Art. 547. Les trois précédents articles s'appliquaient à l'action en nullité ou en rescision, d'une manière générale ; le présent article et les quatre suivants sont spéciaux aux incapables et, bien que la liste n'en ait été dressée définitivement qu'au Livre des Personnes, il a fallu se prononcer ici sur le caractère de l'action en nullité qui leur appartient.
Il est nécessaire, pour l'intelligence et la justification de ces articles, d'indiquer d'abord les nombreuses hypothèses qui demandaient une solution et de présenter, sur chacune, celle que commandent les principes. il faut, avant tout, séparer les diverses sortes d'incapables, bien qu'on doive rencontrer quelques règles qui leur sont communes. On aura alors : 1° les mineurs non émancipés ; 2° les mineurs émancipés ; 3° les interdits, judiciairement ou légalement ; 4° les aliénés non interdits ; 5° les prodigues et les faibles d'esprit ; 6° les femmes mariées.
Sur chacune de ces classes de personnes, il faut sous-distinguer si les actes qui les concernent ont été faits régulièrement ou contrairement à la loi : si l'acte a été régulier, il est naturel de décider qu'il n'y a plus d'incapacité, elle doit être considérée comme corrigée parles garanties légales; si, au contraire, les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées, il doit y avoir présomption de préjudice pour l'incapable : son incapacité n'a pas été corrigée, il doit être secouru pour cela seul.
Les deux principes, toutefois, reçoivent quelques tempéraments suivant la distinction des personnes ; c'est pourpuoi il y a lieu de les reprendre séparément.
I. Mineurs non émancipés. — Ici, il faut faire une nouvelle sous-distinction : l'acte dont il s'agit d'apprécier la validité a-t-il été fait par le tuteur ou par le mineur lui-même ?
En principe, le mineur non émancipé ne doit faire aucun acte juridique par lui-même: il est pourvu d'un tuteur qui le représente dans tous les actes civils.
Quant aux pouvoirs du tuteur lui-même, ils varient, suivant la gravité des actes: certains actes lui sont absolument défendus, comme la donation des biens du mineur ; d'autres ne lui sont permis qu'avec l'autorisation du conseil de famille, comme la vente d'immeuble, la constitution d'hypothèque ; enfin, d'autres actes sont dispensés de tonte forme ou condition et peuvent être faits par le tuteur seul, comme les baux, l'achat, ou la vente des meubles de peu d'importance et les actes d'administration, en général.
A. Supposons maintenant : 1° que le tuteur a fait seul un acte d'administration, 2° qu'il a fait un acte avec les formes nécessaires, 3° qu'il a fait seul un acte qui exigeait une autorisation.
1er Cas. Le tuteur, représentant le pupille et ayant agi dans les limites du mandat que la loi lui donne, a fait évidemment un acte valable.
2e Cas. Le tuteur a fait un acte en bonne forme, c'est-à-dire avec l'autorisation requise. L'acte est encore inattaquable; le motif est le même: le tuteur a agi régulièrement comme mandataire légal du mineur.
3e Cas. Le tuteur n'a pas observé les formes et conditions requises ; ici, il ne s'est pas conformé à son mandat : l'acte est annulable, pour le seul défaut de formes, sans qu'il soit nécessaire de prouver la lésion du mineur.
Mais, ce serait aller trop loin que de dire que l'acte est radicalement nul, sans qu'il soit besoin même de l'attaquer ; c'est à tort qu'on dirait que le tuteur, n'ayant pas suivi les règles de son mandat, est considéré comme un étranger vis-à-vis du pupille : il a toujours une qualité générale de mandataire et c'est protéger suffisamment le pupille que de lui donner une action en rescision fondée sur la seule inobservation des formes.
B. Voyons maintenant le cas où c'est le mineur qui a fait l'acte et sous-distinguons : 1° s'il a fait seul un acte que le tuteur pouvait faire seul valablement, 2° s'il a lait seul un acte qui, pour le tuteur, était soumis à des formes et conditions.
On ne suppose pas ici, connue 3° cas, qu'il ait fait l'acte en bonne forme, parce que la première forme à observer était l'intervention du tuteur, et justement elle manque.
1er Cas. Il ne s'agit que d'un acte d'administration ; le seul défaut d'intervention du tuteur ne suffît pas pour faire annuler l'acte du mineur : il faut encore qu'il y ait lésion ; mais si légère qu'elle soit, pourvu qu'elle soit certaine, elle suffit.
2e Cas. Il s'agit d'actes qui, faits par le tuteur, seraient annulables faute de l'observation des formes : ils seront encore plus sûrement annulables, faits, dans ces conditions, par le mineur.
Ce sont les principes généraux de la tutelle qui com-mandent cette nullité pour défaut de formes.
II. Mineurs- émancipes. — Ici, on retrouve trois classes d'actes : 1° ceux que les émancipés peuvent faire seuls, comme un majeur ; 2° ceux pour lesquels ils ont besoin de l'assistance de leur curateur ; 3° ceux qui sont soumis aux mêmes formes et conditions que pour les mineurs non émancipés. Reprenons les séparément.
1er Cas. Les actes que l'émancipé peut faire seul sont, en général, des actes d'administration. Puisque pour ces actes, il est considéré comme majeurs, il est clair qu'il ne peut les faire annuler, même pour lésion.
2e Cas. Lorsque l'éman apé n'a pas été assisté de son curateur, il a excédé les bornes de sa capacité ; dans ce cas, la rescision lui est accordée, mais seulement s il est lésé.
3‘ Cas. Les formes et conditions n ont pas été observées : comme il est, à cet égard, assimilé au mineur non émancipé, il aura, comme lui, l'action en rescision pour défaut de formes, indépendamment de toute preuve directe d'une lésion.
L'article 547 résout d'abord trois questions sur la valeur des actes faits par le tuteur : 1 ° Quand les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées par lui, 2° Quand elles l'ont été, 3° Quand aucune forme particulière ne lui était imposée ?
Sur la première. question, il n'est pas douteux que l'inobservation des formes prescrites doive rendre l'acte annulable : ces formes sont établies dans l'intérêt du mineur, elles ne peuvent être impunément négligées. Telle est la disposition formelle du 1er alinéa de notre article.
Il ne faudrait pas, cependant, aller jusqu'à dire que ces actes sont radicalement nuis, pour vice de formes: les formes dont il s'agit ne sont pas de celles qui rendent les contrats solennels, elles suppléent seulement à la capacité qui manque au mineur et, en leur absence, l'incapacité subsiste. Mais aussi, on n'aura pas à examiner si l'acte lèse ou non le mineur, comme on le recherchera dans les cas prévus à l'article suivant : il y a une sorte de présomption légale absolue que le mineur est lèse, quand le tuteur n'a pas observé les formes et conditions que la loi lui a imposées.
Cette action en nullité qui est le résultat le plus saillant de l'incapacité du mineur ne sera pas seulement ouverte au mineur devenu majeur, elle peut même être exercée par le tuteur lui-même qui remplit encore son office en réparant sa propre faute.
La deuxième question est implicitement résolue par le même alinéa : l'acte accompli régulièrement par le tuteur n'est pas rescindable. On ne pourra soutenir, que l'acte régulier du tuteur est rescindable pour lésion : on réservera ce secours pour le cas où les mêmes actes auraient été faits par le mineur lui-même, ce qui est déjà une irrégularité, s'il n'y en a pas d'autres.
A quoi servirait donc, en effet, que le tuteur eût observé les formes prescrites, si l'acte n'était pas alors à l'abri de toute attaque ? Quelles garanties auraient les tiers? Qui voudrait traiter avec le tuteur, même pour les actes les plus nécessaires au pupille, s'il n'était sûr de conserver les avantages de son acte ?
La troisième question doit se résoudre comme la précédente et par un raisonnement sinon identique, au moins analogue : lorsqu'aucune formalité n'est imposée au tuteur, à cause de la simplicité de l'acte, ses pouvoirs sont les mêmes que si, soumis à des formalités, il s'y conformait ; l'acte accompli par lui est aussi régulier dans un cas que dans l'autre et l'intérêt du mineur demande encore davantage la sécurité des tiers contractants ; car ces actes qui sont les plus simples sont aussi les plus fréquents et les plus nécessaires, soit aux biens, soit à la personne même du mineur.
Le 1er alinéa de notre article assimile le tuteur de l'interdit à celui du mineur ; cette assimilation est constante et toute naturelle ; le texte même, par sa généralité, s'applique aussi bien au tuteur de l'interdit légalement qu'à celui de l'interdit judiciairement.
Les mêmes solutions sont encore étendues, à l'interdit, au mineur, émancipé ou non, au prodigue et au faible d'esprit pourvus d'un conseil judiciaire, lorsque leur actes ont été irrégulièrement accomplis ; en remarquant, avec le texte, que les actes de l'interdit sont toujours annulables, comme irréguliers, sans distinction (2e al.).
A l'égard du mineur émancipé il lui faut souvent, pour que ses actes soient valables, de l'assistance de son curateur ; pour le prodigue et pour le demi-interdit par suite de faiblesse d'esprit, il lui faut aussi l'assistance du curateur. Mais, dans tous lescas, chaque fois que la loi a été observée par eux, suivant ses exigences, l'acte reste et doit rester inatta quable, sans qu'il y ait à rechercher s'il y a eu lésion ou non.
Le 3e alinéa de notre article tend à prévenir une exagération de la validité des actes dont il s'agit : lorsque la loi met à l'abri de la rescision les actes réguliers des incapables, elle ne veut parler que de la rescision fondée sur l'incapacité ; il va de soi que si l'acte présentait quelque autre vice qui permit à un majeur de le faire rescinder, le mineur et son représentant n'auraient pas moins de droits : par exemple, si le consentement du tuteur ou du mineur émancipé avait été entaché d'erreur ou obtenu par violence.