ボワソナードプロジェ(明治23年)

Projet de code civil pour l'Empire du Japon

参考原資料

Le 31 juillet 1890 nous terminions l'impression du Tome Ier de cette Nouvelle édition et, dans la Préface, nous annoncions que son but était d'apporter à notre Projet les dernières améliorations que la marche progressive du travail nous avait suggérées.
En même temps, c'était une occasion pour nous de signaler les différences entre notre Projet et le Code Officiel alors promulgué.
Malheureusement, la traduction française du nouveau Code Civil n'a été imprimée qu'en février de cette année, de sorte que, ne pouvant en vérifier par nous-même les différences avec le Projet, nous avons dû, pour le Ier volume, nous borner à peu près à noter nos divergences de vues avec la Commission de Révision et avec l'ancien Sénat (Genro In) (1).
A partir du Tome II, c'est avec le Texte Officiel, traduit et imprimé en français, que nous avons pu faire nos rapprochements (2).
Entre la publication du Tome Ier et celle du Tome IP, nous avons collaboré à l'Exposé des Motifs du Code Officiel, publié par la Commission de Révision et formant trois volumes imprimés aussi en français.
La publication de notre Tome Ije est du 25 mai de cette année, celle du Tome IIIe est du 31 juillet et celle du Tome IVe et dernier est de ce jour (10 octobre).
Ce court intervalle de deux mois et quelques jours entre des volumes de plus de 1000 pages peut nous autoriser à demander l'indulgence du lecteur pour un certain nombre de fautes typographiques et d'omissions du fond, signalées à la fin de chaque volume (Additions et Corrections) et aussi pour celles que nous n'aurions pas découvertes. Nous invoquons, à ce sujet, un proverbe japonais sur les fautes inévitables des livres: " Elles sont comme les feuilles "d'automne: on en relève toujours."
Notre meilleur auteur comique fait dire à l'un de ses personnages, dans un mouvement de mauvaise humeur, " le temps ne fait rien à l'affaire" et l'on arrête, en leur jetant le mot à la tête, les malheureux auteurs qui s'excusent par le manque de temps. Mais cette sévérité n'est juste qu'à l'égard de ceux qui ont été maîtres de prendre le temps nécessaire. Or, tel n'était pas notre cas, et, assurément, il nous était difficile de faire aussi bien ce travail dans les six mois qui nous étaient assignés que nous l'eussions pu faire dans les deux ans qui lui avaient d'abord été destinés (3).
Le présent Tome IV signale moins de suppressions faites par le Code Officiel; elles y ont aussi moins de gravité que pour les volumes précédents, à l'exception toutefois de celle relative à la date certaine des actes sous seing privé, laquelle n'est plus exigée pour qu'ils soient opposables aux tiers. Cependant, comme le Droit restera plus exigeant que la Loi, il faudra bien combattre la fraude facile des antidates; mais alors avec toutes les difficultés de la preuve.
Un grand nombre des suppressions officielles concerne des dispositions qu'on a cru pouvoir être plus ou moins facilement suppléées par les Tribunaux.
C'est un système que nous avons critiqué plusieurs fois, chemin faisant. Nous avons cru et nous croyons encore que la Loi doit appliquer elle-même, au moins par forme de renvois, certains principes fondamentaux, quand d'importantes occasions s'en présentent: à côté de la lettre de la loi, ces applications en rappellent l'esprit. Il est bon aussi, quand la Loi pose un principe général au siége d'une matière, qu'elle indique les exceptions que le principe a déjà rencontrées par avance ou qu'il rencontrera plus loin.
D'ailleurs, la Loi ne nous paraît pas devoir être écrite seulement pour les Magistrats qui ont à l'appliquer, mais encore pour les Citoyens qui doivent y trouver leurs devoirs en même temps que leurs droits. Plus la Loi est claire dans ses préceptes et moins elle est avare de développements, moins aussi il y a de contrats obscurs ou fallacieux. Ne vaut-il pas mieux que les citoyens apprennent la Loi dans la Loi elle-même que dans les jugements qui les condamnent ou les déboutent pour ne l'avoir pas connue ?
Dans le même ordre d'idées et pour ce qui concerne notre Commentaire, cette nouvelle édition, outre beaucoup d'améliorations de détail et de forme, présente un grand nombre de renvois d'une matière à une autre, tant comme Texte (v. art...) que comme Commentaire (v. n°...). Ces renvois qui ne pouvaient se faire dans la précédente édition, lorsque notre travail était livré à la traduction et à l'impression au fur et à mesure de son avancement, sont devenus possibles (si non faciles) une fois que l'œuvre a été terminée: ils aideront beaucoup à compléter les théories les unes par les autres.
Nous saisissons cette dernière occasion de parler au lecteur pour justifier l'emploi constant de locutions de la langue juridique française qui ne pouvaient évidemment passer identiquement dans la langue japonaise. De toute façon, il fallait s'attendre à la nécessité de créer au Japon beaucoup de mots nouveaux pour rendre des idées nouvelles (4). De notre côté, nous ne pouvions mieux faire que d'employer les mots consacrés dans notre langue du droit, d'origine presque toujours latine: tous autres auraient manqué de la même précision et auraient été dépourvus de toute autorité. En outre, les traducteurs officiels, les connaissant depuis longtemps déjà, se trouvaient mieux en état d'en trouver ou d'en créer des équivalents dans leur langue.
Le Code Officiel contient un Livre Ier des Personnes et trois derniers Chapitres (xnie, xiv' et xve) du Livre IIP, sur les Successions, les Donations et Testaments et le Contrat de Mariage. La traduction française n'en est pas encore imprimée; aussi n'y avons nous pu faire que de rares allusions. En tout cas, nous n'avons plus à compléter notre Projet par un Livre Ier et une IIe Partie du Livre IIIe. Tout au plus pourrons-nous, un jour, si l'âge et les circonstances nous le permettent, faire un Commentaire et peut-être quelques critiques de cette partie du Code Officiel.
On dit quelquefois qu'il est bon de penser souvent à son âge, mais qu'il n'en faut guère parler. Cependant, nous sentons bien que dix-huit années passées au Japon, depuis notre âge mûr et avec une santé toujours faible, commencent à peser lourdement sur nos épaules; aussi nous félicitons-nous de la circonstance qui nous a forcé de hâter cette publication que peut-être, plus tard, nous n'aurions pu finir.
Nous pensons, du reste, qu'on n'y trouvera aucune trace de fatigue, car jamais nous n'avons eu plus de goût et de force pour le travail de l'esprit: c'est depuis longtemps notre unique plaisir et notre seul champ d'activité.
Aussi est-ce avec un véritable chagrin que nous voyons terminé ce travail qui a principalement occupé pour nous ces dix dernières années.
Nous avions déjà éprouvé et exprimé ce sentiment, il y a quelques années, en terminant la publication de notre deuxième volume de droit criminel (v. Préface du Projet révisé de Code pénal).
Il est encore plus accentué aujourd'hui que nous terminons cette Édition définitive de notre Projet de Code civil.
Si nous mettons ainsi nos lecteurs dans cette confidence, c'est parce qu'il s'en rencontrera plus d'un peut-être, parmi les légistes nos amis, ayant connu ce sentiment pénible qui diminue la satisfaction d'une œuvre terminée.
Il semble qu'on quitte un ami, un hôte de tous les jours, avec lequel on échangeait ses pensées, depuis le réveil jusqu'à l'heure du repos, et l'on sent combien ces entretiens vont manquer désormais.
Nous devinons que ce sentiment de l'écrivain est aussi celui de l'artiste qui a terminé une œuvre: c'est de même pour lui une séparation et souvent elle est plus complète encore que pour l'écrivain.
Kanagawa, près Tokio, le 10 Octobre 1891.
G. B.
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(1) L'inconvénient de ne pouvoir alors vérifier par nous-même les changements apportés à notre Projet par le Code Officiel (pendant un court voyage que nous fîmes en France) a causé une méprise que nous n'avons pu que signaler dans la Préface même du Tome IER, p. XII, note i. Et, par malheur, nous imputions au Code Officiel un changement qu'au dernier moment il avait abandonné,
(2) On trouve aux Tables alphabétiques (y0 Texte Officiel japonais) les nos du Commentaire où se trouvent, en note, nos observations sur ces changements ou suppressions.
(3) Des raisons administratives et budgétaires impérieuses ont nécessité cette abréviation considérable du délai.
La raison budgétaire a eu une autre influence plus fâcheuse pour nous que la précipitation: cette nouvelle édition a été tirée à un trop petit nombre d'exemplaires pour être mise dans le commerce: nous-même ne serons pas gratifié d'un nombre suffisant d'exemplaires qui nous permette les hommages que nous aurions voulu faire à tous les donataires de la précédente édition.
(4) La langue japonaise, comme la langue chinoise, se prête facilement à ces néologis m es nécessaires: l'armée, la marine, les chemins de fer, la médecine, les sciences physiques, ont donné lieu déjà de créer une foule de mots que l'usage consacre sans efforts.
SOMMAIRE.
N° 1. Il n'y a pas besoin de sûretés ou garanties spéciales pour l'exercice des droits réels. -2. On peut en donner pour la créance éventuelle d'indemnité des troubles ou évictions. -3. En quoi des sûretés spéciales sont utiles à ceux qui n'ont qu'un droit personnel ou de créance: double danger auquel ils sont exposés comme ayant-cause généraux de leur débiteur.
Art. 1001. — 4. Nature du gage commun des créanciers.-5. Conséquence: concours entre eux pour le payement. -6. Renvoi au Code de Procédure civile pour les formes de la saisie et de la vente des biens et pour celles de l'ordre et de la contribution entre les créanciers.
1002. -7. Division principale des sûretés, d'après leur nature, non d'après leur ca'use. —8. Il n'y a pas à poser, en règle, que les sûretés réelles soient préférables aux sûretés personnelles. -9. Classement des sûretés. -10. Le droit de résolution pour inexécution n'est pas une sûreté proprement dite.
COMMENTAIRE.
N° 1. On remarquera, tout d'abord, avec la rubrique ou l'intitulé de ce Livre, qu'il n'y a que les créances ou droits personnels qui comportent des sûretés ou garanties.
En effet, celui qui a un droit réel ou sur une chose, si peu important que soit ce droit, n'a pas besoin d'autre garantie que la faculté du recours à la justice: s'il vient à éprouver quelque trouble dans la possession ou la jouissance de la chose ou dans l'exercice de son droit, soit de la part de celui-là même qui le lui a conféré, soit de la part d'un tiers, il lui suffit de porter la question devant le tribunal compétent; lorsqu'il aura justifié que le droit qu'il prétend avoir lui a été régulièrement conféré, si d'ailleurs il n'est pas prouvé contre lui qu'il ait ensuite perdu ce droit, il en recouvrera le plein et libre exercice.
C'est là même le caractère distinctif du droit réel, à savoir de nous mettre en rapport direct avec une chose (v. art. 3) et de nous autoriser à repousser toute ingérance, tout trouble venant d'autrui. On ne comprendrait donc pas le rôle que pourraient y remplir des garanties: elles n'empêcheraient pas que des tiers, en fait, pussent troubler l'exercice du droit, et elles n'ajouteraient rien aux moyens légaux de faire cesser ce trouble.
2. Cependant, un vendeur de meuble ou d'immeuble, un bailleur, celui qui constitue un droit d'usufruit ou de servitude, peuvent utilement donner une caution, un gage ou une hypothèque, en prévision d'un trouble ou d'une éviction de leur cessionnaire; mais on ne doit pas dire que c'est comme sûreté du droit réel conféré: en réalité, c'est comme sûreté ou garantie éventuelle du droit personnel à une indemnité qui naîtrait pour le cessionnaire du trouble ou de l'éviction qu'il pourrait éprouver.
Cette créance, qui porte déjà le nom de “garantie d'éviction” (a) lorsqu'elle tire sa seule force de la loi et n'est l'objet d'aucunè stipulation ou sûreté particulière, peut être fortifiée par des sûretés ou garanties spéciales; cela n'est pas plus étonnant que de voir, comme on en rencontrera bientôt l'exemple, un cautionnement garanti par un autre cautionnement ou par une hypothèque (v. art. 1007).
La rubrique du présent Livre se trouve donc justifiée.
3. Il faut voir maintenant en quoi la situation d'un créancier est moins bonne que celle du titulaire d'un droit réel et comment des sûretés spéciales peuvent lui être nécessaires ou utiles.
Evidemment, un créancier court le risque de n'être pas payé et, en tout cas, il peut le craindre.
Deux causes peuvent produire ce résultat:
1° Le débiteur peut contracter de nouvelles dettes dont le concours sera nuisible à tous ses créanciers;
2° Il peut aliéner tout ou partie de ses biens.
On peut dire, dans le premier cas, qu'il augmente son passif et, dans le second cas, qu'ils diminue son actif.
Ce double danger résulte du principe d'après lequel les créanciers sont les ayant-cause généraux de leur débiteur: l'article 360 nous a déjà dit que " les créanciers subissent l'effet des obligations consenties sans fraude par leur débiteur."
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(a) On a déjà eu occasion (T. II, n° 334) de signaler les deux sens, en français, du mot garantie: la difficulté n'existe pas en japonais. Pour éviter l'équivoque, nous joignons souvent le mot sûreté à celui de garantie, quand il s'agit du second sens.
Art. 1001. — 4. Le présent article fait l'application spéciale du principe de l'article 360 aux obligations contractées par le débiteur au-delà de ses facultés.
Quand il proclame d'abord, en reproduisant une formule consacrée, que “tous les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers," il ne donne pas au mot gage le sens technique qu'il aura quand il s'agira de la sûreté réelle de ce nom; ici notamment, le débiteur garde la possession de ses biens, ce qui laisse subsister le danger des aliénations faites sans fraude: la loi veut exprimer seulement cette idée simple que la saisie et la vente de tous les biens du débiteur peuvent être opérées par tout créancier, sauf en ce qui concerne les biens insaisissables qui précisément ne sont pas le gage des créanciers (v. art. 30).
5. Le 2e alinéa signale le danger annoncé du concours des créanciers et de la réduction qu'ils subissent dans leur payement.
La loi consacre l'égalité normale des créanciers: en principe, il n'y a pas de préférence des uns sur les autres; il est indifférent que, parmi les créances, les unes aient pour objet de l'argent ou des denrées et les autres des faits ou des abstentions; que les unes soient nées d'un uontrat ou d'une convention et les autres d'un enrichissement indû ou d'un dommage causé injustement (diversité de cause); que les unes soient pures et simples et les autres à terme ou conditionnelles (différence de modalité); enfin, que les unes soient plus anciennes que les autres ou de même date.
Cependant, par exception, il y a des causes de préférence: les unes sont l'effet de la volonté de l'homme (de la convention ou du testament), les autres sont l'effet de la loi. Nous pouvons annoncer, dès à présent, que c'est surtout dans la cause de certaines créances que la loi trouvera une raison de préférence ou de privilége (v. art. 1136, 1142, 1151 et 1191).
6. Le 3e alinéa renvoie naturellement au Code de Procédure civile pour les formes de la saisie et de la vente des biens du débiteur, ainsi que pour la distribution du prix, laquelle se fait de deux manières: par ordre ou par rang de priorité, s'il y a des causes de préférence, et, au cas contraire, par contribution, c'està-dire proportionnellement au montant de chaque créance par rapport aux autres, lorsque l'actif est insuffisant pour satisfaire à toutes.
Le moyen le plus simple d'établir cette proportion est de faire d'abord la somme du passif comparée à celle de l'actif, et quand on aura trouvé le tant pour cent que doivent perdre toutes les créances réunies, par suite de l'insuffisance de l'actif, on réduira chacune séparément, dans la même proportion.
Art. 1002. — 7. La loi énumère maintenant les deux sortes de sûretés ou garanties spéciales que peuvent obtenir les créances.
La distinction qui sert ici de division principale n'est pas tirée de la source ou cause directe des sûretés, c'està-dire de la volonté du débiteur ou de la disposition de la loi: c'est sur chacune, en particulier, qu'on verra quelle est sa cause, et même, pour quelques-unes, on trouvera que les deux causes'réunies sont possibles; la distinction est tirée ici de la nature réelle ou personnelle de la sûreté.
La sûreté est réelle, lorsqu'elle consiste dans l'affectation directe et exclusive d'une chose (res) à l'acquittement d'une obligation déterminée; cette chose peut d'ailleurs appartenir au débiteur lui-même ou à un tiers qui lui rend un bon office.
La sûreté est personnelle, lorsqu'elle résulte, soit de l'engagement accessoire d'un tiers appelé caution, soit d'une modalité aggravant la position de plusieurs co-débiteurs principaux dont l'obligation, au lieu d'être simplement conjointe, devient solidaire, intégrale, ou même indivisible.
8. Il ne faudrait pas affirmer que de ces deux sortes de sûretés l'une vaille nécessairement mieux que l'autre, en règle générale (b): la solution dépendra toujours des circonstances du fait. Sans doute, les sûretés personnelles présentent elles-mêmes le danger de l'insolvabilité du débiteur accessoire comme du débiteur principal, et des débiteurs solidaires comme des débiteurs conjoints, car ceux-ci peuvent de même multiplier leurs engagements et aliéner leurs biens sans fraude; tandis que les sûretés réelles empêchent l'aliénation, comme le gage, ou suivent le bien dans les mains des tiers, comme l'hypothèque. Mais ces mêmes sûretés peuvent, à leur tour, devenir insuffisantes par la dépréciation ou la perte fortuite des choses, et, dans ces cas, le débiteur n'est pas tenu de fournir une nouvelle sûreté (c). C'est donc au créancier, au moment où il traite, à mettre en balance les risques qu'il court et les avantages qu'il attend du contrat.
C'est parce qu'il n'est pas possible d'affirmer que les sûretés réelles valent mieux par elles-mêmes que les sûretés personnelles que l'articlé 1016 nous dira que les unes ne peuvent être substituées aux autres sans l'accord des parties ou l'autorisation du tribunal.
9. Chacune des deux sortes de garanties formera l'objet d'une Partie distincte de ce Livre.
Comme il est bon, lorsqu'on a une longue route à parcourir, d'en connaître d'avance l'étendue et les diverses étapes, le présent article donne immédiatement l'énumération des unes et des autres, lesquelles, seront l'objet d'autant de Chapitres.
Pour les sûretés personnelles, on commence par la plus faible, afin d'en accentuer la progression.
En ce qui concerne les sûretés réelles, on peut dire que la première, le droit de rétention, en est aussi la plus faible; quant aux autres, elles sont plutôt différentes que véritablement progressives.
10. Il est un droit des créanciers qu'on pourrait s'attendre à rencontrer ici, car il s'exerce, en général, comme une garantie, en cas d'insolvabilité du débiteur, et sa conservation est quelquefois'"soumise à la même publicité que le privilége, par exemple pour l'aliénateur: c'est le droit de demander la résolution pour inexécution des obligations; mais ce serait se méprendre sur sa nature intime que d'y voir une sûreté ou garantie, dans le sens qui nous occupe: loin de garantir l'exécution d'une obligation conventionnelle, le droit de résolution tend, au contraire, à anéantir la convention et à remettre les parties dans leur situation respective antérieure.
Il a été déjà traité de la résolution, d'une façon générale, au sujet des contrats synallagmatiques (art. 441 et suiv.); on en a rencontré plusieurs applications aux contrats spéciaux, objets du Livre III3, notamment à la vente, où elle comportait quelques développements (v. art. 720 et s.); enfin, on la retrouvera à l'occasion de la publicité à laquelle elle est soumise pour être opposable aux tiers (art. 1188), et à l'occasion de la purge et de la vente aux enchères (v. art. 1276 lis, 1278 bis et 1290 bis).
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(b) Les Romains disaient pourtant: " il y a plus de garantie dans une chose que dans une personne," plus est cautionis in re qvàm in persond.
(c) Sous ce rapport, le Projet s'écarte du Code français (comp. C. civ. fr., art. 2131 et Proj. jap. art. 1207).
SOMMAIRE.
Art. 1003. — N° 11. Trois causes de cautionnement: la convention, l'ordre de la loi, celui de la justice. —12.Promesse de fournir caution. -13. Renvoi à un Appendice pour les règles spéciales au cautionnement légal et au cautionnement judiciaire.
COMMENTAIRE.
Art. 1003. — N° 11. Cet article annonce qu'il y a trois espèces de cautionnements, au point de vue de leur cause: la volonté du débiteur (évidemment acceptée par le créancier), l'ordre de la loi et celui de la justice.
Il faut remarquer immédiatement qu'il n'y a pas encore cautionnement volontaire, à proprement parler, lorsque le débiteur et le créancier sont convenus que cette sûreté serait fournie, pas plus qu'il n'y a cautionnement lorsque la loi ou la justice l'ordonnent: il n'y aura cautionnement véritable que lorsqu'tm tiers se sera engagé comme caution ou débiteur accessoire visà-vis du créancier: l'article suivant nous dira que c'est là le contrat de cautionnement (a)
12. Lorsque le débiteur promet de fournir une caution comme garantie d'une dette, c'est ordinairement par une clause du contrat principal et c'en est alors une condition; plus rarement, c'est par une convention postérieure et spéciale, parce que le débiteur n'a plus le même intérêt à donner cet avantage au créancier, à moins que ce ne soit pour prévenir des poursuites ou obtenir une prorogation de terme: la convention est alors un contrat innommé, car la promesse de fournir une caution n'a pas de nom consacré par la loi.
Ce contrat innommé est unilatéral, car le débiteur seul s'y oblige; mais il est onéreux, si le créancier fait en compensation quelque sacrifice pour obtenir cette sûreté, par exemple, s'il donne un nouveau délai ou renonce à tout ou partie des intérêts déjà échus ou à échoir.
L'article 1015 prévoit le cas où un débiteur s'est engagé à fournir une caution: il s'applique aussi bien au cas où cette promesse est l'objet d'une convention spéciale et innommée qu'à celui où cette promesse est une clause du contrat principal.
13. Les règles des trois espèces de cautionnements, volontaire, légal et judiciaire, sont généralement les mêmes, il n'y a donc pas à faire de ses trois causes, l'objet de subdivisions, quand les effets en sont semblables; mais comme il y a quelques dispositions propres aux deux cautionnements non volontaires, elles seront l'objet d'un Appendice à ce Chapitre: c'est un procédé qu'on a déjà employé aux deux précédents Livres (b).
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(à) Le mot cautionnement s'emploie encore pour désigner le dépôt d'une somme d'argent ou autre valeur en garantie d'une obligation certaine ou éventuelle; c'est alors une sorte de gage mobilier; il en est fait mention dans quelques dispositions du présent Code (v. art. 80, 1167, 1168).
Quant à l'étymologie du mot cautionnement, elle est latine: cavere, cautum, " prendre garde, garantir."
(b) Voir au Tome 1er, sous l'article 116, une note sur ces Appendices.
SOMMAIRE.
Art. 1004. — N° 14. Caractères généraux du contrat de cautionnemeut. —15. Objet de l'engagement de la caution. -16. Indemnité pour inexécution par le débiteur.
1005. -17. Cautionnement, nul comme tel, valant comme novation. -18. Promesse d'une clause pénale par la caution.
1006. -19. Promesse excessive ou trop onéreuse de la caution, réduite aux limites de l'obligation principale.
1007. -20. Validité des sûretés spéciales fournies par la caution quand le débiteur n'en a pas fourni. -21. Voies d'exécution différentes pour la caution et pour le débiteur; obligation civile, obligation naturelle. - 22.Sous-caution ou certificateur de caution.
1008. -23. Cautionnement limité. —24, Cautionnement indéfini.
1009. -25. Cautionnement civil d'une obligation annulable et d'une obligation naturelle, en général.
1010. —26. Cautionnement d'une dette future. -27. Le cautionnement dont le montant est incertain est valable et n'est pas indéfini.
1011. -28. La caution peut être mandataire ou gérant d'affaires du débiteur, et même l'avoir cautionné malgré lui: renvoi à l'article 1030.
1012. -29. Nécessité chez la caution de la capacité absolue et relative de s'obliger gratuitement.
1013. -30. Difficulté sur l'article 2015 du Code français qui exige que le cautionnement soit exprès. -31. Pourquoi le Projet se contente de sa clarté: conséquences.
1014. -32. Tradition législative sur la transmissibilité aux héritiers de l'engagement de la caution. -33. Autre motif de la formuler ici.
1015. -34. Conditions requises chez la caution quand elle a été promise. -35. 1° Solvabilité actuelle et ultérieure. —36. 2° Domicile. -37. Stipulation d'une caution déterminée.
1016. -38. Remplacement du cautionnement promis par une sûreté réelle.
1017. -39. Aval ou garantie dse effets de commerce. -40. Exposé sommaire de l'utilité de la commission commerciale. -41. Double droit de commission, comme prix de la garantie fournie par le commissionnaire.
COMMENTAIRE.
Art. 1004. — N° 14. Il s'agit ici du véritable contrat de cautionnement, et ce qui prouve qu'il n'a rien de commun avec la promesse de cautionnement faite par le débiteur et dont il est parlé plus haut, c'est que celui-ci n'y figure pas. Sans doute, il pourra arriver que le garant, la caution, intervienne en cette qualité à l'acte principal même, conjointement avec le débiteur, mais il y aura moins là une clause de ce contrat principal qu'un contrat distinct au fond, quoique non séparé en la forme; ce sera un contrat accessoire assurément, mais il ne serait pas moins accessoire s'il intervenait après un certain intervalle de temps (ex intervallo) car il ne peut exister sans un autre (v. art. 323).
Le contrat de cautionnement est unilatéral, parce qu'il n'oblige que la caution; il est gratuit ou onéreux, suivant le caractère du contrat principal auquel il se rattache. Sans doute, la caution, en s'engageant pour le débiteur, ne reçoit rien du créancier, en compensation de l'engagement qu'elle prend envers lui; mais si celui-ci a fourni au débiteur une contre-valeur pour obtenir l'engagement principal, le cautionnement, qui en est l'accessoire et la condition, n'est pas reçu gratuitement. C'est à l'égard du débiteur que la caution remplit un bon office et fait un acte de bienfaisance, comme mandataire ou gérant d'affaires; ce point sera repris avec les articles 1011 et 1012.
Il va sans dire que le contrat de cautionnement est consensuel, et cela en deux sens, c'est-à-dire non réel et non solennel (v. art. 320 et 321).
15. La définition du cautionnement, donnée par notre article, n'est pas tout-à-fait celle de l'article 2011 du Code français, d'après lequel l'engagement de la caution serait toujours conditionnel: à savoir, " si le débiteur ne satisfait pas lui-même à son obligation." Cette formule, prise à la lettre, semblerait dire que la caution ne peut être poursuivie que si toutes les voies de droit ont été épuisées, sans succès, pour contraindre le débiteur au payement. D'un autre côté, il est dit ailleurs que le créancier peut poursuivre la caution avant le débiteur, et ce n'est que par exception et sous des conditions très gênantes que la caution peut renvoyer le créancier à discuter préalablement les biens du débiteur principal (art. 2022 à 2024).
Pour concilier avec ces articles la définition du cautionnement donnée par l'article 2011, on a proposé plusieurs explications qu'il n'est pas utile de présenter et d'apprécier ici.
Le présent article ne donnera pas lieu à la même difficulté: la caution n'est tenue d'acquitter la dette 19 qu'à défaut d'exécution par- le débiteur," ce qui indique, assez que son obligation n'est pas pure et simple mais conditionnelle et subsidiaire.
Mais à quel moment précis pourra-t-elle être poursuivie ? Suffira-t-il que le créancier ait, préalablement et sans succès, sommé le débiteur de payer ? Faudra-til qu'il ait commencé et poussé, plus ou moins loin, dès poursuites contre le débiteur ?
Ce sont là des questions qui seront résolues plus loin, au moyen de certaines distinctions. Ce qui importait, c'était que la loi ne se mît pas ici en opposition avec ce qu'elle établira plus loin au sujet de la discussion des biens du débiteur.
16. La caution ne s'engage pas seulement à exécuter la dette principale, suivant sa forme et teneur, à défaut du débiteur: elle doit aussi indemniser le créancier de l'inexécution, lorsque celle-ci est imputable à la faute du débiteur. En effet, il peut s'agir d'une obligation de faire, dans laquelle la personne même du débiteur a été prise en considération exclusive, et la caution ne serait pas reçue à l'exécuter elle-même; mais alors elle doit l'indemnité dont le débiteur en faute est tenu.
Il n'était pas inutile de l'exprimer, et c'est une lacune qui peut embarrasser dans le Code français, en présence de l'article 2015 qui ne permet pas " d'étendre le cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été, contracté" et de l'article 2016, qui, même au cas de cautionnement indéfini, n'étend la responsabilité de la caution qu'aux accessoires de la dette.
D'ailleurs, l'article 1008, ci-après, reproduisant à peu près l'article 2016 du Code français, il était nécessaire aussi, dans le Projet, de dire que la caution est tenue de l'indemnité d'inexécution.
Art. 1005. — 17. Cette disposition est une conséquence de la définition légale du cautionnement: du moment que la caution s'engage à acquitter telle dette du débiteur, elle ne peut en acquitter une autre.
Ce n'est pas à dire pourtant qu'une pareille promesse serait nécessairement et toujours sans effet: elle pourrait valoir comme novation; la novation serait alors double: par changement de débiteur et par changement d'objet dû. C'est pourquoi le texte déclare que le cautionnement ayant un objet autre que celui de l'obligation principale est nul " comme tel;" ce qui laisse aux tribunaux le pouvoir d'apprécier s'il y a ou non novation; or, la novation n'ayant pas besoin d'être expresse, mais seulement " claire" (v. art. 514 et 519), et les conventions devant s'interpréter de la manière qui leur donne un effet plutôt que de celle qui ne leur en donne aucun (v. art. 378), il est naturel que cette promesse d'un autre objet soit considérée comme ayant fait novation.
Mais alors la situation sera bien différente, car le débiteur primitif sera libéré, ou, s'il reste tenu, ce ne sera plus que subsidiairement, à son tour, comme garant d'une délégation (v. art. 520).
Bien entendu, pour que ce cautionnement improprement dit opère novation, il faut qu'il intervienne après que l'obligation principale a été formée, car il serait impossible de no ver celle-ci au moment même où elle prend naissance.
18. La disposition qui défend à la caution de promettre en cette qualité, " comme telle," un autre objet que celui de la dette principale reçoit une exception facile à justifier.
Comme la caution, en promettant l'exécution de la dette principale, s'oblige implicitement aux dommagesintérêts résultant de l'inexécution (art. 1004), il est naturel qu'elle puisse promettre d'avance une somme d'argent considérée comme l'estimation desdits dommages-intérêts et formant une clause pénale en vue de cette inexécution.
Art. 1006. — 19. Ici, il ne s'agit plus d'un objet du cautionnement différant par sa nature de celui de l'obligation principale, mais d'un caractère plus onéreux de l'obligation accessoire. Par exemple, la somme promise par la caution est plus forte que celle promise par le débiteur; ou sa promesse est pure et simple, quand celle du débiteur n'est qu'à terme ou sous condition; ou bien le terme est plus court pour la caution que pour le débiteur; de même, dans une obligation alternative où le choix était laissé au débiteur, la caution l'a laissé au créancier. On pourrait facilement multiplier de pareils exemples.
Dans ces cas, le cautionnement n'est pas nul: comme il est facile de le ramener aux limites et modalités permises, sans en changer l'objet, cette opération aura lieu; tandis que, dans le cas de l'article précédent, il n'était pas possible de substituer l'objet permis à l'objet défendu.
Art. 1007. — 20. Le présent article a pour but de prévenir une exagération de la prohibition précédente. Les sûretés fournies pour la garantie du cautionnement ne doivent pas être considérées comme une aggravation de l'engagement de la caution; sans doute, on peut dire, au sujet de l'imputation des payements, que le débiteur a plus d'intérêt à acquitter une dette pour laquelle ses biens sont grevés de gage ou d'hypothèque qu'une dette simplement chirographaire (v. art. 493-3°); mais une caution n'agirait pas de bonne foi si elle contestait l'exercice sur ses biens d'une sûreté qu'elle a conférée: ce serait faire soupçonner qu'elle cherche à se soustraire à son obligation.
21. On ne doit pas non plus voir une aggravation de l'engagement de la caution dans la circonstanee qu'elle est soumise à des voies d'exécution plus rapides et même plus rigoureuses que celles auxquelles est soumis le débiteur.
Autrefois, en France, lorsqu'existait la contrainte par corps ou emprisonnement pour dettes (l'abolition n'en date que de 1867), on aurait eu l'exemple frappant d'une caution contraignable par corps, alors que le débiteur principal ne l'aurait pas été, par le privilége de son sexe, de son âge ou de sa parenté avec le créancier. Aujourd'hui que cet exemple ne peut être donné, même au Japon, nous ne pouvons guère citer comme voie d'exécution, sinon plus rigoureuse au moins plus rapide, que le titre authentique auquel la force exécutoire est attachée, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir j ugement: ainsi la caution pourrait être tenue par un acte authentique, quand le débiteur ne le serait que par un acte sous seing privé.
L'article 1009 donne un autre exemple plus frappant encore de caution tenue plus rigoureusement que le débiteur, quant aux voies d'exécution, c'est celui où elle a cautionné civilement une obligation naturelle du débiteur principal: celui-ci payera s'il le veut et quand il lui conviendra, sans qu'on puisse jamais l'y contraindre; la caution est tenue par toutes les voies de droit (v. art. 586 et 588).
22. La caution qui peut donner des sûretés réelles de son engagement, quand le débiteur n'en a pas donné pour le sien, peut aussi donner des sûretés personnelles; par exemple, une sous-caution, appelée dans l'usage et par notre article certificateur de caution" (v. C. proc. civ. fr., art. 135-5°).
Du reste, ce n'est que par occasion que la loi le dit (2e al.), car ici, il n'y a plus à craindre l'objection que la caution serait dans une condition plus onéreuse que le débiteur principal, puisque celui-ci a, lui-même et le premier, fourni une caution.
Art. 1008. — 23. La loi fait ici une différence entre le cautionnement limité ou défini et le cautionnement indéfini.
Dans le premier cas, la caution est supposée avoir exprimé d'une façon limitative et déterminée la chose, l'objet, la somme ou quantité dont elle entendait garantir la prestation; son obligation ne pourra pas s'étendre: elle ne comprendra ni les fruits, ni les intérêts de la chose due, et pas même les frais faits contre le débiteur, à moins que la caution ne requière la discussion des biens de celui-ci, comme il sera expliqué ultérieurement.
Rappelons, à ce sujet, ce qui est dit par l'article 1004, que la caution est toujours tenue de l'indemnité d'inexécution, laquelle n'est pas une extension de l'obligation, mais en est la réalisation transformée.
24. Dans le second cas, la caution a exprimé qu'elle garantissait telle dette du débiteur, sans restriction ni limites; dès lors, son engagement recevra l'extension légitime ou aura les conséquences légales que peut avoir celui du débiteur. Sans doute, la dette de celui-ci sera elle-même déterminée dans son objet ou dans son chiffre (elle ne serait pas valable saris eela, d'après l'article 3252°), mais elle peut s'augmenter de fruits, d'intérêts, de dommages-intérêts, de frais judiciaires; or, la caution, en ne limitant pas sa garantie de la dette principale, est réputée avoir entendu garantir ces accessoires.
Remarquons seulement, sur les frais de justice, que la caution n'est tenue que de ceux qui ont été faits depuis qu'elle en a été informée, afin qu'elle puisse les faire cesser en payant; la première demande seule est supportée par elle, lors même qu'elle n'en aurait pas été informée, parce qu'il est naturel, sinon toujours obligatoire, que le créancier. poursuive le débiteur avant la caution.
Art. 1009. — 25. Le principe posé par le 1er alinéa ne peut faire de difficulté; mais il est bon qu'il soit inscrit dans la loi pour que la théorie du cautionnement y soit complète, il serait d'ailleurs singulier que le 2e alinéa ne fût pas précédé du principe qu'il a pour but de dépasser.
On aurait pu douter que le cautionnement de la dette d'un incapable restât valable après l'annulation en justice de cette dette; mais la caution a connu l'incapacité du débiteur principal: elle doit être considérée comme ayant reconnu, dans les circonstances du fait, les causes légitimes d'une obligation valable, malgré la présomption contraire de la loi, pour les cas généraux. C'est, en somme, une obligation naturelle qu'elle a cautionnée civilement.
La loi consacre ce cas spécialement, parce qu'il sera certainement le plus fréquent, au Japon comme en France; c'est aussi le seul prévu par le Code français (art. 2012); mais pour qu'on ne puisse douter, comme on doute en France, que les autres cas d'obligation naturelle peuvent être cautionnés également, la loi a soin de l'exprimer par un renvoi aux articles 588 et suivants, où le principe est posé et appliqué plus largement.;
Bien entendu, quand la loi exige que la caution ait connu l'incapacité du débiteur principal, c'est au moment où le cautionnement a été donné par la caution. que cette connaissance est nécessaire: si elle n'était survenue que plus tard, le cautionnement, annulable dès le. principe, comme l'obligation de l'incapable luimême, resterait tel et tomberait avec la nullité de celleci une fois prononcée en justice.
La loi assimile au cas où la caution a connu l'incapacité du débiteur celui où elle a dû la connaître; en effet, la caution ne serait pas recevable à invoquer l'ignorance d'une incapacité légale, lorsqu'il n'y aurait eu aucune manœuvre frauduleuse pour la lui dissimuler (1).
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(1) Cette extension du texte est nouvelle.
Art. 1010. — 26. On a déjà vu à l'article 342 que les choses futures peuvent être l'objet d'une obligation. Cet article ne doit pas être restreint aux obligations principales et on nous dit ici qu'il s'applique de même aux obligations accessoires.
L'application de notre article aura lieu lorsque le créancier, manquant de confiance envers le débiteur, aura subordonné au cautionnement d'un tiers son consentement à un prêt ou à une vente. Dans ce cas, il pourra arriver que la caution soit forcée, par les circonstances, d'envoyer son engagement avant que la dette principale soit contractée: c'est un cautionnement conditionnel et cette condition est potestative de la part du créancier ou du débiteur, car l'un ou l'autre pourrait refuser de contracter.
27. Il peut arriver que le montant de la dette soit incertain au moment du cautionnement: par exemple, pour un prêt ayant le caractère d'ouverture de crédit ou pour une vente de marchandises dont le prix variera avec le cours commercial; cette incertitude ne serait pas un obstacle au cautionnement: du moment que l'objet de la dette principale sera assez déterminé pour remplir la condition prescrite par l'article 3250_20, il le sera également assez pour la validité du cautionnement.
Et remarquons que cette incertitude du montant du cautionnement ne lui donnerait pas le caractère indéfini: il resterait toujours limité, dans le sens de l'article 1008 (v. ci-dess., nos 23 et 24).
Art. 1011. — 28. C'est remplir un bon office envers le débiteur principal que de le cautionner, puisque c'est lui faire trouver près du créancier un crédit que, sans cela, il n'y trouverait pas.
Le plus souvent, c'est sur la demande du débiteur que ce bon office lui est rendu; il y a alors mandat de sa part, de sorte que toute l'opération se décompose en trois contrats: le contrat principal entre le débiteur et le créancier (vente, louage, prêt, etc'.,), le mandat du débiteur à la caution, enfin le contrat de cautionnement entre la caution et le créancier.
C'est généralement le mandat qui sera le premier contrat, parce que le débiteur aura dû s'assurer d'abord du garant à fournir, lorsqu'il savait que le créancier exigerait une caution.
On n'a pas à revenir ici sur les caractères du mandat: ce contrat a été longuement expliqué au Chapitre xx du Livre précédent.
Quelquefois, la caution, sans avoir reçu mandat du débiteur, s'engagera pour lui et à son insû; le bon office aura ainsi d'autant plus de mérite qu'il sera spontané; les rapports de la caution avec le créancier n'en seront pas modifiés, mais ceux de la caution avec le débiteur seront réglés par les principes de la gestion d'affaires (v. art. 382 et 383).
Enfin, il peut arriver que la caution se soit engagée comme telle envers le créancier malgré la volonté contraire du débiteur; par exemple, un parent du débiteur, voulant lui épargner des poursuites rigoureuses, aura, contrairement à sa volonté, donné sa signature en garantie au créancier; peut-être même il l'aura fait pour l'honneur du nom de la famille. Cette intervention de la caution peut encore être qualifiée de gestion d'affaires, quoique ce ne soit pas dans les traditions doctrinales (v. T. II, n° 252); mais elle présentera toujours une différence avec le cas précédent, quant au recours de la caution en cas de payement. On s'y arrêtera à la Section n (v. art. 1030).
Art. 1012. — 29. Comme conséquence de ce caractère de mandat ou de gestion d'affaires que présente le cautionnement, la loi exige chez la caution la capacité de s'obliger à titre gratuit.
Sans doute, comme on l'a observé plus haut (n° 14), la caution, dans ses rapports avec le créancier, est considérée comme reçue à titre onéreux, si le contrat auquel elle a accédé a ce caractère; mais dans ses rapports avec le débiteur, elle est presque toujours fournie gratuitement (a); de là résulte une distinction présentée par le texte: si l'incapacité de s'obliger gratuitement est générale ou absolue chez la caution, le créancier a dû la connaître ou est en faute de ne pas l'avoir connue; elle lui sera donc opposée comme fin de nonrecevoir à ses poursuites; si l'incapacité n'est que relative au débiteur, étant fondée sur des rapports particuliers assez rares dans la loi, alors elle ne sera opposée au créancier que s'il l'a effectivement connue.
Cette distinction entre l'incapacité absolue de donner et l'incapacité relative de donner et de recevoir n'aura peut-être que cette seule application dans la loi, mais elle est commandée par la singularité même du cautionnement qui est à titre gratuit pour celui qui le donne et à titre onéreux pour celui qui le reçoit.
On reviendra sur cette distinction avec quelques détails, sous l'article 1217, au sujet de l'hypothèque fournie par un tiers, ou cautionnement réel.
Le Code français est tout-à-fait insuffisant dans l'énoncé de la condition dec capacité, car il n'exige que celle " de s'obliger "* (art. 2018), laquelle va de soi.
Ce qui précède s'applique naturellement au cautionnement civil ou ordinaire. Mais il y a deux espèces de cautionnements propres aux affaires commerciales, dont l'un au moins n'a pas le caractère gratuit. L'article 1017 renvoie au Code de commerce pour les particularités qui les concernent; toutefois, on les exposera sommairement sous cet article.
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(a) La caution n'intervient pas toujours gratuitement à l'égard du débiteur: elle peut ne s'être engagée envers le créancier qu'en recevant du débiteur quelque avantage, comme sa libération d'une dette envers lui; cela, du reste, ne la privera pas de son recours, au cas où elle payera, conformément aux articles 1030 et 1037 (camp. art. 1217 et n° 439).
Art. 1013. — 30. Le Code français (art. 2015) a une disposition qui, au premier abord, paraît simple et raisonnable, à savoir que " le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès; " mais, en réalité, elle n'est pas sans difficulté et on peut en contester l'équité.
S'il s'agissait de savoir, dans un cas douteux, si quelqu'un est obligé ou non, on déciderait certainement que l'obligation ne se présume pas; il y aurait peutêtre exagération à exiger que l'obligation soit expresse, mais, législativement, ce ne serait pas inadmissible. Ici, il s'agit de savoir si, dans le doute, un engagement, clair en lui-même, est un cautionnement ou non. Si on décide que ce n'est pas un cautionnement, c'est donc une obligation principale: par exemple, une novation par changement de débiteur ou une obligation solidaire. Or, du moment qu'on exigera que le cautionnement soit exprès, on arrivera, au cas où cette condition ne sera pas remplie, à un résultat déraisonnable ou inique: déraisonnable, si on dit que l'engagement est entièrement nul, car il vaut mieux interpréter les actes de la manière qui leur donne un effet, que de celle qui ne leur en donne aucun (v. art. 378), inique si, en donnant effet à l'acte, on rend la position de l'engagé plus mauvaise que s'il était simplement caution; et c'est ce qui arrive nécessairement, puisque le nouvel engagé ne peut, dès lors, être moins que codébiteur solidaire du débiteur principal ou tenu en son lieu et place comme ayant fait novation.
31. On admet donc, dans le Projet, qu'il suffit que l'intention de cautionner " résulte clairement des circonstances; " or, c'est seulement lorsque cette condition ne sera pas remplie que l'acte ne produira pas d'effet, pas plus d'ailleurs que n'en produirait, en pareil cas, un acte qui serait invoqué comme contenant un engagement principal.
Pour qu'il n'y ait pas abus dans cette plus facile admissibilité du cautionnement, la loi ne permet pas de voir un cautionnement dans " le seul fait d'avoir recommandé un contractant à l'autre ou d'avoir affirmé sa solvabilité présente ou future." Ce sont là des formules de bienveillance pour la personne recommandée, ou d'encouragement pour celui à qui on l'adresse, mais sans intention aucune de se porter garant de l'obligation. Toutefois, d'après les prinèipes généraux, une pareille recommandation ou déclaration entraînerait une responsabilité plus ou moins étendue si elle était faite par dol.
Le Projet a dû prévoir aussi le cas où le nouvel engagement était assez clair pour qu'on dût lui donner effet, mais pas assez pour qu'on pût savoir s'il constituait un cautionnement ou bien une novation ou un engagement solidaire, et il décide, d'après un principe général d'interprétation (v. art. 380), que l'on devra y voir un cautionnement, comme moins onéreux au promettant.
Art. 1014. — 32. La disposition de cet article est encore une de celles qui pourraient être suppléées par l'effet des principes généraux; car, lorsqu'il n'y a pas de raison particulière pour que les effets d'un contrat cessent avec la vie des contractants, ces effets se produisent pour et contre leurs héritiers; il faut même, pour que les exceptions soient admises, qu'elles soient écrites dans la loi ou résultent de la convention, expressément ou tacitement (v. art. 358).
Mais d'abord, il est de tradition que le principe général de la transmissibilité passive de l'obligation soit formellement déclaré applicable à la caution: on le trouve dans le Code français (art. 2007); il était proclamé déjà par 'les anciens interprètes du droit cotitumier français, lesquels l'avaient eux-mêmes emprunté aux Romains, et chez ceux-ci il était utile de dire que les cautions ordinaires (fidejusnores) obligeraient leurs héritiers, parce que d'autres cautions, plus spéciales (sponsor es), ne les obligeaient pas.
33. Cependant l'origine, aujourd'hui bien lointaine, de cette tradition législative ne suffirait pas pour la continuer au Japon, s'il n'y avait, au moins en apparence, une raison de douter de la transmissibilité passive et même active du cautionnement. On a vu plus haut que la caution est, le plus souvent, mandataire du débiteur principal; or, le mandat, étant fondé sur un sentiment de considération et de bienveillance réciproques des parties, cesse par la mort du mandant et par celle du mandataire (v. art. 947-3°); on aurait donc pu croire un instant que la caution, comme mandataire, n'obligeait pas ses héritiers.
Mais ce serait, en réalité, se méprendre gravement sur la situation créée par le cautionnement; sans doute, si la personne qui a consenti à se porter caution du débiteur vient à mourir avant de s'être engagée comme telle envers le créancier, elle n'a pas obligé ses hétitiers à prendre ledit engagement: elle n'est encore que mandataire du débiteur principal et le principe de non transmissibilité du mandat lui est encore applicable.
Il en serait de même en cas de mort du débiteur avant que la caution se fût engagée: elle ne serait pas tenue vis-à-vis des héritiers du débiteur d'accomplir son mandat.
Mais, du moment qu'en exécution du mandat, le cautionnement est souscrit, il y a là un nouveau lien pour la caution, et ce lien, n'ayant pas le caractère d'un bon office vis-à-vis du créancier, ne peut cesser par la mort de la caution.
Quant à la mort du créancier, il ne serait pas possible de douter qu'elle fût sans influence sur le cautionne. ment, puisque le créancier n'est pas mandant; mais, pour que la loi ait plus d'harmonie et aussi pour que l'omission d'un cas sur deux ne fasse pas elle-même naître un doute, le texte se prononce de la même manière sur les deux décès.
Art. 1015. — 34. Cet article suppose le cas annoncé au n° 12: le débiteur ne pouvant encore fournir une caution au moment où s'est formé le contrat principal, alors pourtant que le créancier en faisait une condition de ce contrat, a promis de la fournir ultérieurement.
S'il s'agissait d'une caution fournie au moment même du contrat principal, le présent article ne s'appliquerait pas: le créancier serait considéré comme ayant accepté la caution dans les conditions où elle se trouvait; sans doute, sa solvabilité lui aurait parue suffisante; son domicile, éloigné ou non, ne l'aurait pas préoccupé; elle pourrait aussi devenir insolvable sans qu'il eût le droit d'en demander une autre.
Mais il n'en est plus de même lorsque le débiteur a promis de fournir une caution et lorsque le contrat principal a été conclu avant que le créancier en eût accepté une: il y a lieu, dans ce cas, de pourvoir à son intérêt comme aussi de prévenir trop d'exigences de sa part. Deux conditions suffisent mais sont nécessaires.
35. 1° Il faut que la caution présentée en vertu de la convention soit " notoirement solvable." La loi n'exige pas, comme le Code français (art. 2019), que la caution ait des propriétés foncières; elle se contente même, à défaut de la notoriété, de ce que la solvabilité soit " facile à établir," car la notoriété est un fait indépendant de la caution: elle peut être nouvellement domiciliée dans la localité ou vivre très retirée; on suppléera donc à la notoriété par des preuves évidentes.
Le Code français (ibid.) excepte de sa condition rigoureuse les dettes commerciales et les dettes modiques; le Projet, n'adoptant pas un point de départ aussi rigoureux, n'a pas à formuler les mêmes exceptions: en cas de contestation, c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de décider si la solvabilité de la caution est suffisante, et ce n'est pas compliquer la situation, car, même avec le Code français, il faudra que les tribunaux interviennent, s'il y a désaccord entre les parties sur la solvabilité de la caution.
Si la caution ainsi fournie devient insolvable, le débiteur doit en fournir une autre.
La disposition semblable du Code français (art. 2020) est conçue dans des termes assez généraux pour qu'on puisse soutenir qu'elle s'applique dans tous les cas, même lorsque la caution a été fournie au moment de la formation du contrat principal. Nous hésiterions beaucoup à admettre cette interprétation.; nous sommes. porté à croire que le Code est resté dans l'ordre d'idées qui commence avec l'article 2018 et qui est celui où nous sommes ici (v. aussi n° 37, ci-après, in fine).
Quoi qu'il en soit du Code français, le Projet ne laissera aucun doute sur le caractère exceptionnel de ce supplément de cautionnement, au cas d'insolvabilité survenue.
36. 2° Il faut que la caution ait ou élise un domicile dans le ressort de la cour d'appel où le payement doit être fait; cette condition a pour but de ne pas rendre les poursuites trop difficiles au créancier; c'est aussi unmoyen pour lui de se tenir plus facilement au courant de l'état de solvabilité de la caution. Il va de soi que cette obligation de domicile est permanente et que si la caution change de domicile réel ou élu, le nouveau domicile doit remplir la même condition de lieu.
37. Les règles qui précèdent sont écrites pour le cas où le créancier a stipulé qu'il lui serait fourni une caution, sans la désigner davantage; mais s'il a stipulé l'engagement d'une personne déterminée, alors on se trouve dans le même cas que si, au moment de la signature du contrat principal, il avait accepté cette même personne: il ne peut ni discuter, ni critiquer la solvabilité actuelle de la caution qu'il a obtenue suivant son désir; il ne pourra se plaindre si l'insolvabilité survient; enfin, quelque éloigné que soit le domicile de cette caution, ou si elle vient à en changer, il n'a pas lieu de réclamer: les conventions sont la loi des parties.
Cette distinction qui se trouve aussi dans le Code français (art. 2020, 2e al.) nous fournit un nouvel argument pour soutenir que l'obligation de fournir une caution supplémentaire, au cas d'insolvabilité survenue chez la première, ne s'applique pas quand il s'agit d'une caution reçue au moment même de la formation du contrat principal: dans les deux cas, le créancier a accepté le risque.
Le présent article est formellement écrit pour le cas où la caution est due en vertu d'une convention; mais, dans l'Appendice, il sera déclaré applicable au cautionnement ordonné par la loi ou par jugement (voy. art. 1047).
Art. 1016. — 38. Il peut arriver que le débiteur soit peu connu et ne trouve personne pour le cautionner, ou que sa position pécuniaire n'encourage pas ses amis à le cautionner; il est naturel alors qu'il puisse suppléer au cautionnement en donnant une sûreté réelle, c'est-à-dire un nantissement mobilier ou immobilier ou une hypothèque, ou même, et à plus forte raison, en faisant un dépôt d'argent aux mains du créancier ou d'un tiers agréé par celui-ci; le tout, sous l'approbation du tribunal, en cas de désaccord.
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit au n° 8, in fine, que c'est là une preuve qu'aux yeux de la loi les sûretés réelles ne sont pas nécessairement supérieures aux sûretés personnelles.
On pourrait décider, de même que, si un débiteur avait promis de fournir une sûreté réelle et ne pouvait y réussir, il ne pourrait être admis à la remplacer par un cautionnement qu'avec l'autorisation du tribunal.
La loi a soin de se référer à l'article précédent, c'està-dire au cas où le débiteur a promis de fournir caution: autrement, c'est au créancier à voir, au moment où il contracte, s'il lui convient de recevoir une sûreté réelle et laquelle est suffisante.
Art. 1017. — 39. L'aval (b) est un cautionnement propre aux,lettres de change, aux billets à ordre et aux autres effets de commerce négociables par endossement. En France, il n'en est question que dans le Code de Commerce et pour ces sortes d'obligations (v. art. 141, 142 et 187).
Ce qui est à remarquer, c'est que le donneur d'aval est tenu solidairement avec les débiteurs principaux.
Le Code de Commerce japonais s'expliquera sur cette garantie particulière.
40. La garantie due par les commissionnaires est l'objet d'un pareil renvoi; mais il est bon cependant d'en donner ici une idée sommaire.
Déjà, au Tome IIIe (n° 746), à l'occasion du Mandat, on a indiqué le caractère distinctif de la Commission commerciale, et l'on a dit que le commissionnaire agit en une double qualité: dans ses rapports avec son commettant ou mandant, il est un mandataire ordinaire; s'il vend ou achète, prête ou emprunte, il doit communiquer au commettant tous les droits et avantages de l'opération, comme aussi il se décharge sur lui des conséquences onéreuses de l'acte; mais dans les actes de vente ou d'achat, de prêt ou d'emprunt qu'il a passés avec les tiers, en exécution de son mandat, il a agi en son propre nom, comme pour son compte et sans nommer son mandant ou commettant; en conséquence, c'est lui qui a l'action ou qui la subit, à raison desdits actes, sauf les comptes respectifs entre lui et le commettant, comme il est dit ci-dessus (c).
Ce n'est pas ici le lieu de développer les raisons pratiques qui ont fait adopter cette manière de procéder en matière commerciale; disons seulement que, bien qu'elle paraisse 'plus compliquée que le mandat civil, elle a le grand avantage de favoriser la conclusion d'affaires nombreuses et importantes auxquelles le mandat ordinaire ne se prêterait pas.
Lorsqu'une personne est commissionnaire par profession et avantageusement connue dans une ville de commerce, soit pour certaines denrées ou marchandises, soit pour toutes sortes de denrées, elle inspire confiance aux autres négociants qui traitent avec elle, pour acheter ou vendre; tandis que ces mêmes négociants ne traiteraient pas avec le mandant ou commettant qu'ils ne connaissent pas et qui souvent même demeure dans un autre lieu.
41. Pour revenir au lien de la commission commerciale avec notre matière du cautionnement, il faut remarquer d'abord que le commissionnaire, n'étant qu'un mandataire dans ses rapports avec le commettant, n'est pas garant de l'exécution des contrats qu'il a faits, pourvu qu'il ait agi de bonne foi et sans imprudence. Si donc il a vendu des marchandises à crédit, conformément à son mandat, et si l'acheteur devient insolvable, il n'est pas responsable. De même, s'il a acheté des marchandises livrables à terme et que le vendeur ne puisse les livrer.
Mais il arrive souvent qu'il est convenu entre le commettant et le commissionnaire que ce dernier sera garant et responsable de l'exécution des contrats passés par lui; dans ce cas, il est d'usage que le prix de la commission, le droit de commission, soit double: c'est comme une prime d'assurance que paye le commettant pour se soustraire au risque de l'opération (d).
Lorsqu'il est convenu entre le commettant et le commissionnaire que celui-ci aura un double droit de commission, cela suffit pour exprimer que les risques d'insolvabilité sont à la charge du commissionnaire.
L'emploi du commissionnaire a encore l'avantage de permettre de garder le secret sur le nom du véritable vendeur ou acheteur; or, quelquefois, ce secret est très utile à observer dans le commerce. Mais, dans le cas, où le commissionnaire n'est pas autorisé à nommer respectivement ceux entre lesquels il s'entremet, on ne peut plus dire qu'il a la faculté de se porter garant pour eux; il est, à leur égard, seul débiteur, et s'il demande une commission plus élevée, elle a un caractère unique de salaire du service rendu.
Le commissionnaire diffère encore du mandataire civil par ce fait même qu'il est rétribué, tandis que le mandat civil est gratuit; en effet, la commission n'est pas, comme le mandat, un bon office, c'est une opération commerciale dont le caractère naturel est la spéculation, la recherche d'un profit.
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(b) Etymologie latine: ad valendum (?), "à valoir,"
(c) Il est curieux de noter, à ce sujet, que le mandat romain avait, en général, ce même caractère " le mandataire ne représentait pas le mandant, il agissait en son propre nom, sauf les recours respectifs.
(d) Ce double droit de commission se nomme, en France, du croire, expression assez mal choisie, qui est la traduction de deux mots italiens aussi singuliers, del credere, sans doute pour exprimer que ce double droit est le prix du crédit.
SOMMAIRE.
Art. 1018. -42. Retour au caractère conditionnel de l'engagement de la caution: nécessité d'une sommation au débiteur, préalablement aux poursuites contre la caution. -43. Trois cas où le créancier en est dispensé.
1019. -44. Bénéfice ou exception de discussion: son origine romaine, tradition législative séculaire. —45. Sa conservation au Japon.
1020. -46. La caution peut renoncer au bénéfice de discussion. -47. Elle en est privée si elle s'engage solidairement avec le débiteur. -48. Elle doit l'opposer avant de contester la dette principale.
1021. -49. Restrictions et conditions mises au bénéfice de discussion. -50. Cas empruntés au Code français. -51. Cas nouveaux, plus sévères pour la caution. -52. Cas inverse: dispense de l'avance des frais.
1022. -53. Responsabilité du créancier négligent.
1023. -54. Bénéfice de division: son origine romaine, sa conservation en France. -55. Juste critique de ses limites faite par le Tribunat. —56. Division de plein droit dans le Projet japonais, conformément au vœu du Tribunat. —57. Double résultat de l'innovation. -58. Exceptions à la division de plein droit. -59. Influence sur la division de l'accession de nouvelles cautions. -60. Intérêt du créancier à avoir un plus grand nombre de cautions, malgré la division.
1024. -61. Double rôle de la caution qui est garant et garantie. -62. Formes et conditions de l'exception de garantie incidente. -63. Pourquoi elle figure plusieurs fois dans la loi.
1025. -64. Exceptions du fond appartenant à la caution. - 65. Différence du Projet avec le Code français quant aux exceptions dites " personnelles au débiteur." -66. Suite. -67. Exceptions tirées du défaut de formation de l'obligation ou de son extinction. -68. Question sur le terme de grâ?e. -69. Le débiteur ne peut priver la caution de ces exceptions. -70. Exceptions personnelles à la caution.
1026. -71. Difficultés sur l'autorité de la chose jugée, quand il y a plusieurs intéressés. -72. Le débiteur représente toujours la caution; la caution ne représente le débiteur que comme gérant d'affaires. -73. Indivisibilité des cbefs connexes du jugement.
1027. -74. Interruption, suspension de prescription, mise en demeure; effets respectifs à l'égard de la caution et du débiteur.
1028. -75. Aveu, serment extrajudiciaire prêté ou refusé.
COMMENTAIRE.
Art. 1018. — N° 42. Cet article, rapproché de l'article 1004 qui contient la définition du cautionnement, achève de déterminer ce que cet engagement a de conditionnel et il lève le doute que laisse subsister le Code français au sujet de la nécessité d'une sommation à faire au débiteur, préalablement aux poursuites contre la caution.
Il est naturel, en effet, que le créancier, avant de poursuivre la caution, lui fournisse une preuve suffisante que la dette n'est pas déjà payée par le débiteur.
Sans doute, une sommation n'est pas une preuve complète qu'il n'y a pas eu payement, car le créancier peut la faire de mauvaise foi, ou, s'il est héritier, il peut ignorer que le payement a été fait à son auteur; mais cette sommation aura donné lieu à une réponse du débiteur et si celle-ci contient ou une demande de délai, ou une allégation que l'échéance n'est pas arrivée, ou même une contestation de l'existence ou de la validité de la dette, c'est une preuve suffisante que la dette n'est pas payée.
Si le débiteur avait payé après la sommation, il ne manquerait pas d'en informer la caution: autrement, il serait responsable envers elle du trouble causé par les poursuites, si d'ailleurs le créancier était hors d'état de l'indemniser lui-même de ses poursuites mal fondées.
43. La loi dispense le créancier de faire cette sommation dans trois cas où elle serait évidemment inutile: la disparition du débiteur, sa faillite déclarée, son insolvabilité notoire.
La disparition du débiteur n'est pas nécessairement une fraude à l'égard de son créancier: elle peut être l'effet de quelque accident; il suffit qu'il soit évident que la sommation n'atteindra pas le débiteur, pour qu'il n'y ait pas lieu d'exposer le créancier à une dépense et à un retard inutiles.
La faillite déclarée est une preuve légale que le débiteur ne peut payer.
L'insolvabilité, si elle n'a pas été déclarée en justice, à l'occasion d'une procédure, doit être notoire, c'est-àdire indiscutable.
Art. 1019. — 44. Si l'on suivait ici la raison pure, c'est-à-dire la logique rigoureuse, on pousserait plus loin le caractère conditionnel de l'obligation de la caution, et l'on exigerait que le créancier, avant de la poursuivre, épuisât toutes les voies de rigueur contre le débiteur lui-même, prît jugement contre lui, saisît ses biens, les fît vendre et s'en fît attribuer le prix concurremment avec les autres créanciers, enfin, qu'il ne recourût contre la caution qu'au cas d'insuffisance des biens du débiteur. Mais ce serait trop affaiblir la force et la simplicité de la garantie que le créancier a cherchée dans le cautionnement.
Il y a d'ailleurs contre cette solution une tradition législative continue qu'il ne paraît pas bon de négliger, même au Japon, où déjà se trouvent des usages judiciaires analogues.
Si l'on remonte au droit romain primitif, on y voit que le créancier pouvait, à son 0hoix, poursuivre la caution (fidejussor) ou le débiteur principal (reus). Il y avait à cela une raison particulière de procédure, c'est que la poursuite contre l'un ou l'autre des débiteurs, principaux ou accessoires, formait une sorte de novation judiciaire et s'opposait à ce que le créancier non désintéressé entièrement par celui qu'il avait poursuivi revînt contre l'autre (v. T. II, n° 16).
Plus tard, lorsque le droit romain devient moins formaliste, cette sorte de novation fut abolie et dès lors il n'y eut plus même raison d'autoriser le créancier à commencer ses poursuites par le fidéjusseur, sous le prétexte qu'il était plus solvable; il fut donc décidé que, si le créancier poursuivait d'abord le fidéjusseur, celui-ci pourrait, sous certaines conditions, lui opposer une fin de non-recevoir dilatoire dite Il exception ou bénéfice d'ordre et de discussion," nom qu'elle a conservé depuis (a).
L'ancien droit français n'apporta pas de grands changements à cette situation, et c'est là que le Code français a puisé les dispositions de ses articles 2021 à 2024 que le présent Projet imite, à son tour, avec quelques modifications, les unes dans l'intérêt de la caution, les autres dans l'intérêt du créancier.
45. Nous avons dit que s'il n'y avait en cette matière une tradition générale et bien des fois séculaire, on croirait devoir retarder encore davantage le droit de poursuite du créancier contre la caution: la discussion préalable des biens du débiteur deviendrait la règle, au lieu d'être l'exception, et elle serait qualifiée droit, au lieu de l'être du nom de bénéfice qui l'affaiblit et ne la présente plus que comme une faveur.
Mais on n'a pas cru devoir aller si loin, d'autant moins que déjà, au Japon, sous l'influence, sans doute, du Code français, la jurisprudence se montre très rigou. reuse contre la caution et lui reconnaît à peine le bénéfice de discussion, même restreint.
Notre article présente au'moins la discussion préalable des biens du débiteur comme un droit, puisque la caution peut "l'exiger;" mais il annonce de suite qu'elle est soumise à des "restrictions et conditions," lesquelles sont l'objet des articles suivants. C'est dans ces conditions qu'est le respect de la tradition, ainsi que dans l'emploi ordinaire du nom de bénéfice, au lieu de celui de droit de discussion.
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(a) Le mot discussion qui, en français vulgaire, signifie débat, exprime ici, d'après l'étymologie latine, que les biens du débiteur, que son patrimoine, sont secoués, pour en faire tomber tout le contenu.
Art. 1020. — 46. Le bénéfice de discussion est de la nature du cautionnement, puisqu'il appartient à la caution sans avoir été stipulé, mais il n'est pas de son essence, il n'en est pas inséparable; la caution peut donc y renoncer; sans doute, le créancier exigera souvent cette renonciation, il en voudra faire une condition du contrat principal; mais la caution, avertie, par cela seul, de la rigueur qu'il veut lui imposer, aura pu refuser de s'y soumettre.
La renonciation au bénéfice de discussion n'a pas besoin d'être expresse: elle peut être tacite, pourvu qu'elle soit certaine; tel serait le cas où la caution aurait promis de " payer à première demande ou à présentation du titre ou de la quittance."
47. Une autre manière pour la caution de se priver du bénéfice de discussion est de ” s'engager solidairement avec le débiteur principal dans ce cas, de même qu'un débiteur solidaire ne peut, à l'échéance, refuser le payement immédiat et intégral, lors même que son codébiteur serait solvable pour sa part (v. art. 1054), de même la caution solidaire devra payer la totalité immédiatement; sans préjudice, bien entendu, des délais de grâce et du fractionnement de la dette pouvant être accordés par le tribunal, conformément au droit commun (art. 426).
Ce n'est pas à dire d'ailleurs que la caution solidaire soit, à tous autres égards, un codébiteur solidaire: elle est toujours une caution, et comme telle, elle ne peut s'obliger sous des conditions plus dures que le débiteur principal (art. 1006); de même lorsqu'elle a payé, elle a recours pour le tout contre le débiteur principal (v. art. 1030), tandis qu'un codébiteur solidaire supporte toujours une part dans la dette (art. 1064).
48. Enfin, la loi ne veut pas que la caution laisse le créancier s'engager dans des poursuites contre elle, pour se voir ensuite arrêté dans cette procédure et obligé d'en commencer une autre contre le débiteur. Le Projet ne dit pas cependant, comme le Code français (art. 2022), que le bénéfice de discussion doive être proposé par la caution Il sur les premières poursuites dirigées contre elle." Cela paraîtrait refuser à la caution le droit de contester tout d'abord sa qualité de caution, ce qui est' inadmissible; ce qu'il ne faut pas c'est que la caution puisse commencer par contester la dette principale au fond, ensuite, que, se voyant vaincue sur ce terrain, elle puisse renvoyer le créancier à poursuivre le débiteur principal.
Mais la caution pourra, d'après notre texte, contester d'abord sa qualité de caution: par exemple, nier son consentement, en alléguer un vice, soutenir qu'elle était incapable; puis, voyant ces moyens de défense rejetés, elle demandera au créancier de poursuivre le débiteur principal avant d'exiger d'elle le payement. Il serait impossible, en effet, d'astreindre la caution à opposer tout d'abord le bénéfice de discussion, car ce serait, de sa part, une reconnaissance implicite de sa qualité de caution et, en cas d'insolvabilité du débiteur, le créancier pourrait lui dénier le droit de contester sa qualité de caution.
Art. 1021. — 49. C'est ici que se trou vent les restrictions et conditions imposées à l'exercice du bénéfice de discussion.
L'idée dominante est que si la discussion des biens du débiteur doit prendre un temps trop considérable, donner lieu à une procédure compliquée ou n'avoir pas de chances de succès, elle ne doit pas retarder la poursuite du créancier contre la caution. Cette idée a été, évidemment, celle du Code français, et le Projet l'adopte, à son tour; mais il la pousse plus loin dans ses conséquences logiques. A ce point de vue, le Projet est plus sévère pour la caution; à d'autres égards, il est moins exigeant contre elle. On va faire ressortir ces différences, en les motivant.
50. Le Code français ne veut pas que la caution demande la discussion de biens trop éloignés du lieu où le payement doit être fait: le ressort de la cou r d'appel est une limite raisonnable; elle rappelle d'ail. leurs l'élection de domicile que doit faire la caution. Le Projet reproduit la même limite, quoique les cours d'appel soient encore peu nombreuses au Japon et, par conséquent, très éloignées les unes des autres. Cette extension de distance est favorable à la caution.
Il y a encore similitude avec le Code français au sujet des immeubles litigieux, lesquels ne peuvent être proposés à la discussion, parce que le résultat en serait trop incertain; de même, pour les immeubles hypothéqués au créancier mais qui ont été aliénés; ici le motif est autre: sans doute, cette aliénation ne détruit pas la sûreté réelle résultant de l'hypothèque, car l'hypothèque donne un droit de suite contre le tiers détenteur qui, en principe, devra payer la dette ou se laisser exproprier (v. art. 1266); mais ce ne sera que sur une procédure fort lente et compliquée, car ce tiers détenteur, s'il n'est pas en même temps obligé personnellement à la dette, pourrait opposer lui-même au créancier poursuivant un bénéfice de discussion analogue et même préférable à celui de la caution (v. art. 1282). C'est donc ici pour éviter des pertes de temps et des frais que les immeubles aliénés sont exclus de la discussion.
51. Mais voici deux points sur lesquels le Projet est plus sévère pour la caution que le Code français.
1° Des immeubles du débiteur, remplissant d'ailleurs les trois conditions exigées plus haut, sont hypothéqués à d'autres qu'au créancier poursuivant et de façon à avoir la préférence sur lui, soit qu'il n'ait pas lui-même d'hypothèque, soit qu'il n'en ait qu'une postérieure en date et, par conséquent, inférieure en rang à celles des autres créanciers. Sans doute, dans ces deux cas, il n'est pas impossible qu'après la discussion et la vente forcée des immeubles hypothéqués, il reste des sommes libres qui pourraient être attribuées au créancier poursuivant; mais cette éventualité n'est pas assez probable pour motiver un sursis aux poursuites contre la caution.
2° Le débiteur a des biens mobiliers de diverses natures qui pourraient suffire à payer ses dettes; mais il est si facile à la caution de se faire illusion sur l'importance de ces biens et si facile aussi au débiteur de les détourner et de rendre vaine la poursuite du créancier que la loi n'autorise pas la caution, au moins en général, à renvoyer le créancier à discuter les meubles du débiteur.
La discussion des valeurs mobilières sera cependant possible s'il s'agit d'objets remis en gage au créancier. La loi est même rédigée d'une façon assez large (elle vise des " sûretés réelles ") pour que le créancier puisse être obligé de discuter des meubles sur lesquels il aurait un droit de rétention ou un privilége légal; par exemple, un bailleur à loyer ou à ferme qui aurait une caution pour les loyers ou fermages pourrait être tenu, avant de poursuivre celle-ci, de faire vendre les récoltes du fonds ou les meubles garnissant les lieux, lesquels sont affectés par la loi à sa garantie (art. 1152 à 1154).
52. Voici maintenant un point sur lequel le Projet est plus favorable à la caution que ne l'est le Code français: d'après l'article 2023 de ce Code, la caution qui requiert la discussion doit faire au créancier l'avance de sommes suffisantes pour les frais de poursuite et de discussion.
Il y a là, outre une entrave sérieuse à l'exercice du droit de discussion, une situation très défavorable à la caution qui fait les frais d'une procédure à laquelle elle ne prend pas part: il est à craindre que le créancier n'épargne pas suffisamment ces frais; de plus, il est difficile de savoir d'avance quels frais seront nécessaires et quel en sera le montant; enfin, et surtout, cette disposition se concilie difficilement avec celle qui, dans le cas d'un cautionnement défini et limité, ne met pas les frais à la charge de la caution (Comp. art. 1008 ci-dess. et c. civ. fr., art. 2016).
Le Projet n'y soumet pas la caution.
Art. 1022. — 53. Dans le cas prévu par cet article, le créancier doit imputer à sa négligence la perte qu'il éprouve; la caution n'en doit pas souffrir et il est naturel et juste qu'elle soit déchargée de tout ce dont elle aurait pu l'être si la discussion avait été faite en temps utile.
La disposition du présent article, reposant sur la faute ou la négligence du créancier, cesserait donc d'être applicable, s'il survenait au créancier un empêchement majeur d'agir, tant par lui-même que par représentant; mais alors il devrait en informer la caution, afin qu'elle prenne elle-même des mesures qui la préservent des conséquences de l'insolvabilité du débiteur (v. art. 1034): autrement, le créancier se retrouverait dans le cas de négligence.
Art. 1023. — 54. Le Projet innove ici considérablement, par rapport au Code français et aux traditions anciennes.
Il est admis, depuis les Romains, que lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur, chacune d'elles est, en principe, tenue de toute la dette: ce n'est pas une obligation solidaire proprement dite, c'est une obligation pour le tout (in solidum) intégrale, ou, suivant une expression à peu près consacrée, au moins pour des cas analogues, c'est une solidarité imparfaite." Elle ne constitue pas un lien aussi étroit, aussi intime que la solidarité ordinaire ou parfaite, tel qu'on le verra au Chapitre suivant, mais elle en produit l'effet principal qui est le droit pour le créancier de demander toute la dette à l'un ou à l'autre des débiteurs (v. art. 1074).
Cette rigueur contre les cautions a paru exagérée aux Romains eux-mêmes qui l'ont imaginée les premiers, car ils n'ont pas tardé à admettre que celle des cautions à laquelle le créancier s'adresserait pour le payement intégral pût exiger qu'il divisât son action entre toutes les cautions actuellement solvables, et ce droit des cautions fut appelé" bénéfice de division."
Le résultat était:celui-ci: si des cautions étaient déjà devenues insolvables au moment où la division était demandée, la perte retombait sur les autres cautions restées solvables; mais si des insolvabilités survenaient postérieurement à l'exception proposée, elles retombaient sur le créancier.
L'ancien droit français admit la même obligation intégrale de chaque caution, avec le même adoucissement, et le Code civil français, à son tour, a conservé l'une et l'autre (art. 2025 à 2027).
55. Toutefois, il est certain que ce ne fut pas sans résistance que l'ancienne théorie fut reproduite dans le Code français. L'un des corps politiques qui participaient alors à la confection des lois, au moins par forme d'avis, le Tribu nat, demanda que la division des poursuites entre les cautions eût lieu de plein droit, en vertu de la loi, et non par faveur et en vertu d'une demande. La raison principale qu'on en donnait, et qui a gardé toute sa force aujourd'hui, était que, lorsqu'il y a plusieurs débiteurs principaux, simplement conjoints ou non solidaires, la dette se divise de plein droit entre eux, que, dès lors, on ne conçoit pas pourquoi il en serait autrement pour les cautions multiples ou cofidéjusseurs. On ajoutait que si cette rigueur était jugée nécessaire pour donner au cautionnement toute l'efficacité que le créancier en attendait, il fallait alors pousser la sévérité jusqu'à ses conséquences logiques et refuser aux cautions le bénéfice de division, à moins qu'elles ne l'eussent stipulé.
La proposition du Tribunat ne fat pas accueillie.
Nous la reprenons ici sans hésiter.
56. Il y a d'ailleurs quelque chose de singulier dans le système consacré qui pose d'abord le principe que l'obligation des cautions est intégrale et le détruit, immédiatement après, en permettant la division sur la demande de la caution poursuivie.
On aurait pu faire une objection encore plus grave, c'est que cette obligation intégrale de chaque caution, lorsque la poursuite est divisible de plein droit entre les codébiteurs principaux, est contraire au principe général et essentiel d'après lequel l'engagement des cautions ne peut être plus rigoureux que celui des débiteurs principaux (v. art. 1006).
La division aura donc lieu de plein droit et sans qu'il soit nécessaire que la caution poursuivie la demande formellement; ainsi, le tribunal, s'il a une connaissance certaine et suffisante de l'existence de plusieurs cautions, pourra, dans la condamnation, observer d'office la division.
Quoique cette division ne soit plus désormais que l'application du droit commun, on lui conserve le nom de ” bénéfice," comme, on l'a fait pour le droit de discussion, non-seulement parce qu'il est consacré par la tradition, mais aussi parce qu'il serait singulier qu'on pût dire que le bénéfice de division est supprimé au Japon, lorsqu'au contraire il y est étendu et facilité.
57. Voici maintenant le double intérêt de notre innovation; il n'est pas d'ailleurs bien considérable et, moindre il est, moins aussi il doit rencontrer d'objections.
D'abord, la division, étant un effet de droit, sera, comme on l'a dit plus haut, observée d'office par le tribunal: ce n'est pas statuer sur choses non demandées, ce qui lui est défendu (v. c. proc. civ. fr., art. 480-30), c'est appliquer la loi, comme ferait le tribunal à l'égard d'un débiteur principal simplement conjoint que le créancier poursuivrait indûment comme solidaire.
Ensuite, dans le système français, tant qu'un des co-fidéjusseurs n'est pas poursuivi, il n'a pas occasion et, par conséquent, pas de droit d'opposer le bénéfice de division; dès lors, comme la division ne se fait pas par têtes entre les cautions originaires, mais seulement entre celles qui sont " solvables au moment où la division est demandée (le Code français, art. 2026, dit, à tort, prononcée), il est clair qu'il peut être survenu auparavant des insolvabilités dont le risque retombe, non sur le créancier, mais sur les autres cautions restées solvables, de sorte que la part de responsabilité de ces dernières s'étend, sans qu'elles aient de négligence à se reprocher.
Dans le système du Projet, au contraire, la division se trouvant faite par têtes, par la seule force de la loi, est immédiate et dès l'engagement même des cautions; si donc, il s'en trouve déjà d'insolvables, le créancier doit s'imputer de les avoir acceptées: c'était à lui, bien plutôt qu'aux autres cautions, de vérifier leur solvabilité. A plus forte raison, le créancier supporte-t-il les insolvabilités survenues postérieurement.
Rappelons seulement, à ce sujet, la disposition de l'article 1015, 26 alinéa, d'après laquelle le débiteur, dans un cas particulier, est tenu de remplacer par une autre caution celle qui est devenue insolvable.
58. Voyons maintenant les exceptions à la division de plein droit par portions égales. Il y en a trois:
1° Les co-fidéjusseurs peuvent être convenus tant entre eux-mêmes qu'avec le créancier, que leur responsabilité sera inégale: ce qui importe surtout au créancier c'est que la somme des parts forme la totalité de la dette. Cette exception ne pouvait guère trouver son application avec le système français, aussi n'y en est-il pas fait mention.
2° Ils peuvent s'être engagés solidairement, soit entre eux, soit avec le débiteur principal: il est naturel que, dans ce cas, la division n'ait pas plus lieu de plein droit dans le système du Projet, que par voie d'exception dans le système du Code français
La seule objection qu'on pourrait faire ici, c'est celle que nous avons faite nous-même plus haut au système ancien, à savoir que chaque caution solidaire se trouvera tenue plus sévèrement que chacun des débiteurs principaux, lorsqu'il y en aura plusieurs simplement conjoints, non solidaires eux-mêmes.
Nous répondons que ce résultat n'est plus aussi difficile à justifier quand il s'agit d'une solidarité stipulée et convenue que lorsque la solidarité, même imparfaite, est comme imposée par la loi: dans le cas où la solidarité entre cofidéjusseurs est l'effet d'une convention, cas où elle est parfaite, chaque caution est considérée comme ayant pris à sa charge toutes les obligations réunies des codébiteurs non solidaires; elle doit plus que chacun pris individuellement, mais non plus que tous réunis.
3° Les cofidéjusseurs ont renoncé à la division autrement que par un engagement solidaire: ce ne peut guère être que par une renonciation expresse, ou bien en se soumettant à l'indivisibilité intentionnelle (v. art. 462 à 464 et Chapitre ln, ci-après).
On n'a pas à exprimer, comme exception, le cas où l'obligation principale serait indivisible (v. art. 462 à 464) et où, par conséquent, les cautions seraient ellesmêmes tenues indivisiblement: on n'excepte pas d'une règle ce qui par sa nature n'y est pas soumis.
59. Le 29 alinéa de notre article lève les doutes qui auraient pu exister sur le point de savoir si la division de plein droit est modifiée par l'accession de nouvelles cautions, ou même si elle commence avec cette accession, lorsqu'à l'origine il n'y en avait qu'une seule. La solution est affirmative: c'est un avantage nouveau sur lequel la caution n'avait peut-être pas compté, mais que personne n'a un intérêt légitime à lui contester.
Ainsi, il y avait deux cofidéjnsseurs à l'origine: la part de chacun était d'une moitié de la dette; une troisième caution s'engage plus tard: la part de chacun n'est plus que d'un tiers. Ainsi encore, il n'y avait qu'une caution à l'origine: elle était tenu0. pour le tout; une seconde caution intervient: chacune ne peut être poursuivie que pour une moitié.
60. Nous ferons une dernière observation sur toute cette matière: il ne faudrait pas croire que la di vision de plein droit, pas plus, du reste, que la division par voie d'exception, enlève au créancier tout avantage fi, avoir plusieurs cautions: sans doute, si les cautions étaient toutes et certainement solvables et s'il n'y avait aucun lieu de craindre qu'elles cessassent de l'être, il vaudrait mieux n'en avoir qu'une seule à poursuivre que d'avoir à exercer autant de poursuites qu'on aurait reçu de cautions; mais lorsqu'on n'est pas sûr de la solvabilité d'une ou plusieurs, il vaut mieux en avoir un plus grand nombre, parce que les fractions de la dette qu'on s'expose à ne pourvoir faire payer seront d'autant plus petites que les cautions seront plus nombreuses.
Au surplus, le créancier qui veut mettre toutes les chances de son côté stipulera la solidarité entre les cautions, conformément à ce qui est dit ci-dessus.
Art. 1024. — 61. Cet article devait figurer ici, parce qu'il indique un rapport de la caution avec le créancier; mais comme ce rapport tend à assurer les droits de la caution contre le débiteur, c'est à l'occasion de ces droits et sous l'article 1029 qu'il sera expliqué.
C'est une des particularités de cette matière du cautionnement que la caution joue un double rôle, au sujet de la garantie: vis-à-vis du créancier, elle est garant du débiteur, en ce sens qu'elle doit payer pour lui; mais elle est, à son tour garantie par le débiteur, en ce sens qu'il doit la préserver des poursuites, autant que cela est possible, et la rendre indemne de tout ce qu'elle a payé ou souffert de préjudice à raison de son cautionnement.
Ce droit de la caution, de demander la garantie au débiteur, doit l'autoriser à faire mettre celui-ci en cause avec elle, lorsqu'elle est poursuivie par le créancier. Elle obtiendra ainsi un double avantage:
1° Si le débiteur a des moyens plus ou moins efficaces de combattre les prétentions du créancier, la caution en profitera;
2° Si la demande doit triompher, la caution obtiendra que le même jugement qui la condamnera, comme telle, à payer le créancier, condamne aussi le débiteur à lui rembourser à elle-même le capital, les intérêts, les frais et tous autres dommages-intérêts, s'il y a lieu (v. art. 1029).
62. Pour que la caution arrive à ce résultat, il faut qu'elle puisse retarder l'instance commencée contre elle, afin d'avoir le temps d'appeler son garant en cause. C'est par la voie d'une exception dilatoire qu'elle obtiendra un sursis suffisant; le délai qui lui sera accordé. sera double: il dépendra de l'éloignement du domicile de la caution (demanderesse en garantie) au domicile du débiteur assigné, et du domicile de celui-ci au tribunal déjà saisi.
Le texte renvoie, pour plus de détails, au Code de Procédure civile.
Il nous dit aussi que la caution peut invoquer cette exception, "soit qu'elle ait ou non usé du bénéfice de ' discussion, et soit qu'elle jouisse ou non du bénéfice de division; " lors donc que le créancier, n'ayant été 'qu'incomplètement désintéressé par la discussion, reviendra contre la caution, celle-ci demandera à appeler le débiteur en cause; de même, s'il y a plusieurs cautions, la poursuite sera divisée; mais cela n'empêchera pas que l'exception dilatoire de garantie soit utile et recevable.
L'exception de garantie doit être, comme l'exception de discussion, présentée au commencement du procès, in limine litis, ou, suivant l'expression consacrée, avant toute défense au fond; et quand la caution jouit de deux exceptions à la fois, c'est évidemment celle de discussion par laquelle elle commencera, comme pouvant la mettre à l'abri de toute poursuite ultérieure.
63. Le droit de la caution à la garantie, soit par voie d'exception ou d'incident, soit par voie d'action principale, était déjà annoncé aux articles 418 à 420, au sujet de la garantie en général; il fallait pourtant le mentionner ici, parce que, quant au moyen de l'exercer, il appartient aux rapports de la caution avec le créancier; mais c'est au sujet des rapports de la caution avec le débiteur qu'il sera précisé dans ses effets (v. art. 1029).
Au surplus, ce que nous venons d'en dire permettra d'abréger l'explication dudit article 1029.
Art. 1025. — 64. L'obligation née du cautionnement n'étant qu'accessoire et subsidiaire à l'obligation principale, il est naturel que la caution puisse opposer au créancier les moyens de défense qui appartiennent au débiteur principal; et, en même temps que c'est un droit pour la caution, c'est aussi un devoir pour elle, un devoir dont l'inobservation pourrait lui nuire gravement dans son recours contre le débiteur, ainsi qu'on le verra au § suivant (v. art. 1032).
Remarquons, tout d'abord, que cet article n'est pas placé, comme au Code français, dans la matière de l'extinction dit cautionnement (v. art. 2036): il appartient bien mieux aux effets du cautionnement, et même, tout à la fois, aux effets vis-à-vis du créancier et vis-àvis du débiteur.
65. Le Projet s'écarte aussi du Code français pour le fond: il reconnaît à la caution le droit d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiendraient au débiteur, spécialement celles à lui personnelles, telles que ” son incapacité ou les vices de son consentement," tandis que le Code français les exclut ou paraît les exclure, en refusant à la caution le droit d'opposer les exceptions ' purement personnelles au débiteur; " il ne lui accorde que les exceptions ll inhérentes à la dette " (art. 2036); c'est la même solution qu'il a donnée, et presque dans les mêmes termes, pour le débiteur solidaire poursuivi pour la dette commune (v. 1208).
Si le Code français s'est placé, sans le dire, dans l'hypothèse où la caution a connu le moyen de nullité résultant d'une circonstance personnelle au débiteur, sa décision est la même que celle donnée par notre article (par argument a co?îtrario), et elle est facile à justifier: la caution a voulu et pu garantir l'exécution d'une obligation naturelle (voy. ci-dess., art. 1009 et c. fr., art. 2012).
66. Mais si le Code français n'a pas entendu faire de distinction, si la caution ne peut opposer ces moyens de nullité personnels au débiteur, lors même qu'elle les avait ignorés en contractant, il en résultera, ou une injustice, ou une complication inutile, que l'on doit croire, la première surtout, contraire à la pensée de la loi française: une injustice, si la caution, ayant payé la dette d'un incapable ou d'une personne dont le consentement a ét3 vicié, alors qu'elle n'a connu ces moyens de nullité que depuis son engagement, est privée de recours contre le débiteur; une complication inutile, si ce recours lui est accordé, parce qu'alors le débiteur se retournera contre le créancier et prétendra pouvoir encore exercer l'action en nullité, quoique la dette ait été payée, du moment qu'elle ne l'a pas été par lui et d'une façon valant ratification.
On donne donc ici l'exception du nullité à la caution, du chef du débiteur, lorsqu'elle a ignoré la cause de nullité au moment de son engagement, et cette exception profitera en même temps au débiteur, puisqu'il se trouvera libéré, tout à la fois, envers le créancier et envers la caution.
67. Si maintenant on se reporte aux autres exceptions, à celles qui affectent plus directement la dette, on reconnaîtra qu'elles peuvent être tirées, soit de vices originaires du contrat principal, lesquels ont empêché sa formation, soit de faits postérieurs qui ont éteint l'obligation formée.
A la première classe appartiennent les défauts ou vices de l'objet ou de la cause et, exceptionnellement, le défaut d'observation des formes solennelles requises; à la seconde appartiennent les modes légaux ordinaires d'extinction de l'obligation, tels que le payement, la novation, la remise, la résolution, etc.
Si la dette était subordonnée à une condition sllspensive qui ne fût pas encore accomplie, la caution se prévaudrait de cette exception, comme tirée du défaut de formation de l'obligation.
Si la dette n'était pas encore échue, la caution pourrait également se refuser au payement immédiat, car si le terme ne retarde pas la formation de l'obligation, il en retarde au moins l'exécution forcée.
68. Au sujet du terme de grâce qui aurait été accordé au débiteur par le tribunal (art. 426), ou par le créancier (art. 546), on n'est pas d'accord, en France, sur le point de savoir si la caution peut s'en prévaloir contre le créancier qui la poursuit avant que ce terme soit expiré. L'article 2039 du Code français traite bien du terme accordé par le créancier, mais c'est à un autre point de vue sur lequel nous reviendrons sous l'article 1034 (n° 90).
Il ne nous semble pas nécessaire d'exprimer au texte que la caution a le droit d'invoquer le terme de grâce, car si on le lui refusait, elle pourrait recourir de suite en remboursement contre le débiteur et celui-ci se trouverait privé du bénéfice du terme de grâce, par le fait du créancier qui pourtant doit le respecter.
Si l'on prétendait que la caution doit payer nonobstant le terme de grâce accordé au débiteur et attendre qu'il soit expiré pour se faire rembourser, on violerait un principe fondamental de la matière, celui d'après lequel la caution ne peut être tenue plus durement que le débiteur.
69. Bien que les exceptions ici reconnues appartenir à la caution lui viennent du débiteur principal, il n'en faut pas conclure qu'il soit permis à celui-ci de les restreindre ou d'y renoncer au préjudice de la caution; sans doute, en droit, il en souffrirait le premier et ce serait déjà un remède à l'abus; mais, en fait, il pourrait être d'autant plus porté à être généreux envers le créancier qu'il serait moins solvable et que sa générosité atteindrait plutôt la caution que lui-même.
La raison décisive c'est que les moyens de défense une fois acquis au débiteur le sont aussi à sa caution et ne peuvent être enlevés à celle-ci; elle est d'ailleurs, à cet égard, comme créancière éventuelle du remboursement, un ayant-cause particulier et elle n'est pas exposée, comme les autres créanciers, ayant-cause généraux, à souffrir des actes du débiteur.
70. Remarquons, en terminant, que la loi n'a pas eu besoin de dire que la caution peut aussi, et même tout d'abord, opposer les exceptions qui lui appartiendraient personnellement, telles que les vices de son consentement ou son incapacité: cela allait de soi.
Bien entendu, le débiteur ne pourrait opposer au créancier les exceptions personnelles à la caution.
Art. 1026. — 71. C'est une théorie toujours d'une application délicate que celle de l'autorité de la chose jugée, quand l'affaire sur laquelle le jugement est intervenu intéresse plusieurs personnes.
Sans doute, il y a un principe dominant d'après lequel "la chose jugée ne peut ni nuire ni profiter à ceux qui n'ont pas été partie dans l'instance" (res inter alios acta aliis neque nocere lIeque yrodesse potest). Le principe est proclamé au Livre Ve, au sujet des Preuves par présomption légale (art. 1414 et s.).
Mais il faut reconnaître qu'une- personne peut être représentée en justice par une autre, ce qui étend l'autorité de la chose jugée activement et passivement.
Quand la représentation a lieu en vertu d'un mandat conventionnel, soit général, soit spécial, son effet sur l'autorité de la chose jugée est assez facile à déterminer, d'après les règles générales du contrat de mandat (v. art. 929); mais lorsque cette représentation est un effet légal du lien existant entre les divers intéressés, il peut s'élever de sérieuses difficultés sur son étendue, à moins que la loi ne s'en explique. C'est ce que fait le,Projet, pour prévenir les doutes et les embarras auxquels on est livré dans l'interprétation de la loi française.
72. Il est certain que le débiteur représente la caution dans les jugements rendus sur l'obligation principale: s'il triomphe, la caution est déchargée; s'il succombe, la caution est tenue; en supposant, bien entendu, dans ce dernier cas, qu'il n'y a pas eu dol concerté contre elle avec le créancier, cas auquel elle ferait tomber le jugement, en ce qui la concerne, par la tierceopposition (v. art. 361, 2e al.).
Mais la caution représente-t-elle de même le débiteur principal ? On ne pourrait le soutenir: elle est autorisée à payer la dette reconnue, non à la reconnaître, soit expressément, soit tacitement, en se laissant condamner. D'un autre côté, il n'y a pas besoin qu'elle soit autorisée à prendre les intérêts du débiteur; si donc elle a pu faire juger mal fondée la prétention du créancier, non sur le cautionnement seul, mais sur la dette même, on ne voit pas de raison sérieuse de refuser de voir là un acte de gestion d'affaires pour le débiteur, permettant il celui-ci d'invoquer le jugement contre le créancier. C'est ce que déclare notre article.
Remarquons que la loi ne fait pas ici la distinction, pourtant fréquente, entre la caution-mandataire et la ca-Lition-uér,int d'affaires: le mandat donné à la caution o est de payer, s'il y a lieu, mais non de plaider; c'est pourquoi, à l'article 1032, elle sera déclarée responsable d'avoir plaidé sans avoir appelé le débiteur en cause.
Nous n'hésiterions pas à donner la même solution en droit français, en l'absence de texte à ce sujet, par la seule force des principes généraux de la gestion d'affaires; mais il est plus sûr de l'écrire dans la loi, parce qu'elle pourrait, au Japon comme en France, rencontrer des doutes dans la doctrine et la pratique.
Ce n'est pas d'ailleurs la première disposition de ce genre que nous offre le Projet: déjà, en matière d'usufruit, on a vu que le jugement intervenu entre un tiers et l'usufruitier ne peut nuire au nu-propriétaire mais peut lui profiter et, de même, que le jugement concernant le nu-propriétaire peut profiter à l'usufruitier mais non lui nuire (v. art. 101).
73. La loi a soin de dire, en terminant, que les divers chefs du jugement intervenu en faveur de la caution ne peuvent être divisés, lorsqu'ils sont connexes entre eux. Par exemple, un chef du jugement aurait annulé l'obligation principale pour incapacité du débiteur, mais un autre chef aurait reconnu que celui-ci était tenu dans une certaine mesure comme enrichi par la convention (v. art. 574): le débiteur ne pourrait se prévaloir du premier chef sans se soumettre au second; même solution, si le jugement avait reconnu que la convention principale était entachée d'un vice de consentement du débiteur, mais aurait reconnu aussi qu'il y a eu une confirmation ou ratification postérieure réparant ce vice (v. art. 577 et s.).
Art. 1027. — 74. Cet article applique les principes qui précèdent à l'interruption et à la suspension de la prescription et à la mise en demeure: ce sont des faits défavorables au débiteur, puisqu'ils conservent les droits du créancier.
S'ils sont intervenus directement contre le débiteur, ils nuisent à la caution, parce qu'elle est représentée par lui. Mais s'ils sont intervenus contre la caution, ils sont sans effet contre le débiteur, à moins que la caution ne se soit engagée sur son mandat, non si elle s'est engagée spontanément, comme gérant d'affaires (b).
La solution est la même, si la caution s'est engagée solidairement avec le débiteur: il y a alors un mandat mutuel, comme dans toute solidarité (v. Chap. suiv.).
Si les faits interruptifs ou suspensifs de la prescription ou constituant la mise en demeure étaient contestés et qu'il fût intervenu un jugement à ce sujet, l'article précédent recevrait son application.
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(b) 0;i aura occasion de faire remarquer sous l'article 1044 (n° 121) que l'interruption de la prescription est toujours absolue, envers tous, tandis que la suspension n'a quelquefois qu'un effet relalif, ou entre certaines personnes. On reviendra aussi sur le présent article, à l'occasion de la suspension en matière de Solidarité (n° 154 ter).
Art. 1028. — 75. Cet article est exactement semblable au précédent pour la théorie: les faits seuls sont différents.
L'aveu et la reconnaissance de la dette sont des preuves dont il sera parlé au Livre Ve; il en est de même du serment prêté ou refusé.
On remarquera seulement ici qu'à la différence du Code français, le Projet ne parle que du serment " extrajudiciaire c'est qu'en effet, après mure réflexion, on n'y a pas introduit le serment judiciaire, soit décisoire, soit supplétoire: ce mode de preuve est tout-àfait étranger aux usages judiciaires japonais; il ne donne pas d'ailleurs dans les autres pays des résultats assez satisfaisants pour qu'il y ait lieu de le proposer au Japon.
Mais on ne peut refuser aux parties le droit de faire une délation de serment extrajudiciaire, laquelle, une fois acceptée, a le caractère d'une transaction, comme on le verra au Livre Ve, ird Partie (art. 1373 et s.).
SOMMAIRE.
Art. 1029. — N° 76. Appel du débiteur en garantie incidente par la caution.
1030. -77. Distinction des diverses causes du cautionnement. - 78. i. Cautionnement par suite de mandat. -79. il. Cautionnement spontanté par gestion d'affaires.-80. III. Cautionnement malgré le débiteur. -81. Nouvelle différence entre le mandat et la gestion d'affaires.
1031. -82. Obligation solidaire des co-mandants envers la caution.
1032. -83. Négligence de la caution à appeler le débiteur en cause.
1033. -84. Négligence de la caution à informer le débiteur du payement fait par elle. -85. Cas inverse, où le débiteur a payé sans en informer la caution. -8G. Restitution d'un des payements par le créancier.
1034. -87. Droit de la caution à une indemnité anticipée, dans trois Cas. -88. Ier Cas. -89. ne Cas. -90. Question sur la prorogation du terme par le créancier. -91. IIIe Cas. -92. Limitation de cet article à la caution mandataire.
1035. -93. Précautions inverses en faveur du débiteur contre la caution.
1036. -94. Subrogation légale en faveur de la caution: ses o avantages. -95. Elle peut se cumuler avec l'exercice do l'action personnelle. -96. Il faut que le créancier soit désintéressé en tout ou en partie. -97. Dans les cas 01l la caution est déchue de l'action personnelle, elle est déchue aussi de la subrogation. -98. On ne distingue pas, au sujet de la subrogation de la caution, si elle est mandataire ou gérant d'affaires. -99. Limite du recours aux déboursés. -100. Conflit de subrogations entre la caution et le tiers détentenr; insuffisance en France, de la loi, de la doctrine et de la jurisprudence. -101. Objections présentées avec raison contre l'ancien article 505-2° du Projet. -102. Système nouveau conciliant les principes avec la satisfaction de tous les intérêts; nouvelle rédaction.
1037. -103. Rôle de la subrogation quand il y a plusieurs débiteurs solidaires: distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 1029. — N° 76. Cette disposition se trouve déjà expliquée, par avance, à l'occasion de l'article 1024.
En effet, ce droit de la caution, d'appeler le débiteur principal en cause, est double, puisqu'elle a elle-même la double qualité de garant et de garanti: son droit existe contre le créancier à l'effet de suspendre la poursuite; il exite contre le débiteur, à l'effet de le faire venir en cause et de le faire condamner subsidiairement envers elle au remboursement et aux indemnités prévues à l'article suivant.
Il est, tout à la fois, prudent et avantageux à la caution de ne pas s'engager seule dans le procès avec le créancier: prudent, parce qu'elle peut ne pas connaître tous les moyens de défense qui pourraient être utilement opposés au créancier, et si elle succombait, le débiteur aurait à lui reprocher de ne pas l'avoir appelé à son aide, ainsi qu'il sera dit plus loin (art. 1032); avantageux, car, lors même qu'elle aurait un recours pleinement fondé contre le débiteur, il est plus court, plus économique et plus sûr de faire immédiatement condamner celui-ci au remboursement que d'intenter contre lui une action principale en garantie.
Au surplus, que le recours de la caution s'exerce par voie de demande incidente ou par action principale, ses chefs d'indemnité sont les mêmes.
Mais ce qui est important à noter, avec le dernier alinéa de notre article, c'est que ce droit d'appeler le débiteur en cause n'appartient à la caution que si elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur, et non si elle a agi seulement comme gérant d'affaires. Dans ce dernier cas, le débiteur ne peut être actionné par la caution qu'après qu'elle a payé, comme on le va voir à l'article suivant.
Art. 1030. — 77. On trouve ici, comme fondement du droit de la caution à la garantie ou indemnité, les deux principales causes d'obligations: la convention et l'enrichissement indu; leur application dépend de la cause elle-même du cautionnement.
C'est ici surtout qu'il importe de distinguer s'il a eu lieu en vertu d'un mandat du débiteur ou seulement du quasi-contrat de gestion d'affaires, soit à l'insu du débiteur, soit même malgré lui. Cette triple cause du cautionnement a été annoncée au début de la matière (art. 1011).
Elle rappelle d'ailleurs une distinction analogue faite au sujet du payement par un tiers (v. art. 475).
Il faut voir maintenant la différence des effets d'après la différence des causes, en notant d'ailleurs une condition commune à tous les cas de recours de la caution, c'est qu'il faut qu'elle ” ait fait un sacrifice personnel " pour procurer la libération au débiteur: autrement, si elle avait seulement obtenu la remise gratuite de la dette, n'ayant éprouvé aucun dommage, elle n'aurait droit à aucune indemnité.
78. -I. Lorsque la caution a reçu du débiteur le mandat d'intervenir pour lui, c'est évidemment en vertu de la convention qu'elle doit être indemnisée; la caution sera même indemnisée des dommages imprévus, pourvu qu'ils soient une suite directe et nécessaire du mandat (v. art. 941-3°).
Par application de ce principe, nous dirons que, lors même que la dette cautionnée aurait été entachée d'un vice qui permettait de ne pas la payer, ou lors même qu'elle aurait été déjà éteinte, la caution qui l'aurait acquittée, ayant d'ailleurs averti le débiteur des poursuites, serait en droit de réclamer le remboursement de ce qu'elle aurait payé en son nom; c'est le débiteur qui, à ses risques et périls, répéterait le payement indu contre le créancier.
C'est pour que le recours s'applique au payement d'une dette nulle ou déjà éteinte que le texte ajoute au cas où la caution " a libéré le débiteur " (ce qui suppose qu'il devait réellement) celui où elle ” a payé en son nom," ce qui comprend même le cas où il ne devait pas.
Les frais dont il s'agit sont les frais de justice et même les frais extrajudiciaires, comme ceux de change des monnaies ou de change de places, ceux de transport d'argent, de voyage, etc.
Les intérêts des avances et déboursés sont encore une suite de l'application des règles du mandat (v. art. 941-1°).
Enfin, la caution peut réclamer tous autres dommages-intérêts justifiés: par exemple, pour troubles dans ses affaires personnelles, temps perdu en procès ou démarches, vente de ses meubles ou immeubles audessous de leur valeur normale, afin d'obtenir des fonds en temps utile, ou même vente forcée dans des conditions défavorables.
A cet égard, la caution est mieux traitée qu'un créancier ordinaire de somme d'argent, lequel ne peut, en général, obtenir d'autres indemnités que l'intérêt normal de l'argent (intérêt conventionnel ou légal); mais l'article 411, qui a posé ce principe, a réservé " les cas exceptés par la loi " et nous sommes en présence d'un de ces cas (comp. c. civ. fr., art. 1153 et 2028).
79. - II. Le cas où la caution s'est engagée spontanément et comme gérant d'affaires du débiteur, à son insu et, par conséquent, sans opposition de sa part, est déjà beaucoup moins favorable.
En l'absence de convention, ce n'est pas sur la perte qu'elle a éprouvée que se mesurera son indemnité, mais sur l'utilité qu'elle a procurée au débiteur; en effet, si elle éprouve des dommages du cautionnement au-delà du service rendu, c'est par sa volonté ou sa maladresse: le débiteur n'en peut être responsable; tel est par exemple, le cas où la caution a payé une dette annulable ou déjà éteinte. Mais si le débiteur se trouve enrichi par le fait que la caution a payé pour lui une dette véritable et exigible, il est juste qu'il restitue cet enrichissement.
En France, on discute si la caution, dans le cas qui nous occupe, a droit aux intérêts de ses déboursés, et on décide généralement en sa faveur, par extension des règles du mandat à la gestion d'affaires. Mais cette assimilation est arbitraire, en s'écartant des principes de la matière: la caution ne doit obtenir les intérêts de ses déboursés que si le payement qu'elle a fait a arrêté pour le débiteur lui-même les intérêts de sa dette, ce qui suppose que la dette en était productive; or, s'il s'agissait d'une dette ne portant pas intérêts, la caution ne pourrait alléguer avoir procuré, de ce chef, au débiteur une utilité ou un enrichissement; elle n'aurait donc droit qu'au capital payé.
La même solution a été déjà donnée pour la gestion d'affaires, en général, sous l'article 383 (v. Tome 11, n° 256).
C'est au moment où le débiteur a été libéré que s'apprécie son enrichissement: le texte a soin de l'exprimer, pour faire opposition au troisième cas ci-après; si donc le débiteur a acquis contre son créancier, depuis le payement fait par la caution, des causes de compensation qui l'auraient libéré de sa dette, au cas où elle aurait encore existé, il n'en est pas moins tenu de rembourser la caution; seulement, dans l'application de la loi, il faudra encore que la caution n'ait pas eu le tort de laisser ignorer au débiteur que sa dette était éteinte; car, autrement, celui-ci pourrait soutenir que, s'il en avait eu connaissance, il n'aurait pas contracté de nouveau avec son créancier: il est désormais exposé au risque de l'insolvabilité de celui-ci, tandis que la compensation l'en eût préservé (comp. art. 1033).
80. -III. Supposons enfin, avec le Se alinéa de notre article, que la caution s'est obligée malgré le débiteur. Nous avons dit (n° 28) que cette circonstance n'est pas exclusive de l'idée de gestion d'affaires: on peut rendre un bon office à quelqu'un malgré lui, et, de même qu'on peut payer la dette d'autrui malgré le débiteur, de même on peut la cautionner malgré lui. Ce n'est d'ailleurs qu'après le payement que la question de recours s'élèvera ici, et alors interviendront les solutions déjà données par les articles 474 et 475, au sujet du payement fait par un tiers et justifiées au Commentaire de ces articles (v. T. II, nos 454 et 455).
Signalons ici, avec le texte, la seule différence importante entre ce troisième cas et le précédent: ce n'est plus au moment où le payement a été effectué qu'on apprécie le moment de l'enrichissement du débiteur comme base du recours de la caution, c'est au moment où elle exerce ce recours; si donc, dans l'intervalle, il est survenu entre le débiteur et le créancier quelque convention ou autre acte qui eût diminué l'obligation, par voie de compensation ou autrement, au cas où elle eût encore existé, le recours de la caution est diminué d'autant. Bien entendu, nous nous plaçons dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu fraude de la part du débiteur (fraus omnia corrumpit).
81. Voici, pour terminer, une dernière différence entre les deux cas de gestion d'affaires et celui de mandat: ce n'est que dans le cas de mandat que la caution peut demander une indemnité avant d'avoir payé et par le seul fait qu'elle " a subi condamnation en cette qualité." Déjà l'article 1029 nous a dit que ce n'est également qu'au cas de mandat que la caution peut appeler le débiteur en garantie incidente. Les deux idées sont corrélatives: tant que le débiteur ne tire aucun avantage de la gestion d'affaires, il ne peut être actionné par le gérant; or, ni la poursuite exercée contre la caution, ni la condamnation prononcée contre elle n'ont libéré le débiteur; il faudrait qu'on fût encore dans le système de l'ancien droit romain, avec sa double novation judiciaire (v. n° 44), pour qu'une caution gérant d'affaires pût agir en indemnité avant d'avoir payé; au contraire, lorsque le débiteur a donné mandat à la caution, celle-ci peut se retourner contre lui dès qu'elle éprouve un dommage ou un simple trouble par suite du mandat; or, la condamnation et même la simple poursuite constituent déjà ce dommage ou ce trouble.
Art. 1031. — 82. Si la loi fait encore ici l'application formelle d'un principe général du mandat, c'est pour exprimer que la solidarité des mandants n'a lieu qu'autant qu'ils sont déjà tenus entre eux, chacun pour toute la dette, par l'effet de la solidarité ou de l'indivisibilité: autrement, et s'il ne s'agissait que de débiteurs simplement conjoints, il n'y aurait pas entre eux la communauté d'intérêts qui est la condition nécessaire de la solidarité entre les co-mandants (v. art. 945).
Cet article ne concerne que l'action exercée par la caution de son propre chef; lorsqu'elle agit en vertu de la subrogation aux droits du créancier, le cas est réglé par l'article 1037.
Art. 1032. — 83. Cet article n'est que l'application particulière d'un principe général de la garantie posé par l'article 420.
Si la caution n'a pas appelé le débiteur en cause, et si d'ailleurs elle n'a pas connu ni fait utilement valoir les moyens de défense qui appartenaient à celui-ci, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même de la perte du procès, et le débiteur n'en doit pas souffrir. On a vu, en effet (n° 72), qu'elle n'a pas mandat de plaider pour le débiteur.
La loi fait une distinction nécessaire entre les moyens péremptoire.,; de défense du débiteur, c'est-à-dire qui pouvaient faire rejeter la demande au fond, soit pour le tout, soit pour partie, comme un payement, et les moyens simplement dilatoires ou qui pouvaient seulement faire retarder l'exécution, comme l'existence d'un terme: dans ce dernier cas, la caution ne subirait qu'un simple ajournement de sa poursuite ou du recouvrement de ce qui lui serait dû.
Art. 1033. — 84. La loi suppose maintenant que la caution, toujours sans avoir appelé le débiteur en cause, a cependant valablement payé, parce que celui-ci n'avait pas de moyens de défense péremptoires à opposer au créancier. Là encore, elle peut être déchue de son recours; c'est lorsqu'elle n'a pas averti le débiteur du payement par elle effectué et, lorsqu'ayant tardé à exercer son recours, elle a laissé au débiteur le temps d'effectuer un nouveau payement; ici encore, c'est par sa faute qu'elle est déchue de son recours.
Pour être plus complète que le Code français, la loi donne la même décision pour le cas où le débiteur a obtenu sa libération autrement que par un second payement: par exemple, par novation, par compensation; mais il faut toujours que ç'ait été par un moyen onéreux; au contraire, si le débiteur avait, plus tard, obtenu du créancier une remise gratuite de la dette (et celui-ci aurait pu la faire de bonne foi, étant héritier du créancier originaire), le débiteur ne pourrait équitablement se refuser à rembourser la caution: la remise a été nulle, au fond, puisqu'il n'y avait plus de dette à éteindre et le débiteur qui lutte ici pour un gain est moins intéressant que la caution qui lutte pour éviter une perte (potior est qui certat de damno vitando, non qui certat de lucro captando).
D'ailleurs, le créancier, s'il avait réellement l'intention de gratifier le débiteur de la valeur de la créance, peut toujours le faire, aussitôt qu'il reconnaît qu'il en a déjà reçu le montant des mains de la caution et que le débiteur en doit le remboursement.
85. Le Code français n'a pas prévu le cas inverse de l'hypothèse précitée, celui où le débiteur aurait payé la dette sans en prévenir la caution et où celle-ci aurait payé une seconde fois. Il ne fallait pas donner absolument la même solution: le débiteur est plus naturellement appelé à payer sa dette que la caution; c est donc plutôt à celle-ci de s'informer, avant de payer, si le débiteur doit encore, que ce n'est au débiteur à s'enquérir si la caution n'a pas déjà payé.
Toutefois, et pour laisser place à l'examen, par les tribunaux, des responsabilités respectives, la loi déclare ici que la question sera résolue " suivant les cas," c'està-dire d'après les circonstances du fait: par exemple, si le débiteur était absent ou en prison au moment où la caution a été requise de payer, et si, de retour, il avait payé sans s'informer près de la caution si elle avait déjà payé ou non, il serait dans son tort.
86. Il va de soi, mais le texte l'exprime, que dans aucun cas, le créancier, même de bonne foi (ce qui sera rare ici), ne doit profiter de l'erreur qui a donné lieu à un double payement et qu'il devra rendre ce qu'il a indûment reçu; d'où il suit que les déchéances édictées par le présent article et par le précédent n'ont d'intérêt sérieux qu'au cas d'insolvabilité du créancier.
Art. 1034. — 87. La loi doit encore protéger la caution contre les risques de perte qu'elle n'a pu prévoir ou contre des incertitudes auxquelles elle n'est pas présumée avoir entendu se soumettre.
Comme l'indique non seulement la place de cet article mais encore son texte, c'est seulement à l'égard du débiteur que cette protection est accordée à la caution, ce n'est pas à l'égard du créancier: près de celuici son engagement doit être tenu dans sa forme et teneur et à tout événement.
Le Code français (art. 2032) présente cinq cas dans lesquels pourra s'exercer ce nouveau droit de la caution. On en retranche deux ici, comme inutiles: celui où la caution est poursuivie en justice pour le payement et celui où le débiteur s'est engagé à lui rapporter sa décharge dans un certain temps. Le premier de ces cas ferait double emploi avec la demande incidente en garantie déjà accordée à la caution par l'article 1029; le second n'est que l'application pure et simple du principe que les conventions font la loi des parties.
Les trois cas conservés par le Projet demandent quelques explications.
88. -Ier Cas. Le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture: il est évident que la caution sera nécessairement forcée de payer à l'échéance et qu'alors elle sera exposée à n'être pas remboursée; il est donc naturel qu'elle puisse se faire comprendre dans les opérations de la liquidation, comme créancier conditionnel.
Cependant, dans le même cas de faillite ou de déconfiture du débiteur, le créancier pourrait prétendre également se faire inscrire dans la liquidation, pour y être colloqué en proportion du montant de sa créance. Alors, comme il n'est pas admissible que la même créance figure deux fois dans la même liquidation, la caution s'abstiendra, si le créancier se présente: elle n'en souffrira pas, puisque ce qui sera alloué au créancier sur les biens du débiteur tournera à la décharge commune. C'est pourquoi le texte a soin d'exclure le cas où le créancier se présente à la liquidation.
89. —IIe Ca.,;. La dette est échue et le créancier ne poursuit ni le débiteur ni la caution: ce n'est pas une raison pour que celle-ci reste indéfiniment sous le coup d'une obligation dont l'exécution pourra lui être plus onéreuse ou plus difficile avec le temps. Sans doute, la dette étant échue, la caution pourrait en faire le payement, même malgré le créancier (art. 473 et 474j; mais il peut ne pas lui convenir de faire une avance, et cependant elle ne doit pas rester dans une incertitude nuisible à ses intérêts.
90. C'est ici que se représente la question, déjà touchée (n° 68), de l'influence du terme de grâce concédé au débiteur, soit par le créancier, soit par le tribunal.
Le Code français (art. 2039), ne prévoyant que le second cas, déclare, assez inutilement, que la prorogation de terme accordée par le créancier au débiteur " ne décharge pas la caution," mais que celle-ci "peut poursuivre le débiteur pour le forcer au payement: " solution singulière dans ses résultats.
D'abord, on ne dit pas si la caution, dans le cas où le créancier prétendrait le poursuivre, pourrait se prévaloir du terme concédé au débiteur; nous ne doutons pas qu'elle le puisse (v. n° 68), même dans le silence de la loi, car elle doit jouir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur: autrement, elle se trouverait dans une condition plus dure que celui-ci, ce qui est contraire à un principe fondamental de la matière (v. art. 1006).
Le véritable objet de cet article 2039 est de confirmer le droit de la caution de se faire indemniser, par la seule raison que le terme primitif est arrivé (art. 2032-4°). Mais est-ce là une heureuse disposition législative ? Que la caution demande au débiteur de la sortir d'incertitude quand le terme est arrivé, alors qu'elle est exposée à des poursuites, d'un moment à l'autre, rien de plus sage; mais, du moment que le débiteur jouit d'un nouveau terme et qu'elle en jouit elle-même, est-il juste et utile qu'elle puisse demander une indemnité lorsqu'elle n'est exposée, quant à présent, à aucun dommage ? Nous ne le pensons pas.
D'ailleurs, le système du Code français mène, comme nous le disions, à un résultat singulier: le créancier a accordé un nouveau terme au débiteur, cela n'ôte pas à la caution le droit " de forcer le débiteur au payement," de sorte que le bénéfice du terme est perdu pour celui-ci; la présence de la caution, qui lui avait fait obtenir du crédit, est cause maintenant qu'il est privé du bénéfice de la confiance du créancier. Cette solution ne nous semble pas heureuse et il suffit de ne pas reproduire l'article 2039 dans le Projet, pour qu'elle ne puisse être soutenue au Japon.
91. —IIIe Cas. Ici, la dette n'a plus d'échéance fixe; on ne peut même lui assigner un maximum d'éloignement; sa durée est indéterminée: il ne faut cependant pas que la caution soit soumise elle-même à une responsabilité indéfinie.
L'exemple le plus saillant est celui où la caution a cautionné le service d'une rente perpétuelle: comme le remboursement du capital n'est jamais exigible et dépend uniquement de la volonté du débiteur (v. art. 887), on peut dire que la durée de la dette est non seulement indéterminée, mais en quelque sorte indéfinie. Il en serait de même du cautionnement d'une rente viagère: la durée de la dette n'est guère moins indéterminée, et quoique la vie humaine ait des limites nécessaires, on n'en peut guère déterminer le maximum.
On peut encore citer le cas du cautionnement d'un comptable: comme le débiteur peut être comptable toute sa vie, il y a là une durée indéterminée de l'obligation principale.
Dans ces divers cas, la caution peut demander l'indemnité après dix ans, non de son engagement, qui peut être assez récent, mais de l'engagement du débiteur.
Il en serait autrement si le cautionnement garantissait la gestion du tuteur d'un mineur, parce qu'alors la dette principale aurait une durée maximum connue: la majorité du pupille. Au contraire, la tutelle d'un fou serait considérée comme une obligation à durée indéterminée, puisque la guérison est toujours incertaine et que la vie humaine est elle-même indéterminée dans sa durée. C'est ainsi que le Code français dispose, à un autre point de vue, que le tuteur d'un fou peut luimême demander à être relevé de la tutelle après dix ans (art. 508).
Dans le même ordre d'idées, nous considérons comme soumis à notre article le cautionnement d'une dot et celui d'un usufruit, toujours parce que la limite de l'obligation principale, étant la vie humaine, est indéterminée; si l'on objecte que le mariage et l'usufruit peuvent finir autrement que par la mort, le mariage par le divorce et l'usufruit par la perte de la chose, nous répondons que ces événements sont aussi indéterminés que la mort, quant à l'époque de leur arrivée, et incertains en eux-mêmes.
92. Nous rappelons, en terminant, que ce droit de demander une indemnité avant d'avoir payé n'appartient à la caution que lorsqu'elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur (v. n° 81). Cette condition qui n'est pas exprimée par le Code français doit y être sous-entendue: autrement, il serait choquant qu'une caution qui s'est engagée à l'insu du débiteur, peut-être même malgré lui, vînt lui susciter des troubles que ne lui cause pas le créancier. D'ailleurs, la caution qui n'est que gérant d'affaires n'a de droit et d'action contre le débiteur que dans la mesure du service qu'elle lui a rendu ou du profit qu'elle lui a procuré; or, ici, la caution n'a encore aucun de ces titres à une action en indemnité.
Art. 1035. — 93. Tout à l'heure la loi tendait à protéger la caution contre le débiteur. Ici c'est l'inverse. Mais il ne faut pas s'étonner, dans une matière où les intérêts sont multiples et éventuels, de voir la loi prendre, tour à tour, des mesures de précaution en faveur de chaque partie intéressée contre l'autre.
Dans le cas de l'article 1030, 1er alinéa, la cautionmandataire avait été poursuivie et sans avoir encore payé, elle avait été condamnée à le faire: son droit à l'indemnité était évident; dans les cas de l'article précédent, l'indemnité est donnée d'avance contre des poursuites plus ou moins à craindre; mais pourtant le débiteur ne cesse pas d'être exposé lui-même aux poursuites du créancier; il ne faudrait donc pas qu'il se compromît, en fournissant à la caution des valeurs que peut-être elle n'emploierait pas à éteindre la dette principale: elle pourrait devenir insolvable et les sommes qu'elle aurait reçues avec une destination particulière pourraient être saisies par ses créanciers, sans que le débiteur cessât d'être tenu de sa dette.
La loi autorise donc celui-ci à consigner les sommes ou valeur qu'il doit fournir iL la caution, et dans la consignation leur destination sera indiquée, de façon à ce qu'elles ne puissent en être détournées: le créancier seul pourra les retirer.
La loi admet d'autres mesures possibles de sécurité, sans les déterminer: par exemple, la caution donnerait elle-même une sûreté réelle ou. personnelle contre le risque dont il s'agit; ou bien le créancier interviendrait et déclarerait accepter la délégation de ladite indemnité, en déchargeant d'autant le débiteur.
Art. 1036. — 94. Ici, il ne s'agit plus d'une action propre à la caution, d'une action qu'elle exerce de son chef, à raison du service rendu au débiteur ou du dommage par elle éprouvé: elle exerce les droits et actions qu'avait le créancier par elle désintéressé; c'est un des cas de subrogation légale, le 3e d'après le Code français (art. 1251), mais le 1er d'après 13 Projet (art. 504), comme étant le plus saillant. Celui qui était tenu d'une obligation " avec d'autres ou pour d'autres," ayant acquitté la dette, a ainsi libéré ceux-ci: il mérite toute la protection possible de la loi pour le recouvrement de ce qu'il a déboursé; or, c'est quelquefois pour la caution un grand avantage que de pouvoir exercer les actions du créancier. Il faut, pour cela, supposer que le créancier avait lui-même quelque autre sûreté que le cautionnement, ou quelque avantage que n'a pas la caution avec son action personnelle. Par exemple, le créancier avait un gage ou une hypothèque, ou il avait plusieurs cautions: la caution qui a payé ne pourrait, de son propre chef, poursuivre les autres cautions ou exercer le droit de gage ou d'hypothèque; mais elle le pourra du chef du créancier auquel elle est subrogée. Elle pourrait même exercer, du chef du créancier, le droit de résolution du contrat pour inexécution: si ce n'est pas là une sûreté proprement dite (v. n° 10), c'est un avantage particulier du créancier, qui est transmissible par voie de subrogation comme par voie de cession (v. art. 508).
95. L'exercice par la caution des droits et actions du créancier n'exclut pas celui des droits et actions qu'elle a de son propre chef: les deux sortes d'actions sont "indépendantes," comme dit notre article: la caution peut les cumuler autant qu'elle y a avantage (v. art. 501, 1er al.). Ainsi, il est possible que la créance principale, bien qu'hypothécaire, ne porte pas d'intérêts: la subrogation ne donnerait pas à la caution le droit d'en exiger; mais elle en obtiendra de son propre chef, au moins quand elle sera mandataire, en vertu des principes du mandat (v. art. 941) et de l'article 1 030-l o. Ainsi encore, la créance principale portait des intérêts conventionnels supérieurs au taux légal, mais elle n'avait pas d'hypothèque; d'un autre côté, la caution est la femme du débiteur; comme telle, elle a l'avantage que toutes ses créances contre son mari emportent hypothèque légale générale (v. art. 1210-1°): elle a donc intérêt à cumuler les deux qualités de subrogée au créancier et de caution (comp. Tome II, n° 52 1).
96. Le texte n'accorde la subrogation à la caution que lorsqu'elle " a payé la dette;" il ne peut y ajouter, comme l'article 1030-10, le cas où " elle a subi condamnation en cette qualité;" il faut nécessairement qu'elle ait " désintéressé le créancier," sans quoi, celui-ci ayant encore ses droits et actions, la caution, ne pourrait y être subrogée: elle ne peut les acquérir qu'au moment où ils vont cesser d'appartenir au créancier ils lui sont alors transmis par le bienfait de la loi.
Du reste, il n'est pas nécessaire pour que la caution soit subrogée qu'elle ait payé toute la dette: la subrogation peut être partielle comme le payement (v. art. 508).
97. Le texte nous dit encore que la subrogation n'est acquise à la caution que sous les restrictions auxquelles est soumise son action personnelle, d'après les articles 1032 (1er al.) et 1033 (ler al.). Ainsi, si la caution actionnée a négligé d'appeler le débiteur en cause, lorsqu'elle avait des moyens péremptoires de repousser l'action principale, elle ne pourra user utilement de la subrogation ou, du moins, si les droits du créancier sont contestables, ils ne le seront pas moins étant invoqués par la caution. Ainsi encore, si la caution a valablement payé la dette, mais a négligé d'en informer le débiteur, de sorte que celui-ci a payé une seconde fois, la subrogation a bien été acquise d'abord à la caution; mais, dès que le débiteur a fait le second payement, quoiqu'indûment, elle a perdu le droit d'exercer l'ancienne action du créancier.
98. On a vu, à l'article 1030, que le recours propre de la caution est plus ou moins favorable, suivant qu'elle est mandataire du débiteur ou qu'elle est seulement gérant d'affaires et, dans ce second cas, suivant que le débiteur a ignoré ou défendu la gestion.
Ces distinctions et sous-distinctions ne sont pas à faire ici: du moment que la caution Il a désintéressé le créancier," elle a acquis les droits de celui-ci, peu importe quels ont été ses sentiments ou son mobile: ce n'est plus le service qu'elle a rendu au débiteur qui est la mesure et le fondement de son recours, mais le service rendu au créancier même dont elle acquiert les actions.
Dans le droit romain et dans l'ancien droit français, il y avait plutôt cession conventionnelle de la créance à la caution que subrogation légale; or, il n'était pas douteux que cette cession pût se faire à un tiers qui agissait à l'insu du débiteur et même malgré lui.
Le droit moderne n'a fait que substituer une disposition légale à la convention des parties.
Le cas qui nous occupe n'est, au surplus, qu'un payement avec subrogation. En France, on peut douter, en présence de l'article 1236 du Code civil, que le tiers qui paye malgré le débiteur puisse se faire subroger par convention, et, à plus forte raison, qu'il soit subrogé légalement; mais le Projet a levé tous les doutes à cet égard (v. art. 502).
Remarquons, en terminant, que la loi (26 al.) emploie à dessein l'expression de " bénéfice de subrogation " pour bien faire ressortir son caractère et lui faire prendre place à côté des deux autres bénéfices de la caution, celui de discussion et celui de division.
99. Bien entendu, dans aucun cas, la caution n'obtiendra par la subrogation plus qu'elle n'a effectivement déboursé pour désintéresser le créancier: c'est un principe général de la subrogation (v. art. 506) déjà appliqué à la caution (art. 530); c'est en même temps, une grande différence avec la véritable cession de créance, laquelle peut être une source de profit légitime pour le cessionnaire.
100. C'est une sérieuse difficulté, même législative, que celle du conflit de subrogation entre lac caution et le tiers détenteur de biens hypothéqués à la dette: tous deux peuvent prétendre à la subrogation, comme étant tenus pour d'autres, et cependant ils ne peuvent être subrogés respectivement, l'un contre l'autre, ce serait un circuit d'actions récursoires sans issue.
En France, la loi n'a rien fait pour prévenir ce conflit: la doctrine et la jurisprudence ne sont pas arrivées à une solution qui satisfasse à tous les intérêts et qui se concilie avec les divers principes se trouvant ici en jeu. Généralement on donne la préférence à la caution sur le tiers détenteur; mais on paraît toujours se placer dans le cas où le tiers détenteur est un ache. teur qui, au lieu de dégrever l'immeuble, avec les formalités de la purge, en payant son prix d'acquisition au créancier hypothécaire (ce qui eût libéré d'autant la caution), l'a payé directement au débiteur (son vendeur); alors il est naturel que la caution lui reproche sa négligence et repousse son action, lorsqu'il aura ensuite désintéressé le créancier hypothécaire.
Mais cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés. On peut supposer en effet, que le tiers détenteur a purgé, mais a dû faire pour cela une avance de fonds dont il n'était pas débiteur.
Cela se présentera dans trois cas principaux:
1° C'est un acheteur qui, ayant acheté à un prix avantageux, a offert plus que son prix pour éviter la saisie hypothécaire de son immeuble;
2° C'est un co-échangiste qui, ayant déjà donné un bien équivalent en contre-échange et ne devant pas de prix, ni même de soulte, a dû faire une avance de fonds pour purger;
3° Enfin, c'est un donataire qui, ne devant rien en retour de l'immeuble reçu, n'a pu purger qu'en offrant une somme égale à sa valeur.
101. La lre rédaction de l'article 505 (2e al.) du Projet, tenant compte de ces diverses situations, donnait la subrogation au tiers détenteur contre la caution, précisément "pour les sommes ainsi avancées pour la purge," sans être dues par lui (v. T. II, nos 538 et 538 bis).
Mais la Commission a fait de sérieuses objections à ce système.
D'abord le donataire lui a paru toujours moins intéressant que la caution, puisqu'il lutte " pour faire un gain, tandis que celle-ci lutte pour éviter une perte."
De même, l'acheteur qui a acheté à bas prix ferait, au préjudice de la caution, un profit analogue et aussi peu légitime, quoique moindre. Quant au co-échangiste. on peut lui reprocher de participer à un acte qui tendrait à remplacer dans le patrimoine du débiteur un bien hypothéqué par un bien non hypothéqué, c'est-à-dire à enlever à la caution sa garantie, sans lui en donner une autre.
On a encore remarqué la singularité de certains résultats du système proposé. Si, par exemple, la caution avait payé la dette au créancier avant l'aliénation, elle aurait certainement été subrogée contre le tiers détenteur qui aurait acquis l'immeuble depuis le payement; c'eût été à elle alors que les offres de purge auraient été faites: elle n'eût pas accepté des offres insuffisantes, et, en cas d'acceptation, elle eût certainement conservé les sommes reçues, sans recours du tiers détenteur, puisque c'eût été de lui qu'elle les aurait tenues. Il était donc bizarre que, pour avoir payé plus tard, elle fût sacrifiée au tiers détenteur, qu'on ne lui fît pas d'offres, que la purge se fît sans elle, à des conditions peut-être désavantageuses pour le créancier négligent ou complaisant, et qu'elle fût exposée à un recours qu'elle n'avait pu éviter.
Il y avait dans cette dernière objection les éléments d'une solution nouvelle et satisfaisante.
Il fallait trouver un moyen d'obliger le tiers détenteur à comprendre la caution dans les offres à fin de purge; pour cela, il était nécessaire que sa qualité et son droit éventuel fussent révélés au tiers détenteur par le registre des hypothèques.
Un instant, on a pensé qu'elle avait le droit de stipuler du débiteur, au moment où elle s'engageait comme caution, une hypothèque conditionnelle, au second rang, en vue du cas où elle payerait la dette: l'inscription d'une telle hypothèque, incontestablement permise, aurait obligé le tiers détenteur à lui faire des offres à fin de purge, comme au créancier principal (v. art. 1276-40).
Mais on a encore objecté, non sans raison, que c'était là un moyen dont, en fait, la caution n'userait pas: elle ne pourrait guère témoigner une telle défiance au débiteur, au moment même où elle lui rendrait un bon office.
102. C'est alors qu'on a considéré que, ce droit d'hypothèque conditionnelle, la caution le tenait de la loi elle-même, par suite de la subrogation légale éventuelle: elle n'avait donc pas à la demander au débiteur.
Restait à la publier, en vue d'une aliénation possible et avant que celle-ci eût lieu; car on verra ultérieurement que les hypothèques ne sont opposables aux tiers acquéreurs, ne donnent le droit de suite, que si elles sont inscrites avant l'aliénation (v. C. civ. fr., 2166; Projet, art. 1262).
Un premier moyen serait que la caution prît une inscription spéciale de son droit éventuel d'hypothèque fondé, tout à la fois, sur la convention d'hypothèque faite avec le créancier et sur la disposition de la loi qui la subroge éventuellement. Mais, il pourrait lui être difficile de connaître exactement les clauses de la constitution d'hypothèque où elle n'a pas été partie; or, cette connaissance lui serait nécessaire pour prendre une inscription.
Il y a un moyen bien plus simple: le créancier a sans doute pris inscription pour lui-même; dès lors, il suffit que la caution fasse mentionner en marge de ladite inscription son hypothèque conditionnelle ou son droit éventuel à la subrogation: il suffira pour cela qu'elle fasse mentionner sa qualité de caution de la même dette ou d'une partie de la dette, et la date de son engagement, en y ajoutant, pour plus de précision, sans que ce soit nécessaire, que ladite mention est faite en prévision de la subrogation légale à laquelle elle est appelée (v. art. 1226).
Il fallait prévoir aussi le cas où le créancier aurait négligé de prendre inscription pour lui-même; alors, il y a pour la caution une situation encore bien meilleure: elle a, par le seul fait de la négligence du créancier, le droit de lui demander sa décharge du cautionnement (v. art. 534 et 1045).
A cette occasion, on a dû examiner aussi s'il fallait subordonner ces droits de la caution à la condition que son engagement eût accompagné ou suivi la constitution de l'hypothèque en faveur du créancier. Cette condition était implicitement posée dans l'ancien article 534, au sujet de la remise conventionnelle de l'hypothèque faite par le créancier au débiteur.
On a abandonné cette idée (v. nouv. art. 534). En effet, lors même que la constitution de l'hypothèque a suivi l'engagement de la caution, c'est un bénéfice, un droit éventuel qui lui a été acquis, lors même qu'elle n'y aurait pas compté; dès lors, ce bénéfice ne peut lui être enlevé sans son consentement (comp. T. II, n° 589 et la note).
Ainsi se trouve résolu, d'une manière qui respecte tous les principes et concilie tous les intérêts, un des problèmes législatifs les plus épineux.
Nous en reportons le mérite aux critiques éclairées que nous a faites la Commission.
Art. 1037. — 103. On se retrouve ici en présence du cas prévu par l'article 1031, où il y a plusieurs débiteurs solidaires cautionnés; mais la disposition de cet article ne fait pas double emploi avec le premier; dans le cas de l'article 1031, pour que la caution ait action pour le tout contre chacun des débiteurs, il faut qu'elle soit mandataire de tous: il y a alors solidarité légale entre les co-mandants, d'après l'article 945. Mais si la caution est intervenue spontanément et comme gérant d'affaires, elle n'a, de son chef, contre chaque débiteur, qu'une action divisée, d'après l'intérêt de chacun et dans la mesure du service à lui rendu; ici, lors même qu'il n'y a pas mandat, la caution, agissant comme subrogée aux droits du créancier, peut, comme lui et en son lieu et place, exercer une action solidaire contre chaque débiteur.
On aurait pu croire qu'il fallait faire ici une distinction qui paraît indiquée par le Code français (art. 2030) et qui a beaucoup de partisans dans la doctrine: à savoir, si la caution est intervenue nommément pour tous les débiteurs solidaires, ou seulement pour un ou quelques-uns d'entre eux. Il est clair que contre ceux pour lesquels elle est intervenue nommément, elle exerce le droit du créancier dans son intégralité; mais contre les autres, on pourrait prétendre que, n'étant pas tenue pour eux, elle ne jouit pas de la subrogation légale et qu'elle n'a qu'une action propre qui ne lui permet de se faire rembourser par chacun que le montant de sa part réelle dans la dette.
Mais cette opinion paraît devoir être rejetée: quelle que soit la solution à donner en droit français (et l'article 2030 pourrait permettre celle que nous proposons ici), il faut s'attacher uniquement aux principes de la matière: si la caution est subrogée aux droits du créancier, c'est à tous ces droits et dans l'étendue où il les avait; or, le créancier avait action contre chacun des débiteurs pour le tout: la caution doit avoir le même droit contre chacun d'eux.
Si l'on objecte qu'elle n'était pas tenue pour tous, mais seulement pour ceux qu'elle avait cautionnés, et que c'est contre ceux-là seulement qu'elle doit être subrogée, nous répondons que, nulle part, la loi n'a dit ni dû dire que les droits du subrogé ne s'exercent que contre ceux pour lesquels elle est intervenue: ils s'exercent contre tous ceux que le créancier pouvait poursuivre; ainsi, la caution n'est pas tenue pour le tiers détenteur, et cependant elle peut le poursuivre, sous les distinctions portées à l'article 505 et rappelées à l'article précédent.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement à ceux qui sont tenus pour d'autres que la subrogation légale est accordée, mais aussi à ceux qui sont tenus avec d'autres; or, dans le cas qui nous occupe, la caution qui n'a garanti qu 'un seul des débiteurs solidaires n'en est pas moins tenue avec tous les autres; il est donc naturel qu'elle ait recours contre tous, de même qu'elle recourrait contre un tiers détenteur: ici, ce sont les droits du créancier qu'elle exerce et non plus les siens propres.
SOMMAIRE.
Art. 1038. — N° 104. Divers cas 10ll une des cautions peut avoir payé plus que sa part dans la dette. -105. Objet de son recours contre ses co-fidéjusseurs. -10G. Action de gestion d'affaires. —107. Actions du créancier par subrogation. -108. Conditions et limites de ces actions.
1039. -109. Droits et obligations du certificateur de caution.
1040. -HO. Bénéfice de discussion conservé au co-fidéjusseur et au certificateur.
1041. -111. Nouvelle application de la garantie incidente
1042. -112. Renvoi à ce qui a été dit, pour un cas analogue, de l'effet relatif de certaines preuves.
1043. -113. Renvoi à la solidarité pour le cas d'insolvabilité de plusieurs cautions solidaires.
COMMENTAIRE.
Art. 1038. — N° 104. Il n'est pas rare qu'il y ait plusieurs cautions d'un même débiteur; déjà l'article 1023 l'a supposé, et il déclare que les poursuites doivent être divisées par le créancier entre les cautions, par portions viriles; dans le Projet, la division a même lieu de plein droit, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit formellement demandée par la caution poursuivie.
Mais cette disposition ne met pas un obstacle absolu à ce que l'une des cautions ait payé la totalité de la dette, ou une partie de la dette supérieure à sa portion virile. Plusieurs cas peuvent s'en présenter, dont trois sont prévus par ledit article 1023.
Le 1er cas est celui où il aurait été fixé des parts inégales, le 2e est celui où les cautions (ou co-fidéjusseurs) se sont engagées solidairement, soit entre elles, soit avec le débiteur; le 3° est celui où elles ont autrement renoncé à la division, soit purement et simplement, soit en s'engngeant indivisiblement.
Nous supposerons ici un 4e cas qui n'est pas d'ailleurs une exception à la division de plein droit, c'est celui où une caution, poursuivie ou non, a payé toute la dette, sans se prévaloir du bénéfice de division. C'est par allusion à ce cas que notre article suppose qu'une caution a payé toute la dette, Il volontairement ou non; " c'est alors seulement que le payement est volontaire.
Dans tous ces cas, il est naturel que celle des cautions qui a payé toute la dette ait un recours contre les autres: dans les trois premiers cas, parce qu'il ne doit pas dépendre du créancier de faire tomber la charge du cautionnement sur l'une des cautions; dans le quatrième, parce que la caution est présumée n'avoir consenti à faire pour les autres qu'une simple avance et non un sacrifice définitif.
La loi nous indique ici l'objet de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce et ses limites ou conditions.
105. L'objet du recours est la part de chaque eaution, ce qu'il faut entendre ici, naturellement, d'une part virile (pro numéro virorum), car les parts réelles des codébiteurs en général ne diffèrent des parts viriles que par l'inégalité d'intérêts dans la dette commune; or, les co-fidéjusseurs n'ont pas d'intérêt personnel dans la dette. Cependant, si les cautions s'étaient engagées pour des parts inégales, le recours ne s'effectuerait contre chacune que dans la mesure de la part à elle afférente.
106. Les voies de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce, sont de deux sortes: l'action de gestion d'affaires (ici il n'est pas question de mandat) et l'action du créancier transmise par subrogation.
Le Code français n'a pas mentionné la première de ces actions, sans doute parce que la caution qui a payé préférera user de l'action du créancier; mais si cette action était sur le point de s'éteindre par la prescription, au moment du payement fait au créancier (il y a de très courtes prescriptions, v. art. 1491 à 1500), ce payement ne l'interromprait pas, et pour peu que la caution, ignorant la date de l'échéance, tardât à exercer son recours, elle serait déchue de l'action du créancier; c'est alors qu'il serait utile à la caution d'exercer l'action de gestion d'affaires qui ne se prescrit qu'à partir du jour où le recours est né par le payement et dont la prescription est de trente ans.
Nous avons dit, incidemment, qu'il n'y avait pas lieu ici à l'action de mandat, tandis qu'elle est la plus fréquente pour le recours de la caution contre le débiteur principal; c'est qu'en effet, les co-fidéjusseurs ne se donnent pas un mandat mutuel, même quand ils interviennent en même temps et pour un même débiteur: le mandat suppose chez le mandant un intérêt à l'acte qu'il s'agit de faire; or, le débiteur a bien intérêt à être cautionné et les co-fidéjusseurs lui rendent conjointement un bon office; mais ceux-ci ne s'en rendent pas mutuellement; ils ne sont même gérants d'affaires les uns pour les autres que lorsqu'ils payent la dette commune, mais non lorsqu'ils s'engagent conjointement: pour qu'il en fût autrement, il faudrait que les cautions s'engageassent solidairement les unes avec les autres; on doit même, dans ce cas, admettre entre elles le mandat mutuel et tacite qui caractérise la solidarité: leur intérêt naît de leur association dans la garantie.
107. Lorsque la caution qui a payé exerce l'action du créancier contre ses co-fidéjusseurs, on pourrait croire qu'en vertu de la subrogation, elle peut poursuivre solidairement chacun d'eux (en retenant, bien entendu, une part à sa charge), au moins quand il y avait solidarité ou indivisibilité entre eux, ou quand ils avaient renoncé au bénéfice de division dans l'intérêt du créancier; mais ce serait un inutile circuit d'actions, car la caution qui rembourserait ainsi la totalité, moins une part, recourrait, à son tour, contre une autre pour le tout, moins deux parts, et ainsi de suite; autant vaut ne demander immédiatement à chacune que ce qu'elle doit supporter définitivement.
Le recours solidaire en vertu de la subrogation n'aurait pas d'ailleurs pour effet de préserver la caution qui l'exercerait des insolvabilités qui pourraient se rencontrer parmi les co-fidéjusseurs, car l'équité la plus évidente veut que, s'il y a des insolvables parmi eux, la perte se répartisse entre tous, " y compris celui qui a payé la dette," comme le dit l'article 1039, 2e alinéa, ci-après.
108. Le recours de la caution qui a payé, contre ses co-fidéjusseurs, est soumis par la loi aux Il mêmes conditions, limites et distinctions que son recours contre le débiteur principal." C'est dire que si la caution poursuivie avait négligé des moyens de défense qui auraient pu faire rejeter la demande du créancier, elle ne pourrait se faire rembourser par les autres cautions (art. 1032); de même, si, ayant payé, elle avait négligé d'en avertir ses co-fidéjusseurs, de sorte que ceux-ci ou l'un d'eux eussent payé une seconde fois (art. 1033).
Art. 1039. — 109. La première disposition de cet article est importante: s'il y a un certificateur de la caution insolvable, c'est sur lui et non sur les autres co-fidéjusseurs que retombera la perte résultant de l'insolvabilité; c'est l'application du principe posé par l'article 1007, 2° alinéa, d'après lequel le certificateur remplit vis-à-vis de la caution le. même rôle que celleci vis-à-vis du débiteur principal.
Remarquons, à ce sujet, que si le certificateur de caution était poursuivi par le créancier avant la caution elle-même (ce qui est permis), il pourrait renvoyer le créancier à discuter non seulement les biens du débiteur principal, comme il est dit à l'article suivant, mais encore ceux de la caution elle-même qu'il certifie.
De même, s'il y a plusieurs certificateurs d'une même caution, leur obligation se divise de plein droit entre eux par portions viriles, à moins qu'ils ne soient engagés solidairement. Enfin, au point de vue du recours même qui nous occupe, si l'un de plusieurs certificateurs a payé seul toute la dette de la caution, il a recours contre les autres pour leur portion virile.
La 2° disposition a été annoncée déjà sous l'article précédent Elle n'est pas exprimée en cette matière par le Code français, mais elle l'est dans une autre, tout-à-fait analogue, celle de la solidarité entre débiteurs (v. art. 1214, 2e al.).
Remarquons que cette garantie de l'insolvabilité d'un des co-fidéjusseurs est limitée, comme le dit le texte, au cas où la division a été exclue par la convention: autrement, il y aurait eu division de plein droit, à l'origine (v. art. 1023) et il n'y aurait pas de garantie mutuelle des insolvabilités (1).
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(1) L'ancien texte ne portait pas cette limite: il a paru nécessaire de l'exprimer.
Art. 1040. — 110. La loi suppose que la première caution actionnée n'a pas opposé au créancier le bénéfice de discussion à l'égard des biens du débiteur principal, soit qu'elle l'ait négligé, soit qu'elle en ait été privée; dans ce cas, la discussion peut être demandée par le co-fidéjusseur actionné par le recours organisé aux deux articles précédents; mais il devra lui-même en observer les règles et conditions: par exemple, indiquer des immeubles situés dans le ressort de la cour d'appel, et ne s'en prévaloir que s'il ne s'est pas lui-même privé de ce bénéfice par une renonciation ou autrement (v. art. 1020 et 1021).
La loi proclame le même droit pour le certificateur de caution, ce qui s'entend ici naturellement du cas où il est actionné en recours, en vertu de l'article précédent. Mais il aurait le même droit, s'il était actionné directement par le créancier, en cas d'insolvabilité de la caution qu'il garantit. Si la loi ne l'a pas exprimé à l'article 1019 ou à la suite des articles 1020 et 1021, c'est que le certificateur de caution aurait dû alors figurer dans une foule d'autres dispositions, sous peine qu'on put croire qu'il en était exclu, et le mentionner partout eût été redondant.
Art. 1041. — 111. Le droit pour une caution d'appeler ses co-fidéjusseurs en garantie n'est pas entravé par l'exercice du même droit contre le débiteur principal: puisés tous deux à la même source, ils ne s'excluent pas l'un l'autre.
Bien que cette disposition ne soit d'ailleurs qu'une application des principes de cette matière et, en remontant plus haut, du principe général de la garantie(y. art. 418 et 419), ce n'est pas une raison pour l'omettre ici. Nous nous sommes plusieurs fois prononcé en faveur de l'application fréquente par la loi des principes qu'elle a posés elle-même. Les magistrats chargés d'appliquer la loi, les avocats et les parties qui l'invoquent, ceux qui l'enseignent et ceux qui l'étudient, sont bien plus frappés et éclairés par l'application légale et pratique d'un principe que par l'énoncé théorique du principe lui-même, dans une forme nécessairement abstraite.
Art. 1042. — 112. Cet article n'est, au sujet de l'effet relatif des preuves, que l'application des règles posées aux articles 1026, 1027 et 1028, pour une situation analogue. Seulement, ici nous n'avons pas à justifier la loi d'une apparente répétition: ces situations analogues, avec des différences, sont pleines de dangers de confusion, si la loi ne ne se prononce spécialement sur chacune.
Art. 1043. — 118. Ici, il n'y a également qu'un renvoi, mais à une matière non encore traitée. Comme ce sont des règles de la solidarité à appliquer au cautionnement, il est naturel de les placer au Chapitre de la solidarité.
SOMMAIRE.
Art. 1044. — N° 114. Extinction directe. -115. Le payement de la dette n'est pas applicable au cautionnement seul. -116. Novation. -117. Impossibilité d'exécuter.-118. Renvoi pour la remise volontaire, la compensation et la confusion. -119. Résolution et rescision. - 120, 121. Prescription.
1045. -122. Décharge du cautionnement exigée du créancier qui a renoncé à ses sûretés. -123. Extension au cas de faute.
1046. -124. Le cautionnement ne survit jamais à la dette
principale. -125. Renvoi aux modes d'extinction des obligations.
COMMENTAIRE.
Art. 1044. — N° 114. On va trouver ici deux sortes d'extinction du cautionnement: l'extinction directe, c'est-à-dire celle qui résulte de faits atteignant le cautionnement même, sans influence sur la dette principale, et l'extinction indirecte, atteignant d'abord la dette principale et, par voie de conséquence nécessaire, l'obligation accessoire de la caution.
La loi commence par l'extinction directe. Elle nous dit que les modes ordinaires d'extinction des obligations s'appliquent au cautionnement.
115. Il faut remarquer cependant que le premier et le plus naturel des modes d'extinction, le payement, ne peut s'appliquer au cautionnement sans s'appliquer en même temps à la dette principale; on peut même dire que lorsque la caution paye, c'est la dette principale qu'elle éteint directement et non la sienne propre, laquelle ne s'éteint que par voie de conséquence.
Qu'est-ce en effet que le payement ? C'est " l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur " (art. 472); or, si la caution accomplit la prestation que le débiteur a promise, c'est pour celui-ci qu'elle le fait, en son nom et assurément pour son compte.
Bien plus, si au lieu d'exécuter l'obligation telle qu'elle a été stipulée, la caution est admise par le créancier à faire une dation en payement, c'est-à-dire à donner autre chose que ce qui est dû, c'est encore ladette principale qui est éteinte directement, quoique le débiteur n'ait pas participé à l'opération.
116. Au sujet de la novation, on a quelquefois soutenu que, de même que le payement, elle ne peut porter que sur la dette principale; mais c'est là une erreur: la caution peut faire novation de son engagement, par exemple, en présentant une autre caution à sa place; c'est ce qu'a prévu l'article 523.
117. Un autre mode d'extinction qui ne paraît pas pouvoir atteindre le cautionnement directement, mais seulement par voie de conséquence, c'est la perte de la chose due, ou, plus généralement, l'impossibilité d'exécuter (art. 561 et s.): la caution devant fournir la même chose que le débiteur ou exécuter le même fait, si cette chose ou ce fait ne peuvent plus être fournis, le débiteur est libéré comme la caution et, en quelque sorte, avant elle.
Mais on pourrait cependant maintenir la séparation des deux effets: supposons que le fait promis par le débiteur et la caution soit de nature à ne pouvoir être exécuté que par eux, conjointement ou séparément, à cause d'une aptitude personnelle et exclusive, et que la caution soit devenue, par accident ou force majeure, incapable d'exécuter le fait: elle sera libérée, sans indemnité à payer et le débiteur ne le sera pas.
Il est plus difficile de donner un exemple analogue pour une dette de chose, car si la caution est dans l'impossibilité de la donner, sans doute le débiteur ne le pourra pas davantage.
Supposons cependant que l'obligation principale porte sur deux choses dues alternativement et que la caution n'ait garanti la prestation que de l'une d'elles: celle-ci venant à périr par cas fortuit, la caution est libérée, tandis que le débiteur doit encore l'autre chose.
118. La remise ou décharge conventionnelle du cautionnement a déjà été prévue à l'article 533, la compensation à l'article 543 et la confusion à l'article 560: notre article se borne à renvoyer à ces articles.
11 ne faudrait pas croire d'ailleurs que ces dispositions eussent été mieux à leur place ici qu'aux articles précités: soit que le cautionnement s'écarte du droit commun, au sujet de ces modes d'extinction, soit qu'il y reste conforme, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, c'est toujours à l'occasion de chacun des modes d'extinction qu'il convient que la loi s'en explique; il n'est pas moins naturel de mentionner les particularités du cautionnement en traitant de la novation, de la remise de la dette, etc., que de mentionner les particularités de ces modes d'extinction en traitant du cautionnement.
119. Il reste trois modes d'extinction des obligations dont il faut noter l'application directe au cautionnement: la résolution expresse ou tacite, la rescision et la prescription.
La cautionnement peut n'avoir été donné que sous une condition résolutoire expresse, tirée des convenances personnelles de la caution; par exemple, elle a entendu être libérée si elle perdait son emploi actuel, sans en obtenir un autre égal ou supérieur: cet événement venant à se produire, le cautionnement s'éteindra, sans que la dette principale en soit atteinte. Il y aurait condition résolutoire tacite si la caution avait obtenu un engagement corrélatif du créancier, lequel n'aurait pas été tenu par celui-ci.
La rescision ou nullité suppose que la caution était incapable ou que son consentement a été vicié: il est clair qu'elle jouira, contre cette obligation accessoire, de la même protection de la loi que s'il s'agissait d'une obligation principale.
120. Reste la prescription. C'est encore un mode d'extinction qu'on a soutenu, en France, ne pas pouvoir s'appliquer directement au cautionnement et ne pouvoir profiter à la caution que par voie de conséquence, c'està-dire quand la prescription aurait éteint l'obligation principale.
Sans doute, on ne peut concevoir que le délai légal de la prescription soit plus court pour le cautionnement que pour la dette principale, car la prescription du cautionnement est toujours la plus longue des prescriptions civiles: à savoir, 30 ans; tandis que la dette principale pourrait jouir d'une courte prescription, laquelle, en même temps, profiterait à la caution. Sans doute encore, en sens inverse, l'interruption de la prescription, obtenue par des poursuites contre le débiteur ou par sa reconnaissance de la dette, aura le même effet contre la caution, de sorte qu'elle ne bénéficiera pas de l'inaction du créancier à son égard. De même encore, si le créancier est mineur, le délai de la prescription, suspendu contre le débiteur pendant la dernière année est également suspendu contre la caution, car la minorité est une qualité absolue (a).
121. Mais prenons un autre cas de suspension de prescription, justement une suspension tirée d'une qualité du créancier non plus absolue mais relative: la prescription est suspendue entre époux. Supposons que la dette principale soit de la femme envers le mari et que le cautionnement soit fourni par le père ou le frère de la femme; trente ans se sont écoulés depuis que la dette était devenue exigible: le mari a conservé son droit contre la femme, puisqu'il y a une certaine suspension de prescription entre eux; mais il a perdu son droit contre la caution, parce que la prescription n'est pas suspendue entre le mari et le père ou le frère de la femme.
Et qu'on ne dise pas que la prescription est une présomption légale de payement, et que s'il y a payement présumé de la part de la caution, le débiteur principal est lui-même libéré: la prescription fait présumer tout aussi bien une remise de la dette, et ici ce ne sera que la remise du cautionnement, puisque ce n'est qu'en faveur de la caution que court la prescription.
Il ne faudrait pas non plus soutenir que la suspension de prescription établie en faveur du créancier contre le débiteur a lieu aussi contre la caution, par analogie de l'interruption qui, faite par le créancier contre le débiteur, vaut de plein droit contre la caution; les deux faits sont différents: dans le cas de poursuites contre le débiteur, la caution ne les ignore généralement pas; le débiteur, en recevant la poursuite représente la caution et elle est ainsi préservée de frais particuliers; mais dans le cas de suspension, il n'y a, de la part du créancier contre le débiteur, aucun acte dans lequel on puisse dire que la caution est représentée; il n'y a que l'effet virtuel d'une qualité toute personnelle et relative du créancier vis-à-vis du débiteur, laquelle ne peut s'étendre à la caution.
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(a) On verra au Livre V, IIe Partie (art. 1467) que, dans le Projet, la prescription court contre les mineurs, sauf une suspension pendant la dernière année de sa durée, de sorte qu'il leur reste toujours un délai suffisant pour agir après leur majorité. Il existe une suspension analogue entre époux (art. 1470).
Art. 1045. — 122. Déjà, à l'occasion de la remise conventionelle ou de la renonciation faite par le créancier à tout ou partie de ses sûretés, on a énoncé le droit de la caution de demander sa décharge à ce même créancier, à raison de ce qu'il a diminué pour elle les moyens d'être indemnisée par l'effet de la subrogation à ces droits (v. art. 534).
Une différence est à signaler ici avec le Code français où la caution paraît déchargée de plein droit, tandis que, d'après l'article 534 du Projet, la caution doit faire une demande en décharge.
Cette nécessité de recourir à la justice était évidente dans le système adopté d'abord dans ledit article 534; car la caution devait " justifier qu'en contractant elle avait compté sur la subrogation aux garanties," ce qui impliquait que les sûretés abandonnées par le créancier avaient été constituées avant l'engagement de la caution, ou en même temps, mais non après.
Mais cette distinction relative à la date respective du cautionnement et des autres sûretés a été reconnue mal fondée et supprimée de la nouvelle rédaction de l'article 534.
Cela n'empêche pas qu'on maintienne ici la nécessité d'une demande en justice, car il peut y avoir contestation sur le fait de la négligence du créancier dans la conservation desdites sûretés (comp. T. Il. n° 589).
123. Sous ce rapport, notre article est plus étendu que l'article 534. En effet, il ne se borne pas à renvoyer à l'article 534, il porte encore deux dispositions utiles qui ne pouvaient être rattachées à ce dernier.
1 ° Comme l'article 534 ne concerne que les renonciations ou remises, expresses ou tacites, mais toujours volontaires, on aurait pu douter que la caution eût le même droit à sa décharge lorsque le créancier aurait perdu ses sûretés par négligence: par exemple, en omettant de faire faire la transcription d'une vente d'immeuble, laquelle eût conservé son privilége de vendeur et son droit de résolution (v. art. 1184 et 1188), ou bien en négligeant l'inscription de son hypothèque (v. art. 1219) ou la notification requise au cas d'une constitution de gage sur la créance d'un tiers (v. art. 1108); on pourrait encore donner comme exemple le cas où le créancier aurait, par négligeuce à se défendre, laissé juger qu'il n'avait pas la sûreté prétendue par la caution.
Le texte de notre article autorise donc la caution à se faire décharger dans le cas de négligence du créancier (v. aussi art. 1036, 46 al.).
2° On aurait pu douter également que ce droit à la décharge appartînt, sinon à la caution solidaire (laquelle y est formellement appelée par le nouvel article 534), au moins à la caution qui a renoncé au bénéfice de discussion ou à la caution engagée à l'insu du débiteur ou malgré lui: ces diverses situations de la caution rendent sa condition moins favorable, à certains égards; mais elles doivent rester ici sans influence et la loi l'exprime en disant que le droit à cette décharge appartient " à toutes les cautions indistinctement et il. leurs certificateurs."
Art. 1046. — 124. La dette de la caution, étant accessoire d'une dette principale, s'éteint nécessairement avec celle-ci, par voie de conséquence; il n'y a aucune exception à la règle et il ne peut y en avoir: autrement, il y aurait des cas où la caution serait tenue sans avoir de recours.
Un cas semblerait pourtant faire exception à la règle, mais ce n'est qu'une illusion.
Lorsqu'il intervient une novation entre le créancier et le débiteur et que le créancier y met comme condition l'accession à la nouvelle dette des cautions qui garantissaient la première, cette accession est possible, pourvu que les cautions y consentent spécialement (art. 522, 2e al.); mais il est clair qu'il y a alors, en réalité, un nouveau cautionnement, comme il y a une dette nouvelle.
Il en serait autrement si, au lieu de cautionnement, il s'agissait de suretés réelles que le créancier aurait réservées, même sur les biens de tiers détenteurs; dans ce cas, les sûretés antérieures survivraient à l'ancienne créance et se rattacheraient identiquement à la nouvelle (art. 524).
125. Le 2e alinéa de notre article se borne à un renvoi aux dispositions antérieures du Projet où il a été traité de l'influence sur le cautionnement des principaux modes d'extinction de la dette principale.
Remarquons seulement, à ce sujet, que la dation en payement faite par le débiteur libère la caution, moins comme payement que comme novation (art. 482); d'où il suit que si le créancier est plus tard évincé de la chose reçue, il n'a pas de recours contre la caution.
SOMMAIRE.
Art. 1047. — N° 126. Caractère du cautionnement légal.127. Ces principales applications. —128. Petit nombre de règles particulières au cautionnement forcé. -129.Renvoi au Code de Procédure civile.
1048. 130. Caractère du cautionnement judiciaire. —13].Ses principales applications.
1049. 132. Refus du bénéfice de discussion à la caution judiciaire.
1050. 133. Faveur accordée aux cautions légales et judiciaires pour leur recours en garantie.
COMMENTAIRE.
Art. 1047. — N° 126. Les deux cas de cautionnement formant l'objet de cet Appendice pourraient être appelés cautionnement forcé, par opposition au cautionnement ordinaire qu'on nomme volontaire; mais on conserve ici les expressions consacrées par l'usage.
Il faut d'abord remarquer que la caution légale n'est pas une personne à laquelle, en vertu de sa qualité, la loi imposerait le rôle de caution d'une dette d'autrui; ni dans le Code français, ni dans le Projet japonais, on ne trouve de caution légale dans ce sens: le tuteur n'est pas caution des dettes que contracte valablement son pupille, ni le mari des dettes de sa femme par lui autorisées. On trouve cependant des cas où le mari peut être poursuivi à raison des dettes de sa femme autorisées par lui (v. c. fr.,art. 1416, 1419, 1484, 1495); mais c'est parce qu'il est présumé à l'égard des tiers, avoir eu un intérêt dans les actes, et c'est alors comme débiteur qu'il est poursuivi et non comme caution, ce qui est fort différent, d'après ce qui précède.
La caution légale est, comme dit le texte de notre article, " celle que la loi oblige le débiteur à fournir; " elle est légale par sa cause: au lieu d'être fournie sur la demande du créancier, avec le consentement libre du débiteur, elle est exigée de celui-ci, en vertu d'un texte de loi.
Quant à la caution elle-même, elle n'intervient que par un acte formel de sa volonté: elle fera toujours un contrat volontaire et libre avec le créancier et elle y sera déterminée par le mandat du débiteur auquel elle uonsentira à rendre ce bon office.
Il pourrait arriver aussi qu'une personne sachant qu'un débiteur doit fournir une caution d'après la loi, intervînt spontanément en cette qualité, comme gérant cl'affaires; mais le dernier article nous dira qu'elle est encore, dans ce cas, traitée comme mandataire du débiteur, ce qui est une faveur spéciale.
127. Pour concevoir que la loi se substitue ainsi au créancier pour exiger qu'il lui soit fourni caution, il faut supposer qu'il s'agit de créances dont la naissance n'est pas le seul effet de la volonté du créancier: autrement, il serait naturel que la loi le laissât pourvoir luimême à sa sécurité, sauf à ne pas traiter s'il n'obtenait pas celle qu'il désire.
Les cas de caution légale jusqu'ici rencontrés dans le Projet ne sont pas nombreux, justement parce que les diverses obligations qui y sont prévues jusqu'ici sont presque toutes conventionnelles.
Nous ne pouvons guère citer comme cautions légales que celles à fournir: par l'usufruitier au nu-propriétaire (art. 79 et s.), par le vendeur à l'acheteur menacé d'éviction et auquel il réclame le prix de vente (art. 716) et par le créancier qui surenchérit sur une offre à fin de purge (art. 1278).
Le Code français en présente plusieurs autres cas, pour des matières dont le Projet n'a pas encore traité (v. art. 16, 120, 171, 773, 807, 1518; v. aussi 1613, 1653, 2185).
On en trouve aussi des cas dans le Code de Procédure civile (art. 17, 439 et 542), dans le Code de Commerce (art. 120, 151, 23 1, 346, 384 et 444), dans le Code d'Instruction criminelle (art. 114) et dans plusieurs Lois administratives plus ou moins fiscales.
128. L'article ] 003 nous a annoncé que les règles du cautionnement volontaire s'appliquent, en général, au cautionnement légal et au cautionnement judiciaire et que s'il y a quelques dispositions particulières relatives à ces deux sortes de cautionnement forcé, on les trouvera au présent Appendice.
Ces dispositions particulières sont peu nombreuses.
Le présent article commence même par énoncer formellement l'application aux cautionnements forcés de deux articles du cautionnement conventionnel, parce qu'on aurait pu en douter.
Le cautionnement à fournir en vertu d'une promesse spéciale, bien que volontaire dans son principe, est devenu forcé pour avoir été promis; aussi le débiteur est-il tenu de présenter une caution sérieuse et répondant aux intentions du créancier (v. art. 1015 et 1016): il est naturel que quand le cautionnement est ordonné par la loi ou par la justice, les mêmes garanties de solvabilité de la caution soient exigées.
129. Comme il peut y avoir quelques difficultés sur le point de savoir si la caution présentée remplit les conditions prescrites, une procédure spéciale devra être organisée à cet effet, dans le Code de Procédure civile japonais, comme cela a lieu dans le Code de Procédure français (v. c. pr. civ. fr., art. 517 à 522).
La même procédure devra être suivie, en cas de contestation, pour l'application des articles 1015 et 1016.
Art. 1084. — 130. La caution judiciaire est ordonnée par la justice pour assurer l'exécution de ses décisions; mais il ne faut pas admettre qu'elle puisse souverainement ordonner de fournir caution chaque fois qu'elle le croira utile pour la garantie du créancier: il faut toujours qu'un texte de loi l'ait autorisée à prendre cette mesure. Cependant, le cautionnement n'est pas légal, pour cela, car la loi n'impose pas aux juges l'obligation d'ordonner qu'il soit fourni caution: c'est une " faculté " qui leur est attribuée par la loi.
131. Les cas de cautionnement judiciaire se trouveront naturellement au Code de Procédure civile.
Remarquons seulement que le Projet de Code civil en contient deux cas qu'on ne trouve pas en France, c'est le cas de dénonciation de dommage imminent, soi venir de l'ancienne cautio damni infecti des Romains (v. art. 215, 2B al.) et le cas de dénonciation de nouvel œuvre (v. art. 223, 2e al.).
On pourrait être porté à considérer ici la caution comme légale plutôt que comme judiciaire, car il n'y a pas encore condamnation à des dommages-intérêts au moment où elle doit être fournie, ces dommages n'étant qu'éventitels; mais il faut lui reconnaître le caractère de caution judiciaire pour deux raisons:
1° Le cautionnement ne sera pas nécessairement ordonné: c'est une faculté pour le tribunal;
2° La caution ne sera exposée aux poursuites que lorsqu'il y aura eu dommage réel et que l'indemnité aura été déterminée et liquidée par jugement.
Dans le Code de Procédure français il n'y a qu 'un petit nombre de cautions judiciaires (v. art. 135, 155, 41 7).
Il n'est pas probable que le Code de Procédure japonais en doive contenir davantage.
Art. 1049. — 132. C' est une règle particulière à la caution judiciaire qu'elle ne jouisse pas du bénéfice de discussion. Cette rigueur, qui n'atteint pas la caution légale, tient à ce que, dans les cas où cette sécurité sera exigée, il y aura urgence à l'exécution; or, rien n'est contraire à la célérité comme la discussion des biens du débiteur.
Les cautions judiciaires n'ont pas nécessairement un certificateur, mais si la caution présentée n'avait pas d'immeubles suffisants et se trouvant dans les conditions de lieu et autres exigées par la loi, il pourrait y être suppléé par un certificateur de caution, lequel aurait les immeubles voulus. Dans ce cas, il ne jouirait pas plus que la caution elle-même du bénéfice de discussion à l'égard du débiteur. [1 n'en jouirait pas davantage à l'égard de la caution. Cette dernière prohibition n'est pas comme dans le Code français, l'objet d'un article spécial (art. 2043), mais elle résulte suffisamment de la généralité des termes de notre article.
En France, avant l'abolition de la contrainte par corps, les cautions judiciaires étaient soumises à la contrainte par corps (c. civ. art. 2060-5°); cette rigueur a disparu depuis la loi du 22 juillet 1867.
Art. 1050 -133. Nous avons dit que la caution légale et la caution judiciaire pourraient intervenir spontanément en faveur du débiteur et sans mandat de lui, pourvu qu'elles remplissent les conditions prescrites pour cette sorte de cautionnement.
Mais la loi, pour encourager ceux qui voudraient remplir ce bon office envers le débiteur, veut qu'ils soient aussi bien traités au cas de gestion d'affaires qu'au cas de mandat, au moins pour leur recours en garantie; en conséquence, les différences que présentent les articles 1029, 1030, 1031 et 1034 en faveur de la caution intervenue par mandat, comparée à celle qui est intervenue spontanément, ne seront pas appliquées ici. Mais les dispositions qui ne sont pas relatives au recours restent soumises à la distinction entre le mandat et la gestion d'affaires (v. art. 1027 et 1028).
SOMMAIRE.
Art. 1051. — N° 134. Renvoi à l'article 458, pour la définition de la solidarité passive et active; dans les deux cas, elle constitue une sûreté; de là, sa place ici.
COMMENTAIRE.
Art. 1051. — N° 134. La solidarité est une modalité ou manière d'être des obligations et, à ce titre, elle aurait pu, comme dans le Code français, figurer au Livre IIe, ne Partie, Cliap. 2, au sujet des Effets des Obligations; mais comme son caractère de sûreté ou garantie des créances est dominant et en fait même tout l'intérêt, c'est au présent Livre qu'on a dû en renvoyer les détails (v. art. 458).
La définition sommaire de la solidarité, tant active que passive, ayant été donnée par l'article 458, la loi ne peut la donner ici de nouveau; on ne pourrait d'ailleurs la compléter que par des emprunts aux effets de cette modalité, comme l'a fait le Code français (art. 1197, 1200, 1203); le présent article renvoie donc, pour la définition, audit article 458, et il se borne à annoncer deux espèces de solidarité, objets de deux Sections distinctes. Il annonce aussi une obligation voisine de la solidarité passive, " l'obligation intégrale entre débiteurs: " elle est l'objet d'un Appendice à la Section Ira (v. art. 1074).
Dans le Code français, c'est la solidarité active, ou entre créanciers, qui est présentée la première; ici, on ne lui donne que le second rang, pour deux raisons; d'abord, elle est destinée à être très rare, au Japon comme ailleurs (on en donnera le motif en son lieu); ensuite, elle produit des effets moins étendus que la solidarité passive; ce n'est donc qu'après avoir exposé ceux-ci qu'on pourra utilement dire pourquoi ils ne se rencontrent pas tous dans la solidarité active.
C'est aussi lorsqu'on verra les effets de la solidarité active qu'il sera facile de reconnaître qu'elle est bien, comme la solidarité passive, quoiqu'avec moins d'évidence, une sûreté pour le créancier, ce qui justifie sa place dans ce Livre.
SOMMAIRE.
Art. 1052. -135. La solidarité est fondée sur un mandat mutuel de représentation. -136. Pourquoi les quatre causes d'obligations ne figurent pas ici comme causes de la solidarité: spécialement, l'enrichissement indû et le dommage injuste. -137. Pourquoi le testament y figure, alors qu'il n'a pas figuré dans les causes d'obligations. -138. La solidarité doit être établie expressément dans tous les cas, un seul excepté. -139. Du cas où les parties ont employé des expressions équivalentes à la solidarité. -140. Exception à la règle, plus apparente que réelle.
1053. -141. Unité nécessaire de dette, c'est-à-dire de créancier, d'objet et de cause. -142. Diversité possible d'actes juridiques: sens du mot acte dans ce cas. -143. Suite. -144. Diversité de temps et de lieu. -145. Suite: convention, testament, loi. -146. Question sur la participation des divers débiteurs. -147. Différences possibles de modalités et de charges dans les divers engagements.
COMMENTAIRE.
Art. 1052. — N° 135. On retrouve ici la division habituelle: il est naturel de présenter séparément les causes, les effets et la cessation de chacune des sûretés ou garanties.
Bien qu'il ne faille pas anticiper sur les effets de la solidarité, la loi doit cependant indiquer sa nature qui fait ressortir son effet principal: autrement, on ne verrait pas nettement quel est le droit dont on va énoncer les causes.
Le caractère le plus saillant de la solidarité passive est, comme dit le texte, " une représentation mutuelle (un mandat réciproque) entre les débiteurs, dans l'intérêt du créancier." Cette idée de représentation, de mandat, universellement admise dans la doctrine, n'a encore été exprimée dans aucune loi (au moins, à notre connaissance) et il est bon qu'elle le soit, car tous les effets de la solidarité en découlent, tant ceux que la loi exprime que ceux qu'elle sous-entend: ces derniers seront dès lors faciles à suppléer par déduction du principe.
Pour le moment, on ne s'y arrête pas davantage.
Ajoutons pourtant que cette représentation mutuelle des débiteurs n'est pas seulement de sa nature: elle est même de son essence, car on ne pourrait pas la supprimer par convention sans changer la modalité même de l'obligation, laquelle se trouverait alors réduite à la simple obligation intégrale, pour le tout, ou in solidum, dont on parlera à l'article 1074.
136. Comme la solidarité passive est une modalité des obligations, ses causes ne peuvent être autres que celles des obligations elles-mêmes; seulement, elles paraissent moins nombreuses, car le texte n'indique à cet égard que la convention et la loi (nous réservons un instant ce qui est dit du testament): il n'est pas fait mention de l'enrichissement indû (vulgo, quasi-contrats) ni du dommage injuste (délits et quasi-délits); mais cette omission est plus apparente que réelle.
Sans doute, tous les cas où plusieurs personnes sont indûment enrichies du bien d'autrui ne réclament pas la solidarité entre elles pour la restitution ou l'indemnité, même quand on ignore la part de profit de chacune d'elles, car on peut alors diviser l'obligation par portions viriks; mais lorsqu'il est juste qu'il y ait solidarité, la loi l'ordonne; on se trouve alors en présence d'un cas de solidarité légale: par exemple, entre comandants (v. art. 945).
De même, dans les cas de dommage causé injustement par plusieurs personnes, au moyen d'un seul et même fait, il peut être juste que chacun en soit responsable solidairement, surtout quand on ne peut déterminer le degré de participation de chacun au mal causé; mais c'est encore la loi qui établit la solidarité entre les auteurs du fait pour la réparation da préjudice: par exemple, entre co-auteurs d'un crime, d'un délit ou d'une contravention (v. C. pénal, art. 47).
Dans ces cas, la loi a pu, sans exagération de sévérité, décider que ceux qui se sont associés pour le mal seraient associés pour la réparation.
Lorsque le dommage causé injustement par plusieurs ne résulte pas d'une association ou d'un concert, mais d'une sorte de conjonction de fait et que la part de responsabilité individuelle ne peut être connue, la loi peut encore imposer à chacun une responsabilité intégrale, mais sans solidarité, à cause de l'absence de mandat mutuel; c'est ce qu'elle fait notamment pour les locataires d'une même maison ou enceinte (art. 153) et pour les co-auteurs d'un quasi-délit (art. 398) (a).
137. A côté de la convention et de la loi, comme causes ou sources de la solidarité passive, notre article place encore le testament.
On pourrait s'étonner de voir figurer le testament comme cause d'une modalité de l'obligation, quand il ne figure pas parmi les sources ou causes des obligations elles-mêmes (v. art. 316). Mais on a déjà remarqué (v. T. 11, n° 247) que les legs sont dus par l'héritier à cause de son acquisition des biens héréditaires, à cause de son enrichissement auquel le testateur a mis des charges et conditions; aussi l'obligation d'acquitter les legs et autres charges testamentaires figure-t-elle parmi celles qui naissent des quasi-contrats ou de l'enrichissement indû (v. art. 381-3°) elle ne peut dès lors être rattachée à une autre cause qui serait le testament.
Si le testateur a plusieurs héritiers qui acceptent sa succession, ils ne seront que débiteurs conjoints des legs, chacun d'eux n'en devra que sa part héréditaire, au moins si la chose est divisible (art. 461, 1er al.).
Mais si le testateur veut qu'il en soit autrement, s'il craint pour son légataire l'insolvabilité ultérieure d'un ou plusieurs de ses héritiers, il a le droit de leur imposer la solidarité: ce sera prudent quand il s'agit du legs d'une rente viagère ou d'un capital payable à long terme. Evidemment, il ne pourrait espérer une convention entre le "légataire et les héritiers, à l'effet d'imposer la solidarité à la charge de ceux-ci, et il n'y a pas de raison suffisante pour que la loi intervienne dans le même but; il ne reste donc que la volonté du défunt ou le testament.
138. La solidarité étant une rigueur contre les débiteurs, par cela même qu'elle est favorable au créancier, est évidemment une exception au droit commun; de là la règle qu'elle " ne se présurne pas et doit être expresse."
Bien entendu, comme on l'a déjà remarqué en pareil cas, cela ne signifie pas que la disposition doive employer l'un des mots solidarité, solidaire ou solidairement: ce qui est nécessaire c'est qu'il n'y ait aucun doute sur la volonté, à cet égard, des contractants, du testateur ou de la loi. Nous ajoutons 11 de la loi " et notre article dit " dans tous les cas," pour prévenir au Japon une difficulté qui s'est élevée en France, sur le point de savoir si la disposition de l'article] 1202, qui exige également que la solidarité soit expresse, s'applique à la solidarité légale.
139. Une différence toutefois doit être admise à cet égard entre les dispositions de la loi et celles de l'homme. On verra à l'article 1074 que lorsque la loi déclare qu'une obligation conjointe est " intégrale ou pour le tout," cela ne suffit pas pour qu'il y ait solidarité, s'il n'y a d'ailleurs entre les débiteurs aucune relation antérieure impliquant mandat réciproque ou représentation mutuelle. Mais cette disposition ne concerne pas le cas où les mêmes expressions auraient été employées dans unec onvention ou un testament. La loi ailleurs, a posé en principe que, " dans l'interprétation des conventions, les juges doivent rechercher l'intention commune des parties plutôt que s'attacher au sens littéral des termes par elles employés " (art. 376). Or, quand les parties auront dit que l'obligation de chaque débiteur sera " intégrale ou pour toute la dette," ou qu'ils "payeront l'un pour l'autre," il est bien naturel de croire qu'elles ont entendu établir entre les débiteurs le lien le plus étroit et le plus rigoureux: leur intention se révèle bien mieux par la désignation directe de cette rigueur que par l'emploi d'un mot juridique (solidaire, solidarité, solidairement) dont elles peuvent ne pas connaître toute la portée ou le sens exact. D'ailleurs, dans un pareil cas, il y aura nécessairement entre les débiteurs un lien antérieur impliquant mandat réciproque.
La même observation s'applique au cas d'un testateur qui aurait imposé à chacun de ses héritiers une obligation intégrale au sujet de l'acquittement des legs: il serait possible qu'il eût entendu établir entre eux la solidarité.
140. Notre texte paraît, dans sa dernière disposition, viser une exception à la règle que la solidarité doit être expresse. Mais c'est à peine si l'on peut dire qu'il y a là une exception: quand on se reporte à l'article 1091 visé ici, on remarque que l'indivisibilité volontaire implique solidarité, soit activement, soit passivement; mais, si la seconde modalité est établie tacitement, la première est expresse; en outre, la loi interprète expressément l'intention des parties, en sorte qu'on ne peut pas dire qu'il y ait là une véritable exception à la règle.
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(a) Ces deux articles 153 et 398 portaient la solidarité, dans la première rédaction; mais depuis, ils ont été modifiés par l'emploi des mots "obligation intégrale ou pour le tout " toutefois, dans l'article 398, on a laissé la solidarité, pour le cas de " concert dans l'intention de nuire," ce qui maintient l'uniformité entre le délit civil et le le délit pénal.
Art. 1053. — 141. Pour que deux ou plusieurs personnes puissent être qualifiées codébiteurs, soit solidaires, soit simplement conjoints, il ne suffit pas, évidemment, qu'elles aient un même créancier: il faut qu'il y ait encore unité de dette; cette unité n'a lieu que s'il y a, tout à la fois, identité d'objet dû et identité de cause de la dette: une seule de ces identités ne suffirait pas.
Ainsi deux personnes doivent 1000 ye?is au même créancier: en apparence, c'est le même objet; mais, en réalité, ce peuvent être deux sommes distinctes et seulement semblables par le chiffre; il ne suffirait même pas que chaque dette provînt d'un prêt; ce serait aussi, en apparence, la même cause; mais ce pourraient être aussi deux prêts, c'est-à-dire deux causes séparées, semblables seulement par leur nature.
Pour qu'il y ait unité de dette, il faut que ce soit le même contrat de prêt et les mêmes 1000 yens. Ce pourrait être aussi la même vente ou le même achat par plusieurs, appliqué au même objet: on aura alors des co-vendeurs ou des co-acheteurs; ils ne seront que conjoints en principe; mais ils seront solidaires, si le contrat le porte formellement.
Cette double identité, d'objet et de cause, est exigée par le 1er alinéa de notre article. Quant à l'identité de créancier,. la nécessité en est trop évidente pour qu'il ait été nécessaire de l'exprimer au texte.
142. Le même texte déclare aussi, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait identité d'acte, ni de temps, ni de lieu.
Au premier abord, on ne voit pas bien comment l'identité nécessaire de cause n'entraîne pas forcément celle d'acte, de temps et de lieu; cependant, on peut aisément reconnaître l'indépendance de ces éléments de l'obligation.
Il faut d'abord se fixer sur le sens du mot acte dans le cas qui nous occupe. On sait qu'en français, dans la langue du droit, il a au moins deux sens, aussi usités l'un que l'autre, ce qui souvent donne lieu à quelques difficultés. Tantôt, c'est le fait juridique qui crée un droit, comme une convention ou un testament; tantôt c'est l'écrit, l'instrument, qui constate, qui prouve ce fait juridique ou le droit qui en résulte.
Il ne peut être question ici du dernier sens, parce que la loi n'aurait pas besoin de dire que les actes probatoires ou instrumentaires peuvent être rédigés séparément, en ce qui concerne l'intervention et l'engagement solidaire des divers débiteurs: ce point ne pourrait être douteux.
Mais le premier sens comporte lui-même deux applications en notre matière: il y a l'acte juridique qui crée l'obligation même des divers débiteurs et l'acte qui les constitue co-débiteurs solidaires.
143. La première application se confond avec la cause de l'obligation, et puisque la cause doit être unique, l'acte juridique l'est nécessairement et par cela même.
Il pourrait cependant arriver qu'un prêt ou une vente, par exemple, destinés à être faits à deux emprunteurs ou à deux acheteurs, fussent d'abord faits à un seul, pour le tout, mais avec réserve du droit pour l'autre d'accéder plus tard au contrat, laquelle accession n'aurait lieu évidemment que par un acte postérieur et séparé; mais cette accession tardive se rattachant au premier acte et venant le compléter, suivant les prévisions des parties, il y a encore là l'unité nécessaire de cause et d'acte juridique.
La deuxième application du sens d'acte juridique est celle que notre article a en vue: lorsqu'il annonce qu'il peut y avoir diversité d'acte, il fait allusion à l'acte qui constitue les débiteurs en état de solidarité. Il est possible que l'obligation ait été contractée par plusieurs, simultanément, dans un seul contrat, sans stipulation de solidarité: cela les constituait débiteurs simplement conjoints; plus tard, ils se sont soumis à la solidarité envers le créancier, ensemble ou séparément; si c'est séparément, on est dans le cas prévu par notre article.
144. La diversité d'actes juridiques soumettant les codébiteurs à la solidarité implique naturellement la diversité de temps, et la diversité de lieu sera presque toujours liée aux deux premières, en ce qu'elle les aura rendues nécessaires: c'est quand les débiteurs ne demeureront pas au même lieu qu'il aura fallu faire des conventions séparées.
145. Les divers actes juridiques constituant successivement la solidarité entre plusieurs débiteurs seront forcément des actes conventionnels; on ne pourrait pas reconnaître le même caractère successif à divers codicilles testamentaires imposant la solidarité aux divers héritiers: lors même que les codicilles portent une date différente (ils doivent être datés, à peine de nullité), ils prennent toujours une seule date juridique, quant à leur effet: à savoir, le jour du décès de leur auteur.
Quant à la Loi, considérée comme cause ou source de la solidarité, lorsqu'elle l'établit entre plusieurs débiteurs, c'est à un moment qui est nécessairement unique: à savoir, celui où les codébiteurs se sont trouvés placés dans la situation à laquelle la loi attache la solidarité.
146. Cette hypothèse de plusieurs conventions successives plaçant les débiteurs dans le lien de la solidarité donne lieu à une question que nous devons examiner, en terminant sur ce point.
Faut-il que ces actes, nécessairement passés avec le créancier, le soient aussi avec tous les codébiteurs ?
Si l'on exigeait absolument cette seconde condition, un seul acte suffirait et on détruirait l'utilité de plusieurs actes séparés.
Mais quel serait l'effet de ces actes séparés où figurerait seul celui qui s'engagerait solidairement avec un autre ?
Supposons que Primus et Secundus sont déjà débiteurs conjoints, sans solidarité. Plus tard, Primus, soit pour être agréable au créancier, soit pour arrêter ses poursuites, se constitue débiteur solidaire de la dette; Secundus ne participe pas à cet acte. Plus tard encore, Secundus se constitue débiteur solidaire de la même dette.
Il est incontestable que, dans ce cas, la solidarité véritable a lieu, dès que le second acte est intervenu.
Mais qitid, avant qu'il soit intervenu ? Et quid, s'il n'intervient jamais ?
Dans ces deux cas, on ne peut dire qu'il y ait entre les deux codébiteurs ce mandat mutuel qui est le fondement de la solidarité. D'un autre côté, le premier acte où Primus s'est constitué débiteur solidaire ne peut être sans effet. On doit décider alors que Primus s'est constitué caution solidaire de la part de Secundus, ce qui n'exige pas sa participation (v. art. 1011), et on lui appliquera les articles 1020 et 1023, en tenant compte aussi de la distinction, plusieurs fois rencontrée au sujet du cautionnement, à savoir, si la caution s'est engagée sur le mandat du codébiteur ou à son insu.
147. On pressent déjà que la solidarité a quelques analogies avec le cautionnement, car chacun des débiteurs étant tenu de payer pour les autres en même temps que pour lui-même, ressemble beaucoup à une caution pour ce qu'il doit au-delà de sa part. On rencontrera, chemin faisant, des preuves de cette analogie, mais aussi des caractères propres à la solidarité, et on terminera par un parallèle entre les deux institutions (v. n° 177 bis.).
Le 2e alinéa de notre article a précisément pour but de prévenir une assimilation trop complète.
On a vu à l'article 1006 que la caution, n'étant qu'un débiteur accessoire, ne peut se soumettre à des conditions plus onéreuses que celles auxquelles est soumis le débiteur principal. Ici, il en est autrement: toutes les obligations sont principales; chacun des débiteurs peut, dès lors, être soumis à des modalités différentes de celles auxquelles se soumettent les autres. Ainsi, l'obligation de l'un peut être pure et simple, celle d'un autre, à terme, celle d'un troisième, sous condition; l'un peut devoir des intérêts et non l'autre; l'un peut se charger des cas fortuits, l'autre rester dans le droit commun. On ne comprendrait pas, en effet, pourquoi la liberté des conventions ne recevrait pas son application ordinaire.
Il est clair que le débiteur dont la position est la meilleure en jouira, non seulement vis-à-vis du créancier dont les droits seront restreints, mais encore visà-vis de ses codébiteurs, lorsqu'ils exerceront contre lui le recours en garantie dont il sera bientôt parlé.
SOMMAIRE.
1054. -N° 148. Droit de poursuite du créancier contre chacun pour le tout.
1055. -149. Droit de chaque débiteur de payer toute la dette.
1056. -150. Garantie mutuelle contre les poursuites et, subsidiairement, pour les recours respectifs.
1057 et 1058. -151. Rapprochement de la solidarité avec le cautionnement, au sujet des exceptions opposables au créancier.
1059. -152. Application principale du mandat mutuel, caractéristique de la solidarité.
1060. -153. Jugement, aveu ou serment sur l'existence de la solidarité seulement.
1061. —154. Interruption de la prescription et mise en demeure. -154 bis. Solution différente au cas de suspension par une cause personnelle à l'un des débiteurs. - 154 ter. Solution à ce sujet, pour l'article 1027, eu matière de cautionnement.
1062. —155. Divisibilité de la dette solidaire entre les héritiers d'un débiteur décédé: lien de ceux-ci avec les débiteurs originaires survivants.
1063. —156. Responsabilité solidaire de la faute d'un seul.-157. Critique du Code français sur ce point. -158. Recours pour le tout, dans ce cas, contre celui qui est en faute.
1064. —159. Recours pour la part réelle de chacun, dans les autres cas. -160. Objet divers de ce recours.
1065. —161. Recours par voie de subrogation au créancier.
1066. —162. Déchéance des deux sortes de recours.
1067. -163. Répartition sur tous de la part d'un insolvable.
1068. -164. Liquidation des biens d'un insolvable avant aucun payement: droits du créancier, exclusion des autres débiteurs.
1069. —165. Idem, après un payement partiel: ùroits respectifs du créancier et des autres débiteurs.
1070. -166. Insolvabilité de tous les débiteurs: difficultés particulières. -167. Anciens systèmes en France. -168. Suite. -169. Système du Code de Commerce français: critique. -170. Système du Projet: innovations, résultats. -171. Suite: application par un exemple. -172. Réfutation d'une objection contre la perte que subit le créancier: hypothèse nouveUe. —173. Recours nécessaire, dans ce cas, des liquidations qui ont payé plus contre celles qui ont payé moins. -174. Dernière remarque.
COMMENTAIRE.
Art. 1054. -N"0 148. Cet article achève de présenter les caractères distinctifs de la solidarité, qui n'ont pu entrer tous dans la définition donnée par les articles 458 et 1052. On y trouve en même temps une des différences les plus saillantes entre la solidarité et le cautionnement, à savoir le refus des bénéfices de discussion et de division.
Le droit du créancier de Il poursuivre tous les débiteurs, simultanément ou successivement, jusqu'à parfait payement " prouve qu'il y a unité de dette entre eux: il n'aurait pas un pareil droit contre diverses cautions, à moins qu'elles ne fussent solidaires, soit avec le débiteur, soit au moins entre elles (art. 1020 et 1023).
Art. 1055. — 149. C'est un droit de tout débiteur de se libérer par un payement intégral, même malgré le créancier (art. 499), pourvu, bien entendu, que la dette soit échue; sans préjudice du droit du débiteur d'en avancer l'échéance par une renonciation au bénéfice du terme, quand il n'est pas établi dans l'intérêt du créancier (v. art. 424).
Art. 1056. — 150. Il s'agit ici de l'exception dilatoire et de l'appel en garantie déjà admis en faveur de la caution à l'égard du débiteur principal (art. 1024 et 1029), en faveur des co-fidéjusseurs respectivement (art. 1041) et, généralement, en faveur de " toute personne tenue d'une obligation avec d'autres " (art. 418 à 420).
La disposition du 2e alinéa ne se trouve pas dans les mêmes articles; mais, sans aucun doute, elle doit y être suppléée. Si on l'a placée ici, c'est parce que l'intervention spontanée des codébiteurs solidaires a plus d'intérêt pour eux, à cause du danger d'abus du mandat mutuel.
Art. 1057 et 1058. -15T. Ces deux articles rappellent l'article 1021 écrit pour la caution poursuivie par le créancier; mais il n'aurait pu suffire de s'y référer par un simple renvoi, à cause de la différence de qualité et de nom légal des parties.
Au contraire, on a pu se. borner à un renvoi à des articles du Livre II, parce que, au sujet de divers modes d'extinction des obligations, on a cru devoir signaler immédiatement plusieurs des particularités qu'y apporte la solidarité. Le Code français a également signalé l'influence de la solidarité dans ces diverses matières; mais il a négligé le renvoi qui relie ces différents effets.
Les explications données au Commentaire de ces articles sont généralement applicables ici. On remarquera seulement qu'ici, comme au sujet du cautionnement (v. art. 1209), on n'a pas reproduit du Code français (art. 1208) la défectueuse division des exceptions en quatre classes: exceptions résultant de la nature de l'obligation, communes à tous, personnelles à celui qui est poursuivi, personnelles aux autres.
Art. 1059. — 152. Le présent article repose sur le mandat mutuel que les codébiteurs tiennent de la convention, du testament ou de la loi qui a établi entre eux la solidarité; c'est même ce mandat qui est l'effet principal de la solidarité, comme il est dit à l'article 1052.
Ici, il y a autant de différences que de ressemblances avec les décisions des articles 1026, 1027 et 1028 qui traitent de situations plus complexes. Le rapprochement que nous faisons de ces deux articles n'est que doctrinal, comme le précédent, et n'a pas à figurer dans la loi, précisément parce que les qualités des personnes ne sont pas les mêmes. Quand les tribunaux auront à appliquer les règles de la solidarité, ils ne recourront pas aux dispositions du cautionnement, parce qu'il n'y est pas fait de renvois. Au contraire, l'article 1043 du cautionnement les renverra aux articles 1069, 1070 et 1071 de la solidarité, pour une théorie très importante et très difficile qui est commune aux deux sûretés et qu'on verra bientôt.
Art. 1060. — 153. Cet article demande une grande attention, sans quoi il pourrait paraître en opposition avec l'article 531 qui, statuant sur la remise de la solidarité par le créancier à l'un des codébiteurs, lui fait produire un effet favorable aux autres.
Mais le cas n'est pas le même: dans la remise, le créancier abandonne son droit de poursuite pour le tout contre l'un des débiteurs: il ne peut plus lui demander que sa part dans la dette; il est juste, dès lors, qu'il ne puisse plus poursuivre les autres pour cette même part, autrement, il aggraverait leur position.
Ici, la question est de savoir si telle personne est ou non codébitrice solidaire avec d'autres
Ainsi, un des codébiteurs, lié avec d'autres par la solidarité ou prétendu tel, a contesté ce lien vis-à-vis du créancier et a triomphé, soit en obtenant un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, soit en prêtant un serment extrajudiciaire qui le dégage du lien: les autres n'en devront pas souffrir, parce que leurs parts définitives dans la dette ne peuvent se trouver augmentées par la sortie d'un des débiteurs du lien de la solidarité, sans leur consentement.
Ils n'en profiteront pas non plus, en ce qu'ils ne pourront faire diminuer sa part dans la dette, car le créancier n'a pas moins droit à la totalité de la dette contre les autres; le seul profit qu'ils trouveront dans cette situation nouvelle, c'est que, contre le débiteur soustrait aux droits du créancier, il ne pourra pas être fait de poursuites ayant en même temps contre eux un effet interruptif de prescription ou de mise en demeure, comme il est dit à l'article suivant.
En sens inverse, si le créancier obtient contre un nouveau débiteur un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, cela ne peut nuire aux autres et les constituer, sans leur volonté ni leur concours, mandataires de ce nouveau débiteur, avec les effets attachés à ce mandat par l'article précédent. Cela ne peut non plus leur profiter, en diminuant leurs parts respectives dans la dette; de sorte que, si ce nouveau codébiteur a payé toute la dette, sur la poursuite ultérieure du créancier, il recourra pour le tout contre eux réunis comme un gérant d'affaires qui aurait payé; il jouira même de la subrogation légale, car il s'est trouvé '1 tenu avec d'autres et pour d'autres" (v. art. 504-1°) et il pourra demander le tout à chacun, ce que ne pourrait un codébiteur solidaire (v. art. 1065, 2° al.); en effet, pour eux, il n'est pas un codébiteur, mais un tiers.
Art. 1061. — 154. L'effet contre tous les débiteurs de l'interruption de la prescription et de la mise en demeure dirigée contre un seul est encore une suite du mandat mutuel des codébiteurs solidaires. La loi suppose que leurs relations sont continues et qu'ils se feront part immédiatement des poursuites dirigées contre l'un d'eux, de façon à se défendre collectivement ou à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire le créancier. C'est au Livre Ve (art. 1441 et s.) qu'on verra les moyens accordés au créancier pour interrompre la prescription.
154 bis. Le Code français (art. 1206) a une disposition semblable à celle de notre 1er alinéa, pour l'interruption de la prescription; il est déjà moins explicite sur l'effet commun de la mise en demeure d'un seul (v. art. 1207); mais il ne se prononce pas du tout sur l'effet de la suspension de la prescription; de là, sur ce point, une assez vive controverse dans la doctrine et des divergences dans la jurisprudence: le Projet ne doit pas les laisser se reproduire au Japon.
Fallait-il donner la même décision qu'au cas d'interruption, pour le cas où la prescription aurait été suspendue en faveur du créancier, c'est-à-dire n'aurait pu courir contre lui, dans ses rapports avec un des débiteurs, tandis qu'elle aurait couru dans ses rapports avec les autres ?
Le Projet se prononce pour la négative, et il nous faut justifier cette différence d'application entre deux théories souvent semblables dans leurs effets, comme on le verra, notamment, à l'article 1092, au sujet de l'indivisibilité.
Prenons d'abord un exemple de suspension de prescription.
Nous ne pouvons prendre celui de la minorité du créancier, parce que, dans ce cas, le créancier ne pourrait se voir opposer la prescription par aucun des débiteurs: il faut une suspension relative et non pas absolue. D'ailleurs, dans le Projet, la minorité n'est admise comme cause de suspension de la prescription qu'avec un tempérament (voy. art. 1467).
Mais supposons que le créancier soit le conjoint d'un (les débiteurs: la prescription subit entre époux une certaine suspension, et elle est relative (v. Proj., art. 1470; C. civ. fr., art. 2253).
Supposons encore que l'un des débiteurs jouisse d'un terme et non les autres: la prescription au profit de ce débiteur est suspendue jusqu'à l'échéance du terme, pend eii te die (Proj., art. 1463; C. civ. fr., art. 2257).
Verra-t-on, dans ces deux cas, l'un des débiteurs privé du bénéfice de la prescription, pendant que les autres pourront l'invoquer pour leur libération ?
En France, la question divise les auteurs. Personne, sans doute, ne soutient que, dans ces cas, la suspension, au lieu de rester relative, devienne absolue, en sorte qu'aucun débiteur ne soit libéré par la prescription: le résultat serait inique et pourrait être contraire aux prévisions les plus sages des débiteurs; car il pourrait arriver que le mariage d'une femme créancière avec l'un de ses débiteurs solidaires, ou que la concession tardive d'un terme par le créancier à l'un des débiteurs privât les autres de la prescription. C'est là ce qui serait inique et ce pour quoi la suspension n'opère pas contre tous les débiteurs, comme le fait l'interruption.
Mais il reste encore deux solutions en présence. Dans l'une, on dit que si la prescription a pu courir en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs, elle profite à tous, même à celui contre lequel elle était suspendue par une cause personnelle ou relative: le créancier se trouve ainsi privé d'un bénéfice que la loi ou la convention semblait devoir lui assurer. On donne pour raison de ce résultat que la prescription opère l'extinction de la dette, comme un payement et par une présomption de payement; par conséquent, si un des débiteurs jouit de la prescription, la dette est éteinte et pour le tout.
Dans l'autre solution, et c'est la nôtre, on admet bien aussi que la prescription est une présomption de payement ou de remise de dette, une sorte de preuve résultant de la longue inaction du créancier; mais on dit qu'elle ne peut profiter qu'à ceux des débiteurs auxquels la loi ne l'a pas refusée, par suite de relations personnelles avec le créancier; lors donc qu'elle ne pourra être invoquée que par les uns et non par les autres, il y aura division dans la présomption, c'est-àdire que chacun de ceux contre lesquels la prescription n'était pas suspendue sera présumé avoir payé sa part de la dette, de sorte qu'il ne pourra plus être poursuivi que pour la part de celui qui ne pouvait jouir de la prescription, et, réciproquement, celui-ci ne pourra plus être poursuivi que pour sa part, les autres étant présumés avoir payé la leur.
Cette solution est en accord avec celle donnée par l'article 1058 pour les exceptions ou moyens de défense personnels à l'un des débiteurs.
On verra sous l'article 1091, 2e alinéa, une solution différente pour le cas où l'obligation est indivisible et on la justifiera facilement.
154 ter. Nous saisissons cette occasion de nous prononcer sur une situation analogue, en matière de cautionnement, ce que nous avons omis de faire, sous l'article 1027 (n° 74), parce que le cas ne souffrait pas la même difficulté.
L'article 1027, en effet, ne mentionne pas, à la suite de l'interruption de prescription, le cas où le créancier jouirait d'une suspension de prescription, soit relativement au débiteur principal, soit relativement à la caution: par exemple, il serait le conjoint de l'un ou de l'autre.
Les solutions sont faciles:
Si la prescription est suspendue contre le débiteur principal, la caution en subira les conséquences: les poursuites seront possibles contre elle comme contre le débiteur, car la caution est garant de la dette, tant qu'elle existe.
Si la suspension a lieu contre la caution, elle ne nuit pas au débiteur; la caution ne sera même pas privée du bénéfice de la prescription que peut invoquer le débiteur et elle pourra l'invoquer du chef de celui-ci.
Au contraire, si la caution s'était engagée solidairement avec le débiteur, on appliquerait les règles de la solidarité exposées plus haut.
Art. 1062. — 155. La solidarité ne rend pas la dette indivisible (v. c. civ. fr., art. 1219), même d'une indivisibilité volontaire ou intentionnelle, à la différence de ce que le Projet décide plus loin pour l'iudivisibilité volontaire qui implique solidarité (v. art. 1090). Lors donc que l'un des débiteurs solidaires vient à mourir, laissant plusieurs héritiers, son obligation solidaire se divise entre ceux-ci, dans la mesure de leur part héréditaire (1er al.), et ils sont sans lien les uns avec les autres (3e al.); le seul effet, à leur égard, de la solidarité de leur auteur est que leur part se calcule sur le tout; tandis que si leur auteur n'avait été lui-même qu'un débiteur simplement conjoint avec d'autres, ce n'est que sa part dans la dette qui se serait subdivisée entre ses héritiers.
Mais chaque héritier du décédé a un lien de solidarité avec les autres débiteurs solidaires originaires. Le texte indique clairement les effets de ce lien: les poursuites du créancier contre un des débiteurs originaires produisent effet contre chacun des héritiers du décédé pour sa part héréditaire (1er al.); réciproquement, les poursuites exercées contre un de ces héritiers, pour sa part héréditaire, produisent effet contre chacun des débiteurs originaires, pour la même part(2e al.).
Art. 1063. — 156. Le mandat mutuel des codébiteurs solidaires ne concerne pas seulement l'exécution de l'obligation et la conservation du droit du créancier, comme il résulte des articles précédents: il concerne encore la garde et la conservation de la chose due; de là, une responsabilité solidaire de tous, pour la faute d'un seul. En effet, si la chose due (qu'il faut supposer être un corps certain) a péri ou a été détériorée par la faute d'un seul, on peut toujours dire qu'il y a eu aussi faute des autres à la lui avoir confiée ou à ne pas avoir surveillé l'usage qu'il en pouvait faire.
La responsabilité solidaire consistera dans l'obligation de chacun des débiteurs de payer tous les dommages-intérêts encourus ou toute la clause pénale qui en est l'indemnité convenue à forfait (v. art. 408).
157.. On remarquera, à ce sujet, une sérieuse différence entre le Projet et le Code civil français.
L'article 1205 de ce Code fait une séparation entre l'indemnité de la valeur de la chose périe en entier (ou de sa diminution de valeur, si elle n'est que détériorée), et l'indemnité des autres conséquences de la faute commise; dans la doctrine, on appelle les dommages-intérêts intrinsèques, au premier cas, et extrinsèques au second; la première indemnité seule donne lieu à la responsabilité solidaire, l'autre ne pèse que sur celui des débiteurs qui est en faute.
On a donné de cette étrange disposition une explication que nous ne saurions accepter: on a dit que les codébiteurs solidaires sont mandataires les uns des autres " pour conserver l'obligation, non pour l'augmenter " (ad conservandarn, non ad augendam obligationemj; mais la réparation de t 0 us les dommages (sous les distinctions portées à l'article 405 du Projet et 1150 et 1151 du Code français) n'est pas une augmentation de l'obligation, elle n'en est que la transformation: le créancier ne reçoit pas plus qu'il ne lui est dû, et les codébiteurs ont pu prévoir et ont accepté d'avance la responsabilité mutuelle de leurs fautes; d'ailleurs, nous avons établi, en commençant, que, dans le cas présent, aucun n'est exempt de faute personnelle: la faute est le défaut de surveillance.
La situation favorable faite par le Code français aux codébiteurs de celui qui est en faute est d'autant plus singulière que ceux-ci se trouvent ainsi mieux traités que ne le serait, en pareil cas, la caution du débiteur négligent; celle-ci, en effet, serait responsable de toitsles dommages-intérêts (v. art. 1001).
Le Code français n'a aucune disposition sur la clause pénale, au cas qui nous occupe. Assurément, il serait impossible de faire, dans la clause pénale, deux parts dont l'une serait à la charge de tous les débiteurs et l'autre à la charge de celui qui est en faute: les articles 1228 et suivants, sur la clause pénale ne se prêteraient pas à une pareille division. Il y a donc désaccord dans les solutions.
Pour compléter la théorie et mieux en faire ressortir l'harmonie, le Projet s'explique à la fois sur les dommages-intérêts à fixer en justice et sur ceux fixés par les parties en forme de clause pénale.
158. Il allait de soi, mais il est bon de l'exprimer, que la faute doit retomber définitivement sur celui qui l'a commise et, pour cela, ceux qui ont satisfait le créancier ont recours contre leur codébiteur en faute, et pour tout ce qu'ils ont payé au créancier, même pour la valeur intrinsèque de la chose, car cette chose qui était commune entre eux, pour avoir été achetée ou autrement acquise à frais communs, aurait dû servir à les libérer, et ils ne doivent pas supporter la charge d'en fournir une seconde fois la valeur.
Si le créancier a poursuivi celui, qui était en faute, celui-ci n'a, évidemment, aucun recours contre les autres, de sorte que la position de chacun se trouve être immédiatement ce qu'elle doit être définitivement.
Art. 1064. — 159. Le présent article est l'application du principe sur lequel se fonde déjà le recours admis à l'article précédent. Le droit général au recours est une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les personnes engagées l'une pour l'autre (v. art. 418 et 420).
Quant à l'étendue du recours, elle est nécessairement limitée à la part de chacun, et ce n'est pas à la part virile mais à la part réelle: lorsque la loi divise un recoure ou. une action contre plusieurs, par portions viriles ou calculées d'après le nombre de têtes (pro numéro virorum), c'est lorsque celui qui a l'action peut ne pas connaître les rapports particuliers des défendeurs entre eux; mais ici, ce n'est pas le cas: cette part est nécessairement connue.
Le texte n'ajoute pas, avec le Code français (v. art. 1216), que Il si l'affaire ne concernait que l'un des codébiteurs solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne seraient considérés par rapport à lui que comme ses cautions il a paru que cela allait de soi.
L'action en recours, reconnue par notre article en faveur de celui qui a payé, lui appartient " de son propre chef," par opposition à celle qui lui est acquise par la subrogation légale aux droits du créancier, conformément à l'article suivant.
160. Le 2e alinéa de notre article ne donne pas seulement le recours pour les sommes ou valeurs directement payées au eréancier par le débiteur, mais encore pour les " sacrifices nécessaires" qu'il lui a fallu faire pour pouvoir effectuer le payement; par exemple, vendre un immeuble ou des marchandises au-dessous de leur valeur véritable; mais, par cela seul que le sacrifice doit avoir été Il nécessaire," il faut supposer que le débiteur n'a ainsi payé qu'après en avoir été au moins sommé et après avoir averti ses codébiteurs des difficultés particulières où il se trouvait de faire face au payement de la dette commune: alors ceux-ci sont en faute de ne l'y avoir pas aidé.
Les frais judiciaires ou extrajudiciaires sont de même remboursés dans la mesure où ils n'ont pu être évités.
Enfin, pour les intérêts légaux des déboursés, ils sont dus depuis le payement.
Pour ces trois objets du recours, la loi fait l'application, tout à la fois, des règles semblables de la société (v. art. 782 et 783) et du mandat (v. art. 941-1" et 30). En effet, entre les codébiteurs solidaires il y aura nécessairement le lien de la société ou celui du mandat; c'est là le fondement de cette représentation mutuelle à laquelle se rattachent les principales conséquences de la solidarité signalées précédemment: on ne peut admettre ici l'hypothèse d'une simple gestion d'affaires, comme pour le cautionnement (v. art. 1030).
Art. 1065. — 361. La subrogation légale au profit de celui qui a payé une dette dont il était " tenu avec d'autres ou pour d'autres " est une théorie maintenant bien connue: on l'a déjà appliquée à la caution qui a payé la dette du débiteur principal (art. ] 036). Mais ici, à la différence de la caution qui recourrait contre chaque débiteur pour tout ce qu'elle aurait payé, étant subrogée à la solidarité elle-même, le codébiteur supporte une part de la dette et ne recourt contre les autres que pour la part de chacun (2e al.) pour éviter un circuit d'actions.
On ne trouve pas non plus ici de conflit possible avec un tiers détenteur, comme il est prévu et réglé à l'article ] 036: s'il y a eu aliénation d'un immeuble grevé d'hypothèque ou de privilége au profit du créancier, le tiers détenteur qui aura payé la dette de ses deniers, même en négligeant la purge, aura un recours pour le tout contre chacun des débiteurs solidaires, lors même que ceux-ci ne seraient pas vendeurs de l'immeuble.
Si l'on compare l'action que le codébiteur qui a payé obtient par la subrogation avec celle qui lui appartient de son chef, on remarque que la première n'est pas aussi étendue que la seconde dans son objet: notre texte (1er al.) exprime bien qu'elle ne s'applique qu'à " ce qu'à reçu le créancier " et non à tous les déboursés du codébiteur; elle ne comprendrait donc pas les indemnités, les intérêts légaux et les frais qui lui sont dus d'après l'article précédent.
Art. 1066. — 162. La double faute prévue aux articles ] 032 et ] 033, de la part de la caution, n'est pas moins répréhensible de la part d'un codébiteur solidaire et elle peut causer un semblable préjudice; elle comporte donc la même sanction contre lui, à savoir, la déchéance totale ou partielle du recours qu'il a, tant de son chef que du chef du créancier, par la subrogation.
Art. 1067. — 163. C'est ici encore une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les codébiteurs: il ne serait pas juste que l'insolvabilité del' un d'eux retombât sur celui qui a fait l'avance du payement; la part de l'insolvable doit donc se répartir entre ceux qui sont restés solvables.
On discute, en France, si cette répartition ne s'applique qu'à l'insolvabilité antérieure au payement, ou si elle s'étend même à celle qui est survenue postérieurement, jusqu'au recours. C'est cette dernière solution qu'adopte le Projet, et, pour écarter l'objection qu'on y a faite, à savoir que le retard du codébiteur à présenter sa réclamation ne doit pas nuire aux autres, on ajoute, au texte, qu'il ne doit pas y avoir " de négligence à imputer au réclamant; " le tribunal aura donc à tenir compte tant du plus ou moins d'intervalle laissé par le réclamant entre le payement effectué et son recours que des causes qui peuvent justifier le retard.
On verra à' l'article 1072 quelle est l'influence de la remise de la solidarité par le créancier sur cette répartition de la part d'un insolvable.
Art. 1068. — 164. La loi continuant l'hypothèse de l'insolvabilité d'un des débiteurs, cette fois survenue avant le payement total ou partiel, règle la manière dont le créancier doit être traité, tant vis-à-vis de l'insolvable que vis-à-vis des autres.
Naturellement, le créancier qui n'a encore rien reçu peut se présenter aux opérations de liquidation, comme tout autre créancier et pour le montant intégral de sa créance; la circonstance qu'il a d'autres débiteurs ne peut le priver du droit commun. II a ce droit, lors même que sa créance n'est pas encore échue d'après la convention, car la faillite ou l'insolvabilité du débiteur le prive du bénéfice du terme (art. 425-1°).
Il va sans dire que les autres codébiteurs ne peuvent se faire comprendre dans la liquidation, en vue du payement qui peut retomber à leur charge: ils ne le peuvent ni séparément, ni même ensemble et comme associés, car la créance ne peut ainsi figurer plusieurs fois dans la liquidation, au préjudice des autres créanciers.
Comme le créancier ne touchera évidemment pas tout ce qui lui est dû, le reste sera supporté par les autres codébiteurs. Il pourra arriver que ce qu'ils payeront ainsi excède leur part, c'est lorsque le créancier aura touché dans la liquidation moins que la part de l'insolvable dans la dette: ils auront leur recours contre celui-ci, mais sans pouvoir concourir avec les autres créanciers dans la même liquidation, par le motif qui les a déjà empêchés de concourir avec leur propre créancier; ce recours ne pourrait pas même s'exercer utilement sur des biens du débiteur insolvable qui n'auraient pas été mis en distribution, parce qu'ils appartiennent toujours à la même liquidation et que le créancier a d'autant plus obtenu sur les autres biens; pour que le recours fut efficace, il faudrait que le débiteur eût acquis de nouveaux biens qui fussent l'objet d'une liquidation entièrement nouvelle.
Art. 1069. — 165. Ici, la loi suppose qu'avant l'insolvabilité d'un des débiteurs, le créancier a déjà reçu un ou plusieurs payements partiels, soit de ce même débiteur soit d'un autre; il ne peut plus, dès lors, figurer dans la liquidation pour toute sa créance, mais seulement pour ce qui lui reste dû; par contre, celui ou ceux des autres codébiteurs qui ont fait un ou plusieurs de ces payements partiels se feront comprendre dans la liquidation pour ce qu'ils ont payé sur la part de l'insolvable (v. art. 1063), ou, comme dit le Code de Commerce français (art. 544), " pour ce qu'ils ont payé à sa décharge."
Art. 1070. — 166. La loi suppose enfin que tous les débiteurs solidaires, ou, plusieurs d'entre eux, sont devenus insolvables avant le payement total, et que leurs biens se trouvent simultanément en liquidation.
Ce cas est le plus difficile. Il est réglé par le Code de Commerce français (art. 542 et 543), d'une façon qui n'est pas à l'abri de la critique et qui, au moins, par cela même qu'elle favorise extraordinairement le créancier porteur d'engagements solidaires, ne doit pas être étendue aux créances civiles ou non commerciales.
Avant de développer les trois dispositions de notre article dont les deux dernières sont absolument nouvelles (au moins nous ne les avons pas encore rencontrées), il est nécessaire d'exposer succinctement les dispositions du Code de Commerce français à cet égard, les motifs qui les ont amenées et les critiques qu'elles nous paraissent comporter.
167. La difficulté n'est pas nouvelle et il est important de savoir qu'elles solutions en avaient été données déjà dans l'ancien droit français.
La première opinion qui s'est produite enseignait que le créancier dont tous les débiteurs étaient faillis pouvait choisir celle des faillites à laquelle il se présenterait, mais qu'une fois son choix fait, il ne pouvait plus s'adresser aux autres (a.).' Ce système avait quelque chose d'arbitraire et de contraire aux règles ordinaires de la solidarité, car le créancier, pour avoir exercé son droit contre un de ses débiteurs, ne perd pas son droit (contre les autres (v. ci-dess., art. 1054; C. civ. fr., art. 1204).
168. Un second système permettait au créancier de se présenter, de se faire inscrire, dans chaque faillite, pour le montant intégral de sa créance (ou de ce qui en restait dû); mais dès qu'il avait reçu d'une des faillites un dividende ainsi calculé sur le tout, il ne pouvait plus recevoir dans les autres faillites qu'un dividende calculé sur le reste de sa créance ainsi diminuée.
Ce système rencontrait plusieurs critiques.
La première, qu'on formule encore aujourd'hui, pour rejeter ce 26 système et en justifier un 3°, était que, de cette façon, la solidarité n'assurait pas au créancier un payement intégral: quelque élevés que fussent les divers dividendes, ils laissaient toujours une perte à la charge du créancier.
Cette critique ne nous paraît pas plus fondée aujourd'hui qu'elle ne l'était alors: sans doute, le créancier perdra toujours quelque chose; mais la solidarité ne peut pas l'en préserver, du moment qu'on suppose tous ses débiteurs faillis ou insolvables: la solidarité ne peut pas, dans ce cas, produire le même effet que lorsqu'un ou plusieurs sont restés solvables. D'ailleurs, elle a déjà procuré au créancier un double avantage: 1° que si un seul fût resté solvable, celui-là eût payé ce que n'eussent pas payé les autres; 2° que s'ils sont devenus tous insolvables, il recevra plusieurs dividendes au lieu d'un seul et se rapprochera ainsi davantage d'un payement intégral; mais c'est là tout, et c'est assez; nous négligeons, au surplus, les autres menus effets ordinaires de la solidarité qui n'ont plus rien à faire ici.
Nous donnerons tout-à-l'heure, sur le 3° système, une dernière réfutation de cette exagération de la solidarité.
Une autre critique, celle-là plus fondée, était alors élevée contre le 2° système (et elle suffirait à le faire rejeter aujourd'hui, même dans le Projet japonais), c'est que les liquidateurs des faillites étaient portés à retarder leurs opérations: chaque faillite avait intérêt à ne pas payer la première, puisque le ] er dividende portait nécessairement sur la créance entière, 'le 2e sur la créance diminuée, le 3° ayant encore une charge moins lourde, et ainsi des autres.
Et comme on ne pouvait pas (sous peine de retarder indéfiniment les liquidations et les rendre inextriquables), admettre, comme correctif, que les faillites qui avaient payé sur une plus forte partie de la créance pussent recourir contre celles qui avaient payé sur une somme plus faible, il en résultait une inégalité ou plutôt une disproportion choquante entre les charges.
169. A cette même époque se produisit un 3e système qui est devenu celui du Code de Commerce français actuel et que nous exposons pour lui emprunter quelque chose. En voici les trois dispositions:
1 ° Le créancier s'inscrit simultanément dans toutes les faillites ouvertes, pour le montant intégral de sa créance: là il touche le dividende que chacune peut donner (art. 542);
2° Il n'est admis aucun recours des faillites les unes contre les autres, à raison de l'inégalité des dividendes par elles payés (art. 543, 1er al.); en effet, chacune a payé sur le montant intégral de la créance; donc la créance qui a déjà figuré dans la faillite, du chef du créancier, n'y peut figurer encore du chef de la faillite des codébiteurs: il n'est plus besoin d'alléguer les lenteurs et les complications qu'entraînerait un recours; désormais, c'est un motif de par droit et de principe, déjà signalé: une même créance ne peut figurer plusieurs fois dans une liquidation, même du chef de personnes différentes;
3° Si la somme des dividendes attribués au créancier dans les diverses faillites excède le montant total de sa créance, " l'excédant est dévolu, suivant l'ordre des engagements, aux faillites des débiteurs qui avaient les autres pour garants " (art. 543, 2e al.). La loi commerciale fait là une allusion à plusieurs endosseurs successifs qui sont cautions les uns des autres: on reverserait l'excédant au dernier endosseur, et en remontant, s'il y avait lieu, aux précédents.
C'est cette prévision même de la loi (d'un créancier solidaire recevant plus que son dû) qui nous suggère la dernière réfutation (promise plus haut) de l'idée que la solidarité, même au cas de faillite de tous les débiteurs, ne doit pas entraîner une perte nécessaire pour le créancier. La preuve qu'on a exagéré le principe de la solidarité, c'est que l'on arrive à un système qui fait attribuer au créancier plus qu'il ne lui est dû; il est vrai qu'il ne conserve pas cet excédant, mais il lui est d'abord assigné, résultat auquel la solidarité ne mènera jamais, quand tous les débiteurs solidaires sont solvables; en sorte que c'est quand la position du créancier devrait être plus mauvaise qu'elle devient meilleure !
170. Nous n'admettons donc d'ans le Projet que la lre proposition de la loi française: à savoir que " le créancier se fait inscrire dans chaque liquidation pour la totalité de sa créance."
Il faut bien qu'il en soit ainsi au début: comment pourrait-il s'inscrire pour moins, puisque l'on suppose qu'il n'a encore rien reçu ? Dès lors, il lui sera attribué dans chaque faillite un dividende proportionnel au montant intégral de sa créance.
Mais cette attribution, il ne la recevra effectivement qu'une fois et de la faillite qui, la première, aura terminé ses opérations; des autres faillites il ne touchera ce dividende que dans la proportion de ce qui lui reste encore dû, après les précédents versements, de sorte que les sommes qu'il recevra iront toujours en décroissant: il pourra arriver très près d'un payement intégral, surtout si les faillites ne sont pas trop chargées de passif, mais jamais il ne sera entièrement payé. Ce résultat, nous avons démontré qu'il est nécessaire, du moment qu'aucun des débiteurs n'est resté solvable. Telle est notre 2e proposition.
Mais que fera-t-on de ces fractions de dividendes détachées de l'assignation exagérée qu'il avait fallu faire provisoirement à la créance totale ? Le texte nous le dit, et c'est notre 3e proposition: " elles forment une ” masse spéciale, pour indemniser les diverses liquidations, dans la proportion de ce qu'elles ont payé sur" le montant de la dette nominale."
De cette façon on satisfait à quatre conditions également impératives:
1° On respecte le principe que la même créance ne doit pas figurer plusieurs fois dans le passif d'une faillite;
2° On ne donne aucun intérêt aux diverses faillites à retarder leurs opérations et leur clôture, puisque chacune sera indemnisée de ce qu'elle aura payé d'après une base plus onéreuse que les autres;
3° On ne revient pas sur les opérations faites, par des circuits interminables de recours;
4° Enfin la répartition finale applique ce principe considérable de la solidarité que les insolvabilités des codébiteurs se répartissent entre eux.
171. Un exemple paraît nécessaire pour montrer que ce système est aussi praticable que tout autre qui serait moins conforme aux principes.
On terminera en démontrant encore, par un nouvel argument, que ce système est parfaitement en accord avec les principes de la solidarité.
Supposons trois débiteurs solidaires, Primus, Secundus, Tertius, pour une dette de 10,000 yens; tous sont insolvables ou faillis, et aucun payement n'a été fait avant l'ouverture des faillites.
Le créancier produit son titre aux syndics ou liquidateurs de chaque faillite et il figure au passif de chacune pour le montant intégral de sa créance.
La faillite de Primus, liquidée la première, donne à chaque créancier 50%, celle de Secundus 30%, celle de Tertius 20%.
Notre créancier est donc colloqué pour 5000 yens dans la lrj faillite, pour 3000 dans la 2e et pour 2000 dans la 3e (b).
Dans le système du Code de Commerce français, le créancier garderait le tout et il se trouverait précisément, avec nos chiffres, n'éprouver aucune perte..
Dans le système du Projet, le créancier touchera, effectivement aussi, les 5000 yens de la lre faillite; mais, sur les 3000 yens que lui attribue la 2e faillite, comme dividende sur 10,000 yens, il ne touchera les 30% que sur 5000 yens, parce que sa créance est réduite à ce chiffre, soit 1500 yens, et sur l'attribution que lui fait la 3e faillite, il ne touchera les 20% que sur 3500 yens, qui lui restent dus, soit 700 yens. Il ne reçoit donc, au total, que 7200 yens.
Les sommes qu'il ne touche pas, quoiqu'elles aient été nominativement attribuées à sa créance (1500 et 1300=2800 yens), sont réparties entre les diverses liquidations, comme il suit: la lra faillite en retirera 50%, soit 1400 yens, la 26 en retirera 30%, soit 840 yens et la 3e en retirera 20%, soit 560 yens.
Cette répartition est basée, comme dit le texte, sur " la proportion dans laquelle chaque liquidation a éteint la dette commune."
On ne devra pas objecter que le créancier ayant touché effectivement son dividende entier dans la première liquidation, celle-ci n'a rien fourni directement à la "masse spéciale" et que, par conséquent, elle n'en devrait rien recevoir: nous répondrions que si elle n'avait pas payé 50% de la dette, le créancier aurait dû toucher davantage dans les deux autres liquidations; la première a donc contribué directement à libérer les autres et indirectement à grossir la masse spéciale.
Cette répartition proportionnelle est le seul moyen applicable ici de faire supporter à tous les débiteurs respectivement l'insolvabilité où ils se trouvent, car l'article 1067 n'est écrit que pour le cas où, à côté d'insolvables, il en est resté d'autres qui sont solvables.
172. On s'étonnera peut-être encore, malgré les raisons déduites plus haut, de voir le créancier perdre 2800 yens sur 10,000 et cette somme attribuée aux faillites de ses débiteurs solidaires.
Mais remarquons d'abord que ce ne sont pas ces débiteurs eux-mêmes qui profitent de cette attribution: ce sont leurs autres créanciers, lesquels avaient souffert de l'admission du créancier à concourir avec eux pour sa créance intégrale, malgré des payements successifs.
Ensuite, parmi ces trois dividendes, si le 1er est assez avantageux, le 3e est faible; il est donc naturel que le résultat final ne soit pas favorable au créancier.
Enfin (et c'est ici la dernière démonstration que nous avons promise) le créancier aurait éprouvé la même perte, et sans qu'on pût aucunement la contester, si l'on supposait que les faillites ne se fussent pas trouvées simultanément en liquidation; or, il est naturel et juste que le moment auquel s'ouvrent les diverses faillites, respectivement, soit sans influence sur le résultat définitif, au moins en ce qui concerne le créancier.
Quant au recours des faillites les unes contre les autres, nous verrons plus loin qu'il en est autrement, à cet égard, et pourquoi.
Supposons, en effet, avec les mêmes chiffres, que Primus tombe en faillite avant l'échéance de la dette: le créancier, inscrit pour 0,000 yens dans sa faillite, touche 50%, soit 5000 yens; ensuite s'ouvre la faillite de Secundus (lequel n'avait pu être poursuivi pour le reste, alors qu'il était encore solvable, la dette n'étant pas encore échue): le créancier ne peut plus évidemment, être inscrit dans cette faillite que pour les 5000 yens qui lui restent dus, sur lesquels il touche 30%, soit 1500 yens; vient enfin la faillite de Tertius où il est inscrit pour les 3500 yens qui restent dus, et il touche 20%, soit 700 yens. Il n'a ainsi reçu en tout que 7200 yens et il en perd 2800, comme tout à l'heure.
Nous disons que ce résultat est incontestable; il est d'ailleurs conforme au Code de Commerce français, pour le même cas (art. 544) et à notre article précédent. Pourquoi aurait-on une autre solution quand les liquidations sont simultanées ? Cette circonstance de la simultanéité ou concomitance des faillites ne doit modifier que la procédure de liquidation, non ses résultats: elle nécessite l'inscription simultanée du créancier dans toutes les faillites pour le montant intégral de sa créance, car il n'est pas possible de l'inscrire pour moins; mais cela ne doit pas lui procurer un profit, c'est-à-dire une diminution de perte.
173. 11 reste, dans notre nouvelle hypothèse, la question du recours des faillites les unes contre les autres. C'est ici que l'on trouve une différence de résultats tenant à l'ordre dans lequel ont eu lieu les liquidations respectivement: du moment qu'elles n'ont pas eu lieu toutes en même temps, les recours se font conformément au droit commun de la solidarité, c'est-àdire conformément à l'article 1064.
Ainsi la liquidation de Primus qui a payé 500 yens en supportera définitivement le tiers, soit 1666 y. 66 s. et elle recourra contre la liquidation de Secundus pour autant; sur quoi elle touchera 30%, soit 499 y. 99 s.; elle touchera encore 20% sur l'autre tiers dans la liquidation de Tertius, soit 333 y. 33 s. En sorte que la liquidation de Primus aura supporté dans la dette de 10,000 yens: 1666 y. 66 s. pour son 1/3 des 4000 y. par elle payés, 1166 y. 66 s. non remboursés par la liquidation de Secundus et 1333 y. 33 s. non remboursés par celle de Tertius, soit en tout, 4166 y. 66 s., au lieu de 3333 y. 33 s. qui, étaient sa part normale dans les 10,000 y.; sa perte est donc de 833 y. 33 s.
La liquidation de Secundus, a son tour, quand viendra à s'ouvrir la liquidation de Tertius, s'y fera inscrire pour le tiers des 1500 yens qu'elle a payés, soit 500 yens, sur lesquels elle touchera 20%, soit 100 yens; mais elle n'exercera aucun recours contre celle de Primus, pour deux raisons au moins; d'abord parce qu'elle est restée sa débitrice, ensuite parce que cette première liquidation est close. La liquidation de Secundus a ainsi payé dans la dette commune 1500 yens au créancier, réduits à 1400 y. par ce remboursement de 100 y. par celle de Tertius, plus 499 y. 99 s. remboursés à la faillite de Primus; soit, en tout, 1899 y. 99 s.
La liquidation de Tertius, opérée la dernière, n'a aucun recours contre les deux autres auxquelles elle doit et qui d'ailleurs sont closes; elle a ainsi supporté dans la dette commune: 700 yens payés au créancier, 363 y. 33 s. remboursés à la liquidation de Primus et 100 yens rembousés à celle de Secundus, soit, en tout, 1133 y. 33 s.
En résumé:
La liquidation de Primus a payé y. 4166 66
Celle de Secundus 1899 99
Celle de Tertius 1133 33
Total 7199 98
Le créancier a perdu 2800 02
Ensemble............... 10,000 00
174. Quelque compliqués que paraissent ces calculs, il faut s'y résigner: hors de là, les répartitions seraient arbitraires; d'ailleurs, l'application des principes est encore la voie la plus simple et celle qui n'expose pas iL des résultats que la raison et la justice réprouvent.
Nous ne proposerions pas un autre système en droit civil français, car nous sommes de ceux qui pensent que les dispositions des articles 542 et 543 du Code de Commerce sont limitées aux faillites ou à l'insolvabilité des commerçants et ne peuvent être appliquées aux insolvabilités civiles. Nous regrettons qu'aucun des auteurs qui ont le même avis n'ait exposé avec des exemples, le système qui lui paraît devoir être suivi en droit civil.
Nous ne savons pas encore quel sera le système adopté dans le Code de Commerce japonais; mais ceci ne le préjuge en rien: si les rédacteurs y admettent un système différent du nôtre, qu'il soit ou non semblable à celui du Code de Commerce français, cela n'empêchera pas que le droit civil puisse rester tel que nous le proposons comme droit commun (1).
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(a) Nous les supposerons tous faillis ou insolvables, car si un seul est resté solvable, il n'y a pas grand intérêt à savoir quel droit aura le créancier contre les faillites ou liquidations des autres.
(b) Le système s'appliquerait tout aussi aisément avec des dividendes plus forts ou moins forts.
(1) Depuis que ces lignes ont été écrites dans la première édition, le Code de commerce a été promulgué: il reproduit le système du Code de commerce allemand qui lui-même a suivi ici le Code français, sans le modifier, et même il est moins complet. Notre système adopté par le Code officiel sera au moins suivi en matière civile.
SOMMAIRE.
Art. 1071. — N° 175. Renonciation absolue du créancier à la solidarité.
1072. -176. Renonciation relative, ou à l égard d'un ou plusieurs des débiteurs.
1073. —177. Décharge relative de la solidarité exigée du créancier pour avoir nui à. la subrogation des codébiteurs respectivement -177 bis. Parallèle de la solidarité avec le cautionnement.
COMMENTAIRE.
Art. 1071. — N° 175. La solidarité étant une modalité exceptionnelle de l'obligation, établie dans l'unique intérêt du créancier, il est naturel que celui-ci puisse y renoncer, lorsqu'il a la capacité de disposer de ses droits. Mais la renonciation à la solidarité ne diminue que ses garanties et non sa créance elle-même, "laquelle reste conjointe entre les débiteurs," comme le texte l'exprime.
Le texte nous dit encore que les autres caractères de l'obligation subsistent; ce qu'il faut entendre surtout de ses caractères relatifs à chacun des débiteurs. Ainsi l'un d'eux jouissait d'un terme et non les autres, l'un devait des intérêts et non les autres: ces différences respectives ne cessent pas avec la solidarité.
Au contraire, tout ce qui tenait au mandat mutuel, qui est le caractère distinctif de la solidarité, cesse avec la renonciation qu'y fait le créancier.
Art. 1072. — 1. 76. La loi suppose ici que la renonciation à la solidarité n'a été faite qu'en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs solidaires; cette renonciation peut avoir été expresse: elle peut aussi n'avoir été que tacite, comme il est dit à l'article 532. Dans ce cas, elle n'a pas seulement pour effet d'affranchir celui ou ceux auxquels elle a été faite de la poursuite pour la part des autres, mais elle affranchit de même ces derniers de la poursuite pour la part des premiers: autrement la condition de ceux auxquels la remise n'a pas été faite se trouverait aggravée par l'augmentation des chances de poursuite contre eux. On peut donc dire que s'il n'y avait que deux débiteurs solidaires et que la remise de la solidarité fut faite à l'un d'eux, il ne subsisterait rien de la solidarité.
Si celui auquel a été faite la remise de la solidarité devient insolvable avant d'avoir payé sa part, la perte retombe nécessairement sur le créancier.
Ces deux solutions résultent clairement du 1er alinéa de notre article.
Le 2e alinéa suppose que parmi ceux qui n'ont pas été déchargés de la solidarité, l'un devient insolvable. On sait que l'effet ordinaire de la solidarité est de faire répartir les insolvabilités entre ceux qui sont solvables (art. 1067). Ici, l'application du principe est modifiée dans le même sens que plus haut.
D'abord il n'est pas possible que la diminution du nombre des débiteurs solidaires, laquelle est le fait du créancier, fasse augmenter la part de ceux qui restent tenus solidairement.
La question n'est que de savoir qui, du créancier ou du débiteur affranchi de la solidarité, supportera la part d'insolvabilité qui, sans la remise, aurait été à la charge de ce dernier.
Le texte, tranchant une controverse du droit français, décide que c'est le créancier qui supportera dans l'insolvabilité la part de celui auquel il a fait la remise de la solidarité: il est naturel de donner à cette remise tous les effets qu'elle comporte, en faveur du bénéficiaire, d'après l'intention probable qu'a dû avoir le créancier au moment où il a fait la remise; il ne peut prétendre réduire ces effets après coup, lorsque l'événement lui donne lieu de la regretter; d'ailleurs, le créancier n'a pas toujours, en cela, fait une libéralité: il a peut-être reçu quelque avantage en compensation du sacrifice de la solidarité.
Art. 1073. — 177. La présente disposition se trouve en substance dans l'article 534; mais comme cet article pose un principe commun au cautionnement et à la solidarité et que l'application n'en est pas exactement ' la même pour les deux sûretés, il a dû renvoyer à l'article 1045 et au nôtre (a).
Lorsqu'il s'agit de la caution, comme elle a droit à un remboursement intégral de ce qu'elle a payé, elle peut demander sa décharge entière contre le créancier qui a rendu impossible sa subrogation aux sûretés qui garantissaient la créance. Mais, un débiteur solidaire n'ayant droit contre chacun de ses codébiteurs qu'au remboursement de la part de celui-ci, la décharge exigée du créancier ne peut s'appliquer qu'à la part de celui des codébiteurs auquel le créancier a fait remise des sûretés particulières qu'il avait reçues de lui.
177 bix. Nous avons annoncé (n° 147) que nous terminerions la matière de la solidarité passive en la comparant au cautionnement avec lequel elle a de frappantes analogies.
Assurément, on est porté à voir dans l'engagement de chaque débiteur solidaire deux obligations dont l'une serait principale, celle de sa propre part dans la dette, et l'autre accessoire, laquelle serait un cautionnement pour la part des autres dans la dette commune; mais le parallèle que nous allons présenter prouve que cette assimilation au cautionnement comporte tant de restrictions qu'il ne faut pas y attacher une trop grande importance.
Il faut, en effet, reconnaître que l'obligation solidaire est une; seulement, elle a une modalité particulière.
Voici, du reste, des ressemblances incontestables:
1° La solidarité et le cautionnement, augmentant pour le créancier les chances d'être payé, appartiennent tous deux à la matière des sûretés ou garanties des créances, et comme il n'y a pas affectation spéciale d'un bien au payement de la dette, mais seulement engagement d'une personne, ce sont des sûretés p ers 0 n. nelles;
2° Quand le créancier poursuit l'un des obligés pour le payement de la dette, celui-ci peut demander un délai pour appeler en cause l'autre obligé: la caution appelle le débiteur principal, le débiteur solidaire appelle son codébiteur;
3° Celui qui est poursuivi peut opposer les moyens de défense qui résultent du défaut de formation de la dette ou de son extinction;
4° Celui qui a payé la dette dont il était garant vis-' à-vis du créancier a, à son tour, un recours en garantie contre l'autre obligé;
5° Celui qui a payé a non seulement une action en garantie, de son chef, par suite de ses rapports de droit avec l'autre, mais encore il est subrogé légalement aux droits et actions qu'avait le créancier.
Voici maintenant les différences.
1° La caution n'est jamais engagée, comme telle, que par sa volonté et par un engagement envers le créancier, lors même que le cautionnement est imposé au débiteur par la loi ou par un jugement; -la solidarité est souvent légale et imposée aux codébiteurs sans leur volonté;
2° la caution ne peut s'obliger à plus ni sous des conditions plus onéreuses que le débiteur principal;- les codébiteurs peuvent être obligés inégalement et sous des modalités plus dures pour les uns que pour les autres;
3° La caution jouit des bénéfices de discussion et de division; -ces deux bénéfices sont refusés aux codébiteurs solidaires;
4° La caution ne doit les intérêts, les frais et autres accessoires de la dette que si elle a donné un cautionnement indéfini;-les codébiteurs doivent tous les accessoires, sans distinction;
5° La caution qui a payé la dette peut recourir pour le tout contre le débiteur principal et, s'il y a plusieurs débiteurs solidaires, elle peut également recourir pour le tout contre chacun d'eux, non seulement par la subrogation aux droits du créancier, mais même par l'action qu'elle a de son chef, au moins lorsqu'elle est mandataire;-le codébiteur solidaire qui a payé, non seulement garde une part de la dette à sa charge, mais encore ne peut demander à chacun de ses codébiteurs que la part de celui-ci, lors même qu'il use de la subrogation aux droits du créancier, et s'il y a des insolvabilités, il en supporte encore sa part;
6° La caution peut exiger du créancier sa décharge entière du cautionnement, lorsque celui-ci a diminué ou laissé périr les sûretés que la subrogation devait transmettre à la caution, -le codébiteur solidaire, en pareil cas, ne peut demander sa décharge que pour la part de celui ou de ceux à l'égard desquels les sûretés ont été perdues.
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(a) Le Code français a placé cette disposition dans la matière du cautionnement (art. 2037), ce qui rend difficile son application à la solidarité.
SOMMAIRE.
Art. 1074. — N° 178. En quoi l'obligation intégrale diffère de l'obligation solidaire. -179. Principe qui doit guider le législateur lui-même dans la détermination des cas de cette modalité.
COMMENTAIRE.
Art. 1074. — N° 178. Le Projet devait ici se prononcer sur une théorie fort délicate qui donne lieu à de grandes incertitudes en droit français.
Il existe, en effet, des cas où plusieurs débiteurs sont tenus de la même dette, chacun pour le tout (in solidum), soit parce que la loi l'exprime, soit parce que la nature de l'obligation l'exige, et où, cependant, il est difficile de voir une obligation solidaire, avec le mandat tacite qui la caractérise.
C'est cette modalité de l'obligation qu'on appelle souvent " solidarité imparfaite; " mais cette qualification ne suffit pas à résoudre deux difficultés considérables, à savoir:
En quoi diffère la solidarité imparfaite de la solidarité parfaite ?
Quand la solidarité n'est-elle qu'imparfaite ?
Si le Projet ne s'en expliquait pas, les mêmes difficultés se présenteraient au Japon, sans qu'on eût les mêmes moyens de les résoudre, par les souvenirs du droit romain et par les travaux de la doctrine et de la jurisprudence modernes.
Il y a déjà trois articles de ce Code, cités au texte, où une obligation de plusieurs débiteurs est déclarée par la loi " intégrale " ou " pour le tout " à l'égard de chacun d'eux; quoique la loi n'ajoute pas toujours "sans solidarité/' comme elle le fait dans l'article 519, 2e alinéa; il n'en faut pas moins décider que l'obligation n'est pas solidaire, bien qu'elle en ait le caractère principal à savoir la poursuite d'un seul pour le tout (a). Ces cas pourront n'être pas les seuls, soit dans ce Code, soit dans d'autres lois.
Le texte de notre 1er alinéa exprime que l'obligation ne deviendra pas solidaire par le fait que tous les codébiteurs ou quelques-uns d'eux, poursuivis par le créancier, auront été condamnés à payer toute la dette: ces mots sont ajoutés pour écarter une opinion, produite en France, d'après laquelle la solidarité, d'abord imparfaite, deviendrait parfaite quand la condamnation aurait été prononcée contre tous; nous l'écartons sans hésiter, parce que les jugements sanctionnent des droits préexistants, mais n'en créent pas de nouveaux.
Pour accentuer la différence entre les deux sortes d'obligations, la loi a soin de nous dire que dans l'obligation intégrale, non solidaire, il n'y a pas mandat réciproque et que tous les effets de ce mandat qui sont le propre de la solidarité sont précisément ceux qui manquent ici.
Ainsi, les poursuites du créancier contre un des débiteurs n'interrompent pas la prescription et ne font pas courir les intérêts contre les autres; la responsabilité des fautes de l'un d'eux n'atteint pas les autres; les moyens de défense personnels à l'un des débiteurs ne peuvent être invoqués par les autres, même pour la part du premier; le codébiteur actionné ne peut demander un délai pour mettre les autres en cause; les jugements rendus pour et contre un des codébiteurs sont sans effet pour et contre les autres.
Il pourra n'être pas toujours facile de déterminer les effets que l'obligation intégrale empruntera et ceux qu'elle n'empruntera pas à l'obligation solidaire; mais la loi pose une règle qui aidera les magistrats dans l'application: ils écarteront les effets qui reposent sur l'idée de mandat mutuel.
179. La même règle doit guider le législateur lorsqu'il a à se prononcer entre l'obligation solidaire et l'obligation intégrale.
Ainsi, lorsqu'il détermine la nature de l'obligation des locataires d'une même maison, au sujet de la responsabilité de l'incendie (art. 153), il ne méconnaît pas qu'il n'existe pas entre eux un lien antérieur d'intérêts continus, ni même momentanés, qui puisse justifier la solidarité.
De même, entre les co-auteurs d'un dommage injuste ayant le caractère de simple délit civil ou de quasi-délit, et hors le cas de co-contractants, co-auteurs d'une faute dans l'exécution de leur contrat, le législateur peut distinguer s'il y a eu entre eux un véritable concert pour nuire à autrui ou seulement une faute conjointe, pour établir la solidarité au premier cas et se borner à une simple responsabilité intégrale au second cas, et encore sous la condition " qu'on ne puisse déterminer la part de chacun dans le dommage causé et c'est ce qu'il fait dans l'article 398 (modifié), tandis qu'il édicte toujours la solidarité pour les co-auteurs d'une infraction punie par la loi pénale.
Enfin, lorsqu'il s'agit d'adpromission (art. 519, 29 al.), le législateur est obligé d'admettre l'obligation intégrale des deux débiteurs, car il n'y a pas expromission opérant novation, et, il serait impossible que l'obligation antérieure du promettant fût réduite à moitié et que celle du second promettant ne fût que de moitié, puisqu'il a promis toute la dette; mais il n'y a pas dans le seul fait de l'adpromission un mandat mutuel qui puisse constituer la solidarité.
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(a) Les anciens articles 153 et 398 employaient l'expression " solidaire ou solidairement " parce qu'à ce moment on n'était pas encore fixé sur le parti qu'on adopterait ultérieurement: la nouvelle rédaction a remplacé ces deux mots par " intégrale et intégralement."
SOMMAIRE.
Art. 1075. — N° 180. La solidarité active est fondée sur un mandat; elle peut avoir les mêmes causes que la précédente.
1076. —181. Ce qui doit être identique et ce qui peut être différent dans le droit de chaque créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1075. — N° 180. La solidarité entre créanciers est beaucoup moins utile à ceux-ci que celle entre débiteurs, aussi est-elle beaucoup plus rare. Comme la précédente, elle repose sur une idée de mandat mutuel dont le but est également de conserver la créance; mais ici le mandat émane des créanciers respectivement et non plus des débiteurs; il est d'ailleurs à peu près irrévocable, comme faisant partie intégrante de la convention principale (sauf ce qui est dit, au n° 195, de l'effet de la renonciation), et, sous ce rapport, il n'est pas sans dangers.
Quoique cette modalité de la créance ne doive pas vraisemblablement être plus fréquente au Japon qu'ailleurs, il est nécessaire de lui faire sa place parmi les sûretés, pour le cas où les parties l'auraient établie sans en avoir réglé elles-mêmes les effets. D'ailleurs cette solidarité pourra être assez fréquente en matière de commerce: par exemple, lorsqu'une lettre de change ou un billet à ordre seront souscrits au profit de plusieurs personnes.
Il pourrait y avoir, cumulativement, solidarité active et solidarité passive (v. T. II, nos 429, Ille Cas et 430-3°J; mais comme ce cumul ne changerait pas les principes de chacune, on se bornera à donner ici l'application de la solidarité active seulement, en présence d'un débiteur unique.
Notre premier article nous dit que la solidarité active, comme la précédente, ne peut résulter que d'une disposition expresse, soit d'une convention, soit d'un testament, soit de la loi; cela implique que la solidarité active peut avoir, comme la solidarité passive, trois causes: la convention, le testament et la loi.
Il est vrai que l'on ne trouvera pas de solidarité active légale dans ce Projet, mais il est bon d'indiquer qu'elle est possible et qu'une autre loi pourrait l'établir.
Art. 1076. — 181. La disposition de cet article est tout-à-fait analogue à celle de l'article 1053; mais elle n'aurait pu être suppléée par un simple renvoi audit article, parce que le mot " créanciers " doit être remplacé ici par celui de " débiteurs " et réciproquement. Il a donc fallu exprimer à nouveau: b nécessité d'identité d'objet et de cause de la créance pour chaque créancier, la possibilité qu'il y ait diversité d'actes, de temps, de lieux, de modalités et de charges.
Le Code français qui a exprimé ces idées pour la solidarité passive (art. 1201) ne l'a pas fait pour celle qui nous occupe, quoiqu'il en traitât en premier lieu.
SOMMAIRE.
Art. 1077. — N° 182. Droit de poursuite d'un seul pour le tout. -183. Droit de tous d'intervenir en cause.
1078. —184. Droit du débiteur de payer le tout à qui il veut des créanciers; limites de ce droit.
1079, 1080 et 1081. —185. Effets des jugements sur les exceptions. -186. Exceptions résultant du défaut de formation de l'obligation. -187. Exceptions résultant du payement ou de la compensation. -188. Exceptions tirées de la novation, de la remise et de la confusion. -189. Serment extrajudiciaire, transaction. -190.Exceptions personnelles contre un des créanciers.
1082. -191. Actes conservatoires; mise en demeure: différence entre l'interruption et la suspension de la prescription.
1083. —192. Divisibilité de la dette solidaire.
1084. —193. Recours respectifs pour le partage de l'émolument.
COMMENTAIRE.
Art. 1077. -N° 182. Cet article indique, dans son 1er alinéa, l'effet principal de la solidarité active: à savoir " le droit pour chaque créancier de réclamer l'exécution intégrale de l'obligation, comme s'il était seul créancier." Sans doute, dans ses rapports avec ses co-créanciers, il n'a droit, en général, qu'à une part de l'émolument de la créance, parce qu'il n'est que mandataire des autres pour la part de ceux-ci; mais, vis-à-vis du débiteur, il est titulaire de l'intégralité du droit.
Toutefois, ce principe doit lui-même être tempéré par un autre qui est que chaque créancier n'est mandataire des autres que pour conserver leur droit, non pour le compromettre: on verra les conséquences de ce tempérament à l'article 1079.
183. Comme le jugement qui statuera sur la poursuite d'un des créanciers devra être, dans certains cas, opposable aux autres et pourra être invoqué par eux, il est naturel que ceux qui n'ont pas pris l'initiative des poursuites puissent intervenir dans la cause pour y défendre leurs intérêts, comme le peuvent faire des codébiteurs solidaires, dans le cas inverse, d'après l'article 1056, 2e alinéa.
Il faut même admettre, quoique la loi ne l'exprime pas, que si le créancier demandeur avait intérêt à appeler un ou plusieurs de ses co-créanciers, pour réfuter certains moyens du défendeur, il le pourrait: par exemple, pour une vérification de signature sur une quittance ou autre acte libératoire.
Art. 1078. — 184. Du moment que le débiteur peut être requis par chaque créancier de payer toute la dette, il est naturel et juste qu'il puisse, sans attendre les poursuites, payer spontanément la dette entière à celui des créanciers qu'il veut choisir.
La loi n'y met qu'une restriction, c'est qu'il ne peut plus prendre cette initiative une fois qu'il a été prévenu par une poursuite ou seulement " par une réclamation en forme " de la part d'un autre créancier.
La loi par ces mots " réclamation en forme," montre qu'elle n'exige pas des poursuites judiciaires: d'abord, si l'obligation avait été contractée devant notaire et en forme exécutoire, il n'y aurait évidemment pas lieu à demande en justice, un commandement serait le seul préliminaire de l'exécution forcée; mais il n'est même pas nécessaire de recourir à un acte si rigoureux: une sommation doit suffire; ce qui ne suffirait pas à empêcher le payement spontané serait une simple lettre missive et, à plus forte raison, une demande verbale.
La loi déduit les conséquences logiques de cette restriction au droit du débiteur: 1° s'il y a eu une réclamation en forme, le débiteur ne peut plus payer qu'au réclamant; 2° s'il y a plusieurs réclamations simultanées, le payement ne peut être fait qu'à tous les réclamants réunis. En effet, il n'appartient pas au débiteur de juger quels sont les droits respectifs de chacun des créanciers: du moment qu'ils font valoir leur droit et qu'il ne le conteste pas, en ce qui le concerne, il doit les satisfaire dans les conditions, individuelles ou collectives, dans lesquelles ils se présentent.
Art. 1079, 1080 et 1081. —185. La loi revient au cas de poursuites, et ici elles sont supposées faites en j u s t i c e, à proprement parler.
Au lieu de présenter d'abord les diverses exceptions que le débiteur peut opposer au poursuivant, comme il a été fait au sujet de la caution (art. 1025) et du débitour solidaire (art. 1057 et 1058), pour régler ensuite l'effet du jugement intervenu sur ces exceptions (art. 1026, 1059 et 1060), la loi réunit dans une seule disposition l'exception et le jugement, parce que cette simplification de forme est possible ici, sans nuire à la clarté. Il n'y a de division qu'au sujet des exceptions ou moyens de défense.
186. L'article 1079 suppose que le débiteur a opposé au créancier poursuivant une exception tirée du défaut de formation même de l'obligation: c'est le cas où les conditions générales prescrites par l'article 325 n'auraient pas été remplies.
Dans ce cas, le jugement, favorable ou défavorable au débiteur, est défavorable ou favorable aux autres créanciers; pourtant ils sont supposés " n'avoir pas été nominativement parties dans la cause," mais ils y ont été représentés virLuellement par l'effet de leur qualité de mandataires réciproques: il est juste que si le débiteur est exposé aux poursuites d'un seul pour le tout, il ait aussi le droit de se défendre pour le tout contre un seul; les créanciers pouvaient intervenir dans le procès jusqu'au jugement, ils auraient pu aussi intervenir en appel et même l'interjeter; ils ne peuvent donc s'en prendre qu'à eux-mêmes des conséquences de leur négligence, s'ils al aient les moyens de faire rejeter l'exception.
187. L'article 1080 suppose une exception tirée d'une cause d'extinction de la dette et sur cette exception un jugement favorable ou défavorable au débiteur.
Ici la solution varie avec le moyen d'extinction invoqué.
Une première solution concerne le payement: comme le débiteur a le droit de payer toute la' dette à l'un des créanciers, tant qu'il n'a pas été poursuivi par l'un des autres, il a naturellement le droit de bénéficier pour le tout du jugement rendu sur la réalité et la validité de ce payement.
La loi donne la même solution pour le cas de compensation qui joue exactement le rôle d'un payement abrégé; mais, à cause même de cette assimilation, elle a soin d'exiger, par un renvoi à l'article 1078, que les causes de compensation, c'est-à-dire les faits qui ont rendu le débiteur créancier particulier d'un des créanciers solidaires, soient intervenues avant toute poursuite d'un des autres créanciers.
188. Là s'arrêtent les modes d'extinction de l'obligation qui produisent effet pour le tout, contre chaque créancier.
Pour la novation, la remise conventionnelle et la confusion provenant du fait ou du chef d'un seul créancier, le jugement qui les déclare n'a d'effet contre les autres que pour la part du créancier du chef duquel le mode d'extinction s'est produit. A cet égard, la loi renvoie aux articles 522, pour la novation, 537, pour la remise de la dette et 557, pour la confusion. La loi ajoute, comme pour la compensation, que lesdites causes d'extinction doivent s'être produites avant aucune poursuite d'autres créanciers.
Quant à la raison pour laquelle ces causes d'extinction n'opèrent que pour une part, au lieu d'opérer pour le tout, elle a été donnée sous les articles précités, c'est que les créanciers solidaires ont un mandat réciproque pour conserver la créance commune et non pour la compromettre; s'il y a exception pour le payement, c'est qu'il est l'extinction normale de l'obligation et que les autres créanciers peuvent aisément, par des saisiesarrêts ou même par une intervention en temps utile, au moment du payement, sauvegarder leur part dans ledit payement; quant à la compensation, elle a le caractère d'un payement abrégé; mais les trois modes d'extinction qui nous occupent pourraient survenir à un moment où les autres créanciers seraient dans l'impossibilité de s'en garantir.
189. La loi donne la même solution pour le cas où, les parties étant convenues de s'en rapporter au serment extrajudiciaire de l'une d'elles sur l'un des faits qui précèdent, le serment aurait été prêté ou refusé et, de même encore, sur une transaction au sujet de la preuve de ces mêmes faits.
Il faut remarquer que la transaction et le serment extrajudiciaire intervenus sur le payement et la compensation ne produiraient également qu'un effet partie], à la différence du jugement sur ces deux faits: le motif est que les autres créanciers ne trouvent pas les mêmes garanties de vérité dans l'oeuvre des parties que dans l'examen et la décision du tribunal; de plus, elles ont pu intervenir dans l'instance et non dans la transaction.
190. L'article 1081 prévoit enfin des exceptions purement personnelles à l'un des créanciers, c'est-àdire ne pouvant être opposées qu'à celui qui a poursuivi le débiteur; tel serait le cas où il aurait usé de dol ou de violence contre le débiteur et celui où il existerait une incapacité relative de contracter entre lui et le débiteur. Dans ces cas, le débiteur se trouvera bien libéré vis-à-vis de ce créancier, mais il restera exposé aux poursuites des autres, pour le tout: ceux-ci, en effet, n'ont pas moins de droits individuels parce qu'un d'entre eux avait été indûment considéré comme leur associé dans la solidarité: ce n'est pas la créance, mais seulement le prétendu créancier qui est affecté par cette exception.
La loi donne la même solution pour le cas où le droit individuel de l'un des créanciers aurait été l'objet d'une délation de serment extra judiciaire ou d'une transaction: c'est encore la solidarité d'un créancier qui aurait été exclue et non une partie de la dette.
Art. 1082. — 191. L'interruption de la prescription et la mise en demeure du débiteur sont des actes éminemment conservatoires de la créance; il est donc naturel que la diligence d'un des créanciers profite à tous. C'est la même théorie que pour la solidarité passive où la diligence du créancier unique contre l'un de ses débiteurs lui profite contre les autres (v. art. 1061).
Les deux solidarités se ressemblent également en ce qui concerne la suspension de la prescription; ici c'est dans le sens de l'effet négatif: la suspension existant en faveur d'un des créanciers seulement ne profite pas aux autres, de sorte que le débiteur pourra invoquer la prescription contre ceux au profit desquels elle n'est pas suspendue.
Comme pour la solidarité passive, nous supposerons que l'un des créanciers est le conjoint du débiteur ou que le droit de l'un des créanciers est à terme ou sous condition, quand celui des autres est par et simple: dans ces cas, le créancier contre lequel la prescription n'a pu courir a bien conservé son droit, mais seulement pour sa part et sans profit pour les autres créanciers qui seront présumés avoir reçu leur part dans la créance ou en avoir fait remise (comp. ci-dess., n° 154 bis). Il en serait de même si un des créanciers était mineur, quand les autres créanciers étaient majeurs.
Art. 1083. — 192. La solidarité active, pas plus que la solidarité passive, ne donne à l'obligation le caractère d'indivisibilité (v. art. 461; comp. c. civ. fr., art. 1219): elle permet, il est vrai, de ne pas faire la division de la poursuite entre les créanciers primitifs, mais dès que l'un d'eux est décédé, laissant plusieurs héritiers, la division devient nécessaire. C'est la théorie retournée de l'article 062 auquel renvoie le nôtre.
Art. 1084. — 193. Chaque créancier solidaire, dans ses rapports avec le débiteur, a bien le droit intégral à la créance, mais dans ses rapports avec ses co-créanciers il n'a ordinairement qu'une part de la créance, de là, la nécessité d'un partage ultérieur de l'émolument.
Sans doute, il pourrait arriver que l'un des créanciers solidaires, bien qu'ayant un droit de poursuite personnel, ne fût qu'un mandataire des autres, pour le tout, sans avoir d'intérêt propre dans la créance, de même qu'un co-débiteur solidaire peut n'être qu'une caution des autres (v. c. civ. fr., art. 1216 et ci-dess., n° 159); mais ce cas est tellement rare entre co-créan. ciers solidaires qu'il ne faut pas s'y arrêter.
Il y a donc un recours de ceux qui n'ont rien reçu contre celui qui a obtenu le payement ou s'est trouvé en recevoir l'équivalent par une compensation libératoire de sa propre dette. Ce recours se règle dans la mesure des droits respectifs des créanciers et d'après la nature de "leur rapports particuliers" (comp. art. 418, 2e al.).
SOMMAIRE.
Art. 1085. — N° 194. Une seule cause de cessation de la solidarité active, la renonciation expresse.
1086. —195. Effet entre les créanciers de la renonciation par tous, ou par un on plusieurs.
1087. —196. Effet de la renonciation à l'égard du débiteur.
COMMENTAIRE.
Art. 1085. — N° 194. Ici, comme dans le § 3 de la solidarité passive, la loi ne règle que les causes qui mettent fin à la solidarité, indépendamment de celles qui mettent fin à la créance elle-même, et même, à la différence de la solidarité passive qui cesse par deux causes: la renonciation du créancier et sa déchéance (art. 1071 et 1073), il n'y a ici que la renonciation. Le débiteur, en effet, n'aurait jamais d'intérêt à faire déclarer un ou plusieurs des créanciers déchus de leu droit; il pourrait même avoir un intérêt inverse (v. art. 1087); et pour que les créanciers pussent euxmêmes faire déchoir l'un des leurs de la solidarité, il faudrait supposer entre eux des obligations particulières dont il n'y a pas à s'occuper ici; par exemple, des obligations de société ou de mandat qui n'auraient pas été fidèlement remplies.
La loi veut que la renonciation soit expresse; c'est une différence avec la renonciation à la solidarité passive, laquelle peut être tacite (v. art. 532 et 1072): c'est d'ailleurs le droit commun des renonciations et il n'y avait pas ici de raison d'y déroger.
Art. 1086. — 195. Si tous les créanciers renoncent à la solidarité, ils redeviennent créanciers simplement conjoints; tel est le sens du renvoi de notre article à l'article 1072.
Si un ou plusieurs renoncent, celui ou ceux qui n'ont pas renoncé restent créanciers solidaires ou pour le tout, * mais sous la déduction de la part de celui ou de ceux qui ont renoncé.
Cette renonciation a de l'analogie avec la renonciation au mandat: si ce mandat mutuel ne peut être révoqué directement par ceux qui l'ont donné, il peut être abandonné par ceux qui l'ont reçu; et même, par cette renonciation, ils arriveront indirectement à une révocation, puisque, pendant que les renonçants ne peuvent réclamer la part des autres, ceux-ci, à leur tour, ne peuvent réclamer la part des renonçants.
Art. 1087. — 196. L'article précédent règle principalement les rapports des créanciers solidaires entre eux après la renonciation. Pour qu'il soit applicable aussi à leurs rapports avec le débiteur, il faut que celui-ci soit dûment informé de la renonciation ou qu'il soit prouvé qu'il en a eu une connaissance certaine.
La renonciation, du reste, peut avoir lieu sans le consentement du débiteur, et s'il avait un intérêt légitime à la contester, il le pourrait, mais à la condition qu'elle eût été faite. " en fraude de ses droits." Ses droits pourraient avoir été fraudés, si, par exemple, il avait eu une cause de compensation à opposer au renonçant et se trouvait ainsi privé du moyen de la faire valoir. Mais, pour que cette renonciation lui nuisît, il faudrait supposer qu'il y eût seulement lieu à une compensation facultative ou judiciaire, laquelle n'opère pas de plein droit l'extinction de la dette (v. art. 553 et 554): autrement, et s'il y avait eu compensation légale, le bénéfice qui en aurait été une fois acquis au débiteur ne pourrait plus lui en être enlevé par la renonciation du créancier (v. art. 542).
SOMMAIRE.
Art. 1088. — N° 197. Nécessité de faire deux parts de l'indivisibilité. -198. Le Livre IIe n'a eu à s'occuper que de l'indivisibilité naturelle et de trois cas d'indivisibilité volontaire qui n'ont pas un véritable caractère de sûreté.
1089. 199. L'indivisibilité active n'implique pas l'indivisibilité passive, ni réciproquement.
1090. 200. L'indivisibilité expressément établie implique l'admission tacite de la solidarité. -201. Effets propres à l'indivisibilité à l'égard des héritiers des débiteurs ou des créanciers.
1091. —202. Interruption et suspension de la prescription contre un des débiteurs ou héritiers ou en faveur d'un des créanciers ou héritiers; effet de la mise en demeure.
1092. -203. Absence de lien juridique entre les divers héritiers du débiteur: conséquence pour les fautes, la mise en demeure, les jugements défavorables, etc.
1093. —204. Renonciations distinctes, soit à la solidarité, soit à l'indivisibilité.
1094. —205. Renvois Ù, diverses dispositions relatives à l'indivisibilité naturelle.
1095. —205 bis. Rapprochement avec le cautionnement pour la déchéance du créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1088. — N° 197. Ce n'est pas sans. hésiter qu'on a, dans ce Projet, fait deux parts de l'indivisibilité. Il le fallait cependant, pour conserver une méthode exacte.
L'indivisibilité est une modalité des obligations; comme telle, elle a dû avoir sa place au Livre IIe, Chapitre II, parmi les Effets des Obligations (v. art. 459 à 470).
Quelquefois, le plus souvent peut-être, elle résulte de la nature de la chose due; d'autres fois, elle résulte de la volonté de l'homme. Dans le premier cas, celui où l'indivisibilité est dite ”naturelle", elle est certainement un avantage pour le créancier, s'il y a plusieurs débiteurs, ou pour chaque créancier, s'ils sont euxmêmes plusieurs; mais il ne serait pas d'une doctrine exacte de dire, dans ce cas qu'elle est une sûreté de la créance. Au contraire, dans le second cas, celui où elle est dite " volontaire, " elle est vraiment une sûreté, et c'est pourquoi elle prend place dans ce Livre IVe, à la suite de la solidarité, avec laquelle elle a une grande analogie et dont elle ne diffère guère que par une extension de la sûreté.
Pour que ceux qui auront à étudier la loi et à l'appliquer ne perdent pas de vue ces deux parts faites à l'indivisibilité, notre premier article renvoie aux articles 462 et 463, comme aussi l'article 464 a renvoyé au présent Livre.
198. Remarquons qu'au Livre IIe on n'a pas seulement rencontré l'indivisibilité naturelle, mais encore une indivisibilité " résultant du but que les contractants se sont proposé ce qui est déjà une indivisibilité volontaire tocitp, et une autre " résultant de l'assignation de la dette, par le titre constitutif, à la charge d'un seul des débiteurs " ce qui est une indivisibilité volontaire expresse (a).
Il est traditionnel, dans les lois et la doctrine, de rapprocher ces deux indivisibilités volontaires de celle qui résulte de la nature de la chose due, et comme aucune législation, à notre connaissance, n'a réglé le cas d'une stipulation expresse de l'indivisibilité, comme sûreté ou garantie de la créance, c'est à cette stipulation surtout, en y ajoutant la disposition testamentaire, que l'on a consacré un Chapitre au présent Livre.
Le texte nous dit que cette nouvelle indivisibilité peut être passive ou active, comme la solidarité, et être conjointe ou non à l'une ou à l'autre solidarité: elle y sera même conjointe, de droit, par interprétation de l'intention des parties, si le contraire n'est exprimé, comme il est dit à l'article 1090.
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(a) Il y en a même un autre cas dans le Projet japonais (art.463-1°) et deux autres dans le Code civil français (art. 1221-10 et 3°); mais on n'a pas dû admettre ces derniers dans le Projet (v. Tome II, n° 438).
Il existe aussi deux cas d'une indivisibilité qu'on pourrait appeler légale: ce sont les cas de redevance emphytéotique et supernciau'e (v. art. 178 et 185); niais comme cette indivisibilit épourrait être exclue par la volonté des parties, on peut, pour ne pas multiplier les distinctions, dire qu'elle est alors " tacitement volontaire."
Art. 1089. — 199. Le présent article a pour but de prévenir une présomption exagérée de l'intention des parties: l'établissement exprès de l'indivisibilité active ou passive peut impliquer l'admission tacite de la solidarité de même nature (v. art. suiv.); mais de ce que l'on a établi l'indivisibilité passive, par exemple, il ne s'en suit pas qu'on ait entendu établir, tacitement aussi, l'indivisibilité active, laquelle est toute différente dans ses effets; réciproquement, l'indivisibilité active n'implique pas l'indivisibilité passive; chaque indivisibilité doit donc toujours être établie expressément.
Art. 1090. — 200. Cet article présente une innovation déjà annoncée: il établit que l'indivisibilité s'ajoute plutôt à la solidarité qu'elle ne s'y substitue.
En effet, on voit au 2e alinéa que l'indivisibilité donne au créancier des droits que ne lui donnerait pas la solidarité; il est donc naturel de croire qu'il n'a pas voulu perdre d'un côté quand il gagnait de l'autre. Dès lors, la loi ne fait qu'interpréter naturellement l'intention des parties contractantes ou du testateur, lorsqu'elle suppose qu'en établissant la modalité la plus grave contre les débiteurs ou la plus favorable aux créanciers, elles ont voulu, à plus forte raison, établir celle dont les effets sont moins étendus, avec ses particularités comme sûreté. Il y a là une exception annoncée à l'article 1052, lequel exige que, dans tout autre cas, la solidarité soit établie expressément.
Cette présomption est d'ailleurs de celles qu'on appelle " simples " et elle comporte la preuve contraire, comme le texte l'exprime; mais il sera bien rare et peu naturel qu'on exclue la solidarité en établissant l'indivisibilité.
Puisque l'indivisibilité entraîne la solidarité, on trouve d'abord que les effets de celles-ci se produisent à la charge des débiteurs ou en faveur des créanciers, mais seulement si cette sûreté n'a pas été elle-même expressément exclue, et il est vraisemblable qu'elle ne l'aura pas été. Il n'y a pas à revenir sur ces effets: ils sont exposés au Chapitre précédent.
201. Ce qui caractérise surtout l'indivisibilité, comme effet propre et ayant naturellement porté les parties à l'établir, c'est que l'obligation ne se divise pas entre les héritiers, soit des débiteurs, soit des créanciers originaires.
Ainsi, tandis que l'obligation simplement solidaire n'est intégrale qu'à l'égard des débiteurs ou créanciers originaires, mais se divise entre leurs héritiers (v. art. 461), l'exécution de l'obligation indivisible sera poursuivie intégralement contre ou par chaque héritier, et il en sera de même à l'égard des héritiers des héritiers, à l'infini. Mais entre ces héritiers eux-mêmes, il n'y aura pas, comme entre leurs auteurs, solidarité passive ou active: la loi a soin de l'exprimer, et l'article ] 092 en indiquera une conséquence (b).
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(b) Quoique le Texte officiel n'admette pas la pluralité d'héritiers proprement dits, il admet des légataires à titre universel pour la moitié des biens; notre texte et nos explications peuvent donc être considérés comme en accord avec le Texte officiel.
Art. 1091. — 202. Il y a encore ici un effet de l'indivisibilité plus considérable que celui de la solidarité: l'interruption de la prescription faite par le créancier contre un des héritiers d'un débiteur solidaire décédé ne produirait qu'un effet partiel contre les débiteurs survivants et ne produirait aucun effet contre les autres héritiers (v. art. 1061); tandis qu'ici l'interruption a un effet contre tous et pour toute la dette.
Il n'en peut être autrement: d'une part, le créancier qui a fait un acte interruptif de prescription ne peut pas n'en obtenir aucun avantage, il doit avoir conservé son droit; d'autre part, le droit est indivisible, il ne peut se perdre pour partie, il doit donc être conservé en entier. Si on autorisait à invoquer la prescription ceux qui n'ont pas été atteints par l'acte interruptif, ils ne pourraient invoquer la prescription que pour le tout et la diligence du créancier lui deviendrait inutile, ce qui est inadmissible.
C'est la même raison qui explique que la suspension de prescription établie par la loi en faveur d'un des créanciers ou d'un de ses héritiers profite à tous les créanciers ou à leurs héritiers et est opposable à tous les débiteurs ou à leurs héritiers, lors même qu'elle est fondée sur une qualité relative à l'un de ceux-ci, comme, par exemple, la qualité de conjoint. Il serait impossible, en effet, que ce créancier ne conservât qu'un droit partiel quand l'obligation est indivisible, et de même, il serait impossible que le débiteur opposât la prescription aux autres créanciers à l'égard desquels la prescription n'est pas suspendue, car il opposerait nécessairement une prescription intégrale, ce qui priverait du bénéfice de la suspension celui en faveur duquel la loi l'établit.
La loi donne la même solution pour la mise en demeure faite par un des créanciers contre un des débiteurs originaires: elle a conservé le droit des autres et pour le tout; si elle n'a été faite que contre un des héritiers, ce cas est réglé différemment par l'article suivant (1).
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(1) Ce dernier alinéa de l'article 1091 est nouveau: il nous a paru utile d'accentuer ainsi la différence entre les deux cas de mise en demeure.
Art. 1092. — 203. L'indivisibilité en elle-même n'implique pas, comme la solidarité, un mandat de représentation mutuelle des débiteurs ou des créanciers: si cette représentation peut s'y rencontrer, c'est par l'effet de la solidarité qui s'y trouve tacitement ajoutée (v. art. 1090). Mais cette solidarité n'a plus lieu entre les héritiers d'un débiteur ou d'un créancier décédé, comme a soin de le dire l'article 1090, 2e alinéa. Par conséquent, il n'y a plus entre les héritiers respectivement de responsabilité des fautes ou de la mise en demeure; par conséquent aussi, les jugements, aveux et serments défavorables à l'un d'eux sont sans effet à l'égard des autres; c'est une différence avec ce qui se passerait s'ils étaient solidaires passivement (v. art. 1059).
Le texte ne se prononce pas sur les jugements, aveux ou serments qui seraient favorables à l'un des héritiers: par cela même qu'il n'en exclut pas le bénéfice à l'égard des autres, il pourra être admis, par application des principes de la gestion d'affaires, chaque fois que les héritiers auront eu des relations qui permettent de reconnaître l'intention de se rendre ce bon office.
Art. 1093. — 204. On a vu à l'article ^ 090 que l'indivisibilité entraîne la solidarité, si elle n'a pas été exclue; cela tient, avons-nous dit, à ce que l'indivisibilité est plus considérable dans ses effets que la solidarité et que " le plus contient le moins."
On en devait nécessairement conclure que si le créancier renonce au droit le moins étendu, il renonce, à plus forte raison, à celui qui l'est davantage; du moment, en effet, qu'il renonce à un droit déjà exorbitant, comme est la solidarité, comment pourrait-on admettre qu'il a entendu en conserver un plus exorbitant encore ? Sans compter qu'une indivisibilité sans solidarité serait une modalité si singulière, si boîteuse en quelque sorte, qu'on ne peut déjà guère admettre comme vraisemblable la clause exclusive de la solidarité, au moment de la convention, quoiqu'elle soit prévue plus haut.
La réciproque n'est pas vraie: le créancier qui renonce à l'indivisibilité, en abandonnant le droit le plus considérable, peut fort bien avoir entendu garder le moindre, la solidarité: c'est ce que décide le 2e alinéa.
Art. 1094. — 205. La loi ne pouvait reproduire ici toutes celles des dispositions relatives à l'indivisibilité naturelle qui s'appliquent aussi, plus ou moins complètement, à l'indivisibilité volontaire: c'eût été s'engager dans des répétitions et surcharger le texte de détails fastidieux dans une matière d'une application pratique assez rare; on se borne donc à renvoyer aux articles du Livre IIa auxquels il y a des emprunts à faire.
Les articles 465 à 470 sont relatifs aux rapports créés par l'indivisibilité naturelle entre les créanciers ou les débiteurs et les héritiers de ceux qui sont décédés; l'article 522 est relatif à la novation, les articles 528, 531, 535 et 537 à la remise conventionnelle, les articles 558 et 559 à la confusion.
Le texte ne fait pas ces renvois pour une application pure et simple desdits articles à l'indivisibilité volontaire, mais pour une application " autant qu'il y a lieu; " c'est donc en ayant soin d'exclure les effets tenant uniquement à la nature indivisible de la chose due qu'on pourra appliquer les dispositions de ces articles à l'indivisibilité volontaire.
La loi ne renvoie pas à l'article 543, au sujet de la compensation, parce que cet article ne s'applique pas à l'indivisibilité naturelle: il est précisément spécial à l'indivisibilité volontaire. Il est utile assurément de le rapprocher de ce Chapitre; mais ce n'est plus pour y puiser des analogies, puisqu'il donne une solution directe en matière de compensation.
Art. 1095. — 205. bis. Le dernier article de notre Chapitre applique à l'indivisibilité volontaire une disposition déjà établie au sujet du cautionnement (art. 1045) et de la solidarité passive (art. 1073): il est naturel et juste, ici comme dans les deux premiers cas de sûretés personnelles, que le créancier qui a compromis les effets de la subrogation légale à laquelle le débiteur était appelé en supporte, comme conséquence, la déchéance de son droit (comp. art. 534).
FIN DE LA Ire l'ARTIE DU LIVRE IV.
SOMMAIRE.
N° 206. Double avantage des sûretés réelles. —207.Justification par la liberté des conventions ou par un principe de justice. -208. Principe, objet et causes des diverses sûretés.
COMMENTAIRE.
N° 206. On a déjà expliqué (n° 7) que les sûretés ou garanties réelles consistent dans l'affectation spéciale d'une chose à l'acquittement d'une obligation.
Les sûretés réelles ont un double avantage pour le créancier: elles le mettent à l'abri des deux dangers auxquels l'expose le droit commun;
1° L'aliénation que le débiteur peut faire de ses biens, pourvu que ce soit sans fraude (v. art. 860);
2° La multiplication de ses obligations, laquelle amène le concours de tous les créanciers sur le " gage commun" et peut ainsi les mettre en perte (v. art. 1001)
Lors donc qu'un créancier a une sûreté réelle, son droit fait obstacle à l'aliénation du bien qui est affecté à sa garantie ou, au moins, cette aliénation ne lui est pas opposable (sauf de rares exceptions qui seront indiquées en leur lieu): on dit alors que le créancier a un Il droit de suite " contre le tiers détenteur; en outre, lorsque le bien affecté spécialement à l'acquittement d'une obligation sera réalisé en argent (généralement par une vente aux enchères), le créancier de cette obligation sera payé " par préférence " aux autres.
207. On pourrait, au premier abord, s'étonner que le droit commun puisse être ainsi changé au profit d'un ou plusieurs créanciers à l'encontre des autres; mais il ne faut pas perdre de vue que les matières civiles sont d'ordre privé et non d'ordre public, et que les parties y peuvent stipuler et promettre, à leur gré, pour le mieux de leurs intérêts (v. art. 349); ce qui serait inadmissible, ce serait que le débiteur pût changer après coup la condition respective de ses créanciers, une fois qu'elle aurait été spécialement établie par lui ou par la loi; en d'autres termes, une fois qu'il y aurait droit acquis.
Mais le droit commun ayant ses dangers (v. art. 360 et 1001), un créancier nouveau peut bien mettre à l'avantage qu'il confère ou promet au débiteur la condition d'une sûreté spéciale, et les autres créanciers n'ont pas de raison légitime de s'en plaindre: 1° parce qu'ils ont pu eux-mêmes mettre à leur convention de semblables conditions qui leur auraient donné la priorité, 2° parce que les avantages fournis par celui qui leur est préférable sont entrés dans la masse commune des biens du débiteur et profitent ainsi à tous les autres créanciers.
Lorsque la sûreté ne vient pas de la convention mais de la loi, elle se justifie encore mieux, car c'est toujours par un principe de justice que la loi donne une sûreté spéciale à certains créanciers (v. n° suiv.).
Si l'on suppose qu'une créance a été établie sans sûreté spéciale, à l'origine, il est un peu moins facile de justifier qu'une sûret6 y soit attachée après coup; aussi n'est-ce déjà plus la loi qui le fera; mais celle-ci pourra du moins accorder sa sanction à une sûreté qui est encore valable, en principe, comme étant l'effet de la libre disposition qu'un débiteur peut faire de ses biens; ce n'est que s'il y a fraude à l'égard des autres créanciers que la sûreté peut être révoquée (art. 360 et s.), ou bien si le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture, cas où la disposition et même l'administration de ses biens lui sont enlevées et sont transférées à nn syndic représentant la masse de ses créanciers.
208. Les sûretés réelles ont été énumérées par l'article 1002. On dira d'abord ici quelques mots du principe essentiel de chacune, des choses auxquelles elles peuvent s'appliquer et de leur cause.
Les trois premières, la rétention, le gage mobilier et le nantissement immobilier, ont pour élément principal, pour condition fondamentale, la possession de la chose par le créancier; la quatrième, le privilége, n'exige la possession du créancier que dans un petit nombre de cas; la cinquième, l'hypothèque, ne l'exige jamais.
Au sujet des choses qui peuvent être l'objet de ces sûretés, ce sont tantôt les biens meubles et immeubles, indistinctement, tantôt les uns et non les autres: le droit de rétention, le nantissement conventionnel et le privilége s'appliquent aux deux sortes de biens, l'hypothèque aux immeubles seulement.
Enfin, si l'on cherche qu'elles sont les sources ou causes de ces diverses sûretés, on trouve la loi et la disposition de l'homme.
Viennent de la loi: le droit de rétention, les priviléges et quelques hypothèques; viennent de la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la convention ou du testament: le gage mobilier, le nantissement immobilier et le plus grand nombre des hypothèques.
Quand on reprendra chacune des sûretés qui ont la loi pour cause ou source directe, on aura à rechercher encore une cause première de cette faveur de la loi, car la loi n'accorde pas de tels avantages arbitrairement; on trouvera alors des principes de justice particuliers aux divers cas: ce sera tantôt le service rendu à la masse des créanciers, lequel s'oppose à ce qu'elle s'enrichisse au détriment de celui qui a rendu le service, tantôt la protection due à certaines personnes qui ne pourraient pourvoir suffisamment elles-mêmes à la conservation de leurs intérêts.
SOMMAIRE.
Art. 1096. — N° 209. Justification des mentions déjà faites du droit de rétention dans les matières auxquelles il s'applique. —210. Deux conditions du droit de rétention: légitimité de la possession antérieure, connexité de la créance avec la chose. -211. Cas spécial de la gestion d'affaires. —212. Les dépenses utiles ne donnent pas lieu, en général, au droit de rétention.
1097. —213. Indivisibilité du droit de rétention.
1098. -214. Absence de privilége sur la valeur de la chose.-215. Privilège sur les fruits et produits.
1099. —216. Droit du débiteur et des autres créanciers d'aliéner ou faire vendre la chose: réserve du droit du rétenteur.
1100. -217. Renvois au nantissement mobilier et immobilier: applications. -218 Perte du droit de rétention.
COMMENTAIRE.
Art. 1096. — N° 209. Le droit de rétention est une sûreté légale, plus exceptionnelle peut-être que toutes les autres, malgré ses applications variées; c'est pourquoi la loi l'a mentionnée dans diverses matières, chaque fois que ses conditions se sont présentées (a), et, à quelques-unes de ces occasions, on a indiqué sommairement, au Commentaire, en quoi consiste ce droit et comment il se justifie (b).
On pourrait s'étonner que le Projet, ayant dû, à la différence du Code français, porter un principe (auquel nous sommés arrivés) sur l'application générale du droit de rétention, ait cru devoir en faire, par avance, des applications spéciales dans les occasions qu'il rencontrait chemin faisant. Le Code français n'ayant pas formulé de principe général, mais seulement des applications spéciales du droit de rétention, a laissé place à une controverse fâcheuse sur le principe, mais non à une pareille objection de double emploi.
Nous répondons, d'abord, qu'au moment où ces divers articles étaient rédigés dans l'Avant-Projet japonais, on n'était pas encore certain que le principe du droit de rétention serait admis avec la généralité qu'on lui donne aujourd'hui; il était donc nécessaire de proclamer le droit de rétention, au moins dans les cas spéciaux où son application s'imposait comme idée de justice.
Cette première raison, on le reconnaît, ne subsiste plus au même degré, du moment que le droit de rétention est généralisé pour tous les cas analogues à ceux qui ont été prévus en particulier. Mais il en reste trois autres dont la première a déjà servi à justifier d'antres applications spéciales, faites par la loi, de principes généraux posés ailleurs par elle:
1 La loi n'est pas faite seulement pour guider les magistrats dans l'administration de la justice, elle est faite aussi et surtout pour les simples citoyens; il faut donc que la lecture de la loi leur révèle leurs droits et leurs obligations sur chaque matière, justement pour qu'ils ne s'engagent dans une convention qu'en en prévoyant les effets, et surtout, pour qu'ils ne se lancent pas dans des procès sans avoir pu pressentir si leur demande ou leur exception est admissible; c'est ce qui explique un si grand nombre de renvois d'une matière à une autre, justement parce que les particuliers non légistes ne pourraient guère d'eux-mêmes compléter les dispositions particulières par les dispositions générales. Sans doute, la loi ne pourrait raisonnablement reproduire la théorie générale du droit de rétention, avec ses effets, chaque fois qu'elle en autorise l'application, mais elle peut, et il y a avantage à le faire, signaler d'un mot cette application, de sorte que celui qui n'en comprendra pas tout d'abord la portée n'aura qu'à recourir à la théorie générale;
2° Cette mention spéciale du droit de rétention, à l'occasion des matières variées où il est autorisé, est particulièrement nécessaire, à cause de la nature de ce droit qui, précisément, se perd faute d'avoir été exercé au moment même où il est utile: généralement, les droits ne se perdent que par une longue négligence, il y a alors prescription; mais ici, pour une raison spéciale sur laquelle on reviendra sous l'article 1100, le droit de rétention cesse si le créancier qui pouvait l'exercer l'a négligé, en rendant la chose au débiteur; on conçoit donc combien il est nécessaire que celui à qui ce droit appartient ne soit pas exposé à l'ignorer: la loi serait vraiment blâmable si, en donnant des armes défensives au créancier, elle ne prenait pas soin de les déposer là où il peut le mieux les trouver;
3° Enfin, dans les divers cas précités où la loi a spécialement proclamé l'existence du droit de rétention en faveur du créancier, il n'a pas toujours la même portée, il excède quelquefois celle que lui donne ici notre premier article: notamment, il s'applique dans certains cas à la créance résultant de dépenses utiles ou d'amélioration (v. ci-après, n° 212) et notre article 1096 ne va pas si loin comme principe général.
210. Le droit de rétention, étant fondé sur le nantissement, a beaucoup d'analogie avec le gage mobilier et avec le nantissement immobilier, selon qu'il s'applique à un meuble ou à un immeuble; mais ses avantages pour le créancier sont moins considérables, ce qui explique que la loi commence par lui la série des sûretés réelles; ensuite, il n'a pas la même généralité d'application: n'étant pas constitué par la volonté des parties, mais par la loi, il est naturellement subordonné à des conditions particulières qui le rendent plus ou moins rare.
Ces conditions sont au nombre de deux; il faut: 1° que le créancier possède déjà en vertu d'une cause légitime la chose qu'il prétend retenir, 2° que la créance dont la rétention doit être la garantie soit née " à l'occasion " de cette même chose, soit connexe à cette possession.
La première condition a pour but d'empêcher que le créancier ne prenne ou ne conserve par ruse la possession d'une chose de son débiteur pour y trouver une garantie illégitime. Comme causes légitimes de cette possession, nous trouvons naturellement les conventions, les quai-contrats et le testament.
La seconde condition est justifiée par l'énoncé des créances qui ont pu naître ainsi, comme dit le texte, " à l'occasion " d'une chose appartenant au débiteur et d'une façon " connexe à la possession " qu'en avait le créancier.
Ce sont d'abord les charges conventionnelles à lui imposées pour la cession qui lui a été faite de la chose: si la vente n'était pas déjà l'objet d'une disposition spéciale à ce sujet (art. 684, 3e al), elle serait le cas le plus simple de cette application du droit de rétention à la garantie du prix; mais on n'a qu'à supposer ici une transaction, une donation, un contrat innommé, avec charges.
Ce sont ensuite les créances nées d'un enrichissement indû du débiteur et résultant d'avances faites par le créancier pour acquérir ou conserver une chose au profit du débiteur: outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, déjà mentionnés par les textes antérieurs (v. note a), on peut ajouter le louage, la société, le contrat de mariage et aussi les cas de résolution d'un acte translatif de propriété, lorsque celui qui doit rendre la chose a fait des dépenses pour la conserver.
Enfin, ce sont des créances résultant d'un dommage causé au créancier par la chose du débiteur, lorsque la responsabilité en doit retomber sur celui-ci d'après le droit commun: outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on pourrait encore citer les cas où une chose donnée à bail, ou apportée en société pour la jouissance seulement, avait des vices que le propriétaire connaissait et n'a pas révélés, et lorsque ces vices ont été dommageables au preneur ou aux associés.
211. Bien que le quasi-contrat de gestion d'affaires rentre dans les " causes légitimes " par lesquelles la possession à retenir a dû commencer, il fallait en faire une mention spéciale, comme ne donnant pas lieu à une aussi large application du droit de rétention: le gérant d'affaires n'a ce droit que pour se garantir de ses " dépenses nécessaires et de conservation " de la chose, mais non pour celles d'amélioration, et pas même pour la réparation des dommages que la chose lui aurait causés, parce qu'il n'a pas de créance à ce sujet (v. art. 383), le propriétaire ne pouvant être responsable de pertes auxquelles l'aurait exposé le zèle, peutêtre intempestif, du gérant d'affaires.
212. Remarquons, en terminant, que, dans aucun de ces cas, le droit de rétention n'est accordé à celui qui a fait des dépenses utiles ou d'amélioration pour la chose d'autrui: on en a cependant rencontré antérieurement une application aux dépenses utiles faites par le possesseur de bonne foi (art. 209) et par l'acheteur à réméré, traité aussi favorablement (voy. art. 727, 3e et 48 al.); mais il n'y a pas lieu d'étendre une pareille faveur a tous les autres cas, car il pourrait être dommageable au débiteur d'être privé de la possession de sa chose, faute de pouvoir rembourser de suite des dépenses ut il as faites sans sa volonté: il les devra assurément, mais sans cette garantie, et il obtiendra facilement du tribunal des délais pour le payement.
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(a) Nous donnons ici la nomenclature des articles antérieurs où 81 droit de rétention se trouve reconnu par la loi en faveur du réancier, parce que celui-ci se trouve dans les conditions nécessaires.
Ce sont les articles:32, 1er al. (expropriation),
73, 3e al. (usufruit),
156, 2e al. (bail),
182, 2e al. (emphytéose),
189, 2e al. (superficie),
209, (possession),
476, 4e al. (répétition de l'indÛ),
684, 3e al. (vente: défaut de payement),
727, 4e al. (vente: rachat),
737, 3e al. (vente: rescision pour lésion),
900 (prêt à usage),
915, 2e al. (dépôt),
944 (malldat),
979 bis (louage de transport,
989 bis (louage d'ouvrage).
(b) (V. Tome 1er, nos 110 et 313; Tome Ile, n° 458; Tome IIIe, nOIl 210, 275, 301, 329, 708 et 774.)
Art. 1097. — 213. On trouve déjà ici une analogie frappante entre le droit de rétention et le gage proprement dit, c'est l'indivisibilité, laquelle a plusieurs applications:
1° Si le créancier n'a pas retenu tout ce qu'il pouvait retenir, son droit se concentre tout entier sur ce qu'il a effectivement retenu; le débiteur y trouve plutôt avantage qu'il n'en souffre; peut-être même sera-ce lui qui aura prié le créancier de se contenter d'une rétention ainsi limitée;
2° Si le créancier a reçu un payement partiel, il n'est pas tenu de restituer une partie de la chose; de même, si un de ses héritiers a reçu sa part dans la créance (supposée divisible), il cesse assurément de retenir la chose, mais il doit laisser la possession entière aux autres héritiers non encore désintéressés;
3° Si l'un des héritiers du débiteur a payé sa part dans la dette, il ne peut cependant pas retirer sa part de la chose, laquelle reste entière aux mains du créancier ou de ses héritiers;
4° Enfin, si la chose retenue périt en partie, par cas fortuit ou par force majeure, ce qui en reste demeure la garantie de la dette entière.
Cette dernière application de l'indivisibilité du droit de rétention n'est pas indiquée au texte, comme allant de soi.
Art. 1098. — 214. Après l'analogie vient la différence entre le droit de rétention et le gage. On verra bientôt que le gage donne au créancier gagiste, outre le droit de rétention, un droit de privilége ou de préférence sur la valeur de la chose engagée, lorsqu'elle sera vendue, à la requête, soit du créancier gagiste, soit des autres créanciers (art. 1116); c'est ce droit de préférence qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur, et si la loi prend soin de s'en expliquer (1er al.), c'est pour prévenir une trop facile confusion de ce droit avec le gage.
Le créancier rétenteur n'ayant pas de privilége sur la valeur de la chose, on peut se demander à quoi lui sert le droit de rétention. La réponse est facile: la rétention opérera son effet par l'intérêt que le débiteur ou ses autres créanciers auront à dégager la chose retenue, en payant la dette qu'elle garantit; comme cette chose vaudra, en général plus que le montant de la créance, les intéressés ne la laisseront pas longtemps aux mains du rétenteur.
215. Le 2e alinéa nous ramène à une analogie avec le gage, en ce que la rétention confère au créancier un véritable privilége sur les fruits et produits de la chose, lesquels s'imputeront sur les intérêts et, subsidiairement; sur le capital. Cette innovation est une juste compensation de ses peines et soins dans la gestion et la conservation de la chose.
Le présent article devant servir en même temps à régler le droit aux fruits du créancier nanti par convention d'un meuble ou d'un immeuble (v. art. 1113 et 1131), il est bon qu'il soit explicite sur les diverses espèces de fruits.
Comme le droit de rétention peut s'appliquer à toute espèce de biens, il y aura souvent lieu, pour le créancier, à une perception de fruits naturels de fonds de terre; des meubles il ne pourra obtenir de fruits naturels que s'il s'agit d'animaux; mais des deux sortes de biens il pourra obtenir des fruits civils, par suite de location de la chose, ou par les intérêts, s'il s'agit d'un titre de créance retenu par un cédant.
La disposition du 3° alinéa est facile à justifier: ni le débiteur ni ses créanciers ne doivent souffrir de la négligence du rétenteur à percevoir les fruits.
Art. 1099. — 216. Le présent article tranche une question qui s'élève en France, au sujet du droit pour le débiteur d'aliéner sa chose et pour ses créanciers de la saisir et de la faire vendre; on décide ici dans le sens qu'il faut soutenir en France, en l'absence de texte: le débiteur peut aliéner, ses créanciers peuvent faire vendre la chose soumise au droit de rétention; mais ce droit même subsistera intact: le créancier rétenteur conservera la possession jusqu'à parfait payement.
Et il n'est pas sans intérêt ipour le débiteur et ses autres créanciers de pouvoir aliéner la chose avant qu'elle soit affranchie de la rétention: il peut se présenter, en effet, malgré l'obstacle à l'entrée immédiate en possession, une circonstance favorable à la vente qui ne se rencontrerait pas plus tard.
En outre, si les autres créanciers n'ont pas fait une saisie-arrêt du prix entre les mains de l'acheteur,
celui-ci pourra payer son prix au créancier rétenteur, ce qui dégagera la possession et équivaudra presque à un privilége pour le rétenteur.
Art. 1100. — 217. Cet article présente un rapprochement général du droit de rétention avec le nantissement conventionnel.
Il n'est pas nécessaire de développer ces nouvelles analogies; il suffit de dire:
1° Que la responsabilité du rétenteur est la même que celle du créancier gagiste ou du créancier nanti d'un immeuble, suivant que la rétention porte sur un meuble ou sur un immeuble, et avec la même sanction: la déchéance pour abus de jouissance (v. art. Il t 1, 1112 et 1135);
2° Que son droit de rétention garantit également les nouvelles dépenses qu'il aura dû faire pour la conservation de la chose retenue et les dommages qu'il en aura éprouvés (art. 1114 et 1135);
3° Que sa possession n'empêche pas la prescription libératoire du débiteur et ne le mènera pas lui-même à la prescription acquisitive (art. 1119 et 1120).
Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à exiger, pour que le droit de rétention sur un meuble fût opposable aux tiers, qu'il remplît!les conditions imposées au gage par les articles 1105, 1108 et 1109, ou qu'il fût transcrit comme un droit de nantissement immobilier, lorsqu'il porte sur un immeuble: ce droit vient de la loi et non de la convention, de sorte que son existence prúcède toute formalité; or, si la loi voulait lui en imposer après coup, elle devrait accorder au rétenteur un délai suffisant, avec rétroactivité, ce qui diminuerait toujours la sécurité des tiers; en outre, la durée de ce droit doit être, en général, assez courte et dès lors les formalités dont il s'agit seraient exagérées.
218. La loi termine en notant spécialement la perte du droit de rétention pour le créancier " qui a volontairement négligé ou cessé de l'exercer," c'est-à-dire qui a rendu la possession au débiteur; ce qui comprend même le cas où il aurait ignoré que son droit était attaché à la possession effective (v. n° 209-2"); cette possession est le seul moyen de révéler au.': tiers l'existence du droit qui leur nuit, le droit y est donc subordonné.
SOMMAIRE.
Art. 1101. — N° 219. Double sens du mot gage; effet du legs d'un droit de gage. -220. Définition du gage: pourquoi on n'y fait pas mention de la tradition.
1102. —221. Cautionnement réel par un tiers.
1103. —222. Effet de la constitution d'un gage pour sû: reté d'une obligation naturelle. x
1104. -223. Capacité requise pour constituer un gage.
1105. —224. Caractère général des conditions requises pour la validité du gage à l'égard des tiers. -225. Rédaction d'un acte ayant date certaine: ce qu'il doit contenir.
1106. —226. Deux exceptions: preuve par témoins. —227.Preuve par le débiteur.
1107. —228. Nécessité de la tradition au créancier: elle ne Indivisibilité.vient pas de la nature même du contrat, comme dans les trois autres contrats réels. —229. C'est une sorte de moyen de publicité pour les tiers. -230. La possession du créancier doit être réelle et continue: conséquences.
1108 et 1109. —231. Dation en gage d'une créance nominative; particularités au sujet des effets négociables par endossement. —232. Dation en gage d'une action ou obligation nominative dans une société.
1110. 233. Indivisibilité du gage, d'après l'intention présumée des parties: elle n'est ni accidentelle, ni essentielle, mais naturelle.
COMMENTAIRE.
Art. 1101. — N° 219. Dans la langue du droit français et aussi dans l'usage pratique, le mot " gage " se prend dans deux sens: le gage est la chose remise au créancier comme sûreté ou garantie de sa créance; c'est aussi le contrat par lequel la chose est ainsi affectée spécialement au payement. C'est ce second sens que notre article emploie pour la définition (a).
On pourrait s'étonner que la loi ne fasse pas mention du testament, comme pouvant constituer un droit de gage; on sait, en effet, que le testament, autant que les contrats, peut servir à constituer les droits réels, et on verra même qu'il peut, au moins dans le Projet japonais, servir à constituer l'hypothèque.
Mais le testament serait ici insuffisant: l'article 1107 dira que le gage n'est valable qu'autant que le créancier gagiste est mis en possession de la chose affectée à sa garantie; or, le testament peut bien donner un droit, qui est une abstraction, mais non la possession qui est surtout un fait. Toutefois, le testament par lequel un débiteur lèguerait à son créancier un droit de gage ne serait pas sans effet: il obligerait l'héritier à livrer le gage, en exécution d'une obligation de faire à lui imposée.
220. Le texte de notre article, à la différence de l'article correspondant du Code français (art. 2071), ne fait pas entrer dans la définition du contrat de gage la remise de la chose aux mains du créancier: cette condition existe cependant aussi dans le Projet (v. art. 1107mais comme elle est plutôt fondée sur une raison de droit qu'elle ne résulte de la nature des choses, il est préférable de lui donner plus de relief dans un article spécial; le Code français lui-même, malgré sa définition, n'a pu s'en dispenser (v. art. 2076). Il suffit que la définition du Projet nous dise qu'il y a " affectation spéciale d'une chose à la garantie de l'obligation."
Comment se fait cette affectation ? C'est une idée secondaire. La définition pourrait ainsi s'appliquer à un gage purement conventionnel, s'il était permis, soit en règle, soit par exception.
La définition, au contraire, ne manque pas de mentionner que le gage ne s'applique qu'aux choses " mobilières; " c'est en cela qu'il diffère du nantissement immobilier ou hypothécaire objet du Chapitre suivant.
Notre premier article suppose que le gage est fourni par le débiteur lui-même: c'est ce qui arrivera le plus souvent; mais l'article suivant va supposer que le gage est fourni par un tiers.
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(a) La même observation a été faite déjà au sujet du mot " dépôt " qui a aussi deux sens: la chose déposée et le contrat par lequel le dépôt est remis et accepté (v. T. III, n° 714, a.); voir aussi la remarque sur le double sens du mot " cautionnement," n° 11, note a.
Art. 1102. — 221. Du moment qu'un tiers peut garantir la dette d'autrui par un cautionnement, engagement personnel, il est naturel qu'il puisse aussi, et à plus forte raison, fournir la sûreté réelle pour le compte du débiteur: il peut le faire par suite d'un mandat de celui-ci, ou spontanément, comme gérant d'affaires. Cette distinction entre les deux causes qui ont amené le tiers à rendre ce bon office influe sur l'étendue du recours de la caution réelle, comme il a influé sur le recours de la caution 'personnelle; de là, le renvoi aux articles 1030 et suivants.
Art. 1103. — 222. La théorie des obligations naturelles, déjà trop négligée dans les Codes étrangers, a besoin d'être mise davantage en relief au Japon où elle est encore moins familière aux légistes; le Projet ne néglige donc pas d'en faire, de temps à autre, ressortir, le lien avec les obligations civiles. Or, on rappelle ici, par le renvoi aux articles 588 et 589, que si l'obligation naturelle ne comporte pas, comme telle, de contrainte ou d'exécution forcée, que si l'exécution doit en être- volontaire de la part du débiteur, elle peut cependant être l'objet d'un cautionnement volontaire, réel ou personnel, lequel entraînera exécution forcée.
A cette occasion, on retrouve encore l'utilité qu'il y a de distinguer entre le mandat et la gestion d'affaires: lorsque le cautionnement réel est fourni par un tiers, s'il y avait mandat, le débiteur serait contraint au remboursement envers le tiers, parce que ce serait déjà de sa part une reconnaissance volontaire de sa dette; mais, si le tiers avait agi seulement comme gérant d'affaires, le remboursement par le débiteur ne pourrait être que volontaire; celui-ci ne serait toujours tenu que d'une obligation naturelle, comme si le tiers avait payé spontanément: l'obligation aurait changé de titulaire, mais elle serait toujours naturelle.
Art. 1104. — 223. Le gage conférant au créancier un droit réel qui peut éventuellement amener l'aliénation de la chose, il est clair que celui qui le constitue doit avoir la capacité de disposer de l'objet donné en nantissement.
La loi ne commence pas par exiger que le constituant soit propriétaire de l'objet, parce que cette condition n'est pas toujours nécessaire, certains administrateurs pouvant donner en gage les objets qu'ils administrent, ainsi que le permet le 2a alinéa de notre article. Mais il faut la capacité d'aliéner et tout propriétaire ne l'a pas, encore moins tout administrateur; seulement, il suffit, en général, de la capacité d'aliéner à titre onéreux: il n'est pas nécessaire de pouvoir aliéner à titre gratuit; ainsi un mineur émancipé pourrait donner sa chose en gage pour une obligation rentrant dans sa capacité; de même, un tuteur pourrait donner en gage un objet mobilier de son pupille, pour la garantie d'une dette valable de celui-ci.
Par exception, il faut la capacité d'aliéner à titre gratuit; c'est lorsque le gage est constitué pour le débiteur par un tiers non intéréssé: dans ce cas, il faut que le constituant soit capable de disposer à titre gratuit, non seulement en général et vis-à-vis de tout le monde, mais aussi spécialement et relativement au débiteur auquel il rend un service gratuit; c'est un principe déjà posé pour le cautionnement personnel, par l'article 1012 auquel notre article renvoie.
Art. 1105. — 224. La loi arrive, avec cet article et les quatre suivants, aux conditions requises pour la validité du gage à l'égard des tiers. Ces tiers sont de deux sortes que le texte indique clairement: 1° ceux qui ont traité avec le débiteur (ou avec celui qui a constitué le gage pour le débiteur), au sujet du même objet: par exemple, comme acheteurs ou comme créanciers gagistes; 2° ceux qui sont créanciers du même débiteur, sans gage, ou créanciers chirographaires; le tout, sans distinguer si les uns ou les autres ont contracté avec le débiteur avant ou après la constitution du gage qui nous occupe.
Les conditions qui vont suivre ont pour but, les unes (celles de notre article) de prévenir certaines fraudes qui tendraient à favoriser un créancier au préjudice des autres intéressés, les autres (art. 1107 à 1109) de donner au gage une sorte de publicité qui prévient les tiers du droit qui leur sera opposable.
225. Notre article exige pour la validité du gage à l'égard des tiers la rédaction d'un acte écrit, sauf l'exception portée à l'article suivant.
L'acte doit désigner exactement la créance, afin qu'au moment de la vente du gage et de l'application du prix au payement, le créancier ne se fasse pas attribuer plus qu'il ne lui est dû, d'accord avec le débiteur et sauf à partager avec lui le produit de la fraude commise contre les autres créanciers.
L'acte doit encore désigner exactement les objets donnés en gage, afin que le débiteur ne puisse pas, d'accord avec le créancier, substituer aux objets donnés primitivement des objets d'une plus grande valeur.
La loi précise assez, à cet égard, la manière de désigner les objets pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y insister ici.
Ce qu'il faut remarquer c'est que toutes ces précautions seraient inutiles si l'acte n'avait pas reçu ' ' date certaine," aussi est-ce une condition fondamentale; sans cela, lorsque la position du débiteur deviendrait mauvaise, il pourrait, par collusion avec le créancier, rédiger un autre acte plus favorable à celui-ci, en lui donnant une date antérieure à l'époque où il est devenu insolvable; dans cet acte, on pourrait, soit grossir la créance, de manière à lui faire absorber toute la valeur du gage qui y était supérieure, soit, si le gage était insuffisant, augmenter le nombre ou l'importance des objets donnés en nantissement, de manière à leur faire couvrir la créance en entier.
Art. 1106. — 226. L'écrit dont il s'agit à l'article précédent n'est pas exigé pour la solennité, mais seulement pour la preuve; il est donc naturel que la preuve testimoniale soit admise en cette matière, conformément au droit commun.
Le Code français ne permet la preuve testimoniale que lorsque l'intérêt engagé est de cent cinquante francs ou au-dessous. Le Projet japonais admet cette preuve jusqu'à concurrenee de cinquante yens (art. 1396) (a).
Le texte a soin de préciser que c'est la " créance " qui doit pouvoir être prouvée par témoins, pour que la preuve testimoniale puisse à son tour être employée pour établir la constitution du gage et son objet.. Si donc la créance dépasse 50 yens, il ne sera pas possible de prouver le gage par témoins, lors même que la valeur n'en dépasserait pas ce chiffre; cette preuve, en effet, serait sans utilité pour le créancier, puisque son droit principal ne serait pas établi. Si la créance n'excède pas 50 yens, le gage pourra être prouvé par témoins, lors même que la valeur en excèderait 50 yens, parce que, lors même qu'on arriverait à le vendre, il n'en serait toujours prélevé que 50 yens pour désintéresser le créancier.
Le texte nous dit que, dans ce cas, il pourra n'y avoir qu'un seul témoignage, aussi bien qu'il pourra y en avoir deux, pour prouver la créance et le gage; c'est dire qu'il pourra y avoir des témoins différents pour les deux faits.
Un cas pourrait faire difficulté, mais la loi ne le traite pas, parce qu'il ferait trop entrer dans la matière des preuves, c'est celui où l'on se trouverait dans un des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est admissible, même pour une créance de plus de 50 yens; par exemple, parce qu'il a été impossible au créancier de se procurer une preuve écrite (v. art. 1405). Pourrait-il, dans ce cas, prouver également la constitution du gage, à quelque valeur qu'il montât ?
La réponse demande une distinction: si la constitution du gage a été concomitante à la naissance de la créance, la même impossibilité d'en dresser une preuve écrite ayant eu lieu, la même faculté de la prouver par témoins appartiendra au créancier; mais si le gage n'a été constitué que plus tard et que l'impossibilité de rédiger un écrit n'ait plus existé, on ne pourrait pas prouver le gage par témoins, à moins qu'il ne fût resté lui-même dans la limite de 50 yens en valeur.
227. Une autre question de preuve du gage se présenterait dans les deux cas qui précèdent, si c'était le débiteur qui agît en restitution du gage.
Au premier cas, si le créancier ayant prouvé par témoins un gage supérieur a 50 yens, l'a fait vendre, le surplus, qui se trouve dû au débiteur, sera prouvé par la procédure même de la vente: ce sera une preuve écrite toute prête pour le débiteur. Mais si le débiteur, offrant de payer sa dette inférieure à 50 yens, prétend revendiquer un gage supérieur à cette somme, il ne pourra user de la preuve testimoniale.
Au second cas, celui où il n'a pas été possible de dresser un écrit pour le gage, le débiteur pourra, aussi bien que le créancier, faire la preuve testimoniale de la constitution du gage, quelle que soit sa valeur.
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(a) Le yen japonais est l'équivalent du dollar mexicain d'argent: il représente aujourd'hui 4 francs environ (juin 1891); 50 yens équivalent donc à 200 francs environ.
Art. 1107. — 228. Nous arrivons à la condition la plus importante pour la validité du gage à l'égard des tiers: à savoir, la remise de la possession effective de la chose aux mains du créancier. C'est cette possession qui donne au gage le caractère de " nantissement " et qui fait donner au contrat la qualification de réel (voy. art. 323), comme l'ont déjà le prêt de consommation, le prêt à usage et le dépôt, avec cette différence pourtant que, dans ces trois contrats, c'est la nature des choses qui exige cette tradition, tandis qu'ici c'est une raison de droit et d'utilité, le besoin d'une sorte de publicité, comme nous l'avons déjà annoncé et comme nous l'allons démontrer dans un instant.
En effet, les deux prêts n'auraient aucune utilité pour l'emprunteur, si la chose prêtée n'était mise à sa disposition, et le dépôt ne serait d'aucune utilité pour le déposant, si le dépositaire ne recevait la possession et la garde de la chose déposée. Au contraire, on comprendrait très bien que le gage fût utile au créancier sans lui être livré: le créancier pourrait avoir le droit de faire déclarer nulles à son égard les aliénations de l'objet faites par le débiteur, et aussi de se faire attribuer la valeur du gage, par préférence aux autres créanciers; cette situation est si bien compréhensible qu'elle était, fi Rome, celle du créancier ayant hypothèque sur un meuble ou sur un immeuble, et qu'elle est encore aujourd'hui, peut-être partout, celle du créancier ayant hypothèque sur un immeuble.
229. Mais en même temps qu'on reconnaît la possibilité de tels avantages pour le créancier, sans la tradition de la chose, on voit aussi combien elle serait dangereuse pour les tiers. Lorsqu'il s'agit d'hypothèque sur les immeubles, il a été possible d'en organiser une publicité suffisante pour que les tiers ne s'exposassent pas à des évictions, en acquérant des biens hypothéqués à leur insu, ou ne devînssent pas créanciers d'un débiteur dont les immeubles seraient déjà grevés pour tout ou partie de leur valeur. Mais une semblable publicité ne pouvait être organisée pour le gage des meubles qui n'ont pas de situation fixe. C'est donc dans le même but, mais par un autre moyen, qu'on a imaginé de révéler aux tiers intéressés l'affectation d'un meuble à l'acquittement d'une obligation.
Le gage sera livré au créancier gagiste; et comme le débiteur, lors même qu'il l'aliénerait, ne pourra le livrer à son acheteur ou donataire, celui-ci ne pourra invoquer la prescription instantanée contre le créancier gagiste; c'est au contraire, le créancier gagiste qui, joignant à un droit réel mobilier la possession effective, sera préféré à l'acquéreur (voy. art. 366). De même, la possession du créancier gagiste empêchera que les autres créanciers considèrent l'objet donné en gage spécial comme faisant encore partie du gage commun (v. art. 1001)
Voilà comment on peut dire que la remise de la chose en nantissement, aux mains du créancier, est une sorte de publicité du gage: c'est la plus pratique, en même temps que la moins coûteuse.
230. La possession du créancier n'est pas seulement la condition de la constitution originaire du gage, elle est aussi la condition de sa conservation: il faut que le gage " reste en sa possession réelle et continue autrement, la sécurité des tiers serait compromise. Le gage cesse donc lorsque le créancier a laissé la chose rentrer dans les mains débiteur ou de son représentant et, de cette façon, on peut dire que la rétention du gage n'est pas seulement, comme le dira l'article 1115, un droit pour le créancier gagiste, mais qu'elle est aussi pour lui un devoir.
La possession doit être réelle ou effective; il ne serait donc pas permis qu'elle fût laissée au débiteur par un constitut possessoire (v. art. 203, 3e al.), comme on pourrait laisser la chose vendue aux mains du vendeur; elle ne pourrait pas davantage lui être laissée à titre de louage, de dépôt ou de prêt à usage: les dangers, les fraudes que la loi veut prévenir se retrouveraient possibles dans une telle situation. L'article 1111 défendra au créancier de louer la chose à un tiers sauf un tempérament.
Ce qui est permis c'est que la chose soit remise ou déposée aux mains d'un tiers choisi par les deux parties d'accord, ou par le créancier seul, sous sa responsabilité. Quelquefois, ce sera le débiteur qui, peu confiant dans la vigilance ou l'honnêteté du créancier, exigera ce dépôt en mains tierces; d'autres fois, ce sera le créancier qui n'aura pas la facilité de conserver le gage chez lui.
Le présent article est écrit pour le gage consistant dans des " choses corporelles," les seules qui soient susceptibles de possession réelle; mais les titres dits (lU porteur, ceux pour lesquels le droit est attaché à la détention du titre, sont assimilés aux choses corporelles (v. art. 366).
Art. 1108 et 1109. -231. La loi complète l'organisation de la publicité spéciale du gage en supposant que la chose donnée en gage est un droit personnel ou de créance.
D'abord, c'est une créance nominative qu'avait le débiteur contre un tiers.
Ici le droit n'est pas attaché à la possession du titre authentique ou privé qui la constate, il reste chose incorporelle (v. art. 6-1°). Cependant le débiteur devra livrer le titre au créancier gagiste: si cela ne lui ôte pas tout-à-fait le moyen d'aliéner la créance, de la donner en gage à un autre créancier, ou d'en recevoir le montant, au moins cela rend très difficile de pareils actes. Mais cela ne suffira pas, il faudra, en outre, que lui ou le créancier gagiste notifie au tiers débiteur que la créance est donnée en gage, afin que le payement ne puisse être valablement fait à l'ancien créancier et qu'il ne soit pas fait valablement de cession ou d'autre dation en gage. L'intervention du tiers-débiteur à l'acte de constitution du gage lui tient lieu de notification. Cette double forme rappelle celles que la loi perscrit pour le transfert même de -la créance et notre article se réfère, à cet égard, à l'article 367 pour ce qu'il contient de plus.
De ce que le tiers-débiteur ne peut plus payer valablement à son créancier, ce n'est pas à dire qu'il puisse payer au créancier gagiste: l'article 1113 nous dira le contraire et nous en donnerons le motif.
S'il s'agit de créances dites "effets de commerce ou effets négociables," il suffira que l'endossement porte qu'il est fait " en garantie," et dans ce cas, le créancier gagiste aura le pouvoir de recevoir de payement (voy. art. 1113).
Mais cette double faveur accordée au gage donné en effets négociables n'implique pas la dispense de dresser l'écrit dont parle l'article 1105, au moins si la dette à garantir est une dette civile: ce n'est que s'il s'agissait d'une créance commerciale elle-même, constatée par un effet de commerce, que l'endossement en garantie pourrait suffire. Au surplus, c'est le Code de Commerce qui aura à régler ce point.
232. L'article 1109 suppose enfin que le droit donné en gage est une action ou une obligation, nominative toujours, dans une société, soit civile, soit commerciale.
Nous n'avons pas à nous arrêter ici sur la différence entre une action et une obligation dans une société, puisque les deux sortes de droits suivent les mêmes règles au point de vue de la constitution du gage; il suffit de rappeler que l'action confère à celui auquel elle appartient, à l'actionnaire, la qualité d'associé, avec des chances de gains illimitées et des risques de pertes limités à la mise, c'est-à-dire au prix versé ou à verser pour l'obtention du titre; l'obligation, au contraire, est une créance contre la société, d'une somme qui lui a été fournie à titre de prêt ou autre titre analogue: le créancier, l'obligataire, n'a d'autre avantage à attendre qu'un intérêt fixe et d'autre risque à courir que celui de l'insolvabilité de la société.
Les actions et obligations peuvent être au porteur ou nominatives: dans le premier cas, elles se cèdent entre les parties par le seul consentement et à l'égard des tiers (y compris la société elle-même) par la tradition du titre (v. art. 366, 2e al.), et elles se donnent en gage à l'égard des tiers conformément aux articles 1105 et 1107, ci-dessus; dans le second cas, elles se cèdent ou se donnent en gage, à l'égard de la société et des tiers, par une déclaration à la société, laquelle inscrit sur ses registres; le nom du nouveau titulaire ou du créancier gagiste; le tout, sans préjudice de la remise du titre, comme notre article 1109 l'exprime.
Art. 1110. — 233. Ce qui a été dit de l'indivisibilité du droit de rétention, au sujet de l'article 1097, nous dispense d'entrer dans de nouveaux développements de l'indivisibilité du gage qui a les mêmes effets; il suffit de résumer la théorie en disant que " tout le gage et chaque partie du gage garantissent toute la dette et chaque partie de la dette."
Remarquons seulement que la loi a soin de dire que cette indivisibilité n'a pas pour cause la nature même du gage, mais " l'intention présumée des parties," et la conséquence qu'elle en déduit elle-même c'est que les parties peuvent y déroger par une convention expresse.
La disposition n'est pas sans importance, quand on voit que le Code français, proclamant l'indivisibilité de l'hypothèque, qui est analogue à celle du gage, dit qu'elle est "de sa nature" (art. 2114, 2e al.), ce qui n'est pas exact, si la loi a entendu dire par là qu'on ne pourrait stipuler la divisibilité, car on comprendrait très bien que le gage diminuât avec la dette et ce résultat ne serait contraire ni à la raison, ni à l'équité;seulement, on peut dire qu'il est préférable de ne l'admettre que lorsque les parties l'ont ainsi réglé.
Mais peut-être les Rédacteurs du Code français, en disant que 1, l'hypothèque est, de sa nature, indivisible," ont-ils seulement voulu dire que l'indivisibilité a lieu sans être stipulée, de sorte qu'elle n'est pas accidentelle, mais ils n'auraient pas entendu défendre d'y déroger, ce qui l'eût rendue essentielle, c'est en ce sens qu'elle serait naturelle (Comp. Tome II, n° 337 et T. III, nos 224 et 341).
SOMMAIRE.
Art. 1111. — N° 234. Responsabilité du créancier gagiste quant à la garde de la chose. -235. Défense de louer ou d'user: sanction.
1112. —2.36. Droit du créancier de donner la chose en sousgage.
1113. —237. Droit privilégié du créancier gagiste sur les fruits et produits de la chose.
1114. -238. Créances nées à l'occasion du gage.
1115 et 1116. —239. Droit de rétention du créancier gagiste. -240. Droit d'empêcher la vente du gage avant l'échéance. -241. Vente et exercice du privilége après l'échéance. —242. Motif pour lequel l'article 2082, 2e al., du Code français n'est pas admis dans le Projet.
1117. —243. Droit du créancier gagiste de demander l 'attribution du gage en payement, à concurrence de sa valeur.
1118. -244. Prohibition du pacte commissoire. —245. Nullité des pactes frauduleux. —246. Klle ne peut être invoquée par le créancier gagiste.
1119. —247. La possession du gage par le créancier ne suspend pas la prescription libératoire.
1120. —248. Refus de la prescription acquisitive au créancier gagiste, même après l'extinction de la dette; maintien de la prescription libératoire de l'obligation de restituer.
COMMENTAIRE.
Art. 1111. — N° 234. Le Projet japonais ne croit pas nécessaire de dire, comme le Code français (art. 2079), que le débiteur reste propriétaire du gage, puisqu'on va dire bientôt que le créancier gagiste n'a que le droit de le faire vendre aux enchères pour se faire payer sur le prix.
Le Projet ne dit pas non plus, avec le même Code, que ” le gage n'est, dans la main du créancier, qu'un dépôt ": cette expression, prise à la lettre, serait toutà-fait inexacte, car elle ne soumettrait le créancier gagiste qu'à donner au gage les soins qu'il apporte à ses propres affaires (v. c. civ. fr., art. 1927 et Proj. jap., art. 905), ce qui serait insuffisant, puisque le contrat est dans son intérêt, au moins autant que dans celui du débiteur.
Le créancier gagiste reçoit la chose d'autrui sous la condition de la restituer, si la vente n'en devient pas nécessaire; jusque-là, il doit conserver la chose avec soin et, à cet égard, sa responsabilité n'est ni plus ni moins étendue que celle imposée par le droit commun au débiteur d'un corps certain: il doit " les soins d'un bon administrateur " (v. art. 354).
235. La loi ne lui permet pas de donner la chose à bail, sans autorisation du débiteur, parce que ce serait l'exposer à des détériorations ou des risques que le débiteur peut n'avoir ni prévus ni acceptés. Il ne peut non plus, pour le même motif, l'employer à son usage personnel; mais ici il y a deux exceptions: le cas où il y est autorisé et celui où l'usage de la chose est nécessaire à son entretien et à sa conservation. On peut citer, comme application de la seconde exception, le cas d'un cheval et d'un chien de chasse qui auraient été donnés en gage: le repos les rendrait bientôt impropres à tout service.
Si le créancier gagiste manquait à son obligation de garde, s'il usait de la chose contrairement à la loi, ou abusait de l'autorisation d'user, il pourrait être déclaré déchu de son droit. Les tribunaux auraient nécessairement à cet égard un certain pouvoir d'appréciation, et si le créancier offrait de déposer la chose aux mains d'un tiers présentant toutes garanties de soins et de fidélité (v. art. 1107, 2B al.), les tribunaux pourraient ne pas prononcer sa déchéance.
Art. 1112. — 236. On pourrait s'étonner que le créancier, qui ne peut louer le gage à un tiers, puisse le donner en sous-gage (sub pignus) à son propre créancier; mais il n'y a pas là de contradiction, puisque le nouveau créancier gagiste ne pourra lui-même louer la chose, ni en user: il sera alors comme un tiers dépositaire, d'après l'article 1097, et sous la même sanction de la responsabilité du premier créancier.
Il y a d'ailleurs une aggravation de cette responsabilité, c'est celle de la perte ou détérioration par cas fortuit ou force majeure, lorsque les mêmes accidents ne se sont produits que par suite du déplacement de la chose: le créancier gagiste a changé les risques de la chose, le débiteur n'en doit pas souffrir.
Art. 1113. — 237. Comme le gage ne peut porter que sur des objets mobiliers, il n'y a que le gage portant sur des animaux qui puisse produire des fruits naturels; mais le créancier gagiste aura des fruits civils, lorsqu'il aura été autorisé par le débiteur à louer la chose; il percevra également des fruits civils du gage lorsqu'il aura reçu en nantissement des créances, des actions ou obligations.
La loi a soin d'ajouter que, dans ce cas, " il ne pourra recevoir le capital sans l'autorisation spéciale du débiteur: " il peut arriver, en effet, que la dette gagée ne consistant pas en argent, mais en faits à accomplir, le débiteur soit en mesure d'exécuter son obligation à l'échéance, et il ne doit pas être exposé à courir le risque que le capital de sa créance, une fois reçu par le créancier gagiste, soit dissipé par lui; dans le cas même où les deux dettes consistent en argent, le débiteur peut avoir à exercer contre son créancier des compensations antérieures à la dation du gage, ou bien sa dette peut se trouver, de toute manière, inférieure à la créance qu'il a donnée en gage et il ne faut pas qu'il soit exposé à ne pas recouvrer la différence qui lui revient.
La loi excepte le cas où la créance donnée en gage est un effet de commerce ou " négociable par endossement: " dans ce cas, le créancier gagiste peut et même doit recevoir le capital à l'échéance, 1° parce que le débiteur de ces effets a lui-même le droit d'en imposer le payement dans son propre intérêt, 2° parce que le porteur (ici le créancier gagiste) pourrait être déchu de ses droits contre les endosseurs, s'il négligeait de recevoir le payement à l'échéance.
Il va sans dire que le droit du créancier gagiste sur les fruits et produits est privilégié à l'égard des autres créanciers, puisqu'il est privilégié sur le capital, d'après l'article 1116; d'ailleurs le nôtre renvoie à l'article 1098, lequel donne déjà privilége sur les fruits au créancier simplement rétenteur.
Art. 1114. — 238. La détention de la chose par le créancier gagiste sera souvent pour lui l'occasion de faire des dépenses, pour l'entretien et la conservation de la chose, en même temps qu'elle lui en imposera l'obligation; ce sera quelquefois aussi l'occasion de dommages éprouvés par suite de défauts non apparents de la chose. Ce seront pour lui autant de causes de créances à ajouter à la créance principale, et ces créances nouvelles seront même privilégiées avant ladite créance. La loi ne fait pas mention des dépenses utiles ou d'amélioration; ce n'est pas à dire qu'elle entende en refuser le remboursement au créancier gagiste: le droit commun le lui assure; mais comme les dépenses utiles ne motivent pas le droit de rétention (ci-dess. n° 212), la loi doit se borner ici à mentionner les dépenses nécessaires auxquelles se réfère l'article suivant, qui accorde au créancier gagiste le droit de rétention à ce titre.
Art. 1115 et 1116. —239. On a déjà vu, à l'article 1107, que le créancier doit être mis en possession du gage pour que son droit soit opposable aux tiers. Mais, de ce que sa mise en possession a un caractère obligatoire, ce n'était pas une raison pour omettre de la présenter comme un droit, ne fût-ce que pour son application aux dépenses nécessaires et à l'indemnité des dommages prévus à l'article précédent.
Au sujet de la créance principale et de ses accessoires, le présent article fortifie encore ce qui a été dit de l'indivisibilité du gage par l'article 1110: c'est jusqu'au Il parfait payement " que le créancier pourra retenir la chose.
240. Le 29 alinéa de l'article 1115 accorde au créancier gagiste un droit qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur (v. art. 1099), c'est celui de " s'opposer à la vente du gage aux enchères par les autres créanciers du débiteur, au moins tant que l'échéance n'est pas arrivée."
Voici le motif de cette différence: le créancier rétenteur n'a pas de privilége sur le principal de la chose retenue; il ne peut donc se plaindre qu'elle soit aliénée sans sa volonté: il doit lui suffire d'en conserver la possession jusqu'à son parfait payement; mais le créancier gagiste a un privilége: il lui importe beaucoup que la chose ne soit pas vendue en temps inopportun; tant que l'échéance de sa créance n'est pas arrivée, il peut avoir intérêt à ce que sa garantie ne soit pas modifiée; la question a de l'intérêt quand il s'agit de marchandises sujettes à des variations de cours.
241. Mais une fois l'échéance arrivée, la vente aux enchères peut être provoquée, non seulement par le créancier gagiste, mais par tous les autres créanciers. Comme la vente aux enchères publiques est le plus sûr moyen d'obtenir le meilleur prix de la chose, personne ne peut plus s'y opposer, au moment où l'on est arrivé.
C'est là que se réalisera le principal droit du créancier: le privilége pour toute sa créance gagée, en capital, intérêts et autres accessoires.
Comme la saisie et la vente publique du gage sont des voies d'exécution, c'est au Code de Procédure civile qu'il appartiendra d'en régler la forme et les conditions (a).
242. Au surplus, on n'a pas admis dans le Projet japonais la disposition, assez singulière, de l'article 2082, 28 alinéa, du Code français.
Cet article suppose qu'un gage ayant été constitué pour une première dette, le débiteur a contracté ensuite, envers le même créancier, une nouvelle dette devenue exigible avant que la première fût payée, et il autorise le créancier " à ne pas se dessaisir du gage avant d'être entièrement payé de l'une et l'autre dette, lors même qu'il n'y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au payement de la seconde." Il y aurait donc là une sorte de gage tacite, lequel s'induirait de la double circonstance que la nouvelle dette, contractée après, est devenue exigible avant la première (b). Mais si l'on s'en tient à la lettre de cet article, ce n'est pas avec l'échéance mais avec le payement effectif de la première dette qu'il faut comparer l'exigibilité de la seconde dette; ce qui ne permet pas de dire, comme on le fait ordinairement, que le créancier a eu soin de faire échoir la nouvelle dette avant la plus ancienne, pour avoir la faculté d'appliquer le gage à toutes deux: il pourrait arriver, au contraire, que la première dette fût exigible avant la seconde et que le débiteur la payât à l'échéance; dans ce cas, il recouvrerait son gage immédiatement et la nouvelle dette ne serait pas gagée. Il ne paraît donc pas juste, quand on songe aux autres créanciers, que le seul retard du débiteur à payer la première dette (retard peut-être concerté avec le créancier), donne ainsi au gage une double efficacité. Même, en supposant que l'échéance de la seconde dette devançât l'échéance de la première, il y aurait un danger particulier de fraude: lorsque le gage excéderait par sa valeur le montant d'une première dette, le débiteur pourrait se concerter avec son créancier pour en contracter une seconde, purement simulée, dont ils auraient soin de faire tomber l'échéance avant celle de la première et ils arriveraient ainsi à enlever aux autres créanciers la plus-value du gage, ce qui rendrait inutiles les précautions prises par la loi en exigeant untacte écrit, enregistré, constatant le montant de la dette gagée.
C'est donc avec une intention bien arrêtée qu'on n'a rien reproduit dans le Projet de la disposition de l'article 2082, 29 alinéa, du Code français.
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(a) On pourra consulter à ce sujet notre Projet de loi sur les Saisies déjà mentionné au Tome 111, n° 250, note c.
(b) Comme l'article 2082 ne donne au créancier que le droit " de ne pas se dessaisir " du gage, on décide généralement qu'il n'a pour la seconde dette que le droit de rétention, mais non le droit de préférence.
Art. 1117. — 243. Le présent article suppose que ni le créancier gagiste, ni les autres créanciers ne provoquent la vente du gage à l'échéance, sans doute parce que le premier n'en trouve pas le moment opportun et parce que les autres n'espèrent pas qu'il doive leur en revenir un reliquat de prix; ou bien la vente a été tentée, mais il ne s'est pas trouvé d'acquéreur au prix demandé.
Dans ce cas, il pourrait intervenir entre le débiteur et le créancier gagiste un accord d'après lequel la chose resterait à ce dernier, en payement total ou partiel; mais, "à défaut de cet accord," la loi permet au créancier gagiste de présenter au tribunal une requête (laquelle sera communiquée au débiteur pour être par lui contredite, s'il y a lieu) tendant à obtenir que le gage lui soit attribué en payement, jusqu'à concurrence de sa valeur estimée par expert.
S'il y a excédant du prix d'estimation sur le montant de la créance, le créancier deviendra à son tour débiteur de cette différence; au cas contraire, il restera créancier de ce qui manque pour le désintéresser.
A l'occasion de cette requête, il pourra y avoir des contestations du débiteur, tendant, soit à tenter une nouvelle vente aux enchères, soit à faire déclarer que l'échéance n'est pas arrivée, soit même à faire réduire ou rejeter la demande principale au fond; mais ces difficultés appartiendraient à la Procédure civile.
Art. 1118. — 244. Sans la prohibition portée par notre article, la clause ici prévue serait constamment imposée par le créancier au débiteur, au moment du contrat principal accompagné de la constitution de gag»: ce contrat, en effet, sera le plus souvent un prêt d'argent au moyen duquel le débiteur, embarrassé dans ses affaires, espèrera les rétablir; le créancier qui, ordinairement, demande déjà un gage d'une valeur supérieure à sa créance, pour être plus sûr d'être couvert, ne manquerait pas de stipuler que le gage lui resterait en propriété, à forfait et sans estimation, faute de payement à l'échéance, et le débiteur y consentirait, par une fausse confiance dans ses ressources futures.
Depuis les Romains, cette clause, connue sous le nom de lez commissoria, " pacte commissoire," est prohibée; le Code français, après l'ancien droit, n'a pas manqué à reproduire la même prohibition, et elle doit d'autant plus prendre place dans le Projet que cette funeste stipulation a été jusqu'à ces derniers temps tolérée au Japon par la coutume, en même temps qu'elle y était constante dans la pratique.
Pour que la clause qui nous occupe tombe sous le coup de la prohibition, il faut qu'elle ait eu lieu avant l'exigibilité de la dette. Assurément, le cas où elle est le plus dangereuse est celui où elle a lieu au moment même du contrat principal, comme nous l'avons dit plus haut; mais il pourrait arriver qu'à l'approche de l'exigibilité de la dette, le débiteur, pour en obtenir une prorogation, consentît à cette cession éventuelle de son gage, à forfait et sans estimation; dès lors, le danger, étant le même pour lui, demande le même secours.
La loi a soin de dire encore que la stipulation est aussi bien nulle pour une extinction totale de la dette que pour une extinction partielle.
Mais, une fois la dette exigible, il n'y a plus de prohibition: le débiteur peut toujours faire une dation en payement (v. art. 482).
245. Les prêteurs d'argent ont toujours été d'une habileté extrême à éluder la prohibition du pacte commissoire: la loi doit donner aux tribunaux le moyen de déjouer toute fraude à sa disposition.
Parmi les moyens les plus faciles d'éluder la loi serait la vente à réméré, dissimulant un gage avec pacte commissoire. Par exemple, celui qui voudrait, en empruntant 1000 yens sur gage, autoriser d'avance le créancier à garder le gage en payement à l'échéance, faute de remboursement réel, lui vendrait pour 1000 yens l'objet du gage, avec faculté de rachat dans le délai que devrait avoir le prêt, s'il n'était pas dissimulé; à l'expiration du délai de rachat, si le débiteur ne pouvait l'effectuer en argent, il aurait perdu la propriété.
Sans doute, il ne sera pas toujours facile de découvrir si la vente à réméré a été sincère ou si elle a dissimulé un emprunt sur gage avec pacte commissoire; dans le doute, on devra décider dans le sens de la sincérité des parties; mais le débiteur pourra souvent éclairer le tribunal sur le caractère véritable de l'opération.
Si la chose vendue à réméré avait été en même temps relouée au vendeur, cela pourrait donner des soupçons de fraude assez fondés; mais la loi a soin de dire que, même sans cette circonstance, la fraude pourrait être reconnue.
Un cas où la fraude sera plus facilement reconnaissable c'est celui, prévu par la loi, où la dette existant déjà, le débiteur aurait fait à son créancier une vente avec faculté de rachat, la créance du prix se compensant avec la dette.
246: Comme les nullités édictées dans le présent article le sont dans un but de protection pour le débiteur contre le créancier, il est naturel qu'elles ne puissent être invoquées par ce dernier, mais seulement contre lui, par le débiteur et ses ayant-cause, parmi lesquels il faut compter ses autres créanciers: c'est la même théorie que pour certaines nullités de la vente (v. art. 673, 675 et 677) et c'est l'application d'un principe général inscrit dans l'article 314.
Si donc il avait été convenu d'avance que le créancier gagiste garderait le gage en payement, sans estimation à l'échéance, et que le créancier regrettât cette convention, à cause de la dépréciation de la valeur, tandis que le débiteur s'en féliciterait, pour le même motif, le créancier ne pourrait contraindre le débiteur à un payement effectif en lui rendant la chose.
Art. 1119. — 247. C'est, en France, une question fort débattue que celle de savoir si le débiteur peut opposer au créancier gagiste la prescription libératoire, lorsque le temps en est accompli depuis l'échéance de la dette, ou si, au contraire, le fait par lui d'avoir laissé le gage aux mains du créancier n'implique pas une reconnaissance continue de la dette, laquelle serait interruptive de prescription. Le plus grand nombre des auteurs adopte cette seconde opinion.
Le Projet ne pouvait négliger de se prononcer sur la question et il le fait dans le sens opposé.
Sans doute, si le débiteur constitue le gage après l'échéance de la dette, alors que déjà la prescription libératoire est en cours, on doit dire qu'il y a là de sa part, reconnaissance de la dette et, par suite, interruption de la prescription, parce qu'il y a là un acte formel positif; mais lorsque le gage a précédé l'échéance, le seul fait par le débiteur de laisser le gage au créancier n'a plus le même caractère, c'est un fait seue lement négatif; ce peut être une négligence ou' mêm: l'effet de l'ignorance que le créancier avait un gage par exemple, si le débiteur est mort laissant un héritier qui n'a pas connu l'existence du gage. La prescription libératoire repose, comme on l'a dit souvent déjà et comme on le démontrera avec soin en son lieu, sur une présomption de payement; or, le payement peut encore être présumé, quoique le débiteur ait manqué à retirer le gage.
Si l'on fondait la prescription uniquement sur une présomption d'abandon de son droit par le créancier, il serait plus facile de soutenir que cette présomption n'est plus fondée quand il déteint le gage qui assure son payement: on comprendrait alors qu'il négligeât de faire contre le débiteur des poursuites interruptives de la prescription, puisqu'il a une sécurité suffisante. Mais si la présomption est autant et plus celle d'un payement, la détention du gage par le créancier devient sans cause et ne peut conserver la créance.
Remarquons, à ce sujet, que si la prescription libératoire n'avait pas lieu en faveur du débiteur, ce ne serait pas par l'effet d'une interruption, laquelle requiert un acte positif et formel, mais par l'effet d'une suspension qui ne résulte pas d'un fait de l'homme, mais d'une situation respective des personnes ou d'un certain état des choses (v. Livre V, ne Partie, Chap. 3 et 4). Aussi est-ce la "suspension" et non l'interruption que notre article refuse au créancier resté nanti du gage (1).
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(1) Le Texte officiel n'a pas adopté notre proposition et il déclare que la prescription est suspendue tant que le créancier détient le gage (Livre des Garanties, art. 114).
Art. 1120. — 248. Le présent article tranche une autre question de prescription, moins douteuse toutefois que la précédente, mais sur laquelle il convenait que la loi se prononçât, surtout puisque le droit romain et quelques interprètes de l'ancien droit ont décidé autrement.
Il est certain que, tant que la dette n'est pas éteinte, le créancier possède le gage à titre précaire, c'est-à-dire en reconnaissant que la propriété ne lui appartient pas; le gage est incompatible avec la propriété: on ne peut avoir en gage sa propre chose. Mais, une fois la dette éteinte par un payement ou par un autre mode légal d'extinction, il semble que le créancier ne possède plus la chose désormais à titre de gage, mais comme sienne, que, dès lors, la prescription acquisitive devrait courir en sa faveur et s'accomplir au moins par trente ans, en l'absence de juste titre et de bonne foi.
C'est pourtant ce que la loi lui refuse: la possession du créancier gagiste a commencé par être précaire, elle reste telle; l'article 2231 du Code français dit: "quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours censé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire; " dans une autre forme, le Projet japonais porte (art. 197, 3e al.) que "lorsque la précarité résulte de la nature du titre sur lequel la possession est fondée, elle ne cesse que par une contradiction formelle aux droits de celui pour le compte duquel on possédait, ou par une interversion du titre;" or, tant que le créancier gagiste ne sera pas dans l'un de ces deux cas exceptionnels, il restera détenteur précaire.
11 n'en serait pas autrement d'un usufruitier ou de son héritier qui aurait gardé la possession de la chose usufructuaire après la cessation de l'usufruit.
Observons du reste que c'est la prescription acquisitive du gage que la loi refuse au créancier, mais elle ne le prive pas de la prescription libératoire de l'obligation de restituer la chose: le débiteur pourra agir en revendication du gage, en prouvant son droit de propriété; il pourrait même, faute de cette preuve, se contenter d'agir au possessoire, mais il ne serait plus recevable, après trente ans, à réclamer la restitution, en se fondant sur le contrat de gage qui oblige le créancier à conserver et rendre le gage.
SOMMAIRE.
N° 249. Comparaison de l'antichrèse européenne avec l'hypothèque et avec le nantissement immobilier usité au Japon et consacré par le Projet.
Art. 1121. — 250. Double préférence du créancier nanti sur les fruits et sur le fonds. —251. Limite de ce nantissement à trente ans.
1122. —252 Nantissement constitué pour la dette d'autrui.
1123. —253. Particularités quand le nantissement porte sur un droit temporaire de jouissance.
1124. -254. Constitution du nantissement entre les parties; sa publicité à l'égard des tiers.
1125. —255. Désignation des biens et des sommes dues.
1126. -250. Simplification de la publicité au cas de droits temporaires donnés en nantissement.
1127. —257. Nécessité de la mise dp. créancier en possession.
1128. —258. Indivisibilité; renvoi.
COMMENTAIRE.
N° 249. Ce Chapitre rappelle celui que le Code français consacre à l'Antichrèse (Liv. III, Titre xvu, Ch. 2), mais il y a trop de différence d'étendue entre les deux sûretés pour qu'on puisse laisser à celle qui va nous occuper le même nom qu'en France.
Le mot antichrese vient du grec et signifie exactement contre--itsage: c'est un usage, une jouissance du créancier, en retour, en compensation de la jouissance que le débiteur obtient des valeurs qui lui ont été fournies; on pourrait l'entendre aussi d'une compensation pour le créancier, en retour de la jouissance qu'il perd, à l'égard de la valeur par lui fournie au débiteur.
Cette jouissance du créancier porte naturellement sur la chose soumise à son nantissement.
Cette chose est un immeuble, ce qui différencie l'antichrèse du gage.
Le créancier est privilégié sur les fruits et produits de la chose, à l'exclusion des autres créanciers; mais il n'a pas de privilége sur le fonds lui-même: en cas de vente, les autres concourent avec lui, ou le priment s'ils ont privilége ou hypothèque.
En ce qui concerne les fruits et produits, le créancier antichrésiste les impute d'abord sur les intérêts de sa créance, et, s'il y a excédant, l'imputation se fait sur le capital dû; si la créance ne porte pas d'intérêts, l'imputation se fait tout entière sur le capital.
Le droit d'antichrèse diffère de l'hypothèque sous plusieurs rapports:
1° Le créancier hypothécaire ne possède pas la chose hypothéquée, laquelle reste aux mains du débiteur;
2° Le créancier hypothécaire n'a pas de privilége sur les fruits et produits de la chose jusqu'à la saisie: ceux-ci restent au débiteur qui n'en est pas comptable;
3° Le créancier hypothécaire est préféré aux autres créanciers sur la valeur du fonds lorsqu'il est vendu.
L'antichrèse est rarement usitée en France. Au Japon, au contraire, le nantissement immobilier est très fréquent. On peut expliquer cette différence d'abord par la circonstance qu'au Japon, le droit d'hypothèque n'ayant pas été jusqu'ici organisé avec la précision nécessaire, le créancier se trouve mieux garanti par la possession réelle de l'immeuble que par une affectation purement conventionnelle dudit immeuble; ensuite, parce qu'au Japon on réunit généralement les deux droits en faveur du même créancier, de sorte qu'au nantissement qui empêche la vente par le débiteur et la saisie par les autres créanciers, il joint le droit d'hypothèque ou de préférence pour le capital qui lui est dû.
C'est cette antichrèse combinée avec l'hypothèque que le Projet consacre et, ne pouvant lui donner le nom d'origine grecque qui n'implique que la jouissance, on lui donne celui de Il nantissement immobilier: " nous l'appellerions volontiers "nantissement hypothécaire" (a).
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(a) La lre rédaction du Projet (art. 2) admettait l'antichrèse française, mais elle était déjà abandonnée lorsque le présent Livre a été rédigé pour la précédente édition (v. Tome 1er, n° 5, note 1).
Art. 1121. — 250. Ce premier article signale les deux droits que donne cette sûreté réelle: 1° avant l'échéance de la dette, jouissance de l'immeuble ou perception des fruits et revenus, par préférence à tous autres créanciers; 2° à l'échéance, droit d'un créancier hypothécaire, c'est-à-dire droit d'être payé par préférence aux créanciers chirographaires, et à son rang par rapport aux autres créanciers hypothécaires, sans préjudice du droit de suite contre les tiers détenteurs, lequel droit est encore un effet de l'hypothèque.
Remarquons immédiatement la différence entre ces deux préférences du créancier: comme il est nanti de la jouissance, il prime sur les fruits et revenus tous les créanciers indistinctement; mais sur le fonds même, sur le capital, il ne vient qu'à son rang d'hypothèque.
251. Comme ce cumul de l'antichrèse et de l'hypothèque est une institution plus japonaise qu'européenne, on lui laisse un de ses caractères japonais: à savoir, la limite de l'échéance à trente ans. Quelle que soit la cause originaire de cette restriction à la liberté des conventions, on ne peut que l'approuver, parce que si le grand nombre d'immeubles ainsi donnés en nantissement pouvait être, en quelque sorte, retiré indéfiniment de la circulation, ce serait un grand mal économique. C'est pour la même raison que le délai de trente ans ne peut être prorogé. Mais si l'échéance avait d'abord été fixée à moins de trente ans, elle pourrait être prorogée jusqu'à ce terme.
Art. 1122. — 252. Cet article ne présente pas de difficulté; il rappelle l'article 1102 écrit pour le gage constitué par un tiers, et comme l'hypothèque peut de même être constituée pour la dette d'autrui (v. art. 1217), il est naturel qu'une sûreté qui contient un cumul du nantissement et de l'hypothèque puisse être constituée dans les mêmes conditions.
Art. 1123. — 253. C'est toujours par l'effet du cumul, en faveur du créancier, du droit exclusif de jouissance et d'un droit de préférence sur le fonds, comme capital, que le constituant doit avoir la disposition des deux droits et que la chose doit être susceptible d'hypothèque.
Si le droit ainsi donné en '4 nantissement hypothécaire " est un usufruit ou une emphytéose, nécessairement temporaire, la sûreté finira avec le droit; il sera donc nécessaire que le créancier ait soin de stipuler l'échéance du payement avant l'époque où son nantissement devrait ainsi cesser de lui-même; autrement, il ne pourrait plus exercer le droit de préférence pour son capital.
Du reste, les droits temporaires de jouissance perdant de leur valeur à mesure qu'ils s'approchent de leur terme final, le créancier prudent n'aura accepté de tels droits en nantissement que quand les revenus devaient être assez considérables pour éteindre chaque année une partie du capital dû, outre les intérêts: autrement, il ne serait garanti utilement que de ceux-ci.
L'article 1215 a, au sujet de l'hypothèque simple, une disposition semblable à celle de notre article, quant à la durée du droit, avec un complément, pour le cas de perte de la chose (3e al.), qu'il faut considérer comme applicable au droit qui nous occupe.
Art. 1124. — 254. Comme le nantissement immobilier contient une hypothèque, et comme il est presque toujours conventionnel, il doit, dans ce cas, être constitué en la forme solennelle prescrite à l'article 1121, pour l'hypothèque conventionnelle; c'est-à-dire par un acte notarié, à peine de nullité. Si le Code français n'exige pas pour l'antichrèse un acte notarié, mais seulement un acte " écrit " (art. 2085), c'est parce que l'antichrèse ne donne de préférence que sur la jouissance et non sur la propriété.
Dans le Projet, il n'y a pas de nantissement immobilier légal, comme il y a des hypothèques légales; mais cette sûreté pourra être constituée par testament; seulement -ce ne sera que dans les deux cas spéciaux déterminés à l'article 1218.
Pour que le nantissement immobilier soit opposable aux tiers il doit être publié par la voie de la transcription (v. art. 368-1°); tandis qu'une inscription suffit pour l'hypothèque simple dont tous les effets sont réglés par la loi (v. art. 1219): ici il faut que les tiers puissent connaître la convention dans ses détails, pour le cas où la jouissance du créancier aurait été soumise à des conditions particulières.
Il est naturel que cette transcription " vaille inscription ", puisqu'elle est encore plus explicite que l'inscription qui ne donne que des extraits d'un acte (v. art. 1226).
L'existence ou la validité de l'acte authentique ou du testament qui a constitué le nantissement immobilier peut être contestée avant ou après que la transcription en a été faite: l'acte peut être argué de faux, ou de nullité pour incapacité ou vice de consentement du constituant, ou il peut avoir été détruit ou perdu; si alors un jugement, en reconnaît la sincérité ou la validité, s'il admet la preuve qui peut suppléer à sa perte, conformément à l'article 1390, ledit jugement devient un titre confirmatif ou récognitif du titre primordial et il sera transcrit en son lieu et place; si déjà la transcription du titre avait été faite, le jugement serait seulement mentionné en marge de ladite transcription.
Cette disposition écrite pour le nantissement immobilier ou hypothécaire, serait applicable, dans les mêmes circonstances, à l'hypothèque simple et aux priviléges spéciaux sur les immeubles.
Art. 1125. — 255. C'est encore parce que le nantissement immobilier contient une hypothèque que l'acte ou le jugement transcrit doit désigner spécialement l'immeuble ou les immeubles donnés en nantissement et les sommes garanties, en principal et intérêts: c'est une double condition requise pour la validité de l'hypothèque conventionnelle ev. art. 1212 à 1214) et qui s'applique certainement à l'hypothèque testamentaire.
Il est naturel que l'insuffisance ou les omissions qui se rencontreraient dans la transcription puissent se corriger postérieurement, par une mention supplémentaire faite en marge; mais ce sera naturellement sans rétroactivité (v. art. 1252, in fine).
Art. 1126. — 256. Pour éviter les formalités et les frais qui ne sont pas rigoureusement nécessaires, la loi n'exige pas une transcription spéciale du nantissement, quand il ne s'applique qu'à des droits temporaires déjà publiés par une transcription: alors une simple mention de l'acte constitutif du nantissement en marge de ladite transcription est suffisante.
Art. 1127. — 257. La mise en possession du créancier est un complément de publicité qui fait que cette sûreté est un nantissement. S'il ne s'agissait que d'un droit de jouissance conféré directement, sans relation à un autre droit, comme un droit d'usufruit ou. de bail, la transcription suffirait à prévenir ceux qui ont intérêt à savoir que la propriété est démembrée; d'ailleurs l'usufruitier ou le preneur ont un tel intérêt à prendre possession qu'il n'est pas utile de l'exiger d'eux.
De même, s'il ne s'agissait que d'une hypothèque simple, sans privilége sur les fruits, l'inscription avertirait suffisamment les autres créanciers; mais il s'agit ici d'un droit de préférence sur les fruits en même temps que sur le fonds même; en outre, le débiteur aurait intérêt pour son crédit à conserver la possession et le créancier n'aurait pas intérêt à la prendre, si la loi ne l'y obligeait pas; mais elle l'y oblige, pour que ce droit de préférence sur les fruits se révèle aux autres créanciers d'une manière frappante à leurs yeux et continue (b).
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(b) La loi française du 23 mars 1855, en soumettant l'antichrèse
Art. 1128. — 258. Il est nécessaire de proclamer l'indivisibilité de ce nantissement; mais comme il est de la même nature et a les mêmes effets que celui du gage ou nantissement mobilier, la loi se borne à renvoyer à l'article 1110.
SOMMAIRE.
Art. 1129. — N° 259. Droit du créancier nanti de louer la chose comme administrateur; cession du droit.
1130. —260. Dépenses d'entretien et grosses réparations: remboursement.
1131. -261. Compte des fruits et revenus: distinction légale entre les biens urbains et les biens ruraux.
1132. —262 Droit du créancier de renoncer au nantissement: distinctions et conditions. -262 bis. Observation sur le créancier antichrésiste français.
1133. 263. Droit de rétention. - 264. Il n'empêche pas la vente: distinction.
1134. 265. Vente provoquée contre le créancier et vente amiable. -266. Vente provoquée par le créancier nanti.
1135. 267. Renvoi non limitatif à quelques articles du gage.
COMMENTAIRE.
Art. 1129. — N° 259. Le créancier nanti d'un immeuble a plus de liberté pour disposer de la jouissance du fonds que n'en a le créancier gagiste. Si l'on rapproche de notre article l'article 1112, on voit que, tandis que le créancier gagiste ne peut louer la chose reçue en gage que s'il en a l'autorisation du débiteur, notre créancier le peut, de plein droit, sans cette autorisation: la loi la lui donne; pour que la location lui fût interdite, il faudrait une prohibition contraire du débiteur. Le motif est que la jouissance de la chose, presque nulle quand il s'agit d'un meuble, est toujours plus ou moins importante pour un immeuble. Or, le créancier nanti ne serait pas toujours en situation d'en jouir par lui-même: pour un fonds de terre, il faut être plus ou moins agriculteur, et, s'il s'agit d'une maison, il serait rare que le créancier eût précisément besoin pour lui-même d'une pareille habitation.
L'article 1123 nous a dit que celui qui n'a qu'un droit temporaire de jouissance ne peut donner la chose en nantissement pour un temps excédant cette jouissance. Il n'en fallait pas tirer cette conséquence que le créancier nanti ne pourrait, à son tour, donner la chose à bail pour un temps plus long que son nantissement: la durée du nantissement est incertaine et dépend du payement de la dette, lequel peut avoir lieu à toute époque; si le bail fait par le créancier devait avoir une durée aussi incertaine, il serait bien difficile de trouver un preneur. On a donc admis que les pouvoirs du créancier nanti seraient, à cet égard, ceux d'un administrateur de la chose d'autrui, et le texte renvoie pour cela aux articles 126 à 129 qui règlent la durée et les délais du renouvellement des baux faits par les administrateurs.
Il faut même admettre que le créancier pourrait valablement louer pour toute la durée du nantissement et qu'il ne pourrait lui-même en demander la réduction aux limites qui précèdent: ce droit n'appartiendrait qu'au débiteur, après la fin du nantissement et s'il trouvait le bail désavantageux pour lui.
Au contraire, si le créancicr veut céder son droit de nantissement, il ne peut le faire que pour la durée même de ce droit et sous sa responsabilité, au cas où le cessionnaire abuserait de sa jouissance; il n'y a pas là, en effet, un acte d'administration qui puisse profiter au débiteur: sous ce rapport, c'est à l'article 1112 que la loi renvoie, pour ce qu'il contient de sévère à l'égard du créancier gagiste.
Art. 1130. — 260. Cet article rappelle, mais avec des différences, deux obligations de l'usufruitier (v. art. 89 et 90).
1° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit acquitter les contributions annuelles; mais, tandis que l'usufruitier n'a pas de recours, de ce chef, contre le nu-propriétaire, le créancier nanti déduit ces charges sur le compte des fruits et produits imputables sur sa créance (v. art. suiv.).
2° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit faire les réparations d'entretien, mais encore avec la même déduction sur les fruits; de plus que celui-ci, il doit faire les grosses réparations, lorsqu'elles sont devenues " nécessaires et urgentes; " mais pour ces dernières, il a recours contre le débiteur, non seulement par voie de déduction sur les produits, comme pour les premières, mais encore par voie de " remboursement immédiat; " il est naturel, en effet, qu'il ne soit pas tenu de faire une avance de nouveaux capitaux pour assurer et conserver son nantissement.
La loi ne renvoie pas aux articles 91 et suivants parce que, s'il y a des emprunts à y faire, il y a aussi des dispositions inapplicables: notamment, au cas de défaut de payement des impôts et d'assurance contre l'incendie. Ce sera aux tribunaux à y puiser des analogies, en tenant compte de la différence des droits respectifs des intéressés.
Art. 1131. — 261. La loi, reproduisant ici une ancienne coutume japonaise, fait une distinction entre les biens urbains et les biens ruraux, c'est-à-dire entre ceux qui consistent principalement en bâtiments et ceux qui consistent en terre. Pour les premiers, il y a toujours lieu de faire les comptes respectifs du revenu, d'une part, et des intérêts de la dette, d'autre part: on ne pourrait en faire une compensation, à forfait ou en bloc. Au contraire, pour les biens ruraux dont le revenu est difficile à apprécier et à constater, non seulement cette compensation est permise, mais même elle a lieu de droit: pour qu'il en fût autrement, il faudrait ou une convention contraire, ou " une fraude manifeste, soit à l'égard des autres créanciers, soit à l'égard des limites légales de l'intérêt." La loi veut ici que la fraude soit " manifeste," précisément à cause de la difficulté de faire un compte exact des revenus, et cette fraude consistera dans la seule constitution d'un tel nantissement, sans réserve d'un compte à faire lorsque le débiteur savait qu'il nuisait à ses créanciers ou qu'il excédait le taux légal de l'intérêt (v. art. 360 et 882). S'il ne s'agissait que d'une limite conventionnelle de l'intérêt, comme alors les parties ont pu vouloir en changer le taux par cette nouvelle convention, le changement serait valable, si l'autre fraude ne se rencontrait pas.
Il y a donc, en somme, deux cas où l'imputation des revenus doit se faire sur les intérêts et subsidiairement sur le capital: c'est, pour les biens urbains, toujours, et, pour les biens ruraux, quand on a exclu la compensation en bloc ou qu'il y a fraude manifeste à ne pas l'avoir réservée. Dans ces cas, le Projet a soin d'énoncer un principe qui peut faire doute, en France, au sujet de l'antichrèse, à savoir que c'est le revenu net et non le revenu brut qui s'impute sur les intérêts de la créance et, subsidiairement, sur le capital.
Art. 1132. — 262. C'est un principe général qu'une personne peut toujours renoncer à un droit existant en sa faveur et qu'elle le peut, lors même qu'elle se serait par convention interdit cette faculté. Mais il faut pour cela que le droit auquel une partie prétend renoncer ne soit pas lié en même temps à un droit de l'autre, auquel la renonciation puisse nuire. C'est cette réserve qui explique que le Projet subordonne à certaines distinctions et restrictions le droit de renonciation du créancier à sa jouissance privilégiée.
On a vu à l'article précédent que le Projet distingue entre le nantissement des biens urbains et celui des biens ruraux: pour les premiers, il doit se faire une imputation exacte des fruits civils sur les intérêts de la créance et subsidiairement sur le capital, tandis que, pour les seconds, ce n'est pas une imputation mais une compensation à forfait des fruits sur les intérêts, sans calcul annuel.
Dans le cas d'un bien urbain, comme il se fait un calcul annuel, ou même plus fréquent, des fruits civils et des intérêts, et qu'aucune des parties ne peut gagner sur l'autre, il n'y a pas d'objection à ce que le créancier privilégié puisse, par une renonciation, rentrer dans le droit commun: ce qui pourra l'y porter, ce sera la difficulté de louer convenablement le bien, ou la nécessité de fréquentes réparations, d'où il résulterait pour lui peu ou point d'avantages, avec les soucis d'une responsabilité. Ici, la renonciation ne devra pas porter en même temps sur le privilége et sur les intérêts: le texte nous dit formellement que le créancier pourra " renoncer à la jouissance et s'en tenir à l'hypothèque simple et aux intérêts convenus, mais sans le privilége." Un 2e cas devait être et est en effet prévu par l'article précédent et celui-ci s'y réfère c'est celui où, même au sujet d'un bien rural, il a été convenu qu'il se ferait seulement une imputation des fruits sur les intérêts, avec calcul exact des uns et des autres, respectivement; dans ce cas, comme le créancier n'a plus de chance de gagner ni de risque de perdre et que le débiteur se trouve nécessairement dans le même cas, on applique la règle écrite pour les biens urbains: le créancier peut renoncer à sa jouissance, en gardant son droit aux intérêts, mais également sans le privilége. Bien entendu, cette renonciation à la jouissance n'est que Il pour l'avenir."
Dans le cas d'un bien rural, avec compensation à forfait des fruits avec les intérêts, on peut dire que le droit du créancier est lié à celui du débiteur et que la convention est dans l'intérêt des deux parties: le créancier peut gagner, mais il peut perdre aussi, et le débiteur peut avoir, aussi bien que lui, intérêt au maintien de cette compensation. Dans ce cas donc, le créancier ne peut renoncer à son droit de jouissance, sans renoncer en même temps aux intérêts de sa créance; auquel cas l'avantage du débiteur est assez évident pour qu'on ne conteste plus au créancier le droit de renonciation. Le créancier conserve son hypothèque comme dans les deux premiers cas (1).
La loi termine par une dernière et double condition, c'est que "dans tous les cas," le créancier évite une renonciation en temps inopportun, et qu'il prévienne le débiteur assez longtemps à l'avance pour que celui-ci puisse reprendre utilement l'administration de son bien. Ainsi, s'il s'agit d'un bien urbain, le créancier ne devra pas choisir le moment où d'importantes réparations sont urgentes, et s'il s'agit d'un bien rural, il ne devra pas attendre le moment de la récolte.
262 bis. Le Code français n'avait pas à faire les mêmes distinctions que le Projet entre les biens urbains et les biens ruraux; mais il s'est prononcé aussi sur la renonciation à l'antichrèse, pour la permettre, en règle générale, et ne la défendre que si le créancier se l'est formellement interdite (v. art. 2087, 28 al.). Cette solution n'est pas à l'abri de la critique. En effet, si elle vise le cas où il doit se faire une imputation rigoureuse des fruits sur les intérêts, on ne devrait pas priver le créancier de renoncer à l'antichrèse, même quand il s'est interdit cette faculté: cette rigueur serait tout au plus admissible dans le cas d'une compensation à forfait; or, il est difficile de savoir lequel de ces deux cas l'article 2087 a eu en vue.
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(1) Dans la précédente rédaction nous avions cru devoir faire perdre l'hypothèque au créancier renonçant; mais le Texte officiel n'a admis que la perte des intérêts et nous nous rallions volontiers à cette solution.
Art. 1133. — 263. Le 18r alinéa de cet article reconnaît au créancier le droit de rétention qui est, comme dans le gage, le caractère du nantissement, et cette rétention durant jusqu'à parfait payement consacre encore le principe de l'indivisibilité.
264. Le 2e alinéa présente une différence entre notre nantissement et le gage (v. art. 115, 28 al.): le créancier gagiste peut s'opposer à la vente du gage, tant que sa créance n'est pas exigible; on en a donné le motif sous cette disposition: ce motif n'existant pas pour la vente d'un immeuble, celle-ci reste possible, aussi bien avant l'échéance qu'après, comme le dit notre texte.
La vente pourra être faite à l'amiable par le débiteur; elle pourra être faite aux enchères, sur la poursuite des créanciers hypothécaires ou chirographaires; elle pourra même l'être sur la poursuite du créancier nanti lui-même. Les effets seront différents dans les trois cas, comme on le verra à l'article suivant.
Art. 1134. — 265. Notre article suppose, tour à tour, la vente provoquée contre le créancier nanti ou par lui. Le cas où le débiteur vend à l'amiable suit les mêmes règles que la vente faite à la poursuite des créanciers, sauf qu'il donne lieu à la procédure de purge (v. art. 1269 et suiv.).
Au premier cas, celui où la vente est provoquée contre le créancier nanti, une sous-distinction est à faire: ou le créancier nanti est primé par d'autres créanciers, soit privilégiés soit hypothécaires, ou il ne l'est pas.
S'il est primé par d'autres créanciers, la vente sera faite sans réserve de son droit de rétention et de jouissance, parce que le débiteur n'a pas pu enlever à ces créanciers un des avantages inhérents au privilége ou à l'hypothèque; dans ce cas, d'ailleurs, le créancier nanti sera colloqué à son rang d'hypothèque.
Si, au contraire, le créancier nanti est, en même temps, le seul ou le premier créancier hypothécaire, la vente publique n'aura lieu que sous la condition pour l'adjudicataire de respecter le droit de rétention, lequel sera porté au cahier des charges qui stipule par avance. les obligations de l'acheteur et les conditions générales et spéciales de la vente publique (v. c. pr. civ. fr., art. 690 et s.).
Quelques précautions devront d'ailleurs être prises dans ce cas: comme il pourrait arriver que les enchères, avant d'être terminées, atteignissent, même avec la condition de respecter le nantissement, un prix déjà suffisant pour désintéresser le créancier nanti, il devrait être porté au cahier des charges que, dès que ce prix sera atteint, la jouissance de l'immeuble sera comprise dans la vente; cela relèvera immédiatement le prix et profitera aux autres créanciers, soit hypothécaires, soit chirographaires. Mais encore cette possibilité pour l'adjudicataire de jouir de l'immeuble en désintéressant le créancier nanti n'existera que si le terme n'est pas établi expressément ou tacitement en faveur de celui-ci: autrement, il faudrait que le créancier y renonçât; or, au Japon, c'est presque toujours dans l'intérêt du créancier que le terme est assigné à la créance ainsi garantie.
Si le débiteur a fait une vente amiable, son acheteur devra également respecter le droit de jouissance du créancier nanti, sans même que son acte de vente l'ait soumis à cette obligation, parce que le nantissement est révélé par la transcription et cet acheteur n'a pas droit aux mêmes protections qu'un adjudicataire en vente publique. Il aura d'ailleurs le droit de rembourser le créancier nanti, si le terme n'est pas établi dans l'intérêt de celui-ci et, dans tous les cas, de le comprendre dans les offres à fin de purge, ce qui pourra donner lieu à une revente aux enchères publiques, avec des résultats analogues à ceux de la vente sur poursuite hypothécaire (v. art. 1269 et s., 1276 et 1278).
266. Au deuxième cas, où c'est le créancier nanti qui a lui-même provoqué la vente, son droit de jouissance et de rétention est éteint, par une sorte de renonciation volontaire et tacite; il peut toutefois le réserver expressément dans la mise en vente, mais à la condition qu'il n'y ait aucun autre créancier privilégié ou hypothécaire, même d'un rang postérieur au sien: du moment que le créancier nanti n'est pas seul intéressé, la loi ne lui permet pas d'exposer les autres créanciers à une vente à bas prix, s'il ne fait pas lui-même le sacrifice de sa jouissance privilégiée.
Mais cette rigueur contre le créancier cesserait dans le cas où il ne requerrait la mise aux enchères que dans la procédure de purge, sur les offres faites par un tiers acquéreur à l'amiable (v. art. 1278): dans ce cas, le créancier, étant en quelque sorte mis en demeure de surenchérir, ne peut être considéré comme ayant volontairement renoncé à son nantissement.
Art. 1135. — 267. Le créancier nanti d'un immeuble doit être assimilé, sous plusieurs rapports, au créancier gagiste ou nanti d'un meuble; de là le renvoi à plusieurs articles du Chapitre précédent, renvoi que d'ailleurs il ne faudrait pas croire absolument limitatif: s'il s'agissait d'emprunter au gage quelque disposition qui ne dépendît pas strictement de son caractère de droit mobilier, les tribunaux le pourraient certainement; en effet, dans le Projet, le nantissement immobilier est bien plus analogue au gage que ne l'est l'antichrèse française.
Des théories du gage appliquées au nantissement immobilier une seule est favorable au créancier, c'est l'extension de la sûreté aux dépenses par lui faites pour la conservation de la chose, ainsi qu'à l'indemnité des dommages qu'elle lui aurait causés par des vices non apparents (v. art. 1114); quatre sont en faveur du débiteur, ce sont: l'obligation pour le créancier d'apporter à la garde de la chose les soins d'un bon administrateur (v. art. 1111, 1er al.), la prohibition du pacte commissaire qui tendrait à attribuer la chose en payement au créancier (v. art. 111 S), la possibilité pour le débiteur de prescrire à l'effet de se libérer, quoique le nantissement soit resté aux mains du créancier (v. art. 1] 19), enfin, l'impossibilité pour le créancier de prescrire à l'effet d'acquérir l'objet du nantissement, même lorsque sa possession a continué après l'extinction de la dette (v. art. 1120).
SOMMAIRE.
Art. 1136 -N° 268. Définition du privilége, différente de celle du Code frauçais. —26D. La loi en détermine les causes, l'objet et les conditions. -270. Droit de suite.
1137. —271. Indivisibilité du privilége: renvoi.
1138. —272. Subrogation à la chose de l'indemnité due pour sa perte. —273. Idem, de sa valeur.
1139. —274. Division des priviléges, un peu différente de celle du Code français.
1140. —275. Renvoi pour le rang respectif des priviléges, soit entre eux, soit par rapport aux hypothèques.
1141. —276. Réserve du droit commun pour les priviléges établis par le Code de Commerce ou par des lois spéciales.
COMMENTAIRE.
Art. 1136. — N° 268. La définition du privilége donnée par ce premier article n'est pas la même que celle du Code français (v. art. 2095), d'après lequel " le privilége est un droit de préférence donné par la qualité de la créance " (a).
Qu'est-ce que la qualité d'une créance ? Cette expression qui n'est pas usitée ailleurs, est obscure: ce n'est assurément, ni l'objet de la créance, ni sa modalité, ni sa'priorité de date, ni la personne du créancier, qui en fait la qualité; il ne reste que sa cause, que le fait juridique qui lui a donné naissance, dont on puisse dire qu'elle est la qualité de la créance. Et tout le monde l'entend ainsi.
On n'a donc pas hésité à rejeter une expression qui fait commencer par une obscurité une matière déjà fort difficile par elle-même, et on a inséré dans le texte le mot essentiel, le mot de "cause": c'est la cause de la créance qui est en même temps la cause de la préférence appelée privilége.
La loi ajoute que c'est " en l'absence de nantissement conventionnel " que la cause de la créance donne naissance au privilége; car s'il y avait gage ou nantissement immobilier, ce serait la convention et non plus la cause de la créance qui engendrerait le privilége. Ce sont là d'ailleurs les deux seuls cas de priviléges conventionnels.
269. Mais si l'idée de cause de la créance doit dominer dans la définition du privilége, elle ne suffit pas. D'où peut venir, en effet, cette puissance de la cause ? Quelles causes auront cette puissance ? Quels objets seront soumis au privilége né de la cause ? A qu'elles conditions sera soumis son exercice ?
La loi seule, évidemment, peut le décider. Et c'est ce qu'exprime le 28 alinéa de notre article: les causes, les objets et les conditions des priviléges sont déterminés par la loi, et cela, limitativement, parce que les priviléges, en même temps qu'ils sont favorables à un créancier, sont nuisibles aux autres; ils dérogent au droit commun de l'article 1001, ils ne peuvent donc s'étendre, par analogie d'un cas à un autre. Il y a là un principe qu'on ne devra jamais perdre de vue dans l'application de la loi. Cela n'exclut pas d'ailleurs l'interprétation des textes: la loi ne dit pas que toutes ses dispositions en cette matière seront caresse.?, elle dit seulement qu'on ne les étendra pas à des cas qu'elle n'a pas prévus.
270. Le privilége ne donne pas seulement un droit de préférence à un créancier sur les autres: il lui donne aussi, au moins, quand il porte sur un immeuble, un droit de suite contre les tiers-détenteurs.
Comme il y a là une nouvelle dérogation au droit commun, lequel permet au débiteur de disposer de ses biens, lorsqu'il agit sans fraude (v. art. 360), il faut de même se référer à la loi pour connaître les cas où le droit de suite appartient au créancier et les conditions de son exercice.
C'est d'ailleurs parce que le droit de suite n'accompagne pas toujours le droit de préférence qu'il ne figure pas dans la définition du privilége.
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(a) Le mot français privilége est la traduction du latin privilegium, dérivé lui-même de privata lex: " lui particulière " d'une créance.
Art. 1137. — 271. A cause de son importance, le principe de l'indivisibilité est rappelé pour chaque sûreté réelle, et comme les priviléges sont de nature variée, on l'énonçe ici dans les Dispositions préliminaires.
Art. 1138. — 272. Le principe posé au présent article, avec une large application, manque au Code français: on l'emprunte au Code italien.
Il n'y faut pas voir l'extension du privilége, mais seulement sa conservation, par son transport sur une nouvelle valeur qui représente manifestement l'ancienne, par une sorte de subrogation réelle.
Ce transport du privilége sur une valeur représentant la chose ne nuit pas aux autres créanciers, car c'est une valeur sur laquelle ils n'ont pas pu compter, du moment que la chose elle-même n'était pas leur gage. Ceux là seuls qu'il faut protéger contre la subrogation dont il s'agit ce sont les débiteurs de cette valeur, afin qu'ils ne soient pas exposés à mal payer: la loi y pourvoit, en exigeant qu'ils soient informés par une opposition provenant du créancier privilégié.
273. Le 26 alinéa applique la subrogation réelle au prix de vente de la chose grevée de privilége. Cette disposition est d'abord applicable à la vente d'un meuble, parce que les meubles ne sont pas susceptibles de droit de suite, de la part du créancier privilégie; elle s'applique encore aux ventes d'immeubles, lorsque le droit de suite n'a pas été conservé ou exercé conformément à la loi.
La même disposition s'appliquerait au cas d'expropriation pour cause d'utilité publique: comme, dans ce cas, il n'y a pas de droit de suite, le droit de préférence doit s'y substituer sur l'indemnité due par l'Etat. La loi française sur l'Expropriation a une disposition formelle en ce sens (loi du 31 mai 1841, art. 17 à 19).
Art. 1139. — 274. Cette division des priviléges n'est pas tout-à-fait celle du Code français qui commence par les diviser, d'après leur objet, en priviléges sur les meubles et priviléges sur les immeubles, puis qui subdivise les premiers en généraux et spéciaux et ne trouve pas de priviléges généraux sur les immeubles seulement, de sorte qu'il n'y a pas une harmonie suffisante.
Art. 1140. — 275. Il n'y a pas de principe général sur le classement des priviléges, comme on en trouvera un, au contraire, pour le classement des hypothèques (v. art. 1253). Cependant, on peut dire que c'est généralement, la faveur plus ou moins grande que mérite la cause de la créance qui déterminera son rang; mais, comme quelquefois ce principe se trouvera modifié par la bonne foi respective des créanciers privilégiés, lorsqu'il s'agira de meubles, et par la nécessité d'une publication du 'privilége par transcription ou inscription, lorsqu'il s'agira d'immeubles, la loi ne peut que se référer à ce qui sera dit à ce sujet dans les Sections respectives.
Quand les priviléges sur les immeubles se trouvent en conflit avec des hypothèques, la préférence appartient, en général, aux priviléges; le principe est même posé comme absolu par le Code français (art. 2095), mais il comporte des exceptions possibles: d'abord celles que la loi peut toujours établir dans des cas particuliers, et l'article 1149 en donnera un exemple; ensuite, dans le cas où le créancier qui a le privilége est garant de l'hypothèque. Ainsi, par exemple, un vendeur d'immeuble a privilége sur la chose par lui vendue; mais il ne saurait primer celui auquel il aurait consenti une hypothèque sur le même immeuble. Le texte a donc soin, en posant le principe de la préférence donnée au privilége sur l'hypothèque, de réserver les exceptions établies par la loi, ce qui comprend aussi bien les exceptions fondées sur les principes généraux du droit que les dispositions spéciales de la loi.
Il n'est pas rare que plusieurs créances privilégiées ayant la même cause ou des causes également favorables soient en concours sur le même bien, meuble ou immeuble; alors elles concourent, en proportion de leur montant respectif, comme cela a lieu entre créances non privilégiées.
Art. 1141. — 276. Il est vraisemblable que le Code de Commerce établira quelques priviléges particuliers, ou réglera autrement certains priviléges, lorsqu'ils s'exerceront dans une faillite: notamment, le privilége des commis des marchands, des ouvriers des manufactures et du bailleur des bâtiments affectés au commerce ou à l'industrie du failli.
Des lois spéciales d'administration ou de finance créeront aussi sans doute quelques priviléges spéciaux du Trésor public, soit sur les biens des contribuables, soit sur ceux des comptables. Il en existe même déjà sur le premier point.
Dans les deux cas, qu'il s'agisse du Code de Commerce ou de lois spéciales, le droit civil restera le droit commun de ces priviléges, et il ne subira de dérogations qu'autant qu'elles seront indiquées expressément ou implicitement.
SOMMAIRE.
Art. 1142. — N° 277. Mêmes priviléges généraux que dans le Code français: cessation des controverses qu'il soulève.
I. -Privilège des Frais de justice.
1143. —278. Caractère général des frais dits "légaux ou de justice." -279. Exclusion des frais utiles à un seul créancier.
II. —Prh'ilége des Frais funéraires.
1144. —280. Limites et étendue du privilége. —281. Sa cause légale. -282. Funérailles de certains parents du débiteur.
III. —Privilége des Frais de dernière maladie.
1145. —283. A qu'elles maladies s'applique ce privilége; observation au sujet des parents. —284. Etendue du privilége, au cas de longue maladie. —285. Décès accidentel pendant le traitement; changement de médecin. -286. Retour sur la cause légale du privilége des médecins.
IV. -Privilège des Gens de service.
1146. — 287. Cause légale de ce privilége. -288. Son étendue quant aux personnes. -289. Idem quant au temps.
V. -Privilège des Fournitures de subsistances.
1147. —290. Cause légale de ce privilége; son application à la subsistance des serviteurs. -291. Ses limites quant aux objets fournis et quant à la durée.
COMMENTAIRE.
Art. 1142. — N° 277. Les priviléges généraux ici énoncés sont exactement ceux qui ont le même caractère et les mêmes noms dans le Code français (art. 2101): il n'y a aucune raison d'en supprimer un ou plusieurs, et on ne voit pas non plus qu'elles autres créances mériteraient par leur cause une semblable faveur.
Mais comme il n'y a pas un seul des cinq priviléges énoncés dans l'article 2101 du Code français qui ne soit l'objet de vives controverses sur son étendue et sur son application, le Projet a dû entrer, sur chacun d'eux, dans des détails qui manquent entièrement à son modèle.
Les solutions ici données à toutes ces questions sont généralement limitatives du privilége.
Art. 1143. — 278. L'expression frais de justice" n'est employée ici que parce qu'elle est consacrée; mais elle n'est pas sans inconvénients, parce qu'elle éveille naturellement l'idée de frais faits dans une procédure judiciaire. Sans doute, ce sont là les frais de justice par excellence, mais ce ne sont pas les seuls; c'est pourquoi nous proposons de les appeler aussi " légaux " (1).
La dénomination de " frais de justice," se justifie d'ailleurs par cette idée que si ces frais ne sont pas toujours faits en justice, c'est-à-dire dans une instance judiciaire, ils sont toujours faits sous le contrôle de la justice, par des officiers qui relèvent d'elle, disciplinairement.
Le texte les présente comme étant " des avances d'argent, des salaires ou honoraires," sans que cette énumération doive être considérée comme limitative. Ces frais sont faits 11 dans l'intérêt commun des créanciers, pour conserver, liquider, réaliser et distribuer les biens du débiteur."
Cet intérêt commun, en même temps qu'il caractérise les frais privilégiés, est la justification du privilége luimême et du premier rang qui lui est accordé. On retrouvera même, à des degrés divers, cette idée de " service rendu à la masse," comme justification des autres priviléges généraux, à l'exception d'un seul, le suivant.
Les principaux actes qui donnent occasion à ces frais sont: les appositions de scellés, après le décès ou la faillite du débiteur, l'inventaire général des meubles formant le gage commun des créanciers, le recouvrement, par voie judiciaire ou extrajudiciaire, des sommes et valeurs dues au débiteur, les revendications contre des tiers possesseurs, s'il y a lieu, la vente des biens aux enchères, le calcul de la répartition proportionnelle entre les créanciers et le payement.
279. Le 2e alinéa fait une réserve essentielle.
Il peut arriver que le droit de l'un des créanciers soit contesté et que celui-ci doive plaider contre le débiteur pour l'établir: si le créancier gagne le procès, il y a eu là des frais de justice, dans le sens le plus clair du mot, puisqu'il y a eu procès; ces frais sont privilégiés, mais le privilége n'est plus général, parce qu'ils n'ont pas été utiles au débiteur, ni à la masse: ils leur ont même été nuisibles, en amenant le concours d'un nouveau créancier; le privilége sera donc spécial: il portera sur le montant des sommes allouées dans la masse à ce nouveau créancier qu'il faut supposer être lui-même insolvable, sans quoi le privilége n'aurait pas d'intérêt.
Il en serait de même des frais de la procédure dite d'ordre qui règle le rang et le payement de chaque créancier ayant privilége spécial ou hypothèque sur un bien du débiteur: cette partie des frais, à la différence de celle qui résulte de la procédure dite de distribution par contribution, n'est utile qu'à ces seuls créanciers et ne doit être prélevée que sur le montant de la collocation qui leur est assignée.
Le privilége, restant spécial dans ces divers cas, rentre dans l'application de l'article 1] 61 qui réglera le privilége de " celui qui a conservé un objet mobilier."
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(1) Le Texte officiel n'a admis que l'expression consacrée de " frais de justice " dont l'inconvénient n'est pas moindre ou japonais qu'en français.
II. —PRIVILF.GE DES FRAIS FUNÉRAIRES.
Art. 1144. — 280. Le Projet ne devait pas laisser planer la même incertitude que le Code français sur le sens et la portée des mots " frais funéraires; " on leur donne ici un sens très étroit avec trois applications seulement: 1° l'ensevelissement, qui comprend le cercue il et les accessoires, 2° la cérémonie religieuse qui précède l'inhumation et comprend le transport du. corps, 30 l'inhumation proprement dite (la mise en terre) ou la crémation (incinération) très usitée au Japon (a).
Il n'y aurait certainement pas privilége pour un embaumement, qui serait un luxe, ni pour une autopsie qui aurait été faite pour découvrir la nature d'un mal intérieur, cause de la mort.
Il n'est pas douteux, au contraire, que le transport des corps au temple et au cimetière soit privilégié, puisque c'est une dépense inséparable de la double cérémonie; de même l'achat du terrain pour l'inhumation et aussi le monument qui y est élevé et constitue la tombe.
Comme ces dépenses sont susceptibles d'une grande variété d'importance et que la loi ne peut songer à les tarifer d'une manière uniforme, même pour les débiteurs qui meurent insolvables, elle invite les tribunaux, pour le cas de contestation, à tenir compte de la " position sociale " du débiteur, combinée avec la " mesure d'usage: " il ne faut pas que la dépouille du débiteur soit privée des honneurs qui lui sont dûs, parce qu'il meurt pauvre.
Mais la loi a soin (38 al.) d'exclure du privilége les dépenses, " même d'usage, " qui suivent les funérailles, immédiatement ou après un certain nombre de jours, comme les présents aux invités, les repas commémoratifs, les vêtements de deuil des parents ou des serviteurs.
281. Il faut, à cette occasion, indiquer la cause légale de ce privilége. C'est le seul des priviléges généraux qui ne soit pas fondé sur l'idée d'un service rendu à la masse des créanciers; la cause est double: la salubrité publique, qui réclame l'inhumation plus ou moins prompte des corps, et la décence, les convenances, qui seraient offensées, si les corps restaient plus ou moins longtemps sans sépulture, parce que la famille du défunt ne disposerait pas présentement des sommes nécessaires aux funérailles: en accordant un privilége général à ceux qui feront les avances d'argent ou de services pour cette cérémonie, la loi encourage les tiers à les faire. Mais on comprend que la loi ne donne pas le même encouragement pour des dépenses accessoires et consécutives dues à un usage qui serait abusif au cas d'insolvabilité.
282. C'est une question débattue en France que celle de savoir si le privilége des frais funéraires est limité aux funérailles du débiteur, ou s'il s'applique aussi aux frais des funérailles qu'il a prises à sa charge.
Tout en ne limitant pas le privilége aux funérailles du débiteur, il ne faut pas admettre qu'il puisse, au préjudice de ses créanciers, grever ses biens d'un privilége général qui ne se justifierait plus au même degré que quand il s'agit de lui-même. Le texte prend le parti qui serait le plus soutenable comme interprétation du Code français: le privilége n'aura lieu que pour les funérailles de personnes présentant ces trois caractères: 1° qu'elles soient de la famille du débiteur (non des amis), 2° que leur entretien, de leur vivant, ait été à sa charge, 3° qu'elles aient habité avec lui, à l'époque de leur décès.
Il faut qu'elles aient été à sa charge, parce que, leur ayant dû les aliments pendant leur vie, il leur doit les derniers devoirs; il faut qu'elles aient habité avec lui, au moment de leur mort, afin que les autres créanciers ne soient pas primés par un privilége qu'ils n'auraient pu prévoir.
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(a) En Europe, la crémation est encore peu usitée; elle rencontre des objections religieuses; mais il est probable qu'elles seront levées: des rai. sons hygiéniques et économiques réclament en faveur de cette innovation.
III. —PRIVILEGE DES FRAIS DE DERNIERE MALADIE.
Art. 1145. — 283. Le Projet tranche ici, favorablement au privilége, une question que le Code français laisse incertaine, à savoir si c'est seulement la maladie dont le débiteur est mort qui donne lieu au privilége, ou même la maladie qui a précédé sa faillite ou la liquidation de ses biens par suite d'insolvabilité.
Ceux qui soutiennent, en France, que le privilége n'a que la première application peuvent invoquer la loi de Brumaire an VII, qui a précédé le Code civil et qui, mettant sur la même ligne " les frais de dernière maladie et inhumation " (art 11-3°), paraissait bien ne s'appliquer qu'à la maladie qui avait causé le décès (b); ils allèguent aussi que le cas de décès du débiteur est le seul où les créanciers pour soins médicaux soient exposés à n'être pas payés.
Mais, au contraire, il est à craindre que le débiteur guéri une fois failli ou insolvable, n'oublie facilement sa dette envers le médecin: il y en a bien des exemples. De plus, il y aurait quelque chose de choquant à ce que le médecin dont les soins ont sauvé le malade fût moins bien traité que celui qui n'a pas réussi.
Enfin, le but de la loi doit être d'encourager les médecins à donner leurs soins, et les pharmaciens à fournir leurs médicaments à ceux qui ne peuvent les payer comptant; or, il n'y aurait aucun encouragement si le privilége n'était pas assuré dans tous les cas, et surtout au cas de guérison.
Le texte, par analogie avec ce qui a été décidé à l'article précédent, au sujet des funérailles de certains parents du débiteur, donne aussi le privilége à ceux qui ont soigné les mêmes parents dans leur dernière maladie; seulement, pour ces personnes, il n'y a pas à prévoir leur propre faillite ou déconfiture, puisqu'étant à la charge du débiteur, elles n'ont pas de patrimoine propre; leur dernière maladie est donc celle qui a précédé la mort ou l'insolvabilité du débiteur, sans distinguer, non plus, si elles sont mortes elles-mêmes ou si elles ont été guéries.
284. La longue durée qu'ont souvent les maladies donne lieu à une difficulté en France; elle n'est qu'incomplètement résolue quand on décide qu'il ne sera tenu compte pour le privilége que de la période pendant laquelle la maladie est devenue dangereuse et a rendu le décès probable et prochain; en effet, outre une grande difficulté d'appréciation pour les tribunaux q ni ne peuvent guère être éclairés ici que par le médecin, lui-même intéressé, cette solution ne s'appliquerait pas au cas où le malade a guéri.
Notre texte a adopté un système plus simple et plus sûr: pour les maladies longues, que le malade en soit mort ou en ait guéri, le privilége sera exercé pour les frais "de la dernière année," c'est-à-dire qu'en prenant la mort ou la guérison comme terme fixe, on remontera d'un an dans le passé pour faire le compte des frais privilégiés. Le médecin ne doit pas laisser grossir sa créance au-delà de ce que les autres créanciers peuvent prévoir.
285. Le dernier alinéa suppose que, pendant le traitement, le débiteur ou son parent " est mort par une autre cause que la maladie pour laquelle les frais ont été faits;" dans ce cas, la maladie ne s'étant terminée ni par la mort causée par elle, ni par la guérison, on aurait pu hésiter sur l'admission du privilége; mais le médecin ne doit pas souffrir d'un tel accident.
La loi ne prévoit pas le cas où le médecin n'aurait pas donné ses soins jusqu'à la guérison ou jusqu'à la mort; mais il n'est pas douteux que le privilége subsiste: la nécessité d'encourager les médecins à donner leurs soins aux gens peu aisés est toujours la même et ils ne doivent pas souffrir de ce que les malades ou ceux qui les entourent se découragent d'un traitement qui ne réussit pas aussi tôt qu'ils l'espéraient.
La loi ne parle pas des sages-femmes qui ont fait ou aidé un accouchement, parce que la grossesse n'étant pas une maladie sa terminaison normale n'en est pas une non plus; mais s'il y avait la moindre complication subséquente et surtout décès, il ne faudrait pas hésiter à y appliquer notre article.
Pour le privilége des frais funéraires et de dernière maladie on n'a pas fait mention de ceux relatifs aux serviteurs; d'abord, parce que ces dépenses n'auront souvent qu'une faible importance; ensuite, par3e que le maître insolvable n'a pas une obligation stricte de subvenir à ces dépenses pour ses serviteurs.
Du reste, nous n'aurions eu aucune répugnance à ajouter au texte dans le sens qui y eût fait entrer les frais d'inhumation et de dernière maladie des serviteurs insolvables.
286. Il convient, en terminant, de s'arrêter un instant sur la cause légale de ce privilége: il ne faut pas du tout croire qu'il soit créé dans l'intérêt des médecins ou de leurs auxiliaires, si intéressants qu'ils soient; la cause ici est, comme dans cas du premier privilége et des suivants (le second est seul excepté), le service rendu au débiteur et à la masse de ses créanciers, par les soins médicaux: le médecin, en conservant ou en prolongeant la vie du débiteur, est considéré comme ayant géré l'affaire des créanciers.
Ce motif n'est plus suffisant pour le cas de maladie des parents du débiteur; mais le privilége existant à bon droit pour les frais funéraires des parents, il serait choquant qu'il n'existât pas pour les frais de leur dernière maladie.
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(b) Nous n'attachons aucune importance à la différence de formule "frais de dernière maladie ou frais de la dernière maladie le Projet emploie la première, comme plus large, quoiqu'on ait soutenu, en France, qu'elle l'est moins.
IV. -PRIVILEGE DES SALAIRES DES GENS DE SERVICE.
Art. 1146. — 287. Disons d'abord que la cause légale du privilége des gens de service est encore que ces services sont rendus moins au débiteur lui-même qu'à la masse de ses créanciers: si le débiteur était obligé de se servir lui-même, il passerait un temps considérable à des occupations matérielles, grossières, sans cesse renouvelées, au grand préjudice des travaux de sa profession, lesquels doivent lui procurer le moyen de satisfaire ses créanciers; si les gens de service n'avaient un privilége, ils ne serviraient pas à crédit un homme dont la position pécuniaire serait mauvaise ou seulement douteuse et le mal qu'on vient de signaler serait inévitable.
288. Voyons maintenant l'étendue du privilége.
Les serviteurs privilégiés sont ceux attachés à la personne ou aux biens du débiteur et aussi à la personne de ses parents, dans les conditions prévues à l'article 1144, c'est-à-dire " habitant avec lui et à sa charge "; aussi n'est-il pas question des serviteurs attachés aux biens de ces derniers: s'ils avaient des biens, ce serait sur ces biens que le privilége s'exercerait et non sur les biens de celui chez lequel ils habitent. Au contraire, les parents pauvres peuvent avoir un ou deux serviteurs mis à leur disposition par le débiteur, eu égard à leur âge et à leur ancienne condition sociale.
Pour en revenir au débiteur, on devra considérer comme serviteurs attachés à sa personne, non seulement ceux qui lui donnent des soins directs et journaliers, mais encore le cuisinier, le cocher, le bélo (coureur), et les subalternes de ces serviteurs, s'il y en a; comme serviteurs attachés aux biens, on comptera les momhans (portiers), les veilleurs de jour et de nuit, les jardiniers, hommes de peine, etc.
Le privilége ici prévu ne s'applique pas aux commis des marchands et des industriels; c'est le Code de Commerce qui aura à se prononcer sur le privilége de ces personnes, comme le fait le Code de Commerce français (art. 549).
289. Il fallait aussi régler l'étendue du privilége quant à la durée des services; le Code français accorde aux gens de service " la dernière année échue et l'année courante." ce qui est un peu long et d'un calcul assez compliqué: un peu long, car la prescription des gages des serviteurs est accomplie par un an (art. 2272), de sorte que, pour que le privilége soit utile en son entier, il faut supposer que la prescription a été interrompue ou n'est pas invoquée; un peu compliqué, car il faut prendre comme point de départ le jour anniversaire de l'entrée en service de chaque serviteur (ce qui est souvent difficile à retrouver), puis remonter d'un an en arrière pour avoir une année échue, et redescendre au jour de la liquidation ou de la cessation des services, pour avoir l'année courante.
Le Projet adopte un calcul à la fois plus juste et plus facile: plus juste, parce qu'il traite tous les serviteurs de la même manière, quel que soit le jour anniversaire de leur entrée au service du. débiteur; plus simple, parce qu'on néglige la recherche de ce jour: on prend le jour de la cessation des services comme point de départ et on alloue un an de gages pour l'arriéré, s'il n'a pas été payé et si les services ont cette ancienneté. Du reste, la durée du privilége ne coïncide pas avec la prescription des gages, laquelle est de 5 ans, 3 ans ou 6 mois, suivant l'époque de leur payement (v. art. 1493, 1494 et 1497).
V. —PRIVILÉGE DES FOURNITURES DE SUBSISTANCES.
Art. 1147. — 290. La cause légale de ce privilége est toujours le service rendu au débiteur dans des conditions qui profitent aux autres créanciers: si le débiteur ne trouvait pas crédit pour sa subsistance journalière et celle de sa famille et de ses serviteurs, il serait obligé pour vivre de se livrer à des occupations journalières étrangères à sa profession, ce qui serait aussi nuisible à ses créanciers que s'il lui fallait, comme on l'a dit plus haut, se servir lui-même.
La subsistance de ses serviteurs est mise ici sur la même ligne que celle de la famille; d'abord, parce qu'il serait le plus souvent impossible de distinguer ce qui est pour la famille et ce qui est pour les serviteurs; ensuite, parce que si la subsistance des serviteurs n'était pas assurée, comme leurs gages, le débiteur ne trouverait pas de serviteurs.
291. Le texte a soin d'exprimer que le privilége ne s'applique qu'aux " denrées alimentaires ": il donne ainsi au mot " subsistances " un sens très limité et très précis. En France, le mot "subsistance" n'étant pas précisé dans la loi, il y a bien des divergences sur la portée qu'il faut lui donner; beaucoup d'auteurs y font rentrer une foule de fournitures accessoires qui rendent le privilége très onéreux aux autres créanciers; mais le mot " subsistances " n'a pas une portée aussi étendue que celle " d'aliments," quand on parle de "l'obligation alimentaire " envers certains parents, laquelle comprend même le vêtement.
Quant à la durée des fournitures privilégiées, le texte n'en admet qu'une, six mois, les six derniers; d'ailleurs on ne distingue pas, comme au Code français, les fournitures des marchands " en gros " et celles des marchands "en détail."
SOMMAIRE.
Art. 1148. — N° 292. Caractère subsidiaire des priviléges généraux à l'égard des immeubles. - 293. Cas où les immeubles sont vendus avant les muebles.
1149 294. Concours des priviléges généraux entre eux; renvoi pour le cas de priviléges spéciaux. - 295.Concours des priviléges généraux, soit avec des priviléges spéciaux sur les immeubles ou avec des hypothèques spéciales, soit avec des hypothèques générales -296. Répartition des priviléges généraux entre tous les immeubles.
1150. —297. Dispense d'inscription des priviléges généraux, pour le droit de préférence; renvoi pour le droit de suite.
COMMENTAIRE.
Art. 1148. — 292. Quoique les priviléges dont il s'agit dans cette Section s'étendent sur les meubles et les immeubles, ce n'est pas à dire que ce soit indistinctement et qu'il dépende des créanciers auxquels ils appartiennent de les faire valoir à leur gré sur les immeubles ou sur les meubles. Déjà l'article 1139-1° nous a dit que les priviléges généraux ne s'étendent sur les immeubles que " subsidiairement," ce qui veut dire en cas d'insuffisance ou à défaut de meubles.
Le 1er alinéa de notre article l'exprime formellement, Si la vente des meubles et la distribution du prix qui en provient a lieu d'abord, ce qui sera le plus fréquent. la collocation subsidiaire sur les immeubles des priviléges généraux ne fera pas de difficulté.
293. Le 2e alinéa prévoit qu'en fait, et pour des causes qui n'ont pas à nous arrêter, il y a eu lieu d'abord à la distribution du prix d'un ou plusieurs immeubles. Comme on ne sait pas ce que produira la vente du mobilier et quel sera le reliquat dû aux créanciers privilégiés sur tous les meubles, on doit nécessairement admettre ceux-ci à produire leurs titres et à se faire colloquer sur le prix des immeubles vendus, pour le montant intégral de leur créance. Mais cette collocation est " conditionnelle" ou provisoire: elle a seulement pour but de préserver les créanciers d'une perte, au cas où les prévisions sur la vente du mobilier ne seraient pas atteintes et aussi de ne pas retarder la collocation des autres créanciers ayant privilége ou hypothèque sur les immeubles.
Aussi les créanciers qui nous occupent ne touchentils pas le montant de leur collocation, puisqu'il peut arriver qu'ils n'aient besoin de rien toucher sur le prix des immeubles; c'est seulement après la vente du mobilier, que, si quelque chose leur reste dû, ils le recevront sur cette collocation immobilière, laquelle, en attendant, est consignée.
La loi devait prévoir le cas où les créanciers qui nous intéressent auraient négligé de se présenter en temps utile à la distribution du prix des meubles; dans ce cas, ils seraient déchus non de tout droit sur le prix des immeubles, mais des sommes qu'ils auraient pu toucher sur le prix des meubles; or, ces sommes sont faciles à connaître quand les meubles sont vendus, puisque ces créanciers eussent été les premiers à toucher.
Art. 1149. — 294. 11 fallait régler l'ordre de préférence entre les créanciers privilégiés eux-mêmes, pour le cas où les biens, meubles et immeubles, ne suffiraient pas à les désintéresser tous.
Si les cinq priviléges généraux se rencontrent dans la liquidation, ils seront colloqués dans l'ordre où la loi vient de les présenter; si quelques-uns ne se rencontrent pas, l ordre est le même entre ceux qui existent.
Comme chacun de ces priviléges peut être réclamé par plusieurs créanciers de même qualité, il n'y a pas de différence entre eux; ils sont colloqués au même rang, proportionnellement à ce qui leur est dCt.
Mais ils peuvent se trouver en concours avec des priviléges spéciaux sur les meubles: cela aura même lieu, nécessairement, chaque fois qu'il y aura un privilége spécial quelconque sur les meubles: la loi ne règle pas ici les rangs respectifs, puisque les priviléges spéciaux sur les meubles ne sont pas encore connus; elle renvoie, a cet égard, à la Section suivante (v. art. 1169).
295. A u contraire, la loi règle ici le concours de nos priviléges généraux sur les meubles et les immeubles avec des priviléges spéciaux sur les immeubles et avec des hypothèques, soit spéciales, soit générales, sur les immeubles j cependant ces causes de préférence n'ont pas encore été rencontrées non plus; le motif est que, si on ne réglait pas ici ce concours, il faudrait le régler partiellement dans les deux Chapitres suivants, ce qui serait défavorable à l'ensemble de la théorie.
La loi donne la priorité aux priviléges spéciaux et aux hypothèques spéciales sur les priviléges généraux, lors même que la constitution des sûretés spéciales est postérieure à la naissance des priviléges généraux (ce qu'il faut entendre aussi de leur publication); pourvu, a soin de dire la loi, " qu'il n'y ait pas fraude ” (fraus omnia corrumpit, " la fraude fait déroger à toutes les règles: la spécialité donnée à une sûreté, par la loi ou par la convention, en même temps qu'elle s'oppose à son accroissement, doit aussi la préserver de tout décroissement par un concours imprévu.
Au contraire, les priviléges généraux sur les meubles et les immeubles priment les hypothèques également générales sur les immeubles (art. 1210), lors même que celles-ci seraient nées les premières: la raison est que les priviléges généraux de nos articles 11.43 à 1147 sont ordinairement d'une importance minime, par rapport aux immeubles, et existent par des causes excessivement favorables; en outre, ils sont toujours plus ou moins prévus.
296. Il fallait prévoir enfin le cas de plusieurs immeubles grevés d'hypothèques générales, et déterminer comment chacun supporterait la priorité de nos priviléges généraux.
Le principe est que chaque immeuble supporte les priviléges généraux proportionnellement à son importance: il ne serait pas juste que le hasard qui fait vendre les uns avant les autres fît porter la charge entière sur les premiers vendus.
Il n'y aura qu'une différence de procédure entre la vente simultanée de tous les immeubles et les ventes successives. Au cas de vente simultanée de tous, la répartition et la collocation proportionnelle se feront immédiatement; au cas de ventes successives, les créanciers à priviléges généraux toucheront, sans recours, sur le premier immeuble vendu, l'intégralité de ce qui leur est dû; mais les créanciers hypothécaires qui ont subi cette priorité sur le premier immeuble pourront exercer un recours de ce chef, préalablement à toute autre collocation, sur le prix des autres immeubles, lorsque la vente en aura lieu: ils y auront intérêt chaque fois qu'ils n'auront pas respectivement le même rang d'hypothèque.
Art. 1150. — 297. On verra, à la Section II, que les priviléges spéciaux sur les immeubles sont soumis à la publicité résultant de la transcription ou de l'inscription. Nos priviléges généraux, bien que portant sur les immeubles, ne sont pas soumis à cette condition pour être opposables aux autres créanciers. Il y a de cela deux raisons: d'abord ils ne s'exercent que subsidiairement sur les immeubles; or, il serait fâcheux de soumettre ces créances à une formalité et à des frais qui peuvent, en fait, se trouver inutiles; ensuite, ces créances privilégiées sont de celles que les autres créanciers peuvent toujours prévoir, avec plus ou moins de certitude quant à leur existence, et de vraisemblance quant à leur montant.
Au surplus, cette dispense d'inscription des priviléges généraux n'a d'effet que pour l'exercice du droit de préférence: on verra ailleurs que l'exercice du droit de suite sur les immeubles ne serait possible, en vertu de ces priviléges, que s'il y avait eu inscription (v. art. 1196).
SOMMAIRE.
Art. 1151. — N° 298. Observations préliminaires sur le nombre, la qualification et l'objet de ces priviléges.
I. -Privilège du Bailleur d'immeubles.
1152. -299. Observations préliminaires sur ce privilége.-300. Cause légitime du privilége. -301. Objets soumis au privilége, dans le bail urbain.
1153. —302. Obligation pour le preneur de fournir le gage tacite. -303. Droit de revendication du bailleur sur les objets déplacés ou détournés.
1154. —304. Bail rural: objets soumis au privilége.
1155. 305. Obligation d'engranger sur les lieux: sanction.
1156. -306. Droit du bailleur sur les meubles du sous-locataire ou cessionnaire et sur le prix de sous-location ou de cession.
1157. 307. Etendue du privilége au cas de liquidation.
1158. -308. Droit des créanciers du preneur d'empêcher la résiliation.
II. -Privilège des Fournisseurs de semences et d'engrais.
1159. 309. Cause légitime de ce privilége: observation sur l'élevage des vers à soie.
III. —Privilége des Ouvriers agricoles et industriels.
1160. -310. Cause légitime et objet de ce privilége.
IV. -Privilège du Conservateur d'objets mobiliers.
1161. —311. Cause légitime et objet de ce privilége.
V. -Privilège du Vendeur d'effets mobiliers.
1162. —312. Cause légitime et objet de ce privilége; cas d'un échange avec soulte: distinction.
1163. -313. Absence de droit de suite contre les tiers, sauf au cas de fraude.
1164. —314. Cumul, limité dans son exercice, des droits de rétention, de privilége et de résolution. - 315. Abandon, par le Projet, de la revendication exceptionnelle accordée au vendeur par le Code français.
VI. -Privilège des Aubergistes et Hôteliers.
1165. - 316. Cause légitime et objets de ce privilége. -317.Créances qu'il garantit.
VII. -Privilège des Voituriers et Bateliers.
1166. —318. Cause légitime et objets de ce privilége; créances qu'il garantit. —319. Persistance du privilége après la remise des objets: ses conditions. -320. Respect du droit des tiers acquéreurs; transport du privilége sur le prix par eux dû.
VIII. —Privilége des Créanciers pour Faits de charge.
1167. —321. Gage tacite sur le cautionnement de certains officiers publics.
IX. -Privilège des Prêteurs de deniers du Cautionnement.
1108. -322. Cause légitime de ce privilége: renvoi pour ses conditions.
COMMENTAIRE.
Art. 1151. — N° 298. L'énumération ici donnée des priviléges spéciaux sur les meubles diffère un peu de celle que présente l'article 2102 du Code français: d'abord, on en exclut le privilége des créanciers nantis, déjà traité comme étant fondé sur la convention et non sur la loi et sur la cause de la créance; ensuite, on n'y mentionne pas le privilége du réparateur d'ustensiles agricoles, comme ne pouvant pas avoir au Japon où la culture du riz est la principale, l'application qu'il a en Europe; on le remplace par un privilége pour les fournitures d'engrais; enfin, par emprunt au Code de Commerce français (art. 549), on donne un privilége aux ouvriers industriels comme aux ouvriers agricoles.
Notons encore une simple différence de style ou de forme: au lieu d'énoncer les créances privilégiées, comme le fait l'article 2102 et comme on l'a fait également plus haut pour les priviléges généraux, ce sont les créanciers qui sont désignés: du moment qu'il est impossible d'avoir une formule semblable pour chaque créance (le Code français en a huit différentes pour diœ créances) (a), mieux vaut employer le nom légal de cbaque créancier qui dit autant, en une forme plus brève.
Chacun de ces priviléges va être repris en détail dans une rubrique spéciale, et l'on y verra, avec sa cause, les objets sur lesquels il porte, ainsi que l'annonce le présent §, différent en cela du § lor de la Section précédente qui ne s'occupait que des causes, non de l'objet des priviléges généraux; en effet, cet objet était, pour tous, l'ensemble des biens meubles et immeubles du débiteur. Ici chaque privilége a un objet spécial.
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(a) Le Code français (art. 2102) emploie tour à tour, pour les créances, les mots: "loyers et fermages, réparations, sommes dues, créances, frais, prix, fournitures, dépenses."
I. -PRIVILEGE DU BAILLEUR D'IMMEUBLES.
Art. 1152. — 299. Ce privilége occupe le premier rang dans le Projet japonais, comme dans le Code français, à cause de sa très fréquente application et de toutes les distinctions qu'il comporte.
Il ne faut ni s'étonner ni s'inquiéter de lui trouver ici beaucoup plus de développements qu'il n'en a dans son modèle: tout ce qu'il y a ici de plus que dans le Code français est la solution d'autant de difficultés que ce Code a laissées discutables.
Ce premier article et le suivant concernent le bail de bâtiments, les articles 1154 et 1155, le bail de biens ruraux, les articles 1156, 1157 et 1158 contiennent des dispositions communes aux deux sortes de baux.
Sur chacun de ces baux la loi nous indique: 1° quelle est la nature et l'étendue des créances du bailleur garanties par le privilége, 2° sur quels meubles il s'exerce, et cela nous conduira à comprendre la cause légale du privilége, la faveur que méritent ces créances privilégiées.
Comme c'est le contrat de bail, et non la personne du bailleur, qui motive le privilége, nous disons, de suite et d'une façon générale, que ce sont les seules créances nées du bail ou à son occasion qui sont privilégiées, et, comme objets sur lesquels porte le privilége, que ce sont ceux que le preneur a apportés sur le fonds loué ou qu'il en a tirés par l'exploitation.
300. C'est dans ces éléments du privilége que nous trouvons les moyens de le justifier.
D'abord l'idée de service rendu au débiteur, et par suite à ses créanciers, est manifeste: tout le monde n'a pas une maison à soi pour l'habiter ou pour y exercer une industrie ou une profession; le bailleur qui prête l'usage de ses bâtiments rend donc un service éminent, indispensable, à ceux qui ne sont pas propriétaires; le bailleur de fonds ruraux fournit à ceux qui n'ont pas de terres le moyen d'exploiter le sol, ce qui est, en même temps qu'un service personnel rendu au fermier, un avantage économique procuré à la société, par une aide à la production agricole ou au travail industriel.
Pour le bail rural, il est donc naturel que le bailleur ait privilége sur les fruits et produits tirés de son fonds: ces produits ne doivent devenir le gage commun des autres créanciers que quand le bailleur a été désintéressé.
Pour les deux sortes de baux et surtout pour le bail de bâtiments, le bailleur est autorisé par la loi à se considérer comme nanti, par une sorte de gage tacite, des objets mobiliers apportés dans les bâtiments pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur, et sur les terres pour leur exploitation.
301. Le 1er alinéa de notre article indique les objets du privilége pour le bailleur de bâtiments que, pour abréger, nous appellerons " bailleur urbain," par opposition au " bailleur rural."
Le 2e alinéa fait ici l'application du principe général que " la possession des meubles vaut titre parfait " (v. c. civ. fr., art. 1141, 2102-4°, 99 al., 2279; Proj. jap., art. 366 et 1481): s'il s'agissait d'un gage conventionnel et que la chose donnée en gage n'appartînt pas au débiteur, le créancier, s'il était de bonne foi, n'en aurait pas moins un droit de gage parfait; il en est de même dans le cas du gage tacite qui nous occupe.
Le texte a soin de nous dire que la bonne foi du bailleur doit exister, non au moment où les meubles ont été introduits dans les locaux loués, mais au moment où le bailleur a eu connaissance de cette introduction.
Pour que l'idée de gage tacite reste vraie, il faut que les objets apportés par le preneur soient apparents dans la maison, ou de nature à être prévus par le bailleur, comme étant de ceux que tout preneur a en quantité plus ou moins considérable. Par suite, la loi exclut de ce gage tacite " l'argent comptant, les bijoux et pierreries "; elle ajoute que l'exclusion ne s'applique qu'aux bijoux et pierreries " destinés à l'usage personnel du débiteur ou de sa famille," indiquant par là que si de pareils objets formaient la matière du commerce du preneur l'exclusion ne s'appliquerait plus.
Les titres de créance, "même au porteur, " sont exclus pareillement: le bailleur n'y a- pas plus compté que sur l'argent qu'ils représentent.
Il va sans dire que les manuscrits, plans, documents quelconques, se trouvant dans la maison, ne sont pas le gage du bailleur: ils ne sont pas là " pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur " (Ier al.); en tout cas, lors même qu'ils serviraient à son industrie, ce ne serait qu'indirectement: ils n'en seraient pas l'objet.
Au contraire, les objets d'art, bronzes, laques, porcelaines, tableaux, livres de bibliothèque, font partie du gage: on dit, en France, qu'ils " garnissent les lieux loués " (v. art. 2102-1°, 1er et 5e al.) et le Projet va employer la même expression.
Art. 1153. — 302. La loi ne se borne pas à autoriser le bailleur à se considérer comme tacitement nanti des objets "garnissant les lieux loués" elle l'autorise à exiger que cette garantie lui soit fournie, non pas, il est vrai, pour une valeur égale à tous les loyers à échoir, mais au moins pour le terme courant et pour un terme à échoir.
Au Japon, les termes sont généralement mensuels;en France, ils sont plus souvent trimestriels. Le Code français (art. 1752) impose bien au preneur la même obligation de garnir de meubles suffisants, mais il ne fixe aucun nombre de termes: en cas de contestation les tribunaux décideraient; mais ils ne pourraient, évidemment, exiger une garantie pour tout le temps à échoir: ce serait excessif, et, pour le terme courant seul, ce serait insuffisant, parce que, si le payement n'avait pas lieu exactement à l'échéance, le terme suivant serait commencé sans garantie. La solution du Projet serait très justifiable en jurisprudence française.
Si le preneur ne peut fournir la sûreté pour les deux termes, mais pour un seul, alors il doit payer le terme courant, par anticipation, et continuer de façon à être toujours en avance d'un terme: faute de quoi, il est exposé à la résiliation pour inexécution de ses obligations (aa).
303. Le 2e alinéa suppose que le preneur, après avoir garni suffisamment les lieux loués, déplace une partie des objets; il permet alors au bailleur de les faire réintégrer dans les lieux, mais sous deux conditions: 1° que sa garantie soit devenue insuffisante (or, cela pourrait ne pas être), 2° que quelque droit sur ces objets appartienne encore au preneur, et c'est dans la limite de ce droit que le bailleur exercera son droit de reprise; par conséquent, les aliénations seront maintenues, et si les objets, bien que restés la propriété du preneur, ont été par lui donnés en gage, soit conventionnel, soit tacite, en faveur d'un autre bailleur, de droit du nouveau créancier gagiste sera respecté.
Mais il fallait prévoir aussi le cas où le détournement du gage aurait été frauduleux à l'égard du bailleur et, dans ce cas, permettre la révocation contre les tiers, conformément au droit commun; or, comme cette révocation comporte des " conditions et distinctions " sur la nature gratuite ou onéreuse de l'aliénation et sur la bonne ou la mauvaise foi de l'acquéreur, le texte renvoie, à cet égard, aux articles 361 et suivants qui sont généraux.
Le Projet tranche ainsi, par l'application des principes généraux à notre cas particulier, une difficulté sérieuse que soulève l'article 2] 02-10, 5e al., du Code français, lequel permet au bailleur de " revendiquer," dans un délai de 15 ou 40 jours, suivant les cas, "les meubles déplacés sans son consentement." On peut hésiter sur le point de savoir si cette disposition est écrite en vue d'un simple " déplacement " du gage, transporté dans des lieux appartenant au preneur, ou si même elle s'applique à une aliénation, et dans ce cas, on est encore embarrassé sur le point de savoir s'il faut distinguer entre la bonne et la mauvaise foi du tiers acquéreur.
La dernière disposition finale fait une autre réserve, par renvoi à l'article 1138: soit que le bailleur puisse ou non faire révoquer l'aliénation, il n'est pas réduit à cette seule voie: si donc il préfère se faire attribuer le prix de l'aliénation dû par un tiers, il le peut, et ce sera souvent plus simple.
Ce renvoi à l'article 1138 n'est pas reproduit pour chaque privilége, mais il faut le suppléer chaque fois que le privilége ne peut plus s'exercer sur la chose en nature, sans avoir pourtant été perdu en lui-même.
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(aa) Jusqu'ici, au Japon, en l'absence de ce privilége du bailleur sur les meubles, l'usage a été que le preneur payât, en avance, le montant d'un mois applicable au dernier terme.
Art. 1154. — 304. Il s'agit ici du bail d'un fonds, soit ordinaire ou à ferme (v. art. 121 et s.), soit à long terme ou à emphytéose (v. art. 166 et s.). Dans ce cas, les objets sur lesquels porte le gage tacite du bailleur sont plus nombreux, sans qu'on puisse dire d'ailleurs que la garantie est plus considérable, parce que ces objets, surtout les premiers, ont ordinairement peu de valeur.
Ce sont: ] 0 les objets mobiliers placés dans les bâtiments d'habitation pour l'usage des personnes; 2° les animaux et ustensiles aratoires; 3° les objets servant à l'exploitation agricole, notamment à la transformation des produits du fonds, pour qu'ils puissent être mieux vendus; 4° les récoltes et autres fruits et produits naturels du fonds loué, tant qu'ils sont attachés au sol ou conservés sur le fonds.
Les dispositions qui précèdent s'appliqueraient au bail d'une forêt et d'un étang: quoique les instruments d'exploitation et les produits en soient différents de ceux des terres, l'analogie est suffisante pour que la loi n'ait pas cru nécessaire de l'exprimer (1).
A l'égard du bail à colonage ou à part de fruits, le droit du bailleur est plutôt un droit de copropriété qu'un droit du créance: il préservera le bailleur du concours avec les autres créanciers et il sera d'une réalisation plus facile, tant que les fruits ne seront pas sortis des mains du colon.
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(1) On a supprimé de cet article un alinéa concernant le louage des mines, lequel est défendu par la loi spéciale sur les Mines.
Art. 1155. — 305. Pour que le droit de gage du bailleur à ferme, à colonage ou à emphytéose, sur les récoltes et autres produits du fonds, ne soit pas facilement illusoire, le preneur ne peut engranger ou déposer ces fruits ou produits dans d'autres locaux que ceux loués, " s'il sont convenables ou appropriés à cet effet " (b).
Mais le défaut de locaux convenables ne doit pas exposer le bailleur à la perte de toute sûreté; le preneur a dû se rendre compte de l'impossibilité de conserver les produits sur les lieux, et s'il en résulte pour lui une entrave à la liberté de disposer, il ne peut s'en plaindre, étant présumé l'avoir acceptée d'avance: cette entrave est la nécessité d'obtenir 11 dans tous les cas," le consentement du bailleur au déplacement ou à la disposition, Il à moins qu'il ne satisfasse à ses obligations pour l'année courante." La loi considère comme une satisfaction la délégation que ferait le preneur au bailleur de la créance du prix des récoltes.
Le renvoi à l'article 1153, prononcé par le 3e alinéa, pour la revendication, ne présente aucune difficulté.
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(b) La présente disposition a rendu inutile celle de l'ancien article 148 qui a été supprimé dans cette édition.
Art. 1156. — 306. Le bail à ferme ou à emphytéose est susceptible de cession ou de sous-location, s'il n'y a eu interdiction de cette faculté; le bail à colonage ne peut être cédé ou sous-loué que s'il y a eu autorisation du bailleur à cet effet (v. art. 142); dans les deux cas, le droit de gage du bailleur originaire s'exerce sur les meubles garnissant les lieux loués, " lors même que le bailleur sait qu'ils appartiennent au cessionnaire ou au sous-locataire: " celui-ci ne peut se plaindre d'une situation qu'il a dû prévoir. D'ailleurs, il devra avoir soin de ne payer son prix de bail ou de cession qu'aux mains du bailleur originaire; de cette façon, la propriété de ses meubles ne sera pas compromise. Le bailleur a même le privilége sur les sommes dues à ce titre, non seulement parce que ce sont des fruits civils de sa chose, mais encore par application de l'article 1138 auquel notre article renvoie.
Art. 1157. — 307. La loi devait se prononcer sur un point que le Code français, malgré ses détails (v. art. 2102-1°, 1er et 2e al.), n'a pas complétement mis hors de controverse, à savoir: pour quelle période du bail, le bailleur pourra-t-il se faire colloquer dans la liquidation des biens du preneur ?
Sans distinguer, comme le Code français, si le bail a ou non date certaine, et en supposant qu'il n'y a aucune fraude pour le faire remonter dans le passé ou le prolonger dans l'avenir au-delà de la vérité, le Projet accorde le privilége au bailleur pour trois années: la dernière année écoulée, l'année courante et une année à échoir. Il faut supposer encore, bien entendu, 1° que le bail a une étendue suffisante dans le passé et dans l'avenir pour présenter ces trois périodes, 2° qu'il n'a pas été fait, pour ce qui est échu ou à échoir, de payement qui restreigne cette créance du bailleur.
Quand on rapproche cette disposition de celle de l'article 1153 qui ne permet au bailleur d'exiger la garantie du gage tacite que pour le terme courant et un terme à échoir, on a lieu de croire qu'il est inutile de lui accorder privilége pour trois années.
Mais les deux idées se concilient très bien. Si le preneur n'a garni de meubles les lieux loués que pour la période indiquée à l'article 1153, le bailleur n'aura pas manqué d'exiger le payement régulier à chaque période échue; si, au contraire, sa garantie est assez considérable, il aura pu avoir des ménagements pour un preneur embarrassé; mais alors, pour que les autres créanciers ne souffrent pas trop du privilége, la limite de notre article reçoit son application.
A ce moment de la liquidation générale, le bailleur pourra encore exercer ses autres créances résultant du bail; sans préjudice du droit de faire résilier le bail avec indemnité, s'il préfère rentrer dans la jouissance de sa chose.
Art. 1158. — 308. Comme le bail pourrait être avantageux au preneur et par suite à ses créanciers, ceux-ci ont la faculté de s'opposer à la résiliation et de souslouer ou céder le bail, mais à la condition de garantir au bailleur le payement de tout ce qui lui sera dû pour l'avenir.
Cette disposition s'applique non seulement lorsqu'il n'a rien été prévu quant à la faculté pour le preneur de céder ou sous-louer, mais même lorsqu'il y a eu prohibition à cet égard.
Il ne faudrait cependant pas l'étendre au bail à colonage ou à part de fruits, parce que ce contrat a un caractère de société et a été fait en considération de la capacité et de l'honnêteté du preneur; pour que les créanciers pussent sous-louer ou céder le bail dans ce cas, il faudrait que la faculté en eût été à l'origine accordée au preneur (v. art. 142, 4e al.)
II. -PRIVILEGE DES FOURNISSEURS DE SEMENCES ET ENGRAIS.
Art. 1159. — 309. Il est évident que ceux qui ont fourni à crédit les semences et les engrais n'ont pas moins contribué à la production de la récolte que celui qui a prêté le sol; il n'est donc pas moins juste de leur donner un privilége sur ladite récolte. On verra plus loin que ce privilége doit même passer avant celui du bailleur.
A cause de l'importance de l'élevage des vers à soie au Japon, la loi s'explique particulièrement sur la fourniture des graines de vers et des feuilles de mûrier qui leur servent de nourriture. Il arrive souvent que des gens très pauvres, sans avoir de mûriers, élèvent des vers à soie, en petite quantité, pour utiliser les bras des femmes, des vieillards et des enfants, et augmenter ainsi leurs moyens d'existence; il leur serait difficile de payer chaque jour le prix des feuilles achetées au dehors ou, encore plus, de payer en une seule fois la location d'un ou plusieurs mûriers; la loi les favorise en donnant un privilége sur la récolte de la soie à ceux qui leur fourniront à crédit la nourriture des vers.
S'il s'agit de l'élevage industriel et en grand, le privilége ne sera pas moins utile, parce que les frais de nourriture étant considérables, il peut être difficile aux éleveurs de tout payer avant la récolte.
III. -PRIVILEGE DES OUVRIERS AGRICOLES ET INDUSTRIELS.
Art. 1160. — 310. Il ne suffirait pas que certains créanciers fussent encouragés à prêter le sol, et d'autres les semences et engrais, si les ouvriers agricoles, non moins nécessaires, n'étaient assurés du payement de leur travail à la terre et à la récolte; la loi leur donne donc aussi, pour leur salaire de la même année, un privilége sur ceux des produits de l'année courante auxquels ils ont coopéré.
Il sera rare d'ailleurs qu'il leur soit dû une année entière, parce que leurs ressources ne leur permettent guère de faire un si long crédit à celui qui les emploie.
La loi a soin d'exclure du présent article " les serviteurs" dont le privilége général est déjà réglé par l'article 1146.
S'il s'agit, non plus d'ouvriers agricoles, mais d'ouvriers industriels, le privilége est réduit aux trois derniers mois de leur salaire de l'année courante: le motif de cette restriction est que, les produits des industries étant à peu près continus, ces ouvriers ne sont pas, comme les précédents, dans une sorte de nécessité de faire crédit pour un an.
Remarquons d'ailleurs qu'il ne s'agit ici que d'industries qu'on pourrait appeler civiles, c'est-à-dire non soumises aux règles du droit commercial: exploitation des bois et forêts, des mines, minières et carrières et des magnaneries. Pour les ouvriers des autres industries, c'est le Code de Commerce qui aura à se prononcer sur leur privilége (2).
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(2) Il ne l'a pas accordé: c'est une lacune qu'on peut regretter.
IV. -PRIVILEGE DU CONSERVATEUR D'OBJETS MOBILIERS.
Art. 1161. — 311. Ce privilége est manifestement fondé sur le service rendu au débiteur et à ses créanciers, puisqu'un objet est resté dans leur gage, grâce à des frais de réparation ou de conservation qui ont rendu l'an d'eux créancier.
La loi met sur la même ligne " la réparation et la conservation," parce que le premier service est souvent bien voisin du second et est le meilleur moyen d'empêcher la perte de la chose. Mais le privilége n'est pas accordé à ceux qui auraient seulement amélioré la chose: outre que l'amélioration n'îst pas aussi désirable que la conservation, il ne pourrait y avoir privilége de ce chef que sur la plus-value; or, cela nécessiterait des expertises plus ou moins coûteuses et hors de proportion avec l'intérêt engagé.
On trouvera, au contraire, un privilége spécial sur les immeubles pour améliorations (v. art. 1178 et 1179); mais, précisément, ces expertises seront organisées avec soin et l'intérêt engagé sera assez élevé pour comporter cette mesure.
On a vu à l'article 1096 que celui qui a fait des dépenses pour la conservation de la chose d'autrui peut exercer sur cette chose un droit de rétention. Le droit de rétention n'implique pas par lui-même le privilége sur la valeur de la chose; mais ici les deux droits se cumulent, et la loi a soin de nous dire qu'ils sont indépendants, en sorte que le créancier qui aurait négligé de retenir la chose n'aurait pas moins droit à l'exercice du privilége.
Le 1er alinéa est écrit surtout en vue d'objets corporels; le 2e alinéa suppose que les frais de conservation ont été appliqués à des droits du débiteur qu'il a fallu faire valoir en justice ou exercer par des actes extrajudiciaires.
Bien que le service soit rendu au débiteur et, par suite, à la masse de ses créanciers, le privilége n'est pas général comme celui des frais de justice réglé à l'article
1143: ce n'est pas, comme dans le cas de cet article, tout le patrimoine qui a été conservé, c'en est seulement une partie, un objet; il est donc naturel que le privilége reste spécial sur objet: déjà ledit article 1143; 2e alinéa, avait fait cette réserve.
V. —PRIVILE:GE DU VENDEUR D'OBJETS MOBILIERS.
Art. 1162. — 312. Le vendeur a mis un objet dans le patrimoine du débiteur sous la condition de recevoir un prix; si, lorsque ce prix ne lui a pas été payé, il était obligé de subir le concours avec tous les créanciers, ceuxci s'enrichiraient à ses dépens; ce privilége a donc pour fondement légitime, comme tous les autres, le service rendu à la masse; mais, de même que pour les autres priviléges spéciaux, le service se spécifie, s'incorpore, en quelque sorte, dans un objet déterminé; le privilége ne porte donc que sur cet objet.
Il n'importe pas que le vendeur ait ou non donné un terme pour le payement. Il est vrai que, quand il n'a pas donné de terme, il a, jusqu'à parfait payement, le droit de rétention de la chose vendue (art. 784); mais les deux droits sont indépendants l'un de l'autre comme nous le dit l'article suivant.
Le texte prévoit le cas où l'acte d'aliénation est un échange avec soulte, c'est-à-dire un " échange mêlé de vente," comme on dit en doctrine. Il était impossible d'admettre que, dans tous les cas et si faible que fût la soulte, l'aliénateur qui a déjà reçu une chose de l'acquéreur, en contre-échange, eût encore un privilége sur son ancienne chose, comme garantie de la soulte; il était impossible également de le lui refuser toujours et si considérable que fût la soulte: la loi applique ici un principe qui a déjà été rencontré plusieurs fois, le principe que " la plus forte part entraîne la plus faible" (major pars minorem ad se trahit) (v. art. 439 et 754): si la soulte est de plus de moitié, l'aliénateur aura pour cette soulte le privilége du vendeur.
Art. 1163. — 313. Le privilége du vendeur de meubles ne donne pas le droit de suite contre les tiers acquéreurs; la loi ne réserve même pas le cas où les tiers sauraient que le prix n'est pas encore payé: cette connaissance ne les constitue pas en état de possesseurs de mauvaise foi, car ils peuvent croire que le vendeur et l'acheteur ont pris des arrangements particuliers ou que l'acheteur est solvable; pour que le vendeur pût agir contre des tiers acquéreurs, il faudrait que la nouvelle aliénation eût été faite en fraude de ses droits et qu'il y eût lieu à l'application de l'article 361 (comp. art. 1153, 3e al.).
En cas de revente par l'acheteur, le vendeur aurait aussi le droit de saisir le prix de revente encore dû et de se le faire attribuer par privilége aux autres créanciers, par application de l'article 1138: le texte l'exprime, parce que le début de l'article aurait pu donner quelque doute à cet égard.
Si l'objet vendu, resté en la possession de l'acheteur, a été par lui immobilisé, soit par destination, soit par incorporation (v. art. 9 et 10, 610 et 611) le privilége subsiste, mais sous la condition que l'objet puisse être détaché sans détérioration du fonds.
La détérioration de l'objet même ne serait pas un obstacle à ce qu'il fût détaché; mais le vendeur n'aurait guère d'intérêt à demander la séparation, si elle devait diminuer notablement la valeur de l'objet, parce qu'elle diminuerait en même temps sa garantie.
Dans aucun cas, le vendeur ne pourra exercer le privilége si l'objet a été transformé d'une manière qui empêche d'en reconnaître l'identité avec certitude.
Art. 1164. — 314. On a déjà dit que le privilége du vendeur est indépendant de son droit de rétention et de son droit de résolution. Il faut pourtant prendre garde d'exagérer ce cumul: les trois droits coexistent assurément, mais l'exercice n'en peut être cumulé sans distinction.
Si le vendeur commence par retenir la chose vendue, parce que la vente est faite sans terme, il peut ensuite exercer le privilége, en faisant revendre la chose aux enchères, pour être payé sur le prix; mais, dans ce cas, le droit de résolution est évidemment perdu; s'il n'a pas exercé le droit de rétention immédiatement, ce droit est perdu, dans le système du Projet (on verra plus loin qu'il en est autrement dans le Code français); mais il reste au vendeur le choix entre l'exercice du privilége et celui de la résolution: s'il opte pour la revente avec privilége sur le prix, la résolution est encore perdue; s'il opte pour la résolution, le bien rentre dans sa propriété; il peut rester créancier de dommages-intérêts, mais il n'a pas de privilége: il ne peut en avoir sur sa propre chose, ni sur d'autres biens du débiteur à l'égard desquels il n'a rendu aucun service à celui-ci.
315. Nous avons dit que le Projet diffère du Code français au sujet du droit de rétention qui est perdu immédiatement par la livraison de l'objet vendu (comp. art. 1100, in fine). Le Code français, dans une disposition sur laquelle on a longtemps disputé (v. art. 2102-4°, 2° al.), mais qu'ajourd'hui on interprète uniformément, permet au vendeur " sans terme " qui a livré, espérant sans doute être payé comptant, de " revendiquer " la chose dans la huitaine, si elle est encore en la possession de l'acheteur et dans le même état. C'est cette revendication " sur laquelle on a été longtemps en désaccord; les uns y voyaient l'exercice d'un véritable droit de propriété, suivant une ancienne théorie romaine, conservée longtemps dans l'ancien droit, d'après laquelle la vente sans terme ne transférait la propriété que sous condition suspensive du payement: c'était reculer de plusieurs siècles et se mettre en contradiction avec deux articles formels du Code français (art. 1138 et 1583); d'autres voyaient dans cette revendication l'exercice du droit de résolution faute de payement: c'était, de la part de la loi, sans raison suffisante, restreindre doublement le droit de résolution, à savoir: limiter la résolution à la vente sans terme, et enfermer dans un délai infiniment trop court l'exercice d'un droit fondamental en matière de contrat synallagmatique, et cela, à l'occasion du contrat le plus fréquent, la vente de meubles; enfin, on a retrouvé l'origine de cette disposition dans l'ancienne coutume de Paris (art. 176) et l'on a reconnu que le Code français avait voulu reproduire cette ancienne jurisprudence, en permettant au vendeur de reprendre la possession de la chose, par une sorte de prolongation du droit de rétention que, rigoureusement, il aurait dû perdre pour avoir livré imprudemment; dès lors, on comprend qu'il ne s'agisse plus que de la vente sans terme, car le droit de rétention n'a pas lieu dans les ventes à terme, et il est naturel que le délai soit court, car c'est une sorte de délai de grâce légal.
Le Projet n'a pas cru devoir admettre cette dérogation au principe général de l'article 1100 précité: le vendeur a trois droits qui lui donnent une position extrêmement avantageuse, rétention, résolution, privilége; il doit observer les conditions de la conservation et de l'exercice de chacun.
VI. —PRIVILÉGE DE L'AUBERGISTE ET DE L'HÔTELIER.
Art. 1165. — 316. Ce privilége et les derniers qui suivent nous ramènent à une double cause justificative de préférence: le service rendu au débiteur et le gage tacite.
Si les aubergistes et hôteliers n'avaient pas de privilége, comme ils ne connaissent " pas les voyageurs, ils ne pourraient raisonnablement leur faire aucun crédit, et la première chose que devrait faire un voyageur, en entrant dans une hôtellerie, serait de donner de l'argent, ce qui ferait commencer par la défiance des rapports qui, pour être courts, n'en doivent pas moins être cordiaux et doivent être faciles.
Les lois les plus anciennes, depuis celles de Rome, ont toujours admis un privilége en faveur des hôteliers et aubergistes (caupones, stcibularii). Le Code français, suivi par le Projet, reconnaît le même privilége, lequel porte seulement sur les objets apportés par les voyageurs, et tant que ces objets sont encore dans l'auberge ou l'hôtellerie; il résulte de cette condition que l'hôtelier peut les retenir jusqu'à parfait payement.
317. Les créances garanties sont seulement celles qui résultent du logement et de la nourriture du voyageur, mais non celles qui seraient nées à l'occasion du séjour du voyageur, comme une avance d'argent pour des achats, des frais de médecin, des réparations de voitures, de caisses ou de vêtements: la loi doit encourager les hôteliers à rendre un service qui facilite les voyages et qui, comme tel, a des avantages généraux autant que particuliers, mais elle n'entend pas pousser l'hôtelier à une confiance exagérée et imprudente.
Cependant les frais de médecin et ceux de réparation de caisses et voitures pourrait être privilégiés en faveur de l'hôtelier, si, en les payant pour le voyageur, il avait pris soin de se faire donner une quittance subrogative aux priviléges dont jouissent le médecin et le réparateur d'objets mobiliers. Ceux-ci, en effet, pourraient prétendre aux priviléges qui sont accordés, par les dispositions précédentes, au médecin par l'article 1145 et au réparateur ou conservateur d'objets mobiliers par l'article 1161. Or, ces priviléges primeraient celui de l'hôtelier (v. art. 1169 et 1170); si donc l'hôtelier a désintéressé ceux qui le priment, en ayant soin de se faire subroger à leur privilége (car on ne se trouve pas dans un cas de subrogation légale), il cumulera ces priviléges avec le sien.
Comme les voyageurs sont souvent accompagnés de serviteurs et de chevaux, il est naturel que la nourriture et le logement de ces auxiliaires soient privilégiés également; et comme il serait possible que les animaux fussent des bœufs, ou même des mulets et des ânes, quoique ceux-ci soient très peu employés au Japon, la loi, pour ne pas commettre une omission que le principe limitatif des priviléges énoncé au n° 269 ne permettrait pas de suppléer, emploie l'éxpression de " bêtes de somme ou de trait. "
VII. -PRIVILEGE DES VOITURIERS ET DES BATELIERS.
Art. 1166. — 318. La cause légitime de ce privilége est la même que celle du privilége précédent, elle est double également: un service rendu, digne d'cncouragement dans l'intérêt général, et an gage tacite. L'origine du privilége est romaine, comme celle du précédent.
Le privilége porte sur les objets transportés par terre ou par eau, ce qui comprend les transports maritimes et ceux faits par fleuves, rivières ou canaux.
La loi a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer si les transporteurs sont commerçants ou non, ni si des voyageurs accompagnent ou non les bagages ou marchandises; mais la loi pose en principe que lesdits objets doivent se trouver encore dans les mains des transporteurs, sauf un tempérament à cette condition, énoncé plus loin; il en résulte que le droit de rétention accompagne le privilége.
Les créances garanties sont: celle du prix de transport des objets et des personnes, si celles-ci accompagnaient les objets (dans ce cas, il pourra y avoir aussi privilége pour la nourriture), les droits de douane et les frais accessoires légitimes, parmi lesquels il faut comprendre ceux d'emmagasinage, de réparation des caisses et de délivrance.
319. Comme il est souvent nécessaire aux voituriers et bateliers de décharger promptement leurs voitures, navires, bateaux ou barques, et qu'ils n'ont pas toujours dans les lieux de relais ou de relâche, des locaux convenables pour la garde de leur gage, il est juste que le privilége et la rétention ne soient pas perdus d'une façon absolue par la remise des objets au destinataire ou à son mandataire; mais il ne faudrait pas non plus que la reprise de la possession pût se faire après un long intervalle de temps: la loi donne au voiturier ou batelier un délai de 48 heures pour demander la restitution des objets par voie de sommation. Si la sommation est restée sans effet, le créancier doit former une demande en justice, à cet effet, " dans un bref délai." La loi laisse ainsi aux tribunaux le pouvoir d'apprécier si la demande a été faite aussitôt que possible, en égard aux circonstances de temps et de lieux.
320. Par cela même que les objets transportés ont pu sortir des mains du créancier privilégié, il est possible qu'ils aient été aliénés à des tiers: la loi déclare que ceux-ci ne seront pas inquiétés, s'il n'y a pas eu fraude (concertée ou non, suivant la distinction portée à l'article 361); dans tous les cas, le privilége porterait sur le prix de vente dû par eux, comme il est dit à l'article 1138 auquel la loi a encore soin de renvoyer, pour bien accentuer un système général qui est très discuté en France et généralement repoussé.
VIII. —PRIVILÉGE DES CRÉANCIERS POUR FAITS DE CHARGE.
Art. 1267. — 321. Certains fonctionnaires ayant des rapports pécuniaires avec les particuliers, tels que les notaires, les greffiers, les huissiers, sont ou seront soumis par des lois spéciales à l'obligation de verser un cautionnement en argent dans les caisses de l'Etat ou d'autres administrations publiques. Ce cautionnement est la garantie éventuelle des indemnités ou restitutions auxquelles lesdits fonctionnaires pourraient être condamnés envers les particuliers.
Ceux-ci sont donc des créanciers nantis d'une sorte de gage obligatoire; l'autorité publique est leur mandataire pour la gurde du gage.
Quoique la loi, dans la rubrique de ce privilége, ne mentionne que les "faits de charge," elle ajoute, au texte, " les fautes et abus commis dans l'exercice de leur fonction; " mais ce sont toujours des faits de charge. Les expressions d'ailleurs sont moins dures que celles du Code français qui parle " d'abus et prévarications; " on pourrait d'ailleurs reprocher au Code français de n'avoir pas parlé des faits réguliers, des obligations de charge, qui n'auraient pas le caractère d'abus; mais on n'a jamais contesté, croyons-nous, que les obligations normales, non délictueuses, de ces officiers publics, fussent garanties par leur cautionnement, et c'est même à la doctrine et à la jurisprudence française que le Projet emprunte l'expression consacrée de " faits de charge " qu'il est bon de consacrer aussi au Japon.
IX. —PRIVIJ.ÉGE DES PRETEURS DE DENIERS DU CAUTIONNEMENT.
Art. 1168. — 322. Ceux qui remplissent les conditions voulues pour les offices publics soumis au cautionnement n'ont pas toujours une fortune suffisante pour fournir le cautionnement nécessaire, et réciproquement, ceux qui ont les capitaux n'ont pas toujours les qualités requises pour ces fonctions; il est donc bon d'encourager les capitalistes, amis ou non des aspirants auxdits offices, à leur prêter les fonds nécessaires au cautionnement: le meilleur encouragement, c'est encore un privilége sur ledit cautionnement.
Naturellement, ce privilége ne peut s'exercer qu'après celui qui appartient aux créanciers qui ont souffert des faits de charge, aussi est-il qualifié de " privilége de second ordre," expression consacrée en France, comme celle de " faits de charge," et qu'on a soin d'insérer aussi dans la loi japonaise, parce qu'elle est simple et claire.
Pour que ce second privilége ne soit pas une source de méprises pour les autres créanciers, pour la masse, la loi exige que les prêteurs des deniers du cautionnement aient fait connaître leur droit, " conformément aux Règlements," soit au moment même du prêt, ce qui sera le plus sûr et le plus régulier, soit, au moins, avant qu'aucune opposition ou saisie ait été faite sur ledit cautionnement, par des créanciers autres que ceux prévus à l'article précédent.
On renvoie ici " aux Règlements," parce que ce n'est pas au Code civil à déterminer les règles de ces cautionnements, c'est-à-dire des fonctions qui y sont soumises, de leur montant (suivant la nature de la fonction et des localités où elles sont exercées), des caisses publiques où ces cautionnements seront versés, des intérêts qu'ils produiront au profit du fonctionnaire, etc.
SOMMAIRE.
Art. 1169. — N° 323. Préférence ordinaire des frais da justice; exception. —-324. Répartition proportion" nelle. -325. Prélèvement des quatre autres priviléges générau x.
1170. -326. Conflit entre les priviléges spéciaux: division de la matière. -327. Privilèges du conservateur de l'objet, du créancier nanti, du vendetll'. — 328. Distinction de la bonne ou mauvaise foi. -329. Priviléges sur les récoltes et autres produits du sol. -330. Priviléges sur le cautionnement.
COMMENTAIRE.
Art. 1169. — N° 323. Le concours ou conflit des priviléges spéciaux sur les meubles, soit avec des priviléges généraux, soit avec d'autres priviléges spéciaux, est une théorie difficile, non seulement si l'on cherche à la composer d'après les données incomplètes du Code français, mais encore lorsqu'on a à la créer librement, pour une législation nouvelle.
On s'est arrêté ici à un ensemble de règles qu'on croit équitables et qui, au surplus, sont à peu près celles qui dominent dans l'interprétation de la loi française.
Les frais légaux ou de justice sont naturellement placés au premier rang, comme étant utiles à la masse des créanciers, même de ceux qui ont eux-mêmes un privilége.
Cependant, il est reconnu que certains créanciers profitent moins que d'autres des frais de justice; au moins, ils ne profitent pas de tous ces frais. Ainsi les créanciers dont le privilége est fondé sur un gage exprès ou tacite, doivent bien être primés par les frais de vente du gage et de répartition du prix; mais ils ne profitent pas, comme n'en ayant pas besoin, des frais d'apposition de scellés sur les autres meubles, ni de ceux d'inventaire: il v a y donc, à cet égard, une distinction à apporter à la préférence donnée aux frais de justice; c'est l'objet du 1er alinéa. Dans ce cas, il faudra nécessairement séparer le prix de vente de ces meubles soumis à un droit de gage spécial, et on ne prélèvera sur ce prix que les frais de justice relatifs à la (vente comp. art. 1143, 2e al.).
324. Mais à l'égard des autres meubles, il ne faudrait pas que le hasard de l'ordre des ventes et, encore moins, un calcul des intéressés, fît porter tous les frais de justice sur un ou plusieurs meubles, au préjudice des créanciers ayant privilége spécial sur ces meubles et au profit des autres priviléges spéciaux; on devra donc, autant que possible, vendre tous les meubles simultanément ou, au moins, réserver la répartition du prix jusqu'à ce que toutes les sommes soient réalisées; de cette façon, le prélèvement des frais de justice sur la masse équivaudra à leur répartition proportionnelle sur la va leur de chaque meuble. Autrement, pour que les droits de chaque créancier privilégié fussent respectés, il faudrait séparer le prix de chaque meuble grevé de priviléges et en prélever d'abord une part proportionnelle des frais de justice, ce qui serait une complication de plus dans une matière qui en a déjà beaucoup.
325. Une fois les frais de justice prélevés, tous les autres priviléges généraux seront prélevés, à leur tour, sur la masse du prix de vente, ce qui en constituera encore une imputation proportionnelle; à moins qu'on ne préfère la faire séparément sur le prix de chaque meuble, ce qui serait plus long; dans tous les cas, on suivra entre eux l'ordre où ils sont énumérés dans l'article
1142; mais on aura dû préalablement vendre les autres meubles qui ne se trouvaient soumis à aucun privilége spécial, car ces autres meubles sont soumis aussi aux priviléges généraux et il est naturel qu'ils en supportent d'abord la charge: ce ne doit être qu'au cas de leur insuffisance que l'on reviendra aux meubles grevés de priviléges spéciaux.
Quant à la faveur donnée ici aux priviléges généraux sur les spéciaux, il faut la rattacher au principe même qui en a fait admettre, la généralité, à savoir l'importance des services rendus au débiteur et, par suite, à tous ses créanciers.
Art. 1170. — 326. La loi suppose maintenant qu'il n'y a pas eu de priviléges généraux, ou qu'ils ont été payés; il reste alors à régler le conflit des priviléges spéciaux entre eux. Ici, il n'est pas possible de faire, comme à l'article précédent, une énumération des priviléges d'après leur rang de priorité, car plusieurs distinctions sont à faire:
S'agit-il d'objets mobiliers ordinaires, en général, ou, spécialement, de récoltes, de produits extraits du sol, ou enfin du cautionnement des officiers publics ?
Certains créanciers ont-ils connu ou non l'existence du privilége qui pouvait les primer (ce qu'on pourrait appeler leur mauvaise foi ou leur bonne foi) ?
C'est sur ces diverses sortes d'objets, et sous cette distinction de bonne ou mauvaise foi, que la loi fixe les rangs séparément.
Les quatre premiers alinéas, après le préambule, sont relatifs aux objets mobiliers en général; les 58 et 68 alinéas, à la bonne et à la mauvaise foi respectives; les 78, 83 et 9°, aux trois objets spéciaux: récoltes, produits extraits du sol et cautionnement.
327. La loi met en première ligne (1er al.) le privilége de ceux qui ont conservé le meuble soumis à un ou plusieurs autres priviléges (v. art. 1161): il est clair que, sans les frais faits pour la conservation de l'objet, les autres créanciers (par exemple, un créancier gagiste, exprès ou tacite, ou le vendeur), n'auraient pu être satisfaits, il est donc juste qu'ils ne le soient qu'après le conservateur.
Comme il peut y avoir eu des actes successifs de conservation faits par des créanciers différents, ce sont les actes les plus récents qui donnent la préférence sur les plus anciens (28 al.); et cela, par le même raisonnement: à savoir que, si les derniers actes de conservation n'avaient pas eu lieu, la chose n'aurait pas subsisté pour satisfaire les créanciers antérieurs; c'est pour ce cas que les anciens légistes disaient: potior est qui novissimus causarn pignoris salvam fecit, celui-là est préférable qui, le dernier, a sauvé le gage."
La loi appelle au second rang le créancier nanti, expressément ou tacitement (38 al.), et au troisième rang le vendeur, comme ayant mis la chose dans le patrimoine du débiteur, sous condition d'un prix qui n'a pas été payé (48 al.).
328. Mais ici intervient une distinction annoncée: le gage, comme droit réel mobilier, ne peut être diminué par les frais de conservation antérieurs au gage, au préjudice du créancier nanti de bonne foi; par conséquent, ces frais ne primeront pas le créancier qui les a ignorés lors de la constitution du gage (5e al.).
En sens inverse, le créancier nanti est primé par le vendeur lui-même, lorsqu'il a su que le prix de vente lui était encore dû (6e al.).
329. S'il s'agit spécialement de récoltes, les ouvriers agricoles occupent le premier rang, comme conservateurs de la chose; le second rang est pour les fournisseurs de semences et engrais, comme ayant mis dans le patrimoine du débiteur la source première de l'objet du gage, et le troisième rang est pour le bailleur du fonds, comme créancier tacitement nanti (7e al.).
La loi ne mentionne pas ici le rang des fournisseurs de graines de vers à soie et des fournisseurs de feuilles de mûrier: il va sans dire que sur la récolte de la soie, le premier rang sera pour eux, avant les créanciers nantis, sauf la bonne foi de ceux-ci (a).
S'il s'agit de produits des mines, minières, carrières, bois et forêts, les ouvriers industriels ont le premier rang et le bailleur du fonds exploité a le second (se al.).
330. Enfin, sur le cautionnement des officiers publics, il n'y a que deux rangs: au premier, tous les créanciers pour faits de charge, " ensemble et proportionnellement à leurs créances respectives;" au second rang, le prêteur des deniers du cautionnement (9e al.).
Remarquons que, sur le cautionnement, il n'est pas question de frais de conservation; en effet, lors même que la caisse publique qui le détient et l'administre aurait quelque droit de ce chef, cela se trouverait compensé avec le profit qu'elle tire des fonds reçus en dépôt irrégulier (v. art. 909); il arrivera môme, sans doute, que la caisse publique payera elle-même un certain intérêt pour le cautionnement.
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(a) Les sommes dues pour les graines des vers à soie seront, en général, minimes; mais rigoureusement, elles ne seraient payées qu'après le prix des feuilles de mûrier, parce que les fournisseurs de la nourriture des vers ont contribué à sauver le gage des premiers. Bien entendu, les ouvriers passeraient avant les uns et les autres.
SOMMAIRE.
Art. 1171. — N° 331. Comment les cinq priviléges ici énoncés ne sont pas tout-à-fait les mêmes que les cinq priviléges de l'article 2103 du Code français. -331 bis. Pourquoi on se sépare ici du Code italien. -332. Aperçu de la cause légitime et de l'objet de ces cinq priviléges.
I. —Pril'ilége de l'Aliénateur.
1172. -333. Privilège du vendeur. -334. Privilège du coécbangiste. —335. Privilége du donateur. -336. Privilège des autres aliénateurs d'immeubles.
1173. —337. Evaluation des charges et de l'indemnité éventuelle d'éviction.
1174. -338. Limite de la durée du privilége de garantie.
II. —Privilége des Copartageants.
1175. -339. Retour à l'effet parement déclaratif du partage. -340. Il produit trois obligations ou créances; les deux premières, soulte, prix de licitation, ne se cumulent pas: l'une suppose un partage en nature, l'autre un partage par vente; objet du privilége de chacune. -341. Garantie d'éviction: sa cause. -342. Objets soumis au privilége; ses limites contre chacun des copartageants.
1176. -343. Eviction de meubles. -344. Insolvabilités. - 345. Ier cas. Créance de soulte ou de prix de licitation. -346. IIe cas. Créance faisant partie des biens indivis. -347. Différence quant au moment Oll se produit l'insolvabilité.
1177. -348. Durée de la garantie d'insolvabilité: distilJctions.
III. -Privilège des Architectes, Ingénieurs et Entrepreneurs de travaux.
1178. -34U. Ce privilége ne porte pas sur tout un immeuble, mais sur une plus-value produite par les travaux. -350. La loi n'est limitative ni quant aux travaux, ni quant aux personnes qui les ont faits.
1179. -351. Trois procès-verbaux nécessaires pour constater la plus-value soumise au privilége.
IV. - Privilège des Prêteurs de deniers.
1180. -352. Double différence entre le Projet et le Code français, au sujet des prêteurs.
V. - Privilége de la Séparation des patrimoines.
1181. -353. Double inconvénient de la confusion des patrimoines par l'effet du droit de suocession: deux correctifs. -354. Ier cas. Correctif pour l'héritier. -355. IIe cas. Correctif pour les créanciers et les légataires du défunt. -356. Comment la séparation des patrimoines est un privilége, et un privilége spécial sur les immeubles. —357. Pourquoi elle n'a pas figuré parmi les priviléges spéciaux sur les meubles. —358. Pourquoi le privilége de la séparation des patrimoines n'est pas accordé directement aux prêteurs de deniers, mais leur est seulement transmis par subrogation.
PISI'OSITION COMMUNE.
1182. -350. Pourquoi les priviléges spéciaux ne s'étendent pas aux augmentations et améliorations de l'immeuble. -360. Pourquoi il n'est pas fait mention ici du privilége des entrepreneurs, ni des prêteurs de deniers.
COMMENTAIRE.
Art. 1171. — N° 331. Si l'on compare l'énumération des priviléges spéciaux sur les immeubles, donnée par notre article, avec celle du Code français (v. art. 2103), on voit qu'il y en a le même nombre des deux côtés, cinq. Cependant, il n'y a pas similitude complète quant au fond: le privilége des prêteurs de deniers qui figure deux fois dans le Code français (ib, 2° et 5°) n'est compté qu'une fois dans le Projet japonais; il y reçoit pourtant une application plus étendue que dans son modèle, comme on le verra plus loin; c'est alors qu'on fera remarquer, en réfutant un reproche fait au Code français, que ce privilége ne fait pas toujours double emploi aveu la subrogation conventionnelle des prêteurs de deniers au privilége dont ils ont désintéressé le titulaire.
Le cinquième privilége présenté par notre article, la séparation des patrimoines, est également emprunté au Code français: s'il ne figure pas dans l'énumération de l'article 2103, il se trouve mentionné dans l'article 2111, au sujet de la publicité à donner aux priviléges.
Nous aurons à nous expliquer bientôt sur la nature de ce droit tout particulier, auquel on a contesté le nom et le caractère d'un privilége.
331 bis. Le Code italien auquel nous faisons volontiers des emprunts pour le Projet japonais, parce qu'il a également pris le Code français pour modèle, en l'améliorant quelquefois, ne nous a pas paru devoir être imité ici.
D'abord, il ne reconnaît pas de privilége au vendeur d'immeuble, ni aux copartageants: il leur accorde seulement une hypothèque légale; ensuite, il omet entièrement les architectes et entrepreneurs, auxquels il n'accorde ni privilége, ni hypothèque légale, sans doute parce que la constatation de la plus-value est difficile; mais ce ne sont jamais les difficultés à vaincre qui doivent arrêter le législateur dans la poursuite du juste et de l'utile.
Le Code italien admet pourtant trois priviléges spéciaux sur les immeubles (art. 1961 et 1962); mais les deux derniers, garantissant les impôts, appartiennent au droit administratif et, comme tels, sont renvoyés par le Projet japonais aux lois fiscales et administratives (v. art. 11.t 1); le premier nous paraît devoir être écarté pour un autre motif.
Il s'agit d'un privilége pour les frais de poursuite en expropriation et de procédure d'ordre et de collocation; " ce privilége porte sur les immeubles expropriés et prime toute autre créance " (art. 1961). Mais, avant de porter sur l'immeuble exproprié, le privilége, dans la loi italienne comme dans les autres, doit porter sur le prix d'adjudication qui est mobilier; or, il est bien difficile de supposer que l'adjudicataire qui doit donner, d'après le Code de Procédure, des garanties de sa solvabilité, ne paye pas au moins les frais d'expropriation et d'adjudication qui sont à sa charge (comp. c. civ. it., art. 2049; c. civ. fr., art. 2138 et proj. jap., art. 1259, 6' al.); c'est le seul cas où l'immeuble se trouverait grevé, dans ses mains, du privilége desdits frais.
Quant aux frais d'ordre et de contribution, ils ne peuvent porter que sur les sommes allouées aux créanciers colloqués, et on peut s'étonner que le Code italien les déclare privilégiés sur l'immeuble exproprié, car cette créance est née lorsque l'immeuble était déjà sorti des mains du débiteur.
Le Projet s'en tient, donc au privilége général des frais de justice tel qu'il est déterminé à l'article 1143, avec les distinctions d'après lesquelles il est opposable tantôt à tous les créanciers et tantôt à quelques-uns seulement.
532. Le présent article nous indique déjà la nature de chaque créance privilégiée et l'objet, l'immeuble, sur lequel porte le privilége; ensuite, chaque privilége sera repris, sous un n° distinct, pour les détails d'application.
Mais auparavant, nous devons dire un mot de la cause légitime ou justificative de chacun. C'est au surplus, celle que nous avons déjà reconnue pour plusieurs des priviléges spéciaux sur les meubles: à savoir, la mise d'une valeur par le créancier dans le patrimoine du débiteur, sous la condition d'une contre-valeur à recevoir, laquelle n'a pas été reçue, en sorte qu'il serait injuste que les autres créanciers pussent se faire payer sur cette valeur, concurremment avec celui qui l'a fournie.
Pour le privilége du vendeur d'immeuble, du coéchangiste ou même du donateur avec charges, cette cause est évidente.
Pour le copartageant, on pourrait être un instant arrêté par l'objection que le partage n'est pas translatif mais seulement déclaratif de propriété; c'est en traitant spécialement de ce privilége que nous verrons que l'objection est plus spécieuse que fondée.
Pour le privilége des architectes, ingénieurs et entrepreneurs, s'ils n'ont pas mis dans le patrimoine du débiteur un objet entièrement nouveau, ils ont toujours créé une valeur nouvelle, ils ont donné une plus-value à ce qui était déjà dans le patrimoine du débiteur; la cause de la préférence est donc toujours la même.
Pour le privilége des prêteurs de deniers, la cause est la même que pour les trois premiers créanciers dont ils ont pris la place.
Reste le privilége des créanciers et légataires qui demandent la séparation des patrimoines. Ici la similitude de la cause n'est pas aussi frappante: les séparatistes n'ont pas mis une valeur dans le patrimoine du débiteur, mais ils avaient sur les biens de la succession un droit de gage que l'héritier ne doit pas amoindrir en confondant ses biens et ses dettes avec les biens et les dettes du défunt.
Quant à l'objet sur lequel porte chaque privilége, c'est naturellement, dans les deux premiers cas, la chose mise dans le patrimoine, par aliénation ou par partage; dans le troisième cas, c'est la plus-value seule, séparée de la chose considérée dans son état primitif; dans le cas des prêteurs de deniers, ce sont, comme dit le texte " les mêmes immeubles" que pour les créanciers par eux désintéresses enfin, pour les créanciers et légataires demandant la séparation des patrimoines, ce sont les immeubles de la succession, formant leur gage antérieurement au décès de leur débiteur.
I. —PRIVILÉG¡'; DE L'ALIÉNATEUR.
Art. 1172. — 333. Le premier aliénateur d'immeuble qui ait un privilége est naturellement le vendeur.
La loi ne. répète pas que le privilége porte sur l'immeuble aliéné: cela se trouve déjà dit dans l'article précédent.
La créance privilégiée est celle du prix de vente. Le prix peut consister en un capital, lequel peut être payable en une seule fois ou par parties, avec les intérêts de ce qui reste dû, ou en un certain nombre d'annuités, comprenant en même temps les intérêts composés ou capitalisés. Le prix peut aussi consister en une rente perpétuelle ou en une rente viagère (v. art. 670, 5e al.): le privilége garantit alors les arrérages, et éventuellement le capital; dans le cas où le défaut de payement des arrérages autorise le créancier à s'en faire rembourser (v. art. 823, 888 et 889).
Indépendamment du prix proprement dit, certaines charges peuvent avoir été imposées à l'acheteur: elles sont privilégiées également, sous la condition d'être évaluées et fixées en argent, comme l'exige l'article suivant.
334. Le second aliénateur privilégié est le coéchangiste.
En principe, le coéchangiste, en même temps qu'il aliène, acquiert la propriété d'un autre bien reçu en contreéchange; il n'est donc pas nécessairement créancier. Peut-être est-ce pour ce motif que le Code français ne le mentionne pas. Mais si l'immeuble qu'il aliène est supérieur en valeur à celui qu'il reçoit, il stipule et il lui est dû une soulte en argent qui a beaucoup d'analogie avec un prix de vente et pour laquelle il n'est pas moins juste qu'il ait privilége. Il n'y a même pas à distinguer ici (comme il a été prescrit par l'article, 1162, 2e alinéa, pour les échanges de meubles), si la soulte excède ou non la moitié de la valeur de l'immeuble aliéné: la soulte ici a toujours le caractère de prix de vente. Il ne faut pas d'ailleurs s'arrêter à l'objection que la soulte pourrait être très faible: la même objection pourrait tout aussi bien être faite au cas où, le prix de vente ayant été payé comptant presque en entier, il n'en resterait dû qu'une faible partie; sans doute, dans ces cas, le privilége resterait purement nominal et le créancier ne prendrait pas la peine de remplir les formalités requises pour le publier et le faire valoir; mais le droit existe.
Une autre créance qui peut naître de l'échange, qu'il y ait eu soulte ou non, c'est celle de garantie d'éviction (v. art. 755). Cette créance ne serait certainement pasprivilégiée, d'après le Code français, sur l'immeuble aliéné; mais c'est une innovatiou nécessaire: il n'est pas juste que l'immeuble donné en échange devienne le gage des autres créanciers de l'acquéreur, quand il y a éviction de l'immeuble ou du droit que celui-ci a prétendu fournir en contre-échange.
335. Le troisième aliénateur est le donateur: ici, il n'y a pas de contre-valeur proprement dite due au donateur; mais s'il a imposé des charges au donataire, soit en sa propre faveur, soit en faveur d'un tiers, il a une créance pour l'exécution desdites charges et il est juste qu'elle soit privilégiée. Dans le cas où les charges de la donation doivent profiter à un tiers, pour que le donateur n'ait pas seulement le droit de résolution, mais une créance privilégiée, il aura dû stipuler une clause pénale à son profit (v. art. 344, 3e et 4° al.); mais si le tiers est intervenu à l'acte ou a déclaré plus tard vouloir en profiter (v. art. 346), c'est lui qui aura la créance privilégiée; voilà pourquoi la loi nomme " le donateur ou son ayant-cause."
336. La loi termine en. généralisant ce privilége au profit de tout aliénateur d'immeuble, pour la créance certaine ou éventuelle qui pourrait résulter pour lui de l'aliénation. Comme applications, on aura les apports d'immeubles en société, les transactions et les contrats innommés, par lesquels un aliénateur d'immeuble aurait acquis ou plutôt aurait dû acquérir un autre immeuble en contre-valeur.
On remarquera seulement, en ce qui concerne les apports sociaux, que le privilége dont ils seront grevés ne sera pas opposable aux créanciers sociaux, parce que l'associé est leur débiteur ou leur garant, mais seulement aux créanciers 'personnels des associés, après la liquidation.
Art. 1173. — 337. Comme il est de l'essence du privilége d'être opposable aux tiers, c'est-à-dire aux autres créanciers et aux tiers acquéreurs du bien grevé, il faut que le montant de la créance privilégiée soit toujours fixé en argent. Pour le prix de vente et la soulte d'échange, cette condition est nécessairement remplie; pour les charges et l'indemnité éventuelle de la garantie d'éviction, soit dans l'échange, soit dans toute autre acquisition à titre onéreux (société, transaction), la loi veut que l'évaluation en soit faite en argent; elle peut être faite dans le même acte ou dans un acte séparé et postérieur.
Comme le privilége doit, en outre, être publié, dans l'intérêt des tiers (v. art. 1174), la publicité fera connaître, en même temps que l'existence du privilége, le montant de la créance éventuelle.
Art. 1174. — 338. L'action en garantie d'éviction ne naît qu'avec et par l'éviction, aussi est-elle jusque-là à l'abri de la prescription (v. c. fr., art. 2257; proj. jap., art. 1463); mais il ne serait pas bon que les tiers fussent indéfiniment exposés à l'exercice éventuel d'un privilége, même à eux révélé par la transcription, comme il sera exposé plus loin. C'est pourquoi la loi n'accorde le privilége que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange ou de l'acte onéreux d'acquisition de l'immeuble sujet à éviction, et ici c'est la date du contrat même qui est le point de départ du délai et non la date de la transcription.
D'ailleurs, comme l'acquéreur qui a des doutes sur la réalité de ses droits peut toujours les éclaircir, et comme il n'est pas tenu d'attendre la revendication du véritable propriétaire pour agir en garantie contre son cédant (v. art. 693), il est bien suffisant qu'il ait dix ans pour s'assurer de la stabilité de son droit. Si même l'éviction est subie effectivement plus ou moins longtemps avant l'expiration des dix ans, et si le jugement intervenu à cet égard est devenu irrévocable, l'acquéreur doit former sa demande en garantie dans l'année du jugement et la publier dans le même délai.
Si le bien acquis en contre-valeur est un meuble, le privilége n'existe que si l'éviction a eu lieu dans l'année du contrat et si la demande est faite et publiée dans le mois du jugement.
Remarquons, à ce sujet, que si l'acquéreur croit pouvoir agir en garantie sans être judiciairement évincé, il a bien tout le délai de dix ans pour un immeuble, ou d'un an pour un meuble, mais sans l'année ou le mois supplémentaire, puisqu'il n'y a pas eu de jugement; si, au contraire, il y a eu éviction judiciaire, il a bien ledit délai d'un an ou d'un mois, depuis le jugement, mais il se pourrait qu'on fût encore bien loin de l'expiration du délai de dix ans ou d'un an et il ne pourrait s'en prévaloir pour retarder sa demande en garantie.
Dans les deux cas, la publicité de la demande se fait, soit directement, soit par une mention en marge de la transcription de l'acte.
Cette double condition d'une demande et d'une publication dans un délai limité est un tempérament nécessaire de l'extension donnée dans le Projet au privilége de l'aliénateur d'immeuble, pour la garantie d'éviction par lui éprouvée au sujet du bien, meuble ou immeuble, qu'il avait compté acquérir en contre-valeur. Faute par lui de s'être conformé à l'une ou à l'autre de ces conditions, il a bien encore une créance de garantie d'éviction, mais elle n'est plus privilégiée.
II. -PKIVILEGE DES COPARTAGEANTS.
Art. 1175. — 339. On a déjà eu l'occasion, sous les articles 15 et 804 (v. T. Ier, n° 25 et T. III, n° 487), de déterminer le caractère du partage dans le droit moderne et tel qu'il est admis dans le Projet japonais. Il n'est plus, comme à Rome et dans la première période de l'ancien droit français, une sorte d'échange, un acte translatif ou attributif de propriété, par lequel chaque copropriétaire abandonnait à l'autre son droit dans un ou plusieurs des biens indivis, pour acquérir un droit exclusif et sans concours sur un ou plusieurs des autres biens: il est déclaratif de propriété, c'est-à-dire qu'il détermine, pour chacun des copropriétaires, l'objet ou les objets distincts de son droit, lesquels sont considérés comme ayant été incertains pendant l'indivision. Ce résultat n'étant pas dû à la nature des choses, mais à des raisons d'utilité, déduites sous les articles précités, est, dans l'usage, rattaché à une fiction légale: le Code français dit lui-même que " chaque héritier est censé avoir succédé seul aux objets à lui échus par le partage" (art. 883); mais comme la loi n'a pas besoin de fiction pour édicter ce qu'elle croit utile et juste, le Projet japonais n'y a pas eu recours (v. art. 804); c'est par l'idée d'une condition résolutoire qu'il arrive au résultat désiré: les droits de copropriété sont " résolus " par le partage, et la propriété de chacun, désormais exclusive, lui vient, rétroactivement, d'une cause antérieure, de celle qui a créé l'indivision. Ainsi, quand a lieu le partage d'une succession ou d'une société, ce que chaque héritier reçoit dans son lot ne lui est pas acquis par le partage, mais par l'ouverture de la succession qui est un moyen d'acquérir, ou par la dissolution de la société qui appelle chaque associé à recueillir une part des biens encore indivis de la société.
340. Mais si le partage n'est pas attributif de propriété, il n'en est pas moins, comme acte contractuel ou volontaire, productif d'obligations et de créances respectives entre les copartageants, et ce sont ces créances qui sont garanties par le privilége qui va nous occuper.
Notre article nous indique trois créances qui naissent du partage et pour chacune l'objet du privilége varie (a'.
Du reste, ces créances ne peuvent pas se cumuler toutes les trois: la première et la seconde s'excluent, mais chacune peut se cumuler avec la troisième, comme on va le reconnaître bientôt.
Il faut remarquer d'abord que le partage peut se faire de deux manières: ou en nature ou par licitation.
1° Il se fait en nature, lorsqu'il est possible de faire des lots, égaux ou inégaux, soit de différents biens de la masse, plus ou moins semblables, soit de diverses parties, d'un même bien. Les lots inégaux sont complétés par une créance de " soulte ou retour de lot," au profit de celui qui recevra le lot trop faible, contre celui qui recevra le lot trop fort. L'assignation des lots se fait par la voie du sort, à moins qu'on ne s'accorde pour en faire des assignations conventionnelles.
2° Il se fait par licitation ou vente aux enchères, lorsqu'il est impossible de faire convenablement un partage en nature ou par lots (v. art. 751 et 752).
Dans ce cas, 'si le bien est adjugé à un étranger, la licitation produit les effets d'une vente ordinaire: les copropriétaires en partagent le prix ou la créance du prix, et s'il y a privilége, à défaut de payement, ils l'exercent tous sur le bien licité, comme vendeurs. Mais si le bien est adjugé à l'un d'eux il se fait confusion de sa part dans le prix avec une partie de sa dette et il est débiteur du reste du prix envers chacun de ses copropriétaires, pour sa part, à moins que, dans le partage, il n'ait été convenu que le prix de licitation (moins la part de l'adjudicataire) serait par lui payé à un seul des copartageants dont cette créance formerait le lot.
Voilà donc les deux premières créances qui peuvent naître du partage, disjonctivement ou l'une excluant l'autre: la créance de soulte ou celle du prix de licitation. La première est privilégiée sur l'immeuble ou. sur les immeubles échus aux copartageants chargés desdites soultes; la seconde est privilégiée sur l'immeuble licité.
341. La troisième créance, dont nous n'avons pas encore parlé, est celle de garantie d'éviction: le partage, en effet, oblige les copartageants à la garantie mutuelle de l'éviction (art. v. 805).
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit sous l'article 805 (T. III, n° 490) qu'il ne peut s'agir ici d'une éviction résultant de droits conférés à des tiers par les copartageants pendant l'indivision, puisque ces droits sont résolus par l'effet du partage, et que, précisément c'est en grande partie, pour prévenir cette éviction, que le partage fi. été rendu déclaratif et rétroactif: l'éviction dont il s'agit résulterait de droits réels appartenant à des tiers avant que l'indivision ait commencé; d'où il apparaîtrait que les copartageants avaient eu le tort de comprendre dans le partage des biens qui ne leur appartenaient pas. Cependant, la cause de l'obligation de garantie est moins dans ce tort réciproque que dans l'enrichissement indû de ceux qui ont reçu par le partage des biens qu'ils conservent, au préjudice de celui qui en a reçu un qu'il ne peut garder.
L'éviction peut atteindre aussi bien celui qui a reçu un lot en nature, par la voie du sort ou par une attribution conventionnelle, que celui qui a acquis par licitation un immeuble indivis; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que ce privilége peut se rencontrer avec l'un ou l'autre des précédents; mais cela ne veut pas dire qu'ils pourront être exercés cumulativement; loin de là: ils appartiennent chacun à une partie contre l'autre; ainsi, le copartageant, créancier ferme ou par et simple de la soulte ou du prix de licitation, est débiteur éventuel de la garantie d'éviction; seulement, les deux priviléges coexistent pour valoir chacun suivant l'événement.
342. Le privilége de l'évincé porte sur " tous les immeubles échus ou assignés aux autres copartageants," parce que ceux-ci sont tous débiteurs et parce que tous ces immeubles sont l'objet de leur enrichissement indu.
Mais ces immeubles ne sont affectés du privilége, dans les mains de chacun, que pour sa part clans la dette.
On pourrait croire cependant que la poursuite aurait lieu d'être faite pour le tout contre chacun, sous prétexte de deux indivisibilités: celle de la garantie et celle du privilége. Mais il ne faut pas se méprendre sur la véritable situation où l'on se trouve. Aucune des deux indivisibilités n'est un obstacle à la décision du texte.
D'abord l'indivisibilité de la garantie ne s'applique qu'à l'un de ses deux objets (v. art. 415, 2e al.), à savoir à la défense, à la protection de l'acquéreur contre les dangers et les menaces d'éviction (nemn pro parte dp/endi pot-est, "personne ne peut être défendu pour partie"); or, ici, il ne s'agit plus de protéger le copartageant contre l'éviction imminente, mais de l'indemniser de l'éviction consommée, ce qui peut se faire par parties.
Quant à l'indivisibilité du privilége, on va voir qu'elle est respectée, ici comme ailleurs. Mais il faut remarquer d'abord qu'elle ne s'applique qu'à un privilége déjà né. Il est certain que celui qui a un privilége pour une créance d'un chiffre déterminé, l'exerce en entier contre chaque débiteur et sur chaque partie de l'immeuble grevé (v. art. 1137). Ici le principe sera respecté, en ce sens que la créance du copartageant évincé, une fois née dans les limites que la loi lui assigne, jouira de l'indivisibilité ordinaire du privilége.
Mais, dans quelle mesure, pour quelle somme naîtra la créance de l'évincé contre ses garants ? Nous avons vu que c'est une créance d'indemnité, de nature divisible, elle naîtra donc divisée entre chaque copartageant, pour sa part dans la copropriété primitive.
Notons aussi que dans le calcul des parts, l'évincé lui-même figure pour une part, égale ou inégale, suivant les cas: pour cette part, il se fait confusion en sa personne, car il ne peut se devoir à lui-même. Et il est juste qu'il figure dans le calcul des parts de garantie, car s'il y a eu faute à considérer comme bien commun ce qui ne l'était pas, il a participé à la faute; en tout cas, il a profité de l'erreur commune, puisque sa part a été grossie, comme celle des autres, par le fait qu'on a compris dans la masse à partager un bien qui ne devait pas y figurer.
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(a) Le Code français n'est pas à l'abri du reproche de négligence à ce sujet dans l'article 2103 où il énumère les priviléges sur les immeubles, il n'indique que deux créances privilégiées comme naissant du partage: " la garantie d'éviction et les soultes ou retours de lots dans l'article 2109. où il indique la manière de conserver le privilége, il énonce bien encore " les soultes ou retours de lots," mais il ne parle plus de la garantie d'éviction et il parle, pour la première fois, du " prix de licitation." Quant aux immeubles grevés de priviléges, ce sont bien tous les immeubles partagés, pour le privilége des soultes et de la garantie d'éviction (art. 2103 et 2109); mais, pour le prix de licitation; il semble que ce ne soit que " le bien licité," d'après l'article 2109; mais la doctrine et la jurisprudence admettent que le prix de licitation peut être privilégié, subsidiairement, sur tous les immeubles partagés, par voie de garantie, au cas d'insuffisance ou de perte du bien licité. Le Projet se prononce formellement en ce sens (art. 1176-1°).
Art. 1176. — 343. Pas plus ici que dans l'échange, il n'est nécessaire que l'éviction ait été soufferte dans un objet immobilier reçu en partage: la cause du privilége est que le partage a fait entrer un immeuble dans le lot d'un ou plusieurs des copartageants, sous la condition qu'un autre d'entre eux recevrait pour sa part une valeur mobilière ou immobilière déterminée; cet immeuble leur reste, les enrichit, pendant qu'un autre copartageant ne peut conserver légalement le lot qu'il a reçu; il est donc juste que celui-ci soit indemnisé, sur les immeubles des autres, quelle que soit la nature de son propre lot.
344. Pour la même raison, il y a lieu à la garantie d'éviction, sur les immeubles de tous les copartageants, lorsque l'un d'entre eux avait dans son lot une créance à exercer et a souffert de l'insolvabilité du débiteur.
Deux cas sont distingués par la loi:
Ou la créance est née du partage, à savoir une créance de soulte ou de prix de licitation, et dans ce cas, le débiteur est nécessairement un copartageant;
Ou elle existait auparavant, dans les biens indivis de la succession ou de la société en liquidation: dans ce cas, le débiteur sera le plus souvent un étranger, mais ce pourrait être aussi un copartageant.
Reprenons-les séparément.
345. Ier Oa,'{. Un des copartageants doit à un autre une soulte ou un prix de licitation; s'il n'y avait, en tout, que ces deux copartageants, le créancier et le débiteur, il ne serait pas question de garantie d'insolvabilité: la créance serait directement et uniquement privilégiée sur l'immeuble grevé de la soulte ou du prix de licitation, en vertu de l'article précédent (1" et 2°). Mais s'il y a trois copartageants ou davantage et que le débiteur ne puisse s'acquitter, même par l'effet du privilége dont son immeuble est grevé (sans doute, parce qu'il a péri ou subi une forte dépréciation), alors le troisième copartageant et les autres, s'il y en a, sont garants, pour leur part, de cette sorte d'éviction résultant de l'insolvabilité.
346. IIe Cas. On a mis dans un des lots une créance faisant partie des biens jusque-là indivis. Supposons d'abord que le débiteur était un tiers. Le débiteur ne paye pas à l'échéance, de sorte que le copartageant qui a cette créance dans son lot est aussi maltraité, par l'événement, que s'il était 'évincé d'une créance qui n'aurait pas fait partie de l'indivision ou qui n'aurait pas existé, et, pendant ce temps-là, d'autres copartageants conservent un ou plusieurs immeubles qu'ils ont reçus de la masse; il n'est évidemment pas moins juste qu'il soit garanti contre cette perte résultant de l'insolvabilité que contre celle qui résulterait d'une éviction ordinaire.
Mais ici la loi met à la garantie une condition qu'elle n'y a pas mise au cas précédent, c'est que le débiteur fût déjà insolvable au moment du partage; la raison en est que, là seulement, il y a une faute commune d'avoir ignoré l'insolvabilité déjà existante, et aussi qu'il y a eu enrichissement indû des uns au préjudice d'un autre, par le fait et au moment du partage.
La solution serait la même, et par le même motif, si le débiteur de la succession ou de la société était luimême un des copartageants.
347. Au contraire, lorsqu'il s'agit de l'insolvabilité du copartageant débiteur d'une soulte ou d'un prix de licitation, la garantie en est due par les autres copartageants, lors même que ladite insolvabilité est survenue depuis le partage. D'abord, il serait difficile de supposer que l'insolvabilité existât déjà au moment du partage: autrement, les autres copartageants ne l'eussent pas ignorée et ils n'eussent pas passé outre, en chargeant un insolvable d'une soulte ou d'un prix de licitation envers l'un d'eux, et pour l'insolvabilité postérieure au partage, il est juste qu'elle soit garantie par tous, parce qu'ils ne doivent pas se désintéresser du sort d'une créance que le partage a fait naître par leur accord mutuel: la loi peut donc les considérer comme ayant tacitement cautionné la dette, et elle la leur impose éventuellement.
C'est, en somme, pour cette différence, quant au moment auquel peut se produire l'insolvabilité sujette à garantie, que notre article a distingué les deux cas.
Art. 1177. — 348. Il est naturel que l'exercice du privilége de garantie d'éviction dans le partage soit soumis aux mêmes conditions de durée et de forme que dans l'échange, avec la même distinction entre les meubles et les immeubles. De là, le renvoi à l'article 1174.
Mais il fallait régler spécialement la durée de la garantie d'insolvabilité dont l'article 1174 n'avait pas eu à parler au sujet de l'échange. En effet, il peut bien y avoir dans l'échange une créance de soulte, mais elle ne donne lieu qu'à un privilége direct contre le débiteur: il n'y a pas de garantie de son insolvabilité, comme on vient d'en voir une à la charge des copartageants.
La loi ne distingue pas, pour la durée de la garantie d'insolvabilité, s'il s'agit de la créance de soulte ou du prix de licitation dû par un des copartageants, ou d'une créance contre un tiers, autrefois indivise et mise dans un des lots. Elle ne distingue pas non plus entre l'obligation personnelle de garantie par les copartageants respectivement et l'affectation réelle des immeubles opposable aux tiers (créanciers ou tiers acquéreurs). Mais elle distingue si la dette consiste en capital ou en rente.
Si la dette consiste en capital, le point de départ de la durée de cette garantie, tant réelle que personnelle, est l'exigibilité totale ou partielle de la dette; le délai est alors d'un an; par conséquent, si le copartageant veut conserver son droit à la garantie d'insolvabilité, il doit former sa demande dans l'année et la publier dans le même délai, à peine de déchéance. Si la demande a été formée dans l'année contre les garants, mais n'a pas été publiée, le demandeur n'a conservé que l'action personnelle: il a perdu le privilége opposable aux tiers.
Si la dette consiste en rente, soit perpétuelle, soit viagère, comme il n y a pas d'exigibilité d'un capital, mais seulement d'arrérages; comme, d'un autre côté, la garantie des arrérages ne peut être indéfinie, la loi la limite à dix ans, à partir du partage. Ce délai paraît suffisant pour que l'on puisse induire de la régularité des payements annuels qu'ils seront continués de même.
Cette distinction entre la dette d'un capital exigible et celle d'une rente conduit naturellement la loi à assimiler à la rente le capital qui ne serait exigible qu'après un délai excédant dix ans, mais qui porterait des intérêts annuels: il est naturel que la garantie de solvabilité cesse lorsque l'insolvabilité ne s'est pas révélée dans ce délai par un défaut de payement des intérêts.
III. —PRIVILÉGE DES ARCHITECTES, INGÉNIEURS ET ENTREPRENEURS DE TRAVAUX.
Art. 1178. — 349. Ce troisième privilége diffère des deux précédents en ce qu'il ne s'agit plus d'un immeuble nouveau mis dans le patrimoine du débiteur, soit en entier, soit pour une partie aliquote, comme une moitié, un tiers, un quart (cas qui n'a pas été spécialement prévu dans les articles précédents, parce qu'il suit en tous points les règles d'une aliénation totale): il s'agit ici d'une augmentation de valeur, d'une plus-value donnée à un immeuble par des travaux faits sur ledit immeuble.
Dès lors, on comprend, de suite, que ce n'est pas l'immeuble tout entier qui est soumis au privilége: c'est seulement la plus-value qu'il a reçue; or, cette plusvalue doit être régulièrement constatée.
350. Le présent article se borne à nous indiquer la nature des principaux travaux considérés par loi la comme causes légitimes de la créance privilégiée; l'énonciation n'est pas limitative: la fin de l'article le prouve.
Les personnes des créanciers ne sont pas non plus énoncées limitativement, mais seulement comme exemples. Ainsi, les architectes auront fait les plans et devis des bâtiments et dirigé les travaux; les ingénieurs auront fait de même pour les digues, canaux, dessèchements, irrigations; les entrepreneurs auront exécuté lesdits travaux, quelquefois même, ils en auront fait les plans et devis.
Le Code français n'a pas mentionné les ingénieurs; il a,au contraire, mentionné les ” maçons et autres ouvriers." Le Projet ne mentionne pas les maçons, parce qu'il n'y aurait pas de raison pour ne pas ajouter, et même mettre avant eux, les charpentiers qui, au Japon, sont bien plus employés que les maçons: le nom d'entrepreneurs est préférable par sa généralité. Quant aux ouvriers, il ne leur est dû que des journées: leur débiteur est, en général, l'entrepreneur qui les engage et les emploie, non le propriétaire qui ne traite pas avec eux; si le privilége leur profite, c'est par l'action indirecte de l'article 359.
Le 2t1 alinéa s'applique spécialement aux travaux des mines, minières et carrières: ces travaux sont ou extérieurs ou intérieurs, ou l'un et l'autre successivement.
Au point de vue légal, il n'y a pas de différences entre ces divers travaux: les énonciations que donne la loi ont surtout pour but d'indiquer la nature importante de la cause du privilége.
Art. 1179. — 351. Le principe du privilége, sa cause légitime, est toujours une valeur nouvelle mise dans le patrimoine du débiteur par un créancier non payé.
Le 1er alinéa nous dit qu'il n'est tenu compte que de la plus-value existant encore " lors de l'exercice du privilége ou de la liquidation il n'y a pas là une rigueur: le privilége du vendeur ne porte également que sur ce qui reste de l'immeuble vendu.
La loi exige trois procès verbaux; le troisième est une création du Projet: on en verra bientôt la nécessité. Les trois procès-verbaux sont dressés par un expert nommé par le tribunal: il est évident qu'on ne pouvait admettre un expert nommé par les parties intéressées, puisque la masse des créanciers aussi, qui sera intéressée; n'a pas encore de représentant. Il n'est ni nécessaire ni défendu que ce soit le même expert pour les trois procèsverbaux.
D'abord, il faut constater l'état des biens avant le commencement des travaux; on n'estimera pas la valeur actuelle du fonds sur lequel les travaux doivent être faits: ce serait une complication et des frais inutiles; mais on indiquera, d'une façon générale, les travaux projetés; la loi n'exige pas qu'on évalue le montant approximatif de la dépense, parce que les travaux peuvent recevoir des développements imprévus ou coûter plus qu'il n'est facile de prévoir; ce qui importe surtout c'est de savoir l'état des lieux avant les travaux, pour comparer leur état après lesdits travaux.
Le second procès-verbal a pour but, précisément, de constater le montant de la plus-value résultant des travaux au moment où il est dressé. Le délai est fixé à trois mois depuis que les travaux ont été terminés ou seulement cessés, quelle que soit la cause de cette cessation, fût-ce une force majeure et, à plus forte raison, le manque de fonds pour y faire face; mais il ne faudrait pas y assimiler une simple suspension, même un peu longue, par suite d'obstacles naturels, ou par le retard dans l'arrivée de machines, d'instruments ou de matériaux. La loi ajoute que les contestations sur la réception des travaux ou le retard à cette réception ne donnent pas lieu à prolongation du délai.
Ce délai est de moitié plus court que celui du Code français qui donne six mois pour la réception des travaux et sans doute aussi pour la confection du second procès-verbal (art. 2103-4° et 2110).
Il paraît, en effet, bien suffisant de donner trois mois pour l'expertise et la rédaction de ce procès-verbal, et il est de l'avantage des divers intéressés de ne pas laisser s'écouler un trop long intervalle de temps qui rendrait difficile de savoir quelle est la plus-value ayant les travaux pour cause.
Une différence encore à noter entre le Projet et le Code français, c'est que le procès-verbal ne porte pas que les travaux ont été acceptés comme bons par le propriétaire, de sorte que la créance même de l'entrepreneur peut n'être ni mentionnée ni confirmée par ce procès-verbal; cela, en effet, n'est pas nécessaire, puisque ce n'est pas le montant de la créance qu'il s'agit de constater, mais la plus-value qui la garantit et qui est soustraite aux autres créanciers. Ceux-ci ont pourtant à connaître aussi le montant de la créance qui les prime, mais c'est l'inscription du privilége qui le leur révélera (v. art. 1226-4.° et 1245).
Le troisième procès-verbal n'est pas moins nécessaire que les deux autres, car il peut s'écouler un temps assez long entre la rédaction du second et la vente de l'immeuble, et la plus-value peut avoir diminué (b). Nous ne supposons pas qu'elle ait augmenté: d'abord, parce qu'il semble que la plus-value ne puisse s'augmenter que par des causes différentes des travaux; ensuite, parce que cette nouvelle plus-value, n'ayant pas été révélée par l'inscription, ne pourrait être soustraite au droit des autres créanciers.
Ce troisième procès-verbal sera plus facile à dresser que les deux autres, car l'expert, prenant le second comme base, n'aura guère qu'à rechercher les causes de moins-value survenues depuis et à les évaluer en déduction de la plus-value précédente.
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(b) Le texte dit qu'on examine la valeur qui subsiste au moment "de la liquidation": le Code français (art. 2103-4°, 2e al.) se réfère au moment " de l'aliénation"; il fait sans doute allusion à la vente sur saisie; mais comme il peut y avoir vente amiable et que la plus-value subsistant encore ne sera pas toujours constatée à ce moment, il est préférable de se référer au moment de la liquidation, comme plus général.
IV. -PRIVILEGE DES PRETEURS DE DENIERS.
Art. 1180. — 352. Les dispositions du Projet, au sujet des prêteurs de deniers appelés au privilége, diffèrent de celles du Code français à deux égards.
D'abord, elles comprennent le prêt de deniers pour payer les trois créanciers privilégiés qui précèdent: l'aliénateur, le copartageant, l'entrepreneur; tandis que le Code français, sans qu'on en trouve de motif, a omis le prêt fait pour payer la soulte de partage ou le prix de licitation (v. art. 2103-2° et 5°, 2108 et 2110) (c).
Ensuite, le Projet distingue entre le cas où les deniers sont prêtés au moment de l'acte même auquel ils se rattachent et celui où ils ne le sont que " postérieurement."
Au premier cas, le privilége naît, "directement et en vertu de la loi," en la personne du prêteur, sans passer par le créancier principal; on peut même dire que le vendeur, le copartageant, l'entrepreneur, payés au moment du contrat, avec les deniers prêtés, n'ont pas été un instant créanciers, de sorte que les prêteurs de deniers, dans ce cas, ne sont pas subrogés au privilége, mais en sont investis à l'origine, par la loi. C'est pour ce motif que le Projet n'exige pas, comme le Code français, qu'il y ait un acte d'emprunt avec indication des deniers, et une quittance subrogative avec indication de leur origine, tous deux en forme authentique: " il suffit que le prêt " et son emploi soient mentionnés dans l'acte auquel ils " se rattachent "; or, cet acte peut être sous seing privé aussi bien qu'authentique.
Au second cas, et si le prêt est postérieur à l'acte d'où naît le privilége, la créance privilégiée a d'abord appartenu au vendeur, au copartageant, à l'entrepreneur; elle ne peut dès lors passer au prêteur de deniers que par voie de " subrogation conventionn lie,'.' et le texte a soin d'exprimer que la forme et les conditions ordinaires en doivent être observées.
Le texte prévoit enfin le cas où les deniers prêtés, soit à l'origine, soit plus tard, n'auraient servi à désintéresser le créancier principal que pour partie, alors il rappelle une disposition de droit commun à cet égard, le concours du subrogé avec le subrogeant, ce qui est encore une différence entre le Projet et le Code français [comp. Proj. art. 508 et c. civ. fr., art. 1252].
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(c) On peut remarquer que la place et les termes de notre article ne le rendent pas applicable à ceux qui auraient désintéressé le dernier groupe de créanciers privilégiés: ce n'est qu'après avoir parlé des créanciers demandant la séparation des patrimoines qu'on donnera la raison de cette exclusion (v. n° 358).
Art. 1181. — 353. Ce n'est pas ici que l'on peut s'étendre sur la nature de ce droit qui appartient surtout à la matière des Successions. On doit seulement en donner une idée générale et montrer comment il constitue un privilége.
C'est un principe général en matière de succession (et il est peut-être encore plus reconnu au Japon qu'en France) que " l'héritier représente et continue la personne du défunt," sans perdre lui-même sa personnalité. Il en résulte que quand une personne meurt, ses droits et ses obligations se réunissent et se confondent avec ceux qu'avait déjà l'héritier: les deux actifs et les deux passifs n'en font plus qu'un. Ce résultat peut n'être pas avantageux aux créanciers chirographaires de l'un ou de l'autre: si l'héritier est solvable et si le défunt ne l'était pas, les biens de l'héritier serviront à payer les dettes du défunt; si, au contraire, c'est l'héritier qui est insolvable, tandis que le défunt était solvable, ce sont les biens du défunt qui serviront à payer les dettes de l'héritier.
Si les biens de chaque patrimoine étaient liquidés avant d'être confondus, il n'y aurait aucun inconvénient pour les créanciers de l'un ou de l'autre: l'un des patrimoines donnerait un excédant d'actif, l'autre un excédant de passif, et c'est alors que le plus riche des deux contribuerait à la libération du plus pauvre, sans aucun préjudice pour personne. Mais si la confusion s'est opérée sans qu'il ait été pris de mesures protectrices du patrimoine solvable, le résultat est fâcheux et peut même être ruineux pour l'une des masses de créanciers chirographaires, car il va de soi que les créanciers privilégiés ou hypothécaires du défunt ou de l'héritier n'ont rien à craindre de la confusion des patrimoines: au moins, en ce qui concerne les immeubles, ils ont une sûreté réelle.
On trouve, dès le droit romain, un remède à ce danger; même le remède est double, puisqu'il y a danger des deux côtés: du côté des créanciers de l'héritier et du côté des créanciers du défunt.
Séparons les deux cas.
354. -Ier Cas. L'héritier ayant intérêt à ce que son patrimoine ne soit pas absorbé ou même diminué par les dettes du défunt a été admis, soit à refuser la succession, ce qui le fait considérer comme n'ayant jamais été héritier (v. c. civ. fr., art. 784 et s.), soit à ne l'accepter que sous bénéfice d'inventaire, ce qui l'autorise à liquider la succession préalablement à toute confusion, de sorte qu'il ne payera les dettes héréditaires qu'avec les biens de la succession, sans être privé du droit de recueillir l'excédant d'actif, s'il y en a (v. ib., art. 793 et s.) (1).
Que si, par respect pour la mémoire du défunt, il a accepté la succession purement et simplement, sans faire inventaire, et s'est ainsi chargé d'un passif supérieur à l'actif, ses créanciers, quoiqu'ils en souffrent, ne peuvent se plaindre (v. ibid., art. 881): l'héritier a exercé un droit incontestable, et son acceptation de la succession pourrait, tout au plus, être attaquée pour fraude aux droits de ses créanciers (ib., art. 1167).
355. -IIe Cas. Les créanciers d'un défunt solvable ont de même intérêt à ce que la liquidation de la succession se fasse avant la confusion: il est naturel qu'ils ne soient pas dépouillés de tout ou partie de leur gage par l'effet de la mort de leur débiteur et de l'insolvabilité de son héritier avec lequel ils n'ont pas traité. C'est pour arriver à cette liquidation préalable que les lois leur ont accordé le droit de demander la séparation des patrimoines ou, comme dit le texte, " la séparation des biens du défunt d'avec ceux de l'héritier."
Cette demande se forme plutôt contre les créanciers de l'héritier que contre l'héritier lui-même; elle doit être enfermée dans certains délais et soumise à certaines conditions, lesquelles seront différentes pour les meubles et pour les immeubles; le tout sera réglé au Chapitre des Successions, et il sera bon que le Projet soit, à cet égard, plus explicite que le Code civil français qui est insuffisant (2).
356. Voici maintenant comment ce droit des créanciers du défunt appartient à la matière des priviléges spéciaux sur les immeubles (d).
Du moment que les créanciers séparatistes auront fait ce que la loi leur prescrit pour conserver leur droit, ils n'auront sans doute pas empêché que, par l'effet du droit de succession, l'héritier soit devenu propriétaire des immeubles du défunt, mais ils auront obtenu que ces biens soient d'abord employés à les satisfaire, avant les créanciers personnels de l'héritier, soit chirographaires, soit même privilégiés ou hypothécaires. Il n'est donc pas possible de contester à ce droit le nom et le caractère d'un privilége; on a même de la peine à comprendre que, dans la doctrine française, cette idée rencontre des adversaires, quand l'article 2111 du Code français lui-même emploie formellement le nom de privilége pour qualifier la séparation des patrimoines, et la soumet à la même publicité que les autres priviléges. Et c'est un privilége spécial, quoiqu'il puisse porter sur plusieurs immeubles: la spécialité n'est pas l'unité, elle comporte la pluralité, et l'on en a déjà vu un exemple dans le privilége des copartageants qui porte aussi sur les immeubles d'une succession ou d'une communauté; il suffit qu'un privilége ne porte pas sur l'universalité des immeubles du débiteur pour être spécial (e).
357. Ce qui pourrait étonner davantage, c'est que cette séparation des patrimoines qui s'applique aussi aux meubles de la succession n'ait pas figuré dans les priviléges spéciaux sur les meubles.
Aucune législation, à notre connaissance, n'a consacré ce privilége et nous ne proposons pas de le faire; sa combinaison avec les autres priviléges créerait des difficultés considérables dans une matière où il y en a déjà beaucoup.
Mais on peut arriver au même résultat qu'à celui d'un privilége sur les meubles par une autre voie: tant que les
meubles composant la succession ne sont pas confondus avec ceux de l'héritier, les créanciers héréditaires peuvent les saisir comme étant leur gage exclusif; ils ne se bornent pas à prétendre primer les créanciers personnels de l'héritier: ils leur contestent tout droit sur un patrimoine qui n'est pas à leurs yeux celui du débiteur de ceux-ci. C'est pour bien accentuer la nature de cette prétention qu'il sera formellement exprimé au Chapitre des Successions que l le bénéfice de la séparation des patrimoines ne peut plus être invoqué sur les meubles de la succession, lorsqu'ils ont été confondus avec ceux de l'héritier." Le Projet reviendra bientôt sur ce privilége comme sur les autres, au sujet de la publicité qu'il doit recevoir, par rapport aux immeubles.
358. On a déjà fait la remarque qu'au sujet du privilége des prêteurs de deniers, il n'a pas été question de ceux qui auraient désintéressé de leurs deniers les créanciers et légataires qui ont demandé la séparation des patrimoines; la raison de cette omission, c'est qu'il est impossible qu'un tiers les paye au moment même où naît le privilége, ce qui est la condition essentielle pour que le privilége appartienne aux prêteurs de deniers, directement et par le seul bienfait de la loi.
Mais si ce payement était fait par un tiers après que le privilége est né au profit du créancier primitif, le prêteur de deniers pourrait être appelé au privilége par l'effet d'une subrogation conventionnelle: ce serait alors le même privilége, sans modification, et ne demandant dès lors ici aucune mention particulière.
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(1) Le Code officiel n'admet pas la renonciation de l'héritier, mais il autorise l'acceptation bénéficiaire.
(2) Le Code officiel n'a pas admis la séparation des patrimoines.
(d) C'est pour abréger que nous n'avons parlé que des créanciers de la succession: tout ce que nous en disons s'applique également aux légataires. Et il faut remarquer qu'il ne s'agib ici que de legs de choses de quantité ou des autres legs ne donnant au légataire qu'un droit de créance; car s'il s'agissait d'un legs de corps certain, comme il transférerait directement la propriété au légataire, celui-ci n'aurait pas besoin de la séparation des patrimoines (v. art. 6tl à 643).
(e) Le Code italien semble avoir évité à dessein d'employer l'expression de privilége: il parle toujours du " droit à la séparation des patrimoines mais si le nom ne s'y trouve pas, les effets sont bien ceux d'un privilége, avec droit de préférence et droit de suite (v, art.2062). Il faut remarquer, à ce sujet que, dans ce Code, la séparation des patrimoines n'est que mentionnée dans la matière des Successions (v. art. 1032) et dans celle des Privilèges (v. art. 1962) et que c'est dans un Titre spécial qu'il en est traité in extenso (Liv. Ille, Titre xxiv, art.2054 à 2065).
Art. 1182. — 359. Le présent article est l'application du principe général que les priviléges ne doivent pas s'étendre au-delà de leur cause légale (SUP?'Ù, n° 269): si le débiteur ou ses ayant-cause, en augmentant, par des acquisitions ou par des travaux, l'étendue ou la valeur de l'immeuble grevé de privilége, pouvaient ainsi étendre le privilége lui-même, ce serait au préjudice de la masse des autres créanciers.
Le texte a soin, d'ailleurs, de limiter cette restriction au cas où l'augmentation de valeur a eu lieu "aux frais du débiteur par conséquent, les améliorations fortuites profiteraient au créancier privilégié.
La loi ne règle pas le cas, qui sera rare sans doute, où l'immeuble soumis au privilége aurait été augmenté par le don ou le legs d'un tiers; mais les principes généraux de la matière suffisent à le régler: si le don ou le legs est d'une servitude réelle active, c'est-à-dire au profit du fonds soumis au privilége, sur le fonds du donateur ou du testateur (fonds qui doit être voisin), la servitude s'incorpore pour ainsi dire au fonds dominant, c'est une valeur qui n'en peut être séparée; en même temps, elle ne coûte rien au débiteur: le créancier privilégié en profitera; au contraire, si c'est une parcelle de terre voisine qui est donnée ou léguée, c'est un autre immeuble, et, quand même le débiteur l'aurait réunie au premier, par l'extension des clôtures ou autrement, le privilége ne s'augmenterait pas (v. art. 646); il en serait de même si, l'immeuble grevé n'appartenant que pour une partie indivise au débiteur, l'autre partie lui était donnée ou léguée par son copropriétaire: le privilége ne s'augmenterait pas.
360. On remarque que le texte de notre article ne dispose que pour trois de nos cinq priviléges: ceux de l'aliénateur, des copartageants et des créanciers et légataires qui demandent la séparation des patrimoines. Le silence au sujet des deux autres est facile à justifier.
D'abord pour celui des entrepreneurs, il a été déjà suffisamment dit qu'il ne porte que sur la plus-value résultant de leurs travaux; il est clair dès lors qu'il ne peut recevoir aucune extension par des acquisitions ou des travaux faits aux frais de débiteur.
Pour le privilége des prêteurs de deniers, il n'est autre que le privilége de ceux qui ont été désintéressés avec les deniers prêtés, il a donc les mêmes limites.
SOMMAIRE.
Art. 1l83. —N° 361=363. Obligation générale de publier les priviléges.
1184. -364. Application au privilége du vendeur: variations du droit français à cet égard. -365. Extension à tout aliénateur: énonciation nécessaire dans l'acte à transcrire.
1185. -366. Application au privilége des copartageants.
1186. -367. Tant que l'aliénateur ou les copartageants ne sont pas dessaisis de la propriété à l'égard des tiers, ils ne peuvent perdre leur privilége: le Projet suit ici le Code italien préférable à la loi française de 1855. -368. Tiers interessés à faire la transcription.
1187. -360. Cas où l'acte d'aliénation ou de partage ne mentionne pas les charges corrélatives. -370. Cas Olt il ne porte pas leur évaluation en argent.
1188. -371 et 372. L'action résolutoire de l'aliénateur et des copartageants ne se conserve qu'autant et aux mêmes conditions que le privilége et l'hypothèque légale qui le remplace.
1189. -373. Inscription des deux premiers procès-verbaux; leur utilité, leur moment, leur effet. -374. A qui profite l'inscription. -375. Pourquoi le montant de chaque créance n'est pas mentionné dans l'inscription.
1190. -376. Conséquence du retard à l'inscription de l'un on de l'autre procès-verbal: deux cas.
1191. —377. Inscription nécessaire aux prêteurs de deniers; cas de subrogation, de cession: sanction.
1192. -378. Intérêts et arrérages conservés par l'inscription: exception en faveur des créanciers séparatistes. 1192 bis. -379. Délai de l'inscription du privilége de séparation des patrimoines: rétroactivité; objection, réponse.
1193. -380. Rang des créanciers privilégiés entrepreneurs, aliénateurs, copartageants. -381. Aliénations ou partages successifs. -382. Prêteurs de deniers. - 383. Créanciers et légataires séparatistes: ils ne sont primés que par les entrepreneurs. -384. Rapports des séparatistes respectivement. -385. Hypothèses diverses.
1194. -386. Renvoi, pour le complément des règles de l'inscription, au Chapitre des Hypothèques.
COMMENTAIRE.
Art. 1183. — N° 361. -363. C'est un principe dominant les droits réels sur les immeubles qu'ils ne peuvent être opposés aux tiers que s'ils ont été rendus publics dans les formes et dans les délais déterminés par la loi. Le principe a déjà été appliqué aux droits réels principaux et même aux servitudes qui sont des droits accessoires (v. art. 368). On va le voir maintenant appliqué aux sûretés réelles qui. sont aussi des droits accessoires: ici aux Priviléges, plus loin aux Hypothèques.
Le présent § ne s'occupe que de l'effet des priviléges entre les créanciers notre premier article indique également cette limiter; l'effet à l'égard des tiers détenteurs est l'objet du § suivant.
Les articles qui vont suivre règlent "les moyens, les conditions et les délais " de la publicité de chaque privilége.
Art. 1184. — 364. Cet article concerne le premier privilége, celui de l'aliénateur d'immeuble.
D'abord on suppose une vente, ou un échange avec soulte: la transcription du titre, nécessaire pour rendre la mutation de propriété opposable aux tiers, servira en même temps de publication du privilége; mais à la condition que le titre porte que le prix de vente ou la soulte d'échange est encore dû, en tout ou en partie. Par conséquent, dès que les créanciers de l'acquéreur sauront, par la transcription, que leur débiteur est devenu propriétaire et pourront ainsi se prévaloir, soit du droit de gage général qu'ils acquièrent sur ce bien, soit d'une hypothèque qui leur serait concédée, ils seront informés en même temps que le bien n'est entré dans le patrimoine de leur débiteur que grevé du privilége de l'aliénateur.
Ce système, d'une grande simplicité, avait été celui du Projet de Code civil français (art. 2108 j; mais lorsque la transcription fut abandonnée, en tant que moyen de rendre la translation de propriété opposable aux tiers, (v. T. II, n° 183), il y eût de sérieuses raisons de douter que la transcription fût maintenue en tant que moyen nécessaire de conserver le privilége du vendeur: on alléguait que si les créanciers de l'acheteur connaissaient assez la vente, quoique non transcrite, pour s'en prévaloir comme augmentant leur gage, ils devaient savoir aussi que le prix n'était pas payé; d'un autre côté, l'article
2108, resté intact, était trop formel pour qu'on pût le considérer comme abandonné avec la transcription translative de propriété; aussi cette matière divisait-elle beaucoup les interprètes (a).
La célèbre loi du 23 mars 1855, en rétablissant la transcription, en tant que condition de la mutation à l'égard des tiers, a rétabli l'harmonie dans les dispositions du Code civil, et le mode de publicité du privilége du vendeur exposé ci-dessus ne diffère pas de celui de la loi française.
365. Comme le Projet a étendu le privilége du vendeur à tous les aliénateurs d'immeubles, il en résulte que le même mode de publication doit leur être imposé: pour le co-échangiste qui peut craindre l'éviction du bien (meuble ou immeuble) qu'il a reçu, pour le donateur qui peut avoir imposé des charges au donataire, et autres aliénateurs d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, qui ont stipulé des avantages, c'est toujours la transcription du titre d'aliénation qui conserve leur privilége, sous la même condition que ces charges ou avantages, certains ou éventuels, aient été énoncés, et de plus, estimés ou évalués en argent, sauf ce qui est dit à l'article 1187.
Rappelons, au sujet de l'éviction soufferte par le co-échangiste, la disposition de l'article 1174, d'après laquelle la transcription ne conserve le privilége de la garantie d'un immeuble acquis en échange, que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange et si la demande en garantie a été formée et publiée dans l'année de l'éviction, et, s'il s'agit d'un objet mobilier, que si l'éviction a eu lieu dans l'année de l'échange et la demande formée dans le mois de l'éviction. En effet, la publicité résultant de la transcription ne fait qu'avertir les tiers de l'éventualité d'une créance de garantie; mais, dès que l'éviction est consommée et que la créance est devenue certaine, il est utile qu'ils en soient avertis.
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(a) Il est sans intérêt ici de mentionner une disposition particulière des articles 831 et 835 du Code de Procédure civile, abrogés par la loi de 1885 (v. n° 498).
Art. 1185. — 366. C'est également par la transcription que se conserve le second privilége, celui des copartageants.
Le texte a soin de qualifier l'acte de partage, non de translatif mais de " déclaratif de propriété."
Pour que la transcription révèle le privilége, il faut, de même que pour le privilége de l'aliénateur, que la créance née du partage, comme certaine ou éventuelle, y soit énoncée: seront créances certaines, le prix de licitation et les soultes ou retours de lots; sera éventuelle, la garantie d'éviction; quant aux charges accessoires, elles seront le plus souvent certaines, mais elles pourraient aussi être éventuelles.
Lorsque la créance ne sera pas, par elle-même, d'une somme fixe, comme sont le prix de licitation ou les soultes, les parties devront en faire l'évaluation.
Art. 1186. — 367. La loi déduit ici la conséquence logique du principe que, jusqu'à la transcription, l'acte translatif ou déclaratif de propriété n'a pas d'effet à l'égard des tiers: s'il ne peut leur être opposé, il est juste aussi qu'il ne puisse être invoqué par eux. Du reste, ceux qu'on appelle ici " tiers," suivant l'usage reçu, sont de véritables ayant-cause de l'une ou l'autre partie.
Le Projet s'écarte résolument ici du système français établi par la loi de 1855. Cette loi nous semble avoir abandonné son principe, en décidant (art. 6), que si l'acheteur n'a pas transcrit son acquisition et a fait luimême une aliénation du même bien et que cette seconde aliénation ait été transcrite, elle est opposable au vendeur et exclut son privilége, lorsqu'il s'est écoulé quarante cinq jours depuis le contrat de celui-ci, sans qu'il ait inscrit son privilége.
On a cru protéger suffisamment le vendeur en lui donnant ce délai de 45 jours (b), soit pour faire transcrire la vente qui lui donne privilége, soit pour faire inscrire seulement ce privilége; passé ce délai, il en est déchu et il n'a plus qu'une hypothèque légale prenant rang à la date de son inscription, sans rétroactivité (voy. art. 2113).
L'article 6 précité semble ne régler que les rapports du vendeur avec un sous-acquéreur, et ne rien dire pour le cas où l'acheteur a seulement hypothéqué l'immeuble, sans le revendre; en effet, il est dit que le vendeur n'est pas déchu de son privilége publié dans les 45 jours, à l'égard des droits transcrits dans ce délai; mais il ne s'explique pas au sujet des droits seulement inscrit.,;, c'est-à-dire des priviléges ou des hypothèques provenant du chef de l'acheteur et dûment publiés. Assurément, quand le vendeur, inscrit dans les 45 jours, évince un sous-acquéreur qui a transcrit, il évince, à plus forte raison, les créanciers inscrits, moins intéréssants que le sous-acquéreur; mais, quand il a laissé passer le délai de 45 jours, alors qu'il serait évincé par une transcription, l'est-il également par une inscription de privilége ou d'hypothèque ? On peut hésiter.
Le Projet nous préservera de pareilles incertitudes. Il n'admet pas que le vendeur puisse perdre en même temps la propriété et le privilége, " lorsque l'acte de vente porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie," ce qui est la seule précaution que le vendeur ait à prendre vis-à-vis des tiers. Lorsqu'il n'y a pas eu de transcription de son aliénation, le vendeur est inattaquable, car il est armé de ce dilemme: ou les créanciers de l'acheteur ont connu, autrement que par la transcription, le premier contrat de vente, fondement nécessaire de leur propre droit, alors ils devaient aussi connaître la créance du vendeur originaire qui y était attachée; ou bien, ils n'ont pas connu la vente non transcrite, alors ils n'ont pas pu compter acquérir euxmêmes une sûreté réelle (c), du chef de celui avec lequel ils ont traité.
Si le système du Projet n'est pas celui de la loi française de 1855, il est celui du Code italien (art. 1942, 2e al.), lequel porte que " tant que la transcription n'est pas " effectuée, aucune transcription ou inscription de droits " acquis contre le nouveau propriétaire ne peut avoir " d'effet au préjudice de l'hypothèque accordée à l'alié" nateur par l'article 1969."
Il n'est donc plus question de délai de faveur accordé au vendeur ni, par suite, de déchéance contre lui.
368. Le 2e alinéa de notre article autorise Il les intéressés " à faire faire la transcription, à toute époque, " toujours." Il ne faut pas compter le vendeur parmi ceux auxquels la loi songe ici, puisque l'on vient de voir que son intérêt est nul; les intéressés sont précisément ceux auxquels l'acheteur aurait aliéné ou hypothéqué la chose vendue: alors, en faisant transcrire le titre de leur auteur ou débiteur, ils confirment leur propre droit en faisant cesser la propriété du vendeur, sous la réserve seulement de son privilége et de son action résolutoire.
Pour faire faire cette transcription, ils n'ont besoin ni du consentement du vendeur originaire, ni de celui de l'acheteur. Cette dernière disposition de notre article prouve, à elle seule, que parmi les intéressés la loi ne compte pas le vendeur originaire, parce qu'il ne semble pas intéressé, ni l'acheteur lui-même, parce qu'il est, au contraire, tellement intéressé que son droit de transcrire est écrit ailleurs et en quelque sorte partout où il est question de transcription.
Il y a pourtant un cas où le vendeur aura besoin de faire transcrire le titre de vente, c'est lorsqu'il voudra saisir et faire vendre l'immeuble de son acheteur: on ne comprendrait pas qu'il saisît le bien comme appartenant à l'acheteur, alors que les registres de transcription présenteraient encore cet immeuble comme lui appartenant à lui-même.
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(b) Ce délai d'un mois et demi a été le résultat d'une singulière transaction législative entre les uns qui demandaient trois mois et les autres qui n'en voulaient accorder qu'un.
(c) Le présent article ne règle que les rapports du vendeur ou autre aliénateur avec les autres créanciers privilégiés ou hypothécaires de l'acquéreur; quant à ses rapports avec un sous-acquéreur, ils sont réglés différemment par l'article 1197.
Art. 1187. — 369. Voici encore un cas, mais tout différent du précédent, où l'aliénateur a un intérêt majeur à faire procéder lui-même à la publication de son privilége; c'est celui où la transcription faite ou à faire ne révèlerait pas sa créance, parce que " l'acte d'aliénation ou de partage ne porterait pas que la contrevaleur est encore due, en tout ou en partie, ou que des charges y sont attachées ": il est nécessaire alors que cette omission soit réparée par un acte postérieur, lequel sera une convention, si le débiteur est loyal, et un jugement, au cas contraire. C'est alors le créancier qui devra publier l'acte ainsi complété.
A cet égard, une distinction était commandée par la nature des choses et la loi l'exprime: si la transcription de l'acte principal n'a pas encore été faite, c'est naturellement, le créancier qui y fera procéder, en y faisant joindre la publication de l'acte complémentaire; car l'acquéreur aurait intérêt à ne publier que l'aliénation, sans la créance corrélative; dans ce cas, le droit du créancier au privilége est complet.
Si la transcription a déjà été faite par l'acquéreur, c'est encore au créancier à pourvoir à sa sécurité; mais alors il ne peut plus que prendre une inscription directe et spéciale de sa créance: une mention en marge ou à la suite de la transcription ne suffirait pas, car la mutation de propriété a été révélée comme pure et simple et sans charges. Mais, dans ce cas, la situation du créancier est beaucoup moins bonne: il n'a plus qu'une hypothèque légale, et, à cet égard, la loi a soin d'employer l'expression consacrée de " privilége dégénéré."
La conséquence déduite par la loi elle-même de cette déchéance du privilége est que la créance ne prendra rang qu'à la date de cette inscription spéciale et ne pourra nuire aux créanciers qui, dans l'intervalle, auraient acquis du débiteur ou de son chef des sûretés réelles sur l'immeuble et les auraient dûment publiées.
370. La loi assimile au cas où la contre-valeur n'a pas été portée dans l'acte d'aliénation ou de partage le cas où les charges, même énoncées audit acte, n'ont pas été évaluées en argent, et aussi celui où la créance éventuelle de la garantie qui est un effet légal de l'acte n'a pas été évaluée. Le cas est pourtant un peu moins défavorable au créancier, puisque sa créance est connue; mais comme les tiers ne peuvent en connaître le montant, cette créance ne doit pas leur être opposable.
La distinction précédente sera faite, à ce sujet: si l'aliénation où le partage n'ont encore reçu aucune publicité lorsque l'évaluation sera faite, le créancier fera faire simultanément la double publication et il aura un privilége; si la transcription a précédé l'évaluation, l'inscription spéciale de celle-ci ne vaudra que comme hypothèque légale, à sa date.
Une différence toutefois est à noter entre ce cas et celui du précédent alinéa, c'est que, comme il ne s'agit plus de révéler l'obligation d'une contre-valeur à fournir ou toute autre charge de l'aliénation, mais seulement d'en déterminer la valeur, le créancier n'a pas besoin d'obtenir pour cette évaluation le consentement du débiteur ou un jugement: il la fait lui-même, sauf au débiteur à la faire réduire ultérieurement, si elle est exagérée, comme il sera dit au Chapitre suivant (v. art. 1245).
Art. 1188. — 371. Le droit de résolution d'une aliénation pour inexécution des obligations de l'acquéreur, sans appartenir aux sûretés réelles proprement dites (v. n° 10), est souvent aussi avantageux à l'aliénateur, puisqu'il lui fait recouvrer sa chose en entier, sans subir le concours et encore moins la préférence des créanciers de l'acquéreur, et aussi sans avoir à respecter les droits des tiers acquéreurs; dès lors, on comprend que l'exercice de ce droit de résolution ne soit opposé à ceux-ci que dans les mêmes conditions que celles où peut l'être le privilége, puisque le préjudice en est encore pour eux plus considérable. Déjà l'article 720 bis l'a annoncé.
Pendant longtemps, en France, depuis le Code civil jusqu'à la loi de 1855, on a vu ce résultat singulier et regrettable que lorsque le vendeur avait perdu son privilége, faute de l'avoir publié conformément à la loi, il pouvait encore exercer le droit de résolution, en sorte que la protection que la loi accordait d'un côté aux tiers, ils la perdaient d'un autre. La loi de 1855 (art. 7) a remédié à cet inconvénient et, suivant une formule reçue à cet égard, mais sur laquelle nous faisons des réserves, " elle a lié le sort de l'action résolutoire à celui du privilége," de sorte que quand le vendeur a perdu celui-ci, il a perdu aussi celle-là; la seule différence en faveur de l'action résolutoire, c'est qu'étant un effet légal de la convention, elle n'a pas besoin d'être mentionnée dans l'acte d'aliénation ni dans un acte complémentaire analogue à celui qui est prévu à l'article précédent; en sens inverse, une différence à la charge de la résolution, c'est que le jugement qui l'a prononcée doit être mentionné en marge de la transcription de l'aliénation résolue.
Le Projet japonais va plus loin à ce sujet: il exige que 'i la demande " en résolution soit publiée avant d'être recevable devant le tribunal (v. art. 372).
372. Mais, pas plus avec le Projet qu'avec la loi française, il n'est exactement vrai que " le sort de l'action résolutoire soit lié à celui du privilége." Ce qui est vrai, c'est que lorsque le vendeur ne peut plus opposer son privilége aux créanciers hypothécaires de l'acheteur ni aux cessionnaires de celui-ci, il ne peut non plus leur opposer son action résolutoire, et, à cet égard, cette double déchéance est bien plus fréquente d'après la loi de 1.855 (art. 6) que d'après le Projet japonais.
Mais si nous supposons, dans les deux législations, que le privilége dégénéré en hypothèque se trouve encore, comme tel, opposable à des créanciers ou à un cessionnaire, parce qu'il a été publié en temps utile, c'est-à-dire avant que les tiers aient publié leur propre droit, alors il n'y a pas de raison pour que le vendeur ne puisse, au lieu de faire valoir son hypothèque, exercer l'action résolutoire: du moment que les tiers savent que le vendeur, inscrit avant eux, n'a pas été payé de son prix, en tout ou en partie, ils doivent savoir aussi qu'il a, pour la même cause, l'action résolutoire.
C'est pour cette raison que notre article a soin de ne refuser l'action résolutoire à l'aliénateur devenu simple créancier hypothécaire qu'à l'égard des tiers qui ont " conservé " c'est-à-dire publié leurs droits " avant qu'il ait inscrit son hypothèque."
Tout ce que nous avons dit ici de l'aliénateur s'applique aux copartageants pour les mêmes motifs: le texte a soin de l'exprimer.
Art. 1189. — 373. Pour le troisième privilége, celui des entrepreneurs, la publication ne peut résulter d'une transcription, puisqu'il n'y a pas mutation de propriété: elle a lieu par l'inscription des procès-verbaux qui constatent la plus-value donnée à l'immeuble par le travail des entrepreneurs.
On sait par l'article 1179 que trois procès-verbaux sont dressés successivement: le premier avant le commencement des travaux, le second dans les trois mois de leur achèvement, le troisième au moment de la liquidation.
Le troisième n'est pas publié, parce qu'il n'a plus pour but d'avertir les tiers qui acquerront des droits sur l'immeuble, mais seulement d'assurer équitablement la liquidation respective des créances privilégiés.
Le premier procès-verbal doit être inscrit, avant le commencement des travaux, afin que ceux qui acquerront ensuite des droits sur l'immeuble sachent que les travaux en cours d'exécution ne sont pas payés d'avance et qu'une créance est réservée à cet égard; elle avertit aussi les créanciers qui ont déjà des inscriptions sur ledit immeuble que la plus-value à provenir des travaux n'augmentera pas leur gage.
Le second procès-verbal doit être inscrit dans le mois de sa rédaction, laquelle, d'après l'article 1179, a dû être faite dans les trois mois de l'achèvement ou de la cessation des travaux.
Comme la première inscription a annoncé un privilége pour une créance en voie de formation, il est naturel que la seconde inscription, confirmant et complétant la première, ait un effet rétroactif à la date de celle-ci.
374. Généralement, il y a plusieurs sortes de créanciers par suite des travaux sur les immeubles: d'une part, un architecte ou un ingénieur pour les plans et la direction des travaux; d'autre part, des entrepreneurs pour l'exécution; les entrepreneurs peuvent être euxmêmes plusieurs, suivant la différence des travaux à faire. La loi, pour éviter les frais inutiles résultant d'inscription multiple des mêmes procès-verbaux, admet qu'une seule inscription de chaque procès-verbal profite " à tous les intéressés"; mais, pour cela, il faut, bien entendu, supposer que les travaux n'ont pas été reçus séparément et qu'il n'a été fait qu'un procès-verbal, tant avant les travaux qu'après leur achèvement: sans quoi, il n'y aurait pas entre eux la gestion d'affaires que la loi admet, " en l'absence de mandat."
375. La loi n'exige pas que l'inscription du second procès-verbal soit accompagnée de la fixation du montant des créances de travaux; c'est peut-être le seul cas où une inscription ne portera pas le chiffre de la créance; mais, il n'y a ici aucun inconvénient, puisque ce n'est pas sur la créance que se mesure l'étendue maximum du privilége, mais sur la plus-value résultant des travaux et que, précisément, c'est cette plus-value que révèle la seconde inscription.
C'est encore par l'effet de l'absence de mention du chiffre de chaque créance que la loi peut admettre que la diligence d'un créancier profite aux autres.
Art. 1190. — 376. Le seul fait du retard à l'inscription du premier ou du second procès-verbal n'entraîne pas pour les créanciers une déchéance totale de toute préférence, mais au lieu d'un privilége, ils n'auront plus qu'une hypothèque légale dont le rang n'est plus le même: son rang sera celui de l'inscription tardive, laquelle est toujours permise tant que l'immeuble appartient au débiteur.
Distinguons deux cas, avec le texte:
1er Cas. Le premier procès-verbal n'a été inscrit par les entrepreneurs qu'après le commencement des travaux; il en résulte qu'ils sont désormais primés par tous les créanciers hypothécaires inscrits avant eux, soit avant le commencement des travaux, soit depuis (d); mais leur rang date de l'inscription tardive du premier procès-verbal, si le second a été lui-même dressé et ins. crit en temps utile.
2e Cas. Le second procès-verbal n'a pas été dressé dans les trois mois de la fin des travaux, ou ayant été dressé dans ce délai, il n'a été inscrit qu'après un mois de sa rédaction: son rang est alors la date de cette inscription tardive.
Ces solutions seraient celles à donner pour l'application du Code français (v. art. 2110 et 2113).
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(d) A l'égard des créanciers privilégiés antérieurs dont le droit de préférence n'est fondé que sur le fait d'avoir mis une valeur dans le patrimoine. ils ne pourraient prétendre à 111 plus-value résultant des travaux (v. art. 1182).
Art. 1191. — 377. Le privilége des prêteurs de deniers n'étant autre, en réalité, que celui des créanciers par eux désintéressés, n'est soumis qu'à la même publicité. Il y a cependant ici un rappel de la distinction faite à l'article 1180: s'ils ont prêté les deniers lors du contrat principal, le privilége est né directement et immédiatement en leur personne; dès lors, ils ont à le publier, ni plus ni moins que n'aurait dû le faire celui dont ils ont la place, d'après la loi; si le privilége ne leur a été transmis que par subrogation, une sous-distinction est à faire: ou le privilége n'a pas encore été publié par le créancier primitif, alors ils le publient sous le nom de celui-ci, et de plus ils publient l'acte de subrogation, à la suite ou en marge de l'acte principal; ou déjà le privilége a été publié, alors ils ne publient que leur subrogation, de la même manière.
La même publicité est imposée aux cessionnaires des créances privilégiées.
La sanction de cette publicité accessoire de la subrogation et de la cession est indiquée par la loi, c'est que, si elle n'a pas eu lieu, " les payements ou autres actes libératoires intervenus de bonne foi entre le débiteur ou ses ayant-cause et le créancier originaire sont valables."
Art. 1192. — 378. Il est naturel que le créancier privilégié inscrit pour un capital portant intérêts, ou pour une rente perpétuelle ou viagère, ait droit à une certaine somme d'intérêts ou d'arrérages, lorsque la publication de sa créance révèle qu'elle est productive de ces prestations annuelles. Mais il ne serait pas bon que la négligence du créancier à se faire payer les intérêts ou arrérages rendît le privilége plus onéreux aux autres créanciers qu'ils n'ont pu le prévoir; dès lors, la loi devait mettre une limite raisonnable au droit à l'arriéré.
Le Projet adopte b limite de deux ans. Il s'écarte un peu, à cet égard, du Code français qui accorde deux ans " et l'année courante" (art. 2151).
Ce ne sont pas d'ailleurs deux années quelconques d'intérêts, mais les deux dernières (comp. art..1254); ce qui n'est pas indifférent, car s'il y a eu antérieurement des payements partiels du capital, les derniers intérêts seront moindres; 01', les autres créanciers peuvent avoir prévu qu'il y avait des intérêts échus non encore payés, mais ils ont dû croire naturellement que c'étaient les moins anciens.
Bien entendu, c'est à supposer qu'il y a deux ans échus, au moment de la liquidation, car il ne sera jamais rien accordé pour le temps à suivre, même sur ce qui devrait rester dû après la liquidation.
Si le créancier privilégié a laissé s'écouler plus de deux ans sans recevoir ses intérêts ou arrérages, il n'est pas déchu, à cet égard, de toute préférence sur les autres, mais il n'a plus qu'une hypothèque légale résultant du privilége dégénéré; c'est pourquoi la loi dit qu'il peut prendre " des inscriptions hypothécaires" pour l'arriéré remontant au-delà de deux ans.
La loi ne prévoit pas le cas de redevances annuelles en nature, parce qu'elles devraient toujours être estimées en argent et que, dès lors, elles seraient assimilées à des intérêts.
Cet article, par sa place et par ses termes, ne s'applique pas au privilége de la séparation des patrimoines: les séparatistes conserveraient intact leur droit à tout l'arriéré des intérêts et arrérages, car la séparation des patrimoines enlève tout droit aux créanciers de l'héritier sur les biens séparés, tant que les créanciers héréditaires ne sont pas désintéressés.
Art. 1192 bis. -379. Lors même que l'on contesterait à la séparation des patrimoines le caractère d'un véritable privilége, ce qui est difficile avec le Code français (v. art 2111), et impossible avec le Code italien (v. art. 2054 et s.) et avec le Projet japonais, il n'en faudrait pas moins soumettre à une certaine publicité l'exercice de ce droit.
Mais ici, il est impossible d'exiger que la publicité soit donnée au privilége au moment où il prend naissance, car ce moment est non pas celui de la naissance de la créance, mais celui de l'ouverture même de la succession, et il est rare que les créanciers du défunt connaissent immédiatement son décès. Pour les légataires, la créance et le privilége naissant en même temps, au décès, il est encore plus rare qu'ils connaissent leur droit dès qu'il est ouvert.
Il a donc fallu donner un délai pendant lequel la séparation pourrait être utilement inscrite, avec effet rétroactif au jour de l'ouverture de la succession: autrement, quelque diligence que les séparatistes eussent mise à faire connaître la réserve de leur droit, ils eussent toujours pu être primés par des créanciers de l'héritier plus diligents ou mieux informés qu'eux, ou même par des créanciers à hypothèque légale dispensée d'inscription, comme en France.
D'après le Code français, ce délai est de six mois, à partir de l'ouverture de la succession (art. 2111): il n'est que de trois mois d'après le Code italien (art. 2057). Le Projet adopte le délai de six mois, en considérant que les créanciers peuvent se trouver assez éloignés du domicile du défunt pour n'être informés que tardivement de son décès, et la distance leur rendra également plus difficile de se faire inscrire; ils pourraient notamment se trouver en pays étranger.
Ce cas sera le seul, dans le Projet, où un créancier inscrivant une hypothèque ou un acquéreur transcrivant une acquisition, ne sera pas assuré de conserver son droit à l'abri d'autres droits révélés postérieurement (e). Mais, en réalité, le danger n'est pas sans remède: ceux qui acquerront ainsi des droits de l'héritier, sur des biens qu'ils sauront provenir d'une succession, alors que l'ouverture n'en est pas encore très ancienne, sauront que leurs droits sont éventuels et sujets à éviction; ils auront donc à se faire donner des sûretés ou à ne pas se dessaisir des sommes qui seraient la contre-valeur à fournir par eux.
Art. 1193. — 380. Toutes les dispositions qui précèdent facilitent le classement des créanciers privilégiés respectivement.
Au premier rang, se trouvent les architectes, ingénieurs et entrepreneurs, sur la plus-value résultant de leurs travaux.
Au second rang, l'aliénateur ou le copartageant, sur les immeubles qui ont fait l'objet de l'aliénation ou du partage.
Rappelons que, lors même que les architectes ou entrepreneurs, auraient été payés autrement que par l'exercice du privilége, et, par conséquent, ne primeraient plus l'aliénateur ou le copartageant, ceux-ci ne pourraient cependant pas exercer leur privilége sur la plusvalue, parce que ce serait obtenir une préférence sur une valeur qu'ils n'ont pas mise dans le patrimoine du débiteur et qui a déjà été payé avec de l'argent tiré de la masse, au préjudice des créanciers ordinaires (V. art. 1182).
381. La loi prévoit qu'il y a eu des aliénations ou des partages successifs, et elle règle la priorité par l'ordre direct d'ancienneté des actes.
Supposons d'abord deux aliénations successives du même bien, par exemple deux ventes sans payement du prix, et les deux aliénations ayant été régulièrement transcrites, de manière à conserver les deux priviléges: il est clair que le second vendeur ne peut passer avant le premier; d'abord, il est lui-même le débiteur du premier: il ne peut le priver du prix dont il est débiteur; ensuite, il n'a pu vendre le bien que grevé du privilége du premier vendeur; enfin, tout ce que le premier vendeur touchera du second acheteur (ou de l'adjudicataire du bien revendu aux enchères) tournera à la décharge du premier acheteur, de sorte qu'il est censé le recevoir lui-même.
Supposons que l'acheteur meure et que l'immeuble soit alors l'objet d'un partage entre ses héritiers, en sorte qu'il se trouve grevé d'une soulte ou d'une prix de licitation: il est naturel que le vendeur originaire non payé prime le copartageant créancier de la soulte ou du prix de licitation, puisque ce copartageant est lui-même débiteur du prix de vente et, en outre, puisqu'il n'a pu acquérir son privilége que sur un bien déjà grevé d'un autre privilége.
Renversons l'hypothèse: le bien entré dans le patrimoine du copartageant grevé d'une soulte ou d'un prix de licitation a été vendu par lui; le privilége du copartageant sera préféré à celui du vendeur pour les mêmes raisons: le vendeur est le débiteur de la créance privilégiée née du partage et il n'a pu acquérir un privilége préférable à celui qui grevait déjà son bien.
La solution serait la même en cas de partages successifs d'un même bien.
382. A l'égard des - prêteurs de deniers, il n'y a aucune difficulté pour le rang: ils ont toujours celui qu'aurait le créancier dont ils ont la place.
383. Enfin, les créanciers et légataires du défunt qui demandent la séparation des patrimoines ne sont, en principe, primés par personne venant du chef de l'héritier, puisque, par le bénéfice de la séparation, les immeubles héréditaires sont considérés, à leur égard, comme n'étant pas entrés dans le patrimoine de l'héritier.
Mais la loi devait admettre une exception en faveur des architectes et entrepreneurs qui ont donné une pl llSvalue aux immeubles héréditaires depuis qu'ils appartenaient à l'héritier: il est évident que les séparatistes s'enrichiraient aux dépens des entrepreneurs, s'ils se faisaient payer avant ceux-ci sur la plus-value.
384. La loi ajoute que la séparation des patrimoines ne modifie pas les droits des créanciers et légataires, respectivement, c'est-à-dire les uns à l'égard des autres. En effet, elle n'est établie que contre les créanciers personnels de l'héritier.
Et d'abord, les légataires ne seront payés sur les biens du défunt qu'après les créanciers héréditaires, par application d'un principe général de la matière, qui a sa place ailleurs, à savoir que ' ' les libéralités ne sont payées qu'après la libération " (nemo liberalis nisi liberatus). '
Ensuite, s'il y a entre les créanciers du défunt quelque cause de préférence sur les immeubles, elles seront observées: par exemple, les frais funéraires, les frais de dernière maladie et les salaires des serviteurs seraient payés avant les créances ordinaires sur les immeubles séparés des biens de l'héritier; pour les autres, elles seraient payées par contribution ou proportionnellement.
Il s'élève toutefois une difficulté sur tous ces points, c'est lorsque parmi ceux qui ont droit à la séparation des patrimoines, les uns ont pris l'inscription requise et les autres l'ont négligée, de sorte que les créanciers de l'héritier ont recouvré, à l'égard de ceux-ci, le droit de se prévaloir de la confusion des biens. Il est difficile d'admettre que ceux qui ont été diligents aient, par cela seul, une préférence sur les biens du défunt contre ceux qui ont été négligents. En sens inverse, la négligence de ceux-ci ne doit pas nuire aux premiers. Il n'y a pas non plus entre eux cette sorte de confusion d'intérêts qui a fait admettre, par l'article 1189, que l'inscription du procès-verbal constatant la plus-value donnée à un immeuble par des travaux profite à tous les intéressés, par une sorte de gestion d'affaires mutuelle.
385. Plusieurs hypothèses sont à envisager. Supposons d'abord un immeuble du défunt valant 10,000 yens et deux créanciers de 5000 yens chacun, dont l'un s'est inscrit dans les six mois et l'autre non; dans ce cas, les 5000 yens pour lesquels il y a eu inscription seront attribués en entier au créancier diligent, car si l'autre l'eût été également, il aurait touché aussi les 5000 yens qui lui étaient dus; or, sa négligence ne doit pas nuire à celui qui a été diligent.
Mais si, l'immeuble étant toujours de 10,000 yens, les deux créances étaient chacune de 6000 yens, le créancier diligent ne devra pas toucher, exclusivement à l'autre, les 6000 yens qu'il a conservés par son inscription, car si l'autre créancier avait également inscrit sa créance de 6000 yens, il y aurait eu perte pour chacun d'un sixième: le créancier diligent ne doit pas profiter de la négligence de l'autre et il ne touchera que 5000 yens sur les 6000 qu'il a mis à l'abri des droits des créanciers de l'héritier: les 1000 yens resteront pour le créancier négligent.
Supposons enfin, avec les mêmes chiffres, que le séparatiste diligent soit un légataire de 6000 yens, tandis que le négligent est un créancier de pareille somme. Si tous deux avaient été diligents, le créancier aurait eu ses 6000 yens et le légataire n'en aurait pu toucher que 4000; dans le cas où la négligence vient du créancier, le légataire touchera, sur les 6000 yens qu'il a conservés, les 4000 qui devaient lui revenir à tout événement, et le créancier recevra les 2000 autres: il souffre encore de sa négligence.
Enfin le créancier a été seul diligent: il a assuré 6000 yens contre les créanciers de l'héritier, il les touchera seul et en entier: le légataire est victime de sa faute.
Toutes ces solutions sont implicitement contenues dans la formule très large de la fin de notre article. Si pourtant, il paraît nécessaire de les exprimer avee plus de précision, il sera toujours possible de le faire dans la matière des Successions, sans répétition surabondante.
Rappelons, en terminant, que le conflit de nos priviléges spéciaux avec les priviléges généraux, en tant qu'ils portent sur les immeubles, est réglé en faveur des priviléges spéciaux par l'article 1149, 4e alinéa.
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(e) La première rédaction présentait un autre cas où une transcription rétroagissait, c'était celui d'un legs (voy. art. 652 à 654). Le Projet était déjà plus favorable aux tiers, à cet égard, que les autres législations qui permettent au légataire d'opposer son legs aux tiers acquéreurs et aux créanciers hypothécaires de l'héritier, sans l'avoir transcrit à aucune époque. Mais, après mure réflexion, nous avons proposé et fait admettre que cette exception n'eût pas lieu. Nous avons donné au Tome III, les motifs impérieux de cette innovation et la rédaction nouvelle des articles 651 à 654.
Art. 1194. — 386. Les formalités relatives à l'inscription et aux théories complémentaires visées par cet article étant communes aux Priviléges et aux Hypothèques, on pourrait les exposer dans ce Chapitre, puisqu'elles s'y présentent d'abord; mais il faut reconnaître que les Hypothèques joueront dans la loi nouvelle, comme dans les autres législations, un rôle bien plus considérable que les Priviléges; dès lors, c'est dans le Chapitre des Hypothèques que les créanciers chercheront leurs droits et leurs obligations relatives tant à l'inscription et à son renouvellement qu'à la réduction et à la radiation; c'est donc là que l'on devra les trouver.
SOMMAIRE.
Art. 1195. — N° 387. Nouvelle utilité et condition de la publicité des priviléges.
1196. —388. Les priviléges généraux doivent être inscrits pour l'exercice du droit de suite.
1197. -389. Pourquoi et comment le privilége de l'aliénateur et du copartageant est moins favorisé vis-à-vis d'un sous-acquéreur que vis-à-vis des autres créanciers.
1198. —390. Conditions de l'exercice du droit de suite par les entrepreneurs de travaux.
1199. —391. Conservation du droit au prix après la perte du droit de suite.
1200. 392. Renvoi aux Hypothèques pour le mode d'exer- cice du droit de suite et ses conséquences.
COMMENTAIRE.
Art. 1195. — N° 387. On a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'annoncer que les priviléges sur les immeubles, en même temps qu'ils préservent le créancier privilégié du concours avec la masse des autres créanciers, le mettent à l'abri des conséquences ordinaires de l'aliénation de l'immeuble par le débiteur.
Le droit pour le créancier privilégié de faire considérer l'aliénation comme non-avenue, en ce qui le concerne, se nomme " droit de suite " et il s'exerce, comme le dit notre article, par voie de saisie et de revente aux enchères; après quoi, le prix est distribué aux créanciers, suivant l'ordre de préférence déterminé précédemment.
Le tiers détenteur peut se préserver de cette expropriation, en satisfaisant les créanciers privilégiés; divers moyens lui sont ouverts à cet effet, et comme ils sont les mêmes que vis-à-vis des créanciers hypothécaires, c'est au Chapitre suivant qu'ils seront exposés, pour la même raison que celle donnée plus haut au sujet de l'inscription (v. art. 1200 et 1313).
L'exercice du droit de suite est, comme celui du droit de préférence, soumis à la condition d'une publication préalable par l'un des moyens indiqués au § précédent: il y a, en effet, autant et plus encore de raisons d'avertir les acquéreurs que le bien est grevé d'un droit réel qui leur sera opposable et qui peut entraîner leur éviction.
La disposition de notre article est générale: elle s'applique à tous les priviléges. Elle pourrait se décomposer en deux règles:
1° Tout privilége inscrit ou autrement publié, pour l'exercice du droit de préférence, l'est en même temps, et par cela même, pour le droit de suite; cette première règle ne comporte pas d'exception: elle s'appliquera notamment au privilége de la séparation des patrimoines, solution qui fait doute en France, pour ceux qui n'admettent pas que ce droit soit un véritable privilége;
2° Les priviléges dispensés de publicité au point de vue du droit de préférence ou à l'égard desquels le défaut de publicité n'entraîne pas une déchéance absolue, peuvent être soumis plus rigoureusement à la publicité pour l'exercice du droit de suite.
C'est cette seconde règle qui est reprise par les trois articles suivants.
Art. 1196. — 388. On aurait pu croire que les priviléges généraux qui ne s'étendent aux immeubles que subsidiairement, à défaut de meubles suffisants, et qui sont dispensés d'inscription pour l'exercice du droit de préférence (v. art. 1150), en devaient être également dispensés pour l'exercice du droit de suite. Mais ce serait une faveur exagérée: la loi doit donner le plus de sécurité possible aux tiers acquéreurs; il serait très dangereux pour eux de payer leur prix à leur vendeur, en l'absence de publication des priviléges généraux et d'être ensuite forcés de payer les dettes mentionnées à l'article 1142, dont l'importance pourrait encore être considérable; ils auraient, il est vrai, un recours en garantie contre le vendeur, mais, en pareil cas, celui-ci serait presque toujours insolvable.
Il est beaucoup plus simple, plus naturel et plus juste que les créanciers ayant un privilége général, s'ils estiment que les meubles ne suffiront pas à les payer et s'ils peuvent craindre une prompte aliénation par leur débiteur, prennent une inscription sur un ou plusieurs de ses immeubles.
Comme, le plus souvent, l'exercice des priviléges généraux a lieu par suite du décès du débiteur, les créanciers qui nous occupent pourraient demander la séparation des patrimoines: cela leur permettrait de prendre utilement une inscription dans les six mois du décès avec effet rétroactif (v. art. 1192 bis).
Art. 1197. — 389. Voici encore un cas où le tiers détenteur est mieux traité par la loi que les créanciers privilégiés.
On a vu à l'article 1186 que s'il n'y a pas eu transcription d'une aliénation ou d'un partage d'où résulte un privilége, celui-ci n'est pas perdu, et même n'est pas encore né, parce que la propriété est considérée comme appartenant encore, au regard des tiers, à l'aliénateur ou au copartageant.
La même décision aurait pu, à la rigueur, être adoptée pour le conflit entre le privilége de l'aliénateur ou du copartageant et le droit d'un sous-acquéreur: il eût été tout aussi logique de permettre à l'aliénateur originaire d'opposer au sous-acquéreur le dilemme dont on l'a vu armé pour la défense de son droit contre les créanciers de son acquéreur (v. n° 367); il pourrait bien leur reprocher leur incurie, d'avoir acquis l'immeuble d'une personne dont les droits n'étaient pas régulièrement établis par une transcription.
Mais le Projet tient compte aussi de l'utilité générale qui veut que les biens puissent circuler aisément et que les acquéreurs soient, autant que possible, à l'abri de l'éviction.
Le sous-acquéreur qui voudra se mettre à l'abri du droit de suite indéfini du vendeur originaire pourra d'abord faire transcrire le titre de son auteur: il publiera par là le privilége du vendeur et il se soumettra au droit de suite, mais avec la faculté de purger le privilége comme les hypothèques.
S'il a soin de ne pas payer son prix à son cédant, il ne courra d'autre risque que celui d'avoir fait une acquisition laborieuse et qui pourra être résolue.
Mais s'il a eu l'imprudence de transcrire son acquisition avant celle de son auteur, le Projet lui donne encore la faculté de mettre le vendeur originaire en demeure de faire connaître son droit par la transcription du titre d'où il procède.
La mise en demeure se fait par une sommation, à personne ou à domicile, et elle fait courir un délai d'un mois pour faire procéder à ladite transcription.
Comme il peut y avoir une assez grande distance entre le lieu où la sommation sera remise et le bureau de transcription de la situation de l'immeuble, le mois est augmenté du délai ordinaire des distances, tel qu'il est réglé au Code de Procédure civile. Si la loi s'en explique ici, c'est parce que, dans la plupart des autres cas où il sera fait mention de mise en demeure aux créanciers, ces créanciers seront supposés inscrits, avec élection de domicile dans la circonscription du bureau des transcriptions et inscriptions, et que, des lors, il n'y aura pas lieu à augmentation du délai à raison des distances. L'article suivant est précisément un exemple de cette différence.
Par une exception fondée encore sur la faveur que mérite le tiers acquéreur, la loi le dispense d'une pareille sommation " lorsque son cédant était en possession civile de l'immeuble depuis plus de dix ans." Cette possession que la loi a soin de qualifier de " civile," qui est, par conséquent, à titre de propriétaire et qui est fondée sur une juste cause, donne lieu de croire au tiers détenteur, par sa durée, que l'acquéreur originaire était libéré de toutes les obligations portées dans son titre.
Art. 1198. — 390. Lorsque les entrepreneurs et autres créanciers à raison de travaux ont publié le premier procès-verbal, dans les conditions prévues à l'article 1189, avant la transcription de l'aliénation de l'immeuble, leur privilége se trouve annoncé d'avance, tant vis-à-vis des tiers acquéreurs que vis-à-vis des créanciers qui contractent postérieurement.
Si le délai de la rédaction ou celui de l'inscription du second procès-verbal est en cours, au moment de la transcription de l'aliénation du fonds (ce qui suppose que les travaux sont achevés ou ont cessé), le tiers détenteur peut réduire à un mois ce qui reste à courir du délai légal, au moyen d'une sommation à laquelle on appliquera ce qui est dit à l'article précédent du mode de signifier à personne ou domicile, mais non ce qui concerne l'augmentation du délai des distances, précisément par le motif inverse de celui qui l'a fait admettre plus haut, à savoir que l'entrepreneur qui a déjà inscrit le premier procès-verbal a dû élire domicile dans l'arrondissement du bureau.
Art. 1199. — 391. La disposition du présent article est doublement intéressante: d'abord, en ce qu'elle sauvegarde le droit du créancier négligent, dans la mesure où cela peut se faire sans nuire au tiers détenteur; et, en effet, il importe peu à celui-ci que son prix d'acquisition aille à l'un ou à l'autre des créanciers de son cédant; ensuite, en ce que la loi ne qualifie pas le droit du créancier du nom à.'hypothèque, comme lorsqu'il remplace un privilége dégénéré; en effet, ce n'est pas une hypothèque qu'un droit à une somme d'argent, à recevoir par préférence dans une liquidation: l'immeuble n'est pas affecté de ce droit qui, dès lors, n'est pas réel.
Sur ce prix, le créancier privilégié comme aliénateur ou copartageant primera les créanciers hypothécaires, même inscrits, de son cessionnaire et, à plus forte raison, les créanciers chirographaires de celui-ci, puisque, la cession ou le partage n'ayant pas été transcrits, il était réputé, vis-à-vis de ces créanciers, resté propriétaire (v. art. 1186).
A cet égard, sa situation est meilleure que si la transcription avait été incomplète, c'est-à-dire n'avait pas porté que le prix de vente ou une soulte lui était encore dus, cas auquel les créanciers de l'acquéreur, ayant connu la cession sans ses charges, auraient été fondés à croire que le bien était entré libre dans le patrimoine de l'acquéreur (v. art. 1187).
Art. 1200. — 392. Le but de cet article est comme celui de l'article 1194, de faire savoir que, pour les théories communes aux Priviléges et aux Hypothèques, la loi préfère les exposer sous ces dernières, comme étant d'une application beaucoup plus fréquente que les Privilèges.
SOMMAIRE.
Art. 1201. — N° 393. Définition de l'hypothèque. —394 à 397. L'hypothèque est un droit réel et immobilier et un démembrement de la propriété.
1202. -398. Indivisibilité de l'hypothèque.
1203 et 1204. -399. Hypothèque de la nue propriété, de l'usufruit, du bail, de l'emphytéose et de la superficie. -400. Justification d'une répétition à ce sujet. -401. Limites pour le propriétaire au droit d'hypothéquer, quand la propriété n'est pas encore démembrée. -402. Hypothèque d'une part divise ou indivise. -403. Défense au sujet des servitudes actives et des immeubles par destination. -404. Hypothèque de la surface séparée de la mine et des minières Secùs pour les carrières. -405. Défense directe d'hypothéquer l'usage et l'habitation et autres choses inaliénables. -406. Idem de trois créances immobilières mentionnées à l'article 11: motifs particuliers de la prohibition. -407. Réserves pour l'hypothèque des rentes immobilisées. —408. Prohibition de l'hypothèque des meubles, sauf pour les navires: renvoi. -409. Comparaison, au sujet de la règle et de l'exception, entre le Code français et le Projet japonais.
1205. -410. Application du présent Code, comme droit commun, aux hypothèques du Code de Commerce.
1206. -411. Améliorations fortuites du fonds hypothéqué.-412. Idem par le fait du débiteur. -413. Acquisitions et bâtiments contigus.
1207. -414. Détériorations et diminutions par cas fortuit, par force majeure ou par le fait d'un tiers: détriment du créancier. - 415. Idem par le fait du débiteur: supplément d'hypothèque. -416. Observation sur l'article 2131 du Code français.
1208. -417. Les actes d'administration restent permis au débiteur.
COMMENTAIRE.
Art. 1201. — N° 393. Le mot français " hypothèque" vient, en passant par le latin, d'un mot grec qui signifie u soutien, support," pour exprimer la sûreté ou la garantie d'une créance. A cet égard, le sens ne serait pas assez précis, puisqu'il y a bien d'autres sûretés; le mot bypothèque n'explique même pas que la sûreté soit réelle et, le fît-il, il ne la séparerait pas encore de celles qui précèdent, lesquelles aussi sont réelles.
La définition donnée ici de l'hypothèque a pour but de remédier à cette difficulté.
On y indique: 1° que l'hypothèque est un droit réel, ce qui la sépare des trois sûretés personnelles; 2° qu'elle porte seulement sur les immeubles, ce qui la sépare des priviléges qui peuvent aussi porter sur les meubles; 3° qu'elle résulte de la volonté de l'homme, aussi bien que de l'autorité de la loi, ce qui la sépare encore des priviléges, lesquels, sauf le cas de nantissement, ne viennent que de la loi; 4° qu'il n'y a pas besoin de nantissement, ce qui la sépare du nantissement immobilier qui vient aussi de la volonté de l'homme; enfin, 5° qu'elle donne au créancier qui en est investi un droit de préférence sur les autres créanciers; mais la définition ne peut dire quel est le degré de cette préférence.
394. On discute souvent, en France, si l'hypothèque est ou non un démembrement de la propriété et même si elle est un droit mobilier ou immobilier.
Si ce n'étaient les égards dûs aux autorités considérables qui nient qu'elle soit un démembrement de la propriété et qui lui reconnaissent un caractère mobilier, nous dirions que nous ne concevons même pas l'hésitation dans le sens du caractère immobilier et, par conséquent, du démembrement de propriété.
D'abord il n'est pas douteux que l'hypothèque soit un droit réel, non seulement dans le Projet (art. 2), mais dans le Code français (art. 2114); or, un droit réel sur un immeuble peut-il n'être pas un droit immobilier ?
Les droits d'usufruit, de bail, de servitude, portant sur un immeuble, ne sont-ils pas immobiliers ?
395. On objecte que l'hypothèque est un droit accessoire garantissant un droit personnel qui est le plus souvent mobilier par son objet, comme une créance de somme d'argent, que, dès lors, l'accessoire ne peut avoir une autre nature que le principal et que l'hypothèque ne serait un droit immobilier que si elle garantissait une créance immobilière, ce qui sera rare. Mais nous contestons que le droit accessoire ait besoin d'être de la même nature que le droit principal pour avoir le même sort; nous en avons la preuve dans le droit de nantissement immobilier qu'il est impossible de ne pas considérer comme immobilier par sa nature autant que par l'objet sur lequel il porte et qui pourtant, lorsqu'il garantit une créance mobilière, se transmet et s'éteint avec elle. C'est encore par suite de son caractère accessoire que l'hypothèque, comme le nantissement immobilier, serait, quoiqu'immobilière, cessible par celui qui aurait la capacité de céder la créance à laquelle elle est attachée; de même, le légataire de tous les meubles, ayant droit à la créance mobilière, aurait également droit à l'hypothèque ou nantissement immobilier, quoiqu'il pût y avoir en même temps un légataire des immeubles.
396. On a fait une autre objection au caractère immobilier de l'hypothèque: on a dit qu'elle ne donne au créancier que le droit d'obtenir un prix en argent de la vente de l'immeuble, que le droit est mobilier, puisqu'il tend à obtenir une chose mobilière (mobile est quod tendit ad mobile); mais l'usufruit aussi, le bail aussi, le nantissement immobilier aussi, ne procurent à l'ayant-droit que des choses mobilières, des fruits, et cependant on ne nie pas que ce soient des droits immobiliers, car ces fruits sont obtenus par une action sur la chose, laquelle peut s'exercer même contre les tiers détenteurs; or, le créancier hypothécaire, qui a de même le droit de suivre l'immeuble contre les tiers détenteurs, a bien aussi un droit immobilier.
397. Enfin, il y a des auteurs qui, sans nier que l'hypothèque soit un droit réel immobilier, lui contestent le caractère de démembrement de la propriété.
Mais qu'est-ce au juste qu'un démembrement de la propriété ? Si l'on en avait une définition légale, il serait sans doute facile de vérifier si l'hypothèque rentre dans cette définition; mais c'est là une expression plutôt doctrinale que légale et dès lors on peut varier sur la portée à lui donner.
Selon nous, la propriété est démembrée quand tous les droits qui la constituent ou qui en découlent ne sont "pas réunis sur la même tête. Or, quels sont les droits dont l'ensemble constitue la propriété ?
Le Projet japonais (art. 31), comme le Code français (art. 544), définit la propriété " le droit d'user, de jouir et de disposer d'une chose de la manière la plus absolue (la plus étendue)." Or, on a dit que le débiteur qui a hypothéqué son fonds n'a perdu ni le droit d'user, ni celui de jouir, ni celui de disposer. Mais si celui dont le bien est hypothéqué n'a pas conservé ces trois droits dans leur entier, avec leur caractère absolu, et c'est ce qu'il est facile de démontrer, la propriété est démembrée à son préjudice.
Il est vrai qu'à la différence de celui qui a donné son fonds en nantissement, celui qui l'a hypothéqué en conserve la possession et la jouissance. Mais a-t-il gardé un droit absolu d'user et de jouir ? Peut-il faire des actes qui, pour un usufruitier, seraient considérés comme abus de jouissance? Tout le monde répondra qu'il ne le peut. Peut-on dire aussi qu'il ait gardé le droit absolu de disposer, quand on reconnaît qu'il ne peut supprimer des constructions ou des plantations importantes et quand ses aliénations exposent son acquéreur au droit de suite, c'est-à-dire à la vente pour l'acquittement de ses dettes (v. c. fr., art. 2182, 2e al.) ?
La conclusion, pour nous, est donc que le droit d'hypothèque est toujours immobilier, même quand il est l'accessoire d'une créance mobilière, et qu'il constitue un démembrement de la propriété.
Nous en dirons autant, et par les mêmes raisons, des priviléges sur les immeubles.
Art. 1202. — 398. Il n'y a pas à reprendre les effets de cette indivisibilité active et passive qui est commune à toutes les sûretés réelles (v. art. 1097, 1110, 1128 et 1137).
Rappelons seulement ce qui a déjà été dit, au sujet des autres sûretés, que cette indivisibilité est de la nature du droit d'hypothèque, en ce sens qu'elle n'a pas besoin d'être stipulée; mais elle n'est pas de son essence, en ce qu'elle peut être exclue par convention, et le texte l'exprime.
Ce n'est peut-être pas en ce sens que le Code français a dit que "l'hypothèque est, de sa nature, indivisible " (art. 211-1, 2e al.); nous inclinons à croire qu'il a voulu dire qu'elle est, comme les servitudes, indivisible par la nature des choses, ce qui ne serait pas exact. Quoiqu'il en soit du sens que le Code français a attaché à cette expression, on peut dire que l'indivisibilité de l'hypothèque résulte de l'intention des parties: la loi présume cette intention, mais seulement jusqu'à preuve contraire; c'est ainsi que l'on doit entendre l'article 20, Se alinéa, du Projet, lorsqu'il énonce l'hypothèque parmi les choses " indivisibles par la disposition de la loi."
Art. 1203 et 1204. -399. Il s'agit ici des choses susceptibles d'être hypothéquées et de celles qui ne le sont pas.
La règle est que tous les droits réels immobiliers sont susceptibles d'hypothèque et que, par exception, quelques-uns ne le sont pas. Cependant, les droits réels étant peu nombreux, la loi énonce aussi bien ceux qui peuvent être hypothéqués que ceux qui ne peuvent pas l'être. Le Code français a procédé autrement: il n'énonce qu'une classe de biens, ceux qui " sont seuls susceptibles d'hypothèque " (art. 2118), comme si la possibilité d'être hypothéqués était une condition exceptionnelle pour les biens; mais il y compte, en première ligne, " les biens immobiliers qui sont dans le commerce," et ainsi la forme restrictive est bien élargie.
Dans le Projet, on indique d'abord, les biens qui peuvent être hypothéqués: en premier lieu, la propriété, soit pleine, soit démembrée de l'usufruit; puis, naturellement, l'usufruit, avec une exception au sujet de l'usufruit légal des père et mère, lequel est exclusivement attaché à leur personne et ne pourrait être vendu aux enchères, à défaut de payement; viennent ensuite le droit de bail sur un immeuble, puisqu'il est un droit réel dans le Projet, enfin l'emphytéose qui est un bail à long terme, et la superficie qui est un droit de propriété tout spécial.
400. On pourrait objecter que le droit d'hypothé. quer a déjà été reconnu précédemment à l'usufruitier (art. 71), au preneur à bail (art. 143) et, implicitement, à l'emphytéote, par l'effet d'un renvoi général aux règles du bail ordinaire (art. 168); mais, comme on l'a répondu, au sujet d'objections semblables, il est bon que certaines théories soient complètes par elles-mêmes, surtout celles qui, comme l'usufruit, sont plus ou moins nouvelles au Japon: il est utile que ceux qui étudieront dans la loi seule les droits de l'usufruitier y voient qu'il peut hypothéquer son droit, ce qu'ils n'apercevraient pas aussi facilement s'il n'en était question qu'au sujet des hypothèques; de même pour le preneur à bail: c'est une innovation que le caractère réel reconnu au droit de bail; on aurait pu douter que ce droit pût être hypothéqué; il ne fallait pas attendre pour le voir qu'on fût arrivé où nous en sommes.
Si l'on n'a pas trouvé, au sujet du super ficiaire, la mention de la faculté d'hypothéquer son droit, c'est que la superficie est un véritable droit de propriété sur des bâtiments ou plantations et que le doute n'a pas paru possible. Mais notre article s'en explique formellement et, à cette occasion, il énonce une prohibition qui se rattache à ce droit ainsi qu'à celui d'usufruit.
401. On aurait pu croire que le plein propriétaire qui peut démembrer sa propriété, en constituant un usufruit ou un droit de superficie, pourrait aussi hypothéquer l'usufruit sans la nue propriété, ou les constructions sans le sol ou, réciproquement, hypothéquer la nue propriété sans l'usufruit ou le sol sans la superficie.
Assurément, ces combinaisons ne trouveraient pas d'obstacle dans la nature même des choses: le créancier hypothécaire aurait donné à son droit, tel qu'il eût pu être, la publicité requise en matière d'hypothèque, et, à défaut de payement, il aurait saisi et fait vendre la fraction de droit ou plutôt le droit limité qui lui aurait appartenu. Mais la loi ne doit pas favoriser de tels fractionnements de la propriété, parce qu'ils préparent des occasions de conflits entre les divers ayant-droit.
Le texte explique donc que l'hypothèque ne peut être constituée sur l'usufruit sans la nue propriété ou sur la nue propriété sans l'usufruit, sur la superficie sans le sol ou sur le sol sans la superficie, que lorsque ces démembrements de la propriété ont été établis antérieurement (1).
402. Il n'y a pas le même obstacle à l'hypothèque d'une partie divise de la propriété, c'est-à-dire d'une portion déterminée par des limites matérielles qui en feraient en quelque sorte une propriété distincte, ni d'une portion indivise, comme une moitié, un tiers, un quart. Dans le premier cas, à défaut de payement, la portion hypothéquée sera vendue aux enchères et elle sera désormais un immeuble distinct de celui dont elle aura été détachée; dans le second cas, l'acheteur aux enchères deviendra copropriétaire du débiteur qui aura constitué l'hypothèque sur une part indivise en conservant le reste.
403. Le 49 alinéa donne au sujet des servitudes une solution analogue à celles du second alinéa et par un motif encore plus frappant: les servitudes actives ne peuvent se concevoir, même par la pensée, séparées du fonds dominant: elles en sont, en quelque sorte, des qualités, comme disaient les jurisconsultes romains; d'ailleurs, elles ne pourraient trouver acquéreur, lors de la vente qui en serait faite aux enchères, à défaut de payement.
Le motif n'est pas le même pour la prohibition d'hypothéquer les immeubles par destination: c'est qu'ils ne sont immeubles que par leur attache à un fonds et tant que dure cette attache; lors donc que la vente aux enchères s'en ferait, ce ne serait plus que comme de meubles ordinaires. Ils peuvent d'ailleurs être donnés en gage.
404. Les mines et minières concédées par le Gouvernement sont soumises à une législation spéciale qui ne permet pas de les hypothéquer, parce que la concession est personnelle. Lorsque même que le sol et la mine appartiennent au même propriétaire, celui-ci ne peut hypothéquer que la surface et non la mine.
Le propriétaire du sol ne pourrait non plus hypothéquer une marnière, une tourbière ou une carrière séparément du sol, parce qu'au cas de saisie hypothécaire et de vente, il serait difficile de déterminer sans arbitraire l'étendue et la durée du droit de l'adjudicataire. Mais s'il les avait données à bail, le preneur pourrait les hypothéquer comme tout autre droit de bail, et l'adjudicataire exercerait le droit avec l'étendue et la durée que lui donnait le contrat primitif.
405. L'article 1204 énonce d'autres prohibitions plus directes d'hypothéquer.
La première concerne deux droits auxquels on songe naturellement après celui d'usufruit, à savoir, les droits d'usage et d'habitation. Comme ces droits sont inaliénables ou incessibles par celui au profit duquel ils ont été constitués (v. art. 119), il est clair que l'hypothèque en est par cela même impossible, car elle tendrait à une vente aux enchères et cette vente est défendue.
La loi ajoute à cette prohibition spéciale une défense générale d'hypothéquer les biens inaliénables ou insaisissables.
406. En second lieu, la loi défend d'hypothéquer les créances immobilières mentionnées à l'article 11, nos 2 et 3, lesquelles sont au nombre de trois.
1er Cas. Une créance a pour objet l'acquisition d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble à acquérir est non pas un corps certain, mais une quantité: par exemple, tant de tsoubos de terrain à choisir dans une plus grande quantité. Il est clair que, dans ce cas, la propriété n'a pu être transférée par le seul consentement, que le stipulant n'a pu acquérir qu'une créance et que la propriété ne lui sera acquise que par la tradition ou par une détermination faite d'un commun accord ou par la voie convenue (art. 352 et 633); mais la créance est immobilière, puisqu'elle tend à l'acquisition d'un immeuble.
Est-ce une raison pour qu'elle soit susceptible d'hypothèque ?
On ne l'admet pas dans le Projet: il n'est pas assez sûr que la créance se réalisera effectivement en acquisition du terrain promis: il pourra arriver que le promettant n'ait pas la quantité promise de terrain et soit finalement condamné à des dommages-intérêts que peut-être même il ne pourra payer. Ce serait donc manquer le but de l'hypothèque que de laisser les parties s'engager dans une voie qui ne peut y conduire avec certitude. En outre, il y aurait des difficultés sérieuses pour donner à cette hypothèque la publicité nécessaire.
2e Cas. La seconde créance immobilière qui ne peut être hypothéquée est celle qui aurait pour but de recouvrer un immeuble. Le cas est rare et ne doit pas être confondu avec d'autres qui en sont voisins.
Lorsque quelqu'un a une action en résolution, en rescision ou en révocation d'une aliénation d'immeuble, on est porté à dire qu'il a " une action tendant à recouvrer un immeuble mais, en réalité, on peut dire que cette personne a déjà le droit même sur l'immeuble, sous la condition de faire les justifications nécessaires'; elle a même plutôt conservé son droit antérieur sur l'immeuble, puisque les conditions d'une aliénation valable n'ont pas été remplies.
En pareil cas, l'aliénateur pourrait certainement hypothéquer l'immeuble objet du droit d'action dont il s'agit, en présentant son droit tel qu'il se comporte, c'est-à-dire comme conditionnel et subordonné au succès de son action judiciaire. En effet, on a établi en son lieu (T. II, nos 361 et 365, in fine) que celui qui a aliéné un bien sous condition résolutoire, expresse ou tacite, a retenu la propriété sous condition suspensive, et l'article 430 nous a dit que les deux intéressés peuvent disposer de leur droit sous la même condition que celle dont il est affecté, ce qui comprend le droit d'hypothéquer, si d'ailleurs l'hypothèque ne rencontre pas quelque autre obstacle.
Ce que nous disons du droit de résolution s'applique également et par les mêmes motifs au droit de faire rescinder ou révoquer une aliénation: l'hypothèque conditionnelle est permise à l'égard du droit qui peut être recouvré par l'effet de l'action, parce que l'action est elle-même réelle en même temps qu'immobilière.
Mais la prohibition de notre article s'appliquera à l'action en rescision d'une aliénation faite sous l'influence du dol: dans ce cas particulier, l'action est purement personnelle, le Projet s'en explique formellement (v. art. 333, 3e et 4e al.): l'aliénateur n'a pas conservé la propriété sous condition suspensive; il peut seulement la recouvrer, à titre de réparation du dol, si elle n'est pas passée dans les mains d'un tiers. On conçoit donc que la loi ne permette pas d'hypothéquer un pareil droit personnel qui ne mène pas nécessairement à la propriété immobilière.
On peut rapprocher de ce cas celui de la promesse de vendre, soit unilatérale, soit réciproque, dont traitent les articles 663 à 665; on y trouvera les mêmes situations: ou la promesse aura conféré un droit réel conditionnel, ce qui sera le plus fréquent, alors l'hypothèque sera possible, comme s'appliquant au droit réel, ou elle n'aura donné qu'une créance, un droit personnel, alors l'incertitude de l'exécution en nature formera obstacle à l'hypothèque.
3e Cas. La troisième créance immobilière que la loi défend d'hypothéquer est celle qui aurait pour objet d'obtenir " la construction d'un bâtiment, avec les matériaux du constructeur son objet est bien immobilier, car, après l'exécution, il y aura un nouveau bâtiment dans le patrimoine du créancier, et ce n'est pas sans raison que la loi suppose que les matériaux doivent appartenir au constructeur: autrement, et s'ils devaient appartenir au stipulant, celui-ci n'aurait droit qu'au fait même de la construction, il n'acquerrait pas un nouveau bien, mais seulement la modification de ses matériaux.
Quant à la raison pour laquelle cette créance ne peut être hypothéquée, c'est, d'abord, comme pour les deux précédentes et, avec plus de force encore, l'incertitu.de, le peu de probabilité de l'exécution réelle qui mettra un nouvel immeuble dans le patrimoine du stipulant: il y a trop à craindre que l'obligation ne se résolve en dommages-intérêts; c'est ensuite que la construction, si elle était vraiment exécutée, ne constituerait pas toujours un droit de superficie susceptible d'hypothèque: il faudrait pour cela que le stipulant ne fût pas propriétaire du sol sur lequel le bâtiment sera élevé; car on a vu à l'article précédent que si le stipulant a, tout à la fois, le sol et le bâtiment, il ne peut hypothéquer l'un séparément de l'autre.
407. Pour la quatrième créance immobilière, celle désignée au n° 4 de l'article 1 l, nous n'avons ici ni une prohibition ni une autorisation de l'hypothèque. D'abord, ce ne sera que très exceptionnellement que la loi permettra d'immobiliser des rentes sur l'Etat ou autres créances ayant pour débiteur principal ou subsidiaire l'Etat ou quelque puissante compagnie, comme la Banque du Japon (Nippon Ginko). Ensuite, quand cela aura lieu, ce ne sera pas une raison pour que l'hypothèque de tels immeubles soit permise: le plus souvent, ces créances seront en même temps déclarées inaliénables et insaisissables, ce qui suffira à en empêcher l'hypothèque (a). Mais si l'hypothèque en est un jour permise par une loi spéciale, cette loi devra aussi pourvoir aux moyens de la rendre publique: ce ne pourra évidemment être le mode ordinaire, puisque les rentes et autres créances analogues n'ont pas de situation locale comme les immeubles corporels; évidemment, la publicité devra consister dans une déclaration faite sur les registres du rrrésor public ou de la compagnie débitrice, avec mention, sur le titre, du nom du créancier hypothécaire, du droit qui lui est conféré et du montant de sa créance ainsi garantie.
408. La définition même de l'hypothèque qualifiée "droit réel sur les immeubles " suffirait à en exclure les meubles; mais, par cela même qu'une exception est possible à la défense de les hypothéquer, il faut bien commencer par poser en règle la prohibition.
L'exception réservée concerne les navires et bateaux qui, bien que meubles essentiellement, peuvent avoir une valeur considérable et être un moyen de crédit pour leurs propriétaires.
Assurément, comme meubles, ils peuvent déjà être donnés en gage; mais alors le débiteur doit se dessaisir de la possession en faveur du créancier, ce qui l'empêche d'en tirer profit.
En France déjà, et dans quelques autres pays, on a imaginé de permettre l'hypothèque des navires, sans nantissement du créancier; la publicité est donnée à cette hypothèque par une voie spéciale consistant dans l'incription sur un registre tenu au port d'attache du navire; la purge en est soumise aussi à des formalités particulières (v. Loi fr. du 10 déc. 1874).
Le besoin d'admettre au Japon une pareille hypothèque s'est déjà fait sentir: elle est autorisée, au moins implicitement, par une loi spéciale de la xixe année de Meiji qui en règle la publicité -, mais c'est une matière dans laquelle l'expérience des faits pourra suggérer quelques additions à la loi.
409. Les deux dispositions qui précèdent, la règle et l'exception, paraissent empruntées au Code français (v. art. 2119 et 2120); cependant, il n'y a pas similitude entière entre les deux lois. Dans le Code français, il est dit que " les meubles n'ont pas de suite par hypothèque," ce qui semblerait signifier que les meubles peuvent bien être hypothéqués quant au droit de préférence entre créanciers, mais non quant au droit de suite contre les tiers détenteurs; toutefois, il résulte clairement de l'historique de cette disposition dont la formule a été empruntée à l'ancienne coutume de Paris, laquelle l'avait elle-même empruntée à la jurisprudence du Châtelet de Paris, que l'on a, de tout temps, entendu exprimer par là que les meubles ne pouvaient pas être hypothéqués, avec l'un ou l'autre effet: ils pouvaient bien être l'objet de certains priviléges, mais seulement " tant qu'ils étaient >Qans la possession du débiteur; " tout au plus, auraient-ils pu être recouvrés contre les tiers, quand ils étaient sortis par fraude des mains du débiteur; mais alors ce n'était ni par l'effet du privilége, ni par celui d'une hypothèque, mais par l'effet ordinaire de l'action révocatoire ou paulienne (comp. c. civ. fr., art. 1167 et Projet jap., art. 360).
Le Code français réserve aussi " les dispositions des lois maritimes au sujet des navires et bâtiments de mer il ne fait pas allusion à l'hypothèque des navires, laquelle est d'institution récente: il se réfère aux divers priviléges portant sur les navires (v. c. com., art. 190 à 196). L'article 2120 aurait donc du être placé au Chapitre des Priviléges spéciaux sur les meubles.
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(1) Le Code officiel n'énonce pas cette double prohibition: on a voulu qu'un propriétaire pût hypothéquer ses bâtiments sans le sol et sans doute aussi le sol sans les bâtiments. Il en résultera une difficulté sérieuse quant à la fixation de la redevance qui lui sera due ou qui sera due par lui, lorsque, par l'effet de la saisie hypothécaire et de la vente des bâtiments ou du sol, les deux sortes de propriétés se trouveront dans des mains différentes; c'était là une de nos raisons de proposer la prohibition. On devra donc, lors de la mise en vente aux enchères, porter au cahier des charges le chiffre de la redevance à payer ou à recevoir.
Mais, au cas où le propriétaire aura hypothéqué le sol sans les bâtiments, à quel moment ne sera-t-il plus que superficiaire ? Quand cessera-t-il de pouvoir réconforter ses bâtiments (ce que ne peut faire un superficiaire) ? Sans doute, ce ne sera que lors de la saisie et si elle a lieu. C'est une situation bien équivoque que peut-être on aurait dû éviter.
(a) Depuis la première rédaction de l'article 11, les prévisions que nous avions indiquées au sujet de l'utilité de cette disposition se sont réalisées: à la création des nouveaux titres de noblesse au Japon on a attaché des dotations en rentes sur l'Etat qui constituent de véritables majorats, c'est-à-dire des biens ne se transmettant héréditairement qu'à l'aîné (major) des enfants mâles du noble. Ces rentes sont déclarées inaliénables et insaisissables, pour que la transmission à l'aîné en soit assurée; elles ne sont pas d'ailleurs, à proprement parler, immobilisées.
Ce n'est pas ici le moment d'apprécier l'institution des majorats et de signaler ses inconvénients dans l'ordre moral et économique. On peut d'ailleurs voir ce que nous en avons dit, pour la France, dans notre Histoire de la Réserve héréditaire et de son influence morale et économique, Paris 1872; traduction abrégée par M. Dubousquet, revue par M. le sénateur Akizouki (Totio, XIIIe année de Meiji, 1880).
Art. 1205. — 410. La disposition du présent article est analogue à la dernière de l'article précédent: elle établit que les règles de ce Chapitre formeront le droit commun des hypothèques et régiront les hypothèques qui pourraient être établies sur les immeubles par le Code de Commerce. Il pourra, en effet, y avoir une hypothèque légale générale sur les biens du failli, au profit de la masse des créanciers (comp. c. com. fr., art. 490, 26 al.); cette hypothèque pourra avoir quelques règles spéciales; mais elle restera soumise au présent Code pour tous les points qui ne seront pas autrement réglés.
Art. 1206. — 411. Le présent article diffère par ses développements de l'article 2133 du Code français qui est peut-être trop laconique et laisse place à des doutes: il dit que " l'hypothèque s'étend à toutes les améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué; " mais il est muet sur les augmentations, et il ne s'explique pas sur les causes possibles des améliorations.
Les solutions ici proposées sont celles qu'on doit, selon nous, donner d'après le Code français
D'abord les améliorations fortuites survenues au fonds profitent au créancier hypothécaire, sans objection possible, puisqu'elles sont en même temps gratuites, comme le texte a soin de l'exprimer; telle serait la plus-value résultant de l'ouverture, dans le voisinage, d'une route, d'un canal, d'un chemin de fer, l'établissement d'un pont, etc. Même solution pour les acquisitions ayant aussi le caractère fortuit et gratuit, comme l'alluvion; c'est l'exemple donné par le texte même.
412. Viennent ensuite les améliorations qui sont du fait du débiteur et sont obtenues à ses frais, " telles que constructions, plantations ou autres ouvrages." Ici, le doute pourrait se présenter, car ce que le débiteur tire de son patrimoine est enlevé au gage général de ses créanciers pour augmenter celui de l'un d'eux. Cependant, il y a tant de variétés possibles dans l'importance de ces dépenses et celles-ci peuvent être légitimes dans tant de cas que la loi pose en principe qu'elles profitent au créancier hypothécaire. D'un autre côté, l'abus est possible et pour le prévenir, en même temps que pour indiquer immédiatement le remède, la loi excepte d'abord le cas de fraude aux autres créanciers; elle rappelle ensuite que les constructions et autres ouvrages peuvent donner lieu au privilége des architectes et entrepreneurs, réglé aux articles 1178 et 11 79, de sorte que l'extension de la garantie hypothécaire n'aurait lieu que pour ce qui resterait de plus-value après que ceuxci auraient été désintéressés.
413. La loi suppose enfin que le débiteur a acquis des terrains contigus au fonds hypothéqué. Ici la règle est inverse: l'hypothèque ne s'étend pas et il n'y a pas d'exception. Il va sans dire que, le plus souvent, lors même que les nouvelles acquisitions auraient été soumises à l'hypothèque, elles l'auraient été d'abord au privilége du vendeur, mais si le prix en avait été payé avec les deniers du débiteur, c'eût été au préjudice des créanciers chirographaires; au cas d'échange, l'immeuble fourni en contre-échange aurait été également retiré du gage commun et l'on aurait toujours eu ce résultat inadmissible d'un créancier hypothécaire voyant sa garantie augmentée, en dehors de la convention primitive, par un acte préjudiciable à la masse.
La loi exprime enfin que la non-extension de l'hypothèque subsiste, lors même que le débiteur aurait opéré une jonction aussi intime que possible entre le nouvel immeuble et l'ancien, soit en les entourant tous deux d'une nouvelle clôture, soit en supprimant les clôtures intérieures: du moment qu'il ne s'agit pas ici d'une question d'intention, mais d'un motif de droit et de justice, il est naturel que les actes plus ou moins explicites du débiteur ne changent rien à la solution.
Art. 1207. — 414. Cet article est la contre-partie de l'article précédent: les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations.
On suppose d'abord qu'elles proviennent d'un cas fortuit ou d'une force majeure, ou même du fait d'un tiers, ce qui, pour le débiteur, est comme un cas fortuit ou une force majeure: dans ce cas, la perte est pour le créancier, sauf son droit à l'indemnité due par le tiers; cette indemnité peut être celle d'un dommage ordinaire, par suite d'un acte illégitime; ce pourrait être aussi l'indemnité d'une expropriation pour cause d'utilité publique, le tiers alors ne serait autre que l'Etat ou une compagnie concessionnaire d'un droit de l'Etat.
415. Le texte suppose ensuite que c'est par la faute du débiteur que les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations (le défaut d'entretien est un de ces cas) et que, par suite, la garantie du créancier est devenue insuffisante; alors le créancier n'en doit pas souffrir et le débiteur doit lui fournir un supplément d'hypothèque sur d'autres biens. Cette nouvelle hypothèque n'aura pas, sans doute, le même rang que la précédente: elle pourra en avoir un meilleur, si le bien offert en supplément n'est pas encore hypothéqué; son rang sera inférieur dans le cas contraire.
Si le débiteur ne peut donner le supplément d'hypothèque, le remède est tout indiqué par un principe général: le débiteur perd le bénéfice du terme, la dette devient immédiatement exigible (v. art. 425-3°); toutefois, il y aurait exagération à ce qu'elle fût exigible en entier: il suffit qu'elle le soit " dans la mesure où la garantie du créancier est devenue insuffisante."
Ce mode de règlement, quoique plus simple que le supplément d'hypothèque, ne pourra pas être imposé au créancier, car, lors même que le débiteur aurait conservé le droit de rembourser sa dette avant l'échéance (v. art. 524), cela ne l'autoriserait pas à faire un payement partiel contre la volonté du créancier (v. art. 459).
416. Ces solutions du Projet, fondées sur une distinction entre la faute du débiteur et les causes fortuites ou majeures, diffèrent de celles auxquelles semble conduire le Code français (art. 2131): la généralité des expressions de ce Code paraît autoriser le plus grand nombre des auteurs à croire qu'il permet au créancier de demander le supplément d'hypothèque dans tous les cas où sa garantie est devenue insuffisante. Nous avons des doutes sur l'exactitude de cette interprétation contraire aux principes généraux de la théorie des risques dans les droits réels; en tout cas, nous nous gardons de la proposer au Japon.
Art. 1208. — 417. Bien qne nous ayons soutenu et établi que l'hypothèque est un démembrement de la propriété, elle ne va pas jusqu'à enlever au débiteur tout droit sur sa chose: s'il ne peut plus faire d'actes de disposition qui nuisent au créancier, il conserve tous les droits inhérents à l'administration et, précisément, c'est là la différenee entre l'hypothèque et le nantissement immobilier, ce dernier enlevant au débiteur jusqu'à la possession qui est transférée au créancier.
SOMMAIRE.
Art. 1209. — N° 418. Trois sortes d'hypothèques, d'après la diversité des causes. -419, 420, 421. Nature, origine et inconvénients de l'hypothèque judiciaire: sa suppression dans le Projet.
COMMENTAIRE.
Art. 1209. — N° 418. Les diverses hypothèques ne diffèrent pas par leurs effets, soit quant au droit de préférence, soit quant au droit de suite: c'est au point de vue de leurs causes qu'elles sont distinguées ici.
Dans le Code français les hypothèques sont de trois sortes: légales, judiciaires et conventionnelles. Les premières résultent de la disposition directe de la loi, les dernières de la convention des parties; ces deux causes qu'on va retrouver dans le Projet ont déjà par ellesmêmes un sens très clair; les secondes résultent des jugements et de certains actes judiciaires qui n'ont pas le caractère de jugements, mais peuvent prétendre à une autorité presque égale.
Nous devons nous arrêter un peu aux hypothèques judiciaires, d'abord parce que le sens n'en est pas par lui-même aussi clair, ensuite parce que, le Projet ne les conservant pas, il faut donner la raison de cette omission volontaire.
419. L'hypothèque judiciaire n'est pas prononcée par les jugements, lorsqu'ils portent condamnation au payement d'une somme d'argent: elle résulte virtuellement des jugements; sous ce rapport, elle a quelque chose de légal, car c'est la loi qui l'attache aux jugements. Il n'y a pas à distinguer d'ailleurs la qualité du créancier, ni la nature ou la cause de sa créance: il suffit qu'il ait obtenu condamnation à une somme d'argent ou à une valeur appréciable en argent dans l'inscription à prendre.
Le Code français (art. 2117 et 2123) assimile, sous ce rapport, aux jugements proprement dits " les reconnaissances d'écritures privées faites en justice " et dont le tribunal donne acte.
On peut s'étonner que le fait par un créancier d'avoir poursuivi son débiteur avec succès lui assure ainsi un droit de préférence sur les autres qui peut-être ont été moins rigoureux ou dont le droit n'était pas encore exigible. Cette disposition ne s'explique qu'historiquement et la disparition de sa cause ancienne expliquera aussi que l'institution elle-même doive aujourd'hui être abandonnée.
420. Dans l'ancien droit français, une hypothèque tacite était attachée à toute obligation contractée devant notaire, en forme exécutoire; elle était générale, c'està-dire qu'elle portait sur tous les biens présents et à venir du débiteur: il avait paru bon que la formule exécutoire, parlant au nom du Roi, eût une grande force d'action sur les biens. On reconnut bientôt qu'il était singulier que les jugements, rendus eux-mêmes au nom du Roi et dont une expédition était aussi délivrée en forme exécutoire à la partie gagnante, n'eût pas, de même, l'effet d'entraîner une hypothèque générale: la jurisprudence et les Ordonnances royales y suppléèrent.
421. Mais si l'on faisait ainsi cesser une anomalie, on établissait en faveur du créancier qui gagnait son procès cette préférence sur les autres créanciers que nous disons peu conforme à la justice absolue.
Que celui qui avant stipulé devait notaire eût une hypothèque tacite, cela pouvait être conforme à la volonté du débiteur qui, connaissant ou devant connaître cet effet virtuel de son engagement, était considéré comme y consentant; il aurait pu tout aussi bien conférer expressément une hypothèque conventionnelle. Mais que le débiteur qui n'avait consenti ni expressément ni tacitement à hypothéquer ses biens à un créancier, se trouvât tout à coup grevé d'une hypothèque générale, parce qu'il n'avait pu satisfaire ce créancier à l'échéance, il y avait là un résultat choquant, surtout à l'égard des autres créanciers dont les droits n'étaient pas encore échus ou dont les procédés étaient moins rigoureux.
Lorsqu'est venue la préparation du Code civil, on renonça à y faire figurer l'hypothèque tacite attachée aux actes notariés, quoique cette hypothèque eût été conservée par la loi intermédiaire du Il brumaire an vu à laquelle on empruntait beaucoup (v. art. 3). Mais, par une anomalie inverse de celle qu'avait présentée d'abord l'ancien droit, on conserva l'hypothèque judiciaire: le principe fondamental de cette hypothèque avait disparu et l'on en conservait une application et la moins justifiable en raison et en équité.
Depuis lors l'hypothèque judiciaire est vue avec défaveur dans la doctrine et la jurisprudence, et son abolition a été souvent demandée. Un projet de réforme hypothécaire préparé en France, en 1846, ne la conservait pas; la loi hypothécaire de Belgique (du 16 déc. 1851) ne l'a pas admise; il en est de même du nouveau Code civil des Pays-Bas. Au contraire le Code civil italien l'a conservée.
On n'a pas songé un seul instant à l'introduire dans le Projet japonais. Mais, par un emprunt à la même loi belge, on y a introduit l'hypothèque testamentaire que l'on expliquera au § m®.
Une autre singularité de l'hypothèque judiciaire, qui devait la faire rejeter du Projet, c'est qu'elle peut être acquise par celui qui, n'ayant qu'un titre sous seing privé, le fait reconnaître en justice ou obtient condamnation du débiteur, tandis que celui qui a un titre authentique, même exécutoire, ne peut acquérir cette hypothèque, n'ayant pas à s'adresser à la justice. L'an. cien droit, avec son hypothèque tacite, ne présentait pas cette anomalie: dans les deux cas, il y avait hypothèque.
SOMMAIRE.
Art. 1210. — N° 422. Protection due à certains créanciers: caase commune des trois hypothèques légales; cause spéciale de l'hypothèque résultant des priviléges dégénérés. -423. Suppression dans le Projet de l'hypothèque légale des légataires. -424 et 425. Justification de l'hypothèque légale de la femme mariée. -426. Idem de celle des mineurs et interdits pour démence. -427. Observation sur les interdits légalement.
COMMENTAIRE.
Art. 1210. — N° 422. En général, la loi laisse les particuliers ou leurs représentants pourvoir eux-mêmes à leurs intérêts; lorsqu'elle y pourvoit pour eux c'est qu'elle veut protéger des incapables, soit contre leur propre faiblesse, soit contre la négligence ou l'intérêt contraire de leurs représentants.
Cette raison s'applique évidemment aux deux premières hypothèques légales: à celle des femmes mariées sur les biens de leurs maris et à celle des mineurs et interdits sur les biens de leurs tuteurs.
L'hypothèque légale n'appartient qu'aux mineurs non émancipés: pour ceux qui sont émancipés, il n'y fi, pas de tuteur, mais un simple curateur qui ne les représente pas mais les assiste et qui, par conséquent, ne gère pas leurs biens.
Pour la troisième hypothèque légale, celle de l'Etat et des autres personnes morales, sur les biens des comptables, elle a un double but: d'abord, de dispenser les chefs des comptables de stipuler une hypothèque conventionnelle, non seulement au moment de l'entrée en fonction du comptable, mais encore chaque fois que celui-ci acquerrait de nouveaux biens, ce qui souvent pourrait n'être pas su en temps utile; ensuite, de pourvoir à la garantie de l'Etat, au cas où les chefs manqueraient eux-mêmes à leur devoir de surveillance sur les comptables. Cette hypothèque appartenant au droit fiscal sera sans doute établie par des lois administratives spéciales auxquelles le Projet se borne à renvoyer.
La quatrième et dernière hypothèque légale est celle qui résulte d'un privilége dégénéré, faute d'avoir été publié dans le délai fixé et sous les conditions prescrites aux articles 1187, 1188 et 1190. Ici l'hypothèque a la même cause que le privilége, toujours reconnue par la loi, elle est seulement affaiblie.
423. En France, il existe en faveur des légataires une hypothèque générale sur les biens du testateur (v. c. civ., art. 1017), laquelle leur est donnée parce qu'ils ignorent souvent leurs droits pendant un certain temps après l'ouverture de la succession et parce qu'il ne faut pas que, pendant ce temps, l'héritier puisse diminuer les biens du défunt destinés à acquitter les legs. On ne croit pas devoir la reproduire au Japon, parce que les légataires ont déjà la séparation des patrimoines, sur les meubles et les immeubles, et il semble vraiment qu'ils sont par là suffisamment protégés; c'est au point qu'en France quelques auteurs, ne trouvant pas d'utilité suffisante à cette hypothèque, ont pensé qu'elle n'était autre que le droit même à la séparation des patrimoines, sous une autre qualification.
Comme on a donné à la séparation des patrimoines, dans le Projet, tous les effets et avantages d'un privilége t il n'y a vraiment aucune utilité à donner, en outre, aux légataires une hypothèque générale. Ils pourront d'ailleurs recevoir une hypothèque testamentaire dont on signalera l'utilité sous l'article 1218.
424. Il convient de revenir, pour un instant, à l'hypothèque légale des femmes mariées et à celle des mineurs et interdits, lesquelles sont tout à fait nouvelles au Japon, comme l'y sont d'ailleurs toutes les autres hypothèques légales.
Au Japon, il semble que jusqu'ici les droits de la femme mariée aient été trop laissés à la discrétion du mari; il y est assez rare d'ailleurs que la femme mariée ait une fortune personnelle confiée à l'administration du mari et sujette à restitution ou à reprise lors de la dissolution du mariage; en effet, les filles sont généralement exclues de la succession paternelle et si une fille est l'unique enfant d'une famille, son mari est adopté par le père et devient, en même temps que l'héritier des biens, le continuateur de la maison et du nom.
Mais cette situation pourra se trouver modifiée dans le droit nouveau, et quand une fille aura acquis des biens, avant ou après son mariage, le mari aura, le plus souvent, l'administration de ses biens, il devra faire des restitutions à la dissolution du mariage, et il se trouvera ainsi débiteur de sa femme ou des héritiers de celle-ci.
Si la femme, en tant que créancière de son mari, était quant à l'hypothèque, laissée sous l'empire du droit commun, elle devrait pourvoir elle-même à ses sûretés ou garanties contre l'insolvabilité possible de son mari: elle n'aurait d'hypothèque que si elle en avait obtenu la constitution, soit au moment du mariage, soit depuis. Mais on comprend aisément que ses sentiments naturels d'affection et de déférence la portent à des ménagements qui, gênant sa liberté, compromettraient ses intérêts, et cela, non seulement pendant le mariage, alors qu'elle est vraiment sous la puissance maritale, mais même au moment du mariage et dès qu'il est arrêté entre les familles.
425. Cette situation, dangereuse pour les intérêts de la femme, a préoccupé de tout temps les légistateurs civils et l'on trouve déjà dans le droit romain des priviléges légaux pour la garantie de la dot des femmes. En France, il y en a eu et il en est resté d'exorbitants, notamment l'inaliénabilité de la dot (v. art. 1554), laquelle ne figurera pas dans le Projet (4). Au sujet même de l'hypothèque qui va nous occuper, c'est aussi une faveur exceptionnelle que la dispense d'inscription qui expose les tiers à subir une priorité qu'ils ont pu prévoir mais dont ils n'ont pu connaître exactement l'importance. Cette faveur ne-sera pas non plus accordée à la femme par le Projet; on s'en expliquera en son lieu (v. art. 1222).
Au surplus, l'hypothèque légale de la femme mariée sera générale, ici comme en France: elle portera sur tous les immeubles présents et à venir du mari, aussi bien s'ils sont acquis à titre gratuit que s'ils le sont à titre onéreux, et elle garantira indistinctement toutes les créances de la femme contre son mari.
426. L'hypothèque légale des mineurs et des interdits est générale également; elle n'est guère moins ancienne en Europe que celle de la femme mariée, mais elle est tout aussi inusitée au Japon.
L'intervention de la loi en faveur du mineur est encore plus nécessaire qu'en faveur de la femme: en effet, celle-ci ou ses parents peuvent, à la rigueur, et sauf les obstacles de convenance dont on a parlé, stipuler et obtenir du mari qu'il consente à donner à la femme une hypothèque ou autre sûreté pour la garantie de sa dot et de ses reprises, et comme le mariage projeté est dans les vœux du mari, il n'est pas probable que cette exigence l'y fasse renoncer.
Il en est tout autrement des rapports d'intérêts du mineur avec son tuteur, et ce que nous dirons du mineur s'appliquera, par identité de motifs, à l'interdit pour démence: d'abord le mineur ne peut stipuler lui-même; quant à ses parents, toujours plus ou moins éloignés en degré, ou ils manqueront du zèle nécessaire pour stipuler une hypothèque, ou ils seront arrêtés par des scrupules et des ménagements, au moins si le tuteur est très proche, par exemple le survivant des père et mère; enfin, et c'est là la grande différence entre le tuteur et le mari, le tuteur refusera l'hypothèque conventionnelle pour qu'on ne lui confie pas la tutelle, ce qui serait un autre dommage pour le mineur.
Tous ces inconvénients sont évités et la situation se trouve bien simplifiée par la création d'une hypothèque légale; il ne reste plus qu'à contraindre par des voies suffisamment efficaces, sans être pourtant exagérées, la mauvaise volonté de ceux qui voudraient se soustraire à la tutelle, tant pour n'en pas remplir les charges gê nantes que pour conserver leur crédit compromis par une hypothèque générale: c'est la partie du Code relative à la tutelle qui y pourvoira.
427. Quant aux interdits, la loi a soin d'exprimer que l'hypothèque légale les protège également, soit qu'ils aient été interdits par décision judiciaire pour démence, ce qui est une pure protection, soit que leur interdiction provienne de la loi, à titre de peine civile et comme complément d'une peine criminelle: cette peine accessoire, en effet, a pour but d'empêcher les condamnés de chercher dans la disposition de leurs biens des moyens de satisfactions personnelles incompatibles avec la peine principale, et surtout des moyens d'évasion, le tout, en provoquant la complaisance des gardiens. Mais, du moment qu'ils ne peuvent gérer eux-mêmes leurs biens, la loi leur donne un tuteur pour que ces biens ne soient pas la proie de parents avides, et du moment aussi qu'il y a un tuteur, celui-ci doit être lui-même soumis à la garantie ordinaire exigée des tuteurs.
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(4) Le Code officiel n'a pas non plus admis l'inaliénabilité de la dot.
SOMMAIRE.
Art. 1211. — N° 428. Utilité de l'intervention d'un officier public dans certaines conventions, spécialement dans la constitution d'hypothèque. -429. Authenticité requise pour la procuration à l'effet de constituer une hypothèque; observation sur la différence entre les pouvoirs du tuteur et ceux du mari.
1212. -430. Applications aux hypothèques de la règle locus régit actum. - 431. Critique de l'article 2128 du Code français et disposition différente du Projet.
1213. -432. Spécialité de l'hypothèque: réduction de l'hypothèque générale des biens présents, nullité totale de l'hypothèque des biens à venir.
1214. -433. Désignation de la créance; sanction: nullité, suivant les cas. -434. Nécessité de la détermination de la créance, en argent.
1215. -435. Droits et capacité nécessaires chez le constituant. -436. Persistance possible de l'hypothèque après l'extinction du droit temporaire hypothéqué.
1216. -437. Renvoi pour les pouvoirs du tuteur; idem pour la capacité des femmes mariées et des mineurs commerçants.
1217. —438. Hypothèque pour la dette d'un tiers. -439. Son caractère gratuit vis-à-vis du débiteur et du créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1211. — N° 428. La convention d'hypothèque est du petit nombre de celles qu'on nomme "solennelles" (v. art. 321): la forme y est tellement liée au fond que, si elle n'est pas observée, la convention est entièrement nulle. Cette forme est, au surplus, d'une observation facile.
Aujourd'hui que les notaires sont établis au Japon, c'est devant notaire que les conventions solennelles devront être passées. Si l'on n'avait pas créé de notaires, on aurait passé les actes solennels devant le greffier du tribunal civil, avec autant de garanties pour les parties et peut-être moins de frais.
Lorsque la loi impose ainsi aux contractants l'intervention d'un officier public, dans des actes purement privés, c'est évidemment dans un but de protection, soit contre leur entraînement généreux, comme dans la donation entre-vifs et le contrat de mariage, soit contre les exigences excessives d'un créancier rigoureux, comme au cas de l'hypothèque qui va nous occuper. En effet, lorsqu'un débiteur, un emprunteur surtout, est obligé, pour trouver crédit, de constituer une hypothèque, il est à craindre que le créancier n'exige une sûreté plus considérable qu'il n'est nécessaire; le notaire, alors, avec l'influence légitime que lui donnent ses connaissances juridiques, son expérience et son impartialité, éclairera le débiteur sur ses intérêts, le prémunira contre sa faiblesse et obtiendra souvent que le créancier se contente de ce qui suffit à sa garantie.
Il y a encore deux autres avantages de la solennité. deux avantages communs aux trois contrats solennels, c'est que, par la rédaction de l'acte en minute, elle en assure la conservation, tant dans l'intérêt des parties que dans celui des tiers, et, par l'authenticité, elle en fournit une preuve à peu près inattaquable (1).
429. Par une conséquence naturelle de la solennité requise pour la constitution même de l'hypothèque, la loi veut que si, par une cause de fait, le débiteur ne peut y figurer en personne et a besoin de s'y faire représenter par un mandataire volontaire, la procuration à cet effet soit donnée également devant un notaire. Bien entendu, il n'est pas nécessaire que ce soit devant le même notaire que celui qui recevra l'acte principal.
La mention substantielle de la. procuration dans la constitution d'hypothèque a pour but, non seulement de prouver le consentement du débiteur, mais encore de vérifier si le mandataire n'a pas excédé ses pouvoirs.
Nous avons supposé, pour qu'il y ait lieu à cette procuration, que c'est par une cause de fait que le débiteur est empêché de figurer dans la constitution d'hypothèque; en effet, si l'empêchement vient d'une cause légale, laquelle ne peut guère être qu'une incapacité, le débiteur a un représentant qui est légal lui-même: par exemple, le mineur a son tuteur. Celui-ci peut avoir besoin, pour hypothéquer, de l'autorisation du conseil de famille et du tribunal (v. c. civ. fr., art. 457 et 458), mais non d'une procuration notariée; seulement, dans ce cas, l'acte constitutif de l'hypothèque devra mentionner, outre les noms et qualité du tuteur, le fait et la date des autorisations requises.
S'il s'agissait d'une femme mariée voulant constituer une hypothèque sur son bien, l'autorisation du mari lui serait nécessaire et devrait aussi être mentionnée dans l'acte; mais le mari ne représenterait sa femme qu'en vertu 'd'une procuration notariée, car la femme mariée n'a pas d'empêchement légal à figurer en personne dans les actes qui l'intéressent.
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(1) Le Code officiel n'exige pas la forme authentique pour la constitution d'hypothèque.
Art. 1212. — 430. C'est un principe généralement admis en législation que les actes passés en pays étranger y sont soumis, pour le f o n d des dispositions permises et pour la capacité requise chez les parties, à la loi du pays des contractants, spécialement de celui qui s'oblige ou aliène; mais pour ce qui est de pure f o r m e dans les actes, ils ne sont et ils ne peuvent être soumis qu'à la loi du pays où l'acte est passé (locus régit acturn). Comment, en effet, pourrait-on faire un acte notarié dans un pays qui n'aurait pas le genre d'officiers publics appelés notaires ?
Ce double principe s'applique à la constitution d'hypothèque; mais le second seul est formulé ici, parce que, seul, il comporte une distinction ou réserve, fort naturelle d'ailleurs: les formalités consécutives à la convention même d'hypothèque, spécialement l'inscription destinée à la rendre publique, devant être accomplies au Japon pour qu'elle y produise ses effets, devront être remplies dans la forme japonaise.
431. Une autre raison d'avoir ici cette disposition c'est de prévenir une difficulté qui se présente sur l'article 2128 du Code français. D'après cet article, il semblerait que les biens situés en France ne peuvent être hypothéqués par des actes passés en pays étranger que si les conventions internationales le permettent: solution bizarre qu'acceptent presque tous les auteurs et sur laquelle nous avons toujours eu des doutes très sérieux. Tout le monde reconnaît, en effet, que cette disposition de l'article 2128 est empruntée à l'ancien droit français (Ordonn. de 1622, art. 121), au droit d'une époque où les actes exécutoires emportaient par eux-mêmes hypothèque tacite générale; or, on comprend que cet effet attaché à une formule employée au nom du Roi de France ne s'étendît pas à des actes rendus exécutoires au nom d'un autre Souverain.
Le Projet de Code civil, ayant d'abord admis la même hypothèque tacite attachée aux actes exécutoires, y avait naturellement mis la même condition que l'acte fut passé en France. Mais quand on supprima cette hypothèque, on négligea de supprimer l'article qui la restreignait, et, comme il paraît difficile au plus grand nombre des auteurs qu'un article du Code puisse ainsi être considéré comme non avenu, surtout quand il n'est pas impossible de lui donner un sens, on est arrivé à lui donner l'effet qui résulte strictement de ses termes, mais que nous ne croyons pas dans son esprit. Ainsi, tandis qu'un Français peut, par un acte passé en pays étranger, s'obliger sur tous ses biens, aliéner ses immeubles, les grever d'usufruit ou de servitudes, il ne pourrait les grever d'hypothèque ! Bien plus, ses engagements contractés en pays étranger pourraient emporter hypothèque légale en France, quand les qualités respectives du créancier et du débiteur le comportent, et une hypothèque conventionnelle ne pourrait y être attachée !
Quelle que soit la solution qu'il faille admettre en droit français, on comprend que la loi japonaise ne laisse pas planer de doute sur ce point et surtout ne consacre pas une pareille anomalie.
Art. 1213. — 432. A la différence des hypothèques légales qui sont le plus souvent générales, l'hypothèque conventionnelle doit être spéciale, c'est-à-dire que l'acte constitutif doit désigner individuellement l'immeuble ou les immeubles qui y sont soumis. Rien n'empêche, il est vrai, d'arriver par ce moyen à hypothéquer tous les biens présents; mais la loi pense que le débiteur se laissera moins facilement entraîner à donner une sûreté exagérée, en spécifiant les immeubles qu'il hypothèque, qu'en employant simplement une formule générale.
Il fallait prévoir le cas où le débiteur n'aurait pas observé la spécialité de l'hypothèque, ce qu'on doit d'ailleurs supposer devoir être rare, du moment qu'il aura dû recourir à l'office d'un notaire.
En France, la constitution d'hypothèque ” n'est valable " que si elle spécifie les immeubles hypothéqués; la sanction est donc la nullité, sinon absolue et de plein droit, au moins par voie d'action en justice (v. art. 2129) (a).
On n'a pas cru devoir aller si loin dans le Projet: il y aura seulement réduction de l'hypothèque aux immeubles nécessaires à la garantie du créancier.
La disposition qui précède implique déjà que l'hypothèque ne doit pas pouvoir être constituée sur les biens à venir du débiteur; mais, pour lever tous les doutes et surtout pour préciser la sanction de cette prohibition, la loi s'en explique: soit que le débiteur ait hypothéqué tous ses biens à venir en bloc, ou en spécifiant tel ou tel bien qu'il prévoit pouvoir lui appartenir un jour, ce n'est plus une simple réduction qui aura lieu, l'hypothèque est entièrement nulle.
Remarquons, du reste, que ce ne serait pas constituer une hypothèque sur un bien à venir que d'hypothéquer un immeuble sur lequel on aurait un droit subordonné à une condition suspensive ou qu'on aurait le droit ou l'espérance de recouvrer par une action en nullité ou en rescision: l'hypothèque, dans ce cas, serait elle-même conditionnelle.
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(a) L'article 2130 détruit presque cette disposition, au' cas oll " les immeubles présents et libres du débiteur sont insuffisants pour la sûreté de la créance." Mais faut-il que lotis les biens présents soient libres?"
Nous comprendrions mieux la loi dans ce sens: mais personne ne l'entend ainsi. Il n'y a rien là à imiter.
Art. 1214. — 433. Comme l'hypothèque n'est qu'un droit accessoire, il faut, surtout dans l'intérêt des tiers auxquels elle est opposable, que la créance qu'elle garantit soit désignée avec une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas d'incertitude au sujet de son existence et qu'on ne puisse la confondre avec une autre créance qui existerait entre les mêmes parties; c'est pourquoi la loi veut que la créance soit désignée " clairement " dans l'acte constitutif, par sa cause, par sa modalité et par son objet; sans préjudice, bien entendu, de la désignation inévitable des parties.
La cause sera, par exemple, un prêt ou une vente demeuble ou d'immeuble dont le pris est encore dû; la modalité sera le terme, la condition ou la solidarité des débiteurs ou des créanciers; l'objet sera la chose due, " en principal et accessoires." Il n'est pas nécessaire que la date originaire de l'engagement soit relatée dans l'acte, parce que la constitution d'hypothèque suffit à elle seule à former une reconnaissance de la dette et à lui donner une nouvelle date.
La loi n'attache formellement aucune sanction à ces nouvelles dispositions; mais il faut admettre que si l'une des énonciations requises manquait tout-à-fait, la nullité de l'hypothèque devrait être prononcée, à la requête, soit du débiteur, soit des autres créanciers, car l'hypothèque est une dérogation grave au droit commun et les conditions auxquelles la loi la soumet doivent être scrupuleusement observées.
Pour ce qui est de la clarté dans les énonciations, les tribunaux apprécieraient si elle est suffisante et ils devraient être très réservés dans la prononciation de la nullité.
434. Il n'est pas nécessaire pour qu'une dette soit valablement garantie par une hypothèque qu'elle ait pour objet une somme d'argent; mais il faut au moins, quand l'objet est différent, qu'il soit évalué en argent, et cela, afin que les autres créanciers puissent connaître l'importance de l'hypothèque qui les prime; de même, les tiers détenteurs auxquels l'hypothèque est opposable ont intérêt à savoir comment ils pourront satisfaire le créancier hypothécaire pour arrêter l'exercice du droit de suite (v. art. 1276 et s.).
L'évaluation sera généralement faite dans la constitution même d'hypothèque; au cas d'omission, ou s'il y a cu quelque obstacle momentané à faire une juste évaluation à ce moment, elle pourra être faite par un acte postérieur. Dans les deux cas, comme elle sera contradictoire, c'est-à-dire débattue entre les parties, elle sera définitive. A défaut de l'une de ces deux évaluations, en quelque sorte contractuelles, le créancier est autorisé à en faire une, lui seul, au moment où il prend inscription, et c'est même une condition de la validité de l'inscription (v. art. 1226); mais comme il a pu exagérer la valeur de ce qui lui est dû, le débiteur pourra faire réduire en justice ladite évalution (v. art. 1244).
Art. 1215. — 435. L'hypothèque peut entraîner la vente aux enchères publiques de la chose hypothéquée; cette éventualité fait exiger chez celui qui constitue l'hypothèque 1° le droit de propriété ou de jouissance soumis à l'hypothèque, 2° la capacité d'aliéner ce droit.
En se bornant à exprimer " la propriété ou la jouissance," la loi se réfère, en une formule abrégée, aux divers droits qui peuvent être hypothéqués, d'après l'article 1203.
Quant à la capacité d'aliéner, la loi ne se contente pas toujours de ce que le constituant puisse aliéner à titre onéreux; la capacité d'aliéner à titre gratuit, qui est plus rare, est exigée ici, lorsque la dette à garantir a été ellemême créée à titre gratuit, soit en même temps que la constitution d'hypothèque, soit antérieurement; en effet, celui qui, ayant promis gratuitement une somme d'argent, en assure spécialement le payement par une hypothèque, ajoute à sa donation, et si l'hypothèque est fournie par un tiers (v. art. 1217), pour la garantie de la donation d'un autre, ce tiers est lui-même donateur d'une sûreté.
On reviendra, avec l'article 1217, sur ce caractère gratuit de la donation d'une sûreté par un tiers.
436. C'est un principe célèbre et souvent appliqué précédemment (T. I, n° 282, T. II, nos 221 et 684, T. III, nos 119, 360) que " nul ne peut transférer plus de droit qu'il n'en a lui-même; " la loi en fait ici une nouvelle application et, comme il est déjà arrivé souvent pour le rappel de règles générales, c'est surtout pour y apporter un tempérament, une modification.
Voici des exemples de cas où le droit d'hypothèque du créancier subsiste après l'extinction du droit temporaire du débiteur; un usufruit hypothéqué portait sur des bâtiments assurés contre l'incendie, et le sinistre a eu lieu, ou bien il y a eu destruction desdits bâtiments par la faute d'un tiers, ou ils ont été expropriés par l'Etat: dans ces divers cas, le créancier hypothécaire ne verra pas son droit s'évanouir par le décès de l'usufruitier ou par l'arrivée du terme assigné primitivement à l'usufruit: son droit est transporté sur la portion de l'indemnité due à l'usufruitier par l'assureur, par le tiers en faute ou par l'Etat. C'est au fond l'application de l'article 1207, 1er alinéa, au cas de droits temporaires de jouissance (comp. art. 1138).
Art. 1216. — 437. On a déjà fait allusion (n° 429) à l'hypothèque des biens des mineurs et des interdits: en droit français, cette hypothèque n'est pas dans les pouvoirs du tuteur, à moins qu'il n'y ait été autorisé par le conseil de famille et par le tribunal civil (v. art. 457 et 458); le Projet japonais aura bientôt à se prononcer sur ce point, au Livre Ier; il est i: peu près certain que des autorisations analogues seront exigées; on règlera aussi, au même Livre, les conditions sous lesquelles les biens des absents pourront être hypothèques.
La faveur que mérite le commerce fera, sans doute, au Japon comme en France, étendre la capacité des mineurs et des femmes mariées, lorsque les uns et les autres auront été régulièrement autorisés à faire le commerce. En France, ces personnes peuvent engager et hypothéquer leurs immeubles pour les faits de leur commerce (v. c. com. fr., art. 6 et 7).
Art. 1217. — 438. De même qu'un tiers peut donner son bien en nantissement, mobilier ou immobilier, pour la dette d'autrui (v. art. 1102 et 1122), de même il est admis ici à donner une hypothèque: c'est ce qu'on appelle souvent cautionnement réel. Si l'immeuble ainsi hypothéqué a été saisi et vendu pour l'acquittement de la dette, la caution réelle a son recours de droit contre le débiteur, comme une caution personnelle, en distinguant si elle a fourni l'hypothèque sur mandat du débiteur, ou spontanément, comme gérant d'affaires (v. art. 1230). elle aurait même le bénéfice de la subrogation légale (v. art. 1137), comme on l'a établi sous l'article 504-1°.
439. On a vu plus haut (art. 1215) que la constitution d'hypothèque par le débiteur est un acte tantôt onéreux, tantôt gratuit, suivant la nature de la créance à laquelle elle ajoute une sûreté. Le même article a réservé pour le nôtre le cas où l'hypothèque est constituée par un tiers.
Ici, il n'y a plus, en principe, à distinguer la cause gratuite ou onéreuse de la dette garantie: pour le tiers qui fournit la sûreté, sans y être tenu et sans en tirer un avantage appréciable en argent, la constitution doit être. considérée comme gratuite, c'est-à-dire comme une libéralité, au moins vis-à-vis du débiteur, et elle exigera entre lui et le constituant la capacité respective de donner et de recevoir.
La loi excepte le cas où " le débiteur a fait un sacrifice pour obtenir cette garantie; " mais dans ce cas même, si le bien hypothéqué avait servi à l'acquittement de la dette, le tiers qui a fourni la sûreté n'en aurait pas moins un recours intégral, car il a bien consenLi à donner du crédit au débiteur, mais non à payer sa dette définitivement.
Vis-à-vis du créancier, la constitution sera encore gratuite, lorsqu'elle aura eu lieu après la création de l'obligation et sans avoir été stipulée: elle est alors aussi une libéralité pour lui et exigera la même capacité respective de donner et de recevoir. Ce n'est qu'au cas contraire, celui de la concomitance des actes ou d'une promesse originaire de cette sûreté que la constitution d'hypothèque sera réputée à titre onéreux vis-à-vis du créancier, lorsque d'ailleurs le contrat principal aura été lui-même à titre onéreux.
SOMMAIRE.
Art. 1218. — N° 440. Son caractère gratuit: sa limite à deux applications.
COMMENTAIRE.
Art. 1218. — N° 440. On a dit plus haut que l'hypothèque testamentaire est empruntée par le Projet à la loi belge du 16 décembre 1851. Cette loi qui a supprimé l'hypothèque judiciaire a été la première, croyonsnous, à admettre l'hypothèque testamentaire.
On l'admet sans hésiter dans le Projet japonais; il est naturel, en effet, que le testament, par lequel on peut conférer tous les droits réels, même un droit de bail (v. art. 124), puisse servir à conférer une I^p'othèque.
Le cas cependant doit être entendu avec précaution. Ce n'est pas celui où un débiteur auquel un créancier n'a pas demandé d'hypothèque à l'origine ou qui n'a pas consenti à lui en constituer une, pour ne pas perdre son crédit, se déciderait, plus tard, en prévision de son décès, à donner une hypothèque à ce créancier: une telle disposition serait une sorte de libéralité qui ne pourrait changer la position respective des créanciers, laquelle se fixe au décès du débiteur. Il s'agit seulement de l'hypothèque qu'un testateur donne à un ou plusieurs de ses légataires pour la garantie de leur legs: le legs de l'hypothèque peut améliorer la condition du légataire visà-vis des autres, mais il ne leur donnera aucune priorité sur les créanciers, même simplement chirographaires.
On pourra se demander ce que cette hypothèque ajoute au droit déjà accordé aux légataires de demander la séparation des patrimoines (v. art. 1171-40 et 1192 bis). C'est à peu près la même objection que celle qui a été faite (n° 423) à l'hypothèque légale générale des légataires du Code français (v. art. 1017), en présence de la même séparation des patrimoines (v. art. 2111).
Voici l'utilité qu'on peut lui reconnaître: les légataires qui invoquent la séparation des patrimoines viennent tous en concours (après les créanciers, bien entendu); lorsqu'ils auront reçu une hypothèque, ils viendront dans l'ordre que leur aura assigné le testament complété par l'inscription, et s'il n'avait été donné d'hypothèque qu'à un ou à plusieurs, cela suffirait à leur donner la préférence sur ceux qui ne pourraient invoquer que le droit commun de la séparation des partrimoines.
On pourrait encore objecter qu'il n'est pas nécessaire que le testateur donne une hypothèque au légataire qu'il veut favoriser de préférence aux autres; il suffit. en effet, qu'il exprime sa volonté à cet égard, dans son testament ou dans un codicille (c. civ. fr., art. 927); mais l'hypothèque sera toujours utile pour suivre les immeubles sur les tiers détenteurs quand la séparation des patrimoines n'aura pas été demandée dans les six mois.
L'hypothèque testamentaire pourra recevoir une autre application, et plus fréquente: elle pourra être donnée pour la garantie de la dette d'un tiers. Elle constituera alors une double libéralité, tant en faveur du débiteur qu'en faveur du créancier, comme il a été expliqué plus haut, pour l'hypothèque conventionnelle fournie par un tiers (v. n° 439).
SOMMAIRE.
Art. 1219. — N° 441. Nécessité de publier les hypothèques comme les priviléges sur les immeubles; le moyen n'est pas la transcription de l'acte constitutif d'hypothèque, mais une inscription substantielle. -442. L'hypothèque légale des femmes mariées, des mineurs et des interdits est soumise à l'inscription dans le Projet.
1220. —443. Deux cas où l'inscription ne peut plus être prise sur le débiteur: idée commune. -444. Ier Cas. Insolvabilité du débiteur. -445. IIe Cas. Décès du débiteur présumé insolvable. -446. Comparaison du Code français et du Projet. ->447. Renvoi pour l'inscription sur un tiers acquéreur.
1221. —448. La prise de l'inscription est un acte d'administration.
1222. -449. Inscription par la femme, par le mari, par - les parents ou alliés de la femme; non par le Procureur publie (Kenji).
1223. —450. Inscription par le tuteur, parle subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille; responsabilité solidaire.
1224. -451. Application des règles précédentes aux interdits pour démence ou par suite de condamnations.
1225 et 1226. -452. Formalités de l'inscription; justification préalable du droit même d'hypothèque et du droit de propriété du débiteur. —452 bis. Droits et devoirs du conservateur, au cas de justification insuffisante. - 453. Cinq désignations à porter au bordereau d'inscription. —454. Cas de mention d'une cession ou subrogation en marge d'une inscription antérieure.
1227. —455. Désignation spéciale de la créance, au cas d'hypothèque légale, lorsqu'il n'y a pas de titre.
1228 -456. Nécessité, pour le créancier, d'une élection de domicile dans l'arrondissement du bien hypothéqué.
1229. —457. Nécessité, pour le créancier, d'une élection de domicile dans l'arrondissement du bien hypothéqué.
1230. —458. Récépissé du conservateur: garanties du rang.
1231. -459. Cas de décès du débiteur.
1232. —460. Utilité du double des bordereaux.
1233. -461. Sanction des omissions, insuffisances ou inexactitudes dans les bordereaux.
1234. —462. Durée de la force de l'inscription: le Projet la porte à t ren te ans. —4G3, Combinaisons du déUii de la créance.
1235. -464. Renouvellement de l'inscription après faillite déconfiture ou décès du débiteur: distinction.
1236. -465. Garanties respectives du requérant et du conservateur, au sujet du renouvellement.
1237. -466. Charge des frais d'inscription et de renouvellement: distinction.
1238. 467. Compétence du tribunal du lien des notifications à faire; rappel des divers sens du mot " réel."
COMMENTAIRE.
Art. 1219. — N° 441. Il y a les mêmes raisons de publier les hypothèques que les priviléges sur les immeubles: comme leur effet est de donner un droit de préférence sur les autres créanciers et un droit de mite contre les tiers acquéreurs du bien hypothéqué, il faut qu'il ne puisse y avoir aucune surprise des uns ou des autres.
Le moyen de publicité n'est pas, comme pour le privilége de l'aliénateur, la transcription du titre constitutif de l'hypothèque, mais son inscription par extraits, comme pour le privilége des entrepreneurs de travaux.
L'inscription se fait au même bureau que la transcription, au lieu où sont situés les immeubles hypothéqués.
Il pourra arriver que le bien hypothéqué soit assez étendu pour dépendre de plusieurs bureaux de transcription et qu'il ait été hypothéqué en bloc; dans ce cas, pour éviter les frais, la loi n'exige l'inscription qu'au bureau dans lequel se trouve le chef-lieu du domaine: dans les autres bureaux on fera seulement une mention de l'inscription, spécialement de sa date, de sorte qu'il sera facile de s'y référer.
442. Notre article pose le principe absolu "qu'aucune hypothèque, même légale, n'est opposable aux tiers si elle n'est rendue publique par une inscription " et il n'annonce ni ne recevra aucune exception.
11 y a là une profonde et grave différence avec le Code français qui affranchit de la publicité l'hypothèque légale des femmes mariées, des mineurs et des interdits (v. art. 2135). Ce caractère occulte, secret, de l'hypothèque des incapables a eu bien des adversaires lors de la discussion du Code civil; mais il a triomphé par la puissance d'une longue tradition et parce qu'à cette époque les idées économiques de crédit, de sécurité des transactions, n'avaient pas encore la puissance qu'elles ont acquise depuis.
Sans doute, il est juste que la femme et le mineur soient protégés efficacement, exceptionnellement même, contre la mauvaise gestion et l'insolvabilité du mari et tuteur; cela suffit à expliquer que ces personnes reçoivent de la loi une hypothèque, sans avoir à la stipuler; cela explique aussi que l'hypothèque soit générale; mais il ne faut pas aller jusqu'à exposer à des priorités de créances ou à des évictions résultant du droit de suite des tiers de bonne foi, c'est-à-dire des créanciers ou des acquéreurs ayant traité avec les maris ou les tuteurs. ignorant le mariage ou la tutelle ou au moins l'importance des reprises de la femme et des restitutions dues au mineur.
Tout le système du Projet japonais, en matière d'acquisition de droits réels immobiliers, repose sur la publicité; 01', la moindre exception et celle-là serait considérable, formerait une brèche par laquelle entrerait l'incertitude et, par suite, le discrédit de la propriété foncière et la difficulté de la circulation des biens.
Du reste, si le Code français dispense d'inscription l'hypothèque des femmes et des mineurs, c'est en ce sens que les effets n'en sont pas subordonnés à l'inscription; mais la publicité n'en est pas moins dans le vœu de la loi: elle impose l'inscription au mari et au tuteur, comme un devoir (a), et elle invite à la prendre les parents de la femme et du mineur; même l'officier du ministère public est chargé de prendre cette inscription dans l'intérêt des incapables (v. art. 2136 à 2139).
Au surplus, la tendance des nouvelles législations civiles est de soumettre les hypothèques légales des incapables à l'inscription: la loi belge de 1851, le Code hollandais et le Code italien ne reproduisent pas les dispositions du Code français à cet égard.
a) Ce devoir n'avait qu'une sanction et elle 11 cessé d'exister: le mari
- ou le tuteur qui avait constitué des hypothèques sur ses biens, sans déclarer expressément la. créance liypotbéca.ire delà femme ou du mineur, était réputé stelUonataire et, comme tel, contraignable par corps (v. art. 2136, 2'3 al.); mais la contrainte par corps a été abolie en matière civile par une loi du 22 juillet 1867.
Art. 1220. — 443. Les deux conditions mises ici à la validité de l'inscription à prendre "sur le débiteur " (celle à prendre " sur un tiers détenteur " est réglée plus loin) sont négatives: il ne faut pas qu'au moment où l'inscription est prise le débiteur soit déjà insolvable ou, s'il est mort, que sa succession soit traitée par ses héritiers d'une manière qui fasse présumer qu'elle est insuffisante à payer ses dettes.
L'idée commune aux deux cas est que si l'inscription était possible, quand il est certain ou légalement présumé que le passif du débiteur est supérieur à son actif, le créancier le mieux en situation de connaître cette circonstance, par sa proximité du domicile du débiteur ou autrement, se hâterait de prendre inscription et acquerrait ainsi la priorité sur les autres, sans cause légitime.
Chacun de ces cas ne demande que peu d'explications.
444. Ier Cas. Cette limite au droit de prendre inscription ne concerne que les hypothèques nées avant que l'insolvabilité soit survenue: la loi a soin d'exprimer que l'inscription ne peut être prise lorsque cette insolvabilité est survenue " postérieurement à la naissance de l'hypothèque c'est alors, en effet, que le créancier est en faute d'avoir tenu secret un droit que les tiers avaient intérêt à connaître. Dans le cas, au contraire, où. le créancier n'a acquis l'hypothèque légale ou conventionnelle que depuis que le débiteur est devenu insolvable, il a augmenté l'actif du débiteur en lui fournissant une valeur, et l'inscription qu'il prendra ne lui conférera aucun avantage illégitime, elle ne le préservera même pas de tout risque (aa).
Pour que le créancier ne soit pas incertain sur son droit de prendre inscription, la loi veut que l'insolvabilité du débiteur soit " régulièrement déclarée " (ce qui suppose que la constatation de la déconfiture aura une procédure, comme la déclaration de faillite), ou qu'elle soit " devenue notoire " et cela, non d'une façon qui puisse elle-même être discutée, mais " par la saisie de tout ou de la majeure partie de ses biens."
Quant à l'obstacle que mettra certainement la faillite à l'inscription, c'est le Code de Commerce qui le déterminera (comp. c. com. fr., art. 448).
445. IIe Cas. Le débiteur est décédé après la naissance de l'hypothèque, mais elle n'était pas inscrite. Si la succession est acceptée purement et simplement par l'héritier unique, ou par tous, s'ils sont plusieurs au même rang, il n'y a pas lieu de croire la succession insolvable, car, sans doute, la future loi japonaise des Successions n'admettra pas d'héritiers nécessaÍl'es, c'està-dire qui ne puissent refuser la succession (v. cep. T. II, n° 535). Mais si la succession n'est acceptée que sous bénéfice d'inventaire, ou, à plus forte raison, si elle est refusée ou vacante, alors, il est probable que la succession est insolvable, et l'inscription ne peut plus être prise.
Si le créancier avait pris l'inscription après l'ouverture de la succession, mais avant que l'héritier eût pris parti, le sort de l'inscription dépendrait de ce que ferait l'héritier.
446. Ces décisions sont imitées de la loi française, mais n'y sont pas identiques.
D'abord, le Code français n'a statué qu'en vue de la faillite, il n'a pas mentionné la déconfiture ni l'insolvabilité notoire (v. art. 2146).
En ce qui concerne la succession, il n'a annulé l'inscription qu'au cas d'acceptation sous bénéfice d'inventaire, ce qui peut comprendre, à plus forte raison, la renonciation et peut-être la vacance. Voilà la similitude des deux législations. Mais voici, sinon des différences) au moins des questions sur lesquelles le Code français nous paraît laisser des doutes sérieux et que le Projet tranche formellement:
1°Si l'inscription a été prise, comme on l'a supposé plus haut, avant que l'héritier ait pris parti, on peut soutenir sous le Code français, qu'elle est valable, quoiqu'il arrive, et lors même que plus tard l'héritier refuserait 01) accepterait sous bénéfice d'inventaire: d'après le Projet, le sort de l'inscription est un suspens et elle se trouvera annulée par le refus ou l'acceptation bénéficiaire;
2° Si l'un des héritiers a accepté purement et simplement et un autre sous bénéfice d'inventaire, on peut douter de la nullité de l'inscription, en droit français; dar.s le. Projet, la nullité sera certaine;
3° Si l'acceptation a été faite sous bénéfice d'inventaire, parce que la suscession était échue à un mineur qui ne peut accepter autrement (v. c. civ. fr., art. 461), on peut douter qu'il y ait lieu dans ce cas de prononcer la nullité de l'inscription, parce que la présomption d'insolvabilité n'a plus le même fondement; dans le Projet japonais, il n'y aura pas de doute: il faut une acceptation pure et simple.
Ces trois solutions sont faciles à justifier par un dilemme: ou la succession est définitivement trouvée solvable, alors il n'y a pas d'inconvénient pour le créancier à ce que son inscription soit nulle, puisqu'il sera payé sans l'hypothèque; ou la succession est réellement insolvable, et alors il est juste que l'inscription soit nulle, quoique le créancier ait pu un instant espérer qu'elle serait valable.
447. Le 1er alinéa et ses deux applications ne concernent que les limites au droit d'inscription " sur le débiteur le dernier alinéa renvoie à la Section v pour ce qui concerne le droit d'inscription " contre le tiers détenteur" (v. art. 1262 et s.).
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(aa) On suppose que l'hypothèque résulte d'un acte onéreux: un acte gratuit, eu pareil cas, serait généralement nul.
Art. 1221. — 448. La prise de l'inscription n'étant qu'un acte conservatoire du droit d'hypothèque n'exige que la capacité d'administrer les biens. Ceux qui ne l'ont pas sont remplacés à cet égard par leur représentant légal ou judiciaire dont c'est " le droit et le devoir" de prendre inscription. 11 en est de même des mandataires conventionnels généraux. A l'égard du mandataire spécial, il faut considérer comme tel, non seulement celui qui aurait été chargé de prendre l'inscription. mais encore, comme l'exprime le texte, " celui qui aurait été chargé de passer l'acte auquel est attachée l'hypothèque légale ou conventionnelle il y a là une de ces "suites nécessaires" du mandat dont l'article 929 a donné d'autres exemples.
Enfin, la loi déclare qu'un mandat n'est pas nécessaire pour la validité d'une inscription: elle peut être prise, à titre de bon office, par un gérant d'affaires.
Art. 1222. — 449. La femme est la première intoressée à la publicité et à la conservation de son hypothèque, elle peut donc en prendre elle-même l'inscription; la loi dit qu'elle n'a pas besoin pour cela de l'autorisation de son mari ni de celle de justice: de son mari, parce que, leurs intérêts étant contraires, il la refuserait souvent; de la justice, parce que, la femme ne pouvant que profiter et non souffrir dans ses intérêts, par l'effet de cette inscription, l'autorisation serait toujours accordée.
L'hypothèque ne peut être inscrite tant que la femme n'a pas quelque créance contre son mari, fût-ce une créance seulement conditionnelle, sans distinguer d'ailleurs si elle est née d'un contrat ou d'une autre cause reconnue par la loi.
Comme l'hypothèque est générale, l'inscription peut être prise sur tout ou partie des immeubles, au gré de la femme: il n'y a guère à craindre l'abus de sa part, ne fût-ce que parce que ce seraient des frais et des peines inutiles; d'ailleurs, le mari peut toujours faire réduire les inscriptions excessives, comme la loi lui en réserve le droit (v. art 1241).
Pour le mari, c'est un devoir de prendre inscription au nom de sa femme, lorsqu'elle ne l'a pas fait: naturellement, il n'est pas tenu de prendre inscription sur tous ses immeubles, mais il doit, autant que possible, prendre l'inscription sur des immeubles libres ou encore assez peu grevés pour garantir suffisamment les droits de la femme. Le texte a soin de dire aussi qu'il n'est tenu de prendre inscription pour sa femme que " lorsqu'il est son débiteur; " or, il ne l'est pas nécessairement.
Si ni le mari ni la femme n'ont pris l'inscription, les parents ou alliés de la femme peuvent la prendre, spontanément et sans mandat de sa part; mais ils devraient s'arrêter devant un refus formel de celle-ci ou, à plus forte raison, devant une renonciation de sa part à l'hypothèque.
La loi ne donne pas le droit au Procureur public (Kenji) de prendre inscription pour la femme, comme il le peut en France; il n'y a plus, en effet, même motif: du moment que, dans le Projet, l'effet de l'hypothèque est subordonné à l'inscription, la femme ne sera pas portée, comme en France, à négliger de la prendre ou de la faire prendre par un de ses parents.
Art. 1223. — 450. Pour l'inscription de l'hypothèque du mineur, nous trouvons des dispositions à peu près semblables; toutefois, c'est le tuteur qui figure en première ligne, comme devant prendre l'inscription. Après lui vient le subrogé-tuteur, dont le rôle est de représenter le mineur quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du tuteur (v. c. civ. fr., art. 420).
En troisième lieu viennent les parents ou alliés du mineur; à la différence des parents et alliés de la femme, la loi leur fait un devoir de prendre l'inscription, mais seulement en tant qu'ils sont membres du conseil de famille. Pour eux, comme pour le subrogé-tuteur, cette obligation a une sanction, c'est la condamnation aux dommages-intérêts du mineur, parce qu'ils sont gardiens de ses intérêts; et comme l'obligation est la même pour tous, la loi établit ici un nouveau cas de solidarité légale.
Quant au tuteur, il ne peut être question de le condamner à des dommages-intérêts envers le mineur, puisque, s'il est insolvable, cette condamnation n'ajouterait rien aux droits du mineur déjà son créancier.
Le mineur peut lui même requérir l'inscription, mais seulement lorsqu'il a été émancipé, parce qu'alors la tutelle a cessé et que le mineur prend l'administation de ses biens. Lorsque la tutelle a cessé, le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille restent obligés de prendre inscription pour les créances du mineur nées pendant leur responsabilité,
laquelle dure tant que les comptes ne sont pas rendus et soldés.
Art. 1224. — 451. L'assimilation aux mineurs des interdits pour démence est constante; elle a déjà fait accorder l'hypothèque légale générale aux uns et aux autres; il est donc naturel qu'on la retrouve ici au sujet de l'inscription: le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille devront prendre inscription et sous la même sanction que lorsqu'il s'agit du mineur. La seule différence à noter, c'est que l'interdit pour démence ne peut jamais requérir lui-même l'inscription.
Quant à l'interdit par suite de condamnation judiciaire, il est admis à donner, à cet effet, un mandat spécial à un étranger, et s'il n'est pas autorisé à prendre lui-même l'inscription, c'est parce que ce serait incompatible avec le régime pénitentiaire.
Art. 1225 et 1226. —452. La loi arrive aux formalités mêmes de l'inscription (1).
11 faut, avant tout, que le créancier requérant, ou celui qui le représente, justifie près du conservateur de l'existence du droit même d'hypothèque. La loi en indique le moyen pour les trois espèces d'hypothèques. Le texte de l'article 1225 est assez précis à cet égard pour qu'il n'y ait rien à y ajouter.
Cette justification a pour but d'empêcher des inscriptions mal fondées qui diminuraient le crédit du propriétaire et qu'il faudrait faire radier ensuite, avec des lenteurs et des frais.
Il faut aussi justifier que le débiteur est bien le propriétaire de l'immeuble sur lequel l'inscription est requise. Ce n'est pas pour établir la validité de l'hypothèque, dans l'intérêt du créancier, car c'est à celui-ci à veiller lui-même à sa sécurité et non au conservateur; c'est pour éviter qu'à la faveur d'une similitude de noms, ou autrement, le débiteur qui ne serait pas le véritable propriétaire de l'immeuble ne laisse conpromettre le crédit de celui-ci par une inscription illégitime; aussi la loi ernploie-t-elle une formule toute spéciale impliquant cette idée: " la justification de l'identité du débiteur avec le propriétaire de l'immeuble sur lequel l'inscription est requise, tel qu'il est porté aux registres (aaa)."
452 bis. Si le requérant ne faisait pas complètement les deux justifications requises, le conservateur qui est, avant tout, le gardien des droits constatés sur ses registres, pourrait, jusqu'à plus amples preuves, refuser de faire l'inscription.
Mais comme ses objections pourraient être mal fondées et entraîner des retards préjudiciables au rang du créancier, le conservateur devra, sans qu'il soit besoin même de l'en requérir, délivrer au créancier " une déclaration écrite des causes précises de son refus," et celui-ci pourra faire statuer par le tribunal tant sur les objections ellesmêmes, s'il y a lieu, que sur la responsabilité du conservateur. Tel est l'objet du renvoi de notre article à l'article 1304 qui généralise cette mesure.
C'est une protection exceptionnelle accordée par la loi au créancier que cette déclaration doive lui être remise " d'office: " autrement, beaucoup de créanciers, ignorant leur droit de l'exiger, pourraient être victimes du mauvais vouloir, de l'ignorance ou des scrupules exagérés du conservateur (2).
453. La pièce ou bordereau (b) à présenter au conservateur, d'après l'article 1226, a une grande importance, parce que l'inscription consistera dans sa reproduction.
Elle désigne d'abord le créancier et le débiteur. La loi est un peu moins exigeante pour la désignation précise du débiteur, parce que c'est le créancier qui la fait et il ne peut le désigner aussi facilement que quand il s'agit de lui-même.
Il faut ensuite énoncer la cause de l'hypothèque: la loi, la convention ou le testament. A la rigueur, le bordereau pourrait ne pas mentionner la loi, comme cause de l'hypothèque, si la désignation du créancier et du débiteur indiquait déjà clairement les qualités respectives desquelles la loi fait résulter l'hypothèque.
La désignation de la créance est peut-être la mention la plus importante; c'est celle que les autres créanciers ont le plus intérêt à connaître lorsqu'elle doit les primer.
L'évaluation en argent de la chose due, au moment de l'inscription, au plus tard, a déjà été justifiée précédemment (v. n° 434).
Enfin, il faut qu'il n'y ait pas d'incertitude sur l'immeuble même soumis à l'hypothèque: on indiquera " sa nature," bâtiment, terre labourable, rizière, bois, lande, etc.; " sa situation " sera facile à déterminer, s'il s'agit de maison dans une ville; s'il s'agit de terrain dans la campagne, on pourra, outre les moyens ordinaires, recourir à la désignation des propriétés voisines dites, en français, " tenants et aboutissants " (v. c. pr. civ. fr., art. 64).
454. C'est une innovation du Projet que la nécessité pour les cessionnaires et les subrogés de faire connaître leur droit par une mention en marge de l'inscription déjà prise. Seulement, dans ce cas, ils n'ont pas besoin de reproduire dans leur bordereau ce qui concerne la désignation du débiteur, de la cause de l'hypothèque, de la créance transférée et du bien hypothéqué; mais ils doivent y porter leur propre désignation, comme créanciers, et celle du titre de cession ou de subrogation conventionnelle, ou du fait entraînant subrogation légale.
On trouve aux articles 1045, 1074, 1191, 1257 et 1258 des applications intéressantes de cette mention de la subrogation.
Si la créance objet de la cession ou de la subrogation n'avait pas été déjà inscrite, le cessionnaire ou le subrogé devrait la faire inscrire dans les formes ordinaires, avec la mention marginale de son droit.
Le bordereau dont il vient d'être parlé doit être présenté en double original: l'article 1232 en fait voir l'utilité.
Si un bordereau est incomplet ou irrégulier, le conservateur en fera l'observation au requérant et l'inscription sera ajournée, jusqu'à ce que l'omission ou l'irrégularité ait été réparée. Mais pour qu'il n'y ait pas d'abus d'autorité de la part du conservateur et comme un retard à l'inscription peut être très préjudiciable au créancier, le requérant trouve dans l'article 1304 la protection efficace déjà signalée plus haut: le conservateur lui remettra d'office une déclaration de son refus et des motifs du refus et le tribunal statuera s'il y a lieu sur la validité du refus ou sur la responsabilité du conser. vateur.
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(1) Le Code officiel ne présente' aucune de ces formalités: elles, devront être l'objet d'un Règlement spécial.
(aaa) L'article 393 du Code pénal japonais punit de l'escroquerie celui qui hypothèque un immeuble ne lui appartenant pas.
Il est peut-être difficile de faire rentrer cette fraude dans l'article 405 du Code pénal français.
L'article 2059 du Code civil qui attachait la. contrainte par corps à cette fraude est aujourd'hui aboli avec la contrainte par corps en matière civile.
(2) Le Code officiel n'a pns conservé cette disposition qui constitue à la fois un droit et un devoir pour le conservateur.
(b) Le mot bordereau, très usité, en français, dans la langue des affaires, se dit de toute pièce qui récapitule, par ordre, en une sorte de tableau, des faits, des chiffres, des dates, de manière à frapper les yeux autant que l'esprit.
Art. 1227. — 455. La créance garantie par une hypothèque conventionnelle résulte toujours d'un titre, c'est-à-dire d'un acte juridique ayant pour but de la créer, ou, au moins, elle est reconnue et constatée par un titre instrumentaire; il en est de même, évidemment, de la créance à laquelle est attachée l'hypothèque testamentaire; dès lors, rien n'est plus facile que de remplir, dans le bordereau, la quatrième condition prescrite par l'article 1226.
Mais les créances à, hypothèque légale des incapables peuvent résulter de faits constituant un enrichissement indû ou un dommage injuste. S'il y a avait eu reconnaissance de ces faits ou jugement les tenant pour certains, ce serait encore un titre; mais la loi n'exige pas - que le droit du créancier soit arrivé à ce degré de certitude pour que l'inscription de l'hypothèque légale puisse être prise: ce serait exposer l'incapable à être primé par d'autres créanciers que le mari ou le tuteur voudrait favoriser. Il suffit donc que le requérant déclare, en substance, le fait en vertu duquel il se prétend créancier; il y ajoutera, comme toujours, l'évaluation en argent de son prétendu droit. Plus tard, si les faits sont judiciairement démentis ou réduits dans leur importance, l'inscription sera radiée ou réduite.
Art. 1228. — 456. L'hypothèque pouvant amener des procédures de saisie et d'ordre entre créanciers, ou donner lieu au droit de suite contre un tiers détenteur, il faut que les divers intéressés puissent être facilement en communication avec le créancier inscrit; de là, la nécessité d'une élection de domicile spécial, à défaut d'un domicile réel dans l'arrondissement de la situation du bien.
Le changement de domicile n'a aucun inconvénient, du moment qu'il est publié.
La loi admet toute personne intéressée à faire désigner un domicile dans l'inscription; elle n'y admet, pas le débiteur comme n'ayant pas d'intérêt, puisqu'il connaît nécessairement le domicile de son créancier.
Art. 1229. — 457. IV inscription ne peut ordinairement se faire immédiatement et en présence du requérant; il ne faut pourtant pas que le rang du créancier en soit compromis; de là, la remise d'un récépissé délivré en la forme prescrite par notre article.
On remarquera qu'il est " détaché d'un registre à souche, " qu'il porte " un numéro d'ordre pour la journée, " et qu'il est détaché " en présence du requérant," lequel a le droit de s'assurer que lé numéro est bien exact.
Cet ensemble de précautions a une grande importance, car l'article 1253, différent de l'article 2147 du Code français, ne donne pas le même rang aux divers créanciers inscrits le même jour, mais bien le rang de leur inscription.
Art. 1230. — 458. Cet article ne demande aucun développement: il repose sur l'idée que le nom de l'héritier seul ne serait pas une désignation suffisante du créancier; de même, au cas de mandat, il faut la réunion des noms et qualités du mandataire et du mandant.
Art. 1231. — 459. Si c'est le débiteur qui est décédé, le créancier peut encore s'inscrire sur lui, car il peut ignorer le décès ou le nombre et les noms des héritiers; mais s'il connaît ceux-ci, il peut s'inscrire sur eux tous.
Si l'immeuble est échu par le partage à un seul héritier, l'inscription pourra être prise sur celui-là seul; mais si le partage n'avait pas été transcrit, l'inscription pourrait encore être prise sur le défunt ou sur tous les héritiers.
Dans le cas d'une hypothèque fournie par un tiers, il est clair que l'inscription est prise sur lui; mais cela ne dispense pas de porter au bordereau le nom du débiteur.
Art. 1232. — 460. Voici la garantie complémentaire du requérant contre le conservateur et en même temps la garantie de celui-ci contre le requérant; grâce à ce que le bordereau a été présenté en double original, chaque partie aura dans les mains la preuve qui lui est nécessaire: le requérant aura la preuve que l'inscription a été faite, ainsi que celle de sa date et de son numéro d'ordre sur le registre principal et sur le registre des récépissés; le conservateur a la preuve de ce qu'il lui a été demandé d'inscrire, de sorte que s'il a suivi textuellement le bordereau, il n'est pas responsable des inexactitudes ou omissions qui pouvaient s'y rencontrer.
L'apposition du même sceau sur chaque feuillet est une coutume japonaise excellente: chaque feuillet d'un double est rapproché, par la marge supérieure, du feuillet correspondant de l'autre double, et le sceau est apposé sur le point de rencontre, de manière à laisser sur chacun une empreinte de moitié, plus ou moins, ce qui rend impossible la substitution d'un feuillet à un autre. On marque aussi, en.général, les points d'attache des feuillets de chaque original (3).
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(3) La disposition finale de notre article est analogue à celle d'un article 368 bis, relatif aux transcriptions, que nous avions ajouté lors de la révision; mais comme il n'a pas été admis, nous ne l'avons reproduit qu'en note, au Tome II, n° 201.
Art. 1233. — 461. La loi ne pouvait prononcer la nullité, d'une façon absolue, pour toute omission ou insuffisance, dans les bordereaux, des mentions prescrites ci-dessus: il peut y avoir, à cet égard, des variétés infinies; elle ne pouvait, non plus, n'attacher aucune sanction à ses prescriptions. La seule solution possible était de laisser aux tribunaux le pouvoir d'apprécier la gravité de ces omissions et l'importance du préjudice qui en pourrait résulter pour les tiers que l'inscription avait pour but d'avertir. C'est, du reste, la solution admise en jurisprudence française, en l'absence de texte.
La plus grave des omissions serait celle qui concernerait le montant de la créance hypothécaire, ou la désignation de l'immeuble, au cas où le débiteur en aurait plusieurs dans le même arrondissement. Au contraire, il y aurait peu de dommage pour les tiers à ne pas être complètement renseignés sur la cause de la dette, sur sa date ou sur celle de son échéance.
Généralement, l'expérience du conservateur préviendra ces difficultés, au moment où le bordereau lui sera présenté.
Art. 1234. — 462. Le Code français veut que les inscriptions soient renouvelées tous les 10 ans (art. 2154), le Code belge tous les 15 ans, le Code italien tous les 30 ans; Le Code hollandais n'exige pas de renouvellement.
Les raisons données pour abréger la durée de la force d'une inscription ne sont pas de véritables raisons de droit, mais seulement de fait et de pratique: on dit que si l'inscription a une valeur trop prolongée, les recherches à faire par les conservateurs deviendront très laborieuses, parce qu'elles devront s'étendre à un grand nombre de registres. Cette raison est tout au plus applicable aux grandes villes où les propriétés sont plus agglomérées et plus souvent hypothéquées que dans les campagnes; mais encore, les bureaux d'inscription y sont aussi plus multipliés, et il est possible, au moyen de bons répertoires, de rendre les recherches faciles.
Le Projet admet donc que l'inscription conserve son effet pendant trente ans, après quoi elle sera périmée; c'est, en même temps, le délai maximum possible de la prescription de la créance à laquelle l'hypothèque est attachée.
463. Cette combinaison de la péremption de l'inscription avec la prescription de la créance demande quelque précaution et présente plusieurs cas.
1° Si la prescription de la créance est de trente ans et n'a été ni suspendue, ni interrompue, la créance est éteinte (si toutefois le débiteur invoque la prescription) et l'hypothèque l'est aussi, par voie de conséquence (v. art. 1305): il est sans intérêt, dans ce cas, de remarquer que l'inscription est en même temps périmée;
2° Si la prescription de la créance est de moins de trente ans, la créance et l'hypothèque seront éteintes en même temps et l'inscription n'aura plus d'effet, sans être à proprement parler périmée;
3° Si la prescription de la créance était de trente ans, mais a été suspendue ou interrompue, cela n'empêchera pas que la péremption de l'inscription s'accomplisse par trente ans, parce qu'elle n'est pas suspendue en faveur des incapables (2° al.) (a) et qu'elle ne peut être interrompue que par un renouvellement qu'on ne suppose pas avoir eu lieu;
4° Si la prescription était encore de trente ans et n'a été ni suspendue, ni interrompue, lors même que l'inscription a été renouvelée avant l'expiration des trente ans, la créance est éteinte par prescription et l'hypothèque en même temps, parce que l'inscription ou son renouvellement n'interrompent pas la prescription (v. art. 1311 et c. civ. fr., art. 2180, in. f.);
5° Si la prescription était de moins de trente ans et a été interrompue, la créance est conservée et l'inscription continue à valoir d'elle-même, parce que le délai de la péremption est de trente ans.
Le texte nous dit, en terminant, quel est l'effet du renouvellement avant et après la péremption: si l'inscription est renouvelée avant d'être périmée, elle conserve l'hypothèque à son rang primitif; si elle est renouvelée après la péremption, c'est, en réalité, une inscription nouvelle qui ne vaut qu'à sa date.
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(e) On sait déjà que les prescriptions de plus de cinq ans ne sont suspendues au profit des mineurs que pendant la dernière année: c'est une suspension limitée (v. art. 1467).
Art. 1235. — 464. On a vu à l'article 1220 que l'inscription d'hypothèque ne peut être prise sur le débiteur après sa faillite, son insolvabilité, déclarée ou notoire, ou son décès, si la succession n'est pas acceptée purement et simplement.
Si ces événements sont survenus depuis l'inscription, ils n'empêchent pas le renouvellement de l'inscription dans les trente ans, parce qu'alors l'inscription garde toujours la même date.
Si l'inscription a été périmée, le renouvellement n'est plus possible, parce que l'on se retrouve dans le cas de l'article 1220 où une inscription primitive n'est pas permise.
Art. 1236. — 465. La réquisition ou l'accomplissement du renouvellement demandent les mêmes garanties respectives du requérant et du conservateur que lorsqu'il s'agit de l'inscription première (v. art. 1232): le texte est suffisamment explicite à cet égard.
Art. 1237. — 466. Le présent article diffère du Code français qui met les frais d'inscription en entier à la charge du débiteur, sans distinction (v. art. 2155).
C'est une règle déjà consacrée par le Projet (v. art. 353, 3c al. et 671) que, dans les contrats synallagmatiques ou seulement à titre onéreux, les frais de contrat sont supportés pour moitié par les deux parties, comme ayant également intérêt, et par le créancier seul si le contrat est à titre gratuit. Ici, quoiqu'il ne s'agisse que de la suite d'un contrat et non du contrat lui même, la loi applique le même principe.
S'il s'agit de l'hypothèque constituée par un tiers, on devra tenir compte des distinctions un peu délicates faites par l'article 1217 (v. n° 431).
Quant aux frais du renouvellement, la loi les met, dans tous les cas, à la charge du créancier. C'est un cas que le Code français n'a pas réglé; nous hésitons à croire qu'il faille y appliquer l'article 2155.
Art. 1238. — 467. Il est naturel que la compétence au sujet des contestations relatives aux inscriptions soit celle du tribunal de la situation du bien, parce que ces contestations ont un caractère réel.
Pour les notifications au créancier, elles lui sont nécessairement faites au domicile par lui élu dans l'inscription (v. art. 1228), puisque c'est là surtout le but de cette élection de domicile. Quant aux notifications à faire au débiteur ou au tiers qui a fourni l'hypothèque, la loi ne déroge pas au droit commun: elles leur seront faites à leur domicile réel (d).
SOMMAIRE.
Art. 1239. — N° 468. Trois causes de radiation de l'inscription.
1240. —469. Importance des questions à juger; compétence: distinction.
1211. —470. Deux causes de réduction de l'inscription de la femme; renvoi pour une troisième cause, commune à toutes les inscriptions.
1242. —471. Mêmes causes de réduction pour l'inscription du mineur et de l'interdit.
1213. 472. Idem pour l'hypothèque conventionnelle: différence avec le Code français.
1214. 473. Idem pour l'hypothèque testamentaire.
1214 bis. -474. Cause commune de la réduction de l'inscription quant à la somme due: extinction de la dette pour plus de moitié.
1245. —475. Nouvelle cause de radiation de l'inscription relative à certains immeubles.
1246. —476. Supplément d'hypothèque à fournir, même au cas de perte par cause fortuite ou majeure: différence avec le cas de l'article 1207.
1247. —477. Consentement du créancier à la radiation ou à la réduction: nécessité d'un acte authentique.
1248. —478. Capacité requise chez le créancier pour consentir à la radiation ou à la réduction.
1249. —479. Procuration pour consentir aux mêmes actes.
1250. —480. Forme de la radiation et de la réduction.
1251. —481. Rétablissement d'une inscription radiée ou réduite: applications. -482. Conflit entre l'ancien créancier et les nouveaux: règlement proposé.
1252. -483. Redressement des errours ou omissions: mentions rectificatives.
COMMENTAIRE.
Art. 1239. — N° 468. Le présent article nous indique trois causes de radiation de l'inscription: les deux premières sont tirées de la créance ou de l'hypothèque et n'atteignent l'inscription que par voie de conséquence; la dernière est directement tirée de l'inscription ellemême.
Le texte est assez précis pour n'avoir pas besoin de développements à ce sujet.
Remarquons seulement ce qui concerne l'extinction de la dette; il n'y a lieu à radiation que si l'extinction est totale; s'il n'y avait qu'extinction partielle, ce serait le cas de réduction de l'inscription, énoncé plus loin.
Il y a aussi un renvoi à l'article 1245, pour un autre cas de radiation qui ne pouvait prendre place ici.
Art. 1240. — 469. La radiation de l'inscription, devant autoriser les tiers intéressés à considérer l'inscri ption comme non avenue, ne doit pas être faite témérairement ou avec des dangers d'erreur; aussi doit-elle être demandée et obtenue en justice, à moins qu'il n'y ait accord des parties, à cet effet, comme il est prévu aux articles 1247 et suivants.
La forme de la radiation est réglée à l'article 1250.
Les questions qui devront être jugées au sujet des demandes en radiation seront souvent très importantes, puisqu'elles pourront porter: 1° sur l'existence même de la prétendue créance hypothécaire, sur sa validité ou sur son extinction par un des modes légaux; 2° sur l'existence de l'hypothèque, légale, conventionnelle ou testamentaire; 3° sur la validité de l'inscription.
Le tribunal compétent est naturellement celui de la situation du bien, d'après l'article 1238. Cependant, s'il y avait à juger des questions de capacité et autres n'intéressant l'inscription que par voie de conséquence, le tribunal du domicile du créancier défendeur serait compétent d'après le droit commun: il suffirait que le défendeur déclinât la compétence du tribunal de la situation pour obtenir le renvoi (comp. c. civ. fr., art. 2159).
Art. 1241. — 470. La loi arrive à la réduction des inscriptions; le texte prévoit successivement les trois sortes d'hypothèques.
L'inscription de la femme peut être réduite pour deux causes: 1° si elle porte sur plus d'immeubles qu'il n'est nécessaire pour sa garantie, 2° si elle est prise pour une somme plus forte que la juste évaluation de sa créance.
Il y aurait bien un 3e cas de réduction, mais comme il est commun à toutes les hypothèques, il sera l'objet d'un article spécial, c'est le cas où la dette a été éteinte en partie (v. art. 1244 bis).
Pour que la réduction puisse ainsi avoir lieu, il faut, pour la première cause, que l'hypothèque n'ait pas été déjà restreinte à un ou plusieurs immeubles, par convention avec le mari, et pour la seconde, que l'évaluation de la créanue n'ait pas été faite de même par convention.
Art. 1242. — 471. L'hypothèque légale du mineur et de l'interdit est, ici encore, entièrement assimilée à celle de la femme: il y aura lieu aux deux mêmes causes de réduction de l'inscription, sous les deux mêmes conditions, à savoir que l'hypothèque ou l'inscription, n'ait pas reçu un caractère conventionnel par délibération du conseil de famille ou de tutelle, d'accord avec le tuteur.
Art. 1243 et 1244. -472. L'hypothèque conventionnelle semblerait, par sa nature, être irréductible quant aux immeubles, puisqu'elle doit être spéciale, et c'est ce que décide l'article 2161, in fine, du Code français; mais on a vu, à l'article 1213, que le Projet, moins rigoureux que le Code français, permet d'hypothéquer la totalité ou une quote part des biens présents, sans autre désignation; or, dans ce cas, la réduction de l'inscription est permise, s'il y a excès dans la garantie. La seconde cause de réduction fondée sur une évaluation excessive est également permise, si l'évaluation n'a pas été faite par convention avec le débiteur.
473. Mêmes solutions et aux mêmes conditions pour l'hypothèque testamentaire.
Art. 1244 bis. -474. On aurait pu croire qu'à cause de l'indivisibilité de l'hypothèque, aucune réduction de l'inscription ne serait possible pour cause d'extinction partielle de la dette; mais il y aurait là une confusion d'idées que la loi tient à prévenir: la réductoin de l'inscription ne diminue en rien les garanties du créancier, puisque, dans ce cas, ainsi que le texte a bien soin de l'exprimer, il n'y a pas réduction des immeubles hypothéqués, mais seulement de la somme portée dans l'inscription; dès lors, ce n'est pour le débiteur qu'un moyen de ne pas voir son crédit diminué plus qu'il n'est juste par une inscription excessive.
La loi n'admet pas non plus que la réduction puisse être demandée pour un payement partiel quelconque: il faut que la dette soit éteinte pour plus de moitié; sauf encore le droit pour le débiteur de faire mentionner, en marge de l'inscription, les payements partiels quelconques qu'il a faits, le tout à ses frais exclusifs, et cela, toujours pour conserver son crédit dans la mesure de la vérité.
Le silence du Code français sur la réduction de l'inscription, au cas d'extinction partielle ne nous paraît pas mettre obstacle à l'admission de ces solutions, même au cas d'hypothèque conventionnelle.
Art. 1245. — 475. Il est naturel que le jugement qui statue sur la demande en réduction faite par le débiteur déclare formellement quels immeubles seront affranchis de l'hypothèque, lorsqu'il y a lieu, et quelle somme restera garantie par l'inscription. C'est dans le premier cas qu'il y a lieu à une radiation que n'a pas énoncée l'article 1239, mais pour laquelle il a renvoyé à notre article. Il en résulte que l'article 1239 reste limité aux radiations qui dégrèvent complètement tous les immeubles du débiteur.
Art. 1246. — 476. Bien que le Projet se soit écarté du Code français (v. art. 2131), au sujet du supplément d'hypothèque à fournir, en cas de diminution de la garantie par le fait du débiteur (v. art. 1207), ce n'était pas une raison pour l'affranchir de cette obligation, lorsque les immeubles auxquels l'hypothèque a été restreinte ont subi des dépréciations, même fortuites ou résultant d'une force majeure: il ne faut pas perdre de vue qu'ici il y a un acte antérieur du débiteur qui a amené la restriction de l'hypothèque et indirectement causé cette insuffisance postérieure.
Art. 1247. — 477. Il est désirable, lorsqu'il y a lieu à la réduction d'une inscription, que le créancier y consente et n'oblige pas le débiteur à recourir à la justice, ce qui entraîne des lenteurs et des frais; mais comme ce sont des actes graves en eux-mêmes et qui modifient une situation solidement établie, la loi ne se contente pas d'un acte sous seing privé; lors même qu'il ne s'agit pas d'une hypothèque conventionnelle, il est naturel que, du moment que la convention intervient dans la radiation ou la réduction, elle revête la forme solennelle, comme lorsqu'il s'agit de constituer l'hypothèque ellemême par convention.
Art. 1248. — 478. Les distinctions que fait la loi au sujet de la capacité requise chez le créancier, pour consentir à la radiation ou à la réduction, sont naturelles et faciles à justifier: s'il y a eu extinction totale ou partielle de la dette, il suffit au créancier de pouvoir payer la dette ou en reconnaître le payement antérieur, car le consentement à la radiation ou à la réduction repose dans ce cas sur la reconnaissance d'un payement. S'il s'agit de l'une des deux autres causes de radiation ou de réduction comme elles ont toujours un caractère litigieux, il faut au créancier la capacité de transiger, car il se fait alors juge de son droit et de celui du débiteur, respectivement. Enfin, s'il y a renonciation pure et simple à tout ou partie du bénéfice de l'inscription, il est clair que le créancier dispose gratuitement d'un des avantages de sa créance et dès lors il lui faut la capacité de donner.
Art. 1249. — 479. La procuration pour consentir une hypothèque étant soumise à la forme authentique (art. 1211), il est naturel que la procuration pour la restreindre soit soumise à la même forme.
Quant à la capacité du mandataire, elle est de même réglée d'après les causes de la radiation ou de la réduction.
Art. 1250. — 480. Il est naturel aussi que la radiation ne soit pas une cancellation de l'inscription: celle-ci n'est pas biffée ou bâtonnée, parce qu'il peut survenir des circonstances où la radiation devrait elle-même être annulée et où l'inscription devrait reprendre sa force (v. art. suiv.). Elle consiste donc dans une mention, en marge de l'inscription, de la convention ou du jugement qui les a autorisées ou ordonnées, de sorte qu'elle présente en même temps sa cause et sa justification.
Quant à la réduction, il est encore plus évident qu'elle ne peut consister que dans une mention, car elle doit indiquer soit l'immeuble affranchi de l'inscription, soit la somme à laquelle elle est réduite.
Le conservateur n'est tenu de faire lesdites mentions que sur une preuve authentique de la convention ou du jugement; pour ce dernier, il faut, en outre, la preuve qu'il est devenu inattaquable, car il serait dangereux de faire une radiation ou une réduction qui pourrait être annulée sur un appel ou un pourvoi en cassation (a).
Le renvoi à l'article 1225 ne présente pas de difficulté: au même danger il faut le même remède.
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(a) Le Code de Procédure civile décide, comme la loi française, que le pourvoi eu cassation n'est pas suspensif de l'exécution en matière civile.Nous aurions préféré que l'exécution ne fût permise qu'après une décision préalable de la Cour sur l'admissibilité provisoire des moyens de cassation.
Art. 1251. — 481. C'est un point qui fait difficulté en France, dans le silence du Code civil, que celui que règle notre article. Sans doute, il sera rare que le jugement qui a ordonné la radiation ou la réduction de l'inscription soit annulé, puisqu'on vient de voir que la mention n'en est faite sur les registres que quand le jugement est devenu inattaquable; mais déjà la question de savoir si le pourvoi en cassation est suspensif de l'exécution, c'est-à-dire de la mention à faire, étant résolue négativement, il pourra y avoir cassation du jugement et réformation de ce qui en est suivi; ensuite, il y a des recours extraordinaires dont la possibilité ne sera certainement pas suspensive de la mention, comme la requête civile, la tierce opposition, la prise à partie; notre article s'appliquera donc à ces cas.
En outre, il s'appliquera sans difficulté à la convention autorisant la radiation ou la réduction, laquelle pourra être annulée pour incapacité ou pour vice du consentement, ou résolue pour inexécution des conditions.
482. La solution proposée concilie à la fois l'intérêt de l'ancien créancier dont le droit est rétabli et celui des nouveaux qui, sur la foi de la radiatiou ou de la réduction, ont pu accepter des hypothèques ou prendre eux-mêmes des inscriptions qu'ils ont eu lieu de croire avantageuses.
Supposons que l'hypothèque de Primus ait été radiée sur un immeuble sur lequel Secundus occupait le second rang; ensuite Tertius a pris inscription, enfin l'inscription de Primus a été rétablie; Primus continuera à primer Secundus, parce que celui-ci ne verra pas sa position plus mauvaise qu'elle n'était à l'origine; mais il sera primé par Tertius qui n'a vu que l'inscription de Secundus avant la sienne.
En France, quelques auteurs prétendent qu'il y aurait là une impasse et qu'il serait impossible, dans ce système, de dire quel créancier sera payé le premier; on a dit; ce n'est pas Primus, puisqu'il est précédé par Tertius: ce n'est pas Tertius qui est primé par Secundus; ce n'est pas Secundus qui est primé par Primus.
Voici, selon nous, le moyen de régler ces divers droits en apparence inconciliables: par exemple, trois créanciers sont inscrits chacun pour 1000 yens; l'immeuble ne se vend que 2500 yens (il faut bien supposer que l'immeuble ne suffira pas à payer tous les créanciers, autrement, la question n'aurait pas d'intérêt), il y a donc un créancier qui perdra 500 yens. Secundus touchera certainement ses 1000 yens, car, que ce soit Primus ou Tertius qui reçoive les premiers 1000 yens, il ne peut en souffrir ni en profiter; quant aux 1000 yens alloués au. premier rang, ils ne peuvent primer Tertius vis-à-vis duquel il n'y avait plus qu'une inscription le primant, celle de Secundus; Tertius touchera donc 1000 yens, dont 500 sont prélevés sur les 1000 du premier rang, et les 500 autres seront alloués à Primus; c'est en somme sur celui-ci ce que les fonds manqueront.
Mais voiei un cas plus intéressant:
Supposons que l'hypothèque de Primus, radiée, puis rétablie, ait été de 2000 yens; c'était sur Secundus que les fonds auraient manqué, si Primus avait gardé son inscription sans interruption; Tertius s'inscrivant pour 1000 yens, lorsqu'il n'y a plus qu'une inscription, celle de Secundus, est sûr d'être payé; plus tard, l'inscription de Primus est rétablie: Tertius n'en doit pas souffrir, il touchera donc ses 1000 yens; Primus n'en aura plus que 1000 au premier rang et Secundus sera toujours réduit à 500 yens, chiffre sur lequel seul il a compté.
Art. 1252. — 483. On a déjà prévu (art. 1233) que certaines inexactitudes ou omissions ne suffiraient pas à faire annuler l'inscription; mais comme les erreurs doivent toujours être redressées, elles donneront lieu à des jugements rectificatifs et ces conventions ou jugements seront eux-mêmes mentionnés en marge de l'acte rectifié.
Le présent article ne prévoit pas seulement cles erreurs dans l'inscription première, mais encore dans le renouvelement, dans la radiation ou dans la réduction.
La même garantie est accordée aux tiers: la rectification ne rétroagira pas contre eux.
SOMMAIRE.
Art. 1253. — N° 484. Le rang de l'hypothèque est toujours déterminé par l'inscription. -485. Pluralité d'inscriptions prise le même jour; différences entre le Code français, le Code italien et.le Projet japonais.
1254. —t8ti. Intérêts et accessoires conservés par l'inscription.
1255. -487. Créance conditionnelle, ouverture de crédit.
1256. -488. Cas particulier de subrogation légale des créanciers les uns aux autres.
1257. -489. Cette subrogation ne nuit pas aux créanciers contre lesquels elle est établie: elle les prive seulement d'un gain injuste. -490. Publicité de cette subrogation.
1258. —491. Moyen de régler la priorité au cas de plusieurs renonciations ou subrogations à l'hypothèque ou de plusieurs cessions de la créance hypothécaire; observation sur la subrogation légale.
1259. -492. Renvoi à l'article 1191, pour compléter la théorie de la subrogation.
1260. —493. Connaissance extrinsèque d'une hypothèque non inscrite: différence avec la même connaissance d'une mutation non transcrite.
1261. -494. Principe d'après lequel les créanciers hypothécaires ne sont chirographaires que pour ce qui n'est pas payé hypothécairement: application au cas où le prix des immeubles est distribué avant les valeurs mobilières. -495. Cas inverse: distribution provisoire des valeurs mobilières; restitutions après la collocation hypothécaire; distribution complémentaire des sommes restituées.
COMMENTAIRE.
Art. 1253. — N° 484. Le premier alinéa de notre article pose un principe qui ne pourrait être mis en doute, même dans le silence de la loi, mais qui donne plus de relief à la disposition du second alinéa, laquelle est la pins saillante de toute la Section.
On a vu sous l'article 1219 que, dans le Projet, toutes les hypothèques, même celtes des femmes mariées, des mineurs et des interdits, sont soumises à la formalité de l'inscription, sans quoi ” elles ne peuvent être opposées aux tiers; " il est dès lors nécessaire que l'inscription détermine aussi le rang respectif de toutes, car si les tiers devaient subir une priorité que ne leur révélerait pas l'inscription, l'hypothèque dont le rang est le plus grand intérêt, conserverait encore un caractère occulte et le plus grave.
C'est donc la plus ancienne inscription qui assure le premier rang et ainsi, en suivant, jusqu'à la plus récente.
485. La loi ne pouvait négliger de prévoir le cas où plusieurs inscriptions seraient prises le même jour. Le Code français donne à cet égard une solution qu'on n'a pas cru pouvoir adopter: il décide (art. 2147) que " tous les créanciers inscrits le même jour viennent en concurrence, lors même que le conservateur aurait marqué entre eux des différences d'heures."
Cette solution a prévalu, parce qu'on a craint que dans ce cas, par erreur ou par complaisance, le conservateur ne donnât aux uns sur les autres une priorité mal fondée. Mais si la loi ne croyait pas pouvoir accorder au conservateur, dans ce cas particulier, la même confiance que dans les autres cas, il fallait chercher quelque garantie spéciale de la vérité, plutôt que de sacrifier des intérêts légitimes, et c'est justement ce que le Projet croit avoir fait.
Il y a, en effet, un très grave inconvénient dans le système du Code français: un créancier qui prend une inscription, un jour où il n'en existe encore aucune autre, n'est pas assuré de la priorité, une ou plusieurs autres inscriptions pourront être prises le même jour et concourir avec la sienne; c'est au système de la publicité une brèche à laquelle on s'est aussi facilement résigné que si elle eût été inévitable.
La garantie contre la fraude ou l'erreur du conservateur se trouve déjà indiquée dans l'article 1229: elle consiste dans la délivrance d'un récépissé détaché d'un registre à souche portant le numéro d'ordre de la remise de la journée et dans la reproduction du même numéro d'ordre sur l'inscription.
Le Code italien n'a pas suivi non plus le Code français et il donne la priorité au premier inscrit, quoique le même jour; il n'arrive à donner le même rang à plusieurs créanciers que dans le cas, assez rare sans doute, où " ils se présentent en même temps pour obtenir l'inscription " (art. 2108, 2109).
Art. 1254. — 486. Il est naturel que lorsque la créance porte intérêts et que l'inscription en fait mention, le créancier obtienne quelque partie de ces intérêts, sans être dans la nécessité de prendre une inscription spéciale à chaque échéance. Mais il ne serait pas juste non plus qu'il obtînt tout ce qui se trouve dû au jour de la liquidation, parce que, s'il a laissé s'accumuler les intérêts, il a commis une négligence qui ne doit pas préjudicier aux autres créanciers.
Le Code français accorde ainsi deux années (sans doute, les deux dernières échues) et l'année courante (art. 2151). Le Projet accorde bien deux années, mais non l'année courante, parce que. cela peut créer une grande inégalité entre les créanciers, l'année courante pouvant être au début pour les uns et près de sa fin pour les autres; le texte a soin aussi d'exprimer qu'il s'agit d'années échues, et des deux dernières, lesquelles peuvent avoir une moindre importance que de plus anciennes, s'il y a eu des payements partiels du capital. Mais le créancier auquel il est dû un plus grand nombre d'années non prescrites peut toujours prendre à cet égard. des inscriptions spéciales valant à leur date; ces inscriptions d'ailleurs n'interrompront pas la prescription, même pour lesdits intérêts (v. art. 1446).
Le texte s'applique aux autres accessoires périodiques des créances, tels qu'arrérages des rentes perpétuelles ou viagères et prestations de denrées estimées en argent.
C'est, en somme, la même disposition que pour les priviléges (v. art. 1192).
Art. 1255. — 487. La créance conditionnelle existe, quoiqu'en un état imparfait: l'effet de l'inscription en est lui-même conditionnel et éventuel; mais l'une et l'autre n'en ont pas moins un rang fixé également par la date de l'inscription, pour valoir si la condition s'accomplit et quand elle s'accomplira.
La loi se prononce dans le même sens pour l'hypothèque garantissant le remboursement de sommes versées successivement en vertu d'une " ouverture de crédit, " c'est-à-dire d'un prêt pouvant aller jusqu'à un chiffre déterminé ou même sans autre limite que la demande de l'empruuteur. Seulement, dans ce cas, l'inscription devrait porter un chiffre maximum (v. art. 1226-4°).
Dans ces divers cas, du moment que les tiers sont avertis de l'hypothèque et de son rang, ils traitent en conséquence avec le débiteur: ils ne courent aucun risque de surprise et ont, au contraire, des chances que la créance conditionnelle ne se réalise pas ou que le crédit ne soit pas arrivé au chiffre qu'il pouvait atteindre.
Art. 1256. — 488. La disposition du présent article est un nouveau cas de subrogation légale qui n'existe pas dans le Code français; nous aurions peut-être hésité à le proposer au Japon; mais nous le trouvons dans le Code italien (art. 2011), cela nous rassure contre le soupçon de témérité (1).
Le cas de cette subrogation est assez facile à saisir à la lecture du texte: un créancier a hypothèque sur plusieurs immeubles de son débiteur (ce sera le cas d'une hypothèque légale, ce peut aussi être celui d'une hypothèque conventionnelle ou testamentaire); si tous les immeubles sont vendus à la même époque et liquidés simultanément, l'équité demande, et c'est la disposition du 101' alinéa, que le prix de chaque immeuble contribue, d'après son importance relative, à payer cette dette: autrement, le prix d'un seul immeuble pourrait être absorbé, en tout ou en très grande partie, par le payement intégral, au grand préjudice des autres créanciers inscrits à la suite sur le même immeuble, et au profit des créanciers inscrits sur les autres immeubles qui se trouveraient ainsi dégrevés d'une forte créance.
Cette répartition proportionnelle, immédiate et directe, n'est pas toujours possible, la vente et la liquidation de tous les immeubles ne peut toujours être simultanée; mais la loi indique un moyen d'y revenir indirectement, c'est la subrogation légale qui forme l'objet du 2e alinéa: les créanciers inscrits à la suite de celui qui a été désintéressé en entier sur un seul immeuble prendront sa place, c'est-à-dire son rang, pour leur propre créance, sur les autres immeubles, au lieu de n'y venir qu'à leur rang personnel qui est peut-être peu favorable.
Le texte dit que, dans cette subrogation, ils gardent ” leurs rangs respectifs," afin qu'on ne croye pas qu'ils y arrivent comme par un titre nouveau, ayant une seule date et un seul rang.
Le but de la loi étant de faire contribuer les divers immeubles hypothéqués à une seule dette, proportionnellement à leur valeur respective, il en résulte que cette subrogation ne permet aux créanciers perdants de prendre la place de celui qui les a primés que dans la mesure où les autres immeubles doivent contribuer au payement de la première créance: autrement, on tournerait dans un cercle sans issue. La disposition du Code italien relative à cette subrogation laisse ce point dans l'ombre et donnerait même lieu à quelque embarras, car elle porte que " le même droit appartient aux créanciers perdants par suite de ladite subrogation " (art. 2011).
Cette subrogation légale rentre d'ailleurs dans la seconde application de ce bénéfice de la loi, telle qu'elle se trouve énoncée à l'article 504-2° du Projet, comme elle l'est dans l'article 1251-1° du Code français: on peut dire, sans forcer l'idée, que " ces créanciers en ont désintéressé un autre qui leur était préférable à raison de ses priviléges ou hypothèques," et nous ne serions pas surpris qu'un jour la jurisprudence française, s'inspirant de la loi italienne, arrivât à la même solution, par l'application seule de l'article 1251-1°.
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(1) Cette subrogation légale a été admise par le Code officiel (Y. art. 242 du Livre des Garanties).
Art. 1257. — 489. Le 1er alinéa de cet article exprime, sous une forme inverse, l'effet ordinaire de la subrogation qui met le subrogé à la place du subrogeant; lorsqu'on liquidera -le prix des immeubles sur lesquels un créancier avait un droit qui n'a pas été utilisé, les créanciers perdants sur les premiers immeubles seront colloqués sur les autres avant les créanciers qui se trouvaient primés par le créancier désintéressé: ceux-ci ne pourraient s'en plaindre raisonnablement, car ils se savaient primés dans une certaine mesure, proportionnelle à la valeur respective de chaque immeuble, comparée au montant de la créance inscrite la première; il leur importe peu que ce droit de préférence soit exercé par un créancier ou par d'autres. Ce qu'il fallait éviter c'était qu'ils fissent un gain injuste.
490. Le 1er alinéa indique pour les subrogés le moyen de se mettre en garde contre des actes passés entre le débiteur et l'ancien créancier, actes dont l'effet serait la radiation ou la réduction de l'inscription; c'est aussi le moyen de se faire comprendre nommément dans la procédure d'ordre (ajoutons dans la procédure de wuite dont le texte ne fait pas mention, parce que l'on n'y est pas encore arrivé): autrement, les significations ne seraient faites qu'à l'ancien créancier et il serait en droit de n'y pas répondre, n'ayant plus d'intérêt et n'étant tenu d'aucune garantie envers les subrogés.
Le 3e alinéa complète ces mesures de précaution en faveur des subrogés.
Art. 1258. — 491. Un créancier hypothécaire peut, tout en conservant sa créance renoncer à son droit d'hypothèque, ou même garder son hypothèque et renoncer seulement à son rang, en faveur d'un autre créancier (a); s'il y a d'autres créanciers inscrits à la suite du renonçant ils n'auront pas à en souffrir ni à en profiter; en effet, ou la nouvelle créance est supérieure à celle du renonçant, alors elle ne s'exercera que dans la même mesure, ou elle est inférieure, alors le renonçant exercera son droit pour le surplus.
S'il y a plusieurs renonciations successives, ce qui est dit ci-après des cessions successives de la même créance leur est applicable.
Les créances hypothécaires sont cessibles par vente échange, donation ou autre acte opérant transport cession; dans ces cas, l'hypothèque est cédée avec la créance elle-même. Mais il est possible qu'en fait la même créance ait été l'objet de cessions successives, soit par la mauvaise foi du cédan+, soit parce que l'héritier du créancier, ignorant une cession antérieure faite par son auteur, en ferait lui-même une autre, de bonne foi.
La loi doit donc régler ce conflit entre cessionnaires et il est naturel qu'elle puise dans le système de la publicité des hypothèques le principe de la priorité entre les cessionnaires: ainsi le premier rang appartiendra " à celui qui aura le premier publié son acquisition," et le mode de publicité sera le plus simple et le moins côuteux, à savoir la mention de la cession, en marge de l'inscription déjà prise; si celle-ci n'a pas encore été prise par le cédant, elle le sera à la diligence du cessionnaire, avec la mention de la cession.
La loi met la subrogation sur la même ligne que la cession, parce qu'avec quelques différences dans l'étendue, elle a les mêmes effets (v. art. 501 et 506).
On pourrait croire qu'il ne peut être question ici que de la subrogation conventionnelle, comme étant la seule qui puisse avoir lieu plusieurs fois, de mauvaise foi ou par erreur, et qui, par conséquent, donne lieu à une question de priorité; mais il ne faut pas mettre cette restriction dans la loi; on peut, en effet, supposer une subrogation légale en'conflit avec une cession ou avec une subrogation conventionnelle, soit antérieure, soit postérieure, et il est nécessaire que chacun des intéressés, avant de contracter, puisse être averti de la priorité qui lui sera opposable.
Avant la loi française de 1855 sur la transcription, il n'y avait pas, en France, de dispositions sur la publicité à donner aux renonciations, cessions ou subrogations relatives aux hypothèques inscrites ou non inscrites; l'article 9 de la loi de 1855 a organisé un mode de publicité pour ces divers actes, mais il est applicable seulement à l'hypothèque légale de la femme: le Projet s'en est inspiré pour une règle d'une application plus générale.
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(a) Quand la renonciation à un droit d'hypothèque ou autre n'est pas pnre et simple ou extinctive du droit, mais en faveur de quelqu'un auquel elle profite, on l'appelle renonciation infavorem (alterius).
Art. 1259. — 492. L'article 119 l a déjà réglé un cas particulier de subrogation. Comme il est écrit pour la matière des priviléges, on a cru devoir en reproduire ce qui concerne la publicité, mais on se borne à un renvoi à cet article pour sa dernière disposition concernant la validité des payements faits de bonne foi avant la publication de la cession ou de la subrogation.
Art. 1260. — 493. La présente disposition est nécessaire pour montrer qu'il y a une profonde différence entre la publicité des hypothèques et celle des mutations ou constitutions de droits réels immobiliers. En effet, l'article 370 nous a dit que le défaut de transcription ne peut être opposé aux acquéreurs négligents que par les ayant-cause " de bonne foi," c'est-à-dire qui ont ignoré les actes non transcrits; de plus, une limite est mise aux moyens de prouver la mauvaise foi, c'est-à-dire la connaissance extrinsèque desdits actes: elle ne peut être établie que par l'aveu même de la partie qui oppose le défaut de transcription (v. art. 367).
On n'a pas à revenir ici sur les raisons qui ont paru commander cette influence de la mausaise foi, généralement rejetée dans l'interprétation du Code français (v. T. II, nos 209 et suiv.).
Mais de ce que la connaissance d'une mutation non transcrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit de se prévaloir du défaut de transcription, il ne s'en suit pas que la connaissance d'une hypothèque non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit d'opposer le défaut d'inscription: les divers droits réels soumis à la transcription sont généralement incompatibles les uns avec les autres, ils ne peuvent coexister; on comprend dès lors que la loi ne donne la préférence qu'à celui qui, ayant publié son acquisition, a ignoré une acquisition antérieure, ou, en d'autres termes, la refuse à celui qui avoue avoir connu, lors de son acquisition, une aliénation antérieure, bien que non. transcrite. Mais diverses hypothèques peuvent coexister sur le même immeuble, au profit de personnes différentes, sans s'exclure nécessairement: un créancier primé par d'autres peut cependant être payé avant ceux-ci, soit avec des deniers disponibles, soit au moyen d'autres sûretés; dès lors, la circonstance qu'un créancier sait, au moment où il s'inscrit, qu'il existe déjà une autre hypothèque non inscrite, ne le constitue pas en état de mauvaise foi et ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter: il a pu coire que le créancier négligent avait d'autres sûretés rendant son hypothèque moins utile (v. T. II, n° 214).
Art. 1261. — 494. Les dispositions de cet article sont très importantes. Elles sont empruntées au Code de Commerce français (v. art. 552 à 556), où elles sont écrites pour le cas de faillite et d'où il ne paraît pas que la doctrine et la jurisprudence aient cru pouvoir les étendre aux matières civiles, c'est-à-dire à la déconfiture. M ais elles sont tellement conformes à la raison et à l'équité qu'on n'hésite pas à les introduire dans ce Projet de Code civil.
La loi commence par poser un principe dont la suite n'est que le développement logique et nécessaire: le créancier, hypothécaire n'est créancier chirographaire que pour ce qu'il ne peut toucher dans le produit de la vente du bien hypothéqué; il n'y a donc pas concours des deux qualités: l'une exclut l'autre; ce n'est qu'après la clôture de l'ordre que l'on peut savoir quels créanciers hypothécaires restent chirographaires et pour quelle somme ils ont cette qualité.
Si l'on commençait toujours par la vente des immeubles, il n'y aurait aucune difficulté. Soient, par exemple, trois créanciers hypothécaires: le premier est payé en entier sur le prix des immeubles, le second ne l'est que pour deux tiers, le troisième ne vient pas en ordre utile; il est clair quç le premier n'est plus créancier, en aucune qualité, que le second n'est créancier chirographaire que pour un tiers de sa créance et que le troisième est chirographaire pour le tout; les deux derniers seront payés sur les valeurs mobilières en proportion de leur créance chirographaire.
495. Mais, précisément, il est rare que la vente des immeubles puisse être faite avant la liquidation des valeurs mobilières; dès lors, tous les créanciers hypothécaires peuvent prétendre être compris dans la distribution, proportionnellement à leur créance, et on ne verrait pas à quel titre ni pour qu'elles sommes les en exclure: quelle que soit la vraisemblance que le premier créancier soit payé intégralement sur le prix des immeubles et le second pour une fraction, cette fraction esL incertaine pour le second et, même pour le premier ce payement intégral peut être empêché par la perte de l'immeuble ou par quelque nullité imprévue de son hypothèque.
La loi les autorise donc à se présenter tous à la distribution par contribution, chacun pour le montant intégral de sa créance, et chacun y touchera un dividende.
Puis, quand viendra la distribution du prix des immeubles, ce n'est pas pour ce qui lui reste dû que chacun viendra à la collocation par ordre: ce serait un avantage illégitime pour ceux des créanciers qui, par leur rang d'inscription, étaient exposés à ce que les fonds manquassent sur eux; le premier créancier prenant moins à son rang, le second toucherait plus au sien et le troisième, qui dans la première hypothèse ne serait pas venu en ordre utile, pourrait toucher quelque chose.
Il faut donc que, dans la liquidation du prix des immeubles, chaque créancier hypothécaire soit traité comme si aucune distribution antérieure n'avait eu lieu.
D'un autre côté, aucun créancier ne peut recevoir un double payement de sa dette ni d'aucune partie de sa dette; alors, celui qui se trouve en rang utile pour être payé en entier par sa collocation dans l'ordre, reverse à la masse mobilière tout le dividende qu'il en a reçu, car il se trouve que c'est à tort qu'il a figuré dans la première distribution; le second créancier, s'il est appelé à toucher deux tiers, par exemple, dans l'ordre hypothécaire, n'aurait dû figurer que pour un tiers dans la distribution mobilière, et comme il y a figuré pour toute sa créance, il aura donc à restituer deux tiers de ce qu'il a reçu; le troisième créancier, ne touchant rien hypothécairement, n'aura rien à restituer à la masse mobilière; au contraire? il sera appelé à participer à la distribution des sommes restituées à la masse mobilière, car comme il est dit au dernier alinéa, ces sommes sont l'objet d'une nouvelle distribution proportionnelle.
SOMMAIRE.
Art. 1262. — N° 496. Droit de suite ou garantie que donne l'hypothèque contre les aliénations: le droit de suite mène aussi au droitde préférence. -497. Nécessité de l'inscription antérieure à la transcription. -498. Variations de la législation française à ce sujet. -499. Exceptions au sujet des incapables, non admise dans le Projet. —500. Droit de suite contre des constitutions de servitudes, d'usage et d'habitation.
1263. —501. Renonciation à un démembrement de propriété hypothéqué: importance de la date respective de l'inscription et de la transcription de la renonciation.
1264. —502. Droit de saisie des créanciers chirographaires: validité à leur égard des inscriptions prises entre la transcription de la saisie et la transcription de l'adjudication. -503. -Rappel de deux exceptions au droit de prendre inscription.
1265. —504. Ces exceptions ne concernent pas l'insolvabilité ou le décès du tiers détenteur.
1266. —505. Cinq partis que peut prendre le tiers détenteur à l'égard des dettes hypothécaires.
COMMENTAIRE.
Art. 1262. — N° 496. On a déjà annoncé (n° 393) que l'hypothèque, étant une des sûretés les plus effica.ces, ne préserve pas seulement celui qui en est muni du Cinq partis pour le tiers détenteur.concours des autres créanciers, par le droit de 'préférence, mais encore le met à l'abri, par le droit de suite, des aliénations, même non frauduleuses, de la chose hypothéquée.
C'est ce second droit qui va nous occuper dans la présente Section.
Si l'immeuble restait toujours dans les mains du débiteur et n'était grevé par lui d'aucun autre droit réel ou démembrement de la propriété, c'est sur le débiteur luimême que ie créancier poursuivrait la vente, pour l'exercice de son droit de préférence; alors on ne parlerait pas de droit de suite: ce droit suppose, comme le porte notre premier article, que le débiteur a aliéné l'immeuble, en tout ou en partie, ou qu'il l'a démembré par la constitution d'un usufruit ou grevé d'un autre droit réel.
Le principal effet du droit de suite est, comme le porte notre article, d'autoriser le créancier hypothécaire " à demander contre le tiers détenteur le payement de ce qui lui est dû la poursuite en expropriation de l'immeuble hypothéqué n'est que " subsidiaire " et à défaut de payement volontaire; cet immeuble est d'ailleurs le seul bien du tiers détenteur qui puisse être saisi du chef de cette dette, car il n'en est tenu que sur cette chose et à cause de cette chose, réellement (propter rem), ce qui le sépare profondément du débiteur tenu personnellement, et sur tous ses biens (v. art. 1001).
Le but final de l'expropriation sera encore, comme le (lit la dernière disposition de notre article, l'exercice du droit de préférence, par l'ouverture d'un ordre et le payement au rang déterminé par l'inscription; mais la présence d'un tiers acquéreur modifie considérablement l'exercice de ce droit.
497. Notre article contient une autre disposition très importante, c'est que la condition essentielle du droit de suite est Il que le créancier ait pris inscription avant la transcription, faite par le tiers détenteur, de l'aliénation ou du démembrement de la propriété. En effet, le tiers détenteur n'a pas moins d'intérêt à connaître le droit de suite auquel il est exposé que les autres créanciers n'en ont à connaître le droit de préférence qu'ils doivent subir: peut-être le tiers détenteur n'aurait-il pas traité s'il avait su être exposé aux poursuites de créanciers hypothécaires, ou, assurément, il aurait pris certaines précautions pour le payement de son prix ou l'acquittement des autres charges de son acquisition.
Cette règle ne comporte pas d'exception, pas plus que celle qui subordonne le droit de préférence à l'inscription et fait dépendre la priorité de rang de l'antériorité d'inscription (v. n° 484): les femmes mariées, les mineurs et interdits ne pourraient exercer le droit de suite sans que leur hypothèque eût été inscrite avant l'aliénation.
498. La législation française a posé aussi le principe que l'hypothèque doit être inscrite pour autoriser le droit de suite, mais, elle a varié à cet égard et, bien que le progrès ait toujours été dans le sens de la protection des tiers détenteurs, il reste toujours une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits.
L'article 2166 du Code civil subordonne bien l'exercice du droit de suite à l'inscription, mais il ne dit pas si cette inscription doit avoir précédé l'aliénation entre les parties ou la transcription faite par le tiers acquéreur.
Il est probable que, dans la pensée première des Rédacteurs, c'était à la transcription de l'acquisition qu'il fallait s'attacher, parce que dans le Projet, comme dans la loi de brumaire an vii, c'était par la transcription seule que les acquisitions étaient opposables aux tiers, mais lorsque ce caractère de la transcription fut abandonné, volontairement ou par omission fortuite (v. T. II, n° 183), on dut exiger que l'inscription hypothécaire précédât l'aliénation entre les parties.
On ne tarda pas à reconnaître que les créanciers hypothécaires couraient le risque de perdre le droit de s'inscrire utilement, par une aliénation secrète suivant presque immédiatement la constitution d'hypothèque, et le Code de Procédure civile, mis en vigueur deux ans après, remédia à ce danger, en édictant (art. 834 et 835) que les créanciers ayant acquis une hypothèque " antérieurement à l'aliénation " pourraient prendre utilement inscription jusqu'à la transcription de ladite aliénation, et encore pendant quinze jours après: la transcription constituait ainsi pour les créanciers une sorte de mise en demeure de se faire connaître.
Mais ce système avait encore un grand inconvénient: les seules hypothèques qui pussent être ainsi inscrites tardivement étaient celles qui avaient été acquises "avant l'aliénation," laquelle, n'étant pas publiée, exposait encore les créanciers à recevoir des hypothèques de celui qui n'en pouvait plus constituer, et cela sans que la nullité en pût être soupçonnée par eux.
Ce n'est que la loi de 185;') qui, en rétablissant la transcription, comme condition nécessaire pour opposer la transmission de la propriété à l'égard des tiers, en a fait aussi le moment auquel le débiteur cesse de pouvoir conférer des droits réels opposables à son cessionnaire (v. L. du 23 mars 1855, art. 6). Cette même loi abolit naturellement les articles 834 et 835 du Code de Procédure civile.
C'est la même solution que consacre notre article 1262, et elle ne demande pas ici de justification spéciale, puisqu'elle est la conséquence nécessaire du système de publicité des aliénations et constitutions de droits réels immobiliers, système établi d'abord par les articles 368 et suivants et appliqué aux principaux contrats d'aliénation: à la donation entre-vifs (v. art. 659), à la vente (v. art. 682), au legs même (v. art. 652 à 654, nouveaux), enfin aux priviléges de l'aliénateur et des copartageants (v. art. 1184 à 1186).
499. La loi de 1855, comme le Code civil et le Code de Procédure, a conservé une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits: leur hypothèque peut être utilement inscrite après la transcription, s'il ne s'est pas écoulé un an depuis la cessation de l'incapacité qui motive la dispense de publicité (art. 6 et 8) ou si le tiers détenteur ne les a pas mis en demeure, par une procédure spéciale de purge, de faire connaître leur hypothèque.
Cette exception ne se retrouve pas dans le Projet japonais, puisque l'hypothèque des incapables est SOllmise à la publicité ordinaire. Si leur hypothèque se trouve privée du droit de suite, par le défaut d'inscription en temps utile, la responsabilité en retombe sur ceux qui devaient faire l'inscription.
500. Remarquons, en terminant, une dernière disposition de notre article avec une exception: comme l'immeuble hypothéqué peut n'avoir pas été aliéné, mais avoir été seulement grevé de droits réels peu importants, par exemple de servitudes ou de droits d'usage ou d'habitation, qui ne peuvent être saisis et mis en vente séparément contre le tiers acquéreur, et pourtant comme la propriété ne peut être ainsi démembrée valablement au préjudice des créanciers hypothécaires, le texte nous dit que le fonds, alors resté aux mains du débiteur, sera exproprié contre lui, ” comme s'il n'était pas démembré" (v. art. 1273, 1er al.).
Une seule exception est admise à cet égard: elle concerne les baux ayant, par leur durée modérée (v. art. 126 et 127), un caractère d'actes d'administration. 11 ne faut pas, en effet, que les biens manquent d'être loués, parce que les preneurs traitant avec le débiteur, craindraient l'éviction par l'effet du droit de suite.
Si un bail avait été fait par le débiteur pour une durée plus longue que celle qui a un caractère d'administration, il ne serait pas nul, mais réductible à la durée permise, sur la demande des créanciers hypothécaires (v. art. 1273, 2e al.).
Art. 1263. — 501. Cet article suppose que le débiteur a hypothéqué un démembrement de la propriété d'autrui qui lui appartenait et qu'il a ensuite renoncé à son droit. Cette renonciation doit être transcrite, d'après l'article 368-2° (a). Si le créancier a inscrit son hypothèque avant la transcription de la renonciation, celle-ci ne pourra lui nuire. Par exemple, le débiteur a hypothéqué un droit d'usufruit ou de bail, puis il a renoncé à son droit: le créancier hypothécaire inscrit en temps utile tiendra la renonciation pour non avenue à son égard et fera vendre le droit d'usufruit ou de bail comme intact.
C'est, en somme, une idée analogue à celle exprimée it la fin de l'article précédent.
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(a) Il pourrait suffire de mentionner la renonciation en marge de la transcription du titre constitutif de ce démembrement de la propriété: les règlements spéciaux à intervenir sur la tenue des registres pourront autoriser cette simplification (v. T. II, 110 201, note 4).
Art. 1264. — 502. L es créanciers chirographaires peuvent saisir et faire vendre les biens meubles et immeubles de leur débiteur, en respectant les droits d'hypothèque qui peuvent grever ces biens; le plus souvent, ils ne s'engageront dans cette procédure lente et coûteuse que lorsqu'ils ne se sauront pas primés par des hypothèques de nature à absorber tout ou la plus grande partie des immeubles. Seulement, il est difficile qu'ils aient une certitude absolue à cet égard, car la saisie, même transcrite, n'arrête pas encore les inscriptions.
Le Code de Procédure civile déterminera les formes de la saisie, comme l'a annoncé l'article 1001. Parmi ces formes se trouvera certainement la publication de la saisie par la voie de la transcription. Cette publication aura pour but d'avertir les tiers qu'ils ne pourront plus acquérir de droits sur l'immeuble saisi (comp. c. pr. civ. fr., art. 678 et 638-686): notamment, il ne pourrait plus être constitué de nouvelles hypothèques par le débiteur. Mais les hypothèques valablement acquises pourront encore être utilement inscrites, parce que la propriété n'est pas encore perdue pour le débiteur: la saisie transcrite ne le dépouille que du droit de disposer et non du droit de propriété, lequel ne lui sera enlevé que par l'adjudication.
Cette adjudication, à son tour, devra être transcrite (v. art. g68-40) et notre article nous dit que, jusqu'à cette transcription qui dessaisit le débiteur, ses créanciers peuvent valablement s'inscrire et s'assurer, ainsi, sinon le droit de suite proprement dit, car il ne peut plus y avoir une nouvelle saisie et une nouvelle vente (v. art. 1272), au moins un droit de préférence sur le prix, opposable aux saisissants.
503. La loi réserve deux cas où l'inscription ne pourrait même être prise jusqu'à la transcription de l'adjudication; ce sont: 1° celui où le débiteur serait considéré comme notoirement insolvable, par l'effet de la saisie (même non transcrite) de la majeure partie de ses biens, meubles et immeubles, 2° celui où le débiteur étant décédé, sa succession serait acceptée autrement que purement et simplement, c'est-à-dire acceptée sous bénéfice d'inventaire, refusée ou vacante (v. art. 1220).
Art. 1265. — 504. L'article 1220 met obstacle à l'inscription à prendre sur le débiteur; mais si c'est le tiers détenteur qui devient insolvable ou dont la succession n'est pas acceptée purement et simplement, cela ne fait pas obstacle à l'inscription à prendre sur lui: tant qu'il n'a pas publié son titre d'acquisition par la transcription, les créanciers hypothécaires du cédant ne le connaissent pas et n'ont pas à se préoccuper de sa solvabilité ou de celle de sa succession (b).
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(b) Ce n'est même que pour distinguer plus facilement les deux situations que nous parlons ici d'inscription 'à prendre "sur le tiers détenteur," comme l'a déjà fait l'article 1220, dernier alinéa; mais, en l'éalité, l'inscription est toujours prise '' sur le débiteur", puisqu'elle ne peut plus l'être après la transcription d'une aliénation; seulement on examine ici l'inscription en tant qu 'elle est "opposable au tiers detenteur."
Art. 1266. — 505. En présence des inscriptions prises, le tiers détenteur peut prendre plusieurs partis (l'expression est consacrée) qui concilient tout à la fois les droits des créanciers hypothécaires et son intérêt.
Il n'est pas, en général, obligé d'attendre les poursuites pour prendre l'un de ces partis; cependant, le 3e et le 5°, l'exception de discussion et J'expropriation, supposent nécessairement des poursuites faites contre lui.
Chacun de ces partis est l'objet d'un § distinct.
SOMMAIRE.
Art. 1267. —N' 506. Le payement des dettes hypothécaires est l'objet principal du droit de suite.
1268. —507. Subrogation légale du tiers détenteur qui a payé: applications diverses.
COMMENTAIRE.
Art. 1267. — N° 506. Si la loi commence par le payement des dettes hypothécaires, ce n'est pas parce que ce sera le parti le plus fréquent que prendra le tiers détenteur, car il pourrait le mener trop loin, c'est parce que le véritable effet de l'hypothèque contre le tiers détenteur, celui que sanctionne le droit de suite, c'est l'affectation de l'immeuble au payement de la dette, ce qui fait dire par la loi française que le tiers détenteur " demeure, par l'effet seul des inscriptions, obligé comme détenteur à toutes les dettes hypothécaires " (v. c. civ. fr., art. 2162).
Le Projet exprime la même idée sous une autre forme (v. art. 1262).
Lorque le prix de l'immeuble ne sera pas plus élevé que le montant des dettes hypothécaires, le payement de celles-ci sera un moyen très 'simple pour le tiers détenteur de se libérer, tout à la fois, de son obligation comme tel vis-à-vis des créanciers hypothécaires et de son prix d'acquisition vis-à-vis du débiteur, son cédant.
Dans ce cas, il n'a pas à devancer les échéances des dettes hypothécaires, ce qui serait le cas, au contraire, s'il voulait procéder à la purge (v. §'suiv.)
Art. 1268. — 507. Si le tiers détenteur avait déjà payé son prix au cédant, ou s'il devait un prix d'acquistion inférieur aux dettes hypothécaires, si même il ne devait pas de prix, comme co-échangiste, sans soulte à payer, ou comme donataire ou légataire, il aurait un recours à exercer contre le débiteur; pour ce recours la loi lui accorde la subrogation de plein droit aux créanciers qu'il a désintésessés, pour jouir des autres hypothèques, sûretés ou avantages quelconques qui. pourraient leur appartenir. C'est l'application du principe général que la subrogation légale appartient à celui qui a payé une dette dont il était tenu avec d'autres (v. art. 504-1°); cette subrogation comporte d'ailleurs ici des limites spéciales qui sont énoncées à l'article 505-3° et 4° (v. aussi art. 1036, 1er al. et nos 100 et s.).
Le 2e alinéa de notre article signale un avantage particulier mais éventuel de cette subrogation: si le tiers détenteur ne désintéresse pas tous les créanciers hypothécaires et finit par être évincé ou exproprié de l'immeuble par les créanciers non payés, alors il a l'avantage d'exercer sur l'immeuble qu'il détient les hypothèques mêmes des créanciers qu'il a désintéressés; il ne serait pas juste, en effet, que les créanciers postérieurs en rang à ceux qu'il a payés vissent ainsi s'améliorer leur rang et leurs chances d'être payés, lorsque les payements ainsi effectués l'ont été été de dénieri eniers qui n'étaient pas dus à leur débiteur.
On a l'habitude de dire, dans ce cas, que le tiers détenteur acquiert par la subrogation une hypothèque " sur son propre immeuble mais c'est une expression plus singulière qu'exacte: l'hypothèque n'est acquise que pour le cas d'éviction, qui est précisément le cas où le tiers détenteur cessera d'être propriétaire du bien hypothéqué.
SOMMAIRE.
Art. 1269. — N° 508. Caractère de la purge. -509. Valeur estimative à offrir à défaut de prix de vente.
1270. —510. Purge défendue à l'acquéreur sous condition suspensive, permise à l'acquéreur sous condition résolutoire; deux hypothèses dans ce dernier cas: 1° acceptation des offres, 2° refus des offres et revente aux enchères.
1271. —511. Détenteurs qui ne peuvent purger.
1272. —512. Modes d'acquisition qui ne permettent pas la purge.
1273. —513. Droits dont l'acquisition ne permet pas la purge.
1274. —514. Quand la faculté de purger peut être exercée; quand elle dois l'être; quand il y en adéchéance.
1275. —515. Utilité de la transcription comme préliminaire de la purge.
1276. —516. But de chacun des objets de la notification à faire aux créanciers.
1276 bis. —516 bis. Difficultés subsistant encore dans la loi française au sujet de l'action résolutoire de l'aliénateur. -516 ter. Comment le Projet organise la purge de cette action.
1277. —517. Limite de l'évaluation et de l'offre au cas d'acquisition simultanée de biens hypothéqués et d'autres biens non hypothéqués.
1278. —518. Réquisition de mise aux enchères: sa forme et sa garantie -51U. Notification au tiers détenteur, au cédant et au débiteur principal. -520. Sanction de ces conditions.
1278 bis. -520 bis. Renvoi au n° 516 ter.
1279. -521. La surenchère d'un créancier profite auxau très: conséquence.
1280. -522. Payement dans l'ordre ouvert ou consignation: trois particularités de cette consignation.
1281. -523. Recours du tiers détenteur contre son cédant: hypothèses diverses.
COMMENTAIRE.
Art. 1269. — N° 508. L'explication donnée au £ précédent du premier parti que peut prendre le tiers détenteur a fait voir qu'il n'est pas sans inconvénient et que, le plus souvent, le tiers détenteur n'y recourra pas. Le parti auquel on donne ici le second rang sera, au contraire, le plus prudent et, par suite, le plus fréquent.
Le nom de pll1'ge qu'il a en français, est une figure empruntée à la médecine; les autres Codes qui se sont inspirés du Code français en ont adopté l'équivalent dans leur langue; il signifie purification: l'hypothèque est considérée comme un vice qui entache l'acquisition, ou comme une maladie qui affecte l'immeuble, et l'opération dont il s'agit enlèvera la tache ou le mal.
Notre article indique le caractère de la pnrge: le tiers détenteur ne paye pas toutes les dettes hypothécaires, il ne les paye que jusqu'à concurrence de son prix d'acquisition dans l'ordre de leur inscription, après des offres et une procédure particulière suivies d'une acceptation expresse ou tacite des créanciers même non désintéressés.
529. Comme l'acquisition du tiers détenteur n'a pas toujours lieu par vente, comme elle peut résulter d'une donation ou d'un legs, il faut alors que le tiers détenteur qui veut purger offre une valeur qu'il considère comme équivalente à celle de l'immeuble, car le droit des créanciers hypothécaires ne peut se trouver amoindri par le mode d'aliénation qu'aura employé le débiteur. Lors même que l'acquisition a eu lieu par vente, comme le prix peut avoir été assez bas, le tiers détenteur a intérêt à offrir une somme supérieure à son prix, sauf recours contre son vendeur: autrement, il aurait peu de chances de voir ses offres acceptées. On peut admettre qu'en sens inverse, si, pour des raisons particulières, il avait payé un prix supérieur à la valeur réelle de l'immeuble, il pourrait offrir une somme moindre. Il est vrai que si les créanciers connaissent le prix de vente (et ce sera le plus fréquent, à cause de la transcription), ils seront portés à ne pas accepter l'offre ainsi réduite, et le tiers détenteur n'aura pas lui-même, en général, intérêt à proposer cette réduction. Mais si l'on suppose qu'il a déjà imprudemment payé tout ou partie de son prix à son vendeur, directement, ce qui ne le libère nullement envers les créanciers hypothécaires, il aura grand intérêt à ne plus offrir que la valeur réelle de l'immeuble, n'ayant pas grandes chances de recouvrer du débiteur ce second payement.
Notre article indique que la consignation peut remplacer le payement effectif; on y reviendra sous l'article 1280.
Art. 1270. — 51O. On sait qu'une acquisition peut comme une obligation, être affectée de deux sortes de conditions; l'une, dite suspensive, qui la retarde et peut empêcher qu'elle se réalise, l'autre, dite résolutoire, qui la laisse s'effectuer, mais l'expose à être détruite; toutes deux dépendant d'ailleurs d'un événement futur et in certain (v. art. 428 et s.).
Le droit de purger n'existe que dans le second de ces cas.
Dans le premier cas, le tiers détenteur, ayant moins un droit acquis que l'espérance et la chance de l'acquérir, ne peut purger (1er al.); il y aurait, en effet, de grands inconvénients à ce que celui qui n'a qu'un droit conditionnel pût anéantir les droits fermes et certains des créanciers hypothécaires sans désintéresser ceux-ci, tous et entièrement.
Au contraire, le tiers détenteur dont le droit existe actuellement et est seulement exposé à une résolution éventuelle est autorisé à purger (2e al.). Mais la loi devait prévoir le cas où, après la purge et la radiation des hypothèques, le droit du tiers détenteur serait résolu par l'accomplissement de la condition. Deux hypothèses sont réglées:
1° Les offre. —; du tiers détenteur ont été acceptées, l'immeuble est resté dans ses mains et les hypothèques sur lesquelles " les fonds ont manqué " ont été radiées comme celles qui ont été éteintes par le payement effectif (v. art. 1280, 2' al.): quand le droit du tiers détenteur est ensuite résolu par l'accomplissement de la condition, la radiation sans payement se trouve avoir été sans cause légitime, elle est résolue elle-même et il y a lieu de rétablir l'inscription, au moyen d'une mention en marge, conformément à l'article 1249.
Cet article exige, en général, un jugement, comme le seul moyen de prévenir les erreurs ou les surprises dans une matière qui intéresse les tiers: ici les créanciers non payés qui demanderont le rétablissement de l'inscription devront obtenir un jugement qui se bornera à constater que la purge a été résolue, comme l'acquisition du tiers détenteur, et à ordonner ou autoriser le rétablissement de l'inscription radiée.
Remarquons qu'ici les hypothèques rétablies ne seront pas en conflit avec celles qu'aurait pu consentir le tiers détenteur sur l'immeuble, car ces dernières hypothèques tombent elles-mêmes avec le droit du constituant.
2° Les offres du tiers détenteur n'ont pas été acceptées, alors l'immeuble a dû être vendu publiquement, comme il est établi ci-après (v. art. 1279 et 1290). Si l'adjudication une fois prononcée pouvait être résolue par l'accomplissement de la condition résolutoire de l'acquisition primitive, les enchères ne seraient pas suivies avec intérêt, l'adjudication ne donnerait pas le véritable prix de l'immeuble: le Projet exprime que " ladite adjudication demeure à l'abri de la résolution."
Ces diverses solutions manquent absolument dans le Code français. On peut croire seulement qu'elles sont dans son esprit, notamment la dernière, car le Code de Procédure civile a pris soin, au sujet de l'adjudication sur saisie immobilière, de la mettre à l'abri de la résolution d'une vente antérieure dont le prix n'aurait pas été payé par le débiteur saisi (v. c. pr. civ. fr., art. 692-1°).
Art. 1271. — 511. Cet article indique certains tiers détenteurs qui, par suite d'une autra qualité, ne peuvent s'affranchir des hypothèques par la voie de la purge. Ce sont:
1° Ceux qui sont tenus desdites dettes, non plus seulement comme détenteurs, propter rem, mais personnellement, soit comme débiteurs principaux, tels que codébiteurs solidaires ou codébiteurs d'une dette indivisible, soit comme débiteurs accessoires, comme une caution ou un donneur d'aval: ils sont bien détenteurs de la chose hypothéquée, mais ils ne sont pas tiers détenteurs; à plus forte raison, le débiteur unique de la dette hypothécaire, resté propriétaire, ne pourrait-il prétendre purger, en offrant la valeur estimative de son immeuble;
2° Le codébiteur simplement conjoint d'une dette hypothécaire, bien qu'il ne soit tenu personnellement que d'une partie de la dette: il ne peut prétendre purger pour la part des autres débiteurs, à moins qu'il n'ait payé sa part dans la dette avant les premières poursuites hypothécaires dirigées contre lui; la raison en est qu'une fuis que, dans les poursuites, il a été valablement considéré comme débiteur, il ne lui est plus permis de se réduire à la simple qualité de tiers détenteur, ce qui modifierait profondément la procédure dans son cours;
3° L'héritier du débiteur originaire, lors même qu'il a payé sa part héréditaire dans la dette avant d'être poursuivi hypothécairement: ici le refus de la faculté de purger tient à l'indivisibilité de l'hypothèque jointe à sa qualité d'héritier du débiteur: celui-ci n'aurait pas pu purger, son héritier ne le peut davantage;
4° Enfin, celui qu'on nomme " caution réelle," parce qu'il garantit la dette d'autrui sur un de ses biens: quoiqu'il ne soit pas tenu aussi rigoureusement qu'une caution ordinaire ou personnelle, laquelle est obligée sur tous ses biens, il n'en est pas moins tenu de respecter le droit qu'il a conféré; or, la purge, quelle que soit sa légitimité, quand il s'agit d'un tiers détenteur qui n'a aucun rapport contractuel avec les créanciers hypothécaires, est une atteinte portée à l'hypothèque, laquelle ne peut provenir de celui-là même qui l'a constituée.
Cette dernière solution, très débattue en droit français, devait être écrite ici pour lever tous les doutes.
Art. 1272. — 512. Il s'agit ici de certains modes d'acquisition qui ne donnent pas lieu à la purge parce qu'elles font légalement présumer que la valeur véritable de l'immeuble a été obtenue, en sorte qu'une remise en vente ne donnerait pas un meilleur prix.
En premier lieu sont les adjudications publiques dont la loi indique les principales: celles sur saisie immobilière (v. art. 1264), sur surenchère (v. art. 1278), sur poursuite hypothécaire (v. art. 1290); la loi ajoute " toutes autres adjudications auxquelles les créanciers bypothécaires sont appelés à intervenir," ce qui comprendra l'adjudication des immeubles des incapables et des absents, et les autres auxquelles le Code de Procédure appel era les créanciers hypothécaires.
En second lieu sont les expropriations pour cause d'utilité publique: dans ce cas, l'indemnité sera fixée dans des conditions qui permettront de dire que le juste prix a été donné à l'immeuble exproprié (a); il y a de plus une raison péremptoire d'empêcher la purge ordinaire, c'est qu'elle permettrait de mettre la chose aux enchères publiques; or, précisément, le bien dont il s'agit ne peut plus appartenir à un particulier, puisqu'il est reconnu nécessaire à un usage public.
Au surplus, le refus de purge prononcé par notre article contre deux classes d'acquéreurs ne leur cause aucun dommage et ne les soumet pas au payement intégral des dettes hypothécaires, car le droit des créanciers se borne à une collocation sur le prix d'adjudication ou sur l'indemnité d'expropriation (36 al.). Aussi dit-on quelquefois en France, et c'est même une expression de la loi, que " l'adjudication purge les hypothèques inscrites," (c. pr. civ., art. 717, 76 al.) et on en pourrait dire autant de l'expropriation pour cause d'utilité publique (L. du 3 mai 1841, art. 17, 36 al.). Cela n'est pas contraire aux solutions de notre article: s'il refuse au tiers détenteur la faculté de purger dans les cas d'adjudication publique et d'expropriation, c'est de la purge de notre § qu'il entend parler, avec son caractère d'offre constituant une convention, si elle est acceptée, et menant à une revente, si elle est refusée.
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(a) Nous parlons au futur (sera), parce qu'aujourd'hui le mode de fixation de l'indemnité, quand il n'y a pas accord entre l'Etat et le propriétaire, ne protège pas peut-être suffisamment ce dernier.
Art. 1273. — 513. Ici ce n'est pas la nature de l'acquisition qui met obstacle à la purge c'est la nature du droit acquis.
Quand il s'agit de droits qui ne peuvent être saisis et vendus, la purge ne peut être permise, puisque la vente est un de ces résultats possibles: tels sont les droits d'usage, d'habitation et de servitudes foncières, cités par notre article.
Cependant le tiers acquéreur de tels droits ne peut être tenu de payer toutes les dettes hypothécaires. D'un autre côté, il ne peut être question de limiter le droit de suite à un droit de préférence sur le prix d'acquisition, comme dans l'article précédent, car il peut y avoir eu échange, donation ou legs, cas où il n'y a pas de prix à payer. Le droit de suite s'exercera par la saisie du bien resté aux mains du débiteur, en faisant abstraction des démembrements de propriété qui ne sont pas opposables aux créanciers. C'est l'application du principe général posé à l'article 1262, 1er alinéa.
A l'égard des baux, il n'y a pas non plus de purge possible; deux cas sont à distinguer: ou les baux ont une courte durée et ont un caractère d'actes d'administration, alors les créanciers les respectent (v. art. 1262, 2e al.), sans même avoir de préférence sur le prix de bail, pas plus qu'ils n'en auraient sur le prix des fruits du fonds vendus annuellement; ou les baux ont une plus longue durée et alors ils sont considérés comme non avenus à l'égard des créanciers et le fonds sera saisi comme n'étant pas loué pour plus que la durée permise. L'emphytéose excède toujours cette durée.
La loi ne mentionne, pas la superficie, elle donne donc lieu à la purge: c'est un droit de propriété.
Cette solution est pour le cas où les droits dont il s'agit ont été constitués après l'hypothèque; s'ils avaient été constitués les premiers, ce sont alor4 les créanciers hypothécaires qui auraient à les respecter, les ayant connus par la transcription. Cette distinction est formelle dans la loi.
Art. 1274. — 514. Le tiers détenteur n'est pas obligé pour purger d'attendre les poursuites d'un ou plusieurs créanciers: il a toujours le droit de sortir d'une situation incertaine. Mais, en sens inverse, s'il est sommé " de payer ou de délaisser, " il doit, dans le mois, ou obtempérer à l'une de ces injonctions ou purger, à peine de déchéance.
On a quelquefois discuté si la sommation des créanciers devait avoir pour objet principal le payement des dettes, le délaissement n'étant indiqué que comme une faculté subsidiaire, ou s'il fallait, au contraire, renverser l'ordre des injonctions. Le texte se prononce pour la première formule; en effet, le tiers détenteur n'est tenu, en cette qualité, que de payer; on l'a déjà établi plus haut (v. n° 506): le délaissement n'est qu'une faculté laissée à son pouvoir et c'est ainsi que le Code français s'exprime (v. art. 2167, 2168, 2173, 2176, 2178).
Les dispositions des deux derniers alinéas sur la déchéance demandent attention; ils n'existent pas dans le Code français ni dans ses imitateurs: il fallait une sanction à l'obligation d'observer le délai d'un mois, mais il ne fallait pas que la déchéance eût lieu de plein droit, même avec possibilité pour le détenteur d'en être relevé: c'est aux créanciers à la faire prononcer et ils ne pourront pas toujours l'obtenir.
D'abord, si le tiers détenteur justifie d'empêchements légitimes, le tribunal peut lui accorder un nouveau délai; ces empêchements pourraient être purement personnels, mais comme la loi excepte le cas où les créanciers "en éprouveraient un préjudice sérieux," il n'y a pas d'abus à craindre.
Les créanciers ne pourront non plus demander la déchéance contre des offres faites tardivement, s'ils y ont tacitement renoncé, en répondant auxdites offres ou en ne demandant pas la déchéance dans le délai d'un mois qui leur est accordé pour répondre aux offres ordinaires (v. art. 1273-20).
Art. 1275. — 515. Dans le Code français, comme dans le Projet japonais, la transcription est le préliminaire de la purge (art. 2181), et cependant, au moment de la rédaction de ce Code, la transcription n'était plus, comme dans la loi de brumaire an VII et comme, plus tard, dans la loi de 1855, le moyen de consolider la transmission de la propriété en la rendant opposable aux tiers. Quelle que soit l'intention des Rédacteurs du Code français en exigeant cette transcription pour la purge, et sans qu'il y ait lieu d'examiner s'ils ont en cela manqué de logique, il ne pouvait y avoir d'hésitation à obliger le tiers détenteur à transcrire, avant tout, son titre d'acquisition: c'est d'abord le moyen de prendre la qualité de propriétaire qui l'autorise à faire des sommations et des offres aux créanciers; c'est aussi, comme l'indique le texte, le moyen de faire apparaître le privilége de son vendeur ou autre cédant et son droit de résolution, droits qui, dans la théorie du Projet ne sont pas perdus tant que la transcription de la mutation n'est pas faite (v. art. 1186 et n° 367).
Comme cette transcription arrête les inscriptions qui peuvent être opposées au tiers détenteur, c'est alors le moment pour lui de demander au conservateur '1 un état des priviléges et hypothèques qui grèvent son immeuble " (b).
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(b) On dit généralement "un état des inscriptions," mais comme certaines transcriptions "valent inscription," on préfère une formule plus simple et plus directe: le conservateur devra relever les priviléges de l'aliénateur et des copartageants qui résultent des transcriptions, d'après les articles 1124, 1184 et 1185.
Art. 1276. — 516. Les quatre notifications que le tiers détenteur doit faire aux créanciers privilégiés ou hypothécaires sont assez précisées dans le texte pour ne pas demander de développements; il suffit d'indiquer le but de chacune.
1° L'exposé du titre (c) a pour but de faire connaître aux créanciers la qualité en laquelle le tiers détenteur se présente à eux: ils y verront: 1° s'il est acheteur ou donataire, 2° qui il est, 30 si c'est bien leur débiteur qui est l'auteur de l'aliénation, 4° si c'est bien l'immeuble à eux hypothéqué qui a été aliéné, 5° à quelle époque a eu lieu l'aliénation (ce qui importe pour la capacité d'aliéner), 6° à quelle date a été faite la transcription, (ce qui influe sur la validité des inscriptions), enfin, 7° le prix d'acquisition ou la valeur estimative donnée à la chose, ce qui permettra aux créanciers de voir si les offres dont il est parlé au u° 3 sont suffisantes.
2° Le tableau des inscriptions (ou transcriptions valant inscription) fait connaître aux divers créanciers, respectivement, combien et qui ils sont, pour qu'elles sommes et à quelle date ou à quel rang ils sont, ce qui les aidera à voir si le prix à eux offert peut parvenir à les désintéresser; l'indication du folio du registre des inscriptions permettra aux intéressés de vérifier si toutes les inscriptions sont régulières et valables, ce qui intéresse encore plus les créanciers respectivement que le tiers détenteur (d).
3° L'élection de domicile pour le tiers détenteur, que nous ne voyons pas dans le Code français, a pour but de rattacher toute la procédure de purge au tribunal de la situation de l'immeuble qu'il s'agit de purger.
4° La déclaration ici prescrite est L l'offre " dont nons avons déjà parlé plusieurs fois et qui donnera à la purge un caractère conventionnel ou transactionnel, si ladite offre est acceptée. Cette déclaration rappelle aux créanciers qu'ils ont le droit de requérir la mise aux ellchères de l'immeuble en surenchérissant les premiers; elle leur indique dans quel ordre ils seront payés, sans distinction entre les créances certaines et celles qui sont conditionnelles, et entre celles qui sont échues et celles qui ne le sont pas; ici, en effet, il ne peut être question, comme dans le premier parti que peut prendre le tiers détenteur, de payer les dettes à mesure qu'elles sont échues, car les premières en rang pourraient être à terme ou conditionnelles et, lorsque leur tour viendrait, les fonds pourraient manquer; c'est une liquidation anticipée où tous les intérêts doivent être sauvegardés.
Bien entendu, les sommes dues sous condition ne seront pas versées aux ayant-droit, elles seront consignées, en attendant l'événement ou la défaillance de la condition.
L'article 1280 reviendra sur l'application de la consignation auquel notre article fait déjà allusion.
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(c) Le texte dit ” exposé " et non " extrait " du titre (expression pourtant usitée), à cause de la date de la transcription et de l'évaluation de l'immeuble, lesquelles ne pourraient être données seulement par " extrait " et peuvent être complètes dans un " exposé."
(d) Le Code français (art. 2183-3°) prescrit ici un "tableau sur trois colonnes"; le Projet ne croit pas devoir prescrire une forme si minutieuse: ce sera déjà beaucoup si les Règlements vont aussi loin.
Art. 1276 bis. -516 bis. Il serait bien inutile que le tiers détenteur se mît, par la purge, à l'abri du droit de suite résultant des priviléges et hypothèques, si certains créanciers dont le droit hypothécaire serait purgé conservaient l'action résolutoire d'une aliénation ou d'un partage d'où provenait originairement le droit du débiteur.
La loi française a remédié à ce danger dans quelques cas, mais il semble difficile d'y voir une protection suffisante du tiers détenteur, pour les autres cas non prévus.
Ainsi, au cas de saisie immobilière, ce qui peut comprendre la poursuite des créanciers chirographaires et hypothécaires, il est bien statué par le Code de Procédure civile que ceux qui prétendraient exercer une action résolutoire faute de payement doivent en dénoncer leur intention au saisissant et faire statuer sur ladite action avant l'adjudication (Loi de 1858, insérée au Code de Procédure civile, art. 692-1° et 717, 2" à. 5e al,).
Ainsi encore, la loi du 23 mars 1855 déclare que si le vendeur est déchu de son privilége, pour ne l'avoir pas inscrit dans les 45 jours de la vente, il est en même temps déchu de son action résolutoire (art. 7).
Mais la loi ne dit pas comment les choses se passeront quand le vendeur a conservé son privilége: elle organise la purge des priviléges et hypothèques, mais non celle de l'action résolutoire; elle semble exposer le tiers acquéreur à l'action résolutoire du vendeur, lorsque celuici, ayant conservé son privilége, n'a pas surenchéri sur les offres de purge; à moins qu'on ne décide que lorsque le privilége est ainsi purgé, l'action résolutoire l'est en même temps, ce que nous n'oserions pas induire de l'article 7 de la loi de 1855.
516 ter. Toutes ces difficultés vont disparaître dans le Projet qui organise la purge de l'action résolutoire par les articles 1276 bis, 1278 bis et 1290 bis (e).
Du moment que le Projet fournit au tiers détenteur un moyen de se mettre à l'abri d'une action résolutoire indéfinie, tout en laissant à cette action un certain temps pour se produire, il n'y a plus de raison de la déclarer perdue par cela seul que le privilége l'est lui-même; Ainsi, quand le privilége d'un aliénateur ou d'un copartageant est dégénéré en hypothèque légale (ce qui est plus rare dans le Projet que dans la loi française, v. art. 1187 et 1188), il est aussi facile de concevoir que l'action résolutoire subsiste que si le privilége était resté intact. Pour rendre plus facile l'intelligence du système proposé nous allons le présenter dans son ensemble, en donnant par anticipation, avec l'explication de notre article, celle des deux autres qui s'y rapportent.
1° Notre article veut que le tiers détenteur qui eOllnaît, par l'inscription ou la transcription, la cause de chaque créance et, par là, l'action résolutoire appartenant à l'aliénateur ou au copartageant, conjointement avec son privilége ou son hypothèque, ne se borne pas à lui faire des offres comme aux autres créanciers, mais encore le somme Il de déclarer, dans le même délai (d'un mois augmenté d'après les distances), s'il entend user de son action résolutoire." Ceci est déjà un acheminement à la purge de l'action.
2° Si l'aliénateur ou le copartageant notifie une surenchère d'un dixième, "sans réserver l'exercice de son action résolutoire, il est considéré comme y ayant renoncé " (art. 1278 bis).
Mais cette renonciation n'est acquise au tiers détenteur qu'à l'expiration du délai prescrit, de sorte que les réserves pourraient n'être pas jointes à la surenchère: le 2e alinéa de l'article cité s'applique à ce cas, comme à celui où le créancier, négligeant la surenchère, se bornerait à déclarer qu'il entend user de son action résolutoire.
Ladite déclaration doit être notifiée au tiers détenteur, comme principal intéressé, et au débiteur principal, précédent propriétaire, pour l'engager à prévenir par un payement l'éviction de son cessionnaire.
La première notification est seule exigée " à peine de nullité," comme cela a lieu pour la notification de la surenchère (v. art. 1278).
3° Si l'aliénateur ou le copartageant a conservé son notion résolutoire, en se conformant aux dispositions qui précèdent, il lui reste à l'exercer effectivement " avant que le bien soit mis aux enchères " (v. art. 1290 bÙ;).
Le Code de Procédure français, statuant pour le cas d'une saisie immobilière, se contente que l'action soit jugée " avant l'adjudication," mais ce système a l'inconvénient grave de laisser faire les frais énormes de la procédure de mise en vente, des significations, affiches et autres formalités, lesquelles peuvent se trouver faites en pure perte si la résolution a lieu, et, comme dans ce cas, il n'y a pas d'adjudicataire pour les payer, ils ne peuvent retomber que sur le débiteur et, par suite, sur ses créanciers chirographaires.
Avec le système du Projet, le tiers détenteur présentera requête au tribunal pour faire fixer un délai dans lequel l'aliénateur devra faire juger son action résolutoire. Cette requête sera nécessairement communiquée à la partie intéressée, afin qu'elle puisse se faire donner un délai suffisant.
Jusqu'au jugement définitif de la résolution, il n'y a pas mise en vente; il n'y est pas procédé, si la résolution est admise; alors toutes les hypothèques procédant du chef de l'acquéreur sont résolues avec son propre droit, et le tiers détenteur, étant lui-même évincé, n'a pas à purger des droits qui n'existent pas plus que le sien.
Au cas contraire, si la résolution est rejetée, la mise en vente a lieu d'après la surenchère d'un dixième faite depuis longtemps; peut-être même a-t-elle été faite par l'aliénateur, car il a pu justement surenchérir, en prévision du cas où la résolution ne serait pas admise, ce qui serait à prévoir s'il était intervenu de sa part quelque acte pouvant être invoqué contre lui comme contenant renonciation à la résolution.
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(e) Ce redoublement de trois numéros, dont est le nôtre, prouve que ces dispositions constituent des additions à la première rédaction; il n'est ainsi apporté aucun dérangement au numérotage antérieur, à cause des nombreux renvois à respecter.
Art. 1277. — 517. Dans le cas où l'acquisition comprend des biens hypothéqués et d'autres non hypothéqués, c'est à l'acquéreur à déterminer la somme qu'il lui paraît convenable d'offrir pour le bien hypothèque; il a intérêt à faire une offre suffisante: autrement, il s'expose à la surenchère.
Art. 1278. — 518. Si les créanciers trouvent les offres acceptables, ils n'ont qu'à garder le silence et à laisser s'écouler le délai d'un mois qui leur est assigné par le n° 2 de notre article pour répondre à la notification et aux offres prescrites à l'article 1276: l'article 1280 mettra cette idée en évidence.
Ici on suppose, au contraire, que les créanciers ou l'un d'eux n'acceptent pas l'offre, sans doute dans l'espérance d'obtenir un meilleur prix par la vente aux enchères publiques. Ce sont, naturellement, les créanciers inscrits les derniers qui seront portés à ne pas accepter, parce que c'est sur eux que les fonds doivent manquer; le même refus pourrait venir d'un créancier unique auquel serait due une somme plus forte que celle qui lui est offerte par le tiers détenteur,
Le refus du créancier n'a pas à être motivé, mais il a sa forme, son délai et ses conditions.
En la forme, il consiste dans une réquisition de mise aux enchères; comme preuve de sa sincérité dans la prétention à un meilleur prix, le requérant doit faire une surenchère d'un dixième de la somme offerte, et, comme garantie qu'il n'agit pas témérairement et en fol enchérisseur, il doit donner une caution ou une autre sûreté " pour le prix total ainsi augmenté et pour les frais," car il est possible qu'il n'y ait pas d'autre enchérisseur lors de la mise aux enchères, et dès lors le requérant serait débiteur du principal et des frais.
Comme c'est là un engagement très lourd et qu'il faut éviter les erreurs et les surprises, la loi exige que le requérant signe le tout sur l'original ou que la signature soit donnée pour lui par un mandataire spécial.
519. Cette réquisition doit être notifiée au tiers détenteur dans un délai assez court, un mois à partir de la signification des offres par lui faites; c'est moins que dans le Code français qui donne quarante jours; mais ce délai est augmenté d'un jour par dix ria (e), en comptant " l'aller et le retour," entre le domicile réel du créancier, au Japon, et le domicile par lui élu dans l'inscription, car c'est à ce dernier domicile que les significations ont été faites par le tiers détenteur, et il a fallu que les pièces aient été envoyés au domicile réel du créancier, pour qu'il pût les examiner et y répondre.
Il n'est pas tenu compte du domicile réel du tiers détenteur: tout pour lui se fait à son domicile élu qui est dans l'arrondissement de l'immeuble (art. 1276-3°).
Si le créancier requérant est domicilié hors du Japon, il n'y a pas d'augmentation de délai des distances: ce serait un danger d'abus et de retards indéfinis; en pareil cas, le créancier domicilié à l'étranger doit laisser ses pouvoirs à un mandataire spécial, au domicile élu.
La loi veut encore que la réquisition de mise aux enchères soit notifiée au précédent propriétaire ou cédant, comme débiteur principal, afin qu'il puisse, par le payement, préserver son cessionnaire de l'éviction.
Enfin, dans le cas où l'hypothèque a été constituée par un autre que le débiteur, la signification lui est faite comme cédant, pour le motif qui précède, et aussi au débiteur principal, car il a, dans ce cas, un autre recours en garantie à éviter.
Les mêmes délais de distance sont à observer; seulement ils ne se cumulent pas, ils se confondent: le plus long absorbe tous les autres.
520. L'observation des deux premières formalités est prescrite à peine de nullité, et il n'y a pas lieu d'en relever le requérant, même sous prétexte d'empêchement ou de cause majeure: le tiers détenteur ne peut rester indéfiniment dans l'incertitude au sujet des offres qui peuvent consolider son acquisition.
Mais les deux dernières significations ne comportent pas nécessairement la même sanction: pour que la nullité de la réquisition de mise aux enchères fût annulée pour n'avoir pas été suivie de l'une ou de l'autre de ces significations dans le délai prescrit, il faudrait que le tiers détenteur prouvât que le cédant ou le débiteur principal était en état de payer les dettes hypothécaires.
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(e) Le ri ou lieue japonaise a 3,927 mètres. Ces délais pourront être modifiés, s'il y a lieu, pour être en harmonie avec les délais ordinaires de la procédure.
Art. 1278 bis. —520 bis. Cet article se trouve expliqué avec l'article 1076 bis (v. n° 516 ter 2°).
Art. 1279. — 521. La loi ne désire pas qu'il y ait autant de réquisitions de mise aux enchères qu'il peut y avoir de créanciers hypothécaires intéressés à la faire; d'un autre côté, elle n'oblige pas le créancier surenchérisseur à notifier sa réquisition de mise aux enchères aux antres créanciers inscrits, quoiqu'il les connaisse: ce serait, dans les deux cas, une augmentation à peu près inutile de frais et de lenteurs; mais il sera rare que les autres créanciers ne soient pas informés de la surenchère déjà faite: ceux d'entre eux qui, par leur rang, courent le risque de n'être pas payés avec le prix offert, se concerteront le plus souvent pour requérir la mise aux enchères; il pourront aussi avoir connaissance par la voie du greffe, de celle qui aurait été déjà demandée, parce que la caution à fournir, étant une caution légale, devra prendre un engagement au greffe (f).
Du moment que la loi admet qu'une seule surenchère doit profiter à tous les créanciers, il est naturel et nécessaire que le surenchérisseur ne puisse s'en désister ou la rétracter que du consentement de tous les autres créanciers. En effet, il arriverait le plus souvent ou que les autres créanciers ignoreraient cette rétractation et ne pourraient faire une nouvelle surenchère pour euxmêmes, ou que, la connaissant, les délais pour en faire une autre seraient expirés.
Lorsque la vente publique sera effectivement poursuivie, soit par le premier surenchérisseur, soit par les autres créanciers prenant sa place, l'immeuble ne sera purgé que par l'adjudication qui suivra et pour laquelle la loi renvoie aux articles 1290 et suivants.
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(f) (Comp. c. pr. civ. fr., art. 517). Cet article ne concerne que la caution judiciaire; mais au Japon, dans le Code de Procédure, il sera bon d'avoir une disposition semblable pour la caution légale.
Art. 1280. — 522. La loi suppose ici qu'aucun créancier n'a requis la. mise aux enchères et que les délais sont écoulés; on peut dire alors que les offres sont tacitement acceptées.
Pour consommer la purge, le tiers détenteur n'a plus qu'à payer le prix offert. Mais comme le payement ne peut avoir lieu que dans une procédure d'ordre ou dans un ordre amiable et qu'il peut surgir des difficultés dans lesquelles le tiers détenteur est sans intérêt, il est admis à consigner la somme offerte, au nom des créanciers, et cela sans offres réelles préalables," parce que la somme n'est plus à discuter et cependant ne peut être reçue.
Une autre particularité de cette consignation, c'est qu'elle ne pourrait être retirée par celui qui l'a faite, comme le permet l'article 500: cet article suppose la consignation faite par un débiteur ordinaire, seul intéressé à sa libération et pouvant y renoncer; mais ici, c'est dans un sens tout particulier que le tiers détenteur est débiteur et sa libération intéresse trop de personnes diverses pour qu'il puisse lui être permis de la rétracter.
Enfin, la loi n'oblige pas le tiers détenteur à payer ou à consigner les intérêts des sommes offertes, parce que, comme il a dû tenir ces sommes disponibles depuis les offres, il n'en a pas tiré un profit appréciable.
Lorsque le payement ou la consignation sont effectués, l'immeuble demeure purgé et toutes les hypothèques sont radiées, même, dit la loi (et c'est là le caractère le plus saillant de la purge), " celles sur lesquelles les fonds ont manqué " (g).
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(g) On n'a pas négligé l'occasion de consacrer dans le Projet cette locution très claire et très pratique (v. c. pr. civ. fr., art. 768).
Art. 1281. — 523. L'exercice des actions hypothécaires, même quand il ne mène pas à une vente aux enchères produit toujours pour le tiers détenteur une sorte d'éviction, puisqu'il ne tient plus son droit du contrat originaire, mais d'une sorte de transaction avec les créanciers; de là, un recours en garantie qui varie dans son importance, suivant les cas.
1° Au cas de vente, l'acheteur a peut-être offert et payé plus que son prix d'acquisition; cela aura eu lieu surtout quand il avait déjà eu l'imprudence de payer tout ou partie de son prix à son vendeur directement;
2° Au cas d'échange, si le tiers détenteur a payé plus que la soulte promise (et ce sera presque toujours le cas, parce que la soulte n'est souvent qu'une faible partie de la contre-valeur et que le bien fourni en contre-échange de l'immeuble hypothéqué n'est pas lui-même assigné aux créanciers hypothécaires), il se fera rembourser cet excédant; de même, s'il avait acquis par un autre contrat onéreux, comme une transaction ou une dation en payement, il se ferait rembourser tout ce qu'il aurait payé aux créanciers au-delà de ce qu'il avait promis au cédant.
La loi y met cette réserve: " s'il ne se fait pas restituer la contre-valeur par lui fournie; " en effet, si, au cas d'échange, il se fait rendre par le cédant le bien qu'il lui avait fourni en échange, il se trouve n'avoir payé qu'une fois la valeur de la chose estimée par luimême: il en est, en quelque sorte, acheteur, et il n'a que payé son prix aux créanciers du vendeur. Même solution si, ayant reçu l'immeuble comme dation en payement d'une dette, il faisait résoudre pour inexécution et considérer comme non avenue la novation qui était implicitement contenue dans la dation en payement (v. art. 482).
3° Au cas de donation ou de legs, rien de ce que le tiers détenteur a payé aux créanciers n'était dû au donateur ou au testateur, le recours a donc lieu pour le tout.
4° Tous les frais de la procédure de purge sont encore une charge dont le tiers détenteur doit être rendu indemne et qui retombera sur son cédant.
SOMMAIRE.
Art. 1282. — N° 524. Cette exception n'est refusée qu'aux débiteurs principaux: elle appartient aux cautions personnelles et. réelles. -525. Elle n'est admise que si elle n'est pas manifestement frustratoire; elle est opposable au créancier qui a plusieurs hypothèques spéciales.
1283. -52G. Indépendance des deux bénéfices de discussion: la renonciation à l'un laisse subsister l'autre.
1284. -527. L'exception appartient à la caution réelle et aux débiteurs conjoints qui ont payé leur part dans la dette.
COMMENTAIRE.
Art. 1282. — N° 524. Le nom et la nature de ce moyen de défense du tiers détenteur rappelle le bénéfice de la caution exposé aux articles 1020 à 1023.
Le texte tranche tout d'abord une question qui fait (loute en France, à savoir que la qualité de débiteur " principal " exclut seule l'exception de discussion hypothécaire; par conséquent, une caution personnelle en jouit. Quelle que soit la solution que commande, à cet égard, l'article 2170 du Code français il n'y a rien de plus raisonnable, législativement, que de permettre à la caution de cumuler les deux bénéfices: on ne peut aisément comprendre comment la qualité de caution, qui, par elle-même, donne déjà le bénéfice de discussion, ferait obstacle à l'exercice d'un bénéfice analogue fondé sur la qualité de tiers détenteur; il est, au contraire, tout naturel que celui qui cumule les deux qualités cumule aussi les deux bénéfices, dans la mesure de ce que l'un contient de plus que l'autre, et, fussent-ils absolument semblables, il faudrait encore dire que la caution qui est en même temps tiers détenteur y a deux titres au lieu d'un.
L'exception de discussion appartenant au tiers détenteur est d'ailleurs moins étendue que celle qui appartient à la caution comme telle; en effet, le tiers détenteur ne peut renvoyer le créancier à discuter que " les autres immeubles hypothéqués à la même dette," sauf quelques restrictions; tandis que la caution peut même renvoyer le créancier à discuter tous autres biens du débiteur, sauf aussi des restrictions (v. art. 1021).
525. Les trois premières restrictions à la discussion opposable par le tiers détenteur existent aussi pour le bénéfice de la caution et lui sont empruntées.
Le texte en présente une qui n'est pas dans le Code français et qui paraît tout-à-fait dans l'esprit du principe, c'est que les biens à discuter ne soient pas, d'après leur valeur et le rang du créancier auquel la discussion est opposée " manifestement insuffisants " à le désintéresser: autrement, on peut dire qu'elle est frustratoire.
En sens inverse, le Projet ne reproduit pas un cas d'exclusion de l'exception de discussion établi par le Code français (art. 2171), c'est celui où le créancier a une hypothèque spéciale; sans doute, quand l'hypothèque porte spécialement et limitativement sur deux ou plusieurs immeubles (ce qui suppose nécessairement une convention), il semble que le droit du créancier doive être d'autant plus énergique par sa nature qu'il est plus limité dans son étendue; mais quand on considère la nécessité de protéger autant que possible les tiers détenteurs, dans l'intérêt de la circulation des biens, et aussi quand on songe que la discussion des autres immeubles restés aux mains du débiteur n'est qu'un moyen dilatoire qui ne compromet pas le fond du droit du créancier, on ne voit pas de raison suffisante de la refuser dans ce cas.
C'est encore parce que l'exception de discussion n'est qu'un moyen dilatoire qu'elle doit être proposée sur les premières poursuites (in limine litis).
Art. 1283. — 526. De ce que l'exception de dis- cussion hypothécaire peut se cumuler avec le bénéfice de discussion de la caution, il ne s'ensuit pas que la renonciation à celle-ci emporte renonciation à celle-là. Le texte s'en explique formellement, pour qu'il n'y ait aucun doute.
La réciproque serait vraie: la renonciation du tiers détenteur à l'exception de discussion hypothécaire ne lui enlèverait pas le bénéfice de discussion qu'il aurait comme caution: mais le texte n'a pas à le dire, parce que ce n'est pas ici qu'il y a lieu de parler 'des droits de la caution, et il n'est pas nécessaire d'insérer au Chapitre du Cautionnement une disposition en ce sens.
Art. 1284-527. Celui qu'on appelle " caution réelle, " parce qu'il n'est tenu que sur le bien qu'il a hypothéqué à la dette d'autrui, jouit de l'exception de discussion. Si la loi s'en explique, c'est parce qu'il n'a pas le droit de purger (art. 1271, 48 al.). Or, il y a cette grande différence entre la faculté de purger et celle d'opposer la discussion que la première tend à détruire l'hypothèque et la seconde seulement à en ajourner l'effet ou, si elle la supprime, ce n'est que lorsqu'elle n'aura plus aucune utilité, parce que le payement aura été obtenu sur un autre bien. La même observation explique que les codébiteurs conjoints et les héritiers d'un débiteur unique jouissent de l'exception de discussion quand ils ont payé leur part dans la dette avant les premières poursuites et, par conséquent, au moment où l'exception doit être opposée.
En somme, il ne reste que les codébiteurs solidaires et les codébiteurs d'une dette indivisible qui, ayant, acquis le bien hypothéqué, soient privés du droit d'opposer l'exception de discussion.
SOMMAIRE.
Art. 1285. — N° 528. Légitimité du délaissement; sou caractère.
1286. —529, Il est refusé à la caution personnelle et permis à la caution réelle.
1287. —530. Capacité suffisante pour délaisser.
1288. -531 Forma du délaissement.
1289. -532. Rétractation du délaissement: ses conditions
COMMENTAIRE.
Art. 1285. — N° 528. Le tiers détenteur n'étant tenu qu'à cause de sa détention, propter rem, doit évidemment cesser d'être soumis aux poursuites individuelles dès qu'il cesse de détenir la chose hypothéquée. La loi ne restreint la faculté de délaisser par aucune limite de temps: loin de ne pouvoir être exercée qu'au début des poursuites hypothécaires, elle peut l'être " à toute époque de la procédure d'expropriation," jusqu'à, l'adjudication.
Le texte prend soin de dire que le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété, ni même la possession civile de la chose: il lui enlève seulement la détention de fait ou la possession naturelle, laquelle passe aux créanciers poursuivants. En conséquence, la chose reste cessible par l'acquéreur et transmissible à ses héritiers; elle est susceptible d'accessions ou d'accroissements à son profit; de même si elle se détériore ou périt, c'est à son détriment; si la chose avait été reçue de quelqu'un qui n'en était pas propriétaire ou qui n'avait pas pouvoir de l'aliéner, la prescription courrait au profit du délaissant considéré comme toujours possesseur, si d'ailleurs les autres conditions de la prescription étaient remplies.
Art. 1286. — 529. Ici la loi est plus sévère pour la caution qu'au sujet de l'exception de discussion: celle-ci ne peut pas plus délaisser qu'elle ne peut purger, parce que, dans les deux cas, elle prétendrait se soustraire à toute obligation personnelle, ce qui lui est impossible; tandis que l'exception de discussion n'est, comme on l'a dit, qu'un moyen dilatoire.
Au contraire, la caution réelle et les codébiteurs conjoints ou héritiers du débiteur, qui ont payé leur part dans la dette, peuvent délaisser, comme ils peuvent opposer l'exception de discussion; et même, à la différence de ce qui est prescrit, dans ce dernier cas, par l'article 1284, ils peuvent délaisser, quoique le payement de leur part n'ait eu lieu que depuis les poursuites commencées: c'est la conséquence de ce que le délaissement est permis " à toute époque de la procédure," ce qui n'est pas possible pour l'exception de discussion (v. art. 1282, in fine).
Art. 1287. — 530. Le Projet s'écarte ici du Code français qui, pour la validité du délaissement, exige "la capacité d'aliéner" (art. 2172): puisque le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété ni la possession civile, on ne voit pas de raison suffisante d'exiger chez lui la capacité d'aliéner.
Il suffit donc, dans le Projet, que le délaissant ait qualité pour figurer comme défendeur à la poursuite en expropriation, soit en son propre nom, comme un mineur émancipé ou une femme mariée autorisée à plaider, lesquels ne pourraient aliéner, soit " comme représentant légal, judiciaire ou conventionnel du tiers détenteur," comme le tuteur, le mari, l'administrateur des biens d'un absent, un mandataire spécial pour plaider.
Art. 1288. — 531. Il est naturel que le délaissement se revèle par un acte juridique, quoique extrajudiciaire, plus que par un acte matériel: comme la procédure est commencée, il est également naturel que le délaissement soit déclaré au greffe du tribunal saisi lequel est celui de la situation de l'immeuble.
La signature requise "du délaissant" est celle du tiers détenteur lui-même ou de son représentant légal, judiciaire ou conventionnel, suivant ce qui est dit à l'article précédent, au sujet de la capacité de délaisser; mais si ces personnes ne peuvent signer elles-mêmes, elles doivent donner à cet effet un mandat spécial.
Le créancier poursuivant doit être informé du délaissement par une notification, afin qu'il ne continue pas les poursuites contre une personne qui n'a plus qualité pour y répondre.
Les poursuites sont continuées contre un " curateur au délaissement " nommé par le tribunal, à la requête du créancier poursuivant ou de tout autre intéressé.
Art. 1289. — 532. La loi ne pourrait permettre au tiers détenteur (a) de changer successivement de qualité et de rôle, en délaissant et en rétractant son délaissement, à son gré; mais il était impossible de lui refuser la faculté de rétracter une fois son délaissement, du moment qu'il ne pourrait exercer cette faculté qu'en désintéressant complètement les créanciers poursuivants et en payant tous les frais déjà faits.
A l'égard des créanciers non poursuivants qui ne seraient sans doute intervenus que dans l'ordre ouvert après l'adjudication, ils n'ont encore aucun droit à prétendre: ils pourront seulement faire des poursuites à leur tour.
Si les délais de la purge ne sont pas écoulés, le tiers détenteur peut encore purger à l'égard de ces créanciers; mais il sera rare que les délais ne soient pas écoulés, puisqu'ils ont couru à partir des premières poursuites (v. art. 1274).
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(a) Dans l'usage, on laisse le nom de " tiers détenteur" à celui qui a délaissé, surtout quand il s'agit de rétracter le délaissement il ne serait pas toujours exact de l'appeler ”l'acquéreur," puisqu'il pourrait n'être que " possesseur civil" en voie de prescrire.
SOMMAIRE.
Art. 1290. — N° 533. Il n'y a pas là, à proprement parler, un parti à prendre: c'est une nécessité finale, au cas où l'on est arrivé; observation sur l'exception de discussion; renvoi au Code de Procédure pour les formes et la publicité.
1290 bis -533 bis. Renvoi au n° 216 ter.
1291. -534. Le tiers détenteur devenu adjudicataire est toujours considéré comme évincé; mais le jugement d'adjudication n'est que mentionné en marge de la première transcription.
1292. -535. Adjudication au profit d'un étranger: transcription principale et mention du jugement.
1293. —536. Renaissance des démembrements de la propriété appartenant au tiers détenteur.
1294. -537. Collocation du tiers détenteur à son rang d'hypothèque, dans tous les cas.
1295. —538. Dans tousles cas aussi, l'excédant du prix d'adjudication sur les créances hypothécaires appartient au tiers détenteur ou à ses propres créanciers hypothécaires.
1296. -539. Comptes respectifs des détériorations et améliorations.
1297. -540. Compte des fruits; observation sur les intérêts.
1298. -541. L' immeuble est purgé par l'adjudication et les inscriptions sont radiées.
1299. -542. Garantie du tiers détenteur dans les divers cas prévus.
COMMENTAIRE.
Art. 1290. — N° 533. C'est à peine si l'on peut dire que laisser vendre l'immeuble aux enchères et subir ainsi l'expropriation est le dernier parti que puisse prendre le tiers détenteur: quand les autres moyens de satisfaire les créanciers hypothécaires n'ont pas été employés, la vente et l'expropriation sont imposées au tiers détenteur; pour qu'on pût dire qu'il u a pris le parti " de se laisser exproprier, il faudrait qu'on fût certain que, dès le début et de propos délibéré, il a voulu que les créanciers en vinssent à cette extrémité.
On remarquera qu'avec les trois conditions négatives qui motivent la vente publique on ne trouve pas le défaut d'emploi de l'exception de discussion; en effet, lors même qu'elle aurait été opposée, il serait arrivé de deux choses l'une: ou les autres immeubles, objets de la discussion, auraient suffi à payer les dettes hypothécaires, alors le tiers détenteur aurait été à l'abri de l'expropriation, ou les autres immeubles auraient été insuffisants, et comme l'exception n'est qu'un moyen dilatoire de défense, elle n'empêcherait pas l'expropriation finale.
La vente aux enchères ne peut être faite qu'en vertu d'un titre exécutoire (jugement ou acte notarié); elle doit être précédée d'un commandement (C. civ. fr., art. 2213 et 2217); elle est soumise à une publicité antérieure et concomitante ainsi qu'à des formes déterminées tendant à garantir les divers intérêts engagés; mais ce sont là des conditions qui ne touchent pas au fond du droit et qui sont naturellement réservées au Code de Procédure civile.
Le texte rappelle que la vente aux enchères est aussi la suite naturelle du refus des offres de purge manifesté par une surenchère d'un dixième, d'après l'article 1278.
Art. 1290 bis. -533 bis. Cet article se trouve expliqué avec les articles 1276 bis et 1278 bis, relatifs, comme lui, à la purge de l'action résolutoire (v. n° 516 ter 3°).
Art. 1291. — 534. Du moment que la vente et l'adjudication sont destinées à produire l'éviction du tiers détenteur, de sorte qu'il sera considéré, à l'égard des tiers, comme n'ayant pas acquis le fonds hypothéqué, il est naturel qu'il puisse se présenter aux enchères comme un étranger et se porter enchérisseur.
S'il offre la plus forte enchère, il sera déclaré adjudicataire; dans ce cas, il peut encore être considéré comme évincé, parce qu'il ne tient pas la chose du titre que lui a conféré son cédant, et il aura un recours en indemnité contre lui (v. art. lz99); mais le jugement d'adjudication sera seulement mentionné en marge de la précédente transcription faite à sa requête et il en sera confirmatif, comme dit le texte.
Art. 1292. — 535. Au contraire, quand l'adjudication est prononcée au profit d'un autre que le tiers détenteur, le jugement est un titre absolument nouveau qui doit être- " transcrit principalement et à sa date " il en est cependant fait mention en marge de la précédente transcription: cette fois, ce n'est pas pour la confirmer, mais au contraire, pour la détruire ou plutôt pour annoncer qu'elle est détruite.
Art. 1293. — 536. Du moment que la première acquisition est annulée, il est naturel que les démembrements de la propriété qui appartenaient antérieurement au tiers détenteur sur la chose acquise, et qui s'étaient trouvés éteints par confusion, renaissent rétroactivement, comme s'ils n'avaient jamais été éteints.
Si le premier alinéa de notre article statue spécialement sur les servitudes, c'est parce q -l'en théorie exacte les servitudes appartiennent moins au tiers acquéreur qu'à son fonds et la formule devait différer à leur égard.
Art. 1294. — 537. Le cas où le tiers détenteur avait lui-même une hypothèque sur le fonds adjugé diffère du cas des autres droits: son hypothèque n'est jamais éteinte par confusion, même lorsque c'est lui qui devient adjudicataire. Il y a à cela une raison de justice évidente et la théorie ne l'explique pas moins aisément.
Quand il s'agit des autres démembrements de la propriété, leur extinction par confusion ne cause aucun dommage au tiers acquéreur, puisque, soit dans la première vente amiable, soit dans la vente aux enchères il a payé, d'autant moins cher que son droit antérieur était plus important; tandis que l'existence des hypothèques, tant de la sienne que des autres, n'exerce aucune influence sur le prix de vente; si donc le tiers détenteur perdait son hypothèque, ce serait une perte sans compensation pour lui et tout à l'avantage des autres créanciers.
En théorie, la solution se justifie encore, en ce que, vis-à-vis des créanciers hypothécaires, l'aliénation est comme non avenue: ils sont traités comme si leur débiteur était resté propriétaire; le tiers détenteur ne doit donc pas être traité autrement que les autres à l'égard de son hypothèque.
C'est-pourquoi notre article dit que, " dans tous les cas, il est colloqué à son rang."
Art. 1295. — 538. Cet article statue encore pour les deux cas d'adjudication, soit en faveur du tiers détenteur, soit en faveur d'un étranger. Il est clair que s'il y a un excédant du prix d'adjudication qui ne soit pas absorbé par les créances hypothécaires, c'est au tiers détenteur qu'il appartient et il ne pourrait appartenir à un autre.
Ce ne pourrait être au débiteur, car il est garant envers le tiers détenteur de l'éviction qu'il a subie par l'effet des hypothèques; et si le débiteur n'a pas de droit à ce prix, ses créanciers chirographaires n'en peuvent avoir davantage; cet excédant ne pourrait être conservé par l'adjudicataire étranger, car il est acheteur et il doit payer son prix à quelqu'un; si c'est le tiers détenteur qui est adjudicataire, l'excédant de prix lui appartient encore, car cette adjudication n'a fait que confirmer sa première acquisition, une fois que les créanciers hypothécaires se sont trouvés désintéressés.
Comme conséquence de ce que l'excédant de valeur sur les créances hypothécaires appartient toujours au tiers détenteur, il suit que s'il avait, avant l'adjudication, conféré lui-même des hypothèques ou s'il en avait été acquis de son chef, elles seraient colloquées à leur rang respectif, à la suite des hypothèques antérieures.
Art. 1296. — 539. Le tiers détenteur, sachant ou devant savoir qu'il y avait des hypothèques sur le fonds qu'il a acquis, a dû s'abstenir de tout acte qui pouvait diminuer la garantie des créanciers et, dès lors, s'il a manqué à ce devoir, il en doit l'indemnité aux créanciers. Réciproquement, il a droit à être indemnisé des dépenses nécessaires ou utiles qu'il a faites, parce que les créanciers en profiteraient sans cause légitime (a).
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(a) L'expression du texte " faire raison " était très usitée autrefois en droit français; elle est encore employée dans le Code français (art. 1511); c'est la traduction directe du latin rationem lacère, "faire raison, faire compte."
Art. 1297. — 540. Lorsqu'il s'agit de faire courir les intérêts contre le débiteur d'une somme d'argent, une sommation ne suffit pas, en général: il faut une demande en justice. Il ne peut être question de faire supporter au tiers détenteur des intérêts des dettes hypothécaires, parce qu'il n'en est pas personnellement débiteur; d'ailleurs, les intérêts des deux dernières années sont ajoutés au principal de la créance (v. art. 1254). Mais le tiers détenteur perçoit les fruits de la chose hypothéquée; ces fruits sont, comme le fonds même, la garantie des créanciers: on conçoit qu'il n'en soit pas comptable, de plein droit, depuis son acquisition, parce qu'il a pu les consommer sans profit appréciable; mais on comprend également qu'une simple sommation l'oblige à les conserver ou à en tenir compte, et la loi attache cet effet à la sommation de payer ou de délaisser qui a commencé l'exercice de l'action hypothécaire.
Art. 1298. — 541. On a déjà eu l'occasion de dire que " l'adjudication purge l'immeuble " et le dégrève des hypothèques dont l'effet est transféré sur le prix. La radiation des inscriptions ne pourrait cependant avoir lieu avant le payement effectif ou la consignation du prix, comme il est prescrit au cas de purge volontaire, par suite de l'acceptation des offres du tiers détenteur (v. art. 1280, 1er al.; comp. c. pr. civ. fr., art. 777, 1" al.).
Art. 1299. — 542. Il y a analogie mais non similitude entière, entre le cas de notre article et celui de l'article 1281, au sujet de la garantie due au tiers acqu éreur.
Si le tiers détenteur devient adjudicataire, il est indemnisé dans la mesure de ce qu'il a payé comme tel aux créanciers au-delà de son obligation primitive, plus des frais de procédure: c'est le cas le plus semblable à celui de l'article précité.
Si c'est un étranger qui est adjudicataire et si l'acquisition a été à titre onéreux, le prix d'adjudication servira a déterminer la plus-value, pour ce dont il excède la contre-valeur primitivement due ou fournie; si l'acquisition primitive a été gratuite, le tiers détenteur ne sera indemnisé que de ce dont le prix d'adjudication a libéré le donateur de ses dettes hypothécaires; pour le surplus du prix d'adiudication, il le touche directement des mains de l'adjudicataire.
SOMMAIRE.
Art. 1300. — N° 543. Renvoi aux Règlements spéciaux.
1301. -544. Responsabilité civile des conservateurs.
1302. -545. Omission d'une inscription dans le certificat: motif de la préférence donnée au tiers détenteur sur le créancier hypothécaire.
1303. -546. Droits extrêmes du créancier omis: responsabilité finale du débiteur.
1304. -547. Refus du conservateur: garantie de la partie intéressée contre les abus.
COMMENTAIRE.
Art. 1300. — N° 543. Au Japon, lorsque la publicité des mutations de propriété immobilière a été établie, ce Sont les maires qui ont été chargés du dépôt et de la garde des documents qui tiennent lieu, à cet égard, de registres proprement dits; la publicité des hypothèques plus récente leur a été également confiée.
Désormais, ce sont les greffiers du tribunal qui auront la garde des documents et la tenue des registres, mais on pourra leur laisser, dans la loi, la qualification de " conservateurs des transcriptions et inscriptions," comme en France, on nomme les maires officiers de l'état civil," au sujet d'une et des plus importantes de leurs fonctions.
On a déjà renvoyé à un Règlement spécial ultérieur pour un cas particulier (v. art. 1232, 3" al.). Le renvoi Recours au tribunal.
actuel est plus général. Déjà il y a eu un renvoi analogue dans l'article 369, 48 al., pour les registres des transcriptions.
Art. 1301. — 544. L'article 375 n'a pu de même statuer sur la responsabilité civile des conservateurs qu'en matière de transcription; il faut ici une disposition analogue pour l'inscription d'hypothèque.
Art. 1302. — 545. Le présent article est très-irnportant, parce qu'il suppose un conflit entre deux personnes qui se sont également conformées à la loi au sujet de la publicité et dont cependant l'une doit être sacrifiée à l'autre. Un créancier a pris inscription d'hypothèque avant la transcription d'une acquisition; l'hypothèque est donc opposable au tiers détenteur; mais, dans le certificat délivré à celui-ci l'inscription de ce créancier a été omise, de sorte qu'il n'a pas reçu la notification à fin de purge qui assurait son droit de suite (art. 1276), et s'il y a eu mise aux enchères, il n'en a pas été directement informé.
Sans doute, la responsabilité civile du conservateur est encourue, et si l'intérêt compromis n'excède pas sa solvabilité, il importe peu au créancier hypothécaire d'être désintéressé par lui ou par le tiers détenteur. Mais si le conservateur ne peut réparer tout le dommage causé (a), il est très important de savoir sur qui, du tiers détenteur ou du créancier hypothécaire, retombera la perte.
Le Projet, suivant en cela le Code français et les autres Codes étrangers, sacrifie les droits du créancier hypothécaire à l'intérêt de la circulation des biens et de la sécurité des mutations: il n'est pas contraire à la nature des choses qu'un créancier hypothécaire, même diligent, coure quelques risques, tandis qu'un acquéreur qui a traité avec le véritable propriétaire, qui a publié son acquisition et pris un certificat des inscriptions, doit avoir une sécurité absolue. S'il en était autrement, les immeubles ne seraient pas achetés et ce serait un bien plus grand mal social que s'il n'était pas fait de prêts hypothécaires: les ventes d'immeubles donnent toujours lieu à des améliorations de la chose vendue; par conséquent, à des travaux et à des salaires d'ouvriers, suivis d'une augmentation dans la production; tandis que les prêts hypothécaires peuvent sauver quelques emprunteurs, mais, le plus souvent, ils ne font que retarder leur ruine en l'aggravant.
Il est d'ailleurs bien plus facile à un créancier hypothécaire, omis sur le certificat du conservateur, de connaître l'aliénation et la procédure commencée, de purge ou d'expropriation, qu'au tiers détenteur de connaître l'hypothèque omise dans le certificat.
L'article suivant suppose précisément que le créancier hypothécaire a découvert l'omission dont il courait risque d'être victime.
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(a) A moins d'exiger un cautionnement hors de toute proportion avec les émoluments de la fonction, il pourra arriver que les conservateurs ne puissent réparer civilement tous les dommages résultant de certaines de leurs omissions.
Art. 1303. — 546. Si le créancier découvre l'omission commise à son égard, avant l'expiration des délais pour surenchérir, il peut le faire, après s'être fait communiquer les offres faites aux autres créanciers; si la procédure d'expropriation est commencée, il peut s'y faire comprendre pour la sauvegarde de ses intérêts, " mais sans pouvoir la retarder."
Si les délais pour surenchérir sont expirés ou si l'adjudication est prononcée, il peut se faire comprendre dans l'ordre, " tant qu'il n'est pas clos," et ici la loi ne s'oppose pas à ce que la clôture en soit retardée, parce que le préjudice sera infiniment moindre que si l'on retardait une adjudication.
Les deux derniers alinéas règlent la responsabilité: en première ligne est celle du conservateur vis-à-vis du créancier; ensuite vient celle du débiteur envers le conservateur, car c'est, en somme, la dette du débiteur que le conservateur aura- payée.
Art. 1304. — 547. L'article 1225 a déjà prévu le refus du conservateur de faire une inscription d'hypothèque. Le présent article est un peu plus large, en ce qu'il s'applique aussi aux transcriptions et aux mentions en marge des unes et des autres. Il indique, en outre, les causes légitimes du refus et impose au conservateur une double déclaration qu'il doit délivrer " d'office " à la partie intéressée. On a dit, par anticipation, sous l'article 1225, que c'est pour protéger les particuliers contre leur inexpérience et le danger des abus d'autorité que la loi veut que la déclaration du refus et de ses motifs soit délivrée " d'office " à la partie intéressée.
Notre article ajoute que le tribunal statuera, à bref délai, tant sur la validité du refus que sur la responsabilité du conservateur; c'est, en effet, la solution nécessaire du conflit.
SOMMAIRE.
Art. 1305. — N° 548. Observations sur chacun des sept modes d'extinction.
1306. -549. Restitution du droit d'hypothèque: son effet relatif.
1307. -550. Capacité requise pour renoncer; renonciation tacite au d r o i t même ou au r a n g.
1308. - 551. Prescription extinctive de la dette et de l'hypotbèque au profit du débiteur.
1309. - 552. Prescription au profit d'un tiers détenteur ayant acquis du débiteur.
1310. -553. Idem au profit d'un tiers détenteur ayant reçu la chose d'un autre que le propriétaire, ou l'ayant possédée sans titre.
1311. -554. Interruption de la prescription de l'hypothèque.
1312. -555. Le terme et la condition de la créance ne suspendent pas la prescription de l'hypothèque; les autres causes de suspension s'appliquent à l'hypothèque.
COMMENTAIRE.
Art. 1305. — N° 548. Le texte nous annonce sept causes d'extinction de l'hypothèque. Nous en donnons d'abord un exposé sommaire; sauf à revenir, avec les textes, sur deux d'entre eux, la renonciation et la prescription.
I. La première cause d'extinction de l'hypothèque est dite, dans l'usage, " par voie de conséquence," par opposition aux suivantes qui sont " par voie principale ou directe."
Il est clair que l'hypothèque n'étant qu'un droit accessoire, la sûreté d'une créance, ne peut continuer d'exister quand cette créance est éteinte.
Il y a cependant une exception déjà rencontrée et que la loi devait rappeler, c'est lorsque les parties, faisant novation de la créance, sont convenues que l'hypothèque qui garantissait la première dette garantirait la nouvelle (v. art. 524 et 525).
La loi n'ajoute pas le cas de subrogation, légale ou conventionnelle, que quelques auteurs, en France, compteraient comme une seconde exception: c'est que dans le Projet, comme dans le Code français, selon nous, la subrogation conserve la créance elle-même (v. art. 501); dès lors, elle en conserve aussi les garanties.
II. Le créancier peut renoncer à son hypothèque, s'il a la capacité requise par l'article 1307.
Bien entendu, il ne s'agit pas ici du cas où il renonce il, son hypothèque au pront d'un autre créancier (v. art. 1258): dans ce cas, l'hypothèque subsiste; on doit même dire qu'elle garde son rang, seulement le bénéficiaire en est changé.
III. La prescription de l'hypothèque ne figure ici que nominativement: son caractère et ses conditions demandent des développements qui occupent les quatre derniers articles de la Section.
IV. La purge volontaire a été, sous un autre point de vue (celui de la défense au droit de suite), l'objet de développements qui nous dispensent d'y revenir ici (v. art. 1269 et s.). Remarquons seulement, avec le texte, que l'extinction n'est consommée, comme la purge, que par le payement effectif ou la consignation des sommes offertes.
V. L'adjudication opérant par elle-même la purge des hypothèques, lorsque les créanciers ont été appelés A, y défendre leurs intérêts (v. art 1272) et lorsque le prix d'adjudication est payé ou consigné (v. art..1298), est un mode voisin du précédent et pourrait être appelé " la purge forcée " (a).
VI. Il est clair qu'il ne peut subsister d'hypothèque sur un immeuble qui a péri en totalité; le droit du créancier, il est vrai, est transporté sur l'indemnité qui peut être due par un tiers à l'occasion de cette perte; mais on peut dire que ce n'est plus une hypothèque, à proprement parler, qu'exerce le créancier sur cette indemnité, c'est plutôt un droit de préférence résultant d'une délégation spéciale de la loi.
VII. Le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique est tout-a-fait analogue au précédent; l'expropriation est alors, pour les créanciers hypothécaires, une sorte de perte de l'immeuble par force. majeure. Toutefois, le texte ne dit pas que l'hypothèque n'est éteinte que par le payement effectif ou la consignation de l'indemnité: comme l'Etat est toujours considéré comme solvable, il suffit de réserver le droit du créancier sur l'indemnité.
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(a) Quand on dit, en France, que "l'adjudication opère 'la purge par elle-même," on n'entend pas dire que l'extinction de l'hypothèque a lieu avant le payement ou la consignation du prix: on veut dire que les cré. anciers n'ont pas à se prononcer sur le prix qui, ne leur étant pas offert, n'a pas à être accepté par eux. Cela n'exclut pas d'ailleurs un droit de surenchère d'un sixième qui peut être exercé "par tonte personne " dans la huitaine (v. c. pr. civ. fr., art. 708).
Art. 1306. — 549. Le cas prévu au présent article est analogue à celui prévu à l'article 1251 où une inscription est supposée avoir été indûment rayée, sans que le droit hypothécaire ait été nécessairement éteint; ici, c'est le droit d'hypothèque qui avait été considéré comme éteint et qui est rétabli, restitué, pour une cause légale.
La solution sera la même: si intéressant que soit le créancier qui recouvre son droit, il ne l'est pas plus que les nouveaux créanciers qui ont acquis ou inscrit une hypothèque après la radiation d'une inscription antérieure et avant son rétablissement (v. n° 482).
Art. 1307. — 550. Bien que l'hypothèque soit, dans le système du Projet, un droit réel immobilier et un démembrement de la propriété, il n'est pas cependant nécessaire au créancier, pour y renoncer, d'avoir la capacité d'aliéner un droit immobilier principal: l'hypothèque n'est toujours que l'accessoire, la garantie d'une créance, d'un droit généralement mobilier; or, l'accessoire ne peut avoir plus d'importance que le principal. La loi n'exige donc, chez le renonçant, que la capacité de disposer de la créance elle-même.
Il faudra la capacité de disposer à titre gratuit, si la renonciation est faite sans équivalent et expose le créancier à la perte de tout ou partie de ce qui lui est dû; la capacité de disposer à titre onéreux suffira si le créancier reçoit pour sa renonciation un avantage qui puisse être considéré comme compensation du risque d'insolvabilité qu'il court désormais.
La renonciation du créancier à son rang pouvant présenter le même danger qu'une renonciation à l'Hypothèque elle-même est soumise à la même condition de capacité.
La loi admet que la renonciation à l'hypothèque ou au rang puisse n'être que tacite: ce serait aux tribunaux iL apprécier les cas dans lesquels on allèguerait qu'il y a eu renonciation tacite; mais ils devraient le faire avec une grande réserve.
Il serait tout naturel, par exemple, que si un créancier hypothécaire est intervenu, comme codébiteur soli(laire ou comme caution, à un nouvel engagement hypothécaire de son débiteur, il soit considéré comme ayant renoncé à son rang en faveur du nouveau créancier.
La loi prévoit spécialement le cas où le créancier hypothécaire est intervenu volontairement à l'aliénation du bien hypothéqué, et elle interprète cette intervention dans le sens d'une renonciation au'droit de suite seulement, en faveur du tiers détenteur; mais le droit de préférence n'en éprouvera aucune atteinte.
Le Code de Commerce français considère comme renonciation tacite à l'hypothèque et à ses deux effets le vote par le créancier au concordat (art. 508).
Art. 1308. — 554. La prescription de l'hypothèque présente quelques difficultés.
On peut d'abord se demander si elle a le caractère acquisitif de la liberté du fonds ou libératoire de la charge hypothécaire; mais c'est plutôt là une question théorique et de langage. Ce qui est certain, c'est qu'elle suit au fond les règles de la prescription dite acquisitive, de celle qui fait présumer une acquisition légitime de la propriété pleine et libre
Toutefois, une distinction fondamentale se présente d'abord avec notre article comparé au suivant: ou l'immeuble est resté dans les mains du débiteur, ou il a été aliéné par lui.
Dans le premier cas, il n'y a que la prescription libératoire de la créance elle-même qui puisse éteindre l'hypothèque: on se retrouve alors en présence de l'extinction par voie de conséquence, prévue au 1er alinéa de l'article 1305. Il serait inadmissible, en effet, que le créancier qui aurait interrompu la prescription de la créance ou qui jouirait d'une suspension de prescription à cet égard fut obligé de prendre des précautions spéciales pour conserver son hypothèque.
Le second cas est réglé par les articles suivants, avec une nouvelle distinction: l'immeuble a été cédé par le débiteur, en même temps propriétaire, ou il l'a été par quelqu'un qui n'était pas le propriétaire.
Art. 1309. — 552. Dans le cas où le tiers détenteur a traité avec le débiteur, propriétaire de l'immeuble, il est difficile de dire qu'il soit de bonne foi à l'égard des hypothèques car il a pu et dû le» connaître par les inscriptions antérieures à sa transcription; dans tous les cas, qu'elles que soient son ignorance de fait et son honnêteté, il est légalement considéré comme de mauvaise foi à l'égard des hypothèques; dès lors, il n'en sera affranchi que par une possession de trente ans, sans trouble résultant des actions hypothécaires, et ces trente ans ne courront qu'à partir de la transcription de son titre, laquelle est seule considérée comme le constituant possesseur à l'égard des créanciers hypothécaires, en ce sens qu'elle les avertit que c'est contre lui que leur droit doit s'exercer désormais (v. art. 1479).
Bien entendu, si la prescription libératoire de la créance s'accomplissait plus tôt, soit parce que le temps en serait plus court que trente ans, soit parce qu'une partie du délai en était déjà écoulé avant son acquisition, il jouirait de cette prescription et pourrait s'en prévaloir, même à défaut par le débiteur de l'invoquer (v. art. 1434; eornp. c. civ. fr., art. 2225).
Art. 1310. — 553. Dans le cas où le tiers détenteur tient la chose d'un autre que le vrai propriétaire (débiteur ou non), il a, tout à la fois, à prescrire contre le vrai propriétaire et contre les créanciers hypothécaires. La loi admet alors que lorsqu'il aura prescrit contre le propriétaire il aura prescrit également contre les créanciers hypothécaires: s'il est de mauvaise foi à l'égard du propriétaire, il ne pourra alléguer une prétendue bonne foi à l'égard des créanciers inscrits et il lui faudra trente ans de possession, comme au cas précédent, sauf que le point de départ des trente ans sera sa prise de possession et non la transcription de son titre, laquelle ne pouvant lui donner aucun droit ne peut non plus être obligatoire; si au contraire, il est de bonne foi à l'égard du vrai propriétaire, il sera affranchi des actions hypothécaires en même temps que de la revendication, car il est naturel qu'il ait ignoré les hypothèques comme il a ignoré le droit du vrai propriétaire, sauf ce qui est dit à l'article suivant des actes de poursuite des créanciers.
Dans le cas où le tiers détenteur se prévaut de sa bonne foi pour prescrire contre le vrai propriétaire et les créanciers hypothécaires, le délai de la prescription ne se compte qu'à partir de la transcription qu'il a dû faire de son titre (v. art. 1478).
S'il s'agit d'un possesseur sans titre, il ne prescrira contre le propriétaire et contre les créanciers que par trente ans, mais évidemment sans transcription.
Art. 1311. — 554. Cet article s'applique aux diverses hypothèses prévues par les deux articles précédents: il est naturel que l'interruption de la prescription de l'hypothèque ne résulte que d'actes auxquels le tiers détenteur participe activement, ou au moins passivement; mais un renouvellement de l'inscription fait en dehors de lui ne pourrait avoir un effet interruptif.
Art. 1312. — 555. On verra au sujet de la prescription dite libératoire qu'elle est suspendue par le terme ou la condition qui affecte la créance (v. art. 1463): il est naturel que le créancier n'ait pas à faire d'actes interruptifs tant que son droit ne peut être exercé; l'inaction étant imposée au créancier par son titre, le débiteur ne peut évidemment s'en prévaloir comme d'une remise tacite de la dette ou comme d'une présomption de payement.
Mais quand il s'agit d'un tiers détenteur, dont la possession est pure et simple, le créancier à terme ou conditionnel ne doit pas rester inactif: il doit dénoncer son droit et son intention de le faire valoir en temps utile; le tiers détenteur possédant le fonds comme libre, le créancier doit protester contre cette prétention.
On retrouvera ce principe plus largement appliqué au Livre V, lIe Partie (art. ] 464.). On y trouva aussi es autres causes de suspension ici réservées.
SOMMAIRE.
Art. 1313. — N° 556. Difficultés provenant de la séparation des Privilèges et des Hypothèques en deux Chapitres; nécessité de ne traiter qu'une fois des règles communes aux deux sûretés. -557. Réserve générale au sujet des particularités de chacune.
COMMENTAIRE.
Art. 1313. -556. En s'efforçant de suivre, dans ce Projet, une méthode plus rigoureuse que celle du Code français, on ne s'est pas dissimulé qu'on rencontrerait plus d'une difficulté pour le classement ou le groupement des matières. Ainsi, on y traite séparément, en deux Chapitres, des Priviléges et des Hypothèques, tandis que le Code français les réunit dans un seul Titre: le Code français a des Chapitres où il ne parle que des Priviléges, dans d'autres il ne traite que des Hypothèques, dans d'autres enfin, il traite de ces deux sûretés réunies.
On ne pouvait, dans le Projet, traiter deux fois des règles communes aux priviléges sur les immeubles et aux hypothèques, ni avoir un troisième Chapitre pour ces Règles communes, car le plan n'assigne qu'un seul Chapitre à chaque sûreté.
On a donc pris le parti de traiter, à l'occasion des hypothèques, des théories communes aux deux sûretés, parce que les hypothèques, au Japon comme ailleurs, seront toujours bien plus fréquentes que les priviléges sur les immeubles, par cela seul qu'elles peuvent être conventionnelles. C'est ainsi que déjà l'article 1194, au sujet de la publicité des priviléges sur les immeubles, a renvoyé au Chapitre des hypothèques, pour le mode d'inscription, pour le renouvellement et pour la radiation des inscriptions, et-que l'article 1200 s'est référé à l'Appendice de notre Chapitre, pour annoncer que le droit de suite en matière de priviléges et l'extinction des priviléges suivraient les mêmes règles que celles établies au sujet des hypothèques.
Sur les sept Sections du Chapitre des Hypothèques trois seulement ne s'appliquent pas aux Privilèges: la lre sur la nature de l'hypothèque, la 2" sur les diverses espèces d'hypothèques et la 46 sur l'effet et le rang des hypothèques entre créanciers; par conséquent, les 3°, 5e, 6° et 7e Sections se trouvent, comme l'annonce notre article, applicables aux Privilèges: ce sont celles qui concernent: la forme de l'inscription, sa radiation, sa réduction et sa rectification, l'effet du droit de suite contre les tiers détenteurs, la responsabilité du conservateur et les causes d'extinction de l'hypothèque.
557. Notre article 1313 fait, sur l'application des règles communes à ces deux sûretés réelles, une réserve générale au sujet des particularités des Privilèges qui seraient contraires à celles des Hypothèques; en effet, il serait dangereux de faire légalement entre elles une assimilation absolue, et, en même temps, il est impossible à la loi de déterminer limitativement les exceptions qu'elle comporterait; elles se reconnaîtront suffisamment par l'étude attentive des textes concernant les Privilèges; il est donc plus sage de laisser cet ordre de difficultés, lorsqu'elles se présenteront, à la sagacité des tribunaux, éclairés par les observations des parties intéressées dans chaque cas.
Le législateur procède ici comme dans le cas où il publie une loi nouvelle qui n'abroge la loi précédente que " pour les cas où celle-ci est contraire à la nouvelle loi il laisse aux tribunaux le soin de statuer sur ce qui est incompatible entre l'une et l'autre loi.
On peut donner, dès à présent, quelques applications de la réserve faite par l'article 1313.
Par exemple, il n'y aura lieu à la réduction de l'inscription à certains immeubles, par analogie avec les cas prévus aux articles 1241 à 1243, que pour les priviléges généraux et non pour les priviléges spéciaux sur certains immeubles, et encore cette réduction sera-t-elle rare, puisque l'inscription des priviléges généraux n'a lieu que par rapport au droit de suite, non par rapport au droit de préférence (comp. art. 1150 et 1296).
Ainsi encore, la faillite, la déconfiture ou le décès du débiteur, suivi de l'acceptation de sa succession sous bénéfice d'inventaire, n'empêcheront pas de faire la transcription qui conserve le privilége de l'aliénateur ou des copartageants, parce que, tant que la transcription n'est pas faite, le droit de l'aliénateur est censé reposer encore sur sa tête vis-à-vis des autres créanciers de l'acquéreur.
FIN DU LIVRE IV.
SOMMAIRE.
N° 1. Divers sens du mot preuv e. -2. Difficultés et importance de la matière des preuves. -3. Elle doit figurer dans le Code civil et dans le Code de Procédure civile. -4. Exemples des parts respectives à faire au fond du droit et à la p r o c é d u r e. —5. Les présomptions légales n'ont pas de procédure spéciale. -6. Système suivi par le Projet.
Art. 1314. — 7. et 8. Trois axiomes célèbres en matière de preuve: application naturelle et universelle des deux premiers. —9 et 10. Précautions qu'exige le troisième. —11 à 13. Consécration des deux premiers par notre article 1314. —14 à 18. Exemples pris dans diverses actions.
1315. —19. Sanction de l'article précédent.
1316. -20. Abandon en France des enquêtes à jithtr.-21. Admission dans le Projet de toute preuve avant l'exigibilité du droit.
1317. —22. Application des mêmes preuves aux droits réels et personnels et aux questions d'état des personnes, sauf les exceptions prévues par la loi.
1318. —23. Trois classes de preuves: leur caractère sommaire.
COMMENTAIRE.
N° 1. En droit et en législation, comme en toute autre science, le mot Preuve s'emploie dans plusieurs sens, mais très voisins l'un de l'autre et liés entre eux. C'est d'abord la certitude acquise des faits dont il s'agit: dans ce sens, on dit que ”la preuve est fournie ou acquise au juge; " c'est encore l'opération même qui donne ou tend à donner au juge cette certitude: en ce sens, on dit que " telle partie doit faire la preuve, qu'elle a la charge de la preuve; " c'est enfin l'ensemble des moyens ou des procédés admis ou prescrits par la loi pour faire la démonstration de la vérité des faits allégués et en donner au juge la certitude; on dit, en ce sens, " telle preuve est permise ou nécessaire," et quand on dit que l'une est nécessaire, c'est comme -si l'on disait que les autres sont défendues.
2. La matière des Preuves passe à bon droit, pour „ une des plus difficiles en jurisprudence, d'après les lois existantes dans les divers pays; elle ne l'est pas moins en législation, c'est-à-dire quand il s'agit de faire la loi ou seulement, comme pour nous, de la proposer.
En même temps, l'importance des preuves est énorme, car lorsque la loi attacbe des conséquences plus ou moins considérables à des circonstances de fait, elle suppose ces faits, ces circonstances, hors de contestation; mais, le plus souvent, c'est leur existence même qui est contestée: si la loi a été prévoyante dans ses dispositions, et si elle est rédigée avec clarté, on plaidera rarement sur les conséquences légales des faits; mais on plaidera souvent sur la réalité, sur l'existence de ces faits, lorsqu'ils sont allégués par une partie contre l'autre: on plaidera sur leurs caractères, sur l'intention qui les a modifiés, sur ce qui les a précédés, accompagnés ou suivis; de tout cela, l'une des parties s'efforcera de donner la conviction aux juges, l'autre cherchera à leur donner la conviction contraire ou, tout au moins, à leur en laisser un doute sérieux, et peut-être les parties seront-elles de bonne foi l'une et l'autre.
3. En législation, la matière des preuves touche, forcément, au fond du droit et à la procédure; aussi, en France, en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, la voit-on figurer, tout à la fois, dans le Code civil et dans le Code de Procédure civile.
Le Projet japonais procède de même. Il y a des principes fondamentaux en cette matière qui doivent figurer dans le Code civil, parce qu'ils sont de par droit, au fond; tels sont: le principe d'après lequel le fardeau de la preuve incombe à telle ou telle partie, suivant le cas, la détermination des divers modes de preuves permises ou nécessaires, selon l'objet du litige, le degré de force probante de chacune, soit respectivement, quand elles sont opposées les unes aux autres dans une instance, soit isolément, lorsqu'il s'agit de savoir si elles autorisent ou imposent la conviction chez le juge. Voilà des théories générales qui, disons-nous, forment le fond du droit civil en matière de preuve et ne font aucunement partie de la procédure.
Au contraire, on doit renvoyer et le Projet renvoie, en effet, à la procédure civile la mise en œuvre, le fonctionnement de chaque preuve devant le tribunal.
4. Prenons un exemple dans la preuve qui restera la plus fréquente peut-être au Japon, malgré les limites qu'y apporte le Projet, dans la preuve testimoniale. C'est au Code civil qu'il appartient de poser les limites dans lesquelles cette preuve est recevable, limites fondées sur un motif principal qu'on expliquera en son lieu; mais quand il s'agit de fournir cette preuve devant le tribunal, il faut savoir: en quelle forme on citera les témoins, quels seront les délais pour les citer de part et d'autre, avec qu'elles précautions ils seront entendus, quels témoins ne pourront pas être cités valablement ou pourront être récusés comme suspects, quelle sera la peine de ceux qui ne comparaîtraient pas; tout cela appartient naturellement au Code de Procédure civile et, en effet, le Code civil l'y renvoie.
D'autres preuves ont déjà une connexité moins nécessaire et seulement accidentelle avec la procédure, ce sont les preuves écrites.
Supposons qu'une partie produise un acte authentique à l'appui de sa demande ou de sa défense; si l'acte n'est pas argué de faux (et cet incident sera très rare), le tribunal n'aura qu'à en examiner la teneur, à s'assurer, par son examen personnel et en entendant les parties ou leur représentant, si l'acte a vraiment l'objet et la portée que lui attribue la partie qui l'invoque; il n'y a là aucune procédure spéciale; ce n'est guère que s'il y a plainte en faux que le Code de Procédure intervient: il y a alors la procédure dite de " faux incident civil."
Supposons encore la production d'un acte sous seing privé: s'il est reconnu par la partie à laquelle on l'oppose, il a contre elle la même force qu'un acte authentique; là encore il n'y a qu'à apprécier la portée de l'acte. Pour qu'il y ait lieu à une procédure spéciale, il faudrait que la partie défenderesse niât l'écriture, la signature ou le sceau: alors il y aurait lieu à la procédure dite de " vérification d'écritures."
5. Ce n'est pas tout encore. Il y a des preuves, et des plus importantes par leur force probante, qui ne comportent et ne peuvent comporter aucune procédure, ce sont les présomptions légales: étant donnés certains faits non contestés, la loi en induit l'existence d'autres faits non prouvés en eux-mêmes; telle est la présomption de vérité attachée à la chose jugée: un jugement irrévocable est produit par une partie, devant un tribunal, à l'appui d'une demande ou d'une exception; l'adversaire prétend remettre en discussion les faits déjà jugés; le tribunal ne doit pas l'écouter: à ses yeux, ce qui est reconnu par le jugement est présumé la vérité; c'est l'axiome romain res judicata pro vei-ilate accipitur inséré dans le Projet japonais, en sa forme concise et saisissante (v. art. 1414). Il est vrai que, pour avoir cette force probante invincible, le jugement doit avoir certains liens avec la nouvelle instance: il doit présenter ce qu'on nomme " trois identités," identités de parties d'objet et de cause (v. art. 1417 et s.); mais l'examen et la discussion de cette triple condition n'exige aucune procédure spéciale et il n'en peut être fait mention dans un Code de Procédure civile.
6. Il est donc bien évident qu'il est impossible au législateur de ne traiter des preuves que dans le Code de Procédure exclusivement, puisque certaines preuves n'y figureraient aucunement et que les principes fondamentaux des autres y perdraient de leur importance, étant mélés à des questions secondaires de formes et de délais. Mieux vaudrait encore, si l'on ne voulait traiter des preuves que dans un seul Code, le faire dans le Code civil, parce qu'il n'est jamais choquant de mettre l'accessoire à la suite du principal. D'ailleurs, on a déjà vu d'autres cas où le Code civil traitant de l'exercice de certains droits, indique en même temps en qu'elles formes et dans quels délais ces droits seront exercés: par exemple, le droit de suite hypothécaire contre le tiers détenteur et le droit pour celui-ci de purger l'immeuble des priviléges et hypothèques (v. art. 1262 et s., 1269 et s.). Mais un pareil procédé ne pouvait être employé au sujet des preuves, sans surcharger considérablement le Code civil de détails d'une nature peu élevée et surtout inusitée.
La seule difficulté qui restait était de faire raisonnablement la part revenant à chaque Code. Sous ce rapport, le Code français est encore un modèle qu'il y avait tout avantage à suivre, bien qu'on l'ait fait, ici comme ailleurs, avec précaution et indépendance.
Art. 1314. — 7. Ce premier article pose le principe fondamental déjà annoncé comme devant figurer avant tous autres en cette matière: il nous dit "à qui incombe la charge, le fardeau de la preuve " (onus probandi) pour employer l'expression consacrée; c'est un f a rdeau, en effet, que d'avoir à prouver un fait, car si l'on n'y parvient pas, on succombe dans sa prétention: l'article suivant nous le dira.
Il existe, à ce sujet, en Europe, trois axiomes latins, plus ou -moins romains d'origine, dont les deux premiers ont été déjà souvent rencontrés et appliqués, parce qu'ils sont d'une utilité universelle; mais du troisième on ne doit user qu'avec précaution ou, au moins, on doit l'appliquer dans son esprit plus que dans ses termes.
D'après le premier axiome, " la preuve incombe au demandeur" (actori incumbit probatio); cela est vrai, si l'on prend la contestation à son début: il est certain que celui qui ouvre un débat, en élevant une prétention, doit prouver ce qu'il avance à l'appui ou comme fondement de sa demande.
8. Mais lorsqu'il aura fait cette preuve, c'est-à-dire fait des justifications ou démonstrations de nature à donner au juge une conviction favorable à sa prétention il pourra arriver et il arrivera très souvent que le défendeur alléguera, à son tour, des faits qui, s'ils sont vrais, détruiront l'effet des premiers.
L'axiome cité va-t-il jusqu'à signifier que c'est encore au demandeur à faire la preuve contraire à ces allégations du défendeur ? Ce ne serait ni raisonnable ni juste: le défendeur qui allègue des faits pour sa défense est, juridiquement, à l'égard de ces faits, dans la même position que le demandeur pour les bases de sa demande; aussi le premier axiome est-il toujours accompagné d'un autre qui le tempère ou le complète: " le défendeur, en opposant une exception, devient demandeur " (reus in excipiendo fit actor).
Nous montrerons tout à l'heure que notre article, dans ses deux alinéas, est la reproduction de ces deux axiomes inséparables, et nous en donnerons la justification.
9. Le troisième axiome est loin d'avoir la même exactitude et la même valeur que les deux premiers: il dit que " la preuve incombe à celui qui affirme et non à celui qui nie" (probatio incumbit ei qui dicit, non ei qui negat), et on prétend le justifier en disant (encore en forme d'axiome), que " par la nature des choses, la preuve d'une négation est impossible."
Si l'on prenait pour exemple le cas où le demandeur dit qu'il a prêté une somme d'argent et où le défendeur nie le fait, purement et simplement, ce nouvel axiome serait exact; mais, en même temps nous nous trouverions placés dans le cas d'application du premier axiome: ce ne serait pas parce que le demandeur affirme et que le défendeur nie, que la preuve incomberait au premier, ce serait parce que c'est au demandeur à prouver son droit ou la cause de son droit.
Mais supposons que le demandeur réclame des dommages-intérêts, sous prétexte que le défendeur n'a pas exécuté un contrat (lequel est d'ailleurs prouvé ou non contesté), il est certain que le demandeur sera dispensé de prouver cette négation; de même s'il invoque un prêt (prouvé également) et s'il allègue que l'emprunteur n'a pas payé, il est dispensé de le prouver: dans les deux cas, c'est bien au défendeur à démentir la négation, en prouvant le fait positif de l'exécution ou celui du payement; mais ce n'est pas parce que la preuve de la négation serait impossible au demandeur: en admettant qu'elle le fût, ou à peu près, au cas de non payement, elle ne le serait pas au cas d'inexécution d'une obligation de faire, surtout quand il s'agirait d'actes extérieurs à accomplir, comme des travaux à exécuter sur un immeuble du demandeur ou des réparations à faire par un bailleur à un immeuble loué; lorsque les travaux n'auraient pas été faits, il serait bien facile de le vérifier par une visite de lieux ou par un rapport d'expert. Le motif pour lequel ce serait au défendeur à prouver, dans notre exemple, qu'il a payé ou exécuté est tiré du second axiome: ce sont là des allégations destructives de celle du demandeur, ce sont des exceptions ou défenses à l'égard desquelles "le défendeur devient demandeur."
Il en serait de même si, le demandeur ayant prouvé un contrat passé en sa faveur, le défendeur niait avoir été libre de refuser ou capable de consentir: l'allégation du défaut de liberté ou de l'incapacité est une exception ou une défense dont la preuve incombe au défendeur. D'ailleurs, il est évident que, dans cette exception, il y a tout aussi bien l'allégation d'un fait positif que celle d'un fait négatif: celui qui dit n'avoir pas été libre ou capable dit aussi avoir été violenté ou incapable; or, comme il est bien rare qu'une forme négative ne puisse pas être renversée en forme affirmative, l'axiorne qui prétendrait faire dépendre de la forme employée le fardeau de la preuve serait aussi peu raisonnable qu'injuste; aussi l'ancien axiome, au moins avec ce sens, est-il nettement rejeté par notre premier article.
10. Il restera cependant des cas, fort rares à la vérité, où un fait négatif sera le principe direct d'un droit à exercer, d'une demande à faire en justice, et où ce fait ne pourra être ramené à un fait positif contraire: on n'en peut guère citer pratiquement que deux cas: celui de l'action négatoire, en matière de servitudes, et celui de la répétition d'un payement indû.
1° On a promis, au Tome 1er (n° 445) de revenir sur l'action négatoire.
Rappelons que, dans cette action, le demandeur soutient que son voisin exerce indûment une servitude sur son fonds.
Il ne pourrait exercer la revendication du fonds, car le défendeur ne le possède pas; il prétend seulement faire juger que son fonds n'est pas grevé de telle ou telle servitude envers le voisin, alors que celui-ci est déjà en possession de cette servitude, c'est-à-dire l'exerce déjà.
La contestation peut être au fond ou pétitoire, ou seulement quant à la possession ou possessoire (v. art. 288, 2° al.). Dans les deux cas, le demandeur est bien obligé de prendre la forme négatoire, de soutenir que le défendeur n'a pas- le droit de passer ou de puiser de l'eau, de bâtir, etc.
Assurément, il lui sera difficile, impossible même, de s'attaquer à toutes les causes juridiques qui auraient pu constituer la servitude au profit du défendeur (vente, donation, échange, etc.), et c'est cette impossibilité qui a conduit certains auteurs à soutenir que, dans ce cas exceptionnel, les rôles devaient être renversés et que c'était au défendeur, une fois l'action négatoire intentée, à fournir la preuve directe de son droit.
Mais on peut arriver à une solution pratique satisfaisante sans déroger à la règle générale que la preuve incombe au demandeur: celui-ci sommera le défendeur de déclarer (non de prouver) sur quelle cause il prétend fonder son droit à la servitude; si le défendeur allègue une vente, une donation, un legs d'un des précédents propriétaires, il sera moins difficile d'en démontrer l'absence ou la nullité.
C'est le procédé déjà indiqué par la loi, à celui qui prétend avoir souscrit un engagement sans cause (v. art. 347).
Assurément, la position du demandeur est encore bien périlleuse, mais il peut se reprocher de n'avoir pas intenté l'action possessoire en complainte ou en réintégrande, dès que le trouble ou l'usurpation a commencé (v. art. 213 à 217).
2° Dans la répétition de l'indu, le demandeur devra d'abord prouver le fait positif du payement par lui effectué; mais comment pourra-t-il prouver que le payement n'était pas dÛ, n'avait pas de cause? Ce serait, en effet, impossible, en cette forme générale: le demandeur ne pourrait pas parcourir, dans sa plaidoirie devant le tribunal, toutes les causes possibles d'obligations (surtout s'il y avait eu payement d'une somme d'argent), et prouver qu'aucune de ces causes ne s'est rencontrée entre lui et le défendeur avant ce payement.
La singularité du cas est telle que le 'Projet l'a réglée spécialement: il nous suffit de renvoyer encore à l'article 347.
14. Revenons à notre premier article qui, avons-nous dit, consacre les deux premiers axiomes et rejette le troisième.
Pour les premiers, il prend une forme un peu différente: il ne mentionne pas le demandeur et le défendeur, comme tels, et c'est avec raison, puisque, d'après le second des axiomes précités, les rôles sont quelquefois intervertis: il n'importe pas, en effet, de savoir quelle partie a ouvert le procès, mais quelle est la nature des prétentions et des allégations de chacune, et pour déterminer la nature d'une allégation, on ne tient pas compte du caractère "positif ou négatif" du fait allégué (la loi écarte formellement cette distinction), on regarde seulement si l'allégation tend à assurer " un avantage" à la partie qui la fait; dans ce cas, c'est celle-ci qui a la charge de la preuve, et à cette occasion, le texte nous donne la définition légale de la preuve, elle consiste à " démontrer au juge la vérité du fait allégué."
Jusqu'ici nous avons énoncé ce principe comme évidemment juste et raisonnable; pourtant il nous est nécessaire, à notre tour, " d'en démontrer la vérité."
12. Quand une contestation s'élève entre deux parties, elle survient dans une situation présente dont l'existence, déjà plus ou moins ancienne, a en sa faveur, la présomption de vérité et de justice, tant par le silence antérieur des parties que parce que la violation du droit d'autrui ne se présume pas; dès lors, la partie qui prétend faire changer cette situation a contre elle une présomption défavorable: elle doit donc la faire tomber par une preuve directe du bien fondé de sa prétention (a).
Cette solution s'applique d'abord et tout naturellement au demandeur.
13. En examinant le fond des choses, on voit qu'elle ne s'applique pas moins au défendeur proposant une exception ou défense. En effet, supposons que le demandeur ait établi son allégation par des preuves qui sont de nature à donner au juge la conviction en sa faveur: voilà une situation nouvelle qui va remplacer l'ancienne, et avec d'autant plus de force qu'elle aura la consécration
judiciaire; si le défendeur prétend la combattre et en faire prévaloir une autre, soit, comme le suppose le texte, en contredisant les faits établis contre lui, soit en alléguant des faits nouveaux détruisant les effets des premiers, il est dans même position que celle où était tout à l'heure le demandeur: il doit, à son tour, prouver ses allégations.
14. Nous compléterons cette importante théorie par quelques exemples empruntés aux actions réelles et personnelles, car elle est commune aux diverses actions (v. art. 1317).
1° Primus prétend qu'un immeuble possédé par Secundus lui appartient: il y a là une situation de fait qui fait présumer d'abord que la possession est légitime ou civile et, comme conséquence immédiate, que le possesseur est propriétaire (v. art. 205).
Si donc Primus prétend, soit que la possession de Secundus n'est pas civile mais précaire et que c'est à lui-même qu'appartient la possession civile, soit que la possession de Secundus, tout en étant civile, n'est pas accompagnée du droit de propriété qu'il prétend être à lui: dans les deux cas, qu'il intente une action possessoire ou l'action en revendication, c'est lui qui veut changer la situation présente, c'est donc à lui à faire la preuve de ce qu'il soutient.
Supposons maintenant que Primus a produit des titres ou des témoignages assez précis et assez conformes à sa prétention pour qu'il y ait lieu de croire que la conviction du juge sera en sa faveur, mais que le défendeur ait lui-même des témoins ou des titres pouvant démentir les premiers, ou même établir des faits nouveaux incompatibles avec les premiers: par exemple, au premier cas, que le titre produit par le demandeur a été obtenu par violence ou par dol, ou se trouve annulé par une contrelettre (v. art. 1386 et s.), au second cas, qu'il y a eu, plus tard, une rétrocession par le demandeur au défendeur; voilà des faits qui tendent à changer la situation déjà obtenue par le demandeur, des faits dont le défendeur prétend " tirer avantage celui-ci doit les prouver; c'est en ce sens qu'on dit qu'il " devient demandeur dans son exception " (reus in excipiendo fit actor).
15. 2° Primus se prétend créancier de Secundus, pour une somme de,000 yens, par suite d'un prêt, d'une vente ou d'un louage: la présomption est que Secundus ne doit rien à Primus; autrement, il faudrait dire qu'il suffit qu'une personne élève une pareille prétention contre une autre pour que celle-ci soit présumée devoir à la première et ait à renverser la présomption, ce qui serait aussi absurde qu'injuste. Donc, comme c'est Primus qui veut changer la situation respective des parties, il devra fournir la preuve de ce qu'il avance, à savoir du fait productif d'obligation survenu entre lui et Secundns et du montant de la somme due. Mais là s'arrête son devoir: il n'est pas tenu de prouver que le débiteur n'a pas payé ni qu'aucun autre mode libération n'est survenu; en effet, quand une dette est prouvée avoir existé, la présomption est qu'elle existe encore, si le contraire n'est prouvé; c'est donc le défendeur qui aura, à son tour, à prouver sa libération.
16. 3° Primus a stipulé de Secundus une somme d'argent, comme novation, règlement de compte ou transaction; Secundus, actionné en payement, prétend qu'il a promis cette somme par erreur ou sous l'influence de la violence ou d'un dol de Primus; comme l'erreur, la violence, le dol ne se présument pas et doivent être prouvés par celui qui les invoque (v. art. 339), c'est donc Secundus qui en fera la preuve; sous ce rapport, sa position ne diffère guère de ce qu'elle serait si, ayant payé, il voulait répéter par voie d'action en rescision pour vice du consentement: dans ce cas, il serait, à proprement parler, demandeur dans la procédure; ici cependant, au point de vue de la preuve, il y a une différence, c'est que Primus pourrait soutenir que le payement a valu ratification ou confirmation tacite de l'obligation annulable (v. art. 579).
17. D'un autre côté, pour que le payement ait cet effet confirmatif, il faut non seulement qu'il ait été fait volontairement (ibid.), mais encore que l'erreur ou le dol aient été découverts ou que la violence ait cessé au moment du payement.
Pour le caractère volontaire du payement, on peut certainement le présumer, même lorsqu'il y avait eu violence à l'origine: ce n'est pas parce qu'un homme s'est rendu coupable d'une violence ayant déterminé quelqu'un à contracter qu'on doit nécessairement croire qu'il a maintenu celui-ci sous la menace et dans la crainte; ce serait donc à la partie violentée à prouver qu'au moment du payement, la menace durait encore ou avait été renouvelée.
Mais pour l'erreur et le dol, il n'y a pas même raison de supposer qu'ils étaient découverts au moment du payement; il serait en même temps très difficile au débiteur de prouver qu'ils ne l'étaient pas: c'est un des cas où la preuve d'un fait négatif est très difficile; on appliquera dès lors le principe de notre article: le créancier allègue un fait pour en tirer avantage, à savoir que le payement a été fait par le débiteur a près la découverte de l'erreur ou du dol, il devra donc le prouver.
18. Ces exemples, peut-être trop longuement développés, font saisir la portée du principe fondamental d'après lequel la preuve incombe, suivant les cas, à l'une ou à l'autre partie: on recherchera toujours quelle est la présomption de fait résultant naturellement de la situation originaire et de ses modifications successives et c'est à celui qui prétendra changer cette situation à son profit qu'incombera la charge de renverser la présomption.
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(a) Par exception, elle pourrait, à son tour, invoquer une présomption légale: par exemple, la prescription ou l'autorité de la chose jugée.
Art. 1315. — 19. Le présent article est la sanction du précédent: la partie qui ne justifie pas ses allégations succombe, soit dans sa demande, soit dans son exception.
Le texte veut que la justification soit faite " conformément à la loi," parce que tous les moyens de preuve ne sont pas indistinctement admis.
Le texte réserve aussi les cas où, malgré la production de preuves régulières, la conviction du juge ne s'est pas formée en faveur de la partie qui les a produites, mais seulement " lorsque le juge est libre d'apprécier la valeur de ces preuves," c'est-à-dire les cas où la conviction ne lui est pas légalement imposée. On verra, en effet, que certaines preuves ont une force invincible ou ne peuvent être renversées que par d'autres preuves déterminées, comme, par exemple, certaines présomptions légales, l'aveu de la partie ou l'acte authentique.
Art. 1316. — 20. Cette disposition manque au Code français, au moins dans cette généralité, et il est difficile de l'y suppléer, hors le seul cas où elle est formellement énoncée, celui d'une demande en reconnaissance d'écritures sous seing privé faite avant l'échéance de la dette (v. c. civ., art. 2123; c. proc. civ.; art. 183 s. et loi du 3 sept. 1807).
Dans l'ancien droit français, la jurisprudence permettait, dans les cas où la preuve par témoins était admise, de faire cette preuve avant que le droit fût exigible; il y avait alors une procédure spéciale dite " enquête à futur." En effet, les témoins peuvent mourir, changer de résidence, perdre le souvenir de faits qui n'ont pas d'intérêt pour eux. Il paraît cependant que, dans la pratique, cette forme de procéder donna lieu à des abus, elle rencontra des résistances et il y a lieu de croire que les Rédacteurs du Code de Procédure civile, en ne la reproduisant pas, ont voulu la laisser dans l'oubli. Mais les meilleures choses pouvant donner lieu à des abus, il vaut mieux corriger ceux-ci que de supprimer une chose en entier, sous prétexte qu'elle est imparfaite.
21. Notre texte permet à chaque partie intéressée de demander à faire d'avance, principalement et hors de toute autre procédure, " la preuve de faits dont la constatation lui importe;" cette disposition s'applique aussi bien à la preuve testimoniale qu'à la preuve écrite ou par aveu. La loi n'y met que la condition d'une double justification: celle de " l'intérêt" ultérieur de la partie et celle du " danger de la perte des moyens de preuve."
Il va de soi que la partie adverse sera appelée à cette procédure, comme si la preuve devait être fournie dans les conditions ordinaires.
Si la preuve donne lieu à des contestations ou à des preuves contraires, le tribunal rendra un jugement sur la réalité ou l'inexactitude des faits allégués et ce jugement aura force de chose jugée au sujet de ces faits; si elle n'est pas contestée, le tribunal donnera acte de ce qui a été reconnu, c'est-à-dire qu'il le constatera de façon à ce qu'aucun débat ultérieur n'ait lieu au même sujet.
On retrouvera ce principe appliqué à la reconnaissance d'écriture avant le procès au fond (v. art. 1335 s.).
Art. 1317. — 22. C'est encore un reproche qu'on peut faire au Code français que de n'avoir traité des Preuves, dans leur ensemble, qu'au sujet des obligations ou des créances, comme si les moyens de preuve des droits réels n'étaient pas les mêmes que ceux des droits personnels, tandis qu'aucune différence n'existe et ne peut raisonnablement exister, à ce sujet, entre les divers droits. Tout au plus, y a-t-il quelques particularités pour la preuve de l'état des personnes, et encore ces différences ne portent-elles que sur l'emploi de la preuve testimoniale, plus ou moins étendu ou restreint, suivant les cas, ou sur la nécessité de la production d'actes authentiques spéciaux, comme les actes de l'état civil ou ceux de naturalisation. Notre texte a deux dispositions à cet égard: l'une pour déclarer que les modes de preuves ci-après sont communs aux droits réels et aux droits personnels (1er al.); l'autre qui les étend aux questions d'état des personnes, sauf les particularités qu'on trouvera, à ce sujet, au Livre premier (3e al).
Il réserve aussi (23 al.) les dispositions spéciales déjà portées aux trois Livres précédents, au sujet des preuves; elles sont assez nombreuses: la plupart consistent dans des présomptions légales qu'il fallait indiquer sur chaque matière qui les comporte; d'autres sont, il est vrai, l'application du droit commun, sur le point de savoir à quelle partie incombe la preuve, mais dans des- cas qui auraient pu présenter quelque difficulté; les plus importantes de ces dispositions sont, outre celle, déjà citée, de l'article 347 sur la preuve du défaut de cause, celles qui, pour certains faits, exigent certains modes de preuve, à l'exclusion des autres, comme les articles 367 et 370 qui n'admettent que l'aveu de la partie pour prouver qu'elle avait connaissance d'une cession de créance non notifiée au débiteur ou d'une aliénation d'immeuble non transcrite, et les articles 503, et 987, qui n'admettent que la preuve par écrit des faits qui y sont prévus (subrogation et changement des devis de travaux), sans distinguer la valeur de l'objet du litige.
Art. 1318. — 23. Les preuves dont il va être question sont groupées en trois classes formant autant de Chapitres, divisés en Sections.
La première classe comprend les faits dont le juge prend une " connaissance personnelle" et directe qui lui permet de se former par lui-même sa conviction.
La seconde classe comprend des faits plus variés qui ont le caractère commun de " témoignage de l'homme la loi appelle ces preuves " directes," par opposition aux dernières qui sont " indirectes."
La dernière classe comprend les présomptions, lesquelles sont de deux sortes: les unes de droit ou légales, c'est-à-dire imposant au juge la conviction, soit absolument, soit à la condition qu'elles ne soient pas renversées par d'autres preuves, les autres de fait, tirées de circonstances et laissées, par la loi encore, à l'appréciation du juge. Ces dernières pourraient, à la rigueur, rentrer dans la première classe; mais leur nom consacré de " présomptions " rend préférable de les placer avec celles de droit.
Le nom de " preuves indirectes " donné aux présomptions sera justifié en son lieu.
SOMMAIRE.
Art. 1319. — N° 24. Sens spécial de cette expression.
COMMENTAIRE.
Art. 1319. — N° 24. Cette expression " expérience personnelle du juge ou du tribunal " n'est encore usitée que dans la doctrine, mais on croit bon de la consacrer dans le texte de la loi: elle tend à faire comprendre, sous une formule brève, qu'il n'y a ni témoignage étranger, ni présomption légale, et que cependant le juge peut valablement se former une conviction, en appréciant directement, à l'audience ou autrement, certains faits assez significatifs par eux-mêmes, pour lui démontrer la vérité en faveur du demandeur ou contre lui. Il ne faut donc pas donner ici aux mots expérience personnelle " le sens vulgaire de ” connaissance acquise par le temps et la pratique de la vie et des affaires," mais simplement celui de l connaissance acquise immédiatement par l'examen des faits; " toutefois, lorsqu'il s'agit de l'exacte application de la loi (v. art. 1322), on peut dire qu'il faudra au juge l'expérience antérieurement acquise par l'étude de la loi elle-même.
Mais il ne faudrait pas admettre que le juge pût puiser un élément légal de conviction dans la connaissance individuelle qu'il aurait d'un fait de la cause, comme particulier et en dehors de sa fonction de juge: par exemple, s'il avait été personnellement témoin du fait. Dans un pareil cas, si la partie attachait une grande importance au témoignage du juge, elle devrait tâcher d'obtenir qu'il se récusât comme juge, de manière à pouvoir être assigné comme témoin; elle pourrait même pour inviter ostensiblement le juge à se récuser, l'assigner comme témoin; mais, si le juge ne croyait pas devoir se récuser, l'assignation serait sans effet, et le juge devrait avoir soin de ne pas se laisser influencer par d'autres preuves que celles résultant de la procédure.
La loi place sous cette rubrique de " l'expérience personnelle du juge " trois modes de preuves qui sont repris en autant de Sections.
SOMMAIRE.
Art. 1320. — N° 25. Dires et explications des parties sans aveu. —26. Exemples de décisions fondées sur ces seuls dires. -27. Examen de l'objet litigieux. -28. Examen des documents autres que les preuves écrites.
1321. -29. Evaluation d'une valeur à fournir.
1322. -30. Application et interprétation de la loi.
COMMENTAIRE.
Art. 1320. — N° 25. Les avoués n'étant pas établis au Japon, les parties figurent en personne dans les procès civils, mais elles peuvent s'y faire représenter par des mandataires (a).
Il sera question au Chapitre suivant (Sect. u, § 1er) de l'aveu que peut faire une partie devant le tribunal, c'est-à-dire du témoignage qu'une partie porte contre elle-même; ici, on ne suppose pas qu'il y ait aveu: il y a seulement des " dires et explications des parties ou de leurs représentants."
Assurément, on ne peut pas dire que, par l'effet de ces explications, la conviction s'impose au juge, comme lorsqu'il y a aveu (v. infrà, art. 1363); il peut d'ailleurs y avoir, de la part des deux parties, des dires plus ou moins contraires les uns aux autres; mais il est possible aussi que les explications fournies par l'une d'elles, incomplètement détruites par l'autre, permettent au tribunal de se prononcer en faveur de la première. Ce sera rare pour les grosses affaires, mais non pour celles de peu d'importance, et plus fréquent pour des demandes incidentes que pour des demandes principales, enfin, plus fréquent pour des exceptions que pour des demandes.
26. Ainsi, supposons qu'un homme qui, par profession, loue des chevaux et voitures, réclame une somme pour une telle location et que le défendeur allègue qu'il y a eu prêt à usage; le demandeur explique qu'il n'a aucune relation d'amitié avec le défendeur qui puisse motiver un prêt gratuit; ce dernier ne détruit pas cette explication et n'est pas non plus dans une situation assez précaire pour qu'il y ait lieu de croire à un sacrifice fait en sa faveur: le tribunal pourra allouer au demandeur le prix ordinaire de la location des objets en question, suivant la durée de l'usage. Ici, c'est la simplicité du litige qui permet cette solution facile et rapide en faveur du demandeur.
Voici un cas où c'est une demanda incidente à laquelle il est fait droit, sur les dires et explications des parties. Au cours d'une action immobilière possessoire ou même en revendication, le demandeur allègue et démontre au tribunal que la chose court risque d'être détériorée par l'effet de la négligence ou même du mauvais vouloir du défendeur contre lequel d'ailleurs il faudra fournir des preuves, pour le fond du litige: le tribnnal pourra nommer un séquestre ou gardien judiciaire, en attendant qu'il puisse statuer au fond.
Enfin, le demandeur réclame la restitution immédiate d'un objet mobilier comme déposé; le défendeur allègue que l'objet lui a été prêté à usage et que l'usage n'est pas terminé, et il démontre qu'il n'y avait aucune raison plausible pour que le demandeur, qui a de l'espace, une maison sûre où sont restés des objets plus précieux, lui ait déposé cet objet, tandis que lui-même défendeur est dans de mauvaises conditions pour recevoir un tel dépôt et, en même temps, est loin d'avoir à lui tous les objets nécessaires; le tribunal pourra accueillir cette exception et accorder un délai raisonnable pour la restitution.
Comme exemple d'une Il demande prématurée " nous supposerons l'action en payement d'une somme ou valeur avant l'échéance: si au cours ou même au début du procès, il apparaît au tribunal que, même en admettant prouvé le fond de la prétention, il y aurait, en tout cas, un délai à observer, le tribunal ne statuera pas au fond, il surseoira, et ce ne sera pas un déni de justice. On ne devra pas dire que pendant que le tribunal est saisi, il vaudrait mieux qu'il statuât: le défendeur a intérêt à faire ajourner le jugement, car il pourra payer à l'échéance et éviter ainsi d'être condamné aux frais.
27. La loi permet de même au tribunal de faire droit à de telles demandes ou exceptions par l'examen des objets litigieux.
Ainsi, un ouvrier réclame, comme prix de la réparation d'un objet mobilier,une somme que le défendeur soutient excessive: si l'appréciation du travail ne demande pas de connaissances techniques ou artistiques, le tribunal, après s'être fait représenter l'objet et l'avoir examiné, pourra admettre on réduire la demande, sans recourir à une nomination d'experts. De même, si un vendeur d'objet mobilier réclame un prix non convenu d'avance et que l'acheteur prétende inusité pour un objet de cette nature (b).
Le tribunal pourrait encore statuer par le simple examen de l'objet litigieux, si, sur la réclamation d'une chose prêtée à usage, le demandeur prétendait qu'elle a été détériorée par un usage immodéré ou maladroit, tandis que le défendeur prétend que la détérioration est un effet de l'usage normal, ou provient de la vétusté de l'objet.
28. La loi permet encore aux tribunaux de statuer par l'examen des documents de la cause, en excluant le cas où ces documents auraient le caractère " d'écrits formant preuve directe autrement, on se retrouverait en présence de la preuve par acte authentique ou sous seing privé. Ces documents peuvent être des comptes, des plans, des lettres portant des autorisations, prohibitions ou réserves, lesquelles auront spécialement de l'importance dans les questions de faute et de bonne ou mauvaise foi.
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(a) Pour notre part, nous ne regrettons pas l'absence au Japon des officiers dits " ministériels," au moins tels qu'ils sont institués en France avec achat et vente de leur office. Les notaires sont de création récente mais il n'est pas question d'autoriser les titulaires à présenter leur successeur; par conséquent, l'office ne sera pas vénal; c'est tout ce que nous désirons.
(b) Quoique la vente ne soit, en principe, parfaite que par le consentement des parties sur la chose et sur le prix (v. art. 661), cependant, la célérité des affaires, même civiles, a ses exigences, et l'on peut acheter un objet, dans un cas urgent, en se réservant d'en régler le prix amiablement avec le vendeur, ou en se référant soit au prix courant, soit au prix d'objets similaires déjà cédés entre les parties un tribunal pourra être appelé à vider une contestation à ce sujet; mais il abuserait des termes de la loi en décidant que la vente n'a pas été formée (v. T. III, n° 661).
Art. 1321. — 29. Les diverses évaluations à faire, dans les cas prévus par cet article et autres analogues, pourront souvent être faites par le tribunal lui-même, sans expertise, après avoir entendu les parties et pris connaissance des éléments desdites évaluations.
Cet article diffère du précédent en ce qu'il ne s'agit plus ici d'admettre ou de rejeter une demande au fond (elle est supposée admise), mais de déterminer le montant de la condamnation. Du reste, les moyens de conviction permis au juge dans ce cas sont les mêmes que les précédents.
Art. 1322. — 30. Dans le présent article, il n'est plus question de preuves à fournir, par le demandeur ou le défendeur, sur les faits de la cause qui sont reconnus de part et d'autre: il ne s'agit que d'y appliquer la loi. Les parties pourraient, à cet égard, s'en rapporter entièrement aux lumières du tribunal; mais elles peuvent prétendre chacune que la loi leur est favorable, ce qui revient à dire ou que chacune invoque en sa faveur une disposition différente de la loi, ou que l'une et l'autre attribue à la loi applicable au cas en litige une portée et un sens différents: c'est au tribunal à statuer sur le point de droit, suivant sa conviction.
Le texte nous dit qu'il ne tiendra pas compte seulement "des termes de la loi mais de son esprit," lequel lui est révélé par le but de la loi, par son origine, par son ensemble.
Le texte ajoute encore que si la loi est muette ou insuffisante, le juge y suppléera en décidant le litige par l'application " des principes généraux du droit positif, de l'équité et de la raison naturelle." Cette dernière disposition rappelle, dans une certaine mesure celle du Code civil français qui défend au juge de refuser de juger le sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi " (art. 4), et, en effet, la pire des situations serait celle où les parties ne pourraient obtenir une décision judiciaire.
Aujourd'hui, au Japon, alors que les nouvelles lois civiles et commerciales ne sont pas encore en vigueur, les juges se trouvent constamment en présence de cette difficulté résultant du silence ou de l'insuffisance des anciennes lois et coutumes, au sujet des questions nouvelles qu'il leur faut résoudre et il n'est pas possible de leur contester le pouvoir de décider les litiges d'après l'équité et la raison naturelle; c'est en même temps leur devoir. Sans doute, les nouveaux Codes les laisseront rarement dans le même embarras; mais personne ne peut prétendre ni espérer qu'il ne se représentera pas, et à la même difficulté il faut reconnaître le même secours: la seule différence c'est qu'avant de recourir à l'équité et à la raison pure, les juges devront d'abord s'aider " des principes généraux du droit positif " désormais bien plus considérable qu'auparavant.
SOMMAIRE.
Art. 1323. — N° 31. Cas où la visite des lieux est utile.
1324. -32. Sommation aux parties d'être présentes: leur absence n'empêche pas la validité de la visite.
1325. -33. Cumul de la visite des lieux et de l'expertise: distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 1323. — N° 31. S'il ne s'agissait pas d'immeubles ou d'objets mobiliers difficiles à déplacer, les cas prévus par cet article rentreraient dans l'examen des objets litigieux tel qu'il est prévu à l'article 1320. Mais ici, il faut évidemment que ce soit le tribunal ou l'un de ses juges qui se transporte sur les lieux où se trouve la chose objet ou occasion du litige.
Bien qu'en général les mesures de procédure civile ne puissent être ordonnées d'office, mais seulement sur la demande de l'une des parties, il en est autrement de la plupart des preuves, parce que le tribunal, une fois saisi de la demande, doit pouvoir recourir aux moyens qui lui paraissent de nature à former sa conviction. Ainsi, il peut d'office décider qu'il se transportera sur les lieux " où se trouvent les objets ou les éléments de décision du litige," et si le tribunal siège à plusieurs juges, il délègue à cet effet un de ses membres, appelé alors juge-commis ou juge-commissaire.
Art. 1324. — 32. Il est naturel que les parties soient sommées d'assister, en personne ou par mandataire, à la visite des lieux; car elles pourront avoir à présenter des observations au juge: notamment, à attirer son attention sur certains moyens de conviction de sa part.
Comme il dépend du juge de fixer le jour et l'heure de la visite, c'est par lui ou par son ordre que la sommation est donnée.
Le Code de Procédure aura à déterminer l'intervalle nécessaire entre la remise de la sommation et le jour de la visite.
Si les parties ou l'une d'elles ne se présentent pas, il n'en est pas moins procédé à la visite et elle ne sera pas reprise sur leur demande, tandis que s'il s'agissait d'un jugement par défaut, il tomberait devant une opposition.
Art. 1325. — 33. Le Code de Procédure français a deux séries de dispositions sur cette matière: à l'occasion de la procédure devant les juges de paix, il traite " de la visite des lieux contentieux " (art. 41 à 43) et, au sujet des tribunaux de première instance, Il des descentes sur les lieux" (art. 295 et s.). Au premier cas, il permet toujours au juge de paix de se faire assister d'un expert; au second cas, il exige pour cela la demande de l'une ou de l'autre des parties.
Quelle que soit la raison de cette différence, peu importante d'ailleurs, on ne croit pas devoir la proposer au Japon: la présence d'un expert sera souvent très utile au juge-commissaire pour se rendre exactement compte des faits en litige, pour en reconnaître les causes et les caractères et pour en apprécier les conséquences passées ou futures; il faut laisser au tribunal toute latidude à ce sujet.
Mais la loi fait une autre distinction que celle de la nature de la juridiction qui procède à la visite des lieux: si c'est le jugement même ordonnant la visite qui a nommé l'expert, il y a cumul des deux preuves et la Section suivante est applicable, en même temps que la nôtre; si, au contraire, l'expert est requis sur les lieux, il ne prête pas serment et ne fait pas de rapport: c'est le juge-commissaire qui relate son avis dans son propre rapport (1).
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(1) Cette Section et la suivante ne figurent pas au Code officiel: c'est au Code de Procédure civile que ces deux modes de preuve ont été renvoyés.
SOMMAIRE.
Art. 1326. — N° 34. Caractère de l'expertise; ses différences avec le témoignage. —-35. Désignation de l'objet de l'examen des experts; conséquences.
1327 -36. Nomination des experts; rôle du tiers expert.
1328. -37. Nécessité de la qualité de sujet japonais chez l'expert; exception.
1329. -38. Serment des experts. Observation sur le caractère religieux du serment en Europe, sur la proposition de le laïcise r. -39. Son caractère au Japon.
1330. -40. Présence ou convocation des parties à l'expertise.
1330 bis. -40 bis. Expertise en matière scientifique, technique ou artistique.
1331. -41. Droit du juge de se décider contrairement à l'expertise; droit de la faire recommencer, en tout ou en partie, par les mêmes experts ou par de nouveaux.
COMMENTAIRE.
Art. 1326. — N° 34. La preuve par experts paraît, ail premier abord, avoir de l'analogie avec la preuve testimoniale: il semble que les experts soient des personnes auxquelles la justice demande, à raison de leurs aptitudes spéciales, de témoigner sur des faits ou des causes dont la réalité ou l'inexistence leur seront révélées par un examen attentif.
Mais, il y aurait une méprise dans cette assimilation: plusieurs différences fondamentales séparent ces deux modes de preuve.
1° Dans le témoignage, le témoin doit avoir assisté aux faits dont il dépose: il a entendu des paroles portant aliénation, engagement ou libération, ou ayant rapport à des faits de cette nature; ou bien il a vu signer, remettre ou détruire des écrits dont la teneur lui était plus ou moins connue; -l'expert, au contraire, n'a pas assisté aux faits, lorsqu'ils se sont produits: il vient, après coup, en examiner les traies, les résultats apparents, les causes probables;
2° Le témoin n'a pas à exprimer son opinion sur ce qu'il a vu ou entendu, mais seulement à dire ce qu'il a vu ou entendu, ou ce qu'il a cru voir ou entendre; tout au plus, serait-il admis à faire connaître son impression, son sentiment intérieur résultant des faits qui ont frappé ses sens: par exemple, l'intention avec laquelle certaines choses lui ont paru faites ou dites; mais c'est encore témoigner de ce qu'il a vu ou entendu; -l'expert, au contraire, apprécie, au point de vue scientifique ou technique, les vestiges des faits accomplis; il n'aura pas à s'occuper de paroles prononcées: pour lui, il n'en reste rien (a); mais il interviendra dans les vérifications d'écritures ou de sceaux, dans l'appréciation des dommages aux biens, du prix de travaux, etc.;
3° Le témoignage n'est admis en général, que dans des matières de peu d'importance, et ce n'est que par exception qu'il est reçu dans de plus considérables; -l'expertise ne comporte pas de pareilles limites;
4° Les témoins sont rarement appelés par les parties pour être présents à leurs actes; ils connaissent les faits par hasard: autrement, les parties préféreraient rédiger un acte sous seing privé (nous ne parlons pas des témoins instrumentaires des actes authentiques, cas auquel la preuve résulte de l'acte authentique lui-même, c'est-à-dire du témoignage de l'officier public et non de celui des témoins inHtrumentaires);-les experts, au contraire, sont, toujours choisis et désignés nominativement, soit par les parties, soit par le tribunal;
5° Les témoins ne sont pas rétribués pour leur témoignage qui est un devoir civil: ils ont seulement droit à line indemnité de déplacement; --les experts sont rétribués pour le service rendu, parce que, d'un côté, ils ne le doivent pas, et, de l'autre, parce qu'ils ne remplissent pas un office d'amitié, mais accomplissent un mandat judiciaire.
Du moment que l'expertise ne peut être considérée comme un témoignage, il est naturel de la rattacher à l'expérience personnelle du juge qu'elle éclaire comme le feraient les explications des parties (le texte exprime cette idée); aussi chaque partie est-elle admise à présenter un expert à la nomination du tribunal, à moins qu'il n'en soit nommé qu'un seul ou que la loi n'exige qu'ils soient tous nommés par lui.
Le texte nous dit encore que le tribunal peut ordonner une expertise d'office, aussi bien que sur la demande de l'une ou de l'autre partie: il est naturel, en effet, si le tribunal reconnaît son inaptitude à apprécier certains faits, ou leur cause, ou leurs conséquences, qu'il puisse s'éclairer par l'expertise.
35. Il est naturel aussi que le jugement qui ordonne l'expertise détermine les faits soumis à l'examen des experts. Il n'y a pas à prévoir le cas où cette condition n'aurait pas été remplie: l'omission serait facile à réparer par un jugement ultérieur.
Ce qu'on peut prévoir c'est le cas où les experts auraient excédé leurs pouvoirs et celui où, au contraire, ils n'auraient pas rempli leur mandat en entier: au premier cas, l'expertise serait considérée, même d'office, comme non avenue, pour la partie excédant les pouvoirs des experts; au second cas, ceux-ci seraient requis de compléter leur examen et leur rapport.
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(a) Nous osons à peine énoncer cette proposition que, pour l'expert, les paroles ne laissent pas de vestiges appréciables, puisque les nouvelles applications de l'électricité vont jusqu'à enregistrer et conserver les paroles (phonographe) pour les reproduire et en permettre l'audition, à des intervalles plus ou moins longs après leur émission.
Art. 1327. — 36. Dans les affaires peu importantes ou, au moins, quand l'expertise doit porter sur des points secondaires du litige, un seul expert suffira; dans les autres, il sera préférable d'en nommer trois, plutôt que deux, de peur de partage.
Il est désirable que les experts soient présentés par les parties: cela disposera celles-ci à accepter sans réclamation les résultats de l'expertise. Si elles ne s'accordent pas pour nommer le tiers-expert, le tribunal le nommera seul. Généralement, le tiers-expert n'intervient que pour départager les deux premiers: il est alors laissé au pouvoir de ceux-ci de ne l'appeler qu'au moment où ils se verront divisés, quoiqu'il soit nommé d'avance.
Art. 1328. — 37. Le principe posé par le 1er alinéa de cet article est fondé sur ce que les experts participent indirectement au jugement, puisque leurs connaissances techniques viennent en quelque sorte en aide à l'insuffisance de celles du juge. On doit d'autant moins hésiter à exiger chez eux la qualité de " sujets japonais " que, s'il s'agissait de témoins instrumentaires (appelés à la rédaction d'un acte authentique), cette qualité serait requise.
Cependant une large exception est admise au principe: à savoir, lorsqu 'il s'agira de litiges exigeant l'examen de documents 011 de produits étrangers et lorsqu'en même temps il sera impossible de trouver dans la localité des sujets ayant les aptitudes nécessaires pour cette expertise; dans ce cas, le tribunal pourra nommer un ou plusieurs experts étrangers.
Le texte indique quelques formalités particulières à ce sujet; il suffit de s'y référer.
Au sujet de documents étrangers, l'expertise pourra consister soit dans la simple traduction, soit dans l'interprétation d'un texte contractuel ou même légal, soit enfin dans une vérification d'écriture.
Art. 1329. — 38. Il est naturel que les experts prêtent serment: ce n'est pas là une des différences qui les séparent des témoins, lesquels prêtent aussi un serment; seulement, tandis que ces derniers jurent " de dire la vérité et toute la vérité " (v. art. 1408), les experts jurent " de remplir leur mandat avec soin et fidélité."
Pour épargner aux experts un déplacement inutile' la loi admet qu'ils puissent prêter serment devant le tribunal du lieu dans lequel ils font l'expertise, aussi bien que devant le tribunal qui les nomme.
Le texte renvoie au Code de Procédure civile pour la forme solennelle du serment.
On sait qu'en Europe, le serment a un caractère religieux en même temps que civil: celui qui prête serment invoque Dieu comme témoin de sa sincérité. Toutefois, il n'y a que le serment des jurés en matière criminelle, et celui du chef du jury rapportant le verdict, dont la formule invoque la présence de Dieu (v. c. instr. crim. fr., art. 313 et 348): les autres serments, ceux des magistrats de l'ordre judiciaire, des avocats, des membres de l'Université, dits "serments professionnels " se font seulement en disant: " le jure de "ou en répondant: " le le jure, " après que la lecture de la formule du serment a été faite en forme interrogative 11 Vous jurez de par l'officier qui reçoit le serment. La Divinité n'y est pas formellement prise à témoin, mais jurer (iurare) a toujours été pris dans un sens d'affirmation religieuse.
Certains publicistes modernes (parmi lesquels nous désirons n'être pas compté) demandent la laïcisation du serment, comme ils ont obtenu celle de l'enseignement. N 011S admettons seulement que chacun puisse jurer selon son culte et sa foi: c'est le plus sûr moyen de donner au serment la plus haute garantie de sincérité; et lors même qu'on autoriserait ceux qui se déclareraient athées à prêter un serment purement laïc, " sur leur honneur et leur conscience," ce ne serait pas une raison pour dépouiller le serment des autres personnes du caractère sacramentel auquel il doit jusqu'à son nom, car "serment" est la traduction du latin sacramentum.
39. Au Japon, il est à notre connaissance que c'est par un motif de respect des choses religieuses mêmes que le serment, peu usité d'ailleurs autrefois, n'avait qu'un caractère civil (nous dirions laïc): on ne croyait pas convenable ni même permis de mêler aux questions d'intérêt privé l'idée de la Divinité, par quelque culte qu'on l'honorât, et nous comprenons très bien qu'on conserve cette tradition qui est loin d'être irréligieuse (b). Nous reviendrons sur cette question, au sujet du serment extrajudiciaire des parties, sous l'article 1374, et du serment des témoins (v. art. 1408).
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(b) C'est par ce respect de la tradition japonaise, religieuse par sa réserve même, que dans notre Projet de Code de Procédure criminelle, nous avons proposé pour les jurés et les témoins une formule laïque:" sur mon honneur et ma conscience, je jure..." et nous avons, sous ce rapport, assimilé aux témoins les experts et les interprètes (v. Projet, àrt. 172, 195, 211, 453, 504 et Comment., nos 301, 571, 632). Outre le serment oral, la personne qui jure signe ou appose son sceau sur la formule écrite qui lui a été lue.
Le Code officiel de Procédure criminelle n'a pas adopté le jury, mais il a maintenu le serment des témoins, des experts et des interprètes (v. art.157, 180 et 193); le texto n'en donne pas la formule, elle a été déterminée plus tard: on devra adopter la même formule en matière civile, pour les témoins, les experts, arbitres, et autres personnes auxquelles on aura à demander une promesse ou affirmation solennelle, écrite ou verbale.
Art. 1330. — 40. La convocation des parties pour être présentes à l'expertise est aussi nécessaire que s'il s'agissait de visites de lieux. Bien entendu, si elles ont manqué à venir, ayant été dûment appelées, l'expertise n'est pas recommencée; elle le serait, au contraire, si l'on avait omis de les appeler.
C'est encore au Code de Procédure que l'on trouvera les causes de récusation des experts et les formes de la rédaction et de la présentation de leur rapport.
Art. 1330 bis. -40 bis. En général, les experts ne sont appelés à se prononcer, comme on l'a dit en commençant, que sur des faits dont il leur est soumis des vestiges, des traces ou signes matériels. Il pourrait arriver cependant que les prétentions des parties reposassent sur des affirmations théoriques, d'ordre scientifique, technique ou artistique, et que le tribunal ne se reconnût pas la compétence nécessaire pour les décider -, dans ce cas, il pourrait encore recourir aux lumières de personnes compétentes en ces matières. Comme exemple de questions " techniques," nons citerons les questions générales ou spéciales d'agriculture, de commerce, de comptabilité, d'industrie, de métiers.
Art. 1331. — 41. La loi nous dira généralement, sur chaque preuve, quelle est sa force pour donner au juge la conviction. Ici l'expertise ressemble aux témoignages privés qui, lors même qu'ils seraient unanimes, ne peuvent lier le juge.
Il est clair que, quelque influence que puisse naturellement avoir l'opinion des experts sur la conviction du juge, elle ne peut la lui imposer, autrement ce seraient eux qui deviendraient les véritables juges du litige: ils seraient comme des arbitres.
Le tribunal, s'il trouve que l'expertise a été mal faite et qu'elle pouvait donner des résultats plus satisfaisants ou plus complets, peut ordonner une nouvelle expertise, pour tout ou partie des points déjà soumis aux experts. Il ne nommera pas nécessairement de nouveaux experts:quand il n'aura pas lieu de, douter de leur capacité ou de leur impartialité, et qu'il trouvera seulement qu'ils n'ont pas suffisamment examiné certains points importants, il suffira qu'il leur ordonne un nouvel examen de ces points.
S'il y a lieu de nommer de nouveaux experts, les parties ne sont plus admises à les proposer: il y aurait à craindre, plus encore que précédemment, que l'expert de chaque partie ne fût en désaccord avec celui de l'autre et que l'expertise ne dépendît du tiers expert seul.
Dans tous les cas, le rapport des experts est mentionné dans le jugement pour qu'il soit évident que le tribunal en a pris connaissance.
SOMMAIRE.
Art. 1332. — N° 42. Sens vulgaire et étroit, sens juridique et large du mot "témoignage: " l'aveu écrit, verbal et tacite, la prestation et le refus de serment, sont des témoignages; renvoi pour la distinction des preuves en " directes et indirectes."
COMMENTAIRE.
Art. 1332. — N° 42. Généralement, soit dans le langage ordinaire, soit dans celui du droit, on donne au mot " témoignage" le sens d'une déclaration faite par une personne au sujet de faits où elle n'est pas intéressée; dans ce sens, l'acte authentique est un témoignage émané d'u n officier public; plus naturellement encore, les déclarations faites par des particuliers, en justice, dans la cause de tierces personnes, sont des témoignages. Mais lorsque l'on groupe les diverses sortes de preuves, d'après des caractères communs, de façon à en simplifier la nomenclature, on fait rentrer encore dans le témoignage l'aveu, et la prestation de serment. C'est ce que fait notre article.
L'aveu, en effet, est un témoignage que l'on porte contre soi-même; la prestation de serment est un témoignage que l'on porte pour soi-même.
L'aveu est écrit, verbal, ou tacite: il est écrit dans l'acte sous seing privé; il est verbal quand il est exprimé par paroles, en justice ou hors de la justice; il est Incite quand on refuse de jurer en sa propre faveur.
Le serment pourrait être prêté en justice ou hors de la justice; c'est ainsi qu'on a en France et dans beaucoup d'autres pays d'Occident un aveu judiciaire, décisoire ou supplétoire; mais le Projet japonais n'admet que le serment extrajudiciaire; on en donnera la raison en expliquant la Section nf, ci-après.
On a donc cinq preuves réunies sous le nom et avec le caractère de Il témoignage de l'homme."
La loi donne aussi au témoignage le nom de " preuve directe; " ces mots ont pour but de faire opposition aux précomptions qui sont appelées " preuves indirectes" (v. art. 1318-3° et 1411 et suiv.). C'est en expliquant l'article 1411, par lequel s'ouvre la matière des présomptions, que nous justifierons l'emploi de ces deux qua1ifications.
SOMMAIRE.
Art. 1333. -N° 43. Division des écritures privées en signées et non signées.
COMMENTAIRE.
Art. 1333. — N° 43. Cet article n'a d'autre but que d'introduire une division en deux sortes d'écritures, les unes portant la signature ou le sceau d'un particulier, les autres émanant de lui (on suppose cela non contesté, ou prouvé), mais sans son sceau, ni sa signature. On conçoit que la force probante des premières soit plus forte que celle des autres.
Elles ont cela de commun que, ni dans l'une ni dans l'autre, il n'y a intervention d'un officier public.
SOMMAIRE.
Art. 1334. — N° 44. Désuétude en France du sceau privé: on peut la regretter. -45. Son usage conservé au Japon, dans les mœurs et dans le Projet. -46. Caractère d'aveu de l'écriture sous seing privé. —-47. Caractère semblable des lettres missives.
1335. -48. Demande en reconnaissance d'écriture avant l'échéance: sa justification. —49. Nécessité d'une reconnaissance ou d'une dénégation formelle. - 50. Sanction de cette obligation, avertissement donné au défendeur; pouvoir du tribunal. - 51. Comparaison du Projet avec le Code de Procédure civile français.
1336. -52. Danger d'une apposition frauduleuse du sceau véritable. -53. Difficulté de la preuve: elle incombe au défendeur. -54. Disposition semblable au sujet des vices de consentement aHégués. —55. Pourquoi la loi n'a pas parlé ici de l'incapacité du signataire.
1337. 56. Motif de la double faveur accordée aux héritiers et ayant-cause, au sujet de l'obligation de reconnaître ou de dénier la signature ou le sceau de leur auteur.
1338. -57. Exceptions au sujet de l'abus de blanc seing et de la contrefaçon. -58. Protection des tiers de bonne foi, au cas seul d'abus de blanc-seing.
1339. -59. Témoignage de ceux qui ont contre-signé ou contre-scellé l'acte.
1340. -60. Renvoi au futur Code de Procédure civile.
1341 et 1342. -61. Rappel du motif qui fait prescrire les doubles originaux: deux restrictions à ce sujet. -62. Critiques de quelques nouveaux Codes européens qui rejettent la théorie des doubles. -63. Observation critique sur certaines innovations des législations modernes. -64. Retour au Projet: admission du dépôt d'un original unique aux mains d'un tiers. -65. Sanction de l'inobservation de la loi; pourquoi l'acte non fait double ne vaut pas commencement de preuve par écrit -66. Réfutation de l'idée que l'acte non fait double est resté à l'état de projet. -67. Véritable caractère de la nécessité du double: c'est une condition suspensive tacite de la formation du contrat. -68. L'exécution, volontaire ou légalement forcée, est la seule preuve contraire admise: elle vaut renonciation à la fin de non-recevoir.
1343 à 1346. -69. Condition à remplir pour les promesses unilatérales de sommes ou quantités. -70. Différences entre le corps de l'acte et le bon ou approuvé. -71. Validité de l'acte irrégulier, comme commencement de preuve par écrit: limite de la preuve testimoniale aux sommes énoncées. -72. Effet limité de l'exécution partielle. —73. Exception relative aux commerçants. -74. Pourquoi le Projet ne l'étend pas aux cultivateurs et autres classes illéttrées.
1347. -75. F orce probante de l'acte sous seing privé COIlsidéré comme aveu écrit: distinction. -76. Dispositif de l'acte. - 77. Enonciations ayant un rapport direct avec le dispositif. —-78. Enonciations étrangères au dispositif. - 79. Renvoi pour l'indivisibilité de l'aveu.
1348. -80. Effet d'une plainte en faux ou en abus de blancseing: distinction. -81 et 82. Cas où il y a une instruction ouverte. —-83. Cas où il n'y en a pas.
1349. -84. Différence de rédaction entre cet article et l'article 1328 du Code français. -85. Comment on distingue les tiers des ayant-cause; renvoi pour le cas où aucun acte n'a date certaine. -85 bis. Distinction au sujet des actes compatibles et incompatibles; exclusion des actes donnant lieu à transcription ou inscription; exemples de fraudes à la faveur de l'antidate. -85 ter. Rejet par le Code officiel de la théorie du Projet; réponse aux trois objections; défense de l'enregistrement.
1350. -86. Trois moyens par lesquels les actes acquièrent légalement date certaine. -87. Pourquoi ces moyens sont limitatifs.
1351. -88. Règlement de la préférence, lorsque deux actes acquièrent en même temps date certaine. -89. Cas d'un acte mentionné dans un autre. -90. Cas de décès, d'absence, et d'enregistrements simultanés dans des bureaux différents. -91. Cas où aucun des actes n'a date certaine. -92. Déchéance de l'intéressé qui avoue avoir connu, en traitant, l'existence d'un acte antérieur n'ayant pas date certaine.
1352. -93. Exception en faveur des quittauces ou décharges, -94. Idem en faveur des causes de compensation. - 95. Idem en faveur des actes de commerce.
COMMENTAIRE.
Art. 1334. — N° 44. L'expression acte sous seing privé, prise à la lettre, se trouve plus exacte au Japon qu'en France, aujourd'hui, car le seing, à proprement parler (signurn), est le sceau, dont on use encore au Japon, universellement presque obligatoirement, tandis qu'en France il est tombé en désuétude pour les particuliers et n'est plus usité que de la part du chef de l'Etat, des grands corps constitués et des administrations ou offices publics.
Il n'est pas douteux qu'en France, pour les particuliers, l'usage originaire d'un sceau est provenu de l'ignorance générale de l'écriture; les nobles même affectaient de ne pas savoir écrire, comme si ce talent ne convenait qu'aux marchands, et ils scellaient leurs actes d'une empreinte portant leurs armoiries. La vulgarisation de l'écriture qui permet, presque au plus ignorant, de signer au moins son nom, a fait tomber le sceau privé en désuétude.
On peut le regretter, pour deux raisons: d'abord parce qu'il y a encore; exceptionnellement, des personnes qui ne savent pas même signer leur nom, et un plus grand nombre qui, par suite de l'âge ou d'infirmités, ne pouvant écrire leur nom au bas d'un acte rédigé par un tiers, en leur nom, sont obligées de requérir l'office lent et coûteux d'un notaire; ensuite, parce que le sceau ajouté à la signature écrite serait une garantie complémentaire contre les falsifications d'écritures. j
45. Au Japon, si l'origine du sceau privé a été la même qu'en Europe, on ne peut nier que la vulgarisation de l'écriture permettrait, depuis bien longtemps, de renoncer à l'usage du sceau privé. Mais nous ne regrettons pas la persistance de son emploi, précisément pour les causes qui nous font regretter son complet abandon en France.
En cet état de choses, le Projet se garde de proposer l'abolition de l'usage du sceau ou cachet (a.) et même de l'affaiblir en le passant sous silence: on le place formellement ici sur la même ligne que la signature écrite et on le mentionnera constamment à coté d'elle; aussi pourra-t-on, avec plus de raison qu'en France, parler de l'acte sous seing privé, autant et plus que de l'acte sous signature privée, et cette expression s'appliquera aussi bien à l'une des formes qu'à l'autre, et encore mieux à leur réunion, lorsqu'elle est désirable.
46. Notre premier article, en même temps qu'il proclame cette égalité de valeur du sceau et de la signature, détermine aussi le caractère juridique, comme preuve, de l'écriture sous seing privé: " lorsqu'elle porte la déclaration ou reconnaissance d'un fait défavorable au signataire, elle constitue, de la part de celui-ci, un aveu ou témoignage extrajudiciaire contre lui-même." Cette idée a déjà été énoncée plus haut (n° 23) et il n'est pas nécessaire d'y insister.
On verra, à l'article 1363, que l'aveu judiciaire a une force invincible; on en pourrait dire autant de l'aveu écrit et signé, si la signature elle-même n'était pas souvent sujette à contestation, à la différence de l'aveu verbal fait en justice qui est immédiatement recueilli et constaté par le tribunal; mais quand la signature et le sceau sont euxmêmes avoués et reconnus en justice, les deux aveux, ayant alors la même nature, ont aussi la même force, au moins entre les parties et leurs ayant-cause généraux (v. art. 1347).
A l'égard de leurs ayant-cause particuliers, une distinction sera faite par l'article 1349.
47. Le texte reconnaît aux lettres missives " la même force probante qu'aux actes dressés en forme," sous les mêmes conditions d'être signées ou scellées et de porter des déclarations défavorables au signataire. Si le texte s'en explique, c'est que certains jurisconsultes ont une tendance à reconnaître moins de force aux lettres missives qu'aux actes en forme. Mais cette doctrine est fausse: ce n'est pas la forme qu'il faut considérer mais le fond, et les particuliers ne feront pas plus légèrement des reconnaissances à eux défavorables en une forme qu'en l'autre; il arrive souvent que, par politesse, un créancier se borne à demander une simple lettre comme accusé de réception d'un prêt, ou un débiteur comme reçu d'un payement, et, assurément, l'auteur de la lettre ne serait pas recevable A dire qu'il n'a pas reçu la somme qui s'y trouve portée et qu'il a fait une pareille déclaration par inadvertance.
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(a) Le texte porte, une fois ou deux, les mots " sceau ou cachet:" l'expression cachet est plus usitée que celle de sceau pour traduire le mot japonais ditsu-in, mais celle de sceau étant plus relevée et surtout plus juridique, on l'emploie de préférence.
Notons aussi qu'au Japon, outre le cachet d'affaires ou d'actes (ditsuin), on use aussi d'un cachet familier mitomé-in pour les choses courantes,telles que lettres, notes, reçus d'objets ou sommes minimes.
Art. 1335. — 48. Cet article est une application importante du principe posé à l'article 1316 auquel il se réfère: à cette occasion, on a justifié (n° 21) la permission générale de faire constater l'existence d'une preuve avant l'exigibilité du droit.
Le Code français n'a pas admis ce principe général, mais, par exception, il n'a pas aboli et même il a permis, ce qu'une longue tradition avait autorisé, de demander la reconnaissance d'écriture sous seing privé avant l'échéance de la dette ou l'exigibilité du droit constaté dans l'acte.
Il s'était même, à cet égard, introduit un grave abus: le créancier qui obtenait ainsi en justice la reconnaissance d'écriture par anticipation acquérait immédiatement une hypothèque judiciaire générale (v. art. 2123, 5e al.) dont il pouvait prendre inscription de suite, au grand dommage du crédit du débiteur, lequel n'avait pas donné d'hypothèque conventionnelle et l'aurait sans doute refusée si elle lui avait été demandée. Cet abus fut corrigé par une loi spéciale du 3 septembre 1807 qui, tout en maintenant le droit de demander en justice la reconnaissance d'écriture à toute époque, a défendu de prendre inscription de l'hypothèque judiciaire avant l'échéance.
Au Japon, une pareille disposition n'aurait pas d'objet, puisque l'hypothèque judiciaire n'est pas admise dans le Projet.
Quant à l'utilité d'une demande en reconnaissance d'écriture avant l'échéance, elle est la même que celle qui subsiste encore en France après la loi précitée; si elle est moins considérable que celle de demander une enquête à futur (v. n° 21), parce que les écrits sont moins fragiles que la vie des témoins, elle est cependant encore sérieuse: le signataire aussi peut mourir et ses héritiers auront plus de facilité pour contester l'écriture ou le sceau de leur auteur que celui-ci n'en aurait eu pour contester la sienne (v. art. 1337). Il y a encore intérêt pour demander la reconnaissance avant l'échéance, lorsque le bénéficiaire de l'acte a lieu de craindre une contestation du sceau ou de l'écriture: mieux vaut alors pour lui être fixé le plus tôt possible sur la valeur de son titre; il pourra aussi le céder avec plus de facilité et sans s'exposer à des recours.
Il va sans dire que si la reconnaissance d'écriture peut être demandée avant que le litige soit engagé au fond, elle peut l'être au moment même où le litige commence et elle en sera alors le préliminaire naturel et nécessaire: le texte, en disant " même avant tout litige," implique que la même demande peut, à plus forte raison, être faite avec celle du fond; mais, dans ce cas, la double condition de l'article 1316 n'a plus à être observée.
En France la double condition d'un intérêt et du danger de perte de la preuve n'est pas imposée par la loi pour la demande anticipée de la reconnaissance d'écriture (1).
49. Lorsque le prétendu signataire d'un acte est requis de le reconnaître, la loi ne lui permet pas de répondre d'une façon vague, comme de dire, par exemple, qu'il n'est pas sûr que l'acte soit de lui ou ne soit pas de lui il doit CC le reconnaître ou le dénier formellement; " en effet, outre qu'il est, mieux que personne, en état de savoir si l'écriture ou le sceau placés sous ses yeux sont les siens, il doit aussi, par la mémoire, savoir s'il a signé un acte de la nature dont il s'agit.
Le texte veut que le défendeur à la demande en reconnaissance se prononce, tout à la fois, sur trois choses: l'écriture qui est le corps de l'acte, la signature qui est le nom écrit, et le sceau ou cachet qui est l'empreinte apposée à coté du nom. Les deux derniers points sont les plus importants, car l'écriture du corps de l'acte peut être valablement d'une main étrangère; toutefois, comme dans ce cas, il peut falloir que le signataire ait au moins approuvé l'écriture (v. art. 1343), il est bon qu'il soit requis de s'expliquer sur le corps de l'acte.
La loi admet que la reconnaissance ou la dénégation peut porter, tout à la fois, sur les trois objets dont il s'agit (écriture, signature, sceau), ou sur l'un ou l'autre séparément: cela est nécessaire pour savoir sur quels points devra porter la procédure de vérification.
50. La sanction de cette obligation, pour le défendeur, de reconnaître ou nier formellement sa participation à l'acte par l'un des trois moyens désignés, est que, faute de la nier formellement, il pourra être considéré comme l'ayant reconnue; s'il n'a nié que pour deux modes de participation ou pour un seul, la reconnaissance pourra être tenue -pour faite à l'égard de l'autre ou des deux autres.
Mais il ne faudrait pas qu'une si rigoureuse sanction atteignît le défendeur à son insu et contre ses prévisions; c'est pourquoi la loi veut que le tribunal l'avertisse de cette sanction, afin qu'avant de l'encourir il puisse l'éviter par une 'dénégation formelle, sauf à s'exposer aux frais de la procédure de vérification, s'il vient à y succomber.
Du reste, on voit, par l'emploi du mot Il peut," que ce n'est pas d'une façon absolue et nécessairement que l'acte sera tenu poM?' reconnu: la décision est laissée à l'appréciation du tribunal; car il pourrait arriver que le défendeur eût de sérieuses raisons de douter autant de la réalité que de la fausseté de la signature ou du sceau qui lui sont opposés, de sorte qu'il se trouverait à la fois empêché et de les reconnaître par intérêt légitime et de les dénier par délicatesse et surtout par dignité, craignant d'être soupçonné de mauvaise foi, si la vérification lui donnait tort. Dans ce cas, le tribunal ordonnera la vérification.
51. Ce point spécial n'a pas été réglé par la loi française: le Code civil (art. 1322) parle bien d'un "acte reconnu ou légalement tenu pour reconnu," mais il ne dit pas si c'est par l'ordre ou seulement par l'autorisation de la loi qu'il a été tenu pour reconnu. D'un autre côté, le Code de Procédure civile a deux dispositions sur ce point, mais aucune ne vise exactement le cas particulier qui nous occupe: la première suppose que ” le défendeur, assigné en reconnaissance d'écriture, ne comparaît pas," dans ce cas, "il est donné défaut et l'acte est tenu pour reconnu " (c. pr. civ., art. 194); ceci est impératif; mais comme la décision est prise par défaut, elle est susceptible d'une opposition, sur laquelle le défendeur pourra se prononcer dans un sens ou dans l'autre; la seconde suppose que le défendeur a d'abord nié l'écriture, mais qu'assigné ensuite " pour convenir de pièces de comparaison," comme préliminaire de l'expertise en vérification, il a fait défaut; ici la loi est moins rigoureuse: "le juge pour ?-a tenir la pièce pour reconnue," et cependant ce jugement est également C, susceptible d'opposition" (art. 199). En effet, ici le défendeur est dans une position moins défavorable que la première: il a déjà dénié formellement l'écriture.
Mais aucun de ces cas n'est celui qui nous occupe et le futur Code de Procédure civile japonais pourra les régler de la même manière, sans que cela doive influer sur notre question qui est celle-ci: comment le tribunal statuera-t-il à l'égard du défendeur qui, comparaissant sur l'assignation en reconnaissance d'écriture, ne fera ni une reconnaissance ni une dénégation formelle? C'est pour ce cas que le texte nous dit que " le tribunal ■pourra déclarer que l'acte est tenu pour reconnu à l'égard des points qui n'en sont pas formellement déniés."
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(1) L'ancien texte de notre article 1335 ne l'imposait pas non plus; mais nous n'hésitons pas à l'exprimer ici, pour mettre cet article en harmonie avec l'article 1316.
Le Code officiel (art. 15 de ce Livre), quoiqu'il n'exprime pas la double condition de son article 3, pourra être considéré comme s'y référant implicitement.
Art. 1336. — 52. Une des raisons qui doivent faire attacher moins de force probante au sceau apposé sur un acte qu'à la signature écrite au bas dudit acte, c'est que, lors même que le sceau est bien celui de la personne contre laquelle on l'invoque, il est possible que l'apposition n'ait pas été faite par elle, et, en fait, de pareilles allégations sont souvent produites devant les tribunaux: quelque soin que les particuliers mettent à la garde de leur cachet, ils ne peuvent toujours échapper à la perte, au vol, ou à des surprises permettant d'en faire un usage frauduleux (b).
Il a donc fallu admettre que le défendeur pût, tout en reconnaissant l'identité de son sceau, nier que l'apposition en eût été faite par lui-même ou avec son autorisation et la loi veut que cette réserve soit faite avant que le tribunal ait donné acte au demandeur de la reconnaissance du sceau,
53. La loi tranche, à cette occasion, une question de preuve incidente qui aurait pu faire grande difficulté: on semble se trouver en présence d'une négation indéfinie, de celle dont la preuve est tellement difficile que souvent on la dit impossible (v. nos 9 et 10).
Sans doute, il pourra être très difficile au défendeur de prouver cette négation; mais d'abord il faut reconnaître que la présomption de fait est que le sceau est resté aux mains de son propriétaire et que lui seul en a fait l'apposition ou, au moins, l'a autorisée: la perte, le vol, la fraude ne se présument pas, c'est à celui qui les invoque à les prouver; il serait inutile au demandeur d'avoir un acte revêtu du sceau, s'il lui fallait encore prouver directement que ce sceau a été légalement apposé; ce serait par témoins, évidemment, qu'il aurait à faire cette preuve: dès lors, autant vaudrait admettre, plus simplement, la preuve par témoins du fait même relaté dans l'acte.
Il ne faut pas dire d'ailleurs que le défendeur aurait ici à prouver une négation indéfinie: s'il n'a pas apposé lui-même son sceau ni autorisé son apposition, c'est qu'un au tre s'en est emparé indûment pendant un certain temps; il y a là un fait positif qui n'est pas impossible à prouver, et la loi, tenant compte de la difficulté, en autorise tous les moyens possibles de preuve, ce qui comprend même les présomptions de fait, laissées à la prudence du tribunal (v. art. 1425).
54. Une semblable disposition est établie pour le cas où le défendeur, tout en reconnaissant que la signature ou le sceau ont été apposés par lui, pourrait alléguer qu'il n'a agi que sous l'influence de la violence, de l'erreur ou du dol: il devrait aussi faire ses réserves au moment de la reconnaissance, au moins si la violence avait cessé, ou si l'erreur ou le dol étaient déjà découverts par lui.
Ici, la loi ne croit pas devoir exprimer que la preuve du vice de consentement serait à la charge du défendeur: il y a déjà un article disant que ” l'erreur, le dol, la violence ne se présument pas el doivent être prouvés par celui qui les invoque" (art. 339).
55. La loi ne dit pas que celui qui voudrait se prévaloir de son incapacité, pour infirmer sa signature ou l'apposition de son sceau, devrait également réserver cette exception au moment de la reconnaissance.
C'est avec raison qu'elle ne fait pas cette assimila tion: l'incapacité, à la différence des surprises prévues au 1er alinéa et des vices de consentement prévus au 2°, n'est pas un fait accidentel, dont la trace est fugitive equ'on puisse invoquer témérairement pour sortir d'embarras: l'incapacité est un état légal, plus ou moins prolongé, d'une durée constatée, comme la minorité, l'interdiction, le mariage d'une femme; on ne les allègue pas témérairement, puisque le simple rapprochement des dates suffirait à démontrer le mal fondé de l'exception.
Il sera donc permis à celui qui a reconnu son écriture ou son sceau, sans réserver l'exception d'incapacité, de la produire encore pendant l'instance sur le fond.
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(b) On porte assez souvent le cachet en bague ou attaché à la chaîne de la montre: cette précaution diminue les dangers de perte, vol ou surprises, mais elle ne les supprime pas entièrement.
Art. 1337. — 56. En général, la veuve, les héritiers ou ayant cause n'ont pas plus de droits que celui qu'ils représentent: cela est naturel; ici, s'ils n'ont pas plus de droits, ils ont une obligation moins rigoureuse sous deux rapports:
1° Ils ne sont pas placés entre ces deux nécessités de reconnaître la signature ou le sceau, ou de les dénier formellement: ils peuvent simplement "déclarer, soit leur ignorance générale de la signature ou du sceau de leur auteur, soit leur incertitude sur l'identité de ces signes ou sur la réalité de leur emploi dans le cas présent; "
En effet, les héritiers ou ayant cause peuvent avoir peu connu leur auteur, n'avoir pas eu occasion de voir souvent sa signature ou son sceau, et il pourrait être aussi difficile et dangereux pour eux de les reconnaître que de les dénier. Le Code français s'est exprimé d'une façon équivoque: il dit que les héritiers "peuvent se contenter de déclarer qu'ils ne connaissent pas la signature de leur auteur" (art. 1323, 2° al.); d'où il suit que s'ils la connaissent, en général, ils sembleraient privés du droit de déclarer qu'ils ne la reconnaissent pas dans le cas présent. Cette solution serait si peu satisfaisante que nous hésitons à la croire exacte. Les auteurs ont négligé cette distinction.
2° Ils ne sont pas tenus, même quand ils reconnaissent la signature ou le sceau comme étant celui de leur auteur, de faire immédiatement des protestations ou réserves au sujet de l'illégalité de l'apposition par un tiers ou des vices dont le consentement de leur auteur aurait été entaché: ce sont là des faits qu'ils peuvent ignorer longtemps, que peut-être même ils ne découvriront jamais, il faut donc les admettre à les prouver jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au jugement du fond.
Art. 1338. — 57. Il s'agit encore ici de la persistance du droit de contester la signature ou le sceau, après une reconnaissance faite sans réserves, et ce droit appartient " au défendeur," quel qu'il soit, c'est-à-dire non seulement au prétendu signataire, mais à sa veuve, à son héritier ou ayant cause. Les deux cas prévus, en effet, réclament une protection spéciale contre l'erreur, parce qu'elle est supposée provenir (l'une fraude, ayant même le caractère d'un délit: l'abus de blanc seing ou la contrefaçon de la signature ou du sceau.
L'abus de blanc seing suppose que le défendeur ou son auteur avait remis à un tiers sa signature ou son sceau, ou tous, deux réunis, sur une feuille blanche, destinée à recevoir quelque disposition déterminée et que, soit le mandataire infidèle, soit un autre qui lui aurait soustrait le blanc seing, l'a rempli à son profit, contrairement à sa destination. Evidemment, dans ce cas, le défendeur n'a pu nier la signature ou le sceau, puisqu'ils sont les siens; il n'a même pas pu toujours faire immédiatement des réserves à ce sujet, soit parce qu'il n'a pas reconnu d'abord le blanc seing qu'il avait donné, soit parce qu'il lui a paru grave de porter ainsi contre son mandataire une accusation d'infidélité.
Dans le cas où la signature ou le sceau auraient été contrefaits, le défendeur peut avoir été trompé d'abord; il a donc fait une reconnaissance sans réserves ou, s'il a eu des soupçons, il peut avoir eu aussi des scrupules à les exprimer, se proposant d'éclaircir ses doutes avant le jugement du fond (bb).
La double exception est donc motivée.
58. Une différence est faite toutefois, par le second alinéa, au sujet du blanc seing: elle est en faveur des u tiers qui ont traité de bonne foi à raison du titre, le sachant reconnu sans réserves." Ces tiers seraient des cessionnaires de la créance, des subrogés, des créanciers saisissants.
L'exception est fondée sur ce que le signataire (véritable, dans ce cas) n'est pas exempt de faute, tant en confiant sa signature et son sceau, sur une feuille blanche, à un mandataire capable d'infidélité ou de négligence dans la garde, qu'en ne reconnaissant pas immédiatement que le corps de l'acte ne répond pas au mandat qu'il avait donné pour remplir le blanc seing.
Comme on ne peut faire aucun de ces reproches à celui dont la signature ou le sceau ont été contrefaits, l'exception ne s'étend pas à ce cas et les tiers de bonne foi seraient privés du droit sur lequel ils ont compté: le prétendu signataire est aussi intéressant qu'eux.
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(bb) Si même l'abus de blanc seing n'était découvert qu'après le jugement irrévocable du fond, ce jugement pourrait encore être attaqué par la requête civile, en assimilant ici l'abus de blanc seing au faux (v. c. pr. civ. fr., art. 480-9°).
Art. 1339. — 59. C'est un usage assez fréquent que de faire contre-signer ou contre-sceller les actes privés par des tiers qui certifient ainsi la sincérité de la signature ou du sceau principal et la régularité de son apposition; quand il y a des co-débiteurs ou des cautions, leur sceau a bien pour but de les engager eux-mêmes, mais il a aussi pour effet de garantir la sincérité du sceau principal. En pareils cas, rien n'est plus naturel ni plus utile que d'appeler ces personnes à la vérification d'écriture ou de sceau, s'il est possible, et l'on peut croire que, dans ces mêmes cas, il y aura rarement allégation d'une apposition illégale ou frauduleuse du sceau.
Art. 1340. — 60. La demande en vérification d'écriture présente deux phases qui touchent chacune à la procédure et dont le règlement appartient nécessairement au Code de Procédure civile auquel notre article renvoie.
A la première se rattachent les formes de la citation, les délais pour comparaître et les cas dans lesquels le défaut de comparution pourra être considéré comme une reconnaissance tacite de l'écriture, sauf opposition.
La seconde suppose que la vérification même est devenue nécessaire par la dénégation du défendeur ou par le simple défaut de reconnaissance, lorsqu'il n'est que l'ayant-cause du prétendu signataire; alors il y a une procédure assez compliquée: il faut nommer des experts, convenir de pièces de comparaison, appeler des témoins dans certains cas, sommer le défendeur d'être présent à ces divers actes, etc.
Le Code de Procédure civile français est assez complet à cet égard (v. art. 193 à 213): on aurait pu lui emprunter beaucoup pour le Code de Procédure japonais.
Art. 1341 et 1342. -61. La loi arrive à une théorie très importante qui donne un grand intérêt à la distinction des contrats en bilatéraux ou synallagmatiques et unilatéraux. On l'a déjà signalée sous l'article 318 (T. II, nos 22 et 23); mais c'est ici seulement qu'elle est consacrée par le texte, puisqu'elle a trait à la preuve des contrats. La justification et les développements déjà donnés à ce sujet permettent de n'en plus faire ici qu'un résumé.
Toutefois, on a introduit en cette matière une importante disposition qui manque au Code français et faute de laquelle une grande controverse semblerait devoir s'étendre au Japon, si la loi ne songeait à la prévenir.
Quand les parties dressent un acte écrit sous seing privé pour constater un contrat synallagmatique, c'est, évidemment, parce que la preuve testimoniale, ou est interdite à cause de l'importance de l'intérêt engagé (v. art. 1399), ou leur paraît dangereuse, fugitive, incertaine. Dès lors, la loi veut que chacune d'elles ait le moyen de fournir la preuve écrite de son droit; s'il n'était dressé qu'un original, la partie qui le détiendrait serait maîtresse de la situation: elle pourrait ou produire l'acte ou ne pas le produire, suivant son intérêt; l'autre serait ainsi à sa discrétion. On dressera donc autant d'originaux, non pas qu'il y a de parties contractantes, mais qu'il y a de " parties principales ayant des intérêts opposés."
Remarquons, à ce sujet qu'il y a là deux restrictions à la nécessité des doubles. La loi, en effet, ne parle que des parties " principales;" on ne tiendra donc pas compte des cautions, à cet égard. La loi veut aussi des intérêts " opposés," et non pas seulement des intérêts " distincts," comme dit le Code français (art. 1325) (c); si donc on suppose plusieurs co-vendeurs ou plusieurs co-acheteurs, il ne sera pas fait plusieurs originaux pour les vendeurs ou pour les acheteurs, mais un seul pour tous ceux qui ont la même qualité: leurs intérêts sont distincts pourtant, puisqu'ils ne sont pas identiques; mais ils ne sont pas opposés, puisqu'ils ne sont pas contraires les uns aux autres: ils s'aideront d'un titre commun.
62. Le Code italien et le Code hollandais n'ont pas conservé la nécessité des doubles; cette tendance des nouveaux Codes nous paraît regrettable et le motif qu'on en donne est loin de nous convaincre.
On dit que c'est aux parties à pourvoir elles-mêmes à leur sécurité.
S'il s'agissait de donner à l'une d'elles un avantage sur l'autre, nous admettrions bien que la loi n'y intervint pas; mais il s'agit, au contraire, de leur donner des avantages égaux, de prévenir un dommage pour la partie la moins expérimentée, et cela, dans la matière des contrats bilatéraux qui, par leur nature même, donnent aux parties des droits considérés, sinon comme semblables au moins comme égaux, et où l'égalité est l'équité même. Le rôle de la loi, en matière civile, n'est-il pas précisément d'assurer aux parties la plus parfaite équité dans l'exercice de leurs droits ? Pourquoi la loi civile règle-t-elle en détails tous les contrats les plus usuels, au lieu d'en laisser le soin aux parties ? N'est-ce pas pour suppléer à l'inexpérience de l'une ou de l'autre ou même de toutes deux? Car rien n'est rare comme de voir des particuliers rédiger un contrat clairement et avec les prévisions nécessaires, lorsqu'ils ne sont ni légistes, ni gens d'affaires ou de négoce.
On est encore loin, en Europe autant qu'au Japon, du temps où les notions du droit seront assez vulgarisées pour que chacun puisse pourvoir lui-même au règlement de tous ses intérêts civils, comme on pourvoit à la conservation et à l'entretien de sa santé et de ses intérêts sociaux.
Si la loi se désintéresse de la protection des intérêts civils avant que chacun puisse y pourvoir lui-même par l'effet de l'éducation ordinaire, les particuliers seront assujettis à recourir constamment à l'office intéressé des hommes d'affaires, et comme elles n'auront pas toujours cette coûteuse précaution, il arrivera souvent que l'une sera victime du dol ou de l'habileté de l'autre.
Spécialement, dans le cas qui nous occupe, si la loi ne prescrit pas la rédaction d'un double original, il pourra arriver que celle des parties qui seule possédera un titre, regrettant son engagement, préférera ne pas faire valoir le droit corrélatif qui lui appartient, et l'autre ne pourra faire valoir le sien en offrant d'exécuter son obligation.
Et s'il était certain pourtant qu'un acte a été rédigé et qu'il est resté aux mains de celui qui n'en veut pas user, pourrait-on le contraindre à le produire ? Ce serait une disposition bien autrement grave que d'exiger législativement la rédaction d'un double original: ce serait renverser un principe de raison et une tradition consacrée en matière de preuve, à savoir que ” nul ne peut être forcé de produire une preuve contre lui-même nerno contra se edere cogitur).
63. Nous sommes porté, par principe, à combattre certaines tendances modernes (qui d'Europe se produisent déjà au Japon) consistant à réduire le plus possible les prévisions de la loi; on ne s'aperçoit pas qu'en épargnant quelque soin au législateur, on prépare de nombreux procès qui surchargeront les tribunaux et seront un mal social continu; tantôt ce sera à cause de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, tantôt ce sera parce qu'il y aura eu " dol ou surprise."
Du reste, cette tendance, que nous combattons est plutôt, jusqu'ici, dans la doctrine spéculative que (lans la législation positive, car, ainsi qu'on peut s'en convaincre en examinant les lois spéciales nouvelles, surtout celles qui touchent aux matières civiles ou commerciales, on voit que le règlement des détails y est très considérable, quelquefois même excessif: par exemple, en matière de sociétés (v. Loi fr. du 24 juillet 1867).
Ce n'est pas à dire que nous soyons d'avis de mettre les particuliers sous une sorte tutelle légale contraire à la dignité des citoyens; ce serait bien mal comprendre notre pensée: il n'est pas question, au moins en général, d'entraves ni de contraintes civiles auxquelles les particuliers seraient soumis contre leur volonté et dont ils ne pourraient s'affranchir par des conventions ou des réserves spéciales (c'est là qu'on pourrait parler de tutelle); il s'agit seulement d'admettre que la loi stipule en quelque sorte, d'emblée et d'avance, en faveur des contractants, comme s'ils stipulaient eux-mêmes; mais quand la loi leur propose, elle ne leur impose rien: ils peuvent disposer autrement; souvent la loi leur en réserve expressément le droit, et même quand elle ne le leur refuse pas formellement, on doit décider, sauf de rares exceptions, qu'un pareil droit reste sous-entendu, car les conventions font loi entre les parties (art. 348).
64. Ceci nous ramène à la nécessité des doubles originaux et nous devons signaler ce fait qu'elle présente justement le caractère impératif qui ne permet pas de dérogation par convention contraire. En effet, comme il s'agit d'une protection contre le dol, les surprises ou l'inexpérience dont une des parties pourrait être victime, il ne doit pas leur être permis de se priver du secours de la loi: autrement, ce serait précisément dans le cas où ce secours serait le plus nécessaire à l'une des parties que l'autre obtiendrait qu'elle y renonçât.
La seule dérogation que le Projet admette (et c'est une innovation par rapport a droit français) c'est que les parties puissent " convenir de déposer l'original unique aux mains d'un tiers désigné audit acte, lequel le communiquera à chacune d'elles à toute réquisition et ne pourra s'en dessaisir sans le consentement de toutes." Alors le but de la loi se trouve encore atteint: à savoir, l'égalité pour chaque partie dans les moyens de se prévaloir de la preuve du contrat.
Et qu'on ne s'inquiète pas de la complication qui résultera de ce dépôt et de ses conditions: cette complication même fera généralement préférer la rédaction d'un double pour chaque partie, et y fera revenir, après coup, si l'on avait cru d'abord pouvoir s'en dispenser.
Dans le cas où les parties seraient d'accord pour retirer le dépôt, elles devraient immédiatement faire choix d'un autre dépositaire: sans cela la loi serait encore éludée.
65. Si l'on dresse plusieurs originaux, il faut nécessairement mentionner sur chacun le nombre qui en a été fait: autrement, il y aurait toujours à craindre que la partie qui voudrait échapper au contrat ne produisît pas le sien et ne prétendît n'en avoir pas eu.
La loi devait prévoir le cas où ses deux prescriptions, la rédaction en double et la mention qu'elle a été faite, n'auraient pas été observées et où les parties n'y auraient pas suppléé par le dépôt d'un titre unique aux mains d'un tiers.
En France, on discute beauconp, si l'acte unique, produit en justice par la seule partie qui le possède, vaut en sa faveur, au moins comme commencement de preuve par écrit et permet ainsi la preuve testimoniale de la convention. Nous avons toujours pensé que la solution négative était la seule logique, la seule conforme au but et à l'esprit de la loi.
En effet, autrement, il y aurait nécessairement une partie qui serait à la discrétion de l'autre: celle qui n'aurait pas en sa possession l'original unique ne pourrait même pas faire cette preuve testimoniale dont la base lui manque et c'est l'autre qui, à son gré, le produirait ou le dissimulerait, suivant son intérêt. On se retrouverait en face du danger qu'on a voulu éviter.
En outre, il est bizarre d'appeler " commencement de preuve par écrit" un acte qui, s'il vaut quelque chose, est une preuve complète, un acte qui dit plus et mieux que ne pourraient jamais dire les témoins les plus exacts, un acte qui, non seulement Il rend vraisemblable le fait allégué," comme l'exige l'article 1347 (comp. Proj., art. 1405-10), mais qui en donne la certitude complète, et dont le seul tort est d'être seul à la donner, d'être unique, au lieu d'être fait double.
Nous ne croyons pas qu'on ait jamais renversé cette argumentation qui a dû être présentée avant nous, assurément.
66. Cependant l'opinion contraire est la plus fortement établie, en doctrine et en jurisprudence.
Dans cette opinion, pour ne donner qu'un effet partiel à un acte qui paraît pourtant complet en lui-même, on a imaginé de dire qu'il n'est qu'un projet, tant qu'il n'a pas été rédigé en double, et que l'effet de la preuve testimoniale sera moins de faire connaître l'objet. et les clauses du contrat, déjà connues par l'acte, que de certifier que la volonté des parties n'était plus à l'état de projet, mais était une résolution définitive.
Là encore, on a rencontré des objections restées sans réponse, c'est que, le plus souvent, la forme et la rédaction de l'acte unique seront un démenti de cette idée d'un simple projet: l'acte sera signé des deux parties, il sera écrit sur papier timbré, il aura peut-être été déjà présenté à l'enregistrement, qui est coûteux; or, on ne signe guère des projets de contrat, justement de peur de leur donner un caractère définitif; encore moins les revêt-on du timbre et de l'enregistrement dont on cher", che déjà trop à éviter les frais pour les actes définitifs; enfin, s'il était vrai que les parties n'attendaient plus que la rédaction du double pour que leur consentement fût définitif, on trouverait, par avance, la mention " fait double " comme complément nécessaire du projet de contrat et c'est justement ce qui y manque.
67. Le Projet japonais se garde donc bien de dire que l'original unique servira de commencement de preuve par écrit. Il n'exprime pas le contraire non plus, parce que la loi n'a pas à parler de ce genre de preuve quand elle ne l'admet pas; ce ne sera pas une raison, nous l'espérons, pour que la controverse se produise au Japon.
D'ailleurs le texte écarte tous les doutes d'une autre manière et il donne au double écrit son véritable caractère.
En effet, une objection pourrait nous être faite, à notre tour: on pourrait dire que nous transformons indirectement une condition de preuve de la convention en une condition de son existence; car si la preuve écrite et la preuve testimoniale se trouvent interdites, il ne restera que l'aveu du défendeur, sur lequel on ne peut guère compter, une fois que celui-ci s'est prévalu du défaut de double original.
Nous acceptons la conséquence, et nous disons formellement, avec le texte, que la loi présume que chaque partie a subordonné son consentement définitif à la rédaction d'un écrit en double original, c'est-à-dire d'une preuve préconstituée qui la préserve du danger de subir un contrat si on le lui oppose, sans pouvoir l'invoquer si on ne le lui oppose pas: la rédaction de l'écrit alors n'est plus seulement pour la preuve (probationis causâ.), mais pour l'accomplissement de la condition suspensive (conditionis adimplendœ causâ). Déjà l'article 662 a déclaré que la vente peut être subordonnée par les parties à la rédaction d'un acte, soit authentique, soit sous seing privé en double original: c'est ce qu'on nomme, en France, assez improprement, la "léalisation" de la vente. Nous avons, à cette occasion, signalé l'origine romaine de cette théorie, sinon pour la condition des doubles, au moins pour celle d'un acte écrit devant servir de preuve (v. T. III, n° 151).
Le texte ne se prononce pas sur le point de savoir si la partie qui a seule un original à sa disposition pourrait, comme celle qui n'en a pas, alléguer que la convention n'existe pas. La réponse demande une distinction.
Si la partie qui a seule un original ne le produit pas, l'autre partie, ne pouvant la contraindre à cette production (v. n° 62, in fine), ne pourra lui contester le droit d'invoquer le défaut de rédaction; il semblera d'ailleurs que l'acte n'a même pas rédigé en un simple original.
Mais si l'original unique a été produit en justice, celui qui l'a produit, même sans l'invoquer, ne doit pas être reçu à contester l'existence de la convention, parce qu'il ne souffre pas de l'absence du double, dès que l'autre partie renonce à s'en prévaloir.
Et il ne faudrait pas objecter qu'une condition suspensive ne peut être réputée accomplie à l'égard d'une partie et se trouver défaillie à l'égard de l'autre: il faut toujours limiter l'effet suspensif de la condition à la partie dans l'intérêt de laquelle cette condition est établie. C'est ainsi qu'on a vu que la condition résolutoire, même expressément stipulée pour le cas d'inexécution d'une convention synallagmatique, ne peut pas être invoquée par la partie qui a manqué à l'exécution, mais peut l'être par l'autre (v. art. 442). D'ailleurs, l'effet des conditions dans les conventions, se règle, comme celui des conventions elles-mêmes, d'après la commune intention des parties (v. art. 431).
68. Cette présomption légale n'est du reste pas absolue; elle admet une preuve contraire autorisée formellement par le texte: l'exécution totale ou partielle du contrat par une partie la rend " non recevable à se prévaloir de l'inaccomplissement de la condition." On peut dire que la partie qui a exécuté a renoncé à une fin de non-recevoir établie dans son intérêt et par présomption de son intention.
La loi ne dit pas que l'exécution doive être volontaire, parce que ce serait exclure cet effet au cas d'exécution légalement forcée, ce qui ne peut être, car l'exécution forcée suppose un jugement auquel la partie aurait pu contredire, en se prévalant du défaut de double, et elle ne l'a pas fait. Mais, bien-entendu, une exécution qui cesserait d'être volontaire parce qu'elle aurait être obtenue par dol ou extorquée par menace n'aurait pas pour effet de réparer l'omission du double.
Le texte ajoute que " la partie qui a accepté ladite exécution," est elle-même privée du droit à la fin de non-recevoir; en effet, lors même qu'elle n'a pas encore exécuté elle-même ses obligations, elle a participé à l'exécution par l'autre, par exemple en recevant la livraison de la chose vendue ou du prix de vente (2).
Il nous paraît difficile, comme nous l'avons dit plus haut (n° 64), d'admettre que la partie qui n'aurait pas d'original à sa disposition pût déclarer expressément qu'elle s'engage sans la condition du double. Mais lors même que l'on irait jusque-là, la partie serait encore moins exposée aux fraudes et aux surprises que dans les Codes modernes précités, où la seule omission de stipuler la garantie du double suffira pour compromettre la partie la plus confiante ou la moins expérimentée.
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(c) Au surplus, le Code français corrige à peu près l'expression en ajoutant: " Il suffit d'un seul original pour toutes les personnes ayant le même intérêt." Il eut été plus simple de dire la chose en un seul alinéa et il eût mieux valu la dire autrement, car des co-vendeurs ou des co-aolieteurs n'ont pas le même intérêt: chacun contracte pour soi; ils ont tout au plus des intérêts semblables; ce qui importe c'est que leurs intérêts ne soient pas contraires.
(2) Cet alinéa est nouveau: il aurait pu être suppléé, mais il est préférable de l'ajouter.
Art. 1343 à 1346. -69. Il s'agit ici de la preuve d'un contrat unilatéral; mais la disposition n'a pas la généralité qu'a la précédente pour les contrats synallagmatiques: elle ne concerne que " les promesses de payer une somme d'argent ou autres choses fongibles ou de quantité." Ce sont les plus nombreuses, il est vrai, mais ce ne sont pas les seules: les promesses de corps certains, de faits ou d'abstentions, ne sont pas soumises à cette disposition; de plus, comme il n'y est question que de promesses, c'est-à-dire d'obligations contractées, on ne l'appliquera pas aux quittances ou libérations, pour lesquelles il est naturel de laisser plus de facilités.
La loi prescrit dans ce cas l'une de trois formalités qui ont pour but de prévenir une erreur ou une fraude sur la somme ou la quantité promise: ou bien le débiteur écrira l'acte en entier de sa main; ou bien, l'ayant fait ou laissé écrire par un autre, qui sera généralement le créancier, il y ajoutera de sa main "bon pour ou approuvé pour la somme de...,pour la quantité de...;" ou bien enfin, ne pouvant même écrire ces simples mots, il fera contre-signer l'acte par deux témoins; le tout, sans omettre, bien entendu, sa signature ou son sceau.
Avec ces précautions, l'augmentation frauduleuse de la dette ou l'abus de blanc-seing sera plus difficile (3).
Comme il y a là l'introduction au Japon d'une nouvelle restriction à la liberté des parties dans la manière de régler la garantie de leurs droits, on a cru devoir la tempérer par l'addition du double contre-seing de témoins pouvant remplacer l'une ou l'autre des deux premières formalités; c'est une innovation par rapport au droit français et aux autres Codes européens qui, tous ici, à la différence de ce qui concerne les doubles originaux ont une semblable exigence du bon ou approuvê.
C'est encore une disposition favorable que celle qui, au cas de plusieurs codébiteurs, se contente du bon ou approuvé d'un seul, même quand ils ne sont pas solidaires.
L'écriture japonaise ne connaît pas la distinction des lettres et des chiffres, pour énoncer les sommes: ce sont toujours des chiffres, soit japonais proprement dits, soit chinois; il n'y a donc pas lieu de prescrire l'écriture en lettres, comme en France; mais la loi prévoit le cas où le contra+ serait rédigé en caractères étrangers, ce qui, avec le temps, deviendra fréquent, à cause des contrats avec les étrangers, et dans ce cas, elle exige l'énoncé de la somme " en toutes lettres " (d).
70. Il pourrait arriver que la somme énoncée ne fût pas la même dans le bon ou approuvé que dans le corps de l'acte: en ce cas, la loi déclare que l'obligation est réputée n'être que de la somme la plus faible, sauf la preuve contraire, et cela, lors même que le corps de l'acte et le bon ou approuvé seraient tous deux de la main du débiteur, ce qui sera rare, étant inutile; comme il n'y aurait pas de raison décisive pour donner plus d'autorité à l'une des déclarations qu'à l'autre, dans le doute, on décide en faveur du débiteur (v. art. 380).
71. 11 pourra arriver qu'un acte " ne porte que le sceau ou la signature du débiteur et ne soit revêtu ni du bon ou-approuvé, ni du contre-seing de deux témoins," dans ce cas, il est naturel qu'il vaille cependant comme " commencement de preuve par écrit, pour l'admission de la preuve testimoniale " (v. art. 1405-]°). Ici, il n'y a pas à hésiter, comme lorsqu'il s'agit du défaut de rédaction des doubles: l'écrit, quoiqu'irrégulier, ” rend vraisemblable le fait allégué," ce qui est la condition requise pour qu'il constitue un commencement de preuve par écrit (ibicl. et c. fr., art. 1347).
Comme c'est la première fois que le texte mentionne le " commencement de preuve par écrit," on signale immédiatement son utilité qui est de re