Art. 567. — 653. La loi commence par qualifier de '£ prescription " le délai de l'action et de l'exception de nullité: elle tranche ainsi une question débattue en France, où certains auteurs prétendent qu'il s'agit ici d'un délai invariable, préfix, comme les délais de procédure. Dans cette opinion, le délai qui nous occupe se trouve, il est vrai, retardé dans son point de départ jusqu'au moment où l'intéressé peut exercer son droit, parce que d'ailleurs la loi le dit formellement (c. civ. fr., art. 1304); mais, une fois que le délai a commencé à courir, il ne serait plus soumis aux suspensions et interruptions ordinaires de la prescription. L'opinion opposée est dominante et la loi la consacre ici formellement, surtout à la fin du présent article.
654. C'est un principe général, en matière de prescription, que le délai qui doit entraîner ainsi la déchéance d'un droit ne court pas tant que l'ayant-droit ne peut pas agir (d). Quand il s'agit d'obstacles de droit, il n'y a pas besoin d'un texte, à la rigueur, pour appliquer le principe; ainsi, celui qui a une créance à terme ou sous condition ne peut perdre son droit par prescription, parce qu'il ne peut agir valablement avant l'échéance du terme ou l'événement de la condition (e). Mais lorsqu'il n'y a à l'exercice de l'action qu'un obstacle de fait, on admet aujourd'hui qu'il faut un texte de loi pour suspendre la prescription: le Projet en contient un assez général, à cet égard (v. art. 1472).
Dans les cas qui nous occupent, il y a plutôt obstacle de fait qu'obstacle de droit à l'exercice de l'action en nullité ou rescision: les incapables ne peuvent pas va Jablement agir par eux-mêmes, il est vrai, mais leur représentant le peut; ceux dont le consentement a été vicié ont certainement le droit d'agir dès que le contrat a été formé, au moins quand il y a eu violence et même quand elle n'a pas cessé, et, pour ceux qui ont été induits en erreur, l'obstacle à agir est évidemment de fait et non de droit. Mais la loi fait sagement de retarder le point de départ du délai jusqu'à ce que ces obstacles de fait aient disparu.
655. Si la série des incapacités générales avait été déjà établie au moment de la rédaction de cette partie du Projet, le texte aurait ici, comme le Code français et plus complètement même, indiqué pour chaque incapable, le point de départ de la prescription de son action; mais on a dû se borner à poser le principe, de sorte que la disposition fût toujours applicable sans modification, quel que fût le nombre des incapables admis ultérieurement.
On va ici parcourir rapidement les six cas d'incapacité admis plus haut.
1° Pour les mineurs, émancipés ou non, dans les cas où ils ont l'action en nullité, le délai ne commence à courir qu'à leur majorité; l'émancipation ne permettant pas au mineur de plaider seul, il est naturel d'attendre sa majorité pour faire courir le délai.
2° Les femmes mariées, lorsqu'elles ont contracté sans l'autorisation du mari ou de justice, alors que cette autorisation était nécessaire, ne commencent à être exposées à la déchéance que lorsque la dissolution du mariage leur a rendu leur pleine liberté d'agir en justice. Dans le même cas, l'action en nullité appartient aussi au mari dont les droits ont été méconnus.
C'est une question fort débattue, en France, que celle de savoir si l'action du mari se prescrit pendant le mariage, en comptant le délai à partir du jour où il a connu l'acte de sa femme. Il sera mieux, au Japon, de déclarer que l'action du mari, comme celle de la femme, ne commence à se prescrire qu'à partir de la dissolution du mariage: jusque là, le mari peut craindre de troubler la paix conjugale par une action qui est un blâme pour sa femme et qui peut d'ailleurs obliger celleci à des restitutions pour lesquelles elle n'aurait plus les fonds nécessaires. Du reste, le texte du 1er alinéa, par sa généralité même, se prête déjà à cette solution..
3° En France, l'action en nullité des interdits judiciairement est imprescriptible, tant que l'interdiction n'est pas levée par le tribunal, après une procédure analogue à celle qui a amené l'interdiction; mais à partir de ce moment la prescription court. Il pourrait cependant arriver que l'interdit n'eûtconservé aucun souvenir de l'acte qu'il a fait et ce serait peut-être le cas de lui donner au moins une exception perpétuelle; mais ce serait encore une protection insuffisante, car, s'il a exécuté son acte pendant l'interdiction, il ne sera pas actionné et il n'aura plus l'occasion de se défendre par l'exception de nullité. La meilleure solution est de lui accorder le même secours qu'à celui dont il est question ci-après, au sujet de l'aliéné non interdit, et c'est ce que fait le Projet (2e al.).
4° Quand une personne est tombée en démence, soudainement et par une cause qui laisse espérer sa guérison, il vaut mieux ne pas l'interdire judiciairement, tant à cause de la notoriété fâcheuse qui en résulte qu'à cause des lenteurs de la procédure d'interdiction et de celle de la main-levée. En France, depuis une loi spéciale de 1838, les personnes se trouvant dans cette situation sont placées dans une maison d'aliénés ou dans une maison de santé désignée à cet effet par le préfet, et, tant qu'elles sont retenues dans cette maison, elles sont incapables de contracter; si pourtant elles ont réussi à aliéner ou à s'obliger, en fraude de la loi et de leurs surveillants, elles ont une action en nullité ou en rescision contre laquelle la prescription ne court pas tant qu'elles sont retenues dans ladite maison. La loi a poussé la précaution encore plus loin que pour les interdits; car même après leur sortie de la maison et le rétablissement de leur santé d'esprit, la prescription de leur action ne court qu'à partir du moment où l'acte qu'elles ont souscrit leur a été signifié ou du moment où elles en ont eu autrement connaissance (Loi du 30 juin 1838, art. 39).
On a quelquefois essayé de soutenir, en France, que cette protection était désormais applicable aux interdits judiciairement. Si désirable que ce soit, nous ne le croyons pas, mais, dans une législation nouvelle à faire, il ne fallait pas hésiter à insérer cette extension comme le fait notre article.
5° Les faibles d'esprit et les prodigues reçoivent, en France, un conseil judiciaire pour les actes les plus importants relatifs à leurs biens. Le Code français en fait l'énumération dans les articles 499 et 513. Le Code japonais pourra utilement imiter ces dispositions.
6° A l'égard des condamnés à des peines criminelles, interdits par la loi de l'exercice des droits civils, pendant la durée de leur peine, l'action en nullité ne se prescrit pour eux qu'à compter du jour où leur peine a cessé. Il y a plus de difficulté l'égard de ceux qui ont traité avec eux et auxquels le Projet accorde aussi l'action en nullité (voy. art. 340, 2e al.). Le plus sage et aussi le plus simple est de leur conserver l'action en nullité aussi longtemps qu'elle est accordée au condamné, c'est-à-dire pendant cinq ans après l'expiration de leur peine: il ne faut pas perdre de vue, en effet, que, plus l'action en nullité sera largement ouverte, moins les condamnés seront portés à traiter, et ainsi le but de la loi se trouvera plus sûrement atteint; c'est ainsi que décide le Projet (comp. n° 94).
656. La loi a pu se prononcer, dès à présent, et avec plus de précision, sur le point de départ de la prescription, dans les cas de vices de consentement et dans celui de dol qui s'en rapproche beaucoup dans ses effets: la cessation de la violence, la reconnaissance de l'erreur, la découverte du dol, lèvent tous les obstacles de fait que rencontrait l'action et la prescription commence alors à courir.
Pour la lésion, la loi fixe le point de départ du délai au jour même du contrat; il ne pouvait être question d'attendre que la lésion eût été découverte: le contractant a toute facilité de faire ses calculs et de se ren drecompte de la perte qu'il a éprouvée.
La loi suppose le cas exceptionnel de rescision pour lésion d'un majeur, car, s'il s'agissait d'un mineur, l'action ne se prescrirait pas pendant sa minorité (v. art. 570).
657. Le dernier alinéa confirme, comme on l'a annoncé, le caractère de prescription du délai de cinq ans qui nous occupe. Ce n'est pas ici le lieu d'énoncer ' les diverses causes de suspension et d'interruption de la prescription. Dans les premières, on retrouverait la minorité, sans que cette suspension fît double emploi avec la précédente; il suffirait, pour lui donner son application propre de supposer que le contractant est mort dans les délais de l'action, laissant pour héritier un mineur: le délai de cinq ans qui avait déjà été suspendu par la minorité du contractant et qui avait pu commencer à courir par sa majorité, se trouverait de nouveau suspendu par l'effet de la minorité de l'héritier (2).
La lésion d'un majeur présentera encore ici une nouvelle particularité: le délai de l'action étant, en général, abrégé dans ce cas, continuera à courir contre les héritiers mineurs; le Code français a soin de le dire dans le cas particulier de la vente (v. art. 1676, 2e al.); le Projet le déclarera d'une manière générale pour les courtes prescriptions (v. art. 1467. 1er al.).
Une dernière différence entre l'action en rescision pour lésion et les autres actions en rescision c'est que, lorsqu'il y a eu seulement lésion, le défendeur à l'action peut en arrêter l'effet, en offrant au demandeur une valeur suffisante pour faire disparaître ladite lésion (voy. ci-après, art. 576), et ici cette particularité s'appliquera même au cas de lésion d'un mineur.
----------
(d) C'est encore un axiome: contrà non valentem agere non curri.t prœsriptio, " la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice."
(e) Le Code français a pris la peine de le dire (art. 2257); le Projet ne l'a pas cru inutile (v. art. 1471).
(2) Le Projet, arrivé à la prescription, s'est séparé des Codes étrangers qui suspendent la prescription pendant toute la minorité de l'ayant-droit: la suspension n'a lieu que " pendant la dernière année de la minorité, de sorte " que le mineur, devenu majeur, a toujours un délai pour faire " valoir son droit " (v. art. 1467, 26 al.)