Art. 206. Le contrat de dépôt a de l'analogie avec le prêt à usage, mais il en diffère aussi.
On va présenter d'abord ces ressemblances et différences.
A. Le dépôt ressemble au prêt :
1° En ce qu'il est réel, c'est-à-dire formé par la remise matérielle de la chose, par le déposant au dépositaire ; en effet, puisque le dépositaire doit “garder' ou conserver la chose et ensuite "la restituer,” il est bien évident qu'il ne peut être tenu de conserver et de rendre avant d'avoir reçu.
Au surplus, il faut faire ici une remarque qui s'appliquait déjà au prêt à usage et même au prêt de consommation, et qu'on a omis d'y faire, à savoir que si la chose destinée au dépôt se trouve déjà aux mains du dépositaire, à un autre titre, le consentement seul des parties suffit pour transformer en dépôt la possession qu'avait déjà le dépositaire ; c'est la tradition feinte dite “de brève main” déjà expliquée par l'article 191 du Livre des Biens. Ainsi, un emprunteur à usage offre de rendre la chose prêtée, le prêteur, ne pouvant la recevoir à ce moment sans inconvénients, prie l'emprunteur de la garder en dépôt ; il en serait de même d'une chose louée que le locataire serait prié de conserver en dépôt après la fin du louage.
Cette transformation du prêt à usage ou du louage en dépôt est très-importante, pour la responsabilité du détenteur, laquelle est beaucoup moins lourde dans le dépôt que dans les deux antres contrats.
La tradition réelle serait encore inutile dans le cas où un propriétaire, vendant une chose mobilière, serait prié de la conserver à titre de dépôt, jusqu'à ce que l'acquéreur pût la recevoir ; cette convention se nomme “constitut possessoire” (voy. même art. 191). Au fond, la fiction est la même ; celui qui aliène est censé avoir livré au nouveau propriétaire pour se libérer de son obligation de vendeur, puis avoir immédiatement reçu la même chose en dépôt, et cela diminue sa responsabilité, car un vendeur doit apportera la chose vendue, jusqu'à la tradition, les soins d'un bon administrateur (Liv. des Biens, art 334 et Liv. de l'acq. des Biens, 46) tandis qu'un dépositaire ne doit à la chose déposée que les soins qu'il apporte habituellement à ses propres biens, comme on le verra plus loin.
Ce qu'on vient de dire du caractère réel du dépôt ne met pas obstacle à ce qu'une personne s'engage à recevoir ultérieurement une chose en dépôt ; mais ce ne serait pas encore le dépôt, et l'obligation de conserver et de rendre ne serait pas née tant que la chose n'aurait pas été reçue : ce serait un contrat i n n o m m é.
2° La seconde ressemblance du dépôt avec le prêt à usage est la gratuité du service rendu : si le dépositaire recevait un salaire, il y aurait louage de services on louage de chose (par exemple, louage de magasin). Cependant, on verra plus loin que le dépositaire peut recevoir une “indemnité” de ses soins et que cette circonstance influe sur l'appréciation plus ou moins rigoureuse de sa négligence; mais, en considérant que cette indemnité, à la différence d'un salaire, n'est pas un profit pour le dépositaire, on peut maintenir sans hésiter que le dépôt est “essentiellement gratuit.”
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3° La troisième ressemblance est clans la possibilité que le contrat qui est unilatéral au moment où il se forme, devienne synallagmatique après coup et, pour ainsi dire, par accident, ce qui, dans l'usage, le fait appeler “synallagmatique imparfait”; en réalité, comme on l'a remarqué sur le prêt à usage, pour deux des obligations du préteur, ce n'est pas la convention qui fait naître les obligations du déposant, c'est son enrichissement indû, si le dépositaire a fait des dépenses pour la conservation de la chose, ou c'est le dommage injuste qu'il a causé, si la chose déposée avait des vices qui ont nui au dépositaire. Il y a même ici aucun doute sur le caractère unilatéral du contrat, car on n'y trouve pas pour le déposant, comme pour le prêteur à usage, la défense de réclamer la chose avant le temps convenu ; le dépositaire, en effet, ne peut jamais prétendre garder le dépôt lorsqu'on le lui réclame, sauf le droit de rétention comme garantie des indemnités qui lui sont dues.
4° La dernière ressemblance est l'obligation de restituer la chose identiquement et en nature. Cette obligation est la même si la chose déposée est de l'argent, même à découvert, que si elle est un corps certain. Ce dépôt, nommé dans l'usage “. dépôt irrégulier” (voy. Liv. des Biens, art. 526-2°), n'autorise pas le dépositaire à se servir de l'argent ; mais, en fait, il sera difficile et sans intérêt de savoir si les mêmes espèces sont rendues ou si c'en sont d'autres, pourvu qu'elles soient en tous points semblables (or, argent, papier-monnaie).
Il peut arriver cependant que le déposant autorise le dépositaire à se servir de cet argent ; mais alors si le dépositaire en use, il en devient emprunteur dès ce moment, et, bien qu'il ne lui ait pas été formellement accordé de délai, il pourrait en obtenir un du tribunal, conformément à l'article 179 : on ne serait pas dans le cas du dépôt pur et simple, mais dans celui d'un prêt de consommation conditionnel et facultatif.
B. Voici maintenant les différences entre le dépôt et le prêt à usage.
1° On a déjà signalé incidemment celle relative à l'étendue de la responsabilité, laquelle est moins rigoureuse pour le dépositaire qui rend un service que pour l'emprunteur qui le reçoit;
2° La restitution du dépôt doit se faire à la première demande de déposant, tandis que l'emprunteur peut refuser de restituer avant qu'il ait tiré de la chose l'usage pour lequel elle lui a été prêtée ;
3° Le dépositaire ne doit pas se servir de la chose déposée, tandis que l'emprunteur a ce droit; mais le déposant pourrait autoriser le dépositaire à se servir de la chose sans que le contrat devînt pour cela un prêt à usage; par exemple, s'il s'agit d'un cheval, le dépositaire devrait certainement y apporter plus de soin au moment où il en use que lorsqu'il le garde chez lui sans emploi ; mais les rigueurs particulières auxquelles est soumis l'emprunteur (voy. art. 198) ne lui seraient pas applicables;
4° Le dépôt ne peut avoir pour objet qu'une chose mobilière, tandis qu'on peut prêter à usage une maison ou un terrain: celui qui voudrait confier la garde d'une maison devrait donner mandat de la garder ou de la surveiller (v. Chap. suivant).
5° Le dépôt est quelqufois nécessaire, tandis que le prêt est toujours purement volontaire.
La division du dépôt en volontaire et nécessaire, a de l'importance quant à la preuve : le dépôt nécessaire peut être prouvé par témoins, à quelque valeur qu'il puisse s'élever, tandis que le dépôt volontaire ne peut être prouvé par témoins, s'il s'agit d'une valeur excédant 50 yens.