Art. 233. Tout mandat, quel que soit son caractère ou son étendue, comprend encore quelque chose de plus que son objet direct : il comporte des suites sous-entendues. La difficulté est de déterminer ces suites On ne pourrait pas dire que le mandat comprend toutes les suites naturelles des actes mandés, parce que ces suites peuvent être longues dans leur durée, lointaines par le temps où elles se produiront, compliquées dans leurs détails et dans les difficultés qu'elles feront naître, et elles pourraient, tout à la fois, excéder les charges et les embarras que le mandataire a consenti à accepter et, d'un autre côté, excéder la confiance que le mandant a pu mettre dans l'habileté, l'activité, la prudence ou même l'honnêteté, du mandataire.
On ne pourrait pas non plus ne mettre à la charge du mandataire aucune des suites de l'affaire : il y a peu d'affaires qui s'accomplissent en un seul moment, et si le mandataire n'avait ni le devoir, ni le droit de faire plus que ce qui forme l'objet direct du mandat exprès ou tacite, le résultat que le mandant s'est proposé ne serait pas atteint.
On a adopté une limite qui répondra au double besoin de ne permettre ni trop, ni trop peu : le mandataire devra pourvoir ‘‘aux suites n é c e ssa i r es de l'acte” dont il est chargé.
Ainsi, s'il s'agit d'actes d'administration et que le mandataire commande des réparations, il pourra et devra les vérifier, les contrôler et même les payer; si l'entrepreneur refuse de faire crédit, s'il fait un bail, il devra et pourra recevoir les loyers aux époques fixées pour le payement périodique, parce qu'un bon administrateur ne laisse pas les loyers s'accumuler.
Supposons un mandat spécial d'acheter un immeuble, le mandataire ne devra pas se borner à signer le contrat, il devra encore accomplir les formalités de la publicité des mutations.
Mais devra-t-il aussi prendre livraison de l'immeuble, si l'époque de la livraison est immédiate ou très rapprochée ?
De même s'il était chargé de vendre, dirons-nous qu'il a le pouvoir de livrer ?
Ici, il faut d'abord résoudre la question de savoir s'il a mandat de payer le prix de vente, au premier cas, et de le recevoir au second cas ; en effet, si le mandataire vendeur livrait l'immeuble sans recevoir le prix de vente, il compromettrait les droits et garanties du vendeur, et un mandataire-acheteur ne pourrait pas prétendre se faire livrer l'immeuble sans payer le prix. Le texte prend soin de nous dire que ce ne sont pas là des suites nécessaires du mandat: un mandataire qui stipule “un capital” n'a pas qualité pour le recevoir ; celui qui promet un capital n'a pas qualité pour le payer: il ne peut payer ou recevoir que les intérêts. Dès lors, la livraison qui est subordonnée au payement du prix de vente ne rentre ni dans les droits ni dans les devoirs du mandataire acheteur on vendeur.
Le mandataire que serait chargé d'obtenir une hypothèque devrait prendre l'inscription, parce que, sans cette formalité qui révèle l'hypothèque aux tiers, celle-ci ne serait pas opposable aux autres créanciers ni à celui qui acquerrait l'immeuble; mais ce mandataire ne serait pas chargé de veiller à ce que le mandant soit colloqué à son rang d'hypothèque, sur le prix de vente de l'immeuble, si ledit immeuble était vendu à l'amiable par le débiteur ou vendu aux enchères sur saisie : la collocation est une opération difficile pour laquelle le mandataire pourrait n'avoir pas les doouments nécessaires ; encore moins, le mandataire pourrait-il toucher le montant du capital garanti par l'hypothèque : il y aurait là un risque de perte que le mandant peut n'avoir pas voulu courir.
Les divers mandats qu'on a pris jusqu'ici pour exemples sont des mandats pour gérer, contracter ou négocier. Il y a aussi le mandat pour plaider. Le mandataire pour plaider peut être chargé d'intenter un procès comme demandeur, ou d'y répondre comme défendeur ; il peut aussi être chargé d'intervenir dans un procès déjà entamé entre des tiers, pour y soutenir, incidemment, les droits de son mandant, en demandant ou en défendant.
On peut trouver ici des suites immédiates et nécessaires du mandat et des suites éloignées plus ou moins accidentelles. Le mandataire devra pourvoir aux premières et non aux autres.
Ainsi, le mandataire-demandeur devra défendre aux exceptions ou fins de non-recevoir élevés contre sa demande, et aussi défendre aux demandes reconventionnelles ou en compensation du défendeur ; s'il a triomphé en première instance, il devra signifier le jugement pour faire courir les délais d'opposition ou d'appel, et si le jugement est attaqué dans les délais légaux par celui qui a perdu, il devra contester et plaider sur ce recours auquel il sera alors défendeur.
Le mandataire-défendeur aura les obligations inverses au sujet des moyens : il devra opposer les exceptions ou fins de non-recevoir, former et soutenir les demandes reconventionnelles ou en compensation dont il aura les titres et justifications; s'il triomphe, il signifiera le jugement pour faire courir les délais de recours.
Supposons maintenant que le mandataire, demandeur ou défendeur, a succombé et que le jugement lui a été
418 DE L'ACQUISITION DES BIENS. — CHAP. XI signifié, devra-t-il interjeter appel dans le délai et suivre sur ce recours comme demandeur en appel ?
L'appel entraînant de nouveaux frais. le mandataire fera segement, si les circonstances lui permettent de communiquer en temps utile avec le mandant, de se faire autoriser par lui à appeler; si, au contraire, cette communication est impossible, il devra prendre le conseil d'une personne expérimentée en ces matières, comme d'un avocat, et agir au mieux dans l'intérêt du mandant.
Quant au pourvoi en cassation, c'est un recours extraordinaire qui suppose une violation de la. loi, le mandataire ne devra donc pas, en principe, le considérer comme une suite nécessaire de son mandat; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la violation de la loi fût manifeste, ce qui sera rare.
Le texte s'explique sur deux facultés qui n'appartiennent pas au mandataire chargé de plaider: s'il est demandeur, il ne pourra pas se désister de l'action, lors même que les moyens de défense à lui opposés lui paraîtraient irréfutables; sans doute, le désistement arrêterait les frais et même préviendrait une demande possible de dommages-intérêts; mais le mandataire pourrait se tromper sur la valeur des moyens du défendeur, et son désistement pourrait être téméraire ; en effet, le mandant a voulu que son droit fût jugé par les tribunaux et non par son mandataire. De même, le mandataire-défendeur ne devrait pas acquiescer à la demande, si bien fondée qu'elle lui parût. Tl ne pourrait non plus transiger. Ces trois actes, désistement, acquiescement, transaction demanderaient un pouvoir spécial.
La loi nous dit encore que le mandat de transiger ne contient pas celui de soumettre le différend à des arbitres, de faire un compromis. En effet, la transaction a été confiée au mandataire à raison, soit de la prudence et de la modération, soit de la fermeté que le mandant lui connaissait : elle suppose une confiance entière dans le mandataire ; or, ce ne serait pas répondre aux intentions du mandant que de transporter à d'autres personnes la décision du litige; ce serait aussi exposer le mandant à des frais plus ou moins considérables, car les arbitres sont rétribués plus qu'un mandataire ordinaire.
Dans le même cas où le mandataire aurait pouvoir de transiger, il ne pourrait soumettre le différend aux tribunaux ordinaires, à cause des frais et des lenteurs inséparables d'un procès.
Le texte se prononce de la même manière sur le cas inverse: le mandataire qui serait chargé de choisir des arbitres ne pourrait pas, sous prétexte que la contestation est légère, la terminer lui-même par une transaction, en faisant quelques sacrifices des droits de son mandant; il ne pourrait non plus la soumettre aux juges ordinaires, pour la raison donnée plus haut.
Ces diverses solutions de la loi ne sont que des applications du principe posé en tête de l'article ; elles serviront d'exemples aux tribunaux pour les autres cas.
Les restrictions qu'on vient d'indiquer aux pouvoirs du mandataire nous obligent à revenir sur le mandat général.
Sans doute, sa généralité est elle-même limitée, puisqu'elle ne comprend que “les actes d'administration;” mais ces actes mêmes sont très-étendus et il ne faut pas les borner à la conservation du patrimoine, quoique ce soit une définition usitée.
Ainsi, un mandataire général peut et doit encore :
1° Acquitter les dettes exigibles du mandant.
Assurément, on ne lui refuserait pas le pouvoir de réclamer le payement des débiteurs de celui-ci : ce serait évidemment conserver son patrimoine. L'acquittement de ses obligations n'est pas moins utile, car, si les dettes ne sont pas payées, les intérêts s'accumuleront sans utilité et de coûteuses poursuites pourront s'en suivre.
Mais ce droit de payer les dettes du mandant ne comporte pas celui de donner en payement autre chose que ce qui est dû (dation en payement), ni de faire novation, en contractant une nouvelle obligation au lieu et place de la première, à moins, dans les deux cas, que l'affaire ne présente si peu d'importance qu'on puisse la considérer comme une mesure d'administration.
Le pouvoir de payer les dettes du mandant ne s'entend que de ses dettes civiles, non de ses dettes naturelles, lesquelles, ne pouvant donner lieu à des poursuites, sont laissées à la conscience du débiteur lui-même (v. Liv. des Biens, art. 562 et suiv).
Si une dette paraît contestable au mandataire, il peut se laisser poursuivre et alors il a le pouvoir de défendre aux actions intentées de ce chef contre le mandant ; il peut aussi exercer tous les recours auxquels les jugements lui paraîtraient devoir donner lieu, soit pour le fait (appel), soit pour le droit (pourvoi en cassation): Ceci n'est pas contraire aux limites que nous avons admises plus haut pour le mandat spécial de plaider. nous sommes ici en présence d'un mandat général.
2° Exercer les actions personnelles ou réelles mobilières du mandant: par exemple, poursuivre les débiteurs de sommes d'argent et d'autres valeurs mobilières et revendiquer les objets mobiliers lui appartenant, lorsque la prescription instantanée n'est pas opposable.
Le mandataire général ne peut exercer les actions immobilières, à cause de leur grande importance ; ce pourrait d'ailleurs être un moyen indirect de priver le mandant d'un immeuble, en plaidant maladroitement, et. la disposition des immeubles n'est permise au mandataire qu'en vertu d'un mandat spécial. Au contraire, le mandataire général peut défendreà une action immobilière, parce que ce serait souvent le seul moyen de conserver l'immeuble au mandant, surtout s'il était trop éloigné pour donner des ordres.
Le mandataire peut aussi faire commandement d'exécuter les jugements et pratiquer des saisies mobilières ; mais il devrait s'abstenir des saisies immobilières qui sont longues, coûteuses, et peuvent, en cas d'irrégularités, entraîner des dommages intérêts plus ou moins considérables.
3° Contracter des obligations pour le mandant, dans le but de faciliter l'administration des biens, c'est-à-dire leur conservation et leur amélioration.
Dans ces contrats rentrent les baux qui obligent le mandant, mais lui assurent un revenu de ses biens. Si le mandataire, au lieu de donner les biens à bail, les exploitait lui-même, en culture ou autrement, il faudrait encore lui permettre de contracter des engagements, à ce sujet, avec des ouvriers ou des fournisseurs d'instruments aratoires, de semences, d'engrais, etc.
4° Aliéner les choses mobilières sujettes à dépérissement ou dont la conservation serait difficile ou trop coûteuse.
5° Exercer les actions possessoires immobilières et interrompre la prescription des immeubles, par tous autres moyens que l'action en revendication.
Quand le mandataire est disposé à excéder ses pouvoirs, il en sera souvent empêché par le tiers vis-à-vis duquel il prétendrait faire un acte qui ne lui est pas permis; ainsi, si un mandataire général voulait exercer une action immobilière eu revendication, le défendeur lui opposerait certainement son défaut de qualité pour une telle action. De même si un mandataire spécial chargé de vendre prétendait exiger le prix de vente, l'acheteur s'y refuserait ; mais si le tiers ignorait lui-même les limites légales du mandat et, dans le premier cas, avait laissé juger le procès et, dans le second cas, avait payé, ce qui se serait fait contrairement à la loi ne serait pas opposable au mandant, lorsqu'il aurait intérêt à le désavouer ; mais il pourrait le ratifier, sauf son recours en dommages-intérêts contre le mandataire, comme il sera expliqué plus loin.
Il y aura d'ailleurs à distinguer sur ce point si le mandant ne peut pas s'imputer aussi quelques négligences dans la détermination des pouvoirs du mandataire, lesquels pourraient se prêter à une plus grande extension que ne l'entendait le mandant.