Art. 526. — 573. Il règne une grande confusion dans la partie du Code français correspondant à cette matière (art. 1282 à 1289): on s'y occupe moins de la remise de la dette que de la remise ou tradition du titre écrit servant de preuve, et de la présomption de libération qui en résulte; or, la tradition du titre fait présumer, autant et plus un payement reçu par le créancier qu'un abandon gratuit de son droit; il pourrait donc n'en pas être traité ici, mais seulement au sujet des Preuves.
Le Code italien (art. 1279 à 1284) a suivi ici, presque littéralement, les dispositions du Code français.
Le Projet japonais, pour ne pas trop s'écarter de ses modèles et pour n'avoir pas à revenir sur la remise de la dette, au sujet des preuves, traite également ici de la présomption résultant de la tradition du titre, mais en la réduisant à l'importance secondaire qu'elle mérite.
574. La remise de la dette est l'abandon de son droit par le créancier: elle appartient aux renonciations, en général. De même qu'on a vu que celui qui a un droit réel sur la chose d'autrui, comme un usufruit ou une servitude, y peut renoncer, de même celui qui a un droit personnel peut en faire la remise ou l'abandon. Il y a toutefois entre les deux renonciations une profonde différence: la renonciation à un droit personnel, la remise de la dette, est toujours conventionnelle, comme l'annonce la présente rubrique; au contraire, la renonciation à un droit réel sur la chose d'autrui produit tous ses effets par le fait de la seule volonté du titulaire du droit.
La raison de cette différence est facile à saisir.
Le lien d'obligation est un rapport entre deux personnes; or, les rapports des personnes ne peuvent être changés, en moins ou en plus, en mieux ou en pis, sans le concours de leurs volontés respectives; quoique le créancier ait un droit et le débiteur un devoir, il n'en résulte pas que le premier ait une autorité, une prééminence sur l'autre: il pourrait être désobligeant pour le débiteur, dans certaines circonstances, que le créancier lui fît remise de sa dette. Et il ne faudrait pas objecter que certains contrats peuvent prendre fin par la volonté d'une seule des parties, tels que le mandat, le dépôt le prêt à usage: dans ces cas, le contrat prend fin, pour l'avenir, par la volonté d'un seul, mais non les obligations dont il a été la cause ou l'occasion. Le droit réel, au contraire, est un rapport entre une personne et une chose: lorsque le droit n'est qu'un démembrement de la propriété d'autrui, celui auquel il appartient peut l'exercer sans la participation du propriétaire; il doit donc pouvoir de même ne pas l'exercer, et cela est d'autant plus naturel et juste que ce droit peut arriver à devenir plus onéreux qu'utile.
La conséquence de cette différence est que si un débiteur ne veut pas accepter la remise de sa dette offert.) par le créancier, il pourra lui faire des offres réelles suivies de consignation (voy. art. 495 et s.); tandis qu'un nu-propriétaire qui ne consentirait pas à la renonciation de l'usufruitier ne serait pas admis à lui imposer d'occuper les bâtiments ou de cultiver le fonds; il ne pourrait pas davantage lui imposer de recevoir les fruits et produits, même déduction faite des frais de production; il en est de même, et encore plus évidemment, du propriétaire d'un fonds servant qui ne consentirait pas à l'abandon de la servitude: tous deux pourraient seulement, par un ridicule entêtement, laisser le fonds sans culture, les bâtiments inhabités ou le passage inutilement libre aux personnes ou aux eaux, suivant la nature de la servitude.
On rappelle seulement, à cette occasion, que les renonciations à des droits réels immobiliers, pour être opposées aux ayant-cause particuliers, dits improprement tiers, sont soumises à la publicité de la transcription (art. 368, 2* al.). Si donc celui qui a renoncé à un usufruit l'aliénait ensuite, avant que le nu-propriétaire eût publié la renonciation, l'aliénation serait valable au profit du tiers (art. 370).
575. La remise de la dette, dit le texte, peut être onéreuse ou gratuite. Elle est onéreuse dans le cas où le débiteur fait, pour l'obtenir, un sacrifice considéré comme équivalent de celui du créancier (a).
Si le débiteur acquittait effectivement sa dette, " selon sa forme et teneur," il ferait un payement proprement dit: il recevrait quittance; cependant, on ne dirait pas que la remise ou décharge est " conventionnelle," puisqu'il pouvait l'obtenir par un payement " forcé." Mais, si le débiteur donne autre chose que ce qu'il doit et obtient ainsi sa décharge, celle-ci est alors conventionnelle, car il y a fallu le consentement des deux parties; cependant, l'usage alors est plutôt de dire qu'il y a " dation en payement " (voy. 482); si le débiteur a pris un nouvel engagement qui éteint le premier, la décharge conventionnelle constitue la " novation " (art. 511); enfin, si les parties, d'un commun accord, se font des concessions réciproques, pour prévenir une contestation ou pour mettre fin à un procès commencé, on dit qu'il y a " transaction " (voy. c. civ. fr., art. 2044 et Proj., art. 757 et s.): la transaction a surtout le caractère de remise partielle à titre onéreux, si le créancier consent à réduire sa créance,certaine d'ailleurs, pour obtenir une sûreté réelle ou personnelle qu'elle n'avait pas encore.
576. Les remarques qui précèdent s'appliquent surtout au cas d'une obligation unilatérale. S'il y avait des obligations réciproques entre les parties, non seulement l'une d'elles ne pourrait pas faire remise à l'autre sans le consentement de celle-ci, mais, lors même que cette dernière accepterait la remise, en ce qui la concerne, il n'en résulterait pas nécessairement qu'elle accordât la remise réciproque de ce qui lui est dû par l'effet de la convention synallagmatique: la décision dépendrait des termes de la convention et des autres circonstances pouvant révéler l'intention des parties. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'en admettant l'extinction d'une seule des dettes par la remise, l'autre dette devrait se trouver nulle faute de cause: lorsque deux obligations sont une fois valablement créées, avec leur cause légale, l'une peut s'éteindre et l'autre subsister; c'est ce qui arrive, notamment, dans la vente pure et simple ou à terme, quand la chose vendue périt par cas fortuit, avant la livraison et avant la mise en demeure du vendeur: celui-ci est libéré et pourtant l'acheteur reste tenu de payer le prix (voy. art. 355).
Lorsque, à la suite d'une remise faite par l'une des parties réciproquement tenues, le tribunal estimera que l'intention commune a été d'opérer une libération réciproque, la remise mutuelle prendra le nom de " résolution volontaire du contrat " (voy. art. 373).
577. Lorsque le créancier fait la remise de la dette sans recevoir aucun équivalent, c'est une libéralité, un contrat de bienfaisance; on y applique naturellement Tes règles propres à ce genre de contrat: spécialement, pour la capacité de donner et recevoir, qui n'est pas la même que pour les actes onéreux (voy. c. civ. fr., art. 901 et s.) et pour les limites qui peuvent être apposées à l'importance des libéralités, eu égard à la qualité et au nombre des parents que laisse le créancier donateur au moment de sa mort (ib., art. 913 et s.). Mais les solennités de forme auxquelles peuvent être soumises les donations entre-vifs ne sont pas imposées à la remise de la dette. En France, on le décide, même en l'absence de texte formel, et il suffit pour cela de remarquer que la loi ne soumet auxdites solennités que "les actes portant donation entre-vifs" (ib., art. 931); or, la remise de la dette constitue bien une donation au fond, mais non en la forme: elle " porte " extinction de dette et non donation de biens.
Il en serait autrement d'une remise de la dette qui serait faite par testament: elle devrait être faite dans la forme qui sera prescrite pour ce genre de libéralité (comp. c. civ. fr., art. 967 et s.); la raison en est que l'acte testamentaire, n'étant plus une convention, doit revêtir les formes qui lui sont propres; ce n'est pas à dire qu'une libéralité testamentaire puisse être imposée à celui qui ne voudrait pas l'accepter: elle peut être refusée; mais, jusqu'au refus, elle vaut par la seule volonté du défunt.
Au surplus, lorsque la remise de la dette est conventionnelle, elle est soumise à toutes les règles des conventions en général, tant pour son existence que pour sa validité: notamment, elle serait nulle si la créance était un droit qui ne fût pas dans le commerce, c'està-dire dont le titulaire n'aurait pas la libre disposition, comme une pension alimentaire; de même, si la renonciation avait une cause ou une condition illicite; enfin, elle serait annulable si le créancier avait renoncé à son droit, par l'effet d'une erreur ou d'une violence.
578. La loi renvoie, pour le concordat, aux dispositions du Code de Commerce. On se bornera ici à indiquer les particularités de cette sorte exceptionnelle de remise de la dette, telle qu'elle est organisée en droit français (c. com., art. 437 et s.) (1).
Lorsqu'un commerçant cesse de payer ses dettes, la loi prend des mesures particulières pour sauvegarder l'actif qui lui reste et pour liquider sa faillite. Il est dessaisi de l'administration de ses biens, laquelle est confiée à un " syndic " pris parmi les créanciers ou en dehors d'eux, et sous le contrôle et la direction d'un juge du tribunal de commerce appelé " juge-commissaire. "
Si le failli n'inspire pas de confiance pour l'avenir, soit par son intelligence commerciale, soit par son honnêteté, il est procédé au recouvrement de ses créances et à la vente de tous ses biens; le prix en est distribué à ses créanciers, proportionnellement à leur créance, et le failli reste débiteur des sommes qui ne se trouvent pas payées.
Mais, si les créanciers reconnaissent que la faillite a des causes qui ne sont pas toutes imputables au failli, et s'ils espèrent qu'il peut, par son activité, son intelligence et son honnêteté, revenir à meilleure fortune, ils peuvent le replacer à la tête de ses affaires, en lui laissant dans les mains tout ou partie de son actif et en lui donnant des délais plus ou moins longs pour se libérer. Ils peuvent même, pour l'encourager, et cela est souvent nécessaire, lui faire remise partielle de ses dettes, avec délais pour payer le surplus. La conven tion qui intervient alors entre les créanciers et le failli porte, en France, le nom assez heureux de concordat qui exprime l'idée de " paix, accord, conciliation."
579. La loi ne pourrait raisonnablement exiger l'unanimité des créanciers, pour consentir à cette concession à faire au failli: il y aurait toujours à craindre que certains créanciers, plus irrités que les autres ou moins intelligents de leurs intérêts, ne refusassent d'y consentir; il suffit du consentement de la majorité en nombre des créanciers, représentant les troi* quarts des sommes dues par le failli (voy. c. com. fr., art. 507). La décision se prend en assemblée des créanciers, présidée par le juge-commissaire. Cette convention présente, en cela, un caractère tout particulier qui a déjà été signalé sous l'article 365: elle n'oblige pas seulement ceux qui l'ont consentie, mais encore ceux qui s'y sont opposés et qui sont, par rapport à elle, de véritables tiers; c'est une imitation de ce qui se passe dans les Assemblées délibérantes, politiques ou administratives, ou la décision de la majorité fait loi pour tous; mais, en matière civile, les cas pareils sont très rares (voy. n° 169).
En ce qui concerne le caractère de remise de dette faite par le concordat, il reste deux remarques à faire: 1° ce ne sera jamais, vraisemblablement, une remise totale, puisque le but du concordat est de permettre au failli de se libérer, en reprenant ses affaires; 2° cette remise n'a pas le caractère d'une libéralité, mais d'une transaction, c'est-à-dire d'un acte onéreux.
On a cependant quelquefois exprimé des doutes à cet égard, en prétendant que le débiteur ne fait pas de son côté, un véritable sacrifice, un sacrifice en faveur de ses créanciers; mais on s'est trompé, selon nous: le failli, en consentant à reprendre le commerce, fait un sacrifice de peines et de soucis d'autant plus réel que les affaires lui deviendront plus difficiles à cause de sa faillite; en outre, il s'expose, en cas de non payement des sommes dont il est reliquataire après le concordat, à des rigueurs particulières: en France, il pourrait être condamné comme banqueroutier simple (c. com., art. 516, 2e al.). Il n'en faut pas davantage pour reconnaître que la remise partielle consentie au failli par le concordat n'est pas une libéralité des créanciers; en outre, il n'y a pas de libéralité sans l'intention de donner (animus donandi) et, assurément, les créanciers n'ont pas cette intention.
On retrouvera le concordat au sujet des obligations naturelles (v. art. 597 et n° 773). 1
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(a) On dit alors que le créancier fi. fait la remise aliquo accepfa "en recevant quelque chose."
(1) Le nouveau Code de Commerce, auquel nous n'avons pas collaboré, n'étant pas encore traduit eu français ni en anglais, au moins dans sa dernière rédaction, nous no pouvons le citer avec sécurité.