Art. 43. Il est clair qu'une chose qui n'existe pas ne peut être vendue, pas plus qu'elle ne pourrait être l'objet d'aucun autre contrat : cette chose n est plus “dans le commerce,” elle n'est plus “à la disposition” du vendeur.
Si la loi prend la peine de s'en expliquer, c'est surtout pour le cas où la perte n'est que partielle et aussi pour statuer sur la question d'indemnité due ou non à l'acheteur, suivant la bonne ou la mauvaise foi des parties relativement à cette perte.
Supposons, avec le 1er alinéa, la perte totale de la chose, ce qui ne doit guère se comprendre que pour les marchandises ou autres objets mobiliers et pour les bâtiments portant sur un sol non vendu lui-même, carie sol ne peut guère périr en entier ; la vente est radicalement nulle faute d'objet: l'acheteur ne payera pas son prix ; s'il l'a payé, il le répétera ; il ne pourra actionner le vendeur en délivrance. Quant aux dommages-intérêts, il n'en pourra obtenir qu'à deux conditions : 1° qu'il fût lui-même de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ignorât cette perte, 2° que le vendeur la connût.
Il ne faut pas voir une contradiction dans ces deux faits ; nullité de la vente et droit de l'acheteur à une indemnité ; l'indemnité ne lui est pas due par un effet de la vente, elle est fondée sur le dommage injuste que lui a causé le vendeur : le dommage injuste (délit ou quasi-délit) est une source des obligations, la 3e, entièrement distincte et indépendante des contrats (voy. Liv. des Biens, art. 370 à 379).
La supposition de la mauvaise foi de l'acheteur a moins de vraisemblance que celle du vendeur; cependant, on pourrait comprendre qu'un acheteur peu scrupuleux cherchât ainsi un moyen d'obtenir une indemnité d un vendeur qui serait de mauvaise foi lui-même ou trop négligent : nul doute que, dans ce cas, l'indemnité lui dût être refusée.
Le 2e alinéa prévoit le cas où la chose n'a péri qu'en partie.
Supposons que les deux contractants sont de bonne foi, c'est-à-dire ignorants du fait.
Il ne serait pas juste que l'acheteur fût obligé de payer le prix total en ne recevant qu'une partie de la chose : il peut donc toujours demander et ne manquera pas d'exiger une diminution proportionnelle du prix.
Il est même possible que la chose ainsi diminuée de quantité n'ait pas pour lui d'utilité ou d'intérêt; il est donc juste de lui permettre de se désister du contrat. La vente n'est pas nulle de droit et même il ne peut la faire annuler par sa seule volonté : la loi l'oblige à justifier que la chose ne répond plus à ses besoins.
Si l'acheteur n'a pas ignoré la perte partielle, le texte lui refuse l'un et l'autre action : il mérite peu d'intérêt, car il a pu, connaissant la perte, ne pas demander une diminution de prix, craignant qu'elle ne lui fût refusée et comptant la réclamer ensuite comme un droit acquis. '
Lorsque l'acheteur est de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi, ou en faute de n'avoir pas su qu'il vendait comme entière une chose périe en partie, celui-ci peut être tenu, tout en subissant la rescision ou la diminution du prix, de payer une indemnité à l'acheteur lequel peut souffrir, au premier cas, de n'avoir pas obtenu une chose sur laquelle il comptait, au deuxième cas, de ne pas l'avoir en entier.
Sur la durée de l'action de l'acheteur à fin de résiliation ou de diminution de prix, on a cru devoir fixer un délai assez court, dont le point de départ sera la connaissance que l'acheteur a acquise de la perte partielle : deux ans, pour la diminution de prix, six mois seulement pour le résiliation, parce quelle est plus grave pour le vendeur qu'une diminution de prix, et surtout parce qu'elle peut dépouiller des tiers acquéreurs, au moins dans certians cas.
Pour qu'un tiers puisse être dépouillé par la résiliation, on peut supposer un immeuble achète en entier, lorsqu'il était péri en partie à l'insu de l'acheteur, puis revendu par celui-ci, pour une part indivise, avant la découverte de la perte : l'acheteur souffre de n avoir pas conservé une part aussi considérable qu'il l'espérait ; il peut donc demander la résiliation, même au préjudice du sous-acquéreur ; celui-ci aurait le même droit contre son propre vendeur, pour ce qui le concerne.
Nous terminerons ce qui concerne la perte totale ou partielle survenue avant le contrat, en la comparant avec les mêmes événements arrivant après le contrat, quand il est pur et simple ou à terme, ou avant l'arrivée de la condition suspensive, quand le contrat est soumis à cette modalité.
On sait que dans la convention pure et simple ou à terme, la chose promise (vendue, échangée ou donnée) est, pour l'avenir, aux risques du stipulant (acheteur ou donataire) (Liv. des Biens art. 335). Au contraire, dans la convention soumise à une condition suspensive, les risques sont, jusqu'à l'événement de la condition, pour le promettant (vendeur ou donateur) (Liv. des Biens, art. 419).
Ces deux théories des risques ne sont pas en contradiction avec notre article.
Quand la perte survient après la vente pure et simple ou à terme, cette perte ne peut détruire le contrat, parce qu'il est formé. Ici, la chose était périe avant que la vente se formât, le contrat n'a donc pu naître, faute d'objet.
Quand la vente est sous condition suspensive, elle n'existe pas immédiatement ; la perte survenant avant que la condition soit accomplie, empêche donc, comme ici, la vente de se former.
Une sérieuse différence toutefois existe entre les deux cas.
Quand il s'agit d'une vente conditionnelle et de la perte postérieure à l'accord des volontés, la loi ne met à la charge du vendeur que la perte totale ou celle qui dépasse la moitié de la valeur, en sorte que si la perte n'atteint pas cette gravité, elle retombe sur l'acheteur, parce que, celui-ci ayant les chances de plus-value avant l'événement de la condition, il est juste qu'il soit aussi exposé à quelque danger de perte. Mais ici, où la chose est déjà périe en partie au moment du contrat, cette partie absente, ne pouvant gagner en valeur, ne peut être périe pour l'acheteur : il n'y a ni chances ni risques pour ce qui n'existe pas.