Art. 58. La loi suppose maintenant que l'acheteur était de bonne foi, c'est-à-dire qu'il a ignoré, lors du contrat, que la chose vendue appartenait à autrui, et elle lui reconnaît, outre le droit relatif au prix, tel qu'il est indiqué plus haut, le droit à diverses indemnités La cause n'en est plus, comme pour la libération ou la répétition du prix, dans l'enrichissement indû ou sans cause du vendeur, mais dans le dommage injuste qu'il a causé.
Pour plus de clarté, ces indemnités sont énumérées et réunies dans un seul article.
On va les justifier successivement.
1° Les frais du contrat ne sont pas très-considérables et ils se divisent par moitié, entre les parties, dans les contrats synallagmatiques (v. des Biens 334.) ; cependant, 1 acheteur de bonne foi doit être remboursé de sa part des frais, car c'est la faute du vendeur qui lui a causé cette dépense inutile,
2° L'acheteur fait fréquemment des dépenses sur la chose qu'il a achetée : les unes sont de grosses réparations, ou dépenses nécessaires ; les autres sont des améliorations qui augmentent la valeur de la chose, ou dépenses utiles ; enfin, les dernières sont des dépenses de pur agrément, ou voluptuaires, au nombre desquelles il faut compter celles que l'acheteur aurait faites pour adapter la chose à ses besoins personnels, par exemple à sa profession, et qui, ne pouvant pas servir à d'autres, ne seraient pas considérées comme dépenses utiles ou donnant de la plus-value à la chose.
1.1 y a encore les dépenses d'entretien, mais elle ne doivent pas figurer ici, car elles sont une charge des fruits et l'acheteur de bonne foi, gagnant les fruits, doit aussi supporter les dépenses d'entretien, sans recours (voy. art. 86).
Les dépenses nécessaires et les dépenses utiles sont remboursées à l'acheteur par le propriétaire, au moment de la revendication (Liv. des Biens, 361-4°, 363), il n'a donc pas à les réclamer au vendeur, au moins en général ; mais comme l'acheteur peut agir en garantie avant d'être évincé, avant même que le propriétaire l'ait troublé, il faut nécessairement admettre que, dans ce cas, l'acheteur réclamera du vendeur les trois sortes de de dépenses, sauf le recours de ce dernier contre le vrai propriétaire, lorsque celui-ci fera valoir son droit. C'est pour laisser place à cette hypothèse et aussi à la distinction entre les trois sortes de dépenses que le texte suppose que l'acheteur “n'est pas remboursé par le propriétaire.”
3° Il est fréquent que les choses gagnent en valeur, par le seul effet du temps et des circonstances, sans qu'aucune dépense soit faite à cet égard ; cela est vrai surtout des immeubles, notamment des terrains dans les villes ou dans leur voisinage ; les maisons mêmes, quoique le temps les dégrade et oblige à des réparations, ont de la tendance à augmenter de valeur dans les temps de prospérité générale, ne fût-ce que par le seul accroissement de la population qui augmente les besoins et la demande d'habitations. Quant aux meubles, ils ne gagnent guère de valeur avec le temps que s'ils ont un caractère artistique ; mais toute cette théorie de la nullité de la vente de la chose d'autrui s'appliquera rarement aux meubles, du moment, que le possesseur de bonne foi d'un meuble en devient immédiatement propriétaire, par une sorte de prescription instantanée.
Lorsque la chose vendue a ainsi augmenté en valeur et que l'aclieteur n'en est pas devenu propriétaire, c'est avec raison qu'il peut dire que, si la propriété lui avait été transférée, il aurait bénéficié de cette plus-value fortuite ou résultant de circonstances plus ou moins prévues.
La position de l'acheteur est donc, à ce point de vue, très-favorable : il profite de la plus-value, sans souffrir de la moins-value.
4° L'acheteur qui était de bonne foi lors du contrat a pu gagner les fruits pendant un certain temps (voy. Liv. des Biens, art. 194) : il n'est pas tenu de les rendre au vrai propriétaire, et ce profit, conforme à ces intentions, doit se compenser avec les intérêts de son prix, lesquels ne lui sont pas rendus avec le capital.
Mais si l'on suppose que, plus tard, il a découvert que la chose appartenait à autrui, depuis ce moment les fruits ne lui sont plus acquis ; il en est de même de ceux qu'il a perçus depuis la demande en revendication. Pour ces deux époques, il doit restituer les fruits au propriétaire, parce qu'il n'est plus possesseur de bonne foi.
La conséquence est que le vendeur lui en doit l'équivalent. Si l'acheteur use de ce droit, il ne réclamera pas les intérêts de son prix pour les deux mêmes périodes ; mais la loi lui permet d'opter pour ces inté rêts, en abandonnant la réclamation de l'indemnité des fruits. Du moment que la vente ne lui a pas même procuré directement le gain des fruits, il peut demander que les conséquences de la nullité s'appliquent dès qu'il a cessé de gagner les fruits.
Le dernier alinéa forme un 5e chef de réclamation.
L'acheteur peut éprouver d'autres dommages résultant de ce que la chose n'est pas devenue sa propriété ; il peut avoir installé sur les lieux une industrie ou un commerce, dont il n'aura pas eu le temps de tirer profit ; il peut avoir fait des travaux agricoles qui n'ont pas encore donné de plus-value, ni de fruits et qui ne lui seront pas remboursés par le propriétaire, ou ne le seront que pour une faible partie. Il est juste qu'il en soit indemnisé La loi, pour ne pas entrer dans de nouveaux détails, se réfère au droit commun ; toutefois, elle en donne comme application les frais de procès.