Art. 170 et 171. On a déjà eu l'occasion, sous les articles 14 du Livre des Biens, et 155 du Livre précédent, de déterminer le caractère du partage dans le droit moderne et tel qu'il est admis dans le Code japonais. Il n'est pas (ou plus), une sorte d'échange, un acte translatif ou attributif de propriété, par lequel chaque copropriétaire abandonnerait à l'autre son droit dans un ou plusieurs des biens indivis, pour acquérir un droit exclusif et sans concours sur un ou plusieurs des autres biens : il est déclaratif de propriété, c'est-à-dire qu'il détermine, pour chacun des copropriétaires, l'objet ou les objets distincts de son droit, lesquels sont considérés comme ayant été incertains pendant l'indivision. Ce résultat n'étant pas dû à la nature des choses, mais à des raisons d'utilité, déduites sous les articles précités, pourrait être rattaché à une fiction légale : “ chaque copartageant serait censé avoir succédé seul aux objets à lui échus par le partage;“ mais comme la loi n'a pas besoin de fiction pour édicter ce qu'elle croit utile et juste ; c'est par l'idée d'une condition résolutoire que le Code arrive au résultat désiré : les droits de copropriété sont “ résolus ” par le partage, et la propriété de chacun, désormais exclusive, lui vient, rétroactivement, d'une cause antérieure, de celle qui a créé l'indivision. Ainsi, quand a lieu le partage d'une société, ce que chaque assoiée reçoit dans son lot ne lui est pas acquis par le partage, mais par le contrat de société qui appelle éventuellement chaque associé à recueillir une part des biens encore indivis au moment de la dissolution de la société.
Mais si le partage n'est pas attributif de propriété, il n'en est pas moins, comme acte contractuel ou volontaire, productif d'obligations et de créances respectives entre les copartageants, et ce sont ces créances qui sont garanties par le privilège qui va nous occuper.
Notre article nous indique trois créances qui naissent du partage et, pour chacun, l'objet du privilège varie.
Pu reste ces créances ne peuvent pas se cumuler toutes les trois : la première et la seconde s'excluent, mais chacune peut se cumuler avec la troisième, comme on va le reconnaître bientôt.
Il faut remarquer d'abord que le partage peut se faire de deux manières: ou en nature ou par licitation.
1° Il se fait en nature, lorsqu'il est possible de faire des lots, égaux ou inégaux, soit de différents biens de la masse, plus ou moins semblables, soit de diverses parties d'un même bien. Les lots inégaux sont complétés par une créance de soulte ou retour de lot, au prolit de celui qui recevra le lot trop faible, contre celui qui recevra le lot trop fort. L'assignation des lots se fait par la voie du sort, à moins qu'on ne s'accorde pour en faire des assignations conventionnelles.
2° Il se fait par licitation ou vente aux enchères, lorsqu'il est impossible de faire convenablement un partage en nature on par lots (v. art. 104 et 105 du Livre précédent).
Dans ce cas, si le bien est adjugé à. un étranger, la licitation produit les effets d'une vente ordinaire : les copropriétaires en partagent le prix ou la créance du prix, et s'il y a privilège, à défaut de payement, ils l'exercent tous sur le bien licite, comme vendeurs. Mais si le bien est adjugé à l'un d'eux, il se fait confusion de sa part dans le prix avec une partie de sa dette et il est débiteur du reste du prix envers chacun de ses copropriétaires, pour sa part ; à moins que, dans le partage, il n'ait été convenu que le prix de licitation (moins la part de l'adjudicataire) serait par lui payé à un seul des copartageants dont cette créance formerait le lot.
Voilà donc les deux premières créances qui peuvent naître du partage, disjonctivement ou l'une excluant l'autre : la créance de soulte ou celle du prix de licitation. La première est privilégiée sur l'immeuble ou sur les immeubles échus aux copartageants chargés desdites soultes ; la seconde est privilégiée sur l'immeuble licité.
La troisième créance, dont nous n'avons pas encore parlé, est celle de garantie d'éviction : le partage, en effet, oblige les corpartageants à la garantie mutuelle de l'éviction (v. art. 156 du Livre précédent).
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit sous cet article, qu'il ne peut s'agir ici d'une éviction résultant de droits conférés à des tiers par les copartageants pendant l'indivision, puisque ces droits sont résolus par l'effet du partage, et que, précisément c'est en grande partie, pour prévenir cette éviction, que le partage a été rendu déclaratif et rétroactif: l'éviction dont il s'agit résulterait de droits réels appartenant à des tiers avant que l'indivision ait commencé ; d'où il apparaîtrait que les copartageants avaient eu le tort de comprendre dans le partage des biens qui ne leur appartenaient pas. Cependant, la cause de l'obligation de garantie est moins dans ce tort réciproque que dans l'enrichissement indû. de ceux qui ont reçu par le partage des biens qu'ils conservent, au préjudice de celui qui en a reçu un qu'il ne peut garder.
L'éviction peut atteindre aussi bien celui qui a reçu un lot en nature, par la voie du sort ou par une attribution conventionnelle, que celui qui a acquis par licitation un immeuble indivis ; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que ce privilège peut se rencontrer avec l'un ou l'autre des précédents ; mais cela ne veut pas dire qu'ils pourront être exercés cumulativement; loin de là: ils appartiennent chacun à une partie contre l'autre ; ainsi, le copartageant créancier ferme ou pur et simple de la soulte ou du prix de licitation est débiteur éventuel de la garantie d'éviction; seulement, les deux privilèges coexistent pour valoir chacun suivant l'événement.
Le privilège de l'évincé porte sur tous les immeubles échus ou assignés aux autres copartageants, parce que ceux-ci sont tous débiteurs et parce que tous ces immeubles sont l'objet de leur enrichissement indû.
Mais ces immeubles ne sont affectés du privilège, dans les mains de chacun, que pour sa part dans la dette.
On pourrait croire cependant que la poursuite aurait lieu d'être faite pour le tout contre chacun, sous prétexte de deux indivisibilités : celle de la garantie et celle du privilège. Mais il ne faut pas se méprendre sur la véritable situation où l'on se trouve. Aucune des deux indivisibilités n'est un obstacle à la décision du texte.
D'abord l'indivisibilité de la garantie ne s'applique qu'à l'un de ses deux objets (v. Liv. des Biens, art. 395, 2e ah), à savoir, à la défense, à la protection de l'acquéreur contre les dangers et les menaces d'éviction : personne ne peut être défendu pour partie ; or, ici, il ne s'agit plus de protéger le copartageant contre l'éviction imminente, mais de l'indemniser de l'éviction consommée, ce qui peut se faire par parties.
Quant à l'indivisibilité du privilège, on va voir qu'elle est respectée, ici comme ailleurs. Mais il faut remarquer d'abord qu'elle ne s'applique qu'à un privilège déjà né. Il est certain que celui qui a un privilège pour une créance d'un chiffre déterminé, l'exerce en entier contre chaque débiteur et sur chaque partie de l'immeuble grevé (v. art. 105 et 132). Ici le principe sera respecté, en ce sens que la créance du copartageant évincé, une fois née dans les limites que la loi lui assigne, jouira de l'indivisibilité ordinaire du privilège.
Mais, dans quelle mesure, pour quelle somme naîtra la créance de l'évincé contre ses garants ? Nous avons vu que c'est une créance d'indemnité, de nature divisible : elle naîtra donc divisée entre chaque copartageant, pour sa part dans la copropriété primitive.
Notons aussi que dans le calcul des parts, l'évincé lui-même figure pour une part, égale ou inégale, suivant les cas : pour cette part, il se fait confusion en sa personne, car il ne peut se devoir à lui-même. Et il est juste qu'il figure dans le calcul des parts de garantie, car s'il y a eu faute à considérer comme bien commun ce qui ne l'était pas, il a participé à la faute ; en tout cas, il a profité de l'erreur commune, puisque sa part a été grossie, comme celle des autres, par le fait qu'on a compris dans la masse à partager un bien qui ne devait pas y figurer. l'as plus ici que dans l'échange, il n'est nécessaire que l'éviction ait été soufferte dans un immobilier reçu en partage : la cause du privilège est que le partage a fait entrer un immeuble dans le lot d'un ou plusieurs des copartageants, sous la condition qu'un autre d'entre eux recevrait pour sa part une valeur mobilière ou immobilière déterminée ; cet immeuble leur reste, les enrichit, pendant qu'un autre copartageant ne peut conserver légalement le lot qu'il a reçu; il est donc juste que celui-ci soit indemnisé, sur les immeubles des autres, quelle que soit la nature de son lot.
Pour la même raison, il y a lieu à la garantie d'éviction, sur les immeubles de tous les copartageants, lorsque l'un d'entre eux avait dans son lot une créance à exercer et a souffert de l'insolvabilité du débiteur.
Deux cas sont distingués par la loi, dans l'article 171 :
Ou la créance est liée du partage, à savoir une créance de soulte ou de prix de licitation, et dans ce cas, le débiteur est nécessairement un copartagent ;
Ou elle existait auparavant, dans les biens indivis de la société en liquidation ; dans ce cas, le débiteur sera le plus souvent un étranger, mais ce pourrait être aussi un copartageant.
Reprenons-les séparément.
Ier Cas. Un des associés ou copartageants doit à un autre une soulte ou un prix de licitation ; s'il n'y avait, en tout, que ces deux copartageants, le créancier et le débiteur, il ne serait pas question de garantie d'insolvabilité ; la créance serait directement et uniquement privilégiée sur l'immeuble grevé de la soulte ou du prix de licitation, en vertu de l'article 170 (1° et 2°). Mais s'il y a trois copartageants ou davantage et que le débiteur ne puisse s'acquitter, même par l'effet du privilège dont son immeuble est grevé (sans doute, parce qu'il a péri ou subi une forte dépréciation), alors le troisième copartageant et les autres, s'il y en a, sont garants, pour leur part, de cette sorte d'éviction résultant de l'insolvabilité.
IIe Cas. On a mis dans un des lots une créance faisant partie des biens jusque-là indivis. Supposons d'abord que le débiteur était un tiers. Le débiteur ne paye pas, à l'échéance, de sorte que le copartageant qui a. cette créance dans son lot est aussi maltraité, par l'événement, que s'il était évincé d'une créance qui n'aurait pas fait partie de l'indivision ou qui n'aurait pas existé, et, pendant ce temps-là, d'autres copartageants conservent un ou plusieurs immeubles qu'ils ont reçus de la niasse ; il n'est évidemment pas moins juste qu'il soit garanti contre cette perte résultant de l'insolvabilité que contre celle qui résulterait d'une éviction ordinaire.
Mais ici la loi met à la garantie une condition quelle n'y a pas mise au cas précédent, c'est que le débiteur fût déjà insolvable au moment du partage ; la raison en est que, là seulement, il y a une faute commune d'avoir ignoré l'insolvabilité déjà existante, et aussi qu'il y a eu enrichissement indû des uns au préjudice d'un autre, par le fait et au moment du partage.
La solution serait ht même, et par le même motif, si le débiteur de la succession ou de la société était lui-même un des copartageants.
Au contraire, lorsqu'il s'agit de l'insolvabilité du copartageant débiteur d'une soulte ou d'un prix de licitation, la garantie en est due par les autres copartageants, lors même que ladite insolvabilité est survenue depuis le partage. D'abord, il serait difficile de supposer que l'insolvabilité existât déjà au moment du partage : autrement, les autres copartageants ne l'eussent pas ignorée et ils n'eussent pas passé outre, en chargeant un insolvable d'une soulte ou d'un prix de licitation envers l'un d'eux ; et, pour l'insolvabilité postérieure au partage, il est juste qu'elle soit garantie par tous, parce qu'ils ne doivent pas se désintéresser du sort d'une créance que le partage a fait naître par leur accord mutuel : la loi peut donc les considérer comme ayant tacitement cautionné la dette, et elle la leur impose éventuellement.
C'est, en somme, pour cette différence, quant au moment auquel peut se produire l'insolvabilité sujette à garantie, que notre article a distingué les deux cas.