Art. 36. Ici, il ne s'agit plus d'une action propre à la caution, d'une action qu'elle exerce de son chef, à raison du service rendu au débiteur ou du dommage par elle éprouvé : elle exerce les droits et actions qu'avait le créancier par elle désintéressé ; c'est le premier des cas de subrogation légale, (Liv. des Biens, art. 482). Celui qui était tenu d'une obligation “ avec d'autres ou pour d'autres,” ayant acquitté la dette, a ainsi libéré ceux-ci : il mérite toute la protection possible de la loi pour le recouvrement de ce qu'il a déboursé ; or, c'est quelquefois pour la caution un grand avantage que de pouvoir exercer les actions du créancier. Il faut, pour cela, supposer que le créancier avait lui-même quelque autre sûreté que le cautionnement, ou quelque avantage que n'a pas la caution avec son action personnelle. Par exemple, le créancier avait un gage ou une hypothèque, ou il avait plusieurs cautions : la caution qui a payé ne pourrait, de son propre chef, poursuivre les autres cautions ou exercer le droit de gage ou d'hypothèque ; mais elle le pourra du chef du créancier auquel elle est subrogée. Elle pourrait même exercer, du chef du créancier, le droit de résolution du contrat pour inexécution : si ce n'est pas là une sûreté proprement dite, c'est un avantage particulier du créancier, qui est transmissible par voie de subrogation comme par voie de cession (v. Liv. des art. 486).
L'exercice par la caution des droits et actions du créancier n'exclut pas celui des droits et actions qu'elle a de son propre chef : les deux sortes d'actions sont “ indépendantes,” comme dit notre article : la caution peut les cumuler autant qu'elle y a avantage. Ainsi, il est possible que la créance principale, bien qu'hypothécaire, ne porte pas d'intérêts : la subrogation ne donnerait pas à la caution le droit d'en exiger ; mais elle en obtiendra de son propre chef, au moins quand elle sera mandataire, en vertu des principes du mandat. Ainsi encore, la créance principale, portait des intérêts conventionnels supérieurs au taux légal, mais elle n'avait pas d'hypothèque ; d'un autre côté, la caution est la femme du débiteur : comme telle, elle a l'avantage que toutes ses créances contre son mari emportent hypothèque légale générale (v. art. 204-1°): elle a donc intérêt à cumuler les deux qualités de subrogée au créancier et de caution.
Le texte n'accorde la subrogation à la caution que lorsqu'elle “a payé la dette;” il ne peut y ajouter, comme l'article 30-1°, le cas où “ elle a subi condamnation en cette qualité ; ” il faut nécessairement qu'elle ait “désintéressé le créancier,” sans quoi, celui-ci ayant encore ses droits et actions, la caution ne pourrait y être subrogée : elle ne peut les acquérir qu'au moment où ils vont cesser d'appartenir au créancier, ils lui sont alors transmis par le bienfait de la loi.
Du reste, il n'est pas nécessaire pour que la caution soit subrogée qu'elle ait payé toute la dette : la subrogation peut être partielle comme le payement (art. 48(5, du Livre des Biens).
Le texte nous dit encore que la subrogation n'est acquise à la caution que sous les restrictions auxquelles est soumise son action personnelle, d'après les articles 32, 1er al. et 33, 1er al. Ainsi, si la caution actionnée a négligé d'appeler le débiteur en cause, lorsqu'il avait des moyens péremptoires de repousser l'action principale, elle ne pourra user utilement de la subrogation ; car si les droits du créancier sont contestables, ils ne le seraient pas moins étant invoqués par la caution. Ainsi encore, si la caution a valablement payé la dette, mais a négligé d'en informer le débiteur, de sorte que celui-ci a payé une seconde fois, la subrogation a bien été acquise d'abord à la caution ; mais, dès que le débiteur a fait le second payement, quoiqu'indûment, elle a perdu, par sa faute, le droit d'exercer l'ancienne action du créancier.
On a vu, à. l'article 30, que le recours propre de la caution est plus ou moins favorable, suivant qu'elle est mandataire du débiteur ou qu'elle est seulement gérant d'affaires et, dans ce second cas, suivant que le débiteur a ignoré ou défendu la gestion.
Ces distinctions et sous-distinctions ne sont pas à faire ici: du moment que la caution “a désintéressé le créancier,” elle a acquis les droits de celui-ci ; peu importe quels ont été ses sentiments ou son mobile : ce n'est plus le service qu'elle a rendu au débiteur qui est la mesure et le fondement de son recours, niais le service rendu au créancier même dont elle acquiert les actions; aussi le texte reconnait-il le bénéfice de la subrogation à “toute caution.”
Bien entendu, dans aucun cas, la caution n'obtiendra par la subrogation plus qu'elle n'a effectivement déboursé pour désintéresser le créancier : c'est un principe général de la subrogation (v. Liv. des Biens, art. 481) déjà appliqué à la caution (art. 508) ; c'est en même temps, une grande différence avec la véritable cession de créance, laquelle peut être une source de profit légitime pour le cessionnaire.
C'est une sérieuse difficulté, même législative, que celle du conflit de subrogation entre la caution et le tiers détenteur de biens hypothéqués à la dette : tous deux peuvent prétendre à la subrogation, comme étant tenus pour d'autres, et cependant ils ne peuvent être subrogés respectivement, l'un contre l'autre, ce serait un circuit d'actions récursoires sans issue.
La question s'est déjà présentée à l'article 482 du Livre des Biens, et elle y a été résolue en faveur de la caution, sous une condition toutefois qui obligeait à renvoyer au présent article et qui va se trouver expliquée ici.
D'abord, il n'est pas douteux qu'on doive donner la préférence à la caution sur le tiers détenteur, dans le cas où le tiers détenteur est un acheteur qui, au lieu de dégrever l'immeuble, avec les formalités de la purge, en pavant son prix d'acquisition au créancier hypothécaire (ce qui eût libéré d'autant la caution), l'a payé directement au débiteur (son vendeur) ; alors il est naturel que la caution lui reproche sa négligence et repousse son action, lorsqu'il aura ensuite désintéressé le créancier hypothécaire.
Mais cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés. On peut supposer que le tiers détenteur a purgé, mais a dû faire pour cela une avance de fonds qu'il ne devait pas.
Cela se présentera dans trois cas principaux :
1° C'est un acheteur qui, ayant acheté à un prix avantageux, a offert aux créanciers plus que son prix d'achat pour éviter la saisie hypothécaire de son immeuble ;
2° C'est un co-échangiste qui, ayant déjà donné un bien équivalent en contre-échange et ne devant pas de prix, ni même de soulte, a dû faire une avance de fonds pour purger ;
3° Enfin, c'est un donataire qui, ne devant rien en retour de l'immeuble reçu, n'a pu purger qu'en offrant une somme égale à sa valeur.
Cependant, même dans ces cas, on a dû maintenir la préférence en faveur de la caution.
D'abord le donataire a paru toujours moins intéressant que la caution, puisqu'il lutte “ pour faire un gain, tandis que celle-ci lutte pour éviter une perte.”
De même, l'acheteur qui a acheté à bas prix ferait un profit analogue et aussi peu légitime, quoique moindre, au préjudice de la caution. Quant au coéchangiste, on peut lui reprocher de participer à un acte qui tendrait à remplacer dans le patrimoine du débiteur un bien hypothéqué par un bien non hypothéqué, c'est-à-dire à enlever à la caution sa garantie, sans lui en donner une autre.
On a encore remarqué la singularité de certains résultats du système proposé. Si, par exemple, la caution avait payé la dette au créancier avant l'aliénation, elle aurait certainement été subrogée contre le tiers détenteur qui aurait acquis l'immeuble depuis le paye ment ; c'eût été à elle alors que les offres de purge auraient été faites : elle n'eût pas accepté des offres insuffisantes, et, en cas d'acceptation, elle eût certainement conserve les sommes reçues, sans recours du tiers détenteur, puisque c'eût été de lui qu'elle les aurait tenues. Il serait donc bizarre que, pour avoir payé plus tard, elle fût sacrifiée au tiers détenteur, qu'on ne lui fît pas d'offres, que la purge se fît sans elle, à des conditions peut-être désavantageuses pour le créancier négligent ou complaisant, et qu'elle fût exposée à un recours qu'elle n'avait pu éviter.
Il y avait dans cette dernière objection les éléments d'une solution nouvelle et satisfaisante.
Il fallait trouver un moyen d'obliger le tiers détenteur à comprendre la caution dans les offres à tin de purge; pour cela, il était nécessaire que sa qualité et son droit éventuel fussent révélés au tiers détenteur par le registre des hypothèques.
Un instant, on a pensé qu'elle avait le droit de stipuler du débiteur, au moment où elle s'engageait comme caution, une hypothèque conditionnelle, au second rang, en vue du cas où elle payerait la dette : l'inscription d'une telle hypothèque, incontestablement permise, aurait obligé le tiers détenteur à lui faire des offres à lin de purge, comme au créancier principal (v. art. 262-3°),
Mais on a encore objecté, non sans raison, que c'était là un moyen dont, en fait, la caution n'userait pas : elle ne pourrait guère témoigner une telle défiance au débiteur, au moment même où elle lui rendrait un bon office.
C'est alors qu'on a considéré que, ce droit d'hypothèque conditionnelle, la caution le tenait de la loi elle-même, par suite de la subrogation légale éventuelle : elle n'avait donc pas à la demander au débiteur.
Restait à la publier, en vue d'une aliénation possible et avant que celle-ci eût lieu ; car on verra ultérieurement que 1 s hypothèques ne sont opposables aux tiers acquéreurs, ne donnent le droit de suite, que si elles sont inscrites avant l'aliénation (v. ai t. 248.).
Un premier moyen serait que la caution prît une inscription spéciale de son droit éventuel d'hypothèque fondé, tout à la fois, sur la convention d'hypothèque faite avec le créancier et sur la disposition de la loi qui la subroge éventuellement. Mais, il pourrait lui être difficile de connaître exactement les clauses de la constitution d'hypothèque où elle n'a pas été partie ; or, cette connaissance lui serait nécessaire pour prendre une inscription.
Il y a un moyen bien plus simple : le créancier a sans doute pris inscription pour lui-même ; dès lors, il suffit que la caution fasse mentionner à la suite ou en marge de ladite inscription, son hypothèque conditionnelle ou son droit éventuel à la subrogation : il suffira pour cela qu'elle fasse mentionner sa qualité de caution de la même dette ou d'une partie de la dette, et la date de son engagement, en y ajoutant, pour plus de précision, sans que ce soit nécessaire, que ladite mention est faite en vue de la subrogation légale.
Il fallait prévoir aussi le cas où le créancier aurait négligé de prendre inscription pour lui-même ; alors, il y a pour la caution une situation encore bien meilleure : elle a, par le seul fait de la négligence du créancier, droit de lui demander sa décharge du cautionnement (v. art. 45).
A cette occasion, on a dû examiner aussi s'il fallait subordonner ces droits de la caution à la condition que son engagement eût accompagné ou suivi la constitution de hypothèque en faveur du créancier, de sorte qu'on pût dire qu'elle avait compté sur la subrogation à cotte hypothèque. Cette condition n'a pas été jugée nécessaire et le bénéfice de la subrogation est reconnu en faveur de “ toute caution.”
En effet, lors même que la constitution de l'hypothèque a suivi l'engagement de la caution, c'est un bénéfice, un droit éventuel qui lui a été acquis, même quand elle n'y aurait pas compté ; dès lors, ce bénéfice ne peut lui être enlevé sans son consentement.