Art. 246. La présente disposition est nécessaire pour montrer qu'il y a une profonde différence entre la publicité des hypothèques et celle des mutations ou constitutions de droits réels immobiliers. En effet, l'article 350 du Livre des Biens nous a dit que le défaut d'inscription ne peut être opposé aux acquéreurs négligents que par les ayant-cause “ de bonne foi ”, c'est-à-dire qui ont ignoré les actes non inscrits ; de plus, une limite est mise aux moyens de prouver la mauvaise foi, c'est-à-dire la connaissance extrinsèque desdits actes ; elle ne peut être établie que par l'aveu même de la partie qui oppose le défaut d'inscription.
On n'a pas à revenir ici sur les raisons qui ont paru commandé cette disposition.
Mais de ce que la connaissance d'une mutation non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit de se prévaloir du défaut d'inscription, il ne s'en suit pas que la connaissance d'une hypothèque non inscrite enlève à celui qui avoue la connaître le droit d'opposer le défaut d'inscription : les divers droits réels soumis à l'inscription sont généralement incompatibles les uns avec les autres, ils ne peuvent coexister; on comprend dès lors que la loi ne donne la préférence qu'à celui qui, ayant publié son acquisition, a ignoré une acquisition antérieure, ou, en d'autres termes, la refuse à celui qui avoue avoir connu, lors de son acquisition, une aliénation antérieure, bien que non inscrite. Mais diverses hypothèques peuvent coexister sur le même immeuble, au profit de personnes différentes, sans s'exclure nécessairement: un créancier primé par d'autres peut cependant être payé avant ceux-ci, soit avec des deniers disponibles, soit au moyen d'autres sûretés; dès lors, la circonstance qu'un créancier sait, au moment où il s'inscrit, qu'il existe déjà une autre hypothèque non inscrite, ne le constitue pas en état de mauvaise foi, et ne l'oblige pas à s'abstenir de traiter : il a pu croire que le créancier négligent avait d'autres sûretés rendant son hypothèque moins utile.