Art. 143. Du moment que le Code admet que les sociétiés civiles pourront être des personnes morales, par la volonté des parties, et même qu'elles auront ce caractère par le seul fait quelles auront un nom social ou seront publiées (voy. art. 118), il va de soi que le fonds social sera, dans ce cas, distinct du patrimoine des associés que les créanciers de la société ne se confondront pas avec les créanciers personnels des associés, que chaque classe de créanciers, aura pour gage exclusif les biens de son débiteur : l'une le fonds social, l'autre les biens propres de l'associé ; ce n'est que lorsque l'une sera entièrement désintéressée avec les biens qui lui sont destinés que l'excédant, s'il y en a, pourra être réclamé par l'autre classe présent article déduit formellement cette conséquence naturelle et même forcée du principe posé par l'article 118.
C'est un principe général que lorsqu'il y a plusieurs débiteurs d'une même dette, chacun d'eux ne peut être poursuivi que pour sa part ; pour qu'il en soit autrement, il faut que la dette soit solidaire ou indivisible ; or, la solidarité et l'indivisibilité sont des modalités exceptionnelles des obligations multiples ; l'exception peut résulter de la convention des parties, des dispositions de la loi ou de la nature de la dette.
On suppose ici que lorsque le gérant de la société a contracté une dette en cette qualité ou pour les affaires de la société, il n'a pas été formellement autorisé par les statuts ou par une convention spéciale avec les associés à les obliger solidairement, c'est-à-dire chacun pour le tout : autrement, il n'y aurait pas de doute que la solidarité ne garantît le payement de cette dette.
Il n'y a pas non plus à s'occuper du cas où l'obligation serait indivisible par sa nature : la circonstance qu'il s'agit de la dette d'une société sera sans influence sur la nature de cette dette ; par exemple, l'obligation de ne pas faire quelque chose est toujours indivisible par sa nature et celle de donner de l'argent est naturellement divisible.
Ce n'est pas sans de sérieux motifs que l'on a établi ici la solidarité légale.
Cette solidarité est la règle dans les sociétés commerciales ; or, on ne voit pas de raison pour qu'il en soit autrement dans les sociétés civiles ; quel que soit le motif principal qui fait établir la solidarité légale dans les sociétés commerciales, il peut s'appliquer avec la même force aux sociétés civiles. C'est d'abord pour donner plus de crédit à ces sociétés, en ce que les tiers auront plus de garanties d'être payés, or, il n'est pas moins utile de donner du crédit aux sociétés civiles, car elles sont appelées à rendre de grands services pour la production agricole. C'est aussi parce qu'il est difficile aux créanciers de connaître exactement la part de chacun dans la distribution de l'actif et du passif, cette difficulté n'est pas moindre dans les sociétés civiles que dans les sociétés commerciales ; d'ailleurs, les unes et les autres sont soumises à la publicité et le règlement des parts peut être par là facilement connu.
Le motif déterminant et qui l'applique aussi bien aux sociétés civiles qu'aux sociétés commerciales et. sans distinguer si elles ont ou non une personnalité juridique, c'est que chaque associé est en faute soit d'avoir mal géré, s'ils ont tous la qualité de gérant, soit d'avoir néglige de contrôler et de redresser les actes des gérants.
Nous exigeons qu'elles soient contractées “valablement” ; par conséquent, si les pouvoirs du gérant avaient été restreints, il n'aurait obligé que lui personnellement, en excédant ses pouvoirs. Mais, comme le gérant peut aussi faire des contrats pour lui-même et pour ses affaires personnelles, il faut qu'il s'agisse ici d'actes qu'il a fait en qualité de gérant, c'est-à-dire au nom de la société, ou, s'il n'a pas pris formellement cette qualité dans l'acte, il faut qu'il s'agisse manifestement des affaires de la société, de sorte que les tiers qui ont traité avec lui sachent bien qu'ils ont la société pour débitrice et, après elle, les associés.
Ces diverses conditions sont exigées par la loi dans le 1er alinéa, pour l'affectation du fonds social à la garantie des créanciers sociaux : elles sont naturellement exigées pour le recours subsidiaire des créanciers sociaux contre les associés.
Sur le 2e alinéa, il faut bien remarquer que l'action des créanciers n'est admise contre les associés individuellement “qu'en cas d'insuffisance du fonds social” ; par conséquent, les créanciers ne pourraient pas, à leur choix, poursuivre la société ou les associés, saisir les biens propres des associés plutôt que le fonds social, sous prétexte qu'ils y trouveraient plus de facilités, moins de frais ou moins de lenteurs.
Toutefois, la loi leur donne ce droit de poursuivre les associés avant d'avoir épuisé le fonds social, lorsque le gérant ou les associés “ne réprésentent pas le fonds social,” lorsqu'ils le dissimulent, ou même ne le révèlent pas par la production des livres, des titres ou des marchandises.
Il fallait prévoir, en effet, que le capital des sociétés civiles, n'étant pas toujours immobilier, serait facilement dissimulé aux créanciers et que, de cette façon, un temps considérable et inutile aurait été perdu avant que les créanciers pussent se prévaloir de la solidarité contre les associés individuellement.
Le 2e alinéa déclare encore que cette solidarité n'est pas absolument liée à la personnalité de la société civile. Il y aura même cette différence qu'au lieu dêtre subsidiaire et de ne pouvoir s'exercer qu'après épuisement du fonds social, elle est immédiate, puisqu'il n'y a pas de fonds social ou qu'il se confond avec les biens personnels des associés La présente disposition était d'autant plus nécessaire que le privilège des créanciers sur le fond social venait d'être limité, par le 1er alinéa, au cas où la société est une personne morale.
Le dernier alinéa applique un principe de la solidarité qu'on ne verra posé en lui-même qu'au Livre des garanties où il sera traité de la solidarité dans son ensemble.
La solidarité des débiteurs existe surtout dans leurs rapports avec le créancier : dans leurs rapports respectifs et pour leur recours les uns contre les autres, la dette se divise et elle ne doit être supportée définitivement par chacun que pour sa part réelle dans la dette ; or, on sait que les parts peuvent être égales ou inégales, d'après les articles 135 à 141 ; donc celui qui aura payé toute la dette, par l'effet de la solidarité, recourra contre les autres pour leur part et en conservera une part à sa propre charge.
Dans le présent article on a supposé des dettes contractées par le gérant. Il va de soi que s'il n'y avait pas eu de gérant nommé par l'acte de société ou par un acte ultérieur, comme alors tous les associés pourraient gérer, l'article s'appliquerait aux engagements de chaque associé, pourvu qu'il s'agit d'un acte d'administration fait au nom de la société ou applicable à ses biens. On serait encore dans les termes de notre article autant que dans son esprit.