Art. 231. On a déjà annoncé que le mandat n'est pas, comme le dépôt et le prêt à usage, essentiellement gratuit, que le salaire donné ou promis au mandataire n'en change pas la nature et n'en fait pas un contrat de services. Pour justifier cette assertion par une raison déterminante, il suffit de dire que le salaire n'est pas ici une rémunération complète du service rendu, que le mandant, même après avoir donné le salaire, est encore, moralement an moins, l'obligé du mandataire; tandis que celui qui a eu recours à un contrat de services, et en a payé le prix, est libéré de toute obligation de reconnaissance.
Or, si l'on cherche le signe qui peut faire distinguer la nature des affaires susceptibles d'être l'objet d'un mandat d'avec celles qui seraient l'objet d'un contrat de services, on devra reconnaître qu'il y a mandat quand l'affaire a un caractère plutôt juridique que matériel, comme de contracter, de plaider, de négocier, et lorsqu'elle exige, en même temps, une confiance plus ou moins absolue dans l'honnêteté du gérant ; tandis qu'il y aura contrat de services, ou même d'ouvrage, dans la charge de construire ou réparer une maison ou de transporter des objets matériels, dans les services des domestiques, même des commis ou préposés, si l'emploi de ceux-ci n'est pas d'une nature délicate et confidentielle.
On discute beaucoup, en France et ailleurs, si les services rétribués de l'avocat, de l'avoué, du notaire, du professeur et du médecin, sont l'objet d'un mandat ou d'un contrat de services. Il semble qu'on soit influencé par le désir de ne pas abaisser ces professions en leur attribuant un salaire; mais les questions d'amour-propre ne doivent pas être mises à la place des questions de droit et il ne faut pas confondre la vanité donc la dignité. C'est dans la nature même de ces services qu'il faut chercher la solution.
On a déjà dit que ce qui caractérise essentiellement le mandat c'est la représentation de celui qui reçoit le service par celui qui le rend. Or, l'avocat et l'avoué représentent le plaideur, leur client, ils parlent en son nom: ce sont incontestablement des mandataires et, comme leur service n'est pas et ne peut pas être pas être gratuit, ce sont des mandataires salariés ou rétribués ; en conséquence, le mandant a le droit d'exiger d'eux plus de soin qu'il n'en doit demander à des mandataires non salariés.
Mais on ne pourrait plus dire du notaire appelé à faire un acte de sa fonction qu'il représente les personnes qui lui demandent la rédaction d'un acte ; cela est déjà évident lorsqu'il est requis simultanément par deux parties de rédiger pour elles un contrat, puisqu'ayant des intérêts opposés elles ne peuvent avoir le même représentant ; l'évidence est encore plus frappante quand le notaire rédige un acte solennel pour lequel les parties sont absolument incapables d'agir par elles-mêmes : le notaire ne parle pas dans l'acte au nom des parties, il parle au sien propre et atteste que “les parties se sont présentées devant lui, tel jour, et qu'elles y ont fait telles et telles déclarations, qu'elles y ont consenti à telle ou telle aliénation, obligation ou libération.”
Il n'est pas moins inadmissible, il serait presque ridicule de dire que le professeur des sciences, des lettres ou des arts libéraux représente quelqu'un : certes ce n'est pas son élève qu'il représente, lors même que c'est son élève qui le rétribue ; il ne représente pas davantage les parents de l'élève, quand celui-ci est mineur et quand la rétribution est payée par sa famille: s'il y avait représentation de la famile l'instruction serait censée donnée par celle-ci ; or, par cela même qu'elle donne un professeur à l'enfant, c'est qu'elle reconnaît sa propre incapacité.
Le cas est identique pour le médecin qui ne représente ni le malade, ni la famille qui l'a appelé à donner ses soins au malade.
De ce que le notaire, le professeur et le médecin ne peuvent être classés parmi les mandataires en faut-il conclure qu'ils louent leurs services ?
Nous le nions, sans la moindre hésitation : les services qu'ils rendent sont de ceux dont nous parlions plus haut, qui ne sont pas payés par la rétribution qu'on a soin de nommer honoraires; celui qui a donné la rétribution n'a pas acquitté toute sa dette : il reste tenu d'une certaine reconnaissance que le temps à peine suffit à affaiblir.
Que reste t-il donc pour expliquer ce genre de services qui ne sont ni loués, ni fournis par mandat ?
Ceux qui ont reconnu que les caractères du louage ou du mandat ne se rencontraient pas ici ont prétendu qu'il y avait contrat innommé: c'est là, en effet, comme un cadre toujours ouvert, dans la classification des contrats (v. Liv. des Biens, art. 303) et qui nous a déjà aidé à sortir de difficultés analogues. Mais cette ressource nous manque ici.
C'est une illusion de voir des obligations civiles dans les divers cas qui nous occupent et de leur chercher une cause légale: la question se retrouvera au Chapitre suivant et nous démontrerons, sous l'article 266, qu'il n'y a, en principe, pour l'avocat, le médecin, le professeur qu'une obligation morale de continuer et compléter les soins qu'il ont commencés.