Art. 92. Le droit de rétention est une sûreté légale, plus exceptionnelle peut-être que toutes les autres, malgré ses applications variées ; c'est pourquoi la loi l'a mentionnée dans diverses matières, chaque fois que ses conditions se sont présentées.
Le droit de rétention, étant fondé sur le nantissement, a beaucoup d'analogie avec le gage mobilier et avec le nantissement immobilier, selon qu'il s'applique à un meuble ou à un immeuble ; mais ses avantages pour le créancier sont moins considérables, ce qui explique que la loi commence par lui la série des sûretés réelles; ensuite, il n'a pas la même généralité d'application : n'étant pas constitué par la volonté des parties, mais par la loi, il est naturellement subordonné à des conditions particulières qui le rendent plus ou moins rare.
Ces conditions sont au nombre de deux ; il faut : 1° que le créancier possède déjà “ en vertu d'une cause légitime ” la chose qu'il prétend retenir, 2° que la créance dont la rétention doit être la garantie soit née “ à l'occasion ” de cette même chose, soit “ connexe à cette possession.”
La première condition a pour but d'empêcher que le créancier ne prenne ou ne conserve par ruse la possession d'une chose de son débiteur pour y trouver une garantie illégitime. Comme causes légitimes de cette possession, nous trouvons naturellement les conventions, les quasi-contrats et le testament.
La seconde condition est justifiée par l'énoncé des créances qui ont pu naître ainsi, comme dit le texte, “à l'occasion” d'une chose appartenant au débiteur et d'une façon “ connexe à la possession ” qu'en avait le créancier.
Ce sont d'abord les charges conventionnelles à lui imposées pour la cession qui lui a été faite de la chose : si la vente n'était pas déjà l'objet d'une disposition spéciale à ce sujet (art. 47 du Livre précédent), elle serait le cas le plus simple de eette application du droit de rétention à la garantie du prix ; mais on n'a qu'à supposer ici une transaction, une donation, un contrat innommé, avec charges.
Ce sont ensuite les créances nées d'un enrichissement indu du débiteur et résultant d'avances faites par le créancier pour acquérir ou conserver une chose au profit du débiteur : outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on peut ajouter le louage, la société et aussi les cas de résolution d'un acte translatif de propriété, lorsque celui qui doit rendre la chose a fait des dépenses pour la conserver.
Enfin, ne sont des créances résultant d'un dommage causé au créancier par la chose du débiteur, lorsque la responsabilité en doit retomber sur celui-ci d'après le droit commun : outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, on pourrait encore citer les cas où une chose donnée à bail, ou apportée en société pour la jouissance seulement, avait des vices que le propriétaire connaissait et n'a pas révélés, et lorsque ces vices ont été dommageables au preneur ou aux associés.
Bien que le quasi-contrat de gestion d'affaires rentre dans les “ causes légitimes ” par lesquelles la possession à retenir a dû commencer, il fallait en faire une mention spéciale, comme ne donnant pas lieu à une aussi large application du droit de rétention : le gérant d'affaires n'a ce droit que pour se garantir de ses “ dépenses nécessaires et de conservation ” de la chose, niais non pour celles d'amélioration, et pas même pour la réparation des dommages que la chose lui aurait causés, parce qu'il n'a pas de créance à ce sujet, le propriétaire ne pouvant être responsable de pertes auxquelles l'aurait exposé le zèle, peut-être intempestif, du gérant d'affaires.
Remarquons, en terminant, que, dans aucun de ces cas, le droit de rétention n'est accordé à quicelui a fait des dépenses utiles ou d'amélioration pour la chose d'autrui : on en a cependant rencontré antérieurement une application aux dépenses utiles faites par le possesseur de bonne foi (Livre des Biens, art. 1197) et par l'acheteur à réméré, traité aussi favorablement (art. 88 du Livre précédent) ; niais il n'y a pas lieu d'étendre une pareille faveur à tous les autres cas, car il pourrait être dommageable au débiteur d'être privé de la possession de sa chose faute de pouvoir rembourser de suite des dépenses utiles faites sans sa volonté : il les devra assurément, mais sans cette garantie, et il obtiendra facilement du tribunal des délais pour le payement.