SECTION IV.
DE LA PERTE DE LA POSSESSION.
Art. 213. Il semblerait qu'on dût retrouver ici tout ou la plus grande partie des causes qui font perdre le droit de propriété (voy. art. 42). Cependant, il n'y a guère que les 2e et 4e cas qui soient communs aux deux droits (voy. art. 42, 5e et 6e al.); cela tient à la grande influence, dans la possession, du fait de la détention, lequel est indifférent dans la propriété qui est un pur droit.
On reprendra séparément chacune des causes qui font perdre la possession; mais elles ne présentent guère de difficultés, après les développements qui précèdent.
L'intention de posséder étant un des deux éléments du droit de possession, il est naturel que le droit cesse avec cette intention.
Comme il y a deux sortes de possessions caractérisées par l'intention, l'une civile, l'autre précaire; comme la différence entre elles tient à ce que, dans la première, on possède pour soi, et, dans l'autre, pour autrui; dès lors, le texte, pour embrasser les deux sortes de possessions, suppose que, dans chacun de ces deux cas, le possesseur a cessé d'avoir l'intention qui constituait et caractérisait sa possession.
Ainsi, celui qui possédait pour lui-même et avait la possession civile a commencé à posséder pour autrui: il a perdu la possession civile et n'a plus qu'une possession précaire; ainsi encore, celui qui possédait pour autrui et avait la possession précaire a cessé d'avoir l'intention de posséder pour aucune personne: il n'a plus la possession précaire; il conserve une possession purement naturelle; car il ne se rencontre plus en sa personne qu'un pur fait matériel, la détention de la chose.
On n'a pas à revenir ici sur le cas inverse du premier, celui où le possesseur précaire aurait désormais l'intention de posséder pour lui-même: en pareil cas, son changement d'intention serait rarement valable; il resterait légalement possesseur précaire, et si, par exception, le changement d'intention était admis, il y aurait moins perte de la possession précaire qu'acquisition de la possession civile (voy. art. 185).
Si le possesseur, sans cesser d'avoir l'intention de posséder, cesse de détenir la chose ou d'exercer le droit, c'est le deuxième élément de la possession, l'élément de fait, qui lui manque; son intention est insuffisante pour lui faire retenir la possession.
Toutefois, la loi exige, pour cela, que la cessation du fait soit volontaire, ou, si elle est forcée, qu'elle le soit légalement; comme serait l'exécution d'un jugement rendu au possessoire, sur une action en réintégrande, ou au pétitoire, sur une action en revendication ou en résolution de contrat; telle serait encore l'exécution d'un jugement de confiscation.
Ces cas correspondent à quelques-uns de ceux où, d'après l'article 42, la propriété elle-même se perd; mais il y a cette différence que la propriété, étant un pur droit, se perd par le jugement même qui prononce la résolution ou la confiscation; tandis que la possession, à cause de son élément de fait, ne se perd que par l'exécution effective du jugement.
Si la cessation de la détention n'était ni volontaire, ni légalement forcée, mais résultait d'une force majeure, comme d'une inondation prolongée, la possession ne serait pas perdue; il en serait de même s'il s'agissait de terrains inaccessibles pendant une partie de l'année; on peut encore ajouter le cas où un objet mobilier est égaré dans une maison et où l'on ne peut pas dire qu'il soit encore possédé en fait, sans qu'on puisse dire non plus que la possession en soit perdue.
Dans tous ces cas, on dit que “la possession se conserve par la seule intention.”
Le texte du précédent alinéa, en exigeant que la cessation forcée de la détention soit légale, a pour but d'exclure le cas de dépossession illégale, par violence ou par surprise, cas auquel le spolié a la réintégrande et n'a pas perdu la possession, tant qu'il n'a pas perdu cette action par le laps d'un an. C'est à cette occasion que s'est introduit l'axiome de droit que “celui qui a une” action pour recouvrer une chose est considéré comme “ayant encore la chose elle-même.”
Ici la dépossession peut être illégale, mais elle a duré plus d'une année et c'est cette circonstance qui dépouille le possesseur.
Dans le cas où le possesseur spolié ou privé de la possession par le fait d'un tiers, même de bonne foi, néglige d'intenter, dans l'année, l'action en réintégrande ou l'action en complainte, on pourrait dire que, le plus souvent, il y a abandon volontaire de la possession; mais il est préférable de séparer ce cas du précédent; en effet, lors même que l'inaction du possesseur dépouillé tiendrait à son absence ou à son ignorance de la dépossession, il n'en perdrait pas moins son droit, comme il arrive d'ailleurs dans les autres cas où les droits se perdent par prescription.
Il va de soi que la possession ne peut survivre, ni comme fait, ni comme droit, à la destruction totale de la chose: l'intention de la posséder n'aurait plus d'objet.
La loi prévoit aussi la perte de la chose ou du droit qui ne se confond pas toujours avec sa destruction: ainsi, si une chose privée passe dans le domaine public, le droit est perdu pour le possesseur, mais la chose subsiste; la possession cesse, au moins la possession civile (art. 184); ainsi encore, si un animal sauvage s'échappe et n'a pu être ressaisi, avant d'être occupé par un tiers de bonne foi, la chose n'est pas détruite, mais elle n'est plus soumise au droit du précédent possesseur: la possession est perdue.