Art. 118. Beaucoup de législations étrangères négligent de décider si les sociétés civiles sont ou non des personnes morales on juridiques, c'est-à-dire si elles ont une personnalité distincte de celle des associés.
L'opinion dominante est alors que les sociétés civiles n'ont pas de personnalité juridique propre et distincte de celle des associés.
La question a dû être tranchée dans le Code japonais.
Il faut d'abord indiquer l'intérêt pratique de la question : il résulte de plusieurs différences dans les résultats suivant le système qu'on admet.
Voici les principales :
1° Si la société civile n'est pas une personne distincte des associés, les associés sont copropriétaires des biens respectivement apportés par les uns et les autres : ces biens sont communs et dans l'indivision entre eux (a) ; si, au contraire, la société a une personnalité propre, c'est elle qui est propriétaire du fonds social, lequel n'est pas dans l'indivision ;
2° Dans le 1er système, le droit de chaque associé est mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui sont dans l'indivision ; dans le 2e système, le droit des associés est mobilier : il consiste dans une créance contre l'être moral société et il tend à obtenir une part des bénéfices par elle réalisés. Cette différence cesse avec l'existence de la société, car alors les associés succèdent à ses droits et l'indivision commence entre eux ;
3° Dans le 1er système, les créanciers qui ont traité avec les associés comme tels, c'est-à-dire pour les affaires de la société, n'ont pas de droit de préférence sur les créanciers purement personnels ou particuliers de chaque associé : il n'y a pas lieu de les payer sur le fonds social, à l'exclusion de ces derniers, parce que le fonds social est, en réalité, le fonds commun à tous les associés. Dans le système de la personnalité, au contraire, le fonds social est la garantie propre des créanciers sociaux et les créanciers personnels des associés n'y peuvent prétendre qu'après l'entière satisfaction des premiers ;
4° Dans le 1er système, si les associés ont à soutenir un procès, comme demandeurs ou défendeurs, à raison des affaires sociales, ils doivent figurer tous nominativement dans la cause, soit individuellement, soit par mandataire, et le jugement ne pourra profiter ni nuire à ceux qui n'auront pas été directement parties au procès. Dans le système de la personnalité, au contraire, les associés ne figurent pas dans le procès : c'est l'administrateur qui forme la demande ou qui défend au nom de tous, en vertu. de sa seule qualité et sans qu'il lui soit besoin d 'un mandat exprès à cet effet.
Tous ces intérêts, et d'autres que la doctrine a relevés, sont en même temps des raisons d'adopter législativement la personnalité des sociétés, car les résultats auxquels elle conduit sont utiles, justes, et favorables au développement des sociétés civiles. On ne voit pas aisément d'ailleurs comment ce système qui a été jugé bon pour les sociétés commerciales serait mauvais pour les sociétés civiles. Une seule chose est nécessaire, c'est que la loi s'en explique, et c'est ce que fait le présent article.
Il n'impose pas, du reste, aux associés la personnalité de la société : c'est une simple faculté pour eux ; tout dépend de leur volonté ; or, on comprend que certaines sociétés civiles puissent être de trop peu d'importance, soit par leur objet, soit par la durée qui leur est assignée, pour qu'il soit utile de leur donner une personnalité.
Il pourrait même arriver que les associés n'eussent pas une notion suffisamment nette de cette personnalité ; il serait donc dangereux de la leur imposer.
L'adoption de la personnalité peut être expresse ; niais elle peut aussi être tacite : le dernier alinéa en donne deux exemples sur lesquels on va revenir.
Du moment que les sociétés civiles pourront être des personnes morales, il sera nécessaire qu'elles se révèlent aux tiers comme telles. A cet effet, rien n'est plus naturel que de les soumettre aux conditions de publicité imposées aux sociétés commerciales. En même temps, il convient de leur donner un nom social, lequel pourra être soit tiré de leur objet, soit composé d'un ou plusieurs noms des associés, avec la mention “et compagnie.”
La disposition finale du 2e alinéa est facile à justifier : lorsque les associés donnent un nom à leur so-cété, il est naturel de présumer qu'ils ont entendu lui donner une personnalité propre ; de même, lorsqu'ils l'ont publiée, cette mesure, toute dans l'intérêt des tiersi n'aurait pas de suffisante raison d'être si les associés n'avaient voulu annoncer aux tiers que le fonds social serait la garantie spéciale des créanciers sociaux.
Nous ne nous arrêtons pas à une objection peu sérieuse qu'on pourrait faire, à savoir qu'il ne devrait pas dépendre des particuliers de faire ainsi naître à leur gre des personnes morales ou juridiques : outre que cette création ne lèse aucun intérêt, à raison de la publicité de l'acte de société, il n'y a là qu'un résultat déjà produit par la création des sociétés commerciales.