Art. 117. La nécessité d'un apport réciproque des associés ou d'une mise de biens en commun est comprise dans la définition : elle est la cause directe et immédiate du droit au partage des bénéfices. C'est parce que les parties font un sacrifice mutuel ou réciproque que le contrat de société est à titre onéreux et non à titre gratuit.
On peut examiner deux questions au sujet de l'apport : 1° En quoi peut-il consister ? 2° Gomment peut-il s'effectuer, se réaliser ?
I. On peut apporter en société la propriété d'un meuble ou celle d'un immeuble; dans les deux cas, la propriété est transférée par le seul consentement, sans qu'il soit besoin de tradition; mais, s'il s'agit d'immeuble, l'inscription est nécessaire pour que les associés acquéreurs puissent opposer leur droit aux autres ayant-cause de celui qui a effectué l'apport.
Si l'apport consiste en argent, il peut être aussi en propriété ou en jouissance; dans le premier cas, le capital apporté devient commun et est plus tard sujet à partage, dans le second cas, la société jouit du capital, en l'employant à ses opérations ou autrement, et, lors de sa dissolution, l'associé qui l'a apporté le prélève avant le partage des bénéfices.
Le texte n'exprime pas formellement que l'apport puisse avoir pour objet des créances que l'associé aurait contre des tiers; mais il ne faut pas douter que cela soit possible : les créances ou droits personnels sont des biens, comme les droits réels, et ils sont cessibles; les créances sont d'ailleurs des droits mobiliers ou immobiliers, d'après la nature de la chose due, et elles rentrent ainsi suffisamment dans l'énoncé des apports qui précèdent.
Une créance pourrait être aussi apportée en capital ou en jouissance.
Dans les deux cas, le débiteur devrait être prévenu par une notification en bonne forme de cette sorte de cession dont sa dette est l'objet (v. Liv. des Biens, art. 347).
Enfin, le texte indique deux autres sortes d'apports qu'on peut rapprocher et confondre sans inconvénients : les services et l'industrie. Un associé apporte ses services, lorsqu'il donne ses soins aux affaires de la société, comme gérant, comme comptable, comme préposé à la vente des produits, etc. ; il apporte son industrie, s'il participe aux travaux plus ou moins manuels ou intellectuels nécessaires à la réalisation du but de la société : par exemple, un destinateur dans une librairie, ou un ingénieur dans une fonderie.
La loi ne devait pas laisser subsister le doute qui existe en beaucoup de pays, sur le point de savoir si un associé peut n'apporter en société que son crédit. Notre article faisant une énumération des principaux apports possibles et passant sous silence le crédit, l'exclut suffisamment par prétérition. Pour justifier cette exclusion, il faut préciser ce qu'on entendrait par “apporter son crédit en société,” et c'est peut-être parce que les auteurs n'ont pas assez pris ce soin que leurs solutions diffèrent.
Quelques-uns considèrent l'apport de crédit comme résultant de la seule entrée dans la société d'une personne dont le nom et la situation sont honorablement connus: la présence de certaines personnes dans la société peut, dit-on, être une garantie pour les tiers de la moralité, de la prudence et même de la solvabilité de la société. Mais si l'apport ne constitue pas un sacrifice pour celui qui le fait, s'il n'entraîne pour lui aucune obligation déterminée, il ne saurait motiver une participation aux bénéfices; en effet, rien n'empêcherait que la même personne attachât ainsi son nom à un grand nombre de sociétés, avec droit à des profits indéfinis, sans s'exposer à aucune perte, ce qui pourrait devenir abusif.
On fait donc remarquer que la présence de cet associé parmi les autres le soumet aux obligations de la société envers les tiers, sinon pour le tout et solidairement, au moins pour sa part virile; mais, là encore nous ne voyons pas un sacrifice suffisant pour motiver un droit à une part des bénéfices. Supposons, en effet, que cet associé ait été poursuivi pour sa part virile dans une dette de la société : comme son apport ne consiste pas dans une somme d'argent, mais dans une sorte de garantie ou de cautionnement, il devra donc être remboursé de ce qu'il aura payé, soit sur le fonds social, soit sur les biens des autres associés et, en somme, son sacrifice aura été nul.
Nous donnerions la même solution, lors même que l'associé qui n'apporterait que son nom et son crédit aurait promis de signer, comme garant solidaire, toutet les obligations de la société : du moment qu'il aurait droit au remboursement intégral de ce qu'il aurais payé, son apport se trouverait réduit à une simple avance de fonds, et même cette avance n'aurait pas lieu chaque fois que la dette serait payée directement sur le fonds social.
Il est donc juste que l'apport d'un associé ne puisse consister dans son crédit seul, c'est-à-dire dans la confiance qu'il inspirerait aux tiers : cet apport manquerait d'un des caractères que doit avoir l'objet de toute convention, il ne serait pas suffisamment certain et déterminé. Il serait même permis de contester la parfaite moralité de cette stipulation d'un profit pour une sorte de prêt d'u n nom : l'honorabilité civile, politique ou même commerciale d'un nom est un bien d'ordre moral qui ne peut s'échanger contre des biens pécuniaires : ce n'est pas une chose qui soit dans le commerce, “ni dont les particuliers aient la disposition” (voy. Liv. des Biens, art. 304).
II. Voyons maintenant les moyens par lesquels s'effectue l'apport ; il y en a deux : ou bien l'associé confère immédiatement à la société les droits qu'il doit lui apporter, ou bien il s'engage à les lui conférer ultérieurement S'il a promis la propriété ou la jouissance d'un corps certain, meuble ou immeuble, la seule convention a suffi à conférer le droit ; s'il a promis une chose de quantité comme de l'argent, le droit de propriété ne sera conféré que par la tradition ou par un autre mode de détermination (v. Liv. des Biens, art. 331 et 332).
S'il s'agit de conférer à la société une créance contre un tiers, le droit passera de l'associé à la société par le seul consentement, mais il ne sera opposable au débiteur cédé et aux autres tiers que par la notification qui lui en sera faite (v. Liv. des Biens, art. 347), comme le transport de propriété immobilière ne sera opposable aux tiers que par l'inscription (v. Liv. des Biens, art. 348 et s.).
Restent les apports de services et d'industrie. Evidemment, ils ne seront acquis à la société que par la prestation réelle et effective qui en sera faite : jusque-là, la société n'a qu'une créance contre l'associé, laquelle peut se résoudre en dommages-intérêts, s'il n'exécute pas sa promesse, ou même amener la dissolution de la société par voie de résolution, avec rétroactivité.
L'apport de services ou d'industrie présente un autre caractère plus exceptionnel, c'est qu'il est successif ou continu et, par conséquent, temporaire. Lorsque la société vient à cesser, soit parce que son objet est accompli, soit parce que sa durée est expirée, ou par toute autre cause, l'apport de service ou d'industrie cesse forcément et il ne peut, par sa nature, faire partie de la masse partageable. Y a t-il lieu d'admettre au partage du fonds social fourni par les autres associés celui qui reprend déjà ses services et son industrie et peut les porter à une autre société ?
C'est là un point qui sera examiné et résolu, lorsque l'on parlera du partage après la dissolution de la société.
Le 2e alinéa de notre article 117 porte que les apports des divers associés peuvent être inégaux en valeur ; ils pourraient aussi être de natures différentes.
L'inégalité de valeur des apports motivera et même rendra obligatoire l'inégalité des droits aux bénéfices et au partage du fonds social.
La diversité de nature des apports ne suffira pas à empêcher l'égalité des parts. Cette diversité sera d'ailleurs presque toujours nécessaire, surtout dans les sociétés civiles. Par exemple, si plusieurs personnes veulent fonder en société une exploitation agricole, il arrivera, le plus souvent, qu'une d'elles fournira le fonds destiné à la culture, une autre fournira des capitaux pour les premiers travaux de dé richement, d'amendement des terres, d'irrigation, etc., une autre enfin se chargera de la gérance.