Art. 569. — 660. Les trois précédents articles s'appliquent à l'action en nullité ou en rescision, d'une manière générale. Le présent article et les quatre suivants sont spéciaux aux incapables et, bien qu'on ait dit que la liste n'en sera dressée définitivement qu'au Livre Ier, il a fallu se prononcer ici sur le caractère de l'action en nullité qui leur appartient (v. n° 648, note 1).
661. Le Code français présente, à cet égard, des lacunes et des obscurités qui donnent lieu à bien des divergences d'opinions, spécialement sur l'article 1305.
Sans entrer ici dans le détail et dans la discussion des divers systèmes qui se sont produits et qui divisent les meilleurs auteurs, il est nécessaire, pour l'intelligence et la justification du Projet, d'indiquer d'abord les nombreuses hypothèses qui demandaient une solution et de proposer, sur chacune, celle que commandent les principes.
Il faut, avant tout, séparer les diverses sortes d'incapables, bien qu'on doive rencontrer quelques règles qui leur sont communes. On aura alors: 1° les mineurs non émancipes; 2° les mineurs émancipes; 3° les interdits, judiciairement ou légalement; 4° les aliénés non interdits; 5° les prodigues et les faibles d'esprit; G0 les femmes mariées.
Sur chacune de ces classes de personnes, il faut sousdistinguer si les actes qui les concernent ont été faits régulièrement ou contrairement à la loi: si l'acte a été régulier, il est naturel de décider qu'il n'y a plus d'incapacité, elle doit être considérée comme corrigée par les garanties légales, et il est surprenant que cette opinion trouve en France des contradicteurs; si, au contraire, les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées, il doit y avoir présomption de lésion pour l'incapable: son incapacité n'a pas été coro rigée, il doit être secouru pour cela seul.
Les deux principes, toutefois, reçoivent quelques tempéraments, suivant la distinction des personnes; c'est pourquoi il y a lieu de les reprendre séparément.
662. 1. Mineurs non émancipes. -Ici, il faut faire une nouvelle sous-distinction: l'acte dont il s'agit d'apprécier la validité a-t-il été fait par le tuteur on par le mineur lui-même ?
En principe, le mineur non émancipé ne doit faire aucun acte juridique par lui-même: il est pourvu d'un tuteur " qui le représente dans tous les actes civils " (c. civ. fr., art 450). A la différence de ce qui avait lieu à Rome, le mineur ne figure pas dans les actes, avec autorisation du tuteur: il n'y paraît pas, il ne les signe pas, il ne les' connaît même pas, le plus souvent, avant la reddition du compte de tutelle.
Quant aux pouvoirs du tuteur lui-même, ils varient, suivant la gravité des actes: certains actes lui sont absolument défendus, comme la donation des biens du mineur; d'autres ne lui sont permis qu'avec l'autorisation du conseil de famille et du tribunal, comme l'emprunt, la vente d'immeuble, la constitution d'hypothèque; pour d'autres, comme l'acceptation ou la répudiation d'une succession, il lui faut l'autorisation du conseil de famille seul; enfin, d'autres actes sont dispensés de l'une et de l'autre de ces formes ou conditions et peuvent être faits par le tuteur seul, comme les baux, l'achat de meubles et d'immeubles, la vente des meubles et les actes d'administration, en général (voy. c. civ. fr., art. 450 et s.).
663. Supposons, en premier lieu: 1° que le tuteur a fait seul un acte d'administration, 2° qu'il a fait un acte avec les autorisations et les formes nécessaires, 3° qu'il a fait seul un acte qui exigeait des autorisations.
1er Oas. Le tuteur, représentant le pupille et ayant ^ agi dans les limites du mandat que la loi lui donne, a fait évidemment un acte valable; c'est à tort qu'on pré- tendrait que l'article 1305 permet d'attaquer cet acte pour lésion, parce qu'il donne au mineur l'action en rescision pour lésion "contre toutes sortes de conventions:" nous démontrerons bientôt que cet article ne vise que le cas où c'est le mineur même qui a contracté, et non son tuteur.
2e Oas. Le tuteur a fait un acte en bonne forme, c'està-dire avec les autorisations requises. L'acte est encore inattaquable, même pour lésion; le motif est le même: le tuteur a agi régulièrement comme mandataire légal du mineur; l'article 1314 est formel en ce sens, puisqu'il refuse l'action en rescision pour lésion des actes réguliers du tuteur, dans tous les cas où elle serait refusée à un majeur.
3e Oas. Le tuteur n'a pas observé les formes et conditions requises; ici, il ne s'est pas conformé à son mandat: l'acte est annulable, pour le seul défaut de formes, sans qu'il soit nécessaire de prouver la lésion. Ce n'est pas davantage le cas de l'article 1305.
Mais, ce serait aller trop loin que de dire que l'acte est radicalement nul, sans qu'il soit besoin même de l'attaquer; c'est à tort qu'on dirait que le tuteur, n'ayant pas suivi les règles de son mandat, est considéré comme un étranger vis-à-vis du pupille: il a toujours une qualité générale de mandataire et c'est protéger suffisamment le pupille que de lui donner une action en rescision fondée sur la seule inobservation des formes.
664. Voyons, en second lieu, le cas où c'est le mineur qui a fait l'acte, et sous-distinguons: 1° s'il a fait seul un acte que le tuteur pouvait faire seul valablement; 2° s'il a fait seul un acte qui, pour le tuteur, était soumis à des formes et conditions.
On ne suppose pas ici, comme 3e cas, qu'il ait fait l'acte en bonne forme, parce que la première forme à observer était l'intervention du tuteur, et justement elle manque.
1er Cas. Il ne s'agit que d'un acte d'administration; le seul défaut d'intervention du tuteur ne suffit pas pour faire annuler l'acte du mineur: il faut encore qu'il y ait lésion; mais si légère qu'elle soit, pourvu qu'elle soit certaine, elle suffit: la loi se contente d'une " simple lésion " (art. 1305), mais elle est nécessaire. On dit alors, pour ces sortes d'actes, que le mineur n'est pas incapable de contracter, mais de se léser (f).
2e Cas. Il s'agit d'actes qui, faits par le tuteur, seraient annulables faute de l'observation des formes: ils seront encore plus sûrement annulables, faits par le mineur, dans ces conditions.
Ici, ce n'est plus l'article 1305 qui le dit: il semblerait même encore exiger la lésion, puisqu'il prévoit "toutes sortes de conventions;" mais ces mots n'ont d'autre but que d'établir une différence avec les émancipés dont la loi s'occupe aussitôt après et qui ne peuvent invoquer la rescision pour lésion que ”contre les conventions qui excèdent les bornes de leur capacité." Ce sont les principes généraux de la tutelle qui commandent cette nullité pour défaut de formes et la loi elle-même y fait allusion dans l'article 1311 où elle suppose qu'un mineur, devenu majeur, a ratifié un contrat "par lui souscrit en minorité, soit qu'il fût nul en la forme, soit qu'il fût seulement sujet à restitution" (à rescision pour lésion).
665. -II. Mineurs émancipés. Ici, on retrouve trois classes d'actes: 1° ceux que les émancipés peuvent faire seuls, comme un majeur; 2° ceux pour lesquels ils ont besoin de l'assistance de leur curateur; 3° ceux qui sont soumis aux mêmes formes et conditions que pour les mineurs non émancipés (voy. c. civ. fr., art. 481 à 484). Reprenons-les séparément.
1er Cas. Les actes que l'émancipé peut faire seul sont, en général, des actes d'administration. Puisque pour ces actes, il est considéré comme majeur, il est clair qu'il ne peut les faire annuler, même pour lésion (art. 481 et 1305, arg. a contrario).
2e Cas. Lorsque l'émancipé n'a pas été assisté de son curateur, " il a excédé les bornes de sa capacité -, " dans ce cas, l'article 1305 lui accorde formellement, la rescision, mais seulement s'il est lésé: " pour simple lésion."
3e Cas. Les formes et conditions n'ont pas été observées: comme il est, à cet égard, assimilé au mineur non émancipé, il aura, comme lui, l'action en rescision pour défaut de formes, indépendamment de toute preuve directe d'une lésion.
Remarquons, à ce sujet, que l'article 1305, par cela seul qu'il a mis sur la même ligne les deux sortes de mineurs, dont l'an, l'émancipé, est toujours supposé ayant agi lui-même, a évidemment supposé que l'autre avait également agi lui-même et, par conséquent, ledit article 1305 ne doit pas être invoqué dans la question de validité des actes du tuteur.
Ce qui. prouve encore que l'article 1305 'ne vise que les actes du mineur lui-même et non ceux du tuteur, c'est la série des articles qui suivent, depuis l'article 1307 jusqu'à l'article 1312, inclusivement: dans ces articles où la loi, tantôt confirme, tantôt refuse la rescision pour lésion, elle suppose formellement le mineur ayant agi lui-même.
666. —111. Interdits. La loi française déclare " nuls de droit" tous les actes qu'ils ont passés eux-mêmes postérieurement à l'interdiction (art. 502). Seulement, les mots, pris à la lettre, dépasseraient la pensée de la loi: il ne s'agit pas d'une nullité radicale, d'une inexistence légale de l'acte; la loi a seulement voulu dire que la nullité serait toujours prononcée, sans distinction s'il y a lésion, ou non, et sans débat.
Quant aux actes faits par le tuteur de l'interdit, la loi n'en dit rien. Les principes de la tutelle, résumés plus haut, conduisent à dire que ceux régulièrement faits seront inattaquables et que ceux faits irrégulièrement seront aussi "nuls de droit," pour défaut de formes.
667. -IV. Aliénés non interdits. Une loi française spéciale, déjà citée, du 30 Juin 1838 (art. 39), les assimile aux interdits judiciairement, quant à l'administration de leurs biens, avec une garantie supplémentaire déjà signalée et que le Projet conserve, en l'étendant aux interdits judiciairement auxquels elle n'est pas moins nécessaire.
668. -V. Prodigues et faibles d'esprit. Le Code français est plus simple à leur égard: pour certains actes jugés les plus graves, il leur faut l'assistance de leur conseil judiciaire, sans autre condition (art. 499 et 513); pour tous les autres, ils ont une pleine capacité. Les premiers, faits sans l'assistance du conseil judiciaire, sont " nuls de droit," pour ce défaut de forme (art. 502); les autres sont inattaquables, même pour lésion..
669. -VI. Femmes mariées. Elles peuvent, en principe, faire les actes d'administration de leurs biens; mais, quelquefois, le régime matrimonial en délègue le pouvoir au mari, c'est ce qui a lieu quand les époux sont mariés sous le régime de communauté. Dans ce cas, l'incapacité de la femme est complète. Mais, dans aucun cas, la femme mariée ne peut emprunter, aliéner ses biens, ni les hypothéquer, sans l'autorisation du mari et, à son défaut, sans celle de justice. Si elle n'a eu aucune de ces autorisations, l'acte est nul pour ce seul fait, sans qu'il y ait à examiner s'il y a lésion ou non: c'est la nullité pour défaut de forme. Si l'autorisation voulue a eu lieu, l'acte est pleinement valable, lors même qu'il y aurait lésion.
670. Telles sont les solutions que, selon nous, les principes commandent d'admettre sous le Code français.
On va les trouver formellement proclamées pour le Projet, de façon à prévenir les controverses qu'on regrette tant de rencontrer, en France, sur des sujets si importants.
En supposant que le futur Code doive s'écarter peu de la théorie française, telle que nous venons de la présenter, trois questions sont à résoudre pour les actes faits par le tuteur: quelle est leur valeur: 1° Quand les formes et conditions prescrites par la loi n'ont pas été observées par lui; 2° Quand elles l'ont été; 3° Quand aucune forme particulière ne lui était imposée ?
671. Sur la première question, il n'est douteux pour personne que l'inobservation des formes prescrites doive rendre l'acte annulable: ces formes sont établies dsns l'intérêt du mineur, elles ne peuvent être impunément négligées. Telle est la disposition formelle du 1er alinéa de notre article 569.
Il ne faudrait pas, cependant, aller jusqu'à dire que ces actes sont radicalement nuls, pour vice de formes: les formes dont il s'agit ne sont pas de celles qui rendent les contrats solennels (voy. art. 321 et 325 in fine), elles suppléent seulement à la capacité qui manque au mineur et, en leur absence, l'incapacité subsiste. Mais aussi, on n'aura pas à examiner si l'acte lèse ou non le mineur, comme on le recherchera dans les cas prévus à l'article suivant: il y a une sorte de présomption légale absolue que le mineur est lésé quand le tuteur n'a pas observé les formes et conditions que la loi lui a imposées dans l'intérêt de celui-ci.
Cette action en nullité qui est le résultat le plus saillant de l'incapacité du mineur ne sera pas seulement ouverte au mineur devenu majeur, elle peut même être exercée par le tuteur lui-même qui remplit encore son office en réparant sa propre faute.
672. La deuxième question est implicitement résolue par le même alinéa: l'acte accompli régulièrement par le tuteur n'est pas rescindable. On ne pourra soutenir, au Japon, comme cela est trop fréquent en France, que l'acte régulier du tuteur est rescindable pour lésion: on réservera ce secours pour le cas où les mêmes actes auraient été faits par le mineur lui-même, ce qui est déjà une irrégularité, s'il n'y en a pas d'autres.
A quoi servirait donc, en effet, que le tuteur eût observé les formes prescrites, si l'acte n'était pas alors à l'abri de toute attaque ? Quelles garanties auraient les tiers ? Qui voudrait traiter avec le tuteur, même pour les actes les plus nécessaires au pupille, s'il n'était sûr de conserver les avantages de son acte (g) ?
673. La troisième question doit se résoudre comme la précédente et par un raisonnement sinon identique, au moins analogue: lorsqu'au eu ne formalité n'est imposée au tuteur, à cause de la simplicité de l'acte, ses pouvoirs sont les mêmes que si, soumis à des formalités, il s'y conformait; l'acte accompli par lui est aussi régulier dans un cas que dans l'autre et l'intérêt du mineur demande encore davantage la sécurité des tiers contractants, car ces actes qui sont les plus simples sont aussi les plus fréquents et les plus nécessaires, soit aux biens, soit à la personne même du mineur.
Le 1er alinéa de notre article assimile le tuteur de l'interdit à celui du mineur; cette assimilation est constante et toute naturelle; le texte même, par sa généralité, s'applique aussi bien au tuteur de l'interdit légalement qu'à celui de l'interdit judiciairement.
674. Les mêmes solutions sont encore étendues, à l'interdit, au mineur, émancipé ou non, au prodigue et au faible d'esprit pourvus d'un conseil judiciaire, lorsque leurs actes ont été irrégulièrement accomplis; en remarquant, avec le texte, que les actes de l'interdit sont toujours annulables, comme irréguliers, sans distinction (2e al.).
A l'égard du mineur émancipé il ne suffit pas toujours, pour que ses actes soient valables, qu'il soit assisté de son curateur: il lui faut souvent l'autorisation du conseil de famille et même celle du tribunal, comme au tuteur d'un mineur non émancipé. Pour le prodigue et pour le demi-interdit par suite de faiblesse d'esprit, il suffit de l'assistance du conseil judiciaire; mais elle leur est plus nécessaire qu'au mineur émancipé l'assistance de son curateur. On verra, sous l'article suivant, cette différence profonde entre le mineur émancipé et le prodigue, relative à des actes irréguliers. Mais, dans tous les cas, chaque fois que la loi a été observée par eux, suivant ses exigences, l'acte reste et doit rester inattaquable, sans qu'il y ait à rechercher s'il y a eu lésion ou non.
675. Le 3e alinéa de notre article tend à prévenir une exagération de la validité des actes dont il s'agit: lorsque la loi met à l'abri de la rescision les actes réguliers des incapables, elle ne veut parler que de la rescision fondée sur l'incapacité; il va de soi que si l'acte présentait quelque autre vice qui permît à un majeur de le faire rescinder, le mineur et son représentant n'auraient pas moins de droits: par exemple, si le consentement du tuteur ou du mineur émancipé avait été entaché d'erreur ou obtenu par violence, ou si l'acte produisait pour le mineur une lésion contre laquelle les majeurs eux-mêmes sont admis à la restitution.
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(f) On en a fait nn axiome latin: llestitu£tur, non tanquàm mlnor, sed tanquàm lœsus; " Il est restitué, non comme mineur, mais comme lésé."
(g) La même question, soulevée en droit romain et résolue comme ci, donnait lieu au même raisonnement: " personne n'achèterait du tuiteur," nemine scilicet entente.