Art. 110. Le contrat de transaction a toujours passé pour difficile.
La difficulté est de déterminer en quoi la transaction se sépare du droit commun. C'est à cette séparation qu'on s'est surtout attaché dans le présent Code.
La loi donne d'abord la définition même du contrat: On y trouve 1° l'objet ou le but du contrat qui est de terminer ou prévenir une contestation, 2° le moyen qui consiste dans des sacrifices réciproques.
La réciprocité de sacrifices est nécessaire. En effet, si, la contestation étant déjà née, le demandeur abandonne purement et simplement ses prétentions et sa poursuite, on doit dire qu'il y a “désistement”; si c'est le défendeur qui reconnaît que la demande est fondée et qui renonce ainsi à la contester, on dira qu'il y a “acquiescement” ; ce sont deux cas de cessation ou d'extinction d'action, mais ce ne sont pas des transactions ; c'est le Code de procédure civile qui les règle et non le Code civil.
Pour qu'il y ait transaction, il faut qu'il y ait “sacrifice réciproque,” soit que chacun abandonne une partie de ses prétentions pour obtenir la reconnaissance de l'autre partie, soit que l'un abandonne toute sa prétention, pour recevoir quelque avantage qui n'était pas en jeu dans la contestation.
Ainsi, le demandeur réclame 1000 yens, comme prêt ou comme prix de vente, le défendeur nie le prêt ou la vente, ou soutient avoir payé, ou invoque en compensation une créance égale ; les parties, craignant l'une et l'autre de perdre le procès, transigent, en fixant la dette à 500 yens : le demandeur a ainsi sacrifié la moitié de sa prétention et le défendeur la moitié de la sienne.
Ainsi encore, le demandeur revendique comme sien un terrain possédé par le défendeur et qu'il soutient être l'accessoire d'un fonds à lui vendu par le défendeur ; celui-ci conteste la prétention ; mais on finit par transiger et le demandeur consent à ne recevoir qu'une portion dudit terrain, l'autre restant au défendeur.
Dans ces deux cas, les sacrifices mutuels sont pris sur les objets mêmes de la contestation.
On peut supposer aussi qu'ils seraient pris en dehors de ces objets. Ainsi, dans le premier cas, le défendeur aurait consenti à payer les 1000 yens réclamés, mais il aurait obtenu d'être libéré d'une obligation de faire qui n'était pas contestée ; dans le second cas, le demandeur du terrain aurait promis de faire ou de ne pas faire quelque chose pour le défendeur ou il lui aurait conféré un droit réel, mobilier ou immobilier.
Cette distinction entre la nature et l'origine des avantages réciproques a une grande importance au point de vue de la garantie qui peut en être due, et elle se retrouvera au dernier article de la matière.
Il résulte de ce qui précède que la transaction est un contrat à titre onéreux, puisque “chaque partie y fait un sacrifice" (voy. Liv. des Biens, art. 298), mais qu'il n'est pas nécessairement synallagmatique, car le sacrifice n'est pas toujours “une obligation contractée de chaque côté" (v. Liv. des Biens, art. 297); c'est ce qui arrive lorsque le demandeur se borne à renoncer à une partie de ses prétentions pour assurer le reste : le défendeur contracte bien une obligation, ou, au moins, il confirme une obligation douteuse ; mais le demandeur ne s'oblige pas en renonçant à demander cc qui excède : ce n'est pas une obligation “de ne pas faire."
C'est encore sous le dernier article que nous examinerons si la transaction opère ou non novation de la première obligation.
Nous avons supposé jusqu'ici que la contestation au sujet de laquelle la transaction intervient est “déjà née”: elle tend alors à “la terminer”; mais le texte admet aussi qu'on puisse transiger pour “prévenir une contestation qui peut naître,” que l'on a lieu de prévoir et de craindre.
Il est désirable que les procès cessent ou soient prévenus, car ils sont toujours un trouble social et moral : ils sont une charge pour l'Etat qui doit entretenir un grand nombre de magistrats et d'officiers de justice; ils sont une cause de frais pour la partie qui sucombe, et souvent même pour celle qui triomphe; enfin, le gain du procès par une partie et sa perte par l'autre laissent subsister des haines ou des rancunes entre elles, et souvent même les font naître ou les aggravent.
La transaction suit presque en tous points les règles générales des conventions, dans quelques cas, elle s'en écarte.
On commence par proclamer le principe et on énonce les exceptions.
Nous allons, à l'occasion du 2e alinéa de notre article, indiquer les principales règles du droit commun applicables à la transaction.
1° La transaction, étant une convention, doit présenter les trois conditions d'existence de toute convention : le consentement des parties, un objet certain ou déterminé et qui soit dans le commerce, c'est-à-dire “que les particuliers aient à leur disposition,” enfin, une cause vraie et licite, c'est-à-dire qui ne soit ni fausse ou erronée, ni illicite (voy. Liv. des Biens, art. 304).
Le consentement manquerait, non seulement lorsque la proposition d'une partie n'aurait pas été agréée par l'autre, expressément ou tacitement, mais encore lorsque l'une des parties aurait eu en vue un objet différent de celui qu'avait envisagé l'autre : par exemple, une partie avait voulu transiger sur une convention antérieure, tandis que l'autre avait entendu seulement en fixer le sens, sans rien sacrifier de ses prétentions; ou toutes deux avaient bien entendu transiger, mais l'une avait envisagé une certaine contestation, née ou à naître, et l'autre partie une contestation différente; ou enfin, étant d'accord sur le point à régler par la transaction, une partie avait entendu faire un sacrifice différent ou moins considérable que celui que l'autre partie avait cru obtenir.
L'objet de la convention ne serait pas suffisamment déterminé, si les sacrifices promis respectivement étaient exprimés d'une façon qui laissât à l'une des parties le pouvoir d'exiger ou àl'autre celui de donner plus ou moins, sans qu'on pût dire qu'elle manque à son obligation ; l'objet ne serait pas à la disposition des parties, si l'on prétendait transiger sur l'état civil des personnes ou sur un intérêt qui n'est pas purement privé, comme sur la dénonciation d'un vol ou de coups et blessures et non pas seulement sur la réparation civile qui en est due.
Enfin, la cause doit être vraie et licite ; or quelle est la cause de la transaction ? C'est, comme le dit la définition de notre article, le désir, la volonté de terminer ou de prévenir un procès ; cette volonté est évidemment licite ; mais elle peut être erronée, elle peut être fausse : cela se rencontrera lorsqu'il n'y aura pas de contestation possible sur l'objet que les parties ont considéré comme contestable; par exemple, le procès était déjà terminé par un jugement ou un arrêt devenu irrévocable, ou bien une convention ou un testament ne laissait aucun doute possible en faveur d'une partie contre l'autre et sur aucun point de leurs prétentions respectives.
On s'attendrait donc à voir déclarer radicalement nulle, faute de cause, la transaction intervenue sur un sujet de contestation déjà irrévocablement jugé ou sur lequel une des parties n'aurait aucun droit.
Tel n'est pas cependant le système de la loi qui ne voit là que des causes de “rescision” de la transaction. On justifiera cette solution mitigée sous les articles 112 et 113.
Il resterait donc peu de cas de nullité radicale de la transaction faute de cause : ce serait le cas de la transaction soumise à une condition suspensive qui ne se serait pas accomplie ; ajoutons le cas où l'une des parties aurait déclaré qu'elle transigeait à raison d'un fait qui pour elle était déterminant, qu'elle croyait accompli et qui ne l'était pas, comme une alliance entre les deux familles; enfin, de même que la vente de la chose d'autrui est radicalement nulle faute de cause, de même serait nulle la transaction où l'une des parties recevrait une chose n'appartenant pas à son adversaire, alors qu'elle entendait en acquérir la propriété.
Sauf la réserve faite plus haut, la transaction ne diffère donc pas des autres conventions, quant aux conditions de son existence.
2° La transaction est soumise aux deux conditions de validité des conventions en général: à l'absence de vices du consentement (d'erreur, de violence) et à la capacité des parties (v. Liv. des Biens, art. 305) ; si elle était l'effet d'un dol, elle serait encore sujette à annulation entre les parties, à titre de réparation du préjudice causé (v. Liv. des Biens, art. 312).
3° La transaction produit entre les parties et sans nuire aux tiers les effets ordinaires des conventions, en tant qu'elle a pour objet de reconnaître, de créer, de transférer, de modifier ou d'éteindre soit des obligations, soit des droits réels (v. Liv. des Biens, art. 327 et s., 345 et s.). Toutefois, on verra au dernier article qu'une distinction est à faire à cet égard, notamment, pour la garantie d'éviction et pour l'inscription.
4° Les règles ordinaires d'interprétation des conventions s'appliquent à la transaction (v. Liv. des Biens, art. 356 et suiv.).
5° La transaction et les obligations qui en résultent comportent les mêmes modalités que les obligations des autres conventions (voy. Liv. des Biens, art. 401 et suiv.).
6° Elle comporte aussi les mêmes causes d'extinction, notamment la résolution pour inexécution des obligations (voy. Liv. des Biens, art. 421 et s.).
7° Enfin, quant à la preuve de la transaction, la loi n'apporte pas de dérogation au droit commun ; elle pourra donc se prouver tant par témoins que par titres.
Les exceptions au droit commun que présente la transaction forment l'objet des quatre articles suivants.