Art. 680. — 196. Il est clair qu'une chose qui n'existe pas ne peut être vendue, pas plus qu'elle ne pourrait être l'objet d'aucun autre contrat: cette chose n'est plus “ dans le commerce," elle n'est plus" à la disposition” du vendeur (art. 325-3°) (a).
Si la loi prend la peine de s'en expliquer, c'est surtout pour le cas où la perte n'est que partielle et aussi pour statuer sur la question d'indemnité due ou non à l'acheteur, suivant la bonne ou la mauvaise foi des parties relativement à cette perte.
Supposons, avec le 1er alinéa, la perte totale de la chose, ce qui ne doit guère se comprendre que pour les marchandises ou autres objets mobiliers et pour les bâtiments portant sur un sol non vendu lui-même, car le sol ne peut guère périr en entier; la vente est radicalement nulle faute d'objet: l'acheteur ne payera pas son prix; s'il l'a payé, il le répétera; il ne pourra actionner le vendeur en délivrance. Quant aux dommages-intérêts, il n'en pourra obtenir qu'à deux conditions: 1° qu'il fût lui-même de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ignorât cette perte, 2° que le vendeur la connût.
Il ne faut pas voir une contradiction dans ces deux faits: nullité de la vente et droit de l'acheteur à une indemnité; l'indemnité ne lui est pas due par un effet de la vente, elle est fondée sur le dommage injuste que lui a causé le vendeur: le dommage injuste (délit ou quasi-délit) est une source des obligations, la 34, entièrement distincte et indépendante des contrats (voy. art. 390 à 399).
La supposition de la mauvaise foi de l'acheteur a moins de vraisemblance que celle du vendeur; cependant, on pourrait comprendre qu'un acheteur peu scrupuleux cherchât ainsi un moyen d'obtenir une indemnité d'un vendeur qui serait de mauvaise foi lui-même ou trop négligent: nul doute que, dans ce cas, l'indem. nité lui dût être refusée.
197. Le 22 alinéa prévoit le cas où la chose n'a péri qu'en partie.
Supposons que les deux contractants sont de bonne foi, c'est-à-dire ignorants du fait.
Il ne serait pas juste que l'acheteur fût obligé de payer le prix total en ne recevant qu'une partie de la chose: il peut donc toujours demander et ne manquera pas d'exiger une diminution proportionuelle du prix. '
Il est même possible que la chose ainsi diminuée de quantité n'ait pas pour lui d'utilité ou d'intérêt; il est donc juste de lui permettre de se désister du contrat. La vente n'est pas nulle de droit et même il ne peut la faire annuler par sa seule volonté: la loi l'oblige à justifier que la chose ne répond plus à ses besoins (b). Cette solution, contraire à celle du Code français (voy. art. 1601), paraît nécessaire pour qu'il y ait harmonie entre ce cas et deux autres qui en sont très-voisins: le déficit de contenance (voy. art. 689) et l'éviction partielle d'une portion divise (voy. art. 700).
Si l'acheteur n'a pas ignoré la perte partielle, le texte lui refuse l'une et l'autre action: il mérite peu d'intérêt, car il a pu, connaissant la perte, ne pas demander une diminution de prix, craignant qu'elle ne lui fût refusée et comptant la réclamer ensuite comme un droit acquis.
Lorsque l'acheteur est de bonne foi et le vendeur de mauvaise foi, ou en faute de n'avoir pas su qu'il vendait comme entière une chose périe en partie, celui-ci peut être tenu, tout en subissant la résiliation ou la diminution du prix, de payer une indemnité à l'acheteur, lequel peut souffrir, au premier cas, de n'avoir pas obtenu une chose sur laquelle il comptait, au deuxième cas, de ne pas l'avoir en entier.
198. Le Code français est resté muet sur la durée de l'action de l'acheteur à fin de résiliation ou de diminution de prix: il semble qu'alors la prescription doive être de 30 ans, ce qui est démesurément long.
On croit devoir ici fixer un délai assez court, dont le point de départ sera la connaissance que l'acheteur a acquise de la perte partielle: deux ans, pour la dimi. nution de prix, six mois seulement pour la résiliation, parce qu'elle est plus grave pour le vendeur qu'une diminution de prix, et surtout parce qu'elle peut dépouiller des tiers acquéreurs, au moins dans certains cas (c).
Pour qu'un tiers puisse être dépouillé par la résiliation, on peut supposer un immeuble acheté en entier, lorsqu'il était péri en partie à l'insu de l'acheteur, puis revendu par celui-ci, pour une part indivise, avant la découverte de la perte: l'acheteur souffre ne n'avoir pas conservé une part aussi considérable qu'il l'espérait; il peut donc demander la résiliation, même au préjudice du sous-acquéreur; celui-ci aurait le même droit contre son propre vendeur, pour ce qui le concerne.
199. Nous terminerons ce qui concerne la perte totale ou partielle survenue avant le contrat, en la comparant avec les mêmes événements arrivant après le contrat, quand il est par et simple ou à terme, ou avant l'arrivée de la condition suspensive, quand le contrat est soumis à cette modalité.
On sait que dans la convention pure et simple ou à terme, la chose promise (vendue, échangée ou donnée) est, pour l'avenir, aux risques du stipulant (acheteur ou donataire) (art. 355). Au contraire, dans la convention soumise à une condition suspensive, les risques sont, jusqu'à l'événement de la condition, pour le promettant (vendeur ou donateur) (art. 439).
Ces deux théories des risques ne sont pas en contradiction avec notre article.
Quand la perte survient après la vente pure et simple ou à terme, cette perte ne peut détruire le contrat, parce qu'il est formé. Ici, la chose était périe avant que la vente se formât, le contrat n'a donc pu naître, faute d'objet.
Quand la vente est sous condition suspensive, elle n'existe pas immédiatement; la perte survenant avant que la condition soit accomplie, empêche donc, comme ici, la vente de se former.
Une sérieuse différence toutefois existe entre les deux cas.
Quand il s'agit d'une vente conditionnelle et de la perte postérieure à la convention, la loi ne met à la charge du vendeur que la perte totale ou celle qui dépasse la moitié de la valeur, en sorte que si la perte n'atteint pas cette gravité, elle retombe sur l'acheteur, parce que, celui-ci ayant les chances de plus-value avant l'événement de la condition, il est juste qu'il soit aussi exposé à quelque danger de perte. Mais ici, où la chose est déjà périe en partie au moment du contrat, cette partie absente, ne pouvant gagner en valeur, ne peut être périe pour l'acheteur: il n'y a ni chances ni risques pour ce qui n'existe pas.
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(a) Nous citons ici l'article 325 corrigé. La 2e condition d'existence des conventions y a été dédoublée: elle était formulée: “un objet certain et dont les parties aient la disposition”; nous avons proposé depuis:
2° Un objet certain ou déterminé,
3° Un objet dont les particuliers aient la disposition.
(b) Par inadvertance, on a omis au texte de notre article 680, 2e alinéa (ligne 3e) les mots: "en justifiant que ce qui reste ne suffit pas à ses besoins.” On les reproduit aux Additions.
(c) La 1re rédaction portait 5 ans pour la diminution du prix et 1 an pour la résiliation. Nous croyons ces délais trop longs, une fois la perte connue.