Art. 176. Après ce qui vient d'être dit de la résolution, il paraît nécessaire de s'expliquer sur les autres causes d'extinction de la rente viagère, ta ntparce qu'elles ne s'y appliquent pas toutes que parce que la mort même du titulaire, qui est une cause spéciale d'extinction de ce droit, présente, dans un cas, une difficulté spéciale.
Le texte mentionne d'abord comme applicables à la rente viagère les causes de rescision ou nullité et de révocation d'après le droit commun ; ainsi, les vices de consentement et les incapacités ordinaires donnent lieu, ici comme ailleurs, à l'action en rescision ; de même les constitutions de rente viagère faites en fraude des créanciers d'une partie ou de l'autre donneront lieu à l'action l'évocatoire, conformément aux articles 340 et suivants du Livre des Biens.
Le payement n'éteint pas, en principe, la rente viagère, puisque le débiteur n'est pas autorisé à en effectuer le rachat par le remboursement du capital (art 171). Mais, ce que la loi ne permet pas au débiteur, parce que ce serait manquer à l'observation du contrat, le contrat même peut le lui avoir permis, sous telles conditions qui auront été agréées par les parties : ce sera alors ce que le texte nomme “le rachat stipulé.”
La novation et la remise conventionnelle sont encore des causes d'extinction volontaire que la loi ne pouvait songer à défendre ni même à gêner : il lui suffit de les mentionner.
La confusion résultant de la réunion des deux qualités de créancier et de débiteur dans une seule personne produit nécessairement, ici comme ailleurs, son effet extinctif de la dette : elle aura lieu quand le rentier succédera au débiteur ou un tiers à tous deux. Nous ne supposons pas le troisième cas ordinaire de confusion : le débiteur succédant au créancier ; car, si c'est le crédi-rentier qui meurt, la rente s'éteint toujours, sans qu'il soit besoin d'une confusion résultant de ce que le débiteur lui aura succédé.
Une cause d'extinction qu'on est habitué à rencontrer à côté de la confusion, la compensation, n'aura pas lieu ici : supposons que le débiteur de la rente devienne, de son côté, créancier d'une somme ou valeur égale ou supérieure au capital fictif de la rente, il ne pourra se trouver affranchi du service de la rente, parce que ce serait en imposer le rachat, or, on a vu que cela n'est possible qu'en vertu d'une stipulation.
Enfin, la prescription s'applique tant au droit de rente même qu'aux arrérages, avec cette différence que le délai n'est pas le même dans les deux cas : c'est le délai ordinaire pour le droit de rente lui-même (trente ans). Ce n'est plus que délai de cinq ans pour les arrérages.
Le point de départ, non plus, n'est pas le même pour les deux droits : pour le droit de rente, c'est l'acte constitutif, ou la reconnaissance tacite du droit par chaque payement d'arrérages ; pour les arrérages, c'est leur échéance.
Au sujet de la prescription du droit même de rente, il était très nécessaire de s'en expliquer, car on pouvait douter quelle fût applicable, surtout quand on considère la prescription moins comme une moyen direct d'extinction des obligations que comme une présomption d'extinction légitime ; or, c'est justement la théorie que l'on a déjà adoptée dans le présent Code.
En effet, on pourrait objecter que, le débiteur ne pouvant être contraint au remboursement du capital et ne pouvant non plus l'imposer au créancier, il n'y a pas lieu de présumer qu'il ait été libéré de la rente par un payement, comme s'il s'agissait de toute autre dette.
Mais la réponse est facile : on vient de voir que la rente viagère s'éteint de plusieurs manières, indépendamment de la mort du titulaire ; or, que ces modes d'extinction soient plus ou moins exceptionnels, peu importe, au point de vue qui nous occupe : on peut toujours supposer que si le créancier a laissé s'écouler trente ans sans agir, c'est qu'il est survenu une de ces causes légitimes d'extinction Assurément, on ne présumera pas la mort du créancier ; à peine le pourrait-on, s'il avait disparu depuis trente ans, son existence peut d'aillenrs être prouvée par un certificat de vie ; mais on pourra présumer une remise conventionnelle de la rente, quoique ce soit une libéralité et que les libéralités ne se présument pas ; mais on présumera, avec plus de raison encore, un rachat conventionnel.
Quant à la prescription des arrérages échus, elle est tout naturellement fondue sur une présomption de payement, puisque, non seulement les arrérages sont payables, mais ils sont aussi exigibles: il n'est pas probable que le créancier ait laissé l'écouler cinq ans sans les exiger.
Nous avons annoncé, en expliquant l'article 170, que l'incessibilité de la rente viagère entraîne, de droit, son imprescriptibilité autant que son insaisissabilité : cela est naturel et forcé. Lorsque la rente viagère est stipulée incessible ou déclarée telle par la loi, c'est pour assurer au rentier des moyens d'existence qu'il ne puisse détruire par son imprévoyance, sa faiblesse ou sa prodigalité.
La première conséquence est que le rentier ne puisse recevoir le remboursement du capital de la part du débiteur, ni faire avec celui-ci une novation ou une convention de remise, lesquelles ne seraient autre chose que des cessions déguisées; c'est une sorte d'incapacité spéciale établie pour protéger le créancier.
La seconde conséquence est qu'il ne puisse pas perdre son droit par la prescription, pas plus que ne le peuvent les incapables ordinaires. En effet, il serait impossible qu'il fût p ré su m é avoir reçu un remboursement qu'il lui est défendu de recevoir.
Quant aux arrérages, comme ils sont toujours cessibles et saisissables après l'échéance (voy. art. 169), ils seraient également prescriptibles, depuis la même époque.