旧民法・法例(明治23年)

Code civil de l'Empire du Japon. Accompagne d'un exposé des motifs

参考原資料

LIVRE DES GARANTIES DES CRÉANCES.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
On remarquera, tout d'abord, avec la rubrique ou l'intitulé de ce Livre, qu'il n'y a que les créances ou droits personnels qui comportent des sûretés ou garanties.
En effet, celui qui a un droit réel ou sur une chose, si peu important que soit ce droit, n'a pas besoin d'autre garantie que la faculté du recours à la justice : s'il vient à éprouver quelque trouble dans la possession ou la jouissance de la chose ou dans l'exercice de son droit, soit de la part de celui-là même qui le lui a conféré, soit de la part d'un tiers, il lui suffit de porter la question devant le tribunal compétent ; lorsqu'il aura justifié que le droit qu'il prétend avoir lui a été régulièrement conféré, si d'ailleurs il n'est pas prouvé contre lui qu'il ait ensuite perdu ce droit, il en recouvrera le plein et libre exercice.
C'est là même le caractère distinctif du droit réel, a savoir de nous mettre en rapport direct avec une chose (v. Livre des Biens, art. 2) et de nous autoriser à repousser toute ingérance, tout trouble venant d'autrui. On ne comprendrait donc pas le rôle que pourraient y remplir des garanties : elles n'empêcheraient pas que des tiers, en fait, pussent troubler l'exercice du droit, et elles n'ajouteraient rien aux moyens légaux de faire cesser ce trouble.
Cependant, un vendeur de meuble ou d'immeuble, un bailleur, celui qui constitue un droit d'usufruit ou de servitude, peuvent utilement donner une caution, un gage ou une hypothèque, en prévision d'un trouble ou d'une éviction de leur cessionnaire ; mais on ne doit pas dire que c'est comme sûreté du droit réel conféré : en réalité, c'est comme sûreté ou garantie éventuelle du droit personnel à une indemnité qui naîtrait pour le cessionnaire du trouble ou de l'éviction qu'il pourrait éprouver.
Cette créance, qui porte déjà le nom de “ garantie d'éviction ” lorsqu'elle tire sa seule force de la loi et n'est l'objet d'aucune stipulation ou sûreté particulière, peut être fortifiée par des sûretés ou garanties spéciales ; cela n'est pas plus étonnant que de voir, comme on en rencontrera bientôt l'exemple, un cautionnement garanti par un autre cautionnement ou par une hypothèque (v. art. 7).
La rubrique du présent Livre se trouve donc justifiée.
Il faut voir maintenant en quoi la situation d'un créancier est moins bonne que celle du titulaire d'un droit réel et comment des sûretés spéciales peuvent lui être nécessaires ou utiles.
Evidemment, un créancier court le risque de n'être pas payé et, en tout cas, il peut le craindre.
Deux causes peuvent produire ce résultat :
1° Le débiteur peut contracter de nouvelles dettes excédant la valeur de ses biens et dont le concours sera nuisible à tous ses créanciers ;
2° Il peut aliéner tout ou partie de ses biens.
On peut dire, dans, le premier cas, qu'il augmente son passif et, dans le second cas, qu'il diminue son actif.
Ce double danger résulte du principe d'après lequel les créanciers sont les ayant-cause généraux de leur débiteur : l'article 340 nous a déjà dit que “ les créanciers subissent l'effet des obligations consenties sans fraude par leur débiteur.”
Art. 1. Le présent article fait l'application spéciale du principe de l'article 339 aux obligations contractées par le débiteur au-delà de ses facultés.
Quand il proclame d'abord, en reproduisant une formule consacrée, que “ tous les biens du débiteur sont la garantie commune de ses créanciers,” il ne donne pas encore au mot garantie le sens technique qu'il aura dans tout ce Livre ; ici notamment, le débiteur garde la possession de ses biens, ce qui laisse subsister le danger des aliénations faites sans fraude : la loi veut exprimer seulement cette idée simple que la saisie et la vente de tous les biens du débiteur peuvent être opérées par tout créancier, sauf en ce qui concerne les biens insaisissables qui précisément ne sont pas la garantie des créanciers (v. art. 29).
Le 2e alinéa signale le danger annoncé du concours des créanciers et de la réduction qu'ils subissent dans leur payement.
La loi consacre l'égalité normale des créanciers : en principe, il n'y a pas de préférence des uns sur les autres ; il est indifférent que, parmi les créances, les unes aient pour objet de l'argent ou des denrées et les autres des faits ou des abstentions ; que les unes soient nées d'un contrat ou d'une convention et les autres d un enrichissement indû. ou d'un dommage causé injustement (diversité de cause) ; que les unes soient pures et simples et les autres à terme ou conditionnelles (différence de modalité) ; enfin, que les unes soient plus anciennes que les autres ou de même date.
Cependant, par exception, il y a des causes de préférence : les unes sont l'effet de la volonté de l'homme (de la convention ou du testament), les autres sont l'effet de la loi. Nous pouvons annoncer, dès à présent, que c'est surtout dans la cause de certaines créances que la loi trouvera une raison de préférence ou de privilège.
Le 3e alinéa renvoie naturellement au Code de Procédure civile pour les formes de la saisie et de la vente des biens du débiteur, ainsi que pour la distribution du prix, laquelle se fait de deux manières : par ordre ou par rang de priorité, s'il y a des causes de préférence, et, au cas contraire, par contribution, c'est-à-dire proportionnellement au montant de chaque créance par rapport aux autres.
Le moyen le plus simple d'établir cette proportion est de faire d'abord la somme du passif comparée à celle de l'actif, et quand on aura trouvé le tant pour cent que doivent perdre toutes les créances réunies, par suit de l'insuffisance de l'actif, on réduira chacune séparément, dans la même proportion.
Art. 2. La loi énumère maintenant les deux sortes de sûretés ou garanties spéciales que peuvent obtenir les créances.
La distinction qui sert ici de division principale n'est pas tirée de la source ou cause directe des sûretés, c'est-à-dire de la volonté du débiteur ou de la disposition de la loi: c'est sur chacune, en particulier, qu'on verra quelle est sa cause, et même, pour quelques-unes, on trouvera que les deux causes réunies sont possibles : la volonté de l'homme et la loi ; la distinction est tirée ici de la nature réelle ou personnelle de la sûreté.
La sûreté est relie, lorsqu'elle consiste dans l'affectation directe et exclusive d'une chose à l'acquittement d'une obligation déterminée ; cette chose peut d'ailleurs appartenir au débiteur lui-même ou à un tiers qui lui rend un bon office.
La sûreté est personnelle, lorsqu'elle résulte, soit de l'engagement accessoire d'un tiers appelé caution, soit d'une modalité aggravant la position de plusieurs codébiteurs principaux dont l'obligation, au lieu d'être simplement conjointe, devient solidaire ou même indivisible. Il y a même une autre modalité constituant une garantie personnelle que la loi n'énonce pas ici, parce qu'elle est très voisine de la solidarité, c'est le cas de l'obligation intégrale.
Il ne faudrait pas affirmer que de ces deux sortes de sûretés l'une vaille nécessairement mieux que l'autre, en règle générale : la solution dépendra toujours des circonstances du fait; sans doute, les sûretés personnelles présentent elles-mêmes le danger de l'insolvabilité du débiteur accessoire comme du débiteur principal, et des débiteurs solidaires comme des débiteurs conjoints, car ceux-ci peuvent de même multiplier leurs engagements et aliéner leurs biens sans fraude; tandis que les sûretés réelles empêchent l'aliénation, comme le nantissement ou suivent le bien dans les mains des tiers, comme l'hypothèque. Mais ces mêmes sûretés peuvent, à leur tour, devenir insuffisantes par la dépréciation ou la perte fortuite des choses, et, clans ces cas, le débiteur n'est pas tenu de fournir une nouvelle sûreté. C'est donc au créancier, au moment où il traite, à mettre en balance les risques qu'il court et les avantages qu'il attend du contrat.
Chacune des deux sortes de garanties formera l'objet d'une Partie distincte de ce Livre.
Comme il est bon, lorsqu'on a une longue route a parcourir, d'en connaître d'avance l'étendue et les diverses étapes, le présent article donne immédiatement l'énumération des unes et des autres, lesquelles, seront l'objet d'autant de Chapitres.
Pour les sûretés personnelles, on commence par la plus faible, afin d'en accentuer la progression.
En ce qui concerne les sûretés réelles, on peut dire que la première, le droit de rétention, en est aussi la plus faible ; quant aux autres, elles sont plutôt différentes que véritablement progressives.
Il est un droit des créanciers qu'on pourrait s'attendre à rencontrer ici, car il s'exerce, en général, comme une garantie, en cas d'insolvabilité du débiteur, et sa conservation est quelquefois soumise à la même publicité que le privilège, par exemple pour l'aliénateur: c'est le droit de demander la résolution pour inexécution des obligations ; mais ce serait se méprendre sur sa nature intime que d'y voir une garantie, dans le sens qui nous occupe : loin de garantir l'exécution d'une obligation conventionnel, le droit de résolution tend, au contraire, à anéantir la convention et à remettre les parties dans leur situation respective antérieure.
Il a été déjà traité de la résolution, d'une façon générale, au sujet des contrats synallagmatiques (Liv. des Biens, art. 421 et s.) ; on en a rencontré plusieurs applications aux contrats spéciaux, objets du Livre de l'acquisition des Biens, notamment à la vente, où elle comportait quelques développements (v. art. 720 et s.) ; enfin, on la retrouvera à l'occasion de la publicité à laquelle elle est soumise pour être opposable aux tiers (art. 182, 263, 266 et 279 du présent Livre).
PREMIÈRE PARTIE.
DES GARANTIES PERSONNELLES.
CHAPITRE PREMIER.
DU CAUTIONNEMENT.
Art. 3. Cet article annonce qu'il y a trois espèces de cautionnements, au point de vue de leur cause : la volonté du débiteur (évidemment acceptée par le créancier), l'ordre de la loi et celui de justice.
Il faut remarquer immédiatement qu'il n'y a pas encore cautionnement volontaire, à proprement parler, lorsque le débiteur et le créancier sont convenus que cette sûreté serait fournie, pas plus qu'il n'y a cautionnement lorsque la loi ou la justice l'ordonnent : il n'y aura cautionnement véritable que lorsqu'un tiers se sera engagé comme caution ou débiteur accessoire vis-à-vis du créancier : l'article suivant nous dira que c'est là le contrat de cautionnement.
Lorsque le débiteur promet de fournir une caution comme garantie d'une dette, c'est ordinairement par une clause du contrat principal et c'est alors une condition ; plus rarement, c'est par une convention postérieure et spéciale, parce que le débiteur n'a plus le même intérêt à donner cet avantage au créancier, à moins que ce ne soit pour prévenir des poursuites ou obtenir une prorogation de terme : la convention est alors un contrat in nommé, car la promesse de fournir une caution n a pas de nom consacré par la loi.
Ce contrat innommé est unilatéral, car le débiteur seul s'y oblige ; mais il est onéreux, si le créancier fait en compensation quelque sacrifice pour obtenir cette sûreté, par exemple, s'il donne un nouveau délai ou renonce à tout ou partie des intérêts déjà échus ou à échoir.
L'article 15 prévoit le cas où un débiteur s'est engagé à fournir une caution : il s'applique aussi bien au cas où cette promesse est l'objet d'une convention spéciale et innommée qu'à celui où cette promesse est une clause du contrat principal. Dans ce dernier cas, la clause aura le même caractère, onéreux ou gratuit, que le contrat principal lui-même.
Les règles des trois espèces de cautionnements, volontaire, légal et judiciaire, sont généralement les mêmes, mais comme il y a quelques dispositions propres aux deux cautionnements non volontaires, elles seront l'objet d'une Section spéciale.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'OBJET ET DE LA NATURE DU CAUTIONNEMENT.
Art. 4. Il s'agit ici du véritable contrat de cautionnement, et ce qui prouve qu'il n'a rien de commun avec la promesse de cautionnement faite par le débiteur et dont il est parlé plus haut, c'est que celui-ci n'y figure pas. Sans doute, il pourra arriver que le garant, la caution, intervienne en cette qualité à l'acte principal même, conjointement avec le débiteur, mais il y aura moins là une clause de ce contrat principal qu'un contrat distinct au fond, quoique non séparé en la forme ; ce sera un contrat accessoire assurément, mais il ne serait pas moins accessoire s'il intervenait après un certain intervalle de temps.
Le contrat de cautionnement est unilatéral, parce qu'il n'oblige que la caution ; il est gratuit ou onéreux, suivant le caractère du contrat principal auquel il se rattache. Sans doute, la caution, en s'engageant pour le débiteur, ne reçoit rien du créancier, en compensation de l'engagement qu'elle prend envers lui ; mais si celui-ci a fourni au débiteur une contre-valeur pour obtenir l'engagement principal, le cautionnement, qui en est l'accessoire et la condition, n'est pas reçu gratuitement. C'est à l'égard du débiteur et non à l'égard du créancier que la caution remplit un bon office et fait un acte de bienfaisance, comme mandataire ou gérant d'affaires; ce point sera repris avec les articles Il et 12.
Il va sans dire que le contrat de cautionnement est consensuel, et cela en deux sens, c'est-à-dire non réel et non solennel.
D'après la définition du cautionnement donnée par notre article, la caution n'est tenue d'acquitter la dette “ qu'à défaut d'exécution par le débiteur,” ce qui indique assez que son obligation n'est pas pure et simple mais conditionnel et subsidiaire.
Mais à quel moment précis pourra-t-elle être poursuivie ? Suffira-t-il que le créancier ait, préalablement et sans succès, sommé le débiteur de payer ? Faudra-t-il qu'il ait commencé et poussé plus ou moins loin des poursuites contre le débiteur ?
Ce sont là des questions qui seront résolues plus loin, au moyen de certaines distinctions.
La caution ne s'engage pas seulement à exécuter la dette principale, suivant sa forme et teneur, à défaut du débiteur : elle doit aussi indemniser le créancier de l'inexécution, lorsque celle-ci est imputable à la faute du débiteur. En effet, il peut s'agir d'une obligation de faire, dans laquelle la personne même du debiteur a été prise en considération exclusive, et la caution ne serait pas reçue à l'exécuter elle-même ; mais alors elle doit l'indemnité dont le débiteur en faute est tenu.
Art. 5. Cette disposition est une conséquence de la définition légale du cautionnement : du moment que la caution s'engage à acquitter telle dette du débiteur, elle ne peut en acquitter une autre.
Ce n'est pas à dire pourtant qu'une pareille promesse serait nécessairement et toujours sans effet : elle pourrait valoir comme novation ; la novation serait alors double : par changement de débiteur et par changement d'objet dû. C'est pourquoi le texte déclare que le cautionnement ayant un objet autre que celui de l'obligation principale est nul “comme tel; ” ce qui laisse aux tribunaux le pouvoir d'apprécier s'il y a ou non novation ; or, la novation n'ayant pas besoin d'être expresse, mais seulement “ claire ” (v. art. 492), et les conventions devant s'interpréter de la manière qui leur donne un effet plutôt que de celle qui ne leur en donne aucun, il est naturel que cette promesse d'un autre objet soit considérée comme ayant fait novation.
Mais alors la situation sera bien différente, car le débiteur primitif sera libéré, ou, s'il reste tenu, ce ne sera plus que subsidiairement, à son tour, comme garant d'une délégation (v. art. 498).
Bien entendu, pour que ce cautionnement improprement dit opère novation, il faut qu'il intervienne après que l'obligation principale a été formée, car il serait impossible de nover celle-ci au moment même où elle prend naissance.
La disposition qui défend à la caution de promettre en cette qualité, “ comme telle,” un autre objet que celui de la dette principale reçoit une exception facile à justifier.
Comme la caution, en promettant l'exécution de la dette principale, s'oblige implicitement aux dommages-intérêts résultant de l'inexécution, il est naturel qu'elle puisse promettre d'avance une somme d'argent considérée comme l'estimation desdits dommages-intérêts et formant une clause pénale en vue de cette inexécution.
Art. 6. Ici, il ne s'agit plus d'un objet du cautionnement différant par sa nature de celui de l'obligation principale, mais d'un caractère plus onéreux de l'obligation accessoire. Par exemple, la somme promise par la caution est plus forte que celle promise par le débiteur ; on sa promesse est pure et simple, quand celle du débiteur n'est qu'à terme ou sous condition; ou bien le terme est plus court la caution que pour le débiteur ; de même, dans une obligation alternative où le choix était laissé au débiteur, la caution l'a laissé au créancier. On pourrait facilement multiplier de pareils exemples.
Dans ces cas, le cautionnement n'est pas nul ; comme il est facile de le ramener aux limites et modalités permises, sans en changer l'objet, cette opération aura lieu ; tandis que dans le cas de l'article précédent, il n'était pas possible de substituer l'objet permis à l'objet défendu.
Art. 7. Le présent article a pour but de prévenir une exagération de la prohibition précédente. Les sûretés fournies pour la garantie du cautionnement ne doivent pas être considérées comme une aggravation de l'engagement de la caution ; sans doute, on peut dire, au sujet de l'imputation des payements, que le débiteur a plus d'intérêt à acquitter une dette pour laquelle ses biens sont grevés de gage ou d'hypothèque qu'une dette simplement chirographaire ; mais une caution n'agirait pas de bonne foi si elle contestait l'exercice sur ses biens d'une sûreté qu'elle a conférée : ce serait faire soupçonner qu'elle cherche à se soustraire à son obligation.
On ne doit pas non plus voir une aggravation de l'engagement de la caution dans la circontance qu'elle est soumise à des voies d'exécution plus rapides et même plus rigoureuses que celles auxquelles est soumis le débiteur ainsi la caution pourrait être tenue par un acte authentique, quand le débiteur ne le serait que par un acte sous seing privé.
L'article 9 donne un autre exemple plus frappant encore de caution tenue plus rigoureusement que le débiteur, quant aux voies d'exécution, c'est celui où elle a cautionné sciemment une obligation annulable du débiteur principal : une fois l'obligation annulée, celui-ci payera s'il le veut et quand il lui conviendra, sans qu'on puisse jamais l'y contraindre ; la caution est tenue par toutes les voies de droit.
La caution qui peut donner des sûretés réelles de son engagement, quand le débiteur n'en a pas donné pour le sien, peut aussi donner des sûretés personnelles ; par exemple, une sous-caution, appelée dans l'usage et par notre article “ certificateur do caution.”
Du reste, ce n'est que par occasion que la loi le dit (2e al.); car ici, il n'y a plus à craindre l'objection que la caution serait dans une condition plus onéreuse que le débiteur principal, puisque celui-ci a, lui-même et le premier, fourni une caution.
Art. 8. La loi fait ici une différence entre le cautionnement limité ou défini et le cautionnement indéfini.
Dans le premier cas, la caution est supposée avoir exprimé d'une façon limitative et déterminée la chose, l'objet, la somme ou quantité dont elle entendait garantir la prestation ; son obligation ne pourra pas s'étendre : elle ne comprendra ni les fruits, ni les intérêts de la chose due, et pas même les frais faits contre le débiteur, à moins que la caution ne requière la discussion des biens de celui-ci, comme il sera expliqué ultérieurement.
Rappelons, à ce sujet, ce qui est dit par l'article 4, que la caution est toujours tenue de l'indemnité d'inexécution, laquelle n'est pas une extension de l'obligation, mais en est la réalisation transformée.
Dans le second cas, la caution a exprimé qu'elle garantissait telle dette du débiteur, sans restriction ni limites; dès lors, son engagement recevra l'extension légitime ou aura les conséquences légales que peut avoir celui du débiteur. Sans doute, la dette de celui-ci sera elle-même déterminée dans son objet ou dans son chiffre (elle ne serait pas valable sans cela), mais elle peut s'augmenter de fruits, d'intérêts, de dommages-intérêts, de frais judiciaires; or, la caution, en ne limitant pas sa garantie de la dette principale, est réputée avoir entendu garantir ces accessoires.
Remarquons seulement, sur les fruits de justice, que la caution n'est tenue que de ceux qui ont été faits depuis qu'elle en a été informée, afin qu'elle puisse les faire cesser en payant ; la première demande seule est supportée par elle, lors même qu'elle n'en aurait pas été informée, parce qu'il est naturel, sinon toujours obligatoire, que le créancier poursuive le débiteur avant la caution.
Art. 9. Le principe posé par le 1er alinéa ne peut faire de difficulté ; mais il est bon qu'il soit inscrit dans la loi pour que la théorie du cautionnement y soit complète.
Pour qu'on ne puisse douter que le cautionnement de la dette d'un incapable reste valable après l'annulation en justice de cette dette, la loi l'exprime ; elle se place dans l'hypothèse où la caution a connu l'incapacité du débiteur principal : elle doit être considérée comme ayant reconnu, dans les circonstances du fait, les causes légitimes d'une obligation valable, malgré la présomption contraire de la loi, pour les cas généraux. C'est, en somme, une obligation naturelle qu'elle a cautionnée civilement.
La loi consacre ce cas spécialement, parce qu'il sera certainement le plus fréquent.
Bien entendu, quand la loi exige que la caution ait connu l'incapacité du débiteur principal, c'est au moment où le cautionnement a été donné par la caution que cette connaissance est nécessaire : si elle n'était survenue que plus tard, le cautionnement, annulable dès le principe, comme l'obligation de l'incapable lui-même, resterait tel et tomberait avec la nullité de celle-ci une fois prononcée en justice.
Art. 10. On a déjà vu à l'article 321 du Livre des Biens que les choses futures peuvent être l'objet d'une obligation. Cet article ne doit pas être restreint aux obligations principales et on nous dit ici qu'il s'applique de même aux obligations accessoires.
L'application de notre article aura lieu lorsque le créancier, manquant de confiance envers le débiteur, aura subordonne au cautionnement d'un tiers son consentement à un prêt ou à une vente. Dans ce cas, il pourra arriver que la caution soit forcée, par les circonstances, d'envoyer son engagement avant que la dette principale soit contractée : c'est un cautionnement conditionnel et cette condition est potestative de la part du créancier ou du débiteur, car l'un ou l'autre pourrait refuser de contracter.
Il peut arriver que le montant de la dette soit incertain au moment du cautionnement : par exemple, pour un prêt ayant le caractère d'ouverture de crédit ou pour une vente do marchandises dont le prix variera avec le cours commercial ; cette incertitude ne serait pas un obstacle au cautionnement : du moment que l'objet de la dette principale sera assez détermine pour remplir la condition prescrite par l'article 304-2° du Livre des Biens, il le sera également assez pour la validité du cautionnement. Et remarquons que cette incertitude du montant du cautionnement ne lui donnerait pas le caractère indéfini : il resterait toujours limité dans le sens de l'article 8.
Art. 11. C'est remplir un bon office envers le débiteur principal que de le cautionner, puisque c'est lui faire trouver près du créancier un crédit que, sans cela, il n'y trouverait pas.
Le plus souvent, c'est sur la demande du débiteur que ce bon office lui est rendu ; il y a alors mandat de sa part, de sorte que toute l'opération se décompose en trois contrats: le contrat principal entre le débiteur et le créancier (vente, louage, prêt, etc.), le mandat du débiteur à la caution, enfin le contrat de cautionnement entre la caution et le créancier.
C'est généralement le mandat qui sera le premier contrat, parce que le débiteur aura dû s'assurer d'abord du garant à fournir.
On n'a pas à revenir ici sur les caractères du mandat : ce contrat a été longuement expliqué au Chapitre XI du Livre précédent.
Quelquefois, la caution, sans avoir reçu mandat du débiteur, s'engagera pour lui et à son insû ; le bon office aura ainsi d'autant plus de mérite qu'il sera spontané ; les rapports de la caution avec le créancier n'en seront pas modifiés, mais ceux de la caution avec le débiteur seront réglés par les principes de la gestion d'affaires (v. art. 362 et 363).
Enfin, il peut arriver que la caution se soit engagée comme telle envers le créancier malgré la volonté contraire du débiteur; par exemple, un parent du débiteur, voulant lui épargner des poursuites rigoureuses, aura, contrairement à sa volonté, donné sa signature en garantie au créancier ; peut-être même il l'aura fait pour l'honneur du nom de la famille. Cette intervention de la caution peut encore être qualifiée de gestion d'affaires; mais elle présentera toujours une différence avec le cas précédent, quant au recours de la caution en cas de payement. On s'y arrêtera à la Section II (v art. 30).
Art. 12. — Comme conséquence de ce caractère de mandat ou de gestion d'affaires que présente le cautionnement, la loi exige chez la caution la capacité de s'obliger à titre gratuit.
Sans doute, comme on l'a observé plus haut, la caution, dans ses rapports avec le créancier, est considérée comme reçue à titre onéreux, si le contrat auquel elle a accédé à ce caractère, mais dans ses rapports avec le débiteur, elle est presque toujours fournie gratuitement ; de là résulte une distinction présentée par le texte : si l'incapacité de s'obliger gratuitement est générale ou absolue chez la caution, le créancier a dû la connaître ou est en faute de ne pas l'avoir connue ; elle lui sera donc opposée comme fin de non-recevoir à ses poursuites ; si l'incapacité n'est que relative au débiteur, étant fondée sur des rapports particulière assez rares dans la loi, alors elle ne sera opposée au créancier que s'il l'a effectivement connue.
Cette distinction entre l'incapacité absolue de donner et l'incapacité relative de donner et de recevoir n'aura peut-être que cette seule application dans la loi, mais elle est commandée par la singularité même du cautionnement qui est à titre gratuit pour celui qui le donne et à titre onéreux pour celui qui le reçoit.
Ce qui précède s'applique naturellement au cautionment civil ou ordinaire. Mais il y a deux espèces de cautionnements propres aux affaires commerciales, dont l'un au moins n'a pas le caractère gratuit. L'article 17 renvoie au Code de Commerce pour les particularités qui les concernent ; toutefois, on les exposera sommairement sous cet article.
Art. 13. La loi exige ici, mais il suffît que l'intention de cautionner "résulte clairement des circonstances ; ” or, c'est seulement lorsque cette condition ne sera pas remplie que l'acte ne produira pas d'effet, pas plus d'ailleurs que n'en produirait, en pareil cas, un acte qui serait invoqué comme contenant un engagement principal.
Pour qu'il n'y ait pas abus dans cette facile admissibilité du cautionnement, la loi ne permet pas de voir un cautionnement dans “ le seul fait d'avoir recommandé un contractant à l'autre ou d'avoir affirmé sa solvabilité présente ou future.” Ce sont là des formules de bienveillance pour la personne recommandé, ou d'encouragement pour celui à qui on l'adresse, mais sans intention aucune de se porter garant de l'obligation. Toutefois, d'après les principes généraux, une pareille recommandation ou déclaration entraînerait une responsabilité plus ou moins étendu si elle était faite par dol.
La loi a dû prévoir aussi le cas où le nouvel engagement était assez clair pour qu'on dût lui donnner effet, mais pas assez pour qu'on pût savoir s'il constituait un cautionnement ou bien une novation ou un engagement solidaire, et elle décide, d'après un principe général d'interprétation (v. art. 360), que l'on devra y voir un cautionnement, comme moins onéreux au promettant.
Art. 14. La disposition de cet article est encore une de celles qui pourraient être suppléées par l'effet des principes généraux ; car, lorsqu'il n'y a pas de raison par ticular pour que les effets d'un contrat cessent avec la vie des contractants, ces effets se produisent pour et contre leurs héritiers ; il faut même, pour que les exceptions soient admises, qu'elles soient écrites dans la loi ou résultent de la convention, expressément ou tacitement (v. art. 338). Mais la loi a cru devoir formuler ici l'application du principe, parce qu'il y avait, au moins en apparence, une raison de douter de la transmissibilité passive et même active du cautionnement. On a vu plus haut que la caution est, le plus souvent, mandataire du débiteur principal ; or, le mandat, étant fondé sur un sentiment de considération et de bienveillance réciproques des parties, cesse par la mort du mandant et par celle du mandataire; on aurait donc pu croire un instant que la caution, comme mandataire, n'obligeait pas son héritier.
Mais ce serait, en réalité, se méprendre gravement sur la situation créée par le cautionnement ; sans doute, si la personne qui a consenti à se porter caution du débiteur vient à mourir avant de s'être engagée comme telle envers le créancier, elle n'a pas obligé héritier à prendre ledit engagement : elle n'est encore que mandataire du débiteur principal et le principe de non transmissibilité du mandat lui est encore applicable.
Il ne serait de même en cas de mort du débiteur avant que la caution se fût engagée : elle ne serait pas tenue vis-à-vis de l'héritier du débiteur d'accomplir son mandat.
Mais, du moment qu'en exécution du mandat, le cautionnement est souscrit, il y a là un nouveau lien pour la caution, et ce lien, n'ayant pas le caractère d'un bon office vis-à-vis du créancier, ne peut cesser par la mort de la caution.
Quant à la mort du créancier, il ne serait pas possible de douter qu'elle fût sans influence sur le cautionne ment, puisque le créancier n'est pas mandant ; mais, pour que la loi ait plus d'harmonie et aussi pour que l'omission d'un cas sur deux ne fasse pas elle-même naître un doute, le texte se prononce de la même manière sur les deux décès.
Art. 15. Cet article suppose le cas annoncé plus haut : le débiteur ne pouvant encore fournir une caution au moment où s'est formé le contrat principal, alors pourtant que le créancier en faisait une condition de ce contrat, a promis de la fournir ultérieurement.
S'il s'agissait d'une caution fournie au moment même du contrat principal, le présent article ne s'appliquerait pas : le créancier serait considéré comme ayant accepté la caution dans les conditions où elle se trouvait ; sans doute, sa solvabilité lui aurait parue suffisante; son domicile, éloigné ou non, ne l'aurait pas préoccupé ; elle pourrait aussi devenir insolvable sans qu'il eût le droit d'en demander une autre.
Mais il n'en est plus de même lorsque le débiteur a promis de fournir une caution et lorsque le contrat principal a été conclu avant que le créancier en ait accepté une : il y a lieu, dans ce cas, de pourvoir à son intérêt, comme aussi de prévenir trop d'exigeances de sa part. Deux conditions suffisent mais sont nécessaires.
1° Il faut que la caution présentée en vertu de la convention soit solvable. En cas de contestation, c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de décider si la solvabilité de la caution est suffisante.
Si la caution ainsi fournie devient insolvable, le débiteur doit en fournir une autre.
2° Il faut que la caution ait ou élise un domicile dans le ressort de la cour d'appel où l'exécution de l'obligation doit se faire. Cette condition a pour but de ne pas rendre les poursuites trop difficiles au créancier; c'est aussi un moyen pour lui de sc tenir plus facilement au courant de l'état de solvabilité de la caution. Il va de soi que cette obligation de domicile est permanente et que si la caution change de domicile réel ou élu, le nouveau domicile doit remplir la même condition de lieu.
Les règles qui précèdent sont écrites pour le cas où le créancier a stipulé qu'il lui serait fourni une caution, sans la désigner davantage ; mais s'il a stipulé l'engagement d'une personne déterminée, alors on se trouve dans le même cas que si, au moment de la signature du contrat principal, il avait accepté cette même personne : il ne peut ni discuter, ni critiquer la solvabilité actuelle de la caution qu'il a obtenue suivant son désir; il ne pourra se plaindre si l'insolvabilité survient; enfin, quelque éloigné que soit le domicile de cette caution, ou si elle vient à en changer, il n'a pas lieu de réclamer : les conventions sont la loi des parties.
Le présent article est formellement écrit pour le cas où la caution est due en vertu d'une convention ; mais il sera déclaré applicable au cautionnement ordonné parla loi ou par jugement (voy. art. 47).
Art. 16. Il peut arriver que le débiteur qui a promis de fournir une caution soit peu connu et ne trouve personne pour le cautionner, ou que sa position pécuniaire n'encourage pas ses amis à le cautionner ; il est naturel alors qu'il puisse suppléer an cautionnement promis, en donnant une sûreté réelle suffisante, c'est-à-dire un nantissement mobilier ou immobilier ou une hypothèque, ou même, et à plus forte raison, en faisant un dépôt d'argent aux mains du créancier ou d'un tiers agréé par celui-ci ; le tout, sons l'approbation du tribunal, en cas de désaccord.
On pourrait décider, de même que, si un débiteur avait promis de fournir une sûreté réelle et ne pouvait y réussir, il pourrait être admis à la remplacer par un cautionnement avec l'autorisation du tribunal, en cas de désaccord.
La loi a soin de se référer à l'article précédent, c'est-à-dire au cas où le débiteur a promis de fournir caution: autrement, c'est au créancier à voir, au moment où il contracte, s'il lui convient de recevoir une sûreté réelle et laquelle est suffisante.
Art. 17. L'aval est un cautionnement propre aux lettres de change, aux billets à ordre et aux autres effets de commerce négociables par endossement.
Ce qui est à remarquer, c'est que le donneur d'aval est tenu solidairement avec les débiteurs principaux.
Le Code de Commerce s'explique sur cette garantie particulière.
La garantie due par les commissionnaires est l'objet d'un pareil renvoi ; niais il est bon cependant d'en donner ici une idée sommaire.
Déjà, sous l'article 229, à l'occasion du Mandat, on a indiqué le caractère distinctif de la commission commerciale, et l'on a dit que le commissionnaire agit en une double qualité : dans ses rapports avec son commettant ou mandant, il est un mandataire ordinaire ; s'il vend ou achète, prête ou emprunte, il doit communiquer au commettant tous les droits et avantages de l'opération, comme aussi il se décharge sur lui des conséquences onéreuses de l'acte ; mais dans les actes de vente ou d'achat, de prêt ou d'emprunt, qu'il a passés avec les tiers, en exécution de son mandat, il a agi en son propre nom, comme pour son compte et sans nommer son mandant ou commettant ; en conséquence, c'est lui qui a l'action ou qui la subit, à raison desdits actes, sauf les comptes respectifs entre lui et le commettant, comme il est dit ci-dessus.
Ce n'est pas ici le lieu de développer les raisons pratiques qui ont fait adopter cette manière de procéder en matière commerciale; disons seulement que, bien qu'elle paraisse plus compliquée que le mandat civil, elle a le grand avantage de favoriser la conclusion d'affaires nombreuses et importantes auxquelles le mandat ordinaire ne se prêterait pas.
Lorsqu'une personne est commissionnaire par profession et avantageusement connue dans une ville de commerce, soit pour certaines denrées ou marchandises, soit pour toutes sortes de denrées, elle inspire confiance aux autres négociants qui traitent avec elle, pour acheter on vendre ; tandis que ces mêmes négociants ne traiteraient pas avec le mandant ou commettant qu'ils ne connaissent pas et qui souvent même demeure dans un autre lieu.
SECTION II. DES EFFETS DU CAUTIONNEMENT.
§ Ier — DE L'EFFET DU CAUTIONNEMENT ENTRE LA CAUTION ET LE CRÉANCIER.
Art. 18. Cet article, rapproché de l'article 4 qui contient la définition du cautionnement, achève de déterminer ce que cet engagement a de conditionnel et il lève tout doute an sujet de la nécessité d'une sommation à faire au débiteur, préalablement aux poursuites contre la caution.
Il est naturel, en effet, que le créancier, avant de poursuivre la caution, lui fournisse une preuve suffisante que la dette n'est pas déjà payée par le débiteur.
Sans doute, une sommation n'est pas une preuve complète qu'il n'y a pas eu payement, car le créancier peut la faire de mauvaise foi, ou, s'il est héritier, il peut ignorer que le payement a été fait à son auteur ; mais cette sommation aura donné lieu à une réponse du débiteur et si celle-ci contient ou une demande de délai, ou une allégation que l'échéance n'est pas arrivée, ou même une contestation de l'existence ou de la validité de la dette, c'est une preuve suffisante que la dette n'est pas payée.
Si le débiteur avait payé après la sommation, il ne manquerait pas d'en informer la caution : autrement, il serait responsable envers elle du trouble causé par les poursuites, si d'ailleurs le créancier était hors d'état de l'indemniser lui-même de ses poursuites mal fondées.
La loi dispense le créancier de faire cette sommation dans trois cas où elle serait évidemment inutile : la disparition du débiteur, sa faillite déclarée, son insolvabilité notoire.
La disparition du débiteur n'est pas nécessairement une fraude à l'égard de son créancier : elle peut être l'effet de quelque accident; il suffit qu'il soit évident que la sommation n'atteindra pas le débiteur, pour qu'il n'y ait pas lieu d'exposer le créancier à une dépense et à un retard inutiles.
La faillite déclarée est une preuve légale que le débiteur ne peut payer.
L'insolvabilité, si elle n'a pas été déclarée en justice, à l'occasion d'une procédure, doit être notoire, c'est-à-dire indiscutable.
Art. 19. Si l'on suivait ici la raison pure, c'est-à-dire la logique rigoureuse, on pousserait plus loin le caractère conditionnel de l'obligation de la caution, et l'on exigerait que le créancier, avant de la poursuivre, épuisât toutes les voies de rigueur contre le débiteur lui-même, prît jugement contre lui, saisit ses biens, les fit vendre et s'en fît attribuer le prix concurremment avec les antres créanciers, enfin, qu il ne recourût contre la caution qu'au cas d'insuffisance des biens du débiteur. Mais ce serait trop affaiblir la force et la simplicité de la garantie que le créancier a cherchée dans le cautionnement Notre article présente pourtant la discussion préalable des biens du débiteur comme u n droit, puisque la caution peut “l'exiger;” mais il annonce de suite qu'elle est soumise à des “restrictions et conditions,” lesquelles sont l'objet des articles suivants.
Art. 20. — Le droit oU bénéfice de discussion est de la nature de cautionnement, puisqu'il appartient à la caution sans avoir été stipulé, mais il n'est pas de son essence, il n'en est pas inséparable ; la caution peut donc y renoncer; sans doute, le créancier exigera souvent cette renonciation, il en voudra faire une condition du contrat principal ; mais la caution, avertie, par cela seul de la ligueur qu'il veut lui imposer, aura pu refuser de s'y soumettre.
La renonciation au bénéfice de discussion n'a pas besoin d'être expresse : elle peut être tacite, pourvu quelle soit certaine; tel serait le cas où la caution aurait promis de “payer à première demande on à présentation du titre ou de la quittance.”
Une autre manière pour la caution de se priver du bénéfice de discussion est de “ s'engager solidairement avec le débiteur principal ; ” dans ce cas, de même qu'un débiteur solidaire ne peut, à l'échéance, refuser le payement immédiat et intégral, lors même que son codébiteur serait solvable pour sa part (v. art. 51), de même la caution solidaire devra payer la totalité immédiatement; sans préjudice, bien entendu, des délais de grâce et du fractionnement de la dette pouvant être accordés par le tribunal, conformément au droit commun.
Ce n'est pas à dire d'ailleurs que la caution solidaire soit, à tous autres égards, un codébiteur solidaire : elle est toujours une caution, et comme telle, elle ne peut s'obliger sous des conditions plus dures que le débiteur principal ; de même, lorsqu'elle a payé, elle a recours pour le tout contre le débiteur principal, tandis qu'un codébiteur solidaire supporte toujours une part dans la dette.
Enfin, la loi ne veut pas que la caution laisse le créancier s'engager dans des poursuites contre elle, pour se voir ensuite arrêté dans cette procédure et obligé d'en commencer une autre contre le débiteur. Le texte ne dit pas cependant que le bénéfice de discussion doive être proposé par la caution sur les premières poursuites dirigées contre elle : ce serait refuser à la caution le droit de contester tout d'abord sa qualité de caution, ce qui est inadmissible; ce qu'il ne faut pas, c'est que la caution puisse commencer par contester la dette principale au fond, puis, que, se voyant vaincue sur ce terrain, elle puisse renvoyer le créancier à poursuivre le débiteur principal.
Mais la caution pourra contester d'abord sa qualité de caution: par exemple, nier son consentement, en alléguer un vice, soutenir qu'elle était incapable; puis, voyant ces moyens de défense rejetés, elle demandera au créancier de poursuivre le débiteur principal avant d'exiger d'elle le payement. Il serait impossible, en effet, d'astreindre la caution à opposer tout d'abord le bénéfice de discussion, car ce serait, de sa part, une reconnaissance implicite de sa qualité de caution et, en cas d'insolvabilité du débiteur, le créancier pourrait lui dénier le droit de contester sa qualité de caution.
Art. 21. C'est ici que se trouvent les restrictions et conditions imposées à l'exercice du bénéfice de discussion.
L'idée dominante est que si la discussion des biens du débiteur doit prendre un temps trop considérable, donner lieu à une procédure compliquée ou n'avoir pas de chances de succès, elle ne doit pas retarder la poursuite du créancier contre la caution.
La loi ne veut pas que la caution demande la discussion de biens trop éloignés du lieu où le payement doit être fait : le ressort de la cour d'appel est une limite raisonnable ; elle rappelle d'ailleurs l'élection de domicile que doit faire la caution (v. art. 15).
Les immeubles litigieux ne peuvent être proposés à la discussion, parce que le résultat en serait trop incertain, de même, pour les immeubles hypothéqués au créancier mais qui ont été aliénés ; ici le motif est autre : sans doute, cette aliénation ne détruit pas la sûreté réelle résultant de l'hypothèque, car l'hypothèque donne un droit de suite contre le tiers détenteur qui, en principe, devra payer la dette ou se laisser exproprier (v. art. 248) ; mais ce ne sera que sur une procédure fort lente et compliquée, car ce tiers détenteur, s'il n'est pas en même temps obligé personnellement à la dette, pourrait opposer lui-même au créancier poursuivant un bénéfice de discussion analogue et même préférable à celui de la caution (v. art. 271). C'est donc ici pour éviter des pertes de temps et des frais que les immeubles aliénés sont exclus de la discussion.
Voici encore deu x points sur lesquels la loi est sévère pour la caution.
1° Des immeubles du débiteur, remplissant d'ailleurs les trois conditions exigées plus haut, sont hypothéqués à d'autres qu'au créancier poursuivant et de façon à avoir la préférence sur lui, soit qu'il n'ait pas lui-même d'hypothèque, soit qu'il n'en ait qu'une postérieure en date et, par conséquent, inférieure en rang à celle des autres créanciers. Sans doute, dans ces deux cas, il n'est pas impossible qu'après la discussion et la vente forcée des immeubles hypothéqués, il reste des sommes libres qui pourraient être attribuées au créancier poursuivant ; mais cette éventualité n'est pas assez probable pour motiver un sursis aux poursuites contre la caution.
2° Le débiteur a des biens mobiliers de diverses natures qui pourraient suffire à payer ses dettes ; mais il est si facile à la caution de se faire illusion sur l'importance de ces biens et si facile aussi au débiteur de les détourner et de rendre vaine la poursuite du créancier que la loi n'autorise pas la caution, au moins en général, à renvoyer le créancier à discuter les meubles du débiteur.
La discussion des valeurs mobilières sera cependant possible s'il s'agit d'objets remis en gage au créancier. La loi est même rédigée d'une façon assez large (elle vise des " sûretés réelles") pour que le créancier puisse être obligé de discuter des meubles sur lesquels il aurait un droit de rétention ou un privilège légal ; par exemple, un bailleur à loyer ou à ferme qui aurait une caution pour les loyers ou fermages pourrait être tenu, avant de poursuivre celle-ci, de faire vendre les récoltes du fonds ou les meubles garnissant les lieux, lesquels sont affectés par la loi à sa garantie.
Art. 22. Dans le cas prévu par cet article, le créancier doit imputer à sa négligence la perte qu'il éprouve ; la caution n'en doit pas souffrir et il est naturel et juste qu'elle soit déchargée de tout ce dont elle aurait pu l'être si la discussion avait été faite en temps utile.
La disposition du présent article, reposant sur la faute ou la négligence du créancier, cesserait donc d'être applicable, s'il survenait au créancier un empêchement majeur d'agir, tant par lui-même que par représentant ; mais alors il devrait en informer la caution, afin qu'elle prenne elle-même des mesures qui la préservent des conséquences de l'insolvabilité du débiteur (v. art. 34) : autrement, le créancier se trouverait dans le cas de négligence.
Art. 23. Lorsqu'il y a plusieurs cautions d'une même detteleur obligation n'est ni solidaire ni intégrale, pas plus qu'elle ne l'est en principe entre les codébiteurs eux-mêmes : la division aura donc lieu de plein droit et sans qu'il soit nécessaire que la caution poursuivie la demande formellement ; ainsi, le tribunal, s'il a une connaissance certaine et suffisante de l'existence de plusieurs cautions, pourra, dans la condamnation, observer d'office la division : ce n'est pas “statuer sur choses non demandées,” ce qui lui est défendu, c'est appliquer la loi, comme il le ferait à l'égard d'un débiteur principal simplement conjoint que le créancier pour-suivrait indûment comme solidaire.
La division se trouvant faite par têtes, par la seule force de la loi, est immédiate et dès l'engagement même des cautions ; si donc, il s'en trouve déjà d'insolvables, le créancier doit s'imputer de les avoir acceptées : c'était à lui, bien plutôt qu'aux autres cautions, de vérifier leur solvabilité. A plus forte raison, le créancier supporte-t-il les insolvabilités survenues postérieurement Rappelons seulement, à ce sujet, la disposition de l'article 15, 2e alinéa, d'après laquelle le débiteur, dans un cas particulier, est tenu de remplacer par une autre caution celle qui est devenue insolvable.
Voyons maintenant les exceptions à la division de plein droit par portions vililes. Il y en a trois :
1° Les cofidéjusseurs peuvent être convenus, tant entre eux-mêmes qu'avec le créancier, que leur responsabilité sera inégale : ce qui importe surtout au créancier c'est que la somme des parts forme la totalité de la dette.
2° Ils peuvent s'être engagés solidairement, soit entre eux, soit avec le débiteur principal : il est naturel que, dans ce cas, la division n'ait pas plus lieu de plein droit.
La seule objection qu'on pourrait faire ici, c'est que chaque caution solidaire se trouvera tenue plus sévèrement que chacun des débiteurs principaux, lorsqu'il y en aura plusieurs simplement conjoints, non solidaires eux-mêmes, ce qui paraît contraire à l'article 6. Mais il faut remarquer qu'il ne faut pas comparer la personne de chaque caution à celle de chaque débiteur, mais la dette même de la caution à la dette cautionnée ; or, la dette cautionnée dans ses diverses parties a le même montant que celle de chaque caution ; chaque caution est considérée comme ayant pris à sa charge toutes les obligations réunies des codébiteurs non solidaires ; elle doit plus que chacun pris individuellement, mais non plus que tous réunis.
3° Les cofidéjusseurs ont renoncé à la division autrement que par un engagement solidaire: ce ne peut guère être que par une renonciation expresse, ou bien en se soumettant à l'indivisibilité volontaire (v. art 88).
On n'a pas à exprimer, comme exception, le cas où l'obligation principale serait indivisible et où, par conséquent, les cautions seraient elles-mêmes tenues indivisiblement : on n'excepte pas d'une règle ce qui par sa nature n'y est pas soumis.
Le 2e alinéa de notre article lève les doutes qui auraient pu exister sur le point de savoir si la division de plein droit est modifiée par l'accession de nouvelles cautions, ou même si elle commence avec cette accession, lorsqu'à l'origine il n'y en avait qu'une seule. La solution est affirmative : c'est un avantage nouveau sur lequel la caution n'avait peut-être pas compté, mais que personne n'a un intérêt légitime à lui contester.
Ainsi, il y avait deux cofidéjusseurs à l'origine : la part de chacun était d'une moitié de la dette ; une troisième caution s'engage plus tard : la part de chacune n'est plus que d'un tiers. Ainsi encore, il n'y avait qu'une caution à l'origine : elle était tenue pour le tout ; une seconde caution intervient: chacune ne peut être poursuivie que pour une moitié.
Nous ferons une dernière observation sur toute cette matière : il ne faudrait pas croire que la division de plein droit, pas plus, du reste, que la division par voie d'exception, enlève au créancier tout avantage à avoir plusieurs cautions : sans doute, si les cautions étaient toutes et certainement solvables et s'il n'y avait aucun lieu de craindre qu'elles cessassent de l'être, il vaudrait mieux n'en avoir qu'une seule à poursuivre que d'avoir à exercer autant de poursuites qu'on aurait reçu de cautions ; mais lorsqu'on n'est pas sûr de la solvabilité d'une ou plusieurs, il vaut mieux en avoir un plus grand nombre, parce que les fractions de la dette qu'on s'expose à ne pouvoir faire payer seront d'autant plus petites que les cautions plus nombreuses.
Au surplus, le créancier qui veut mettre toutes les chances de son côté stipulera la solidarité entre les cautions, conformément à ce qui est dit ci-dessus.
Art. 24. Cet article devait figurer ici, parce qu'il indique un rapport de la caution avec le créancier ; mais comme ce rapport tend à assurer les droits de la caution contre le débiteur, c'est à l'occasion de ces droits et sous l'article 29 qu'il sera expliqué.
C'est une des particularités de cette matière du cautionnement que la caution joue un double rôle, au sujet de la garantie : vis-à-vis du créancier, elle est g a r a n t du débiteur, en ce sens qu'elle doit payer pour lui ; mais elle est, à son tour, garantie par le débiteur, en ce sens qu'il doit la préserver des poursuites, autant que cela est possible, et la rendre indemne de tout ce qu'elle a payé ou souffert de préjudice à raison de son cautionnement.
Ce droit de la caution, de demander la garantie au débiteur, doit l'autoriser à faire mettre celui-ci en cause avec elle, lorsqu'elle est poursuivie par le créancier.
Elle obtiendra ainsi un double avantage :
1° Si le débiteur a des moyens plus ou moins efficaces de combattre les prétentions du créancier, la caution en profitera ;
2° Si la demande doit triompher, la caution obtiendra que le même jugement qui la condamnera, comme telle, à payer le créancier, condamne aussi le débiteur à lui rembourser à elle-même le capital, les intérêts, les frais et tous autres dommages-intérêts, s'il y a lieu (v. art. 29).
Pour que la caution arrive à ce résultat, il faut qu'elle puisse retarder l'instance commencée contre elle, afin d'avoir lé temps d'appeler son garant en cause. C'est par la voie d'une exception dilatoire qu'elle obtiendra un sursis suffisant; le délai qui lui sera accordé sera double : il dépendra de l'éloignement du domicile de la caution (demanderesse en garantie), au domicile du débiteur assigné, et du domicile de celui-ci au tribunal déjà saisi.
Le texte renvoie pour plus de détails au Code de Procédure civile (1).
Il nous dit aussi que la caution peut invoquer cette exception, ” soit qu'elle ait ou non usé du bénéfice de discussion, et soit qu'elle jouisse ou non du bénéfice de division;” lors donc que le créancier, n'ayant été qu'incomplètement désintéressé par la discussion, re (1) Le Code de Procédure civile ne donne pas, en général, à l'exception de garantie le caractère dilatoire mais il ne doit être considéré que comme statuant, en cela, sur La garantie d'éviction : en matière de cautionnement, de solidarité et d'indivisibilité, le présent Code donne formellement à l'exception un caractère dilatoire (v. art. 56, ci-après et 449 du Livre des Biens). viendra contre la caution, celle-ci demandera à appeler le débiteur en cause ; de même, s'il y a plusieurs cautions, la poursuite sera divisée ; mais cela n'empêchera pas que l'exception dilatoire de garantie soit utile et recevable.
L'exception de garantie doit être, comme l'exception de discussion, présentée au commencement du procès, avant toute défense au fond ; et quand la caution jouit de deux exceptions à la fois, c'est évidemment celle de discussion par laquelle elle commencera, comme pouvant la mettre à l'abri de toute poursuite ultérieure.
Le droit de la caution à la garantie, soit par voie d'exception ou d'incident, soit par voie d'action principale, était déjà annoncé aux article 398 et 399, au sujet de la garantie en général ; il fallait pourtant le mentionner ici, parce que, quant au moyen de l'exercer, il appartient aux rapports de la caution avec le créancier, mais c'est au sujet des rapports de la caution avec le débiteur qu'il sera précise dans scs effets (v. art. 29).
Au surplus, ce que nous venons d'en dire permettra d'abréger l'explication dudit article 29.
Art. 25. L'obligation née du cautionnement n'étant qu'accessoire et subsidiaire à l'obligation principale, il est naturel que la caution puisse opposer au créancier les moyens de défense qui appartiennent au débiteur principale ; et, en même temps que c'est un droit pour la caution, c'est aussi un devoir pour elle, un devoir dont l'inobservation pourrait lui nuire gravement dans son recours contre le débiteur, ainsi qu'on le verra au § suivant (v. art. 32).
Si maintenant on se reporte aux autres exceptions, à celles qui affectent plus directement la dette, on reconnaîtra qu'elles peuvent être tirées, soit de vices originaires du contrat principal, lesquels ont empêché sa formation, soit de faits postérieurs qui ont éteint l'obligation formée.
A la première classe appartiennent les défauts ou vices de l'objet ou de la cause et, exceptionnellement, le défaut d'observation des formes solennelles requises; à la seconde appartiennent les modes légaux ordinaires d'extinction de l'obligation, tels que le payement, la novation, la remise, la résolution, etc.
Si la dette était subordonnée à une condition suspensive qui ne fût pas encore accomplie, la caution se prévaudrait de cette exception, comme tirée du défaut de formation de l'obligation.
Si la dette n'était pas encore échue, la caution pourrait également se refuser au payement immédiat, car si le terme ne retarde pas la formation de l'obligation, il en retarde au moins l'exécution forcée.
A l'égard des moyens de nullité résultant de l'incapacité du débiteur ou des vices de son consentement, la loi ne permet à la caution de les opposer que si elle les a ignorés au moment de son engagement : autrement, elle serait considérée comme ayant voulu garantir civilement une obligation naturelle du débiteur, ce qui est permis par l'article 9.
Quant au terme de grâce qui aurait été accordé au débiteur par le tribunal, ou par le créancier, il n'a pas semblé nécessaire d'exprimer au texte que la caution a le droit de l'invoquer car si on le lui refusait, elle pourrait recourir de suite en remboursement contre le débiteur et celui-ci se trouverait privé du bénéfice du terme de grâce, par le fait du créancier qui pourtant doit le respecter.
Si l'on prétendait que la caution doit payer nonobstant le terme de grâce accordé au débiteur et attendre qu'il soit expiré pour se faire rembourser, on violerait un principe fondamental de la matière, celui d'après lequel la caution ne peut être tenue plus durement que le débiteur.
Bien que les exceptions ici reconnues appartenir à la caution lui viennent du débiteur principal, il n'en faut pas conclure qu'il soit permis à celui-ci de les restreindre ou d'y renoncer au préjudice de la caution ; sans doute, en droit, il en souffrirait le premier et ce serait déjà un remède à l'abus ; mais, en fait, il pourrait être d'autant plus porté à être généraux envers le créancier qu'il serait moins solvable et que sa générosité atteindrait plutôt la caution que lui-même.
La raison décisive, c'est que les moyens de défense une fois acquis au débiteur le sont aussi à sa caution et ne peuvent être enlevés à celle-ci ; elle est d'ailleurs, à cet égard, comme créancière éventuelle du remboursement, un ayant-cause particulier et elle n'est pas exposée, comme les autres créanciers, ayant-cause généraux, à souffrir des actes du débiteur.
Remarquons, en terminant, que la loi n'a pas eu besoin de dire que la caution peut aussi, et même tout d'abord, opposer les exceptions qui lui appartiendraient personnellement, telles que les vices de son consentement ou son incapacité : cela allait de soi.
Bien entendu, le débiteur ne pourrait opposer au créancier les exceptions personnelles à la caution.
Art. 26. C'est une théorie toujours d'une application délicate que celle de l'autorité de la chose jugée, quand l'affaire sur laquelle le jugement est intervenu, intéresse plusieurs personnes.
Sans doute, il y a un principe dominant d'après lequel “ la chose jugée ne peut ni nuire ni profiter à ceux qui n'ont pas été parties dans l'instance.” Le principe est proclamé et appliqué au Livre des Preuves, comme présomption légale (art. 78 et s ).
Mais il faut reconnaître qu'une personne peut être représentée en justice par une autre, ce qui étend 1 autorité de la chose jugée activement et passivement.
Quand la représentation a lieu en vertu d'un mandat conventionnel, soit général, soit spécial, son effet sur l'autorité de la chose jugée est assez facile à déterminer, d'après les règles générales du contrat de mandat : mais lorsque cette représentation est un effet légal du lien existant entre les divers intéressés, il peut s'élever de sérieuses difficultés sur son étendue, à moins que la loi ne s'en explique. C'est ce que fait ici le texte.
Il est certain que le débiteur représente la caution dans les jugements rendus sur l'obligation principale; s'il triomphe, la caution est déchargée ; s'il succombe, la caution est tenue ; en supposant, bien entendu, dans ce dernier cas, qu'il n'y a pas eu dol concerté contre elle avec le créancier, autrement elle ferait tomber le jugement, en ce qui la concerne, par la révision (v. art. 341, 2e al).
Mais la caution représente-t-elle de même le débiteur principal ? On ne pourrait le soutenir : elle est autorisée à payer la dette reconnue, non à la reconnaître, soit expressément, soit tacitement en se laissant condamner. D'un autre côté, il n'y a pas besoin qu'elle soit autorisée à prendre les intérêts du débiteur ; si donc elle a pu faire juger mal fondée la prétention du créancier, non sur le cautionnement seul, mais sur la dette même, on ne voit pas de raison de refuser de voir là un acte de gestion d'affaires pour le débiteur, permettant à celui-ci d'invoquer le jugement contre le créancier. C'est ce que déclare notre article.
Ce n'est pas d'ailleurs la première disposition de ce genre que nous offre le Code : déjà, en matière d'usufruit, on a vu que le jugement intervenu entre un tiers et l'usufruitier ne peut nuire au nu-propriétaire, mais peut lui profiter et, de même, que le jugement concernant le nu-propriétaire peut profiter à l'usufruitier mais non lui nuire (v. Liv. des Biens, art. 98).
Remarquons que la loi ne fait pas ici la distinction, pourtant fréquente, entre la caution-mandataire et la caution-gérant d'affaires : le mandat donné a la caution est de payer, s'il y a lieu, mais non de plaider; c'est pourquoi, à l'article 32, elle sera déclarée responsable d'avoir plaidé sans avoir appelé le débiteur en cause.
La loi a soin de dire, en terminant, que les divers chefs du jugement intervenu en faveur de la caution ne peuvent être divisés, lorsqu'ils sont connexes entre eux. Par exemple, un chef du jugement aurait annulé l'obligation principale pour incapacité du débiteur, mais un autre chef aurait reconnu que celui-ci était tenu dans une certaine mesure comme enrichi par la convention : le débiteur ne pourrait se prévaloir du premier chef sans se soumettre au second ; même solution si le jugement avait reconnu que la convention'principale était entachée d'un vice de consentement du débiteur, mais aurait reconnu aussi qu'il y a eu une confirmation ou ratification postérieure réparant ce vice.
Art. 27. Cet article applique les principes qui précèdent à l'interruption de la prescription et à la mise en demeure. Ce sont deux faits défavorables au débiteur, puisqu'ils conservent les droits du créancier.
S'ils sont intervenus directement contre le débiteur, ils nuisent à la caution, parce qu'elle est représentée par lui. Mais s'ils sont intervenus contre la caution, ils sont sans effet contre le débiteur, à moins que la caution ne se soit engagée sur son mandat, non si elle s'est engagée spontanément, comme gérant d'affaires.
La solution est la même, si la caution s'est engagée solidairement avec le débiteur : il y a alors un mandat mutuel, comme dans toute solidarité (v. Chap. suiv.).
Si les faits interruptifs de la prescription ou constituant la mise en demeure étaient contestés et qu'il fût intervenu un jugement à ce sujet, l'article précédent recevrait son application.
Le présent article ne mentionne pas, à la suite de l'interruption de prescription, le cas où le créancier jouirait d'une suspension de prescription, soit relativement au débiteur principal, soit relativement à la caution : par exemple, il serait le conjoint de l'un ou de l'autre.
Les solutions sont faciles :
Si la prescription est suspendue contre le débiteur principal, la caution en subira les conséquences : les poursuites seront possibles contre elle comme contre le débiteur, car la caution est garant de la dette, tant qu'elle existe.
Si la suspension a lieu contre la caution, celle-ci ne sera pas privée du bénéfice de la prescription que peut invoquer le débiteur et elle pourra même l'invoquer du chef de celui-ci parce qu'elle ne peut être tenue plus durement ni plus longtemps que le débiteur. Il n'y aurait même pas à distinguer, comme pour l'interruption, si, dans ce cas, la caution a été présentée par le débiteur et s'est engagée sur son mandat, ou spontanément, parce que ce serait, de la part du débiteur, renoncer d'avance au bénéfice de la prescription, ce qui lui est défendu (v. art. 100).
Au contraire, si la caution s'était engagée solidairement avec le débiteur, on appliquerait les règles de la solidarité exposées plus loin (v. art. 61).
Art. 28. Cet article est exactement semblable au précédent pour la théorie : les faits seuls sont différents.
L'aveu ou la reconnaissance de la dette sont des preuves dont il sera parlé au Livre des Preuves.
§ II. — DE L'EFFET DU CAUTIONNEMENT ENTRE LA CAUTION ET LE DÉBITEUR.
Art. 29. Cette disposition se trouve déjà expliquée, par avance, à l'occasion de l'article 24.
En effet ce droit de la caution, d'appeler le débiteur principal en cause, est double, puisqu'elle a elle-même la double qualité de garant et de garanti : son droit existe contre le créancier à l'effet de suspendre la poursuite ; il existe contre le débiteur, à l'effet de le faire venir en cause et de le faire condamner subsidiairement envers elle au remboursement et aux indemnités prévues à l'article suivant.
Il est, tout à la fois, prudent et avantageux à la caution de ne pas s'engager seule dans le procès avec le créancier : prudent, parce qu'elle peut ne pas connaître tous les moyens de défense qui pourraient être utilement opposés au créancier, et si elle succombait, le débiteur pourrait lui reprocher de ne pas l'avoir appelé à son aide, ainsi qu'il sera dit plus loin (art. 32) ; avantageux, car, lors même qu'elle aurait un recours pleinement fondé contre le débiteur, il est plus court, plus économique et plus sûr de faire immédiatement condamner celui-ci au remboursement que d'intenter contre lui une action principale en garantie.
Au surplus, que le recours de la caution s'exerce par voie de demande incidente ou par action principale, ses chefs d'indemnité sont les mêmes.
Mais ce qui est important à noter, avec le dernier alinéa de notre article, c'est que ce droit d'appeler le débiteur en cause n'appartient à la caution que si elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur, et non si elle a agi seulement comme gérant d'affaires. Dans ce dernier cas, le débiteur ne peut être actionné par la caution qu'après qu'elle a payé, comme on le va voir à l'article suivant.
Art. 30. On trouve ici, comme fondement du droit de la caution à la garantie ou indemnité, les deux principales causes d'obligations : la convention et l'enrichissement indû ; leur application dépend de la cause elle-même du cautionnement.
C'est ici surtout qu'il importe de distinguer s'il a eu lieu en vertu d'un mandat du débiteur ou seulement du quasi-contrat de gestion d'affaires, soit à l'insu du débiteur, soit même malgré lui. Cette triple cause du cautionnement a été annoncée au début de la matière (art. 11).
Il faut voir maintenant la différence des effets d'après la différence des causes, en notant d'ailleurs une condition commune à tous les cas de recours de la caution, c'est qu'il faut qu'elle “ ait fait un sacrifice personnel ” pour procurer la libération au débiteur : autrement, si elle avait seulement obtenu la remise gratuite de la dette, elle n'aurait droit à aucune indemnité, n'ayant éprouvé aucun dommage.
I. Lorsque la caution a reçu du débiteur le mandat d'intervenir pour lui, c'est évidemment en vertu de la convention qu'elle doit être indemnisée.
Par application de ce principe, nous dirons que, lors même que la dette cautionnée aurait été entachée d'un vice qui permettait de ne pas la payer, ou lors même qu'elle aurait été déjà éteinte, la caution qui l'aurait acquittée, ayant d'ailleurs averti le débiteur des poursuites, serait en droit de réclamer le remboursement de ce qu'elle aurait payé en son nom ; c'est le débiteur qui, à ses risques et périls, répéterait le payement indû contre le créancier.
C'est pour que le recours s'applique au payement d'une dette nulle ou déjà éteinte que le texte ajoute au cas où la caution “ a libéré le débiteur ” (ce qui suppose qu'il devait réellement) celui où elle “ a payé en son nom,” ce qui comprend même le cas où il ne devait pas.
Les frais dont il s'agit sont les frais de justice et même les frais extrajudiciaires, comme ceux de change des monnaies ou de change de places, ceux de transport d'argent, de voyage, etc.
Les intérêts des avances et déboursés sont encore une suite de l'application des règles du mandat.
Enfin, la caution peut réclamer tous autres dommages-intérêts justifiés : par exemple, pour troubles dans ses affaires personnelles, temps perdu en procès ou démarches, vente de ses meubles ou immeubles au-dessous de leur valeur normale, afin d'obtenir des fonds en temps utile, ou même vente forcée dans des conditions défavorables.
A cet égard, la caution est mieux traitée qu'un créancier ordinaire de somme d'argent, lequel ne peut, en général obtenir d'autres indemnités que l'intérêt normal de l'argent (intérêt conventionnel ou légal) ; mais l'article 391, qui a posé ce principe, a réservé “ les cas exceptés par la loi ” et nous sommes en présence d'un de ces cas.
La loi ajoute que dans ce cas de mandat, la caution a son recours avant d'avoir payé, par cela seul qu'elle a subi condamnation : en effet, elle éprouve déjà un préjudice de l'exécution de son mandat et elle doit en être indemnisée.
II. Le cas où la caution s'est engagée spontanément et comme gérant d'affaires du débiteur, à son insu et, par conséquent, sans opposition de sa part, est déjà beaucoup moins favorable.
En l'absence de convention, ce n'est pas sur la perte qu'elle a éprouvée que se mesurera son indemnité, mais sur l'utilité qu'elle a procurée au débiteur ; en effet, si elle éprouve des dommages du cautionnement au-delà du service rendu, c'est par sa volonté ou sa maladresse : le débiteur n'en peut être responsable ; tel est, par exemple, le cas où la caution a payé une dette annulable on déjà éteinte. Mais si le débiteur se trouve enrichi par le fait que la caution a payé pour lui une dette véritable et exigible, il est juste qu'il restitue cet enrichissement.
La caution ne doit obtenir les intérêts de ses déboursés que si le payement qu'elle a fait a arrêté pour le débiteur lui-même les intérêts de sa dette, ce qui suppose que la dette en était productive ; or, s'il s'agissait d'une dette ne portant pas intérêts, la caution ne pourrait alléguer avoir procuré, de ce chef, au débiteur une utilité ou un enrichissement.
C'est au moment où le débiteur a été libéré que s'apprécie son enrichissement : le texte a soin de l'exprimer, pour faire opposition au troisième cas ci-après ; si donc le débiteur a acquis contre son créancier, depuis le payement fait par la caution, des causes de compensation qui l'auraient libéré de sa dette, au cas où elle aurait encore existé, il n'en est pas moins tenu de rembourser la caution ; seulement, dans l'application de la loi, il faudra encore que la caution n'ait pas eu le tort de laisser ignorer au débiteur que sa dette était éteinte ; car, autrement, celui-ci pourrait soutenir que, s'il en avait eu connaissance, il n'aurait pas contracté de nouveau avec son créancier : il est désormais exposé au risque de l'insolvabilité de celui-ci, tandis que la compensation l'en eût préservé (comp. art. 33).
III. Supposons enfin, avec le 3e alinéa de notre article, que la caution s'est obligée malgré le débiteur. Cette circonstance n'est pas exclusive de l'idée de gestion d'affaires : on peut rendre un bon office à quelqu'un malgré lui et, de même qn'on peut payer la dette d'autrui malgré le débiteur, de même on peut la cautionner malgré lui. Ce n'est d'ailleurs qu'après le payement que la question de recours s'élèvera ici et alors interviendront les solutions déjà données par les articles 452 et 453 du Livre des Biens, au sujet du payement fait par un tiers et justifiées sous ces articles.
Signalons ici, avec le texte, la seule différence importante entre ce troisième cas et le précédent : ce n'est plus au moment où le payement a été effectué qu'on apprécie le montant de l'enrichissement du débiteur comme base du recours de la caution, c'est au moment où elle exerce ce recours ; si donc dans l'intervalle il est survenu entre le débiteur et le créancier quelque convention ou autre acte qui eût diminué l'obligation, par voie de compensation ou autrement, au cas où elle eût encore existé, le recours de la caution est diminué d'autant. Bien entendu, nous nous plaçons dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu fraude de la part du débiteur.
Voici, pour terminer, une dernière différence entre les deux cas de gestion d'affaires et celui de mandat : ce n'est que dans le cas de mandat que la caution peut demander une indemnité avant d'avoir payé et par le seul fait qu'elle “ a subi condamnation en cette qualité.” Déjà, l'article 29 nous a dit que ce n'est également qu'au cas de mandat que la caution peut appeler le débiteur en garantie incidente. Les deux idées sont corrélatives : tant que le débiteur ne tire aucun avantage de la gestion d'affaires, il ne peut être actionné par le gérant ; or, ni la poursuite exercée contre la caution, ni la condamnation prononcée contre elle, n'ont libéré le débiteur ; au contraire, lorsque le débiteur a donné mandat à la caution, celle-ci peut se retourner contre lui dès qu'elle éprouve un dommage ou un simple trouble par suite du mandat; or, la condamnation et même la simple poursuite constituent ce dommage ou ce trouble.
Art. 31. Si la loi fait ici l'application formelle d'un principe général du mandat, c'est pour exprimer que la solidarité des mandants n'a lieu qu'autant qu'ils sont déjà tenus entre eux, chacun pour toute la dette, par l'effet de la solidarité ou de l'indivisibilité : autrement, et s'il ne s'agissait que de débiteurs simplement conjoints, il n'y aurait pas entre eux la communauté d'intérêts qui est la condition nécessaire de la solidarité entre les co-mandants (v. art. 249 du Livre de l'acquisition des Biens).
Cet article ne concerne que l'action exercée par la caution de son propre chef ; lorsqu'elle agit en vertu de la subrogation aux droits du créancier, le cas est réglé par l'article 37.
Art. 32. Cet article n'est que l'application particulière d'un principe général de la garantie posé par l'article 400 du Livre des Biens.
Si la caution, actionnée pour le payement, n'a pas appelé le débiteur en cause, et si d'ailleurs elle n'a pas connu ni fait utilement valair les moyens de défense qui appartenaient à celui-ci, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même de la perte du procès, et le débiteur n'en doit pas souffrir. On a vu, en effet, qu'elle n'a pas mandat de plaider pour le débiteur.
La loi fait une distinction nécessaire entre les moyens péremptoires de défense du débiteur, c'est-à-dire qui pouvaient faire rejeter la demande au fond, soit pour le tout, soit pour partie, comme un payement, et les moyens simplement dilatoires ou qui pouvaient seulement faire retarder l'exécution, comme l'existence d'un terme ; dans ce dernier cas, la caution ne subirait qu'un simple ajournement de sa poursuite ou du recouvrement de ce qui lui serait dû.
Art. 33. La loi suppose maintenant que la caution, toujours sans avoir appelé le débiteur en cause, a cependant valablement payé, parce que celui-ci n'avait pas de moyens de défense péremptoires à opposer au créancier, peut-être même n'y a-t-il pas eu procès, l'obligation étant indiscutable. Là encore, elle peut être déchue de son recours ; c'est lorsqu'elle n'a pas averti le débiteur du payement par elle effectué et, lorsqu'ayant tardé à exercer son recours, elle a laissé au débiteur le temps d'effectuer un nouveau payement; ici encore, c'est par sa faute qu'elle est déchue de son recours.
La loi donne la même décision pour le cas où le débiteur a obtenu sa libération autrement que par un second payement : par exemple, par novation, par compensation ; mais il faut toujours que ç'ait été par un moyen onéreux ; au contraire, si le débiteur avait, plus tard, obtenu du créancier une remise gratuite de la dette (et celui-ci aurait pu la faire de bonne foi, s'il était héritier du créancier originaire), le débiteur ne pourrait équitablement se refuser à rembourser la caution : la remise a été nulle, an fond, puisqu'il n'y avait plus de dette à éteindre et le débiteur qui lutte ici pour un gain est moins intéressant que la caution qui lutte pour éviter un perte.
D'ailleurs, le créancier, s'il avait réellement l'intention de gratifier le débiteur de la valeur de la créance, peut toujours le faire, aussitôt qu'il reconnaît qu'il en a déjà reçu le montant des mains de la caution et que le débiteur en doit le remboursement.
Il fallait prévoir le cas inverse de l'hypothèse précitée celui où le débiteur aurait payé la dette sans en prévenir la caution et où celle-ci aurait payé une seconde fois. Il ne fallait pas donner absolument la même solution : le débiteur est plus naturellement appelé à payer sa dette que la caution ; c'est donc plutôt à celle-ci de s'informer, avant de payer, si le débiteur doit encore, que ce n'est au débiteur à s'enquérir si la caution n'a pas déjà payé.
Toutefois, et pour laisser place à l'examen, par les tribunaux, des responsabilités respectives, la loi déclare ici que la question sera résolue “ suivant les cas,” c'est-à-dire d'après les circonstances du fait.
Remarquons seulement qu'ici, on est nécessairement hors le cas de l'hypothèse d'un procès contre la caution ; autrement, elle aurait dû appeler le débiteur en cause, et sa déchéance serait, d'après l'article 32, fondée sur ce que le débiteur avait un moyen péremptoire de défense.
Il va de soi, mais le texte l'exprime, que dans aucun cas, le créancier, même de bonne foi (ce qui sera rare ici), ne doit profiter de l'erreur qui a donné lieu à un double payement et qu'il devra rendre ce qu'il a indûment reçu ; d'où il suit que les déchéances édictées par le présent article et par le précédent n'ont d'intérêt sérieux qu'au cas d'insolvabilité du créancier.
Art. 34. La loi doit encore protéger la caution contre les risques de perte qu'elle n'a pu prévoir ou contre des incertitudes auxquelles elle n'est pas présumée avoir entendu se soumettre.
Comme l'indique non seulement la place de cet article mais encore son texte, c'est seulement à l'égard du débiteur que cette protection est accordée à la caution, ce n'est pas à l'égard du créancier : près de celui-ci, son engagement doit être tenu dans sa forme et teneur et à tout événement.
Les trois cas où la caution peut agir en garantie contre le débiteur avant d'avoir payé et d'être poursuivie demandent quelques explications.
1er Cas. Le débiteur est tombé en faillite ou devenu insolvable : il est évident que la caution sera nécessairement forcée de payer à l'échéance et qu'alors elle sera exposée à n'être pas remboursée ; il est donc naturel qu'elle puisse se faire comprendre dans les opérations de la liquidation, comme créancier conditionnel.
Cependant, dans le même cas de faillite ou d'insolvabilité du débiteur, le créancier pourrait prétendre également se faire inscrire dans la liquidation, pour y être colloqué en proportion du montant de sa créance. Alors, comme il n'est pas admissible que la même créance figure deux fois dans la même liquidation, la caution s'abstiendra, si le créancier se présente : elle n'en souffrira pas, puisque ce qui sera alloué au créancier sur les biens du débitour tournera à la décharge commune C'est pourquoi le texte a soin d'exclure le cas où le créancier se présente à la liquidation.
IIe Cas. La dette est échue et le créancier ne poursuit ni le débiteur ni la caution : ce n'est pas une raison pour que celle-ci reste indéfiniment sous le coup d'une obligation dont l'exécution pourra lui être plus onéreuse ou plus difficile avec le temps. Sans doute, la dette étant échue, la caution pourrait en faire le payement, même malgré le créancier ; mais il peut ne pas lui convenir de faire une avance, et cependant elle ne doit pas rester dans une incertitude nuisible à ses intérêts.
IIIe Cas. Ici, la dette n'a plus d'échéance fixe; on ne peut même lui assigner un maximum d'éloignement; sa durée est indéterminée: il ne faut cependant pas que la caution soit soumise elle-même à une responsabilité indéfinie.
L'exemple le plus saillant est celui où la caution a cautionné le service d'une rente perpétuelle : comme le remboursement du capital n'est jamais exigible et dépend uniquement de la volonté du débiteur (v. Liv. de l'Acq. des Biens, art. 192), on peut dire que la durée de la dette est non seulement indéterminée, mais en quelque sorte indéfinie. Il en serait de même du cautionnement d'une rente viagère : la durée de la dette n'est guère moins indéterminée, et quoique la vie humaine ait de limites nécessaire, on n'en peut déterminer le maximum.
On peut encore citer le cas du cautionnement d'un comptable : comme le débiteur peut être comptable toute sa vie, il y a là une durée indéterminée de l'obligation principale.
Dans ces divers cas, la caution peut demander l'indemnité après dix ans, non de son engagement, qui peut être assez récent, mais de l'engagement du débiteur.
Il en serait autrement si le cautionnement garantissait la gestion du tuteur d'un mineur, parce qu'alors la dette principale aurait une durée maximum connue la majorité du pupille. Au contraire, la tutelle d'un fou serait considérée comme une obligation à durée indéterminée, puisque la guérison est toujours incertaine et que la vie humaine est elle-même indéterminée dans sa durée.
Dans le même ordre d'idées, nous considérons comme soumis à notre article le cautionnement d'un usufruit, toujours parce que la limite de l'obligation principale, étant la vie humaine, est indéterminée ; si l'on objecte que l'usufruit peut finir autrement que par la mort, notamment par la perte de la chose, nous répondons que cet événement est aussi indéterminé que la mort, quant à l'époque de son arrivée, et incertain en lui-même.
Nous rappelons, en terminant, que ce droit de demander une indemnité avant d'avoir payé n'appartient à la caution que lorsqu'elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur. Cette condition est exprimée par le texte. En effet, la caution qui n'est que gérant d'affaires n'a de droit et d'action contre le débiteur que dans la mesure du service qu'elle lui a rendu ou du profit qu'elle lui a procuré; or, ici, la caution n'a encore aucun de ces titres à une action en indemnité.
Art. 35. Tout à l'heure la loi tendait à protéger la caution contre le débiteur. Ici c'est l'inverse. Mais il ne faut pas s'étonner, dans une matière où les intérêts sont multiples et éventuels, de voir la loi prendre, tour à tour, des mesures de précaution en faveur de chaque partie intéressée contre l'autre.
Dans le cas de l'article 30, 1er alinéa, la caution-mandataire avait été poursuivie et sans avoir encore payé, elle avait été condamnée à le faire : son droit à l'indemnité était évident ; dans les cas de l'article précédent, l'indemnité est donnée d'avance contre des poursuites plus ou moins à craindre ; mais pourtant le débiteur ne cesse pas d'être exposé lui-même aux poursuites du créancier ; il ne faudrait donc pas qu'il se compromît, en fournissant à la caution des valeurs que peut-être elle n'emploierait pas à éteindre la dette principale: elle pourrait devenir insolvable et les sommes qu'elle aurait reçues avec une destination particulière pourraient être saisies par ses créanciers, sans que le bébiteur cessât d'être tenu de sa dette.
La loi autorise donc celui-ci à consigner les sommes ou valeurs qu'il doit fournir à la caution, et, dans la consignation, leur destination sera indiquée, de façon à ce qu'elles ne puissent en être détournées : le créancier seul pourra les retirer.
La loi admet d'autres mesures possibles de sécurité, sans les déterminer : par exemple, la caution donnerait elle-même une sûreté réelle ou personnelle contre le risque dont il s'agit; ou bien le créancier interviendrait et déclarerait accepter la délégation de ladite indemnité, en déchargeant d'autant le débiteur.
Art. 36. Ici, il ne s'agit plus d'une action propre à la caution, d'une action qu'elle exerce de son chef, à raison du service rendu au débiteur ou du dommage par elle éprouvé : elle exerce les droits et actions qu'avait le créancier par elle désintéressé ; c'est le premier des cas de subrogation légale, (Liv. des Biens, art. 482). Celui qui était tenu d'une obligation “ avec d'autres ou pour d'autres,” ayant acquitté la dette, a ainsi libéré ceux-ci : il mérite toute la protection possible de la loi pour le recouvrement de ce qu'il a déboursé ; or, c'est quelquefois pour la caution un grand avantage que de pouvoir exercer les actions du créancier. Il faut, pour cela, supposer que le créancier avait lui-même quelque autre sûreté que le cautionnement, ou quelque avantage que n'a pas la caution avec son action personnelle. Par exemple, le créancier avait un gage ou une hypothèque, ou il avait plusieurs cautions : la caution qui a payé ne pourrait, de son propre chef, poursuivre les autres cautions ou exercer le droit de gage ou d'hypothèque ; mais elle le pourra du chef du créancier auquel elle est subrogée. Elle pourrait même exercer, du chef du créancier, le droit de résolution du contrat pour inexécution : si ce n'est pas là une sûreté proprement dite, c'est un avantage particulier du créancier, qui est transmissible par voie de subrogation comme par voie de cession (v. Liv. des art. 486).
L'exercice par la caution des droits et actions du créancier n'exclut pas celui des droits et actions qu'elle a de son propre chef : les deux sortes d'actions sont “ indépendantes,” comme dit notre article : la caution peut les cumuler autant qu'elle y a avantage. Ainsi, il est possible que la créance principale, bien qu'hypothécaire, ne porte pas d'intérêts : la subrogation ne donnerait pas à la caution le droit d'en exiger ; mais elle en obtiendra de son propre chef, au moins quand elle sera mandataire, en vertu des principes du mandat. Ainsi encore, la créance principale, portait des intérêts conventionnels supérieurs au taux légal, mais elle n'avait pas d'hypothèque ; d'un autre côté, la caution est la femme du débiteur : comme telle, elle a l'avantage que toutes ses créances contre son mari emportent hypothèque légale générale (v. art. 204-1°): elle a donc intérêt à cumuler les deux qualités de subrogée au créancier et de caution.
Le texte n'accorde la subrogation à la caution que lorsqu'elle “a payé la dette;” il ne peut y ajouter, comme l'article 30-1°, le cas où “ elle a subi condamnation en cette qualité ; ” il faut nécessairement qu'elle ait “désintéressé le créancier,” sans quoi, celui-ci ayant encore ses droits et actions, la caution ne pourrait y être subrogée : elle ne peut les acquérir qu'au moment où ils vont cesser d'appartenir au créancier, ils lui sont alors transmis par le bienfait de la loi.
Du reste, il n'est pas nécessaire pour que la caution soit subrogée qu'elle ait payé toute la dette : la subrogation peut être partielle comme le payement (art. 48(5, du Livre des Biens).
Le texte nous dit encore que la subrogation n'est acquise à la caution que sous les restrictions auxquelles est soumise son action personnelle, d'après les articles 32, 1er al. et 33, 1er al. Ainsi, si la caution actionnée a négligé d'appeler le débiteur en cause, lorsqu'il avait des moyens péremptoires de repousser l'action principale, elle ne pourra user utilement de la subrogation ; car si les droits du créancier sont contestables, ils ne le seraient pas moins étant invoqués par la caution. Ainsi encore, si la caution a valablement payé la dette, mais a négligé d'en informer le débiteur, de sorte que celui-ci a payé une seconde fois, la subrogation a bien été acquise d'abord à la caution ; mais, dès que le débiteur a fait le second payement, quoiqu'indûment, elle a perdu, par sa faute, le droit d'exercer l'ancienne action du créancier.
On a vu, à. l'article 30, que le recours propre de la caution est plus ou moins favorable, suivant qu'elle est mandataire du débiteur ou qu'elle est seulement gérant d'affaires et, dans ce second cas, suivant que le débiteur a ignoré ou défendu la gestion.
Ces distinctions et sous-distinctions ne sont pas à faire ici: du moment que la caution “a désintéressé le créancier,” elle a acquis les droits de celui-ci ; peu importe quels ont été ses sentiments ou son mobile : ce n'est plus le service qu'elle a rendu au débiteur qui est la mesure et le fondement de son recours, niais le service rendu au créancier même dont elle acquiert les actions; aussi le texte reconnait-il le bénéfice de la subrogation à “toute caution.”
Bien entendu, dans aucun cas, la caution n'obtiendra par la subrogation plus qu'elle n'a effectivement déboursé pour désintéresser le créancier : c'est un principe général de la subrogation (v. Liv. des Biens, art. 481) déjà appliqué à la caution (art. 508) ; c'est en même temps, une grande différence avec la véritable cession de créance, laquelle peut être une source de profit légitime pour le cessionnaire.
C'est une sérieuse difficulté, même législative, que celle du conflit de subrogation entre la caution et le tiers détenteur de biens hypothéqués à la dette : tous deux peuvent prétendre à la subrogation, comme étant tenus pour d'autres, et cependant ils ne peuvent être subrogés respectivement, l'un contre l'autre, ce serait un circuit d'actions récursoires sans issue.
La question s'est déjà présentée à l'article 482 du Livre des Biens, et elle y a été résolue en faveur de la caution, sous une condition toutefois qui obligeait à renvoyer au présent article et qui va se trouver expliquée ici.
D'abord, il n'est pas douteux qu'on doive donner la préférence à la caution sur le tiers détenteur, dans le cas où le tiers détenteur est un acheteur qui, au lieu de dégrever l'immeuble, avec les formalités de la purge, en pavant son prix d'acquisition au créancier hypothécaire (ce qui eût libéré d'autant la caution), l'a payé directement au débiteur (son vendeur) ; alors il est naturel que la caution lui reproche sa négligence et repousse son action, lorsqu'il aura ensuite désintéressé le créancier hypothécaire.
Mais cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés. On peut supposer que le tiers détenteur a purgé, mais a dû faire pour cela une avance de fonds qu'il ne devait pas.
Cela se présentera dans trois cas principaux :
1° C'est un acheteur qui, ayant acheté à un prix avantageux, a offert aux créanciers plus que son prix d'achat pour éviter la saisie hypothécaire de son immeuble ;
2° C'est un co-échangiste qui, ayant déjà donné un bien équivalent en contre-échange et ne devant pas de prix, ni même de soulte, a dû faire une avance de fonds pour purger ;
3° Enfin, c'est un donataire qui, ne devant rien en retour de l'immeuble reçu, n'a pu purger qu'en offrant une somme égale à sa valeur.
Cependant, même dans ces cas, on a dû maintenir la préférence en faveur de la caution.
D'abord le donataire a paru toujours moins intéressant que la caution, puisqu'il lutte “ pour faire un gain, tandis que celle-ci lutte pour éviter une perte.”
De même, l'acheteur qui a acheté à bas prix ferait un profit analogue et aussi peu légitime, quoique moindre, au préjudice de la caution. Quant au coéchangiste, on peut lui reprocher de participer à un acte qui tendrait à remplacer dans le patrimoine du débiteur un bien hypothéqué par un bien non hypothéqué, c'est-à-dire à enlever à la caution sa garantie, sans lui en donner une autre.
On a encore remarqué la singularité de certains résultats du système proposé. Si, par exemple, la caution avait payé la dette au créancier avant l'aliénation, elle aurait certainement été subrogée contre le tiers détenteur qui aurait acquis l'immeuble depuis le paye ment ; c'eût été à elle alors que les offres de purge auraient été faites : elle n'eût pas accepté des offres insuffisantes, et, en cas d'acceptation, elle eût certainement conserve les sommes reçues, sans recours du tiers détenteur, puisque c'eût été de lui qu'elle les aurait tenues. Il serait donc bizarre que, pour avoir payé plus tard, elle fût sacrifiée au tiers détenteur, qu'on ne lui fît pas d'offres, que la purge se fît sans elle, à des conditions peut-être désavantageuses pour le créancier négligent ou complaisant, et qu'elle fût exposée à un recours qu'elle n'avait pu éviter.
Il y avait dans cette dernière objection les éléments d'une solution nouvelle et satisfaisante.
Il fallait trouver un moyen d'obliger le tiers détenteur à comprendre la caution dans les offres à tin de purge; pour cela, il était nécessaire que sa qualité et son droit éventuel fussent révélés au tiers détenteur par le registre des hypothèques.
Un instant, on a pensé qu'elle avait le droit de stipuler du débiteur, au moment où elle s'engageait comme caution, une hypothèque conditionnelle, au second rang, en vue du cas où elle payerait la dette : l'inscription d'une telle hypothèque, incontestablement permise, aurait obligé le tiers détenteur à lui faire des offres à lin de purge, comme au créancier principal (v. art. 262-3°),
Mais on a encore objecté, non sans raison, que c'était là un moyen dont, en fait, la caution n'userait pas : elle ne pourrait guère témoigner une telle défiance au débiteur, au moment même où elle lui rendrait un bon office.
C'est alors qu'on a considéré que, ce droit d'hypothèque conditionnelle, la caution le tenait de la loi elle-même, par suite de la subrogation légale éventuelle : elle n'avait donc pas à la demander au débiteur.
Restait à la publier, en vue d'une aliénation possible et avant que celle-ci eût lieu ; car on verra ultérieurement que 1 s hypothèques ne sont opposables aux tiers acquéreurs, ne donnent le droit de suite, que si elles sont inscrites avant l'aliénation (v. ai t. 248.).
Un premier moyen serait que la caution prît une inscription spéciale de son droit éventuel d'hypothèque fondé, tout à la fois, sur la convention d'hypothèque faite avec le créancier et sur la disposition de la loi qui la subroge éventuellement. Mais, il pourrait lui être difficile de connaître exactement les clauses de la constitution d'hypothèque où elle n'a pas été partie ; or, cette connaissance lui serait nécessaire pour prendre une inscription.
Il y a un moyen bien plus simple : le créancier a sans doute pris inscription pour lui-même ; dès lors, il suffit que la caution fasse mentionner à la suite ou en marge de ladite inscription, son hypothèque conditionnelle ou son droit éventuel à la subrogation : il suffira pour cela qu'elle fasse mentionner sa qualité de caution de la même dette ou d'une partie de la dette, et la date de son engagement, en y ajoutant, pour plus de précision, sans que ce soit nécessaire, que ladite mention est faite en vue de la subrogation légale.
Il fallait prévoir aussi le cas où le créancier aurait négligé de prendre inscription pour lui-même ; alors, il y a pour la caution une situation encore bien meilleure : elle a, par le seul fait de la négligence du créancier, droit de lui demander sa décharge du cautionnement (v. art. 45).
A cette occasion, on a dû examiner aussi s'il fallait subordonner ces droits de la caution à la condition que son engagement eût accompagné ou suivi la constitution de hypothèque en faveur du créancier, de sorte qu'on pût dire qu'elle avait compté sur la subrogation à cotte hypothèque. Cette condition n'a pas été jugée nécessaire et le bénéfice de la subrogation est reconnu en faveur de “ toute caution.”
En effet, lors même que la constitution de l'hypothèque a suivi l'engagement de la caution, c'est un bénéfice, un droit éventuel qui lui a été acquis, même quand elle n'y aurait pas compté ; dès lors, ce bénéfice ne peut lui être enlevé sans son consentement.
Art. 37. On se retrouve ici en présence du cas prévu par l'article 31, où il y a plusieurs débiteurs solidaires cautionnés ; mais la disposition de cet article ne fait pas double emploi avec Le premier : dans le cas de l'article 31, pour que la caution ait action pour le tout contre chacun des débiteurs, il faut qu'elle soit mandataire de tous : il y a alors solidarité légale entre les co-mandants, d'après l'article 249 du Livre de l'Acquisition des Biens. Mais si la caution est intervenue spontanément et comme gérant d'affaires, elle n'a, de son chef, contre chaque débiteur, qu'une action divisée, d'après l'intérêt de chacun et dans la mesure du service à lui rendu ; ici, lors même qu'il n'y a pas mandat, la caution, agissant comme subrogée aux droits du créancier, peut, comme lui et en son lieu et place, exercer une action solidaire contre chaque débiteur.
Ou aurait pu croire qu'il fallait distinguer si la caution est intervenue nommément pour tous les débiteurs solidaires, ou seulement pour un ou quelques-uns d'entre eux. Il est clair que contre ceux pour lesquels elle est intervenue nommément, elle exerce le droit du créancier dans son intégralité ; mais contre les autres, on aurait pu prétendre que, n'étant pas tenue p o u r e u x, elle ne jouirait pas de la subrogation légale et qu'elle n'aurait qu'une action propre qui ne lui permettrait de se faire rembourser par chacun que le montant de sa part réelle dans la dette.
Mais cette opinion a paru devoir être rejetée ; il faut s'attacher uniquement aux principes de la matière : si la caution est subrogée aux droits du créancier, c'est à tous ces droits et dans l'étendue où il les avait ; or, le créancier avait action contre chacun des débiteurs pour le tout : la caution doit avoir le même droit contre chacun d'eux.
Si l'on objecte qu'elle n'était pas tenue pourtous, mais seulement pour ceux qu'elle avait cautionnés, et que c'est contre ceux-là seulement qu'elle doit être subrogée, nous répondons que les droits du subrogé ne s'exercent pas seulement contre ceux pour lesquels elle est intervenue; mais encore contre tous ceux que le créancier pouvait poursuivre ; ainsi, la caution n'est pas tenue pour le tiers détenteur, et cependant elle peut le poursuivre, sons la distinction portée à l'article 483 du Livre des Biens et rappelée à l'article précédent.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement à ceux qui sont tenus pour déautres que la subrogation légale est accordée, mais aussi à ceux qui sont tenus avec d'autres; or, dans le cas qui nous occupe, la caution qui n'a garanti qu'un seul des débiteurs solidaires n'en est pas moins tenue avec tous les autres; il est donc naturel qu'elle ait recours contre tous, de même qu'elle recourrait contre un tiers détenteur : ici, ce sont les droits du créancier qu'elle exerce et non plus les siens propres.
§ III. — DE L'EFFET DU CAUTIONNEMENT ENTRE LES CO-FIDÉJUSSEURS.
Art. 38. Il n'est pas rare qu'il y ait plusieurs cautions d'un même débiteur; déjà l'article 23 l'a supposé, et il déclare que les poursuites doivent être divisées par le créancier entre les cautions, par portions viriles ; la division a même lieu de plein droit, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit formellement demandée par la caution poursuivie.
Mais eette disposition ne met pas un obstacle absolu à ce que l'une des cautions ait payé la totalité de la dette, ou une partie de la dette supérieure à sa portion virile. Plusieurs cas peuvent s'en présenter, dont trois sont prévus par ledit article 23.
Le 1 r cas est celui où il aurait été fixé des parts inégales, le 2° est celui où les cautions ou co-fidéjusseurs se sont engagés solidairement, soit entre elles, soit avec le débiteur ; le 3e est celui où elles ont autrement renoncé à la division, soit purement et simplement, soit en s'engageant indivisiblement.
Nous supposerons ici un 4e cas qui n'est pas d'ailleurs une exception à la division de plein droit, c'est celui où une caution, poursuivie ou non, a payé toute la dette, sans se prévaloir du bénéfice de division. C'est par allusion à ce cas que notre article suppose qu'une caution a payé toute la dette, “volontairement ou non; ” c'est alors seulement que le payement est volontaire.
Dans tous ces cas, il est naturel que celle des cautions qui a payé toute la dette ait un recours contre les autres : dans les trois premiers cas, parce qu'il ne doit pas dépendre du créancier de faire tomber la charge du cautionnement sur l'une des cautions ; dans le quatrième, parce que la caution est présumée n'avoir consenti à faire pour les autres qu'une simple avance et non un sacrifice définitif.
La loi nous indique ici l'objet de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce et ses limites ou conditions.
L'objet du recours est la part de chaque caution, ce qu'il faut entendre ici, naturellement, d'une part virile, car les parts réelles des codébiteurs en général ne diffèrent des parts viriles que par l'inégalité d'intérêts dans la dette commune ; or, les co-fidéjusseurs n'ont pas d'intérêts personnel dans la dette. Cependant, si les cautions s'étaient engagées pour des parts inégales, le recours ne s'effectuerait contre chacune que dans la mesure de la part à elle afférente.
Les voies de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce, sont de deux sortes ; l'action de gestion d'affaires (ici il n'est pas question de mandat) et l'action du créancier transmise par subrogation.
Sans doute, la caution qui a payé préférera user de l'action du créancier ; mais si cette action était sur le point de s'éteindre par la prescription, au moment du payement fait au créancier (il y a de très-courtes prescriptions), ce payement ne l'interromprait pas, et pour peu que la caution, ignorant la date de 1 échéance, tardât à exercer son recours, elle serait déchue de l'action du créancier ; c'est alors qu'il serait utile à la caution d'exercer l'action de gestion d'affaires qui ne se prescrit qu'à partir du jour où le recours est né par le payement et dont la prescription est de trente ans.
Nous avons dit, incidemment, qu'il n'y avait pas lieu ici à l'action de mandat, tandis qu'elle est la plus fréquente pour le recours de la caution contre le débiteur principal; c'est qu'en effet, les co-fidéjusseurs ne se donnent pas un mandat mutuel, même quand ils interviennent en même temps et pour un même débiteur ; le mandat suppose chez le mandant un intérêt à l'acte qu'il s'agit de faire ; or, le débiteur a bien intérêt à être cautionné et les co-fidéjusseurs lui rendent conjointement un bon office ; mais ils ne s'en rendent pas mutuellement, ils ne sont même gérants d'affaires les uns pour les autres que lorsqu'ils payent la dette commune, mais pas encore quand ils s'engagent.
Lorsque la caution qui a payé exerce l'action du créancier contre ses co-fidéjusseurs, on pourrait croire qu'en vertu de la subrogation, elle peut poursuivre solidairement chacun d'eux (en retenant, bien entendu, une part à sa charge), au moins quand il y avait solidarité ou indivisibilité entre eux, ou quand ils avaient renoncé au bénéfice de division dans l'intérêt du créancier; mais ce serait un inutile circuit d'actions, car la caution qui rembourserait ainsi la totalité, moins une part, recourrait, à son tour, contre une autre pour le tout, moins deux parts, et ainsi de suite ; autant vaut ne demander immédiatement à chacune que ce qu'elle doit supporter définitivement.
Le recours solidaire en vertu de la subrogation n'aurait pas d'ailleurs pour effet de préserver la caution qui l'exercerait des insolvabilités qui pourraient se rencontrer parmi les co-fidéjusseurs, car l'équité la plus évidente veut que s'il y a des insolvables parmi eux, la perte se répartisse entre tous, ” y compris celui qui a payé la dette,” comme le dit l'article 39, ci-après.
Le recours de la caution qui a payé, contre ses co-fidéjusseurs, est soumis par la loi aux “mêmes conditions, limites et distinctions que son recours contre le débiteur principal.” C'est dire que si la caution poursuivie avait négligé des moyens de défense qui auraient pu faire rejeter la demande du créancier, elle ne pourrait se faire rembourser par les autres cautions (art. 32) ; de même, si, ayant payé, elle avait négligé d'en avertir ses co-fidéjusseurs, de sorte que ceux-ci ou l'un d'eux eussent payé une seconde fois (art. 33).
Art. 39. La première disposition de cet article est importante : s'il y a un certificateur de la caution insolvable, c'est sur lui et non sur les autres co-fidéjusseurs que retombera la perte résultant de l'insolvabilité ; c'est l'application du principe pose par l'article7, 2° alinéa, d'après lequel le certificateur remplit vis-à-vis de la caution le même rôle que celle-ci vis-à-vis du débiteur principal.
Remarquons, à ce sujet, que si le certificateur de caution était poursuivi par le créancier avant la caution elle-même (ce qui est permis), il pourrait renvoyer le créancier à discuter non seulement les biens du débiteur principal, comme il est dit à l'article suivant, mais encore ceux de la caution elle-même qu'il certifie (v. art. 19 et s ).
De même, s'il y a plusieurs certificateurs d'une même caution, leur obligation se divise de plein droit entre eux par portions viriles (v. art. 23). Enfin, au point de vue du recours même qui nous occupe, si l'un de plusieurs certificateurs a paye seul toute la dette de la caution, il a recours contre les autres pour leur portion virileLa 2e disposition a été justifiée déjà sous l'article précédent.
Art. 40. La loi suppose que la première caution actionnée n'a pas opposé au créancier le bénéfice de discussion à l'égard des biens du débiteur principal, soit qu'elle l'ait négligé, soit qu'elle en ait été privée; dans ce cas, la discussion peut être demandée par le co-fidéjusscur actionné par le recoins organisé aux deux articles précédents; mais il devra lui-même en observer les règles et conditions : par exemple, indiquer des immeubles situés dans le ressort de la cour d'appel, et ne s'en prévaloir que s'il ne s'est pas lui-même privé de ce bénéfice par une renonciation ou autrement (v. art. 20 et 21).
La loi proclame le même droit pour le certificateur de caution, ce qui s'entend ici naturellement du cas où il est actionné en recours, en vertu de l'article précédent. Mais il aurait le même droit, s'il était actionné directement par le créancier, en cas d'insolvabilité de la caution qu'il garantit. Si la loi ne l'a pas exprimé à l'article 19 ou à la suite des articles 20 et 21, c'est que le certificateur de caution aurait dû alors figurer dans une foule d'autres dispositions, sous peine qu'on pût croire qu'il en était exclu, et le mentionner partout eût été redondant.
Art. 41. Le droit pour une caution d'appeler ses co-fidéjusseurs en garantie n'est pas entravé par l'exercice du même droit contre le débiteur principal : puisés tous deux à la même source, ils ne s'excluent pas l'un l'autre.
Bien que cette disposition ne soit d'ailleurs qu'une application des principes de cette matière et, en remontant plus haut, du principe général de la garantie (v. Liv. des Biens, art. 399), ce n'est pas une raison pour l'omettre ici. Nous nous sommes plusieurs fois prononcé en faveurde l'application fréquente par la loi des principes qu'elle a posés elle-même. Les magistrats chargés d'appliquer la loi, les avocats et les parties qui l'invoquent, ceuxqui l'enseignent et ceux qui l'étudient, sont bien plus frappés et éclairés par l'app lication légale et pratique d'un princi pe que par l'é noncé théorique du principe lui-même, dans une forme nécsssairement abstraite.
Art. 42. Cet article n'est, au sujet de l'effet relatif des preuves, que l'application des règles posées aux articles 26, 27 et 28, pour une situation analogue. Seulement, ici, nous n'avons pas à justifier la loi d'une apparente répétition : ces situations analogues, avec des différences, sont pleines de dangers de confusion.
Art. 43. Ici il n'y a également qu'un renvoi, mais à une matière non encore traitée. Comme ce sont des règles de la solidarité à appliquer au cautionnement, est naturel de les placer au Chapitre de la solidarité.
SECTION III.
DE L'EXTINCTION DU CAUTIONNEMENT.
Art. 44. On va trouver ici deux sortes d'extinction du cautionnement : l'extinction directe, c'est-à-dire celle qui résulte de faits atteignant le cautionnement même, sans influence sur la dette principale, et 1 extinction indirecte, atteignant d'abord la dette principale et, par voie de conséquence nécessaire, l'obligation accessoire de la caution.
La loi commence par l'extinction directe. Elle nous dit que les modes ordinaires d'extinction des obligations s'appliquent au cautionnement.
Il faut remarquer cependant que le premier et le plus naturel des modes d'extinction, le payement, ne peut s'appliquer au cautionnement sans s'appliquer en même temps à la dette principale; on peut même dire que lorsque la caution paye, c'est la dette principale qu'elle éteint directement et non la sienne propre, laquelle ne s'éteint que par voie de conséquence.
Qu'est-ce en effet que le payement? C'est “l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur ” (art. 451 du Liv. des Riens,); or, si la caution accomplit la prestation que le débiteur a promise, c'est pour celui-ci qu'elle le fait, en son nom et assurément pour son compte Bien plus, si au lieu d'exécuter l'obligation telle qu'elle a été stipulée, la caution est admise par le créancier à faire une dation en payement, c'est-à-dire à donner autre chose que ce qui est dû, c'est encore la dette principale qui est éteinte directement, quoique le débiteur n'ait pas participé à l'opération.
Au sujet de la novation, on a remarqué en son lieu qu'elle peut porter sur le cautionnement seul aussi bien que sur la dette principale: la caution peut faire novation de son engagement, par exemple, en présentant une autre caution à sa place; c'est ce qu'a prévu l'article 502 du Liv. des Biens.
Un autre mode d'extinction au contraire qui, de même que le payement, ne paraît pas pouvoir atteindre le cautionnement directement, mais seulement par voie de conséquence, c'est la perte de la chose due, ou, plus généralement, l'impossibilité d'exécuter (art. 439 et s.) : la caution devant fournir la même chose que le débiteur ou exécuter le même fait, si cette chose ou ce fait ne peuvent plus être fournis, le débiteur est libéré comme la caution et, en quelque sorte, avant elle.
Mais on pourrait cependant maintenir la séparation des deux effets : supposons que le fait promis par le débiteur et la caution soit de nature à ne pouvoir être exécuté que par eux, conjointement ou séparément, à cause d'une aptitude personnelle et exclusive, et que la caution soit devenue, par accident ou force majeure, incapable d'exécuter le fait : elle sera libérée, sans indemnité, et le débiteur ne le sera pas.
Il est plus difficile de donner un exemple analogue pour une dette de chose, car si la caution est dans l'impossibilité de la donner, sans doute le débiteur ne le pourra davantage.
Supposons cependant que l'obligation principale porte sur deux choses dues alternativement et que la caution n'ait garanti la prestation que de l'une d'elles; celle-ci venant à périr par cas fortuit, la caution est libérée, tandis que le débiteur doit encore l'autre chose.
La remise ou décharge conventionnelle du cautionnement a déjà été prévue à l'article 511 du Liv. des Biens, la compen- sation à l'article 521 et la confusion à l'article 538 : notre article se borne à renvoyer à ces articles.
Il ne faudrait pas croire d'ailleurs que ces dispositions eussent été mieux à leur place ici qu'aux articles précités : soit que le cautionnement s'écarte du droit commun, au sujet de ces modes d'extinction, soit qu'il y reste conforme, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, c'est toujours à l'occasion de chacun des modes d'extinction qu'il convient que la loi s'en explique ; il n'est pas moins naturel de mentionner les particularités du cautionnement en traitant de la novation, de la remise de la dette, etc., que de mentionner les particularités de ces modes d'extinction en traitant du cautionnement.
Il reste trois modes d'extinction des obligations dont il faut noter l'application directe au cautionnement : la résolution expresse ou tacite, la rescision et la prescription.
Le cautionnement peut n'avoir été donné que sous une condition résolutoire expresse, tirée des convenances personnelles de la caution ; par exemple, elle a entendu être libérée si elle perdait son emploi actuel, sans en obtenir un autre égal ou supérieur: cet événement venant à se produire, le cautionnement s'éteindra, sans que la dette principale en soit atteinte. Il y aurait condition résolutoire tacite si la caution avait obtenu un engagement corrélatif du créancier, lequel n'aurait pas été tenu par celui-ci.
La rescision ou nullité suppose que la caution était incapable ou que son consentement a été vicié : il est clair qu'elle jouira de la même protection de la loi contre cette obligation accessoire que s'il s'agissait d'une obligation principale.
Reste la prescription. C'est un mode d'extinction qu'on a prétendu, ne pas pouvoir s'appliquer directement au cautionnement et ne pouvoir profiter à la caution que par voie de conséquence, c'est à-dire quand la prescription aurait éteint l'obligation principale.
Sans doute, on ne peut concevoir que le délai légal de la prescription soit plus court pour le cautionnement que pour la dette principale, car le prescription du cautionnement est toujours la même que celle de la dette principale. Sans doute encore, l'interruption de la prescription, obtenue par des poursuites contre le débiteur ou par sa reconnaissance de la dette, aura le même effet contre la caution, de sorte qu'elle ne bénéficiera pas de l'inaction du créancier à son égard. De même encore, si le créancier est mineur, le délai de la prescription, suspendu contre le débiteur pendant la dernière année (v. Livre des Preuves, art. 131). est également suspendu contre la caution, car la minorité est une qualité absolue.
Mais prenons un autre cas de suspension de prescription, justement une suspension tirée d'une qualité du créancier non plus absolue mais relative : la prescription est suspendue entre éproux pendant la dernière année (v. art. 134 du même Livre). Supposons que la dette principale soit de la fe mme envers le mari et que le cautionnement soit fourni par le père ou le frère de la femme ; trente ans se sont écoulés depuis que la dette était devenue exigible : le mari ou son héritier a conservé son droit contre la femme, ou contre l'héritier de celle-ci, pendant un an après la dissolution du mariage ; mais il a perdu son droit contre la caution, parce que la prescription n'est pas suspendue entre le mari et le père ou le frère de la femme.
Et qu'on ne dise pas que la prescription est une présomption légale de payement, et que s'il y a payement présumé de la part de la caution, le débiteur principal est lui-même libéré : la prescription fait présumer tout aussi bien une remise de la dette, et ici ce ne sera que la remise du cautionnement, puisque ce n'est qu'en faveur de la caution que court la prescription.
Il ne faudrait pas non plus soutenir que la suspension de prescription établie en faveur du créancier contre le débiteur a lieu aussi contre la caution, par analogie de l'interruption qui, faite par le créancier contre le débiteur, vaut de plein droit contre la caution : les deux faits sont différents : dans le cas de poursuites contre le débiteur, la caution ne les ignore généralement pas ; le débiteur, en recevant la poursuite représente la caution et elle est ainsi préservée de frais particuliers ; mais dans le cas de suspension, il n'y a, de la part du créancier contre le débiteur, aucun acte dans lequel on puisse dire que la caution est représentée ; il n'y a que l'effet virtuel d'une qualité toute personnelle et relative du créancier vis-à-vis du débiteur, laquelle ne peut s'étendre à la caution.
Art. 45. Déjà, à l'occation de la remise conventionnelle ou de la renonciation faite par le créancier à tout ou partie de ses sûretés, on a énoncé le droit de la caution de demander sa décharge à ce même créancier, à raison de ce qu'il a diminué pour elle les moyens d'être indemnisée par l'effet de la subrogation à ces droits (v. art. 12).
La caution n'est pas déchargée de plein droit : elle doit faire une demande en justice, car il peut y avoir contestation sur le fait de la négligence du créancier dans la conservation desdites sûretés.
On aurait pu douter que ce droit à la décharge appartînt, sinon à la caution solidaire (laquelle y est formellement appelée par l'article 512), au moins à la caution qui a renoncé au bénéfice de discussion ou à la caution engagée à l'insu du débiteur ou malgré lui: ces diverses situations de la caution rendent sa condition moins favorable, à certains égards ; mais elles doivent rester ici sans influence et la loi l'exprime en disant que le droit à cette décharge appartient à “ toute caution,” indistinctement, et à ses certificateurs.”
Art. 46. La dette de la caution, étant accessoire d'une dette principale, s'éteint nécessairement avec celle-ci, par voie de conséquence ; il n'y a aucune ex ception à là règle et il ne peut y en avoir : autrement, il y aurait des cas où la caution serait tenue sans avoir de recours.
Un cas semblerait pourtant faire exception à la règle, mais ce n'est qu'une illusion.
Lorsqu'il intervient une novation entre le créancier et le débiteur et que le créancier y met comme condition l'accession à la nouvelle dette des cautions qui garantissaient la première, cette accession est possible, pourvu que les cautions y consentent spécialement (art. 501, 2e al.) ; mais il est clair qu'il y a alors, en réalité, un nouveau cautionnement, comme il y a une dette nouvelle.
Il en serait autrement si, au lieu de cautionnement, il s'agissait de sûretés réelles que le créancier aurait réservées, même sur les biens de tiers détenteurs ; dans ce cas, les sûretés antérieures survivraient à l'ancienne créance et se rattacheraient identiquement à la nouvelle (art. 503).
Le 2e alinéa de notre article se borne à un renvoi aux dispositions antérieures du Code où il a été traité de l'influence sur le cautionnement des principaux modes d'extinction de la dette principale.
Remarquons seulement, à ce sujet, que la dation en payement faite par le débiteur libère la caution, moins comme payement que comme novation (art. 461) ; d'où il suit que si le créancier est plus tard évincé de la chose reçue, il n'a pas de recours contre la caution.
SECTION IV.
RÈGLES PARTICULIÈRES AU CAUTIONNEMENT LÉGAL ET AU CAUTIONNEMENT JUDICIAIRE.
Art. 47. Les deux cas de cautionnement formant l'objet de cette Section pourraient être appelés cautionnement forcé, par opposition au cautionnement ordinaire qu'on nomme volontaire ; mais on conserve ici les expressions consacrées par l'usage.
Il faut d'abord remarquer que la caution légale n'est pas une personne à laquelle, en vertu de sa qualité, la loi imposerait le rôle de caution d'une dette d'autrui ; dans le Code, on ne trouve aucun cas de caution légale dans ce sens : le tuteur n'est pas caution des dettes que contracte valablement son pupille, ni le mari des dettes de sa femme par lui autorisées.
La caution légale est, comme dit le texte de notre article, “ celle que la loi oblige le débiteur à fournir ; ” elle est légale par sa cause : au lieu d'être fournie sur la demande du créancier, avec le consentement libre du débiteur, elle est exigée de celui-ci, en vertu d'un texte de loi.
Quant à la caution elle-même, elle n'intervient que par un acte formel de sa volonté : elle fera toujours un contrat volontaire et libre avec le créancier et elle y sera déterminée par le mandat du débiteur auquel elle consentira à rendre ce bon office.
Il pourrait arriver aussi qu'une personne sachant qu'un débiteur doit fournir une caution d'après la loi, intervînt spontanément en cette qualité, comme gérant d'affaires ; mais le dernier article nous dira qu'elle est encore, dans ce cas, traitée comme mandataire du débiteur, ce qui est une faveur spéciale.
Pour concevoir que la loi se substitue ainsi au créancier pour exiger qu'il lui soit fourni caution, il faut supposer qu'il s'agit de créances dont la naissance n'est pas le seul effet de la volonté du créancier : autrement, il serait naturel que la loi le laissât pourvoir lui-même a sa sécurité, sauf à lui à ne pas traiter s'il n'obtenait pas celle qu'il désire.
Les cas de caution légale jusqu'ici rencontrés dans le Code ne sont pas nombreux, justement parce que les diverses obligations qui y sont prévues jusqu'ici sont presque toutes conventionnelles.
Nous ne pouvons guère citer comme cautions légales que celles à fournir : par l'usufruitier au nu-propriétaire (Liv. des Biens, art. 76 et s.), par le vendeur à l'acheteur menacé d'éviction et auquel il réclame le prix de vente (Liv. de l'acquisition des Biens, art, 77) et par le créancier qui surenchérit sur une offre à fin de purge (art. 265 du présent Livre).
L'article 3 nous a annoncé que les règles du cautionnement volontaire s'appliquent, en général, au cautionnement légal et au cautionnement judiciaire et que s'il y a quelques dispositions particulières relatives à ces deux sortes de cautionnement forcé, on les trouvera dans la présente Section.
Ces dispositions particulières sont peu nombreuses.
Le présent article commence même par énoncer formellement l'application aux cautionnements forcés de deux articles du cautionnement conventionnel, parce qu'on aurait pu en douter.
Le cautionnement à fournir en vertu d'une promesse spéciale, bien que volontaire dans son principe, est devenu forcé pour avoir été promis; aussi le débiteur est-il tenu de présenter une caution sérieuse et répondant aux intentions du créancier (v. art. 15 et 16): il est naturel que quand le cautionnement est ordonné par la loi ou par la justice, les mêmes garanties de solvabilité de la caution soient exigées.
Art. 48. La caution judiciaire est ordonnée par la justice pour assurer l'exécution de ses décisions ; mais il ne faut pas admettre que celle-ci puisse souverainement ordonner de fournir caution chaque fois qu'elle le croira utile pour la garantie du créancier : il faut toujours qu'un texte de loi l'ait autorisée à prendre cette mesure.
Cependant, le cautionnement n'est pas pour cela légal, car la loi n'impose pas aux juges l'obligation d'ordonner qu'il soit fourni caution : c'est une “ faculté ” qui leur est attribuée par la loi.
Les cas de cautionnement judiciaire sont rares : le Code civil n'en contient qu'un cas, c'est le cautionnement de la réparation d'un dommage imminent (v. art. 202).
Art. 49. C'est une règle particulière à la caution judiciare qu'elle ne jouisse pas du bénéfice de discussion. Cette rigueur, qui n'atteint pas la caution légale, tient à ce que, dans les cas où cette sécurité sera exigée, il y aura urgence à l'exécution ; or, rien n'est contraire à la célérité comme la discussion des biens du débiteur.
Les cautions judiciaires n'ont pas nécessairement un certificateur, mais si la caution présentée n'avait pas d'immeubles suffisants et se trouvant dans les conditions de lieu et autres exigées par la loi, il pourrait y être suppléé par un certificateur de caution, lequel aurait les immeubles voulus. Dans ce cas, il ne jouirait pas plus que la caution elle-même du bénéfice de discussion à l'égard du débiteur. Il n'en jouirait pas davantage à l'égard de la caution. Cette dernière prohibition résulte suffisamment de la généralité des termes de notre article.
Art. 50. Nous avons dit que la caution légale et la caution judiciaire pourraient intervenir spontanément en faveur du débiteur et sans mandat de lui, pourvu qu'elles remplissent les conditions prescrites pour cette sorte de cautionnement.
Mais la loi, pour encourager ceux qui voudraient remplir ce bon office envers le débiteur, veut qu'ils soient aussi bien traités au cas de gestion d'affaires qu au cas de mandat, au moins pour leur recours en garantie ; en conséquence, les différences que présentent les articles 29, 30, 31 et 34 eu faveur de la caution intervenue par mandat, comparée à celle qui est intervenue spontanément, ne seront pas appliquées ici. Mais les dispositions qui ne sont pas relatives au recours restent soumises à la distinction entre le mandat et la gestion d'affaires (v. art. 27 et 82).
CHAPITRE II.
DE LA SOLIDARITÉ ENTRE DÉBITEURS ET ENTRE CRÉANCIERS.
DISPOSITION GÉNÉRALE.
Art. 51. La solidarité est une modalité ou manière d'être des obligations et, à ce titre, elle aurait pu figurer au Livre IIe, IIe Partie, Chap. 2, au sujet des Effets des Obligations ; mais comme son caractère de sûreté ou garantie des créances est dominant et en fait même tout l'intérêt, c'est au présent Livre qu'on a dû en renvoyer les détails (v. art. 438).
Le définition sommaire de la solidarité, tant active que passive, ayant été donnée par l'article 438, la loi ne peut la donner ici de nouveau ; on ne pourrait d'ailleurs la compléter que par des emprunts aux effets de cette modalité ; le présent article renvoie donc, pour la définition, audit article 438, et il se borne à annoncer deux espèces de solidarité, objets de deux Sections distinctes.
C'est à la solidarité passive, qu'on rattachera l'obligation simplement intégrale entre débiteurs : elle est l'objet d'un § spécial (v. art. 73).
C'est lorsqu'on verra les effets de la solidarité active qu'il sera facile de reconnaître qu'elle est bien, comme la solidarité passive, quoiqu'avec moins d'évidence, une sûreté pour le créancier, ce qui justifie sa place dans ce Livre.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA SOLIDARITÉ ENTRE DEBITEURS.
§ Ier — DE LA NATURE ET DES CAUSES DE LA SOLIDARITÉ ENTRE DÉBITEURS.
Art. 52. On retrouve ici la division habituelle : il est naturel de présenter séparément les causes, les effets et la cessation de chacune des sûretés ou garanties.
Bien qu'il ne faille pas anticiper sur les effets de la solidarité, la loi doit cependant indiquer sa nature qui fait ressortir son effet principal : autrement, on ne verrait pas nettement quel est le droit dont on va énoncer les causes.
Le caractère le plus saillant de la solidarité passive est, comme le dit le texte, “ une représentation mutuelle (un mandat réciproque) entre les débiteurs, dans l'intérêt du créancier.” Cette idée de représentation, de mandat, universellement admise dans la doctrine a paru devoir être exprimée dans la loi, car tous les effets de lasolidarité s'en déduisent, tant ceux que la loi exprime que ceux qu'elle sous-entend : ces derniers seront dès lors faciles à suppléer par déduction du principe.
Pour le moment, on ne s'y arrête pas davantage.
Ajoutons pourtant que cette représentation mutuelle des débiteurs n'est pas seulement de sa nature : elle est même de son essence, car on ne pourrait pas la supprimer par convention sans changer la modalité même de l'obligation, laquelle se trouverait alors réduite à la simple obligation intégrale ou pour le tout dont on parlera à l'article 73.
Comme la solidarité passive est une modalité des obligations, ses causes ne peuvent être autres que celle des obligations elles-mêmes ; seulement, elles paraissent moins nombreuses, car le texte n'indique à cet égard que la convention et la loi (nous réservons un instant ce qui est dit du testament) : il n'est pas fait mention de l'enrichissement indu ni du dommage injuste ; mais cette omission est plus apparente que réelle.
Sans doute, tous les cas où plusieurs personnes sonindûment enrichies du bien d'autrui ne réclament pas la solidarité entre elles pour la restitution ou l'indemnité, même quand on ignore la part de profit de chacune d'elles, car on peut alors diviser l'obligation par portions viriles; mais lorsqu'il est juste qu'il y ait solidarité, la loi l'ordonne ; on se trouve alors on présence d'un cas de solidarité légale : par exemple, entre co-mandants (v. art. 24,3 du Livre précédent).
De même, dans les cas de dommage causé injustet ment par plusieurs personnes, au moyen d'un seul et même fait, il peut être juste que chacun en soit responsable solidairement, surtout quand on ne peut déetrminer le degré de participation de chacun au mal entre causé ; mais c'est encore la loi qui établit la solidarité les auteurs du fait pour la réparation du préjudice : par exemple, entre co-auteurs d'un crime, d'un délit ou d'une contravention (v. C. pénal, art. 57). Dans ces cas, la loi a pu, sans exagération de sévérité, décider que ceux qui se sont associés pour le mal seraient associés pour la réparation. Elle décide de même pour ceux qui ont commis de concert un simple délit civil (v. Liv, des Biens, art. 378)
Lorsque le dommage causé injustement par plusieurs ne résulte pas d'une association ou d'un concert, mais d'une sorte de conjonction de fait et que la part de responsabilité individuelle ne peut être connue, la loi impose encore à chacun une responsabilité intégrale, mais sans solidarité, à cause de l'absence de mandat mutuel (même art.).
A côté de la convention et de la loi, comme causes ou sources de la solidarité passive, notre article place encore le testament.
On pourrait s'étonner de voir figurer le testament comme cause d'une modalité de l'obligation, quand il ne figure pas parmi les sources des obligations elles-mêmes (v. Livre des Biens, art. 295). Mais l'objection serait plus spécieuse que fondée. Le testament ne suffit pas à imposer une obligation à l'héritier légitime : il faut encore que la succession suffise à acquitter les legs : l'héritier est donc moins tenu par le testament que par son enrichissement des biens héréditaires; aussi l'obligation d'acquitter les legs et autres charges testamentaires figure-t-elle parmi celles qui naissent des quasi-contrats ou de l'enrichissement indû (v. art. 361-8°), elle ne peut dès lors être rattachée à une autre cause qui serait le testament.
Si le testateur a plusieurs successers (son héritier et un ou plusieurs légataires à titre universel,) ils ne seront que débiteurs conjoints des legs, chacun d'eux n'en devra que sa part héréditaire, au moins si la chose est divisible (art. 488, 1er al. et 440).
Mais si le testateur veut qu'il en soit autrement, s'il craint pour son légataire l'insolvabilité ultérieure d'un ou plusieurs de ses successeurs, ou s'il veut lui épargner la peine de faire plusieurs demandes, il a le droit de leur imposer la solidarité : ce sera prudent quand il s'agit du legs d'une rente viagère ou d'un capital payable à long terme. Evidemment, il ne pourrait espérer une convention entre le légataire et les successeurs, à l'effet d'imposer la solidarité à la charge de ceux-ci, et il n'y a pas de raison suffisante pour que la loi intervienne dans le même but ; il ne reste donc que la volonté du défunt ou le testament.
La solidarité étant une rigueur contre les débiteurs, par cela même qu'elle est favorable au créancier, est évidemment une exception au droit commun ; de là la règle qu'elle “ ne se présume pas et doit être expresse.
Bien entendu, comme on l'a déjà remarqué en pareil cas, cela ne signifie pas que la disposition doive employer l'un des mots solidarité, solidaire ou solidairement : ce qui est nécessaire c'est qu'il n'y ait aucun doute sur la volonté, à cet égard, des contractants, du testateur ou de loi. Nous ajoutons “ de la loi ” et notre article dit “ dans tous les cas,” pour prévenir une difficulté, sur le point de savoir si la disposition de notre article s'applique à la solidarité légale.
Une différence toutefois doit être admise à cet égard entre les dispositions de loi et celles de l'homme. On verra à l'article 73 que lorsque la loi déclare qu'une obligation conjointe est “ intégrale ou pour le tout, cela ne suffit pas pour qu'il y ait solidarité, s'il n'y a d'ailleurs entre les débiteurs aucune relation antérieure impliquant mandat réciproque ou représentation mutuelle. Mais cette disposition ne concerne pas le cas où les mêmes expressions auraient été employées dans une convention ou un testament. La loi, ailleurs, aposé en principe que, “ dans l'interprétation des conventions, les j uges doivent rechercher l'intention commune des parties plutôt que s'attacher au sens littéral des termes par elles employés ” (art. 356 ). Or, quand les parties auront dit que l'obligation de chaque débiteur sera ” intégrale ou pour toute la dette,” ou qu'ils “ payeront l'un pour l'autre,” il est bien naturel de croire qu'elles ont entendu établir entre les débiteurs le lien le plus étroit et le plus rigoureux : leur intention se révèle bien mieux par la désignation directe de cette rigueur que par l'emploi d'un mot juridique (solidaire, solidarité, solidairement) dont elles peuvent ne pas connaître toute la portée ou le sens exact. D'ailleurs, dans un pareil cas, il y aura nécessairement entre les débiteurs un lien antérieur impliquant mandat réciproque.
La même observation s'applique au cas d'un testateur qui aurait imposé à chacun de ses successeurs une obligation intégrale au sujet de l'acquittement des legs.
Notre texte paraît, dans sa dernière disposition, viser une exception à la règle que la solidarité doit être expresse. Mais c'est à peine si l'on peut dire qu'il y a là une exception : quand on se réfère à l'article 88 visé ici, on remarque que l'indivisibilité volontaire implique solidarité, soit activement, soit passivement ; mais, si la seconde modalité est établie tacitement, la première est expresse (v. art. 108G, 2e al.); en outre, la loi interprète expressément l'intention des parties, en sorte qu'on ne peut pas dire qu'il y ait là une véritable exception à la règle.
Art. 53. Pour que deux ou plusieurs personnes puissent être qualifiées codébiteurs, soit solidaires, soit simplement conjoints, il ne suffît pas évidemment, qu'elles aient un même créancier : il faut qu'il y ait encore unité de dette ; cette unité n'a lien que s'il y a, tout à la fois, identité d'objet dû et identité de cause de la dette ; une seule de ces identités ne suffirait pas.
Ainsi deux personnes doivent 1000 yens au même créancier : en apparence, c'est le même objet ; mais, en réalité, ce peuvent être deux sommes distinctes et seulement semblables par le chiffre : il ne suffirait même pas que chaque dette provînt d'un prêt ; ce serait aussi, en apparence, la même cause ; mais ce pourraient être aussi deux prêts, c'est-à-dire deux causes séparées semblables seulement par leur nature.
Pour qu'il y ait unité de dette, il faut que ce soit le même contrat de prêt et les mêmes 1000 yens. Ce pourrait être aussi la même vente ou le même achat par plusieurs, appliqué au même objet : on aura alors des co-vendeurs ou des co-acheteurs; ils ne seront que conjoints en principe; mais ils seront solidaires, si le contrat le porte formellement.
Cette double identité, d'objet et de cause, est exigée par le 1er alinéa de notre article. Quant à l'identité de créancier, la nécessité en est trop évidente pour qu'il ait été nécessaire de l'exprimer au texte.
Le même texte déclare aussi, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait identité d'acte, ni de temps, ni de lieu.
Au premier abord, on ne voit pas bien comment l'identité nécessaire de cause n'entraîne pas forcément celle d'acte, de temps et de lieu ; cependant, on peut aisément reconnaître l'indépendance de ces éléments de l'obligation.
L'emploi du mot acte comporte deux applications en notre matière : il y a l'acte juridique qui crée l'obligation même des divers débiteurs et l'acte qui les constitue codébiteurs solidaires.
La première application se confond avec la cause de l'obligation, et puisque la cause doit être unique, l'acte juridique l'est nécessairement et par cela même.
Il pourrait cependant arriver qu'un prêt ou une vente, par exemple, destinés à être faits à deux emprunteurs ou à deux acheteurs, fussent d'abord faits à un seul, pour le tout, mais avec réserve du droit pour l'autre d'accéder plus tard au contrat, laquelle accession n'aurait lieu évidemment que par un acte postérieur et séparé ; mais cette accession tardive se rattachant au premier acte et venant le compléter suivant les prévisions des parties, il y a encore là l'unité nécessaire de cause et d'acte juridique.
La deuxième application du mot acte est celle que notre article a en vue : lorsqu'il annonce qu'il peut y avoir diversité d'acte, il fait allusion à l'acte qui constitue les débiteurs en état de solidarité. Il est possible que l'obligation ait été contractée par plusieurs, simultanément, dans un seul contrat, sans stipulation de soli darité : cela les constituait débiteurs simplement conjoints ; plus tard, ils se sont soumis à la solidarité envers le créancier, ensemble ou séparément ; si c'est séparément, on est dans le cas prévu par notre article.
La diversité d'actes juridiques soumettant les codébiteurs à la solidarité implique naturellement la diversité de temps, et la diversité de lieu sera presque toujours liée aux deux premières, en ce qu'elle les aura rendues nécessaires : c'est quand les débiteurs ne demeureront pas au même lieu qu'il aura fallu faire des conventions séparées.
Les divers actes juridiques constituant successivement la solidarité entre plusieurs débiteurs seront forcément des actes conventionnels ; on ne pourrait pas reconnaître le même caractère successif à divers codicilles testamentaires imposant la solidarité aux divers successeurs : lors même que les codicilles portent une date différente, ils prennent toujours une seule date juridique, quant à leur effet : à savoir, le jour du décès de leur auteur.
Quant à la loi, considérée comme cause ou source de la solidarité, lorsqu'elle l'établit entre plusieurs débiteurs, c'est à un moment qui est nécessairement unique : à savoir, celui où les codébiteurs se sont trouvés placés dans la situation à laquelle la loi attache la solidarité.
Cette hypothèse de plusieurs conventions successives plaçant les débiteurs dans le lien de la solidarité donne lieu à une question que nous devons examiner en terminant sur ce point.
Faut-il que ces actes, nécessairement passés avec le créancier, le soient aussi avec tous les codébiteurs ?
Si l'on exigeait absolument cette seconde condition, un seul acte suffirait et on détruirait l'utilité de plusieurs actes séparés.
Mais quel serait l'effet de ces actes séparés où figurerait seul celui qui s'engagerait solidairement avec un autre ?
Supposons que Primus et Secundus sont déjà débiteurs conjoints, sans solidarité. Plus tard, Primus, soit pour être agréable au créancier, soit pour arrêter ses poursuites, se constitue débiteur solidaire de la dette. Secundus ne participe pas à cet acte. Plus tard encore, Secundus se constitue débiteur solidaire de la même dette.
Il est incontestable que, dans ce cas, la solidarité véritable a lieu, dès que le second acte est intervenu.
Mais quid, avant qu'il soit intervenu ? Et quid s'il n'intervient jamais ?
Dans ces deux cas, on ne peut dire qu'il y ait entre les deux codébiteurs ce mandat mutuel qui est le fondement de la solidarité. D'un autre côté, le premier acte où Primus s'est constitué débiteur solidaire ne peut être sans effet. On doit décider alors que Primus s'est constitué caution solidaire de la part de Secundus, ce qui n'exige pas sa participation (v. art. 11), et on lui appliquera les articles 20 et 23, en tenant compte aussi de la distinction, plusieurs fois rencontrée au sujet du cautionunement, à savoir, si la caution s'est engagée sur le mandat du codébiteur ou à son insu.
On pressent déjà que la solidarité a quelques analogies avec le cautionnement, car chacun des débiteurs, étant tenu de payer pour les autres en même temps que pour lui-même, ressemble beaucoup à une caution pour ce qu'il doit au-delà de sa part. On rencontrera, chemin faisant, des preuves de cette analogie, mais aussi des caractères propres à la solidarité.
Le 2e alinéa de notre article a précisément pour but de prévenir une assimilation trop complète.
On a vu à l'article 6 que la caution, n'étant qu'un débiteur accessoire, ne peut se soumettre à des conditions plus onéreuses que celles auxquelles est soumis le débiteur principal. Ici, il en est autrement : toutes les obligations sont principales ; chacun des débiteurs peut, dès lors, être soumis à des modalités différentes de celles auxquelles se soumettent les autres. Ainsi, l'obligation de l'un peut être pure et simple, celle d'un autre, à terme, celle d'un troisième, sous condition; l'un peut devoir des intérêts et non l'autre; l'un peut se charger des cas fortuits, l'autre rester dans le droit commun. On ne comprendrait pas, en effet, pourquoi la liberté des conventions ne recevrait pas son application ordinaire.
Il est clair que le débiteur dont la position est la meilleure en jouira, non-seulement vis-à-vis du créancier dont les droits seront restreints, mais encore vis-à-vis de ses codébiteurs, lorsqu'ils exerceront contre lui le recours en garantie dont il sera bientôt parlé.
§ II.— DES EFFETS DE LA SOLIDARITÉ ENTRE DÉBITEURS.
Art. 54. Cet article achève de présenter les caractères distinctifs de la solidarité, qui n'ont pu entrer tous dans la définition donnée par les articles 438 et 52. On y trouve en même temps une des différences les plus saillantes entre la solidarité et le cautionnement à savoir le refus des bénéfices de discussion et de division.
Le droit du créancier de “ poursuivre tous les débiteurs, simultanément ou successivement, jusqu'à parfait payement ” prouve qu'il y a unité de dette entre eux : il n'aurait pas un pareil droit contre diverses cautions, à moins qu'elles ne fussent solidaires, soit avec le débiteur, soit au moins entre elles (art. 20 et 23).
La solidarité ne rend pas la dette indivisible, même d'une indivisibilité volontaire ou intentionnelle, à la différence de l'indivisibilité volontaire qui implique solidarité (v. art. 88). Lors donc que l'un des débiteurs solidaires vient à mourir, laissant plusieurs successeures son obligation solidaire se divise entre ceux-ci, dans la mesure de leur part héréditaire, et ils sont sans lien les uns avec les autres ; le seul effet, à leur égard, de la solidarité de leur auteur est que leur part se calcule sur le tout ; tandis que si leur auteur n'avait été lui-même qu'un débiteur simplement conjoint avec d'autres, ce n'est que sa part dans la dette qui se serait subdivisée entre ses héritiers.
Mais chaque successeur du décédé a un lien de solidarité avec les autres débiteurs solidaires originaires : les poursuites du créancier contre un des débiteurs originaires produisent effet contre chacun des successeurs décédé pour sa part héréditaire ; réciproquement, les poursuites exercées contre un de ces successeurs, pour sa part héréditaire, produisent effet contre chacun des débiteurs originaires, pour la même part.
Art. 55. C'est un droit de tout débiteur de se libérer par un payement intégral, même malgré le créancier (art. 474), pourvu, bien entendu, que la dette soit échue ; sans préjudice du droit du débiteur d'en avancer l'échéance par une renonciation au bénéfice du terme, quand il n'est pas établi dans l'intérêt du créancier (v. art. 404).
Art. 56. Il s'agit ici de l'exception dilatoire et de l'appel en garantie déjà admis en faveur de la caution à l'égard du débiteur principal (art. 24 et 29), en faveur des co-fidéjusseurs respectivement (art. 41) et, généralement, en faveur de “toute personne tenue d'une obligation avec d'autres ” (art. 399). Le texte en disant que le débiteur actionné sera seul considéré comme adversaire du créancier n'entend pas interdire aux autres de combattre la prétention du créancier : autrement, il serait inutile qu'ils puissent être appelés en cause ; la loi veut dire que la condamnation ne sera prononcée que contre le premier débiteur au profit du créancier.
La disposition du 2e alinéa ne se trouve pas dans les mêmes articles ; mais sans aucun doute, elle doit y être suppléée. Si on l'a placée ici, c'est parce que l'intervention spontanée des codébiteurs solidaires a plus d'intérêt pour eux, à cause du danger d'abus du mandat mutuel.
Art. 57 et 58. Ces deux articles rappellent l'article 21 écrit pour la caution poursuivie par le créancier; mais il n'aurait pu suffire de s'y référer par un simple renvoi, à cause de la différence de qualité et de nom légal des parties.
Au contraire, on a pu se borner à un renvoi à des articles du Livre des Biens, parce que, au sujet de divers modes d'extinction des obligations, on a cru devoir signaler immédiatement plusieurs des particularités qu'y apporte la solidarité.
Les explications données de ces articles sont généralement applicables ici.
Art. 59. Le présent article repose sur le mandat mutuel que les codébiteurs tiennent de la convention, du testament ou de la loi qui a établi entre eux la solidarité et il prouve bien que c'est ce mandat qui est l'effet principal de la solidarité.
Ici, il y a autant de différences que de ressemblances avec les décisions des articles 26, 27 et 28 qui traitent de situations plus complexes. Le rapprochement que nous faisons de ces trois articles n'est que doctrinal, comme le précédent, et n'a pas à figurer dans la loi, précisément parce que les qualités des personnes ne sont pas les mêmes. Quand les tribunaux auront à appliquer les règles de la solidarité, ils ne recourront pas aux dispositions du cautionnement, parce qu'il n'y est pas fait de renvois. Au contraire, l'article 43 du cautionnement leur dit de se reporter aux articles 67 à
69 de la solidarité, pour théorie très importante ett rèdifficile qui est commune aux deux sûretés et qu'on verra bientôt.
Art. 60. Cet article demande une grande attention, sans quoi il pourrait paraître en opposition avec l'article 509 qui, statuant sur la remise de la solidarité par le créancier à l'un des codébiteurs, lui fait produire un effet favorable aux autres.
Mais le cas n'est pas le même ; dans la remise, le créancier abandonne son droit de poursuite pour le tout contre l'un des débiteurs : il ne peut plus lui demander que sa part dans la dette ; il est juste, dès lors, qu'il ne puisse plus poursuivre les autres pour cette même part : autrement, il aggraverait leur position.
Ici, la question est de savoir si telle personne est ou non codébitrice solidaire avec d'autres.
Ainsi, un des codébiteurs, lié avec d'autres par la solidarité ou prétendu tel, a contesté ce lien vis-à-vis du créancier et a triomphé, soit en obtenant un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, soit en prêtant un serment extrajudiaire qui le dégage du lien : les autres n'en devront pas souffrir, parce que leurs parts définitives dans la dette ne peuvent se trouver augmentées par la sortie d'un des débiteurs du lien de la solidarité, sans leur consentement.
Ils n'en profiteront pas non plus, en ce qu'ils ne pourront faire retrancher sa part dans la dette, car le créancier n'a pas moins droit à la totalité de la dette contre les autres ; le seul profit qu'ils trouveront dans cette situation nouvelle, c'est que, contre le débiteur soustrait aux droits du créancier il ne pourra pas être fait de poursuites ayant contre eux un effet interruptif de prescription ou de mise en demeure, comme il est dit à l'article suivant.
En sens inverse, si le créancier obtient contre un nouveau débiteur un jugement ou un aveu favorable à sa prétention, cela ne peut nuire aux autres et les constituer, sans leur volonté ni leur concours, mandataires de ce nouveau débiteur, avec les effets attachés à ce mandat par l'article précédent. Cela ne peut non plus leur profiter, en diminuant leurs parts respectives dans la dette ; de sorte que si ce nouveau codébiteur a payé toute la dette, sur la poursuite ultérieure du créancier, il recourra pour le tout contre eux réunis comme un gérant d'affaires qui aurait payé ; il jouira même de la subrogation légale, car il s'est trouvé “ tenu avec d'autres et pour d'autres ” (v. art. 482-1°)
Art. 61. L'effet contre tous les débiteurs de l'interruption de la prescription et de la mise en demeure dirigée contre un seul est encore une suit e du mandat mutuel des codébiteurs solidaires. La loi suppose que leurs relations sont continues et qu'ils se feront part immédiatement des poursuites dirigées contre l'un d'eux, de faço n à se défendre collectivement ou à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire le créancier. C'est au Livre des Preuves, Chapitre 3, qu'on verra les moyens accordés au créancier pour interrompre la prescription.
Fallait-il donner la même décision qu'au cas d'interruption, pour le cas où la prescription aurait été suspendue en faveur du créancier, c'est-à-dire n'aurait pu courir contre lui, dans ses rapports avec un des débiteurs, tandis qu'elle aurait couru dans ses rapports avec les autres ?
La loi se prononce pour la négative, et il nous faut justifier cette différence d'application entre deux théories souvent semblables dans leurs effets, comme on le verra, notamment, à l'article 89, an sujet de l'indivisibilité.
Prenons d'abord un exemple de suspension de prèscription.
Nous ne pouvons prendre celui de la minorité du créancier, parce que dans ce cas, le créancier ne pourrait se voir opposer la prescription par aucun des débiteurs : il faut une suspension relative et non pas absolue.
Mais supposons que le créancier soit le conjoint d'un de débiteurs : la prescription est suspendue entre époux (v. art. 134) (1).
Supposons encore que l'un des débiteurs jouisse d'un terme et non les autres : la prescription est suspendue jusqu'à l'échéance du terme, (v. art. 125).
Verra-t-on, dans ces deux cas, l'un des débiteurs privé du bénéfice de la prescription, pendant que les autres pourront l'invoquer pour leur libération ?
Personne, sans doute; ne soutiendra que, dans ces cas, la suspension, au lieu de rester relative, devient absolue, en sorte qu'aucun débiteur ne sera libéré par la prescription : le résultat serait inique et pourrait être contraire aux prévisions les plus sages des débiteurs ; car il pourrait arriver que le mariage d'une femme créancière avec l'un de ses débiteurs solidaires, ou que la concession tardive d'un terme par le créancier à l'un des débiteurs privât les autres de la prescription. C'est là ce qui serait injuste et ce pour quoi la suspension n'opère pas contre tous les débiteurs, comme le fait l'interruption.
Mais il reste encore deux solutions en présence.
Dans l'une, on dirait que si la prescription a pu courir en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs, elle profite à tous, même à celui contre lequel elle était suspendue par une cause personnelle ou relative : le créancier se trouverait ainsi privé d'un bénéfice que la loi ou la (1) La prescription n'est suspendue entre épaux ou en faveur du créancier mineur que pendent la dernier année de sa durée (v. art. 131 et 134); mais cela suffit pour dire qu'il y a suspention. convention somblait devoir lui assurer. On donnerait pour raison de ce résultat que la prescription opère l'extinction de la dette, comme un payement et par une présomption de payement; par conséquent, si un des débiteurs jouit de la prescription, la dette doit être éteinte et pour le tout.
Dans l'autre solution, et c'est celle de la loi, on admet bien aussi que la prescription est une présomption de payement ou de remise de dette, une sorte de preuve résultant de la longue inaction du créancier ; mais on dit qu'elle ne peut profiter qu'à ceux des débiteurs auxquels la loi ne l'a pas refusée, par suite de relations personnelles avec le créancier; lors donc qu'elle ne pourra être invoquée que par les uns et non par les autres, il y aura division dans la présomption, c'est-à-dire que chacun de ceux contre lesquels la prescription n'était pas suspendue sera présumé avoir payé sa part de la dette, de sorte qu'il ne pourra plus être poursuivi que pour la part de celui qui ne pouvait jouir de la prescription, et, réciproquement, celui-ci ne pourra plus être poursuivi que pour sa part, les autres étant présumés avoir payé la leur.
Cette solution est en accord avec celle donnée par l'article 58 pour les exceptions ou moyens de défense personnels à l'un des débiteurs.
On verra sous l'article 89, 2e alinéa, une solution différente pour le cas où l'obligation est indivisible et on la justifiera facilement.
Art. 62. Le mandat mutuel des codébiteurs solidaires ne concerne pas seulement l'exécution de l'obligation et la conservation du droit du créancier, comme il résulte des articles précédents : il concerne encore la garde et la conservation de la chose due; de là, une responsabilité solidaire de tous, pour la faute d'un seul. En effet, si la chose due (qu'il faut supposer être un corps certain) a péri ou a été détériorée par la faute d'un seul, on peut toujours dire qu'il y a eu aussi faute des autres à la lui avoir confiée ou à ne pas avoir surveillé l'usage qu'il en pouvait faire.
La responsabilité solidaire consistera dans l'obligation de chacun des débiteurs de payer tous les domtnades-intérêts encourus ou toute la clause pénale qui en est l'indemnité convenue à forfait.
Il allait de soi, mais il a paru bon de l'exprimer, que la faute doit retomber définitivement sur celui qui l'a commise et, pour cela, ceux qui ont satisfait le créancier ont recours contre leur cobébiteur en faute, et pour tout ce qu'ils ont payé au créancier, même pour la valeur intrinsèque de la chose; car, cette chose qui était commune entre eux, pour avoir été achetée ou autrement acquise à frais communs, aurait dù servir à les libérer, et ils ne doivent pas supporter la charge d'en fournir une seconde fois la valeur.
Si le créancier a poursuivi celui qui était en faute, celui-ci n'a, évidemment, aucun recours contre les autres, de sorte que la position de chacun se trouve être immédiatement ce qu'elle doit être définitivement.
Art. 63. Le présent article est l'application du principe sur lequel se fonde déjà le recours admis à l'article précédent. Le droit général au recours est une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les personnes engagées l'une pour l'autre (v. art. 398).
Quant à l'étendue du recours, il est nécessairement limité à la part de chacun, et ce n'est pas à la part virile mais à la part réelle : lorsque la loi divise un recours ou une action contre plusieurs, par portions virit les ou calculées d'après le nombre de têtes, c'est lorsque celui qui a l'action peut ne pas connaître les rapports particuliers des défendeurs entre eux ; mais ici ce n'est pas le cas : cette part est nécessairement connue.
Si le payement n'avait été que partiel, le recours se diviserait de la même manière.
L'action en recours reconnue par notre article en faveur de celui qui a payé lui appartient “ de son propre chef," par opposition à celle qui lui est acquise par la subrogation légale aux droits du créancier, conformément à l'artcle suivant.
Le 2e alinéa de notre article ne donne pas seulement le recours pour les sommes ou valeurs directement payées au créancier par le débiteur, mais encore pour les “ sacrifices nécessaires ” qu'il lui a fallu faire pour pouvoir effectuer le payement ; par exemple, vendre un immeuble ou des marchandises au-dessous de leur valeur véritable ; mais, par cela seul que le sacrifice doit avoir été nécessaire, il faut supposer que le débiteur n'a ainsi payé qu'après en avoir été au moins sommé et après avoir averti ses codébiteurs des difficultés particulières où il se trouvait de faire face au payement de la dette commune : alors ceux-ci sont en faute de ne l'y avoir pas aidé.
Les frais judiciaires ou extrajudiciaires sont de même remboursés dans la mesure où ils n'ont pu être évités.
Enfin, pour les intérêts légaux des déboursés, ils sont dus depuis le payement.
La loi fait pour ces trois objets du recours l'application, tout à la fois, des règles semblables de la société (v. art. 134 et 135) et du mandat (v. art. 245). En effet, entre les codébiteurs solidaires il y aura nécessairement le lien de la société ou celui du mandat; c'est là le fondement de cette représentation mutuelle à laquelle se rattachent les principales conséquences de la solidarité signalées précédemment : on ne peut guère admettre ici l'bypothèse d'une simple gestion d'affaires, comme pour le cautionnement (v. art. 30).
Art. 64. La subrogation légale au profit de celui qui a payé une dette dont il était “ tenu avec d'autres ou pour d'autres” est une théorie maintenant bien connue : on l'a déjà appliquée à la caution qui a payé la dette du débiteur principal (art. 36). Mais ici, à la différence de la caution qui recourrait contre chaque débiteur pour tout ce qu'elle aurait payé, étant subrogée à la solidarité elle-même, le codébiteur supporte une part de la dette et ne recourt contre les autres que pour la part de chacun (2e al.).
On ne trouve pas non plus ici de conflit possible avec un tiers détenteur, comme il est prévu et réglé à l'article 36 ; s'il y a eu aliénation d'un immeuble grevé d'hypothèque ou de privilège au profit du créancier, le tiers détenteur qui aura payé la dette de ses deniers, même en négligeant la purge, aura un recours pour le tout contre chacun des débiteurs solidaires, lors même que ceux-ci ne seraient pas vendeurs de l'immeuble.
Si l'on compare l'action que le codébiteur qui a payé obtient par la subrogation, on remarque qu'elle n'est pas aussi étendue dans son objet que celle qui lui appartient de son chef: notre texte ( 1er al.) exprime bien qu'elle ne s'applique qu'à “ ce qu'a reçu le créancier” et non à tous les déboursés du codébiteur ; elle ne comprendrait donc pas les indemnités, les intérêts légaux et les frais qui lui sont dus d'après l'article précédent.
Art. 65. La double faute prévue aux articles 32 et 33, de la part de la caution, n'est pas moins répréhensible de la part d'un codébiteur soldaire et elle peut causer un semblable préjudice ; elle comporte donc la même sanction contre lui, à savoir, la déchéance totale ou partielle du recours qu'il a tant de son chef que du chef du créancier, par la subrogation.
Art. 66. C'est ici encore une conséquence de la garantie mutuelle que se doivent les codébiteurs : il ne serait pas juste que l'insolvabilité de l'un d'eux retombât sur celui qui a fait l'avance du payement ; la part de l'insolvable doit donc se répartir entre ceux qui sont restés solvables.
Cette répartition ne s'applique pas seulement à l'insolvabilité antérieure au payement : elle s'étend même à celle qui est survenue postérieurement, jusqu'au recours. Et, pour écarter l'objection que le retard du codébiteur à présenter sa réclamation ne doit pas nuire aux autres, le texte ajoute qu'il ne doit pas y avoir “de négligence à imputer au réclamant;” le tribunal aura donc à tenir compte tant du plus ou moins d'intervalle laissé par le réclamant entre le payement effectué et son recours que des causes qui peuvent justifier le retard.
On verra à l'article 71 quelle est l'influence de la remise de la solidarité par le créancier sur cette répartition de la part d'un insolvable.
Art. 67. La loi continuant l'hypothèse de l'insolvabilité d'un des débiteurs, cette fois survenue avant le payement total ou partiel, règle la manière dont le créancier doit être traité, tant vis-à-vis de l'insolvable que vis-à-vis des autres.
Naturellement, le créancier qui n'a encore rien reçu peut se présenter aux opérations de liquidation, comme tout autre créancier ; la circonstance qu'il a d'autres débiteurs ne peut le priver du droit commun. Il a ce droit, lors même que sa créance n'est pas encore échue d'après la convention, car la faillite ou l'insolvabilité du débiteur le prive du bénéfice du terme (art. 405-1°).
Il va sans dire que les autres codébiteurs ne peuvent se faire comprendre dans la liquidation, en vue du payement qui peut retomber à leur charge ; ils ne le peuvent ni séparément, ni même ensemble et comme associés, car la créance ne peut ainsi figurer plusieurs fuis dans la liquidation, au préjudice des autres créanciers.
Comme le créancier ne touchera évidemment pas tout ce qui lui est dû, le reste sera supporté par les autres codébiteurs. Il arrivera presque toujours que ce qu'ils payeront ainsi excédera leur part, parce que le créancier aura touché dans la liquidation moins que la part de l'insolvable dans la dette : ils auront leur recours contre celui-ci, mais sans pouvoir concourir avec les autres créanciers dans la même liquidation, par le motif qui les a déjà empêches de concourir avec leur propre créancier ; ce recours ne pourrait pas même s'exercer utilement sur des biens du débiteur insolvable qui n'auraient pas été mis en distribution, parce qu'ils appartiennent toujours à la même liquidation et que le créancier a d'autant plus obtenu sur les autres biens ; pour que le recours fût efficace, il faudrait que le débiteur eût acquis de nouveaux biens qui fussent l'objet d'une autre liquidation.
Art. 68. Ici, la loi suppose qu'avant l'insolvabilité d'un des débiteurs, le créancier a déjà reçu un ou plusieurs payements partiels, soit de ce même débiteur, soit d'un autre ; il ne peut plus, dès lors, figuter dans la liquidation pour toute sa créance, mais seulement pour ce qui lui reste dû ; par contre, celui ou ceux des autres codébiteurs qui ont fait un ou plusieurs de ces payements partiels se feront comprendre dans la liquidation pour ce qu'ils ont payé sur la part de l'insolvable (v. art. 62).
Art. 69. La loi suppose enfin que tous les débiteurs solidaires, ou plusieurs d'entre eux, sont devenus insolvables avant le payement total, et que leurs biens se trouvent simultanément en liquidation.
D'après le 1er alinéa, le créancier se fait inscrire dans chaque liquidation pour la totalité de sa créance.
Il faut bien qu'il en soit ainsi au début : comment pourrait-il s'inscrire pour moins, puisque l'on suppose qu'il n'a encore rien reçu ? Dès lors, il lui sera attribué dans chaque faillite un dividende proportionnel au montant intégral de sa créance.
Mais cette attribution, il ne la recevra effectivement qu'une fois et de la faillite qui, la première, aura terminé ses opérations ; des autres faillites il ne touchera ce dividende que dans la proportion de ce qui lui reste encore dû (2e al.), après les précédents versements, de sorte que les sommes qu'il recevra iront toujours en décroissant : il pourra arriver très près d'un payement intégral, surtout si les faillites ne sont pas trop chargées de passif, mais il ne sera entièrement payé que si l'un des débiteurs est resté solvable.
Mais que fera-t-on de ces fractions de dividende détachées de l'assignation exagérée qu'il avait fallu faire provisoirement à la créance totale ? Le 3e alinéa nous le dit : elles servent à indemniser les diverses liquidations, dans la proportion de ce qu'elles ont payé sur le montant de la dette nominale.
De cette façon on satisfait à quatre conditions également impératives :
1° On respecte le principe que la même créance ne doit pas figurer plusieurs fois dans le passif d'une faillite ;
2° On ne donne aucun intérêt aux diverses faillites à retarder leurs opérations et leur clôture, puisque chacune sera indemnisée de cc qu'elle aura payé d'après une base plus onéreuse que les autres ;
3° On ne revient pas sur les opérations faites, par des circuits interminables de recours ;
4° Enfin la répartition finale applique ce principe considérable de la solidarité que les insolvabilités des codébiteurs se répartissent entre eux.
§ III. —DE LA CESSATION DE LA SOLIDARITÉ ENTRE DÉBITEURS.
Art. 70. La solidarité étant une modalité exceptionnelle de l'obligation, établie dans l'unique intérêt du créancier, il est naturel que celui-ci puisse y renoncer, lorsqu'il a la capacité de disposer de ses droits. Mais la renonciation à la solidarité ne diminue que ses garanties et non sa créance elle-même, “laquelle reste conjointe entre les débiteurs,” comme le texte l'exprime.
Le texte nous dit encore que les autres caractères de l'obligation subsistent ; ce qu'il faut entendre surtout de ses caractères relatifs à chacun des débiteurs. Ainsi l'un d'eux jouissait d'un terme et non les autres, l'un devait des intérêts et non les autres : ces différences respectives ne cessent pas avec la solidarité.
Au contraire, tout ce qui tenait au mandat mutuel, qui est le caractère distinctif de la solidarité, cesse avec la renonciation qu'y fait le créancier.
Art. 71. La loi suppose ici que la renonciation à la solidarité n'a été faite qu'en faveur d'un ou plusieurs des débiteurs solidaires; cette renonciation peut avoir été expresse ; elle peut aussi n'avoir été que tacite, comme il est dit à l'article 510. Dans ce cas, elle n'a pas seulement pour effet d'affranchir celui ou ceux auxquels elle a été faite de la poursuite pour la part des autres, mais elle affranchit de même ces derniers de la poursuite pour la part des premiers : autrement la condition de ceux auxquels la remise n'a pas été faite se trouverait aggravée par l'augmentation des chances de poursuite contre eux. On peut donc dire que s'il n'y avait que deux débiteurs solidaires et que la remise de la solidarité fut faite a 1 un d eux, il ne subsisterait rien de la solidarité.
Si celui auquel a été faite de la remise de la solidarité devient insolvable avant d'avoir payé sa part, la perte retombe nécessairement sur le créancier. Ces deux solutions résultent du 1er alinéa de notre article.
Le 2e alinéa suppose que parmi ceux qui n'ont pas été déchargés de la solidarité l'un devient insolvable. On sait que l'effet ordinaire de la solidarité est de faire répartir les insolvabilités entre ceux qui sont solvables (art. 66). Ici, l'application du principe est modifiée dans le même sens que plus haut.
D'abord il n'est pas possible que la diminution du nombre des débiteurs solidaires, laquelle est le fait du créancier, fasse augmenter la part de ceux qui restent tenus solidairement.
La question n'est que de savoir qui, du créancier ou du débiteur affranchi de la solidarité, supportera la part d'insolvabilité qui sans la remise, aurait été à la charge de ce dernier.
Le texte décide que c'est le créancier qui supportera dans l'insolvabilité la part de celui auquel il a fait la remise de la solidarité : il est naturel de donner à cette remise tous les effets qu'elle comporte, en faveur du bénéficiaire, d'après l'intention probable qu'a dû avoir le créancier au moment où il a fait la remise, mais qu'il peut prétendre réduire après coup, lorsque l'événement lui donne lieu de la regretter ; d'ailleurs, le créancier n'a pas toujours, en cela, fait une libéralité ; il a peut-être reçu quelque avantage en compensation du sacrifice de la solidarité.
Art. 72. La présente disposition se trouve en substance dans l'article 512 ; mais comme cet article pose un principe commun au cautionnement et à la solidarité et que l'application n'en est pas exactement la même pour les deux sûretés, il a dû renvoyer à l'article 45 et au nôtre.
Lorsqu'il s'agit de la caution, comme elle a droit à un remboursement intégral de ce qu'elle a payé, elle peut demander sa décharge entière contre le créancier qui a rendu impossible sa subrogation aux sûretés qui garantissaient la créance ; mais, un débiteur solidaire n'ayant droit contre chacun de ses codébiteurs qu'au remboursement de la part de celui-ci, la décharge exigée du créancier ne peut s'appliquer qu'à la part de celui des codébiteurs auquel le créancier a fait remise des sûretés particulières qu'il avait reçues de lui.
§ IV DE L'OBLIGATION INTÉGRALE.
Art. 73. Il existe des cas où plusieurs débiteurs sont tenus de la même dette, chacun pour le tout, soit parce que la loi l'exprime, soit parce que la nature de l'obligation l'exige, et où, cependant, il faut se garder de voir une obligation solidaire, avec le mandat tacite qui la caractérise.
T! y a deux articles de ce Code, cités au texte, où une obligation de plusieurs débiteurs est déclarée par la loi “intégrale” ou “ pour le tout” à l'égard de chacun d'eux ; quoique la loi n'ajoute pas “ sans solidarité,” dans l'article 878, comme elle le fait dans l'article 497, 2e alinéa, il n'en faut pas moins décider que l'obligation n'y est pas solidaire, bien qu'elle en ait le caractère principal. Ces cas pourront n'être pas les seuls, il pourra s'en présenter dans d'autres lois.
Le texte de notre 1er alinéa exprime que l'obligation ne deviendra pas solidaire par le fait que tous les codébiteurs ou quelques uns d'eux, poursuivis par le créancier, auront été condamnés à payer toute la dette : ces mots sont ajoutés écarter une opinion d'après laquelle la solidarité, d'abord imparfaite, deviendrait parfaite quand la condamnation aurait été prononcée contre tons ; nous l'écartons sans hésiter, parce que les jugements sanctionnent des droits préexistants, mais n'en créent pas de nouveau x.
Pour accentuer la différence entre les deux sortes d'obligations, la loi a soin de nous dire que dans l'obligation intégrale, non solidaire, il n'y a pas mandat réciproque et que tous les effets de ce mandat qui sont le propre de la solidarité sont précisément ceux qui manquent ici.
Ainsi, les poursuites du créancier contre un des débiteurs n'interrompent pas la prescription et ne font pas courir les intérêts contre les autres; la responsabilité des fautes de l'un d'eux n'atteint pas les autres; les moyens de défense personnels à l'un des débiteurs ne peuvent être invoqués par les autres, même pour la part du premier ; les codébiteur actionné ne peut demander un délai pour mettre les autres en cause; les jugements rendus pour et contre un des codébiteurs sont sans effet pour et contre les autres.
En vue des cas où il y aura lieu de déterminer les effets que l'obligation intégrale empruntera et ceux qu'elle n'empruntera pas à l'obligation solidaire; mais la loi pose une règle qui aidera les magistrats dans l'application : ils écarteront les effets qui reposent sur l'idée de mandat mutuel.
La même règle a guidé le législateur lorsqu'il a en à se prononcer entre l'obligation solidaire et l'obligation intégrale.
Ainsi, entre les coauteurs d'un dommage injuste, ayant le caractère de simple délit civil ou de quasi-délit, et hors le cas de co-contractants, coauteurs d'une faute dans l'exécution de leur contrat, le législateur distingue s'il y a eu entre eux un véritable concert pour nuire à autrui ou seulment une faute conjointe, pour établir la solidarité au premier cas et se borner à une simple responsabilité intégrale au second cas, et encore sous la condition “ qu'on ne puisse déterminer la part do chacun dans le dommage causé ; ” et c'est ce qu il fait dans l'article 378 du Livre des Biens, tandis qu'il édicte toujours la solidarité pour les coauteurs d'une infraction punie par la loi pénale.
De même, lorsqu'il s'agit d'adpromission (art. 497, 2e al.), le législateur est obligé d'admettre l'obligation intégrale des deux débiteurs, car il n'y a pas eæpromission opérant novation, et, il serait impossible que l'obligation antérieure du promettant fut réduite à moitié et que celle du second promettant ne fût que de moitié, puisqu'il a promis toute la dette ; mais il n'y a pas dans le seul fait de l'adpromission un mandat mutuel qui puisse constituer la solidarité.
SECTION II.
DE LA SOLIDARITÉ ENTRE CRÉANCIERS.
§ Ier--DE LA NATURE ET DES CAUSES DE LA SOLIDARITÉ ENTRE CRÉANCIERS.
Art. 74. La solidarité entre créanciers est beaucoup moins utile à ceux-ci que celle entre débiteurs, aussi est-elle beaucoup plus rare. Comme la précédente, elle repose sur une idée de mandat mutuel dont le but est également de conserver la créance; mais ici le mandat émane des créanciers respectivement et non plus des débiteurs; il est d'ailleurs à peu près irrévocable comme faisant partie intégrante de la convention principale (sauf ce qui est dit plus loin de l'effet de la renonciation), et, sous ce rapport, il n'est pas sans dangers.
Quoique cette modalité de la créance de doive pas vraisemblablement être plus fréquente au Japon qu'ailleurs, il est nécessaire de lui faire sa place parmi les sûretés, pour le cas où les parties l'auraient établie sans en avoir réglé elles-mêmes les effets. D'ailleurs cette solidarité pourra être assez fréquente en matière de commerce : par exemple, lorsqu'une lettre de change ou un billet à ordre seront souscrits au profit de plusieurs personnes.
Il pourrait y avoir, cumulativement, solidarité active et solidarité passive; mais comme ce cumul ne changerait pas les principes de chacune, on se bornera à donner ici l'application de la solidarité active seulement, en présence d'un débiteur unique.
Notre premier article nous dit que la solidarité active, peut résulter soit d'une convention, soit d'un testament ; cela implique que la solidarité active ne peut avoir, comme la solidarité passive une troisième cause : la loi. il est vrai que l'on ne trouve pas de solidarité active légale dans ce Code, mais une antre loi pourrait toujours l'établir.
Il n'est pas dit ici que cette solidarité doive être expresse; mais les tribunaux ne devraient au moins la reconnaître que lorsqu'elle résulterait clairement de l'acte.
Art. 75, La disposition de cet article est tout-à-fait analogue à celle de l'article 53 ; mais elle n'aurait pu être suppléée par un simple renvoi audit article, parce que le mot “ créanciers ” doit être remplacé ici par celui de “ débiteurs ” et réciproquement. Il a donc fallu exprimer à nouveau : la nécessité d'identité d objet et de cause de la créance pour chaque créancier, la possibilité qu'il y ait diversité d'actes, de temps, de Heure, de modalités, et de charges.
§ II. — DES EFFETS DE LA SOLIDARITÉ ENTRE CRÉANCIERS.
Art. 76. Cet article indique, dans son 1er alinéa, l'effet principal de la solidarité active : à savoir le droit pour chaque créancier de réclamer l'exécution intégrale de l'obligation, comme s'il était seul créancier.” Sans doute, dans ses rapports avec ses co-créanciers, il n'a droit, en général, qu'à une part de l'émolument de la créance, parce qu'il n'est que mandataire des autres pour la part de ceux-ci : mais, vis-à-vis du débiteur, il est titulaire de l'intégralité du droit.
Toutefois, ce principe doit lui-même être tempéré par un autre qui est que chaque créancier n'est mandataire des autres que pour conserver leur droit, non pour le compromettre : on verra les conséquences de ce tempérament à l'article 78.
La solidarité active, pas plus que la solidalité passive, ne donne à obligation le caractère d'indivisibilité : elle permet, il est vrai, de ne pas faire la division de la poursuite entre les créanciers primitifs, mais dès que l'un d'eux est décédé, laissant plusieurs successeurs, la division devient nécessaire.
Comme le jugement qui statuera sur la poursuite d'un des créanciers devra être, dans certains cas, opposable aux autres et pourra être invoqué par eux, il est naturel que ceux qui n'ont pas pris l'initiative des poursuites puissent intervenir dans la cause pour y défendre leurs intérêts, comme le peuvent faire de codébiteurs solidaires, dans le cas inverse, d'après l'article 56, 2e alinéa.
Il faut même admettre, quoique la loi ne l'exprime pas, que si le créancier demandeur avait intérêt à appeler un ou plusieurs de ses co-créanciers, pour réfuter certains moyens du défendeur, il le pourrait : par exemple, pour une vérification de signature sur une quittance ou autre acte libératoire.
Art. 77. Du moment que le débiteur peut être requis par chaque créancier de payer toute la dette, il est naturel et juste qu'il puisse, sans attendre les poursuites, payer spontanément la dette entière à celui des créanciers qu'il veut choisir.
La loi n'y met qu'une restriction, c'est qu'il ne peut plus prendre cette initiative une fois qu'il a été prévenu par une poursuite ou seulement “ par une réclamation en forme ” de la part d'un autre créancier.
La loi par ces mots “ réclamation en forme,” montre qu'elle n'exige pas des poursuites judiciaires: d'abord, si l'obligation avait été contractée devant notaire et en forme exécutoire, il n'y aurait évidemment pas lieu à demande en justice, une sommation serait le seul préliminaire de l'exécution forcée ; mais il n'est même pas nécessaire de recourir à un acte si rigoureux : une sommation doit suffire ; ce qui ne suffirait pas à empêcher le payement spontané serait une simple lettre missive et, à plus forte raison, une demande verbale.
La loi déduit les conséquences logiques de cette restriction au droit du débiteur: 1° s'il y a eu une réclamation en forme, le débiteur ne peut plus payer qu'au réclamant ; 2° s'il y a plusieurs réclamations simultanées, le payement ne peut être fait qu'à tous les réclamants réunis. En effet, il n'appartient pas au débiteur de juger quels sont les droits respectifs de chacun des créanciers : du moment qu'ils font valoir leur droit et qu'il ne le conteste pas, en ce qui le concerne, il doit les satisfaire dans les conditions, individuelles ou collectives, dans lesquelles ils se présentent.
Art. 78, 79 et 80. La loi revient au cas de poursuites, et ici elles sont supposées faites en justice, à proprement parler.
Au lieu de présenter d'abord les diverses exceptions que le débiteur peut opposer au poursuivant, comme il a été fait au sujet de la caution (art. 25) et du débiteur solidaire (art. 57 et 58), pour régler ensuite l'effet du jugement intervenu sur ces exceptions (art. 26, 59 et 60), la loi réunit dans une seule disposition l'exception et le jugement, parce que cette simplification de forme est possible ici, sans nuire à la clarté. Il n'y a de division qu'au sujet des exceptions ou moyens de défense.
L'article 78 suppose que le débiteur a opposé au créancier poursuivant une exception tirée du défaut de formation même de l'obligation : c'est le cas où les conditions générales prescrites par l'article 325 n'auraient pas été remplies.
Dans ce cas, le jugement, favorable ou défavorable au débiteur, est défavorable ou favorable aux autres créanciers ; pourtant ils sont supposés “ n'avoir pas été tous nominativement parties dans la cause,” mais ils y ont été représentés virtuellement par l'effet de leur qualité de mandataires réciproques : il est juste que si le débiteur est exposé aux poursuites d'un seul pour le tout, il ait aussi le droit de se défendre pour le tout contre un seul ; les créanciers pouvaient intervenir dans le procès jusqu'au jugement, ils auraient pu aussi intervenir en appel et même l'interjeter ; ils ne peuvent donc s'en prendre qu'à eux-mêmes des conséquences de leur négligence, s'ils avaient les moyens de faire rejeter l'exception.
L'article 79 suppose une exception tirée d'une cause d'extinction de la dette et sur cette exception un jugement favorable ou défavorable au débiteur.
Ici la solution varie avec le moyen d extinction invoqué.
Une première solution concerne le payement: comme le débiteur a le droit de payer toute la dette à l'un des créanciers, tant qu'il n'a pas été poursuivi par l'un des autres, il a naturellement le droit de bénéficier pour le tout du jugement rendu sur la réalité et la validité de ce payement.
La loi donne la même solution pour le cas de compensation qui joue exactement le rôle d'un payement abrégé ; mais, à cause même de cette assimilation, elle a soin d'exiger, par un renvoi à l'article 77, que les causes de compensation, c'est-à-dire les faits qui ont rendu le débiteur créancier particulier d'un des créanciers solidaires, soient intervenues avant toute poursuite d'un des autres créanciers, et ceci est une condition ajoutée à l'article 521, 3e alinéa, du Livre des Biens, lequel se trouve ainsi limité dans son application.
Là s'arrêtent les modes d'extinction de obligation qui produisent effet pour le tout, contre chaque créancier.
Pour la novation, la remise conventionnelle et la confusion provenant du fait ou du chef d'un seul créancier, le jugement qui les déclare n'a d'effet contre les autres que pour la part du créancier du chef duquel le mode d'extinction s'est produit. A cet égard, la loi renvoie aux articles : 501 pour la novation, 515 pour la remise de la dette et 535 pour la confusion. La loi ajoute, comme pour la compensation, que lesdites causes d'extinction doivent s'être produites avant aucune poursuite d'autres créanciers.
Quant à la raison pour laquelle ces causes d'extinction n'opèrent que pour une part, au lieu d'opérer pour le tout, elle a été donnée sous les articles précités, c'est que les créanciers solidaires ont un mandat réciproque pour conserver la créance commune et non pour la compromettre ; s'il y a exception pour le payement, c'est qu'il est l'extinction normale de l'obligation et que les autres créanciers peuvent aisément, par des saisies-arrêts ou même par une intervention en temps utile, au moment du payement, sauvegarder leur part dans ledit
101 DES GARANTIES —PART. I. — CHAP. II. payement ; niais les trois modes d'extinction qui nous occupent pourraient survenir à un moment où les autres créanciers seraient dans l'impossibilité de s'en garantir. Quant à la compensation, elle n'est pas sans dangers ; mais sa nature de payement abrégé lui fait nécessairement suivre les règles du payement véritable.
La loi donne la même solution pour le cas où. les parties auraient fait une transaction au sujet de la preuve de ces mêmes faits.
Il faut remarquer que la transaction intervenue sur le payement et la compensation ne produirait également qu'un effet partiel, à la différence du jugement sur ces deux faits : le motif est que les autres créanciers ne trouvent pas les mêmes garanties de vérité dans l'œuvre des parties que dans l'examen et la décision du tribunal.
L'article 80 prévoit enfin une exception purement personnelle à l'un des créanciers, c'est-à-dire ne pouvant être opposée qu'à celui qui a poursuivi le débiteur ; tel serait le cas où il aurait usé de dol ou de violence contre le débiteur et celui où il existerait une incapacité relative de contracter entre lui et le débiteur. Dans ces cas, le débiteur se trouvera bien libéré vis-à-vis de ce créancier, mais il restera exposé aux poursuites des autres, pour le tout : ceux-ci, en effet, n'ont pas moins de droits individuels parce qu'un d'entre eux avait été indûment considéré comme leur associé dans la solidarité : ce n'est pas la créance, mais seulement le prétendu créancier qui est affecté par cette exception.
La loi donne la même solution pour le cas où le droit individuel d'un des créancière aurait été l'objet d'une transaction : c'est encore la solidarité d'un créancier qui aurait été exclue et non une partie de la dette.
Art. 81. L'interruption de la prescription et la mise en demeure du débiteur sont des actes éminemment conservatoires de la créance ; il est donc naturel que la diligence d'un des créanciers profite à tous. C'est la même théorie que pour la solidarité passive où la diligence du créancier unique contre l'un de ses debiteurs lui profite contre les autres (v. art. 61).
Les deux solidarités se ressemblent également en ce qui concerne la suspension de la prescription ; ici c'est dans le sens de l'effet négatif : la suspension existant en faveur d'un des créanciers ne profite pas aux autres, de sorte que le débiteur pourra invoquer la prescription contre ceux au profit desquels elle n'est pas suspendue.
Si nous supposons comme pour la solidarité passive, que l'un des créanciers est le conjoint du débiteur ou que le droit de l'un des créanciers est à terme ou sous condition, quand celui des autres est pur et simple, dans ces cas, le créancier contre lequel la prescription n'a pu courir a bien conservé son droit, mais seulement pour sa part et sans profit pour les autres créanciers qui lieront présumés avoir reçu leur part dans la créance ou en avoir fait remise.
Art. 82. Chaque créancier solidaire, dans ses rapports avec le débiteur, a bien le droit intégral à la créance, mais dans ses rapports avec ses co-créanciers il n'a ordinairement qu'une part de la créance, de là, la nécéssité d'un partage ultérieur do l'émolument.
Sans doute, il pourrait arriver que l'un des créanciers solidaires, bien qu'ayant un droit de poursuite personnel, ne fût qu'un mandataire des autres, pour le tout, sans avoir d'intérêt propre dans la créance, de même qu'un co-débiteur solidaire peut n'être qu'une caution des autres : mais ce cas est tellement rare entre co-créanciers solidaires qu'il ne faut pas s'y arrêter.
Il v a donc un recours de ceux qui n'ont rien reçu contre celui qui a obtenu le payement ou s'est trouvé en recevoir l'équivalent par une compensation libéra106 DES GARANTIES. — PART. I. — CHAP. II. toire de sa propre dette. Ce recours se règle dans la mesure des droits respectifs des créanciers et d après la. nature de “ leurs rapports particulier ” (Comp. art. 398, 2e al.).
§ 111. — DE LA CESSATION DE LA SOLIDARITÉ
ENTRE CRÉANCIERS.
Art. 83. Ici, comme dans le § 3 de la solidarité passive, la loi ne règle que les causes qui mettent fin à la solidarité, indépendamment de celles qui mettent fin à la créance elle-même, et même, à la différence de la solidarité passive qui cesse par deux causes : la renonciation du créancier et sa déchéance (art. 70 et 71), il n'y a ici que la renonciation. Le débiteur, en effet, n'aurait jamais d'intérêt à faire déclarer un ou plusieurs des créanciers déclins de leur droit ; il pourrait même avoir un intérêt inverse (v. art. 85) ; et pour que les créanciers pussent eux-mêmes faire déchoir l'un les leurs de la solidarité, il faudrait supposer entre eux des obligations particulières dont il n'y a pas à s'occuper ici ; par exemple, des obligations de société ou de mandat qui n'auraient pas été fidèlement remplies.
La loi veut que la renonciation soit expresse ; c'est une différence avec la renonciation à la solidarité passive, laquelle peut être tacite (v. Liv. des Biens art. 5 et 10 et 71 ci-dessus).
Art. 84. Si tous les créanciers renoncent à la solidarité, ils redeviennent créanciers simplement conjoints ; tel est le sens du renvoi de notre article à l'article 70.
Si un ou plusieurs renoncent, celui ou ceux qui n'ont pas renoncé restent créanciers solidaires ou pour le tout, mais sous la déduction de la part de celui ou de ceux qui ont renoncé.
Cotte renonciation a de l'analogie avec la renonciation au mandat : si ce mandat mutuel ne peut être révoqué directement par ceux qui l'ont donné, il peut être abandonné par ceux qui l'ont reçu ; et même, par cette renonciation, ils arriveront indirectement à une révocation, puisque, pendant que les renonçants ne peuvent réclamer la part des autres, ceux-ci, à leur tour, ne peuvent réclamer la part des renonçants.
Art. 85. L'article précédent règle principalement les rapports des créanciers solidaires entre eux après la renonciation. Pour qu'il soit applicable aussi à leurs rapports avec le débiteur, il faut que celui-ci soit dûment informé de la renonciation ou qu'il soit prouvé qu'il en a eu une connaissance certaine.
La renonciation, du reste, peut avoir lieu sans le consentement du débiteur, et s'il avait un intérêt légitime à la contester, il le pourrait, mais à la condition qu'elle eût été faite “ en fraude de ses droits.” Ses droits pourraient avoir été fraudés, si, par exemple, il avait eu une cause de compensation à opposer au renonçant et se trouvait ainsi privé du moyen de la faire valoir. Mais, pour que cette renonciation lui nuisît, il faudrait supposer qu'il y eût seulement lieu à une compensation facultative ou judiciaire, laquelle n'opère pas de plein droit l'extinction de la dette (v. Liv. des Biens, art. 531 et 532) : autrement, et s'il y avait eu compensation légale, le bénéfice qui en aurait été une fois acquis au débiteur ne pourrait plus lui en être enlevé par la renonciation du créancier (v. art. 520).
CHAPITRE III.
DE L'INDIVISIBILITÉ VOLONTAIRE.
Art. 86. Ce n'est pas sans hésiter qu'on a, dans ce Code, fait deux parts de l'indivisibilité. Il le fallait cependant, pour conserver une méthode exacte.
L'indivisibilité est une modalité des obligations; comme telle, elle a dû avoir sa place au Livre des Biens Chapitre u, parmi les Effets des Obligations.
Quelquefois, le plus souvent peut-être, elle résulte de la nature de la chose duc ; d'autres fois, elle résulte de la volonté de l'homme. Dans le premier cas, celui où l'indivisibilité est dite ” naturelle,” elle est certainement un avantage pour le créancier, s'il y a plusieurs débiteurs, ou pour chaque créancier, s'ils sont eux-mêmes plusieurs, mais il ne serait pas d'une doctrine exacte de dire, dans ce cas, qu'elle est une sureté de la créance. Au contraire, dans le second cas, celui où elle est dite “ volontaire," elle est vraiment une sûreté, et c'est pourquoi elle prend place dans ce Livre des Garanties, à la suite de la solidarité, avec laquelle elle a une grande analogie et dont elle diffère guère que par une extension, de la sûreté.
Pour que ceux qui auront à étudier la loi et à l'appliquer ne perdent pas de vue ces deux parts faites à l'indivisibilité, notre premier article renvoie aux articles 441 et 442 du Livre des Biens, comme aussi l'article 443 a renvoyé au présent Livre.
Remarquons qu'au Livre des Biens, on n'a pas seulement rencontré l'indivisibilité naturelle, mais encore une indivisibilité “ résultant du but que les contractants se sont proposé” (v art. 441), ce qui est déjà une indivisibilité volontaire tacite, et une autre “ résultant de l'assignation de la dette, par le titre constitutif, à la charge d'un seul des débiteurs” ce qui est une indivisibilité volontaire expresse.
Il est traditionnel, dans les lois et la doctrine, de rapprocher ces deux indivisibilités volontaires de celle qui résulte de la nature de la chose due, et comme aucune législation, à notre connaissance, n'a réglé le cas d'une stipulation expresse de l'indivisibilité, comme sûreté ou garantie de la créance, c'est à cette stipulation surtout, en y ajoutant la disposition testamentaire, que l'on a consacré un Chapitre au présent Livre.
Le texte nous dit que cette nouvelle indivisibilité peut être passive ou active, comme la solidarité, et être conjointe on non à l'une ou à l'autre solidarité : elle y sera même conjointe, de droit, par interprétation de l'intention des parties, si le contraire n'est exprimé, comme il est dit à l'article 88.
Art. 87. Le présent article a pour but de prévenir une présomption exagérée de l'intention des parties : l'établissement exprès de l'indivisibilité active ou passive peut impliquer l'admission tacite de la solidarité de même nature (v. art. suiv ); mais de ce que l'on a établi l'indivisibilité passive, par exemple, il ne s'en suit pas qu'on ait entendu établir, tacitement aussi, l'indivisibilité active. laquelle est toute différente dans ses effets; réciproquement, l'indivisibilité active n'implique pas l'indivisibilité passive ; chaque indivisibilité doit donc toujours être établie expressément.
Art. 88. Cet article présente une innovation déjà, annoncée ; il établit que l'indivisibilité s'ajoute plutôt à la solidarité qu'elle ne s'y substitue.
La loi ne fait qu'interpréter naturellement l'intention des parties contractantes ou du testateur, lorsqu'elle suppose qu'en établissant la modalité la plus grave contre les débiteurs ou la plus favorable aux créanciers, elles ont voulu, à plus forte raison, établir celle dont les effets sont moins étendus, avec ses particularités comme sûreté. Il y a là une exception annoncée à l'article 52, lequel exige que, dans tout autre cas, la solidarité soit établie expressément.
Cette présomption est d'ailleurs de celles qu'on appelle “ simples” et elle comporte la preuve contraire, comme le texte l'exprime ; mais il sera bien rare et peu naturel qu'on exclue la solidarité en établissant l'indivisibilité.
Puisque l'indivisibilité entraîne la solidarité, on trouve d'abord que les effets de celles-ci se produisent à la charge des débiteurs ou en faveur des créanciers, mais seulement si cette sûreté n'a pas été elle-même expressément exclue, et il est vraisemblable qu'elle ne l'aura pas été. Il n'y a pas à revenir sur ces effets : ils sont exposés au Chapitre précédent.
Ce qui caractérise surtout l'indivisibilité, comme effet propre et ayant naturellement porté les parties à l'établir, c'est que l'obligation ne se divise pas entre les successeurs, soit des débiteurs, soit des créanciers originaires.
Ainsi, tandis que l'obligation simplement solidaire n'est intégrale qu'à l'égard des débiteurs ou créanciers originaires, mais se divise entre leurs successeurs (art.), l'exécution de l'obligation indivisible sera poursuivie intégralement contre ou par chaque successeur. Mais entre ces successeurs eux-mêmes, il n'y aura pas, comme entre leurs auteurs, solidarité passive ou active.
Art. 89. Il y a encore ici un effet de l'indivisibilité plus considérable que celui de la solidarité : non-seulement l'interruption de la prescription faite par le créancier contre un des débiteurs solidaires a un effet contre tous et pour toute la dette, mais la suspension de prescription existant en faveur d'un seul créancier profite aux antres pour le tout.
Il n'en peut être autrement : d'une part, le créancier qui a fait un acte interruptif de prescription ne peut pas n'en obtenir aucun avantage, il doit avoir conservé son droit; d'autre part, le droit est indivisible, il ne peut se perdre pour partie, il doit donc être conservé en entier. Si on autorisait à invoquer la prescription ceux qui n'ont pas été atteints par l'acte interruptif, ils ne pourraient invoquer la prescription que pour le tout et la diligence du créancier lui deviendrait inutile, ce qui est inadmissible.
C'est la même raison qui explique que la suspension de prescription établie par la loi en faveur d'un des créanciers ou d'un de ses successeurs profite à tons les créanciers on à leurs successeurs et est opposable à tons les débiteurs ou à leurs successeurs lors même qu'elle est fondée sur une qualité relative à l'un de ceux-ci. Il serait impossible, en effet, que ce créancier ne conservât, qu'un droit partiel quand l'obligation est indivisible, et de même, il serait impossible que le débiteur opposât la prescription aux autres créanciers à l'égard desquels la prescription n'est pas suspendue, car il opposerait nécessairement une prescription intégrale, ce qui priverait du bénéfice de la suspension celui en faveur duquel la loi l'établit.
Art. 90. On a vu à l'article 88 que l'indivisibilité entraîne la solidarité, si elle n'a pas été exclue ; cela tient, avons-nous dit, à ce que l'indivisibilité est plus considérable dans ses effets que la solidarité et que “le plus contient le moins.”
On en devait nécessairement conclure que si le créancier renonce au droit le moins étendu, il renonce, à plus forte raison, à celui qui l'est davantage ; du moment, en effet, qu'il renonce à un droit déjà exorbitant, comme est la solidarité, comment pourrait-on admettre qu'il a entendu en conserver un plus exorbitant encore? Sans compter qu'une indivisibilité sans solidarité serait une modalité si singulière, si boiteuse en quelque sorte, qu'on ne peut déjà guère admettre comme vraisemblable la clause exclusive de la solidarité, au moment de la convention, quoiqu'elle soit prévue plus haut.
La réciproque n'est pas vraie : le créancier qui renonce à l'indivisibilité, en abandonnant le droit le plus considérable, peut fort bien avoir entendu garder le moindre, la solidarité : c'est ce que décide la fin de l'article.
Art. 91. La loi ne pouvait reproduire ici toutes celles des dispositions relatives à. l'indivisibilité naturelle qui s'appliquent aussi, plus ou moins complètement, à l'indivisibilité volontaire : c'eût été s'engager dans des répétitions et surcharger le texte de détails fastidieux dans une matière d'une application partique assez rare; on se borne donc à renvoyer aux articles du Livre des Biens auxquels il y a des emprunts à faire.
Les articles 444 à 449 sont relatifs aux rapports créés par l'indivisibilité naturelle entre les créanciers ou les débiteurs; l'article 501 est relatif à la novation ; les articles 506, 509, 513, 515, à la remise conventionnelle, l'article 521 à la compensation, les articles 536 et 537 à la confusion.
Le texte n'y fait pas ces renvois pour une application pure et simple desdits articles à l'indivisibilité volontaire, mais pour une application autant qu'il y a lieu; c'est donc en ayant soin d'exclure les effets tenant uniquement à la nature indivisible de la chose due qu'on pourra appliquer les dispositions de ces articles à l'indivisibilité volontaire,
Le dernier alinéa de notre article applique à l'indivisibilité volontaire une disposition déjà établie au sujet du cautionnement et de la solidarité passive : il est naturel et juste, ici comme dans les deux premiers cas de sûretés personnelles, que le créancier qui a compromis les effets de la subrogation légale à laquelle le débiteur était appelé en supporte, comme conséquence, la déchéance de son droit.
FIN DE LA 1re PARTIE DU LIVRE DES GARANTIES.
DEUXIÈME PARTIE.
DES SÛRETÉS RÉELLES.
On a déjà expliqué que les sûretés ou garanties réelles consistent dans l'affectation spéciale d'une chose à l'acquittement d'une obligation.
Les sûretés réelles ont un double avantage pour le créancier : elles le mettent à l'abri des deux dangers auxquels l'expose le droit commun :
1° L'aliénation que le débiteur peut faire de ses biens, pourvu que ce soit sans fraude ;
2° La multiplication de ses obligations, laquelle amène le concours de tous les créanciers sur le “ gage commun ” et peut ainsi les mettre en perte.
Lors donc qu'un créancier a une sûreté réelle, son droit fait obstacle à l'aliénation du bien qui est affecté à sa garantie, ou au moins, cette aliénation ne lui est pas opposable (sauf de rares exceptions qui seront indiquées en leur lieu) : on dit alors que le créancier a un “droit de suite” contre le tiers détenteur; en outre, lorsque le bien affecté spécialement à l'acquittement d'une obligation sera réalisé en argent (généralement par une vente aux enchères), le créancier de cette obligation sera payé “ par préférence ” aux autres.
On pourrait, au premier abord, s'étonner que le droit commun puisse être ainsi changé an profit d'un ou plusieurs créanciers à l'encontre des autres ; mais il ne faut pas perdre de vue que les matières civiles sont d'ordre privé et non d'ordre public, et que les parties y peuvent stipuler et promettre, à leur gré, pour le mieux de leurs intérêts; ce qui serait inadmissible, ce serait que le débiteur pût changer après coup la condition respective de ses créanciers, une fois qu'elle aurait été spécialement établie par lui ou par la loi ; en d'autres termes, une fois qu'il y aurait droit acquis.
Mais le droit commun ayant ses dangers indiqués déjà, un créancier nouveau peut bien mettre à l'avantage qu'il confère ou promet au débiteur la condition d'une sûreté spéciale, et les autres créanciers n'ont pas de raison légitime de s'en plaindre : 1° parce qu'ils ont pu eux-mêmes mettre à leur convention de semblables conditions qui leur auraient donné la priorité, 2° parce que les avantages fournis par celui qui leur est préférable sont entrés dans la masse commune des biens du débiteur et profitent ainsi à tous les autres créanciers.
Lorsque la sûreté ne vient pas de la convention mais de la loi, elle se justifie encore mieux, car c'est toujours par un principe de justice que la loi donne une sûreté spéciale à certains créanciers.
Si l'on suppose qu'une créance a été établie sans sûreté spéciale, à l'origine, il est un peu moins facile de justifier qu'une sûreté y soit attachée après coup ; aussi n'est-ce déjà plus la loi qui le fera ; mais celle-ci pourra du moins accorder sa sanction à une sûreté qui est encore valable, en principe, comme étant l'effet de la libre disposition qu'un débiteur peut faire de ses biens ; ce n'est que s'il y a fraude à l'égard des autres créanciers que la sûreté peut être révoquée (v. art. 340 et suiv.), ou bien si le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture, cas où la disposition et même l'administration de ses biens lui sont enlevées et sont transférées à un syndic représentant la masse de ses créanciers.
Les sûretés réelles ont été énumérées par l'article 2 du présent Livre. On dira d'abord ici quelques mots du principe essentiel de chacune, des choses auxquelles elles peuvent s'appliquer et de leur cause.
Les trois premières, la rétention, le gage mobilier et le nantissement immobilier, ont pour élément principal, pour condition fondamentable, la possession de la chose par le créancier ; la quatrième, le privilège, n'exige la possession du créancier que dans un petit nombre de cas ; la cinquième, l'hypothèque, ne l'exige jamais.
Au sujet des choses qui peuvent être l'objet de ces sûretés, ee sont tantôt tous les biens indistinctement, meubles et immeubles, tantôt les uns et non les autres : le droit de rétention, le nantissement conventionnel et le privilège s'appliquent aux deux sortes de biens, l'hypothèque aux immeubles seulement.
Enfin, si l'on cherche quelles sont les sources on causes de ces diverses sûretés, on trouve la loi et la disposition de l'homme.
Viennent de la loi : le droit de rétention, les privilèges et quelques hypothèques ; viennent de la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la convention ou du testament : le gage mobilier, le nantissement immobilier et le plus grand nombre des hypothèques.
Quand on reprendra chacune des sûretés qui ont la loi pour cause ou source directe, on aura à rechercher encore une cause première de cette faveur de la loi, car la loi n'accorde pas de tels avantages arbitrairement ; on trouvera alors des principes de justice particuliers aux divers cas : ce sera tantôt le service rendu à la masse des créanciers, lequel s'oppose à ce qu'elle s'enrichisse au détriment de celui qui a rendu le service, tantôt la protection due à certaines personnes qui ne pourraient pourvoir suffisamment elles-mêmes à la conservation de leurs intérêts.
CHAPITRE PREMIER.
DU DROIT DE RÉTENTION.
Art. 92. Le droit de rétention est une sûreté légale, plus exceptionnelle peut-être que toutes les autres, malgré ses applications variées ; c'est pourquoi la loi l'a mentionnée dans diverses matières, chaque fois que ses conditions se sont présentées.
Le droit de rétention, étant fondé sur le nantissement, a beaucoup d'analogie avec le gage mobilier et avec le nantissement immobilier, selon qu'il s'applique à un meuble ou à un immeuble ; mais ses avantages pour le créancier sont moins considérables, ce qui explique que la loi commence par lui la série des sûretés réelles; ensuite, il n'a pas la même généralité d'application : n'étant pas constitué par la volonté des parties, mais par la loi, il est naturellement subordonné à des conditions particulières qui le rendent plus ou moins rare.
Ces conditions sont au nombre de deux ; il faut : 1° que le créancier possède déjà “ en vertu d'une cause légitime ” la chose qu'il prétend retenir, 2° que la créance dont la rétention doit être la garantie soit née “ à l'occasion ” de cette même chose, soit “ connexe à cette possession.”
La première condition a pour but d'empêcher que le créancier ne prenne ou ne conserve par ruse la possession d'une chose de son débiteur pour y trouver une garantie illégitime. Comme causes légitimes de cette possession, nous trouvons naturellement les conventions, les quasi-contrats et le testament.
La seconde condition est justifiée par l'énoncé des créances qui ont pu naître ainsi, comme dit le texte, “à l'occasion” d'une chose appartenant au débiteur et d'une façon “ connexe à la possession ” qu'en avait le créancier.
Ce sont d'abord les charges conventionnelles à lui imposées pour la cession qui lui a été faite de la chose : si la vente n'était pas déjà l'objet d'une disposition spéciale à ce sujet (art. 47 du Livre précédent), elle serait le cas le plus simple de eette application du droit de rétention à la garantie du prix ; mais on n'a qu'à supposer ici une transaction, une donation, un contrat innommé, avec charges.
Ce sont ensuite les créances nées d'un enrichissement indu du débiteur et résultant d'avances faites par le créancier pour acquérir ou conserver une chose au profit du débiteur : outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on peut ajouter le louage, la société et aussi les cas de résolution d'un acte translatif de propriété, lorsque celui qui doit rendre la chose a fait des dépenses pour la conserver.
Enfin, ne sont des créances résultant d'un dommage causé au créancier par la chose du débiteur, lorsque la responsabilité en doit retomber sur celui-ci d'après le droit commun : outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on pourrait encore citer les cas où une chose donnée à bail, ou apportée en société pour la jouissance seulement, avait des vices que le propriétaire connaissait et n'a pas révélés, et lorsque ces vices ont été dommageables au preneur ou aux associés.
Bien que le quasi-contrat de gestion d'affaires rentre dans les “ causes légitimes ” par lesquelles la possession à retenir a dû commencer, il fallait en faire une mention spéciale, comme ne donnant pas lieu à une aussi large application du droit de rétention : le gérant d'affaires n'a ce droit que pour se garantir de ses “ dépenses nécessaires et de conservation ” de la chose, niais non pour celles d'amélioration, et pas même pour la réparation des dommages que la chose lui aurait causés, parce qu'il n'a pas de créance à ce sujet, le propriétaire ne pouvant être responsable de pertes auxquelles l'aurait exposé le zèle, peut-être intempestif, du gérant d'affaires.
Remarquons, en terminant, que, dans aucun de ces cas, le droit de rétention n'est accordé à quicelui a fait des dépenses utiles ou d'amélioration pour la chose d'autrui : on en a cependant rencontré antérieurement une application aux dépenses utiles faites par le possesseur de bonne foi (Livre des Biens, art. 1197) et par l'acheteur à réméré, traité aussi favorablement (art. 88 du Livre précédent) ; niais il n'y a pas lieu d'étendre une pareille faveur à tous les autres cas, car il pourrait être dommageable au débiteur d'être privé de la possession de sa chose faute de pouvoir rembourser de suite des dépenses utiles faites sans sa volonté : il les devra assurément, mais sans cette garantie, et il obtiendra facilement du tribunal des délais pour le payement.
Art. 93. On trouve déjà ici une analogie frappante entre le droit de rétention et le gage proprement dit, c'est l'indivisibilité, laquelle a plusieurs applications :
1° Si le créancier n'a pas retenu tout ce qu'il pouvait retenir, son droit se concentre tout entier sur ce qu'il a effectivement retenu ; le débiteur y trouve plutôt avantage qu'il n'en souffre: peut-être même sera-ce lui qui aura prié le créancier de se contenter d'une rétention ainsi limitée ;
2° Si le créancier a reçu un payement partiel, il n'est pas tenu de restituer une partie de la chose ; de même, si un de ses successeurs a reçu sa part dans la créance (supposée divisible), il cesse assurément de retenir la chose, mais il doit laisser la possession entière aux autres successeurs non encore désintéressés ;
3° Si l'un des successeurs du débiteur a payé sa part dans la dette, il ne peut cependant pas retirer sa part de a chose, laquelle reste entière aux mains du créancier ou de ses successeurs ;
4° Enfin, si la chose retenue périt en partie, par cas fortuit ou par force majeure, ce qui en reste demeure la garantie de la dette entière.
Cette dernière application de l'indivisibilité du droit de rétention n'est pas indiquée au texte, comme allant de soi.
Art. 94. Après l'analogie vient la différence entre le droit de rétention et le gage. On verra bientôt que le gage donne au créancier gagiste, outre le droit de rétention, un droit de privilège ou de préférence sur la valeur de la chose engagée, lorsqu'elle sera vendue, à la requête, soit du créancier gagiste, soit des autres créanciers ; c'est ce droit de préférence qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur et si la loi prend soin de s'en expliquer (1er al.), c'est pour prévenir une trop facile confusion de ce droit avec le gage.
Le créancier rétenteur n'ayant pas de privilège sur la valeur de la chose, on peut se demander à quoi lui sert le droit de rétention. La réponse est facile; la rétention opérera son effet par l'intérêt que le débiteur ou ses autres créanciers auront à dégager la chose retenue, en payant la dette qu'elle garantit ; comme cette chose vaudra, en général, plus que le montant de la créance, les intéressés ne la laisseront pas longtemps aux mains du rétenteur.
Le 2e alinéa nous ramène à une analogie avec le gage, en ce que la rétention confère au créancier un véritable privilège sur les fruits et produits de la chose, lesquels s'imputeront sur les intérêts et, subsidiairement, sur le capital. Cette disposition est une juste compen sation de ses peines et soins dans la gestion et la conservation de la chose.
Le présent article devant servir en même temps à régler le droit aux fruits du créancier nanti par convention d'un meuble ou d'un immeuble, il est bon qu'il soit explicite sur les diverses espèces de fruits.
Comme le droit de rétention peut s'appliquer à toute espèce de biens, il y aura souvent lieu, pour le créancier, à une perception ne fruits naturels de fonds de terre; des meubles il ne pourra obtenir de fruits naturels que s'il s'agit d'animaux ; mais, des deux sortes de biens il pourra, obtenir des fruits civils, par suite de location de la chose, ou par les intérêts, s'il s'agit d'un titre de créance retenu par un cédant.
La disposition du 3e alinéa est facile à justifier : ni le débiteur ni ses créanciers ne doivent souffrir de la négligence du rétenteur à percevoir les fruits.
Art. 95. Le présent article tranche une question qui aurait pu faire doute, au sujet du droit pour le débiteur d'aliéner sa chose et pour ses créanciers de la saisir et de la faire vendre : le débiteur peut aliéner, ses créanciers peuvent faire vendre la chose soumise au droit de rétention ; mais ce droit même subsistera intact : le créancier rétenteur conservera la possession jusqu'à parfait payement. Et il n'est pas sans intérêt pour le débiteur et ses autres créanciers de pouvoir aliéner la chose avant qu'elle soit affranchie de la rétention : il peut se présenter, en effet, malgré l'obstacle à l'entrée immédiate en possession, une circonstance favorable a la vente qui ne se rencontrerait pas plus tard.
En outre, si les autres créanciers n'ont pas fait une saisie-arrêt du prix, entre les mains de l'acheteur, celui-ci pourra payer son prix au créancier rétenteur, ce qui dégagera la possession et équivaudra presque à un privilège pour le rétenteur.
Art. 96. Cet article présente un rapprochement général du droit de rétention avec le nantissement conventionnel Il n'est pas nécessaire de développer ces nouvelles analogies ; il suffit de dire :
1° Que la responsabilité du rétenteur est la même que celle du créancier gagiste ou du créancier nanti d'un immeuble, suivant que la rétention porte sur un meuble ou sur un immeuble, et avec la même sanction la déchéance pour abus de jouissance (v. art. 106 et 130);
2° Que son droit de rétention garantit également les nouvelles dépenses qu'il aura dû faire pour la conservation de la chose retenue et les dommages qu'il en aura éprouvés (v. art. 109) ;
3° Que sa possession empêche la prescription libératoire du débiteur, sans le mener lui-même à la prescription acquisitive (v. art. 114).
Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à exiger, pour que le droit de rétention sur un meuble fût opposable aux tiers, qu'il remplît les conditions imposés au gage par les articles 100, 103 et 104, ou qu'il fût transcrit comme un droit de nantissement immobilier, lorsqu'il porte sur un immeuble : ce droit vient de la loi et non de la convention, de sorte que son existence précède toute formalité ; or, si la loi voulait lui en imposer après coup, elle devrait accorder au rétenteur un délai suffisant, avec rétroctivité, ce qui diminuerait toujours la sécurité des tiers ; en outre, la durée de ce droit doit être, en général, assez courte et dès lors les formalités dont il s'agit seraient exagérées.
La loi termine en notant spécialement la perte du droit de rétention pour le créancier “ qui a volontairement négligé ou cessé de l'exercer,” c'est-à-dire qui a rendu la possession au débiteur ; ce qui comprend même le cas où il aurait ignoré que son droit était attaché à la possession effective ; cette possession est le seul moyen de révéler aux tiers l'existence du droit qui leur nuit, le droit y est donc subordonné.
CHAPITRE II.
DU GAGE.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA NATURE ET PE LA FORMATION PU CONTRAT PE GAGE.
Art. 97. Dans la langue du droit et aussi dans l'usage pratique, le mot “ gage ” se prend dans deux sens : le gage est la chose remise au créancier comme sûreté ou garantie de sa créance ; c'est aussi le contrat par lequel la chose est ainsi affectée spécialement. C'est ce second sens que notre article emploie pour la définition.
On pourrait s'étonner que la loi ne fasse pas mention du testament, comme pouvant constituer un droit de gage ; on sait, en effet, que le testament, autant que les contrats, peut servir à constituer les droits réels, et on verra même qu'il peut servir à constituer l'hypothèque.
Mais le testament serait ici insuffisant : l'article 102 va dire que le gage n'est valable qu'autant que le créancier gagiste est mis en possession de la chose affectée à sa garantie ; or, le testament peut bien donner un droit, qui est une abstraction, mais non la possession qui est surtout un fait. Toutefois, le testament par lequel un débiteur léguerait à son créancier un droit de gage ne serait pas sans effet : il obligerait l'héritier à livrer le gage, en exécution d'une obligation de faire à lui imposée par le testateur.
Le texte de notre article ne fait pas entrer dans la définition du contrat de gage la remise de la chose aux mains du créancier : cette condition étant plutôt fondée sur une raison de droit qu'elle ne résulte de la nature des choses, il a paru préférable de lui donner plus de relief dans un article spécial. Il suffit que la définition nous dise qu'il y a affectation spéciale d'une chose à la garantie de l'obligation.” Comment se fait cette affectation ? C'est une idée secondaire. La définition pourrait ainsi s'appliquer à un gage purement conventionnel, s'il était permis, soit en règle, soit par exception.
La définition, au contraire, ne manque pas de mentionner que le gage ne s'applique qu'aux choses “ mobilières ; ” c'est en cela qu'il diffère du nantissement immobilier ou hypothécaire objet du Chapitre suivant.
Notre premier article suppose que le gage est fourni par le débiteur lui-même : c'est ce qui arrivera le plus souvent ; mais l'article suivant va supposer que le gage est fourni par un tiers.
Art. 98. Du moment qu'un tiers peut garantir la dette d'autrui par un cautionnement, engagement personnel, il est naturel qu'il puisse aussi, et à plus forte raison, fournir la sûreté réelle pour le compte du débiteur : il peut le faire par suite d'un mandat de celui-ci ou spontanément, comme gérant d'affaires. Cette distinction entre les deux causes qui ont amené le tiers à rendre ce bon office influe sur l'étendue du recours de la “ caution réelle,” comme il a influé sur le recours de la caution personnelle ; de là, le renvoi aux articles 30 et suivants.
Art. 99. Le gage conférant au créancier un droit réel qui peut éventuellement amener l'aliénation de la chose, il est clair que celui que le constitue doit avoir la capacité de disposer de l'objet donné en nantissement.
La loi ne commence pas par exiger que le constituant soit propriétaire de l'objet, parce que cette condition n'est pas toujours nécessaire, certains administrateurs pouvant donner en gage les objets qu'ils administrent, ainsi que le permet le 2e alinéa do notre article. Mais il faut la capacité d'aliéner et tout propriétaire ne l'a pas, encore moins tout administrateur ; seulement, il suffit, en général, de la capacité d'aliéner à titre onéreux : il n'est pas nécessaire de pouvoir aliéner à titre gratuit ; ainsi un mineur émancipé pourrait donner sa chose en gage pour une obligation rentrant dans sa capacité ; de même, un tuteur pourrait donner en gage un objet mobilier de son pupille, pour la garantie d'une dette valable de celui-ci.
Par exception, il faut la capacité d'aliéner à titre gratuit; c'est lorsque le gage est constitué pour le débiteur par un tiers non intéressé : dans ce cas, il faut que le constituant soit capable de disposer à titre gratuit, non-seulement en général et vis-à-vis de tout le inonde, mais aussi spécialement et relativement au débiteur auquel il rend un service gratuit ; c'est un principe déjà posé pour le cautionnement personnel, par l'article 12 auquel notre article renvoie.
Art. 100. La loi arrive, avec cet article et les quatre suivants, aux conditions requises pour la validité du gage et ces conditions sont établies dans l'intérêt des tiers. Ces tiers sont de deux sortes: 1° ceux qui ont traité avec le débiteur (ou avec celui qui a constitué le gage pour le débiteur), au sujet du même objet : par exemple, comme acheteurs ou comme créanciers gagistes; 2° ceux qui sont créanciers du même débiteur, sans gage, ou créanciers chirographaires ; le tout, sans distinguer si les uns ou les autres ont contracté avec le débiteur avant ou après la constitution du gage pui nous occupe.
Les conditions qui vont suivre ont pour but, les unes (celles de notre article) de prévenir certaines fraudes qui tendraient à favoriser un créancier au préjudice des autres intéressés, les autres (art. 101 à 103) de donner au gage une sorte de publicité qui prévient les tiers du droit qui leur sera opposable.
Notre article exige pour la validité du gage à l'égard des tiers la rédaction d'un acte écrit, sauf l'exception portée à l'article suivant.
L'acte doit désigner exactement la créance, afin qu'au moment de la vente du gage et de l'application du prix au payement, le créancier ne se fasse pas attribuer plus qu'il ne lui est dû, d'accord avec le débiteur et sauf à partager avec lui le produit de la fraude commise contre les autres créanciers.
L'acte doit encore désigner exactement les objets donnés en gage, afin que le débiteur ne puisse pas, d'accord avec le créancier, substituer aux objets donnés primitivement des objets d'une plus grande valeur.
La loi précise assez, à cet égard, la manière de désigner les objets pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y insister ici.
Art. 101. L'écrit dont il s'agit à l'article précédent n'est pas exigé pour la solennité, mais seulement pour la preuve; il est donc naturel que la preuve testimoniale soit admise en cette matière, conformément au droit commun.
La loi admet cette preuve jusqu'à concurrence de cinquante yens (Liv. des preuves, art. 60).
Le texte a soin de préciser que c'est la “ créance ” qui doit pouvoir être prouvée par témoins, pour que la preuve testimoniale puisse à son tour être employée pour établir la constitution du gage et son objet. Si donc la créance dépasse 50 yens, il ne sera pas possible de prouver le gage par témoins, lors même que la valeur n'en dépasserait pas ce chiffre ; cette preuve, en effet, serait sans utilité pour le créancier, puisque son droit principal ne serait pas établi. Mais si la créance n'excède pas 50 yens, le gage pourra être prouvé par témoins, lors même que la valeur en excéderait 50 yens, parce que, lors même qu'on arriverait à le vendre, il n'en serait toujours prélevé que 50 yens pour désintéresser le créancier.
Le texte nous dit que, dans ce cas, il pourra n'y avoir qu'un seul témoignage, aussi bien qu'il pourra y en avoir deux, pour prouver le créance et le gage ; c'est dire qu'il pourra y avoir des témoins différents pour les deux faits.
Un cas pourrait faire difficulté, mais la loi ne le traite pas, parce qu'il ferait trop entrer dans la matière des preuves, c'est celui où l'on se trouverait dans un des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est admissible, même pour une créance de plus de 50 yens ; par exemple, parce qu'il a été impossible au créancier de se procurer une preuve écrite (v. art. 69). Pourrait-on, dans ce cas, prouver également la constitution du gage, à quelque valeur qu'il monte ?
La réponse demande une distinction : si la constitution du gage a été concomitante à la naissance de la créance, la même impossibilité d'en dresser une preuve écrite ayant eu lieu, la même faculté de le prouver par témoins appartiendra au créancier ; mais si le gage n'a été constitué que plus tard et que l'impossibilité de rédiger un écrit n'ait plus existé, on ne pourrait pas prouver le gage par témoins, à moins qu'il ne fût resté lui-même dans la limite de 50 yens en valeur.
Art. 102. Nous arrivons à la condition la plus importante pour la validité du gage à l'égard des tiers ; à savoir, la remise de la possession effective de la chose aux mains du créancier. C'est cette possession qui donne an gage le caractère de “nantissement” et qui fait donner au contrat la qualification de réel, comme l'ont déjà le prêt de consommation, le prêt à usage et le dépôt, avec cette différence pourtant que, dans ces trois contrats, c'est la nature des choses qui exige cette tradition, tandis qu'ici c'est une raison de droit et d'utilité, le besoin d'une sorte de publicité.
En effet, les deux prêts n'auraient aucune utilité pour l'emprunteur, si la chose prêtée n'était mise à sa disposition, et le dépôt ne serait d'aucune utilité pour le déposant, si le dépositaire ne recevait la possession et la garde de la chose déposée. An contraire, on comprendrait très-bien que le gage fût utile au créancier sans lui être livré : le créancier pourrait avoir le droit de faire déclarer milles à son égar dles aliénations de l'objet faites par le débiteur, et aussi de se faire attribuer la valeur du gage, par préférence aux autres créanciers ; cette situation est si bien compréhensible qu'elle était, à Rome, celle du créancier ayant hypothèque sur un meuble ou sur un immeuble, et qu'elle est encore aujourd'hui, peut-être partout, celle du créancier ayant hypothèque sur un immeuble.
Mais en même temps qu'on reconnaît la possibilité de tels avantages pour le créancier, sans la tradition de la chose, on voit aussi combien elle serait dangereuse pour les tiers. Lorsqu'il s'agit d'hypothèque sur les immeubles, il a été possible d'en organiser une publicité suffisante pour que les tiers ne s'exposassent pas à des évictions, en acquérant des biens hypothéqués à leur insu, ou ne devinssent pas créanciers d'un débiteur dont les immeubles seraient déjà grevés pour tout ou partie de leur valeur. Mais une semblable publicité ne pouvait être organisée pour le gage des meubles qui n'ont pas de situation fixe. C'est donc dans le même but, mais par un autre moyen, qu'on a imaginé de révéler aux tiers intéressés l'affectation d'un meuble à l'acquittement d'une obligation.
Le gage sera livré au créancier gagiste ; et comme le débiteur, lors même qu'il l'aliénerait, ne pourra le livrer à son acheteur ou donataire, celui-ci ne pourra invoquer contre le créancier gagiste la prescription instantanée ; c'est, au contraire, le créancier gagiste qui, joignant à un droit réel mobilier la possession effective, sera préféré à l'acquéreur (voy. Liv. des Biens, art. 34). De même, la possession du créancier gagiste empêchera que les autres créanciers ne considèrent l'objet donné en gage spécial comme faisant encore partie du gage commun (v. art. 1er, ci-dessus).
Voilà comment on peut dire que la remise de la chose en nantissement, aux mains du créancier, est une sorte de publicité du gage : c'est la plus pratique, en même temps que la moins coûteuse.
La possession du créancier n'est pas seulement la condition de la constitution originaire du gage, elle est aussi la condition de sa conservation : il faut que le gage reste en sa possession “ réelle et continue ; ” autrement, la sécurité des tiers serait compromise. Le gage cesse donc lorsque le créancier a laissé la chose rentrer dans les mains du débiteur ou de son représentant et, de cette façon, on peut dire que la rétention du gage n'est pas seulement, comme le dira l'article 110, un droit pour le créancier gagiste, mais qu'elle est aussi pour lui un devoir.
La possession doit être réelle ou effective ; il ne serait donc pas permis qu'elle fût laissée au débiteur par un constitut possessoire, comme on pourrait laisser la chose vendue aux mains du vendeur ; elle ne pourrait pas davantage lui être laissée à titre de louage, de dépôt ou de prêt à usage : les dangers, les fraudes que la loi veut prévenir se retrouveraient possibles dans une telle situation. L'article 106 défendra au créancier de louer la chose à uu tiers, sauf un tempérament.
Ce qui est permis c'est que la chose soit remise ou deposée aux mains d'un tiers choisi par les deux parties d'accord, ou par le créancier seul, sous sa responsabilité. Quelquefois, ce sera le débiteur qui, peu confiant dans la vigilance ou l'honnêteté du créancier, exigera ce dépôt en mains tierces ; d'autres fois, ce sera le créancier qui n'aura pas la facilité de conserver le gage chez lui.
Le présent article est écrit pour le gage consistant dans des “choses corporelles,” les seules qui soient susceptibles de possession réelle ; mais les titres dits au porteur, ceux pour lesquels le droit est attaché à la détention du titre, sont assimilés aux choses corporelles (v. art. 316 précité).
Art. 103 et 104. La loi complète l'organisation de la publicité spéciale du gage en supposant que la chose donnée en gage est un droit personnel ou de créance.
D'abord, c'est une créance nominative qu'avait le débiteur contre un tiers.
Ici le droit n'est pas attaché à la possession du titre authentique ou privé qui la constate, il reste chose incorporelle. Cependant le débiteur devra livrer le titre au créancier gagiste : si cela ne lui ôte pas tout-à-fait le moyen d'aliéner la créance, de la donner en gage à un autre créancier, ou d'en recevoir le montant, au moins cela rand très difficile de pareils actes. Mais cela ne suffira pas, il faudra, en outre, que lui ou le créancier gagiste notifie au tiers débiteur que la créance est donnée en gage, afin que le payement ne puisse être valablement fait à l'ancien créancier et qu'il ne soit pas fait valablement de cession ou d'autre dation en gage. L'intervention du tiers-débiteur à l'acte de constitution du gage lui tient lieu de notification. Cette double forme rappelle celles que la loi prescrit pour le transfert même de la créance et notre article se réfère, à cet égard, à l'article 347 du Livre des Biens pour ce qu'il contient de plus.
De ce que le tiers-débiteur ne peut plus payer valablement à son créancier, ce n'est pas à dire qu'il puisse payer au créancier gagiste : l'article 108 nous dira le contraire et nous en donnerons le motif.
S il s'agit de créances dites “ effets de commerce ou effets négociables ” il suffira que l'endossement porte qu'il est fait “ en garantie,” et dans ce cas, le créancier gagiste aura le pouvoir de recevoir le payement (voy. art. 108).
Mais cette double faveur accordée au gage donné en effets négociables n'implique pas la dispense de dresser l'écrit dont parle l'article 100, au moins si la dette à garantir est une dette civile : ce n'est que s'il s'agissait d'une créance commerciale elle-même, garantie par un effet de commerce, que l'endossement en garantie pourrait suffire. Au surplus, c'est le Code de Commerce qui règle ce point.
L'article 104 suppose enfin que le droit donné en gage est une action ou une obligation, nominative toujours, dans une société.
Nous n'avons pas à nous arrêter ici sur la différence entre une action et une obligation dans une société, puisque les deux sortes de droits suivent les mêmes règles au point de vue de la constitution du gage.
Les actions et obligations peuvent être au porteur ou nominatives : dans le premier cas, elles se cèdent entre les parties par le seul consentement et à l'égard des tiers (y compris la société elle-même) par la tradition du titre, et elles se donnent en gage à l'égard des tiers conformément aux articles 100 et 102 ci-dessus ; dans le second cas, elles se cèdent ou se donnent en gage, à l'égard de la société et des tiers, par une déclaration à la société, laquelle inscrit sur ses registres le nom du nouveau titulaire ou du créancier gagiste ; le tout, sans préjudice de la remise du titre, comme notre article 104 l'exprime.
Art. 105. Ce qui a été dit de l'indivisibilité du droit de rétention, au sujet de l'article 93, nous dispense d'entrer dans de nouveaux développements sur l'indivisibilité du gage qui a les mêmes effets ; il suffit de résumer la théorie en disant que “tout le gage et chaque partie du gage garantissent toute la dette et chaque partie de la dette.
Remarquons seulement que la loi a soin de dire que cette indivisibilité n'a pas pour cause la nature même du gage: mais l'intention des parties, et la conséquence qu'elle en déduit elle-même, c'est que les parties peuvent y déroger par une convention expresse.
SECTION II.
DES EFFETS DU CONTRAT DE GAGE.
Art. 106. Le créancier gagiste reçoit la chose sous la condition de la restituer, is la vente n'en devient pas nécessaire ; jusque-là, il doit la conserver avec soin et, à cet égard, sa responsabilité n'est ni plus ni moins étendue que celle imposée par le droit commun au débiteur d'un corps certain : il doit “ les soins d'un bon administrateur.”
La loi ne lui permet pas de donner la chose à bail, sans autorisation du débiteur, parce que ce serait l'exposer à des détériorations ou à des risques que le débiteur peut n'avoir ni prévus ni acceptés. Il ne peut non plus, pour le même motif, l'employer à son usage personnel ; mais ici il y a deux exceptions : le cas où il y est autorisé et celui où l'usage de la chose est nécessaire à son entretien et à sa conservation. On peut citer, comme application, le cas d'un cheval qui aurait été donné en gage : le repos le rendrait bientôt impropre à tout service.
Si le créancier gagiste manquait à son obligation de garde, s'il usait de la chose contrairement à la loi, ou abusait de l'autorisation d'user, il pourrait être déclaré déchu de son droit. Les tribunaux auraient nécessairement à cet égard un certain pouvoir d'appréciation et si le créancier offrait de déposer la chose aux mains d'un tiers présentant toutes garanties de soins et de fidélité (v. art. 102), les tribunaux pourraient ne pas prononcer sa déchéance.
Art. 107. On pourrait s'étonner que le créancier, qui ne peut louer le gage à un tiers, puisse le donner en sous-gage à son propre créancier ; mais il n'y a pas là de contradiction, puisque le nouveau créancier gagiste ne pourra lui-même louer la chose, ni en user : il sera alors comme un tiers dépositaire, d'après l'article 102, et sous la même sanction de la responsabilité du premier créancier.
Il y a d'ailleurs une aggravation de cette responsabilité, c'est celle de la perte ou détérioration par cas fortuit ou force majeure, lorsque les mêmes accidents ne se sont produits que par suite du déplacement de la chose : le créancier gagiste a changé les risques de la chose, le débiteur n'on doit pas souffrir.
Art. 108. Comme le gage ne peut porter que suides objets mobiliers, il n'y a que le gage portant suides animaux qui puisse produire des fruits naturels ; mais le créancier gagiste aura des fruits civils, lorsqu'il aura été autorisé par le débiteur à louer la chose ; il percevra également des fruits civils du gage lorsqu'il aura reçu en nantissement des créances, des actions ou obligations.
La loi a soin d'ajouter que, dans ce cas, “ il ne pourra recevoir le capital sans l'autorisation spéciale du débiteur:” il peut arriver, en effet, que la dette gagée ne consistant pas en argent, mais en faits à accomplir, le débiteur soit en mesure d'exécuter son obligation à l'échéance, et il ne doit pas être exposé à courir le risque que le capital de sa créance, une fois reçu par le créancier gagiste, soit dissipé par lui ; dans le cas même où les deux dettes consistent en argent, le débiteur peut avoir des compensations à exercer contre son créancier, ou bien sa dette peut se trouver, de toute manière inférieure, à la créance qu'il a donnée en gage et il ne faut pas qu'il soit exposé à ne pas recouvrer la différence qui lui revient.
La loi excepte le cas où la créance donnée en gage est un effet de commerce ou “ négociable par endossement : ” dans ce cas, le créancier gagiste peut et même doit recevoir le capital à l'échéance, 1° parce que le débiteur de ces effets a lui-même le droit d'en imposer le payement dans son propre intérêt, 2° parce que le porteur (ici le créancier gagiste) pourrait être déchu de ses droits contre les endosseurs, s'il négligeait de recevoir le payement à l'échéance.
Il va sans dire que le droit du créancier gagiste sur les faits et produits est privilégié à l'égard des autres créanciers, puisqu'il est privilégié sur le capital, d'après l'article 111 ; d'ailleurs le nôtre renvoie à l'article 94, lequel donne déjà privilège sur les fruits au créancier simplement rétenteur.
Art. 109. La détention de la chose par le créancier gagiste sera souvent pour lui l'occasion de faire des dépenses, pour la conservation de la chose, en même temps qu'elle lui en imposera l'obligation ; ce sera quelquefois aussi l'occasion de dommages éprouvés par suite de défauts cachés de la chose. Ce seront pour lui autant de causes de créances à ajouter à la créance principale, et ces créances nouvelles seront même privilégiées avant ladite créance. La loi ne fait pas mention des dépenses utiles ou d'amélioration ; ce n'est pas à dire qu'elle entende en refuser le remboursement an créancier gagiste : le droit commun le lui assure ; mais comme les dépenses utiles ne motivent pas le droit de rétention, la loi doit se borner ici à mentionner les dépenses nécessaires auxquelles se réfère l'article suivant, qui accorde an créancier gagiste le droit de rétention à ce titre.
Art. 110 et 111. On a déjà vu, à l'article 102, que le créancier doit être mis en possession du gage pour que son droit soit opposable aux tiers. Mais, de ce que sa mise en possession a. un caractère obligatoire, ce n'était pas une raison pour omettre de la présenter comme un droit, ne fût-ce que pour son application aux dépenses nécessaires et à l'indemnité des dommages prévus à l'article précédent.
Au sujet de la créance principale et de ses accessoires, le présent article fortifie encore ce qui a été dit de l'indivisibilité du gage par l'article 105: c'est jusqu'au “ parfait payement ” que le créancier pourra retenir la chose.
Le 2e alinéa de l'article 110 accorde au créancier gagiste un droit qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur (v. art. 95), c'est celui de “ s'opposer à la vente du gage aux enchères par les autres créanciers du débiteur,” au moins tant que l'échéance n'est pas arrivée.
Voici le motif de cette différence : le créancier rétenteur n'a pas de privilège sur le principal de la chose retenue ; il ne peut donc se plaindre qu'elle soit aliénée sans sa volonté : il doit lui suffire d'en conserver la possession jusqu'à son parfait payement ; mais le créancier gagiste a un privilège : il lui importe beaucoup que la chose ne soit pas vendue en temps inopportun : tant que l'échéance de sa créance n'est pas arrivée, il peut avoir intérêt a ce que sa garantie ne soit pas modifiée; la question a de l'intérêt quand il s'agit de marchandises sujettes à des variations de cours.
Mais une fois l'échéance arrivée, la vente aux enchères peut être provoquée, non-seulement par le créancier gagiste, mais par tous les autres créanciers. Comme la vente aux enchères publiques est le plus sûr moyen d'obtenir le meilleur prix de la chose, personne ne peut plus s'y opposer, au moment où l'on est arrivé.
C'est là que se réalisera le principal droit du créancier : le privilège pour toute sa créance gagée, en capital, intérêts et autres accessoires.
Art. 112. Le présent article suppose que ni le créancier gagiste, ni les autres créanciers ne provoquent la vente du gage à l'échéance, sans doute parce que le premier n'en trouve pas le moment opportun et parce que les autres n'espèrent pas qu'il doive leur en revenir un reliquat de prix ; ou bien la vente a été tentée, mais il ne s'est pas trouvé d'acquéreur au prix demandé.
Dans ce cas, il pourrait intervenir entre le débiteur et le créancier gagiste un accord d'après lequel la chose resterait à ce dernier, en payement total ou partiel ; mais, “ à défaut de cet accord,” la loi permet au créancier gagiste de présenter au tribunal une requête (laquelle devra être communiquée au débiteur pour être par lui contredite, s'il y a lieu) tendant à obtenir que le gage lui soit attribué en payement, jusqu'à concurrence de sa valeur estimée par expert.
S'il y a excédant du prix d'estimation sur le montant de la créance, le créancier deviendra à son tour débiteur de cette différence ; au cas contraire, il restera créancier de ce qui manque pour le désintéresser.
A l'occasion de cette requête, il pourra y avoir des contestations du débiteur, tendant, soit à tenter une nouvelle vente aux enchères, soit à faire déclarer que l'échéance n'est pas arrivée, soit même à faire réduire ou rejeter la demande principale au fond ; mais ces difficultés appartiendraient à la Procédure civile.
Art. 113. Sans la prohibition portée par notre article, la clause ici prévue serait constamment imposée par le créancier au débiteur, au moment du contrat principal accompagné de la constitution de gage : ce contrat, en effet, sera le plus souvent un prêt d'argent au moyen duquel le débiteur, embarrassé dans ses affaires, espérera les rétablir ; le créancier qui, ordinairement, demande déjà un gage d'une valeur supérieure à sa créance, pour être plus sûr n'être couvert, ne manquerait pas de stipuler que le gage lui resterait en propriété, à forfait et sans estimation, faute de payement à l'échéance, et le débiteur y consentirait, par une fausse confiance dans ses ressources futures.
Pour que la clause qui nous occupe tombe sous le coup de la prohibition, il faut qu'elle ait eu lieu avant l'exigibilité de la dette. Assurément, le cas où elle est le plus dangereuse est celui où elle a lieu au moment même du contrat principal, comme nous l'avons dit plus haut ; mais il pourrait arriver qu'à l'approche de l'exigibilité de la dette, le débiteur, pour en obtenir une prorogation, consentît à cette cession éventuelle de son gage, à forfait et sans estimation ; dès lors, le danger étant le même pour lui demande le même secours.
La loi a soin de dire encore que la stipulation est aussi bien nulle pour une extinction totale de la dette que pour une extinction partielle.
Mais, une fois la dette exigible, il n'y a plus de prohibition : le débiteur peut toujours faire une dation en payement (v. art. 461).
Les prêteurs d'argent ont toujours été d'une habileté extrême à éluder la prohibition dont il s'agit ici : la loi doit donner aux tribunaux le moyen de déjouer toute fraude à sa disposition.
Parmi les moyens les plus faciles d'éluder la loi serait la vente à retrait ou réméré, dissimulant un gage. Par exemple, celui qui voudrait, en empruntant 1000 yens sur gage, autoriser d'avance le créancier à garder le gage en payement à l'échéance, faute de remboursement réel, lui vendrait pour 1000 yens l'objet du gage, avec faculté de rachat dans le délai que devrait avoir le prêt, s'il n'était pas dissimulé ; à l'expiration du délai de rachat, si le débiteur ne pouvait l'éffectuer en argent, il aurait perdu la propriété.
Sans doute, il ne sera pas toujours facile de découvrir si la vente à réméré a été sincère ou si elle a dissimulé un emprunt sur gage avec attribution éventuelle de la propriété faute de payement ; dans le doute, on devra décider dans le sens de la sincérité des parties ; mais le débiteur pourra souvent éclairer le tribunal sur le caractère véritable de l'opération.
Un cas où la fraude sera plus facilement reconnaissable c'est celui, prévu par la loi, où la dette existant déjà, le débiteur aurait fait à son créancier la vente avec faculté de rachat, la créance du prix se compensant avec la dette.
Comme les nullités édictées dans le présent article le sont dans un but de protection pour le débiteur contre le créancier, il est naturel qu'elles ne puissent être invoquées par ce dernier, mais seulement contre lui, par le débiteur et ses ayant-cause, parmi lesquels il faut compter ses autres créanciers : c'est l'application d'un principe général inscrit dans l'article 319 du Livre des Biens.
Si donc il avait été convenu d'avance que le créancier gagiste garderait le gage en payement, sans estimation à l'échéance, et que le créancier regrettât cette convention, à cause de la dépréciation de la valeur, tandis que le débiteur s'en féliciterait, pour le même motif, le créancier ne pourrait contraindre le débiteur à un payement effectif en lui rendant la chose.
Art. 114. La loi devait se prononcer sur la question de savoir si le débiteur peut opposer au créancier gagiste la prescription libératoire, lorsque le temps en est accompli depuis l'échéance de la dette, ou si, au contraire, le fait par lui d'avoir laissé le gage aux mains du créancier n'implique pas une reconnaissance continue de la dette, laquelle serait interruptive de prescription. Elle adopte cette seconde opinion.
Assurément, si le débiteur constitue le gage après l'échéance de la dette, alors que déjà la prescription libératoire est en cours, on doit dire qu'il y a, de sa part, reconnaissance de la dette et, par suite, interruption de la prescription, lorsque le gage a précédé l'échéance, le seul fait par le débiteur de laisser le gage au créancier a le même caractère. La prescription libératoire repose, comme on l'a dit souvent déjà et comme on le démontrera avec soin en son lieu, sur une présomption de payement ; or, le payement ne peut être présumé, lorsque le débiteur a manqué à retirer le gage : on comprend d'ailleurs que le créancier ait négligé de faire contre le débiteur des poursuites interruptives de la prescription, puisqu'il a une sécurité suffisante.
Art. 115. Le présent article tranche une autre question de prescription, moins douteuse toutefois que la précédente, mais sur laquelle il convenait que la loi se prononçât.
Il est certain que, tant que la dette n'est pas éteinte, le créancier possède le gage à titre précaire, c'est-à-dire en reconnaissant que la propriété ne lui appartient pas ; le gage est incompatible avec la propriété : on ne peut avoir en gage sa propre chose. Mais, une fois la dette éteinte par un payement ou par un autre mode légal d'extinction, il semble que le créancier ne possède plus la chose désormais à titre de gage, mais comme sienne, que, dès lors la prescription acquisitive devrait courir en sa faveur et s'accomplir au moins par trente ans, en l'absence de juste titre et de bonne foi.
C'est pourtant ce que la loi lui refuse : la possession du créancier gagiste a commencé par être précaire, elle reste telle: déjà l'article 185 du Livre des Biens nous a dit que lorsque la précarité résulte de la nature du titre sur lequel la possession est fondée, elle ne cesse que par une contradiction formelle aux droits de celui pour le compte duquel on possédait, ou par une interversion du titre ; or, tant que le créancier gagiste ne sera pas dans l'un de ces deux cas exceptionnels, il restera détenteur précaire.
CHAPITRE III.
DU NANTISSEMENT IMMOBILIER.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'OBJET. DE LA NATURE ET DE LA FORMATION DU NANTISSEMENT IMMOBILIER.
Art. 116. Le nantissement immobilier a toujours été préféré à la simple hypothèque, parce que le créancier se trouve mieux garanti par la possession réelle de l'immeuble que par une affectation purement conventionnelle dudit immeuble : au nantissement qui empêche la vente par le débiteur et la saisie par les autres créanciers, il joint le droit d'hypothèque ou de préférence pour le capital qui lui est dû.
Ce premier article signale les deux droits que donne cette sûreté réelle ; 1° avant l'échéance de la dette, jouissance de l'immeuble ou perception des fruits et revenus, par préférence à tous autres créanciers ; 2° à l'échéance, droit d'un créancier hypothécaire, c'est-à-dire droit d'être payé par préférence aux créanciers chirographaires, et à son rang par rapport aux autres créanciers hypothécaires, sans préjudice du droit de suite contre les tiers détenteurs, lequel droit est encore un effet de l'hypothèque.
Remarquons immédiatement la différence entre ces deux préférences du créancier : comme il est nanti de la jouissance, il prime sur les fruits et revenus tous les créanciers indistinctement ; mais sur le fonds même, sur le capital, il ne vient qu'à son rang d'hypothèque.
Comme ce cumul du nantissement et de l'hypothèque est une institution ancienne, on lui laisse un de ses caractères traditionnels, à savoir, la limite de l'échéance à trente ans. Quelle que soit la cause originaire de cette restriction à la liberté des conventions, on ne peut que l'approuver, parce que si le grand nombre d'immeubles ainsi donnés en nantissement pouvait être, en quelque sorte, retirés indéfiniment de la circulation, ce serait un grand mal économique. C'est pour la même raison que le délai de trente ans ne peut être prorogé. Mais si l'échéance avait d'abord été fixée à moins de trente ans, elle pourrait être prorogée jusqu'à ce terme.
Art. 117. Cet article ne présente pas de difficulté ; il rappelle l'article 98 écrit pour le gage constitué par un tiers, et comme l'hypothèque peut de même être constituée pour la dette d'autrui, il est naturel qu'une sûreté qui contient un cumul du gage et de l'hypothèque puisse être constituée dans les mêmes conditions.
Art. 118. C'est toujours par l'effet du cumul, en faveur du créancier, du droit exclusif de jouissance et d'un droit de préférence sur le fonds, comme capital, que le constituant droit avoir la disposition des deux droits et que la chose doit être susceptible d'hypothèque.
Si le droit ainsi donné en nantissement hypothécaire est un usufruit ou une emphytéose, nécessairement temporaire, la sûreté finira avec le droit ; il sera donc nécessaire que le créancier ait soin de stipuler l'échéance du payement avant l'époque où son nantissement devrait ainsi cesser de lui-même ; autrement, il ne pourrait plus exercer le droit de préférence pour son capital.
Du reste, les droits temporaires de jouissance perdant de leur valeur à mesure qu'ils s'approchent de leur terme final, le créancier prudent n'aura accepté de tels droits en nantissement que quand les revenus devaient être assez considérables pour éteindre chaque année une partie du capital dû, outre les intérêts : autrement, il ne serait garanti utilement que de ceux-ci.
L'article 209 a, au sujet de l'hypothèque simple, une disposition semblable à celle de notre article, quant à la durée du droit, avec un complément, pour le cas de perte de la chose (3e al.), qu'il faut considérer comme applicable au droit qui nous occupe.
Art. 119. Comme le nantissement immobilier contient une hypothèque, et comme il est naturellement conventionnel, il doit, dans ce cas, être constitué en la même forme que l'hypothèque conventionnelle (v. art. 205).
Dans le présent Code, il n'y a pas de nantissement immobilier légal, comme il y a des hypothèques légales ; mais cette sûreté pourra être constituée par testament ; seulement ce ne sera que dans les deux cas spéciaux déterminés à l'article 212.
Pour que le nantissement immobilier soit opposable aux tiers, il doit être comme l'hypothèque, publié par une inscription.
Art. 120. Le jugement dont parle cet article n'est pas un mode de constitution à ajouter à la convention et au testament : il faut l'entendre d'un jugement qui, sur une contestation, aurait déclaré l'existence ou la valdiité d'une convention ou d'un testament invoqué comme source d'une hypothèque.
Art. 121. Pour éviter les formalités et les frais qui ne sont pas rigoureusement nécessaires, la loi n'exige pas une inscription spéciale du nantissement, quand il ne s'applique qu'à des droits temporaires déjà publiés : alors une simple mention de l'acte constitutif du nantissement en marge de ladite inscription est suffisante.
Art. 122. La mise en possession du créancier est un complément de publicité qui fait que cette sûreté est un nantissement: s'il ne s'agissait que d'un usufruit ou d'un autre droit de jouissance conféré directement, sans relation à un autre droit, l'inscription suffirait à prévenir ceux qui ont intérêt à savoir que la propriété est démembrée ; mais il s'agit, en outre, d'un droit de préférence sur les fruits, au profit d'un créancier contre les autres ; dès lors, la loi veut que cette jouissance exclusive se révèle par le fait même et à chaque moment.
Art. 123. Il est nécessaire de proclamer l'indivisibilité de ce nantissement ; mais comme il est de la même nature et a les mêmes effets que celui du gage ou nantissement mobilier, la loi se borne à renvoyer à l'article 1 05.
SECTION II.
DES EFFETS DU NANTISSEMENT IMMOBILIER.
Art. 124. Le créancier nanti d'un immeuble a plus de liberté pour disposer de la jouissance du fonds que n'en a le créancier gagiste. Si l'on rapproche de notre article l'article 107, on voit que, tandis que le créancier gagiste ne peut louer la chose reçue en gage que s'il en a l'autorisation du débiteur, le créancier nanti d'un immeuble le peut, de plein droit, sans cette autorisation : la loi la lui donne ; pour que la location lui fût interdite, il faudrait une prohibition contraire du débiteur. Le motif est que la jouissance de la chose, presque nulle quand il s'agit d'un meuble, est toujours plus ou moins importante pour un immeuble. Or, le créancier nanti ne serait pas toujours en situation d'en jouir par lui-même : pour un fonds de terre, il faut être plus ou moins agriculteur, et, s'il s'agit d'une maison, il serait rare que le créancier eût précisément besoin pour lui-même d'une pareille habitation.
L'article 118 nous a dit que celui qui n'a qu'un droit temporaire de jouissance ne peut donner la chose en nantissement pour un temps excédant cette jouissance. Il n'en fallait pas tirer cette conséquence que le créancier nanti ne pourrait, à son tour, donner la chose à bail pour un temps plus long que son nantissement : la durée du nantissement dépend du payement de la dette, lequel peut avoir lieu à toute époque si le terme est dans l'intérêt du débiteur ; si le bail fait par le créancier devait avoir une durée aussi incertaine, il serait bien difficile de trouver un preneur. On a donc admis que le créancier pourrait donner à bail pour la durée du nantissement telle qu'elle résultait de la durée de la dette ; mais comme les pouvoirs du créancier nanti ne sont, à cet égard, que ceux d'un administrateur de la chose d'autrui, le texte renvoie aux articles qui règlent la durée et les délais du renouvellement des baux faits par les administrateurs.
D'un autre côté, si le délai du nantissement était plus cours que la durée des baux permis aux administrateurs, le créancier devrait, se renfermer dans la limite de son droit de créancier nanti ; si le créancier veut céder son droit de nantissement, il ne peut le faire que pour la durée réelle de ce droit lors même qu'il viendrait à cesser par un payement anticipé, et sous sa responsabilité, au cas où le cessionnaire abuserait de sa jouissance ; il n'y a pas là, en effet, un acte d'administration qui puisse profiter au débiteur : sous ce rapport, c'est à l'article 107 que la loi renvoie, pour ce qu'il contient de sévère à l'égard du créancier gagiste.
Art. 125. Cet article rappelle, mais avec des différences, les obligations de l'usufruitier (v. Liv. des Biens, art. 86 et suiv.).
1° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit acquitter les contributions annuelles ; mais, tandis que l'usufruitier n'a pas de recours, de ce chef, contre le nu-propriétaire, le créancier nanti déduit ces charges sur le compte des fruits et produits imputables sur sa créance (v. art. suiv.)
2° Comme l'usufruitier, le créancier nanti doit faire les réparations d'entretien, mais encore avec la même déduction sur les fruits ; de plus que celui-ci, il doit faire les grosses réparations, lorsqu'elles sont devenues “nécessaires et urgentes;” mais pour ces dernières, il a recours contre le débiteur, non-seulement par voie de déduction sur les produits, comme pour les premières, mais encore par voie de “remboursement” et ce remboursement peut être demandé immédiatement : il est naturel, en effet, qu'il ne soit pas tenu de faire une avance de nouveaux capitaux pour assurer et conserver son nantissement.
Art. 126. La loi fait une distinction entre les bâtiments et les terrains à bâtir es les fonds ruraux. Pour les premiers, il y a toujours lieu de faire les comptes respectifs du revenu, d'une part, et des intérêts de la dette, d'autre part : on ne pourrait en faire une compensation, à forfait ou en bloc. Au contraire, pour les fonds ruraux dont le revenue est difficile à apprécier et à constater, non-seulement cette compensation est permise, mais même elle a lieu de droit : pour qu'il en fût autrement, il faudrait ou une convention contraire, ou “ une fraude manifeste, soit à l'égard des autres créanciers, soit à l'égard des limites légales de l'intérêt.” La loi veut ici que la fraude soit “ manifeste,” précisément à cause de la difficulté de faire un compte exact des revenus, et cette fraude consistera dans la seule constitution d un tel nantissement, sans réserve d'un compte à faire, lorsque le débiteur savait qu'il nuisait à ses créanciers ou qu'il excédait le taux légal de l'intérêt. S'il ne s'agissait que d'une limite conventionnelle de l'intérêt, comme alors les parties ont pu vouloir en changer le taux par cette nouvelle convention, le changement serait valable, si l'autre fraude ne se rencontrait pas.
Il y a donc, en somme, deux cas où l'imputation des revenus doit se faire sur les intérêts et subsidiairement sur le capital : c'est, pour les biens urbains, toujours, et, pour les biens ruraux, quand on a exclu la compensation en bloc ou qu'il y a fraude manifeste à ne pas l'avoir réservée. Dans ces cas, le texte a soin d'exprimer que c'est le revenu net et non le revenu brut qui s'impute sur les intérêts de la créance et, subsidiairement, sur le capital.
Art. 127. C'est un principe général qu'une personne peut toujours renoncer à un droit existant en sa faveur et quelle le peut, lors même qu'elle se serait par convention interdite cette faculté. Mais il faut pour cela que le droit auquel une partie prétend renoncer ne soit pas lié en même temps à un droit de l'autre, de sorte que la renonciation puisse nuire à celle-ci. C'est cette réserve qui explique que le texte subordonne le droit de renonciation du créancier à la perte des intérêts de sa créance. Bien entendu, cette rononciation à la jouissance n'est que “ pour l'avenir.”
La loi ajoute que le créancier doit éviter une renonciation en temps inopportun. Ainsi, s'il s'agit d'un bien urbain, le créancier ne devra pas choisir le moment où d'importantes réparations sont urgentes, et s'il s'agit d'un bien rural, il ne devra pas attendre le moment de la récorte.
Art. 128. Le 1er alinéa de cet article reconnaît au créancier le droit de rétention qui est, comme dans le gage, le caractère du nantissement, et cette rétention durant jusqu'à parfait payement consacre encore le principe de l'indivisibilité.
Le 2e alinéa présente une différence entre notre nantissement et le gage (v. art. 110, 2e al.) : le créancier gagiste peut s'opposer à la vente du gage, tant que sa créance n'est pas exigible ; on en a donné le motif sous cette disposition : ce motif n'existant pas pour la vente d'un immeuble, celle-ci reste possible, aussi bien avant l'échéance qu'après, comme le dit notre texte.
La vente pourra être faite à l'amiable parle débiteur ; elle pourra être faite aux enchères, sur la poursuite des créanciers hypothécaires ou chirographaires; elle pourra même l'être sur la poursuite du créancier nanti lui-même. Les effets seront différents dans les trois cas, comme on le verra à l'article suivant.
Art. 129. Notre article suppose, tour à tour, la vente provoquée contre le créancier nanti ou par lui. Le cas où le débiteur vend à l'amiable suit les mêmes règles que la vente faite à la poursuite des créanciers, sauf qu'il donne lieu à la procédure de purge (v. art. 255 et suiv.).
Au premier cas, celui où la vente est provoquée contre le créancier nanti, une sous-distinction est à faire : ou le créancier nanti est primé par d'autres créanciers, soit privilégiés soit hypothécaires, ou il ne l'est pas.
S'il est primé par d'autres créanciers, la vente sera faite sans réserve de son droit de rétention et de jouissance, parce que le débiteur n'a pas pu enlever à ces créanciers un des avantages inhérents au privilège ou à l'hypothèque ; dans ce cas, d'ailleurs, le créancier nanti est colloqué à son rang d'hypothèque.
Si, au contraire, le créancier nanti est, en même temps, le seul ou le premier créancier hypothécaire, la vente publique n'aura lieu que sous la condition pour l'adjudicataire de respecter le droit de rétention, lequel sera porté au cahier des charges qui stipule par avance les obligations de l'acheteur et les conditions générales et spéciales la vente publique.
Quelques précautions devront d'ailleurs être prises dans ce cas : comme il pourrait arriver que les enchères, avant d'être terminées, atteignissent, même avec la condition de respecter le nantissement, un prix déjà suffisant pour désintéresser le créancier nanti, il devrait être porté au cahier des charges que, dès que ce prix sera atteint, la jouissance de l'immeuble sera comprise dans la vente ; cela relèvera immédiatement le prix et profitera aux autres créanciers, soit hypothécaires, soit chirographaires.
Si le débiteur a fait une vente amiable, son acheteur devra également respecter le droit de jouissance du créancier nanti, sans même que son acte de vente l'ait soumis à cette obligation, parce que le nantissement est révéré par l'inscription et cet acheteur n'a pas droit aux mêmes protections qu'un adjudicataire en vente publique. Il aura d'ailleurs le droit de rembourser le créancier nanti, si le terme n'est pas établi dans l'intérêt de celui-ci et, dans tous les cas, de le comprendre dans les offres à fin de purge, ce qui pourra donner lieu à une revente aux enchères publiques, avec des résultats analogues à ceux de la vente sur poursuite hypothécaire (v. art. 255 et 262).
Au deuxième cas, où c'est le créancier nanti qui a lui-même provoqué la vente, son droit de jouissance et de rétention est éteint, par une sorte de renonciation volontaire et tacite ; il peut toutefois le réserver expressément dans la mise en vente, mais à la condition qu'il n'y ait aucun autre créancier privilégié ou hypothécaire, même d'un rang postérieur au sien : du moment que le créancier nanti n'est pas seul intéressé, la loi ne lui permet pas d'exposer les autres créanciers à une vente à bas prix, s'il ne fait pas lui-même le sacrifice de sa puissance privilégiée.
Mais cette rigueur contre le créancier cesserait dans le cas où il ne requerrait la mise aux enchères que dans la procédure de purge, sur les offres faites par un tiers acquéreur à l'amiable (v. art. 265) : dans ce cas, le créancier, étant en quelque sorte mis en demeure de surenchérir, ne peut être considéré comme ayant volontairement renoncé à son nantissement.
Art. 130. Le créancier nanti d'un immeuble doit être assimilé, sous plusieurs rapports, au créancier gagiste ou nanti d'un meuble ; de là le renvoi à plusieurs articles du Chapitre précédent, renvoi que d'ailleurs il ne fraudrait pas croire absolument limitatif : s'il s'agissait d'emprunter au gage quelque disposition qui ne dépendît pas strictement de son caractère de droit mobilier, les tribunaux le pourraient certainement.
Des théories étendues ici du gage au nantissement immobilier, deux sont favorables au créancier, ce sont l'extension de la sûreté aux dépenses par lui faites pour la conservation de la chose, ainsi qu'à l'indemnité des dommages qu'elle lui aurait causés par des vices non apparents (v. art. 109) et l'impossibilité pour le débiteur de prescrire à l'effet de se libérer, lors que le nantissement est resté aux mains du créancier (v. art. 114) ; trois sont en faveur du débiteur, ce sont : l'obligation pour le créancier d'apporter à la garde de la chose les soins d'un bon administrateur (v. art. 106, Ier et 3e al. ; la droit du créancier de retenir la chose jusqu'à parfait payement (v. art. 110, 1er al.); la prohibition du pacte qui tendrait à attribuer la chose en payement au créancier (v. art. 113); enfin, l'impossibilité pour le créancier de prescrire à l'effet d'acquérer l'objet du nantissement, même lorsque sa possession a continué après l'extinction de la dette (v. art. 115).
CHAPITRE IV.
DES PRIVILÉGES.
DIS POSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 131. D'après la définition du privilège donnée par ce premier article, c'est la cause de la créance qui est en même temps la cause de la préférence appelée privilège: la priorité de date et la personnalité du créanciery sont sans influence.
La loi excepte deux cas où ce n'est plus la cause de la créance, mais la convention qui crée le privilège, ce sont précisément les cas de nantissement mobilier ou immobilier, objets des deux précédents Chapitres.
Mais si l'idée de cause de la créance doit dominer dans la définition du privilège, elle ne suffit pas. D'où peut venir, en effet, cette puissance de la cause? Quelles causes auront cette puissance? Quels objets seront soumis au privilège né de la cause ? A quelles conditions sera soumis son exercice ?
La loi seule, évidemment, peut les décider. Et c'est ce qu'exprime le 2e alinéa de notre article : les causes, les objets et les conditions des privilèges sont déterminés par la loi, et oela, limitativement, parce que les privilèges, en même temps qu'ils sont favorables à un créancier, sont nuisibles aux autres : ils dérogent au droit commun de l'article 1er ci-dessus ; ils ne peuvent donc s'étendre, par analogie d'un cas à un autre. Il y a là un principe qu'on ne devra jamais perdre de vue dans l'application de la loi. Cela n'exclut pas d'ailleurs l'interprétation des textes : la loi ne dit pas que toutes ses dispositions en cette matière seront expresses, elle dit seulement qu'on ne les étendra pas à des cas qu'elle n'a pas prévus.
Le privilège ne donne pas seulement un droit de préférence à un créancier sur les autres : il lui donne aussi, au moins, quand il porte sur un immeuble, un droit de suite contre les tiers-détenteurs.
Comme il y là une nouvelle dérogation au droit commun, lequel permet au débiteur de dsposer de ses biens, lorsqu'il agit sans fraude, il faut de même se référer à la loi pour connaître les cas où le droit de suite appartient au créancier et les conditions de son exercice.
C'est d'ailleurs parce que le droit de suite n'accompagne pas toujours le droit de préférence qu'il ne figure pas dans la définition du privilège.
Art. 132. A cause de son importance, le principe de l'indivisibilité est rappelé pour chaque sûreté réelle, et comme les privilèges sont de nature variée, on l'énonce ici dans les Dispositions générales.
Art. 133. Il n'y faut pas voir dans le principe posé au présent article une extension du privilège, mais seulement sa conservation, par son transport sur une nouvelle valeur qui représente manifestement l'ancienne, par une sorte de subrogation réelle.
Ce transport du privilège sur une valeur représentant la chose ne nuit pas aux autres créanciers, car ils n'ont pu compter sur cette valeur, du moment que la chose elle-même n'était pas leur gage. Ceux-là seuls qu'il faut protéger contre la subrogation dont il s'agit ce sont les débiteurs de cette valeur, afin qu'ils ne soient pas exposés à mal payer : la loi y pourvoit, en exigeant qu'ils soient informés par une opposition provenant du créancier privilégié.
Le 2e alinéa applique la subrogation réelle au prix de vente de la chose grevée de privilège. Cette disposition est d'abord applicale à la vente d'un meuble, parce que les meubles ne sont pas susceptibles de droit de suite, de la part du créancier privilégié ; elle s'applique encore aux ventes d'immeubles, lorsque le droit de suite n'a pas été conservé ou exercé conformément à la loi.
La même disposition s'appliquera au cas d'expropriation pour cause d'utilité publique : comme, dans ce cas, il n'y a pas de droit de suite, le droit de préférence doit se substituer sur l'indemnité due par l'Etat. Enfin elle s'appliquera tout naturellement, au cas d'incendie, a l'indemnité payée par les assureurs.
Art. 134. Cet article n'a d'autre but que de faire connaître d'avance les divisions de la matière.
Art. 135. Il n'y a pas de principe général sur le classement des privilèges, comme on en trouvera un, au contraire, pour le classement des hypothèques (v. art. 239). Cependant, on peut dire que c'est, généralement, la faveur plus ou moins grande que mérite la cause de la créance qui déterminera son rang ; mais, comme quelquefois ce principe se trouvera modifié par la bonne foi respective des créanciers privilégiés, lorsqu'il s'agira de meubles, et par la nécessité d'une publication du privilège par inscription, lorsqu'il s'agira d'immeubles, la loi ne peut que se référer à ce qui sera dit à ce sujet dans les Sections respectives.
Quand les privilèges sur les immeubles se trouvent en conflit avec des hypothèques, la préférence appartient, en généra], aux priviléges ; mais il comporte des exceptions possibles: d'abord celles que la loi peut toujours établir dans des cas particuliers, et l'article 144 en donnera un exemple ; ensuite, dans le cas où le créancier qui a le privilège est garant de l'hypothèque. Ainsi, par exemple, un vendeur d'immeuble a privilège sur la chose par lui vendue ; mais il ne saurait primer celui auquel il aurait consenti une hypothèque sur le même immeuble. Le texte a donc soin, en posant le principe de la préférence donnée au privilège sur l'hypothèque, de réserver les exceptions établies par la loi, ce qui comprend aussi bien les exceptions fondées sur les principes généraux du droit que les dispositions spéciales de la loi.
Il n'est pas rare que plusieurs créances privilégiées ayant la même cause ou des causes également favorables soient en concours sur le même bien, meuble ou immeuble ; alors elles concourent, en proportion de leur montant respectif, comme cela a lieu entre créances non privilégiées.
Art. 136. Le Code de Commerce établit quelques privilèges particuliers, où réglera certains privilèges, autrement que le présent Code, lorsqu'ils s'exerceront dans une faillite : notamment, le privilège des commis des marchands, des ouvriers des manufactures et du bailleur des bâtiments affectés au commerce ou à l'industrie du failli.
Des lois spéciales d'administration ou de finance établissent aussi quelques privilèges spéciaux du Trésor public, soit sur les biens des contribuables, soit sur ceux des comptables : le Code civile n'y préjudicie pas.
Dans les deux cas, qu'il s'agisse du Code de Commerce ou de lois spéciales, le droit civil restera le droit commun de ces privilèges, et il ne subira de dérogations qu'autant qu'elles seront indiquées expressément ou implicitement.
SECTION PREMIÈRE.
DES PRIVILÉGES GÉNÉRAUX SUR LES MEUBLES ET LES IMMEUBLES.
§ 1er. — DES CAUSES DES PRIVILÉGES GÉNÉRAUX.
Art. 137. Les cinq privilèges généraux ici énoncés sont à peu près nouveaux au Japon. On s'attachera sur chacun à faire reconnaître son utilité et sa légitimité.
I. — PRIVILEGE DES FRAIS DE JUSTICE.
Art. 138. L'expression “ frais de justice ” ne doit pas éveiller l'idée de frais faits dans une procédure judiciaire. Sans doute, ce sont là les frais de justice par excellence, mais ce ne sont pas les seuls : la loi a soin d'y joindre les frais “ d'actes extrajudiciaires.”
Le texte les présente comme étant “ des avances d'argent, des salaires ou honoraires,” sans que cette énumération doive être considérée comme limitative. Ces frais sont faits “ dans l'intérêt commun des créanciers, pour conserver, liquider, et distribuer les biens du débiteur.”
Cet intérêt commun, en même temps qu'il caractérise les frais privilégiés, est la justification du privilège lui-même et du premier rang qui lui est accordé. On retrouvera même, à des degrés divers, cette idée de service rendu aux créanciers, comme justification des autres privilèges généraux, à l'exception d'un seul, le suivant.
Les principaux actes qui donnent occasion à ces frais sont : les appositions de scellés, après le décès ou la faillite du débiteur, l'inventaire général des meubles formant le gage commun des créanciers, le recouvrement, par voie judiciaire ou extrajudiciaire, des sommes teva-leurs dues au débiteur, les revendications contre des tiers possesseurs, s'il y a lieu, la vente des biens aux enchères, le calcul de la répartition proportionnelle entre les créanciers et le payement.
Quant à la dénomination même de “ frais de justice”, elle se justifie par cette idée que si ces frais ne sont pas toujours faits en justice, c'est-à-dire dans une instance judiciaire, ils sont toujours faits sous le contrôle de la justice, par des officiers qui relèvent d'elle, disciplinairement.
Le 2e alinéa fait une réserve essentielle.
Il peut arriver que le droit de l'un des créanciers soit contesté et que celui-ci doive plaider contre le débiteur pour l'établir : si le créancier gagne le procès, il y a eu là des frais de justice, dans le sens le plus clair du mot, puisqu'il y a eu procès; ces frais sont privilégiés, mais le privilège n'est plus général, parce qu'ils n'ont pas été utiles au débiteur, ni à l'ensemble des créanciers : ils leur ont même été nuisibles, en amenant le concours d'un nouveau créancier ; le privilège sera donc spécial: il portera sur le montant des sommes allouées dans la masse à ce nouveau créancier qu'il faut supposer être lui-même insolvable, sans quoi le privilège n'aurait pas d'intérêt.
Il en serait de même des frais de la procédure dite d'ordre qui règle le rang et le payement de chaque créancier ayant privilège spécial ou hypothèque sur un ‘bien du débiteur : cette partie des frais, à la différence de celle qui résulte de la procédure dite de distribution par contribution, n'est utile qu'à ces seuls créanciers et ne doit être prélevée que sur le montant de la collocation qui leur est assignée.
Le privilège, restant spécial dans ces divers cas, rentre dans l'application de l'article 155 qui réglera le privilège de “celui a conservé un objet mobilier.”
II. — PRIVILÉGE DES FRAIS FUNÉRAIRES.
Art. 139. La loi ne définit pas expressément le sens et la portée des mots ” frais funéraires:” on doit leur donner ici un sens très étroit avec trois applications seulement : 1° l'ensevelissement, qui comprend le cercueil, 2° la cérémonie religieuse qui précède l'inhumation et 3° l'inhumation proprement dite (la mite en terre) ou la crémation (incinération du corps).
Il n'est pas douteux d'ailleurs que le transport des corps au temple et au cimetière soit privilégié, puisque c'est une dépense inséparable de la double cérémonie ; de même l'achat du terrain pour l'inhumation et aussi le monument qui y est élevé et constitue la tombe.
Mais il n'y aurait certainement pas privilège pour un embaumement, qui serait un luxe, ni pour une autopsie qui aurait été faite pour découvrir la nature d'un mal intérieur, cause de la mort.
Comme ces dépenses sont susceptibles d'une grande variété d'importance et que la loi ne peut songer à les tarifer d'une manière uniforme, même pour les débiteurs qui meurent insolvables, elle invite les tribunaux, pour le cas de contestation, à tenir compte de la " position sociale" du débiteur, combinée avec la “ mesure d'usage il ne faut pas que la dépouille du débiteur soit privée des honneurs qui lui sont dûs, parce qu'il meurt pauvre.
Mais la loi a soin (3e al.) d'exclure du privilège les dépenses “ même d'usage” qui suivent les funérailles, immédiatement ou après un certain nombre de jours, comme les présents aux invités, les repas commémoratifs, les vêtements de deuil des parents ou des serviteurs.
Il faut, à cette occasion, indiquer la cause légale de ce privilège. C'est le seul des privilèges généraux qui ne soit pas fondé sur l'idée d'un service rendu à la masse des créanciers ; la cause est double : la salubrité publique, qui réclame l'inhumation plus ou moins prompte des corps, et la décence, les convenances, qui seraient offensées, si les corps restaient plus ou moins longtemps sans sépulture, parce que la famille du défunt ne disposerait pas présentement des sommes nécessaires aux funérailles : en accordant un privilège général à. ceux qui feront les avances d'argent ou de services pour cette cérémonie, la loi encourage les tiers à les faire. Mais on comprend que la loi ne donne pas le même encouragement pour îles dépenses qui ne sont plus nécessaires, par cela même qu'elles sont postérieurs à l'inhumation, et, bien qu'elles soient d'usage, elles seraient abusives au cas d'insolvabilité.
Il fallait résoudre la question de savoir si le privilège des frais funéraires serait limité aux funérailles du débiteur, ou s'il s'appliquerait aussi aux frais des funérailles qu'il aurait prise à sa charge.
Tout en ne limitant pas le privilège aux funérailles du débiteur, il ne fallait pas admettre qu'il pût, au préjudice de ses créanciers, grever ses biens d'un privilége général qui ne se justifierait plus au même degré que quand il s'agit de lui-même. Le texte prend un parti qui concilie les convenances avec l'intérêt des créanciers : le privilège n'aura lien que pour les funérailles de de personnes présentant ees trois caractères : 1° qu'elles soient de la famille du débiteur (non des amis), 2° que leur entretien, de leur vivant, ait été à sa charge, 3° qu'elles aient habité avec lui, à l'époque de leur décès.
Il faut quelles aient été à sa charge, parce que, leur ayant dû les aliments pendant leur vie, il leur droit les derniers devoirs ; il faut qu'elles aient habité avec lui, au moment de leur mort, afin que les autres créanciers ne soient pas primés par un privilége qu'ils n'auraient pu prévoir.
III. — PRVILÉGE DES FRAIS DE DERNIÈRE MALADIE.
Art. 140. Le texte tranche ici, favorablement au privilège, une question qu'il ne fallait pas laisser incertaine, à savoir si c'est seulement la maladie dont le débiteur est mort qui donne lieu au privilège, ou même la maladie qui a précédé sa faillite ou la liquidation de ses biens par suite d'insolvabilité.
Bien que le cas de décès du débiteur soit celui où les créanciers pour soins médicaux sont le plus exposés à n'être pas payés, Il est à craindre aussi que le débiteur guéri, une fois failli ou insolvable, n'oublie facilement sa dette envers le médecin : il y en a bien des exemples. De plus, il y aurait quelque chose de clioquant à ce que le médecin dont les soins ont, sauvé le malade fût moins bien traité que celui qui n'a pas réussi.
Enfin, le but de la loi doit être d'encourager les médecins à donner leurs soins, et les pharmaciens à fournir leurs médicaments à ceux qui ne peuvent les payer comptant ; or, il n'y aurait aucun encouragement si le privilège n'était pas assuré dans tous les cas, et surtout au cas de guérison.
Le texte, par analogie avec ce qui a été décidé à l'article précédent, au sujet dos funérailles de certains parents du débiteur, donne aussi le privilège à ceux qui ont soigné les mêmes parents dans leur dernière maladie ; seulement, pour ces personnes, il n'y a pas à prévoir leur propre faillite, puisqu'étant à la charge du débiteur, elles n'ont pas de patrimoine propre ; leur dernière maladie est donc celle qui a précédé la mort ou l'insolvabilité du débiteur, sans distinguer, non plus, si elles sont mortes elles-mêmes ou si elles ont été guéries.
La longue durée qu'ont souvent les maladies pourrait donner lieu à une difficulté ; elle ne serait qu'incomplètement résolue quand on déciderait qu'il ne serait tenu compte pour le privilège que de la période pendant laquelle la maladie est devenue dangereuse et a rendu le décès probable et prochain ; en effet, outre une grande difficulté d'appréciation pour les tribunaux qui ne peuvent guère être éclairés ici que par le médecin, lui-même intéressé, cette solution ne s'appliquerait pas an cas où le malade a guéri.
Notre texte adopte un système plus simple et plus sûr : pour les maladies longues, que le malade en soit mort ou en ait guéri, le privilège sera exercé pour les frais “ de la dernière année,” c'est-à-dire qu'en prenant la mort ou la guérison comme terme fixe, ou remontera d'un an dans le passé pour faire le compte des frais privilégiés. Le médecin ne doit pas laisser grossir sa créance au-delà de ce que les autres créanciers pouvent prévoir.
Le dernier alinéa suppose que, pendant le traitement, le débiteur ou son parent “ est mort par une autre cause que la maladie pour laquelle les frais ont été faits ; ” dans ce cas, la maladie ne s'étant terminée ni par la mort causée par elle, ni par la guérison, on aurait pu hésiter sur l'admission du privilège; mais le médecin ne doit pas souffrir d'un tel accident.
La loi ne prévoit pas le cas où le médecin n'aurait pas donné ses soiris jusqu'à la guérison ou jusqu'à la mort ; mais il n'est pas douteux que le privilège subsiste : la nécessité d'encourager les médecins à donner leurs soins aux gens peu aisés est toujours la même et ils ne doivent pas souffrir de ce que les malades ou ceux qui les entourent se découragent d'un traitement qui ne réussit pas aussitôt qu'ils l'espéraient.
Il convient, en terminant, de s'arrêter un instant sur la cause légale de ce privilège ; il ne faut pas du tout croire qu'il soit créé dans l'intérêt des médecins on de leurs auxiliaires, si intéressants qu'ils soient; la cause ici est, comme dans cas du premier privilége et des suivants (le second est seul excepté), le service rendu au débiteur et à la masse de ses créanciers, par les soins médicaux : le médecin, en conservant ou en prolongeant la vie du débiteur, est considéré comme ayant géré l'affaire des ses créanciers.
IV. — PRIVILÉGE DES SALAIRES DES GFNS DE SERVICE.
Art. 141. Disons d'abord que la cause légale du privilège des gens de service est encore que ces services sont rendus moins au débiteur lui-même qu'à la masse de ses créanciers : si le debiteur était obligé de se servir lui-même, il passerait un temps considérable à des occupations matérielles, grossières, sans cesse renouvelées, au grand préjudice des travaux de sa profession, lesquels doivent lui procurer le moyen de satisfaire ses créanciers ; si les gens de service n'avaient un privilège, ils ne serviraient pas à crédit un homme dont la position pécuniaire serait mauvaise ou seulement douteuse et le mal qu'on vient de signaler serait inévitable.
Voyons maintenant l'étendue du privilège.
Les serviteurs privilégiés sont ceux attachés à la personne ou aux biens du débiteur et aussi à la personne de ses parents, dans les conditions prévues à l'article 139, c'est-à-dire “ habitant avec lui et à sa charge; ” ces parents pauvres peuvent avoir un ou deux serviteurs mis à leur disposition par le débiteur, eu égard à leur âge et à leur ancienne condition.
Pour ce qui concerne le débiteur, on devra considérer comme serviteurs attachés à sa personne, non seulement ceux qui lui donnent des soins directs et journaliers, mais encore le cuisinier, le cocher, le béto ; comme serviteurs attachés aux biens, on comptera les moml ans, les veilleurs de jour et de nuit, les jardiniers, hommes de peine, etc.
Le privilège ici prévu ne s'applique pas aux commis des marchands et des industriels;
Il fallait aussi régler l'étendue du privilège quant à la durée des services ;
Le loi adopte un calcul à la fois juste et facile: on prend le jour de la cessation des services comme point de départ et on alloue un an de gages pour l'arriéré, s'il n'a pas été payé et si les services ont cette ancienneté.
V. — PRlIVILÉGE DES FOURNITURES DE SUBSISTANCES.
Art. 142. La cause légale de ce privilège est toujours le service rendu au débiteur dans des conditions qui profitent aux autres créanciers : si le débiteur ne trouvait pas crédit pour sa subsistance journalière et celle de sa famille et de ses serviteurs, il serait obligé pour vivre de se livrer à des occupations journalières étrangères à sa profession, ce qui serait aussi nuisible à ses créanciers que s'il lui fallait, comme on l'a dit plus haut, se servir lui-même.
La subsistance de ses serviteurs est mise ici sur la même ligne que celle de la famille; d'abord, parce qu'il serait le plus souvent impossible de distinguer ce qui est pour la famille et ce qui est pour les serviteurs ; ensuite, parce que si la subsistance des serviteurs n'était pas assurée, comme leurs gages, le débiteur ne trouverait pas de serviteurs.
Au contraire, pour les frais funéraires et ceux de dernière maladie on n'a pas fait mention de ceux relatifs aux serviteurs ; d'abord, parce que la dépense n'aura souvent qu'une faible importance ; ensuite, parce que le maître insolvable n'a pas une obligation stricte de subvenir à ces dépenses pour ses serviteurs.
Le texte a soin d'exprimer que le privilège ne s'applique qu'aux “ denrées alimentaires ” : il donne ainsi au mot “ subsistances ” un sens très limité et très-précis.
Quant à la durée des fournitures privilégiées, le texte n'en admet qu'une, six mois, les six derniers; d'ailleurs on ne distingue pas, les fournitures des marchands “ en gros ” et celles des marchands “en détail.”
§ II. — DE L'EFFET ET DU RANG DES PRIVILÉGES GÉNÉRAUX.
Art. 143. Quoique les privilèges dont il s'agit dans cette Section s'étendent sur les meubles et les immeubles, ce n'est pas à dire que ce soit indistinctement et qu'il dépende des créanciers auxquels ils appartiennent de les faire valoir à leur gré sur les immeubles ou sur les meubles. Déjà l'article 134 nous a dit que les privilèges généraux ne s'étendent sur les immeubles que “ subsidiairement,” ce qui veut dire en cas d'insuffisance ou à défaut de meubles.
Le 1er alinéa de notre article l'exprime formellement.
Si la vente des meubles et la distribution du prix qui en provient a lieu d'abord, ce qui sera le plus fréquent, la collocation subsidiaire sur les immeubles des privilèges généraux ne fera pas de difficulté.
Le 2e alinéa prévoit qu'en fait, et pour des causes qui n'ont pas à nous arrêter, il y a eu lieu d'abord à la distribution du prix d'un ou plusieurs immeubles. Comme on ne sait pas ce que produira la vente du mobilier et quel sera le reliquat dû aux créanciers privilégiés sur tons les meubles, on doit nécessairement admettre ceux-ci à produire leurs titres et à se faire colloquer sur le prix des immeubles vendus, pour le montant intégral de leur créance. Mais cette collocation est “ conditionnelle ” ou provisoire : elle a seulement pour but de préserver les créanciers d'une perte, au cas où les prévisions sur la vente du mobilier ne seraient pas atteintes et aussi de ne pas retarder la collocation des autres créanciers ayant privilège ou hypothèque sur les immeubles.
Aussi les créanciers qui nous occupent ne touchent-ils pas le montant de leur collocation, puisqu'il peut arriver qu'ils n'aient besoin de rien toucher sur le prix des immeubles ; c'est seulement après la vente du mobilier, que, si quelque chose leur reste dû, ils le recevront sur cette collocation immobilière.
La loi devait prévoir le cas où les créanciers qui nous intéressent auraient négligé de se présenter en temps utile à la distribution du prix des meubles ; dans ce cas, ils seraient déclins non de tout droit sur le prix des immeubles, mais des sommes qu'ils auraient pu toucher sur le prix des meubles ; or, ces sommes sont faciles à connaître quand les meubles sont vendus, puisque ces créanciers eussent été les premiers à toucher.
Art. 144. Il fallait régler l'ordre de préférence entre les créanciers privilégiés eux-mêmes, pour le cas où les biens, meubles et immeubles, ne suffiraient pas à les désintéresser tous.
Si les cinq privilèges généraux se rencontrent dans la liquidation, ils seront colloqués dans l'ordre où la loi vient de les présenter ; si quelques-uns ne se rencontrent pas, l'ordre est le même entre ceux qui existent.
Comme chacun de ces privilèges peut être réclamé par plusieurs créanciers de même qualité, il n'y a pas de différence entre eux ; ils sont colloqués au même rang, proportionnellement à ce qui leur est dû.
Mais ils peuvent se trouver en concours avec des privilèges spéciaux sur les meubles ; cela aura même lieu nécessairement chaque fois qu'il y aura un privilège spécial quelconque sur les meubles : la loi ne règle pas ici les rangs respectifs, puisque les privilèges spéciaux sur les meubles ne sont pas encore connus ; elle renvoie, à cet égard, à la Section suivante (v. art. 163).
Au contraire, la loi règle ici le concours de nos privilèges généraux sur les meubles et les immeubles avec des privilèges spéciaux sur les immeubles et avec des hypothèques, soit spéciales, soit générales, sur les immeubles ; cependant ces causes de préférence n'ont pas encore été rencontrées non plus; le motif est que, si ou ne réglait pas ici ce concours, il faudrait le régler par tiellement clans des deux Chapitres suivant, ce qui serait défavorable à l'ensemble de la théorie.
La loi donne la priorité aux privilèges spéciaux et aux hypothèques spéciales sur les privilèges généraux, lors même que la constitution des sûretés spéciales est postérieure à la naissance des privilèges généraux ; pourvu, a soin de dire la loi, “ qu'il n'y ait pas fraude” : la spécialité donnée par la loi ou par la convention à une sûreté, en même temps qu'elle s'oppose à son accroissement, doit aussi la préserver de tout décroissement par un concours imprévu.
Au contraire, les privilèges généraux sur les meubles et les immeubles priment les hypothèques également générales sur les immeubles, lors même que celle-ci seraient nées les premières : la raison est que les privilèges généraux de nos articles 138 à 142 sont ordinairement d'une importance minime, par rapport aux immeubles, et existent par des causes excessivement favorable.
Il fallait prévoir enfin le cas de plusieurs immeubles grevés d'hypothèques générales, et déterminer comment chacun supporterait la priorité de nos privilèges généraux.
Le principe est que chaque immeuble supporte les privilèges généraux proportionnellement à son importance : il ne serait pas juste que le hasard qui fait vendre les uns avant les autres fit porter la charge entière sur les premiers vendus.
Il n'y aura qu'une différence de procédure entre la vente simultanée de tous les immeubles et les ventes successives. Au cas de vente simultanée de tous, la répartition et la collocation proportionnelles se feront immédiatement ; au cas de ventes successives, les créanciers à privilèges généraux toucheront, sans recours, sur le premier immeuble vendu, l'intégralité de ce qui leur est dû ; mais les créanciers hypothécaires qui ont subi cette priorité sur le premier immeuble pourront exercer un recours de ce chef, préalablement à toute autre collocation, sur le prix des autres immeubles, lorsque la vente en aura lieu : ils y auront intérêt chaque fois qu'ils n'auront pas respectivement le même rang d'hypothèque.
Art. 145. On verra, à la Section u, que les privilèges spéciaux sur les immeubles sont soumis à la publicité résultant de l'inscription. Nos privilèges généraux, bien que portant sur les immeubles, ne sont pas soumis à cette condition pour être opposables aux autres créanciers. Il y a de cela deux raisons : d'abord ils ne s'exercent que subsidiairement sur les immeubles ; or, il serait fâcheux de soumettre ces créances à une formalité et à des frais qui peuvent, en fait, se trouver inutiles ; ensuite, ces créances privilégiées sont de celles que les autres créanciers peuvent toujours prévoir, avec plus ou moins de certitude quant à leur existence, et de vraisemblance quant à leur montant.
Au surplus, cette dispense d'inscription des privilèges généraux n'a d'effet que pour l'exercice du droit de préférence : on verra ailleurs que l'exercice du droit de suite sur les immeubles ne serait possible, en vertu de ces privilèges, que s'il y avait eu inscription (v. art. 190).
SECTION II.
LES PRIVILÉGES SPÉCIAUX SUR LES MEUBLES.
§ 1er. — DE LA CAUSE ET DE L'OBJET DES PRIVILÈGES SPECIAUX SUR LES MEUBLES
Art. 146. L'énumération ici donnée des priviléges spéciaux sur les meubles exclut le privilèges des créanciers nantis, déjà traité comme étant fondé sur la convention et non sur la loi et sur la cause de la créance.
Notons seulement ici une simple différence de rédaction comparée à celle de l'article 137 ; au lieu d'énoncer les créances privilégiées, comme on l'a fait plus haut pour les privilèges généraux, ce sont les créanciers qui sont désignés ; en effet, du moment qu'il est impossible d'avoir une formule semblable pour chaque créance, mieux vaut employer le nom légal que chaque créancier reçoit du contrat qui est la source de son droit.
Chacun de ces privilèges va être repris en détail, et l'on y verra, avec sa cause, les objets sur lesquels il porte, comme l'annonce le présent §, différent en cela du § 1er de la Section précédente qui ne s'occupait que des causes, non de l'objet des privilèges généraux ; eu effet, cet objet était, pour tous, l'ensemble des biens meubles et immeubles du débiteur. Ici chaque privilège a un objet spécial.
I. — PRIVILÉGES DU BAILLEUR D'IMMEUBLE.
Art. 147. Ce privilège occupe le premier rang dans le Code, à cause de sa très fréquente application et de toutes les distinctions qu'il comporte.
Ce premier article et le suivant concernent le bail de bâtiments, l'article 149, le bail de biens ruraux, les articles 150, 151 et 152 contiennent des dispositions communes aux deux sortes de baux.
Sur chacun de ces baux la loi nous indique ; 1° quelle est la nature et l'étendue des créances du bailleur garanties par le privilège, 2° sur quels meubles il s'exerce, et cela nous conduira à comprendre la cause légale du privilège, la faveur que méritent ces créances privilégiées.
Comme c'est le contrat de bail, et non la personne du bailleur, qui motive le privilège, nous disons, de suite et d'une façon générale, que ce sont les seules créances nées du bail ou à sou occasion qui sont privilégiées, et, comme objets sur lesquels porte le privilège, que ce sont ceux que la preneur a apportés sur le fonds loué ou qu'il en a tirés par l'exploitation.
C'est dans ces éléments du privilège que nous trouvons les moyens de le justifier.
D'abord l'idée de service rendu au débiteur, et par suite à ses créanciers, est manifeste : tout le inonde n'a pas une maison à soi pour l'habiter ou pour y exercer une industrie ou une profession; le bailleur qui prête l'usage de ses bâtiments rend donc un service éminent, indispensable, à ceux qui ne sont pas propriétaires ; le bailleur de fonds ruraux fournit à ceux qui n'ont pas de terres le moyen d'exploiter le sol, cc qui est, en même temps qu'un service personnel rendu au fermier, un avantage économique procuré à lu société, par une aide à la production agricole ou au travail industrielPour le bail rural, il est donc naturel que le bailleur ait privilège sur les fruits et produits tirés de son fonds : ces produits ne doivent devenir le gage commun des autres créanciers que quand le bailleur a été désintéressé.
Pour les deux sortes de baux et surtout pour le bail de bâtiments, le bailleur est autorisé par la loi à se considérer comme nanti, par une sorte de gage tacite, des objets mobiliers apportés dans les bâtiments pour l'usage, le commerce on l'industrie du preneur, et sur les terres pour leur exploitation.
Le 1er alinéa de notre article indique les objets du privilège pour le bailleur de bâtiments que, pour abréger, nous appellerons “ bailleur urbain,” par opposition au “ bailleur rural.”
Le 2e alinéa fait ici l'application du principe général que la possession des meubles vaut un titre parfait (v. art. 346 du Livre des Biens et 144 du Livre des Preuves) : s'il s'agissait d'un gage conventionnel et que la chose donnée en gage n'appartint pas au débiteur, le créancier, s'il était de bonne foi, n'en aurait pas moins un droit de gage parfait ; il en est de même dans le cas du gage tacite qui nous occupe.
Le texte a soin de nous dire que la bonne foi du bailleur doit exister, non au moment où les meubles ont été introduits dans les locaux loués, mais au moment où le bailleur a eu connaissance de cette introduction.
Pour que l'idée de gage tacite reste vraie, il faut que les objets apportés par le preneur soient apparents dans la maison, ou de nature à être prévus par le bailleur, comme étant ceux que tout preneur a en quantité plus ou moins considérable. Par suite, la. loi exclut de ce gage tacite “l'argent comptant, les bijoux et pierreries”; elle ajoute que l'exclusion ne s'applique qu'aux bijoux et pierreries “ destinés à l'usage personnel du débiteur ou de sa famille,” indiquant par là que si de pareils objets formaient la matière du commerce du preneur l'exclusion ne s'appliquerait plus.
Les titres de créance, “même au porteur,” sont exclus pareillement : la bailleur n'y a pas plus compté que sur l'argent qu'ils représentent.
Il va sans dire que les manuscrits, plans, documents quelconques, se trouvant dans la maison, ne sont pas le gage du failleur : ils ne sont pas là “ pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur” (1er al.); en tout cas, lors même qu'ils serviraient à son industrie, ce ne serait qu'indirectement, ils n'en seraient pas l'objet.
Au contraire, les objets d'art, bronzes, laques, porcelaines, tableaux, livres de bibliothèque, font partie du gage : on peut dire, qu'ils “ garnissent les lieux loués ” et l'article suivant va employer cette expression.
Art. 148. La loi ne se borne pas à autoriser le bailleur à se considérer comme tacitement nanti des objets “ garnissant les lieux loués : ” elle l'autorise à exiger que cette garantie lui soit fournie, non pas, il est vrai, pour une valeur égale à tous les loyers à échoir, mais au moins pour le terme courant et pour un terme à échoir.
Si le preneur ne peut fournir la sûreté pour les deux termes, mais pour un seul, alors il doit payer le terme courant par anticipation et continuer de façon à être toujours en avance d'un terme : faute de quoi, il est exposé à la résiliation pour inexécution de ses obligations.
Le 2e alinéa suppose que le preneur, après avoir garni suffisamment les lieux loués, déplace une partie des objets ; il permet alors au bailleur de les faire réintégrer dans les lieux, mais sous deux conditions ; 1° que sa garantie soit devenue insuffisante (or, cela pourrait ne pas être). 2° que quelque droit sur ces objets appartienne encore au preneur, et c'est dans la limite de ce droit que le bailleur exercera son droit de reprise; par conséquent, les aliénations seront maintenues, et si les objets, bien que restés la propriété du preneur, ont été par lui donnés en gage, soit conventionnel, soit tacite, en faveur d'un autre bailleur, le droit du nouveau créancier gagiste sera respecté.
Mais il fallait prévoir aussi le cas où le détournement du gage aurait été frauduleux à l'égard du bailleur et, dans ce ces, permettre la révocation contre les tiers, conformément an droit commun ; or, comme cette révocation comporte des “conditions et distinctions ” sur la nature gratuite ou onéreuse de l'aliénation et sur la bonne ou la mauvaise foi de l'acquéreur, le texte renvoie, à cet égard, aux articles 341 et suivants du Livre des Biens.
La dernière disopsition finale fait une autre réserve, par renvoi à l'article 133 : soit que le bailleur puisse ou non faire révoquer l'aliénation il n'est pas réduit à cette seule voie : si donc il préfère se faire attibuer le prix de l'aliénation dû par un tiers, il le peut, et ce sera souvent plus simple.
Ce renvoi à l'article 133 n'est pas reproduit pour chaque privilège, mais il faut le suppléer chaque fois que le privilège ne peut plus s'exercer sur la chose en nature, sans avoir pourtant été perdu en lui-même.
Art. 149. Il s'agit bail d'un fonds rural, soit ordinaire ou à ferme, soit à long terme on à emphytéose. Dans ce cas. les objets sur lesquels porte le gage tacite du bailleur sont plus nombreux, sans qu'on puisse dire d'ailleurs que la garantie est plus considérable, parce que ces objets, surtout les premiers, ont ordinairement peu de valeur.
Ce sont: 1° les objets mobiliers placés dans les bâtiments d'habitation pour l'usage des personnes ; 2° les animaux et ustensiles aratoires; 3° les objets servant à l'exploitation agricole, notamment à la transformation îles produits du fonds, pour qu'ils puissent être mieux vendus ; 4“ les récoltes et autres fruits et produits naturels du fonds loué, tant qu'ils sont attachés au sol ou conservés sur le fonds.
Les dispositions qui précèdent s'appliqueraient au bail d'une forêt et d'un étang: quoique les instruments d'exploitation et les produits en soient différents de ceux des teerrs, l'analogie est suffisante pour que la loi n'ait pas cru nécessaire de l'exprimer.
A l'égard du bail à colonage ou à part de fruits, le droit du bailleur est plutôt un droit de copropriété qu'un droit de créance : il préservera le bailleur du concours avec les autres créanciers et il sera d'une réalisation plus facile, tant que les fruits ne seront pas sortis des mains du colon.
Art. 150. Le bail à ferme on à emphytéose est susceptible de cession ou de sous-location, s'il n'y a eu interdiction de cette faculté ; le bail a colonage ne peut être cédé ou sous-loué que s'il y a eu autorisation du bailleur à cet effet (v. art. 133 du Livre des Biens.); dans les deux cas, le droit de gage du bailleur originaire s'exerce sur les meubles garnissant les lieux loués, “lors même que le bailleur sait qu'ils appartiennent au cessionnaire ou au sous-locataire:“ celui-ci ne peut se plaindre d'une situation qu'il a dû prévoir. D'ailleurs, il devra avoir soin de ne payer son prix de bail ou de cession qu'aux mains du bailleur originaire ; de cette façon, la propriété de ses meubles ne sera pas compromise. Le bailleur a même le privilège sur les sommes dues à ce titre, non seulement parce que ce sont des fruits civils de sa chose, mais encore par application de l'article 133 auquel notre article renvoie.
Art. 151. La loi devait déterminer pour quelle période du bail, le bailleur pourra se faire colloquer dans la liquidation des biens du preneur : elle accorde le privilège au. bailleur pour trois termes : le dernier terme écoulé, le terme courant et un terme à échoir. Il faut supposer bien entendu, qu'il n'a pas été fait, pour ce qui est échu ou à échoir, de payement qui restreigne cette créance du bailleur.
A ce moment de la liquidation générale, le bailleur pourra encore exercer ses autres créances résultant du bail ; sans préjudice du droit de faire résilier le bail avec indemnité, s'il préfère rentrer dans la jouissance de sa chose.
Art. 152. Comme le bail pourrait être avantageux au preneur et par suite à ses créanciers, ceux-ci ont la faculté de s'opposer à la résiliation et de sous-louer ou céder le bail ; mais à la condition de garantir au bailleur le payement de tout ce qui lui sera dû pour l'avenir.
Cette disposition s'applique non seulement lorsqu'il n'a rien été prévu quant à la faculté pour le preneur de cé der ou sous-louer, mais même lorsqu'il y a eu prohibition à cet égard.
Il ne faudrait cependant pas l'étendre au bail à colonage ou à part de fruits, parce que ce contrat a un caractère de société et a été fait en considération de la capacité et de l'honnêteté du preneur; pour que les créanciers pussent sous-louer ou céder le bail dans ce cas, il faudrait que la faculté en eût été à l'origine accordée au preneur (v. art. 134 précité du Livre des Biens.).
II. — PRIVILÉGE DES FOURNISSEURS DE SEMENCES ET ENGRAIS.
Art. 153. Il est évident que ceux qui ont fourni à crédit les semences et les engrais n'ont pas moins contribué à la production de la récolte que celui qui a prêté le sol ; il n'est donc pas moins juste de leur donner un privilège sur ladite récolte. On verra plus loin que ce privilège doit même passer avant celui du bailleur.
A cause de l'importance de l'élevage des vers-à-soie au Japon, la loi s'explique particulièrement sur la fourniture des graines de vers et des feuilles de mûrier qui leur servent de nourriture. Il arrive souvent que des gens très pauvres, sans avoir de mûriers, élèvent des vers-à-soie, en petite quantité, pour utiliser les bras des femmes, des vieillards et des enfants, et augmenter ainsi leurs moyens d'existence ; il leur serait difficile de payer chaque jour le prix des feuilles achetées au dehors ou, encore plus, de payer en une seule fois la location d'un ou plusieurs mûriers ; la loi les favorise en donnant un privilège sur la récolte de la soie à ceux qui leur fourniront à crédit la nourriture des vers.
S'il s'agit de l'élevage, industriel et en grand, le privilège ne sera pas moins utile, parce que les frais de nourriture étant considérables, il peut être difficile aux éleveurs de tout payer avant la récolte.
III. — PRIVILÉGE DES OUVRIERS AGRICOLES ET INDUSTRIELS.
Art. 154. Il ne suffirait pas que certains créanciers fussent encouragés à prêter le sol, et d'autres les semences et engrais, si les ouvriers agricoles, non moins nécessaires, n'étaient assurés du payement de leur travail à la terre et à la récolte ; la loi leur donne donc aussi, pour leur salaire de la même année, un privilège sur ceux des produits de l'année courante auxquels ils ont coopéré.
Il sera rare d'ailleurs qu'il leur soit dû une année entière, parce que leur ressources ne leur permettent guère de faire un si long crédit à celui qui les emploie.
La loi a soin d'exclure du présent article “ les serviteurs” dont le privilège général est déjà réglé par l'article 141.
S'il s'agit, non plus d'ouvriers agricoles, mais d'ouvriers industriels, le privilège est réduit aux trois derniers mois de leur salaire de l'année courante : le motif de cette restriction est que, les produits des industries étant à peu près continus, ces ouvrires ne sont pas, comme les précédents, dans une sorte de nécessité de faire crédit pour un an.
IV. — PRIVILÉGE DU CONSERVATEUR D'OBJETS MOBILERS.
Art. 155. Ce privilège est manifestement fondé sur le service rendu au débiteur et à ses créanciers, puisqu'un objet est resté dans leur gage, grâce à des frais de réparation ou de conservation qui ont rendu l'un d'eux créancier.
La loi met sur la même ligne “ la réparation et la conservation,” parce que le premier service est souvent bien voisin du second et est le meilleur moyen d'empêcher la perte de la chose. Mais le privilège n'est pas accordé à ceux qui auraient seulement améliorera chose : outre que l'amélioration n'est pas aussi désirable que la conservation, il ne pourrait y avoir privilège de ce chef que sur la plus-value ; or, cela nécessiterait des expertises plus ou moins coûteuses et hors de proportion avec l'intérêt engagé.
On trouvera, au contraire, un privilège spécial sur les immeubles pour améliorations ; mais, précisément, ces expertises seront organisées avec soin et l'intérêt engagé comportera cette mesure.
On a vu à l'article 92 que celui qui a fait des dépenses pour la conservation de la chose d'autrui peut exercer sur cette chose un droit de rétention. Le droit de rétention n'implique pas par lui-même le privilège sur la valeur de la chose ; mais ici les deux droits se cumulent, et la loi a soin de nous dire qu'ils sont indépendants, en sorte que le créancier qui aurait négligé de retenir la chose n'aurait pas moins droit à l'exercice du privilége.
Le 1er alinéa est écrit surtout en vue d'objets corporels; le 2e alinéa suppose que les frais de conservation ont été appliqués à des droits du débiteur qu'il a fallu faire valoir en justice ou exercer par des actes extrajudiciaires.
Bien que le service soit rendu an débiteur et, par suite, à la masse de ses créanciers, le privilège n'est pas général comme celui des frais de justice réglé à l'article 138: ce n'est pas, comme dans le cas de cet article, tout le patrimoine qui a été conservé, c'en est seulement une partie, un objet ; il est donc naturel que le privilège reste spécial sur objet : déjà ledit article 138, 2e alinéa, avait fait cette réserve.
V. — PRIVILÉGE DU VENDEUR D'OBJETS MOBILIERS.
Art. 156. Le vendeur a mis un objet dans le patrimoine du débiteur sous la condition de recevoir un prix ; si, lorsque ce prix ne lui a pas été payé, il était obligé de subir le concours avec tous les créanciers, ceux-ci s'enrichiraient à ses dépens ; ce privilège a donc pour fondement légitime, comme tous les autres, le service rendu à la masse ; mais, de même que pour les autres privilèges spéciaux, le service se spécifie, s'incorpore, en quelque sorte, dans un objet déterminé ; le privilège ne porte donc que sur cet objet.
Il n'importe pas que le vendeur ait ou non donné un terme pour le payement. Il est vrai que, quand il n'a pas donné de terme, il a, jusqu'à parfait payement, le droit de rétention de la chose vendue (art. 47 du Livre précédent) ; mais les deux droits sont indépendants l'un de l'autre, comme nous le dit l'article suivant.
Le texte prévoit le cas où l'acte d'aliénation est un échange avec soulte, c'est-à-dire un “ échange mêlé de vente,” comme on dit en doctrine. Il était impossible d'admettre que, dans tous les cas et si faible que fût la soulte, l'aliénateur qui a déjà reçu une chose de l'acquéreur, en contre-échange, eût encore un privilège sur son ancienne chose, comme garantie de la soulte; il était impossible également de le lui refuser toujours et si considérable que fût la soulte : la loi applique ici un principe qui a déjà été rencontré plusieurs fois, le principe que “ la plus forte part entraîne la plus faible si la soulte est de plus de moitié, l'aliénateur aura pour cette soulte le privilège du vendeur.
Art. 157. Le privilège du vendeur de meubles ne donne pas le droit de suite contre les tiers acquéreurs ; la loi ne réserve même pas le cas où les tiers sauraient que le prix n'est pas encore payé : cette connaissance ne les constitue pas en état de possesseurs de mauvaise foi, car ils peuvent croire que le vendeur et l'acheteur ont pris des arrangements particuliers ou que l'acheteur est solvable ; pour que le vendeur pût agir contre des tiers acquéreurs, il faudrait que la nouvelle aliénation eût été faite en fraude de ses droits et qu'il y eût lieu à l'application de l'article 342 du Livre des Biens.
En cas de revente par l'acheteur, le vendeur aurait aussi le droit de saisir le prix de revente encore dû et de se le faire attribuer par privilège aux autres créanciers, par application de l'article 133.
Si l'objet vendu, resté en la possession de l'acheteur, a été par lui immobilisé, soit par destination, soit par incorporation (v. Livre des Biens, art. 9 et 10), le privilège subsiste, mais sous la condition que l'objet puisse être détaché sans détérioration du fonds.
Dans aucun cas, le vendeur ne pourra exercer le privilège si l'objet a été transformé d'une manière qui empêche d'en reconnaître l'identité avec certitude.
Art. 158. On a déjà dit que le privilège du vendeur est indépendant de son droit de rétention et de son droit de résolution. Il faut pourtant prendre garde d'exagérer ce cumul : les trois droits coexistent assurément, mais l'exercice n'en peut être cumulé sans distinction.
Si le vendeur commence par retenir la chose vendue, parce que la vente est faite sans terme, il peut ensuite exercer le privilège, en faisant revendre la chose aux enchères, pour être payé sur le prix ; mais, dans ce cas, le droit de résolution est évidemment perdu ; s'il n'a pas exercé le droit de rétention immédiatement, ce droit est perdu ; mais il reste au vendeur le choix entre l'exercice du privilège et celui de la résolution : s'il opte pour la revente avec privilège sur le prix, la résolution est encore perdue ; s'il opte pour la résolution, le bien rentre dans sa propriété ; il peut rester créancier de dommâges-intérêts, mais il n'a pas de privilège : il ne peut en avoir sur sa propre chose, ni sur d'autres biens du débiteur à l'égard desquels il n'a rendu aucun service à celui-ci.
VI. — PRIVILÉGE DE L'AUBERGISTE ET DE. L'HÔTELIER.
Art. 159. Ce privilège et les derniers qui suivent nous ramènent à une double cause justificative de préférence : le service rendu au débiteur et le gage tacite.
Si les aubergistes et hôteliers n'avaient pas de privilège, comme ils ne connaissent pas les voyageurs, ils ne pourraient raisonnablement leur faire aucun crédit, et la première chose que devrait faire un voyageur, en entrant dans une hôtellerie, serait de donner de l'argent, ce qui ferait commencer par la défiance des rapports qui, pour être courts, n'en doivent pas moins être cordiaux et doivent être plus faciles.
Les lois les plus anciennes, depuis celles de Rome, ont toujours admis un privilège en faveur des hôteliers et aubergistes. Le Code leur reconnaît le même privilège, lequel porte seulement sur les objets apportés par les voyageurs, et tant que ces objets sont encore dans l'auberge ou l'hôtellerie; il résulte de cette condition que l'hôtelier peut les retenir jusqu'à parfait payement.
Les créances garanties sont seulement celles qui résultent du logement et de la nourriture de voyageur, mais non celles qui seraient nées à l'occasion du séjour du voyageur, comme une avance d'argent pour des achats, des frais de médecin, des réparations du voitures. de caisses ou de vêtements : la loi doit encourager les hôteliers à rendre un service qui facilite les voyages et qui, comme tel, a des avantages généraux autant que particuliers, mais elle n'entend pas pousser l'hôtelier à nne confiance exagérée et imprudente.
Cependant les frais de médecin et ceux de réparation de caisses et voitures pourraient être privilégiés en faveur de l'hôtelier, si, en les payant pour le voyageur, il avait pris soin de se faire donner une quittance subrogative aux privilèges dont jouissent le médecin et le réparateur d'objets mobiliers. Ceux-ci, en effet, pourraient prétendre aux privilèges qui sont accordés, par les dispositions précédentes, au médecin par l'article 140 et au réparateur ou conservateur d'objets mobiliers par l'article 155. Or, ces privilèges primeraient celui de l'hôtelier (v. art 163 et 164); si donc l'hôtelier a désintéressé ceux qui le priment, en ayant soin de se faire subroger à leur privilège (car on ne se trouve pas dans un cas de subrogation légale), il cumulera ces privilèges avec le sien.
Comme les voyageurs sont souvent accompagnés de serviteurs et de chevaux, il est naturel que la nourriture et le logement de ces auxiliaires soient privilégiés également ; et comme il serait possible que les animaux fussent des bœufs, la loi, pour ne pas commettre une omission que le principe de l'application stricte des privilèges ne permettrait pas de suppléer, emploie l'expression de “ bêtes de somme ou de trait.”
VII. — PRIVILÉGE DES VOITURIERS ET DES BATELIERS.
Art. 160. La cause légitime de ce privilège est la même que celle du privilège précédent, elle est double également : un service rendu, digne d'encouragement dans l'intérêt général, et un gage tacite. L'origine du privilège est romaine, comme celle du précédent.
Le privilège porte sur les objets transportés par terre ou par eau, ce qui comprend les transports maritimes et ceux faits par fleuves, rivières ou canaux.
Il n'y a pas à distinguer si les transporteurs sont commerçants ou non, ni si des voyageurs accompagnent ou non les bagages ou marchandises ; mais la loi pose en principe que lesdits objets doivent se trouver encore dans les mains des transporteurs, sauf un tempérament à cette condition énoncé plus loin ; il en résulte que le droit de rétention accompagne le privilège.
Les créances garanties sont : celle du prix de transport des objets et des personnes, si celles-ci accompagnaient les objets (dans ce cas, il pourra y avoir aussi privilège pour la nourriture), les droits de douane et les frais accessoires légitimes, parmi lesquels il faut comprendre ceux d'emmagasinage, de réparation des caisses et de délivrance.
Comme il est souvent nécessaire aux voituriers et bateliers de décharger promptement leur voitures, navires, bateaux ou barques, et qu'ils n'ont pas toujours, dans les lieux de relais ou de relâche, des locaux convenables pour la garde de leur gage, il est juste que le privilège et la rétention ne soient pas perdus d'une façon absolue par la remise des objets au destinataire ou à son mandataire ; mais il ne faudrait pas non plus que la reprise de la possession pût se faire après un long intervalle de temps : la loi donne au voiturier ou batelier un délai de 48 heures pour demander la restitution des objets par voie de sommation. Si la sommation est restée sans effet, le créancier doit former une demande en justice, à cet effet, ‘‘dans un bref délai.” La loi laisse ainsi aux tribunaux le pouvoir d'apprécier si la demande a été faite aussitôt que possible, eu égard aux circonstances de temps et de lieux.
Par cela même que les objets transportés ont pu sortir des mains du créancier privilégié, il est possible qu'ils aient été aliénés à des tiers: la loi déclare que ceux-ci ne seront pas inquiétés, s'il n'y a pas eu fraude (concertée ou non, suivant la distinction portée à l'article 341); dans tous les cas, le privilège porterait sur le prix de vente dû par eux, comme il est dit à l'article 148 auquel la loi a encore soin de renvoyer.
VIII. — PRIVILÉGES DES CRÉANCIERS POUR FAITS DE CHARGE.
Art. 161. Certains fonctionnaires ayant des rapports pécuniaires avec les particuliers, tels que les notaires et les greffiers, sont ou seront soumis par des lois spéciales à l'obligation de verser un cautionnement en argent dans les caisses de l'Etat on d'autres administrations publiques. Ce cautionnement est la garantie éventuelle des indemnités ou restitutions auxquelles lesdits fonctionnaires pourraient être condamnés envers les particuliers.
Ceux-ci sont donc des créanciers nantis d'une sorte de gage légal ; l'autorité publique est leur mandataire pour la garde du gage.
Quoique la loi, dans la rubrique de ce privilège ne mentionne que les “ faits de charge,” elle ajoute, au texte, “ les fautes et abus commis dans l'exercice de leur fonction ; ” mais ce sont toujours des faits de charge.
IX. — PRIVILÉGE DES PRÊTEURS DE DENIERS DU CAUTIONNEMENT.
Art. 162. Ceux qui remplissent les conditions voulues pour les offices publics soumis au cautionnement n'ont pas toujours une fortune suffisante pour fournir le cautionnement nécessaire, et réciproquement, ceux qui ont les capitaux n'ont pas toujours les qualités requises pour ces fonctions ; il est donc bon d'encourager les capitalistes, amis ou non des aspirants auxdits offices, à leur prêter les fonds nécessaires au cautionnement : le meilleur encouragement, c'est encore un privilège sur ledit cautionnement.
Naturellement, cc privilège ne peut s'exercer qu'après celui qui appartient aux créanciers qui ont souffert des faits de charge, aussi est-il qualifié de “ privilège de second ordre,” expression qu'on a eu soin d'insérer dans la loi, pour la consacrer, comme celle de “ faits de charge,” parce qu'elle est simple et claire.
Pour que ce second privilège ne soit pas une source de méprises pour les autres créanciers, la loi exige que les prêteurs des deniers du cautionnement aient fait connaître leur droit, “ conformément aux Règlements,” soit au moment même du prêt, ce qui sera le plus sûr et le plus régulier, soit, au moins, avant qu'aucune opposition ou saisie ait été faite sur ledit cautionnement, par des créanciers autres que ceux prévus à l'article précédent.
On renvoie ici “ aux Règlements,” parce que ce n'est pas au Code civil à déterminer les règles de ces cautionnements, c'est-à-dire : des fonctions qui y sont soumises, de leur montant (suivant la nature de la fonction et des localités où elles sont exercées), des caisses publiques où ces cautionnements seront versés, des intérêts qu'ils produiront au profit du fonctionnaire, etc.
§ II. — DU RANG DES PRIVILÉGES SPÉCIAUX SUR LES MEUBLES.
Art. 163. Le concours ou conflit des privilèges spéciaux sur les meubles, soit avec des privilèges généraux, soit avec d'autres privilèges spéciaux, est une théorie difficile, même lorsqu'on a à la créer librement, pour une législation nouvelle.
Les frais de justice sont naturellement placés au premier rang, comme étant utiles à la masse des créanciers, même de ceux qui ont eux-mêmes un privilège.
Cependant, il est déjà reconnu que certains créanciers profitent moins que d'autres des frais de justice; au moins, qu'ils ne profitent pas de tous ces frais (v. art. 138 et 155). Ainsi les créanciers dont le privilège est fondé sur un gage exprès ou tacite, doivent bien être primés par les frais de vente du gage et de répartition du prix ; mais ils ne profitent pas comme n'en ayant pas besoin, des frais d'apposition de scellés sur les aUtres meubles, ni de ceux d'inventaire ; il y a donc, à cet égard, une distinction à apporter à la préférence donnée aux frais de justice; c'est l'objet du 1er alinéa. Dans ce cas, il faudra nécessairement séparer le prix de vente de ces meubles soumis à un droit de gage spécial, et on ne prélèvera sur ce prix que les frais de justice relatifs à la vente.
Mais à l'égard des autres meubles, il ne faudrait pas que le hasard de l'ordre des ventes et, encore moins, un calcul des intéressés, fit porter tous les frais de justice sur un ou plusieurs meubles, au préjudice des créanciers ayant privilège spécial sur ces meubles et au profit des autres privilèges spéciaux ; on devra donc, autant que possible, vendre tous les meubles simultanément ou, an moins, réserver la répartition du prix jusqu'à ce que toutes les sommes soient réalisées ; de cette façon, le prélèvement des frais de justice sur la masse équivaudra à leur réparation proportionnelle sur la valeur de chaque meuble. Autrement, pour que les droits de chaque créancier privilégié fussent respectés, il faudrait séparer le prix de chaque meuble grevé de privilèges et en prélever d'abord une part proportionnelle des frais de justice, ce qui serait une complication de plus dans une matière qui en a déjà beaucoup.
Une fois les frais de justice prélevés, tous les autres privilèges généraux seront prélevés, à leur tour, sur la masse du prix de vente, ce qui en constituera encore une imputation proportionnelle ; à moins qu'on ne préfère la faire séparément sur le prix de chaque meuble, ce qui serait plus long ; dans tous les cas, on suivra entre eux l'ordre où ils sont énumérés dans l'article 137 ; mais on aura dû préalablement vendre les autres meubles qui ne se trouvaient soumis à aucun privilège spécial, car ces autres meubles sont soumis aussi aux privilèges généraux et il est naturel qu'ils en supportent d'abord la charge : ce ne doit être qu'au cas de leur insuffisance que l'on reviendra aux meubles grevés de privilèges spéciaux.
Quant à la faveur donnée ici aux privilèges généraux sur les spéciaux, il faut la rattacher au principe même qui en a fait admettre la généralité, à savoir l'importance des services rendus au débiteur et, par suite, à tous ses créanciers.
Art. 164. La loi suppose maintenant qu'il n'y a pas eu de privilèges généraux, ou qu'ils ont été payés; il reste alors à régler le conflit des privilèges spéciaux entre eux. Ici, il n'est pas possible de faire, comme à l'article précédent, une énumération des privilèges d'après leur rang de priorité, car plusieurs distinctions sont à faire :
Certains créanciers ont-ils connu ou non l'existence du privilège qui pouvait les primer (ce qu'on pourrait appeler leur mauvaise foi ou leur bonne foi) ?
S'agit-il d'objets mobiliers en général, ou, spécialement, de récoltes, de produits industriels, ou enfin du cautionnement des officiers publics ?
C'est sur ces diverses sortes d'objets que la loi fixe les rangs séparément.
Les quatre premiers alinéas, après le préambule, sont relatifs aux objets mobiliers en général; les 5e et 6e alinéas, à la bonne et à la mauvaise foi respectives; les 7e, 8e et 9e, aux trois objets spéciaux : récoltes, produits industriels et cautionnement La loi met en première ligne le privilège de ceux qui ont conservé le meuble soumis à un ou plusieurs autres privilèges (v. art. 155) : il est clair que, sans les frais faits pour la conservation de l'objet, les autres créanciers (par exemple, un créancier gagiste, ou le vendeur), n'auraient pu être satisfaits, il est donc juste qu'ils ne le soient qu 'après le conservateur.
Comme il peut y avoir eu des actes successifs de conservation faits par des créanciers différents, ce sont les actes les plus récents qui donnent la préférence sur les plus anciens ; et cela, par le même raisonnement, à savoir que si les derniers actes de conservation n'avaient pas eu lieu, la chose n'aurait pas subsisté pour satisfaire les créanciers antérieurs.
La loi appelle au second rang le créancier nanti, expressément ou tacitement, et au troisième rang le vendeur, comme ayant mis la chose dans le patrimoine du débiteur, sous condition d'un prix qui n'a pas été payé.
Mais ici intervient une distinction annoncée : le gage, comme droit réel mobilier, ne peut être diminué par les frais de conservation antérieurs au gage, au préjudice du créancier nanti de bonne foi ; par conséquent, ces frais ne primeront pas le créancier qui les a ignorés lors de la constitution du gage.
En sens inverse, le créancier nanti est primé par le vendeur lui-même, lorsqu'il a su que le prix de vente lui était encore dû.
S'il s'agit spécialement de récoltes, les ouvriers agricoles occupent le premier rang, comme conservateurs de la chose ; le second rang est pour les fournisseurs de semences et engrais, comme ayant mis dans le patrimoine du débiteur la source première de l'objet du gage, et le troisième rang est pour le bailleur du fonds, comme créancier tacitement nanti.
La loi ne mentionne pas ici le rang des fournisseurs de graines de vers-à-soie et des fournisseurs de feuilles de mûrier : il va sans dire que sur la récolte de la soie, le premier rang sera pour eux, avant les créanciers nantis, sauf la bonne foi de ceux-ci.
S il s'agit de produits industriels, les ouvriers ont le premier rang et le bailleur du fonds exploité a le second.
Enfin sur le cautionnement des officiers publics il n'y a que deux rangs : au premier, tous les créanciers pour faits de charge, ‘‘ ensemble et proportionnellement à leurs créances respectives ” ; au second rang, le prêteur des deniers du cautionnement.
Remarquons que, sur le cautionnement, il n'est pas question de frais de conservation ; en effet, lors même que la caisse publique qui le détient l'administre aurait quelque droit de ce chef, cela se trouverait compensé avec le profit qu'elle tire des fonds reçus en dépôt ; il arrivera même, sans doute que la caisse publique payera elle même un certain intérêt pour le cautionnement.
SECTION III.
DES PRIVILÉGES SPÉCIAUX SUR LES IMMEUBLES.
§ 1er — DE LA CAUSE ET DE L'OBJET DES PRIVILEGES SPÉCIAUX SUR LES IMMEUBLES.
Art. 165. Le présent article nous indique déjà la nature de chaque créance privilégiée et l'objet, l'immeuble, sur lequel porte le privilège ; ensuite, chaque privilège sera repris séparément, pour les détails d'application.
Mais auparavant, nous devons dire un mot de la cause légitime ou justificative de chacun. C'est au surplus, celle que nous avons déjà reconnue pour plusieurs des privilèges spéciaux sur les meubles : à savoir la mise d'une valeur par le créancier dans le patrimoine du débiteur, sous la condition d'une contre-valeur à recevoir, laquelle n'a pas été reçue, en sorte qu'il serait injuste que les autres créanciers pussent se faire payer sur cette valeur, concurremment avec celui qui l'a fournie.
Pour le privilège du vendeur d'immeuble, du coéchangiste ou même du donateur avec charges, cette cause est évidente.
Four le copartageant, on pourrait être un instant arrêté par l'objection que le partage n'est pas translatif mais seulement déclaratif, de propriété ; c'est en traitant spécialement de ce privilège que nous verrons que l'objection est plus spécieuse que fondée.
Pour le privilège des architectes, ingénieurs et entrepreneurs, s'ils n'ont pas mis dans le patrimoine du débiteur un objet entièrement nouveau, ils ont toujours créé une valeur nouvelle, ils ont donné une plus-value à ce qui était déjà dans le patrimoine du debiteur ; la cause de la préférence est donc toujours la même.
Pour le privilège des prêteurs de deniers, la cause est la même que pour les trois premiers créanciers dont ils ont pris la place.
Quant à l'objet sur lequel porte chaque privilège, c'est naturellement la chose mise dans le patrimoine, par aliénation ou par partage; dans le troisième cas, c'est la plus-value seule, séparée de la chose considérée dans son état primitif ; dans le cas des prêteurs de deniers, ce sont, comme dit le texte, “ les mêmes immeubles” que pour les créanciers par eux désintéressés I. — PRIVILÉGE DE L'ALIÉNATEUR.
Art. 166. Le premier aliénateur d'immeuble qui ait un privilège est naturellement le vendeur.
La loi ne répète pas que le privilège porte sur l'immeuble aliéné : cela se trouve déjà dit dans l'article précédent.
La créance privilégiée est celle du prix de vente. Le prix peut consister en un capital, lequel peut être payable en une seule fois ou par parties, avec les intérêts de ce qui reste dû, ou en un certain nombre d'annuités, comprenant en même temps les intérêts composés ou capitalisés. Le prix peut aussi consister en une rente perpétuelle ou en une rente viagère (v. art. 33, 5e al.) : le privilège garantit alors les arrérages, et éventuellement le capital, dans le cas où le défaut de payement des arrérages autorise le créancier à s'en faire rembourser (v. art 173, 193, 194 du Livre précédent).
Indépendamment du prix proprement dit, certaines charges peuvent avoir été imposées à l'acheteur : elles sont privilégiées également, sous la condition d'être évaluées et fixées en argent, comme l'exige l'article suivant.
Le second aliénateur privilégié est le coéchangiste.
En principe, le coéchangiste, en même temps qu'il aliène, acquiert la propriété d'un autre bien reçu en contre-échange ; il n'est donc pas nécessairement créancier. Mais si l'immeuble qu'il aliène est supérieur en valeur à celui qu'il reçoit, il stipule et il lui est dû une soulte en argent qui a beaucoup d'analogie avec un prix de vente et pour laquelle il n'est pas moins juste qu'il ait privilège. Il n'y a même pas à distinguer ici (comme il a été prescrit par l'article 156, 2e alinéa, pour les échanges de meubles), si la soulte excède ou non la moitié de la valeur de l'immeuble aliéné: la soulte ici a toujours le caractère de prix de vente. Mais la distinction est à faire à un autre point de vue : si la soulte excède la valeur fournie en contre-échange, le contrat est considéré comme une vente pour le tout (v. art. 107, 3e al. du Livre précédent). Il ne faut pas d'ailleurs s'arrêter à l'objection que la soulte pourrait être très faible : la même objection pourrait tout aussi bien être faite au cas où, le prix de vente ayant été payé comptant presque en entier, il n'en resterait dû qu'une faible partie; sans doute, dans ces cas, le privilège resterait purement nominal et le créancier ne prendrait pas la peine de remplir les formalités requises pour le publier et faire valoir ; mais le droit existe.
Une autre créance qui peut naître de l'échange, qu'il y ait eu soulte ou non, c'est celle de garantie d'éviction (v. art. 108 du Livre précédent.). Cette créance est aussi privilégiée sur l'immeuble aliéné : il n'est pas juste que l'immeuble donné en échange devienne le gage des autres créanciers de l'acquéreur, quand il y a éviction de l'immeuble ou du droit que celui-ci a prétendu fournir en contre-échange.
Le troisième aliénateur est le donateur : ici, il n'y a pas de contre-valeur proprement dite due au donateur ; mais s'il a imposé des charges au donataire, soit en sa propre faveur, soit en faveur d'un tiers, il a une créance pour l'exécution desdites charges et il est juste qu'elle soit privilégiée ; dans le cas où les charges de la donation doivent profiter à un tiers, pour que le donateur n'ait pas seulement le droit de résolution, mais une créance privilégiée, il aura dû stipuler une clause pénale à son profit (v. Liv. des Biens, art. 323, 2e et 3e al.) ; mais si le tiers est intervenu à l'acte ou a déclaré plus tard vouloir en profiter (v. art. 325), c'est lui qui aura la créance privilégiée ; voilà pourquoi la loi nomme “ le donateur ou son ayant-cause.”
La loi termine en généralisant ce privilège au profit de tout aliénateur d'immeuble, pour la créance qui pourrait résulter pour lui de l'aliénation. Comme applications, on aura les apports d'immeubles en société, les transactions et les contrats innommés, par lesquels un aliénateur d'immeuble aurait acquis ou plutôt aurait dû acquérir un autre immeuble en contre-valeur.
On remarquera seulement, en ce qui concerne les apports sociaux, que le privilège dont ils seront grevés ne sera pas opposable aux créanciers sociaux, mais seulement aux créanciers personnels des associés, après la liquidation.
Art. 167. Comme il est de l'essence du privilège d'être opposable aux tiers, c'est-à-dire aux autres créanciers et aux tiers acquéreurs du bien grevé, il faut que le montant de la créance privilégiée soit toujours fixé en argent. Pour le prix de vente et la soulte d'échange, cette condition est nécessairement remplie ; pour les charges et l'indemnité éventuelle de la garantie d'éviction, soit dans l'échange, soit dans toute autre acquisition à titre onéreux (société, transaction), la loi veut que l'évaluation en soit faite en argent ; elle peut être faite dans le même acte ou dans un acte séparé et postérieur.
Comme le privilège doit en outre, être publié, dans l'intérêt des tiers (v. art. suiv.), la publicité fera connaître, en même temps que l'existence du privilège, le montant de la créance.
Art. 168. L'action en garantie d'éviction ne naît qu'avec et par l'éviction, aussi est-elle jusque-là à l'abri de la prescription (v. Liv. des Preuves, art. 125) ; mais il ne serait pas bon que les tiers fassent indéfiniment exposés à l'exercice éventuel d'un privilège, même à eux révélé par l'inscription, comme il sera exposé plus loin. C'est pourquoi la loi n'accorde le privilège que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange ou de l'acte onéreux d'acquisition de l'immeuble sujet à éviction, et ici c'est la date du contrat même qui est le point de départ du délai et non la date de l'inscription.
D'ailleurs, comme l'acquéreur qui a des doutes sur la réalité de, ses droits peut toujours les éclaircir, et comme il n'est pas tenu, d'attendre la revendication du véritable propriétaire pour agir en garantie contre son cédant (v. art. 156 du Livre précédent), il est bien suffisant qu'il ait dix ans pour s'assurer de la stabilité de son droit. Si même l'éviction est subie effectivement plus ou moins longtemps avant l'expiration des dix ans, et si le jugement intervenu à cet égard est devenu irrévocable, l'acquéreur doit former sa demande en garantie dans l'année du jugement et la publier dans le même délai.
Si le bien acquis en contre-valeur est un meuble, le privilège n'existe que si l'éviction a eu lieu dans l'année du contrat et si la demande est faite et publiée dans le mois du jugement.
Remarquons, à ce sujet, que si l'acquéreur croit pouvoir agir en garantie sans être judiciairement évincé, il a bien tout le délai de dix ans pour un immeuble, oit d'un an pour un meuble, mais sans l'année ou le mois supplémentaire, puisqu'il n'y a pas eu de jugement ; si, au contraire, il y a eu éviction judiciaire, il a bien ledit délai d'un an ou d'un mois, depuis le jugement, mais il se pourra qu'on soit encore bien loin de l'expiration du délai de dix ans ou d'un an et il ne pourra s'en prévaloir pour retarder sa demande.
Dans les deux cas, la publicité de la demande se fait, soit directement, soit par une mention en marge de l'inscription de l'acte.
Cette double condition d'une demande et d'une publication dans un délai limité est un tempérament nécessaire de l'extension donnée dans notre Code au privilège de l'aliénateur d'immeuble, pour la garantie de l'éviction par lui éprouvée au sujet du bien, meuble on immeuble, qu'il avait compté acquérir en contre-valeur. Faute par l'aliénateur de s'être conformé à l'une ou à l'autre de ces conditions, il a bien encore une créance de garantie d'eviction, mais elle n'est plus privilégiée.
Art. 169. Le privilège de l'aliénateur étant fondé sur l'augmentation apportée par le créancier au patrimoine du débiteur, il est naturel et juste que si l'immeuble aliéné a été ensuite augmenté ou amélioré par le fait ou aux frais du débiteur, cette augmentation profite à la masse des créanciers et non au créancier privilégié.
II . — PRIVILÈGE DES COPARTAGEANTS.
Art. 170 et 171. On a déjà eu l'occasion, sous les articles 14 du Livre des Biens, et 155 du Livre précédent, de déterminer le caractère du partage dans le droit moderne et tel qu'il est admis dans le Code japonais. Il n'est pas (ou plus), une sorte d'échange, un acte translatif ou attributif de propriété, par lequel chaque copropriétaire abandonnerait à l'autre son droit dans un ou plusieurs des biens indivis, pour acquérir un droit exclusif et sans concours sur un ou plusieurs des autres biens : il est déclaratif de propriété, c'est-à-dire qu'il détermine, pour chacun des copropriétaires, l'objet ou les objets distincts de son droit, lesquels sont considérés comme ayant été incertains pendant l'indivision. Ce résultat n'étant pas dû à la nature des choses, mais à des raisons d'utilité, déduites sous les articles précités, pourrait être rattaché à une fiction légale : “ chaque copartageant serait censé avoir succédé seul aux objets à lui échus par le partage;“ mais comme la loi n'a pas besoin de fiction pour édicter ce qu'elle croit utile et juste ; c'est par l'idée d'une condition résolutoire que le Code arrive au résultat désiré : les droits de copropriété sont “ résolus ” par le partage, et la propriété de chacun, désormais exclusive, lui vient, rétroactivement, d'une cause antérieure, de celle qui a créé l'indivision. Ainsi, quand a lieu le partage d'une société, ce que chaque assoiée reçoit dans son lot ne lui est pas acquis par le partage, mais par le contrat de société qui appelle éventuellement chaque associé à recueillir une part des biens encore indivis au moment de la dissolution de la société.
Mais si le partage n'est pas attributif de propriété, il n'en est pas moins, comme acte contractuel ou volontaire, productif d'obligations et de créances respectives entre les copartageants, et ce sont ces créances qui sont garanties par le privilège qui va nous occuper.
Notre article nous indique trois créances qui naissent du partage et, pour chacun, l'objet du privilège varie.
Pu reste ces créances ne peuvent pas se cumuler toutes les trois : la première et la seconde s'excluent, mais chacune peut se cumuler avec la troisième, comme on va le reconnaître bientôt.
Il faut remarquer d'abord que le partage peut se faire de deux manières: ou en nature ou par licitation.
1° Il se fait en nature, lorsqu'il est possible de faire des lots, égaux ou inégaux, soit de différents biens de la masse, plus ou moins semblables, soit de diverses parties d'un même bien. Les lots inégaux sont complétés par une créance de soulte ou retour de lot, au prolit de celui qui recevra le lot trop faible, contre celui qui recevra le lot trop fort. L'assignation des lots se fait par la voie du sort, à moins qu'on ne s'accorde pour en faire des assignations conventionnelles.
2° Il se fait par licitation ou vente aux enchères, lorsqu'il est impossible de faire convenablement un partage en nature on par lots (v. art. 104 et 105 du Livre précédent).
Dans ce cas, si le bien est adjugé à. un étranger, la licitation produit les effets d'une vente ordinaire : les copropriétaires en partagent le prix ou la créance du prix, et s'il y a privilège, à défaut de payement, ils l'exercent tous sur le bien licite, comme vendeurs. Mais si le bien est adjugé à l'un d'eux, il se fait confusion de sa part dans le prix avec une partie de sa dette et il est débiteur du reste du prix envers chacun de ses copropriétaires, pour sa part ; à moins que, dans le partage, il n'ait été convenu que le prix de licitation (moins la part de l'adjudicataire) serait par lui payé à un seul des copartageants dont cette créance formerait le lot.
Voilà donc les deux premières créances qui peuvent naître du partage, disjonctivement ou l'une excluant l'autre : la créance de soulte ou celle du prix de licitation. La première est privilégiée sur l'immeuble ou sur les immeubles échus aux copartageants chargés desdites soultes ; la seconde est privilégiée sur l'immeuble licité.
La troisième créance, dont nous n'avons pas encore parlé, est celle de garantie d'éviction : le partage, en effet, oblige les corpartageants à la garantie mutuelle de l'éviction (v. art. 156 du Livre précédent).
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit sous cet article, qu'il ne peut s'agir ici d'une éviction résultant de droits conférés à des tiers par les copartageants pendant l'indivision, puisque ces droits sont résolus par l'effet du partage, et que, précisément c'est en grande partie, pour prévenir cette éviction, que le partage a été rendu déclaratif et rétroactif: l'éviction dont il s'agit résulterait de droits réels appartenant à des tiers avant que l'indivision ait commencé ; d'où il apparaîtrait que les copartageants avaient eu le tort de comprendre dans le partage des biens qui ne leur appartenaient pas. Cependant, la cause de l'obligation de garantie est moins dans ce tort réciproque que dans l'enrichissement indû. de ceux qui ont reçu par le partage des biens qu'ils conservent, au préjudice de celui qui en a reçu un qu'il ne peut garder.
L'éviction peut atteindre aussi bien celui qui a reçu un lot en nature, par la voie du sort ou par une attribution conventionnelle, que celui qui a acquis par licitation un immeuble indivis ; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que ce privilège peut se rencontrer avec l'un ou l'autre des précédents ; mais cela ne veut pas dire qu'ils pourront être exercés cumulativement; loin de là: ils appartiennent chacun à une partie contre l'autre ; ainsi, le copartageant créancier ferme ou pur et simple de la soulte ou du prix de licitation est débiteur éventuel de la garantie d'éviction; seulement, les deux privilèges coexistent pour valoir chacun suivant l'événement.
Le privilège de l'évincé porte sur tous les immeubles échus ou assignés aux autres copartageants, parce que ceux-ci sont tous débiteurs et parce que tous ces immeubles sont l'objet de leur enrichissement indû.
Mais ces immeubles ne sont affectés du privilège, dans les mains de chacun, que pour sa part dans la dette.
On pourrait croire cependant que la poursuite aurait lieu d'être faite pour le tout contre chacun, sous prétexte de deux indivisibilités : celle de la garantie et celle du privilège. Mais il ne faut pas se méprendre sur la véritable situation où l'on se trouve. Aucune des deux indivisibilités n'est un obstacle à la décision du texte.
D'abord l'indivisibilité de la garantie ne s'applique qu'à l'un de ses deux objets (v. Liv. des Biens, art. 395, 2e ah), à savoir, à la défense, à la protection de l'acquéreur contre les dangers et les menaces d'éviction : personne ne peut être défendu pour partie ; or, ici, il ne s'agit plus de protéger le copartageant contre l'éviction imminente, mais de l'indemniser de l'éviction consommée, ce qui peut se faire par parties.
Quant à l'indivisibilité du privilège, on va voir qu'elle est respectée, ici comme ailleurs. Mais il faut remarquer d'abord qu'elle ne s'applique qu'à un privilège déjà né. Il est certain que celui qui a un privilège pour une créance d'un chiffre déterminé, l'exerce en entier contre chaque débiteur et sur chaque partie de l'immeuble grevé (v. art. 105 et 132). Ici le principe sera respecté, en ce sens que la créance du copartageant évincé, une fois née dans les limites que la loi lui assigne, jouira de l'indivisibilité ordinaire du privilège.
Mais, dans quelle mesure, pour quelle somme naîtra la créance de l'évincé contre ses garants ? Nous avons vu que c'est une créance d'indemnité, de nature divisible : elle naîtra donc divisée entre chaque copartageant, pour sa part dans la copropriété primitive.
Notons aussi que dans le calcul des parts, l'évincé lui-même figure pour une part, égale ou inégale, suivant les cas : pour cette part, il se fait confusion en sa personne, car il ne peut se devoir à lui-même. Et il est juste qu'il figure dans le calcul des parts de garantie, car s'il y a eu faute à considérer comme bien commun ce qui ne l'était pas, il a participé à la faute ; en tout cas, il a profité de l'erreur commune, puisque sa part a été grossie, comme celle des autres, par le fait qu'on a compris dans la masse à partager un bien qui ne devait pas y figurer. l'as plus ici que dans l'échange, il n'est nécessaire que l'éviction ait été soufferte dans un immobilier reçu en partage : la cause du privilège est que le partage a fait entrer un immeuble dans le lot d'un ou plusieurs des copartageants, sous la condition qu'un autre d'entre eux recevrait pour sa part une valeur mobilière ou immobilière déterminée ; cet immeuble leur reste, les enrichit, pendant qu'un autre copartageant ne peut conserver légalement le lot qu'il a reçu; il est donc juste que celui-ci soit indemnisé, sur les immeubles des autres, quelle que soit la nature de son lot.
Pour la même raison, il y a lieu à la garantie d'éviction, sur les immeubles de tous les copartageants, lorsque l'un d'entre eux avait dans son lot une créance à exercer et a souffert de l'insolvabilité du débiteur.
Deux cas sont distingués par la loi, dans l'article 171 :
Ou la créance est liée du partage, à savoir une créance de soulte ou de prix de licitation, et dans ce cas, le débiteur est nécessairement un copartagent ;
Ou elle existait auparavant, dans les biens indivis de la société en liquidation ; dans ce cas, le débiteur sera le plus souvent un étranger, mais ce pourrait être aussi un copartageant.
Reprenons-les séparément.
Ier Cas. Un des associés ou copartageants doit à un autre une soulte ou un prix de licitation ; s'il n'y avait, en tout, que ces deux copartageants, le créancier et le débiteur, il ne serait pas question de garantie d'insolvabilité ; la créance serait directement et uniquement privilégiée sur l'immeuble grevé de la soulte ou du prix de licitation, en vertu de l'article 170 (1° et 2°). Mais s'il y a trois copartageants ou davantage et que le débiteur ne puisse s'acquitter, même par l'effet du privilège dont son immeuble est grevé (sans doute, parce qu'il a péri ou subi une forte dépréciation), alors le troisième copartageant et les autres, s'il y en a, sont garants, pour leur part, de cette sorte d'éviction résultant de l'insolvabilité.
IIe Cas. On a mis dans un des lots une créance faisant partie des biens jusque-là indivis. Supposons d'abord que le débiteur était un tiers. Le débiteur ne paye pas, à l'échéance, de sorte que le copartageant qui a. cette créance dans son lot est aussi maltraité, par l'événement, que s'il était évincé d'une créance qui n'aurait pas fait partie de l'indivision ou qui n'aurait pas existé, et, pendant ce temps-là, d'autres copartageants conservent un ou plusieurs immeubles qu'ils ont reçus de la niasse ; il n'est évidemment pas moins juste qu'il soit garanti contre cette perte résultant de l'insolvabilité que contre celle qui résulterait d'une éviction ordinaire.
Mais ici la loi met à la garantie une condition quelle n'y a pas mise au cas précédent, c'est que le débiteur fût déjà insolvable au moment du partage ; la raison en est que, là seulement, il y a une faute commune d'avoir ignoré l'insolvabilité déjà existante, et aussi qu'il y a eu enrichissement indû des uns au préjudice d'un autre, par le fait et au moment du partage.
La solution serait ht même, et par le même motif, si le débiteur de la succession ou de la société était lui-même un des copartageants.
Au contraire, lorsqu'il s'agit de l'insolvabilité du copartageant débiteur d'une soulte ou d'un prix de licitation, la garantie en est due par les autres copartageants, lors même que ladite insolvabilité est survenue depuis le partage. D'abord, il serait difficile de supposer que l'insolvabilité existât déjà au moment du partage : autrement, les autres copartageants ne l'eussent pas ignorée et ils n'eussent pas passé outre, en chargeant un insolvable d'une soulte ou d'un prix de licitation envers l'un d'eux ; et, pour l'insolvabilité postérieure au partage, il est juste qu'elle soit garantie par tous, parce qu'ils ne doivent pas se désintéresser du sort d'une créance que le partage a fait naître par leur accord mutuel : la loi peut donc les considérer comme ayant tacitement cautionné la dette, et elle la leur impose éventuellement.
C'est, en somme, pour cette différence, quant au moment auquel peut se produire l'insolvabilité sujette à garantie, que notre article a distingué les deux cas.
Art. 172. Il est naturel que l'exercice du privilège de garantie d'éviction dans le partage soit soumis aux mêmes conditions de durée et de forme que dans l'échange, avec la même distinction entre les meubles et les immeubles. De là, le renvoi à l'article 168.
Mais il fallait régler spécialement la durée de la garantie d'insolvabilité dont l'article 168 n'avait pas eu à parler au sujet de l'échange. En effet, il peut bien y avoir dans l'échange une créance de soulte, mais elle ne donne lieu qu'à un privilège direct contre le débiteur : il n'y a pas de garantie de son insolvabilité, comme on vient d'en voir une à la charge des copartageants.
La loi ne distingue pas, pour la durée de la garantie d'insolvabilité, s'il s'agit de la créance de soulte ou du prix de licitation dû par un des copartageants, ou d'une créance contre un tiers, autrefois indivise et mise dans un des lots. Elle ne distingue pas non plus entre l'obligation personnelle de garantie par les copartageants respectivement et l'affectation réelle des immeubles, opposable aux tiers (créanciers ou tiers acquéreurs). Mais elle distingue si la dette consiste en capital ou en rente.
Si la dette consiste en capital, le point de départ de la durée de cette garantie, tant réelle que personnelle, est l'exigibilité totale ou partielle de la dette ; le délai est alors d'un an ; par conséquent, si le copartageant veut conserver son droit à la garantie d'insolvabilité, il doit former sa demande dans l'année et publier dans le même délai, à peine de déchéance. Si la demande a été formée dans l'année contre les garants, mais n'a pas été publiée, le demandeur n'a conservé que l'action personnelle, mais il a perdu le privilège opposable aux tiers.
Si la dette consiste en rente, soit perpétuellle, soit viagère, comme il n'y a pas d'exigibilité d'un capital, mais seulement d'arrérages; comme, d'un autre côté, la garantie des arrérages ne peut être indéfinie, la loi la limité à dix ans, à partir du partage. Ce délai parait suffisant pour que l'on puisse induire de la régularité des payements annuels qu'ils seront continués de même.
Cette distinction entre la dette d'un capital exigible et celle d'une rente conduit naturellement la loi à assimiler à la rente le capital qui ne serait exigible qu'après un délai excédant dix ans, mais qui porterait des intérêts annuels : il est naturel que la garantie de solvabilité cesse lorsque l'insolvabilité ne s'est pas révélée dans ce délai par un défaut de payement des intérêts.
Art. 173. Le renvoi à l'article 169 ne demande pas d'explication ; il est clair qu'il y a même motif de ne pas étendre le privilège aux augmentations et améliorations du bien grevé.
III. — PRIVILÉGE DES ARCHITECTES, INGÉNIEURS ET ENTREPRENEURS DE TRAVAUX.
Art. 174. Ce troisième privilège diffère des deux précédents en ce qu'il ne s'agit plus d'un immeuble nouveau mis dans le patrimoine du débiteur, soit en entier, soit pour une partie : il s'agit ici d'une augmentation de valeur, d'une plus-value donnée à un immeuble par des travaux faits sur ledit immeuble.
Dès lors, on comprend, de suite, que ce n'est pas l'immeuble tout entier qui est soumis au privilège: c'est seulement la plus-value qu'il a reçue ; or, cette plus-value doit être régulièrement constatée.
Le présent article se borne à nous indiquer la nature des principaux travaux considérés par la loi comme causes légitimes de la créance privilégiée ; l'énonciation n'est pas limitative : la fin du 1er alinéa le prouve.
Les personnes des créanciers ne sont pas non plus énoncées limitativement, mais seulement comme exemples. Ainsi, les architectes auront fait les plans et. devis des bâtiments et dirigé les travaux ; les ingénieurs auront fait de même pour les digues, canaux, dessèchements, irrigations ; les entrepreneurs auront exécuté lesdits travaux, quelquefois même, ils en auront fait les plans et devis.
Quant aux ouvriers, il ne leur est dû que des journées : leur débiteur est, en général, l'entrepreneur qui les engage et les emploie, non le propriétaire qui ne traite pas avec eux ; si le privilège leur profite, c'est par l'action indirecte de l'article 339 du Livre des Biens.
Le 2e alinéa s'applique spécialement aux travaux des mines, minières et carrières : ces travaux sont ou extérieurs ou intérieurs, ou l'un et l'autre successivement. Au point de vue légal, il n'y a pas de différences entre ces divers travaux : les énonciations que donne la loi ont surtout pour but d'indiquer la nature importante de la cause du privilége. Observons toutefois, que pour l'exercice du privilège, les ingénieurs et entrepreneurs devraient se conformer aux règles spéciales de la loi des Mines.
Art. 175. Le principe du privilège, sa cause légitime, est toujours une valeur nouvelle mise dans le patrimoine du debiteur par un créancier non payé.
Le 1er alinéa nous dit qu'il n'est tenu compte que de la plus-value existant encore ‘‘ au moment de l'exercice du privilège ” ou de la liquidation il n'y a pas là une rigueur : le privilège du vendeur ne porte également que sur ce qui reste de l'immeuble vendu.
La loi exige trois procès-verbaux : on en verra bientôt la nécessité. Les trois procès-verbaux sont dressés par un expert nommé par le tribunal : il est évident qu'on ne pouvait admettre un expert nommé par les parties intéressées, puisque la masse des créanciers aussi, qui sera intéressée, n'a pas encore de représentant. Il n'est ni nécessaire ni défendu que ce soit le même expert pour les trois procès verbaux.
D'abord, il faut constater l'état des biens avant le commencement des travaux ; on n'estimera pas la valeur actuelle du fonds sur lequel les travaux doivent être faits: ce serait une complication et des frais inutiles; mais on indiquera, d'une façon générale, les travaux projetés ; la loi n'exige pas qu'on évalue le montant approximatif de la dépense, parce que les travaux peuvent recevoir des développements imprévus ou coûter plus qu'il n'est facile de prévoir ; ce qui importe surtout c'est de savoir l'état de lieux avant les travaux, pour comparer leur état après lesdits travaux.
Le second procès-verbal a pour but, précisément, de constater le montant de la plus-value résultant des travaux au moment où il est dressé. Le délai est fixé à trois mois depuis que les travaux ont été terminés ou seulement cessés, quelle que soit la cause de cette cessation, fût-ce une force majeure et, à plus forte raison, le manque de fonds pour y faire face ; mais il ne faudrait pas y assimiler une simple suspension, même un peu longue, par suite d'obstacles naturels, ou par le retard dans l'arrivée de machines, d'instruments ou de matériaux. La loi ajoute que les contestations sur la réception des travaux ne donnent pas lieu à prolongation du délai.
Il a paru, bien suffisant de donner trois mois pour l'expertise et la rédaction de ce procès-verbal, et il est de l'avantage des divers intéressés de ne pas laisser s'écouler un trop long intervalle de temps qui rendrait difficile de savoir quelle est la plus-value ayant les travaux pour cause.
Le second procès-verbal ne porte pas que les travaux ont été acceptés comme bons par le propriétaire, de sorte que la créance même de l'entrepreneur peut n'être ni mentionnée ni confirmée par ce procès-verbal ; cela, en effet, n'est pas nécessaire, puisque ce n'est pas le montant de la créance qu'il s'agit de constater, mais la plus-value qui la garantit et qui est soustraite aux autres créanciers. Ceux-ci ont pourtant à connaitre aussi le montant de la créance qui les prime, mais c'est l'inscription du privilège qui le leur révélera.
Le troisième procès-verbal n'est pas moins nécessaire que les deux autres, car il peut s'écouler un temps assez long entre la rédaction du second et la vente de l'immeuble, et la plus-value peut avoir diminué. Nous ne supposons pas qu'elle ait augmenté : d'abord, parce qu'il semble que la plus-value ne puisse s'augmenter que par des causes différentes des travaux ; ensuite, parce que cette nouvelle plus-value, n'ayant pas été révélée par l'inscription, ne pourrait être soustraite au droit des créanciers ordinaires.
Ce troisième procès-verbal sera plus facile à dresser que les deux autres, car l'expert, prenant le second comme base, n'aura guère qu'à rechercher les causes de moins-value survenues depuis et à les évaluer en déduction de la plus-value précédente.
IV. — PRIVILÉGE DES PRÈTEURS DE DENIERS.
Art. 176. La loi nous dit d'abord que ce privilège comprend le prêt de deniers pour payer les trois créanciers privilégiés qui précèdent: l'aliénateur, le copartageant, l'entrepreneur.
Ensuite, elle distingue entre le cas ou les deniers sont prêtés “ au moment” de l'acte même auquel ils so rattachent et celui où ils ne le sont que “ postérieurement.”
Au premier cas, le privilège naît, “ directement et en vertu de la loi,” en la personne du prêteur, sans passer par le créancier principal ; on peut même dire que le vendeur, le copartageant, l'entrepreneur, payés au moment du contrat, avec les deniers prêtés, n'ont pas été un instant créanciers, de sorte que les prêteurs de deniers, dans ce cas, ne sont pas subrogés au privilège, mais en sont investis à l'origine, par la loi, C'est pour ce motif que la loi n'exige pas qu'il y ait un acte d'emprunt avec indication des deniers, et une quittance subrogative avec indication de leur origine, ‘‘ il suffit “ que le prêt et son emploi soient mentionnés dans “ l'acte auquel ils se rapportent.”
Au second cas, et si le prêt est postérieur à l'acte d'où naît le privilège, la créance privilégiée a d'abord appartenu au vendeur, au copartageant, à l'entrepreneur ; elle ne peut dès lors passer au prêteur de deniers que par voie de “subrogation conventionnelle,” et le texte a soin d'exprimer que la forme et les conditions ordinaires en doivent être observées.
Le texte prévoit enfin le cas où les deniers prêtés soit à l'origine, soit plus tard, n'auraient servi à désintéresser le créancier principal que pour partie, alors il rappelle une disposition de droit commun, à cet égard, le concours du subrogé avec le subrogeant.
§ II—DE L'EFFET ET DU RANG ENTRE LES CRÉANCIERS DES PRIVILÉGES SPÉCIAUX SUR LES IMMEUBLES.
Art. 177. C'est un principe dominant les droits réels sur les immeubles qu'ils ne peuvent être opposés aux tiers que s'ils ont été rendus publics dans les formes et dans les délais déterminés par la loi. Le principe a déjà été appliqué aux droits réels principaux et même aux servitudes quisont des droits accessoires (v. Liv. des Biens, art. 348). On va le voir maintenant appliqué aux sûretés réelles qui sont aussi des droits accessoires : ici aux Privilèges, plus loin aux Hypothèques.
Le présent § ne s'occupe que de l'effet des privilèges “entre les créanciers”; notre premier article indique également cette limite; l'effet à l'égard des tiers détenteurs est l'objet du § suivant.
Les articles qui vont suivre règlent “ les moyens, les conditions et les délais ” de la publicité de chaque privilége.
Art. 178. Cet article concerne le premier privilège, celui de l'aliénateur d'immeuble.
D'abord, on suppose une vente ou un échange avec soulte : l'inscription du titre, nécessaire pour rendre la mutation de propriété opposable aux tiers, servira en même temps de publication du privilége ; mais à la condition que le titre porte que “le prix de vente ou la soulte d'échange est encore dû, en tout ou en partie.” Par conséquent, dès que les créanciers de l'acquéreur sauront, par l'inscription, que leur débiteur est devenu propriétaire et pourront ainsi se prévaloir, soit du droit de gage général qu'ils acquièrent sur ce bien, soit d'une hypothèque qui leur serait concédée, ils seront informés en même temps que le bien n'est entré dans le patrimoine de leur débiteur que grevé du privilège de l'aliénateur.
Rappelons, au sujet de l'éviction soufferte par le co-échangiste, la disposition de l'article 168, d'après laquelle l'inscription ne conserve le privilège de la garantie d'un immeuble acquis en échange, que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange et si la demande en garantie a été formée et publiée dans l'année de l'éviction, et, s'il sagit d'un objet mobilier, que si l'éviction a eu lien dans l'année de l'échange et la demande formée dans le mois de l'éviction. En effet, la publicité résultant de l'inscription ne fait qu'avertir les tiers de l'éventualité d'une créance de garantie; mais, dès que l'éviction est consommée et que la créance est devenue certaine, il est utile qu'ils en soient avertis.
Art. 179. C'est également par l'inscription que se conserve le second privilège, celui des copartageants.
Pour que l'inscription révèle le privilège, il faut, de même que pour le privilège de l'aliénateur, que la créance née du partage, comme certaine ou éventuelle, y soit énoncée : seront créances certaines, le prix de licitation et les soultes ou retours de lots ; sera éventuelle, la garantie d'éviction ; quant aux charges accessoires, elles seront le plus souvent certaines, mais elles pourraient aussi être éventuelles.
Lorsque la créance ne sera pas, par elle même, d'une somme fixe, comme sont le prix de licitation ou les soultes, les parties devront en faire l'évaluation dans l'inscription.
Art. 180. La loi déduit ici la conséquence logique du principe que, jusqu'à l'inscription, l'acte translatif ou déclaratif de propriété n'a pas d'effet à l'égard des tiers : s'il ne peut leur être opposé, il est juste aussi qu'il ne puisse être invoqué par eux.
Ainsi le vendeur ne peut perdre en même temps la propriété et le privilége, lorsque l'acte de vente porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie,” ce qui est la seule précaution que le vendeur ait à prendre vis-à-vis des tiers. Lorsqu'il n'y a pas eu d'inscription de l'aliénation, le vendeur est inattaquable, car il est armé de ce dilemme : ou les créanciers de l'acheteur ont connu, autrement que par la transcription, le premier contrat de vente, fondement nécessaire de leur propre doit, alors ils devaient aussi connaître la créance du vendeur originaire qui y était attachée ; ou bien, ils n'ont pas connu la vente non inscrite, alors ils n'ont pas pu compter acquérir eux-mêmes une sûreté réelle, du chef de celui avec lequel ils ont traité.
Le 2e alinéa de notre article autorise les intéressés à faire faire, à toute époque, l'inscription des aliénations. Il ne faut pas compter le vendeur parmi ceux auxquels la loi songe ici, puisque l'on vient de voir que son intérêt est nul ; les intéressés sont précisément ceux auxquels l'acheteur aurait hypothéqué la chose vendue : alors, en faisant inscrire le titre de leur auteur ou débiteur, ils confirment leur propre droit en faisant cesser la propriété du vendeur, sous la réserve seulement de son privilège et de son action résolutoire.
Pour faire faire cette inscription, ils n'ont besoin ni du consentement du vendeur originaire, ni de celui de l'acheteur. Cette dernière disposition de notre article prouve, à elle seule, que parmi les intéressés la loi ne compte pas le vendeur originaire, parce qu'il ne semble pas intéressé, ni l'acheteur luir-même, parce qu'il est, au contraire, tellement intéressé que son droit de faire inscrire est écrit ailleurs et en quelque sorte partout où il est question de l'inscription.
Il y a pourtant un cas où le vendeur aura besoin de faire inscrire le titre de vente, c'est lorsqu'il voudra saisir et faire vendre l'immeuble sur son acheteur : on ne comprendrait pas qu'il saisît le bien comme appartenant à l'acheteur, alors que les registres d'inscription présenteraient encore cet immeuble comme lui appartenant à lui-même.
Art. 181. Voici encore un cas, mais tout différent du précédent, où l'aliénateur a un intérêt majeur à faire procéder lui-même à la publication de son privilège; c'est celui où l'inscription faite ou à faire ne révélerait pas sa créance, parce que ” l'acte d'aliénation ou de partage ne porterait pas que la contre-valeur est encore due, en tout ou en partie, ou que des charges y sont attachées ” : il est nécessaire alors que cette omission soit réparée par un acte postérieur, lequel sera une convention, si le débiteur est loyal, et un jugement, au cas contraire. C'est alors le créancier qui devra publier l'acte ainsi complété.
A cet égard, une distinction était commandée par la nature des choses et la loi l'exprime : si l'inscription de l'acte principal n'a pas encore été faite, c'est, naturellement, le créancier qui y fera procéder, en y faisant joindre la publication de l'acte complémentaire; car l'acquéreur aurait intérêt à ne publier que l'aliénation, sans la créance corrélative ; dans ce cas, le droit du créancier au privilège est complet.
Si l'inscription a déjà été faite par l'acquéreur, c'est encore au créancier à pourvoir à sa sécurité ; mais alors il ne peut plus que prendre une inscription directe et spéciale de sa créance ; une mention en marge ou à la suite de l'inscription ne suffirait pas, car la mutation de propriété a été révélée comme pure et simple et sans charges. Mais, dans ce ces, la situation du créancier est beaucoup moins bonne: il n'a plus qu'une hypothèque légale, et, à cet égard, la loi a soin d'employer l'expression de “ privilège dégénéré.”
La conséquence déduite par la loi elle-même de cette déchéance du privilège est que la créance ne prendra rang qu'à la date de cette inscription spéciale et ne pourra nuire aux créanciers qui, dans l'intervalle, auraient acquis du débiteur ou de son chef des sûretés réelles sur l'immeuble et les auraient dûment publiées.
La loi assimile au cas où la contre-valeur n'a pas été portée dans l'acte d'aliénation ou de partage le cas où les charges, même énoncées audit acte, n'ont pas été évaluées en argent, et aussi celui où la créance éventuelle de la garantie qui est un effet légal de l'acte n'a pas été évaluée. Le cas est pourtant un peu moins défavorable au créancier, puisque sa créance est connue ; mais, comme les tiers ne peuvent en connaître le montant, cette créance ne doit pas leur être opposable.
La même distinction sera faite, à ce sujet: si l'aliénation où le partage n'ont encore reçu aucune publicité lorsque l'évaluation sera faite, le créancier fera faire simultanément la double publication et il aura un privilège ; si l'inscription a précédé l'évaluation, l'inscription spéciale de celle-ci ne vaudra que comme hypothèque légale, à sa date.
Une différence toutefois est à noter entre ce cas et celui du précédent alinéa, c'est que, comme il ne s'agit plus de révéler l'obligation d'une contre-valeur à fournir ou toute autre charge de l'aliénation, mais seulement d'en déterminer la valeur, le créancier n'a pas besoin d'obtenir pour cette évaluation le consentement du débiteur ou un jugement : il la fait lui-même, sauf au débiteur à la faire réduire ultérieurement, si elle est exagérée, comme il sera dit au Chapitre suivant (v. art. 231).
Art. 182. Le droit de résolution d'une aliénation, pour inexécution des obligations de l'acquéreur, sans appartenir aux sûretés réelles proprement dites, est souvent aussi avantageux à l'aliénateur, puisqu'il lui fait recouvrer sa chose en entier, sans subir le concours et encore moins la préférence des créanciers de l'acquéreur, et aussi sans avoir à respecter les droits des tiers acquéreurs de droits réels ; dès lors, on comprend que l'exercice de ce droit de résolution ne soit opposé à ceux-ci que dans les mêmes conditions que celles où peut l'être le privilège, puisque le préjudice en est encore pour eux plus considérable. Déjà l'article 81 du Livre précédent l'a annoncé.
Il faut donc, pour que le vendeur ou autre aliénateur puisse exercer son action résolutoire, que l'aliénation ait été inscrite et que l'acte porte que tout ou partie du prix ou des charges est encore dû. Mais l'omission peut en être réparée aussi bien pour la résolution que pour le privilège.
Si donc le privilége dégénéré en hypothèque se trouve encore, comme tel, opposable à des créanciers ou à un cessionnaire, parce qu'il a été publié en temps utile, c'est-à-dire avant que les tiers aient publié leur propre droit, alors il n'y a pas de raison pour que le vendeur ne puisse, au lieu de faire valoir son hypothèque, exercer l'action résolutoire : du moment que les tiers savent que le vendeur, inscrit avant eux, n'a pas été payé de son prix, en tout ou en partie, ils doivent savoir aussi qu'il a, pour la même cause, l'action résolutoire.
C'est pour cette raison que notre article a soin de ne refuser l'action résolutoire à l'aliénateur devenu simple créancier hypothécaire qu'à l'égard des tiers qui ont “ conservé ” c'est-à-dire publié leurs droits “ avant qu'il ait inscrit son hypothèque.”
Tout ce que nous avons dit ici de l'aliénateur s'applique aux copartageants pour les mêmes motifs: le texte a soin de l'exprimer.
Art. 183. On sait par l'article 175 que trois procès-verbaux sont dressés successivement : le premier avant le commencement des travaux, le second dans les trois mois de leur achèvement, le troisième au moment de la demande en collocation.
Le troisième n'est pas publié, parce qu'il n'a plus pour but d'avertir les tiers qui acquerront des droits sur l'immeuble, mais seulement d'assurer équitablement la liquidation respective des créances privilégiées.
Le premier procès-verbal doit être inscrit, avant le commencement des travaux, afin que ceux qui acquerront ensuite des droits sur l'immeuble sachent que les travaux en cours d'exécution ne sont pas payés d'avance et qu'une créance est réservée à cet égard ; elle avertit aussi les créanciers qui ont déjà des inscriptions sur ledit immeuble que la plus-value à provenir des travaux n'augmentera pas leur gage.
Le second procès-verbal doit être inscrit dans le mois de sa rédaction, laquelle, d'après le même article 175, a dû être faite dans les trois mois de l'achèvement ou de la cessation des travaux.
Comme la première inscription a annoncé un privilège pour une créance en voie de formation, il est naturel que la seconde inscription, confirmant et complétant la première, ait un effet rétroactif à la date de celle-ci.
Généralement, il y a plusieurs sortes de créanciers par suite des travaux sur les immeubles : d'une part, un architecte ou un ingénieur pour les plans et la direction des travaux ; d'autre part, des entrepreneurs pour l'exécution ; les entrepreneurs peuvent être eux-mêmes plusieurs, suivant la différence des travaux à faire. La loi, pour éviter les frais inutiles résultant d'inscriptions multiples des mêmes procès-verbaux, admet qu'une seule inscription de chaque procès-verbal profite “ à tous les intéressés ” ; mais, pour cela, il faut, bien entendu, supposer que les travaux n'ont pas été reçus séparément et qu'il n'a été fait qu'un procès-verbal, tant avant les travaux qu'après leur achèvement : sans quoi, il n'y aurait pas entre eux la gestion d'affaires que la loi admet, “ en l'absence de mandat.”
La loi n'exige pas que l'inscription du second procès-verbal soit accompagnée de la fixation du montant des créances de travaux ; c'est peut-être le seul cas où une inscription ne portera pas le chiffre de la créance ; mais, comme on l'a déjà fait remarquer, il n'y a ici aucun inconvénient, puisque ce n'est pas sur la créance que se mesure l'étendue maximum du privilège, mais sur la plus-value résultant des travaux et que, précisément, c'est cette plus-value que révèle la seconde inscription.
C'est encore par l'effet de l'absence de mention du chiffre de chaque créance que la loi peut admettre que la diligence d'un créancier profite aux autres.
Art. 184. Le seul fait du retard à l'inscription du premier ou du second procès-verbal n'entraîne pas pour les créanciers une déchéance totale de toute préférence ; mais an lieu d'un privilège, ils n'auront plus qu'une hypothèque légale dont le rang n'est plus le même : son rang sera celui de l'inscription tardive, laquelle est toujours permise tant que l'immeuble appartient au débiteur.
Distinguons deux cas, avec le texte :
1er Cas. Le premier procès-verbal n'a été inscrit par les entrepreneurs qu'après le commencement des travaux ; il en résulte qu'ils sont désormais primés par tous les créanciers hypothécaires inscrits avant eux, soit avant le commencement des travaux, soit depuis (a) ; mais leur rang date de l'inscription tardive du premier (a) A l'égard des créanciers privilégiés antérieurs dont le droit de préférence n'est fondé que sur le fait d'avoir mis une valeur dans le patrimoine, ils ne pourraient prétendre à la plus-value résultant des travaux (v. art. 169 et 173). procès-verbal, si le second a été lui-même dressé et inscrit en temps utile.
2e Cas. Le second procès-verbal n'a pas été dressé dans les trois mois de la fin des travaux, ou ayant été dressé dans ce délai, il n'a été inscrit qu'après un mois de sa rédaction : son rang est alors la date de cette inscription tardive.
Art. 185. Le privilège des prêteurs de deniers n'étant autre, en réalité, que celui des créanciers par eux désintéressés, n'est soumis qu'à la même publicité. Il y a cependant ici un rappel de la distinction faite à l'article 176 : s'ils ont prêté les deniers lors du contrat principal, le privilège est né directement et immédiatement en leur personne ; dès lors, ils ont à le publier, ni plus ni moins que n'aurait dû le faire celui dont iis ont la place, d'après la loi ; si le privilège ne leur a été transmis que par subrogation, une sous-distinction est à faire : ou le privilège n'a pas encore été publié par le créancier primitif, alors ils le publient sous le nom de celui-ci, et de plus ils publient l'acte de subrogation, à la suite ou en marge de l'acte principal ; ou déjà le privilège a été publié, alors ils ne publient que leur subrogation, de la même manière.
La même publicité est imposée aux cessionnaires des créances privilégiées.
La sanction de cette publicité accessoire de la subrogation et de la cession est indiquée par la loi, c'est que, si elle n'a pas eu lieu, les payements ou autres actes libératoires intervenus de bonne foi entre le débiteur ou ses ayant-cause et le créancier originaire sont valables.
Art. 186. Il est naturel que le créancier privilégié inscrit pour un capital portant intérêts, ou pour une rente perpétuelle ou viagère, ait droit à une certaine somme d'intérêts ou d'arrérages, lorsque la publication de sa créance révèle qu'elle est productive de ces prestations annuelles. Mais il ne serait pas bon que la négligence du créancier à se faire payer les intérêts ou arrérages rendît le privilège plus onéreux aux autres créanciers qu'ils n'ont pu le prévoir ; dès lors la loi devait mettre une limite raisonnable au droit à l'arriéré.
La loi adopte la limite de deux ans, des deux dernières années.
Si le créancier privilégié a laissé s'écouler plus de deux ans sans recevoir ses intérêts ou arrérages, il n'est pas déchu, à cet égard, de toute préférence sur les autres, mais il n'a plus qu'une hypothèque légale résultant du privilège dégénéré ; c'est pourquoi la loi dit qu'il peut prendre “ des inscriptions hypothécaires ” pour l'arriéré remontant au-delà de deux ans.
La loi ne prévoit pas le cas de redevances annuelles en nature, parce qu'elles devraient toujours être estimées en argent et que, dès lors, elles seraient assimilées à des intérêts.
Art. 187. Toutes les dispositions qui précèdent facilitent le classement des créanciers privilégiés respectivement.
Au premier rang, se trouvent les architectes, ingénieurs et entrepreneurs, sur la plus-value résultant de leurs travaux.
Au second rang, l'aliénateur ou le copartageant, sur les immeubles qui ont fait l'objet de l'aliénation ou du partage.
Rappelons que, lors même que les architectes ou entrepreneurs, auraient été payés autrement que par l'exercice du privilège, et, par conséquent, ne primeraient plus l'aliénateur ou le copartageant, ceux-ci ne pourraient cependant pas exercer leur privilége sur la plus-value, parce que ce serait obtenir une préférence sur une valeur qu'ils n'ont pas mise dans le patrimoine du débiteur et qui a déjà été payée avec de l'argent tiré de la masse, au préjudice des créanciers ordinaires (v. art. 169 et 173).
La loi prévoit qu'il y a eu des aliénations ou des partages successifs, et elle règle la priorité par l'ordre direct d'ancienneté des actes.
Supposons d'abord deux aliénations successives du même bien, par exemple deux ventes sans payement du prix, et les deux aliénations ayant été régulièrement inscrites, de manière à conserver les deux privilèges : il est clair que le second vendeur ne peut passer avant le premier , d'abord, il est lui-même le débiteur du premier : il ne peut le priver du prix dont il est débiteur ; ensuite, il n'a pu vendre le bien que grevé du privilège du premier vendeur ; enfin, tout ce que le premier vendeur touchera du second acheteur (ou de l'adjudicataire du bien revendu aux enchères) tournera à la décharge du premier acheteur, de sorte qu'il est censé le recevoir lui-même.
Supposons que l'acheteur ait mis l'immeuble en société et que l'immeuble soit alors l'objet d'un partage entre les associés, de sorte qu'il se trouve grevé d'une soulte ou d'un prix de licitation : il est naturel que le vendeur originaire non payé prime le copartageant créancier de la soulte ou du prix de licitation, puisque ce copartageant n'a pu acquérir son privilége que sur un bien déjà grevé d'un autre privilège. .
Renversons l'hypothèse : le bien entré originairement dans le patrimoine du copartageant grevé d'une soulte ou d'un prix de licitation a été vendu par lui ; le privilège du copartageant sera préféré à celui du vendeur pour les mêmes raisons : le vendeur est le débiteur de la créance privilégiée née du partage et il n'a pu acquérir un privilège préférable à celui qui grevait déjà son bien.
La solution serait la même en cas de partages successifs d'un même bien.
A l'égard des prêteurs de deniers, il n'y a aucune difficulté pour le rang : ils ont toujours celui qu'aurait le créancier dont ils ont la place.
Art. 188. Les formalités relatives à l'inscription et aux théories complémentaires visées par cet article étant communes aux Privilèges et aux Hypothèques, on pourrait les exposer dans ce Chapitre, puisqu'elles s'y présentent d'abord ; mais il faut reconnaître que les Hypothèques joueront dans la loi nouvelle, un rôle bien plus considérable que les Privilèges ; dès lors, c'est dans le Chapitre des Hypothèques que les créanciers chercheront leurs droits et leurs obligations relatives tant à l'inscription et à son renouvellement qu'à la réduction et à la radiation ; c'est donc là que l'on devra les trouver (v. art. 213 et s., 224 et s.).
§ III. —DE L'EFFET DES PRIVILÉGES SUR LES IMMEUBLES CONTRE LES TIERS DÉTENTEURS.
Art. 189. On a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'annoncer que les privilèges sur les immeubles, en même temps qu'ils préservent le créancier privilégié du concours avec la masse des autres créanciers, le mettent à l'abri des conséquences ordinaires de l'aliénation de l'immeuble par le débiteur.
Le droit pour le créancier privilégié de faire considérer l'aliénation comme non-avenue, en ce qui le concerne, se nomme “ droit de suite ” et il s'exerce, comme le dit notre article, par voie de saisie et de revente aux enchères ; après quoi, le prix est distribué aux créanciers, suivant l'ordre de préférence déterminé précédemment.
Le tiers détenteur peut se préserver de cette expropriation, en satisfaisant les créanciers privilégiés ; divers moyens lui sont ouverts à cet effet, et comme ils sont les mêmes que vis-à-vis des créanciers hypothécaires, c'est au Chapitre suivant qu'ils seront exposés, pour la même raison que celle donnée plus haut au sujet de l'inscription (v. art. 194).
L'exercice du droit de suite est, comme celui du droit de préférence, soumis à la condition d'une publication préalable par l'un des moyens indiqués au § précédent : il y a, en effet, autant et plus encore de raisons d'avertir les acquéreurs que le bien est grevé d'un droit réel qui leur sera opposable et qui peut entraîner leur éviction.
La disposition de notre article est générale : elle s'applique à tous les privilèges. Elle pourrait se décomposer en deux règles :
1° Tout privilège inscrit, pour l'exercice du droit de préférence, l'est en même temps, et par cela même, pour le droit de suite ; cette première règle ne comporte pas d'exception.
2° Les privilèges dispensée de publicité au point de vue du droit de préférence ou à l'égard desquels le défaut de publicité n'entraîne pas une déchéance absolue, peuvent être soumis plus rigoureusement à la publicité pour l'exercice du droit de suite.
C'est cette seconde règle qui est reprise par les trois articles suivants.
Art. 190. On aurait pu croire que les privilèges généreux qui ne s'étendent aux immeubles que subsidiairement, à défaut de meubles suffisants, et qui sont dispensés d'inscription pour l'exercice du droit de préférence (v. art. 145', en devaient être également dispensés pour l'exercice du droit de suite. Mais ce serait une faveur exagérée : la loi doit donner le plus de sécurité possible aux tiers acquéreurs; il serait très-dangereux pour eux de payer leur prix à leur vendeur, en l'absence de publication des privilèges généraux et d'être ensuite forcés de payer les dettes mentionnées à l'article 137, dont l'importance pourrait encore être considérable ; ils auraient, il est vrai, un recours en garantie contre le vendeur, mais, en pareil cas, celui-ci serait presque toujours insolvable.
Il est beaucoup plus simple, plus naturel et plus juste que les créanciers ayant un privilège général, s'ils estiment que les meubles ne suffiront pas à les payer et s'ils peuvent craindre une prompte aliénation par leur débiteur, prennent une inscription sur un ou plusieurs de ses immeubles.
Art. 191. Voici encore un cas où le tiers détenteur est mieux traité par la loi que les créanciers privilèges.
On a vu à l'article 180 que s'il n'y a pas eu inscription d'une aliénation ou d'un partage d'où résulte un privilège, celui-ci n'est pas perdu, et même n'est pas encore né, parce que la propriété est considérée comme appartenant encore, au regard des tiers, à l'aliénateur ou au copartageant.
La même décision aurait pu, à la rigueur, être adoptée pour le conflit entre le privilège de l'aliénateur ou du copartageant et le droit d'un sous-acquéreur : il eût été tout aussi logique de permettre à l'aliénateur originaire d'opposer au sous-acquéreur le dilemme dont on l'a vu armé pour la défense de son droit contre les créanciers de son acquéreur ; il pourrait bien leur reprocher leur incurie, d'avoir acquis l'immeuble d'une personne dont les droits n'étaient pas régulièremont établis par une inscription.
Mais le Code tient compte aussi de l'utilité générale qui veut que les biens puissent circuler aisément et que les acquéreurs soient, autant que possible, à l'abri de l'éviction.
Le sous-acquéreur qui voudra se mettre à l'abri du droit de suite indéfini du vendeur originaire pourra d'abord faire inscrire le titre de son auteur : il publiera par là le privilège et il se soumettra au droit desuite, mais avec la faculté de purger le privilège comme les hypothèques.
S'il a soin de ne pas payer son prix à son cédant, il ne courra d'autre risque que celui d'avoir fait une acquisition qui pourra être résolue.
Mais s'il a eu l'imprudence de faire inscrire son acquisition avant celle de son auteur, la loi lui donne encore la faculté de mettre le vendeur originaire en demeure de faire connaître son droit par l'inscription du titre d'où il procède.
La mise en demeure se fait par une sommation, à personne ou à domicile, et elle fait courir un délai d'un mois pour faire procéder à ladite inscription.
Comme il peut y avoir une assez grande distance entre le lieu où la sommation sera remise et le bureau d'inscription de la situation de l'immeuble, le mois est augmenté du délai ordinaire des distances, tel qu'il est réglé an Code de Procédure civile. Si la loi s'en explique ici, c'est parce que, dans la plupart des autres cas où il sera fait mention de mise en demeure aux créanciers, ces créanciers seront supposés inscrits, avec élection de domicile dans la circonscription du bureau des inscriptions, et que, dès lors, il n'y aura pas lieu à augmentation du délai à raison des distances. L'article suivant est précisément un exemple de cette différence.
Par une exception fondée encore sur la faveur que mérite le tiers acquéreur, la loi le dispense d'une pareille sommation “ lorsque son cédant était en possession civile de l'immeuble depuis plus de dix ans.” Cette possession que la loi a soin de qualifier de “ civile,” qui est, par conséquent, à titre de propriétaire et qui est fondée sur une juste cause, donne lieu de croire au tiers détenteur, par sa durée, que l'acquéreur originaire était libéré de toutes les obligations portées dans son titre.
Art. 192. Lorsque les entrepreneurs et autres créanciers à raison de travaux ont publié le premier procès-verbal, dans les conditions prévues à l'article 183, avant l'inscription de l'aliénation de l'immeuble, leur privilège se trouve annoncé d'avance, tant vis-à-vis des tiers acquéreurs que vis-à-vis des créanciers qui contractent postérieurement.
Si le délai de l'inscription du second procès- verbal est en cours, au moment de l'inscription de l'aliénation du fonds (ce qui suppose que les travaux sont achevés ou ont cessé), le tiers détenteur peut réduire à un mois ce qui reste à courir du délai légal au moyen d'une sommation à laquelle on appliquera ce qui est dit à l'article précédent du mode de signifier à personne ou domicile, mais non ce qui concerne l'augmentation du délai des distances, précisément par le motif inverse de celui qui l'a fait admettre plus haut, à savoir que l'entrepreneur qui a déjà inscrit le premier procès-verbal a dû élire domicile dans l'arrondissement du bureau.
Art. 193. La disposition du présent article est est doublement intéressante : d'abord, en ce qu'elle sauvegarde le droit du créancier négligent, dans la mesure où cela peut se faire sans nuire au tiers détenteur ; et, en effet il importe peu à celui-ci que son prix d'acquisition aille à l'un ou à l'autre des créanciers de son cédant ; ensuite, en ce que la loi ne qualifie pas le droit du créancier du nom d'hypothèque, comme lorsqu'il remplace un privilège dégénéré ; en effet, ce n'est pas une hypothèque qu'un droit à une somme d'argent, à recevoir par préférence dans une liquidation : l'immeuble n'est pas affecté de ce droit qui, dès lors, n'est pas réel.
Une distinction est, du reste, à faire au sujet de ce défaut de publicité prévu par notre article : il peut être plus ou moins complet.
Supposons, par exemple, une vente d'immeuble : il peut n'y avoir pas eu inscription de la vente, ou elle peut n'avoir pas révélé le prix.
Au premier cas, le vendeur est réputé resté propriétaire au regard des tiers, et les créanciers auxquels l'acheteur aurait conféré une hypothèque ne pourront s'en prévaloir à l'encontre du vendeur.
Au second cas, l'inscription ayant fait passer la propriété au nom de l'acheteur, les hypothèques sont valables et le vendeur ne primera plus que les créanciers chirographoires de son acheteur, et toujours sous le condition de s'être fait connaître avant le payement du prix.
Art. 194. Le but do cet article est comme celui de l'article 188, de faire savoir que, pour les théories communes aux Privilèges et aux hypothèques, la loi préfère les exposer sous ces dernières, comme étant d'une application beaucoup plus fréquente que les Privilèges.
CHAPITRE V.
DES HYPOTHÈQUES.
SECTION PREMIÈRE.
DE LA NATURE ET DES OBJETS DE L'HYPOTHÈQUE.
Art. 195. La définition donnée ici de l'hypo-thêque indique: 1° que l'hypothèque est un droit réel, ce qui la sépare des trois sûretés personnelles; 2° qu'elle porte seulement sur les immeubles, ce qui la sépare des privilèges qui peuvent aussi porter sur les meubles; 3° qu'elle résulte de la volonté de l'homme, aussi bien que de l'autorité de la loi, ce qui la sépare encore des privilèges, lesquels, sauf le cas de nantissement, ne viennent que de la loi; enfin, 4° qu'elle donne au créancier qui en est investi, un droit de préférence sur les autres créanciers ; mais la définition ne peut dire quel est le degré de cette préférence. La définition ne mentionne pas non plus que l'hypothèque s'exerce même contre la tiers-acquéreurs, par l'effet du droit cle suite ; niais c'est la conséquence nécessaire du caractère réel du droit.
Art. 196. Il n'y a pas à reprendre les effets cle 1 indivisibilité active et passive qui est commune à toutes les sûreté réelles (v, art. 93, 105, 123 et 132).
Rappelons seulement ce qui a déjà été dit, au sujet des autres sûretés, que cette indivisibilité est de la nature du droit d'hypothèque, en ce sens qu'elle n'a pas bcsoin d'être stipulée ; mais elle n'est pas de son essence, en ce qu'elle peut être exclue par convention, et le texte l'exprime.
On peut même dire que l'indivisibilité de l'hypothèque résulte de l'intention des parties : la loi présume cette intention, mais seulement jusqu'à preuve contraire ; c'est ainsi que l'entend l'article 19 des Dispositions genérales du présent Code, lorsqu'il énonce l'hypothèque parmi les choses “ indivisibles par la disposition de la loi.”
Art. 197. Il s'agit ici des choses susceptibles d'être hypothéquées et de celles qui ne le sont pas.
La règle est que tous les droits réels immobiliers sont susceptibles d'hypothèque et que, par exception, quelques-uns ne le sont pas. Cependant, les droits réels étant peu nombreux, la loi énonce aussi bien ceux qui peuvent être hypothéqués que ceux qui ne peuvent pas l'être.
On indique d'abord, les biens qui peuvent être hypothéqués : en premier heu, la propriété, soit pleine, soit démembrée de l'usufruit ; puis, naturellement, l'usufruit; viennent ensuite le droit de bail enfin l'emphytéose qui est un bail à long terme et la superficie qui est un droit de propriété tout spécial.
On pourrait objecter que le droit d'hypothéquer a déjà été reconnu précédemment à l'usufruitier au preneur à bail et, implicitement, à l'emphytéote par l'effet d'un renvoi général aux règles du bail ordinaire (v. Liv. des Biens. art. 68, 135 et 157); mais, comme on l'a répondu, au sujet d'objections semblables, il est bon que certaines théories soient complètes par elles-mêmes, surtout celles qui, comme l'usufruit, sont plus ou moins nouvelles au Japon : il est utile que ceux qui étudieront dans la loi seule les droits de l'usufruitier y voient qu'il peut hypothéquer son droit, ce qu'ils n'apercevraient pas aussi facilement, s'il n'en était question qu'au sujet des hypothèques; de même pour le preneur à bail : c'est une innovation que ce droit puisse être hypothéqué; il ne fallait pas attendre pour le voir qu'on fût arrivé au présent Livre.
Si l'on n'a pas trouvé, au sujet du superficiaire, la mention de la faculté d'hypothéquer son droit, c'est que la superficie est un véritable droit de propriété sur des bâtiments ou plantations et que le doute n'a pas paru possible.
On aurait pu croire que le plein propriétaire qui peut démembrer sa propriété en constituant un usufruit ou un droit de superficie, pourrait aussi hypothéquer l'usufruit sans la nue propriété, ou, réciproquement, hypothéquer, la nue propriété sans l'usufruit.
Assurément, ces combinaisons ne trouveraient pas d'obstacle dans la nature même des choses : le créancier hypothécaire aurait donné à son droit, tel qu'il eût pu être, la publicité requise en matière d'hypothèque, et, à défaut de payement, il aurait saisi et fait vendre la fraction de droit ou plutôt le droit limité qui lui aurait appartenu. Mais la loi ne doit pas favoriser de tels fractionnements de la propriété, parce qu'ils préparent des occasions de conflits entre les divers ayant-droit.
Toutefois, la loi ne défend pas au propriétaire d'hypothéquer le sol sans les bâtiments ou les bâtiments sans le sol : dans le premier cas, au cas de saisie et de vente du sol hypothéqué, il ne sera plus que superficiaire, au second cas, ce sera l'acheteur des bâtiments qui deviendra superficiaire.
Il y aura alors à régler le montant de la redevance due par le superficiaire au propriétaire du sol. Il pourra y être pourvu lors de la fixation des conditions des enchères ; dans le cas où cette précaution n'aurait pas été prise avant l'adjudication, il y sera pourvu par le tribunal, après expertise et tenant compte des redevances des fonds voisins, eu égard aux différences respectives des fonds.
Il n'y a pas d'obstacle à l'hypothèque d'une partie divise de la propriété, c'est-à-dire d'une portion déterminée par des limites matérielles qui en feraient en quelque sorte une propriété distincte, ni d'une portion indivise, comme une moitié, un tiers, un quart. Dans le premier cas, à défaut de payement, la portion hypothéquée sera vendue aux enchères et elle sera désormais un immeuble distinct de celui dont elle aura été détachée ; dans le second cas, l'acheteur aux enchères deviendra, copropriétaire du débiteur qui aura constitué l'hypothèque sur une part indivise en conservant le reste.
Les servitudes actives ne peuvent se concevoir, même par la pensée, séparées du fonds dominant : elles en sont, en quelque sorte, des qualités; d'ailleurs, elles en pourraient trouver acquéreur, lors de la vente qui en serait faite aux enchères, à défaut de payement.
Le motif n'est pas le même pour la prohibition d'hypothéquer les immeubles par destination : c'est qu'ils ne sont immeubles que par leur attache à un fonds et tant que dure cette attache : lors donc que la vente aux enchères s'en ferait, ce ne serait plus que comme de meubles ordinaires. Ils peuvent d'ailleurs être donnés en gage.
L'article 198 énonce d'autres prohibitions plus directes d'hypothéquer.
La première concerne deux droits auxquels on songe naturellement après celui d'usufruit, à savoir, les droits d'usage et d'habitation. Comme ces droits sont inaliénables ou incessibles par celui au profit duquel ils ont été constitués (v. Liv. des Biens, art 113), il est clair que l'hypothèque en est par cela même impossible, car elle tendrait à une vente aux enchères et cette vente est défendue.
La loi ajoute à cette prohibition spéciale une défense générale d'hypothéquer les biens inaliénables ou insaisissables.
En second lieu, la loi défend d'hypothéquer les créances immobilières mentionnées à l'article 10, nos 2 et 3 des Dispositions générales, lesquelles sont au nombre de trois.
1er Cas. Une créance a pour objet l'acquisition d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble à acquérir est non pas un corps certain. mais une quantité par exemple tant de tsoubos de terrain à choisir dans une plus grande quantité. Il est clair que, dans ce cas, la: propriété n'a pu être transférée par le seul consentement, que le stipulant n'a pu acquérir qu'une créance et que la propriété ne lui sera acquise que par la tradition ou par une détermination faite d'un commun accord ou par la voie convenue (Liv. des Biens, art. 332) ; mais la créance est immobilière, puisqu'elle tend à l'acquisition d'un immeuble.
Est-ce une raison pour qu'elle soit susceptible d'hypothèque ?
On ne l'admet pas dans le Code : il n'est pas assez sûr que la créance se réalisera effectivement en acquisition du terrain promis : il pourra arriver que le promettant n'ait pas la quantité promise de terrain et soit finalement condamné à des dommages-intérêts que peut-être même il ne pourra payer. Ce serait donc manquer le but de l'hypothèque que de laisser les parties s'engager dans une voie qui ne peut y conduire aveccertitude. En outre, il y aurait des difficultés sérieuses pour donner à cette hypothèque la publicité nécessaire.
2e Cas. La seconde créance immobilière qui ne peut être hypothéquée est celle qui aurait pour but de recouvrer un immeuble. Le cas est rare et ne doit pas être confondu avec d'autres qui en sont voisins.
Lorsque quelqu'un a une action en résolution, en resci: sion ou en révocation d'une aliénation d'immeuble, on est porté à dire qu'il a “ une action tendant à recouvrer un immeulle ” ; mais, en réalité, on peut dire que cette personne a déjà le droit même sur l'immeuble, sous la condition de faire les justifications necessaires ; elle a même plutôt conservé sou droit antérieur sur l'immeuble, puisque les conditions d'une aliénation valable n'ont pas été remplies.
En pareil cas, l'aliénateur pourrait certainement hypothéquer l'immeuble objet du droit d'action dont il s'agit, en présentant son droit tel qu'il se comporte, c'est-à-dire comme conditionnel et subordonné au succès de son action judiciaire. En effet, on a établi en son lieu sous les articles 403 et 410 du Livre des Biens que celui qui a aliéné un bien sous condition résolutoire, expresse ou tacite, a retenu la propriété sous condition suspensive, et l'article 410 nous a dit que les deux intéressés peuvent disposer de leur droit sous la même condition que celle dont il est affecté, ce qui comprend le droit d'hypothéquer, si d'ailleurs l'hypothèque ne rencontre pas quelque autre obstacle.
Ce que nous disons du droit de résolution s'applique également et par les mêmes motifs au droit de faire rescinder ou révoquer une aliénation : l'hypothèque conditionnelle est permise à l'égard du droit qui peut être recouvré par l'effet de l'action, parce que l'action est elle-même réelle en même temps qu'immobilière.
Mais la prohibition de notre article s'appliquera à l'action en rescision d'une aliénation faite sous l'influence du dol : dans ce cas particulier, l'action est purement personnelle, le Code s'en explique formellement (v. art. 312 du même Livre): l'aliénateur n'a pas conservé la propriété sous condition suspensive ; il peut seulement la recouvrer, à titre de réparation du dol, si elle n'est pas passée dans les mains d'un tiers. On conçoit donc que la loi ne permette pas d'hypothéquer un pareil droit personnel qui ne mène pas nécessairement à la propriété immobilière.
On peut rapprocher de ce cas celui de la promesse de vendre, soit unilatérale, soit réciproque, dont traitent les articles 26 à 28 du Livre précédent ; on y trouvera les mêmes situations : on la promesse aura conféré un droit réel conditionnel, ce qui sera le plus fréquent, alors l'hypothèque sera possible, comme s'appliquant an droit réel, ou elle n'aura donné qu'une créance, un droit personnel, (parce qu'il y avait promesse de vendre une quantité de tsubos), alors l'incertitude de l'exécution en nature formera obstacle à l'hypothèque.
3e Cas. La troisième créance immobilière que la loi défend d'hypothéquer est celle qui aurait pour objet d'obtenir “ la construction d'un bâtiment, avec les matériaux du constructeur ” ; son objet est bien immobilier car, après l'exécution, il y aura un nouveau bâtiment dans le patrimoine du créancier, et ce n'est pas sans raison que la loi suppose que les matériaux doivent appartenir au constructeur : autrement, et s'ils devaient appartenir au stipulant celui-ci n'aurait droit qu'au fait même de la construction, il n'acquerrait pas un nouveau bien, mais seulement la modification de ses matériaux.
Quant à la raison pour laquelle cette créance ne peut être hypothéquée, c'est, d'abord, comme pour les deux précédents et avec plus de force encore, l'incertitude de l'exécution réelle qui mettra un nouvel immeuble dans le patrimoine du stipulant : il y a trop à craindre que l'obligation ne se résolve en dommages-intérêts.
Pour la quatrième créance immobilière, celle désignée au n° 4 de l'article 10 précité, nous n'avons ici ni une prohibition, ni une autorisation de l'hypothèque. Dabord, ce ne sera que très exceptionnellement que la loi permettra d'immobiliser des créances. Ensuite, quand cela aura lieu, ce ne sera pas une raison pour que l'hypothèque de tels immeubles soit permise : le plus souvent, ces créances seront en même temps déclarées inaliénables et insaisissables, ce qui suffira à en empêcher l'hypothèque. Mais si l'hypothèque en est un jour permise par une loi spéciale, cette loi devra aussi pourvoir aux moyens de lu rendre publique.
La définition même de l'hypothèque qualifiée “ droit réel sur les immeubles ” suffit à en exclure les meubles ; mais une exception est réservée en ce qui concerne les navires et bateaux qui, bien que meubles essentiellement, peuvent avoir une valeur considérable et être un moyen de crédit pour leurs propriétaires.
Assurément, comme meubles, ils peuvent déjà être donnés en gage ; mais alors le débiteur doit se dessaisir de la possession en faveur du créancier, ce qui l'empêche d'en tirer profit ; on a donc dû permettre l'hypothèque des navires, sans nantissement du créancier.
Déjà elle était autorisée, au moins implicitement, par une loi spéciale de la XIXe année de Meiji qui en règle la publicité ; le Code de commerce la règle d'une façon plus complité (c. comm. art. 852 et suiv.).
Art. 199. La disposition du présent article établit que les règles de ce Chapitre formeront le droit commun des hypothèques et régiront les hypothèques qui sont ou pourraient être établies sur les immeubles par le Code de Commerce ou par des lois spéciales.
Art. 200. Cet article établit, au sujet des augmentations et améliorations du fonds, une profonde différence entre l'hypothèque et les privilèges (v. art. 169 et 173).
D'abord les améliorations fortuites survenues au fonds profitent au créancier hypothécaire, sans objection possible, puisqu'elles sont en même temps gratuites, comme le texte a soin de l'exprimer; telle serait la plus-value résultant de l'ouverture d'une route dans le voisinage, d'un canal, d'un chemin de fer, l'établissement d'un pont, etc.
Viennent ensuite les améliorations qui sont du fait du débiteur et sont obtenues à ses frais, “ telles que constructions, plantations ou autres ouvrages.” Ici, le doute pourrait se présenter, car ce que le débiteur tire de son patrimoine est enlevé au gage général de ses créanciers pour augmenter celui de l'un d'eux. Cependant, il y a tant de variétés possibles dans l'importance de ces dépenses et celles-ci peuvent être légitimes dans tant de cas que la loi pose en principe qu'elles profitent au créancier hypothécaire. S'il en est autrement pour les augmentations et améliorations des fonds grevés de privilège, c'est que le privilège ne vient que de la loi et de la cause de préférence par elle reconnue ; à savoir un service rendu au patrimoine ; or l'extension du privilège résulterait ici de la volonté du débiteur. D'un autre côté, l'abus est possible et pour le prévenir, en même temps que pour indiquer immédiatement le remède, la loi excepte d'abord le cas de “fraude aux autres créanciers ; ” elle rappelle ensuite que les constructions et autres ouvrages peuvent donner lieu au privilége des architectes et entrepreneurs, réglé aux articles 174 et 175, de sorte que l'extension de la garantie hypothécaire n'aurait lieu que pour ce qui resterait de plus-value après que ceux-ci auraient été désintéressés.
La loi suppose enfin que le débiteur a acquis des terrains contigus au fonds hypothéqué. Ici la règle est inverse : l'hypothèque ne s'étend pas et il n'y a pas d'exception. Il va sans dire que, le plus souvent lors même que les nouvelles acquisitions auraient été soumises à l'hypothèque, elles l'auraient été d'abord au privilège du vendeur, mais si le prix en avait été payé avec les deniers du débiteur, c'eût été au préjudice des créanciers chirographaires ; au cas d'échange, l'immeuble fourni en contre-échange aurait été également retiré du gage commun et l'on aurait toujours eu ce résultat inadmissible d'un créancier hypothécaire voyant sa garantie augmentée, en dehors de la convention primitive, par un acte préjudiciable à la masse.
La loi exprime enfin que la non-extension de l'hypothèque subsiste, lors même que le débiteur aurait opéré une jonction aussi intime que possible entre le nouvel immeuble et l'ancien, soit en les entourant tous deux d'une nouvelle clôture, soit en supprimant les clôtures intérieures : du moment qu'il ne s'agit pas ici d'une question d'intention, mais d'un motif de droit et de justice, il est naturel que les actes plus ou moins explicites du débiteur ne changent rien à la solution.
Art. 201. Cet article est la contre-partie de l'article précédent: les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations.
On suppose d'abord qu'elles proviennent d'un cas fortuit ou d'une force majeure, ou même du fait d'un tiers, ce qui, pour le débiteur, est comme un cas fortuit ou une force majeure : dans ce cas, la perte est pour le créancier, sauf son droit à l'indemnité due par le tiers ; cette indemnité peut être celle d'un dommage ordinaire, par suite d'un acte illégitime ; ce pourrait être aussi l'indemnité d'une expropriation pour cause d'utilité publique, le tiers alors ne serait autre que l'Etat ou une compagnie concessionnaire d'un droit de l'Etat ; ce pourrait être enfin une indemnité d'assurance contre l'incendie.
Le texte suppose ensuite que c'est par la faute du débiteur que les biens hypothéqués ont subi des diminutions ou détériorations lie défaut d'entretien est un de ces cas) et que, par suite, la garantie du créancier est devenue insuffisante ; alors le créancier n'en doit pas souffrir et le débiteur doit lui fournir un supplément d'hypothèque sur d'autres biens. Cette nouvelle hypothèque n'aura pas, sans doute, le même rang que la précédente : elle pourra en avoir un meilleur, si le bien offert en supplément n'est pas encore hypothéqué ; son rang sera inférieur dans le cas contraire.
Si le débiteur ne peut donner le supplément d'hypothèque, le remède est tout indiqué par un principe général : le débiteur perd le bénéfice du terme, la dette devient immédiatement exigible (v. Liv. des Biens, art. 405-3°) ; toutefois, il y aurait exagération à ce qu'elle fût exigible en entier : il suffit qu'elle le soit “ dans la mesure où la garantie du créancier est devenue insuffisante.”
Ce mode de règlement, quoique plus simple que le supplément d'hypothèque, ne pourra pas être imposé au créancier ; car, lors même que le débiteur aurait conservé le droit de rembourser sa dette avant l'échéance, cela ne l'autoriserait pas à faire un payement partiel contre la volonté du créancier (v. art. 439).
Art. 202, Bien que l'hypothèque soit un démembrement de la propriété, elle ne va pas jusqu'à enlever au débiteur tout droit sur sa chose : s'il ne peut plus faire d'actes de disposition qui nuisent au créancier, il conserve tous les droits inhérents à l'administration et, précisément, c'est là la différence entre l'hypothèque et le nantissement immobilier, ce dernier enlevant au débiteur jusqu'à la possession qui est transférée au créancier. ---SECTION II DES DIVERSES ESPÈCES D'HYPOTHÈQUES.
Art. 203. Les diverses hypothèques ne diffèrent pas par leurs effets, soit quant au droit de préférence, soit quant au droit de suite : c'est au point de vue de leurs causes qu'elles sont distinguées ici.
On n'a pas songé un seul instant à l'introduire l'hypothèque judiciaire dans le Code japonais. On n'a pas trouvé juste que le créancier le plus rigoureux dans les poursuites ou dont la créance s'est trouvée échue le plus tôt fût investi d'un droit d'hypothèque générale résultant virtuellement du jugement qui reconnaît son droit. Mais on a admis une hypothèque testamentaire dont l'application est d'ailleurs, fort limitée.
§ 1er. — DE L'HYPOTHÈQUE LÉGALE.
Art. 204. En général, la loi laisse les particuliers ou leurs représentants pourvoir eux-mêmes à leurs intérêts ; lorsqu'elle y pourvoit pour eux, c'est qu'elle veut protéger des incapables, soit contre leur propre faiblesse, soit contre la négligence ou l'intérêt contraire de leurs représentants.
Cette raison s'applique évidemment aux deux premières hypothèques légales : à celle des femmes mariées sur les immeubles de leur mari et à celle des mineurs et interdits sur les immeubles de leur tuteur.
Pour la troisième, celle de l'Etat et des autres personnes morales, l'hypothèque légale sur les immeubles des comptables a un double but : d'abord, de dispenser les chefs des comptables de stipuler une hypothèque conventionnelle, non-seulement au moment de l'entrée en fonction du comptable, mais encore chaque fois que celui-ci acquerrait de nouveaux immeubles, ce qui souvent pourrait n'être pas su en temps utile ; ensuite, de pourvoir à la garantie de l'Etat, au cas où les chefs manqueraient eux-mêmes à leur devoir de surveillance sur les comptables. Cette hypothèque appartenant au droit fiscal est et sera établie par deslois administratives spéciales auxquelles le Code se borne à renvoyer.
La quatrième et dernière hypothèque légale est celle qui résulte d'un privilège dégénéré, faute d'avoir été publié dans le délai fixé et sous les conditions prescrites aux articles 181 et 184. Ici l'hypothèque a la même cause que le privilège, toujours reconnue par la loi, seulement elle est affaiblie.
Il convient de revenir, pour un instant, à l'hypothèque légale des femmes mariées et à celle des mineurs et interdits, lesquelles sont tout-à-fait nouvelles au Japon.
Quand une fille aura des biens propres, avant ou après son mariage, le mari aura, le plus souvent l'administration de ses biens, il devra faire des restitutions à la dissolution du mariage, et il se trouvera ainsi débiteur de sa femme ou de l'héritier de celle-ci.
Si la femme, en tant que créancière de son mari, était quant à l'hypothèque, laissée, sous l'empire du droit commun, elle devrait pourvoir elle-même à ses sûretés ou garanties contre l'insolvabilité possible de son mari : elle n'aurait d'hypothèque que si elle en avait obtenu la constitution, soit au moment du mariage, soit depuis. Mais on comprend aisément que ses sentiments naturels d'effection et de déférence la portent à des ménagements qui, gênant sa liberté, compromettraient ses intérêts, et cela, non-seulement pendant le mariage, alors qu'elle est vraiment sous la puissance maritale, mais même au moment du mariage et dès qu'il est arrêté entre les familles.
Cette situation, dangereuse pour les intérêts de la femme, a préoccupé de tout temps les législateurs civils et l'on trouve déjà dans le droit romain des privilèges légaux pour la garantie de la dot des femmes.
L'hypothèque légale de la femme mariée sera générale: elle portera sur tous les immeubles présents et à venir du mari, aussi bien s'ils sont acquis à titre gratuit que s'ils le sont à titre onéreux, et elle garantira indistinctement toutes les créances de la femme contre son mari.
L'hypothèque légale des mineurs et des interdits est générale également ; elle est également nouvelle au Japon.
L'intervention de la loi en faveur du mineur est encore plus nécessaire qu'en faveur de la femme : en effet, celle-ci ou ses parents peuvent, à la rigueur, et sauf les obstacles de convenance dont on a parlé, stipuler et obtenir du mari qu'il consente à donner à la femme une hypothèque ou autre sûreté pour la garantie de sa dot et de ses reprises, et comme le mariage projeté est dans les vœux du mari, il n'est pas probable que cette exigence l'y fasse renoncer.
Il en est tout autrement des rapports d'intérêts du mineur avec son tuteur, et ce que nous dirons du mineur s'appliquera, par identité de motifs, à l'interdit pour démence : d'abord le mineur ne peut stipuler lui-même ; quant à scs parents, toujours plus ou moins éloignés en degré, ou ils manqueront du zèle nécessaire pour stipuler une hypothèque, ou ils seront arrêtés par des scrupules et des ménagements, au moins si le tuteur est lui-même très proche parent; enfin, et c'est là la grande différence entre le tuteur et le mari, le tuteur refusera l'hypothèque conventionnelle pour qu'on ne lui confie pas la tutelle, ce qui serait un autre dommage pour le mineur.
Tous ces inconvénients sont évités et la situation se trouve bien simplifiée par la création d'une hypothèque légale.
Quant aux interdits, la loi n'exprime pas que l'hypothèque légal protège également ceux dont l'interdiction provient de la loi, à titre de peine civile et comme complément d'une peine criminelle : cette peine accessoire, en effet, a pour but d'empêcher les condamnés de chercher dans la disposition de leurs biens des moyens de satisfactions personnelles incompatibles avec la peine principale, et surtout des moyens d'évasion, le tout, en provoquant la complaisance des gardiens. Mais, du moment qu'ils ne peuvent gérer eux-mêmes leurs biens, la loi leur donne un tuteur pour que ces biens ne soient pas la proie de parents avides, et du moment aussi qu'il y a un tuteur, celui-ci doit être lui-même soumis à la garantie ordinaire exigée des tuteurs§ II__DE L'HYPOTHÈQUE CONVENTIONNELLE.
Art. 205. La loi ne permet pas de constituer une hypothèque par convention verbale : elle doit être constituée par écrit: cela suffit pour dire que l'écrit n'est pas exigé pour la preuve seulement, mais pour l'existence du droit d'hypothèque ; c'est une solennité, si faible qu'elle soit.
Par une conséquence naturelle de nécessité d'un écrit pour la constitution même de l'hypothèque, la loi veut que si, par une cause de fait, le débiteur ne peut y figurer en personne et a besoin de s'y faire représenter par un mandataire volontaire, la procuration à cet effet soit mentionnée en substance dans la constitution d'hypothèque : cette condition a pour but, non-seulement de prouver le consentement du débiteur, niais encore de vérifier si le mandataire n'a pas excédé ses pouvoirs.
Nous avons supposé, pour qu'il y ait lieu à cette procuration, que c'est par une cause de fait que le débiteur est empêché de figurer dans la constitution d'hypothèque ; en effet, si l'empêchement vient d'une cause légale, laquelle ne peut guère être qu'une incapacité, le débiteur a un représentant qui est légal lui-même : par exemple, le mineur a son tuteur. Celui-ci peut avoir besoin, pour hypothéquer, de l'autorisation du conseil de famille et du tribunal : dans ce cas, l'acte constitutif de l'hypothèque devra mentionner, outre les noms et qualité du tuteur, le fait et la date des autorisations requises.
S'il s'agissait d'une femme mariée voulant constituer une hypothèque sur son bien, l'autorisation du mari lui serait nécessaire et devrait aussi être mentionnée dans l'acte ; mais le mari ne représenterait sa femme qu'en vertu d'une procuration spéciale, car la femme mariée n'a pas d'empêchement légal à figurer en personne dans les actes qui l'intéressent.
Art. 206. C'est un principe généralement admis en législation que les actes passés en pays étranger y sont soumis, pour le f o n d des dispositions permises et pour la capacité requise chez les parties, à la loi du pays des contractants, spécialement de celui qui s'oblige ou aliène ; mais pour ce qui est de pure forme dans les actes, ils ne sont et ils ne peuvent être soumis qu'à la loi du pays où l'acte est passé.
Ce double principe s'applique à la constitution d'hypothèque ; mais le second seul est formulé ici, parce que, seul, il comporte une distinction, ou réserve, fort naturelle d'ailleurs : les formalités consécutives à la convention même d'hypothèque, spécialement l'inscription destinée à la rendre publique, devant être accomplies au Japon pour qu'elle y produise ses effets, devront être remplies dans la forme japonaise.
Au surplus, il paraît suffisant, même dans les pays où l'hypothèque ne peut être donnée que devant notaire, que le sujet japonais la donnât par acte sousseing privé, puis que la loi japonaise n'exige pas un acte authentique.
Art. 207. A la différence des hypothèques légales qui sont le plus souvent générales, l'hypothèque conventionnelle doit être spéciale, c'est-à-dire que l'acte constitutif doit désigner individuellement l'immeuble ou les immeubles qui y sont soumis Rien n'empêche, il est vrai, d'arriver par ce moyen à hypothéquer tons les biens présents ; mais la loi pense que le débiteur se laissera moins facilement entraîner à donner une sûreté exagérée, en spécifiant les immeubles qu'il hypothèque, qu'en employant simplement une formule générale.
Il fallait prévoir le cas où le débiteur n'aurait pas observé la spécialité de l'hypothèque.
On n'a pas cru devoir aller jusqu'à la nullité complète d'une constitution générale : il y aura seulement réduction de l'hypothèque aux immeubles nécessaires à la garantie du créancier.
La disposition qui précède implique déjà que l'hypothèque ne doit pas pouvoir être constituée sur les biens à venir du débiteur ; mais, pour lever tous les doutes et surtout pour préciser la sanction de cette prohibition, la loi s'en explique : soit que le débiteur ait hypothéqué tous ses biens à venir en bloc, ou en spécifiant tel ou tel bien qu'il prévoit pouvoir lui appartenir un jour, ce n'est plus une simple réduction qui aura lieu, l'hypothèque est entièrement nulle.
Remarquons, du reste, que ce ne serait pas constituer une hypothèque sur un bien à venir que d'hypothéquer un immeuble sur lequel on aurait un droit subordonné à une condition suspensive ou qu'on aurait le droit ou l'espérance de recouvrer par une action en nullité ou en rescision : l'hypothèque, dans ce cas, serait elle-même conditionnelle.
Art. 208. Comme l'hypothèque n'est qu'un droit accessoire, il faut surtout dans l'intérêt dans tiers auxquels elle est opposable, que la créance qu'elle garantit soit désignée avec une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas d'incertitude au sujet de son existence et qu'on ne puisse la confondre avec une autre créance qui existerait entre les mêmes parties ; c'est pourquoi la loi veut que la créance soit désignée “clairement” dans l'acte constitutif, par sa cause, par sa modalité et par son objet ; sans préjudice, bien entendu, de la désignation inévitable des parties.
La cause sera, par exemple, un prêt ou une vente de meuble ou d'immeuble dont le prix est encore dû ; la modalité sera le terme, la condition ou la solidarité des débiteurs ou des créanciers ; l'objet sera la chose due, “en principal et accessoires.” Il n'est pas nécessaire que la date originaire de l'engagement soit relatée dans l'acte, parce que la constitution d'hypothèque suffit à elle seule à former une reconnaissance de la dette et à lui donner une nouvelle date.
La loi n'attache formellement aucune sanction à ces nouvelles dispositions ; mais il faut admettre que si l'une des énonciations requises manquait tout-à-fait, la nullité de l'hypothèque devrait être prononcée, à la requête, soit du débiteur, soit des autres créanciers, car l'hypothèque est une dérogation grave au droit commun et les conditions auxquelles la loi la soumet doivent être scrupuleusement observées.
Pour ce qui est de la clarté dans les énonciations, les tribunaux apprécieraient si elle est suffisante et ils devraient être très réservés dans la prononciation de la nullité.
Il n'est pas nécessaire pour qu'une dette soit valablement garantie par une hypothèque qu'elle ait pour objet une somme d'argent ; mais il faut au moins, quand l'objet est différent, qu'il soit évalué en argent, et cela, afin que les autres créanciers puissent connaître l'importance de l'hypothèque qui les prime ; de même, les tiers détenteurs auxquels l'hypothèque est opposable ont intérêt à savoir comment ils pourront satisfaire le créancier hypothécaire pour arrêter l'exercice du droit de suite.
L'évaluation sera généralement faite dans la constitution même d'hypothèque; au cas d'omission, ou s'il y a eu quelque obstacle momentané à faire une juste évaluation à ce moment elle pourra être faite par un acte postérieur. Dans les deux cas, comme elle sera contradictoire, c'est-à-dire débattue entre les parties, elle sera dé finitive.
Art. 209. L'hypothèque peut entraîner la vente aux enchères publiques de la chose hypothéquée ; cette éventualité fait exiger chez celui qui constitue l'hypothèque 1° le droit de propriété ou de jouissance soumis à l'hypothèque, 2° la capacité d'aliéner ce droit.
En se bornant à exprimer “ la propriété ou la jouissance,” la loi se réfère, en une formule abrégée, aux divers droits qui peuvent être hypothéqués, d'après l'article 197.
Quant à la capacité d'aliéner, la loi ne se contente pas toujours de ce que le constituant puisse aliéner à titre onéreux ; la capacité d'aliéner à titre gratuit, qui est plus rare, est exigée ici, lorsque la dette à garantir a été elle-même créée à titre gratuit, soit en même temps que la constitution d'hypothèque, soit antérieurement ; en effet, celui qui, ayant promis gratuitement une somme d'argent, en assure spécialement le payement par une hypothèque, ajoute à sa donation, et si l'hypothèque est fournie par un tiers (v. art. 211), pour la garantie de la donation d'un autre, ce tiers est lui-même donateur d'une sûreté.
C'est un principe souvent appliqué précédemment que “ nul ne peut transférer plus de droit qu'il n'en a lui-même;” la loi en fait ici une nouvelle application et, comme il est déjà arrivé souvent pour le rappel de règles générales, c'est surtout pour y apporter un tempérament, une modification.
Voici des exemples de cas où le droit d'hypothèque du créancier subsiste après l'extinction du droit temporaire du débiteur: un usufruit hypothéqué portait suides bâtiments assurés contre l'incendie, et le sinistre a eu lieu, ou bien il y a eu destruction desdits bâtiments par la faute d'un tiers, ou ils ont été expropriés par l'Etat : dans ces divers cas, le créancier hypothécaire ne verra pas son droit s'évanouir par le décès de l'usufruitier ou par l'arrivée du terme assigné primitivement à l'usufruit: son droit est transporté sur la portion de l'indemnité due à l'usufruitier par l'assureur, par le tiers en faute ou par l'Etat. C'est au fond l'application de l'article 201, au cas de droits temporaires de jouissance.
Art. 210. C'est au Livre des Personnes que le Code règle les formes et conditions imposées au tuteur pour hypothéquer les biens des mineurs et interdits.
Art. 211. De même qu'un tiers peut donner son bien en nantissement mobilier ou immobilier pour la dette d'autrui (v. art. 98 et 117), de même il est admis ici à donner une hypothèque : c'est ce qu'on appelle souvent cautionnement réel. Si l'immeuble ainsi hypothéqué a été saisi et vendu pour l'acquittement de la dette, la caution réelle a son recours de droit contre le débiteur, comme une caution personnelle, en distinguant si elle a fourni l'hypothèque sur mandat du débiteur, ou spontanément, comme gérant d'affaires (v. art. 30) ; elle aurait même le bénéfice de la subrogation légale (v. art. 36).
On a vu plus haut que la constitution d'hypothèque par le débiteur est un acte tantôt onéreux, tantôt gratuit, suivant la nature de la créance à laquelle elle ajoute une sûreté. Le même article a réservé pour le nôtre le cas où l'hypothèque est constituée par un tiers.
Ici, il n'y a plus, en principe, à distinguer la cause gratuite ou onéreuse de la dette garantie : pour le tiers qui fournit la sûreté, sans y être tenu et sans en tirer un avantage appréciable en argent, la constitution doit être considérée comme gratuite, c'est-à-dire comme une libéralité, au moins vis-à-vis du débiteur, et elle exigera entre lui et le constituant la capacité respective de donner et de recevoir.
La loi excepte le cas où “ le débiteur a fait un sacrifice pour obtenir cette garantie mais dans ce cas même, si le bien hypothéqué avait servi à l'acquittement de la dette, le tiers qui a fourni la sûreté n'en aurait pas moins un recours intégral, car il a bien consenti à donner du crédit au débiteur, mais non à payer sa dette.
Vis-à-vis du créancier la constitution sera encore gratuite, lorsqu'elle aura eu lieu après la création de l'obligation et sans avoir été stipulée : elle est alors aussi une libéralité pour lui et exigera la même capacité respective de donner et de recevoir. Ce n'est qu'au cas contraire, celui de la concomitance des actes ou d'une promesse originaire de cette sûreté que la constitution d'hypothèque sera réputée à titre onéreux vis-à-vis du créancier, lorsque d'ailleurs le contrat principal aura été lui-même à titre onéreux.
Art. 212. On a admis sans hésiter l'hypothèque testamentaire dans le Code japonais ; il est naturel, en effet, que le testament, par lequel on peut conférer tous les droits réels, puisse servir à conférer une hypothèque.
Le cas cependant doit être entendu avec précaution. Ce n'est pas celui où un débiteur auquel un créancier n'a pas demandé d'hypothèque à l'origine ou qui n'a pas consenti à lui en constituer une, pour ne pas perdre son crédit, se déciderait, plus tard, en prévision de son décès, à donner une hypothèque à ce créancier : une telle disposition serait une sorte de libéralité qui ne pourrait changer la position respective des créanciers, laquelle se fixe au décès du débiteur. H s'agit seulement de l'hypothèque qu'un testateur donne à un ou plusieurs de ses légataires pour la garantie de leur legs : le legs de l'hypothèque peut améliorer la condition du légataire vis-à-vis des autres, mais il ne leur donnera aucune priorité sur les créanciers, même simplement chirographaires.
Lorsqu'un légataire aura reçu une hypothèque, ils viendra dans l'ordre que le testateur lui aura assigné, et s'il n'a été donné d'hypothèque qu'à un on à plusieurs, cela suffira à leur donner la préférence sur ceux qui ne pourraient invoquer que le droit commun.
On pourrait objecter qu'il n'est pas nécessaire que le testateur donne une hypothèque au légataire qu'il veut favoriser de préférence aux autres ; il suffirait, en effet, qu'il exprimât sa volonté à cet égard, dans son testament ou dans un codicille ; mais l'hypothèque sera toujours utile pour suivre les immeubles sur les tiers détenteurs.
L'hypothèque testamentaire pourra recevoir une autre application, et plus fréquente : elle pourra être donnée pour la garantie de la dette d'un tiers. Elle constituera alors une double libéralité, tant en faveur du débiteur qu'en faveur du créancier, comme il a été expliqué plus haut, pour l'hypothèque conventionnelle fournie par un tiers.
SECTION III.
DE LA PUBLICITÉ DES HYPOTHÈQUES.
§ Ier. — DES CONDITIONS ET DE LA DURÉE DE L'INSCRIPTION.
Art. 213. Il y a les mêmes raisons de publier les hypothèques que les privilèges sur les immeubles : comme leur effet est de donner un droit de préférénce sur les autres créanciers et un droit de suite contre les tiers acquéreurs du bien hypothéqué, il faut qu'il ne puisse y avoir aucune surprise des uns ou des autres.
Le moyen de publicité est l'inscription du titre constitutif, de l'hypothèque.
L'inscription se fait au bureau du lien où sont situés les immeubles hypothéqués.
Il pourra arriver que le bien hypothéqué soit assez étendu pour dépendre de plusieurs bureaux d'inscription et qu'il ait été hypothéqué en bloc ; dans ce cas, pour éviter les frais, la loi n'exige l'inscription qu'au bureau dans lequel se trouve le chef-lieu du domaine : dans les autres bureaux on fera seulement une mention de l'inscription, spécialement de sa date, de sorte qu'il sera facile de s'y référer.
Notre article pose le principe absolu “ qu'aucune hypothèque, même légale, n'est opposable aux tiers si elle n'est rendue publique par une inscription" et il n'annonce ni ne recevra aucune exception.
Il y a là une profonde et grave différence avec plusieurs Codes étrangers qui affranchissent de la publicité l'hypothèque légale des femmes mariées, des mineurs et des interdits. Ce caractère occulte, secret, de l'hypothèque des incapables a triomphé par la puissance d'une longue tradition et parce qu'autrefois les idées économiques de crédit, de sécurité des transactions, n'avaient pas encore la puissance quelles ont acquise depuis.
Sans doute, il est juste que la fomme et le mineur soient protégés efficacement, exceptionnellement même, contre la mauvaise gestion et l'insolvabilité du mari et du tuteur ; cela suffit à expliquer que ces personnes reçoivent de la loi une hypothèque, sans avoir à la stipuler; cela explique aussi que l'hypothèque soit générale ; mais il ne faut pas aller jusqu'à exposer à des priorités de créances ou à des évictions résultant du droit de suite des tiers de bonne foi, c'est-à-dire des créanciers ou des acquéreurs ayant traité avec les maris ou les tuteurs, ignorant le mariage ou la tutelle ou au moins l'importance des reprises de la femme et des restitutions dues au mineur.
Tout le système du Code japonais, en matière d'acquisition de droits réels immobiliers, repose sur la publicité ; or, la moindre exception et celle-là serait considérable, formerait une brèche par laquelle entrerait l'incertitude et, par suite, le discrédit de la propriété foncière et la difficulté de la circulation des biens.
Art. 214. La seule condition mise ici à la validité de l'inscription à prendre sur le débiteur (celle à prendre sur un tiers détenteur est réglée plus loin) est négative: il ne faut pas qu'au moment où l'inscription est prise le débiteur soit déjà insolvable, et que son insolvabilité soit déjà déclarée ou au moins notoire.
L'idée de la loi est que si l'inscription était possible, quand il est certain ou légalement présumé que le passif du débiteur est supérieur à son actif, le créancier le mieux en situation de connaître cette circonstance, par sa proximité du domicile du débiteur ou autrement, se hâterait de prendre inscription et acquerrait ainsi la priorité sur les antres, sans cause légitime.
Cette limite au droit de prendre inscription ne concerne que les hypothèques nées avant que l'insolvabilité soit survenue : la loi a soin d'exprimer que l'inscription ne peut être prise lorsque cette insolvabilité est survenue postérieurement à la naissance de l'hypothèque ; c'est alors, en effet, que le créancier est en faute d'avoir tenu secret un droit que les tiers avaient intérêt à connaître. Dans le cas, au contraire, où le créancier n'a acquis l'hypothèque légale ou conventionnelle que depuis que le débiteur est devenu insolvable, s'il l'a acquise à; titre onéreux, il a augmenté l'actif du débiteur en lui fournissant une valeur et l'inscription qu'il prendra ne lui conférera aucun avantage illégitime, elle ne le préservera même pas de tout risque. Nous disons qu'il faut supposer que l'hypothèque garantit un acte onéreux : la loi ne l'exprime pas ; mais dans l'hypothèse où nous sommes d'un débiteur déjà insolvable, les actes gratuits d'aliénation et d'hypothèque lui sont interdits par les principes généraux (v. Liv. des Biens, art. 340).
Pour que le créancier ne soit pas incertain sur son droit de prendre inscription, la loi veut que l'insolvabilité du débiteur soit “ régulièrement déclarée," ou qu'elle soit “ devenue notoire ” et cela, non d'une façon qui puisse elle-même être discutée, mais “ par la saisie de tout ou de la majeure partie de ses biens.”
Quant à l'obstacle que met la faillite à l'inscription, c'est le Code de Commerce qui le détermine.
Le 1er alinéa ne concerne que les limites au droit d'inscription “ sur le débiteur ; ” le 20 alinéa renvoie à la Section v pour ce qui concerne le droit d'inscription ” contre le tiers détenteur ” (v. art. 248 et s ).
Art. 215. La prise de l'inscription n'étant qu'un acte conservatoire du droit d'hypothèque n'exige que la capacité d'administrer les biens. Ceux qui ne l'ont pas sont remplacés à cet égard par leur représentant légal ou judiciaire dont c'est “ le droit et le devoir ” de prendre inscription. Il en est de même des mandataires conventionnels généraux. A l'égard du mandataire spécial, il faut considérer comme tel, non-seulement celui qui aurait été chargé de prendre l'inscription, mais encore, comme l'exprime le texte, “ celui qui aurait été chargé de passer l'acte auquel est attachée l'hypothèque légale ou conventionnelle : il y a là une de ces ‘‘ suites nécessaires " du mandat dont l'article 233 du Livre précédent a donné d'autres exemples.
Enfin, la loi déclare qu'un mandat n'est pas nécessaire pour la validité d'une inscription : elle peut être prise, à titre de bon office, par un gérant d'affaires.
Art. 216. La femme est la première intéressée à la publicité et à la conservation de son hypothèque, elle peut donc en prendre elle-même l'inscription ; la loi dit qu'elle n'a pas besoin pour cela de l'autorisation de son mari ni de celle de justice : de son mari, parce que, leurs intérêts étant contraires, il la refuserait souvent ; de la justice, parce que, la femme ne pouvant que profiter et non souffrir dans ses intérêts, par l'effet de cette inscription, l'autorisation serait toujours accordée.
L'hypothèque ne peut être inscrite tant que la femme n'a pas quelque créance contre son mari, fût-ce une créance seulement conditionnelle, sans distinguer d'ailleurs si elle est née d'un contrat ou d'une autre cause reconnue par la loi.
Comme l'hypothèque est générale, l'inscription peut être prise sur tout ou partie des immeubles, au gré de la femme : il n'y a guère à craindre l'abus de sa part, ne fût-ce que parce que ce seraient des frais et des peines inutiles; d'ailleurs, le mari peut toujours faire réduire les inscriptions excessives, comme la loi lui en réserve le droit (v. art. 226).
Pour le mari, c'est un devoir de prendre inscription au nom de sa femme, lorsqu'elle ne l'a pas fait : naturellement, il n'est pas tenu de prendre inscription sur tous ses immeubles, mais il doit, autant que possible, prendre l'inscription sur des immeubles libres ou encore assez peu grevés pour garantir suffisamment les droits de la femme. Le texte a soin de dire aussi qu'il n'est tenu de prendre inscription pour sa femme que " lorsqu'il est son débiteur."
Si ni le mari ni la femme n'ont pris l'inscription, les parents ou alliés de la femme peuvent la prendre, spontanément et sans mandat de sa part; mais ils devraient s'arrêter devant un refus formel de celle-ci ou, à plus forte raison, devant une renonciation de sa part à l'hypothèque.
Art. 217. Pour l'inscription de l'hypothèque du mineur, nous trouvons des dispositions à peu près semblables ; toutefois c'est le tuteur et non le mineur qui ligure en première ligne, comme devant prendre l'inscription. Après lui vient le subrogé-tuteur, dont le rôle est de représenter le mineur quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du tuteur.
En troisième lieu viennent les parents ou alliés du mineur ; à la différence des parents et alliés de la femme, la loi leur fait un devoir de prendre l'inscription, mais seulement en tant qu'ils sont membres du conseil de famille. Pour eux, comme pour le subrogé-tuteur, cette obligation a une sanction, c'est la condamnation aux dommages-intérêts du mineur, parce qu'ils sont gardiens de ses intérêts; et comme l'obligation est la même pour tous, la loi établit ici un nouveau cas de solidarité légale.
Quant au tuteur, il ne peut être question de le condamner à des dommages-intérêts envers le mineur, puisque, s'il est insolvable, cette condamnation n'ajouterait rien aux droits du mineur déjà son créancier.
Le mineur peut lui-même requérir l'inscription, mais seulement lorsqu'il a été émancipé, parce qu'alors la tutelle a cessé et que le mineur prend l'administration de ses biens. Lorsque la tutelle a cessé, le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille restent obligés de prendre inscription pour les créances du mineur nées pendant leur responsabilité, laquelle dure tant que les comptes ne sont pas rendus et soldés.
Art. 218. L'assimilation aux mineurs des interdits pour démence est constante ; elle a déjà fait accorder l'hypothèque légale générale aux uns et aux autres ; il est donc naturel qu'on la retrouve ici au sujet de l'inscription : le tuteur, le subrogé-tuteur et les membres du conseil de famille devront prendre inscription et sous la même sanction que lorsqu'il s'agit du mineur. La seule différence à noter, c'est que l'interdit pour démence ne peut jamais requérir lui-même l'inscription.
Quant à l'interdit par suite de condamnation judiciaire, il est admis à donner, à cet effet un mandat spécial à un étranger, et s'il n'est pas autorisé à prendre lui-même l'inscription, c'est parce que ce serait incompatible avec le régime pénitentiaire.
Art. 219. Cet article ne demande aucun développement : il repose sur l'idée que le nom de l'héritier seul ne serait pas une désignation suffisante du créancier. De même, au cas de mandat, il faut la réunion des noms et qualités du mandataire et du mandant.
Art. 220. Si c'est le débiteur qui est décédé, le créancier peut encore s'inscrire sur lui, car il peut ignorer le décès ou le nombre et les noms des successeurs ; mais s'il connaît ceux-ci, il peut s'inscrire sur eux tous.
Dans le cas d'une hypothèque fournie par un tiers, il est clair que l'inscription est prise sur lui ; mais cela ne dispense pas de mentionner le nom du débiteur.
Art. 221. L'inscription conserve son effet pendant trente ans, après quoi elle sera périmée ; c'est, en même temps, le délai maximum possible de la prescription de la créance à laquelle l'hypothèque est attachée.
Cette combinaison de la péremption de l'inscription avec la prescription de la créance demande quelque précaution et présente plusieurs cas.
1° Si la prescription de la créance est de trente ans et n'a été ni suspendue, ni interrompue, la créance est éteinte et l'hypothèque l'est aussi, par voie de conséquence (v. art. 292-3°) : il est sans intérêt, dans ce cas, de remarquer que l'inscription est en même temps périmée ;
2° Si la prescription de la créance est de moins de trente ans, la créance et l'hypothèque seront éteintes en même temps et l'inscription n'aura plus d'effet sans être à proprement parler périmée ;
3° Si la prescription de la créance était de trente ans, mais a été suspendue ou interrompue, cela n'empêchera pas que la péremption de l'inscription s'accomplisse par trente ans, parce qu'elle n'est pas suspendue en faveur des incapables (v. 2e al.) et qu'elle ne peut être interrompue que par un renouvellement qu'on ne suppose pas avoir eu lieu ;
4° Si la prescription était encore de trente ans et n'a été ni suspendue ni interrompue, lors même que l'inscription a été renouvelée avant l'expiration des trente ans, la créance est éteinte par prescription et l'hypothèque en même temps, parce que l'inscription ou son renouvellement n'interrompent pas la prescription (v. art. 298) ;
5° Si la prescription était de moins de trente ans et a été interrompue, la créance est conservée et l'inscription continue à valoir d'elle-même, parce que le délai de la péremption est de trente ans.
Le texte nous dit, en terminant, quel est l'effet du renouvellement avant et après la péremption : si l'inscription est renouvelée avant d'être périmée, elle conserve l'hypothèque à son rang primitif; si elle est renouvelée après la péremption, c'est, en réalité, une inscription nouvelle qui ne vaut qu'à sa date.
Art. 222 On a vu à l'article 214 que l'inscription d'hypothèque ne peut être prise sur le débiteur après son insolvabilité, déclarée ou notoire.
Si l'insolvabilité est survenue depuis l'inscription, elle n'empêche pas le renouvellement de l'inscription dans les trente ans, parce qu'alors l'inscription garde toujours la même date.
Si l'inscription a été périmée, le renouvellement n'et plus possible, parce que l'on se retrouve dans le cas où une inscription primitive n'est pas permise.
Art. 223. Il est naturel que la compétence au sujet des contestations relatives aux inscriptions sois celle du tribunal de la situation du bien, parce que cet contestations ont un caractère réel.
§ II—DE LA RADIATION, DE LA RÉDUCTION ET DE LA RECTIFICATION DES INSCRIPTIONS.
Art. 224. Le présent article nous indique deux causes de radiation de l'inscription : elles sont tirées de la créance ou de l'hypothèque et n'atteignent l'inscription que par voie de conséquence.
Le texte est assez précis pour n'avoir pas besoin de développements à ce sujet.
Remarquons seulement ce qui concerne l'extinction de la dette ; il n'y a lieu à radiation que si l'extinction est totale; s'il n'y avait qu'extinction partielle, ce serait le cas de réduction de l'inscription, énoncé plus loin.
Il y a aussi un renvoi à l'article 231 (1 ), pour un autre cas de radiation qui ne pouvait encore prendre place ici.
Art. 225. La radiation de l'inscription, devant (1) C'est par erreur que le texte porte renvoi à l'article 230 : c'est 231 qu'il faut lire. autoriser les tiers intéressés à considérer l'inscription comme non avenue, ne doit pas être faite témérairement ou avec des dangers d'erreur, aussi doit-elle être demandée et obtenue en justice, à moins qu'il n'y ait accord des parties, à cet effet, comme il est prévu aux articles 233 et suivants.
Les questions qui devront être jugées au sujet des demandes en radiation seront souvent très importantes, puisqu'elles pourront porter : 1° sur l'existence même de la prétendue créance hypothécaire, sur sa validité ou sur son extinction par un des modes légaux ; 2° sur l'existence de l'hypothèque, légale, conventionnelle ou testamentaire; 3° sur la validité de l'inscription.
Le tribunal compétent est naturellement celui de la situation du bien, d'après l'article 223. Cependant, s'il y avait à juger des questions de capacité et autres n'intéressant l'inscription que par voie de conséquence, le tribunal du domicile du créancier défendeur serait compétent d'après le droit commun : il suffirait que le défendeur déclinât la compétence du tribunal de la situation pour obtenis le renvoi.
Art. 226 La loi arrive à la réduction des inscriptions ; le texte prévoit successivement les trois sortes d'hypothèques.
L'inscription de la femme peut être réduite pour deux causes : 1° si elle porte sur plus d'immeubles qu'il n'est nécessaire pour sa garantie, 2° si elle est prise pour une somme plus forte que la juste évaluation de sa créance.
Il y aurait bien un 3e cas de réduction, mais comme il est commun à toutes les hypothèques, il sera l'objet d'un article final, c'est le cas où la dette a été éteinte en partie. (v. art. 231).
Pour que la réduction puisse ainsi avoir lieu, il faut, pour la première cause, que l'hypothèque n'ait pas été déjà restreinte à un ou plusieurs immeubles, par convention avec le mari, et pour la seconde, que l'évaluation de la créance n'ait pas été faite de même par convention.
Art. 227. L'hypothèque légale du mineur et de l'interdit est, ici encore, entièrement assimilée à celle de la femme : il y aura lieu aux deux mêmes causes de réduction de l'inscription, sous les deux mêmes conditions, à savoir qu'elle n'ait pas reçu un caractère conventionnel par délibération du conseil de famille ou de tutelle, d'accord avec le tuteur.
Art. 228 et 229. L'hypothèque conventionnelle semblerait, par sa nature, être irréductible quant aux immeubles, puisqu'elle doit être spéciale ; mais on a vu à l'article 207 que le Code permet d'hypothéquer la totalité ou une quote part des biens présents, sans autre désignation ; or, dans ce cas, la réduction de l'inscription est permise, s'il y a excès dans la garantie. La seconde cause de réduction fondée sur une évaluation excessive est également permise, si l'évaluation n'a pas été faite par convention avec le débiteur.
Mêmes solutions et aux mêmes conditions pour l'hypothèque testamentaire.
Art. 230. On aurait pu croire qu'à cause de l'indivisibilité de l'hypothèque, aucune réduction de l'inscription ne serait possible pour cause d'extinction partielle de la dette ; mais il y aurait là une confusion d'idées que la loi tient à prévenir : la réduction de l'inscription ne diminue en rien les garanties du créancier, puisque, dans ce cas, ainsi que le texte a bien soin de l'exprimer, il n'y a pas réduction des immeubles hypothéqués, mais seulement de la somme portée dans l'inscription ; dès lors, ce n'est pour le débiteur qu'un moyen de ne pas voir son crédit diminué plus qu'il n'est juste par une inscription excessive.
La loi n'admet pas non plus qu e la réduction puisse être demandée pour un payement partiel quelconque : il faut que la dette soit éteinte pour plus de moitié ; sauf encore le droit pour le débiteur de faire mentionner, en marge de l'inscription, les payements partiels quelconques qu'il faits, le tout à ses frais exclusifs, et cela, toujours pour conserver son crédit dans la mesure de la vérité.
Art. 231. Il est naturel que le jugement qui statue sur la demande en réduction faite par le débiteur déclare formellement quels immeubles seront affranchis de l'hypothèque et quelle somme restera garantie, par l'inscription. C'est dans le premier cas qu'il y a lieu à une radiation que n'a pas énoncée l'article 224, mais pour laquelle il a renvoyé à notre article. Il en résulte que ledit article 224 reste limité aux radiations qui dégrèvent complètement tous les immeubles du débiteur.
Dans le second cas, l'immeuble ou les immeubles restent grevés, mais la somme qu'ils garantissent est diminuée.
Art. 232. Bien que le Code n'oblige pas le débiteur à fournir un supplément d'hypothèque, en cas de diminution de la garantie par cas fortuit (v. art. 201), ce n'était pas une raison pour l'affranchir de cette obligation, lorsque les immeubles auxquels l'hypothèque a été restreinte ont subi des dépréciations, même fortuites ou résultant d'une force majeure : il ne faut pas perdre de vue qu'ici il y a un acte du débiteur qui a amené la restriction de l'hypothèque et indirectement causé cette insuffisance postérieure.
Art. 233. Il est désirable, lorsqu'il y a lieu à la réduction d'une inscription, que le créancier y consente et n oblige pas le débiteur à recourir à la justice, ce qui entraîne des lenteurs et des frais ; mais comme ce sont des actes graves en eux-mêmes et qui modifient une situation solidement établie, la loi exige que le consentement du créancier soit donné par écrit. S'il y a eu un jugement, il est naturel que la radiation ou la réduction ne soit effectuée qu'après que le jugement est devenu inattaquable.
Art. 234. Les distinctions que fait ici la loi au sujet de la capacité requise chez le créancier, pour consentir à la radiation ou à la réduction, sont naturelles et faciles à justifier : s'il y a eu extinction totale ou partielle de la dette, il suffit au créancier de pouvoir recevoir le payement de la dette ou en reconnaître le payement antérieur, car le consentement à la radiation ou à la réduction repose dans ce cas sur la reconnaissance d'un payement. S'il s'agit de l'une des deux autres causes de radiation ou de réduction, comme elles ont toujours un caractère litigieux, il faut au créancier la capacité de transiger, car il se fait alors juge de son droit et de celui du débiteur respectivement. Enfin, s'il a y renonciation pure et simple à tout ou partie du bénéfice de l'inscription, il est clair que le créancier dispose gratuitement de sa créance et dès lors il lui faut la capacité de donner.
Art. 235. La procuration pour consentir une hypothèque étant soumise à la nécessité d'un écrit, il est naturel que la procuration pour la restreindre soit soumise à la même condition de forme.
Quant à la capacité du mandataire, elle est de même réglée d'après les causes de la radiation ou de la réduction.
Art. 236. Il est naturel que la radiation ne soit pas une cancellation de l'inscription : celle-ci n'est pas biffée ou bâtonnée, parce qu'il peut survenir des circonstances où la radiation devrait elle-même être annulée et où l'inscription devrait reprendre sa force (v. art. suiv.). Elle consiste donc dans une mention, en marge de l'inscription, de la convention ou du jugement qui les a autorisées ou ordonnées; de sorte qu'elle présente en même temps sa cause et sa justification.
Quant à la réduction, il est encore plus évident qu'elle ne peut consister que dans une mention, car elle doit indiquer soit l'immeuble affranchi de l'inscription, soit la somme à laquelle elle est réduite.
Art. 237. Il sera rare sans doute, que le jugement qui a ordonné la radiation ou la réduction de l'inscription soit annulé, puisqu'on vient de voir que la mention n'en est faite sur les registres que quand le jugement est devenu inattaquable ; mais il y a des recours extraordinaires dont la possibilité ne sera certainement pas suspensive de la mention, comme la révision ; notre article s'appliquera donc à ces cas.
En outre, il s'appliquera sans difficulté à la convention ayant autorisé la radiation ou la réduction, laquelle pourra être annulée pour incapacité ou pour vice du consentement, ou résolue pour inexécution des conditions.
La solution de la loi concilie à la fois l'intérêt de l'ancien créancier dont le droit est rétabli et celui des nouvaux qui, sur la foi de la radiation ou de la réduction, ont pu accepter des hypothèques ou prendre eux-mêmes des inscriptions qu'ils ont eu lieu de croire avantageuses.
Supposons que l'hypothèque de Primus ait été radiée sur un immeuble sur lequel Secundus occupait le second rang ; ensuite Tertius a pris inscription, enfin l'inscription de Primus a été rétablie; Primus continuera à primer Secundus, parce que celui-ci ne verra pas sa position plus mauvaise qu'elle n'était à l'origine; mais il sera primé par Tertius qui n'a vu que l'inscription de Secundus avant la sienne.
Voici le moyen de régler ces divers droits en apparence inconciliables : par exemple, trois créanciers sont inscrits chacun pour 1000 yens ; l'immeuble ne se vend que 2500 yens (il faut bien supposer que l'immeuble ne suffira pas à payer tous les créanciers, autrement, la question n'aurait pas d'intérêt), il y a donc un créancier qui perdra 500 yens. Secundus touchera certainement ses 1000 yens, car, que ce soit Primus ou Tertius qui reçoive les premiers 1000 yens, il ne peut en souffrir ni en profiter; quant aux 1000 yens alloués au premier rang, ils ne peuvent primer Tertius vis-à-vis duquel il n'y avait plus qu'une inscription le primant, celle de Secundus; Tertius touchera donc 1000 yens, dont 500 sont prélevés sur les 1000 du premier rang, et les 500 autres seront alloués à Primus ; c'est en somme sur celui-ci ce que les fonds manqueront.
Mais voici un cas plus intéressant :
Supposons que P hypothéqué de Primus, radiée, puis rétablie, ait été de 2000 yens ; c'était sur Secundus que les fonds auraient manqué, si Primus avait gardé son inscription sans interruption ; Tertius s'inscrivant pour 1000 yens, lorsqu'il n'y a plus qu'une inscription celle de Secundus, est sûr d'être payé ; plus tard, l'inscription de Primus est rétablie : Tertius n'en doit pas souffrir, il touchera donc scs 1000 yens ; Primus n'en aura plus que 1000 au premier rang et Secundus sera toujours réduit à 500 yens, chiffre sur lequel seul il a compté.
Art. 238. Les inexactitudes ou omissions ne suffiraient pas à faire annuler l'inscription; mais comme les erreurs doivent toujours être redressées, elles donneront lieu à des conventions ou à des jugements rectificatifs et ces conventions ou jugements seront eux-mêmes mentionnés en marge de l'acte rectifié.
Le présent article prévoit seulement des erreurs dans l'inscription première, mais il faudrait l'appliquer à des erreurs dans le renouvellement, dans la radiation ou dans la réduction.
La même garantie que plus haut est accordée aux tiers: la rectification ne rétroagira pas contre eux.
SECTION IV.
DE L'EFFET ET DU RANG DES HYPOTHEQUES ENTRE LES CREANCIERS.
Art. 239. Le premier alinéa de notre article pose un principe qui ne pourrait être mis en doute, même dans le silence de la loi, mais qui donne plus de relief à la disposition du second alinéa, laquelle est la plus saillante de toute la Section.
On a vu sous l'article 213 que, dans le Code, toutes les hypothèques, même celles des femmes mariées, des mineurs et des interdits, sont soumises à la formalité de l'inscription, sans quoi “ elles ne peuvent être opposées aux tiers”; il est dès lors nécessaire que l'inscription détermine aussi le rang respectif de toutes, car si les tiers devaient subir une priorité que ne leur révélerait pas l'inscription, l'hypothèque dont le rang est le plus grand intérêt, conserverait encore un caractère occulte et le plus grave.
C'est donc la plus ancienne inscription qui assure le premier rang et ainsi, en suivant, jusqu'à la plus récente.
La loi ne pouvait négliger de prévoir le cas où plusieurs inscriptions seraient prises le même jour. Certains Codes étrangers donnent à cet égard une solution qu'on n a pas cru pouvoir adopter : à savoir que tous les créanciers inscrits le même jour viennent en concurrence, lors même que le conservateur aurait marqué entre eux des différences d'heure.
Cette solution a prévalu, parce qu'on a craint que, dans ce cas, par erreur ou par complaisance, le conservateur ne donnât aux uns sur les autres une priorité mal fondée. Mais si la loi ne croyait pas pouvoir accorder au conservateur, dans ce cas particulier, la même confiance que dans les autres, il fallait chercher quelque garantie spéciale de la vérité, plutôt que de sacrifier des intérêts légitimes, et c'est justement ce que le Code Japonais croit avoir fait Il y a, eu effet, un très grave inconvénient dans le système étranger : un créancier qui prend une inscription, un jour où il n'en existe encore aucune autre, n'est pas assuré de la priorité ; une ou plusieurs autres inscriptions pourront être prises le même jour et concourir avec la sienne ; c'est au système de la publicité une brèche à laquelle on s'est trop facilement résigné.
La garantie contre la fraude ou l'erreur du conservateur pourra consister dans la délivrance d'un récépissé portant le numéro d'ordre de la remise de la journée et dans la reproduction du même numéro d'ordre sur l'inscription.
Art. 240. Il est naturel que lorsque la créance porte intérêts et que l'inscription en fait memtion, le créancier obtienne quelque partie de ces intérêts, sans être dans la nécessité de prendre une inscription spéciale à chaque échéance. Mais il ne serait pas juste non plus qu'il obtint tout ce qui se trouve dû au jour de la liquidation, parce que, s'il a laissé s'accumuler les intérêts, il a commis une négligence qui ne doit pas préjudicier aux autres créanciers.
Le Code n'accorde que deux années, le texte a soin d'exprimer qu'il s'agit d'années échues, et des deux dernières, lesquelles peuvent avoir une moindre importance que de plus anciennes, s'il y a eu des payements partiels du capital. Mais le créancier auquel il est dû un plus grand nombre d'années non prescrites peut toujours prendre à cet égard des inscriptions spéciales valant à leur date.
Le texte s'applique aux autres accessoires périodiques des créances, tels qu'arrérages des rentes perpétuelles ou viagères et prestations de denrées estimées en argent.
Art. 241. La créance conditionnelle existe, quoiqu'on un état imparfait : l'effet de l'inscription en est lui-même conditionnel et éventuel ; mais l'une et l'autre n'en ont pas moins un rang fixé également par la date de l'inscription, pour valoir si la condition s'accomplit et quand elle s'accomplira.
La loi se prononce formellement dans le même sens pour l'hypothèque garantissant le remboursement de sommes versées successivement en vertu d'une “ ouverture de crédit,” c'est-à-dire d'un prêt pouvant aller jusqu'à un chiffre déterminé ou même sans autre limite que la demande de l'emprunteur. Seulement, dans ce cas, l'inscription devrait porter un chiffre maximum Dans ces divers cas, du moment que les tiers sont avertis de l'hypothèque et de son rang, ils traitent en conséquence avec le débiteur : ils ne courent aucun risque de surprise et ont, au contraire, des chances que la créance conditionnelle ne se réalise pas ou que le crédit ne soit pas arrivé au chiffre qu'il pouvait atteindre.
Art. 242. La disposition du présent article est un nouveau cas de subrogation légale.
Le cas de cette subrogation est assez facile à saisir à la lecture du texte : un créancier a hypothèque sur plusieurs immeubles de son débiteur (ce sera le cas d'une hypothèque légale, ce peut aussi être celui d'une hypothèque conventionnelle ou testamentaire) ; si tous les immeubles sont vendus à la même époque et liquidés simultanément, l'équité demande, et c'est la disposition du 1er alinéa, que le prix de chaque immeuble contribue, d'après son importance relative, à payer cette dette : autrement, le prix d'un seul immeuble pourra être absorbé, en tout ou en très grande partie, par le payement intégral, au grand préjudice des autres créanciers inscrits à la suite sur le même immeuble, et au profit des créanciers inscrits sur les autres immeubles qui se trouveront ainsi dégrevés d'une forte créance.
Cette répartition proportionnelle, immédiate et directe, n'est pas toujours possible, la vente et la liquidation de tous les immeubles ne peut toujours être simultanée ; mais la loi indique un moyen d'y revenir indirectement, c'est la subrogation légale qui forme l'objet du 2e alinéa : les créanciers inscrits à la suite de celui qui a été désintéressé en entier sur un seul immeuble prendront sa place, c'est-à-dire son rang, pour leur propre créance, sur les autres immeubles, au lieu de n'y venir qu'à leur rang personnel qui est peut-être peu favorable.
Le texte dit que, dans cette subrogation, ils gardent “ leurs rangs respectifs,” afin qu'on ne croye pas qu'ils y arrivent comme par un titre nouveau, ayant un seule date et un seul rang.
Le but de la loi étant de faire contribuer les divers immeubles hypothéqués à une seule dette, proportionnellement à leur valeur respective, il eu résulte que cette subrogation ne permet aux créanciers perdants de prendre la place de celui qui les a primés que dans la mesure où les autres immeubles doivent contribuer au payement de la première créance : autrement, on tournerait dans un cercle sans issue.
Cette subrogation légale rentre d'ailleurs dans la seconde application de ce bénéfice de la loi, telle qu'elle se trouve énoncée à l'article 482-2° du Livre des Biens : on peut dire, que “ ces créanciers en ont désintéressé un autre qui leur était préférable à raison de ses privilèges ou hypothèques.”
Art. 243. Le 1er alinéa de cet article exprime l'effet ordinaire de la subrogation qui met le subrogé à la place du subrogeant ; lorsqu'on liquidera le prix des immeubles sur lesquels le créancier avait un droit qui n'a pas été utilisé, les créanciers perdants sur les premiers immeubles seront colloqués sur les autres avant les créanciers qui se trouvaient primés par le créancier désintéressé : ceux-ci ne pourront s'en plaindre raisonnablement, car ils se savaient primés dans une certaine mesure, proportionnelle à la valeur respective de chaque immeuble, comparée au montant de la créance inscrite la première ; or, il leur importe peu que ce droit de préférence soit exercé par un créancier ou par d'autres. Ce qu'il fallait éviter c'était qu'ils fissent un gain injuste.
Le 2e alinéa indique pour les subrogés le moyen de se mettre en garde contre des actes passés entre le débiteur et l'ancien créancier, actes dont l'effet serait la radiation ou la réduction de l'inscription ; c'est aussi le moyen de se faire comprendre nommément dans la procédure d'o r d r e (ajoutons dans la procédure de suite dont le texte ne fait pas mention, parce que l'on n'y est pas encore arrivé) : autrement, les significations ne seraient faites qu'à l'ancien créancier et il serait en droit de n'y pas répondre, n'ayant plus d'intérêt et n'étant tenu d'aucune garantie envers les subrogés.
Si l'hypothèque du créancier désintéressé n'avait pas été inscrite sur les autres immeubles qui lui sont affectés, l'inscription pourrait être prise aux mêmes lins par les subrogés, mais elle ne vaudrait qu'à sa date.
Art. 244. Un créancier hypothécaire peut, tout en conservant sa créance renoncer à son droit d'hypothèque, ou même garder son hypothèque et renoncer seulement à sou rang, en faveur d'un autre créancier ; s'il y a d'autres créanciers inscrits à la suite du renonçant ils n'auront pas à en souffrir ni à en profiter ; en effet, ou la nouvelle créance est supérieure à celle du renonçant, alors elle ne s'exercera que dans la même mesure, ou elle est inférieure, alors le renonçant exercera son droit pour le surplus.
S'il y a plusieurs renonciations successives, ce qui est dit ci-après des cessions successives de la même créance leur est applicable.
Les créances hypothécaires sont cessibles par vente, échange, donation ou antre acte opérant transport cession ; dans ces cas, l'hypothèque est cédée avec la créance elle-même. Mais il est possible qu'en fait la même créance ait été l'objet de cessions successives, soit par la mauvaise foi du cédant, soit parce que l'héritier du créancier, ignorant une cession antérieure faite par son auteur, en ferait lui-même une autre, de bonne foi.
La loi doit donc régler ce conflit entre cessionnaires et il est naturel qu'elle puise dans le système de la publicité des hypothèques le principe de la priorité entre les cessionnaires : le premier rang appartiendra donc “ à celui qui aura le premier publié son acquisition,” et le mode de publicité sera le plus simple et le moins coûteux, à savoir la mention de la cession, en marge de l'inscription déjà prise ; si celle-ci n'a pas encore été prise par le cédant, elle le sera à la diligence du cessionnaire, avec la mention de la cession.
La loi met la subrogation sur la même ligne que la cession, parce qu'avec quelques différences dans l'étendue, elle a les mêmes effets.
On pourrait croire qu'il ne peut être question ici que de la subrogation conventionnelle, comme étant la seule qui puisse avoir lieu plusieurs fois, de mauvaise foi ou par erreur, et qui, par conséquent, donne lieu à une question de priorité ; niais il ne faut pas mettre cette restriction dans la loi ; on peut, en effet, supposer une subrogation légale en conflit avec une cession ou avec une subrogation conventionnelle, soit antérieure, soit postérieure, et il est nécessaire que chacun des intéressés, avant de contracter, puisse être averti de la priorité qui lui sera opposable.
Art. 245. L'article 185 a déjà réglé un cas particulier de subrogation. Comme il est écrit pour la matière des privilèges, on a cru devoir en reproduire ce qui concerne la publicité, mais on se borne à un renvoi à cet article pour sa dernière disposition concernant la validité des payements faits de bonne foi avant la publication de la cession ou de la subrogation.
Art. 246. La présente disposition est nécessaire pour montrer qu'il y a une profonde différence entre la publicité des hypothèques et celle des mutations ou constitutions de droits réels immobiliers. En effet, l'article 350 du Livre des Biens nous a dit que le défaut d'inscription ne peut être opposé aux acquéreurs négligents que par les ayant-cause “ de bonne foi ”, c'est-à-dire qui ont ignoré les actes non inscrits ; de plus, une limite est mise aux moyens de prouver la mauvaise foi, c'est-à-dire la connaissance extrinsèque desdits actes ; elle ne peut être établie que par l'aveu même de la partie qui oppose le défaut d'inscription.
On n'a pas à revenir ici sur les raisons qui ont paru commandé cette disposition.
Mais de ce que la connaissance d'une mutation non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit de se prévaloir du défaut d'inscription, il ne s'en suit pas que la connaissance d'une hypothèque non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit d'opposer le défaut d'inscription : les divers droits réels soumis à l'inscription sont généralement incompatibles les uns avec les autres, ils ne peuvent coexister; on comprend dès lors que la loi ne donne la préférence qu'à celui qui, ayant publié son acquisition, a ignoré une acquisition antérieure, ou, en d'autres termes, la refuse à celui qui avoue avoir connu, lors de son acquisition, une aliénation antérieure, bien que non inscrite. Mais diverses hypothèques peuvent coexister sur le même immeuble, au profit de personnes différentes, sans s'exclure nécessairement: un créancier primé par d'autres peut cependant être payé avant ceux-ci, soit avec des deniers disponibles, soit au moyen d'autres sûretés; dès lors, la circonstance qu'un créancier sait, au moment où il s'inscrit, qu'il existe déjà une autre hypothèque non inscrite, ne le constitue pas en état de mauvaise foi, et ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter : il a pu croire que le créancier négligent avait d'autres sûretés rendant son hypothèque moins utile.
Art. 247. Les dispositions de cet article sont très importantes, Elle sont tellement conformes à la raison et à l'équité qu'on n'hésite pas à les introduire dans ce Code La loi commence par poser un principe dont la suite n'est que le développement logique et nécessaire : le créancier, hypothécaire n'est créancier chirographaire que pour ce qu'il ne peut toucher dans le produit de la vente du bien hypothéqué ; il n'y a donc pas concours des deux qualités : l'une exclut l'autre ; ce n'est qu'après la clôture de l'ordre que l'on peut savoir quels créanciers hypothécaires restent chirographaires et pour quelle somme ils ont cette qualité.
Si l'on commençait toujours par la vente des immeubles, il n'y aurait aucune difficulté. Soient, par exemple, trois créanciers hypothécaires : le premier est payé en entier sur le prix des immeubles, le second ne l'est que pour deux tiers, le troisième ne vient pas en ordre utile; il est clair que le premier n'est plus créancier, en aucune qualité, que le second n'est créancier chirographaire que pour un tiers de sa créance et que le troisième est chirographaire pour le tout; les deux derniers seront payés sur les valeurs mobilières en proportion de leur créance chirographaire.
Mais, précisément, il est rare que la vente des immeubles puisse être faite avant la liquidation des valeurs mobilières ; dès lors, tous les créanciers hypothécaires peuvent prétendre être compris dans la distribution, proportionnellement à leur créance, et on ne Verrait pas à quel titre ni pour quelles sommes les en exclure : quelle que soit la vraisemblance que le premier créancier soit payé intégralement sur le prix des immeubles et le second pour une fraction, cette fraction est incertaine pour le second et, même pour le premier ce payement intégral peut être empêché par la perte de l'immeuble ou par quelque nullité imprévue de son hypothèque.
La loi les autorise donc à se présenter tous à la distribution par contribution, chacun pour le montant intégral de sa créance, et chacun y touchera un dividende.
Puis, quand viendra la distribution du prix des immeubles, ce n'est pas pour ce qui lui reste du que chacun viendra à la collocation par ordre : ce serait un avantage illégitime pour ceux des créanciers qui, par leur rang d'inscription, étaient exposés à ce que les fonds manquassent sur eux ; le premier créancier prenant moins à son rang, le second toucherait plus au sien et le troisième, qui dans la première hypothèse ne serait pas venu en ordre utile, pourrait toucher quelque chose, le tout au préjudice des créanciers chirographaires.
Il faut donc que, dans la liquidation du prix des immeubles, chaque créancier hypothécaire soit traité comme si aucune distribution antérieure du prix des meubles n'avait eu lieu.
D'un autre côté, aucun créancier ne peut recevoir un double payement de sa dette ni d'aucune partie de sa dette ; alors, celui qui se trouve en rang utile pour être payé en entier par sa collocation dans l'ordre, reverse à la masse mobilière tout le dividende qu'il en a reçu, car il se trouve que c'est à tort qu'il a figuré dans la première distribution ; le second créancier, s'il est appelé à toucher deux tiers, par exemple, dans l'ordre hypothécaire, n'aurait dû figurer que pour un tiers dans la distribution mobilière, et comme il y a figuré pour toute sa créance, il aura donc à restituer deux tiers de ce qu'il a reçu ; le troisième créancier, ne touchant rien hypothécairement, n'aura rien à restituer à la masse mobilière ; au contraire, il sera appelé à participer à la distribution des sommes restituées à la masse mobilière, car comme il est dit au dernier alinéa, ces sommes sont l'objet d'une nouvelle distribution proportionnelle.
SECTION V.
DE L'EFFETS DES HYPOTHÈQUES CONTRE LES TIERS DÉTENTEURS, OU DU DROIT DE SUITE.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 248. On a déjà annoncé que l'hypothèque, étant une des sûretés les plus efficaces, ne préserve pas seulement celui qui en est muni du concours des autres créanciers, par le droit de préférence, mais encore le met à l'abri, par le droit de suite, des aliénations, même non frauduleuses, de la chose hypothéquée.
C'est ce second droit qui va nous occuper dans la présente Section.
Si l'immeuble restait toujours dans les mains du débiteur et n'était grevé par lui d'aucun droit réel ou démembrement de la propriété, c'est sur le débiteur lui-même que le créancier poursuivrait la vente, pour l'exercice de son droit de préférence; alors on ne parlerait pas do droit de suite : ce droit suppose, comme le porte notre premier article, que le débiteur a aliéné l'immeuble, en tout ou en partie, ou qu'il l'a démembré par la constitution d'un usufruit ou grevé d'un autre droit réel.
Le principal effet du droit de suite est, comme le porte encore notre article, d'autoriser le créancier hypothécaire “ à demander contre le tiers détenteur le payement de la dette : ” la poursuite en expropriation de l'immeuble hypothéqué n'est que “ subsidiaire ” et à défaut de payement volontaire ; cet immeuble est d'ailleurs le seul bien du tiers détenteur qui puisse être saisi du chef de cette dette, car il n'en est tenu que sur cette chose et à cause de cette chose, réellement, ce qui le sépare profondément du débiteur tenu personnellement et sur tous ses biens (v. art. 1er).
Le but final de l'expropriation sera encore, l'exercice du droit de préférence, par l'ouverture d'un ordre et le payement au rang déterminé par l'inscription; mais la présence d'un tiers acquéreur modifie considérablement l'exercice do ce droit.
Notre article contient une autre disposition très importante, c'est que la condition essentielle du droit de suite est “ que le créancier ait pris inscription avant l'inscription, faite par le tiers détenteur, de l'aliénation ou du démembrement de la propriété. En effet, le tiers détenteur n'a pas moins d'intérêt à connaître le droit de suite auquel il est exposé que les créanciers n'en ont à connaître le droit de préférence qu'ils doivent subir : peut-être le tiers détenteur n'aurait-il pas traite s'il avait su être exposé aux poursuites de créanciers hypothécaires, ou, assurément, il aurait pris certaines précautions pour le payement de son prix ou l'acquittement des autres charges de son acquisition.
Cette règle ne comporte pas d'exception, pas plus que celle qui subordonne le droit de préférence à l'inscription et fait dépendre la priorité de rang de l'antériorité d'inscription : les femmes mariées, les mineurs et interdits ne pourraient exercer le droit de suite sans que leur hypothèque eût été inscrite avant l'aliénation.
Par exception les baux ayant par leur durée modérée, un caractère d'actes d'administration seront respectés. II ne faut pas, en effet, que les biens manquent d'être loués, parce que les preneurs traitant avec le débiteur, craindraient l'éviction par l'effet du droit de suite.
Si un bail avait été fait par le débiteur pour une durée plus longue que celle qui a un caractère d'administration, il ne serait pas nul, mais réductible à la durée permise, sur la demande des créanciers hypothécaires (v. art. 259.)
Art. 249. Cet article suppose que le débiteur a hypothéqué un démembrement de la propriété d'autrui, qui lui appartenait, et qu'il a ensuite renoncé à son droit. Cette renonciation doit être inscrite, d'après l'article 348-2° du Livre des Biens. Si le créancier a inscrit son hypothèque avant l'inscription de la renonciation, celle-ci ne pourra lui nuire. Par exemple, le débiteur a hypothéqué son droit d'usufruit ou de bail, puis il a renoncé à son droit : le créancier hypothécaire inscrit en temps utile tiendra la renonciation pour non avenue à son égard et fera vendre le droit d'usufruit ou de bail comme intact.
Art. 250. Les créanciers chirographaires peuvent saisir et faire vendre les biens meubles et immeubles de leur débiteur, en respectant les droits d'hypothèque qui peuvent grever ces biens ; le plus souvent, ils ne s'engageront dans cette procédure lente et coûteuse que lorsqu'ils ne se sauront pas primés par des hypothèques de nature à absorber tout on la plus grande partie des immeubles. Seulement, il est difficile qu'ils aient une certitude absolue à cet égard, car la saisie, même inscrite, n'arrête pas encore les autres inscriptions.
Le Code de Procédure civile détermine les formes de la saisie. Parmi ces formes se trouve la publication de la saisie. Cette publication a pour but d'avertir les tiers qu'ils ne pourront plus acquérir de droits sur l'immeuble saisi: notamment, il ne pourrait plus être constitué par le débiteur de nouvelles hypothèques. Mais les hypothèques valablement acquises pourront encore être utilement inscrites, parce que la propriété n'est pas encore perdue pour le débiteur: la saisie inscrite ne le dépouille que du droit de disposer et non du droit de propriété, lequel ne lui sera enlevé que par d'adjudication.
Cette adjudication, à son tour, devra être inscrite (v. art. 348-3°) et notre article nous dit que, jusqu'à cette transcription qui dessaisit le débiteur, ses créanciers peuvent valablement s'inscrire et s'assurer, ainsi, si non le droit de suite proprement dit, car il ne peut plus y avoir une nouvelle saisie et une nouvelle vente (v. art. 258), au moins un droit de préférence sur le prix, opposable aux saisissants.
Remarquons qu'ici l'hypothèque ne peut être inscrite après l'inscription de la saisie que si elle a été constituée par acte authentique : la loi a voulu par là prévenir une fraude qui eût été facile puisqu'on général l'hypothèque n'exige pas l'acte authentique.
La loi réserve un cas où l'inscription ne pourrait même être prise jusqu'à l'inscription de l'adjudication ; c'est celui où le débiteur serait considéré comme notoirement insolvable, par l'effet de la saisie (même non transcrite) de la majeure partie de ses biens, meubles et immeubles, mais il ne faut pas considérer cette présomption d'insolvabilité comme absolue : le tribunal pourrait toujours admettre que la saisie a été faite avec exagération par un créancier rigoureux et que les biens du débiteur excèdent son passif.
Art. 251. L'article 214, rappelé plus haut, ne met obstacle qu'à l'inscription à prendre sur le débiteur, mais si c'est le tiers détenteur qui devient insolvable ou dont la succession n'est pas acceptée purement et simplement, cela ne fait pas obstacle à l'inscription à prendre sur lui : tant qu'il n'a pas publié son titre d'acquisition, les créanciers hypothécaires ne le connaissent pas et n'ont pas à se préoccuper de sa solvabilité.
Art. 252. En présence des inscriptions prises, le tiers détenteur peut prendre plusieurs partis qui concilient tout à la fois les droits des créanciers hypothécaires et son intérêt.
Il n'est pas, en général, obligé d'attendre les poursuites pour prendre l'un de ces partis; cependant, le 3e et le 5e, l'exception de discussion et l'expropriation, supposent nécessairement des poursuites faites contre lui.
Chacun de ces parties est l'objet d'un § distinct.
§ Ier. — DU PAYEMENT DES DETTES HYPOTHÉCAIRES.
Art. 253. Si la loi commence par le payement des dettes hypothécaires, ce n'est pas parce que ce sera le parti le plus fréquent que prendra le tiers détenteur, car il pourrait le mener trop loin, c'est parce que le véritable effet de l'hypothèque contre le tiers détenteur. celui que sanctionne le droit de suite, c'est l'affectation de l'immeuble au payement de la dette.
Lorsque le prix de l'immeuble ne sera pas plus élevé que le montant des dettes hypothécaires, le payement de celles-ci sera un moyen très simple pour le tiers détenteur de se libérer, tout à la fois, de son obligation comme tel vis-à-vis des créanciers hypothécaires et de son prix d'acquisition vis-à-vis du débiteur, son cédant. Dans ce cas, il n'a pas à devancer les échéances des dettes hypothécaires, ce qui serait le cas, au contraire, s'il voulait procéder à la purge (v. § suiv.).
Art. 254. Si le tiers détenteur avait déjà payé son prix au cédant, ou s'il devait un prix d'acquisition inférieur aux dettes hypothécaires, si même il ne devait pas de prix, comme coéchangiste, sans soulte à payer, ou comme donataire ou légataire, il aurait un recours à exercer contre le débiteur ; pour ce recours la loi lui accorde la subrogation de plein droit aux créanciers qu'il a désintéressés, pour jouir des autres hypothèques, sûretés on avantages quelconques qui pourraient leur appartenir. C'est l'application du principe général que la subrogation légale appartient à celui a payé une dette dont il était tenu avec d'autres ou pour d'autres (v. art. 482_1° du Liv. des Biens) ; cette subrogation comporte d'ailleurs ici les limites spéciales qui sont énoncées à l'article 483-3° et 4°.
Le 2e alinéa de notre article signale un avantage particulier mais éventuel de cette subrogation : si le tiers détenteur ne désintéresse pas tous les créanciers hypothécaires et finit par être évincé ou exproprié de l'immeuble par les créanciers non payés, alors il a l'avantage d'exercer sur l'immeuble qu'il détient les hypothèques mêmes des créanciers qu'il a désintéressés; il ne serait pas juste, en effet, que les créanciers postérieurs en rang à ceux qu'il a payés vissent ainsi s'améliorer leur rang et leurs chances d'être payés, lors que les payements ainsi effectués l'ont été de deniers qui n'étaient pas dus à leur débiteur.
On a dit que dans ce cas, le tiers détenteur acquiert par la subrogation une hypothèque sur son propre immeuble; mais c'est une expression plus singulière qu'exacte : l'hypothèque n'est acquise que pour le cas d'éviction, qui est précisément le cas où le tiers détenteur cessera d'être propriétaire du bien hypothéqué.
§ II. — DE LA PURGE.
Art. 255. L'explication donnée au § précédent du premier parti que peut prendre le tiers détenteur a fait voir qu'il n'est pas sans inconvénient et que, le plus souvent, le tiers détenteur n'y recourra pas. Le parti auquel on donne ici le second rang sera, contraire, le plus prudent et, par suite, sera le plus fréquent.
Le nom de purge signifie purification : l'hypothèque est considérée comme un vice qui entache l'acquisition, ou comme une maladie qui affecte l'immeuble, et l'opération dont il s'agit enlèvera la tache ou le mal.
Notre article indique le caractère de la purge : le tiers détenteur ne paye pas toutes les dettes hypothécaires, il ne les paye que jusqu'à concurrence de son prix d'acquisition dans l'ordre de leur inscription, après des offres et une procédure particulière suivies d'une acceptation expresse ou tacite des créanciers même non désintéressés. Comme l'acquisition du tiers détenteur n'a pas toujours lieu par vente, comme elle peut résulter d'une donation ou d'un legs, il faut alors que le tiers détenteur qui veut purger offre une valeur qu'il considère comme équivalente à celle de l'immeuble, car le droit des créanciers hypothécaires ne peut se trouver amoindri par le mode d'aliénation qu'aura employé le débiteur.
Lors même que l'acquisition a eu lieu par vente, comme le prix peut avoir été assez bas, le tiers détenteur a intérêt à offrir une somme supérieure à son prix, sauf recours contre son vendeur : autrement, il aurait peu de chances de voir ses offres acceptées. On peut admettre qu'en sens inverse, si, pour des raisons particulières, il avait payé un prix supérieur à la valeur réelle de l'immeuble, il pourrait offrir une somme moindre. Il est vrai que si les créanciers connaissent le prix de vente (et ce sera le plus fréquent, à cause de l'inscription), ils seront portés à ne pas accepter l'offre ainsi réduite, et le tiers détenteur n'aura pas lui-même, en général, intérêt à proposer cette réduction. Mais si l'on suppose qu'il a déjà imprudemment payé tout ou partie de son prix à son vendeur, directement, ce qui ne le libère nullement envers les créanciers hypothécaires, il aura grand intérêt à ne plus offrir que la valeur réelle de l'immeuble, n'ayant pas grandes chances de recouvrer du débiteur ce second payement.
Notre article indique que la consignation peut remplacer le payement effectif ; on y reviendra sous l'article 268.
Art. 256. On sait qu'une acquisition peut, comme une obligation, être affectée de deux sortes de conditions ; l'une, dite suspensive, qui la retarde et peut empêcher qu'elle se réalise, l'autre, dite résolutoire, qui la laisse s'effectuer, mais l'expose à être détruite ; toutes deux dépendant d'ailleurs d'un événement futur et incertain (v. art 408 du Liv. des Biens).
Le droit de purger n'existe que dans le second de ces cas.
Dans le premier cas, le tiers détenteur, ayant moins un droit acquis que l'espérance et la chance de l'acquérir, ne peut purger (1er al.); il y aurait, en effet, de grands inconvénients à ce que celui qui n'a qu'un droit conditionnel pût anéantir les droits fermes et certains des créanciers hypothécaires sans désintéresser ceux-ci, tous et entièrement.
Au contraire, le tiers détenteur dont le droit existe actuellement et est seulement exposé à une résolution éventuelle est autorisé à purger (2e al.). Mais la loi devait prévoir le cas où, après la purge et la radiation des hypothèques, le droit du tiers détenteur serait résolu par l'accomplissement de la condition. Deux hypothèses sont réglées :
1° Les offres du tiers détenteur ont été acceptées, l'immeuble est resté dans ses mains et les hypothèques sur lesquelles les fonds ont manqué ont été radiées comme celles qui ont été éteintes par le payement effectif (v. art. 268, 2e al.) : quand le droit du tiers détenteur est ensuite résolu par l'accomplissement de la condition, la radiation sans payement se trouve avoir été sans cause légitime, elle est résolue elle-même et il y a lieu de rétablir l'inscription, au moyen d'une mention en marge, conformément à l'article 237.
Cet article exige, en général, un jugement, comme le seul moyen de prévenir les erreurs ou les surprises dans une matière qui intéresse les tiers : ici les créanciers non payés qui demanderont le rétablissement de l'inscription devront obtenir un jugement qui se bornera à constater que la purge a été résolue, comme l'acquisition du tiers détenteur, et à ordonner ou autoriser le rétablissement de l'inscription radiée.
2° Les offres du tiers détenteur n'ont pas été acceptées, alors l'immeuble a dû être vendu publiquement, comme il est établi ci-après (v. art. 267 et 278). Si l'adjudication une fois prononcée pouvait être résolue par l'accomplissement de la condition résolutoire de l'acquisition primitive, les enchères ne seraient pas suivies avec intérêt, l'adjudication ne donnerait pas le véritable prix de l'immeuble: la loi exprime que “ladite adjudication demeure à l'abri de la résolution.”
Art. 257. Cet article indique certains tiers détenteurs qui, par suite d'une autre qualité, ne peuvent s'affranchir des hypothèques par la voie de la purge. Ce sont :
1° Ceux qui sont tenus desdites dettes, non plus seulement comme détenteurs, mais personnellement, soit comme débiteurs principaux, tels que codébiteurs solidaires ou codébiteurs d'une dette indivisible, soit comme débiteurs accessoirs, comme une caution : ils sont bien détenteurs de la chose hypothéquée, mais ils ne sont pas tiers détenteurs ; à plus forte raison, le débiteur unique de la dette hypothécaire, resté propriétaire, ne pourrait-il prétendre purger, en offrant la valeur estimative de son immeuble ;
2° Celui qu'on nomme “ caution réelle,” parce qu'il garantit la dette d'autrui sur un de ses biens : quoiqu'il ne soit pas tenu aussi rigoureusement qu'une caution ordinaire ou personnelle, laquelle est obligée sur tous ses biens, il n'en est pas moins obligé de respecter le droit qu'il a conféré ; or, la purge, quelle que soit sa légitimité, quand il s'agit d'un tiers détenteur qui n'a aucun rapport contractuel avec les créanciers hypothécaires, est une atteinte portée à l'hypothèque, laquelle ne peut provenir de celui-là même qui l'a. constituée.
La loi ne se prononce pas sur le co-débiteur simplement conjoint qui aurait payé sa part dans le dette avant les poursuites : il faut l'admettre à purger, comme tiers détenteur, cas il n'est, pas tenu personnellement de la part des autres.
Art. 258. Il s'agit ici de certains modes d'acquisitions qui ne donnent pas lieu à la purge parce qu'elles font légalement présumer que la valeur véritable de l'immeuble a été obtenue, eu sorte qu'une remise en vente ne donnerait pas un meilleur prix.
En premier lieu sont les adjudications faites aux enchères publiques ; telles sont : celles sur saisie immobilière (v. art. 250), sur surenchère (v. art. 265), sur poursuite hypothécaire (v. art. 278); la loi vise même “ toutes les adjudications auxquelles les créanciers hypothécaires sont appelés à intervenir,” ce qui comprend l'adjudication des immeubles des incapables et les autres auxquelles le Code de Procédure appelle les créanciers hypothécaires.
En second lieu sont les expropriations pour cause d'utilité publique; dans ce cas, l'indemnité est fixée dans des conditions qui permettent de dire que le juste prix a été donné à l'immeuble exproprié ; il y a de plus une raison péremptoire d'empêcher la purge ordinaire, c'est qu'elle permettrait de mettre la chose aux enchères publiques ; or, précisément, le bien dont il s'agit ne peut plus appartenir à un particulier, puisqu'il est reconnu nécessaire à un usage publie.
Au surplus, le refus de purge prononcé par notre article contre deux classes d'acquéreurs ne leur cause aucun dommage et ne les soumet pas au payement intégral des dettes hypothécaires, car le droit des créanciers se borne à une collocation sur le prix d'adjudication ou sur l'indemnité d'expropriation (3e al.). Aussi peut-on dire que “ l'adjudication purge les hypothèques inscrites,” et on en pourrait dire autant de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Cela n'est pas contraire aux solutions de notre article : s'il refuse au tiers détenteur la faculté de purger dans les cas d'adjudication publique et d'expropriation, c'est de la purge de notre § qu'il entend parler, avec son caractère d'offre constituant une convention, si elle est acceptée, et menant à une revente, si elle est refusée.
Art. 259. Ici ce n'est pas la nature du mode d'acquisition qui met obstacle à la purge, c'est la nature du droit acquis.
Quand il s'agit de droits qui ne peuvent être saisis et vendus, la purge ne peut en être permise, puisque la vente est un de ces résultats possibles : tels sont les droits d'usage, d'habitation et de servitudes foncières, cités par notre article.
Cependant le tiers acquéreur de tels droits ne peut être tenu de payer toutes les dettes hypothécaires. D'un autre côté, il ne peut être question de limiter le droit de suite à, un droit de préférence sur le prix d'acquisition, comme dans l'article précédent, car il peut y avoir eu échange, donation on legs, cas où il n'y a pas de prix à payer. La loi résout la difficulté par une distinction : si les droits dont il s'agit ont été établis avant la constitution de l'hypothèque, l'immeuble est vendu grevé desdits droits, parce que les créanciers les ont connus et doivent les respecter. S'ils ont été établis après la constitution de l'hypothèque le droit de suite s'exercera par la saisie du bien resté aux mains du débiteur, en faisant abstraction des démembrements de propriété qui ne sont pas opposables aux créanciers. C'est l'application du principe général posé à l'article 248, 1er alinéa.
A l'égard des baux, il n'y a pas non plus de purge possible ; deux cas sont d'ailleurs à distinguer : ou les baux ont une courte durée et ont un caractère d'actes d'administration, alors les créanciers les respectent (v. art. 248, 2e al.), sans même avoir de préférence sur le prix de bail, pas plus qu'ils n'en auraient sur le prix des fruits du fonds vendus annuellement ; ou les baux ont une plus longue durée et alors ils sont considérés comme non avenus à l'égard des créanciers et le fonds sera saisi comme n'étant pas loué pour plus que la durée permise. Mais si les baux avaient été consentis avant la constitution d'hypothèque, ils seraient maintenus.
Art. 260. Le tiers détenteur n'est pas obligé pour purger d'attendre les poursuites d'un ou plusieurs créanciers : il a toujours le droit de sortir d'une situation incertaine. Mais, en sens inverse, s'il est sommé “de payer ou de délaisser,” il doit, dans le mois, ou obtempérer à l'une de ces injonctions ou purger, à peine de déchéance.
Les dispositions des deux derniers alinéas sur la déchéance demandent attention ; il fallait une sanction à l'obligation d'observer le délai d'un mois, mais il ne fallait pas que la déchéance eût lieu de plein droit, même avec possibilité pour le détenteur d'en être relevé : c'est aux créanciers à la faire prononcer en justice et ils ne pourront pas toujours l'obtenir.
D'abord, si le tiers détenteur justifie d'empêchements légitimes, le tribunal peut lui accorder un nouveau délai ; ces empêchements pourraient être purement personnels, mais comme la loi excepte le cas où les créanciers “ en éprouveraient un préjudice sérieux,” il n'y a pas d'abus à craindre.
Les créanciers ne pourront non plus demander la déchéance contre des offres faites tardivement, s'ils y ont tacitement renoncé, en ne demandant pas la déchéance dans le délai d'un mois qui leur est accordé pour répondre aux offres ordinaires (v. art. 265-2°).
Art. 261. L'inscription est le préliminaire de la purge : c'est d'abord le moyen pour le tiers-détenteur de prendre la qualité de propriétaire qui l'autorise à faire des sommations et des offres aux créanciers ; c'est aussi le moyen de faire apparaître le privilège du vendeur ou autre aliénateur et son droit de résolution, droits qui, dans la théorie du Code, ne sont pas perdus tant que l'inscription de la mutation n'est pas faite (v. art. 180).
Comme cette inscription arrête celle qui peuvent être opposées an tiers détenteur, c'est alors le moment pour lui de demander au conservateur “ un état des privilèges et hypothèques qui grèvent son immeuble.”
Art. 262. Les trois notifications que le tiers détenteur doit faire aux créanciers privilégiés ou hypothécaires sont assez précisées dans le texte pour ne pas demander de développements ; il suffit d'indiquer le but de chacune.
1° L'exposé du titre a pour but de faire connaître aux créanciers la qualité en laquelle le tiers détenteur se présente à eux: ils y verront: 1° s'il est acheteur ou donataire, 2° qui il est, 3° si c'est bien leur débiteur qui est l'auteur de l'aliénation, 4° si c'est bien l'immeuble à eux hypothéqué qui a été aliéné, 5° à quelle époque a eu lieu l'aliénation (ce qui importe pour la capacité d'aliéner), 6° à quelle date a. été faite l'inscription du titre (ce qui influe sur la validité des autres inscriptions), enfin, 7° le prix d'acquisition ou la valeur estimative donnée à la chose, ce qui permettra aux créanciers de voir si les offres dont il est parlé au n° 3 sont suffisantes.
2° Le tableau des inscriptions fait connaître aux divers créanciers, respectivement, combien et qui ils sont, pour quelles sommes et à quelle date ou à quel rang ils sont, ce qui les aidera à voir si le prix à eux offert peut parvenir à les désintéresser ; l'indication du folio du registre des inscriptions permettra aux intéressés de vérifier si toutes les inscriptions sont régulières et valables, ce qui intéresse encore plus les créanciers respectivement que le tiers détenteur.
3° La déclaration ici prescrite est “ l'offre ” dont nous avons déjà parlé plusieurs fois et qui donnera à la purge un caractère conventionnel ou transactionnel, si ladite offre est acceptée. Cette déclaration rappelle aux créanciers qu'ils ont le droit de requérir la mise aux enchères de l'immeuble en surenchérissant les premiers ; elle leur indique dans quel ordre ils seront payés, sans distinction entre les créances certaines et celles qui sont conditionnelles, et entre celles qui sont échues et celles qui ne le sont pas ; ici, en effet, il ne peut être question comme dans le premier parti que peut prendre le tiers détenteur, de payer les dettes à mesure qu'elles sont échues, car les premières en rang pourraient être à terme ou conditionnelles et, lorsque leur tour viendrait, les fonds pourraient manquer ; c'est une liquidation anticipée où tous les intérêts doivent être sauvegardés.
Bien entendu, les sommes dues sous condition ne seront pas versées aux ayant-droit, elles seront consignées, en attendant l'événement ou la défaillance de la condition.
L'article 268 reviendra sur l'application de la consigation auquel notre article fait déjà allusion.
Art. 263. Il serait bien inutile que le tiers détenteur se mît, par la purge, à l'abri du droit de suite résultant des privilèges et hypothèques, si certains créanciers dont le droit hypothécaire serait purgé conservaient l'action résolutoire d'une aliénation ou d'un partage d'où provenait originairement le droit du débiteur.
Du moment que le Code fournit au tiers détenteur un moyen de se mettre à l'abri d'une action résolutoire indéfinie, tout en laissant à cette action un certain temps pour se produire, il n'y a pas de raison de la déclarer perdue par cela seul que le privilège l'est lui-même ; ainsi, quand le privilège d'un aliénatenr ou d'un copartageant est dégénéré en hypothèque légale (v. art. 181), il est aussi facile de concevoir que l'action résolutoire subsiste que si le privilège était resté intact. Pour rendre plus facile l'intelligence du système proposé, nous allons le présenter dans son ensemble, en donnant par anticipation, avec l'explication de notre article, celle des deux autres qui s'y rapportent.
1° Notre article veut que le tiers détenteur qui connaît, par l'inscription, la cause de chaque créance et, par là, l'action résolutoire appartenant à l'aliénateur ou au copartageant, conjointement avec son privilège ou son hypothèque, ne se borne pas à lui faire des offres comme aux autres créanciers, mais encore le somme “ de déclarer, dans le même délai (d'un mois augmenté d'après les distances), s'il entend user de son action résolutoire.” Ceci est déjà un acheminement à la purge de l'action.
2° Si l'aliénateur ou le copartageant notifie une surenchère d'un dixième, ‘‘ sans réserver l'exercice de son action résolutoire, il est considéré comme y ayant renoncé ” (art. 266).
Mais cette renonciation n'est acquise au tiers détenteur qu'à l'expiration du délai prescrit, de sorte que les réserves pourraient n'être pas jointes à la surenchère : le 2e alinéa de l'article cité s'applique à ce cas, comme à celui où le créancier, négligeant la surenchère, se bornerait à déclarer qu'il entend user de son action résolutoire.
Ladite déclaration doit être notifiée au tiers détenteur, comme principal intéressé, et au débiteur principal, précédent propriétaire, pour l'engager à prévenir par un payement l'éviction de son cessionnaire.
La première notification est seule exigée “ à peine de nullité,” comme cela a lieu pour la notification de la surenchère (v. art. 265 1° et 2°).
3° Si l'aliénateur ou le copartageant a conservé son action résolutoire, en se conformant aux dispositions qui précèdent, il lui reste à l'exercer effectivement “ avant que le bien soit mis aux enchères " (v. art. 279).
Le tiers détenteur présentera requête au tribunal pour faire fixer un délai dans lequel l'aliénateur devra faire juger son action résolutoire. Cette requête sera nécessairement communiquée à la partie intéressée, afin qu'elle puisse se faire donner un délai suffisant.
Jusqu'au jugement définitif de la résolution, il n'y a pas mise en vente ; il n'y est pas procédé, si la résolution est admise ; alors toutes les hypothèques procédant du chef de l'acquéreur sont résolues avec son propre droit, et le tiers détenteur, étant lui-même évincé, n'a pas à purger des droits qui n'existent pas plus que le sien.
An cas contraire, si la résolution est rejetée, la mise en vente a lieu d'après la surenchère d'un dixième faite depuis longtemps; peut-être même a-t-elle été faite par l'aliénateur, car il a pu justement surenchérir, en prévision du cas où la résolution ne serait pas admise, ce qui serait à prévoir s'il était intervenu de sa part quelque acte pouvant être invoqué contre lui comme contenant renonciation à la résolution.
Art. 264. Dans le cas où l'acquisition comprend des biens hypothéqués et d'autres non hypothéqués, c'est à l'acquéreur à déterminer la somme qu'il lui paraît convenable d'offrir pour le bien hypothéqué ; il a intérêt à faire une offre suffisante : autrement, il s'expose à la surenchère.
Art. 265. Si les créanciers trouvent les offres acceptables, ils n'ont qu'à garder le silence et à laisser s'écouler le délai d'un mois qui leur est assigné par le n° 2 de notre article pour répondre à la notification et aux offres prescrites à l'article 262 : l'article 268 mettra cette idée en évidence.
Ici on suppose, au contraire, que les créanciers ou l'un d'eux n'acceptent pas l'offre, sans doute dans l'espérance d'obtenir un meilleur prix par la vente aux enchères publiques. Ce sont, naturellement, les créanciers inscrits les derniers qui seront portés à ne pas accepter, parce que c'est sur eux que les fonds doivent manquer; le même refus pourrait venir d'un créancier unique auquel serait due une somme plus forte que celle qui lui est offerte par le tiers détenteur.
Le refus du créancier n'a pas à être motivé, mais il a sa forme, son délai et ses conditions.
En la forme, il consiste dans une réquisition de mise aux enchères ; comme preuve de la sincérité dans la prétention à un meilleur prix, le requérant doit faire une surenchère d'un dixième de la somme offerte, et comme garantie qu'il n'agit pas témérairement et en fol enrichérisseur, il doit donner une caution ou une autre sûreté ” pour le prix total ainsi augmenté et pour les frais,” car il est possible qu'il n'y ait pas d'autre enchérisseur lors de la mise aux enchères, et dès lors le requérant serait débiteur du principal et des frais.
Comme c'est là un engagement très lourd et qu'il faut éviter les erreurs et les surprises, la loi exige que le requérant signe le tout sur l'original ou que la signature soit donnée pour lui par un mandataire spécial.
Cette réquisition doit être notifiée au tiers détenteur dans un délai assez court, un mois à partir de la signification des offres par lui faites.
La loi veut encore que la réquisition de mise aux enchères soit notifiée au précédent propriétaire ou cédant, comme, débiteur principal, afin qu'il puisse, par le payement, préserver son cessionnaire de l'éviction.
Enfin, dans le cas où l'hypothèque a été constituée par un autre que le débiteur, la signification lui est faite comme cédant, pour le motif qui précède, et aussi au débiteur principal, car il a, dans ce cas, un autre recours en garantie à éviter.
L'observation des deux premières formalités est prescrite à peine de nullité, et il n'y a pas lieu d'en relever le requérant, même sous prétexte d'empêchement ou de cause majeure : le tiers détenteur ne peut rester indéfiniment dans l'incertitude au sujet des offres qui peuvent consolider son acquisition.
Mais les deux dernières significations ne comportent pas nécessairement la même sanction : pour que la nullité de la réquisition de mise aux enchères fût annulée pour n'avoir pas été suivie de l'une ou de l'autre de ces significations dans le délai prescrit, il faudrait que le tiers détenteur prouvât que le cédant ou le débiteur principal était en état de payer les dettes hypothécaires.
Art. 266. Cet article se trouve expliqué avec l'article 263.
Art. 267. La loi ne désire pas qu'il y ait autant de réquisitions de mise aux enchères qu'il peut y avoir de créanciers hypothécaires intéressés à la faire ; d'un autre côté, elle n'oblige pas le créancier surenchérisseur à notifier sa réquisition de mise aux enchères aux autres créanciers inscrits, quoiqu'il les connaisse : ce serait, dans les deux cas, une augmentation à peu près inutile de frais et de lenteurs; mais il sera rare que les autres créanciers ne soient pas informés de la surenchère déjà faite ; ceux d'entre eux qui, par leur rang, courent le risque de n'être pas payés avec le prix offert, se concerteront le plus souvent pour requérir la mise aux enchères.
Du moment que la loi admet qu'une seule surenchère doit profiter à tous les créanciers, il est naturel et nécessaire que le surenchérisseur ne puisse s'en désister ou la rétracter que du consentement de tous les autres créanciers. En effet, il arriverait le plus souvent ou que les autres créanciers ignoreraient cette rétractation et ne pourraient faire une nouvelle surenchère pour eux-mêmes, ou que, la connaissant, les délais pour en faire une autre seraient expirés.
Lorsque la vente publique sera effectivement poursuivie, soit par le premier surenchérisseur, soit par les autres créanciers prenant sa place, l'immeuble ne sera purgé que par l'adjudication qui suivra et pour laquelle la loi renvoie aux articles 278 et suivants.
Art. 268. La loi suppose ici qu'aucun créancier n'a requis la mise aux enchères et que les délais sont écoulés ; on peut dire alors que les offres sont tacitement acceptées.
Pour consommer la purge, le tiers détenteur n'a plus qu'à payer le prix offert. Mais comme le payement ne peut avoir lieu que dans une procédure d'ordre ou dans un ordre amiable et qu'il peut surgir des difficultés dans lesquelles le tiers détenteur est sans intérêt, il est admis à consigner la somme offerte, au nom des créanciers, et “ cela sans offres réelles préalables,” parce que la somme n'est plus à discuter et cependant ne peut être reçue.
Une autre particularité de cette consignation, c'est qu'elle ne pourrait être retirée par celui qui l'a faite, comme le permet l'article 478 du Livre des Biens : cet article suppose la consignation faite par un débiteur ordinaire, seul intéressé à sa libération et pouvant y renoncer; mais ici c'est dans un sens tout particulier que le tiers détenteur est débiteur et sa libération intéresse trop de personnes diverses pour qu'il puisse lui être permis de la rétracter.
Enfin, la loi n'oblige pas le tiers détenteur à payer ou à consigner les intérêts des sommes offertes, parce que, comme il a dû tenir ces sommes disponibles depuis les offres, il n'en a pas tiré un profit appréciable Lorsque le payement ou la consignation sont effectués, l'immeuble demeure purgé et toutes les hypothèques sont radiées, même, dit la loi (et c'est là le caractère le plus saillant de la purge), “celles sur lesquelles les fonds ont manqué.”
Art. 269. L'exercice des actions hypothécaires, même quand il ne mène pas à une vente aux enchères produit toujours pour le tiers détenteur une sorte d'éviction, puisqu'il ne tient plus son droit du contrat originaire, mais d'une sorte de transaction avec les créanciers ; de là, un recours en garantie qui varie dans son importance, suivant les cas :
1° Au cas de vente, l'acheteur a peut-être offert et payé plus que son prix d'acquisition ; cela aura eu lieu surtout quand il avait déjà eu l'imprudence de payer tout ou partie de son prix à son vendeur directement ;
2° Au cas d'échange, si le tiers détenteur a payé plus que la soulte promise (et ce sera presque toujours le cas, parce que la soulte n'est souvent qu'une faible partie de la contre-valeur et que le bien fourni en contre-échange de l'immeuble hypothéqué n'est pas lui-même assigné aux créanciers hypothécaires), il se fera rembourser cet excédant; de même, s'il avait acquis par un autre contrat onéreux, comme une transaction ou une dation en payement, il se ferait rembourser tout ce qu'il aurait payé aux créanciers au-delà de ce qu'il avait promis au cédant.
La loi y met cette réserve : “ s'il ne se fait pas restituer la contre-valeur par lui fournie ; ” en effet, si, au cas d'échange, il se fait rendre par le cédant le bien qu'il lui avait fourni en échange, il se trouve n'avoir payé qu'une fois la valeur de la chose estimée par lui-même : il en est, en quelque sorte, acheteur, et il n'a que payé son prix aux créanciers du vendeur. Même solution si, ayant reçu l'immeuble comme dation en payement d'une dette, il faisait résoudre pour inexécution et considérer comme non avenue la novation qui était implicitement contenue dans la dation en payement (v. Liv. des Biens, art. 461).
3° Au cas de donation ou de legs, rien de ce qui le tiers détenteur a payé aux créanciers n'était dû au donateur ou au testateur, le recours a donc lieu pour le tout.
4° Tous les frais de la procédure de purge sont encore une charge dont le tiers détenteur doit être rendu indemne et qui retombera sur son cédant.
§ III__DE L'EXCEPTION DE DISCUSSION.
Art. 270. Le nom et la nature de ce moyen de défense du tiers détenteur rappelle le bénéfice de la caution exposé aux articles 20 à 23.
Le texte tranche tout d'abord une question qui pouvait faire doute, à savoir si, comme la purge, le bénéfice de discussion exige que le tiers détenteur ne soit pas tenu de la dette personnellement à un titre quelconque (comp. art. 257), et il décide que la qualité de débiteur “ principal ” exclut seule l'exception de discussion hypothécaire ; par conséquent, une caution personnelle en jouit. On ne pouvait admettre que la qualité de caution, qui, par elle-même, donne déjà le bénéfice de discussion, fît obstacle à l'exercice d'un bénéfice analogue fondé sur la qualité de tiers détenteur ; il est, au contraire, tout naturel que celui qui cumule les deux qualités cumule aussi les deux bénéfices dans la mesure de ce que l'un contient de plus que l'autre, et, fussent-ils absolument semblables, il faudrait encore dire que la caution qui est en même temps tiers détenteur y a deux titres au lieu d'un.
L'exception de discussion appartenant au tiers détenteur est d'ailleurs moins étendue que celle qui appartient à la caution comme telle ; en effet, le tiers détenteur ne peut renvoyer le créancier à discuter que “ les autres immeubles hypothéqués à la même dette,” sauf quelques restrictions; tandis que la caution peut même renvoyer le créancier à discuter tous autres biens du débiteur, sauf aussi des restrictions (v. art. 20 à 23).
Les trois premières restrictions à la discussion opposable par le tiers détenteur existent aussi pour le bénéfice de la caution et lui sont empruntées.
Le texte en ajoute une quatrième qui a paru tout-à-fait dans l'esprit du principe, c'est que les biens à discuter ne soient pas, d'après leur valeur et le rang du créancier auquel la discussion est opposée “ manifestement insuffisants ” à le désintéresser : autrement, on peut dire qu'elle est frustratoire.
Comme l'exception de discussion n'est, ici encore, qu'un moyen dilatoire, elle doit être proposée sur les premières poursuites (comp. art. 20).
Art. 271. De ce que l'exception de discussion hypothécaire peut se cumuler avec le bénéfice de discussion de la caution, il ne s'en suit pas que la renonciation à celle-ci emporte renonciation à celle-là. Le texte s'en explique formellement, pour qu'il n'y ait aucun doute.
La réciproque serait vraie : la renonciation du tiers détenteur à l'exception de discussion hypothécaire ne lui enlèverait pas le bénéfice de discussion qu'il aurait comme caution : niais le texte n'a pas à le dire, parce que ce n'est pas ici qu'il y a lieu de parler des droits de la caution, et il n'était pas nécessaire d'insérer au Chapitre du Cautionnement une disposition en ce sens.
Art. 272. Celui qu'on appelle “ caution réelle,” parce qu'il n'est tenu que sur le bien qu'il a hypothéqué à la dette d'autrui, jouit de l'exception de discussion. Si la loi s'en explique, c'est parce qu'il n'a pas le droit de purger (art. 257). Or, il y a cette grande différence entre la faculté de purger et celle d'opposer la discussion que la première tend à détruire l'hypothèque et la seconde seulement à en ajourner l'effet ou, si elle la supprime, ce n'est que lorsqu'elle n'aura plus aucune utilité, parce que le payement aura été obtenu sur un autre bien.
En somme, il ne reste que les codébiteurs solidaires et les codébiteurs d'une dette indivisible qui, ayant acquis le bien hypothéqué, soient privés du droit d'opposer l'exception de discussion.
§ IV._DU DÉLAISSEMENT.
Art. 273. Le tiers détenteur n'étant tenu qu'à cause de sa détention, doit évidemment cesser d'être soumis aux poursuites individuelles dès qu'il cesse de détenir la chose hypothéquée. La loi ne restreint la faculté de délaisser par aucune limite de temps : loin de ne pouvoir être exercée qu'au début des poursuites hypothécaires, elle peut l'être “ à toute époque de la procédure d'expropriation,” jusqu'à l'adjudication.
Le texte prend soin de dire que le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété, ni même la possession civile de la chose : il lui enlève seulement la détention de fait ou la possession naturelle, laquelle passe aux créanciers poursuivants. En conséquence, la chose reste cessible par l'acquéreur et transmissible à son héritier ; elle est susceptible d'accroissements à son prolit ; de même, si elle se détériore ou périt, c'est à son détriment; si la chose avait été reçue de quelqu'un qui n'en était pas propriétaire ou qui n'avait pas pouvoir de l'aliéner, la prescription courrait au profit du délaissant considéré comme toujours possesseur, si d'ailleurs les autres conditions de la prescription étaient remplies.
Art. 274. lci la loi est plus sévère pour la caution qu'au sujet de l'exception de discussion : celle-ci ne peut pas plus délaisser qu'elle ne peut purger, parce que dans les deux cas elle prétendrait se soustraire à toute obligation personnelle, ce qui lui est impossible ; tandis que l'exception de discussion n'est, comme on l'a dit, qu'un moyen dilatoire Au contraire, la caution réelle et les codébiteurs conjoints qui ont payé leur part dans la dette, peuvent délaisser, comme ils peuvent purger ou, opposer l'exception de discussion ; et même, à la différence de ce qui est prescrit, dans ce dernier cas, par l'article 272, et qu'on a admis sous l'article 257, ils peuvent délaisser, quand bien même le payement de leur part n'aurait eu lieu que depuis les poursuites commencées : c'est la conséquence de ce que le délaissement est permis “ à toute époque de la procédure,” ce qui n'est pas possible pour l'exception de discussion (v. art. 270), ni même pour le droit de purger qui a ses limites de temps (v. art, 260).
Art. 275. Puisque le délaissement n'enlève au délaissant ni la propriété ni la possession civile, il n'y a pas lieu d'exiger chez lui la capacité d'aliéner. Il suffit donc, que le délaissant ait qualité pour “ figurer comme défendeur à la poursuite en expropriation,” soit en son propre nom, comme un mineur émancipé ou une femme mariée autorisée à plaider, lesquels ne pourraient aliéner, soit comme représentant légal, judiciaire ou conventionnel du tiers détenteur, comme le tuteur, le mari, l'administrateur des biens d'un absent, ou un mandataire spécial pour plaider.
Art. 276. Il est naturel que le délaissement se révèle par un acte juridique, quoique extrajudiciaire, plus que par un acte matériel : comme la procédure est commencée, il est également naturel que le délaissement soit déclaré au greffe du tribunal saisi, lequel est celui de la situation de l'immeuble.
La signature requise “du délaissant” est celle du tiers détenteur lui-même ou de son représentant légal, judiciaire ou conventionnel, suivant ce qui est dit à l'article précédent, au sujet de la capacité de délaisser; mais si ces personnes ne peuvent signer elles-mêmes, elles doivent donner à cet effet un mandat spécial.
Le créancier poursuivant doit être informé du délaissement par une notification, afin qu'il ne continue pas les poursuites contre une personne qui n'a plus qualité pour y répondre.
Les poursuites sont continuées contre un “ curateur au délaissement” nommé par le tribunal, à la requête du créancier poursuivant ou de tout autre intéressé.
Art. 277. La loi ne pourrait permettre au tiers détenteur de changer successivement de qualité et de rôle, en délaissant et en rétractant son délaissement à son gré ; mais il était impossible de lui refuser la faculté de rétracter une fois son délaissement, du moment qu'il ne pourrait exercer cette faculté qu'en désintéressant complètement les créanciers poursuivants et en payant tous les frais déjà faits.
A l'égard des créanciers non poursuivants qui ne seraient sans doute intervenus que dans l'ordre ouvert après l'adjudication, ils n'ont encore aucun droit a prétendre : ils pourront seulement faire des poursuites à leur tour ; et comme ils n'ont pas été représentés par les premiers créanciers poursuivants auxquels ils ne se sont pas joints en temps utile, leurs poursuites feront commencer un nouveau délai pour la purge, et le tiers détenteur jouira à leur égard du droit de discussion et de délaissement.
§ V. — DE LA VENTE AUX ENCHERES ET DE L'EXPROPRIATION.
Art. 278. C'est à peine si l'on peut dire que laisser vendre l'immeuble aux enchères et subir ainsi l'expropriation est le dernier parti que puisse prendre le tiers détenteur ; en effet, quand les autres moyens de satisfaire les créanciers hypothécaires n'ont pas été employés, la vente et l'expropriation sont imposées au tiers détenteur; mais on peut dire qu'il “a pris le parti” de se laisser exproprier, quand, dès le début et de propos délibéré, il a voulu que les créanciers en vinssent à cette extrémité.
On remarquera qu'avec les trois conditions négatives qui motivent la vente publique on ne trouve pas le défaut d'emploi de l'exception de discussion ; en effet, lors même qu'elle aurait été opposée, il serait arrivé de deux choses l'une : ou les autres immeubles, objets de la discussion, auraient suffi à payer les dettes hypothécaires, alors le tiers détenteur aurait été à l'abri de l'expropriation, ou les autres immeubles auraient été insuffisants, et. comme l'exception n'est qu'un moyen dilatoire de défense, elle n'empêcherait pas l'expropriation finale.
La vente aux enchères ne peut être faite qu'en vertu d'un titre exécutoire (jugement ou acte notarié) ; elle doit être précédé d'une injonction de payer ; elle est soumise à une publicité antérieure et concomitante ainsi qu'à des formes déterminées tendant à garantir les divers intérêts engagés ; mais ce sont là des conditions qui ne touchent pas au fond du droit et qui ont été naturellement réservées au Code de Procédure civile.
Le texte rappelle que la vente aux enchères est aussi la suite naturelle du refus des offres de purge manifesté par une surenchère d'un dixième, d'après l'article 265.
Art. 279. Cet article se trouve expliqué avec les articles 263 et 266, relatifs comme lui, à la purge de l'action résolutoire.
Art. 280. Du moment que la vente et l'adjudication sont destinées à produire l'éviction du tiers détenteur, de sorte qu'il sera considéré, a l'égard des tiers, comme n'ayant pas acquis le fonds hypothèque, il est naturel qu'il puisse se présenter aux enchères comme un étranger et se porter enchérisseur.
S'il offre la plus forte enchère, il sera déclaré adjudicataire ; dans ce cas, il peut encore être considéré comme évincé, parce qu'il ne tient pas la chose du titre que lui a conféré son cédant, et il aura un recours en indemnité contre lui (v. art. 288) ; mais le jugement d'adjudication sera seulement mentionné en marge de la précédente inscription faite à sa requête et il en sera confirmatif, comme dit le texte.
Art. 281. Au contraire, quand l'adjudication est prononcée au profit d'un autre que le tiers détenteur, le jugement est un titre absolument nouveau qui doit être “ inscrit spécialement” et à sa date ; il en est cependant fait mention en marge de la précédente inscription : cette fois, ce n'est pas pour la confirmer, mais au contraire, pour la détruire ou plutôt pour annoncer qu'elle est détruite.
Art. 282. Du moment que la première acquisition est annulée, il est naturel que les démembrements de la propriété qui appartenaient antérieurement au tiers détenteur sur la chose acquise, et qui s'étaient trouvés éteints par confusion, renaissent rétroactivement, comme s'ils n'avaient jamais été éteints.
Si le premier alinéa de notre article statue spécialement sur les servitudes, c'est parce qu'en théorie exacte les servitudes appartiennent moins au tiers acquéreur qu'à son fonds et la formule devait différer à leur égard.
Art. 283. Le cas où le tiers détenteur avait lui-même une hypothèque sur le fonds adjugé diffère du cas des autres droits : son hypothèque n'est jamais éteinte par confusion, même lorsque c'est lui qui devient adjudicataire. Il y a à cela une raison de justice évidente et la théorie ne l'explique pas moins aisément.
Quand il s'agit des autres démembrements de la propriété, leur extinction par confusion ne cause aucun dommage au tiers acquéreur, puisque, soit dans la première vente amiable, soit dans la vente aux enchères, il a payé, d'autant moins cher que son. droit antérieur était plus important; tandis que l'existence des hypothèques, tant de la sienne que des antres, n'exerce aucune influence sur le prix de vente ; si donc le tiers détenteur perdait son hypothèque, ce serait une perte sans compensation pour lui et tout à l'avantage des autres créanciers.
En théorie, la solution se justifie encore, en ce que, vis-à-vis des créanciers hypothécaires, l'aliénation est comme non avenue : ils sont traités comme si leur débiteur était resté propriétaire ; le tiers détenteur ne doit donc pas être traité autrement que les autres à l'égard de son hypothèque.
C'est pourquoi notre article dit que, “ dans les deux cas, il est colloqué à son rang.”
Art. 284, Cet article statue encore pour les deux cas d'adjudication, soit en faveur du tiers détenteur, soit en faveur d'un étranger. Il est clair que s'il y a un excédant du prix d'adjudication qui ne soit pas absorbé par les créances hypothécaires, c'est au tiers détenteur qu'il appartient et il ne pourrait appartenir à un autre.
Ce ne pourrait être au débiteur, car il est garant envers le tiers détenteur de l'éviction que celui-ci a subie par l'effet des hypothèques ; et si le débiteur n'a pas de droit à ce prix, ses créanciers chirographaires n'en peuvent avoir davantage; cet excédant ne pourrait être conservé par l'adjudicataire étranger, car il est acheteur et il doit payer son prix à quelqu'un ; si c'est le tiers détenteur qui est adjudicataire, l'excédant de prix lui appartient encore, carcette adjudication n'a fait que confirmer sa première acquisition, une fois que les créanciers hypothécaires se sont trouvés désintéressés.
Comme conséquence de ce que l'excédant de valeur sur les créances hypothécaires appartient toujours au tiers détenteur, il suit que s'il avait, avant l'adjudication, conféré lui-même des hypothèques ou s'il avait été acquis des hypothèques légales contre lui, elles seraient colloquées à leur rang respectif, à la suite des hypothèques antérieures.
Art. 285. Le tiers détenteur, sachant ou devant savoir qu'il y avait des hypothèques sur le fonds qu'il a acquis, a dû s'abstenir de tout acte qui pouvait diminuer la garantie des créanciers et, des lors, s'il a manqué à ce devoir, il en doit l'indemnité aux créanciers. Réciproquement, il a droit à être indemnisé des dépenses nécessaires ou utiles qu'il a faites, parce que les créanciers en profiteraient sans cause légitime.
Art. 286. Lorsqu'il s'agit de faire courir les intérêts contre le débiteur d'une somme d'argent, une sommation ne suffit pas, en général : il faut une demande en justice. Il ne peut être question de faire supporter au tiers détenteur les intérêts des dettes hypothécaires, parce qu'il n'en est pas personnellement débiteur ; d'ailleurs, les intérêts des deux dernières années sont ajoutées au principal de la créance (v. art. 240). Mais le tiers détenteur perçoit les fruits de la chose hypothéquée ; ces fruits sont, comme le fonds même, la garantie des créanciers : on conçoit qu'il n'en soit pas comptable, de plein droit, depuis son acquisition, parce qu'il a pu les consommer sans profit appréciable ; mais on comprend également qu'une simple sommation l'oblige à les conserver ou à en tenir compte, et la loi attache cet effet à la sommation de payer ou de. délaisser qui a commencé l'exercice de l'action hypothécaire.
Art. 287. On a déjà eu l'occasion de dire que “l'adjudication purge l'immeuble” et le dégrève des hypothèques dont l'effet est transféré sur le prix. La radiation des inscriptions ne pourrait cependant avoir lieu avant le payement effectif ou la consignation du prix, comme il est prescrit au cas de purge volontaire, par suite de l'acceptation des offres du tiers détenteur (v. art. 268, 1er al.).
Art. 288. Il y a analogie mais non similitude entière, entre le cas de notre article et celui de l'article 269, au sujet de la garantie due au tiers acquéreur.
Si le tiers détenteur devient adjudicataire, il est indemnisé dans la mesure de ce qu'il a payé comme tel aux créanciers au-delà de son obligation primitive, plus des frais de procédure : c'est le cas le plus semblable à celui de l'article précité.
Si c'est un étranger qui est adjudicataire et si l'acquisition a été à titre onéreux, le prix d'adjudication servira à déterminer la plus-value, pour ce dont il excède la contre-valeur primitivement due ou fournie ; si l'acquisition primitive a été gratuite, le tiers détenteur ne sera indemnisé que de ce dont le prix d'adjudication a libéré le donateur de ses dettes hypothécaires ; pour le surplus du prix d'adjudication, il le touche directement des mains de l'adjudicataire.
SECTION VI.
DE LA RESPONSABILITÉ DES CONSERVATEURS.
Art. 289. L'article 355 du Livre des Biens n'a pu statuer sur la responsabilité civile des conservateurs qu'en matière d'inscription des mutations ; il fallait ici une disposition analogue pour l'inscription d'hypothèque.
Art. 290. Le présent article est très important, parce qu'il suppose un conflit entre deux personnes qui se sont également conformées à la loi an sujet de la publicité et dont cependant l'une doit être sacrifiée à l'autre. Un créancier a pris inscription d'hypothèque avant l'inscription d'une acquisition : l'hypothèque est donc opposable au tiers détenteur ; mais, dans le certificat délivré à celui-ci l'inscription de ce créancier a été omise, de sorte qu'il n'a pas reçu la notification à fin de purge qui assurait son droit de suite (art. 962), et s'il y a eu mise aux enchères, il n'en a pas été directement informé.
Sans doute, la responsabilité civile du conservateur est encourue, et si l'intérêt compromis n'excède pas sa solvabilité, il importe peu au créancier hypothécaire d'être désintéressé par lui ou par le tiers détenteur. Mais si le conservateur ne peut réparer tout le dommage causé, il est très important de savoir sur qui, du tiers détenteur ou du créancier hypothécaire, retombera la perte.
La loi sacrifie les droits du créancier hypothécaire à l'intérêt de la circulation des biens et de la sécurité des mutations : il n'est pas contraire à la nature des choses qu'un créancier hypothécaire, même diligent, coure quelques risques, tandis qu'un acquéreur qui a traité avec le véritable propriétaire, qui a publié son acquisition et pris un certificat des inscriptions, doit avoir une sécurité absolue. S'il en était autrement, les immeubles ne seraient pas achetés et ce serait un bien plus grand mal social que s'il n'était pas fait de prêts hypothécaires : les ventes d'immeubles donnent toujours lieu à des améliorations de la chose vendue ; par conséquent, à des travaux et à des salaires d'ouvriers, suivis d'une augmentation dans la production ; tandis que les prêts hypothécaires peuvent sauver quelques emprunteurs, mais, le plus souvent, ils ne font que retarder leur ruine en l'aggravant.
Il est d'ailleurs bien plus facile à un créancier hypothécaire, omis sur le certificat du conservateur, de connaître l'aliénation et la procédure commencée, de purge on d'expropriation, qu'au tiers détenteur de connaître l'hypothèque omise dans le certificat.
L'article suivant suppose précisément que le créancier hypothécaire a découvert l'omission dont il courait risque d'être victime.
Art. 291. Si le créancier découvre l'omission commise à son égard, avant l'expiration des délais pour surenchérir, il peut le faire, après s'être fait communiquer les offres faites aux autres créanciers ; si la procédure d'expropriation est commencée, il peut s'y faire comprendre pour la sauvegarde de ses intérêts, ” mais sans pouvoir la retarder.”
Si les délais pour surenchérir sont expirés ou si l'adjudication est prononcée, il peut se faire comprendre dans l'ordre, “ tant qu'il n'est pas clos,” et ici la loi ne s'oppose pas à ce que la clôture en soit retardée, parce que le préjudice sera infiniment moindre que si l'on retardait une adjudication.
Les deux derniers alinéas règlent la responsabilité : en première ligne est celle du conservateur vis-à-vis du créancier; ensuite vient celle du débiteur envers le conservateur, car c'est, en somme, la dette du débiteur que le conservateur aura payée.
SECTION VII.
DE L'EXTINCTION DES HYPOTHEQUES.
Art. 292. Le texte nous annonce sept causes d'extinction de l'hypothèque. Nous en donnons d'abord un exposé sommaire ; sauf à revenir, avec les textes, sur deux d'entre eux, la renonciation et la prescription.
I. La première cause d'extinction de l'hypothèque peut être, dite, “ par voie de conséquence,” par opposition aux suivantes qui sont “par voie principale ou directe.”
Il est clair que l'hypothèque n'étant q'un droit accessoire, la sûreté d'une créance, ne peut continuer d'exister quand cette créance est éteinte.
Il y a cependant une exception déjà rencontrée et que la loi devait rappeler, c'est lorsque les parties, faisant novation de la créance, sont convenues que l'hypothèque qui garantissait la première dette garantirait la nouvelle (v. Liv. des Biens, art. 503).
La loi n'ajoute pas le cas de subrogation, légale ou conventionnelle, parce que la subrogation conserve la créance elle-même (v. art. 479 du même Livre); dès lors elle en conserve aussi les garanties.
II. Le créancier peut renoncer à son hypothèque, s'il a la capacité requise par l'article 294.
Bien entendu, il ne s'agit pas ici du cas où il renonce à son hypothèque au profit d'un autre créancier (v. art. 244): dans ce cas, l'hypothèque subsiste; on doit même dire qu'elle garde son rang, seulement le bénéficiaire en est changé.
III. La prescription de l'hypothèque ne figure ici que nominativement : son caractère et ses conditions demandent des développements qui occupent les quatre derniers articles de la Section.
IV. La purge volontaire a été, sous un autre point de vue (celui de la défense au droit de suite), l'objet de développements qui nous dispensent d'y revenir ici. Remarquons seulement, avec le texte, que l'extinction n'est consommée, comme la purge, que par le payement effectif ou la consignation des sommes offertes.
V. L'adjudication opérant par elle-même la purge des hppothèques, lorsque les créanciers ont été appelés à y défendre leurs intérêts (v. art. 258) et lorsque le prix d'adjudication est payé ou consigné (v. art. 287), est un mode voisin du précédent et pourrait être appelé “ la purge forcé.”
VI. Il est clair qu'il ne peut subsister d'hypothèque sur un immeuble qui a péri en totalité ; le droit du créancier, il est vrai, est transporté sur l'indemnité qui peut être due par un tiers à l'occasion de cette perte; mais on peut dire que ce n'est plus une hypothèque, à proprement parler, qu'exerce le créancier sur cette indemnité, c'est plutôt un droit de préférence résultant d'une délégation spéciale de la loi.
VII Le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique est tout-a-fait analogue au précédent ; l'expropriation est alors, pour les réanciers hypothécaires, une sorte de perte de l'immeuble par force majeure. Toutefois, le texte ne dit pas que l'hypothèque n'est éteinte que par le payement effectif ou la consignation de l'indemnité : comme l'Etat est toujours considéré comme solvable, il suffit de réserver le droit du créancier sur l'indemnité.
Art. 293. Le cas prévu au présent article est analogue à celui prévu à l'article 237 où une inscription est supposée avoir été indument rayée, sans que le droit hypothécaire ait été nécessairement éteint : ici, c'est le droit d'hypothèque qui avait été considéré comme éteint et qui est rétabli, restitué, pour une cause légale.
La solution sera la même : si intéressant que soit le créancier qui recouvre son droit, il ne l'est pas plus que les nouveaux créanciers qui ont acquis ou inscrit une hypothèque après la radiation d'une inscription antérieure et avant son rétablissement.
Art. 294. Bien que l'hypothèque soit un droit réel immobilier et un démembrement de la propriété, il n'est pas cependant nécessaire au créancier, pour y renoncer, d'avoir la capacité d'aliéner un droit immobilier principal : l'hypothèque n'est toujours que l'accessoire, la garantie d'une créance, d'un droit généralement mobilier; or, l'accessoire ne peut avoir plus d'importance que le principal. La loi n'exige donc chez le renonçant, que la capacité de disposer de la créance elle-même.
Il faudra la capacité de disposer à titre gratuit, si la renonciation est faite sans équivalent et expose le créancier à la perte de tout ou partie de ce qui lui est dû ; la capacité de disposer à titre onéreux suffira si le créancier reçoit pour sa renonciation un avantage qui puisse être considéré comme compensation du risque qu'il court.
La renonciation du créancier à son rang pouvant présenter le même danger qu'une renonciation à l'hypothèque elle-même est soumise à la même condition de capacité.
La loi admet que la renonciation à l'hypothèque ou au rang peut n'être que tacite : ce serait aux tribunaux à apprécier les cas dans lesquels on alléguerait qu'il y a eu renonciation tacite ; mais ils devraient le faire avec une grande réserve.
Il serait tout naturel, par exemple, que si un créancier hypothécaire est intervenu, comme codébiteur solidaire ou comme caution, à un nouvel engagement hypothécaire de son débiteur, il soit considéré comme ayant renoncé à son rang en faveur du nouveau créancier.
La loi prévoit spécialement le cas où le créancier hypothécaire est intervenu volontairement à l'aliénation du bien hypothéqué, et elle interprète cette intervention dans le sens d'une renonciation au droit de suite seulement, en faveur du tiers détenteur ; mais le droit de préférence n'en éprouvera aucune atteinte.
Art. 295. La prescription de l'hypothèque présente quelques difficultés.
On peut d'abord se demander si elle a le caractère acquisitif de la liberté du fonds ou libératoire de la charge hypothécaire ; mais c'est plutôt là une question théorique et de langage. Ce qui est certain, c'est qu'elle suit au fond les règles de la prescription dite “ acquisitive,” de celle qui fait présumer une acquisition légitime de la propriété pleine et libre.
Toutefois, une distinction fondamentale se présente d'abord avec notre article comparé au suivant: ou l'immeuble est resté dans les mains du débiteur, ou il a été aliéné par lui.
Dans le premier cas, il n'y a que la prescription libératoire de la créance elle-même qui puisse éteindre l'hypothèque : on se retrouve alors en présence de l'extinction par voie de conséquence, prévue au 1er alinéa de l'article 292. Il serait inadmissible, en effet, que le créancier qui aurait interrompu la prescription de la créance ou qui jouirait d'une suspension de prescription à cet égard fut obligé de prendre des précautions spéciales pour conserver son hypothèque.
Le second cas est réglé par les articles suivants, avec une nouvelle distinction : l'immeuble a été cédé par le débiteur, en même temps propriétaire, ou il l'a été par quelqu'un qui n'était pas le propriétaire.
Art. 296. Dans le cas où le tiers détenteur a traité avec le débiteur, propriétaire de l'immeuble, il est difficile de dire qu'il soit de bonne foi à l'égard des hypothèques, car il a pu et dû les connaître par les inscriptions antérieues à sa propre inscription ; dans tous les cas, quelles que soient son ignorance de fait et son honnêteté, il est légalement considéré comme de mauvaise foi à l'égard des hypothèques ; dès lors, il n'en sera affranchi que par une possession de trente ans, sans trouble résultant des actions hypothécaires, et ces trente ans ne courront qu'à partir de l'inscription de son titre, laquelle est seule considérée comme le constituant possesseur à l'égard des créanciers hypothécaires, en ce sens qu'elle les avertit que c'est contre lui que leur droit doit s'exercer désormais.
Bien entendu, si la prescription libératoire de la créance s'accomplissait plus tôt, soit parce que le temps en serait plus court que trente ans, soit parce qu'une partie du délai en était déjà écoulé avant son acquisition, il jouirait de cette prescription et pourrait s'en prévaloir, même à défaut par le débiteur de l'invoquer (v. art. 97 Liv. des Preuves,).
Art. 297. Dans le cas où le tiers détenteur tient la chose d'un autre que le vrai propriétaire, il a, tout à la fois, à prescrire contre le vrai propriétaire et contre les créanciers hypothécaires. La loi admet que lorsqu'il aura prescrit contre le propriétaire il aura prescrit également contre les créanciers hypothécaires : s'il est de mauvaise foi à l'égard du propriétaire, il ne pourra alléguer une prétendue bonne foi à l'égard des créanciers inscrits et il lui faudra trente ans de possession, comme au cas précédent, sauf que le point de départ des trente ans sera sa prise de possession et non l'inscription de sou titre, laquelle ne pouvant lui donner aucun droit, ne peut non plus être obligatoire ; si au contraire, il est de bonne foi à l'égard du vrai propriétaire, il sera affranchi des actions hypothécaires en même temps que de la revendication car il est naturel qu'il ait ignoré les hypothèques, comme il a ignoré le droit du vrai propriétai ire, sauf ce qui est dit à l'article suivant des actes de poursuite des créanciers.
Dans le cas où le tiers détenteur se prévaut de sa bonne foi pour prescrire contre le vrai propriétaire et les créanciers hypothécaires, le délai de la prescription ne se compte qu'à partir de l'inscription qu'il a dû faire de son titre (v. Liv. des Preuves, art. 141).
S'il s'agit d'un possesseur sans titre il ne prescrira contre le propriétaire et contre les créanciers que par trente ans, mais évidemment sans inscription.
Art. 298. Cet article s'applique aux diverses situations prévues par les deux articles précédents : il est naturel que l'interruption de la prescription de l'hypothèque ne résulte que d'actes auxquels le tiers détenteur participe activement, ou au moins passivement; un renouvellement de l'inscription fait en dehors de lui ne pourrait donc avoir un effet interruptif.
On verra au sujet de la prescription dite libératoire qu'elle est suspendue par le terme ou la condition qui affecte la créance (v. Liv des Preuves, art. 125): il est naturel que le créancier n'ait pas à faire d'actes interruptifs tant que son droit ne peut être exercé ; l'inaction étant imposée au créancier par son titre, le débiteur ne peut évidemment s'en prévaloir comme d'une remise tacite de la dette ou comme d'une présomption de payement.
Mais quand il s'agit d'un tiers détenteur dont la possession est pure et simple, le créancier à terme ou conditionnel, ne doit pas rester inactif : il doit dénoncer son droit et son intention de le faire valoir en temps utile : le tiers détenteur possédant le fonds comme libre, le créancier doit protester contre cette prétention.
On retrouvera ce principe plus largement appliqué au Livre des Preuves (art. 128). On y trouva aussi les autres causes de suspension ici annoncées.
FIN DU LIVRE DES GARANTIES.