Art. 457. Le cas prévu par cet article est assez délicat. La difficulté est de savoir ce qu'il faut entendre par le “possesseur d'une créance : "assurément, ce n'est pas le véritable créancier ; ce n'est pas non plus le détenteur du titre servant de preuve à la créance, sauf dans le cas de titre au porteur (v. ci-après).
Déjà, lorsqu'on a traité de la possession, on a dit qu'elle s'appliquait non seulement aux choses corporelles, mais aussi aux choses incorporelles, aux droite, et, notamment, aux créances (voy. art. 180). Le possesseur d'une créance est celui qui, sans être le véritable créancier, se comporte comme tel et paraît avoir cette qualité aux yeux des tiers ; par exemple, en touchant les intérêts annuels, en faisant des poursuites, en accordant des délais.
Quand il s'agit d'une chose corporelle, il suffit, pour en avoir la possession civile, de la détenir physiquement, de l'avoir à sa disposition “avec l'intention de l'avoir à soi” (art 180); cette intention est d'ailleurs présumée (art 186); il n'est pas nécessaire de détenir la chose en vertu d'un titre ou acte juridique destiné à la transfére (juste titre). En matière de créance, la détention du titre instrumentaire ne saurait avoir le même effet; d'abord, il arrive très-fréquemment qu'on est détenteur d'un titre, par suite d'un mandat ou d'un dépôt : cette détention ne pourrait donc être présumée, au même degré, fondée sur un droit propre au détenteur; ensuite, elle ne se révèle pas par des faits extérieurs qui lui donnent une publicité suffisante pour fortifier la présomption de droit (comp. art. 183) ; enfin et surtout, le titre même, portant le nom du véritable créancier, contredit la prétention du simple détenteur. Pour que la détention du titre fasse présumer le droit de créance, il faut on qu'il s'agisse d'un titre au porteur, cas où le droit est attaché au titre même et non à une personne dénommée (voy. art. 346), ou, s'il s'agit d'un titre nominatif, que le possesseur ait fait, en son propre nom, des actes plus ou moins répétés de la nature de ceux qui appartiennent aux créanciers, fussent-ils de simples actes conservatoires ; la réception périodique des intérêts sera une possession continue de la créance.
Dans ces conditions, le payement fait de bonne foi par le débiteur est valable, c'est-à-dire le libère envers le véritable créancier qui n'est pas lui-même exempt de négligence ; c'est ce dernier qui aura recours contre le possesseur, pour la restitution des valeurs payées, avec le risque de son insolvabilité.
La loi, à cause de la difficulté de cette matière, a cru devoir donner des exemples de possesseurs de créance auxquels le payement pourra ainsi être fait valablement. Elle en donne trois qui sont peut-être les seuls que la pratique présentera ; mais la loi n'est pas limitative.
Le premier cas est celui de " l'héritier apparent,” expression consacrée pour indiquer celui qui passe, aux yeux des tiers, pour l'héritier légitime d'un défunt ; la loi lui assimile tout autre successeur universel, tel qu'un donataire ou un légataire. Il peut arriver que cet héritier soit primé par un parent plus proche dont l'existence était ignorée, que la donation ou le testament soit nul ou révoqué ; mais l'erreur commune commande de protéger le débiteur qui a payé de bonne foi.
Le deuxième cas est celui d'une cession de créance nominative, faite en bonne et due forme et notifiée au débiteur-cédé par le cessionnaire (voy. art. 347), mais qui n'a pas opéré un véritable transport, par le défaut de droit et de qualité chez le cédant. Dans ce cas, le cessionnaire a peut-être été imprudent, en ne se faisant pas justifier exactement les droits du cédant ; peut-être a-t-il été victime d'un faux qu'une plus grande vigilance aurait pu lui faire découvrir; mais ce n'est pas le cessionnaire que la loi protège, c'est le cédé qui, recevant notification de la cession, n'a pas eu à en vérifier la validité.
S'il s'agit d'un “effet de commerce " (lettre de change, billet à ordre, chèque) nominatif encore, mais cessible par simple endossement, la solution sera identique, lors même que l'endossement aurait été signé par un faussaire : le payement fait au cessionnaire apparent libérera le débiteur, pourvu qu'il n'ait pas été fait avant l'échéance.
Le troisième cas est celui d'un titre au porteur cessible par la simple tradition ; pour que la cession soit valable, il faut, il est vrai, que ht tradition du titre soit faite par le véritable créancier ; mais la facilité de fraude on d'erreur est encore ici plus considérable que dans les titres nominatifs, et le payement fait au porteur du titre doit libérer le débiteur, comme dans les cas précédents.
On remarquera que la loi n'exige pas, pour la validité du payement, qu'il ait été reçu de bonne foi par le possesseur de la créance; mais elle exige la bonne foi chez le débiteur, c'est-à-dire qu'il croye payer au véritable créancier.
La loi devait-elle encore subordonner la validité du payement à la condition qu'il ne fût pas fait avant l'échéance ? Cette condition est exigée pour certaines créances commerciales. En faveur de l'extension de cette disposition aux créances civiles, on pourrait dire que si le débiteur n'a pas attendu l'échéance pour payer, il a diminué les chances qui restaient au véritable créancier de se faire connaître en temps utile, d'évincer le possesseur et de se faire payer lui-même. Mais il faut reconnaître que la loi n'atteindrait pas son but, si elle n'admettait pas la validité du payement fait avant l'échéance: du moment que le débiteur est de bonne foi, la loi ne peut exiger qu'il attende l'échéance, ce serait admettre qu'il a eu des soupçons sur le droit du possesseur ; d'ailleurs, de deux choses l'une: ou le terme a été établi dans l'intérêt du débiteur (ce qui est le cas ordinaire) et il peut toujours y renoncer (art. 401): la dette devient alors échue par sa volonté et il n'a pas payé avant l'échéance du terme ; ou bien le terme est établi dans l'intérêt du créancier et celui-ci (ou du moins, le créancier apparent, le possesseur de la créance), en demandant le payement ou même en le recevant, a renoncé au bénéfice du terme et la dette se trouve encore n'avoir pas été payée avant l'échéance.
Il n'y a donc pas lieu de demander plus que la bonne foi du débiteur au moment du payement. S'il en est autrement pour les dettes commerciales, spécialement pour les lettres de change et billets à ordre, c'est que ces titres, négociables par endossement et souvent rédigés en double ou triple original, font presque l'office de monnaie ; dès lors, le débiteur s'il est prudent, doit toujours songer qu'il peut y avoir eu perte d'un des doubles déjà endossé et que le porteur légitime peut se présenter au dernier jour.