Art. 1096. — N° 209. Le droit de rétention est une sûreté légale, plus exceptionnelle peut-étre que toutes les autres, malgré ses applications variées; c'est pourquoi la loi la meationnée dins diverses matières, chaque fois que ses conditions se sont présentées (a) et, à quelques-unes de ces occasions, on a indiqué sommirement, au Commentaire, e: quoi consiste ce droit et comment il se justifie (b).
On pourrait s'étonner que le Projet, ayant dù, à la différence du Code français, porter un principe (anquel nous sommes arrivés) sur l'application générale du droit de rétention, ait cru devoir en faire, par avance, des applications spéciales dans les occasions qu'il rencontrait chemin frisant. Le Code français n'ayant pas formule de principe général, mais seulement des applicitions spéciales du droit de réteation, a laissé place à une controverse facheuse sur le principe, mais non à une pareille objection de double emploi.
Nous répon lons, d'abord, qu'au moment où ces divers articles étrient rédigés dans l'Avant-Projet japonais, on n'était pas encore certain que le principe du droit de rétention serait admis avec la généralité qu'on lui donne aujourl'hui; il était donc nécessaire de proclamer le droit de rétention, au moins dans les cas spéciaux où son application s'imposait comme idée de justice.
Cette pre nière raison, o'i le reconnait, ne subsiste plus au même degré, du moment que le droit de rétentius est généralisé pour tous les cas analogies à ceux qui ont été prévus en particulier. Mais il en reste trois autres dont la première a déjà servi à justifier d'autres applications spéciales faites par la loi de principes généraux posés ailleurs par elle:
1° La loi n'est pas faite seulement pour guider les magistrats dans l'administration de la justice, elle est faite aussi et surtout pour les simples citoyens; il faut donc que la lecture de la loi leur révèle leurs droits et leurs obligations sur chaque matière, justement pour qu'ils ne s'engagent dans une convention qu'en en prévoyant les effets, et surtout, pour qu'ils ne se lancent pas dans des procès sans avoir pu pressentir si leur demande ou leur exception est admissible; c'est ce qui explique uu si grand nombre de renvois d'une matière à une autre, justement parce que les particuliers non légistes ne pourraient guère d'eux-mêmes compléter les dispositions particulières par les dispositions générales. Sans doute, la loi ne pourrait raisonnablement reproduire la théorie générale du droit de rétention, avec ses effets, chaque fois qu'elle eu autorise l'application, mais elle peut, et il y a avantage à le faire, signaler d'un mot cette application, de sorte que celui qui n'en comprendra pas tout d'abord la portée n'aura qu'à recourir à la théorie générale;
2° Cette mention spéciale du droit de rétention, à l'occasion des matières variées où il est autorisé, est particulièrement nécessaire, à cause de la nature de ce droit qui, précisément, se perd faute d'avoir été exercé au moment méme où il est utile: généralement, les droits ne se perdent que par une longue négligence, il y a alors prescription; mais ici, pour une raison spéciale sur laquelle on reviendra sous l'article 1100, le droit de rétention cesse si le créancier qui pouvait l'exercer la négligé, ea rendant la chose au débiteur; on conçoit donc combien il est nécessaire que celui à qui ce droit app:ırtient ne soit pas exposé à l'ignorer: la loi serait vraiment blåmable si, ca donnant des armes défensives au créancier, elle ne prenait pas soin de les déposer là où il peut le mieux les trouver;
3° Enfin, dans les divers cas précités où la loi a spécialement proclamé l'existence du droit de rétention en faveur du créancier, il n'a pas toujours la même portée, il excède quelquefois celle que lui donne ici notre premier article: notamment, il s'applique dans certains cas à la créauce résultant de dépenses utiles ou d'amélioration (v. ci-après, no 212) et notre article 1090 ne va pas si loin comme principe général.
210. Le droit de rétention, étant fondé sur le nantissement, a beaucoup d'analogie avec le gage mobilier et avec le nantissement immobilier, selon qu'il s'applique à un meuble ou à un immeuble; mais ses avantages pour le créancier sont moins considérables, ce qui explique que la loi commence par lui la série des sûretés réelles; ensuite, il n'a pas la même gé. néralité d'application: n'étant pas constitué par la volonté des parties, mais par la loi, il est naturellement subordonné à des conditions particulières qui le reudent plus ou moins rare.
Ces conditions sont au nombre de deux; il faut: lo que le créancier possède déjà en vertu d'une cause légitime la chose qu'il prétend retenir, 2° que la créance dont la rétention doit être la garantie soit née “à l'occasion” de cette même chose, soit connexe à cette possession.
La première condition a pour but d'empêcher que le créancier ne prenne ou ne conserve par ruse la possession d'une chose de son débiteur pour y trouver une garantie illégitime. Comme causes légitimes de cette possession, nous trouvons naturellement les conventions, les quasi-contrats et le testament.
La seconde condition est justifiée par l'énoncé des créances qui ont pu naître ainsi, comme dit le texte, “à l'occasion” d'une chose appartenant au débiteur et d'une façon “connexe à la possession” qu'en avait le créancier.
Ce soat d'abord les charges conventionnelles à lui imposées pour la cession qui lui a été faite de la chose: si la vente n'était pas déjà l'objet d'une disposition spéciale à ce sujet (art. 681, 3° al.), elle serait le cas le plus simple de cette application du droit de rétention à la garantie du prix; mais on n'a qu'à supposer ici une transaction, une donation, un contrat innommé, avec charges.
Ce sont ensuite les créances nées d'un enrichissement indû du débiteur et résultant d'avances faites par le créancier pour acquérir ou conserver une chose au profit du débiteur: outre le prêt à usage, le dépôt et le mandat, déjà mentionnés par les textes antérieurs (p. 185, a,) on peut ajouter le louage, la société, le contrat de mariage et aussi les cas de résolution d'un acte translatif de propriété, lorsqiie celui qui doit rendre la chose a fait des dépenses pour la conserver.
Enfin, ce sont des créances résultant d'un dommage causé au créancier par la chose du débiteur, lorsque la responsabilité en doit retomber sur celui-ci d'après le droit commun: outre le prêt ii usage, le dépit et le mandat, on pourrait encore citer les cas où une chose donnée à bail, ou apportée en société pour la jouissance seulement, avait des vices que le propriétaire connaissait et n'a pas révélés, et lorsque ces vices ont été dommageables au preneur ou aux associés.
211. Bien que le quasi-contrat de gestion d'affaires rentre dans les “causes légitimes" par lesquelles la possession à retenir a dû commencer, il fallait en faire une mention spéciale, comme ne donnant pas lieu à une aussi large application du droit de rétention: le gérant d'affaires n'a ce droit que pour se garantir de ses “dépenses nécessaires et de conservation” de la chose, mais non pour celles d'amélioration, et pas même pour la réparation des dommages que la chose lui aurait causés, parce qu'il n'a pas de créance à ce sujet (v. art. 383), le propriétaire ne pouvant être responsable de pertes auxquelles l'aurait exposé le zèle, peutêtre intempestif, du gérant d'affaires.
212. Remarquons, en terminant, que, dans aucun de ces cas, le droit de rétention n'est accordé à celui qui a fait des dépenses utiles ou d'amélioration pour la chose d'autrui: on en a cependant rencontré antérieurement une application aux dépenses utiles faites par le possesseur de bonne foi (art. 209) et par l'acheteur à réméré, traité aussi favorablement (art. 727, 3e et 40 al.); mais il n'y a pas lieu d'étendre une pareille faveur à tous les autres cas, car il pourrait être dommageable au débiteur d'être privé de lit possessio: de sa chose faute de pouvoir rembourser de suite des dépenses utiles faitez sans sa volonté: il les devra assurémeat, mais sans cette garantie, et il obtiendra facilement du tribunal des délais pour le payement.
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(a) Nous donnons ici la nomenclature des articles antérieurs où le droit de ritention se trouve reconnu par la loi en faveur du créancier, parce que celui-ci se trouve dans les conditions nécessaires. Ce sont les articles:
32, 1er al. (expropriation), 1727, 44 al. (rente: rachat),
73, 4e al. (usufruit),737, 3e al. (vente: rescision pour
156, 2e al. (bail),
182, 2e al. (emphytéose), 900 (prêt à usage),
189, 49 al. (superficie), 915, 2° al. (dépôt),
209, (possession), 944 (mandat),
476, 44 al. (répétition de l'indu), 1979 bis, anx Additions au T. III,
634, 3e al. (vente: défaut de p. 1095 (louage de transport), payement),
1999 bis, ibid. (louage d'ouvrag").
N. B.-Ces articles se réfèrent à la première rédaction (AvantProjet), telle qu'elle se trouve dans les trois précédents volumes; mais nous prévoyons que le droit de préemption du propriétaire sera supprimé, au cas d'usufruit, de bail, d'emphytéose et de superficie, avec le droit de rétention qui garantit le payement; il y aura donc quatre de ces cas supprimés, ce qui amènera des changements dans les numéros définitifs des autres articles; mais ils seront toujours faciles à retrouver.
(b) (V. Tome Icr, nos 108 et 313; Tome II", n° 458; Tome III', nus 210, 275, 301, 329, 708 et 774.