Art. 131. Bien que la règle, ici encore, soit posée pour “tout associé,” administrateur ou non, cela ne veut pas dire qu'elle s'appliquera aussi souvent à l'un qu'à l'autre : il est clair que celui qui est administrateur aura bien pins d'occasion de commettre des actes fautifs ou des omissions que celui qui n'a ni le pouvoir ni le devoir de gérer. Mais ce dernier peut se trouver responsable de fautes ou de négligences dans plusieurs cas dont voici des exemples :
1° Il s'est indûment immiscé dans la gestion et il a fait des actes maladroits: il est évidemment responsable ; si même il a o ni i s des actes nécessaires dans les affaires dont il s'est occupé, il est encore responsable, car, s'il ne s'était pas occupé de ces affaires, un autre aurait pu s'en charger et les mieux gérer ;
2° Il a usé maladroitement de choses appartenant à la société et dont l'usage était commun ;
3e Tl a mal conservé les choses qu'il avait promis d'apporter à la société, soit en propriété, soit en jouissance.
Quant à l'associé administrateur, les cas où sa responsabilité peut être encourue sont si nombreux et si faciles à trouver que les exemples en seraient superflus.
Le 2e alinéa demande quelques mots de justification.
Au premier abord, il semble que la loi soit trop sévère en n'admettant pas la compensation entre les dommages causés et les profits procurés à la société par l'associé, quand surtout il s'agit de l'administrateur, on pourrait prétendre qu'il a à rendre à la société un compte général de sa gestion et que, dans ce compte, on fera la somme et la balance de ses actes profitables et nuisibles, pour ne le rendre débiteur que de l'excédant des dommages sur les profits.
Cette théorie est soutenable pour le gérant d'affaires, peut-être même pourrait-on l'étendre au mandataire non salarié; niais l'appliquer à l'associé administrateur serait se méprendre tout-à-fait sur son rôle ; il a, en effet, deux obligations cumulées : prendre soin des affaires sociales, de manière à prévenir les pertes ou dommages, et faire prospérer lesdites affaires, de manière à ce qu'il y ait des profits à partager ; or, ce n'est pas parce qu'il aura rempli l'une de ces obligations, la dernière par exemple, qu'il sera dispensé de remplir l'autre ou absout de l'avoir négligée.
En fait, assurément, les associés seront moins exigeants au sujet de la réparation des dommages envers celui qui leur aura, d'un autre côté, procuré d'importants bénéfices ; les tribunaux eux-mêmes, si la question leur est portée, ne pourront guère se soustraire à une pareille indulgence : par exemple, ils admettront facilement que le gérant ait pu négliger de petites affaires, pendant qu'il en faisait prospérer de plus grandes; mais ils ne devront pas l'énoncer comme un principe de droit et de justice : ils se fonderont sur la bonne foi qui doit gouverner l'exécution des conventions (v. Liv. des Biens, art. 329).
La loi apporte une exception ou au moins un tempérament à cette défense de compensation entre les pertes et les profits ; c'est lorsque les affaires qui ont causé les pertes sont liées, sont connexes à celles qui ont procuré les profits. La raison est qu'il faut considérer ces diverses affaires comme un tout indivisible, et ici il deviendrait tout-à-fait injuste d'apprécier séparément des affaires connexes, presque autant qu'il le serait de décomposer une affaire unique dans ses diverses phases, pour chercher dans les unes des dommages à réparer et dans les autres des profits à communiquer. Quelquefois même, quand des affaires sont liées, le gérant est obligé de faire quelque sacrifice sur l'une pour réaliser l'autre avec tons ses avantages.
Un principe qui domine tous les rapports entre associés, c'est qu'ils se doivent une bienveillance réciproque. Les Romains disaient déjà, et l'on répète volontiers après eux, que "les débats entre associés ne doivent pas être menés avec rigueur," ils avaient même admis que, pour l'appréciation des fautes ou négligences d'un associé dans les affaires communes, on ne devait le rendre responsable que de celles qu'il n'aurait pas commises dans ses propres affaires : alors, il y avait, en quelque sorte, mauvaise foi ou faute lourde. Cette exception, encore suivie dans l'ancienne jurisprudence européenne, a été abandonnée dans les temps modernes où l'on a posé en règle que celui qui gère la chose ou les intérêts d'autrui doit y apporter les soins "d'un bon père de famille,” et l'on n'a pas introduit d'exception entre associés.
Le Code japonais a reproduit le même principe (Liv. des Biens, art. 334): il a réservé les cas ou la loi serait moins sévère, sans les énoncer ; mais il n'admet pas d'exception en matière de société. Voyons d'ailleurs sur qui elle se fonderait.
Les Romains, pour ne demander à l'associé, dans les affaires communes, que les soins qu'il apportait à ses propres affaires, en donnaient une raison qui n'est nullement décisive : c'était que les associés s'étaient choisis, et qu'ils devaient s'imputer à eux-mêmes la faute d'avoir choisi un associé peu diligent.
Si ce motif eût été suffisant, il aurait fallu l'appliquer à bien d'autres rapports qu'à ceux des associés, il seait applicable entre presque tous les autres contractants : au mandataire que le mandant choisit, au locataire, à l'emprunteur à usage que le bailleur ou le prêteur choisit également; or, les Romains n'ont jamais étendu à ces débiteurs la tolérance dont il s'agit.
La meilleure raison eût été, et serait encore aujourd'hui, que les fautes de l'associé, en même temps qu'elles atteignent les autres associés, retombent aussi sur celui qui les commet, ce qui le punit déjà en partie et donne lieu de croire qu'il a fait le mieux qu'il a pu.
Mais ce raisonnement n'a été admis que pour un cas particulier, objet de l'article suivant.