Art. 766. — 401. C'est une question très débattue en France que celle de savoir si les sociétés civiles sont ou non des personnes morales ou juridiques, c'està-dire si elles ont une personnalité distincte de celle (les associés. Pour les sociétés de commerce et d'industrie, il n'y a pas de difficulté sur l'affirmative: la loi est formelle (C. civ., art. 529); on peut même déjà tirer de cette disposition un argument en sens contraire (a contrario) pour contester la personnalité des sociétés civiles.
L'opinion dominante, en France, est que les sociétés civiles n'ont pas de personnalité juridique propre et distincte de celle des associés.
Il n'y a pas grand intérêt à énoncer ici les arguments sur lesquels on se fonde, dans les deux opinions, pour soutenir et pour combattre la personnalité juridique des sociétés civiles d'après le Code français.
Pour notre part, nous croyons que, dans l'état actuel du droit français, ce caractère n'appartient qu'aux sociétés commerciales et, tout au plus, à celles des sociétés civiles dont le capital est divisé en actions (voy. ci-après, art. 768). Mais ce n'est pas une raison pour qu'il en doive être de même dans le Projet japonais.
Il faut d'abord indiquer l'intérêt pratique de la question: il résulte de plusieurs différences dans les résultats, suivant le système qu'on admettra.
Voici les principales:
1° Si la société civile n'est pas une personne distincte des associés, les associés sont copropriétaires des biens respectivement apportés par les uns et les autres: ces biens sont communs et dans l'indivision entre eux (d); si, au contraire, la société a une personnalite propre, c'est elle qui est propriétaire du fonds social, lequel n'est pas dans l'indivision;
2° Dans le 1er système, le droit de chaque associé est mobilier ou immobilier, suivant la nature des objets qui sont dans l'indivision; dans le 28 système, le droit des associés est mobilier: il consiste dans une créance contre l'être moral société et il tend à obtenir une part des bénéfices par elle réalisés. Cette différence cesse avec l'existence de la société, car alors les associés succèdent à ses droits et l'indivision commence entre eux;
3° Dans le 1er système, les créanciers qui ont traité avec les associés comme tels, c'est-à-dire pour les affaires de la société, n'ont pas de droit de préférence sur les créanciers purement personnels ou particuliers de chaque associé: il n'y a pas lieu de les payer sur le fonds social, à l'exclusion de ces derniers, parce que le fonds social est, en réalité, le fonds commun à, tous les associés. Dans le système de la personnalité, au contraire, le fonds social est la garantie propre des créancierS" sociaux et les créanciers personnels des associés n'y peuvent prétendre qu'après l'entière satisfaction des premiers;
4° Dans le 1er système, si les associés ont à soutenir un procès, comme demandeurs ou défendeurs, à raison des affaires sociales, ils doivent figurer tous nominativement dans la cause, soit individuellement, soit par mandataire, et -le jugement ne pourra profiter ni nuire à ceux qui n'auront pas; été directement parties au procès. Dans le système de la personnalité, au contraire, les associés ne figurent pas dans le procès: c'est l'administrateur qui forme la demande ou qui défend au nom de tous, en vertu de sa seule qualité et sans qu'il lui soit besoin d'un mandat exprès à cet effet.
402. Tous ces intérêts, et d'autres que la doctrine a relevés, sont en même temps des raisons d'adopter législativement la personnalité des sociétés, car les résultats auxquels elle conduit sont utiles, justes, et favorables au développement des sociétés civiles. On ne voit pas aisément d'ailleurs comment ce système qui a été jugé bon pour les sociétés commerciales serait mauvais pour les société civiles. Une seule chose est nécessaire, c'est que la loi s'en explique, et c'est ce que fait le présent article.
Il n'impose pas, du reste, aux associés la personnalité de la société: c'est une situation purement facultative pour eux: tout dépend de leur volonté; or, on comprend que certaines sociétés civiles puissent être de trop peu d'importance, soit par leur objet, soit par la durée qui leur est assignée, pour qu'il soit utile de leur donner une personnalité. Il pourrait même arriver que les associés n'eussent pas une notion suffisamment nette de cette personnalité; il serait donc dangereux de la leur imposer.
L'adoption de la personnalité peut être expresse; mais elle peut aussi être tacite: le dernier alinéa en donne deux exemples sur lesquels on va revenir.
Du moment que les sociétés civiles pourront être des personnes morales, il sera nécessaire qu'elles se révèlent aux tiers comme telles. A cet effet, rien n'est plus naturel que de les soumettre aux conditions de publicité imposées aux sociétés commerciales (e). En même temps, il convient de leur donner un nom social, lequel pourra être soit tiré de leur objet, soit composé d'un ou plusieurs noms des associés, avec la mention " et compagnie."
La disposition du se alinéa est nouvelle et facile à justifier: lorsque les associés donnent un nom à leur société, il est naturel de présumer qu'ils ont entendu lui donner une personnalité propre; de même, lorsqu'ils l'ont publiée, cette mesure, toute dans l'intérêt des tiers, n'aurait pas de suffisante raison d'être si les associés n'avaient voulu annoncer aux tiers que le fonds social serait la garantie spéciale des créanciers sociaux.
Nous ne nous arrêtons pas à une objection peu sérieuse qu'on a faite en France et qu'on pourrait faire ici, à savoir qu'il ne devrait pas dépendre des particuliers de faire ainsi naître à leur gré des personnes morales ou juridiques: outre que cette création ne lèse aucun intérêt, à raison de la publicité de l'acte de société, il n'y a là qu'un résultat déjà produit par la création des sociétés commerciales et même des sociétés civiles par actions.
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(d) Il n'en faudrait pas conclure que chacun pourrait en demander el partage, à son gré il faudrait toujours attendre soit le terme assigné à la société, soit l'accomplissement de son objet.
(e) Bien que ce soient les sociétés civiles qui présentent le droit commun des sociétés et non les sociétés commerciales, c'est pourtant à ces dernières qu'il faut se référer lorsqu'il s'agit de théories auxquelles ces sociétés ont donné naissance, comme celle de la publicité, ou dont elles ont favorisé le développement, comme celle de la division du capital en actions (v. art. 768).