Art. 102. Nous arrivons à la condition la plus importante pour la validité du gage à l'égard des tiers ; à savoir, la remise de la possession effective de la chose aux mains du créancier. C'est cette possession qui donne an gage le caractère de “nantissement” et qui fait donner au contrat la qualification de réel, comme l'ont déjà le prêt de consommation, le prêt à usage et le dépôt, avec cette différence pourtant que, dans ces trois contrats, c'est la nature des choses qui exige cette tradition, tandis qu'ici c'est une raison de droit et d'utilité, le besoin d'une sorte de publicité.
En effet, les deux prêts n'auraient aucune utilité pour l'emprunteur, si la chose prêtée n'était mise à sa disposition, et le dépôt ne serait d'aucune utilité pour le déposant, si le dépositaire ne recevait la possession et la garde de la chose déposée. An contraire, on comprendrait très-bien que le gage fût utile au créancier sans lui être livré : le créancier pourrait avoir le droit de faire déclarer milles à son égar dles aliénations de l'objet faites par le débiteur, et aussi de se faire attribuer la valeur du gage, par préférence aux autres créanciers ; cette situation est si bien compréhensible qu'elle était, à Rome, celle du créancier ayant hypothèque sur un meuble ou sur un immeuble, et qu'elle est encore aujourd'hui, peut-être partout, celle du créancier ayant hypothèque sur un immeuble.
Mais en même temps qu'on reconnaît la possibilité de tels avantages pour le créancier, sans la tradition de la chose, on voit aussi combien elle serait dangereuse pour les tiers. Lorsqu'il s'agit d'hypothèque sur les immeubles, il a été possible d'en organiser une publicité suffisante pour que les tiers ne s'exposassent pas à des évictions, en acquérant des biens hypothéqués à leur insu, ou ne devinssent pas créanciers d'un débiteur dont les immeubles seraient déjà grevés pour tout ou partie de leur valeur. Mais une semblable publicité ne pouvait être organisée pour le gage des meubles qui n'ont pas de situation fixe. C'est donc dans le même but, mais par un autre moyen, qu'on a imaginé de révéler aux tiers intéressés l'affectation d'un meuble à l'acquittement d'une obligation.
Le gage sera livré au créancier gagiste ; et comme le débiteur, lors même qu'il l'aliénerait, ne pourra le livrer à son acheteur ou donataire, celui-ci ne pourra invoquer contre le créancier gagiste la prescription instantanée ; c'est, au contraire, le créancier gagiste qui, joignant à un droit réel mobilier la possession effective, sera préféré à l'acquéreur (voy. Liv. des Biens, art. 34). De même, la possession du créancier gagiste empêchera que les autres créanciers ne considèrent l'objet donné en gage spécial comme faisant encore partie du gage commun (v. art. 1er, ci-dessus).
Voilà comment on peut dire que la remise de la chose en nantissement, aux mains du créancier, est une sorte de publicité du gage : c'est la plus pratique, en même temps que la moins coûteuse.
La possession du créancier n'est pas seulement la condition de la constitution originaire du gage, elle est aussi la condition de sa conservation : il faut que le gage reste en sa possession “ réelle et continue ; ” autrement, la sécurité des tiers serait compromise. Le gage cesse donc lorsque le créancier a laissé la chose rentrer dans les mains du débiteur ou de son représentant et, de cette façon, on peut dire que la rétention du gage n'est pas seulement, comme le dira l'article 110, un droit pour le créancier gagiste, mais qu'elle est aussi pour lui un devoir.
La possession doit être réelle ou effective ; il ne serait donc pas permis qu'elle fût laissée au débiteur par un constitut possessoire, comme on pourrait laisser la chose vendue aux mains du vendeur ; elle ne pourrait pas davantage lui être laissée à titre de louage, de dépôt ou de prêt à usage : les dangers, les fraudes que la loi veut prévenir se retrouveraient possibles dans une telle situation. L'article 106 défendra au créancier de louer la chose à uu tiers, sauf un tempérament.
Ce qui est permis c'est que la chose soit remise ou deposée aux mains d'un tiers choisi par les deux parties d'accord, ou par le créancier seul, sous sa responsabilité. Quelquefois, ce sera le débiteur qui, peu confiant dans la vigilance ou l'honnêteté du créancier, exigera ce dépôt en mains tierces ; d'autres fois, ce sera le créancier qui n'aura pas la facilité de conserver le gage chez lui.
Le présent article est écrit pour le gage consistant dans des “choses corporelles,” les seules qui soient susceptibles de possession réelle ; mais les titres dits au porteur, ceux pour lesquels le droit est attaché à la détention du titre, sont assimilés aux choses corporelles (v. art. 316 précité).