 541), il n'y aurait aucun inconvénient à compenser de l'or avec de l'argent, en tenant compte de leur cours respectif au jour du payement.
478. On voit bien maintenant que la cause première du mal est que le législateur des divers pays ait prétendu établir un rapport fixe et constant entre un poids d'or et un même poids d'argent, ce qui est aussi téméraire que s'il avait prétendu établir un pareil rapport entre deux denrées, même d'un usage nécessaire et journalier, comme le blé et riz, le sucre et le sel, ou entre le charbon végétal et le charbon minéral.
Le législateur ne peut pas davantage faire accepter pour la valeur inscrite un billet d'Etat qui n'est qu'une simple promesse de payer une somme d'argent et, ici, sans échéance fixe.
En effet, au-dessus des lois positives, sujettes à l'erreur et à l'arbitraire, comme lois humaines, il y a les lois économiques qui, étant des lois naturelles, sont né cessairement exactes et justes. Or, c'est en vertu d'une loi économique que la rareté ou l'abondance d'une matière comparée aux besoins des hommes, avec leurs variations continuelles, d'après les circonstances de temps et de lieu, en font hausser ou baisser la valeur. C'est la même loi économique qui détermine la valeur variable du papier-monnaie, lequel peut se trouver émis en quantité plus ou moins considérable par rapport aux besoins des échanges. Mais, en matière de papier-monnaie, intervient encore une autre loi économique, le crédit, la confiance qu'inspire l'Etat débiteur, d'après la situation générale de ses finances, de son administration des affaires publiques et de la sécurité intérieure ou extérieure du pays. Car, lors même que le papier-monnaie d'Etat ne porte aucune échéance fixe pour le remboursement, ce n'en est pas moins une dette de l'Etat; aussi figure-t-elle, à ce titre, dans son budget annuel: lorsqu'il a payé des services ou des matières avec ce papier revêtu de son sceau, et, portant une valeur en francs ou en yens, il n'a pas eu la prétention qu'une feuille de papier eût la valeur intrinsèque d'une rondelle d'or ou d'argent; il a entendu promettre la somme portée sur le billet; il a souscrit un billet au porteur que le preneur a le droit de donner lui-même en payement à toute personne, en vertu du cours forcé et sans autre garantie que celle de la provenance du titre. On conçoit dès lors, que la valeur commerciale du papier-monnaie varie, comme celle des billets d'une banque privée, suivant la surabondance ou la modération des quantités émises et suivant les événements intérieurs ou extérieurs qui peuvent modifier la fortune de l'Etat.
A l'égard des monnaies et papiers-monnaie, le Japon n'a fait, ni mieux, ni moins bien que les autres peuples: 1° il a prétendu établir un rapport fixe entre l'or et l'argent, 2° il a émis une quantité considérable de papier-monnaie et, en lui donnant cours forcé, il a prétendu lui donner la même force libératoire qu'à l'or et à l'argent: il devait nécessairement, dans l'un et l'aatre cas, échouer comme ses devanciers.
Si les législateurs anciens et nouveaux, de l'Occident comme de l'Orient, avaient mieux connu et respecté les limites de leur domaine, ils n'auraient pas pris un grand nombre de mesures prétendues économiques dont le moindre mal a été l'impuissance, mais qui souvent ont été funestes aux intérêts publics et privés.
479. Le Projet de Code civil, arrivant à la matière du payement, ne peut demander la refonte des mon. naies d'après le système indiqué plus haut; il ne peut non plus demander la cessation du cours forcé du papier d'Etat; mais il peut et doit saisir l'occasion qui se présente d'apporter les atténuations possibles à un mal reconnu.
Il doit se prononcer sur ces deux questions considérables:
1° En qu'elles espèces ou monnaies le payement peutil être fait par le débiteur ou exigé par le créancier ?
2° Quelles conventions particulières les parties peuvent-elles faire d'avance à cet égard ?
Tel est l'objet des articles 484 à 488 qu'on va expliquer successivement.
480. La valeur commerciale des deux métaux monétaires n'étant presque jamais conforme à leur valeur légale et le papier-monnaie étant presque toujours déprécié par rapport au métal, il est clair que le créancier aurait intérêt à être payé dans la valeur qui jouit de la plus forte prime par rapport aux deux autres; réciproquement, le débiteur a intérêt à payer dans la valeur la plus dépréciée; car, en même temps qu'elle lui est plus facile à obtenir, elle a en sa faveur la même force de libération.
A qui donc le choix de la valeur doit-il appartenir ? Les lois européennes, suivant ici un principe général de droit civil, à savoir, que, dans une même situation (in pari causâ), le débiteur doit être traité plus favorablement que le créancier, donnent le choix au débiteur (voy. c. civ. fr., art. 1895; C. civ. ital., art. 1821).
Le Projet japonais ne s'est pas écarté de ce principe qui est très-bon en soi. Le débiteur se libérera donc d'une dette de 100 yens, par exemple, en donnant, à son choix, ou 100 yens d'or ou 100 yens d'argent ou 100 yens en satsu (satsou). Telle est la disposition du 1er alinéa de l'article 484, plus précis, à cet égard, que les Codes précités.
481. Le 2° alinéa porte une disposition empruntée également au Code français (art. 1895) et au Code italien (art. 1828), mais rendue plus claire. La loi prévoit: 1° que la valeur nominale des monnaies aurait pu être changée, entre le jour du contrat et celui de l'échéance, sans qu'il y ait eu modification de la matière même, 2° qu'il y a eu augmentation ou diminution de la valeur intrinsèque. Ces changements, si regrettables qu'ils soient, étant l'ouvre de l'autorité souveraine, doivent être respectés dans tous leurs effets, et la loi est logiquement entraînée à défendre de les corriger ou de les éluder par des conventions particulières: le débiteur donnera donc la valeur légalement nominale de la monnaie, telle qu'il l'a promise, abstraction faite de sa valeur intrinsèque au jour du payement.
Les altérations légales des monnaies étaient assez fréquentes autrefois, en Europe, et elles y ont été souvent abusives, parfois même scandaleuses. Aujourd'hui, on ne peut guère citer, en France, que la refonte des monnaies d'argent dites “divisionnaires,” inférieures à 5 francs, dont le titre ou degré de fin a été abaissé de 9/10es à 8/10es, ce qui équivaut, qu'on le remarque bien, à une élévation de la valeur nominale de la mon. naie. Au Japon, outre ce même cas, on peut citer un cas inverse, celui de la diminution de la valeur nomi. nale du témpo de cuivre (abaissé de 10 rin à 8 rin).
Ces modifications sont sans gravité, parce qu'elles ne portent que sur des monnaies d'un usage limité (voy. art. 487), et elles deviendront de plus en plus rares. Le 20 alinéa de notre article n'aura donc guère qu'une application théorique.
482. Le 34 alinéa se prononce sur le point de savoir s'il pourrait être dérogé par les parties à ces deux dispositions, au moyen d'une convention originaire, et il se prononce formellement pour la négative.
On sait, en effet, que la liberté des conventions cesse lorsqu'elle tendrait à déroger aux lois d'ordre publie (art. 349); or, il est évident que les lois qui établissent des monnaies, et qui leur donnent cours forcé, sont des lois d'ordre public, de celles que l'on appelle “lois de police et de sûreté” (c. civ. fr., art. 3). Si les parties pouvaient convenir, en contractant, que le créancier ne sera pas tenu de recevoir l'une ou l'autre de ces valeurs, il arriverait, presque toujours, qu'il exclarait l'une d'elles, peut-être deux sur trois: la clause prohibitive deviendrait "de style" et le but économique ou financier du législateur serait éludé, tandis que, bon ou mauvais, il doit être respecté.
Cette solution qui a été contestée, en France, au sujet du papier-monnaie, y a été consacrée par la cour de cassation; mais elle ferait peut-être plus de difficulté au sujet des monnaies métalliques, en face de l'article 143 du Code de commerce qui dispose que “le payement d'une lettre de change doit être fait dans la mon. naie qu'elle indique.”
Le Code italien a, pour le cas de prêt, spécialement (art. 1822), une disposition qui permet d'en stipuler le remboursement "dans les espèces d'or ou d'argent en lesquelles il a été effectué," et, dans ce même cas, le créancier peut encore stipuler qu'il ne subira pas “l'altération légale” des monnaies. Ces deux dispositions ne peuvent se justifier que par l'idée que les espèces prêtées auront été considérées non plus comme monnaies, mais comme lingots; or, dans un prêt de ce genre, le débiteur doit toujours rembourser la même quantité et la même qualité (c. civ. fr., art. 1897 et c. civ. it., art. 1823). Le prêt, d'ailleurs, a un caractère propre qui motive d'autres dérogations au droit commun; de là, le renvoi prononcé par l'article 488 sous lequel ces dérogations seront indiquées et justifiées sommairement et par anticipation. Mais, en Italie même, dès qu'il ne s'agit plus du prêt d'espèces, la convention qui prétendrait affranchir le créancier du choix des espèces par le débiteur serait nulle; de même, celle qui tendrait à neutraliser la modification des monnaies faite par mesure d'Etat.
Au surplus, la convention qui aurait pour objet de priver le débiteur du choix de la monnaie ne serait pas nulle pour le tout: l'article 486, 2° alinéa, lui donne un effet qui concilie le respect de l'ordre public avec la liberté des conventions et l'intention des parties.
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(k) Le mot étalon qui, en France, signifie, au sens propre, “un cheval entier ou reproducteur,” s'emploie, au figuré, dans les mesures légales, pour "le type, le modèle” d'après lequel les instruments de mesurage sont fabriqués; ainsi, il y a l'étalon officiel du mètre: il est en platine, métal presque insensible aux variations de la température. En matière de monnaies, l'étalon d'argent est de 5 francs et l'étalon d'or de 20 francs.
Les plus petites fractions ne sont pas des étalons, parce qu'elles ad. mettent une tolérance sur le poids légal et sur le degré de fin.
Au lieu du mot étalon, les Anglais disent, avec le même sens figuré, standard, qui, au propre, signifie "drapeau, étendard.”
(l) Il y a deux ans, il a été tenu à Paris une “ Conférence monétaire internationale," dans le but d'arriver à une solution plus satisfaisante et de nature à pouvoir être adoptée par les divers pays intéressés. Il y est venu des délégnés des principaux Gouvernements d'Europe et d'Amérique; mais la Conférence s'est bornée, pour cette fois, à déterminer les questions à étudier et elle s'est ajournée à l'année prochaine, pour tenter de les résoudre. Peut-être, à cette occasion, cherchera-t-on à faire adopter en même temps le principe d'une monnaie internationale.
Pour ce qui concerne le bimétallisme, le Japon pourra présenter à l'examen de la Conférence le système qui va être proposé ici et qui est entièrement nouveau.
(m) Au Japon, les nouvelles monnaies d'or et d'argent présentent le rapport plus exact de 1 d'or à 16, 17 d'argent (le yen d'or pèse, en grains anglais, 25, 72; le yen d'argent, 416 grains), mais ce rapport est déjà dépassé dans le commerce des métaux et, par suite, dans le cours commercial des monnaies.
Il est bon de noter, à ce sujet, que l'influence française est restée tout. à-fait étrangère à la fabrication des monnaies japonaises.
(n) Voici encore un nouveau sens du mot titre, en français: ce n'est pas la désignation du nombre de yen ou de sens inscrite sur la monnaie, c'est le degré de fin ou la proportion de métal pur: en fait, le titre est 9/10° de fin, contre 1/10° d'alliage.
(o) Il ne faudrait pas craindre une différence sérieuse de valeur entre une province et une autre; car le commerce aurait intérêt à la combler immédiatement, par un envoi du métal le plus demandé: la constatation officielle du cours, par province ou par Ken, ne serait faite que pour la sécurité et la commodité des intéressés.
(p) Quelquefois, un changement de forme du Gouvernement ou de dynastie donne lieu à une refonte générale des monnaies. Ainsi, le 2° Empire français a refondu toutes les monnaies et les a mises à l'effigie de Napoléon III.
Art. 485. — 483. Voici, au contraire, une large part faite par le Projet japonais à la liberté des conventions. On pourra, par une convention originaire ou au moins antérieure, soit à l'échéance, soit au payement (q), corriger les fluctuations commerciales du change, du cours respectif des deux métaux entre eux et de tous deux par rapport au papier-monnaie; on pourra empêcher que le profit soit tout entier pour l'une des parties et la perte toute entière pour l'autre; on les compensera et on les répartira également ou inégalement entre les parties.
Plusieurs moyens se concevraient pour arriver à ce résultat. Après les avoir étudiés et vérifiés, le Projet s'est arrêté à celui qui présente le moins de difficultés de calcul. Les parties pourront en adopter d'autres: notamment, faire inégalement entre elles la répartition du profit et de la perte. Mais la loi ne devait proposer que le système le plus simple qui est en même temps le plus équitable.
Ce moyen consiste à ramener les trois monnaies à une valeur moyenne que payera le débiteur, et, comme celui-ci doit conserver le choix de la monnaie qu'il payera, c'est dans la monnaie par lui choisie que sera cherchée cette valeur moyenne.
484. Assurément, si, dans un pays où il n'y a que les deux monnaies métalliques, les parties convenaient que le débiteur payera moitié en or et moitié en argent, elles feraient une chose manifestement équitable: le débiteur n'aurait pas seul le profit résultant du cours respectif des deux monnaies et le créancier n'en subi. rait pas seul la perte; ce que l'un des métaux perdrait par rapport à l'autre serait compensé par ce que celuici gagnerait par rapport à celui-là. Si, dans le pays, il y a, en outre, une troisième monnaie, le papier d'Etat, la convention pourrait porter, aussi équitablement, que le débiteur payera un tiers en papier, un tiers en argent et un tiers en or.
Mais, si cette convention ne rencontre pas d'objection du côté de l'équité naturelle, elle rencontre un obstacle dans le principe d'ordre publie qui défend aux parties de déroger au cours forcé des trois monnaies (art. 484, 3° al.): le débiteur ne peut renoncer au droit de se libérer dans celle de ces trois monnaies qu'il lui convient de donner.
Heureusement, il est facile de concilier l'ordre public avec l'équité: on conviendra que les deux ou trois monnaies légales seront ramenées à une seule, celle dans laquelle le débiteur veut payer, d'après le cours du jour et du lieu du payement, et le total sera divisé par moitié ou par tiers suivant le cas; le débiteur, en payant cette moitié ou ce tiers, aura payé la valeur moyenne, ce qui est équitable, et il aura conservé le choix de la monnaie, ce qui est de respect de l'ordre public.
485. On pourrait faire une autre objection à cet usage de la liberté des conventions (r): on dira peutêtre que, le législateur ayant établi un rapport fixe de valeur entre les monnaies légales, l'ordre public s'oppose à ce que les parties reconnaissent, admettent entre elles, un autre rapport légal et, par conséquent, qu'il est aussi troublé par la convention, dans un cas que dans l'autre.
Mais l'objection a le tort d'assimiler deux choses profondément différentes: quand le législateur établit le cours forcé des monnaies, il fait acte d'autorité dans son domaine qui est d'ordonner ce qu'il croit utile et de défendre ce qu'il croit mauvais: il ordonne au créancier de recevoir la monnaie légale que le débiteur lui offre, ou il défend au créancier de la refuser; ce qu'il ordonne encore, impérativement, c'est de respecter les changements qu'il pourra apporter aux dénominations numériques des monnaies, c'est-à-dire, à leur valeur nominale, sans changement de valeur intrinsèque, ou à leur composition intrinsèque, sans changement de valeur nominale(s). Voilà les deux dispositions auxquelles il est interdit de déroger par convention; ainsi, pour ne plus parler que de la dernière, le débiteur ne pourrait renoncer au droit de se libérer au moyen des monnaies altérées, en défalquant l'augmentation légale de valeur qu'elles ont reçue. L'article 484, 3e alinéa, est formel en ce sens, et il ne reçoit même pas ailleurs un tempérament analogue à celui qu'apporte à la première prohibition l'article 486, 2° alinéa.
En somme, ce sont là les deux seules dispositions de la loi, en cette matière, auxquelles il est défendu de déroger par convention.
Quant à cette autre disposition de la loi qui établit un rapport de valeur entre les deux métaux, il faut reconnaître qu'elle n'est plus dans le domaine souverain du législateur; ici, il propose plutôt qu'il ne dispose: s'il entendait être obéi sur ce point comme sur les deux autres, la logique l'obligerait à défendre et à punir le commerce des métaux précieux, surtout le change des monnaies et le change dit “de place," avec perte ou profit pour le changeur ou le banquier; or, il n'a jamais songé à défendre de pareils commerces qui sont, au contraire, jugés utiles, et même nécessaires et dignes de protection.
486. Incidemment, puisque nous rencontrons ici l'idée du change de place, constatons que, là encore, l'impuissance du législateur est évidente et forcée.
Assurément, dans un même pays, les deux monnaies ont partout la même valeur légale: si l'on s'attache à leur dénomination, 100 francs d'argent, à Paris, et 100 francs d'argent, à Lyon ou ailleurs, en France, sont toujours représentés par les mêmes espèces et en même nombre, comme, au Japon, 100 yens d'argent ne diffèrent, ni quant au nombre des pièces, ni quant à la nature des espèces, à Tokio, à Nagasaki ou à Hakodaté. Est-ce à dire, cependant, que la mêine somme de 100 francs aura la même valeur commerciale, la même puissance pour acquérir des denrées, en tout lieu, en France, et, de même, 100 yens, en tout lieu au Japon? Assurément non. Il sera bien rare qu'il y ait similitude et, par exemple, qu'un banquier, auquel on verse 100 francs ou 100 yens dans une ville, s'engage à faire toucher pareille somme, sans diminution ou sans augmentation, dans un lieu un peu éloigné. Ce n'est pas son salaire seul qui sera la différence, puisque, quelquefois, après avoir prélevé son salaire ou sa commission, il donnera une lettre de change pour une somme plus forte encore que celle qu'il a reçue: notamment, si les espèces sont plus rares et, par conséquent, plus recherchées, au lieu où s'en fait le versement qu'au lieu où elles seront remboursées.
Si le législateur avait la prétention chimérique d'assurer la même valeur commerciale des monnaies en tout lieu, il devrait, en même temps (tâche non moins chimnérique), assurer la diffusion des mêmes monnaies en tout lieu, et, non pas également, mais en raison des besoins locaux, et avec toutes les variations continues de ces mêmes besoins.
Reconnaissons donc que le législateur, en inscrivant une valeur fixe sur les diverses monnaies, n'a entendu que proposer un point de départ, une corrélation initiale entre l'or et l'argent; il n'a pas prévu peut-être que le cours commercial des monnaies lui donnerait un démenti presque constant; mais, certainement, il n'a pu prétendre empêcher les intéressés d'établir, par leurs conventions, un autre rapport de valeur et, surtout, de suivre les variations résultant de la liberté, de l'activité et de l'intelligence du commerce, comme aussi d'en modifier les effets, en partageant entre eux les pertes et les profits du change. Bien plus, nous allons reconnaître que le législateur, loin de prohiber la convention qui nous occupe, doit, au contraire, l'encourager, en attendant le moment où il pourra suppléer lui-même la convention que les parties auraient négligé de faire. ·
487. Assurément, tout ce qui aura pour effet de maintenir le cours commercial des monnaies le plus près possible de leur valeur respective légale doit être encouragé, favorisé par la loi; or, la convention qui tendra à diminuer les risques du créancier, en les compensant avec les profits du débiteur, ne pourra qu'atténuer les écarts des cours par rapport à la valeur respective des monnaies: elle ôtera à la spéculation dont les monnaies et le papier d'Etat sont l'objet, surtout au Japon, une partie de son intérêt et, par conséquent, une partie de son aliment; tous ceux qui seraient tentés de provoquer la hausse ou la baisse d'une des trois valeurs sur les autres, étant, en général, créanciers et débiteurs, tout à la fois, de sommes diverses, en rapport avec leurs spéculations, seront arrêtés par la considération que ce qu'ils gagneront, d'un côté, comme débiteurs, ils le perdront, de l'autre, comme créanciers, ou réciproquement.
Si la convention prévue et permise par l'article 485 vient à être fréquemment usitée entre les particuliers, elle ne tardera pas, même en l'absence d'une clause expresse, à être considérée comme sous-entendue ou taci. tement consentie entre les parties: d'abord, dans les affaires commerciales où l'usage a une grande autorité, ensuite, dans les affaires civiles, en vertu du principe que "les conventions doivent être exécutées de bonne “foi et qu'elles produisent les effets que l'usage et l'é“quité y attachent d'après leur nature” (art. 350).
Enfin, rien ne s'opposera à ce qu'un jour la loi édicte elle-même ce que la coûtume aura justifié la première, et la disposition se trouvera en parfaite harmonie avec celle de l'article 483 qui, dans le cas d'une chose déterminée quant à l'espèce seulement, ordonne que le payement soit fait "en qualité moyenne.”
488. On terminera l'exposé de ce nouveau système par un exemple d'application, au Japon, avec les deux monnaies métalliques et le papier-monnaie (satsu).
On prendra le cours moyen du présent mois (Janvier 1883):
100 yens d'or=110 y. d'argent et 150 y. de papier;
100 yens d'argent=90,90 y. d'or et 140 y. de papier;
100 yens de papier=66,66 y.d'or et 71,42 y. d'argent.
En droit, le débiteur de 100 yens peut se libérer en donnant, à son choix, l'une des trois monnaies: il choisira évidemment le papier et il v'en donnera, ni 150 yens représentant 100 yens d'or, ni 140, représentant 100 yens d'argent, il donnera seulement 100 yens en papier qui ne représentent que 66,66 d'or et 71,42 d'argent; le créancier n'aura pas profité de la prime de l'or sur l'argent et de l'argent sur le papier: il subira, au contraire, toute la perte du papier sur les deux métaux (t).
C'est ce résultat fâcheux du droit commun qu'il s'agit de corriger par convention.
Si l'on pouvait convenir que le débiteur n'aura pas le choix de la monnaie, mais qu'il payera un tiers en chacune des trois monpaies, il n'y aurait pas de difficulté; il payerait: 33,33, en or, 33,33, en argent 33,33, en papier.
Le créancier souffrirait beaucoup du côté du papier, mais il gagnerait beaucoup sur l'argent et plus encore sur l'or. Le débiteur gagnerait et perdrait dans l'ordre inverse.
Mais le débiteur doit toujours garder le choix de la monnaie (art. 484, 3° al.).
On peut convenir, au contraire, et nous supposons qu'il a été effectivement convenu, que la perte du papier sur les deux métaux et le bénéfice de l'un des métaux sur l'autre se partageraient également entre les deux parties.
Pour cela, le débiteur a quatre moyens de payement.
Ier Moyen.— Il pourra d'abord payer dans les trois monnaies à la fois: par exemple, en un tiers de chacune; ce que la convention n'a pu lui imposer, il peut le faire volontairement: la moyenne des trois monnaies se trouve ainsi payée directement.
II° Moyen.—Payement en papier (satsu).
Pour trouver, en papier, la moyenne des trois monnaies, on additionnera:
100 yens qui sont le pair de cette monnaie,
140 yens qui représentent 100 yens d'argent,
150 yens qui représentent 100 yens d'or;
390 y. de papier, dont le tiers, la moyenne, 130 y., est ce que le débiteur payera.
III° Moyen.—Payement en argent; on additionnera:
100 yens qui sont le pair de cette monnaie,
110 yens qui représentent 100 yens d'or,
71,42, qui représentent 100 yens de papier;
281,42, y. d'argent, dont le tiers, 93,80, est ce que le débiteur payera.
IV° Moyen.—Payement en or; on additionnera:
100 yens, au pair,
90,90 qui représentent 100 yens d'argent,
66,66 qui représentent 100 yens de papier;
257,56 d'or, dont le débiteur payera le tiers, 85,85.
Comme contre-épreuve de ces résultats, on va les retrouver dans le 1er moyen, où le débiteur paye dans les trois monnaies:
33,33 satsu =22,22 or=23,80 arg. = 33,33 satsu.
33,33 arg. =30,30 or=33,33 arg. = 46,66
33,33 or = 33,33 or=36,66 arg.= 50,00
99,99 mixte=85,85 or=93,79 arg.=129,99 satsu.
489. Le système qui vient d'être exposé suppose, comme on l'a déjà remarqué (p. 523), une constatation officielle du cours respectif des monnaies. Il ne faut pas voir là une difficulté: en tout pays, on constate officiellement le cours de certaines denrées de première nécessité; le cours des fonds publics est également constaté dans toutes les villes où il y a une Bourse de commerce; le cours des monnaies, en fait, est établi par les banquiers, et, le jour où cette constatation aura un intérêt général, rien ne sera plus facile aux préfets que de la faire officiellement. Il suffirait qu'elle ait lieu mensuellement et la cote officielle donnerait le cours moyen du mois.
Quand le débiteur devra payer à son domicile, ce qui est le droit commun (art. 489), il lui sera facile de connaître le cours et d'en justifier près du créancier ou du mandataire de celui-ci. Quand le payement devra, par exception, se faire dans un autre lieu, si le débiteur ve connaît pas exactement le cours de ce lieu (lequel ne peut pas d'ailleurs différer beaucoup du cours de son domicile), il fera le payement par l'intermédiaire d'un banquier ou d'un mandataire particulier lequel payera suivant le cours.
S'il se présentait quelques difficultés imprévues pour l'application du système, la pratique y suppléerait faci. lement, même sans l'intervention du législateur. Il serait regrettable que la crainte de quelques contestations possibles fît renoncer à une innovation qui corrigera uve injustice certaine des législations modernes, en même temps qu'elle atténuera notablement, si elle ne le fait disparaître tout-à-fait, le mal public dn bimétallisme et même de la triple monnaie à dénomination uniforme.
490. On ne s'occupe pas ici des payements internationaux: il est clair que le droit commun qu'il s'agit de corriger ici n'y a pas d'application: le débiteur, notamment, ne pent avoir la prétention de payer son créancier, en pays étranger, dans la monnaie légale de son pays qu'il lui plaira de choisir; tout au plus, pourraitil le prétendre pour les payements à faire à son domicile: dans les autres cas, il devra payer en la monnaie promise.
Un jour viendra, sans doute, où il y aura une monnaie internationale, ne portant aucune dénomination monétaire spéciale, mais seulement le poids et le degré de fin, et si les deux métaux précieux y sont adoptés, on aura savs doute la sagesse de n'établir entre eux aucun rapport fixe de valeur.
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(q) Il n'y a aucun doute que toute convention faite au moment même du payement soit valable: il n'y a plus alors, de la part du débiteur, une obligation pour l'avenir, avec ses incertitudes et ses dangers, mais une aliénation actuelle et volontaire de telles ou telles espèces: la loi ne peut interdire ni entraver une telle convention.
(r) Elle avait été déjà prévue et réfutée dans la 1re édition du Projet; mais comme la réfutation a laissé subsister quelques doutes, on la complète ici et on espère qu'elle sera jugée péremptoire.
(s) Par exemple, le législateur, sans refondre les yens d'argent, déclarerait qu'ils auront force libératoire pour 1 yen, 10 sens (augmentation de 1/100 de la valeur); ou bien, en les refondant, sans en changer la valeur noininale, il y ajouterait 1/10 d'alliage.
Cette altération des valeurs n'est pas à supposer dans le papier monnaie qui n'a, en lui-même, aucune valeur intrinsèque.
(t) Le langage usucl, en cette matière, n'est pas toujours exempt d'équivoque et il faut se mettre en garde ici contre toute confusion.
Quand on dit qu'une monnaie fait prime sur une antre, de tant pour 100, il faut bien s'entendre sur le point de savoir si c'est en donnant 100 de la monnaie supérieure ou en recerant 100 de la monnaie inférieure, ce qui amène des résultats très-différents. En effet, on peut également appeler prime pour 100: soit ce qui est obtenu en monnaie inférieure, en surplus de 100 donnés en monnaie supérieure; soit ce qu'il faut donner en moins de monnaie supérieure pour obtenir 100 de monnaie inférieure. On pourrait, suivant les cas, dire de la prime ce qu'on dit de l'escomple, qu'elle peut être en dehors ou en dedans.
Même question, quand on dit qu'une monnaie perd sur une autre.
Enfin, dans les deux cas, il faut remarquer en quelle monnaie se réalise la prime ou la perte.
Pour cela, reprenons nos chiffres fondamentaux:
100 yens d'or= 110 yens d'argent et 150 yens de papier;
100 yens d'argent = 90,90 yens d'or et 140 yens de papier;
100 yens de papier = 66,66 yens d'or et 71 yens, 42 sens d'argent.
Si l'on suppose que je donne effectivement 100 yens d'or, pour avoir de l'argent, j'aurai d'abord 100 yens d'argent, plus 10 qui seront la prime: elle sera, évidemment, en argent et en dehors.
Si je veux avoir seulement 100 yens d'argent, je n'aurai à donner que 90 yens, 90 sens d'or et je recevrai: d'abord pareille somme en argent, plus 9 yens, 10 sens qui seront la prime, en argent toujours, mais en dedans.
Dans le 1er cas, j'ai gagné 10 yens d'argent sur 100 yens d'or, ce qui est une formule peu satisfaisante; on peut dire aussi que j'ai gagné 10 sur 110 d'argent (10/110es) ou 9,09 % d'argent, ce qui est mieur.
Dans le second cas, on peut dire que j'ai gagné 9 yens, 10 sens d'ar. gent, sur 90 yens, 90 sens d'or; mais il vaut mieux dire encore que j'ai gagné 9,09 % d'argent.
Ce chiffre de 9,09 % d'argent, en même temps qu'il est la vraie prime de l'or sur l'argent, est aussi la vraie perte de l'argent sur l'or; car, la perte, par 100, d'une monnaie sur l'autre, se trouve, en cherchant: soit ce qu'il faut donner en plus de la monnaie inférieure, pour avoir 100 en monnaie supérieure, soit ce qu'on reçoit en moins de monnaie supérieure, en donnant 100 de monnaie inférieure.
Les mêmes raisonnements et les mêmes calculs donneront, pour les mêmes monnaies, relativement au papier, les primes et les pertes suivantes:
A.-Pour 100 yens d'or, on recevra 150 yens de papier: la prime scra en dehors et de 50 %;
Pour 66,66 yens d'or, on aura 100 yens de papier: la prime scra en dedans et de 33,33 %;
Dans les deux cas, elle sera reçue en papier.
a.- La perte du papier, de son côté, sera donc:
Au 1er cas, de 50 sur 150, ou 33,33 %;
Au second cas, elle sera, évidemment aussi, de 33,33%.
B.-Pour 100 yens d'argent, ou recevra 140 yens de papier: la prime sera en dehors et de 40 %;
Pour 71,42 d'argent, on aura 100 yens de papier: la prime sera en dedans et de 28,58 %;
Elle sera en papier, dans les deux cas.
b.- La perte du papier sera, de son côté:
Dans le 1er cas, de 40 sur 140 ou 28,58 %;
Dans le 2° cas, elle sera, évidemment aussi, de 28,58 %.
Art. 486. — 491. La loi réunit ici trois conventions qui ont un but analogue à celui de la précédente: à savoir, corriger le droit exorbitant qu'a le débiteur de payer la plus dépréciée des valeurs monétaires; on y va trouver aussi une part faite à la liberté des stipulations, en même temps que le respect du principe d'ordre public d'après lequel le débiteur peut payer en la monpaie qu'il lui plaît de choisir.
Ier Cas. Le créancier n'a pas consenti à partager le risque résultant de la variation du cours respectif des diverses monnaies, il n'a voulu s'y exposer que pour l'une d'elles, comme aussi il a entendu s'en réserver exclusivement le profit possible: pour cela, il a stipulé que le payement serait fait, non pas en espèces d'or ou d'argent (ce qui ne peut être stipulé), mais d'une valeur de tant de yens d'or ou d'argent: par exemple, de 100 yens d'or ou 100 yens d'argent (la loi ne suppose pas qu'il ait eu intérêt à stipuler la valeur en satsu). La convention aura son effet, en ce sens que le débiteur ne payera pas, à son gré, 100 yens de papier, ou 100 yens d'argent ou d'or, ni la moyenne des trois valeurs, comme dans la convention précédente: il payera la va. leur que représentent 100 yens de la monnaie promise; seulement, comme il conserve le choix de la monnaie à donner effectivement en payement, il ramènera à cette monnaie la valeur qu'il a promise.
Ainsi, supposons qu'un vendeur d'immeuble ait sti. pulé, comme prix de vente, la somme de 1000 yens d'or et qu'au jour du payement les trois valeurs soient dans le même rapport respectif que plus haut, soit 100 d'or =150 yens de satsu et 110 d'argent: le débiteur payera, à son gré, ou 1000 yens d'or, ou 1100 yens d'argent ou 1500 yens de satsu. Il pourra aussi donner une partie de la somme en diverses monnaies, en ne comptant chacune que pour sa valeur commerciale. On voit que dans ce cas, le débiteur, suivant les expressions de la loi, “subit seul la perte du change ou en obtient seul le profit," selon que la valeur promise a haussé ou baissé; comme, de son côté, le créancier, sans que la loi ait eu besoin de le dire, court nécessairement les chances inverses, bonnes ou mauvaises.
492.- II Cas. Le créancier a fait la stipulation défendue par la loi (art. 484, 3° al.): celle du payement réel en espèces d'or ou d'argent. Il n'eût pas été déraisonnable de soutenir que la stipulation était nulle pour le tout; mais c'eût été donner à la loi une interprétation trop rigoureuse: sans doute, le débiteur ne peut renoncer au droit de payer en telle monnaie qu'il lui plaît; cette renonciation serait contraire à l'ordre public, puisqu'elle exposerait le débiteur à ne trouver la monnaie promise qu'au prix d'énormes sacrifices qu'on ferait peser d'autant plus lourdement sur lui qu'il n'aurait aucun moyen de se passer des espèces promises; mais, du moment qu'il pourrait se libérer en donnant, en une autre monnaie, même en papier, l'équivalent des espèces promises, d'après le cours commercial commun et officiellement constaté, il n'y a aucun inconvé. nient à donner à la convention l'effet raisonnable qu'elle peut recevoir. Il serait d'ailleurs ridicule que la convention, qui peut être valable avec cet effet, lorsqu'elle a la forme promise au 10% alinéa, fût sans effet parce que les parties, par imprévoyance, lui auraient donné une autre forme.
Enfin, l'interprétation que la loi elle-même donne ici de la convention n'est que l'application de deux principes généraux dictés aux tribunaux pour l'interprétation des conventions: 1° il faut, avant tout, rechercher quelle a été la commune intention des parties; 2° il faut interpréter la convention de la manière qui lui donne un effet utile, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun (art. 376 et 378); il faut pourtant que cet effet soit licite, mais le 1' alinéa prouve qu'il n'est pas illicite.
493.- III. Cas. Le créancier a stipulé une somme payable en monnaie étrangère. Dans beaucoup de pays, en France, notamment, on admet la pleine validité de cette stipulation (voy. c. comm., art. 143).
Le Projet japonais ne croit pas devoir suivre ce précédent.
D'abord, il paraît tout à fait illogique de permettre d'exiger le payement réel en monnaie étrangère, quand on ne permet pas de l'exiger en une monnaie nationale déterminée, à l'exclusion des autres ayant également cours légal forcé. Ensuite, au Japon, il pourrait être, le plus souvent, fort difficile de se procurer des mon. naies de la plupart des pays étrangers; le débiteur serait forcé d'en faire venir par les banques, avec beaucoup de frais et de lenteurs. La loi donnera un effet suffisant à la convention, en obligeant le débiteur à payer, en espèces ou en papier ayant cours forcé au Japon, l'équivalent des monnaies étrangères, d'après le cours commercial de celles-ci comparé à celui des monnaies japonaises. C'est le même mode de payement que dans le 1er cas ci-dessus exposé.
Ainsi un débiteur s'est engagé à payer 1000 francs: il lui sera peut-être impossible de se procurer une telle somme, en cette monnaie, dans les banques de Yokohama; mais le rapport commercial du yen avec les francs est toujours connu. A l'époque où nous prenons nos exemples (Janvier 1883), il est de fr. 4, 58 pour 100 yens d'argent; d'autre part, le rapport de l'argent avec l'or et le papier-monnaie étant connu par ce qui précède, on trouve que le débiteur de 1000 francs devra payer, à Yokohama: y. 218, 34, en argent; y. 198, 47, en or; y. 305, 76, en papier.
494. Les trois conventions prévues par notre article 486 présentent une particularité très-notable, quant à la forme, si on les compare à celle que prévoit l'article précédent: dans le cas de l'article 484, la stipulation avait expressément divisé entre parties les risques et le profit éventuel résultant du cours des monnaies; dans les cas du présent article, la stipulation est bien moins formelle pour laisser, soit au créancier, soit au débiteur, les bonnes et les mauvaises chances: il a suffi au créancier de stipuler une somme en or ou en argent, ou en monnaie étrangère, pour avoir droit à l'équivalent de cette somme au cours réel du commerce. La loi s'est faite l'interprète de la pensée commune des parties: il lui a paru, avec raison, que, quand le créancier désigne ainsi une monnaie spéciale, soit pour être effectivement payée (ce qui dépasse son pouvoir), soit, au moins, pour déterminer la valeur à payer, il entendait spécialement se soustraire aux fluctuations des diverses monnaies et n'accepter le risque que pour une seule, en s'en réservant aussi le cours favorable.
Il est d'ailleurs très-légitime qu'un créancier, stipulant une somme en yens, détermine la valeur monétaire qui lui paraît moins sujette aux variations du commerce. Par exemple, un vendeur à terme est parfaitement en droit d'estimer que la chose qu'il vend vaut 1000 yens d'or ou 1000 yens d'argent; il en est de même du louage et de tous les contrats onéreux où il y a échange de valeurs; la donation même pourrait être faite au moyen de la promesse d'une somme en or ou en argent, acceptée par le donataire, qui deviendrait ainsi créancier d'une valeur moins variable que les satsou. Assurément, une pareille opération pourrait se faire très-valablement au comptant, c'est-à-dire sans terme, avec payement immédiat exigé en monnaie réelle d'or ou d'argent; avec le terme, le débiteur y trouve encore l'avantage de pouvoir payer l'équivalent en une autre monnaie. Si la loi ne permettait pas la convention dont il s'agit, elle mettrait obstacle à beaucoup d'affaires utiles que les parties ne pourraient faire au comptant et qu'elles trouveraient trop périlleux de faire à terme, avec le danger de variation des cours.
Art. 487. — 495. Jusqu'ici, il n'a été question que des deux métaux précieux comme monnaies métalliques ayant cours forcé.
Les monnaies de cuivre présentent une double particnlarité au point de vue du cours forcé: 1° elles n'ont cet avantage que pour une somme assez limitée; 2° on peut, par convention, restreindre ou étendre cette limite.
Ainsi, 1° en l'absence de convention, le créancier est tenu de recevoir jusqu'à 5 yens en monnaie de cuivre, mais il peut refuser d'en recevoir davantage; 2° les parties peuvent convenir que le créancier en recevra davantage, ou en recevra moins, ou même n'en recevra pas.
Les deux mêmes particularités se rencontrent pour les monnaies d'argent de moins d'un yen, dites “monnaies divisionnaires," avec cette seule différence que la somme à laquelle le cours forcé est limité est de 50 yens.
Chacune de ces particularités est facile à justifier.
La limite du cours forcé a deux raisons d'être pour le cuivre:
1° Les monnaies de cuivre sont très-loin d'avoir une valeur intrinsèque égale à celle qui y est inscrite; la quantité de métal qui entre dans une pièce de deux sens, d'un sen, ou d'un demi-sen est bien inférieure, en valeur commerciale, à la valeur légale de ces monnaies (u). On a dû se résigner à cette anomalie pour n'avoir pas des monnaies de cuivre trop lourdes; on comprend, dès lors, que le créacier ne soit pas tenu de recevoir une somme élevée de cette monnaie, autrement, il éprouverait, outre la gêne matérielle, une perte considérable sur le change.
2° Les monnaies de cuivre, même avec cette réduction de leur valeur intrinsèque, sont encore lourdes et volumineuses, et ce serait causer au créancier des embarras sérieux que de lui imposer un payement consisidérable en cette monnaie. En France, il ne peut être tenu de recevoir plus de 4 francs 99 centimes, ou l'appoint de 5 fr., en monnaie de cuivre ou de billon.
496. Le premier seul de ces motifs est applicable aux monnaies divisionnaires d'argent et il l'est à un moindre degré: d'abord, les petites monnaies d'argent ne sont pas plus lourdes que les grosses, proportionnellement à leur valeur: les pièces de 50, 20, 10, 05 sens ne pèsent pas plus que la 1/2, le 1/5e le 1/10e et le 1/20 du yen d'argent (elles pèsent même moins); mais elles ne sont pas frappées au même titre, au même degré de fin, lequel n'est que de 8/10es contre 2/10es d'alliage. C'est donc parce qne la valeur intrinsèque de ces pièces p'est pas tout-à-fait leur valeur légale que le créancier n'est pas tenu d'en recevoir une quantité indéfinie.
Le Projet, en permettant au débiteur de payer jusqu'à 50 yens en cette monnaie, lui est plus favorable que la loi française qui n'autorise qu'un payement de 50 francs en monnaie divisionnaire.
497. La liberté laissée aux parties, d'étendre ou de restreindre cette limite légale de 5 yens pour le cuivre et de 50 yens pour l'argent se justifie par l'absence d'intérêt public contraire: le but de la loi étant seulement de ménager l'intérêt et les convenances du créancier, il est naturel qu'il puisse, d'accord avec le débiteur, y pourvoir autrement et à son gré. Mais, s'il peut stipuler qu'il recevra moins que les sommes sus-indiquées ou promettre qu'il en recevra davantage, il ne peut, au contraire, stipuler que le débiteur lui donnera autant ou plus que ces sommes, en cuivre ou en argent: autrement, il enlèverait à celui-ci le choix de la monnaie, ce que l'on a pu être rigoureusement interdit.
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(u) Le sen est la 100e partie du yen: quand le yen de papier est an pair avec le yen d'argent qui, lui-même, est toujours au pair avec le dollar d'argent américain, un sen japonais équivaut à un cent américain ou à 5 centimes français.
Art. 488. — 498. La loi nous dit que le prêt d'argent comporte certaines règles particulières qu'on trouvera écrites à propos de ce contrat. On indiquera sommairement ici la principale, celle qui constitue une dérogation aux règles précédentes: il sera plus facile de l'apprécier après ce qui vient d'être dit.
On sait, par ce qui a été exposé au sujet de l'article 320, que le prêt est un contrat réel, c'est-à-dire exigeant pour sa formation, outre le consentement, la livraison des choses prêtées: cette livraison est la cause principale de l'obligation de rendre, elle en est aussi la mesure; le débiteur ne doit rendre que parce qu'il a reçu, et il ne doit rendre que ce qu'il a reçu; la seule extension que puisse recevoir cette obligation consiste dans les intérêts stipulés, et beaucoup de législations mettent une limite à la liberté de la stipulation d'intérêts; telle est même la loi actuellement en vigueur au Japon. On comprend dès lors qu'un créancier qui a prêté 1000 yens en satsou ne puisse stipuler qu'il lui sera rendu 1000 yens en or ou en argent, ou la valeur équivalente au cours du change: ce serait, en réalité, stipuler une somme numérique supérieure à la somme prêtée. Il ne pourra stipuler une valeur de 1000 yens en espèces métalliques qu'autant qu'il les aura effectivement prêtées en espèces ou en valeur commerciale équivalente de satsou.
On objectera peut-être que l'observation de cette disposition légale n'a pas de garantie sérieuse; car l'emprunteur, qui est toujours plus ou moins à la discrétion du prêteur, consentira souvent à souscrire une promesse de 1000 yens en or ou en-argent, même quand il n'aura reçu que 1000 yens en satsou; mais ce danger n'est pas spécial au cas qui nous occupe: il est toujours à craindre que le débiteur qui ne reçoit que 700 ou 800 yens, en prêt, s'engage à en rembourser 1000 ou davantage, après un an, ce qui constitue pour le créancier un profit bien supérieur au taux légal de l'intérêt. Une pareille fraude, possible partout et toujours, et mal heureusement fréquente, ne peut guère être combattue que par l'aveu du créancier ou son refus de serment, c'est dire que le débiteur y réussira rarement.
Une pareille fraude n'aurait plus d'intérêt ni de raison d'être, si la stipulation d'intérêts était libre et c'est un argument qu'on ne négligera pas, quand on examinera, sur le Prêt, cette grave question économique.
Voilà donc la principale différence entre le prêt d'argent et les autres contrats portant promesse de somme d'argent. Elle pourra être ainsi formulée, quand le moment en sera venu:
"Le prêteur ne peut stipuler le remboursement d'une “ valeur fixe en or ou en argent, comme il est dit à “l'article 486, qu'autant qu'il a effectivement prêté la “même valeur dans les mêmes espèces, ou son équi“valent en une autre monnaie.”
A l'égard des intérêts, il y aura lieu de défendre aussi qu'ils soient stipulés dans une monnaie autre que celle qui a été prêtée; mais la prohibition est subordonnée au point de savoir si l'on maintiendra au Japon les limites de l'intérêt conventionnel ou si l'on reviendra, à cet égard, à la liberté qui a existé pendant les premières années de Meiji.
Il est inutile de faire remarquer que les autres dispositions des articles 484 à 487 sont applicables au prêt d'argent comme aux autres contrats; notamment: le choix de la monnaie à payer laissé au débiteur, la faculté de diviser les pertes et les profits du change entre les parties, par le payement de la valeur moyenne, et l'usage limité des monnaies de cuivre et des monnaies divisionnaires d'argent.
Art. 489. — 499. L'article 489 règle conjointement deux des dernières questions posées au sujet du payement: En quel lien et aux frais de qui le payement doit-il être fait ?
Le lieu du payement a souvent une grande importence pour les parties. Si le payement se fait au domicile du créancier (cas où la dette est dite portable), celui-ci n'est obligé à aucun déplacement et n'a à sapporter ni les frais, ni les risques d'un transport. S'il se fait au domicile du débiteur (dette quérable ou requérable), c'est pour celui-ci que sont les mêmes avantages. Pour le débiteur, le lieu du payement a encore une autre importance: s'il ne possède pas les choses dues, il doit se les procurer et souvent elles ont une valeur commerciale plus considérable dans un lieu que dans un autre.
Il arrivera donc souvent que les parties prendront soin de fixer le lieu du payement et cette convention est si manifestement valable que la loi ne prend pas la peine de l'exprimer: elle se place immédiatement dans l'hypothèse où il n'y a pas eu convention à cet égard. Au surplus, les parties peuvent fixer, comme lieu du payement, le domicile réel ou la résidence, soit de l'une d'elles, soit d'un tiers (v). Si l'on a employé le mot domicile, il faudra, en général, l'entendre du domicile réel et non de la résidence. S'il y a eu indication de deux lieux conjointement, et que la chose soit divisible, le payement devra avoir lieu par moitié dans chaque lieu: les parties auront ainsi dérogé à la règle de l'indivisibilité du payement. Si deux lieux ont été indi. qués, disjonctivement, le débiteur aura le choix du lieu, d'après le droit commun (art. 380, 1er al.).
Il ne faut pas confondre la fixation d'un lieu pour le payement avec l'élection de domicile pour l'exécution de la convention: cette clause de la convention a beaucoup plus d'effets que la précédente, car, non seulement elle fixe le lieu du payement, mais encore celui où les significations, demandes et poursuites en justice pourront être faites (voy. c. civ. fr., art. 111).
Si les parties n'ont fait aucune convention au sujet du lieu du payement, il est naturel de décider en faveur du domicile du débiteur, comme le fait ici la loi (comp. c. civ. fr., art. 1247 et c. civ. it., art. 1249). Et on remarquera, à ce sujet, que, si le contrat est synallagmatique ou bilatéral, chaque partie jouit isolément du bénéfice de payer à son domicile (voy. ci-dess., art. 380, 2° al.). Toutefois, si un débiteur commence l'exé. cution dans un autre lieu, il pourra être tenu de l'achever dans le même lieu, comme ayant renoncé au bénéfice de la loi. Une décision analogue pourrait être donnée dans le cas où, un lieu ayant été fixé par convention, l'exécution aurait été volontairement commencée ailleurs, sur la demande du créancier ou, au moins, sans opposition de sa part.
La loi indique deux dérogations à la règle que le payement, en l'absence de convention, se fait au domicile du débiteur: l'une est un renvoi à certains contrats pour lesquels, par des raisons spéciales, notamment, par interprétation de l'intention des parties, la loi désignera autrement le lieu du payement. Les principaux de ces contrats sont, en France, la vente, le prêt à usage et le dépôt (voy. c. civ. fr., art. 1651, 1903 et 1943). L'autre dérogation, déjà connue, est relative à la délivrance d'un corps certain: la loi a cru devoir la rappeler par un renvoi à l'article 353.
500. La loi, par surcroît de précaution, suppose que la partie au domicile de laquelle le payement devait se faire a changé de domicile; comme ce changement n'a vraisemblablement pas été prévu par l'autre partie, celle-ci n'en doit pas souffrir; de là, son droit à une indemnité à raison du surcroît de frais qui en pourra résulter pour elle; parmi ces frais, il faut remarquer ceux de change, s'il s'agit d'un envoi d'argent: ces frais qui remplacent ceux du transport effectif de l'argent, auront une importance spéciale dans le cas des conventions prévues aux articles 485 et 486.
Cette disposition s'applique, aussi bien quand le domicile de l'une des parties, pour le payement, avait été fixé par convention, que lorsque, à défaut de convention, il s'agit du domicile du débiteur; enfin, elle s'applique aussi au cas où il s'agit du domicile d'un tiers.
La loi suppose que le chavgement de domicile a eu lieu “sans fraude;” si donc, il y avait preuve que le changement n'a eu lieu, par une partie, que pour nuire à l'autre, celle-ci pourrait toujours maintenir son droit de payer ou de recevoir au lieu précédement fixé.
501. La loi termine par une disposition sur les autres frais du payement: elle les met à la charge du débiteur, parce que ces frais son plutôt dans son intérêt que dans celui du créancier, ils sont d'ailleurs un accessoire de la dette principale. En France, on compte comme frais de payement, le timbre, l'enregistrement de la quittance et les frais de notaire, s'il y a lieu.
Au Japon, ces frais sont encore à peu près inconnus; mais, pour les dettes d'argent, on paye quelquefois en présence et sous le contrôle d'un banquier qui perçoit un léger salaire; en tout cas, s'il s'agit de meubles plus ou moins lourds ou volumineux, de denrées ou de marchandises, il y a toujours les frais de délivrance qui sont à la charge du débiteur, comme il est dit à l'article 353 précité.
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(v) En droit commercial, on appelle billet à domicile ou lettre de change à domicile les effets de commerce payables au domicile d'un tiers. Quelquefois, cette mention du domicile d'un tiers n'est que subsidiaire et au défaut de payement par le débiteur principal: le tiers est alors désigné avec la mention: au besoin.
Art. 490. — 502. Outre les cinq questions relatives au payement et maintenant résolues, il y en a une non moins importante, celle de savoir: Quand le payement doit être fait? Mais cette question se rattache, en même temps, à l'une des modalités de l'obligation qui peut être pare et simple ou à terme; or, les modalités ont été déjà traitées au sujet des effets des obligations; la loi s'est donc bornée à un renvoi, pour mémoire, aux articles 423 à 427.
Rappelons seulement que le payement doit être fait au temps convenu, et, à défaut de convention expresse ou tacite, aussitôt que l'obligation est née; de même, il doit être fait en entier et non par parties; sauf le droit conféré aux tribunaux d'accorder des délais modérés et de permettre le fractionnement du payement, si cela paraît nécessaire au débiteur sans nuire au créancier (voy. art. 426).
Le Code français a peut-être été moins méthodique, en traitant ici du terme de grâce ou terme accordé par le tribunal (voy. art. 1244), tandis qu'il a traité du terme de droit au sujet des modalités (art. 1185). De même, il proclame ici que le payement ne peut être offert, ni exigé partiellement, alors qu'il avait déjà dit (art. 1220) que l'obligation, même divisible, doit être exécutée entre les parties comme si elle était indivisible. Le Projet japonais a posé ce principe mieux à sa place, en traitant de l'indivisibilité.
Au surplus, c'est une grande difficulté que celle de l'ordre et de la méthode dans la rédaction des lois: les diverses matières du droit ont tant de points divers de contact qu'il est souvent impossible de leur assigner leur place rigoureusement logique; il faut, au moins, les signaler où il convient, par des renvois à ce qui a été dit ou à ce qui suivra. C'est ce que fait constamment le Projet japonais.
Du reste, la loi saisit cette occasion de faire ici une place utile à l'échéance, en accordant une nouvelle faveur an débiteur: quand l'échéance tombe un jour férié légal, le débiteur gagne un jour. En France, en ma tière d'effets de commerce, la disposition de la loi est un peu différente: la dette est exigible la veille, mais le débiteur peut encore éviter les frais en payant le lendemain (comp. c. comm., art. 134 et 162).
COMMENTAIRE.
Art. 491. — 503. Le Projet s'écarte un peu de l'ordre suivi par les Codes français et italien, en plaçant l'Imputation des payements et les Offres suivies de la Consignation avant le payement avec Subrogation: il a paru plus naturel, en effet, de présenter dans leur ensemble les règles du payement ordinaire, c'est-à-dire du payement fait par le débiteur lui-même, et de rejeter à la fin de la matière le payement fait par un tiers.
L'imputation des payements est faite par le débiteur ou par le créancier ou par la loi. Ou dit quelquefois qu'elle est de trois sortes: arbitraire, conventionnelle ou légale; mais il y a un peu d'exagération, comme on va le voir, à dire que l'imputation par le débiteur est arbitraire, puisqu'elle a plusieurs limites; il est difficile aussi de dire que l'imputation par le créancier n'a sa force que dans le consentement du débiteur.
504. Dans l'article 461, la loi a soin d'indiquer avec précision que, pour qu'il soit question d'imputation, il faut que le débiteur ait envers le même créancier plusieurs dettes de même nature, c'est-à-dire de même objet, et qu'il fasse, à titre de payement, un versement qui ne peut les éteindre toutes. C'est alors qu'il importe de savoir laquelle est éteinte; car, bien qu'ayant des objets de même nature, elles peuvent peser sur le débiteur d'une façon plus ou moins lourde: les upes peuvent porter des intérêts et les autres non, les unes être garanties par une hypothèque et les autres être purement chirographaires, les unes être sanctionnées par une clause pénale ou par une menace de résolution ou de déchéance, les autres n'avoir pour sanction que le droit de poursuite ordinaire.
Sur la condition d'identité d'objet de diverses dettes avec la nature de la chose payée, il n'y pas besoin d'insister: il est clair que si le débiteur doit, d'une part, des denrées ou marchandises et, d'autre part, de l'argent, et qu'il donne de l'argent en payement, il ne sera pas possible d'imputer ce payement sur la dette de denrées, et réciproquement. Da reste, en fait, c'est presque toujours entre diverses dettes d'argent que la question d'imputation du payement se présente; il est rare que des dettes d'autres choses fongibles soient tellement semblables entre elles et avec la chose payée qu'il y ait incertitude sur le point de savoir à quelle dette s'appliquent les choses données en payement.
Lors donc que le débiteur paye une somme ou valeur qui pourrait, par sa nature, éteindre une dette ou une autre, la loi lui permet d'en faire l'imputation au moment du payement, par conséquent, de requérir du créancier qu'il la mentionne dans la quittance. Si celuici s'y refusait et que le débiteur persistât dans sa prétention, ou bien, il refuserait le payement et attendrait des poursuites, ou bien, il ferait les offres et la consigation dont il sera parlé ci-après et il y reproduirait l'imputation.
505. Il est naturel que le droit d'imputation appartienne au débiteur de préférence au créancier; c'est une nouvelle application de la juste protection que la loi lui accorde en général.
Mais son droit d'imputation n'est pas illimité, ni toutà-fait “arbitraire," comme on l'a dit: la loi lui impose trois limites.
1° Si l'une des dettes est à terme et que le terme soit dans l'intérêt du créancier, le débiteur ne peut, par son imputation, devancer l'échéance du terme; au contraire, si le terme est dans son propre intérêt (et c'est le cas présumé), il peut, par son imputation, renoncer au bénéfice du terme.
2° Si une ou plusieurs des dettes portent intérêt ou ont occasionné des frais au créancier, le débiteur doit d'abord faire l'imputation sur les frais, puis sur les intérêts, et c'est seulement l'excédant qu'il imputera, à son gré, sur le capital de l'une ou l'autre des dettes: le motif est qu'il ne doit pas diminuer le capital productif d'intérêts avant d'avoir payé les frais et intérêts qui eux-mêmes n'en portent pas ou n'en portent qu'à des conditions spéciales.
Un cas pourrait faire doute: le débiteur doit des intérêts échus sur une dette encore non échue, il a de plus une autre dette non productive d'intérêts, ou dont les intérêts sont déjà payés: il fait un payement qu'il prétend imputer sur le capital de cette dernière dette, sans payer d'abord les intérêts échus de l'autre; cette prétention qui pourrait se soutenir en France, avec le texte de l'article 1254, ne sera pas admise avec les termes du présent article qui donne la priorité aux frais et intérêts sur tous “les capitaux."
3° Si l'imputation peut se faire intégralement sur une ou plusieurs dettes, le débiteur ne peut la faire sur d'autres, de façon à effectuer des payements partiels, ce qui lui est défendu par l'article 4-59; ainsi, s'il doit 2000 yens, d'une part, 1000 yens, d'une autre, et qu'il paye 1000 yens, il ne peut en faire l'imputation sur les deux dettes, mais seulement sur celle de 1000 yene, laquelle se trouvera éteinte en entier; s'il doit 2000 yens, 1200 yens et 900 yens, et qu'il donne 1000 yens, il devra d'abord imputer sur la dette de 900 yens; mais il reste libre d'imputer les 100 yens d'excédant sur celle des deux autres dettes qu'il préfère diminuer; à moins que le créancier ne refuse de recevoir l'excédant de 100 yens, ce qui est son droit.
Du reste, les limites qui précèdent cessent, si le créancier consent à une imputation défendue au débiteur: elle devient alors conventionnelle.
Enfin, la liberté d'imputation par le débiteur n'est pas modifiée par la cause des dettes, ni par leur ancienneté en date ou en échéance.
506. Une dernière question reste à examiner ici. D'après les termes mêmes du 1er alinéa, l'imputation doit être faite par le débiteur, au moment où il paye ou, au plus tard, au moment où il demande et obtient la quittance; c'est la conséquence naturelle de ce que l'imputation détermine l'effet extinctif du payement; si donc le débiteur n'a pas fait l'imputation à ce moment, le droit de la faire passe au créancier, comune le dit l'article suivant, et, si ce dernier manque également à la faire, elle est faite par la loi. La question est de savoir si, après l'imputation du créancier ou celle de la loi, les parties pourraient, d'un commun accord, revenir sur ce qui a été fait et faire une nouvelle imputation qui serait conventionnelle. La même question pourrait se poser s'il y avait eu une première imputation par le débiteur et que les parties fussent d'accord pour la changer.
Au premier abord, l'affirmative ne semble pas douteuse, puisque l'ordre public n'est pas intéressé dans l'imputation; mais il ne faut admettre cette convention que si aucune tierce-personne n'est intéressée à maintenir la précédente imputation: autrement, elle ne doit pas perdre un droit acquis. Ainsi, la première imputation a porté sur une dette garantie par une caution, laquelle s'est trouvée libérée; celle-ci ne pourra, par l'accord des parties, être replacée dans les liens de son obligation. De même, la dette éteinte par l'imputation était hypothécaire: l'hypothèque s'étant trouvée éteinte en même temps, les créanciers chirographaires en ont profité (a); dès lors, il est impossible aux parties de faire revivre la dette hypothécaire au préjudice de ceux-ci, lors même qu'ils auraient ignoré l'extinction.
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(a) En France, on dirait aussi que les autres créanciers hypothécaires en ont profité, en gagnant un meilleur rang d'hypothèque; mais, au Japon, jusqu'aujourd'hui, le même fonds ne peut être hypothéqué à plusieurs créanciers. Le Projet n'admettra pas cette limite.
Art. 492. — 507. La loi suppose maintenant que le débiteur n'a pas fait l'imputation ou en a fait une qui n'est pas valable; le créancier, dès lors, a pu user de son droit de la faire, et sa liberté est plus grande que celle du débiteur, car la loi déclare qu'il peut la faire “librement;" elle ne le soumet qu'à une seule condition, celle de faire l'imputation dans la quittance, comme lorsqu'elle est faite par le débiteur, et elle ne met à sa liberté qu'une limite, laquelle est particulière au cas de société (b). On est cependant habitué à voir la loi réserver ses faveurs au débiteur plutôt qu'au créancier. La raison de cette différence est double: d'abord, le débiteur, ayant pu faire l'imputation et ne l'ayant pas faite, est présumé en avoir donné le pouvoir au créan. cier; ensuite, il peut toujours refuser une quittance qui contiendrait une imputation préjudiciable à ses droits: par exemple, si le créancier avait imputé sur une dette non échue, quand le terme était établi dans l'intérêt du débiteur, ou avait imputé sur une dette contestée ou contestable par le débiteur. Lors donc que le débiteur reçoit la quittance portant imputation par le créancier et ne fait pas, à cet égard, de “protestations ou réserves,” l'imputation vaut plutôt par son consentement que par la volonté du créancier (c).
La loi termine encore par une protection du débiteur: lors même qu'il aurait accepté la quittance sans réclamation, il pourrait encore la critiquer pour deux causes: erreur de sa part, fraude ou surprise de la part du créancier. Le Code français (art. 1255) et le Code italien (art. 1257) n'admettent que le dol et la surprise provenant du créancier; mais il paraît tout aussi naturel de venir au secours du débiteur qui, par exemple, aurait mal compris l'imputation faite par le créancier et prouverait que, s'il l'avait exactement comprise, il l'aurait refusée.
Quant au cas de fraude ou surprise de la part du créancier, les tribunaux ne devront pas l'admettre trop facilement; mais on peut supposer que le créancier, abusant de l'ignorance où était le débiteur qu'une des dettes était attaquable, a fait, à dessein, porter l'imputation sur cette dette, pour qu'elle fût considérée comme ratifiée par le payement. L'erreur du débiteur, la fraude à son égard, ne sont pas invraisemblables, si l'on sup. pose que le débiteur actuel est l'héritier du débiteur originaire. Remarquons enfin que le Projet n'a pas employé le mot "dol,” comme les Codes précités, mais le mot plus large de “fraude," pour qu'il soit bien entendu qu'il n'y a pas besoin que le créancier ait employé, pour tromper le débiteur, des "manæuvres frauduleuses" qui sont l'élément constitutif du dol: c'est d'ailleurs l'interprétation admise en France.
Il va de soi que l'imputation faite par le créancier et acceptée par le débiteur, expressément on tacitement, ne pourrait plus être changée, même par un commun accord des parties, s'il y avait des tiers intéressés à son maintien.
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(b) Le cas particulier d'imputation en matière de société est réglé, en France, par l'article 1848: le Projet indique ici qu'il pourra adopter une pareille disposition.
(c) Le débiteur fera quelquefois sagement de ne pas refuser la quittance, quoiqu'il n'accepte pas l'imputation, parce que la quittance prouvera toujours qu'il a effectué un payement; mais alors, il protestera contre l'imputation, il réservera son droit de la critiquer.
Art. 493. — 508. On arrive à l'imputation faite par la loi, lorsque les parties ne l'ont pas faite ou ne l'ont pas faite valablement; et il faut, tout d'abord, remarquer, à ce sujet, que l'imputation non valable ne peut être désormais corrigée par la partie qui aurait eu le droit de la faire plus exactement: lorsque l'imputation est annulée par le tribunal, le payement subsiste, et, comme il doit avoir eu un effet immédiat d'extinction, du jour où il a été accompli, cet effet, n'étant pas réglé par les parties, se trouve l'avoir été par la loi.
Lorsque la loi fait l'imputation, elle se préoccupe moins de suppléer à l'intention probable des parties que de donner satisfaction à l'intérêt légitime de chacune, comme on va le voir en reprenant les cinq alinéas.
1° S'il y a des dettes échues et des dettes non échues, il n'y a d'imputation légale que sur celles qui sont réellement échues, et il n'y a pas à distinguer ici dans l'intérêt de quelle partie le terme avait été établi; car la loi n'a pas qualité pour suppléer la volonté de cette partie dans le sens de la renonciation au terme.
2° Toutes les dettes étant échues, en capital et intérêts, on retrouve ici la règle que la dette des frais et intérêts doit être éteinte avant celle des capitaux: la Joi qui a astreint le débiteur à cette imputation préalable ne pouvait manquer à la faire elle-même. On remarquera, à ce sujet, qu'il n'y a pas de distinction entre les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires (v. p. 328, d), et, d'un autre côté, qu'une dette de dommages-intérêts, même liquidée, ne serait considérée, ni comme dette de frais, ni comme dette d'intérêts: ce serait une dette ordinaire.
3° Toutes les dettes étant échues, ou toutes étant non échues, et les frais et intérêts étant payés, l'extinction portera sur la dette que le débiteur a le plus d'intérêt ou d'avantage à acquitter, autrement dit, sur la plus onéreuse pour lui.
Il y a des cas où l'avantage du débiteur à être libéré d'une dette plutôt que d'une autre est manifeste; d'autres où l'appréciation, étant délicate et variant avec les circonstances du fait, devra être laissée aux tribunaux,
Ainsi, la dette qui porte intérêts est évidemment plus onéreuse que celle qui n'en porte pas; celle dont l'inexécution doit entraîner une forte clause pénale, une déchéance ou une résolution, est plus onéreuse qu'une dette qui p'a que les sanctions civiles ordinaires; celle qui est garantie par une hypothèque est plus onéreuse que la dette simplement chirographaire. Sont également plus onéreuses: celle dont le débiteur est tenu en son nom plutôt que celle dont il est tenu comme caution, celle dont il est tenu seul plutôt que celle dont il est tenu solidairement avec d'autres; celle à l'égard de laquelle il y a titre exécutoire ou poursuites commencées plutôt que celles qui n'ont pas un caractère aussi menaçant.
Mais, il y a plus de difficulté si l'on compare une dette chirographaire portant intérêts avec une dette hypothécaire qui n'en porte pas, ou une dette dont le débiteur n'est tenu que comme caution et pour laquelle il a fourni hypothèque avec celle dont il est tenu en son nom, sans hypothèque: quand les charges respectives des dettes sont de natures différentes, la comparaison et, par suite, le résultat de l'imputation légale doivent être laissés à l'appréciation des tribunaux. On ne devra pas dire cependant qu'il a alors imputation judiciaire, elle sera toujours légale: les tribunaux ne l'auront pas faite en vertu de leur autorité, mais par interprétation et par application de la loi.
4° Si ce caractère plus onéreux au débiteur ne se rencontre dans aucune des dettes, la loi trouve encore une cause préférable d'imputation dans l'échéance. Et ici, elle fait une différence radicale entre les dettes échues et les dettes non échues: si les dettes sont toutes échues, c'est celle qui est la plus ancienne en échéance qui recevra l'imputation; si aucune n'est échue, c'est, au contraire, celle dont l'échéance est la plus prochaine. Cette différence est facile à justifier. La dette la plus anciennement échue est celle à l'égard de laquelle le débiteur est le plus en faute; c'est aussi celle à l'égard de laquelle le créancier court le plus de risque de perdre son droit par la prescription; il est donc juste que le débiteur soit présumé avoir entendu éteindre cette dette, de préférence, et, s'il n'a pas eu cette intention, que la loi y supplée (d). Si, au contraire, aucune dette n'est échue, le débiteur n'a commis aucune faute, il n'a encore aucun devoir de payer; mais, puisqu'il paye avant tous les termes, il est censé renoncer à celui qui est le plus court, le plus près d'échoir; et, si les termes étaient dans l'intérêt du créancier, le fait par lui d'avoir reçu prématurément pourrait le priver du bénéfice de l'un des termes, lequel, raisonnablement, doit encore être le plus court, le plus proche.
5° La loi suppose enfin que “toutes choses sont égales,” c'est-à-dire que les diverses dettes sont semblables en tous points; dès lors, comme il n'y a plus aucune cause d'imputer sur l'une plutôt que sur l'autre, l'imputation est faite par la loi sur toutes en même temps, non par égales portions, mais proportionnellement à leur importance. On arrive alors à des payements partiels; mais le créancier ne peut s'en prendre qu'à lui-même de n'avoir pas fait une imputation particulière.
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(d) Le Code français et le Code italien ont parlé seulement de la dette “ la plus ancienne," et l'opinion la plus répandue est que c'est la plus ancienne en date de formation; mais cette opinion qui paraît fondée sur les lois romaines (équivoques d'ailleurs, sur ce point, et quelque peu con tradictoires) ne peut se justifier, ni en raison, ni en équité, et c'est à bon droit que le Projet l'exclut formellement.
Art. 494. — 509. Le compte courant est plus usité en matière commerciale qu'en matière civile, cependant rien n'empêche et il n'est pas rare qu'il existe entre personnes non commerçantes et pour affaires non commerciales.
Le compte courant n'est pas un contrat particulier, c'est une simple convention accessoire, créant un mode spécial de comptabilité, applicable à des contrats réciproques déjà faits et à d'autres contrats futurs; ces contrats, au lieu de conserver leur caractère propre, leur cause distincte, leurs effets indépendants, se fondent ensemble, se compensent, et finissent par se solder en une différence, à la charge de l'un et au profit de l'autre, ou par se balancer, s'équilibrer exactement, arec libération réciproque.
Le compte courant a lieu surtout entre personnes appelées à se faire des fournitures réciproques de choses semblables: spécialement, d'argent ou de choses toujours estimées en argent. Chaque partie peut tenir le compte, c'est-à-dire le dresser, au fur et à mesure des opérations: chacune a son débit, ou la somme de ce qu'elle reçoit et, par conséquent, de ce qu'elle doit, et son crédit, ou la somme de ce qu'elle fournit, de ce dont elle est créancière. Toutes les opérations étant ramenées à une valeur en argent due par l'une des parties à l'autre, c'est comme s'il y avait une série de prêts successifs et mutuels. Le caractère distinctif du compte courant est donc l'unité, malgré la diversité de ses éléments.
Voici maintenant en quoi les précédentes règles de l'imputation sont inapplicables au compte courant:
1° Dans le compte conrant, toutes les dettes formant le débit de chaque partie sont échues; car la partie créancière peut toujours se faire verser le montant de son solde créditeur; donc, les versements du débiteur s'imputent sur la masse de son débit;
2° S'il y a des intérêts, toutes les dettes portent intérêt et le même intérêt; il n'y a donc pas à dire que l'une d'elles est plus onéreuse que l'autre à cet égard; même observation pour l'hypothèque: s'il y a eu constitution d'hypothèque, c'est pour la garantie de tout le compte ou, au moins, du solde débiteur, quels qu'en soient les éléments constitutifs. Il n'y a donc, en réalité, dans le compte courant, qu'une seule dette qui est flottante, susceptible d'augmenter ou de diminuer à chaque instant, et même de se déplacer d'une partie sur l'autre, par l'effet des versements faits de chaque côté.
Si l'une des règles de l'imputation est applicable au compte courant, c'est la dernière, en vertu de laquelle l'imputation se fait, à la fois, sur toutes les dettes, simultanément et proportionnellement. Ce résultat s'obtient sous une autre forme: les versements sont, comme dit le texte, “portés au crédit de celui qui les effectue;" ils sont, en même temps, portés au débit de celui qui les reçoit et contribuent ainsi, soit à élerer le solde créditeur, soit à le diminuer, soit à balancer ou équilibrer le compte.
COMMENTAIRE.
Art. 495. — 510. Il n'y a rien d'invraisemblable à surposer qu'un créancier refuse de recevoir le paye. ment: le cas le plus simple et le plus fréquent est celui où le créancier prétend, de bonne foi, que le payement proposé par le débiteur ne comprend pas tout ce qui lui est dû; il peut arriver aussi que le créancier préfère prolonger un placement sûr ou qui lui rapporte de gros intérêts, ou qu'il ne veuille pas momentanément courir les risques de la possession de la chose due; ces dernières prétentions n'étant pas légitimes seront toujours déguisées sous le prétexte précédent.
Le débiteur, de son coté, par les raisons exactement inverses, tient à se libérer; quelquefois même il a l'intérêt, encore plus sérieux, d'éviter soit des déchéances de droits acquis, soit une résolution du contrat, une clause pénale ou des dommages-intérêts.
En présence de ce désaccord, il convient qu'aucune des parties ne soit à la discrétion de l'autre.
S'il fallait faire vider le différend par la justice dans les formes ordinaires, il y aurait des lenteurs préjudiciables aux deux parties, même à celle qui aurait définitivement gain de cause. La loi organise donc une procédure extrajudiciaire rapide et peu coûteuse sur laquelle la justice pourra avoir à statuer ultérieurement, si chaque partie persiste dans ses prétentions. Cette procédure se compose de deux actes bien distincts: les offres, la consignation. La loi indique avec soin l'effet séparé de chacun de ces actes: trois articles sont consacrés aux offres et deux à la consignation.
Le Projet s'écarte du Code français sur plusienrs points: notamment, il négligé les formes assez compliquées des offres et de la consignation et les renvoie à la procédure civile extrajudiciaire, et il tranche plusieurs questions restées douteuses en France (a).
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(a) On négligera ici le Code italien qui a reproduit (art. 1259 à 1266) le Code français, presque littéralement, sans y apporter ancune amélioration à noter.
Art. 496. — 511. La loi distingue ici quatre sortes d'obligations, quant à l'objet ou à la chose due, laquelle peut être: une somme d'argent, un corps certain (avec une distinction), une chose fongible ou de quantité, enfin, un fait à accomplir.
1er al. Lorsqu'il s'agit d'une dette d'argent, la loi ne se coutente pas que le débiteur déclare qu'il est prêt à la payer, elle veut encore qu'il présente les espèces au créancier, c'est ce qui fait donner aux offres le nom de réelles (de res, “chose,”) parce que la chose même est offerte. Et remarquons que, dans ce cas, il y a dérogation à la règle ordinaire d'après laquelle le payement peut se faire au domicile du débiteur quand il n'y a pas convention différente: si le débiteur tient à se libérer et que le créancier, dûment averti, ne se présente pas, le débiteur doit prendre la peine de lui faire porter les espèces, à personne ou domicile; sauf à se faire rembourser les frais qui en résultent. La loi exige la présentation des espèces, pour augmenter les chances d'acceptation du créancier; car la loi désire toujours l'extinction des dettes, et elle n'ignore pas que le mauvais vouloir ou les exigences peut-être exagérées du créancier fléchiront souvent, quand il n'aura plus qu'une quittance à donner pour mettre fin au débat.
2° al. La chose due est un objet individuellement déterminé, un corps certain, et la livraison doit se faire au lieu où il se trouve actuellement, soit que ce fût le lieu de la convention, soit que ce fût un autre lieu où le débiteur avait déjà transporté l'objet, en vertu de ladite convention; dans ce cas, les offres ne consisteront que dans la déclaration du débiteur qu'il est prêt à livrer audit lieu: il ne sera pas nécessaire qu'il fasse porter et présenter l'objet au domicile du créancier, ce serait trop aggraver la position du débiteur, en lui créant des embarras sérieux, lors même qu'il en devrait être indemnisé.
3° al. Il s'agit encore d'un corps certain, mais il est livrable au domicile du créancier ou dans un autre lieu où il n'est pas encore. En principe, le débiteur devrait le transporter purement et simplement audit lieu; mais comme le débiteur sait déjà que le créancier ne veut pas recevoir (peut-être, parce qu'il soutient que l'objet a été détérioré par la fante du débiteur), il y aurait souvent un grand inconvénient à transporter la chose pour les offres, et à la rapporter ensuite, en cas de refus. La loi autorise donc encore le débiteur à faire ses offres par une simple déclaration portant qu'il est prêt à livrer au lieu convenu. Cette faveur, qui ne se tronve pas dans le Code français, n'est accordée au débiteur que si le transport est “coûteux, difficile ou dangereux;” or, c'est sous sa responsabilité que le débiteur appréciera s'il convient ou non d'effectuer ce transport préalable; s'il ne l'a pas fait et qu'ensuite le créancier, refusant les offres, prouve que l'objet avait pu être transporté sans inconvénients sérieux, le débiteur supportera les frais des offres.
4° al. Le Code français n'a pas prévu le cas où la dette est d'une chose de quantité; il en résulte un désaccord entre les auteurs et parmi les tribunaux, sur le point de savoir si les offres doivent toujours être accompagnées de la présentation de la chose. Le Projet tranche la question négativement, en assimilant, à cet égard, les choses de quantité aux corps certains: elles ne devront être présentées que si le payement doit être fait au domicile du créancier ou dans un autre lien que celui où elles se trouvent actuellement, et si le transport n'a pas d'inconvénients sérieux.
5° al. Le Code français n'a pas non plus prévu l'obligation “de faire," comme celle d'exécuter un travail: il est clair qu'il ne peut être question d'offres réelles, en pareil cas. Une distinction est d'ailleurs nécessaire: si le travail n'exige pas le concours, la présence du créancier, le débiteur doit l'exécuter de son côté et il n'aurait à faire d'offre d'exécution au créancier que si celui-ci avait élevé des prétentions à la résiliation du contrat ou à une exécution différente de celle que veut faire le débiteur; si, au contraire, l'exécution demande la présence, le concours du créancier, comme un portrait à faire, des vêtements à confectionner sur mesure ou des travaux à exécuter dans sa maison, sous sa direction, le débiteur, au cas de refus du créancier, le sommera de concourir à l'exécution, en déclarant qu'il est prêt de son côté à y procéder.
Il ne peut être ici question d'offres d'exécuter une obligation “ de ne pas faire:” il suffira au débiteur de s'abstenir.
Art. 497. — 512. Le Code français a cru devoir entrer dans des détails minutieux sur les conditions et formalités des offres (art. 1258). Or, ces conditions ne sont guère autres que celles requises pour la vali. dité du payement, déjà exposées précédemment, et cela est naturel, puisque “les offres suivies de la consigpatiun libèrent le débiteur” (art. 1257, 2° al.); il paraît donc inutile de les reproduire ici et le Projet se borne à exiger pour les offres les conditions requises pour le payement. Quant aux formalités extrinsèques des of. fres, elles appartiennent à la procédure extrajudiciaire; le Code civil français lui-même ne les a pas données toutes, car il a dû les compléter au Code de procédure civile (art. 812 à 818). Le Projet les renvoie toutes à la procédure,
Art. 498. — 513. Cet article règle les effets des offres. On les suppose “valables," au fond et en la forme et, de plus, “faites en temps utile," ce qui n'est pas une condition de leur validité, mais rend leurs effets plus favorables au débitenr. Dans ce cas, elles préservent le débiteur des conséquences qu'aurait entraînées pour lui un retard dans l'exécution. Ainsi, un vendeur s'était réservé la faculté de rachat, par la restitution du prix dans un délai fixe, ou un locataire s'était réservé le droit de renouveler le bail, en prévenaut un certain temps à l'avance et en payant un terme à échoir; si l'un ou l'autre laisse écouler le temps fixé sans verser les sommes dues pour le rachat ou la relocation (réconduction), il encourt une déchéance immédiate, de plein droit et sans sommation: les offres faites “en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai, le préserveront de cette déchéance. Il en est de même de la résolution pour inexécution des condi. tions, et, lors même que le débiteur se trouverait dans un des cas où la résolution n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée et prononcée en justice, il ne suffirait pas qu'il déclarât, au cours de la procédure, qu'il est prêt à exécuter: il devrait suivre la forme particulière des offres et présenter les espèces ou la chose due, suivant les distinctions précitées; s'il l'a fait avant que le jugement ait prononcé la résolution, il en est préservé. Enfin, il échappe, par les offres faites en temps utile, à la clause pénale stipulée comine dommages intérêts pour le retard.
514. Les offres valables ont encore pour effet d'empêcher que le créancier mette valablement le débiteur en demeure d'exécuter; s'il le fait néanmoins, l'acte sera sans effet contre le débiteur. Si même la mise en demeure avait eu lieu avant les offres, celles-ci en arrêteraient les effets, et, suivant l'expression consacrée, “elles purgeraient la mise en demeure." La conséquence est que la chose due ne serait plus aux risques du débiteur et qu'il ne serait pas exposé à des dommages-intérêts, ni tenu de payer des intérêts moratoires.
Cette dernière solution est contestée en droit français, en présence de l'article 1259-2°, lequel vent que la consignation comprenne "les intérêts jusqu'au jour du dépôt,” sans distinguer d'ailleurs entre les intérêts inoratoires et les intérêts compensatoires. Mais, si le texte ne fait pas cette distinction, la raison la commande et, lors même qu'elle ne serait pas dans l'esprit de la loi française, il convient de l'introduire dans le Projet japonais. En effet, du moment que le débiteur qui a fait des offres valables n'est plus en retard, il n'est pas admissible qu'il doive les intérêts moratoires qui sont la peine du retard. Vainement, on objecte que tant qu'il n'a pas consigué les espèces, il en jouit, il en tire profit et, par conséquent, qu'il doit payer des intérêts: on oublie que les intérêts moratoires, à la différence des intérêts compensatoires, sont une peine et non la coutrevalenr d'un profit. Enfin, il dépend toujours du créancier de faire cesser ce profit du débiteur et de l'obtenir pour lui-même en acceptant les offres.
Art. 499. — 515. La loi suppose que le créancier n'a pas accepté les offres; le débiteur n'est pas encore libéré: il lui reste pour cela, à consiguer la chose due, c'est-à-dire, à s'en dessaisir, dans des conditions où elle sera à la disposition du créancier.
Le mode de dessaissement varie suivant la nature de la chose due.
S'il s'agit d'uve dette d'argent, le débiteur doit verser les espèces dans une caisse pnblique spéciale à ce destinée; c'est la "consignation” proprement dite. Si la dette produit des intérêts compensatoires, légaux ou conventionnels, tout ce qui en est échu, jusqu'au jour de la consignation, doit être joint au capital.
Si la dette est d'un corps certain ou d'une quantité d'objets fongibles, la consignation ne peut être faite comme pour les sommes d'argent, aucune administration publique n'étant spécialement organisée dans ce but; mais le débiteur demande au tribunal de fixer un lieu où les choses dues seront déposées: le tribunal pourra désigner quelque administration publique ou privée, peu éloignée, ayant des locaux et des services qui rendent facile la garde et la conservation des objets; par exemple, la douane, dans les ports. Le tribunal pourra aussi autoriser le débiteur à conserver les objets dans ses propres locaux ou magasins. On nomme “séquestre ou gardien judiciaire ” la personne ainsi chargée par justice de conserver les objets au sujet desquels il y a contestation (voy. c. civ. fr., art. 1961). La consignation, ou la mesure qui en tient lieu, a aussi ses formes particulières comme les offres: le Code français les indique à l'article 1260; le Projet japonais les réserve au Code de procédure civile.
Art. 500. — 516. La loi n'a plus qu'à déterminer les effets de la consignation. Elle libère le débiteur et sa libération profite à ses codébiteurs et à ses cautions; s'il avait donné un gage ou une hypothèque, ses biens en sont affranchis. La loi n'a pas cru nécessaire de tirer ces conséquences normales de toute libération; mais elle en a indiqué une qui aurait pu faire doute: “la chose consignée est aux risques du créancier.” Il semble cependant que, cet effet étant déjà produit par les offres, la consignation n'y ajoute rien; mais les offres n'affranchissent le débiteur que des risques résultant pour lui de la demeure, non de ceux auxquels il se serait soumis par convention en dehors de toute faute on retard de sa part. La consignation l'affranchit même de ces derniers risques. C'est dans le même sens que paraît devoir être entendu l'article 1257, 2° al., du Code français qui attache l'affranchissement des risques, ponr le débiteur, non aux offres, mais à la consignation.
517. La libération qui résulte de la consignation, quoique complète, n'est pas irrévocable: tant que le créancier ne l'a pas acceptée, soit expressément, soit tacitement, en retirant les objets consignés, le débiteur peut revenir sur ce qu'il a fait et reprendre lui-même les choses déposées. Alors la libération est résolue et considérée comme n'ayant pas eu lieu: elle est “réputée non avenue,” comme dit le texte, et la conséquence est que l'obligation pèse de nonveau sur les codébiteurs et les cautions et que les gages et hypothèques renaîssent au profit du créancier.
L'acceptation du créancier met obstacle à cette renaissance entière de la dette au gré du débiteur.
Le même obstacle résulte du jugement que le débiteur aura pu obtenir, déclarant “bonnes et valables" les offres et la consignation. En effet, le débiteur, s'il n'a pas l'intention de revenir sur la consignation et s'il veut être assuré que sa libération ne lui sera pas contestée plus tard, ne manquera pas d'assigrer le créapcier en justice, pour faire prononcer contradictoirement la validité de sa libération. Une fois ce jugement rendu au profit du débiteur et avant même qu'il soit devenu inattaquable, le débiteur est lié, puisqu'ayant triomphé, il ne peut le frapper d'opposition, d'appel, ni de pourvoi: le jugement a déjà "force de chose jugée" à son égard; mais, si le créancier l'attaque par une des voies de recours, le débiteur n'est plus tenu de le respecter, de son côté, et il peut retirer la consignation. Cette faculté ve lui est donc définitivement enlevée que par le consentement du créancier ou par l'irrévocabilité du jugement de validité.
Dans ce dernier cas encore, le débiteur peut retirer les choses cousignées, si le créancier y consent; mais les effets du retrait seront bien différents; la dette ne renaîtra qu'entre le créancier et le débiteur personnelnement, elle ne renaîtra pas "au préjudice des tiers.” La loi aurait pu présenter l'idée en ces termes brefs; mais, pour plus de clarté, elle exprime que les codébi. teurs et les cautions restent désormais libérés et que les gages et hypothèques ne renaîssent pas, en sorte que le créancier n'aura plus sur les autres créanciers le droit préférence qui lui appartenait à l'origine; enfin, la loi suppose que des créanciers du créancier avaient pu pratiquer des saisies-arrêts ou oppositions sur les sommes ou valeurs consignées ou déposées, et elle décide que le retrait ne pourra avoir lieu par le débiteur au préjudice des saisissants.
518. La loi ne dit pas que les frais des offres et de la consignation sont à la charge du créancier, si elles sont déclarées bonnes et valables, et à la charge du débiteur, dans le cas contraire: cela sera mieux à sa place au Code de procédure où l'on verra aussi quels sont les frais de ces deux formalités. Il en est de même des frais de l'instance en déclaration de validité.
Au surplus, il n'y aura là que l'application des principes généraux en matière de frais.
COMMENTAIRE.
519. Le payement avec subrogation est l'opposé du payement “simple” auquel est consacré le § 1°, c'est un payement “complexe ou composé” produisant deux effets si différents qu'ils paraissent contradictoires. On verra cependant qu'ils sont conciliables.
La matière est difficile, parce qu'elle se combine avec plusieurs théories importantes: notamment, avec les hypothèques, le cautionnement et la solidarité; elle présente aussi un danger de confusion avec d'autres théories: notamment, avec la cession de créance et avec la novation par changement de créancier.
En France, les difficultés se trouvent augmentées de traditions historiques que le Code civil n'a tout-à-fait ni suivies, ni abandonnées.
Le Projet japonais s'efforce, ici, comme partout, de mettre plus de méthode, de précision et de simplicité, et, en même temps, de combler quelques lacunes que l'expérience a signalées.
Art. 501. — 520. Le premier article, sans être toutà-fait une définition du payement avec subrogation, en indique le double effet déjà annoncé: comme payement, il est et il ne peut pas manquer d'être extinctif de l'obligation; mais puisqu'il n'est pas un payement par et simple, son effet extinctif est incomplet: la dette est vraiment éteinte par rapport au créancier qui n'a plus aucun droit, elle subsiste par rapport au débiteur qui n'est nullement libéré. Aussi a-t-on l'habitude de dire que la subrogation est une fiction de droit qui permet de considérer comme subsistant encore, au profit du tiers qui a payé, l'obligation qui a cessé d'exister an profit du créancier. Cette idée de “fiction" n'est pas nouvelle en cette matière: déjà les anciens jurisconsultes romains, dans le cas où le payement était fait par un codébiteur solidaire ou par une caution, lui donnaient, pour son recours en remboursement, les actions même du créancier, et ils disaient que ce dernier “ était censé avoir vendu sa créance, avoir cédé ses actions” (a).
Cependant, quelques jurisconsultes français (b) ont combattu l'idée de cession et de conservation de la créance au profit du subrogé: ils ont prétendu que le payement éteint la créance, aussi bien à l'égard du débiteur qu'à l'égard du créancier, et que le recours du tiers qui a payé, contre le débiteur, est fondé sur une créance nouvelle par sa cause, qui est la gestion d'affaires ou le mandat, suivant que le tiers a payé spontanément ou sur le mandat du débiteur; mais, pour que ce recours soit efficace, la loi y attacherait les sûretés qui garantissaient la créance primitive.
L'inventeur et les partisans de ce système de se sont pas aperçus qu'ils avaient eux-mêmes besoin de recourir à une fiction pour expliquer la conservation des sûretés de l'ancienne créance et que, dès lors, il est plus simple et tout aussi naturel de conserver la créance elle-même au subrogé.
La question n'est pas d'ailleurs dénuée d'intérêt pratique: si la créance est considérée comme éteinte par le payement et si les droits accessoires sont seuls conservés, il n'y aura de conservés que ceux qui sont désignés plus ou moins explicitement par la loi; or, les priviléges, les hypothèques, le cautionnement, sont évi. demment conservés; on peut décider de même pour la solidarité entre débiteurs, parce qu'elle a de l'analogie avec un cautionnement mutuel; mais, il n'en est plus de même pour les intérêts, soit compensatoires, soit moratoires, pour le droit d'user des titres de l'ancienne créance et des actes de poursuite déjà faits; enfin, tandis que l'ancienne créance pouvait avoir un caractère commercial, avec les avantages qui y sont attachés, la nouvelle est toujours civile.
Il est facile de voir, à la simple lecture de l'article 501 que tel n'est pas le système suivi par le Projet; de plus, on s'est attaché à prévenir tous les doutes, en déduisant, dans les articles 505 et 509, les principales conséquences du système adopté.
521. Mais de ce que le subrogé acquiert la créance primitive elle-même il ne résulte pas qu'il soit privé de l'action spéciale qui lui appartient de son propre chef et qui est née de la gestion d'affaires ou du mandat: il pent, suivant son intérêt, se prévaloir de l'une ou de l'autre; il peut même les cumuler, en demandant par l'une ce qu'il ne pourrait obtenir par l'autre; ainsi, si la dette primitive ne portait pas d'intérêts, le tiers qui l'a payée en vertu d'un mandat aurait droit aux intérêts légaux de ses déboursés, d'après les règles du mandat; mais il ne pourrait alors invoquer, pour ces intérêts, la garantie d'une hypothèque ou d'un cautionnement attachés à la première dette. Dans un cas même, le tiers n'aura contre le mandant que l'action de mandat, c'est lorsque la dette qu'il a payée n'existait pas; dans ce cas, il n'y a, en réalité, aucune subrogation: le payement est sujet à répétition, comme indû; mais si celui qui a reçu est insolvable ou s'il est difficile de faire contre lui la preuve que la dette n'existait pas, le mandataire peut toujours se retourner contre le mandant, responsable du mandat qu'il a donné. Dans le cas de gestion d'affaires, le gérant n'aurait que la répétition de l'indû contre celui qui a reçu.
522. L'article 501 annonce trois sortes de subrogations: à la rigueur, on pourrait n'en reconnaître que deux, l'une conventionnelle, l'autre légale; c'est ainsi qu'a procédé le Code français (art. 1249); mais il faut alors subdiviser la subrogation conventionnelle en deux cas, ce qui est plus compliqué.
Il n'est pas question ici de subrogation judiciaire: on en a rencontré une application dans l'article 359; mais elle n'a aucun rapport avec le payement. Il en est de même de la subrogation autorisée entre créanciers qui ont pratiqué une saisie immobilière (voy.c. pr. civ. fr., art. 721 à 723) (c).
523. La subrogation qui va nous occuper est souvent appelée subrogation “personnelle" ou subrogation “ de personnes,” parce qu'elle substitue un nouveau créancier à l'ancien; elle forme ainsi opposition à la subrogation “réelle" qui substitue une chose à une autre comme objet du droit de propriété; par exemple, quand un mari, en vertu du contrat de mariage ou d'une disposition de la loi, fait “remploi," pour sa femme, du prix d'un immeuble aliéné, en achetant un autre immeuble: on dit alors que le nouvel immeuble est “subrogé” au premier; il en est de même au cas d'échange d'un immeuble dotal contre un autre bien qui devient dotal à son tour (voy. c. civ. fr., art. 1407, 1434 et 1435, 1553, 7° al. 1558).
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(a) Il n'est pas rare que les jurisconsultes expliquent par l'idée de fiction des théories un peu hardies de la loi; la loi française elle-même qualifie de “fiction légale” la représentation en matière de succession (art. 739); elle admet formellement une tradition “ feinte" ou fictive (art. 1919) et l'on peut dire que la loi feint, lorsqu'elle emploie l'expression “est censé," dans les articles 522 et 883; enfin, c'est par une véritable fiction que le mandataire représente le mandant et que tout ce qu'il fait, dans les limites du mandat, est censé fait par le mandant luimême.
(b) Parmi eux est le célèbre Merlin qui fut Procureur général à la cour de cassation, sous le 1er Empire, et qui prit une part considérable à la rédaction du Répertoire de jurisprudence qui porte son nom. Ce Ré. pertoire, peu connu au Japon, est très-précieux, surtout pour l'ancien droit français et pour le droit de la Révolution dit "droit intermédiaire."
(c) On a prétendu cependant trouver un véritable cas de subrogation “judiciaire" par suite de payement, dans l'article 133 du Code français de procédure civile, qui permet à l'avoué dont le client a gagné le procès de demander à la justice la distraction des dépens à son profit; mais il y a plutôt là une subrogation légale; car la justice ne pouvant refuser de l'accorder à l'avoué qui la requiert, on ne peut pas dire que ce bénéfice vienne d'elle: un effet de la loi n'a pas toujours lien de plein droit et il ne cesse pas d'être légal parce qu'il doit être déclaré par la justice.
Art. 502. — 524. Le cas de subrogation par le créancier est le plus simple; la loi ne le soumet qu'à deux conditions: que la subrogation soit “clairement mentionnée " et qu'elle soit faite dans la quittance, c'est-à-dire, au moment même où le payement est régulièrement accepté.
Sur le premier point, le Projet est un peu moins exigeant que la loi française qui veut que la subrogation soit "expresse” (art. 1250-1°): comme d'ailleurs on n'exige pas, pour l'observation de cette disposition que le créancier emploie exclusivement le mot de “subrogation," comme beaucoup d'équivalents sont admissibles, il vaut mieux n'exiger que “la clarté.” La loi française, dans un cas analogue, celui de la novation, se contente d'une disposition “claire” de la convention (art. 1273).
Il y aura toujours une difficulté possible, soit avec le Projet, soit avec la loi française, c'est celle de savoir s'il y a eu payement avec subrogation ou transportcession de créance; en d'autres termes, si la somme ou valeur fournie par le tiers l'a été comme payement et pour acquitter la dette, ou comme prix de cession et pour acquérir la créance. Les deux opérations ont, comme on l'a annoncé, plus d'analogies que de différences: la plus considérable des différences se trouve mentionnée à l'article 506 sous lequel elle sera justifiée. Il faut laisser aux tribunaux le soin de décider ce que les parties ont entendu faire (quid inter partes actum sit), d'après les expressions employées dans la convention, d'après la correspondance qui a pu être échangée à ce sujet, enfin, d'après le motif qui a pu faire agir le tiers, lequel peut être le désir de rendre un bon office au débiteur ou, au contraire, l'esprit de spéculation.
525. La seconde condition est encore plus simple: si la subrogation n'est pas accordée “au moment du payement," elle ne peut plus l'être ensuite, parce que la dette, se trouvant alors éteinte, absolument et sans réserve, ne peut renaître par aucun acte.
Il ne faudrait pas ajouter à la loi, en exigeant que la quittance subrogative soit écrite; sans doute, cela sera désirable et le plus fréquent; mais l'écrit pe sera exigé ici qu'autant qu'il sera nécessaire d'après le droit commun des preuves: un payement effectué devant témoins, avec déclaration verbale de subrogation par le créancier, serait parfaitement valable devant les tribunaux, dans tous les cas où un payement simple pourrait se prouver par témoins. Si, au contraire, il n'y avait ni écrit, ni témoins, et que la subrogation résultât de l'aven seul du créancier, les tribunaux pourraient ne pas accueillir la prétention du subrogé, parce qu'il pourrait y avoir collusion de celui-ci avec le créancier, pour faire revivre une dette éteinte, au préjudice da débiteur et des autres personnes intéressées à l'extinction: c'est l'aveu du débiteur qui ferait foi en pareil cas, plutôt que celui du créancier.
526. L'article 502 se termine en tranchant une question très-débattue en France, au sujet de l'article 1236, in fine, dont la rédaction est fort obscure (d). Cet article semble refuser au créancier le droit de subroger, un tiers “non intéressé,” lorsqu'il paye “en son propre nom," au lieu de payer au nom du débiteur; d'un autre côté, comme cette opération n'a rien d'illicite en soi, on la déclare valable comme transport-cession de la créance; or, cette interprétation, loin d'être favorable au débiteur, lui est au contraire nuisible (voy. ci-après, art. 506): il n'y aura plus de difficulté avec le Projet: que le tiers soit intéressé ou non, qu'il paye en son propre non ou au nom du débiteur, comme gérant d'affaires ou comme mandataire, il pourra toujours être valablement subrogé par le créancier.
Ce qui aurait pu faire doute seulement, c'est qu'un mandataire, payant au nom du débiteur, pût se faire subroger: il semblerait que, représentant le débiteur, il ne pnisse conserver la créance à son profit et que le payement devrait être aussi complétement extinctif que s'il était fait par le débiteur lui-même; mais la représentation du débiteur par le mandataire est elle-même “une fiction” (voy. p. 519, a) et il n'y a pas de raison sérieuse de donner plus de puissance à cette fiction qu'à celle sur laqnelle repose la subrogation. D'ailleurs, on verra dans l'article suivant que le payement fait par le débiteur lui-même peut être accompagné de la subrogation, il n'est donc pas surprenant que le même résultat puisse, sous une autre forme, être attaché au payement fait par son représentant.
527. La loi n'a pas eu besoin de s'expliquer sur la capacité nécessaire au créancier pour conférer la subrogation: il est clair que s'il a capacité pour recevoir le payement qui éteint son droit, il a la capacité de subroger à ce même droit, puisque la subrogation ne doit pas lui préjudicier (comp. art. 507); la loi d'ailleurs termine cette matière en renvoyant aux règles générales du payement.
Le seul point qui pourrait faire quelque doute est celui de savoir si le mandataire du créancier, à l'effet de recevoir le payement, peut conférer la subrogation au tiers qui paye: quelqnes auteurs prétendent qu'il faut distinguer entre les mandataires généraux, comme le tuteur et le mari, et le mandataire spécial qui n'est chargé que de recevoir, comme un caissier, un huissier ou un notaire (e); mais il paraît plus naturel et plus juste de ne pas faire cette distinction, toujours parce que, la subrogation ne nuisant pas au créancier, il n'y a pas lieu d'exiger un pouvoir exprès à cet égard; on peut dire même que ces mandataires manqueraient à leur devoir et encourraient une responsabilité envers le créancier, s'ils refusaient le payement offert par un tiers, sous prétexte que celui-ci exige la subrogation. D'ailleurs, si le créancier avait des motifs sérieux de refuser la sabrogation ainsi conférée par un mandataire spécial, il devrait refuser le payement lui-même: autrement, il serait censé avoir ratifié toute l'opération.
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(d) La même obscurité de rédaction a été reproduite dans le Code italien (art. 1238, in fine).
(e) Il ne faut pas considérer un serviteur chargé d'aller recevoir le payement comme un véritable mandataire dans le sens qui nous occupe, ou, tout au moins, il faut dire que son mandat est limité à la réception matérielle et au transport de la chose due.
Art. 503. — 528. Il est plus surprenant de voir le débiteur autorisé à conférer lui-même la subrogation, car il dispose alors de droits qui ne lui appartiennent pas. Ce droit du débiteur a une origine romaine; il a été consacré et généralisé dans l'ancien droit français d'où il a passé dans le Code civil.
Voici comment il se justifie. Il arrive souvent qu'un créancier qui a une créance productive d'intérêts élevés et garantie par de bonnes sûretés ne désire pas être remboursé. Si le débiteur avait des fonds disponibles et que l'échéance fût arrivée, il pourrait imposer le remboursement; mais souvent, il n'a pas les fonds nécessaires, il lui faudrait les emprunter; il trouverait. d'ailleurs à emprunter à des intérêts moins élevés; mais, ses biens étant grevés d'hypothèque au profit du premier créancier et celui-ci refusant de recevoir un payement avec subrogation, la position du débiteur serait sans remède. On a donc imaginé d'autoriser le débiteur à emprunter pour payer sa dette et à subroger le prêteur aux droits du créancisr qu'il s'agit de désintéresser avec les fonds ou valeurs prêtés, et, pour cette subrogation, il n'est pas besoin du consentement du créancier (f).
Telle est la disposition du 1er alinéa de notre article.
529. Viennent ensuite les conditions requises pour la validité de cette subrogation.
Il faut qu'il y ait entre l'emprunt et le payement un rapport de cause à effet, nettement établi: il faut que l'acte d'emprunt mentionne que les deniers ou valeurs (g) sont destinés à payer la dette dont il s'agit et que la quittance du créancier désintéressé mentionne l'origine des valeurs reçues par l'emprunteur. La mention de la subrogation au profit du prêteur sera dans l'acte d'emprunt; il n'est pas nécessaire que la quittance la reproduise du chef du créancier; mais, si elle s'y trouvait, il y aurait alors deux subrogations et la validité de l'une pourrait suppléer à la nullité de l'autre. La loi n'exige pas que cette subrogation soit expresse ou formelle; mais il faut évidemment qu'elle soit "claire" ou exempte d'équivoque, comme dans le cas de subrogation par le créancier. Si le créancier refusait de mentionner dans la quittance l'origine des valeurs reçues, l'opération n'en serait pas pour cela empêchée, puisqu'elle peut se faire sans son consentement: le débiteur lui ferait, en bonne forme, des offres avec mention de la subrogation, suivies de la consiguation.
530. Le Code civil français exige que les deux actes, l'emprunt et la quittance, soient passés devant notaires, sinon pour la solennité, au moins pour la preuve: le but de cette exigence est d'éviter la fraude qui consisterait à faire revivre une dette éteinte, avec ses sûretés.
Un exemple fera bien comprendre le danger de cette fraude.
Le débiteur avait une dette garantie par un privilége, par une première hypothèque ou par un cautionnement; il acquitte cette dette avec des deniers qui lui appartiennent; la dette étant éteinte, la caution est libérée et les créanciers hypothécaires suivants gagnent un rang meilleur; plus tard, le débiteur désire emprunter pour d'autres opérations: il ne le pourra pas facilement, ses biens se trouvant encore grevés d'hypothèques antérieures et les cautions n'étant peut-être pas disposées à le garantir pour un nouvel emprunt. Si la loi n'exige pas un acte notarié pour la subrogation par emprunt, le débiteur antidatera ledit emprunt, de manière à le faire coïncider avec le payement qu'il a déjà effectué et il priera l'ancien créancier de lui donner une nouvelle quittance, à la même date que la première, en y ajoutant la mention de la prétendue origine des deniers: le poulveau créancier prendra ainsi le rang hypothécaire de l'ancien et aura les anciennes cautions pour garants. Si même le payement antérieur n'a été connu que des parties, au lieu de donner une nouvelle quittance antidatée (datée d'avant), on en fera une postdatée (datée d'après), du jour de l'emprunt, toujours avec la men. tio