Art. 1036. — 94. Ici, il ne s'agit plus d'une action propre à la caution, d'une action qu'elle exerce de son chef, à raison du service rendu au débiteur ou du dommage par elle éprouvé: elle exerce les droits et actions qu'avait le créancier par elle désintéressé; c'est un des cas de subrogation légale, le 30 d'après le Code français (art. 1251), mais le 1er d'après le Projet (art. 50-1), comme étant le plus saillant. Celui qui était tenu d'une obligation “avec d'autres ou pour d'autres," ayant acquitté la dette, a ainsi libéré ceux-ci: il mérite toute la protectien possible de la loi pour le recouvrement de ce qu'il a déboursé; or, c'est quelquefois pour la caution un grand avantage que de pouvoir exercer les actions du créancier. Il faut, pour cela, supposer que le créancier avait lui-même quelque autre sûreté que le cautionnement, ou quelque avantage que n'a pas la caution avec son action personnelle. Par exemple, le créancier avait un gage ou une hypothèque, ou il avait plusieurs cautions: la caution qui a payé ne pourrait, de son propre chef, poursuivre les autres cautions ou exercer le droit de gage ou d'hypothèque; mais elle le pourra du chef du créancier auquel elle est subrogée. Elle pourrait même exercer, du chef du créancier, lo droit de résolution du contrat pour inexécution: si ce n'est pas là une sûreté proprement dite (v. no 10), c'est un avantage particulier du créancier, qui est transmissible par voie de subrogation comme par voie de cession (v. art. 508).
95. L'exercice par la caution des droits et actions du créancier n'exclut pas celui des droits et actions qu'elle a de son propre chef: les deux sortes d'actions sont “indépendantes," comme dit notre article: la caution peut les cumuler autant qu'elle y a avantage (v. art. 501, 1er al.). Ainsi, il est possible que la créance principale, bien qu'hypothécaire, ne porte pas d'intérêts: la subrogation ne donnerait pas à la caution le droit d'en exiger; mais elle en obtiendra de son propre chef, au moins quand elle sera mandataire, en vertu des principes du mandat (v. art. 911) et de l'article 1030-1°. Ainsi encore, la créance principale, portait des intérêts conventionnels supérieurs au taux légal, mais elle n'avait pas d'hypothèque; d'un autre côté, la caution est la femme du débiteur; comme telle, elle a l'avantage que toutes ses créances contre son mari emporteat hypothèque légale générale (v. art. 1210-1°): elle a donc intérêt à cumuler les deux qu:lités de subrogée au créancier et de caution.
96. Le texte n'accorde la subrogation à la cautio: que lorsqu'elle "a piyé la dette;” il ne peut y ajouter, comme l'article 1030-1°, le cas où "elle a subi co:adamnation en cette qualité;” il fiuut nécesszirement qu'elle ait « désintéressé le créancier,” sans quoi, celui-ci ayant encore ses droits et actions, la caution ne pourrait y être subrogéo: elle ne peut les acquérir qu'au moment où ils vont cesser d'app:irtenir au créancier; ils lui sont alors transmis par le bienfait de la loi.
Du reste, il n'est pas nécessaire pour que la caution soit subrogée qu'elle ait payé toute la dette: la subrogation peut être partielle comme le payement (art. 508).
97. Le texte nous dit encore que la subrogation n'est acquise à la caution que sous les restrictions auxquelles est soumise son action personnelle, d'après les articles 1032 (1er al.) et 1033 (1er al.). Ainsi, si la caution actionnée a négligé d'appeler le débiteur en cause, lorsqu'il avait des moyens péremptoires de repousser l'action principale, elle ne pourra user utilement de la subrogation; car si les droits du créincier sont contestables, ils ne le seraient pas moins étant invoqués par la caution. Ainsi encore, si la caution a valablement payé la dette, mais a néglige d'en informer le débiteur, de sorte que celui-ci a payé une seconde fois, la subrogatio a bien été acquise d'abord à la caution; inais, dès que le débiteur a fait le second payement, quoiqu'indûment, elle a perdu le droit d'exercer l'ancienne action du créancier.
98. On a vu, à l'article 1030, que le recours propre de la caution est plus ou moins favorable, suivant qu'elle est mandataire du débiteur ou qu'elle est seuleinent gérant d'affaires et, dans ce second cas, suivant que le débiteur a ignoré ou défendu la gestion.
Ces distinctions et sous-distinctions ne sont pas à faire ici: du moment que la caution “a désintéressé le créancici," elle a acquis les droits de celui-ci; peu importe quels ont été ses seatients ou son mobile: co n'est plus le service qu'elle a rendu au débiteur qui est la mesure et le fondement de sou recours, mais lo service rendu au créicier même dont elle acquiert les actions.
Dans le droit romain et dans l'ancien droit français, il y avait plutòt cession conventionnelle de la créance à la caution que subrogation légale; or, il n'était pas douteux que cette cession pût se faire à un tiers qui agissait à l'insu du débiteur et même malgré lui.
Le droit moderne n'a fait que substituer une disposition légale à la convention des parties.
Le cus qui nous occupe n'est, au surplus, qu'un payemont avec subrogation. En France, on peut douter, en présence de l'article 1236 du Code civil, que le tiers qui paye malgré le débiteur puisse se faire subroger par convention, et, à plus forte raiso:1, qu'il soit subrogé légalement; mais le Projet a levé tous les doutes à cet égard (v. art. 502).
Remarquons, eu terminant, que la loi (2° al.), emploio à dessein l'expression de « bénéfice de subrogatio:1 ” pour bien faire ressortir son caractère et lui faire prendre place à côté des deux autres bénéfices de la caution, celui de discussion et celui de division.
99. Bien entendu, dans aucun cas, la caution n'obtieadra par la subrogation plus qu'elle n'a effectivement déboursé pour désintéresser le créancier: c'est un principe général de la subrogation (v. art. 505) déjà appliqué à la caution (art. 5:30); c'est en même temps, une grande différence avec la véritable cession de créance, laquelle peut être une source de profit légitime pour le cessionnaire.
100. C'est une sérieuse difficulté, même législative, que celle du conflit de subrogation entre la caution et le tiers détenteur de biens hypothéqués à la dette: tous deux peuvent prétendre à la subrogation, comme étant tenus pour d'autres, et cependant ils ne peuvent être subrogés respectivement, l'un contre l'autre, ce serait un circuit d'actions récursoires sans issue.
En France, la loi n'a rien fait pour prévenir ce conflit: la doctrine et la jurisprudence ne sont pas arrivées à une solution qui satisfasse à tous les intérêts et qui se concilie avec les divers principes se trouvant ici en jeu. Généralement, on donne la préférence à la caution sur le tiers détenteur; mais on paraît toujours se placer dans le cas où le tiers détenteur est un acheteur qui, au lieu de dégrever l'immeuble, avec les formalités de la purge, en payant son prix d'acquisition au créancier hypothécaire (ce qui eût libéré d'autant la caution), l'a payé directement au débiteur (son vendeur); alors il est naturel que la caution lui reproche sa négligence et repousse son action, lorsqu'il aura ensuite désintéressé le créancier hypothécaire.
Mais cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés. On peut supposer que le tiers détenteur a purgé, mais a dû faire pour cela une avance de fonds qu'il ne devait pas.
Cela se présentera dans trois cas principaux:
1° C'est un acheteur qui, ayant acheté à un prix avantageux, a offert plus que son prix pour éviter la saisie hypothécaire de son immeuble;
2° C'est un co-échangiste qui, ayant déjà donné un bien équivalent en contre-échange et ne devant pas de prix, ni même de soulte, a dû faire une avance de fonds pour purger;
3° Enfin, c'est un donataire qui, ne devant rien en retour de l'immeuble reçu, n'a pu purger qu'en offrant une somme égale à sa valeur.
101. La 1 ro rédaction de l'article 505 (2° al.) du Pro jet, tenant compte de ces diverses situations, donnait la subrogation au tiers détenteur contre la caution, précisément“ pour les sommes ainsi avancées pour la purgo," sans être dues par lui (v. T. II, n° 538 et 538 bis).
Mais la Commission a fait de sérieuses objections à ce système.
D'abord le donataire lui a paru toujours moins intéressant que la caution, puisqu'il lutte “pour faire un gain, tandis que celle-ci lutte pour éviter une perte."
De inême, l'acheteur qui a acheté à bas prix ferait un pro.it analogue et aussi peu légitime, quoique inoindre, au préjudice de la caution. Quant au coéchangiste, on peut lui reprocher de participer à un acte qui tendrait à reinplacer dans le pa rimoine du débiteur un bien hypothéqué par un bien non hypothéqué, c'est-à-dire à enlever à la caution sa garantie, sans lui en donner une autre.
On a encore remarqué la singularité de certains résultats du système proposé. Si, par exemple, la caution avait payé la dette au créancier avant l'aliénation, elle aurait certainement été subrogée contre le tiers détenteur qui aurait acquis l'immeuble depuis le payement; c'eût été à elle alors que les offres de purge auraient été faites: elle n'eût pas accepté des offres insuffisantes, et, en cas d'acceptation, elle eût certainement conservé les somines reçues, sans recours du tiers détenteur, puisque c'eût été de lui qu'elle les aurait tenues. Il était donc bizarre que, pour avoir payé plus tard, elle fût sacrifiée au tiers détenteur, qu'on ne lui fît pas d'offres, que la purge se fît sans elle, à des conditions peut-être désavantageuses pour le créancier négligent ou complaisant, et qu'elle fût exposée à un recours qu'elle n'avait pu éviter.
Il y avait dans cette dernière objection les éléments d'une solution nouvelle et satisfaisante.
Il fallait trouver un moyen d'obliger le tiers déten teur à comprendre la caution dans les offres à fin de purge; pour cela, il était nécessaire que sa qualité et son droit éventuel fussent révélés au tiers détenteur par le registre des hypothèques.
Uninstant, on a pensé qu'elle avait le droit de stipuler du débiteur, au moment où elle s'engageait comme cautio:, une hypothèque conditionnelle, au second rang, en vue du cas où elle payerait la dette: l'inscription d'une telle hypothèque, incontestablement permise, aurait obligé le tiers détenteur à lui faire des offres à fin de purge, commé au créancier principal (v. art. 1276-4.).
Mais on a encore objecté, non sans raison, que c'était là un moyen dont, en fait, la caution n'userait pas: elle ne pourrait guère témoigner une telle défiance au débiteur, au moment même où elle lui rendrait un bon office.
102. C'est alors qu'on a considléré que, ce droit d'hypothèque conditionnelle, la caution le tenait de la loi elle-même, par suite de la subrogation légale éventuelle: elle n'avait donc pils à la de:nander au débiteur.
Restait à la publier, en vue d'une aliénation possible et avant que celle-ci eît lieu; car on verra ultérieurement que les hypothèques ne sont opposables aux tiers acquéreurs, ne donnent le droit de suite, que si elles sont inscrites avant l'aliénation (v. C. civ. fr., 2166; Projet jap., art. 1262).
Un premier moyen serait que la caution prît une inscription spéciale de soa droit éventuel d'hypothèque fondé, tout à la fois, sur la convention d'hypothèque faite avec le créancier et sur la dispositio: de la loi qui la subroge éventuellement. Mais, il pourrait lui être difficile de connaître exacte nent les clauses de la constitution d'hypothèque où elle n'a pas été partie; or, cette connaissance lui serait nécessaire pour prendre une inscription.
Il y a un moyen bien plus simple: le créancier a sins doute pris inscription pour lui-même; dès lors, il suffit que la caution fasse mentionner en m:urge de ladito inscription sou hypothèque conditionnelle ou son droit éventuel à la subrogation: il suffira pour cela qu'elle fasse mentionner sa qualité de caution de la même dette ou d'une partie de la dette, et la date de son engagement, e: y ajoutant, pour plus de précision, sans que ce soit nécessaire, que ladite mentio: est faite en vue de la subrogation légale (v. art. 1226).
Il fallait préroir aussi le cas où le créancier aurait négligé de prendre inscription pour lui-même; alors, il y a pour la caution une situation encore bien meilleure: elle a, par le seul fait de la négligence du créancier, droit de lui demander sa décharge du cautionnement (v. art. 531 et 1015).
A cette occasion, on a dû examiner aussi s'il fallait subordonner ces droits de la caution à la condition que son engagement eût accompagué ou suivi la constitution de l'hypothèque en faveur du créancier. Cette condition était implicitement posée dans l'article 534, au sujet de la remise conventionnelle de l'hypothèque faite par le créancier au débiteur,
On a abandonné cette idée. En effet, lors même que la constitution de l'hypothèque a suivi l'engagement de la caution, c'est un bénéfice, un droit éventuel qui lui a été acquis, lors même qu'elle n'y aurait pas compté; dès lors, ce bénéfice ne peut lui être enlevé sans son consentement.
Ainsi se trouve résolu, d'une manière qui respecto tous les principes et concilie tous les intérêts, un des problèmes législatifs les plus épineux.
Nous en reportons le plus grand honneur aux critiques éclairées de la Commission (a).
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(a) Cette nouvelle théorie entraîne la modification, comme il suit, de deux articles antérieurs, l'un du Payement avec subrogation (art. 505), l'autre de la Remise conventionnelle (art. 534):
Art. 505-29 “La caution qui a payé est subrogie contre le tiers "détenteur, si elle s'est conformée aux dispositions de l'article « 1036."
3. Si c'est le tiers détenteur qui a payé la dette, il n'est pas subrogé contre la caution.
Art. 534. La renonciation du créancier au gage ou à l'hypothèque ne diminue pas la créince elle-même; “mais elle autorise les “cautions et les codébiteurs solidaires à demander contre lui leur “décharge du cautionnement ou de la solidarité, conformément "aux articles 1045 et 1073, pour avoir empêchú leur subrogation à “ces garanties." [1286, 2037.]