Art. 901. — N° 710. Le Code français a voulu donner une définition commune du Dépôt proprement dit et du Séquestre, ce qui l'a obligé de qualifier les deux dépôts du nom d'acte (art. 1915), car le séquestre qui est, le plus souvent, un dépôt ordonné en justice, n'est pas un contrat dans ce cas.
Il semble plus simple de séparer le dépôt proprement dit du séquestre, de manière à donner le nom de contrat au premier.
Le contrat de dépôt a de l'analogie avec le prêt à usage, mais il en diffère aussi.
On va présenter d'abord ces ressemblances et différences.
711. A. Le dépôt ressemble au prêt à usage:
1° En ce qu'il est réel, c'est-à-dire formé par la remise matérielle de la chose, par le déposant au dépositaire; en effet, puisque le dépositaire doit " garder" ou conserver la chose et ensuite "la restituer," il est bien évident qu'il ne peut être tenu de conserver et de rendre avant d'avoir reçu.
Au surplus, il faut faire ici une remarque qui s'appliquait déjà au prêt à usage et même au prêt de consommation, et qu'on aurait pu y faire, à savoir que si la chose destinée au dépôt se trouve déjà aux mains du dépositaire, à un autre titre, le consentement seul des parties suffit pour transformer en dépôt la possession qu'avait déjà le dépositaire; c'est la tradition feinte dite " de brève main" déjà expliquée par l'article 203. Ainsi, un emprunteur à usage offre de rendre la chose prêtée, le prêteur, ne pouvant la recevoir à ce moment sans inconvénients, prie l'emprunteur de la garder en dépôt. Il en serait de même d'une chose louée que le locataire serait prié de conserver en dépôt après la fin du louage.
Cette transformation du prêt à usage ou du louage en dépôt est très importante, pour la responsabilité du détenteur, laquelle est beaucoup moins lourde dans le dépôt que dans les deux autres contrats (a).
La tradition réelle serait encore inutile dans le cas où un propriétaire, vendant une chose mobilière, serait prié de la conserver à titre de dépôt, jusqu'à ce que l'acquéreur pût la recevoir; cette convention se nomme " constitut possessoire" (voy. même art. 203). Au fond, la fiction est la même: celui qui aliène est censé avoir livré au nouveau propriétaire pour se libérer de son obligation de vendeur, puis avoir immédiatement reçu la même chose en dépôt; et cela diminue sa responsabilité, car un vendeur doit apporter à la chose vendue, jusqu'à la tradition, les soins d'un bon administrateur (art. 354 et 683), tandis qu'un dépositaire ne doit à la chose déposée que les soins qu'il apporte habituellement à ses propres biens, comme on le verra plus loin.
Ce qu'on vient de dire du caractère réel du dépôt ne met pas obstacle à ce qu'une personne s'engage à recevoir ultérieurement une chose en dépôt; mais ce ne serait pas encore le dépôt: l'obligation de conserver et de rendre ne serait pas née tant que la chose n'aurait pas été reçue ce serait un contrat innommé.
2° La seconde ressemblance du dépôt avec le prêt à usage est la gratuité du service rendu si le dépositaire recevait un salaire, il y aurait louage de services ou louage de chose (par exemple, louage de magasin). Cependant, on verra plus loin que le dépositaire peut recevoir une indemnité" de' ses soins et que cette circonstance influe sur l'appréciation plus ou moins rigoureuse de sa négligence; mais, en considérant que cette indemnité, à la différence d'un salaire, n'est pas un profit pour le dépositaire, on peut maintenir sans hésiter que le dépôt est " essentiellement, gratuit."
3° La dernière ressemblance est l'obligation de restituer la chose identiquement et en nature. Cette obligation est la même si la chose déposée est de l'argent, même à découvert, que si elle est un corps certain. Ce dépôt, nommé dans l'usage " dépôt irrégulier " (v. art. 548-2°), n'autorise pas le dépositaire à se servir de l'argent; mais, en fait, il sera difficile et sans intérêt de savoir si les mêmes espèces sont rendues ou si c'en sont d'autres, pourvu qu'elles soient en tous points semblables (or, argent, papier-monnaie).
Il peut arriver cependant que le déposant autorise le dépositaire à se servir de cet argent; mais alors si le dépositaire en use, il en devient emprunteur dès ce moment et, bien qu'il ile lui ait pas été formellement accordé de délai, il pourrait en obtenir un du tribunal, conformément à l'article 874: on ne serait plus dans le cas du dépôt par et simple, mais dans celui d'un prêt de consommation conditionnel et facultatif.
712. B. Voici maintenant les différences entre le dépôt et le prêt à usage:
1° La restitution du dépôt doit se faire à la première demande du déposant, tandis que l'emprunteur peut refuser de restituer avant qu'il ait tiré de la chose l'usage pour lequel elle lui a été prêtée, ce qui nous a permis de dire que le prêteur à usage a une obligation née du contrat, lequel est par cela même synallagmatique (v. art. 898 et nos 706-707).
En effet, le contrat de dépôt n'est qu'unilatéral au moment où il se forme: il ne devient synallagmatique après coup et, pour ainsi dire, par accident, ce qui, ordinairement, le fait appeler "synallagmatique imparfait mais en réalité, comme on l'a remarqué ailleurs ce n'est pas la convention qui fait naître les obligations du déposant, c'est son enrichissement indu, si le dépositaire a fait des dépenses pour la conservation de la chose, ou c'est le dommage injuste qu'il a causé, si la chose déposée avait des vices qui ont nui au dépositaire. Il n'y a même ici aucun doute sur le caractère unilatéral du contrat, car oh n'y trouve pas pour le déposant, comme pour le prêteur à usage, la défense de réclamer'la chose avant le temps convenu; le dépositaire, en effet, ne peut jamais prétendre, faute d'un intérêt - légitimer, garder la dépôt lorsqu'on le lui réclame, sauf le droit de rétention comme garantie des indemnités qui lui sont dues.
2° On a déjà signalé incidemment la différence relative à l'étendue de la responsabilité, laquelle est moins rigoureuse pour le dépositaire qui rend un service que pour l'emprunteur à usage qui le reçoit;
3° Le dépositaire ne doit pas se servir de la cliose déposée, tandis que l'emprunteur a ce droit; mais le déposant pourrait autoriser le dépositaire à se servir de la chose sans que le contrat devînt pour cela un prêt à usage; par exemple, s'il s'agit d'un cheval, le dépositaire devrait certainement y apporter plus de soin au moment où il en use que lorsqu'il le garde chez lui sans emploi; même la rigueur particulière à laquelle est soumis l'emprunteur (voy. art. 893) lui serait applicable;
4° Le dépôt ne peut avoir pour objet qu'une chose mobilière (b), tandis qu'on peut prêter à usage une maison ou un terrain: celui qui voudrait seulement confier la garde d'une maison devrait donner mandat de la garder ou de la surveiller (v. Chap. suivant).
5° Le dépôt est quelquefois nécessaire, tandis que le prêt est toujours purement volontaire.
713. La division du dépôt en volontaire et nécessaire, telle qu'elle est dans le Code français et dans la plupart des Codes étrangers, n'aura pas moins d'utilité dans le Projet que dans les autres législations; elle enaura même davantage.
Dans le Code français, la distinction a eu jadis deux intérêts: une plus grande facilité de preuve pour le dépôt nécessaire que pour le dépôt volontaire, et l'emploi de la contrainte par corps, pour assurer la restitution, contre le dépositaire nécessaire, mais non contre le dépositaire volontaire.
Cette 26 différence se trouve supprimée par l'abolition générale de la contrainte par corps, en matière civile (Loi du 22 juillet 1867). La lrj subsiste seule: le dépôt nécessaire peut être prouvé par témoins, à quelque valeur qu'il puisse s'élever, tandis que le dépôt volontaire ne peut être prouvé par témoins, s'il s'agit d'une valeur excédant 150 francs.
Le Projet japonais, pour diminuer le nombre des procès, mettra aussi quelques limites à la preuve testimoniale (v. art. 1396); mais ces limites ne concerneront pas la preuve du dépôt nécessaire (v. art. 1406); il y a donc une utilité à faire la distinction entre les deux dépôts; on aurait pu en admettre une autre en matière pénale, mais elle n'a pas été admise (v. n° 734, a).
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(a) Rappelons, à cette occasion, ce qui a été dit sous l'article 203 (T. Ier, Io 298, a), que si la définition de la " tradition de brève main" donnée par cet article ne présente que la possession précaire transformée en possession à titre de propriétaire, il serait permis de voir encore une tradition de brève main dans le changement d'une possession précaire en une autre également précaire, comme on le suppose ici.
(b) D'après l'étymologie depo$itum: une chose posée d'un lieu dans un autre."