Art. 545. La loi commence par qualifier de “prescription" le délai de l'action et de l'exception de nullité : elle tranche ainsi une question débattue aussi en d'autres pays où certains auteur prétendent qu'il s'agit ici d'un délai invariable, préfix, comme les délais de procédure. Dans cette opinion, le délai qui nous occupe se trouve, il est vrai, retardé dans son point de départ jusqu'au moment où l'intéressé peut exercer son droit; mais, une fois que le délai a commencé à courir, il ne serait plus soumis aux suspensions et interruptions ordinaires de la prescription. L'opinion opposée est dominante et la loi la consacre ici formellement, surtout à la fin du présent article.
C'est un principe général, en matière de prescription, que le délai qui doit entraîner ainsi la déchéance d'un droit ne court pas tant que l'ayant droit ne peut pas agir. Quand il s'agit d'obstacles de droit, il n'y a pas besoin d'un texte pour appliquer le principe ; ainsi, celui qui a une créance à terme ou sous condition ne peut perdre son droit par prescription, parce qu'il ne peut agir valablement avant l'échéance du ternie ou l'événement de la condition. Mais lorsqu'il n'y a à l'exercice de l'action qu'un obstacle de fait, il faut un texte de loi pour suspendre la prescription. Dans les cas qui nous occupent, il y a plutôt obstacle de fait qu'obstacle de droit à l'exercice de l'action en nullité ou rescision : les incapables ne peuvent pas valablement agir par eux-mêmes, il est vrai, mais leur représentant le peut ; ceux dont le consentement a été vicié ont certainement le droit d'agir dès que le contrat a été formé, au moins quand il y a eu violence et même quand elle n'a pas cessé, et, pour ceux qni ont été induits en erreur, l'obstacle à agir est évidemment de fait et non de droit. Mais la loi fait sagement de retarder le point de départ du délai jusqu'à ce que ces obstacles de fait aient disparu.
Si la série des incapacités générales eût déjà établie au moment de la publication de cette partie du Code, le texte eût indiqué pour chaque incapable, le point de départ de la prescription de son action; mais la loi a dû se borner à poser le principe, de sorte que la disposition fût toujours applicable sans modification, quel que fût le nombre des incapables admis ultérieurement.
On va ici parcourir rapidement les six cas d'incapacité, qui ont pris place au Livre des Personnes.
1° Pour les mineurs, émancipés ou non, dans les cas où ils ont l'action en nullité, le délai ne commence à courir qu'à leur majorité ; l'émancipation no permettant pas au mineur de plaider seul, il est naturel d'attendre sa mojarité pour faire courir le délai.
2e Les femmes mariées, lorsqu'elles ont contracté sans l'autorisation du mari, alors que cette autorisation était nécessaire, ne commencent à être exposées à la déchéance que lorsque la dissolution du mariage leur a rendu leur pleine liberté d'agir en justice. Dans le même cas, l'action en nullité appartient aussi au mari dont les droits ont été méconnus.
3° L'action en nullité des interdits judiciairement est imprescriptible, tant que l'interdiction n'est pas levée par le tribunal, après une procédure analogue à celle qui a amené l'interdiction ; mais à partir de ce moment la prescription court. Il pourrait cependant arriver que l'interdit n'eût conservé aucun souvenir de l'acte qu il a fait et ce serait peut-être le cas de lui donner au moins une exception perpétuelle ; mais ce serait encore une protection insuffisante, car, s'il a exécuté son acte pendant l'interdiction, il ne sera pas actionné et il n'aura plus l'occasion de se défendre par l'exception de nullité. La meilleure solution est de lui accorder le même secours qu'à celui dont il est question ci-après, au sujet de l'aliéné non interdit, et c'est ce que fait le texte (2e al.).
4° Quand une personne est tombée en démence, soudainement et par une cause qui laisse espérer sa guérison, il vaut mieux ne pas l'interdire judiciairement, tant à cause de la notoriété fâcheuse qui en résulte qu'à cause des lenteurs nécessaires de la procédure d'interdiction et de celle de la main-levée, il suffit qu'elle soit placée dans une maison d'aliénés ou dans une maison de santé désignée à cet effet par l'autorité ou même retenue dans sa famille sous certaines conditions, et, tant qu'elles sont retenues dans cette maison, elles sont incapables de contracter, si pourtant elles ont réussi à aliéner ou à s'obliger, en fraude de la loi, elles ont une action en nullité ou en rescision contre laquelle la prescription ne court pas tant qu'elles sont retenues dans ladite maison, et même après leur sortie de la maison et le rétablissement de leur santé d'esprit, la prescription de leur action ne court qu'à partir du moment où l'acte qu'elles ont souscrit leur a été signifié ou du moment où elles en ont eu autrement connaissance.
5° Les faibles d'esprit et les prodigues reçoivent, un conseil judiciaire pour les actes les plus importants relatifs à leurs biens.
6° A l'égard des condamnés à des peines criminelles, interdits par la loi de l'exercice des droits civils, pendant la durée de leur peine, l'action en nullité ne sc prescrit pour eux qu'à compter du jour où leur peine a cessé. Il y a plus de difficulté à l'égard de ceux qui ont traité avec eux et auxquels le Code accorde aussi l'action en nullité (voy. art. 319, 2e al.). Le plus sage et aussi le plus simple est de leur conserver l'action en nullité aussi longtemps qu'elle est accordée au condamné, c'est-à-dire pendant cinq ans après l'expiration de leur peine : il ne faut pas perdre de vue, en effet, que, plus l'action en nullité sera largement ouverte, moins les condamnés seront portés à traiter, et ainsi le but de la loi se trouvera plus sûrement atteint ;
La loi a pu se prononcer, dès à présent, et avec plus de précision, sur le point de départ de la prescription, dans les cas de vices de consentement et dans celui de dol qui s'en rapproche beaucoup dans ses effets : la cessation de la violence, la reconnaissance de l'erreur, la découverte du dol, lèvent tous les obstacles de fait que rencontrait l'action et la prescription commence alors à courir.
Le dernier alinéa confirme, comme on l'a annoncé, le caractère de prescription du délai de cinq ans qui nous occupe. Ce n'est pas ici le lieu d'énoncer les diverses causes de suspension et d'interruption de la prescription.