Art. 200. Ce que la loi appelle trouble de fait est facile à concevoir: ce sont des actes matériels exercés par un tiers sur la chose possédée par un autre et tendant à gêner, à diminuer, peut-être même à supprimer sa possession: comme serait l'occupation de tout ou partie d'un terrain ou d'une maison, un passage répété à travers un terrain ou une cour, le fait de puiser de l'eau à un puits ou à un réservoir, d'appuyer un bâtiment ou de faire sur le fonds possédé quelque entreprise qui ne pourrait se faire qu'en vertu d'une servitude ou d'un autre droit réel.
Le trouble de droit consisterait dans des réclamations judiciaires ou extrajudiciaires contre les locataires du fonds qui on traité avec le possesseur ou dans le fait de renouveler leur bail, ce qui implique une prétention contraire à la possession du premier bailleur; il consisterait aussi dans des réclamations contre le possesseur lui-même et tendant à lui faire abandonner tout ou partie de la chose qu'il détient ou du droit qu'il exerce; dans ce cas, si l'auteur du trouble ne va pas jusqu'à une demande en justice, le possesseur troublé peut intenter l'action possessoire pour le faire cesser. S'il est lui-même actionné, il y aura bien évidemment trouble de droit, mais alors le possesseur s'en défendra plutôt par voie d'exception ou de défense que par voie d'action. On verra cependant à l'article 210 que le possesseur peut se défendre par une action possessoire dite reconventionnelle à l'action soit pétitoire, soit possessoire intentée contre lui.
La loi veut que le trouble implique, de la part de celui qui le cause, une prétention contraire à celle du possesseur, par conséquent, une prétention, soit à la propriété même ou au fond du droit, soit à la possession: autrement, le trouble ne serait plus apporté à la possession même, mais à la tranquillité privée; il pourrait constituer un délit civil ou même pénal; tel serait le fait, par le voisin, de détruire des arbres qui masquent sa vue ou des animaux incommodes: il y aurait alors lieu à une action personnelle en dommages-intérêts, mais non à une action réelle, comme est l'action possessoire en complainte.
Ce caractère réel de l'action en complainte demande qu'on s'y arrête un instant et qu'on y apporte quelques distinctions. Le 2e alinéa de notre article nous y amène d'ailleurs tout naturellement.
L'action en complainte a deux objets; faire cesser le trouble et en obtenir la réparation, c'est-à-dire l'indemnité.
Or, l'action est bien réelle pour le premier objet, car elle tend à faire maintenir la chose dans un certain état, même à l'y faire rétablir, si cet état avait déjà été modifié; mais, pour ce qui est de l'indemnité à obtenir à raison du dommage déjà éprouvé par le possesseur, l'action ne peut être que personnelle, car elle fait valoir un droit de créance né de la faute de celui qui a causé le trouble.
On doit donc reconnaître que l'action est mixte, ce qui veut dire, suivant le sens consacré, qu'elle a, tout à la fois, le caractère réel et le caractère personnel. La question n'est pas sans intérêt; car si l'auteur du trouble changeait, si, par exemple, le trouble avait été causé par le propriétaire d'un fonds voisin et qu'il cédât son fonds, après le trouble causé par quelque entreprise exécutée sur le fonds du possesseur, l'action possessoire en complainte pourrait bien être exercée contre le nouveau propriétaire, pour faire cesser le trouble et détruire ce qui aurait été fait; mais l'indemnité de la faute commise ne pourrait pas lui être demandée: elle ne pourrait être demandée qu'au précédent propriétaire, et par une action purement personnelle; l'action en complainte serait ainsi réduite à son caractère réel, et ce qu'elle a de personnel deviendrait l'objet d'une autre action née du délit civil.
On verra plus loin que l'action en dénonciation de nouvel œuvre est purement réelle; on devra décider de même pour la dénonciation de dommage imminent; quant à l'action en réintégrande, étant toujours fondée sur un fait illicite, elle est, par cela même, toujours personnelle.
Le 1er alinéa de notre article nous dit quelles choses possédées peuvent donner lieu à l'action possessoire en complainte.
D'abord, pour ce qui est des immeubles, il n'y a pas de doute que la possession en soit garantie par l'action en complainte, et, par immeubles, il faut entendre les droits immobiliers que quelqu'un possèderait, c'est-à-dire exercerait comme siens: droits de propriété, d'usufruit, de servitude, d'emphytéose, de nantissement.
Le doute ne pourrait exister que pour les meubles, à l'égard desquels on prétendrait établir une différence entre les universalités et les meubles particuliers. Pour les universalités de meubles, l'action possessoire est généralement admise en Europe; par exemple, au profit d'un possesseur de tout ou partie d'une succession mobilière qui serait troublé par les actes d'un tiers se prétendant lui-même héritier ou légataire.
On adopte ce système au Japon. Il devient d'ailleurs nécessaire, à cause de la solution proposée pour les meubles particuliers.
C'est à ce sujet qu'il y a la plus grande difficulté; elle vient de la célèbre maxime: “En fait de meubles, la possession vaut titre,” d'après laquelle le possesseur d'un meuble en devient aussitôt propriétaire, par une sorte de prescription instantanée. D'où il résulterait deux obstacles à l'action possessoire au sujet d'un meuble: 1° le possesseur troublé, si courte qu'ait été sa possession, n'aurait pas seulement une action possessoire, mais bien une action pétitoire ou en revendication; 2° l'auteur du trouble étant, le plus souvent, devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, pourrait aussi invoquer cette prescription, sinon pour se défendre au possessoire, au moins pour triompher au pétitoire, ce qui ôterait tout intérêt à l'action possessoire.
Cependant, cette double objection ne paraît pas suffisante pour refuser l'action possessoire à celui qui est troublé dans la possession d'un meuble.
D'abord, c'est un principe de raison que “celui qui peut le plus peut aussi le moins;” or, le vrai propriétaire d'une chose ou le titulaire légitime d'un droit, qui, en même temps, a la possession de la chose ou l'exercice du droit, peut s'abstenir de soulever la question du fond du droit et ne se prévaloir que de sa possession.
En outre, il n'est pas exact de dire que le possesseur d'un meuble en soit toujours, et par cela même, propriétaire en vertu de la prescription dite, “instantanée;” non-seulement, en effet, il faut que la possession soit civile et non précaire, mais il faut encore qu'elle soit de bonne foi et il est raisonnable d'exiger, en outre, qu'elle soit fondée sur un juste titre; or, ces deux dernières conditions ne sont pas exigées pour l'action possessoire en complainte; voilà donc déjà deux cas où le possesseur, même civil, d'un meuble, n'aurait pas l'action pétitoire et où l'action possessoire lui serait utile.
Supposons, d'un autre côté, que l'auteur du trouble soit devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, il peut ne le posséder que naturellement ou précairement, ce qui est un obstacle absolu à ce qu'il puisse invoquer la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre;” si même il avait la possession civile, il pourrait n'avoir pas juste titre ou n'être pas de bonne foi: il ne pourrait triompher au pétitoire; il est donc juste qu'il soit soumis à l'action possessoire.
Dans les développements qui précèdent, on a supposé plusieurs fois, notamment au sujet des meubles, que celui qui exerce la complainte est non-seulement troublé, inquiété, mais même dépossédé en entier. En effet, il ne faut pas croire que la différence entre la complainte et la réintégrande soit surtout dans l'étendue du dommage à réparer; elle est bien plutôt dans la nature du fait qui cause ce dommage et donne lieu à l'action: on a déjà annoncé plus haut que l'action en complainte tend à combattre une prétention à la possession et à en faire cesser les effets ou à les réparer, tandis que la réintégrande tend à faire réparer un acte illicite qui dépasse les limites d'une prétention, comme, du reste, on le verra à l'article 204.