Art. 266. Le Code tranche ici une question qui, en France et ailleurs, divise beaucoup les auteurs et sur laquelle la jurisprudence n'est pas bien fixée: à savoir, quelle est la nature des soins et services que rendent ceux qui exercent les professions distinguées dont parle notre article.
Il nous faut nous arrêter un instant sur le texte destiné à prévenir cette controverse au Japon.
En fait, les personnes que le présent article énumère rendent des services à ceux qui ont recours à elles et ces services ne sont pas gratuits, en général, puisqu'une rémunération est ordinairement demandée et reçue par ces personnes.
Plusieurs systèmes se disputaient la préférence.
Dans l'un, on disait que les services du médecin, de l'avocat, du professeur, sont 1 objet d'un contrat ordinaire de services et que la dignité des professions libérales n'est pas diminuée parce qu'elle fait vivre dans une condition plus ou moins aisée ceux qui les exercent.
Ce système comporte une objection sérieuse, c'cst que le contrat serait alors à titre onéreux et synallagmatique et obligerait les deux parties à l'exécution ou à des dommages-intérêts, ce qui serait plus contraire à la dignité de l'une et à 1 intérêt de l'autre que de recevoir un salaire et de le payer.
C'est principalement la nécessité d'éviter une pareille situation qui a fait adopter le système actuel du Code.
Dans un autre système, on disait que ces personnes remplissent un mandat; ce mandat, il est vrai, est naturellement salarié, mais on a vu sur l'article 231 que le salaire du mandat n'est pas considéré comme un profit ôtant au contrat son caractère gratuit : il est plutôt une sorte d'indemnité en bloc ou à forfait des peines, soins et déboursés que le mandataire aura à supporter, et ici on y ajouterait comme cause spéciale les frais d'études antérieures nécessaires à l'obtention des titres et diplômes officiels.
C'est aussi parce que le salaire ne paye pas en entier le service rendu que le malade, le plaideur et l'élève restent toujours tenus d'une certaine reconnaissance envers le médecin, l'avocat ou le maître.
Ce système ne donne pas lieu à la même objection que le précédent, à savoir qu'il y aurait donc une exécution obligatoire; en effet, le mandat peut cesser par la renonciation à peu près libre et volontaire du mandataire et par la révocation absolument libre par le mandant. Mais il comporte une objection non moins sérieuse.
Le caractère propre du mandat, c'est que le mandataire représente le mandant et fait, pour le compte et au nom du mandant, quelque chose que celui-ci ne pourrait faire lui-même. Or, si l'on peut trouver cette sorte de représentation dans les services de l'avocat, on ne la trouve plus dans ceux du médecin ou du professeur des sciences, des lettres ou des arts. Comment pourrait-on comprendre que le médecin représentât le malade, le professeur son élève? Que serait-ce qu'un mandat à l'exécution duquel le mandant est nécessairement présent, lorsque le propre du mandat est que le mandataire remplace le mandant absent ou empêché?
La difficulté ne serait pas supprimée quand on prétendrait que le médecin ou le professeur sont les mandataires de la famille du malade ou de 1 élève: ceux-ci n'ont pas toujours de famille pour prendre leur intérêt, et les soins et services dont ils ont besoin peuvent être directement demandés par eux.
Un troisième système eût rejeté l'idée de contrat de services et de mandat salarié et eût admis qu'il se forme un contrat spécial entre les personnes qui rendent et celles qui reçoivent ces services ; ce contrat serait innommé s'il n'y avait pas de lois particulières et formelles sur cette matière. Ce n'est pas à dire qu'il ne serait pas de droit positif: il serait toujours soumis 1° aux règles générales des contrats, 2° aux règles principales du contrat nommé avec lequel il aurait 1e plus d'analogie (v. Liv. des Biens, art. 303); mais la difficulté eut etc justement de savoir si ce contrat nommé, auquel on emprunterait des analogies, serait le contrat de services ou le mandat.
En outre, on se trouvait en face de l'objection faite au premier système, à savoir que le contrat principal, pour être innommé, n'en aurait pas moins une force obligatoire peu compatible avec la dignité d'une partie et avec l'intérêt de l'autre.
Le Code a adopté un quatrième système qui ne voit dans la convention qui nous occupe aucun contrat, ni nommé, ni innommé et qui ne lui fait produire aucune obligation civile, ni chez celui qui a promis les soins et services dont il s'agit, ni chez celui qui les a stipulés.
La loi, en écartant formellement l'obligation civile de part et d'autre, entend laisser place à une obligation purement morale.
Cependant, l'obligation civile peut naître après coup non pas de la promesse faite par une partie à l'autre, mais du profit que l'une a tiré des services rendus par l'autre on du dommage que le refus de les rendre ou de les recevoir a pu causer.
Le 1er alinéa de notre article pose le principe de l'absence d'obligation civile en vertu de la convention; les trois derniers alinéas établissent les responsabilités exception n elles.
Il nous faut maintenant justifier successivement le principe et les exceptions.
Un médecin a promis de donner ses soins à un malade, parce qu'il croit connaître sa maladie et pouvoir, soit le guérir, soit le soulager; plus lard, ayant commencé ou non le traitement, il s'aperçoit qu'il s'est trompé et que la maladie lui est inconnue ; il doute de son aptitude et il préfère que les soins soient donnés par un autre : ou bien, c'est le malade ou son entourage qui lui témoignent de la défiance, ou qui ne sont pas disposés à suivre ponctuellement scs prescriptions ; dans ces divers cas, il serait déraisonnable, en même temps que contraire à l'intérêt du malade, de dire que le médecin doit donner ou continuer ses soins.
Le raisonnement est le même pour un avocat qui s'est chargé d'une cause à plaider comme demandeur ou défendeur: la cause lui a paru d'abord juste et légitime, mais un plus ample examen lui en a démontré l'illégitimité ; ou bien, il a cru qu'elle n'excédait pas sa capacité ou son expérience, et il découvre qu elle est au-dessus de ses forces. Il serait immoral d'obliger un avocat à plaider une cause qu'il croit mauvaise ou pour laquelle il se croit insuffisant.
Enfin, un professeur a promis d'enseigner une science, une langue ou un art; plus tard, il trouve ou qu'il lui manque la connaissance suffisante de ce qu'il doit enseigner, ou que son élève n'a pas l'aptitude nécessaire au succès : on ne doit pas pouvoir le contraindre à continuer ou même à commencer une entreprise dans laquelle il ne croit pas pouvoir réussir.
Plaçons-nous maintenant du côté opposé, du côté de la personne qui a demandé et obtenu la promesse de soins ou services ; le résultat est le même par un raisonnement un peu différent.
Le malade n'a plus confiance dans le médecin qu'il a choisi, ou le traitement lui semble encore plus pénible que la maladie : va-t-on l'obliger à continuer un traitement qui lui déplaît et qui peut-être augmente son mal ? Le plaideur n'a plus confiance dans son avocat, ou sa cause ne lui semble plus aussi légitime : sera-t-il obligé de laisser le procès suivre son cours ou de laisser ses intérêts dans les mêmes mains ?
Enfin, l'élève ne se croit pas les dispositions nécessaires pour l'étude qu'il a entreprise, ou il doute de l'aptitude à l'y instruire, chez le maître qu'il a choisi ; peut-on l'obliger à perdre à une étude au-dessus de ses moyens un temps qui pourrait être mieux employé ou à conserver un professeur en qui il n'a pas confiance ?
Toutes ces solutions sont d'une évidence qui s'impose, et dans aucun des autres systèmes, on ne pourrait les contester : on y préférerait sans doute sacrifier la logique qui les gêne à la raison qui les réclame.
Au premier abord, il semble inutile de dire que celui qui a promis des soins ou services scientifiques, littéraires ou artistiques n'est pas “civilement” tenu de les fournir; si on entend dire par là qu'il ne peut être contraint, ni physiquement ni juridiquement, de soigner un malade, de plaider une cause, de donner d s leçons, on dit une chose évidente, déjà dite ailleurs (Liv. des Biens, art. 382, 1er al), également vraie pour le mandat, et par conséquent inutile ici ; il est évident que nul ne peut être contraint à l'exécution d'un fait qui réclame sa volonté : on se heurterait à la force d'inertie qui est invincible, à moins de pousser la contrainte jusqu'à la douleur physique excessive.
Il ne serait pas plus facile de contraindre le malade à recevoir les soins du médecin et l'élève à recevoir les leçons du maître que de contraindre ceux-ci à les donner. Mais la loi veut dire qu'en cas de refus de donner ou do recevoir les soins promis et acceptés, il n'y a même pas lieu aux dommages-intérêts qui sont ordinairement la compensation de l'inexécution volontaire d'une obligation de faite (v. art 383).
On pose donc en principe que la promesse réciproque de donner et de recevoir les soins dont il s'agit n'oblige “civilement” ni l une ni l'autre partie.
Reste à savoir s'il y a une obligation naturelle ou seulement une obligation morale. Assurément, aucune partie ne devrait, sans motifs suffisants, se soustraire aux engagements qu'elle aurait pris; seulement, comme elle est seule juge de ce qu'elle doit faire, on ne peut savoir si c'est par des raisons légitimes ou par caprice qu'elle s'est décidée ; peut être aussi serace par pure économie chez la partie qui devait payer les honoraires, ou par désir d'un gain plus élevé chez celle qui devait les recevoir. Mais là encore il n'y a qu'un devoir moral qui échappe à la sanction de la loi.
La loi suppose ensuite que les soins ou services ont été fournis Lorsque, en fait, le médecin a soigné le malade, lorsque l'avocat a plaidé la cause et le professeur donné les leçons promises, lorsqu'ils ont ainsi exécuté volontairement leur promesse réciproque, l'obligation de l'autre partie est-elle devenue civile? Le malade ou sa famille, le plaideur, l'élève ou sa famille, sont-ils tenus, par les voies de droit, de payer la rémunération promise ?
Il faut répondre négativement, au moins en principe, et cela, sans distinguer essentiellement si le malade a été guéri ou seulement soulagé, ou s'il est resté dans le même état ou s'il est mort, ni si la cause a été gagnée ou perdue, ni si les leçons ont ou non profité à l'élève ; mais en supposant toujours que les soins ont été donnés avec zèle et bonne foi, et sauf ce qui sera dit plus loin à ce sujet comme mesure d'appréciation de la rémunération.
Du moment, que l'obligation de chaque partie n'a pas été civile à l'origine, elle n'a pu changer de nature par le fait de l'autre partie. On ne pourrait même pas dire que la participation volontaire du malade aux soins qu'il a reçus, celle du plaideur qui a fourni des pièces ou des renseignements à son avocat, celle do l'élève aux leçons données et reçues, constitue l'exécution d une l'obligation naturelle de ces per sonnes : leur promesse a eu pour objet une somme d'argent et elles n'en ont rien exécuté à cet égard en recevant les soins..
Mais il pourra y avoir dans le fait accompli une et même deux nouvelles sources d'obligations qui pourront être civiles dans une certaine mesure.
Ainsi, la partie qui a fourni scs soins et services, conformément à la demande qui lui en avait été faite, peut alléguer avec raison quelle y a consacré un temps et des peines qui lui deviendraient préjudiciables si elle ne recevait une indemnité ou rémunération convenable ; elle pourrait alléguer aussi qu'elle a procuré à l'autre partie des avantages appréciables en argent, ce qui sera évident en cas de gain d'un procès ou de guérison d'un malade vivant de son travail ou d'un élève devenu apte à remplir un emploi exigeant les connaissances spéciales que le professeur lui a fait acquérir.
Ces deux sources d'obligations civiles seront appréciées par les tribunaux lorsque les parties ne seront pas tombées d'accord.
Il n'est pas rare que les malades oublient les soins du médecin, les plaideurs ceux de l'avocat et les élèves ceux du professeur; la dignité des uns favorise encore l'avarice des autres; mais si la réclamation est portée en justice, elle doit être appréciée et jugée équitablement.
Le texte intervient ici pour indiquer où seront cherchées les bases de la décision : ce n'est pas la convention qui est mise en première ligne, justement parce qu'elle n'a pas suffi à constituer une obligation civile.
On tiendra compte d'abord de la qualité respective des personnes : le médecin est un grand praticien, fort occupé, ayant une clientèle choisie qui le paye largement, le malade lui-même est riche, l'indemnité pourra alors être élevée: elle le sera moins, au contraire, si le malade est d'une condition modeste ou pauvre, ou même, le malade étant riche, si le médecin est peu célèbre, peu occupé et généralement peu rétribué. Il va sans dire que le tribunal tiendra grand compte aussi du résultat du traitement.
De même pour l'avocat, on tiendra compte, d'une part, de sa célébrité ou de son obscurité et, d'autre part, de la situation pécuniaire de son client ; il y aura aussi à tenir compte du gain ou de la perte du procès, au point de vue de l'enrichissement.
Les mêmes éléments d'appréciation tirés des situations respectives seront utilisés pour les réclamations du professeur contre l'élève; l'instruction acquise par celui-ci correspondra au gain du procès pour le plaideur et à la guérison pour le malade.
La loi veut aussi qu'on tienne compte de l'usage des professions, lequel usage, étant connu des deux parties ou devant l'être, implique un engagement tacite de s'y conformer. Il se rapproche ainsi de la convention expresse que la loi met en dernière ligne, comme base d'appréciation de la rémunération des soins ou des services effectivement rendus.
Il n'y a pas de contradiction à donner une certaine valeur civile à la convention, lorsqu'elle a reçu son exécution de la part d une partie : quand il s'agit de savoir si le dommage éprouvé par elle est injuste, si l'enrichissement de l'autre est illégitime, lorsqu'on est ainsi en demeure d'appliquer civilement et judiciairement les régies de l'équité naturelle, il est juste et raisonnable de tenir compte de ce qui a été promis par le défendeur ; la convention qu'il a faite le constitue de mauvaise foi dans sa résistance après avoir librement reçu les services.
Les deux derniers alinéas de notre article supposent qu'au contraire les soins ou services demandés n'ont pas été acceptés et que les soins ou services promis n'ont pas été fournis. Il fallait décider s'il y aurait lieu à indemnité.
En principe, le premier alinéa a décidé négativement et nous l'avons développé en ce sens.
Mais ici encore, on peut se trouver en présence d'autres sources d'obligation civile que la convention.
Le médecin, après avoir promis de donner ses soins à un malade, l'avocat surtout, après avoir consenti à se charger d'une cause, peuvent avoir refusé d'autres cures à entreprendre ou d'autres causes à plaider et avoir ainsi sacrifié un avantage de leur profession, en comptant sur la demande qui leur avait été faite. Si ensuite le malade ou le plaideur refuse d'user de leurs services, ils auront éprouvé, par l'effet de la première convention, un préjudice dans leurs intérêts. Usera rare assurément que la preuve en soit certaine, mais il est bon que le principe en soit posé.
De même, et réciproquement, le malade ou sa famille, comptant sur la promesse du médecin, ont négligé de s'assurer les soins d'un autre; plus tard, le premier refuse de commencer ou de continuer la cure: il en peut résulter une aggravation du mal et un préjudice pécuniaire.
Le cas est encore plus évident pour les soins promis par un avocat, lequel ensuite abandonnerait la cause dont il s'est chargé : sera peut-être difficile de trouver en temps utile un antre avocat et la cause pourra être compromise, peut-être perdue, par suite de ce retard.
Le raisonnement serait le même pour un élève et son professeur.
Dans tous ces cas, il faut supposer toujours, pour qu'il y ait lieu à indemnité, que le motif qui a déterminé le médecin ou le malade, l'avocat ou le client, le professeur ou l'élève, à abandonner la convention formée, n'est pas “légitime.”