SECTION III.
DE LA REMISE CONVENTIONNELLE.
Art. 504. La remise de la dette est l'adandon de son droit par le créancier : elle appartient aux renonciations, en général. De même qu'on a vu que celui qui a un droit réel sur la chose d'autrui, comme un usufruit ou une servitude, y peut renoncer, de même celui qui a un droit personnel peut en faire remise ou abandon. Il y a toutefois entre les deux renonciations une profonde différence : la renonciation à un droit personnel, la remise de la dette, est toujours conventionnelle, comme l'annonce la présente rubrique ; au contraire, la renonciation à un droit réel sur la chose d'autrui produit tous ses effets par le fait de la seule volonté du titulaire du droit.
La raison de cette différence est facile à saisir. Le lien d'obligation est un rapport entre deux personnes ; or, les rapports des personnes ne peuvent être changés, en moins ou en plus, en mieux ou en pis, sans le concours de leurs volontés respectives ; quoique le créancier ait un droit et le débiteur nn devoir, il n'en résulte pas que le premier ait une autorité, une prééminence sur l'autre. Le droit réel, au contraire, est un rapport entre une personne et une chose : lorsque le droit n'est qu'un démembrement de la propriété d'autrui, celui auquel il appartient peut l'exercer sans la participation du propriétaire ; il doit donc pouvoir de même ne pas l'exercer, et cela est d'autant plus naturel et juste que ce droit peut arriver à devenir plus onéreux qu'utile.
La conséquence de cette différence est que si un débiteur ne veut pas accepter la remise de sa dette offerte par le créancier, il pourra lui faire des offres réelles suivies de consignation ; tandis qu'un nu-propriétaire qui ne consentirait pas à la renonciation de l'usufruitier ne serait pas admis à lui imposer d'occuper les bâtiments ou de cultiver le fonds ; il ne pourrait pas davantage lui imposer de recevoir les fruits et produits, même déduction faite des frais de production ; il en est de même, et encore plus évidemment, du propriétaire d'un fonds servant qui ne consentirait pas à l'abandon de la servitude : tons deux pourraient seulement, par un ridicule entêtement, laisser le fonds sans culture, les bâtiments inhabités ou le passage inutilement libre aux personnes ou aux eaux, suivant la nature de la servitude.
On rappelle seulement, à cette occasion, que les renonciations à des droits réels immobiliers, pour être opposées aux ayant-cause particuliers, dits improprement tiers, sont soumises à la publicité de l'inscription (art. 348, 2® al.). Si donc celui qui a renoncé à un usufruit l'aliénait ensuite, avant que le nu-propriétaire eût publié la renonciation, l'aliénation serait valable au profit du tiers (art. 350).
La remise de la dette, dit le texte, peut être onéreuse ou gratuite. Elle est onéreuse dans le cas où le débiteur fait, pour l'obtenir, un sacrifice considéré comme équivalent de celui du créancier.
Si le débiteur acquittait effectivement sa dette, " selon sa forme et teneur,” il ferait un payement proprement dit : il recevrait quittance ; cependant, on ne dirait pas que la remise ou décharge est “conventionnelle,” puisqu'il pouvait l'obtenir par un payement “forcé.” Mais, si le débiteur donne autre chose que ce qu'il doit et obtient ainsi sa décharge, celle-ci est alors conventionnelle, car il a fallu le consentement des deux parties ; cependant, l'usage alors est plutôt de dire qu'il y a “dation en payement” (voy. art. 461) ; si le débiteur a pris un nouvel engagement qui éteint le premier, la décharge conventionnelle constitue la “novation” (art. 489) ; enfin, si les parties, d'un commun accord, se font des concessions réciproques, pour prévenir une contestation ou pour mettre fin à un procès commencé, on dit qu'il y a “transaction :” la transaction a surtout le caractère de remise partielle à titre onéreux, si le créancier consent à réduire sa créance, certaine d'ailleurs, pour obtenir une sûreté réelle ou personnelle qu'elle n'avait pas encore.
Les remarques qui précèdent s'appliquent surtout au cas d'une obligation unilatérale. S'il y avait des obligations réciproques entre les parties, non seulement l'une d'elles ne pourrait pas faire remise à l'autre sans le consentement de celle-ci, mais, lors même que cette dernière accepterait la remise, en ce qui la concerne, il n'en résulterait pas nécessairement qu'elle accordât la remise réciproque de ce qui lui est dû par l'effet de la convention synallagmatique : la décision dépendrait des termes de la convention et des autres circonstances pouvant révéler l'intention des parties. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'en admettant l'extinction d'une seule des dettes par la remise, l'autre dette devrait se trouver nulle faute de cause : lorsque deux obligations sont une fois valablement créées, avec leur cause légale, l'une peut s'éteindre et l'autre subsister ; c'est ce qui arrive, notamment, dans la vente pure et simple ou à terme, quand la chose vendue périt par cas fortuit, avant la livraison et avant la mise en demeure du vendeur : celui-ci est libéré et l'acheteur reste tenu de payer le prix (voy. art. 335).
Lorsque, à la suite d'une remise faite par l'une des parties réciproquement tenues, le tribunal estimera que l'intention commune a été d'opérer une libération réciproque, la remise mutuelle prend le nom de " résolution volontaire du contrat (voy. art. 353).”
Lorsque le créancier fait la remise de la dette sans recevoir aucun équivalent, c'est une libéralité, un contrat de bienfaisance; on y applique naturellement les règles propres ce à genre de contrat : spécialement, pour la capacité de donner et de recevoir, qui n'est pas la même que pour les actes onéreux. Mais les solennités de forme auxquelles peuvent être soumises donations entrevifs ne sont pas imposées à la remise de la dette.
Tl en serait autrement d'une remise de la dette qui serait faite par testament : elle devrait être faite dans la forme prescrite pour ce genre de libéralité ; la raison en est que l'acte testamentaire, n'étant plus une convention, doit revêtir les formes qui lui sont propres ; ce n'est pas à dire qu'une libéralité testamentaire puisse être imposée à celui qui ne voudrait pas l'accepter : elle peut être refusée ; mais, jusqu'au refus, elle vaut par la seule volonté du défunt.
Au surplus, lorsque la remise de la dette est conventionnelle, elle est soumise à toutes les règles des conventions en général, tant pour son existence que pour sa validité : notamment, si la renonciation avait une cause ou une condition illicite ; de même, elle serait annulable si le créancier avait renoncé à son droit, par l'effet d'une erreur ou d'une violence.
La loi renvoie, pour le concordat, aux dispositions du Code de commerce.
En ce qui concerne le caractère de remise de dette faite par le concordat, il y a ici deux remarques à faire : 1° ce ne sera jamais, vraisemblablement, une remise totale, puisque le but du concordat est de permettre au failli de se libérer, en reprenant ses affaires ; 2° cette remise n'a pas le caractère d'une libéralité, mais d'une transaction, c'est-à-dire d'un acte onéreux.
On a cependant quelquefois exprimé des doutes à cet égard, en prétendant que le débiteur ne fait pas un véritable sacrifice, un sacrifice en faveur de ses créanciers; mais on s'est trompé: le failli, en consentant à reprendre le commerce, fait un sacrifice de peines et de soucis, d'autant plus réel que les affaires lui deviendront plus difficiles à cause de sa facillite ; en outre, il s'expose, en cas de non payement des sommes dont il est reliquataire après le concordat, à des rigueurs particulières. Il n'en faut pas davantage pour reconnaître que la remise partielle consentie au failli par le concordat n'est pas une libéralité : en outre, il n'y a pas de libéralité sans l'intention de donner et, assurément, les créanciers n'ont pas cette intention.