Art. 94. Les vices cachés de la chose vendue ne doivent pas être considérés comme constituant un cas spécial de garantie : la garantie suppose plutôt un danger menaçant qu'un dommage consommé ; la garantie est l'obligation pour un contractant de préserver l'autre de ce danger, et ce n'est que subsidiairement et lorsque le dommage n'a pu être évité, que la réparation devient à son tour l'objet de la garantie ; c'est ce qui a lieu dans le cas du danger d'éviction déjà rencontré ; c'est aussi une véritable garantie que se doivent respectivement les codébiteurs solidaires et les débiteurs d'une dette indivisible (art. 398).
Mais lorsque la chose vendue a des vices cachés, l'acheteur les découvrant ne demande pas au vendeur de les prévenir, puisqu'ils existent, ni de les faire cesser, puisqu'ils sont supposés “irrémédiables”: il demande la réparation du dommage qu'il:en éprouve, et cette réparation pourra être la résolution de la vente, sous le nom spécial de rédhibition, ou la diminution du prix et, dans tous les cas, des dommages-intérêts.
C'est la nature principale de cette réparation qui a fait placer dans cette Section l'action dite “rédhibitoire.” Il est cependant traité ensuite de l'action qui ne tend qu'à faire obtenir à l'acheteur une diminution du prix ou des dommages-intérêts ; mais cette action est secondaire, moins considérable dans son effet, et il était naturel de la réunir à la principale.
Si l'on voulait trouver une véritable action en garantie, à raison des vices cachés, il faudrait supposer justement le cas exclu ici, celui où les vices seraient facilement réparables ou remédiables ; alors, l'acheteur pourrait demander au vendeur de les corriger, de rétablir la chose vendue dans l'état où elle aurait dû être ; tel serait le cas d'une machine à vapeur, d'un instrument de musique, d'une horloge, qui ne fonctionnerait pas correctement ou même ne fonctionnerait pas du tout: assurément, en pareil cas, l'acheteur, non-seulement pourrait demander la réparation, la mise en état de fonctionnement de la chose vendue, mais même il devrait l'accepter, si le vendeur l'offrait, et renoncer à l'action rédhibitoire, car il y aurait mauvaise foi de sa part à chercher à se soustraire aux obligations de la vente, sons prétexte d'un dommage momentané et facilement réparable.
L'observation qui précède est importante, parce qu'elle sert en même temps de justification à l'un des caractères exigés par le texte dans le vice de la chose pour que l'action rédhibitoire soit possible, c'est que le vice soit “irrémédiable."
Continuant l'analyse de notre premier article, nous y voyons que le vice doit être “non apparent cette expression est préférable à celle plus usitée de “vice cache, parce que le mot caché pourrait faire croire que le vice a été dissimulé à dessein par le vendeur ; or, cette condition n est nullement nécessaire : il peut arriver que le vendeur ait ignoré lui-même le vice de la chose vendue et cela ne l'exempte pas d'une certaine responsabilité.
On verra, du reste, qu'il y a intérêt à distinguer la bonne ou la mauvaise foi du vendeur, c'est-à-dire son ignorance ou sa connaissance du vice ; sa position sera même encore plus mauvaise, si, connaissant le vice, il l'a dissimulé par quelque artifice,
La loi ne se contente pas que ces vices soient “non apparents,” elle a encore soin d'exiger que “l'acheteur les ait ignorés,” car s'ils lui avaient été révélés par quelqu'un ou par une circonstance fortuite, il ne mériterait plus le secours de la loi : de même si, en sens inverse, les vices étaient apparents et que l'acheteur les eût ignorés, faute d'avoir suffisamment examiné la chose, il ne pourrait imputer qu'à lui-même la perte qu'il éprouve, en supposant d'ailleurs que le vendeur n'ait commis aucun dol pour empêcher l'examen de la chose par l'acheteur.
Mais il faut encore que ces vices aient une gravité sérieuse pour donner lieu à l'action rédhibitoire. La loi l'exprime en supposant, soit que la chose se trouve devenue impropre à l'usage auquel elle était destinée, soit que cet usage est tellement diminué que l'acheteur n'aurait pas acheté, s'il avait connu les vices.
La loi a encore soin d'exprimer qu'il ne s'agit pas d'un usage particulier auquel l'acheteur aurait tacitement destiné la chose : il faut que cette destination résulte “de la nature de la chose,” ou, si l'acheteur lui donne une destination particulière, il faut qu'elle ait été annoncée au vendeur et admise par lui comme possible.
Ainsi, l'acheteur d'un cheval de selle, l'aurait destiné à être attelé, sans en informer le vendeur, il ne pourrait se plaindre ensuite qu'il fût impropre à cet usage ; il ne suffirait même pas qu'il eût informé le vendeur de son intention, parce que celui-ci pourrait n'avoir pas fait à cette déclaration une attention suffisante pour la combattre ; mais si le vendeur a approuvé cette destination c'est une sorte d'assurance que la chose y est propre, c'est l'acceptation d'une responsabilité spéciale.
Etant donnés ces caractères et cette gravité des vices de la chose vendue, l'acheteur a droit à la rédhibition ou reprise de la chose par le vendeur.
Il v a de particulier dans cette résolution de la vente que, tandis que, dans les autres cas, on a vu que c'est le vendeur qui demande à recouvrer sa chose, soit faute de payement, soit par la faculté de retrait, ici, c'est l'acheteur qui demande à la rendre, à la faire reprendre : c'est pour lui une variété de la résolution pour inexécution des conditions du contrat ; car, bien que le vendeur ne soit pas tenu, comme le bailleur, de fournir un usage et une jouissance future et continue de la chose vendue, il doit au moins fournir les éléments actuels de la jouissance future, c'est-à-dire que la chose doit être en état de service normal, ou au moins, elle, a des défauts graves, il faut qu'ils aient pu être connus et acceptés.
La vente étant résolue par l'effet de l'action rédhibitoire, l'acheteur doit recouvrer son prix, s'il l'a déjà payé, ou il en est libéré, dans le cas où il jouissait d'un terme. Il doit être aussi remboursé des frais du contrat, car c'est une dépense dans laquelle le vendeur l'a entraîné sans cause légitime.
S'il y a eu mauvaise foi du vendeur, l'acheteur a des dommages-intérêts, comme il est établi plus loin.
A l'égard des intérêts du prix payé, la rigneur des principes voudrait qu'ils fussent remboursés à l'acheteur avec le capital et que, de son côté, il payât quelque chose au vendeur pour la jouissance ou l'usage, même imparfait, qu'il a eu de la chose ; mais, dans un but de simplification des comptes, la loi ordonne que les intérêts se compensent avec la jouissance ou l'usage. S'il s'agissait d'une résolution expressément ou tacitement convenue, la loi pourrait exiger un compte rigoureux des intérêts et des fruits, et encore elle le subordonnerait à l'intention des parties (Liv. des Biens art 412). Mais lorsqu'il s'agit de détruire un contrat par dérogation au droit commun, et lorsque l'action est déjà considérée comme un mal nécessaire, il est naturel que la loi la simplifie autant qu'il est possible.
Toutefois, la loi ne pouvait raisonnablement admettre la compensation jusqu'au jour du jugement, encore moins jusqu'au jour de son exécution : la compensation s'arrête au jour de la demande.
La loi n'exprime pas que l'acheteur a le droit de rétention de la chose jusqu'au parfait payement de ce (qui lui est dû; mais la solution n'est pas douteuse, car, outre que ce droit de rétention sera ultérieurement établi comme sûreté réelle “dans tous les cas où un créancier détient la chose à raison de laquelle sa créance est née,” il y a ici une cause toute particulière de protéger l'acheteur, c'est que l'action rédhibitoire est créée en sa faveur.