ボワソナードプロジェ(明治23年)

Projet de code civil pour l'Empire du Japon

参考原資料

Le 31 juillet 1890 nous terminions l'impression du Tome Ier de cette Nouvelle édition et, dans la Préface, nous annoncions que son but était d'apporter à notre Projet les dernières améliorations que la marche progressive du travail nous avait suggérées.
En même temps, c'était une occasion pour nous de signaler les différences entre notre Projet et le Code Officiel alors promulgué.
Malheureusement, la traduction française du nouveau Code Civil n'a été imprimée qu'en février de cette année, de sorte que, ne pouvant en vérifier par nous-même les différences avec le Projet, nous avons dû, pour le Ier volume, nous borner à peu près à noter nos divergences de vues avec la Commission de Révision et avec l'ancien Sénat (Genro In) (1).
A partir du Tome II, c'est avec le Texte Officiel, traduit et imprimé en français, que nous avons pu faire nos rapprochements (2).
Entre la publication du Tome Ier et celle du Tome IP, nous avons collaboré à l'Exposé des Motifs du Code Officiel, publié par la Commission de Révision et formant trois volumes imprimés aussi en français.
La publication de notre Tome Ije est du 25 mai de cette année, celle du Tome IIIe est du 31 juillet et celle du Tome IVe et dernier est de ce jour (10 octobre).
Ce court intervalle de deux mois et quelques jours entre des volumes de plus de 1000 pages peut nous autoriser à demander l'indulgence du lecteur pour un certain nombre de fautes typographiques et d'omissions du fond, signalées à la fin de chaque volume (Additions et Corrections) et aussi pour celles que nous n'aurions pas découvertes. Nous invoquons, à ce sujet, un proverbe japonais sur les fautes inévitables des livres: " Elles sont comme les feuilles "d'automne: on en relève toujours."
Notre meilleur auteur comique fait dire à l'un de ses personnages, dans un mouvement de mauvaise humeur, " le temps ne fait rien à l'affaire" et l'on arrête, en leur jetant le mot à la tête, les malheureux auteurs qui s'excusent par le manque de temps. Mais cette sévérité n'est juste qu'à l'égard de ceux qui ont été maîtres de prendre le temps nécessaire. Or, tel n'était pas notre cas, et, assurément, il nous était difficile de faire aussi bien ce travail dans les six mois qui nous étaient assignés que nous l'eussions pu faire dans les deux ans qui lui avaient d'abord été destinés (3).
Le présent Tome IV signale moins de suppressions faites par le Code Officiel; elles y ont aussi moins de gravité que pour les volumes précédents, à l'exception toutefois de celle relative à la date certaine des actes sous seing privé, laquelle n'est plus exigée pour qu'ils soient opposables aux tiers. Cependant, comme le Droit restera plus exigeant que la Loi, il faudra bien combattre la fraude facile des antidates; mais alors avec toutes les difficultés de la preuve.
Un grand nombre des suppressions officielles concerne des dispositions qu'on a cru pouvoir être plus ou moins facilement suppléées par les Tribunaux.
C'est un système que nous avons critiqué plusieurs fois, chemin faisant. Nous avons cru et nous croyons encore que la Loi doit appliquer elle-même, au moins par forme de renvois, certains principes fondamentaux, quand d'importantes occasions s'en présentent: à côté de la lettre de la loi, ces applications en rappellent l'esprit. Il est bon aussi, quand la Loi pose un principe général au siége d'une matière, qu'elle indique les exceptions que le principe a déjà rencontrées par avance ou qu'il rencontrera plus loin.
D'ailleurs, la Loi ne nous paraît pas devoir être écrite seulement pour les Magistrats qui ont à l'appliquer, mais encore pour les Citoyens qui doivent y trouver leurs devoirs en même temps que leurs droits. Plus la Loi est claire dans ses préceptes et moins elle est avare de développements, moins aussi il y a de contrats obscurs ou fallacieux. Ne vaut-il pas mieux que les citoyens apprennent la Loi dans la Loi elle-même que dans les jugements qui les condamnent ou les déboutent pour ne l'avoir pas connue ?
Dans le même ordre d'idées et pour ce qui concerne notre Commentaire, cette nouvelle édition, outre beaucoup d'améliorations de détail et de forme, présente un grand nombre de renvois d'une matière à une autre, tant comme Texte (v. art...) que comme Commentaire (v. n°...). Ces renvois qui ne pouvaient se faire dans la précédente édition, lorsque notre travail était livré à la traduction et à l'impression au fur et à mesure de son avancement, sont devenus possibles (si non faciles) une fois que l'œuvre a été terminée: ils aideront beaucoup à compléter les théories les unes par les autres.
Nous saisissons cette dernière occasion de parler au lecteur pour justifier l'emploi constant de locutions de la langue juridique française qui ne pouvaient évidemment passer identiquement dans la langue japonaise. De toute façon, il fallait s'attendre à la nécessité de créer au Japon beaucoup de mots nouveaux pour rendre des idées nouvelles (4). De notre côté, nous ne pouvions mieux faire que d'employer les mots consacrés dans notre langue du droit, d'origine presque toujours latine: tous autres auraient manqué de la même précision et auraient été dépourvus de toute autorité. En outre, les traducteurs officiels, les connaissant depuis longtemps déjà, se trouvaient mieux en état d'en trouver ou d'en créer des équivalents dans leur langue.
Le Code Officiel contient un Livre Ier des Personnes et trois derniers Chapitres (xnie, xiv' et xve) du Livre IIP, sur les Successions, les Donations et Testaments et le Contrat de Mariage. La traduction française n'en est pas encore imprimée; aussi n'y avons nous pu faire que de rares allusions. En tout cas, nous n'avons plus à compléter notre Projet par un Livre Ier et une IIe Partie du Livre IIIe. Tout au plus pourrons-nous, un jour, si l'âge et les circonstances nous le permettent, faire un Commentaire et peut-être quelques critiques de cette partie du Code Officiel.
On dit quelquefois qu'il est bon de penser souvent à son âge, mais qu'il n'en faut guère parler. Cependant, nous sentons bien que dix-huit années passées au Japon, depuis notre âge mûr et avec une santé toujours faible, commencent à peser lourdement sur nos épaules; aussi nous félicitons-nous de la circonstance qui nous a forcé de hâter cette publication que peut-être, plus tard, nous n'aurions pu finir.
Nous pensons, du reste, qu'on n'y trouvera aucune trace de fatigue, car jamais nous n'avons eu plus de goût et de force pour le travail de l'esprit: c'est depuis longtemps notre unique plaisir et notre seul champ d'activité.
Aussi est-ce avec un véritable chagrin que nous voyons terminé ce travail qui a principalement occupé pour nous ces dix dernières années.
Nous avions déjà éprouvé et exprimé ce sentiment, il y a quelques années, en terminant la publication de notre deuxième volume de droit criminel (v. Préface du Projet révisé de Code pénal).
Il est encore plus accentué aujourd'hui que nous terminons cette Édition définitive de notre Projet de Code civil.
Si nous mettons ainsi nos lecteurs dans cette confidence, c'est parce qu'il s'en rencontrera plus d'un peut-être, parmi les légistes nos amis, ayant connu ce sentiment pénible qui diminue la satisfaction d'une œuvre terminée.
Il semble qu'on quitte un ami, un hôte de tous les jours, avec lequel on échangeait ses pensées, depuis le réveil jusqu'à l'heure du repos, et l'on sent combien ces entretiens vont manquer désormais.
Nous devinons que ce sentiment de l'écrivain est aussi celui de l'artiste qui a terminé une œuvre: c'est de même pour lui une séparation et souvent elle est plus complète encore que pour l'écrivain.
Kanagawa, près Tokio, le 10 Octobre 1891.
G. B.
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(1) L'inconvénient de ne pouvoir alors vérifier par nous-même les changements apportés à notre Projet par le Code Officiel (pendant un court voyage que nous fîmes en France) a causé une méprise que nous n'avons pu que signaler dans la Préface même du Tome IER, p. XII, note i. Et, par malheur, nous imputions au Code Officiel un changement qu'au dernier moment il avait abandonné,
(2) On trouve aux Tables alphabétiques (y0 Texte Officiel japonais) les nos du Commentaire où se trouvent, en note, nos observations sur ces changements ou suppressions.
(3) Des raisons administratives et budgétaires impérieuses ont nécessité cette abréviation considérable du délai.
La raison budgétaire a eu une autre influence plus fâcheuse pour nous que la précipitation: cette nouvelle édition a été tirée à un trop petit nombre d'exemplaires pour être mise dans le commerce: nous-même ne serons pas gratifié d'un nombre suffisant d'exemplaires qui nous permette les hommages que nous aurions voulu faire à tous les donataires de la précédente édition.
(4) La langue japonaise, comme la langue chinoise, se prête facilement à ces néologis m es nécessaires: l'armée, la marine, les chemins de fer, la médecine, les sciences physiques, ont donné lieu déjà de créer une foule de mots que l'usage consacre sans efforts.
SOMMAIRE.
N° 1. Il n'y a pas besoin de sûretés ou garanties spéciales pour l'exercice des droits réels. -2. On peut en donner pour la créance éventuelle d'indemnité des troubles ou évictions. -3. En quoi des sûretés spéciales sont utiles à ceux qui n'ont qu'un droit personnel ou de créance: double danger auquel ils sont exposés comme ayant-cause généraux de leur débiteur.
Art. 1001. — 4. Nature du gage commun des créanciers.-5. Conséquence: concours entre eux pour le payement. -6. Renvoi au Code de Procédure civile pour les formes de la saisie et de la vente des biens et pour celles de l'ordre et de la contribution entre les créanciers.
1002. -7. Division principale des sûretés, d'après leur nature, non d'après leur ca'use. —8. Il n'y a pas à poser, en règle, que les sûretés réelles soient préférables aux sûretés personnelles. -9. Classement des sûretés. -10. Le droit de résolution pour inexécution n'est pas une sûreté proprement dite.
COMMENTAIRE.
N° 1. On remarquera, tout d'abord, avec la rubrique ou l'intitulé de ce Livre, qu'il n'y a que les créances ou droits personnels qui comportent des sûretés ou garanties.
En effet, celui qui a un droit réel ou sur une chose, si peu important que soit ce droit, n'a pas besoin d'autre garantie que la faculté du recours à la justice: s'il vient à éprouver quelque trouble dans la possession ou la jouissance de la chose ou dans l'exercice de son droit, soit de la part de celui-là même qui le lui a conféré, soit de la part d'un tiers, il lui suffit de porter la question devant le tribunal compétent; lorsqu'il aura justifié que le droit qu'il prétend avoir lui a été régulièrement conféré, si d'ailleurs il n'est pas prouvé contre lui qu'il ait ensuite perdu ce droit, il en recouvrera le plein et libre exercice.
C'est là même le caractère distinctif du droit réel, à savoir de nous mettre en rapport direct avec une chose (v. art. 3) et de nous autoriser à repousser toute ingérance, tout trouble venant d'autrui. On ne comprendrait donc pas le rôle que pourraient y remplir des garanties: elles n'empêcheraient pas que des tiers, en fait, pussent troubler l'exercice du droit, et elles n'ajouteraient rien aux moyens légaux de faire cesser ce trouble.
2. Cependant, un vendeur de meuble ou d'immeuble, un bailleur, celui qui constitue un droit d'usufruit ou de servitude, peuvent utilement donner une caution, un gage ou une hypothèque, en prévision d'un trouble ou d'une éviction de leur cessionnaire; mais on ne doit pas dire que c'est comme sûreté du droit réel conféré: en réalité, c'est comme sûreté ou garantie éventuelle du droit personnel à une indemnité qui naîtrait pour le cessionnaire du trouble ou de l'éviction qu'il pourrait éprouver.
Cette créance, qui porte déjà le nom de “garantie d'éviction” (a) lorsqu'elle tire sa seule force de la loi et n'est l'objet d'aucunè stipulation ou sûreté particulière, peut être fortifiée par des sûretés ou garanties spéciales; cela n'est pas plus étonnant que de voir, comme on en rencontrera bientôt l'exemple, un cautionnement garanti par un autre cautionnement ou par une hypothèque (v. art. 1007).
La rubrique du présent Livre se trouve donc justifiée.
3. Il faut voir maintenant en quoi la situation d'un créancier est moins bonne que celle du titulaire d'un droit réel et comment des sûretés spéciales peuvent lui être nécessaires ou utiles.
Evidemment, un créancier court le risque de n'être pas payé et, en tout cas, il peut le craindre.
Deux causes peuvent produire ce résultat:
1° Le débiteur peut contracter de nouvelles dettes dont le concours sera nuisible à tous ses créanciers;
2° Il peut aliéner tout ou partie de ses biens.
On peut dire, dans le premier cas, qu'il augmente son passif et, dans le second cas, qu'ils diminue son actif.
Ce double danger résulte du principe d'après lequel les créanciers sont les ayant-cause généraux de leur débiteur: l'article 360 nous a déjà dit que " les créanciers subissent l'effet des obligations consenties sans fraude par leur débiteur."
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(a) On a déjà eu occasion (T. II, n° 334) de signaler les deux sens, en français, du mot garantie: la difficulté n'existe pas en japonais. Pour éviter l'équivoque, nous joignons souvent le mot sûreté à celui de garantie, quand il s'agit du second sens.
Art. 1001. — 4. Le présent article fait l'application spéciale du principe de l'article 360 aux obligations contractées par le débiteur au-delà de ses facultés.
Quand il proclame d'abord, en reproduisant une formule consacrée, que “tous les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers," il ne donne pas au mot gage le sens technique qu'il aura quand il s'agira de la sûreté réelle de ce nom; ici notamment, le débiteur garde la possession de ses biens, ce qui laisse subsister le danger des aliénations faites sans fraude: la loi veut exprimer seulement cette idée simple que la saisie et la vente de tous les biens du débiteur peuvent être opérées par tout créancier, sauf en ce qui concerne les biens insaisissables qui précisément ne sont pas le gage des créanciers (v. art. 30).
5. Le 2e alinéa signale le danger annoncé du concours des créanciers et de la réduction qu'ils subissent dans leur payement.
La loi consacre l'égalité normale des créanciers: en principe, il n'y a pas de préférence des uns sur les autres; il est indifférent que, parmi les créances, les unes aient pour objet de l'argent ou des denrées et les autres des faits ou des abstentions; que les unes soient nées d'un uontrat ou d'une convention et les autres d'un enrichissement indû ou d'un dommage causé injustement (diversité de cause); que les unes soient pures et simples et les autres à terme ou conditionnelles (différence de modalité); enfin, que les unes soient plus anciennes que les autres ou de même date.
Cependant, par exception, il y a des causes de préférence: les unes sont l'effet de la volonté de l'homme (de la convention ou du testament), les autres sont l'effet de la loi. Nous pouvons annoncer, dès à présent, que c'est surtout dans la cause de certaines créances que la loi trouvera une raison de préférence ou de privilége (v. art. 1136, 1142, 1151 et 1191).
6. Le 3e alinéa renvoie naturellement au Code de Procédure civile pour les formes de la saisie et de la vente des biens du débiteur, ainsi que pour la distribution du prix, laquelle se fait de deux manières: par ordre ou par rang de priorité, s'il y a des causes de préférence, et, au cas contraire, par contribution, c'està-dire proportionnellement au montant de chaque créance par rapport aux autres, lorsque l'actif est insuffisant pour satisfaire à toutes.
Le moyen le plus simple d'établir cette proportion est de faire d'abord la somme du passif comparée à celle de l'actif, et quand on aura trouvé le tant pour cent que doivent perdre toutes les créances réunies, par suite de l'insuffisance de l'actif, on réduira chacune séparément, dans la même proportion.
Art. 1002. — 7. La loi énumère maintenant les deux sortes de sûretés ou garanties spéciales que peuvent obtenir les créances.
La distinction qui sert ici de division principale n'est pas tirée de la source ou cause directe des sûretés, c'està-dire de la volonté du débiteur ou de la disposition de la loi: c'est sur chacune, en particulier, qu'on verra quelle est sa cause, et même, pour quelques-unes, on trouvera que les deux causes'réunies sont possibles; la distinction est tirée ici de la nature réelle ou personnelle de la sûreté.
La sûreté est réelle, lorsqu'elle consiste dans l'affectation directe et exclusive d'une chose (res) à l'acquittement d'une obligation déterminée; cette chose peut d'ailleurs appartenir au débiteur lui-même ou à un tiers qui lui rend un bon office.
La sûreté est personnelle, lorsqu'elle résulte, soit de l'engagement accessoire d'un tiers appelé caution, soit d'une modalité aggravant la position de plusieurs co-débiteurs principaux dont l'obligation, au lieu d'être simplement conjointe, devient solidaire, intégrale, ou même indivisible.
8. Il ne faudrait pas affirmer que de ces deux sortes de sûretés l'une vaille nécessairement mieux que l'autre, en règle générale (b): la solution dépendra toujours des circonstances du fait. Sans doute, les sûretés personnelles présentent elles-mêmes le danger de l'insolvabilité du débiteur accessoire comme du débiteur principal, et des débiteurs solidaires comme des débiteurs conjoints, car ceux-ci peuvent de même multiplier leurs engagements et aliéner leurs biens sans fraude; tandis que les sûretés réelles empêchent l'aliénation, comme le gage, ou suivent le bien dans les mains des tiers, comme l'hypothèque. Mais ces mêmes sûretés peuvent, à leur tour, devenir insuffisantes par la dépréciation ou la perte fortuite des choses, et, dans ces cas, le débiteur n'est pas tenu de fournir une nouvelle sûreté (c). C'est donc au créancier, au moment où il traite, à mettre en balance les risques qu'il court et les avantages qu'il attend du contrat.
C'est parce qu'il n'est pas possible d'affirmer que les sûretés réelles valent mieux par elles-mêmes que les sûretés personnelles que l'articlé 1016 nous dira que les unes ne peuvent être substituées aux autres sans l'accord des parties ou l'autorisation du tribunal.
9. Chacune des deux sortes de garanties formera l'objet d'une Partie distincte de ce Livre.
Comme il est bon, lorsqu'on a une longue route à parcourir, d'en connaître d'avance l'étendue et les diverses étapes, le présent article donne immédiatement l'énumération des unes et des autres, lesquelles, seront l'objet d'autant de Chapitres.
Pour les sûretés personnelles, on commence par la plus faible, afin d'en accentuer la progression.
En ce qui concerne les sûretés réelles, on peut dire que la première, le droit de rétention, en est aussi la plus faible; quant aux autres, elles sont plutôt différentes que véritablement progressives.
10. Il est un droit des créanciers qu'on pourrait s'attendre à rencontrer ici, car il s'exerce, en général, comme une garantie, en cas d'insolvabilité du débiteur, et sa conservation est quelquefois'"soumise à la même publicité que le privilége, par exemple pour l'aliénateur: c'est le droit de demander la résolution pour inexécution des obligations; mais ce serait se méprendre sur sa nature intime que d'y voir une sûreté ou garantie, dans le sens qui nous occupe: loin de garantir l'exécution d'une obligation conventionnelle, le droit de résolution tend, au contraire, à anéantir la convention et à remettre les parties dans leur situation respective antérieure.
Il a été déjà traité de la résolution, d'une façon générale, au sujet des contrats synallagmatiques (art. 441 et suiv.); on en a rencontré plusieurs applications aux contrats spéciaux, objets du Livre III3, notamment à la vente, où elle comportait quelques développements (v. art. 720 et s.); enfin, on la retrouvera à l'occasion de la publicité à laquelle elle est soumise pour être opposable aux tiers (art. 1188), et à l'occasion de la purge et de la vente aux enchères (v. art. 1276 lis, 1278 bis et 1290 bis).
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(b) Les Romains disaient pourtant: " il y a plus de garantie dans une chose que dans une personne," plus est cautionis in re qvàm in persond.
(c) Sous ce rapport, le Projet s'écarte du Code français (comp. C. civ. fr., art. 2131 et Proj. jap. art. 1207).
SOMMAIRE.
Art. 1003. — N° 11. Trois causes de cautionnement: la convention, l'ordre de la loi, celui de la justice. —12.Promesse de fournir caution. -13. Renvoi à un Appendice pour les règles spéciales au cautionnement légal et au cautionnement judiciaire.
COMMENTAIRE.
Art. 1003. — N° 11. Cet article annonce qu'il y a trois espèces de cautionnements, au point de vue de leur cause: la volonté du débiteur (évidemment acceptée par le créancier), l'ordre de la loi et celui de la justice.
Il faut remarquer immédiatement qu'il n'y a pas encore cautionnement volontaire, à proprement parler, lorsque le débiteur et le créancier sont convenus que cette sûreté serait fournie, pas plus qu'il n'y a cautionnement lorsque la loi ou la justice l'ordonnent: il n'y aura cautionnement véritable que lorsqu'tm tiers se sera engagé comme caution ou débiteur accessoire visà-vis du créancier: l'article suivant nous dira que c'est là le contrat de cautionnement (a)
12. Lorsque le débiteur promet de fournir une caution comme garantie d'une dette, c'est ordinairement par une clause du contrat principal et c'en est alors une condition; plus rarement, c'est par une convention postérieure et spéciale, parce que le débiteur n'a plus le même intérêt à donner cet avantage au créancier, à moins que ce ne soit pour prévenir des poursuites ou obtenir une prorogation de terme: la convention est alors un contrat innommé, car la promesse de fournir une caution n'a pas de nom consacré par la loi.
Ce contrat innommé est unilatéral, car le débiteur seul s'y oblige; mais il est onéreux, si le créancier fait en compensation quelque sacrifice pour obtenir cette sûreté, par exemple, s'il donne un nouveau délai ou renonce à tout ou partie des intérêts déjà échus ou à échoir.
L'article 1015 prévoit le cas où un débiteur s'est engagé à fournir une caution: il s'applique aussi bien au cas où cette promesse est l'objet d'une convention spéciale et innommée qu'à celui où cette promesse est une clause du contrat principal.
13. Les règles des trois espèces de cautionnements, volontaire, légal et judiciaire, sont généralement les mêmes, il n'y a donc pas à faire de ses trois causes, l'objet de subdivisions, quand les effets en sont semblables; mais comme il y a quelques dispositions propres aux deux cautionnements non volontaires, elles seront l'objet d'un Appendice à ce Chapitre: c'est un procédé qu'on a déjà employé aux deux précédents Livres (b).
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(à) Le mot cautionnement s'emploie encore pour désigner le dépôt d'une somme d'argent ou autre valeur en garantie d'une obligation certaine ou éventuelle; c'est alors une sorte de gage mobilier; il en est fait mention dans quelques dispositions du présent Code (v. art. 80, 1167, 1168).
Quant à l'étymologie du mot cautionnement, elle est latine: cavere, cautum, " prendre garde, garantir."
(b) Voir au Tome 1er, sous l'article 116, une note sur ces Appendices.
SOMMAIRE.
Art. 1004. — N° 14. Caractères généraux du contrat de cautionnemeut. —15. Objet de l'engagement de la caution. -16. Indemnité pour inexécution par le débiteur.
1005. -17. Cautionnement, nul comme tel, valant comme novation. -18. Promesse d'une clause pénale par la caution.
1006. -19. Promesse excessive ou trop onéreuse de la caution, réduite aux limites de l'obligation principale.
1007. -20. Validité des sûretés spéciales fournies par la caution quand le débiteur n'en a pas fourni. -21. Voies d'exécution différentes pour la caution et pour le débiteur; obligation civile, obligation naturelle. - 22.Sous-caution ou certificateur de caution.
1008. -23. Cautionnement limité. —24, Cautionnement indéfini.
1009. -25. Cautionnement civil d'une obligation annulable et d'une obligation naturelle, en général.
1010. —26. Cautionnement d'une dette future. -27. Le cautionnement dont le montant est incertain est valable et n'est pas indéfini.
1011. -28. La caution peut être mandataire ou gérant d'affaires du débiteur, et même l'avoir cautionné malgré lui: renvoi à l'article 1030.
1012. -29. Nécessité chez la caution de la capacité absolue et relative de s'obliger gratuitement.
1013. -30. Difficulté sur l'article 2015 du Code français qui exige que le cautionnement soit exprès. -31. Pourquoi le Projet se contente de sa clarté: conséquences.
1014. -32. Tradition législative sur la transmissibilité aux héritiers de l'engagement de la caution. -33. Autre motif de la formuler ici.
1015. -34. Conditions requises chez la caution quand elle a été promise. -35. 1° Solvabilité actuelle et ultérieure. —36. 2° Domicile. -37. Stipulation d'une caution déterminée.
1016. -38. Remplacement du cautionnement promis par une sûreté réelle.
1017. -39. Aval ou garantie dse effets de commerce. -40. Exposé sommaire de l'utilité de la commission commerciale. -41. Double droit de commission, comme prix de la garantie fournie par le commissionnaire.
COMMENTAIRE.
Art. 1004. — N° 14. Il s'agit ici du véritable contrat de cautionnement, et ce qui prouve qu'il n'a rien de commun avec la promesse de cautionnement faite par le débiteur et dont il est parlé plus haut, c'est que celui-ci n'y figure pas. Sans doute, il pourra arriver que le garant, la caution, intervienne en cette qualité à l'acte principal même, conjointement avec le débiteur, mais il y aura moins là une clause de ce contrat principal qu'un contrat distinct au fond, quoique non séparé en la forme; ce sera un contrat accessoire assurément, mais il ne serait pas moins accessoire s'il intervenait après un certain intervalle de temps (ex intervallo) car il ne peut exister sans un autre (v. art. 323).
Le contrat de cautionnement est unilatéral, parce qu'il n'oblige que la caution; il est gratuit ou onéreux, suivant le caractère du contrat principal auquel il se rattache. Sans doute, la caution, en s'engageant pour le débiteur, ne reçoit rien du créancier, en compensation de l'engagement qu'elle prend envers lui; mais si celui-ci a fourni au débiteur une contre-valeur pour obtenir l'engagement principal, le cautionnement, qui en est l'accessoire et la condition, n'est pas reçu gratuitement. C'est à l'égard du débiteur que la caution remplit un bon office et fait un acte de bienfaisance, comme mandataire ou gérant d'affaires; ce point sera repris avec les articles 1011 et 1012.
Il va sans dire que le contrat de cautionnement est consensuel, et cela en deux sens, c'est-à-dire non réel et non solennel (v. art. 320 et 321).
15. La définition du cautionnement, donnée par notre article, n'est pas tout-à-fait celle de l'article 2011 du Code français, d'après lequel l'engagement de la caution serait toujours conditionnel: à savoir, " si le débiteur ne satisfait pas lui-même à son obligation." Cette formule, prise à la lettre, semblerait dire que la caution ne peut être poursuivie que si toutes les voies de droit ont été épuisées, sans succès, pour contraindre le débiteur au payement. D'un autre côté, il est dit ailleurs que le créancier peut poursuivre la caution avant le débiteur, et ce n'est que par exception et sous des conditions très gênantes que la caution peut renvoyer le créancier à discuter préalablement les biens du débiteur principal (art. 2022 à 2024).
Pour concilier avec ces articles la définition du cautionnement donnée par l'article 2011, on a proposé plusieurs explications qu'il n'est pas utile de présenter et d'apprécier ici.
Le présent article ne donnera pas lieu à la même difficulté: la caution n'est tenue d'acquitter la dette 19 qu'à défaut d'exécution par- le débiteur," ce qui indique, assez que son obligation n'est pas pure et simple mais conditionnelle et subsidiaire.
Mais à quel moment précis pourra-t-elle être poursuivie ? Suffira-t-il que le créancier ait, préalablement et sans succès, sommé le débiteur de payer ? Faudra-til qu'il ait commencé et poussé, plus ou moins loin, dès poursuites contre le débiteur ?
Ce sont là des questions qui seront résolues plus loin, au moyen de certaines distinctions. Ce qui importait, c'était que la loi ne se mît pas ici en opposition avec ce qu'elle établira plus loin au sujet de la discussion des biens du débiteur.
16. La caution ne s'engage pas seulement à exécuter la dette principale, suivant sa forme et teneur, à défaut du débiteur: elle doit aussi indemniser le créancier de l'inexécution, lorsque celle-ci est imputable à la faute du débiteur. En effet, il peut s'agir d'une obligation de faire, dans laquelle la personne même du débiteur a été prise en considération exclusive, et la caution ne serait pas reçue à l'exécuter elle-même; mais alors elle doit l'indemnité dont le débiteur en faute est tenu.
Il n'était pas inutile de l'exprimer, et c'est une lacune qui peut embarrasser dans le Code français, en présence de l'article 2015 qui ne permet pas " d'étendre le cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été, contracté" et de l'article 2016, qui, même au cas de cautionnement indéfini, n'étend la responsabilité de la caution qu'aux accessoires de la dette.
D'ailleurs, l'article 1008, ci-après, reproduisant à peu près l'article 2016 du Code français, il était nécessaire aussi, dans le Projet, de dire que la caution est tenue de l'indemnité d'inexécution.
Art. 1005. — 17. Cette disposition est une conséquence de la définition légale du cautionnement: du moment que la caution s'engage à acquitter telle dette du débiteur, elle ne peut en acquitter une autre.
Ce n'est pas à dire pourtant qu'une pareille promesse serait nécessairement et toujours sans effet: elle pourrait valoir comme novation; la novation serait alors double: par changement de débiteur et par changement d'objet dû. C'est pourquoi le texte déclare que le cautionnement ayant un objet autre que celui de l'obligation principale est nul " comme tel;" ce qui laisse aux tribunaux le pouvoir d'apprécier s'il y a ou non novation; or, la novation n'ayant pas besoin d'être expresse, mais seulement " claire" (v. art. 514 et 519), et les conventions devant s'interpréter de la manière qui leur donne un effet plutôt que de celle qui ne leur en donne aucun (v. art. 378), il est naturel que cette promesse d'un autre objet soit considérée comme ayant fait novation.
Mais alors la situation sera bien différente, car le débiteur primitif sera libéré, ou, s'il reste tenu, ce ne sera plus que subsidiairement, à son tour, comme garant d'une délégation (v. art. 520).
Bien entendu, pour que ce cautionnement improprement dit opère novation, il faut qu'il intervienne après que l'obligation principale a été formée, car il serait impossible de no ver celle-ci au moment même où elle prend naissance.
18. La disposition qui défend à la caution de promettre en cette qualité, " comme telle," un autre objet que celui de la dette principale reçoit une exception facile à justifier.
Comme la caution, en promettant l'exécution de la dette principale, s'oblige implicitement aux dommagesintérêts résultant de l'inexécution (art. 1004), il est naturel qu'elle puisse promettre d'avance une somme d'argent considérée comme l'estimation desdits dommages-intérêts et formant une clause pénale en vue de cette inexécution.
Art. 1006. — 19. Ici, il ne s'agit plus d'un objet du cautionnement différant par sa nature de celui de l'obligation principale, mais d'un caractère plus onéreux de l'obligation accessoire. Par exemple, la somme promise par la caution est plus forte que celle promise par le débiteur; ou sa promesse est pure et simple, quand celle du débiteur n'est qu'à terme ou sous condition; ou bien le terme est plus court pour la caution que pour le débiteur; de même, dans une obligation alternative où le choix était laissé au débiteur, la caution l'a laissé au créancier. On pourrait facilement multiplier de pareils exemples.
Dans ces cas, le cautionnement n'est pas nul: comme il est facile de le ramener aux limites et modalités permises, sans en changer l'objet, cette opération aura lieu; tandis que, dans le cas de l'article précédent, il n'était pas possible de substituer l'objet permis à l'objet défendu.
Art. 1007. — 20. Le présent article a pour but de prévenir une exagération de la prohibition précédente. Les sûretés fournies pour la garantie du cautionnement ne doivent pas être considérées comme une aggravation de l'engagement de la caution; sans doute, on peut dire, au sujet de l'imputation des payements, que le débiteur a plus d'intérêt à acquitter une dette pour laquelle ses biens sont grevés de gage ou d'hypothèque qu'une dette simplement chirographaire (v. art. 493-3°); mais une caution n'agirait pas de bonne foi si elle contestait l'exercice sur ses biens d'une sûreté qu'elle a conférée: ce serait faire soupçonner qu'elle cherche à se soustraire à son obligation.
21. On ne doit pas non plus voir une aggravation de l'engagement de la caution dans la circonstanee qu'elle est soumise à des voies d'exécution plus rapides et même plus rigoureuses que celles auxquelles est soumis le débiteur.
Autrefois, en France, lorsqu'existait la contrainte par corps ou emprisonnement pour dettes (l'abolition n'en date que de 1867), on aurait eu l'exemple frappant d'une caution contraignable par corps, alors que le débiteur principal ne l'aurait pas été, par le privilége de son sexe, de son âge ou de sa parenté avec le créancier. Aujourd'hui que cet exemple ne peut être donné, même au Japon, nous ne pouvons guère citer comme voie d'exécution, sinon plus rigoureuse au moins plus rapide, que le titre authentique auquel la force exécutoire est attachée, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir j ugement: ainsi la caution pourrait être tenue par un acte authentique, quand le débiteur ne le serait que par un acte sous seing privé.
L'article 1009 donne un autre exemple plus frappant encore de caution tenue plus rigoureusement que le débiteur, quant aux voies d'exécution, c'est celui où elle a cautionné civilement une obligation naturelle du débiteur principal: celui-ci payera s'il le veut et quand il lui conviendra, sans qu'on puisse jamais l'y contraindre; la caution est tenue par toutes les voies de droit (v. art. 586 et 588).
22. La caution qui peut donner des sûretés réelles de son engagement, quand le débiteur n'en a pas donné pour le sien, peut aussi donner des sûretés personnelles; par exemple, une sous-caution, appelée dans l'usage et par notre article certificateur de caution" (v. C. proc. civ. fr., art. 135-5°).
Du reste, ce n'est que par occasion que la loi le dit (2e al.), car ici, il n'y a plus à craindre l'objection que la caution serait dans une condition plus onéreuse que le débiteur principal, puisque celui-ci a, lui-même et le premier, fourni une caution.
Art. 1008. — 23. La loi fait ici une différence entre le cautionnement limité ou défini et le cautionnement indéfini.
Dans le premier cas, la caution est supposée avoir exprimé d'une façon limitative et déterminée la chose, l'objet, la somme ou quantité dont elle entendait garantir la prestation; son obligation ne pourra pas s'étendre: elle ne comprendra ni les fruits, ni les intérêts de la chose due, et pas même les frais faits contre le débiteur, à moins que la caution ne requière la discussion des biens de celui-ci, comme il sera expliqué ultérieurement.
Rappelons, à ce sujet, ce qui est dit par l'article 1004, que la caution est toujours tenue de l'indemnité d'inexécution, laquelle n'est pas une extension de l'obligation, mais en est la réalisation transformée.
24. Dans le second cas, la caution a exprimé qu'elle garantissait telle dette du débiteur, sans restriction ni limites; dès lors, son engagement recevra l'extension légitime ou aura les conséquences légales que peut avoir celui du débiteur. Sans doute, la dette de celui-ci sera elle-même déterminée dans son objet ou dans son chiffre (elle ne serait pas valable saris eela, d'après l'article 3252°), mais elle peut s'augmenter de fruits, d'intérêts, de dommages-intérêts, de frais judiciaires; or, la caution, en ne limitant pas sa garantie de la dette principale, est réputée avoir entendu garantir ces accessoires.
Remarquons seulement, sur les frais de justice, que la caution n'est tenue que de ceux qui ont été faits depuis qu'elle en a été informée, afin qu'elle puisse les faire cesser en payant; la première demande seule est supportée par elle, lors même qu'elle n'en aurait pas été informée, parce qu'il est naturel, sinon toujours obligatoire, que le créancier. poursuive le débiteur avant la caution.
Art. 1009. — 25. Le principe posé par le 1er alinéa ne peut faire de difficulté; mais il est bon qu'il soit inscrit dans la loi pour que la théorie du cautionnement y soit complète, il serait d'ailleurs singulier que le 2e alinéa ne fût pas précédé du principe qu'il a pour but de dépasser.
On aurait pu douter que le cautionnement de la dette d'un incapable restât valable après l'annulation en justice de cette dette; mais la caution a connu l'incapacité du débiteur principal: elle doit être considérée comme ayant reconnu, dans les circonstances du fait, les causes légitimes d'une obligation valable, malgré la présomption contraire de la loi, pour les cas généraux. C'est, en somme, une obligation naturelle qu'elle a cautionnée civilement.
La loi consacre ce cas spécialement, parce qu'il sera certainement le plus fréquent, au Japon comme en France; c'est aussi le seul prévu par le Code français (art. 2012); mais pour qu'on ne puisse douter, comme on doute en France, que les autres cas d'obligation naturelle peuvent être cautionnés également, la loi a soin de l'exprimer par un renvoi aux articles 588 et suivants, où le principe est posé et appliqué plus largement.;
Bien entendu, quand la loi exige que la caution ait connu l'incapacité du débiteur principal, c'est au moment où le cautionnement a été donné par la caution. que cette connaissance est nécessaire: si elle n'était survenue que plus tard, le cautionnement, annulable dès le. principe, comme l'obligation de l'incapable luimême, resterait tel et tomberait avec la nullité de celleci une fois prononcée en justice.
La loi assimile au cas où la caution a connu l'incapacité du débiteur celui où elle a dû la connaître; en effet, la caution ne serait pas recevable à invoquer l'ignorance d'une incapacité légale, lorsqu'il n'y aurait eu aucune manœuvre frauduleuse pour la lui dissimuler (1).
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(1) Cette extension du texte est nouvelle.
Art. 1010. — 26. On a déjà vu à l'article 342 que les choses futures peuvent être l'objet d'une obligation. Cet article ne doit pas être restreint aux obligations principales et on nous dit ici qu'il s'applique de même aux obligations accessoires.
L'application de notre article aura lieu lorsque le créancier, manquant de confiance envers le débiteur, aura subordonné au cautionnement d'un tiers son consentement à un prêt ou à une vente. Dans ce cas, il pourra arriver que la caution soit forcée, par les circonstances, d'envoyer son engagement avant que la dette principale soit contractée: c'est un cautionnement conditionnel et cette condition est potestative de la part du créancier ou du débiteur, car l'un ou l'autre pourrait refuser de contracter.
27. Il peut arriver que le montant de la dette soit incertain au moment du cautionnement: par exemple, pour un prêt ayant le caractère d'ouverture de crédit ou pour une vente de marchandises dont le prix variera avec le cours commercial; cette incertitude ne serait pas un obstacle au cautionnement: du moment que l'objet de la dette principale sera assez déterminé pour remplir la condition prescrite par l'article 3250_20, il le sera également assez pour la validité du cautionnement.
Et remarquons que cette incertitude du montant du cautionnement ne lui donnerait pas le caractère indéfini: il resterait toujours limité, dans le sens de l'article 1008 (v. ci-dess., nos 23 et 24).
Art. 1011. — 28. C'est remplir un bon office envers le débiteur principal que de le cautionner, puisque c'est lui faire trouver près du créancier un crédit que, sans cela, il n'y trouverait pas.
Le plus souvent, c'est sur la demande du débiteur que ce bon office lui est rendu; il y a alors mandat de sa part, de sorte que toute l'opération se décompose en trois contrats: le contrat principal entre le débiteur et le créancier (vente, louage, prêt, etc'.,), le mandat du débiteur à la caution, enfin le contrat de cautionnement entre la caution et le créancier.
C'est généralement le mandat qui sera le premier contrat, parce que le débiteur aura dû s'assurer d'abord du garant à fournir, lorsqu'il savait que le créancier exigerait une caution.
On n'a pas à revenir ici sur les caractères du mandat: ce contrat a été longuement expliqué au Chapitre xx du Livre précédent.
Quelquefois, la caution, sans avoir reçu mandat du débiteur, s'engagera pour lui et à son insû; le bon office aura ainsi d'autant plus de mérite qu'il sera spontané; les rapports de la caution avec le créancier n'en seront pas modifiés, mais ceux de la caution avec le débiteur seront réglés par les principes de la gestion d'affaires (v. art. 382 et 383).
Enfin, il peut arriver que la caution se soit engagée comme telle envers le créancier malgré la volonté contraire du débiteur; par exemple, un parent du débiteur, voulant lui épargner des poursuites rigoureuses, aura, contrairement à sa volonté, donné sa signature en garantie au créancier; peut-être même il l'aura fait pour l'honneur du nom de la famille. Cette intervention de la caution peut encore être qualifiée de gestion d'affaires, quoique ce ne soit pas dans les traditions doctrinales (v. T. II, n° 252); mais elle présentera toujours une différence avec le cas précédent, quant au recours de la caution en cas de payement. On s'y arrêtera à la Section n (v. art. 1030).
Art. 1012. — 29. Comme conséquence de ce caractère de mandat ou de gestion d'affaires que présente le cautionnement, la loi exige chez la caution la capacité de s'obliger à titre gratuit.
Sans doute, comme on l'a observé plus haut (n° 14), la caution, dans ses rapports avec le créancier, est considérée comme reçue à titre onéreux, si le contrat auquel elle a accédé a ce caractère; mais dans ses rapports avec le débiteur, elle est presque toujours fournie gratuitement (a); de là résulte une distinction présentée par le texte: si l'incapacité de s'obliger gratuitement est générale ou absolue chez la caution, le créancier a dû la connaître ou est en faute de ne pas l'avoir connue; elle lui sera donc opposée comme fin de nonrecevoir à ses poursuites; si l'incapacité n'est que relative au débiteur, étant fondée sur des rapports particuliers assez rares dans la loi, alors elle ne sera opposée au créancier que s'il l'a effectivement connue.
Cette distinction entre l'incapacité absolue de donner et l'incapacité relative de donner et de recevoir n'aura peut-être que cette seule application dans la loi, mais elle est commandée par la singularité même du cautionnement qui est à titre gratuit pour celui qui le donne et à titre onéreux pour celui qui le reçoit.
On reviendra sur cette distinction avec quelques détails, sous l'article 1217, au sujet de l'hypothèque fournie par un tiers, ou cautionnement réel.
Le Code français est tout-à-fait insuffisant dans l'énoncé de la condition dec capacité, car il n'exige que celle " de s'obliger "* (art. 2018), laquelle va de soi.
Ce qui précède s'applique naturellement au cautionnement civil ou ordinaire. Mais il y a deux espèces de cautionnements propres aux affaires commerciales, dont l'un au moins n'a pas le caractère gratuit. L'article 1017 renvoie au Code de commerce pour les particularités qui les concernent; toutefois, on les exposera sommairement sous cet article.
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(a) La caution n'intervient pas toujours gratuitement à l'égard du débiteur: elle peut ne s'être engagée envers le créancier qu'en recevant du débiteur quelque avantage, comme sa libération d'une dette envers lui; cela, du reste, ne la privera pas de son recours, au cas où elle payera, conformément aux articles 1030 et 1037 (camp. art. 1217 et n° 439).
Art. 1013. — 30. Le Code français (art. 2015) a une disposition qui, au premier abord, paraît simple et raisonnable, à savoir que " le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès; " mais, en réalité, elle n'est pas sans difficulté et on peut en contester l'équité.
S'il s'agissait de savoir, dans un cas douteux, si quelqu'un est obligé ou non, on déciderait certainement que l'obligation ne se présume pas; il y aurait peutêtre exagération à exiger que l'obligation soit expresse, mais, législativement, ce ne serait pas inadmissible. Ici, il s'agit de savoir si, dans le doute, un engagement, clair en lui-même, est un cautionnement ou non. Si on décide que ce n'est pas un cautionnement, c'est donc une obligation principale: par exemple, une novation par changement de débiteur ou une obligation solidaire. Or, du moment qu'on exigera que le cautionnement soit exprès, on arrivera, au cas où cette condition ne sera pas remplie, à un résultat déraisonnable ou inique: déraisonnable, si on dit que l'engagement est entièrement nul, car il vaut mieux interpréter les actes de la manière qui leur donne un effet, que de celle qui ne leur en donne aucun (v. art. 378), inique si, en donnant effet à l'acte, on rend la position de l'engagé plus mauvaise que s'il était simplement caution; et c'est ce qui arrive nécessairement, puisque le nouvel engagé ne peut, dès lors, être moins que codébiteur solidaire du débiteur principal ou tenu en son lieu et place comme ayant fait novation.
31. On admet donc, dans le Projet, qu'il suffit que l'intention de cautionner " résulte clairement des circonstances; " or, c'est seulement lorsque cette condition ne sera pas remplie que l'acte ne produira pas d'effet, pas plus d'ailleurs que n'en produirait, en pareil cas, un acte qui serait invoqué comme contenant un engagement principal.
Pour qu'il n'y ait pas abus dans cette plus facile admissibilité du cautionnement, la loi ne permet pas de voir un cautionnement dans " le seul fait d'avoir recommandé un contractant à l'autre ou d'avoir affirmé sa solvabilité présente ou future." Ce sont là des formules de bienveillance pour la personne recommandée, ou d'encouragement pour celui à qui on l'adresse, mais sans intention aucune de se porter garant de l'obligation. Toutefois, d'après les prinèipes généraux, une pareille recommandation ou déclaration entraînerait une responsabilité plus ou moins étendue si elle était faite par dol.
Le Projet a dû prévoir aussi le cas où le nouvel engagement était assez clair pour qu'on dût lui donner effet, mais pas assez pour qu'on pût savoir s'il constituait un cautionnement ou bien une novation ou un engagement solidaire, et il décide, d'après un principe général d'interprétation (v. art. 380), que l'on devra y voir un cautionnement, comme moins onéreux au promettant.
Art. 1014. — 32. La disposition de cet article est encore une de celles qui pourraient être suppléées par l'effet des principes généraux; car, lorsqu'il n'y a pas de raison particulière pour que les effets d'un contrat cessent avec la vie des contractants, ces effets se produisent pour et contre leurs héritiers; il faut même, pour que les exceptions soient admises, qu'elles soient écrites dans la loi ou résultent de la convention, expressément ou tacitement (v. art. 358).
Mais d'abord, il est de tradition que le principe général de la transmissibilité passive de l'obligation soit formellement déclaré applicable à la caution: on le trouve dans le Code français (art. 2007); il était proclamé déjà par 'les anciens interprètes du droit cotitumier français, lesquels l'avaient eux-mêmes emprunté aux Romains, et chez ceux-ci il était utile de dire que les cautions ordinaires (fidejusnores) obligeraient leurs héritiers, parce que d'autres cautions, plus spéciales (sponsor es), ne les obligeaient pas.
33. Cependant l'origine, aujourd'hui bien lointaine, de cette tradition législative ne suffirait pas pour la continuer au Japon, s'il n'y avait, au moins en apparence, une raison de douter de la transmissibilité passive et même active du cautionnement. On a vu plus haut que la caution est, le plus souvent, mandataire du débiteur principal; or, le mandat, étant fondé sur un sentiment de considération et de bienveillance réciproques des parties, cesse par la mort du mandant et par celle du mandataire (v. art. 947-3°); on aurait donc pu croire un instant que la caution, comme mandataire, n'obligeait pas ses héritiers.
Mais ce serait, en réalité, se méprendre gravement sur la situation créée par le cautionnement; sans doute, si la personne qui a consenti à se porter caution du débiteur vient à mourir avant de s'être engagée comme telle envers le créancier, elle n'a pas obligé ses hétitiers à prendre ledit engagement: elle n'est encore que mandataire du débiteur principal et le principe de non transmissibilité du mandat lui est encore applicable.
Il en serait de même en cas de mort du débiteur avant que la caution se fût engagée: elle ne serait pas tenue vis-à-vis des héritiers du débiteur d'accomplir son mandat.
Mais, du moment qu'en exécution du mandat, le cautionnement est souscrit, il y a là un nouveau lien pour la caution, et ce lien, n'ayant pas le caractère d'un bon office vis-à-vis du créancier, ne peut cesser par la mort de la caution.
Quant à la mort du créancier, il ne serait pas possible de douter qu'elle fût sans influence sur le cautionne. ment, puisque le créancier n'est pas mandant; mais, pour que la loi ait plus d'harmonie et aussi pour que l'omission d'un cas sur deux ne fasse pas elle-même naître un doute, le texte se prononce de la même manière sur les deux décès.
Art. 1015. — 34. Cet article suppose le cas annoncé au n° 12: le débiteur ne pouvant encore fournir une caution au moment où s'est formé le contrat principal, alors pourtant que le créancier en faisait une condition de ce contrat, a promis de la fournir ultérieurement.
S'il s'agissait d'une caution fournie au moment même du contrat principal, le présent article ne s'appliquerait pas: le créancier serait considéré comme ayant accepté la caution dans les conditions où elle se trouvait; sans doute, sa solvabilité lui aurait parue suffisante; son domicile, éloigné ou non, ne l'aurait pas préoccupé; elle pourrait aussi devenir insolvable sans qu'il eût le droit d'en demander une autre.
Mais il n'en est plus de même lorsque le débiteur a promis de fournir une caution et lorsque le contrat principal a été conclu avant que le créancier en eût accepté une: il y a lieu, dans ce cas, de pourvoir à son intérêt comme aussi de prévenir trop d'exigences de sa part. Deux conditions suffisent mais sont nécessaires.
35. 1° Il faut que la caution présentée en vertu de la convention soit " notoirement solvable." La loi n'exige pas, comme le Code français (art. 2019), que la caution ait des propriétés foncières; elle se contente même, à défaut de la notoriété, de ce que la solvabilité soit " facile à établir," car la notoriété est un fait indépendant de la caution: elle peut être nouvellement domiciliée dans la localité ou vivre très retirée; on suppléera donc à la notoriété par des preuves évidentes.
Le Code français (ibid.) excepte de sa condition rigoureuse les dettes commerciales et les dettes modiques; le Projet, n'adoptant pas un point de départ aussi rigoureux, n'a pas à formuler les mêmes exceptions: en cas de contestation, c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de décider si la solvabilité de la caution est suffisante, et ce n'est pas compliquer la situation, car, même avec le Code français, il faudra que les tribunaux interviennent, s'il y a désaccord entre les parties sur la solvabilité de la caution.
Si la caution ainsi fournie devient insolvable, le débiteur doit en fournir une autre.
La disposition semblable du Code français (art. 2020) est conçue dans des termes assez généraux pour qu'on puisse soutenir qu'elle s'applique dans tous les cas, même lorsque la caution a été fournie au moment de la formation du contrat principal. Nous hésiterions beaucoup à admettre cette interprétation.; nous sommes. porté à croire que le Code est resté dans l'ordre d'idées qui commence avec l'article 2018 et qui est celui où nous sommes ici (v. aussi n° 37, ci-après, in fine).
Quoi qu'il en soit du Code français, le Projet ne laissera aucun doute sur le caractère exceptionnel de ce supplément de cautionnement, au cas d'insolvabilité survenue.
36. 2° Il faut que la caution ait ou élise un domicile dans le ressort de la cour d'appel où le payement doit être fait; cette condition a pour but de ne pas rendre les poursuites trop difficiles au créancier; c'est aussi unmoyen pour lui de se tenir plus facilement au courant de l'état de solvabilité de la caution. Il va de soi que cette obligation de domicile est permanente et que si la caution change de domicile réel ou élu, le nouveau domicile doit remplir la même condition de lieu.
37. Les règles qui précèdent sont écrites pour le cas où le créancier a stipulé qu'il lui serait fourni une caution, sans la désigner davantage; mais s'il a stipulé l'engagement d'une personne déterminée, alors on se trouve dans le même cas que si, au moment de la signature du contrat principal, il avait accepté cette même personne: il ne peut ni discuter, ni critiquer la solvabilité actuelle de la caution qu'il a obtenue suivant son désir; il ne pourra se plaindre si l'insolvabilité survient; enfin, quelque éloigné que soit le domicile de cette caution, ou si elle vient à en changer, il n'a pas lieu de réclamer: les conventions sont la loi des parties.
Cette distinction qui se trouve aussi dans le Code français (art. 2020, 2e al.) nous fournit un nouvel argument pour soutenir que l'obligation de fournir une caution supplémentaire, au cas d'insolvabilité survenue chez la première, ne s'applique pas quand il s'agit d'une caution reçue au moment même de la formation du contrat principal: dans les deux cas, le créancier a accepté le risque.
Le présent article est formellement écrit pour le cas où la caution est due en vertu d'une convention; mais, dans l'Appendice, il sera déclaré applicable au cautionnement ordonné par la loi ou par jugement (voy. art. 1047).
Art. 1016. — 38. Il peut arriver que le débiteur soit peu connu et ne trouve personne pour le cautionner, ou que sa position pécuniaire n'encourage pas ses amis à le cautionner; il est naturel alors qu'il puisse suppléer au cautionnement en donnant une sûreté réelle, c'est-à-dire un nantissement mobilier ou immobilier ou une hypothèque, ou même, et à plus forte raison, en faisant un dépôt d'argent aux mains du créancier ou d'un tiers agréé par celui-ci; le tout, sous l'approbation du tribunal, en cas de désaccord.
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit au n° 8, in fine, que c'est là une preuve qu'aux yeux de la loi les sûretés réelles ne sont pas nécessairement supérieures aux sûretés personnelles.
On pourrait décider, de même que, si un débiteur avait promis de fournir une sûreté réelle et ne pouvait y réussir, il ne pourrait être admis à la remplacer par un cautionnement qu'avec l'autorisation du tribunal.
La loi a soin de se référer à l'article précédent, c'està-dire au cas où le débiteur a promis de fournir caution: autrement, c'est au créancier à voir, au moment où il contracte, s'il lui convient de recevoir une sûreté réelle et laquelle est suffisante.
Art. 1017. — 39. L'aval (b) est un cautionnement propre aux,lettres de change, aux billets à ordre et aux autres effets de commerce négociables par endossement. En France, il n'en est question que dans le Code de Commerce et pour ces sortes d'obligations (v. art. 141, 142 et 187).
Ce qui est à remarquer, c'est que le donneur d'aval est tenu solidairement avec les débiteurs principaux.
Le Code de Commerce japonais s'expliquera sur cette garantie particulière.
40. La garantie due par les commissionnaires est l'objet d'un pareil renvoi; mais il est bon cependant d'en donner ici une idée sommaire.
Déjà, au Tome IIIe (n° 746), à l'occasion du Mandat, on a indiqué le caractère distinctif de la Commission commerciale, et l'on a dit que le commissionnaire agit en une double qualité: dans ses rapports avec son commettant ou mandant, il est un mandataire ordinaire; s'il vend ou achète, prête ou emprunte, il doit communiquer au commettant tous les droits et avantages de l'opération, comme aussi il se décharge sur lui des conséquences onéreuses de l'acte; mais dans les actes de vente ou d'achat, de prêt ou d'emprunt qu'il a passés avec les tiers, en exécution de son mandat, il a agi en son propre nom, comme pour son compte et sans nommer son mandant ou commettant; en conséquence, c'est lui qui a l'action ou qui la subit, à raison desdits actes, sauf les comptes respectifs entre lui et le commettant, comme il est dit ci-dessus (c).
Ce n'est pas ici le lieu de développer les raisons pratiques qui ont fait adopter cette manière de procéder en matière commerciale; disons seulement que, bien qu'elle paraisse 'plus compliquée que le mandat civil, elle a le grand avantage de favoriser la conclusion d'affaires nombreuses et importantes auxquelles le mandat ordinaire ne se prêterait pas.
Lorsqu'une personne est commissionnaire par profession et avantageusement connue dans une ville de commerce, soit pour certaines denrées ou marchandises, soit pour toutes sortes de denrées, elle inspire confiance aux autres négociants qui traitent avec elle, pour acheter ou vendre; tandis que ces mêmes négociants ne traiteraient pas avec le mandant ou commettant qu'ils ne connaissent pas et qui souvent même demeure dans un autre lieu.
41. Pour revenir au lien de la commission commerciale avec notre matière du cautionnement, il faut remarquer d'abord que le commissionnaire, n'étant qu'un mandataire dans ses rapports avec le commettant, n'est pas garant de l'exécution des contrats qu'il a faits, pourvu qu'il ait agi de bonne foi et sans imprudence. Si donc il a vendu des marchandises à crédit, conformément à son mandat, et si l'acheteur devient insolvable, il n'est pas responsable. De même, s'il a acheté des marchandises livrables à terme et que le vendeur ne puisse les livrer.
Mais il arrive souvent qu'il est convenu entre le commettant et le commissionnaire que ce dernier sera garant et responsable de l'exécution des contrats passés par lui; dans ce cas, il est d'usage que le prix de la commission, le droit de commission, soit double: c'est comme une prime d'assurance que paye le commettant pour se soustraire au risque de l'opération (d).
Lorsqu'il est convenu entre le commettant et le commissionnaire que celui-ci aura un double droit de commission, cela suffit pour exprimer que les risques d'insolvabilité sont à la charge du commissionnaire.
L'emploi du commissionnaire a encore l'avantage de permettre de garder le secret sur le nom du véritable vendeur ou acheteur; or, quelquefois, ce secret est très utile à observer dans le commerce. Mais, dans le cas, où le commissionnaire n'est pas autorisé à nommer respectivement ceux entre lesquels il s'entremet, on ne peut plus dire qu'il a la faculté de se porter garant pour eux; il est, à leur égard, seul débiteur, et s'il demande une commission plus élevée, elle a un caractère unique de salaire du service rendu.
Le commissionnaire diffère encore du mandataire civil par ce fait même qu'il est rétribué, tandis que le mandat civil est gratuit; en effet, la commission n'est pas, comme le mandat, un bon office, c'est une opération commerciale dont le caractère naturel est la spéculation, la recherche d'un profit.
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(b) Etymologie latine: ad valendum (?), "à valoir,"
(c) Il est curieux de noter, à ce sujet, que le mandat romain avait, en général, ce même caractère " le mandataire ne représentait pas le mandant, il agissait en son propre nom, sauf les recours respectifs.
(d) Ce double droit de commission se nomme, en France, du croire, expression assez mal choisie, qui est la traduction de deux mots italiens aussi singuliers, del credere, sans doute pour exprimer que ce double droit est le prix du crédit.
SOMMAIRE.
Art. 1018. -42. Retour au caractère conditionnel de l'engagement de la caution: nécessité d'une sommation au débiteur, préalablement aux poursuites contre la caution. -43. Trois cas où le créancier en est dispensé.
1019. -44. Bénéfice ou exception de discussion: son origine romaine, tradition législative séculaire. —45. Sa conservation au Japon.
1020. -46. La caution peut renoncer au bénéfice de discussion. -47. Elle en est privée si elle s'engage solidairement avec le débiteur. -48. Elle doit l'opposer avant de contester la dette principale.
1021. -49. Restrictions et conditions mises au bénéfice de discussion. -50. Cas empruntés au Code français. -51. Cas nouveaux, plus sévères pour la caution. -52. Cas inverse: dispense de l'avance des frais.
1022. -53. Responsabilité du créancier négligent.
1023. -54. Bénéfice de division: son origine romaine, sa conservation en France. -55. Juste critique de ses limites faite par le Tribunat. —56. Division de plein droit dans le Projet japonais, conformément au vœu du Tribunat. —57. Double résultat de l'innovation. -58. Exceptions à la division de plein droit. -59. Influence sur la division de l'accession de nouvelles cautions. -60. Intérêt du créancier à avoir un plus grand nombre de cautions, malgré la division.
1024. -61. Double rôle de la caution qui est garant et garantie. -62. Formes et conditions de l'exception de garantie incidente. -63. Pourquoi elle figure plusieurs fois dans la loi.
1025. -64. Exceptions du fond appartenant à la caution. - 65. Différence du Projet avec le Code français quant aux exceptions dites " personnelles au débiteur." -66. Suite. -67. Exceptions tirées du défaut de formation de l'obligation ou de son extinction. -68. Question sur le terme de grâ?e. -69. Le débiteur ne peut priver la caution de ces exceptions. -70. Exceptions personnelles à la caution.
1026. -71. Difficultés sur l'autorité de la chose jugée, quand il y a plusieurs intéressés. -72. Le débiteur représente toujours la caution; la caution ne représente le débiteur que comme gérant d'affaires. -73. Indivisibilité des cbefs connexes du jugement.
1027. -74. Interruption, suspension de prescription, mise en demeure; effets respectifs à l'égard de la caution et du débiteur.
1028. -75. Aveu, serment extrajudiciaire prêté ou refusé.
COMMENTAIRE.
Art. 1018. — N° 42. Cet article, rapproché de l'article 1004 qui contient la définition du cautionnement, achève de déterminer ce que cet engagement a de conditionnel et il lève le doute que laisse subsister le Code français au sujet de la nécessité d'une sommation à faire au débiteur, préalablement aux poursuites contre la caution.
Il est naturel, en effet, que le créancier, avant de poursuivre la caution, lui fournisse une preuve suffisante que la dette n'est pas déjà payée par le débiteur.
Sans doute, une sommation n'est pas une preuve complète qu'il n'y a pas eu payement, car le créancier peut la faire de mauvaise foi, ou, s'il est héritier, il peut ignorer que le payement a été fait à son auteur; mais cette sommation aura donné lieu à une réponse du débiteur et si celle-ci contient ou une demande de délai, ou une allégation que l'échéance n'est pas arrivée, ou même une contestation de l'existence ou de la validité de la dette, c'est une preuve suffisante que la dette n'est pas payée.
Si le débiteur avait payé après la sommation, il ne manquerait pas d'en informer la caution: autrement, il serait responsable envers elle du trouble causé par les poursuites, si d'ailleurs le créancier était hors d'état de l'indemniser lui-même de ses poursuites mal fondées.
43. La loi dispense le créancier de faire cette sommation dans trois cas où elle serait évidemment inutile: la disparition du débiteur, sa faillite déclarée, son insolvabilité notoire.
La disparition du débiteur n'est pas nécessairement une fraude à l'égard de son créancier: elle peut être l'effet de quelque accident; il suffit qu'il soit évident que la sommation n'atteindra pas le débiteur, pour qu'il n'y ait pas lieu d'exposer le créancier à une dépense et à un retard inutiles.
La faillite déclarée est une preuve légale que le débiteur ne peut payer.
L'insolvabilité, si elle n'a pas été déclarée en justice, à l'occasion d'une procédure, doit être notoire, c'est-àdire indiscutable.
Art. 1019. — 44. Si l'on suivait ici la raison pure, c'est-à-dire la logique rigoureuse, on pousserait plus loin le caractère conditionnel de l'obligation de la caution, et l'on exigerait que le créancier, avant de la poursuivre, épuisât toutes les voies de rigueur contre le débiteur lui-même, prît jugement contre lui, saisît ses biens, les fît vendre et s'en fît attribuer le prix concurremment avec les autres créanciers, enfin, qu'il ne recourût contre la caution qu'au cas d'insuffisance des biens du débiteur. Mais ce serait trop affaiblir la force et la simplicité de la garantie que le créancier a cherchée dans le cautionnement.
Il y a d'ailleurs contre cette solution une tradition législative continue qu'il ne paraît pas bon de négliger, même au Japon, où déjà se trouvent des usages judiciaires analogues.
Si l'on remonte au droit romain primitif, on y voit que le créancier pouvait, à son 0hoix, poursuivre la caution (fidejussor) ou le débiteur principal (reus). Il y avait à cela une raison particulière de procédure, c'est que la poursuite contre l'un ou l'autre des débiteurs, principaux ou accessoires, formait une sorte de novation judiciaire et s'opposait à ce que le créancier non désintéressé entièrement par celui qu'il avait poursuivi revînt contre l'autre (v. T. II, n° 16).
Plus tard, lorsque le droit romain devient moins formaliste, cette sorte de novation fut abolie et dès lors il n'y eut plus même raison d'autoriser le créancier à commencer ses poursuites par le fidéjusseur, sous le prétexte qu'il était plus solvable; il fut donc décidé que, si le créancier poursuivait d'abord le fidéjusseur, celui-ci pourrait, sous certaines conditions, lui opposer une fin de non-recevoir dilatoire dite Il exception ou bénéfice d'ordre et de discussion," nom qu'elle a conservé depuis (a).
L'ancien droit français n'apporta pas de grands changements à cette situation, et c'est là que le Code français a puisé les dispositions de ses articles 2021 à 2024 que le présent Projet imite, à son tour, avec quelques modifications, les unes dans l'intérêt de la caution, les autres dans l'intérêt du créancier.
45. Nous avons dit que s'il n'y avait en cette matière une tradition générale et bien des fois séculaire, on croirait devoir retarder encore davantage le droit de poursuite du créancier contre la caution: la discussion préalable des biens du débiteur deviendrait la règle, au lieu d'être l'exception, et elle serait qualifiée droit, au lieu de l'être du nom de bénéfice qui l'affaiblit et ne la présente plus que comme une faveur.
Mais on n'a pas cru devoir aller si loin, d'autant moins que déjà, au Japon, sous l'influence, sans doute, du Code français, la jurisprudence se montre très rigou. reuse contre la caution et lui reconnaît à peine le bénéfice de discussion, même restreint.
Notre article présente au'moins la discussion préalable des biens du débiteur comme un droit, puisque la caution peut "l'exiger;" mais il annonce de suite qu'elle est soumise à des "restrictions et conditions," lesquelles sont l'objet des articles suivants. C'est dans ces conditions qu'est le respect de la tradition, ainsi que dans l'emploi ordinaire du nom de bénéfice, au lieu de celui de droit de discussion.
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(a) Le mot discussion qui, en français vulgaire, signifie débat, exprime ici, d'après l'étymologie latine, que les biens du débiteur, que son patrimoine, sont secoués, pour en faire tomber tout le contenu.
Art. 1020. — 46. Le bénéfice de discussion est de la nature du cautionnement, puisqu'il appartient à la caution sans avoir été stipulé, mais il n'est pas de son essence, il n'en est pas inséparable; la caution peut donc y renoncer; sans doute, le créancier exigera souvent cette renonciation, il en voudra faire une condition du contrat principal; mais la caution, avertie, par cela seul, de la rigueur qu'il veut lui imposer, aura pu refuser de s'y soumettre.
La renonciation au bénéfice de discussion n'a pas besoin d'être expresse: elle peut être tacite, pourvu qu'elle soit certaine; tel serait le cas où la caution aurait promis de " payer à première demande ou à présentation du titre ou de la quittance."
47. Une autre manière pour la caution de se priver du bénéfice de discussion est de ” s'engager solidairement avec le débiteur principal dans ce cas, de même qu'un débiteur solidaire ne peut, à l'échéance, refuser le payement immédiat et intégral, lors même que son codébiteur serait solvable pour sa part (v. art. 1054), de même la caution solidaire devra payer la totalité immédiatement; sans préjudice, bien entendu, des délais de grâce et du fractionnement de la dette pouvant être accordés par le tribunal, conformément au droit commun (art. 426).
Ce n'est pas à dire d'ailleurs que la caution solidaire soit, à tous autres égards, un codébiteur solidaire: elle est toujours une caution, et comme telle, elle ne peut s'obliger sous des conditions plus dures que le débiteur principal (art. 1006); de même lorsqu'elle a payé, elle a recours pour le tout contre le débiteur principal (v. art. 1030), tandis qu'un codébiteur solidaire supporte toujours une part dans la dette (art. 1064).
48. Enfin, la loi ne veut pas que la caution laisse le créancier s'engager dans des poursuites contre elle, pour se voir ensuite arrêté dans cette procédure et obligé d'en commencer une autre contre le débiteur. Le Projet ne dit pas cependant, comme le Code français (art. 2022), que le bénéfice de discussion doive être proposé par la caution Il sur les premières poursuites dirigées contre elle." Cela paraîtrait refuser à la caution le droit de contester tout d'abord sa qualité de caution, ce qui est' inadmissible; ce qu'il ne faut pas c'est que la caution puisse commencer par contester la dette principale au fond, ensuite, que, se voyant vaincue sur ce terrain, elle puisse renvoyer le créancier à poursuivre le débiteur principal.
Mais la caution pourra, d'après notre texte, contester d'abord sa qualité de caution: par exemple, nier son consentement, en alléguer un vice, soutenir qu'elle était incapable; puis, voyant ces moyens de défense rejetés, elle demandera au créancier de poursuivre le débiteur principal avant d'exiger d'elle le payement. Il serait impossible, en effet, d'astreindre la caution à opposer tout d'abord le bénéfice de discussion, car ce serait, de sa part, une reconnaissance implicite de sa qualité de caution et, en cas d'insolvabilité du débiteur, le créancier pourrait lui dénier le droit de contester sa qualité de caution.
Art. 1021. — 49. C'est ici que se trou vent les restrictions et conditions imposées à l'exercice du bénéfice de discussion.
L'idée dominante est que si la discussion des biens du débiteur doit prendre un temps trop considérable, donner lieu à une procédure compliquée ou n'avoir pas de chances de succès, elle ne doit pas retarder la poursuite du créancier contre la caution. Cette idée a été, évidemment, celle du Code français, et le Projet l'adopte, à son tour; mais il la pousse plus loin dans ses conséquences logiques. A ce point de vue, le Projet est plus sévère pour la caution; à d'autres égards, il est moins exigeant contre elle. On va faire ressortir ces différences, en les motivant.
50. Le Code français ne veut pas que la caution demande la discussion de biens trop éloignés du lieu où le payement doit être fait: le ressort de la cou r d'appel est une limite raisonnable; elle rappelle d'ail. leurs l'élection de domicile que doit faire la caution. Le Projet reproduit la même limite, quoique les cours d'appel soient encore peu nombreuses au Japon et, par conséquent, très éloignées les unes des autres. Cette extension de distance est favorable à la caution.
Il y a encore similitude avec le Code français au sujet des immeubles litigieux, lesquels ne peuvent être proposés à la discussion, parce que le résultat en serait trop incertain; de même, pour les immeubles hypothéqués au créancier mais qui ont été aliénés; ici le motif est autre: sans doute, cette aliénation ne détruit pas la sûreté réelle résultant de l'hypothèque, car l'hypothèque donne un droit de suite contre le tiers détenteur qui, en principe, devra payer la dette ou se laisser exproprier (v. art. 1266); mais ce ne sera que sur une procédure fort lente et compliquée, car ce tiers détenteur, s'il n'est pas en même temps obligé personnellement à la dette, pourrait opposer lui-même au créancier poursuivant un bénéfice de discussion analogue et même préférable à celui de la caution (v. art. 1282). C'est donc ici pour éviter des pertes de temps et des frais que les immeubles aliénés sont exclus de la discussion.
51. Mais voici deux points sur lesquels le Projet est plus sévère pour la caution que le Code français.
1° Des immeubles du débiteur, remplissant d'ailleurs les trois conditions exigées plus haut, sont hypothéqués à d'autres qu'au créancier poursuivant et de façon à avoir la préférence sur lui, soit qu'il n'ait pas lui-même d'hypothèque, soit qu'il n'en ait qu'une postérieure en date et, par conséquent, inférieure en rang à celles des autres créanciers. Sans doute, dans ces deux cas, il n'est pas impossible qu'après la discussion et la vente forcée des immeubles hypothéqués, il reste des sommes libres qui pourraient être attribuées au créancier poursuivant; mais cette éventualité n'est pas assez probable pour motiver un sursis aux poursuites contre la caution.
2° Le débiteur a des biens mobiliers de diverses natures qui pourraient suffire à payer ses dettes; mais il est si facile à la caution de se faire illusion sur l'importance de ces biens et si facile aussi au débiteur de les détourner et de rendre vaine la poursuite du créancier que la loi n'autorise pas la caution, au moins en général, à renvoyer le créancier à discuter les meubles du débiteur.
La discussion des valeurs mobilières sera cependant possible s'il s'agit d'objets remis en gage au créancier. La loi est même rédigée d'une façon assez large (elle vise des " sûretés réelles ") pour que le créancier puisse être obligé de discuter des meubles sur lesquels il aurait un droit de rétention ou un privilége légal; par exemple, un bailleur à loyer ou à ferme qui aurait une caution pour les loyers ou fermages pourrait être tenu, avant de poursuivre celle-ci, de faire vendre les récoltes du fonds ou les meubles garnissant les lieux, lesquels sont affectés par la loi à sa garantie (art. 1152 à 1154).
52. Voici maintenant un point sur lequel le Projet est plus favorable à la caution que ne l'est le Code français: d'après l'article 2023 de ce Code, la caution qui requiert la discussion doit faire au créancier l'avance de sommes suffisantes pour les frais de poursuite et de discussion.
Il y a là, outre une entrave sérieuse à l'exercice du droit de discussion, une situation très défavorable à la caution qui fait les frais d'une procédure à laquelle elle ne prend pas part: il est à craindre que le créancier n'épargne pas suffisamment ces frais; de plus, il est difficile de savoir d'avance quels frais seront nécessaires et quel en sera le montant; enfin, et surtout, cette disposition se concilie difficilement avec celle qui, dans le cas d'un cautionnement défini et limité, ne met pas les frais à la charge de la caution (Comp. art. 1008 ci-dess. et c. civ. fr., art. 2016).
Le Projet n'y soumet pas la caution.
Art. 1022. — 53. Dans le cas prévu par cet article, le créancier doit imputer à sa négligence la perte qu'il éprouve; la caution n'en doit pas souffrir et il est naturel et juste qu'elle soit déchargée de tout ce dont elle aurait pu l'être si la discussion avait été faite en temps utile.
La disposition du présent article, reposant sur la faute ou la négligence du créancier, cesserait donc d'être applicable, s'il survenait au créancier un empêchement majeur d'agir, tant par lui-même que par représentant; mais alors il devrait en informer la caution, afin qu'elle prenne elle-même des mesures qui la préservent des conséquences de l'insolvabilité du débiteur (v. art. 1034): autrement, le créancier se retrouverait dans le cas de négligence.
Art. 1023. — 54. Le Projet innove ici considérablement, par rapport au Code français et aux traditions anciennes.
Il est admis, depuis les Romains, que lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur, chacune d'elles est, en principe, tenue de toute la dette: ce n'est pas une obligation solidaire proprement dite, c'est une obligation pour le tout (in solidum) intégrale, ou, suivant une expression à peu près consacrée, au moins pour des cas analogues, c'est une solidarité imparfaite." Elle ne constitue pas un lien aussi étroit, aussi intime que la solidarité ordinaire ou parfaite, tel qu'on le verra au Chapitre suivant, mais elle en produit l'effet principal qui est le droit pour le créancier de demander toute la dette à l'un ou à l'autre des débiteurs (v. art. 1074).
Cette rigueur contre les cautions a paru exagérée aux Romains eux-mêmes qui l'ont imaginée les premiers, car ils n'ont pas tardé à admettre que celle des cautions à laquelle le créancier s'adresserait pour le payement intégral pût exiger qu'il divisât son action entre toutes les cautions actuellement solvables, et ce droit des cautions fut appelé" bénéfice de division."
Le résultat était:celui-ci: si des cautions étaient déjà devenues insolvables au moment où la division était demandée, la perte retombait sur les autres cautions restées solvables; mais si des insolvabilités survenaient postérieurement à l'exception proposée, elles retombaient sur le créancier.
L'ancien droit français admit la même obligation intégrale de chaque caution, avec le même adoucissement, et le Code civil français, à son tour, a conservé l'une et l'autre (art. 2025 à 2027).
55. Toutefois, il est certain que ce ne fut pas sans résistance que l'ancienne théorie fut reproduite dans le Code français. L'un des corps politiques qui participaient alors à la confection des lois, au moins par forme d'avis, le Tribu nat, demanda que la division des poursuites entre les cautions eût lieu de plein droit, en vertu de la loi, et non par faveur et en vertu d'une demande. La raison principale qu'on en donnait, et qui a gardé toute sa force aujourd'hui, était que, lorsqu'il y a plusieurs débiteurs principaux, simplement conjoints ou non solidaires, la dette se divise de plein droit entre eux, que, dès lors, on ne conçoit pas pourquoi il en serait autrement pour les cautions multiples ou cofidéjusseurs. On ajoutait que si cette rigueur était jugée nécessaire pour donner au cautionnement toute l'efficacité que le créancier en attendait, il fallait alors pousser la sévérité jusqu'à ses conséquences logiques et refuser aux cautions le bénéfice de division, à moins qu'elles ne l'eussent stipulé.
La proposition du Tribunat ne fat pas accueillie.
Nous la reprenons ici sans hésiter.
56. Il y a d'ailleurs quelque chose de singulier dans le système consacré qui pose d'abord le principe que l'obligation des cautions est intégrale et le détruit, immédiatement après, en permettant la division sur la demande de la caution poursuivie.
On aurait pu faire une objection encore plus grave, c'est que cette obligation intégrale de chaque caution, lorsque la poursuite est divisible de plein droit entre les codébiteurs principaux, est contraire au principe général et essentiel d'après lequel l'engagement des cautions ne peut être plus rigoureux que celui des débiteurs principaux (v. art. 1006).
La division aura donc lieu de plein droit et sans qu'il soit nécessaire que la caution poursuivie la demande formellement; ainsi, le tribunal, s'il a une connaissance certaine et suffisante de l'existence de plusieurs cautions, pourra, dans la condamnation, observer d'office la division.
Quoique cette division ne soit plus désormais que l'application du droit commun, on lui conserve le nom de ” bénéfice," comme, on l'a fait pour le droit de discussion, non-seulement parce qu'il est consacré par la tradition, mais aussi parce qu'il serait singulier qu'on pût dire que le bénéfice de division est supprimé au Japon, lorsqu'au contraire il y est étendu et facilité.
57. Voici maintenant le double intérêt de notre innovation; il n'est pas d'ailleurs bien considérable et, moindre il est, moins aussi il doit rencontrer d'objections.
D'abord, la division, étant un effet de droit, sera, comme on l'a dit plus haut, observée d'office par le tribunal: ce n'est pas statuer sur choses non demandées, ce qui lui est défendu (v. c. proc. civ. fr., art. 480-30), c'est appliquer la loi, comme ferait le tribunal à l'égard d'un débiteur principal simplement conjoint que le créancier poursuivrait indûment comme solidaire.
Ensuite, dans le système français, tant qu'un des co-fidéjusseurs n'est pas poursuivi, il n'a pas occasion et, par conséquent, pas de droit d'opposer le bénéfice de division; dès lors, comme la division ne se fait pas par têtes entre les cautions originaires, mais seulement entre celles qui sont " solvables au moment où la division est demandée (le Code français, art. 2026, dit, à tort, prononcée), il est clair qu'il peut être survenu auparavant des insolvabilités dont le risque retombe, non sur le créancier, mais sur les autres cautions restées solvables, de sorte que la part de responsabilité de ces dernières s'étend, sans qu'elles aient de négligence à se reprocher.
Dans le système du Projet, au contraire, la division se trouvant faite par têtes, par la seule force de la loi, est immédiate et dès l'engagement même des cautions; si donc, il s'en trouve déjà d'insolvables, le créancier doit s'imputer de les avoir acceptées: c'était à lui, bien plutôt qu'aux autres cautions, de vérifier leur solvabilité. A plus forte raison, le créancier supporte-t-il les insolvabilités survenues postérieurement.
Rappelons seulement, à ce sujet, la disposition de l'article 1015, 26 alinéa, d'après laquelle le débiteur, dans un cas particulier, est tenu de remplacer par une autre caution celle qui est devenue insolvable.
58. Voyons maintenant les exceptions à la division de plein droit par portions égales. Il y en a trois:
1° Les co-fidéjusseurs peuvent être convenus tant entre eux-mêmes qu'avec le créancier, que leur responsabilité sera inégale: ce qui importe surtout au créancier c'est que la somme des parts forme la totalité de la dette. Cette exception ne pouvait guère trouver son application avec le système français, aussi n'y en est-il pas fait mention.
2° Ils peuvent s'être engagés solidairement, soit entre eux, soit avec le débiteur principal: il est naturel que, dans ce cas, la division n'ait pas plus lieu de plein droit dans le système du Projet, que par voie d'exception dans le système du Code français
La seule objection qu'on pourrait faire ici, c'est celle que nous avons faite nous-même plus haut au système ancien, à savoir que chaque caution solidaire se trouvera tenue plus sévèrement que chacun des débiteurs principaux, lorsqu'il y en aura plusieurs simplement conjoints, non solidaires eux-mêmes.
Nous répondons que ce résultat n'est plus aussi difficile à justifier quand il s'agit d'une solidarité stipulée et convenue que lorsque la solidarité, même imparfaite, est comme imposée par la loi: dans le cas où la solidarité entre cofidéjusseurs est l'effet d'une convention, cas où elle est parfaite, chaque caution est considérée comme ayant pris à sa charge toutes les obligations réunies des codébiteurs non solidaires; elle doit plus que chacun pris individuellement, mais non plus que tous réunis.
3° Les cofidéjusseurs ont renoncé à la division autrement que par un engagement solidaire: ce ne peut guère être que par une renonciation expresse, ou bien en se soumettant à l'indivisibilité intentionnelle (v. art. 462 à 464 et Chapitre ln, ci-après).
On n'a pas à exprimer, comme exception, le cas où l'obligation principale serait indivisible (v. art. 462 à 464) et où, par conséquent, les cautions seraient ellesmêmes tenues indivisiblement: on n'excepte pas d'une règle ce qui par sa nature n'y est pas soumis.
59. Le 29 alinéa de notre article lève les doutes qui auraient pu exister sur le point de savoir si la division de plein droit est modifiée par l'accession de nouvelles cautions, ou même si elle commence avec cette accession, lorsqu'à l'origine il n'y en avait qu'une seule. La solution est affirmative: c'est un avantage nouveau sur lequel la caution n'avait peut-être pas compté, mais que personne n'a un intérêt légitime à lui contester.
Ainsi, il y avait deux cofidéjnsseurs à l'origine: la part de chacun était d'une moitié de la dette; une troisième caution s'engage plus tard: la part de chacun n'est plus que d'un tiers. Ainsi encore, il n'y avait qu'une caution à l'origine: elle était tenu0. pour le tout; une seconde caution intervient: chacune ne peut être poursuivie que pour une moitié.
60. Nous ferons une dernière observation sur toute cette matière: il ne faudrait pas croire que la di vision de plein droit, pas plus, du reste, que la division par voie d'exception, enlève au créancier tout avantage fi, avoir plusieurs cautions: sans doute, si les cautions étaient toutes et certainement solvables et s'il n'y avait aucun lieu de craindre qu'elles cessassent de l'être, il vaudrait mieux n'en avoir qu'une seule à poursuivre que d'avoir à exercer autant de poursuites qu'on aurait reçu de cautions; mais lorsqu'on n'est pas sûr de la solvabilité d'une ou plusieurs, il vaut mieux en avoir un plus grand nombre, parce que les fractions de la dette qu'on s'expose à ne pourvoir faire payer seront d'autant plus petites que les cautions seront plus nombreuses.
Au surplus, le créancier qui veut mettre toutes les chances de son côté stipulera la solidarité entre les cautions, conformément à ce qui est dit ci-dessus.
Art. 1024. — 61. Cet article devait figurer ici, parce qu'il indique un rapport de la caution avec le créancier; mais comme ce rapport tend à assurer les droits de la caution contre le débiteur, c'est à l'occasion de ces droits et sous l'article 1029 qu'il sera expliqué.
C'est une des particularités de cette matière du cautionnement que la caution joue un double rôle, au sujet de la garantie: vis-à-vis du créancier, elle est garant du débiteur, en ce sens qu'elle doit payer pour lui; mais elle est, à son tour garantie par le débiteur, en ce sens qu'il doit la préserver des poursuites, autant que cela est possible, et la rendre indemne de tout ce qu'elle a payé ou souffert de préjudice à raison de son cautionnement.
Ce droit de la caution, de demander la garantie au débiteur, doit l'autoriser à faire mettre celui-ci en cause avec elle, lorsqu'elle est poursuivie par le créancier. Elle obtiendra ainsi un double avantage:
1° Si le débiteur a des moyens plus ou moins efficaces de combattre les prétentions du créancier, la caution en profitera;
2° Si la demande doit triompher, la caution obtiendra que le même jugement qui la condamnera, comme telle, à payer le créancier, condamne aussi le débiteur à lui rembourser à elle-même le capital, les intérêts, les frais et tous autres dommages-intérêts, s'il y a lieu (v. art. 1029).
62. Pour que la caution arrive à ce résultat, il faut qu'elle puisse retarder l'instance commencée contre elle, afin d'avoir le temps d'appeler son garant en cause. C'est par la voie d'une exception dilatoire qu'elle obtiendra un sursis suffisant; le délai qui lui sera accordé. sera double: il dépendra de l'éloignement du domicile de la caution (demanderesse en garantie) au domicile du débiteur assigné, et du domicile de celui-ci au tribunal déjà saisi.
Le texte renvoie, pour plus de détails, au Code de Procédure civile.
Il nous dit aussi que la caution peut invoquer cette exception, "soit qu'elle ait ou non usé du bénéfice de ' discussion, et soit qu'elle jouisse ou non du bénéfice de division; " lors donc que le créancier, n'ayant été 'qu'incomplètement désintéressé par la discussion, reviendra contre la caution, celle-ci demandera à appeler le débiteur en cause; de même, s'il y a plusieurs cautions, la poursuite sera divisée; mais cela n'empêchera pas que l'exception dilatoire de garantie soit utile et recevable.
L'exception de garantie doit être, comme l'exception de discussion, présentée au commencement du procès, in limine litis, ou, suivant l'expression consacrée, avant toute défense au fond; et quand la caution jouit de deux exceptions à la fois, c'est évidemment celle de discussion par laquelle elle commencera, comme pouvant la mettre à l'abri de toute poursuite ultérieure.
63. Le droit de la caution à la garantie, soit par voie d'exception ou d'incident, soit par voie d'action principale, était déjà annoncé aux articles 418 à 420, au sujet de la garantie en général; il fallait pourtant le mentionner ici, parce que, quant au moyen de l'exercer, il appartient aux rapports de la caution avec le créancier; mais c'est au sujet des rapports de la caution avec le débiteur qu'il sera précisé dans ses effets (v. art. 1029).
Au surplus, ce que nous venons d'en dire permettra d'abréger l'explication dudit article 1029.
Art. 1025. — 64. L'obligation née du cautionnement n'étant qu'accessoire et subsidiaire à l'obligation principale, il est naturel que la caution puisse opposer au créancier les moyens de défense qui appartiennent au débiteur principal; et, en même temps que c'est un droit pour la caution, c'est aussi un devoir pour elle, un devoir dont l'inobservation pourrait lui nuire gravement dans son recours contre le débiteur, ainsi qu'on le verra au § suivant (v. art. 1032).
Remarquons, tout d'abord, que cet article n'est pas placé, comme au Code français, dans la matière de l'extinction dit cautionnement (v. art. 2036): il appartient bien mieux aux effets du cautionnement, et même, tout à la fois, aux effets vis-à-vis du créancier et vis-àvis du débiteur.
65. Le Projet s'écarte aussi du Code français pour le fond: il reconnaît à la caution le droit d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiendraient au débiteur, spécialement celles à lui personnelles, telles que ” son incapacité ou les vices de son consentement," tandis que le Code français les exclut ou paraît les exclure, en refusant à la caution le droit d'opposer les exceptions ' purement personnelles au débiteur; " il ne lui accorde que les exceptions ll inhérentes à la dette " (art. 2036); c'est la même solution qu'il a donnée, et presque dans les mêmes termes, pour le débiteur solidaire poursuivi pour la dette commune (v. 1208).
Si le Code français s'est placé, sans le dire, dans l'hypothèse où la caution a connu le moyen de nullité résultant d'une circonstance personnelle au débiteur, sa décision est la même que celle donnée par notre article (par argument a co?îtrario), et elle est facile à justifier: la caution a voulu et pu garantir l'exécution d'une obligation naturelle (voy. ci-dess., art. 1009 et c. fr., art. 2012).
66. Mais si le Code français n'a pas entendu faire de distinction, si la caution ne peut opposer ces moyens de nullité personnels au débiteur, lors même qu'elle les avait ignorés en contractant, il en résultera, ou une injustice, ou une complication inutile, que l'on doit croire, la première surtout, contraire à la pensée de la loi française: une injustice, si la caution, ayant payé la dette d'un incapable ou d'une personne dont le consentement a ét3 vicié, alors qu'elle n'a connu ces moyens de nullité que depuis son engagement, est privée de recours contre le débiteur; une complication inutile, si ce recours lui est accordé, parce qu'alors le débiteur se retournera contre le créancier et prétendra pouvoir encore exercer l'action en nullité, quoique la dette ait été payée, du moment qu'elle ne l'a pas été par lui et d'une façon valant ratification.
On donne donc ici l'exception du nullité à la caution, du chef du débiteur, lorsqu'elle a ignoré la cause de nullité au moment de son engagement, et cette exception profitera en même temps au débiteur, puisqu'il se trouvera libéré, tout à la fois, envers le créancier et envers la caution.
67. Si maintenant on se reporte aux autres exceptions, à celles qui affectent plus directement la dette, on reconnaîtra qu'elles peuvent être tirées, soit de vices originaires du contrat principal, lesquels ont empêché sa formation, soit de faits postérieurs qui ont éteint l'obligation formée.
A la première classe appartiennent les défauts ou vices de l'objet ou de la cause et, exceptionnellement, le défaut d'observation des formes solennelles requises; à la seconde appartiennent les modes légaux ordinaires d'extinction de l'obligation, tels que le payement, la novation, la remise, la résolution, etc.
Si la dette était subordonnée à une condition sllspensive qui ne fût pas encore accomplie, la caution se prévaudrait de cette exception, comme tirée du défaut de formation de l'obligation.
Si la dette n'était pas encore échue, la caution pourrait également se refuser au payement immédiat, car si le terme ne retarde pas la formation de l'obligation, il en retarde au moins l'exécution forcée.
68. Au sujet du terme de grâce qui aurait été accordé au débiteur par le tribunal (art. 426), ou par le créancier (art. 546), on n'est pas d'accord, en France, sur le point de savoir si la caution peut s'en prévaloir contre le créancier qui la poursuit avant que ce terme soit expiré. L'article 2039 du Code français traite bien du terme accordé par le créancier, mais c'est à un autre point de vue sur lequel nous reviendrons sous l'article 1034 (n° 90).
Il ne nous semble pas nécessaire d'exprimer au texte que la caution a le droit d'invoquer le terme de grâce, car si on le lui refusait, elle pourrait recourir de suite en remboursement contre le débiteur et celui-ci se trouverait privé du bénéfice du terme de grâce, par le fait du créancier qui pourtant doit le respecter.
Si l'on prétendait que la caution doit payer nonobstant le terme de grâce accordé au débiteur et attendre qu'il soit expiré pour se faire rembourser, on violerait un principe fondamental de la matière, celui d'après lequel la caution ne peut être tenue plus durement que le débiteur.
69. Bien que les exceptions ici reconnues appartenir à la caution lui viennent du débiteur principal, il n'en faut pas conclure qu'il soit permis à celui-ci de les restreindre ou d'y renoncer au préjudice de la caution; sans doute, en droit, il en souffrirait le premier et ce serait déjà un remède à l'abus; mais, en fait, il pourrait être d'autant plus porté à être généreux envers le créancier qu'il serait moins solvable et que sa générosité atteindrait plutôt la caution que lui-même.
La raison décisive c'est que les moyens de défense une fois acquis au débiteur le sont aussi à sa caution et ne peuvent être enlevés à celle-ci; elle est d'ailleurs, à cet égard, comme créancière éventuelle du remboursement, un ayant-cause particulier et elle n'est pas exposée, comme les autres créanciers, ayant-cause généraux, à souffrir des actes du débiteur.
70. Remarquons, en terminant, que la loi n'a pas eu besoin de dire que la caution peut aussi, et même tout d'abord, opposer les exceptions qui lui appartiendraient personnellement, telles que les vices de son consentement ou son incapacité: cela allait de soi.
Bien entendu, le débiteur ne pourrait opposer au créancier les exceptions personnelles à la caution.
Art. 1026. — 71. C'est une théorie toujours d'une application délicate que celle de l'autorité de la chose jugée, quand l'affaire sur laquelle le jugement est intervenu intéresse plusieurs personnes.
Sans doute, il y a un principe dominant d'après lequel "la chose jugée ne peut ni nuire ni profiter à ceux qui n'ont pas été partie dans l'instance" (res inter alios acta aliis neque nocere lIeque yrodesse potest). Le principe est proclamé au Livre Ve, au sujet des Preuves par présomption légale (art. 1414 et s.).
Mais il faut reconnaître qu'une- personne peut être représentée en justice par une autre, ce qui étend l'autorité de la chose jugée activement et passivement.
Quand la représentation a lieu en vertu d'un mandat conventionnel, soit général, soit spécial, son effet sur l'autorité de la chose jugée est assez facile à déterminer, d'après les règles générales du contrat de mandat (v. art. 929); mais lorsque cette représentation est un effet légal du lien existant entre les divers intéressés, il peut s'élever de sérieuses difficultés sur son étendue, à moins que la loi ne s'en explique. C'est ce que fait le,Projet, pour prévenir les doutes et les embarras auxquels on est livré dans l'interprétation de la loi française.
72. Il est certain que le débiteur représente la caution dans les jugements rendus sur l'obligation principale: s'il triomphe, la caution est déchargée; s'il succombe, la caution est tenue; en supposant, bien entendu, dans ce dernier cas, qu'il n'y a pas eu dol concerté contre elle avec le créancier, cas auquel elle ferait tomber le jugement, en ce qui la concerne, par la tierceopposition (v. art. 361, 2e al.).
Mais la caution représente-t-elle de même le débiteur principal ? On ne pourrait le soutenir: elle est autorisée à payer la dette reconnue, non à la reconnaître, soit expressément, soit tacitement, en se laissant condamner. D'un autre côté, il n'y a pas besoin qu'elle soit autorisée à prendre les intérêts du débiteur; si donc elle a pu faire juger mal fondée la prétention du créancier, non sur le cautionnement seul, mais sur la dette même, on ne voit pas de raison sérieuse de refuser de voir là un acte de gestion d'affaires pour le débiteur, permettant il celui-ci d'invoquer le jugement contre le créancier. C'est ce que déclare notre article.
Remarquons que la loi ne fait pas ici la distinction, pourtant fréquente, entre la caution-mandataire et la ca-Lition-uér,int d'affaires: le mandat donné à la caution o est de payer, s'il y a lieu, mais non de plaider; c'est pourquoi, à l'article 1032, elle sera déclarée responsable d'avoir plaidé sans avoir appelé le débiteur en cause.
Nous n'hésiterions pas à donner la même solution en droit français, en l'absence de texte à ce sujet, par la seule force des principes généraux de la gestion d'affaires; mais il est plus sûr de l'écrire dans la loi, parce qu'elle pourrait, au Japon comme en France, rencontrer des doutes dans la doctrine et la pratique.
Ce n'est pas d'ailleurs la première disposition de ce genre que nous offre le Projet: déjà, en matière d'usufruit, on a vu que le jugement intervenu entre un tiers et l'usufruitier ne peut nuire au nu-propriétaire mais peut lui profiter et, de même, que le jugement concernant le nu-propriétaire peut profiter à l'usufruitier mais non lui nuire (v. art. 101).
73. La loi a soin de dire, en terminant, que les divers chefs du jugement intervenu en faveur de la caution ne peuvent être divisés, lorsqu'ils sont connexes entre eux. Par exemple, un chef du jugement aurait annulé l'obligation principale pour incapacité du débiteur, mais un autre chef aurait reconnu que celui-ci était tenu dans une certaine mesure comme enrichi par la convention (v. art. 574): le débiteur ne pourrait se prévaloir du premier chef sans se soumettre au second; même solution, si le jugement avait reconnu que la convention principale était entachée d'un vice de consentement du débiteur, mais aurait reconnu aussi qu'il y a eu une confirmation ou ratification postérieure réparant ce vice (v. art. 577 et s.).
Art. 1027. — 74. Cet article applique les principes qui précèdent à l'interruption et à la suspension de la prescription et à la mise en demeure: ce sont des faits défavorables au débiteur, puisqu'ils conservent les droits du créancier.
S'ils sont intervenus directement contre le débiteur, ils nuisent à la caution, parce qu'elle est représentée par lui. Mais s'ils sont intervenus contre la caution, ils sont sans effet contre le débiteur, à moins que la caution ne se soit engagée sur son mandat, non si elle s'est engagée spontanément, comme gérant d'affaires (b).
La solution est la même, si la caution s'est engagée solidairement avec le débiteur: il y a alors un mandat mutuel, comme dans toute solidarité (v. Chap. suiv.).
Si les faits interruptifs ou suspensifs de la prescription ou constituant la mise en demeure étaient contestés et qu'il fût intervenu un jugement à ce sujet, l'article précédent recevrait son application.
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(b) 0;i aura occasion de faire remarquer sous l'article 1044 (n° 121) que l'interruption de la prescription est toujours absolue, envers tous, tandis que la suspension n'a quelquefois qu'un effet relalif, ou entre certaines personnes. On reviendra aussi sur le présent article, à l'occasion de la suspension en matière de Solidarité (n° 154 ter).
Art. 1028. — 75. Cet article est exactement semblable au précédent pour la théorie: les faits seuls sont différents.
L'aveu et la reconnaissance de la dette sont des preuves dont il sera parlé au Livre Ve; il en est de même du serment prêté ou refusé.
On remarquera seulement ici qu'à la différence du Code français, le Projet ne parle que du serment " extrajudiciaire c'est qu'en effet, après mure réflexion, on n'y a pas introduit le serment judiciaire, soit décisoire, soit supplétoire: ce mode de preuve est tout-àfait étranger aux usages judiciaires japonais; il ne donne pas d'ailleurs dans les autres pays des résultats assez satisfaisants pour qu'il y ait lieu de le proposer au Japon.
Mais on ne peut refuser aux parties le droit de faire une délation de serment extrajudiciaire, laquelle, une fois acceptée, a le caractère d'une transaction, comme on le verra au Livre Ve, ird Partie (art. 1373 et s.).
SOMMAIRE.
Art. 1029. — N° 76. Appel du débiteur en garantie incidente par la caution.
1030. -77. Distinction des diverses causes du cautionnement. - 78. i. Cautionnement par suite de mandat. -79. il. Cautionnement spontanté par gestion d'affaires.-80. III. Cautionnement malgré le débiteur. -81. Nouvelle différence entre le mandat et la gestion d'affaires.
1031. -82. Obligation solidaire des co-mandants envers la caution.
1032. -83. Négligence de la caution à appeler le débiteur en cause.
1033. -84. Négligence de la caution à informer le débiteur du payement fait par elle. -85. Cas inverse, où le débiteur a payé sans en informer la caution. -8G. Restitution d'un des payements par le créancier.
1034. -87. Droit de la caution à une indemnité anticipée, dans trois Cas. -88. Ier Cas. -89. ne Cas. -90. Question sur la prorogation du terme par le créancier. -91. IIIe Cas. -92. Limitation de cet article à la caution mandataire.
1035. -93. Précautions inverses en faveur du débiteur contre la caution.
1036. -94. Subrogation légale en faveur de la caution: ses o avantages. -95. Elle peut se cumuler avec l'exercice do l'action personnelle. -96. Il faut que le créancier soit désintéressé en tout ou en partie. -97. Dans les cas 01l la caution est déchue de l'action personnelle, elle est déchue aussi de la subrogation. -98. On ne distingue pas, au sujet de la subrogation de la caution, si elle est mandataire ou gérant d'affaires. -99. Limite du recours aux déboursés. -100. Conflit de subrogations entre la caution et le tiers détentenr; insuffisance en France, de la loi, de la doctrine et de la jurisprudence. -101. Objections présentées avec raison contre l'ancien article 505-2° du Projet. -102. Système nouveau conciliant les principes avec la satisfaction de tous les intérêts; nouvelle rédaction.
1037. -103. Rôle de la subrogation quand il y a plusieurs débiteurs solidaires: distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 1029. — N° 76. Cette disposition se trouve déjà expliquée, par avance, à l'occasion de l'article 1024.
En effet, ce droit de la caution, d'appeler le débiteur principal en cause, est double, puisqu'elle a elle-même la double qualité de garant et de garanti: son droit existe contre le créancier à l'effet de suspendre la poursuite; il exite contre le débiteur, à l'effet de le faire venir en cause et de le faire condamner subsidiairement envers elle au remboursement et aux indemnités prévues à l'article suivant.
Il est, tout à la fois, prudent et avantageux à la caution de ne pas s'engager seule dans le procès avec le créancier: prudent, parce qu'elle peut ne pas connaître tous les moyens de défense qui pourraient être utilement opposés au créancier, et si elle succombait, le débiteur aurait à lui reprocher de ne pas l'avoir appelé à son aide, ainsi qu'il sera dit plus loin (art. 1032); avantageux, car, lors même qu'elle aurait un recours pleinement fondé contre le débiteur, il est plus court, plus économique et plus sûr de faire immédiatement condamner celui-ci au remboursement que d'intenter contre lui une action principale en garantie.
Au surplus, que le recours de la caution s'exerce par voie de demande incidente ou par action principale, ses chefs d'indemnité sont les mêmes.
Mais ce qui est important à noter, avec le dernier alinéa de notre article, c'est que ce droit d'appeler le débiteur en cause n'appartient à la caution que si elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur, et non si elle a agi seulement comme gérant d'affaires. Dans ce dernier cas, le débiteur ne peut être actionné par la caution qu'après qu'elle a payé, comme on le va voir à l'article suivant.
Art. 1030. — 77. On trouve ici, comme fondement du droit de la caution à la garantie ou indemnité, les deux principales causes d'obligations: la convention et l'enrichissement indu; leur application dépend de la cause elle-même du cautionnement.
C'est ici surtout qu'il importe de distinguer s'il a eu lieu en vertu d'un mandat du débiteur ou seulement du quasi-contrat de gestion d'affaires, soit à l'insu du débiteur, soit même malgré lui. Cette triple cause du cautionnement a été annoncée au début de la matière (art. 1011).
Elle rappelle d'ailleurs une distinction analogue faite au sujet du payement par un tiers (v. art. 475).
Il faut voir maintenant la différence des effets d'après la différence des causes, en notant d'ailleurs une condition commune à tous les cas de recours de la caution, c'est qu'il faut qu'elle ” ait fait un sacrifice personnel " pour procurer la libération au débiteur: autrement, si elle avait seulement obtenu la remise gratuite de la dette, n'ayant éprouvé aucun dommage, elle n'aurait droit à aucune indemnité.
78. -I. Lorsque la caution a reçu du débiteur le mandat d'intervenir pour lui, c'est évidemment en vertu de la convention qu'elle doit être indemnisée; la caution sera même indemnisée des dommages imprévus, pourvu qu'ils soient une suite directe et nécessaire du mandat (v. art. 941-3°).
Par application de ce principe, nous dirons que, lors même que la dette cautionnée aurait été entachée d'un vice qui permettait de ne pas la payer, ou lors même qu'elle aurait été déjà éteinte, la caution qui l'aurait acquittée, ayant d'ailleurs averti le débiteur des poursuites, serait en droit de réclamer le remboursement de ce qu'elle aurait payé en son nom; c'est le débiteur qui, à ses risques et périls, répéterait le payement indu contre le créancier.
C'est pour que le recours s'applique au payement d'une dette nulle ou déjà éteinte que le texte ajoute au cas où la caution " a libéré le débiteur " (ce qui suppose qu'il devait réellement) celui où elle ” a payé en son nom," ce qui comprend même le cas où il ne devait pas.
Les frais dont il s'agit sont les frais de justice et même les frais extrajudiciaires, comme ceux de change des monnaies ou de change de places, ceux de transport d'argent, de voyage, etc.
Les intérêts des avances et déboursés sont encore une suite de l'application des règles du mandat (v. art. 941-1°).
Enfin, la caution peut réclamer tous autres dommages-intérêts justifiés: par exemple, pour troubles dans ses affaires personnelles, temps perdu en procès ou démarches, vente de ses meubles ou immeubles audessous de leur valeur normale, afin d'obtenir des fonds en temps utile, ou même vente forcée dans des conditions défavorables.
A cet égard, la caution est mieux traitée qu'un créancier ordinaire de somme d'argent, lequel ne peut, en général, obtenir d'autres indemnités que l'intérêt normal de l'argent (intérêt conventionnel ou légal); mais l'article 411, qui a posé ce principe, a réservé " les cas exceptés par la loi " et nous sommes en présence d'un de ces cas (comp. c. civ. fr., art. 1153 et 2028).
79. - II. Le cas où la caution s'est engagée spontanément et comme gérant d'affaires du débiteur, à son insu et, par conséquent, sans opposition de sa part, est déjà beaucoup moins favorable.
En l'absence de convention, ce n'est pas sur la perte qu'elle a éprouvée que se mesurera son indemnité, mais sur l'utilité qu'elle a procurée au débiteur; en effet, si elle éprouve des dommages du cautionnement au-delà du service rendu, c'est par sa volonté ou sa maladresse: le débiteur n'en peut être responsable; tel est par exemple, le cas où la caution a payé une dette annulable ou déjà éteinte. Mais si le débiteur se trouve enrichi par le fait que la caution a payé pour lui une dette véritable et exigible, il est juste qu'il restitue cet enrichissement.
En France, on discute si la caution, dans le cas qui nous occupe, a droit aux intérêts de ses déboursés, et on décide généralement en sa faveur, par extension des règles du mandat à la gestion d'affaires. Mais cette assimilation est arbitraire, en s'écartant des principes de la matière: la caution ne doit obtenir les intérêts de ses déboursés que si le payement qu'elle a fait a arrêté pour le débiteur lui-même les intérêts de sa dette, ce qui suppose que la dette en était productive; or, s'il s'agissait d'une dette ne portant pas intérêts, la caution ne pourrait alléguer avoir procuré, de ce chef, au débiteur une utilité ou un enrichissement; elle n'aurait donc droit qu'au capital payé.
La même solution a été déjà donnée pour la gestion d'affaires, en général, sous l'article 383 (v. Tome 11, n° 256).
C'est au moment où le débiteur a été libéré que s'apprécie son enrichissement: le texte a soin de l'exprimer, pour faire opposition au troisième cas ci-après; si donc le débiteur a acquis contre son créancier, depuis le payement fait par la caution, des causes de compensation qui l'auraient libéré de sa dette, au cas où elle aurait encore existé, il n'en est pas moins tenu de rembourser la caution; seulement, dans l'application de la loi, il faudra encore que la caution n'ait pas eu le tort de laisser ignorer au débiteur que sa dette était éteinte; car, autrement, celui-ci pourrait soutenir que, s'il en avait eu connaissance, il n'aurait pas contracté de nouveau avec son créancier: il est désormais exposé au risque de l'insolvabilité de celui-ci, tandis que la compensation l'en eût préservé (comp. art. 1033).
80. -III. Supposons enfin, avec le Se alinéa de notre article, que la caution s'est obligée malgré le débiteur. Nous avons dit (n° 28) que cette circonstance n'est pas exclusive de l'idée de gestion d'affaires: on peut rendre un bon office à quelqu'un malgré lui, et, de même qu'on peut payer la dette d'autrui malgré le débiteur, de même on peut la cautionner malgré lui. Ce n'est d'ailleurs qu'après le payement que la question de recours s'élèvera ici, et alors interviendront les solutions déjà données par les articles 474 et 475, au sujet du payement fait par un tiers et justifiées au Commentaire de ces articles (v. T. II, nos 454 et 455).
Signalons ici, avec le texte, la seule différence importante entre ce troisième cas et le précédent: ce n'est plus au moment où le payement a été effectué qu'on apprécie le moment de l'enrichissement du débiteur comme base du recours de la caution, c'est au moment où elle exerce ce recours; si donc, dans l'intervalle, il est survenu entre le débiteur et le créancier quelque convention ou autre acte qui eût diminué l'obligation, par voie de compensation ou autrement, au cas où elle eût encore existé, le recours de la caution est diminué d'autant. Bien entendu, nous nous plaçons dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu fraude de la part du débiteur (fraus omnia corrumpit).
81. Voici, pour terminer, une dernière différence entre les deux cas de gestion d'affaires et celui de mandat: ce n'est que dans le cas de mandat que la caution peut demander une indemnité avant d'avoir payé et par le seul fait qu'elle " a subi condamnation en cette qualité." Déjà l'article 1029 nous a dit que ce n'est également qu'au cas de mandat que la caution peut appeler le débiteur en garantie incidente. Les deux idées sont corrélatives: tant que le débiteur ne tire aucun avantage de la gestion d'affaires, il ne peut être actionné par le gérant; or, ni la poursuite exercée contre la caution, ni la condamnation prononcée contre elle n'ont libéré le débiteur; il faudrait qu'on fût encore dans le système de l'ancien droit romain, avec sa double novation judiciaire (v. n° 44), pour qu'une caution gérant d'affaires pût agir en indemnité avant d'avoir payé; au contraire, lorsque le débiteur a donné mandat à la caution, celle-ci peut se retourner contre lui dès qu'elle éprouve un dommage ou un simple trouble par suite du mandat; or, la condamnation et même la simple poursuite constituent déjà ce dommage ou ce trouble.
Art. 1031. — 82. Si la loi fait encore ici l'application formelle d'un principe général du mandat, c'est pour exprimer que la solidarité des mandants n'a lieu qu'autant qu'ils sont déjà tenus entre eux, chacun pour toute la dette, par l'effet de la solidarité ou de l'indivisibilité: autrement, et s'il ne s'agissait que de débiteurs simplement conjoints, il n'y aurait pas entre eux la communauté d'intérêts qui est la condition nécessaire de la solidarité entre les co-mandants (v. art. 945).
Cet article ne concerne que l'action exercée par la caution de son propre chef; lorsqu'elle agit en vertu de la subrogation aux droits du créancier, le cas est réglé par l'article 1037.
Art. 1032. — 83. Cet article n'est que l'application particulière d'un principe général de la garantie posé par l'article 420.
Si la caution n'a pas appelé le débiteur en cause, et si d'ailleurs elle n'a pas connu ni fait utilement valoir les moyens de défense qui appartenaient à celui-ci, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même de la perte du procès, et le débiteur n'en doit pas souffrir. On a vu, en effet (n° 72), qu'elle n'a pas mandat de plaider pour le débiteur.
La loi fait une distinction nécessaire entre les moyens péremptoire.,; de défense du débiteur, c'est-à-dire qui pouvaient faire rejeter la demande au fond, soit pour le tout, soit pour partie, comme un payement, et les moyens simplement dilatoires ou qui pouvaient seulement faire retarder l'exécution, comme l'existence d'un terme: dans ce dernier cas, la caution ne subirait qu'un simple ajournement de sa poursuite ou du recouvrement de ce qui lui serait dû.
Art. 1033. — 84. La loi suppose maintenant que la caution, toujours sans avoir appelé le débiteur en cause, a cependant valablement payé, parce que celui-ci n'avait pas de moyens de défense péremptoires à opposer au créancier. Là encore, elle peut être déchue de son recours; c'est lorsqu'elle n'a pas averti le débiteur du payement par elle effectué et, lorsqu'ayant tardé à exercer son recours, elle a laissé au débiteur le temps d'effectuer un nouveau payement; ici encore, c'est par sa faute qu'elle est déchue de son recours.
Pour être plus complète que le Code français, la loi donne la même décision pour le cas où le débiteur a obtenu sa libération autrement que par un second payement: par exemple, par novation, par compensation; mais il faut toujours que ç'ait été par un moyen onéreux; au contraire, si le débiteur avait, plus tard, obtenu du créancier une remise gratuite de la dette (et celui-ci aurait pu la faire de bonne foi, étant héritier du créancier originaire), le débiteur ne pourrait équitablement se refuser à rembourser la caution: la remise a été nulle, au fond, puisqu'il n'y avait plus de dette à éteindre et le débiteur qui lutte ici pour un gain est moins intéressant que la caution qui lutte pour éviter une perte (potior est qui certat de damno vitando, non qui certat de lucro captando).
D'ailleurs, le créancier, s'il avait réellement l'intention de gratifier le débiteur de la valeur de la créance, peut toujours le faire, aussitôt qu'il reconnaît qu'il en a déjà reçu le montant des mains de la caution et que le débiteur en doit le remboursement.
85. Le Code français n'a pas prévu le cas inverse de l'hypothèse précitée, celui où le débiteur aurait payé la dette sans en prévenir la caution et où celle-ci aurait payé une seconde fois. Il ne fallait pas donner absolument la même solution: le débiteur est plus naturellement appelé à payer sa dette que la caution; c est donc plutôt à celle-ci de s'informer, avant de payer, si le débiteur doit encore, que ce n'est au débiteur à s'enquérir si la caution n'a pas déjà payé.
Toutefois, et pour laisser place à l'examen, par les tribunaux, des responsabilités respectives, la loi déclare ici que la question sera résolue " suivant les cas," c'està-dire d'après les circonstances du fait: par exemple, si le débiteur était absent ou en prison au moment où la caution a été requise de payer, et si, de retour, il avait payé sans s'informer près de la caution si elle avait déjà payé ou non, il serait dans son tort.
86. Il va de soi, mais le texte l'exprime, que dans aucun cas, le créancier, même de bonne foi (ce qui sera rare ici), ne doit profiter de l'erreur qui a donné lieu à un double payement et qu'il devra rendre ce qu'il a indûment reçu; d'où il suit que les déchéances édictées par le présent article et par le précédent n'ont d'intérêt sérieux qu'au cas d'insolvabilité du créancier.
Art. 1034. — 87. La loi doit encore protéger la caution contre les risques de perte qu'elle n'a pu prévoir ou contre des incertitudes auxquelles elle n'est pas présumée avoir entendu se soumettre.
Comme l'indique non seulement la place de cet article mais encore son texte, c'est seulement à l'égard du débiteur que cette protection est accordée à la caution, ce n'est pas à l'égard du créancier: près de celuici son engagement doit être tenu dans sa forme et teneur et à tout événement.
Le Code français (art. 2032) présente cinq cas dans lesquels pourra s'exercer ce nouveau droit de la caution. On en retranche deux ici, comme inutiles: celui où la caution est poursuivie en justice pour le payement et celui où le débiteur s'est engagé à lui rapporter sa décharge dans un certain temps. Le premier de ces cas ferait double emploi avec la demande incidente en garantie déjà accordée à la caution par l'article 1029; le second n'est que l'application pure et simple du principe que les conventions font la loi des parties.
Les trois cas conservés par le Projet demandent quelques explications.
88. -Ier Cas. Le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture: il est évident que la caution sera nécessairement forcée de payer à l'échéance et qu'alors elle sera exposée à n'être pas remboursée; il est donc naturel qu'elle puisse se faire comprendre dans les opérations de la liquidation, comme créancier conditionnel.
Cependant, dans le même cas de faillite ou de déconfiture du débiteur, le créancier pourrait prétendre également se faire inscrire dans la liquidation, pour y être colloqué en proportion du montant de sa créance. Alors, comme il n'est pas admissible que la même créance figure deux fois dans la même liquidation, la caution s'abstiendra, si le créancier se présente: elle n'en souffrira pas, puisque ce qui sera alloué au créancier sur les biens du débiteur tournera à la décharge commune. C'est pourquoi le texte a soin d'exclure le cas où le créancier se présente à la liquidation.
89. —IIe Ca.,;. La dette est échue et le créancier ne poursuit ni le débiteur ni la caution: ce n'est pas une raison pour que celle-ci reste indéfiniment sous le coup d'une obligation dont l'exécution pourra lui être plus onéreuse ou plus difficile avec le temps. Sans doute, la dette étant échue, la caution pourrait en faire le payement, même malgré le créancier (art. 473 et 474j; mais il peut ne pas lui convenir de faire une avance, et cependant elle ne doit pas rester dans une incertitude nuisible à ses intérêts.
90. C'est ici que se représente la question, déjà touchée (n° 68), de l'influence du terme de grâce concédé au débiteur, soit par le créancier, soit par le tribunal.
Le Code français (art. 2039), ne prévoyant que le second cas, déclare, assez inutilement, que la prorogation de terme accordée par le créancier au débiteur " ne décharge pas la caution," mais que celle-ci "peut poursuivre le débiteur pour le forcer au payement: " solution singulière dans ses résultats.
D'abord, on ne dit pas si la caution, dans le cas où le créancier prétendrait le poursuivre, pourrait se prévaloir du terme concédé au débiteur; nous ne doutons pas qu'elle le puisse (v. n° 68), même dans le silence de la loi, car elle doit jouir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur: autrement, elle se trouverait dans une condition plus dure que celui-ci, ce qui est contraire à un principe fondamental de la matière (v. art. 1006).
Le véritable objet de cet article 2039 est de confirmer le droit de la caution de se faire indemniser, par la seule raison que le terme primitif est arrivé (art. 2032-4°). Mais est-ce là une heureuse disposition législative ? Que la caution demande au débiteur de la sortir d'incertitude quand le terme est arrivé, alors qu'elle est exposée à des poursuites, d'un moment à l'autre, rien de plus sage; mais, du moment que le débiteur jouit d'un nouveau terme et qu'elle en jouit elle-même, est-il juste et utile qu'elle puisse demander une indemnité lorsqu'elle n'est exposée, quant à présent, à aucun dommage ? Nous ne le pensons pas.
D'ailleurs, le système du Code français mène, comme nous le disions, à un résultat singulier: le créancier a accordé un nouveau terme au débiteur, cela n'ôte pas à la caution le droit " de forcer le débiteur au payement," de sorte que le bénéfice du terme est perdu pour celui-ci; la présence de la caution, qui lui avait fait obtenir du crédit, est cause maintenant qu'il est privé du bénéfice de la confiance du créancier. Cette solution ne nous semble pas heureuse et il suffit de ne pas reproduire l'article 2039 dans le Projet, pour qu'elle ne puisse être soutenue au Japon.
91. —IIIe Cas. Ici, la dette n'a plus d'échéance fixe; on ne peut même lui assigner un maximum d'éloignement; sa durée est indéterminée: il ne faut cependant pas que la caution soit soumise elle-même à une responsabilité indéfinie.
L'exemple le plus saillant est celui où la caution a cautionné le service d'une rente perpétuelle: comme le remboursement du capital n'est jamais exigible et dépend uniquement de la volonté du débiteur (v. art. 887), on peut dire que la durée de la dette est non seulement indéterminée, mais en quelque sorte indéfinie. Il en serait de même du cautionnement d'une rente viagère: la durée de la dette n'est guère moins indéterminée, et quoique la vie humaine ait des limites nécessaires, on n'en peut guère déterminer le maximum.
On peut encore citer le cas du cautionnement d'un comptable: comme le débiteur peut être comptable toute sa vie, il y a là une durée indéterminée de l'obligation principale.
Dans ces divers cas, la caution peut demander l'indemnité après dix ans, non de son engagement, qui peut être assez récent, mais de l'engagement du débiteur.
Il en serait autrement si le cautionnement garantissait la gestion du tuteur d'un mineur, parce qu'alors la dette principale aurait une durée maximum connue: la majorité du pupille. Au contraire, la tutelle d'un fou serait considérée comme une obligation à durée indéterminée, puisque la guérison est toujours incertaine et que la vie humaine est elle-même indéterminée dans sa durée. C'est ainsi que le Code français dispose, à un autre point de vue, que le tuteur d'un fou peut luimême demander à être relevé de la tutelle après dix ans (art. 508).
Dans le même ordre d'idées, nous considérons comme soumis à notre article le cautionnement d'une dot et celui d'un usufruit, toujours parce que la limite de l'obligation principale, étant la vie humaine, est indéterminée; si l'on objecte que le mariage et l'usufruit peuvent finir autrement que par la mort, le mariage par le divorce et l'usufruit par la perte de la chose, nous répondons que ces événements sont aussi indéterminés que la mort, quant à l'époque de leur arrivée, et incertains en eux-mêmes.
92. Nous rappelons, en terminant, que ce droit de demander une indemnité avant d'avoir payé n'appartient à la caution que lorsqu'elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur (v. n° 81). Cette condition qui n'est pas exprimée par le Code français doit y être sous-entendue: autrement, il serait choquant qu'une caution qui s'est engagée à l'insu du débiteur, peut-être même malgré lui, vînt lui susciter des troubles que ne lui cause pas le créancier. D'ailleurs, la caution qui n'est que gérant d'affaires n'a de droit et d'action contre le débiteur que dans la mesure du service qu'elle lui a rendu ou du profit qu'elle lui a procuré; or, ici, la caution n'a encore aucun de ces titres à une action en indemnité.
Art. 1035. — 93. Tout à l'heure la loi tendait à protéger la caution contre le débiteur. Ici c'est l'inverse. Mais il ne faut pas s'étonner, dans une matière où les intérêts sont multiples et éventuels, de voir la loi prendre, tour à tour, des mesures de précaution en faveur de chaque partie intéressée contre l'autre.
Dans le cas de l'article 1030, 1er alinéa, la cautionmandataire avait été poursuivie et sans avoir encore payé, elle avait été condamnée à le faire: son droit à l'indemnité était évident; dans les cas de l'article précédent, l'indemnité est donnée d'avance contre des poursuites plus ou moins à craindre; mais pourtant le débiteur ne cesse pas d'être exposé lui-même aux poursuites du créancier; il ne faudrait donc pas qu'il se compromît, en fournissant à la caution des valeurs que peut-être elle n'emploierait pas à éteindre la dette principale: elle pourrait devenir insolvable et les sommes qu'elle aurait reçues avec une destination particulière pourraient être saisies par ses créanciers, sans que le débiteur cessât d'être tenu de sa dette.
La loi autorise donc celui-ci à consigner les sommes ou valeur qu'il doit fournir iL la caution, et dans la consignation leur destination sera indiquée, de façon à ce qu'elles ne puissent en être détournées: le créancier seul pourra les retirer.
La loi admet d'autres mesures possibles de sécurité, sans les déterminer: par exemple, la caution donnerait elle-même une sûreté réelle ou. personnelle contre le risque dont il s'agit; ou bien le créancier interviendrait et déclarerait accepter la délégation de ladite indemnité, en déchargeant d'autant le débiteur.
Art. 1036. — 94. Ici, il ne s'agit plus d'une action propre à la caution, d'une action qu'elle exerce de son chef, à raison du service rendu au débiteur ou du dommage par elle éprouvé: elle exerce les droits et actions qu'avait le créancier par elle désintéressé; c'est un des cas de subrogation légale, le 3e d'après le Code français (art. 1251), mais le 1er d'après 13 Projet (art. 504), comme étant le plus saillant. Celui qui était tenu d'une obligation " avec d'autres ou pour d'autres," ayant acquitté la dette, a ainsi libéré ceux-ci: il mérite toute la protection possible de la loi pour le recouvrement de ce qu'il a déboursé; or, c'est quelquefois pour la caution un grand avantage que de pouvoir exercer les actions du créancier. Il faut, pour cela, supposer que le créancier avait lui-même quelque autre sûreté que le cautionnement, ou quelque avantage que n'a pas la caution avec son action personnelle. Par exemple, le créancier avait un gage ou une hypothèque, ou il avait plusieurs cautions: la caution qui a payé ne pourrait, de son propre chef, poursuivre les autres cautions ou exercer le droit de gage ou d'hypothèque; mais elle le pourra du chef du créancier auquel elle est subrogée. Elle pourrait même exercer, du chef du créancier, le droit de résolution du contrat pour inexécution: si ce n'est pas là une sûreté proprement dite (v. n° 10), c'est un avantage particulier du créancier, qui est transmissible par voie de subrogation comme par voie de cession (v. art. 508).
95. L'exercice par la caution des droits et actions du créancier n'exclut pas celui des droits et actions qu'elle a de son propre chef: les deux sortes d'actions sont "indépendantes," comme dit notre article: la caution peut les cumuler autant qu'elle y a avantage (v. art. 501, 1er al.). Ainsi, il est possible que la créance principale, bien qu'hypothécaire, ne porte pas d'intérêts: la subrogation ne donnerait pas à la caution le droit d'en exiger; mais elle en obtiendra de son propre chef, au moins quand elle sera mandataire, en vertu des principes du mandat (v. art. 941) et de l'article 1 030-l o. Ainsi encore, la créance principale portait des intérêts conventionnels supérieurs au taux légal, mais elle n'avait pas d'hypothèque; d'un autre côté, la caution est la femme du débiteur; comme telle, elle a l'avantage que toutes ses créances contre son mari emportent hypothèque légale générale (v. art. 1210-1°): elle a donc intérêt à cumuler les deux qualités de subrogée au créancier et de caution (comp. Tome II, n° 52 1).
96. Le texte n'accorde la subrogation à la caution que lorsqu'elle " a payé la dette;" il ne peut y ajouter, comme l'article 1030-10, le cas où " elle a subi condamnation en cette qualité;" il faut nécessairement qu'elle ait " désintéressé le créancier," sans quoi, celui-ci ayant encore ses droits et actions, la caution, ne pourrait y être subrogée: elle ne peut les acquérir qu'au moment où ils vont cesser d'appartenir au créancier ils lui sont alors transmis par le bienfait de la loi.
Du reste, il n'est pas nécessaire pour que la caution soit subrogée qu'elle ait payé toute la dette: la subrogation peut être partielle comme le payement (v. art. 508).
97. Le texte nous dit encore que la subrogation n'est acquise à la caution que sous les restrictions auxquelles est soumise son action personnelle, d'après les articles 1032 (1er al.) et 1033 (ler al.). Ainsi, si la caution actionnée a négligé d'appeler le débiteur en cause, lorsqu'elle avait des moyens péremptoires de repousser l'action principale, elle ne pourra user utilement de la subrogation ou, du moins, si les droits du créancier sont contestables, ils ne le seront pas moins étant invoqués par la caution. Ainsi encore, si la caution a valablement payé la dette, mais a négligé d'en informer le débiteur, de sorte que celui-ci a payé une seconde fois, la subrogation a bien été acquise d'abord à la caution; mais, dès que le débiteur a fait le second payement, quoiqu'indûment, elle a perdu le droit d'exercer l'ancienne action du créancier.
98. On a vu, à l'article 1030, que le recours propre de la caution est plus ou moins favorable, suivant qu'elle est mandataire du débiteur ou qu'elle est seulement gérant d'affaires et, dans ce second cas, suivant que le débiteur a ignoré ou défendu la gestion.
Ces distinctions et sous-distinctions ne sont pas à faire ici: du moment que la caution Il a désintéressé le créancier," elle a acquis les droits de celui-ci, peu importe quels ont été ses sentiments ou son mobile: ce n'est plus le service qu'elle a rendu au débiteur qui est la mesure et le fondement de son recours, mais le service rendu au créancier même dont elle acquiert les actions.
Dans le droit romain et dans l'ancien droit français, il y avait plutôt cession conventionnelle de la créance à la caution que subrogation légale; or, il n'était pas douteux que cette cession pût se faire à un tiers qui agissait à l'insu du débiteur et même malgré lui.
Le droit moderne n'a fait que substituer une disposition légale à la convention des parties.
Le cas qui nous occupe n'est, au surplus, qu'un payement avec subrogation. En France, on peut douter, en présence de l'article 1236 du Code civil, que le tiers qui paye malgré le débiteur puisse se faire subroger par convention, et, à plus forte raison, qu'il soit subrogé légalement; mais le Projet a levé tous les doutes à cet égard (v. art. 502).
Remarquons, en terminant, que la loi (26 al.) emploie à dessein l'expression de " bénéfice de subrogation " pour bien faire ressortir son caractère et lui faire prendre place à côté des deux autres bénéfices de la caution, celui de discussion et celui de division.
99. Bien entendu, dans aucun cas, la caution n'obtiendra par la subrogation plus qu'elle n'a effectivement déboursé pour désintéresser le créancier: c'est un principe général de la subrogation (v. art. 506) déjà appliqué à la caution (art. 530); c'est en même temps, une grande différence avec la véritable cession de créance, laquelle peut être une source de profit légitime pour le cessionnaire.
100. C'est une sérieuse difficulté, même législative, que celle du conflit de subrogation entre lac caution et le tiers détenteur de biens hypothéqués à la dette: tous deux peuvent prétendre à la subrogation, comme étant tenus pour d'autres, et cependant ils ne peuvent être subrogés respectivement, l'un contre l'autre, ce serait un circuit d'actions récursoires sans issue.
En France, la loi n'a rien fait pour prévenir ce conflit: la doctrine et la jurisprudence ne sont pas arrivées à une solution qui satisfasse à tous les intérêts et qui se concilie avec les divers principes se trouvant ici en jeu. Généralement on donne la préférence à la caution sur le tiers détenteur; mais on paraît toujours se placer dans le cas où le tiers détenteur est un ache. teur qui, au lieu de dégrever l'immeuble, avec les formalités de la purge, en payant son prix d'acquisition au créancier hypothécaire (ce qui eût libéré d'autant la caution), l'a payé directement au débiteur (son vendeur); alors il est naturel que la caution lui reproche sa négligence et repousse son action, lorsqu'il aura ensuite désintéressé le créancier hypothécaire.
Mais cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés. On peut supposer en effet, que le tiers détenteur a purgé, mais a dû faire pour cela une avance de fonds dont il n'était pas débiteur.
Cela se présentera dans trois cas principaux:
1° C'est un acheteur qui, ayant acheté à un prix avantageux, a offert plus que son prix pour éviter la saisie hypothécaire de son immeuble;
2° C'est un co-échangiste qui, ayant déjà donné un bien équivalent en contre-échange et ne devant pas de prix, ni même de soulte, a dû faire une avance de fonds pour purger;
3° Enfin, c'est un donataire qui, ne devant rien en retour de l'immeuble reçu, n'a pu purger qu'en offrant une somme égale à sa valeur.
101. La lre rédaction de l'article 505 (2e al.) du Projet, tenant compte de ces diverses situations, donnait la subrogation au tiers détenteur contre la caution, précisément "pour les sommes ainsi avancées pour la purge," sans être dues par lui (v. T. II, nos 538 et 538 bis).
Mais la Commission a fait de sérieuses objections à ce système.
D'abord le donataire lui a paru toujours moins intéressant que la caution, puisqu'il lutte " pour faire un gain, tandis que celle-ci lutte pour éviter une perte."
De même, l'acheteur qui a acheté à bas prix ferait, au préjudice de la caution, un profit analogue et aussi peu légitime, quoique moindre. Quant au co-échangiste. on peut lui reprocher de participer à un acte qui tendrait à remplacer dans le patrimoine du débiteur un bien hypothéqué par un bien non hypothéqué, c'est-à-dire à enlever à la caution sa garantie, sans lui en donner une autre.
On a encore remarqué la singularité de certains résultats du système proposé. Si, par exemple, la caution avait payé la dette au créancier avant l'aliénation, elle aurait certainement été subrogée contre le tiers détenteur qui aurait acquis l'immeuble depuis le payement; c'eût été à elle alors que les offres de purge auraient été faites: elle n'eût pas accepté des offres insuffisantes, et, en cas d'acceptation, elle eût certainement conservé les sommes reçues, sans recours du tiers détenteur, puisque c'eût été de lui qu'elle les aurait tenues. Il était donc bizarre que, pour avoir payé plus tard, elle fût sacrifiée au tiers détenteur, qu'on ne lui fît pas d'offres, que la purge se fît sans elle, à des conditions peut-être désavantageuses pour le créancier négligent ou complaisant, et qu'elle fût exposée à un recours qu'elle n'avait pu éviter.
Il y avait dans cette dernière objection les éléments d'une solution nouvelle et satisfaisante.
Il fallait trouver un moyen d'obliger le tiers détenteur à comprendre la caution dans les offres à fin de purge; pour cela, il était nécessaire que sa qualité et son droit éventuel fussent révélés au tiers détenteur par le registre des hypothèques.
Un instant, on a pensé qu'elle avait le droit de stipuler du débiteur, au moment où elle s'engageait comme caution, une hypothèque conditionnelle, au second rang, en vue du cas où elle payerait la dette: l'inscription d'une telle hypothèque, incontestablement permise, aurait obligé le tiers détenteur à lui faire des offres à fin de purge, comme au créancier principal (v. art. 1276-40).
Mais on a encore objecté, non sans raison, que c'était là un moyen dont, en fait, la caution n'userait pas: elle ne pourrait guère témoigner une telle défiance au débiteur, au moment même où elle lui rendrait un bon office.
102. C'est alors qu'on a considéré que, ce droit d'hypothèque conditionnelle, la caution le tenait de la loi elle-même, par suite de la subrogation légale éventuelle: elle n'avait donc pas à la demander au débiteur.
Restait à la publier, en vue d'une aliénation possible et avant que celle-ci eût lieu; car on verra ultérieurement que les hypothèques ne sont opposables aux tiers acquéreurs, ne donnent le droit de suite, que si elles sont inscrites avant l'aliénation (v. C. civ. fr., 2166; Projet, art. 1262).
Un premier moyen serait que la caution prît une inscription spéciale de son droit éventuel d'hypothèque fondé, tout à la fois, sur la convention d'hypothèque faite avec le créancier et sur la disposition de la loi qui la subroge éventuellement. Mais, il pourrait lui être difficile de connaître exactement les clauses de la constitution d'hypothèque où elle n'a pas été partie; or, cette connaissance lui serait nécessaire pour prendre une inscription.
Il y a un moyen bien plus simple: le créancier a sans doute pris inscription pour lui-même; dès lors, il suffit que la caution fasse mentionner en marge de ladite inscription son hypothèque conditionnelle ou son droit éventuel à la subrogation: il suffira pour cela qu'elle fasse mentionner sa qualité de caution de la même dette ou d'une partie de la dette, et la date de son engagement, en y ajoutant, pour plus de précision, sans que ce soit nécessaire, que ladite mention est faite en prévision de la subrogation légale à laquelle elle est appelée (v. art. 1226).
Il fallait prévoir aussi le cas où le créancier aurait négligé de prendre inscription pour lui-même; alors, il y a pour la caution une situation encore bien meilleure: elle a, par le seul fait de la négligence du créancier, le droit de lui demander sa décharge du cautionnement (v. art. 534 et 1045).
A cette occasion, on a dû examiner aussi s'il fallait subordonner ces droits de la caution à la condition que son engagement eût accompagné ou suivi la constitution de l'hypothèque en faveur du créancier. Cette condition était implicitement posée dans l'ancien article 534, au sujet de la remise conventionnelle de l'hypothèque faite par le créancier au débiteur.
On a abandonné cette idée (v. nouv. art. 534). En effet, lors même que la constitution de l'hypothèque a suivi l'engagement de la caution, c'est un bénéfice, un droit éventuel qui lui a été acquis, lors même qu'elle n'y aurait pas compté; dès lors, ce bénéfice ne peut lui être enlevé sans son consentement (comp. T. II, n° 589 et la note).
Ainsi se trouve résolu, d'une manière qui respecte tous les principes et concilie tous les intérêts, un des problèmes législatifs les plus épineux.
Nous en reportons le mérite aux critiques éclairées que nous a faites la Commission.
Art. 1037. — 103. On se retrouve ici en présence du cas prévu par l'article 1031, où il y a plusieurs débiteurs solidaires cautionnés; mais la disposition de cet article ne fait pas double emploi avec le premier; dans le cas de l'article 1031, pour que la caution ait action pour le tout contre chacun des débiteurs, il faut qu'elle soit mandataire de tous: il y a alors solidarité légale entre les co-mandants, d'après l'article 945. Mais si la caution est intervenue spontanément et comme gérant d'affaires, elle n'a, de son chef, contre chaque débiteur, qu'une action divisée, d'après l'intérêt de chacun et dans la mesure du service à lui rendu; ici, lors même qu'il n'y a pas mandat, la caution, agissant comme subrogée aux droits du créancier, peut, comme lui et en son lieu et place, exercer une action solidaire contre chaque débiteur.
On aurait pu croire qu'il fallait faire ici une distinction qui paraît indiquée par le Code français (art. 2030) et qui a beaucoup de partisans dans la doctrine: à savoir, si la caution est intervenue nommément pour tous les débiteurs solidaires, ou seulement pour un ou quelques-uns d'entre eux. Il est clair que contre ceux pour lesquels elle est intervenue nommément, elle exerce le droit du créancier dans son intégralité; mais contre les autres, on pourrait prétendre que, n'étant pas tenue pour eux, elle ne jouit pas de la subrogation légale et qu'elle n'a qu'une action propre qui ne lui permet de se faire rembourser par chacun que le montant de sa part réelle dans la dette.
Mais cette opinion paraît devoir être rejetée: quelle que soit la solution à donner en droit français (et l'article 2030 pourrait permettre celle que nous proposons ici), il faut s'attacher uniquement aux principes de la matière: si la caution est subrogée aux droits du créancier, c'est à tous ces droits et dans l'étendue où il les avait; or, le créancier avait action contre chacun des débiteurs pour le tout: la caution doit avoir le même droit contre chacun d'eux.
Si l'on objecte qu'elle n'était pas tenue pour tous, mais seulement pour ceux qu'elle avait cautionnés, et que c'est contre ceux-là seulement qu'elle doit être subrogée, nous répondons que, nulle part, la loi n'a dit ni dû dire que les droits du subrogé ne s'exercent que contre ceux pour lesquels elle est intervenue: ils s'exercent contre tous ceux que le créancier pouvait poursuivre; ainsi, la caution n'est pas tenue pour le tiers détenteur, et cependant elle peut le poursuivre, sous les distinctions portées à l'article 505 et rappelées à l'article précédent.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement à ceux qui sont tenus pour d'autres que la subrogation légale est accordée, mais aussi à ceux qui sont tenus avec d'autres; or, dans le cas qui nous occupe, la caution qui n'a garanti qu 'un seul des débiteurs solidaires n'en est pas moins tenue avec tous les autres; il est donc naturel qu'elle ait recours contre tous, de même qu'elle recourrait contre un tiers détenteur: ici, ce sont les droits du créancier qu'elle exerce et non plus les siens propres.
SOMMAIRE.
Art. 1038. — N° 104. Divers cas 10ll une des cautions peut avoir payé plus que sa part dans la dette. -105. Objet de son recours contre ses co-fidéjusseurs. -10G. Action de gestion d'affaires. —107. Actions du créancier par subrogation. -108. Conditions et limites de ces actions.
1039. -109. Droits et obligations du certificateur de caution.
1040. -HO. Bénéfice de discussion conservé au co-fidéjusseur et au certificateur.
1041. -111. Nouvelle application de la garantie incidente
1042. -112. Renvoi à ce qui a été dit, pour un cas analogue, de l'effet relatif de certaines preuves.
1043. -113. Renvoi à la solidarité pour le cas d'insolvabilité de plusieurs cautions solidaires.
COMMENTAIRE.
Art. 1038. — N° 104. Il n'est pas rare qu'il y ait plusieurs cautions d'un même débiteur; déjà l'article 1023 l'a supposé, et il déclare que les poursuites doivent être divisées par le créancier entre les cautions, par portions viriles; dans le Projet, la division a même lieu de plein droit, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit formellement demandée par la caution poursuivie.
Mais cette disposition ne met pas un obstacle absolu à ce que l'une des cautions ait payé la totalité de la dette, ou une partie de la dette supérieure à sa portion virile. Plusieurs cas peuvent s'en présenter, dont trois sont prévus par ledit article 1023.
Le 1er cas est celui où il aurait été fixé des parts inégales, le 2e est celui où les cautions (ou co-fidéjusseurs) se sont engagées solidairement, soit entre elles, soit avec le débiteur; le 3° est celui où elles ont autrement renoncé à la division, soit purement et simplement, soit en s'engngeant indivisiblement.
Nous supposerons ici un 4e cas qui n'est pas d'ailleurs une exception à la division de plein droit, c'est celui où une caution, poursuivie ou non, a payé toute la dette, sans se prévaloir du bénéfice de division. C'est par allusion à ce cas que notre article suppose qu'une caution a payé toute la dette, Il volontairement ou non; " c'est alors seulement que le payement est volontaire.
Dans tous ces cas, il est naturel que celle des cautions qui a payé toute la dette ait un recours contre les autres: dans les trois premiers cas, parce qu'il ne doit pas dépendre du créancier de faire tomber la charge du cautionnement sur l'une des cautions; dans le quatrième, parce que la caution est présumée n'avoir consenti à faire pour les autres qu'une simple avance et non un sacrifice définitif.
La loi nous indique ici l'objet de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce et ses limites ou conditions.
105. L'objet du recours est la part de chaque eaution, ce qu'il faut entendre ici, naturellement, d'une part virile (pro numéro virorum), car les parts réelles des codébiteurs en général ne diffèrent des parts viriles que par l'inégalité d'intérêts dans la dette commune; or, les co-fidéjusseurs n'ont pas d'intérêt personnel dans la dette. Cependant, si les cautions s'étaient engagées pour des parts inégales, le recours ne s'effectuerait contre chacune que dans la mesure de la part à elle afférente.
106. Les voies de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce, sont de deux sortes: l'action de gestion d'affaires (ici il n'est pas question de mandat) et l'action du créancier transmise par subrogation.
Le Code français n'a pas mentionné la première de ces actions, sans doute parce que la caution qui a payé préférera user de l'action du créancier; mais si cette action était sur le point de s'éteindre par la prescription, au moment du payement fait au créancier (il y a de très courtes prescriptions, v. art. 1491 à 1500), ce payement ne l'interromprait pas, et pour peu que la caution, ignorant la date de l'échéance, tardât à exercer son recours, elle serait déchue de l'action du créancier; c'est alors qu'il serait utile à la caution d'exercer l'action de gestion d'affaires qui ne se prescrit qu'à partir du jour où le recours est né par le payement et dont la prescription est de trente ans.
Nous avons dit, incidemment, qu'il n'y avait pas lieu ici à l'action de mandat, tandis qu'elle est la plus fréquente pour le recours de la caution contre le débiteur principal; c'est qu'en effet, les co-fidéjusseurs ne se donnent pas un mandat mutuel, même quand ils interviennent en même temps et pour un même débiteur: le mandat suppose chez le mandant un intérêt à l'acte qu'il s'agit de faire; or, le débiteur a bien intérêt à être cautionné et les co-fidéjusseurs lui rendent conjointement un bon office; mais ceux-ci ne s'en rendent pas mutuellement; ils ne sont même gérants d'affaires les uns pour les autres que lorsqu'ils payent la dette commune, mais non lorsqu'ils s'engagent conjointement: pour qu'il en fût autrement, il faudrait que les cautions s'engageassent solidairement les unes avec les autres; on doit même, dans ce cas, admettre entre elles le mandat mutuel et tacite qui caractérise la solidarité: leur intérêt naît de leur association dans la garantie.
107. Lorsque la caution qui a payé exerce l'action du créancier contre ses co-fidéjusseurs, on pourrait croire qu'en vertu de la subrogation, elle peut poursuivre solidairement chacun d'eux (en retenant, bien entendu, une part à sa charge), au moins quand il y avait solidarité ou indivisibilité entre eux, ou quand ils avaient renoncé au bénéfice de division dans l'intérêt du créancier; mais ce serait un inutile circuit d'actions, car la caution qui rembourserait ainsi la totalité, moins une part, recourrait, à son tour, contre une autre pour le tout, moins deux parts, et ainsi de suite; autant vaut ne demander immédiatement à chacune que ce qu'elle doit supporter définitivement.
Le recours solidaire en vertu de la subrogation n'aurait pas d'ailleurs pour effet de préserver la caution qui l'exercerait des insolvabilités qui pourraient se rencontrer parmi les co-fidéjusseurs, car l'équité la plus évidente veut que, s'il y a des insolvables parmi eux, la perte se répartisse entre tous, " y compris celui qui a payé la dette," comme le dit l'article 1039, 2e alinéa, ci-après.
108. Le recours de la caution qui a payé, contre ses co-fidéjusseurs, est soumis par la loi aux Il mêmes conditions, limites et distinctions que son recours contre le débiteur principal." C'est dire que si la caution poursuivie avait négligé des moyens de défense qui auraient pu faire rejeter la demande du créancier, elle ne pourrait se faire rembourser par les autres cautions (art. 1032); de même, si, ayant payé, elle avait négligé d'en avertir ses co-fidéjusseurs, de sorte que ceux-ci ou l'un d'eux eussent payé une seconde fois (art. 1033).
Art. 1039. — 109. La première disposition de cet article est importante: s'il y a un certificateur de la caution insolvable, c'est sur lui et non sur les autres co-fidéjusseurs que retombera la perte résultant de l'insolvabilité; c'est l'application du principe posé par l'article 1007, 2° alinéa, d'après lequel le certificateur remplit vis-à-vis de la caution le. même rôle que celleci vis-à-vis du débiteur principal.
Remarquons, à ce sujet, que si le certificateur de caution était poursuivi par le créancier avant la caution elle-même (ce qui est permis), il pourrait renvoyer le créancier à discuter non seulement les biens du débiteur principal, comme il est dit à l'article suivant, mais encore ceux de la caution elle-même qu'il certifie.
De même, s'il y a plusieurs certificateurs d'une même caution, leur obligation se divise de plein droit entre eux par portions viriles, à moins qu'ils ne soient engagés solidairement. Enfin, au point de vue du recours même qui nous occupe, si l'un de plusieurs certificateurs a payé seul toute la dette de la caution, il a recours contre les autres pour leur portion virile.
La 2° disposition a été annoncée déjà sous l'article précédent Elle n'est pas exprimée en cette matière par le Code français, mais elle l'est dans une autre, tout-à-fait analogue, celle de la solidarité entre débiteurs (v. art. 1214, 2e al.).
Remarquons que cette garantie de l'insolvabilité d'un des co-fidéjusseurs est limitée, comme le dit le texte, au cas où la division a été exclue par la convention: autrement, il y aurait eu division de plein droit, à l'origine (v. art. 1023) et il n'y aurait pas de garantie mutuelle des insolvabilités (1).
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(1) L'ancien texte ne portait pas cette limite: il a paru nécessaire de l'exprimer.
Art. 1040. — 110. La loi suppose que la première caution actionnée n'a pas opposé au créancier le bénéfice de discussion à l'égard des biens du débiteur principal, soit qu'elle l'ait négligé, soit qu'elle en ait été privée; dans ce cas, la discussion peut être demandée par le co-fidéjusseur actionné par le recours organisé aux deux articles précédents; mais il devra lui-même en observer les règles et conditions: par exemple, indiquer des immeubles situés dans le ressort de la cour d'appel, et ne s'en prévaloir que s'il ne s'est pas lui-même privé de ce bénéfice par une renonciation ou autrement (v. art. 1020 et 1021).
La loi proclame le même droit pour le certificateur de caution, ce qui s'entend ici naturellement du cas où il est actionné en recours, en vertu de l'article précédent. Mais il aurait le même droit, s'il était actionné directement par le créancier, en cas d'insolvabilité de la caution qu'il garantit. Si la loi ne l'a pas exprimé à l'article 1019 ou à la suite des articles 1020 et 1021, c'est que le certificateur de caution aurait dû alors figurer dans une foule d'autres dispositions, sous peine qu'on put croire qu'il en était exclu, et le mentionner partout eût été redondant.
Art. 1041. — 111. Le droit pour une caution d'appeler ses co-fidéjusseurs en garantie n'est pas entravé par l'exercice du même droit contre le débiteur principal: puisés tous deux à la même source, ils ne s'excluent pas l'un l'autre.
Bien que cette disposition ne soit d'ailleurs qu'une application des principes de cette matière et, en remontant plus haut, du principe général de la garantie(y. art. 418 et 419), ce n'est pas une raison pour l'omettre ici. Nous nous sommes plusieurs fois prononcé en faveur de l'application fréquente par la loi des principes qu'elle a posés elle-même. Les magistrats chargés d'appliquer la loi, les avocats et les parties qui l'invoquent, ceux qui l'enseignent et ceux qui l'étudient, sont bien plus frappés et éclairés par l'application légale et pratique d'un principe que par l'énoncé théorique du principe lui-même, dans une forme nécessairement abstraite.
Art. 1042. — 112. Cet article n'est, au sujet de l'effet relatif des preuves, que l'application des règles posées aux articles 1026, 1027 et 1028, pour une situation analogue. Seulement, ici nous n'avons pas à justifier la loi d'une apparente répétition: ces situations analogues, avec des différences, sont pleines de dangers de confusion, si la loi ne ne se prononce spécialement sur chacune.
Art. 1043. — 118. Ici, il n'y a également qu'un renvoi, mais à une matière non encore traitée. Comme ce sont des règles de la solidarité à appliquer au cautionnement, il est naturel de les placer au Chapitre de la solidarité.
SOMMAIRE.
Art. 1044. — N° 114. Extinction directe. -115. Le payement de la dette n'est pas applicable au cautionnement seul. -116. Novation. -117. Impossibilité d'exécuter.-118. Renvoi pour la remise volontaire, la compensation et la confusion. -119. Résolution et rescision. - 120, 121. Prescription.
1045. -122. Décharge du cautionnement exigée du créancier qui a renoncé à ses sûretés. -123. Extension au cas de faute.
1046. -124. Le cautionnement ne survit jamais à la dette
principale. -125. Renvoi aux modes d'extinction des obligations.
COMMENTAIRE.
Art. 1044. — N° 114. On va trouver ici deux sortes d'extinction du cautionnement: l'extinction directe, c'est-à-dire celle qui résulte de faits atteignant le cautionnement même, sans influence sur la dette principale, et l'extinction indirecte, atteignant d'abord la dette principale et, par voie de conséquence nécessaire, l'obligation accessoire de la caution.
La loi commence par l'extinction directe. Elle nous dit que les modes ordinaires d'extinction des obligations s'appliquent au cautionnement.
115. Il faut remarquer cependant que le premier et le plus naturel des modes d'extinction, le payement, ne peut s'appliquer au cautionnement sans s'appliquer en même temps à la dette principale; on peut même dire que lorsque la caution paye, c'est la dette principale qu'elle éteint directement et non la sienne propre, laquelle ne s'éteint que par voie de conséquence.
Qu'est-ce en effet que le payement ? C'est " l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur " (art. 472); or, si la caution accomplit la prestation que le débiteur a promise, c'est pour celui-ci qu'elle le fait, en son nom et assurément pour son compte.
Bien plus, si au lieu d'exécuter l'obligation telle qu'elle a été stipulée, la caution est admise par le créancier à faire une dation en payement, c'est-à-dire à donner autre chose que ce qui est dû, c'est encore ladette principale qui est éteinte directement, quoique le débiteur n'ait pas participé à l'opération.
116. Au sujet de la novation, on a quelquefois soutenu que, de même que le payement, elle ne peut porter que sur la dette principale; mais c'est là une erreur: la caution peut faire novation de son engagement, par exemple, en présentant une autre caution à sa place; c'est ce qu'a prévu l'article 523.
117. Un autre mode d'extinction qui ne paraît pas pouvoir atteindre le cautionnement directement, mais seulement par voie de conséquence, c'est la perte de la chose due, ou, plus généralement, l'impossibilité d'exécuter (art. 561 et s.): la caution devant fournir la même chose que le débiteur ou exécuter le même fait, si cette chose ou ce fait ne peuvent plus être fournis, le débiteur est libéré comme la caution et, en quelque sorte, avant elle.
Mais on pourrait cependant maintenir la séparation des deux effets: supposons que le fait promis par le débiteur et la caution soit de nature à ne pouvoir être exécuté que par eux, conjointement ou séparément, à cause d'une aptitude personnelle et exclusive, et que la caution soit devenue, par accident ou force majeure, incapable d'exécuter le fait: elle sera libérée, sans indemnité à payer et le débiteur ne le sera pas.
Il est plus difficile de donner un exemple analogue pour une dette de chose, car si la caution est dans l'impossibilité de la donner, sans doute le débiteur ne le pourra pas davantage.
Supposons cependant que l'obligation principale porte sur deux choses dues alternativement et que la caution n'ait garanti la prestation que de l'une d'elles: celle-ci venant à périr par cas fortuit, la caution est libérée, tandis que le débiteur doit encore l'autre chose.
118. La remise ou décharge conventionnelle du cautionnement a déjà été prévue à l'article 533, la compensation à l'article 543 et la confusion à l'article 560: notre article se borne à renvoyer à ces articles.
11 ne faudrait pas croire d'ailleurs que ces dispositions eussent été mieux à leur place ici qu'aux articles précités: soit que le cautionnement s'écarte du droit commun, au sujet de ces modes d'extinction, soit qu'il y reste conforme, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, c'est toujours à l'occasion de chacun des modes d'extinction qu'il convient que la loi s'en explique; il n'est pas moins naturel de mentionner les particularités du cautionnement en traitant de la novation, de la remise de la dette, etc., que de mentionner les particularités de ces modes d'extinction en traitant du cautionnement.
119. Il reste trois modes d'extinction des obligations dont il faut noter l'application directe au cautionnement: la résolution expresse ou tacite, la rescision et la prescription.
La cautionnement peut n'avoir été donné que sous une condition résolutoire expresse, tirée des convenances personnelles de la caution; par exemple, elle a entendu être libérée si elle perdait son emploi actuel, sans en obtenir un autre égal ou supérieur: cet événement venant à se produire, le cautionnement s'éteindra, sans que la dette principale en soit atteinte. Il y aurait condition résolutoire tacite si la caution avait obtenu un engagement corrélatif du créancier, lequel n'aurait pas été tenu par celui-ci.
La rescision ou nullité suppose que la caution était incapable ou que son consentement a été vicié: il est clair qu'elle jouira, contre cette obligation accessoire, de la même protection de la loi que s'il s'agissait d'une obligation principale.
120. Reste la prescription. C'est encore un mode d'extinction qu'on a soutenu, en France, ne pas pouvoir s'appliquer directement au cautionnement et ne pouvoir profiter à la caution que par voie de conséquence, c'està-dire quand la prescription aurait éteint l'obligation principale.
Sans doute, on ne peut concevoir que le délai légal de la prescription soit plus court pour le cautionnement que pour la dette principale, car la prescription du cautionnement est toujours la plus longue des prescriptions civiles: à savoir, 30 ans; tandis que la dette principale pourrait jouir d'une courte prescription, laquelle, en même temps, profiterait à la caution. Sans doute encore, en sens inverse, l'interruption de la prescription, obtenue par des poursuites contre le débiteur ou par sa reconnaissance de la dette, aura le même effet contre la caution, de sorte qu'elle ne bénéficiera pas de l'inaction du créancier à son égard. De même encore, si le créancier est mineur, le délai de la prescription, suspendu contre le débiteur pendant la dernière année est également suspendu contre la caution, car la minorité est une qualité absolue (a).
121. Mais prenons un autre cas de suspension de prescription, justement une suspension tirée d'une qualité du créancier non plus absolue mais relative: la prescription est suspendue entre époux. Supposons que la dette principale soit de la femme envers le mari et que le cautionnement soit fourni par le père ou le frère de la femme; trente ans se sont écoulés depuis que la dette était devenue exigible: le mari a conservé son droit contre la femme, puisqu'il y a une certaine suspension de prescription entre eux; mais il a perdu son droit contre la caution, parce que la prescription n'est pas suspendue entre le mari et le père ou le frère de la femme.
Et qu'on ne dise pas que la prescription est une présomption légale de payement, et que s'il y a payement présumé de la part de la caution, le débiteur principal est lui-même libéré: la prescription fait présumer tout aussi bien une remise de la dette, et ici ce ne sera que la remise du cautionnement, puisque ce n'est qu'en faveur de la caution que court la prescription.
Il ne faudrait pas non plus soutenir que la suspension de prescription établie en faveur du créancier contre le débiteur a lieu aussi contre la caution, par analogie de l'interruption qui, faite par le créancier contre le débiteur, vaut de plein droit contre la caution; les deux faits sont différents: dans le cas de poursuites contre le débiteur, la caution ne les ignore généralement pas; le débiteur, en recevant la poursuite représente la caution et elle est ainsi préservée de frais particuliers; mais dans le cas de suspension, il n'y a, de la part du créancier contre le débiteur, aucun acte dans lequel on puisse dire que la caution est représentée; il n'y a que l'effet virtuel d'une qualité toute personnelle et relative du créancier vis-à-vis du débiteur, laquelle ne peut s'étendre à la caution.
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(a) On verra au Livre V, IIe Partie (art. 1467) que, dans le Projet, la prescription court contre les mineurs, sauf une suspension pendant la dernière année de sa durée, de sorte qu'il leur reste toujours un délai suffisant pour agir après leur majorité. Il existe une suspension analogue entre époux (art. 1470).
Art. 1045. — 122. Déjà, à l'occasion de la remise conventionelle ou de la renonciation faite par le créancier à tout ou partie de ses sûretés, on a énoncé le droit de la caution de demander sa décharge à ce même créancier, à raison de ce qu'il a diminué pour elle les moyens d'être indemnisée par l'effet de la subrogation à ces droits (v. art. 534).
Une différence est à signaler ici avec le Code français où la caution paraît déchargée de plein droit, tandis que, d'après l'article 534 du Projet, la caution doit faire une demande en décharge.
Cette nécessité de recourir à la justice était évidente dans le système adopté d'abord dans ledit article 534; car la caution devait " justifier qu'en contractant elle avait compté sur la subrogation aux garanties," ce qui impliquait que les sûretés abandonnées par le créancier avaient été constituées avant l'engagement de la caution, ou en même temps, mais non après.
Mais cette distinction relative à la date respective du cautionnement et des autres sûretés a été reconnue mal fondée et supprimée de la nouvelle rédaction de l'article 534.
Cela n'empêche pas qu'on maintienne ici la nécessité d'une demande en justice, car il peut y avoir contestation sur le fait de la négligence du créancier dans la conservation desdites sûretés (comp. T. Il. n° 589).
123. Sous ce rapport, notre article est plus étendu que l'article 534. En effet, il ne se borne pas à renvoyer à l'article 534, il porte encore deux dispositions utiles qui ne pouvaient être rattachées à ce dernier.
1 ° Comme l'article 534 ne concerne que les renonciations ou remises, expresses ou tacites, mais toujours volontaires, on aurait pu douter que la caution eût le même droit à sa décharge lorsque le créancier aurait perdu ses sûretés par négligence: par exemple, en omettant de faire faire la transcription d'une vente d'immeuble, laquelle eût conservé son privilége de vendeur et son droit de résolution (v. art. 1184 et 1188), ou bien en négligeant l'inscription de son hypothèque (v. art. 1219) ou la notification requise au cas d'une constitution de gage sur la créance d'un tiers (v. art. 1108); on pourrait encore donner comme exemple le cas où le créancier aurait, par négligeuce à se défendre, laissé juger qu'il n'avait pas la sûreté prétendue par la caution.
Le texte de notre article autorise donc la caution à se faire décharger dans le cas de négligence du créancier (v. aussi art. 1036, 46 al.).
2° On aurait pu douter également que ce droit à la décharge appartînt, sinon à la caution solidaire (laquelle y est formellement appelée par le nouvel article 534), au moins à la caution qui a renoncé au bénéfice de discussion ou à la caution engagée à l'insu du débiteur ou malgré lui: ces diverses situations de la caution rendent sa condition moins favorable, à certains égards; mais elles doivent rester ici sans influence et la loi l'exprime en disant que le droit à cette décharge appartient " à toutes les cautions indistinctement et il. leurs certificateurs."
Art. 1046. — 124. La dette de la caution, étant accessoire d'une dette principale, s'éteint nécessairement avec celle-ci, par voie de conséquence; il n'y a aucune exception à la règle et il ne peut y en avoir: autrement, il y aurait des cas où la caution serait tenue sans avoir de recours.
Un cas semblerait pourtant faire exception à la règle, mais ce n'est qu'une illusion.
Lorsqu'il intervient une novation entre le créancier et le débiteur et que le créancier y met comme condition l'accession à la nouvelle dette des cautions qui garantissaient la première, cette accession est possible, pourvu que les cautions y consentent spécialement (art. 522, 2e al.); mais il est clair qu'il y a alors, en réalité, un nouveau cautionnement, comme il y a une dette nouvelle.
Il en serait autrement si, au lieu de cautionnement, il s'agissait de suretés réelles que le créancier aurait réservées, même sur les biens de tiers détenteurs; dans ce cas, les sûretés antérieures survivraient à l'ancienne créance et se rattacheraient identiquement à la nouvelle (art. 524).
125. Le 2e alinéa de notre article se borne à un renvoi aux dispositions antérieures du Projet où il a été traité de l'influence sur le cautionnement des principaux modes d'extinction de la dette principale.
Remarquons seulement, à ce sujet, que la dation en payement faite par le débiteur libère la caution, moins comme payement que comme novation (art. 482); d'où il suit que si le créancier est plus tard évincé de la chose reçue, il n'a pas de recours contre la caution.
SOMMAIRE.
Art. 1047. — N° 126. Caractère du cautionnement légal.127. Ces principales applications. —128. Petit nombre de règles particulières au cautionnement forcé. -129.Renvoi au Code de Procédure civile.
1048. 130. Caractère du cautionnement judiciaire. —13].Ses principales applications.
1049. 132. Refus du bénéfice de discussion à la caution judiciaire.
1050. 133. Faveur accordée aux cautions légales et judiciaires pour leur recours en garantie.
COMMENTAIRE.
Art. 1047. — N° 126. Les deux cas de cautionnement formant l'objet de cet Appendice pourraient être appelés cautionnement forcé, par opposition au cautionnement ordinaire qu'on nomme volontaire; mais on conserve ici les expressions consacrées par l'usage.
Il faut d'abord remarquer que la caution légale n'est pas une personne à laquelle, en vertu de sa qualité, la loi imposerait le rôle de caution d'une dette d'autrui; ni dans le Code français, ni dans le Projet japonais, on ne trouve de caution légale dans ce sens: le tuteur n'est pas caution des dettes que contracte valablement son pupille, ni le mari des dettes de sa femme par lui autorisées. On trouve cependant des cas où le mari peut être poursuivi à raison des dettes de sa femme autorisées par lui (v. c. fr.,art. 1416, 1419, 1484, 1495); mais c'est parce qu'il est présumé à l'égard des tiers, avoir eu un intérêt dans les actes, et c'est alors comme débiteur qu'il est poursuivi et non comme caution, ce qui est fort différent, d'après ce qui précède.
La caution légale est, comme dit le texte de notre article, " celle que la loi oblige le débiteur à fournir; " elle est légale par sa cause: au lieu d'être fournie sur la demande du créancier, avec le consentement libre du débiteur, elle est exigée de celui-ci, en vertu d'un texte de loi.
Quant à la caution elle-même, elle n'intervient que par un acte formel de sa volonté: elle fera toujours un contrat volontaire et libre avec le créancier et elle y sera déterminée par le mandat du débiteur auquel elle uonsentira à rendre ce bon office.
Il pourrait arriver aussi qu'une personne sachant qu'un débiteur doit fournir une caution d'après la loi, intervînt spontanément en cette qualité, comme gérant cl'affaires; mais le dernier article nous dira qu'elle est encore, dans ce cas, traitée comme mandataire du débiteur, ce qui est une faveur spéciale.
127. Pour concevoir que la loi se substitue ainsi au créancier pour exiger qu'il lui soit fourni caution, il faut supposer qu'il s'agit de créances dont la naissance n'est pas le seul effet de la volonté du créancier: autrement, il serait naturel que la loi le laissât pourvoir luimême à sa sécurité, sauf à ne pas traiter s'il n'obtenait pas celle qu'il désire.
Les cas de caution légale jusqu'ici rencontrés dans le Projet ne sont pas nombreux, justement parce que les diverses obligations qui y sont prévues jusqu'ici sont presque toutes conventionnelles.
Nous ne pouvons guère citer comme cautions légales que celles à fournir: par l'usufruitier au nu-propriétaire (art. 79 et s.), par le vendeur à l'acheteur menacé d'éviction et auquel il réclame le prix de vente (art. 716) et par le créancier qui surenchérit sur une offre à fin de purge (art. 1278).
Le Code français en présente plusieurs autres cas, pour des matières dont le Projet n'a pas encore traité (v. art. 16, 120, 171, 773, 807, 1518; v. aussi 1613, 1653, 2185).
On en trouve aussi des cas dans le Code de Procédure civile (art. 17, 439 et 542), dans le Code de Commerce (art. 120, 151, 23 1, 346, 384 et 444), dans le Code d'Instruction criminelle (art. 114) et dans plusieurs Lois administratives plus ou moins fiscales.
128. L'article ] 003 nous a annoncé que les règles du cautionnement volontaire s'appliquent, en général, au cautionnement légal et au cautionnement judiciaire et que s'il y a quelques dispositions particulières relatives à ces deux sortes de cautionnement forcé, on les trouvera au présent Appendice.
Ces dispositions particulières sont peu nombreuses.
Le présent article commence même par énoncer formellement l'application aux cautionnements forcés de deux articles du cautionnement conventionnel, parce qu'on aurait pu en douter.
Le cautionnement à fournir en vertu d'une promesse spéciale, bien que volontaire dans son principe, est devenu forcé pour avoir été promis; aussi le débiteur est-il tenu de présenter une caution sérieuse et répondant aux intentions du créancier (v. art. 1015 et 1016): il est naturel que quand le cautionnement est ordonné par la loi ou par la justice, les mêmes garanties de solvabilité de la caution soient exigées.
129. Comme il peut y avoir quelques difficultés sur le point de savoir si la caution présentée remplit les conditions prescrites, une procédure spéciale devra être organisée à cet effet, dans le Code de Procédure civile japonais, comme cela a lieu dans le Code de Procédure français (v. c. pr. civ. fr., art. 517 à 522).
La même procédure devra être suivie, en cas de contestation, pour l'application des articles 1015 et 1016.
Art. 1084. — 130. La caution judiciaire est ordonnée par la justice pour assurer l'exécution de ses décisions; mais il ne faut pas admettre qu'elle puisse souverainement ordonner de fournir caution chaque fois qu'elle le croira utile pour la garantie du créancier: il faut toujours qu'un texte de loi l'ait autorisée à prendre cette mesure. Cependant, le cautionnement n'est pas légal, pour cela, car la loi n'impose pas aux juges l'obligation d'ordonner qu'il soit fourni caution: c'est une " faculté " qui leur est attribuée par la loi.
131. Les cas de cautionnement judiciaire se trouveront naturellement au Code de Procédure civile.
Remarquons seulement que le Projet de Code civil en contient deux cas qu'on ne trouve pas en France, c'est le cas de dénonciation de dommage imminent, soi venir de l'ancienne cautio damni infecti des Romains (v. art. 215, 2B al.) et le cas de dénonciation de nouvel œuvre (v. art. 223, 2e al.).
On pourrait être porté à considérer ici la caution comme légale plutôt que comme judiciaire, car il n'y a pas encore condamnation à des dommages-intérêts au moment où elle doit être fournie, ces dommages n'étant qu'éventitels; mais il faut lui reconnaître le caractère de caution judiciaire pour deux raisons:
1° Le cautionnement ne sera pas nécessairement ordonné: c'est une faculté pour le tribunal;
2° La caution ne sera exposée aux poursuites que lorsqu'il y aura eu dommage réel et que l'indemnité aura été déterminée et liquidée par jugement.
Dans le Code de Procédure français il n'y a qu 'un petit nombre de cautions judiciaires (v. art. 135, 155, 41 7).
Il n'est pas probable que le Code de Procédure japonais en doive contenir davantage.
Art. 1049. — 132. C' est une règle particulière à la caution judiciaire qu'elle ne jouisse pas du bénéfice de discussion. Cette rigueur, qui n'atteint pas la caution légale, tient à ce que, dans les cas où cette sécurité sera exigée, il y aura urgence à l'exécution; or, rien n'est contraire à la célérité comme la discussion des biens du débiteur.
Les cautions judiciaires n'ont pas nécessairement un certificateur, mais si la caution présentée n'avait pas d'immeubles suffisants et se trouvant dans les conditions de lieu et autres exigées par la loi, il pourrait y être suppléé par un certificateur de caution, lequel aurait les immeubles voulus. Dans ce cas, il ne jouirait pas plus que la caution elle-même du bénéfice de discussion à l'égard du débiteur. [1 n'en jouirait pas davantage à l'égard de la caution. Cette dernière prohibition n'est pas comme dans le Code français, l'objet d'un article spécial (art. 2043), mais elle résulte suffisamment de la généralité des termes de notre article.
En France, avant l'abolition de la contrainte par corps, les cautions judiciaires étaient soumises à la contrainte par corps (c. civ. art. 2060-5°); cette rigueur a disparu depuis la loi du 22 juillet 1867.
Art. 1050 -133. Nous avons dit que la caution légale et la caution judiciaire pourraient intervenir spontanément en faveur du débiteur et sans mandat de lui, pourvu qu'elles remplissent les conditions prescrites pour cette sorte de cautionnement.
Mais la loi, pour encourager ceux qui voudraient remplir ce bon office envers le débiteur, veut qu'ils soient aussi bien traités au cas de gestion d'affaires qu'au cas de mandat, au moins pour leur recours en garantie; en conséquence, les différences que présentent les articles 1029, 1030, 1031 et 1034 en faveur de la caution intervenue par mandat, comparée à celle qui est intervenue spontanément, ne seront pas appliquées ici. Mais les dispositions qui ne sont pas relatives au recours restent soumises à la distinction entre le mandat et la gestion d'affaires (v. art. 1027 et 1028).
SOMMAIRE.
Art. 1051. — N° 134. Renvoi à l'article 458, pour la définition de la solidarité passive et active; dans les deux cas, elle constitue une sûreté; de là, sa place ici.
COMMENTAIRE.
Art. 1051. — N° 134. La solidarité est une modalité ou manière d'être des obligations et, à ce titre, elle aurait pu, comme dans le Code français, figurer au Livre IIe, ne Partie, Cliap. 2, au sujet des Effets des Obligations; mais comme son caractère de sûreté ou garantie des créances est dominant et en fait même tout l'intérêt, c'est au présent Livre qu'on a dû en renvoyer les détails (v. art. 458).
La définition sommaire de la solidarité, tant active que passive, ayant été donnée par l'article 458, la loi ne peut la donner ici de nouveau; on ne pourrait d'ailleurs la compléter que par des emprunts aux effets de cette modalité, comme l'a fait le Code français (art. 1197, 1200, 1203); le présent article renvoie donc, pour la définition, audit article 458, et il se borne à annoncer deux espèces de solidarité, objets de deux Sections distinctes. Il annonce aussi une obligation voisine de la solidarité passive, " l'obligation intégrale entre débiteurs: " elle est l'objet d'un Appendice à la Section Ira (v. art. 1074).
Dans le Code français, c'est la solidarité active, ou entre créanciers, qui est présentée la première; ici, on ne lui donne que le second rang, pour deux raisons; d'abord, elle est destinée à être très rare, au Japon comme ailleurs (on en donnera le motif en son lieu); ensuite, elle produit des effets moins étendus que la solidarité passive; ce n'est donc qu'après avoir exposé ceux-ci qu'on pourra utilement dire pourquoi ils ne se rencontrent pas tous dans la solidarité active.
C'est aussi lorsqu'on verra les effets de la solidarité active qu'il sera facile de reconnaître qu'elle est bien, comme la solidarité passive, quoiqu'avec moins d'évidence, une sûreté pour le créancier, ce qui justifie sa place dans ce Livre.
SOMMAIRE.
Art. 1052. -135. La solidarité est fondée sur un mandat mutuel de représentation. -136. Pourquoi les quatre causes d'obligations ne figurent pas ici comme causes de la solidarité: spécialement, l'enrichissement indû et le dommage injuste. -137. Pourquoi le testament y figure, alors qu'il n'a pas figuré dans les causes d'obligations. -138. La solidarité doit être établie expressément dans tous les cas, un seul excepté. -139. Du cas où les parties ont employé des expressions équivalentes à la solidarité. -140. Exception à la règle, plus apparente que réelle.
1053. -141. Unité nécessaire de dette, c'est-à-dire de créancier, d'objet et de cause. -142. Diversité possible d'actes juridiques: sens du mot acte dans ce cas. -143. Suite. -144. Diversité de temps et de lieu. -145. Suite: convention, testament, loi. -146. Question sur la participation des divers débiteurs. -147. Différences possibles de modalités et de charges dans les divers engagements.
COMMENTAIRE.
Art. 1052. — N° 135. On retrouve ici la division habituelle: il est naturel de présenter séparément les causes, les effets et la cessation de chacune des sûretés ou garanties.
Bien qu'il ne faille pas anticiper sur les effets de la solidarité, la loi doit cependant indiquer sa nature qui fait ressortir son effet principal: autrement, on ne verrait pas nettement quel est le droit dont on va énoncer les causes.
Le caractère le plus saillant de la solidarité passive est, comme dit le texte, " une représentation mutuelle (un mandat réciproque) entre les débiteurs, dans l'intérêt du créancier." Cette idée de représentation, de mandat, universellement admise dans la doctrine, n'a encore été exprimée dans aucune loi (au moins, à notre connaissance) et il est bon qu'elle le soit, car tous les effets de la solidarité en découlent, tant ceux que la loi exprime que ceux qu'elle sous-entend: ces derniers seront dès lors faciles à suppléer par déduction du principe.
Pour le moment, on ne s'y arrête pas davantage.
Ajoutons pourtant que cette représentation mutuelle des débiteurs n'est pas seulement de sa nature: elle est même de son essence, car on ne pourrait pas la supprimer par convention sans changer la modalité même de l'obligation, laquelle se trouverait alors réduite à la simple obligation intégrale, pour le tout, ou in solidum, dont on parlera à l'article 1074.
136. Comme la solidarité passive est une modalité des obligations, ses causes ne peuvent être autres que celles des obligations elles-mêmes; seulement, elles paraissent moins nombreuses, car le texte n'indique à cet égard que la convention et la loi (nous réservons un instant ce qui est dit du testament): il n'est pas fait mention de l'enrichissement indû (vulgo, quasi-contrats) ni du dommage injuste (délits et quasi-délits); mais cette omission est plus apparente que réelle.
Sans doute, tous les cas où plusieurs personnes sont indûment enrichies du bien d'autrui ne réclament pas la solidarité entre elles pour la restitution ou l'indemnité, même quand on ignore la part de profit de chacune d'elles, car on peut alors diviser l'obligation par portions viriks; mais lorsqu'il est juste qu'il y ait solidarité, la loi l'ordonne; on se trouve alors en présence d'un cas de solidarité légale: par exemple, entre comandants (v. art. 945).
De même, dans les cas de dommage causé injustement par plusieurs personnes, au moyen d'un seul et même fait, il peut être juste que chacun en soit responsable solidairement, surtout quand on ne peut déterminer le degré de participation de chacun au mal causé; mais c'est encore la loi qui établit la solidarité entre les auteurs du fait pour la réparation da préjudice: par exemple, entre co-auteurs d'un crime, d'un délit ou d'une contravention (v. C. pénal, art. 47).
Dans ces cas, la loi a pu, sans exagération de sévérité, décider que ceux qui se sont associés pour le mal seraient associés pour la réparation.
Lorsque le dommage causé injustement par plusieurs ne résulte pas d'une association ou d'un concert, mais d'une sorte de conjonction de fait et que la part de responsabilité individuelle ne peut être connue, la loi peut encore imposer à chacun une responsabilité intégrale, mais sans solidarité, à cause de l'absence de mandat mutuel; c'est ce qu'elle fait notamment pour les locataires d'une même maison ou enceinte (art. 153) et pour les co-auteurs d'un quasi-délit (art. 398) (a).
137. A côté de la convention et de la loi, comme causes ou sources de la solidarité passive, notre article place encore le testament.
On pourrait s'étonner de voir figurer le testament comme cause d'une modalité de l'obligation, quand il ne figure pas parmi les sources ou causes des obligations elles-mêmes (v. art. 316). Mais on a déjà remarqué (v. T. 11, n° 247) que les legs sont dus par l'héritier à cause de son acquisition des biens héréditaires, à cause de son enrichissement auquel le testateur a mis des charges et conditions; aussi l'obligation d'acquitter les legs et autres charges testamentaires figure-t-elle parmi celles qui naissent des quasi-contrats ou de l'enrichissement indû (v. art. 381-3°) elle ne peut dès lors être rattachée à une autre cause qui serait le testament.
Si le testateur a plusieurs héritiers qui acceptent sa succession, ils ne seront que débiteurs conjoints des legs, chacun d'eux n'en devra que sa part héréditaire, au moins si la chose est divisible (art. 461, 1er al.).
Mais si le testateur veut qu'il en soit autrement, s'il craint pour son légataire l'insolvabilité ultérieure d'un ou plusieurs de ses héritiers, il a le droit de leur imposer la solidarité: ce sera prudent quand il s'agit du legs d'une rente viagère ou d'un capital payable à long terme. Evidemment, il ne pourrait espérer une convention entre le "légataire et les héritiers, à l'effet d'imposer la solidarité à la charge de ceux-ci, et il n'y a pas de raison suffisante pour que la loi intervienne dans le même but; il ne reste donc que la volonté du défunt ou le testament.
138. La solidarité étant une rigueur contre les débiteurs, par cela même qu'elle est favorable au créancier, est évidemment une exception au droit commun; de là la règle qu'elle " ne se présurne pas et doit être expresse."
Bien entendu, comme on l'a déjà remarqué en pareil cas, cela ne signifie pas que la disposition doive employer l'un des mots solidarité, solidaire ou solidairement: ce qui est nécessaire c'est qu'il n'y ait aucun doute sur la volonté, à cet égard, des contractants, du testateur ou de la loi. Nous ajoutons 11 de la loi " et notre article dit " dans tous les cas," pour prévenir au Japon une difficulté qui s'est élevée en France, sur le point de savoir si la disposition de l'article] 1202, qui exige également que la solidarité soit expresse, s'applique à la solidarité légale.
139. Une différence toutefois doit être admise à cet égard entre les dispositions de la loi et celles de l'homme. On verra à l'article 1074 que lorsque la loi déclare qu'une obligation conjointe est " intégrale ou pour le tout," cela ne suffit pas pour qu'il y ait solidarité, s'il n'y a d'ailleurs entre les débiteurs aucune relation antérieure impliquant mandat réciproque ou représentation mutuelle. Mais cette disposition ne concerne pas le cas où les mêmes expressions auraient été employées dans unec onvention ou un testament. La loi ailleurs, a posé en principe que, " dans l'interprétation des conventions, les juges doivent rechercher l'intention commune des parties plutôt que s'attacher au sens littéral des termes par elles employés " (art. 376). Or, quand les parties auront dit que l'obligation de chaque débiteur sera " intégrale ou pour toute la dette," ou qu'ils "payeront l'un pour l'autre," il est bien naturel de croire qu'elles ont entendu établir entre les débiteurs le lien le plus étroit et le plus rigoureux: leur intention se révèle bien mieux par la désignation directe de cette rigueur que par l'emploi d'un mot juridique (solidaire, solidarité, solidairement) dont elles peuvent ne pas connaître toute la portée ou le sens exact. D'ailleurs, dans un pareil cas, il y aura nécessairement entre les débiteurs un lien antérieur impliquant mandat réciproque.
La même observation s'applique au cas d'un testateur qui aurait imposé à chacun de ses héritiers une obligation intégrale au sujet de l'acquittement des legs: il serait possible qu'il eût entendu établir entre eux la solidarité.
140. Notre texte paraît, dans sa dernière disposition, viser une exception à la règle que la solidarité doit être expresse. Mais c'est à peine si l'on peut dire qu'il y a là une exception: quand on se reporte à l'article 1091 visé ici, on remarque que l'indivisibilité volontaire implique solidarité, soit activement, soit passivement; mais, si la seconde modalité est établie tacitement, la première est expresse; en outre, la loi interprète expressément l'intention des parties, en sorte qu'on ne peut pas dire qu'il y ait là une véritable exception à la règle.
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(a) Ces deux articles 153 et 398 portaient la solidarité, dans la première rédaction; mais depuis, ils ont été modifiés par l'emploi des mots "obligation intégrale ou pour le tout " toutefois, dans l'article 398, on a laissé la solidarité, pour le cas de " concert dans l'intention de nuire," ce qui maintient l'uniformité entre le délit civil et le le délit pénal.
Art. 1053. — 141. Pour que deux ou plusieurs personnes puissent être qualifiées codébiteurs, soit solidaires, soit simplement conjoints, il ne suffit pas, évidemment, qu'elles aient un même créancier: il faut qu'il y ait encore unité de dette; cette unité n'a lieu que s'il y a, tout à la fois, identité d'objet dû et identité de cause de la dette: une seule de ces identités ne suffirait pas.
Ainsi deux personnes doivent 1000 ye?is au même créancier: en apparence, c'est le même objet; mais, en réalité, ce peuvent être deux sommes distinctes et seulement semblables par le chiffre; il ne suffirait même pas que chaque dette provînt d'un prêt; ce serait aussi, en apparence, la même cause; mais ce pourraient être aussi deux prêts, c'est-à-dire deux causes séparées, semblables seulement par leur nature.
Pour qu'il y ait unité de dette, il faut que ce soit le même contrat de prêt et les mêmes 1000 yens. Ce pourrait être aussi la même vente ou le même achat par plusieurs, appliqué au même objet: on aura alors des co-vendeurs ou des co-acheteurs; ils ne seront que conjoints en principe; mais ils seront solidaires, si le contrat le porte formellement.
Cette double identité, d'objet et de cause, est exigée par le 1er alinéa de notre article. Quant à l'identité de créancier,. la nécessité en est trop évidente pour qu'il ait été nécessaire de l'exprimer au texte.
142. Le même texte déclare aussi, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait identité d'acte, ni de temps, ni de lieu.
Au premier abord, on ne voit pas bien comment l'identité nécessaire de cause n'entraîne pas forcément celle d'acte, de temps et de lieu; cependant, on peut aisément reconnaître l'indépendance de ces éléments de l'obligation.
Il faut d'abord se fixer sur le sens du mot acte dans le cas qui nous occupe. On sait qu'en français, dans la langue du droit, il a au moins deux sens, aussi usités l'un que l'autre, ce qui souvent donne lieu à quelques difficultés. Tantôt, c'est le fait juridique qui crée un droit, comme une convention ou un testament; tantôt c'est l'écrit, l'instrument, qui constate, qui prouve ce fait juridique ou le droit qui en résulte.
Il ne peut être question ici du dernier sens, parce que la loi n'aurait pas besoin de dire que les actes probatoires ou instrumentaires peuvent être rédigés séparément, en ce qui concerne l'intervention et l'engagement solidaire des divers débiteurs: ce point ne pourrait être douteux.
Mais le premier sens comporte lui-même deux applications en notre matière: il y a l'acte juridique qui crée l'obligation même des divers débiteurs et l'acte qui les constitue co-débiteurs solidaires.
143. La première application se confond avec la cause de l'obligation, et puisque la cause doit être unique, l'acte juridique l'est nécessairement et par cela même.
Il pourrait cependant arriver qu'un prêt ou une vente, par exemple, destinés à être faits à deux emprunteurs ou à deux acheteurs, fussent d'abord faits à un seul, pour le tout, mais avec réserve du droit pour l'autre d'accéder plus tard au contrat, laquelle accession n'aurait lieu évidemment que par un acte postérieur et séparé; mais cette accession tardive se rattachant au premier acte et venant le compléter, suivant les prévisions des parties, il y a encore là l'unité nécessaire de cause et d'acte juridique.
La deuxième application du sens d'acte juridique est celle que notre article a en vue: lorsqu'il annonce qu'il peut y avoir diversité d'acte, il fait allusion à l'acte qui constitue les débiteurs en état de solidarité. Il est possible que l'obligation ait été contractée par plusieurs, simultanément, dans un seul contrat, sans stipulation de solidarité: cela les constituait débiteurs simplement conjoints; plus tard, ils se sont soumis à la solidarité envers le créancier, ensemble ou séparément; si c'est séparément, on est dans le cas prévu par notre article.
144. La diversité d'actes juridiques soumettant les codébiteurs à la solidarité implique naturellement la diversité de temps, et la diversité de lieu sera presque toujours liée aux deux premières, en ce qu'elle les aura rendues nécessaires: c'est quand les débiteurs ne demeureront pas au même lieu qu'il aura fallu faire des conventions séparées.
145. Les divers actes juridiques constituant successivement la solidarité entre plusieurs débiteurs seront forcément des actes conventionnels; on ne pourrait pas reconnaître le même caractère successif à divers codicilles testamentaires imposant la solidarité aux divers héritiers: lors même que les codicilles portent une date différente (ils doivent être datés, à peine de nullité), ils prennent toujours une seule date juridique, quant à leur effet: à savoir, le jour du décès de leur auteur.
Quant à la Loi, considérée comme cause ou source de la solidarité, lorsqu'elle l'établit entre plusieurs débiteurs, c'est à un moment qui est nécessairement unique: à savoir, celui où les codébiteurs se sont trouvés placés dans la situation à laquelle la loi attache la solidarité.
146. Cette hypothèse de plusieurs conventions successives plaçant les débiteurs dans le lien de la solidarité donne lieu à une question que nous devons examiner, en terminant sur ce point.
Faut-il que ces actes, nécessairement passés avec le créancier, le soient aussi avec tous les codébiteurs ?
Si l'on exigeait absolument cette seconde condition, un seul acte suffirait et on détruirait l'utilité de plusieurs actes séparés.
Mais quel serait l'effet de ces actes séparés où figurerait seul celui qui s'engagerait solidairement avec un autre ?
Supposons que Primus et Secundus sont déjà débiteurs conjoints, sans solidarité. Plus tard, Primus, soit pour être agréable au créancier, soit pour arrêter ses poursuites, se constitue débiteur solidaire de la dette; Secundus ne participe pas à cet acte. Plus tard encore, Secundus se constitue débiteur solidaire de la même dette.
Il est incontestable que, dans ce cas, la solidarité véritable a lieu, dès que le second acte est intervenu.
Mais qitid, avant qu'il soit intervenu ? Et quid, s'il n'intervient jamais ?
Dans ces deux cas, on ne peut dire qu'il y ait entre les deux codébiteurs ce mandat mutuel qui est le fondement de la solidarité. D'un autre côté, le premier acte où Primus s'est constitué débiteur solidaire ne peut être sans effet. On doit décider alors que Primus s'est constitué caution solidaire de la part de Secundus, ce qui n'exige pas sa participation (v. art. 1011), et on lui appliquera les articles 1020 et 1023, en tenant compte aussi de la distinction, plusieurs fois rencontrée au sujet du cautionnement, à savoir, si la caution s'est engagée sur le mandat du codébiteur ou à son insu.
147. On pressent déjà que la solidarité a quelques analogies avec le cautionnement, car chacun des débiteurs étant tenu de payer pour les autres en même temps que pour lui-même, ressemble beaucoup à une caution pour ce qu'il doit au-delà de sa part. On rencontrera, chemin faisant, des preuves de cette analogie, mais aussi des caractères propres à la solidarité, et on terminera par un parallèle entre les deux institutions (v. n° 177 bis.).
Le 2e alinéa de notre article a précisément pour but de prévenir une assimilation trop complète.
On a vu à l'article 1006 que la caution, n'étant qu'un débiteur accessoire, ne peut se soumettre à des conditions plus onéreuses que celles auxquelles est soumis le débiteur principal. Ici, il en est autrement: toutes les obligations sont principales; chacun des débiteurs peut, dès lors, être soumis à des modalités différentes de celles auxquelles se soumettent les autres. Ainsi, l'obligation de l'un peut être pure et simple, celle d'un autre, à terme, celle d'un troisième, sous condition; l'un peut devoir des intérêts et non l'autre; l'un peut se charger des cas fortuits, l'autre rester dans le droit commun. On ne comprendrait pas, en effet, pourquoi la liberté des conventions ne recevrait pas son application ordinaire.
Il est clair que le débiteur dont la position est la meilleure en jouira, non seulement vis-à-vis du créancier dont les droits seront restreints, mais encore visà-vis de ses codébiteurs, lorsqu'ils exerceront contre lui le recours en garantie dont il sera bientôt parlé.
SOMMAIRE.
1054. -N° 148. Droit de poursuite du créancier contre chacun pour le tout.
1055. -149. Droit de chaque débiteur de payer toute la dette.
1056. -150. Garantie mutuelle contre les poursuites et, subsidiairement, pour les recours respectifs.
1057 et 1058. -151. Rapprochement de la solidarité avec le cautionnement, au sujet des exceptions opposables au créancier.
1059. -152. Application principale du mandat mutuel, caractéristique de la solidarité.
1060. -153. Jugement, aveu ou serment sur l'existence de la solidarité seulement.
1061. —154. Interruption de la prescription et mise en demeure. -154 bis. Solution différente au cas de suspension par une cause personnelle à l'un des débiteurs. - 154 ter. Solution à ce sujet, pour l'article 1027, eu matière de cautionnement.
1062. —155. Divisibilité de la dette solidaire entre les héritiers d'un débiteur décédé: lien de ceux-ci avec les débiteurs originaires survivants.
1063. —156. Responsabilité solidaire de la faute d'un seul.-157. Critique du Code français sur ce point. -158. Recours pour le tout, dans ce cas, contre celui qui est en faute.
1064. —159. Recours pour la part réelle de chacun, dans les autres cas. -160. Objet divers de ce recours.
1065. —161. Recours par voie de subrogation au créancier.
1066. —162. Déchéance des deux sortes de recours.
1067. -163. Répartition sur tous de la part d'un insolvable.
1068. -164. Liquidation des biens d'un insolvable avant aucun payement: droits du créancier, exclusion des autres débiteurs.
1069. —165. Idem, après un payement partiel: ùroits respectifs du créancier et des autres débiteurs.
1070. -166. Insolvabilité de tous les débiteurs: difficultés particulières. -167. Anciens systèmes en France. -168. Suite. -169. Système du Code de Commerce français: critique. -170. Système du Projet: innovations, résultats. -171. Suite: application par un exemple. -172. Réfutation d'une objection contre la perte que subit le créancier: hypothèse nouveUe. —173. Recours nécessaire, dans ce cas, des liquidations qui ont payé plus contre celles qui ont payé moins. -174. Dernière remarque.
COMMENTAIRE.
Art. 1054. -N"0 148. Cet article achève de présenter les caractères distinctifs de la solidarité, qui n'ont pu entrer tous dans la définition donnée par les articles 458 et 1052. On y trouve en même temps une des différences les plus saillantes entre la solidarité et le cautionnement, à savoir le refus des bénéfices de discussion et de division.
Le droit du créancier de Il poursuivre tous les débiteurs, simultanément ou successivement, jusqu'à parfait payement " prouve qu'il y a unité de dette entre eux: il n'aurait pas un pareil droit contre diverses cautions, à moins qu'elles ne fussent solidaires, soit avec le débiteur, soit au moins entre elles (art. 1020 et 1023).
Art. 1055. — 149. C'est un droit de tout débiteur de se libérer par un payement intégral, même malgré le créancier (art. 499), pourvu, bien entendu, que la dette soit échue; sans préjudice du droit du débiteur d'en avancer l'échéance par une renonciation au bénéfice du terme, quand il n'est pas établi dans l'intérêt du créancier (v. art. 424).
Art. 1056. — 150. Il s'agit ici de l'exception dilatoire et de l'appel en garantie déjà admis en faveur de la caution à l'égard du débiteur principal (art. 1024 et 1029), en faveur des co-fidéjusseurs respectivement (art. 1041) et, généralement, en faveur de " toute personne tenue d'une obligation avec d'autres " (art. 418 à 420).
La disposition du 2e alinéa ne se trouve pas dans les mêmes articles; mais, sans aucun doute, elle doit y être suppléée. Si on l'a placée ici, c'est parce que l'intervention spontanée des codébiteurs solidaires a plus d'intérêt pour eux, à cause du danger d'abus du mandat mutuel.
Art. 1057 et 1058. -15T. Ces deux articles rappellent l'article 1021 écrit pour la caution poursuivie par le créancier; mais il n'aurait pu suffire de s'y référer par un simple renvoi, à cause de la différence de qualité et de nom légal des parties.
Au contraire, on a pu se. borner à un renvoi à des articles du Livre II, parce que, au sujet de divers modes d'extinction des obligations, on a cru devoir signaler immédiatement plusieurs des particularités qu'y apporte la solidarité. Le Code français a également signalé l'influence de la solidarité dans ces diverses matières; mais il a négligé le renvoi qui relie ces différents effets.
Les explications données au Commentaire de ces articles sont généralement applicables ici. On remarquera seulement qu'ici, comme au sujet du cautionnement (v. art. 1209), on n'a pas reproduit du Code français (art. 1208) la défectueuse division des exceptions en quatre classes: exceptions résultant de la nature de l'obligation, communes à tous, personnelles à celui qui est poursuivi, personnelles aux autres.
Art. 1059. — 152. Le présent article repose sur le mandat mutuel que les codébiteurs tiennent de la convention, du testament ou de la loi qui a établi entre eux la solidarité; c'est même ce mandat qui est l'effet principal de la solidarité, comme il est dit à l'article 1052.
Ici, il y a autant de différences que de ressemblances avec les décisions des articles 1026, 1027 et 1028 qui traitent de situations plus complexes. Le rapprochement que nous faisons de ces deux articles n'est que doctrinal, comme le précédent, et n'a pas à figurer dans la loi, précisément parce que les qualités des personnes ne sont pas les mêmes. Quand les tribunaux auront à appliquer les règles de la solidarité, ils ne recourront pas aux dispositions du cautionnement, parce qu'il n'y est pas fait de renvois. Au contraire, l'article 1043 du cautionnement les renverra aux articles 1069, 1070 et 1071 de la solidarité, pour une théorie très importante et très difficile qui est commune aux deux sûretés et qu'on verra bientôt.
Art. 1060. — 153. Cet article demande une grande attention, sans quoi il pourrait paraître en opposition avec l'article 531 qui, statuant sur la remise de la solidarité par le créancier à l'un des codébiteurs, lui fait produire un effet favorable aux autres.
Mais le cas n'est pas le même: dans la remise, le créancier abandonne son droit de poursuite pour le tout contre l'un des débiteurs: il ne peut plus lui demander que sa part dans la dette; il est juste, dès lors, qu'il ne puisse plus poursuivre les autres pour cette même part, autrement, il aggraverait leur position.
Ici, la question est de savoir si telle personne est ou non codébitrice solidaire avec d'autres
Ainsi, un des codébiteurs, lié avec d'autres par la solidarité ou prétendu tel, a contesté ce lien vis-à-vis du créancier et a triomphé, soit en obtenant un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, soit en prêtant un serment extrajudiciaire qui le dégage du lien: les autres n'en devront pas souffrir, parce que leurs parts définitives dans la dette ne peuvent se trouver augmentées par la sortie d'un des débiteurs du lien de la solidarité, sans leur consentement.
Ils n'en profiteront pas non plus, en ce qu'ils ne pourront faire diminuer sa part dans la dette, car le créancier n'a pas moins droit à la totalité de la dette contre les autres; le seul profit qu'ils trouveront dans cette situation nouvelle, c'est que, contre le débiteur soustrait aux droits du créancier, il ne pourra pas être fait de poursuites ayant en même temps contre eux un effet interruptif de prescription ou de mise en demeure, comme il est dit à l'article suivant.
En sens inverse, si le créancier obtient contre un nouveau débiteur un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, cela ne peut nuire aux autres et les constituer, sans leur volonté ni leur concours, mandataires de ce nouveau débiteur, avec les effets attachés à ce mandat par l'article précédent. Cela ne peut non plus leur profiter, en diminuant leurs parts respectives dans la dette; de sorte que, si ce nouveau codébiteur a payé toute la dette, sur la poursuite ultérieure du créancier, il recourra pour le tout contre eux réunis comme un gérant d'affaires qui aurait payé; il jouira même de la subrogation légale, car il s'est trouvé '1 tenu avec d'autres et pour d'autres" (v. art. 504-1°) et il pourra demander le tout à chacun, ce que ne pourrait un codébiteur solidaire (v. art. 1065, 2° al.); en effet, pour eux, il n'est pas un codébiteur, mais un tiers.
Art. 1061. — 154. L'effet contre tous les débiteurs de l'interruption de la prescription et de la mise en demeure dirigée contre un seul est encore une suite du mandat mutuel des codébiteurs solidaires. La loi suppose que leurs relations sont continues et qu'ils se feront part immédiatement des poursuites dirigées contre l'un d'eux, de façon à se défendre collectivement ou à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire le créancier. C'est au Livre Ve (art. 1441 et s.) qu'on verra les moyens accordés au créancier pour interrompre la prescription.
154 bis. Le Code français (art. 1206) a une disposition semblable à celle de notre 1er alinéa, pour l'interruption de la prescription; il est déjà moins explicite sur l'effet commun de la mise en demeure d'un seul (v. art. 1207); mais il ne se prononce pas du tout sur l'effet de la suspension de la prescription; de là, sur ce point, une assez vive controverse dans la doctrine et des divergences dans la jurisprudence: le Projet ne doit pas les laisser se reproduire au Japon.
Fallait-il donner la même décision qu'au cas d'interruption, pour le cas où la prescription aurait été suspendue en faveur du créancier, c'est-à-dire n'aurait pu courir contre lui, dans ses rapports avec un des débiteurs, tandis qu'elle aurait couru dans ses rapports avec les autres ?
Le Projet se prononce pour la négative, et il nous faut justifier cette différence d'application entre deux théories souvent semblables dans leurs effets, comme on le verra, notamment, à l'article 1092, au sujet de l'indivisibilité.
Prenons d'abord un exemple de suspension de prescription.
Nous ne pouvons prendre celui de la minorité du créancier, parce que, dans ce cas, le créancier ne pourrait se voir opposer la prescription par aucun des débiteurs: il faut une suspension relative et non pas absolue. D'ailleurs, dans le Projet, la minorité n'est admise comme cause de suspension de la prescription qu'avec un tempérament (voy. art. 1467).
Mais supposons que le créancier soit le conjoint d'un (les débiteurs: la prescription subit entre époux une certaine suspension, et elle est relative (v. Proj., art. 1470; C. civ. fr., art. 2253).
Supposons encore que l'un des débiteurs jouisse d'un terme et non les autres: la prescription au profit de ce débiteur est suspendue jusqu'à l'échéance du terme, pend eii te die (Proj., art. 1463; C. civ. fr., art. 2257).
Verra-t-on, dans ces deux cas, l'un des débiteurs privé du bénéfice de la prescription, pendant que les autres pourront l'invoquer pour leur libération ?
En France, la question divise les auteurs. Personne, sans doute, ne soutient que, dans ces cas, la suspension, au lieu de rester relative, devienne absolue, en sorte qu'aucun débiteur ne soit libéré par la prescription: le résultat serait inique et pourrait être contraire aux prévisions les plus sages des débiteurs; car il pourrait arriver que le mariage d'une femme créancière avec l'un de ses débiteurs solidaires, ou que la concession tardive d'un terme par le créancier à l'un des débiteurs privât les autres de la prescription. C'est là ce qui serait inique et ce pour quoi la suspension n'opère pas contre tous les débiteurs, comme le fait l'interruption.
Mais il reste encore deux solutions en présence. Dans l'une, on dit que si la prescription a pu courir en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs, elle profite à tous, même à celui contre lequel elle était suspendue par une cause personnelle ou relative: le créancier se trouve ainsi privé d'un bénéfice que la loi ou la convention semblait devoir lui assurer. On donne pour raison de ce résultat que la prescription opère l'extinction de la dette, comme un payement et par une présomption de payement; par conséquent, si un des débiteurs jouit de la prescription, la dette est éteinte et pour le tout.
Dans l'autre solution, et c'est la nôtre, on admet bien aussi que la prescription est une présomption de payement ou de remise de dette, une sorte de preuve résultant de la longue inaction du créancier; mais on dit qu'elle ne peut profiter qu'à ceux des débiteurs auxquels la loi ne l'a pas refusée, par suite de relations personnelles avec le créancier; lors donc qu'elle ne pourra être invoquée que par les uns et non par les autres, il y aura division dans la présomption, c'est-àdire que chacun de ceux contre lesquels la prescription n'était pas suspendue sera présumé avoir payé sa part de la dette, de sorte qu'il ne pourra plus être poursuivi que pour la part de celui qui ne pouvait jouir de la prescription, et, réciproquement, celui-ci ne pourra plus être poursuivi que pour sa part, les autres étant présumés avoir payé la leur.
Cette solution est en accord avec celle donnée par l'article 1058 pour les exceptions ou moyens de défense personnels à l'un des débiteurs.
On verra sous l'article 1091, 2e alinéa, une solution différente pour le cas où l'obligation est indivisible et on la justifiera facilement.
154 ter. Nous saisissons cette occasion de nous prononcer sur une situation analogue, en matière de cautionnement, ce que nous avons omis de faire, sous l'article 1027 (n° 74), parce que le cas ne souffrait pas la même difficulté.
L'article 1027, en effet, ne mentionne pas, à la suite de l'interruption de prescription, le cas où le créancier jouirait d'une suspension de prescription, soit relativement au débiteur principal, soit relativement à la caution: par exemple, il serait le conjoint de l'un ou de l'autre.
Les solutions sont faciles:
Si la prescription est suspendue contre le débiteur principal, la caution en subira les conséquences: les poursuites seront possibles contre elle comme contre le débiteur, car la caution est garant de la dette, tant qu'elle existe.
Si la suspension a lieu contre la caution, elle ne nuit pas au débiteur; la caution ne sera même pas privée du bénéfice de la prescription que peut invoquer le débiteur et elle pourra l'invoquer du chef de celui-ci.
Au contraire, si la caution s'était engagée solidairement avec le débiteur, on appliquerait les règles de la solidarité exposées plus haut.
Art. 1062. — 155. La solidarité ne rend pas la dette indivisible (v. c. civ. fr., art. 1219), même d'une indivisibilité volontaire ou intentionnelle, à la différence de ce que le Projet décide plus loin pour l'iudivisibilité volontaire qui implique solidarité (v. art. 1090). Lors donc que l'un des débiteurs solidaires vient à mourir, laissant plusieurs héritiers, son obligation solidaire se divise entre ceux-ci, dans la mesure de leur part héréditaire (1er al.), et ils sont sans lien les uns avec les autres (3e al.); le seul effet, à leur égard, de la solidarité de leur auteur est que leur part se calcule sur le tout; tandis que si leur auteur n'avait été lui-même qu'un débiteur simplement conjoint avec d'autres, ce n'est que sa part dans la dette qui se serait subdivisée entre ses héritiers.
Mais chaque héritier du décédé a un lien de solidarité avec les autres débiteurs solidaires originaires. Le texte indique clairement les effets de ce lien: les poursuites du créancier contre un des débiteurs originaires produisent effet contre chacun des héritiers du décédé pour sa part héréditaire (1er al.); réciproquement, les poursuites exercées contre un de ces héritiers, pour sa part héréditaire, produisent effet contre chacun des débiteurs originaires, pour la même part(2e al.).
Art. 1063. — 156. Le mandat mutuel des codébiteurs solidaires ne concerne pas seulement l'exécution de l'obligation et la conservation du droit du créancier, comme il résulte des articles précédents: il concerne encore la garde et la conservation de la chose due; de là, une responsabilité solidaire de tous, pour la faute d'un seul. En effet, si la chose due (qu'il faut supposer être un corps certain) a péri ou a été détériorée par la faute d'un seul, on peut toujours dire qu'il y a eu aussi faute des autres à la lui avoir confiée ou à ne pas avoir surveillé l'usage qu'il en pouvait faire.
La responsabilité solidaire consistera dans l'obligation de chacun des débiteurs de payer tous les dommages-intérêts encourus ou toute la clause pénale qui en est l'indemnité convenue à forfait (v. art. 408).
157.. On remarquera, à ce sujet, une sérieuse différence entre le Projet et le Code civil français.
L'article 1205 de ce Code fait une séparation entre l'indemnité de la valeur de la chose périe en entier (ou de sa diminution de valeur, si elle n'est que détériorée), et l'indemnité des autres conséquences de la faute commise; dans la doctrine, on appelle les dommages-intérêts intrinsèques, au premier cas, et extrinsèques au second; la première indemnité seule donne lieu à la responsabilité solidaire, l'autre ne pèse que sur celui des débiteurs qui est en faute.
On a donné de cette étrange disposition une explication que nous ne saurions accepter: on a dit que les codébiteurs solidaires sont mandataires les uns des autres " pour conserver l'obligation, non pour l'augmenter " (ad conservandarn, non ad augendam obligationemj; mais la réparation de t 0 us les dommages (sous les distinctions portées à l'article 405 du Projet et 1150 et 1151 du Code français) n'est pas une augmentation de l'obligation, elle n'en est que la transformation: le créancier ne reçoit pas plus qu'il ne lui est dû, et les codébiteurs ont pu prévoir et ont accepté d'avance la responsabilité mutuelle de leurs fautes; d'ailleurs, nous avons établi, en commençant, que, dans le cas présent, aucun n'est exempt de faute personnelle: la faute est le défaut de surveillance.
La situation favorable faite par le Code français aux codébiteurs de celui qui est en faute est d'autant plus singulière que ceux-ci se trouvent ainsi mieux traités que ne le serait, en pareil cas, la caution du débiteur négligent; celle-ci, en effet, serait responsable de toitsles dommages-intérêts (v. art. 1001).
Le Code français n'a aucune disposition sur la clause pénale, au cas qui nous occupe. Assurément, il serait impossible de faire, dans la clause pénale, deux parts dont l'une serait à la charge de tous les débiteurs et l'autre à la charge de celui qui est en faute: les articles 1228 et suivants, sur la clause pénale ne se prêteraient pas à une pareille division. Il y a donc désaccord dans les solutions.
Pour compléter la théorie et mieux en faire ressortir l'harmonie, le Projet s'explique à la fois sur les dommages-intérêts à fixer en justice et sur ceux fixés par les parties en forme de clause pénale.
158. Il allait de soi, mais il est bon de l'exprimer, que la faute doit retomber définitivement sur celui qui l'a commise et, pour cela, ceux qui ont satisfait le créancier ont recours contre leur codébiteur en faute, et pour tout ce qu'ils ont payé au créancier, même pour la valeur intrinsèque de la chose, car cette chose qui était commune entre eux, pour avoir été achetée ou autrement acquise à frais communs, aurait dû servir à les libérer, et ils ne doivent pas supporter la charge d'en fournir une seconde fois la valeur.
Si le créancier a poursuivi celui, qui était en faute, celui-ci n'a, évidemment, aucun recours contre les autres, de sorte que la position de chacun se trouve être immédiatement ce qu'elle doit être définitivement.
Art. 1064. — 159. Le présent article est l'application du principe sur lequel se fonde déjà le recours admis à l'article précédent. Le droit général au recours est une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les personnes engagées l'une pour l'autre (v. art. 418 et 420).
Quant à l'étendue du recours, elle est nécessairement limitée à la part de chacun, et ce n'est pas à la part virile mais à la part réelle: lorsque la loi divise un recoure ou. une action contre plusieurs, par portions viriles ou calculées d'après le nombre de têtes (pro numéro virorum), c'est lorsque celui qui a l'action peut ne pas connaître les rapports particuliers des défendeurs entre eux; mais ici, ce n'est pas le cas: cette part est nécessairement connue.
Le texte n'ajoute pas, avec le Code français (v. art. 1216), que Il si l'affaire ne concernait que l'un des codébiteurs solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne seraient considérés par rapport à lui que comme ses cautions il a paru que cela allait de soi.
L'action en recours, reconnue par notre article en faveur de celui qui a payé, lui appartient " de son propre chef," par opposition à celle qui lui est acquise par la subrogation légale aux droits du créancier, conformément à l'article suivant.
160. Le 2e alinéa de notre article ne donne pas seulement le recours pour les sommes ou valeurs directement payées au eréancier par le débiteur, mais encore pour les " sacrifices nécessaires" qu'il lui a fallu faire pour pouvoir effectuer le payement; par exemple, vendre un immeuble ou des marchandises au-dessous de leur valeur véritable; mais, par cela seul que le sacrifice doit avoir été Il nécessaire," il faut supposer que le débiteur n'a ainsi payé qu'après en avoir été au moins sommé et après avoir averti ses codébiteurs des difficultés particulières où il se trouvait de faire face au payement de la dette commune: alors ceux-ci sont en faute de ne l'y avoir pas aidé.
Les frais judiciaires ou extrajudiciaires sont de même remboursés dans la mesure où ils n'ont pu être évités.
Enfin, pour les intérêts légaux des déboursés, ils sont dus depuis le payement.
Pour ces trois objets du recours, la loi fait l'application, tout à la fois, des règles semblables de la société (v. art. 782 et 783) et du mandat (v. art. 941-1" et 30). En effet, entre les codébiteurs solidaires il y aura nécessairement le lien de la société ou celui du mandat; c'est là le fondement de cette représentation mutuelle à laquelle se rattachent les principales conséquences de la solidarité signalées précédemment: on ne peut admettre ici l'hypothèse d'une simple gestion d'affaires, comme pour le cautionnement (v. art. 1030).
Art. 1065. — 361. La subrogation légale au profit de celui qui a payé une dette dont il était " tenu avec d'autres ou pour d'autres " est une théorie maintenant bien connue: on l'a déjà appliquée à la caution qui a payé la dette du débiteur principal (art. ] 036). Mais ici, à la différence de la caution qui recourrait contre chaque débiteur pour tout ce qu'elle aurait payé, étant subrogée à la solidarité elle-même, le codébiteur supporte une part de la dette et ne recourt contre les autres que pour la part de chacun (2e al.) pour éviter un circuit d'actions.
On ne trouve pas non plus ici de conflit possible avec un tiers détenteur, comme il est prévu et réglé à l'article ] 036: s'il y a eu aliénation d'un immeuble grevé d'hypothèque ou de privilége au profit du créancier, le tiers détenteur qui aura payé la dette de ses deniers, même en négligeant la purge, aura un recours pour le tout contre chacun des débiteurs solidaires, lors même que ceux-ci ne seraient pas vendeurs de l'immeuble.
Si l'on compare l'action que le codébiteur qui a payé obtient par la subrogation avec celle qui lui appartient de son chef, on remarque que la première n'est pas aussi étendue que la seconde dans son objet: notre texte (1er al.) exprime bien qu'elle ne s'applique qu'à " ce qu'à reçu le créancier " et non à tous les déboursés du codébiteur; elle ne comprendrait donc pas les indemnités, les intérêts légaux et les frais qui lui sont dus d'après l'article précédent.
Art. 1066. — 162. La double faute prévue aux articles ] 032 et ] 033, de la part de la caution, n'est pas moins répréhensible de la part d'un codébiteur solidaire et elle peut causer un semblable préjudice; elle comporte donc la même sanction contre lui, à savoir, la déchéance totale ou partielle du recours qu'il a, tant de son chef que du chef du créancier, par la subrogation.
Art. 1067. — 163. C'est ici encore une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les codébiteurs: il ne serait pas juste que l'insolvabilité del' un d'eux retombât sur celui qui a fait l'avance du payement; la part de l'insolvable doit donc se répartir entre ceux qui sont restés solvables.
On discute, en France, si cette répartition ne s'applique qu'à l'insolvabilité antérieure au payement, ou si elle s'étend même à celle qui est survenue postérieurement, jusqu'au recours. C'est cette dernière solution qu'adopte le Projet, et, pour écarter l'objection qu'on y a faite, à savoir que le retard du codébiteur à présenter sa réclamation ne doit pas nuire aux autres, on ajoute, au texte, qu'il ne doit pas y avoir " de négligence à imputer au réclamant; " le tribunal aura donc à tenir compte tant du plus ou moins d'intervalle laissé par le réclamant entre le payement effectué et son recours que des causes qui peuvent justifier le retard.
On verra à' l'article 1072 quelle est l'influence de la remise de la solidarité par le créancier sur cette répartition de la part d'un insolvable.
Art. 1068. — 164. La loi continuant l'hypothèse de l'insolvabilité d'un des débiteurs, cette fois survenue avant le payement total ou partiel, règle la manière dont le créancier doit être traité, tant vis-à-vis de l'insolvable que vis-à-vis des autres.
Naturellement, le créancier qui n'a encore rien reçu peut se présenter aux opérations de liquidation, comme tout autre créancier et pour le montant intégral de sa créance; la circonstance qu'il a d'autres débiteurs ne peut le priver du droit commun. II a ce droit, lors même que sa créance n'est pas encore échue d'après la convention, car la faillite ou l'insolvabilité du débiteur le prive du bénéfice du terme (art. 425-1°).
Il va sans dire que les autres codébiteurs ne peuvent se faire comprendre dans la liquidation, en vue du payement qui peut retomber à leur charge: ils ne le peuvent ni séparément, ni même ensemble et comme associés, car la créance ne peut ainsi figurer plusieurs fois dans la liquidation, au préjudice des autres créanciers.
Comme le créancier ne touchera évidemment pas tout ce qui lui est dû, le reste sera supporté par les autres codébiteurs. Il pourra arriver que ce qu'ils payeront ainsi excède leur part, c'est lorsque le créancier aura touché dans la liquidation moins que la part de l'insolvable dans la dette: ils auront leur recours contre celui-ci, mais sans pouvoir concourir avec les autres créanciers dans la même liquidation, par le motif qui les a déjà empêchés de concourir avec leur propre créancier; ce recours ne pourrait pas même s'exercer utilement sur des biens du débiteur insolvable qui n'auraient pas été mis en distribution, parce qu'ils appartiennent toujours à la même liquidation et que le créancier a d'autant plus obtenu sur les autres biens; pour que le recours fut efficace, il faudrait que le débiteur eût acquis de nouveaux biens qui fussent l'objet d'une liquidation entièrement nouvelle.
Art. 1069. — 165. Ici, la loi suppose qu'avant l'insolvabilité d'un des débiteurs, le créancier a déjà reçu un ou plusieurs payements partiels, soit de ce même débiteur soit d'un autre; il ne peut plus, dès lors, figurer dans la liquidation pour toute sa créance, mais seulement pour ce qui lui reste dû; par contre, celui ou ceux des autres codébiteurs qui ont fait un ou plusieurs de ces payements partiels se feront comprendre dans la liquidation pour ce qu'ils ont payé sur la part de l'insolvable (v. art. 1063), ou, comme dit le Code de Commerce français (art. 544), " pour ce qu'ils ont payé à sa décharge."
Art. 1070. — 166. La loi suppose enfin que tous les débiteurs solidaires, ou, plusieurs d'entre eux, sont devenus insolvables avant le payement total, et que leurs biens se trouvent simultanément en liquidation.
Ce cas est le plus difficile. Il est réglé par le Code de Commerce français (art. 542 et 543), d'une façon qui n'est pas à l'abri de la critique et qui, au moins, par cela même qu'elle favorise extraordinairement le créancier porteur d'engagements solidaires, ne doit pas être étendue aux créances civiles ou non commerciales.
Avant de développer les trois dispositions de notre article dont les deux dernières sont absolument nouvelles (au moins nous ne les avons pas encore rencontrées), il est nécessaire d'exposer succinctement les dispositions du Code de Commerce français à cet égard, les motifs qui les ont amenées et les critiques qu'elles nous paraissent comporter.
167. La difficulté n'est pas nouvelle et il est important de savoir qu'elles solutions en avaient été données déjà dans l'ancien droit français.
La première opinion qui s'est produite enseignait que le créancier dont tous les débiteurs étaient faillis pouvait choisir celle des faillites à laquelle il se présenterait, mais qu'une fois son choix fait, il ne pouvait plus s'adresser aux autres (a.).' Ce système avait quelque chose d'arbitraire et de contraire aux règles ordinaires de la solidarité, car le créancier, pour avoir exercé son droit contre un de ses débiteurs, ne perd pas son droit (contre les autres (v. ci-dess., art. 1054; C. civ. fr., art. 1204).
168. Un second système permettait au créancier de se présenter, de se faire inscrire, dans chaque faillite, pour le montant intégral de sa créance (ou de ce qui en restait dû); mais dès qu'il avait reçu d'une des faillites un dividende ainsi calculé sur le tout, il ne pouvait plus recevoir dans les autres faillites qu'un dividende calculé sur le reste de sa créance ainsi diminuée.
Ce système rencontrait plusieurs critiques.
La première, qu'on formule encore aujourd'hui, pour rejeter ce 26 système et en justifier un 3°, était que, de cette façon, la solidarité n'assurait pas au créancier un payement intégral: quelque élevés que fussent les divers dividendes, ils laissaient toujours une perte à la charge du créancier.
Cette critique ne nous paraît pas plus fondée aujourd'hui qu'elle ne l'était alors: sans doute, le créancier perdra toujours quelque chose; mais la solidarité ne peut pas l'en préserver, du moment qu'on suppose tous ses débiteurs faillis ou insolvables: la solidarité ne peut pas, dans ce cas, produire le même effet que lorsqu'un ou plusieurs sont restés solvables. D'ailleurs, elle a déjà procuré au créancier un double avantage: 1° que si un seul fût resté solvable, celui-là eût payé ce que n'eussent pas payé les autres; 2° que s'ils sont devenus tous insolvables, il recevra plusieurs dividendes au lieu d'un seul et se rapprochera ainsi davantage d'un payement intégral; mais c'est là tout, et c'est assez; nous négligeons, au surplus, les autres menus effets ordinaires de la solidarité qui n'ont plus rien à faire ici.
Nous donnerons tout-à-l'heure, sur le 3° système, une dernière réfutation de cette exagération de la solidarité.
Une autre critique, celle-là plus fondée, était alors élevée contre le 2° système (et elle suffirait à le faire rejeter aujourd'hui, même dans le Projet japonais), c'est que les liquidateurs des faillites étaient portés à retarder leurs opérations: chaque faillite avait intérêt à ne pas payer la première, puisque le ] er dividende portait nécessairement sur la créance entière, 'le 2e sur la créance diminuée, le 3° ayant encore une charge moins lourde, et ainsi des autres.
Et comme on ne pouvait pas (sous peine de retarder indéfiniment les liquidations et les rendre inextriquables), admettre, comme correctif, que les faillites qui avaient payé sur une plus forte partie de la créance pussent recourir contre celles qui avaient payé sur une somme plus faible, il en résultait une inégalité ou plutôt une disproportion choquante entre les charges.
169. A cette même époque se produisit un 3e système qui est devenu celui du Code de Commerce français actuel et que nous exposons pour lui emprunter quelque chose. En voici les trois dispositions:
1 ° Le créancier s'inscrit simultanément dans toutes les faillites ouvertes, pour le montant intégral de sa créance: là il touche le dividende que chacune peut donner (art. 542);
2° Il n'est admis aucun recours des faillites les unes contre les autres, à raison de l'inégalité des dividendes par elles payés (art. 543, 1er al.); en effet, chacune a payé sur le montant intégral de la créance; donc la créance qui a déjà figuré dans la faillite, du chef du créancier, n'y peut figurer encore du chef de la faillite des codébiteurs: il n'est plus besoin d'alléguer les lenteurs et les complications qu'entraînerait un recours; désormais, c'est un motif de par droit et de principe, déjà signalé: une même créance ne peut figurer plusieurs fois dans une liquidation, même du chef de personnes différentes;
3° Si la somme des dividendes attribués au créancier dans les diverses faillites excède le montant total de sa créance, " l'excédant est dévolu, suivant l'ordre des engagements, aux faillites des débiteurs qui avaient les autres pour garants " (art. 543, 2e al.). La loi commerciale fait là une allusion à plusieurs endosseurs successifs qui sont cautions les uns des autres: on reverserait l'excédant au dernier endosseur, et en remontant, s'il y avait lieu, aux précédents.
C'est cette prévision même de la loi (d'un créancier solidaire recevant plus que son dû) qui nous suggère la dernière réfutation (promise plus haut) de l'idée que la solidarité, même au cas de faillite de tous les débiteurs, ne doit pas entraîner une perte nécessaire pour le créancier. La preuve qu'on a exagéré le principe de la solidarité, c'est que l'on arrive à un système qui fait attribuer au créancier plus qu'il ne lui est dû; il est vrai qu'il ne conserve pas cet excédant, mais il lui est d'abord assigné, résultat auquel la solidarité ne mènera jamais, quand tous les débiteurs solidaires sont solvables; en sorte que c'est quand la position du créancier devrait être plus mauvaise qu'elle devient meilleure !
170. Nous n'admettons donc d'ans le Projet que la lre proposition de la loi française: à savoir que " le créancier se fait inscrire dans chaque liquidation pour la totalité de sa créance."
Il faut bien qu'il en soit ainsi au début: comment pourrait-il s'inscrire pour moins, puisque l'on suppose qu'il n'a encore rien reçu ? Dès lors, il lui sera attribué dans chaque faillite un dividende proportionnel au montant intégral de sa créance.
Mais cette attribution, il ne la recevra effectivement qu'une fois et de la faillite qui, la première, aura terminé ses opérations; des autres faillites il ne touchera ce dividende que dans la proportion de ce qui lui reste encore dû, après les précédents versements, de sorte que les sommes qu'il recevra iront toujours en décroissant: il pourra arriver très près d'un payement intégral, surtout si les faillites ne sont pas trop chargées de passif, mais jamais il ne sera entièrement payé. Ce résultat, nous avons démontré qu'il est nécessaire, du moment qu'aucun des débiteurs n'est resté solvable. Telle est notre 2e proposition.
Mais que fera-t-on de ces fractions de dividendes détachées de l'assignation exagérée qu'il avait fallu faire provisoirement à la créance totale ? Le texte nous le dit, et c'est notre 3e proposition: " elles forment une ” masse spéciale, pour indemniser les diverses liquidations, dans la proportion de ce qu'elles ont payé sur" le montant de la dette nominale."
De cette façon on satisfait à quatre conditions également impératives:
1° On respecte le principe que la même créance ne doit pas figurer plusieurs fois dans le passif d'une faillite;
2° On ne donne aucun intérêt aux diverses faillites à retarder leurs opérations et leur clôture, puisque chacune sera indemnisée de ce qu'elle aura payé d'après une base plus onéreuse que les autres;
3° On ne revient pas sur les opérations faites, par des circuits interminables de recours;
4° Enfin la répartition finale applique ce principe considérable de la solidarité que les insolvabilités des codébiteurs se répartissent entre eux.
171. Un exemple paraît nécessaire pour montrer que ce système est aussi praticable que tout autre qui serait moins conforme aux principes.
On terminera en démontrant encore, par un nouvel argument, que ce système est parfaitement en accord avec les principes de la solidarité.
Supposons trois débiteurs solidaires, Primus, Secundus, Tertius, pour une dette de 10,000 yens; tous sont insolvables ou faillis, et aucun payement n'a été fait avant l'ouverture des faillites.
Le créancier produit son titre aux syndics ou liquidateurs de chaque faillite et il figure au passif de chacune pour le montant intégral de sa créance.
La faillite de Primus, liquidée la première, donne à chaque créancier 50%, celle de Secundus 30%, celle de Tertius 20%.
Notre créancier est donc colloqué pour 5000 yens dans la lrj faillite, pour 3000 dans la 2e et pour 2000 dans la 3e (b).
Dans le système du Code de Commerce français, le créancier garderait le tout et il se trouverait précisément, avec nos chiffres, n'éprouver aucune perte..
Dans le système du Projet, le créancier touchera, effectivement aussi, les 5000 yens de la lre faillite; mais, sur les 3000 yens que lui attribue la 2e faillite, comme dividende sur 10,000 yens, il ne touchera les 30% que sur 5000 yens, parce que sa créance est réduite à ce chiffre, soit 1500 yens, et sur l'attribution que lui fait la 3e faillite, il ne touchera les 20% que sur 3500 yens, qui lui restent dus, soit 700 yens. Il ne reçoit donc, au total, que 7200 yens.
Les sommes qu'il ne touche pas, quoiqu'elles aient été nominativement attribuées à sa créance (1500 et 1300=2800 yens), sont réparties entre les diverses liquidations, comme il suit: la lra faillite en retirera 50%, soit 1400 yens, la 26 en retirera 30%, soit 840 yens et la 3e en retirera 20%, soit 560 yens.
Cette répartition est basée, comme dit le texte, sur " la proportion dans laquelle chaque liquidation a éteint la dette commune."
On ne devra pas objecter que le créancier ayant touché effectivement son dividende entier dans la première liquidation, celle-ci n'a rien fourni directement à la "masse spéciale" et que, par conséquent, elle n'en devrait rien recevoir: nous répondrions que si elle n'avait pas payé 50% de la dette, le créancier aurait dû toucher davantage dans les deux autres liquidations; la première a donc contribué directement à libérer les autres et indirectement à grossir la masse spéciale.
Cette répartition proportionnelle est le seul moyen applicable ici de faire supporter à tous les débiteurs respectivement l'insolvabilité où ils se trouvent, car l'article 1067 n'est écrit que pour le cas où, à côté d'insolvables, il en est resté d'autres qui sont solvables.
172. On s'étonnera peut-être encore, malgré les raisons déduites plus haut, de voir le créancier perdre 2800 yens sur 10,000 et cette somme attribuée aux faillites de ses débiteurs solidaires.
Mais remarquons d'abord que ce ne sont pas ces débiteurs eux-mêmes qui profitent de cette attribution: ce sont leurs autres créanciers, lesquels avaient souffert de l'admission du créancier à concourir avec eux pour sa créance intégrale, malgré des payements successifs.
Ensuite, parmi ces trois dividendes, si le 1er est assez avantageux, le 3e est faible; il est donc naturel que le résultat final ne soit pas favorable au créancier.
Enfin (et c'est ici la dernière démonstration que nous avons promise) le créancier aurait éprouvé la même perte, et sans qu'on pût aucunement la contester, si l'on supposait que les faillites ne se fussent pas trouvées simultanément en liquidation; or, il est naturel et juste que le moment auquel s'ouvrent les diverses faillites, respectivement, soit sans influence sur le résultat définitif, au moins en ce qui concerne le créancier.
Quant au recours des faillites les unes contre les autres, nous verrons plus loin qu'il en est autrement, à cet égard, et pourquoi.
Supposons, en effet, avec les mêmes chiffres, que Primus tombe en faillite avant l'échéance de la dette: le créancier, inscrit pour 0,000 yens dans sa faillite, touche 50%, soit 5000 yens; ensuite s'ouvre la faillite de Secundus (lequel n'avait pu être poursuivi pour le reste, alors qu'il était encore solvable, la dette n'étant pas encore échue): le créancier ne peut plus évidemment, être inscrit dans cette faillite que pour les 5000 yens qui lui restent dus, sur lesquels il touche 30%, soit 1500 yens; vient enfin la faillite de Tertius où il est inscrit pour les 3500 yens qui restent dus, et il touche 20%, soit 700 yens. Il n'a ainsi reçu en tout que 7200 yens et il en perd 2800, comme tout à l'heure.
Nous disons que ce résultat est incontestable; il est d'ailleurs conforme au Code de Commerce français, pour le même cas (art. 544) et à notre article précédent. Pourquoi aurait-on une autre solution quand les liquidations sont simultanées ? Cette circonstance de la simultanéité ou concomitance des faillites ne doit modifier que la procédure de liquidation, non ses résultats: elle nécessite l'inscription simultanée du créancier dans toutes les faillites pour le montant intégral de sa créance, car il n'est pas possible de l'inscrire pour moins; mais cela ne doit pas lui procurer un profit, c'est-à-dire une diminution de perte.
173. 11 reste, dans notre nouvelle hypothèse, la question du recours des faillites les unes contre les autres. C'est ici que l'on trouve une différence de résultats tenant à l'ordre dans lequel ont eu lieu les liquidations respectivement: du moment qu'elles n'ont pas eu lieu toutes en même temps, les recours se font conformément au droit commun de la solidarité, c'est-àdire conformément à l'article 1064.
Ainsi la liquidation de Primus qui a payé 500 yens en supportera définitivement le tiers, soit 1666 y. 66 s. et elle recourra contre la liquidation de Secundus pour autant; sur quoi elle touchera 30%, soit 499 y. 99 s.; elle touchera encore 20% sur l'autre tiers dans la liquidation de Tertius, soit 333 y. 33 s. En sorte que la liquidation de Primus aura supporté dans la dette de 10,000 yens: 1666 y. 66 s. pour son 1/3 des 4000 y. par elle payés, 1166 y. 66 s. non remboursés par la liquidation de Secundus et 1333 y. 33 s. non remboursés par celle de Tertius, soit en tout, 4166 y. 66 s., au lieu de 3333 y. 33 s. qui, étaient sa part normale dans les 10,000 y.; sa perte est donc de 833 y. 33 s.
La liquidation de Secundus, a son tour, quand viendra à s'ouvrir la liquidation de Tertius, s'y fera inscrire pour le tiers des 1500 yens qu'elle a payés, soit 500 yens, sur lesquels elle touchera 20%, soit 100 yens; mais elle n'exercera aucun recours contre celle de Primus, pour deux raisons au moins; d'abord parce qu'elle est restée sa débitrice, ensuite parce que cette première liquidation est close. La liquidation de Secundus a ainsi payé dans la dette commune 1500 yens au créancier, réduits à 1400 y. par ce remboursement de 100 y. par celle de Tertius, plus 499 y. 99 s. remboursés à la faillite de Primus; soit, en tout, 1899 y. 99 s.
La liquidation de Tertius, opérée la dernière, n'a aucun recours contre les deux autres auxquelles elle doit et qui d'ailleurs sont closes; elle a ainsi supporté dans la dette commune: 700 yens payés au créancier, 363 y. 33 s. remboursés à la liquidation de Primus et 100 yens rembousés à celle de Secundus, soit, en tout, 1133 y. 33 s.
En résumé:
La liquidation de Primus a payé y. 4166 66
Celle de Secundus 1899 99
Celle de Tertius 1133 33
Total 7199 98
Le créancier a perdu 2800 02
Ensemble............... 10,000 00
174. Quelque compliqués que paraissent ces calculs, il faut s'y résigner: hors de là, les répartitions seraient arbitraires; d'ailleurs, l'application des principes est encore la voie la plus simple et celle qui n'expose pas iL des résultats que la raison et la justice réprouvent.
Nous ne proposerions pas un autre système en droit civil français, car nous sommes de ceux qui pensent que les dispositions des articles 542 et 543 du Code de Commerce sont limitées aux faillites ou à l'insolvabilité des commerçants et ne peuvent être appliquées aux insolvabilités civiles. Nous regrettons qu'aucun des auteurs qui ont le même avis n'ait exposé avec des exemples, le système qui lui paraît devoir être suivi en droit civil.
Nous ne savons pas encore quel sera le système adopté dans le Code de Commerce japonais; mais ceci ne le préjuge en rien: si les rédacteurs y admettent un système différent du nôtre, qu'il soit ou non semblable à celui du Code de Commerce français, cela n'empêchera pas que le droit civil puisse rester tel que nous le proposons comme droit commun (1).
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(a) Nous les supposerons tous faillis ou insolvables, car si un seul est resté solvable, il n'y a pas grand intérêt à savoir quel droit aura le créancier contre les faillites ou liquidations des autres.
(b) Le système s'appliquerait tout aussi aisément avec des dividendes plus forts ou moins forts.
(1) Depuis que ces lignes ont été écrites dans la première édition, le Code de commerce a été promulgué: il reproduit le système du Code de commerce allemand qui lui-même a suivi ici le Code français, sans le modifier, et même il est moins complet. Notre système adopté par le Code officiel sera au moins suivi en matière civile.
SOMMAIRE.
Art. 1071. — N° 175. Renonciation absolue du créancier à la solidarité.
1072. -176. Renonciation relative, ou à l égard d'un ou plusieurs des débiteurs.
1073. —177. Décharge relative de la solidarité exigée du créancier pour avoir nui à. la subrogation des codébiteurs respectivement -177 bis. Parallèle de la solidarité avec le cautionnement.
COMMENTAIRE.
Art. 1071. — N° 175. La solidarité étant une modalité exceptionnelle de l'obligation, établie dans l'unique intérêt du créancier, il est naturel que celui-ci puisse y renoncer, lorsqu'il a la capacité de disposer de ses droits. Mais la renonciation à la solidarité ne diminue que ses garanties et non sa créance elle-même, "laquelle reste conjointe entre les débiteurs," comme le texte l'exprime.
Le texte nous dit encore que les autres caractères de l'obligation subsistent; ce qu'il faut entendre surtout de ses caractères relatifs à chacun des débiteurs. Ainsi l'un d'eux jouissait d'un terme et non les autres, l'un devait des intérêts et non les autres: ces différences respectives ne cessent pas avec la solidarité.
Au contraire, tout ce qui tenait au mandat mutuel, qui est le caractère distinctif de la solidarité, cesse avec la renonciation qu'y fait le créancier.
Art. 1072. — 1. 76. La loi suppose ici que la renonciation à la solidarité n'a été faite qu'en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs solidaires; cette renonciation peut avoir été expresse: elle peut aussi n'avoir été que tacite, comme il est dit à l'article 532. Dans ce cas, elle n'a pas seulement pour effet d'affranchir celui ou ceux auxquels elle a été faite de la poursuite pour la part des autres, mais elle affranchit de même ces derniers de la poursuite pour la part des premiers: autrement la condition de ceux auxquels la remise n'a pas été faite se trouverait aggravée par l'augmentation des chances de poursuite contre eux. On peut donc dire que s'il n'y avait que deux débiteurs solidaires et que la remise de la solidarité fut faite à l'un d'eux, il ne subsisterait rien de la solidarité.
Si celui auquel a été faite la remise de la solidarité devient insolvable avant d'avoir payé sa part, la perte retombe nécessairement sur le créancier.
Ces deux solutions résultent clairement du 1er alinéa de notre article.
Le 2e alinéa suppose que parmi ceux qui n'ont pas été déchargés de la solidarité, l'un devient insolvable. On sait que l'effet ordinaire de la solidarité est de faire répartir les insolvabilités entre ceux qui sont solvables (art. 1067). Ici, l'application du principe est modifiée dans le même sens que plus haut.
D'abord il n'est pas possible que la diminution du nombre des débiteurs solidaires, laquelle est le fait du créancier, fasse augmenter la part de ceux qui restent tenus solidairement.
La question n'est que de savoir qui, du créancier ou du débiteur affranchi de la solidarité, supportera la part d'insolvabilité qui, sans la remise, aurait été à la charge de ce dernier.
Le texte, tranchant une controverse du droit français, décide que c'est le créancier qui supportera dans l'insolvabilité la part de celui auquel il a fait la remise de la solidarité: il est naturel de donner à cette remise tous les effets qu'elle comporte, en faveur du bénéficiaire, d'après l'intention probable qu'a dû avoir le créancier au moment où il a fait la remise; il ne peut prétendre réduire ces effets après coup, lorsque l'événement lui donne lieu de la regretter; d'ailleurs, le créancier n'a pas toujours, en cela, fait une libéralité: il a peut-être reçu quelque avantage en compensation du sacrifice de la solidarité.
Art. 1073. — 177. La présente disposition se trouve en substance dans l'article 534; mais comme cet article pose un principe commun au cautionnement et à la solidarité et que l'application n'en est pas exactement ' la même pour les deux sûretés, il a dû renvoyer à l'article 1045 et au nôtre (a).
Lorsqu'il s'agit de la caution, comme elle a droit à un remboursement intégral de ce qu'elle a payé, elle peut demander sa décharge entière contre le créancier qui a rendu impossible sa subrogation aux sûretés qui garantissaient la créance. Mais, un débiteur solidaire n'ayant droit contre chacun de ses codébiteurs qu'au remboursement de la part de celui-ci, la décharge exigée du créancier ne peut s'appliquer qu'à la part de celui des codébiteurs auquel le créancier a fait remise des sûretés particulières qu'il avait reçues de lui.
177 bix. Nous avons annoncé (n° 147) que nous terminerions la matière de la solidarité passive en la comparant au cautionnement avec lequel elle a de frappantes analogies.
Assurément, on est porté à voir dans l'engagement de chaque débiteur solidaire deux obligations dont l'une serait principale, celle de sa propre part dans la dette, et l'autre accessoire, laquelle serait un cautionnement pour la part des autres dans la dette commune; mais le parallèle que nous allons présenter prouve que cette assimilation au cautionnement comporte tant de restrictions qu'il ne faut pas y attacher une trop grande importance.
Il faut, en effet, reconnaître que l'obligation solidaire est une; seulement, elle a une modalité particulière.
Voici, du reste, des ressemblances incontestables:
1° La solidarité et le cautionnement, augmentant pour le créancier les chances d'être payé, appartiennent tous deux à la matière des sûretés ou garanties des créances, et comme il n'y a pas affectation spéciale d'un bien au payement de la dette, mais seulement engagement d'une personne, ce sont des sûretés p ers 0 n. nelles;
2° Quand le créancier poursuit l'un des obligés pour le payement de la dette, celui-ci peut demander un délai pour appeler en cause l'autre obligé: la caution appelle le débiteur principal, le débiteur solidaire appelle son codébiteur;
3° Celui qui est poursuivi peut opposer les moyens de défense qui résultent du défaut de formation de la dette ou de son extinction;
4° Celui qui a payé la dette dont il était garant vis-' à-vis du créancier a, à son tour, un recours en garantie contre l'autre obligé;
5° Celui qui a payé a non seulement une action en garantie, de son chef, par suite de ses rapports de droit avec l'autre, mais encore il est subrogé légalement aux droits et actions qu'avait le créancier.
Voici maintenant les différences.
1° La caution n'est jamais engagée, comme telle, que par sa volonté et par un engagement envers le créancier, lors même que le cautionnement est imposé au débiteur par la loi ou par un jugement; -la solidarité est souvent légale et imposée aux codébiteurs sans leur volonté;
2° la caution ne peut s'obliger à plus ni sous des conditions plus onéreuses que le débiteur principal;- les codébiteurs peuvent être obligés inégalement et sous des modalités plus dures pour les uns que pour les autres;
3° La caution jouit des bénéfices de discussion et de division; -ces deux bénéfices sont refusés aux codébiteurs solidaires;
4° La caution ne doit les intérêts, les frais et autres accessoires de la dette que si elle a donné un cautionnement indéfini;-les codébiteurs doivent tous les accessoires, sans distinction;
5° La caution qui a payé la dette peut recourir pour le tout contre le débiteur principal et, s'il y a plusieurs débiteurs solidaires, elle peut également recourir pour le tout contre chacun d'eux, non seulement par la subrogation aux droits du créancier, mais même par l'action qu'elle a de son chef, au moins lorsqu'elle est mandataire;-le codébiteur solidaire qui a payé, non seulement garde une part de la dette à sa charge, mais encore ne peut demander à chacun de ses codébiteurs que la part de celui-ci, lors même qu'il use de la subrogation aux droits du créancier, et s'il y a des insolvabilités, il en supporte encore sa part;
6° La caution peut exiger du créancier sa décharge entière du cautionnement, lorsque celui-ci a diminué ou laissé périr les sûretés que la subrogation devait transmettre à la caution, -le codébiteur solidaire, en pareil cas, ne peut demander sa décharge que pour la part de celui ou de ceux à l'égard desquels les sûretés ont été perdues.
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(a) Le Code français a placé cette disposition dans la matière du cautionnement (art. 2037), ce qui rend difficile son application à la solidarité.
SOMMAIRE.
Art. 1074. — N° 178. En quoi l'obligation intégrale diffère de l'obligation solidaire. -179. Principe qui doit guider le législateur lui-même dans la détermination des cas de cette modalité.
COMMENTAIRE.
Art. 1074. — N° 178. Le Projet devait ici se prononcer sur une théorie fort délicate qui donne lieu à de grandes incertitudes en droit français.
Il existe, en effet, des cas où plusieurs débiteurs sont tenus de la même dette, chacun pour le tout (in solidum), soit parce que la loi l'exprime, soit parce que la nature de l'obligation l'exige, et où, cependant, il est difficile de voir une obligation solidaire, avec le mandat tacite qui la caractérise.
C'est cette modalité de l'obligation qu'on appelle souvent " solidarité imparfaite; " mais cette qualification ne suffit pas à résoudre deux difficultés considérables, à savoir:
En quoi diffère la solidarité imparfaite de la solidarité parfaite ?
Quand la solidarité n'est-elle qu'imparfaite ?
Si le Projet ne s'en expliquait pas, les mêmes difficultés se présenteraient au Japon, sans qu'on eût les mêmes moyens de les résoudre, par les souvenirs du droit romain et par les travaux de la doctrine et de la jurisprudence modernes.
Il y a déjà trois articles de ce Code, cités au texte, où une obligation de plusieurs débiteurs est déclarée par la loi " intégrale " ou " pour le tout " à l'égard de chacun d'eux; quoique la loi n'ajoute pas toujours "sans solidarité/' comme elle le fait dans l'article 519, 2e alinéa; il n'en faut pas moins décider que l'obligation n'est pas solidaire, bien qu'elle en ait le caractère principal à savoir la poursuite d'un seul pour le tout (a). Ces cas pourront n'être pas les seuls, soit dans ce Code, soit dans d'autres lois.
Le texte de notre 1er alinéa exprime que l'obligation ne deviendra pas solidaire par le fait que tous les codébiteurs ou quelques-uns d'eux, poursuivis par le créancier, auront été condamnés à payer toute la dette: ces mots sont ajoutés pour écarter une opinion, produite en France, d'après laquelle la solidarité, d'abord imparfaite, deviendrait parfaite quand la condamnation aurait été prononcée contre tous; nous l'écartons sans hésiter, parce que les jugements sanctionnent des droits préexistants, mais n'en créent pas de nouveaux.
Pour accentuer la différence entre les deux sortes d'obligations, la loi a soin de nous dire que dans l'obligation intégrale, non solidaire, il n'y a pas mandat réciproque et que tous les effets de ce mandat qui sont le propre de la solidarité sont précisément ceux qui manquent ici.
Ainsi, les poursuites du créancier contre un des débiteurs n'interrompent pas la prescription et ne font pas courir les intérêts contre les autres; la responsabilité des fautes de l'un d'eux n'atteint pas les autres; les moyens de défense personnels à l'un des débiteurs ne peuvent être invoqués par les autres, même pour la part du premier; le codébiteur actionné ne peut demander un délai pour mettre les autres en cause; les jugements rendus pour et contre un des codébiteurs sont sans effet pour et contre les autres.
Il pourra n'être pas toujours facile de déterminer les effets que l'obligation intégrale empruntera et ceux qu'elle n'empruntera pas à l'obligation solidaire; mais la loi pose une règle qui aidera les magistrats dans l'application: ils écarteront les effets qui reposent sur l'idée de mandat mutuel.
179. La même règle doit guider le législateur lorsqu'il a à se prononcer entre l'obligation solidaire et l'obligation intégrale.
Ainsi, lorsqu'il détermine la nature de l'obligation des locataires d'une même maison, au sujet de la responsabilité de l'incendie (art. 153), il ne méconnaît pas qu'il n'existe pas entre eux un lien antérieur d'intérêts continus, ni même momentanés, qui puisse justifier la solidarité.
De même, entre les co-auteurs d'un dommage injuste ayant le caractère de simple délit civil ou de quasi-délit, et hors le cas de co-contractants, co-auteurs d'une faute dans l'exécution de leur contrat, le législateur peut distinguer s'il y a eu entre eux un véritable concert pour nuire à autrui ou seulement une faute conjointe, pour établir la solidarité au premier cas et se borner à une simple responsabilité intégrale au second cas, et encore sous la condition " qu'on ne puisse déterminer la part de chacun dans le dommage causé et c'est ce qu'il fait dans l'article 398 (modifié), tandis qu'il édicte toujours la solidarité pour les co-auteurs d'une infraction punie par la loi pénale.
Enfin, lorsqu'il s'agit d'adpromission (art. 519, 29 al.), le législateur est obligé d'admettre l'obligation intégrale des deux débiteurs, car il n'y a pas expromission opérant novation, et, il serait impossible que l'obligation antérieure du promettant fût réduite à moitié et que celle du second promettant ne fût que de moitié, puisqu'il a promis toute la dette; mais il n'y a pas dans le seul fait de l'adpromission un mandat mutuel qui puisse constituer la solidarité.
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(a) Les anciens articles 153 et 398 employaient l'expression " solidaire ou solidairement " parce qu'à ce moment on n'était pas encore fixé sur le parti qu'on adopterait ultérieurement: la nouvelle rédaction a remplacé ces deux mots par " intégrale et intégralement."
SOMMAIRE.
Art. 1075. — N° 180. La solidarité active est fondée sur un mandat; elle peut avoir les mêmes causes que la précédente.
1076. —181. Ce qui doit être identique et ce qui peut être différent dans le droit de chaque créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1075. — N° 180. La solidarité entre créanciers est beaucoup moins utile à ceux-ci que celle entre débiteurs, aussi est-elle beaucoup plus rare. Comme la précédente, elle repose sur une idée de mandat mutuel dont le but est également de conserver la créance; mais ici le mandat émane des créanciers respectivement et non plus des débiteurs; il est d'ailleurs à peu près irrévocable, comme faisant partie intégrante de la convention principale (sauf ce qui est dit, au n° 195, de l'effet de la renonciation), et, sous ce rapport, il n'est pas sans dangers.
Quoique cette modalité de la créance ne doive pas vraisemblablement être plus fréquente au Japon qu'ailleurs, il est nécessaire de lui faire sa place parmi les sûretés, pour le cas où les parties l'auraient établie sans en avoir réglé elles-mêmes les effets. D'ailleurs cette solidarité pourra être assez fréquente en matière de commerce: par exemple, lorsqu'une lettre de change ou un billet à ordre seront souscrits au profit de plusieurs personnes.
Il pourrait y avoir, cumulativement, solidarité active et solidarité passive (v. T. II, nos 429, Ille Cas et 430-3°J; mais comme ce cumul ne changerait pas les principes de chacune, on se bornera à donner ici l'application de la solidarité active seulement, en présence d'un débiteur unique.
Notre premier article nous dit que la solidarité active, comme la précédente, ne peut résulter que d'une disposition expresse, soit d'une convention, soit d'un testament, soit de la loi; cela implique que la solidarité active peut avoir, comme la solidarité passive, trois causes: la convention, le testament et la loi.
Il est vrai que l'on ne trouvera pas de solidarité active légale dans ce Projet, mais il est bon d'indiquer qu'elle est possible et qu'une autre loi pourrait l'établir.
Art. 1076. — 181. La disposition de cet article est tout-à-fait analogue à celle de l'article 1053; mais elle n'aurait pu être suppléée par un simple renvoi audit article, parce que le mot " créanciers " doit être remplacé ici par celui de " débiteurs " et réciproquement. Il a donc fallu exprimer à nouveau: b nécessité d'identité d'objet et de cause de la créance pour chaque créancier, la possibilité qu'il y ait diversité d'actes, de temps, de lieux, de modalités et de charges.
Le Code français qui a exprimé ces idées pour la solidarité passive (art. 1201) ne l'a pas fait pour celle qui nous occupe, quoiqu'il en traitât en premier lieu.
SOMMAIRE.
Art. 1077. — N° 182. Droit de poursuite d'un seul pour le tout. -183. Droit de tous d'intervenir en cause.
1078. —184. Droit du débiteur de payer le tout à qui il veut des créanciers; limites de ce droit.
1079, 1080 et 1081. —185. Effets des jugements sur les exceptions. -186. Exceptions résultant du défaut de formation de l'obligation. -187. Exceptions résultant du payement ou de la compensation. -188. Exceptions tirées de la novation, de la remise et de la confusion. -189. Serment extrajudiciaire, transaction. -190.Exceptions personnelles contre un des créanciers.
1082. -191. Actes conservatoires; mise en demeure: différence entre l'interruption et la suspension de la prescription.
1083. —192. Divisibilité de la dette solidaire.
1084. —193. Recours respectifs pour le partage de l'émolument.
COMMENTAIRE.
Art. 1077. -N° 182. Cet article indique, dans son 1er alinéa, l'effet principal de la solidarité active: à savoir " le droit pour chaque créancier de réclamer l'exécution intégrale de l'obligation, comme s'il était seul créancier." Sans doute, dans ses rapports avec ses co-créanciers, il n'a droit, en général, qu'à une part de l'émolument de la créance, parce qu'il n'est que mandataire des autres pour la part de ceux-ci; mais, vis-à-vis du débiteur, il est titulaire de l'intégralité du droit.
Toutefois, ce principe doit lui-même être tempéré par un autre qui est que chaque créancier n'est mandataire des autres que pour conserver leur droit, non pour le compromettre: on verra les conséquences de ce tempérament à l'article 1079.
183. Comme le jugement qui statuera sur la poursuite d'un des créanciers devra être, dans certains cas, opposable aux autres et pourra être invoqué par eux, il est naturel que ceux qui n'ont pas pris l'initiative des poursuites puissent intervenir dans la cause pour y défendre leurs intérêts, comme le peuvent faire des codébiteurs solidaires, dans le cas inverse, d'après l'article 1056, 2e alinéa.
Il faut même admettre, quoique la loi ne l'exprime pas, que si le créancier demandeur avait intérêt à appeler un ou plusieurs de ses co-créanciers, pour réfuter certains moyens du défendeur, il le pourrait: par exemple, pour une vérification de signature sur une quittance ou autre acte libératoire.
Art. 1078. — 184. Du moment que le débiteur peut être requis par chaque créancier de payer toute la dette, il est naturel et juste qu'il puisse, sans attendre les poursuites, payer spontanément la dette entière à celui des créanciers qu'il veut choisir.
La loi n'y met qu'une restriction, c'est qu'il ne peut plus prendre cette initiative une fois qu'il a été prévenu par une poursuite ou seulement " par une réclamation en forme " de la part d'un autre créancier.
La loi par ces mots " réclamation en forme," montre qu'elle n'exige pas des poursuites judiciaires: d'abord, si l'obligation avait été contractée devant notaire et en forme exécutoire, il n'y aurait évidemment pas lieu à demande en justice, un commandement serait le seul préliminaire de l'exécution forcée; mais il n'est même pas nécessaire de recourir à un acte si rigoureux: une sommation doit suffire; ce qui ne suffirait pas à empêcher le payement spontané serait une simple lettre missive et, à plus forte raison, une demande verbale.
La loi déduit les conséquences logiques de cette restriction au droit du débiteur: 1° s'il y a eu une réclamation en forme, le débiteur ne peut plus payer qu'au réclamant; 2° s'il y a plusieurs réclamations simultanées, le payement ne peut être fait qu'à tous les réclamants réunis. En effet, il n'appartient pas au débiteur de juger quels sont les droits respectifs de chacun des créanciers: du moment qu'ils font valoir leur droit et qu'il ne le conteste pas, en ce qui le concerne, il doit les satisfaire dans les conditions, individuelles ou collectives, dans lesquelles ils se présentent.
Art. 1079, 1080 et 1081. —185. La loi revient au cas de poursuites, et ici elles sont supposées faites en j u s t i c e, à proprement parler.
Au lieu de présenter d'abord les diverses exceptions que le débiteur peut opposer au poursuivant, comme il a été fait au sujet de la caution (art. 1025) et du débitour solidaire (art. 1057 et 1058), pour régler ensuite l'effet du jugement intervenu sur ces exceptions (art. 1026, 1059 et 1060), la loi réunit dans une seule disposition l'exception et le jugement, parce que cette simplification de forme est possible ici, sans nuire à la clarté. Il n'y a de division qu'au sujet des exceptions ou moyens de défense.
186. L'article 1079 suppose que le débiteur a opposé au créancier poursuivant une exception tirée du défaut de formation même de l'obligation: c'est le cas où les conditions générales prescrites par l'article 325 n'auraient pas été remplies.
Dans ce cas, le jugement, favorable ou défavorable au débiteur, est défavorable ou favorable aux autres créanciers; pourtant ils sont supposés " n'avoir pas été nominativement parties dans la cause," mais ils y ont été représentés virLuellement par l'effet de leur qualité de mandataires réciproques: il est juste que si le débiteur est exposé aux poursuites d'un seul pour le tout, il ait aussi le droit de se défendre pour le tout contre un seul; les créanciers pouvaient intervenir dans le procès jusqu'au jugement, ils auraient pu aussi intervenir en appel et même l'interjeter; ils ne peuvent donc s'en prendre qu'à eux-mêmes des conséquences de leur négligence, s'ils al aient les moyens de faire rejeter l'exception.
187. L'article 1080 suppose une exception tirée d'une cause d'extinction de la dette et sur cette exception un jugement favorable ou défavorable au débiteur.
Ici la solution varie avec le moyen d'extinction invoqué.
Une première solution concerne le payement: comme le débiteur a le droit de payer toute la' dette à l'un des créanciers, tant qu'il n'a pas été poursuivi par l'un des autres, il a naturellement le droit de bénéficier pour le tout du jugement rendu sur la réalité et la validité de ce payement.
La loi donne la même solution pour le cas de compensation qui joue exactement le rôle d'un payement abrégé; mais, à cause même de cette assimilation, elle a soin d'exiger, par un renvoi à l'article 1078, que les causes de compensation, c'est-à-dire les faits qui ont rendu le débiteur créancier particulier d'un des créanciers solidaires, soient intervenues avant toute poursuite d'un des autres créanciers.
188. Là s'arrêtent les modes d'extinction de l'obligation qui produisent effet pour le tout, contre chaque créancier.
Pour la novation, la remise conventionnelle et la confusion provenant du fait ou du chef d'un seul créancier, le jugement qui les déclare n'a d'effet contre les autres que pour la part du créancier du chef duquel le mode d'extinction s'est produit. A cet égard, la loi renvoie aux articles 522, pour la novation, 537, pour la remise de la dette et 557, pour la confusion. La loi ajoute, comme pour la compensation, que lesdites causes d'extinction doivent s'être produites avant aucune poursuite d'autres créanciers.
Quant à la raison pour laquelle ces causes d'extinction n'opèrent que pour une part, au lieu d'opérer pour le tout, elle a été donnée sous les articles précités, c'est que les créanciers solidaires ont un mandat réciproque pour conserver la créance commune et non pour la compromettre; s'il y a exception pour le payement, c'est qu'il est l'extinction normale de l'obligation et que les autres créanciers peuvent aisément, par des saisiesarrêts ou même par une intervention en temps utile, au moment du payement, sauvegarder leur part dans ledit payement; quant à la compensation, elle a le caractère d'un payement abrégé; mais les trois modes d'extinction qui nous occupent pourraient survenir à un moment où les autres créanciers seraient dans l'impossibilité de s'en garantir.
189. La loi donne la même solution pour le cas où, les parties étant convenues de s'en rapporter au serment extrajudiciaire de l'une d'elles sur l'un des faits qui précèdent, le serment aurait été prêté ou refusé et, de même encore, sur une transaction au sujet de la preuve de ces mêmes faits.
Il faut remarquer que la transaction et le serment extrajudiciaire intervenus sur le payement et la compensation ne produiraient également qu'un effet partie], à la différence du jugement sur ces deux faits: le motif est que les autres créanciers ne trouvent pas les mêmes garanties de vérité dans l'oeuvre des parties que dans l'examen et la décision du tribunal; de plus, elles ont pu intervenir dans l'instance et non dans la transaction.
190. L'article 1081 prévoit enfin des exceptions purement personnelles à l'un des créanciers, c'est-àdire ne pouvant être opposées qu'à celui qui a poursuivi le débiteur; tel serait le cas où il aurait usé de dol ou de violence contre le débiteur et celui où il existerait une incapacité relative de contracter entre lui et le débiteur. Dans ces cas, le débiteur se trouvera bien libéré vis-à-vis de ce créancier, mais il restera exposé aux poursuites des autres, pour le tout: ceux-ci, en effet, n'ont pas moins de droits individuels parce qu'un d'entre eux avait été indûment considéré comme leur associé dans la solidarité: ce n'est pas la créance, mais seulement le prétendu créancier qui est affecté par cette exception.
La loi donne la même solution pour le cas où le droit individuel de l'un des créanciers aurait été l'objet d'une délation de serment extra judiciaire ou d'une transaction: c'est encore la solidarité d'un créancier qui aurait été exclue et non une partie de la dette.
Art. 1082. — 191. L'interruption de la prescription et la mise en demeure du débiteur sont des actes éminemment conservatoires de la créance; il est donc naturel que la diligence d'un des créanciers profite à tous. C'est la même théorie que pour la solidarité passive où la diligence du créancier unique contre l'un de ses débiteurs lui profite contre les autres (v. art. 1061).
Les deux solidarités se ressemblent également en ce qui concerne la suspension de la prescription; ici c'est dans le sens de l'effet négatif: la suspension existant en faveur d'un des créanciers seulement ne profite pas aux autres, de sorte que le débiteur pourra invoquer la prescription contre ceux au profit desquels elle n'est pas suspendue.
Comme pour la solidarité passive, nous supposerons que l'un des créanciers est le conjoint du débiteur ou que le droit de l'un des créanciers est à terme ou sous condition, quand celui des autres est par et simple: dans ces cas, le créancier contre lequel la prescription n'a pu courir a bien conservé son droit, mais seulement pour sa part et sans profit pour les autres créanciers qui seront présumés avoir reçu leur part dans la créance ou en avoir fait remise (comp. ci-dess., n° 154 bis). Il en serait de même si un des créanciers était mineur, quand les autres créanciers étaient majeurs.
Art. 1083. — 192. La solidarité active, pas plus que la solidarité passive, ne donne à l'obligation le caractère d'indivisibilité (v. art. 461; comp. c. civ. fr., art. 1219): elle permet, il est vrai, de ne pas faire la division de la poursuite entre les créanciers primitifs, mais dès que l'un d'eux est décédé, laissant plusieurs héritiers, la division devient nécessaire. C'est la théorie retournée de l'article 062 auquel renvoie le nôtre.
Art. 1084. — 193. Chaque créancier solidaire, dans ses rapports avec le débiteur, a bien le droit intégral à la créance, mais dans ses rapports avec ses co-créanciers il n'a ordinairement qu'une part de la créance, de là, la nécessité d'un partage ultérieur de l'émolument.
Sans doute, il pourrait arriver que l'un des créanciers solidaires, bien qu'ayant un droit de poursuite personnel, ne fût qu'un mandataire des autres, pour le tout, sans avoir d'intérêt propre dans la créance, de même qu'un co-débiteur solidaire peut n'être qu'une caution des autres (v. c. civ. fr., art. 1216 et ci-dess., n° 159); mais ce cas est tellement rare entre co-créan. ciers solidaires qu'il ne faut pas s'y arrêter.
Il y a donc un recours de ceux qui n'ont rien reçu contre celui qui a obtenu le payement ou s'est trouvé en recevoir l'équivalent par une compensation libératoire de sa propre dette. Ce recours se règle dans la mesure des droits respectifs des créanciers et d'après la nature de "leur rapports particuliers" (comp. art. 418, 2e al.).
SOMMAIRE.
Art. 1085. — N° 194. Une seule cause de cessation de la solidarité active, la renonciation expresse.
1086. —195. Effet entre les créanciers de la renonciation par tous, ou par un on plusieurs.
1087. —196. Effet de la renonciation à l'égard du débiteur.
COMMENTAIRE.
Art. 1085. — N° 194. Ici, comme dans le § 3 de la solidarité passive, la loi ne règle que les causes qui mettent fin à la solidarité, indépendamment de celles qui mettent fin à la créance elle-même, et même, à la différence de la solidarité passive qui cesse par deux causes: la renonciation du créancier et sa déchéance (art. 1071 et 1073), il n'y a ici que la renonciation. Le débiteur, en effet, n'aurait jamais d'intérêt à faire déclarer un ou plusieurs des créanciers déchus de leu droit; il pourrait même avoir un intérêt inverse (v. art. 1087); et pour que les créanciers pussent euxmêmes faire déchoir l'un des leurs de la solidarité, il faudrait supposer entre eux des obligations particulières dont il n'y a pas à s'occuper ici; par exemple, des obligations de société ou de mandat qui n'auraient pas été fidèlement remplies.
La loi veut que la renonciation soit expresse; c'est une différence avec la renonciation à la solidarité passive, laquelle peut être tacite (v. art. 532 et 1072): c'est d'ailleurs le droit commun des renonciations et il n'y avait pas ici de raison d'y déroger.
Art. 1086. — 195. Si tous les créanciers renoncent à la solidarité, ils redeviennent créanciers simplement conjoints; tel est le sens du renvoi de notre article à l'article 1072.
Si un ou plusieurs renoncent, celui ou ceux qui n'ont pas renoncé restent créanciers solidaires ou pour le tout, * mais sous la déduction de la part de celui ou de ceux qui ont renoncé.
Cette renonciation a de l'analogie avec la renonciation au mandat: si ce mandat mutuel ne peut être révoqué directement par ceux qui l'ont donné, il peut être abandonné par ceux qui l'ont reçu; et même, par cette renonciation, ils arriveront indirectement à une révocation, puisque, pendant que les renonçants ne peuvent réclamer la part des autres, ceux-ci, à leur tour, ne peuvent réclamer la part des renonçants.
Art. 1087. — 196. L'article précédent règle principalement les rapports des créanciers solidaires entre eux après la renonciation. Pour qu'il soit applicable aussi à leurs rapports avec le débiteur, il faut que celui-ci soit dûment informé de la renonciation ou qu'il soit prouvé qu'il en a eu une connaissance certaine.
La renonciation, du reste, peut avoir lieu sans le consentement du débiteur, et s'il avait un intérêt légitime à la contester, il le pourrait, mais à la condition qu'elle eût été faite. " en fraude de ses droits." Ses droits pourraient avoir été fraudés, si, par exemple, il avait eu une cause de compensation à opposer au renonçant et se trouvait ainsi privé du moyen de la faire valoir. Mais, pour que cette renonciation lui nuisît, il faudrait supposer qu'il y eût seulement lieu à une compensation facultative ou judiciaire, laquelle n'opère pas de plein droit l'extinction de la dette (v. art. 553 et 554): autrement, et s'il y avait eu compensation légale, le bénéfice qui en aurait été une fois acquis au débiteur ne pourrait plus lui en être enlevé par la renonciation du créancier (v. art. 542).
SOMMAIRE.
Art. 1088. — N° 197. Nécessité de faire deux parts de l'indivisibilité. -198. Le Livre IIe n'a eu à s'occuper que de l'indivisibilité naturelle et de trois cas d'indivisibilité volontaire qui n'ont pas un véritable caractère de sûreté.
1089. 199. L'indivisibilité active n'implique pas l'indivisibilité passive, ni réciproquement.
1090. 200. L'indivisibilité expressément établie implique l'admission tacite de la solidarité. -201. Effets propres à l'indivisibilité à l'égard des héritiers des débiteurs ou des créanciers.
1091. —202. Interruption et suspension de la prescription contre un des débiteurs ou héritiers ou en faveur d'un des créanciers ou héritiers; effet de la mise en demeure.
1092. -203. Absence de lien juridique entre les divers héritiers du débiteur: conséquence pour les fautes, la mise en demeure, les jugements défavorables, etc.
1093. —204. Renonciations distinctes, soit à la solidarité, soit à l'indivisibilité.
1094. —205. Renvois Ù, diverses dispositions relatives à l'indivisibilité naturelle.
1095. —205 bis. Rapprochement avec le cautionnement pour la déchéance du créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1088. — N° 197. Ce n'est pas sans. hésiter qu'on a, dans ce Projet, fait deux parts de l'indivisibilité. Il le fallait cependant, pour conserver une méthode exacte.
L'indivisibilité est une modalité des obligations; comme telle, elle a dû avoir sa place au Livre IIe, Chapitre II, parmi les Effets des Obligations (v. art. 459 à 470).
Quelquefois, le plus souvent peut-être, elle résulte de la nature de la chose due; d'autres fois, elle résulte de la volonté de l'homme. Dans le premier cas, celui où l'indivisibilité est dite ”naturelle", elle est certainement un avantage pour le créancier, s'il y a plusieurs débiteurs, ou pour chaque créancier, s'ils sont euxmêmes plusieurs; mais il ne serait pas d'une doctrine exacte de dire, dans ce cas qu'elle est une sûreté de la créance. Au contraire, dans le second cas, celui où elle est dite " volontaire, " elle est vraiment une sûreté, et c'est pourquoi elle prend place dans ce Livre IVe, à la suite de la solidarité, avec laquelle elle a une grande analogie et dont elle ne diffère guère que par une extension de la sûreté.
Pour que ceux qui auront à étudier la loi et à l'appliquer ne perdent pas de vue ces deux parts faites à l'indivisibilité, notre premier article renvoie aux articles 462 et 463, comme aussi l'article 464 a renvoyé au présent Livre.
198. Remarquons qu'au Livre IIe on n'a pas seulement rencontré l'indivisibilité naturelle, mais encore une indivisibilité " résultant du but que les contractants se sont proposé ce qui est déjà une indivisibilité volontaire tocitp, et une autre " résultant de l'assignation de la dette, par le titre constitutif, à la charge d'un seul des débiteurs " ce qui est une indivisibilité volontaire expresse (a).
Il est traditionnel, dans les lois et la doctrine, de rapprocher ces deux indivisibilités volontaires de celle qui résulte de la nature de la chose due, et comme aucune législation, à notre connaissance, n'a réglé le cas d'une stipulation expresse de l'indivisibilité, comme sûreté ou garantie de la créance, c'est à cette stipulation surtout, en y ajoutant la disposition testamentaire, que l'on a consacré un Chapitre au présent Livre.
Le texte nous dit que cette nouvelle indivisibilité peut être passive ou active, comme la solidarité, et être conjointe ou non à l'une ou à l'autre solidarité: elle y sera même conjointe, de droit, par interprétation de l'intention des parties, si le contraire n'est exprimé, comme il est dit à l'article 1090.
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(a) Il y en a même un autre cas dans le Projet japonais (art.463-1°) et deux autres dans le Code civil français (art. 1221-10 et 3°); mais on n'a pas dû admettre ces derniers dans le Projet (v. Tome II, n° 438).
Il existe aussi deux cas d'une indivisibilité qu'on pourrait appeler légale: ce sont les cas de redevance emphytéotique et supernciau'e (v. art. 178 et 185); niais comme cette indivisibilit épourrait être exclue par la volonté des parties, on peut, pour ne pas multiplier les distinctions, dire qu'elle est alors " tacitement volontaire."
Art. 1089. — 199. Le présent article a pour but de prévenir une présomption exagérée de l'intention des parties: l'établissement exprès de l'indivisibilité active ou passive peut impliquer l'admission tacite de la solidarité de même nature (v. art. suiv.); mais de ce que l'on a établi l'indivisibilité passive, par exemple, il ne s'en suit pas qu'on ait entendu établir, tacitement aussi, l'indivisibilité active, laquelle est toute différente dans ses effets; réciproquement, l'indivisibilité active n'implique pas l'indivisibilité passive; chaque indivisibilité doit donc toujours être établie expressément.
Art. 1090. — 200. Cet article présente une innovation déjà annoncée: il établit que l'indivisibilité s'ajoute plutôt à la solidarité qu'elle ne s'y substitue.
En effet, on voit au 2e alinéa que l'indivisibilité donne au créancier des droits que ne lui donnerait pas la solidarité; il est donc naturel de croire qu'il n'a pas voulu perdre d'un côté quand il gagnait de l'autre. Dès lors, la loi ne fait qu'interpréter naturellement l'intention des parties contractantes ou du testateur, lorsqu'elle suppose qu'en établissant la modalité la plus grave contre les débiteurs ou la plus favorable aux créanciers, elles ont voulu, à plus forte raison, établir celle dont les effets sont moins étendus, avec ses particularités comme sûreté. Il y a là une exception annoncée à l'article 1052, lequel exige que, dans tout autre cas, la solidarité soit établie expressément.
Cette présomption est d'ailleurs de celles qu'on appelle " simples " et elle comporte la preuve contraire, comme le texte l'exprime; mais il sera bien rare et peu naturel qu'on exclue la solidarité en établissant l'indivisibilité.
Puisque l'indivisibilité entraîne la solidarité, on trouve d'abord que les effets de celles-ci se produisent à la charge des débiteurs ou en faveur des créanciers, mais seulement si cette sûreté n'a pas été elle-même expressément exclue, et il est vraisemblable qu'elle ne l'aura pas été. Il n'y a pas à revenir sur ces effets: ils sont exposés au Chapitre précédent.
201. Ce qui caractérise surtout l'indivisibilité, comme effet propre et ayant naturellement porté les parties à l'établir, c'est que l'obligation ne se divise pas entre les héritiers, soit des débiteurs, soit des créanciers originaires.
Ainsi, tandis que l'obligation simplement solidaire n'est intégrale qu'à l'égard des débiteurs ou créanciers originaires, mais se divise entre leurs héritiers (v. art. 461), l'exécution de l'obligation indivisible sera poursuivie intégralement contre ou par chaque héritier, et il en sera de même à l'égard des héritiers des héritiers, à l'infini. Mais entre ces héritiers eux-mêmes, il n'y aura pas, comme entre leurs auteurs, solidarité passive ou active: la loi a soin de l'exprimer, et l'article ] 092 en indiquera une conséquence (b).
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(b) Quoique le Texte officiel n'admette pas la pluralité d'héritiers proprement dits, il admet des légataires à titre universel pour la moitié des biens; notre texte et nos explications peuvent donc être considérés comme en accord avec le Texte officiel.
Art. 1091. — 202. Il y a encore ici un effet de l'indivisibilité plus considérable que celui de la solidarité: l'interruption de la prescription faite par le créancier contre un des héritiers d'un débiteur solidaire décédé ne produirait qu'un effet partiel contre les débiteurs survivants et ne produirait aucun effet contre les autres héritiers (v. art. 1061); tandis qu'ici l'interruption a un effet contre tous et pour toute la dette.
Il n'en peut être autrement: d'une part, le créancier qui a fait un acte interruptif de prescription ne peut pas n'en obtenir aucun avantage, il doit avoir conservé son droit; d'autre part, le droit est indivisible, il ne peut se perdre pour partie, il doit donc être conservé en entier. Si on autorisait à invoquer la prescription ceux qui n'ont pas été atteints par l'acte interruptif, ils ne pourraient invoquer la prescription que pour le tout et la diligence du créancier lui deviendrait inutile, ce qui est inadmissible.
C'est la même raison qui explique que la suspension de prescription établie par la loi en faveur d'un des créanciers ou d'un de ses héritiers profite à tous les créanciers ou à leurs héritiers et est opposable à tous les débiteurs ou à leurs héritiers, lors même qu'elle est fondée sur une qualité relative à l'un de ceux-ci, comme, par exemple, la qualité de conjoint. Il serait impossible, en effet, que ce créancier ne conservât qu'un droit partiel quand l'obligation est indivisible, et de même, il serait impossible que le débiteur opposât la prescription aux autres créanciers à l'égard desquels la prescription n'est pas suspendue, car il opposerait nécessairement une prescription intégrale, ce qui priverait du bénéfice de la suspension celui en faveur duquel la loi l'établit.
La loi donne la même solution pour la mise en demeure faite par un des créanciers contre un des débiteurs originaires: elle a conservé le droit des autres et pour le tout; si elle n'a été faite que contre un des héritiers, ce cas est réglé différemment par l'article suivant (1).
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(1) Ce dernier alinéa de l'article 1091 est nouveau: il nous a paru utile d'accentuer ainsi la différence entre les deux cas de mise en demeure.
Art. 1092. — 203. L'indivisibilité en elle-même n'implique pas, comme la solidarité, un mandat de représentation mutuelle des débiteurs ou des créanciers: si cette représentation peut s'y rencontrer, c'est par l'effet de la solidarité qui s'y trouve tacitement ajoutée (v. art. 1090). Mais cette solidarité n'a plus lieu entre les héritiers d'un débiteur ou d'un créancier décédé, comme a soin de le dire l'article 1090, 2e alinéa. Par conséquent, il n'y a plus entre les héritiers respectivement de responsabilité des fautes ou de la mise en demeure; par conséquent aussi, les jugements, aveux et serments défavorables à l'un d'eux sont sans effet à l'égard des autres; c'est une différence avec ce qui se passerait s'ils étaient solidaires passivement (v. art. 1059).
Le texte ne se prononce pas sur les jugements, aveux ou serments qui seraient favorables à l'un des héritiers: par cela même qu'il n'en exclut pas le bénéfice à l'égard des autres, il pourra être admis, par application des principes de la gestion d'affaires, chaque fois que les héritiers auront eu des relations qui permettent de reconnaître l'intention de se rendre ce bon office.
Art. 1093. — 204. On a vu à l'article ^ 090 que l'indivisibilité entraîne la solidarité, si elle n'a pas été exclue; cela tient, avons-nous dit, à ce que l'indivisibilité est plus considérable dans ses effets que la solidarité et que " le plus contient le moins."
On en devait nécessairement conclure que si le créancier renonce au droit le moins étendu, il renonce, à plus forte raison, à celui qui l'est davantage; du moment, en effet, qu'il renonce à un droit déjà exorbitant, comme est la solidarité, comment pourrait-on admettre qu'il a entendu en conserver un plus exorbitant encore ? Sans compter qu'une indivisibilité sans solidarité serait une modalité si singulière, si boîteuse en quelque sorte, qu'on ne peut déjà guère admettre comme vraisemblable la clause exclusive de la solidarité, au moment de la convention, quoiqu'elle soit prévue plus haut.
La réciproque n'est pas vraie: le créancier qui renonce à l'indivisibilité, en abandonnant le droit le plus considérable, peut fort bien avoir entendu garder le moindre, la solidarité: c'est ce que décide le 2e alinéa.
Art. 1094. — 205. La loi ne pouvait reproduire ici toutes celles des dispositions relatives à l'indivisibilité naturelle qui s'appliquent aussi, plus ou moins complètement, à l'indivisibilité volontaire: c'eût été s'engager dans des répétitions et surcharger le texte de détails fastidieux dans une matière d'une application pratique assez rare; on se borne donc à renvoyer aux articles du Livre IIa auxquels il y a des emprunts à faire.
Les articles 465 à 470 sont relatifs aux rapports créés par l'indivisibilité naturelle entre les créanciers ou les débiteurs et les héritiers de ceux qui sont décédés; l'article 522 est relatif à la novation, les articles 528, 531, 535 et 537 à la remise conventionnelle, les articles 558 et 559 à la confusion.
Le texte ne fait pas ces renvois pour une application pure et simple desdits articles à l'indivisibilité volontaire, mais pour une application " autant qu'il y a lieu; " c'est donc en ayant soin d'exclure les effets tenant uniquement à la nature indivisible de la chose due qu'on pourra appliquer les dispositions de ces articles à l'indivisibilité volontaire.
La loi ne renvoie pas à l'article 543, au sujet de la compensation, parce que cet article ne s'applique pas à l'indivisibilité naturelle: il est précisément spécial à l'indivisibilité volontaire. Il est utile assurément de le rapprocher de ce Chapitre; mais ce n'est plus pour y puiser des analogies, puisqu'il donne une solution directe en matière de compensation.
Art. 1095. — 205. bis. Le dernier article de notre Chapitre applique à l'indivisibilité volontaire une disposition déjà établie au sujet du cautionnement (art. 1045) et de la solidarité passive (art. 1073): il est naturel et juste, ici comme dans les deux premiers cas de sûretés personnelles, que le créancier qui a compromis les effets de la subrogation légale à laquelle le débiteur était appelé en supporte, comme conséquence, la déchéance de son droit (comp. art. 534).
FIN DE LA Ire l'ARTIE DU LIVRE IV.
SOMMAIRE.
N° 206. Double avantage des sûretés réelles. —207.Justification par la liberté des conventions ou par un principe de justice. -208. Principe, objet et causes des diverses sûretés.
COMMENTAIRE.
N° 206. On a déjà expliqué (n° 7) que les sûretés ou garanties réelles consistent dans l'affectation spéciale d'une chose à l'acquittement d'une obligation.
Les sûretés réelles ont un double avantage pour le créancier: elles le mettent à l'abri des deux dangers auxquels l'expose le droit commun;
1° L'aliénation que le débiteur peut faire de ses biens, pourvu que ce soit sans fraude (v. art. 860);
2° La multiplication de ses obligations, laquelle amène le concours de tous les créanciers sur le " gage commun" et peut ainsi les mettre en perte (v. art. 1001)
Lors donc qu'un créancier a une sûreté réelle, son droit fait obstacle à l'aliénation du bien qui est affecté à sa garantie ou, au moins, cette aliénation ne lui est pas opposable (sauf de rares exceptions qui seront indiquées en leur lieu): on dit alors que le créancier a un Il droit de suite " contre le tiers détenteur; en outre, lorsque le bien affecté spécialement à l'acquittement d'une obligation sera réalisé en argent (généralement par une vente aux enchères), le créancier de cette obligation sera payé " par préférence " aux autres.
207. On pourrait, au premier abord, s'étonner que le droit commun puisse être ainsi changé au profit d'un ou plusieurs créanciers à l'encontre des autres; mais il ne faut pas perdre de vue que les matières civiles sont d'ordre privé et non d'ordre public, et que les parties y peuvent stipuler et promettre, à leur gré, pour le mieux de leurs intérêts (v. art. 349); ce qui serait inadmissible, ce serait que le débiteur pût changer après coup la condition respective de ses créanciers, une fois qu'elle aurait été spécialement établie par lui ou par la loi; en d'autres termes, une fois qu'il y aurait droit acquis.
Mais le droit commun ayant ses dangers (v. art. 360 et 1001), un créancier nouveau peut bien mettre à l'avantage qu'il confère ou promet au débiteur la condition d'une sûreté spéciale, et les autres créanciers n'ont pas de raison légitime de s'en plaindre: 1° parce qu'ils ont pu eux-mêmes mettre à leur convention de semblables conditions qui leur auraient donné la priorité, 2° parce que les avantages fournis par celui qui leur est préférable sont entrés dans la masse commune des biens du débiteur et profitent ainsi à tous les autres créanciers.
Lorsque la sûreté ne vient pas de la convention mais de la loi, elle se justifie encore mieux, car c'est toujours par un principe de justice que la loi donne une sûreté spéciale à certains créanciers (v. n° suiv.).
Si l'on suppose qu'une créance a été établie sans sûreté spéciale, à l'origine, il est un peu moins facile de justifier qu'une sûret6 y soit attachée après coup; aussi n'est-ce déjà plus la loi qui le fera; mais celle-ci pourra du moins accorder sa sanction à une sûreté qui est encore valable, en principe, comme étant l'effet de la libre disposition qu'un débiteur peut faire de ses biens; ce n'est que s'il y a fraude à l'égard des autres créanciers que la sûreté peut être révoquée (art. 360 et s.), ou bien si le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture, cas où la disposition et même l'administration de ses biens lui sont enlevées et sont transférées à nn syndic représentant la masse de ses créanciers.
208. Les sûretés réelles ont été énumérées par l'article 1002. On dira d'abord ici quelques mots du principe essentiel de chacune, des choses auxquelles elles peuvent s'appliquer et de leur cause.
Les trois premières, la rétention, le gage mobilier et le nantissement immobilier, ont pour élément principal, pour condition fondamentale, la possession de la chose par le créancier; la quatrième, le privilége, n'exige la possession du créancier que dans un petit nombre de cas; la cinquième, l'hypothèque, ne l'exige jamais.
Au sujet des choses qui peuvent être l'objet de ces sûretés, ce sont tantôt les biens meubles et immeubles, indistinctement, tantôt les uns et non les autres: le droit de rétention, le nantissement conventionnel et le privilége s'appliquent aux deux sortes de biens, l'hypothèque aux immeubles seulement.
Enfin, si l'on cherche qu'elles sont les sources ou causes de ces diverses sûretés, on trouve la loi et la disposition de l'homme.
Viennent de la loi: le droit de rétention, les priviléges et quelques hypothèques; viennent de la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la convention ou du testament: le gage mobilier, le nantissement immobilier et le plus grand nombre des hypothèques.
Quand on reprendra chacune des sûretés qui ont la loi pour cause ou source directe, on aura à rechercher encore une cause première de cette faveur de la loi, car la loi n'accorde pas de tels avantages arbitrairement; on trouvera alors des principes de justice particuliers aux divers cas: ce sera tantôt le service rendu à la masse des créanciers, lequel s'oppose à ce qu'elle s'enrichisse au détriment de celui qui a rendu le service, tantôt la protection due à certaines personnes qui ne pourraient pourvoir suffisamment elles-mêmes à la conservation de leurs intérêts.
SOMMAIRE.
Art. 1096. — N° 209. Justification des mentions déjà faites du droit de rétention dans les matières auxquelles il s'applique. —210. Deux conditions du droit de rétention: légitimité de la possession antérieure, connexité de la créance avec la chose. -211. Cas spécial de la gestion d'affaires. —212. Les dépenses utiles ne donnent pas lieu, en général, au droit de rétention.
1097. —213. Indivisibilité du droit de rétention.
1098. -214. Absence de privilége sur la valeur de la chose.-215. Privilège sur les fruits et produits.
1099. —216. Droit du débiteur et des autres créanciers d'aliéner ou faire vendre la chose: réserve du droit du rétenteur.
1100. -217. Renvois au nantissement mobilier et immobilier: applications. -218 Perte du droit de rétention.
COMMENTAIRE.
Art. 1096. — N° 209. Le droit de rétention est une sûreté légale, plus exceptionnelle peut-être que toutes les autres, malgré ses applications variées; c'est pourquoi la loi l'a mentionnée dans diverses matières, chaque fois que ses conditions se sont présentées (a), et, à quelques-unes de ces occasions, on a indiqué sommairement, au Commentaire, en quoi consiste ce droit et comment il se justifie (b).
On pourrait s'étonner que le Projet, ayant dû, à la différence du Code français, porter un principe (auquel nous sommés arrivés) sur l'application générale du droit de rétention, ait cru devoir en faire, par avance, des applications spéciales dans les occasions qu'il rencontrait chemin faisant. Le Code français n'ayant pas formulé de principe général, mais seulement des applications spéciales du droit de rétention, a laissé place à une controverse fâcheuse sur le principe, mais non à une pareille objection de double emploi.
Nous répondons, d'abord, qu'au moment où ces divers articles étaient rédigés dans l'Avant-Projet japonais, on n'était pas encore certain que le principe du droit de rétention serait admis avec la généralité qu'on lui donne aujourd'hui; il était donc nécessaire de proclamer le droit de rétention, au moins dans les cas spéciaux où son application s'imposait comme idée de justice.
Cette première raison, on le reconnaît, ne subsiste plus au même degré, du moment que le droit de rétention est généralisé pour tous les cas analogues à ceux qui ont été prévus en particulier. Mais il en reste trois autres dont la première a déjà servi à justifier d'antres applications spéciales, faites par la loi, de principes généraux posés ailleurs par elle:
1 La loi n'est pas faite seulement pour guider les magistrats dans l'administration de la justice, elle est faite aussi et surtout pour les simples citoyens; il faut donc que la lecture de la loi leur révèle leurs droits et leurs obligations sur chaque matière, justement pour qu'ils ne s'engagent dans une convention qu'en en prévoyant les effets, et surtout, pour qu'ils ne se lancent pas dans des procès sans avoir pu pressentir si leur demande ou leur exception est admissible; c'est ce qui explique un si grand nombre de renvois d'une matière à une autre, justement parce que les particuliers non légistes ne pourraient guère d'eux-mêmes compléter les dispositions particulières par les dispositions générales. Sans doute, la loi ne pourrait raisonnablement reproduire la théorie générale du droit de rétention, avec ses effets, chaque fois qu'elle en autorise l'application, mais elle peut, et il y a avantage à le faire, signaler d'un mot cette application, de sorte que celui qui n'en comprendra pas tout d'abord la portée n'aura qu'à recourir à la théorie générale;
2° Cette mention spéciale du droit de rétention, à l'occasion des matières variées où il est autorisé, est particulièrement nécessaire, à cause de la nature de ce droit qui, précisément, se perd faute d'avoir été exercé au moment même où il est utile: généralement, les droits ne se perdent que par une longue négligence, il y a alors prescription; mais ici, pour une raison spéciale sur laquelle on reviendra sous l'article 1100, le droit de rétention cesse si le créancier qui pouvait l'exercer l'a négligé, en rendant la chose au débiteur; on conçoit donc combien il est nécessaire que celui à qui ce droit appartient ne soit pas exposé à l'ignorer: la loi serait vraiment blâmable si, en donnant des armes défensives au créancier, elle ne prenait pas soin de les déposer là où il peut le mieux les trouver;
3° Enfin, dans les divers cas précités où la loi a spécialement proclamé l'existence du droit de rétention en faveur du créancier, il n'a pas toujours la même portée, il excède quelquefois celle que lui donne ici notre premier article: notamment, il s'applique dans certains cas à la créance résultant de dépenses utiles ou d'amélioration (v. ci-après, n° 212) et notre article 1096 ne va pas si loin comme principe général.
210. Le droit de rétention, étant fondé sur le nantissement, a beaucoup d'analogie avec le gage mobilier et avec le nantissement immobilier, selon qu'il s'applique à un meuble ou à un immeuble; mais ses avantages pour le créancier sont moins considérables, ce qui explique que la loi commence par lui la série des sûretés réelles; ensuite, il n'a pas la même généralité d'application: n'étant pas constitué par la volonté des parties, mais par la loi, il est naturellement subordonné à des conditions particulières qui le rendent plus ou moins rare.
Ces conditions sont au nombre de deux; il faut: 1° que le créancier possède déjà en vertu d'une cause légitime la chose qu'il prétend retenir, 2° que la créance dont la rétention doit être la garantie soit née " à l'occasion " de cette même chose, soit connexe à cette possession.
La première condition a pour but d'empêcher que le créancier ne prenne ou ne conserve par ruse la possession d'une chose de son débiteur pour y trouver une garantie illégitime. Comme causes légitimes de cette possession, nous trouvons naturellement les conventions, les quai-contrats et le testament.
La seconde condition est justifiée par l'énoncé des créances qui ont pu naître ainsi, comme dit le texte, " à l'occasion " d'une chose appartenant au débiteur et d'une façon " connexe à la possession " qu'en avait le créancier.
Ce sont d'abord les charges conventionnelles à lui imposées pour la cession qui lui a été faite de la chose: si la vente n'était pas déjà l'objet d'une disposition spéciale à ce sujet (art. 684, 3e al), elle serait le cas le plus simple de cette application du droit de rétention à la garantie du prix; mais on n'a qu'à supposer ici une transaction, une donation, un contrat innommé, avec charges.
Ce sont ensuite les créances nées d'un enrichissement indû du débiteur et résultant d'avances faites par le créancier pour acquérir ou conserver une chose au profit du débiteur: outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, déjà mentionnés par les textes antérieurs (v. note a), on peut ajouter le louage, la société, le contrat de mariage et aussi les cas de résolution d'un acte translatif de propriété, lorsque celui qui doit rendre la chose a fait des dépenses pour la conserver.
Enfin, ce sont des créances résultant d'un dommage causé au créancier par la chose du débiteur, lorsque la responsabilité en doit retomber sur celui-ci d'après le droit commun: outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on pourrait encore citer les cas où une chose donnée à bail, ou apportée en société pour la jouissance seulement, avait des vices que le propriétaire connaissait et n'a pas révélés, et lorsque ces vices ont été dommageables au preneur ou aux associés.
211. Bien que le quasi-contrat de gestion d'affaires rentre dans les " causes légitimes " par lesquelles la possession à retenir a dû commencer, il fallait en faire une mention spéciale, comme ne donnant pas lieu à une aussi large application du droit de rétention: le gérant d'affaires n'a ce droit que pour se garantir de ses " dépenses nécessaires et de conservation " de la chose, mais non pour celles d'amélioration, et pas même pour la réparation des dommages que la chose lui aurait causés, parce qu'il n'a pas de créance à ce sujet (v. art. 383), le propriétaire ne pouvant être responsable de pertes auxquelles l'aurait exposé le zèle, peutêtre intempestif, du gérant d'affaires.
212. Remarquons, en terminant, que, dans aucun de ces cas, le droit de rétention n'est accordé à celui qui a fait des dépenses utiles ou d'amélioration pour la chose d'autrui: on en a cependant rencontré antérieurement une application aux dépenses utiles faites par le possesseur de bonne foi (art. 209) et par l'acheteur à réméré, traité aussi favorablement (voy. art. 727, 3e et 48 al.); mais il n'y a pas lieu d'étendre une pareille faveur a tous les autres cas, car il pourrait être dommageable au débiteur d'être privé de la possession de sa chose, faute de pouvoir rembourser de suite des dépenses ut il as faites sans sa volonté: il les devra assurément, mais sans cette garantie, et il obtiendra facilement du tribunal des délais pour le payement.
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(a) Nous donnons ici la nomenclature des articles antérieurs où 81 droit de rétention se trouve reconnu par la loi en faveur du réancier, parce que celui-ci se trouve dans les conditions nécessaires.
Ce sont les articles:32, 1er al. (expropriation),
73, 3e al. (usufruit),
156, 2e al. (bail),
182, 2e al. (emphytéose),
189, 2e al. (superficie),
209, (possession),
476, 4e al. (répétition de l'indÛ),
684, 3e al. (vente: défaut de payement),
727, 4e al. (vente: rachat),
737, 3e al. (vente: rescision pour lésion),
900 (prêt à usage),
915, 2e al. (dépôt),
944 (malldat),
979 bis (louage de transport,
989 bis (louage d'ouvrage).
(b) (V. Tome 1er, nos 110 et 313; Tome Ile, n° 458; Tome IIIe, nOIl 210, 275, 301, 329, 708 et 774.)
Art. 1097. — 213. On trouve déjà ici une analogie frappante entre le droit de rétention et le gage proprement dit, c'est l'indivisibilité, laquelle a plusieurs applications:
1° Si le créancier n'a pas retenu tout ce qu'il pouvait retenir, son droit se concentre tout entier sur ce qu'il a effectivement retenu; le débiteur y trouve plutôt avantage qu'il n'en souffre; peut-être même sera-ce lui qui aura prié le créancier de se contenter d'une rétention ainsi limitée;
2° Si le créancier a reçu un payement partiel, il n'est pas tenu de restituer une partie de la chose; de même, si un de ses héritiers a reçu sa part dans la créance (supposée divisible), il cesse assurément de retenir la chose, mais il doit laisser la possession entière aux autres héritiers non encore désintéressés;
3° Si l'un des héritiers du débiteur a payé sa part dans la dette, il ne peut cependant pas retirer sa part de la chose, laquelle reste entière aux mains du créancier ou de ses héritiers;
4° Enfin, si la chose retenue périt en partie, par cas fortuit ou par force majeure, ce qui en reste demeure la garantie de la dette entière.
Cette dernière application de l'indivisibilité du droit de rétention n'est pas indiquée au texte, comme allant de soi.
Art. 1098. — 214. Après l'analogie vient la différence entre le droit de rétention et le gage. On verra bientôt que le gage donne au créancier gagiste, outre le droit de rétention, un droit de privilége ou de préférence sur la valeur de la chose engagée, lorsqu'elle sera vendue, à la requête, soit du créancier gagiste, soit des autres créanciers (art. 1116); c'est ce droit de préférence qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur, et si la loi prend soin de s'en expliquer (1er al.), c'est pour prévenir une trop facile confusion de ce droit avec le gage.
Le créancier rétenteur n'ayant pas de privilége sur la valeur de la chose, on peut se demander à quoi lui sert le droit de rétention. La réponse est facile: la rétention opérera son effet par l'intérêt que le débiteur ou ses autres créanciers auront à dégager la chose retenue, en payant la dette qu'elle garantit; comme cette chose vaudra, en général plus que le montant de la créance, les intéressés ne la laisseront pas longtemps aux mains du rétenteur.
215. Le 2e alinéa nous ramène à une analogie avec le gage, en ce que la rétention confère au créancier un véritable privilége sur les fruits et produits de la chose, lesquels s'imputeront sur les intérêts et, subsidiairement; sur le capital. Cette innovation est une juste compensation de ses peines et soins dans la gestion et la conservation de la chose.
Le présent article devant servir en même temps à régler le droit aux fruits du créancier nanti par convention d'un meuble ou d'un immeuble (v. art. 1113 et 1131), il est bon qu'il soit explicite sur les diverses espèces de fruits.
Comme le droit de rétention peut s'appliquer à toute espèce de biens, il y aura souvent lieu, pour le créancier, à une perception de fruits naturels de fonds de terre; des meubles il ne pourra obtenir de fruits naturels que s'il s'agit d'animaux; mais des deux sortes de biens il pourra obtenir des fruits civils, par suite de location de la chose, ou par les intérêts, s'il s'agit d'un titre de créance retenu par un cédant.
La disposition du 3° alinéa est facile à justifier: ni le débiteur ni ses créanciers ne doivent souffrir de la négligence du rétenteur à percevoir les fruits.
Art. 1099. — 216. Le présent article tranche une question qui s'élève en France, au sujet du droit pour le débiteur d'aliéner sa chose et pour ses créanciers de la saisir et de la faire vendre; on décide ici dans le sens qu'il faut soutenir en France, en l'absence de texte: le débiteur peut aliéner, ses créanciers peuvent faire vendre la chose soumise au droit de rétention; mais ce droit même subsistera intact: le créancier rétenteur conservera la possession jusqu'à parfait payement.
Et il n'est pas sans intérêt ipour le débiteur et ses autres créanciers de pouvoir aliéner la chose avant qu'elle soit affranchie de la rétention: il peut se présenter, en effet, malgré l'obstacle à l'entrée immédiate en possession, une circonstance favorable à la vente qui ne se rencontrerait pas plus tard.
En outre, si les autres créanciers n'ont pas fait une saisie-arrêt du prix entre les mains de l'acheteur,
celui-ci pourra payer son prix au créancier rétenteur, ce qui dégagera la possession et équivaudra presque à un privilége pour le rétenteur.
Art. 1100. — 217. Cet article présente un rapprochement général du droit de rétention avec le nantissement conventionnel.
Il n'est pas nécessaire de développer ces nouvelles analogies; il suffit de dire:
1° Que la responsabilité du rétenteur est la même que celle du créancier gagiste ou du créancier nanti d'un immeuble, suivant que la rétention porte sur un meuble ou sur un immeuble, et avec la même sanction: la déchéance pour abus de jouissance (v. art. Il t 1, 1112 et 1135);
2° Que son droit de rétention garantit également les nouvelles dépenses qu'il aura dû faire pour la conservation de la chose retenue et les dommages qu'il en aura éprouvés (art. 1114 et 1135);
3° Que sa possession n'empêche pas la prescription libératoire du débiteur et ne le mènera pas lui-même à la prescription acquisitive (art. 1119 et 1120).
Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à exiger, pour que le droit de rétention sur un meuble fût opposable aux tiers, qu'il remplît!les conditions imposées au gage par les articles 1105, 1108 et 1109, ou qu'il fût transcrit comme un droit de nantissement immobilier, lorsqu'il porte sur un immeuble: ce droit vient de la loi et non de la convention, de sorte que son existence prúcède toute formalité; or, si la loi voulait lui en imposer après coup, elle devrait accorder au rétenteur un délai suffisant, avec rétroactivité, ce qui diminuerait toujours la sécurité des tiers; en outre, la durée de ce droit doit être, en général, assez courte et dès lors les formalités dont il s'agit seraient exagérées.
218. La loi termine en notant spécialement la perte du droit de rétention pour le créancier " qui a volontairement négligé ou cessé de l'exercer," c'est-à-dire qui a rendu la possession au débiteur; ce qui comprend même le cas où il aurait ignoré que son droit était attaché à la possession effective (v. n° 209-2"); cette possession est le seul moyen de révéler au.': tiers l'existence du droit qui leur nuit, le droit y est donc subordonné.
SOMMAIRE.
Art. 1101. — N° 219. Double sens du mot gage; effet du legs d'un droit de gage. -220. Définition du gage: pourquoi on n'y fait pas mention de la tradition.
1102. —221. Cautionnement réel par un tiers.
1103. —222. Effet de la constitution d'un gage pour sû: reté d'une obligation naturelle. x
1104. -223. Capacité requise pour constituer un gage.
1105. —224. Caractère général des conditions requises pour la validité du gage à l'égard des tiers. -225. Rédaction d'un acte ayant date certaine: ce qu'il doit contenir.
1106. —226. Deux exceptions: preuve par témoins. —227.Preuve par le débiteur.
1107. —228. Nécessité de la tradition au créancier: elle ne Indivisibilité.vient pas de la nature même du contrat, comme dans les trois autres contrats réels. —229. C'est une sorte de moyen de publicité pour les tiers. -230. La possession du créancier doit être réelle et continue: conséquences.
1108 et 1109. —231. Dation en gage d'une créance nominative; particularités au sujet des effets négociables par endossement. —232. Dation en gage d'une action ou obligation nominative dans une société.
1110. 233. Indivisibilité du gage, d'après l'intention présumée des parties: elle n'est ni accidentelle, ni essentielle, mais naturelle.
COMMENTAIRE.
Art. 1101. — N° 219. Dans la langue du droit français et aussi dans l'usage pratique, le mot " gage " se prend dans deux sens: le gage est la chose remise au créancier comme sûreté ou garantie de sa créance; c'est aussi le contrat par lequel la chose est ainsi affectée spécialement au payement. C'est ce second sens que notre article emploie pour la définition (a).
On pourrait s'étonner que la loi ne fasse pas mention du testament, comme pouvant constituer un droit de gage; on sait, en effet, que le testament, autant que les contrats, peut servir à constituer les droits réels, et on verra même qu'il peut, au moins dans le Projet japonais, servir à constituer l'hypothèque.
Mais le testament serait ici insuffisant: l'article 1107 dira que le gage n'est valable qu'autant que le créancier gagiste est mis en possession de la chose affectée à sa garantie; or, le testament peut bien donner un droit, qui est une abstraction, mais non la possession qui est surtout un fait. Toutefois, le testament par lequel un débiteur lèguerait à son créancier un droit de gage ne serait pas sans effet: il obligerait l'héritier à livrer le gage, en exécution d'une obligation de faire à lui imposée.
220. Le texte de notre article, à la différence de l'article correspondant du Code français (art. 2071), ne fait pas entrer dans la définition du contrat de gage la remise de la chose aux mains du créancier: cette condition existe cependant aussi dans le Projet (v. art. 1107mais comme elle est plutôt fondée sur une raison de droit qu'elle ne résulte de la nature des choses, il est préférable de lui donner plus de relief dans un article spécial; le Code français lui-même, malgré sa définition, n'a pu s'en dispenser (v. art. 2076). Il suffit que la définition du Projet nous dise qu'il y a " affectation spéciale d'une chose à la garantie de l'obligation."
Comment se fait cette affectation ? C'est une idée secondaire. La définition pourrait ainsi s'appliquer à un gage purement conventionnel, s'il était permis, soit en règle, soit par exception.
La définition, au contraire, ne manque pas de mentionner que le gage ne s'applique qu'aux choses " mobilières; " c'est en cela qu'il diffère du nantissement immobilier ou hypothécaire objet du Chapitre suivant.
Notre premier article suppose que le gage est fourni par le débiteur lui-même: c'est ce qui arrivera le plus souvent; mais l'article suivant va supposer que le gage est fourni par un tiers.
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(a) La même observation a été faite déjà au sujet du mot " dépôt " qui a aussi deux sens: la chose déposée et le contrat par lequel le dépôt est remis et accepté (v. T. III, n° 714, a.); voir aussi la remarque sur le double sens du mot " cautionnement," n° 11, note a.
Art. 1102. — 221. Du moment qu'un tiers peut garantir la dette d'autrui par un cautionnement, engagement personnel, il est naturel qu'il puisse aussi, et à plus forte raison, fournir la sûreté réelle pour le compte du débiteur: il peut le faire par suite d'un mandat de celui-ci, ou spontanément, comme gérant d'affaires. Cette distinction entre les deux causes qui ont amené le tiers à rendre ce bon office influe sur l'étendue du recours de la caution réelle, comme il a influé sur le recours de la caution 'personnelle; de là, le renvoi aux articles 1030 et suivants.
Art. 1103. — 222. La théorie des obligations naturelles, déjà trop négligée dans les Codes étrangers, a besoin d'être mise davantage en relief au Japon où elle est encore moins familière aux légistes; le Projet ne néglige donc pas d'en faire, de temps à autre, ressortir, le lien avec les obligations civiles. Or, on rappelle ici, par le renvoi aux articles 588 et 589, que si l'obligation naturelle ne comporte pas, comme telle, de contrainte ou d'exécution forcée, que si l'exécution doit en être- volontaire de la part du débiteur, elle peut cependant être l'objet d'un cautionnement volontaire, réel ou personnel, lequel entraînera exécution forcée.
A cette occasion, on retrouve encore l'utilité qu'il y a de distinguer entre le mandat et la gestion d'affaires: lorsque le cautionnement réel est fourni par un tiers, s'il y avait mandat, le débiteur serait contraint au remboursement envers le tiers, parce que ce serait déjà de sa part une reconnaissance volontaire de sa dette; mais, si le tiers avait agi seulement comme gérant d'affaires, le remboursement par le débiteur ne pourrait être que volontaire; celui-ci ne serait toujours tenu que d'une obligation naturelle, comme si le tiers avait payé spontanément: l'obligation aurait changé de titulaire, mais elle serait toujours naturelle.
Art. 1104. — 223. Le gage conférant au créancier un droit réel qui peut éventuellement amener l'aliénation de la chose, il est clair que celui qui le constitue doit avoir la capacité de disposer de l'objet donné en nantissement.
La loi ne commence pas par exiger que le constituant soit propriétaire de l'objet, parce que cette condition n'est pas toujours nécessaire, certains administrateurs pouvant donner en gage les objets qu'ils administrent, ainsi que le permet le 2a alinéa de notre article. Mais il faut la capacité d'aliéner et tout propriétaire ne l'a pas, encore moins tout administrateur; seulement, il suffit, en général, de la capacité d'aliéner à titre onéreux: il n'est pas nécessaire de pouvoir aliéner à titre gratuit; ainsi un mineur émancipé pourrait donner sa chose en gage pour une obligation rentrant dans sa capacité; de même, un tuteur pourrait donner en gage un objet mobilier de son pupille, pour la garantie d'une dette valable de celui-ci.
Par exception, il faut la capacité d'aliéner à titre gratuit; c'est lorsque le gage est constitué pour le débiteur par un tiers non intéréssé: dans ce cas, il faut que le constituant soit capable de disposer à titre gratuit, non seulement en général et vis-à-vis de tout le monde, mais aussi spécialement et relativement au débiteur auquel il rend un service gratuit; c'est un principe déjà posé pour le cautionnement personnel, par l'article 1012 auquel notre article renvoie.
Art. 1105. — 224. La loi arrive, avec cet article et les quatre suivants, aux conditions requises pour la validité du gage à l'égard des tiers. Ces tiers sont de deux sortes que le texte indique clairement: 1° ceux qui ont traité avec le débiteur (ou avec celui qui a constitué le gage pour le débiteur), au sujet du même objet: par exemple, comme acheteurs ou comme créanciers gagistes; 2° ceux qui sont créanciers du même débiteur, sans gage, ou créanciers chirographaires; le tout, sans distinguer si les uns ou les autres ont contracté avec le débiteur avant ou après la constitution du gage qui nous occupe.
Les conditions qui vont suivre ont pour but, les unes (celles de notre article) de prévenir certaines fraudes qui tendraient à favoriser un créancier au préjudice des autres intéressés, les autres (art. 1107 à 1109) de donner au gage une sorte de publicité qui prévient les tiers du droit qui leur sera opposable.
225. Notre article exige pour la validité du gage à l'égard des tiers la rédaction d'un acte écrit, sauf l'exception portée à l'article suivant.
L'acte doit désigner exactement la créance, afin qu'au moment de la vente du gage et de l'application du prix au payement, le créancier ne se fasse pas attribuer plus qu'il ne lui est dû, d'accord avec le débiteur et sauf à partager avec lui le produit de la fraude commise contre les autres créanciers.
L'acte doit encore désigner exactement les objets donnés en gage, afin que le débiteur ne puisse pas, d'accord avec le créancier, substituer aux objets donnés primitivement des objets d'une plus grande valeur.
La loi précise assez, à cet égard, la manière de désigner les objets pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y insister ici.
Ce qu'il faut remarquer c'est que toutes ces précautions seraient inutiles si l'acte n'avait pas reçu ' ' date certaine," aussi est-ce une condition fondamentale; sans cela, lorsque la position du débiteur deviendrait mauvaise, il pourrait, par collusion avec le créancier, rédiger un autre acte plus favorable à celui-ci, en lui donnant une date antérieure à l'époque où il est devenu insolvable; dans cet acte, on pourrait, soit grossir la créance, de manière à lui faire absorber toute la valeur du gage qui y était supérieure, soit, si le gage était insuffisant, augmenter le nombre ou l'importance des objets donnés en nantissement, de manière à leur faire couvrir la créance en entier.
Art. 1106. — 226. L'écrit dont il s'agit à l'article précédent n'est pas exigé pour la solennité, mais seulement pour la preuve; il est donc naturel que la preuve testimoniale soit admise en cette matière, conformément au droit commun.
Le Code français ne permet la preuve testimoniale que lorsque l'intérêt engagé est de cent cinquante francs ou au-dessous. Le Projet japonais admet cette preuve jusqu'à concurrenee de cinquante yens (art. 1396) (a).
Le texte a soin de préciser que c'est la " créance " qui doit pouvoir être prouvée par témoins, pour que la preuve testimoniale puisse à son tour être employée pour établir la constitution du gage et son objet.. Si donc la créance dépasse 50 yens, il ne sera pas possible de prouver le gage par témoins, lors même que la valeur n'en dépasserait pas ce chiffre; cette preuve, en effet, serait sans utilité pour le créancier, puisque son droit principal ne serait pas établi. Si la créance n'excède pas 50 yens, le gage pourra être prouvé par témoins, lors même que la valeur en excèderait 50 yens, parce que, lors même qu'on arriverait à le vendre, il n'en serait toujours prélevé que 50 yens pour désintéresser le créancier.
Le texte nous dit que, dans ce cas, il pourra n'y avoir qu'un seul témoignage, aussi bien qu'il pourra y en avoir deux, pour prouver la créance et le gage; c'est dire qu'il pourra y avoir des témoins différents pour les deux faits.
Un cas pourrait faire difficulté, mais la loi ne le traite pas, parce qu'il ferait trop entrer dans la matière des preuves, c'est celui où l'on se trouverait dans un des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est admissible, même pour une créance de plus de 50 yens; par exemple, parce qu'il a été impossible au créancier de se procurer une preuve écrite (v. art. 1405). Pourrait-il, dans ce cas, prouver également la constitution du gage, à quelque valeur qu'il montât ?
La réponse demande une distinction: si la constitution du gage a été concomitante à la naissance de la créance, la même impossibilité d'en dresser une preuve écrite ayant eu lieu, la même faculté de la prouver par témoins appartiendra au créancier; mais si le gage n'a été constitué que plus tard et que l'impossibilité de rédiger un écrit n'ait plus existé, on ne pourrait pas prouver le gage par témoins, à moins qu'il ne fût resté lui-même dans la limite de 50 yens en valeur.
227. Une autre question de preuve du gage se présenterait dans les deux cas qui précèdent, si c'était le débiteur qui agît en restitution du gage.
Au premier cas, si le créancier ayant prouvé par témoins un gage supérieur a 50 yens, l'a fait vendre, le surplus, qui se trouve dû au débiteur, sera prouvé par la procédure même de la vente: ce sera une preuve écrite toute prête pour le débiteur. Mais si le débiteur, offrant de payer sa dette inférieure à 50 yens, prétend revendiquer un gage supérieur à cette somme, il ne pourra user de la preuve testimoniale.
Au second cas, celui où il n'a pas été possible de dresser un écrit pour le gage, le débiteur pourra, aussi bien que le créancier, faire la preuve testimoniale de la constitution du gage, quelle que soit sa valeur.
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(a) Le yen japonais est l'équivalent du dollar mexicain d'argent: il représente aujourd'hui 4 francs environ (juin 1891); 50 yens équivalent donc à 200 francs environ.
Art. 1107. — 228. Nous arrivons à la condition la plus importante pour la validité du gage à l'égard des tiers: à savoir, la remise de la possession effective de la chose aux mains du créancier. C'est cette possession qui donne au gage le caractère de " nantissement " et qui fait donner au contrat la qualification de réel (voy. art. 323), comme l'ont déjà le prêt de consommation, le prêt à usage et le dépôt, avec cette différence pourtant que, dans ces trois contrats, c'est la nature des choses qui exige cette tradition, tandis qu'ici c'est une raison de droit et d'utilité, le besoin d'une sorte de publicité, comme nous l'avons déjà annoncé et comme nous l'allons démontrer dans un instant.
En effet, les deux prêts n'auraient aucune utilité pour l'emprunteur, si la chose prêtée n'était mise à sa disposition, et le dépôt ne serait d'aucune utilité pour le déposant, si le dépositaire ne recevait la possession et la garde de la chose déposée. Au contraire, on comprendrait très bien que le gage fût utile au créancier sans lui être livré: le créancier pourrait avoir le droit de faire déclarer nulles à son égard les aliénations de l'objet faites par le débiteur, et aussi de se faire attribuer la valeur du gage, par préférence aux autres créanciers; cette situation est si bien compréhensible qu'elle était, fi Rome, celle du créancier ayant hypothèque sur un meuble ou sur un immeuble, et qu'elle est encore aujourd'hui, peut-être partout, celle du créancier ayant hypothèque sur un immeuble.
229. Mais en même temps qu'on reconnaît la possibilité de tels avantages pour le créancier, sans la tradition de la chose, on voit aussi combien elle serait dangereuse pour les tiers. Lorsqu'il s'agit d'hypothèque sur les immeubles, il a été possible d'en organiser une publicité suffisante pour que les tiers ne s'exposassent pas à des évictions, en acquérant des biens hypothéqués à leur insu, ou ne devînssent pas créanciers d'un débiteur dont les immeubles seraient déjà grevés pour tout ou partie de leur valeur. Mais une semblable publicité ne pouvait être organisée pour le gage des meubles qui n'ont pas de situation fixe. C'est donc dans le même but, mais par un autre moyen, qu'on a imaginé de révéler aux tiers intéressés l'affectation d'un meuble à l'acquittement d'une obligation.
Le gage sera livré au créancier gagiste; et comme le débiteur, lors même qu'il l'aliénerait, ne pourra le livrer à son acheteur ou donataire, celui-ci ne pourra invoquer la prescription instantanée contre le créancier gagiste; c'est au contraire, le créancier gagiste qui, joignant à un droit réel mobilier la possession effective, sera préféré à l'acquéreur (voy. art. 366). De même, la possession du créancier gagiste empêchera que les autres créanciers considèrent l'objet donné en gage spécial comme faisant encore partie du gage commun (v. art. 1001)
Voilà comment on peut dire que la remise de la chose en nantissement, aux mains du créancier, est une sorte de publicité du gage: c'est la plus pratique, en même temps que la moins coûteuse.
230. La possession du créancier n'est pas seulement la condition de la constitution originaire du gage, elle est aussi la condition de sa conservation: il faut que le gage " reste en sa possession réelle et continue autrement, la sécurité des tiers serait compromise. Le gage cesse donc lorsque le créancier a laissé la chose rentrer dans les mains débiteur ou de son représentant et, de cette façon, on peut dire que la rétention du gage n'est pas seulement, comme le dira l'article 1115, un droit pour le créancier gagiste, mais qu'elle est aussi pour lui un devoir.
La possession doit être réelle ou effective; il ne serait donc pas permis qu'elle fût laissée au débiteur par un constitut possessoire (v. art. 203, 3e al.), comme on pourrait laisser la chose vendue aux mains du vendeur; elle ne pourrait pas davantage lui être laissée à titre de louage, de dépôt ou de prêt à usage: les dangers, les fraudes que la loi veut prévenir se retrouveraient possibles dans une telle situation. L'article 1111 défendra au créancier de louer la chose à un tiers sauf un tempérament.
Ce qui est permis c'est que la chose soit remise ou déposée aux mains d'un tiers choisi par les deux parties d'accord, ou par le créancier seul, sous sa responsabilité. Quelquefois, ce sera le débiteur qui, peu confiant dans la vigilance ou l'honnêteté du créancier, exigera ce dépôt en mains tierces; d'autres fois, ce sera le créancier qui n'aura pas la facilité de conserver le gage chez lui.
Le présent article est écrit pour le gage consistant dans des " choses corporelles," les seules qui soient susceptibles de possession réelle; mais les titres dits (lU porteur, ceux pour lesquels le droit est attaché à la détention du titre, sont assimilés aux choses corporelles (v. art. 366).
Art. 1108 et 1109. -231. La loi complète l'organisation de la publicité spéciale du gage en supposant que la chose donnée en gage est un droit personnel ou de créance.
D'abord, c'est une créance nominative qu'avait le débiteur contre un tiers.
Ici le droit n'est pas attaché à la possession du titre authentique ou privé qui la constate, il reste chose incorporelle (v. art. 6-1°). Cependant le débiteur devra livrer le titre au créancier gagiste: si cela ne lui ôte pas tout-à-fait le moyen d'aliéner la créance, de la donner en gage à un autre créancier, ou d'en recevoir le montant, au moins cela rend très difficile de pareils actes. Mais cela ne suffira pas, il faudra, en outre, que lui ou le créancier gagiste notifie au tiers débiteur que la créance est donnée en gage, afin que le payement ne puisse être valablement fait à l'ancien créancier et qu'il ne soit pas fait valablement de cession ou d'autre dation en gage. L'intervention du tiers-débiteur à l'acte de constitution du gage lui tient lieu de notification. Cette double forme rappelle celles que la loi perscrit pour le transfert même de -la créance et notre article se réfère, à cet égard, à l'article 367 pour ce qu'il contient de plus.
De ce que le tiers-débiteur ne peut plus payer valablement à son créancier, ce n'est pas à dire qu'il puisse payer au créancier gagiste: l'article 1113 nous dira le contraire et nous en donnerons le motif.
S'il s'agit de créances dites "effets de commerce ou effets négociables," il suffira que l'endossement porte qu'il est fait " en garantie," et dans ce cas, le créancier gagiste aura le pouvoir de recevoir de payement (voy. art. 1113).
Mais cette double faveur accordée au gage donné en effets négociables n'implique pas la dispense de dresser l'écrit dont parle l'article 1105, au moins si la dette à garantir est une dette civile: ce n'est que s'il s'agissait d'une créance commerciale elle-même, constatée par un effet de commerce, que l'endossement en garantie pourrait suffire. Au surplus, c'est le Code de Commerce qui aura à régler ce point.
232. L'article 1109 suppose enfin que le droit donné en gage est une action ou une obligation, nominative toujours, dans une société, soit civile, soit commerciale.
Nous n'avons pas à nous arrêter ici sur la différence entre une action et une obligation dans une société, puisque les deux sortes de droits suivent les mêmes règles au point de vue de la constitution du gage; il suffit de rappeler que l'action confère à celui auquel elle appartient, à l'actionnaire, la qualité d'associé, avec des chances de gains illimitées et des risques de pertes limités à la mise, c'est-à-dire au prix versé ou à verser pour l'obtention du titre; l'obligation, au contraire, est une créance contre la société, d'une somme qui lui a été fournie à titre de prêt ou autre titre analogue: le créancier, l'obligataire, n'a d'autre avantage à attendre qu'un intérêt fixe et d'autre risque à courir que celui de l'insolvabilité de la société.
Les actions et obligations peuvent être au porteur ou nominatives: dans le premier cas, elles se cèdent entre les parties par le seul consentement et à l'égard des tiers (y compris la société elle-même) par la tradition du titre (v. art. 366, 2e al.), et elles se donnent en gage à l'égard des tiers conformément aux articles 1105 et 1107, ci-dessus; dans le second cas, elles se cèdent ou se donnent en gage, à l'égard de la société et des tiers, par une déclaration à la société, laquelle inscrit sur ses registres; le nom du nouveau titulaire ou du créancier gagiste; le tout, sans préjudice de la remise du titre, comme notre article 1109 l'exprime.
Art. 1110. — 233. Ce qui a été dit de l'indivisibilité du droit de rétention, au sujet de l'article 1097, nous dispense d'entrer dans de nouveaux développements de l'indivisibilité du gage qui a les mêmes effets; il suffit de résumer la théorie en disant que " tout le gage et chaque partie du gage garantissent toute la dette et chaque partie de la dette."
Remarquons seulement que la loi a soin de dire que cette indivisibilité n'a pas pour cause la nature même du gage, mais " l'intention présumée des parties," et la conséquence qu'elle en déduit elle-même c'est que les parties peuvent y déroger par une convention expresse.
La disposition n'est pas sans importance, quand on voit que le Code français, proclamant l'indivisibilité de l'hypothèque, qui est analogue à celle du gage, dit qu'elle est "de sa nature" (art. 2114, 2e al.), ce qui n'est pas exact, si la loi a entendu dire par là qu'on ne pourrait stipuler la divisibilité, car on comprendrait très bien que le gage diminuât avec la dette et ce résultat ne serait contraire ni à la raison, ni à l'équité;seulement, on peut dire qu'il est préférable de ne l'admettre que lorsque les parties l'ont ainsi réglé.
Mais peut-être les Rédacteurs du Code français, en disant que 1, l'hypothèque est, de sa nature, indivisible," ont-ils seulement voulu dire que l'indivisibilité a lieu sans être stipulée, de sorte qu'elle n'est pas accidentelle, mais ils n'auraient pas entendu défendre d'y déroger, ce qui l'eût rendue essentielle, c'est en ce sens qu'elle serait naturelle (Comp. Tome II, n° 337 et T. III, nos 224 et 341).
SOMMAIRE.
Art. 1111. — N° 234. Responsabilité du créancier gagiste quant à la garde de la chose. -235. Défense de louer ou d'user: sanction.
1112. —2.36. Droit du créancier de donner la chose en sousgage.
1113. —237. Droit privilégié du créancier gagiste sur les fruits et produits de la chose.
1114. -238. Créances nées à l'occasion du gage.
1115 et 1116. —239. Droit de rétention du créancier gagiste. -240. Droit d'empêcher la vente du gage avant l'échéance. -241. Vente et exercice du privilége après l'échéance. —242. Motif pour lequel l'article 2082, 2e al., du Code français n'est pas admis dans le Projet.
1117. —243. Droit du créancier gagiste de demander l 'attribution du gage en payement, à concurrence de sa valeur.
1118. -244. Prohibition du pacte commissoire. —245. Nullité des pactes frauduleux. —246. Klle ne peut être invoquée par le créancier gagiste.
1119. —247. La possession du gage par le créancier ne suspend pas la prescription libératoire.
1120. —248. Refus de la prescription acquisitive au créancier gagiste, même après l'extinction de la dette; maintien de la prescription libératoire de l'obligation de restituer.
COMMENTAIRE.
Art. 1111. — N° 234. Le Projet japonais ne croit pas nécessaire de dire, comme le Code français (art. 2079), que le débiteur reste propriétaire du gage, puisqu'on va dire bientôt que le créancier gagiste n'a que le droit de le faire vendre aux enchères pour se faire payer sur le prix.
Le Projet ne dit pas non plus, avec le même Code, que ” le gage n'est, dans la main du créancier, qu'un dépôt ": cette expression, prise à la lettre, serait toutà-fait inexacte, car elle ne soumettrait le créancier gagiste qu'à donner au gage les soins qu'il apporte à ses propres affaires (v. c. civ. fr., art. 1927 et Proj. jap., art. 905), ce qui serait insuffisant, puisque le contrat est dans son intérêt, au moins autant que dans celui du débiteur.
Le créancier gagiste reçoit la chose d'autrui sous la condition de la restituer, si la vente n'en devient pas nécessaire; jusque-là, il doit conserver la chose avec soin et, à cet égard, sa responsabilité n'est ni plus ni moins étendue que celle imposée par le droit commun au débiteur d'un corps certain: il doit " les soins d'un bon administrateur " (v. art. 354).
235. La loi ne lui permet pas de donner la chose à bail, sans autorisation du débiteur, parce que ce serait l'exposer à des détériorations ou des risques que le débiteur peut n'avoir ni prévus ni acceptés. Il ne peut non plus, pour le même motif, l'employer à son usage personnel; mais ici il y a deux exceptions: le cas où il y est autorisé et celui où l'usage de la chose est nécessaire à son entretien et à sa conservation. On peut citer, comme application de la seconde exception, le cas d'un cheval et d'un chien de chasse qui auraient été donnés en gage: le repos les rendrait bientôt impropres à tout service.
Si le créancier gagiste manquait à son obligation de garde, s'il usait de la chose contrairement à la loi, ou abusait de l'autorisation d'user, il pourrait être déclaré déchu de son droit. Les tribunaux auraient nécessairement à cet égard un certain pouvoir d'appréciation, et si le créancier offrait de déposer la chose aux mains d'un tiers présentant toutes garanties de soins et de fidélité (v. art. 1107, 2B al.), les tribunaux pourraient ne pas prononcer sa déchéance.
Art. 1112. — 236. On pourrait s'étonner que le créancier, qui ne peut louer le gage à un tiers, puisse le donner en sous-gage (sub pignus) à son propre créancier; mais il n'y a pas là de contradiction, puisque le nouveau créancier gagiste ne pourra lui-même louer la chose, ni en user: il sera alors comme un tiers dépositaire, d'après l'article 1097, et sous la même sanction de la responsabilité du premier créancier.
Il y a d'ailleurs une aggravation de cette responsabilité, c'est celle de la perte ou détérioration par cas fortuit ou force majeure, lorsque les mêmes accidents ne se sont produits que par suite du déplacement de la chose: le créancier gagiste a changé les risques de la chose, le débiteur n'en doit pas souffrir.
Art. 1113. — 237. Comme le gage ne peut porter que sur des objets mobiliers, il n'y a que le gage portant sur des animaux qui puisse produire des fruits naturels; mais le créancier gagiste aura des fruits civils, lorsqu'il aura été autorisé par le débiteur à louer la chose; il percevra également des fruits civils du gage lorsqu'il aura reçu en nantissement des créances, des actions ou obligations.
La loi a soin d'ajouter que, dans ce cas, " il ne pourra recevoir le capital sans l'autorisation spéciale du débiteur: " il peut arriver, en effet, que la dette gagée ne consistant pas en argent, mais en faits à accomplir, le débiteur soit en mesure d'exécuter son obligation à l'échéance, et il ne doit pas être exposé à courir le risque que le capital de sa créance, une fois reçu par le créancier gagiste, soit dissipé par lui; dans le cas même où les deux dettes consistent en argent, le débiteur peut avoir à exercer contre son créancier des compensations antérieures à la dation du gage, ou bien sa dette peut se trouver, de toute manière, inférieure à la créance qu'il a donnée en gage et il ne faut pas qu'il soit exposé à ne pas recouvrer la différence qui lui revient.
La loi excepte le cas où la créance donnée en gage est un effet de commerce ou " négociable par endossement: " dans ce cas, le créancier gagiste peut et même doit recevoir le capital à l'échéance, 1° parce que le débiteur de ces effets a lui-même le droit d'en imposer le payement dans son propre intérêt, 2° parce que le porteur (ici le créancier gagiste) pourrait être déchu de ses droits contre les endosseurs, s'il négligeait de recevoir le payement à l'échéance.
Il va sans dire que le droit du créancier gagiste sur les fruits et produits est privilégié à l'égard des autres créanciers, puisqu'il est privilégié sur le capital, d'après l'article 1116; d'ailleurs le nôtre renvoie à l'article 1098, lequel donne déjà privilége sur les fruits au créancier simplement rétenteur.
Art. 1114. — 238. La détention de la chose par le créancier gagiste sera souvent pour lui l'occasion de faire des dépenses, pour l'entretien et la conservation de la chose, en même temps qu'elle lui en imposera l'obligation; ce sera quelquefois aussi l'occasion de dommages éprouvés par suite de défauts non apparents de la chose. Ce seront pour lui autant de causes de créances à ajouter à la créance principale, et ces créances nouvelles seront même privilégiées avant ladite créance. La loi ne fait pas mention des dépenses utiles ou d'amélioration; ce n'est pas à dire qu'elle entende en refuser le remboursement au créancier gagiste: le droit commun le lui assure; mais comme les dépenses utiles ne motivent pas le droit de rétention (ci-dess. n° 212), la loi doit se borner ici à mentionner les dépenses nécessaires auxquelles se réfère l'article suivant, qui accorde au créancier gagiste le droit de rétention à ce titre.
Art. 1115 et 1116. —239. On a déjà vu, à l'article 1107, que le créancier doit être mis en possession du gage pour que son droit soit opposable aux tiers. Mais, de ce que sa mise en possession a un caractère obligatoire, ce n'était pas une raison pour omettre de la présenter comme un droit, ne fût-ce que pour son application aux dépenses nécessaires et à l'indemnité des dommages prévus à l'article précédent.
Au sujet de la créance principale et de ses accessoires, le présent article fortifie encore ce qui a été dit de l'indivisibilité du gage par l'article 1110: c'est jusqu'au Il parfait payement " que le créancier pourra retenir la chose.
240. Le 29 alinéa de l'article 1115 accorde au créancier gagiste un droit qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur (v. art. 1099), c'est celui de " s'opposer à la vente du gage aux enchères par les autres créanciers du débiteur, au moins tant que l'échéance n'est pas arrivée."
Voici le motif de cette différence: le créancier rétenteur n'a pas de privilége sur le principal de la chose retenue; il ne peut donc se plaindre qu'elle soit aliénée sans sa volonté: il doit lui suffire d'en conserver la possession jusqu'à son parfait payement; mais le créancier gagiste a un privilége: il lui importe beaucoup que la chose ne soit pas vendue en temps inopportun; tant que l'échéance de sa créance n'est pas arrivée, il peut avoir intérêt à ce que sa garantie ne soit pas modifiée; la question a de l'intérêt quand il s'agit de marchandises sujettes à des variations de cours.
241. Mais une fois l'échéance arrivée, la vente aux enchères peut être provoquée, non seulement par le créancier gagiste, mais par tous les autres créanciers. Comme la vente aux enchères publiques est le plus sûr moyen d'obtenir le meilleur prix de la chose, personne ne peut plus s'y opposer, au moment où l'on est arrivé.
C'est là que se réalisera le principal droit du créancier: le privilége pour toute sa créance gagée, en capital, intérêts et autres accessoires.
Comme la saisie et la vente publique du gage sont des voies d'exécution, c'est au Code de Procédure civile qu'il appartiendra d'en régler la forme et les conditions (a).
242. Au surplus, on n'a pas admis dans le Projet japonais la disposition, assez singulière, de l'article 2082, 28 alinéa, du Code français.
Cet article suppose qu'un gage ayant été constitué pour une première dette, le débiteur a contracté ensuite, envers le même créancier, une nouvelle dette devenue exigible avant que la première fût payée, et il autorise le créancier " à ne pas se dessaisir du gage avant d'être entièrement payé de l'une et l'autre dette, lors même qu'il n'y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au payement de la seconde." Il y aurait donc là une sorte de gage tacite, lequel s'induirait de la double circonstance que la nouvelle dette, contractée après, est devenue exigible avant la première (b). Mais si l'on s'en tient à la lettre de cet article, ce n'est pas avec l'échéance mais avec le payement effectif de la première dette qu'il faut comparer l'exigibilité de la seconde dette; ce qui ne permet pas de dire, comme on le fait ordinairement, que le créancier a eu soin de faire échoir la nouvelle dette avant la plus ancienne, pour avoir la faculté d'appliquer le gage à toutes deux: il pourrait arriver, au contraire, que la première dette fût exigible avant la seconde et que le débiteur la payât à l'échéance; dans ce cas, il recouvrerait son gage immédiatement et la nouvelle dette ne serait pas gagée. Il ne paraît donc pas juste, quand on songe aux autres créanciers, que le seul retard du débiteur à payer la première dette (retard peut-être concerté avec le créancier), donne ainsi au gage une double efficacité. Même, en supposant que l'échéance de la seconde dette devançât l'échéance de la première, il y aurait un danger particulier de fraude: lorsque le gage excéderait par sa valeur le montant d'une première dette, le débiteur pourrait se concerter avec son créancier pour en contracter une seconde, purement simulée, dont ils auraient soin de faire tomber l'échéance avant celle de la première et ils arriveraient ainsi à enlever aux autres créanciers la plus-value du gage, ce qui rendrait inutiles les précautions prises par la loi en exigeant untacte écrit, enregistré, constatant le montant de la dette gagée.
C'est donc avec une intention bien arrêtée qu'on n'a rien reproduit dans le Projet de la disposition de l'article 2082, 29 alinéa, du Code français.
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(a) On pourra consulter à ce sujet notre Projet de loi sur les Saisies déjà mentionné au Tome 111, n° 250, note c.
(b) Comme l'article 2082 ne donne au créancier que le droit " de ne pas se dessaisir " du gage, on décide généralement qu'il n'a pour la seconde dette que le droit de rétention, mais non le droit de préférence.
Art. 1117. — 243. Le présent article suppose que ni le créancier gagiste, ni les autres créanciers ne provoquent la vente du gage à l'échéance, sans doute parce que le premier n'en trouve pas le moment opportun et parce que les autres n'espèrent pas qu'il doive leur en revenir un reliquat de prix; ou bien la vente a été tentée, mais il ne s'est pas trouvé d'acquéreur au prix demandé.
Dans ce cas, il pourrait intervenir entre le débiteur et le créancier gagiste un accord d'après lequel la chose resterait à ce dernier, en payement total ou partiel; mais, "à défaut de cet accord," la loi permet au créancier gagiste de présenter au tribunal une requête (laquelle sera communiquée au débiteur pour être par lui contredite, s'il y a lieu) tendant à obtenir que le gage lui soit attribué en payement, jusqu'à concurrence de sa valeur estimée par expert.
S'il y a excédant du prix d'estimation sur le montant de la créance, le créancier deviendra à son tour débiteur de cette différence; au cas contraire, il restera créancier de ce qui manque pour le désintéresser.
A l'occasion de cette requête, il pourra y avoir des contestations du débiteur, tendant, soit à tenter une nouvelle vente aux enchères, soit à faire déclarer que l'échéance n'est pas arrivée, soit même à faire réduire ou rejeter la demande principale au fond; mais ces difficultés appartiendraient à la Procédure civile.
Art. 1118. — 244. Sans la prohibition portée par notre article, la clause ici prévue serait constamment imposée par le créancier au débiteur, au moment du contrat principal accompagné de la constitution de gag»: ce contrat, en effet, sera le plus souvent un prêt d'argent au moyen duquel le débiteur, embarrassé dans ses affaires, espèrera les rétablir; le créancier qui, ordinairement, demande déjà un gage d'une valeur supérieure à sa créance, pour être plus sûr d'être couvert, ne manquerait pas de stipuler que le gage lui resterait en propriété, à forfait et sans estimation, faute de payement à l'échéance, et le débiteur y consentirait, par une fausse confiance dans ses ressources futures.
Depuis les Romains, cette clause, connue sous le nom de lez commissoria, " pacte commissoire," est prohibée; le Code français, après l'ancien droit, n'a pas manqué à reproduire la même prohibition, et elle doit d'autant plus prendre place dans le Projet que cette funeste stipulation a été jusqu'à ces derniers temps tolérée au Japon par la coutume, en même temps qu'elle y était constante dans la pratique.
Pour que la clause qui nous occupe tombe sous le coup de la prohibition, il faut qu'elle ait eu lieu avant l'exigibilité de la dette. Assurément, le cas où elle est le plus dangereuse est celui où elle a lieu au moment même du contrat principal, comme nous l'avons dit plus haut; mais il pourrait arriver qu'à l'approche de l'exigibilité de la dette, le débiteur, pour en obtenir une prorogation, consentît à cette cession éventuelle de son gage, à forfait et sans estimation; dès lors, le danger, étant le même pour lui, demande le même secours.
La loi a soin de dire encore que la stipulation est aussi bien nulle pour une extinction totale de la dette que pour une extinction partielle.
Mais, une fois la dette exigible, il n'y a plus de prohibition: le débiteur peut toujours faire une dation en payement (v. art. 482).
245. Les prêteurs d'argent ont toujours été d'une habileté extrême à éluder la prohibition du pacte commissoire: la loi doit donner aux tribunaux le moyen de déjouer toute fraude à sa disposition.
Parmi les moyens les plus faciles d'éluder la loi serait la vente à réméré, dissimulant un gage avec pacte commissoire. Par exemple, celui qui voudrait, en empruntant 1000 yens sur gage, autoriser d'avance le créancier à garder le gage en payement à l'échéance, faute de remboursement réel, lui vendrait pour 1000 yens l'objet du gage, avec faculté de rachat dans le délai que devrait avoir le prêt, s'il n'était pas dissimulé; à l'expiration du délai de rachat, si le débiteur ne pouvait l'effectuer en argent, il aurait perdu la propriété.
Sans doute, il ne sera pas toujours facile de découvrir si la vente à réméré a été sincère ou si elle a dissimulé un emprunt sur gage avec pacte commissoire; dans le doute, on devra décider dans le sens de la sincérité des parties; mais le débiteur pourra souvent éclairer le tribunal sur le caractère véritable de l'opération.
Si la chose vendue à réméré avait été en même temps relouée au vendeur, cela pourrait donner des soupçons de fraude assez fondés; mais la loi a soin de dire que, même sans cette circonstance, la fraude pourrait être reconnue.
Un cas où la fraude sera plus facilement reconnaissable c'est celui, prévu par la loi, où la dette existant déjà, le débiteur aurait fait à son créancier une vente avec faculté de rachat, la créance du prix se compensant avec la dette.
246: Comme les nullités édictées dans le présent article le sont dans un but de protection pour le débiteur contre le créancier, il est naturel qu'elles ne puissent être invoquées par ce dernier, mais seulement contre lui, par le débiteur et ses ayant-cause, parmi lesquels il faut compter ses autres créanciers: c'est la même théorie que pour certaines nullités de la vente (v. art. 673, 675 et 677) et c'est l'application d'un principe général inscrit dans l'article 314.
Si donc il avait été convenu d'avance que le créancier gagiste garderait le gage en payement, sans estimation à l'échéance, et que le créancier regrettât cette convention, à cause de la dépréciation de la valeur, tandis que le débiteur s'en féliciterait, pour le même motif, le créancier ne pourrait contraindre le débiteur à un payement effectif en lui rendant la chose.
Art. 1119. — 247. C'est, en France, une question fort débattue que celle de savoir si le débiteur peut opposer au créancier gagiste la prescription libératoire, lorsque le temps en est accompli depuis l'échéance de la dette, ou si, au contraire, le fait par lui d'avoir laissé le gage aux mains du créancier n'implique pas une reconnaissance continue de la dette, laquelle serait interruptive de prescription. Le plus grand nombre des auteurs adopte cette seconde opinion.
Le Projet ne pouvait négliger de se prononcer sur la question et il le fait dans le sens opposé.
Sans doute, si le débiteur constitue le gage après l'échéance de la dette, alors que déjà la prescription libératoire est en cours, on doit dire qu'il y a là de sa part, reconnaissance de la dette et, par suite, interruption de la prescription, parce qu'il y a là un acte formel positif; mais lorsque le gage a précédé l'échéance, le seul fait par le débiteur de laisser le gage au créancier n'a plus le même caractère, c'est un fait seue lement négatif; ce peut être une négligence ou' mêm: l'effet de l'ignorance que le créancier avait un gage par exemple, si le débiteur est mort laissant un héritier qui n'a pas connu l'existence du gage. La prescription libératoire repose, comme on l'a dit souvent déjà et comme on le démontrera avec soin en son lieu, sur une présomption de payement; or, le payement peut encore être présumé, quoique le débiteur ait manqué à retirer le gage.
Si l'on fondait la prescription uniquement sur une présomption d'abandon de son droit par le créancier, il serait plus facile de soutenir que cette présomption n'est plus fondée quand il déteint le gage qui assure son payement: on comprendrait alors qu'il négligeât de faire contre le débiteur des poursuites interruptives de la prescription, puisqu'il a une sécurité suffisante. Mais si la présomption est autant et plus celle d'un payement, la détention du gage par le créancier devient sans cause et ne peut conserver la créance.
Remarquons, à ce sujet, que si la prescription libératoire n'avait pas lieu en faveur du débiteur, ce ne serait pas par l'effet d'une interruption, laquelle requiert un acte positif et formel, mais par l'effet d'une suspension qui ne résulte pas d'un fait de l'homme, mais d'une situation respective des personnes ou d'un certain état des choses (v. Livre V, ne Partie, Chap. 3 et 4). Aussi est-ce la "suspension" et non l'interruption que notre article refuse au créancier resté nanti du gage (1).
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(1) Le Texte officiel n'a pas adopté notre proposition et il déclare que la prescription est suspendue tant que le créancier détient le gage (Livre des Garanties, art. 114).
Art. 1120. — 248. Le présent article tranche une autre question de prescription, moins douteuse toutefois que la précédente, mais sur laquelle il convenait que la loi se prononçât, surtout puisque le droit romain et quelques interprètes de l'ancien droit ont décidé autrement.
Il est certain que, tant que la dette n'est pas éteinte, le créancier possède le gage à titre précaire, c'est-à-dire en reconnaissant que la propriété ne lui appartient pas; le gage est incompatible avec la propriété: on ne peut avoir en gage sa propre chose. Mais, une fois la dette éteinte par un payement ou par un autre mode légal d'extinction, il semble que le créancier ne possède plus la chose désormais à titre de gage, mais comme sienne, que, dès lors, la prescription acquisitive devrait courir en sa faveur et s'accomplir au moins par trente ans, en l'absence de juste titre et de bonne foi.
C'est pourtant ce que la loi lui refuse: la possession du créancier gagiste a commencé par être précaire, elle reste telle; l'article 2231 du Code français dit: "quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours censé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire; " dans une autre forme, le Projet japonais porte (art. 197, 3e al.) que "lorsque la précarité résulte de la nature du titre sur lequel la possession est fondée, elle ne cesse que par une contradiction formelle aux droits de celui pour le compte duquel on possédait, ou par une interversion du titre;" or, tant que le créancier gagiste ne sera pas dans l'un de ces deux cas exceptionnels, il restera détenteur précaire.
11 n'en serait pas autrement d'un usufruitier ou de son héritier qui aurait gardé la possession de la chose usufructuaire après la cessation de l'usufruit.
Observons du reste que c'est la prescription acquisitive du gage que la loi refuse au créancier, mais elle ne le prive pas de la prescription libératoire de l'obligation de restituer la chose: le débiteur pourra agir en revendication du gage, en prouvant son droit de propriété; il pourrait même, faute de cette preuve, se contenter d'agir au possessoire, mais il ne serait plus recevable, après trente ans, à réclamer la restitution, en se fondant sur le contrat de gage qui oblige le créancier à conserver et rendre le gage.
SOMMAIRE.
N° 249. Comparaison de l'antichrèse européenne avec l'hypothèque et avec le nantissement immobilier usité au Japon et consacré par le Projet.
Art. 1121. — 250. Double préférence du créancier nanti sur les fruits et sur le fonds. —251. Limite de ce nantissement à trente ans.
1122. —252 Nantissement constitué pour la dette d'autrui.
1123. —253. Particularités quand le nantissement porte sur un droit temporaire de jouissance.
1124. -254. Constitution du nantissement entre les parties; sa publicité à l'égard des tiers.
1125. —255. Désignation des biens et des sommes dues.
1126. -250. Simplification de la publicité au cas de droits temporaires donnés en nantissement.
1127. —257. Nécessité de la mise dp. créancier en possession.
1128. —258. Indivisibilité; renvoi.
COMMENTAIRE.
N° 249. Ce Chapitre rappelle celui que le Code français consacre à l'Antichrèse (Liv. III, Titre xvu, Ch. 2), mais il y a trop de différence d'étendue entre les deux sûretés pour qu'on puisse laisser à celle qui va nous occuper le même nom qu'en France.
Le mot antichrese vient du grec et signifie exactement contre--itsage: c'est un usage, une jouissance du créancier, en retour, en compensation de la jouissance que le débiteur obtient des valeurs qui lui ont été fournies; on pourrait l'entendre aussi d'une compensation pour le créancier, en retour de la jouissance qu'il perd, à l'égard de la valeur par lui fournie au débiteur.
Cette jouissance du créancier porte naturellement sur la chose soumise à son nantissement.
Cette chose est un immeuble, ce qui différencie l'antichrèse du gage.
Le créancier est privilégié sur les fruits et produits de la chose, à l'exclusion des autres créanciers; mais il n'a pas de privilége sur le fonds lui-même: en cas de vente, les autres concourent avec lui, ou le priment s'ils ont privilége ou hypothèque.
En ce qui concerne les fruits et produits, le créancier antichrésiste les impute d'abord sur les intérêts de sa créance, et, s'il y a excédant, l'imputation se fait sur le capital dû; si la créance ne porte pas d'intérêts, l'imputation se fait tout entière sur le capital.
Le droit d'antichrèse diffère de l'hypothèque sous plusieurs rapports:
1° Le créancier hypothécaire ne possède pas la chose hypothéquée, laquelle reste aux mains du débiteur;
2° Le créancier hypothécaire n'a pas de privilége sur les fruits et produits de la chose jusqu'à la saisie: ceux-ci restent au débiteur qui n'en est pas comptable;
3° Le créancier hypothécaire est préféré aux autres créanciers sur la valeur du fonds lorsqu'il est vendu.
L'antichrèse est rarement usitée en France. Au Japon, au contraire, le nantissement immobilier est très fréquent. On peut expliquer cette différence d'abord par la circonstance qu'au Japon, le droit d'hypothèque n'ayant pas été jusqu'ici organisé avec la précision nécessaire, le créancier se trouve mieux garanti par la possession réelle de l'immeuble que par une affectation purement conventionnelle dudit immeuble; ensuite, parce qu'au Japon on réunit généralement les deux droits en faveur du même créancier, de sorte qu'au nantissement qui empêche la vente par le débiteur et la saisie par les autres créanciers, il joint le droit d'hypothèque ou de préférence pour le capital qui lui est dû.
C'est cette antichrèse combinée avec l'hypothèque que le Projet consacre et, ne pouvant lui donner le nom d'origine grecque qui n'implique que la jouissance, on lui donne celui de Il nantissement immobilier: " nous l'appellerions volontiers "nantissement hypothécaire" (a).
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(a) La lre rédaction du Projet (art. 2) admettait l'antichrèse française, mais elle était déjà abandonnée lorsque le présent Livre a été rédigé pour la précédente édition (v. Tome 1er, n° 5, note 1).
Art. 1121. — 250. Ce premier article signale les deux droits que donne cette sûreté réelle: 1° avant l'échéance de la dette, jouissance de l'immeuble ou perception des fruits et revenus, par préférence à tous autres créanciers; 2° à l'échéance, droit d'un créancier hypothécaire, c'est-à-dire droit d'être payé par préférence aux créanciers chirographaires, et à son rang par rapport aux autres créanciers hypothécaires, sans préjudice du droit de suite contre les tiers détenteurs, lequel droit est encore un effet de l'hypothèque.
Remarquons immédiatement la différence entre ces deux préférences du créancier: comme il est nanti de la jouissance, il prime sur les fruits et revenus tous les créanciers indistinctement; mais sur le fonds même, sur le capital, il ne vient qu'à son rang d'hypothèque.
251. Comme ce cumul de l'antichrèse et de l'hypothèque est une institution plus japonaise qu'européenne, on lui laisse un de ses caractères japonais: à savoir, la limite de l'échéance à trente ans. Quelle que soit la cause originaire de cette restriction à la liberté des conventions, on ne peut que l'approuver, parce que si le grand nombre d'immeubles ainsi donnés en nantissement pouvait être, en quelque sorte, retiré indéfiniment de la circulation, ce serait un grand mal économique. C'est pour la même raison que le délai de trente ans ne peut être prorogé. Mais si l'échéance avait d'abord été fixée à moins de trente ans, elle pourrait être prorogée jusqu'à ce terme.
Art. 1122. — 252. Cet article ne présente pas de difficulté; il rappelle l'article 1102 écrit pour le gage constitué par un tiers, et comme l'hypothèque peut de même être constituée pour la dette d'autrui (v. art. 1217), il est naturel qu'une sûreté qui contient un cumul du nantissement et de l'hypothèque puisse être constituée dans les mêmes conditions.
Art. 1123. — 253. C'est toujours par l'effet du cumul, en faveur du créancier, du droit exclusif de jouissance et d'un droit de préférence sur le fonds, comme capital, que le constituant doit avoir la disposition des deux droits et que la chose doit être susceptible d'hypothèque.
Si le droit ainsi donné en '4 nantissement hypothécaire " est un usufruit ou une emphytéose, nécessairement temporaire, la sûreté finira avec le droit; il sera donc nécessaire que le créancier ait soin de stipuler l'échéance du payement avant l'époque où son nantissement devrait ainsi cesser de lui-même; autrement, il ne pourrait plus exercer le droit de préférence pour son capital.
Du reste, les droits temporaires de jouissance perdant de leur valeur à mesure qu'ils s'approchent de leur terme final, le créancier prudent n'aura accepté de tels droits en nantissement que quand les revenus devaient être assez considérables pour éteindre chaque année une partie du capital dû, outre les intérêts: autrement, il ne serait garanti utilement que de ceux-ci.
L'article 1215 a, au sujet de l'hypothèque simple, une disposition semblable à celle de notre article, quant à la durée du droit, avec un complément, pour le cas de perte de la chose (3e al.), qu'il faut considérer comme applicable au droit qui nous occupe.
Art. 1124. — 254. Comme le nantissement immobilier contient une hypothèque, et comme il est presque toujours conventionnel, il doit, dans ce cas, être constitué en la forme solennelle prescrite à l'article 1121, pour l'hypothèque conventionnelle; c'est-à-dire par un acte notarié, à peine de nullité. Si le Code français n'exige pas pour l'antichrèse un acte notarié, mais seulement un acte " écrit " (art. 2085), c'est parce que l'antichrèse ne donne de préférence que sur la jouissance et non sur la propriété.
Dans le Projet, il n'y a pas de nantissement immobilier légal, comme il y a des hypothèques légales; mais cette sûreté pourra être constituée par testament; seulement -ce ne sera que dans les deux cas spéciaux déterminés à l'article 1218.
Pour que le nantissement immobilier soit opposable aux tiers il doit être publié par la voie de la transcription (v. art. 368-1°); tandis qu'une inscription suffit pour l'hypothèque simple dont tous les effets sont réglés par la loi (v. art. 1219): ici il faut que les tiers puissent connaître la convention dans ses détails, pour le cas où la jouissance du créancier aurait été soumise à des conditions particulières.
Il est naturel que cette transcription " vaille inscription ", puisqu'elle est encore plus explicite que l'inscription qui ne donne que des extraits d'un acte (v. art. 1226).
L'existence ou la validité de l'acte authentique ou du testament qui a constitué le nantissement immobilier peut être contestée avant ou après que la transcription en a été faite: l'acte peut être argué de faux, ou de nullité pour incapacité ou vice de consentement du constituant, ou il peut avoir été détruit ou perdu; si alors un jugement, en reconnaît la sincérité ou la validité, s'il admet la preuve qui peut suppléer à sa perte, conformément à l'article 1390, ledit jugement devient un titre confirmatif ou récognitif du titre primordial et il sera transcrit en son lieu et place; si déjà la transcription du titre avait été faite, le jugement serait seulement mentionné en marge de ladite transcription.
Cette disposition écrite pour le nantissement immobilier ou hypothécaire, serait applicable, dans les mêmes circonstances, à l'hypothèque simple et aux priviléges spéciaux sur les immeubles.
Art. 1125. — 255. C'est encore parce que le nantissement immobilier contient une hypothèque que l'acte ou le jugement transcrit doit désigner spécialement l'immeuble ou les immeubles donnés en nantissement et les sommes garanties, en principal et intérêts: c'est une double condition requise pour la validité de l'hypothèque conventionnelle ev. art. 1212 à 1214) et qui s'applique certainement à l'hypothèque testamentaire.
Il est naturel que l'insuffisance ou les omissions qui se rencontreraient dans la transcription puissent se corriger postérieurement, par une mention supplémentaire faite en marge; mais ce sera naturellement sans rétroactivité (v. art. 1252, in fine).
Art. 1126. — 256. Pour éviter les formalités et les frais qui ne sont pas rigoureusement nécessaires, la loi n'exige pas une transcription spéciale du nantissement, quand il ne s'applique qu'à des droits temporaires déjà publiés par une transcription: alors une simple mention de l'acte constitutif du nantissement en marge de ladite transcription est suffisante.
Art. 1127. — 257. La mise en possession du créancier est un complément de publicité qui fait que cette sûreté est un nantissement. S'il ne s'agissait que d'un droit de jouissance conféré directement, sans relation à un autre droit, comme un droit d'usufruit ou. de bail, la transcription suffirait à prévenir ceux qui ont intérêt à savoir que la propriété est démembrée; d'ailleurs l'usufruitier ou le preneur ont un tel intérêt à prendre possession qu'il n'est pas utile de l'exiger d'eux.
De même, s'il ne s'agissait que d'une hypothèque simple, sans privilége sur les fruits, l'inscription avertirait suffisamment les autres créanciers; mais il s'agit ici d'un droit de préférence sur les fruits en même temps que sur le fonds même; en outre, le débiteur aurait intérêt pour son crédit à conserver la possession et le créancier n'aurait pas intérêt à la prendre, si la loi ne l'y obligeait pas; mais elle l'y oblige, pour que ce droit de préférence sur les fruits se révèle aux autres créanciers d'une manière frappante à leurs yeux et continue (b).
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(b) La loi française du 23 mars 1855, en soumettant l'antichrèse
Art. 1128. — 258. Il est nécessaire de proclamer l'indivisibilité de ce nantissement; mais comme il est de la même nature et a les mêmes effets que celui du gage ou nantissement mobilier, la loi se borne à renvoyer à l'article 1110.
SOMMAIRE.
Art. 1129. — N° 259. Droit du créancier nanti de louer la chose comme administrateur; cession du droit.
1130. —260. Dépenses d'entretien et grosses réparations: remboursement.
1131. -261. Compte des fruits et revenus: distinction légale entre les biens urbains et les biens ruraux.
1132. —262 Droit du créancier de renoncer au nantissement: distinctions et conditions. -262 bis. Observation sur le créancier antichrésiste français.
1133. 263. Droit de rétention. - 264. Il n'empêche pas la vente: distinction.
1134. 265. Vente provoquée contre le créancier et vente amiable. -266. Vente provoquée par le créancier nanti.
1135. 267. Renvoi non limitatif à quelques articles du gage.
COMMENTAIRE.
Art. 1129. — N° 259. Le créancier nanti d'un immeuble a plus de liberté pour disposer de la jouissance du fonds que n'en a le créancier gagiste. Si l'on rapproche de notre article l'article 1112, on voit que, tandis que le créancier gagiste ne peut louer la chose reçue en gage que s'il en a l'autorisation du débiteur, notre créancier le peut, de plein droit, sans cette autorisation: la loi la lui donne; pour que la location lui fût interdite, il faudrait une prohibition contraire du débiteur. Le motif est que la jouissance de la chose, presque nulle quand il s'agit d'un meuble, est toujours plus ou moins importante pour un immeuble. Or, le créancier nanti ne serait pas toujours en situation d'en jouir par lui-même: pour un fonds de terre, il faut être plus ou moins agriculteur, et, s'il s'agit d'une maison, il serait rare que le créancier eût précisément besoin pour lui-même d'une pareille habitation.
L'article 1123 nous a dit que celui qui n'a qu'un droit temporaire de jouissance ne peut donner la chose en nantissement pour un temps excédant cette jouissance. Il n'en fallait pas tirer cette conséquence que le créancier nanti ne pourrait, à son tour, donner la chose à bail pour un temps plus long que son nantissement: la durée du nantissement est incertaine et dépend du payement de la dette, lequel peut avoir lieu à toute époque; si le bail fait par le créancier devait avoir une durée aussi incertaine, il serait bien difficile de trouver un preneur. On a donc admis que les pouvoirs du créancier nanti seraient, à cet égard, ceux d'un administrateur de la chose d'autrui, et le texte renvoie pour cela aux articles 126 à 129 qui règlent la durée et les délais du renouvellement des baux faits par les administrateurs.
Il faut même admettre que le créancier pourrait valablement louer pour toute la durée du nantissement et qu'il ne pourrait lui-même en demander la réduction aux limites qui précèdent: ce droit n'appartiendrait qu'au débiteur, après la fin du nantissement et s'il trouvait le bail désavantageux pour lui.
Au contraire, si le créancicr veut céder son droit de nantissement, il ne peut le faire que pour la durée même de ce droit et sous sa responsabilité, au cas où le cessionnaire abuserait de sa jouissance; il n'y a pas là, en effet, un acte d'administration qui puisse profiter au débiteur: sous ce rapport, c'est à l'article 1112 que la loi renvoie, pour ce qu'il contient de sévère à l'égard du créancier gagiste.
Art. 1130. — 260. Cet article rappelle, mais avec des différences, deux obligations de l'usufruitier (v. art. 89 et 90).
1° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit acquitter les contributions annuelles; mais, tandis que l'usufruitier n'a pas de recours, de ce chef, contre le nu-propriétaire, le créancier nanti déduit ces charges sur le compte des fruits et produits imputables sur sa créance (v. art. suiv.).
2° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit faire les réparations d'entretien, mais encore avec la même déduction sur les fruits; de plus que celui-ci, il doit faire les grosses réparations, lorsqu'elles sont devenues " nécessaires et urgentes; " mais pour ces dernières, il a recours contre le débiteur, non seulement par voie de déduction sur les produits, comme pour les premières, mais encore par voie de " remboursement immédiat; " il est naturel, en effet, qu'il ne soit pas tenu de faire une avance de nouveaux capitaux pour assurer et conserver son nantissement.
La loi ne renvoie pas aux articles 91 et suivants parce que, s'il y a des emprunts à y faire, il y a aussi des dispositions inapplicables: notamment, au cas de défaut de payement des impôts et d'assurance contre l'incendie. Ce sera aux tribunaux à y puiser des analogies, en tenant compte de la différence des droits respectifs des intéressés.
Art. 1131. — 261. La loi, reproduisant ici une ancienne coutume japonaise, fait une distinction entre les biens urbains et les biens ruraux, c'est-à-dire entre ceux qui consistent principalement en bâtiments et ceux qui consistent en terre. Pour les premiers, il y a toujours lieu de faire les comptes respectifs du revenu, d'une part, et des intérêts de la dette, d'autre part: on ne pourrait en faire une compensation, à forfait ou en bloc. Au contraire, pour les biens ruraux dont le revenu est difficile à apprécier et à constater, non seulement cette compensation est permise, mais même elle a lieu de droit: pour qu'il en fût autrement, il faudrait ou une convention contraire, ou " une fraude manifeste, soit à l'égard des autres créanciers, soit à l'égard des limites légales de l'intérêt." La loi veut ici que la fraude soit " manifeste," précisément à cause de la difficulté de faire un compte exact des revenus, et cette fraude consistera dans la seule constitution d'un tel nantissement, sans réserve d'un compte à faire lorsque le débiteur savait qu'il nuisait à ses créanciers ou qu'il excédait le taux légal de l'intérêt (v. art. 360 et 882). S'il ne s'agissait que d'une limite conventionnelle de l'intérêt, comme alors les parties ont pu vouloir en changer le taux par cette nouvelle convention, le changement serait valable, si l'autre fraude ne se rencontrait pas.
Il y a donc, en somme, deux cas où l'imputation des revenus doit se faire sur les intérêts et subsidiairement sur le capital: c'est, pour les biens urbains, toujours, et, pour les biens ruraux, quand on a exclu la compensation en bloc ou qu'il y a fraude manifeste à ne pas l'avoir réservée. Dans ces cas, le Projet a soin d'énoncer un principe qui peut faire doute, en France, au sujet de l'antichrèse, à savoir que c'est le revenu net et non le revenu brut qui s'impute sur les intérêts de la créance et, subsidiairement, sur le capital.
Art. 1132. — 262. C'est un principe général qu'une personne peut toujours renoncer à un droit existant en sa faveur et qu'elle le peut, lors même qu'elle se serait par convention interdit cette faculté. Mais il faut pour cela que le droit auquel une partie prétend renoncer ne soit pas lié en même temps à un droit de l'autre, auquel la renonciation puisse nuire. C'est cette réserve qui explique que le Projet subordonne à certaines distinctions et restrictions le droit de renonciation du créancier à sa jouissance privilégiée.
On a vu à l'article précédent que le Projet distingue entre le nantissement des biens urbains et celui des biens ruraux: pour les premiers, il doit se faire une imputation exacte des fruits civils sur les intérêts de la créance et subsidiairement sur le capital, tandis que, pour les seconds, ce n'est pas une imputation mais une compensation à forfait des fruits sur les intérêts, sans calcul annuel.
Dans le cas d'un bien urbain, comme il se fait un calcul annuel, ou même plus fréquent, des fruits civils et des intérêts, et qu'aucune des parties ne peut gagner sur l'autre, il n'y a pas d'objection à ce que le créancier privilégié puisse, par une renonciation, rentrer dans le droit commun: ce qui pourra l'y porter, ce sera la difficulté de louer convenablement le bien, ou la nécessité de fréquentes réparations, d'où il résulterait pour lui peu ou point d'avantages, avec les soucis d'une responsabilité. Ici, la renonciation ne devra pas porter en même temps sur le privilége et sur les intérêts: le texte nous dit formellement que le créancier pourra " renoncer à la jouissance et s'en tenir à l'hypothèque simple et aux intérêts convenus, mais sans le privilége." Un 2e cas devait être et est en effet prévu par l'article précédent et celui-ci s'y réfère c'est celui où, même au sujet d'un bien rural, il a été convenu qu'il se ferait seulement une imputation des fruits sur les intérêts, avec calcul exact des uns et des autres, respectivement; dans ce cas, comme le créancier n'a plus de chance de gagner ni de risque de perdre et que le débiteur se trouve nécessairement dans le même cas, on applique la règle écrite pour les biens urbains: le créancier peut renoncer à sa jouissance, en gardant son droit aux intérêts, mais également sans le privilége. Bien entendu, cette renonciation à la jouissance n'est que Il pour l'avenir."
Dans le cas d'un bien rural, avec compensation à forfait des fruits avec les intérêts, on peut dire que le droit du créancier est lié à celui du débiteur et que la convention est dans l'intérêt des deux parties: le créancier peut gagner, mais il peut perdre aussi, et le débiteur peut avoir, aussi bien que lui, intérêt au maintien de cette compensation. Dans ce cas donc, le créancier ne peut renoncer à son droit de jouissance, sans renoncer en même temps aux intérêts de sa créance; auquel cas l'avantage du débiteur est assez évident pour qu'on ne conteste plus au créancier le droit de renonciation. Le créancier conserve son hypothèque comme dans les deux premiers cas (1).
La loi termine par une dernière et double condition, c'est que "dans tous les cas," le créancier évite une renonciation en temps inopportun, et qu'il prévienne le débiteur assez longtemps à l'avance pour que celui-ci puisse reprendre utilement l'administration de son bien. Ainsi, s'il s'agit d'un bien urbain, le créancier ne devra pas choisir le moment où d'importantes réparations sont urgentes, et s'il s'agit d'un bien rural, il ne devra pas attendre le moment de la récolte.
262 bis. Le Code français n'avait pas à faire les mêmes distinctions que le Projet entre les biens urbains et les biens ruraux; mais il s'est prononcé aussi sur la renonciation à l'antichrèse, pour la permettre, en règle générale, et ne la défendre que si le créancier se l'est formellement interdite (v. art. 2087, 28 al.). Cette solution n'est pas à l'abri de la critique. En effet, si elle vise le cas où il doit se faire une imputation rigoureuse des fruits sur les intérêts, on ne devrait pas priver le créancier de renoncer à l'antichrèse, même quand il s'est interdit cette faculté: cette rigueur serait tout au plus admissible dans le cas d'une compensation à forfait; or, il est difficile de savoir lequel de ces deux cas l'article 2087 a eu en vue.
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(1) Dans la précédente rédaction nous avions cru devoir faire perdre l'hypothèque au créancier renonçant; mais le Texte officiel n'a admis que la perte des intérêts et nous nous rallions volontiers à cette solution.
Art. 1133. — 263. Le 18r alinéa de cet article reconnaît au créancier le droit de rétention qui est, comme dans le gage, le caractère du nantissement, et cette rétention durant jusqu'à parfait payement consacre encore le principe de l'indivisibilité.
264. Le 2e alinéa présente une différence entre notre nantissement et le gage (v. art. 115, 28 al.): le créancier gagiste peut s'opposer à la vente du gage, tant que sa créance n'est pas exigible; on en a donné le motif sous cette disposition: ce motif n'existant pas pour la vente d'un immeuble, celle-ci reste possible, aussi bien avant l'échéance qu'après, comme le dit notre texte.
La vente pourra être faite à l'amiable par le débiteur; elle pourra être faite aux enchères, sur la poursuite des créanciers hypothécaires ou chirographaires; elle pourra même l'être sur la poursuite du créancier nanti lui-même. Les effets seront différents dans les trois cas, comme on le verra à l'article suivant.
Art. 1134. — 265. Notre article suppose, tour à tour, la vente provoquée contre le créancier nanti ou par lui. Le cas où le débiteur vend à l'amiable suit les mêmes règles que la vente faite à la poursuite des créanciers, sauf qu'il donne lieu à la procédure de purge (v. art. 1269 et suiv.).
Au premier cas, celui où la vente est provoquée contre le créancier nanti, une sous-distinction est à faire: ou le créancier nanti est primé par d'autres créanciers, soit privilégiés soit hypothécaires, ou il ne l'est pas.
S'il est primé par d'autres créanciers, la vente sera faite sans réserve de son droit de rétention et de jouissance, parce que le débiteur n'a pas pu enlever à ces créanciers un des avantages inhérents au privilége ou à l'hypothèque; dans ce cas, d'ailleurs, le créancier nanti sera colloqué à son rang d'hypothèque.
Si, au contraire, le créancier nanti est, en même temps, le seul ou le premier créancier hypothécaire, la vente publique n'aura lieu que sous la condition pour l'adjudicataire de respecter le droit de rétention, lequel sera porté au cahier des charges qui stipule par avance. les obligations de l'acheteur et les conditions générales et spéciales de la vente publique (v. c. pr. civ. fr., art. 690 et s.).
Quelques précautions devront d'ailleurs être prises dans ce cas: comme il pourrait arriver que les enchères, avant d'être terminées, atteignissent, même avec la condition de respecter le nantissement, un prix déjà suffisant pour désintéresser le créancier nanti, il devrait être porté au cahier des charges que, dès que ce prix sera atteint, la jouissance de l'immeuble sera comprise dans la vente; cela relèvera immédiatement le prix et profitera aux autres créanciers, soit hypothécaires, soit chirographaires. Mais encore cette possibilité pour l'adjudicataire de jouir de l'immeuble en désintéressant le créancier nanti n'existera que si le terme n'est pas établi expressément ou tacitement en faveur de celui-ci: autrement, il faudrait que le créancier y renonçât; or, au Japon, c'est presque toujours dans l'intérêt du créancier que le terme est assigné à la créance ainsi garantie.
Si le débiteur a fait une vente amiable, son acheteur devra également respecter le droit de jouissance du créancier nanti, sans même que son acte de vente l'ait soumis à cette obligation, parce que le nantissement est révélé par la transcription et cet acheteur n'a pas droit aux mêmes protections qu'un adjudicataire en vente publique. Il aura d'ailleurs le droit de rembourser le créancier nanti, si le terme n'est pas établi dans l'intérêt de celui-ci et, dans tous les cas, de le comprendre dans les offres à fin de purge, ce qui pourra donner lieu à une revente aux enchères publiques, avec des résultats analogues à ceux de la vente sur poursuite hypothécaire (v. art. 1269 et s., 1276 et 1278).
266. Au deuxième cas, où c'est le créancier nanti qui a lui-même provoqué la vente, son droit de jouissance et de rétention est éteint, par une sorte de renonciation volontaire et tacite; il peut toutefois le réserver expressément dans la mise en vente, mais à la condition qu'il n'y ait aucun autre créancier privilégié ou hypothécaire, même d'un rang postérieur au sien: du moment que le créancier nanti n'est pas seul intéressé, la loi ne lui permet pas d'exposer les autres créanciers à une vente à bas prix, s'il ne fait pas lui-même le sacrifice de sa jouissance privilégiée.
Mais cette rigueur contre le créancier cesserait dans le cas où il ne requerrait la mise aux enchères que dans la procédure de purge, sur les offres faites par un tiers acquéreur à l'amiable (v. art. 1278): dans ce cas, le créancier, étant en quelque sorte mis en demeure de surenchérir, ne peut être considéré comme ayant volontairement renoncé à son nantissement.
Art. 1135. — 267. Le créancier nanti d'un immeuble doit être assimilé, sous plusieurs rapports, au créancier gagiste ou nanti d'un meuble; de là le renvoi à plusieurs articles du Chapitre précédent, renvoi que d'ailleurs il ne faudrait pas croire absolument limitatif: s'il s'agissait d'emprunter au gage quelque disposition qui ne dépendît pas strictement de son caractère de droit mobilier, les tribunaux le pourraient certainement; en effet, dans le Projet, le nantissement immobilier est bien plus analogue au gage que ne l'est l'antichrèse française.
Des théories du gage appliquées au nantissement immobilier une seule est favorable au créancier, c'est l'extension de la sûreté aux dépenses par lui faites pour la conservation de la chose, ainsi qu'à l'indemnité des dommages qu'elle lui aurait causés par des vices non apparents (v. art. 1114); quatre sont en faveur du débiteur, ce sont: l'obligation pour le créancier d'apporter à la garde de la chose les soins d'un bon administrateur (v. art. 1111, 1er al.), la prohibition du pacte commissaire qui tendrait à attribuer la chose en payement au créancier (v. art. 111 S), la possibilité pour le débiteur de prescrire à l'effet de se libérer, quoique le nantissement soit resté aux mains du créancier (v. art. 1] 19), enfin, l'impossibilité pour le créancier de prescrire à l'effet d'acquérir l'objet du nantissement, même lorsque sa possession a continué après l'extinction de la dette (v. art. 1120).
SOMMAIRE.
Art. 1136 -N° 268. Définition du privilége, différente de celle du Code frauçais. —26D. La loi en détermine les causes, l'objet et les conditions. -270. Droit de suite.
1137. —271. Indivisibilité du privilége: renvoi.
1138. —272. Subrogation à la chose de l'indemnité due pour sa perte. —273. Idem, de sa valeur.
1139. —274. Division des priviléges, un peu différente de celle du Code français.
1140. —275. Renvoi pour le rang respectif des priviléges, soit entre eux, soit par rapport aux hypothèques.
1141. —276. Réserve du droit commun pour les priviléges établis par le Code de Commerce ou par des lois spéciales.
COMMENTAIRE.
Art. 1136. — N° 268. La définition du privilége donnée par ce premier article n'est pas la même que celle du Code français (v. art. 2095), d'après lequel " le privilége est un droit de préférence donné par la qualité de la créance " (a).
Qu'est-ce que la qualité d'une créance ? Cette expression qui n'est pas usitée ailleurs, est obscure: ce n'est assurément, ni l'objet de la créance, ni sa modalité, ni sa'priorité de date, ni la personne du créancier, qui en fait la qualité; il ne reste que sa cause, que le fait juridique qui lui a donné naissance, dont on puisse dire qu'elle est la qualité de la créance. Et tout le monde l'entend ainsi.
On n'a donc pas hésité à rejeter une expression qui fait commencer par une obscurité une matière déjà fort difficile par elle-même, et on a inséré dans le texte le mot essentiel, le mot de "cause": c'est la cause de la créance qui est en même temps la cause de la préférence appelée privilége.
La loi ajoute que c'est " en l'absence de nantissement conventionnel " que la cause de la créance donne naissance au privilége; car s'il y avait gage ou nantissement immobilier, ce serait la convention et non plus la cause de la créance qui engendrerait le privilége. Ce sont là d'ailleurs les deux seuls cas de priviléges conventionnels.
269. Mais si l'idée de cause de la créance doit dominer dans la définition du privilége, elle ne suffit pas. D'où peut venir, en effet, cette puissance de la cause ? Quelles causes auront cette puissance ? Quels objets seront soumis au privilége né de la cause ? A qu'elles conditions sera soumis son exercice ?
La loi seule, évidemment, peut le décider. Et c'est ce qu'exprime le 28 alinéa de notre article: les causes, les objets et les conditions des priviléges sont déterminés par la loi, et cela, limitativement, parce que les priviléges, en même temps qu'ils sont favorables à un créancier, sont nuisibles aux autres; ils dérogent au droit commun de l'article 1001, ils ne peuvent donc s'étendre, par analogie d'un cas à un autre. Il y a là un principe qu'on ne devra jamais perdre de vue dans l'application de la loi. Cela n'exclut pas d'ailleurs l'interprétation des textes: la loi ne dit pas que toutes ses dispositions en cette matière seront caresse.?, elle dit seulement qu'on ne les étendra pas à des cas qu'elle n'a pas prévus.
270. Le privilége ne donne pas seulement un droit de préférence à un créancier sur les autres: il lui donne aussi, au moins, quand il porte sur un immeuble, un droit de suite contre les tiers-détenteurs.
Comme il y a là une nouvelle dérogation au droit commun, lequel permet au débiteur de disposer de ses biens, lorsqu'il agit sans fraude (v. art. 360), il faut de même se référer à la loi pour connaître les cas où le droit de suite appartient au créancier et les conditions de son exercice.
C'est d'ailleurs parce que le droit de suite n'accompagne pas toujours le droit de préférence qu'il ne figure pas dans la définition du privilége.
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(a) Le mot français privilége est la traduction du latin privilegium, dérivé lui-même de privata lex: " lui particulière " d'une créance.
Art. 1137. — 271. A cause de son importance, le principe de l'indivisibilité est rappelé pour chaque sûreté réelle, et comme les priviléges sont de nature variée, on l'énonçe ici dans les Dispositions préliminaires.
Art. 1138. — 272. Le principe posé au présent article, avec une large application, manque au Code français: on l'emprunte au Code italien.
Il n'y faut pas voir l'extension du privilége, mais seulement sa conservation, par son transport sur une nouvelle valeur qui représente manifestement l'ancienne, par une sorte de subrogation réelle.
Ce transport du privilége sur une valeur représentant la chose ne nuit pas aux autres créanciers, car c'est une valeur sur laquelle ils n'ont pas pu compter, du moment que la chose elle-même n'était pas leur gage. Ceux là seuls qu'il faut protéger contre la subrogation dont il s'agit ce sont les débiteurs de cette valeur, afin qu'ils ne soient pas exposés à mal payer: la loi y pourvoit, en exigeant qu'ils soient informés par une opposition provenant du créancier privilégié.
273. Le 26 alinéa applique la subrogation réelle au prix de vente de la chose grevée de privilége. Cette disposition est d'abord applicable à la vente d'un meuble, parce que les meubles ne sont pas susceptibles de droit de suite, de la part du créancier privilégie; elle s'applique encore aux ventes d'immeubles, lorsque le droit de suite n'a pas été conservé ou exercé conformément à la loi.
La même disposition s'appliquerait au cas d'expropriation pour cause d'utilité publique: comme, dans ce cas, il n'y a pas de droit de suite, le droit de préférence doit s'y substituer sur l'indemnité due par l'Etat. La loi française sur l'Expropriation a une disposition formelle en ce sens (loi du 31 mai 1841, art. 17 à 19).
Art. 1139. — 274. Cette division des priviléges n'est pas tout-à-fait celle du Code français qui commence par les diviser, d'après leur objet, en priviléges sur les meubles et priviléges sur les immeubles, puis qui subdivise les premiers en généraux et spéciaux et ne trouve pas de priviléges généraux sur les immeubles seulement, de sorte qu'il n'y a pas une harmonie suffisante.
Art. 1140. — 275. Il n'y a pas de principe général sur le classement des priviléges, comme on en trouvera un, au contraire, pour le classement des hypothèques (v. art. 1253). Cependant, on peut dire que c'est généralement, la faveur plus ou moins grande que mérite la cause de la créance qui déterminera son rang; mais, comme quelquefois ce principe se trouvera modifié par la bonne foi respective des créanciers privilégiés, lorsqu'il s'agira de meubles, et par la nécessité d'une publication du 'privilége par transcription ou inscription, lorsqu'il s'agira d'immeubles, la loi ne peut que se référer à ce qui sera dit à ce sujet dans les Sections respectives.
Quand les priviléges sur les immeubles se trouvent en conflit avec des hypothèques, la préférence appartient, en général, aux priviléges; le principe est même posé comme absolu par le Code français (art. 2095), mais il comporte des exceptions possibles: d'abord celles que la loi peut toujours établir dans des cas particuliers, et l'article 1149 en donnera un exemple; ensuite, dans le cas où le créancier qui a le privilége est garant de l'hypothèque. Ainsi, par exemple, un vendeur d'immeuble a privilége sur la chose par lui vendue; mais il ne saurait primer celui auquel il aurait consenti une hypothèque sur le même immeuble. Le texte a donc soin, en posant le principe de la préférence donnée au privilége sur l'hypothèque, de réserver les exceptions établies par la loi, ce qui comprend aussi bien les exceptions fondées sur les principes généraux du droit que les dispositions spéciales de la loi.
Il n'est pas rare que plusieurs créances privilégiées ayant la même cause ou des causes également favorables soient en concours sur le même bien, meuble ou immeuble; alors elles concourent, en proportion de leur montant respectif, comme cela a lieu entre créances non privilégiées.
Art. 1141. — 276. Il est vraisemblable que le Code de Commerce établira quelques priviléges particuliers, ou réglera autrement certains priviléges, lorsqu'ils s'exerceront dans une faillite: notamment, le privilége des commis des marchands, des ouvriers des manufactures et du bailleur des bâtiments affectés au commerce ou à l'industrie du failli.
Des lois spéciales d'administration ou de finance créeront aussi sans doute quelques priviléges spéciaux du Trésor public, soit sur les biens des contribuables, soit sur ceux des comptables. Il en existe même déjà sur le premier point.
Dans les deux cas, qu'il s'agisse du Code de Commerce ou de lois spéciales, le droit civil restera le droit commun de ces priviléges, et il ne subira de dérogations qu'autant qu'elles seront indiquées expressément ou implicitement.
SOMMAIRE.
Art. 1142. — N° 277. Mêmes priviléges généraux que dans le Code français: cessation des controverses qu'il soulève.
I. -Privilège des Frais de justice.
1143. —278. Caractère général des frais dits "légaux ou de justice." -279. Exclusion des frais utiles à un seul créancier.
II. —Prh'ilége des Frais funéraires.
1144. —280. Limites et étendue du privilége. —281. Sa cause légale. -282. Funérailles de certains parents du débiteur.
III. —Privilége des Frais de dernière maladie.
1145. —283. A qu'elles maladies s'applique ce privilége; observation au sujet des parents. —284. Etendue du privilége, au cas de longue maladie. —285. Décès accidentel pendant le traitement; changement de médecin. -286. Retour sur la cause légale du privilége des médecins.
IV. -Privilège des Gens de service.
1146. — 287. Cause légale de ce privilége. -288. Son étendue quant aux personnes. -289. Idem quant au temps.
V. -Privilège des Fournitures de subsistances.
1147. —290. Cause légale de ce privilége; son application à la subsistance des serviteurs. -291. Ses limites quant aux objets fournis et quant à la durée.
COMMENTAIRE.
Art. 1142. — N° 277. Les priviléges généraux ici énoncés sont exactement ceux qui ont le même caractère et les mêmes noms dans le Code français (art. 2101): il n'y a aucune raison d'en supprimer un ou plusieurs, et on ne voit pas non plus qu'elles autres créances mériteraient par leur cause une semblable faveur.
Mais comme il n'y a pas un seul des cinq priviléges énoncés dans l'article 2101 du Code français qui ne soit l'objet de vives controverses sur son étendue et sur son application, le Projet a dû entrer, sur chacun d'eux, dans des détails qui manquent entièrement à son modèle.
Les solutions ici données à toutes ces questions sont généralement limitatives du privilége.
Art. 1143. — 278. L'expression frais de justice" n'est employée ici que parce qu'elle est consacrée; mais elle n'est pas sans inconvénients, parce qu'elle éveille naturellement l'idée de frais faits dans une procédure judiciaire. Sans doute, ce sont là les frais de justice par excellence, mais ce ne sont pas les seuls; c'est pourquoi nous proposons de les appeler aussi " légaux " (1).
La dénomination de " frais de justice," se justifie d'ailleurs par cette idée que si ces frais ne sont pas toujours faits en justice, c'est-à-dire dans une instance judiciaire, ils sont toujours faits sous le contrôle de la justice, par des officiers qui relèvent d'elle, disciplinairement.
Le texte les présente comme étant " des avances d'argent, des salaires ou honoraires," sans que cette énumération doive être considérée comme limitative. Ces frais sont faits 11 dans l'intérêt commun des créanciers, pour conserver, liquider, réaliser et distribuer les biens du débiteur."
Cet intérêt commun, en même temps qu'il caractérise les frais privilégiés, est la justification du privilége luimême et du premier rang qui lui est accordé. On retrouvera même, à des degrés divers, cette idée de " service rendu à la masse," comme justification des autres priviléges généraux, à l'exception d'un seul, le suivant.
Les principaux actes qui donnent occasion à ces frais sont: les appositions de scellés, après le décès ou la faillite du débiteur, l'inventaire général des meubles formant le gage commun des créanciers, le recouvrement, par voie judiciaire ou extrajudiciaire, des sommes et valeurs dues au débiteur, les revendications contre des tiers possesseurs, s'il y a lieu, la vente des biens aux enchères, le calcul de la répartition proportionnelle entre les créanciers et le payement.
279. Le 2e alinéa fait une réserve essentielle.
Il peut arriver que le droit de l'un des créanciers soit contesté et que celui-ci doive plaider contre le débiteur pour l'établir: si le créancier gagne le procès, il y a eu là des frais de justice, dans le sens le plus clair du mot, puisqu'il y a eu procès; ces frais sont privilégiés, mais le privilége n'est plus général, parce qu'ils n'ont pas été utiles au débiteur, ni à la masse: ils leur ont même été nuisibles, en amenant le concours d'un nouveau créancier; le privilége sera donc spécial: il portera sur le montant des sommes allouées dans la masse à ce nouveau créancier qu'il faut supposer être lui-même insolvable, sans quoi le privilége n'aurait pas d'intérêt.
Il en serait de même des frais de la procédure dite d'ordre qui règle le rang et le payement de chaque créancier ayant privilége spécial ou hypothèque sur un bien du débiteur: cette partie des frais, à la différence de celle qui résulte de la procédure dite de distribution par contribution, n'est utile qu'à ces seuls créanciers et ne doit être prélevée que sur le montant de la collocation qui leur est assignée.
Le privilége, restant spécial dans ces divers cas, rentre dans l'application de l'article 1] 61 qui réglera le privilége de " celui qui a conservé un objet mobilier."
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(1) Le Texte officiel n'a admis que l'expression consacrée de " frais de justice " dont l'inconvénient n'est pas moindre ou japonais qu'en français.
II. —PRIVILF.GE DES FRAIS FUNÉRAIRES.
Art. 1144. — 280. Le Projet ne devait pas laisser planer la même incertitude que le Code français sur le sens et la portée des mots " frais funéraires; " on leur donne ici un sens très étroit avec trois applications seulement: 1° l'ensevelissement, qui comprend le cercue il et les accessoires, 2° la cérémonie religieuse qui précède l'inhumation et comprend le transport du. corps, 30 l'inhumation proprement dite (la mise en terre) ou la crémation (incinération) très usitée au Japon (a).
Il n'y aurait certainement pas privilége pour un embaumement, qui serait un luxe, ni pour une autopsie qui aurait été faite pour découvrir la nature d'un mal intérieur, cause de la mort.
Il n'est pas douteux, au contraire, que le transport des corps au temple et au cimetière soit privilégié, puisque c'est une dépense inséparable de la double cérémonie; de même l'achat du terrain pour l'inhumation et aussi le monument qui y est élevé et constitue la tombe.
Comme ces dépenses sont susceptibles d'une grande variété d'importance et que la loi ne peut songer à les tarifer d'une manière uniforme, même pour les débiteurs qui meurent insolvables, elle invite les tribunaux, pour le cas de contestation, à tenir compte de la " position sociale " du débiteur, combinée avec la " mesure d'usage: " il ne faut pas que la dépouille du débiteur soit privée des honneurs qui lui sont dûs, parce qu'il meurt pauvre.
Mais la loi a soin (38 al.) d'exclure du privilége les dépenses, " même d'usage, " qui suivent les funérailles, immédiatement ou après un certain nombre de jours, comme les présents aux invités, les repas commémoratifs, les vêtements de deuil des parents ou des serviteurs.
281. Il faut, à cette occasion, indiquer la cause légale de ce privilége. C'est le seul des priviléges généraux qui ne soit pas fondé sur l'idée d'un service rendu à la masse des créanciers; la cause est double: la salubrité publique, qui réclame l'inhumation plus ou moins prompte des corps, et la décence, les convenances, qui seraient offensées, si les corps restaient plus ou moins longtemps sans sépulture, parce que la famille du défunt ne disposerait pas présentement des sommes nécessaires aux funérailles: en accordant un privilége général à ceux qui feront les avances d'argent ou de services pour cette cérémonie, la loi encourage les tiers à les faire. Mais on comprend que la loi ne donne pas le même encouragement pour des dépenses accessoires et consécutives dues à un usage qui serait abusif au cas d'insolvabilité.
282. C'est une question débattue en France que celle de savoir si le privilége des frais funéraires est limité aux funérailles du débiteur, ou s'il s'applique aussi aux frais des funérailles qu'il a prises à sa charge.
Tout en ne limitant pas le privilége aux funérailles du débiteur, il ne faut pas admettre qu'il puisse, au préjudice de ses créanciers, grever ses biens d'un privilége général qui ne se justifierait plus au même degré que quand il s'agit de lui-même. Le texte prend le parti qui serait le plus soutenable comme interprétation du Code français: le privilége n'aura lieu que pour les funérailles de personnes présentant ces trois caractères: 1° qu'elles soient de la famille du débiteur (non des amis), 2° que leur entretien, de leur vivant, ait été à sa charge, 3° qu'elles aient habité avec lui, à l'époque de leur décès.
Il faut qu'elles aient été à sa charge, parce que, leur ayant dû les aliments pendant leur vie, il leur doit les derniers devoirs; il faut qu'elles aient habité avec lui, au moment de leur mort, afin que les autres créanciers ne soient pas primés par un privilége qu'ils n'auraient pu prévoir.
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(a) En Europe, la crémation est encore peu usitée; elle rencontre des objections religieuses; mais il est probable qu'elles seront levées: des rai. sons hygiéniques et économiques réclament en faveur de cette innovation.
III. —PRIVILEGE DES FRAIS DE DERNIERE MALADIE.
Art. 1145. — 283. Le Projet tranche ici, favorablement au privilége, une question que le Code français laisse incertaine, à savoir si c'est seulement la maladie dont le débiteur est mort qui donne lieu au privilége, ou même la maladie qui a précédé sa faillite ou la liquidation de ses biens par suite d'insolvabilité.
Ceux qui soutiennent, en France, que le privilége n'a que la première application peuvent invoquer la loi de Brumaire an VII, qui a précédé le Code civil et qui, mettant sur la même ligne " les frais de dernière maladie et inhumation " (art 11-3°), paraissait bien ne s'appliquer qu'à la maladie qui avait causé le décès (b); ils allèguent aussi que le cas de décès du débiteur est le seul où les créanciers pour soins médicaux soient exposés à n'être pas payés.
Mais, au contraire, il est à craindre que le débiteur guéri une fois failli ou insolvable, n'oublie facilement sa dette envers le médecin: il y en a bien des exemples. De plus, il y aurait quelque chose de choquant à ce que le médecin dont les soins ont sauvé le malade fût moins bien traité que celui qui n'a pas réussi.
Enfin, le but de la loi doit être d'encourager les médecins à donner leurs soins, et les pharmaciens à fournir leurs médicaments à ceux qui ne peuvent les payer comptant; or, il n'y aurait aucun encouragement si le privilége n'était pas assuré dans tous les cas, et surtout au cas de guérison.
Le texte, par analogie avec ce qui a été décidé à l'article précédent, au sujet des funérailles de certains parents du débiteur, donne aussi le privilége à ceux qui ont soigné les mêmes parents dans leur dernière maladie; seulement, pour ces personnes, il n'y a pas à prévoir leur propre faillite ou déconfiture, puisqu'étant à la charge du débiteur, elles n'ont pas de patrimoine propre; leur dernière maladie est donc celle qui a précédé la mort ou l'insolvabilité du débiteur, sans distinguer, non plus, si elles sont mortes elles-mêmes ou si elles ont été guéries.
284. La longue durée qu'ont souvent les maladies donne lieu à une difficulté en France; elle n'est qu'incomplètement résolue quand on décide qu'il ne sera tenu compte pour le privilége que de la période pendant laquelle la maladie est devenue dangereuse et a rendu le décès probable et prochain; en effet, outre une grande difficulté d'appréciation pour les tribunaux q ni ne peuvent guère être éclairés ici que par le médecin, lui-même intéressé, cette solution ne s'appliquerait pas au cas où le malade a guéri.
Notre texte a adopté un système plus simple et plus sûr: pour les maladies longues, que le malade en soit mort ou en ait guéri, le privilége sera exercé pour les frais "de la dernière année," c'est-à-dire qu'en prenant la mort ou la guérison comme terme fixe, on remontera d'un an dans le passé pour faire le compte des frais privilégiés. Le médecin ne doit pas laisser grossir sa créance au-delà de ce que les autres créanciers peuvent prévoir.
285. Le dernier alinéa suppose que, pendant le traitement, le débiteur ou son parent " est mort par une autre cause que la maladie pour laquelle les frais ont été faits;" dans ce cas, la maladie ne s'étant terminée ni par la mort causée par elle, ni par la guérison, on aurait pu hésiter sur l'admission du privilége; mais le médecin ne doit pas souffrir d'un tel accident.
La loi ne prévoit pas le cas où le médecin n'aurait pas donné ses soins jusqu'à la guérison ou jusqu'à la mort; mais il n'est pas douteux que le privilége subsiste: la nécessité d'encourager les médecins à donner leurs soins aux gens peu aisés est toujours la même et ils ne doivent pas souffrir de ce que les malades ou ceux qui les entourent se découragent d'un traitement qui ne réussit pas aussi tôt qu'ils l'espéraient.
La loi ne parle pas des sages-femmes qui ont fait ou aidé un accouchement, parce que la grossesse n'étant pas une maladie sa terminaison normale n'en est pas une non plus; mais s'il y avait la moindre complication subséquente et surtout décès, il ne faudrait pas hésiter à y appliquer notre article.
Pour le privilége des frais funéraires et de dernière maladie on n'a pas fait mention de ceux relatifs aux serviteurs; d'abord, parce que ces dépenses n'auront souvent qu'une faible importance; ensuite, par3e que le maître insolvable n'a pas une obligation stricte de subvenir à ces dépenses pour ses serviteurs.
Du reste, nous n'aurions eu aucune répugnance à ajouter au texte dans le sens qui y eût fait entrer les frais d'inhumation et de dernière maladie des serviteurs insolvables.
286. Il convient, en terminant, de s'arrêter un instant sur la cause légale de ce privilége: il ne faut pas du tout croire qu'il soit créé dans l'intérêt des médecins ou de leurs auxiliaires, si intéressants qu'ils soient; la cause ici est, comme dans cas du premier privilége et des suivants (le second est seul excepté), le service rendu au débiteur et à la masse de ses créanciers, par les soins médicaux: le médecin, en conservant ou en prolongeant la vie du débiteur, est considéré comme ayant géré l'affaire des créanciers.
Ce motif n'est plus suffisant pour le cas de maladie des parents du débiteur; mais le privilége existant à bon droit pour les frais funéraires des parents, il serait choquant qu'il n'existât pas pour les frais de leur dernière maladie.
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(b) Nous n'attachons aucune importance à la différence de formule "frais de dernière maladie ou frais de la dernière maladie le Projet emploie la première, comme plus large, quoiqu'on ait soutenu, en France, qu'elle l'est moins.
IV. -PRIVILEGE DES SALAIRES DES GENS DE SERVICE.
Art. 1146. — 287. Disons d'abord que la cause légale du privilége des gens de service est encore que ces services sont rendus moins au débiteur lui-même qu'à la masse de ses créanciers: si le débiteur était obligé de se servir lui-même, il passerait un temps considérable à des occupations matérielles, grossières, sans cesse renouvelées, au grand préjudice des travaux de sa profession, lesquels doivent lui procurer le moyen de satisfaire ses créanciers; si les gens de service n'avaient un privilége, ils ne serviraient pas à crédit un homme dont la position pécuniaire serait mauvaise ou seulement douteuse et le mal qu'on vient de signaler serait inévitable.
288. Voyons maintenant l'étendue du privilége.
Les serviteurs privilégiés sont ceux attachés à la personne ou aux biens du débiteur et aussi à la personne de ses parents, dans les conditions prévues à l'article 1144, c'est-à-dire " habitant avec lui et à sa charge "; aussi n'est-il pas question des serviteurs attachés aux biens de ces derniers: s'ils avaient des biens, ce serait sur ces biens que le privilége s'exercerait et non sur les biens de celui chez lequel ils habitent. Au contraire, les parents pauvres peuvent avoir un ou deux serviteurs mis à leur disposition par le débiteur, eu égard à leur âge et à leur ancienne condition sociale.
Pour en revenir au débiteur, on devra considérer comme serviteurs attachés à sa personne, non seulement ceux qui lui donnent des soins directs et journaliers, mais encore le cuisinier, le cocher, le bélo (coureur), et les subalternes de ces serviteurs, s'il y en a; comme serviteurs attachés aux biens, on comptera les momhans (portiers), les veilleurs de jour et de nuit, les jardiniers, hommes de peine, etc.
Le privilége ici prévu ne s'applique pas aux commis des marchands et des industriels; c'est le Code de Commerce qui aura à se prononcer sur le privilége de ces personnes, comme le fait le Code de Commerce français (art. 549).
289. Il fallait aussi régler l'étendue du privilége quant à la durée des services; le Code français accorde aux gens de service " la dernière année échue et l'année courante." ce qui est un peu long et d'un calcul assez compliqué: un peu long, car la prescription des gages des serviteurs est accomplie par un an (art. 2272), de sorte que, pour que le privilége soit utile en son entier, il faut supposer que la prescription a été interrompue ou n'est pas invoquée; un peu compliqué, car il faut prendre comme point de départ le jour anniversaire de l'entrée en service de chaque serviteur (ce qui est souvent difficile à retrouver), puis remonter d'un an en arrière pour avoir une année échue, et redescendre au jour de la liquidation ou de la cessation des services, pour avoir l'année courante.
Le Projet adopte un calcul à la fois plus juste et plus facile: plus juste, parce qu'il traite tous les serviteurs de la même manière, quel que soit le jour anniversaire de leur entrée au service du. débiteur; plus simple, parce qu'on néglige la recherche de ce jour: on prend le jour de la cessation des services comme point de départ et on alloue un an de gages pour l'arriéré, s'il n'a pas été payé et si les services ont cette ancienneté. Du reste, la durée du privilége ne coïncide pas avec la prescription des gages, laquelle est de 5 ans, 3 ans ou 6 mois, suivant l'époque de leur payement (v. art. 1493, 1494 et 1497).
V. —PRIVILÉGE DES FOURNITURES DE SUBSISTANCES.
Art. 1147. — 290. La cause légale de ce privilége est toujours le service rendu au débiteur dans des conditions qui profitent aux autres créanciers: si le débiteur ne trouvait pas crédit pour sa subsistance journalière et celle de sa famille et de ses serviteurs, il serait obligé pour vivre de se livrer à des occupations journalières étrangères à sa profession, ce qui serait aussi nuisible à ses créanciers que s'il lui fallait, comme on l'a dit plus haut, se servir lui-même.
La subsistance de ses serviteurs est mise ici sur la même ligne que celle de la famille; d'abord, parce qu'il serait le plus souvent impossible de distinguer ce qui est pour la famille et ce qui est pour les serviteurs; ensuite, parce que si la subsistance des serviteurs n'était pas assurée, comme leurs gages, le débiteur ne trouverait pas de serviteurs.
291. Le texte a soin d'exprimer que le privilége ne s'applique qu'aux " denrées alimentaires ": il donne ainsi au mot " subsistances " un sens très limité et très précis. En France, le mot "subsistance" n'étant pas précisé dans la loi, il y a bien des divergences sur la portée qu'il faut lui donner; beaucoup d'auteurs y font rentrer une foule de fournitures accessoires qui rendent le privilége très onéreux aux autres créanciers; mais le mot " subsistances " n'a pas une portée aussi étendue que celle " d'aliments," quand on parle de "l'obligation alimentaire " envers certains parents, laquelle comprend même le vêtement.
Quant à la durée des fournitures privilégiées, le texte n'en admet qu'une, six mois, les six derniers; d'ailleurs on ne distingue pas, comme au Code français, les fournitures des marchands " en gros " et celles des marchands "en détail."
SOMMAIRE.
Art. 1148. — N° 292. Caractère subsidiaire des priviléges généraux à l'égard des immeubles. - 293. Cas où les immeubles sont vendus avant les muebles.
1149 294. Concours des priviléges généraux entre eux; renvoi pour le cas de priviléges spéciaux. - 295.Concours des priviléges généraux, soit avec des priviléges spéciaux sur les immeubles ou avec des hypothèques spéciales, soit avec des hypothèques générales -296. Répartition des priviléges généraux entre tous les immeubles.
1150. —297. Dispense d'inscription des priviléges généraux, pour le droit de préférence; renvoi pour le droit de suite.
COMMENTAIRE.
Art. 1148. — 292. Quoique les priviléges dont il s'agit dans cette Section s'étendent sur les meubles et les immeubles, ce n'est pas à dire que ce soit indistinctement et qu'il dépende des créanciers auxquels ils appartiennent de les faire valoir à leur gré sur les immeubles ou sur les meubles. Déjà l'article 1139-1° nous a dit que les priviléges généraux ne s'étendent sur les immeubles que " subsidiairement," ce qui veut dire en cas d'insuffisance ou à défaut de meubles.
Le 1er alinéa de notre article l'exprime formellement, Si la vente des meubles et la distribution du prix qui en provient a lieu d'abord, ce qui sera le plus fréquent. la collocation subsidiaire sur les immeubles des priviléges généraux ne fera pas de difficulté.
293. Le 2e alinéa prévoit qu'en fait, et pour des causes qui n'ont pas à nous arrêter, il y a eu lieu d'abord à la distribution du prix d'un ou plusieurs immeubles. Comme on ne sait pas ce que produira la vente du mobilier et quel sera le reliquat dû aux créanciers privilégiés sur tous les meubles, on doit nécessairement admettre ceux-ci à produire leurs titres et à se faire colloquer sur le prix des immeubles vendus, pour le montant intégral de leur créance. Mais cette collocation est " conditionnelle" ou provisoire: elle a seulement pour but de préserver les créanciers d'une perte, au cas où les prévisions sur la vente du mobilier ne seraient pas atteintes et aussi de ne pas retarder la collocation des autres créanciers ayant privilége ou hypothèque sur les immeubles.
Aussi les créanciers qui nous occupent ne touchentils pas le montant de leur collocation, puisqu'il peut arriver qu'ils n'aient besoin de rien toucher sur le prix des immeubles; c'est seulement après la vente du mobilier, que, si quelque chose leur reste dû, ils le recevront sur cette collocation immobilière, laquelle, en attendant, est consignée.
La loi devait prévoir le cas où les créanciers qui nous intéressent auraient négligé de se présenter en temps utile à la distribution du prix des meubles; dans ce cas, ils seraient déchus non de tout droit sur le prix des immeubles, mais des sommes qu'ils auraient pu toucher sur le prix des meubles; or, ces sommes sont faciles à connaître quand les meubles sont vendus, puisque ces créanciers eussent été les premiers à toucher.
Art. 1149. — 294. 11 fallait régler l'ordre de préférence entre les créanciers privilégiés eux-mêmes, pour le cas où les biens, meubles et immeubles, ne suffiraient pas à les désintéresser tous.
Si les cinq priviléges généraux se rencontrent dans la liquidation, ils seront colloqués dans l'ordre où la loi vient de les présenter; si quelques-uns ne se rencontrent pas, l ordre est le même entre ceux qui existent.
Comme chacun de ces priviléges peut être réclamé par plusieurs créanciers de même qualité, il n'y a pas de différence entre eux; ils sont colloqués au même rang, proportionnellement à ce qui leur est dCt.
Mais ils peuvent se trouver en concours avec des priviléges spéciaux sur les meubles: cela aura même lieu, nécessairement, chaque fois qu'il y aura un privilége spécial quelconque sur les meubles: la loi ne règle pas ici les rangs respectifs, puisque les priviléges spéciaux sur les meubles ne sont pas encore connus; elle renvoie, a cet égard, à la Section suivante (v. art. 1169).
295. A u contraire, la loi règle ici le concours de nos priviléges généraux sur les meubles et les immeubles avec des priviléges spéciaux sur les immeubles et avec des hypothèques, soit spéciales, soit générales, sur les immeubles j cependant ces causes de préférence n'ont pas encore été rencontrées non plus; le motif est que, si on ne réglait pas ici ce concours, il faudrait le régler partiellement dans les deux Chapitres suivants, ce qui serait défavorable à l'ensemble de la théorie.
La loi donne la priorité aux priviléges spéciaux et aux hypothèques spéciales sur les priviléges généraux, lors même que la constitution des sûretés spéciales est postérieure à la naissance des priviléges généraux (ce qu'il faut entendre aussi de leur publication); pourvu, a soin de dire la loi, " qu'il n'y ait pas fraude ” (fraus omnia corrumpit, " la fraude fait déroger à toutes les règles: la spécialité donnée à une sûreté, par la loi ou par la convention, en même temps qu'elle s'oppose à son accroissement, doit aussi la préserver de tout décroissement par un concours imprévu.
Au contraire, les priviléges généraux sur les meubles et les immeubles priment les hypothèques également générales sur les immeubles (art. 1210), lors même que celles-ci seraient nées les premières: la raison est que les priviléges généraux de nos articles 11.43 à 1147 sont ordinairement d'une importance minime, par rapport aux immeubles, et existent par des causes excessivement favorables; en outre, ils sont toujours plus ou moins prévus.
296. Il fallait prévoir enfin le cas de plusieurs immeubles grevés d'hypothèques générales, et déterminer comment chacun supporterait la priorité de nos priviléges généraux.
Le principe est que chaque immeuble supporte les priviléges généraux proportionnellement à son importance: il ne serait pas juste que le hasard qui fait vendre les uns avant les autres fît porter la charge entière sur les premiers vendus.
Il n'y aura qu'une différence de procédure entre la vente simultanée de tous les immeubles et les ventes successives. Au cas de vente simultanée de tous, la répartition et la collocation proportionnelle se feront immédiatement; au cas de ventes successives, les créanciers à priviléges généraux toucheront, sans recours, sur le premier immeuble vendu, l'intégralité de ce qui leur est dû; mais les créanciers hypothécaires qui ont subi cette priorité sur le premier immeuble pourront exercer un recours de ce chef, préalablement à toute autre collocation, sur le prix des autres immeubles, lorsque la vente en aura lieu: ils y auront intérêt chaque fois qu'ils n'auront pas respectivement le même rang d'hypothèque.
Art. 1150. — 297. On verra, à la Section II, que les priviléges spéciaux sur les immeubles sont soumis à la publicité résultant de la transcription ou de l'inscription. Nos priviléges généraux, bien que portant sur les immeubles, ne sont pas soumis à cette condition pour être opposables aux autres créanciers. Il y a de cela deux raisons: d'abord ils ne s'exercent que subsidiairement sur les immeubles; or, il serait fâcheux de soumettre ces créances à une formalité et à des frais qui peuvent, en fait, se trouver inutiles; ensuite, ces créances privilégiées sont de celles que les autres créanciers peuvent toujours prévoir, avec plus ou moins de certitude quant à leur existence, et de vraisemblance quant à leur montant.
Au surplus, cette dispense d'inscription des priviléges généraux n'a d'effet que pour l'exercice du droit de préférence: on verra ailleurs que l'exercice du droit de suite sur les immeubles ne serait possible, en vertu de ces priviléges, que s'il y avait eu inscription (v. art. 1196).
SOMMAIRE.
Art. 1151. — N° 298. Observations préliminaires sur le nombre, la qualification et l'objet de ces priviléges.
I. -Privilège du Bailleur d'immeubles.
1152. -299. Observations préliminaires sur ce privilége.-300. Cause légitime du privilége. -301. Objets soumis au privilége, dans le bail urbain.
1153. —302. Obligation pour le preneur de fournir le gage tacite. -303. Droit de revendication du bailleur sur les objets déplacés ou détournés.
1154. —304. Bail rural: objets soumis au privilége.
1155. 305. Obligation d'engranger sur les lieux: sanction.
1156. -306. Droit du bailleur sur les meubles du sous-locataire ou cessionnaire et sur le prix de sous-location ou de cession.
1157. 307. Etendue du privilége au cas de liquidation.
1158. -308. Droit des créanciers du preneur d'empêcher la résiliation.
II. -Privilège des Fournisseurs de semences et d'engrais.
1159. 309. Cause légitime de ce privilége: observation sur l'élevage des vers à soie.
III. —Privilége des Ouvriers agricoles et industriels.
1160. -310. Cause légitime et objet de ce privilége.
IV. -Privilège du Conservateur d'objets mobiliers.
1161. —311. Cause légitime et objet de ce privilége.
V. -Privilège du Vendeur d'effets mobiliers.
1162. —312. Cause légitime et objet de ce privilége; cas d'un échange avec soulte: distinction.
1163. -313. Absence de droit de suite contre les tiers, sauf au cas de fraude.
1164. —314. Cumul, limité dans son exercice, des droits de rétention, de privilége et de résolution. - 315. Abandon, par le Projet, de la revendication exceptionnelle accordée au vendeur par le Code français.
VI. -Privilège des Aubergistes et Hôteliers.
1165. - 316. Cause légitime et objets de ce privilége. -317.Créances qu'il garantit.
VII. -Privilège des Voituriers et Bateliers.
1166. —318. Cause légitime et objets de ce privilége; créances qu'il garantit. —319. Persistance du privilége après la remise des objets: ses conditions. -320. Respect du droit des tiers acquéreurs; transport du privilége sur le prix par eux dû.
VIII. —Privilége des Créanciers pour Faits de charge.
1167. —321. Gage tacite sur le cautionnement de certains officiers publics.
IX. -Privilège des Prêteurs de deniers du Cautionnement.
1108. -322. Cause légitime de ce privilége: renvoi pour ses conditions.
COMMENTAIRE.
Art. 1151. — N° 298. L'énumération ici donnée des priviléges spéciaux sur les meubles diffère un peu de celle que présente l'article 2102 du Code français: d'abord, on en exclut le privilége des créanciers nantis, déjà traité comme étant fondé sur la convention et non sur la loi et sur la cause de la créance; ensuite, on n'y mentionne pas le privilége du réparateur d'ustensiles agricoles, comme ne pouvant pas avoir au Japon où la culture du riz est la principale, l'application qu'il a en Europe; on le remplace par un privilége pour les fournitures d'engrais; enfin, par emprunt au Code de Commerce français (art. 549), on donne un privilége aux ouvriers industriels comme aux ouvriers agricoles.
Notons encore une simple différence de style ou de forme: au lieu d'énoncer les créances privilégiées, comme le fait l'article 2102 et comme on l'a fait également plus haut pour les priviléges généraux, ce sont les créanciers qui sont désignés: du moment qu'il est impossible d'avoir une formule semblable pour chaque créance (le Code français en a huit différentes pour diœ créances) (a), mieux vaut employer le nom légal de cbaque créancier qui dit autant, en une forme plus brève.
Chacun de ces priviléges va être repris en détail dans une rubrique spéciale, et l'on y verra, avec sa cause, les objets sur lesquels il porte, ainsi que l'annonce le présent §, différent en cela du § lor de la Section précédente qui ne s'occupait que des causes, non de l'objet des priviléges généraux; en effet, cet objet était, pour tous, l'ensemble des biens meubles et immeubles du débiteur. Ici chaque privilége a un objet spécial.
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(a) Le Code français (art. 2102) emploie tour à tour, pour les créances, les mots: "loyers et fermages, réparations, sommes dues, créances, frais, prix, fournitures, dépenses."
I. -PRIVILEGE DU BAILLEUR D'IMMEUBLES.
Art. 1152. — 299. Ce privilége occupe le premier rang dans le Projet japonais, comme dans le Code français, à cause de sa très fréquente application et de toutes les distinctions qu'il comporte.
Il ne faut ni s'étonner ni s'inquiéter de lui trouver ici beaucoup plus de développements qu'il n'en a dans son modèle: tout ce qu'il y a ici de plus que dans le Code français est la solution d'autant de difficultés que ce Code a laissées discutables.
Ce premier article et le suivant concernent le bail de bâtiments, les articles 1154 et 1155, le bail de biens ruraux, les articles 1156, 1157 et 1158 contiennent des dispositions communes aux deux sortes de baux.
Sur chacun de ces baux la loi nous indique: 1° quelle est la nature et l'étendue des créances du bailleur garanties par le privilége, 2° sur quels meubles il s'exerce, et cela nous conduira à comprendre la cause légale du privilége, la faveur que méritent ces créances privilégiées.
Comme c'est le contrat de bail, et non la personne du bailleur, qui motive le privilége, nous disons, de suite et d'une façon générale, que ce sont les seules créances nées du bail ou à son occasion qui sont privilégiées, et, comme objets sur lesquels porte le privilége, que ce sont ceux que le preneur a apportés sur le fonds loué ou qu'il en a tirés par l'exploitation.
300. C'est dans ces éléments du privilége que nous trouvons les moyens de le justifier.
D'abord l'idée de service rendu au débiteur, et par suite à ses créanciers, est manifeste: tout le monde n'a pas une maison à soi pour l'habiter ou pour y exercer une industrie ou une profession; le bailleur qui prête l'usage de ses bâtiments rend donc un service éminent, indispensable, à ceux qui ne sont pas propriétaires; le bailleur de fonds ruraux fournit à ceux qui n'ont pas de terres le moyen d'exploiter le sol, ce qui est, en même temps qu'un service personnel rendu au fermier, un avantage économique procuré à la société, par une aide à la production agricole ou au travail industriel.
Pour le bail rural, il est donc naturel que le bailleur ait privilége sur les fruits et produits tirés de son fonds: ces produits ne doivent devenir le gage commun des autres créanciers que quand le bailleur a été désintéressé.
Pour les deux sortes de baux et surtout pour le bail de bâtiments, le bailleur est autorisé par la loi à se considérer comme nanti, par une sorte de gage tacite, des objets mobiliers apportés dans les bâtiments pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur, et sur les terres pour leur exploitation.
301. Le 1er alinéa de notre article indique les objets du privilége pour le bailleur de bâtiments que, pour abréger, nous appellerons " bailleur urbain," par opposition au " bailleur rural."
Le 2e alinéa fait ici l'application du principe général que " la possession des meubles vaut titre parfait " (v. c. civ. fr., art. 1141, 2102-4°, 99 al., 2279; Proj. jap., art. 366 et 1481): s'il s'agissait d'un gage conventionnel et que la chose donnée en gage n'appartînt pas au débiteur, le créancier, s'il était de bonne foi, n'en aurait pas moins un droit de gage parfait; il en est de même dans le cas du gage tacite qui nous occupe.
Le texte a soin de nous dire que la bonne foi du bailleur doit exister, non au moment où les meubles ont été introduits dans les locaux loués, mais au moment où le bailleur a eu connaissance de cette introduction.
Pour que l'idée de gage tacite reste vraie, il faut que les objets apportés par le preneur soient apparents dans la maison, ou de nature à être prévus par le bailleur, comme étant de ceux que tout preneur a en quantité plus ou moins considérable. Par suite, la loi exclut de ce gage tacite " l'argent comptant, les bijoux et pierreries "; elle ajoute que l'exclusion ne s'applique qu'aux bijoux et pierreries " destinés à l'usage personnel du débiteur ou de sa famille," indiquant par là que si de pareils objets formaient la matière du commerce du preneur l'exclusion ne s'appliquerait plus.
Les titres de créance, "même au porteur, " sont exclus pareillement: le bailleur n'y a- pas plus compté que sur l'argent qu'ils représentent.
Il va sans dire que les manuscrits, plans, documents quelconques, se trouvant dans la maison, ne sont pas le gage du bailleur: ils ne sont pas là " pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur " (Ier al.); en tout cas, lors même qu'ils serviraient à son industrie, ce ne serait qu'indirectement: ils n'en seraient pas l'objet.
Au contraire, les objets d'art, bronzes, laques, porcelaines, tableaux, livres de bibliothèque, font partie du gage: on dit, en France, qu'ils " garnissent les lieux loués " (v. art. 2102-1°, 1er et 5e al.) et le Projet va employer la même expression.
Art. 1153. — 302. La loi ne se borne pas à autoriser le bailleur à se considérer comme tacitement nanti des objets "garnissant les lieux loués" elle l'autorise à exiger que cette garantie lui soit fournie, non pas, il est vrai, pour une valeur égale à tous les loyers à échoir, mais au moins pour le terme courant et pour un terme à échoir.
Au Japon, les termes sont généralement mensuels;en France, ils sont plus souvent trimestriels. Le Code français (art. 1752) impose bien au preneur la même obligation de garnir de meubles suffisants, mais il ne fixe aucun nombre de termes: en cas de contestation les tribunaux décideraient; mais ils ne pourraient, évidemment, exiger une garantie pour tout le temps à échoir: ce serait excessif, et, pour le terme courant seul, ce serait insuffisant, parce que, si le payement n'avait pas lieu exactement à l'échéance, le terme suivant serait commencé sans garantie. La solution du Projet serait très justifiable en jurisprudence française.
Si le preneur ne peut fournir la sûreté pour les deux termes, mais pour un seul, alors il doit payer le terme courant, par anticipation, et continuer de façon à être toujours en avance d'un terme: faute de quoi, il est exposé à la résiliation pour inexécution de ses obligations (aa).
303. Le 2e alinéa suppose que le preneur, après avoir garni suffisamment les lieux loués, déplace une partie des objets; il permet alors au bailleur de les faire réintégrer dans les lieux, mais sous deux conditions: 1° que sa garantie soit devenue insuffisante (or, cela pourrait ne pas être), 2° que quelque droit sur ces objets appartienne encore au preneur, et c'est dans la limite de ce droit que le bailleur exercera son droit de reprise; par conséquent, les aliénations seront maintenues, et si les objets, bien que restés la propriété du preneur, ont été par lui donnés en gage, soit conventionnel, soit tacite, en faveur d'un autre bailleur, de droit du nouveau créancier gagiste sera respecté.
Mais il fallait prévoir aussi le cas où le détournement du gage aurait été frauduleux à l'égard du bailleur et, dans ce cas, permettre la révocation contre les tiers, conformément au droit commun; or, comme cette révocation comporte des " conditions et distinctions " sur la nature gratuite ou onéreuse de l'aliénation et sur la bonne ou la mauvaise foi de l'acquéreur, le texte renvoie, à cet égard, aux articles 361 et suivants qui sont généraux.
Le Projet tranche ainsi, par l'application des principes généraux à notre cas particulier, une difficulté sérieuse que soulève l'article 2] 02-10, 5e al., du Code français, lequel permet au bailleur de " revendiquer," dans un délai de 15 ou 40 jours, suivant les cas, "les meubles déplacés sans son consentement." On peut hésiter sur le point de savoir si cette disposition est écrite en vue d'un simple " déplacement " du gage, transporté dans des lieux appartenant au preneur, ou si même elle s'applique à une aliénation, et dans ce cas, on est encore embarrassé sur le point de savoir s'il faut distinguer entre la bonne et la mauvaise foi du tiers acquéreur.
La dernière disposition finale fait une autre réserve, par renvoi à l'article 1138: soit que le bailleur puisse ou non faire révoquer l'aliénation, il n'est pas réduit à cette seule voie: si donc il préfère se faire attribuer le prix de l'aliénation dû par un tiers, il le peut, et ce sera souvent plus simple.
Ce renvoi à l'article 1138 n'est pas reproduit pour chaque privilége, mais il faut le suppléer chaque fois que le privilége ne peut plus s'exercer sur la chose en nature, sans avoir pourtant été perdu en lui-même.
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(aa) Jusqu'ici, au Japon, en l'absence de ce privilége du bailleur sur les meubles, l'usage a été que le preneur payât, en avance, le montant d'un mois applicable au dernier terme.
Art. 1154. — 304. Il s'agit ici du bail d'un fonds, soit ordinaire ou à ferme (v. art. 121 et s.), soit à long terme ou à emphytéose (v. art. 166 et s.). Dans ce cas, les objets sur lesquels porte le gage tacite du bailleur sont plus nombreux, sans qu'on puisse dire d'ailleurs que la garantie est plus considérable, parce que ces objets, surtout les premiers, ont ordinairement peu de valeur.
Ce sont: ] 0 les objets mobiliers placés dans les bâtiments d'habitation pour l'usage des personnes; 2° les animaux et ustensiles aratoires; 3° les objets servant à l'exploitation agricole, notamment à la transformation des produits du fonds, pour qu'ils puissent être mieux vendus; 4° les récoltes et autres fruits et produits naturels du fonds loué, tant qu'ils sont attachés au sol ou conservés sur le fonds.
Les dispositions qui précèdent s'appliqueraient au bail d'une forêt et d'un étang: quoique les instruments d'exploitation et les produits en soient différents de ceux des terres, l'analogie est suffisante pour que la loi n'ait pas cru nécessaire de l'exprimer (1).
A l'égard du bail à colonage ou à part de fruits, le droit du bailleur est plutôt un droit de copropriété qu'un droit du créance: il préservera le bailleur du concours avec les autres créanciers et il sera d'une réalisation plus facile, tant que les fruits ne seront pas sortis des mains du colon.
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(1) On a supprimé de cet article un alinéa concernant le louage des mines, lequel est défendu par la loi spéciale sur les Mines.
Art. 1155. — 305. Pour que le droit de gage du bailleur à ferme, à colonage ou à emphytéose, sur les récoltes et autres produits du fonds, ne soit pas facilement illusoire, le preneur ne peut engranger ou déposer ces fruits ou produits dans d'autres locaux que ceux loués, " s'il sont convenables ou appropriés à cet effet " (b).
Mais le défaut de locaux convenables ne doit pas exposer le bailleur à la perte de toute sûreté; le preneur a dû se rendre compte de l'impossibilité de conserver les produits sur les lieux, et s'il en résulte pour lui une entrave à la liberté de disposer, il ne peut s'en plaindre, étant présumé l'avoir acceptée d'avance: cette entrave est la nécessité d'obtenir 11 dans tous les cas," le consentement du bailleur au déplacement ou à la disposition, Il à moins qu'il ne satisfasse à ses obligations pour l'année courante." La loi considère comme une satisfaction la délégation que ferait le preneur au bailleur de la créance du prix des récoltes.
Le renvoi à l'article 1153, prononcé par le 3e alinéa, pour la revendication, ne présente aucune difficulté.
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(b) La présente disposition a rendu inutile celle de l'ancien article 148 qui a été supprimé dans cette édition.
Art. 1156. — 306. Le bail à ferme ou à emphytéose est susceptible de cession ou de sous-location, s'il n'y a eu interdiction de cette faculté; le bail à colonage ne peut être cédé ou sous-loué que s'il y a eu autorisation du bailleur à cet effet (v. art. 142); dans les deux cas, le droit de gage du bailleur originaire s'exerce sur les meubles garnissant les lieux loués, " lors même que le bailleur sait qu'ils appartiennent au cessionnaire ou au sous-locataire: " celui-ci ne peut se plaindre d'une situation qu'il a dû prévoir. D'ailleurs, il devra avoir soin de ne payer son prix de bail ou de cession qu'aux mains du bailleur originaire; de cette façon, la propriété de ses meubles ne sera pas compromise. Le bailleur a même le privilége sur les sommes dues à ce titre, non seulement parce que ce sont des fruits civils de sa chose, mais encore par application de l'article 1138 auquel notre article renvoie.
Art. 1157. — 307. La loi devait se prononcer sur un point que le Code français, malgré ses détails (v. art. 2102-1°, 1er et 2e al.), n'a pas complétement mis hors de controverse, à savoir: pour quelle période du bail, le bailleur pourra-t-il se faire colloquer dans la liquidation des biens du preneur ?
Sans distinguer, comme le Code français, si le bail a ou non date certaine, et en supposant qu'il n'y a aucune fraude pour le faire remonter dans le passé ou le prolonger dans l'avenir au-delà de la vérité, le Projet accorde le privilége au bailleur pour trois années: la dernière année écoulée, l'année courante et une année à échoir. Il faut supposer encore, bien entendu, 1° que le bail a une étendue suffisante dans le passé et dans l'avenir pour présenter ces trois périodes, 2° qu'il n'a pas été fait, pour ce qui est échu ou à échoir, de payement qui restreigne cette créance du bailleur.
Quand on rapproche cette disposition de celle de l'article 1153 qui ne permet au bailleur d'exiger la garantie du gage tacite que pour le terme courant et un terme à échoir, on a lieu de croire qu'il est inutile de lui accorder privilége pour trois années.
Mais les deux idées se concilient très bien. Si le preneur n'a garni de meubles les lieux loués que pour la période indiquée à l'article 1153, le bailleur n'aura pas manqué d'exiger le payement régulier à chaque période échue; si, au contraire, sa garantie est assez considérable, il aura pu avoir des ménagements pour un preneur embarrassé; mais alors, pour que les autres créanciers ne souffrent pas trop du privilége, la limite de notre article reçoit son application.
A ce moment de la liquidation générale, le bailleur pourra encore exercer ses autres créances résultant du bail; sans préjudice du droit de faire résilier le bail avec indemnité, s'il préfère rentrer dans la jouissance de sa chose.
Art. 1158. — 308. Comme le bail pourrait être avantageux au preneur et par suite à ses créanciers, ceux-ci ont la faculté de s'opposer à la résiliation et de souslouer ou céder le bail, mais à la condition de garantir au bailleur le payement de tout ce qui lui sera dû pour l'avenir.
Cette disposition s'applique non seulement lorsqu'il n'a rien été prévu quant à la faculté pour le preneur de céder ou sous-louer, mais même lorsqu'il y a eu prohibition à cet égard.
Il ne faudrait cependant pas l'étendre au bail à colonage ou à part de fruits, parce que ce contrat a un caractère de société et a été fait en considération de la capacité et de l'honnêteté du preneur; pour que les créanciers pussent sous-louer ou céder le bail dans ce cas, il faudrait que la faculté en eût été à l'origine accordée au preneur (v. art. 142, 4e al.)
II. -PRIVILEGE DES FOURNISSEURS DE SEMENCES ET ENGRAIS.
Art. 1159. — 309. Il est évident que ceux qui ont fourni à crédit les semences et les engrais n'ont pas moins contribué à la production de la récolte que celui qui a prêté le sol; il n'est donc pas moins juste de leur donner un privilége sur ladite récolte. On verra plus loin que ce privilége doit même passer avant celui du bailleur.
A cause de l'importance de l'élevage des vers à soie au Japon, la loi s'explique particulièrement sur la fourniture des graines de vers et des feuilles de mûrier qui leur servent de nourriture. Il arrive souvent que des gens très pauvres, sans avoir de mûriers, élèvent des vers à soie, en petite quantité, pour utiliser les bras des femmes, des vieillards et des enfants, et augmenter ainsi leurs moyens d'existence; il leur serait difficile de payer chaque jour le prix des feuilles achetées au dehors ou, encore plus, de payer en une seule fois la location d'un ou plusieurs mûriers; la loi les favorise en donnant un privilége sur la récolte de la soie à ceux qui leur fourniront à crédit la nourriture des vers.
S'il s'agit de l'élevage industriel et en grand, le privilége ne sera pas moins utile, parce que les frais de nourriture étant considérables, il peut être difficile aux éleveurs de tout payer avant la récolte.
III. -PRIVILEGE DES OUVRIERS AGRICOLES ET INDUSTRIELS.
Art. 1160. — 310. Il ne suffirait pas que certains créanciers fussent encouragés à prêter le sol, et d'autres les semences et engrais, si les ouvriers agricoles, non moins nécessaires, n'étaient assurés du payement de leur travail à la terre et à la récolte; la loi leur donne donc aussi, pour leur salaire de la même année, un privilége sur ceux des produits de l'année courante auxquels ils ont coopéré.
Il sera rare d'ailleurs qu'il leur soit dû une année entière, parce que leurs ressources ne leur permettent guère de faire un si long crédit à celui qui les emploie.
La loi a soin d'exclure du présent article " les serviteurs" dont le privilége général est déjà réglé par l'article 1146.
S'il s'agit, non plus d'ouvriers agricoles, mais d'ouvriers industriels, le privilége est réduit aux trois derniers mois de leur salaire de l'année courante: le motif de cette restriction est que, les produits des industries étant à peu près continus, ces ouvriers ne sont pas, comme les précédents, dans une sorte de nécessité de faire crédit pour un an.
Remarquons d'ailleurs qu'il ne s'agit ici que d'industries qu'on pourrait appeler civiles, c'est-à-dire non soumises aux règles du droit commercial: exploitation des bois et forêts, des mines, minières et carrières et des magnaneries. Pour les ouvriers des autres industries, c'est le Code de Commerce qui aura à se prononcer sur leur privilége (2).
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(2) Il ne l'a pas accordé: c'est une lacune qu'on peut regretter.
IV. -PRIVILEGE DU CONSERVATEUR D'OBJETS MOBILIERS.
Art. 1161. — 311. Ce privilége est manifestement fondé sur le service rendu au débiteur et à ses créanciers, puisqu'un objet est resté dans leur gage, grâce à des frais de réparation ou de conservation qui ont rendu l'an d'eux créancier.
La loi met sur la même ligne " la réparation et la conservation," parce que le premier service est souvent bien voisin du second et est le meilleur moyen d'empêcher la perte de la chose. Mais le privilége n'est pas accordé à ceux qui auraient seulement amélioré la chose: outre que l'amélioration n'îst pas aussi désirable que la conservation, il ne pourrait y avoir privilége de ce chef que sur la plus-value; or, cela nécessiterait des expertises plus ou moins coûteuses et hors de proportion avec l'intérêt engagé.
On trouvera, au contraire, un privilége spécial sur les immeubles pour améliorations (v. art. 1178 et 1179); mais, précisément, ces expertises seront organisées avec soin et l'intérêt engagé sera assez élevé pour comporter cette mesure.
On a vu à l'article 1096 que celui qui a fait des dépenses pour la conservation de la chose d'autrui peut exercer sur cette chose un droit de rétention. Le droit de rétention n'implique pas par lui-même le privilége sur la valeur de la chose; mais ici les deux droits se cumulent, et la loi a soin de nous dire qu'ils sont indépendants, en sorte que le créancier qui aurait négligé de retenir la chose n'aurait pas moins droit à l'exercice du privilége.
Le 1er alinéa est écrit surtout en vue d'objets corporels; le 2e alinéa suppose que les frais de conservation ont été appliqués à des droits du débiteur qu'il a fallu faire valoir en justice ou exercer par des actes extrajudiciaires.
Bien que le service soit rendu au débiteur et, par suite, à la masse de ses créanciers, le privilége n'est pas général comme celui des frais de justice réglé à l'article
1143: ce n'est pas, comme dans le cas de cet article, tout le patrimoine qui a été conservé, c'en est seulement une partie, un objet; il est donc naturel que le privilége reste spécial sur objet: déjà ledit article 1143; 2e alinéa, avait fait cette réserve.
V. —PRIVILE:GE DU VENDEUR D'OBJETS MOBILIERS.
Art. 1162. — 312. Le vendeur a mis un objet dans le patrimoine du débiteur sous la condition de recevoir un prix; si, lorsque ce prix ne lui a pas été payé, il était obligé de subir le concours avec tous les créanciers, ceuxci s'enrichiraient à ses dépens; ce privilége a donc pour fondement légitime, comme tous les autres, le service rendu à la masse; mais, de même que pour les autres priviléges spéciaux, le service se spécifie, s'incorpore, en quelque sorte, dans un objet déterminé; le privilége ne porte donc que sur cet objet.
Il n'importe pas que le vendeur ait ou non donné un terme pour le payement. Il est vrai que, quand il n'a pas donné de terme, il a, jusqu'à parfait payement, le droit de rétention de la chose vendue (art. 784); mais les deux droits sont indépendants l'un de l'autre comme nous le dit l'article suivant.
Le texte prévoit le cas où l'acte d'aliénation est un échange avec soulte, c'est-à-dire un " échange mêlé de vente," comme on dit en doctrine. Il était impossible d'admettre que, dans tous les cas et si faible que fût la soulte, l'aliénateur qui a déjà reçu une chose de l'acquéreur, en contre-échange, eût encore un privilége sur son ancienne chose, comme garantie de la soulte; il était impossible également de le lui refuser toujours et si considérable que fût la soulte: la loi applique ici un principe qui a déjà été rencontré plusieurs fois, le principe que " la plus forte part entraîne la plus faible" (major pars minorem ad se trahit) (v. art. 439 et 754): si la soulte est de plus de moitié, l'aliénateur aura pour cette soulte le privilége du vendeur.
Art. 1163. — 313. Le privilége du vendeur de meubles ne donne pas le droit de suite contre les tiers acquéreurs; la loi ne réserve même pas le cas où les tiers sauraient que le prix n'est pas encore payé: cette connaissance ne les constitue pas en état de possesseurs de mauvaise foi, car ils peuvent croire que le vendeur et l'acheteur ont pris des arrangements particuliers ou que l'acheteur est solvable; pour que le vendeur pût agir contre des tiers acquéreurs, il faudrait que la nouvelle aliénation eût été faite en fraude de ses droits et qu'il y eût lieu à l'application de l'article 361 (comp. art. 1153, 3e al.).
En cas de revente par l'acheteur, le vendeur aurait aussi le droit de saisir le prix de revente encore dû et de se le faire attribuer par privilége aux autres créanciers, par application de l'article 1138: le texte l'exprime, parce que le début de l'article aurait pu donner quelque doute à cet égard.
Si l'objet vendu, resté en la possession de l'acheteur, a été par lui immobilisé, soit par destination, soit par incorporation (v. art. 9 et 10, 610 et 611) le privilége subsiste, mais sous la condition que l'objet puisse être détaché sans détérioration du fonds.
La détérioration de l'objet même ne serait pas un obstacle à ce qu'il fût détaché; mais le vendeur n'aurait guère d'intérêt à demander la séparation, si elle devait diminuer notablement la valeur de l'objet, parce qu'elle diminuerait en même temps sa garantie.
Dans aucun cas, le vendeur ne pourra exercer le privilége si l'objet a été transformé d'une manière qui empêche d'en reconnaître l'identité avec certitude.
Art. 1164. — 314. On a déjà dit que le privilége du vendeur est indépendant de son droit de rétention et de son droit de résolution. Il faut pourtant prendre garde d'exagérer ce cumul: les trois droits coexistent assurément, mais l'exercice n'en peut être cumulé sans distinction.
Si le vendeur commence par retenir la chose vendue, parce que la vente est faite sans terme, il peut ensuite exercer le privilége, en faisant revendre la chose aux enchères, pour être payé sur le prix; mais, dans ce cas, le droit de résolution est évidemment perdu; s'il n'a pas exercé le droit de rétention immédiatement, ce droit est perdu, dans le système du Projet (on verra plus loin qu'il en est autrement dans le Code français); mais il reste au vendeur le choix entre l'exercice du privilége et celui de la résolution: s'il opte pour la revente avec privilége sur le prix, la résolution est encore perdue; s'il opte pour la résolution, le bien rentre dans sa propriété; il peut rester créancier de dommages-intérêts, mais il n'a pas de privilége: il ne peut en avoir sur sa propre chose, ni sur d'autres biens du débiteur à l'égard desquels il n'a rendu aucun service à celui-ci.
315. Nous avons dit que le Projet diffère du Code français au sujet du droit de rétention qui est perdu immédiatement par la livraison de l'objet vendu (comp. art. 1100, in fine). Le Code français, dans une disposition sur laquelle on a longtemps disputé (v. art. 2102-4°, 2° al.), mais qu'ajourd'hui on interprète uniformément, permet au vendeur " sans terme " qui a livré, espérant sans doute être payé comptant, de " revendiquer " la chose dans la huitaine, si elle est encore en la possession de l'acheteur et dans le même état. C'est cette revendication " sur laquelle on a été longtemps en désaccord; les uns y voyaient l'exercice d'un véritable droit de propriété, suivant une ancienne théorie romaine, conservée longtemps dans l'ancien droit, d'après laquelle la vente sans terme ne transférait la propriété que sous condition suspensive du payement: c'était reculer de plusieurs siècles et se mettre en contradiction avec deux articles formels du Code français (art. 1138 et 1583); d'autres voyaient dans cette revendication l'exercice du droit de résolution faute de payement: c'était, de la part de la loi, sans raison suffisante, restreindre doublement le droit de résolution, à savoir: limiter la résolution à la vente sans terme, et enfermer dans un délai infiniment trop court l'exercice d'un droit fondamental en matière de contrat synallagmatique, et cela, à l'occasion du contrat le plus fréquent, la vente de meubles; enfin, on a retrouvé l'origine de cette disposition dans l'ancienne coutume de Paris (art. 176) et l'on a reconnu que le Code français avait voulu reproduire cette ancienne jurisprudence, en permettant au vendeur de reprendre la possession de la chose, par une sorte de prolongation du droit de rétention que, rigoureusement, il aurait dû perdre pour avoir livré imprudemment; dès lors, on comprend qu'il ne s'agisse plus que de la vente sans terme, car le droit de rétention n'a pas lieu dans les ventes à terme, et il est naturel que le délai soit court, car c'est une sorte de délai de grâce légal.
Le Projet n'a pas cru devoir admettre cette dérogation au principe général de l'article 1100 précité: le vendeur a trois droits qui lui donnent une position extrêmement avantageuse, rétention, résolution, privilége; il doit observer les conditions de la conservation et de l'exercice de chacun.
VI. —PRIVILÉGE DE L'AUBERGISTE ET DE L'HÔTELIER.
Art. 1165. — 316. Ce privilége et les derniers qui suivent nous ramènent à une double cause justificative de préférence: le service rendu au débiteur et le gage tacite.
Si les aubergistes et hôteliers n'avaient pas de privilége, comme ils ne connaissent " pas les voyageurs, ils ne pourraient raisonnablement leur faire aucun crédit, et la première chose que devrait faire un voyageur, en entrant dans une hôtellerie, serait de donner de l'argent, ce qui ferait commencer par la défiance des rapports qui, pour être courts, n'en doivent pas moins être cordiaux et doivent être faciles.
Les lois les plus anciennes, depuis celles de Rome, ont toujours admis un privilége en faveur des hôteliers et aubergistes (caupones, stcibularii). Le Code français, suivi par le Projet, reconnaît le même privilége, lequel porte seulement sur les objets apportés par les voyageurs, et tant que ces objets sont encore dans l'auberge ou l'hôtellerie; il résulte de cette condition que l'hôtelier peut les retenir jusqu'à parfait payement.
317. Les créances garanties sont seulement celles qui résultent du logement et de la nourriture du voyageur, mais non celles qui seraient nées à l'occasion du séjour du voyageur, comme une avance d'argent pour des achats, des frais de médecin, des réparations de voitures, de caisses ou de vêtements: la loi doit encourager les hôteliers à rendre un service qui facilite les voyages et qui, comme tel, a des avantages généraux autant que particuliers, mais elle n'entend pas pousser l'hôtelier à une confiance exagérée et imprudente.
Cependant les frais de médecin et ceux de réparation de caisses et voitures pourrait être privilégiés en faveur de l'hôtelier, si, en les payant pour le voyageur, il avait pris soin de se faire donner une quittance subrogative aux priviléges dont jouissent le médecin et le réparateur d'objets mobiliers. Ceux-ci, en effet, pourraient prétendre aux priviléges qui sont accordés, par les dispositions précédentes, au médecin par l'article 1145 et au réparateur ou conservateur d'objets mobiliers par l'article 1161. Or, ces priviléges primeraient celui de l'hôtelier (v. art. 1169 et 1170); si donc l'hôtelier a désintéressé ceux qui le priment, en ayant soin de se faire subroger à leur privilége (car on ne se trouve pas dans un cas de subrogation légale), il cumulera ces priviléges avec le sien.
Comme les voyageurs sont souvent accompagnés de serviteurs et de chevaux, il est naturel que la nourriture et le logement de ces auxiliaires soient privilégiés également; et comme il serait possible que les animaux fussent des bœufs, ou même des mulets et des ânes, quoique ceux-ci soient très peu employés au Japon, la loi, pour ne pas commettre une omission que le principe limitatif des priviléges énoncé au n° 269 ne permettrait pas de suppléer, emploie l'éxpression de " bêtes de somme ou de trait. "
VII. -PRIVILEGE DES VOITURIERS ET DES BATELIERS.
Art. 1166. — 318. La cause légitime de ce privilége est la même que celle du privilége précédent, elle est double également: un service rendu, digne d'cncouragement dans l'intérêt général, et an gage tacite. L'origine du privilége est romaine, comme celle du précédent.
Le privilége porte sur les objets transportés par terre ou par eau, ce qui comprend les transports maritimes et ceux faits par fleuves, rivières ou canaux.
La loi a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer si les transporteurs sont commerçants ou non, ni si des voyageurs accompagnent ou non les bagages ou marchandises; mais la loi pose en principe que lesdits objets doivent se trouver encore dans les mains des transporteurs, sauf un tempérament à cette condition, énoncé plus loin; il en résulte que le droit de rétention accompagne le privilége.
Les créances garanties sont: celle du prix de transport des objets et des personnes, si celles-ci accompagnaient les objets (dans ce cas, il pourra y avoir aussi privilége pour la nourriture), les droits de douane et les frais accessoires légitimes, parmi lesquels il faut comprendre ceux d'emmagasinage, de réparation des caisses et de délivrance.
319. Comme il est souvent nécessaire aux voituriers et bateliers de décharger promptement leurs voitures, navires, bateaux ou barques, et qu'ils n'ont pas toujours dans les lieux de relais ou de relâche, des locaux convenables pour la garde de leur gage, il est juste que le privilége et la rétention ne soient pas perdus d'une façon absolue par la remise des objets au destinataire ou à son mandataire; mais il ne faudrait pas non plus que la reprise de la possession pût se faire après un long intervalle de temps: la loi donne au voiturier ou batelier un délai de 48 heures pour demander la restitution des objets par voie de sommation. Si la sommation est restée sans effet, le créancier doit former une demande en justice, à cet effet, " dans un bref délai." La loi laisse ainsi aux tribunaux le pouvoir d'apprécier si la demande a été faite aussitôt que possible, en égard aux circonstances de temps et de lieux.
320. Par cela même que les objets transportés ont pu sortir des mains du créancier privilégié, il est possible qu'ils aient été aliénés à des tiers: la loi déclare que ceux-ci ne seront pas inquiétés, s'il n'y a pas eu fraude (concertée ou non, suivant la distinction portée à l'article 361); dans tous les cas, le privilége porterait sur le prix de vente dû par eux, comme il est dit à l'article 1138 auquel la loi a encore soin de renvoyer, pour bien accentuer un système général qui est très discuté en France et généralement repoussé.
VIII. —PRIVILÉGE DES CRÉANCIERS POUR FAITS DE CHARGE.
Art. 1267. — 321. Certains fonctionnaires ayant des rapports pécuniaires avec les particuliers, tels que les notaires, les greffiers, les huissiers, sont ou seront soumis par des lois spéciales à l'obligation de verser un cautionnement en argent dans les caisses de l'Etat ou d'autres administrations publiques. Ce cautionnement est la garantie éventuelle des indemnités ou restitutions auxquelles lesdits fonctionnaires pourraient être condamnés envers les particuliers.
Ceux-ci sont donc des créanciers nantis d'une sorte de gage obligatoire; l'autorité publique est leur mandataire pour la gurde du gage.
Quoique la loi, dans la rubrique de ce privilége, ne mentionne que les "faits de charge," elle ajoute, au texte, " les fautes et abus commis dans l'exercice de leur fonction; " mais ce sont toujours des faits de charge. Les expressions d'ailleurs sont moins dures que celles du Code français qui parle " d'abus et prévarications; " on pourrait d'ailleurs reprocher au Code français de n'avoir pas parlé des faits réguliers, des obligations de charge, qui n'auraient pas le caractère d'abus; mais on n'a jamais contesté, croyons-nous, que les obligations normales, non délictueuses, de ces officiers publics, fussent garanties par leur cautionnement, et c'est même à la doctrine et à la jurisprudence française que le Projet emprunte l'expression consacrée de " faits de charge " qu'il est bon de consacrer aussi au Japon.
IX. —PRIVIJ.ÉGE DES PRETEURS DE DENIERS DU CAUTIONNEMENT.
Art. 1168. — 322. Ceux qui remplissent les conditions voulues pour les offices publics soumis au cautionnement n'ont pas toujours une fortune suffisante pour fournir le cautionnement nécessaire, et réciproquement, ceux qui ont les capitaux n'ont pas toujours les qualités requises pour ces fonctions; il est donc bon d'encourager les capitalistes, amis ou non des aspirants auxdits offices, à leur prêter les fonds nécessaires au cautionnement: le meilleur encouragement, c'est encore un privilége sur ledit cautionnement.
Naturellement, ce privilége ne peut s'exercer qu'après celui qui appartient aux créanciers qui ont souffert des faits de charge, aussi est-il qualifié de " privilége de second ordre," expression consacrée en France, comme celle de " faits de charge," et qu'on a soin d'insérer aussi dans la loi japonaise, parce qu'elle est simple et claire.
Pour que ce second privilége ne soit pas une source de méprises pour les autres créanciers, pour la masse, la loi exige que les prêteurs des deniers du cautionnement aient fait connaître leur droit, " conformément aux Règlements," soit au moment même du prêt, ce qui sera le plus sûr et le plus régulier, soit, au moins, avant qu'aucune opposition ou saisie ait été faite sur ledit cautionnement, par des créanciers autres que ceux prévus à l'article précédent.
On renvoie ici " aux Règlements," parce que ce n'est pas au Code civil à déterminer les règles de ces cautionnements, c'est-à-dire des fonctions qui y sont soumises, de leur montant (suivant la nature de la fonction et des localités où elles sont exercées), des caisses publiques où ces cautionnements seront versés, des intérêts qu'ils produiront au profit du fonctionnaire, etc.
SOMMAIRE.
Art. 1169. — N° 323. Préférence ordinaire des frais da justice; exception. —-324. Répartition proportion" nelle. -325. Prélèvement des quatre autres priviléges générau x.
1170. -326. Conflit entre les priviléges spéciaux: division de la matière. -327. Privilèges du conservateur de l'objet, du créancier nanti, du vendetll'. — 328. Distinction de la bonne ou mauvaise foi. -329. Priviléges sur les récoltes et autres produits du sol. -330. Priviléges sur le cautionnement.
COMMENTAIRE.
Art. 1169. — N° 323. Le concours ou conflit des priviléges spéciaux sur les meubles, soit avec des priviléges généraux, soit avec d'autres priviléges spéciaux, est une théorie difficile, non seulement si l'on cherche à la composer d'après les données incomplètes du Code français, mais encore lorsqu'on a à la créer librement, pour une législation nouvelle.
On s'est arrêté ici à un ensemble de règles qu'on croit équitables et qui, au surplus, sont à peu près celles qui dominent dans l'interprétation de la loi française.
Les frais légaux ou de justice sont naturellement placés au premier rang, comme étant utiles à la masse des créanciers, même de ceux qui ont eux-mêmes un privilége.
Cependant, il est reconnu que certains créanciers profitent moins que d'autres des frais de justice; au moins, ils ne profitent pas de tous ces frais. Ainsi les créanciers dont le privilége est fondé sur un gage exprès ou tacite, doivent bien être primés par les frais de vente du gage et de répartition du prix; mais ils ne profitent pas, comme n'en ayant pas besoin, des frais d'apposition de scellés sur les autres meubles, ni de ceux d'inventaire: il v a y donc, à cet égard, une distinction à apporter à la préférence donnée aux frais de justice; c'est l'objet du 1er alinéa. Dans ce cas, il faudra nécessairement séparer le prix de vente de ces meubles soumis à un droit de gage spécial, et on ne prélèvera sur ce prix que les frais de justice relatifs à la (vente comp. art. 1143, 2e al.).
324. Mais à l'égard des autres meubles, il ne faudrait pas que le hasard de l'ordre des ventes et, encore moins, un calcul des intéressés, fît porter tous les frais de justice sur un ou plusieurs meubles, au préjudice des créanciers ayant privilége spécial sur ces meubles et au profit des autres priviléges spéciaux; on devra donc, autant que possible, vendre tous les meubles simultanément ou, au moins, réserver la répartition du prix jusqu'à ce que toutes les sommes soient réalisées; de cette façon, le prélèvement des frais de justice sur la masse équivaudra à leur répartition proportionnelle sur la va leur de chaque meuble. Autrement, pour que les droits de chaque créancier privilégié fussent respectés, il faudrait séparer le prix de chaque meuble grevé de priviléges et en prélever d'abord une part proportionnelle des frais de justice, ce qui serait une complication de plus dans une matière qui en a déjà beaucoup.
325. Une fois les frais de justice prélevés, tous les autres priviléges généraux seront prélevés, à leur tour, sur la masse du prix de vente, ce qui en constituera encore une imputation proportionnelle; à moins qu'on ne préfère la faire séparément sur le prix de chaque meuble, ce qui serait plus long; dans tous les cas, on suivra entre eux l'ordre où ils sont énumérés dans l'article
1142; mais on aura dû préalablement vendre les autres meubles qui ne se trouvaient soumis à aucun privilége spécial, car ces autres meubles sont soumis aussi aux priviléges généraux et il est naturel qu'ils en supportent d'abord la charge: ce ne doit être qu'au cas de leur insuffisance que l'on reviendra aux meubles grevés de priviléges spéciaux.
Quant à la faveur donnée ici aux priviléges généraux sur les spéciaux, il faut la rattacher au principe même qui en a fait admettre, la généralité, à savoir l'importance des services rendus au débiteur et, par suite, à tous ses créanciers.
Art. 1170. — 326. La loi suppose maintenant qu'il n'y a pas eu de priviléges généraux, ou qu'ils ont été payés; il reste alors à régler le conflit des priviléges spéciaux entre eux. Ici, il n'est pas possible de faire, comme à l'article précédent, une énumération des priviléges d'après leur rang de priorité, car plusieurs distinctions sont à faire:
S'agit-il d'objets mobiliers ordinaires, en général, ou, spécialement, de récoltes, de produits extraits du sol, ou enfin du cautionnement des officiers publics ?
Certains créanciers ont-ils connu ou non l'existence du privilége qui pouvait les primer (ce qu'on pourrait appeler leur mauvaise foi ou leur bonne foi) ?
C'est sur ces diverses sortes d'objets, et sous cette distinction de bonne ou mauvaise foi, que la loi fixe les rangs séparément.
Les quatre premiers alinéas, après le préambule, sont relatifs aux objets mobiliers en général; les 58 et 68 alinéas, à la bonne et à la mauvaise foi respectives; les 78, 83 et 9°, aux trois objets spéciaux: récoltes, produits extraits du sol et cautionnement.
327. La loi met en première ligne (1er al.) le privilége de ceux qui ont conservé le meuble soumis à un ou plusieurs autres priviléges (v. art. 1161): il est clair que, sans les frais faits pour la conservation de l'objet, les autres créanciers (par exemple, un créancier gagiste, exprès ou tacite, ou le vendeur), n'auraient pu être satisfaits, il est donc juste qu'ils ne le soient qu'après le conservateur.
Comme il peut y avoir eu des actes successifs de conservation faits par des créanciers différents, ce sont les actes les plus récents qui donnent la préférence sur les plus anciens (28 al.); et cela, par le même raisonnement: à savoir que, si les derniers actes de conservation n'avaient pas eu lieu, la chose n'aurait pas subsisté pour satisfaire les créanciers antérieurs; c'est pour ce cas que les anciens légistes disaient: potior est qui novissimus causarn pignoris salvam fecit, celui-là est préférable qui, le dernier, a sauvé le gage."
La loi appelle au second rang le créancier nanti, expressément ou tacitement (38 al.), et au troisième rang le vendeur, comme ayant mis la chose dans le patrimoine du débiteur, sous condition d'un prix qui n'a pas été payé (48 al.).
328. Mais ici intervient une distinction annoncée: le gage, comme droit réel mobilier, ne peut être diminué par les frais de conservation antérieurs au gage, au préjudice du créancier nanti de bonne foi; par conséquent, ces frais ne primeront pas le créancier qui les a ignorés lors de la constitution du gage (5e al.).
En sens inverse, le créancier nanti est primé par le vendeur lui-même, lorsqu'il a su que le prix de vente lui était encore dû (6e al.).
329. S'il s'agit spécialement de récoltes, les ouvriers agricoles occupent le premier rang, comme conservateurs de la chose; le second rang est pour les fournisseurs de semences et engrais, comme ayant mis dans le patrimoine du débiteur la source première de l'objet du gage, et le troisième rang est pour le bailleur du fonds, comme créancier tacitement nanti (7e al.).
La loi ne mentionne pas ici le rang des fournisseurs de graines de vers à soie et des fournisseurs de feuilles de mûrier: il va sans dire que sur la récolte de la soie, le premier rang sera pour eux, avant les créanciers nantis, sauf la bonne foi de ceux-ci (a).
S'il s'agit de produits des mines, minières, carrières, bois et forêts, les ouvriers industriels ont le premier rang et le bailleur du fonds exploité a le second (se al.).
330. Enfin, sur le cautionnement des officiers publics, il n'y a que deux rangs: au premier, tous les créanciers pour faits de charge, " ensemble et proportionnellement à leurs créances respectives;" au second rang, le prêteur des deniers du cautionnement (9e al.).
Remarquons que, sur le cautionnement, il n'est pas question de frais de conservation; en effet, lors même que la caisse publique qui le détient et l'administre aurait quelque droit de ce chef, cela se trouverait compensé avec le profit qu'elle tire des fonds reçus en dépôt irrégulier (v. art. 909); il arrivera môme, sans doute, que la caisse publique payera elle-même un certain intérêt pour le cautionnement.
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(a) Les sommes dues pour les graines des vers à soie seront, en général, minimes; mais rigoureusement, elles ne seraient payées qu'après le prix des feuilles de mûrier, parce que les fournisseurs de la nourriture des vers ont contribué à sauver le gage des premiers. Bien entendu, les ouvriers passeraient avant les uns et les autres.
SOMMAIRE.
Art. 1171. — N° 331. Comment les cinq priviléges ici énoncés ne sont pas tout-à-fait les mêmes que les cinq priviléges de l'article 2103 du Code français. -331 bis. Pourquoi on se sépare ici du Code italien. -332. Aperçu de la cause légitime et de l'objet de ces cinq priviléges.
I. —Pril'ilége de l'Aliénateur.
1172. -333. Privilège du vendeur. -334. Privilège du coécbangiste. —335. Privilége du donateur. -336. Privilège des autres aliénateurs d'immeubles.
1173. —337. Evaluation des charges et de l'indemnité éventuelle d'éviction.
1174. -338. Limite de la durée du privilége de garantie.
II. —Privilége des Copartageants.
1175. -339. Retour à l'effet parement déclaratif du partage. -340. Il produit trois obligations ou créances; les deux premières, soulte, prix de licitation, ne se cumulent pas: l'une suppose un partage en nature, l'autre un partage par vente; objet du privilége de chacune. -341. Garantie d'éviction: sa cause. -342. Objets soumis au privilége; ses limites contre chacun des copartageants.
1176. -343. Eviction de meubles. -344. Insolvabilités. - 345. Ier cas. Créance de soulte ou de prix de licitation. -346. IIe cas. Créance faisant partie des biens indivis. -347. Différence quant au moment Oll se produit l'insolvabilité.
1177. -348. Durée de la garantie d'insolvabilité: distilJctions.
III. -Privilège des Architectes, Ingénieurs et Entrepreneurs de travaux.
1178. -34U. Ce privilége ne porte pas sur tout un immeuble, mais sur une plus-value produite par les travaux. -350. La loi n'est limitative ni quant aux travaux, ni quant aux personnes qui les ont faits.
1179. -351. Trois procès-verbaux nécessaires pour constater la plus-value soumise au privilége.
IV. - Privilège des Prêteurs de deniers.
1180. -352. Double différence entre le Projet et le Code français, au sujet des prêteurs.
V. - Privilége de la Séparation des patrimoines.
1181. -353. Double inconvénient de la confusion des patrimoines par l'effet du droit de suocession: deux correctifs. -354. Ier cas. Correctif pour l'héritier. -355. IIe cas. Correctif pour les créanciers et les légataires du défunt. -356. Comment la séparation des patrimoines est un privilége, et un privilége spécial sur les immeubles. —357. Pourquoi elle n'a pas figuré parmi les priviléges spéciaux sur les meubles. —358. Pourquoi le privilége de la séparation des patrimoines n'est pas accordé directement aux prêteurs de deniers, mais leur est seulement transmis par subrogation.
PISI'OSITION COMMUNE.
1182. -350. Pourquoi les priviléges spéciaux ne s'étendent pas aux augmentations et améliorations de l'immeuble. -360. Pourquoi il n'est pas fait mention ici du privilége des entrepreneurs, ni des prêteurs de deniers.
COMMENTAIRE.
Art. 1171. — N° 331. Si l'on compare l'énumération des priviléges spéciaux sur les immeubles, donnée par notre article, avec celle du Code français (v. art. 2103), on voit qu'il y en a le même nombre des deux côtés, cinq. Cependant, il n'y a pas similitude complète quant au fond: le privilége des prêteurs de deniers qui figure deux fois dans le Code français (ib, 2° et 5°) n'est compté qu'une fois dans le Projet japonais; il y reçoit pourtant une application plus étendue que dans son modèle, comme on le verra plus loin; c'est alors qu'on fera remarquer, en réfutant un reproche fait au Code français, que ce privilége ne fait pas toujours double emploi aveu la subrogation conventionnelle des prêteurs de deniers au privilége dont ils ont désintéressé le titulaire.
Le cinquième privilége présenté par notre article, la séparation des patrimoines, est également emprunté au Code français: s'il ne figure pas dans l'énumération de l'article 2103, il se trouve mentionné dans l'article 2111, au sujet de la publicité à donner aux priviléges.
Nous aurons à nous expliquer bientôt sur la nature de ce droit tout particulier, auquel on a contesté le nom et le caractère d'un privilége.
331 bis. Le Code italien auquel nous faisons volontiers des emprunts pour le Projet japonais, parce qu'il a également pris le Code français pour modèle, en l'améliorant quelquefois, ne nous a pas paru devoir être imité ici.
D'abord, il ne reconnaît pas de privilége au vendeur d'immeuble, ni aux copartageants: il leur accorde seulement une hypothèque légale; ensuite, il omet entièrement les architectes et entrepreneurs, auxquels il n'accorde ni privilége, ni hypothèque légale, sans doute parce que la constatation de la plus-value est difficile; mais ce ne sont jamais les difficultés à vaincre qui doivent arrêter le législateur dans la poursuite du juste et de l'utile.
Le Code italien admet pourtant trois priviléges spéciaux sur les immeubles (art. 1961 et 1962); mais les deux derniers, garantissant les impôts, appartiennent au droit administratif et, comme tels, sont renvoyés par le Projet japonais aux lois fiscales et administratives (v. art. 11.t 1); le premier nous paraît devoir être écarté pour un autre motif.
Il s'agit d'un privilége pour les frais de poursuite en expropriation et de procédure d'ordre et de collocation; " ce privilége porte sur les immeubles expropriés et prime toute autre créance " (art. 1961). Mais, avant de porter sur l'immeuble exproprié, le privilége, dans la loi italienne comme dans les autres, doit porter sur le prix d'adjudication qui est mobilier; or, il est bien difficile de supposer que l'adjudicataire qui doit donner, d'après le Code de Procédure, des garanties de sa solvabilité, ne paye pas au moins les frais d'expropriation et d'adjudication qui sont à sa charge (comp. c. civ. it., art. 2049; c. civ. fr., art. 2138 et proj. jap., art. 1259, 6' al.); c'est le seul cas où l'immeuble se trouverait grevé, dans ses mains, du privilége desdits frais.
Quant aux frais d'ordre et de contribution, ils ne peuvent porter que sur les sommes allouées aux créanciers colloqués, et on peut s'étonner que le Code italien les déclare privilégiés sur l'immeuble exproprié, car cette créance est née lorsque l'immeuble était déjà sorti des mains du débiteur.
Le Projet s'en tient, donc au privilége général des frais de justice tel qu'il est déterminé à l'article 1143, avec les distinctions d'après lesquelles il est opposable tantôt à tous les créanciers et tantôt à quelques-uns seulement.
532. Le présent article nous indique déjà la nature de chaque créance privilégiée et l'objet, l'immeuble, sur lequel porte le privilége; ensuite, chaque privilége sera repris, sous un n° distinct, pour les détails d'application.
Mais auparavant, nous devons dire un mot de la cause légitime ou justificative de chacun. C'est au surplus, celle que nous avons déjà reconnue pour plusieurs des priviléges spéciaux sur les meubles: à savoir, la mise d'une valeur par le créancier dans le patrimoine du débiteur, sous la condition d'une contre-valeur à recevoir, laquelle n'a pas été reçue, en sorte qu'il serait injuste que les autres créanciers pussent se faire payer sur cette valeur, concurremment avec celui qui l'a fournie.
Pour le privilége du vendeur d'immeuble, du coéchangiste ou même du donateur avec charges, cette cause est évidente.
Pour le copartageant, on pourrait être un instant arrêté par l'objection que le partage n'est pas translatif mais seulement déclaratif de propriété; c'est en traitant spécialement de ce privilége que nous verrons que l'objection est plus spécieuse que fondée.
Pour le privilége des architectes, ingénieurs et entrepreneurs, s'ils n'ont pas mis dans le patrimoine du débiteur un objet entièrement nouveau, ils ont toujours créé une valeur nouvelle, ils ont donné une plus-value à ce qui était déjà dans le patrimoine du débiteur; la cause de la préférence est donc toujours la même.
Pour le privilége des prêteurs de deniers, la cause est la même que pour les trois premiers créanciers dont ils ont pris la place.
Reste le privilége des créanciers et légataires qui demandent la séparation des patrimoines. Ici la similitude de la cause n'est pas aussi frappante: les séparatistes n'ont pas mis une valeur dans le patrimoine du débiteur, mais ils avaient sur les biens de la succession un droit de gage que l'héritier ne doit pas amoindrir en confondant ses biens et ses dettes avec les biens et les dettes du défunt.
Quant à l'objet sur lequel porte chaque privilége, c'est naturellement, dans les deux premiers cas, la chose mise dans le patrimoine, par aliénation ou par partage; dans le troisième cas, c'est la plus-value seule, séparée de la chose considérée dans son état primitif; dans le cas des prêteurs de deniers, ce sont, comme dit le texte " les mêmes immeubles" que pour les créanciers par eux désintéresses enfin, pour les créanciers et légataires demandant la séparation des patrimoines, ce sont les immeubles de la succession, formant leur gage antérieurement au décès de leur débiteur.
I. —PRIVILÉG¡'; DE L'ALIÉNATEUR.
Art. 1172. — 333. Le premier aliénateur d'immeuble qui ait un privilége est naturellement le vendeur.
La loi ne. répète pas que le privilége porte sur l'immeuble aliéné: cela se trouve déjà dit dans l'article précédent.
La créance privilégiée est celle du prix de vente. Le prix peut consister en un capital, lequel peut être payable en une seule fois ou par parties, avec les intérêts de ce qui reste dû, ou en un certain nombre d'annuités, comprenant en même temps les intérêts composés ou capitalisés. Le prix peut aussi consister en une rente perpétuelle ou en une rente viagère (v. art. 670, 5e al.): le privilége garantit alors les arrérages, et éventuellement le capital; dans le cas où le défaut de payement des arrérages autorise le créancier à s'en faire rembourser (v. art. 823, 888 et 889).
Indépendamment du prix proprement dit, certaines charges peuvent avoir été imposées à l'acheteur: elles sont privilégiées également, sous la condition d'être évaluées et fixées en argent, comme l'exige l'article suivant.
334. Le second aliénateur privilégié est le coéchangiste.
En principe, le coéchangiste, en même temps qu'il aliène, acquiert la propriété d'un autre bien reçu en contreéchange; il n'est donc pas nécessairement créancier. Peut-être est-ce pour ce motif que le Code français ne le mentionne pas. Mais si l'immeuble qu'il aliène est supérieur en valeur à celui qu'il reçoit, il stipule et il lui est dû une soulte en argent qui a beaucoup d'analogie avec un prix de vente et pour laquelle il n'est pas moins juste qu'il ait privilége. Il n'y a même pas à distinguer ici (comme il a été prescrit par l'article, 1162, 2e alinéa, pour les échanges de meubles), si la soulte excède ou non la moitié de la valeur de l'immeuble aliéné: la soulte ici a toujours le caractère de prix de vente. Il ne faut pas d'ailleurs s'arrêter à l'objection que la soulte pourrait être très faible: la même objection pourrait tout aussi bien être faite au cas où, le prix de vente ayant été payé comptant presque en entier, il n'en resterait dû qu'une faible partie; sans doute, dans ces cas, le privilége resterait purement nominal et le créancier ne prendrait pas la peine de remplir les formalités requises pour le publier et le faire valoir; mais le droit existe.
Une autre créance qui peut naître de l'échange, qu'il y ait eu soulte ou non, c'est celle de garantie d'éviction (v. art. 755). Cette créance ne serait certainement pasprivilégiée, d'après le Code français, sur l'immeuble aliéné; mais c'est une innovatiou nécessaire: il n'est pas juste que l'immeuble donné en échange devienne le gage des autres créanciers de l'acquéreur, quand il y a éviction de l'immeuble ou du droit que celui-ci a prétendu fournir en contre-échange.
335. Le troisième aliénateur est le donateur: ici, il n'y a pas de contre-valeur proprement dite due au donateur; mais s'il a imposé des charges au donataire, soit en sa propre faveur, soit en faveur d'un tiers, il a une créance pour l'exécution desdites charges et il est juste qu'elle soit privilégiée. Dans le cas où les charges de la donation doivent profiter à un tiers, pour que le donateur n'ait pas seulement le droit de résolution, mais une créance privilégiée, il aura dû stipuler une clause pénale à son profit (v. art. 344, 3e et 4° al.); mais si le tiers est intervenu à l'acte ou a déclaré plus tard vouloir en profiter (v. art. 346), c'est lui qui aura la créance privilégiée; voilà pourquoi la loi nomme " le donateur ou son ayant-cause."
336. La loi termine en. généralisant ce privilége au profit de tout aliénateur d'immeuble, pour la créance certaine ou éventuelle qui pourrait résulter pour lui de l'aliénation. Comme applications, on aura les apports d'immeubles en société, les transactions et les contrats innommés, par lesquels un aliénateur d'immeuble aurait acquis ou plutôt aurait dû acquérir un autre immeuble en contre-valeur.
On remarquera seulement, en ce qui concerne les apports sociaux, que le privilége dont ils seront grevés ne sera pas opposable aux créanciers sociaux, parce que l'associé est leur débiteur ou leur garant, mais seulement aux créanciers 'personnels des associés, après la liquidation.
Art. 1173. — 337. Comme il est de l'essence du privilége d'être opposable aux tiers, c'est-à-dire aux autres créanciers et aux tiers acquéreurs du bien grevé, il faut que le montant de la créance privilégiée soit toujours fixé en argent. Pour le prix de vente et la soulte d'échange, cette condition est nécessairement remplie; pour les charges et l'indemnité éventuelle de la garantie d'éviction, soit dans l'échange, soit dans toute autre acquisition à titre onéreux (société, transaction), la loi veut que l'évaluation en soit faite en argent; elle peut être faite dans le même acte ou dans un acte séparé et postérieur.
Comme le privilége doit, en outre, être publié, dans l'intérêt des tiers (v. art. 1174), la publicité fera connaître, en même temps que l'existence du privilége, le montant de la créance éventuelle.
Art. 1174. — 338. L'action en garantie d'éviction ne naît qu'avec et par l'éviction, aussi est-elle jusque-là à l'abri de la prescription (v. c. fr., art. 2257; proj. jap., art. 1463); mais il ne serait pas bon que les tiers fussent indéfiniment exposés à l'exercice éventuel d'un privilége, même à eux révélé par la transcription, comme il sera exposé plus loin. C'est pourquoi la loi n'accorde le privilége que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange ou de l'acte onéreux d'acquisition de l'immeuble sujet à éviction, et ici c'est la date du contrat même qui est le point de départ du délai et non la date de la transcription.
D'ailleurs, comme l'acquéreur qui a des doutes sur la réalité de ses droits peut toujours les éclaircir, et comme il n'est pas tenu d'attendre la revendication du véritable propriétaire pour agir en garantie contre son cédant (v. art. 693), il est bien suffisant qu'il ait dix ans pour s'assurer de la stabilité de son droit. Si même l'éviction est subie effectivement plus ou moins longtemps avant l'expiration des dix ans, et si le jugement intervenu à cet égard est devenu irrévocable, l'acquéreur doit former sa demande en garantie dans l'année du jugement et la publier dans le même délai.
Si le bien acquis en contre-valeur est un meuble, le privilége n'existe que si l'éviction a eu lieu dans l'année du contrat et si la demande est faite et publiée dans le mois du jugement.
Remarquons, à ce sujet, que si l'acquéreur croit pouvoir agir en garantie sans être judiciairement évincé, il a bien tout le délai de dix ans pour un immeuble, ou d'un an pour un meuble, mais sans l'année ou le mois supplémentaire, puisqu'il n'y a pas eu de jugement; si, au contraire, il y a eu éviction judiciaire, il a bien ledit délai d'un an ou d'un mois, depuis le jugement, mais il se pourrait qu'on fût encore bien loin de l'expiration du délai de dix ans ou d'un an et il ne pourrait s'en prévaloir pour retarder sa demande en garantie.
Dans les deux cas, la publicité de la demande se fait, soit directement, soit par une mention en marge de la transcription de l'acte.
Cette double condition d'une demande et d'une publication dans un délai limité est un tempérament nécessaire de l'extension donnée dans le Projet au privilége de l'aliénateur d'immeuble, pour la garantie d'éviction par lui éprouvée au sujet du bien, meuble ou immeuble, qu'il avait compté acquérir en contre-valeur. Faute par lui de s'être conformé à l'une ou à l'autre de ces conditions, il a bien encore une créance de garantie d'éviction, mais elle n'est plus privilégiée.
II. -PKIVILEGE DES COPARTAGEANTS.
Art. 1175. — 339. On a déjà eu l'occasion, sous les articles 15 et 804 (v. T. Ier, n° 25 et T. III, n° 487), de déterminer le caractère du partage dans le droit moderne et tel qu'il est admis dans le Projet japonais. Il n'est plus, comme à Rome et dans la première période de l'ancien droit français, une sorte d'échange, un acte translatif ou attributif de propriété, par lequel chaque copropriétaire abandonnait à l'autre son droit dans un ou plusieurs des biens indivis, pour acquérir un droit exclusif et sans concours sur un ou plusieurs des autres biens: il est déclaratif de propriété, c'est-à-dire qu'il détermine, pour chacun des copropriétaires, l'objet ou les objets distincts de son droit, lesquels sont considérés comme ayant été incertains pendant l'indivision. Ce résultat n'étant pas dû à la nature des choses, mais à des raisons d'utilité, déduites sous les articles précités, est, dans l'usage, rattaché à une fiction légale: le Code français dit lui-même que " chaque héritier est censé avoir succédé seul aux objets à lui échus par le partage" (art. 883); mais comme la loi n'a pas besoin de fiction pour édicter ce qu'elle croit utile et juste, le Projet japonais n'y a pas eu recours (v. art. 804); c'est par l'idée d'une condition résolutoire qu'il arrive au résultat désiré: les droits de copropriété sont " résolus " par le partage, et la propriété de chacun, désormais exclusive, lui vient, rétroactivement, d'une cause antérieure, de celle qui a créé l'indivision. Ainsi, quand a lieu le partage d'une succession ou d'une société, ce que chaque héritier reçoit dans son lot ne lui est pas acquis par le partage, mais par l'ouverture de la succession qui est un moyen d'acquérir, ou par la dissolution de la société qui appelle chaque associé à recueillir une part des biens encore indivis de la société.
340. Mais si le partage n'est pas attributif de propriété, il n'en est pas moins, comme acte contractuel ou volontaire, productif d'obligations et de créances respectives entre les copartageants, et ce sont ces créances qui sont garanties par le privilége qui va nous occuper.
Notre article nous indique trois créances qui naissent du partage et pour chacune l'objet du privilége varie (a'.
Du reste, ces créances ne peuvent pas se cumuler toutes les trois: la première et la seconde s'excluent, mais chacune peut se cumuler avec la troisième, comme on va le reconnaître bientôt.
Il faut remarquer d'abord que le partage peut se faire de deux manières: ou en nature ou par licitation.
1° Il se fait en nature, lorsqu'il est possible de faire des lots, égaux ou inégaux, soit de différents biens de la masse, plus ou moins semblables, soit de diverses parties, d'un même bien. Les lots inégaux sont complétés par une créance de " soulte ou retour de lot," au profit de celui qui recevra le lot trop faible, contre celui qui recevra le lot trop fort. L'assignation des lots se fait par la voie du sort, à moins qu'on ne s'accorde pour en faire des assignations conventionnelles.
2° Il se fait par licitation ou vente aux enchères, lorsqu'il est impossible de faire convenablement un partage en nature ou par lots (v. art. 751 et 752).
Dans ce cas, 'si le bien est adjugé à un étranger, la licitation produit les effets d'une vente ordinaire: les copropriétaires en partagent le prix ou la créance du prix, et s'il y a privilége, à défaut de payement, ils l'exercent tous sur le bien licité, comme vendeurs. Mais si le bien est adjugé à l'un d'eux il se fait confusion de sa part dans le prix avec une partie de sa dette et il est débiteur du reste du prix envers chacun de ses copropriétaires, pour sa part, à moins que, dans le partage, il n'ait été convenu que le prix de licitation (moins la part de l'adjudicataire) serait par lui payé à un seul des copartageants dont cette créance formerait le lot.
Voilà donc les deux premières créances qui peuvent naître du partage, disjonctivement ou l'une excluant l'autre: la créance de soulte ou celle du prix de licitation. La première est privilégiée sur l'immeuble ou. sur les immeubles échus aux copartageants chargés desdites soultes; la seconde est privilégiée sur l'immeuble licité.
341. La troisième créance, dont nous n'avons pas encore parlé, est celle de garantie d'éviction: le partage, en effet, oblige les copartageants à la garantie mutuelle de l'éviction (art. v. 805).
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit sous l'article 805 (T. III, n° 490) qu'il ne peut s'agir ici d'une éviction résultant de droits conférés à des tiers par les copartageants pendant l'indivision, puisque ces droits sont résolus par l'effet du partage, et que, précisément c'est en grande partie, pour prévenir cette éviction, que le partage fi. été rendu déclaratif et rétroactif: l'éviction dont il s'agit résulterait de droits réels appartenant à des tiers avant que l'indivision ait commencé; d'où il apparaîtrait que les copartageants avaient eu le tort de comprendre dans le partage des biens qui ne leur appartenaient pas. Cependant, la cause de l'obligation de garantie est moins dans ce tort réciproque que dans l'enrichissement indû de ceux qui ont reçu par le partage des biens qu'ils conservent, au préjudice de celui qui en a reçu un qu'il ne peut garder.
L'éviction peut atteindre aussi bien celui qui a reçu un lot en nature, par la voie du sort ou par une attribution conventionnelle, que celui qui a acquis par licitation un immeuble indivis; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que ce privilége peut se rencontrer avec l'un ou l'autre des précédents; mais cela ne veut pas dire qu'ils pourront être exercés cumulativement; loin de là: ils appartiennent chacun à une partie contre l'autre; ainsi, le copartageant, créancier ferme ou par et simple de la soulte ou du prix de licitation, est débiteur éventuel de la garantie d'éviction; seulement, les deux priviléges coexistent pour valoir chacun suivant l'événement.
342. Le privilége de l'évincé porte sur " tous les immeubles échus ou assignés aux autres copartageants," parce que ceux-ci sont tous débiteurs et parce que tous ces immeubles sont l'objet de leur enrichissement indu.
Mais ces immeubles ne sont affectés du privilége, dans les mains de chacun, que pour sa part clans la dette.
On pourrait croire cependant que la poursuite aurait lieu d'être faite pour le tout contre chacun, sous prétexte de deux indivisibilités: celle de la garantie et celle du privilége. Mais il ne faut pas se méprendre sur la véritable situation où l'on se trouve. Aucune des deux indivisibilités n'est un obstacle à la décision du texte.
D'abord l'indivisibilité de la garantie ne s'applique qu'à l'un de ses deux objets (v. art. 415, 2e al.), à savoir à la défense, à la protection de l'acquéreur contre les dangers et les menaces d'éviction (nemn pro parte dp/endi pot-est, "personne ne peut être défendu pour partie"); or, ici, il ne s'agit plus de protéger le copartageant contre l'éviction imminente, mais de l'indemniser de l'éviction consommée, ce qui peut se faire par parties.
Quant à l'indivisibilité du privilége, on va voir qu'elle est respectée, ici comme ailleurs. Mais il faut remarquer d'abord qu'elle ne s'applique qu'à un privilége déjà né. Il est certain que celui qui a un privilége pour une créance d'un chiffre déterminé, l'exerce en entier contre chaque débiteur et sur chaque partie de l'immeuble grevé (v. art. 1137). Ici le principe sera respecté, en ce sens que la créance du copartageant évincé, une fois née dans les limites que la loi lui assigne, jouira de l'indivisibilité ordinaire du privilége.
Mais, dans quelle mesure, pour quelle somme naîtra la créance de l'évincé contre ses garants ? Nous avons vu que c'est une créance d'indemnité, de nature divisible, elle naîtra donc divisée entre chaque copartageant, pour sa part dans la copropriété primitive.
Notons aussi que dans le calcul des parts, l'évincé lui-même figure pour une part, égale ou inégale, suivant les cas: pour cette part, il se fait confusion en sa personne, car il ne peut se devoir à lui-même. Et il est juste qu'il figure dans le calcul des parts de garantie, car s'il y a eu faute à considérer comme bien commun ce qui ne l'était pas, il a participé à la faute; en tout cas, il a profité de l'erreur commune, puisque sa part a été grossie, comme celle des autres, par le fait qu'on a compris dans la masse à partager un bien qui ne devait pas y figurer.
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(a) Le Code français n'est pas à l'abri du reproche de négligence à ce sujet dans l'article 2103 où il énumère les priviléges sur les immeubles, il n'indique que deux créances privilégiées comme naissant du partage: " la garantie d'éviction et les soultes ou retours de lots dans l'article 2109. où il indique la manière de conserver le privilége, il énonce bien encore " les soultes ou retours de lots," mais il ne parle plus de la garantie d'éviction et il parle, pour la première fois, du " prix de licitation." Quant aux immeubles grevés de priviléges, ce sont bien tous les immeubles partagés, pour le privilége des soultes et de la garantie d'éviction (art. 2103 et 2109); mais, pour le prix de licitation; il semble que ce ne soit que " le bien licité," d'après l'article 2109; mais la doctrine et la jurisprudence admettent que le prix de licitation peut être privilégié, subsidiairement, sur tous les immeubles partagés, par voie de garantie, au cas d'insuffisance ou de perte du bien licité. Le Projet se prononce formellement en ce sens (art. 1176-1°).
Art. 1176. — 343. Pas plus ici que dans l'échange, il n'est nécessaire que l'éviction ait été soufferte dans un objet immobilier reçu en partage: la cause du privilége est que le partage a fait entrer un immeuble dans le lot d'un ou plusieurs des copartageants, sous la condition qu'un autre d'entre eux recevrait pour sa part une valeur mobilière ou immobilière déterminée; cet immeuble leur reste, les enrichit, pendant qu'un autre copartageant ne peut conserver légalement le lot qu'il a reçu; il est donc juste que celui-ci soit indemnisé, sur les immeubles des autres, quelle que soit la nature de son propre lot.
344. Pour la même raison, il y a lieu à la garantie d'éviction, sur les immeubles de tous les copartageants, lorsque l'un d'entre eux avait dans son lot une créance à exercer et a souffert de l'insolvabilité du débiteur.
Deux cas sont distingués par la loi:
Ou la créance est née du partage, à savoir une créance de soulte ou de prix de licitation, et dans ce cas, le débiteur est nécessairement un copartageant;
Ou elle existait auparavant, dans les biens indivis de la succession ou de la société en liquidation: dans ce cas, le débiteur sera le plus souvent un étranger, mais ce pourrait être aussi un copartageant.
Reprenons-les séparément.
345. Ier Oa,'{. Un des copartageants doit à un autre une soulte ou un prix de licitation; s'il n'y avait, en tout, que ces deux copartageants, le créancier et le débiteur, il ne serait pas question de garantie d'insolvabilité: la créance serait directement et uniquement privilégiée sur l'immeuble grevé de la soulte ou du prix de licitation, en vertu de l'article précédent (1" et 2°). Mais s'il y a trois copartageants ou davantage et que le débiteur ne puisse s'acquitter, même par l'effet du privilége dont son immeuble est grevé (sans doute, parce qu'il a péri ou subi une forte dépréciation), alors le troisième copartageant et les autres, s'il y en a, sont garants, pour leur part, de cette sorte d'éviction résultant de l'insolvabilité.
346. IIe Cas. On a mis dans un des lots une créance faisant partie des biens jusque-là indivis. Supposons d'abord que le débiteur était un tiers. Le débiteur ne paye pas à l'échéance, de sorte que le copartageant qui a cette créance dans son lot est aussi maltraité, par l'événement, que s'il était 'évincé d'une créance qui n'aurait pas fait partie de l'indivision ou qui n'aurait pas existé, et, pendant ce temps-là, d'autres copartageants conservent un ou plusieurs immeubles qu'ils ont reçus de la masse; il n'est évidemment pas moins juste qu'il soit garanti contre cette perte résultant de l'insolvabilité que contre celle qui résulterait d'une éviction ordinaire.
Mais ici la loi met à la garantie une condition qu'elle n'y a pas mise au cas précédent, c'est que le débiteur fût déjà insolvable au moment du partage; la raison en est que, là seulement, il y a une faute commune d'avoir ignoré l'insolvabilité déjà existante, et aussi qu'il y a eu enrichissement indû des uns au préjudice d'un autre, par le fait et au moment du partage.
La solution serait la même, et par le même motif, si le débiteur de la succession ou de la société était luimême un des copartageants.
347. Au contraire, lorsqu'il s'agit de l'insolvabilité du copartageant débiteur d'une soulte ou d'un prix de licitation, la garantie en est due par les autres copartageants, lors même que ladite insolvabilité est survenue depuis le partage. D'abord, il serait difficile de supposer que l'insolvabilité existât déjà au moment du partage: autrement, les autres copartageants ne l'eussent pas ignorée et ils n'eussent pas passé outre, en chargeant un insolvable d'une soulte ou d'un prix de licitation envers l'un d'eux, et pour l'insolvabilité postérieure au partage, il est juste qu'elle soit garantie par tous, parce qu'ils ne doivent pas se désintéresser du sort d'une créance que le partage a fait naître par leur accord mutuel: la loi peut donc les considérer comme ayant tacitement cautionné la dette, et elle la leur impose éventuellement.
C'est, en somme, pour cette différence, quant au moment auquel peut se produire l'insolvabilité sujette à garantie, que notre article a distingué les deux cas.
Art. 1177. — 348. Il est naturel que l'exercice du privilége de garantie d'éviction dans le partage soit soumis aux mêmes conditions de durée et de forme que dans l'échange, avec la même distinction entre les meubles et les immeubles. De là, le renvoi à l'article 1174.
Mais il fallait régler spécialement la durée de la garantie d'insolvabilité dont l'article 1174 n'avait pas eu à parler au sujet de l'échange. En effet, il peut bien y avoir dans l'échange une créance de soulte, mais elle ne donne lieu qu'à un privilége direct contre le débiteur: il n'y a pas de garantie de son insolvabilité, comme on vient d'en voir une à la charge des copartageants.
La loi ne distingue pas, pour la durée de la garantie d'insolvabilité, s'il s'agit de la créance de soulte ou du prix de licitation dû par un des copartageants, ou d'une créance contre un tiers, autrefois indivise et mise dans un des lots. Elle ne distingue pas non plus entre l'obligation personnelle de garantie par les copartageants respectivement et l'affectation réelle des immeubles opposable aux tiers (créanciers ou tiers acquéreurs). Mais elle distingue si la dette consiste en capital ou en rente.
Si la dette consiste en capital, le point de départ de la durée de cette garantie, tant réelle que personnelle, est l'exigibilité totale ou partielle de la dette; le délai est alors d'un an; par conséquent, si le copartageant veut conserver son droit à la garantie d'insolvabilité, il doit former sa demande dans l'année et la publier dans le même délai, à peine de déchéance. Si la demande a été formée dans l'année contre les garants, mais n'a pas été publiée, le demandeur n'a conservé que l'action personnelle: il a perdu le privilége opposable aux tiers.
Si la dette consiste en rente, soit perpétuelle, soit viagère, comme il n y a pas d'exigibilité d'un capital, mais seulement d'arrérages; comme, d'un autre côté, la garantie des arrérages ne peut être indéfinie, la loi la limite à dix ans, à partir du partage. Ce délai paraît suffisant pour que l'on puisse induire de la régularité des payements annuels qu'ils seront continués de même.
Cette distinction entre la dette d'un capital exigible et celle d'une rente conduit naturellement la loi à assimiler à la rente le capital qui ne serait exigible qu'après un délai excédant dix ans, mais qui porterait des intérêts annuels: il est naturel que la garantie de solvabilité cesse lorsque l'insolvabilité ne s'est pas révélée dans ce délai par un défaut de payement des intérêts.
III. —PRIVILÉGE DES ARCHITECTES, INGÉNIEURS ET ENTREPRENEURS DE TRAVAUX.
Art. 1178. — 349. Ce troisième privilége diffère des deux précédents en ce qu'il ne s'agit plus d'un immeuble nouveau mis dans le patrimoine du débiteur, soit en entier, soit pour une partie aliquote, comme une moitié, un tiers, un quart (cas qui n'a pas été spécialement prévu dans les articles précédents, parce qu'il suit en tous points les règles d'une aliénation totale): il s'agit ici d'une augmentation de valeur, d'une plus-value donnée à un immeuble par des travaux faits sur ledit immeuble.
Dès lors, on comprend, de suite, que ce n'est pas l'immeuble tout entier qui est soumis au privilége: c'est seulement la plus-value qu'il a reçue; or, cette plusvalue doit être régulièrement constatée.
350. Le présent article se borne à nous indiquer la nature des principaux travaux considérés par loi la comme causes légitimes de la créance privilégiée; l'énonciation n'est pas limitative: la fin de l'article le prouve.
Les personnes des créanciers ne sont pas non plus énoncées limitativement, mais seulement comme exemples. Ainsi, les architectes auront fait les plans et devis des bâtiments et dirigé les travaux; les ingénieurs auront fait de même pour les digues, canaux, dessèchements, irrigations; les entrepreneurs auront exécuté lesdits travaux, quelquefois même, ils en auront fait les plans et devis.
Le Code français n'a pas mentionné les ingénieurs; il a,au contraire, mentionné les ” maçons et autres ouvriers." Le Projet ne mentionne pas les maçons, parce qu'il n'y aurait pas de raison pour ne pas ajouter, et même mettre avant eux, les charpentiers qui, au Japon, sont bien plus employés que les maçons: le nom d'entrepreneurs est préférable par sa généralité. Quant aux ouvriers, il ne leur est dû que des journées: leur débiteur est, en général, l'entrepreneur qui les engage et les emploie, non le propriétaire qui ne traite pas avec eux; si le privilége leur profite, c'est par l'action indirecte de l'article 359.
Le 2t1 alinéa s'applique spécialement aux travaux des mines, minières et carrières: ces travaux sont ou extérieurs ou intérieurs, ou l'un et l'autre successivement.
Au point de vue légal, il n'y a pas de différences entre ces divers travaux: les énonciations que donne la loi ont surtout pour but d'indiquer la nature importante de la cause du privilége.
Art. 1179. — 351. Le principe du privilége, sa cause légitime, est toujours une valeur nouvelle mise dans le patrimoine du débiteur par un créancier non payé.
Le 1er alinéa nous dit qu'il n'est tenu compte que de la plus-value existant encore " lors de l'exercice du privilége ou de la liquidation il n'y a pas là une rigueur: le privilége du vendeur ne porte également que sur ce qui reste de l'immeuble vendu.
La loi exige trois procès verbaux; le troisième est une création du Projet: on en verra bientôt la nécessité. Les trois procès-verbaux sont dressés par un expert nommé par le tribunal: il est évident qu'on ne pouvait admettre un expert nommé par les parties intéressées, puisque la masse des créanciers aussi, qui sera intéressée; n'a pas encore de représentant. Il n'est ni nécessaire ni défendu que ce soit le même expert pour les trois procèsverbaux.
D'abord, il faut constater l'état des biens avant le commencement des travaux; on n'estimera pas la valeur actuelle du fonds sur lequel les travaux doivent être faits: ce serait une complication et des frais inutiles; mais on indiquera, d'une façon générale, les travaux projetés; la loi n'exige pas qu'on évalue le montant approximatif de la dépense, parce que les travaux peuvent recevoir des développements imprévus ou coûter plus qu'il n'est facile de prévoir; ce qui importe surtout c'est de savoir l'état des lieux avant les travaux, pour comparer leur état après lesdits travaux.
Le second procès-verbal a pour but, précisément, de constater le montant de la plus-value résultant des travaux au moment où il est dressé. Le délai est fixé à trois mois depuis que les travaux ont été terminés ou seulement cessés, quelle que soit la cause de cette cessation, fût-ce une force majeure et, à plus forte raison, le manque de fonds pour y faire face; mais il ne faudrait pas y assimiler une simple suspension, même un peu longue, par suite d'obstacles naturels, ou par le retard dans l'arrivée de machines, d'instruments ou de matériaux. La loi ajoute que les contestations sur la réception des travaux ou le retard à cette réception ne donnent pas lieu à prolongation du délai.
Ce délai est de moitié plus court que celui du Code français qui donne six mois pour la réception des travaux et sans doute aussi pour la confection du second procès-verbal (art. 2103-4° et 2110).
Il paraît, en effet, bien suffisant de donner trois mois pour l'expertise et la rédaction de ce procès-verbal, et il est de l'avantage des divers intéressés de ne pas laisser s'écouler un trop long intervalle de temps qui rendrait difficile de savoir quelle est la plus-value ayant les travaux pour cause.
Une différence encore à noter entre le Projet et le Code français, c'est que le procès-verbal ne porte pas que les travaux ont été acceptés comme bons par le propriétaire, de sorte que la créance même de l'entrepreneur peut n'être ni mentionnée ni confirmée par ce procès-verbal; cela, en effet, n'est pas nécessaire, puisque ce n'est pas le montant de la créance qu'il s'agit de constater, mais la plus-value qui la garantit et qui est soustraite aux autres créanciers. Ceux-ci ont pourtant à connaître aussi le montant de la créance qui les prime, mais c'est l'inscription du privilége qui le leur révélera (v. art. 1226-4.° et 1245).
Le troisième procès-verbal n'est pas moins nécessaire que les deux autres, car il peut s'écouler un temps assez long entre la rédaction du second et la vente de l'immeuble, et la plus-value peut avoir diminué (b). Nous ne supposons pas qu'elle ait augmenté: d'abord, parce qu'il semble que la plus-value ne puisse s'augmenter que par des causes différentes des travaux; ensuite, parce que cette nouvelle plus-value, n'ayant pas été révélée par l'inscription, ne pourrait être soustraite au droit des autres créanciers.
Ce troisième procès-verbal sera plus facile à dresser que les deux autres, car l'expert, prenant le second comme base, n'aura guère qu'à rechercher les causes de moins-value survenues depuis et à les évaluer en déduction de la plus-value précédente.
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(b) Le texte dit qu'on examine la valeur qui subsiste au moment "de la liquidation": le Code français (art. 2103-4°, 2e al.) se réfère au moment " de l'aliénation"; il fait sans doute allusion à la vente sur saisie; mais comme il peut y avoir vente amiable et que la plus-value subsistant encore ne sera pas toujours constatée à ce moment, il est préférable de se référer au moment de la liquidation, comme plus général.
IV. -PRIVILEGE DES PRETEURS DE DENIERS.
Art. 1180. — 352. Les dispositions du Projet, au sujet des prêteurs de deniers appelés au privilége, diffèrent de celles du Code français à deux égards.
D'abord, elles comprennent le prêt de deniers pour payer les trois créanciers privilégiés qui précèdent: l'aliénateur, le copartageant, l'entrepreneur; tandis que le Code français, sans qu'on en trouve de motif, a omis le prêt fait pour payer la soulte de partage ou le prix de licitation (v. art. 2103-2° et 5°, 2108 et 2110) (c).
Ensuite, le Projet distingue entre le cas où les deniers sont prêtés au moment de l'acte même auquel ils se rattachent et celui où ils ne le sont que " postérieurement."
Au premier cas, le privilége naît, "directement et en vertu de la loi," en la personne du prêteur, sans passer par le créancier principal; on peut même dire que le vendeur, le copartageant, l'entrepreneur, payés au moment du contrat, avec les deniers prêtés, n'ont pas été un instant créanciers, de sorte que les prêteurs de deniers, dans ce cas, ne sont pas subrogés au privilége, mais en sont investis à l'origine, par la loi. C'est pour ce motif que le Projet n'exige pas, comme le Code français, qu'il y ait un acte d'emprunt avec indication des deniers, et une quittance subrogative avec indication de leur origine, tous deux en forme authentique: " il suffit que le prêt " et son emploi soient mentionnés dans l'acte auquel ils " se rattachent "; or, cet acte peut être sous seing privé aussi bien qu'authentique.
Au second cas, et si le prêt est postérieur à l'acte d'où naît le privilége, la créance privilégiée a d'abord appartenu au vendeur, au copartageant, à l'entrepreneur; elle ne peut dès lors passer au prêteur de deniers que par voie de " subrogation conventionn lie,'.' et le texte a soin d'exprimer que la forme et les conditions ordinaires en doivent être observées.
Le texte prévoit enfin le cas où les deniers prêtés, soit à l'origine, soit plus tard, n'auraient servi à désintéresser le créancier principal que pour partie, alors il rappelle une disposition de droit commun à cet égard, le concours du subrogé avec le subrogeant, ce qui est encore une différence entre le Projet et le Code français [comp. Proj. art. 508 et c. civ. fr., art. 1252].
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(c) On peut remarquer que la place et les termes de notre article ne le rendent pas applicable à ceux qui auraient désintéressé le dernier groupe de créanciers privilégiés: ce n'est qu'après avoir parlé des créanciers demandant la séparation des patrimoines qu'on donnera la raison de cette exclusion (v. n° 358).
Art. 1181. — 353. Ce n'est pas ici que l'on peut s'étendre sur la nature de ce droit qui appartient surtout à la matière des Successions. On doit seulement en donner une idée générale et montrer comment il constitue un privilége.
C'est un principe général en matière de succession (et il est peut-être encore plus reconnu au Japon qu'en France) que " l'héritier représente et continue la personne du défunt," sans perdre lui-même sa personnalité. Il en résulte que quand une personne meurt, ses droits et ses obligations se réunissent et se confondent avec ceux qu'avait déjà l'héritier: les deux actifs et les deux passifs n'en font plus qu'un. Ce résultat peut n'être pas avantageux aux créanciers chirographaires de l'un ou de l'autre: si l'héritier est solvable et si le défunt ne l'était pas, les biens de l'héritier serviront à payer les dettes du défunt; si, au contraire, c'est l'héritier qui est insolvable, tandis que le défunt était solvable, ce sont les biens du défunt qui serviront à payer les dettes de l'héritier.
Si les biens de chaque patrimoine étaient liquidés avant d'être confondus, il n'y aurait aucun inconvénient pour les créanciers de l'un ou de l'autre: l'un des patrimoines donnerait un excédant d'actif, l'autre un excédant de passif, et c'est alors que le plus riche des deux contribuerait à la libération du plus pauvre, sans aucun préjudice pour personne. Mais si la confusion s'est opérée sans qu'il ait été pris de mesures protectrices du patrimoine solvable, le résultat est fâcheux et peut même être ruineux pour l'une des masses de créanciers chirographaires, car il va de soi que les créanciers privilégiés ou hypothécaires du défunt ou de l'héritier n'ont rien à craindre de la confusion des patrimoines: au moins, en ce qui concerne les immeubles, ils ont une sûreté réelle.
On trouve, dès le droit romain, un remède à ce danger; même le remède est double, puisqu'il y a danger des deux côtés: du côté des créanciers de l'héritier et du côté des créanciers du défunt.
Séparons les deux cas.
354. -Ier Cas. L'héritier ayant intérêt à ce que son patrimoine ne soit pas absorbé ou même diminué par les dettes du défunt a été admis, soit à refuser la succession, ce qui le fait considérer comme n'ayant jamais été héritier (v. c. civ. fr., art. 784 et s.), soit à ne l'accepter que sous bénéfice d'inventaire, ce qui l'autorise à liquider la succession préalablement à toute confusion, de sorte qu'il ne payera les dettes héréditaires qu'avec les biens de la succession, sans être privé du droit de recueillir l'excédant d'actif, s'il y en a (v. ib., art. 793 et s.) (1).
Que si, par respect pour la mémoire du défunt, il a accepté la succession purement et simplement, sans faire inventaire, et s'est ainsi chargé d'un passif supérieur à l'actif, ses créanciers, quoiqu'ils en souffrent, ne peuvent se plaindre (v. ibid., art. 881): l'héritier a exercé un droit incontestable, et son acceptation de la succession pourrait, tout au plus, être attaquée pour fraude aux droits de ses créanciers (ib., art. 1167).
355. -IIe Cas. Les créanciers d'un défunt solvable ont de même intérêt à ce que la liquidation de la succession se fasse avant la confusion: il est naturel qu'ils ne soient pas dépouillés de tout ou partie de leur gage par l'effet de la mort de leur débiteur et de l'insolvabilité de son héritier avec lequel ils n'ont pas traité. C'est pour arriver à cette liquidation préalable que les lois leur ont accordé le droit de demander la séparation des patrimoines ou, comme dit le texte, " la séparation des biens du défunt d'avec ceux de l'héritier."
Cette demande se forme plutôt contre les créanciers de l'héritier que contre l'héritier lui-même; elle doit être enfermée dans certains délais et soumise à certaines conditions, lesquelles seront différentes pour les meubles et pour les immeubles; le tout sera réglé au Chapitre des Successions, et il sera bon que le Projet soit, à cet égard, plus explicite que le Code civil français qui est insuffisant (2).
356. Voici maintenant comment ce droit des créanciers du défunt appartient à la matière des priviléges spéciaux sur les immeubles (d).
Du moment que les créanciers séparatistes auront fait ce que la loi leur prescrit pour conserver leur droit, ils n'auront sans doute pas empêché que, par l'effet du droit de succession, l'héritier soit devenu propriétaire des immeubles du défunt, mais ils auront obtenu que ces biens soient d'abord employés à les satisfaire, avant les créanciers personnels de l'héritier, soit chirographaires, soit même privilégiés ou hypothécaires. Il n'est donc pas possible de contester à ce droit le nom et le caractère d'un privilége; on a même de la peine à comprendre que, dans la doctrine française, cette idée rencontre des adversaires, quand l'article 2111 du Code français lui-même emploie formellement le nom de privilége pour qualifier la séparation des patrimoines, et la soumet à la même publicité que les autres priviléges. Et c'est un privilége spécial, quoiqu'il puisse porter sur plusieurs immeubles: la spécialité n'est pas l'unité, elle comporte la pluralité, et l'on en a déjà vu un exemple dans le privilége des copartageants qui porte aussi sur les immeubles d'une succession ou d'une communauté; il suffit qu'un privilége ne porte pas sur l'universalité des immeubles du débiteur pour être spécial (e).
357. Ce qui pourrait étonner davantage, c'est que cette séparation des patrimoines qui s'applique aussi aux meubles de la succession n'ait pas figuré dans les priviléges spéciaux sur les meubles.
Aucune législation, à notre connaissance, n'a consacré ce privilége et nous ne proposons pas de le faire; sa combinaison avec les autres priviléges créerait des difficultés considérables dans une matière où il y en a déjà beaucoup.
Mais on peut arriver au même résultat qu'à celui d'un privilége sur les meubles par une autre voie: tant que les
meubles composant la succession ne sont pas confondus avec ceux de l'héritier, les créanciers héréditaires peuvent les saisir comme étant leur gage exclusif; ils ne se bornent pas à prétendre primer les créanciers personnels de l'héritier: ils leur contestent tout droit sur un patrimoine qui n'est pas à leurs yeux celui du débiteur de ceux-ci. C'est pour bien accentuer la nature de cette prétention qu'il sera formellement exprimé au Chapitre des Successions que l le bénéfice de la séparation des patrimoines ne peut plus être invoqué sur les meubles de la succession, lorsqu'ils ont été confondus avec ceux de l'héritier." Le Projet reviendra bientôt sur ce privilége comme sur les autres, au sujet de la publicité qu'il doit recevoir, par rapport aux immeubles.
358. On a déjà fait la remarque qu'au sujet du privilége des prêteurs de deniers, il n'a pas été question de ceux qui auraient désintéressé de leurs deniers les créanciers et légataires qui ont demandé la séparation des patrimoines; la raison de cette omission, c'est qu'il est impossible qu'un tiers les paye au moment même où naît le privilége, ce qui est la condition essentielle pour que le privilége appartienne aux prêteurs de deniers, directement et par le seul bienfait de la loi.
Mais si ce payement était fait par un tiers après que le privilége est né au profit du créancier primitif, le prêteur de deniers pourrait être appelé au privilége par l'effet d'une subrogation conventionnelle: ce serait alors le même privilége, sans modification, et ne demandant dès lors ici aucune mention particulière.
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(1) Le Code officiel n'admet pas la renonciation de l'héritier, mais il autorise l'acceptation bénéficiaire.
(2) Le Code officiel n'a pas admis la séparation des patrimoines.
(d) C'est pour abréger que nous n'avons parlé que des créanciers de la succession: tout ce que nous en disons s'applique également aux légataires. Et il faut remarquer qu'il ne s'agib ici que de legs de choses de quantité ou des autres legs ne donnant au légataire qu'un droit de créance; car s'il s'agissait d'un legs de corps certain, comme il transférerait directement la propriété au légataire, celui-ci n'aurait pas besoin de la séparation des patrimoines (v. art. 6tl à 643).
(e) Le Code italien semble avoir évité à dessein d'employer l'expression de privilége: il parle toujours du " droit à la séparation des patrimoines mais si le nom ne s'y trouve pas, les effets sont bien ceux d'un privilége, avec droit de préférence et droit de suite (v, art.2062). Il faut remarquer, à ce sujet que, dans ce Code, la séparation des patrimoines n'est que mentionnée dans la matière des Successions (v. art. 1032) et dans celle des Privilèges (v. art. 1962) et que c'est dans un Titre spécial qu'il en est traité in extenso (Liv. Ille, Titre xxiv, art.2054 à 2065).
Art. 1182. — 359. Le présent article est l'application du principe général que les priviléges ne doivent pas s'étendre au-delà de leur cause légale (SUP?'Ù, n° 269): si le débiteur ou ses ayant-cause, en augmentant, par des acquisitions ou par des travaux, l'étendue ou la valeur de l'immeuble grevé de privilége, pouvaient ainsi étendre le privilége lui-même, ce serait au préjudice de la masse des autres créanciers.
Le texte a soin, d'ailleurs, de limiter cette restriction au cas où l'augmentation de valeur a eu lieu "aux frais du débiteur par conséquent, les améliorations fortuites profiteraient au créancier privilégié.
La loi ne règle pas le cas, qui sera rare sans doute, où l'immeuble soumis au privilége aurait été augmenté par le don ou le legs d'un tiers; mais les principes généraux de la matière suffisent à le régler: si le don ou le legs est d'une servitude réelle active, c'est-à-dire au profit du fonds soumis au privilége, sur le fonds du donateur ou du testateur (fonds qui doit être voisin), la servitude s'incorpore pour ainsi dire au fonds dominant, c'est une valeur qui n'en peut être séparée; en même temps, elle ne coûte rien au débiteur: le créancier privilégié en profitera; au contraire, si c'est une parcelle de terre voisine qui est donnée ou léguée, c'est un autre immeuble, et, quand même le débiteur l'aurait réunie au premier, par l'extension des clôtures ou autrement, le privilége ne s'augmenterait pas (v. art. 646); il en serait de même si, l'immeuble grevé n'appartenant que pour une partie indivise au débiteur, l'autre partie lui était donnée ou léguée par son copropriétaire: le privilége ne s'augmenterait pas.
360. On remarque que le texte de notre article ne dispose que pour trois de nos cinq priviléges: ceux de l'aliénateur, des copartageants et des créanciers et légataires qui demandent la séparation des patrimoines. Le silence au sujet des deux autres est facile à justifier.
D'abord pour celui des entrepreneurs, il a été déjà suffisamment dit qu'il ne porte que sur la plus-value résultant de leurs travaux; il est clair dès lors qu'il ne peut recevoir aucune extension par des acquisitions ou des travaux faits aux frais de débiteur.
Pour le privilége des prêteurs de deniers, il n'est autre que le privilége de ceux qui ont été désintéressés avec les deniers prêtés, il a donc les mêmes limites.
SOMMAIRE.
Art. 1l83. —N° 361=363. Obligation générale de publier les priviléges.
1184. -364. Application au privilége du vendeur: variations du droit français à cet égard. -365. Extension à tout aliénateur: énonciation nécessaire dans l'acte à transcrire.
1185. -366. Application au privilége des copartageants.
1186. -367. Tant que l'aliénateur ou les copartageants ne sont pas dessaisis de la propriété à l'égard des tiers, ils ne peuvent perdre leur privilége: le Projet suit ici le Code italien préférable à la loi française de 1855. -368. Tiers interessés à faire la transcription.
1187. -360. Cas où l'acte d'aliénation ou de partage ne mentionne pas les charges corrélatives. -370. Cas Olt il ne porte pas leur évaluation en argent.
1188. -371 et 372. L'action résolutoire de l'aliénateur et des copartageants ne se conserve qu'autant et aux mêmes conditions que le privilége et l'hypothèque légale qui le remplace.
1189. -373. Inscription des deux premiers procès-verbaux; leur utilité, leur moment, leur effet. -374. A qui profite l'inscription. -375. Pourquoi le montant de chaque créance n'est pas mentionné dans l'inscription.
1190. -376. Conséquence du retard à l'inscription de l'un on de l'autre procès-verbal: deux cas.
1191. —377. Inscription nécessaire aux prêteurs de deniers; cas de subrogation, de cession: sanction.
1192. -378. Intérêts et arrérages conservés par l'inscription: exception en faveur des créanciers séparatistes. 1192 bis. -379. Délai de l'inscription du privilége de séparation des patrimoines: rétroactivité; objection, réponse.
1193. -380. Rang des créanciers privilégiés entrepreneurs, aliénateurs, copartageants. -381. Aliénations ou partages successifs. -382. Prêteurs de deniers. - 383. Créanciers et légataires séparatistes: ils ne sont primés que par les entrepreneurs. -384. Rapports des séparatistes respectivement. -385. Hypothèses diverses.
1194. -386. Renvoi, pour le complément des règles de l'inscription, au Chapitre des Hypothèques.
COMMENTAIRE.
Art. 1183. — N° 361. -363. C'est un principe dominant les droits réels sur les immeubles qu'ils ne peuvent être opposés aux tiers que s'ils ont été rendus publics dans les formes et dans les délais déterminés par la loi. Le principe a déjà été appliqué aux droits réels principaux et même aux servitudes qui sont des droits accessoires (v. art. 368). On va le voir maintenant appliqué aux sûretés réelles qui. sont aussi des droits accessoires: ici aux Priviléges, plus loin aux Hypothèques.
Le présent § ne s'occupe que de l'effet des priviléges entre les créanciers notre premier article indique également cette limiter; l'effet à l'égard des tiers détenteurs est l'objet du § suivant.
Les articles qui vont suivre règlent "les moyens, les conditions et les délais " de la publicité de chaque privilége.
Art. 1184. — 364. Cet article concerne le premier privilége, celui de l'aliénateur d'immeuble.
D'abord on suppose une vente, ou un échange avec soulte: la transcription du titre, nécessaire pour rendre la mutation de propriété opposable aux tiers, servira en même temps de publication du privilége; mais à la condition que le titre porte que le prix de vente ou la soulte d'échange est encore dû, en tout ou en partie. Par conséquent, dès que les créanciers de l'acquéreur sauront, par la transcription, que leur débiteur est devenu propriétaire et pourront ainsi se prévaloir, soit du droit de gage général qu'ils acquièrent sur ce bien, soit d'une hypothèque qui leur serait concédée, ils seront informés en même temps que le bien n'est entré dans le patrimoine de leur débiteur que grevé du privilége de l'aliénateur.
Ce système, d'une grande simplicité, avait été celui du Projet de Code civil français (art. 2108 j; mais lorsque la transcription fut abandonnée, en tant que moyen de rendre la translation de propriété opposable aux tiers, (v. T. II, n° 183), il y eût de sérieuses raisons de douter que la transcription fût maintenue en tant que moyen nécessaire de conserver le privilége du vendeur: on alléguait que si les créanciers de l'acheteur connaissaient assez la vente, quoique non transcrite, pour s'en prévaloir comme augmentant leur gage, ils devaient savoir aussi que le prix n'était pas payé; d'un autre côté, l'article
2108, resté intact, était trop formel pour qu'on pût le considérer comme abandonné avec la transcription translative de propriété; aussi cette matière divisait-elle beaucoup les interprètes (a).
La célèbre loi du 23 mars 1855, en rétablissant la transcription, en tant que condition de la mutation à l'égard des tiers, a rétabli l'harmonie dans les dispositions du Code civil, et le mode de publicité du privilége du vendeur exposé ci-dessus ne diffère pas de celui de la loi française.
365. Comme le Projet a étendu le privilége du vendeur à tous les aliénateurs d'immeubles, il en résulte que le même mode de publication doit leur être imposé: pour le co-échangiste qui peut craindre l'éviction du bien (meuble ou immeuble) qu'il a reçu, pour le donateur qui peut avoir imposé des charges au donataire, et autres aliénateurs d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, qui ont stipulé des avantages, c'est toujours la transcription du titre d'aliénation qui conserve leur privilége, sous la même condition que ces charges ou avantages, certains ou éventuels, aient été énoncés, et de plus, estimés ou évalués en argent, sauf ce qui est dit à l'article 1187.
Rappelons, au sujet de l'éviction soufferte par le co-échangiste, la disposition de l'article 1174, d'après laquelle la transcription ne conserve le privilége de la garantie d'un immeuble acquis en échange, que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange et si la demande en garantie a été formée et publiée dans l'année de l'éviction, et, s'il s'agit d'un objet mobilier, que si l'éviction a eu lieu dans l'année de l'échange et la demande formée dans le mois de l'éviction. En effet, la publicité résultant de la transcription ne fait qu'avertir les tiers de l'éventualité d'une créance de garantie; mais, dès que l'éviction est consommée et que la créance est devenue certaine, il est utile qu'ils en soient avertis.
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(a) Il est sans intérêt ici de mentionner une disposition particulière des articles 831 et 835 du Code de Procédure civile, abrogés par la loi de 1885 (v. n° 498).
Art. 1185. — 366. C'est également par la transcription que se conserve le second privilége, celui des copartageants.
Le texte a soin de qualifier l'acte de partage, non de translatif mais de " déclaratif de propriété."
Pour que la transcription révèle le privilége, il faut, de même que pour le privilége de l'aliénateur, que la créance née du partage, comme certaine ou éventuelle, y soit énoncée: seront créances certaines, le prix de licitation et les soultes ou retours de lots; sera éventuelle, la garantie d'éviction; quant aux charges accessoires, elles seront le plus souvent certaines, mais elles pourraient aussi être éventuelles.
Lorsque la créance ne sera pas, par elle-même, d'une somme fixe, comme sont le prix de licitation ou les soultes, les parties devront en faire l'évaluation.
Art. 1186. — 367. La loi déduit ici la conséquence logique du principe que, jusqu'à la transcription, l'acte translatif ou déclaratif de propriété n'a pas d'effet à l'égard des tiers: s'il ne peut leur être opposé, il est juste aussi qu'il ne puisse être invoqué par eux. Du reste, ceux qu'on appelle ici " tiers," suivant l'usage reçu, sont de véritables ayant-cause de l'une ou l'autre partie.
Le Projet s'écarte résolument ici du système français établi par la loi de 1855. Cette loi nous semble avoir abandonné son principe, en décidant (art. 6), que si l'acheteur n'a pas transcrit son acquisition et a fait luimême une aliénation du même bien et que cette seconde aliénation ait été transcrite, elle est opposable au vendeur et exclut son privilége, lorsqu'il s'est écoulé quarante cinq jours depuis le contrat de celui-ci, sans qu'il ait inscrit son privilége.
On a cru protéger suffisamment le vendeur en lui donnant ce délai de 45 jours (b), soit pour faire transcrire la vente qui lui donne privilége, soit pour faire inscrire seulement ce privilége; passé ce délai, il en est déchu et il n'a plus qu'une hypothèque légale prenant rang à la date de son inscription, sans rétroactivité (voy. art. 2113).
L'article 6 précité semble ne régler que les rapports du vendeur avec un sous-acquéreur, et ne rien dire pour le cas où l'acheteur a seulement hypothéqué l'immeuble, sans le revendre; en effet, il est dit que le vendeur n'est pas déchu de son privilége publié dans les 45 jours, à l'égard des droits transcrits dans ce délai; mais il ne s'explique pas au sujet des droits seulement inscrit.,;, c'est-à-dire des priviléges ou des hypothèques provenant du chef de l'acheteur et dûment publiés. Assurément, quand le vendeur, inscrit dans les 45 jours, évince un sous-acquéreur qui a transcrit, il évince, à plus forte raison, les créanciers inscrits, moins intéréssants que le sous-acquéreur; mais, quand il a laissé passer le délai de 45 jours, alors qu'il serait évincé par une transcription, l'est-il également par une inscription de privilége ou d'hypothèque ? On peut hésiter.
Le Projet nous préservera de pareilles incertitudes. Il n'admet pas que le vendeur puisse perdre en même temps la propriété et le privilége, " lorsque l'acte de vente porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie," ce qui est la seule précaution que le vendeur ait à prendre vis-à-vis des tiers. Lorsqu'il n'y a pas eu de transcription de son aliénation, le vendeur est inattaquable, car il est armé de ce dilemme: ou les créanciers de l'acheteur ont connu, autrement que par la transcription, le premier contrat de vente, fondement nécessaire de leur propre droit, alors ils devaient aussi connaître la créance du vendeur originaire qui y était attachée; ou bien, ils n'ont pas connu la vente non transcrite, alors ils n'ont pas pu compter acquérir euxmêmes une sûreté réelle (c), du chef de celui avec lequel ils ont traité.
Si le système du Projet n'est pas celui de la loi française de 1855, il est celui du Code italien (art. 1942, 2e al.), lequel porte que " tant que la transcription n'est pas " effectuée, aucune transcription ou inscription de droits " acquis contre le nouveau propriétaire ne peut avoir " d'effet au préjudice de l'hypothèque accordée à l'alié" nateur par l'article 1969."
Il n'est donc plus question de délai de faveur accordé au vendeur ni, par suite, de déchéance contre lui.
368. Le 2e alinéa de notre article autorise Il les intéressés " à faire faire la transcription, à toute époque, " toujours." Il ne faut pas compter le vendeur parmi ceux auxquels la loi songe ici, puisque l'on vient de voir que son intérêt est nul; les intéressés sont précisément ceux auxquels l'acheteur aurait aliéné ou hypothéqué la chose vendue: alors, en faisant transcrire le titre de leur auteur ou débiteur, ils confirment leur propre droit en faisant cesser la propriété du vendeur, sous la réserve seulement de son privilége et de son action résolutoire.
Pour faire faire cette transcription, ils n'ont besoin ni du consentement du vendeur originaire, ni de celui de l'acheteur. Cette dernière disposition de notre article prouve, à elle seule, que parmi les intéressés la loi ne compte pas le vendeur originaire, parce qu'il ne semble pas intéressé, ni l'acheteur lui-même, parce qu'il est, au contraire, tellement intéressé que son droit de transcrire est écrit ailleurs et en quelque sorte partout où il est question de transcription.
Il y a pourtant un cas où le vendeur aura besoin de faire transcrire le titre de vente, c'est lorsqu'il voudra saisir et faire vendre l'immeuble de son acheteur: on ne comprendrait pas qu'il saisît le bien comme appartenant à l'acheteur, alors que les registres de transcription présenteraient encore cet immeuble comme lui appartenant à lui-même.
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(b) Ce délai d'un mois et demi a été le résultat d'une singulière transaction législative entre les uns qui demandaient trois mois et les autres qui n'en voulaient accorder qu'un.
(c) Le présent article ne règle que les rapports du vendeur ou autre aliénateur avec les autres créanciers privilégiés ou hypothécaires de l'acquéreur; quant à ses rapports avec un sous-acquéreur, ils sont réglés différemment par l'article 1197.
Art. 1187. — 369. Voici encore un cas, mais tout différent du précédent, où l'aliénateur a un intérêt majeur à faire procéder lui-même à la publication de son privilége; c'est celui où la transcription faite ou à faire ne révèlerait pas sa créance, parce que " l'acte d'aliénation ou de partage ne porterait pas que la contrevaleur est encore due, en tout ou en partie, ou que des charges y sont attachées ": il est nécessaire alors que cette omission soit réparée par un acte postérieur, lequel sera une convention, si le débiteur est loyal, et un jugement, au cas contraire. C'est alors le créancier qui devra publier l'acte ainsi complété.
A cet égard, une distinction était commandée par la nature des choses et la loi l'exprime: si la transcription de l'acte principal n'a pas encore été faite, c'est naturellement, le créancier qui y fera procéder, en y faisant joindre la publication de l'acte complémentaire; car l'acquéreur aurait intérêt à ne publier que l'aliénation, sans la créance corrélative; dans ce cas, le droit du créancier au privilége est complet.
Si la transcription a déjà été faite par l'acquéreur, c'est encore au créancier à pourvoir à sa sécurité; mais alors il ne peut plus que prendre une inscription directe et spéciale de sa créance: une mention en marge ou à la suite de la transcription ne suffirait pas, car la mutation de propriété a été révélée comme pure et simple et sans charges. Mais, dans ce cas, la situation du créancier est beaucoup moins bonne: il n'a plus qu'une hypothèque légale, et, à cet égard, la loi a soin d'employer l'expression consacrée de " privilége dégénéré."
La conséquence déduite par la loi elle-même de cette déchéance du privilége est que la créance ne prendra rang qu'à la date de cette inscription spéciale et ne pourra nuire aux créanciers qui, dans l'intervalle, auraient acquis du débiteur ou de son chef des sûretés réelles sur l'immeuble et les auraient dûment publiées.
370. La loi assimile au cas où la contre-valeur n'a pas été portée dans l'acte d'aliénation ou de partage le cas où les charges, même énoncées audit acte, n'ont pas été évaluées en argent, et aussi celui où la créance éventuelle de la garantie qui est un effet légal de l'acte n'a pas été évaluée. Le cas est pourtant un peu moins défavorable au créancier, puisque sa créance est connue; mais comme les tiers ne peuvent en connaître le montant, cette créance ne doit pas leur être opposable.
La distinction précédente sera faite, à ce sujet: si l'aliénation où le partage n'ont encore reçu aucune publicité lorsque l'évaluation sera faite, le créancier fera faire simultanément la double publication et il aura un privilége; si la transcription a précédé l'évaluation, l'inscription spéciale de celle-ci ne vaudra que comme hypothèque légale, à sa date.
Une différence toutefois est à noter entre ce cas et celui du précédent alinéa, c'est que, comme il ne s'agit plus de révéler l'obligation d'une contre-valeur à fournir ou toute autre charge de l'aliénation, mais seulement d'en déterminer la valeur, le créancier n'a pas besoin d'obtenir pour cette évaluation le consentement du débiteur ou un jugement: il la fait lui-même, sauf au débiteur à la faire réduire ultérieurement, si elle est exagérée, comme il sera dit au Chapitre suivant (v. art. 1245).
Art. 1188. — 371. Le droit de résolution d'une aliénation pour inexécution des obligations de l'acquéreur, sans appartenir aux sûretés réelles proprement dites (v. n° 10), est souvent aussi avantageux à l'aliénateur, puisqu'il lui fait recouvrer sa chose en entier, sans subir le concours et encore moins la préférence des créanciers de l'acquéreur, et aussi sans avoir à respecter les droits des tiers acquéreurs; dès lors, on comprend que l'exercice de ce droit de résolution ne soit opposé à ceux-ci que dans les mêmes conditions que celles où peut l'être le privilége, puisque le préjudice en est encore pour eux plus considérable. Déjà l'article 720 bis l'a annoncé.
Pendant longtemps, en France, depuis le Code civil jusqu'à la loi de 1855, on a vu ce résultat singulier et regrettable que lorsque le vendeur avait perdu son privilége, faute de l'avoir publié conformément à la loi, il pouvait encore exercer le droit de résolution, en sorte que la protection que la loi accordait d'un côté aux tiers, ils la perdaient d'un autre. La loi de 1855 (art. 7) a remédié à cet inconvénient et, suivant une formule reçue à cet égard, mais sur laquelle nous faisons des réserves, " elle a lié le sort de l'action résolutoire à celui du privilége," de sorte que quand le vendeur a perdu celui-ci, il a perdu aussi celle-là; la seule différence en faveur de l'action résolutoire, c'est qu'étant un effet légal de la convention, elle n'a pas besoin d'être mentionnée dans l'acte d'aliénation ni dans un acte complémentaire analogue à celui qui est prévu à l'article précédent; en sens inverse, une différence à la charge de la résolution, c'est que le jugement qui l'a prononcée doit être mentionné en marge de la transcription de l'aliénation résolue.
Le Projet japonais va plus loin à ce sujet: il exige que 'i la demande " en résolution soit publiée avant d'être recevable devant le tribunal (v. art. 372).
372. Mais, pas plus avec le Projet qu'avec la loi française, il n'est exactement vrai que " le sort de l'action résolutoire soit lié à celui du privilége." Ce qui est vrai, c'est que lorsque le vendeur ne peut plus opposer son privilége aux créanciers hypothécaires de l'acheteur ni aux cessionnaires de celui-ci, il ne peut non plus leur opposer son action résolutoire, et, à cet égard, cette double déchéance est bien plus fréquente d'après la loi de 1.855 (art. 6) que d'après le Projet japonais.
Mais si nous supposons, dans les deux législations, que le privilége dégénéré en hypothèque se trouve encore, comme tel, opposable à des créanciers ou à un cessionnaire, parce qu'il a été publié en temps utile, c'est-à-dire avant que les tiers aient publié leur propre droit, alors il n'y a pas de raison pour que le vendeur ne puisse, au lieu de faire valoir son hypothèque, exercer l'action résolutoire: du moment que les tiers savent que le vendeur, inscrit avant eux, n'a pas été payé de son prix, en tout ou en partie, ils doivent savoir aussi qu'il a, pour la même cause, l'action résolutoire.
C'est pour cette raison que notre article a soin de ne refuser l'action résolutoire à l'aliénateur devenu simple créancier hypothécaire qu'à l'égard des tiers qui ont " conservé " c'est-à-dire publié leurs droits " avant qu'il ait inscrit son hypothèque."
Tout ce que nous avons dit ici de l'aliénateur s'applique aux copartageants pour les mêmes motifs: le texte a soin de l'exprimer.
Art. 1189. — 373. Pour le troisième privilége, celui des entrepreneurs, la publication ne peut résulter d'une transcription, puisqu'il n'y a pas mutation de propriété: elle a lieu par l'inscription des procès-verbaux qui constatent la plus-value donnée à l'immeuble par le travail des entrepreneurs.
On sait par l'article 1179 que trois procès-verbaux sont dressés successivement: le premier avant le commencement des travaux, le second dans les trois mois de leur achèvement, le troisième au moment de la liquidation.
Le troisième n'est pas publié, parce qu'il n'a plus pour but d'avertir les tiers qui acquerront des droits sur l'immeuble, mais seulement d'assurer équitablement la liquidation respective des créances privilégiés.
Le premier procès-verbal doit être inscrit, avant le commencement des travaux, afin que ceux qui acquerront ensuite des droits sur l'immeuble sachent que les travaux en cours d'exécution ne sont pas payés d'avance et qu'une créance est réservée à cet égard; elle avertit aussi les créanciers qui ont déjà des inscriptions sur ledit immeuble que la plus-value à provenir des travaux n'augmentera pas leur gage.
Le second procès-verbal doit être inscrit dans le mois de sa rédaction, laquelle, d'après l'article 1179, a dû être faite dans les trois mois de l'achèvement ou de la cessation des travaux.
Comme la première inscription a annoncé un privilége pour une créance en voie de formation, il est naturel que la seconde inscription, confirmant et complétant la première, ait un effet rétroactif à la date de celle-ci.
374. Généralement, il y a plusieurs sortes de créanciers par suite des travaux sur les immeubles: d'une part, un architecte ou un ingénieur pour les plans et la direction des travaux; d'autre part, des entrepreneurs pour l'exécution; les entrepreneurs peuvent être euxmêmes plusieurs, suivant la différence des travaux à faire. La loi, pour éviter les frais inutiles résultant d'inscription multiple des mêmes procès-verbaux, admet qu'une seule inscription de chaque procès-verbal profite " à tous les intéressés"; mais, pour cela, il faut, bien entendu, supposer que les travaux n'ont pas été reçus séparément et qu'il n'a été fait qu'un procès-verbal, tant avant les travaux qu'après leur achèvement: sans quoi, il n'y aurait pas entre eux la gestion d'affaires que la loi admet, " en l'absence de mandat."
375. La loi n'exige pas que l'inscription du second procès-verbal soit accompagnée de la fixation du montant des créances de travaux; c'est peut-être le seul cas où une inscription ne portera pas le chiffre de la créance; mais, il n'y a ici aucun inconvénient, puisque ce n'est pas sur la créance que se mesure l'étendue maximum du privilége, mais sur la plus-value résultant des travaux et que, précisément, c'est cette plus-value que révèle la seconde inscription.
C'est encore par l'effet de l'absence de mention du chiffre de chaque créance que la loi peut admettre que la diligence d'un créancier profite aux autres.
Art. 1190. — 376. Le seul fait du retard à l'inscription du premier ou du second procès-verbal n'entraîne pas pour les créanciers une déchéance totale de toute préférence, mais au lieu d'un privilége, ils n'auront plus qu'une hypothèque légale dont le rang n'est plus le même: son rang sera celui de l'inscription tardive, laquelle est toujours permise tant que l'immeuble appartient au débiteur.
Distinguons deux cas, avec le texte:
1er Cas. Le premier procès-verbal n'a été inscrit par les entrepreneurs qu'après le commencement des travaux; il en résulte qu'ils sont désormais primés par tous les créanciers hypothécaires inscrits avant eux, soit avant le commencement des travaux, soit depuis (d); mais leur rang date de l'inscription tardive du premier procès-verbal, si le second a été lui-même dressé et ins. crit en temps utile.
2e Cas. Le second procès-verbal n'a pas été dressé dans les trois mois de la fin des travaux, ou ayant été dressé dans ce délai, il n'a été inscrit qu'après un mois de sa rédaction: son rang est alors la date de cette inscription tardive.
Ces solutions seraient celles à donner pour l'application du Code français (v. art. 2110 et 2113).
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(d) A l'égard des créanciers privilégiés antérieurs dont le droit de préférence n'est fondé que sur le fait d'avoir mis une valeur dans le patrimoine. ils ne pourraient prétendre à 111 plus-value résultant des travaux (v. art. 1182).
Art. 1191. — 377. Le privilége des prêteurs de deniers n'étant autre, en réalité, que celui des créanciers par eux désintéressés, n'est soumis qu'à la même publicité. Il y a cependant ici un rappel de la distinction faite à l'article 1180: s'ils ont prêté les deniers lors du contrat principal, le privilége est né directement et immédiatement en leur personne; dès lors, ils ont à le publier, ni plus ni moins que n'aurait dû le faire celui dont ils ont la place, d'après la loi; si le privilége ne leur a été transmis que par subrogation, une sous-distinction est à faire: ou le privilége n'a pas encore été publié par le créancier primitif, alors ils le publient sous le nom de celui-ci, et de plus ils publient l'acte de subrogation, à la suite ou en marge de l'acte principal; ou déjà le privilége a été publié, alors ils ne publient que leur subrogation, de la même manière.
La même publicité est imposée aux cessionnaires des créances privilégiées.
La sanction de cette publicité accessoire de la subrogation et de la cession est indiquée par la loi, c'est que, si elle n'a pas eu lieu, " les payements ou autres actes libératoires intervenus de bonne foi entre le débiteur ou ses ayant-cause et le créancier originaire sont valables."
Art. 1192. — 378. Il est naturel que le créancier privilégié inscrit pour un capital portant intérêts, ou pour une rente perpétuelle ou viagère, ait droit à une certaine somme d'intérêts ou d'arrérages, lorsque la publication de sa créance révèle qu'elle est productive de ces prestations annuelles. Mais il ne serait pas bon que la négligence du créancier à se faire payer les intérêts ou arrérages rendît le privilége plus onéreux aux autres créanciers qu'ils n'ont pu le prévoir; dès lors, la loi devait mettre une limite raisonnable au droit à l'arriéré.
Le Projet adopte b limite de deux ans. Il s'écarte un peu, à cet égard, du Code français qui accorde deux ans " et l'année courante" (art. 2151).
Ce ne sont pas d'ailleurs deux années quelconques d'intérêts, mais les deux dernières (comp. art..1254); ce qui n'est pas indifférent, car s'il y a eu antérieurement des payements partiels du capital, les derniers intérêts seront moindres; 01', les autres créanciers peuvent avoir prévu qu'il y avait des intérêts échus non encore payés, mais ils ont dû croire naturellement que c'étaient les moins anciens.
Bien entendu, c'est à supposer qu'il y a deux ans échus, au moment de la liquidation, car il ne sera jamais rien accordé pour le temps à suivre, même sur ce qui devrait rester dû après la liquidation.
Si le créancier privilégié a laissé s'écouler plus de deux ans sans recevoir ses intérêts ou arrérages, il n'est pas déchu, à cet égard, de toute préférence sur les autres, mais il n'a plus qu'une hypothèque légale résultant du privilége dégénéré; c'est pourquoi la loi dit qu'il peut prendre " des inscriptions hypothécaires" pour l'arriéré remontant au-delà de deux ans.
La loi ne prévoit pas le cas de redevances annuelles en nature, parce qu'elles devraient toujours être estimées en argent et que, dès lors, elles seraient assimilées à des intérêts.
Cet article, par sa place et par ses termes, ne s'applique pas au privilége de la séparation des patrimoines: les séparatistes conserveraient intact leur droit à tout l'arriéré des intérêts et arrérages, car la séparation des patrimoines enlève tout droit aux créanciers de l'héritier sur les biens séparés, tant que les créanciers héréditaires ne sont pas désintéressés.
Art. 1192 bis. -379. Lors même que l'on contesterait à la séparation des patrimoines le caractère d'un véritable privilége, ce qui est difficile avec le Code français (v. art 2111), et impossible avec le Code italien (v. art. 2054 et s.) et avec le Projet japonais, il n'en faudrait pas moins soumettre à une certaine publicité l'exercice de ce droit.
Mais ici, il est impossible d'exiger que la publicité soit donnée au privilége au moment où il prend naissance, car ce moment est non pas celui de la naissance de la créance, mais celui de l'ouverture même de la succession, et il est rare que les créanciers du défunt connaissent immédiatement son décès. Pour les légataires, la créance et le privilége naissant en même temps, au décès, il est encore plus rare qu'ils connaissent leur droit dès qu'il est ouvert.
Il a donc fallu donner un délai pendant lequel la séparation pourrait être utilement inscrite, avec effet rétroactif au jour de l'ouverture de la succession: autrement, quelque diligence que les séparatistes eussent mise à faire connaître la réserve de leur droit, ils eussent toujours pu être primés par des créanciers de l'héritier plus diligents ou mieux informés qu'eux, ou même par des créanciers à hypothèque légale dispensée d'inscription, comme en France.
D'après le Code français, ce délai est de six mois, à partir de l'ouverture de la succession (art. 2111): il n'est que de trois mois d'après le Code italien (art. 2057). Le Projet adopte le délai de six mois, en considérant que les créanciers peuvent se trouver assez éloignés du domicile du défunt pour n'être informés que tardivement de son décès, et la distance leur rendra également plus difficile de se faire inscrire; ils pourraient notamment se trouver en pays étranger.
Ce cas sera le seul, dans le Projet, où un créancier inscrivant une hypothèque ou un acquéreur transcrivant une acquisition, ne sera pas assuré de conserver son droit à l'abri d'autres droits révélés postérieurement (e). Mais, en réalité, le danger n'est pas sans remède: ceux qui acquerront ainsi des droits de l'héritier, sur des biens qu'ils sauront provenir d'une succession, alors que l'ouverture n'en est pas encore très ancienne, sauront que leurs droits sont éventuels et sujets à éviction; ils auront donc à se faire donner des sûretés ou à ne pas se dessaisir des sommes qui seraient la contre-valeur à fournir par eux.
Art. 1193. — 380. Toutes les dispositions qui précèdent facilitent le classement des créanciers privilégiés respectivement.
Au premier rang, se trouvent les architectes, ingénieurs et entrepreneurs, sur la plus-value résultant de leurs travaux.
Au second rang, l'aliénateur ou le copartageant, sur les immeubles qui ont fait l'objet de l'aliénation ou du partage.
Rappelons que, lors même que les architectes ou entrepreneurs, auraient été payés autrement que par l'exercice du privilége, et, par conséquent, ne primeraient plus l'aliénateur ou le copartageant, ceux-ci ne pourraient cependant pas exercer leur privilége sur la plusvalue, parce que ce serait obtenir une préférence sur une valeur qu'ils n'ont pas mise dans le patrimoine du débiteur et qui a déjà été payé avec de l'argent tiré de la masse, au préjudice des créanciers ordinaires (V. art. 1182).
381. La loi prévoit qu'il y a eu des aliénations ou des partages successifs, et elle règle la priorité par l'ordre direct d'ancienneté des actes.
Supposons d'abord deux aliénations successives du même bien, par exemple deux ventes sans payement du prix, et les deux aliénations ayant été régulièrement transcrites, de manière à conserver les deux priviléges: il est clair que le second vendeur ne peut passer avant le premier; d'abord, il est lui-même le débiteur du premier: il ne peut le priver du prix dont il est débiteur; ensuite, il n'a pu vendre le bien que grevé du privilége du premier vendeur; enfin, tout ce que le premier vendeur touchera du second acheteur (ou de l'adjudicataire du bien revendu aux enchères) tournera à la décharge du premier acheteur, de sorte qu'il est censé le recevoir lui-même.
Supposons que l'acheteur meure et que l'immeuble soit alors l'objet d'un partage entre ses héritiers, en sorte qu'il se trouve grevé d'une soulte ou d'une prix de licitation: il est naturel que le vendeur originaire non payé prime le copartageant créancier de la soulte ou du prix de licitation, puisque ce copartageant est lui-même débiteur du prix de vente et, en outre, puisqu'il n'a pu acquérir son privilége que sur un bien déjà grevé d'un autre privilége.
Renversons l'hypothèse: le bien entré dans le patrimoine du copartageant grevé d'une soulte ou d'un prix de licitation a été vendu par lui; le privilége du copartageant sera préféré à celui du vendeur pour les mêmes raisons: le vendeur est le débiteur de la créance privilégiée née du partage et il n'a pu acquérir un privilége préférable à celui qui grevait déjà son bien.
La solution serait la même en cas de partages successifs d'un même bien.
382. A l'égard des - prêteurs de deniers, il n'y a aucune difficulté pour le rang: ils ont toujours celui qu'aurait le créancier dont ils ont la place.
383. Enfin, les créanciers et légataires du défunt qui demandent la séparation des patrimoines ne sont, en principe, primés par personne venant du chef de l'héritier, puisque, par le bénéfice de la séparation, les immeubles héréditaires sont considérés, à leur égard, comme n'étant pas entrés dans le patrimoine de l'héritier.
Mais la loi devait admettre une exception en faveur des architectes et entrepreneurs qui ont donné une pl llSvalue aux immeubles héréditaires depuis qu'ils appartenaient à l'héritier: il est évident que les séparatistes s'enrichiraient aux dépens des entrepreneurs, s'ils se faisaient payer avant ceux-ci sur la plus-value.
384. La loi ajoute que la séparation des patrimoines ne modifie pas les droits des créanciers et légataires, respectivement, c'est-à-dire les uns à l'égard des autres. En effet, elle n'est établie que contre les créanciers personnels de l'héritier.
Et d'abord, les légataires ne seront payés sur les biens du défunt qu'après les créanciers héréditaires, par application d'un principe général de la matière, qui a sa place ailleurs, à savoir que ' ' les libéralités ne sont payées qu'après la libération " (nemo liberalis nisi liberatus). '
Ensuite, s'il y a entre les créanciers du défunt quelque cause de préférence sur les immeubles, elles seront observées: par exemple, les frais funéraires, les frais de dernière maladie et les salaires des serviteurs seraient payés avant les créances ordinaires sur les immeubles séparés des biens de l'héritier; pour les autres, elles seraient payées par contribution ou proportionnellement.
Il s'élève toutefois une difficulté sur tous ces points, c'est lorsque parmi ceux qui ont droit à la séparation des patrimoines, les uns ont pris l'inscription requise et les autres l'ont négligée, de sorte que les créanciers de l'héritier ont recouvré, à l'égard de ceux-ci, le droit de se prévaloir de la confusion des biens. Il est difficile d'admettre que ceux qui ont été diligents aient, par cela seul, une préférence sur les biens du défunt contre ceux qui ont été négligents. En sens inverse, la négligence de ceux-ci ne doit pas nuire aux premiers. Il n'y a pas non plus entre eux cette sorte de confusion d'intérêts qui a fait admettre, par l'article 1189, que l'inscription du procès-verbal constatant la plus-value donnée à un immeuble par des travaux profite à tous les intéressés, par une sorte de gestion d'affaires mutuelle.
385. Plusieurs hypothèses sont à envisager. Supposons d'abord un immeuble du défunt valant 10,000 yens et deux créanciers de 5000 yens chacun, dont l'un s'est inscrit dans les six mois et l'autre non; dans ce cas, les 5000 yens pour lesquels il y a eu inscription seront attribués en entier au créancier diligent, car si l'autre l'eût été également, il aurait touché aussi les 5000 yens qui lui étaient dus; or, sa négligence ne doit pas nuire à celui qui a été diligent.
Mais si, l'immeuble étant toujours de 10,000 yens, les deux créances étaient chacune de 6000 yens, le créancier diligent ne devra pas toucher, exclusivement à l'autre, les 6000 yens qu'il a conservés par son inscription, car si l'autre créancier avait également inscrit sa créance de 6000 yens, il y aurait eu perte pour chacun d'un sixième: le créancier diligent ne doit pas profiter de la négligence de l'autre et il ne touchera que 5000 yens sur les 6000 qu'il a mis à l'abri des droits des créanciers de l'héritier: les 1000 yens resteront pour le créancier négligent.
Supposons enfin, avec les mêmes chiffres, que le séparatiste diligent soit un légataire de 6000 yens, tandis que le négligent est un créancier de pareille somme. Si tous deux avaient été diligents, le créancier aurait eu ses 6000 yens et le légataire n'en aurait pu toucher que 4000; dans le cas où la négligence vient du créancier, le légataire touchera, sur les 6000 yens qu'il a conservés, les 4000 qui devaient lui revenir à tout événement, et le créancier recevra les 2000 autres: il souffre encore de sa négligence.
Enfin le créancier a été seul diligent: il a assuré 6000 yens contre les créanciers de l'héritier, il les touchera seul et en entier: le légataire est victime de sa faute.
Toutes ces solutions sont implicitement contenues dans la formule très large de la fin de notre article. Si pourtant, il paraît nécessaire de les exprimer avee plus de précision, il sera toujours possible de le faire dans la matière des Successions, sans répétition surabondante.
Rappelons, en terminant, que le conflit de nos priviléges spéciaux avec les priviléges généraux, en tant qu'ils portent sur les immeubles, est réglé en faveur des priviléges spéciaux par l'article 1149, 4e alinéa.
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(e) La première rédaction présentait un autre cas où une transcription rétroagissait, c'était celui d'un legs (voy. art. 652 à 654). Le Projet était déjà plus favorable aux tiers, à cet égard, que les autres législations qui permettent au légataire d'opposer son legs aux tiers acquéreurs et aux créanciers hypothécaires de l'héritier, sans l'avoir transcrit à aucune époque. Mais, après mure réflexion, nous avons proposé et fait admettre que cette exception n'eût pas lieu. Nous avons donné au Tome III, les motifs impérieux de cette innovation et la rédaction nouvelle des articles 651 à 654.
Art. 1194. — 386. Les formalités relatives à l'inscription et aux théories complémentaires visées par cet article étant communes aux Priviléges et aux Hypothèques, on pourrait les exposer dans ce Chapitre, puisqu'elles s'y présentent d'abord; mais il faut reconnaître que les Hypothèques joueront dans la loi nouvelle, comme dans les autres législations, un rôle bien plus considérable que les Priviléges; dès lors, c'est dans le Chapitre des Hypothèques que les créanciers chercheront leurs droits et leurs obligations relatives tant à l'inscription et à son renouvellement qu'à la réduction et à la radiation; c'est donc là que l'on devra les trouver.
SOMMAIRE.
Art. 1195. — N° 387. Nouvelle utilité et condition de la publicité des priviléges.
1196. —388. Les priviléges généraux doivent être inscrits pour l'exercice du droit de suite.
1197. -389. Pourquoi et comment le privilége de l'aliénateur et du copartageant est moins favorisé vis-à-vis d'un sous-acquéreur que vis-à-vis des autres créanciers.
1198. —390. Conditions de l'exercice du droit de suite par les entrepreneurs de travaux.
1199. —391. Conservation du droit au prix après la perte du droit de suite.
1200. 392. Renvoi aux Hypothèques pour le mode d'exer- cice du droit de suite et ses conséquences.
COMMENTAIRE.
Art. 1195. — N° 387. On a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'annoncer que les priviléges sur les immeubles, en même temps qu'ils préservent le créancier privilégié du concours avec la masse des autres créanciers, le mettent à l'abri des conséquences ordinaires de l'aliénation de l'immeuble par le débiteur.
Le droit pour le créancier privilégié de faire considérer l'aliénation comme non-avenue, en ce qui le concerne, se nomme " droit de suite " et il s'exerce, comme le dit notre article, par voie de saisie et de revente aux enchères; après quoi, le prix est distribué aux créanciers, suivant l'ordre de préférence déterminé précédemment.
Le tiers détenteur peut se préserver de cette expropriation, en satisfaisant les créanciers privilégiés; divers moyens lui sont ouverts à cet effet, et comme ils sont les mêmes que vis-à-vis des créanciers hypothécaires, c'est au Chapitre suivant qu'ils seront exposés, pour la même raison que celle donnée plus haut au sujet de l'inscription (v. art. 1200 et 1313).
L'exercice du droit de suite est, comme celui du droit de préférence, soumis à la condition d'une publication préalable par l'un des moyens indiqués au § précédent: il y a, en effet, autant et plus encore de raisons d'avertir les acquéreurs que le bien est grevé d'un droit réel qui leur sera opposable et qui peut entraîner leur éviction.
La disposition de notre article est générale: elle s'applique à tous les priviléges. Elle pourrait se décomposer en deux règles:
1° Tout privilége inscrit ou autrement publié, pour l'exercice du droit de préférence, l'est en même temps, et par cela même, pour le droit de suite; cette première règle ne comporte pas d'exception: elle s'appliquera notamment au privilége de la séparation des patrimoines, solution qui fait doute en France, pour ceux qui n'admettent pas que ce droit soit un véritable privilége;
2° Les priviléges dispensés de publicité au point de vue du droit de préférence ou à l'égard desquels le défaut de publicité n'entraîne pas une déchéance absolue, peuvent être soumis plus rigoureusement à la publicité pour l'exercice du droit de suite.
C'est cette seconde règle qui est reprise par les trois articles suivants.
Art. 1196. — 388. On aurait pu croire que les priviléges généraux qui ne s'étendent aux immeubles que subsidiairement, à défaut de meubles suffisants, et qui sont dispensés d'inscription pour l'exercice du droit de préférence (v. art. 1150), en devaient être également dispensés pour l'exercice du droit de suite. Mais ce serait une faveur exagérée: la loi doit donner le plus de sécurité possible aux tiers acquéreurs; il serait très dangereux pour eux de payer leur prix à leur vendeur, en l'absence de publication des priviléges généraux et d'être ensuite forcés de payer les dettes mentionnées à l'article 1142, dont l'importance pourrait encore être considérable; ils auraient, il est vrai, un recours en garantie contre le vendeur, mais, en pareil cas, celui-ci serait presque toujours insolvable.
Il est beaucoup plus simple, plus naturel et plus juste que les créanciers ayant un privilége général, s'ils estiment que les meubles ne suffiront pas à les payer et s'ils peuvent craindre une prompte aliénation par leur débiteur, prennent une inscription sur un ou plusieurs de ses immeubles.
Comme, le plus souvent, l'exercice des priviléges généraux a lieu par suite du décès du débiteur, les créanciers qui nous occupent pourraient demander la séparation des patrimoines: cela leur permettrait de prendre utilement une inscription dans les six mois du décès avec effet rétroactif (v. art. 1192 bis).
Art. 1197. — 389. Voici encore un cas où le tiers détenteur est mieux traité par la loi que les créanciers privilégiés.
On a vu à l'article 1186 que s'il n'y a pas eu transcription d'une aliénation ou d'un partage d'où résulte un privilége, celui-ci n'est pas perdu, et même n'est pas encore né, parce que la propriété est considérée comme appartenant encore, au regard des tiers, à l'aliénateur ou au copartageant.
La même décision aurait pu, à la rigueur, être adoptée pour le conflit entre le privilége de l'aliénateur ou du copartageant et le droit d'un sous-acquéreur: il eût été tout aussi logique de permettre à l'aliénateur originaire d'opposer au sous-acquéreur le dilemme dont on l'a vu armé pour la défense de son droit contre les créanciers de son acquéreur (v. n° 367); il pourrait bien leur reprocher leur incurie, d'avoir acquis l'immeuble d'une personne dont les droits n'étaient pas régulièrement établis par une transcription.
Mais le Projet tient compte aussi de l'utilité générale qui veut que les biens puissent circuler aisément et que les acquéreurs soient, autant que possible, à l'abri de l'éviction.
Le sous-acquéreur qui voudra se mettre à l'abri du droit de suite indéfini du vendeur originaire pourra d'abord faire transcrire le titre de son auteur: il publiera par là le privilége du vendeur et il se soumettra au droit de suite, mais avec la faculté de purger le privilége comme les hypothèques.
S'il a soin de ne pas payer son prix à son cédant, il ne courra d'autre risque que celui d'avoir fait une acquisition laborieuse et qui pourra être résolue.
Mais s'il a eu l'imprudence de transcrire son acquisition avant celle de son auteur, le Projet lui donne encore la faculté de mettre le vendeur originaire en demeure de faire connaître son droit par la transcription du titre d'où il procède.
La mise en demeure se fait par une sommation, à personne ou à domicile, et elle fait courir un délai d'un mois pour faire procéder à ladite transcription.
Comme il peut y avoir une assez grande distance entre le lieu où la sommation sera remise et le bureau de transcription de la situation de l'immeuble, le mois est augmenté du délai ordinaire des distances, tel qu'il est réglé au Code de Procédure civile. Si la loi s'en explique ici, c'est parce que, dans la plupart des autres cas où il sera fait mention de mise en demeure aux créanciers, ces créanciers seront supposés inscrits, avec élection de domicile dans la circonscription du bureau des transcriptions et inscriptions, et que, des lors, il n'y aura pas lieu à augmentation du délai à raison des distances. L'article suivant est précisément un exemple de cette différence.
Par une exception fondée encore sur la faveur que mérite le tiers acquéreur, la loi le dispense d'une pareille sommation " lorsque son cédant était en possession civile de l'immeuble depuis plus de dix ans." Cette possession que la loi a soin de qualifier de " civile," qui est, par conséquent, à titre de propriétaire et qui est fondée sur une juste cause, donne lieu de croire au tiers détenteur, par sa durée, que l'acquéreur originaire était libéré de toutes les obligations portées dans son titre.
Art. 1198. — 390. Lorsque les entrepreneurs et autres créanciers à raison de travaux ont publié le premier procès-verbal, dans les conditions prévues à l'article 1189, avant la transcription de l'aliénation de l'immeuble, leur privilége se trouve annoncé d'avance, tant vis-à-vis des tiers acquéreurs que vis-à-vis des créanciers qui contractent postérieurement.
Si le délai de la rédaction ou celui de l'inscription du second procès-verbal est en cours, au moment de la transcription de l'aliénation du fonds (ce qui suppose que les travaux sont achevés ou ont cessé), le tiers détenteur peut réduire à un mois ce qui reste à courir du délai légal, au moyen d'une sommation à laquelle on appliquera ce qui est dit à l'article précédent du mode de signifier à personne ou domicile, mais non ce qui concerne l'augmentation du délai des distances, précisément par le motif inverse de celui qui l'a fait admettre plus haut, à savoir que l'entrepreneur qui a déjà inscrit le premier procès-verbal a dû élire domicile dans l'arrondissement du bureau.
Art. 1199. — 391. La disposition du présent article est doublement intéressante: d'abord, en ce qu'elle sauvegarde le droit du créancier négligent, dans la mesure où cela peut se faire sans nuire au tiers détenteur; et, en effet, il importe peu à celui-ci que son prix d'acquisition aille à l'un ou à l'autre des créanciers de son cédant; ensuite, en ce que la loi ne qualifie pas le droit du créancier du nom à.'hypothèque, comme lorsqu'il remplace un privilége dégénéré; en effet, ce n'est pas une hypothèque qu'un droit à une somme d'argent, à recevoir par préférence dans une liquidation: l'immeuble n'est pas affecté de ce droit qui, dès lors, n'est pas réel.
Sur ce prix, le créancier privilégié comme aliénateur ou copartageant primera les créanciers hypothécaires, même inscrits, de son cessionnaire et, à plus forte raison, les créanciers chirographaires de celui-ci, puisque, la cession ou le partage n'ayant pas été transcrits, il était réputé, vis-à-vis de ces créanciers, resté propriétaire (v. art. 1186).
A cet égard, sa situation est meilleure que si la transcription avait été incomplète, c'est-à-dire n'avait pas porté que le prix de vente ou une soulte lui était encore dus, cas auquel les créanciers de l'acquéreur, ayant connu la cession sans ses charges, auraient été fondés à croire que le bien était entré libre dans le patrimoine de l'acquéreur (v. art. 1187).
Art. 1200. — 392. Le but de cet article est comme celui de l'article 1194, de faire savoir que, pour les théories communes aux Priviléges et aux Hypothèques, la loi préfère les exposer sous ces dernières, comme étant d'une application beaucoup plus fréquente que les Privilèges.
SOMMAIRE.
Art. 1201. — N° 393. Définition de l'hypothèque. —394 à 397. L'hypothèque est un droit réel et immobilier et un démembrement de la propriété.
1202. -398. Indivisibilité de l'hypothèque.
1203 et 1204. -399. Hypothèque de la nue propriété, de l'usufruit, du bail, de l'emphytéose et de la superficie. -400. Justification d'une répétition à ce sujet. -401. Limites pour le propriétaire au droit d'hypothéquer, quand la propriété n'est pas encore démembrée. -402. Hypothèque d'une part divise ou indivise. -403. Défense au sujet des servitudes actives et des immeubles par destination. -404. Hypothèque de la surface séparée de la mine et des minières Secùs pour les carrières. -405. Défense directe d'hypothéquer l'usage et l'habitation et autres choses inaliénables. -406. Idem de trois créances immobilières mentionnées à l'article 11: motifs particuliers de la prohibition. -407. Réserves pour l'hypothèque des rentes immobilisées. —408. Prohibition de l'hypothèque des meubles, sauf pour les navires: renvoi. -409. Comparaison, au sujet de la règle et de l'exception, entre le Code français et le Projet japonais.
1205. -410. Application du présent Code, comme droit commun, aux hypothèques du Code de Commerce.
1206. -411. Améliorations fortuites du fonds hypothéqué.-412. Idem par le fait du débiteur. -413. Acquisitions et bâtiments contigus.
1207. -414. Détériorations et diminutions par cas fortuit, par force majeure ou par le fait d'un tiers: détriment du créancier. - 415. Idem par le fait du débiteur: supplément d'hypothèque. -416. Observation sur l'article 2131 du Code français.
1208. -417. Les actes d'administration restent permis au débiteur.
COMMENTAIRE.
Art. 1201. — N° 393. Le mot français " hypothèque" vient, en passant par le latin, d'un mot grec qui signifie u soutien, support," pour exprimer la sûreté ou la garantie d'une créance. A cet égard, le sens ne serait pas assez précis, puisqu'il y a bien d'autres sûretés; le mot bypothèque n'explique même pas que la sûreté soit réelle et, le fît-il, il ne la séparerait pas encore de celles qui précèdent, lesquelles aussi sont réelles.
La définition donnée ici de l'hypothèque a pour but de remédier à cette difficulté.
On y indique: 1° que l'hypothèque est un droit réel, ce qui la sépare des trois sûretés personnelles; 2° qu'elle porte seulement sur les immeubles, ce qui la sépare des priviléges qui peuvent aussi porter sur les meubles; 3° qu'elle résulte de la volonté de l'homme, aussi bien que de l'autorité de la loi, ce qui la sépare encore des priviléges, lesquels, sauf le cas de nantissement, ne viennent que de la loi; 4° qu'il n'y a pas besoin de nantissement, ce qui la sépare du nantissement immobilier qui vient aussi de la volonté de l'homme; enfin, 5° qu'elle donne au créancier qui en est investi un droit de préférence sur les autres créanciers; mais la définition ne peut dire quel est le degré de cette préférence.
394. On discute souvent, en France, si l'hypothèque est ou non un démembrement de la propriété et même si elle est un droit mobilier ou immobilier.
Si ce n'étaient les égards dûs aux autorités considérables qui nient qu'elle soit un démembrement de la propriété et qui lui reconnaissent un caractère mobilier, nous dirions que nous ne concevons même pas l'hésitation dans le sens du caractère immobilier et, par conséquent, du démembrement de propriété.
D'abord il n'est pas douteux que l'hypothèque soit un droit réel, non seulement dans le Projet (art. 2), mais dans le Code français (art. 2114); or, un droit réel sur un immeuble peut-il n'être pas un droit immobilier ?
Les droits d'usufruit, de bail, de servitude, portant sur un immeuble, ne sont-ils pas immobiliers ?
395. On objecte que l'hypothèque est un droit accessoire garantissant un droit personnel qui est le plus souvent mobilier par son objet, comme une créance de somme d'argent, que, dès lors, l'accessoire ne peut avoir une autre nature que le principal et que l'hypothèque ne serait un droit immobilier que si elle garantissait une créance immobilière, ce qui sera rare. Mais nous contestons que le droit accessoire ait besoin d'être de la même nature que le droit principal pour avoir le même sort; nous en avons la preuve dans le droit de nantissement immobilier qu'il est impossible de ne pas considérer comme immobilier par sa nature autant que par l'objet sur lequel il porte et qui pourtant, lorsqu'il garantit une créance mobilière, se transmet et s'éteint avec elle. C'est encore par suite de son caractère accessoire que l'hypothèque, comme le nantissement immobilier, serait, quoiqu'immobilière, cessible par celui qui aurait la capacité de céder la créance à laquelle elle est attachée; de même, le légataire de tous les meubles, ayant droit à la créance mobilière, aurait également droit à l'hypothèque ou nantissement immobilier, quoiqu'il pût y avoir en même temps un légataire des immeubles.
396. On a fait une autre objection au caractère immobilier de l'hypothèque: on a dit qu'elle ne donne au créancier que le droit d'obtenir un prix en argent de la vente de l'immeuble, que le droit est mobilier, puisqu'il tend à obtenir une chose mobilière (mobile est quod tendit ad mobile); mais l'usufruit aussi, le bail aussi, le nantissement immobilier aussi, ne procurent à l'ayant-droit que des choses mobilières, des fruits, et cependant on ne nie pas que ce soient des droits immobiliers, car ces fruits sont obtenus par une action sur la chose, laquelle peut s'exercer même contre les tiers détenteurs; or, le créancier hypothécaire, qui a de même le droit de suivre l'immeuble contre les tiers détenteurs, a bien aussi un droit immobilier.
397. Enfin, il y a des auteurs qui, sans nier que l'hypothèque soit un droit réel immobilier, lui contestent le caractère de démembrement de la propriété.
Mais qu'est-ce au juste qu'un démembrement de la propriété ? Si l'on en avait une définition légale, il serait sans doute facile de vérifier si l'hypothèque rentre dans cette définition; mais c'est là une expression plutôt doctrinale que légale et dès lors on peut varier sur la portée à lui donner.
Selon nous, la propriété est démembrée quand tous les droits qui la constituent ou qui en découlent ne sont "pas réunis sur la même tête. Or, quels sont les droits dont l'ensemble constitue la propriété ?
Le Projet japonais (art. 31), comme le Code français (art. 544), définit la propriété " le droit d'user, de jouir et de disposer d'une chose de la manière la plus absolue (la plus étendue)." Or, on a dit que le débiteur qui a hypothéqué son fonds n'a perdu ni le droit d'user, ni celui de jouir, ni celui de disposer. Mais si celui dont le bien est hypothéqué n'a pas conservé ces trois droits dans leur entier, avec leur caractère absolu, et c'est ce qu'il est facile de démontrer, la propriété est démembrée à son préjudice.
Il est vrai qu'à la différence de celui qui a donné son fonds en nantissement, celui qui l'a hypothéqué en conserve la possession et la jouissance. Mais a-t-il gardé un droit absolu d'user et de jouir ? Peut-il faire des actes qui, pour un usufruitier, seraient considérés comme abus de jouissance? Tout le monde répondra qu'il ne le peut. Peut-on dire aussi qu'il ait gardé le droit absolu de disposer, quand on reconnaît qu'il ne peut supprimer des constructions ou des plantations importantes et quand ses aliénations exposent son acquéreur au droit de suite, c'est-à-dire à la vente pour l'acquittement de ses dettes (v. c. fr., art. 2182, 2e al.) ?
La conclusion, pour nous, est donc que le droit d'hypothèque est toujours immobilier, même quand il est l'accessoire d'une créance mobilière, et qu'il constitue un démembrement de la propriété.
Nous en dirons autant, et par les mêmes raisons, des priviléges sur les immeubles.
Art. 1202. — 398. Il n'y a pas à reprendre les effets de cette indivisibilité active et passive qui est commune à toutes les sûretés réelles (v. art. 1097, 1110, 1128 et 1137).
Rappelons seulement ce qui a déjà été dit, au sujet des autres sûretés, que cette indivisibilité est de la nature du droit d'hypothèque, en ce sens qu'elle n'a pas besoin d'être stipulée; mais elle n'est pas de son essence, en ce qu'elle peut être exclue par convention, et le texte l'exprime.
Ce n'est peut-être pas en ce sens que le Code français a dit que "l'hypothèque est, de sa nature, indivisible " (art. 211-1, 2e al.); nous inclinons à croire qu'il a voulu dire qu'elle est, comme les servitudes, indivisible par la nature des choses, ce qui ne serait pas exact. Quoiqu'il en soit du sens que le Code français a attaché à cette expression, on peut dire que l'indivisibilité de l'hypothèque résulte de l'intention des parties: la loi présume cette intention, mais seulement jusqu'à preuve contraire; c'est ainsi que l'on doit entendre l'article 20, Se alinéa, du Projet, lorsqu'il énonce l'hypothèque parmi les choses " indivisibles par la disposition de la loi."
Art. 1203 et 1204. -399. Il s'agit ici des choses susceptibles d'être hypothéquées et de celles qui ne le sont pas.
La règle est que tous les droits réels immobiliers sont susceptibles d'hypothèque et que, par exception, quelques-uns ne le sont pas. Cependant, les droits réels étant peu nombreux, la loi énonce aussi bien ceux qui peuvent être hypothéqués que ceux qui ne peuvent pas l'être. Le Code français a procédé autrement: il n'énonce qu'une classe de biens, ceux qui " sont seuls susceptibles d'hypothèque " (art. 2118), comme si la possibilité d'être hypothéqués était une condition exceptionnelle pour les biens; mais il y compte, en première ligne, " les biens immobiliers qui sont dans le commerce," et ainsi la forme restrictive est bien élargie.
Dans le Projet, on indique d'abord, les biens qui peuvent être hypothéqués: en premier lieu, la propriété, soit pleine, soit démembrée de l'usufruit; puis, naturellement, l'usufruit, avec une exception au sujet de l'usufruit légal des père et mère, lequel est exclusivement attaché à leur personne et ne pourrait être vendu aux enchères, à défaut de payement; viennent ensuite le droit de bail sur un immeuble, puisqu'il est un droit réel dans le Projet, enfin l'emphytéose qui est un bail à long terme, et la superficie qui est un droit de propriété tout spécial.
400. On pourrait objecter que le droit d'hypothé. quer a déjà été reconnu précédemment à l'usufruitier (art. 71), au preneur à bail (art. 143) et, implicitement, à l'emphytéote, par l'effet d'un renvoi général aux règles du bail ordinaire (art. 168); mais, comme on l'a répondu, au sujet d'objections semblables, il est bon que certaines théories soient complètes par elles-mêmes, surtout celles qui, comme l'usufruit, sont plus ou moins nouvelles au Japon: il est utile que ceux qui étudieront dans la loi seule les droits de l'usufruitier y voient qu'il peut hypothéquer son droit, ce qu'ils n'apercevraient pas aussi facilement s'il n'en était question qu'au sujet des hypothèques; de même pour le preneur à bail: c'est une innovation que le caractère réel reconnu au droit de bail; on aurait pu douter que ce droit pût être hypothéqué; il ne fallait pas attendre pour le voir qu'on fût arrivé où nous en sommes.
Si l'on n'a pas trouvé, au sujet du super ficiaire, la mention de la faculté d'hypothéquer son droit, c'est que la superficie est un véritable droit de propriété sur des bâtiments ou plantations et que le doute n'a pas paru possible. Mais notre article s'en explique formellement et, à cette occasion, il énonce une prohibition qui se rattache à ce droit ainsi qu'à celui d'usufruit.
401. On aurait pu croire que le plein propriétaire qui peut démembrer sa propriété, en constituant un usufruit ou un droit de superficie, pourrait aussi hypothéquer l'usufruit sans la nue propriété, ou les constructions sans le sol ou, réciproquement, hypothéquer la nue propriété sans l'usufruit ou le sol sans la superficie.
Assurément, ces combinaisons ne trouveraient pas d'obstacle dans la nature même des choses: le créancier hypothécaire aurait donné à son droit, tel qu'il eût pu être, la publicité requise en matière d'hypothèque, et, à défaut de payement, il aurait saisi et fait vendre la fraction de droit ou plutôt le droit limité qui lui aurait appartenu. Mais la loi ne doit pas favoriser de tels fractionnements de la propriété, parce qu'ils préparent des occasions de conflits entre les divers ayant-droit.
Le texte explique donc que l'hypothèque ne peut être constituée sur l'usufruit sans la nue propriété ou sur la nue propriété sans l'usufruit, sur la superficie sans le sol ou sur le sol sans la superficie, que lorsque ces démembrements de la propriété ont été établis antérieurement (1).
402. Il n'y a pas le même obstacle à l'hypothèque d'une partie divise de la propriété, c'est-à-dire d'une portion déterminée par des limites matérielles qui en feraient en quelque sorte une propriété distincte, ni d'une portion indivise, comme une moitié, un tiers, un quart. Dans le premier cas, à défaut de payement, la portion hypothéquée sera vendue aux enchères et elle sera désormais un immeuble distinct de celui dont elle aura été détachée; dans le second cas, l'acheteur aux enchères deviendra copropriétaire du débiteur qui aura constitué l'hypothèque sur une part indivise en conservant le reste.
403. Le 49 alinéa donne au sujet des servitudes une solution analogue à celles du second alinéa et par un motif encore plus frappant: les servitudes actives ne peuvent se concevoir, même par la pensée, séparées du fonds dominant: elles en sont, en quelque sorte, des qualités, comme disaient les jurisconsultes romains; d'ailleurs, elles ne pourraient trouver acquéreur, lors de la vente qui en serait faite aux enchères, à défaut de payement.
Le motif n'est pas le même pour la prohibition d'hypothéquer les immeubles par destination: c'est qu'ils ne sont immeubles que par leur attache à un fonds et tant que dure cette attache; lors donc que la vente aux enchères s'en ferait, ce ne serait plus que comme de meubles ordinaires. Ils peuvent d'ailleurs être donnés en gage.
404. Les mines et minières concédées par le Gouvernement sont soumises à une législation spéciale qui ne permet pas de les hypothéquer, parce que la concession est personnelle. Lorsque même que le sol et la mine appartiennent au même propriétaire, celui-ci ne peut hypothéquer que la surface et non la mine.
Le propriétaire du sol ne pourrait non plus hypothéquer une marnière, une tourbière ou une carrière séparément du sol, parce qu'au cas de saisie hypothécaire et de vente, il serait difficile de déterminer sans arbitraire l'étendue et la durée du droit de l'adjudicataire. Mais s'il les avait données à bail, le preneur pourrait les hypothéquer comme tout autre droit de bail, et l'adjudicataire exercerait le droit avec l'étendue et la durée que lui donnait le contrat primitif.
405. L'article 1204 énonce d'autres prohibitions plus directes d'hypothéquer.
La première concerne deux droits auxquels on songe naturellement après celui d'usufruit, à savoir, les droits d'usage et d'habitation. Comme ces droits sont inaliénables ou incessibles par celui au profit duquel ils ont été constitués (v. art. 119), il est clair que l'hypothèque en est par cela même impossible, car elle tendrait à une vente aux enchères et cette vente est défendue.
La loi ajoute à cette prohibition spéciale une défense générale d'hypothéquer les biens inaliénables ou insaisissables.
406. En second lieu, la loi défend d'hypothéquer les créances immobilières mentionnées à l'article 11, nos 2 et 3, lesquelles sont au nombre de trois.
1er Cas. Une créance a pour objet l'acquisition d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble à acquérir est non pas un corps certain, mais une quantité: par exemple, tant de tsoubos de terrain à choisir dans une plus grande quantité. Il est clair que, dans ce cas, la propriété n'a pu être transférée par le seul consentement, que le stipulant n'a pu acquérir qu'une créance et que la propriété ne lui sera acquise que par la tradition ou par une détermination faite d'un commun accord ou par la voie convenue (art. 352 et 633); mais la créance est immobilière, puisqu'elle tend à l'acquisition d'un immeuble.
Est-ce une raison pour qu'elle soit susceptible d'hypothèque ?
On ne l'admet pas dans le Projet: il n'est pas assez sûr que la créance se réalisera effectivement en acquisition du terrain promis: il pourra arriver que le promettant n'ait pas la quantité promise de terrain et soit finalement condamné à des dommages-intérêts que peut-être même il ne pourra payer. Ce serait donc manquer le but de l'hypothèque que de laisser les parties s'engager dans une voie qui ne peut y conduire avec certitude. En outre, il y aurait des difficultés sérieuses pour donner à cette hypothèque la publicité nécessaire.
2e Cas. La seconde créance immobilière qui ne peut être hypothéquée est celle qui aurait pour but de recouvrer un immeuble. Le cas est rare et ne doit pas être confondu avec d'autres qui en sont voisins.
Lorsque quelqu'un a une action en résolution, en rescision ou en révocation d'une aliénation d'immeuble, on est porté à dire qu'il a " une action tendant à recouvrer un immeuble mais, en réalité, on peut dire que cette personne a déjà le droit même sur l'immeuble, sous la condition de faire les justifications nécessaires'; elle a même plutôt conservé son droit antérieur sur l'immeuble, puisque les conditions d'une aliénation valable n'ont pas été remplies.
En pareil cas, l'aliénateur pourrait certainement hypothéquer l'immeuble objet du droit d'action dont il s'agit, en présentant son droit tel qu'il se comporte, c'est-à-dire comme conditionnel et subordonné au succès de son action judiciaire. En effet, on a établi en son lieu (T. II, nos 361 et 365, in fine) que celui qui a aliéné un bien sous condition résolutoire, expresse ou tacite, a retenu la propriété sous condition suspensive, et l'article 430 nous a dit que les deux intéressés peuvent disposer de leur droit sous la même condition que celle dont il est affecté, ce qui comprend le droit d'hypothéquer, si d'ailleurs l'hypothèque ne rencontre pas quelque autre obstacle.
Ce que nous disons du droit de résolution s'applique également et par les mêmes motifs au droit de faire rescinder ou révoquer une aliénation: l'hypothèque conditionnelle est permise à l'égard du droit qui peut être recouvré par l'effet de l'action, parce que l'action est elle-même réelle en même temps qu'immobilière.
Mais la prohibition de notre article s'appliquera à l'action en rescision d'une aliénation faite sous l'influence du dol: dans ce cas particulier, l'action est purement personnelle, le Projet s'en explique formellement (v. art. 333, 3e et 4e al.): l'aliénateur n'a pas conservé la propriété sous condition suspensive; il peut seulement la recouvrer, à titre de réparation du dol, si elle n'est pas passée dans les mains d'un tiers. On conçoit donc que la loi ne permette pas d'hypothéquer un pareil droit personnel qui ne mène pas nécessairement à la propriété immobilière.
On peut rapprocher de ce cas celui de la promesse de vendre, soit unilatérale, soit réciproque, dont traitent les articles 663 à 665; on y trouvera les mêmes situations: ou la promesse aura conféré un droit réel conditionnel, ce qui sera le plus fréquent, alors l'hypothèque sera possible, comme s'appliquant au droit réel, ou elle n'aura donné qu'une créance, un droit personnel, alors l'incertitude de l'exécution en nature formera obstacle à l'hypothèque.
3e Cas. La troisième créance immobilière que la loi défend d'hypothéquer est celle qui aurait pour objet d'obtenir " la construction d'un bâtiment, avec les matériaux du constructeur son objet est bien immobilier, car, après l'exécution, il y aura un nouveau bâtiment dans le patrimoine du créancier, et ce n'est pas sans raison que la loi suppose que les matériaux doivent appartenir au constructeur: autrement, et s'ils devaient appartenir au stipulant, celui-ci n'aurait droit qu'au fait même de la construction, il n'acquerrait pas un nouveau bien, mais seulement la modification de ses matériaux.
Quant à la raison pour laquelle cette créance ne peut être hypothéquée, c'est, d'abord, comme pour les deux précédentes et, avec plus de force encore, l'incertitu.de, le peu de probabilité de l'exécution réelle qui mettra un nouvel immeuble dans le patrimoine du stipulant: il y a trop à craindre que l'obligation ne se résolve en dommages-intérêts; c'est ensuite que la construction, si elle était vraiment exécutée, ne constituerait pas toujours un droit de superficie susceptible d'hypothèque: il faudrait pour cela que le stipulant ne fût pas propriétaire du sol sur lequel le bâtiment sera élevé; car on a vu à l'article précédent que si le stipulant a, tout à la fois, le sol et le bâtiment, il ne peut hypothéquer l'un séparément de l'autre.
407. Pour la quatrième créance immobilière, celle désignée au n° 4 de l'article 1 l, nous n'avons ici ni une prohibition ni une autorisation de l'hypothèque. D'abord, ce ne sera que très exceptionnellement que la loi permettra d'immobiliser des rentes sur l'Etat ou autres créances ayant pour débiteur principal ou subsidiaire l'Etat ou quelque puissante compagnie, comme la Banque du Japon (Nippon Ginko). Ensuite, quand cela aura lieu, ce ne sera pas une raison pour que l'hypothèque de tels immeubles soit permise: le plus souvent, ces créances seront en même temps déclarées inaliénables et insaisissables, ce qui suffira à en empêcher l'hypothèque (a). Mais si l'hypothèque en est un jour permise par une loi spéciale, cette loi devra aussi pourvoir aux moyens de la rendre publique: ce ne pourra évidemment être le mode ordinaire, puisque les rentes et autres créances analogues n'ont pas de situation locale comme les immeubles corporels; évidemment, la publicité devra consister dans une déclaration faite sur les registres du rrrésor public ou de la compagnie débitrice, avec mention, sur le titre, du nom du créancier hypothécaire, du droit qui lui est conféré et du montant de sa créance ainsi garantie.
408. La définition même de l'hypothèque qualifiée "droit réel sur les immeubles " suffirait à en exclure les meubles; mais, par cela même qu'une exception est possible à la défense de les hypothéquer, il faut bien commencer par poser en règle la prohibition.
L'exception réservée concerne les navires et bateaux qui, bien que meubles essentiellement, peuvent avoir une valeur considérable et être un moyen de crédit pour leurs propriétaires.
Assurément, comme meubles, ils peuvent déjà être donnés en gage; mais alors le débiteur doit se dessaisir de la possession en faveur du créancier, ce qui l'empêche d'en tirer profit.
En France déjà, et dans quelques autres pays, on a imaginé de permettre l'hypothèque des navires, sans nantissement du créancier; la publicité est donnée à cette hypothèque par une voie spéciale consistant dans l'incription sur un registre tenu au port d'attache du navire; la purge en est soumise aussi à des formalités particulières (v. Loi fr. du 10 déc. 1874).
Le besoin d'admettre au Japon une pareille hypothèque s'est déjà fait sentir: elle est autorisée, au moins implicitement, par une loi spéciale de la xixe année de Meiji qui en règle la publicité -, mais c'est une matière dans laquelle l'expérience des faits pourra suggérer quelques additions à la loi.
409. Les deux dispositions qui précèdent, la règle et l'exception, paraissent empruntées au Code français (v. art. 2119 et 2120); cependant, il n'y a pas similitude entière entre les deux lois. Dans le Code français, il est dit que " les meubles n'ont pas de suite par hypothèque," ce qui semblerait signifier que les meubles peuvent bien être hypothéqués quant au droit de préférence entre créanciers, mais non quant au droit de suite contre les tiers détenteurs; toutefois, il résulte clairement de l'historique de cette disposition dont la formule a été empruntée à l'ancienne coutume de Paris, laquelle l'avait elle-même empruntée à la jurisprudence du Châtelet de Paris, que l'on a, de tout temps, entendu exprimer par là que les meubles ne pouvaient pas être hypothéqués, avec l'un ou l'autre effet: ils pouvaient bien être l'objet de certains priviléges, mais seulement " tant qu'ils étaient >Qans la possession du débiteur; " tout au plus, auraient-ils pu être recouvrés contre les tiers, quand ils étaient sortis par fraude des mains du débiteur; mais alors ce n'était ni par l'effet du privilége, ni par celui d'une hypothèque, mais par l'effet ordinaire de l'action révocatoire ou paulienne (comp. c. civ. fr., art. 1167 et Projet jap., art. 360).
Le Code français réserve aussi " les dispositions des lois maritimes au sujet des navires et bâtiments de mer il ne fait pas allusion à l'hypothèque des navires, laquelle est d'institution récente: il se réfère aux divers priviléges portant sur les navires (v. c. com., art. 190 à 196). L'article 2120 aurait donc du être placé au Chapitre des Priviléges spéciaux sur les meubles.
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(1) Le Code officiel n'énonce pas cette double prohibition: on a voulu qu'un propriétaire pût hypothéquer ses bâtiments sans le sol et sans doute aussi le sol sans les bâtiments. Il en résultera une difficulté sérieuse quant à la fixation de la redevance qui lui sera due ou qui sera due par lui, lorsque, par l'effet de la saisie hypothécaire et de la vente des bâtiments ou du sol, les deux sortes de propriétés se trouveront dans des mains différentes; c'était là une de nos raisons de proposer la prohibition. On devra donc, lors de la mise en vente aux enchères, porter au cahier des charges le chiffre de la redevance à payer ou à recevoir.
Mais, au cas où le propriétaire aura hypothéqué le sol sans les bâtiments, à quel moment ne sera-t-il plus que superficiaire ? Quand cessera-t-il de pouvoir réconforter ses bâtiments (ce que ne peut faire un superficiaire) ? Sans doute, ce ne sera que lors de la saisie et si elle a lieu. C'est une situation bien équivoque que peut-être on aurait dû éviter.
(a) Depuis la première rédaction de l'article 11, les prévisions que nous avions indiquées au sujet de l'utilité de cette disposition se sont réalisées: à la création des nouveaux titres de noblesse au Japon on a attaché des dotations en rentes sur l'Etat qui constituent de véritables majorats, c'est-à-dire des biens ne se transmettant héréditairement qu'à l'aîné (major) des enfants mâles du noble. Ces rentes sont déclarées inaliénables et insaisissables, pour que la transmission à l'aîné en soit assurée; elles ne sont pas d'ailleurs, à proprement parler, immobilisées.
Ce n'est pas ici le moment d'apprécier l'institution des majorats et de signaler ses inconvénients dans l'ordre moral et économique. On peut d'ailleurs voir ce que nous en avons dit, pour la France, dans notre Histoire de la Réserve héréditaire et de son influence morale et économique, Paris 1872; traduction abrégée par M. Dubousquet, revue par M. le sénateur Akizouki (Totio, XIIIe année de Meiji, 1880).
Art. 1205. — 410. La disposition du présent article est analogue à la dernière de l'article précédent: elle établit que les règles de ce Chapitre formeront le droit commun des hypothèques et régiront les hypothèques qui pourraient être établies sur les immeubles par le Code de Commerce. Il pourra, en effet, y avoir une hypothèque légale générale sur les biens du failli, au profit de la masse des créanciers (comp. c. com. fr., art. 490, 26 al.); cette hypothèque pourra avoir quelques règles spéciales; mais elle restera soumise au présent Code pour tous les points qui ne seront pas autrement réglés.
Art. 1206. — 411. Le présent article diffère par ses développements de l'article 2133 du Code français qui est peut-être trop laconique et laisse place à des doutes: il dit que " l'hypothèque s'étend à toutes les améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué; " mais il est muet sur les augmentations, et il ne s'explique pas sur les causes possibles des améliorations.
Les solutions ici proposées sont celles qu'on doit, selon nous, donner d'après le Code français
D'abord les améliorations fortuites survenues au fonds profitent au créancier hypothécaire, sans objection possible, puisqu'elles sont en même temps gratuites, comme le texte a soin de l'exprimer; telle serait la plus-value résultant de l'ouverture, dans le voisinage, d'une route, d'un canal, d'un chemin de fer, l'établissement d'un pont, etc. Même solution pour les acquisitions ayant aussi le caractère fortuit et gratuit, comme l'alluvion; c'est l'exemple donné par le texte même.
412. Viennent ensuite les améliorations qui sont du fait du débiteur et sont obtenues à ses frais, " telles que constructions, plantations ou autres ouvrages." Ici, le doute pourrait se présenter, car ce que le débiteur tire de son patrimoine est enlevé au gage général de ses créanciers pour augmenter celui de l'un d'eux. Cependant, il y a tant de variétés possibles dans l'importance de ces dépenses et celles-ci peuvent être légitimes dans tant de cas que la loi pose en principe qu'elles profitent au créancier hypothécaire. D'un autre côté, l'abus est possible et pour le prévenir, en même temps que pour indiquer immédiatement le remède, la loi excepte d'abord le cas de fraude aux autres créanciers; elle rappelle ensuite que les constructions et autres ouvrages peuvent donner lieu au privilége des architectes et entrepreneurs, réglé aux articles 1178 et 11 79, de sorte que l'extension de la garantie hypothécaire n'aurait lieu que pour ce qui resterait de plus-value après que ceuxci auraient été désintéressés.
413. La loi suppose enfin que le débiteur a acquis des terrains contigus au fonds hypothéqué. Ici la règle est inverse: l'hypothèque ne s'étend pas et il n'y a pas d'exception. Il va sans dire que, le plus souvent, lors même que les nouvelles acquisitions auraient été soumises à l'hypothèque, elles l'auraient été d'abord au privilége du vendeur, mais si le prix en avait été payé avec les deniers du débiteur, c'eût été au préjudice des créanciers chirographaires; au cas d'échange, l'immeuble fourni en contre-échange aurait été également retiré du gage commun et l'on aurait toujours eu ce résultat inadmissible d'un créancier hypothécaire voyant sa garantie augmentée, en dehors de la convention primitive, par un acte préjudiciable à la masse.
La loi exprime enfin que la non-extension de l'hypothèque subsiste, lors même que le débiteur aurait opéré une jonction aussi intime que possible entre le nouvel immeuble et l'ancien, soit en les entourant tous deux d'une nouvelle clôture, soit en supprimant les clôtures intérieures: du moment qu'il ne s'agit pas ici d'une question d'intention, mais d'un motif de droit et de justice, il est naturel que les actes plus ou moins explicites du débiteur ne changent rien à la solution.
Art. 1207. — 414. Cet article est la contre-partie de l'article précédent: les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations.
On suppose d'abord qu'elles proviennent d'un cas fortuit ou d'une force majeure, ou même du fait d'un tiers, ce qui, pour le débiteur, est comme un cas fortuit ou une force majeure: dans ce cas, la perte est pour le créancier, sauf son droit à l'indemnité due par le tiers; cette indemnité peut être celle d'un dommage ordinaire, par suite d'un acte illégitime; ce pourrait être aussi l'indemnité d'une expropriation pour cause d'utilité publique, le tiers alors ne serait autre que l'Etat ou une compagnie concessionnaire d'un droit de l'Etat.
415. Le texte suppose ensuite que c'est par la faute du débiteur que les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations (le défaut d'entretien est un de ces cas) et que, par suite, la garantie du créancier est devenue insuffisante; alors le créancier n'en doit pas souffrir et le débiteur doit lui fournir un supplément d'hypothèque sur d'autres biens. Cette nouvelle hypothèque n'aura pas, sans doute, le même rang que la précédente: elle pourra en avoir un meilleur, si le bien offert en supplément n'est pas encore hypothéqué; son rang sera inférieur dans le cas contraire.
Si le débiteur ne peut donner le supplément d'hypothèque, le remède est tout indiqué par un principe général: le débiteur perd le bénéfice du terme, la dette devient immédiatement exigible (v. art. 425-3°); toutefois, il y aurait exagération à ce qu'elle fût exigible en entier: il suffit qu'elle le soit " dans la mesure où la garantie du créancier est devenue insuffisante."
Ce mode de règlement, quoique plus simple que le supplément d'hypothèque, ne pourra pas être imposé au créancier, car, lors même que le débiteur aurait conservé le droit de rembourser sa dette avant l'échéance (v. art. 524), cela ne l'autoriserait pas à faire un payement partiel contre la volonté du créancier (v. art. 459).
416. Ces solutions du Projet, fondées sur une distinction entre la faute du débiteur et les causes fortuites ou majeures, diffèrent de celles auxquelles semble conduire le Code français (art. 2131): la généralité des expressions de ce Code paraît autoriser le plus grand nombre des auteurs à croire qu'il permet au créancier de demander le supplément d'hypothèque dans tous les cas où sa garantie est devenue insuffisante. Nous avons des doutes sur l'exactitude de cette interprétation contraire aux principes généraux de la théorie des risques dans les droits réels; en tout cas, nous nous gardons de la proposer au Japon.
Art. 1208. — 417. Bien qne nous ayons soutenu et établi que l'hypothèque est un démembrement de la propriété, elle ne va pas jusqu'à enlever au débiteur tout droit sur sa chose: s'il ne peut plus faire d'actes de disposition qui nuisent au créancier, il conserve tous les droits inhérents à l'administration et, précisément, c'est là la différenee entre l'hypothèque et le nantissement immobilier, ce dernier enlevant au débiteur jusqu'à la possession qui est transférée au créancier.
SOMMAIRE.
Art. 1209. — N° 418. Trois sortes d'hypothèques, d'après la diversité des causes. -419, 420, 421. Nature, origine et inconvénients de l'hypothèque judiciaire: sa suppression dans le Projet.
COMMENTAIRE.
Art. 1209. — N° 418. Les diverses hypothèques ne diffèrent pas par leurs effets, soit quant au droit de préférence, soit quant au droit de suite: c'est au point de vue de leurs causes qu'elles sont distinguées ici.
Dans le Code français les hypothèques sont de trois sortes: légales, judiciaires et conventionnelles. Les premières résultent de la disposition directe de la loi, les dernières de la convention des parties; ces deux causes qu'on va retrouver dans le Projet ont déjà par ellesmêmes un sens très clair; les secondes résultent des jugements et de certains actes judiciaires qui n'ont pas le caractère de jugements, mais peuvent prétendre à une autorité presque égale.
Nous devons nous arrêter un peu aux hypothèques judiciaires, d'abord parce que le sens n'en est pas par lui-même aussi clair, ensuite parce que, le Projet ne les conservant pas, il faut donner la raison de cette omission volontaire.
419. L'hypothèque judiciaire n'est pas prononcée par les jugements, lorsqu'ils portent condamnation au payement d'une somme d'argent: elle résulte virtuellement des jugements; sous ce rapport, elle a quelque chose de légal, car c'est la loi qui l'attache aux jugements. Il n'y a pas à distinguer d'ailleurs la qualité du créancier, ni la nature ou la cause de sa créance: il suffit qu'il ait obtenu condamnation à une somme d'argent ou à une valeur appréciable en argent dans l'inscription à prendre.
Le Code français (art. 2117 et 2123) assimile, sous ce rapport, aux jugements proprement dits " les reconnaissances d'écritures privées faites en justice " et dont le tribunal donne acte.
On peut s'étonner que le fait par un créancier d'avoir poursuivi son débiteur avec succès lui assure ainsi un droit de préférence sur les autres qui peut-être ont été moins rigoureux ou dont le droit n'était pas encore exigible. Cette disposition ne s'explique qu'historiquement et la disparition de sa cause ancienne expliquera aussi que l'institution elle-même doive aujourd'hui être abandonnée.
420. Dans l'ancien droit français, une hypothèque tacite était attachée à toute obligation contractée devant notaire, en forme exécutoire; elle était générale, c'està-dire qu'elle portait sur tous les biens présents et à venir du débiteur: il avait paru bon que la formule exécutoire, parlant au nom du Roi, eût une grande force d'action sur les biens. On reconnut bientôt qu'il était singulier que les jugements, rendus eux-mêmes au nom du Roi et dont une expédition était aussi délivrée en forme exécutoire à la partie gagnante, n'eût pas, de même, l'effet d'entraîner une hypothèque générale: la jurisprudence et les Ordonnances royales y suppléèrent.
421. Mais si l'on faisait ainsi cesser une anomalie, on établissait en faveur du créancier qui gagnait son procès cette préférence sur les autres créanciers que nous disons peu conforme à la justice absolue.
Que celui qui avant stipulé devait notaire eût une hypothèque tacite, cela pouvait être conforme à la volonté du débiteur qui, connaissant ou devant connaître cet effet virtuel de son engagement, était considéré comme y consentant; il aurait pu tout aussi bien conférer expressément une hypothèque conventionnelle. Mais que le débiteur qui n'avait consenti ni expressément ni tacitement à hypothéquer ses biens à un créancier, se trouvât tout à coup grevé d'une hypothèque générale, parce qu'il n'avait pu satisfaire ce créancier à l'échéance, il y avait là un résultat choquant, surtout à l'égard des autres créanciers dont les droits n'étaient pas encore échus ou dont les procédés étaient moins rigoureux.
Lorsqu'est venue la préparation du Code civil, on renonça à y faire figurer l'hypothèque tacite attachée aux actes notariés, quoique cette hypothèque eût été conservée par la loi intermédiaire du Il brumaire an vu à laquelle on empruntait beaucoup (v. art. 3). Mais, par une anomalie inverse de celle qu'avait présentée d'abord l'ancien droit, on conserva l'hypothèque judiciaire: le principe fondamental de cette hypothèque avait disparu et l'on en conservait une application et la moins justifiable en raison et en équité.
Depuis lors l'hypothèque judiciaire est vue avec défaveur dans la doctrine et la jurisprudence, et son abolition a été souvent demandée. Un projet de réforme hypothécaire préparé en France, en 1846, ne la conservait pas; la loi hypothécaire de Belgique (du 16 déc. 1851) ne l'a pas admise; il en est de même du nouveau Code civil des Pays-Bas. Au contraire le Code civil italien l'a conservée.
On n'a pas songé un seul instant à l'introduire dans le Projet japonais. Mais, par un emprunt à la même loi belge, on y a introduit l'hypothèque testamentaire que l'on expliquera au § m®.
Une autre singularité de l'hypothèque judiciaire, qui devait la faire rejeter du Projet, c'est qu'elle peut être acquise par celui qui, n'ayant qu'un titre sous seing privé, le fait reconnaître en justice ou obtient condamnation du débiteur, tandis que celui qui a un titre authentique, même exécutoire, ne peut acquérir cette hypothèque, n'ayant pas à s'adresser à la justice. L'an. cien droit, avec son hypothèque tacite, ne présentait pas cette anomalie: dans les deux cas, il y avait hypothèque.
SOMMAIRE.
Art. 1210. — N° 422. Protection due à certains créanciers: caase commune des trois hypothèques légales; cause spéciale de l'hypothèque résultant des priviléges dégénérés. -423. Suppression dans le Projet de l'hypothèque légale des légataires. -424 et 425. Justification de l'hypothèque légale de la femme mariée. -426. Idem de celle des mineurs et interdits pour démence. -427. Observation sur les interdits légalement.
COMMENTAIRE.
Art. 1210. — N° 422. En général, la loi laisse les particuliers ou leurs représentants pourvoir eux-mêmes à leurs intérêts; lorsqu'elle y pourvoit pour eux c'est qu'elle veut protéger des incapables, soit contre leur propre faiblesse, soit contre la négligence ou l'intérêt contraire de leurs représentants.
Cette raison s'applique évidemment aux deux premières hypothèques légales: à celle des femmes mariées sur les biens de leurs maris et à celle des mineurs et interdits sur les biens de leurs tuteurs.
L'hypothèque légale n'appartient qu'aux mineurs non émancipés: pour ceux qui sont émancipés, il n'y fi, pas de tuteur, mais un simple curateur qui ne les représente pas mais les assiste et qui, par conséquent, ne gère pas leurs biens.
Pour la troisième hypothèque légale, celle de l'Etat et des autres personnes morales, sur les biens des comptables, elle a un double but: d'abord, de dispenser les chefs des comptables de stipuler une hypothèque conventionnelle, non seulement au moment de l'entrée en fonction du comptable, mais encore chaque fois que celui-ci acquerrait de nouveaux biens, ce qui souvent pourrait n'être pas su en temps utile; ensuite, de pourvoir à la garantie de l'Etat, au cas où les chefs manqueraient eux-mêmes à leur devoir de surveillance sur les comptables. Cette hypothèque appartenant au droit fiscal sera sans doute établie par des lois administratives spéciales auxquelles le Projet se borne à renvoyer.
La quatrième et dernière hypothèque légale est celle qui résulte d'un privilége dégénéré, faute d'avoir été publié dans le délai fixé et sous les conditions prescrites aux articles 1187, 1188 et 1190. Ici l'hypothèque a la même cause que le privilége, toujours reconnue par la loi, elle est seulement affaiblie.
423. En France, il existe en faveur des légataires une hypothèque générale sur les biens du testateur (v. c. civ., art. 1017), laquelle leur est donnée parce qu'ils ignorent souvent leurs droits pendant un certain temps après l'ouverture de la succession et parce qu'il ne faut pas que, pendant ce temps, l'héritier puisse diminuer les biens du défunt destinés à acquitter les legs. On ne croit pas devoir la reproduire au Japon, parce que les légataires ont déjà la séparation des patrimoines, sur les meubles et les immeubles, et il semble vraiment qu'ils sont par là suffisamment protégés; c'est au point qu'en France quelques auteurs, ne trouvant pas d'utilité suffisante à cette hypothèque, ont pensé qu'elle n'était autre que le droit même à la séparation des patrimoines, sous une autre qualification.
Comme on a donné à la séparation des patrimoines, dans le Projet, tous les effets et avantages d'un privilége t il n'y a vraiment aucune utilité à donner, en outre, aux légataires une hypothèque générale. Ils pourront d'ailleurs recevoir une hypothèque testamentaire dont on signalera l'utilité sous l'article 1218.
424. Il convient de revenir, pour un instant, à l'hypothèque légale des femmes mariées et à celle des mineurs et interdits, lesquelles sont tout à fait nouvelles au Japon, comme l'y sont d'ailleurs toutes les autres hypothèques légales.
Au Japon, il semble que jusqu'ici les droits de la femme mariée aient été trop laissés à la discrétion du mari; il y est assez rare d'ailleurs que la femme mariée ait une fortune personnelle confiée à l'administration du mari et sujette à restitution ou à reprise lors de la dissolution du mariage; en effet, les filles sont généralement exclues de la succession paternelle et si une fille est l'unique enfant d'une famille, son mari est adopté par le père et devient, en même temps que l'héritier des biens, le continuateur de la maison et du nom.
Mais cette situation pourra se trouver modifiée dans le droit nouveau, et quand une fille aura acquis des biens, avant ou après son mariage, le mari aura, le plus souvent, l'administration de ses biens, il devra faire des restitutions à la dissolution du mariage, et il se trouvera ainsi débiteur de sa femme ou des héritiers de celle-ci.
Si la femme, en tant que créancière de son mari, était quant à l'hypothèque, laissée sous l'empire du droit commun, elle devrait pourvoir elle-même à ses sûretés ou garanties contre l'insolvabilité possible de son mari: elle n'aurait d'hypothèque que si elle en avait obtenu la constitution, soit au moment du mariage, soit depuis. Mais on comprend aisément que ses sentiments naturels d'affection et de déférence la portent à des ménagements qui, gênant sa liberté, compromettraient ses intérêts, et cela, non seulement pendant le mariage, alors qu'elle est vraiment sous la puissance maritale, mais même au moment du mariage et dès qu'il est arrêté entre les familles.
425. Cette situation, dangereuse pour les intérêts de la femme, a préoccupé de tout temps les légistateurs civils et l'on trouve déjà dans le droit romain des priviléges légaux pour la garantie de la dot des femmes. En France, il y en a eu et il en est resté d'exorbitants, notamment l'inaliénabilité de la dot (v. art. 1554), laquelle ne figurera pas dans le Projet (4). Au sujet même de l'hypothèque qui va nous occuper, c'est aussi une faveur exceptionnelle que la dispense d'inscription qui expose les tiers à subir une priorité qu'ils ont pu prévoir mais dont ils n'ont pu connaître exactement l'importance. Cette faveur ne-sera pas non plus accordée à la femme par le Projet; on s'en expliquera en son lieu (v. art. 1222).
Au surplus, l'hypothèque légale de la femme mariée sera générale, ici comme en France: elle portera sur tous les immeubles présents et à venir du mari, aussi bien s'ils sont acquis à titre gratuit que s'ils le sont à titre onéreux, et elle garantira indistinctement toutes les créances de la femme contre son mari.
426. L'hypothèque légale des mineurs et des interdits est générale également; elle n'est guère moins ancienne en Europe que celle de la femme mariée, mais elle est tout aussi inusitée au Japon.
L'intervention de la loi en faveur du mineur est encore plus nécessaire qu'en faveur de la femme: en effet, celle-ci ou ses parents peuvent, à la rigueur, et sauf les obstacles de convenance dont on a parlé, stipuler et obtenir du mari qu'il consente à donner à la femme une hypothèque ou autre sûreté pour la garantie de sa dot et de ses reprises, et comme le mariage projeté est dans les vœux du mari, il n'est pas probable que cette exigence l'y fasse renoncer.
Il en est tout autrement des rapports d'intérêts du mineur avec son tuteur, et ce que nous dirons du mineur s'appliquera, par identité de motifs, à l'interdit pour démence: d'abord le mineur ne peut stipuler lui-même; quant à ses parents, toujours plus ou moins éloignés en degré, ou ils manqueront du zèle nécessaire pour stipuler une hypothèque, ou ils seront arrêtés par des scrupules et des ménagements, au moins si le tuteur est très proche, par exemple le survivant des père et mère; enfin, et c'est là la grande différence entre le tuteur et le mari, le tuteur refusera l'hypothèque conventionnelle pour qu'on ne lui confie pas la tutelle, ce qui serait un autre dommage pour le mineur.
Tous ces inconvénients sont évités et la situation se trouve bien simplifiée par la création d'une hypothèque légale; il ne reste plus qu'à contraindre par des voies suffisamment efficaces, sans être pourtant exagérées, la mauvaise volonté de ceux qui voudraient se soustraire à la tutelle, tant pour n'en pas remplir les charges gê nantes que pour conserver leur crédit compromis par une hypothèque générale: c'est la partie du Code relative à la tutelle qui y pourvoira.
427. Quant aux interdits, la loi a soin d'exprimer que l'hypothèque légale les protège également, soit qu'ils aient été interdits par décision judiciaire pour démence, ce qui est une pure protection, soit que leur interdiction provienne de la loi, à titre de peine civile et comme complément d'une peine criminelle: cette peine accessoire, en effet, a pour but d'empêcher les condamnés de chercher dans la disposition de leurs biens des moyens de satisfactions personnelles incompatibles avec la peine principale, et surtout des moyens d'évasion, le tout, en provoquant la complaisance des gardiens. Mais, du moment qu'ils ne peuvent gérer eux-mêmes leurs biens, la loi leur donne un tuteur pour que ces biens ne soient pas la proie de parents avides, et du moment aussi qu'il y a un tuteur, celui-ci doit être lui-même soumis à la garantie ordinaire exigée des tuteurs.
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(4) Le Code officiel n'a pas non plus admis l'inaliénabilité de la dot.
SOMMAIRE.
Art. 1211. — N° 428. Utilité de l'intervention d'un officier public dans certaines conventions, spécialement dans la constitution d'hypothèque. -429. Authenticité requise pour la procuration à l'effet de constituer une hypothèque; observation sur la différence entre les pouvoirs du tuteur et ceux du mari.
1212. -430. Applications aux hypothèques de la règle locus régit actum. - 431. Critique de l'article 2128 du Code français et disposition différente du Projet.
1213. -432. Spécialité de l'hypothèque: réduction de l'hypothèque générale des biens présents, nullité totale de l'hypothèque des biens à venir.
1214. -433. Désignation de la créance; sanction: nullité, suivant les cas. -434. Nécessité de la détermination de la créance, en argent.
1215. -435. Droits et capacité nécessaires chez le constituant. -436. Persistance possible de l'hypothèque après l'extinction du droit temporaire hypothéqué.
1216. -437. Renvoi pour les pouvoirs du tuteur; idem pour la capacité des femmes mariées et des mineurs commerçants.
1217. —438. Hypothèque pour la dette d'un tiers. -439. Son caractère gratuit vis-à-vis du débiteur et du créancier.
COMMENTAIRE.
Art. 1211. — N° 428. La convention d'hypothèque est du petit nombre de celles qu'on nomme "solennelles" (v. art. 321): la forme y est tellement liée au fond que, si elle n'est pas observée, la convention est entièrement nulle. Cette forme est, au surplus, d'une observation facile.
Aujourd'hui que les notaires sont établis au Japon, c'est devant notaire que les conventions solennelles devront être passées. Si l'on n'avait pas créé de notaires, on aurait passé les actes solennels devant le greffier du tribunal civil, avec autant de garanties pour les parties et peut-être moins de frais.
Lorsque la loi impose ainsi aux contractants l'intervention d'un officier public, dans des actes purement privés, c'est évidemment dans un but de protection, soit contre leur entraînement généreux, comme dans la donation entre-vifs et le contrat de mariage, soit contre les exigences excessives d'un créancier rigoureux, comme au cas de l'hypothèque qui va nous occuper. En effet, lorsqu'un débiteur, un emprunteur surtout, est obligé, pour trouver crédit, de constituer une hypothèque, il est à craindre que le créancier n'exige une sûreté plus considérable qu'il n'est nécessaire; le notaire, alors, avec l'influence légitime que lui donnent ses connaissances juridiques, son expérience et son impartialité, éclairera le débiteur sur ses intérêts, le prémunira contre sa faiblesse et obtiendra souvent que le créancier se contente de ce qui suffit à sa garantie.
Il y a encore deux autres avantages de la solennité. deux avantages communs aux trois contrats solennels, c'est que, par la rédaction de l'acte en minute, elle en assure la conservation, tant dans l'intérêt des parties que dans celui des tiers, et, par l'authenticité, elle en fournit une preuve à peu près inattaquable (1).
429. Par une conséquence naturelle de la solennité requise pour la constitution même de l'hypothèque, la loi veut que si, par une cause de fait, le débiteur ne peut y figurer en personne et a besoin de s'y faire représenter par un mandataire volontaire, la procuration à cet effet soit donnée également devant un notaire. Bien entendu, il n'est pas nécessaire que ce soit devant le même notaire que celui qui recevra l'acte principal.
La mention substantielle de la. procuration dans la constitution d'hypothèque a pour but, non seulement de prouver le consentement du débiteur, mais encore de vérifier si le mandataire n'a pas excédé ses pouvoirs.
Nous avons supposé, pour qu'il y ait lieu à cette procuration, que c'est par une cause de fait que le débiteur est empêché de figurer dans la constitution d'hypothèque; en effet, si l'empêchement vient d'une cause légale, laquelle ne peut guère être qu'une incapacité, le débiteur a un représentant qui est légal lui-même: par exemple, le mineur a son tuteur. Celui-ci peut avoir besoin, pour hypothéquer, de l'autorisation du conseil de famille et du tribunal (v. c. civ. fr., art. 457 et 458), mais non d'une procuration notariée; seulement, dans ce cas, l'acte constitutif de l'hypothèque devra mentionner, outre les noms et qualité du tuteur, le fait et la date des autorisations requises.
S'il s'agissait d'une femme mariée voulant constituer une hypothèque sur son bien, l'autorisation du mari lui serait nécessaire et devrait aussi être mentionnée dans l'acte; mais le mari ne représenterait sa femme qu'en vertu 'd'une procuration notariée, car la femme mariée n'a pas d'empêchement légal à figurer en personne dans les actes qui l'intéressent.
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(1) Le Code officiel n'exige pas la forme authentique pour la constitution d'hypothèque.
Art. 1212. — 430. C'est un principe généralement admis en législation que les actes passés en pays étranger y sont soumis, pour le f o n d des dispositions permises et pour la capacité requise chez les parties, à la loi du pays des contractants, spécialement de celui qui s'oblige ou aliène; mais pour ce qui est de pure f o r m e dans les actes, ils ne sont et ils ne peuvent être soumis qu'à la loi du pays où l'acte est passé (locus régit acturn). Comment, en effet, pourrait-on faire un acte notarié dans un pays qui n'aurait pas le genre d'officiers publics appelés notaires ?
Ce double principe s'applique à la constitution d'hypothèque; mais le second seul est formulé ici, parce que, seul, il comporte une distinction ou réserve, fort naturelle d'ailleurs: les formalités consécutives à la convention même d'hypothèque, spécialement l'inscription destinée à la rendre publique, devant être accomplies au Japon pour qu'elle y produise ses effets, devront être remplies dans la forme japonaise.
431. Une autre raison d'avoir ici cette disposition c'est de prévenir une difficulté qui se présente sur l'article 2128 du Code français. D'après cet article, il semblerait que les biens situés en France ne peuvent être hypothéqués par des actes passés en pays étranger que si les conventions internationales le permettent: solution bizarre qu'acceptent presque tous les auteurs et sur laquelle nous avons toujours eu des doutes très sérieux. Tout le monde reconnaît, en effet, que cette disposition de l'article 2128 est empruntée à l'ancien droit français (Ordonn. de 1622, art. 121), au droit d'une époque où les actes exécutoires emportaient par eux-mêmes hypothèque tacite générale; or, on comprend que cet effet attaché à une formule employée au nom du Roi de France ne s'étendît pas à des actes rendus exécutoires au nom d'un autre Souverain.
Le Projet de Code civil, ayant d'abord admis la même hypothèque tacite attachée aux actes exécutoires, y avait naturellement mis la même condition que l'acte fut passé en France. Mais quand on supprima cette hypothèque, on négligea de supprimer l'article qui la restreignait, et, comme il paraît difficile au plus grand nombre des auteurs qu'un article du Code puisse ainsi être considéré comme non avenu, surtout quand il n'est pas impossible de lui donner un sens, on est arrivé à lui donner l'effet qui résulte strictement de ses termes, mais que nous ne croyons pas dans son esprit. Ainsi, tandis qu'un Français peut, par un acte passé en pays étranger, s'obliger sur tous ses biens, aliéner ses immeubles, les grever d'usufruit ou de servitudes, il ne pourrait les grever d'hypothèque ! Bien plus, ses engagements contractés en pays étranger pourraient emporter hypothèque légale en France, quand les qualités respectives du créancier et du débiteur le comportent, et une hypothèque conventionnelle ne pourrait y être attachée !
Quelle que soit la solution qu'il faille admettre en droit français, on comprend que la loi japonaise ne laisse pas planer de doute sur ce point et surtout ne consacre pas une pareille anomalie.
Art. 1213. — 432. A la différence des hypothèques légales qui sont le plus souvent générales, l'hypothèque conventionnelle doit être spéciale, c'est-à-dire que l'acte constitutif doit désigner individuellement l'immeuble ou les immeubles qui y sont soumis. Rien n'empêche, il est vrai, d'arriver par ce moyen à hypothéquer tous les biens présents; mais la loi pense que le débiteur se laissera moins facilement entraîner à donner une sûreté exagérée, en spécifiant les immeubles qu'il hypothèque, qu'en employant simplement une formule générale.
Il fallait prévoir le cas où le débiteur n'aurait pas observé la spécialité de l'hypothèque, ce qu'on doit d'ailleurs supposer devoir être rare, du moment qu'il aura dû recourir à l'office d'un notaire.
En France, la constitution d'hypothèque ” n'est valable " que si elle spécifie les immeubles hypothéqués; la sanction est donc la nullité, sinon absolue et de plein droit, au moins par voie d'action en justice (v. art. 2129) (a).
On n'a pas cru devoir aller si loin dans le Projet: il y aura seulement réduction de l'hypothèque aux immeubles nécessaires à la garantie du créancier.
La disposition qui précède implique déjà que l'hypothèque ne doit pas pouvoir être constituée sur les biens à venir du débiteur; mais, pour lever tous les doutes et surtout pour préciser la sanction de cette prohibition, la loi s'en explique: soit que le débiteur ait hypothéqué tous ses biens à venir en bloc, ou en spécifiant tel ou tel bien qu'il prévoit pouvoir lui appartenir un jour, ce n'est plus une simple réduction qui aura lieu, l'hypothèque est entièrement nulle.
Remarquons, du reste, que ce ne serait pas constituer une hypothèque sur un bien à venir que d'hypothéquer un immeuble sur lequel on aurait un droit subordonné à une condition suspensive ou qu'on aurait le droit ou l'espérance de recouvrer par une action en nullité ou en rescision: l'hypothèque, dans ce cas, serait elle-même conditionnelle.
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(a) L'article 2130 détruit presque cette disposition, au' cas oll " les immeubles présents et libres du débiteur sont insuffisants pour la sûreté de la créance." Mais faut-il que lotis les biens présents soient libres?"
Nous comprendrions mieux la loi dans ce sens: mais personne ne l'entend ainsi. Il n'y a rien là à imiter.
Art. 1214. — 433. Comme l'hypothèque n'est qu'un droit accessoire, il faut, surtout dans l'intérêt des tiers auxquels elle est opposable, que la créance qu'elle garantit soit désignée avec une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas d'incertitude au sujet de son existence et qu'on ne puisse la confondre avec une autre créance qui existerait entre les mêmes parties; c'est pourquoi la loi veut que la créance soit désignée " clairement " dans l'acte constitutif, par sa cause, par sa modalité et par son objet; sans préjudice, bien entendu, de la désignation inévitable des parties.
La cause sera, par exemple, un prêt ou une vente demeuble ou d'immeuble dont le pris est encore dû; la modalité sera le terme, la condition ou la solidarité des débiteurs ou des créanciers; l'objet sera la chose due, " en principal et accessoires." Il n'est pas nécessaire que la date originaire de l'engagement soit relatée dans l'acte, parce que la constitution d'hypothèque suffit à elle seule à former une reconnaissance de la dette et à lui donner une nouvelle date.
La loi n'attache formellement aucune sanction à ces nouvelles dispositions; mais il faut admettre que si l'une des énonciations requises manquait tout-à-fait, la nullité de l'hypothèque devrait être prononcée, à la requête, soit du débiteur, soit des autres créanciers, car l'hypothèque est une dérogation grave au droit commun et les conditions auxquelles la loi la soumet doivent être scrupuleusement observées.
Pour ce qui est de la clarté dans les énonciations, les tribunaux apprécieraient si elle est suffisante et ils devraient être très réservés dans la prononciation de la nullité.
434. Il n'est pas nécessaire pour qu'une dette soit valablement garantie par une hypothèque qu'elle ait pour objet une somme d'argent; mais il faut au moins, quand l'objet est différent, qu'il soit évalué en argent, et cela, afin que les autres créanciers puissent connaître l'importance de l'hypothèque qui les prime; de même, les tiers détenteurs auxquels l'hypothèque est opposable ont intérêt à savoir comment ils pourront satisfaire le créancier hypothécaire pour arrêter l'exercice du droit de suite (v. art. 1276 et s.).
L'évaluation sera généralement faite dans la constitution même d'hypothèque; au cas d'omission, ou s'il y a cu quelque obstacle momentané à faire une juste évaluation à ce moment, elle pourra être faite par un acte postérieur. Dans les deux cas, comme elle sera contradictoire, c'est-à-dire débattue entre les parties, elle sera définitive. A défaut de l'une de ces deux évaluations, en quelque sorte contractuelles, le créancier est autorisé à en faire une, lui seul, au moment où il prend inscription, et c'est même une condition de la validité de l'inscription (v. art. 1226); mais comme il a pu exagérer la valeur de ce qui lui est dû, le débiteur pourra faire réduire en justice ladite évalution (v. art. 1244).
Art. 1215. — 435. L'hypothèque peut entraîner la vente aux enchères publiques de la chose hypothéquée; cette éventualité fait exiger chez celui qui constitue l'hypothèque 1° le droit de propriété ou de jouissance soumis à l'hypothèque, 2° la capacité d'aliéner ce droit.
En se bornant à exprimer " la propriété ou la jouissance," la loi se réfère, en une formule abrégée, aux divers droits qui peuvent être hypothéqués, d'après l'article 1203.
Quant à la capacité d'aliéner, la loi ne se contente pas toujours de ce que le constituant puisse aliéner à titre onéreux; la capacité d'aliéner à titre gratuit, qui est plus rare, est exigée ici, lorsque la dette à garantir a été ellemême créée à titre gratuit, soit en même temps que la constitution d'hypothèque, soit antérieurement; en effet, celui qui, ayant promis gratuitement une somme d'argent, en assure spécialement le payement par une hypothèque, ajoute à sa donation, et si l'hypothèque est fournie par un tiers (v. art. 1217), pour la garantie de la donation d'un autre, ce tiers est lui-même donateur d'une sûreté.
On reviendra, avec l'article 1217, sur ce caractère gratuit de la donation d'une sûreté par un tiers.
436. C'est un principe célèbre et souvent appliqué précédemment (T. I, n° 282, T. II, nos 221 et 684, T. III, nos 119, 360) que " nul ne peut transférer plus de droit qu'il n'en a lui-même; " la loi en fait ici une nouvelle application et, comme il est déjà arrivé souvent pour le rappel de règles générales, c'est surtout pour y apporter un tempérament, une modification.
Voici des exemples de cas où le droit d'hypothèque du créancier subsiste après l'extinction du droit temporaire du débiteur; un usufruit hypothéqué portait sur des bâtiments assurés contre l'incendie, et le sinistre a eu lieu, ou bien il y a eu destruction desdits bâtiments par la faute d'un tiers, ou ils ont été expropriés par l'Etat: dans ces divers cas, le créancier hypothécaire ne verra pas son droit s'évanouir par le décès de l'usufruitier ou par l'arrivée du terme assigné primitivement à l'usufruit: son droit est transporté sur la portion de l'indemnité due à l'usufruitier par l'assureur, par le tiers en faute ou par l'Etat. C'est au fond l'application de l'article 1207, 1er alinéa, au cas de droits temporaires de jouissance (comp. art. 1138).
Art. 1216. — 437. On a déjà fait allusion (n° 429) à l'hypothèque des biens des mineurs et des interdits: en droit français, cette hypothèque n'est pas dans les pouvoirs du tuteur, à moins qu'il n'y ait été autorisé par le conseil de famille et par le tribunal civil (v. art. 457 et 458); le Projet japonais aura bientôt à se prononcer sur ce point, au Livre Ier; il est i: peu près certain que des autorisations analogues seront exigées; on règlera aussi, au même Livre, les conditions sous lesquelles les biens des absents pourront être hypothèques.
La faveur que mérite le commerce fera, sans doute, au Japon comme en France, étendre la capacité des mineurs et des femmes mariées, lorsque les uns et les autres auront été régulièrement autorisés à faire le commerce. En France, ces personnes peuvent engager et hypothéquer leurs immeubles pour les faits de leur commerce (v. c. com. fr., art. 6 et 7).
Art. 1217. — 438. De même qu'un tiers peut donner son bien en nantissement, mobilier ou immobilier, pour la dette d'autrui (v. art. 1102 et 1122), de même il est admis ici à donner une hypothèque: c'est ce qu'on appelle souvent cautionnement réel. Si l'immeuble ainsi hypothéqué a été saisi et vendu pour l'acquittement de la dette, la caution réelle a son recours de droit contre le débiteur, comme une caution personnelle, en distinguant si elle a fourni l'hypothèque sur mandat du débiteur, ou spontanément, comme gérant d'affaires (v. art. 1230). elle aurait même le bénéfice de la subrogation légale (v. art. 1137), comme on l'a établi sous l'article 504-1°.
439. On a vu plus haut (art. 1215) que la constitution d'hypothèque par le débiteur est un acte tantôt onéreux, tantôt gratuit, suivant la nature de la créance à laquelle elle ajoute une sûreté. Le même article a réservé pour le nôtre le cas où l'hypothèque est constituée par un tiers.
Ici, il n'y a plus, en principe, à distinguer la cause gratuite ou onéreuse de la dette garantie: pour le tiers qui fournit la sûreté, sans y être tenu et sans en tirer un avantage appréciable en argent, la constitution doit être. considérée comme gratuite, c'est-à-dire comme une libéralité, au moins vis-à-vis du débiteur, et elle exigera entre lui et le constituant la capacité respective de donner et de recevoir.
La loi excepte le cas où " le débiteur a fait un sacrifice pour obtenir cette garantie; " mais dans ce cas même, si le bien hypothéqué avait servi à l'acquittement de la dette, le tiers qui a fourni la sûreté n'en aurait pas moins un recours intégral, car il a bien consenLi à donner du crédit au débiteur, mais non à payer sa dette définitivement.
Vis-à-vis du créancier, la constitution sera encore gratuite, lorsqu'elle aura eu lieu après la création de l'obligation et sans avoir été stipulée: elle est alors aussi une libéralité pour lui et exigera la même capacité respective de donner et de recevoir. Ce n'est qu'au cas contraire, celui de la concomitance des actes ou d'une promesse originaire de cette sûreté que la constitution d'hypothèque sera réputée à titre onéreux vis-à-vis du créancier, lorsque d'ailleurs le contrat principal aura été lui-même à titre onéreux.
SOMMAIRE.
Art. 1218. — N° 440. Son caractère gratuit: sa limite à deux applications.
COMMENTAIRE.
Art. 1218. — N° 440. On a dit plus haut que l'hypothèque testamentaire est empruntée par le Projet à la loi belge du 16 décembre 1851. Cette loi qui a supprimé l'hypothèque judiciaire a été la première, croyonsnous, à admettre l'hypothèque testamentaire.
On l'admet sans hésiter dans le Projet japonais; il est naturel, en effet, que le testament, par lequel on peut conférer tous les droits réels, même un droit de bail (v. art. 124), puisse servir à conférer une I^p'othèque.
Le cas cependant doit être entendu avec précaution. Ce n'est pas celui où un débiteur auquel un créancier n'a pas demandé d'hypothèque à l'origine ou qui n'a pas consenti à lui en constituer une, pour ne pas perdre son crédit, se déciderait, plus tard, en prévision de son décès, à donner une hypothèque à ce créancier: une telle disposition serait une sorte de libéralité qui ne pourrait changer la position respective des créanciers, laquelle se fixe au décès du débiteur. Il s'agit seulement de l'hypothèque qu'un testateur donne à un ou plusieurs de ses légataires pour la garantie de leur legs: le legs de l'hypothèque peut améliorer la condition du légataire visà-vis des autres, mais il ne leur donnera aucune priorité sur les créanciers, même simplement chirographaires.
On pourra se demander ce que cette hypothèque ajoute au droit déjà accordé aux légataires de demander la séparation des patrimoines (v. art. 1171-40 et 1192 bis). C'est à peu près la même objection que celle qui a été faite (n° 423) à l'hypothèque légale générale des légataires du Code français (v. art. 1017), en présence de la même séparation des patrimoines (v. art. 2111).
Voici l'utilité qu'on peut lui reconnaître: les légataires qui invoquent la séparation des patrimoines viennent tous en concours (après les créanciers, bien entendu); lorsqu'ils auront reçu une hypothèque, ils viendront dans l'ordre que leur aura assigné le testament complété par l'inscription, et s'il n'avait été donné d'hypothèque qu'à un ou à plusieurs, cela suffirait à leur donner la préférence sur ceux qui ne pourraient invoquer que le droit commun de la séparation des partrimoines.
On pourrait encore objecter qu'il n'est pas nécessaire que le testateur donne une hypothèque au légataire qu'il veut favoriser de préférence aux autres; il suffit. en effet, qu'il exprime sa volonté à cet égard, dans son testament ou dans un codicille (c. civ. fr., art. 927); mais l'hypothèque sera toujours utile pour suivre les immeubles sur les tiers détenteurs quand la séparation des patrimoines n'aura pas été demandée dans les six mois.
L'hypothèque testamentaire pourra recevoir une autre application, et plus fréquente: elle pourra être donnée pour la garantie de la dette d'un tiers. Elle constituera alors une double libéralité, tant en faveur du débiteur qu'en faveur du créancier, comme il a été expliqué plus haut, pour l'hypothèque conventionnelle fournie par un tiers (v. n° 439).
SOMMAIRE.
Art. 1219. — N° 441. Nécessité de publier les hypothèques comme les priviléges sur les immeubles; le moyen n'est pas la transcription de l'acte constitutif d'hypothèque, mais une inscription substantielle. -442. L'hypothèque légale des femmes mariées, des mineurs et des interdits est soumise à l'inscription dans le Projet.
1220. —443. Deux cas où l'inscription ne peut plus être prise sur le débiteur: idée commune. -444. Ier Cas. Insolvabilité du débiteur. -445. IIe Cas. Décès du débiteur présumé insolvable. -446. Comparaison du Code français et du Projet. ->447. Renvoi pour l'inscription sur un tiers acquéreur.
1221. —448. La prise de l'inscription est un acte d'administration.
1222. -449. Inscription par la femme, par le mari, par - les parents ou alliés de la femme; non par le Procureur publie (Kenji).
1223. —450. Inscription par le tuteur, parle subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille; responsabilité solidaire.
1224. -451. Application des règles précédentes aux interdits pour démence ou par suite de condamnations.
1225 et 1226. -452. Formalités de l'inscription; justification préalable du droit même d'hypothèque et du droit de propriété du débiteur. —452 bis. Droits et devoirs du conservateur, au cas de justification insuffisante. - 453. Cinq désignations à porter au bordereau d'inscription. —454. Cas de mention d'une cession ou subrogation en marge d'une inscription antérieure.
1227. —455. Désignation spéciale de la créance, au cas d'hypothèque légale, lorsqu'il n'y a pas de titre.
1228 -456. Nécessité, pour le créancier, d'une élection de domicile dans l'arrondissement du bien hypothéqué.
1229. —457. Nécessité, pour le créancier, d'une élection de domicile dans l'arrondissement du bien hypothéqué.
1230. —458. Récépissé du conservateur: garanties du rang.
1231. -459. Cas de décès du débiteur.
1232. —460. Utilité du double des bordereaux.
1233. -461. Sanction des omissions, insuffisances ou inexactitudes dans les bordereaux.
1234. —462. Durée de la force de l'inscription: le Projet la porte à t ren te ans. —4G3, Combinaisons du déUii de la créance.
1235. -464. Renouvellement de l'inscription après faillite déconfiture ou décès du débiteur: distinction.
1236. -465. Garanties respectives du requérant et du conservateur, au sujet du renouvellement.
1237. -466. Charge des frais d'inscription et de renouvellement: distinction.
1238. 467. Compétence du tribunal du lien des notifications à faire; rappel des divers sens du mot " réel."
COMMENTAIRE.
Art. 1219. — N° 441. Il y a les mêmes raisons de publier les hypothèques que les priviléges sur les immeubles: comme leur effet est de donner un droit de préférence sur les autres créanciers et un droit de mite contre les tiers acquéreurs du bien hypothéqué, il faut qu'il ne puisse y avoir aucune surprise des uns ou des autres.
Le moyen de publicité n'est pas, comme pour le privilége de l'aliénateur, la transcription du titre constitutif de l'hypothèque, mais son inscription par extraits, comme pour le privilége des entrepreneurs de travaux.
L'inscription se fait au même bureau que la transcription, au lieu où sont situés les immeubles hypothéqués.
Il pourra arriver que le bien hypothéqué soit assez étendu pour dépendre de plusieurs bureaux de transcription et qu'il ait été hypothéqué en bloc; dans ce cas, pour éviter les frais, la loi n'exige l'inscription qu'au bureau dans lequel se trouve le chef-lieu du domaine: dans les autres bureaux on fera seulement une mention de l'inscription, spécialement de sa date, de sorte qu'il sera facile de s'y référer.
442. Notre article pose le principe absolu "qu'aucune hypothèque, même légale, n'est opposable aux tiers si elle n'est rendue publique par une inscription " et il n'annonce ni ne recevra aucune exception.
11 y a là une profonde et grave différence avec le Code français qui affranchit de la publicité l'hypothèque légale des femmes mariées, des mineurs et des interdits (v. art. 2135). Ce caractère occulte, secret, de l'hypothèque des incapables a eu bien des adversaires lors de la discussion du Code civil; mais il a triomphé par la puissance d'une longue tradition et parce qu'à cette époque les idées économiques de crédit, de sécurité des transactions, n'avaient pas encore la puissance qu'elles ont acquise depuis.
Sans doute, il est juste que la femme et le mineur soient protégés efficacement, exceptionnellement même, contre la mauvaise gestion et l'insolvabilité du mari et tuteur; cela suffit à expliquer que ces personnes reçoivent de la loi une hypothèque, sans avoir à la stipuler; cela explique aussi que l'hypothèque soit générale; mais il ne faut pas aller jusqu'à exposer à des priorités de créances ou à des évictions résultant du droit de suite des tiers de bonne foi, c'est-à-dire des créanciers ou des acquéreurs ayant traité avec les maris ou les tuteurs. ignorant le mariage ou la tutelle ou au moins l'importance des reprises de la femme et des restitutions dues au mineur.
Tout le système du Projet japonais, en matière d'acquisition de droits réels immobiliers, repose sur la publicité; 01', la moindre exception et celle-là serait considérable, formerait une brèche par laquelle entrerait l'incertitude et, par suite, le discrédit de la propriété foncière et la difficulté de la circulation des biens.
Du reste, si le Code français dispense d'inscription l'hypothèque des femmes et des mineurs, c'est en ce sens que les effets n'en sont pas subordonnés à l'inscription; mais la publicité n'en est pas moins dans le vœu de la loi: elle impose l'inscription au mari et au tuteur, comme un devoir (a), et elle invite à la prendre les parents de la femme et du mineur; même l'officier du ministère public est chargé de prendre cette inscription dans l'intérêt des incapables (v. art. 2136 à 2139).
Au surplus, la tendance des nouvelles législations civiles est de soumettre les hypothèques légales des incapables à l'inscription: la loi belge de 1851, le Code hollandais et le Code italien ne reproduisent pas les dispositions du Code français à cet égard.
a) Ce devoir n'avait qu'une sanction et elle 11 cessé d'exister: le mari
- ou le tuteur qui avait constitué des hypothèques sur ses biens, sans déclarer expressément la. créance liypotbéca.ire delà femme ou du mineur, était réputé stelUonataire et, comme tel, contraignable par corps (v. art. 2136, 2'3 al.); mais la contrainte par corps a été abolie en matière civile par une loi du 22 juillet 1867.
Art. 1220. — 443. Les deux conditions mises ici à la validité de l'inscription à prendre "sur le débiteur " (celle à prendre " sur un tiers détenteur " est réglée plus loin) sont négatives: il ne faut pas qu'au moment où l'inscription est prise le débiteur soit déjà insolvable ou, s'il est mort, que sa succession soit traitée par ses héritiers d'une manière qui fasse présumer qu'elle est insuffisante à payer ses dettes.
L'idée commune aux deux cas est que si l'inscription était possible, quand il est certain ou légalement présumé que le passif du débiteur est supérieur à son actif, le créancier le mieux en situation de connaître cette circonstance, par sa proximité du domicile du débiteur ou autrement, se hâterait de prendre inscription et acquerrait ainsi la priorité sur les autres, sans cause légitime.
Chacun de ces cas ne demande que peu d'explications.
444. Ier Cas. Cette limite au droit de prendre inscription ne concerne que les hypothèques nées avant que l'insolvabilité soit survenue: la loi a soin d'exprimer que l'inscription ne peut être prise lorsque cette insolvabilité est survenue " postérieurement à la naissance de l'hypothèque c'est alors, en effet, que le créancier est en faute d'avoir tenu secret un droit que les tiers avaient intérêt à connaître. Dans le cas, au contraire, où. le créancier n'a acquis l'hypothèque légale ou conventionnelle que depuis que le débiteur est devenu insolvable, il a augmenté l'actif du débiteur en lui fournissant une valeur, et l'inscription qu'il prendra ne lui conférera aucun avantage illégitime, elle ne le préservera même pas de tout risque (aa).
Pour que le créancier ne soit pas incertain sur son droit de prendre inscription, la loi veut que l'insolvabilité du débiteur soit " régulièrement déclarée " (ce qui suppose que la constatation de la déconfiture aura une procédure, comme la déclaration de faillite), ou qu'elle soit " devenue notoire " et cela, non d'une façon qui puisse elle-même être discutée, mais " par la saisie de tout ou de la majeure partie de ses biens."
Quant à l'obstacle que mettra certainement la faillite à l'inscription, c'est le Code de Commerce qui le déterminera (comp. c. com. fr., art. 448).
445. IIe Cas. Le débiteur est décédé après la naissance de l'hypothèque, mais elle n'était pas inscrite. Si la succession est acceptée purement et simplement par l'héritier unique, ou par tous, s'ils sont plusieurs au même rang, il n'y a pas lieu de croire la succession insolvable, car, sans doute, la future loi japonaise des Successions n'admettra pas d'héritiers nécessaÍl'es, c'està-dire qui ne puissent refuser la succession (v. cep. T. II, n° 535). Mais si la succession n'est acceptée que sous bénéfice d'inventaire, ou, à plus forte raison, si elle est refusée ou vacante, alors, il est probable que la succession est insolvable, et l'inscription ne peut plus être prise.
Si le créancier avait pris l'inscription après l'ouverture de la succession, mais avant que l'héritier eût pris parti, le sort de l'inscription dépendrait de ce que ferait l'héritier.
446. Ces décisions sont imitées de la loi française, mais n'y sont pas identiques.
D'abord, le Code français n'a statué qu'en vue de la faillite, il n'a pas mentionné la déconfiture ni l'insolvabilité notoire (v. art. 2146).
En ce qui concerne la succession, il n'a annulé l'inscription qu'au cas d'acceptation sous bénéfice d'inventaire, ce qui peut comprendre, à plus forte raison, la renonciation et peut-être la vacance. Voilà la similitude des deux législations. Mais voici, sinon des différences) au moins des questions sur lesquelles le Code français nous paraît laisser des doutes sérieux et que le Projet tranche formellement:
1°Si l'inscription a été prise, comme on l'a supposé plus haut, avant que l'héritier ait pris parti, on peut soutenir sous le Code français, qu'elle est valable, quoiqu'il arrive, et lors même que plus tard l'héritier refuserait 01) accepterait sous bénéfice d'inventaire: d'après le Projet, le sort de l'inscription est un suspens et elle se trouvera annulée par le refus ou l'acceptation bénéficiaire;
2° Si l'un des héritiers a accepté purement et simplement et un autre sous bénéfice d'inventaire, on peut douter de la nullité de l'inscription, en droit français; dar.s le. Projet, la nullité sera certaine;
3° Si l'acceptation a été faite sous bénéfice d'inventaire, parce que la suscession était échue à un mineur qui ne peut accepter autrement (v. c. civ. fr., art. 461), on peut douter qu'il y ait lieu dans ce cas de prononcer la nullité de l'inscription, parce que la présomption d'insolvabilité n'a plus le même fondement; dans le Projet japonais, il n'y aura pas de doute: il faut une acceptation pure et simple.
Ces trois solutions sont faciles à justifier par un dilemme: ou la succession est définitivement trouvée solvable, alors il n'y a pas d'inconvénient pour le créancier à ce que son inscription soit nulle, puisqu'il sera payé sans l'hypothèque; ou la succession est réellement insolvable, et alors il est juste que l'inscription soit nulle, quoique le créancier ait pu un instant espérer qu'elle serait valable.
447. Le 1er alinéa et ses deux applications ne concernent que les limites au droit d'inscription " sur le débiteur le dernier alinéa renvoie à la Section v pour ce qui concerne le droit d'inscription " contre le tiers détenteur" (v. art. 1262 et s.).
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(aa) On suppose que l'hypothèque résulte d'un acte onéreux: un acte gratuit, eu pareil cas, serait généralement nul.
Art. 1221. — 448. La prise de l'inscription n'étant qu'un acte conservatoire du droit d'hypothèque n'exige que la capacité d'administrer les biens. Ceux qui ne l'ont pas sont remplacés à cet égard par leur représentant légal ou judiciaire dont c'est " le droit et le devoir" de prendre inscription. 11 en est de même des mandataires conventionnels généraux. A l'égard du mandataire spécial, il faut considérer comme tel, non seulement celui qui aurait été chargé de prendre l'inscription. mais encore, comme l'exprime le texte, " celui qui aurait été chargé de passer l'acte auquel est attachée l'hypothèque légale ou conventionnelle il y a là une de ces "suites nécessaires" du mandat dont l'article 929 a donné d'autres exemples.
Enfin, la loi déclare qu'un mandat n'est pas nécessaire pour la validité d'une inscription: elle peut être prise, à titre de bon office, par un gérant d'affaires.
Art. 1222. — 449. La femme est la première intoressée à la publicité et à la conservation de son hypothèque, elle peut donc en prendre elle-même l'inscription; la loi dit qu'elle n'a pas besoin pour cela de l'autorisation de son mari ni de celle de justice: de son mari, parce que, leurs intérêts étant contraires, il la refuserait souvent; de la justice, parce que, la femme ne pouvant que profiter et non souffrir dans ses intérêts, par l'effet de cette inscription, l'autorisation serait toujours accordée.
L'hypothèque ne peut être inscrite tant que la femme n'a pas quelque créance contre son mari, fût-ce une créance seulement conditionnelle, sans distinguer d'ailleurs si elle est née d'un contrat ou d'une autre cause reconnue par la loi.
Comme l'hypothèque est générale, l'inscription peut être prise sur tout ou partie des immeubles, au gré de la femme: il n'y a guère à craindre l'abus de sa part, ne fût-ce que parce que ce seraient des frais et des peines inutiles; d'ailleurs, le mari peut toujours faire réduire les inscriptions excessives, comme la loi lui en réserve le droit (v. art 1241).
Pour le mari, c'est un devoir de prendre inscription au nom de sa femme, lorsqu'elle ne l'a pas fait: naturellement, il n'est pas tenu de prendre inscription sur tous ses immeubles, mais il doit, autant que possible, prendre l'inscription sur des immeubles libres ou encore assez peu grevés pour garantir suffisamment les droits de la femme. Le texte a soin de dire aussi qu'il n'est tenu de prendre inscription pour sa femme que " lorsqu'il est son débiteur; " or, il ne l'est pas nécessairement.
Si ni le mari ni la femme n'ont pris l'inscription, les parents ou alliés de la femme peuvent la prendre, spontanément et sans mandat de sa part; mais ils devraient s'arrêter devant un refus formel de celle-ci ou, à plus forte raison, devant une renonciation de sa part à l'hypothèque.
La loi ne donne pas le droit au Procureur public (Kenji) de prendre inscription pour la femme, comme il le peut en France; il n'y a plus, en effet, même motif: du moment que, dans le Projet, l'effet de l'hypothèque est subordonné à l'inscription, la femme ne sera pas portée, comme en France, à négliger de la prendre ou de la faire prendre par un de ses parents.
Art. 1223. — 450. Pour l'inscription de l'hypothèque du mineur, nous trouvons des dispositions à peu près semblables; toutefois, c'est le tuteur qui figure en première ligne, comme devant prendre l'inscription. Après lui vient le subrogé-tuteur, dont le rôle est de représenter le mineur quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du tuteur (v. c. civ. fr., art. 420).
En troisième lieu viennent les parents ou alliés du mineur; à la différence des parents et alliés de la femme, la loi leur fait un devoir de prendre l'inscription, mais seulement en tant qu'ils sont membres du conseil de famille. Pour eux, comme pour le subrogé-tuteur, cette obligation a une sanction, c'est la condamnation aux dommages-intérêts du mineur, parce qu'ils sont gardiens de ses intérêts; et comme l'obligation est la même pour tous, la loi établit ici un nouveau cas de solidarité légale.
Quant au tuteur, il ne peut être question de le condamner à des dommages-intérêts envers le mineur, puisque, s'il est insolvable, cette condamnation n'ajouterait rien aux droits du mineur déjà son créancier.
Le mineur peut lui même requérir l'inscription, mais seulement lorsqu'il a été émancipé, parce qu'alors la tutelle a cessé et que le mineur prend l'administation de ses biens. Lorsque la tutelle a cessé, le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille restent obligés de prendre inscription pour les créances du mineur nées pendant leur responsabilité,
laquelle dure tant que les comptes ne sont pas rendus et soldés.
Art. 1224. — 451. L'assimilation aux mineurs des interdits pour démence est constante; elle a déjà fait accorder l'hypothèque légale générale aux uns et aux autres; il est donc naturel qu'on la retrouve ici au sujet de l'inscription: le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille devront prendre inscription et sous la même sanction que lorsqu'il s'agit du mineur. La seule différence à noter, c'est que l'interdit pour démence ne peut jamais requérir lui-même l'inscription.
Quant à l'interdit par suite de condamnation judiciaire, il est admis à donner, à cet effet, un mandat spécial à un étranger, et s'il n'est pas autorisé à prendre lui-même l'inscription, c'est parce que ce serait incompatible avec le régime pénitentiaire.
Art. 1225 et 1226. —452. La loi arrive aux formalités mêmes de l'inscription (1).
11 faut, avant tout, que le créancier requérant, ou celui qui le représente, justifie près du conservateur de l'existence du droit même d'hypothèque. La loi en indique le moyen pour les trois espèces d'hypothèques. Le texte de l'article 1225 est assez précis à cet égard pour qu'il n'y ait rien à y ajouter.
Cette justification a pour but d'empêcher des inscriptions mal fondées qui diminuraient le crédit du propriétaire et qu'il faudrait faire radier ensuite, avec des lenteurs et des frais.
Il faut aussi justifier que le débiteur est bien le propriétaire de l'immeuble sur lequel l'inscription est requise. Ce n'est pas pour établir la validité de l'hypothèque, dans l'intérêt du créancier, car c'est à celui-ci à veiller lui-même à sa sécurité et non au conservateur; c'est pour éviter qu'à la faveur d'une similitude de noms, ou autrement, le débiteur qui ne serait pas le véritable propriétaire de l'immeuble ne laisse conpromettre le crédit de celui-ci par une inscription illégitime; aussi la loi ernploie-t-elle une formule toute spéciale impliquant cette idée: " la justification de l'identité du débiteur avec le propriétaire de l'immeuble sur lequel l'inscription est requise, tel qu'il est porté aux registres (aaa)."
452 bis. Si le requérant ne faisait pas complètement les deux justifications requises, le conservateur qui est, avant tout, le gardien des droits constatés sur ses registres, pourrait, jusqu'à plus amples preuves, refuser de faire l'inscription.
Mais comme ses objections pourraient être mal fondées et entraîner des retards préjudiciables au rang du créancier, le conservateur devra, sans qu'il soit besoin même de l'en requérir, délivrer au créancier " une déclaration écrite des causes précises de son refus," et celui-ci pourra faire statuer par le tribunal tant sur les objections ellesmêmes, s'il y a lieu, que sur la responsabilité du conservateur. Tel est l'objet du renvoi de notre article à l'article 1304 qui généralise cette mesure.
C'est une protection exceptionnelle accordée par la loi au créancier que cette déclaration doive lui être remise " d'office: " autrement, beaucoup de créanciers, ignorant leur droit de l'exiger, pourraient être victimes du mauvais vouloir, de l'ignorance ou des scrupules exagérés du conservateur (2).
453. La pièce ou bordereau (b) à présenter au conservateur, d'après l'article 1226, a une grande importance, parce que l'inscription consistera dans sa reproduction.
Elle désigne d'abord le créancier et le débiteur. La loi est un peu moins exigeante pour la désignation précise du débiteur, parce que c'est le créancier qui la fait et il ne peut le désigner aussi facilement que quand il s'agit de lui-même.
Il faut ensuite énoncer la cause de l'hypothèque: la loi, la convention ou le testament. A la rigueur, le bordereau pourrait ne pas mentionner la loi, comme cause de l'hypothèque, si la désignation du créancier et du débiteur indiquait déjà clairement les qualités respectives desquelles la loi fait résulter l'hypothèque.
La désignation de la créance est peut-être la mention la plus importante; c'est celle que les autres créanciers ont le plus intérêt à connaître lorsqu'elle doit les primer.
L'évaluation en argent de la chose due, au moment de l'inscription, au plus tard, a déjà été justifiée précédemment (v. n° 434).
Enfin, il faut qu'il n'y ait pas d'incertitude sur l'immeuble même soumis à l'hypothèque: on indiquera " sa nature," bâtiment, terre labourable, rizière, bois, lande, etc.; " sa situation " sera facile à déterminer, s'il s'agit de maison dans une ville; s'il s'agit de terrain dans la campagne, on pourra, outre les moyens ordinaires, recourir à la désignation des propriétés voisines dites, en français, " tenants et aboutissants " (v. c. pr. civ. fr., art. 64).
454. C'est une innovation du Projet que la nécessité pour les cessionnaires et les subrogés de faire connaître leur droit par une mention en marge de l'inscription déjà prise. Seulement, dans ce cas, ils n'ont pas besoin de reproduire dans leur bordereau ce qui concerne la désignation du débiteur, de la cause de l'hypothèque, de la créance transférée et du bien hypothéqué; mais ils doivent y porter leur propre désignation, comme créanciers, et celle du titre de cession ou de subrogation conventionnelle, ou du fait entraînant subrogation légale.
On trouve aux articles 1045, 1074, 1191, 1257 et 1258 des applications intéressantes de cette mention de la subrogation.
Si la créance objet de la cession ou de la subrogation n'avait pas été déjà inscrite, le cessionnaire ou le subrogé devrait la faire inscrire dans les formes ordinaires, avec la mention marginale de son droit.
Le bordereau dont il vient d'être parlé doit être présenté en double original: l'article 1232 en fait voir l'utilité.
Si un bordereau est incomplet ou irrégulier, le conservateur en fera l'observation au requérant et l'inscription sera ajournée, jusqu'à ce que l'omission ou l'irrégularité ait été réparée. Mais pour qu'il n'y ait pas d'abus d'autorité de la part du conservateur et comme un retard à l'inscription peut être très préjudiciable au créancier, le requérant trouve dans l'article 1304 la protection efficace déjà signalée plus haut: le conservateur lui remettra d'office une déclaration de son refus et des motifs du refus et le tribunal statuera s'il y a lieu sur la validité du refus ou sur la responsabilité du conser. vateur.
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(1) Le Code officiel ne présente' aucune de ces formalités: elles, devront être l'objet d'un Règlement spécial.
(aaa) L'article 393 du Code pénal japonais punit de l'escroquerie celui qui hypothèque un immeuble ne lui appartenant pas.
Il est peut-être difficile de faire rentrer cette fraude dans l'article 405 du Code pénal français.
L'article 2059 du Code civil qui attachait la. contrainte par corps à cette fraude est aujourd'hui aboli avec la contrainte par corps en matière civile.
(2) Le Code officiel n'a pns conservé cette disposition qui constitue à la fois un droit et un devoir pour le conservateur.
(b) Le mot bordereau, très usité, en français, dans la langue des affaires, se dit de toute pièce qui récapitule, par ordre, en une sorte de tableau, des faits, des chiffres, des dates, de manière à frapper les yeux autant que l'esprit.
Art. 1227. — 455. La créance garantie par une hypothèque conventionnelle résulte toujours d'un titre, c'est-à-dire d'un acte juridique ayant pour but de la créer, ou, au moins, elle est reconnue et constatée par un titre instrumentaire; il en est de même, évidemment, de la créance à laquelle est attachée l'hypothèque testamentaire; dès lors, rien n'est plus facile que de remplir, dans le bordereau, la quatrième condition prescrite par l'article 1226.
Mais les créances à, hypothèque légale des incapables peuvent résulter de faits constituant un enrichissement indû ou un dommage injuste. S'il y a avait eu reconnaissance de ces faits ou jugement les tenant pour certains, ce serait encore un titre; mais la loi n'exige pas - que le droit du créancier soit arrivé à ce degré de certitude pour que l'inscription de l'hypothèque légale puisse être prise: ce serait exposer l'incapable à être primé par d'autres créanciers que le mari ou le tuteur voudrait favoriser. Il suffit donc que le requérant déclare, en substance, le fait en vertu duquel il se prétend créancier; il y ajoutera, comme toujours, l'évaluation en argent de son prétendu droit. Plus tard, si les faits sont judiciairement démentis ou réduits dans leur importance, l'inscription sera radiée ou réduite.
Art. 1228. — 456. L'hypothèque pouvant amener des procédures de saisie et d'ordre entre créanciers, ou donner lieu au droit de suite contre un tiers détenteur, il faut que les divers intéressés puissent être facilement en communication avec le créancier inscrit; de là, la nécessité d'une élection de domicile spécial, à défaut d'un domicile réel dans l'arrondissement de la situation du bien.
Le changement de domicile n'a aucun inconvénient, du moment qu'il est publié.
La loi admet toute personne intéressée à faire désigner un domicile dans l'inscription; elle n'y admet, pas le débiteur comme n'ayant pas d'intérêt, puisqu'il connaît nécessairement le domicile de son créancier.
Art. 1229. — 457. IV inscription ne peut ordinairement se faire immédiatement et en présence du requérant; il ne faut pourtant pas que le rang du créancier en soit compromis; de là, la remise d'un récépissé délivré en la forme prescrite par notre article.
On remarquera qu'il est " détaché d'un registre à souche, " qu'il porte " un numéro d'ordre pour la journée, " et qu'il est détaché " en présence du requérant," lequel a le droit de s'assurer que lé numéro est bien exact.
Cet ensemble de précautions a une grande importance, car l'article 1253, différent de l'article 2147 du Code français, ne donne pas le même rang aux divers créanciers inscrits le même jour, mais bien le rang de leur inscription.
Art. 1230. — 458. Cet article ne demande aucun développement: il repose sur l'idée que le nom de l'héritier seul ne serait pas une désignation suffisante du créancier; de même, au cas de mandat, il faut la réunion des noms et qualités du mandataire et du mandant.
Art. 1231. — 459. Si c'est le débiteur qui est décédé, le créancier peut encore s'inscrire sur lui, car il peut ignorer le décès ou le nombre et les noms des héritiers; mais s'il connaît ceux-ci, il peut s'inscrire sur eux tous.
Si l'immeuble est échu par le partage à un seul héritier, l'inscription pourra être prise sur celui-là seul; mais si le partage n'avait pas été transcrit, l'inscription pourrait encore être prise sur le défunt ou sur tous les héritiers.
Dans le cas d'une hypothèque fournie par un tiers, il est clair que l'inscription est prise sur lui; mais cela ne dispense pas de porter au bordereau le nom du débiteur.
Art. 1232. — 460. Voici la garantie complémentaire du requérant contre le conservateur et en même temps la garantie de celui-ci contre le requérant; grâce à ce que le bordereau a été présenté en double original, chaque partie aura dans les mains la preuve qui lui est nécessaire: le requérant aura la preuve que l'inscription a été faite, ainsi que celle de sa date et de son numéro d'ordre sur le registre principal et sur le registre des récépissés; le conservateur a la preuve de ce qu'il lui a été demandé d'inscrire, de sorte que s'il a suivi textuellement le bordereau, il n'est pas responsable des inexactitudes ou omissions qui pouvaient s'y rencontrer.
L'apposition du même sceau sur chaque feuillet est une coutume japonaise excellente: chaque feuillet d'un double est rapproché, par la marge supérieure, du feuillet correspondant de l'autre double, et le sceau est apposé sur le point de rencontre, de manière à laisser sur chacun une empreinte de moitié, plus ou moins, ce qui rend impossible la substitution d'un feuillet à un autre. On marque aussi, en.général, les points d'attache des feuillets de chaque original (3).
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(3) La disposition finale de notre article est analogue à celle d'un article 368 bis, relatif aux transcriptions, que nous avions ajouté lors de la révision; mais comme il n'a pas été admis, nous ne l'avons reproduit qu'en note, au Tome II, n° 201.
Art. 1233. — 461. La loi ne pouvait prononcer la nullité, d'une façon absolue, pour toute omission ou insuffisance, dans les bordereaux, des mentions prescrites ci-dessus: il peut y avoir, à cet égard, des variétés infinies; elle ne pouvait, non plus, n'attacher aucune sanction à ses prescriptions. La seule solution possible était de laisser aux tribunaux le pouvoir d'apprécier la gravité de ces omissions et l'importance du préjudice qui en pourrait résulter pour les tiers que l'inscription avait pour but d'avertir. C'est, du reste, la solution admise en jurisprudence française, en l'absence de texte.
La plus grave des omissions serait celle qui concernerait le montant de la créance hypothécaire, ou la désignation de l'immeuble, au cas où le débiteur en aurait plusieurs dans le même arrondissement. Au contraire, il y aurait peu de dommage pour les tiers à ne pas être complètement renseignés sur la cause de la dette, sur sa date ou sur celle de son échéance.
Généralement, l'expérience du conservateur préviendra ces difficultés, au moment où le bordereau lui sera présenté.
Art. 1234. — 462. Le Code français veut que les inscriptions soient renouvelées tous les 10 ans (art. 2154), le Code belge tous les 15 ans, le Code italien tous les 30 ans; Le Code hollandais n'exige pas de renouvellement.
Les raisons données pour abréger la durée de la force d'une inscription ne sont pas de véritables raisons de droit, mais seulement de fait et de pratique: on dit que si l'inscription a une valeur trop prolongée, les recherches à faire par les conservateurs deviendront très laborieuses, parce qu'elles devront s'étendre à un grand nombre de registres. Cette raison est tout au plus applicable aux grandes villes où les propriétés sont plus agglomérées et plus souvent hypothéquées que dans les campagnes; mais encore, les bureaux d'inscription y sont aussi plus multipliés, et il est possible, au moyen de bons répertoires, de rendre les recherches faciles.
Le Projet admet donc que l'inscription conserve son effet pendant trente ans, après quoi elle sera périmée; c'est, en même temps, le délai maximum possible de la prescription de la créance à laquelle l'hypothèque est attachée.
463. Cette combinaison de la péremption de l'inscription avec la prescription de la créance demande quelque précaution et présente plusieurs cas.
1° Si la prescription de la créance est de trente ans et n'a été ni suspendue, ni interrompue, la créance est éteinte (si toutefois le débiteur invoque la prescription) et l'hypothèque l'est aussi, par voie de conséquence (v. art. 1305): il est sans intérêt, dans ce cas, de remarquer que l'inscription est en même temps périmée;
2° Si la prescription de la créance est de moins de trente ans, la créance et l'hypothèque seront éteintes en même temps et l'inscription n'aura plus d'effet, sans être à proprement parler périmée;
3° Si la prescription de la créance était de trente ans, mais a été suspendue ou interrompue, cela n'empêchera pas que la péremption de l'inscription s'accomplisse par trente ans, parce qu'elle n'est pas suspendue en faveur des incapables (2° al.) (a) et qu'elle ne peut être interrompue que par un renouvellement qu'on ne suppose pas avoir eu lieu;
4° Si la prescription était encore de trente ans et n'a été ni suspendue, ni interrompue, lors même que l'inscription a été renouvelée avant l'expiration des trente ans, la créance est éteinte par prescription et l'hypothèque en même temps, parce que l'inscription ou son renouvellement n'interrompent pas la prescription (v. art. 1311 et c. civ. fr., art. 2180, in. f.);
5° Si la prescription était de moins de trente ans et a été interrompue, la créance est conservée et l'inscription continue à valoir d'elle-même, parce que le délai de la péremption est de trente ans.
Le texte nous dit, en terminant, quel est l'effet du renouvellement avant et après la péremption: si l'inscription est renouvelée avant d'être périmée, elle conserve l'hypothèque à son rang primitif; si elle est renouvelée après la péremption, c'est, en réalité, une inscription nouvelle qui ne vaut qu'à sa date.
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(e) On sait déjà que les prescriptions de plus de cinq ans ne sont suspendues au profit des mineurs que pendant la dernière année: c'est une suspension limitée (v. art. 1467).
Art. 1235. — 464. On a vu à l'article 1220 que l'inscription d'hypothèque ne peut être prise sur le débiteur après sa faillite, son insolvabilité, déclarée ou notoire, ou son décès, si la succession n'est pas acceptée purement et simplement.
Si ces événements sont survenus depuis l'inscription, ils n'empêchent pas le renouvellement de l'inscription dans les trente ans, parce qu'alors l'inscription garde toujours la même date.
Si l'inscription a été périmée, le renouvellement n'est plus possible, parce que l'on se retrouve dans le cas de l'article 1220 où une inscription primitive n'est pas permise.
Art. 1236. — 465. La réquisition ou l'accomplissement du renouvellement demandent les mêmes garanties respectives du requérant et du conservateur que lorsqu'il s'agit de l'inscription première (v. art. 1232): le texte est suffisamment explicite à cet égard.
Art. 1237. — 466. Le présent article diffère du Code français qui met les frais d'inscription en entier à la charge du débiteur, sans distinction (v. art. 2155).
C'est une règle déjà consacrée par le Projet (v. art. 353, 3c al. et 671) que, dans les contrats synallagmatiques ou seulement à titre onéreux, les frais de contrat sont supportés pour moitié par les deux parties, comme ayant également intérêt, et par le créancier seul si le contrat est à titre gratuit. Ici, quoiqu'il ne s'agisse que de la suite d'un contrat et non du contrat lui même, la loi applique le même principe.
S'il s'agit de l'hypothèque constituée par un tiers, on devra tenir compte des distinctions un peu délicates faites par l'article 1217 (v. n° 431).
Quant aux frais du renouvellement, la loi les met, dans tous les cas, à la charge du créancier. C'est un cas que le Code français n'a pas réglé; nous hésitons à croire qu'il faille y appliquer l'article 2155.
Art. 1238. — 467. Il est naturel que la compétence au sujet des contestations relatives aux inscriptions soit celle du tribunal de la situation du bien, parce que ces contestations ont un caractère réel.
Pour les notifications au créancier, elles lui sont nécessairement faites au domicile par lui élu dans l'inscription (v. art. 1228), puisque c'est là surtout le but de cette élection de domicile. Quant aux notifications à faire au débiteur ou au tiers qui a fourni l'hypothèque, la loi ne déroge pas au droit commun: elles leur seront faites à leur domicile réel (d).
SOMMAIRE.
Art. 1239. — N° 468. Trois causes de radiation de l'inscription.
1240. —469. Importance des questions à juger; compétence: distinction.
1211. —470. Deux causes de réduction de l'inscription de la femme; renvoi pour une troisième cause, commune à toutes les inscriptions.
1242. —471. Mêmes causes de réduction pour l'inscription du mineur et de l'interdit.
1213. 472. Idem pour l'hypothèque conventionnelle: différence avec le Code français.
1214. 473. Idem pour l'hypothèque testamentaire.
1214 bis. -474. Cause commune de la réduction de l'inscription quant à la somme due: extinction de la dette pour plus de moitié.
1245. —475. Nouvelle cause de radiation de l'inscription relative à certains immeubles.
1246. —476. Supplément d'hypothèque à fournir, même au cas de perte par cause fortuite ou majeure: différence avec le cas de l'article 1207.
1247. —477. Consentement du créancier à la radiation ou à la réduction: nécessité d'un acte authentique.
1248. —478. Capacité requise chez le créancier pour consentir à la radiation ou à la réduction.
1249. —479. Procuration pour consentir aux mêmes actes.
1250. —480. Forme de la radiation et de la réduction.
1251. —481. Rétablissement d'une inscription radiée ou réduite: applications. -482. Conflit entre l'ancien créancier et les nouveaux: règlement proposé.
1252. -483. Redressement des errours ou omissions: mentions rectificatives.
COMMENTAIRE.
Art. 1239. — N° 468. Le présent article nous indique trois causes de radiation de l'inscription: les deux premières sont tirées de la créance ou de l'hypothèque et n'atteignent l'inscription que par voie de conséquence; la dernière est directement tirée de l'inscription ellemême.
Le texte est assez précis pour n'avoir pas besoin de développements à ce sujet.
Remarquons seulement ce qui concerne l'extinction de la dette; il n'y a lieu à radiation que si l'extinction est totale; s'il n'y avait qu'extinction partielle, ce serait le cas de réduction de l'inscription, énoncé plus loin.
Il y a aussi un renvoi à l'article 1245, pour un autre cas de radiation qui ne pouvait prendre place ici.
Art. 1240. — 469. La radiation de l'inscription, devant autoriser les tiers intéressés à considérer l'inscri ption comme non avenue, ne doit pas être faite témérairement ou avec des dangers d'erreur; aussi doit-elle être demandée et obtenue en justice, à moins qu'il n'y ait accord des parties, à cet effet, comme il est prévu aux articles 1247 et suivants.
La forme de la radiation est réglée à l'article 1250.
Les questions qui devront être jugées au sujet des demandes en radiation seront souvent très importantes, puisqu'elles pourront porter: 1° sur l'existence même de la prétendue créance hypothécaire, sur sa validité ou sur son extinction par un des modes légaux; 2° sur l'existence de l'hypothèque, légale, conventionnelle ou testamentaire; 3° sur la validité de l'inscription.
Le tribunal compétent est naturellement celui de la situation du bien, d'après l'article 1238. Cependant, s'il y avait à juger des questions de capacité et autres n'intéressant l'inscription que par voie de conséquence, le tribunal du domicile du créancier défendeur serait compétent d'après le droit commun: il suffirait que le défendeur déclinât la compétence du tribunal de la situation pour obtenir le renvoi (comp. c. civ. fr., art. 2159).
Art. 1241. — 470. La loi arrive à la réduction des inscriptions; le texte prévoit successivement les trois sortes d'hypothèques.
L'inscription de la femme peut être réduite pour deux causes: 1° si elle porte sur plus d'immeubles qu'il n'est nécessaire pour sa garantie, 2° si elle est prise pour une somme plus forte que la juste évaluation de sa créance.
Il y aurait bien un 3e cas de réduction, mais comme il est commun à toutes les hypothèques, il sera l'objet d'un article spécial, c'est le cas où la dette a été éteinte en partie (v. art. 1244 bis).
Pour que la réduction puisse ainsi avoir lieu, il faut, pour la première cause, que l'hypothèque n'ait pas été déjà restreinte à un ou plusieurs immeubles, par convention avec le mari, et pour la seconde, que l'évaluation de la créanue n'ait pas été faite de même par convention.
Art. 1242. — 471. L'hypothèque légale du mineur et de l'interdit est, ici encore, entièrement assimilée à celle de la femme: il y aura lieu aux deux mêmes causes de réduction de l'inscription, sous les deux mêmes conditions, à savoir que l'hypothèque ou l'inscription, n'ait pas reçu un caractère conventionnel par délibération du conseil de famille ou de tutelle, d'accord avec le tuteur.
Art. 1243 et 1244. -472. L'hypothèque conventionnelle semblerait, par sa nature, être irréductible quant aux immeubles, puisqu'elle doit être spéciale, et c'est ce que décide l'article 2161, in fine, du Code français; mais on a vu, à l'article 1213, que le Projet, moins rigoureux que le Code français, permet d'hypothéquer la totalité ou une quote part des biens présents, sans autre désignation; or, dans ce cas, la réduction de l'inscription est permise, s'il y a excès dans la garantie. La seconde cause de réduction fondée sur une évaluation excessive est également permise, si l'évaluation n'a pas été faite par convention avec le débiteur.
473. Mêmes solutions et aux mêmes conditions pour l'hypothèque testamentaire.
Art. 1244 bis. -474. On aurait pu croire qu'à cause de l'indivisibilité de l'hypothèque, aucune réduction de l'inscription ne serait possible pour cause d'extinction partielle de la dette; mais il y aurait là une confusion d'idées que la loi tient à prévenir: la réductoin de l'inscription ne diminue en rien les garanties du créancier, puisque, dans ce cas, ainsi que le texte a bien soin de l'exprimer, il n'y a pas réduction des immeubles hypothéqués, mais seulement de la somme portée dans l'inscription; dès lors, ce n'est pour le débiteur qu'un moyen de ne pas voir son crédit diminué plus qu'il n'est juste par une inscription excessive.
La loi n'admet pas non plus que la réduction puisse être demandée pour un payement partiel quelconque: il faut que la dette soit éteinte pour plus de moitié; sauf encore le droit pour le débiteur de faire mentionner, en marge de l'inscription, les payements partiels quelconques qu'il a faits, le tout à ses frais exclusifs, et cela, toujours pour conserver son crédit dans la mesure de la vérité.
Le silence du Code français sur la réduction de l'inscription, au cas d'extinction partielle ne nous paraît pas mettre obstacle à l'admission de ces solutions, même au cas d'hypothèque conventionnelle.
Art. 1245. — 475. Il est naturel que le jugement qui statue sur la demande en réduction faite par le débiteur déclare formellement quels immeubles seront affranchis de l'hypothèque, lorsqu'il y a lieu, et quelle somme restera garantie par l'inscription. C'est dans le premier cas qu'il y a lieu à une radiation que n'a pas énoncée l'article 1239, mais pour laquelle il a renvoyé à notre article. Il en résulte que l'article 1239 reste limité aux radiations qui dégrèvent complètement tous les immeubles du débiteur.
Art. 1246. — 476. Bien que le Projet se soit écarté du Code français (v. art. 2131), au sujet du supplément d'hypothèque à fournir, en cas de diminution de la garantie par le fait du débiteur (v. art. 1207), ce n'était pas une raison pour l'affranchir de cette obligation, lorsque les immeubles auxquels l'hypothèque a été restreinte ont subi des dépréciations, même fortuites ou résultant d'une force majeure: il ne faut pas perdre de vue qu'ici il y a un acte antérieur du débiteur qui a amené la restriction de l'hypothèque et indirectement causé cette insuffisance postérieure.
Art. 1247. — 477. Il est désirable, lorsqu'il y a lieu à la réduction d'une inscription, que le créancier y consente et n'oblige pas le débiteur à recourir à la justice, ce qui entraîne des lenteurs et des frais; mais comme ce sont des actes graves en eux-mêmes et qui modifient une situation solidement établie, la loi ne se contente pas d'un acte sous seing privé; lors même qu'il ne s'agit pas d'une hypothèque conventionnelle, il est naturel que, du moment que la convention intervient dans la radiation ou la réduction, elle revête la forme solennelle, comme lorsqu'il s'agit de constituer l'hypothèque ellemême par convention.
Art. 1248. — 478. Les distinctions que fait la loi au sujet de la capacité requise chez le créancier, pour consentir à la radiation ou à la réduction, sont naturelles et faciles à justifier: s'il y a eu extinction totale ou partielle de la dette, il suffit au créancier de pouvoir payer la dette ou en reconnaître le payement antérieur, car le consentement à la radiation ou à la réduction repose dans ce cas sur la reconnaissance d'un payement. S'il s'agit de l'une des deux autres causes de radiation ou de réduction comme elles ont toujours un caractère litigieux, il faut au créancier la capacité de transiger, car il se fait alors juge de son droit et de celui du débiteur, respectivement. Enfin, s'il y a renonciation pure et simple à tout ou partie du bénéfice de l'inscription, il est clair que le créancier dispose gratuitement d'un des avantages de sa créance et dès lors il lui faut la capacité de donner.
Art. 1249. — 479. La procuration pour consentir une hypothèque étant soumise à la forme authentique (art. 1211), il est naturel que la procuration pour la restreindre soit soumise à la même forme.
Quant à la capacité du mandataire, elle est de même réglée d'après les causes de la radiation ou de la réduction.
Art. 1250. — 480. Il est naturel aussi que la radiation ne soit pas une cancellation de l'inscription: celle-ci n'est pas biffée ou bâtonnée, parce qu'il peut survenir des circonstances où la radiation devrait elle-même être annulée et où l'inscription devrait reprendre sa force (v. art. suiv.). Elle consiste donc dans une mention, en marge de l'inscription, de la convention ou du jugement qui les a autorisées ou ordonnées, de sorte qu'elle présente en même temps sa cause et sa justification.
Quant à la réduction, il est encore plus évident qu'elle ne peut consister que dans une mention, car elle doit indiquer soit l'immeuble affranchi de l'inscription, soit la somme à laquelle elle est réduite.
Le conservateur n'est tenu de faire lesdites mentions que sur une preuve authentique de la convention ou du jugement; pour ce dernier, il faut, en outre, la preuve qu'il est devenu inattaquable, car il serait dangereux de faire une radiation ou une réduction qui pourrait être annulée sur un appel ou un pourvoi en cassation (a).
Le renvoi à l'article 1225 ne présente pas de difficulté: au même danger il faut le même remède.
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(a) Le Code de Procédure civile décide, comme la loi française, que le pourvoi eu cassation n'est pas suspensif de l'exécution en matière civile.Nous aurions préféré que l'exécution ne fût permise qu'après une décision préalable de la Cour sur l'admissibilité provisoire des moyens de cassation.
Art. 1251. — 481. C'est un point qui fait difficulté en France, dans le silence du Code civil, que celui que règle notre article. Sans doute, il sera rare que le jugement qui a ordonné la radiation ou la réduction de l'inscription soit annulé, puisqu'on vient de voir que la mention n'en est faite sur les registres que quand le jugement est devenu inattaquable; mais déjà la question de savoir si le pourvoi en cassation est suspensif de l'exécution, c'est-à-dire de la mention à faire, étant résolue négativement, il pourra y avoir cassation du jugement et réformation de ce qui en est suivi; ensuite, il y a des recours extraordinaires dont la possibilité ne sera certainement pas suspensive de la mention, comme la requête civile, la tierce opposition, la prise à partie; notre article s'appliquera donc à ces cas.
En outre, il s'appliquera sans difficulté à la convention autorisant la radiation ou la réduction, laquelle pourra être annulée pour incapacité ou pour vice du consentement, ou résolue pour inexécution des conditions.
482. La solution proposée concilie à la fois l'intérêt de l'ancien créancier dont le droit est rétabli et celui des nouveaux qui, sur la foi de la radiatiou ou de la réduction, ont pu accepter des hypothèques ou prendre eux-mêmes des inscriptions qu'ils ont eu lieu de croire avantageuses.
Supposons que l'hypothèque de Primus ait été radiée sur un immeuble sur lequel Secundus occupait le second rang; ensuite Tertius a pris inscription, enfin l'inscription de Primus a été rétablie; Primus continuera à primer Secundus, parce que celui-ci ne verra pas sa position plus mauvaise qu'elle n'était à l'origine; mais il sera primé par Tertius qui n'a vu que l'inscription de Secundus avant la sienne.
En France, quelques auteurs prétendent qu'il y aurait là une impasse et qu'il serait impossible, dans ce système, de dire quel créancier sera payé le premier; on a dit; ce n'est pas Primus, puisqu'il est précédé par Tertius: ce n'est pas Tertius qui est primé par Secundus; ce n'est pas Secundus qui est primé par Primus.
Voici, selon nous, le moyen de régler ces divers droits en apparence inconciliables: par exemple, trois créanciers sont inscrits chacun pour 1000 yens; l'immeuble ne se vend que 2500 yens (il faut bien supposer que l'immeuble ne suffira pas à payer tous les créanciers, autrement, la question n'aurait pas d'intérêt), il y a donc un créancier qui perdra 500 yens. Secundus touchera certainement ses 1000 yens, car, que ce soit Primus ou Tertius qui reçoive les premiers 1000 yens, il ne peut en souffrir ni en profiter; quant aux 1000 yens alloués au. premier rang, ils ne peuvent primer Tertius vis-à-vis duquel il n'y avait plus qu'une inscription le primant, celle de Secundus; Tertius touchera donc 1000 yens, dont 500 sont prélevés sur les 1000 du premier rang, et les 500 autres seront alloués à Primus; c'est en somme sur celui-ci ce que les fonds manqueront.
Mais voiei un cas plus intéressant:
Supposons que l'hypothèque de Primus, radiée, puis rétablie, ait été de 2000 yens; c'était sur Secundus que les fonds auraient manqué, si Primus avait gardé son inscription sans interruption; Tertius s'inscrivant pour 1000 yens, lorsqu'il n'y a plus qu'une inscription, celle de Secundus, est sûr d'être payé; plus tard, l'inscription de Primus est rétablie: Tertius n'en doit pas souffrir, il touchera donc ses 1000 yens; Primus n'en aura plus que 1000 au premier rang et Secundus sera toujours réduit à 500 yens, chiffre sur lequel seul il a compté.
Art. 1252. — 483. On a déjà prévu (art. 1233) que certaines inexactitudes ou omissions ne suffiraient pas à faire annuler l'inscription; mais comme les erreurs doivent toujours être redressées, elles donneront lieu à des jugements rectificatifs et ces conventions ou jugements seront eux-mêmes mentionnés en marge de l'acte rectifié.
Le présent article ne prévoit pas seulement cles erreurs dans l'inscription première, mais encore dans le renouvelement, dans la radiation ou dans la réduction.
La même garantie est accordée aux tiers: la rectification ne rétroagira pas contre eux.
SOMMAIRE.
Art. 1253. — N° 484. Le rang de l'hypothèque est toujours déterminé par l'inscription. -485. Pluralité d'inscriptions prise le même jour; différences entre le Code français, le Code italien et.le Projet japonais.
1254. —t8ti. Intérêts et accessoires conservés par l'inscription.
1255. -487. Créance conditionnelle, ouverture de crédit.
1256. -488. Cas particulier de subrogation légale des créanciers les uns aux autres.
1257. -489. Cette subrogation ne nuit pas aux créanciers contre lesquels elle est établie: elle les prive seulement d'un gain injuste. -490. Publicité de cette subrogation.
1258. —491. Moyen de régler la priorité au cas de plusieurs renonciations ou subrogations à l'hypothèque ou de plusieurs cessions de la créance hypothécaire; observation sur la subrogation légale.
1259. -492. Renvoi à l'article 1191, pour compléter la théorie de la subrogation.
1260. —493. Connaissance extrinsèque d'une hypothèque non inscrite: différence avec la même connaissance d'une mutation non transcrite.
1261. -494. Principe d'après lequel les créanciers hypothécaires ne sont chirographaires que pour ce qui n'est pas payé hypothécairement: application au cas où le prix des immeubles est distribué avant les valeurs mobilières. -495. Cas inverse: distribution provisoire des valeurs mobilières; restitutions après la collocation hypothécaire; distribution complémentaire des sommes restituées.
COMMENTAIRE.
Art. 1253. — N° 484. Le premier alinéa de notre article pose un principe qui ne pourrait être mis en doute, même dans le silence de la loi, mais qui donne plus de relief à la disposition du second alinéa, laquelle est la pins saillante de toute la Section.
On a vu sous l'article 1219 que, dans le Projet, toutes les hypothèques, même celtes des femmes mariées, des mineurs et des interdits, sont soumises à la formalité de l'inscription, sans quoi ” elles ne peuvent être opposées aux tiers; " il est dès lors nécessaire que l'inscription détermine aussi le rang respectif de toutes, car si les tiers devaient subir une priorité que ne leur révélerait pas l'inscription, l'hypothèque dont le rang est le plus grand intérêt, conserverait encore un caractère occulte et le plus grave.
C'est donc la plus ancienne inscription qui assure le premier rang et ainsi, en suivant, jusqu'à la plus récente.
485. La loi ne pouvait négliger de prévoir le cas où plusieurs inscriptions seraient prises le même jour. Le Code français donne à cet égard une solution qu'on n'a pas cru pouvoir adopter: il décide (art. 2147) que " tous les créanciers inscrits le même jour viennent en concurrence, lors même que le conservateur aurait marqué entre eux des différences d'heures."
Cette solution a prévalu, parce qu'on a craint que dans ce cas, par erreur ou par complaisance, le conservateur ne donnât aux uns sur les autres une priorité mal fondée. Mais si la loi ne croyait pas pouvoir accorder au conservateur, dans ce cas particulier, la même confiance que dans les autres cas, il fallait chercher quelque garantie spéciale de la vérité, plutôt que de sacrifier des intérêts légitimes, et c'est justement ce que le Projet croit avoir fait.
Il y a, en effet, un très grave inconvénient dans le système du Code français: un créancier qui prend une inscription, un jour où il n'en existe encore aucune autre, n'est pas assuré de la priorité, une ou plusieurs autres inscriptions pourront être prises le même jour et concourir avec la sienne; c'est au système de la publicité une brèche à laquelle on s'est aussi facilement résigné que si elle eût été inévitable.
La garantie contre la fraude ou l'erreur du conservateur se trouve déjà indiquée dans l'article 1229: elle consiste dans la délivrance d'un récépissé détaché d'un registre à souche portant le numéro d'ordre de la remise de la journée et dans la reproduction du même numéro d'ordre sur l'inscription.
Le Code italien n'a pas suivi non plus le Code français et il donne la priorité au premier inscrit, quoique le même jour; il n'arrive à donner le même rang à plusieurs créanciers que dans le cas, assez rare sans doute, où " ils se présentent en même temps pour obtenir l'inscription " (art. 2108, 2109).
Art. 1254. — 486. Il est naturel que lorsque la créance porte intérêts et que l'inscription en fait mention, le créancier obtienne quelque partie de ces intérêts, sans être dans la nécessité de prendre une inscription spéciale à chaque échéance. Mais il ne serait pas juste non plus qu'il obtînt tout ce qui se trouve dû au jour de la liquidation, parce que, s'il a laissé s'accumuler les intérêts, il a commis une négligence qui ne doit pas préjudicier aux autres créanciers.
Le Code français accorde ainsi deux années (sans doute, les deux dernières échues) et l'année courante (art. 2151). Le Projet accorde bien deux années, mais non l'année courante, parce que. cela peut créer une grande inégalité entre les créanciers, l'année courante pouvant être au début pour les uns et près de sa fin pour les autres; le texte a soin aussi d'exprimer qu'il s'agit d'années échues, et des deux dernières, lesquelles peuvent avoir une moindre importance que de plus anciennes, s'il y a eu des payements partiels du capital. Mais le créancier auquel il est dû un plus grand nombre d'années non prescrites peut toujours prendre à cet égard. des inscriptions spéciales valant à leur date; ces inscriptions d'ailleurs n'interrompront pas la prescription, même pour lesdits intérêts (v. art. 1446).
Le texte s'applique aux autres accessoires périodiques des créances, tels qu'arrérages des rentes perpétuelles ou viagères et prestations de denrées estimées en argent.
C'est, en somme, la même disposition que pour les priviléges (v. art. 1192).
Art. 1255. — 487. La créance conditionnelle existe, quoiqu'en un état imparfait: l'effet de l'inscription en est lui-même conditionnel et éventuel; mais l'une et l'autre n'en ont pas moins un rang fixé également par la date de l'inscription, pour valoir si la condition s'accomplit et quand elle s'accomplira.
La loi se prononce dans le même sens pour l'hypothèque garantissant le remboursement de sommes versées successivement en vertu d'une " ouverture de crédit, " c'est-à-dire d'un prêt pouvant aller jusqu'à un chiffre déterminé ou même sans autre limite que la demande de l'empruuteur. Seulement, dans ce cas, l'inscription devrait porter un chiffre maximum (v. art. 1226-4°).
Dans ces divers cas, du moment que les tiers sont avertis de l'hypothèque et de son rang, ils traitent en conséquence avec le débiteur: ils ne courent aucun risque de surprise et ont, au contraire, des chances que la créance conditionnelle ne se réalise pas ou que le crédit ne soit pas arrivé au chiffre qu'il pouvait atteindre.
Art. 1256. — 488. La disposition du présent article est un nouveau cas de subrogation légale qui n'existe pas dans le Code français; nous aurions peut-être hésité à le proposer au Japon; mais nous le trouvons dans le Code italien (art. 2011), cela nous rassure contre le soupçon de témérité (1).
Le cas de cette subrogation est assez facile à saisir à la lecture du texte: un créancier a hypothèque sur plusieurs immeubles de son débiteur (ce sera le cas d'une hypothèque légale, ce peut aussi être celui d'une hypothèque conventionnelle ou testamentaire); si tous les immeubles sont vendus à la même époque et liquidés simultanément, l'équité demande, et c'est la disposition du 101' alinéa, que le prix de chaque immeuble contribue, d'après son importance relative, à payer cette dette: autrement, le prix d'un seul immeuble pourrait être absorbé, en tout ou en très grande partie, par le payement intégral, au grand préjudice des autres créanciers inscrits à la suite sur le même immeuble, et au profit des créanciers inscrits sur les autres immeubles qui se trouveraient ainsi dégrevés d'une forte créance.
Cette répartition proportionnelle, immédiate et directe, n'est pas toujours possible, la vente et la liquidation de tous les immeubles ne peut toujours être simultanée; mais la loi indique un moyen d'y revenir indirectement, c'est la subrogation légale qui forme l'objet du 2e alinéa: les créanciers inscrits à la suite de celui qui a été désintéressé en entier sur un seul immeuble prendront sa place, c'est-à-dire son rang, pour leur propre créance, sur les autres immeubles, au lieu de n'y venir qu'à leur rang personnel qui est peut-être peu favorable.
Le texte dit que, dans cette subrogation, ils gardent ” leurs rangs respectifs," afin qu'on ne croye pas qu'ils y arrivent comme par un titre nouveau, ayant une seule date et un seul rang.
Le but de la loi étant de faire contribuer les divers immeubles hypothéqués à une seule dette, proportionnellement à leur valeur respective, il en résulte que cette subrogation ne permet aux créanciers perdants de prendre la place de celui qui les a primés que dans la mesure où les autres immeubles doivent contribuer au payement de la première créance: autrement, on tournerait dans un cercle sans issue. La disposition du Code italien relative à cette subrogation laisse ce point dans l'ombre et donnerait même lieu à quelque embarras, car elle porte que " le même droit appartient aux créanciers perdants par suite de ladite subrogation " (art. 2011).
Cette subrogation légale rentre d'ailleurs dans la seconde application de ce bénéfice de la loi, telle qu'elle se trouve énoncée à l'article 504-2° du Projet, comme elle l'est dans l'article 1251-1° du Code français: on peut dire, sans forcer l'idée, que " ces créanciers en ont désintéressé un autre qui leur était préférable à raison de ses priviléges ou hypothèques," et nous ne serions pas surpris qu'un jour la jurisprudence française, s'inspirant de la loi italienne, arrivât à la même solution, par l'application seule de l'article 1251-1°.
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(1) Cette subrogation légale a été admise par le Code officiel (Y. art. 242 du Livre des Garanties).
Art. 1257. — 489. Le 1er alinéa de cet article exprime, sous une forme inverse, l'effet ordinaire de la subrogation qui met le subrogé à la place du subrogeant; lorsqu'on liquidera -le prix des immeubles sur lesquels un créancier avait un droit qui n'a pas été utilisé, les créanciers perdants sur les premiers immeubles seront colloqués sur les autres avant les créanciers qui se trouvaient primés par le créancier désintéressé: ceux-ci ne pourraient s'en plaindre raisonnablement, car ils se savaient primés dans une certaine mesure, proportionnelle à la valeur respective de chaque immeuble, comparée au montant de la créance inscrite la première; il leur importe peu que ce droit de préférence soit exercé par un créancier ou par d'autres. Ce qu'il fallait éviter c'était qu'ils fissent un gain injuste.
490. Le 1er alinéa indique pour les subrogés le moyen de se mettre en garde contre des actes passés entre le débiteur et l'ancien créancier, actes dont l'effet serait la radiation ou la réduction de l'inscription; c'est aussi le moyen de se faire comprendre nommément dans la procédure d'ordre (ajoutons dans la procédure de wuite dont le texte ne fait pas mention, parce que l'on n'y est pas encore arrivé): autrement, les significations ne seraient faites qu'à l'ancien créancier et il serait en droit de n'y pas répondre, n'ayant plus d'intérêt et n'étant tenu d'aucune garantie envers les subrogés.
Le 3e alinéa complète ces mesures de précaution en faveur des subrogés.
Art. 1258. — 491. Un créancier hypothécaire peut, tout en conservant sa créance renoncer à son droit d'hypothèque, ou même garder son hypothèque et renoncer seulement à son rang, en faveur d'un autre créancier (a); s'il y a d'autres créanciers inscrits à la suite du renonçant ils n'auront pas à en souffrir ni à en profiter; en effet, ou la nouvelle créance est supérieure à celle du renonçant, alors elle ne s'exercera que dans la même mesure, ou elle est inférieure, alors le renonçant exercera son droit pour le surplus.
S'il y a plusieurs renonciations successives, ce qui est dit ci-après des cessions successives de la même créance leur est applicable.
Les créances hypothécaires sont cessibles par vente échange, donation ou autre acte opérant transport cession; dans ces cas, l'hypothèque est cédée avec la créance elle-même. Mais il est possible qu'en fait la même créance ait été l'objet de cessions successives, soit par la mauvaise foi du cédan+, soit parce que l'héritier du créancier, ignorant une cession antérieure faite par son auteur, en ferait lui-même une autre, de bonne foi.
La loi doit donc régler ce conflit entre cessionnaires et il est naturel qu'elle puise dans le système de la publicité des hypothèques le principe de la priorité entre les cessionnaires: ainsi le premier rang appartiendra " à celui qui aura le premier publié son acquisition," et le mode de publicité sera le plus simple et le moins côuteux, à savoir la mention de la cession, en marge de l'inscription déjà prise; si celle-ci n'a pas encore été prise par le cédant, elle le sera à la diligence du cessionnaire, avec la mention de la cession.
La loi met la subrogation sur la même ligne que la cession, parce qu'avec quelques différences dans l'étendue, elle a les mêmes effets (v. art. 501 et 506).
On pourrait croire qu'il ne peut être question ici que de la subrogation conventionnelle, comme étant la seule qui puisse avoir lieu plusieurs fois, de mauvaise foi ou par erreur, et qui, par conséquent, donne lieu à une question de priorité; mais il ne faut pas mettre cette restriction dans la loi; on peut, en effet, supposer une subrogation légale en'conflit avec une cession ou avec une subrogation conventionnelle, soit antérieure, soit postérieure, et il est nécessaire que chacun des intéressés, avant de contracter, puisse être averti de la priorité qui lui sera opposable.
Avant la loi française de 1855 sur la transcription, il n'y avait pas, en France, de dispositions sur la publicité à donner aux renonciations, cessions ou subrogations relatives aux hypothèques inscrites ou non inscrites; l'article 9 de la loi de 1855 a organisé un mode de publicité pour ces divers actes, mais il est applicable seulement à l'hypothèque légale de la femme: le Projet s'en est inspiré pour une règle d'une application plus générale.
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(a) Quand la renonciation à un droit d'hypothèque ou autre n'est pas pnre et simple ou extinctive du droit, mais en faveur de quelqu'un auquel elle profite, on l'appelle renonciation infavorem (alterius).
Art. 1259. — 492. L'article 119 l a déjà réglé un cas particulier de subrogation. Comme il est écrit pour la matière des priviléges, on a cru devoir en reproduire ce qui concerne la publicité, mais on se borne à un renvoi à cet article pour sa dernière disposition concernant la validité des payements faits de bonne foi avant la publication de la cession ou de la subrogation.
Art. 1260. — 493. La présente disposition est nécessaire pour montrer qu'il y a une profonde différence entre la publicité des hypothèques et celle des mutations ou constitutions de droits réels immobiliers. En effet, l'article 370 nous a dit que le défaut de transcription ne peut être opposé aux acquéreurs négligents que par les ayant-cause " de bonne foi," c'est-à-dire qui ont ignoré les actes non transcrits; de plus, une limite est mise aux moyens de prouver la mauvaise foi, c'est-à-dire la connaissance extrinsèque desdits actes: elle ne peut être établie que par l'aveu même de la partie qui oppose le défaut de transcription (v. art. 367).
On n'a pas à revenir ici sur les raisons qui ont paru commander cette influence de la mausaise foi, généralement rejetée dans l'interprétation du Code français (v. T. II, nos 209 et suiv.).
Mais de ce que la connaissance d'une mutation non transcrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit de se prévaloir du défaut de transcription, il ne s'en suit pas que la connaissance d'une hypothèque non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit d'opposer le défaut d'inscription: les divers droits réels soumis à la transcription sont généralement incompatibles les uns avec les autres, ils ne peuvent coexister; on comprend dès lors que la loi ne donne la préférence qu'à celui qui, ayant publié son acquisition, a ignoré une acquisition antérieure, ou, en d'autres termes, la refuse à celui qui avoue avoir connu, lors de son acquisition, une aliénation antérieure, bien que non. transcrite. Mais diverses hypothèques peuvent coexister sur le même immeuble, au profit de personnes différentes, sans s'exclure nécessairement: un créancier primé par d'autres peut cependant être payé avant ceux-ci, soit avec des deniers disponibles, soit au moyen d'autres sûretés; dès lors, la circonstance qu'un créancier sait, au moment où il s'inscrit, qu'il existe déjà une autre hypothèque non inscrite, ne le constitue pas en état de mauvaise foi et ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter: il a pu coire que le créancier négligent avait d'autres sûretés rendant son hypothèque moins utile (v. T. II, n° 214).
Art. 1261. — 494. Les dispositions de cet article sont très importantes. Elles sont empruntées au Code de Commerce français (v. art. 552 à 556), où elles sont écrites pour le cas de faillite et d'où il ne paraît pas que la doctrine et la jurisprudence aient cru pouvoir les étendre aux matières civiles, c'est-à-dire à la déconfiture. M ais elles sont tellement conformes à la raison et à l'équité qu'on n'hésite pas à les introduire dans ce Projet de Code civil.
La loi commence par poser un principe dont la suite n'est que le développement logique et nécessaire: le créancier, hypothécaire n'est créancier chirographaire que pour ce qu'il ne peut toucher dans le produit de la vente du bien hypothéqué; il n'y a donc pas concours des deux qualités: l'une exclut l'autre; ce n'est qu'après la clôture de l'ordre que l'on peut savoir quels créanciers hypothécaires restent chirographaires et pour quelle somme ils ont cette qualité.
Si l'on commençait toujours par la vente des immeubles, il n'y aurait aucune difficulté. Soient, par exemple, trois créanciers hypothécaires: le premier est payé en entier sur le prix des immeubles, le second ne l'est que pour deux tiers, le troisième ne vient pas en ordre utile; il est clair quç le premier n'est plus créancier, en aucune qualité, que le second n'est créancier chirographaire que pour un tiers de sa créance et que le troisième est chirographaire pour le tout; les deux derniers seront payés sur les valeurs mobilières en proportion de leur créance chirographaire.
495. Mais, précisément, il est rare que la vente des immeubles puisse être faite avant la liquidation des valeurs mobilières; dès lors, tous les créanciers hypothécaires peuvent prétendre être compris dans la distribution, proportionnellement à leur créance, et on ne verrait pas à quel titre ni pour qu'elles sommes les en exclure: quelle que soit la vraisemblance que le premier créancier soit payé intégralement sur le prix des immeubles et le second pour une fraction, cette fraction esL incertaine pour le second et, même pour le premier ce payement intégral peut être empêché par la perte de l'immeuble ou par quelque nullité imprévue de son hypothèque.
La loi les autorise donc à se présenter tous à la distribution par contribution, chacun pour le montant intégral de sa créance, et chacun y touchera un dividende.
Puis, quand viendra la distribution du prix des immeubles, ce n'est pas pour ce qui lui reste dû que chacun viendra à la collocation par ordre: ce serait un avantage illégitime pour ceux des créanciers qui, par leur rang d'inscription, étaient exposés à ce que les fonds manquassent sur eux; le premier créancier prenant moins à son rang, le second toucherait plus au sien et le troisième, qui dans la première hypothèse ne serait pas venu en ordre utile, pourrait toucher quelque chose.
Il faut donc que, dans la liquidation du prix des immeubles, chaque créancier hypothécaire soit traité comme si aucune distribution antérieure n'avait eu lieu.
D'un autre côté, aucun créancier ne peut recevoir un double payement de sa dette ni d'aucune partie de sa dette; alors, celui qui se trouve en rang utile pour être payé en entier par sa collocation dans l'ordre, reverse à la masse mobilière tout le dividende qu'il en a reçu, car il se trouve que c'est à tort qu'il a figuré dans la première distribution; le second créancier, s'il est appelé à toucher deux tiers, par exemple, dans l'ordre hypothécaire, n'aurait dû figurer que pour un tiers dans la distribution mobilière, et comme il y a figuré pour toute sa créance, il aura donc à restituer deux tiers de ce qu'il a reçu; le troisième créancier, ne touchant rien hypothécairement, n'aura rien à restituer à la masse mobilière; au contraire? il sera appelé à participer à la distribution des sommes restituées à la masse mobilière, car comme il est dit au dernier alinéa, ces sommes sont l'objet d'une nouvelle distribution proportionnelle.
SOMMAIRE.
Art. 1262. — N° 496. Droit de suite ou garantie que donne l'hypothèque contre les aliénations: le droit de suite mène aussi au droitde préférence. -497. Nécessité de l'inscription antérieure à la transcription. -498. Variations de la législation française à ce sujet. -499. Exceptions au sujet des incapables, non admise dans le Projet. —500. Droit de suite contre des constitutions de servitudes, d'usage et d'habitation.
1263. —501. Renonciation à un démembrement de propriété hypothéqué: importance de la date respective de l'inscription et de la transcription de la renonciation.
1264. —502. Droit de saisie des créanciers chirographaires: validité à leur égard des inscriptions prises entre la transcription de la saisie et la transcription de l'adjudication. -503. -Rappel de deux exceptions au droit de prendre inscription.
1265. —504. Ces exceptions ne concernent pas l'insolvabilité ou le décès du tiers détenteur.
1266. —505. Cinq partis que peut prendre le tiers détenteur à l'égard des dettes hypothécaires.
COMMENTAIRE.
Art. 1262. — N° 496. On a déjà annoncé (n° 393) que l'hypothèque, étant une des sûretés les plus effica.ces, ne préserve pas seulement celui qui en est muni du Cinq partis pour le tiers détenteur.concours des autres créanciers, par le droit de 'préférence, mais encore le met à l'abri, par le droit de suite, des aliénations, même non frauduleuses, de la chose hypothéquée.
C'est ce second droit qui va nous occuper dans la présente Section.
Si l'immeuble restait toujours dans les mains du débiteur et n'était grevé par lui d'aucun autre droit réel ou démembrement de la propriété, c'est sur le débiteur luimême que ie créancier poursuivrait la vente, pour l'exercice de son droit de préférence; alors on ne parlerait pas de droit de suite: ce droit suppose, comme le porte notre premier article, que le débiteur a aliéné l'immeuble, en tout ou en partie, ou qu'il l'a démembré par la constitution d'un usufruit ou grevé d'un autre droit réel.
Le principal effet du droit de suite est, comme le porte notre article, d'autoriser le créancier hypothécaire " à demander contre le tiers détenteur le payement de ce qui lui est dû la poursuite en expropriation de l'immeuble hypothéqué n'est que " subsidiaire " et à défaut de payement volontaire; cet immeuble est d'ailleurs le seul bien du tiers détenteur qui puisse être saisi du chef de cette dette, car il n'en est tenu que sur cette chose et à cause de cette chose, réellement (propter rem), ce qui le sépare profondément du débiteur tenu personnellement, et sur tous ses biens (v. art. 1001).
Le but final de l'expropriation sera encore, comme le (lit la dernière disposition de notre article, l'exercice du droit de préférence, par l'ouverture d'un ordre et le payement au rang déterminé par l'inscription; mais la présence d'un tiers acquéreur modifie considérablement l'exercice de ce droit.
497. Notre article contient une autre disposition très importante, c'est que la condition essentielle du droit de suite est Il que le créancier ait pris inscription avant la transcription, faite par le tiers détenteur, de l'aliénation ou du démembrement de la propriété. En effet, le tiers détenteur n'a pas moins d'intérêt à connaître le droit de suite auquel il est exposé que les autres créanciers n'en ont à connaître le droit de préférence qu'ils doivent subir: peut-être le tiers détenteur n'aurait-il pas traité s'il avait su être exposé aux poursuites de créanciers hypothécaires, ou, assurément, il aurait pris certaines précautions pour le payement de son prix ou l'acquittement des autres charges de son acquisition.
Cette règle ne comporte pas d'exception, pas plus que celle qui subordonne le droit de préférence à l'inscription et fait dépendre la priorité de rang de l'antériorité d'inscription (v. n° 484): les femmes mariées, les mineurs et interdits ne pourraient exercer le droit de suite sans que leur hypothèque eût été inscrite avant l'aliénation.
498. La législation française a posé aussi le principe que l'hypothèque doit être inscrite pour autoriser le droit de suite, mais, elle a varié à cet égard et, bien que le progrès ait toujours été dans le sens de la protection des tiers détenteurs, il reste toujours une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits.
L'article 2166 du Code civil subordonne bien l'exercice du droit de suite à l'inscription, mais il ne dit pas si cette inscription doit avoir précédé l'aliénation entre les parties ou la transcription faite par le tiers acquéreur.
Il est probable que, dans la pensée première des Rédacteurs, c'était à la transcription de l'acquisition qu'il fallait s'attacher, parce que dans le Projet, comme dans la loi de brumaire an vii, c'était par la transcription seule que les acquisitions étaient opposables aux tiers, mais lorsque ce caractère de la transcription fut abandonné, volontairement ou par omission fortuite (v. T. II, n° 183), on dut exiger que l'inscription hypothécaire précédât l'aliénation entre les parties.
On ne tarda pas à reconnaître que les créanciers hypothécaires couraient le risque de perdre le droit de s'inscrire utilement, par une aliénation secrète suivant presque immédiatement la constitution d'hypothèque, et le Code de Procédure civile, mis en vigueur deux ans après, remédia à ce danger, en édictant (art. 834 et 835) que les créanciers ayant acquis une hypothèque " antérieurement à l'aliénation " pourraient prendre utilement inscription jusqu'à la transcription de ladite aliénation, et encore pendant quinze jours après: la transcription constituait ainsi pour les créanciers une sorte de mise en demeure de se faire connaître.
Mais ce système avait encore un grand inconvénient: les seules hypothèques qui pussent être ainsi inscrites tardivement étaient celles qui avaient été acquises "avant l'aliénation," laquelle, n'étant pas publiée, exposait encore les créanciers à recevoir des hypothèques de celui qui n'en pouvait plus constituer, et cela sans que la nullité en pût être soupçonnée par eux.
Ce n'est que la loi de 185;') qui, en rétablissant la transcription, comme condition nécessaire pour opposer la transmission de la propriété à l'égard des tiers, en a fait aussi le moment auquel le débiteur cesse de pouvoir conférer des droits réels opposables à son cessionnaire (v. L. du 23 mars 1855, art. 6). Cette même loi abolit naturellement les articles 834 et 835 du Code de Procédure civile.
C'est la même solution que consacre notre article 1262, et elle ne demande pas ici de justification spéciale, puisqu'elle est la conséquence nécessaire du système de publicité des aliénations et constitutions de droits réels immobiliers, système établi d'abord par les articles 368 et suivants et appliqué aux principaux contrats d'aliénation: à la donation entre-vifs (v. art. 659), à la vente (v. art. 682), au legs même (v. art. 652 à 654, nouveaux), enfin aux priviléges de l'aliénateur et des copartageants (v. art. 1184 à 1186).
499. La loi de 1855, comme le Code civil et le Code de Procédure, a conservé une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits: leur hypothèque peut être utilement inscrite après la transcription, s'il ne s'est pas écoulé un an depuis la cessation de l'incapacité qui motive la dispense de publicité (art. 6 et 8) ou si le tiers détenteur ne les a pas mis en demeure, par une procédure spéciale de purge, de faire connaître leur hypothèque.
Cette exception ne se retrouve pas dans le Projet japonais, puisque l'hypothèque des incapables est SOllmise à la publicité ordinaire. Si leur hypothèque se trouve privée du droit de suite, par le défaut d'inscription en temps utile, la responsabilité en retombe sur ceux qui devaient faire l'inscription.
500. Remarquons, en terminant, une dernière disposition de notre article avec une exception: comme l'immeuble hypothéqué peut n'avoir pas été aliéné, mais avoir été seulement grevé de droits réels peu importants, par exemple de servitudes ou de droits d'usage ou d'habitation, qui ne peuvent être saisis et mis en vente séparément contre le tiers acquéreur, et pourtant comme la propriété ne peut être ainsi démembrée valablement au préjudice des créanciers hypothécaires, le texte nous dit que le fonds, alors resté aux mains du débiteur, sera exproprié contre lui, ” comme s'il n'était pas démembré" (v. art. 1273, 1er al.).
Une seule exception est admise à cet égard: elle concerne les baux ayant, par leur durée modérée (v. art. 126 et 127), un caractère d'actes d'administration. 11 ne faut pas, en effet, que les biens manquent d'être loués, parce que les preneurs traitant avec le débiteur, craindraient l'éviction par l'effet du droit de suite.
Si un bail avait été fait par le débiteur pour une durée plus longue que celle qui a un caractère d'administration, il ne serait pas nul, mais réductible à la durée permise, sur la demande des créanciers hypothécaires (v. art. 1273, 2e al.).
Art. 1263. — 501. Cet article suppose que le débiteur a hypothéqué un démembrement de la propriété d'autrui qui lui appartenait et qu'il a ensuite renoncé à son droit. Cette renonciation doit être transcrite, d'après l'article 368-2° (a). Si le créancier a inscrit son hypothèque avant la transcription de la renonciation, celle-ci ne pourra lui nuire. Par exemple, le débiteur a hypothéqué un droit d'usufruit ou de bail, puis il a renoncé à son droit: le créancier hypothécaire inscrit en temps utile tiendra la renonciation pour non avenue à son égard et fera vendre le droit d'usufruit ou de bail comme intact.
C'est, en somme, une idée analogue à celle exprimée it la fin de l'article précédent.
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(a) Il pourrait suffire de mentionner la renonciation en marge de la transcription du titre constitutif de ce démembrement de la propriété: les règlements spéciaux à intervenir sur la tenue des registres pourront autoriser cette simplification (v. T. II, 110 201, note 4).
Art. 1264. — 502. L es créanciers chirographaires peuvent saisir et faire vendre les biens meubles et immeubles de leur débiteur, en respectant les droits d'hypothèque qui peuvent grever ces biens; le plus souvent, ils ne s'engageront dans cette procédure lente et coûteuse que lorsqu'ils ne se sauront pas primés par des hypothèques de nature à absorber tout ou la plus grande partie des immeubles. Seulement, il est difficile qu'ils aient une certitude absolue à cet égard, car la saisie, même transcrite, n'arrête pas encore les inscriptions.
Le Code de Procédure civile déterminera les formes de la saisie, comme l'a annoncé l'article 1001. Parmi ces formes se trouvera certainement la publication de la saisie par la voie de la transcription. Cette publication aura pour but d'avertir les tiers qu'ils ne pourront plus acquérir de droits sur l'immeuble saisi (comp. c. pr. civ. fr., art. 678 et 638-686): notamment, il ne pourrait plus être constitué de nouvelles hypothèques par le débiteur. Mais les hypothèques valablement acquises pourront encore être utilement inscrites, parce que la propriété n'est pas encore perdue pour le débiteur: la saisie transcrite ne le dépouille que du droit de disposer et non du droit de propriété, lequel ne lui sera enlevé que par l'adjudication.
Cette adjudication, à son tour, devra être transcrite (v. art. g68-40) et notre article nous dit que, jusqu'à cette transcription qui dessaisit le débiteur, ses créanciers peuvent valablement s'inscrire et s'assurer, ainsi, sinon le droit de suite proprement dit, car il ne peut plus y avoir une nouvelle saisie et une nouvelle vente (v. art. 1272), au moins un droit de préférence sur le prix, opposable aux saisissants.
503. La loi réserve deux cas où l'inscription ne pourrait même être prise jusqu'à la transcription de l'adjudication; ce sont: 1° celui où le débiteur serait considéré comme notoirement insolvable, par l'effet de la saisie (même non transcrite) de la majeure partie de ses biens, meubles et immeubles, 2° celui où le débiteur étant décédé, sa succession serait acceptée autrement que purement et simplement, c'est-à-dire acceptée sous bénéfice d'inventaire, refusée ou vacante (v. art. 1220).
Art. 1265. — 504. L'article 1220 met obstacle à l'inscription à prendre sur le débiteur; mais si c'est le tiers détenteur qui devient insolvable ou dont la succession n'est pas acceptée purement et simplement, cela ne fait pas obstacle à l'inscription à prendre sur lui: tant qu'il n'a pas publié son titre d'acquisition par la transcription, les créanciers hypothécaires du cédant ne le connaissent pas et n'ont pas à se préoccuper de sa solvabilité ou de celle de sa succession (b).
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(b) Ce n'est même que pour distinguer plus facilement les deux situations que nous parlons ici d'inscription 'à prendre "sur le tiers détenteur," comme l'a déjà fait l'article 1220, dernier alinéa; mais, en l'éalité, l'inscription est toujours prise '' sur le débiteur", puisqu'elle ne peut plus l'être après la transcription d'une aliénation; seulement on examine ici l'inscription en tant qu 'elle est "opposable au tiers detenteur."
Art. 1266. — 505. En présence des inscriptions prises, le tiers détenteur peut prendre plusieurs partis (l'expression est consacrée) qui concilient tout à la fois les droits des créanciers hypothécaires et son intérêt.
Il n'est pas, en général, obligé d'attendre les poursuites pour prendre l'un de ces partis; cependant, le 3e et le 5°, l'exception de discussion et J'expropriation, supposent nécessairement des poursuites faites contre lui.
Chacun de ces partis est l'objet d'un § distinct.
SOMMAIRE.
Art. 1267. —N' 506. Le payement des dettes hypothécaires est l'objet principal du droit de suite.
1268. —507. Subrogation légale du tiers détenteur qui a payé: applications diverses.
COMMENTAIRE.
Art. 1267. — N° 506. Si la loi commence par le payement des dettes hypothécaires, ce n'est pas parce que ce sera le parti le plus fréquent que prendra le tiers détenteur, car il pourrait le mener trop loin, c'est parce que le véritable effet de l'hypothèque contre le tiers détenteur, celui que sanctionne le droit de suite, c'est l'affectation de l'immeuble au payement de la dette, ce qui fait dire par la loi française que le tiers détenteur " demeure, par l'effet seul des inscriptions, obligé comme détenteur à toutes les dettes hypothécaires " (v. c. civ. fr., art. 2162).
Le Projet exprime la même idée sous une autre forme (v. art. 1262).
Lorque le prix de l'immeuble ne sera pas plus élevé que le montant des dettes hypothécaires, le payement de celles-ci sera un moyen très 'simple pour le tiers détenteur de se libérer, tout à la fois, de son obligation comme tel vis-à-vis des créanciers hypothécaires et de son prix d'acquisition vis-à-vis du débiteur, son cédant.
Dans ce cas, il n'a pas à devancer les échéances des dettes hypothécaires, ce qui serait le cas, au contraire, s'il voulait procéder à la purge (v. §'suiv.)
Art. 1268. — 507. Si le tiers détenteur avait déjà payé son prix au cédant, ou s'il devait un prix d'acquistion inférieur aux dettes hypothécaires, si même il ne devait pas de prix, comme co-échangiste, sans soulte à payer, ou comme donataire ou légataire, il aurait un recours à exercer contre le débiteur; pour ce recours la loi lui accorde la subrogation de plein droit aux créanciers qu'il a désintésessés, pour jouir des autres hypothèques, sûretés ou avantages quelconques qui. pourraient leur appartenir. C'est l'application du principe général que la subrogation légale appartient à celui qui a payé une dette dont il était tenu avec d'autres (v. art. 504-1°); cette subrogation comporte d'ailleurs ici des limites spéciales qui sont énoncées à l'article 505-3° et 4° (v. aussi art. 1036, 1er al. et nos 100 et s.).
Le 2e alinéa de notre article signale un avantage particulier mais éventuel de cette subrogation: si le tiers détenteur ne désintéresse pas tous les créanciers hypothécaires et finit par être évincé ou exproprié de l'immeuble par les créanciers non payés, alors il a l'avantage d'exercer sur l'immeuble qu'il détient les hypothèques mêmes des créanciers qu'il a désintéressés; il ne serait pas juste, en effet, que les créanciers postérieurs en rang à ceux qu'il a payés vissent ainsi s'améliorer leur rang et leurs chances d'être payés, lorsque les payements ainsi effectués l'ont été été de dénieri eniers qui n'étaient pas dus à leur débiteur.
On a l'habitude de dire, dans ce cas, que le tiers détenteur acquiert par la subrogation une hypothèque " sur son propre immeuble mais c'est une expression plus singulière qu'exacte: l'hypothèque n'est acquise que pour le cas d'éviction, qui est précisément le cas où le tiers détenteur cessera d'être propriétaire du bien hypothéqué.
SOMMAIRE.
Art. 1269. — N° 508. Caractère de la purge. -509. Valeur estimative à offrir à défaut de prix de vente.
1270. —510. Purge défendue à l'acquéreur sous condition suspensive, permise à l'acquéreur sous condition résolutoire; deux hypothèses dans ce dernier cas: 1° acceptation des offres, 2° refus des offres et revente aux enchères.
1271. —511. Détenteurs qui ne peuvent purger.
1272. —512. Modes d'acquisition qui ne permettent pas la purge.
1273. —513. Droits dont l'acquisition ne permet pas la purge.
1274. —514. Quand la faculté de purger peut être exercée; quand elle dois l'être; quand il y en adéchéance.
1275. —515. Utilité de la transcription comme préliminaire de la purge.
1276. —516. But de chacun des objets de la notification à faire aux créanciers.
1276 bis. —516 bis. Difficultés subsistant encore dans la loi française au sujet de l'action résolutoire de l'aliénateur. -516 ter. Comment le Projet organise la purge de cette action.
1277. —517. Limite de l'évaluation et de l'offre au cas d'acquisition simultanée de biens hypothéqués et d'autres biens non hypothéqués.
1278. —518. Réquisition de mise aux enchères: sa forme et sa garantie -51U. Notification au tiers détenteur, au cédant et au débiteur principal. -520. Sanction de ces conditions.
1278 bis. -520 bis. Renvoi au n° 516 ter.
1279. -521. La surenchère d'un créancier profite auxau très: conséquence.
1280. -522. Payement dans l'ordre ouvert ou consignation: trois particularités de cette consignation.
1281. -523. Recours du tiers détenteur contre son cédant: hypothèses diverses.
COMMENTAIRE.
Art. 1269. — N° 508. L'explication donnée au £ précédent du premier parti que peut prendre le tiers détenteur a fait voir qu'il n'est pas sans inconvénient et que, le plus souvent, le tiers détenteur n'y recourra pas. Le parti auquel on donne ici le second rang sera, au contraire, le plus prudent et, par suite, le plus fréquent.
Le nom de pll1'ge qu'il a en français, est une figure empruntée à la médecine; les autres Codes qui se sont inspirés du Code français en ont adopté l'équivalent dans leur langue; il signifie purification: l'hypothèque est considérée comme un vice qui entache l'acquisition, ou comme une maladie qui affecte l'immeuble, et l'opération dont il s'agit enlèvera la tache ou le mal.
Notre article indique le caractère de la pnrge: le tiers détenteur ne paye pas toutes les dettes hypothécaires, il ne les paye que jusqu'à concurrence de son prix d'acquisition dans l'ordre de leur inscription, après des offres et une procédure particulière suivies d'une acceptation expresse ou tacite des créanciers même non désintéressés.
529. Comme l'acquisition du tiers détenteur n'a pas toujours lieu par vente, comme elle peut résulter d'une donation ou d'un legs, il faut alors que le tiers détenteur qui veut purger offre une valeur qu'il considère comme équivalente à celle de l'immeuble, car le droit des créanciers hypothécaires ne peut se trouver amoindri par le mode d'aliénation qu'aura employé le débiteur. Lors même que l'acquisition a eu lieu par vente, comme le prix peut avoir été assez bas, le tiers détenteur a intérêt à offrir une somme supérieure à son prix, sauf recours contre son vendeur: autrement, il aurait peu de chances de voir ses offres acceptées. On peut admettre qu'en sens inverse, si, pour des raisons particulières, il avait payé un prix supérieur à la valeur réelle de l'immeuble, il pourrait offrir une somme moindre. Il est vrai que si les créanciers connaissent le prix de vente (et ce sera le plus fréquent, à cause de la transcription), ils seront portés à ne pas accepter l'offre ainsi réduite, et le tiers détenteur n'aura pas lui-même, en général, intérêt à proposer cette réduction. Mais si l'on suppose qu'il a déjà imprudemment payé tout ou partie de son prix à son vendeur, directement, ce qui ne le libère nullement envers les créanciers hypothécaires, il aura grand intérêt à ne plus offrir que la valeur réelle de l'immeuble, n'ayant pas grandes chances de recouvrer du débiteur ce second payement.
Notre article indique que la consignation peut remplacer le payement effectif; on y reviendra sous l'article 1280.
Art. 1270. — 51O. On sait qu'une acquisition peut comme une obligation, être affectée de deux sortes de conditions; l'une, dite suspensive, qui la retarde et peut empêcher qu'elle se réalise, l'autre, dite résolutoire, qui la laisse s'effectuer, mais l'expose à être détruite; toutes deux dépendant d'ailleurs d'un événement futur et in certain (v. art. 428 et s.).
Le droit de purger n'existe que dans le second de ces cas.
Dans le premier cas, le tiers détenteur, ayant moins un droit acquis que l'espérance et la chance de l'acquérir, ne peut purger (1er al.); il y aurait, en effet, de grands inconvénients à ce que celui qui n'a qu'un droit conditionnel pût anéantir les droits fermes et certains des créanciers hypothécaires sans désintéresser ceux-ci, tous et entièrement.
Au contraire, le tiers détenteur dont le droit existe actuellement et est seulement exposé à une résolution éventuelle est autorisé à purger (2e al.). Mais la loi devait prévoir le cas où, après la purge et la radiation des hypothèques, le droit du tiers détenteur serait résolu par l'accomplissement de la condition. Deux hypothèses sont réglées:
1° Les offre. —; du tiers détenteur ont été acceptées, l'immeuble est resté dans ses mains et les hypothèques sur lesquelles " les fonds ont manqué " ont été radiées comme celles qui ont été éteintes par le payement effectif (v. art. 1280, 2' al.): quand le droit du tiers détenteur est ensuite résolu par l'accomplissement de la condition, la radiation sans payement se trouve avoir été sans cause légitime, elle est résolue elle-même et il y a lieu de rétablir l'inscription, au moyen d'une mention en marge, conformément à l'article 1249.
Cet article exige, en général, un jugement, comme le seul moyen de prévenir les erreurs ou les surprises dans une matière qui intéresse les tiers: ici les créanciers non payés qui demanderont le rétablissement de l'inscription devront obtenir un jugement qui se bornera à constater que la purge a été résolue, comme l'acquisition du tiers détenteur, et à ordonner ou autoriser le rétablissement de l'inscription radiée.
Remarquons qu'ici les hypothèques rétablies ne seront pas en conflit avec celles qu'aurait pu consentir le tiers détenteur sur l'immeuble, car ces dernières hypothèques tombent elles-mêmes avec le droit du constituant.
2° Les offres du tiers détenteur n'ont pas été acceptées, alors l'immeuble a dû être vendu publiquement, comme il est établi ci-après (v. art. 1279 et 1290). Si l'adjudication une fois prononcée pouvait être résolue par l'accomplissement de la condition résolutoire de l'acquisition primitive, les enchères ne seraient pas suivies avec intérêt, l'adjudication ne donnerait pas le véritable prix de l'immeuble: le Projet exprime que " ladite adjudication demeure à l'abri de la résolution."
Ces diverses solutions manquent absolument dans le Code français. On peut croire seulement qu'elles sont dans son esprit, notamment la dernière, car le Code de Procédure civile a pris soin, au sujet de l'adjudication sur saisie immobilière, de la mettre à l'abri de la résolution d'une vente antérieure dont le prix n'aurait pas été payé par le débiteur saisi (v. c. pr. civ. fr., art. 692-1°).
Art. 1271. — 511. Cet article indique certains tiers détenteurs qui, par suite d'une autra qualité, ne peuvent s'affranchir des hypothèques par la voie de la purge. Ce sont:
1° Ceux qui sont tenus desdites dettes, non plus seulement comme détenteurs, propter rem, mais personnellement, soit comme débiteurs principaux, tels que codébiteurs solidaires ou codébiteurs d'une dette indivisible, soit comme débiteurs accessoires, comme une caution ou un donneur d'aval: ils sont bien détenteurs de la chose hypothéquée, mais ils ne sont pas tiers détenteurs; à plus forte raison, le débiteur unique de la dette hypothécaire, resté propriétaire, ne pourrait-il prétendre purger, en offrant la valeur estimative de son immeuble;
2° Le codébiteur simplement conjoint d'une dette hypothécaire, bien qu'il ne soit tenu personnellement que d'une partie de la dette: il ne peut prétendre purger pour la part des autres débiteurs, à moins qu'il n'ait payé sa part dans la dette avant les premières poursuites hypothécaires dirigées contre lui; la raison en est qu'une fuis que, dans les poursuites, il a été valablement considéré comme débiteur, il ne lui est plus permis de se réduire à la simple qualité de tiers détenteur, ce qui modifierait profondément la procédure dans son cours;
3° L'héritier du débiteur originaire, lors même qu'il a payé sa part héréditaire dans la dette avant d'être poursuivi hypothécairement: ici le refus de la faculté de purger tient à l'indivisibilité de l'hypothèque jointe à sa qualité d'héritier du débiteur: celui-ci n'aurait pas pu purger, son héritier ne le peut davantage;
4° Enfin, celui qu'on nomme " caution réelle," parce qu'il garantit la dette d'autrui sur un de ses biens: quoiqu'il ne soit pas tenu aussi rigoureusement qu'une caution ordinaire ou personnelle, laquelle est obligée sur tous ses biens, il n'en est pas moins tenu de respecter le droit qu'il a conféré; or, la purge, quelle que soit sa légitimité, quand il s'agit d'un tiers détenteur qui n'a aucun rapport contractuel avec les créanciers hypothécaires, est une atteinte portée à l'hypothèque, laquelle ne peut provenir de celui-là même qui l'a constituée.
Cette dernière solution, très débattue en droit français, devait être écrite ici pour lever tous les doutes.
Art. 1272. — 512. Il s'agit ici de certains modes d'acquisition qui ne donnent pas lieu à la purge parce qu'elles font légalement présumer que la valeur véritable de l'immeuble a été obtenue, en sorte qu'une remise en vente ne donnerait pas un meilleur prix.
En premier lieu sont les adjudications publiques dont la loi indique les principales: celles sur saisie immobilière (v. art. 1264), sur surenchère (v. art. 1278), sur poursuite hypothécaire (v. art. 1290); la loi ajoute " toutes autres adjudications auxquelles les créanciers bypothécaires sont appelés à intervenir," ce qui comprendra l'adjudication des immeubles des incapables et des absents, et les autres auxquelles le Code de Procédure appel era les créanciers hypothécaires.
En second lieu sont les expropriations pour cause d'utilité publique: dans ce cas, l'indemnité sera fixée dans des conditions qui permettront de dire que le juste prix a été donné à l'immeuble exproprié (a); il y a de plus une raison péremptoire d'empêcher la purge ordinaire, c'est qu'elle permettrait de mettre la chose aux enchères publiques; or, précisément, le bien dont il s'agit ne peut plus appartenir à un particulier, puisqu'il est reconnu nécessaire à un usage public.
Au surplus, le refus de purge prononcé par notre article contre deux classes d'acquéreurs ne leur cause aucun dommage et ne les soumet pas au payement intégral des dettes hypothécaires, car le droit des créanciers se borne à une collocation sur le prix d'adjudication ou sur l'indemnité d'expropriation (36 al.). Aussi dit-on quelquefois en France, et c'est même une expression de la loi, que " l'adjudication purge les hypothèques inscrites," (c. pr. civ., art. 717, 76 al.) et on en pourrait dire autant de l'expropriation pour cause d'utilité publique (L. du 3 mai 1841, art. 17, 36 al.). Cela n'est pas contraire aux solutions de notre article: s'il refuse au tiers détenteur la faculté de purger dans les cas d'adjudication publique et d'expropriation, c'est de la purge de notre § qu'il entend parler, avec son caractère d'offre constituant une convention, si elle est acceptée, et menant à une revente, si elle est refusée.
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(a) Nous parlons au futur (sera), parce qu'aujourd'hui le mode de fixation de l'indemnité, quand il n'y a pas accord entre l'Etat et le propriétaire, ne protège pas peut-être suffisamment ce dernier.
Art. 1273. — 513. Ici ce n'est pas la nature de l'acquisition qui met obstacle à la purge c'est la nature du droit acquis.
Quand il s'agit de droits qui ne peuvent être saisis et vendus, la purge ne peut être permise, puisque la vente est un de ces résultats possibles: tels sont les droits d'usage, d'habitation et de servitudes foncières, cités par notre article.
Cependant le tiers acquéreur de tels droits ne peut être tenu de payer toutes les dettes hypothécaires. D'un autre côté, il ne peut être question de limiter le droit de suite à un droit de préférence sur le prix d'acquisition, comme dans l'article précédent, car il peut y avoir eu échange, donation ou legs, cas où il n'y a pas de prix à payer. Le droit de suite s'exercera par la saisie du bien resté aux mains du débiteur, en faisant abstraction des démembrements de propriété qui ne sont pas opposables aux créanciers. C'est l'application du principe général posé à l'article 1262, 1er alinéa.
A l'égard des baux, il n'y a pas non plus de purge possible; deux cas sont à distinguer: ou les baux ont une courte durée et ont un caractère d'actes d'administration, alors les créanciers les respectent (v. art. 1262, 2e al.), sans même avoir de préférence sur le prix de bail, pas plus qu'ils n'en auraient sur le prix des fruits du fonds vendus annuellement; ou les baux ont une plus longue durée et alors ils sont considérés comme non avenus à l'égard des créanciers et le fonds sera saisi comme n'étant pas loué pour plus que la durée permise. L'emphytéose excède toujours cette durée.
La loi ne mentionne, pas la superficie, elle donne donc lieu à la purge: c'est un droit de propriété.
Cette solution est pour le cas où les droits dont il s'agit ont été constitués après l'hypothèque; s'ils avaient été constitués les premiers, ce sont alor4 les créanciers hypothécaires qui auraient à les respecter, les ayant connus par la transcription. Cette distinction est formelle dans la loi.
Art. 1274. — 514. Le tiers détenteur n'est pas obligé pour purger d'attendre les poursuites d'un ou plusieurs créanciers: il a toujours le droit de sortir d'une situation incertaine. Mais, en sens inverse, s'il est sommé " de payer ou de délaisser, " il doit, dans le mois, ou obtempérer à l'une de ces injonctions ou purger, à peine de déchéance.
On a quelquefois discuté si la sommation des créanciers devait avoir pour objet principal le payement des dettes, le délaissement n'étant indiqué que comme une faculté subsidiaire, ou s'il fallait, au contraire, renverser l'ordre des injonctions. Le texte se prononce pour la première formule; en effet, le tiers détenteur n'est tenu, en cette qualité, que de payer; on l'a déjà établi plus haut (v. n° 506): le délaissement n'est qu'une faculté laissée à son pouvoir et c'est ainsi que le Code français s'exprime (v. art. 2167, 2168, 2173, 2176, 2178).
Les dispositions des deux derniers alinéas sur la déchéance demandent attention; ils n'existent pas dans le Code français ni dans ses imitateurs: il fallait une sanction à l'obligation d'observer le délai d'un mois, mais il ne fallait pas que la déchéance eût lieu de plein droit, même avec possibilité pour le détenteur d'en être relevé: c'est aux créanciers à la faire prononcer et ils ne pourront pas toujours l'obtenir.
D'abord, si le tiers détenteur justifie d'empêchements légitimes, le tribunal peut lui accorder un nouveau délai; ces empêchements pourraient être purement personnels, mais comme la loi excepte le cas où les créanciers "en éprouveraient un préjudice sérieux," il n'y a pas d'abus à craindre.
Les créanciers ne pourront non plus demander la déchéance contre des offres faites tardivement, s'ils y ont tacitement renoncé, en répondant auxdites offres ou en ne demandant pas la déchéance dans le délai d'un mois qui leur est accordé pour répondre aux offres ordinaires (v. art. 1273-20).
Art. 1275. — 515. Dans le Code français, comme dans le Projet japonais, la transcription est le préliminaire de la purge (art. 2181), et cependant, au moment de la rédaction de ce Code, la transcription n'était plus, comme dans la loi de brumaire an VII et comme, plus tard, dans la loi de 1855, le moyen de consolider la transmission de la propriété en la rendant opposable aux tiers. Quelle que soit l'intention des Rédacteurs du Code français en exigeant cette transcription pour la purge, et sans qu'il y ait lieu d'examiner s'ils ont en cela manqué de logique, il ne pouvait y avoir d'hésitation à obliger le tiers détenteur à transcrire, avant tout, son titre d'acquisition: c'est d'abord le moyen de prendre la qualité de propriétaire qui l'autorise à faire des sommations et des offres aux créanciers; c'est aussi, comme l'indique le texte, le moyen de faire apparaître le privilége de son vendeur ou autre cédant et son droit de résolution, droits qui, dans la théorie du Projet ne sont pas perdus tant que la transcription de la mutation n'est pas faite (v. art. 1186 et n° 367).
Comme cette transcription arrête les inscriptions qui peuvent être opposées au tiers détenteur, c'est alors le moment pour lui de demander au conservateur '1 un état des priviléges et hypothèques qui grèvent son immeuble " (b).
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(b) On dit généralement "un état des inscriptions," mais comme certaines transcriptions "valent inscription," on préfère une formule plus simple et plus directe: le conservateur devra relever les priviléges de l'aliénateur et des copartageants qui résultent des transcriptions, d'après les articles 1124, 1184 et 1185.
Art. 1276. — 516. Les quatre notifications que le tiers détenteur doit faire aux créanciers privilégiés ou hypothécaires sont assez précisées dans le texte pour ne pas demander de développements; il suffit d'indiquer le but de chacune.
1° L'exposé du titre (c) a pour but de faire connaître aux créanciers la qualité en laquelle le tiers détenteur se présente à eux: ils y verront: 1° s'il est acheteur ou donataire, 2° qui il est, 30 si c'est bien leur débiteur qui est l'auteur de l'aliénation, 4° si c'est bien l'immeuble à eux hypothéqué qui a été aliéné, 5° à quelle époque a eu lieu l'aliénation (ce qui importe pour la capacité d'aliéner), 6° à quelle date a été faite la transcription, (ce qui influe sur la validité des inscriptions), enfin, 7° le prix d'acquisition ou la valeur estimative donnée à la chose, ce qui permettra aux créanciers de voir si les offres dont il est parlé au u° 3 sont suffisantes.
2° Le tableau des inscriptions (ou transcriptions valant inscription) fait connaître aux divers créanciers, respectivement, combien et qui ils sont, pour qu'elles sommes et à quelle date ou à quel rang ils sont, ce qui les aidera à voir si le prix à eux offert peut parvenir à les désintéresser; l'indication du folio du registre des inscriptions permettra aux intéressés de vérifier si toutes les inscriptions sont régulières et valables, ce qui intéresse encore plus les créanciers respectivement que le tiers détenteur (d).
3° L'élection de domicile pour le tiers détenteur, que nous ne voyons pas dans le Code français, a pour but de rattacher toute la procédure de purge au tribunal de la situation de l'immeuble qu'il s'agit de purger.
4° La déclaration ici prescrite est L l'offre " dont nons avons déjà parlé plusieurs fois et qui donnera à la purge un caractère conventionnel ou transactionnel, si ladite offre est acceptée. Cette déclaration rappelle aux créanciers qu'ils ont le droit de requérir la mise aux ellchères de l'immeuble en surenchérissant les premiers; elle leur indique dans quel ordre ils seront payés, sans distinction entre les créances certaines et celles qui sont conditionnelles, et entre celles qui sont échues et celles qui ne le sont pas; ici, en effet, il ne peut être question, comme dans le premier parti que peut prendre le tiers détenteur, de payer les dettes à mesure qu'elles sont échues, car les premières en rang pourraient être à terme ou conditionnelles et, lorsque leur tour viendrait, les fonds pourraient manquer; c'est une liquidation anticipée où tous les intérêts doivent être sauvegardés.
Bien entendu, les sommes dues sous condition ne seront pas versées aux ayant-droit, elles seront consignées, en attendant l'événement ou la défaillance de la condition.
L'article 1280 reviendra sur l'application de la consignation auquel notre article fait déjà allusion.
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(c) Le texte dit ” exposé " et non " extrait " du titre (expression pourtant usitée), à cause de la date de la transcription et de l'évaluation de l'immeuble, lesquelles ne pourraient être données seulement par " extrait " et peuvent être complètes dans un " exposé."
(d) Le Code français (art. 2183-3°) prescrit ici un "tableau sur trois colonnes"; le Projet ne croit pas devoir prescrire une forme si minutieuse: ce sera déjà beaucoup si les Règlements vont aussi loin.
Art. 1276 bis. -516 bis. Il serait bien inutile que le tiers détenteur se mît, par la purge, à l'abri du droit de suite résultant des priviléges et hypothèques, si certains créanciers dont le droit hypothécaire serait purgé conservaient l'action résolutoire d'une aliénation ou d'un partage d'où provenait originairement le droit du débiteur.
La loi française a remédié à ce danger dans quelques cas, mais il semble difficile d'y voir une protection suffisante du tiers détenteur, pour les autres cas non prévus.
Ainsi, au cas de saisie immobilière, ce qui peut comprendre la poursuite des créanciers chirographaires et hypothécaires, il est bien statué par le Code de Procédure civile que ceux qui prétendraient exercer une action résolutoire faute de payement doivent en dénoncer leur intention au saisissant et faire statuer sur ladite action avant l'adjudication (Loi de 1858, insérée au Code de Procédure civile, art. 692-1° et 717, 2" à. 5e al,).
Ainsi encore, la loi du 23 mars 1855 déclare que si le vendeur est déchu de son privilége, pour ne l'avoir pas inscrit dans les 45 jours de la vente, il est en même temps déchu de son action résolutoire (art. 7).
Mais la loi ne dit pas comment les choses se passeront quand le vendeur a conservé son privilége: elle organise la purge des priviléges et hypothèques, mais non celle de l'action résolutoire; elle semble exposer le tiers acquéreur à l'action résolutoire du vendeur, lorsque celuici, ayant conservé son privilége, n'a pas surenchéri sur les offres de purge; à moins qu'on ne décide que lorsque le privilége est ainsi purgé, l'action résolutoire l'est en même temps, ce que nous n'oserions pas induire de l'article 7 de la loi de 1855.
516 ter. Toutes ces difficultés vont disparaître dans le Projet qui organise la purge de l'action résolutoire par les articles 1276 bis, 1278 bis et 1290 bis (e).
Du moment que le Projet fournit au tiers détenteur un moyen de se mettre à l'abri d'une action résolutoire indéfinie, tout en laissant à cette action un certain temps pour se produire, il n'y a plus de raison de la déclarer perdue par cela seul que le privilége l'est lui-même; Ainsi, quand le privilége d'un aliénateur ou d'un copartageant est dégénéré en hypothèque légale (ce qui est plus rare dans le Projet que dans la loi française, v. art. 1187 et 1188), il est aussi facile de concevoir que l'action résolutoire subsiste que si le privilége était resté intact. Pour rendre plus facile l'intelligence du système proposé nous allons le présenter dans son ensemble, en donnant par anticipation, avec l'explication de notre article, celle des deux autres qui s'y rapportent.
1° Notre article veut que le tiers détenteur qui eOllnaît, par l'inscription ou la transcription, la cause de chaque créance et, par là, l'action résolutoire appartenant à l'aliénateur ou au copartageant, conjointement avec son privilége ou son hypothèque, ne se borne pas à lui faire des offres comme aux autres créanciers, mais encore le somme Il de déclarer, dans le même délai (d'un mois augmenté d'après les distances), s'il entend user de son action résolutoire." Ceci est déjà un acheminement à la purge de l'action.
2° Si l'aliénateur ou le copartageant notifie une surenchère d'un dixième, "sans réserver l'exercice de son action résolutoire, il est considéré comme y ayant renoncé " (art. 1278 bis).
Mais cette renonciation n'est acquise au tiers détenteur qu'à l'expiration du délai prescrit, de sorte que les réserves pourraient n'être pas jointes à la surenchère: le 2e alinéa de l'article cité s'applique à ce cas, comme à celui où le créancier, négligeant la surenchère, se bornerait à déclarer qu'il entend user de son action résolutoire.
Ladite déclaration doit être notifiée au tiers détenteur, comme principal intéressé, et au débiteur principal, précédent propriétaire, pour l'engager à prévenir par un payement l'éviction de son cessionnaire.
La première notification est seule exigée " à peine de nullité," comme cela a lieu pour la notification de la surenchère (v. art. 1278).
3° Si l'aliénateur ou le copartageant a conservé son notion résolutoire, en se conformant aux dispositions qui précèdent, il lui reste à l'exercer effectivement " avant que le bien soit mis aux enchères " (v. art. 1290 bÙ;).
Le Code de Procédure français, statuant pour le cas d'une saisie immobilière, se contente que l'action soit jugée " avant l'adjudication," mais ce système a l'inconvénient grave de laisser faire les frais énormes de la procédure de mise en vente, des significations, affiches et autres formalités, lesquelles peuvent se trouver faites en pure perte si la résolution a lieu, et, comme dans ce cas, il n'y a pas d'adjudicataire pour les payer, ils ne peuvent retomber que sur le débiteur et, par suite, sur ses créanciers chirographaires.
Avec le système du Projet, le tiers détenteur présentera requête au tribunal pour faire fixer un délai dans lequel l'aliénateur devra faire juger son action résolutoire. Cette requête sera nécessairement communiquée à la partie intéressée, afin qu'elle puisse se faire donner un délai suffisant.
Jusqu'au jugement définitif de la résolution, il n'y a pas mise en vente; il n'y est pas procédé, si la résolution est admise; alors toutes les hypothèques procédant du chef de l'acquéreur sont résolues avec son propre droit, et le tiers détenteur, étant lui-même évincé, n'a pas à purger des droits qui n'existent pas plus que le sien.
Au cas contraire, si la résolution est rejetée, la mise en vente a lieu d'après la surenchère d'un dixième faite depuis longtemps; peut-être même a-t-elle été faite par l'aliénateur, car il a pu justement surenchérir, en prévision du cas où la résolution ne serait pas admise, ce qui serait à prévoir s'il était intervenu de sa part quelque acte pouvant être invoqué contre lui comme contenant renonciation à la résolution.
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(e) Ce redoublement de trois numéros, dont est le nôtre, prouve que ces dispositions constituent des additions à la première rédaction; il n'est ainsi apporté aucun dérangement au numérotage antérieur, à cause des nombreux renvois à respecter.
Art. 1277. — 517. Dans le cas où l'acquisition comprend des biens hypothéqués et d'autres non hypothéqués, c'est à l'acquéreur à déterminer la somme qu'il lui paraît convenable d'offrir pour le bien hypothèque; il a intérêt à faire une offre suffisante: autrement, il s'expose à la surenchère.
Art. 1278. — 518. Si les créanciers trouvent les offres acceptables, ils n'ont qu'à garder le silence et à laisser s'écouler le délai d'un mois qui leur est assigné par le n° 2 de notre article pour répondre à la notification et aux offres prescrites à l'article 1276: l'article 1280 mettra cette idée en évidence.
Ici on suppose, au contraire, que les créanciers ou l'un d'eux n'acceptent pas l'offre, sans doute dans l'espérance d'obtenir un meilleur prix par la vente aux enchères publiques. Ce sont, naturellement, les créanciers inscrits les derniers qui seront portés à ne pas accepter, parce que c'est sur eux que les fonds doivent manquer; le même refus pourrait venir d'un créancier unique auquel serait due une somme plus forte que celle qui lui est offerte par le tiers détenteur,
Le refus du créancier n'a pas à être motivé, mais il a sa forme, son délai et ses conditions.
En la forme, il consiste dans une réquisition de mise aux enchères; comme preuve de sa sincérité dans la prétention à un meilleur prix, le requérant doit faire une surenchère d'un dixième de la somme offerte, et, comme garantie qu'il n'agit pas témérairement et en fol enchérisseur, il doit donner une caution ou une autre sûreté " pour le prix total ainsi augmenté et pour les frais," car il est possible qu'il n'y ait pas d'autre enchérisseur lors de la mise aux enchères, et dès lors le requérant serait débiteur du principal et des frais.
Comme c'est là un engagement très lourd et qu'il faut éviter les erreurs et les surprises, la loi exige que le requérant signe le tout sur l'original ou que la signature soit donnée pour lui par un mandataire spécial.
519. Cette réquisition doit être notifiée au tiers détenteur dans un délai assez court, un mois à partir de la signification des offres par lui faites; c'est moins que dans le Code français qui donne quarante jours; mais ce délai est augmenté d'un jour par dix ria (e), en comptant " l'aller et le retour," entre le domicile réel du créancier, au Japon, et le domicile par lui élu dans l'inscription, car c'est à ce dernier domicile que les significations ont été faites par le tiers détenteur, et il a fallu que les pièces aient été envoyés au domicile réel du créancier, pour qu'il pût les examiner et y répondre.
Il n'est pas tenu compte du domicile réel du tiers détenteur: tout pour lui se fait à son domicile élu qui est dans l'arrondissement de l'immeuble (art. 1276-3°).
Si le créancier requérant est domicilié hors du Japon, il n'y a pas d'augmentation de délai des distances: ce serait un danger d'abus et de retards indéfinis; en pareil cas, le créancier domicilié à l'étranger doit laisser ses pouvoirs à un mandataire spécial, au domicile élu.
La loi veut encore que la réquisition de mise aux enchères soit notifiée au précédent propriétaire ou cédant, comme débiteur principal, afin qu'il puisse, par le payement, préserver son cessionnaire de l'éviction.
Enfin, dans le cas où l'hypothèque a été constituée par un autre que le débiteur, la signification lui est faite comme cédant, pour le motif qui précède, et aussi au débiteur principal, car il a, dans ce cas, un autre recours en garantie à éviter.
Les mêmes délais de distance sont à observer; seulement ils ne se cumulent pas, ils se confondent: le plus long absorbe tous les autres.
520. L'observation des deux premières formalités est prescrite à peine de nullité, et il n'y a pas lieu d'en relever le requérant, même sous prétexte d'empêchement ou de cause majeure: le tiers détenteur ne peut rester indéfiniment dans l'incertitude au sujet des offres qui peuvent consolider son acquisition.
Mais les deux dernières significations ne comportent pas nécessairement la même sanction: pour que la nullité de la réquisition de mise aux enchères fût annulée pour n'avoir pas été suivie de l'une ou de l'autre de ces significations dans le délai prescrit, il faudrait que le tiers détenteur prouvât que le cédant ou le débiteur principal était en état de payer les dettes hypothécaires.
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(e) Le ri ou lieue japonaise a 3,927 mètres. Ces délais pourront être modifiés, s'il y a lieu, pour être en harmonie avec les délais ordinaires de la procédure.
Art. 1278 bis. —520 bis. Cet article se trouve expliqué avec l'article 1076 bis (v. n° 516 ter 2°).
Art. 1279. — 521. La loi ne désire pas qu'il y ait autant de réquisitions de mise aux enchères qu'il peut y avoir de créanciers hypothécaires intéressés à la faire; d'un autre côté, elle n'oblige pas le créancier surenchérisseur à notifier sa réquisition de mise aux enchères aux antres créanciers inscrits, quoiqu'il les connaisse: ce serait, dans les deux cas, une augmentation à peu près inutile de frais et de lenteurs; mais il sera rare que les autres créanciers ne soient pas informés de la surenchère déjà faite: ceux d'entre eux qui, par leur rang, courent le risque de n'être pas payés avec le prix offert, se concerteront le plus souvent pour requérir la mise aux enchères; il pourront aussi avoir connaissance par la voie du greffe, de celle qui aurait été déjà demandée, parce que la caution à fournir, étant une caution légale, devra prendre un engagement au greffe (f).
Du moment que la loi admet qu'une seule surenchère doit profiter à tous les créanciers, il est naturel et nécessaire que le surenchérisseur ne puisse s'en désister ou la rétracter que du consentement de tous les autres créanciers. En effet, il arriverait le plus souvent ou que les autres créanciers ignoreraient cette rétractation et ne pourraient faire une nouvelle surenchère pour euxmêmes, ou que, la connaissant, les délais pour en faire une autre seraient expirés.
Lorsque la vente publique sera effectivement poursuivie, soit par le premier surenchérisseur, soit par les autres créanciers prenant sa place, l'immeuble ne sera purgé que par l'adjudication qui suivra et pour laquelle la loi renvoie aux articles 1290 et suivants.
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(f) (Comp. c. pr. civ. fr., art. 517). Cet article ne concerne que la caution judiciaire; mais au Japon, dans le Code de Procédure, il sera bon d'avoir une disposition semblable pour la caution légale.
Art. 1280. — 522. La loi suppose ici qu'aucun créancier n'a requis la. mise aux enchères et que les délais sont écoulés; on peut dire alors que les offres sont tacitement acceptées.
Pour consommer la purge, le tiers détenteur n'a plus qu'à payer le prix offert. Mais comme le payement ne peut avoir lieu que dans une procédure d'ordre ou dans un ordre amiable et qu'il peut surgir des difficultés dans lesquelles le tiers détenteur est sans intérêt, il est admis à consigner la somme offerte, au nom des créanciers, et cela sans offres réelles préalables," parce que la somme n'est plus à discuter et cependant ne peut être reçue.
Une autre particularité de cette consignation, c'est qu'elle ne pourrait être retirée par celui qui l'a faite, comme le permet l'article 500: cet article suppose la consignation faite par un débiteur ordinaire, seul intéressé à sa libération et pouvant y renoncer; mais ici, c'est dans un sens tout particulier que le tiers détenteur est débiteur et sa libération intéresse trop de personnes diverses pour qu'il puisse lui être permis de la rétracter.
Enfin, la loi n'oblige pas le tiers détenteur à payer ou à consigner les intérêts des sommes offertes, parce que, comme il a dû tenir ces sommes disponibles depuis les offres, il n'en a pas tiré un profit appréciable.
Lorsque le payement ou la consignation sont effectués, l'immeuble demeure purgé et toutes les hypothèques sont radiées, même, dit la loi (et c'est là le caractère le plus saillant de la purge), " celles sur lesquelles les fonds ont manqué " (g).
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(g) On n'a pas négligé l'occasion de consacrer dans le Projet cette locution très claire et très pratique (v. c. pr. civ. fr., art. 768).
Art. 1281. — 523. L'exercice des actions hypothécaires, même quand il ne mène pas à une vente aux enchères produit toujours pour le tiers détenteur une sorte d'éviction, puisqu'il ne tient plus son droit du contrat originaire, mais d'une sorte de transaction avec les créanciers; de là, un recours en garantie qui varie dans son importance, suivant les cas.
1° Au cas de vente, l'acheteur a peut-être offert et payé plus que son prix d'acquisition; cela aura eu lieu surtout quand il avait déjà eu l'imprudence de payer tout ou partie de son prix à son vendeur directement;
2° Au cas d'échange, si le tiers détenteur a payé plus que la soulte promise (et ce sera presque toujours le cas, parce que la soulte n'est souvent qu'une faible partie de la contre-valeur et que le bien fourni en contre-échange de l'immeuble hypothéqué n'est pas lui-même assigné aux créanciers hypothécaires), il se fera rembourser cet excédant; de même, s'il avait acquis par un autre contrat onéreux, comme une transaction ou une dation en payement, il se ferait rembourser tout ce qu'il aurait payé aux créanciers au-delà de ce qu'il avait promis au cédant.
La loi y met cette réserve: " s'il ne se fait pas restituer la contre-valeur par lui fournie; " en effet, si, au cas d'échange, il se fait rendre par le cédant le bien qu'il lui avait fourni en échange, il se trouve n'avoir payé qu'une fois la valeur de la chose estimée par luimême: il en est, en quelque sorte, acheteur, et il n'a que payé son prix aux créanciers du vendeur. Même solution si, ayant reçu l'immeuble comme dation en payement d'une dette, il faisait résoudre pour inexécution et considérer comme non avenue la novation qui était implicitement contenue dans la dation en payement (v. art. 482).
3° Au cas de donation ou de legs, rien de ce que le tiers détenteur a payé aux créanciers n'était dû au donateur ou au testateur, le recours a donc lieu pour le tout.
4° Tous les frais de la procédure de purge sont encore une charge dont le tiers détenteur doit être rendu indemne et qui retombera sur son cédant.
SOMMAIRE.
Art. 1282. — N° 524. Cette exception n'est refusée qu'aux débiteurs principaux: elle appartient aux cautions personnelles et. réelles. -525. Elle n'est admise que si elle n'est pas manifestement frustratoire; elle est opposable au créancier qui a plusieurs hypothèques spéciales.
1283. -52G. Indépendance des deux bénéfices de discussion: la renonciation à l'un laisse subsister l'autre.
1284. -527. L'exception appartient à la caution réelle et aux débiteurs conjoints qui ont payé leur part dans la dette.
COMMENTAIRE.
Art. 1282. — N° 524. Le nom et la nature de ce moyen de défense du tiers détenteur rappelle le bénéfice de la caution exposé aux articles 1020 à 1023.
Le texte tranche tout d'abord une question qui fait (loute en France, à savoir que la qualité de débiteur " principal " exclut seule l'exception de discussion hypothécaire; par conséquent, une caution personnelle en jouit. Quelle que soit la solution que commande, à cet égard, l'article 2170 du Code français il n'y a rien de plus raisonnable, législativement, que de permettre à la caution de cumuler les deux bénéfices: on ne peut aisément comprendre comment la qualité de caution, qui, par elle-même, donne déjà le bénéfice de discussion, ferait obstacle à l'exercice d'un bénéfice analogue fondé sur la qualité de tiers détenteur; il est, au contraire, tout naturel que celui qui cumule les deux qualités cumule aussi les deux bénéfices, dans la mesure de ce que l'un contient de plus que l'autre, et, fussent-ils absolument semblables, il faudrait encore dire que la caution qui est en même temps tiers détenteur y a deux titres au lieu d'un.
L'exception de discussion appartenant au tiers détenteur est d'ailleurs moins étendue que celle qui appartient à la caution comme telle; en effet, le tiers détenteur ne peut renvoyer le créancier à discuter que " les autres immeubles hypothéqués à la même dette," sauf quelques restrictions; tandis que la caution peut même renvoyer le créancier à discuter tous autres biens du débiteur, sauf aussi des restrictions (v. art. 1021).
525. Les trois premières restrictions à la discussion opposable par le tiers détenteur existent aussi pour le bénéfice de la caution et lui sont empruntées.
Le texte en présente une qui n'est pas dans le Code français et qui paraît tout-à-fait dans l'esprit du principe, c'est que les biens à discuter ne soient pas, d'après leur valeur et le rang du créancier auquel la discussion est opposée " manifestement insuffisants " à le désintéresser: autrement, on peut dire qu'elle est frustratoire.
En sens inverse, le Projet ne reproduit pas un cas d'exclusion de l'exception de discussion établi par le Code français (art. 2171), c'est celui où le créancier a une hypothèque spéciale; sans doute, quand l'hypothèque porte spécialement et limitativement sur deux ou plusieurs immeubles (ce qui suppose nécessairement une convention), il semble que le droit du créancier doive être d'autant plus énergique par sa nature qu'il est plus limité dans son étendue; mais quand on considère la nécessité de protéger autant que possible les tiers détenteurs, dans l'intérêt de la circulation des biens, et aussi quand on songe que la discussion des autres immeubles restés aux mains du débiteur n'est qu'un moyen dilatoire qui ne compromet pas le fond du droit du créancier, on ne voit pas de raison suffisante de la refuser dans ce cas.
C'est encore parce que l'exception de discussion n'est qu'un moyen dilatoire qu'elle doit être proposée sur les premières poursuites (in limine litis).
Art. 1283. — 526. De ce que l'exception de dis- cussion hypothécaire peut se cumuler avec le bénéfice de discussion de la caution, il ne s'ensuit pas que la renonciation à celle-ci emporte renonciation à celle-là. Le texte s'en explique formellement, pour qu'il n'y ait aucun doute.
La réciproque serait vraie: la renonciation du tiers détenteur à l'exception de discussion hypothécaire ne lui enlèverait pas le bénéfice de discussion qu'il aurait comme caution: mais le texte n'a pas à le dire, parce que ce n'est pas ici qu'il y a lieu de parler 'des droits de la caution, et il n'est pas nécessaire d'insérer au Chapitre du Cautionnement une disposition en ce sens.
Art. 1284-527. Celui qu'on appelle " caution réelle, " parce qu'il n'est tenu que sur le bien qu'il a hypothéqué à la dette d'autrui, jouit de l'exception de discussion. Si la loi s'en explique, c'est parce qu'il n'a pas le droit de purger (art. 1271, 48 al.). Or, il y a cette grande différence entre la faculté de purger et celle d'opposer la discussion que la première tend à détruire l'hypothèque et la seconde seulement à en ajourner l'effet ou, si elle la supprime, ce n'est que lorsqu'elle n'aura plus aucune utilité, parce que le payement aura été obtenu sur un autre bien. La même observation explique que les codébiteurs conjoints et les héritiers d'un débiteur unique jouissent de l'exception de discussion quand ils ont payé leur part dans la dette avant les premières poursuites et, par conséquent, au moment où l'exception doit être opposée.
En somme, il ne reste que les codébiteurs solidaires et les codébiteurs d'une dette indivisible qui, ayant, acquis le bien hypothéqué, soient privés du droit d'opposer l'exception de discussion.
SOMMAIRE.
Art. 1285. — N° 528. Légitimité du délaissement; sou caractère.
1286. —529, Il est refusé à la caution personnelle et permis à la caution réelle.
1287. —530. Capacité suffisante pour délaisser.
1288. -531 Forma du délaissement.
1289. -532. Rétractation du délaissement: ses conditions
COMMENTAIRE.
Art. 1285. — N° 528. Le tiers détenteur n'étant tenu qu'à cause de sa détention, propter rem, doit évidemment cesser d'être soumis aux poursuites individuelles dès qu'il cesse de détenir la chose hypothéquée. La loi ne restreint la faculté de délaisser par aucune limite de temps: loin de ne pouvoir être exercée qu'au début des poursuites hypothécaires, elle peut l'être " à toute époque de la procédure d'expropriation," jusqu'à, l'adjudication.
Le texte prend soin de dire que le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété, ni même la possession civile de la chose: il lui enlève seulement la détention de fait ou la possession naturelle, laquelle passe aux créanciers poursuivants. En conséquence, la chose reste cessible par l'acquéreur et transmissible à ses héritiers; elle est susceptible d'accessions ou d'accroissements à son profit; de même si elle se détériore ou périt, c'est à son détriment; si la chose avait été reçue de quelqu'un qui n'en était pas propriétaire ou qui n'avait pas pouvoir de l'aliéner, la prescription courrait au profit du délaissant considéré comme toujours possesseur, si d'ailleurs les autres conditions de la prescription étaient remplies.
Art. 1286. — 529. Ici la loi est plus sévère pour la caution qu'au sujet de l'exception de discussion: celle-ci ne peut pas plus délaisser qu'elle ne peut purger, parce que, dans les deux cas, elle prétendrait se soustraire à toute obligation personnelle, ce qui lui est impossible; tandis que l'exception de discussion n'est, comme on l'a dit, qu'un moyen dilatoire.
Au contraire, la caution réelle et les codébiteurs conjoints ou héritiers du débiteur, qui ont payé leur part dans la dette, peuvent délaisser, comme ils peuvent opposer l'exception de discussion; et même, à la différence de ce qui est prescrit, dans ce dernier cas, par l'article 1284, ils peuvent délaisser, quoique le payement de leur part n'ait eu lieu que depuis les poursuites commencées: c'est la conséquence de ce que le délaissement est permis " à toute époque de la procédure," ce qui n'est pas possible pour l'exception de discussion (v. art. 1282, in fine).
Art. 1287. — 530. Le Projet s'écarte ici du Code français qui, pour la validité du délaissement, exige "la capacité d'aliéner" (art. 2172): puisque le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété ni la possession civile, on ne voit pas de raison suffisante d'exiger chez lui la capacité d'aliéner.
Il suffit donc, dans le Projet, que le délaissant ait qualité pour figurer comme défendeur à la poursuite en expropriation, soit en son propre nom, comme un mineur émancipé ou une femme mariée autorisée à plaider, lesquels ne pourraient aliéner, soit " comme représentant légal, judiciaire ou conventionnel du tiers détenteur," comme le tuteur, le mari, l'administrateur des biens d'un absent, un mandataire spécial pour plaider.
Art. 1288. — 531. Il est naturel que le délaissement se revèle par un acte juridique, quoique extrajudiciaire, plus que par un acte matériel: comme la procédure est commencée, il est également naturel que le délaissement soit déclaré au greffe du tribunal saisi lequel est celui de la situation de l'immeuble.
La signature requise "du délaissant" est celle du tiers détenteur lui-même ou de son représentant légal, judiciaire ou conventionnel, suivant ce qui est dit à l'article précédent, au sujet de la capacité de délaisser; mais si ces personnes ne peuvent signer elles-mêmes, elles doivent donner à cet effet un mandat spécial.
Le créancier poursuivant doit être informé du délaissement par une notification, afin qu'il ne continue pas les poursuites contre une personne qui n'a plus qualité pour y répondre.
Les poursuites sont continuées contre un " curateur au délaissement " nommé par le tribunal, à la requête du créancier poursuivant ou de tout autre intéressé.
Art. 1289. — 532. La loi ne pourrait permettre au tiers détenteur (a) de changer successivement de qualité et de rôle, en délaissant et en rétractant son délaissement, à son gré; mais il était impossible de lui refuser la faculté de rétracter une fois son délaissement, du moment qu'il ne pourrait exercer cette faculté qu'en désintéressant complètement les créanciers poursuivants et en payant tous les frais déjà faits.
A l'égard des créanciers non poursuivants qui ne seraient sans doute intervenus que dans l'ordre ouvert après l'adjudication, ils n'ont encore aucun droit à prétendre: ils pourront seulement faire des poursuites à leur tour.
Si les délais de la purge ne sont pas écoulés, le tiers détenteur peut encore purger à l'égard de ces créanciers; mais il sera rare que les délais ne soient pas écoulés, puisqu'ils ont couru à partir des premières poursuites (v. art. 1274).
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(a) Dans l'usage, on laisse le nom de " tiers détenteur" à celui qui a délaissé, surtout quand il s'agit de rétracter le délaissement il ne serait pas toujours exact de l'appeler ”l'acquéreur," puisqu'il pourrait n'être que " possesseur civil" en voie de prescrire.
SOMMAIRE.
Art. 1290. — N° 533. Il n'y a pas là, à proprement parler, un parti à prendre: c'est une nécessité finale, au cas où l'on est arrivé; observation sur l'exception de discussion; renvoi au Code de Procédure pour les formes et la publicité.
1290 bis -533 bis. Renvoi au n° 216 ter.
1291. -534. Le tiers détenteur devenu adjudicataire est toujours considéré comme évincé; mais le jugement d'adjudication n'est que mentionné en marge de la première transcription.
1292. -535. Adjudication au profit d'un étranger: transcription principale et mention du jugement.
1293. —536. Renaissance des démembrements de la propriété appartenant au tiers détenteur.
1294. -537. Collocation du tiers détenteur à son rang d'hypothèque, dans tous les cas.
1295. —538. Dans tousles cas aussi, l'excédant du prix d'adjudication sur les créances hypothécaires appartient au tiers détenteur ou à ses propres créanciers hypothécaires.
1296. -539. Comptes respectifs des détériorations et améliorations.
1297. -540. Compte des fruits; observation sur les intérêts.
1298. -541. L' immeuble est purgé par l'adjudication et les inscriptions sont radiées.
1299. -542. Garantie du tiers détenteur dans les divers cas prévus.
COMMENTAIRE.
Art. 1290. — N° 533. C'est à peine si l'on peut dire que laisser vendre l'immeuble aux enchères et subir ainsi l'expropriation est le dernier parti que puisse prendre le tiers détenteur: quand les autres moyens de satisfaire les créanciers hypothécaires n'ont pas été employés, la vente et l'expropriation sont imposées au tiers détenteur; pour qu'on pût dire qu'il u a pris le parti " de se laisser exproprier, il faudrait qu'on fût certain que, dès le début et de propos délibéré, il a voulu que les créanciers en vinssent à cette extrémité.
On remarquera qu'avec les trois conditions négatives qui motivent la vente publique on ne trouve pas le défaut d'emploi de l'exception de discussion; en effet, lors même qu'elle aurait été opposée, il serait arrivé de deux choses l'une: ou les autres immeubles, objets de la discussion, auraient suffi à payer les dettes hypothécaires, alors le tiers détenteur aurait été à l'abri de l'expropriation, ou les autres immeubles auraient été insuffisants, et comme l'exception n'est qu'un moyen dilatoire de défense, elle n'empêcherait pas l'expropriation finale.
La vente aux enchères ne peut être faite qu'en vertu d'un titre exécutoire (jugement ou acte notarié); elle doit être précédée d'un commandement (C. civ. fr., art. 2213 et 2217); elle est soumise à une publicité antérieure et concomitante ainsi qu'à des formes déterminées tendant à garantir les divers intérêts engagés; mais ce sont là des conditions qui ne touchent pas au fond du droit et qui sont naturellement réservées au Code de Procédure civile.
Le texte rappelle que la vente aux enchères est aussi la suite naturelle du refus des offres de purge manifesté par une surenchère d'un dixième, d'après l'article 1278.
Art. 1290 bis. -533 bis. Cet article se trouve expliqué avec les articles 1276 bis et 1278 bis, relatifs, comme lui, à la purge de l'action résolutoire (v. n° 516 ter 3°).
Art. 1291. — 534. Du moment que la vente et l'adjudication sont destinées à produire l'éviction du tiers détenteur, de sorte qu'il sera considéré, à l'égard des tiers, comme n'ayant pas acquis le fonds hypothéqué, il est naturel qu'il puisse se présenter aux enchères comme un étranger et se porter enchérisseur.
S'il offre la plus forte enchère, il sera déclaré adjudicataire; dans ce cas, il peut encore être considéré comme évincé, parce qu'il ne tient pas la chose du titre que lui a conféré son cédant, et il aura un recours en indemnité contre lui (v. art. lz99); mais le jugement d'adjudication sera seulement mentionné en marge de la précédente transcription faite à sa requête et il en sera confirmatif, comme dit le texte.
Art. 1292. — 535. Au contraire, quand l'adjudication est prononcée au profit d'un autre que le tiers détenteur, le jugement est un titre absolument nouveau qui doit être- " transcrit principalement et à sa date " il en est cependant fait mention en marge de la précédente transcription: cette fois, ce n'est pas pour la confirmer, mais au contraire, pour la détruire ou plutôt pour annoncer qu'elle est détruite.
Art. 1293. — 536. Du moment que la première acquisition est annulée, il est naturel que les démembrements de la propriété qui appartenaient antérieurement au tiers détenteur sur la chose acquise, et qui s'étaient trouvés éteints par confusion, renaissent rétroactivement, comme s'ils n'avaient jamais été éteints.
Si le premier alinéa de notre article statue spécialement sur les servitudes, c'est parce q -l'en théorie exacte les servitudes appartiennent moins au tiers acquéreur qu'à son fonds et la formule devait différer à leur égard.
Art. 1294. — 537. Le cas où le tiers détenteur avait lui-même une hypothèque sur le fonds adjugé diffère du cas des autres droits: son hypothèque n'est jamais éteinte par confusion, même lorsque c'est lui qui devient adjudicataire. Il y a à cela une raison de justice évidente et la théorie ne l'explique pas moins aisément.
Quand il s'agit des autres démembrements de la propriété, leur extinction par confusion ne cause aucun dommage au tiers acquéreur, puisque, soit dans la première vente amiable, soit dans la vente aux enchères il a payé, d'autant moins cher que son droit antérieur était plus important; tandis que l'existence des hypothèques, tant de la sienne que des autres, n'exerce aucune influence sur le prix de vente; si donc le tiers détenteur perdait son hypothèque, ce serait une perte sans compensation pour lui et tout à l'avantage des autres créanciers.
En théorie, la solution se justifie encore, en ce que, vis-à-vis des créanciers hypothécaires, l'aliénation est comme non avenue: ils sont traités comme si leur débiteur était resté propriétaire; le tiers détenteur ne doit donc pas être traité autrement que les autres à l'égard de son hypothèque.
C'est-pourquoi notre article dit que, " dans tous les cas, il est colloqué à son rang."
Art. 1295. — 538. Cet article statue encore pour les deux cas d'adjudication, soit en faveur du tiers détenteur, soit en faveur d'un étranger. Il est clair que s'il y a un excédant du prix d'adjudication qui ne soit pas absorbé par les créances hypothécaires, c'est au tiers détenteur qu'il appartient et il ne pourrait appartenir à un autre.
Ce ne pourrait être au débiteur, car il est garant envers le tiers détenteur de l'éviction qu'il a subie par l'effet des hypothèques; et si le débiteur n'a pas de droit à ce prix, ses créanciers chirographaires n'en peuvent avoir davantage; cet excédant ne pourrait être conservé par l'adjudicataire étranger, car il est acheteur et il doit payer son prix à quelqu'un; si c'est le tiers détenteur qui est adjudicataire, l'excédant de prix lui appartient encore, car cette adjudication n'a fait que confirmer sa première acquisition, une fois que les créanciers hypothécaires se sont trouvés désintéressés.
Comme conséquence de ce que l'excédant de valeur sur les créances hypothécaires appartient toujours au tiers détenteur, il suit que s'il avait, avant l'adjudication, conféré lui-même des hypothèques ou s'il en avait été acquis de son chef, elles seraient colloquées à leur rang respectif, à la suite des hypothèques antérieures.
Art. 1296. — 539. Le tiers détenteur, sachant ou devant savoir qu'il y avait des hypothèques sur le fonds qu'il a acquis, a dû s'abstenir de tout acte qui pouvait diminuer la garantie des créanciers et, dès lors, s'il a manqué à ce devoir, il en doit l'indemnité aux créanciers. Réciproquement, il a droit à être indemnisé des dépenses nécessaires ou utiles qu'il a faites, parce que les créanciers en profiteraient sans cause légitime (a).
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(a) L'expression du texte " faire raison " était très usitée autrefois en droit français; elle est encore employée dans le Code français (art. 1511); c'est la traduction directe du latin rationem lacère, "faire raison, faire compte."
Art. 1297. — 540. Lorsqu'il s'agit de faire courir les intérêts contre le débiteur d'une somme d'argent, une sommation ne suffit pas, en général: il faut une demande en justice. Il ne peut être question de faire supporter au tiers détenteur des intérêts des dettes hypothécaires, parce qu'il n'en est pas personnellement débiteur; d'ailleurs, les intérêts des deux dernières années sont ajoutés au principal de la créance (v. art. 1254). Mais le tiers détenteur perçoit les fruits de la chose hypothéquée; ces fruits sont, comme le fonds même, la garantie des créanciers: on conçoit qu'il n'en soit pas comptable, de plein droit, depuis son acquisition, parce qu'il a pu les consommer sans profit appréciable; mais on comprend également qu'une simple sommation l'oblige à les conserver ou à en tenir compte, et la loi attache cet effet à la sommation de payer ou de délaisser qui a commencé l'exercice de l'action hypothécaire.
Art. 1298. — 541. On a déjà eu l'occasion de dire que " l'adjudication purge l'immeuble " et le dégrève des hypothèques dont l'effet est transféré sur le prix. La radiation des inscriptions ne pourrait cependant avoir lieu avant le payement effectif ou la consignation du prix, comme il est prescrit au cas de purge volontaire, par suite de l'acceptation des offres du tiers détenteur (v. art. 1280, 1er al.; comp. c. pr. civ. fr., art. 777, 1" al.).
Art. 1299. — 542. Il y a analogie mais non similitude entière, entre le cas de notre article et celui de l'article 1281, au sujet de la garantie due au tiers acqu éreur.
Si le tiers détenteur devient adjudicataire, il est indemnisé dans la mesure de ce qu'il a payé comme tel aux créanciers au-delà de son obligation primitive, plus des frais de procédure: c'est le cas le plus semblable à celui de l'article précité.
Si c'est un étranger qui est adjudicataire et si l'acquisition a été à titre onéreux, le prix d'adjudication servira a déterminer la plus-value, pour ce dont il excède la contre-valeur primitivement due ou fournie; si l'acquisition primitive a été gratuite, le tiers détenteur ne sera indemnisé que de ce dont le prix d'adjudication a libéré le donateur de ses dettes hypothécaires; pour le surplus du prix d'adiudication, il le touche directement des mains de l'adjudicataire.
SOMMAIRE.
Art. 1300. — N° 543. Renvoi aux Règlements spéciaux.
1301. -544. Responsabilité civile des conservateurs.
1302. -545. Omission d'une inscription dans le certificat: motif de la préférence donnée au tiers détenteur sur le créancier hypothécaire.
1303. -546. Droits extrêmes du créancier omis: responsabilité finale du débiteur.
1304. -547. Refus du conservateur: garantie de la partie intéressée contre les abus.
COMMENTAIRE.
Art. 1300. — N° 543. Au Japon, lorsque la publicité des mutations de propriété immobilière a été établie, ce Sont les maires qui ont été chargés du dépôt et de la garde des documents qui tiennent lieu, à cet égard, de registres proprement dits; la publicité des hypothèques plus récente leur a été également confiée.
Désormais, ce sont les greffiers du tribunal qui auront la garde des documents et la tenue des registres, mais on pourra leur laisser, dans la loi, la qualification de " conservateurs des transcriptions et inscriptions," comme en France, on nomme les maires officiers de l'état civil," au sujet d'une et des plus importantes de leurs fonctions.
On a déjà renvoyé à un Règlement spécial ultérieur pour un cas particulier (v. art. 1232, 3" al.). Le renvoi Recours au tribunal.
actuel est plus général. Déjà il y a eu un renvoi analogue dans l'article 369, 48 al., pour les registres des transcriptions.
Art. 1301. — 544. L'article 375 n'a pu de même statuer sur la responsabilité civile des conservateurs qu'en matière de transcription; il faut ici une disposition analogue pour l'inscription d'hypothèque.
Art. 1302. — 545. Le présent article est très-irnportant, parce qu'il suppose un conflit entre deux personnes qui se sont également conformées à la loi au sujet de la publicité et dont cependant l'une doit être sacrifiée à l'autre. Un créancier a pris inscription d'hypothèque avant la transcription d'une acquisition; l'hypothèque est donc opposable au tiers détenteur; mais, dans le certificat délivré à celui-ci l'inscription de ce créancier a été omise, de sorte qu'il n'a pas reçu la notification à fin de purge qui assurait son droit de suite (art. 1276), et s'il y a eu mise aux enchères, il n'en a pas été directement informé.
Sans doute, la responsabilité civile du conservateur est encourue, et si l'intérêt compromis n'excède pas sa solvabilité, il importe peu au créancier hypothécaire d'être désintéressé par lui ou par le tiers détenteur. Mais si le conservateur ne peut réparer tout le dommage causé (a), il est très important de savoir sur qui, du tiers détenteur ou du créancier hypothécaire, retombera la perte.
Le Projet, suivant en cela le Code français et les autres Codes étrangers, sacrifie les droits du créancier hypothécaire à l'intérêt de la circulation des biens et de la sécurité des mutations: il n'est pas contraire à la nature des choses qu'un créancier hypothécaire, même diligent, coure quelques risques, tandis qu'un acquéreur qui a traité avec le véritable propriétaire, qui a publié son acquisition et pris un certificat des inscriptions, doit avoir une sécurité absolue. S'il en était autrement, les immeubles ne seraient pas achetés et ce serait un bien plus grand mal social que s'il n'était pas fait de prêts hypothécaires: les ventes d'immeubles donnent toujours lieu à des améliorations de la chose vendue; par conséquent, à des travaux et à des salaires d'ouvriers, suivis d'une augmentation dans la production; tandis que les prêts hypothécaires peuvent sauver quelques emprunteurs, mais, le plus souvent, ils ne font que retarder leur ruine en l'aggravant.
Il est d'ailleurs bien plus facile à un créancier hypothécaire, omis sur le certificat du conservateur, de connaître l'aliénation et la procédure commencée, de purge ou d'expropriation, qu'au tiers détenteur de connaître l'hypothèque omise dans le certificat.
L'article suivant suppose précisément que le créancier hypothécaire a découvert l'omission dont il courait risque d'être victime.
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(a) A moins d'exiger un cautionnement hors de toute proportion avec les émoluments de la fonction, il pourra arriver que les conservateurs ne puissent réparer civilement tous les dommages résultant de certaines de leurs omissions.
Art. 1303. — 546. Si le créancier découvre l'omission commise à son égard, avant l'expiration des délais pour surenchérir, il peut le faire, après s'être fait communiquer les offres faites aux autres créanciers; si la procédure d'expropriation est commencée, il peut s'y faire comprendre pour la sauvegarde de ses intérêts, " mais sans pouvoir la retarder."
Si les délais pour surenchérir sont expirés ou si l'adjudication est prononcée, il peut se faire comprendre dans l'ordre, " tant qu'il n'est pas clos," et ici la loi ne s'oppose pas à ce que la clôture en soit retardée, parce que le préjudice sera infiniment moindre que si l'on retardait une adjudication.
Les deux derniers alinéas règlent la responsabilité: en première ligne est celle du conservateur vis-à-vis du créancier; ensuite vient celle du débiteur envers le conservateur, car c'est, en somme, la dette du débiteur que le conservateur aura- payée.
Art. 1304. — 547. L'article 1225 a déjà prévu le refus du conservateur de faire une inscription d'hypothèque. Le présent article est un peu plus large, en ce qu'il s'applique aussi aux transcriptions et aux mentions en marge des unes et des autres. Il indique, en outre, les causes légitimes du refus et impose au conservateur une double déclaration qu'il doit délivrer " d'office " à la partie intéressée. On a dit, par anticipation, sous l'article 1225, que c'est pour protéger les particuliers contre leur inexpérience et le danger des abus d'autorité que la loi veut que la déclaration du refus et de ses motifs soit délivrée " d'office " à la partie intéressée.
Notre article ajoute que le tribunal statuera, à bref délai, tant sur la validité du refus que sur la responsabilité du conservateur; c'est, en effet, la solution nécessaire du conflit.
SOMMAIRE.
Art. 1305. — N° 548. Observations sur chacun des sept modes d'extinction.
1306. -549. Restitution du droit d'hypothèque: son effet relatif.
1307. -550. Capacité requise pour renoncer; renonciation tacite au d r o i t même ou au r a n g.
1308. - 551. Prescription extinctive de la dette et de l'hypotbèque au profit du débiteur.
1309. - 552. Prescription au profit d'un tiers détenteur ayant acquis du débiteur.
1310. -553. Idem au profit d'un tiers détenteur ayant reçu la chose d'un autre que le propriétaire, ou l'ayant possédée sans titre.
1311. -554. Interruption de la prescription de l'hypothèque.
1312. -555. Le terme et la condition de la créance ne suspendent pas la prescription de l'hypothèque; les autres causes de suspension s'appliquent à l'hypothèque.
COMMENTAIRE.
Art. 1305. — N° 548. Le texte nous annonce sept causes d'extinction de l'hypothèque. Nous en donnons d'abord un exposé sommaire; sauf à revenir, avec les textes, sur deux d'entre eux, la renonciation et la prescription.
I. La première cause d'extinction de l'hypothèque est dite, dans l'usage, " par voie de conséquence," par opposition aux suivantes qui sont " par voie principale ou directe."
Il est clair que l'hypothèque n'étant qu'un droit accessoire, la sûreté d'une créance, ne peut continuer d'exister quand cette créance est éteinte.
Il y a cependant une exception déjà rencontrée et que la loi devait rappeler, c'est lorsque les parties, faisant novation de la créance, sont convenues que l'hypothèque qui garantissait la première dette garantirait la nouvelle (v. art. 524 et 525).
La loi n'ajoute pas le cas de subrogation, légale ou conventionnelle, que quelques auteurs, en France, compteraient comme une seconde exception: c'est que dans le Projet, comme dans le Code français, selon nous, la subrogation conserve la créance elle-même (v. art. 501); dès lors, elle en conserve aussi les garanties.
II. Le créancier peut renoncer à son hypothèque, s'il a la capacité requise par l'article 1307.
Bien entendu, il ne s'agit pas ici du cas où il renonce il, son hypothèque au pront d'un autre créancier (v. art. 1258): dans ce cas, l'hypothèque subsiste; on doit même dire qu'elle garde son rang, seulement le bénéficiaire en est changé.
III. La prescription de l'hypothèque ne figure ici que nominativement: son caractère et ses conditions demandent des développements qui occupent les quatre derniers articles de la Section.
IV. La purge volontaire a été, sous un autre point de vue (celui de la défense au droit de suite), l'objet de développements qui nous dispensent d'y revenir ici (v. art. 1269 et s.). Remarquons seulement, avec le texte, que l'extinction n'est consommée, comme la purge, que par le payement effectif ou la consignation des sommes offertes.
V. L'adjudication opérant par elle-même la purge des hypothèques, lorsque les créanciers ont été appelés A, y défendre leurs intérêts (v. art 1272) et lorsque le prix d'adjudication est payé ou consigné (v. art..1298), est un mode voisin du précédent et pourrait être appelé " la purge forcée " (a).
VI. Il est clair qu'il ne peut subsister d'hypothèque sur un immeuble qui a péri en totalité; le droit du créancier, il est vrai, est transporté sur l'indemnité qui peut être due par un tiers à l'occasion de cette perte; mais on peut dire que ce n'est plus une hypothèque, à proprement parler, qu'exerce le créancier sur cette indemnité, c'est plutôt un droit de préférence résultant d'une délégation spéciale de la loi.
VII. Le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique est tout-a-fait analogue au précédent; l'expropriation est alors, pour les créanciers hypothécaires, une sorte de perte de l'immeuble par force. majeure. Toutefois, le texte ne dit pas que l'hypothèque n'est éteinte que par le payement effectif ou la consignation de l'indemnité: comme l'Etat est toujours considéré comme solvable, il suffit de réserver le droit du créancier sur l'indemnité.
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(a) Quand on dit, en France, que "l'adjudication opère 'la purge par elle-même," on n'entend pas dire que l'extinction de l'hypothèque a lieu avant le payement ou la consignation du prix: on veut dire que les cré. anciers n'ont pas à se prononcer sur le prix qui, ne leur étant pas offert, n'a pas à être accepté par eux. Cela n'exclut pas d'ailleurs un droit de surenchère d'un sixième qui peut être exercé "par tonte personne " dans la huitaine (v. c. pr. civ. fr., art. 708).
Art. 1306. — 549. Le cas prévu au présent article est analogue à celui prévu à l'article 1251 où une inscription est supposée avoir été indûment rayée, sans que le droit hypothécaire ait été nécessairement éteint; ici, c'est le droit d'hypothèque qui avait été considéré comme éteint et qui est rétabli, restitué, pour une cause légale.
La solution sera la même: si intéressant que soit le créancier qui recouvre son droit, il ne l'est pas plus que les nouveaux créanciers qui ont acquis ou inscrit une hypothèque après la radiation d'une inscription antérieure et avant son rétablissement (v. n° 482).
Art. 1307. — 550. Bien que l'hypothèque soit, dans le système du Projet, un droit réel immobilier et un démembrement de la propriété, il n'est pas cependant nécessaire au créancier, pour y renoncer, d'avoir la capacité d'aliéner un droit immobilier principal: l'hypothèque n'est toujours que l'accessoire, la garantie d'une créance, d'un droit généralement mobilier; or, l'accessoire ne peut avoir plus d'importance que le principal. La loi n'exige donc, chez le renonçant, que la capacité de disposer de la créance elle-même.
Il faudra la capacité de disposer à titre gratuit, si la renonciation est faite sans équivalent et expose le créancier à la perte de tout ou partie de ce qui lui est dû; la capacité de disposer à titre onéreux suffira si le créancier reçoit pour sa renonciation un avantage qui puisse être considéré comme compensation du risque d'insolvabilité qu'il court désormais.
La renonciation du créancier à son rang pouvant présenter le même danger qu'une renonciation à l'Hypothèque elle-même est soumise à la même condition de capacité.
La loi admet que la renonciation à l'hypothèque ou au rang puisse n'être que tacite: ce serait aux tribunaux iL apprécier les cas dans lesquels on allèguerait qu'il y a eu renonciation tacite; mais ils devraient le faire avec une grande réserve.
Il serait tout naturel, par exemple, que si un créancier hypothécaire est intervenu, comme codébiteur soli(laire ou comme caution, à un nouvel engagement hypothécaire de son débiteur, il soit considéré comme ayant renoncé à son rang en faveur du nouveau créancier.
La loi prévoit spécialement le cas où le créancier hypothécaire est intervenu volontairement à l'aliénation du bien hypothéqué, et elle interprète cette intervention dans le sens d'une renonciation au'droit de suite seulement, en faveur du tiers détenteur; mais le droit de préférence n'en éprouvera aucune atteinte.
Le Code de Commerce français considère comme renonciation tacite à l'hypothèque et à ses deux effets le vote par le créancier au concordat (art. 508).
Art. 1308. — 554. La prescription de l'hypothèque présente quelques difficultés.
On peut d'abord se demander si elle a le caractère acquisitif de la liberté du fonds ou libératoire de la charge hypothécaire; mais c'est plutôt là une question théorique et de langage. Ce qui est certain, c'est qu'elle suit au fond les règles de la prescription dite acquisitive, de celle qui fait présumer une acquisition légitime de la propriété pleine et libre
Toutefois, une distinction fondamentale se présente d'abord avec notre article comparé au suivant: ou l'immeuble est resté dans les mains du débiteur, ou il a été aliéné par lui.
Dans le premier cas, il n'y a que la prescription libératoire de la créance elle-même qui puisse éteindre l'hypothèque: on se retrouve alors en présence de l'extinction par voie de conséquence, prévue au 1er alinéa de l'article 1305. Il serait inadmissible, en effet, que le créancier qui aurait interrompu la prescription de la créance ou qui jouirait d'une suspension de prescription à cet égard fut obligé de prendre des précautions spéciales pour conserver son hypothèque.
Le second cas est réglé par les articles suivants, avec une nouvelle distinction: l'immeuble a été cédé par le débiteur, en même temps propriétaire, ou il l'a été par quelqu'un qui n'était pas le propriétaire.
Art. 1309. — 552. Dans le cas où le tiers détenteur a traité avec le débiteur, propriétaire de l'immeuble, il est difficile de dire qu'il soit de bonne foi à l'égard des hypothèques car il a pu et dû le» connaître par les inscriptions antérieures à sa transcription; dans tous les cas, qu'elles que soient son ignorance de fait et son honnêteté, il est légalement considéré comme de mauvaise foi à l'égard des hypothèques; dès lors, il n'en sera affranchi que par une possession de trente ans, sans trouble résultant des actions hypothécaires, et ces trente ans ne courront qu'à partir de la transcription de son titre, laquelle est seule considérée comme le constituant possesseur à l'égard des créanciers hypothécaires, en ce sens qu'elle les avertit que c'est contre lui que leur droit doit s'exercer désormais (v. art. 1479).
Bien entendu, si la prescription libératoire de la créance s'accomplissait plus tôt, soit parce que le temps en serait plus court que trente ans, soit parce qu'une partie du délai en était déjà écoulé avant son acquisition, il jouirait de cette prescription et pourrait s'en prévaloir, même à défaut par le débiteur de l'invoquer (v. art. 1434; eornp. c. civ. fr., art. 2225).
Art. 1310. — 553. Dans le cas où le tiers détenteur tient la chose d'un autre que le vrai propriétaire (débiteur ou non), il a, tout à la fois, à prescrire contre le vrai propriétaire et contre les créanciers hypothécaires. La loi admet alors que lorsqu'il aura prescrit contre le propriétaire il aura prescrit également contre les créanciers hypothécaires: s'il est de mauvaise foi à l'égard du propriétaire, il ne pourra alléguer une prétendue bonne foi à l'égard des créanciers inscrits et il lui faudra trente ans de possession, comme au cas précédent, sauf que le point de départ des trente ans sera sa prise de possession et non la transcription de son titre, laquelle ne pouvant lui donner aucun droit ne peut non plus être obligatoire; si au contraire, il est de bonne foi à l'égard du vrai propriétaire, il sera affranchi des actions hypothécaires en même temps que de la revendication, car il est naturel qu'il ait ignoré les hypothèques comme il a ignoré le droit du vrai propriétaire, sauf ce qui est dit à l'article suivant des actes de poursuite des créanciers.
Dans le cas où le tiers détenteur se prévaut de sa bonne foi pour prescrire contre le vrai propriétaire et les créanciers hypothécaires, le délai de la prescription ne se compte qu'à partir de la transcription qu'il a dû faire de son titre (v. art. 1478).
S'il s'agit d'un possesseur sans titre, il ne prescrira contre le propriétaire et contre les créanciers que par trente ans, mais évidemment sans transcription.
Art. 1311. — 554. Cet article s'applique aux diverses hypothèses prévues par les deux articles précédents: il est naturel que l'interruption de la prescription de l'hypothèque ne résulte que d'actes auxquels le tiers détenteur participe activement, ou au moins passivement; mais un renouvellement de l'inscription fait en dehors de lui ne pourrait avoir un effet interruptif.
Art. 1312. — 555. On verra au sujet de la prescription dite libératoire qu'elle est suspendue par le terme ou la condition qui affecte la créance (v. art. 1463): il est naturel que le créancier n'ait pas à faire d'actes interruptifs tant que son droit ne peut être exercé; l'inaction étant imposée au créancier par son titre, le débiteur ne peut évidemment s'en prévaloir comme d'une remise tacite de la dette ou comme d'une présomption de payement.
Mais quand il s'agit d'un tiers détenteur, dont la possession est pure et simple, le créancier à terme ou conditionnel ne doit pas rester inactif: il doit dénoncer son droit et son intention de le faire valoir en temps utile; le tiers détenteur possédant le fonds comme libre, le créancier doit protester contre cette prétention.
On retrouvera ce principe plus largement appliqué au Livre V, lIe Partie (art. ] 464.). On y trouva aussi es autres causes de suspension ici réservées.
SOMMAIRE.
Art. 1313. — N° 556. Difficultés provenant de la séparation des Privilèges et des Hypothèques en deux Chapitres; nécessité de ne traiter qu'une fois des règles communes aux deux sûretés. -557. Réserve générale au sujet des particularités de chacune.
COMMENTAIRE.
Art. 1313. -556. En s'efforçant de suivre, dans ce Projet, une méthode plus rigoureuse que celle du Code français, on ne s'est pas dissimulé qu'on rencontrerait plus d'une difficulté pour le classement ou le groupement des matières. Ainsi, on y traite séparément, en deux Chapitres, des Priviléges et des Hypothèques, tandis que le Code français les réunit dans un seul Titre: le Code français a des Chapitres où il ne parle que des Priviléges, dans d'autres il ne traite que des Hypothèques, dans d'autres enfin, il traite de ces deux sûretés réunies.
On ne pouvait, dans le Projet, traiter deux fois des règles communes aux priviléges sur les immeubles et aux hypothèques, ni avoir un troisième Chapitre pour ces Règles communes, car le plan n'assigne qu'un seul Chapitre à chaque sûreté.
On a donc pris le parti de traiter, à l'occasion des hypothèques, des théories communes aux deux sûretés, parce que les hypothèques, au Japon comme ailleurs, seront toujours bien plus fréquentes que les priviléges sur les immeubles, par cela seul qu'elles peuvent être conventionnelles. C'est ainsi que déjà l'article 1194, au sujet de la publicité des priviléges sur les immeubles, a renvoyé au Chapitre des hypothèques, pour le mode d'inscription, pour le renouvellement et pour la radiation des inscriptions, et-que l'article 1200 s'est référé à l'Appendice de notre Chapitre, pour annoncer que le droit de suite en matière de priviléges et l'extinction des priviléges suivraient les mêmes règles que celles établies au sujet des hypothèques.
Sur les sept Sections du Chapitre des Hypothèques trois seulement ne s'appliquent pas aux Privilèges: la lre sur la nature de l'hypothèque, la 2" sur les diverses espèces d'hypothèques et la 46 sur l'effet et le rang des hypothèques entre créanciers; par conséquent, les 3°, 5e, 6° et 7e Sections se trouvent, comme l'annonce notre article, applicables aux Privilèges: ce sont celles qui concernent: la forme de l'inscription, sa radiation, sa réduction et sa rectification, l'effet du droit de suite contre les tiers détenteurs, la responsabilité du conservateur et les causes d'extinction de l'hypothèque.
557. Notre article 1313 fait, sur l'application des règles communes à ces deux sûretés réelles, une réserve générale au sujet des particularités des Privilèges qui seraient contraires à celles des Hypothèques; en effet, il serait dangereux de faire légalement entre elles une assimilation absolue, et, en même temps, il est impossible à la loi de déterminer limitativement les exceptions qu'elle comporterait; elles se reconnaîtront suffisamment par l'étude attentive des textes concernant les Privilèges; il est donc plus sage de laisser cet ordre de difficultés, lorsqu'elles se présenteront, à la sagacité des tribunaux, éclairés par les observations des parties intéressées dans chaque cas.
Le législateur procède ici comme dans le cas où il publie une loi nouvelle qui n'abroge la loi précédente que " pour les cas où celle-ci est contraire à la nouvelle loi il laisse aux tribunaux le soin de statuer sur ce qui est incompatible entre l'une et l'autre loi.
On peut donner, dès à présent, quelques applications de la réserve faite par l'article 1313.
Par exemple, il n'y aura lieu à la réduction de l'inscription à certains immeubles, par analogie avec les cas prévus aux articles 1241 à 1243, que pour les priviléges généraux et non pour les priviléges spéciaux sur certains immeubles, et encore cette réduction sera-t-elle rare, puisque l'inscription des priviléges généraux n'a lieu que par rapport au droit de suite, non par rapport au droit de préférence (comp. art. 1150 et 1296).
Ainsi encore, la faillite, la déconfiture ou le décès du débiteur, suivi de l'acceptation de sa succession sous bénéfice d'inventaire, n'empêcheront pas de faire la transcription qui conserve le privilége de l'aliénateur ou des copartageants, parce que, tant que la transcription n'est pas faite, le droit de l'aliénateur est censé reposer encore sur sa tête vis-à-vis des autres créanciers de l'acquéreur.
FIN DU LIVRE IV.
SOMMAIRE.
N° 1. Divers sens du mot preuv e. -2. Difficultés et importance de la matière des preuves. -3. Elle doit figurer dans le Code civil et dans le Code de Procédure civile. -4. Exemples des parts respectives à faire au fond du droit et à la p r o c é d u r e. —5. Les présomptions légales n'ont pas de procédure spéciale. -6. Système suivi par le Projet.
Art. 1314. — 7. et 8. Trois axiomes célèbres en matière de preuve: application naturelle et universelle des deux premiers. —9 et 10. Précautions qu'exige le troisième. —11 à 13. Consécration des deux premiers par notre article 1314. —14 à 18. Exemples pris dans diverses actions.
1315. —19. Sanction de l'article précédent.
1316. -20. Abandon en France des enquêtes à jithtr.-21. Admission dans le Projet de toute preuve avant l'exigibilité du droit.
1317. —22. Application des mêmes preuves aux droits réels et personnels et aux questions d'état des personnes, sauf les exceptions prévues par la loi.
1318. —23. Trois classes de preuves: leur caractère sommaire.
COMMENTAIRE.
N° 1. En droit et en législation, comme en toute autre science, le mot Preuve s'emploie dans plusieurs sens, mais très voisins l'un de l'autre et liés entre eux. C'est d'abord la certitude acquise des faits dont il s'agit: dans ce sens, on dit que ”la preuve est fournie ou acquise au juge; " c'est encore l'opération même qui donne ou tend à donner au juge cette certitude: en ce sens, on dit que " telle partie doit faire la preuve, qu'elle a la charge de la preuve; " c'est enfin l'ensemble des moyens ou des procédés admis ou prescrits par la loi pour faire la démonstration de la vérité des faits allégués et en donner au juge la certitude; on dit, en ce sens, " telle preuve est permise ou nécessaire," et quand on dit que l'une est nécessaire, c'est comme -si l'on disait que les autres sont défendues.
2. La matière des Preuves passe à bon droit, pour „ une des plus difficiles en jurisprudence, d'après les lois existantes dans les divers pays; elle ne l'est pas moins en législation, c'est-à-dire quand il s'agit de faire la loi ou seulement, comme pour nous, de la proposer.
En même temps, l'importance des preuves est énorme, car lorsque la loi attacbe des conséquences plus ou moins considérables à des circonstances de fait, elle suppose ces faits, ces circonstances, hors de contestation; mais, le plus souvent, c'est leur existence même qui est contestée: si la loi a été prévoyante dans ses dispositions, et si elle est rédigée avec clarté, on plaidera rarement sur les conséquences légales des faits; mais on plaidera souvent sur la réalité, sur l'existence de ces faits, lorsqu'ils sont allégués par une partie contre l'autre: on plaidera sur leurs caractères, sur l'intention qui les a modifiés, sur ce qui les a précédés, accompagnés ou suivis; de tout cela, l'une des parties s'efforcera de donner la conviction aux juges, l'autre cherchera à leur donner la conviction contraire ou, tout au moins, à leur en laisser un doute sérieux, et peut-être les parties seront-elles de bonne foi l'une et l'autre.
3. En législation, la matière des preuves touche, forcément, au fond du droit et à la procédure; aussi, en France, en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, la voit-on figurer, tout à la fois, dans le Code civil et dans le Code de Procédure civile.
Le Projet japonais procède de même. Il y a des principes fondamentaux en cette matière qui doivent figurer dans le Code civil, parce qu'ils sont de par droit, au fond; tels sont: le principe d'après lequel le fardeau de la preuve incombe à telle ou telle partie, suivant le cas, la détermination des divers modes de preuves permises ou nécessaires, selon l'objet du litige, le degré de force probante de chacune, soit respectivement, quand elles sont opposées les unes aux autres dans une instance, soit isolément, lorsqu'il s'agit de savoir si elles autorisent ou imposent la conviction chez le juge. Voilà des théories générales qui, disons-nous, forment le fond du droit civil en matière de preuve et ne font aucunement partie de la procédure.
Au contraire, on doit renvoyer et le Projet renvoie, en effet, à la procédure civile la mise en œuvre, le fonctionnement de chaque preuve devant le tribunal.
4. Prenons un exemple dans la preuve qui restera la plus fréquente peut-être au Japon, malgré les limites qu'y apporte le Projet, dans la preuve testimoniale. C'est au Code civil qu'il appartient de poser les limites dans lesquelles cette preuve est recevable, limites fondées sur un motif principal qu'on expliquera en son lieu; mais quand il s'agit de fournir cette preuve devant le tribunal, il faut savoir: en quelle forme on citera les témoins, quels seront les délais pour les citer de part et d'autre, avec qu'elles précautions ils seront entendus, quels témoins ne pourront pas être cités valablement ou pourront être récusés comme suspects, quelle sera la peine de ceux qui ne comparaîtraient pas; tout cela appartient naturellement au Code de Procédure civile et, en effet, le Code civil l'y renvoie.
D'autres preuves ont déjà une connexité moins nécessaire et seulement accidentelle avec la procédure, ce sont les preuves écrites.
Supposons qu'une partie produise un acte authentique à l'appui de sa demande ou de sa défense; si l'acte n'est pas argué de faux (et cet incident sera très rare), le tribunal n'aura qu'à en examiner la teneur, à s'assurer, par son examen personnel et en entendant les parties ou leur représentant, si l'acte a vraiment l'objet et la portée que lui attribue la partie qui l'invoque; il n'y a là aucune procédure spéciale; ce n'est guère que s'il y a plainte en faux que le Code de Procédure intervient: il y a alors la procédure dite de " faux incident civil."
Supposons encore la production d'un acte sous seing privé: s'il est reconnu par la partie à laquelle on l'oppose, il a contre elle la même force qu'un acte authentique; là encore il n'y a qu'à apprécier la portée de l'acte. Pour qu'il y ait lieu à une procédure spéciale, il faudrait que la partie défenderesse niât l'écriture, la signature ou le sceau: alors il y aurait lieu à la procédure dite de " vérification d'écritures."
5. Ce n'est pas tout encore. Il y a des preuves, et des plus importantes par leur force probante, qui ne comportent et ne peuvent comporter aucune procédure, ce sont les présomptions légales: étant donnés certains faits non contestés, la loi en induit l'existence d'autres faits non prouvés en eux-mêmes; telle est la présomption de vérité attachée à la chose jugée: un jugement irrévocable est produit par une partie, devant un tribunal, à l'appui d'une demande ou d'une exception; l'adversaire prétend remettre en discussion les faits déjà jugés; le tribunal ne doit pas l'écouter: à ses yeux, ce qui est reconnu par le jugement est présumé la vérité; c'est l'axiome romain res judicata pro vei-ilate accipitur inséré dans le Projet japonais, en sa forme concise et saisissante (v. art. 1414). Il est vrai que, pour avoir cette force probante invincible, le jugement doit avoir certains liens avec la nouvelle instance: il doit présenter ce qu'on nomme " trois identités," identités de parties d'objet et de cause (v. art. 1417 et s.); mais l'examen et la discussion de cette triple condition n'exige aucune procédure spéciale et il n'en peut être fait mention dans un Code de Procédure civile.
6. Il est donc bien évident qu'il est impossible au législateur de ne traiter des preuves que dans le Code de Procédure exclusivement, puisque certaines preuves n'y figureraient aucunement et que les principes fondamentaux des autres y perdraient de leur importance, étant mélés à des questions secondaires de formes et de délais. Mieux vaudrait encore, si l'on ne voulait traiter des preuves que dans un seul Code, le faire dans le Code civil, parce qu'il n'est jamais choquant de mettre l'accessoire à la suite du principal. D'ailleurs, on a déjà vu d'autres cas où le Code civil traitant de l'exercice de certains droits, indique en même temps en qu'elles formes et dans quels délais ces droits seront exercés: par exemple, le droit de suite hypothécaire contre le tiers détenteur et le droit pour celui-ci de purger l'immeuble des priviléges et hypothèques (v. art. 1262 et s., 1269 et s.). Mais un pareil procédé ne pouvait être employé au sujet des preuves, sans surcharger considérablement le Code civil de détails d'une nature peu élevée et surtout inusitée.
La seule difficulté qui restait était de faire raisonnablement la part revenant à chaque Code. Sous ce rapport, le Code français est encore un modèle qu'il y avait tout avantage à suivre, bien qu'on l'ait fait, ici comme ailleurs, avec précaution et indépendance.
Art. 1314. — 7. Ce premier article pose le principe fondamental déjà annoncé comme devant figurer avant tous autres en cette matière: il nous dit "à qui incombe la charge, le fardeau de la preuve " (onus probandi) pour employer l'expression consacrée; c'est un f a rdeau, en effet, que d'avoir à prouver un fait, car si l'on n'y parvient pas, on succombe dans sa prétention: l'article suivant nous le dira.
Il existe, à ce sujet, en Europe, trois axiomes latins, plus ou -moins romains d'origine, dont les deux premiers ont été déjà souvent rencontrés et appliqués, parce qu'ils sont d'une utilité universelle; mais du troisième on ne doit user qu'avec précaution ou, au moins, on doit l'appliquer dans son esprit plus que dans ses termes.
D'après le premier axiome, " la preuve incombe au demandeur" (actori incumbit probatio); cela est vrai, si l'on prend la contestation à son début: il est certain que celui qui ouvre un débat, en élevant une prétention, doit prouver ce qu'il avance à l'appui ou comme fondement de sa demande.
8. Mais lorsqu'il aura fait cette preuve, c'est-à-dire fait des justifications ou démonstrations de nature à donner au juge une conviction favorable à sa prétention il pourra arriver et il arrivera très souvent que le défendeur alléguera, à son tour, des faits qui, s'ils sont vrais, détruiront l'effet des premiers.
L'axiome cité va-t-il jusqu'à signifier que c'est encore au demandeur à faire la preuve contraire à ces allégations du défendeur ? Ce ne serait ni raisonnable ni juste: le défendeur qui allègue des faits pour sa défense est, juridiquement, à l'égard de ces faits, dans la même position que le demandeur pour les bases de sa demande; aussi le premier axiome est-il toujours accompagné d'un autre qui le tempère ou le complète: " le défendeur, en opposant une exception, devient demandeur " (reus in excipiendo fit actor).
Nous montrerons tout à l'heure que notre article, dans ses deux alinéas, est la reproduction de ces deux axiomes inséparables, et nous en donnerons la justification.
9. Le troisième axiome est loin d'avoir la même exactitude et la même valeur que les deux premiers: il dit que " la preuve incombe à celui qui affirme et non à celui qui nie" (probatio incumbit ei qui dicit, non ei qui negat), et on prétend le justifier en disant (encore en forme d'axiome), que " par la nature des choses, la preuve d'une négation est impossible."
Si l'on prenait pour exemple le cas où le demandeur dit qu'il a prêté une somme d'argent et où le défendeur nie le fait, purement et simplement, ce nouvel axiome serait exact; mais, en même temps nous nous trouverions placés dans le cas d'application du premier axiome: ce ne serait pas parce que le demandeur affirme et que le défendeur nie, que la preuve incomberait au premier, ce serait parce que c'est au demandeur à prouver son droit ou la cause de son droit.
Mais supposons que le demandeur réclame des dommages-intérêts, sous prétexte que le défendeur n'a pas exécuté un contrat (lequel est d'ailleurs prouvé ou non contesté), il est certain que le demandeur sera dispensé de prouver cette négation; de même s'il invoque un prêt (prouvé également) et s'il allègue que l'emprunteur n'a pas payé, il est dispensé de le prouver: dans les deux cas, c'est bien au défendeur à démentir la négation, en prouvant le fait positif de l'exécution ou celui du payement; mais ce n'est pas parce que la preuve de la négation serait impossible au demandeur: en admettant qu'elle le fût, ou à peu près, au cas de non payement, elle ne le serait pas au cas d'inexécution d'une obligation de faire, surtout quand il s'agirait d'actes extérieurs à accomplir, comme des travaux à exécuter sur un immeuble du demandeur ou des réparations à faire par un bailleur à un immeuble loué; lorsque les travaux n'auraient pas été faits, il serait bien facile de le vérifier par une visite de lieux ou par un rapport d'expert. Le motif pour lequel ce serait au défendeur à prouver, dans notre exemple, qu'il a payé ou exécuté est tiré du second axiome: ce sont là des allégations destructives de celle du demandeur, ce sont des exceptions ou défenses à l'égard desquelles "le défendeur devient demandeur."
Il en serait de même si, le demandeur ayant prouvé un contrat passé en sa faveur, le défendeur niait avoir été libre de refuser ou capable de consentir: l'allégation du défaut de liberté ou de l'incapacité est une exception ou une défense dont la preuve incombe au défendeur. D'ailleurs, il est évident que, dans cette exception, il y a tout aussi bien l'allégation d'un fait positif que celle d'un fait négatif: celui qui dit n'avoir pas été libre ou capable dit aussi avoir été violenté ou incapable; or, comme il est bien rare qu'une forme négative ne puisse pas être renversée en forme affirmative, l'axiorne qui prétendrait faire dépendre de la forme employée le fardeau de la preuve serait aussi peu raisonnable qu'injuste; aussi l'ancien axiome, au moins avec ce sens, est-il nettement rejeté par notre premier article.
10. Il restera cependant des cas, fort rares à la vérité, où un fait négatif sera le principe direct d'un droit à exercer, d'une demande à faire en justice, et où ce fait ne pourra être ramené à un fait positif contraire: on n'en peut guère citer pratiquement que deux cas: celui de l'action négatoire, en matière de servitudes, et celui de la répétition d'un payement indû.
1° On a promis, au Tome 1er (n° 445) de revenir sur l'action négatoire.
Rappelons que, dans cette action, le demandeur soutient que son voisin exerce indûment une servitude sur son fonds.
Il ne pourrait exercer la revendication du fonds, car le défendeur ne le possède pas; il prétend seulement faire juger que son fonds n'est pas grevé de telle ou telle servitude envers le voisin, alors que celui-ci est déjà en possession de cette servitude, c'est-à-dire l'exerce déjà.
La contestation peut être au fond ou pétitoire, ou seulement quant à la possession ou possessoire (v. art. 288, 2° al.). Dans les deux cas, le demandeur est bien obligé de prendre la forme négatoire, de soutenir que le défendeur n'a pas- le droit de passer ou de puiser de l'eau, de bâtir, etc.
Assurément, il lui sera difficile, impossible même, de s'attaquer à toutes les causes juridiques qui auraient pu constituer la servitude au profit du défendeur (vente, donation, échange, etc.), et c'est cette impossibilité qui a conduit certains auteurs à soutenir que, dans ce cas exceptionnel, les rôles devaient être renversés et que c'était au défendeur, une fois l'action négatoire intentée, à fournir la preuve directe de son droit.
Mais on peut arriver à une solution pratique satisfaisante sans déroger à la règle générale que la preuve incombe au demandeur: celui-ci sommera le défendeur de déclarer (non de prouver) sur quelle cause il prétend fonder son droit à la servitude; si le défendeur allègue une vente, une donation, un legs d'un des précédents propriétaires, il sera moins difficile d'en démontrer l'absence ou la nullité.
C'est le procédé déjà indiqué par la loi, à celui qui prétend avoir souscrit un engagement sans cause (v. art. 347).
Assurément, la position du demandeur est encore bien périlleuse, mais il peut se reprocher de n'avoir pas intenté l'action possessoire en complainte ou en réintégrande, dès que le trouble ou l'usurpation a commencé (v. art. 213 à 217).
2° Dans la répétition de l'indu, le demandeur devra d'abord prouver le fait positif du payement par lui effectué; mais comment pourra-t-il prouver que le payement n'était pas dÛ, n'avait pas de cause? Ce serait, en effet, impossible, en cette forme générale: le demandeur ne pourrait pas parcourir, dans sa plaidoirie devant le tribunal, toutes les causes possibles d'obligations (surtout s'il y avait eu payement d'une somme d'argent), et prouver qu'aucune de ces causes ne s'est rencontrée entre lui et le défendeur avant ce payement.
La singularité du cas est telle que le 'Projet l'a réglée spécialement: il nous suffit de renvoyer encore à l'article 347.
14. Revenons à notre premier article qui, avons-nous dit, consacre les deux premiers axiomes et rejette le troisième.
Pour les premiers, il prend une forme un peu différente: il ne mentionne pas le demandeur et le défendeur, comme tels, et c'est avec raison, puisque, d'après le second des axiomes précités, les rôles sont quelquefois intervertis: il n'importe pas, en effet, de savoir quelle partie a ouvert le procès, mais quelle est la nature des prétentions et des allégations de chacune, et pour déterminer la nature d'une allégation, on ne tient pas compte du caractère "positif ou négatif" du fait allégué (la loi écarte formellement cette distinction), on regarde seulement si l'allégation tend à assurer " un avantage" à la partie qui la fait; dans ce cas, c'est celle-ci qui a la charge de la preuve, et à cette occasion, le texte nous donne la définition légale de la preuve, elle consiste à " démontrer au juge la vérité du fait allégué."
Jusqu'ici nous avons énoncé ce principe comme évidemment juste et raisonnable; pourtant il nous est nécessaire, à notre tour, " d'en démontrer la vérité."
12. Quand une contestation s'élève entre deux parties, elle survient dans une situation présente dont l'existence, déjà plus ou moins ancienne, a en sa faveur, la présomption de vérité et de justice, tant par le silence antérieur des parties que parce que la violation du droit d'autrui ne se présume pas; dès lors, la partie qui prétend faire changer cette situation a contre elle une présomption défavorable: elle doit donc la faire tomber par une preuve directe du bien fondé de sa prétention (a).
Cette solution s'applique d'abord et tout naturellement au demandeur.
13. En examinant le fond des choses, on voit qu'elle ne s'applique pas moins au défendeur proposant une exception ou défense. En effet, supposons que le demandeur ait établi son allégation par des preuves qui sont de nature à donner au juge la conviction en sa faveur: voilà une situation nouvelle qui va remplacer l'ancienne, et avec d'autant plus de force qu'elle aura la consécration
judiciaire; si le défendeur prétend la combattre et en faire prévaloir une autre, soit, comme le suppose le texte, en contredisant les faits établis contre lui, soit en alléguant des faits nouveaux détruisant les effets des premiers, il est dans même position que celle où était tout à l'heure le demandeur: il doit, à son tour, prouver ses allégations.
14. Nous compléterons cette importante théorie par quelques exemples empruntés aux actions réelles et personnelles, car elle est commune aux diverses actions (v. art. 1317).
1° Primus prétend qu'un immeuble possédé par Secundus lui appartient: il y a là une situation de fait qui fait présumer d'abord que la possession est légitime ou civile et, comme conséquence immédiate, que le possesseur est propriétaire (v. art. 205).
Si donc Primus prétend, soit que la possession de Secundus n'est pas civile mais précaire et que c'est à lui-même qu'appartient la possession civile, soit que la possession de Secundus, tout en étant civile, n'est pas accompagnée du droit de propriété qu'il prétend être à lui: dans les deux cas, qu'il intente une action possessoire ou l'action en revendication, c'est lui qui veut changer la situation présente, c'est donc à lui à faire la preuve de ce qu'il soutient.
Supposons maintenant que Primus a produit des titres ou des témoignages assez précis et assez conformes à sa prétention pour qu'il y ait lieu de croire que la conviction du juge sera en sa faveur, mais que le défendeur ait lui-même des témoins ou des titres pouvant démentir les premiers, ou même établir des faits nouveaux incompatibles avec les premiers: par exemple, au premier cas, que le titre produit par le demandeur a été obtenu par violence ou par dol, ou se trouve annulé par une contrelettre (v. art. 1386 et s.), au second cas, qu'il y a eu, plus tard, une rétrocession par le demandeur au défendeur; voilà des faits qui tendent à changer la situation déjà obtenue par le demandeur, des faits dont le défendeur prétend " tirer avantage celui-ci doit les prouver; c'est en ce sens qu'on dit qu'il " devient demandeur dans son exception " (reus in excipiendo fit actor).
15. 2° Primus se prétend créancier de Secundus, pour une somme de,000 yens, par suite d'un prêt, d'une vente ou d'un louage: la présomption est que Secundus ne doit rien à Primus; autrement, il faudrait dire qu'il suffit qu'une personne élève une pareille prétention contre une autre pour que celle-ci soit présumée devoir à la première et ait à renverser la présomption, ce qui serait aussi absurde qu'injuste. Donc, comme c'est Primus qui veut changer la situation respective des parties, il devra fournir la preuve de ce qu'il avance, à savoir du fait productif d'obligation survenu entre lui et Secundns et du montant de la somme due. Mais là s'arrête son devoir: il n'est pas tenu de prouver que le débiteur n'a pas payé ni qu'aucun autre mode libération n'est survenu; en effet, quand une dette est prouvée avoir existé, la présomption est qu'elle existe encore, si le contraire n'est prouvé; c'est donc le défendeur qui aura, à son tour, à prouver sa libération.
16. 3° Primus a stipulé de Secundus une somme d'argent, comme novation, règlement de compte ou transaction; Secundus, actionné en payement, prétend qu'il a promis cette somme par erreur ou sous l'influence de la violence ou d'un dol de Primus; comme l'erreur, la violence, le dol ne se présument pas et doivent être prouvés par celui qui les invoque (v. art. 339), c'est donc Secundus qui en fera la preuve; sous ce rapport, sa position ne diffère guère de ce qu'elle serait si, ayant payé, il voulait répéter par voie d'action en rescision pour vice du consentement: dans ce cas, il serait, à proprement parler, demandeur dans la procédure; ici cependant, au point de vue de la preuve, il y a une différence, c'est que Primus pourrait soutenir que le payement a valu ratification ou confirmation tacite de l'obligation annulable (v. art. 579).
17. D'un autre côté, pour que le payement ait cet effet confirmatif, il faut non seulement qu'il ait été fait volontairement (ibid.), mais encore que l'erreur ou le dol aient été découverts ou que la violence ait cessé au moment du payement.
Pour le caractère volontaire du payement, on peut certainement le présumer, même lorsqu'il y avait eu violence à l'origine: ce n'est pas parce qu'un homme s'est rendu coupable d'une violence ayant déterminé quelqu'un à contracter qu'on doit nécessairement croire qu'il a maintenu celui-ci sous la menace et dans la crainte; ce serait donc à la partie violentée à prouver qu'au moment du payement, la menace durait encore ou avait été renouvelée.
Mais pour l'erreur et le dol, il n'y a pas même raison de supposer qu'ils étaient découverts au moment du payement; il serait en même temps très difficile au débiteur de prouver qu'ils ne l'étaient pas: c'est un des cas où la preuve d'un fait négatif est très difficile; on appliquera dès lors le principe de notre article: le créancier allègue un fait pour en tirer avantage, à savoir que le payement a été fait par le débiteur a près la découverte de l'erreur ou du dol, il devra donc le prouver.
18. Ces exemples, peut-être trop longuement développés, font saisir la portée du principe fondamental d'après lequel la preuve incombe, suivant les cas, à l'une ou à l'autre partie: on recherchera toujours quelle est la présomption de fait résultant naturellement de la situation originaire et de ses modifications successives et c'est à celui qui prétendra changer cette situation à son profit qu'incombera la charge de renverser la présomption.
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(a) Par exception, elle pourrait, à son tour, invoquer une présomption légale: par exemple, la prescription ou l'autorité de la chose jugée.
Art. 1315. — 19. Le présent article est la sanction du précédent: la partie qui ne justifie pas ses allégations succombe, soit dans sa demande, soit dans son exception.
Le texte veut que la justification soit faite " conformément à la loi," parce que tous les moyens de preuve ne sont pas indistinctement admis.
Le texte réserve aussi les cas où, malgré la production de preuves régulières, la conviction du juge ne s'est pas formée en faveur de la partie qui les a produites, mais seulement " lorsque le juge est libre d'apprécier la valeur de ces preuves," c'est-à-dire les cas où la conviction ne lui est pas légalement imposée. On verra, en effet, que certaines preuves ont une force invincible ou ne peuvent être renversées que par d'autres preuves déterminées, comme, par exemple, certaines présomptions légales, l'aveu de la partie ou l'acte authentique.
Art. 1316. — 20. Cette disposition manque au Code français, au moins dans cette généralité, et il est difficile de l'y suppléer, hors le seul cas où elle est formellement énoncée, celui d'une demande en reconnaissance d'écritures sous seing privé faite avant l'échéance de la dette (v. c. civ., art. 2123; c. proc. civ.; art. 183 s. et loi du 3 sept. 1807).
Dans l'ancien droit français, la jurisprudence permettait, dans les cas où la preuve par témoins était admise, de faire cette preuve avant que le droit fût exigible; il y avait alors une procédure spéciale dite " enquête à futur." En effet, les témoins peuvent mourir, changer de résidence, perdre le souvenir de faits qui n'ont pas d'intérêt pour eux. Il paraît cependant que, dans la pratique, cette forme de procéder donna lieu à des abus, elle rencontra des résistances et il y a lieu de croire que les Rédacteurs du Code de Procédure civile, en ne la reproduisant pas, ont voulu la laisser dans l'oubli. Mais les meilleures choses pouvant donner lieu à des abus, il vaut mieux corriger ceux-ci que de supprimer une chose en entier, sous prétexte qu'elle est imparfaite.
21. Notre texte permet à chaque partie intéressée de demander à faire d'avance, principalement et hors de toute autre procédure, " la preuve de faits dont la constatation lui importe;" cette disposition s'applique aussi bien à la preuve testimoniale qu'à la preuve écrite ou par aveu. La loi n'y met que la condition d'une double justification: celle de " l'intérêt" ultérieur de la partie et celle du " danger de la perte des moyens de preuve."
Il va de soi que la partie adverse sera appelée à cette procédure, comme si la preuve devait être fournie dans les conditions ordinaires.
Si la preuve donne lieu à des contestations ou à des preuves contraires, le tribunal rendra un jugement sur la réalité ou l'inexactitude des faits allégués et ce jugement aura force de chose jugée au sujet de ces faits; si elle n'est pas contestée, le tribunal donnera acte de ce qui a été reconnu, c'est-à-dire qu'il le constatera de façon à ce qu'aucun débat ultérieur n'ait lieu au même sujet.
On retrouvera ce principe appliqué à la reconnaissance d'écriture avant le procès au fond (v. art. 1335 s.).
Art. 1317. — 22. C'est encore un reproche qu'on peut faire au Code français que de n'avoir traité des Preuves, dans leur ensemble, qu'au sujet des obligations ou des créances, comme si les moyens de preuve des droits réels n'étaient pas les mêmes que ceux des droits personnels, tandis qu'aucune différence n'existe et ne peut raisonnablement exister, à ce sujet, entre les divers droits. Tout au plus, y a-t-il quelques particularités pour la preuve de l'état des personnes, et encore ces différences ne portent-elles que sur l'emploi de la preuve testimoniale, plus ou moins étendu ou restreint, suivant les cas, ou sur la nécessité de la production d'actes authentiques spéciaux, comme les actes de l'état civil ou ceux de naturalisation. Notre texte a deux dispositions à cet égard: l'une pour déclarer que les modes de preuves ci-après sont communs aux droits réels et aux droits personnels (1er al.); l'autre qui les étend aux questions d'état des personnes, sauf les particularités qu'on trouvera, à ce sujet, au Livre premier (3e al).
Il réserve aussi (23 al.) les dispositions spéciales déjà portées aux trois Livres précédents, au sujet des preuves; elles sont assez nombreuses: la plupart consistent dans des présomptions légales qu'il fallait indiquer sur chaque matière qui les comporte; d'autres sont, il est vrai, l'application du droit commun, sur le point de savoir à quelle partie incombe la preuve, mais dans des- cas qui auraient pu présenter quelque difficulté; les plus importantes de ces dispositions sont, outre celle, déjà citée, de l'article 347 sur la preuve du défaut de cause, celles qui, pour certains faits, exigent certains modes de preuve, à l'exclusion des autres, comme les articles 367 et 370 qui n'admettent que l'aveu de la partie pour prouver qu'elle avait connaissance d'une cession de créance non notifiée au débiteur ou d'une aliénation d'immeuble non transcrite, et les articles 503, et 987, qui n'admettent que la preuve par écrit des faits qui y sont prévus (subrogation et changement des devis de travaux), sans distinguer la valeur de l'objet du litige.
Art. 1318. — 23. Les preuves dont il va être question sont groupées en trois classes formant autant de Chapitres, divisés en Sections.
La première classe comprend les faits dont le juge prend une " connaissance personnelle" et directe qui lui permet de se former par lui-même sa conviction.
La seconde classe comprend des faits plus variés qui ont le caractère commun de " témoignage de l'homme la loi appelle ces preuves " directes," par opposition aux dernières qui sont " indirectes."
La dernière classe comprend les présomptions, lesquelles sont de deux sortes: les unes de droit ou légales, c'est-à-dire imposant au juge la conviction, soit absolument, soit à la condition qu'elles ne soient pas renversées par d'autres preuves, les autres de fait, tirées de circonstances et laissées, par la loi encore, à l'appréciation du juge. Ces dernières pourraient, à la rigueur, rentrer dans la première classe; mais leur nom consacré de " présomptions " rend préférable de les placer avec celles de droit.
Le nom de " preuves indirectes " donné aux présomptions sera justifié en son lieu.
SOMMAIRE.
Art. 1319. — N° 24. Sens spécial de cette expression.
COMMENTAIRE.
Art. 1319. — N° 24. Cette expression " expérience personnelle du juge ou du tribunal " n'est encore usitée que dans la doctrine, mais on croit bon de la consacrer dans le texte de la loi: elle tend à faire comprendre, sous une formule brève, qu'il n'y a ni témoignage étranger, ni présomption légale, et que cependant le juge peut valablement se former une conviction, en appréciant directement, à l'audience ou autrement, certains faits assez significatifs par eux-mêmes, pour lui démontrer la vérité en faveur du demandeur ou contre lui. Il ne faut donc pas donner ici aux mots expérience personnelle " le sens vulgaire de ” connaissance acquise par le temps et la pratique de la vie et des affaires," mais simplement celui de l connaissance acquise immédiatement par l'examen des faits; " toutefois, lorsqu'il s'agit de l'exacte application de la loi (v. art. 1322), on peut dire qu'il faudra au juge l'expérience antérieurement acquise par l'étude de la loi elle-même.
Mais il ne faudrait pas admettre que le juge pût puiser un élément légal de conviction dans la connaissance individuelle qu'il aurait d'un fait de la cause, comme particulier et en dehors de sa fonction de juge: par exemple, s'il avait été personnellement témoin du fait. Dans un pareil cas, si la partie attachait une grande importance au témoignage du juge, elle devrait tâcher d'obtenir qu'il se récusât comme juge, de manière à pouvoir être assigné comme témoin; elle pourrait même pour inviter ostensiblement le juge à se récuser, l'assigner comme témoin; mais, si le juge ne croyait pas devoir se récuser, l'assignation serait sans effet, et le juge devrait avoir soin de ne pas se laisser influencer par d'autres preuves que celles résultant de la procédure.
La loi place sous cette rubrique de " l'expérience personnelle du juge " trois modes de preuves qui sont repris en autant de Sections.
SOMMAIRE.
Art. 1320. — N° 25. Dires et explications des parties sans aveu. —26. Exemples de décisions fondées sur ces seuls dires. -27. Examen de l'objet litigieux. -28. Examen des documents autres que les preuves écrites.
1321. -29. Evaluation d'une valeur à fournir.
1322. -30. Application et interprétation de la loi.
COMMENTAIRE.
Art. 1320. — N° 25. Les avoués n'étant pas établis au Japon, les parties figurent en personne dans les procès civils, mais elles peuvent s'y faire représenter par des mandataires (a).
Il sera question au Chapitre suivant (Sect. u, § 1er) de l'aveu que peut faire une partie devant le tribunal, c'est-à-dire du témoignage qu'une partie porte contre elle-même; ici, on ne suppose pas qu'il y ait aveu: il y a seulement des " dires et explications des parties ou de leurs représentants."
Assurément, on ne peut pas dire que, par l'effet de ces explications, la conviction s'impose au juge, comme lorsqu'il y a aveu (v. infrà, art. 1363); il peut d'ailleurs y avoir, de la part des deux parties, des dires plus ou moins contraires les uns aux autres; mais il est possible aussi que les explications fournies par l'une d'elles, incomplètement détruites par l'autre, permettent au tribunal de se prononcer en faveur de la première. Ce sera rare pour les grosses affaires, mais non pour celles de peu d'importance, et plus fréquent pour des demandes incidentes que pour des demandes principales, enfin, plus fréquent pour des exceptions que pour des demandes.
26. Ainsi, supposons qu'un homme qui, par profession, loue des chevaux et voitures, réclame une somme pour une telle location et que le défendeur allègue qu'il y a eu prêt à usage; le demandeur explique qu'il n'a aucune relation d'amitié avec le défendeur qui puisse motiver un prêt gratuit; ce dernier ne détruit pas cette explication et n'est pas non plus dans une situation assez précaire pour qu'il y ait lieu de croire à un sacrifice fait en sa faveur: le tribunal pourra allouer au demandeur le prix ordinaire de la location des objets en question, suivant la durée de l'usage. Ici, c'est la simplicité du litige qui permet cette solution facile et rapide en faveur du demandeur.
Voici un cas où c'est une demanda incidente à laquelle il est fait droit, sur les dires et explications des parties. Au cours d'une action immobilière possessoire ou même en revendication, le demandeur allègue et démontre au tribunal que la chose court risque d'être détériorée par l'effet de la négligence ou même du mauvais vouloir du défendeur contre lequel d'ailleurs il faudra fournir des preuves, pour le fond du litige: le tribnnal pourra nommer un séquestre ou gardien judiciaire, en attendant qu'il puisse statuer au fond.
Enfin, le demandeur réclame la restitution immédiate d'un objet mobilier comme déposé; le défendeur allègue que l'objet lui a été prêté à usage et que l'usage n'est pas terminé, et il démontre qu'il n'y avait aucune raison plausible pour que le demandeur, qui a de l'espace, une maison sûre où sont restés des objets plus précieux, lui ait déposé cet objet, tandis que lui-même défendeur est dans de mauvaises conditions pour recevoir un tel dépôt et, en même temps, est loin d'avoir à lui tous les objets nécessaires; le tribunal pourra accueillir cette exception et accorder un délai raisonnable pour la restitution.
Comme exemple d'une Il demande prématurée " nous supposerons l'action en payement d'une somme ou valeur avant l'échéance: si au cours ou même au début du procès, il apparaît au tribunal que, même en admettant prouvé le fond de la prétention, il y aurait, en tout cas, un délai à observer, le tribunal ne statuera pas au fond, il surseoira, et ce ne sera pas un déni de justice. On ne devra pas dire que pendant que le tribunal est saisi, il vaudrait mieux qu'il statuât: le défendeur a intérêt à faire ajourner le jugement, car il pourra payer à l'échéance et éviter ainsi d'être condamné aux frais.
27. La loi permet de même au tribunal de faire droit à de telles demandes ou exceptions par l'examen des objets litigieux.
Ainsi, un ouvrier réclame, comme prix de la réparation d'un objet mobilier,une somme que le défendeur soutient excessive: si l'appréciation du travail ne demande pas de connaissances techniques ou artistiques, le tribunal, après s'être fait représenter l'objet et l'avoir examiné, pourra admettre on réduire la demande, sans recourir à une nomination d'experts. De même, si un vendeur d'objet mobilier réclame un prix non convenu d'avance et que l'acheteur prétende inusité pour un objet de cette nature (b).
Le tribunal pourrait encore statuer par le simple examen de l'objet litigieux, si, sur la réclamation d'une chose prêtée à usage, le demandeur prétendait qu'elle a été détériorée par un usage immodéré ou maladroit, tandis que le défendeur prétend que la détérioration est un effet de l'usage normal, ou provient de la vétusté de l'objet.
28. La loi permet encore aux tribunaux de statuer par l'examen des documents de la cause, en excluant le cas où ces documents auraient le caractère " d'écrits formant preuve directe autrement, on se retrouverait en présence de la preuve par acte authentique ou sous seing privé. Ces documents peuvent être des comptes, des plans, des lettres portant des autorisations, prohibitions ou réserves, lesquelles auront spécialement de l'importance dans les questions de faute et de bonne ou mauvaise foi.
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(a) Pour notre part, nous ne regrettons pas l'absence au Japon des officiers dits " ministériels," au moins tels qu'ils sont institués en France avec achat et vente de leur office. Les notaires sont de création récente mais il n'est pas question d'autoriser les titulaires à présenter leur successeur; par conséquent, l'office ne sera pas vénal; c'est tout ce que nous désirons.
(b) Quoique la vente ne soit, en principe, parfaite que par le consentement des parties sur la chose et sur le prix (v. art. 661), cependant, la célérité des affaires, même civiles, a ses exigences, et l'on peut acheter un objet, dans un cas urgent, en se réservant d'en régler le prix amiablement avec le vendeur, ou en se référant soit au prix courant, soit au prix d'objets similaires déjà cédés entre les parties un tribunal pourra être appelé à vider une contestation à ce sujet; mais il abuserait des termes de la loi en décidant que la vente n'a pas été formée (v. T. III, n° 661).
Art. 1321. — 29. Les diverses évaluations à faire, dans les cas prévus par cet article et autres analogues, pourront souvent être faites par le tribunal lui-même, sans expertise, après avoir entendu les parties et pris connaissance des éléments desdites évaluations.
Cet article diffère du précédent en ce qu'il ne s'agit plus ici d'admettre ou de rejeter une demande au fond (elle est supposée admise), mais de déterminer le montant de la condamnation. Du reste, les moyens de conviction permis au juge dans ce cas sont les mêmes que les précédents.
Art. 1322. — 30. Dans le présent article, il n'est plus question de preuves à fournir, par le demandeur ou le défendeur, sur les faits de la cause qui sont reconnus de part et d'autre: il ne s'agit que d'y appliquer la loi. Les parties pourraient, à cet égard, s'en rapporter entièrement aux lumières du tribunal; mais elles peuvent prétendre chacune que la loi leur est favorable, ce qui revient à dire ou que chacune invoque en sa faveur une disposition différente de la loi, ou que l'une et l'autre attribue à la loi applicable au cas en litige une portée et un sens différents: c'est au tribunal à statuer sur le point de droit, suivant sa conviction.
Le texte nous dit qu'il ne tiendra pas compte seulement "des termes de la loi mais de son esprit," lequel lui est révélé par le but de la loi, par son origine, par son ensemble.
Le texte ajoute encore que si la loi est muette ou insuffisante, le juge y suppléera en décidant le litige par l'application " des principes généraux du droit positif, de l'équité et de la raison naturelle." Cette dernière disposition rappelle, dans une certaine mesure celle du Code civil français qui défend au juge de refuser de juger le sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi " (art. 4), et, en effet, la pire des situations serait celle où les parties ne pourraient obtenir une décision judiciaire.
Aujourd'hui, au Japon, alors que les nouvelles lois civiles et commerciales ne sont pas encore en vigueur, les juges se trouvent constamment en présence de cette difficulté résultant du silence ou de l'insuffisance des anciennes lois et coutumes, au sujet des questions nouvelles qu'il leur faut résoudre et il n'est pas possible de leur contester le pouvoir de décider les litiges d'après l'équité et la raison naturelle; c'est en même temps leur devoir. Sans doute, les nouveaux Codes les laisseront rarement dans le même embarras; mais personne ne peut prétendre ni espérer qu'il ne se représentera pas, et à la même difficulté il faut reconnaître le même secours: la seule différence c'est qu'avant de recourir à l'équité et à la raison pure, les juges devront d'abord s'aider " des principes généraux du droit positif " désormais bien plus considérable qu'auparavant.
SOMMAIRE.
Art. 1323. — N° 31. Cas où la visite des lieux est utile.
1324. -32. Sommation aux parties d'être présentes: leur absence n'empêche pas la validité de la visite.
1325. -33. Cumul de la visite des lieux et de l'expertise: distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 1323. — N° 31. S'il ne s'agissait pas d'immeubles ou d'objets mobiliers difficiles à déplacer, les cas prévus par cet article rentreraient dans l'examen des objets litigieux tel qu'il est prévu à l'article 1320. Mais ici, il faut évidemment que ce soit le tribunal ou l'un de ses juges qui se transporte sur les lieux où se trouve la chose objet ou occasion du litige.
Bien qu'en général les mesures de procédure civile ne puissent être ordonnées d'office, mais seulement sur la demande de l'une des parties, il en est autrement de la plupart des preuves, parce que le tribunal, une fois saisi de la demande, doit pouvoir recourir aux moyens qui lui paraissent de nature à former sa conviction. Ainsi, il peut d'office décider qu'il se transportera sur les lieux " où se trouvent les objets ou les éléments de décision du litige," et si le tribunal siège à plusieurs juges, il délègue à cet effet un de ses membres, appelé alors juge-commis ou juge-commissaire.
Art. 1324. — 32. Il est naturel que les parties soient sommées d'assister, en personne ou par mandataire, à la visite des lieux; car elles pourront avoir à présenter des observations au juge: notamment, à attirer son attention sur certains moyens de conviction de sa part.
Comme il dépend du juge de fixer le jour et l'heure de la visite, c'est par lui ou par son ordre que la sommation est donnée.
Le Code de Procédure aura à déterminer l'intervalle nécessaire entre la remise de la sommation et le jour de la visite.
Si les parties ou l'une d'elles ne se présentent pas, il n'en est pas moins procédé à la visite et elle ne sera pas reprise sur leur demande, tandis que s'il s'agissait d'un jugement par défaut, il tomberait devant une opposition.
Art. 1325. — 33. Le Code de Procédure français a deux séries de dispositions sur cette matière: à l'occasion de la procédure devant les juges de paix, il traite " de la visite des lieux contentieux " (art. 41 à 43) et, au sujet des tribunaux de première instance, Il des descentes sur les lieux" (art. 295 et s.). Au premier cas, il permet toujours au juge de paix de se faire assister d'un expert; au second cas, il exige pour cela la demande de l'une ou de l'autre des parties.
Quelle que soit la raison de cette différence, peu importante d'ailleurs, on ne croit pas devoir la proposer au Japon: la présence d'un expert sera souvent très utile au juge-commissaire pour se rendre exactement compte des faits en litige, pour en reconnaître les causes et les caractères et pour en apprécier les conséquences passées ou futures; il faut laisser au tribunal toute latidude à ce sujet.
Mais la loi fait une autre distinction que celle de la nature de la juridiction qui procède à la visite des lieux: si c'est le jugement même ordonnant la visite qui a nommé l'expert, il y a cumul des deux preuves et la Section suivante est applicable, en même temps que la nôtre; si, au contraire, l'expert est requis sur les lieux, il ne prête pas serment et ne fait pas de rapport: c'est le juge-commissaire qui relate son avis dans son propre rapport (1).
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(1) Cette Section et la suivante ne figurent pas au Code officiel: c'est au Code de Procédure civile que ces deux modes de preuve ont été renvoyés.
SOMMAIRE.
Art. 1326. — N° 34. Caractère de l'expertise; ses différences avec le témoignage. —-35. Désignation de l'objet de l'examen des experts; conséquences.
1327 -36. Nomination des experts; rôle du tiers expert.
1328. -37. Nécessité de la qualité de sujet japonais chez l'expert; exception.
1329. -38. Serment des experts. Observation sur le caractère religieux du serment en Europe, sur la proposition de le laïcise r. -39. Son caractère au Japon.
1330. -40. Présence ou convocation des parties à l'expertise.
1330 bis. -40 bis. Expertise en matière scientifique, technique ou artistique.
1331. -41. Droit du juge de se décider contrairement à l'expertise; droit de la faire recommencer, en tout ou en partie, par les mêmes experts ou par de nouveaux.
COMMENTAIRE.
Art. 1326. — N° 34. La preuve par experts paraît, ail premier abord, avoir de l'analogie avec la preuve testimoniale: il semble que les experts soient des personnes auxquelles la justice demande, à raison de leurs aptitudes spéciales, de témoigner sur des faits ou des causes dont la réalité ou l'inexistence leur seront révélées par un examen attentif.
Mais, il y aurait une méprise dans cette assimilation: plusieurs différences fondamentales séparent ces deux modes de preuve.
1° Dans le témoignage, le témoin doit avoir assisté aux faits dont il dépose: il a entendu des paroles portant aliénation, engagement ou libération, ou ayant rapport à des faits de cette nature; ou bien il a vu signer, remettre ou détruire des écrits dont la teneur lui était plus ou moins connue; -l'expert, au contraire, n'a pas assisté aux faits, lorsqu'ils se sont produits: il vient, après coup, en examiner les traies, les résultats apparents, les causes probables;
2° Le témoin n'a pas à exprimer son opinion sur ce qu'il a vu ou entendu, mais seulement à dire ce qu'il a vu ou entendu, ou ce qu'il a cru voir ou entendre; tout au plus, serait-il admis à faire connaître son impression, son sentiment intérieur résultant des faits qui ont frappé ses sens: par exemple, l'intention avec laquelle certaines choses lui ont paru faites ou dites; mais c'est encore témoigner de ce qu'il a vu ou entendu; -l'expert, au contraire, apprécie, au point de vue scientifique ou technique, les vestiges des faits accomplis; il n'aura pas à s'occuper de paroles prononcées: pour lui, il n'en reste rien (a); mais il interviendra dans les vérifications d'écritures ou de sceaux, dans l'appréciation des dommages aux biens, du prix de travaux, etc.;
3° Le témoignage n'est admis en général, que dans des matières de peu d'importance, et ce n'est que par exception qu'il est reçu dans de plus considérables; -l'expertise ne comporte pas de pareilles limites;
4° Les témoins sont rarement appelés par les parties pour être présents à leurs actes; ils connaissent les faits par hasard: autrement, les parties préféreraient rédiger un acte sous seing privé (nous ne parlons pas des témoins instrumentaires des actes authentiques, cas auquel la preuve résulte de l'acte authentique lui-même, c'est-à-dire du témoignage de l'officier public et non de celui des témoins inHtrumentaires);-les experts, au contraire, sont, toujours choisis et désignés nominativement, soit par les parties, soit par le tribunal;
5° Les témoins ne sont pas rétribués pour leur témoignage qui est un devoir civil: ils ont seulement droit à line indemnité de déplacement; --les experts sont rétribués pour le service rendu, parce que, d'un côté, ils ne le doivent pas, et, de l'autre, parce qu'ils ne remplissent pas un office d'amitié, mais accomplissent un mandat judiciaire.
Du moment que l'expertise ne peut être considérée comme un témoignage, il est naturel de la rattacher à l'expérience personnelle du juge qu'elle éclaire comme le feraient les explications des parties (le texte exprime cette idée); aussi chaque partie est-elle admise à présenter un expert à la nomination du tribunal, à moins qu'il n'en soit nommé qu'un seul ou que la loi n'exige qu'ils soient tous nommés par lui.
Le texte nous dit encore que le tribunal peut ordonner une expertise d'office, aussi bien que sur la demande de l'une ou de l'autre partie: il est naturel, en effet, si le tribunal reconnaît son inaptitude à apprécier certains faits, ou leur cause, ou leurs conséquences, qu'il puisse s'éclairer par l'expertise.
35. Il est naturel aussi que le jugement qui ordonne l'expertise détermine les faits soumis à l'examen des experts. Il n'y a pas à prévoir le cas où cette condition n'aurait pas été remplie: l'omission serait facile à réparer par un jugement ultérieur.
Ce qu'on peut prévoir c'est le cas où les experts auraient excédé leurs pouvoirs et celui où, au contraire, ils n'auraient pas rempli leur mandat en entier: au premier cas, l'expertise serait considérée, même d'office, comme non avenue, pour la partie excédant les pouvoirs des experts; au second cas, ceux-ci seraient requis de compléter leur examen et leur rapport.
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(a) Nous osons à peine énoncer cette proposition que, pour l'expert, les paroles ne laissent pas de vestiges appréciables, puisque les nouvelles applications de l'électricité vont jusqu'à enregistrer et conserver les paroles (phonographe) pour les reproduire et en permettre l'audition, à des intervalles plus ou moins longs après leur émission.
Art. 1327. — 36. Dans les affaires peu importantes ou, au moins, quand l'expertise doit porter sur des points secondaires du litige, un seul expert suffira; dans les autres, il sera préférable d'en nommer trois, plutôt que deux, de peur de partage.
Il est désirable que les experts soient présentés par les parties: cela disposera celles-ci à accepter sans réclamation les résultats de l'expertise. Si elles ne s'accordent pas pour nommer le tiers-expert, le tribunal le nommera seul. Généralement, le tiers-expert n'intervient que pour départager les deux premiers: il est alors laissé au pouvoir de ceux-ci de ne l'appeler qu'au moment où ils se verront divisés, quoiqu'il soit nommé d'avance.
Art. 1328. — 37. Le principe posé par le 1er alinéa de cet article est fondé sur ce que les experts participent indirectement au jugement, puisque leurs connaissances techniques viennent en quelque sorte en aide à l'insuffisance de celles du juge. On doit d'autant moins hésiter à exiger chez eux la qualité de " sujets japonais " que, s'il s'agissait de témoins instrumentaires (appelés à la rédaction d'un acte authentique), cette qualité serait requise.
Cependant une large exception est admise au principe: à savoir, lorsqu 'il s'agira de litiges exigeant l'examen de documents 011 de produits étrangers et lorsqu'en même temps il sera impossible de trouver dans la localité des sujets ayant les aptitudes nécessaires pour cette expertise; dans ce cas, le tribunal pourra nommer un ou plusieurs experts étrangers.
Le texte indique quelques formalités particulières à ce sujet; il suffit de s'y référer.
Au sujet de documents étrangers, l'expertise pourra consister soit dans la simple traduction, soit dans l'interprétation d'un texte contractuel ou même légal, soit enfin dans une vérification d'écriture.
Art. 1329. — 38. Il est naturel que les experts prêtent serment: ce n'est pas là une des différences qui les séparent des témoins, lesquels prêtent aussi un serment; seulement, tandis que ces derniers jurent " de dire la vérité et toute la vérité " (v. art. 1408), les experts jurent " de remplir leur mandat avec soin et fidélité."
Pour épargner aux experts un déplacement inutile' la loi admet qu'ils puissent prêter serment devant le tribunal du lieu dans lequel ils font l'expertise, aussi bien que devant le tribunal qui les nomme.
Le texte renvoie au Code de Procédure civile pour la forme solennelle du serment.
On sait qu'en Europe, le serment a un caractère religieux en même temps que civil: celui qui prête serment invoque Dieu comme témoin de sa sincérité. Toutefois, il n'y a que le serment des jurés en matière criminelle, et celui du chef du jury rapportant le verdict, dont la formule invoque la présence de Dieu (v. c. instr. crim. fr., art. 313 et 348): les autres serments, ceux des magistrats de l'ordre judiciaire, des avocats, des membres de l'Université, dits "serments professionnels " se font seulement en disant: " le jure de "ou en répondant: " le le jure, " après que la lecture de la formule du serment a été faite en forme interrogative 11 Vous jurez de par l'officier qui reçoit le serment. La Divinité n'y est pas formellement prise à témoin, mais jurer (iurare) a toujours été pris dans un sens d'affirmation religieuse.
Certains publicistes modernes (parmi lesquels nous désirons n'être pas compté) demandent la laïcisation du serment, comme ils ont obtenu celle de l'enseignement. N 011S admettons seulement que chacun puisse jurer selon son culte et sa foi: c'est le plus sûr moyen de donner au serment la plus haute garantie de sincérité; et lors même qu'on autoriserait ceux qui se déclareraient athées à prêter un serment purement laïc, " sur leur honneur et leur conscience," ce ne serait pas une raison pour dépouiller le serment des autres personnes du caractère sacramentel auquel il doit jusqu'à son nom, car "serment" est la traduction du latin sacramentum.
39. Au Japon, il est à notre connaissance que c'est par un motif de respect des choses religieuses mêmes que le serment, peu usité d'ailleurs autrefois, n'avait qu'un caractère civil (nous dirions laïc): on ne croyait pas convenable ni même permis de mêler aux questions d'intérêt privé l'idée de la Divinité, par quelque culte qu'on l'honorât, et nous comprenons très bien qu'on conserve cette tradition qui est loin d'être irréligieuse (b). Nous reviendrons sur cette question, au sujet du serment extrajudiciaire des parties, sous l'article 1374, et du serment des témoins (v. art. 1408).
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(b) C'est par ce respect de la tradition japonaise, religieuse par sa réserve même, que dans notre Projet de Code de Procédure criminelle, nous avons proposé pour les jurés et les témoins une formule laïque:" sur mon honneur et ma conscience, je jure..." et nous avons, sous ce rapport, assimilé aux témoins les experts et les interprètes (v. Projet, àrt. 172, 195, 211, 453, 504 et Comment., nos 301, 571, 632). Outre le serment oral, la personne qui jure signe ou appose son sceau sur la formule écrite qui lui a été lue.
Le Code officiel de Procédure criminelle n'a pas adopté le jury, mais il a maintenu le serment des témoins, des experts et des interprètes (v. art.157, 180 et 193); le texto n'en donne pas la formule, elle a été déterminée plus tard: on devra adopter la même formule en matière civile, pour les témoins, les experts, arbitres, et autres personnes auxquelles on aura à demander une promesse ou affirmation solennelle, écrite ou verbale.
Art. 1330. — 40. La convocation des parties pour être présentes à l'expertise est aussi nécessaire que s'il s'agissait de visites de lieux. Bien entendu, si elles ont manqué à venir, ayant été dûment appelées, l'expertise n'est pas recommencée; elle le serait, au contraire, si l'on avait omis de les appeler.
C'est encore au Code de Procédure que l'on trouvera les causes de récusation des experts et les formes de la rédaction et de la présentation de leur rapport.
Art. 1330 bis. -40 bis. En général, les experts ne sont appelés à se prononcer, comme on l'a dit en commençant, que sur des faits dont il leur est soumis des vestiges, des traces ou signes matériels. Il pourrait arriver cependant que les prétentions des parties reposassent sur des affirmations théoriques, d'ordre scientifique, technique ou artistique, et que le tribunal ne se reconnût pas la compétence nécessaire pour les décider -, dans ce cas, il pourrait encore recourir aux lumières de personnes compétentes en ces matières. Comme exemple de questions " techniques," nons citerons les questions générales ou spéciales d'agriculture, de commerce, de comptabilité, d'industrie, de métiers.
Art. 1331. — 41. La loi nous dira généralement, sur chaque preuve, quelle est sa force pour donner au juge la conviction. Ici l'expertise ressemble aux témoignages privés qui, lors même qu'ils seraient unanimes, ne peuvent lier le juge.
Il est clair que, quelque influence que puisse naturellement avoir l'opinion des experts sur la conviction du juge, elle ne peut la lui imposer, autrement ce seraient eux qui deviendraient les véritables juges du litige: ils seraient comme des arbitres.
Le tribunal, s'il trouve que l'expertise a été mal faite et qu'elle pouvait donner des résultats plus satisfaisants ou plus complets, peut ordonner une nouvelle expertise, pour tout ou partie des points déjà soumis aux experts. Il ne nommera pas nécessairement de nouveaux experts:quand il n'aura pas lieu de, douter de leur capacité ou de leur impartialité, et qu'il trouvera seulement qu'ils n'ont pas suffisamment examiné certains points importants, il suffira qu'il leur ordonne un nouvel examen de ces points.
S'il y a lieu de nommer de nouveaux experts, les parties ne sont plus admises à les proposer: il y aurait à craindre, plus encore que précédemment, que l'expert de chaque partie ne fût en désaccord avec celui de l'autre et que l'expertise ne dépendît du tiers expert seul.
Dans tous les cas, le rapport des experts est mentionné dans le jugement pour qu'il soit évident que le tribunal en a pris connaissance.
SOMMAIRE.
Art. 1332. — N° 42. Sens vulgaire et étroit, sens juridique et large du mot "témoignage: " l'aveu écrit, verbal et tacite, la prestation et le refus de serment, sont des témoignages; renvoi pour la distinction des preuves en " directes et indirectes."
COMMENTAIRE.
Art. 1332. — N° 42. Généralement, soit dans le langage ordinaire, soit dans celui du droit, on donne au mot " témoignage" le sens d'une déclaration faite par une personne au sujet de faits où elle n'est pas intéressée; dans ce sens, l'acte authentique est un témoignage émané d'u n officier public; plus naturellement encore, les déclarations faites par des particuliers, en justice, dans la cause de tierces personnes, sont des témoignages. Mais lorsque l'on groupe les diverses sortes de preuves, d'après des caractères communs, de façon à en simplifier la nomenclature, on fait rentrer encore dans le témoignage l'aveu, et la prestation de serment. C'est ce que fait notre article.
L'aveu, en effet, est un témoignage que l'on porte contre soi-même; la prestation de serment est un témoignage que l'on porte pour soi-même.
L'aveu est écrit, verbal, ou tacite: il est écrit dans l'acte sous seing privé; il est verbal quand il est exprimé par paroles, en justice ou hors de la justice; il est Incite quand on refuse de jurer en sa propre faveur.
Le serment pourrait être prêté en justice ou hors de la justice; c'est ainsi qu'on a en France et dans beaucoup d'autres pays d'Occident un aveu judiciaire, décisoire ou supplétoire; mais le Projet japonais n'admet que le serment extrajudiciaire; on en donnera la raison en expliquant la Section nf, ci-après.
On a donc cinq preuves réunies sous le nom et avec le caractère de Il témoignage de l'homme."
La loi donne aussi au témoignage le nom de " preuve directe; " ces mots ont pour but de faire opposition aux précomptions qui sont appelées " preuves indirectes" (v. art. 1318-3° et 1411 et suiv.). C'est en expliquant l'article 1411, par lequel s'ouvre la matière des présomptions, que nous justifierons l'emploi de ces deux qua1ifications.
SOMMAIRE.
Art. 1333. -N° 43. Division des écritures privées en signées et non signées.
COMMENTAIRE.
Art. 1333. — N° 43. Cet article n'a d'autre but que d'introduire une division en deux sortes d'écritures, les unes portant la signature ou le sceau d'un particulier, les autres émanant de lui (on suppose cela non contesté, ou prouvé), mais sans son sceau, ni sa signature. On conçoit que la force probante des premières soit plus forte que celle des autres.
Elles ont cela de commun que, ni dans l'une ni dans l'autre, il n'y a intervention d'un officier public.
SOMMAIRE.
Art. 1334. — N° 44. Désuétude en France du sceau privé: on peut la regretter. -45. Son usage conservé au Japon, dans les mœurs et dans le Projet. -46. Caractère d'aveu de l'écriture sous seing privé. —-47. Caractère semblable des lettres missives.
1335. -48. Demande en reconnaissance d'écriture avant l'échéance: sa justification. —49. Nécessité d'une reconnaissance ou d'une dénégation formelle. - 50. Sanction de cette obligation, avertissement donné au défendeur; pouvoir du tribunal. - 51. Comparaison du Projet avec le Code de Procédure civile français.
1336. -52. Danger d'une apposition frauduleuse du sceau véritable. -53. Difficulté de la preuve: elle incombe au défendeur. -54. Disposition semblable au sujet des vices de consentement aHégués. —55. Pourquoi la loi n'a pas parlé ici de l'incapacité du signataire.
1337. 56. Motif de la double faveur accordée aux héritiers et ayant-cause, au sujet de l'obligation de reconnaître ou de dénier la signature ou le sceau de leur auteur.
1338. -57. Exceptions au sujet de l'abus de blanc seing et de la contrefaçon. -58. Protection des tiers de bonne foi, au cas seul d'abus de blanc-seing.
1339. -59. Témoignage de ceux qui ont contre-signé ou contre-scellé l'acte.
1340. -60. Renvoi au futur Code de Procédure civile.
1341 et 1342. -61. Rappel du motif qui fait prescrire les doubles originaux: deux restrictions à ce sujet. -62. Critiques de quelques nouveaux Codes européens qui rejettent la théorie des doubles. -63. Observation critique sur certaines innovations des législations modernes. -64. Retour au Projet: admission du dépôt d'un original unique aux mains d'un tiers. -65. Sanction de l'inobservation de la loi; pourquoi l'acte non fait double ne vaut pas commencement de preuve par écrit -66. Réfutation de l'idée que l'acte non fait double est resté à l'état de projet. -67. Véritable caractère de la nécessité du double: c'est une condition suspensive tacite de la formation du contrat. -68. L'exécution, volontaire ou légalement forcée, est la seule preuve contraire admise: elle vaut renonciation à la fin de non-recevoir.
1343 à 1346. -69. Condition à remplir pour les promesses unilatérales de sommes ou quantités. -70. Différences entre le corps de l'acte et le bon ou approuvé. -71. Validité de l'acte irrégulier, comme commencement de preuve par écrit: limite de la preuve testimoniale aux sommes énoncées. -72. Effet limité de l'exécution partielle. —73. Exception relative aux commerçants. -74. Pourquoi le Projet ne l'étend pas aux cultivateurs et autres classes illéttrées.
1347. -75. F orce probante de l'acte sous seing privé COIlsidéré comme aveu écrit: distinction. -76. Dispositif de l'acte. - 77. Enonciations ayant un rapport direct avec le dispositif. —-78. Enonciations étrangères au dispositif. - 79. Renvoi pour l'indivisibilité de l'aveu.
1348. -80. Effet d'une plainte en faux ou en abus de blancseing: distinction. -81 et 82. Cas où il y a une instruction ouverte. —-83. Cas où il n'y en a pas.
1349. -84. Différence de rédaction entre cet article et l'article 1328 du Code français. -85. Comment on distingue les tiers des ayant-cause; renvoi pour le cas où aucun acte n'a date certaine. -85 bis. Distinction au sujet des actes compatibles et incompatibles; exclusion des actes donnant lieu à transcription ou inscription; exemples de fraudes à la faveur de l'antidate. -85 ter. Rejet par le Code officiel de la théorie du Projet; réponse aux trois objections; défense de l'enregistrement.
1350. -86. Trois moyens par lesquels les actes acquièrent légalement date certaine. -87. Pourquoi ces moyens sont limitatifs.
1351. -88. Règlement de la préférence, lorsque deux actes acquièrent en même temps date certaine. -89. Cas d'un acte mentionné dans un autre. -90. Cas de décès, d'absence, et d'enregistrements simultanés dans des bureaux différents. -91. Cas où aucun des actes n'a date certaine. -92. Déchéance de l'intéressé qui avoue avoir connu, en traitant, l'existence d'un acte antérieur n'ayant pas date certaine.
1352. -93. Exception en faveur des quittauces ou décharges, -94. Idem en faveur des causes de compensation. - 95. Idem en faveur des actes de commerce.
COMMENTAIRE.
Art. 1334. — N° 44. L'expression acte sous seing privé, prise à la lettre, se trouve plus exacte au Japon qu'en France, aujourd'hui, car le seing, à proprement parler (signurn), est le sceau, dont on use encore au Japon, universellement presque obligatoirement, tandis qu'en France il est tombé en désuétude pour les particuliers et n'est plus usité que de la part du chef de l'Etat, des grands corps constitués et des administrations ou offices publics.
Il n'est pas douteux qu'en France, pour les particuliers, l'usage originaire d'un sceau est provenu de l'ignorance générale de l'écriture; les nobles même affectaient de ne pas savoir écrire, comme si ce talent ne convenait qu'aux marchands, et ils scellaient leurs actes d'une empreinte portant leurs armoiries. La vulgarisation de l'écriture qui permet, presque au plus ignorant, de signer au moins son nom, a fait tomber le sceau privé en désuétude.
On peut le regretter, pour deux raisons: d'abord parce qu'il y a encore; exceptionnellement, des personnes qui ne savent pas même signer leur nom, et un plus grand nombre qui, par suite de l'âge ou d'infirmités, ne pouvant écrire leur nom au bas d'un acte rédigé par un tiers, en leur nom, sont obligées de requérir l'office lent et coûteux d'un notaire; ensuite, parce que le sceau ajouté à la signature écrite serait une garantie complémentaire contre les falsifications d'écritures. j
45. Au Japon, si l'origine du sceau privé a été la même qu'en Europe, on ne peut nier que la vulgarisation de l'écriture permettrait, depuis bien longtemps, de renoncer à l'usage du sceau privé. Mais nous ne regrettons pas la persistance de son emploi, précisément pour les causes qui nous font regretter son complet abandon en France.
En cet état de choses, le Projet se garde de proposer l'abolition de l'usage du sceau ou cachet (a.) et même de l'affaiblir en le passant sous silence: on le place formellement ici sur la même ligne que la signature écrite et on le mentionnera constamment à coté d'elle; aussi pourra-t-on, avec plus de raison qu'en France, parler de l'acte sous seing privé, autant et plus que de l'acte sous signature privée, et cette expression s'appliquera aussi bien à l'une des formes qu'à l'autre, et encore mieux à leur réunion, lorsqu'elle est désirable.
46. Notre premier article, en même temps qu'il proclame cette égalité de valeur du sceau et de la signature, détermine aussi le caractère juridique, comme preuve, de l'écriture sous seing privé: " lorsqu'elle porte la déclaration ou reconnaissance d'un fait défavorable au signataire, elle constitue, de la part de celui-ci, un aveu ou témoignage extrajudiciaire contre lui-même." Cette idée a déjà été énoncée plus haut (n° 23) et il n'est pas nécessaire d'y insister.
On verra, à l'article 1363, que l'aveu judiciaire a une force invincible; on en pourrait dire autant de l'aveu écrit et signé, si la signature elle-même n'était pas souvent sujette à contestation, à la différence de l'aveu verbal fait en justice qui est immédiatement recueilli et constaté par le tribunal; mais quand la signature et le sceau sont euxmêmes avoués et reconnus en justice, les deux aveux, ayant alors la même nature, ont aussi la même force, au moins entre les parties et leurs ayant-cause généraux (v. art. 1347).
A l'égard de leurs ayant-cause particuliers, une distinction sera faite par l'article 1349.
47. Le texte reconnaît aux lettres missives " la même force probante qu'aux actes dressés en forme," sous les mêmes conditions d'être signées ou scellées et de porter des déclarations défavorables au signataire. Si le texte s'en explique, c'est que certains jurisconsultes ont une tendance à reconnaître moins de force aux lettres missives qu'aux actes en forme. Mais cette doctrine est fausse: ce n'est pas la forme qu'il faut considérer mais le fond, et les particuliers ne feront pas plus légèrement des reconnaissances à eux défavorables en une forme qu'en l'autre; il arrive souvent que, par politesse, un créancier se borne à demander une simple lettre comme accusé de réception d'un prêt, ou un débiteur comme reçu d'un payement, et, assurément, l'auteur de la lettre ne serait pas recevable A dire qu'il n'a pas reçu la somme qui s'y trouve portée et qu'il a fait une pareille déclaration par inadvertance.
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(a) Le texte porte, une fois ou deux, les mots " sceau ou cachet:" l'expression cachet est plus usitée que celle de sceau pour traduire le mot japonais ditsu-in, mais celle de sceau étant plus relevée et surtout plus juridique, on l'emploie de préférence.
Notons aussi qu'au Japon, outre le cachet d'affaires ou d'actes (ditsuin), on use aussi d'un cachet familier mitomé-in pour les choses courantes,telles que lettres, notes, reçus d'objets ou sommes minimes.
Art. 1335. — 48. Cet article est une application importante du principe posé à l'article 1316 auquel il se réfère: à cette occasion, on a justifié (n° 21) la permission générale de faire constater l'existence d'une preuve avant l'exigibilité du droit.
Le Code français n'a pas admis ce principe général, mais, par exception, il n'a pas aboli et même il a permis, ce qu'une longue tradition avait autorisé, de demander la reconnaissance d'écriture sous seing privé avant l'échéance de la dette ou l'exigibilité du droit constaté dans l'acte.
Il s'était même, à cet égard, introduit un grave abus: le créancier qui obtenait ainsi en justice la reconnaissance d'écriture par anticipation acquérait immédiatement une hypothèque judiciaire générale (v. art. 2123, 5e al.) dont il pouvait prendre inscription de suite, au grand dommage du crédit du débiteur, lequel n'avait pas donné d'hypothèque conventionnelle et l'aurait sans doute refusée si elle lui avait été demandée. Cet abus fut corrigé par une loi spéciale du 3 septembre 1807 qui, tout en maintenant le droit de demander en justice la reconnaissance d'écriture à toute époque, a défendu de prendre inscription de l'hypothèque judiciaire avant l'échéance.
Au Japon, une pareille disposition n'aurait pas d'objet, puisque l'hypothèque judiciaire n'est pas admise dans le Projet.
Quant à l'utilité d'une demande en reconnaissance d'écriture avant l'échéance, elle est la même que celle qui subsiste encore en France après la loi précitée; si elle est moins considérable que celle de demander une enquête à futur (v. n° 21), parce que les écrits sont moins fragiles que la vie des témoins, elle est cependant encore sérieuse: le signataire aussi peut mourir et ses héritiers auront plus de facilité pour contester l'écriture ou le sceau de leur auteur que celui-ci n'en aurait eu pour contester la sienne (v. art. 1337). Il y a encore intérêt pour demander la reconnaissance avant l'échéance, lorsque le bénéficiaire de l'acte a lieu de craindre une contestation du sceau ou de l'écriture: mieux vaut alors pour lui être fixé le plus tôt possible sur la valeur de son titre; il pourra aussi le céder avec plus de facilité et sans s'exposer à des recours.
Il va sans dire que si la reconnaissance d'écriture peut être demandée avant que le litige soit engagé au fond, elle peut l'être au moment même où le litige commence et elle en sera alors le préliminaire naturel et nécessaire: le texte, en disant " même avant tout litige," implique que la même demande peut, à plus forte raison, être faite avec celle du fond; mais, dans ce cas, la double condition de l'article 1316 n'a plus à être observée.
En France la double condition d'un intérêt et du danger de perte de la preuve n'est pas imposée par la loi pour la demande anticipée de la reconnaissance d'écriture (1).
49. Lorsque le prétendu signataire d'un acte est requis de le reconnaître, la loi ne lui permet pas de répondre d'une façon vague, comme de dire, par exemple, qu'il n'est pas sûr que l'acte soit de lui ou ne soit pas de lui il doit CC le reconnaître ou le dénier formellement; " en effet, outre qu'il est, mieux que personne, en état de savoir si l'écriture ou le sceau placés sous ses yeux sont les siens, il doit aussi, par la mémoire, savoir s'il a signé un acte de la nature dont il s'agit.
Le texte veut que le défendeur à la demande en reconnaissance se prononce, tout à la fois, sur trois choses: l'écriture qui est le corps de l'acte, la signature qui est le nom écrit, et le sceau ou cachet qui est l'empreinte apposée à coté du nom. Les deux derniers points sont les plus importants, car l'écriture du corps de l'acte peut être valablement d'une main étrangère; toutefois, comme dans ce cas, il peut falloir que le signataire ait au moins approuvé l'écriture (v. art. 1343), il est bon qu'il soit requis de s'expliquer sur le corps de l'acte.
La loi admet que la reconnaissance ou la dénégation peut porter, tout à la fois, sur les trois objets dont il s'agit (écriture, signature, sceau), ou sur l'un ou l'autre séparément: cela est nécessaire pour savoir sur quels points devra porter la procédure de vérification.
50. La sanction de cette obligation, pour le défendeur, de reconnaître ou nier formellement sa participation à l'acte par l'un des trois moyens désignés, est que, faute de la nier formellement, il pourra être considéré comme l'ayant reconnue; s'il n'a nié que pour deux modes de participation ou pour un seul, la reconnaissance pourra être tenue -pour faite à l'égard de l'autre ou des deux autres.
Mais il ne faudrait pas qu'une si rigoureuse sanction atteignît le défendeur à son insu et contre ses prévisions; c'est pourquoi la loi veut que le tribunal l'avertisse de cette sanction, afin qu'avant de l'encourir il puisse l'éviter par une 'dénégation formelle, sauf à s'exposer aux frais de la procédure de vérification, s'il vient à y succomber.
Du reste, on voit, par l'emploi du mot Il peut," que ce n'est pas d'une façon absolue et nécessairement que l'acte sera tenu poM?' reconnu: la décision est laissée à l'appréciation du tribunal; car il pourrait arriver que le défendeur eût de sérieuses raisons de douter autant de la réalité que de la fausseté de la signature ou du sceau qui lui sont opposés, de sorte qu'il se trouverait à la fois empêché et de les reconnaître par intérêt légitime et de les dénier par délicatesse et surtout par dignité, craignant d'être soupçonné de mauvaise foi, si la vérification lui donnait tort. Dans ce cas, le tribunal ordonnera la vérification.
51. Ce point spécial n'a pas été réglé par la loi française: le Code civil (art. 1322) parle bien d'un "acte reconnu ou légalement tenu pour reconnu," mais il ne dit pas si c'est par l'ordre ou seulement par l'autorisation de la loi qu'il a été tenu pour reconnu. D'un autre côté, le Code de Procédure civile a deux dispositions sur ce point, mais aucune ne vise exactement le cas particulier qui nous occupe: la première suppose que ” le défendeur, assigné en reconnaissance d'écriture, ne comparaît pas," dans ce cas, "il est donné défaut et l'acte est tenu pour reconnu " (c. pr. civ., art. 194); ceci est impératif; mais comme la décision est prise par défaut, elle est susceptible d'une opposition, sur laquelle le défendeur pourra se prononcer dans un sens ou dans l'autre; la seconde suppose que le défendeur a d'abord nié l'écriture, mais qu'assigné ensuite " pour convenir de pièces de comparaison," comme préliminaire de l'expertise en vérification, il a fait défaut; ici la loi est moins rigoureuse: "le juge pour ?-a tenir la pièce pour reconnue," et cependant ce jugement est également C, susceptible d'opposition" (art. 199). En effet, ici le défendeur est dans une position moins défavorable que la première: il a déjà dénié formellement l'écriture.
Mais aucun de ces cas n'est celui qui nous occupe et le futur Code de Procédure civile japonais pourra les régler de la même manière, sans que cela doive influer sur notre question qui est celle-ci: comment le tribunal statuera-t-il à l'égard du défendeur qui, comparaissant sur l'assignation en reconnaissance d'écriture, ne fera ni une reconnaissance ni une dénégation formelle? C'est pour ce cas que le texte nous dit que " le tribunal ■pourra déclarer que l'acte est tenu pour reconnu à l'égard des points qui n'en sont pas formellement déniés."
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(1) L'ancien texte de notre article 1335 ne l'imposait pas non plus; mais nous n'hésitons pas à l'exprimer ici, pour mettre cet article en harmonie avec l'article 1316.
Le Code officiel (art. 15 de ce Livre), quoiqu'il n'exprime pas la double condition de son article 3, pourra être considéré comme s'y référant implicitement.
Art. 1336. — 52. Une des raisons qui doivent faire attacher moins de force probante au sceau apposé sur un acte qu'à la signature écrite au bas dudit acte, c'est que, lors même que le sceau est bien celui de la personne contre laquelle on l'invoque, il est possible que l'apposition n'ait pas été faite par elle, et, en fait, de pareilles allégations sont souvent produites devant les tribunaux: quelque soin que les particuliers mettent à la garde de leur cachet, ils ne peuvent toujours échapper à la perte, au vol, ou à des surprises permettant d'en faire un usage frauduleux (b).
Il a donc fallu admettre que le défendeur pût, tout en reconnaissant l'identité de son sceau, nier que l'apposition en eût été faite par lui-même ou avec son autorisation et la loi veut que cette réserve soit faite avant que le tribunal ait donné acte au demandeur de la reconnaissance du sceau,
53. La loi tranche, à cette occasion, une question de preuve incidente qui aurait pu faire grande difficulté: on semble se trouver en présence d'une négation indéfinie, de celle dont la preuve est tellement difficile que souvent on la dit impossible (v. nos 9 et 10).
Sans doute, il pourra être très difficile au défendeur de prouver cette négation; mais d'abord il faut reconnaître que la présomption de fait est que le sceau est resté aux mains de son propriétaire et que lui seul en a fait l'apposition ou, au moins, l'a autorisée: la perte, le vol, la fraude ne se présument pas, c'est à celui qui les invoque à les prouver; il serait inutile au demandeur d'avoir un acte revêtu du sceau, s'il lui fallait encore prouver directement que ce sceau a été légalement apposé; ce serait par témoins, évidemment, qu'il aurait à faire cette preuve: dès lors, autant vaudrait admettre, plus simplement, la preuve par témoins du fait même relaté dans l'acte.
Il ne faut pas dire d'ailleurs que le défendeur aurait ici à prouver une négation indéfinie: s'il n'a pas apposé lui-même son sceau ni autorisé son apposition, c'est qu'un au tre s'en est emparé indûment pendant un certain temps; il y a là un fait positif qui n'est pas impossible à prouver, et la loi, tenant compte de la difficulté, en autorise tous les moyens possibles de preuve, ce qui comprend même les présomptions de fait, laissées à la prudence du tribunal (v. art. 1425).
54. Une semblable disposition est établie pour le cas où le défendeur, tout en reconnaissant que la signature ou le sceau ont été apposés par lui, pourrait alléguer qu'il n'a agi que sous l'influence de la violence, de l'erreur ou du dol: il devrait aussi faire ses réserves au moment de la reconnaissance, au moins si la violence avait cessé, ou si l'erreur ou le dol étaient déjà découverts par lui.
Ici, la loi ne croit pas devoir exprimer que la preuve du vice de consentement serait à la charge du défendeur: il y a déjà un article disant que ” l'erreur, le dol, la violence ne se présument pas el doivent être prouvés par celui qui les invoque" (art. 339).
55. La loi ne dit pas que celui qui voudrait se prévaloir de son incapacité, pour infirmer sa signature ou l'apposition de son sceau, devrait également réserver cette exception au moment de la reconnaissance.
C'est avec raison qu'elle ne fait pas cette assimila tion: l'incapacité, à la différence des surprises prévues au 1er alinéa et des vices de consentement prévus au 2°, n'est pas un fait accidentel, dont la trace est fugitive equ'on puisse invoquer témérairement pour sortir d'embarras: l'incapacité est un état légal, plus ou moins prolongé, d'une durée constatée, comme la minorité, l'interdiction, le mariage d'une femme; on ne les allègue pas témérairement, puisque le simple rapprochement des dates suffirait à démontrer le mal fondé de l'exception.
Il sera donc permis à celui qui a reconnu son écriture ou son sceau, sans réserver l'exception d'incapacité, de la produire encore pendant l'instance sur le fond.
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(b) On porte assez souvent le cachet en bague ou attaché à la chaîne de la montre: cette précaution diminue les dangers de perte, vol ou surprises, mais elle ne les supprime pas entièrement.
Art. 1337. — 56. En général, la veuve, les héritiers ou ayant cause n'ont pas plus de droits que celui qu'ils représentent: cela est naturel; ici, s'ils n'ont pas plus de droits, ils ont une obligation moins rigoureuse sous deux rapports:
1° Ils ne sont pas placés entre ces deux nécessités de reconnaître la signature ou le sceau, ou de les dénier formellement: ils peuvent simplement "déclarer, soit leur ignorance générale de la signature ou du sceau de leur auteur, soit leur incertitude sur l'identité de ces signes ou sur la réalité de leur emploi dans le cas présent; "
En effet, les héritiers ou ayant cause peuvent avoir peu connu leur auteur, n'avoir pas eu occasion de voir souvent sa signature ou son sceau, et il pourrait être aussi difficile et dangereux pour eux de les reconnaître que de les dénier. Le Code français s'est exprimé d'une façon équivoque: il dit que les héritiers "peuvent se contenter de déclarer qu'ils ne connaissent pas la signature de leur auteur" (art. 1323, 2° al.); d'où il suit que s'ils la connaissent, en général, ils sembleraient privés du droit de déclarer qu'ils ne la reconnaissent pas dans le cas présent. Cette solution serait si peu satisfaisante que nous hésitons à la croire exacte. Les auteurs ont négligé cette distinction.
2° Ils ne sont pas tenus, même quand ils reconnaissent la signature ou le sceau comme étant celui de leur auteur, de faire immédiatement des protestations ou réserves au sujet de l'illégalité de l'apposition par un tiers ou des vices dont le consentement de leur auteur aurait été entaché: ce sont là des faits qu'ils peuvent ignorer longtemps, que peut-être même ils ne découvriront jamais, il faut donc les admettre à les prouver jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au jugement du fond.
Art. 1338. — 57. Il s'agit encore ici de la persistance du droit de contester la signature ou le sceau, après une reconnaissance faite sans réserves, et ce droit appartient " au défendeur," quel qu'il soit, c'est-à-dire non seulement au prétendu signataire, mais à sa veuve, à son héritier ou ayant cause. Les deux cas prévus, en effet, réclament une protection spéciale contre l'erreur, parce qu'elle est supposée provenir (l'une fraude, ayant même le caractère d'un délit: l'abus de blanc seing ou la contrefaçon de la signature ou du sceau.
L'abus de blanc seing suppose que le défendeur ou son auteur avait remis à un tiers sa signature ou son sceau, ou tous, deux réunis, sur une feuille blanche, destinée à recevoir quelque disposition déterminée et que, soit le mandataire infidèle, soit un autre qui lui aurait soustrait le blanc seing, l'a rempli à son profit, contrairement à sa destination. Evidemment, dans ce cas, le défendeur n'a pu nier la signature ou le sceau, puisqu'ils sont les siens; il n'a même pas pu toujours faire immédiatement des réserves à ce sujet, soit parce qu'il n'a pas reconnu d'abord le blanc seing qu'il avait donné, soit parce qu'il lui a paru grave de porter ainsi contre son mandataire une accusation d'infidélité.
Dans le cas où la signature ou le sceau auraient été contrefaits, le défendeur peut avoir été trompé d'abord; il a donc fait une reconnaissance sans réserves ou, s'il a eu des soupçons, il peut avoir eu aussi des scrupules à les exprimer, se proposant d'éclaircir ses doutes avant le jugement du fond (bb).
La double exception est donc motivée.
58. Une différence est faite toutefois, par le second alinéa, au sujet du blanc seing: elle est en faveur des u tiers qui ont traité de bonne foi à raison du titre, le sachant reconnu sans réserves." Ces tiers seraient des cessionnaires de la créance, des subrogés, des créanciers saisissants.
L'exception est fondée sur ce que le signataire (véritable, dans ce cas) n'est pas exempt de faute, tant en confiant sa signature et son sceau, sur une feuille blanche, à un mandataire capable d'infidélité ou de négligence dans la garde, qu'en ne reconnaissant pas immédiatement que le corps de l'acte ne répond pas au mandat qu'il avait donné pour remplir le blanc seing.
Comme on ne peut faire aucun de ces reproches à celui dont la signature ou le sceau ont été contrefaits, l'exception ne s'étend pas à ce cas et les tiers de bonne foi seraient privés du droit sur lequel ils ont compté: le prétendu signataire est aussi intéressant qu'eux.
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(bb) Si même l'abus de blanc seing n'était découvert qu'après le jugement irrévocable du fond, ce jugement pourrait encore être attaqué par la requête civile, en assimilant ici l'abus de blanc seing au faux (v. c. pr. civ. fr., art. 480-9°).
Art. 1339. — 59. C'est un usage assez fréquent que de faire contre-signer ou contre-sceller les actes privés par des tiers qui certifient ainsi la sincérité de la signature ou du sceau principal et la régularité de son apposition; quand il y a des co-débiteurs ou des cautions, leur sceau a bien pour but de les engager eux-mêmes, mais il a aussi pour effet de garantir la sincérité du sceau principal. En pareils cas, rien n'est plus naturel ni plus utile que d'appeler ces personnes à la vérification d'écriture ou de sceau, s'il est possible, et l'on peut croire que, dans ces mêmes cas, il y aura rarement allégation d'une apposition illégale ou frauduleuse du sceau.
Art. 1340. — 60. La demande en vérification d'écriture présente deux phases qui touchent chacune à la procédure et dont le règlement appartient nécessairement au Code de Procédure civile auquel notre article renvoie.
A la première se rattachent les formes de la citation, les délais pour comparaître et les cas dans lesquels le défaut de comparution pourra être considéré comme une reconnaissance tacite de l'écriture, sauf opposition.
La seconde suppose que la vérification même est devenue nécessaire par la dénégation du défendeur ou par le simple défaut de reconnaissance, lorsqu'il n'est que l'ayant-cause du prétendu signataire; alors il y a une procédure assez compliquée: il faut nommer des experts, convenir de pièces de comparaison, appeler des témoins dans certains cas, sommer le défendeur d'être présent à ces divers actes, etc.
Le Code de Procédure civile français est assez complet à cet égard (v. art. 193 à 213): on aurait pu lui emprunter beaucoup pour le Code de Procédure japonais.
Art. 1341 et 1342. -61. La loi arrive à une théorie très importante qui donne un grand intérêt à la distinction des contrats en bilatéraux ou synallagmatiques et unilatéraux. On l'a déjà signalée sous l'article 318 (T. II, nos 22 et 23); mais c'est ici seulement qu'elle est consacrée par le texte, puisqu'elle a trait à la preuve des contrats. La justification et les développements déjà donnés à ce sujet permettent de n'en plus faire ici qu'un résumé.
Toutefois, on a introduit en cette matière une importante disposition qui manque au Code français et faute de laquelle une grande controverse semblerait devoir s'étendre au Japon, si la loi ne songeait à la prévenir.
Quand les parties dressent un acte écrit sous seing privé pour constater un contrat synallagmatique, c'est, évidemment, parce que la preuve testimoniale, ou est interdite à cause de l'importance de l'intérêt engagé (v. art. 1399), ou leur paraît dangereuse, fugitive, incertaine. Dès lors, la loi veut que chacune d'elles ait le moyen de fournir la preuve écrite de son droit; s'il n'était dressé qu'un original, la partie qui le détiendrait serait maîtresse de la situation: elle pourrait ou produire l'acte ou ne pas le produire, suivant son intérêt; l'autre serait ainsi à sa discrétion. On dressera donc autant d'originaux, non pas qu'il y a de parties contractantes, mais qu'il y a de " parties principales ayant des intérêts opposés."
Remarquons, à ce sujet qu'il y a là deux restrictions à la nécessité des doubles. La loi, en effet, ne parle que des parties " principales;" on ne tiendra donc pas compte des cautions, à cet égard. La loi veut aussi des intérêts " opposés," et non pas seulement des intérêts " distincts," comme dit le Code français (art. 1325) (c); si donc on suppose plusieurs co-vendeurs ou plusieurs co-acheteurs, il ne sera pas fait plusieurs originaux pour les vendeurs ou pour les acheteurs, mais un seul pour tous ceux qui ont la même qualité: leurs intérêts sont distincts pourtant, puisqu'ils ne sont pas identiques; mais ils ne sont pas opposés, puisqu'ils ne sont pas contraires les uns aux autres: ils s'aideront d'un titre commun.
62. Le Code italien et le Code hollandais n'ont pas conservé la nécessité des doubles; cette tendance des nouveaux Codes nous paraît regrettable et le motif qu'on en donne est loin de nous convaincre.
On dit que c'est aux parties à pourvoir elles-mêmes à leur sécurité.
S'il s'agissait de donner à l'une d'elles un avantage sur l'autre, nous admettrions bien que la loi n'y intervint pas; mais il s'agit, au contraire, de leur donner des avantages égaux, de prévenir un dommage pour la partie la moins expérimentée, et cela, dans la matière des contrats bilatéraux qui, par leur nature même, donnent aux parties des droits considérés, sinon comme semblables au moins comme égaux, et où l'égalité est l'équité même. Le rôle de la loi, en matière civile, n'est-il pas précisément d'assurer aux parties la plus parfaite équité dans l'exercice de leurs droits ? Pourquoi la loi civile règle-t-elle en détails tous les contrats les plus usuels, au lieu d'en laisser le soin aux parties ? N'est-ce pas pour suppléer à l'inexpérience de l'une ou de l'autre ou même de toutes deux? Car rien n'est rare comme de voir des particuliers rédiger un contrat clairement et avec les prévisions nécessaires, lorsqu'ils ne sont ni légistes, ni gens d'affaires ou de négoce.
On est encore loin, en Europe autant qu'au Japon, du temps où les notions du droit seront assez vulgarisées pour que chacun puisse pourvoir lui-même au règlement de tous ses intérêts civils, comme on pourvoit à la conservation et à l'entretien de sa santé et de ses intérêts sociaux.
Si la loi se désintéresse de la protection des intérêts civils avant que chacun puisse y pourvoir lui-même par l'effet de l'éducation ordinaire, les particuliers seront assujettis à recourir constamment à l'office intéressé des hommes d'affaires, et comme elles n'auront pas toujours cette coûteuse précaution, il arrivera souvent que l'une sera victime du dol ou de l'habileté de l'autre.
Spécialement, dans le cas qui nous occupe, si la loi ne prescrit pas la rédaction d'un double original, il pourra arriver que celle des parties qui seule possédera un titre, regrettant son engagement, préférera ne pas faire valoir le droit corrélatif qui lui appartient, et l'autre ne pourra faire valoir le sien en offrant d'exécuter son obligation.
Et s'il était certain pourtant qu'un acte a été rédigé et qu'il est resté aux mains de celui qui n'en veut pas user, pourrait-on le contraindre à le produire ? Ce serait une disposition bien autrement grave que d'exiger législativement la rédaction d'un double original: ce serait renverser un principe de raison et une tradition consacrée en matière de preuve, à savoir que ” nul ne peut être forcé de produire une preuve contre lui-même nerno contra se edere cogitur).
63. Nous sommes porté, par principe, à combattre certaines tendances modernes (qui d'Europe se produisent déjà au Japon) consistant à réduire le plus possible les prévisions de la loi; on ne s'aperçoit pas qu'en épargnant quelque soin au législateur, on prépare de nombreux procès qui surchargeront les tribunaux et seront un mal social continu; tantôt ce sera à cause de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, tantôt ce sera parce qu'il y aura eu " dol ou surprise."
Du reste, cette tendance, que nous combattons est plutôt, jusqu'ici, dans la doctrine spéculative que (lans la législation positive, car, ainsi qu'on peut s'en convaincre en examinant les lois spéciales nouvelles, surtout celles qui touchent aux matières civiles ou commerciales, on voit que le règlement des détails y est très considérable, quelquefois même excessif: par exemple, en matière de sociétés (v. Loi fr. du 24 juillet 1867).
Ce n'est pas à dire que nous soyons d'avis de mettre les particuliers sous une sorte tutelle légale contraire à la dignité des citoyens; ce serait bien mal comprendre notre pensée: il n'est pas question, au moins en général, d'entraves ni de contraintes civiles auxquelles les particuliers seraient soumis contre leur volonté et dont ils ne pourraient s'affranchir par des conventions ou des réserves spéciales (c'est là qu'on pourrait parler de tutelle); il s'agit seulement d'admettre que la loi stipule en quelque sorte, d'emblée et d'avance, en faveur des contractants, comme s'ils stipulaient eux-mêmes; mais quand la loi leur propose, elle ne leur impose rien: ils peuvent disposer autrement; souvent la loi leur en réserve expressément le droit, et même quand elle ne le leur refuse pas formellement, on doit décider, sauf de rares exceptions, qu'un pareil droit reste sous-entendu, car les conventions font loi entre les parties (art. 348).
64. Ceci nous ramène à la nécessité des doubles originaux et nous devons signaler ce fait qu'elle présente justement le caractère impératif qui ne permet pas de dérogation par convention contraire. En effet, comme il s'agit d'une protection contre le dol, les surprises ou l'inexpérience dont une des parties pourrait être victime, il ne doit pas leur être permis de se priver du secours de la loi: autrement, ce serait précisément dans le cas où ce secours serait le plus nécessaire à l'une des parties que l'autre obtiendrait qu'elle y renonçât.
La seule dérogation que le Projet admette (et c'est une innovation par rapport a droit français) c'est que les parties puissent " convenir de déposer l'original unique aux mains d'un tiers désigné audit acte, lequel le communiquera à chacune d'elles à toute réquisition et ne pourra s'en dessaisir sans le consentement de toutes." Alors le but de la loi se trouve encore atteint: à savoir, l'égalité pour chaque partie dans les moyens de se prévaloir de la preuve du contrat.
Et qu'on ne s'inquiète pas de la complication qui résultera de ce dépôt et de ses conditions: cette complication même fera généralement préférer la rédaction d'un double pour chaque partie, et y fera revenir, après coup, si l'on avait cru d'abord pouvoir s'en dispenser.
Dans le cas où les parties seraient d'accord pour retirer le dépôt, elles devraient immédiatement faire choix d'un autre dépositaire: sans cela la loi serait encore éludée.
65. Si l'on dresse plusieurs originaux, il faut nécessairement mentionner sur chacun le nombre qui en a été fait: autrement, il y aurait toujours à craindre que la partie qui voudrait échapper au contrat ne produisît pas le sien et ne prétendît n'en avoir pas eu.
La loi devait prévoir le cas où ses deux prescriptions, la rédaction en double et la mention qu'elle a été faite, n'auraient pas été observées et où les parties n'y auraient pas suppléé par le dépôt d'un titre unique aux mains d'un tiers.
En France, on discute beauconp, si l'acte unique, produit en justice par la seule partie qui le possède, vaut en sa faveur, au moins comme commencement de preuve par écrit et permet ainsi la preuve testimoniale de la convention. Nous avons toujours pensé que la solution négative était la seule logique, la seule conforme au but et à l'esprit de la loi.
En effet, autrement, il y aurait nécessairement une partie qui serait à la discrétion de l'autre: celle qui n'aurait pas en sa possession l'original unique ne pourrait même pas faire cette preuve testimoniale dont la base lui manque et c'est l'autre qui, à son gré, le produirait ou le dissimulerait, suivant son intérêt. On se retrouverait en face du danger qu'on a voulu éviter.
En outre, il est bizarre d'appeler " commencement de preuve par écrit" un acte qui, s'il vaut quelque chose, est une preuve complète, un acte qui dit plus et mieux que ne pourraient jamais dire les témoins les plus exacts, un acte qui, non seulement Il rend vraisemblable le fait allégué," comme l'exige l'article 1347 (comp. Proj., art. 1405-10), mais qui en donne la certitude complète, et dont le seul tort est d'être seul à la donner, d'être unique, au lieu d'être fait double.
Nous ne croyons pas qu'on ait jamais renversé cette argumentation qui a dû être présentée avant nous, assurément.
66. Cependant l'opinion contraire est la plus fortement établie, en doctrine et en jurisprudence.
Dans cette opinion, pour ne donner qu'un effet partiel à un acte qui paraît pourtant complet en lui-même, on a imaginé de dire qu'il n'est qu'un projet, tant qu'il n'a pas été rédigé en double, et que l'effet de la preuve testimoniale sera moins de faire connaître l'objet. et les clauses du contrat, déjà connues par l'acte, que de certifier que la volonté des parties n'était plus à l'état de projet, mais était une résolution définitive.
Là encore, on a rencontré des objections restées sans réponse, c'est que, le plus souvent, la forme et la rédaction de l'acte unique seront un démenti de cette idée d'un simple projet: l'acte sera signé des deux parties, il sera écrit sur papier timbré, il aura peut-être été déjà présenté à l'enregistrement, qui est coûteux; or, on ne signe guère des projets de contrat, justement de peur de leur donner un caractère définitif; encore moins les revêt-on du timbre et de l'enregistrement dont on cher", che déjà trop à éviter les frais pour les actes définitifs; enfin, s'il était vrai que les parties n'attendaient plus que la rédaction du double pour que leur consentement fût définitif, on trouverait, par avance, la mention " fait double " comme complément nécessaire du projet de contrat et c'est justement ce qui y manque.
67. Le Projet japonais se garde donc bien de dire que l'original unique servira de commencement de preuve par écrit. Il n'exprime pas le contraire non plus, parce que la loi n'a pas à parler de ce genre de preuve quand elle ne l'admet pas; ce ne sera pas une raison, nous l'espérons, pour que la controverse se produise au Japon.
D'ailleurs le texte écarte tous les doutes d'une autre manière et il donne au double écrit son véritable caractère.
En effet, une objection pourrait nous être faite, à notre tour: on pourrait dire que nous transformons indirectement une condition de preuve de la convention en une condition de son existence; car si la preuve écrite et la preuve testimoniale se trouvent interdites, il ne restera que l'aveu du défendeur, sur lequel on ne peut guère compter, une fois que celui-ci s'est prévalu du défaut de double original.
Nous acceptons la conséquence, et nous disons formellement, avec le texte, que la loi présume que chaque partie a subordonné son consentement définitif à la rédaction d'un écrit en double original, c'est-à-dire d'une preuve préconstituée qui la préserve du danger de subir un contrat si on le lui oppose, sans pouvoir l'invoquer si on ne le lui oppose pas: la rédaction de l'écrit alors n'est plus seulement pour la preuve (probationis causâ.), mais pour l'accomplissement de la condition suspensive (conditionis adimplendœ causâ). Déjà l'article 662 a déclaré que la vente peut être subordonnée par les parties à la rédaction d'un acte, soit authentique, soit sous seing privé en double original: c'est ce qu'on nomme, en France, assez improprement, la "léalisation" de la vente. Nous avons, à cette occasion, signalé l'origine romaine de cette théorie, sinon pour la condition des doubles, au moins pour celle d'un acte écrit devant servir de preuve (v. T. III, n° 151).
Le texte ne se prononce pas sur le point de savoir si la partie qui a seule un original à sa disposition pourrait, comme celle qui n'en a pas, alléguer que la convention n'existe pas. La réponse demande une distinction.
Si la partie qui a seule un original ne le produit pas, l'autre partie, ne pouvant la contraindre à cette production (v. n° 62, in fine), ne pourra lui contester le droit d'invoquer le défaut de rédaction; il semblera d'ailleurs que l'acte n'a même pas rédigé en un simple original.
Mais si l'original unique a été produit en justice, celui qui l'a produit, même sans l'invoquer, ne doit pas être reçu à contester l'existence de la convention, parce qu'il ne souffre pas de l'absence du double, dès que l'autre partie renonce à s'en prévaloir.
Et il ne faudrait pas objecter qu'une condition suspensive ne peut être réputée accomplie à l'égard d'une partie et se trouver défaillie à l'égard de l'autre: il faut toujours limiter l'effet suspensif de la condition à la partie dans l'intérêt de laquelle cette condition est établie. C'est ainsi qu'on a vu que la condition résolutoire, même expressément stipulée pour le cas d'inexécution d'une convention synallagmatique, ne peut pas être invoquée par la partie qui a manqué à l'exécution, mais peut l'être par l'autre (v. art. 442). D'ailleurs, l'effet des conditions dans les conventions, se règle, comme celui des conventions elles-mêmes, d'après la commune intention des parties (v. art. 431).
68. Cette présomption légale n'est du reste pas absolue; elle admet une preuve contraire autorisée formellement par le texte: l'exécution totale ou partielle du contrat par une partie la rend " non recevable à se prévaloir de l'inaccomplissement de la condition." On peut dire que la partie qui a exécuté a renoncé à une fin de non-recevoir établie dans son intérêt et par présomption de son intention.
La loi ne dit pas que l'exécution doive être volontaire, parce que ce serait exclure cet effet au cas d'exécution légalement forcée, ce qui ne peut être, car l'exécution forcée suppose un jugement auquel la partie aurait pu contredire, en se prévalant du défaut de double, et elle ne l'a pas fait. Mais, bien-entendu, une exécution qui cesserait d'être volontaire parce qu'elle aurait être obtenue par dol ou extorquée par menace n'aurait pas pour effet de réparer l'omission du double.
Le texte ajoute que " la partie qui a accepté ladite exécution," est elle-même privée du droit à la fin de non-recevoir; en effet, lors même qu'elle n'a pas encore exécuté elle-même ses obligations, elle a participé à l'exécution par l'autre, par exemple en recevant la livraison de la chose vendue ou du prix de vente (2).
Il nous paraît difficile, comme nous l'avons dit plus haut (n° 64), d'admettre que la partie qui n'aurait pas d'original à sa disposition pût déclarer expressément qu'elle s'engage sans la condition du double. Mais lors même que l'on irait jusque-là, la partie serait encore moins exposée aux fraudes et aux surprises que dans les Codes modernes précités, où la seule omission de stipuler la garantie du double suffira pour compromettre la partie la plus confiante ou la moins expérimentée.
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(c) Au surplus, le Code français corrige à peu près l'expression en ajoutant: " Il suffit d'un seul original pour toutes les personnes ayant le même intérêt." Il eut été plus simple de dire la chose en un seul alinéa et il eût mieux valu la dire autrement, car des co-vendeurs ou des co-aolieteurs n'ont pas le même intérêt: chacun contracte pour soi; ils ont tout au plus des intérêts semblables; ce qui importe c'est que leurs intérêts ne soient pas contraires.
(2) Cet alinéa est nouveau: il aurait pu être suppléé, mais il est préférable de l'ajouter.
Art. 1343 à 1346. -69. Il s'agit ici de la preuve d'un contrat unilatéral; mais la disposition n'a pas la généralité qu'a la précédente pour les contrats synallagmatiques: elle ne concerne que " les promesses de payer une somme d'argent ou autres choses fongibles ou de quantité." Ce sont les plus nombreuses, il est vrai, mais ce ne sont pas les seules: les promesses de corps certains, de faits ou d'abstentions, ne sont pas soumises à cette disposition; de plus, comme il n'y est question que de promesses, c'est-à-dire d'obligations contractées, on ne l'appliquera pas aux quittances ou libérations, pour lesquelles il est naturel de laisser plus de facilités.
La loi prescrit dans ce cas l'une de trois formalités qui ont pour but de prévenir une erreur ou une fraude sur la somme ou la quantité promise: ou bien le débiteur écrira l'acte en entier de sa main; ou bien, l'ayant fait ou laissé écrire par un autre, qui sera généralement le créancier, il y ajoutera de sa main "bon pour ou approuvé pour la somme de...,pour la quantité de...;" ou bien enfin, ne pouvant même écrire ces simples mots, il fera contre-signer l'acte par deux témoins; le tout, sans omettre, bien entendu, sa signature ou son sceau.
Avec ces précautions, l'augmentation frauduleuse de la dette ou l'abus de blanc-seing sera plus difficile (3).
Comme il y a là l'introduction au Japon d'une nouvelle restriction à la liberté des parties dans la manière de régler la garantie de leurs droits, on a cru devoir la tempérer par l'addition du double contre-seing de témoins pouvant remplacer l'une ou l'autre des deux premières formalités; c'est une innovation par rapport au droit français et aux autres Codes européens qui, tous ici, à la différence de ce qui concerne les doubles originaux ont une semblable exigence du bon ou approuvê.
C'est encore une disposition favorable que celle qui, au cas de plusieurs codébiteurs, se contente du bon ou approuvé d'un seul, même quand ils ne sont pas solidaires.
L'écriture japonaise ne connaît pas la distinction des lettres et des chiffres, pour énoncer les sommes: ce sont toujours des chiffres, soit japonais proprement dits, soit chinois; il n'y a donc pas lieu de prescrire l'écriture en lettres, comme en France; mais la loi prévoit le cas où le contra+ serait rédigé en caractères étrangers, ce qui, avec le temps, deviendra fréquent, à cause des contrats avec les étrangers, et dans ce cas, elle exige l'énoncé de la somme " en toutes lettres " (d).
70. Il pourrait arriver que la somme énoncée ne fût pas la même dans le bon ou approuvé que dans le corps de l'acte: en ce cas, la loi déclare que l'obligation est réputée n'être que de la somme la plus faible, sauf la preuve contraire, et cela, lors même que le corps de l'acte et le bon ou approuvé seraient tous deux de la main du débiteur, ce qui sera rare, étant inutile; comme il n'y aurait pas de raison décisive pour donner plus d'autorité à l'une des déclarations qu'à l'autre, dans le doute, on décide en faveur du débiteur (v. art. 380).
71. 11 pourra arriver qu'un acte " ne porte que le sceau ou la signature du débiteur et ne soit revêtu ni du bon ou-approuvé, ni du contre-seing de deux témoins," dans ce cas, il est naturel qu'il vaille cependant comme " commencement de preuve par écrit, pour l'admission de la preuve testimoniale " (v. art. 1405-]°). Ici, il n'y a pas à hésiter, comme lorsqu'il s'agit du défaut de rédaction des doubles: l'écrit, quoiqu'irrégulier, ” rend vraisemblable le fait allégué," ce qui est la condition requise pour qu'il constitue un commencement de preuve par écrit (ibicl. et c. fr., art. 1347).
Comme c'est la première fois que le texte mentionne le " commencement de preuve par écrit," on signale immédiatement son utilité qui est de rendre admissible la preuve testimoniale; mais, en même temps, on prenl soin de prévenir un doute, en ajoutant que cette preuve ne sera admissible que "jusqu'à concurrence des sommes ou quantités qui y sont portées: " au-delà, elle serait abusive.
C'est encore pour lever un doute que le texte porte que l'acte vaut commencement de preuve par écrit, lorsque les sommes ou quantités portées comme ducs ne sont énoncées qu'en chiffres et non en toutes lettres, et lorsque d'ailleurs l'écriture en lettres est prescrite.
72. Toutes les irrégularités de l'acte, au sujet des prescriptions qui précèdent, sont couvertes par l'exécution, volontaire ou légalement forcée, de la part du débiteur. Cette disposition rappelle celle de l'article 1342, mais avec une notable différence: tandis que dans le cas du défaut de rédaction en double original, l'exécution, même partielle, enlève au débiteur la fin de non-recevoir pour le tout, ici elle ne la lui enlève que Il dans la mesure où il a exécuté," et cela est naturel: la présomption que contredit l'exécution volontaire n'est pas la même dans les deux cas; dans le cas du défaut de double original, la présomption est que le consentement définitif est subordonné à la rédaction du double: l'exécution fait raisonnablement supposer que le débiteur a renoncé à se prévaloir de l'inaccomplissement de cette condition suspensive, laquelle affectait toutes les parties de l'acte; dans le cas d'irrégularité d'un acte portant promesse unilatérale, la présomption est que la somme portée à l'acte n'est pas exacte, ou tout au moins que le débiteur n'en a pas suffisamment contrôlé l'exactitude: l'exécution ne vaut reconnaissance que pour ce qui est payé, car c'est sur cela seulement que son contrôle tardif a été exercé.
73. La célérité des affaires commerciales y a toujours fait admettre une plus grande simplicité que pour les affaires civiles, aussi n'est-il pas nécessaire que les promesses de commerçants soient écrites de leur main ou ré vêtues soit du bon ou approuvé, soit du contre-seing de deux témoins.
Nous disons, avec le texte, les promesses Il des commerçants " et non les promesses Il commerciales," parce qu'il y a ici une concession aux usages et aux besoins de cette classe de personnes: le besoin de célérité et de simplicité est le même pour eux, lors même qu'ils ne prennent qu'un engagement civil; en sens inverse, ceux qui, n'étant pas commerçants par profession, font accidentellement un acte commercial, peuvent prendre le temps nécessaire pour remplir l'une des trois formalités prescrites par nos articles.
74. Au surplus, si le Projet se trouve, à cet égard, d'accord avec le Code français, il s'en écarte en n'accordant pas la même dispense aux " cultivateurs et gens de journée ou de service ": si le Code français les a dispensés de l'une des deux formalités qu'il impose aux autres, ce n'est pas pour le motif de célérité, comme pour les commerçants, c'est parce que, souvent, ils ne peuvent que signer leur nom (surtout si l'on se reporte à l'époque où ce Code a été fait), et parce que, dès lors, il leur faudrait recourir, pour leurs actes, à. l'office d'un notaire; mais on n'a peut-être pas assez remarqué que ce n'est pas d'une charge qu'on les a affranchis: on les a privés d'une protection contre l'erreur ou la fraude.
Dans le Projet, avec l'admission du contre-seing de deux témoins, il n'y a plus de raison de faire pour les illettrés une exception qui leur serait plus nuisible que favorable.
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(3) Le Code officiel est moins exigeant: il se contente, pour remplacer l'écriture du débiteur, de l'apposition de son sceau sur l'énoncé de la somme ou quantité promise(art. 23).
(d) On remarquera que nous disons, avec le texte, c, caractères étrangers " et non langue étrangère, parce que si le contrat était rédigé en japonais transcrit en lettres latines (romaji) les sommes ou quantités devraient être énoncées en lettres (dju = 10, hiakou = 100, sen =1000, iichi man== 10,000).
Art. 1347. — 75. La loi arrive au degré de force probante de l'acte sous seing privé.
On le suppose régulier en la forme, à l'égard des prescriptions édictées aux articles 1341 à 1346 et "reconnu ou tenu en justice pour reconnu par celui auquel on l'oppose cette double condition de forme est nécessaire et la reconnaissance faite en justice ne couvrirait pas les vices de rédaction ci-dessus prévus: la reconnaissance n'est pas un commencement d'exécution et les fins de non-recevoir résultant de l'inobservation des précédents articles ne sont pas de celLs qui se perdent faute de réserves faites à ce sujet au moment de la reconnaissance (v. art. 1336). [V. Addiliol1s.l
Pour déterminer la force probante de l'acte sous seing privé, la loi distingue, d'une part, le dispositif de l'acte et les énonciations qui y ont un rapport direct ou le complètent, et, d'autre part, les énonciations qui n'ont qu'un rapport indirect au dispositif: pour les deux premières la preuve est complète, " l'acte fait pleine foi; " pour les autres, il ne sert que de "commencement de preuve p:n' écrit."
L'idée sur laquelle repose cette distinction est que l'attention de la partie qui a signé l'acte n'a pu manquer d'être attirée sur le dispositif, puisque c'est là l'objet principal de l'acte, et aussi sur les mentions simplement énonciatives qui complètent le dispositif; au contraire, cette partie a pu faire peu d'attention à des énonciations à peu près étrangères à l'acte, en tout cas inutiles fi sa portée; même elle a pu, tout en les remarquant, ne pas vouloir les contester présentement, de peur de faire manquer la convention qui lui importait davantage.
En effet, l'acte sous seing privé est un aveu écrit, comme on l'a remarqué en commençant; or, un pareil aveu ne peut avoir de valeur que s'il est fait en connaissance de cause, avec volonté, et non par erreur ou surprise.
Il est nécessaire, à ce sujet, de bien comprendre ce que la loi entend par le dispositif de l'acte et par les deux sortes d'éizoii dation s qui peuvent s'y trouver.
76. Le "dispositif" c'est l'objet principal de l'acte, ce qui doit créer entre les parties un nouveau rapport de droit: ce sera une aliénation, ou une obligation, ou une libération, et il ne faut pas en séparer l'objet, car on n'aliène pas, on ne s'oblige pas d'une façon indéterminée: on aliène quelque chose, un meuble ou un immeuble déterminé; de même, on s'oblige à donner ou à faire ou à ne pas faire, et ce n'est pas assez: on doit donner, faire ou ne pas faire quelque chose de précis, de déterminé; de même on ne libère pas son débiteur, sans dire de quelle obligation on le libère, et lors même qu'on voudrait le libérer de toutes ses obligations, il faudrait encore l'exprimer (v. art. 325-2°).
Tout cela sera le dispositif de l'acte.
Lorsqu'une partie a signé un acte mentionnant un ou plusieurs de ces faits qui sont l'oeuvre de sa volonté actuelle ou antérieure, elle en reconnaît, elle en avoue l'existence, en tout ce qui lui est défavorable, et, à moins de prouver qu'il y a eu dol ou surprise, au moment de la rédaction et de la signature de l'acte, elle ne pourrait pas dire qu'elle n'a ni su, ni voulu reconnaître ces faits: " l'acte fait pleine foi contre elle" de leur réalité et de la connaissance qu'elle en a eue en signant.
77. Il est moins facile de faire la séparation entre " les énonciations qui complètent le dispositif " et le dispositif lui-même; il n'y a d'ailleurs à cela aucun intérêt pratique, puisque la foi due à l'acte est la même pour ces énonciations que pour le dispositif; au contaire, il faut avec soin les séparer de celles qui n'ont qu'un rapport indirect avec l'acte et qui auraient pu en être retranchées sans inconvénient, sans en diminuer la portée.
Si la loi a distingué les premières énonciations du dispositif même, c'est pour ne pas laisser en dehors de ses prévisions, celles qui justement pourraient ne pas paraître rentrer tout à fait dans le dispositif et qui cependant le compléteraient ou l'éclairciraient.
Ainsi les énonciations relatives au terme ou à la condition nous paraissent rentrer clans le dispositif; il en est de même de celles relatives à la solidarité entre les débiteurs ou les créanciers, puisque ce sont là des modalités des obligations, et c'est disposer dans un sens qui aggrave l'obligation, que de se soumettre à la solidarité active ou passive; au contraire, on dispose dans un sens qui l'atténue, en ne s'engageant qu'à terme ou sous condition.
La mention de la cause, dans une reconnaissance de dette, ne nous paraît pas une partie du dispositif, mais une énonciation qui le complète.
Supposons que dans un acte de vente où l'acheteur se reconnaît débiteur d'un prix déterminé (dispositif) on ait mentionné une créance antérieure de celui-ci envers le vendeur et qu'on ait dit que, par l'effet de la compensation entrj cette créance et la dette du prix, celleci se trouve réduite à un chiffre déterminé, ou éteinte jusqu'à concurrence de ce qui est dû à l'acheteur: on peut dire qu'il n'y a pas là une disposition, puisque le même effet se produirait de plein droit, bien que les parties n'en eussent rien dit, 'si d'ailleurs les conditions de la compensation légale se rencontraient (v. art. 542; il n'y aura donc là que ce genre d'énonciation dont on dit qu'elle " a un rapport direct avec le dispositif et le complète."
Remarquons, à cette occasion, que c'est ici contre le vendeur que l'acte fait foi de cette énonciation, puisqu'elle établit incidemment qu'il avait une dette envers l'acheteur et que cette dette entre en déduction du prix.
Supposons, au contraire, que les conditions de la compensation légale ne se rencontraient pas entre ces deux dettes et que cependant les parties aient voulu qu'elle eût lieu, ce qui est le cas de la compensation facultative (v. art. 55-3): alors cette convention est une partie intégrante du dispositif et elle fait foi contre les deux parties, car elle est contre tous deux: contre le débiteur qui a ainsi reconnu sa dette antérieure, et contre le créancier qui a consenti à ce que son droit fût éteint par compensation.
Supposons encore une vente d'immeuble: si l'acte porte que la vente comprend le mobilier qui garnit la maison ou un terrain contigu, il y a là une disposition; mais la désignation de la contenance de la chose vendue n'est qu'une énonciation; seulement, elle a un rapport direct avec le dispositif et elle le complète: elle fait foi contre le vendeur qui se trouvera garant de la contenance, d'une façon plus ou moins rigoureuse, d'après les distinctions portées aux articles 685 et suivants.
En sens inverse, le vendeur a déclaré des vices non apparents de la chose: ce n'est pas une disposition, mais c'est une énonciation qui y a un rapport direct et qui équivaut à une stipulation qui l'affranchirait de l'action rédhibitoire (v. 744).
On pourrait multiplier les exemples; mais ceux-là paraissent suffisants.
78. Il y a, au contraire, peu d'exemples pratiques d'énonciations qui, n'ayant qu'un rapport indirect avec la disposition, produiront encore un effet probant, quoique moindre, contre la partie qui les a laissé insérer.
On peut cependant supposer que, dans une vente de meuble ou d'immeuble, on a indiqué l'origine de la propriété aux mains du vendeur, et s'il a été dit qu'elle lui était provenue de la donation d'un parent auquel lui et l'acheteur ont succédé, cette énonciation pourrait être invoquée contre le vendeur pour une demande de rapport à succession; s'il avait été dit que la chose vendue provenait d'une dation en payement faite au vendeur par un tiers, l'énonciation serait opposable au vendeur si, plus tard, il prétendait exercer son ancienne créance contre l'acheteur devenu héritier de ce tiers.
On comprend que ce sont là des hypothèses bien rares; mais il était impossible de ne donner aucune force probante à ces énonciations incidentes et l'on suit dans le Projet la tradition législative qui leur donne la force d'un commencement de preuve par écrit.
79. La loi complète l'assimilation de l'acte sous seing privé à l'aveu verbal, en déclarant que celui qui l'invoque ne peut le diviser, en s'emparant de ce qui lui est favorable et en rejetant ce qui lui est contraire. C'est sous l'article 1365 que cette théorie sera appliquée et justifiée.
Art. 1348. — 80. On a vu à l'article 1338 que la reconnaissance de l'acte sous-seing privé, même sans réserves, n'empêche pas le défendeur d'attaquer ensuite cet acte comme faux ou pour abus de blanc seing.
Il fallait déterminer à quel moment la force probante de l'acte serait suspendue, car on ne pouvait admettre que la seule allégation par le défendeur d'une de ces deux infractions frappât immédiatement l'acte de suspicion.
Le Projet applique ici une disposition du Code français qui n'y est écrite que pour l'acte authentique (art. 1319), mais qui peut et doit, par identité de motif, être étendue à l'acte sous seing privé.
La solution varie suivant une distinction.
81. Si une instruction a été ouverte, la force probante de l'acte est suspendue de plein droit dès que l'instruction s'est terminée par le renvoi de l'inculpé devant le tribunal criminel ou correctionnel: il doit alors être sursis au jugement civil jusqu'à la décision définitive du tribunal de répression ou, plus exactement, comme dit le texte, jusqu'à ce qu'elle soit " devenue irrévocable " (e). Il va de soi que si, par l'effet de cette décision, l'acte est reconnu être faux ou constituer un abus de blanc seing, il ne pourra conserver aucune force probante contre le défendeur audit acte, et cela, lors même que l'inculpé ne serait pas condamné, soit parce que les conditions légales de l'imputabilité ou de la responsabilité ne se rencontreraient pas en lui, soit parce qu'il aurait bénéficié de la prescription de l'action pénale ou de quelque autre exception.
Et il y a à remarquer ici, par avance, " l'influence de la chose jugée au criminel sur le civil," influence sur laquelle on reviendra en son lieu (v. art. 1422).
82. La loi ajoute que, même lorsqu'une instruction est ouverte, le tribunal civil n'est pas tenu d'attendre qu'elle soit terminée pour surseoir au jugement du fond; il pourrait arriver, en effet, que cette instruction se prolongeât, et, bien que la présomption de faux ou d'abus de blanc seing ne fût pas encore établie comme elle' le serait après un renvoi au tribunal de répression, il y a peut-être assez de soupçon de l'infraction pour qu'ilparaisse prudent au tribunal de ne pas statuer sur le fond avant la décision d'instruction.
La loi ne distingue pas, au sujet de ce sursis facultatif, si c'est devant le même tribunal où devant un autre que l'instruction est commencée.
83. S'il n'y a pas eu d'instruction ouverte (et la loi nous dit que ce peut être par suite du décès de la per sonne soupçonnée ou par une autre cause, comme sa folie ou la prescription), alors c'est le tribunal civil qui appréciera seul la sincérité de l'acte: pour cela, il peut continuer la procédure plus ou moins longtemps; mais " il doit surseoir au jugement du fond, jusqu'à ce qu'il ait statué sur la fin de non-recevoir tirée de la prétendue infraction autrement, il encourrait la cassation pour le seul fait de n'avoir pas préalablement vidé l'incident (f). Au surplus, il ne lui est pas défendu de statuer sur le tout par un seul et même jugement.
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(e) Une décision est " définitive " de la part d'un tribunal, quand ce tribunal est dessaisi par son jugement: elle n'est "irrévocable" que lorsqu'elle n'est plus susceptible d'aucun recours.
(f) Il faut remarquer que lorsqu'il n'y a pas d'instruction ouverte, surtout quand elle n'est plus possible, que le tribunal ne devra pas qualifier fciux, abus de blanc seing, infraction, l'inexactitude de l'écrit: il devra se borner à en déclarer l'iri-égul,-trité; mais ce qui est essentiel c'est d'observer que l'extinction de l'action publique ne validera pas un acte faux ou un abus de blanc seing.
Art. 1349. — 84. Cet article, rapproché de l'article 1328 du Code français, présente avec celui-ci une grande différence de rédaction; il exprime au fond la même idée, mais on croit qu'il le fait plus clairement et plus exactement. En effet, quand cet article 1328 dit que " les actes sous seing privé n'ont de date (ne font foi de leur date) contre les tiers que par " trois moyens qu'il énonce, il semble signifier que, si la date de l'acte est devenue certaine par l'un de ces modes, il est opposable aux tiers et peut diminuer ou modifier leurs droits; cependant, les droits des tiers ne peuvent recevoir aucune atteinte d'actes auxquels ceux-ci n'ont pas participé (v. c. civ. fr., art. 1165 et Proj. jap., art. 365) Ce que la loi française a voulu dire c'est que la faculté n'est pas laissée aux parties de donner à d'autres la qualité de tiers ou d'ayant-cause, à leur gré, ce qui serait facile en antidatant ou en postdatant les actes sous seing privé.
85. Qu'est-ce, en effet, qu'un tiers ou qu'un ayant cause, par rapport à un acte ? Un tiers qui ne pourra souffrir ou profiter d'un acte, est celui qui a traité avant cet acte: il y est tout à fait étranger (penitÙs extraneus); comme il n'y a pas été représenté, l'acte est pour lui res inter alios acla (chose faite avec d'autres); un ayantcause, qui bénéficiera ou souffrira, de l'acte est celui qui a traité après cet acte: il prend, il acquiert la situation que cet acte laisse ou rend possible. Or, dès qu'une si grande différence de position résulte du seul rapprochement des dates des actes, il est nécessaire qu'il ne dépende pas des parties d'anticiper ou de reculer ces dates: ceux qui ont traité au sujet d'une chose ou d'un droit ne seraient obligés de respecter, comme étant ayantcause de leur auteur, que les actes qui auront acquis date certaine avant le leur; pour les actes qui n'auront pas cette antériorité certaine, ils seront des tiers (v. T. II, n° 149).
Voilà ce qu'exprime notre article, en n'énonçant toutefois que la première proposition; il n'a pas, en effet, iL s'occuper directement des tiers, auxquels les actes ne sont pas opposables (l'article 365 l'a déjà dit), mais seulement de ceux qui sont ayant-cause par rapport à ces actes: la solution inverse ne se trouve indiquée qu'indirectement en faveur de ceux que l'on supposerait invoquant un acte ayant une antériorité certaine.
La qualité de tiers ou d'ayant-cause dépend donc uniquement d'une question de date: celui qui traite avec une partie est son ayant-cause par rapport aux actes qu'elle a déjà faits; il est tiers par rapport à ce qu'elle fera dans la suite.
Si deux actes inconciliables étaient invoqués en justice l'un contre l'autre, sans qu'aucun eût date certaine, il serait naturel de donner la préférence d'après les mêmes principes et sous les mêmes distinctions que s'ils acquéraient date certaine en même temps, comme il est réglé à l'article 1351.
85 bis. Remarquons d'ailleurs que la difficulté ne se présente que si les droits conférés par divers actes du même auteur sont incompatibles. Ainsi, il n'y aurait pas de question si un acte avait conféré la nue-propriété et un autre l'usufruit, ou si deux actes avaient conféré des servitudes différentes; de même si un débiteur avait contracté successivement deux emprunts près de prêteurs différents, ou deux achats dont il devrait le prix: il importe peu, en effet, quelle dette a été contractée la première, car tous les créanciers chirographaires sont payables concurremment, quelle que soit la date respective de leurs contrats (v. art. 1001).
Si, au contraire, les droits conférés par divers actes sont incompatibles, ou si la priorité de date doit influer sur leur validité ou leur effet, alors tout l'intérêt s'attache à la date, car c'est une question de priorité, et si les dates ne sont pas certaines, la fraude est possible et toujours à craindre.
Nous écartons, du reste, les aliénations successives d'un même immeuble, ou les constitutions successives d'hypothèques sur le même bien, parce que, dans ces cas, la priorité résulte non des dates respectives des actes, mais de la date des transcriptions ou inscriptions.
Mais supposons une cession de créance: un créancier cède une première fois sa créance, par exemple le 15 d'un mois; le cessionnaire, Primus, notifie la cession au débiteur, le même jour, par l'officier public compétent, ce qui donne date certaine à la cession; le lendemain ou plus tard, le même créancier cède la même créance à Secundus et les parties, se mettant d'accord pour frustrer Primus donnent à l'acte de cession une date antérieure au 15; Secundus, au lieu de faire la notification par un officier public, présente l'acte de cession au débiteur cédé et obtient de lui une acceptation sous seing privé de la cession à la même date. Au moyen de cette antidate, la seconde cession paraît antérieure à la première;
Primus qui devait être tiers par rapport à la seconde cession paraît ayant-canse et serait tenu de la respecter. Si, au contraire, on ne peut opposer à Primus qu'une acceptation ayant date certaine antérieure à sa notification, sa position est inattaquable; et, en effet, l'article 367, 1er alinéa, a exigé " une acceptation authentique ou sous seing privé ayant date certaine."
Supposons encore une cession de créance, mais unique cette fois: le cessionnaire notifie son acquisition au débiteur par un acte authentique; à ce moment, la créance existe réellement. Peu de jours après, ce débiteur, de collusion avec le cédant, produit au cessionnaire un acte sous seing privé ayant une date antérieure il la notification et portant extinction de la dette, soit par novation, soit par remise conventionnelle (nous écartons le cas d'un payement, n cause de l'article 1352); si le cessionnaire est obligé de respecter cet acte, il est dépouillé par fraude; si, au contraire, on exige la date certaine, comme elle ne sera pas antérieure à la cession, le cessionnaire restera UerN) étranger à cet acte.
Voici un autre cas d'une application fréquente: un débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture; en cet état, il est dessaisi de l'administration et surtout de la disposition de ses biens, meubles et immeubles; mais il vend un de ses biens par un acte sous seing privé auquel, d'accord avec son acheteur, il donne une date antérieure à sa faillite ou à sa déconfiture déclarée: si la loi n'exigeait pas la date certaine, la masse des créanciers serait frustrée, car le failli aurait eu soin, en même temps, de donner quittance du prix.
Citons encore le cas où le failli ferait un contrat de gage au sujet d'un meuble qui se trouverait loué à l'un de ses créanciers; en antidatant ce gage, il le ferait remonter avant sa faillite et le rendrait valable. En exigeant la date certaine, la loi rend cette fraude impossible.
85 ter. En présence du danger d'une fraude si facile qu'il est non moins facile de prévenir, on a peine à comprendre que la Commission et, après elle, le Sénat nient rejeté la condition de date certaine pour que les actes sous seing privé puissent être opposés entre les ayantcause respectivement. Nous avons déjà en occasion d'en exprimer nos regrets et notre étonnement (v. Tome II, n01 177 et 530). Les objections qui ont été faites à la théorie qui précède ne nous paraissent pas d'ailleurs de nature à faire sérieusement hésiter.
1° On a paru s'étonner qu'il y eût lieu de demander plus de garantie pour la sincérité de la date d'un acte que pour celle du contenu de l'acte a?t fond.
La réponse est facile: l'acte dont il s'agit n'est pas supposé défendu en lui-même, c'est un acte licite de disposition, d'obligation ou de libération, qu'une personne capable peut faire, en général; un propriétaire peut vendre son bien; un créancier peut céder sa créance ou y renoncer par novation ou remise conventionnelle; un débiteur peut contracter de nouvelles dettes; la seule chose qui puisse être douteuse et qui importe c'est de savoir si le contractant était, encore propriétaire, créancier ou capable de contracter au moment où il a fait l'acte dont il s'agit; il n'y a donc, le plus souvent, qu'une question de date à résoudre; cette question une fois résolue dans un sens ou dans l'autre, la validité ou la. nullité de l'acte à l'égard des ayant-cause est résolue par cela même.
2° On a encore objecté que la théorie du Projet semblait reposer sur 'une présomption d'antidaté et de fraude; or, disait-on, la loi ne doit pas présumer la fraude. Cette objection est plus spécieuse que la précédente, mais les règles générales de la charge de la preuve permettent de la réfuter aisément: l(celui qui se prévaut d'un fait pour en tirer avantage doit le prouver (v. art. 1314, 1er al.); or, celui qui se prétend tiers par rapport à un acte, et veut primer un ayantcause du même auteur doit prouver sa priorité; la loi ne présume pas l'antidate, tout en la craignant: elle exige seulement que le demandeur prouve la condition de son droit, laquelle n'est autre que la priorité de date par rapport à un autre acte incompatible avec le sien. Cette priorité de date doit, dit-on, s'établir par l'acte sous seing privé, comme s'établit le fond de la disposition. C'est là qu'est l'illusion: les actes sous seing privé n'ont d'effet et de force probante qu'à l'égard des parties, de leurs héritiers et de leurs ayant-cau se généraux ou particuliers, ils n'en ont pas et n'en peuvent avoir à l'égard des tiers (v. art. 365); or, tant que le demandeur n'a pas établi directement l'antériorité de son titre par rapport à un autre titre ayant un objet incompatible avec le sien, il est évidemment ayant- cause de son auteur, il ne peut prétendre à la qualité de tiers; si, au contraire, un autre contractant a le bénéfice d'une date certaine, il est défendeur à la prétention de l'adversaire et il ne peut être évincé que par un acte ayant une date antérieure également certaine.
3° Le moyen le plus simple et le plus général par lequel un acte sous seing privé peut acquérir date certaine est l'enregistrement (v. art. suivant); or, cette formalité, remplie nécessairement par un officier public, entraîne une rémunération pécuniaire. En France, cette rémunération est considérée comme un impôt indirect. Toutefois, une distinction est à faire,: tantôt le droit à percevoir est fixe, tantôt il est proportionnel aux valeurs formant l'objet des actes, notamment, lorsqu'il y a aliénation, obligation ou libération.
On a trouvé là le sujet d'une nouvelle objection: on a dit qu'il ne fallait pas créer un nouvel impôt " sur le peuple " qui en a déjà beaucoup à supporter. La réponse est facile: si l'on ne soumettait l'enregistrement qu'à un droit fixe qui ne serait que le salaire du service rendu par l'administration, tout caractère d'impôt disparaîtrait; le droit fixe ne devrait avoir pour but que de couvrir les frais d'employés, de registres, de locaux; il ne serait pas plus un impôt que l'affranchissement d'une lettre ou d'un télégramme. On pourrait ajouter ce service à ceux des maires, en leur donnant un employé spécial.
Nous allons plus loin et nous soutenons que, lors même que le droit serait proportionnel aux valeurs engagées dans le contrat, ayant alors le caractère d'impôt, il serait très légitime, plus légitime que beaucoup d'autres que nous pourrions nommer (3): il n'y aurait rien que de très juste et très naturel à ce que ceux qui vendent ou achètent, prêtent ou empruntent, payassent un impôt, une seule fois, lorsque la société constate une transaction utile à leur patrimoine et en même temps lui assure sa protection.
N'est-il pas singulier; quand le Gouvernement a cru pouvoir établir, sans transition, un impôt général sur le revenu, avec le caractère non seulement proportionnel, mais progressif (ce que, dans aucun pays, on n'a encore osé faire), on ait eu tant de scrupules à établir un droit d'enregistrement répondant à un service rendu par l'administration aux particuliers.
Du reste, nous ne doutons pas que les fraudes auxquelles donnera lieu inévitablement la facilité d'antidater les actes sous seing privé ne fasse revenir bientôt à la théorie de la date certaine et de l'enregistrement.
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(3) Tels sont les impôts sur le shoyou aussi indispensable que le sel, sur les gâteaux, sur les médicaments. Il y aurait bien à dire contre ces impôts, très impopulaires, d'une perception coûteuse et vexatoire et qui ne se justifient ni en raison ni en équité.
Art. 1350. — 86. La loi nous indique ici les moyens légaux par lesquels les actes acquièrent date certaine; les deux premiers sont réalisés à la requête des parties, le troisième est indépendant de leur volonté.
I. L'eni,egisi rement est encore inusité au Japon. En France, il consiste dans la mention sommaire sur un registre public de la substance des actes, et comme l'accomplissement de la formalité est daté sur le registre et mentionné sur l'acte lui-même, avec la même date, c'est cette date qui, étant constatée par un officier public compétent, est désormais authentique et certaine.
II. Lorsqu'après un décès ou une faillite on dresse un inventaire d'objets mobiliers, parmi lesquels se trouvent des titres sous seing privé, on en fait une description substantielle qui en constate l'identité et empêche les substitutions -, l'existence des actes se trouve ainsi certifiée, au moins à la date dudit inventaire. Il en serait de même si l'on plaçait sous les scellés officiels d'une administration publique des actes sous seing privé décrits dans le procès-verbal d'apposition ou de levée des scellés.
Comme l'inventaire est dressé par un notaire et le procès-verbal d'apposition et de levée des scellés par un juge ou par son délégué, la déclaration de la date est authentique.
Un acte sous seing privé peut aussi être mentionné dans un acte authentique qui lui-même a pour but de constater d'autres dispositions; et puisqu'un officier public a vu et mentionné en substance l'acte sous seing privé, cet acte a au moins la même date que l'acte authentique.
Enfin, la loi admet que cette mention substantielle donnera encore date certaine à un acte sous seing privé, lorsqu'elle se trouvera dans un autre acte sous seing privé ayant lui-même acquis date certaine; alors les deux actes auront la même date, ce qui peut amener un conflit réglé à l'article suivant.
III. Lorsqu'une des parties ou même l'un des témoins signataires de l'acte est décédé, il est clair que l'acte a au moins la date de ce décès, car il n'est pas à supposer que l'acte n'aura été parachevé; par l'apposition des autres signatures qu'après le décès d'un de ceux qui avaient déjà signé. Toutefois, la preuve de cette irrégularité serait permise.
Le Projet assimile au décès l'absence judiciairement déclarée de l'une de ces personnes: il y a beaucoup de cas où l'absence produit des effets analogues au décès; il est naturel de faire ici cette assimilation. Une différence toutefois subsistera, c'est que si l'absent revient ou si l'on a la preuve de son existence, avant que l'acte ait été appelé à produire son effet, le bénéfice de cette disposition cessera d'être applicable, puisque l'acte pourrait avoir été signé depuis le retour ou la date des dernières nouvelles.
87. On discute beaucoup en France si les trois faits auxquels l'article 1328 attache la date certaine sont limitativement déterminés.
Il est bien difficile de n'y voir qu'une énonciation, que des exemples: la forme de la disposition est restrictive (i les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que par..."); tout au plus, pourrait-on assimiler l'absence au décès, comme le fait expressément notre article et encore est-ce parce que cette assimilation serait discutable qu'on a cru devoir l'exprimer ici.
Mais si le texte français ne peut être étendu au-delà de ses termes, ne serait-il pas bon de l'étendre dans une législation nouvelle ? Il semble qu'on pourrait citer des faits qui, sans permettre d'assigner à l'acte une date fixe, paraîtraient au moins lui assurer un certain éloignement du temps présent et, par suite, la priorité sur un acte récent: par exemple, une partie est devenue et restée paralytique et incapable de signer depuis une certaine époque, et cependant un acte invoqué par un de ses ayant-cause contre un autre est revêtu non seulement de son sceau (lequel pourrait avoir été apposé par son ordre), mais de sa signature écrite, ou même il est écrit en entier de sa main.
Cependant, on n'a pas encore une certitude absolue, soit de l'époque à laquelle la partie est devenue incapable de signer, soit de la persistance de cette incapacité: il y a des degrés dans la paralysie, au moment où elle survient, et, en tout cas, le malade peut avoir éprouvé du soulagement dans la suite.
On ne peut citer non plus comme produisant un empêchement absolu de signer l'amputation des deux mains, puisqu'on peut arriver à écrire et même à peindre avec le pied (g).
On a encore cité comme pouvant motiver une extension de la loi, le cas où un acte sous seing privé, expédié par la poste sans enveloppe, porterait le timbre de la poste sur un de ses feuillets extérieurs. Mais le cas est l'un des moins favorables à une exception: sans avoir besoin d'objecter qu'il pourrait y avoir eu corruption d'un employé des postes, pour faire apposer frauduleusement un timbre mensonger quant à la date (h), il suffit de remarquer que la date peut avoir été apposée sur un acte incomplet ou même sur une ou plusieurs feuilles blanches pliées et expédiées, lesquelles n'auraient été remplies que plus tard.
Ce qui doit encore plus faire rejeter des extensions de la loi quant à l'établissement de la date des actes, c'est le danger d'une fraude facile: celui qui serait vraiment dans l'impossibilité de signer depuis une certaine époque pourrait, par collusion avec une partie, faire imiter sa signature par celle-ci ou par un autre, au bas d'un acte daté d'une époque antérieure à son accident et à d'autres actes sincères et plus anciens avec lesquels il serait incompatible, puis, assigné en reconnaissance d'écriture, il la reconnaîtrait, et ainsi de véritables tiers seraient rejetés dans la classe des ayant-cause.
Par ces motifs, nous renonçons à proposer une extension des cas où les actes acquièrent date certaine, sauf ce qui est dit de l'aveu de l'adversaire à l'article suivant et la double disposition de l'article 1352 relative aux quittances ou décharges et aux actes de commerce.
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(g) Au Japon, les cas de ce correctif d'une infirmité des mains par l'usage des pieds seraient bien fréquents: dans plusieurs métiers, l'usage des pieds seconde beaucoup celui des mains.
(h) On sait que les timbres locaux dont la poste frappe les lettres sont disposés de façon à ce que la date en est changée chaque jour: il serait donc facile de commettre un faux à cet égard.
Art. 1351. — 88. Cet article résout une très sérieuse difficulté qui se présente lorsque deux actes acquièrent simultanément date certaine, deux actes, bien entendu, émanant d'une même personne en faveur de deux parties différentes et leur conférant des droits incompatibles. Le cas sera très rare s'il s'agit d'un double enregistrement; il n'y aurait même pas alors simultanéité véritable, mais seulement identité de jour: si l'enregistrement des deux actes avait eu lieu au même bureau, on donnerait la préférence à l'acte qui figurerait le premier sur le registre; si les bureaux étaient différents, on appliquerait les décisions données ci-après pour les cas de dates certaines simultanées, acquises par le décès ou par la déclaration d'absence.
89. La loi prévoit d'abord le cas le plus fréquent et le plus intéressant, celui où la simultanéité de date certaine résulte de ce qu'un acte sous seing privé est mentionné dans un autre acte, soit authentique, soit sous seing privé ayant acquis date certaine: cette simultanéité, qui serait un hasard au cas d'enregistrement, est ici inévitable.
Pour trouver des droits incompatibles, il ne faut pas, comme on l'a déjà remarqué, supposer des contrats donnant naissance à des droits personnels on de créance, car les créanciers concourraient sans distinction de priorité (v. art, 1001): ce sont, nécessairement, ou des cessions d'une même créance antérieurement constituée, ou des aliénations de droits réels semblables sur le même objet, ou de droits dont l'un absorbe l'autre, comme un droit de pleine propriété absorbe un droit de bail on d'usufruit. Aucun de ces actes d'ailleurs n'a été, soit notifié au débiteur, dans le cas de cessions de créance, contrairement à l'article 367, soit rendu public par la transcription, dans les cas d'aliénations ou de constitutions de droits immobiliers, contrairement à l'article 368: autrement, la difficulté ne se présenterait pas.
Comment dès lors en régler la priorité respective ?
La loi déclare que, dans ces cas, elle appartient à l'acts qui se trouve mentionné dans un autre; en effet, cette mention qui est l'œuvre des parties, dont l'une avait intérêt à la refuser si elle était mensongère, est la reconnaissance que l'acte préexistait à celui qui le relate.
90. La même raison de priorité ne se rencontre plue lorsque la simultanéité de date certaine résulte du décès ou de l'absence déclarée de la partie signataire de deux actes incompatibles.
Pour ce cas, la loi nous indique deux modes de déterminer la priorité. Le premier est " la possession" de la chose objet du contrat (titre de la créance cédée, meuble corporel ou immeuble); en effet, le possesseur sera défendeur à la réclamation de son adversaire, lequel ne pourrait l'évincer qu'en prouvant qu'il a lui-même la prior ité or, c'est justement ce qui lui est impossible. Si aucun des ayant-cause ne possède, la loi accorde la priorité el " celui qui fait le premier la demande en justice, en vertu de son titre cette solution se justifie par la considération que cette demande tend à la prise de possession (j).
La loi ne va pas jusqu'à prévoir que les demandes seraient formées en même temps, ce qui serait peu vraisemblable: si. le cas se présentait, on pourrait donner la préférence à celui qui le premier obtiendrait un jugement et le ferait exécuter: ce serait encore une prise de possession. Ce sont ces solutions que nous avons dit plus haut être applicables au cas d'enregistrements faits le même jour dans des bureaux différents.
91. La loi donne encore les mêmes solutions, sous les mêmes distinctions, pour le cas où aucun des actes n'aurait date certaine; elles sont fondées, en effet, sur la nécessité de sortir d'une difficulté née de la parité même des droits et non de la cause de cette parité. Du reste, c'est plutôt pour la théorie que la question est résolue: elle ne se présentera guère, puisqu'une des parties pourra toujours présenter son acte à l'enregistrement, dès qu'elle y verra avantage.
92. La loi termine par une disposition d'une grande importance qui en rappelle une analogue donnée par les articles 367 et 370.
Quand la loi organise des formalités qui ont pour but de révéler aux divers ayant-cause les actes qui les intéressent, comme la notification au débiteur cédé de la cession faite sur lui et la transcription des aliénations ou constitutions de droits réels immobiliers, elle présume qu'en l'absence de ces formalités ces actes sont restés inconnus des intéressés; mais cette présomption n'étant pas d'ordre public, n'est pas absolue. On ne pourra pas, il est vrai, prouver par tous les moyens possibles que l'intéressé à connaître l'acte l'a connu autrement que par la formalité légale: ce serait rendre presque inutile la précaution de la loi. Mais si cet intéressé avoue lui-même que ce qui ne lui a pas été régulièrement révélé est parvenu autrement à sa connaissance, alors il n'a plus qualité pour se plaindre, car il a su, en contractant, qu'il était primé par un autre ayant-cause (v. T. If, n03 209 à 213).
La situation est la même ici et elle est encore moins favorable à celui auquel on peut imputer la mauvaise foi, car si le premier acte avait été enregistré, il n'aurait pas été pour cela connu de celui à qui on l'opposerait, l'enregistrement n'étant pas un moyen de publicité, mais un moyen de prévenir la fraude; or, si le second COlltractant avoue avoir connu le premier contrat, il reconnaît qu'il n'y a pas eu fraude à son égard et qu'il a contracté à ses risques et périls.
Le texte a soin de nous dire que c'est " au moment où le second contractant a traité" que cette connaissance est requise, et il dit aussi que la préférence est alors " perdue pour lui, dans tous les cas," ce qui comprend aussi bien le cas où son acte est enregistré, quand l'autre ne l'est pas, que celui où aucun des actes n'a date certaine.
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(j) En France, toute demande en justice fondée sur uu titre doit être précédée de l'enregistrement du titre; la première demande a donc par cela même la priorité.
Art. 1352. — 93. Cet article présente deux exceptions notables fondées sur une tradition générale, laquelle elle-même est fondée sur des nécessités pratiques.
Il n'est pas d'usage qu'un débiteur qui paye des intérêts, ou tout ou partie du capital dû, fasse enregistrer la quittance qu'il se fait délivrer par son créancier: ces payements, éteignant une dette, en tout ou en partie, mettent fin à un rapport de droit ou le diminuent et semblent naturellement ne pas pouvoir être en opposition avec des droits ou intérêts de tierces personnes; le débiteur ne peut guère songer que le créancier qui a reçu son payement pourrait céder son droit comme en. tier; s'il ne pouvait opposer ses quittances à un cession naire postérieur qui lui signifierait la cession, sa position serait déplorable. Il en serait de même si les quittances ne pouvaient être opposées à un créancier qui aurait saisi la créance et notifié sa saisie.
Ce que nous disons des " quittances" est applicable aussi aux 'e décharges la décharge ne diffère de la quittance que par la circonstance que le payement qu'elle constate n'a pas été translatif de propriété, comme est le payement d'une somme d'argent ou de denrées promises, mais a consisté dans une restitution de la possession, comme la fait un dépositaire, un emprunteur à usage, un mandataire. La distinction est ici d'ailleurs sans intérêt: elle en aurait, s'il s'agissait de la perception d'un droit fiscal d'enregistrement, et précisément, ici, on suppose qu'il n'y a pas eu d'enregistrement (k).
94. La loi met sur la même ligne que les quittances ou décharges, pour la dispense d'enregistrement, les causes de compensation; il y a pourtant déjà plus de danger d'antidaté, car les causes de compensation naissent d'actes qui créent des obligations à la charge de celui qui est déjà créancier; mais la compensation constituant une sorte de payement abrégé et suivant, à beaucoup d'égard, les règles du payement (v. art. 541 s. et 555), il est naturel de la faire jouir ici de la même faveur. Il n'en serait pas de même d'une novation, par laquelle le débiteur soutiendrait que sa dette a été éteinte, ni d'une remise conventionnelle de la dette qui ne serait pas une quittance ni une décharge dans le langage juridique exact (v. n° 85 bis): il ne faut pas que la règle générale disparaisse dans les exceptions.
Bien entendu, dans les divers cas d'exceptions les tribunaux pourront reconnaître en fait et déclarer que ces divers actes libératoires ont été antidatés et en refuser le bénéfice au débiteur coupable de fraude.
95. La dernière exception concerne les " matières de commerce." Ici la loi ne dit pas '1 les actes des commerçants comme lorsqu'il s'agissait de la dispense du bon ou approuvé: elle est plus large, parce que ceux qui, sans être commerçants, font accidentellement des actes de commerce, n'ont pas davantage l'habitude de les faire enregistrer. C'est d'ailleurs un principe du droit commercial que les actes de commerce se prouvent avec plus de facilité que les actes civils et que le pouvoir des tribunaux en cette matière est très large.
Nous n'avons pas rencontré une pareille exception au sujet de la nécessité du double original: il ne faut pas la suppléer ici; mais les dispositions du Code de Commerce sur la preuve donneront sans doute tant de facilité à la preuve testimoniale et tant de force aux registres des commerçants que la condition des doubles se trouvera bien adoucie, sinon supprimée, en matière de commerce.
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(k) En France, le droit d'enregistrement est proportionnel sur les quittances et fixe sur les décharges.
SOMMAIRE.
Art. 1353 et 1354. —N° 96. Les registres des marchands prouvent contre eux. - 97. Indivisibilité de cette preuve. —98. Ils ne font aucune foi contre les non marchands. -99. Part. du droit civil et du droit commercial, en cette matière.
1355. —100. Registres et papiers domestiques: distinctions.
1356. —101. Preuve contre le créancier: deux cas.
1357. -102. Preuve contre le débiteur: un seul cas.
1358. -103. Ecritures rayées ou biffées.
1359. —104. Nul n'est tenu de produire des titres qui lui sont contraires; exception, distinction.
COMMENTAIRE.
Art. 1353 et 1354. -N' 96. La loi arrive à des écritures qui ne portent ni signature, ni sceau, mais dont l'origine n'est pas contestée: si elles ont moins de force probante que les écritures signées ou scellées c'est parce qu'elles n'ont pas pour but essentiel de créer la preuve des faits qui y sont relatés, elles sont plutôt des renseignements, des aide-mémoire; quelques-unes cependant sont érigées par la loi au rang de preuves, à raison de certaines circonstances particulières.
En première ligne sont les registres des marcbands.
Le motif qui leur fait donner plus de force qu'aux registres des personnes non marchandes c'est que les marchands sont obligés par la loi de tenir certains livres et, dès lors, il y a présomption qu'ils ont pris soin de n'y porter que des faits exacts.
Mais encore une distinction est faite par la loi.
Comme nul ne peut se créer un titre à soi-même, tandis qu'une personne peut toujours faire un aveu contre elle-même, la loi nous dit que " les registres des marchands font foi contre eux," non seulement au profit d'autres marchands, mais au profit des personnes non marchandes. Ainsi, le registre d'un marchand porte qu'il a acheté d'un autre marchand: cela peut suffire pour qu'il soit considéré comme débiteur du prix; le registre porte qu'il a reçu un payement d'un non marchand: cela suffit pour qu'il soit considéré comme n'ayant plus à se faire payer.
97. D'un autre côté, cet effet défavorable des registres étant fondé sur l'idée d'un aveu, on doit le tempérer par le principe de l'indivisibilité de l'aveu déjà rencontré (v. art. 1347) et sur lequel on s'expliquera au. sujet de l'aveu judiciaire (v. art. 1365). Disons seulement, à titre d'exemple, que si le registre d'un marchand porte qu'il a reçu une somme d'argent " pour intérêts," le débiteur ne pourrait, sans autre preuve, prétendre qu'il l'a payée comme capital; si le registre porte que la somme a été payée " comme à-compte ou à valoir," le débiteur ne pourrait prétendre qu'il l'a payée " pour solde si le registre impute le payement sur une certaine dette, le débiteur ne pourrait prétendre que c'est une autre dette qu'il a payée. Dans tous ces cas, si le débiteur veut soutenir sa prétention, il faut d'abord qu'il établisse le fait même du payement, par une preuve autre que le registre du marchand, ou qu'il fournisse directement la preuve contraire à celles des allégations du registre qui lui sont défavorables.
98. Les registres des marchands peuvent être admis par le Code de Commerce à faire preuve en leur faveur contre d'autres marchands (la question est réservée par l'article 1354); mais la loi nous dit ici qu'ils n'auront pas cet effet contre des personnes non marchandes. En effet, lorsque les deux parties sont marchandes, il y a pour elles une pareille obligation de tenir des livres et, par conséquent aussi, des avantages respectifs égaux mais les non marchands, ne tenant pas toujours de livres, n'auraient pas les mêmes moyens de combattre ceux des marchands.
Le Code français qui a une pareille disposition (art. 1329), ajoute cependant que le serment pourra être déféré à cette occasion; il ne s'explique pas sur la nature de ce serment, c'est-à-dire sur le point de savoir si ce sera le serment décisoire ou le serment supplétoire: on pense, avec raison, que c'est une allusion au serment supplétoire, déféré par le juge à la partie qui lui semble le plus digne de foi; car, pour le serment décisoire, comme il peut toujours être déféré par une partie à l'autre (v. art. 1358 et 1360) il n'y aurait pas eu besoin de le réserver dans ce cas.
Le Projet n'admettant aucun des serments judici. aires (on en donnera le motif à l'occasion du serment extrajudiciaire, seul admis, v. art. 1372 et s.), il reste donc un refus par et simple de toute force probante des registres des marchands contre les non marchands.
99. L'article 1354 renvoie au Code de Commerce, comme on vient de le remarquer déjà, pour la force probante des registres entre marchands. Mais c'était au Code civil à régler l'effet positif ou négatif de ces registres à l'égard des personnes non marchandes: du chef de celles-ci, la théorie appartient au droit civil, c'est-àdire au droit commun.
Art. 1355. — 100. Il s'agit, dans cet article et les deux suivants, d'écritures toujours non signées, ni scellées, de personnes non marchandes.
Le principe dominant est qu'elles " ne font jamais foi en faveur de celui qui les tient c'est, avec plus de rigueur encore que pour les marchands, la règle qu'on ne peut se créer un titre à soi-même.
Ces écritures (registres, notes, papiers domestiques) ne font pas non plus preuve contre leur auteur, au moins en principe; mais il y a deux exceptions lorsqu'il s'agit des écritures d'un créancier, et une lorsqu'il s'agit des écritures d'un débiteur. Comme ces deux sortes d'exceptions sont un peu développées dans leur énoncé, la loi consacre un article à chacune.
Art. 1356. — 101. I. Il s'agit des écritures du créancier: elles peuvent lui nuire dans deux cas.
Ier Cas. Le créancier a écrit sur son registre, ou sur une note détachée, qu'il a reçu un payement de son débiteur: il est naturel de croire qu'il a effectivement reçu ce payement; de même, s'il s'agit d'une autre mention qui tendrait à libérer le débiteur, comme une compensation facultative, une remise de dette.
Mais la loi devait excepter le cas où ce qui pourrait paraître une note à conserver serait, au contraire, une quittance destinée à être présentée et laissée au débiteur et sur laquelle le créancier comptait apposer sa signature au moment même du payement: ce serait au tribunal à apprécier cette circonstance. A plus forte raison, n'y aurait-il pas lieu de croire le payement reçu, si l'on trouvait dans les papiers du créancier une quittance déjà signée de lui: si c'eût été une simple note à conserver, elle n'aurait pas été signée.
IIe Cas. Le créancier a écrit une note libératoire, soit " sur le titre du débiteur," qui est évidemment un des doubles originaux dressés en vertu de l'article 1341 (lequel constate une dette à sa charge, en même temps qu'une créance en sa faveur), soit " sur une quittance antérieure", à laquelle est ajoutée la mention d'un nouveau payement. Mais, dans les deux cas, ces notes ne prouvent la libération du débiteur que si lesdites pièces sont entre ses mains: autrement, il y aurait lieu de présumer, comme au cas précédent, que ces notes ont été préparées pour être remises au débiteur contre un payement, lequel n'a pas eu lieu (a).
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(a) Ces solutions se trouvent dans le Code français (art. 1332), mais d'une façon assez obscure.
Art. 1357. — 102. II. Il s'agit ici de l'écriture d'un débiteur. Pour que la preuve d'une obligation résulte contre une personne non marchande d'une écriture qu'elle n'a pas signée, il faut que, outre l'énonciation de sa dette, elle ait mentionné que ladite écriture (note ou article de registre) " a pour but de servir de titre au créancier." Cette condition se justifie par la considération suivante: si la mention complémentaire dont il s'agit n'a pas eu lieu, il paraît bien certain que la dette, a été contractée, mais il est possible qu'elle ait été éteinte, par un payement ou autrement, et que le débiteur ait négligé de le noter ou de détruire la première note puisque le créancier n'avait pas de titre contre lui; si, au contraire, la mention a eu lieu, comme elle vaut titre pour le créancier, alors le débiteur, en la laissant subsister reconnaît qu'il n'est pas libéré.
Art. 1358. — 103. Lorsque la loi parle d'écritures privées, non signées, elle les suppose intactes: si elles sont barrées ou biffées (cancellées), elles n'ont plus de valeur. Comment pourraient-elles, en conserver, puisqu'il suffirait de surcharger la cancellation pour rendre l'écriture illisible ? Mais la loi réserve le cas où il serait prouvé que la cancellation a été faite par le débiteur en fraude du créancier ou, par le créancier lui-même, par erreur et à son préjudice.
Cette disposition ne concerne que les deux articles précédents; elle n'est pas applicable aux registres des marchands, parce qu'il est contraire à la bonne tenue des registres d'y barrer, biffer ou canceller des articles: lorsqu'une erreur est commise sur un registre, on la corrige par une écriture contraire, à la date de la découverte, avec renvois respectifs d'une écriture à l'autre.
La disposition ne s'applique pas davantage aux titres sous seing privé objets du § précédent, parce que les mots rayés ne sont, en principe, considérés comme nuls que s'ils ont été rayés au moment même de la rédaction, avec mention signée ou paraphée du nombre de mots " rayés comme nuls."
La loi n'a pas répété ici que les écritures des non marchands ne peuvent être divisées par celui qui les invoque en ce qu'elles ont de favorable et de défavorable à sa prétention: puisque ces écritures sont aussi des aveux, sous les conditions déterminées par la loi, ce sont des aveux indivisibles.
Art. 1359. — 104. On a déjà eu occasion de citer un principe des preuves qui est aussi un axiome: " nul n'est tenu de produire en justice des preuves contre lui-même" (nemo contra se bdere cogitur); la loi le consacre ici, pour lui-même et pour le tempérament qu'il comporte.
D'abord, le principe ne concerne pas les marchands, lesquels peuvent être requis de produire les registres dont la tenue est obligatoire pour eux (v. c. com. fr., art. 14). Le Code de Commerce japonais a une semblable disposition.
Ensuite, lorsqu'une partie a volontairement produit en justice des registres ou papiers, à l'appui de sa demande ou de sa défense, elle ne peut plus les retirer avant qu'il n'en. ait été extrait ce qui est relatif à la contestation; cet extrait sera fait en présence de la partie ou, au moins, après qu'elle aura été appelée à être présente.
Cette disposition et son tempérament ne sont pas moins applicables aux titres ou écritures signées qu'aux écritures non signées: s'ils sont placés dans la loi au sujet de ces dernières, c'est à cause de l'exception relative aux marchands qui ne concerne que leurs registres, car ils ne sont pas tenus de produire leurs titres s'ils ne les invoquent pas.
SOMMAIRE.
Art. 1360. — N° 105. Deux sortes d'aveux.
COMMENTAIRE.
Art. 1360. -N° J05. Après les aveux écrits, la loi passe aux aveux verbaux.
Leur caractère est, comme celui des aveux écrits, la reconnaissance d'un fait juridiquement défavorable à la partie qui le déclare.
L'aveu peut avoir lieu dans une instance ou hors d'une instance: il est donc judiciaire ou extrajudiciaire.
SOMMAIRE.
Art. 1361. — N° 106. Observation sur cette procédure eu France. -107. Ce qu'elle pourra être au Japon.
1362. -108. Capacité requise pour l'aveu. -109. Cas où cette preuve est défendue. -110. Aveux des mandataires: distinction.
1363. -111. Force considérable de l'aveu. -112. Sa rétractation pour erreur de fait. -113. Exemples à l'appui.
1364. —114. Ce que c'est ici que l'erreur de droit. —115.
Exemples à l'appui. -116. Cas où l'erreur de fait confine à l'erreur de droit. -117. Formule dn Projet tendant à prévenir la confusion. - 118. Nouveaux exemples à l'appui. -119. Justification de la nouvelle formule et des solutions qui s'y rattacbent. —120. Remarques sur les conventions annulables.
1365. -121. Indivisibilité des allégations de l'aveu: exemples et justification. -122. Première limitation: possibilité de la preuve contraire; exemples. -122 bis.Deuxième limitation: condition de simultanéité. - 123. Troisième limitation: condition de connexité exemples. —124. Question au sujet des modes d'extinction des obligations. -125. Solution spéciale à l'égard de la compensation. -126. Allégation de dépenses nécessaires ou utiles par un défendeur en revendication.
1366. —127. Aveu fait devant un tribunal incompétent: distinction entre les deux sortes d'incompétence. -128. Aveu fait dans une instance périmée ou abandonnée par désistement.
1367. —129. Aveu présumé: renvoi au Code de Procédure. 1367 bis. —130. Aveu judiciaire par une partie incapable de parler et d'écrire.
COMMENTAIRE.
Art. 1361. — N° 106. En France, les parties ne plaident pas par elles-mêmes en matière civile, mais par le ministère d'un avoue; il n'y a donc pas lieu, en principe, à la comparution des parties, en personne, devant le tribunal, et l'aveu ne peut être "spontané," comme notre article le suppose: il semble même qu'il faille que " les parties demandent à se faire interroger respectivement sur faits et articles pertinents" et qu'une requête soit nécessaire (c. pr. civ., art. 324 et 325). Nous ne comprenons guère cependant que la loi ait entendu défendre au tribunal, une fois saisi, d'ordonner d'office une comparution des parties pour les interroger sur les faits de la cause, s'il y voit un moyen de découvrir la vérité et de former sa conviction, et nous croyons qu'en pratique le cas n'est pas rare.
Il n'est pas nécessaire non plus, croyons-nous, que la comparution et l'interrogatoire soient demandés par l'adversaire même, par celui qui espère un aveu: celui qui voudrait faire des aveux pour que sa bonne foi fût re connue et aussi pour donner aux faits leur véritable physionomie, devrait y être reçu.
107. Au Japon, ces doutes n'existeront pas: lors même que l'entremise des avoués serait instituée plus tard, il est à croire que les tribunaux n'abandonneraient pas tout à fait l'usage d'entendre les parties, surtout dans les questions de bonne foi et d'intention où les explications personnelles des parties, leur attitude, leur langage, peuvent éclairer la justice mieux que les explications des avoués et les plaidoiries des avocats.
Il pourra donc y avoir des aveux spontanés, ou du propre mouvement de la partie, et des aveux provoqués par un interrogatoire, soit d'office, soit sur la demande d'une des parties.
Le. Code de Procédure civile aura à tracer à cet égard quelques règles de formes; mais il est à croire qu'on n'y reproduira pas la singulière disposition du Code français de Procédure qui veut que les faits sur lesquels porteront les questions soient articulés dans la requête (art. 325): il est trop facile alors à la partie de préparer des réponses qui, pour n'être pas écrites (la loi l'interdit, art. 833), n'en seront pas toujours plus sincères. Heureusement que le juge peut encore faire d'office des questions sur des faits non articulés (ibid).
Art. 1362. — 108. Puisque l'aveu doit faire preuve complète contre la partie qui le fait (art. suiv.), il est naturel que la loi exige chez elle " la capacité de disposer du droit qui en dépend)" de même que cette capacité serait nécessaire s'il s'agissait pour une partie de faire une reconnaissance écrite.
Si loi n'a pas exprimé la même condition de capacité pour les reconnaissances écrites, c'est qu'elles accompagnent presque toujours l'acte juridique même qu'elles constatent et pour cet acte la capacité requise est la même que pour les conventions.
Quand le texte parle " du droit qui dépend de l'aveu," il faut l'entendre aussi bien du droit qui serait reconnu au profit de l'adversaire que de celui qu'abandonnerait la partie qui avoue.
109. Il faut aussi que l'aveu porte sur des faits dont la loi ne défend pas la preuve, soit en général, soit par ce moyen.
Pour ne pas prendre d'exemples dans le droit des personnes qui, il est vrai, ne se constate pas par des aveux privés, au moins en général, mais dont le Projet n'a pas encore traité, nous supposerons qu'une partie qui aurait invoqué la prescription, quand les conditions en étaient remplies, avouerait ensuite n'avoir pas payé sa dette ou n'avoir pas acquis valablement la chose par elle possédée; ou bien qu'une partie en faveur de laquelle un jugement aurait acquis la force de chose jugée, même sans qu'elle s'en fût prévalue, avouerait que c'est à tort qu'elle a triomphé.
Dans ces deux cas et autres analogues, il y a une présomption d'ordre public qui ne peut être détruite par l'aveu d'un particulier, même de celui en faveur duquel la présomption est établie.
Ces solutions ne sont pas en opposition avec l'article 596 qui admet que celui qui a invoqué avec succès la prescription ou obtenu un jugement favorable passé en force de chose jugée peut cependant se reconnaître tenu d'une obligation naturelle: dans cet article 596, la loi suppose plus qu'un aveu du mal fondé de la prescription ou du jugement, elle suppose " une reconnaissance formelle d'une obligation naturelle," ce qui est la preuve d'une volonté de réparer l'erreur dont on a profité et même cette reconnaissance donne à l'obligation le caractère civil. Elles ne sont pas non plus en opposition avec les articles 141 6, 1433 et 1498 qui admettent que le bén6fice de la chose jugée et de la prescription peut être perdu pour la partie qui avoue que l'une ou l'autre présomption n'est pas fondée, en ce qui la concerne: dans ces cas, la loi suppose que l'aveu est concomitant à l'exception proposée, et il est naturel que le défendeur, la démentant en même temps qu'il l'invoque, en perde le bénéfice.
110. En principe l'aveu doit être fait par la partie elle-même: c'est à cette condition qu'il a une si grande force contre elle. Mais comme la partie peut être éloignée et que ce serait une grande complication que de la faire interroger par un juge-commissaire appartenant à un autre tribunal, elle peut donner un pouvoir spécial de la représenter: mais remarquons que ce ne sera pas un pouvoir de répondre à l'interrogatoire, en quelque manière que ce soit, même par dénégation des faits en question (autrement, toutes les garanties de sincérité disparaîtraient): ce sera un pouvoir spécial d'avouer certains faits défavorables au mandant.
Les mandataires ad negotia. (mandataires-gérants) pourront, il est vrai, être admis à répondre sur faits et articles et sans pouvoir spécial d'avouer, pour ce qui concerne leur gestion, mais alors ils seront considérés comme parties et leurs aveux nuiront tant à leur mandant dans ses rapports avec les tiers qu'à eux-mêmes dans leurs rapports avec leur mandant.
Enfin, la loi réserve les aveux permis, ou non, aux mandataires judiciaires des parties (mandataires ad litex), c'est le Code de Procédure civile qui dira dans quels cas leurs aveux ont effet contre la partie qu'ils représentent et quand ils ne l'ont pas, soit qu'il faille ou non, dans ce cas, recourir, comme en France, à une procédure spéciale dite " de désaveu" (a).
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(a) La qualification d'avoués donnée en France aux représentants judiciaires a précisément un rapport avec la matière de l'aveu lorsqu'ils reconnaissent un fait à la charge de leur client, il y a présomption qu'ils sont autorisés à le faire; mais cette présomption est renversée facilement par la procédure de désaveu (v. c. pr. civ., art. 352 et s.).
Art. 1363. — 111. La loi détermine ici la force de l'aveu judiciaire. Cette force est la plus considérable possible: Il l'aveu fait pleine foi contre celui de qui il émane," ce sont à peu près les mêmes expressions que celles du Code français qui porte " l'aveu fait pleine foi contre celui qui le fait" (art. 1356, 2e al.); les anciens l'appelaient " la preuve la plus probante" (probatio probatissima).
Pour que l'aveu ait cette force probante, il faut qu'il soit non seulement formulé, exprimé devant la justice, mais encore acquis à l'adversaire, ce qui a lieu lorsque celui-ci l'a accepté ou lorsque le tribunal en a " donné acte," c'est-à-dire a déclaré qu'il l'a entendu. A partir de ce moment, l'aveu ne peut être rétracté; jusque-là il le pourrait; mais il n'y a guère de danger que la partie qui a avoué puisse souvent retirer son aveu, car l'adversaire étant à l'audience, en personne ou par un représentant, ne manquera pas de s'emparer de l'aveu, en demandant au tribunal de lui en donner acte; si même l'adversaire n'était pas représenté à l'audience, rien ne s'opposerait à ce que le tribunal donnât acte de l'aveu, puisqu'il est saisi de la contestation et que l'aveu sera pour lui le meilleur élément de conviction.
112. L'aveu une fois acquis ne peut plus être rétracté purement et simplement; mais il peut l'être " pour erreur de fait," à charge, bien entendu, de la justification de cette erreur (b).
En effet, l'aveu est la reconnaissance " d'un fait pouvant produire des conséquences juridiques contre celui de qui elle émane" (art. 1360). Mais rien n'est facile comme de se tromper sur la réalité d'un fait, et si l'erreur de fait peut faire annuler une convention, il est naturel qu'elle puisse de même faire annuler un aveu; il semble même que cette annulation soit encore plus facilement recevable que celle d'une convention, car, dans la convention, la partie adverse a compté, dès l'origine de ce rapport de droit, sur une situation déterminée dont elle ne doit pas être facilement privée, tandis que l'aveu n'est survenu qu'après coup, dans une situation discutée, et le changement favorable qu'il y a apporté quant à la preuve, n'ayant pas été absolument prévu, peut disparaître sans causer le même dommage que s'il s'agissait d'un avantage contractuel.
113. Quelques exemples de cette rétractation pour erreur de fait sont nécessaires.
Dans une action personnelle, le défendeur reconnaît qu'il a emprunté du demandeur une somme d'argent ou qu'il lui a acheté des denrées dont il doit encore le prix; or, l'acte ayant été fait non par lui-même mais par son agent ou serviteur, il s'est trompé sur la personne du prêteur ou du vendeur et il le prouve: comme cet aveu erroné n'empêcherait pas qu'il fût débiteur du vrai créancier, il fera annuler son aveu: autrement, il se trouve- rait avoir deux dettes au lieu d'une. Il en serait de même s'il avait avoué une dette réellement existante envers le demandeur, mais d'une somme moins forte. La personne du créancier, le montant de la somme due, sont des éléments de fait de l'obligation. On pourrait supposer encore que le demandeur a reconnu avoir reçu le payement de son débiteur, ce qui prouverait l'extinction de la dette, tandis qu'il l'avait reçu d'un autre qui a exercé ou pourra exercer contre lui la répétition de l'indu: il y aurait erreur de fait sur la personne; ou bien, le demandeur aurait avoué avoir reçu un payement total, lorsqu'en fait il n'avait reçu qu'un payement partiel.
Dans une action réelle, le défendeur reconnaît que telle parcelle de terre qu'il possède ne fait pas partie d'une propriété qui a été vendue à son auteur; plus tard, il retrouve un acte complémentaire ou rectificatif de ]a vente, ou de l'arpentage qui l'avait suivie, et en vertu duquel cette parcelle est comprise dans la vente. Ou bien, en sens inverse, c'est le demandeur qui avoue et reconnaît que cette parcelle de terre faisait partie de la vente; mais ensuite, il retrouve le plan qui avait été annexé à la vente et qui ne comprend pas cette parcelle.
Il est quelquefois plus difficile de séparer l'erreur de fait de l'erreur de droit, et cependant la distinction est très importante, comme on le voit à l'article suivant avec lequel la théorie va être complétée.
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(b) Le Code français exige cette condition de preuve (art. 1356, d,e al.); si le Projet 11e l'exprime pas, c'est qu'elle résulte d'un principe général qui ouvre la matière des preuves (art. 1314) et qu'elle est déjà écrite spécialement pour l'erreur dans les conventions (v. art. 339).
Art. 1364. — 114. Le Code français se borne à dire que " l'aveu ne peut être révoqué pour erreur de droit" (art. 1356, 4e al): le Projet ajoute d'abord à cette proposition quelques mots qui en fixent le sens; ensuite, il indique formellement une nature d'aveu à laquelle elle ne s'applique pas.
Le 1er alinéa exprime ce que la doctrine a eu quelque peine à faire reconnaître, à savoir que l'erreur de droit n'est ici que l'erreur " sur les conséquences légales ou juridiques du fait reconnu." Ainsi entendue, il est naturel que cette erreur n'infirme en rien la force probante de l'aveu que l'on suppose avoir porté sur un fait: le fait n'est pas moins vrai parce que la partie qui l'avoue ignore qu'elles conséquences en résulteront contre elle, d'après la loi et le droit; bien mieux, l'aveu est d'autant plus sincère, et plus complet sans doute, que la partie ne prévoyait pas les effets qui en résulteraient contre elle.
115. Ainsi, en matière personnelle, un défendeur a reconnu une dette d'argent, mais il ignorait que la dette était de celles qui portent intérêt de plein droit: par exemple, c'était un mandataire qui avait employé à son profit des sommes provenant de sa gestion, et, il a reconnu non seulement la somme dont il était reliquataire, mais encore l'emploi desdites sommes à son profit, sans autorisation du mandant: il devra les intérêts légaux, du jour de l'emploi (art. 938), et il ne sera pas admis à révoquer son aveu, sous prétexte et en prouvant qu'il ignorait cette sévérité de la loi. De même, un défendeur ou un demandeur a reconnu une obligation de somme d'argent au profit de son adversaire et il ignorait que cette dette lui enlevait tout ou partie d'une créance contre celui-ci, par l'effet de la compensation légale: son aveu tient et la compensation aura lieu.
En matière réelle, le défendeur a reconnu qu'il savait, depuis une certaine époque, que la chose par lui possédée appartenait au demandeur; il ignorait que le possesseur doit les fruits au revendiquant depuis que sa bonne foi a cessé ("art. 206, 4 e al.): cette erreur de droit ne vicie pas son aveu et il rendra les fruits.
Dans une pareille action en revendication; le demandeur a avoué que certaines dépenses de conservation ou d'amélioration avaient été faites, non par lui mais par le possesseur; il ignorait que le revendiquant doit rembourser au possesseur les dépenses nécessaires et utiles (art. 208): cette erreur ne l'en exonère pas.
116. Nous avons dit, au sujet de l'erreur de fait, qu'elle confine quelquefois de si près à l'erreur de droit que l'on pourrait aisément s'y méprendre.
Par exemple, un défendeur a reconnu qu'il avait emprunté à usage ou reçu en dépôt du demandeur un objet que celui-ci prétend sien, et le défendeur ne lui en a pas contesté la propriété; plus tard, il reconnaît et prouve que cet objet lui appartenait à lui-même, par conséquent, il n'en devrait pas la restitution: on pourrait dire qu'il y a là une erreur sur le droit de propriété; mais on peut dire aussi qu'il y a eu ignorance du fait juridique qui avait rendu le défendeur propriétaire avant son aveu, et cet aveu pourra être rétracté.
De même un acheteur d'immeuble, demandeur en revendication contre un tiers possesseur, a reconnu que le défendeur lui était préférable à cause d'une transcription antérieure qu'il avait ignorée d'abord; plus tard, il découvre que cette transcription est sans effet contre lui, parce que le titre transcrit n'émane pas du vrai propriétaire: il semble bien que le demandeur invoque un principe de droit pour révoquer son aveu, et ce principe est que la transcription n'a de valeur, comme mode de publication des mutations, que quand elle s'applique à des titres valables en eux-mêmes; mais on peut dire aussi qu'il y a eu erreur de fait sur la personnalité de l'auteur du titre transcrit.
117. Pour prévenir de pareilles difficultés, le 28 alinéa de notre article introduit une proposition nouvelle qu'il faut développer et justifier.
On n'a pas assez mis en relief, dans la doctrine, que l'aveu peut porter sur 1.m fait favorable à l'adversaire ou sur le droit par lui prétendu. Or ce n'est que quand l'aveu porte sur un fait qu'il ne peut être révoqué pour erreur de droit, c'est-à-dire pour erreur "sur les conséquences légales ou juridiques de ce fait." Mais quand celui qui avoue reconnaît le droit de son adversaire, c'est comme s'il déduisait lui-même les conséquences légales soit de certains faits qui par leur nature seraient générateurs de ce droit, soit de l'absence d'autres faits qui par eux-mêmes auraient éteint ce droit; or, si, dans le premier cas, ces faits n'existaient pas, ou si, dans le second cas, ils existaient, la conséquence a été indûment déduite: au fond et dans le principe, il y a bien eu erreur de fait, mais, dans le résultat final, il y a erreur de droit.
Quelquefois même il n'y aurait nulle erreur de fait, mais seulement erreur de droit; c'est lorsque la partie, connaissant exactement les faits, en aurait mal à propos déduit l'existence ou la persistance contre elle du droit prétendu par son adversaire: son erreur de droit ne pourrait faire naître un droit pour autrui ou en empêcher l'extinction; l'aveu pourra donc être rétracté.
118. Ces trois dernières hypothèses doivent être appuyées par des exemples.
Au premier cas, un défendeur s'est reconnu débiteur d'une somme déterminée, en vertu d'un contrat antérieur de novation qui, en fait, avait été réellement consenti; mais il découvre ensuite que cette prétendue novation était nulle, faute de cause, parce que la dette primitive qu'on avait voulu éteindre par novation était elle-même nulle à l'origine, ou éteinte au moment où on a voulu et cru la nover: il y a là une erreur de droit qui certainement permettra de faire révoquer l'aveu.
Au deuxième cas, le défendeur, créancier lui-même du demandeur et le sachant, mais ignorant que sa créance avait éteint sa dette jusqu'à due concurrence, par compensation légale, s'est reconnu débiteur de tout ce qui lui était réclamé, se réservant de faire valoir ultérieurement son propre droit: son ignorance des règles de la compensation légale ne doit pas le priver de cet avantage.
Enfin, au troisième cas, un débiteur solidaire, sachant bien que le créancier avait fait la remise de la dette à l'un de ses codébiteurs, mais ignorant que cette remise libère tous les débiteurs (v. art. 538, 2e ai.).. s'est reconnu débiteur de toute la dette, en retranchant seulement la part de celui auquel la remise a été faite: cette erreur de droit ne le privera pas du droit d'invoquer sa libération totale.
119. La justification de toutes ces solutions nous est indiquée suffisamment par le texte même: " la partie qui a fait l'aveu direct ou indirect d II droit de son adversaire ne perd pas la faculté de contester la cause originaire ou la persistance du prétendu droit."
En effet, l'erreur de droit ne peut donner naissance à une dette qui n'aurait pas de cause, ni la faire subsister quand une cause d'extinction s'en serait produite.
Et ce qui achèvera de lever tous les doutes, c'est que si le prétendu débiteur avait payé, à la suite de cet aveu, il aurait certainement la répétition de l'indu; or, c'est un axiome de droit naturel " qu'il est plus simple et plus juste de ne pas payer ce qu'on pourrait répéter une fois payé " (melius est non solvere quàm solutum repetere).
120. On remarquera que, dans ces divers exemples, on n'a pas supposé que les actes antérieurs auxquels se rapportait l'aveu étaient simplemeut annulables pour vice de consentement ou pour incapacité. La solution devrait être la même; en effet, l'aveu d'une obligation annulable en est bien une preuve qui dispense de produire des titres ou d'autres preuves, mais il laisse subsister l'annulabilité: l'aveu ne figure pas dans les cas de confirmation tacite (v. art. 579) et il ne remplit pas les conditions rigoureuses de la confirmation expresse (v. art. 578) (c).
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(c) L'article 579 porte bien un 2e alinéa nouveau qui permet aux tribunaux de reconnaître des confirmations tacites dans d'autres cas que ceux énumérés au lor alinéa; mais il ne faudrait pas que l'exercice de ce pouvoir des tribunaux fût excessif et rendît inutiles les conditions rigoureuses de la confirmation expresse.
Art. 1365. — 121. Le principe de l'indivisibilité de l'aveu a déjà été déclaré applicable à l'acte sous seing privé (art. 1347) et aux écritures non signées (art. 1353); la loi a réservé de le formuler ici avec les limites qu'il comporte.
Il est d'une équité évidente que, lorsqu'une partie n'a pas d'autre preuve en sa faveur que l'aveu de son adversaire, elle ne puisse, lorsque cet aveu est complexe ou modifié (d), le décomposer à son gré; pour en prendre ce qui lui est favorable et en rejeter ce qui lui est contraire: elle doit l'accepter ou le rejeter en entier. En effet, du moment que celui qui avoue donne une garantie de sa sincérité, en reconnaissant des faits à lui défavorables et qu'il pourrait taire, il n'y a pas lieu de douter de sa bonne foi au sujet des déclarations qui restreignent la portée de cet aveu. Les anciens jurisconsultes du moyenâge disaient à ce sujet: lt la bouche qui a lié peut délier."
Ainsi, un défendeur reconnaît avoir emprunté du demandeur une somme déterminée, mais il ajoute, immédiatement, qu'il en a remboursé une partie ou même la totalité: le demandeur ne pourra pas s'emparer de la première déclaration et rejeter la seconde, c'est-à-dire exiger la preuve directe du payement. Comment, en effet, pourrait-il exiger que le débiteur fournît une preuve écrite ou testimoniale du payement, quand lui-même n'a aucune preuve de son prêt, si ce n'est l'aveu de son débiteur ? Si le débiteur était de mauvaise foi, il lui serait aussi facile de ne pas faire l'aveu du prêt que d'en alléguer faussement le remboursement.
Supposons maintenant un aveu en matière réelle. Le demandeur revendique un meuble ou un immeuble comme l'ayant acheté du défendeur; il n'a pas de titre mais le défendeur avoue qu'il lui a, en effet, vendu la chose: la preuve de la vente est complète; mais le défendeur allègue que le prix n'a pas été payé et que, par conséquent, il a droit à la résolution de l'aliénation ou, au moins, à la rétention jusqu'à parfait payement; cette seconde déclaration est connexe à la première, elle la modifie et elle n'en peut être séparée. Pour justifier cette indivisibilité, on dira, comme au sujet de l'exemple précédent, que si le défendeur était de mauvaise foi, il lui serait tout aussi facile de nier la vente que le payement, puisque le demandeur n'a de preuve ni de l'un ni de l'autre fait.
122. Mais l'indivisibilité de l'aveu ne présente pas toujours cette simplicité dans l'application: elle comporte trois limites que nous indique le texte: la première, c'est que les allégations modificatives de l'aveu soient " simultanées ou concomitantes à l'aveu; la seconde, c'est que les faits allégués comme modifiant l'aveu soient f, connexes au fait principal;" la troisième, c'est que ces allégations favorables au défendeur ne soient pas démenties par une preuve contraire du demandeur.
Nous appliquerons immédiatement cette troisième limite à l'exemple précédent: lorsque le défendeur aura modifié son aveu de la vente, en alléguant que le prix n'a pas été payé, le demandeur sera nécessairement admis à faire preuve de son payement, par quittance, par témoins, ou autrement, d'après le droit commun.
De même dans le premier exemple, celui d'un défendeur avouant un emprunt, mais alléguant l'avoir remboursé en tout ou en partie, la preuve contraire à cette allégation sera plus difficile, parce qu'elle consistera à prouver un fait négatif; mais la difficulté ne tient pas à l'indivisibilité de l'aveu (v. nos 9 et 10).
Prenons encore d'autres exemples, à cause de la difficulté de la matière.
Le défendeur à une revendication d'immeuble reCOll. naît bien que la propriété appartient au demandeur, mais il allègue que sa possession est fondée sur un juste titre, ce qui lui faciliterait l'acquisition des fruits, et même de la propriété par la prescription: le demandeur pourra démentir cette allégation en prouvant que la possession est sans titre ou même précaire, ce qui exclut l'acquisition des fruits dans le premier et la prescription dans le second.
Le défendeur à une semblable revendication, tout en avouant le droit antérieur de propriété du demandeur, allègue que sa propre possession est à juste titre et a déjà plus de quinze ans de durée: le demandeur n'est pas en situation de constater le juste titre, mais il prouve qU3 la possession n'a pas dix ans, notamment parce qu'il possédait encore lui-même à une époque moins reculée.
Voilà des cas où, la modification de l'aveu étant écartée par la preuve contraire, l'aveu reste par et simple en faveur du demandeur.
122 bis. La première limite à l'indivisibilité c'est la simultanéité des allégations modificatives avec l'aveu lui-même: faites postérieurement, elles n'auraient plus de valeur. Il semblerait pourtant qu'on pût, ici encore, appliquer le raisonnement qui a déjà été invoqué plusieurs fois, à savoir que, si la partie n'était pas sincère, elle pouvait, plus facilement encore, ne pas faire l'aveu lui-même, au lieu de le modifier après coup; mais, d'abord, il faut reconnaître que des allégations tardives peuvent être l'effet d'une réflexion et d'un calcul de mauvaise foi, plutôt que celles qui sont concomitantes à l'aveu; ensuite et surtout, l'aveu, une fois fait purement et simplement, a créé pour l'autre partie une situation avantageuse qui ne peut être modifiée à son préjudice par des allégations qui en forment une rétractation partielle (1).
123. Voyons enfin la dernière limite à l'indivisibilité de l'aveu, celle qui consiste dans la condition de connexité.
Voici d'abord quelques nouveaux exemples dans lesquels l'aveu reste indivisible, précisément parce que les faits allégués comme modifiant l'aveu " sont connexes au fait principal."
Le demandeur n'a d'autre preuve d'une promesse à lui faite que l'aveu du défendeur, et celui-ci allègue que sa promesse a été faite par erreur, soit sur la cause, soit sur l'objet, soit sur la personne; le fait de l'erreur, bien qu'antérieur à l'engagement, y est connexe; il en serait de même si le défendeur modifiait son aveu en alléguant une violence du demandeur ou d'un tiers, ou même s'il alléguait la minorité ou une autre cause d'incapacité existant en sa personne au moment de son engagement; sauf, dans tous ces cas, la preuve contraire permise au demandeur, et elle pourrait être facile dans le cas d'incapacité.
124. Nous avons déjà supposé que le défendeur, tout en avouant une dette, en a allégué le payement postérieur, total ou partiel, et nous avons établi que cette seconde allégation ne pourrait être séparée de la première. En serait-il de même si le défendeur modifiait son aveu par l'allégation d'une novation, d'une remise de dette, d'une compensation, ou d'un des autres modes d'extinction des obligations ?
Il faut, en principe, répondre affirmativement, parce que les modes d'extinction des obligations ont avec celles-ci la connexité sur laquelle se fonde l'indivisibilité de l'aveu qui nous occupe.
Sans doute, quelques-uns de ces modes sont moins fréquents que les autres, comme la novation et la remise conventionnelle, mais ils n'en sont pas moins connexes au fait principal qui est l'obligation avouée, et on peut toujours dire que si le débiteur était de mauvaise foi, il lui serait tout aussi facile, et même davantage, de nier l'obligation elle-même que d'inventer une novation ou une remise de dette dont le demandeur pourra faire la preuve contraire.
Le défendeur pourrait même alléguer une confusion; mais comme les faits qui réunissent en une même personne les qualités opposées de créancier et de débiteur sont assez limités et faciles à vérifier (v. art. 556), il y a peu à craindre que le défendeur les allègue mensongèrement.
Il y a plus de difficulté au sujet de l'impossibilité d'exécuter et de la compensation.
Pour l'impossibilité d'exécuter, l'objection vient du principe d'après lequel " le débiteur doit prouver le cas fortuit ou la force majeure qu'il invoque" (v. art 563); or, on pourrait dire que sa simple allégation, modificative de l'aveu de sa dette, ne peut être considérée comme une preuve en sa faveur; mais il ne faut pas perdre de vue que cette allégation qui serait sans valeur si elle était isolée, acquiert une grande force par sa connexité aveo l'aveu; le défendeur sera donc reçu à modifier et même à détruire son aveu par la déclaration d'un cas fortuit déterminé ayant empêché l'exécution; sauf toujours la faculté pour le créancier de prouver que le fait allégué n'a pas eu lieu ou que la cause n'en était pas fortuite, mais était due à la négligence du débiteur.
125. Pour la compensation, la solution doit être différente. Ainsi, le défendeur avoue sa dette, mais il allègue que, d'un autre côté, soit avant, soit après cette dette, il est devenu lui-même créancier de choses fongibles avec celles qu'il doit et, en outre, liquides et exigibles, en sorte que les deux dettes se compensent en tout ou en partie (v. art. 542). Assurément, la compensation est une cause légale d'extinction des obligations, mais il n'y a aucune connexité d'origine entre les deux dettes et c'est ce qui fait la profonde différence entre ce mode d'extinction et les autres: le payement, la novation, la remise de la dette, ne se conçoivent pas sans une dette préalable à laquelle ces faits se rapportent et qu'ils ont pour unique but d'éteindre; au contraire, la créance qui donne lieu à compensation est si peu connexe à la dette avouée qu'elle peut l'avoir précédée, aussi bien qu'elle a pu la suivre et que même elle.aurait pu exister seule; elle peut donc être l'objet d'une action distincte de la dette avouée et, certes, dans ce cas, le prétendu créancier ne pourrait se borner à une allégation: il devrait en fournir une preuve complète, par les moyens ordinaires; si cette créance arrive à constituer, par compensation, un mode d'extinction des obligations, ce n'est pas par la nature des choses, mais par une raison d'utilité et de célérité reconnue par la loi, et qui ne peut changer les règles générales de la preuve.
Nous concluons que si le débiteur avoue sa dette, il ne pourra en invoquer la compensation avec une créance qu'il prétendrait lui appartenir, à moins de fournir la preuve directe de celle-ci, d'après les modes ordinaires.
126. Nous donnerons encore, avec une action réelle, un exemple de cas où l'aveu sera divisible parce que la seconde déclaration ne sera pas connexe au fait principal.
Un défendeur actionné en revendication d'un immeuble reconnaît bien le droit de propriété du demandeur; mais il prétend qu'il a fait pour la chose des dépenses nécessaires ou utiles, c'est-à-dire qu'il l'a conservée ou améliorée: il devra prouver ces dépenses, avec leur caractère et leur montant, car, bien que cette prétendue créance soit relative à l'immeuble, elle n'y a qu'un rapport accidentel; en effet, la dépense aurait pu être faite par un gérant d'affaires qui ne possédait pas l'immeuble et elle aurait pu donner lieu à une action directe dans laquelle, comme au cas précédent d'une créance compensatoire, le demandeur aurait dû faire la preuve d'après le droit commun; il n'est donc pas admissible qu'il puisse, à la faveur d'un aveu du droit du demandeur, se borner à une allégation pure et simple de sa créance.
L'importance et la difficulté de cette théorie pourrait autoriser de nouvelles hypothèses; mais nous pensons que celles qui précèdent suffiront pour aider à résoudre les cas non prévus.
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(d) L'aveu complexe est opposé à l'aveu par et simple; on le nomme aussi, dans la doctrine et la jurisprudence françaises, aveu qualifié; mais nous préférons l'expression d'aveu modifié, comme formant plus clairement opposition à l'aveu par et simple.
(1) Cette première condition de l'indivisibilité de l'aveu ne se trouvait pas dans l'ancienne rédaction; elle ne figure pas non plus au Texte officiel; niais elle pourra y être suppléée par interprétation.
Art. 1366. — 127. Généralement, tout ce qui a été fait dans une procédure est vicié par l'incompétence du tribunal, lorsque cette incompétence est reconnue en temps utile, suivant les règles qui sont déterminées par le Code de Procédure civile et par la Loi organique des Cours et Tribunaux.
Il n'en est pas ainsi, au moins en règle générale, de l'aveu fait en justice: bien qu'il soit au cours d'une procédure, il n'y figure que par accident, en. quelque sorte, et il est l'œuvre de la partie et non du tribunal; l'incompétence du tribunal ne peut donc infirmer une déclaration qui tire sa force de la présomption de vérité attachée à l'intérêt qu'avait la partie à ne pas la faire; le tribunal qui en a donné acte était peut-être incompétent pour juger le fond, mais il n'en était pas moins une autorité publique apte à constater un fait accompli devant elle.
Ainsi, le tribunal saisi d'une action personnelle n'était pas celui du domicile du débiteur, mais le débiteur y a reconnu son obligation; ou bien, une action réelle immobilière avait été portée devant un tribunal autre que celui de la situation du bien litigieux et le défendeur y a reconnu le droit de propriété du demandeur: cette incompétence, quoique dite "à raison de la personne" (ratione personce), parce qu'elle est établie dans le seul intérêt du défendeur (ce qui aurait dû lui faire donner le nom de "relative ") ne saurait raisonnablement, par le motif indiqué plus haut, être invoquée par le défendeur pour infirmer son aveu.
Au contraire, si le tribunal était incompétent ”à raison de la matière" (ratione materice), ce qui constituerait une incompétence ”absolue et d'ordre public," comme le litige ne pourrait lui être soumis en aucun cas, il n'a pas qualité pour constater un aveu qui concerne le fond du droit et doit entraîner une décision défavorable à celui qui l'a fait. Tel serait le cas où une action civile réelle ou personnelle aurait été portée devant un tribunal administratif.
La loi cependant ne refuse pas tout effet à un aveu fait devant un tribunal incompétent par raison d'ordre public: cet aveu vaut comme extrajudiciaire, avec les effets indiqués au § suivant.
Ces distinctions qui ne sont pas exprimées dans le Code français y peuvent être suppléées par interprétation.
128. On devrait donner la même décision que pour le cas d'incompétence relative, si l'aveu avait eu lieu dans une instance tombée en péremption: la péremption d'instance résultant d'une longue discontinuité des poursuites ne fait tomber que "les actes de procédure" proprement dits (v. c. pr. civ. fr., art. 397 et 401); or, l'aveu n'a pas ce caractère.
Enfin, la même décision s'appliquerait aussi s'il y avait désistement d'instance de la part du demandeur (v. ibid., art. 402 et 403): assurément, si c'était le de....mandeur qui eût avoué un fait favorable au défendeur et qu'il en eût été donné acte à celui-ci, il ne serait pas soutenable que le demandeur, en se désistant de son action, détruisît l'effet de son aveu; et lorsque c'est le défendeur qui a fait un aveu, le désistement du demandeur, loin d'impliquer la renonciation au bénéfice de l'aveu obtenu, s'explique plutôt par cette idée que le demandeur ayant obtenu l'aveu de son adversaire et pouvant en espérer désormais une exécution volontaire, a pu croire qu'il n'y avait pas lieu de continuer le procès.
Art. 1367. — 129. De même qu'une partie assignée en reconnaissance d'écriture peut être réputée faire cette reconnaissance faute de faire une dénégation formelle de ladite écriture (v. art. 1340), de même une partie peut être réputée avouer les faits litigieux sur lesquels, ayant été dûment appelée à se prononcer, elle a refusé de le faire. Cette mise en demeure pour une partie de s'expliquer sur certains faits peut avoir lieu comme préliminaire d'une enquête ou preuve testimoniale, ou sur une sommation des parties à comparaître devant le juge pour répondre à un interrogatoire sur faits et articles. C'est le Code de Procédure civile qui se prononcera sur les conditions auxquelles sera subordonnée cette présomption d'aveu tacite.
Art. 1367 bis. -130. L'aveu judiciaire est naturellement verbal; mais de ce qu'une partie serait incapable de parler, soit par accident ou maladie, soit par infirmité perpétuelle, il ne faudrait pas qu'il en résultât pour la partie adverse une impossibilité de bénéficier d'un aveu ou d'une reconnaissance qui serait dans l'intention formelle de la première. Sans doute, si la partie incapable de parler peut écrire,elle aura déjà la ressource de fournir une reconnaissance écrite ordinaire, un acte sous seing privé, qui n'est autre chose qu'un aveu écrit extrajudiciaire, comme le dit l'article 1334; mais cet aveu a besoin lui-même d'être reconnu en justice ou „ légalement tenu pour reconnu. Il faut donc autoriser la justice à recevoir elle-même une déclaration écrite à laquelle elle donnera une authenticité spéciale, en la revêtant du sceau du tribunal, avec une mention expresse du greffier portant que ladite déelaration a été faite par écrit en présence du tribunal.
La loi devait prévoir encore le cas où une partie incapable de parler le serait aussi d'écrire; dans ce cas, si la partie peut répondre clairement, par signes, aux questions à elle posées par le tribunal, ou par l'adversaire en présence du tribunal, et si le tribunal estime que "la réponse est certaine," les règles de l'aveu verbal seront applicables.
Il va de soi qu'un pareil aveu sera très rarement sollicité et encore plus rarement accueilli par un tribunal; mais il est bon que son admissibilité soit reconnue par la loi, de même que la loi a admis que le consentement à une proposition de contrat pût être donné par signes (v. art. 328).
SOMMAIRE.
Art. 1368. — N° 131. Condition de l'aveu verbal extrajudiciaire. -132. Aveu par lettre missive ou dans un document. —133. Preuve de l'aveu extrajudiciaire.
1369. -134. Application à l'aveu extrajudiciaire de plusieurs règles de l'aveu judiciaire.
1370. -135. Rappel de la ratification tacite.
1371. —136. Interruption de la prescription par l'aveu, même rétracté: sa reprise seulement pour le temps restant à courir.
COMMENTAIRE.
Art. 1368. — N° 131. 11 n'y a pas besoin de définir dans la loi l'aveu extrajudiciaire: son nom même indique qu'il est fait hors de la présence de la justice. Mais ce qu'il importe de remarquer, avec le texte, c'est que si l'aveu extrajudiciaire n'a pas été fait en présence de l'adversaire ou de son représentant, légal, judiciaire ou conventionnel, il n'a aucune force probante; la présence seule de celui qui a intérêt à s'emparer de l'aveu, à s'en prévaloir, permet de croire que cet aveu n'a pas été fait légèrement ou dans un but incertain.
Ainsi, il pourrait arriver qu'une personne, sollicitée à faire un prêt d'argent et voulant se soustraire poliment à des importunités, déclarât mensongèrement au solliciteur qu'elle a une obligation de pareille ou plus forte somme à accomplir prochainement envers une personne qu'elle désigne nominativement, pour donner plus de force à son subterfuge; or, il serait tout à fait inadmissible que cette dernière personne, informée de la déclaration qui la concerne, s'en emparât comme d'une preuve de sa créance.
De même, sollicité de vendre un objet par quelqu'un auquel on n'ose pas opposer un refus désobligeant, on allègue avoir déjà vendu cet objet à une personne désignée: il serait impossible d'admettre que ce prétendu acquéreur pût revendiquer l'objet contre celui qui a fait cet aveu mensonger.
Dans les deux cas, on doit appliquer le principe que les actes juridiques n'ont d'effet qu'à l'égard des parties qui y figurent (a).
Le texte nous dit (1) que l'aveu extrajudiciaire n'a d'effet que s'il a été accepté par celui auquel il doit profiter, c'est une ressemblance avec l'aveu judiciaire (v. art. 1363); mais, de même que l'aveu judiciaire, il n'est pas nécessaire que l'acceptation soit immédiate: elle peut être faite tant que l'aveu n'a pas été rétracté (v. n° 111).
132. La loi met sur la même ligne que l'aveu verbal fait en présence de l'adversaire ou de son représentant une lettre missive ou un document à lui adressé. Il a paru bon de s'en expliquer, car on trouve, à cet égard, quelques divergences dans la doctrine et la jurisprudence françaises; or, il ne faut pas hésiter à donner à une lettre missive toute la valeur d'un acte sous seing privé, lorsqu'elle en remplit les conditions, notamment la signature, et lorsque d'ailleurs son objet a toute la précision nécessaire (v. art. 1334, 2' al.).
La loi ajoute à la lettre missive l'envoi ou la remise d'un document contenant l'aveu ou la reconnaissance: l'expression "document" est très large et comprend toute espèce de pièce écrite ayant un caractère juridique et relative aux faits que concerne la reconnaissance.
133. L'aveu contenu dans une lettre ou un document a l'avantage qu'il devient ainsi une preuve écrite de l'aveu, en sorte qu'il n'y a plus qu'à en examiner et apprécier la portée. Au contraire, l'aveu verbal extrajudiciaire a besoin lui-même d'être prouvé, c'est pourquoi la loi se prononce sur la manière dont il pourra l'être. Il ne reste guère, à cet égard, que la preuve testimoniale, à moins que l'aveu verbal ne soit reproduit en justice, auquel cas, il devient un aveu judiciaire: autrement, on se retrouve en présence des conditions restrictives de la preuve testimoniale telles qu'elles sont exposées plus loin (v. art. 1396 et s.). Ainsi, la loi défendant la preuve testimoniale d'une obligation de plus de 50 yens, il est clair qu'il ne pourrait être permis au prétendu créancier de prouver par témoins que le débiteur a fait un aveu extrajudiciaire d'une dette supérieure à cette somme.
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(1) C'est une addition à l'ancien texte.
(a) Res inter alios acta aliis neque nocet neque prodest (v. art. 365 et T. II, nos 168 et 229).
Art. 1369. — 134. Dès que l'aveu extrajudiciaire est prouvé il n'y a plus de raison de lui attribuer moins de force qu'à l'aveu judiciaire; la loi renvoie donc aux trois théories qui sont propres à cet aveu, savoir: sa force probante absolue, n'admettant pas, en principe, de preuve contraire, la possibilité de le rétracter exceptionnellement pour erreur de fait, et son indivisibilité.
Néanmoins, la loi, considérant que cet aveu n'a pas eu lieu en présence de la justice, admet qu'il pourrait avoir été l'effet d'une inadvertance ou d'une surprise, et elle recommande au juge, devant lequel il pourra être invoqué plus tard, "de ne tenir compte que d'un aveu assez précis et assez formel pour ne pouvoir être attribué à une pareille cause." Cette disposition est une part faite à l'opinion dominante de la doctrine française qui, exagérant cette idée, veut laisser au juge tout pouvoir pour appliquer, ou non, suivant les circonstances, les règles générales de l'aveu judiciaire.
Art. 1370. — 135. On a vu ailleurs que, dans certains cas, l'exécution volontaire, totale ou partielle, d'une obligation en vaut confirmation ou ratification tacite, si elle était attaquable pour vice de consentement ou pour incapacité (v. art. 579), ou si son existence était sujette à contestation (v. art. 1342 et 1345). Le présent article nous dit que l'aveu tacite de la validité ou de l'existence d'une obligation par ces moyens n'est ni modifié ni supprimé par les dispositions qui précèdent: de ce que la ratification expresse peut être facilement obtenue par un aveu extrajudiciaire, les cas de ratification tacite n'en sont pas moins admissibles. En admettant qu'on ne pût en douter, il est bon de relier dans la loi deux sortes de dispositions ayant un effet analogue.
Art. 1371. — 136. On aurait pu croire qu'un aveu extrajudiciaire valablement rétracté, pour erreur de fait, ne laissait subsister aucun des effets qu'il avait pu produire avant la rétractation; la loi repousse cette idée: elle veut que l'interruption de prescription qui est résultée de la reconnaissance (v. art. 1446-5° et 1454, 1er al.) subsiste, nonobstant la rétractation. En effet, le contraire serait infiniment dangereux pour le créancier ou le titulaire d'un droit réel: s'il a obtenu une reconnaissance de son droit, peu de temps avant que le temps de la prescription fut accompli, il ne croira pas nécessaire d'intenter une action en justice avant l'accomplissement du délai, et si, plus tard, la rétractation de l'aveu venait annuler l'interruption de la prescription, le droit de l'adversaire serait perdu.
La loi maintient donc l'interruption; seulement, il ne serait pas juste qu'une nouvelle prescription dût recommençer à courir depuis la rétractation: le demandeur ne serait plus seulement préservé d'un dommage, il trouverait un avantage inattendu et injustifiable; la loi, pour rester dans les limites de ce qui est juste et nécessaire, autorise seulement la reprise du cours de la prescription antérieure pour le temps qui en restait à courir au moment de l'aveu, de sorte que le résultat est le même que s'il y avait eu suspension et non interruption de la prescription (v. art. 1865). Cela n'empêche pas que le fait, dans son point de départ, doive garder le nom "d'interruption," parce que la reconnaissance du droit en litige ne produit pas une suspension mais une interruption de prescription (v. art. 1454).
On ne trouve pas une pareille disposition pour l'aveu judiciaire rétracté; le motif en est que cet aveu supposant une instance, c'est celle-ci qui a interrompu la prescription, et, la rétractation ne mettant pas fin à l'instance, on se trouve en présence d'une autre situation réglée à la matière de la prescription (v. art. 1447 à 1449).
SOMMAIRE.
Art. 1372. — N° 137. Deux sortes de serments admis en France et ailleurs; subdivision de l'un d'eux. -L38. Critique du serment in litem, obligatoire en Angleterre et en Amérique. -139. Pourquoi on ne propose aucun serment judiciaire au Japon, de la part des parties. -140. Médiocrité des résultats obtenus ailleurs.
1373. -141. Serment extrajudiciaire déféré eu vertu d'une transaction -142. Inexactitude de l'idée de transaction dans la délation de serment judiciaire.
1374. -143. Cinq points à déterminer dans la transaction.
1375. -144. Preuve de la transaction et du serment prêté ou référé.
1376. -145. Relation du serment: ses conditions.
1377. -146. Nécessité que les faits soient personnels et concluants.
1378. -147. Limite du droit de rétracter la proposition acceptée.
1379. -148. Présence ou absence de l'adversaire à la prestation de serment: distinction.
1380. -149. Faux serment: refus de réparations civiles.
1381. —150. Renvoi pour le cautionnement, la solidarité, etc.
COMMENTAIRE.
Art. 1372. — N° 137. Il existe en France et dans la plupart des pays d'Europe deux sortes de serments des parties: le serment judiciaire ou fait en justice et le serment extrajudiciaire ou fait en dehors du tribunal; le premier se subdivise lui-même en deux: le serment décisoire ou décisif et le serment supplétoire ou supplétif; les noms seuls indiquent déjà le caractère de chacun: le premier sert à décider le procès par lui-même, encore qu'il n'y ait aucune autre preuve dans le même sens, ou qu'il y ait preuve complète dans le sens opposé; le second n'est qu'un complément de preuve et il doit être accompagné de quelque autre preuve préalablement fournie dans le même sens; par contre, il ne peut être déféré, lorsqu'il y a déjà preuve complète dans un sens ou dans l'autre (v. c. civ. fr., art. 1360 et 1367).
Ce ne sont pas là les seules différences entre les deux serments. Le serment décisoire, à cause de sa gravité même, ne peut être déféré par le juge, mais seulement par la partie adverse; le serment supplétoire seul peut être déféré par le juge, pour compléter sa conviction, s'il y a lieu (v. ib., art. 1357).
Quant au serment extra judiciaire, les Codes étrangers le passent généralement sous silence, le laissant ainsi à la liberté des transactions; mais il y a lieu de le regretter, car les parties ont rarement le soin d'en régler d'avance les détails, et la jurisprudence, comme la doctrine, ne laisse pas d'être embarrassée quant au point de savoir qu'elles règles du serment judiciaire peuvent lui être appliquées par analogie.
138. Certaines législations, notamment celles d'Angleterre et d'Amérique, vont beaucoup plus loin que la législatiun française; le serment y a une application générale que nous avons peine à concevoir et contre laquelle nous nous élèverions, s'il s'agissait de la faire admettre en France ou tu Japon: ce ne sont pas les parties qui peuvent se déférer le serment, ce n'est même pas le juge, dans tels ou tel cas, c'est la loi qui veut que chaque partie, au début du procès, prête serment, devant le juge, de la sincérité de sa réclamation ou de sa défense; c'est l'ancien serment romain dit "serment sur la chicane fjusj nmndum de calumnia): chaque partie affirme sa bonne foi sous serment; elle se trouve ainsi placée entre son devoir et son intérêt, situation toujours dangereuse quand ces deux mobiles sont contraires l'un à l'autre; la partie qui serait convaincue d'avoir fait un faux serment, c'est-à-dire d'avoir connu d'avance le mal fondé de sa cause est exposée non seulement à la sanction religieuse, ce qui est une affaire de conscience (car dans ces pays le serment a un caractère éminemment religieux), mais encore à la sanction pénale du parjure ou faux serment.
On est vraiment surpris de voir les deux législations qui se sont le moins inspirées du droit romain être précisément les seules à lui avoir emprunté une de ses théories les moins justifiables; et quand on voit que, dans ces pays, les procès ne sont pas moins nombreux, ni les plaideurs moins opiniâtres qu'en aucun autre, on se demande si vraiment la bonne foi existe des deux côtés et s'il n'y a pas au moins un parjure sur deux plaideurs: ils sont, à cet égard, comme deux peuples en guerre, où chaque belligérant prétend qu'il ne fait que se défendre contre l'injustice de l'autre, mais où il arrive, le plus souvent, qu'ils ont tous deux tort, tandis qu'ils ne peuvent avoir tous deux raison.
139. Nous n'avons donc pas songé un seul instant à proposer au Japon le serment préalable des plaideurs sur leur croyance sincère à la bonté de leur cause.
Tout au plus, pouvions-nous proposer le serment déféré par une partie à l'autre. Quant au serment supplétoire déféré par le juge, nous l'avons, sans hésiter, écarté du Projet: on conçoit, à la rigueur, qu'une partie, privée de preuves ordinaires, au lieu de renoncer purement et simplement à sa demande ou à son exception, risque le gain ou la perte de son procès, en s'en rapportant à la bonne foi de son adversaire; mais que le juge, incomplètement éclairé sur les faits, choisisse entre les parties celle à laquelle il déférera le serment supplétoire, qu'il témoigne ainsi publiquement en faveur de l'une de la confiance qu'elle lui inspire et non pas l'autre, voilà ce que nous croyons mauvais à tous égards.
Si le juge n'est pas complètement édifié sur le bien fondé de la demande ou de l'exception, il la rejettera, comme le lui ordonne l'article 1315.
Il y avait plus de doute sur le serment déféré en justice par une partie à l'autre; malgré cela, nous avons proposé de ne pas l'introduire dans la loi japonaise où il n'est pas d'ailleurs précédé par la coutume. Toute application du serment est une innovation au Japon, et nous n'ignorons pas que dans les limites étroites où il est déjà proposé (serment des témoins et des experts), et alors même qu'il y est privé de tout caractère religieux, il rencontre de sérieuses résistances. Ces résistances tomberont sans doute, devant la considération que les témoins et les experts doivent donner une sérieuse garantie morale de leur sincérité: quand on ne peut se passer de leur concours, au moins ne faut-il pas avoir à craindre qu'ils égarent ou abusent la justice.
Mais les parties pouvaient, dans la plupart des cas, se munir de preuves préconstituées) comme un acte authentique ou sous seing privé; elles pouvaient avoir soin de ne traiter qu'en présence de témoins, et s'il ne s'agissait pas d'un contrat mais d'un fait à elles préjudiciable, elles auraient encore, outre les témoins accidentels, les circonstances qui permettent aux juges de décider par présomptions de fait ou de l'homme (v. art. 1425); enfin, il reste toujours l'aveu qui peut être obtenu en justice ou extrajudiciairement (v. supra). Dès lors, il ne nous a pas semblé nécessaire d'introduire le serment judiciaire. Bien plus, c'eût été dangereux, car on se retrouverait en présence de la même objection que nous faisons au serment judiciaire ordonné par la loi; il ne faut pas placer un plaideur entre son devoir et son intérêt.
140. En fait, d'ailleurs, dans les pays où est admis le serment judiciaire déféré par la partie, les magistrats eux-mêmes ne se félicitent pas des résultats: comme le serment décisoire n'est déféré qu'au cours ou à la fin de l'instance, alors que, de part et d'autre, les parties ont tenté de convaincre le tribunal de la bonté de leur cause, mais quand l'une d'elles n'espère pas y avoir réussi, il est infiniment rare que l'autre partie à laquelle elle demande de confirmer ses prétentions par une déclaration sous serment, manque à le faire; ce serait avouer publiquement qu'elle a été coupable d'imposture pendant tout le procès. Sous ce rapport, le système anglais vaut encore mieux, car au moins c'est au début de l'instance que le serment est requis, en vertu de la loi; et cependant l'objection porte encore, car enfin, la partie à laquelle on demande de jurer qu'elle croit avoir raison est déjà engagée dans la cause, le demandeur surtout, puisqu'il a saisi le tribunal, et le défendeur lui-même, puisqu'il n'a pas acquiescé tout d'abord à la demande.
En voilà assez, croyons-nous, pour justifier l'abandon au Japon du serment judiciaire, déféré tant par la partie que par le juge.
Le lor alinéa de notre article défend la délation du serment par le juge, soit sur le litige même, soit sur le montant de l'intérêt engagé: c'est la prohibition du serment supplétoire. Le 2e alinéa défend la délation du serment en justice par l'adversaire: c'est la prohibition du serment décisoire. Le 39 alinéa, au contraire, admet et introduit le serment extrajudiciaire.
Art. 1373. — 141. Ici, il n'y a plus à faire aucune des objections qui s'adressent au serment judiciaire: on est en présence de la liberté des conventions, dans une matière qui est supposée et doit être " d'intérêt purement privé." En effet, comme le dit notre article, les parties 44 conviennent " de s'en rapporter au serment de l'une ou de l'autre, " pour prévenir ou faire cesser une contestation: " quelle loi pourrait raisonnablement les en empêcher ? Et cela; elles peuvent le faire aussi bien quand il n'y a 1 aucune preuve " que lorsqu'il en a été fourni une " déjà complète," d'après les règles ordinaires. Cette disposition est exprimée pour écarter toute limitation au serment seulement supplétoire qui ne pourrait être déféré que s'il y avait déjà un commencement de preuve et ne le pourrait pas davantage s'il y avait déjà une preuve complète.
Il est clair que, puisque la convention qui intervient ici a pour but de prévenir ou de faire cesser une contestation, elle a le caractère d'une " transaction; " mais la loi ne croit pas inutile de l'exprimer, pour que cette convention trouve au besoin ses règles complémentaires dans un des Il contrats nommés " du Code; seulement, ce rapprochement n'est fait que sous la réserve de quelques " modifications " (1).
142. Au sujet de ce caractère de " transaction " reconnu à la convention qui remet la décision du litige ou du différend à la prestation ou au refus de serment, nous remarquerons que c'est à tort, ou au moins avec exagération, que, dans les pays qui admettent le serment judiciaire, on a l'habitude de donner le même nom de " transaction " ou au moins de " proposition de transaction " à la délation de ce serment. D'abord, il n'y a pas transaction, puisqu'il n'y a pas accord entre les parties à ce sujet; il ne faut pas non plus s'arrêter à l'idée que c'est une proposition de transaction, car une proposition ne devrait avoir d'effet que si elle était acceptée; or, celui à qui cette proposition est faite, doit jurer, ou perdre son procès, s'il refuse soit de jurer, soit de référer le serment (v. c. civ. fr., art. 1361: il n'y a donc rien là qui ressemble à une transaction ni à un contrat quelconque.
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(1) Le Code officiel n'a pas admis le serment, même extrajudiciaire. Mais son silence n'implique pas une prohibition: la loi ne peut défendre une transaction, en la forme et sous les conditions qu'il plaît aux parties de lui assigner.
Art. 1374. — 143. Pour que la transaction qui nous occupe ne devienne pas elle-même la source de nouvelles contestations, sur sa formation même, sur son objet ou ses conditions, la loi exige la détermination de cinq points essentiels sur lesquels nous avons peu à nous arrêter.
1° Il faut déterminer quelle partie jurera ou, plus exactement, " à laquelle le serment sera déféré," car ensuite elle pourra le référer (art. 1376). Il est clair qu'on n'admettra jamais que les deux parties aient à jurer successivement, puisque si chacune jurait en sa faveur, ce qui est vraisemblable, la question serait aussi indécise qu'auparavant, avec le scandale, en plus, de présomption d'un faux serment.
2° Il faut aussi déterminer sur quels faits la partie devra jurer: d'abord, afin qu'elle ne cherche pas à éluder la difficulté ou à s'attribuer des avantages qu'on n'abandonne pas à sa discrétion; ensuite, pour qu'on puisse vérifier si ces faits remplissent les conditions prescrites par l'article 1377. La loi nous dit, au surplus, que ces faits peuvent être " positifs ou négatifs," ce qui n'est pas inutile, quand on songe que la preuve des faits négatifs passe pour toujours difficile.
3° Le lieu et le moment où sera prêté le serment sont évidemment nécessaires à déterminer, puisque le défaut de prestation doit entraîner la perte du procès.
4° Il faut aussi désigner les personnes devant lesquelles le serment sera prêté: la présence d'autres personnes que l'adversaire est une formalité essentielle. On pourrait cependant convenir de remplacer le serment en présence de témoins par un a serment écrit " lequel serait remis à l'adversaire au temps convenu. Bien entendu, le serment écrit devrait être signé ou scellé, comme tout acte sous seing privé.
5° Enfin, et ceci n'est pas le moins important, on devra déterminer quelle sera la forme du serment, c'est-à-dire si la partie attestera, " prendra à témoin de sa sincérité la Divinité de son culte, ou si seulement elle affirmera sur son honneur et sa conscience."
Ici, il n'est plus possible d'hésiter à admettre le serment religieux (v. nos 38, 39), puisqu'il sera convenu entre les parties. Lorsque les occasions de procès entre les Japonais et les étrangers seront plus fréquentes, il y aura plus d'occasions aussi pour chacun d'attacher de l'importance au serment fait en la forme religieuse et suivant le symbole sous lequel la partie honore la Divinité.
Le serment " sur l'honneur et la conscience " nous paraît déjà donner d'assez sérieuses garanties pour qu'on puisse s'en contenter. Il aura même l'avantage que ceux qui se vantent d'être athées ne pourront refuser de se soumettre à ce serment, car, s'il y a au Japon, comme en Europe, des hommes qui nient l'existence de Dieu et refusent de le prendre à témoin, nous ne croyons pas qu'en aucun pays un homme ose déclarer qu'il n'a ni honneur ni conscience.
Art. 1375. — 144. C'est encore pour que la transaction destinée à éviter un procès n'en occasionne pas un elle-même que la loi en limite la preuve testimoniale; cette limite n'est, du reste, qu'un renvoi au droit commun de cette preuve. La disposition n'est pas inutile, car elle constitue une différence avec le droit français qui veut, dans le même but, que la transaction soit toujours " rédigée par écrit" (v. art. 2044); déjà l'article 757 du Projet, statuant sur les autres transactions, avait renvoyé aux règles générales pour leur preuve.
Mais, une fois la transaction prouvée, par témoins ou par écrit, suivant les cas, lorsqu'il ne s'agira plus que de prouver la prestation de serment faite conformément à la convention, cette preuve pourra se faire par témoins " dans tous les cas," si c'était devant ces mêmes témoins que le serment avait dû se faire. Il en serait de même de la relation de serment dont parle l'article suivant.
Quant au refus de serment, il n'y a pas à le prouver: du moment qu'il n'y aura pas de preuve qu'il a été prêté ou référé c'est qu'il aura été refusé. Au surplus, si le refus est contesté, les témoins appelés à recevoir le serment pourront toujours être entendus à ce sujet.
Art. 1376. — 145. La faculté de référer le serment est empruntée au serment judiciaire français.
Il est naturel que la partie à laquelle la convention déférait le serment puisse le référer, c'est-à-dire le déférer à son tour: celui qui a déclaré s'en rapporter à la sincérité de son adversaire ne peut se plaindre que celui-ci, de son côté, s'en rapporte à la sienne. Il peut arriver, en effet, que la partie à laquelle le serment a été déféré ait des scrupules à jurer, à témoigner en sa propre faveur: elle peut être sûre de sa conscience, mais non de sa mémoire; elle peut craindre aussi que l'adversaire ou d'autres ne suspectent sa sincérité; or, il y a des personnes qui ont tellement souci de l'opinion d'autrui qu'elles iront jusqu'à lui sacrifier leur intérêt le plus légitime.
Le serment ainsi référé sera soumis " aux mêmes formes et conditions" que celles auxquelles il avait été déféré: aussi, il devra être fait au même temps, au même lieu et devant les mêmes témoins; il y aura toutefois une différence quant à la solennité; ainsi, celui auquel le serment avait été déféré avait consenti à jurer devant la Divinité de son culte: il est clair qu'il ne peut exiger que l'adversaire auquel il réfère le serment jure devant la même Divinité qui peut n'être pas la sienne, ni même qu'il jure devant le Dieu de son culte; mais il peut exiger un serment " sur son honneur et sur sa conscience," parce que ce serment a une solennité suffisante et ne peut gêner aucune conscience droite (v. n° 143).
Quant aux faits sur lesquels le serment référé devra être prêté, ils seront toujours les mêmes, mais généralement envisagés sous un aspect contraire; ainsi, si le serment avait été déféré sur un prêt: celui qui l'aurait prêté aurait juré ou que le prêt n'avait pas eu lieu ou qu'il avait été remboursé; si, au contraire, il réfère le serment, l'autre partie devra jurer ou que le prêt a eu lieu, ou qu'il n'a pas été remboursé.
Art. 1377. — 146. Cet article exige deux conditions spéciales quant aux faits objets du serment:
1° Ils doivent être " personnels" à celui auquel le serment est déféré ou référé, lorsqu'il s'agit de jurer sur leur existence ou leur inexistence, ou sur leurs caractères: ainsi, on défèrera le serment sur un contrat où la partie a figuré, sur ses conditions ou sur son exécution; mais on ne le déférera pas sur le fait d'un tiers, même sur le fait par lui d'avoir cautionné la dette; seulement, quand il s'agit du fait d'un tiers, on peut déférer le serment à la partie sur le point de savoir si elle avait ou non connaissance de ce fait: c'est encore un fait personnel que cette connaissance ou cette ignorance du fait d'autrui; dans la doctrine, on appelle ce serment Il de crédibilité " (de credulitate).
2° Les faits sur l'existence ou la connaissance desquels le serment est déféré doivent être " de nature à influer sur la décision du litige; " on dit, dans la pratique, qu'ils doivent être " pertinents et concluants " (v. c. pr. civ. fr., art. 254). Ainsi, on ne pourrait pas déférer le serment sur l'existence ou l'exécution d'une convention où l'adversaire pourrait avoir figuré, mais qui ne serait pas connexe au litige, ou même qui y serait connexe, mais n'impliquerait pas que le présent litige fût fondé ou non fondé.
Cette double condition quant aux faits, qui serait toute naturelle s'il s'agissait du serment judiciaire, déjà assez exorbitant dans les lois qui l'admettent pour qu'il y ait lieu de l'enfermer dans d'étroites limites, paraît plus difficile à justifier quand il s'agit du serment extrajudiciaire déféré en vertu d'une transaction antérieure où les parties ont usé de leur liberté. Cependant, il faut reconnaître que c'est une protection nécessaire des parties elles-mêmes qui auraient fait une chose déraisonnable en se déférant ou se référant le serment sur des faits à elles étrangers ou sur des faits dont l'établissement n'aurait aucune influence sur le litige: on peut dire, dans le premier cas, celui de faits étrangers (non personnels) qu'il y a un vice dans l'objet de la convention et, dans le second, celui de faits non concluants, qu'il y a un vice dans la cause.
Art. 1378. — 147. Celui qui défère ou réfère le serment extrajudiciaire, à la suite d'une transaction, se soumet pour ainsi dire à la décision de son adversaire, pour le cas où celui-ci jurera ou témoignera en sa propre faveur et, de même, celui auquel il est déféré accepte de perdre sa cause s'il refuse de jurer pour lui-même; c'est cette réciprocité du sacrifice éventuel de sa prétention, par chacun, qui donne à la convention de serment extrajudiciaire le caractère d'une véritable transaction (voy. art. 757).
Lorsque la transaction déférant le serment à l'une des parties est formée par l'acceptation' de celle-ci, celle qui l'a déféré ne peut plus se rétracter: c'est le droit commun des conventions; mais la rétractation devient possible si délai fixé pour la prestation est écoulé " sans qu'il ait été donné suite à la transaction," c'est-à-dire sans que la partie adverse ait prêté le serment ni refusé de le prêter. Il peut arriver, en effet, qu'au jour fixé pour la prestation de serment, les parties et les témoins ne se soient pas réunis et qu'il n'y ait eu aucune solution affirmative ou négative du différend. Dans ce cas, celui qui a déféré le serment aurait deux voies à suivre: ou mettre son adversaire en demeure de se présenter, sous peine que son absence soit considérée comme un refus de jurer, ou renoncer à la transaction et rétracter son offre de terminer le différend par le serment.
Il sera bon que le Code de Procédure civile contienne quelques dispositions au sujet de cette mise en demeure, afin que l'on ne soit pas dans l'incertitude sur le point de savoir quand le serment est réputé refusé. Ce sera aussi l'occasion de faire figurer cette preuve avec les autres, au Code de Procédure (2).
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(2) Le vœu n'a pas été accueilli, le serment extrajudiciaire ayant été écarté du Code officiel.
Art. 1379. — 148. Le présent article complète le précédent par deux dispositions qui favorisent la solution du litige.
Si la prestation du serment n'a pas eu lieu au temps fixé, la transaction n'est pas par cela seul abandonnée: elle peut encore avoir lieu si celui qui a déféré ou référé le serment est présent, en personne ou par un fondé de pouvoir spécial; en effet, du moment qu'il consent à ce que le serment ait lieu, c'est qu'il ne retire pas sa proposition.
Si l'on est encore dans le délai fixé, la présence de l'adversaire à la prestation de serment n'est pas nécessaire: il ne doit pas dépendre de lui d'empêcher l'issue normale de la transaction.
Art. 1380. — 149. Le Code français (art. 1363) a une disposition semblable à celle-ci, au sujet du faux serment; mais sans distinguer aussi nettement les poursuites civiles des poursuites criminelles; il en résulte que l'on est en désaccord sur le point de savoir si, en cas de poursuites criminelles pour faux serment, sur la seule initiative du ministère public, la partie lésée peut demander des dommages-intérêts, en se portant partie civile, ou, après la condamnation, en demander par voie principale, devant le tribunal civil. Nous sommes convaincu que le Code français a voulu exclure cette faculté et, pour que le doute ne se reproduise pas au Japon, nous disons que c'est seulement " à fins civiles" que le serment ne peut être argué de faux par la partie qui l'a déféré ou référé. Elle ne pourra donc ni porter plainte, comme partie lésée, ni se joindre, comme telle, au ministère public poursuivant à fins criminelles, ni se faire indemniser civilement après condamnation du parjure. Mais elle pourrait dénoncer le fait délictueux, comme le pourrait toute autre personne qui en aurait connaissance.
On pourrait s'étonner, au premier abord, de cette impunité civile du parjure; mais il ne faut pas oublier qu'il y a eu transaction précisément sur ce danger du parjure: on a vu plus liaut que celui qui défère ou réfère le serment n'a recours à cette preuve dangereuse que parce que c'est pour lui le seul moyen d'éviter une perte certaine du procès né ou à naître; il ne s'expose pas seulement au défaut de mémoire de son adversaire, mais à sa mauvaise foi; s'il pouvait, après avoir fait ce sacrifice éventuel, revenir à la charge et prouver ou tenter de prouver qu'il y a eu parjure, ce serment n'aurait plus le caractère décisoire qui en fait tout le prix: le débat se rouvrirait sur le fond du droit, alors qu'entre les parties tout est terminé d'après leur accord.
Art. 1381. — 150. Cet article n'est que de simple renvoi. On a, en effet, chemin faisant, réglé l'effet du serment extrajudiciaire, prêté ou refusé, en matière de cautionnement, de solidarité et d'indivisibilité: la combinaison des intérêts qui se rencontrent dans ces matières a donné lieu à des solutions particulières sur lesquelles il n'y a pas à revenir.
SOMMAIRE.
Art. 1382. — N° 151. Comparaison entre le témoignage de l'officier public et le témoignage privé. -152. Utilité de l'acte authentique. -153. Extension de l'authenticité aux actes de certains fonctionnaires publics. -154.Conditions requises pour qu'un acte soit authentique.
1383. -155. Force probante de l'acte authentique: inscription en faux. -156. Témoignage de l'officier pnblic sur les seuls faits accomplis par lui ou connus de lai. - 157. Faits qu'il n'a pu vérifier. —158. Présomption d'authenticité réelle, sauf l'inscription en faux, en faveur de l'acte qui en a la forme extérieure. -159. Renvoi au Code de Procédure civile pour la marche de l'inscription en faux.
1384. -160. Suspension de la force probante ou exécutoire de l'acte authentique par l'inscription en faux. —-16J. Renvoi pour les diverses énonciations portées dans l'acte.
1385. —162. Acte nul comme authentique, valable comme acte sous seing privé.
COMMENTAIRE.
Art. 1382. — N° 151. C'est avec l'intention de donner à l'acte authentique (a) son véritable caractère de preuve que la loi le qualifie de " témoignage d'un officier public." En effet, cet officier est un témoin, d'une qualité spéciale et dont l'autorité sera grande.
Voici en quoi il diffère des témoins privés:
1° Il est officier public, nommé par le Gouvernement, dans des conditions qui donnent toutes garanties de savoir et de probité; de là, il est dispensé de prêter un serment préalable à son témoignage: s'il prête serment, c'est une seule fois et avant d'entrer en fonction (b);-le témoin ordinaire est une personne privée ou, du moins, elle n'intervient qu'en cette qualité; dès lors, elle n'inspire confiance que par la solennité spéciale de sa déclaration;
2° Il est appelé d'avance à témoigner sur des faits déterminés, qui doivent s'accomplir devant lui et pour la constatation desquels il doit avoir une compétence particulière; -le témoin ordinaire peut n'être que par hasard présent aux faits dont il pourra avoir à témoigner et ces faits sont susceptibles de toutes les variétés possibles; ce n'est que par exception que le témoignage privé n'en est pas admis;
3° Il ne témoigne pas devant la justice et dans une procédure spéciale: il témoigne en dehors de toute instance, devant la société en quelque sorte; son témoignage est écrit et rédigé en certaines formes, pour valoir quand il y aura lieu;-le témoignage privé est fait en justice, oralement, et avec un effet aussi limité que l'instance dans laquelle il intervient.
152. D'après ce qui précède, l'acte authentique appartient à la classe des preuves dites préconstituées, c'està-dire préparées à l'avance; l'acte sous seing privé a aussi ce caractère, mais non le témoignage des particuliers en justice.
C'est une sage mesure, de la part des parties, de se pourvoir ainsi à l'avance de la preuve de leurs droits: comme c'est au moment où les droits vont naître que la preuve en est rédigée, on aura toute facilité de préciser avec soin ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas; si des désaccords se produisent, on pourra encore les aplanir et si l'on n'y parvient pas, on ne traitera pas: les actes ne seront pas signés. De cette façon, bien des procès seront évités: il n'y en aura guère que sur le sens des termes employés ou sur le point de savoir si les promesses ont été exécutées.
Le recours à un officier public (nous dirons un notaire, comme exemple) est quelquefois nécessaire, c'est lorsque la partie qui doit s'engager ne sait pas écrire et que l'autre partie ne veut pas se contenter de l'apposition du sceau, laquelle pourrait être matière à contestation, soit sur l'identité même de l'empreinte avec celle du sceau véritable, soit sur la réalité de son apposition par la partie; si l'on a recours au notaire, l'engagement même sera déjà prouvé par la déclaration de l'officier, puisqu'il a été pris en sa présence, et le fait de l'apposition du sceau ne pourra être contesté; l'identité seule dit sceau ne sera pas certifiée par l'officier, car il n'a pas mission de la vérifier. Au surplus, lors même qu'il serait prouvé que la partie a apposé un sceau autre que le sien propre, ou modifié sa signature ordinaire, l'acte ne garderait pas moins sa force probante contre lui, du moment que l'indentité de la partie se trouve attestée par l'officier public et par les témoins instrumentaires.
L'acte authentique est utile, même pour ceux qui pourraient faire un acte sous seing privé, parce que l'officier conserve la minute, c'est-à-dire l'original de ses actes (sauf quelques exceptions): on évite ainsi bien des dangers de perte ou de soustraction de la preuve. Enfin, l'officier public, ayant la confiance des deux parties et l'expérience des affaires, peut leur donner d'utiles conseils sur l'acte à faire et sur ses clauses (c).
Enfin, l'acte authentique peut joindre la force exécutoire à la force probante, sous des conditions déterminées au Code de Procédure civile.
153. Le 1er alinéa de notre article concerne l'acte rédigé par un officier public, sur la réquisition des parties.
Le 2e alinéa élargit la définition de l'acte authentique en déclarant Il authentique l'acte dressé par un fonctionnaire public agissant comme représentant de l'Etat ou d'une administration publique," et il ne faut pas entendre cette disposition des cas seulement où l'Etat et les administrations figurent dans les actes comme personnes juridiques privées, mais encore des cas où elles y figurent comme autorité; ainsi, la délivrance d'une permission, d'un ordre de faire ou de ne pas faire quelque chose, sera authentiquement prouvée, en elle-même d'abord, et aussi quant au. temps et au lieu où la délivrance en a été faite.
154. lie se alinéa nous indique les conditions requises pour qu'un acte ait le caractère d'authenticité; elles sont au nombre de cinq: trois sortes de compétences de l'officier, sa capacité au moment où il dresse l'acte et l'observation de certaines formes.
1 ° Compétence à raison du lieu.
Les notaires et autres officiers publics ne peuvent instrumenter, c'est-à-dire rédiger des actes destinés à faire preuve (instrumenta) que dans la circonscription territoriale pour laquelle ils sont institués. Ce n'est pas à dire que les parties ni même une d'elles doivent être domiciliées dans leur ressort ou circonscription: toute personne, même non domiciliée ni même résidente dans un ressort (fût-elle en voyage), peut se présenter devant un notaire et requérir son office; c'est le notaire qui ne peut se transporter hors de sa circonscription pour y recevoir des déclarations et y dresser des actes; il peut bien se rendre chez les particuliers, lorsqu'ils sont empêchés de se transporter devant lui au siége de sa fonction, mais à la condition que ce soit dans un lieu dépendant de son ressort: hors de son ressort, il n'est plus, légalement, qu'un simple particulier.
2° Compétence à raison de la matière.
Les notaires et autres officiers publics ne peuvent dresser toutes sortes d'actes indistinctement: chacun a sa compétence pour certains actes; ce sont les notaires qui ont, à cet égard, la compétence la plus étendue: ils peuvent recevoir et dresser tous les actes civils relatifs aux biens; ils peuvent même en recevoir quelques-uns relatifs à l'état des personnes; sous ce rapport, la loi japonaise sur le notariat, que l'on se propose de revoir et de compléter, peut faire encore d'utiles emprunts à la loi française. Les autres officiers publics et les fonctionnaires ont une compétence plus limitée et ils n'en doivent pas non plus sortir.
3° Compétence à raison des personnes.
Les notaires ne peuvent dresser d'actes dans lesquels ils ont intérêt et, par une sage extension de la prohibition, ils n'en peuvent dresser qui intéressent leurs parents ou alliés à certains degrés: c'est toujours d'après le principe de raison qu'il faut éviter de placer l'homme entre son devoir et son intérêt.
4° Un notaire ou autre officier pourrait être compétent aux trois points de vue qui précèdent et être temporairement incapable de remplir sa fonction; c'est ce qui arrive s'il est suspendu disciplinairement. Nous disons " suspendu " et non pas révoqué, parce que s'il était révoqué il ne serait plus officier public et il serait inutile de dire que son acte ne serait pas authentique.
5° Enfin, l'acte doit être dressé dans les formes prescrites par la loi; ces formes sont une garantie de sincérité; nous citerons comme principales formes: la présence de témoins dits " instrumentaires," la présence des parties ou de leurs représentants, la lecture à leur faire de l'acte rédigé, leur signature ou l'apposition de leur sceau, ou la déclaration qu'elles n'ont pu signer ou sceller.
Le dernier alinéa termine par un renvoi aux Lois spéciales et aux Règlements sur la compétence des divers (4 officiers publics appelés à prêter leur ministère aux parties," de ceux qu'on nomme en France " officiers ministériels; " au Japon, il n'y a encore que les notaires (1).
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(a) Le mot français " authentique " vient du grec et signifie " ce qui vaut par soi-meme."
(b) Les officiers publics dont il s'agit seront quelquefois des fonctionnaires publics véritables, quelquefois ce seront les notaires, de création récente: il nous parait désirable que les uns et les autres prêtent un serment professionnel " sur l'honneur et la conscience." Ce serment aura toujours un caractère différent de celui des témoins étant prêté à l'avance, il ne constituera qu'une promesse pour l'avenir, un engagement moral, et non une affirmation de la vérité de faits accomplis; en COllséquence, l'officier qui manquerait plus tard à la sincérité pourrait encore, à la rigueur, être qualifié parjure (faute d'un autre mot consacré), mais il n'encourrait pas les peines du faux serment, parce qu'il n'aurait pas faussé la vérité au moment du serment. Il en est de même du cas où un expert manquerait au serment à lui imposé par l'article 1329. Assurément, ces personnes encourent des peines lorsqu'elles ont manqué de sincérité dans la rédaction de leurs actes, parce qu'elles ont trompé la confiance de la loi ou de la justice; mais l'idée de faux serment est étrangère à la pénalité, puisque beaucoup d'officiers publics sont et resteront dispensés du serment.
(c) Nous ne citons pas ici comme nécessité du recours à la forme authentique les cas d'actes solennels dans lesquels la nécessité n'est plus pour la preuve, mais pour la solennité de l'acte, c'est-à-dire pour son existence; bien entendu, la force probante y est également attachée.
(1) Il faut aujourd'hui y ajouter, depuis la Loi organique des Cours et Tribunaux, les officiers chargés de la notification des actes de procédure et de l'exécution des jugements civils (sittatsuri): ce sont les process servers des Anglais; nous ne pouvons les nommer huissiers, comme en France, parce que ce nom est réservé, au Japon, aux véritables gardiens et surveillants de la salle d'audience des tribunaux teitei (ushers des Anglais).
Art. 1383. — 155. Cet article détermine la force probante de l'acte authentique régulier; le Projet emploie à cet égard une formule consacrée en France et qui est aussi claire que simple: " l'acte fait foi jusqu'à inscription en faux," c'est-à-dire qu'il fera preuve compléte, à moins que la partie à laquelle on l'oppose ne le prétende faux et ne l'attaque comme tel. Il ne suffirait pas, en effet, d'alléguer seulement la fausseté de l'acte: il faut encore que celui qui allègue le faux se montre prêt et résolu à le prouver, en prenant l'initiative d'une procédure civile tendant à cette preuve. Comme cette offensive doit commencer par un déclaration au greffe, écrite et signée sur un registre spécial, l'expression française se trouve ainsi justifiée.
Celui qui entreprend la procédure de faux s'expose, en cas d'insuccès, à de lourdes indemnités envers l'adversaire et envers l'officier public dont la considération peut se trouver amoindrie, lors même qu'il n'aurait pas luimême été accusé du faux. Le demandeur qui succombe encourt même, en France, une forte amende, comme peine de sa témérité (v. c. pr. civ., art. 246).
Nous ne parlons ici que d'une procédure civile de faux ou à fins civiles: c'est l'article suivant qui vise la procédure criminelle de faux, par forme de renvoi à la même théorie déjà présentée au sujet de l'acte sous seing privé reconnu. En effet, on ne pourrait subordonner l'invalidation de l'acte prétendu authentique à une poursuite et à une condamnation criminelles pour faux, puisque le faussaire pourrait être autre que l'officier public et resté inconnu, il pourrait aussi être décédé ou couvert par la prescription.
156. A la différence du Code français, le Projet détermine ici qu'elles sont les mentions de l'acte auxquelles la foi est attachée jusqu'à inscription en faux: ce ne sont pas toutes les mentions qui s'y trouvent, mais seulement celles qui ont le caractère de " déclarations de l'officier public," sur des faits accomplis par lui ou en sa présence. Ce sont là, en effet, les seuls parties de l'acte où, pour rappeler ce qui a été dit de son rôle, en commençant, il " témoigne publiquement."
Ainsi, il témoigne de ce que telles personnes se sont présentées devant lui, tel jour, qu'elles ont déclaré être d'accord pour telle convention portant aliénation, obligation ou libération, applicables à tel objet mobilier ou immobilier ou à telle somme ou valeur; il déclare encore qu'il a, par suite de leurs dires et faits accomplis devant lui, rédigé le présent acte, qu'il en a donné lecture aux parties, qu'elles l'ont signé en sa présence ou ont déclaré ne pouvoir signer pour telle ou telle cause, enfin que l'acte a été passé et dressé en tel lieu et à telle date, en présence de tels et tels témoins instrumentaires, lesquels témoins ont signé avec lui.
Voilà une suite non interrompue de déclarations de faits à lui personnellement connus.
Aucune de ces déclarations ne pourrait être contestée sans la voie rigoureuse de l'inscription en faux.
157. Au contraire, si les parties ont fait des déclarations de faits antérieurs, à elles personnels et que l'officier n'a pu vérifier, la preuve, si elle existe, ne vient pas du témoignage de l'officier public.
Par exemple, les parties ont déclaré l'existence d'une obligation antérieure, au sujet de laquelle elles font devant l'officier public une novation, ou dont l'une déclare faire le payement ou l'autre la remise: l'officier témoigne bien du fait de la novation, du payement ou de la remise, mais il ne sait rien de l'obligation antérieure qu'on prétend éteindre en sa présence. Si cette obligation se trouve prouvée, ce n'est pas par l'acte authentique mais à son occasion; en effet, la partie à laquelle une obligation antérieure est attribuée l'a reconnue, non seulement par son silence, mais encore en se prêtant à son extinction. De même, au cas d'aliénation d'un immeuble, si l'acheteur a dit que le prix qu'il doit se compensera, en tout ou en partie, avec une créance qu'il prétend avoir contre son vendeur, ou si le vendeur a indiqué l'origine de la propriété, le fait même de ces deux déclarations relatées dans l'acte authentique ne pourra être contesté, parce que l'officier public en témoigne personnellement; mais la réalité des faits antérieurs ainsi déclarés ne sera prouvée que suivant la distinction déjà faite, au sujet des actes sous seing privé, entre les énonciations qui ont un rapport direct avec le dispositif ou le complètent et celles qui n'ont pas ce caractère (v. art. 1347).
158. Quelquefois, le plus souvent même, ce ne sera pas la sincérité du témoignage de l'officier public qui sera contestée, ce sera l'authenticité même de l'acte, c'est. à-dire son origine: on soutiendra que l'acte n'émane pas de l'officier dont il porte la désignation, la signature et le sceau. Cette difficulté n'est pas réglée par le Code français et la doctrine ainsi que la jurisprudence ont dû y suppléer.
La solution du Projet est celle que la raison et l'utilité générale réclament: lorsqu'un acte a la forme extérieure et principale d'un acte authentique, il. est présumé l'être en réalité; cette forme principale consiste dans trois caractères extérieurs: 1° l'acte est rédigé au nom d'un officier public: c'est lui qui parle dans l'acte, qui témoigne de faits qu'il se dit appelé à constater; 2° l'acte porte sa signature manuscrite et son sceau officiel; 3° il porte la signature des témoins instrumentaires.
En présence de ces formes propres à l'acte authentique, il est naturel de croire que l'acte émane vraiment dudit officier: le contraire impliquerait un faux, la fabrication d'un acte authentique simulé; or, ce faux est un crime prévu et puni par le Code pénal, et les crimes ne se présument pas; ce n'est donc que par l'inscription en faux que la partie intéressée pourra faire tomber la présomption d'authenticité.
159. La procédure d'inscription en faux est nécessairement assez compliquée et c'est au Code de Procédure civile qu'on en trouvera les règles et la marche. Dans la loi française, elle n'occupe pas moins de trentehuit articles au Code de Procédure civile (v. art. 214 et s.) et dix-sept au Code d'Instruction criminelle (voy. art. 448 et s.).
Art. 1384. — 60. Il est naturel que l'inscription en faux, une fois formée, fasse suspecter la sincérité de l'acte; mais il ne faut pas non plus qu'une plainte faite de mauvaise foi, ou seulement téméraire fasse surseoir immédiatement et par elle-même au jugement du fond d'après la force probante dudit acte, ou à l'exécution forcée qu'il peut comporter par lui-même, sans jugement: à cet égard, la loi renvoie aux dispositions déjà édictées à l'occasion de l'acte sous seing privé (v. art. 1348). Mais comme les actes authentiques, à la différence des actes sous seing privé, sont souvent exécutoires sans jugement (notamment, quand ils constatent des obligations certaines, liquides et exigibles), la loi ajoute ici que la force exécutoire sera suspendue " dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que la force probante."
Ces cas sont au nombre de trois:
1° S'il y a une procédure criminelle commencée, la force probante ou exécutoire est suspendue, de plein droit, dès que l'instruction préparatoire s'est terminée par un renvoi de l'inculpé devant la juridiction de répression;
2° Dans le cas même où il y a une instruction criminelle, le tribunal peut ordonner l'un ou l'autre sursis, même avant le renvoi au tribunal de répression;
3° S'il n'y a pas d'instruction criminelle, par exemple parce que le coupable présumé est décédé ou est couvert par la prescription, le tribunal apprécie à quel moment il convient de surseoir au jugement du fond ou à l'exécution forcée, en attendant la décision sur l'inscription en faux à fins civiles.
161. La loi renvoie aussi à l'article 1347, déjà rappelé plus haut, pour la distinction à faire entre les diverses énonciations qui peuvent se trouver dans l'acte authentique comme dans l'acte sous seing privé: ici, comme les énonciations sont l'oeuvre des parties qui les proposent ou les acceptent, expressément ou tacitement, et non l'oeuvre de l'officier public, il ne peut y avoir de différence, quant à leur effet, entre l'acte authentique et l'acte sous-seing privé. Le Code français lui-même, à cette occasion, réunit les deux sortes d'actes(v. art. 1320).
Art. 1385. — 162. Après avoir indiqué les conditions requises pour qu'un acte soit authentique et avoir réglé ses effets lorsqu'elles ont été observées, la loi suppose qu'elles ne l'ont pas été, en tout ou en partie: par exemple, le notaire était incompétent sous l'un des trois rapports énoncés à l'article 1382, ou bien, les formes requises n'ont pas été observées.
Le Projet, à cet égard, emprunte au Code français une solution aussi juste que naturelle et qui dépend d'une distinction:
1° Si l'acte ne porte ni la signature ni le sceau des parties Il qui font un sacrifice " (c), c'est-à-dire qui aliènent, s'obligent ou abandonnent un droit, ledit acte est sans effet, car il n'y aurait d'autre preuve de leur intervention que dans la déclaration de l'officier portant qu'elles étaient présentes et qu'elles ont déclaré ne savoir ou ne pouvoir signer; or, précisément, on est dans un cas où l'acte n'est pas authentique et où l'officier ne peut plus être cru, au moins comme tel; tout au plus, pourraitil être entendu comme témoin privé, si les faits étaient de nature et d'importance assez faible pour comporter la preuve testimoniale, d'après les règles et distinctions portées à la Section viii.
2° Si l'acte, irrégulier comme authentique, porte la signature écrite ou le sceau de la partie qui confère un droit à l'autre, ou abandonne un droit qu'elle a contre elle, qui en un mot, " fait un sacrifice," l'acte, nul en tant qu'authentique, est pleinement valable comme acte sous seing privé.
La chose n'irait pas de soi, si la loi ne s'en exprimait pas, et c'est encore une grande faveur qu'elle accorde à la partie bénéficiaire de l'acte, car l'acte sous seing privé est lui-même soumis à des formes qui précisément nesont pas observées ici: un acte sous seing privé qui contient des engagements réciproques doit être rédigé en double original (v. art. 1341); s'il contient une obligation de somme d'argent ou d'autres choses de quantité, il doit porter le " bon ou approuvé; " or, un acte destiné, dans l'intention des parties, à être authentique et dressé comme tel ne sera certainement pas rédigé en plusieurs originaux et il serait en quelque sorte injurieux pour l'officier public, de la part des parties, d'ajouter à sa déclaration un "bon ou approuvé," et cependant l'acte vaudra comme s'il remplissait ces conditions.
Le Projet a exprimé le sens de cette faveur, lequel reste seulement sous-entendu dans le Code français.
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(c) Cette formule, un peu doctrinale peut-être, mais exacte, n'est pas dans le Code français qui exige que l'acte ait été " signé des parties," sans distinguer quel rôle elles y ont joué; mais il n'y a pas lieu de croire que la loi française exige ici la signature de la partie qui bénéficie de l'acte, sans y faire aucun sacrifice. Il n'y aurait même pas lieu d'exiger cette signature s'il s'agissait d'une donation, laquelle, dans le système du droit français doit être " acceptée expressément," car, dans le cas où l'on se place, l'acte serait absolument nul pour défaut d'authenticité, puisque la donation est un contrat solennel, c'est-à-dire où la forme est requise pour l'existence même du contrat.
SOMMAIRE.
Art. 1386. — N° 163. Pourquoi les contre-lettres ne sont pas opposables aux tiers; sens du mot " tiers" en cette matière. -164. Exemples pour l'application de la théorie. -165. Cas où la contre-lettre n'est pas frauduleuse. -166. Cas particulier au Japon, au sujet des ét,rangers. —167. Effet de la connaissance acquise de la contre-lettre; modes de preuve.
1387. -168. Révélation de la contre-lettre par transcription ou inscription, ou par mention rectificative.
1388. -169. Droit pour les tiers d'opposer la contre-lettre aux parties ou à leurs héritiers.
COMMENTAIRE.
Art. 1386. — N° 163. La contre-lettre est un contreécrit destiné, comme dit le texte, " à rester secret" et portant modification, ou destruction totale ou partielle, d'un acte ostensible; l'acte ostensible peut d'ailleurs être aussi bien authentique que sous seing privé, et même l'acte secret ou la contre-lettre, quoique le plus souvent sous seing privé, pourrait aussi être authentique, car les actes authentiques ne sont pas communiqués à qui désire les connaître et lorsqu'on les nomme actes publics c'est pour indiquer qu'ils sont faits avec intervention d',un officier public et non pour dire qu'ils sont portés à la connaissance de tous. Mais ceux qui voudraient faire une contre-lettre par acte authentique feraient sagement d'y stipuler expressément le caractère secret c'est-à-dire purement personnel aux parties.
A raison du caractère secret des contre-lettres et de la modification qu'elles prétendent apporter à un acte ostensible, la loi craint qu'elles n'aient pour but de nuire à des tiers, c'est-à-dire, ici, à des intéressés autres que les parties, et elle déclare qu'elles sont sans effet contre ceuxci, de sorte que leur effet n'a lieu que " contre les signataires et leurs héritiers." Les créanciers mêmes, qui, en général, subissent l'effet des actes de leur débiteur, lorsqu'ils n'ont pas été faits en fraude de leurs droits (v. art. 359), ne sont pas tenus de subir l'effet des contre-lettres, lorsqu'elles n'étaient pas connues d'eux au moment où ils ont contracté: c'est une exception notable au principe énoncé à l'article 360 (1). On verra, au contraire (art. 1388), que les contre-lettres peuvent être invoquées par les tiers et autres intéressés, mais toujours contre les parties seules ou leurs héritiers et non contre leurs créanciers.
On pourrait s'étonner, au premier abord, que les contre-lettres n'aient pas le même effet que l'acte primordial, quand on considère que celui-ci n'est pas, de sa nature, plus notoire que la contre-lettre, lorsqu'il n'est pas, à cause de son objet, soumis à la transcription ou à l'inscription. Mais il faut remarquer que les parties, au moment où elles traitent avec des tiers, pourraient les tromper, en ne leur faisant connaître que l'acte primordial et en ayant soin de leur laisser ignorer la contr,,-Iettre; et ce ne serait pas préserver les tiers d'une surprise que de leur opposer une contre-lettre ayant date certaine antérieure à leur acte: la fraude ici ne consisterait pas à avoir fait après coup un acte destiné à les frustrer, mais à leur avoir caché, à l'origine, un acte qui les eût avertis d'une restriction aux droits de leur auteur et, par suite, à ceux qu'ils pouvaient acquérir de lui.
164. Quelques exemples sont nécessaires pour rendre sensible l'application de cette théorie.
Primus a souscrit une obligation de somme d'argent au profit de Secundus, comme emprunt ou comme prix d'un achat de meuble ou d'immeuble: voilà un acte ostensible, c'est-à-dire que Secundus pourra montrer à qui il aura intérêt à le faire. En même temps ou plus tard, Secundus a remis à Primus un acte destiné à rester secret entre eux pendant plus ou moins longtemps, et portant que cette dette n'est pas véritable ou qu'elle est moindre; en cet état de choses, si Secundus vend à un tiers sa créance apparente contre Primus, celui-ci ne pourra se prévaloir contre le cessionnaire de la déclaration portant que la dette n'existe pas ou est moindre. Il en serait de même si cette créance était frappée d'une saisie arrêt par un tiers, dans les mains de Secundus, créancier apparent.
De pareilles conventions ne sont pas toujours faites dans un but frauduleux, à proprement parler, et d'ailleurs, la fraude se trouverait souvent déjouée par la prévision de la loi, mais leur but peut être de donner au créancier apparent un crédit qu'il n'aurait pas sans cela, et cette combinaison ne laisse pas que d'être blâmable; elle peut aussi favoriser après coup des fraudes qui n'étaient pas dans l'intention première des parties. Supposons, en effet, avec l'hypothèse précédente, que Primus vienne à tomber en faillite ou en déconfiture, que Secundus produise alors son titre dans la liquidation et que Primus ne lui oppose pas la contre-lettre comme il aurait le droit de le faire, il en résultera que les créanciers véritables et légitimes dudit Primus subiront le concours d'un faux créancier dont ils ne soupçonneront pas la collusion.
165. Il arrive cependant quelquefois que la contrelettre n'a rien de frauduleux, ni même de blâmable d'après la morale la plus sévère.
Ainsi, les statuts d'une compagnie de finance ou d'industrie exigent que le gérant soit propriétaire, en son nom personnel, d'un certain nombre d'actions ou parts du capital; c'est un gage sérieux de sa prudence et de sa vigilance, puisqu'il serait ainsi victime, comme les autres associés, de ses témérités ou de son incurie; c'est aussi une garantie pécuniaire en cas de faute grave ou de malversation; mais il est possible qu'il ne possède pas les fonds nécessaires pour acquérir ces actions: rien ne s'oppose à ce qu'un tiers les lui prête en les transférant à son nom, et qu'une contre-lettre déclare que ces actions continuent à être la propriété du prêteur et qu'elles devront lui être rétrocédées quand la gestion cessera. Cela ne peut nuire à personne, car ces actions sont toujours la propriété du gérant, au regard de la compagnie et des tiers intéressés, lesquels pourront les saisir s'il y a lieu, sans que la contre-lettre leur soit opposable.
Voici un autre exemple qui a eu longtemps son application en France, mais qui ne l'a plus, parce que certains principes du droit public et politique sont changés dans ce pays; mais cet exemple est encore applicable dans les pays où la loi exige pour l'exercice des droits politiques une certaine fortune immobilière, révélée par l'impôt ou le cens, et le Japon, est maintenant au nombre de ces pays. Or, il se pourrait qu'une personne eût, par son talent et son caractère, la confiance des électeurs, mais n'eût pas la fortune nécessaire et ne payât pas l'impôt requis pour être éligible. Dans ce cas, il peut arriver et il arrive souvent qu'un ou plusieurs de ses concitoyens consentent à transférer en son nom des immeubles de la valeur nécessaire, en se faisant donner une contre-lettre qui reconnaît que la propriété continue à appartenir aux prêteurs, pour les avantages éventuels comme pour les risques de perte. On ne peut dire, dans ce cas, qu'il y ait atteinte aux droits de l'Etat, car il lui importe peu, au moins légalement, que le représentant d'une localité, dans une Assemblée politique ou administrative, soit telle personne ou telle autre, du moment que la condition du cens est observée (a). D'ailleurs, en pareil cas, ce ne serait pas seulement vis-à-vis de l'Etat et au point de vue censitaire et politique que le titulaire de la propriété serait censé propriétaire, ce serait vis-à-vis de toutes personnes et à tous autres égards. Si donc le titulaire, abusant de la confiance qu'il a inspirée, aliénait ou hypothéquait l'immeuble à lui prêté en forme de vente simulée, l'aliénation ou l'hypothèque serait valable au profit des tiers; de même, si, sans avoir commis cet abus de confiance, il devenait insolvable, ledit immeuble serait compris comme sien dans la liquidation.
166. Voici encore un cas qui a une application toute particulière au Japon et dont nous pouvons dire qu'il n'est ni contre la loi ni contre la morale, quoiqu'au premier abord il semble au moins contraire à la loi.
Au Japon, les étrangers ne peuvent, quant à présent, être propriétaires ou même locataires d'immeubles hors des villes et ports ouverts et même, dans les ports ouverts, hors des concessions étrangères ou seulement. Cependant, il peut arriver qu'un étranger soit autorisé à résider hors d'un seUlement, soit pour raison de santé, soit pour l'exercice d'une fonction ou profession, et comme il ne peut y louer en son nom une habitation, il faudra donc que la location soit faite par un sujet japonais qui lui prêtera son nom (b); mais comme ce Japonais n'entendra pas être responsable des loyers et des dégradations possibles, il sera fait entre les parties une contre-lettre qui déclarera que toutes les charges seront en définitive supportées par l'étranger et, réciproquement, que s'il y avait quelque indemnité à recevoir du bailleur elle appartiendrait à l'étranger.
De même l'étranger autorisé à résider hors des limites des traités pourrait avoir des raisons personnelles de désirer la faculté d'y disposer à son gré d'un immeuble, soit pour y élever des constructions spéciales, soit pour y faire des essais de culture ou d'industrie; en pareil cas, il achètera, sous un nom japonais, un immeuble à sa convenance: le sujet japonais sera propriétaire en titre; il sera seul considéré comme tel par l'administration et les tiers en général; mais il remettra à l'étranger une contre-lettre reconnaissant que les avantages et les risques de la propriété seront en définitive, au profit et à la charge de celui-ci; il s'engagera aussi à lui restituer le prix en cas de vente ou d'expropriation, et même à lui transférer la propriété, en bonne forme, lorsque la loi le permettra. Une pareille convention ne nuit ni à l'Etat, ni aux particuliers, puisqu'elle ne leur est pas opposable: l'Etat percevra les impôts sur le sujet japonais et au besoin sur la propriété: il fera observer, par le titulaire japonais, les lois et règlements sur la propriété foncière; les particuliers pourront valablement acheter le fonds ou en acquérir l'hypothèque, en traitant avec le sujet japonais, et même, si celui-ci devenait insolvable, l'immeuble entrerait dans sa liquidation.
Une question intéressante de droit pénal pourrait s'élever dans cette situation: si le japonais prête-nom aliénait le fonds et en dissipait le prix, pourrait -ilêtre poursuivi pour le délit d'abus de confiance ? Nous n'en doutons nullement: entre les parties l'acte simulé est valable; l'étranger a remis des sommes d'argent au sujet japonais pour acheter un immeuble en son propre nom, mais pour le compte et pour le profit du mandant, à charge d,- lui rendre l'immeuble ou sa valeur, suivant les événements ultérieurs, et le mandataire a été infidèle: c'est l'abus de confiance le plus évident. Il en serait autrement si, le prête-nom étant devenu insolvable, sans fraude, l'immeuble avait été absorbé dans sa liquidation; mais au moins l'étranger aurait pu se faire inscrire dans cette liquidation, si, au lieu d'une contre-lettre secrète, il s'était fait donner un engagement conditionnel mais ostensible de la valeur dudit immeuble, ou si la situation respective des parties avait été notoire, ce qui en pareil cas est fréquent.
Au surplus, ces cas de droits de propriété sont restés, croyons-nous, fort rares au Japon, justement parce qu'ils peuvent donner lieu à des mécomptes; mais il est bon de les apprécier au point de vue juridique, puisque l'occasion s'en présente ici (2).
167. Si les contre-lettres sont sans effet à l'égard des tiers, c'est parce que, de leur nature, elles sont Il secrètes et destinées à rester telles mais si, en fait, elles ont été connues des tiers qui prétendent en repousser l'effet, leur exception de nullité n'est plus fondée, ni en droit positif ni en équité. Il y aura seulement une difficulté de preuve, mais elle se résoudra "d'après le droit commun: "la contrelettre étant dressée par les parties pour modifier secrètement un acte ostensible est, de leur fait môme, présumée ignorée des tiers; dès lors, c'est à la partie qui soutient que le tiers intéressé l'a connue à en faire la preuve; seulement, elle n'est pas ici limitée à la preuve par l'aveu de l'adversaire, comme lorsqu'il s'agit de prouver qu'un acte non publié par la transcription lorsqu'il devait l'être, a été néanmoins connu de celui qui en repousse l'effet (v. art. 367, 40 al. et 370, 3° al.): le caractère des deux présomptions est bien digèrent; toutes deux sont légales, sans doute, mais la présomption d'ignorance des actes non transcrits, quand ils devaient l'être, est absolue et si, par exception, elle admet la preuve contraire de l'aveu de l'adversaire, c'est parce qu'étant d'intérêt privé cette présomption ne peut profiter à celui qui, par son aveu, se condamne lui-même; tandis qu'ici la présomption est simple et admet toute preuve contraire (v. 1424), y compris la preuve testimoniale, même au-delà d'une valeur de 50 yens, car on est dans un cas où la partie intéressée ne pouvait se prouver de preuve écrite (v. art. 1405-3°).
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(1) Elle a été ajoutée à cet article dans cette nouvelle édition.
(a) Depuis que ces lignes ont été écrites, la Constitution du Japon a été promulguée (11 février 1889, XXIIe année de Meiji). Nous ne sommes pas sûr que l'opinion exprimée ci-dessus au sujet du mode de satisfaire à la condition du cens soit adoptée dans l'interprétation de ladite Constitution.
(b) Cette prohibition de louer les immeubles aux étrangers hors des concessions est nne nouvelle réponse à ceux qui ont combattu le caractère réel que nous avons cru devoir assigner au droit de bail: il semble que les auteurs des Traités aient d'avance adopté cette opinion.
(2) Depuis que ces lignes ont été écrites, quelques journaux se sont prononcés contre ces acquisitions par des étrangers sous un nom japonais et surtout contre les achats de marchandises à l'intérieur par les employés japonais des marchands étrangers: on prétend qu'il y a là une fraude aux traités, dans ce qu'ils ont de favorable au Japon, et un obstacle à leur révision dans ce qu'ils ont de défavorable,puisque les étrangers éludent ainsi les prohibitions qui les concernent.
On sait que nous sommes un des plus dévoués aux revendications du Japon pour son autonomie; mais nous ne croyons pas que les pratiques dont il s'agit soient illégales, puisqu'au regard du pays les droits ainsi placés sous un nom d'emprunt sont considérés légalement comme appartenant à un sujet japonais.
Du reste, un Règlement nouveau sur les registres fonciers (du 22 mars 1889, 226 année de Meiji) donne déjà satisfaction, au moins en partie, aux opposants: d'après ce Règlement, les véritables titres de propriété foncière consistent dans l'inscription sur les registres et restent ainsi aux mains de l'administration: les copies qu'en peuvent avoir les particuliers ne suffisent pas à établir leur droit; il n'est donc plus possible à un étranger qui achèterait un immeuble sous un nom japonais, avec contre-lettre, de se faire remettre le titre en garantie contre une cession frauduleuse.
Art. 1387. — 168. De ce qu'un acte a été d'abord destiné a être tenu secret, il ne suit pas qu'il doive nécessairement rester tel, malgré la volonté contraire des parties: la loi leur permet de donner à la contre-lettre '4 l'effet ordinaire d'un acte ostensible," en le rendant public par la transcription ou par l'inscription hypothécaire; mais cette forme de révélation n'est possible que pour les actes qui comportent ce mode de publicité. Ainsi, une vente d'immeuble avait été faite par acte ostensible transcrit; mais une contre-lettre avait déclaré que la vente était simulée; si la contre-lettre est transcrite, à son tour, le vendeur s'en prévaudra contre ceux qui traiteraient avec l'acheteur; mais pour l'avenir seulement, " sans rétroactivité," comme le texte prend soin de l'exprimer.
Ainsi encore le créancier d'une dette hypothécaire inscrite avait, pour aider au crédit du débiteur, consenti à lui donner quittance de la dette, et l'hypothèque avait été radiée; mais, par une contre-lettre, le débiteur avait reconnu que sa dette hypothécaire subsistait toujours; plus tard, le créancier n'ayant pas obtenu le payement véritable, conformément à la convention secrète, a fait rétablir son inscription, pour celle-ci valoir à sa nouvelle date; le rétablissement ne rétroagira pas (comp. art. 1251 et 1252).
Quelquefois, une simple mention de la contre-lettre en marge d'une transcription ou inscription suffira. Ainsi, dans le cas de vente d'immeuble, si l'acte transcrit porte quittance du prix et qu'une contre-lettre déclare qu'il est encore dû, le créancier pourra faire mentionner la contrelettre en marge de la transcription, à l'effet de recouvrer son privilége pour le prix, mais avec le caractère et le rang d'une simple hypothèque (v. art. 1187). De même, au cas d'une inscription ostensiblement radiée mais réservée par contre-lettre, cette dernière peut être mentionnée en marge de la radiation pour faire tomber celleci et rétablir l'inscription qui vaudra à la date de la nouvelle mention. Cette situation rappelle celle prévue à l'article 2151; mais elle est moins favorable au créancier qui n'opposera ici son hypothèque à aucun des créanciers inscrits antérieurement, parce qu'il a vraiment consenti à la radiation pure et simple à l'égard des tiers, tandis que l'article 1251 fait entre ceux-ci une distinction qui a été justifiée à cette occasion.
En dehors de ces moyens de donner après coup aux contre-lettres une publicité générale qui permette de les opposer aux tiers, il y aurait encore, pour les- cas qui ne comportent ni transcription ni inscription, le moyen de les porter directement à la connaissance des tiers que les parties auraient lieu de croire intéressés; on pourraît aussi recourir à la publicité des journaux d'affaires.
Art. 1388. — 169. C'est à cause de leur caractère secret que les contre-lettres n'ont pas d'effet contre les tiers, c'est-à-dire, dans le sens ici spécial du mot " tiers," contre toutes personnes autres que les parties et leurs héritiers (v. n° 162); mais, si elles n'ont pas d'effet contre les tiers, elles peuvent en avoir pour eux. En effet, à quelque époque que la contre-lettre leur soit révélée, lors même que ce serait après qu'ils sont devenus ayantcause de l'une des parties, du moment qu'ils trouvent avantage à l'invoquer, ils le peuvent: c'est le droit commun des ayant-cause généraux ou particuliers.
Ainsi, un vendeur apparent, resté propriétaire en vertu de la contre-lettre, est devenu insolvable, le bien sera compris dans sa liquidation et le prix en sera distribué à ses créanciers, si la contre-lettre a été par eux découverte en temps utile; ce bien pourrait même, en cas de découverte tardive, être l'objet d'une distribution ultérieure, s'il n'avait pas été aliéné, hypothéqué ou saisi, du chef de l'acquéreur apparent.
L'inefficacité de la contre-lettre ne reparaît donc que lorsqu'il y a conflit entre les ayant-cause des deux parties, parce qu'alors, s'il s'en trouve, d'un côté, un ou plusieurs qui invoquent la contre-lettre, ils sont, d'un autre côté, en présence d'un ou plusieurs qui en repoussent l'effet et ceux-ci sont préférables.
Si le conflit existe entre les héritiers d'une partie et l'autre partie survivante ou les héritiers de l'autre également décédée, la préférence est pour la partie ou les héritiers qui invoquent la contre-lettre, parce qu'elle vaut entre les parties et leurs héritiers, à charge, bien entendu, de la prendre dans son ensemble et sans la diviser, de même que lorsqu'il s'agit de toute autre convention.
SOMMAIRE.
Art. 1389. — N° 170. Pourquoi il n'est pas ici question des actes confirmatifs. —171. Caractère de l'acte récognitif: il nove et remplace le primordial.
1390. —172. Deux autres cas dans lesquels le titre récognitif remplace le titre primordial dont la perte est prouvée.
1391. -173. Effet subsidiaire: commencement de preuve par écrit. -174. Effet constant: interruption de prescription.
COMMENTAIRE.
Art. 1389. — N° 170. On remarquera d'abord que le Projet, à la différence du Code français, ne joint pas aux actes récognitifs les actes confirmatifs (comp. c. fr., art. 1336 et 1337): les actes confirmatifs, en effet, appartiennent beaucoup moins à la théorie des preuves qu'à celle de la nullité, puisqu'ils ont pour but de valider les actes annulables; c'est pourquoi le Projet en a traité au sujet de la nullité ou rescision (v. art. 577 et s.).
La loi définit l'acte récognitif de manière à ce qu'il ne soit pas confondu avec le titre primordial qui est quelquefois qualifié " reconnaissance " d'une obligation: il est " la reconnaissance d'un titre antérieur " et son but est, soit de le remplacer, s'il a été perdu, soit de le rajeunir, pour ainsi dire, lorsqu'il est menacé de perdre sa force par la prescription.
Généralement, l'acte récognitif sera sous signature privée, et l'acte ainsi reconnu sera lui-même sous seing privé; mais rien n'empêche qu'on remplace un acte authentique perdu ou détruit par un acte sous seing privé et un acte privé par un acte authentique. Pour écarter un doute qui peut subsister, dans le silence du Code français, le texte nous dit que l'acte récognitif peut être aussi bien authentique que privé et que l'acte reconnu peut lui-même avoir l'un ou l'autre caractère.
171. En principe, l'acte récognitif ne dispense pas de représenter le titre primordial: il ne le remplace pas; de sorte que son seul effet constant est celui d'interrompre la prescription (v. art. 1391, 2e al). Par conséquent, c'est dans l'acte primordial que l'on recherchera la nature et l'étendue du droit prétendu: s'il y avait dans le titre récognitif " plus, moins ou autre chose " que dans le titre primordial, c'est à celui-ci seul que l'on s'attacherait, et c'est précisément pour établir la similitude des deux actes que la loi veut la représentation du primordial.
Le Code français est moins explicite sur le cas où l'acte récognitif contiendrait moins que le primordial; car il n'exclut formellement que ce qu'il contient " de plus ou de différent " (art. 1337, 2e al.) (a); mais on ne doit pas plus voir une remise partielle de la dette par le créancier dans le titre récognitif qui la diminue qu'une novation dans celui qui la reproduit avec changements, ou une aggravation dans celui qui l'augmente: ni la novation ni la remise ne se présument, elles doivent, si non être expresses, au moins résulter clairement de l'acte (v. art. 514 et 527).
Un premier cas cependant est excepté et l'exception a un double effet, à la différence des deux autres cas prévus à l'article suivant, c'est lorsque le titre récognitif porte "qu'il est destiné à remplacer le primordial il y a là l'exercice d'un droit des parties et de la liberté des conventions que la loi n'aurait aucune raison d'entraver.
Nous disons que l'exception a un double effet, en ce sens: 1° que le créancier n'est pas tenu de représenter le titre primordial, 2° que, si ce titre est représenté, par une partie ou par l'autre, c'est ce qu'il contient de plus, de moins ou de différent qui, à son tour, n'a plus de valeur et est remplacé par le nouvel acte, lequel produit tout à la fois, deux novations: celle du titre et celle de l'obligation.
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(a) La difficulté n'est pas écartée en disant que ce qu'il y a de moins est différent: si, dans la pensée des Rédacteurs du Code français, le mot Il différent " contenait ce qui est " de moins," il contiendrait aussi ce qui est "de plus" et cependant le texte l'exprime.
Art. 1390. — 172. Ici deux nouveaux cas sont exceptés de. la règle que ' 'le titre récognitif ne dispense pas celui qui l'invoque de représenter le titre primordial," Dans chacun de ces cas, il faut d'abord que la partie qui se prévaut de l'acte récognitif, sans représenter conjointement l'acte primordial, prouve que celui-ci a été perdu: cette preuve, ne se trouvant pas limitée par la loi, se fera par tous les moyens possibles, y compris les présomptions de fait.
Le 1er cas excepté est celui où le titre récognitif "porte qu'il reproduit la teneur du titre primordial il est naturel de s'en rapporter à la déclaration de la partie qui a fait cette déclaration, du moment que le titre primordial n'est pas là pour la démentir.
Par "teneur" il ne faut pas entendre les termes mêmes de l'acte primordial, mais l'ensemble de ses dispositions et énonciations: ce ne serait pas reproduire la teneur de l'acte que d'en reproduire seulement "la substance," parce qu'il pourrait y avoir des énonciations secondaires qui ne constitueraient pas la substance, mais seraient d'un intérêt assez sérieux pour qu'il fût nécessaire de les reproduire. Cependant, si un acte récognitif déclarait reproduire " la substance de l'acte primordial " et qu'il n'y eût pas de motifs graves de soupçonner qu'il a omis des énonciations importantes, il n'y aurait pas de raison suffisante pour rejeter la preuve faite par un tel acte.
Le 2e cas excepté est celui où le titre récognitif ayant déjà 20 ans de date, a déjà été employé seul pour fonder l'exercice du droit prétendu. Par exemple, ce titre a servi une ou plusieurs fois à obtenir les intérêts d'un capital dû dont il mentionne le chiffre. C'est ce qu'on appelle dans le Code français (art. 1337, 38 al.) une reconnaissance " soutenue de la possession."
Ce n'est pas nécessairement pour faire valoir un droit personnel ou de créance qu'un titre récognitif est invoqué: il peut être aussi invoqué à l'appui d'un droit réel.
Ainsi, un propriétaire s'est fait payer des loyers ou fermages, en se fondant sur un titre récognitif de son droit ayant 20 ans de date: il pourra invoquer le même titre pour se faire rendre le fonds, à la fin du bail.
Le délai de 20 ans est moindre que celui du Code français qui exige " 30 ans de date: " on n'a pas cru devoir exiger un tel délai, parce que, outre sa longueur exagérée, il a l'inconvénient de se rencontrer avec celui de la prescription, de sorte que le demandeur se trouverait exposé à perdre son droit par l'effet même du temps qu'il invoque à l'appui de son titre: dans le Code français, le bénéfice d'un acte récognitif si ancien ne subsiste que si d'ailleurs la prescription trentenaire a été suspendue ou interrompue.
Le délai de 20 ans paraît bien suffisant.
Le Projet est encore, en un sens, plus favorable au créancier que le Code français qui exige, dans ce cas, " plusieurs reconnaissances conformes."
Art. 1391. — 173. Si le demandeur ne se trouve dans aucun des trois cas exceptés ci-dessus, il n'est pas dispensé de représenter le titre primordial, et si la chose lui est impossible, il ne peut plus tirer de l'acte récognitif d'autre avantage que celui d'un commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire qu'il ne peut que prouver par témoins, comme il est dit à la Section vin, mais alors sans limite quant aux sommes ou valeurs engagées (voy. art. 1405-10).
174. Le dernier alinéa indique l'effet constant de l'acte récognitif, celui qui, le plus souvent, aura été seul cherché dans cet acte et que nous avons annoncé tout d'abord, à savoir " l'interruption de la prescription " (comp. art. 1454).
Deux cas sont d'ailleurs à considérer: 1° si l'acte primordial est représenté et si déjà, en considérant sa date, le temps de la prescription en est écoulé ou près de l'être, il se trouve, comme nous avons dit, rajeuni par le titre récognitif qui y restera annexé; 2° si l'acte primordial n'est pas représenté, le cas est plus délicat: on peut se demander quelle est la valeur, la portée, d'une interruption de prescription, pour un droit dont la preuve manque au fond. La réponse est dans le précédent alinéa: cet acte récognitif, non fortifié par un titre primordial, vaut encore comme commencement de preuve par écrit; or, si on prouve par témoins que le droit a existé, la prescription en a été interrompue par cet acte récognitif, lequel a eu ainsi deux avantages: aider à la preuve testimoniale du droit prétendu et le préserver de la prescription.
SOMMAIRE.
Art. 1392. — N° 175. Copies authentiques d'actes authentiques ou privés; inefficacité juridique des copies privées. -176. Précautions à prendre pour le déplacement des originaux déposés aux mains des officiers publics. -177. Actes authentiques rédigés en brevet ou en minute.
1393. -178. Quatre cas où la copie remplace l'original perdu. -179. Conditions de forme pour chacun de ces cas.
1394. -180. Copie ne valant que commencement de preuve par écrit.
1395. -181. Copie de copie ne valant que comme simple renseignement ou présomption de fait. -182. Retour à l'article précédent et à la copie valant commencement de preuve par écrit. -183. Difficultés résultant des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est permise au-delà de 50 yens. —184. Cas favorable où la copie de copie est relevée au degré de commencement de preuve par écrit.
COMMENTAIRE.
Art. 1392. — N° 175. Il est naturel que la copie d'un titre ne remplace pas l'original, au moins en principe, car la copie ne présente pas les mêmes garanties de sincérité et d'exactitude que l'original: s'il s'agit d'une copie, même authentique, d'un original authentique également, elle ne présente pas les formes solennelles qui ont accompagné la rédaction de l'acte lui-même; s'il s'agit d'une copie privée et si elle n'est pas signée, elle n'a même pas la valeur d'un acte récognitif; aussi les copies privées ne sont-elles pas mentionnées dans la loi: du moment qu'elles ne sont pas signées de la partie à laquelle on prétendrait les opposer, elles n'ont absolument aucune valeur juridique; on n'en connaît légalement ni l'origine ni le but; elles rentrent dans les notes individuelles; elles peuvent aider la mémoire des intéressés, mais la justice n'a pas à s'en occuper.
Au contraire, les copies authentiques d'actes authentiques ou sous seing privé ont toujours une certaine force probante et elles peuvent arriver à remplacer l'acte original lui-même, comme on va le voir bientôt.
176. Notre premier article prescrit des précautions particulières pour ne pas déplacer sans nécessité les actes authentiques ou privés qui ont été déposés dans les minutes ou archives d'un officier public; ces précautions se trouveront au Code de Procédure civile ou dans des Règlements spéciaux; il sera bon que le transport de l'original au tribunal ne soit fait qu'au moment précis où le tribunal pourra en prendre connaissance, de façon à ce qu'il puisse être réintégré promptement aux archives de l'officier, car souvent les diverses minutes d'une période de temps plus ou moins longue se trouveront réunies et d'autres parties intéressées pourraient avoir à y recourir. On devra même permettre aLt tribunal de ne pas exiger ce transport, lorsque la partie qui se prévaudra de l'acte authentique en produira une copie ou expédition en bonne forme et de l'une des qualités énoncées aux trois premiers paragraphes de l'article suivant, quoique les faveurs accordées aux copies par cet article soient établies pour le cas de perte de l'original.
Pour réserver ainsi ce droit du tribunal, la loi veut que, dans ces circonstances, la production de l'original n'ait lieu " que sur l'ordre du tribunal, dans les formes et sous les conditions qu'il détermine: " la partie intéressée pourra toujours en présenter la demande, mais le tribunal pourra ne pas l'accueillir, quand il n'y verra qu'un moyen frustratoire de gagner du temps.
177. Faisons remarquer, à cette occasion, que les actes notariés ne seront sans doute pas toujours rédigés en minute pour être conservés aux archives du notaire: certains actes pourront n'être rédigés qu'en brevet (a), c'est-à-dire en un simple original remis à la partie intéressée: dans ce cas, ce sera comme s'il s'agissait d'un acte sous seing privé ordinaire: la production pourra en être exigée par l'adversaire; au contraire, s'il s'agit d'un acte sous seing privé déposé pour minute dans les archives du notaire, les restrictions à la production cidessus énoncées seront applicables.
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(a) Le mot " brevet" du latin brevis, " bref, court," a été adopté sans doutç pour exprimer que l'acte est plus sommaire que ceux rédigés " en minute."
Le mot "minute" lui-même, dans le langage notarial et juridique, fait opposition au mot " grosse: " l'original destiné à être conservé dans les archives du notaire est écrit en petites lettres ou en menu; la première copie ou expédition est grossoyée ou écrite en grosses lettres.Nous ne prétendons pas que toutes ces particularités du langage français passent dans la langue juridique japonaise; mais nous sommes bien obligé de parler notre langue pour être compris par nos collaborateurs et traducteurs-interprètes.
Cette observation aurait pu être faite depuis longtemps pour beaucoup d'expressions juridiques françaises que nous avons dû employer déjà, sachant qu'elles seraient difficiles à rendre en japonais.
Art. 1393. — 178. Lorsque l'original est perdu, par quelque cause que ce soit et que cette perte est " prouvée." certaines copies le remplacent quant à la force probante, et cela dans quatre cas, sur chacun desquels nous nous arrêterons un instant.
Ier Cas. Il est d'usage que, quand un acte est dressé en minute, l'officier en délivre une première copie ou expédition à la partie dont les droits sont ainsi constatésSi même il s'agit de droits liquides et exigibles, l'expédition est revêtue de la formule exécutoire, laquelle permet de faire exécuter après commandement, sans recourir au tribunal, à moins qu'il n'y ait contestation. Si le droit est à terme ou conditionnel, l'expédition exécutoire ne peut être délivrée qu'après l'échéance du terme ou l'accomplissement de la condition; mais, dans ce dernier cas, comme il peut y avoir contestation sur le point de savoir si la condition est accomplie dans le sens où l'ont entendu les parties (v. art. 438), le notaire pourra refuser de donner la formule exécutoire et alors l'acte authentique devra être soumis au tribunal.
Il est naturel que quand l'original authentique est perdu, la première copie ou expédition le remplace quant à la force probante, et il n'y a pas de raison sérieuse de lui refuser, dans le même cas, la forceexécutoire, puisqu'elle l'a eue dès sa délivrance.
IIe Cas. Ici, il ne s'agit plus de la première expédition, délivrée plus ou moins promptement après la rédaction de l'acte authentique par l'officier qui l'a reçu et comme suite de cette réception, mais d'une copie dressée, à une époque ultérieure, par l'officier public légalement dépositaire de la minute. Seulement, dans ce cas, une double condition est nécessaire, c'est qu'il y ait eu une demande des parties ou au moins de la partie en faveur de laquelle l'acte fait preuve et que toutes les parties intéressées aient été présentes, ce qui a été un contrôle légitime et nécessaire à l'autorité de la copie.
La loi assimile ici à l'acte authentique dressé en minute l'acte sous seing privé qui, après avoir été reconnu en justice, aurait été, par ordre du tribunal ou du consentement des parties, déposé dans les minutes d'un officier public: comme la force probante de cette copie tient, tout à la fois, à l'autorité morale du copiste et à la présence des parties intéressées, il n'y a aucune raison de faire une différence entre la minute d'un acte authentique et l'acte sous seing privé déposé pour minute. La loi ne s'exprime pas au sujet de l'acte authentique rédigé seulement en brevet et déposé aussi pour minute, mais il ne faudrait pas hésiter à donner la même solution (v. n° 177).
IIIe Cas. Ce cas diffère du précédent, en ce que la demande de la partie intéressée est remplacée par un ” ordre du tribunal " et, à raison même de ce qu'il y a cette preuve d'une nécessité judiciaire, la présence des parties n'est plus exigée: il suffit qu'elles aient été " dûment appelées " à la rédaction de la copie.
L'officier, dans ce cas, peut n'être que temporairement dépositaire de l'original, comme un greffier dans les mains duquel les minutes d'un notaire auraient été déposées pour un procès.
IVe Cas. Ici, de toutes les garanties présentées par les trois premiers cas il ne reste qu' une seule: la copie a été faite par l'officier légalement dépositaire de la minute, fût-ce encore temporairement; mais il n'y a eu ni ordre du tribunal, ni présence, ni même convocation des parties; toutes ces garanties sont remplacées par l'ancienneté de la copie: le Projet, moins exigeant que le Code français, se contente d'une ancienneté de 20 ans (au lieu de 30); c'est le même délai que pour un cas d'acte récognitif (v. art. 1390-2°); mais ce délai est suffisant pour qu'il n'y ait pas lieu de craindre une collusion frauduleuse de l'officier public, si longtemps avant tout intérêt actuel; d'ailleurs, comme cette copie n'aurait pas la même autorité si elle avait été tenue secrète, la loi ajoute une condition, qui n'est pas dans le Code français et qui rappelle encore celle de l'article 1390-2°, à savoir que cette copie ”ait déjà été invoquée entre les parties ou leurs auteurs, en justice ou extrajudiciairement, au sujet du droit prétendu, et n'ait pas donné lieu à réclamations.
179. Pour que le caractère de ces diverses copies soit révélé à la simple lecture, la loi prescrit pour chacune des trois premières la mention de la circonstance qui en fonde l'autorité; quant à la quatrième copie, il n'y aura rien de particulier, puisque son autorité est faible, mais on y verra nécessairement, comme dans les autres: qu'elle a été dressée par un officier public compétent, qu'elle est certifiée conforme à l'original, enfin on verra, par sa date rapprochée du jour où elle est invoquée, si elle a l'ancienneté voulue.
Art. 1394. — 180. Cet article suppose qu'une copie présentée en justice, à l'appui d'une demande ou d'une exception, ne remplit pas les conditions imposées cidessus à chacune, suivant les cas: la seule circonstance qui peut lui donner quelque autorité c'est qu'elle a été " dressée " par un officier public; " la loi n'exige pas qu'il soit légalement dépositaire de l'original; mais il est difficile de comprendre qu'il ait pu dresser cette copie sans avoir le dépôt de l'original; d'ailleurs le seul fait qu'il a dressé la copie suffira à faire présumer chez lui la qualité de dépositaire, sauf preuve contraire.
Cette copie, en principe, ne remplacera pas l'original, lors même que la perte en serait prouvée; mais elle servira de commencement de preuve par écrit, ce qui, on le verra bientôt (art. 1405-1°) et on l'a déjà plusieurs fois annoncé, permet la preuve testimoniale, même pour les intérêts les plus considérables.
Du reste, lors même que la loi n'accorderait pas cette faveur à la copie qui nous occupe, la preuve testimoniale du droit en question serait toujours permise, parce que l'on est dans l'hypothèse où le titre original a été perdu et c'est un autre cas où la preuve testimoniale est permise au-delà de la limite légale de 50 yens, et sans qu'il soit besoin d'une autre preuve (art. 1405-30). Ce n'est pas toutefois sans raisons que le texte reconnaît à cette copie le caractère de commencement de preuve par écrit: d'abord, cela fortifiera les témoignages qui seront produits, ensuite, cela constituera une différence notable avec les copies de copies qui, d'après l'article suivant, ne valent que comme " simples renseignements. "
On reviendra, sous l'article suivant, à ce caractère de commencement de preuve par écrit qui n'est pas sans difficulté.
Art. 1395. — 181. Ici, la copie est encore affaiblie: elle n'a pas été dressée d'après l'original, mais d'après une autre copie, probablement d'après une des copies énoncées aux deux articles précédents. On les suppose toujours dressées par un officier public, car une copie faite par un particulier ne peut raisonnablement avoir aucune force probante en justice (v. n° 175).
La copie de copie dressée par un officier public vaut comme " simple renseignement," ce qui permettra au tribunal d'y puiser une " présomption de fait," et ce pourrait être pour lui un moyen suffisant de former sa conviction et de décider le litige, mais " dans les cas seulement où la preuve testimoniale est admissible" (v. art. 1425), ce qui suppose un litige dont l'intérêt n'excède pas 50 yens (v. art. 1396), ou des circonstances particulières (v. art. 1405).
Il faut bien remarquer que, dans ce cas d'un litige n'excédant pas 50 yens, il ne sera pas nécessaire que des témoins soient effectivement produits: il suffit que cette preuve soit " admissible."
182. A ce sujet, et en rapprochant le présent article du précédent, on pourrait s'étonner qu'ici, avec un " simple renseignement," on se contente de ce que la preuve testimoniale soit seulement admissible, tandis que dans le cas d'un Il commencement de preuve par écrit/' la preuve testimoniale doit être effectivement fournie; mais il faut bien remarquer que, dans le cas de l'article précédent, on pourra prouver, par la réunion du commencement de preuve écrite et des témoins, toute espèce de droit, si important qu'il soit par son chiffre, tandis qu'ici la " présomption de fait" tirée du simple renseignement ne servira pas à prouver au delà de 50 yens, et, lors même que des témoins seraient effectivement produits à l'appui de la présomption (ce qu'il sera toujours prudent de faire quand on aura des témoins), on ne pourrait toujours pas prouver un droit d'une importance supérieure au chiffre de 50 yens.
Notons enfin, toujours par rapprochement des deux articles, que celui qui n'aurait que le commencement de preuve par écrit de l'article précédent, sans témoins à produire, pourrait, mieux encore qu'avec le simple renseignement du présent article, faire admettre par le tribunal toute autre 'r présomption de fait" favorable à sa prétention, et alors sans être enfermé dans la limite de 50 yens, puisque le commencement de preuve par écrit exclut cette limite.
183. Mais ici se présente au sujet des exceptions à cette limite, une difficulté qui nous paraît avoir été généralement négligée: la preuve par présomption de fait, sans production de témoins, est-elle permise au-delà de 50 yens, si l'on se trouve dans l'un des trois cas exceptés par l'article 1405 ?
Parmi les exceptions à la défense de prouver par témoins au-delà de 50 yens, celle qu'on rencontre la première est justement le cas où il y a un commencement de preuve par écrit (art. 1405-1°). Pourra-t-on dire que celui qui a un commencement de preuve par écrit, se trouvant dans un cas où la preuve testimoniale est admissible, sans limites, pourra aussi faire preuve par la seule présomption de fait résultant du commencement de preuve par écrit, sans avoir à produire effectivement des témoins.
Cette prétention nous paraîtrait insoutenable; elle se traduirait, dans la procédure ou dans la plaidoirie par ce singulier langage, de la part du plaideur: " J'ai en ma faveur un commencement de preuve par écrit, dans la copie du titre original, ce qui m'autorise à produire des témoins, comme complément de preuve de mon droit, à quelque valeur qu'il s'élève; or, du moment que la preuve testimoniale est admissible sans limite, et qu'un commencement de preuve par écrit est une forte présomption de fait, je puis prouver mon droit par présomption de fait, sans limite également." Un tel discours serait aussi raisonnable que si le plaideur disait: " le dois prouver par témoins, parce que je n'ai qu'un commencement de preuve par écrit; mais je n'y suis pas obligé, parce que mon commencement de preuve par écrit est aussi une présomption de fait qui me dispense de prouver par témoins."
La seconde exception réservée par l'article 1405, le cas de perte de l'original, ne permettrait pas davantage de dire ici que, la preuve testimoniale étant rendue admissible au delà de 50 yens, la présomption de fait résultant de la copie, d'après nos articles 1394 et 1395, suffira à prouver le droit, sans qu'il soit besoin d'en fournir un témoignage effectif. En effet, dans le cas de "perte du titre " visé par l'article 1405, et qui est précisément aussi le cas de nos articles, si la copie de copie suffisait, comme présomption de fait, à dispenser de la preuve testimoniale, il ne serait pas compréhensible que la loi lui donnât, dans un cas, le caractère de commencement de preuve par écrit, précisément pour favoriser le témoignage et, dans un autre cas, la privât de cet avantage, en ne lui donnant que le caractère de simple renseignement.
Concluons donc que la présomption de fait qui résulte du commencement de preuve par écrit ne permettra de décider le litige, sans production effective de témoins, que dans la limite de 50 yens; pour qu'il en fût autrement, il faudrait qu'il y eût d'autres présomptions de fait et qu'elles eussent été formellement énoncées par le tribunal (v. art. 1425, in fi?îe); ce serait le seul cas où la pluralité de présomptions serait nécessaire, mais la première s'y présenterait avec le nom et le caractère spécial de commencement de preuve par écrit."
Quant à la présomption de fait résultant de la copie de copie, qu'elle soit seule ou accompagnée, soit de témoignages, soit d'autres présomptions de fait, elle ne servira de moyen de décider le litige que dans la limite de 50 yens.
En résumé, le commencement de preuve par écrit aura toujours l'avantage que, s'il est appuyé de témoignages ou de présomptions, la limite de 50 yens n'est plus applicable, tandis que cette limite subsiste toujours, s'il n'y a que simple renseignement.
La dernière exception (v. art. 1405-3°) ne saurait avoir ici aucune application: elle est pour le cas " où il n'a pas été possible à la partie intéressée de se procurer une preuve écrite; " or, ici, il y avait eu une preuve écrite, puisqu'il est produit une prétendue copie indirecte de l'original (copie de copie).
184. La copie de copie, objet de notre article 1395, est relevée du rang de " simple renseignement " à celui de " commencement de preuve par écrit," lorsqu'elle est faite sur le registre des transcriptions, soit qu'elle s'applique à "un acte authentique " (2e al.), tel qu'un jugement ou un acte notarié, soit qu'elle s'applique à " un acte sous seing privé reconnu en justice 0° al.). Bien plus,
il si elle a 20 ans de date et s'il en a été fait usage sans réclamation, elle devient une preuve complète " (4e al.).
Ces dispositions sont analogues à celles que nous avons vues aux articles 1390 et 1391, au sujet des actes récognitifs.
SOMMAIRE.
N° 185. Substitution progressive, en tous pays, de la preuve littérale à la preuve testimoniale. -186. Les restrictions à la preuve par témoins ne doivent pas être justifiées par la crainte de la corruption des témoins. -187. Démonstration. -188. Autre justification: crainte de la multiplicité des procès.
Art. 1396. — 189. Cas dans lesquels un écrit est exigé: différence de rédaction du Projet et du Code français. -190. Double conséquence de la règle pour l'exclusion ou l'admission de la preuve testimoniale; réserve d'exceptions dans les deux cas.
1397. -191. Manière d'envisager la valeur dans les contrats synallagmatiques. -192. Cas particulier de la société, quand elle est une personne juridique.
1398. -193. Manière d'estimer la valeur en litige.
1399. -194. Ire Exception à la faculté de pronver par témoins au-dessous de 50 yens. —195. Cas qui ne rentrent pas dans cette exception. -196. Preuve du lieu et de ln, date, soit du contrat, soit de l'exécution.
1400. -197. IIe Exception.
1401. -198. Sanction des deux exceptions. -199. Réponse à une objection.
1402. -200. Validité de la renonciation aux intérêts et fruits pour rester dans la limite légale de la preuve. - 201. Cas de réunion des accessoires au principal audelà de la limite légale.
1403. -202. Obligations de réunir toutes les demandes: deux conditions limitatives. -203. Sanction. -203 bis Application aux exceptions.
1404. -204. Influence favorable de la diversité des causes de demandes sur la recevabilité de la preuve testimoniale. -205. Application aux défenses ou exceptions multiples.
1405. -206. Trois exceptions à la limite de la preuve quant à la valeur. -207. Examen de la portée de ces exceptions quant aux autres limites.
1406. -208. Retour à la 3e exception pour des applications légales: elles ne sont pas limitatives. -209. Cas d'obligations non conventionnelles.
1407. -210. Preuve testimoniale fournie du consentement des parties, avec l'autorisation du tribunal.
1408. -211. Renvoi au Code de Procédure pour ln, forme des enquêtes. -212. Nécessité d'un serment.
1109. -213. Le témoignage n'impose jamais la conviction au juge.
COMMENTAIRE.
N° 185. Lorsque, dans un pays, l'instruction est peu répandue et que beaucoup de sujets ou citoyens ignorent l'usage de l'écriture, il est naturel que la loi et les tribunaux admettent largement, si non sans limites, la preuve par témoins.
En fait, on trouve cette preuve dominante en tous pays, dans les temps d'ignorance; puis, on la voit soumise successivement à des restrictions, au profit de la preuve écrite ou littérale, laquelle devient obligatoire, en règle, et la preuve testimoniale finit par n'être plus qu'une exception. Cette transformation du système de la preuve se rencontre dans l'histoire du droit français. On la trouve aussi au Japon et le Projet ne fait guère que la consacrer, en l'accentuant seulement davantage, car l'art de l'écriture, quoiqu'infiniment plus difficile à acquérir au Japon qu'en Europe, y est maintenant tout aussi répandu.
186. On a l'habitude de j ustifier la préférence donnée à la preuve écrite sur la preuve testimoniale, en disant que le faux témoignage est plus fréquent que le faux en écriture et que la loi doit dès lors se défier du témoignage oral ou verbal des particuliers.
Nous ne voudrions pas, pour proposer de restreindre la preuve testimoniale, nous appuyer sur un motif aussi injurieux à l'égard de la généralité des hommes; nous sommes même convaincu que les faux témoignages sont beaucoup moins nombreux que les faux en écriture; les témoins n'ayant aucun intérêt dans le procès ne peuvent être entraînés à un faux témoignage en justice que par corruption, par méchanceté ou par crainte; or, les deux derniers cas sont presque invraisemblables en matière civile; la corruption seule y est à craindre; mais le corrupteur et le corrompu ont souvent assez de défiance l'un de l'autre pour ne pas s'engager jusqu'au bout dans cette mauvaise voie; tandis que le faux en écriture n'exige pas de complice ou de coauteur: le coupable y agit pour lui-même, directement, secrètement, et n'a pas à partager son profit illicite (a).
Non seulement cette suspicion générale du témoignage oral est, disons-nous, injurieuse pour la société humaine, mais elle s'accorde mal avec les dispositions mêmes de la loi qui restreint le témoignage, ainsi que nous l'allons démontrer; et, comme le Projet japonais adopte en cette matière les principes de la loi française, ce que nous dirons au sujet de l'une des deux lois s'appliquerait aussi bien à l'autre.
187. On va voir que le but et le caractère des restrictions légales apportées à l'emploi de la preuve testimoniale se révèle mieux par la nature de certaines exceptions que par la règle elle-même. La règle d'ailleurs est double: 1° la preuve testimoniale n'est pas recevable pour établir des faits dont l'intérêt excède une certaine valeur (en France 150 francs, au Japon 50 yens) (b); 2° elle est admise si l'intérêt du litige est inférieur à ce chiffre. Chacune de ces règles reçoit des exceptions: dans certains cas, on peut prouver par témoins au-delà de 150 francs (ou 50 yens); dans d'autres, on ne le peut, même en-deçà de cette somme.
Ce n'est ni la dernière règle ni ses exceptions qui éclairciront notre question: on pourrait soutenir, d'une façon plausible, que la loi, en défendant la preuve testimoniale, en règle, pour les litiges d'un intérêt élevé, a craint qu'on n'en prélevât une partie pour corrompre des témoins; quant aux exceptions déjà signalées (v. art. 1405), elles s'imposaient chacune par des motifs particuliers. Mais, quand on arrive à la seconde règle et que l'on considère les exceptions qu'elle comporte à son tour (v. art. 1399 et 1400), la crainte de la corruption des témoins n'est plus possible.
Ainsi, s'il s'agit de prouver outre ou contre un écrit, et si ce que l'on prétend en retrancher ou y ajouter est inférieur à 50 yens, le montant du litige ainsi réduit n'est plus celui que la loi considérerait comme un danger de corruption, et cependant elle en défend encore la preuve testimoniale. De même, une somme inférieure à 50 yens est réclamée comme étant le reliquat d'une somme qui a été plus forte, et cependant la preuve par témoins en est interdite.
Si le danger de la corruption des témoins ne peut expliquer toutes les dispositions de la loi, on ne peut se contenter non plus de la crainte des erreurs de mémoire: si cette crainte explique la restriction de la preuve à des litiges peu considérables, elle ne justifie pas non plus les exceptions précédentes où l'intérêt du litige peut être très minime et doit cependant être prouvé par écrit; elle ne se concilierait pas davantage avec les exceptions inverses où des demandes considérables peuvent être prouvées par témoins.
188. Voyons donc quelle autre raison on peut donner pour restreindre la preuve testimoniale.
Nous avons toujours trouvé que la crainte de la multiplicité des procès et le désir de les éviter suffisent à justifier la double règle et les deux classes d'exceptions, et précisément, les procès où se fait la procédure d'enquête ou de preuve testimoniale sont particulièrement longs et coûteux.
Et d'abord, pour la prohibition même de prouver par témoins au-delà d'une certaine valeur, cette raison l'explique tout naturellement: si l'intérêt engagé dans une convention est un peu élevé, les parties peuvent bien prendre la peine de rédiger un écrit pour constater celle-ci. On ne peut d'ailleurs objecter que ],,t célérité des affaires ne permettra pas toujours de dresser un écrit, car les affaires commerciales, qui, en effet, requièrent souvent célérité, sont en dehors de notre règle (v. art. 1396, in fine) et s'il s'agit d'affaires civiles urgentes, elles pourront bénéficier de l'une des exceptions annoncées, comme rentrant dans le cas où il n'aurait pas été possible de dresser un éorit (v. art. 1405-30).
La crainte des procès ou le désir de les éviter justifie également très bien la prohibition exceptionnelle de prouver par témoins les intérêts minimes, soit contre ou outre un écrit, soit comme reliquat d'un intérêt qui a excédé le taux de 50 yens; mais comme ces exceptions nous occuperont sous les articles qui les contiennent (v. art. 1399 et 1400), nous n'insistons pas davantage, quant à présent.
Cette idée, qu'une trop grande latitude laissée à la preuve testimoniale multiplierait les procès, a pour corollaire l'idée inverse, à savoir que la nécessité de faire la preuve par écrit tend à les éviter ou à en réduire le nombre. En effet, si l'on pouvait toujours tenter la preuve par témoins, on se ferait aisément illusion sur l'opinion de ceux qui, par politesse ou complaisance, auraient encouragé la prétention d'un plaideur; on s'engagerait facilement dans un procès, espérant d'eux un témoignage favorable; mais, ensuite, ils se trouveraient bien moins affirmatifs devant la justice et la cause serait perdue; mieux aurait valu, dès lors, ne pas entreprendre le procès. Cette illusion d'ailleurs serait à craindre aussi bien chez le défendeur que chez le demandeur.
Si, au contraire, on sait qu'il faut un écrit, on aura soin de s'en munir en contractant (preuve préconstituée) et alors on plaidera en quelque sorte à coup sûr: l'adversaire ne se laissera appeler en justice que s'il ne veut ou ne peut se prêter à l'exécution volontaire, ou s'il conteste le sens et la portée de l'acte écrit ou même sa sincérité.
Il reste malheureusement encore un assez vaste champ aux procès sur les écrits; mais on peut dire qu'il y en aurait infiniment plus si cette entrave légale à la preuve testimoniale n'existait pas (c).
Abordons maintenant l'explication des articles de notre Section. Nous y trouverons plus d'une occasion de rappeler cette justification de la loi.
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(a) Au Japon, le faux en écriture privée présente des facilités particulières: la signature manuscrite des contractants, n'y étant pas exigée, est remplacée par le sceau ou cachet; or, il est assez facile de fabriquer un faux cachet absolument pareil au véritable; en outre, il n'est pas rare qu'on parvienne à apposer frauduleusement le vrai cachet sur une pièce fausse (v. n° 52).
(b) Le yen japonais d'argent, ou de papier convertible en argent, qui est la mesure légale des valeurs, vaut 4 francs environ. Le yen d'or, naturellement, fait prime (v. T. III, n° 659).
(c) Il est intéressant de noter, à ce sujet, qu'en France l'Ordonnance royale qui introduisit, la première, les restrictions à la preuve testimoniale, notamment sa limitation aux " choses excédant la valeur de 100 livres " (Ord. de Moulins, sur la Réforme de la Justice, fév. 1556, art.54), ne fait aucune allusion au danger de corruption des témoins, mais se fonde uniquement sur 91 la multiplication de faits dont adviennent plusieurs inconvénients et involutions de procès."
C'est bien, sous une forme un peu allongée, le motif que nous invoquons encore aujourd'hui, pour justifier au Japon une limitation analogue.
Art. 1396. — 189. Le Code français (art. 1341) emploie une singulière expression pour déterminer ce dont il doit être rédigé un écrit: u il doit être passé acte... de toutes choses excédant la valeur de 150 francs ce mot de choses qui, dans certains cas, est très juridique, paraîtrait ici banal et presque vulgaire, s'il n'était emprunté à l'ancienne Ordonnance citée plus haut.
Le Projet adopte l'expression de " tout fait," parce que les écrits constatent des faits et non des choses, et comme ces faits doivent avoir un caractère juridique, on en indique le but ou " la nature" qui doit être, soit de cc créer ou transférer un droit réel ou personnel, soit de le modifier ou de l'éteindre." Cet énoncé des faits dont il doit être drèssé acte par ércit rappelle celui de l'article 317, au sujet de l'objet des conventions; c'est qu'en effet, ce seront presque toujours des conventions dont il y aura lieu de dresser acte.
Le chiffre de 50 yens excède un peu celui de 150 francs (v. note b), c'est donc une légère faveur pour la preuve testimoniale.
Le texte nous dit, au sujet de cette valeur de 50 yens:
1° Qu'il suffit qu'elle soit excédée par l'intérêt d'une seule des parties pour qu'il y ait lieu de dresser un écrit; comme, à ce moment, on ne sait pas encore quelle partie se prévaudra du fait pour en faire la base d'une demande ou d'une exception, il suffit que l'intérêt d'une seule soit supérieur à 50 yens; mais si, plus tard, ce n'est pas cette partie qui invoque le fait, et si la preuve testimoniale en est proposée par la partie dont l'intérêt est inférieur à 50 yens, il n'y a plus de motifs de défendre cette preuve (nous reviendrons sur ce point sous l'article suivant et sous l'article 1400).
2° Que c'est "au moment où le fait s'accomplit " qu'il y 3 lieu d'apprécier cet intérêt; par conséquent, si l'intérêt de la partie n'excédait pas 50 yens au moment de la convention, mais, plus tard, y est devenu supérieur, il n'y a pas moins lieu à la preuve testimoniale; en effet, il serait impossible d'obtenir de l'adversaire un titre écrit lorsqu'il n'y a plus lui-même aucun avantage, lorsque peut-être même il se propose de contester la prétention dont il s'agit.
190. Le 2e alinéa procède comme nous l'avons fait plus haut, dans notre préambule: il pose une seconde règle qui est le corollaire de la première: la preuve testimoniale est interdite devant les tribunaux au- delà de la valeur sus-énoncée, sauf les exceptions réservées par la loi, lesquelles se trouvent soit dans la loi, en général, ce qui vise surtout le présent Code (v. art. 1405), soit dans le Code de Commerce, spécialement. Ces exceptions ne seront pas nécessairement explicites ou expresses: la loi admet qu'elles pourront résulter " implicitement" de ses dispositions.
Le texte n'exprime pas une autre règle qui est aussi le corollaire de la première, à savoir que la preuve testimoniale est admise lorsque l'intérêt n'excède pas 50 yens. Cette règle implicite comporte elle-même quelques exceptions formelles qui se présenteront sous les articles 1399 et 1400.
Art. 1397. — 191. Les contrats synallagmatiques pourraient donner lieu, si la loi ne s'en expliquait pas, à une difficulté particulière, au sujet de la manière d'apprécier la valeur de l'intérêt engagé: si aucun des deux intérêts, pris séparément, n'excédait 50 yens, mais que cette valeur fût excédée par leur réunion, on pourrait croire qu'il doit être dressé un écrit et que la preuve testimoniale de la convention est interdite; mais la loi n'est pas si rigoureuse: on ne s'attache qu'au droit ou à l'intérêt le plus élevé des deux, et si aucun n'excède 50 yens, on pourra ne pas dresser d'écrit. Ainsi, pour la vente d'un objet de 50 yens, la réunion des intérêts engagés est bien de 100 yens, mais chaque partie n'a intérêt que pour 50 yens.
Il sera rare, dans un contrat synallagmatique, que les deux intérêts ne soient pas égaux, car ce contrat est généralement commutatif, c'est-à-dire que ce que l'une des parties en obtient est considéré comme l'équivalent de ce qu'elle y promet ou fournit (d); mais si l'on suppose la vente d'un meuble au-dessous de sa valeur réelle, par exemple, un meuble valant 60 yens a été vendu 50: l'une des parties, l'acheteur, a un intérêt excédant 50 yens et le vendeur non.
Dans ce cas, une double question se présente: 1° si c'est le vendeur qui poursuit l'acheteur en payement du prix, offrant en même temps de livrer la chose ou l'ayant déjà livrée, comme il ne réclame que 50 yens, peut-il prouver le contrat par témoins ? Il faut le décider sans hésiter: la justice n'est appelée à connaître que d'un intérêt de 50 yens, la valeur réelle de la chose n'est pas l'objet de son examen, et l'acheteur ne serait ni raisonnablement, ni équitablement recevable à alléguer que, la chose valant plus qu'il ne doit la payer, on aurait dû dresser un écrit; 2° Si c'est l'acheteur qui demande la délivrance de la chose, en offrant le payement du prix ou l'ayant déjà payé, il faudra distinguer s'il conclut, ou non, à une valeur supérieure à 50 yens, pour le cas où la chose ne lui serait pas livrée: au premier cas, le vendeur pourra s'opposer à l'emploi de la preuve testimoniale; il ne le pourra pas au second cas.
192. Parmi les contrats synallagmatiques, il en est un, la société, qui pourrait présenter une autre difficulté, quant à l'application même de la règle qui précède, et cette difficulté subsiste en France, quoique la loi semble avoir voulu la prévenir: doit-on considérer, quant à la nécessité d'un écrit pour prouver la société, le droit individuel de chaque associé ou le montant total des mises formant le fonds social ? Le Code français (art. 1834) s'attache à " l'objet " de la société, ce qui paraît bien devoir s'entendre du fonds social. Le Projet résout la difficulté par une distinction toute naturelle en cette matière: si la société n'a pas le caractère de personne morale ou juridique, on s'attachera au montant de l'apport de chacun, séparément, soit comme promis, soit comme sujet à reprise (c'est l'application du principe posé au 1er alinéa de notre article); si, au contraire, la société est constituée comme personne juridique, on considérera le fonds social dans son ensemble; c'est dire qu'il faudra toujours un écrit, car on ne comprendrait guère, pratiquement, une société personne juridique dont le fonds social n'excéderait pas 50 yens. Le texte ajoute, par application du principe posé à l'article 1396, 1er al., in fine, que c'est au. moment de la formation de la société que l'on apprécie la valeur du fonds social, et non au jour de la poursuite pour le versement ou la reprise de l'apport.
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(d) Bien que le Projet n'ait pas rangé les contrats commutatifs dans la nomenclature des contrats et n'en ait pas fait l'opposé des contrats aléatoires (v. art. 322; contrà c. civ. fr., art. 1104), on n'a pas cependant entendu rejeter l'idée en elle-même; mais le véritable opposé du contrat commutatif, n'est pas le contrat aléatoire, c'est le contrat où l'une des parties est lésée.
Art. 1398. — 193. Le point en litige, du côté du demandeur ou du défendeur, ne présente pas toujours une valeur certaine et liquide qui permette de reconnaître, au premier abord, si elle excède ou non 50 yens; dans ce cas, il est nécessaire, si les parties ne sont pas d'accord sur la production de la preuve testimoniale, que le tribunal se prononce préalablement sur cette valeur; ce ne sera, d'ailleurs, que d'une façon " provisoire " et sans qu'il soit lié pour le jugement de la condamnation au fond: il pourra faire lui-même cette estimation ” d'après les éléments de la cause," après avoir entendu les dires des parties; si ces éléments ne lui suffisent pas, il recourra à une expertise. Les parties feront sagement de se prêter à une estimation amiable qui évitera des frais hors de proportion avec un litige d'aussi peu d'importance.
Art. 1399. — 194. La loi arrive à une série d'exceptions aux deux règles qui précèdent.
Il s'agit ici de cas où, bien que le litige n'excède pas 50 yens, on ne pourra faire la preuve par témoins.
Un acte authentique ou privé a été dressé, soit qu'il le fallût, parce que l'intérêt en jeu excédait 50 yens, soit qu'on eût préféré cette preuve à celle par témoins, quoique celle-ci fût permise: une partie prétendrait prouver que, par erreur ou autrement, l'acte est inexact, quant à la valeur qui y est portée; elle voudrait prouver que cette somme ou valeur est inférieure ou supérieure de 30, 40 ou 50 yens à la réalité; dans le premier cas, elle voudrait ' prouver contre l'écrit," dans le second cas " outre ledit écrit: " la loi le lui interdit. Cependant ce litige spécial n'a pas un intérêt supérieur à 50 yens.
De même, une partie allègue " qu'avant, pendant ou après la rédaction de l'acte" (e), il a été dit ou fait par les parties quelque chose qui modifie la portée de l'acte, c'est-à-dire l'intérêt engagé; cette modification n'a peutêtre pas un intérêt excédant 50 yens, cependant la preuve par témoins n'en est pas permise. Le motif est, bien évidemment, celui auquel nous avons rattaché tout le système de la loi: ce n'est pas la crainte de la corruption des témoins, puisque l'intérêt est mimime, c'est la crainte de multiplier les procès; puisqu'il a été dressé un écrit, obligatoirement ou facultativement, il y fallait énoncer tout ce qu'il importait aux parties de prouver; il est d'ailleurs vraisemblable que cela a été fait et que la prétention contraire est mal fondée; elle ne pourra donc être justifiée que par un autre écrit ou par l'aveu de la partie adverse, à moins qu'on ne se retrouve dans un des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est permise au-delà de 50 yens (v. art. 1405).
195. On pourrait, par une raison plus spécieuse que fondée, croire que la prohibition de prouver contre un écrit empêcherait de prouver l'extinction ou la modification du droit constaté par écrit; la loi ne permettra pas qu'on cède à cette illusion: prouver qu'une obligation a été exécutée, ce n'est pas déinetnir l'écrit qui l'a constatée, c'est plutôt confirmer qu'elle a été créée; l'exécution est la suite normale de toute obligation. Si les autres modes d'extinction des obligations ont quelque chose de plus accidentel, ils n'en sont pas moins aussi une des suites qu'elles peuvent avoir. En somme, ce n'est pas parce que la naissance d'une obligation a été constatée par écrit que son extinction doit nécessairement l'être de la même manière.
Ce que la loi dit de l'extinction d'un droit personnel, elle le dit aussi de l'extinction d'un droit réel, et comme la novation proprement dite ne s'applique pas aux droits réels, le mot est remplacé, à leur égard par celui de " modification."
Bien entendu, et la loi a soin de l'expliquer, cette preuve testimoniale de l'extinction ou de la modification des droits qui n'est pas exclue par la seule circonstance qu'il y a eu un écrit originaire pour les constater, est enfermée dans la limite légale de 50 yens, à moins qu'on ne soit dans une des exceptions. Ainsi une obligation de 100 yens est constatée par écrit: le débiteur ne pourrait pas prouver par témoins qu'il en a effectué le payement intégral, en une seule fois; mais il pourrait prouver qu'il a donné un à-compte de 50 yens ou moins.
Pourrait-il prouver séparément plusieurs payements successifs contenus chacun dans la même limite et éteignant toute la dette ? Le cas pouvait faire difficulté et il est réglé par les articles 1403 et 1404 (v. n° 205).
196. Si l'écrit ne porte pas la date de l'acte ou le lieu où il a été passé, et si ces circonstances n'ont pas par elles-mêmes d'intérêt pécuniaire appréciable ou. n'élèvent pas l'intérêt au delà de 50 yens, la preuve testimoniale n'en est pas défendue; il en est de même de l'omission de l'époque et du lieu qui auraient été ”fixés verbalement" pour l'exécution et qui auraient été omis dans l'acte.
Remarquons, au sujet de ces deux sortes de lieux et de date, une différence nécessaire de rédaction; au premier cas, le lieu et la date du contrat sont des faits virtuels, inséparables de tout acte, ils ne sont pas l'effet d'une convention spéciale des parties: du moment qu'elles contractent, cela implique nécessairement un lieu et un temps de l'année, mais elles ont omis d'en faire mention; au second cas, le lieu et le temps de l'exécution ont dû être fixés spécialemeut par les parties: autrement, l'exécution serait exigible immédiatement (v. art. 422) et le lieu d'exécution se trouverait légalement déterminé, suivant certaines distinctions (v. art. 489); l'omission a donc consisté à ne pas mentionner dans l'acte le temps et le lieu "convenus verbalement" pour l'exécution.
Le texte subordonne la preuve testimoniale de ces deux sortes d'époques et de lieux à la condition qu'elles ne présentent pas un intérêt supérieur à 50 yens.
La première date, celle du contrat, présenterait un intérêt considérable, un intérêt égal à celui de la validité de l'acte, si la date alléguée par le débiteur ou l'aliénateur coïncidait avec une époque où il se trouvait incapable de s'obliger ou d'aliéner; le lieu du contrat étant, dans certains cas, celui où doit se faire la délivrance (v. art. 353, dern. al.) peut présenter l'intérêt d'un transport coûteux à faire ou à ne pas faire.
La date fixée pour l'exécution peut, elle aussi, intéresser l'existence même du droit, car, suivant qu'elle est plus ou moins ancienne, le droit peut être éteint ou non par la prescription; le lieu fixé pour l'exécution peut présenter le même intérêt que plus haut, par les frais de transport des personnes et des choses, auxquels il faut ajouter, pour les payements de sommes d'argent, les frais de change dits " change place" (v. art. 489).
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(e) On a changé un peu les trois adverbes " avant, lors ou depuis " qu'emploie ici le Code français (art. 1341 et 1834): en effet, on peut bien dire "avant et depuis les actes," mais il faut dire "lors des actes:" la construction du Projet est plus grammaticale.
Art. 1400. — 197. Cet article présente deux nouvelles exceptions à la règle que la preuve testimoniale est permise quand l'intérêt en jeu n'excède pas 50 yens.
La première est le cas où une demande ou un moyen de défense (une exception, dans le langage de la procédure et du texte, mais le mot est gênant ici) présentait d'abord un intérêt ou un chiffre supérieur à 50 yens, mais où la partie, pour rentrer dans les limites de la loi, a réduit sa prétention à ce chiffre: la loi ne voit là qu'un artifice pour échapper à sa sanction, et elle maintient celle-ci, comme peine de l'inobservation de sa disposition qui prescrivait la rédaction d'un écrit.
La deuxième exception se justifie de la même manière; seulement, ici, il n'est plus question que du demandeur: il n'y a que lui qui puisse faire valoir une prétention comme étant " le reste ou une partie d'une somme ou valeur supérieure en effet, on conçoit qu'une demande ne comprenne pas d'abord toute l'étendue du droit allégué, soit parce que tout n'en est pas exigible, soit parce qu'on a consenti à diviser la demande; mais on ne concevrait pas qu'un défendeur ne fît pas valoir tout entier et tout à la fois le payement qu'il aurait effectué ou tout autre moyen de défense qui lui appartiendrait.
Art. 1401. — 198. La loi devait prévoir une objection qui pe présente à l'esprit, en présence des deux exceptions qui précèdent: on pourrait dire qu'il n'y aura guère de sanction à la défense de prouver par témoins la valeur réduite ou le reliquat d'une somme supérieure à 50 yens, car ce n'est évidemment pas l'adversaire qui entreprendra de prouver qu'il doit ou a dû plus qu'on ne lui demande ou qu'il a reçu plus qu'on ne le lui oppose dans l'exception de payement: son allégation seule, en ce sens, serait déjà un aveu qui le ferait succomber dans sa défense ou dans sa demande; dès lors, quelle sera la garantie que la double prohibition qui précède n'est pas éludée ? La réponse est dans le texte de notre article: puisque les témoins auront juré de dire ” toute la vérité " (v. art. 1408), ils ne se borneront pas à dire que le débiteur doit la somme réduite ou le reliquat réclamé, mais qu'à leur connaissance il doit, ou a dû à l'origine, la somme supérieure à 50 yens, en sorte qu'ils prouveront trop pour que leur témoignage soit recevable; même réponse si un défendeur, alléguant un payement, réduisait son allégation dans la mesure où la preuve testimoniale est permise: les témoins lui donneraient tort s'ils déposaient avoir connaissance d'un payement plus élevé. Dans ces divers cas, l'enquête quoique d'abord autorisée, serait annulée, parce qu'elle se trouverait, par l'événement, avoir été ordonnée à tort.
199. On pourrait, à ce sujet, nous objecter que cette nullité de l'enquête ne concorde pas avec notre explication de la limitation de la preuve testimoniale par la crainte de la multiplicité des procès: on pourrait dire que le procès n'a pas été évité et que mieux vaudrait, puisque la preuve testimoniale a été fournie, l'accepter comme moyen de décider le litige; à quoi nous répondons: d'abord, que l'explication courante tirée de la crainte de la corruption des témoins ne se concilierait pas mieux avec l'annulation de l'enquête, puisque la corruption n'était plus à craindre dès que le litige n'avait qu'une valeur minime; ensuite, que c'est bien le meilleur moyen d'empêcher l'abus de la preuve testimoniale que d'édicter qu'elle sera non avenue si elle se trouve avoir été faite indûment; or, elle a été faite indûment, quand le fait primitif à prouver devrait être constaté par écrit.
La loi ajoute que la même sanction sera appliquée dans tous les cas où l'enquête aurait révélé des faits qui n'étaient pas susceptibles d'être prouvés par témoins: par exemple, une cause illicite d'obligation.
Art. 1402. — 200. Il arrive souvent que celui qui réclame un capital prétend aussi, soit à des intérêts compensatoires, c'est-à-dire stipulés comme équivalent de la jouissance de ce capital, soit à une clause pénale pour retard dans l'exécution d'une obligation, soit enfin à des fruits naturels ou civils, comme suite de la convention de donner; dans ces cas, si les accessoires ajoutés au principal donnent une valeur supérieure à 50 yens, la preuve testimoniale ne peut être employée pour prouver l'ensemble. Mais les accessoires pourront être abandonnés par une renonciation du demandeur, sans qu'on puisse lui objecter, avec l'article 1399, qu'il réduit sa demande" ou qu'elle concerne "le reste ou une partie " d'une valeur plus forte; en effet, ici, il y a deux droits distincts: les accessoires ne sont pas une partie du principal; ils sont si bien l'objet d'un droit distinct du principal qu'ils sont soumis à une prescription plus courte, généralement de 5 ans (v. art. 1493); or, on ne peut empêcher un créancier de renoncer aux intérêts de sa créance, ni un propriétaire aux fruits qu'il pourrait réclamer en revendiquant.
201. La loi va plus loin (2e al.): si les intérêts, au lieu d'être compensatoires étaient " moratoires," c'est-àdire étaient la peine légale du retard dans l'exécution, ou s'il s'agissait de dommages-intérêts dus légalement pour retard ou inexécution, ou de fruits perçus ou échus depuis la demande, leur réunion au principal pourrait excéder le chiffre de 50 yens, sans préjudicier à la preuve testimoniale, et la loi a bien soin de dire que ces accessoires pourraient être prouvés " pour le tout," c'est-àdire sans limites, et cela " avec le principal," s'il n'excède pas 50 yens, ou " séparément," au cas contraire et si la dette du principal est constatée par écrit.
En effet, dans le cas de ce 26 alinéa, on ne peut reprocher au demandeur de n'avoir pas exigé d'écrit: ces accessoires ne lui sont dus que depuis la convention et par une cause qui, bien qu'elle ait pu être prévue comme possible, n'était pas certaine ni de celles qu'il fallût nécessairement régler par stipulation, puisque la loi elle-même y pourvoit.
Art. 1403. — 202. La disposition de cet article est incontestablement et évidemment établie dans le seul but d'éviter la multiplicité des procès: la loi ne veut pas que celui qui pourrait faire plusieurs demandes susceptibles d'être justifiées par la preuve testimoniale ait la faculté de faire autant de procès successifs: ce serait un procédé vexatoire et onéreux pour le défendeur, une surcharge pour le tribunal et un retard apporté au jugement des autres affaires.
Le demandeur devra donc réunir tous les chefs de demandes dans une seule instance, et sans distinguer de quelle cause chacun provient, que ce soit du même contrat ou de plusieurs, ou de causes autres que les conventions, et lors même que quelques-uns des droits prétendus ne seraient pas nés en la personne du demandeur mais dans celle de son auteur.
La loi toutefois apporte deux tempéraments à cette exigence; on pourrait même dire que ce sont deux COllditions nécessaires qu'elle signale plutôt qu'elle ne les apporte: c'est 1° que les chefs de demandes soient "échus si, en effet, l'échéance n'est pas arrivée, le défendeur, ni même le demandeur, ne doit pas être privé du bénéfice terme; 2° que toutes les demandes soient " de la compétence du même tribunal; " en effet, le respect de la compétence s'impose encore plus que le besoin d'éviter la multiplicité ces procès.
203. La sanction de la disposition impérative qui précède est rigoureuse mais nécessaire, c'est la déchéance sinon des droits eux-mêmes qui n'auraient pas été réunis dans la procédure entamée, au moins de la faculté de les prouver par témoins; il n'y aurait pas lieu d'appliquer ici les trois exceptions que nous présentera bientôt l'article 1405 déjà cité; d'ailleurs, c'est peut-être déjà à cause de l'une de ces exceptions que la preuve testimoniale est recevable, notamment, parce qu'il y a commencement de preuve par écrit; il est donc inadmissible que le bénéfice de l'exception soit recouvré quand le demandeur a négligé d'observer la condition que la loi lui imposait.
Il n'y aurait pas lieu non plus aux présomptions de fait laissées à la prudence des juges, puisque cette sorte de preuve n'est admise que lorsque la preuve testimoniale l'est aussi (v. art. 1425) et, précisément, cette dernière preuve est l'objet d'une déchéance formelle.
Le droit lui-même est donc bien compromis. La seule preuve qui resterait au demandeur serait l'aveu de son adversaire, sur lequel il ne faut guère compter.
203 bis. Le présent article est surtout écrit pour la pluralité de demandes; mais il fallait le déclarer applicable aussi aux exceptions ou moyens de défense; seulement, il fallait le limiter aux exceptions opposables " à une même demande," car il ne pourrait être question d'obliger celui qui peut avoir des exceptions opposables à diverses demandes à les faire valoir avant d'être actionné par chacune.
Ainsi, le défendeur qui prétendrait avoir fait des payements successifs d'une même dette devrait les opposer dans la même instance, et si celle-ci contenait plusieurs demandes réunies, par application de notre article même, le défendeur devrait, à son tour, réunir tous ses moyens contre chacune.
Du reste, il y aurait moins besoin de l'exprimer dans la loi (et c'est peut-être pour cela que le Code français est muet sur ce point), car le défendeur est suffisamment contraint à réunir tous ses moyens de défense par son intérêt même et par la marche de la procédure qui se terminerait promptement par sa condamnation, s'il ne se hâtait de grouper et de faire valoir toutes ses exceptions.
La disposition de notre article relative aux exceptions aura surtout pour effet utile d'interdire au défendeur de faire des réserves au sujet de certains moyens de défense dont la preuve par témoins lui serait présentement difficile: s'il n'obtient pas une remise de l'affaire, il sera déchu de ces exceptions.
Art. 1404. — 204. Dans l'article précédent, la loi ne s'est pas occupée de la différence ou de la similitude des causes des diverses demandes dont elle exigeait la réunion, ni de leur montant total. Il est vraisemblable que, le plus souvent, le chiffre de 50 yens sera excédé, et ce ne sera pas, en principe, un obstacle à la preuve testimoniale: chaque demande séparée comportait cette preuve, par des témoins sans doute différents; rien ne sera changé au mode de preuve, il y aura des enquêtes multiples, il est vrai, mais une seule instance, donc économie de temps et de frais.
Dans le présent article, la loi restreint la permission de la preuve testimoniale au-delà de 50 yens, au cas où " les droits prétendus procèdent de causes différentes autrement, s'ils ont une seule cause, par exemple, le même contrat, ils ne seront susceptibles d'être prouvés par témoins que si leur valeur totale n'excède pas 50 yens. En cela, le Projet est encore beaucoup moins rigoureux que le Code français, lequel n'affranchit de la limite de 150 francs que " les droits procédant de différentes personnes, par succession, donation ou autrement" (voy. art. 1345).
Cette sévérité, pour le cas où les différentes causes se sont produites successivement en la personne même du demandeur, résulte de ce que l'on pourrait reprocher au demandeur de n'avoir pas exigé de preuve écrite à partir du moment où une nouvelle cause, ajoutée aux précédentes, allait le rendre créancier de plus de 150 francs. Mais, en vérité, c'est trop exiger de la prudence ordinaire et méconnaître les nécessités pratiques que d'exiger qu'un créancier, à chaque contrat qu'il fait avec le même débiteur, songe au total que va produire la réunion de ses divers droits.
205. Si, au lieu de demandes diverses, nous supposons diverses exceptions, réunies en vertu de l'article précédent, la solution sera la même, au fond; mais avec quelques distinctions nécessaires dans l'application.
Supposons d'abord une seule demande à laquelle le défendeur prétendrait opposer plusieurs payements successifs: il ne pourrait prouver par témoins plus de 50 yens pour le tout, parce que ces payements, quoique distincts, ne sont pas des " causes différentes mais s'il alléguait un payement de 50 yens et un prêt de 50 yens faisant compensation à sa dette de 100 yens, il pourrait faire la preuve testimoniale des deux exceptions séparément, parce que ce sont deux causes différentes, même si elles sont survenues en sa personne; à plus forte raison, si l'une provient de son auteur.
S'il y a plusieurs demandes, il pourra prouver par témoins le payement de chacune, quoique la somme de tous les payements excède 50 yens, pourvu que chaque dette séparée n'excède pas ce chiffre: dans ce cas, chaque exception a une cause différente, puisque les dettes l'ont également.
Art. 1405. — 206. La loi arrive aux exceptions extensives de la preuve testimoniale. Elles sont au nombre de trois et on les a déjà rencontrées par anticipation (v. n° 183). Elles permettront toutes, comme le dit le texte (ler al.), de prouver par témoins au-delà d'une valeur de 50 yens. Mais permettront-elles également de prouver outre ou contre un écrit, ou le reliquat d'une valeur primitivement supérieure ? La question sera examinée plus loin et elle comportera des distinctions qu'on a peutêtre trop négligées jusqu'ici.
La première exception est le cas où "il existe un commencement de preuve par écrit." Le Projet ne définit pas dogmatiquement le commencement de preuve par écrit, comme le fait le Code français (art. 1347); mais il n'indique pas moins quels en sont les caractères et d'une façon un peu plus complète. Ainsi, il exprime que cet écrit, quoiqu'imparfait, peut être "authentique aussi bien que sous seing privé;" en effet, un acte authentique, bien que rédigé par un officier public, n'émane pas moins de celui qui y fait des déclarations et porte son adhésion, soit par sa signature ou son sceau, soit par sa déclaration approbative certifiée par l'officier.
De même, notre article exprime que cet écrit peut émaner non seulement de celui que la partie représente (de son auteur), mais encore de celui " par lequel elle a été valablement représentée," comme un tuteur, un mandataire, un administrateur.
Quant à ce que doit contenir cet écrit pour être un " commencement de preuve," sans être une preuve complète, le Projet ne modifie pas la formule française, parce qu'elle a l'ampleur nécessaire: l'écrit doit " rendre vraisemblable le fait allégué;" il fallait laisser ici aux tribunaux un large pouvoir d'appréciation: du moment qu'il faut un écrit qui prouve en partie, mais non pas en entier, aucune mesure fixe de cette preuve intermúdiaire ne pouvait être proposée dans la loi.
Rappelons, à ce sujet, que la loi, dans plusieurs circonstances spéciales, s'est prononcée formellement pour le caractère de " commencement de preuve par écrit" de certains écrits imparfaits (v. notamment, art. 1345, 1347, 1391, 1395); au contraire, elle s'est abstenue de le faire dans un cas où cette solution aurait pu être soutenue au Japon, comme elle l'est en France, au sujet de l'acte constatant un contrat synallagmatique et qui n'aurait pas été fait double (v. art. 1342): on a longuement, dans le Commentaire, discuté et réfuté l'opinion opposée (v. nos 65 à 68).
La deuxième exception est le cas où la partie intéressée " a perdu son titre mais il faut que ce soit " par un événement de force majeure," ou, si c'est par un cas fortuit, il faut qu'il ne soit pas imputable à sa faute ou à sa négligence: " autrement, tous les abus seraient à craindre et les précautions de la loi se trouveraient souvent inutiles.
Dans ce cas, il y aura deux preuves à faire par témoins: la première sera celle de la perte du titre et de la cause de cette perte, si elle n'est pas imputable à la partie; la seconde sera la preuve de ce que portait le titre: aliénation, obligation, libération, etc. Il va sans dire que les témoins ne seront pas nécessairement les mêmes et que les deux enquêtes, quoique rapprochées, seront consécutives et séparées, puisque la seconde ne sera admise que si la première a prouvé la perte dans les conditions prévues par la loi.
La troisième exception est " lorsqu'il n'a pas été possible de dresser un écrit: " cette impossibilité peut résulter d'obstacles de fait ou même de droit; l'article suivant donnant des applications particulières de cette exception, nous y renvoyons pour en déterminer le caractère principal.
207. C'est ici qu'il convient d'examiner, comme on l'a promis, dans quelle mesure ces trois exceptions permettraient de prouver par témoins ce qui en règle devrait être prouvé par écrit.
D'abord, sans qu'il y ait de doute possible, puisque le texte l'exprime (1er al.), les trois exceptions permettent de prouver un intérêt supérieur à 50 yens. Mais elles n'ont pas toutes la même efficacité pour lever les autres prohibitions, et ce point comporte, avons-nous dit, des distinctions que nous croyons avoir été négligées jusqu'ici.
La llJ exception, le cas d'un commencement de preuve par écrit, permet encore de prouver outre ou contre l'écrit principal, ainsi que les faits et dires qui ont eu lieu avant, pendant ou après sa rédaction: le texte le dit formellement (2e al.). Elle permettrait aussi de prouver un droit qui serait le reste ou la partie d'un droit qui aurait été supérieur; mais, en cela, l'exception ne produirait pas un nouvel effet: du moment qu'elle aurait permis de prouver par témoins le droit tout entier, toutes les parties du droit auraient été prouvées en même temps, de même que si un écrit avait été produit; tandis que s'il s'agit de prouver par témoins outre ou contre un écrit, d'ailleurs produit, ou des faits ou dires ayant modifié cet écrit, il faut un commencement de preuve par écrit rendant "spécialement " ces allégations vraisemblables.
Quant à la prohibition de prouver par témoins une demande ou une défense d'abord supérieure à 50 yens et qui aurait été réduite à ce chiffre dans le but de pouvoir la prouver par témoins, elle ne reçoit ici ni application ni dérogation, par la nature seule des choses: elle se rapporte à la limitation générale de la preuve testimoniale à 50 yens; or, du moment qu'une partie sera déjà, par l'effet d'une des trois exceptions, autorisée à prouver par témoins une prétention supérieure à 50 yens, elle n'imaginera pas de réduire volontairement sa prétention au-dessous de ce chiffre pour en faire la preuve testimoniale déjà permise.
La 2° exception, le cas où le titre a été perdu, n'élargit pas autant que la lri la possibilité de prouver par témoins: ainsi, il ne peut être permis de prouver outre ou contre l'écrit, ni des faits et dires qui l'ont précédé, accompagné ou suivi: la seule faveur ici accordée c'est de pouvoir suppléer par le témoignage la preuve écrite perdue; cela implique, il est vrai et à plus forte raison, la preuve d'un reliquat ou d'une partie des droits que pouvait constater l'écrit; mais cette faveur ne peut raisonnablement aller jusqu'à permettre d'étendre, de restreindre ou de contredire cet écrit: ce ne serait plus suppléer à sa perte.
La 3e exception, le cas où il n'a pas été possible de dresser un écrit, exclut toute pareille difficulté, puisqu'il ne peut être question de prouver outre ou contre un écrit qui n'a jamais existé; on pourra bien prouver par témoins un droit à un reliquat ou à une partie d'une valeur quelconque, mais c'est parce qu'on a pu prouver le tout par témoins. Cette exception est donc, par le fait, la moins efficace des trois.
Art. 1406. — 208. La troisième exception, c'est-àdire le cas où il n'a pas été possible de dresser un écrit; bien que moins efficace que les autres, comme nous le disons, demande cependant quelques développements, de la part de la loi elle-même, quant à ses applications; le Code français en a aussi reconnu la nécessité (voy. art. 1348).
Et d'abord, remarquons, au sujet du fait même qui donne lieu à l'exception, qu'il ne faut pas exiger une impossibilité physique et absolue de dresser un écrit: les applications mêmes que la loi fait de l'exception aident à le prouver; il suffit, pour que la preuve testimoniale soit recevable au-delà de 50 yens, qu'il y ait eu impossibilité morale et relative, plausible et raisonnable, d'obtenir un écrit, ce que les tribunaux apprécieront souverainement, d'après les circonstances du fait et la situation respective des personnes.
Ainsi, il serait conforme à l'esprit de la loi de voir une impossibilité morale née de la situation des personnes dans le cas des soins donnés par un médecin à un malade, ou dans le cas d'un prêt d'argent fait par un inférieur à son supérieur, comme par un domestique à son maître ou par un employé à son chef.
Il ne faut non plus rien voir de limitatif dans les trois applications que notre article fait de l'exception: cela résulte de l'emploi du mot " notamment."
Le premier cas est le dépôt nécessaire: la loi se réfère aux deux articles qui le prévoient; ces articles ont été suffisamment expliqués en leur lieu (v. art. 916 et s.).
Le deuxième cas est plus étendu et il prouve que les tribunaux doivent avoir ici un large pouvoir discrétionnaire, car la loi ne peut déterminer la nature des " accidents et des dangers," le degré de ” l'imprévu," la force de la " nécessité " et son " urgence."
Comme application de la loi au cas Il d'accident," on pense naturellement à des travaux de consolidation d'un bâtiment, dans un typhon ou un tremblement de terre; pour un " danger imprévu," ce serait un secours dans un naufrage ou dans un péril de navigation; comme cas de " nécessité urgente," un prêt d'argent entre voyageurs se trouvant ensemble dans un wagon de chemin de fer (nous n'ajoutons pas dans un paquebot) ou se rencontrant dans un voyage, en sens opposé.
209. Le troisième cas est plus large encore, il repose sur cette idée, peut-être un peu hardie, qu'il n'y a que dans le cas de convention que les parties ont le loisir de dresser un écrit, et encore, sauf les exceptions qui précèdent. En effet, au cas de convention non urgente, la partie intéressée à avoir la preuve du droit qu'elle va acquérir, peut toujours suspendre son consentement jusqu'à la rédaction et la remise entre ses mains d'une preuve préconstituée; mais s'il s'agit d'obligations nées d'un enrichissement indû, d'un dommage injuste ou de la loi, il semble impossible que la partie intéressée puisse en exiger une preuve: les faits qui engendrent son droit sont, en général, étrangers à son concours et à sa volonté.
Ainsi, un gérant d'affaires pourra prouver par témoins les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites pour le maître, parce qu'ayant géré sans mandat, il n'a pu avoir une preuve écrite de son droit; celui qui a été victime d'un dommage causé à sa personne ou à ses biens, volontairement ou non, n'a pas pu en obtenir, à son gré, une preuve écrite; enfin, les obligations légales nées du voisinage, de la parenté ou de l'alliance, ont bien leur preuve dans la loi elle-même, quand les faits auxquels elles sont attachées sont constants, mais ces faits mêmes ne pourront, en général, être prouvés que par témoins.
Il ne faudrait pas croire cependant que dans le cas de ces trois causes d'obligations autres que la convention, il n'y aura jamais à faire de preuve par écrit. Le Code français est trop absolu dans sa formule (v. art. 1348-10) que rappelle la nôtre; aussi le Projet apporte-t-il, en terminant notre article, une limitation raisonnable à la dispense de production d'un écrit.
Comme exemples de cas où chacune de ces trois causes d'obligation " présuppose un acte juridique de nature à être prouvé par écrit" et où " cette preuve devra être préalablement fournie," nous citerons: pour l'enrichissement sans cause, le payement indû, où le fait même du payement devra être prouvé par écrit avant qu'on ne prouve par témoins que ce payement était indu; pour le dommage injuste, l'abus de confiance, où la preuve écrite d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'un mandat devra être fournie avant la preuve par témoins du détournement; enfin, pour l'obligation légale, l'obligation alimentaire où la preuve écrite de la parenté devra être fournie préalablement à la preuve testimoniale du refus d'aliments.
Art. 1407. — 210. C'est un point qui fait quelque doute, en France, que de savoir si la preuve testimoniale est recevable devant les tribunaux hors les cas où elle est autorisée par la loi comme ci-dessus, lorsque la partie qui pourrait s'y opposer y consent. Cela revient à se demander si la prohibition est d'ordre public ou d'intérêt purement privé. La solution dans le premier sens ne paraît guère contestable, soit qu'on attribue la prohibition du témoignage à la crainte de la corruption des témoins, soit qu'on l'attribue, comme nous l'avons fait, au désir d'éviter des procès nombreux, longs et coûteux.
Cependant, le Projet ne pousse pas à l'extrême les conséquences de la prohibition: du moment que la partie qui pourrait s'opposer à la preuve testimoniale consent à ce qu'elle soit fournie, le tribunal n'est plus obligé de rejeter l'enquête; il n'est pas non plus obligé de l'autoriser: la loi lui laisse le pouvoir discrétionnaire de l'admettre ou non; il fera sagement de ne l'admettre que si l'affaire est simple et l'intérêt du litige peu considérable.
Mais pour ne pas retomber dans le danger de procès longs et coûteux, même de l'accord des parties, la loi subordonne l'exercice de cette tolérance à deux conditions: que l'affaire " paraisse simple " au tribunal et que l'enquête soit faite " à l'audience, en la forme sommaire."
Le Code de Procédure civile indiquera les différences qui devront exister entre les enquêtes ordinaires et les enquêtes sommaires qui ont d'assez nombreuses applications; l'une de ces différences nous est indiquée par avance dans notre article, pour donner plus d'intérêt à cette condition, c'est que l'enquête soit " faite à l'audience," au lieu de l'être devant un juge-commissaire: c'est une économie de temps et de frais.
Art. 1408. — 211. Pour la preuve testimoniale, comme pour les autres preuves déjà présentées, le Projet de Code civil se borne à poser les règles dites " de fond c'est ainsi qu'il n'a traité jusqu'ici que de la mesure et des conditions dans lesquelles cette preuve est recevable: il laisse au Code de Procédure 1° le règlement des Il formes et délais " de l'enquête et celles de la contreenquête, laquelle n'est autre chose que la contradiction possible des témoins d'une partie par les témoins de l'autre,; 2° la détermination des " caractères" que doivent présenter les faits à prouver par témoins, lesquels faits doivent être " pertinents et concluants pertinents, c'està-dire ayant un rapport direct avec le point en litige, concluants, c'est-à-dire de nature à pouvoir entraîner la décision du litige j enfin 3° la détermination des cas de " récusation et de reproches des témoins" et des différences qui les séparent d'avec les cas où certains témoins ne peuvent être cités.
Le Code français de Procédure est entré, à cet égard, dans des développements qui pourront être largement mis à profit dans le Code japonais, sa1tf à y porter plus d'ordre et de méthode (v. art. 252 et s.).
212. Mais la nécessité pour les témoins de donner au tribunal une garantie de leur sincérité par la prestation d'un serment n'est pas considérée dans le Projet comme une règle de forme: c'est bien à ses yeux une règle de fond et l'une des plus considérables, parce que c'est de cette condition que dépend à ses yeux toute la valeur morale du témoignage privé.
La même observation a été faite au sujet du serment des experts (v. art. 1329) et il nous suffit de renvoyer à ce qui a été dit à cet égard (v. nos 38 et 39). Le Projet ne se prononce pas sur l'invocation, religieuse ou civile, au moyen de laquelle le serment sera prêté; ce sera l'objet d'un Règlement général, dont l'application, sans doute, sera plus étendue que le témoignage et l'expertise; mais ce qui peut être prescrit, dès à présent, c'est que le témoin jurera " de dire la vérité et toute la vérité,' ' c'est à-dire sans mensonges et sans réticences.
Art. 1409. — 213. - Ce dernier article termine la matière par une autre règle de fond qu'on peut considérer comme la principale: elle est relative à la force probante du témoignage privé.
Il est clair qu'il ne pouvait être ici question d'une " pleine foi " attachée au témoignage privé, comme elle est attachée à l'acte authentique régulier, à l'acte sous seing privé reconnu, à l'aveu judiciaire et au serment extrajudiciaire: bien des causes s'opposent à ce qu'une telle valeur soit donnée à cette preuve et à ce qu'elle impose la conviction au juge.
D'abord, il peut avoir été entendu des témoins en faveur des deux parties adverses, par enquête et contreenquête; dans ce premier cas, à moins de compter les témoins produits de part et d'autre et de décider dans le sens de la majorité, ce qui serait aussi peu raisonnable qu'inique, il faut bien laisser au juge le droit de suivre sa conviction, c'est-à-dire sa conscience et sa raison. Le texte d'ailleurs prend bien soin de dire que " le nombre et la qualité des témoins," quelque importance que le juge puisse y attacher en fait, ne modifie pas son indépendance dans l'appréciation de la preuve. Le texte permet d'aller jusqu'au bout, et si l'on suppose unanimité des témoins en faveur d'une partie contre l'autre (en ne comptant pas d'ailleurs ceux qui ont été valablement récusés ou reprochés) (f), le tribunal ne serait pas lié davantage par de tels témoignages et il statuerait toujours Il suivant son intime conviction."
Bien que le Code français ne se soit pas prononcé sur le degré de force de la preuve testimoniale, nous pensons que ces solutions sont en accord avec son esprit.
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(f) Les témoins récusés ou reprochés peuvent quelquefois être entendus, pour ne pas retarder l'enquête, quand les causes de récusation ou de reproches sont contestées; mais si, plus tard, le reproche est justifié, le témoignage n'est point lu à l'audience (v. c. proc. civ. fr., art. 282 et s., 291).
SOMMAIRE.
Art. 1410. — N° 214. Caractère de cette preuve; ses principales applications, comme sanction civile de certaines inobservations de la loi. -215. Preuve de la notoriété de certains faits.
COMMENTAIRE.
Art. 1410. — N° 214. La preuve par commune renommée est et doit être infiniment plus limitée encore que la preuve testimoniale proprement dite, parce que, comme la loi a soin de l'exprimer (ce qu'a négligé de faire le Code français: v. art. 1415, 1442, 1504), les témoins ne déposent pas de ce qu'ils savent par euxmêmes, mais " de ce qu'ils ont entendu dire par d'autres ou de ce qui leur a été révélé par la notoriété publique " (v. Tome If, n° 115). Aussi cette preuve n'est-elle admise que " dans les cas où la loi l'autorise spécialement," et ces cas seront peu nombreux dans le Projet. Jusqu'ici, on ne peut encore citer que l'article 78, au sujet de l'usufruitier qui a négligé de faire inventaire du mobilier dont il est appelé à jouir; c'est une sorte de pénalité civile pour son inobservation de la loi: comme il a négligé de fournir une preuve au nu-propriétaire de ses obligations envers celui-ci, il se trouve par cela même exposé à subir une preuve testimoniale particulièrement dangereuse par sa nature et sans limite quant aux sommes ou valeurs.
Ce qui fait le danger particulier de cette preuve, c'est non seulement que le témoin ne connaît qu'indirectement les faits dont il s'agit, mais aussi que le bruit public, "la renommée " a toujours une tendance marquée à l'exagération (a).
Le Projet présentera sans doute d'autres cas de l'emploi de la commune renommée, analogues à ceux précités du Code français en matière de contrat de mariage, contre le mari qui aura négligé de constater les droits que sa femme avait contre lui, et il serait naturel d'en admettre aussi l'application contre le tuteur et l'héritier bénéficiaire clans des situations analogues.
215. Le Projet donne aussi comme cas d'application de la preuve par commune renommée, la preuve des " faits notoires," lorsque la loi exige cette notoriété: le cas le plus fréquent est celui de solvabilité ou d'insolvabilité notoire (voy. art. 80, 425, 792, 1018).
Quand la loi exige qu'un fait soit "notoire" pour qu'on puisse l'invoquer contre une partie, c'est généralement parce que cette notoriété même devait être pour elle un avertissement de faire ou de ne pas faire ce que son intérêt ou l'intérêt d'autrui commandait, et la notoriété étant facile à prouver, cette condition simplifiera le jugement du litige.
Il ne faut pas s'étonner d'ailleurs que la loi veuille une preuve judiciaire de cette notoriété même: si notoires que soient des faits dans le public, ce n'est pas une raison certaine pour qu'ils soient connus des juges; d'abord, il peut s'agir de faits que se sont produits hors de leur circonscription ou avant leur nomination; ensuite, même quand les juges peuvent décider d'après leur "expérience personnelle" (v. Chapitre 1er ci-dessus), il faut que cette expérience ou connaissance personnelle des faits de la cause leur vienne de la procédure même et non pas de leurs relations extérieures (v. n° 24).
Quoique cette preuve par commune renommée soit encore moins favorable aux yeux de la loi que la preuve testimoniale, on n'y trouve pas de limite quant à la valeur de l'intérêt engagé dans le litige: le motif est, bien que la loi ne l'exprime pas, que cette preuve n'est permise que dans des cas où il n'était pas possible d'avoir un écrit et pas même des témoignages directs ordinaires.
En effet, lorsqu'il s'agit d'un usufruitier, d'un mari ou d'un tuteur ayant négligé de faire inventaire, le nu-propriétaire, la femme ou le pupille n'ont pas pu aisément se procurer, de la part de leur adversaire, une preuve écrite de la consistance du mobilier. Lorsqu'il s'agit d'insolvabilité notoire, on ne peut songer à en exiger une reconnaissance écrite du débiteur, laquelle serait d'ailleurs sans valeur à cause de son défaut d'intérêt; on ne peut non plus exiger un témoignage direct de cette insolvabilité, par exemple de ses créanciers non payés, car le débiteur peut avoir changé de résidence, à cause du mauvais était de ses affaires; on est donc obligé de recourir à la renommée commune et ce n'est pas le cas de craindre soit la corruption des témoins, soit la multiplicité des procès.
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(a) Il y a un axiome latin bien connu, d'une application étrangère au droit, mais qu'on peut citer ici: Fama vires acquirit eundo, " la Renommée acquiert des forces en avançant."
SOMMAIRE.
Art. 1411. — N° 216. Différence entre les présomptions et le témoignage de l'homme: leur caractère de conjectures ou inductions. -217. Exemple tiré de l'autorité de la chose jugée. -217 bis. Justification de l'expression de "preuves indirectes."- 218. Division des présomptions en légales et simples.
COMMENTAIRE.
Art. 1411. — N° 216. Bien que les présomptions rentrent dans la nomenclature générale des Preuves, on peut les en séparer, à cause de leur nature toute particulière: c'est ainsi qu'on dit quelquefois qu'il n'y a pas lieu de faire la preuve de tel ou tel fait, parce qu'il est l'objet d'une présomption. Mais il suffit de donner à ce genre de preuve une qualification spéciale, pour éviter toute confusion, et c'est ce que fait le Projet en les appelant ”preuves indirectes:" elles forment ainsi l'opposé des diverses sortes de témoignage que le Projet qualifie " preuves directes" (v. Chap. Il).
Cette expression de preuve indirecte "sur laquelle on va revenir (n° 217 bis), a été adoptée pour mieux faire ressortir le caractère de conjecture, de probabilité, " d'induction tirée de faits connus à des faits inconnus," suivant les termes mêmes de la loi.
Notre article rend encore cette distinction sensible, en disant que les présomptions ont leur effet " en l'absence de témoignages de l'homme."
Le Projet a d'ailleurs suivi l'exemple du Code français, en donnant la définition dogmatique des présomptions; il y apporte seulement une légère modification: au lieu de dire que les présomptions sont " des conséquences tirées de faits connus à des faits inconnus," il dit que ce sont " des inductions ou conjectures," parce que les présomptions ne présentent jamais le caractère de rigoureuse certitude que donnerait une " conséquence ou déduction" régulièrement tirée des faits, si elle était possible.
Quand on reprendra séparément chaque présomption, on ne manquera pas de faire ressortir leur caractère conjectural: elles ne proclament que des probabilités: elles appartiennent à un ordre de preuves qu'on pourrait appeler " preuves morales si l'idée de conjecture est généralement négligée c'est parce que certaines présomptions sont revêtues par la loi d'une telle force probante qu'elles imposent au juge la certitude; mais cette certitude qu'on pourrait appeler " légale ou judiciaire" n'est pas la certitude philosophique.
217. Nous justifierons, dès à présent, la formule du Projet, en prenant l'exemple de la présomption légale la plus forte, celle de l'autorité de la chose jugée: lorsqu'une décision judiciaire est intervenue sur un litige et que toutes les voies de recours sont épuisées (c'est le fait connu) la loi présume que ce qui a été déclaré par le tribunal " est la vérité" (c'est le fait inconnu) (v. art. 1414); si donc une partie tentait de soulever u la même contestation" contre l'autre, elle serait arrêtée immédiatement et sans débat, en vertu de l'autorité de la cliose jugée (v. art. 1415). Il faut pourtant reconnaître que cette présomption de vérité n'est qu'une " conjecture les erreurs judiciaires, dans le jugement des points de fait et des points de droit, sont malheureusement fréquentes en tous pays, et il y a, au premier abord, quelque chose de singulier à décerner ainsi un certificat légal de vérité aux décisions judiciaires, lorsqu'elles sontdevenues inattaquables. Mais si la raison répugne à imposer aux juges de la nouvelle contestation la certitude absolue des faits antérieurement reconnus ou déclarés, l'ordre public exige qu'il en soit ainç;i, pour que les procès aient une fin: autrement, les mêmes contestations pourraient être indéfiniment renouvelées et l'on verrait peut-être la même partie gagner et perdre, tour à tour et plusieurs fois, le même procès.
Nous proposons donc, sans scrupules, d'exprimer au texte l'idée " d'induction ou de conjecture " et cela ne nous empêche pas d'admettre les-mêmes présomptions que le Code français et avec la même force, suivant les cas.
217 bis. Quant à la qualification de "preuves indirectes " que nous donnons aux présomptions, par opposition aux témoignages de l'homme que nous avons appelés "preuves directes" (v. art. 1318 et 1332), quoiqu'elle ne soit pas très usitée jusqu'ici, elle nous a paru mériter d'être consacrée par la loi. En effet, lorsqu'une partie témoigne contre elle-même, dans l'acte sous seing privé ou dans l'aveu judiciaire, lorsqu'un officier public témoigne de faits qui se sont accomplis devant lui et qu'il a été appelé à constater, lorsqu'enfin des particuliers témoignent de faits étrangers dont ils ont connaissance, il y a entre leurs déclaration et le fait à prouver un rapport immédiat et direct: "tel fait a eu lieu; " il n'y a aucune induction au conjecture intermédiaire, tout au plus celle que l'homme est vraisemblablement sincère quand il témoigne contre lui-même, ou en faveur d'autrui, al or que son intérêt n'est pas en jeu. Au contraire, quand la loi, en présence d'un fait connu, présume l'existence d'un fait inconnu, il n'y a pas de rapport immédiat, direct et nécessaire entre les deux faits: on ne trouve de lien, de rapport entre eux qu'en les joignant par une conjecture fondée sur la vraisemblance et la généralité des faits. Ainsi quand une partie invoque la prescription libératoire, le fait connu c'est que son obligation a plus de trente ans de date, le fait inconnu est la réalité du payement ou d'une autre cause légitime d'extinction de la dette; ces deux faits ne peuvent être reliés que par cette induction: comme il n'est pas dans l'ordre naturel des choses qu'un créancier reste trente ans sans faire valoir son droit, il a dû, vraisemblablement, obtenir, dans l'intervalle, une satisfaction à sa convenance; la prescription n'est donc qu'une " preuve indirecte."
218. Les présomptions sont de deux sortes; les unes sont établies par la loi elle-même et elles portent naturellement le nom de présomptions ”légales," les autres sont laissées, " confiées par la loi aux lumières et à la prudence des magistrats:" ce sont les juges qui tireront des faits les inductions ou les conjectures pouvant déterminer leur conviction, aussi ces présomptions sont-elles dites " de fait ou de l'homme."
Chacune de ces deux classes de présomptions est l'objet d'une Section.
Nous rappelons ici ce qui a été déjà dit au début de la matière des Preuves (n° 5), que les présomptions ne donnent lieu à aucune disposition du Code de Procédure Civile.
SOMMAIRE.
Art. 1412. — N° 219. Trois classes de présomptions légales.
COMMENTAIRE.
Art. 1412. — N° 219. Toutes les présomptions légales n'ont pas la même force probante: il y en a d'invincibles, n'admettant, en principe, aucune preuve contraire et auxquelles convient surtout le nom ” d'absolues; " d'autres admettent seulement certaines preuves contraires déterminées par la loi; d'autres enfin, admettent toutes les preuves contraires et, pour cette raison, sont dites " simples."
La seconde catégorie est assez difficile à qualifier. La doctrine a conservé une ancienne dénomination qui, pour être latine et d'un latin de fantaisie, n'en est pas plus claire: on les appelle souvent présomptions juris et de jure (de droit et sur le droit ?), par opposition à la troisième catégorie qu'on appelle présomptions jiti-is tantÙrn (de droit seulement). Nous avouons humblement ne pouvoir comprendre l'emploi de ces mots latins qui n'ont jamais, que nous sachions, été employés par les jurisconsultes romains; aussi proposons-nous de donner à la seconde catégorie, comme à la première, le nom de présomptions "absolues," formant bien opposition à la troisième que nous appelons présomptions "simples." Mais, pour séparer la seconde catégorie de la première, nous ajoutons à celle-ci la qualification "d'intérêt publie" et à la seconde celle " d'intérêt privé." Cette distinction de deux ordres d'intérêts, toujours très différents, expliquera bien qu'aucune preuve contraire ne soit admise contre les premières présomptions, au moins en règle, tandis que certaines preuves seront toujours admises contre la seconde.
Ces trois classes de présomptions demandent naturellement des §§ séparés.
SOMMAIRE.
Art. 1413. — N° 220. Deux présomptions seulement de cette lre classe; renvoi pour la prescription.
1414. -221. Autorité de la chose jugée; voies de recours ordinaires et extraordinaires. —222. Les voies de recours sont des preuves contraires spéciales de la présomption.
1415 et 1416. -223. Jugement devenu irrévocable: exception suppléée d'office ou devant être opposée par l'une des parties, suivant le cas; objection, réponse. -223 bis. Le bénéfice de l'exception est refusé à celui qui, tout en l'invoquant, avoue qu'il y a eu mal jugé à son profit.
1417. -224. L'autorité de la chose jugée met obstacle à la même défense ainsi qu'à la même demande. -225. Identité de contestation décomposée en trois identités.
1418. -226. Identité d'objet. -227. Danger de certains axiomes célèbres en cette matière. -228. Formule proposée pour les remplacer.
1419. —229. Identité de cause dans l'action personnelle. - 230. Idem dans l'action réelle. -231. Demandes en rescision, en révocation, en résolution. -232. Il n'y a pas obligation de les réunir. - 233. S'il existe plusieurs causes, pour une seule de ces actions, l'obligation de les réunir dépend encore d'une distinction sur l'identité de n a t u r e de ces causes: applications diverses.
1420. -234. Identité juridique des parties.
1421. -235. Les motifs ont l'autorité de la chose jugée, chaque fois qu'ils sont pertinents et concluants -236. Exemple à l'appui.
1422. —237. Jugement, par le tribunal de répression, de l'intérêt civil de l'infraction. -238. Idem par le tribunal civil: il n'a nulle influence sur le jugement pénal. 239. Il influe sur le pouvoir du tribunal de répression comme juge civil. -240. Suite. -241. Influence de la chose jugée au criminel sur l'action civile. -242. Suite. -243. Suite. -243 bis. Compétence respective des juges da fait et de la Cour de cassation en matière de chose jugée.
COMMENTAIRE.
Art. 1413. — N° 220. Après ce que nous avons dit de la première classe de présomptions légales, on pourrait s'étonner de voir que notre article les déclare susceptibles de preuve contraire " dans les cas et par les moyens déterminés par la loi mais il faut bien reconnaître que le législateur ne peut s'interdire à lui-même d'admettre cette preuve contraire dans les cas où il le jugera à propos. D'ailleurs, nous verrons plus loin que l'autorité de la chose jugée a des degrés et que les recours, lorsqu'ils sont encore recevables, permettent de fournir la preuve contraire de ce qui a été reconnu par les premiers juges (v. art. suiv.). Certaines prescriptions aussi, sans cesser d'être d'ordre public, comportent quelques preuves contraires (v. art. 1498).
Cette réserve de la preuve contraire, mais dans les limites des prévisions de la loi, ne fera cependant pas confondre les présomptions de cette première classe avec celles de la suivante, parce que ces dernières comporteront toujours, outre les preuves contraires réservées par la loi, celle de l'aveu (soit spontané, soit provoqué par interrogatoire en justice), ou du refus de serment extrajudiciaire (v. art. 1423). Si nos deux présomptions absolues d'ordre public comportent la preuve contraire par aveu, il ne peut s'agir que d'un aveu spontané (v. art. 1416, 3e al. et 1433, 2e al.).
La prescription, qui est la seconde présomption absolue d'ordre public, st une théorie si considérable qu'elle réclame un grand nombre de divisions et de subdivisions qui demandent qu'on lui consacre toute la ne Partie du présent Livre.
La loi n'indique que deux présomptions légales absolues d'intérêt public; s'il s'en trouve d'autres, plus tard, dans des lois spéciales, ce que nous ne prévoyons guère, elles seront régies par le même principe: elles n'admettront de preuves contraires que celles que les mêmes lois auront réservées.
Art. 1414. — 221. On n'a pas hésité à proposer d'inscrire dans la loi l'axiome de droit romain si célèbre, si nécessaire et si souvent appliqué, que " la chose jugée est tenue pour la vérité " (res judicata pro veritate accipit ur).
Une différence est à faire pourtant entre les jugements encore susceptibles de recours et ceux qui sont devenus irrévocables.
On sait que rarement une décision judiuiaire est immédiate ment défininitive et irrévocable: il existe des recours varies; les uns sont dits " ordinaires," les autres ci extraordinaires." Il n'est pas encore certain que toutes les voies de recours admises en France le seront de même au Japon; cependant, comme elles ne paraissent pas d'une multiplicité exagérée, on peut les citer provisoirement comme vraisemblables.
Comme voies " ordinaires," il y a d'abord Vopposition portée au tribunal même qui a jugé, quand le jugement n'a pas été rendu contradictoirement, c'est-à-dire après que les adversaires ont été entendus, mais lorsqu'il a été rendu par défaut, c'est-à-dire en l'absence de l'un d'eux, généralement du défendeur (v. c. pr. civ. fr., art. 19 et s., 149 et s.); en second lieu, l'appel qui est le recours à un tribunal hiérarchiquement supérieur; ce qui suppose un litige assez important pour qu'il n'ait pas été jugé d'emblée en dernier ressort (v. ibid., art. 443 et s.).
Comme voies " extraordinaires," il existe le recours en cassation devant la Cour suprême, pour violation de la loi seulement, sans nouvel examen des faits (a); ensuite, la tierce opposition, d'une application plus rare (v. ibid, art. 474 et s.); la requête civile, assez limitée également (v. ib., art. 480 et 481); enfin, la prise à partie (ib., 505); on doit même compter parmi les voies extraordinaires de recours le désaveu, dirigé contre l'avoué qui a excédé ses pouvoirs (v. ib.,art. 360).
222. Mais, de ce qu'un jugement est encore susceptible d'un recours ordinaire ou extraordinaire, fondé ou prétendu tel, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait encore aucunement l'autorité de la chose jugée: elle existe déjà et durera tant que ledit jugement n'aura pas été annulé ou reformé; c'est au point que certains jugements sont exécutoires pendant les délais accordés pour faire opposition ou appel, et même nonobstant ces recours formés et pendants. Seulement, cette autorité n'est pas invincible tant que les voies de recours ne sont pas épuisées, par un usage sans succès ou par l'expiration de délais légaux pendant lesquels les recours étaient recevables, et les moyens de combattre ces jugements ne sont autres que lesdits recours: toute autre tentative pour les infirmer ou pour diminuer leur autorité serait sans effet.
Mais comme certaines voies de recours, la tierce opposition et la requête civile, peuvent ne s'ouvrir que très longtemps après la prononciation du jugement, il a fallu faire la distinction entre les voies ordinaires et les voies extraordinaires: les premières suspendent, en général, l'exécution du jugement, non seulement quand le recours est formé, mais même tant que le délai pour le former n'est pas expiré; les secondes, au contraire, n'empêchent pas l'exécution, sauf exception.
Ainsi se trouvent expliquées, en même temps que le 2e alinéa de notre article, les réserves qu'a faites,l'article précédent quant à la preuve contraire.
Comme cette présomption est, à beaucoup d'égards, " d'ordre public," les parties intéressées qui pourraient renoncer aux voies de recours ou en abréger le délai, ne pourraient ni se réserver un des recours quand la loi ne l'autorise pas, ni en proroger le délai: les tribunaux, d'office, tiendraient pour non avenues ces dernières conventions.
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(a) V. L. fr. des 28 juin 1738, 16-24 août 1790, 27 vent, an yiii, 15 janv. 1826, 1er avril 1837. On dit quelquefois " violation de la loi ou des formes; " mais la violation de toutes les formes ne donne pas lieu à nullité ou cassation du jugement; d'ailleurs, la violation des formes légales est une " violation de la loi."
Art. 1415 et 1416. -223. C'est ici que la loi énonce la force de l'autorité de la chose jugée, lorsque le jugement est devenu irrévocable ou ne l'étant pas encore n'est pas l'objet d'un recours valablement formé: " elle crée une fin de non-recevoir ou exception péremptoire contre toute tentative faite pour obtenir, " par voie d'action ou d'exception," une nouvelle décision judiciaire sur ce qui a déjà été l'objet dudit jugement.
Quant au point de savoir si cette fin de non-recevoir doit être invoquée par une partie ou si elle peut être suppléée d'office par le tribunal, la loi fait immédiatement à ce sujet une distinction:
1° Si le jugement rendu intéresse l'ordre public, le tribunal, par quelque voie qu'il en ait connaissance, doit écarter d'office la nouvelle demande ou l'exception sur laquelle il a déjà été statué. Et remarquons, avec le texte, qu'il suffit que l'ordre public soit intéressé dans l'un des chefs du jugement: lors même qu'il ne le serait pas également dans tous, le tribunal ne devrait pas statuer séparément au sujet de chacun, parce qu'il peut y avoir entre les divers chefs du jugement une connexité qui les rend indivisibles.
2° Si le jugement ne statue que sur des intérêts privés, il faut que l'exception de chose jugée soit ”opposée par la partie intéressée: " le tribunal ne peut la suppléer d'office.
On peut dire ainsi que, suivant la nature de la première décision, l'exception de chose jugée est elle-même d'intérêt public ou d'intérêt privé.
Du reste, la partie intéressée peut être l'une aussi bien que l'autre de celles qui avaient figuré dans le procès, et aussi bien celle qui avait succombé dans la première instance que celle qui y avait triomphé, car la partie qui a succombé peut craindre un insuccès nouveau et plus onéreux, pendant que celle qui a triomphé peut espérer un succès plus complet. En sens inverse, celle qui avait succombé pourrait espérer être mieux traitée par un nouveau jugement et celle qui a triomphé craindre de l'être moins bien. Chacune invoquera donc l'exception de chose jugée, suivant ce qu'elle croira son intérêt; si elles sont toutes deux désireuses d'obtenir un nouveau jugement, elles seront muettes sur l'exception et c'est là qu'il importe de dire que le tribunal ne peut la suppléer d'office.
On pourrait croire pourtant que l'ordre public ne demande pas moins que l'intérêt privé la stabilité des décisions judiciaires et la diminution des procès, et que cela devrait toujours autoriser le tribunal à rejeter d'office toute nouvelle demande ou exception semblable à la première. Mais, quand on considère combien il est difficile au tribunal, même quand l'une des parties lui vient en aide, en opposant l'exception, de vérifier si les conditions en sont remplies (v. art. 1417 à 1421), on comprend que la loi ne donne le pouvoir de se prononcer d'office sur ce point que dans le cas où le premier jugement intéresse lui-même l'ordre pubic, ce qui n'est pas le même intérêt public que l'on invoquerait ici pour maintenir tous les premiers jugements, quel que fût leur objet.
Cette question est controversée en France.
223 bis. Une question délicate que nous n'avons pas vue traitée ailleurs pouvait se présenter à ce sujet.
Supposons que celui qui invoque l'autorité d'un jugement rendu dans une matière d'intérêt purement privé, la démente en même temps, en reconnaissant spontanément que le jugement est erroné, " qu'il y a eu mal jugé," pourrait-il conserver le bénéfice de l'exception ?
Le Projet ne l'admet pas. Sans doute, cet aveu démentant la présomption au moment même où elle est invoquée sera rare et impudent, on pourrait presque le qualifier de cynique, mais c'est à cause de son impudence même que la loi doit le retourner contre celui qui le fait. Et pour que la solution soit justifiée en droit et en raison, autant qu'en équité, nous disons que ce n'est pas invoquer le principe que " la chose jugée est tenue pour la vérité " que de reconnaître en même temps qu'elle est erronée dans le cas où on l'invoque: si l'aveu complexe est indivisible pour celui qui l'invoque contre son auteur, à plus forte raison doit-il l'être pour celui même qui l'a fait.
La seule objection sérieuse qui pourrait nous être faite, c'est qu'avec notre solution le procès va recommencer, alors sans doute que toutes les voies légales de recours sont épuisées.
Mais nous répondons que la situation est la même que si le défendeur n'avait aucunement invoqué l'autorité de la chose jugée, dans un cas où le tribunal ne peut suppléer d'office l'exception, et notre solution équivaut à dire que celui qui dément l'exception tout en l'invoquant, est considéré comme ne l'invoquant pas Bien entendu, cette solution doit être limitée au cas où le jugement invoqué n'intéresse pas l'ordre public: autrement l'autorité de la chose jugée, pouvant être suppléée d'office, ne peut être infirmée par l'aveu d'une des parties.
Art. 1417. — 224. La grande difficulté de cette matière est, avons-nous dit, de reconnaître si la nouvelle contestation est la même que celle qui a été déjà l'objet d'un premier jugement.
Avant d'aller plus loin, nous ferons remarquer d'abord que le Projet ne se borne pas, comme le Code français, à parler d'une nouvelle " demande " comparée à la précédente: l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas moins aux défenses ou exceptions qu'aux demandes: sans doute, dans la pratique, ce seront le plus souvent, de nouvelles demandes qui seront écartées par l'autorité de la chose jugée, et la doctrine peut aussi tirer ses exemples courants des demandes plutôt que des exceptions; mais la loi doit éviter de ne statuer que pour un cas, quand elle doit s'appliquer à deux. Ce qu'on pourrait dire, tout au plus, pour exempter le Code français d'un reproche à ce sujet, c'est qu'une exception est, à la rigueur, une demande (reus in eœcipiendo fit actor) (voy. n° 8); mais cette assimilation toute doctrinale de deux situations si différentes à tant de titres ne doit être faite que dans les cas où on ne parle des demandes qu'incidemment et non dans le cas où les exceptions sont, autant que les demandes, l'objet principal d'une théorie.
Pour éviter toute confusion et pour ne pas employer constamment les deux expressions nous pourrons parler le plus souvent de " la contestation " ou de " la prétention," car l'exception est contenue, aussi bien que la demande, dans chacune de ces exqressions, et c'est ainsi que déjà l'article 1415 a parlé de " la même contestation portée en justice par voie d'action ou d'exception."
Il pourrait même arriver que les rôles des parties ne fussent pas les mêmes dans la première instance et dans la seconde, que celui qui aurait élevé une prétention comme demandeur et succombé l'élevât ensuite comme défendeur: par exemple, un contractant qui aurait intenté une action en nullité de la convention et aurait succombé, étant ensuite poursuivi pour l'exécution, prétendrait opposer l'exception de nullité; assurément, il devrait être arrêté par l'autorité de la chose jugée et, dans ce cas, il serait aussi inexact de dire qu'il y a " même demande ou même exception; " mais il y a certainement " même contestation ou même prétention" au sujet de la nullité.
225. Pour qu'il y ait lieu à l'exception de chose jugée, il faut donc qu'il y ait identité dans les deux contestations ou prétentions, or cette identité générale se décompose en trois identités particulières que le texte indique avec soin: identité d'objet de la contestation, c'est-à-dire du droit prétendu ou du fait allégué, identité de la cause de prétention, identité des "parties.
Objet, cause et parties, ce sont là, en effet, les trois éléments de toute contestation. Chacun d'eux est repris dans les trois articles suivants et, sous ce rapport, le Projet s'efforce d'être plus complet que le Code français qui n'a pour toute cette théorie fort difficile qu'un seul article très court et d'une rédaction qui n'est pas irréprochable (art. 1351) (b).
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(b) Outre le reproche déjà fait plus haut au Code français de n'avoir parlé que de la demande et non de l'exception, on peut encore en faire d'autres critiques: il dit..." ce qui fait l'objet du jugement: d'abord, c'est d'un jugement passé qu'il s'agit, donc c'est ce qui a fait l'objet...; puis, le mot objet qui est technique en cette matière et ne s'applique qu'à un seul élément du jugement, est pris là dans un sens qui comprend, tout au moins, l'objet et la cause; enfin, on parle de même chose, de même cause et de mêmes parties, sans que ce comparatif ”même" ait un complément; ce complément c'est la nouvelle instance; mais il ne faudrait pas de sousentendus en une matière aussi difficile.
Art. 1418. — 226. Cet article est relatif à l'identité d'objet. Cet objet peut être, comme le dit l'article précédent, soit un droit réel ou personnel dont on demande la reconnaissance, soit un fait dont on demande la vérification et la constatation pour en tirer un avantage juridique: par exemple, un payement, une remise de dette, une prescription libératoire; dans ces cas, il y a plutôt défense ou exception que demande, et celui qui se prétend libéré ne prétend pas à un droit pour lui-même mais à la négation d'un droit pour un autre.
C'est lorsqu'il a été statué une première fois sur une telle prétention qu'elle ne peut être soulevée de nouveau devant la justice.
Notre article ne revient pas sur le principe même de l'identité d'objet, lequel est suffisamment exprimé dans le précédent; mais il se prononce sur un point de son application qui pouvait faire doute et qui, en effet, est très discuté en France.
227. Avant d'examiner la formule proposée pour régir les cas auxquels nous faisons allusion, il est utile de nous placer en présence de la difficulté, avec quelques exemples.
1° Un demandeur a revendiqué la pleine propriété d'un fonds et il a succombé, peut-il ensuite réclamer l'usufruit de ce même fonds ou une servitude sur ce fonds ? Réciproquement, il a demandé, sans succès, l'usufruit ou une servitude, peut-il ensuite réclamer la pleine propriété ?
Autrefois, on cherchait à résoudre cette difficulté et les autres analogues par de prétendus axiomes plus spécieux que raisonnables. On disait: " la partie est contenue dans le tout" (pars in toto cantinetur), mais " le tout n'est pas dans la partie" (non in parte tatum).
Le premier axiome défendait de revendiquer l'usufruit après insuccès sur la pleine propriété, et cela était juste; mais il défendait aussi de revendiquer une servitude et, en cela, il avait tort: la servitude, bien qu'on puisse dire qu'elle est un démembrement de la propriété, n'en est pas une partie qui, jointe à d'autres, puisse former le tout; toutes les servitudes imaginables, même jointes à l'usufruit, ne constitueront jamais la pleine propriété.
Le second axiome eût mené à une absurdité, si, pris à la lettre, il eût permis, après insuccès sur l'usufruit, de revendiquer la pleine propriété: sans doute, le tout (la pleine propriété) n'est pas contenu dans la partie (dans l'usufruit); mais il serait absurde de dire que celui qui n'a pas droit à la partie peut avoir droit au tout. Au contraire, on peut très bien comprendre que celui qui n'a pas pu justifier d'un droit de servitude sur un fonds pût prouver qu'il en est propriétaire ou usufruitier.
Dans tous les cas, on ne peut douter que celui qui a succombé dans une revendication de la nue-propriété puisse réclamer valablement l'usufruit, ou réciproquement.
2° Un demandeur a réclamé une somme d'argent, comme due par une cause déterminée, et il a succombé, peut-il en demander une plus forte ou une moindre, en vertu de la même cause ?
Remarquons, incidemment, qu'ici l'objet de la demande ne peut être séparé de la cause, car si la cause de la seconde demande était différente de celle de la première, rien ne s'opposerait à ce qu'une somme égale, supérieure, ou inférieure, fut demandée et obtenue dans une seconde instance; en effet, ainsi que disaient les jurisconsultes romains, " la même chose peut nous être due plusieurs fois," c'est-à-dire à des titres différents, " mais elle ne peut nous appartenir plusieurs fois."
Pour résoudre la 2e question posée, si l'on prétendait invoquer les deux axiomes précités, on arriverait à dire que comme " la partie est comprise dans le tout ou le moins dans le plus," celui qui a succombé sur la demande d'une somme déterminée ne pourrait réclamer une somme inférieure; tandis que, comme "le tout n'est pas compris dans la partie ou le plus dans le moins," il pourrait réclamer utilement une somme plus forte: la première solution est bonne, mais pour une autre raison qu'on verra ci-après; la seconde est absurde.
228. Voyons maintenant la formule du Projet, laquelle n'a rien de commun avec les axiomes précités.
L'idée est en somme fort simple: évidemment, il n'y a eu de jugé dans la première instance que ce qui a été soumis aux juges, que ce sur quoi ils pouvaient statuer, " d'après les conclusions des parties; " pour cela, quelle que soit leur décision, il y a chose jugée; mais pour les choses que les juges ne pouvaient juger, la question reste entière pour une nouvelle instance.
Reprenons nos précédentes solutions, avec le contrôle de cette formule.
1° Celui qui revendiquait la pleine propriété a succombé; peut-il encore réclamer l'usufruit ? Cela revient à demander si le juge avait le pouvoir de ne lui reconnaître qu'un droit d'usufruit. Or, nous disons, sans hésiter, qu'il avait ce pouvoir; car le demandeur en revendication est considéré comme ayant soutenu qu'il avait, tout à la fois, la nue propriété et l'usufruit: le juge pouvait donc lui reconnaître les deux droits, ou un seul, ou ne lui en reconnaître aucun; tout ce qu'il lui a re. connu est jugé en sa faveur contre son adversaire; tout ce qu'il ne lui a pas reconnu est jugé négativement contre lui, en faveur de l'adversaire.
Mais le même juge saisi d'une revendication de pleine propriété, de nue propriété ou d'usufruit, pouvait-il, dans la même instance, reconnaître seulement au demandeur un droit de servitude foncière ? Il ne le pouvait pas: ce droit n'est pas une partie des précédents, il est d'une autre nature. De même le juge saisi d'une demande de nue propriété n'aurait pas pu reconnaître au demandeur un droit d'usufruit, ou réciproquement: il eût encouru la requête civile pour avoir statué sur choses non demandées (v. c. pr. civ. fr., art. 480-30). Donc ce qui n'a pu être accordé dans une première, instance n'a pas été non plus refusé et peut encore être demandé.
2° Celui qui a demandé 1000 yens, comme argent prêté tel jour, ou comme prix de tel objet vendu, a succombé, peut-il encore demander, au même titre, une somme supérieure ou inférieure ? Appliquons notre formule, par cette question: le juge pouvait-il admettre la demande pour une somme plus forte ou moindre ? Plus forte, assurément non: un jugement qui " adjuge plus qu'il n'a c'té demandé " est sujet aussi à requête civile (c. pr. civ. fr., art. 480-40); cependant, ce ne sera pas une raison pour qu'il soit permis au demandeur de revenir à la charge par une nouvelle demande de cet excédent, parce qu'en n'augmentant pas ses premières conclusions avant le jugement, il a reconnu lui-même qu'il n'avait pas droit à davantage.
Le juge pouvait, au contraire, accorder moins qu'il n'était demandé, parce que la demande de 1000 yens comprend implicitement, et à plus forte raison, celle de toute somme inférieure qui paraîtra justifiée au même titre; si donc le juge n'a rien accordé, rien ne pourra plus être réclamé, parce qu'il a jugé que rien n'était dû; s'il a accordé une somme quelconque dans la limite de 1000 yens, le chiffre ne peut être critiqué, ni par le demandeur ni par le défendeur, parce qu'il y a chose jugée.
Toutes les difficultés analogues se résoudraient par les mêmes raisonnements. Ainsi, s'il s'agit d'une exception ou défense à une action personnelle pour 1000 yens et que le défendeur allègue avoir payé la somme entière, s'il succombe, il ne pourra plus prétendre avoir payé une partie de la somme, parce que le juge pouvait le reconnaître libéré pour moins de 1000 yens; s'il est déclaré avoir payé 500 yens, il ne pourra pas prétendre avoir payé plus, parce qu'il l'a déjà soutenu sans succès.
Art. 1419. — 229. Cet article se rapporte surtout à l'identité de cause, avec un certain lien avec l'identité d'objet, comme précédemment on vient de voir une certaine liaison de l'objet avec la cause.
De même que le précédent article ne statuait que sur une application délicate de l'identité d'objet, celui-ci également prévoit des difficultés sur l'identité de cause.
Mais avant la solution des cas particuliers, il convient de s'arrêter un instant sur la cause en ellemême.
Nous avons déjà eu occasion de remarquer plus haut que l'adjonction d'une cause est nécessaire quand il s'agit d'une action personnelle, car il ne signifierait rien de dire qu'on est créancier de quelqu'un si on ne disait par suite de quel fait juridique on prétend l'être: non seulement, il faudrait absolument exprimer la cause de son droit devant le juge dans la plaidoirie, sans cela le gain du procès serait impossible, mais il faudrait aussi l'exprimer dans les conclusions premières: autrement, que le procès soit gagné ou perdu, il serait, sinon impossible, au moins bien difficile, de demander un objet semblable pour une cause qui aurait déjà existé à l'époque de la première demande. On devra donc indiquer dans la demande le fait juridique auquel on attribue la naissance du droit personnel invoque, contrat, enrichissement indû, dommage-injuste, disposition légale; bien plus, il faudra préciser quel contrat, quelle sorte d'enrichissement indû, quel fait dommageable, quelle disposition de la loi, afin que l'autorité de la chose jugée soit limitée aux seuls faits que l'on a entendu soumettre au juge.
Ce que nous disons de la cause de la demande il faut l'appliquer aussi à l'exception ou défense à l'action personnelle. Ainsi, il serait impossible au défendeur d'alléguer seulement qu'il est libéré, que son obligation est éteinte: il devra dire par laquelle des causes d'extinctions il est libéré, et lorsqu'il invoquera l'une d'elles, comme un payement ou une remise conventionnelle, il devra encore spécifier l'époque et le mode du payement ou de la remise, afin de pouvoir, en cas d'insuccès pour erreur, alléguer un autre payement ou une autre remise.
Nous n'appliquons pas cette observation à l'exception de nullité pour laquelle précisément notre article a une solution particulière et plus rigoureuse à laquelle nous arriverons bientôt.
230. Supposons maintenant une action réelle.
Nous avons dit que, comme on ne peut avoir plusieurs fois le même droit de propriété ou le même démembrement de la propriété, il est moins important d'exprimer la cause de son droit dans la demande, sauf toujours à la faire valoir au moins dans les plaidoiries, car il faudra bien tenter de démontrer au juge que l'on a la propriété par transmission, si on ne l'a pas par occupation. Il sera même utile d'indiquer la cause ou l'origine de la propriété dans les conclusions premières, afin de circonscrire les pouvoirs du juge et de se réserver la possibilité de faire une nouvelle demande fondée sur une autre cause; mais cette précaution ne sera nécessaire que dans le cas assez rare où l'on croirait avoir en sa faveur plusieurs causes soutenables, quoiqu'une seule fût suffisante et exclusive des autres.
Ainsi un acheteur revendique la chose vendue contre l'héritier de son vendeur, mais il n'ignore pas que ses preuves de la vente sont très discutables et pourraient ne pas convaincre le juge; d'un autre côté, il est légataire de tout ou partie des biens du vendeur, et la chose réclamée se trouverait comprise dans le legs, si la vente n'était pas valable. Il préfère revendiquer comme acheteur (quand le prix est payé), parce que le legs peut être sujet à des charges ou à des réductions; mais il ne veut pas soumettre au même jugement les deux causes de propriété dont l'une est subsidiaire à l'autre; alors, il revendiquera en indiquant la vente comme cause de son droit, Clan expressa causa, disaient les jurisconsultes romains, et, en cas d'insuccès, il pourra revendiquer en vertu du legs.
231. Arrivons aux cas spéciaux prévus par notre article. Les solutions qu'il donne pour ces cas sont fort débattues en France et, à défaut d'un texte formel, comme est celui du Projet, nous donnerions des solutions différentes. Ce sont pourtant celles-ci qui prévalent en doctrine et en jurisprudence française et nous les proposons dans le Projet comme répondant le mieux à l'utilité pratique, c'est-à-dire comme tendant à éviter la multiplicité des procès; mais cela ne veut pas dire que l'on puisse, sans forcer les termes et peut-être l'esprit de la loi française, les y suppléer.
Notre article suppose d'abord que l'objet de la première contestation (demande on exception) a été " la rescision ou nullité, la révocation ou la résolution, soit d'une convention, soit d'une disposition testamentaire."' Cette demande ou exception aurait pu être fondée sur plusieurs causes; ainsi, une convention est annulable ou rescindable pour vice de consentement, pour incapacité et pour vice de forme; il peut même y avoir eu, lors d'une convention, plusieurs incapacités réunies, plusieurs vices de consentement ou de forme; une convention peut être révocable pour fraude aux créanciers et, spécialement, s'il s'agit d'une donation, pour ingratitude; elle peut être résolue par l'effet d'une condition expresse ou pour inexécution des charges ou obligations; bien plus, la même convention pourrait être, tout à la fois, attaquable par les trois voies différentes, c'est-à-dire en rescision, en révocation ou en résolution.
C'est alors que se présente la question de savoir si la partie qui prétend faire tomber l'acte doit réunir tous ses moyens d'attaque dans une seule instance, à peine de déchéance pour ceux qu'elle aura négligés, de manière à ce que l'exception de la chose jugée s'oppose à toute nouvelle contestation fondée sur l'une des causes énoncées ci-dessus ? On ne le soutient dans aucune opinion: ce serait d'une rigueur exagérée.
Mais s'ensuit-il qu'il faille admettre autant de nouvelles contestations qu'il existe de moyens d'attaque ? Ce serait tomber d'un extrême dans l'autre, favoriser la multiplicité des procès et les procédures frustratoires. Nous ne croyons pas non plus que personne en France soit allé jusque-là.
232. La difficulté est de savoir jusqu'où on peut aller et où l'on doit s'arrêter entre ces deux extrémités: si l'embarras existe en face d'une loi muette, comme est le Code français, il n'est guère moindre quand il faut, législativement, prévenir la difficulté.
Le Projet fait une distinction qui demande quelques précautions pour être bien comprise.
D'abord, si une partie avait ou prétendait avoir droit, tout à la fois, à la rescision, à la révocation et à la résolution d'une convention, elle ne serait pas tenue de réunir ces trois prétentions dans une même action ou exception: ce sont là trois objets différents et non trois causes différentes; or, on ne peut exiger qu'un plaideur réunisse toutes ses demandes ou exceptions en une seule. Il est vrai qu'on a rencontré dans la loi une exigence de ce genre, au sujet de l'emploi de la preuve testimoniale (v. art. 1403), mais cette rigueur ne s'applique plus, s'il y a preuve par écrit, et même en l'absence de preuve écrite, la déchéance du plaideur à l'égard des droits négligés n'est pas absolue, tandis qu'ici, si l'autorité de la chose jugée permettait de repousser toute prétention négligée dans le premier procès, la déchéance serait irrémédiable. Si l'on soutenait qu'il n'y a pas trois objets distincts de contestation, dans la rescision, la révocation et la résolution, parce qu'elles ont un caractère commun qui est la ”destruction" d'une convention, nous dirions que c'est là une unification factice qui n'est pas dans l'esprit de la loi, puisque le nom prétendu commun des trois objets de la contestation n'est pas consacré et est presque inventé pour le besoin de la cause. Sans doute, quelquefois, la doctrine pourra employer ce nom générique de " destruction" d'un contrat, pour embrasser les trois actions et nous avons pu l'employer nous-même (v. Tome IT, n° 704), mais ce sera seulement par forme d'abréviation; sans doute aussi la loi rapproche souvent ces trois actions dans une même disposition, parce qu'elles ont, en effet, ce caractère commun de tendre à détruire une convention; mais elle ne manque pas de les énoncer chacune séparément, avec son nom légal (v. art. 44-3°, 307-2°, 595). Il serait tout aussi déraisonnable de prétendre que ces trois modes de destruction d'une convention ne forment qu'un seul objet de la demande ou de l'exception que de prétendre qu'il y a unité d'objet dans l'allégation d'un payement, d'une remise de dette, d'une compensation, parce que ce sont trois modes d'extinction d'une obligation. Et ce qui s'oppose à l'unification des trois actions ou exceptions qui nous occupent c'est qu'elles ne sont pas soumises à la même prescription, laquelle est de cinq ans et quelquefois deux ans pour la rescision ou nullité (v. art. 566, 734), de trente ans ou de deux ans pour la révocation des actes faits en fraude des créanciers (v. art. 364) et de trente ans, en général, et quelquefois de cinq ou deux ans pour la résolution (v. art. 722).
233. Ce premier ordre d'objets de demandes ou d'exceptions étant dispensé de la réunion, il n'en est plus de même si, étant donné un seul de ces objets (la rescision, par exemple), il existe simultanément plusieurs causes de le réclamer: ici le texte introduit une distinction qui serait délicate s'il ne la précisait lui-même par des applications (2' et 3e al.).
Si les diverses causes de réclamer le même objet sont " de même nature," elles doivent être réunies dans la demande ou dans l'exception, à peine de ne pouvoir plus faire valoir dans une nouvelle instance, les causes déjà existantes et connues de celui qui pouvait s'en prévaloir. Cette déchéance n'est pas d'ailleurs une pénalité proprement dite: elle est fondée sur une " présomption d'abandon " de ces moyens de nullité; l'observation n'est pas sans intérêt, car, chaque fois qu'on parle de présomption, on doit se demander si elle comporte une preuve contraire: ici, on doit admettre que celui qui ne voudra pas soumettre aux premiers juges tous ses moyens de nullité, sans pourtant entendre abandonner ceux qu'il omettra, puisse en faire une réserve expresse; seulement, la partie adverse pourra s'opposer à cette réserve et demander au tribunal d'ordonner la production des autres moyens pour être statué sur tous par un seul jugement.
Ainsi, dans certains cas, il ne suffira pas pour écarter la nouvelle demande ou exception qu'elle présente identité de causes, il faudra encore que la nature des causes soit " identique."
Le texte se prononce d'abord sur les nullités de forme (2° al.): quoique la forme des actes soit requise tantôt pour la solennité (voy. art. 321 et 12 11) et tantôt pour la preuve seulement (passim) (c), la loi écarte ici cette distinction, et elle reconnaît dans les divers vices de formes une suffisante " identité de nature." Ce serait, en effet, de la part du plaideur, un procédé frustratoire que de diviser des moyens qui, lorsqu'ils existent, sont frappants au premier examen de l'acte.
Enfin, le texte (38 al.) déclare que tous les vices de consentement ainsi que toutes les incapacités sont " considérés comme de même nature," pour l'action en rescision, et, pour l'action en résolution, tous les cas d'inexécution des obligations.
Mais celui qui prétendrait pouvoir attaquer un contrat en nullité pour un vice de consentement (erreur ou violence et pour une incapacité (minorité ou interdiction) pourrait en faire l'objet de deux instances séparées. De même, celui qui prétendrait invoquer une condition résolutoire expressément stipulée et la condition résolutoire tacite résultant de l'inexécution des obligations de l'adversaire, pourrait intenter deux actions successives ou opposer séparément deux exceptions à deux demandes formées contre lui pour l'exécution, parce que ce ne sont pas des causes de même nature.
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(c) Il existe des formes qui ne sont ni pour la preuve des faits, ni pour la solennité des actes, ce sont celles qui ont pour but de protéger les mineurs et les interdits: lorsque ces formes n'ont pas été observées, c'est par la rescision pour incapacité que les actes sont attaquables (v. art. 569 et T. II, n° 67).
Art. 1420. — 234. La loi arrive à la troisième identité, celle des parties, nécessaire pour l'application, contre une seconde contestation, de l'autorité de la chose jugée dans une première instance. La condition de cette identité est la consécration légale de l'axiome, souvent invoqué déjà, que ' la chose jugée n'a d'effet qu'à l'égard des parties qui ont figuré dans l'instance " (res inter alios judicata aliis neque nocet neque prodest).
Le texte a bien soin d'exiger l'identité " juridique " des parties, parce que l'identité physique non seulement n'est pas nécessaire, mais même ne serait pas toujours suffisante: elle n'est pas nécessaire, et quelquefois même elle est impossible, puisqu'une partie qui a figuré dans le premier procès peut être décédée lors du second et y être représentée par son héritier; de même, mais en sens inverse, une partie peut avoir été représentée dans le premier procès, par son tuteur ou par un mandataire, et figurer en personne dans la seconde instance.
D'un autre côté, l'identité physique peut être insuffisante: par exemple, si une personne qui a figuré en son nom dans le premier procès, ne figure dans le second que comme tuteur ou mandataire d'une autre personne, la chose jugée dans le premier procès n'aura aucune influence dans le second. C'est pour compléter l'idée d'identité juridique des parties que la loi exige "l'identité de qualité " dans laquelle elles ont figuré dans le premier procès et figurent dans le nouveau.
Enfin, la loi pose incidemment le principe que certaines personnes peuvent être liées par des intérêts communs d'une façon qui " implique mandat tacite d'une représentation mutuelle " dans les procès: ce principe a déjà été appliqué, par anticipation, en matière de cautionnement (v. art. 1026 et 1042), de solidarité (v. art. 1059) et d'indivisibilité (v. art. 1092).
En France, cette représentation est très discutée et on a voulu lever tous les doutes au Japon.
Art. 1421. — 235. On dit généralement que l'autorité de la chose jugée ne s'applique qu'au dispositif du jugement et non à ses motifs; mais, immédiatement, on est obligé d'atténuer cette exclusion et de rendre aux motifs, à la faveur de certaines distinctions, une autorité qu'il vaudrait mieux ne pas commencer par leur refuser.
Le Projet donne aux motifs la grande importance qui leur est due.
Le dispositif est certainement la partie principale du jugement, c'est celle par laquelle le tribunal fait droit, soit à une demande, soit à une exception, ou par laquelle il la rejette, en même temps qu'il en déduit les conséquences, en ordonnant ou défendant certains faits qui seront l'exécution même de son jugement.
Mais, le dispositif est inséparable des motifs: autrement, la décision serait arbitraire; d'ailleurs, le tribunal ne décide généralement pas sans contrôle, puisqu'il y a presque toujours un recours en appel ou en cassation; or, ce contrôle ne pourrait s'exercer efficacement, si les jugements n'étaient pas motivés. Les jugements seuls de la Cour de cassation ne sont guère susceptibles de recours (d); cependant, il faut encore qu'ils soient motivés, pour établir qu'ils sont conformes à la loi, et c'est parce qu'ils peuvent encore être contrôlés et critiqués s'il y a lieu, par le jugement des légistes, qu'ils peuvent fonder une jurisprudence durable.
Enfin, les jugements doivent encore être motivés, pour qu'il soit possible de voir exactement ce qui a été jugé et ce qui a l'autorité de la chose jugée. Quand un tribunal a jugé que le demandeur était ou n'était pas propriétaire d'un objet déterminé, qu'il était créancier de telle personne ou ne l'était pas, qu'un défendeur était libéré ou non, comment pourra-t-on arrêter toute tentative, par l'un ou l'autre plaideur, de provoquer un nouveau jugement, si on ne sait pour quel motif la demande ou l'exception a été admise ou écartée ?
Ainsi il a été jugé que je ne suis pas propriétaire d'un bien que j'avais revendiqué comme acheteur; mais je puis être propriétaire comme légataire de mon prétendu vendeur: si le tribunal a pu rejeter ma revendication sans la motiver, je ne pourrai pas revendiquer en vertu d'un legs, au moins, s'il existait déjà lors du premier procès; or, ce serait bien injuste. De même, le tribunal a rejeté ma demande d'une somme réclamée comme prêtée; cela doit-il m'empêcher de demander la même somme comme prix d'une chose vendue ? C'est pourtant ce qui arriverait si le tribunal avait pu rejeter ma demande sans la motiver, car, sans les motifs, on ne verra pas quelle cause a été reconnue manquer à ma prétendue créance.
Et ce n'est pas seulement la cause, manquante ou existante, qui est révélée par les motifs, ce sont aussi bien certaines qualités nécessaires dans l'objet ou dans la partie demanderesse ou défenderesse, ce peut être aussi l'absence ou l'existence de la preuve; ce sont là des points défait que le tribunal décide pour justifier son jugement.
Enfin, les motifs doivent être aussi tirés de la loi générale ou spéciale qui régit le cas litigieux, et l'autorité de la chose jugée devra s'appliquer aux points de droit sur lesquels le tribunal a statué pour fonder sa décision: nous dirons alors, avec le texte, en empruntant une expression consacrée en procédure civile, dans la matière des preuves (v. n° 211), que ce sont des points de droit " pertinents et concluants."
En France, les motifs des jugements sont généralement donnés en la forme "attendu que considérant que la forme ”attendu que" s'emploie surtout pour indiquer que le tribunal a reconnu certains faits ou éléments de litige, ou qu'il se fonde sur certains principes de droit; en pareil cas, il dira encore " vu...... (tel ou tel document, telle ou telle disposition de loi);" la forme " considérant que" s'emploie plutôt quand le tribunal raisonne, quand il tire des inductions ou des déductions des faits ou de la loi.
C'est surtout quand les motifs déclarent certains points de fait ou de droit, comme vérifiés et reconnus, qu'ils ont le caractère de chose jugée; ce serait moins admissible quand il ne s'agit que de raisonnements ou d'inductions, à moins encore qu'il ne s'agît des présomptions de fait laissées à la prudence du tribunal (voy. art. 1425).
236. Nous terminons cette discussion par un exemple complexe, où se trouvent plusieurs sortes de motifs et nous y verrons comment l'autorité de la chose jugée s'attache le plus souvent aux motifs.
Le demandeur revendique un objet comme acheté par lui et le tribunal rejette la demande (c'est le dispositif), par l'un des motifs suivants:
" Attendu que la chose vendue n'est pas dans le commerce c'est un motif tiré de l'objet;
" Attendu que la chose vendue n'appartenait pas au vendeur et que la vente de la chose d'autrui est nulle ce sont des motifs de fait et de droit tirés de la cause (e);
" Attendu que le défendeur n'est ni le vendeur ni son représentant, ou que le demandeur n'est ni l'acheteur ni son représentant:" ici le motif est tiré du défaut de qualité d'une partie;
" Attendu que le demandeur ne justifie, ni par titre,
ni par témoins ou autrement, de la prétendue vente qui lui aurait été faite le motif est tiré du défaut de 'preuve;
" Attendu qu'il s'agit d'un objet mobilier dont le défendeur est possesseur à juste titre et de bonne foi et que la loi, dans ce cas défend la revendication:" c'est le motif tiré de la loi; en même temps il y a trois points de fait reconnus par le tribunal: la possession, l'existence d'un juste titre en faveur du défendeur et sa bonne foi.
En présence de ces motifs, pourrait-on soutenir que le dispositif seul a l'autorité de la chose jugée ? Quand il a été jugé contre l'acheteur que la chose était hors du commerce ou n'appartenait pas au vendeur, ce même vendeur pourrait-il, à son tour, après avoir bénéficié de la décision qui le préservait de la revendication, demander le payement du prix de cette vente, en offrant de livrer la chose vendue et en prétendant prouver que la chose était dans le commerce et lui appartenait ? Ne serait-il pas en présence des trois identités, d'objet, de cause et de parties qui sont un obstacle infranchissable contre un nouveau procès ? Nous croyons que la question ainsi mise dans tout son jour ne peut plus laisser de doute sur la solution: il y a chose jugée dans les motifs, quand ils sont, comme ici " pertinents et concluants," relativement aux éléments du litige.
S'il nous est permis d'exprimer notre pensée toute entière, nous dirons, au risque de paraître paradoxal, que l'autorité de la chose jugée s'applique aux motifs avant de s'appliquer au dispositif et avec plus d'utilité car, sans les motifs et ce qu'ils reconnaissent et déclarent, le dispositif n'a aucun sens, aucune valeur juridique, aucune autorité.
La rédaction que nous proposons est en accord avec les solutions proposées sur l'autorité des motifs du jugement (1).
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(d) Nous avions cependant proposé d'autoriser, dans certains cas, la requête civile, devant la Cour de cassation elle-même, contre ses propres décisions; on l'avait admise en procédure criminelle (v. c. pr. cri m., Projet, Itrt. 577 et Code officiel, art. 436); mais ce recours a été critiqué et, au lieu de l'admettre en Procédure civile, on l'a supprimé, généralement, dans la Loi des Cours, ce qui nous paraît tout-à-fait regrettable.
(e) La nullité de la. vente de la chose d'autrui (v. art. 679) est fondée sur le défaut de cause (v. T. II, nos 44 et 60, T. III, nos 191 et 192).
(1) Malgré la force de ces considérations, notre conviction n'a été partagée ni par la Commission ni par le Sénat, et le Code officiel (art. 77 du Livre des Preuves) n'a attaché qu'au dispositif l'autorité de la chose jugée. Il faudra pourtant que la loi ou la jurisprudence réparent cette omission: 110S arguments pourront peut-être y aider. Déjà l'Exposé des Motifs a élargi par ses explications ce qu'il y a de trop limité dans l'article 77.
Art. 1422. — 237. Cet article tranche la question très difficile et importante " de l'influence au civil de la chose jugée au criminel." On sait que les faits délictueux, crimes, délits et contraventions, peuvent donner lieu à des restitutions ou réparations civiles au profit de la partie lésée ou de ses représentants, et que ces réparations peuvent être demandées, soit conjointement à l'action publique, devant les tribunaux de répression, soit séparément devant les tribunaux civils.
Si la première voie a été suivie, le tribunal de répression, après avoir statué sur l'action publique, statue sur les réparations civiles; il ne lui sera pas difficile de ne pas contredire sa décision au criminel dans sa décision au civil: presque toutes les décisions civiles sont con ciliables avec la décision au criminel.
S'il y a eu condamnation au criminel, la condamnation civile ne dépendant pas de la gravité morale et sociale du délit, mais de l'étendue du dommage privé, l'appréciation de ce dernier reste au pouvoir du tribunal; il pourrait même n'être alloué aucune indemnité à la partie civile, soit parce qu'elle n'est pas lésée d'une manière appréciable, soit parce qu'elle a obtenu autrement les restitutions et les réparations qui lui sont dues.
S'il y a eu acquittement, il sera fréquent qu'il n'y ait aucune condamnation civile; cependant, le contraire pourrait arriver, sans que les deux décisions fussent en contradiction: le tribunal peut n'avoir pas trouvé dans l'inculpation les caractères d'un délit pénal, ce qui n'empêche nullement qu'il ait trouvé dans le fait incriminé les caractères de la faute ou du délit civil. Mais il y aurait contradiction certaine (elle ne se présentera pas sans doute) si l'acquittement était fondé sur ce que l'inculpé n'est pas auteur du fait et si pourtant le tribunal le condamnait à quelque réparation envers la partie civile. C'est un des cas les plus saillants où les motifs sont tellement liés au dispositif qu'ils ont nécessairement comme lui l'autorité de la chose jugée (f).
Les tribuuaux de répression peuvent aussi, en cas d'acquittement, statuer sur l'indemnité que réclamerait l'inculpé pour avoir été indûment dénoncé et poursuivi par le plaignant.
Du moment que le tribunal de répression remplit en cette matière le rôle de juge civil (et l'organisation judiciaire au Japon comme en France, rend cela tout naturel, puisque les deux justices sont réunies), il est clair que, quelle que soit la décision civile du tribunal de répression, la contestation sur les conséquences civiles de l'infraction ne pourra être portée de nouveau devant les tribunaux civils proprement dits, pour obtenir une augmentation ou une diminution de la réparation: il y a chose jugée.
238. Il pourrait arriver, en sens inverse, que l'action civile eût été d'abord portée devant le tribunal civil, alors qu'aucune poursuite criminelle n'était commencée (autrement, il serait sursis aux poursuites civiles jusqu'au jugement, en vertu du principe que «' le criminel tient le civil en état," en suspens). Dans ce cas, on doit décider que les tribunaux de répression ne peuvent plus statuer sur les réparations civiles: ils ne pourraient élever la condamnation civile, ni même la réduire ou l'annuler au cas d'acquittement, puisque l'acquittement n'exclut pas nécessairement la possibilité d'une faute civile; ils ne pourraient non plus y ajouter, en cas de condamnation, parce que le mal moral et social de l'acte qui en fait une infraction plus ou moins grave, au point de vue pénal, n'a pas une influence nécessaire sur le dommage privé de la partie lésée: celle-ci est considérée comme ayant fait valoir au civil tous ses droits à une réparation; pour que la condamnation pénale motivât une aggravation de la condamnation civile par le tribunal criminel, il faudrait que de nouveaux faits délictueux et dommageables qui n'avaient pas été soumis aux premiers juges eussent été révélés dans l'instance criminelle.
Il va sans dire que la décision civile n'aurait aucune influence sur la décision à rendre au criminel: lors même qu'un tribunal civil aurait déclaré quelqu'un auteur d'un fait dommageable, commis avec liberté, raison et intention de nuire, cela ne mettrait nul obstacle à ce que le même individu fut acquitté, et, s'il s'agissait d'un jugement correctionnel, que l'acquittement fût motivé ainsi: " attendu que le fait imputé à N n'a pas eu lieu," ou " attendu que N n'est pas l'auteur du fait à lui imputé," ou " attendu que le fait reproché à N a été accompli par lui, sous l'influence de la contrainte ou dans moment où il était privé de raison, ou sans intention de nuire." Cette possibilité de contradiction des deux jugements est inévitable, lorsqu'on n'a pu surseoir au jugement civil avant le jugement criminel: il ne faut pas mêler et confondre les compétences; les tribunaux de répression et la procédure à suivre devant eux sont organisés d'une façon spéciale, considérée comme donnant les meilleures garanties à la société et aux inculpés pour la découverte de la vérité; il n'est pas possible que les tribunaux civils puissent déclarer une culpabilité pénale. Mais, dans ce cas, la condamnation civile pourrait être rétractée, sur la requête civile de la partie condamnée, pour contrariété de jugements (comp. c proc. civ. fr, art. 480-6°).
Par une réciprocité nécessaire, si une personne poursuivie civilement à raison d'un fait dommageable était renvoyée de la demande comme n'étant pas auteur du fait ou n'en étant pas responsable, ce ne serait nullement un obstacle à ce qu'elle fût plus tard poursuivie, jugée et condamnée pénalement comme auteur et responsable du fait; la raison est toujours la même: les tribunaux criminels ont bien une compétence civile, mais les tribunaux civils n'ont pas de compétence pénale, quand ils siègent et procèdent au civil. Ici, la requête civile serait accordée à la victime du délit (ibid.).
239. Et pourtant, ici encore, la chose jugée au civil aurait une certaine influence sur les pouvoirs du tribunal criminel: du moment que le tribunal civil aurait statué sur les intérêts civils il n'y aurait plus place à un jugement du tribunal criminel sur les mêmes intérêts, car on se trouverait en présence des trois identités qui y mettraient obstacle: même objet (même indemnité) même cause (même fait dommageable), mêmes parties.
Un cas cependant pourrait faire doute. Nous le préciserons par un exemple.
Une personne a fait assurer sa maison contre l'incendie et la maison brûle; sur l'action civile intentée contre l'assureur, en payement de l'indemnité convenue, celui-ci allègue que l'incendie a été volontaire et il en fournit des preuves que le tribunal trouve suffisantes pour rejeter la demande (g). Sans doute, le tribunal aurait fait sagement de surseoir à son jugement, pour laisser à l'action publique le temps de se produire, mais aucun texte de loi ne l'y oblige. Plus tard, des poursuites criminelles ont lieu et l'assuré est acquitté du chef d'incendie volontaire. Pourra-t-il, de nouveau demander le payement de l'indemnité ? Nous ne le croyons pas: il y a chose jugée. D'ailleurs, cet acquittement, surtout s'il y a eu jugement par jurés, n'étant pas motivé, laisse place, comme on l'a dit plus haut, à une incertitude sur ce qui manquait aux éléments de la culpabilité: peutêtre l'accusé n'a-t-il pas été l'auteur de l'incendie, peutêtre en est-il l'auteur, mais sans une responsabilité entière; si, par exemple, le jury ne trouvait pas que l'incendiaire eût joui de la plénitude de sa raison, cela a pu suffire à amener un acquittement et cependant, il peut y avoir eu assez de raison chez l'assuré pour qu'il n'ait pas à recevoir l'indemnité.
240. Il y a plus de difficulté dans le cas inverse: sur la demande civile en payement de l'indemnité, l'assureur ne justifie pas son allégation d'incendie volontaire et il est condamné au payement. Plus tard, des soupçons graves s'étant élevés sur la cause de l'incendie, des poursuites criminelles sont intentées et l'assuré est convaincu d'incendie volontaire et condamné. Faut-il admettre la même solution et dire que la chose jugée au civil a une autorité irréfragable ? Ce serait bien choquant, au point de vue de l'équité et de la raison, et il serait déplorable que le respect des principes et de la logique imposât un tel résultat. Heureusement, on se trouve dans un cas d'exception: nous admettrions, en France, que le jugement civil fût attaquable par requête civile, à raison 1, du dol personnel" de l'assuré (v. c. proc. civ. fr., art. 480-1°); or, il y a eu dol, non seulement dans l'incendie, mais aussi et surtout (pour notre question) dans la demande de l'indemnité, l'assuré sachant que la cause de l'incendie ne l'autorisait pas et dissimulant celle-ci.
241. Jusqu'ici nous avons examiné des questions que les principes ont permis de résoudre, plus ou moins facilement, mais auxquelles notre article n'a pas fait allusion. Au contraire, il s'est prononcé sur un autre ordre de difficultés sur lesquelles la controverse est plus vive en France (et ailleurs sans doute), et bien que, selon nous, les principes généraux de la matière puissent suffire également à les résoudre, nous croyons qu'il ne faut que laisser de pareilles controverses se produire au Japon.
Nous avons dit que les décisions civiles et les décisions criminelles sont, dans une large mesure, indépendantes les unes des autres. Ainsi une condamnation civile pour un fait délictueux de sa nature ne met pas obstacle à un acquittement; réciproquement, une condamnation pénale n'entraîne pas nécessairement responsabilité civile.
La première règle ne comporte ni tempérament ni exception: le jugement du tribunal criminel ne peut subir aucune influence légale du jugement civil, et la loi, pour éviter même qu'il subisse une influence de fait a admis en règle que lorsque les deux affaires sont pendantes simultanément," le criminel tient le civil en suspens."
Mais il n'en est pas de même de la seconde règle: lorsque le tribunal civil juge après le tribunal criminel, selon le vœu de la loi, il n'est pas absolument indépendant de la décision rendue au criminel et c'est la mesure, l'étendue de cette dépendance que notre article a pour objet de déterminer.
242. Nous supposerons successivement un inculpé condamné ou acquitté du chef de l'infraction.
Au cas de condamnation, il est certain que le tribunal civil a un grand pouvoir pour apprécier le dommage civil, puisque, comme on l'a remarqué plus haut, il n'y a aucun rapport nécessaire entre le mal moral et social de l'acte et le dommage pécuniaire qu'il a pu causer à autrui: par exemple, des blessures volontaires, mais peu graves, entraîneront assurément des dommages-intérêts moindres que des blessures plus sérieuses causées par imprudence; de même, un vol à force ouverte d'objets peu importants donnera lieu à une réparation moindre qu'un vol clandestin ou une escroquerie d'une importance considérable.
Mais voici où le tribunal civil est lié par le jugement criminel: il ne pourrait rejeter la demande de réparation par le motif que le fait qui a donné lieu à la condamnation du défendeur "n'a pas eu lieu," ou "que celui-ci n'en est pas l'auteur" ou " qu'il n'en est pas responsable ce serait se mettre en opposition flagrante avec l'autorité de la chose jugée au criminel.
Ce n'est pas d'ailleurs qu'on puisse dire qu'ici se rencontrent les trois identités, d'objet, de cause et de partie; on l'a cependant quelquefois soutenu, mais à tort: il n'y a pas identité d'objet, car ici c'est une réparation pécuniaire et privée qui est demandée, tandis qu'au tribunal de répression c'était une sorte de réparation publique, par voie de châtiment; il y aurait, en apparence, identité de cause, mais la cause est, en réalité, différente: dans l'action publique la cause de la demande était un fait délictueux avec certains caractères de mal moral et de mal social qui constituent l'infraction; tandis que dans l'action civile, la cause est dans un autre caractère du même fait, celui d'être injustement dommageable à un particulier; enfin, il n'y a pas identité des parties, car dans l'action publique le demandeur est le ministère public, agissant au nom de la société, abstraction faite des individus, tandis que dans l'action civile, le demandeur est la partie lésée, agissant seule et dans son propre intérêt.
243. Si le jugement du tribunal de répression a autorité quant à l'instance civile, cela tient à un principe plus important et plus étendu qu'aucun de ceux qu'on a déjà rencontrés en cette matière, c'est que la chose jugée au criminel, qu'il y ait acquittement ou condamnation, est une vérité non plus relative mais absolue: l'inculpé, après le jugement, est innocent ou coupable, à l'égard de la société tout entière, et son innocence, comme sa culpabilité, ne peut plus être mise en question par personne, ni même nulle part; c'est au point que les jugements rendus en matière pénale dans un pays ont, en général, dans les autres pays, l'autorité de la chose jugée, en tant au moins qu'ils mettent obstacle à ce qu'il y soit procédé à un nouveau jugement (non bis in idem).
Par application du même principe, quand l'inculpé a été condamné à une peine entraînant des incapacités civiques et politiques, s'il prétend plus tard exercer l'un des droits qui lui sont enlevés et que l'affaire soit portée devant l'autorité compétente pour y être statué sur son exclusion, il ne pourra y avoir un nouveau débat sur le bien ou mal jugé quant à sa culpabilité: il ne pourra pas soutenir qu'il n'est pas l'auteur du fait incriminé, ou qu'il n'en est pas coupable, par exemple, soutenir qu'il a exercé un droit de légitime défense dans un cas de condamnation pour coups ou blessures, ou qu'il avait la propriété, dans le cas d'une condamnation pour vol ou soustraction de la chose d'autrui.
Réciproquement, si l'inculpé a été acquitté, la partie qui se prétend lésée par l'acte objet des poursuites pourra bien soutenir qu'il y a eu faute civile, mais elle ne pourra pas alléguer des circonstances qui seraient constitutives de la culpabilité pénale; si même l'acquittement motivé portait que le fait n'a pas eu rieu ou que l'inculpé n'en est pas l'auteur, il ne resterait aucune place à la poursuite civile.
Remarquons, en terminant, que dans ces divers exemples nous avons rencontré de nouvelles preuves que l'autorité de la chose jugée n'est guère moins attachée aux motifs des jugements qu'à leur dispositif.
243 bis. On ne trouve pas au texte, au sujet de l'autorité de la chose jugée, une disposition analogue à celle de l'article 1435 relative à la prescription; à savoir, jusqu'à quel moment de la procédure l'exception de la chose jugée peut être proposée et si elle peut l'être une première fois devant la Cour de cassation.
La solution sera tout à fait analogue.
Assurément, l'exception peut être proposée en première instance et en appel; mais si la partie intéressée avait négligé de l'y invoquer, elle ne pourrait le faire une première fois devant la Cour de cassation, parce qu'il y a là des éléments de fait qu'il n'appartient pas à la Cour de cassation de vérifier. Mais une fois que les juges de première instance ou d'appel auront reconnu et déclaré, en fait, ce qui avait déjà été jugé dans un premier procès et auront, par suite, admis ou rejeté l'exception de chose jugée, la partie de leur jugement (motifs ou dispositif) qui caractérisera ce qui a été l'objet ou la cause du droit prétendu, ou le rôle qu'a joué chaque partie dans le litige, et aussi la constatation de l'identité d'objet, de cause et de parties dans les deux instances, tomberont sous le contrôle de la Cour de cassation, parce qu'il y a là une suite de questions de droit qui sont du ressort de la Cour suprême.
De toutes les questions qui sont du domaine de la Cour de cassation en cette matière, ce sont, assurément, celles résolues par notre article 1422, relativement à l'influence au civil de la chose jugée au criminel, qui lui seront le plus souvent déférées.
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(f) En France, les décisions du jury donnent lieu à une difficulté particulière, en cas d'acquittement: comme elles ne sont pas motivées, il n'est pas toujours facile de savoir, lorsqu'un accusé est déclaré ” non coupable," si c'est parce que le fait à lui imputé n'a pas eu lieu, ou s'il n'en est pas l'auteur, ou s'il lui a manqué l'intention de nuire, ou la liberté; les deux premières hypothèses excluent évidemment une réparation civile, les trois autres peuvent lui laisser quelque application. Ceci est une nouvelle preuve de l'influence des motifs sur l'autorité de la chose jugée et de l'inconvénient de ne pas les exprimer.
(g) Nous supposons que l'assureur allègue un incendie " volontaire," car s'il n'y avait eu qu'imprudence, l'indemnité serait due, sauf au cas de certaines imprudences spécialement exceptées de l'assurance par le contrat (police d'assurance) ou par la loi (v. art. 848).
SOMMAIRE.
Art. 1423. — N° 244. Trois groupes de ces présomptions. -245. Cas spéciaux où la preuve contraire est admise.
246. Limite de l'aveu comme preuve contraire. -247.De certaines prohibitions fondées sur des présomptions.
COMMENTAIRE.
Art. 1423. — N° 244. Il n'est pas sans difficulté de grouper les présomptions de cette deuxième catégorie: le Code français et les autres qui l'ont imité sont tout-à fait insuffisants à cet égard; d'ailleurs, ils ne se sont pas attachés à séparer les présomptions d'intérêt public de celles d'intérêt privé. On indique ici trois groupes de ces dernières, ce qui n'exclut pas les présomptions détachées qui peuvent, avec le même caractère, se rencontrer dans des dispositions de lois spéciales.
Le premier groupe fait surtout allusion à la présomption de paternité ou de filiation, soit légitime, soit naturelle, qu'on rencontrera au Livre Ier. On pourra y rattacher une présomption inverse, exclusive de la paternité. Il pourra y avoir aussi des présomptions relatives à la qualité d'époux et à celles de sujet japonais ou à la nationalité étrangère, en un mot " à l'état civil des personnes."
Le second groupe comprend certaines présomptions de fraude, à raison desquelles la loi annule certains actes. Quoique, en général, la bonne foi soit présumée, il peut se rencontrer quelques circonstances dans lesquelles il paraît évident que des contractants ont voulu échapper, par collusion, à quelque disposition impérative ou prohibitive de la loi. On trouve dans le Code français quelques exemples de ces présomptions (v. art. 911 et 1100). Le Projet les adoptera probablement, quand il règlera la matière des Donations et Testaments.
Le troisième et dernier groupe paraîtra une innovation; mais déjà ces présomptions ont été établies dans le Projet (art. 367, 46 al. et 370): lorsque la loi requiert un mode déterminé de publicité pour certains actes, il est naturel qu'elle présume qu'à défaut de la publicité requise ces actes ont été ignorés de ceux qui avaient intérêt à les connaître.
La loi n'édicte pas la présomption inverse, à savoir que, lorsque la publicité requise a été donnée, l'acte est réputé connu, car ce serait présumer aussi que les intéressés ont toujours la prudence et la vigilance nécessaires pour s'enquérir de ce qui les concerne; or, l'expérience de chaque jour prouve le contraire; mais alors ils sont en faute et ils ne peuvent se prévaloir de leur ignorance.
245. Les présomptions de cette catégorie sont encore dites " absolues," parce qu'elles ne comportent pas toute preuve contraire pour que la preuve soit recevable contre elles, il faut que la loi l'ait réservée, en la limitant, soit à certaines situations ou circonstances, soit à certains moyens de preuve.
En France, la présomption de paternité légitime, quoique très forte, peut être combattue dans certains cas et par certains moyens (v. art. 312 et s.). Nous ne prévoyons pas qu'il en doive être autrement au Japon.
Les autres présomptions absolues ne sont pas l'objet de réserves spéciales de même nature, mais la loi a une réserve générale en faveur " du serment et de l'aveu judiciaires " (art. 1352); quoiqu'on ait élevé des doutes sur cette réserve nous n'avons pas hésité déjà (v. T. II, n° 211) à nous prononcer dans le sens qui permet de renverser par l'aveu de la partie intéressée la présomption établie en sa faveur, au moins quand il s'est agi du défaut de publicité d'un acte et de la présomption d'ignorance qui y est attachée (v. art. 367 et 370).
Nous donnerions, sans hésiter, la même solution, s'il s'agissait de combattre la présomption d'interposition des personnes ayant pour but d'éluder certaines incapacités de donner et de recevoir (c. civ. fr., art. 911 et 1100): si celui qui invoque la présomption, pour faire tomber une donation ou un legs (l'héritier, en général), avoue en même temps qu'il sait que le donataire apparent n'est pas interposé au profit de l'incapable, il reconnaît luimême que la présomption légale, quoiqu'ordinairement fondée, ne l'est pas dans le cas particulier où il se trouve, et il doit succomber dans sa prétention, parce qu'il en reconnaît lui-même le mal fondé.
Et quand nous admettons l'aveu comme preuve contraire de la présomption légale, ce n'est pas seulement l'aveu spontané, mais encore l'aveu provoqué par l'interrogatoire de la partie en justice: l'aveu judiciaire obtenu par les questions du juge n'est pas moins libre que l'aveu spontané: on ne doit pas craindre que le juge influence la partie, il l'aide seulement à dire la vérité.
Au Japon, c'est un excellent usage des tribunaux d'entendre les parties, et lors même que le ministère des avoués serait introduit dans ce pays, ce ne serait pas une raison pour que la justice se privât d'entendre les parties, chaque fois qu'elle croira pouvoir en obtenir des déclarations ou éclaircissements utiles à la cause (v. n° 25).
En France, nous assimilerions à l'aveu le refus ou la délation de serment judiciaire, lesquels ont le caractère d'un aveu tacite (v. art. 1361); mais puisque ce serment n'est pas admis dans le Projet, nous ne donnons cette solution que pour le serment extrajudiciaire déféré ou référé à titre de transaction, et pour le refus de le prêter après qu'il a été accepté (v. art. 1373 et s.).
246. On ne pourrait pas dire cependant que toutes les présomptions qui nous occupent sont susceptibles d'être renversées par l'aveu ou par le serment extrajudiciaire: quoiqu'elles soient qualifiées " d'intérêt privé: " il en est quelques unes où l'intérêt public se trouve connexe à l'intérêt privé, ainsi les présomptions relatives à l'état civil des personnes; dans ces cas, il ne serait pas possible d'admettre que la preuve de l'état civil acquise par la présomption légale, fût compromise par l'imprudence d'un aveu exprès ou tacite ou par la mauvaise foi d'un faux serment. C'est pour maintenir ces deux preuves dans leurs justes limites et pour conserver à la restriction un caractère qui ne soit pas trop spécial, que la loi limite la preuve contraire par aveu et serment au cas où le litige comporte ou " permet la transaction."
247. Terminons par une remarque qui nous paraît importante: il existe dans la loi diverses incapacités qui s'expliquent, au fond, par des présomptions et auxquelles pourtant il ne fraudrait pas songer à en appliquer la théorie, pour y opposer une preuve contraire. Ainsi, la vente est défendue entre époux (v. art. 672); quand nous avons expliqué et justifié cette prohibition, nous l'avons rapportée à la crainte, de la part de la loi, que les époux ne déguisassent des donations, à la faveur d'une vente dont le prix ne serait pas réellement payé, et cela, en violation des règles spéciales plus ou moins limitatives des donations entre époux, qui sont d'ailleurs toujours révocables (v. T. III, nos 17 L et s).
Est-ce à dire que si l'époux vendeur ou son héritier, demandeur en nullité, avouait que le prix a été réellement payé, il serait repoussé dans sa demande ? Nous ne saurions l'admettre. Sans doute, il est bien libre de renoncer à l'action en nullité, mais si, tout en faisant cet aveu, il persiste à demander la nullité, il devra l'obtenir, parce que la loi n'a pas procédé ici en énonçant une présomption, mais en édictant une prohibition; l'aveu ne sera pas d'ailleurs sans effet: il obligera le revendiquant à restituer le prix qu'il reconnaît avoir réellement reçu; sans cet aveu, nous sommes d'avis qu'il n'y aurait pas lieu à la restitution du prix qui serait porté dans l'acte comme reçu: la prohibition étant fondée sur la crainte d'une donation déguisée, c'est-à-dire d'une aliénation sans équivalent réel, cette partie de l'acte doit être présumée mensongère, tandis que l'aveu du vendeur, et surtout celui de son hériter, survenant plus tard, au moment même où il invoque la nullité, présente plus de garantie de sincérité.
Nous en dirons autant de l'action en nullité exercée du chef de l'incapacité d'un mineur ou d'un interdit: sans doute, ces incapacités sont fondées sur une présomption d'insuffisance de raison; mais la loi n'exprime pas cette présomption: elle prohibe certains actes des mineurs ou des interdits et sa prohibition est sanctionnée par une action en nullité qui ne serait pas écartée parce que l'incapable, devenu capable, ou son représentant, avouerait qu'il s'est parfaitement rendu compte de la portée de son acte et qu'il jouissait de la plénitude de sa raison. L'incapable aurait toujours la ressource de ne pas intenter l'action en nullité ou, l'ayant intentée, d'y renoncer; mais son aveu seul ne l'en ferait pas déchoir; il pourrait d'ailleurs ratifier ou confirmer l'acte annulable et cette confirmation se trouverait présumée dans certains cas (v. art. 577 et s.).
SOMMAIRE.
Art. 1424. —N° 248. Moyen de reconnaître si une présomption légale est simple ou absolue. -249. Production de la preuve contraire.
COMMENTAIRE.
Art. 1424. — N° 248. Les dernières présomptions légales sont dites " simples," ce qui exprime suffisamment qu'elles n'ont pas la force des présomptions absolue.", et cette différence tient justement à ce qu'elles admettent " toutes preuves contraires " et cela, comme le dit le texte de notre article, " lors même que la loi ne les aurait pas expressément réservées."
On a rencontré dans les Livres précédents un si grand nombre de ces présomptions qu'il ne faut pas songer à les rappeler (a).
Un point important pourrait faire difficulté. C'est la question de savoir à quel signe on reconnaîtra si une présomption légale est absolue ou simple.
Il est certain que la loi n'ajoute pas à chaque présomption qu'elle établit la qualification qui permettra de la distinguer des autres et qui indiquera son degré de force. Souvent, pourtant, le texte réserve " la preuve contraire," ce qui doit s'entendre naturellement de " toute preuve contraire:" la présomption est alors simple, et on n'a pas manqué de s'y arrêter, au Commentaire. Mais comme il faut un principe dirigeant, dans la loi elle-même et pour tous les cas, nous l'indiquons ici: quand la loi n'a pas exprimé que " toute preuve contraire est admise " contre une présomption qu'elle a édictée, il faudra recourir à la double énumération des présomptions légales absolues; l'article 1413 n'en présente que deux très déterminées et, si l'article 1423 en contient davantage, elles sont réunies en trois groupes dont chacun est également assez déterminé; or, il sera toujours facile de voir si une présomption légale, non qualifiée simple ni absolue, rentre dans l'un de ces groupes: au cas de la négative, la présomption n'est plus que simple.
249. Naturellement, chaque preuve contraire qui sera produite contre une présomption légale se fera u dans les limites, sous les conditions et dans la forme qui lui sont propres." Les limites et conditions de fond ont été exposées aux deux Chapitres précédents; celles de forme ont été réservées au Code de Procédure civile.
Ainsi, s'il s'agit de prouver par témoins contre une présomption légale, on ne pourra le faire que si l'intérêt du litige n'excède pas 50 yens, à moins qu'on ne se trouve dans l'une des trois exceptions déterminées à l'article 1405.
Le dernier alinéa de notre article lève un doute qui aurait pu se produire: les présomptions de fait les plus faibles, celles qui forment l'objet de la Section suivante, peuvent même être invoquées contre les présomptions légales simples; mais il n'y a rien là que de naturel, puisqu'elles ont la même force que la preuve testimoniale et qu'elles peuvent la remplacer quand elle manque.
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(a) Pour les retrouver, on peut se reporter à la Table alphabétique de chaque volume, aux mots Preuve, Présomption.
SOMMAIRE.
Art. 1425. — N° 250. Application limitée de cette preuve.
-250 bis. Obligation d'énoncer ces présomptions dans les motifs du jugement.
COMMENTAIRE.
Art. 1425. -N0 250. Chemin faisant, on a rencontré beaucoup de cas où la loi laisse aux tribunaux le pouvoir de décider, d'après les circonstances, certains points du litige qui leur est soumis; c'étaient, le plus souvent, des questions secondaires ou incidentes (a). Ici, la loi va plus loin, c'est le litige tout entier qui peut être décidé par des présomptions de fait que la loi ne détermine plus et dont elle laisse l'appréciation aux juges.
Mais il est clair que si des limites n'étaient pas posées à ce pouvoir, il serait tout à fait inutile que la loi eût organisé avec tant de soins tout un système dç preuves dont chacune a son degré de force et ses conditions: il arriverait alors que le juge, lorsque la preuve écrite ou testimoniale manquerait, pourrait former sa conviction, sans contrôle, d'après des circonstances ou présomptions de fait; or, la loi ne le permet pas: de là, la règle importante que la preuve par présomptions de fait n'est admissible que lorsque la preuve testimoniale l'est elle-même; il y a ainsi parité entre les deux preuves, l'une peut remplacer l'autre; si elles se trouvent réunies, c'est un supplément de preuve; mais les présomptions de fait peuvent suffire, comme pourrait suffire aussi la preuve testimoniale. Ce point a déjà été établi par anticipation (v. n08 182 et 183).
II reste d'ailleurs encore une assez large application des présomptions de fait, car, indépendamment du cas où le litige n'est pas d'une valeur excédant 50 yens, il y a encore les trois cas exceptionnels où la preuve testimoniale est recevable au-delà de cette valeur: le cas d'un commencement de preuve par écrit, celui où le titre a été perdu et celui où il n'a pas été possible de dresser un écrit (v. art. 1405). Dans ces cas, le tribunal pourrait décider le litige sans témoignages, par simples présomptions de fait.
250 bis. Le Projet, du reste, introduit en cette matière une disposition complémentaire qu'il est difficile de considérer comme exigée par le Code français: l'article 1353 de ce Code dit que " les juges ne devront admettre que des présomptions graves, précises et COllcordantes; " mais il n'oblige pas les juges à les énoncer dans le jugement, de sorte que cette triple condition n'a pas de sanction effective: les juges semblent seuls appréciateurs de la gravité, de la précision et de la concordance des présomptions qu'ils admettront; la loi n'exige même pas qu'ils déclarent leur avoir trouvé ces caractères.
Le Projet est moins exigeant d'un côté et plus d'un autre: il n'exige, ni explicitemen(ni implicitement, la pluralité de présomptions, mais il veut que les juges " énoncent dans le jugement les circonstances qui ont déterminé leur conviction." Il ne leur impose pas d'ailleurs l'obligation d'attribuer à ces présomptions des qualités particulières, comme la gravité ou la précision, ni la concordance quand il y en a plusieurs; il n'y aurait donc guère lieu à un pourvoi utile en cassation contre cette partie du jugement.
Cependant, si un tribunal avait admis,comme présomption de fait, la seule affirmation du demandeur ou du défendeur, dont il proclamerait la bonne réputation ou l'honnêteté éprouvée, nous croyons qu'il aurait violé la loi, sinon dans ses termes, au moins dans son esprit; car, un tribunal peut bien accorder une grande confiance à la parole d'un des plaideurs, au point de vue de l'honnêteté, mais en faire un motif de décision serait, en même temps, témoigner publiquement qu'il lui paraît plus digne de foi que l'autre partie; or, le tribunal n'a pas qualité pour établir ainsi des différences de probité ou de sincérité entre les plaideurs.
En outre, et cette raison seule suffirait, l'affirmation d'une partie ne donne aucune garantie contre les erreurs de mémoire et les confusions possibles dans les faits.
Enfin, si les circonstances mentionnées dans le jugement comme décisives étaient de nature à fournir des présomptions contraires les unes aux autres, le contrôle de la Cour de cassation pourrait s'exercer utilement.
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(a) On trouvera la plupart de ces cas aux Tables alphabétiques des Tomes précédents, au mot Pouvoir des Tribunaux.
FIN DE LA Ire PARTIE DU LIVRE V.
SOMMAIRE.
Art. 1426. — N° 251. Le Projet reconnaît définitivement à la prescription le caractère de présomption légale. - 252. Sa justification en équité et en raison. -253. Intérêt pratique de la controverse. —254. Suite: argument tiré des courtes prescriptions. -255. L'acquisition et la libération sont présumées avoir eu lieu à titre onéreux. -256. Objection grave tirée de la possession à juste titre avec bonne foi. —257. Réponse. -258. Origine singulière du mot " prescription." -259. Ketour à la définition du Projet: le laps de temps y figure, ce qui motive une exception au sujet des meubles.
1427. -260. Renvoi pour la preuve contraire de la présomption légale.
1428. —261. Effet rétroactif de la prescription.
1429. -262. Faut-il distinguer des délais préfixes qui ne soient pas des prescriptions ?-263. Suite.
1430. —264. La prescription peut être invoquée par et contre toutes personnes, sauf exceptions.
1431. —265. 'l' outes les choses sont susceptibles de prescription, sauf exceptions.
1432. -266. Imprescriptibilité des facultés légales. -267 Suite.
1433. —268. Pourquoi les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen tiré de la prescription. -269. Cas où celui qui invoque la prescription en perd le bénéfice par un aveu contraire spontané. -269 lis. La prescription, soit acquisitive, soit libératoire, peut être invoquée par le demandeur aussi bien que par le défendeur.
1134. —270. La prescription peut être invoquée par les ayant-cause de la partie intéressée. -271. Observation sur l'article 2225 du Code français.
1435. -272. Rôles respectifs des cours d'appel et de la Cour de cassation en matière de prescription.
1436. —273. Calcul du délai par années, par mois ou par jour.
COMMENTAIRE.
Art. 1426. — N° 251. Nous arrivons enfin à cette importante théorie, si souvent rencontrée dans le long chemin parcouru, dont nous avons cru devoir, plus d'une fois, parce qu'il y avait utilité, signaler le caractère que nous comptions bien lui reconnaître dans le Projet, celui d'une présomption, caractère qui l'a fait placer, comme la chose jugée, dans la classe des " Présomptions absolues d'intérêt public" (v. art. 1413).
Quoique notre conviction personnelle, à cet égard, fût bien ancienne et bien ferme, nous avions cependant eu des hésitations à proposer de la consacrer dans la loi japonaise, parce que nous savions que d'imposantes autorités, en France et ailleurs, n'ont jamais voulu admettre que la prescription ne fût qu'une présomption: elles prétendent y voir un moyen direct d'acquisition de la propriété et de libération des obligations, et elles peuvent invoquer en leur faveur trois articles du Code civil français (art. 712, 1234 et 2219). Mais nous n'avons pas tardé à trouver que notre conviction était entièrement partagée par les Membres de la Commission, et alors toute hésitation devait disparaître.
En même temps, la méthode y gagnait en simplicité: si la prescription eût été considérée comme un moyen direct tantôt d'acquisition, tantôt de libération, il eût fallu traiter de chacune de ses applications dans deux Livres différents, dans le Livre IIe, ne Partie, comme dernier mode d'extinction des obligations, et dans le Livre IIIe, Ire Partie, comme moyen d'acquérir à titre singulier; il eût même été rigoureusement logique de lui faire aussi une place à la ne Partie du Livre IIIe, parmi les modes d'acquérir à titre universel, car on peut invo- quer la prescription pour conserver une hérédité possédée indûment pendant trente ans (v. art. 1492); enfin, comme ces deux ou trois applications de la prescription suivent plusieurs règles communes, un grand nombre même, il aurait fallu trouver encore une place, nous ne savons laquelle, pour ces Règles communes.
Heureusement, la vérité est toujours simple, et quand on est assez heureux, sinon pour la découvrir, au moins pour la reconnaître, on la suit sans effort et l'on n'a pas à craindre de rencontrer des contradictions tirées d'autres applications de la vérité, car tous les principes vrais sont harmoniques, tandis que les erreurs sont antagoniques, non seulement avec la vérité, mais encore entre elles.
Comme la prescription est pour nous une présomption, elle appartient au Livre Va consacré aux Preuves; mais cette présomption est d'une application si variée, elle a des règles si nombreuses et elle comporte tant de distinctions que ce n'était pas trop que de créer pour elle et de lui consacrer, tout entière, une 11e Partie de ce Livre, avec ses Chapitres et ses Sections, ce qu'aucune autre présomption n'avait réclamé (a).
C'est donc avec une véritable résolution que le Projet, par ce premier article, définit la prescription " une présomption légale d'acquisition... ou de libération " Déjà l'article 1413-2° l'a annoncée comme telle (aa).
252. D'abord, pour l'équité et la raison, que nous ne prétendons pas séparer, qu'y aurait-il de plus inique et de plus déraisonnable que d'attribuer au laps de temps, c'est-à-dire à la durée de la possession ou de l'inaction d'un créancier, l'acquisition de la propriété dans le premier cas et la libération du débiteur dans le second ?
Que servirait d'organiser si laborieusement dans la loi des moyens d'acquérir ou de se libérer, si le temps pouvait les suppléer l'un et Vautre ?
Quel est d'ailleurs l'honnête homme qui oserait invoquer la prescription pour conserver un bien qu'il possède, n'ayant pas la preuve de son droit de propriété, si la prescription n'était proclamée par la loi une preuve secourable pour ceux qui n'en ont pas d'autre ?
Quel débiteur honnête et ayant le respect de lui-même invoquerait la prescription libératoire, si, au lieu de suppléer à un titre régulier de libération, elle n'était qu'une brutale déchéance du créancier négligent ?
Quand les anciens jurisconsultes ont créé pour la prescription la qualification, plus ou moins romaine, de patrona generis humnni, li patronne du genre humain," ils n'ont pas entendu en faire un manteau complaisant pour les usurpations déjà lointaines et pour les infidélités des débiteurs à leur parole et à leur signature; et lorsque les lois positives ont consacré les droits des possesseurs et des débiteurs restés longtemps en repos, sans être troublés par d'anciens propriétaires ou d'anciens créanciers, elles n'ont songé à venir au secours que de ceux qui avaient perdu leur titre, soit d'acquisition, soit de libération, ou qui avaient négligé de s'en faire délivrer un à l'origine.
Si, à la faveur des dispositions de la loi, édictées pour les hommes honnêtes seuls, quelques-uns qui ne le sont pas en bénéficient, c'est un des dangers auxquels prêtent les meilleures lois, en toutes autres matières.
Les bienfaits de la Société humaine sont comme ceux de la Providence: ils sont institués pour les bons, mais ils profitent aussi aux méchants: ce serait calomnier la Société que de dire, par exemple qu'elle assure et garantit la liberté individuelle pour les méchants, parce qu'ils en abusent souvent contre les bons, et ce serait outrager la Providence que de dire que le soleil qui éclaire et échauffe le monde a été créé pour les méchants, parce qu'ils en profitent comme les bons.
La prescription reste donc un grand bienfait du droit et de la loi, parce qu'elle assure la tranquillité des propriétaires vraiment légitimes et des débiteurs vraiment libérés: sans elle, ils pourraient être indéfiniment troublés par les procès de ceux qui auraient conservé d'anciens titres de propriétés transférées, ou de créances éteintes, alors qu'ils ne pourraient plus eux-mêmes, produire leurs titres, quoique plus nouveaux.
253. Voyons maintenant si à la recherche de la nature de la prescription se rattache un autre intérêt que celui, déjà bien suffisant d'ailleurs, de la moralité de la loi et de l'honneur de ceux qui l'invoquent.
Si les adversaires de l'idée de présomption en cette matière avaient été logiques, s'ils avaient eu la hardiesse d'admettre les conséquences naturelles de leur système, l'intérêt pratique ne manquerait pas, et leurs solutions seraient en même temps si choquantes qu'elles nous donneraient de nouveaux avantages contre eux.
Ainsi, ils devraient dire que celui qui " acquiert " un immeuble par prescription, n'en devenant propriétaire que par l'accomplissement du temps de possession requis, serait, jusqu'à ce moment, s'il n'avait pas juste titre et bonne foi, comptable des fruits, au moins pour les cinq dernières années; de même, que le débiteur qui invoque la prescription libératoire devrait les intérêts des cinq dernières années, quand la dette portait intérêts. Aucun auteur, que nous sachions, n'a eu la hardiesse de soutenir aucune de ces conséquences: on a imaginé, pour s'y soustraire, une acquisition ou une libération rétroactive, remontant au jour où la prescription a commencé à courir; c'est là une différence arbitraire, créée pour le besoin de la cause, entre la prescription et les autres moyens d'acquérir ou de se libérer.
Tandis que, si la prescription est une présomption, c'est-à-dire une preuve d'acquisition ou de libération, il est clair qu'elle établit un fait antérieur, dont la date est précisément le moment où la prescription a commencé: la présomption, naturellement rétroagit (v. art. 1428).
Mais voici deux points capitaux sur lesquels les deux systèmes sont loin de se rencontrer, et ce sont eux qui donnent un grand intérêt pratique à cette controverse.
Nous ne croyons pas qu'ils aient été suffisamment examinés par ceux qui admettent comme nous que la prescription est une présomption. 1
254. I. Supposons qu'un possesseur invoque la prescription dite " acquisitive," ou un débiteur la prescription dite " libératoire," et qu'il déclare, en même temps, qu'il n'a aucune cause légitime de propriété ou de libération autre que le bénéfice du temps. Dans le système des adversaires de l'idée de présomption, le possesseur ou le débiteur n'en triomphera pas moins, parce que le moyen d'acquérir ou de se libérer se rencontre et est invoqué comme tel; dans notre système, il succombera dans sa demande ou dans son exception, parce qu'il dément lui-même la présomption qu'il invoque: nous disons, avec le texte de l'article 1433, 2e al., qu'il est privé du bénéfice de la prescription."
Nous avons proposé, au texte de l'article 1416, 3° alinéa, la même solution pour le cas où la même question serait soulevée au sujet de l'autorité de la chose jugée (voy. n° 223 bis): celui qui, tout en invoquant la présomption, la démentirait en même temps, en reconnaissant que le jugement est erroné, en perdrait, par cela même, le bénéfice; et là, on devait avoir d'autant moins de doute que le caractère de présomption contesté à la prescription n'est pas discuté quand il s'agit de la chose jugée.
Il y a d'ailleurs certaines applications de la prescription libératoire dans lesquelles il est impossible, même à l'opinion adverse, de dénier à celle-ci le caractère de présomption, ce sont les cas dits des " courtes prescriptions," des prescriptions inférieures à cinq ans (comp. c. civ. fr., art., 2275: c. com. fr., art. 189; Projet jap., art. 1498): les deux Codes français disent formellement que " le serment judiciaire pourra être déféré à ceux qui les "opposent sur la question de savoir si la dette a été ré" elle ment payée, -s'ils ne sont plus redevables:" ce qui prouve bien qu'aux yeux de la loi, la double condition que le temps soit écoulé et que la prescription soit invoquée, n'opère pas libération et la fait seulemeut présumer et d'une façon qui n'est pas invincible. Or, les longues prescriptions diffèrent des courtes par leur durée, mais non par leur nature: c'est seulement parce que le temps de ces dernières est moins long que la 'probabilité de payement est moins forte.
Quoique le Code français ne mentionne comme preuve contraire que le serment judiciaire, nous ne doutons pas qu'il faille y ajouter l'aveu, au moins spontané, qui est encore plus probant que le refus de prêter le serment judiciaire.
Dans le Projet japonais, il n'y a pas lieu à la délation du serment judiciaire contre la présomption résultant des courtes prescriptions, puisque ce serment n'est pas admis (v. art. 1372), mais il pourra y avoir lieu au serment extrajudiciaire, à titre de transaction, et à l'interrogatoire sur faits et articles, pour obtenir l'aveu qu'il n'y a pas eu payement.
C'en est assez pour que ces prescriptions restent profondément différentes des longues prescriptions qui ne seraient démenties que par un aveu spontané et fait incontinent (in continenti), comme nous l'avons déjà annoncé et comme nous le reverrons sur l'article 1433.
255. II. Le second point qui donne un grand intérêt pratique à notre question est de savoir quel sera le caractère, onéreux ou gratuit, de cette acquisition ou libération, directe pour l'opinion opposée et seulement présumée pour nous.
On sait qu'il est très important, pour l'application de plusieurs théories juridiques, de distinguer les actes à titre onéreux des actes à titre gratuit.
Ainsi, les premiers ne demandent, en général, chez le disposant, qu'une capacité ordinaire ou de droit commun, les seconds veulent une capacité plus étendue et plus rare, soit absolue, c'est-à-dire, vis-à-vis de tout bénéficiaire, soit relative ou vis-à-vis de certaines personnes qui, sans cette capacité du disposant, ne pourraient pas bénéficier de la libéralité. Ainsi encore, les actes onéreux réguliers ne donnent pas lieu à des redressements qui en restreignent les effets, sauf la résolution pour inexécution, par une partie, de ses obligations; tandis que les actes gratuits, même réguliers à l'origine, peuvent donner lieu, éventuellement, au rapport à succession, à la réduction aux limites de la quotité disponible, à la révocation pour ingratitude.
Ces différences principales entre les effets des deux sortes d'actes suffisent à faire comprendre immédiatement le grand intérêt qui s'attache à savoir quelle est la nature, onéreuse ou gratuite, de la prescription. Or, si la prescription est un moyen direct d'acquérir ou de se libérer, comme il est évident que celui qui l'invoque et qui y est admis ne fournit à ce moment aucune contre-valeur, il est évident aussi qu'il acquiert ou se trouve libéré gratuitement; sans doute, il sera affranchi des solennités de la donation entre-vifs, même pour l'acquisition d'un immeuble, parce que la nature de ce moyen d'acquérir est nécessairement incompatible avec la forme notariée; mais il sera soumis au rapport, à la réduction et à la révocation. Si, au contraire, la prescription n'est qu'une présomption d'acquisition ou de libération, c'est nécessairement une acquisition ou une libération onéreuse qu'on devra présumer; car, outre que ce sont les actes les plus fréquents, par conséquent les plus vraisemblables, quand on ne connaît pas les faits originaires, ce sont aussi ceux qui ne donnent pas lieu à des obligations éventuelles nées de faits ultérieurs.
Les actes onéreux pourtant donnent lieu à la garantie éventuelle d'éviction, mais cette obligation a son principe initial dans une faute du contractant et non dans un fait postérieur comme ceux qui réagissent sur les donations (v. art. 415 et 416, 1er al.).
Nous ne pensons pas qu'aucun de nos adversaires consente à soumettre au rapport, à la réduction et à la révocation pour ingratitude les acquisitions ou libérations qu'ils rattachent à la prescription; nous pouvons dire qu'en cela ils sont illogiques, mais qu'ils subissent virtuellement l'influence de la vérité par eux méconnue.
256. Malgré les raisons données plus haut à l'appui de notre système, il y a pourtant une objection très sérieuse que la sincérité nous défend de passer sous silence et que, loyalement, nous mettrons même plus en relief que ne le font nos adversaires.
La prescription dite acquisitive appliquée aux immeubles est elle-même de deux sortes, suivant que la possession sur laquelle elle s'appuie est Il sans titre ou à juste titre," et cette dernière peut à son tour se distinguer en possession Il de mauvaise foi ou de bonne foi ces diverses sortes de possessions ont été définies aux articles 194 et 195 et leurs effets différents, quant à la prescription, ont été renvoyés, par l'article 211, à notre Livre Ve: nous les retrouverons aux articles 1476 à 1479.
Pour notre discussion, il suffit de noter que le délai de la prescription acquisitive est réduit de moitié dans le Projet (il est réduit de deux tiers dans le Code français), lorsque la possession réunit les deux meilleures qualités, lorsqu'elle est fondée sur un juste titre, c'est-àdire " sur un acte juridique destiné par sa nature à transférer la propriété, mais qui n'a pu produire cet effet, faute de la qualité de propriétaire chez le cédant " (v. art. 194), et lorsqu'elle est, en même temps, de bonne foi, c'est-à-dire " lorsque le possesseur a cru que le cédant était propriétaire, lorsqu'il a ignoré le vice de son titre, au moment où il a été créé" (v. art. 195). Dans ce cas, où le possesseur est doublement favorable, le temps requis pour prescrire un immeuble n'est que de quinze ans, tandis qu'il est de trente ans dans le cas où manque, soit le juste titre, soit la bonne foi (b).
Or, voici où cette solution paraît gêner notre système: on pourra dire que si le possesseur a prouvé qu'il a acquis la possession d'une personne déterminée qui n'était pas le propriétaire, bien qu'il la crût telle, il ne peut pas être présumé l'avoir acquise d'une autre per sonne qui serait le vrai propriétaire: c'est alors qu'on semble pouvoir dire, avec plus de raison, que la prescription attribue la propriété au possesseur, comme récompense de sa possession plausiblement fondée et de sa bonne foi. En effet, peut-on dire encore, quand il s'agit d'une possession sans titre ou au moins sans titre connu, par cela même qu'on ne connaît pas la source de la possession, on peut raisonnablement supposer que cette source est légitime et régulière, c'est-à-dire qu'elle émane du vrai propriétaire, mais que la preuve en est perdue; tandis qu'ici la source est connue et il est certain qu'elle n'est pas régulière: le possesseur après avoir prouvé qu'il tient la possession a non domino, peut-il être présumé la tenir a domino ?
Voilà bien l'objection dans toute sa force et nous ne serons pas étonné qu'on la reproduise contre notre système, en rendant au moins hommage à notre sincérité.
257. Nous ne la croyons cependant pas sans réplique.
Rappelons d'abord que dans le cas où la prescription suppose un titre, le temps de la possession n'est compté comme utile qu'à partir de la transcription de ce titre. Le Code français n'exige formellement cette condition que pour la prescription contre l'hypothèque (art. 2180, 6e al.), mais il -paraît dans l'esprit de la loi d'étendre cette condition à la prescription contre la propriété: autrement, le juste titre non transcrit ne serait pas, suivant la vraie définition, " de nature à transférer la propriété à l'égard des tiers." Quoi qu'il en soit de ce qu'il faut décider en droit français, le Projet japonais est formel en ce sens, (v. art. 1477). Et c'est là ce qui nous fournit la réponse à l'objection.
Le possesseur actionné en revendication a invoqué la prescription de 15 ans, en prouvant qu'il tenait la chose d'un tiers, à un titre de nature à transférer propriété et qu'il avait transcrit ce titre depuis plus de 15 ans; il n'a pas eu à prouver sa bonne'foi, c'est-à-dire sa croyance, au moment de la cession, à la qualité de propriétaire chez son cédant, parce que la bonne foi se présume jusqu'à preuve contraire (art. 199) et la mauvaise foi n'a pas été prouvée contre lui. Il est possible qu'il ait découvert plus tard que son cédant n'était pas propriétaire; en tout cas, le procès, au moins, le lui aura appris; mais comme il a donné à son acquisition une publicité complète et que 15 ans se sont écoulés depuis, sans réclamation du propriétaire, il est naturel qu'il soit, outre l'abréviation du délai, dans une situation aussi favorable que le possesseur sans titre dont la possession n'a été publique qu'en fait (v. art. 1474) et non légalement. Dès lors, on peut présumer en sa faveur, non qu'il a traité avec le vrai propriétaire (le contraire est prouvé), mais que plus tard, il est intervenu entre celui-ci et le cédant un contrat qui consolidait la cession pour préserver le cessionnaire de la revendication et le cédant de l'action en garantie. Cette nouvelle présomption n'a rien de complaisant ni d'arbitaire, elle n'est pas imaginée pour le besoin de la cause: il est clair que le vrai propriétaire n'aurait pas laissé s'écouler 15 ans depuis la transcription qui menaçait publiquement son droit sans revendiquer, et, s'il ne l'a pas fait c'est qu'il a traité avec le possesseur d'une façon qui lui * donnât satisfaction.
258. Pour terminer ces généralités sur le caractère de la prescription, il nous reste à dire, pour aider la traduction japonaise, quelque chose de son nom français, un peu singulier assurément et que son origine latine ne fait pas du tout comprendre au premier aspect.
Disons d'abord que, chez les Romains, il y avait deux noms différents pour les deux applications de la prescription: celle que l'on appelle aujourd'hui " acquisitive" se nommait usacapio, " acquisition par l'usage" ou par la possession (c), et le nom de prœscriptio longi temporis ou " prescription de long temps" était réservé à celle que l'on nomme " libératoire." Ce nom de prœscriptio, devenu incompréhensible, en passant dans la langue moderne du droit (d), était très clair dans le langage de la procédure romaine où il avait pris naissance.
On sait, en effet, qu'à Rome la procédure avait deux phases: l'une se passant devant le magistrat, devant le préteur, l'autre devant le juge, véritable juré, seul chargé d'examiner les faits du litige et de leur appliquer l'une des deux sentences alternatives que le préteur lui imposait, suivant que les faits seraient reconnus conformes ou non à la prétention du demandeur.
A cet effet, après avoir entendu les dires respectifs des parties et si le cas lui paraissait comporter une suite, le préteur délivrait au demandeur une " formule d'action" qui n'était autre qu'un mandat constituant un juge-juré pour l'affaire et lui ordonnant de condamner le défendeur Il s'il apparaissait qu'il dût au demandeur, et de l'absoudre au cas contraire" (e). Si le défendeur, tout en reconnaissant qu'il avait promis, avait allégué avoir été victime d'une violence ou d'un dol, le préteur introduisait dans la forme une restriction à la condamnation, une nouvelle condition à vérifier: " à moins qu'il n'y ait eu violence, ou dol du demandeur;" c'était dire: "excepté s'il y a eu violence ou dol (f); " cette restriction conditionnelle portait le nom tout naturel d'exceptio qui lui est resté dans la procédure moderne, avec le sens plus général de " moyen de défense."
Quand le moyen de défense à une action personnelle était la grande ancienneté de la dette, le préteur laissait encore au juge la vérification de ce point de fait, mais au lieu d'insérer ce cas d'absolution à la fin de la formule, comme moyen subsidiaire et extrême d'absolution, il le plaçait en tête de la formule (prœ-scriptio, præ-scriptura), comme moyen de défense préalable, comme une sorte d'exception préjudicielle: " Occupez-vous de l'affaire, à moins qu'il n'y ait eu inaction du demandeur depuis trente années (g)." Ainsi s'explique, d'une façon purement historique et trop oubliée, l'expression aujourd'hui singulière de " prescription."
Quant à la question de savoir si les Romains avaient pu voir dans l'usucapion ou dans la prescription une sorte de présomption d'acquisition ou de libération légitime, comme nous prétendons l'y trouver aujourd'hui, nous ne nous y arrêterons pas; nous admettons d'ailleurs volontiers qu'ils ne ses ont occupés que du but utile et juste à atteindre et nullement du moyen doctrinal de l'expliquer: cet ordre de difficultés théoriques était peu dans le goût des jurisconsultes romains et il n'était pas dans leurs habitudes de les soulever.
259. Notre premier article se trouve donc justifié quant à sa définition dogmatique de la prescription.
L'utilité pratique que nous y avons rattachée se retrouvera avec l'article 1433.
Il ne nous reste plus qu'à faire remarquer qu'on a tenu à faire figurer explicitement dans les conditions de la prescription celle du laps de temps, bien qu'à la rigueur, il eût pu suffire de dire que la présomption était attachée " à certaines conditions déterminées par la loi: " mais l'idée de laps de temps se présente si naturellement à l'esprit, au sujet de la prescription, que les Romains lui donnaient quelquefois la singulière qualification de suffragium temporis, " le suffrage, le secours du temps."
Cette énonciation du temps, comme élément de la prescription, présentait cependant aujourd'hui un inconvénient: il y a dans les lois modernes, en France, peut ^ être partout en Europe, et déjà au Japon, une application considérable de la prescription au profit de ceux qui possèdent de bonne foi des meubles corporels; or, pour cette prescription, aucun laps de temps n'est requis: elle est " instantanée; " il a donc fallu l'excepter nominativement de cette condition de temps, et c'est ce que fait notre premier article, en renvoyant aux articles 1481 et suivants qui règlent cette prescription.
Cette qualification de " prescription instantanée " qui rencontre des contradicteurs en droit français, passera désormais sans contestation en droit japonais; le Projet ne fait d'ailleurs que la consacrer dans la loi, après qu'elle l'est déjà dans l'usage. On la justifiera sous l'article 1481.
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(a) Quelle que soit, au fond, la théorie du Code français sur la nature de la Prescription (et nous croyons fermement, malgré les mots, qu'elle y est aussi, en réalité, une présomption légale, ce dont nous donnerons, incidemment, plus d'une démonstration), ce Code n'a pas non plus dispersé cette matière: elle y forme un Titre spécial et dernier qui couronne l'édifice, comme elle couronne notre Projet. Si nous lui consacrons 76 articles, il ne lui en accorde pas moins de 62.
(aa) Un grand nombre d'articles, réservant l'application ultérieure de la prescription ou en faisant une application anticipée, ont soin de la qualifier déjà de "présomption légale" ou, au moins, évitent de la qualifier autrement (v. art. 29, 45, 47, 99, lOf), 211, 237, 296, 259, 299, 308, 312, 313, 399,471, 567, 582, 585, 596, 607, 609, 631, 826, 876, 1027, 1042, 1067, 1082, 1091, 1119, 1120, 1234, 1308, 1312).
Le Commentaire de ces articles s'appuie souvent sur son caractère de présomption légale (v. T. Ier, nos 42, 75, 75 bis, 365; T. II, nos 448,734, 769).
(b) Le Projet n'a pas admis la prescription de 10 à 20 ans, pour le cas de juste titre et bonne foi, telle qu'on la trouve au Code français (art. 2265 et 2266): le système français donne lieu à un calcul compliqué et dont le fondement repose sur de prétendues distances que les nouveaux moyens de communication ont supprimées. Dans le Projet, le délai est uniformément de 15 ans, lorsqu'il y a juste titre et bonne foi (art. 1476).
(c) Nous avions proposé d'abord d'introduire dans la loi japonaise l'expression "usucapion" parce qu'elle est très claire par elle-même; mais elle n'a pas été adoptée et nous ne le regrettons pas, parce qu'elle est moins conforme à l'idée de présomption qu'à celle d'acquisition directe.
(d) Il ne s'agit pas ici du mot "prescription" signifiant ordre, dans le sens où l'on dit: " les prescriptions de la loi, la loi prescrit."
(e) Si paret N. N. A. A. centum aureos dare opportere condemna; sinon paret, absolvito.
(f) Nisi in ea re aliquid metus causa aut dolo malo A. A. factum sit aut fiat.
(g) Ea res agatur nisi trifjinta anni elapsi fuerint.
Art. 1427. — 260. La prescription a dû figurer dans l'énumération des présomptions légales absolues d'ordre public donnée par l'article 1413, où elle occupe le second rang. Ce n'était pas une raison de ne pas rappeler ses trois caractères au siège même de la matière, surtout parce que c'était l'occasion d'annoncer d'avance deux preuves contraires qu'elle reçoit exceptionnellement.
Tout l'intérêt de cet article étant dans ces deux preuves contraires, déjà invoquées dans la discussion qui précède, nous renvoyons, comme le texte, aux articles 1433 et 1498 pour nous en expliquer davantage.
Art. 1428. — 261. L'effet rétroactif de la prescription que nous avons trouvé arbitraire dans le système que nous avons combattu est, au contraire, tout naturel lorsque la prescription est reconnue être une présomption: les présomptions, étant des preuves, ne font pas naître des droits nouveaux, mais elles constatent des droits antérieurs et ces droits sont évidemment considérés comme datant du moment où le temps de la prescription a commencé à courir; on peut dire que la présomption germe, naît, à ce moment, et le temps ne fait que lui donner le développement nécessaire pour qu'elle devienne en justice une preuve complète et absolue (sauf toujours les deux exceptions réservées).
Le texte nous dit que, pour la prescription acquisitive, le moment de l'acquisition présumée est celui où la possession utile a commencé et pour la prescription libératoire (h) qui ne demande pas la possession (quelle pourrait être cette possession, à moins que ce ne soit celle de la tranquillité ?), c'est le moment où le créancier pouvant agir ne l'a pas fait et a ainsi donné lieu de présumer qu'il avait reçu satisfaction.
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(h) Nous emploierons sans scrupules les expressions de prescription acquisitive ou libératoire, quoique moins correctes dans notre système que dans le système opposé; mais elles ont l'avantage de la brièveté et la consécration de Y usage.
Art. 1429. — 262. On discute souvent en France si les délais assignés par la loi à l'exercice de certaines actions sont des prescriptions proprement dites, ou de simples délais préfixes, des délais de déchéance. La question a un grand intérêt, car si ces délais sont de déchéance, ils ne comportent pas les interruptions ou suspensions qui, au contraire, peuvent retarder la prescription.
Nous avons toujours éprouvé une sérieuse difficulté à trouver dans la loi française les éléments d'une pareille distinction: notamment, nous ne pouvons voir un simple délai préfixe dans le délai de dix ans assigné aux actions en nullité de conventions pour incapacité des personnes ou pour vice de consentement (c. civ. fr., art. 1304); ces délais d'ailleurs ne courent pas contre les incapables et ils sont suspendus tant que le vice du consentement n'a pas cessé (ibid.), ce qui suffirait à prouver que la loi les considère comme des prescriptions.
Il y aurait peut-être plus à hésiter au sujet de l'interruption, sinon par une demande en justice (laquelle, certainement, faite avant l'expiration des dix ans, empêcherait la déchéance comme elle empêcherait la prescription), au moins par une reconnaissance du droit de l'adversaire; mais si cette reconnaissance ne vaut pas comme cause interruptive de la prescription, elle vaut assurément comme acte confirmatif de la convention annulable (voy. art. 577 et s.).
263. Nous ne voyons pas non plus d'obstacle réel à ranger dans les prescriptions les délais assignés à l'exercice de la faculté de retrait, de la rescision pour lésion et de l'action rédhibitoire pour vices non apparents de la chose vendue: ces prescriptions, il est vrai, courent contre les incapables, mais c'est la règle pour les autres courtes prescriptions qui certainement ne sont pas de simples délais préfixes.
La seule objection serait donc que ces délais sont de rigueur, au moins les deux premiers, et ne peuvent être prorogés par convention; mais il n'est pas facile de comprendre et d'admettre que le délai des autres prescriptions puisse être prorogé par les parties intéressées.
Quoiqu'il en soit de ce qu'on peut soutenir, en droit français en faveur de cette distinction entre les délais préfixes et les prescriptions proprement dites, le Projet laisse place à une certaine application de la théorie des délais préfixes: les délais des actions sont considérés comme des prescriptions et ils en suivent les règles générales; mais si la loi y a dérogé, explicitement ou même implicitement, on observera ces dérogations; il y en a certainement d'implicites au sujet de la prescription des actions en retrait et en rescision pour lésion: ces deux actions à diriger contre l'acheteur, appartiennent l'une et l'autre aux actions réelles, et lorsqu'elles sont prescrites, on peut dire que le droit de propriété est consolidé; mais on n'exigera pas que, pour prescrire contre l'action du vendeur, l'acheteur ait possédé la chose paisiblement, publiquement et avec les autres conditions requises pour la prescription acquisitive.
Du reste, les actions en retrait et en rescision pour lésion sont de nature mixte, c'est-à-dire qu'elles sont en même temps réelles et personnelles et on peut expliquer par ce qu'elles ont de personnel que le défendeur puisse se borner à invoquer l'inaction du demandeur pendant le temps fixé, sans qu'il soit question de possession de sa part, comme il s'y bornerait dans sa défense contre toute autre action personnelle.
Nous n'avons, au surplus, aucune objection à faire à ce qu'on considère comme délais préfixes les délais de procédure, notamment ceux des recours contre les jugements.
Art. 1430. — 264. C'est parce que la prescription est un moyen d'action ou d'exception très différent des autres que la loi s'attache à présenter la théorie dans son ensemble, même quand il ne s'agit que de la soumettre au droit commun, comme le fait notre article. Ainsi la prescription, soit acquisitive, soit libératoire, peut être invoquée par toutes personnes, par les particuliers et par les officiers agissant comme représentants de l'Etat ou des administrations publiques.
Elle peut aussi être invoquée contre toutes personnes; mais ici il y a des exceptions auxquelles la loi fait allusion: la prescription est suspendue en faveur de certaines personnes, en ce sens que leurs droits ne sont pas exposés à l'effet de cette présomption, tant qu'elles se trouvent dans certaines conditions où elles ne peuvent pas les faire librement valoir.
Art. 1431. — 265. Ici, il s'agit de l'application de la prescription aux choses et non plus aux personnes.
Que la prescription soit un moyen d'acquérir ou une présomption légale d'acquisition, elle doit naturellement s'appliquer, en principe, à toutes les choses susceptibles d'acquisition et de convention privée. Mais il peut y avoir dans la loi des exceptions qui sont réservées par prévoyance.
En France, les immeubles des femmes mariées, lorsqu'ils sont placés sous le régime dotal qui a pour cellesci des faveurs spéciales, ne peuvent pas être perdus pour elles par la prescription, parce qu'ils sont inaliénables (v. art. 1554, 1561, 2255); au Japon, cette anomalie n'existera pas; mais il n'est pas impossible que certains biens, qui seront d'ailleurs dans le commerce, soient déclarés non susceptibles de prescription.
Le Projet pose à cette occasion un principe qui simplifiera les difficultés sur cette matière: chaque fois que la loi déclarera qu'un bien est " inaliénable," cela suffira pour que ce bien soit en même temps " imprescriptible; " c'est la consécration d'un axiome romain déjà cité (T. I, n° 77): "celui qui laisse s'accomplir l'usucapion semble aliéner " (i). Et il faut bien reconnaître que cet accord constant entre l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité est bien plus favorable à notre manière d'envisager la prescription qu'à celle de nos adversaires: il est naturel qu'une chose qui ne peut être directement l'objet d'une aliénation ne puisse être présumée l'avoir été.
Quant aux choses qui ne sont pas dans le commerce, il est naturel qu'elles ne puissent s'acquérir ni se perdre par la prescription. L'article 29 avait déjà annoncé qu'il y a des choses imprescriptibles.
La loi s'explique spécialement sur l'imprescriptibilité des choses mobilières du domaine public, pour lever tout doute au sujet de la prescription instantanée des meubles qui, fondée elle-même sur une raison d'ordre public, s'écarte souvent du droit commun (v. art. 1481).
Cette disposition relative à la prescriptibilité ou à l'imprescriptibilité des choses concerne surtout la prescription acqnisitive: elle ne pourrait s'appliquer à la prescription libératoire que si l'on se trouvait en présence d'une obligation qui ne fût pas de nature à s'éteindre même par un payement ou une remise conventionnelle; alors il serait impossible de présumer, à la faveur du temps, une extinction légitime survenue par l'un de ces modes et il ne serait pas plus raisonnable d'admettre, dans le système adverse, une extinction directe par le seul effet du temps. Mais nous avons peine à trouver l'application de cette imprescriptibilité, parce que nous ne voyons guère d'obligation qui ne puisse s'éteindre par un payement ou une remise conventionnelle. Toutefois nous citerions les pensions alimentaires inaliénables: le créancier ne pourrait les perdre, ni le débiteur en être libéré par présomption de payement ou de remise.
Rappelons que l'action qui a pour objet le redressement d'une erreur de calcul est imprescriptible (v. art. 582).
Il en est de même, et à plus forte raison, des actions relatives à l'état des personnes, au moins pour la plupart, car le temps ne doit pouvoir agir sur de pareils droits, ni pour les faire perdre ou acquérir directement, ni pour les faire présumer perdus ou acquis par une volonté tacite.
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(i) Alienare videtur qui patitur usucapionem.
Art. 1432. — 266. L'idée de cet article est empruntée au Code français (art. 2232), mais on a cherché à la préciser davantage en exprimant qu'il s'agit de facultés légales " qu'on peut exercer sur ses propres biens ou sur ceux d'autrui."
La difficulté est de déterminer la nature de ces cc facultés légales " qu'il ne faut pas confondre avec les " droits." Déjà ce mot a été rencontré dans l'article 359 et, à cette occasion, on a fait remarquer (T. II, n° 154) que les facultés diffèrent des droits en ce qu'on ne peut négliger ceuxci sans éprouver une perte certaine, tandis que pour jouir d'une faculté il y a à faire un sacrifice volontaire et dès lors si on la néglige on n'a pas de sacrifice à faire. C'est ce qui a servi à expliquer que les créanciers puissent exercer ceux des droits de leur débiteur qui sont leur gage, tandis qu'ils ne peuvent exercer les simples facultés pour lesquelles l'option du débiteur est nécessaire; cette distinction pourrait nous servir encore pour l'explication de cet article.
Ainsi, de même que les créanciers ne pourraient bâtir sur le terrain de leur débiteur ou exercer à sa place l'achat forcé de la mitoyenneté du mur de son voisin, parce que ce sont là de simples facultés, de même le propriétaire qui aurait négligé pendant trente ans de bâtir sur son propre terrain ou d'exercer l'achat de la mitoyenneté ne pourrait se voir, de ce chef, opposer la prescription par le voisin, sous prétexte que la faculté est perdue par une inaction de trente ans.
Au contraire, si le voisin avait un droit de servitude de passage sur le fonds voisin et était resté trente ans sans en user, il aurait perdu son droit par le non-usage qui est une sorte de prescription libératoire du fonds servant (v. art. 307 et 311).
267. Nous avons dit plus haut que le sacrifice à faire pour l'exercice d'une faculté doit être volontaire; en effet, l'exercice de certains droits aussi peut être subordonné à des charges; ainsi les effets du contrat de bail ne peuvent être obtenus par le preneur qu'à charge de payer des loyers ou fermages, et par le bailleur qu'en procurant au preneur la jouissance d'une chose; de même l'acheteur et le vendeur n'obtiennent l'un de l'autre les avantages de la vente qu'en sacrifiant, le premier un prix, le second le droit de propriété; en allant plus loin, on peut dire que tous les contrats synallagmatiques sont dans ce cas que chaque partie n'en obtient les avantages qu'en faisant le sacrifice réciproque et obligatoire qui caractérise cette nature de contrat, et cependant, personne n'hésitera à dire que ces avantages sont des droits et non pas seulement des facultés.
Il faut donc reconnaître que quand l'avantage à exercer est en dehors du droit commun (ce qui comprend surtout les avantages conventionnels), c'est un droit; quand, au contraire, il constitue la condition normale des propriétaires, soit vis-à-vis de leur propre bien, soit vis-à-vis des biens d'autrui, on doit dire que cet avantage est une faculté: c'est pourquoi notre texte la qualifie de " légale."
Pour justifier l'imprescriptibilité des facultés légales, il y a une raison qu'on a peut-être trop négligée jusqu'ici et qui nous paraît aussi simple que décisive, c'est que ces facultés renaissent pour ainsi dire chaque jour: tenant à une situation permanente qui est leur cause, elles n'ont pas d'échéance et, par conséquent aussi, elles ne sont pas sujettes à être perdues par l'effet du temps.
Par précaution, la loi réserve les cas où certaines facultés légales se trouveraient soumises, par la loi ellemême, par la convention des parties ou par testament, à la condition d'être exercées dans un certain délai: dans ce cas, elles seraient prescrites ou perdues par la seule é.chéance de ce délai sans qu'il en ait été usé; c'est ce qui a lieu pour la faculté de retrait.
Art. 1433. — 268. Dans le système qui considère la prescription comme un moyen direct d'acquisition ou de libération, on admet bien, comme dans le nôtre, que les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen tiré de la prescription; mais il faut reconnaître que cette prohibition est bien plus facile à justifier lorsqu'on voit dans la prescription une présomption d'acquisition ou de libération.
Si dans une action en revendication, le tribunal trouvait des preuves directes d'acquisition, si dans une action personnelle, il trouvait des quittances de payement, il pourrait, dans les deux cas, rejeter la demande, lors même que le défendeur n'aurait pas invoqué ces moyens de défense: ce ne serait pas " statuer sur choses non demandées" (ce qui lui est défendu), car dès que le défendeur conteste la demande formée contre lui, c'est qu'à son tour il en demande le rejet, par tous les moyens reconnus par la loi.
Pourquoi en est-il autrement, si le défendeur paraît être dans le cas de jouir de la prescription acquisitive ou libératoire ?
On se borne généralement, dans l'opinion adverse, à répondre que ce mode d'acquérir ou de se libérer peut répugner à la conscience du possesseur ou du débiteur et qu'il ne doit pas appartenir au tribunal de lui reconnaître nn avantage dont il ne veut pas se prévaloir.
Mais pourquoi le défendeur aurait-il de pareilles répu. gnances à profiter d'un mode d'acquisition ou de libération que la loi édicte en sa faveur ? Comment surtout expliquer que la loi elle-même lui suppose cette répugnance ? La loi n'est-elle donc pas sûre de l'équité et de la sagesse de sa propre disposition ?
Combien, au contraire, la solution qui nous occupe est juste et naturelle, avec le système qui ne voit dans la prescription qu'une présomption ! Une présomption, si forte qu'elle soit, n'est toujours qu'une conjecture, une induction, une probabilité (v. n° 216); or, quand la loi tire une induction ou conjecture d'une situation particulière, elle peut très bien, et ce sera peut-être très sagement, y mettre des conditions déterminées: on sait que pour la prescription dite " acquisitive," la condition fondamentale est la possession par le défendeur de la chose litigieuse, et cette possession doit avoir de nombreuses qualités que nous rencontrerons plus loin (v. art. 1474 et s.) et dont la durée, le temps, est une; pour la prescription libératoire, il ne peut être question de possession, mais il faut l'inaction du créancier pendant un temps déterminé depuis le moment où il pouvait légalement agir (v. art. 1487 et s.).
Cela étant, n'est-il pas juste et naturel, comme nous l'avons dit plus haut, que la loi exige une autre condition commune aux deux prescriptions: à savoir, qu'elle soit invoquée par celui qui peut en profiter ? Ne convientil pas qu'il confirme par sa déclaration le bien fondé de la présomption légale ? Comment d'ailleurs le tribunal saura-t-il d'une manière certaine que toutes les conditions légales de la prescription acquisitive ou libératoire sont remplies, si le défendeur ne lui vient en aide pour le démontrer ?
Et il ne faudrait pas objecter que cette solution ne cadre pas avec le caractère de " présomption d'ordre public" que nous lui assignons: elle ne prend ce caractère que quand elle est invoquée; c'est alors seulement que le tribunal ne peut pas se dispenser de l'admettre; sauf encore la restriction à laquelle nous allons arriver. D'ailleurs, c'est la même solution et par le même motif que celle que nous avons rencontrée pour la présomption attachée à la chose jugée (v. art. 1416 et n° 223).
269. Le 2e alinéa tranche la question dont la solution est le plus grand intérêt de la controverse sur la nature de la prescription. Nous avons dû, par anticipation, soulever et résoudre cette question, dans notre préambule (v. n° 254), ce qui nous permet de n'en plus dire ici que quelques mots.
Fallait-il admettre le défendeur à invoquer la prescription et à en obtenir le bénéfice, lorsqu'il reconnaît, tout en l'invoquant, qu'il n'a pas acquis ou qu'il n'est pas libéré par un des modes légaux d'acquisition ou de libération ?
Assurément, dans l'opinion qui voit dans la prescription un mode légal d'acquisition ou de libération, la solution serait affirmative en faveur du défendeur. Mais l'opinion contraire doit repousser un pareil résultat qui rendrait la prescription immorale dans son caractère, inique dans son effet et déshonorante pour celui qui s'en prévaudrait avec un pareil cynisme.
Le texte refuse formellement le bénéfice de la prescription à celui qui s'est déclaré lui-même en dehors des conditions de son application (ii).
Il ne faut pas d'ailleurs conclure de cette disposition de la loi que le défendeur qui invoque la prescription pourrrait être sommé d'avoir à s'expliquer sur la réalité de son acquisition ou de sa libération, ni qu'il pourrait être soumis à un interrogatoire sur faits et articles tendant à obtenir un aveu sur ce point: cette provocation de la preuve contraire n'est permise que contre les courtes prescriptions (v. art. 498), comme on a déjà eu occasion de l'annoncer; ici l'aveu ne peut être que spontané.
269 bis. Il convient de placer ici une observation importante qui aurait pu déjà trouver sa place, c'est que si la prescription est presque toujours invoquée par le défendeur (comme l'autorité de la chose jugée), elle peut l'être tout aussi bien par le demandeur, et cela dans ses deux applications (comp. art. 1415).
Ainsi un possesseur qui a rempli les conditions de la prescription acquisitive a perdu ensuite la possession: il peut, en se fondant sur la prescription, revendiquer la chose contre le possesseur actuel qui peut être l'ancien propriétaire ou un tiers.
Ainsi encore, un débiteur qui avait donné un nantissement mobilier ou immobilier ou une hypothèque en garantie de sa dette, et en faveur duquel la prescription libératoire est accomplie, intentera une action en restitution du nantissement ou en radiation d'hypothèque, et il commencera par prouver, par la prescription, que sa dette est éteinte (1).
Dans les deux systèmes sur la nature de la prescription, cette solution est incontestable.
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(ii) L'ancien texte portait qu'il "est considéré comme renonçant à la prescription." Nous y avons substitué une déchéance pure et simple, pour deux raisons: d'abord, il y aurait quelque chose de singulier à considérer comme renonçant à la prescription celui dont le premier mot est de l'invoquer; ensuite, la nouvelle formule se trouve la même que celle de l'article 1416, Se al., où il s'agit d'une situation tout-à-fait anologue: un plaideur invoquant l'autorité de la chose jugée et reconnaissant, eu même temps, qu'il y a eu erreur à son profit.
(1) Cette solution, en ce qui concerne le nantissement, est en accord avec les articles 1119 et 1135 du Projet, lesquels déclarent que la possession du nantissement par le créancier n'empêche pas la prescription libératoire de courir au profit du débiteur; mais elle ne serait plus exacte avec le Code officiel qui décide, au contraire, que la possession du nantissement suspend la prescription (art. 114 et 130 du Livre des Garanties).
Art. 1434. — 270. De ce que les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen tiré de la prescription, il ne suit pas qu'elle soit un bénéfice exclusivement attaché à la personne de celui en faveur duquel elle est accomplie: elle a un intérêt pécuniaire qui fait partie du patrimoine de la partie intéressée ou se rattache à ses autres droits et les complète. Dès lors, elle doit pouvoir être invoquée, de son chef, par ceux qui ont des droits sur ce patrimoine ou des droits qui en proviennent.
En premier lieu, sont les héritiers et autres successeurs universels qui représentent la partie après sa mort: ils pourront naturellement faire valoir les deux prescriptions.
En second lieu, ses successeurs particuliers, c'est-à-dire ceux qui tiennent d'elle la possession de la chose à laquelle la prescription peut se rapporter ou des droits sur cette chose: par exemple, ceux auxquels la partie a vendu, donné ou hypothéqué la chose qu'elle possédait sans en être propriétaire: ils n'auront guère à faire valoir que la prescription acquisitive; cependant, les créanciers hypothécaires d'un rang défavorable pourraient avoir à faire valoir la prescription libératoire contre une créance hypothécaire qui leur serait préférable.
Enfin, en troisième lieu, les créanciers simplement chirographaires qui peuvent exercer les droits de la partie, à son défaut, sous certaines conditions énoncées à l'article 359 auquel renvoie notre article: les deux prescriptions leur appartiennent évidemment.
271. Cette disposition rappelle celle de l'article 2225 du Code français sur lequel se présente une sérieuse difficulté qui ne se reproduira pas au Japon, quand on rapprochera notre article de l'article 1440.
En France, il est dit que " les personnes intéressées à " ce que la prescription soit acquise peuvent l'opposer, " encore que le possesseur ou le débiteur y renonce."
On se demande, sur ce point, si la loi a eu en vue une simple abstention du possesseur ou du débiteur, ou même une renonciation formelle. Nous avons toujours pensé que la loi visait une simple abstention et que son but était de proclamer que le droit d'invoquer la prescription n'est pas de ceux exclusivement attachés à la personne et dont l'exercice est refusé aux créanciers par l'article 1166; car, si la loi avait eu en vue une renonciation formelle, elle aurait dû, selon nous, subordonner le droit des créanciers à la fraude du débiteur, et alors ceux-ci eussent agi, non plus par l'action indirecte, en vertu de l'article 1166, mais par l'action révocatoire, en vertu de l'article 1167.
Dans le Projet, le 28 alinéa de notre article se rapporte à la simple abstention du possesseur ou du débiteur et à l'article 359 (c. fr., art. 1166); c'est l'article 1440 qui se rapportera à la fraude et à l'article 360 (c. fr., art. 1167).
Notre article, revient donc à dire que, bien que le moyen tiré de la prescription soit laissé à la conscience du débiteur ou du possesseur, son silence à cet égard ne suffit pas pour en faire perdre le bénéfice à ses créanciers: c'est un droit qui fait partie de son patrimoine.
Art. 1435. — 272. Il est de tradition dans les Codes étrangers d'indiquer jusqu'à quel moment de la procédure la prescription peut être invoquée; le but est surtout de dire qu'elle ne peut être invoquée devant la Cour de cassation; et la solution doit être la même, soit qu'on considère la prescription comme un moyen direct d'acquisition ou de libération, soit qu'on la considère comme une présomption d'acquisition ou de libération ayant une autre cause légitime; car, dans tous les cas, la prescription repose sur des faits qui ne peuvent être présentés et discutés que devant les tribunaux de première instance ou d'appel et non devant la Cour de cassation, juge du droit seulement.
Ce n'est pas à dire cependant que la Cour de cassation n'aura jamais à statuer sur des questions de prescription; au contraire, rien ne sera plus fréquent: lorsque la prescription aura été invoquée et que les faits sur lesquels elle aura été fondée auront été constatés en justice, ce qui les mettra hors de discussion ultérieure, il sera pos-" sible aux parties, respectivement, de soutenir devant la Cour de cassation ou que ces faits satisfont aux conditions légales de la prescription ou qu'ils n'y satisfont pas, et la décision de la Cour de cassation validera ou infirmera la décision de la cour d'appel intervenue sur ce point.
Ainsi, la Cour de cassation pourra être appelée à décider si, dans tel cas donné, la possession est précaire ou à titre de propriétaire, si tel titre est ou non une juste cause de possession, si tel acte est ou non interruptif de prescription, si telle modalité du droit ou telle situation respective des personnes produit suspension de prescription, si dans tel cas, la prescription exige tel délai ou tel autre: ce sont là des questions de droit et non de fait.
Des solutions analogues ont été données au sujet de la présomption attachée à la chose jugée (n° 243 bis).
Art. 1436. — 273. Le Japon suit depuis 1872 le calendrier dit " Grégorien " adopté en Europe depuis plus de trois siècles (j): les mois n'y ont pas tous le même nombre de jours et, tous les 4 ans, l'année a un 366e jour, au 29 février.
Lorsqu'il s'agira d'une prescription comptée par années, les années bissextiles intermédiaires y figureront comme les autres, sans qu'il y ait de difficulté. Les deux seuls cas à relever sont ceux, assurément bien rares, où 1° la prescription ayant commencé à être comptée du 28 février d'une année ordinaire devrait finir dans une année bissextile: alors, il faudrait que le 29 février fût accompli; 2° la prescription ayant commencé le 29 février d'une année bissextile s'accomplirait avec le 2tf février d'une année ordinaire: le possesseur ou le débiteur perdrait un jour au premier cas et le gagnerait au second.
Le même mode de calcul serait observé, avec plus d'applications, pour une prescription se comptant par mois: la prescription commencée le 1er jour d'un mois quelconque s'achèverait le 28, le 29, le 30 ou le 31 du dernier mois, suivant sa durée légale. Si la prescription a commencé au cours d'un mois quelconque, elle est accomplie lorsque le jour qui précède le jour correspondant du mois final est accompli: par exemple, du 15 février au 14 mars, du 15 mars au 14 avril.
Quand la prescription s'accomplit par un certain nombre de jours, on ne tient pas compte de l'heure à laquelle elle a commencé: le jour déjà entamé n'est pas compté, la prescription se compte depuis minuit du jour suivant et finit au minuit qui termine le jour final.
La même observation s'applique au premier et au dernier jour de toute prescription: les fractions de jours ne sont pas comptées en faveur du possesseur ou du débiteur.
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(j) T. II, n° 126, note. La Grèce et la Russie n'ayant pas adopté le calendrier Grégorien, pour des raisons religieuses, suivent encore l'ancien calendrier romain dit "Julien" (de Jules César), où l'année ne commence que le 13 janvier.
SOMMAIRE.
Art. 1137. — N° 274. Prohibition de la renonciation anticipée.
1438. 275. Renonciation tacite.
1439. 276. Capacité nécessaire pour renoncer.
1440. -277. Action révocatoire des créanciers contre la renonciation faite en fraude de leurs droits.
COMMENTAIRE.
Art. 1437. — N° 274. C'est dans un but de sage protection contre l'imprévoyance de l'homme que la loi ne veut pas qu'un possesseur ou un débiteur se prive d'avance du bénéfice de la prescription. Il pourrait arriver qu'un possesseur, menacé d'une revendication et pour la conjurer, quoiqu'ayant des titres, déclarât, par une fausse délicatesse, qu'il n'invoquerait jamais la prescription contre celui qui s'annonce comme son adversaire. Le cas serait encore plus fréquent et plus naturel de la part d'un débiteur, soit de même au moment où il craindrait des poursuites, soit surtout au moment du contrat; dans ce second cas, il lui serait presque impossible de ne pas subir cette condition de la part du créancier: autrement, il lui faudrait renoncer à un emprunt ou à un achat à crédit dont il peut avoir un besoin urgent.
L'un et l'autre ont pu se faire illusion en croyant qu'ils ne perdraient jamais leurs titres, l'un de propriété, l'autre de libération.
Mais dans le cas de la possession, la loi ne peut s'opposer à ce que le possesseur reconnaisse.la précarité de sa possession: ce n'est pas renoncer d'avance à une prescription à laquelle on aurait droit, c'est reconnaître qu'on n'est pas dans le cas d'en jouir, qu'on n'en remplit pas une des conditions principales, à savoir la possession à. titre de propriétaire, cum animo domini (v. art. 1474) (a).
La loi reviendra sur cette reconnaissance de précarité (v. art. 1456, 2e al.). D'ailleurs, il ne faudrait pas la confondre avec la simple reconnaissance du droit actuel du propriétaire, laquelle ne suffirait pas à donner à la possession le caractère de précarité.
Dans les deux cas, de possession et d'obligation, celui qui est arrivé à pouvoir invoquer la prescription, parce que les conditions, y compris celle du temps, en sont remplies, peut y renoncer, mais toujours pour le passé et sans être privé du droit de profiter d'une nouvelle prescription.
Le possesseur ou le débiteur peut aussi, même avant que la prescription soit accomplie, renoncer au bénéfice du temps écoulé.
Dans ces deux cas, le renonçant ne peut être taxé d'imprévoyance: il sait et il veut ce qu'il fait. Il y a alors, comme dit le dernier alinéa, une sorte de " reconnaissance du droit actuel de l'adversaire."
La reconnaissance est interruptive de la prescription et exige que le délai en soit recommencé (v. art. 1454 et suiv.).
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(a) Nous ajoutons, à cette occasion, un nouvel argument en faveur de la solution de l'article 1433, 20 alinéa (v. nos 251 et 269): celui qui, tout en invoquant la prescription acquisitive, reconnaîtrait que sa possession est précaire, serait évidenimant privé d'une prescription dont il avouerait ne pas remplir la condition essentielle, l'animus domini.
Art. 1438. — 275. Il n'est pas nécessaire que la renonciation soit expresse; elle peut être tacite; seulement, pour qu'il n'y ait pas trop facilement de procès à cet égard, la loi veut que la renonciation Il résulte clairement des circonstances."
Ainsi, il ne faudrait pas voir une renonciation à la prescription dans le fait que le possesseur aurait produit des titres de propriété, ou le débiteur des quittances, sans invoquer subsidiairement la prescription: il est naturel que celui qui croit avoir des preuves directes de son droit ou de sa libération préfère invoquer ces preuves, plutôt qu'une présomption qui, par cela même qu'elle peut quelquefois abriter la mauvaise foi (v. n° 252), répugnera souvent aux personnes qui seraient blessées du moindre soupçon.
C'est dans ce cas que la prescription sera souvent négligée en première instance: alors, celui dont les titres auront été jugés insuffisants par le tribunal fera sagement, tout en les reproduisant en appel, d'invoquer subsidiairement la prescription.
Il serait même très sage à celui qui aurait triomphé avec ses titres en première instance de recourir à ce moyen subsidiaire contre l'appel interjeté contre lui: autrement, si la cour d'appel n'adoptait pas la décision des premiers juges, elle ne pourrait suppléer d'office le moyen tiré de la prescription (v. art. 1433, 1er al.) et il ne serait plus possible de le proposer devant la Cour de cassation (v. art. 1435).
Art. 1439. — 276. La solution de notre article rappelle, au moins pour la renonciation à la prescription acquisitive, un axiome romain déjà cité: " celui qui laisse s'accomplir la prescription semble aliéner." Mais sans avoir besoin de remonter si loin, il est clair que s'il était permis à un incapable de renoncer à une prescription accomplie, il arriverait indirectement à ce que la loi lui interdit de faire directement, c'est-à-dire à aliéner ou à s'obliger.
On remarquera que la loi exige, pour la validité de la renonciation à la prescription accomplie, la capacité d'aliéner ou de s'obliger ”gratuitement."
Ceci rappelle ce que nous avons dit (n° 255) du caractère onéreux de l'acquisition ou de la libération présumée, mais semble le contredire; il n'en est rien cependant: il est clair que si le possesseur qui prescrit est présumé avoir acquis à titre onéreux, c'est-à-dire moyennant une contre-valeur, en sens inverse, quand il se prive du bienfait de la prescription accomplie, il se nuit autant que s'il aliénait sans recevoir une contrevaleur; il en est de même pour la renonciation à la prescription libératoire.
Nous exceptons, bien entendu, le cas où la renonciation serait compensée par une contre-valeur, elle aurait alors le caractère d'une transaction et on en observerait les règles quant à la capacité (v. art. 758).
Ce n'est pas pour abuser de cette nouvelle occasion d'accentuer le caractère de présomption de la prescription que le texte parle de " droit présumé acquis et de l'obligation présumée éteinte: " c'est qu'il serait tout à fait impossible, dans le système du Projet, de dire que le droit est acquis et l'obligation éteinte.
La loi ne parle que d'une prescription " accomplie: ' elle ne s'applique donc pas à une prescription en cours à laquelle le possesseur ou le débiteur incapable aurait renoncé; elle ne se prononce aucunement sur la valeur de cette renonciation j mais les principes généraux de l'incapacité suffiront à résoudre cette difficulté.
D'abord, c'est avec raison que ce second cas n'est pas traité avec la même rigueur que le premier; le possesseur ou le débiteur n'était pas sûr, dans le second cas, d'arriver à la prescription; il pouvait être, il était même.déjà sans doute actionné en revendication ou en payement et, par sa renonciation, il a prévenu ou fait cesser les poursuites; tandis que, dans le premier cas, il n'avait qu'un mot à dire pour triompher.
Mais ce n'est pas à dire que, dans le second cas, la renonciation soit nécessairement valable: nous verrons, au sujet de la reconnaissance (art. 1458), qu'elle exige aussi une certaine capacité que plusieurs personnes n'ont pas.
Art. 1440. — 277. On a vu à l'article 1435 que les créanciers peuvent invoquer la prescription du chef de leur débiteur, lorsqu'il la néglige: ils exercent alors le droit qui leur appartient comme ayant-cause (v. art. 359; eomp. c. civ. fr., 1166 et 2225). Mais si leur débiteur ne s'est pas seulement abstenu de faire valoir la présomption, s'il y a renoncé formellement, alors les créanciers n'en sont pas nécessairement privés: s'ils peuvent prouver que leur débiteur, en renonçant à une prescription acquisitive ou libératoire, a été mu, non par un sentiment de délicatesse provenant de l'incertitude de son droit, mais par un désir de fraude à leur égard, par le désir de les frustrer d'un moyen d'être payés, alors ils agissent non plus comme ses ayant-cause, mais comme tiers, car il ne les a pas représentés en les frustrant; ils n'invoquent plus la prescription au nom et du chef de leur débiteur, mais en leur propre nom, par l'action révocatoire (v. art. 360 et s.; comp. c. civ. fr., art. 1167).
Nous avons réfuté sous l'article 1434 (n° 271) l'opinion qui voit dans l'article 2225 un droit plus étendu pour les créanciers, celui d'invoquer la prescription quand leur débiteur y a renoncé et sans avoir à prouver son intention frauduleuse: une pareille dérogation au droit commun ne nous paraîtrait nullement justifiée; il est bien plus naturel de croire que la loi a voulu donner une application spéciale de l'article 1166 à un cas qui aurait pu faire doute.
SOMMAIRE.
Art. 1441. — N° 278. Différence entre l'interruption et la suspension.
1442. —279. Deux sortes d'interruptions.
1443. -280. Interruption naturelle: en quoi elle diffère de la discontinuité. -281. A quels biens elle s'applique. -282. Reprise de la possession. -283. Cas où la possession est perdue temporairement par force majeure.
1444. —284. Effet absolu de l'interruption naturelle; effet relatif de l'interruption civile.
1445. -285. La discontinuité n'est pas un cas d'interruptiou naturelle.
1446. -286. Cinq cas d'interruption civile.
1446 bis. -286 bis. Rappel du caractère relatif de cette interruption.
1447. —287. Demande en justice nulle par incompétence ou pour défaut de forme. -288. Critique du Code français à ce sujet. -289. Réserve pour deux nullités de forme. -290. Délai de la nouvelle demande.
1448. -291. Rejet de la demande. -292. Désistement du demandeur. -293. Péremption d'instance.
1449. —294. Durée de l'interruption pendant la procédure.
1450. -295. Citation et comparution volontaire en conciliation. —-296. Suite.
1451. -297. Commandement d'exécuter.
1452. -298. Sommation d'exécuter. - 299. Rappel de l'effet interruptif de la sommation faite au tiers détenteur.
1153. -300. Saisie-exécution, saisie-arrêt, saisie conservatoire. -301. Saisie contre un tiers: nécessité d'une notification au débiteur.
1454. -302. Reconnaissance judiciaire et extrajudiciaire.-303. Rappel de l'article 1371, au sujet de l'aveu rétracté pour erreur de fait.
1455. -304. Reconnaissance tacite: exemples divers.
1456. -305. Reprise du cours de la prescription; perte du bénéfice de la bonne foi. -306. Reconnaissance de précarité.
1457. -307. Changement de délai de la nouvelle prescription libératoire.
1458. -308. Capacité requise pour faire la reconnaissance: distinctions. -309. Pouvoirs requis chez les administrateurs de la chose d'autrui: distinctions.
1459. -310. Preuve de la reconnaissance.
1460. -311. Renvoi au cautionnement, à la solidarité et à l'indivisibilité.
COMMENTAIRE.
Art. 1441. — N° 278. Si la loi ne définissait pas l'Interruption de la prescription, le nom seul ne ferait pas assez voir, au premier abord, en quoi elle diffère de la Suspension, car les deux mots ont, dans la langue vulgaire, au moins en français, à peu près le même sens: ainsi, on dira indifféremment, " interrompre ou suspendre un travail, un discours, un voyage," et dans les deux cas, quand l'interruption ou la suspension prend fin, certes on ne recommence pas, depuis le début, le travail, le discours ou le voyage.
Mais, en matière de prescription, on dit que son cours est interrompu, lorsque le temps qui en a déjà couru demeure sans effet et qu'il faut le compter à nouveau en entier; tandis que lorsqu'il y a suspension, ce n'est qu'un temps d'arrêt, plus ou moins long, mais après lequel on recommence à compter le temps depuis le moment où l'on s'était arrêté (v. art. 1465).
On ne pourrait pas poser en règle que l'un de ces deux accidents, arrivé au cours de la prescription, lui soit plus défavorable que l'autre: cela dépendra de la durée normale de la prescription dans les différents cas et de certaines circonstances qui peuvent varier dans chacun d'eux.
Ainsi, s'il s'agit d'une longue prescription et qu'elle soit sur le point de s'accomplir, il est certain qu'une interruption sera plus nuisible qu'une suspension, car il faudra de nouveau compter le temps entier, tandis que la suspension respectera le temps déjà écoulé. Mais si la suspension durait longtemps, par exemple jusqu'à la dissolution d'un mariage, elle pourrait être plus nuisible qu'une interruption, surtout si celle-ci était survenue avant qu'un long temps fût déjà écoulé (a).
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(a) On ne peut prendra ici, comme exemple, la suspension en faveur des mineurs et des interdits, parce que, dans le Projet, le temps de cette suspension est très réduit (v. art. 1467 à 1470).
Art. 1442. — 279. La distinction entre l'interruption naturelle et l'interruption civile est consacrée depuis longtemps et il n'y avait pas lieu de la négliger dans le Projet: on verra à l'article 1444, comparé à l'article 1446 bis, qu'elle a un grand intérêt pratique.
Le texte fait remarquer d'ailleurs que cette distinction ne concerne que la prescription acquisitive, car, pour la prescription libératoire, il n'y a de possible qu'une interruption civile.
La loi indique à l'article suivant ce qui constitue l'interruption naturelle et à l'article 1446 ce qui constitue l'interruption civile, mais on n'y trouve pas une définition dogmatique.
Nous dirons ici, comme préambule, que l'interruption naturelle consiste dans un fait matériel ou physique, la dépossession, tandis que l'interruption civile résulte de faits intellectuels, soit juridiques, soit judiciaires.
Art. 1443. — 280. On sait que la possession civile, celle qui mène à la prescription acquisitive, a un double élément, la détention réelle ou physique d'une chose, et l'intention de l'avoir comme propriétaire, ce qu'on appelle, dans le langage consacré " le fait et l'intention," corpus et animus (v. art. 193). Si le possesseur cessait d'avoir l'intention de posséder, tout en conservant la détention de la chose, il n'y aurait pas interruption mais discontinuité de la possession (v. art. 1445 et 1475); tandis que s'il perd la détention physique, tout en gardant l'animlls domini, il y a interruption naturelle, et encore faut-il que cette dépossession vienne du fait du vrai propriétaire ou du fait d'un tiers, car si elle vient de la pure volonté du possesseur, il y a encore discontinuité (ibid.); si, au contraire, elle provient d'une " force majeure temporaire," le possesseur ne perd aucun de ses avantages (3e al. de notre article).
Il faut aussi, pour que la dépossession par le fait du propriétaire ou d'un tiers produise interruption naturelle, qu'elle ait duré plus d'un an: autrement, si le possesseur recouvre la possession par l'action en réintégrande, il est censé ne l'avoir pas perdue dans l'intervalle (v. art. 216).
281. La loi nous dit que cette interruption peut concerner soit un immeuble ou un meuble particulier, soit une universalité de meubles; mais elle ne parle pas d'une universalité d'immeubles seulement, parce qu'elle n'admet pas qu'on puisse posséder et prescrire une telle universalité: lors même qu'il s'agirait des immeubles d'une succession, ils ne seraient jamais tellement nombreux qu'on ne pût les considérer, au point de vue de la possession, comme des immeubles déterminés, et on devrait vérifier pour chacun, s'il a été l'objet d'actes de possession suffisamment caractérisés.
Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse acquérir par prescription une hérédité tout entière, meubles et immeubles, mais alors, outre la possession des choses corporelles il y aurait eu exercice des principaux droits héréditaires et possession du titre et de la qualité d'héritier.
En sens inverse, pendant qu'un possesseur acquerra ainsi une hérédité, l'héritier légitime sera déchu de l'action en pétition d'hérédité (v. art. 1492).
282. Quoique l'article 1441 ait déjà dit que ” le cours " de la prescription interrompue recommence dès que la " cause d'interruption a cessé," il n'a pas paru inutile d'insérer ici une disposition analogue et on en retrouvera même une autre au sujet de l'interruption civile (v. art. 1457), parce qu'il y a des nuances dans ces divers cas.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, il est bon de faire remarquer que si l'interrupteur cessait lui-même de posséder, cela ne suffirait pas pour que la prescription recommençât à courir au profit du dépossédé: il faudrait qu'il eût recouvré la possession; tandis que s'il s'agissait d'une interruption civile résultant d'une procédure et durant autant qu'elle, la prescription recommencerait à courir à la fin de la procédure, sous certaines distinctions qu'on rencontrera plus loin (v. art. 1449 et s.).
283. Quant aux privations temporaires de la possession par force majeure, on peut, sans aller jusqu'à l'hypothèse de troubles civils intérieurs, supposer une inondation, une éruption volcanique, ou même le simple retour, plus ou moins périodique, de phénomènes atmosphériques qui rendent certaines parties du sol inaccessibles au possesseur, soit par les pluies estivales, soit par les neiges hivernales (b).
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(b) Les Romains distinguaient aussi, au sujet de la continuité de la possession, les sait tis œsfi.vi et les saltus hyberni, et ils admettaient que la possession était retenue par la seule intention (animo tantiim), lorsque la détention physique était momenta.nément empêchée par des causes climatériques. Il y a bien des analogies entre le sol du Japon et celui de l'Italie: elles peuvent en motiver dans la législation relative au sol.
Art. 1444. — 284. C'est ici la différence la plus saillante entre l'effet de l'interruption naturelle et celui de l'interruption civile: celle-ci " ne produit d'effet qu'au profit de celui par les soins ou en faveur duquel l'acte interruptif a été fait, ou de ses ayant-cause" (v. art. 1446 bis.): c'est un effet purement relatif, comme est, en général, celui de tout acte juridique et surtout judiciaire; tandis que l'interruption naturelle a un effet absolu, profite à tous ceux qui y ont intérêt; on peut dire qu'elle opère en quelque sorte in rem, contre la chose possédée, et que l'interruption civile opère ex personâ, du chef de la personne de l'interrupteur.
Il est bien évident, en effet, que quand la possession a cessé dans son principal élément, qui est le fait de la détention de la chose, le possesseur ne peut plus, quel que soit l'auteur de la dépossession, se prévaloir vis-àvis de personne d'une possession qui n'a pas eu la durée nécessaire; tandis que, lorsqu'il a seulement été actionné en revendication, tout en restant possesseur, cette interruption civile, par acte judiciaire, ne peut profiter qu'à son auteur ou à ses ayant-cause, de même qu'un jugement final qui aurait suivi ne produirait que cet effet relatif; c'est l'application du principe que " la chose faite ou jugée entre lès uns ne nuit ni ne profite aux autres."
Art. 1445. — 285. On a déjà annoncé plus haut qu'il n'y a pas interruption naturelle proprement dite, lorsque le possesseur cesse volontairement de posséder pendant un certain temps: il y a alors discontinuité de la possession. Sans doute, les deux faits ont une grande analogie, puisque la possession discontinue doit être recommencée en entier (v. art. 1475) et que l'effet de la discontinuité est absolu comme celui de l'interruption naturelle; mais il ne faut pas les confondre, au moins quant à leur cause, puisque, comme le dit notre article, la discontinuité peut résulter aussi bien du changement d'intention, de la perte de l'animw; domini, que de l'abandon de la détention matérielle.
Art. 1446. — 286. Chacun des cinq modes d'interruption civile étant repris séparément dans les articles suivants, avec les détails nécessaires, il est inutile de s'y arrêter ici où ne s'en trouve que l'énumération.
Remarquons seulement la condition finale qui aurait pu, à la rigueur, être suppléée sans texte: il faut " que lesdits actes de procédure ou de reconnaissance concernent clairement le droit contre lequel court la prescription et autant celui en faveur duquel que celui contre lequel elle est commencée."
Ainsi, une demande en justice ou une citation en conciliation devrait désigner d'une façon assez précise quelle chose est revendiquée, quel payement est réclamé, ' quel est le défendeur et le demandeur. Sans doute, il faudrait bien, de toute façon, que devant le tribunal, le demandeur précisât complètement sa prétention, mais l'interruption ne commencerait qu'à ce moment et non à celui où la citation imparfaite aurait été donnée.
L'utilité de cette condition se retrouvera d'ailleurs sur l'article 1447, au sujet des demandes "nulles en la forme" qui peuvent, dans le Projet, interrompre la prescription (v. aussi art. 1452).
Art. 1446 bis. -286 bis. Cet article, rapproché de l'article 1444, complète le parallèle et la différence dans les effets entre l'interruption naturelle et l'interruption civile: la première était absolue, celle-ci est purement relative. Nos développements, à ce sujet, sur l'article 1444 nous dispensent d'y insister davantage.
Art. 1447. — 287. Le premier mode d'interruption civile, le plus fréquent et le plus naturel assurément, est la demande en justice; la loi nous dit, incidemment, que cette demande peut être " principale, " c'est-à-dire ouvrant une instance, " incidente, " c'est-à-dire survenant au cours d'une instance par voie d'addition à la première, enfin " reconventionnelle," c'est-à-dire servant de défense à l'une des deux actions du demandeur, comme une demande en compensation. Cette distinction est très importante en procédure, mais comme elle est sans influence ici, la loi y met les trois sortes d'actions sur la même ligne.
Ce qui est l'objet de l'article c'est de nous dire que la demande, quoique nulle en la forme ou portée devant un tribunal incompétent (ce qui est un autre cas de nullité), n'en est pas moins interruptive de prescription.
288. Sous ce rapport, le Projet va au-delà du Code français dans le sens favorable à l'interruption; ce Code, en effet, admet bien que l'incompétence du tribunal saisi n'est pas un obstacle à l'interruption, mais il n'accorde pas la même indulgence à la nullité de forme.
On en a donné un motif qui ne nous paraît pas suffisant pour justifier une pareille différence: on a dit que les questions de compétence sont souvent difficiles et qu'une erreur du demandeur à cet égard est excusable, tandis que la forme des demandes est assez nettement déterminée par la loi pour qu'il n'y ait pas d'excuse à la négliger.
Cela est plus spécieux que réel: si les parties rédigeaient elles-mêmes leurs demandes, il serait déjà bien sévère d'exiger d'elles une rigoureuse connaissance des formes; mais ce ne sont pas elles qui sont chargées ni même en droit de prendre ce soin: en France, ce sont les huissiers; au Japon, ce sont aussi aujourd'hui des officiers spéciaux, plus ou moins semblables aux huissiers (,slzittatsu?,i); or, il n'est pas juste que la partie souffre dans ses intérêts de la faute d'un intermédiaire auquel elle est forcée de recourir.
Si on maintenait que l'interruption est non avenue quand la demande est nulle en la forme, il faudrait donner à la partie une action en dommages-intérêts contre l'agent; or, cette indemnité pourrait être bien audessus de la solvabilité de l'agent, et si on exigeait de celui-ci un cautionnement suffisant pour faire face à toutes les éventualités, on ne trouverait pas de ces officiers en assez grand nombre pour tout le pays; en fait, les cautionnements exigés sont faibles, le préjudice retomberait donc sur la partie.
N'est-il pas dès lors plus simple, et aussi plus juste, de regarder l'avertissement donné à l'adversaire comme suffisant pour arrêter le cours de la prescription ? Celleci n'est pas d'ailleurs accomplie, elle n'est pas encore un droit acquis, une preuve complète: elle n'y est qu'un acheminement; qu'importe dès lors au défendeur qu'il y ait quelque irrégularité dans cette demande, puisqu'il est prévenu que son adversaire n'entend pas laisser périmer son droit (c).
289. Nous rappellerons seulement ici certaines conditions de l'article 1446, d'après lesquelles la nullité de forme pourra quelquefois mettre obstacle à l'interruption: parmi les formes des demandes, il y en a trois essentielles visées par l'article précité et dont l'inobservation ôtera tout effet à la citation, ce sont: la désignation de l'objet de la demande, celle du défendeur et celle du demandeur; il est clair que si la citation ne donnait pas ces désignations, le défendeur ne pourrait être considéré comme suffisamment averti qu'il est lui-même la partie citée et ne saurait pas exactement quelle prétention est élevée contre lui et par qui elle est élevée (1).
290. Le Code français a négligé de dire quelle serait l'issue d'une interruption civile par une demande nulle pour incompétence: il est clair qu'il faut une nouvelle demande pour réparer le vice de la première. Mais dans quel délai doit-elle être faite pour que l'interruption soit confirmée ? On peut, par analogie de ce que décide la loi pour le cas où il n'y a pas eu conciliation, exiger que la nouvelle demande soit formée dans le mois du rejet de la première (comp. c. civ., art. 224.5 et c. pr. civ,, art. 57).
La solution que donne le Projet, pour les deux nullités, est un peu plus favorable au demandeur: il lui accorde deux mois pour former la nouvelle demande.
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(c) Le Code civil italien a admis, comme le Code français, que la nullité de la citation pour défaut de forme empêche qu'il y ait interruption de la prescription, et il y a ajouté le cas de l'incompétence de l'officier qui a signifié la citation (v. art. 2128). Dans le Projet japonais on décidera le contraire, en considérant cette irrégularité comme un défaut de forme: l'interruption vaudrait, par identité de motif.
(1) L'ancienne rédaction de l'article 1446 n'avait pas attaché la même importance, au point de vue de l'interruption, à la désignation du demandeur qu'à celle du défendeur, parce qu'on pourrait dire qu'aussitôt que le défendeur se voit actionné, comme il vient d'être dit, au sujet du droit intéressé dans la prescription, il est averti que ce droit est contesté; en supposant, bien entendu, que le demandeur se ferait mieux connaître en temps utile. Mais, nous ne croyons pas devoir maintenir cette différence entre les deux parties, quant à leur désignation.
Le Texte officiel, au contraire, a supprimé même la nécessité de désigner le défendeur (art. 109); mais, par inadvertance sans doute, il ne l'a pas supprimée dans l'article 116.
Art. 1448. — 291. Cet article fait suite au 2e alinéa de l'article précédent, en ce qu'il présente trois autres cas où l'interruption, d'abord valable, n'est pas confirmée par la suite.
Ier Cas. La demande, régulière d'ailleurs quant à la forme et à la compétence, "a été rejetée au fond." Il est clair que l'interruption qui en était l'effet, conditionnel en quelque sorte, est elle-même rejetée.
Mais ici une objection se présente naturellement à l'esprit: si la demande est rejetée au fond, ce n'est plus dès lors la prescription que le défendeur invoquera, s'il est de nouveau actionné au même sujet, ce sera l'autorité de la chose jugée: à tel point que, lors même que la prescription continuée n'aurait point encore eu le temps de s'accomplir, il n'en serait pas moins à l'abri d'une nouvelle demande.
Pour répondre à l'objection, il faut supposer un cas où il y aurait plusieurs co-intéressés qui n'auraient pas qualité pour invoquer respectivement la chose jugée en faveur de l'un d'eux et qui, au contraire, pourraient invoquer la prescription comme moyen de défense commun à tous.
Ainsi, supposons plusieurs créanciers solidaires ou plusieurs créanciers d'une dette indivisible, la poursuite d'un de ces créanciers a bien interrompu la prescription contre lui au profit de tous (voy. art. 1082, 1091, 2e al.); mais le jugement intervenu sur la dette, contre ce créancier, ne nuit pas toujours aux autres (v. art. 1079 à 1081 et 1092, 2e al.); lors donc que le débiteur aura triomphé contre l'un de ces créanciers, il sera encore exposé aux poursuites des autres, puisque le jugement ne leur est pas opposable; mais comme l'interruption résultant de la première poursuite est réputée non avenue, la prescription qui n'a pas cessé de courir peut être accomplie au moment des nouvelles poursuites, et c'est alors qu'elle produira son effet.
292. - IIe Cas. " Le demandeur s'est désisté: " Le désistement est l'abandon de l'action ou de la procédure entamée (c. pr. civ. fr., art. 402 et 403), mais non du droit lui-même, lequel ne peut se faire que par remise conventionnelle, s'il s'agit d'une obligation, par renonciation, s'il s'agit d'un droit réel, ou par transaction, pour les deux sortes de droits. Si le demandeur se désiste de son action, les choses sont remises au même état que si la demande n'avait pas eu lieu: une nouvelle demande est encore possible, mais l'interruption est non avenue, la prescription a continué à courir et si elle est accomplie au moment de la nouvelle demande, celle-ci sera rejetée.
293. —IIIe Cas. " L'instance a été déclarée périmée." La péremption d'instance résulte de la discontinuité des poursuites pendant un temps fixé par le Code de Procédure civile. En France, ce délai est de trois ans et quelquefois de trois ans et six mois (c. pr. civ., art. 397 à 401). Il ne sera probablement pas très différent au Japon.
La péremption peut être considérée comme un désistement tacite; son effet est le même, à plusieurs égards: elle ne met pas obstacle à une nouvelle demande; mais l'interruption de la prescription par l'effet de l'instance périmée étant réputée non avenue, il est possible que la prescription se trouve accomplie au moment de la nouvelle demande.
La péremption diffère d'ailleurs du désistement en ce qu'elle n'a pas effet de plein droit: elle doit être invoquée par le défendeur, avant qu'elle ait été couverte par un acte de procédure du demandeur; tandis que le désistement, une fois signifié au défendeur, lui est acquis.
Art. 1449. — 294. Il est naturel que lorsque, l'interruption a été opérée par la demande, le demandeur ne soit pas obligé de la soutenir par des actes plus ou moins rapprochés: les actes ordinaires de procédure y suffisent; ils ne deviennent inefficaces, à cet effet, que s'ils ont été longtemps arrêtés et s'il y a eu péremption déclarée, à la requête du défendeur, comme il vient d'être dit.
On a ici un exemple, assez rare, de cas où la prescription interrompue ne recommence pas à courir immédiatement.
Art. 1450. — 295. En France, la plupart des de. mandes en justice sont soumises à un préliminaire dit " de conciliation," devant le juge de paix, lequel doit tenter de concilier les parties, soit en les amenant à une transaction, soit en déterminant le demandeur à se désister de sa demande, si elle paraît mal fondée, ou le défendeur à y acquiescer, dans le cas contraire.
Le principe est bon et il donne souvent d'heureux résultats. La seule objection sérieuse est contre la compétence du juge de paix en cette matière, au moins lorsqu'il s'agit d'affaires qui peuvent revenir devant le même magistrat comme juge et sur lesquelles il serait préférable qu'il n'eût pas exprimé son sentiment (d).
Lorsque la conciliation doit être tentée, d'après la nature de l'affaire, il est naturel que la citation donnée à cet effet au défendeur interrompe la prescription, puisque c'est le premier acte par lequel son adversaire lui fait connaître sa prétention et tend à conserver son droit.
Quelquefois, les parties, pour éviter les frais et pour se témoigner du bon vouloir, comparaissent volontairement devant le conciliateur; c'est alors le jour de la comparution même qui est celui de l'interruption, tandis que, dans le premier cas, c'est celui de la citation, lequel devance toujours un peu celui de la comparution.
296. La loi fait sagement d'admettre que l'interruption résulte de cette citation ou comparution, "même dans les cas qui ne comportent pas le préliminaire de conciliation; " en effet, s'il s'agit d'affaires (et c'est ce qu'il faut supposer) où il y a plutôt dispense de conciliation que défense de transiger, c'est que la loi, pour des motifs de célérité ou par l'invraisemblance de la conciliation, ne veut pas soumettre les parties à des lenteurs préjudiciables à leurs intérêts (voy. c. pr. civ. fr., art. 49); or, si elles préfèrent, d'un commun accord, comparaître en conciliation, il n'y a aucune raison de séparer ce cas de celui des autres comparutions volontaires.
Si c'est une citation qui a été indûment donnée, le cas ne doit pas être traité plus défavorablement que celui de la citation nulle pour défaut de forme ou pour incompétence, que la loi traite ici comme la citation en justice ayant les' mêmes vices (3e al.).
Notons, à ce sujet, deux autres ressemblances entre la citation en justice et la citation en conciliation:
1° Les demandes reconventionnelles sont assimilées, à cet égard, aux demandes principales (28 al.);
2e La citation nulle doit être remplacée par une demande régulière, dans le mois du rejet de la première (3e al.).
Enfin, si le défendeur ne comparaît pas sur citation régulière, ou si, après comparution volontaire ou sur citation, il n'y a pas eu conciliation, l'interruption est réputée non avenue, à moins que la demande en justice ne soit formée dans le mois (4e al.).
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(d) Depuis peu, au Japon, on confie la tentative de conciliation à des officiers n'appartenant pas à l'ordre judiciaire (Kwankaïrî,*), comme cela a lieu en Allemagne: c'est une grande complication pour remédier à un mal assez minime qu'on pourrait corriger autrement et plus simplement.
Art. 1451. — 297. Quand une partie a déjà en sa faveur un jugement ou un acte authentique exécutoire sans jugement, il est clair que si elle veut interrompre une prescription, elle ne peut ni donner une citation en conciliation, ni former une demande en justice, et-pourtant, dans le cas d'un jugement déjà obtenu, la prescription qui avait été interrompue par la procédure a recommencé un nouveau cours, dès que le jugement est devenu irrévocable, et, dans le cas d'un acte authentique, la prescription peut avoir couru depuis bien longtemps et être imminente.
La loi vient alors au secours de la partie intéressée, propriétaire ou créancier, en attachant l'effet interruptif au commandement d'exécuter: il contient pour celui qui le reçoit un avertissement plus énergique encore que celui d'une demande en justice. Mais il ne faudrait pas que la partie qui a fait le commandement crût pouvoir sans danger rester ensuite dans une inaction indéfinie: la loi veut que la saisie exécution ait lieu dans l'année, autrement l'interruption de la prescription sera non avenue.
Le commandement diffère de la sommation dont il est parlé à l'article suivant, en ce qu'il doit être précédé ou accompagné de la copie intégrale du jugement ou de l'acte authentique en vertu duquel il est fait (v. c. pr. civ. fr., art. 583). S'il n'était pas régulier à cet égard, ou pour toute autre inobservation des formes prescrites par le Code de Procédure, il ne serait pas nécessairement sans effet, ni toujours interruptif de prescription: on examinerait s'il remplit au moins les conditions de la sommation interruptive, à laquelle nous arrivons.
Art. 1452. — 298. En France, la sommation n'est pas énoncée parmi les moyens d'interrompre la prescription, quoiqu'elle soit un moyen de mettre le débiteur en demeure (v. c. civ., art. 1139; Projet, jap., art. 356); la loi ne fait même pas exception pour les cas assez rares où la simple sommation suffit à faire courir les intérêts des dettes d'argent (c. civ. fr., art. 1652; Proj. jap., art. 715).
Le Projet est plus favorable à la partie qui, sans recourir aux rigueurs d'une demande en justice, a formellement exprimé la volonté d'obtenir satisfaction: si sa prétention n'est pas fondée, la suite le prouvera et l'interruption de la prescription sera non avenue, comme au cas de demande en justice mal fondée; si, au contraire, l'issue du litige lui est favorable, il n'y a pas d'objection sérieuse à faire dater l'interruption du jour de la sommation.
Mais la loi y met deux conditions dont la première rappelle la disposition finale de l'article 1446 et dont la seconde est en harmonie avec plusieurs conditions analogues des articles précédents: 1° il faut que la sommation indique clairement l'obligation dont il s'agit, par son objet, sa cause et ses deux sujets, actif et passif; 2° que la sommation, si elle est restée sans effet, soit suivie, dans les six mois, d'une demande en justice ou en conciliation.
La loi n'exprime pas formellement, comme allant de soi, que la dette doit être exigible; d'ailleurs, la deuxième condition l'implique suffisamment.
299. On a vu aux articles 1310 et 1311 que le tiers détenteur d'un immeuble hypothéqué peut prescrire l'extinction de l'hypothèque par un temps qui varie suivant certaines distinctions: la loi a pris soin de dire que cette prescription n'est pas interrompue par le renouvellement de l'inscription; mais elle attache l'effet interruptif à la sommation de payer ou de délaisser faite par le créancier au tiers détenteur, conformément à l'article 1274: comme il y a, là encore, un effet exceptionnellement important de la sommation, la loi croit utile de le rappeler ici.
Art. 1453. — 300. On a vu à l'article 1451 que lorsque le commandement d'exécuter a été fait régulièrement, il a produit un effet interruptif de prescription, mais que s'il n'est pas suivi de la saisie-exécution dans l'année, l'interruption est non avenue. Le Code de Procédure civile dira si la saisie-exécution tardive doit être précédée ou accompagnée d'un nouveau commandement. En supposant la solution négative, la saisie-exécution deviendra elle-même un nouveau moyen d'interruption.
Dans tous les cas, certaines saisies urgentes ne demanderont certainement pas de commandement préalable; telles sont, en France, la saisie-arrêt, la saisiegagerie, la saisie foraine et la saisie-revendication (voy. c. proc. civ., art. 55 3, 8 1 9, 2e al., 822 et 826); ces saisies interrompront donc la prescription par elles-mêmes, et comme la procédure en peut être plus ou moins longue, par suite d'incidents, le texte nous dit ici que l'interruption dure autant que la procédure, " pourvu que celle-ci soit continuée régulièrement jusqu'à sa terminaison."
Il y aura certainement aussi dans le Code de Procédure des saisies conservatoires (e); elles ne seront évidemment pas précédées d'un commandement, pas même peut-être d'une sommation, vu l'urgence: elles n'auront un effet interruptif durable " que si elles sont suivies dans les six mois, soit d'un commandement ou d'une saisie-exécution, s'il y a titre exécutoire, soit d'une demande en justice ou en conciliation."
301. Le 3e alinéa demande à être expliqué par un exemple. Primus est créancier de Secundus qui est lui-même créancier de Tertius; Primus peut pratiquer une saisie arrêt entre les mains de Tertius: elle ne se trouve pas pratiquée " contre celui qui prescrit " lequel est Secundus; pour qu'elle interrompe la prescription contre celui-ci, il faut qu'elle lui ait été notifiée: cela est tout naturel. Il en serait de même d'une saisierevendication que ferait un bailleur sur des objets formant son gage et qui auraient été déplacés sans son consentement ou appartiendraient à un sous-locataire (v. art. 1153, 2e al. et 1156).
Si, au contraire, Primus saisit les meubles possédés par son débiteur Secundus, celui-ci est suffisamment averti par cette saisie.
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(e) Notre Projet sur les Saisies, déjà cité (T. III, nos 85 et 250) en a admis plusieurs cas.
Art. 1454. — 302. La reconnaissance est le dernier mode d'interruption et c'est un des plus fréquents, parce qu'il est prompt et presque sans frais.
La reconnaissance peut être faite en justice ou extrajudiciairement:
1° En justice, elle peut être spontanée ou consister dans un aveu obtenu par interrogatoire sur faits et articles; ceci n'a rien de contraire à ce qui a été dit plus haut que la renonciation à la prescription ne peut être sollicitée par un interrogatoire de ce genre (n° 269. in f.);; il s'agissait alors d'une prescription acquise et non, comme ici, d'une prescription en cours: si l'interrogatoire avait été permis au cas de l'article 1433, il aurait porté sur la réalité de l'acquisition ou de la libération présumée, en d'autres termes sur le bien fondé de la prescription, et c'est ce que la loi ne permet pas; mais ici l'interrogatoire portera sur le fond du droit, sur l'existence du droit de propriété ou sur la créance ou son extinction, alors que la prescription n'est pas invoquée et ne pourrait l'être utilement. Si le défendeur ne reconnaît pas le droit du demandeur, il pourra être condamné; il est donc désirable qu'il fasse cette reconnaissance; c'est même son intérêt et il est naturel qu'il y soit invité.
2° Extrajudiciairement: soit par un écrit authentique ou privé, même par lettre, soit verbalement, mais alors dans les cas seulement où l'aveu verbal peut être prouvé par témoins, conformément à l'article 1368.
303. La loi renvoie, en terminant, à l'article 1371 qui donne une solution tout exceptionnelle, pour le cas où l'aveu a été rétracté par suite d'une erreur de fait: l'interruption n'est ni tout-à-fait maintenue, ni tout-àfait non avenue: d'un côté, le défendeur a été averti de la prétention du demandeur et la rétractation ne détruit pas cet avertissement; d'un autre côté, il ne doit pas être aussi maltraité que si son aveu était valable; la loi concilie les deux idées en permettant au défendeur de bénéficier de la reprise du cours de la prescription au point où elle était lors de l'aveu: c'est un cas, unique peut-être, où l'interruption, semblable en cela à la suspension, ne fait pas perdre le bénéfice du temps déjà écoulé (v. n° 136).
Art. 1455. — 304. Ceci est une autre distinction dans les reconnaissances.
Il n'y a rien à dire de la reconnaissance expresse.
A l'égard de la reconnaissance tacite, la loi distingue s'il s'agit de la prescription acquisitive ou de la prescription libératoire; mais elle ne donne que des exemples de reconnaissance tacite et non une énumération limitative.
Il est naturel que le possesseur d'un immeuble soit considéré comme reconnaissant le droit de propriété du demandeur, lorsqu'il acquiesce à une demande de fruits ou d'indemnité pour dégradations: il désavoue tout animus dornini, toute prétention à la propriété; il en est de même, lorsque, en sens inverse, c'est lui qu demande le remboursement de dépenses nécessaires ou utiles faites sur la chose.
En matière de prescription libératoire, il est égalemen naturel de considérer le débiteur comme reconnaissant sa dette lorsqu'il acquiesce à une demande d'intérêts ou de payement total ou partiel de cette dette, et, en sens inverse, lorsque c'est lui qui fait une offre de payement, même sans présenter la chose due.
A plus forte raison, dans les deux cas de prescription, y aura-t-il renonciation tacite, si le défendeur, même sans être actionné, a rendu les fruits demandés, a payé les indemnités ou les intérêts, ou s'il a reçu le remboursement de ses dépenses, sans l'avoir réclamé.
Il faut de même admettre comme reconnaissance tacite du droit du créancier, le fait d'invoquer un délai de droit non encore écoulé ou une condition non encore accomplie et, à plus forte raison, le fait de demander une prorogation de délai au créancier ou au tribunal.
Art. 1456. — 305. Comme la reconnaissance est un fait instantané, à la différence des procédures interruptives de prescription, une nouvelle prescription recommence à courir immédiatement, au moins en général. Mais la nouvelle prescription ne s'accomplira pas tOLljours par le même délai que la précédente.
La loi distingue encore, à ce sujet, entre la prescription acquisitive et la prescription libératoire.
S'il s'agit de la prescription acquisitive, le possesseur qui était peut-être de bonne foi à l'origine, commençant une nouvelle possession autant qu'une nouvelle prescription, ne pourra plus se prévaloir de sa bonne foi, au moins vis-à-vis du même demandeur. La loi a soin d'indiquer cette restriction à sa sévérité, parce que cela constitue une différence avec l'interruption naturelle dont l'effet est absolu (eî-gèt' omnes) (v. art. 1444); il est, en effet, conforme aux principes généraux qu'un acte juridique ne produise d'effets qu'entre les parties et leurs ayantcause (v. n° 284).
La loi ne s'explique pas ici sur la juste cause: d'abord il n'y a pas d'intérêt, puisque la juste cause sans bonne foi n'abrégerait pas la nouvelle prescription; ensuite, il n'est pas douteux que la juste cause antérieure n'est pas détruite par la reconnaissance: la juste cause est un fait dont l'existence peut être discutée, contestée, mais qui, une fois établi, ne peut être détruit par une déclaration quelconque; d'ailleurs, la reconnaissance du droit du vrai propriétaire n'a rien qui contredise la réalité d'un acte passé avec une autre personne.
La loi n'avait pas à formuler cette règle purement dogmatique.
306. Mais la reconnaissance peut prendre un autre caractère et enlever à celui qui la fait tout droit à la prescription, et cela non seulement vis-à-vis du demandeur, mais vis-à-vis de tous autres, c'est lorsqu'elle constitue le possesseur en état de détention précaire, c'està-dire lorsqu'il déclare posséder pour le demandeur qu'il reconnaît propriétaire: la précarité, en effet, est une qualité incompatible avec la prescription, puisqu'elle exclut la prétention à la propriété, l'anirnus domini, ce qui lui fait donner le nom de vice, admis ici par le texte, et c'est un vice absolu, ergà omes (v. T. Ier, n° 289).
La loi rappelle cependant que le vice de précarité peut être purgé de deux manières mentionnées à l'article 197.
Art. 1457. — 307. Il s'agit ici de la reconnaissance de dette, laquelle interrompt la prescription libératoire. Une nouvelle prescription recommence immédiatement, si d'ailleurs elle n'a pas été l'occasion de la concession d'un terme qui en suspendrait le point de départ (v. art. 1461).
Mais cette nouvelle prescription peut n'être plus de la même durée que la précédente: elle sera toujours de trente ans " quoique, primitivement, elle pût être plus courte." Et cela est très juste: lorsqu'il s'agit de courtes prescriptions, le délai n'a cette brièveté que parce que la dette est de celles qu'il est d'usage de payer promptement et dont aussi le débiteur ne garde pas lontemps les quittances; en même temps, les preuves des créanciers ne sont pas toujours bien convaincantes; mais lorsque le débiteur a reconnu sa dette devant la justice qui en a donné acte au créancier, ou par un écrit qui reste dans les mains de celui-ci, il est naturel que le débiteur qui acquitte sa dette ensuite s'en fasse donner une preuve écrite et qu'il ne soit dispensé de produire cet écrit, par présomption de payement, qu'après trente ans.
Art. 1458. — 308. L'article 1439, a réglé la capacité requise pour renoncer à la prescription " accomplie."
Il s'agit ici seulement d'une renonciation au bénéfice du temps déjà écoulé (v. art. 1437, 2e al.), car c'est là, en somme, le principal effet de la reconnaissance.
Pour cette renonciation ou reconnaissance, la loi n'exige que ” la capacité ou le pouvoir d'administrer, pour soi-même ou pour autrui, les biens que concerne la prescription." En effet, comme on l'a déjà fait remarquer par anticipation, sous l'article 1439 (n° 276, inf.), celui qui renonce à une prescription accomplie se dépouille, gratuitement en général, d'un avantage certain; tandis que celui qui n'est qu'en voie de prescrire n'a aucune certitude d'arriver à une prescription complète: peut-être même est-il déjà actionné au moment de sa renonciation.
Par application de notre article, la reconnaissance faite par un interdit sera toujours annulable (v. art. 569, 2e al.); elle pourra être annulée en faveur du mineur non émancipé, lorsqu'elle constituera pour lui une lésion (v. art. 570), et en faveur de la femme mariée quand celle-ci, n'ayant pas l'administration de ses biens, par son contrat de mariage, n'aura pets obtenu l'autorisation spéciale nécessaire (v. art. 573).
309. A l'égard des mandataires, légaux, judiciaires ou conventionnels, ce n'est pas une question de capacité proprement dite, mais de -pouvoir, comme le texte a soin de l'exprimer; or, le pouvoir qui leur est nécessaire pour faire une reconnaissance interruptive de prescription varie suivant qu'il s'agit d'une prescription acquisitive ou libératoire.
S'il s'agit d'une prescription libératoire, le pouvoir d'administrer les biens du débiteur suffit, car les mandataires pourraient payer la dette; ils doivent donc pouvoir la reconnaître pour éviter des poursuites et retarder le payement. Mais, pour une prescription acquisitive, il leur faut le pouvoir spécial d'acquiescer à la demande immobilière concernant le bien qu'ils administrent.
Le Livre Ier indiquera les pouvoirs du tuteur à cet égard et le Livre lIre, 11e Partie, ceux du mari; quant à ceux du séquestre ou de l'administrateur judiciaire, et à ceux du mandataire conventionnel, ils ne vont pas jusqu'à leur permettre cet acquiescement, sans un pouvoir spécial de l'autorité judiciaire ou du mandant (voy. art. 921 et 929).
Art. 1459. — 310. Comme la reconnaissance du droit contre lequel on prescrit n'est pas un contrat mais un acte unilatéral, la loi croit utile de dire que cet acte est soumis, quant à sa preuve, aux modes ordinaires: il n'y a, à cet égard, ni faveurs ni conditions spéciales; pour la preuve testimoniale notamment, il faudra que l'intérêt engagé n'excède pas 50 yens, ou que l'on se trouve dans les cas exceptionnels où cette limite n'est plus imposée (v. art. 1405).
Art. 1460. — 311. Cet article n'est qu'un renvoi à des théories spéciales déjà souvent rencontrées, le cautionnement, la solidarité et l'indivisibilité actives et passives, lesquelles créent entre les parties une certaine communauté d'intérêts qui influe sur l'interruption de la prescription par l'effet d'une sorte de mandat réciproque. Comme on est entré, à cet égard, dans des développements suffisants sous les articles cités au texte, on ne doit pas y revenir ici.
SOMMAIRE.
N° 312. Caractère général des causes de suspension, comparé à celui des causes d'interruption: il justifie la différence dans les effets.
Art. 1461. — 313. Terme de droit ou de grâce; condition suspensive. -314. La déchéance du terme de droit ou de grâce ne fait cesser la suspension que quand elle a été prononcée par jugement. -315. Question sur la concession d'un nouveau délai par le créancier ou par le tribunal.
1162. —316. Droits dont l'existence, l'exercice ou l'étendue sont subordonnés à l'ouverture d'une succession.
1463. -317. Suspension de l'action en nullité et de l'exception de nullité de l'héritier contre un testament ou une convention de son auteur. -318. Suite.
1164. —319. La suspension n'a pas lieu contre les tiers détenteurs: il faut une interruption à leur égard.
1465. -320. La suspension n'est qu'un temps d'arrêt clans le cours de la prescription.
1466. -321. La loi est limitative quant aux personnes qui jouissent d'une suspension de prescription.
1467. -322. Critique du Code français au sujet de la suspension en faveur des mineurs et interdits. -323. Suite. —324. Innovation du Projet. -324 bis. Courtes prescriptions.
1468. —325. La prescription court contre la femme mariée deux cas exceptés. -326. Dans quelle mesure la prescription est suspendue.
1469. —327. Renvoi pour la suspension de la prescription de l'action en nullité.
1470. 328. Prescription entre époux: dans quelle mesure elle est suspendue.
1471. 329. Suspension contre l'administrateur. -330. Non suspension e n sa f a v e u r.
1471 bis. -331. Suspension en faveur de la succession et de l'héritier, pendant les délais pour faire inventaire et délibérer. -332. Refus du premier héritier. -333. Idem en faveur de la femme commune en biens. -333 bis. Idem, s'il y a prorogation judiciaire des délais.
1472. -334. Danger de l'axiome "la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice" (contra non valentem agere nom curritjjrœscrijjtin). -335. Deux cas d'obstncles de force majeure opérant suspension de la prescription. -336. Trois conditions pour jouir du bénéfice de la loi. -337. Protection spéciale des militaires et marins.
1473. -338. Renvoi pour la suspension, au cas d'indivisibilité des droits.
COMMENTAIRE.
N° 312. On sait déjà, par ce qui a été dit sous l'article 1441, et bientôt l'article 1465 disposera formellement, que la suspension est un temps d'arrêt dans la prescription, lequel ne met pas, comme l'interruption, obstacle à la jonction du temps déjà utilement écoulé au temps qui reprendra son cours après un certain intervalle. Mais on n'a pas encore indiqué le caractère différent des causes de suspension comparé à celui des causes d'interruption.
On a vu, au Chapitre précédent, que les causes d'interruption consistent toujours dans un fait volontaire de l'homme tendant, d'une façon plus ou moins directe et formelle, à la conservation du droit menacé par la prescription.
Ici, les causes sont indépendantes d'un fait actuel de l'homme: elles résultent, virtuellement ou par le bienfait de la loi, soit de la modalité des droits exposés à la prescription, soit de la condition du titulaire de ces droits, c'est-à-dire du propriétaire ou du créancier, et cette condition est envisagée tantôt d'une façon absolue ou en elle-même, tantôt relativement au possesseur ou au débiteur.
Du reste, ce ne sont là encore que les causes immédiates ou directes et, pour ainsi dire, externes, de la suspension: elles se peuvent ramener à une cause supérieure et unique qui est l'impossibilité certaine ou présumée par la loi, chez le propriétaire ou le créancier, de faire valoir son droit par action en justice ou autrement.
Toute cette théorie de la suspension sera encore une preuve que la prescription est seulement une présomption que le droit a été épuisé par son exercice ou par un abandon volontaire, et ici la présomption fait défaut.
Cette différence de nature des causes suffit à faire comprendre que l'effet de la suspension soit moins rigoureux que celui de l'interruption et qu'elle ne produise qu'un arrêt dans la marche du temps de la prescription, au lieu d'anéantir le bénéfice du temps déjà écoulé, comme fait l'interruption.
Au surplus, si la suspension est, le plus souvent, un temps d'arrêt dans la marche de la prescription elle est, quelquefois aussi, un arrêt dans son point de départ: les trois premiers articles de ce Chapitre sont dans ce sens (v. infrrl, n° 320).
Art. 1461. — 313. On sait que la condition suspensive, tant qu'elle n'est pas accomplie, met obstacle à la naissance du droit qui y a été subordonné, soit par la convention, soit par la loi (v. art. 428); le terme, au contraire, n'empêche pas le droit de naître, mais il met seulement obstacle à son exercice (v. art. 423).
Il est naturel que les droits ne puissent se perdre par la prescription tant qu'ils n'ont pu être exercés; c'est le cas où s'applique exactement la maxime dont on abuse quelquefois (v. n° 334): contrà non valentem agere non ouvrit prœscriptio, " contre celui qui ne peut agir en justice la prescription ne court pas." Il est impossible, en effet, de présumer raisonnablement qu'un créancier, par exemple, a été désintéressé, tant qu'il ne pouvait réclamer son payement.
Il ne faudrait pas s'arrêter à l'objection que si le terme a été stipulé dans l'intérêt du créancier il a toujours pu y renoncer (v. art. 424): de ce qu 'il a pu renoncer au terme ce n'est pas une raison pour qu'il l'ait fait; d'ailleurs, si le créancier avait renoncé au terme, il n'aurait pas manqué sans doute de se faire payer immédiatement; par conséquent, si le débiteur ne prouve pas que cette renonciation a eu lieu, le terme est un obstacle au cours de la prescription, parce qu'il empêche de présumer qu'il y a eu payement.
L'objection aurait encore moins de valeur si le terme avait été stipulé dans l'intérêt du débiteur; celui-ci ne pourrait alléguer qu'un terme auquel il a toujours pu renoncer ne peut être retourné contre lui et le priver de la prescription: il a pu y renoncer, sans doute, mais s'il ne prouve pas l'avoir fait, il est présumé en avoir joui.
314. La loi exprime formellement que le terme de grâce a le même effet suspensif que le terme de droit, et cela est juste, car le terme de grâce, concédé par le tribunal, met, tout autant que le terme de droit concédé par le créancier, obstacle à l'action de celui-ci. Cependant, il est plus fragile, en ce sens que le débiteur en peut être déchu plus facilement (v. art. 427), et l'on pourrait se demander si le débiteur qui se trouverait dans un de ces cas de déchéance pourrait recouvrer le bénéfice de la prescription.
La réponse dépend d'une distinction: comme la déchéance du terme de grâce, de même que celle du terme de droit, n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée en justice par le créancier, le débiteur ne recouvrera le bénéfice de la prescription qu'après le jugement qui aura prononcé sa déchéance; jusque-là, il ne peut prescrire, car ce serait tirer avantage de sa faute, puisque les cas de déchéance (sauf un seul, celui où il y a compensation légale) supposent sa faute.
La même solution doit être appliquée aux cas de déchéance du terme de droit, lesquels supposent tous une faute.
315. Un cas particulier demande un instant d'attention. Si, au cours de la prescription, le créancier a concédé au débiteur un terme qui sera de droit, ou si le tribunal lui a concédé un terme de grâce, quelle sera l'influence de ce terme sur la prescription ?
Il ne faudrait pas répondre d'une façon absolue qu'il en résultera une suspension, et quelquefois, en sens inverse, cet effet sera dépassé.
Ainsi, si le créancier, de son propre mouvement, faisait savoir au débiteur qu'il lui accorde un délai, sans que celui-ci y acquiesçât, il serait inadmissible que le créancier pût ainsi enlever au débiteur le bénéfice du temps déjà accompli, lequel pouvait le conduire bientôt à la prescription: le créancier avait, pour arriver à ce résultat, le moyen d'une demande en justice que le débiteur aurait pu combattre; la concession d'un délai qu'on ne lui demande pas ne peut avoir le même effet.
Mais si le débiteur a acquiescé à ce délai et, à plus forte raison, s'il l'a sollicité, alors l'effet est supérieur à une suspension de la prescription: c'en est une interruption, car c'est une reconnaissance tacite de la dette (v. art. 1455 et n° 34, in /.).
Il en serait de même si le débiteur demandait au tribunal un terme de grâce, lors même qu'il ne l'obtiendrait pas.
Art. 1462. — 316. La disposition du présent article est encore l'application directe du principe qu'un droit ne peut se perdre par la prescription que lorsqu'il est né et que l'exercice en est possible légalement.
Certains droits dépendent de l'ouverture d'une succession, soit quant à leur naissance même, soit quant à leur étendue, soit quant à leur exercice: aucun de ces droits ne peut se perdre par prescription tant que la succession n'est pas ouverte et que le délai de la prescription ne s'est pas écoulé depuis cette ouverture.
A la première catégorie semblerait appartenir le droit même de succéder, le droit de l'héritier légitime et celui du légataire universel ou particulier.
Mais c'est à peine si l'on peut considérer notre article comme applicable à ce droit qui est soumis à tant de conditions qu'on ne peut guère dire qu'il existe, même en germe.
En effet, il est subordonné à ces six conditions, au moins: 1° que l'héritier présomptif survivra au de cujus (à son auteur) (a), 2° qu'il ne sera pas incapable de succéder, 3° qu'il n'en sera pas légalement indigne, 4° qu'il ne sera pas exclu de la succession par la volonté du défunt, 5° que l'héritier lui-même ne répudiera pas la succession, 6° enfin que le défunt laissera effectivement une succession; et ce ne serait pas exagérer que d'exiger une 78 condition, à savoir qu'une loi n'ait pas, avant l'ouverture de la succession, changé l'ordre des héritiers, car cette loi s'appliquerait certainement, au détriment du précédent successible.
C'est même cette dernière condition qui prouve qu'on ne doit pas considérer le titre d'héritier comme un droit en germe, tels que sont les droits conditionnels, car s'il avait déjà ce caractère, si faible qu'il fût, il ne serait pas soumis aux dispositions d'une loi nouvelle (b).
Mais il reste d'autres droits moins éventuels et qu'on peut, avec plus d'exactitude, dire soumis pour leur existence à l'ouverture de la succession: ce sont les droits de demander le rapport et la réduction des donations; on pourrait bien, à la rigueur, faire quelque objection tirée également de l'applicabilité d'une loi nouvelle à ces droits; mais ce serait sortir de notre sujet que de la discuter ici.
De toute façon, et pour ne pas exposer la loi à quelque lacune, il a paru bon d'indiquer d'abord des droits dont " l'existence même " est subordonnée à l'ouverture d'une succession.
Quant aux droits de la seconde catégorie, ceux dont " l'étendue" seule n'est fixée qu'au décès d'une personne, nous ne pensons pas qu'il puisse s'en trouver un grand nombre: nous citerons au moins en ce sens certaines combinaisons des assurances donnant droit à des sommes payables à un décès et susceptibles de s'augmenter à mesure que ce décès est plus retardé.
A la troisième catégorie se rattachera le droit de toucher l'indemnité d'un décès, au cas d'assurance sur la vie, prévu aux articles 863 et suivants, celui de recouvrer des objets soumis à un usufruit viager, et généralement les droits dont,, l'exercice " seul est soumis à un décès, soit par convention, soit par la loi: le décès, dans ce cas, est un terme incertain.
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(a) Sur l'expression de cujus, voir Tome II, n° 99, note j.
(b) Ceci nons suggère une nouvelle justification de la défense de faire une convention sur une succession non ouverte: c'est qu'une succession ouverte n'est l'objet d'ancun droit, même conditionnel. Cette idée ne s'est pas présentée à notre esprit avec la même évidence, au moment de notre explication de l'article 342, 2,6 alinéa. (v. T. II, n° 98) et nous ne l'avons pas rencontrée chez les commentateurs de l'article 1130 du Code français.
Art. 1463. — 317. Ici, la prescription est suspendue non seulement jusqu'à un décès, mais encore plus tard: la loi ne veut pas qu'un héritier soit privé par la prescription d'une action en nullité qu'il ne saurait pas lui appartenir. Mais le cas demande une certaine attention.
S'il s'agit d'un testament, lequel donne toujours un droit contre l'héritier pour l'exécution, la loi considère que l'héritier peut ignorer ce testament, par conséquent aussi ses vices. Si le testament est nul en la forme, l'héritier n'aura pas à prendre l'initiative: il opposera la nullité quand on l'invoquera contre lui et il ne pourra, jusque-là, être déchu par l'effet d'aucune prescriptionS'il l'a exécuté sans réclamation, il pourra, soit revendiquer la chose léguée comme étant encore sienne, soit se faire restituer les valeurs fournies comme payées indûment; mais dans ces deux cas, la prescription commence à courir contre lui du jour de la livraison ou du payement, et il n'y a pas de suspension.
Mais si le testament est vicié soit par incapacité, soit par erreur, violence ou dol, alors il n'est qu'annulable et l'héritier devrait prendre l'initiative d'une action en nullité. Or, si la loi ne venait pas à son secours, il pourrait arriver que cette action en nullité, durât-elle trente ans (c), se trouvât prescrite avant que l'héritier eût été informé de l'existence du testament et par conséquent de son vice, sans que le droit du légataire fût perdu par son inaction pendant le même temps; c'est ce qui arriverait si le légataire jouissait d'une cause de suspension par suite d'une qualité personnelle ou si le legs était conditionnel, car la condition mise au legs ne rend pas conditionnelle l'action en nullité. La loi prévient ce résultat en suspendant la prescription de ladite action en nullité jusqu'à ce que le testament ait été invoqué ou exercé contre l'héritier.
318. S'il s'agit d'une convention du défunt, la solution est la même, mais encore avec une distinction. Si le défunt avait aliéné un bien étant incapable ou étant sous l'influence d'un vice de consentement et qu'il eût exécuté la convention de façon à ce qu'il n'en pût résulter d'action dans l'avenir contre son héritier, l'action en nullité de l'héritier se prescrirait par le délai ordinaire de cette action, par 10 ans, en droit français (art. 1304), par 5 ans, d'après le Projet (art. 566).
Mais si la convention n'a pas été exécutée ou ne l'a été qu'en partie, comme alors " il en résulte une action à exercer contre l'héritier," ainsi que l'indique le texte de notre article, l'action en nullité ou l'exception de nullité est suspendue en sa faveur tant que la partie adverse n'a pas invoqné ou exercé contre lui le droit résultant de la convention.
Ces solutions, en l'absence de texte semblable dans le droit francais, y seraient peut-être admises, car il serait désastreux pour l'héritier de perdre l'action en nullité avant d'avoir connu le testament; mais il est bon de les mettre hors de contestation au Japon.
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(c) Le Projet aura à fixer la durée de l'action en nullité du testament fait par un incapable ou par une personne dont le consentement a été vicié: il n'y aurait guère de raison de fixer un délai plus long que pour les conventions, 5 ans (v., art. 566). Le Code français n'ayant fixé le délai de l'action en nullité que pour les conventions (10 ans, art. 1304), on doit décider que contre un testament l'action en nullité dure 30 ans.
Art. 1464. — 319. La position des tiers détenteurs est généralement meilleure que celle des parties originaires, parce qu'ils n'ont pas d'obligation personnelle: lorsqu'ils possèdent un bien, ils le possèdent envers et contre tous et on ne peut leur opposer les causes de suspension qui auraient pu être opposées à celui de qui ils tiennent leur droit.
Ainsi, supposons que Primus ait acheté un immeuble de Secundus sous condition suspensive et qu'il ait fait transcrire son acquisition: tant que la condition suspensive n'est pas accomplie, Primus ne peut perdre par prescription son droit contre Secundus; mais si Secundus a vendu le même immeuble purement et simplement à Tertius et le lui a livré, et si celui-ci a fait. également transcrire son titre, il prescrira la propriété contre Primus, même avant l'accomplissement de la condition qui suspend le droit de celui-ci. Il en serait de même si Tertius avait acquis l'immeuble d'un autre que Secundus: sa possession serait opposable à Primus nonobstant la condition à laquelle il reste étranger.
Mais ce résultat, fâcheux pour Primus, peut être facilement conjuré par un moyen qu'indique la loi: il lui suffira de faire reconnaître son droit éventuel par le possesseur, soit à l'amiable, par un titre authentique ou privé ou par lettre, soit en justice; la loi a soin d'ajouter qu'il n'y aura pas lieu de " prendre d'autres conclusions actuelles," c'est-à-dire de formuler aucune autre réclamation.
Le moyen serait le même s'il s'agissait de prévenir, contre un tiers détenteur, la prescription extinctive de l'hypothèque prévue à l'article 1310: dans le cas où un créancier hypothécaire n'a qu'une créance conditionnelle, il ne peut interrompre la prescription de l'hypothèque par la sommation de payer ou de délaisser qui est permise aux autres par l'article 1311 et que rappelle l'article 1452, c'est pourquoi la loi lui donne ici un moyen de se garantir de la prescription en respectant la condition de son droit.
Remarquons que, dans ces deux cas, ce n'est plus une suspension de la prescription qui a lieu, c'est une véritable interruption.
Art. 1465. — 320. Cet article consacre le principe déjà annoncé deux fois (nos 278 et 312), que la suspension ne produit qu'un temps d'arrêt dans la marche de la prescription, en laissant subsister le bénéfice du temps déjà écoulé: il y a alors jonction du temps antérieur au temps postérieur; la justification de cette différence avec l'interruption ayant été donnée (n° 312), il n'y a pas lieu de s'y arrêter davantage.
Remarquons seulement que si cet article n'a pas été placé plus tôt, c'est parce que jusqu'ici la prescription était suspendue ayant d'avoir commencé à courir, tandis que, maintenant, on va la trouver suspendue u pendant son cours."
A ce sujet, nous ferons observer que le Projet n'a aucun scrupule à employer le mot de " suspension" dans les deux cas, quoique quelques personnes soutiennent qu'il n'y a de véritable suspension que quand la prescription est arrêtée dans son cours, non quand son départ est retardé.
Dans cette opinion, il faut adopter un autre mot pour le retard originaire et l'on n'a guère que celui " d'empêchement" qui s'emploie déjà dans un autre ordre d'idée: à savoir, pour exprimer le défaut des qualités requises dans la possession pour prescrire (v. l'intitulé du Cliap. III du Titre de la Prescription au c. civ. fr.) ce qui est un inconvénient plus grave.
Ce scrupule exagéré que nous ne partageons pas aurait pour effet de jeter de la confusion dans une matière déjà compliquée, car il faudrait changer d'expression pour indiquer l'effet des mêmes causes, suivant que celle-ci se produiraient avant ou après que le cours de la prescription aurait commencé. D'ailleurs, il est très correct, dans le langage ordinaire, de dire qu'un fait est suspendu quand le commencement en est ajourné; ainsi on suspend son jugement jusqu'à ce qu'on soit éclairé, on suspend son départ jusqu'à une certaine époque.
Art. 1466. — 321. Cet article aurait pu, comme on y a songé d'abord, ouvrir le présent Chapitre; mais alors il eût fallu lui donner plus de généralité et dire que " la prescription n'est suspendue que dans les cas et en faveur des personnes que la loi détermine." On n'a pas cru devoir proposer de limiter aussi rigoureusement les cas de suspension que les personnes en faveur desquelles elle existera: d'abord les articles 1462 et 1463 ont déjà une certaine largeur qui permet difficilement de dire que ce sont "des cas déterminés par la loi mais c'est surtout l'article 1472 qui ne cadrerait pas avec cette rigoureuse limitation; il est pourtant accompagné de quelques restrictions, mais elles n'excluent pas une certaine appréciation des juges, au sujet de l'impossibilité d'agir en justice pour faire valoir le droit menacé de la prescription (voy. n° 336).
On n'exige donc une détermination légale que quant aux personnes en faveur desquelles la prescription sera suspendue, et dès lors cet article se trouve précéder l'énumération de ces personnes.
En fait, le Code français n'a établi également la limitation que pour ' les personnes se trouvant dans quelquè exception établie par la loi" (art. 2251).
Art. 1467. — 322. Dans la plupart des législations de l'Europe, peut-être dans toutes, les prescriptions de plus de cinq ans sont suspendues en faveur des mineurs et des interdits, de sorte que leurs droits réels et personnels sont à l'abri d'une prescription dont le délai s'achèverait pendant leur incapacité.
On a souvent signalé les inconvénients de cette disposition qui peut laisser la propriété et la libération dans une longue incertitude: déjà bien dure pour les débiteurs des mineurs qui pourront être recherchés après un temps considérable, cette suspension est funeste aux possesseurs d'immeubles qui, n'ayant pas traité avec le mineur ou ses auteurs, peuvent ne pas soupçonner le danger de revendication et s'endormir dans une fausse sécurité.
La minorité peut, en effet, durer bien des années après que des droits contre lesquels la prescription avait commencé à courir du chef d'un majeur ont passé sur la tête d'un mineur: celui-ci peut mourir avant sa majorité et avoir lui-même un héritier mineur; de là une très longue suspension.
L'inconvénient est encore plus frappant s'il s'agit d'un interdit qui peut ne jamais recouvrer la raison, et même laisser aussi un héritier mineur. Et quand on songe que les mineurs et les interdits ont un tuteur pour sauvegarder leurs droits contre la prescription, on ne comprend guère pourquoi ils obtiennent une faveur si contraire à l'intérêt général.
En présence de cette grave objection, on peut s'étonner que les nouveaux Codes étrangers, notamment le Code italien, aient suivi la tradition du Code français.
323. Le motif qu'on donne d'ailleurs pour justifier cette suspension est loin d'être concluant. On dit que le tuteur pourrait ignorer les droits du mineur ou de l'interdit et laisser s'accomplir la prescription sans encourir de responsabilité, et que, dans le cas où une négligence lui serait imputable, il pourrait être hors d'état d'indemniser le mineur ou l'interdit.
Ces deux raisons sont bien faibles.
D'abord, il sera bien rare que le mineur ait des droits de quelque importance qui ne se révèlent pas par l'administration de la tutelle, laquelle met aux mains du tuteur tous les titres et documents du mineur ou de l'interdit, ou que ces droits ne lui soient pas signalés par les parents de celui-ci formant le conseil de famille; d'ailleurs, s'il s'agit de prescription libératoire, les créances résulteront peut-être d'actes du tuteur lui-même.
Quant au danger d'insolvabilité du tuteur, il est difficile de croire qu'il ait été considéré comme sérieux par des législations qui accordent au mineur et à l'interdit une hypothèque générale sur les immeubles du tuteur.
Restât-il quelque chose de fondé dans ces deux raisons, ce ne serait pas encore suffisant pour sacrifier un grand intérêt général à l'intérêt individuel de ces deux incapables.
324. Le Projet propose une innovation nécessaire avec un tempérament qui sauvegarde suffisamment l'intérêt du mineur et de l'interdit. La prescription n'est pas suspendue en leur faveur: elle continue à courir contre eux; mais on peut dire qu'elle ne s'achève pas pendant la minorité ou l'interdiction: elle s'arrête au commencement de la dernière année; la loi laisse ainsi aux incapables ou à leurs héritiers un délai pour agir en revendication ou en payement, quand l'incapacité a cessé. Ce délai d'un an leur suffira bien pour prendre connaissance de leurs droits et commencer des poursuites réelles ou personnelles.
Cette innovation du Projet n'empêchera donc pas qu'on puisse encore, par forme d'abréviation, parler de suspension de prescription en faveur des mineurs et interdits, car le système du Projet permet de dire que " la prescription est suspendue pendant la dernière année."
Si, au moment où le droit d'un majeur est passé par succession à un mineur, la prescription contre ce droit n'avait plus une année entière à courir, la suspension ne lui conserverait qu'une fraction d'année pour agir, c'est à quoi le texte fait allusion (2e al.).
324 bis. Nous n'avons encore rien dit du 1er alinéa de notre article, parce qu'il n'innove pas sur le Code français: les prescriptions de cinq ans et au-dessous, dites Il courtes prescriptions," courent sans restriction, contre les mineurs et les interdits, ” comme contre les majeurs sains d'esprit; " mais, comme le tuteur peut être en faute, soit d'avoir négligé d'exercer leur droit qu'il connaissait, soit de l'avoir ignoré, pouvant le connaître, il est responsable du préjudice qu'il a causé.
Art. 1468. — 325. En France, la prescription court contre les femmes mariées, bien que, généralement, l'exercice de leurs droits appartienne au mari (v. art. 2254): on considère qu'elles peuvent toujours, au cas où leur mari négligerait leurs droits, se faire autoriser en justice à prendre des mesures conservatoires; à plus forte raison, sont-elles soumises à la prescription lorsque le régime matrimonial leur laisse l'administration de leurs biens personnels (v. art. 2254).
Mais cette règle reçoit trois exceptions dont deux sont conservées par le Projet avec une atténuation dans leur effet, et dont la troisième n'y peut figurer, puisqu'on n'y admettra pas l'inaliénabilité du fonds dotal ni, par conséquent, son imprescriptibilité.
Chacun des deux cas exceptés demande quelques éclaircissements.
Ier Cas. Il peut arriver que le contrat de mariage autorise la femme à exercer, alternativement, à son choix, un droit ou un autre, lors de la dissolution du mariage: par exemple, elle pourra reprendre dans la succession du mari ou dans les mains de celui-ci, en cas de divorce, soit un immeuble qu'elle a apporté en dot, soit une somme d'argent.
Si l'immeuble a été vendu ou donné par le mari, ce choix ne pouvant s'exercer que lors de la dissolution du mariage, et quelquefois suivant le parti que la femme prendra sur l'acceptation ou la répudiation de la communauté, la femme ne pourrait pas revendiquer l'immeuble contre les tiers et ceux-ci auraient pu le prescrire: la loi ne le permet pas, ou au moins elle réserve à la femme un droit qui rappelle celui que l'article précédent accorde au mineur. Il est vrai que la femme pourrait interrompre cette prescription d'un tiers contre son droit conditionnel (v. art. 1464); mais elle se trouve dans une sorte d'empêchement moral d'agir analogue à celui du cas suivant.
La solution ne changerait pas si le mariage était dissous par la mort de la femme: ce seraient alors ses héritiers qui exerceraient, de son chef, l'option suspendue pendant le mariage.
IIe Cas. Le mari est supposé avoir vendu un des immeubles restés la propriété pure et simple de la femme: celle-ci assurément a eu le droit de le revendiquer, elle serait donc, en principe, exposée à la prescription, ayant d'ailleurs pu l'interrompre, comme dans le cas précédent. Mais la loi considère encore que la femme a été moralement empêchée d'agir: elle a su, son mari lui a fait savoir (et l'acheteur à défaut du mari) que si elle revendiquait son bien, l'acheteur se retournerait aussitôt contre le mari, par l'action en garantie d'éviction; il est naturel alors qu'elle ait reculé devant une mesure qui pouvait créer des embarras d'argent à son mari. C'est là ce que nous avons cru pouvoir appeler un empêchement moral à son action en justice, qui ”réfléchirait contre le mari," suivant l'expression assez heureuse que notre texte emprunte au Code français (v. art. 2256-2°).
326. Mais le Projet s'écarte encore ici de la théorie française: il n'y aura pas suspension de la prescription pendant toute la durée du mariage, la prescription suivra son cours; seulement elle s'arrêtera un an avant son entier accomplissement, ce qui laissera toujours à la femme ou à ses héritiers un an entier pour agir après la dissolution du mariage.
C'est dans deux cas, la même situation faite à la femme que celle faite aux mineurs et interdits dans tous les cas.
On devait aussi songer au cas où le mariage étant dissous par la mort de la femme, le droit passerait à ses héritiers: s'ils n'avaient qu'une année de délai depuis le décès, elle pourrait être écoulée avant qu'ils eussent pris qualité et acquis la connaissance des droits que la femme leur transmettait.
Pour eux, en vue de ce cas et de tous autres analogues, on a ajouté une disposition plus générale qui forme l'article 1471 bis.
Art. 1469. — 327. Cet article se réfère à une suspension particulière de la prescription établie en faveur de l'action en nullité des conventions consenties par des incapables ou par des personnes capables, mais dont le consentement a été vicié: dans ces cas, la prescription est suspendue pendant toute la durée de l'incapacité ou jusqu'à ce que le vice du consentement ait pris fin (voy. art. 567 et 568).
Au moment où ces articles ont été rédigés, l'innovation portée à nos articles 1467 et 1468 n'était pas encore arrêtée définitivement; mais on n'entendait pas, de toute façon, l'appliquer à l'action en nullité qui est une protection spéciale et dont le délai est déjà d'une durée moitié moindre que dans le Code français (comp. art. 1304). On ne propose donc pas ici d'en réduire la suspension.
C'est encore, à un autre point de vue, une exception à l'article 1467, car la prescription de l'action en nullité, étant de 5 ans dans le Projet, aurait pu courir pendant la minorité.
Art. 1470. — 328. En disant que la prescription court entre époux, le Projet pose encore un principe opposé à celui du Code français (v. art. 2253).
Sans doute, on peut dire qu'il n'est pas bon que les époux soient placés dans l'alternative ou de perdre leurs droits respectivement, parce qu'ils auront craint de compromettre la paix conjugale par des poursuites l'un contre l'autre, ou de perdre la bonne union parce qu'ils auront fait valoir leurs droits; et c'est bien, là encore, ce qu'on peut appeler un empêchement moral aux poursuites.
Mais était-il nécessaire, pour concilier les deux intérêts, de suspendre entièrement la prescription pendant toute la durée du mariage ? On ne l'a pas cru.
Du moment qu'on a déjà adopté un système de " suspension limitée" pour les mineurs, les interdits et la femme mariée, lorsque la prescription qui les menace court au profit d'un tiers, il est naturel de l'appliquer ici également, quoique l'empêchement moral d'agir soit plus direct.
La prescription courra donc entre les époux lorsque l'un sera débiteur de l'autre, ou lorsque l'un possédera comme sien le bien de l'autre, et dès qu'il ne restera plus qu'un an à courir pour que la prescription soit accomplie, elle se trouvera suspendue, de sorte que l'époux ou ses héritiers auront toujours un an pour faire valoir leur droit.
Toutefois, s'il s'agit d'une courte prescription, d'un an ou au-dessous, la suspension n'aura lieu que pour moitié de sa durée, soit pour six mois, s'il s'agit d'une prescription d'un an (v. art. 1496) et pour trois mois si la prescription est de six mois (v. art. 1497). Ces prescriptions d'ailleurs, seront bien rares entre époux, à cause de la nature des créances qu'elles concernent.
Il fallait surtout prévoir le cas de la prescription instantanée des meubles: lors même qu'on l'aurait suspendue entre époux pendant le mariage, elle aurait immédiatement produit son effet après sa dissolution, de sorte que la protection de l'époux propriétaire et de ses héritiers serait nulle, comme elle l'est dans le Code français. Le Projet accorde alors trois mois comme étant le plus court délai résultant de la disposition qui précède sur les courtes prescriptions.
Mais il existe encore en faveur de la femme mariée deux causes de suspension que la loi réserve, pour que cet article ne paraisse pas absolu dans ses dispositions; il en existe une autre en faveur de ses héritiers; de là, le renvoi aux deux articles suivants.
Art. 1471. — 329. Ici la suspension n'est pas limitée comme dans les articles précédents, mais elle est complète et dure autant que sa cause.
Lorsqu'une personne est administrateur des biens - d'une autre, en vertu de la loi comme le tuteur ou le mari, de l'ordre de la justice comme un syndic de faillite ou l'administrateur d'une succession vacante, ou en vertu d'une convention comme un mandataire ou un gérant de société, si cette personne est en même temps débitrice de celui dont elle gère les biens, ou si elle possède un bien appartenant à celui-ci, ce serait à elle à faire valoir le droit qui existe contre elle-même, ou au moins à interrompre la prescription. Mais ce serait peu praticable et elle y manquerait naturellement; or, comme elle encourrait, de ce chef, une responsabilité précisément égale au préjudice par elle causé, c'est-à-dire au droit que la prescription accomplie aurait fait perdre au maître ou titulaire, il est plus simple que la loi suspende la prescription tant que dure ce cumul des qualités contraires d'administrateur et de débiteur ou de possesseur.
Bien entendu, et la loi a soin de l'exprimer, il faut que la créance qui existe contre l'administrateur et le bien qu'il possède rentrent dans son administation. S'il s'agit d'une administration générale, comme celle du tuteur ou d'un mandataire général, il n'y a pas de question; mais le mandat légal ou conventionnel et l'administration confiée par justice pourraient avoir un objet spécial ou déterminé et ne pas concerner la créance contre l'administrateur ou la chose possédée par lui.
La loi nous dit que la prescription recommence à courir dès que l'administration a cessé. Mais, là encore, il fallait songer à la prescription instantanée des meubles qui se trouverait accomplie avant que le maître des affaires eût pu reprendre effectivement la gestion: la loi lui accorde un délai de trois mois, comme entre époux, et bien qu'elle ne réserve pas la suspension portée à l'article 1471 bis, il n'est pas douteux qu'il l'y faille suppléer.
330. La loi n'accorde pas à l'administrateur une faveur inverse de la rigueur qui précède, pour le cas où il serait créancier de celui dont il gère les affaires ou propriétaire d'un bien dont celui-ci serait possesseur. C'est qu'en effet il n'y a pas même raison: le tuteur, le mari, le mandataire général, peut bien se payer de ses propres mains, et il lui suffira même de déduire sa créance au moment où il rendra ses comptes, sans avoir à prouver qu'il s'est payé antérieurement.
Quant au bien dont il est propriétaire, il lui aura fallu, il est vrai, faire un acte judiciaire interruptif de la prescription acquisitive, et cet acte il aura dû le faire contre la personne même du possesseur ou contre un mandataire ad hoc qu'il aura fait nommer; mais c'est une procédure assez facile pour qu'il n'y ait pas lieu de l'en dispenser et pour qu'on ne voye pas là un empêchement moral d'agir comme nous en avons rencontré plusieurs.
Le Code francais dans un cas particulier, a suspendu la prescription en faveur de l'administrateur, c'est lorsqu'il s'agit de l'héritier bénéficiaire créancier de la succession qu'il administre (v. art. 2258, 1er al.). On ne croit pas devoir proposer cette exception: l'héritier bénéficiaire fera figurer sa créance dans son compte de gestion comme s'il s'était payé lui-même.
Art. 1471 bis. -331. Voici encore un point sur lequel le Projet s'écarte du Code français, lequel porte que " la prescription court pendant les trois mois pour faire inventaire et les quarante jours pour délibérer " (art. 2259) Le motif de cette innovation est qu'il serait trop dur de faire courir la prescription contre la succession tant qu'elle n'a pas de représentant définitif, et contre l'héritier appelé à la recueillir, tant qu'il n'a pas pris qualité et qu'il est encore dans les délais qui lui sont accordés pour s'éclairer sur les forces de la succession et pour se décider dans le sens de l'acceptation ou de la répudiation.
Sans doute, l'héritier ne se compromettrait pas si, pendant cet intervalle, il faisait des actes judiciaires ou extrajudiciaires, interruptifs de prescription, contre les débiteurs du défunt ou contre les possesseurs de ses immeubles. Mais pour faire de tels actes, il faudrait connaître la composition de cette succession et ce n'est que l'inventaire qui peut les révéler avec assez de certitude pour qu'on puisse imputer à faute à l'héritier de n'avoir pas fait d'actes conservatoires.
Il n'y a aucun inconvénient à suspendre ainsi la prescription pendant un délai qui ne sera jamais que de quelques mois et qui prendra fin dès que l'héritier aura accepté, même avant son expiration: tant que la prescription n'est pas accomplie, le débiteur ou le possesseur n'a pas un droit acquis et il n'y a pas d'obstacle, en raison ni en justice, à ce que ce délai puisse être suspendu par quelques causes reconnues par la loi.
332. Si l'héritier appelé en première ligne vient à refuser la succession, après avoir usé, en tout ou partie, des délais légaux qui lui sont donnés pour faire inventaire et délibérer, comme alors il est, par son refus, u censé n'avoir jamais été héritier " (c. civ. fr., art. 785) et que l'héritier du degré subséquent est appelé à son tour (art. 786), un nouveau délai appartient à celui-ci pour se prononcer et une nouvelle suspension a lieu.
Il ne faut pas s'inquiéter d'une prolongation qui ne peut être rendue abusive faute d'intérêt à le faire; il faut suivre le principe sans hésiter: le nouvel héritier n'est pas moins intéressant que le premier. D'ailleurs, si l'inventaire a été fini par le premier héritier, le nouvel héritier n'aura plus qu'un délai pour délibérer.
333. La loi accorde la même suspension à la femme commune en biens qui aura également le droit de faire inventaire des biens de la communauté et de se prononcer sur son acceptation ou sa répudiation de la communauté (comp. c. civ. fr., art. 1453 à 1457); seulement, pour qu'il n'y ait pas cumul de ce nouveau délai avec celui qui lui est déjà accordé par l'article 1468, la loi prend soin de dire que lorsque la femme sera dans le cas de jouir des deux délais, ” ils se confondront," jusqu'à concurrence du plus court.
333 bis. Il y a un point sur lequel le Projet ne s'exprime pas, mais qui ne saurait faire difficulté: l'héritier et la femme commune en biens, peuvent demander et obtenir du tribunal une prorogation de délai, suivant les circonstances (v. c. civ. fr., art. 798 et 1458); il ne faut pas hésiter à admettre que pendant ce nouveau délai la suspension de prescription continuerait; il n'y a pas de raison de distinguer entre le délai légal et le délai judiciaire: l'intervention du tribunal est une garantie contre les abus.
Art. 1472. — 334. La loi arrive à des cas de suspension qui ne sont fondés ni sur la nature ou la modalité des droits, ni sur la qualité des personnes, mais sur des circonstances de fait qui peuvent constituer, non plus des empêchements légaux ou moraux à l'exercice des droits menacés de prescription, mais des obstacles de fait et pour ainsi dire matériels.
Elle tranche dans le sens de la suspension, mais avec beaucoup de réserve, une question qui divise les auteurs, en France et ailleurs.
Il existe dans notre matière un axiome déjà cité et appliqué (n° 133), d'après lequel " la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice." Que cet axiome s'applique quand il y a un obstacle légal ou juridique à l'action, cela est naturel et incontestable; mais si on veut l'étendre à des empêchements de fait dont la variéte peut être infinie, on entre dans l'arbitraire et on risque de tomber dans tous les abus.
Quand un pays n'est régi que par des coutumes et que la jurisprudence doit à chaque instant suppléer à leur insuffisance, il est plausible que les tribunaux reconnaissent et admettent des suspensions de prescription fondées sur des obstacles de fait, comme aussi ils sont obligés de reconnaître les obstacles de droit que raremeut les coutumes ont prévus; mais cela n'est plus possible lorsque le pays est régi par une loi civile écrite, et ce sera bientôt la situation du Japon.
S'il doit y avoir des suspensions fondées sur des empêchements de fait, c'est encore à la loi à les déterminer et c'est ce que fait le Projet: il préserve ainsi les intéressés des incertitudes où les laissent, à cet égard, la loi et la jurisprudence françaises.
335. Le Projet n'admet, pour la généralité des citoyens, que deux obstacles matériels à l'action judiciaire, motivant une suspension de prescription, à défaut d'interruption, ce sont: l'arrêt des communications et la suspension du cours de la justice.
Pour les militaires et les marins, il y a une autre cause de suspension de la prescription.
Il n'y a pas besoin de s'étendre sur ces deux causes de suspension de prescription: les communications peuvent être interrompues par des inondations, des neiges, des épidémies, ou par des troubles intérieurs. Cet arrêt étant nécessairement assez court, le préjudice de celui dont la prescription. est suspendue ne peut être considérable.
Quant à l'interruption ou suspension du cours de la justice, elle peut avoir les mêmes causes que celles des communications. On pourrait y ajouter la destruction du tribunal local par incendie, tremblement de terre ou inondation, avec perte des documents, sceaux et autres objets plus ou moins nécessaires au fonctionnement de la justice.
On voit que, dans les deux cas prévus par la loi, l'obstacle à l'exercice en justice du droit menacé de prescription provient d'une force majeure déterminée.
336. Indépendamment de la limitation qui précède, il faut remarquer que la loi soumet encore la suspension à trois conditions; il faut:
1° Que l'impossibilité d'agir soit " absolue ainsi dans les cas où un acte d'huissier ou de greffier suffirait pour interrompre la prescription, sauf à attendre la possibilité d'une audience, si les circonstances précitées n'empêchaient pas le demandeur d'obtenir l'office de cet agent, ni celui-ci de communiquer avec le défendeur, la suspension ne serait pas admise.
Mais il ne faut pas exagérer, cette limitation à l'impossibilité absolue; il est clair que les obstacles aux communications résultant des inondations ou des neiges ne sont pas souvent tels qu'il soit de toute impossibilité de franchir les distances; mais, évidemment, la loi ire prétend pas que les parties ou leurs représentants compromettent leur vie pour interrompre une prescription imminente: il reste nécessairement un pouvoir d'appréciation au tribunal qui n'exigera que ce qui est raisonnablement possible et n'imputera pas à faute ce qui n'aura été qu'une prudence nécessaire.
2° Il faut que l'impossibilité d'agir ait existé " à l'époque où le délai de la prescription est expiré: " si elle avait précédé cette époque et avait cessé auparavant, la suspension ne serait pas admise.
3° Il faut enfin " que la demande interruptive ait été faite aussitôt que l'obstacle a cessé." Ici encore, il faut admettre que le tribunal a un certain pouvoir d'appréciation: par exemple, au cas d'interruption des commÚnications, il y a des degrés dans leur rétablissement progressif et s'il n'est pas admissible que la partie ait attendu toutes les facilités antérieures, on ne peut exiger non plus qu'elle ait été des premières à tenter le passage. C'est à raison de cette appréciation nécessaire à laisser aux tribunaux1 que nous n'avons pu proposer d'insérer dans le Projet que l la suspension de la prescription n'a lieu que dans les cas déterminés par la loi " (v. n° 311).
337. A l'égard des militaires et des marins, la suspension n'est admise comme résultant d'une force majeure " qu'en temps de guerre intérieure ou extérieure ou par suite d'un service à la fois extraordinaire et imprévu si le service, bien qu'extraordinaire, était prévu un certain temps à l'avance, on pourrait imputer à faute au militaire de n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour veiller à ses intérêts, au moins en donnant un mandat j si le service était ordinaire, mais non prévu par le militaire, il y aurait encore faute de sa part à n'avoir pas connu ses devoirs réglementaires et à n'avoir pas veillé à la conservation de son droit (1).
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(1) Le Code officiel (art 136) n'admet la suspension "qu'en temps de guerre."
Cependant, si des troubles venant à menacer une province, il y était fait subitement- un envoi de troupes, la légitimité de la suspension serait aussi évidente.
Le cas sera encore plus fréquent pour les marins, car rien n'est fréquent comme l'expédition immédiate d'un navire de guerre pour une destination imprévue.
Art. 1473. — 338. Comme pour l'interruption (voy. art. 1460), la loi renvoie ici, pour la suspension résultant du cautionnement, de la solidarité active et passive et de l'indivisibilité des droits, à des articles où cet effet a déjà été réglé.
Les solutions différentes fondées sur ces diverses modalités ont été justifiées sous les articles cités au texte.
SOMMAIRE.
Art. 1174 et 1175. — N° 339. Six conditions requises dans la possession pour la prescription acquisitive des immeubles. —340. lre Condition. -341. 26 Condition. -342. 3" Condition. -343. 46 Condition. -344. 56 Condition. -345. Remarque sur une é q u i v o q u e du Code français.
1476 et 1477. —346. 66 Condition: temps requis; distinction entre le juste titre et le défaut de titre, entre la bonne foi et la mauvaise foi. —347. Moment auquel la bonne ou la mauvaise foi est examinée. —348. Au cas de juste cause et bonne foi, le délai est uniformément de 15 ans: critique du système français.
1478. —349 Nécessité de la transcription du titre.
1479. -350. Titre nul ou annulé en justice.
1480. -351. Renvoi pour la jonction des possessions.
COMMENTAIRE.
Art. 1474 et 1475. -N° 339. Le Projet réunit ici en deux Chapitres les diverses conditions (il y en a six) requises pour la prescription acquisitive, tandis qu'elles sont placées au Code français dans deux Chapitres différents et non contigus, l'un traitant "des causes qui empêchent la prescription (Chap. m), l'autre " du temps requis pour prescrire (Chap. v).
Comme la prescription acquisitive des immeubles est très différente de celle des meubles, par ses conditions, on a consacré un Chapitre distinct aux deux sortes de biens.
On sait que le fondement de la prescription acquisitive est la possession.
La possession a été l'objet d'un Chapitre spécial, au Livre IIe, on n'a donc pas à revenir sur sa nature complexe, de fait et de droit (v. T. lor, nos 253 et 254). Mais on a précisément réservé celui de ses effets qui est de mener à la prescription (art. 211), et cela va nous remettre en présence de ses diverses espèces (v. art. 191 et s.).
340. La première condition pour que la possession d'un immeuble mène à la prescription est qu'elle soit 'à titre de propriétaire" (cum animo domini); c'est la possession "civile," opposée à la possession simplement " naturelle" (nuda detentio); elle est encore opposée à la possession " précaire," où le possesseur, par son titre même, reconnaît un autre maître de la chose, la possède pour un autre (pro altero) (a).
341. La possession doit encore être Il continue," c'est-à-dire, suivant notre article 1475, se révéler "par des actes de maître aussi rapprochés et réguliers que l'usage de la chose le comporte il est clair que la possession d'une terre en culture, d'une rizière ou d'un bois, n'exige pas la présence du possesseur ou d'un de ses représentants, comme la possession d'une maison ou d'un jardin; mais la possession d'une terre labourable ou d'une rizière cesserait d'être continue si le possesseur en avait négligé la culture pendant un an, ou même pendant la moitié de l'année, lorsque l'usage local des autres propriétaires est de tirer deux récoltes différentes de sols de la même nature que celui qui est possédé.
Nous supposons, avec le texte de notre article 1475, que c'est par négligence ou " volontairement " que le possesseur n'a pas cultivé; la déchéance n'a donc pas lieu au cas d'obstacle temporaire résultant d'une force majeure (v. art. 1443, 3e al. et n° 283).
La discontinuité une fois établie, la prescription ne doit être comptée que depuis la reprise de la possession: sous ce rapport, elle produit le même effet que l'interruption, et même un effet plus nuisible au possesseur, car cet effet est toujours absolu (ergà omnes), tandis que l'interruption n'a un effet absolu que lorsqu'elle est naturelle (v. art. 1444), non lorsqu'elle est civile, auquel cas, l'effet n'est que relatif à celui qui a fait l'interruption (v. n° 284).
Il ne faut donc pas confondre la "discontinuitéOt avec la " suspension " de la prescription: en cette matière, le sens technique des mots n'est pas toujours d'accord avec leur sens vulgaire. On a vu avec détails, au Chapitre précédent, ce qu'est la suspension: c'est un effet légal de certaines circonstances qui empêchent de compter comme utile une possession qui avait d'ailleurs tous les caractères requis pour mener à la prescription.
Il ne serait pas exact non pl,)s d'ajouter aux conditions requises la Il non suspension," comme on y ajoute „ la non interruption," parce que la suspension n'empêche pas la prescription, elle la retarde seulement: la prescription suspendue compte pour le passé; le temps de la prescription interrompue est réputé non avenu.
342. La troisième condition, ”la non interruption," nous est connue par le Chapitre iri: il n'y a pas à y revenir; il suffit de rappeler qu'une nouvelle prescription peut recommencer dès que la cause d'interruption a pris fin.
343. La quatrième condition est que la possession soit Il paisible;" son opposé est la possession "violente," celle qui est ”obtenue ou conservée par la force ou la menace" (v. art. 196): rien ne serait plus contraire à la présomption d'acquisition légitime qu'une possession obtenue ou conservée par la violence.
Une différence est d'ailleurs à noter entre la violence originaire employée pour acquérir la possession et celle dont on aurait usé pour la conserver: celle-ci serait plus nuisible que la première, à cause de sa continuité. Si la violence originaire n'avait été suivie d'aucune tentative de fait ou de droit, de la part du vrai propriétaire, pour recouvrer sa chose, le vice pourrait être considéré comme purgé après un certain temps reconnu par le tribunal, lorsque la question de prescription lui serait soumise, et c'est de ce moment que la prescription serait comptée utilement. De même, en cas de violence à l'effet de conserver la possession, on compterait la prescription à partir du moment où elle aurait manifestement cessé.
Mais, sur ce point encore, une grande précaution est nécessaire: la menace peut durer sans être renouvelée; c'est ce qui arriverait si le propriétaire, intimidé par une menace faite contre lui ou les siens, s'était abstenu de réclamer en justice, de peur que les menaces ne fussent mises à exécution: ce qu'on doit considérer c'est plutôt la crainte du propriétaire (met us) que la menace ellemême du possesseur, et la prescription ne devrait être comptée qu'à partir du moment où la crainte aurait dû cesser, par le changement des circonstances ou des personnes intéressées (comp. art. 334; T. II, n° 83).
344. La cinquième condition est que la possession ait été "publique;" la possession non publique est dite "clandestine" (v. art. 196). C'est encore là une condition en parfait accord avec le caractère de présomption que nous attribuons à la prescription.
On a établi sous l'article précité (T. Ier, n° 287) que les deux vices de violence et de clandestineté de la possession ne sont que relatifs (ab adversario) et qu'ils n'empêcheraient pas la prescription de courir contre l'intéressé qui n'aurait pas été l'objet de la violence ou qui n'aurait pas ignoré la possession clandestine. Il n'en est pas de même de la précarité qui, excluant l'intention d'avoir la chose à soi, à titre de propriétaire (l'animus domini), empêche la possession d'être civile (ib., n° 289).
345. On remarquera que le Projet n'indique pas une condition requise par le Code français, à savoir que la possession soit u non équivoque." Il a toujours paru difficile de comprendre à quel vice de possession le Code a fait allusion; s'il a voulu dire que les qualités précédemment requises doivent être claires, évidentes, il a dit une chose inutile: toute personne qui se prévaut d'une qualité, d'un fait, d'une circonstance, pour en tirer avantage, doit faire la preuve de ce qu'elle avance, c'est le principe qui ouvre la matière des preuves, dans le Code français (art. 1315) comme dans le Projet japonais (art. 1314).
Il est vraiment singulier que ce soit quand le Code français veut exclure l'équivoque qu'il en encoure précisément lui-même le reproche.
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(a) C'est en ce sens que le Code français dit: " le possesseur ne peut prescrire contre son titre" (art. 224,0). Il est moins heureux lorsqu'il dit que "le débiteur peut prescrire contre son titre" (art. 2241). Nous y reviendrons au sujet de la prescription libératoire (v. n° 368).
Art. 1476-1477 (b). -346. La sixième et dernière condition que doit remplir la possession pour mener à la prescription acquisitive d'un immeuble est le temps requis par la loi.
Ce temps varie de moitié, suivant que la possession réunit ou non deux nouvelles conditions.
On a vu, à l'article 194, que la possession peut être fondée sur un " juste titre ou sur une juste cause " ou être Il sans titre " et à l'article 195, que le possesseur peut être Il de bonne foi ou de mauvaise foi."
Ces qualités favorables ou défavorables de la possession ont été déjà l'objet d'observations importantes, au début de cette matière, quand il s'est agi de déterminer le caractère de présomption de la prescription (voy. nos 256 et 257), et même quand il s'est agi de l'acquisition des fruits par le possesseur (v. T. Ier, nos 303 et s.).
Rappelons seulement, pour l'intelligence de notre article, que la juste cnuse ou le juste titre est li un acte " juridique destiné par sa nature à conférer le droit pos"sédé, encore que, faute de qualité chez le cédant, il '1 n'ait pu produire cet effet " (art. 194). Ainsi, tous les actes d'aliénation, à titre gratuit ou onéreux, nommés ou innommés, sont des justes titres, et il faut y compter le legs. Et ce ne sont pas seulement les moyens de transmission proprement dits ou modes dérivés d'acquérir qu'il y faut comprendre, mais encore l'occupation qui est un mode originaire ou initial, en ce sens qu'il fait commencer la propriété individuelle chez le premier occupant.
Mais, bien entendu, il faut supposer un vice dans ces acquisitions: autrement, la prescription serait inutile; ainsi, au cas de transmission, le vice est qu'elle n'ait pas été faite par le propriétaire véritable, et, au cas d'occupation, le vice est que la chose n'ait pas été sans maître. Si le possesseur a ignoré ce vice " au moment où le titre a été créé," ou au moment où il a pris possession, il est de bonne foi; dans le cas contraire, il est de mauvaise foi.
347. On remarquera, dans le premier cas, que ce n'est pas au moment où la possession a commencé que la bonne ou la mauvaise foi est considérée, mais au moment " de la création du titre; " le droit romain s'attachait au moment de la prise de possession; cette décision, plus ou moins admise dans l'ancien droit, a été abandonnée avec raison par le Code français qui veut qu'on ne s'attache qu'au moment de " l'acquisition " (v. art. 2269), expression incorrecte d'ailleurs, car le possesseur peut avoir contracté, mais il n'a pas encore acquis.
Ce qui importe c'est que la bonne foi ne soit pas nécessaire pendant toute la durée de la possession.
Quelques auteurs ont pourtant critiqué cette indulgence de la loi et, avec un rigorisme quelque peu emphatique, ils lui ont reproché de donner une prime à la mauvaise foi: ils n'ont pas voulu reconnaître qu'il y a une profonde différence morale entre celui qui est de mauvaise foi au moment où il contracte et celui qui, ayant, à l'origine, cru à la qualité de propriétaire chez son cédant, a découvert ensuite qu'elle lui manquait. C'est tout autre chose, en effet, que s'engager sciemment dans une mauvaise voie, alors que l'abstention ne cause aucun préjudice et que le mobile ne peut être que la recherche d'un avantage illicite, et ne la pas quitter, ne pas revenir sur ses pas, alors qu'on s'y est engagé de bonne foi, en faisant des sacrifices pour l'acquisition et pour l'installation, sacrifices qu'on ne pourrait que rarement et toujours difficilement recouvrer de son cédant.
Les Romains l'avaient bien compris, lorsqu'ils ont proclamé l'axiome que " la mauvaise foi survenant n'empêche pas l'usucapion " (mala fides superveniens usucapionem non impedit).
348. Lorsque le possesseur a les deux avantages d'une juste cause et de la bonne foi originaire, le délai de la prescription est de moitié plus court que lorsque l'un de ces avantages ou tous deux lui manquent.
En France, il est de dix ans, lorsque le vrai propriétaire a son domicile ou sa résidence (c) dans le ressort de la cour d'appel où est situé l'immeuble possédé, et de vingt ans dans le cas contraire. Puis, la loi suppose que le propriétaire a eu son domicile ou sa résidence successivement dans le ressort et hors du ressort, et elle décide que, pour les années passées hors du ressort, les années correspondantes de la prescription devront être doublées (d). Ainsi le propriétaire a été 6 ans dans le ressort et 4 ans hors du ressort, il faudra 6 ans, plus le double de 4 ans, en tout 14 ans; s'il a été présent 5 ans et absent 5 ans, il faudra 15 ans pour la prescription. La loi ne dit pas si l'on tiendra compte des mois et des jours de présence ou d'absence.
C'est, en somme, un système fort compliqué et cela, sous le prétexte que le propriétaire, quand il est absent du ressort, a plus de difficulté pour savoir que son immeuble est possédé par un tiers mais il est invraisemblable que l'on n'ait pas, quand on est absent, quelque mandataire, parent ou ami, qui vous prévienne de ce qui concerne la possession de votre immeuble. En outre, une distinction fondée sur les distances et la difficulté des communications pouvait avoir quelque raison d'être à l'époque où le Code civil a été rédigé et n'en a plus aujourd'hui.
On n'a pas hésité à rejeter du Projet japonais cette inutile complication et l'on a adopté un délai unique que l'on propose de fixer à 15 ans, de façon que, dans la position la plus favorable au possesseur, il lui faille toujours un délai moitié moindre que pour le cas où il lui manque le juste titre ou la bonne foi, cas où la loi exige 30 ans de possession.
On remarquera, à ce sujet, que la loi fait une allusion à la preuve de la juste cause et de la bonne foi: on a vu à l'article 199 que celui qui invoque une juste cause doit la prouver directement, tandis que la bonne foi est présumée et que c'est à celui qui la conteste à prouver la mauv;illse foi; notre article a donc soin de ne soumettre à la condition de 30 ans de possession que Il celui qui ne peut justifier d'un juste titre et contre lequel la mauvaise foi est prouvée."
Il ne suffirait pas d'ailleurs, pour prouver la mauvaise foi du possesseur, d'invoquer le registre des transcriptions qui porterait le nom du véritable propriétaire; la question s'est déjà présentée (art. 711), au sujet de la garantie d'éviction dont les effets varient suivant que l'acheteur a été de bonne ou de mauvaise foi: le possesseur ne serait convaincu de mauvaise foi que s'il avait demandé au conservateur un certificat des transcriptions ou connu autrement le droit du vrai propriétaire (v. T. III, n° 271).
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(b) Nous avons réuni ces deux articles en un seul, pour que le temps requis n'occupât qu'un article; mais comme il a été fait souvent des renvois, à l'un et à l'autre, ainsi qu'aux articles suivants, il est impossible, quant à présent, de n'adopter ici qu'un seul numéro et de changer les autres.
(c) La loi française, rédigée ici avec une fâcheuse négligence, parle successivement du domicile, de l'habitation et de la présence du vrai propriétaire (art. 2265 et 2266).
(d) La rédaction de l'article 2269 à cet égard est encore singulièrement défectueuse et dit tout autre chose que ce que la loi a évidemment voulu dire: au lieu de " il faut ajouter à ce qui manque aux dix ans de présence, un nombre d'années d'absence double de ce qui manque pour compléter les dix ans de présence," on doit lire: " ajouter aux années de présence, un nombre "
Art. 1478. — 349. Du moment que le possesseur se prévaut d'un juste titre, il doit en observer les règles et conditions; or, les actes translatifs de propriété et d'autres droits réels doivent être transcrits pour être opposables aux tiers, et le vrai propriétaire est un tiers par rapport au titre sur lequel le possesseur prétend fonder une prescription de 15 ans, il ne peut donc se voir opposer qu'un titre transcrit: la transcription complétera utilement la publicité requise dans la possession.
Le Code français n'a exigé la transcription du titre que pour la prescription extinctive de l'hypothèque (v. art. 2180); il est difficile d'y suppléer cette condition pour la prescription acquisitive des immeubles.
Art. 1479. — 350. On sait que certaines conventions sont soumises à la forme authentique, notamment la donation entre-vifs et le contrat de mariage: la solennité n'est pas exigée seulement pour la preuve, mais pour l'existence même de l'acte. La conséquence en est qu'un titre entaché de cette nullité ne peut être considéré comme un juste titre pour la prescription: il ne remplit pas la condition essentielle du juste titre qui est d'être " de nature à conférer le droit possédé" (v. art. 194).
La loi donne la même solution à l'égard d'un titre qui était seulement annulable pour vice de consentement ou pour incapacité et qui a été effectivement annulé en justice.
Art. 1480. — 351. La jonction ou continuation de possession de l'auteur à ses successeurs ou ayant-cause généraux ou particuliers, ne concernant pas seulement la prescription, a eu sa place à la matière de la possession en général: la loi se borne à renvoyer à ce qu'en dit l'article 204.
SOMMAIRE.
Art. 1481. — N° 352. Il s'agit ici d'une véritable prescription instantanée: intérêt de la question. -353. La possession requise doit être civile, à juste titre et de bonne foi. —354. Justification de cette prescription. 355. Objection à l'idée de présomption; réponse. —356. Présomption de juste titre et de bonne foi.
1482. —357. Double exception au cas de perte ou de vol. - 358. Innovation du Projet: limite de la revendication. 359. L'exception du vol ne s'applique ni à l'abus de confiance ni à l'escroquerie.
1483. —360. Autre innovation, quand la chose a été achetée dans le commerce.
1483 bis. —361. Recours du propriétaire privé de la revendication.
1484. -362. Titres au porteur perdus ou volés.
1485. —363. Possession sans juste titre ou de mauvaise foi.
1486. —364. Meubles immobilisés par destination. -365.
1486 bis. —366 b is. Meubles incorporels: créances, propriété littéraire, artistique ou industrielle -366 ter. Cas hors de question. -366 quater. Créance acquise d'un autre que le créancier. -366 quinto. Délai de la prescription: 10 ou 30 ans.
COMMENTAIRE.
Art. 1481. — N° 352. On a eu déjà bien des occasions de faire allusion à cette disposition, empruntée au droit français (v. art. 2279), suivie presque dans toutes les législations modernes et dont nous n'avons pas craint de dire qu'elle consacre une " prescription instantanée."
Il y a pourtant de bons esprits que cette expression ne satisfait pas, parce qu'ils prétendent que la prescription ne peut être qu'un effet du temps et que, précisément, cet élément fait défaut. Mais cette prétendue nécessité d'un laps de temps n'est pas démontrée. C'est la possession qui est le véritable fondement de la prescription dite " acquisitive." Sans doute, pour les immeubles, les lois, dès l'origine, ont sagement exigé que cette possession fût de longue durée; mais, pour les meubles, elles ont commencé par se contenter d'une possession annale; puis on a compris que, pour protéger les propriétaires négligents, on sacrifiait la sécurité des transactions les plus loyales et les plus prudentes, et l'on est arrivé, d'abord dans les coutumes et dans la jurisprudence, ensuite dans les lois modernes, à n'exiger que la seule possession, avec certaines qualités intrinsèques et initiales, sans aucune condition consécutive de durée.
La question du nom et du caractère de ce bénéfice de la loi n'est pas purement théorique, ou, au moins, elle ne devrait pas l'être, si les adversaires de l'idée de prescription instantanée étaient fermes et logiques dans leur doctrine.
Ainsi, pour nous qui voyons ici une présomption d'acquisition, comme dans toute prescription, celle-ci ne court pas entre époux (c. civ. fr., art. 2253; Proj. jap. art. 1470), elle ne court pas non plus au profit de l'administrateur contre celui pour lequel il administre (ib., art. 1471); mais, dans ces cas, que décideront nos adversaires ?
Nous n'avons pas vu qu'ils se soient préoccupés de la question.
Si la raison et l'équité les amènent à sauvegarder les droits du propriétaire d'un meuble contre la possession de son conjoint ou de son tuteur ou administrateur, ils n'échapperont pas au reproche d'arbitraire, car ils n'ont plus pour eux aucun texte.
On pourra encore leur demander pourquoi cette déchéance du droit de revendiquer les meubles se trouve placée dans la matière de la prescription, si elle n'en a pas la nature.
Enfin nous leur demanderons comment ils peuvent résoudre, sans le principe de la prescription, toutes les questions que nous posons ci-après et qui ne présentent aucune difficulté si nous sommes en présence d'une prescription pour laquelle le temps seul n'est pas nécessaire.
353. Si le Projet emprunte son principe au Code français/ il se garde bien d'en adopter la formule, quelque célèbre et consacrée qu'elle soit: "en fait de meubles la possession vaut titre."
En effet, de quelle possession s'agit-il ici ? Et quel titre vaut-elle ?
Est-ce la possession naturelle, la simple détention (nuda detentio) qui vaut titre ?
Est-ce la possession précaire, où l'on reconnaît le droit d'un autre ?
Est-ce enfin la possession civile, réunissant la détention matérielle (corpus) à l'intention d'avoir à soi (animus sibi habendi) ?
C'est de cette dernière seule, évidemment, que la loi française a entendu parler, et si l'on ne voyait pas ici une prescription, on pourrait, sinon hésiter à donner la même solution, au moins avoir quelque peine à la justifier.
Et cette possession doit-elle être fondée sur une juste cause ou un juste titre, ou peut-elle être sans titre ?
Doit-elle être de bonne foi, ou la mauvaise foi y estelle indifférente ?
Notre texte nous dit qu'elle doit avoir les deux qualités qui, en matière immobilière, font réduire de moitié le délai requis pour prescrire: la possession doit avoir été acquise par un juste titre et de bonne foi.
Nous pensons que c'est ainsi qu'il faut entendre la possession visée par l'article 2279 du Code français.
Mais alors, on peut se demander: quel titre Il vaut" cette possession ?
Il ne reste plus qu'un sens possible: la possession à juste titre vaut un titre parfait, c'est-à-dire vaut un titre émané du vrai propriétaire.
En vérité, on peut dire que la loi française semble avoir voulu parler à la manière équivoque des oracles !
Le Projet ne vise pas à de si savantes obscurités: il exprime ces deux conditions de la possession, nécessaires et suffisantes ici: le juste titre et la bonne foi; il n'exige aucun délai, sauf les deux exceptions concernant le conjoint et l'administrateur du propriétaire (v. art. 1470 et 1471), et c'est parce qu'aucun temps de possession n'est requis que la définition de la prescription, où l'on a fait figurer la condition de temps, réserve la prescription de notre article (v. art. 1426j.
Enfin, on a tenu à consacrer définitivement l'expression de ' prescription instantanée" dont le principe, depuis plusieurs années déjà, a été accepté sans difficulté par la jurisprudence japonaise.
354. Il faut maintenant justifier cette énorme faveur attachée à la possession des meubles qui la dispense de toute condition de durée pour produire le bénéfice de la prescription.
Remarquons d'abord que la loi ne statue ici que pour les meubles " corporels c'est l'article 1486 qui réglera la prescription acquisitive des meubles incorporels.
Or, c'est un fait observé en tous pays, au Japon comme en Europe, que les meubles corporels se cèdent, changent de maître, avec une grande célérité, sans qu'il soit demandé ni qu'il puisse être facilement fourni de titre écrit de propriété: si les acheteurs ou donataires pouvaient être exposés à des revendications qu'il leur a été pratiquement impossible de prévoir, il en résulterait de grands dommages individuels qui, par leur nombre, deviendraient un dommage général, et si ces dommages ne pouvaient être évités que par une excessive circonspection, alors il y aurait encore un plus grand dommage général par la rareté des transactions sur les meubles.
C'est pour remédier à ce double danger que la loi a admis que la possession, avec ses deux qualités de juste cause et de bonne foi, serait par elle seule un titre de propriété, un titre parfait. Et il fallait bien dispenser cette possession de toute condition de temps, car si la revendication pouvait avoir lieu pendant un an, comme à Rome et dans la plus ancienne jurisprudence française, ou même pendant un temps assez court, le double danger auquel on voulait parer se serait représenté (a).
355. C'est peut-être ici qu'on pourrait être plus autorisé à considérer la prescription plutôt comme un moyen direct d'acquérir la propriété que comme une présomption d'acquisition légitime, car la double condition de juste cause et de bonne foi qui, en matière immobilière, était la plus sérieuse objection contre l'idée de présomption (v. n° 256) se représente ici avec plus de force, puisqu'il ne s'est passé, entre la juste cause et l'acquisition du bénéfice de la prescription, aucun intervalle de temps où l'on puisse supposer, comme en matière immobilière, quelque transaction intervenue avec le vrai propriétaire, soit de la part du cédant, soit de la part du possesseur (v. n° 257).
Cependant, nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de considérer cette prescription instantanée comme faisant exception à la nature de présomption qui caractérise la prescription: et comme il faut répondre à l'objection que nous soulevons nous-même " de bonne foi," notre réponse est que la présomption ici remonte à la juste cause qui a été l'origine de la possession: au lieu que ce soit le cessionnaire qui soit présumé devenu propriétaire par un fait postérieur à sa prise de possession, c'est le cédant lui-même qui est présumé l'avoir été au moment du contrat. Et cette présomption n'a rien d'exagéré, puisque l'on est dans une matière où la justification ordinaire du droit de propriété est considérée comme impossible: le cédant était sans doute lui-même dans le cas d'invoquer la même prescription instantanée, comme ses propres cédants. Il y a donc là une suite de présomptions favorables au possesseur.
356. Puisque la prescription instantanée n'est soumise qu'à deux conditions: un juste titre de possession et la bonne foi, il faut voir comment ces deux conditions seront prouvées être remplies.
Pour la bonne foi, elle est présumée, en général, quand le possesseur a prouvé directement posséder en vertu d'un juste titre (v. art. 199).
Mais fallait-il soumettre ici le possesseur à l'obligation de prouver directement qu'il a reçu le meuble " en vertu d'un acte juridique de nature à lui conférer la propriété " (v. art. 194) ?
Lui imposer une telle obligation eût été détruire toute la théorie de cette prescription exceptionnellement favorable, puisque la célérité des transactions mobilières ne comporte guère la rédaction d'actes, même sous seing privé, encore moins la convocation de témoins. Il faut donc, de toute nécessité, admettre une présomption légale de l'existence d'un juste titre, présomption simple assurément, susceptible de toute preuve contraire, et c'est ce qu'exprime le 2° alinéa de notre article.
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(a) Il ne faut pas retourner cette objection contre l'innovation du Projet concernant l'époux et l'administrateur (v. art. 1470 et 1471): dans ce cas, les rapports personnels des adversaires justifient parfaitement l'exception.
Art. 1482. — 357. Tous les Codes étrangers qui admettent en matière de meubles une prescription instantanée, admettent aussi une double exception au cas d'un objet perdu ou volé et acquis par un tiers de bonne foi. Le projet l'admet également, mais il sacrifie beaucoup moins le possesseur au propriétaire.
Dans les cas ordinaires d'application de cette prescription, on peut dire que le propriétaire du meuble qui a laissé sa chose exposée à une tradition faite par un autre que lui n'est pas exempt de faute, d'imprudence ou de négligence. Mais lorsqu'il a été victime d'un vol, ou lorsqu'il a fortuitement perdu sa chose, ce sont là des faits contre lesquels il doit être considéré comme n'ayant pu se prémunir, malgré les précautions ordinaires.
En même temps, celui qui a acquis la possession du voleur ou de l'inventeur a pu, généralement, remarquer un certain mystère dans les offres qui lui ont été faites de la chose, et sa défiance devait être éveillée: dans le doute, il ne devait pas traiter. De là, la revendication est permise contre le possesseur, " même à juste titre et de bonne foi mais, au lieu du délai de trois ans depuis la perte ou le vol, le Projet n'accorde qu'un an, pour cette revendication, ce qui paraît bien suffisant.
358. Comme cette exception est la seule justification possible de la double exception, le Projet innovant sur ce point, à l'égard du Code français et de ses imitateurs, limite la revendication au cas où le possesseur tient directement la chose perdue ou volée de l'inventeur même, du voleur, de son complice ou de leur représentant autrement, si la chose a déjà changé de mains avant de parvenir au possesseur, celui-ci mérite la même protection que dans tout autre cas; les choses perdues ou volées ne doivent pas être considérées comme formant une classe spéciale de choses, aussi n'ont-elles pas figuré dans la division préliminaire des choses (v. art. 1er à 30; v. aussi T. Ier, n° 47).
Lorsque les lois portent des exceptions à un principe général, comme c'est nécessairement parce qu'il y a un motif particulier d'y déroger, l'exception doit dès lors être enfermée dans les cas où le motif se rencontre.
Or, dans les deux cas qui nous occupent, pourquoi la loi préfère-t-elle le propriétaire au possesseur ? C'est avons-nous dit, et tout le monde le dira aussi, parce que le propriétaire privé de sa chose par une perte ou un vol est présumé avoir été moins imprudent que l'acheteur de cette chose; mais la différence s'évanouit quand le possesseur tient la chose de seconde ou de troisième main.
359. La loi tranche, au 28 alinéa, une question un peu discutée en France, mais sur laquelle on ne devrait pas avoir d'hésitation, du moment qu'on s'attache au motif qui justifie l'exception.
Lorsque le propriétaire a été victime d'un abus de confiance ou d'une escroquerie, on peut, sans rigueur exagérée, le considérer comme ayant été imprudent: il a mal placé sa confiance, en louant ou en déposant sa chose, ou en la confiant à un mandataire indigne; de même, s'il s'est laissé surprendre par les ruses d'un escroc. D'un autre côté, le possesseur qui a traité de bonne foi avec l'escroc, avec le dépositaire ou le mandataire infidèle, n'a été aucunement en situation de soupçonner la fraude, car ces personnes possédaient ostensiblement, comme étant leur, la chose par eux aliénée, puisqu'elle leur avait été librement confiée ou remise. Dans ces cas donc, la revendication n'est pas admise contre le possesseur de bonne foi.
Art. 1483. — 360. Le Code français apporte dans son article 2280 une exception à l'exception, sans revenir tout à fait à la règle: " Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a achetée dans une foire, dans un marché, dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté." Ainsi, la revendication est encore possible, mais elle est comme un rachat.
Pourquoi la loi française veut-elle que, dans ce cas, le possesseur recouvre son prix d'achat, de sorte qu'il ne souffre que dans ses convenances et non dans son intérêt ? C'est, évidemment, parce que les circonstances dans lesquelles il a acheté ne pouvaient lui faire ou lui laisser soupçonner que son cédant n'eût pas la propriété ou le droit d'aliéner l'objet.
Or, s'il est exempt de faute, pourquoi le priver de l'objet même auquel il peut être attaché par goût ou par besoin, tout autant que pouvait l'être l'ancien propriétaire ?
Le Projet le protège entièrement et le met à l'abri de la revendication elle-même.
C'est toujours le respect d'un principe de législation, autant que de jurisprudence: " où la raison de la loi ne se rencontre plus, son action doit cesser " (ubi legis ratio deest, ibi cessat et legis effectus).
Art. 1483 bis. -361. D'après les deux articles précédents, il y a donc deux cas dans lesquels le propriétaire ne peut revendiquer sa chose, bien qu'elle ait été perdue ou volée, c'est 1° lorsqu'elle a passé successivement aux mains de deux ou plusieurs possesseurs, 2° lorsque le premier possesseur l'a achetée, disons pour abréger, " dans le commerce."
Mais, naturellement, dans ces deux cas, il n'est pas encore dépourvu de toute action: d'abord (et la loi avait à peine besoin de l'exprimer;, il a action contre le voleur ou l'inventeur qui se sont enrichis à ses dépens par une cause illicite; ensuite, contre celui qui, même de bonne foi, " a reçu la chose directement de l'inventeur, du voleur, de leur complice ou de leur représentant," parce qu'il a été imprudent: puisque ce premier possesseur eût été soumis à la revendication, s'il avait encore possédé, il est juste qu'il ne soit pas affranchi de toute responsabilité pour s'être dessaisi, même de bonne foit de la chose objet du litige.
L'action dans ce cas est personnelle, mais elle reste soumise à la même prescription d'un an, depuis la perte ou le vol.
Ce qui justifie encore le Projet de ces innovations c'est que beaucoup de recours successifs sont ainsi évités.
Ainsi, avec la loi française, lorsque le propriétaire revendique contre le possesseur, même très éloigné du vol ou de la perte originaire, celui-ci a recours contre son cédant et ce dernier contre le sien, en remontant, de proche en proche, jusqu'au voleur ou à l'inventeur.
De même, quand, au cas d'achat en vente publique, le propriétaire revendique en remboursant le prix d'acbat, c'est lui qui a recours contre le précédent possesseur qui n'avait pas la même cause de faveur, et toujours avec la répercussion des recours respectifs.
Avec le Projet, il n'y aura jamais que deux recours et souvent qu'un seul, contre le voleur ou l'inventeur même (1).
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(1) Le Code officiel a repris toute la théorie du Code français: le propriétaire peut revendiquer la chose volée ou perdue, contre tout possesseur, même contre celui qui a acheté en vente publique, sauf, dans ce dernier cas, le remboursement du prix d'achat. La seule différence est que l'action ne dure que deux ans au lieu de trois (art. 145 et 146). Il est très honorable pour le Code français qu'on l'imite jusque dans ses imperfections.
Art. 1484. — 362. Dequis que les titres au porteur (rentes sur l'Etat, actions et obligations de compagnies) se sont tant multipliés en Europe, on a dû prendre des mesures spéciales contre les conséquences possibles de la perte ou du vol de ces valeurs qui, sous un mince volume, peuvent constituer toute la fortune d'un particulier.
En France, pendant de longues années, on a dû appliquer à ces accidents les articles 2279 et 2280, et les malheureuses victimes de pertes ou de vols se trouvaient le plus souvent dénuées de tout recours utile, puisque ces titres étant presque toujours vendus en Bourse (marché public), la revendication n'en était possible contre les porteurs de bonne foi que moyennant le remboursement du prix d'achat; c'est dire qu'elle n'avait pour ainsi dire jamais lieu.
Il y avait bien la ressource des annonces publiques de la perte ou du vol, et les oppositions aux compagnies (non au Trésor qui n'en reçoit pas, en règle, et qui dans ce cas les recevait tout au plus officieusement); mais c'étaient là des secours fort imcomplets et le plus souvent sans résultat.
Il y a été pourvu d'une façon qui paraît avoir donné de bons résultats, puisque la loi qui date du 15 juin 1872 n'a pas été modifiée depuis, et a été seulement complétée par un décret réglementaire du 10 avril 1873.
Au Japon, il y a déjà un Règlement sur cette matière (mai 1875, VII° année de Meiji). Comme il y a lieu de croire qu'il sera encore amélioré ou complété et comme, en tout cas, la matière est de sa nature, sujette à changements, le texte de notre article se borne à un renvoi aux Règlements.
Art. 1485. — 363. La loi a statué jusqu'ici pour la possession à juste titre et de bonne foi.
Il fallait décider quel serait le délai de la prescription au cas de possession sans juste titre ou sans bonne foi. La loi la fixe à trente ans, ce délai étant le délai normal des actions réelles et personnelles. Quoique les meubles aient, en général, moins d'importance que les immeubles, ce n'est pas une raison pour que les possesseurs de mauvaise foi jouissent d'une plus courte prescription: il est déjà bien assez difficile, en fait, qu'après de longues années un propriétaire puisse retrouver un objet mobilier possédé par autrui, pour ne pas ajouter contre lui une limite légale trop étroite, lorsqu'il est en conflit avec un possesseur de mauvaise foi.
Art. 1486. — 364. On sait, par les articles 9 et 10, que certains objets qui sont meubles par leur nature deviennent immeubles par destination, lorsqu'ils sont placés sur des fonds, clans certaines circonstances déterminées par la loi.
Il ne fallait pas croire que s'ils sont sortis de l'immeuble, sans la volonté du propriétaire, ou même avec sa volonté, mais temporairement et pour y être replacés, ils suivraient les règles des immeubles quant à la prescription: ils ne sont immeubles que tant que dure leur attache au fond, aussi bien physiquement qu'intentionnellement de la part du propriétaire (b); c'est pourquoi, ils pourraient être donnés en gage, par le propriétaire (v. T. IV, n° 403).
365. Là loi donne la solution inverse pour les immeubles qui sont assimilés aux meubles par la destination du propriétaire (v. art. 13), parce que tant qu'ils sont fixés au sol, quoique d'une façon provisoire et momentanée, ils ne sont pas possédés comme meubles et ce n'est pas au sujet de la prescription qu'ils leur sont assimilés (v. T. Ier, n° 23). Mais une fois détachés du sol et livrés à l'acquéreur, ils sont possédés et prescriptibles comme meubles.
366. La loi place aussi en dehors de la prescription instantanée les universalités de meubles, à cause de leur importance et de la facilité pour celui qui veut les acquérir de se faire justifier des droits du cédant.
Du moment que la prescription instantanée ne s'applique pas à ces meubles, il est naturel que la loi les soumette à la prescription des immeubles, car il n'y a pas lieu d'introduire pour eux une troisième sorte de prescription; la prescription sera donc de 15 ans, si le possesseur a juste cause et bonne foi et de 30 ans, dans le cas où une de ces deux conditions favorables lui manquera.
La loi ne dit rien des créances immobilisées par la détermination de la loi ou de l'homme (v. art. 11-2° 3° 4°), parce que ce sont légalement de véritables immeubles.
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(b) Pour que ce principe ne fît pas doute, nous avons ajouté à l'article 9 un alinéa final ainsi conçu; ” Le tout, tant que lesdits objets demeurent sur le fonds."
Art. 1486 bis. -366 bis. Les meubles incorporels, au contraire, tels que les créances nominatives et les droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle (v. art. 4, 6 et 14), demandaient une prescription particulière: il n'y avait pas lieu de leur appliquer la prescription instantanée, parce que les transactions dont ils sont l'objet ne requièrent pas la même célérité que pour les meubles corporels et qu'il est bien facile à ceux qui les acquièrent de se faire justifier par les modes ordinaires les droits de leur cédant; d'un autre côté, la prescription des immeubles serait trop longue.
Il fallait donc fixer un délai intermédiaire passé lequel l'acquéreur de pareils droits qui aurait traité de bonne foi avec un titulaire apparent ne pourrait plus être inquiété, et même il fallait mettre une limite à l'action du titulaire contre l'acquéreur de mauvaise foi. C'est un point sur lequel le Code français et les autres législations, croyons-nous, gardent le silence; d'où l'on paraît devoir conclure, en général, qu'aucune prescription acquisitive n'est possible en pareil cas.
366 ter. Sans doute, il ne peut être question de devenir créancier originaire par prescription, en ce sens que celui qui serait parvenu à faire croire à un autre qu'il était son créancier et aurait obtenu des intérêts annuels de cette prétendue créance, pourrait au bout d'un certain temps avoir droit au capital: une pareille prescription n'aurait aucune analogie avec les autres cas de prescription; elle ne serait pas plus soutenable dans l'opinion qui considère la prescription comme un moyen direct d'acquérir que dans celle qui n'y voit qu'une présomption d'acquisition: il ne peut jamais être question que d'une acquisition dérivée, c'est-à-dire par transmission d'un droit préexistant, ou si elle a une application à une acquisition originaire c'est quand une chose a été possédée comme étant sans maître, par celui qui s'est cru premier occupant.
Mais les créances, quand elles existent, ne sont pas sans maître, et quand elles n'existent pas, elles ne peuvent naître que par l'une des trois causes reconnues par la loi; la convention, l'enrichissement indû et le dommage injuste, ou quelquefois elles ont leur cause directe dans la loi elle-même.
Reconnaissons donc que s'il est possible d'admettre une prescription acquisitive des créances nominatives et, par analogie, des droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle, il ne peut en être question que lorsque ces droits préexistaient au profit de quelqu'un et quand un autre les a exercés comme lui appartenant, soit avec juste cause et bonne foi, soit même par usurpation.
366 quater. Pour qu'une pareille prescription soit admissible, il faut évidemment la possession et c'est pourquoi nous supposons que ces droits " ont été exercés."
La possession, en effet, peut consister dans l'exercice d'un droit, indépendamment de la possession corporelle d'une chose (v. art. 193); or, ce droit peut être aussi bien réel que personnel (ibid). Déjà, plusieurs dispositions du Projet ont attribué un effet favorable à la possession d'une créance: dans le premier cas (v. art. 478), c'est la validité du payement fait de bonne foi au possesseur de la créance; là, il est vrai, ce n'est pas en faveur du possesseur qu'existe l'effet de la possession, c'est en faveur du débiteur, mais cela prouve que la loi reconnaît une véritable possession de créance, et le Code français a une semblable disposition (art. 1240).
Le Projet a trois autres applications de la possession d'une créance, cette fois en faveur du possesseur, c'est lorsqu'il s'agit de déterminer la priorité entre deux actes ayant la même date certaine ou n'en ayant ni l'un ni l'autre (v. art. 1351, 28 et 3e al.), ou de suppléer, par un titre récognitif, par une copie de titre ou même par une copie de copie, au titre primordial non représenté (v. art. 1390-2°, 1393-4° et 1395, 4e al.; comp. c. civ. fr., art. 1337, 3e al.).
Posons donc en principe qu'il y a possession d'une créance lorsqu'on fait valoir, lorsqu'on exerce les droits qui y sont attachés. D'abord, ce peut être en recevant des intérêts ou arrérages périodiques: cette possession aura l'avantage d'une certaine continuité. C'est aussi en faisant des actes conservatoires ou en possédant un nantissement ou une hypothèque inscrite à raison de cette créance. C'est enfin en recevant tout ou partie du capital dû, soit qu'il y ait eu lieu ou non à une réception antérieure d'intérêts ou à une sûreté.
C'est cette possession qui peut, d'après notre article, mener à la prescription acquisitive de la créance.
Les règles seront les mêmes, s'il s'agit de droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle: le possesseur sera celui qui aura reçu périodiquement des éditeurs ou des industriels des droits d'auteur ou d'inventeur appartenant à un autre.
366 quinto. Il fallait, avons-nous dit, fixer pour cette prescription un délai qui ne fût pas aussi long que pour les immeubles, au moins en cas de juste cause et de bonne foi, et c'est ce que fait notre article.
Si le possesseur d'une créance a juste titre et bonne foi, c'est-à-dire s'il tient la créance en vertu d'une cession, d'une subrogation ou d'une novation, et s'il a cru que celui avec lequel il a traité était le titulaire de la créance ou le représentant du créancier, là prescription sera de 10 ans (c); en conséquence, il ne sera tenu d'aucune restitution envers le titulaire légitime, soit des intérêts, soit du capital, et si le payement du capital n'a pas encore été effectué il y aura droit, à l'échéance, comme aux intérêts intérimaires.
Si le possesseur n'a pas juste cause, ou si, l'ayant, il a été de mauvaise foi au jour de son acquisition, là prescription ne s'accomplira que par 30 ans: il n'y a pas lieu de le mieux traiter que tout autre possesseur de mauvaise foi de meuble ou d'immeuble.
Les mêmes délais et distinctions seront observés à l'égard du possesseur de droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle (2).
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(c) On pourrait s'étonner que le Projet n'ait pas adopté le délai de 15 ans, comme au cas d'immeuble possédé de bonne foi (v. art. 1476); mais il faut se souvenir que ce délai a été adopté pour remplacer la distinction compliquée du Code français (v. art. 2266), au sujet de la situation de l'immeuble dans le ressort de telle ou telle cour d'appel, difficulté qui ne peut exister au sujet de la possession d'une créance.
(2) Le Code officiel exige quinze ou trente ans pour la prescription des créances nominatives et il reste muet sur les droits de propriété littéraire, artistique et industrielle (art. 149).
SOMMAIRE.
N° 367. Observation critique sur l'article 2241 du Code français.
Art. 1487. — 368. Délai ordinaire de trente ans.
1488. -369. Capital divisé en annuités.
1489. -370. Prescription libératoire du droit de rente. - 371. Rente perpétuelle. —372. Deux modes particaliers d'interruption. -373. Rente viagère.
1490. —374. Rappel des actions réelle et personnelle appartenant au débiteur qui a donné un nantissement à son créancier. -375. Point de départ de la prescription de son action personnelle. —-376. Remarque sur le concours des deux prescriptions en faveur du débiteur et du créancier.
COMMENTAIRE.
N0 367. Dans nos observations générales sur la prescription, nous avons fait remarquer, par anticipation, que la prescription libératoire n'exige, en principe, que l'inaction du créancier pendant le temps que la loi lui assigne comme suffisant pour faire valoir son droit, et c'est sur cette inaction que se fonde la présomption de payement. Cette idée se trouve exprimée dans le présent article; nous n'avons pas à y insister.
Mais nous ne pouvons passer sous silence une singulière proposition du Code français au sujet de la presciption libératoire. Après avoir dit: " on ne peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on ne peut, se changer à soi-même la cause et le principe de sa possession (précaire)" (art. 2240), la loi prétend établir, à cet égard, une opposition entre la prescription acquisitive et la prescription libératioire et elle ajoute (art. 2241): " on peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on prescrit la libération de l'obligation contractée." '
Mais cette opposition, ce contraste, est purement imaginaire: le débiteur ne prescrit pas plus contre son titre, quand il est présumé y avoir satisfait, qu'il ne prouve contre son titre quand il prouve directement avoir payé sa dette; au contraire, dans les deux cas, il reconnaît son titre (ou plutôt le titre de son créancier contre lui), car s'il ne le reconnaissait pas, il n'invoquerait pas la prescription, mais un moyen de nullité et, au cas de payement directement prouvé, il en exercerait la répétition.
On s'est donc gardé de reproduire ce singulier axiome dans le Projet.
Art. 1487. — 368. On a déjà eu plus d'une fois occasion de mentionner le délai de 30 ans comme étant le délai ordinaire et en même temps maximum de la prescription libératoire. On peut le trouver peut-être un peu long, mais il est traditionnel en Europe, et du moment qu'on a déjà conservé le même délai pour les immeubles, il n'y a pas de raison de moins protéger contre la prescription la partie des biens des particuliers qui consiste en créances que celle qui consiste en immeubles.
Il y a d'ailleurs de nombreuses exceptions, d'après la cause des créances ou obligations et quand on aura vu toutes les prescriptions particulières qui sont l'objet du Chapitre suivant, on verra qu'il n'en restera qu'un assez petit nombre qui soient soumises à la prescription de trente ans. Nous citerons pourtant les créances de prix de vente d'immeuble, de prêt d'argent, de prêt à usage, de dépôt, de mandat, de transaction, de novation, celles nées d'un dommage injuste, quand la poursuite civile n'implique pas imputation d'un délit ou d'un crime; enfin, celles nées d'un enrichissement indu.
Ces créances sont d'ailleurs, de beaucoup, les plus fréquentes et celles dont le montant peut être le plus considérable.
La loi nous rappelle que le délai ne court qu'à partir du moment où le créancier a eu le droit d'agir, ce qui fait allusion à certaines suspensions sur lesquelles nous n'avons pas à revenir, notamment au terme et à la condition (v. art. 1461).
La loi réserve aussi le cas où certaines créances seraient déclarées imprescriptibles: on ne peut guère citer en ce sens que les pensions insaisissables (v. n° 265).
Art. 1488. — 369. Il ne faut pas confondre les "annuités " avec les intérêts annuels: la loi a soin de dire qu'elle statue pour une dette de "capital payable par fractions annuelles," s'il s'agissait d'intérêts, la prescription serait de 5 ans, pour chaque année d'intérêts (v. art. 1494-1°). Mais ici, chaque annuité est un capital, et la prescription est de 30 ans pour cbacune séparément.
La loi a encore soin de dire que si les intérêts sont compris dans l'annuité, la prescription ne sera pas divisée, mais s'appliquera aux deux dettes cumulativement et indistinctement.
Quant au point de départ, il est, pour chaque annuité son exigibilité.
Art. 1489. — 370. On sait que le caractère distinctif de la rente, soit perpétuelle, soit viagère, est l'inexigibilité du capital (v. art. 823 et 866). On pourrait donc croire que la créance qui constitue " le droit de rente " ne peut s'éteindre par prescription, et c'est surtout dans le système qui l'explique par l'idée de présomption que cette opinion pourrait se produire. La prescription en est cependant possible et facile à justifier, surtout pour la rente perpétuelle.
Le Code français a parlé ici indistinctement " d'une rente " (art. 2263), sans exprimer qu'il statuait poar la rente viagère aussi bien que' ptmr la rente perpétuelle; mais il n'y a pas de raison suffisante de limiter la prescription à la dernière et le Projet les comprend formellement toutes deux dans sa disposition.
371. Et d'abord, pour la rente perpétuelle, on ne pourra pas, parce qu'il s'est écoulé 30 ans depuis la constitution de la rente, supposer, présumer que le créancier a réclamé et obtenu le payement du capital, puisque, précisément, ce droit ne lui appartient pas. Mais il faut se souvenir que si le capital n'est pas exigible par le créancier, il est remboursable par le débiteur (v. art. 887, 1er al.).
Or, il n'y a rien d'exagéré à présumer que le débiteur a usé de ce droit essentiellement protecteur, dit droit " de rachat," que la loi lui donne et qui a été justifié en son lieu (v. T. III, n° 684): on est encore là dans le droit commun de la prescription.
Mais voici où l'on s'en écarte: il peut être permis au créancier de stipuler que le débiteur n'usera pas du droit de rachat pendant un certain temps qui ne peut excéder dix ans (v. art. 887, 2° al.). Or, on se trouve alors devant la double impossibilité d'une action en payement et d'un remboursement volontaire. Les principes généraux conduiraient à ne faire courir la prescription qu'à partir de l'expiration du terme qui retarde le remboursement volontaire.
Assurément, il n'y aurait aucune objection grave à adopter cette solution, législativement. Mais on doit reculer devant la perspective d'une si longue prescription qui pourrait être de 40 ans, et quand on considère avec quelle facilité le créancier peut interrompre la prescription, spécialement dans le cas qui nous occupe, on peut, sans scrupules, faire courir la prescription à partir "de la date du titre."
D'ailleurs, la présomption de payement peut encore se justifier par le laps de trente ans, même en y faisant figurer 10 ans pendant lesquels le débiteur ne pouvait imposer le remboursement; en effet, il a pu intervenir entre le créancier et le débiteur une renonciation à ce terme. @
Mais c'est surtout, disons-nous, la grande facilité qu'a le créancier d'interrompre la prescription qui explique cette dérogation au droit commun de l'effet du terme. Il a, en effet une reconnaissance de son droit de rente dans chaque payement d'arrérages, s'il a soin d'exprimer dans la quittance une relation suffisante à son titre. Mais il devra avoir soin de se faire donner une contre-quittance ou toute autre pièce constatant qu'il a reçu le payement des arrérages: autrement, comme c'est le débiteur qui conserve ses quittances, et comme il pourrait nier avoir payé, la preuve de l'interruption périodique de la prescription manquerait au créancier.
372. Le second moyen d'interruption de la prescription accordé au créancier, et spécial à cette matière, est de pouvoir dans les deux ans qui précèdent l'accomplissement de la trentième année, exiger, " un titre récognitif de son droit," comme dit notre article, ou " un titre nouvel," comme dit le Code français (art. 2263), et cela aux frais du débiteur, s'il s'y laisse contraindre; si, au contraire, le débiteur acquiesce à la demande, les frais, alors minimes, sont supportés en commun (comp. art. 353, 3e al.).
Le créancier ne court donc aucun danger réel de cette prescription, bien qu'elle commence avant l'arrivée du terme.
On ne trouve pas une disposition semblable, permettant d'exiger un titre récognitif, au sujet d'un prêt à intérêt, parce que, si le débiteur se refuse à le donner volontairement, le créancier a le droit de le contraindre au remboursement qu'on suppose exigible depuis près de trente ans.
373. Notre article est applicable aussi à la rente viagère. Ici, il y avait plus de raison de douter, car le capit al de la rente viagère est purement " fictif ou idéal" (voy. T. III, n° 515) et ne peut être, ni exigé par le créancier, ni remboursé par le débiteur (voy. art. 821 et 823); dès lors, il semble difficile de comprendre qu'après trente ans de la date du titre, la rente soit présumée éteinte par un remboursement.
Mais comme les parties ont toujours eu le droit de faire de nouveaux arrangements, une novation, une transaction, une remise conventionnelle, la loi ne sort pas des vraisemblances en présumant que si trente ans se sont écoulés depuis la naissance de la rente viagère, sans qu'il y ait eu interruption par des payements d'arrérages ou autrement, il y a eu une extinction légitime résultant d'un accord entre les parties.
Rappelons que si la rente viagère avait un caractère alimentaire, elle serait à l'abri de la prescription libératoire (v. nos 265 et 368).
Art. 1490. — 374. On a vu à l'article 1120 que la possession du gage par le créancier reste précaire, même après l'extinction de la dette, et l'article 1135 a décidé de même (par renvoi) pour le nantissement immobilier. Il ne peut donc, dans ces deux cas, être question de prescription acquisitive; en conséquence, le débiteur, une fois libéré, peut toujours revendiquer sa chose, tant qu'elle est dans les mains de celui qui a été son créancier, sous la condition de prouver son droit de propriété.
Mais le nantissement impose au créancier l'obligation de conserver la chose avec les soins d'un bon administrateur et de la restituer lors de l'extinction de la dette (v. art. 1111). Il a donc là un droit personnel ou de créance du débiteur, indépendant de son droit réel de propriété, et, pour le faire valoir, il ne lui sera pas nécessaire de prouver qu'il est propriétaire, mais qu'il a donné la chose en nantissement.
Il n'y a aucune raison de soustraire cette créance à la prescription libératoire: la précarité de la possession n'a aucune influence ici, puisque la prescription libératoire est fondée sur l'inaction du créancier.
375. La seule question que la loi avait à trancher était celle du point de départ de cette prescription libératoire: il est et il ne pouvait être autre que " l'extinction de la dette par l'un des modes légaux." En effet, tant que la dette n'est pas éteinte, le débiteur ne peut exiger la restitution du gage (v. art. 1110 et 1115); il se trouve donc, jusque-là, dans une impossibilité légale d'agir en restitution, c'est-à-dire dans un cas ordinaire où la prescription est suspendue à son profit.
A côté des modes légaux (prouvés) d'extinction de la dette, la loi place la prescription libératoire de la dette qui est la présomption de l'un de ces modes, et c'est pour elle une occasion de rappeler, avec l'article 1119, que la possession du gage par le créancier n'a pas privé le débiteur de la prescription libératoire de sa dette (1).
376. On peut faire ici une remarque intéressante. Comme la prescription n'opère pas de plein droit, mais doit être invoquée par le débiteur ou ses ayant-cause (v. art. 1433 et 1434), il pourrait arriver que le débiteur qui aurait laissé s'écouler plus de 30 ans depuis l'époque où il pouvait invoquer la prescription libératoire se vît opposer par le créancier qui ne posséderait plus la chose la prescription libératoire de son obligation de restituer.
Mais le débiteur aurait le droit de contester cette prescription, à la condition de ne pas invoquer, de son côté, celle qui lui appartient: alors, il payerait sa dette et recouvrerait la valeur de sa chose par l'action personnelle.
Pour concevoir que le débiteur ait intérêt à procéder ainsi, il faut supposer que la chose donnée en gage vaut notablement plus que le montant de la dette (ce qui est fréquent), ou que le débiteur, pour des raisons d'affection ou de convenance personnelle, désire recouvrer cette chose, même au prix d'un sacrifice.
Bien entendu, si le créancier possédait encore le nantissement, le débiteur revendiquerait, comme il a été dit plus haut, en prouvant son droit de propriété et sans être tenu de payer sa dette dont il invoquerait la prescription.
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(1) On sait que le Code officiel a décidé le contraire (v. n° 269 bis).
SOMMAIRE.
Art. 1491. — N° 377. Actions relatives à l'état civil des personnes.
1492. -378. Prescription de la pétition d'hérédité.
1493. -379. Prescriptions de cinq ans: elles ne sont pas perdues pour celui qui avoue n'avoir pas payé.
1494. —380. Prescriptions de trois ans.
1495. -381. Prescriptions de deux ans.
1496. —382. Prescriptions d'un an.
1497 -383. Prescriptions de six mois.
1498. -384. Aveu du débiteur contraire à la présomption ou défaut de déclaration confirmative. —385. Disposition plus favorable à l'égard de la veuve et de l'héritier. -386. Singulière divergence, à cet égard, entre le Code civil français et le Code de Commerce.
1499. —387. Prescriptions de trois ans, deux ans et un an, contre les juges, greffiers, avocats, notaires et huissiers. -388. Droit de requérir des recherches.
1500. —389. Transformation des courtes prescriptions en prescription trentenaire.
COMMENTAIRE.
Art. 1491. — N° 377. En général, les droits relatifs à l'état civil des personnes ne peuvent se perdre par la négligence à les exercer, pas plus qu'on n'en pourrait acquérir par une longue possession d'état: l'intérêt général est engagé dans ces questions autant que l'intérêt particulier, et c'est par des causes plus directes que la prescription et sous des conditions moins dépendantes de la volonté des personnes que l'état civil s'acquiert et se perd.
Cependant, on trouvera sans doute, au Livre Ier, certaines actions relatives aux nullités du mariage qui seront soumises à des délais déterminés, passés lesquels la nullité sera " couverte " et le mariage inattaquable; on y trouvera certainement aussi des dispositions concernant Il la possession d'état " d'époux ou d'enfant légitime.
En France, la possession d'état n'est soumise à aucune durée déterminée pour produire effet: il semble qu'elle doive être constante, illimitée (voy. c. civ., art. 195, 196, 320, 321).
Art. 1492. — 378. La loi consacre, par avance, une expression très usitée autrefois, surtout en droit romain, et qui ne se trouve qu'une fois dans le Code français (art. 137) "la pétition d'hérédité:" c'est une action réelle tendant, comme dit notre article, Il à faire valoir la qualité d'héritier ou de successeur à titre universel; " elle s'exerce " contre ceux qui possèdent, à l'un des mêmes titres, tout ou partie des biens d'un défunt." La reconnaissance de la qualité d'héritier, de légataire ou donataire à titre universel, a pour conséquence la restitution au demandeur de tout ou partie des biens de la succession attachés à cette qualité.
Si le possesseur d'un bien d'une succession le possédait comme acheteur, donataire particulier, ou à tout autre titre également particulier, ce ne serait pas par la pétition d'hérédité qu'il devrait être actionné, mais par la revendication ordinaire, et la prescription serait alors de 15 ou 30 ans pour un immeuble et instantanée pour un meuble.
Lors, au contraire, que la possession est à titre universel, le délai de la prescription est uniformément de 30 ans, sans distinguer les meubles des immeubles ni l'existence ou l'absence d'une juste cause et de la bonne foi.
Cette longue prescription est traditionnelle et elle s'explique, tant par la circonstance que la totalité ou une quote part d'un patrimoine est en jeu, que par l'ignorance excusable où l'héritier peut se trouver par rapport à l'ouverture de la succession et à son droit d'héritier ou de légataire.
On reviendra sur cette action au Livre 1er, au sujet de l'absence, et au Livre lIre, IIe Partie, au sujet des Successions, des Donations et des Legs universels.
Art. 1493. — 379. Les prescriptions de cinq ans objet de cet article, sont plus ou moins empruntées au Code civil français (art. 2277).
Le caractère commun des créances qui y sont soumises est la périodicité annuelle. Comme elles sont toutes connues par des dispositions éparses dans le Projet, il n'y a pas à les reprendre séparément.
On remarquera que la formule générale qui suit les six applications de cette prescription ne comprend pas les capitaux divisés par annuités lesquels ont été l'objet de l'article 1488.
Mais ce qui est le plus à noter c'est la disposition finale de notre article, d'après lequel Il le débiteur ne perd pas le bénéfice de cette prescription, lorsqu'il avoue, en l'invoquant, n'avoir pas payé les sommes ou valeurs que le créancier a laissées s'accumuler " (comp. art. 1433).
Ces derniers mots révèlent le motif de la loi: le créancier a eu tort de " laisser s'accumuler," pendant plus de cinq ans, des dettes périodiques dont le payement, s'il était exigé, pourrait, joint au capital, ruiner le débiteur. En effet, celui-ci n'a pas nécessairement mis en réserve ces sommes qu'on négligeait de lu, demander: lautiiis vixit, il a vécu plus largement (1).
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(1) Le Code officiel n'a pas admis cette exception à l'article 96 (Proj., art. 1433) et il assimile, à cet égard, toutes les courtes prescriptions à la grande (art. 161). Dès lors, il aurait pn supprimer toute la disposition de cet article 161 qui n'est plus que la répétition de l'article 96, 26 alinéa.
Art. 1494. — 380. Ici la prescription n'est plus que de trois ans. Si la loi avait fixé un délai plus court c'eût été moins favorable au débiteur, en ce sens que le créancier eût été obligé de le poursuivre plus tôt; or, il ne faut pas ôter aux médecins la faculté d'être bienveillants pour leurs malades et aux professeurs pour leurs élèves.
De ces quatre créances, la seconde seule a un caractère de périodicité; elle ne rentre pas cependant, comme celles de l'article précédent, dans la disposition particulière qui permet au débiteur d'avouer impunément qu'il n'a pas payé: la dette est minine et sans capital.
Art. 1495. — 381. Ces prescriptions sont de deux ans. Ce qui est à remarquer c'est que la prescription est suspendue, en principe, tant que les affaires ou procès, origines de la créance, ne sont pas terminés; niais dans ce cas même, la prescription est limitée à cinq ans, et si la loi n'a pas fait rentrer cette prescription de cinq ans dans l'article 1493, c'est parce que la créance n'a pas le caractère périodique qui motive une rigueur particulière contre le créancier négligent.
Art. 1496. — 382. Des trois créances soumises à la prescription d'un an, une seule, la dernière, a un caractère périodique.
Nous remarquerons, sur la deuxième et la troisième créance, qu'elles ne s'appliquent pas quand les ventes et travaux ont eu lieu au profit de marchands, en ces qualités: dans ce cas, ce seront les prescriptions du Code de Commerce qui seront appliquées, si elles sont différentes de celles-ci.
Art. 1497. — 383. A mesure que les créances diminuent d'importance et sont de nature, soit par leur cause, soit par la condition des personnes, à ne pas comporter un long crédit, la prescription est plus courte: ici elle n'est plus que de six mois, pour trois créances dont la première et la dernière ont un caractère périodique.
On ne peut dire que ce soit la plus courte, car indépendamment de la prescription instantanée (v. art. 1481), nous avons vu deux cas de prescription de trois mois dans les articles 1470 et 1471.
Art. 1498. — 384. La brièveté des prescriptions de trois ans, deux ans, un an et six mois affaiblit beaucoup la force de la présomption de payement; aussi la loi accorde-t-elle un secours spécial au créancier auquel le débiteur oppose de telles prescriptions: c'est non seulement de faire rejeter la prescription, si le débiteur avoue " spontanément" n'avoir pas payé (cela est déjà admis par l'article 1433 du Projet, comme conséquence de la nature de présomption reconnue à la prescription), mais encore d'autoriser le créancier à provoquer cet aveu, en demandant au tribunal un interrogatoire sur faits et articles.
La loi française va plus loin: elle permet au demandeur de déférer le serment judiciaire sur la réalité du payement (v. art. 2275 et c. com., art. 189).
Le Projet ne pouvait le suivre sur ce point, puisque le serment judiciaire n'y est pas admis, pour des raisons déduites ailleurs (v. nos 139-140), et il ne faut pas beaucoup espérer qu'il interviendra entre les parties la transaction qui permet de soumettre le litige au serment extrajudiciaire (v. art. 1372 et s.).
Il fallait cependant accorder au créancier un autre secours d'une application plus probable que l'aveu proprement dit, spontané ou même provoqué. On a donc donné à l'interrogatoire en justice une seconde application: le tribunal pourra requérir le défendeur de " déclarer qu'il estime de bonne foi ne plus rien devoir."
Cette déclaration n'est pas un serment et les scrupules qu'on peut avoir à admettre celui-ci au Japon ne se présentent pas quand il n'est question que d'une déclaration sans solennité, où l'on n'invoque même pas Il l'honneur" (comp. art. 1374 et 1376).
Si le défendeur refuse de faire cette déclaration, la loi voit dans son silence un aveu tacite de sa dette.
385. Il est naturel de demander une déclaration moins affirmative à la veuve, à l'héritier et aux autres ayant-cause généraux du débiteur, parce qu'il leur est difficile de connaître exactement les affaires du débiteur lui-même.
Déjà, on a vu, au sujet de la vérification d'écritures, que, tandis qu'on demande au défendeur " de reconnaître ou de dénier son écriture, son sceau ou sa signature" (v. art. 1335), on ne demande à la veuve, à l'héritier ou. au représentant du prétendu signataire qu'une déclaration "qu'il n'est pas certain de l'identité desdits sceau ou signature " (v. art. 1337).
Ici, on demande aux mêmes personnes de déclarer, non plus, comme le débiteur, " qu'elles estiment de bonne foi ne plus rien devoir," mais " qu'elles ne savent pas, en bonne foi, qu'il soit encore dû quelque chose."
La différence des formules n'est pas à négliger et elle donne des résultats très différents aussi: supposons que, soit le défendeur, soit son héritier ou son ayant-cause, ne sachent, ni les uns ni les autres, s'il est encore dû quelque chose ou non, le débiteur devra payer, tandis que son héritier ne payera pas.
En effet, le débiteur doit savoir s'il doit ou s'il ne doit pas; la présomption de payement résultant du laps de temps a besoin d'être confirmée par sa déclaration positive qu'il la croit fondée. Au contraire, l'héritier peut très légitimement ne rien savoir du payement: la présomption qu'il y a eu payement subsiste, s'il ne la contredit pas par un refus de déclarer son ignorance des faits.
386. Nous remarquerons, à cet égard, une singulière différence de formule dans la loi française entre le Code civil (art. 2275, 2e al.) et le Code de Commerce (art. 189, 2e al.).
Dans le Code civil, la veuve ou l'héritier jurent qu'ils " ne savent pas que la chose soit due; " dans le Code de Commerce, ils jurent qu'ils " estiment de bonne foi qu'il n'est plus rien dû;" c'est-à-dire qu'une déclaration d'ignorance de la dette suffit au premier cas, tandis qu'au second cas il faut une déclaration de croyance au payement. Nous ne savons si le législateur a voulu établir une différence entre les dettes civiles et les dettes commerciales; nous en doutons même, car alors les formules auraient dû être interverties et ce sont les dettes commerciales dont la prescription aurait dû être plus facilement admise en faveur de la veuve ou de l'héritier. Ce que nous croyons plutôt, sans manquer de déférence envers le législateur français, c'est qu'il a voulu admettre la même règle au fond et que c'est par inadvertance qu'il a changé la formule.
Rappelons, en terminant, que toute cette théorie de la possibilité de demander une confirmation expresse ou tacite de la présomption de payement ne s'applique pas aux prescriptions de cinq ans; aussi l'article 1493 ne se trouve-t-il pas visé par le nôtre (2).
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(2) On a dit (note 1) qu'il en est autrement au Code officiel.
Art. 1499. — 387. Les j uges, les avocats, les greffiers, les notaires et les huissiers sont, par la nature de leur fonction ou profession, obligés de prendre communication de "pièces" (titres ou documents) qui leur sont confiées par les plaideurs ou par leurs clients. Une fois terminés les procès, actes ou significations dont ils ont été chargés, ils doivent restituer les pièces qui leur ont été confiées à cette occasion et, depuis le dépôt jusqu'à la restitution, ils sont tenus de conserver ces pièces non seulement avec les soins que doit tout dépositaire volontaire, c'est-à-dire avec les soins qu'il apporte à ses propres affaires (voy. art. 905), mais même avec ceux d'un bon administrateur, car il y a ici, en même temps et surtout, un mandat salarié (v. art. 935).
Mais il y aurait de graves inconvénients à laisser durer trop longtemps cette responsabilité et les actions en restitution et en indemnité des particuliers: si les personnes dont il s'agit ont négligé de faire la restitution, les particuliers aussi ont été négligents de ne pas la réclamer. De là, des prescriptions assez courtes pour protéger les officiers publics dont il s'agit. La loi établit, d'après la qualité des officiers, une gradation correspondant assez exactement à l'importance des documents qui peuvent leur être confiés; la responsabilité est plus longue pour les officiers plus élevés: trois ans pour les juges, greffiers et avocats, deux ans pour les notaires, un an pour les huissiers (3).
S'il est un jour créé des avoués au Japon, ils devront être traités ici comme les avocats.
388. Mais il ne fallait pas que les particuliers fussent absolument privés de la possibilité de recouvrer leurs pièces qui, si elles n'ont pas été réellement rendues, peuvent n'être qu'égarées ou confondues avec d'autres, dans les archives ou dépôts de ces officiers. Dès lors, la loi leur permet de requérir des recherches, dans le mois à partir duquel la prescription leur a été opposée. Et comme ces recherches sont assez laborieuses, ils auront à payer d'avance une indemnité que la loi qualifie " droit de recherche." C'est un Règlement spécial qui déterminera le montant de ce droit: il pourra prendre place dans le Tarif général des frais de justice et des frais d'actes extrajudiciaires.
Ces recherches auront un avantage plus général: elles donneront aux officiers et à leurs employés l'occasion de retrouver d'autres pièces égarées qui peuvent avoir donné lieu déjà à la prescription de notre article et aussi des pièces qui ne sont plus à conserver et qui auraient déjà dû être rendues, quoique non réclamées (4).
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(3) Le Code officiel soumet tous ces officiers, indistinctement, à une prescription de deux ans.
(4) Le Code officiel n'ordonne pas ces recherches.
Art. 1500. — 389. Toutes les prescriptions qui précèdent, de cinq ans et au-dessous, sont fondées sur la probabi1ité du payement et sur la difficulté pour le débiteur de le prouver directement, par quittances ou par témoins, car il n'est guère possible ni même raisonnable de conserver longtemps des quittanc.es de payements presque journaliers et de sommes souvent minimes. Alors la loi permet au débiteur de suppléer à la preuve directe par la présomption de payement.
Mais la situation change lorsque le débiteur a reconnu sa dette par un compte arrêté et liquidé à une somme déterminée. Il n'y a cependant pas une novation, une transformation de la cause primitive en prêt d'argent: ce serait faire perdre au créancier les priviléges et autres avantages légaux ou conventionnels qui peuvent être attachés à la cause originaire de la dette. Mais il y a pour le débiteur une preuve plus énergique contre lui, laquelle l'oblige dès lors à tirer de son payement une quittance en bonne forme et à la conserver pendant trente ans, ou à ne payer que devant témoins, quand le montant de la dette autorise cette preuve. Mais, en pareil cas, la preuve testimoniale sera bien difficile à fournir après un long intervalle de temps.
S'il y a eu jugement contre le débiteur, il y a une preuve encore plus énergique de sa dette, et il est naturel que la prescription soit désormais de trente ans.
SOMMAIRE.
Art. 1501. — N° 390. Nécessité spéciale de cette disposition. -391. Non rétroactivité de la loi en matière de preuves. —392. Exception quant à la prescription. -393. Combinaison des anciens délais avec les nouveaux.
COMMENTAIRE.
Art. 1501. — N° 390. Le nouveau Code civil donnera lieu pendant longtemps à des questions transitoires qui, très souvent, pourront être fort délicates.
On sait que la loi n'a pas d'effet rétroactif: c'est un principe aussi conforme à la justice qu'à la raison. Mais l'application en est quelquefois très épineuse (1).
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner et de résoudre les principales questions qu'il est possible de prévoir à ce sujet. Si même on voulait être un peu complet, le mieux serait d'en faire l'objet d'un travail spécial que nous souhaitons avoir un jour le temps et la force d'entreprendre (2).
Déjà, pour des raisons particulières, le Projet a présenté des dispositions transitoires en matière d'Emphytéose (art. 166 bis) et de Superficie (art. 190).
Par une exception traditionnelle dans les lois, on trouve ici, comme dans le Code français (art. 2281), une Disposition transitoire sur la prescription.
Le motif de cette exception est qu'il y a toujours quelque chose d'arbitraire dans les délais légaux de la prescription et que la loi est obligée de faire ellemême, en cette matière, la part de l'ancienne loi et de la nouvelle.
Ce n'est, en effet, que pour la combinaison des anciens délais avec les nouveaux que l'intervention du législateur est nécessaire: pour les autres règles de la prescription dont s'occupe le 1er alinéa, les principes généraux de l'effet d'une loi nouvelle sur les modes de preuves pourraient à la rigueur suffire.
Là encore cependant, la prescription présente des particularités qu'il a paru très utile de mettre en relief.
391. En effet, quand il s'agit de preuves préconstituées, comme les preuves écrites, authentique ou privée, il est certain et évident que la loi nouvelle n'y peut porter atteinte: les parties ont respectivement un droit acquis à prouver leur acquisition ou leur libération par les moyens qu'elles se sont préparés à l'avance, conformément à la loi alors en vigueur. Si même il s'agit de la preuve par témoins, permise au moment où le fait à prouver a été accompli, la loi nouvelle ne peut défendre la preuve testimoniale de ce même fait.
392. Mais la prescription est une preuve d'une toute autre nature, non pas tant parce qu'elle est une présomption (car, s'il s'agissait de l'autorité de. la chose jugée, le droit à la présomption serait acquis dès le jugement), mais parce que c'est une présomption qui n'est formée et complète qu'avec un laps de temps. Or, jusqu'à ce que ce temps soit écoulé, il n'y a pas droit acquis pour celui qui pouvait seulement espérer y parvenir. On conçoit dès lors que la loi nouvelle puisse soumettre cette prescription à de nouvelles " règles et conditions," et c'est ce que déclare notre premier alinéa (a). Il s'exprime même, à cet égard, avec une ampleur intentionnelle, en parlant des " règles générales, conditions, prohibitions, interruptions et suspensions."
Les " règles générales " sont principalement celles contenues aux Chapitres Ier et ne; les " conditions " sont principalement celles de la prescription acquisitive et libératoire, portées aux Chapitres v, VI, VII et yiii; les prohibitions sont peu nombreuses (en dehors du défaut des conditions requises); nous citerons surtout: l'imprescriptibilité des choses hors du commerce et des simples facultés légales (art. 1431 et 1432), la prohibition de renoncer d'avance à la prescription (art. 1437); enfin les causes " d.'interruption et de suspension" font l'objet des Chapitres III et IV.
393. Reste la question des délais. C'est ici que la loi devait se prononcer d'une façon plus spéciale et en faisant quelques distinctions (2e et 3e al.).
1° Le délai de l'ancienne loi était plus long que celui de la nouvelle, par exemple 30 ans de possession, au lieu de 15: il ne fallait pas soumettre le possesseur à une possession de 15 ans, à partir de la loi nouvelle, alors que, déjà peut-être, il avait possédé 20 ans, c'eût été trop aggraver sa position.
On ne pouvait non plus imputer absolument son ancienne possession sur le nouveau délai requis, car, dans notre exemple, la prescription se fût trouvée immédiatement accomplie, au grand préjudice du vrai propriétaire qui avait sans doute compté agir pendant les 10 ans qui lui restaient.
La décision de la loi concilie les deux intérêts.
Dans ce cas, le possesseur achèvera l'ancienne prescription par les 10 ans qui lui manquaient.
Mais si, dans la même hypothèse d'une ancienne prescription plus longue que la nouvelle (30 ans au lieu de 15), le débiteur n'avait encore possédé que 5 ans, il jouirait bien de la nouvelle prescription, mais sans y imputer les 5 ans de son ancienne possession. En d'autres termes, il ne peut ici invoquer à la fois les deux prescriptions.
2° Le délai de l'ancienne prescription était plus court que celui de la nouvelle: la loi a pu valablement le prolonger, puisqu'il n'y avait pas encore droit acquis.
Mais il ne serait pas juste, quand la situation du possesseur ou du débiteur est déjà aggravée de ce chef, de ne pas lui tenir compte du temps déjà écoulé à son profit; ce temps sera donc déduit de celui qui est exigé par la loi nouvelle.
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(1) Le principe ne figure pas an Code officiel, mais il est posé par une Loi spéciale " sur les Lois," n° 97, du 6 octobre de la xxiii6 année de Meiji (1890), art. 2.
(2) Depuis la promulgation du Code officiel, nous avons commencé à l'Université impériale un cours spécial sur cette matière. Nous comptons y examiner les principales dispositions du nouveau Code civil à ce point de vue de la non rétroactivité. Nous espérons le publier.
(a) Sous ce rapport, nous croyons que le Code français n'a pas appliqué les vrais principes, car il décide que "les prescriptions commencées à l'époque de sa promulgation seront réglées conformément aux lois anciennes " (art. 2281) et il ne leur applique de la loi nouvelle que la réduction au maximum de trente ans, quand ce qui restait à courir excéderait ce délai.