II. -PKIVILEGE DES COPARTAGEANTS.
Art. 1175. — 339. On a déjà eu l'occasion, sous les articles 15 et 804 (v. T. Ier, n° 25 et T. III, n° 487), de déterminer le caractère du partage dans le droit moderne et tel qu'il est admis dans le Projet japonais. Il n'est plus, comme à Rome et dans la première période de l'ancien droit français, une sorte d'échange, un acte translatif ou attributif de propriété, par lequel chaque copropriétaire abandonnait à l'autre son droit dans un ou plusieurs des biens indivis, pour acquérir un droit exclusif et sans concours sur un ou plusieurs des autres biens: il est déclaratif de propriété, c'est-à-dire qu'il détermine, pour chacun des copropriétaires, l'objet ou les objets distincts de son droit, lesquels sont considérés comme ayant été incertains pendant l'indivision. Ce résultat n'étant pas dû à la nature des choses, mais à des raisons d'utilité, déduites sous les articles précités, est, dans l'usage, rattaché à une fiction légale: le Code français dit lui-même que " chaque héritier est censé avoir succédé seul aux objets à lui échus par le partage" (art. 883); mais comme la loi n'a pas besoin de fiction pour édicter ce qu'elle croit utile et juste, le Projet japonais n'y a pas eu recours (v. art. 804); c'est par l'idée d'une condition résolutoire qu'il arrive au résultat désiré: les droits de copropriété sont " résolus " par le partage, et la propriété de chacun, désormais exclusive, lui vient, rétroactivement, d'une cause antérieure, de celle qui a créé l'indivision. Ainsi, quand a lieu le partage d'une succession ou d'une société, ce que chaque héritier reçoit dans son lot ne lui est pas acquis par le partage, mais par l'ouverture de la succession qui est un moyen d'acquérir, ou par la dissolution de la société qui appelle chaque associé à recueillir une part des biens encore indivis de la société.
340. Mais si le partage n'est pas attributif de propriété, il n'en est pas moins, comme acte contractuel ou volontaire, productif d'obligations et de créances respectives entre les copartageants, et ce sont ces créances qui sont garanties par le privilége qui va nous occuper.
Notre article nous indique trois créances qui naissent du partage et pour chacune l'objet du privilége varie (a'.
Du reste, ces créances ne peuvent pas se cumuler toutes les trois: la première et la seconde s'excluent, mais chacune peut se cumuler avec la troisième, comme on va le reconnaître bientôt.
Il faut remarquer d'abord que le partage peut se faire de deux manières: ou en nature ou par licitation.
1° Il se fait en nature, lorsqu'il est possible de faire des lots, égaux ou inégaux, soit de différents biens de la masse, plus ou moins semblables, soit de diverses parties, d'un même bien. Les lots inégaux sont complétés par une créance de " soulte ou retour de lot," au profit de celui qui recevra le lot trop faible, contre celui qui recevra le lot trop fort. L'assignation des lots se fait par la voie du sort, à moins qu'on ne s'accorde pour en faire des assignations conventionnelles.
2° Il se fait par licitation ou vente aux enchères, lorsqu'il est impossible de faire convenablement un partage en nature ou par lots (v. art. 751 et 752).
Dans ce cas, 'si le bien est adjugé à un étranger, la licitation produit les effets d'une vente ordinaire: les copropriétaires en partagent le prix ou la créance du prix, et s'il y a privilége, à défaut de payement, ils l'exercent tous sur le bien licité, comme vendeurs. Mais si le bien est adjugé à l'un d'eux il se fait confusion de sa part dans le prix avec une partie de sa dette et il est débiteur du reste du prix envers chacun de ses copropriétaires, pour sa part, à moins que, dans le partage, il n'ait été convenu que le prix de licitation (moins la part de l'adjudicataire) serait par lui payé à un seul des copartageants dont cette créance formerait le lot.
Voilà donc les deux premières créances qui peuvent naître du partage, disjonctivement ou l'une excluant l'autre: la créance de soulte ou celle du prix de licitation. La première est privilégiée sur l'immeuble ou. sur les immeubles échus aux copartageants chargés desdites soultes; la seconde est privilégiée sur l'immeuble licité.
341. La troisième créance, dont nous n'avons pas encore parlé, est celle de garantie d'éviction: le partage, en effet, oblige les copartageants à la garantie mutuelle de l'éviction (art. v. 805).
Rappelons, à ce sujet, ce qui a été dit sous l'article 805 (T. III, n° 490) qu'il ne peut s'agir ici d'une éviction résultant de droits conférés à des tiers par les copartageants pendant l'indivision, puisque ces droits sont résolus par l'effet du partage, et que, précisément c'est en grande partie, pour prévenir cette éviction, que le partage fi. été rendu déclaratif et rétroactif: l'éviction dont il s'agit résulterait de droits réels appartenant à des tiers avant que l'indivision ait commencé; d'où il apparaîtrait que les copartageants avaient eu le tort de comprendre dans le partage des biens qui ne leur appartenaient pas. Cependant, la cause de l'obligation de garantie est moins dans ce tort réciproque que dans l'enrichissement indû de ceux qui ont reçu par le partage des biens qu'ils conservent, au préjudice de celui qui en a reçu un qu'il ne peut garder.
L'éviction peut atteindre aussi bien celui qui a reçu un lot en nature, par la voie du sort ou par une attribution conventionnelle, que celui qui a acquis par licitation un immeuble indivis; c'est pourquoi nous avons dit plus haut que ce privilége peut se rencontrer avec l'un ou l'autre des précédents; mais cela ne veut pas dire qu'ils pourront être exercés cumulativement; loin de là: ils appartiennent chacun à une partie contre l'autre; ainsi, le copartageant, créancier ferme ou par et simple de la soulte ou du prix de licitation, est débiteur éventuel de la garantie d'éviction; seulement, les deux priviléges coexistent pour valoir chacun suivant l'événement.
342. Le privilége de l'évincé porte sur " tous les immeubles échus ou assignés aux autres copartageants," parce que ceux-ci sont tous débiteurs et parce que tous ces immeubles sont l'objet de leur enrichissement indu.
Mais ces immeubles ne sont affectés du privilége, dans les mains de chacun, que pour sa part clans la dette.
On pourrait croire cependant que la poursuite aurait lieu d'être faite pour le tout contre chacun, sous prétexte de deux indivisibilités: celle de la garantie et celle du privilége. Mais il ne faut pas se méprendre sur la véritable situation où l'on se trouve. Aucune des deux indivisibilités n'est un obstacle à la décision du texte.
D'abord l'indivisibilité de la garantie ne s'applique qu'à l'un de ses deux objets (v. art. 415, 2e al.), à savoir à la défense, à la protection de l'acquéreur contre les dangers et les menaces d'éviction (nemn pro parte dp/endi pot-est, "personne ne peut être défendu pour partie"); or, ici, il ne s'agit plus de protéger le copartageant contre l'éviction imminente, mais de l'indemniser de l'éviction consommée, ce qui peut se faire par parties.
Quant à l'indivisibilité du privilége, on va voir qu'elle est respectée, ici comme ailleurs. Mais il faut remarquer d'abord qu'elle ne s'applique qu'à un privilége déjà né. Il est certain que celui qui a un privilége pour une créance d'un chiffre déterminé, l'exerce en entier contre chaque débiteur et sur chaque partie de l'immeuble grevé (v. art. 1137). Ici le principe sera respecté, en ce sens que la créance du copartageant évincé, une fois née dans les limites que la loi lui assigne, jouira de l'indivisibilité ordinaire du privilége.
Mais, dans quelle mesure, pour quelle somme naîtra la créance de l'évincé contre ses garants ? Nous avons vu que c'est une créance d'indemnité, de nature divisible, elle naîtra donc divisée entre chaque copartageant, pour sa part dans la copropriété primitive.
Notons aussi que dans le calcul des parts, l'évincé lui-même figure pour une part, égale ou inégale, suivant les cas: pour cette part, il se fait confusion en sa personne, car il ne peut se devoir à lui-même. Et il est juste qu'il figure dans le calcul des parts de garantie, car s'il y a eu faute à considérer comme bien commun ce qui ne l'était pas, il a participé à la faute; en tout cas, il a profité de l'erreur commune, puisque sa part a été grossie, comme celle des autres, par le fait qu'on a compris dans la masse à partager un bien qui ne devait pas y figurer.
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(a) Le Code français n'est pas à l'abri du reproche de négligence à ce sujet dans l'article 2103 où il énumère les priviléges sur les immeubles, il n'indique que deux créances privilégiées comme naissant du partage: " la garantie d'éviction et les soultes ou retours de lots dans l'article 2109. où il indique la manière de conserver le privilége, il énonce bien encore " les soultes ou retours de lots," mais il ne parle plus de la garantie d'éviction et il parle, pour la première fois, du " prix de licitation." Quant aux immeubles grevés de priviléges, ce sont bien tous les immeubles partagés, pour le privilége des soultes et de la garantie d'éviction (art. 2103 et 2109); mais, pour le prix de licitation; il semble que ce ne soit que " le bien licité," d'après l'article 2109; mais la doctrine et la jurisprudence admettent que le prix de licitation peut être privilégié, subsidiairement, sur tous les immeubles partagés, par voie de garantie, au cas d'insuffisance ou de perte du bien licité. Le Projet se prononce formellement en ce sens (art. 1176-1°).